) 2009 ( 2 O JSÉAC / JSSAC N 34, LUNENBURG May 26-29, 2010 | 26-29 mai 2010 ARCHITECTURE in/au

15 $ 15$ VOL.34 > No 2 > 2009 Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM

Déjà 8 titres !/Already 8 titles! Le Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine, réseau stratégique de recherche d’observation, d’information et de concertation, subventionné par le CRSH (2008-2015) et logé à l’Institut du patrimoine de l’UQAM, aspire à réunir décideurs et chercheurs de tous milieux dans la conception d’un dialogue entre l’expertise (qui choisit le patrimoine) et ces collectivités (qui le vivent), en rendant disponibles les résultats de la recherche et en intégrant celles sur le patrimoine et sur les représentations culturelles, la décision et l’utilisation (par le public) du patrimoine, afi n d’à la fois résoudre des problèmes multisectoriels et pancanadiens et d’être en mesure de décliner une force nationale pour résoudre des problèmes locaux. Cela sera fait, d’abord, autour de trois grands « chantiers », problèmes prépondérants 1 2 3 qui recouvrent nos expertises et nos préoccupations : l’avenir du « patrimoine religieux », celui du patrimoine moderne et, dans une perspective plus théorique, la formation de la mémoire patrimoniale des Canadiens.

The Canadian Forum for Public Research on Heritage, a strategic knowledge cluster and network for research, observation, information, and cooperation, with SSHRC’s support (2008-2015) and hosted by UQAM’s Institut du patrimoine, hopes to bring together decision makers and researchers in all areas PAYSAGES CONSTRUITS : PATRIMOINE ET PATRIMONIALISATION LES TEMPS DE L’ESPACE for dialogue among experts (those who designate heritage) and the local communities (those who live MÉMOIRE, IDENTITÉ, IDÉOLOGIE DU QUÉBEC ET D’AILLEURS PUBLIC URBAIN : it). To do so, it makes results available and integrates research on heritage and cultural representations, CONSTRUCTION, decisions, and the public use of heritage in order to both solve multisectoral and Canada-wide problems TRANSFORMATION and build a national force to solve local problems. To begin, the focus will then be placed on three main ET UTILISATION areas/critical problems in our areas of expertise and concerns: “religious heritage”, “modern heritage”, Prix and, in a more theoretical vein, “canadian heritage memory”, e.g., understanding heritage through its Phyllis-Lambert narratives and as etched on the memory of Canadians. Prize 2007 www.patrimoine-canada.ca 4 5 6

PATRIMOINE ET GUERRE : NEWFOUNDLAND GOTHIC PATRIMOINES : RECONSTRUIRE LA PLACE FABRIQUE, USAGES ET RÉEMPLOIS DES MARTYRS À BEYROUTH

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Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine LA RECHERCHE EN ÉDUCATION PATRIMOINE ET SACRALISATION MUSÉALE : ACTIONS ET PERPECTIVES

Canadian Forum for Public RESEARCH IN MUSEUM EDUCATION : Research on Heritage ACTIONS AND PERSPECTIVES

Royal Ontario Museum : Daniel Libeskin / Bregman + Hamann Architects (photo : Thomas Coomans) + Hamann Architects Royal Ontario Museum : Daniel Libeskin / Bregman www.multim.com CONTENTS | TABLE DES MATIÈRES

ANALY SES | ANALY SES > LUC NOPPEN 3 La maison-mère des Sœurs grises de Montréal Genèse d’un haut lieu du paysage construit montréalais

> MARTIN DROUIN Un lieu de calme et de paix au cœur 45 de la tourmente Le débat patrimonial autour de la sauvegarde du Carmel de Montréal (2003-2007)

> ANJA BORCK Seen But Ignored 61 ’s Henry Foss Hall Building in Montréal ESSAYS | ESSAIS > FRANÇOIS DUFAUX ET TANIA MARTIN Le devenir du patrimoine religieux 75 Pour la sauvegarde d’un domaine immobilier à vocation communautaire

> GEOFFREY CARR Educating Memory 87 Regarding the Remnants of the Indian Residential School

> MATHIEU POMERLEAU Exploitation antinomique 101 Ou la création de l’architecture contemporaine au sein du patrimoine bâti, par huit agences montréalaises, de 1994 à 2005 REPOR T | RAPPORT > NATHALIE CLERK Le Jardin botanique de Montréal 113

VOL.34 > No 2 > 2009 PRESIDENT | PRÉSIDENT ANDREW WALDRON Parks Canada 5th Floor, 25 Eddy Street Gatineau, QC K1A 0M5 t : (819) 953-5587 / f : (819) 953-4909 e : [email protected] VICE-PRESIDENTS | VICE-PRÉSIDENT(E)S PETER COFFMAN Department of History, Dalhousie University THE SOCIETY FOR THE STUDY OF ARCHITECTURE IN CANADA is a learned society 6135 University Avenue, McCain 3164 devoted to the examination of the role of the built environment in Canadian society. Its membership includes Halifax, NS B3H 4P9 e : [email protected] structural and landscape architects, architectural historians and planners, sociologists, ethnologists, and LUCIE K. MORISSET specialists in such fields as heritage conservation and landscape history. Founded in 1974, the Society is currently Département d'études urbaines et touristiques Université du Québec à Montréal the sole national society whose focus of interest is Canada’s built environment in all of its manifestations. C.P. 8888, succ. Centre-ville Montréal, QC H3C 3P8 The Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada, published twice a year, is a refereed journal. t : (514) 987-3000 x 4585 / f : (514) 987-6881 e : [email protected] Membership fees, including subscription to the Journal, are payable at the following rates: Student, $30; TREASURER | TRÉSORIER Individual,$50; Organization | Corporation, $75; Patron, $20 (plus a donation of not less than $100). BARRY MAGRILL 8080 Dalemore Road Institutional subscription: $75. Individuel subscription: $40. Richmond, BC V7C 2A6 e : [email protected] There is a surcharge of $5 for all foreign memberships. Contributions over and above membership fees are welcome, SECRETARY | SECRÉTAIRE and are tax-deductible. Please make your cheque or money order payable to the: NICOLAS MIQUELON Parks Canada SSAC > Box 2302, Station D, Ottawa, Ontario, K1P 5W5 5th Floor, 25 Eddy Street Gatineau, QC K1A 0M5 e : [email protected] PROVINCIAL REPRESENTATIVES | LA SOCIÉTÉ POUR L’ÉTUDE DE L’ARCHITECTURE AU CANADA est une société savante qui se REPRÉSENTANT(E)S DES PROVINCES consacre à l’étude du rôle de l’environnement bâti dans la société canadienne. Ses membres sont architectes, HEATHER BRETZ Stantec Inc. architectes paysagistes, historiens de l’architecture et de l’urbanisme, urbanistes, sociologues, ethnologues 500-404 6th Avenue SW Calgary, AB T2P 0R9 ou spécialistes du patrimoine et de l’histoire du paysage. Fondée en 1974, la Société est présentement la seule t : (403) 262-5511 / f : (403) 262-5519 association nationale préoccupée par l’environnement bâti du Canada sous toutes ses formes. e : [email protected] GEORGE CHALKER Le Journal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada, publié deux fois par année, est une revue dont les Heritage Foundation of Newfoundland and Labrador PO Box 5171 articles sont évalués par un comité de lecture. St. John’s, NF A1C 5V5 t : (709) 739-1892 / f : (709) 739-5413 La cotisation annuelle, qui comprend l’abonnement au Journal, est la suivante : étudiant, 30 $; individuel, 50 $; e : [email protected] organisation | société, 75 $; bienfaiteur, 20 $ (plus un don d’au moins 100 $). BERNARD FLAMAN PWGSC – TPSGC Abonnement institutionnel : 75 $. Abonnement individuel : 40 $ 201-1800 11th Avenue Regina, SK S4P 0H8 Un supplément de 5 $ est demandé pour les abonnements étrangers. Les contributions dépassant l’abonnement t : (306) 780 3280 / f : (306) 780 7242 e : [email protected] annuel sont bienvenues et déductibles d’impôt. Veuillez s.v.p. envoyer un chèque ou un mandat postal à la : THOMAS HORROCKS SÉAC > Case postale 2302, succursale D, Ottawa, Ontario, K1P 5W5 ADI Limited 300-1133 Regent Street Fredericton, NB E3B 3Z2 JOURNAL EDITOR | RÉDACTEUR DU JOURNAL t : (506) 452-9000 / f : (906) 452-7303 www.canada-architecture.org LUC NOPPEN e : [email protected] / [email protected] ANN HOWATT-KRAHN The Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada is produced Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain Institut du patrimoine, Université du Québec à Montréal 31 Victory Avenue with the assistance of the Canada Research Chair on Urban Heritage and the C.P. 8888, succ. centre-ville Charlottetown, PEI C1A 5E9 Institut du patrimoine, UQAM. This issue was also produced with the financial Montréal, QC H3C 3P8 t : (902) 368-1532 assistance of the Canadian Forum for Public Research on Heritage. t : (514) 987-3000 x 2562 / f : (514) 987-6881 e : [email protected] e : [email protected] DANIEL MILLETTE Le Journal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada est publié ASSISTANT EDITOR | ADJOINT À LA RÉDACTION 511-55 Water Street avec l’aide de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain et MARTIN DROUIN Vancouver, BC V6B 1A1 de l’Institut du patrimoine, UQAM. Ce numéro a aussi bénéficié de l’apport e : [email protected] t / f : (604) 642-2432 e : [email protected] financier du Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine. ASSISTANT EDITOR | ADJOINT À LA RÉDACTION KAYHAN NADJI Publication Mail 40739147 > PAP Registration No. 10709 PETER COFFMAN e : [email protected] 126 Niven Drive We acknowledge the financial assistance of the Government of Canada, Yellowknife, NT X1A 3W8 through the Publications Assistance Program (PAP), toward our mailing costs. WEB SITE | SITE WEB t / f : (867) 920-6331 LANA STEWART e : [email protected] ISSN 1486-0872 Parks Canada MATHIEU POMERLEAU (supersedes | remplace ISSN 0228-0744) th 5 Floor, 25 Eddy Street 379, rue de Liège Gatineau, QC K1A 0M5 EDITING, PROOFREADING, TRANSLATION | RÉVISION LINGUISTIQUE, TRADUCTION Montréal, QC H2P 1J6 t : (819) 997-6098 e : [email protected] MICHELINE GIROUX-AUBIN e : [email protected] TOM URBANIAK GRAPHIC DESIGN | CONCEPTION GRAPHIQUE EDITOR OF NEWS & VIEWS | Department of Political Science, Cape Breton University MARIKE PARADIS RÉDACTEUR DE NOUVELLES ET COUPS D’ŒIL 1250 Grand Lake Road PAGE MAKE-UP | MISE EN PAGES RUPERT ALLEN Sydney, NS B1P 6L2 B GRAPHISTES e : [email protected] t : (902) 563-1226 ADMINISTRATIVE ASSISTANT | ASSISTANTE ADMINISTRATIVE e : [email protected] PRINTING | IMPRESSION HEATHER MCARTHUR SHARON VATTAY REPRO-UQAM Julian Smith Architects 43 Bushnell Avenue COVER | COUVERTURE 410-404 Laurier Avenue E Toronto, ON M4W 3B8 Maison-mère des soeurs grises, Montréal Ottawa, ON K1N 6R2 t : (416) 406-6148 (photo : Guillaume St-Jean). e : [email protected] e : [email protected] ANALYSIS | ANALYSE

LA MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES DE MONTRÉAL Genèse d’un haut lieu du paysage construit montréalais

LUC NOPPEN est professeur au Département > LUC NOPPEN 1 d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’École des sciences de la gestion et directeur de l’Institut du patrimoine de cette même université. Il ÉTAT DE LA QUESTION mène depuis plus de trente ans des recherches sur ET RAPPEL HISTORIQUE le patrimoine religieux ; il a publié une quarantaine de livres et des centaines d’articles et prononcé ondée en 1737 par sainte Marie- FMarguerite d’Youville (ill. 01) – née autant de conférences sur ce thème, œuvrant Marie-Marguerite Dufrost de la Jemmerais souvent en collaboration avec Lucie K. Morisset. Il (1701-1771) et canonisée en 1990 par le est aussi activement engagé dans la conservation pape Jean-Paul II –, la Congrégation des des églises et des couvents du Québec au sein Sœurs de la Charité de Montréal, dite d’organismes communautaires et comme conseiller des « Sœurs grises », avait pris en 1747 la auprès des autorités publiques. responsabilité de l’ancien l’hôpital des Frères Charon, bâtiment en ruines de la Pointe-à-Callière. Laborieusement recons- truit, cet hôpital a été rasé par le feu en 1766, puis réédifié et agrandi en plusieurs moments au dix-huitième siècle et dans la première moitié du dix-neuvième. Abandonné en 1871, le site a accueilli des fonctions commerciales jusqu’en 1980, quand les religieuses ont restauré les vestiges de la « maison de la fondation » pour y loger les services administratifs de la congrégation (ill. 02).

Le nouvel hôpital général des Sœurs gri- ses – qui deviendrait aussi la maison-mère des Sœurs grises – fut, lui, construit par étapes, à partir de 1869, sur un site bordé par le boulevard René-Lévesque (autre- fois Dorchester) et les rues Guy, Sainte- Catherine et Saint-Mathieu (ill. 03). La propriété a été acquise en 2007 par l’Uni- versité Concordia qui projette, à terme, d’y établir sa Faculté des arts. En attendant, au fur et à mesure que les religieuses les quit- tent, l’Université occupe les lieux, notam- ment par des logements étudiants.

L’œuvre de la Congrégation des Sœurs de la Charité de Montréal, ainsi que ses nombreuses ramifications au Canada et aux États-Unis, a été longuement étudiée ILL. 1. PORTRAIT POSTHUME DE MARGUERITE D’YOUVILLE PAR JAMES DUNCAN, VERS 1825. | MUSÉE MCCORD, 986.128.

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 > 3-43 3 LUC NOPPEN > ANALYSIS | ANALYSE

ILL. 2. MONTRÉAL. LA MAISON MÈRE D’YOUVILLE, RUE SAINT-PIERRE. | GUILLAUME ST-JEAN. ILL. 3. MONTRÉAL. VUE D’ENSEMBLE DE LA MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. | GUILLAUME ST-JEAN.

des édifices en hauteur autour d’un cou- C’est ensuite dans la foulée des recher- vent recroquevillé (ill. 04) qui ont établi ches sexospécifiques menées par l’équipe le « domaine des Sœurs grises » comme un d’Annmarie Adams à l’Université McGill nouveau sujet d’intérêt, patrimonial cette que Tania Martin6 a produit, en 1995, un fois. Le processus d’attribution d’un statut mémoire de maîtrise intitulé Housing the de protection juridique en vertu de la Loi Grey Nuns: Power, Religion and Women sur les biens culturels du Québec a requis in Fin-de-siècle Montréal. Elle a poursuivi des études sur le site et les constructions. ses recherches doctorales sur les couvents Le travail pionnier de Barbara Salomon de et entrepris recherches et publications sur Friedberg, mené en 1975, a dressé une ce thème dans le cadre du programme de chronologie des constructions et établi un sa Chaire de recherche du Canada sur le premier inventaire architectural des lieux3. patrimoine religieux bâti, logée à l’École Si le classement de la chapelle au titre de d’architecture de l’Université Laval. monument historique avait été décrété dans l’urgence en 1974, l’étude par l’his- Plus récemment, la perspective d’une torienne de l’art a permis au ministère des conversion de la maison-mère en édifice Affaires culturelles de l’époque de classer académique et résidentiel a requis divers comme site historique l’ensemble de la travaux de caractérisation du site et de propriété, en 1976. Ce travail a été suivi son potentiel de conservation/dévelop- de recherches sur l’œuvre architectural de pement7 ; Josette Michaud, de l’agence ILL. 4. PROJET DE DÉVELOPPEMENT DU SITE PAR VALORINVEST. | BANQ, LA PRESSE, 27 MAI 1975. Victor Bourgeau, dorénavant identifié par Beaupré et Michaud architectes, a pour une histoire de l’architecture naissante à sa part préparé une volumineuse Étude Montréal, comme l’architecte de la mai- des valeurs patrimoniales du couvent des et fait l’objet de plusieurs publications son-mère ; on doit à Phyllis Lambert4 et à Sœurs Grises (construit sous le nom d’Hôpi- importantes depuis le début du ving- Raymonde Gauthier5 le déploiement de tal général des Sœurs Grises). Domaine des tième siècle. Ces ouvrages ont cherché la figure mythique de Victor Bourgeau, Sœurs Grises de Montréal8 dont le mérite à établir pour la postérité la mémoire architecte providentiel qui, seul contre est d’ancrer l’histoire de l’architecture de la fondatrice et des réalisations de la le déferlement des architectes britanni- dans la matière construite, ce qui a permis Congrégation2. C’est le projet de vente ques et étasuniens, défendit l’originalité d’établir une hiérarchie des interventions du site à un promoteur, en novembre paysagère du Montréal francophone et en fonction de l’intensité patrimoniale des 1974, et l’intention de celui-ci d’ériger catholique. composantes du site. Un dernier rapport,

4 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 LUC NOPPEN > ANALYSIS | ANALYSE

ILL. 5. THE GENERAL HOSPITAL OF THE GREY NUNS, . DESSIN GRAVÉ ILL. 6. MONTRÉAL. LE SITE DE L’ANCIEN HÔPITAL GÉNÉRAL DANS LE VIEUX-MONTRÉAL. | DE E. HABERER. | BANQ, THE CANADIAN ILLUSTRATED NEWS, 4 DÉCEMBRE 1875. PIERRE LAHOUD. préparé pour la Commission des lieux et LE CHOIX DU SITE nombreuses et une clientèle sans cesse monuments historiques du Canada, est croissante. Leurs vastes sites, stratégi- attendu pour l’automne 2009 ; il servira Le 14 novembre 1874, le Canadian quement situés, sont convoités pour des à appuyer la désignation prochaine de la Illustrated News publie une vue à vol usages commerciaux qui en requièrent maison-mère des Sœurs grises de Montréal d’oiseau : The General Hospital of the le démembrement (ill. 06). Les autorités comme lieu historique national. Grey Nuns, Montreal (ill. 05). Le texte qui municipales sont sensibles à cette pression l’accompagne se conclut par cette déclara- immobilière et proposent d’exproprier La revue de ces travaux nous conduit au tion : « The new buildings, as seen in our des lots occupés par des communautés constat qu’il reste des recherches à faire, sketch, cover an immense area, and with religieuses pour tracer de nouvelles rues des analyses à mener, des interprétations the Church, will form the largest establish- dans la ville marchande afin d’accéder à formuler pour enrichir notre compré- ment of the kind in America. » Quelques plus facilement au port, qui connaît un hension de cet ensemble historique d’une jours plus tard, L’Opinion Publique, selon développement fulgurant. grande importance. Cela s’impose surtout son habitude, reprend la même image, alors que des ressources considérables mais le texte qui l’accompagne est beau- Mais le déplacement des communautés sont mises en œuvre pour en assurer la coup plus long ; il apprend aux lecteurs religieuses a aussi d’autres objectifs. Le pérennité, tandis que l’analyse critique l’histoire et les œuvres de la Congrégation, cas de la relocalisation des Sœurs grises des sources incite à renouveler le cadre détaille l’état d’avancement du chantier permet d’en cerner les contours (ill. 07). problématique établi depuis plus de vingt et annonce le renouveau proposé par le ans. Il convient donc d’entreprendre une projet de chapelle (voir p. 6). En 1854, sœur Deschamps, supérieure de interprétation holistique, mieux arrimée la congrégation, adresse un mémoire à aux sensibilités de notre temps. 1854 : un plan stratégique monsieur Faillon, supérieur du Séminaire. des Sœurs grises Il s’agit en quelque sorte de l’esquisse Cet article, contribution de l’histoire de l’ar- d’un plan stratégique de développement, chitecture, relit la place qu’occupe la mai- Le déplacement de l’hôpital général des qui dresse d’abord un sombre constat de son-mère dans la paysage urbain, analyse Sœurs grises s’inscrit dans le contexte l’état des lieux dans le vieil hôpital géné- le rôle des concepteurs qui en ont assuré la de l’expansion urbaine et démographi- ral de la rue des Enfants-Trouvés (renom- genèse, explore sa position et sa contribu- que de Montréal. À partir de 1860, les mée place d’Youville en 1901) : tion à une typologie architecturale origi- congrégations féminines quittent en nale et propose une lecture nouvelle de son effet le Vieux-Montréal où elles s’étaient Nos salles sont de beaucoup trop petites apport, sur les plans formel et sémantique, établies sous le Régime français9 ; elles s’y pour le nombre de pauvres qu’elles contien- au patrimoine religieux bâti de Montréal. trouvent à l’étroit avec leurs recrues plus nent ; elles n’ont presqu’aucune commodité

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ce qui rend le service des pauvres sans Le Nouvel Hôpital-Général des Sœurs Grises ordre et bien fatiguant.

L’Hôpital-Général de Montréal a été fondé par sieur François Charon de la Barre en 1694. Le terrain sur lequel s’éleva la construction fut concédé gratuitement par les L’étage du bas est doublement malsain à messieurs du Séminaire de St. Sulpice, seigneurs de l’île de Montréal. cause de l’eau qui monte dans les caves tous Cette communauté de Frères ayant été dissoute, l’Hôpital-Général fut confié aux les automnes et qui y séjourne une partie de soins de Mme d’Youville et de sa communauté, le 7 octobre 1747. Elle fut confir- l’hiver. Elle monte aussi le printemps, mais mée dans la propriété et l’administration de l’hôpital par les lettres patentes du roi Louis XV, en date du mois de juin 1753, et continua jusqu’en 1871 à y exercer les elle y demeure moins longtemps. Chaque fois œuvres de charité auxquelles elle s’était vouée ; mais à cette époque, le local et la disposition des lieux étant un obstacle à l’extension des œuvres, la communauté que l’eau monte il faut tout sortir des caves, transféra l’hôpital dans la partie ouest de Montréal, au quartier St. Antoine, entre ce qui cause un grand trouble et occasionne les rues Dorchester, Guy, Ste. Catherine et St. Mathieu, sur un terrain contenant en superficie 12 arpents environ. bien souvent des pertes considérables.

La construction de cet hôpital, etc., a été commencée au printemps de 1869, et toute la partie Est, occupée actuellement par les Sœurs, leurs pauvres et leurs […] Le manque de place nous empêche orphelins, s’achevait au mois d’octobre 1871. aussi de recevoir et de soigner les pauvres L’église et une partie considérable des ailes situées à l’ouest, et destinées à loger les plus abandonnés, tels que les person- les pauvres et les orphelins, ont été commencées au printemps de 1874, elles sont nes atteintes de chancre et d’autres maux aujourd’hui en partie achevées. encore plus rebutants10. Le corps principal des bâtiments depuis l’entrée de la communauté aura 524 pieds de long. La supérieure énonce ensuite trois options. Tout l’hôpital est composé de 4 étages, y compris le soubassement. Les deux premières, soit agrandir l’hôpital L’église, en y comprenant la tour, aura 180 pieds de long. existant et l’asile Saint-Joseph pour aug- menter la capacité d’accueil ou agrandir Cette église, construite d’après les plans de V. Bourgeau, écr., architecte, par Perrault et frères, constructeurs, est du style romain [sic], et une fois achevée, l’hôpital existant et « bâtir au grand air un elle sera un des plus beaux édifices religieux de Montréal. vaste orphelinat pour y élever nos enfants Elle comprend trois nefs et un transept. jusqu’à l’âge de 21 ans », sont rapidement déclassées par une troisième, que sœur Le sanctuaire, terminé par un(e) abside en hémicycle de 40 pieds de longueur, a la même largeur que la nef principale. Deschamps défend longuement :

À chaque extrémité de la nef sont de petites chapelles construites aussi en hémicycle. Le moyen qui semblerait nous donner la facilité et les revenus nécessaires pour Les murs latéraux de la grande nef et du transept, soutenus par de fortes et belles colonnes, s’élèvent au-dessus d’un triforium, et ont une clérystère (clerestory), ou faire plus de bien aux pauvres et surtout double rangée de fenêtres pour éclairer la voûte. aux enfants, serait de vendre l’hôpital actuel L’église renfermera cinq autels. avec tout le terrain. On présume que l’on pourrait vendre le tout quatre vingt mille De chaque côté du sanctuaire sont construites deux sacristies, pour le service de l’église, unies ensemble en arrière par un passage couvert. louis, y compris les terrains [actuellement] loués à baux emphytéotiques. La façade de l’église a en hauteur 90 pieds jusqu’au sommet de la tour, et la flèche qui la surmontera aura 136 pieds d’élévation ; ce qui fera une hauteur totale de 226 pieds. Avec ce capital nous pourrions acheter une Cet établissement est la maison-mère de toutes les maisons de l’institut répandues ferme de cent arpents, voisine du terrain dans le Canada, le Nord-Ouest et les États-Unis. Le noviciat établi à la maison-mère des messieurs à la montagne, pour laquelle alimente ces différents établissements (ou ces maisons) en fournissant autant de sujets requis par le besoin de chacune d’elles. on nous demande mille louis ; y bâtir un hôpital assez vaste pour y réunir tous nos Depuis 1747 à ce jour, les Sœurs ont recueilli et donné leurs soins à 1400 hommes pauvres et infirmes, 3240 femmes, 1917 orphelins et 19 472 enfants trouvés. pauvres, et en augmenter de moitié leur nombre et laisser sur ce fonds-ci un capital On compte aujourd’hui dans l’Hôpital-Général des Sœurs Grises, 560 à 570 person- nes, sans compter celles qui habitent l’Asile de St. Joseph, rue du Cimetière [rue de de vingt cinq mille louis. la cathédrale], qui est une annexe de la même administration.

(L’Opinion publique, 9 décembre 1875, p. 580.) […] Une autre raison qui pourrait nous déterminer à prendre le parti de vendre,

6 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 LUC NOPPEN > ANALYSIS | ANALYSE

ILL. 7. MONTRÉAL. L’HÔPITAL GÉNÉRAL DES SŒURS GRISES À POINTE-À-CALLIÈRE, EN 1867. ILL. 8. MONTRÉAL. LE JARDIN POTAGER DE L’HÔPITAL GÉNÉRAL DES SŒURS GRISES | MUSÉE MCCORD, I-26333.1. À POINTE-À-CALLIÈRE. | MUSÉE MCCORD. I-26334.1.

c’est qu’il est bien probable que nous serions n’aimeraient pas à passer leur vie avec nous moyens de réaliser les utiles projets expo- obligées de le faire plus tard, soit que l’on feraient de bonnes filles de confiance et de sés dans votre mémoire14 ». Cette réponse, nous y force pour des travaux publics, soit bonnes mères de famille. qui laisse croire que le Séminaire n’aidera que nous en ressentions nous-mêmes la pas à la relocalisation des Sœurs – du nécessité. Dans ce moment, on bâtit devant Pour les garçons parvenus à l’âge de douze moins pas en leur offrant un terrain –, nos salles de manière à nous ôter le peu ans on pourrait leur faire apprendre des s’explique par l’opposition qui existe d’air que nous avions. métiers. Nous pourrions avec le temps faire entre l’évêque de Montréal, Mgr Bourget, construire sur notre terrain un établisse- et les Sulpiciens qui, seigneurs de l’île de Plus tard nous ne pourrons pas nous pro- ment à cet effet. Ces enfants nous aide- Montréal, sont aussi d’importants pro- curer un terrain aussi vaste que celui que raient en travaillant pour la maison, et au priétaires fonciers. Or, Mgr Bourget entend nous avons maintenant en vue, ni à aussi lieu de payer à des corps de métier tout ce voir son Église se occuper une place plus bon marché11. que nous ferions faire, ces sommes seraient visible dans le paysage construit de la employées à faire subsister nos enfants12. ville qui se développe et, pour accomplir Ce projet, dont la supérieure valide lon- ce dessein à défaut d’argent, il convoite guement les avantages économiques, lui La supérieure insiste sur le deuil que ses des terrains de Saint-Sulpice. De leur côté, permet aussi d’exposer le modèle de vie consœurs auraient à faire en quittant la les Sœurs grises occupent un site qui leur autarcique et de recrutement des Sœurs maison de Madame d’Youville, leur lieu avait été cédé par les Sulpiciens au dix- grises de Montréal : de fondation (ill. 08). Outre quelques huitième siècle ; elles doivent obtenir leur motifs fonctionnels – le secours des prê- consentement pour le vendre ou le lotir. Ce grand local nous permettrait de gar- tres, l’eau de l’aqueduc, le transport des De plus, elles dépendent du Séminaire der nos enfants naissants et de les élever marchandises –, elle invoque cependant qui leur fournit leur supérieur ecclésias- jusqu’à l’âge de 21 ans, c’est-à-dire les filles, un argument substantiel : « les besoins du tique, leur établissement ayant précédé la et les garçons jusqu’à l’âge de 12 ans. En diocèse et ceux de la ville en particulier création du diocèse de Montréal, en 1836. formant les filles à toutes sortes d’ouvrages, semblent nous demander ce sacrifice ; C’est d’ailleurs le Sulpicien Mathurin Clair elles pourront fabriquer une grande partie de mais le bon Dieu le veut-il ? C’est ce que Louis Bonnissant qui, à titre de supérieur leurs habits et de ceux des autres pauvres ; nous désirons connaître13. » ecclésiastique des Sœurs, leur obtient en elles pourraient aussi nous tenir la place de 1865 une nouvelle constitution de congré- filles engagées et de femmes de journée dont Le supérieur du Séminaire répond, hési- gation religieuse d’obédience romaine, nous nous servons presque continuellement tant : « je ne prendrais ce dernier parti afin que celles-ci puissent ouvrir une et en grand nombre. Elles nous aideraient que dans le cas où la vente de votre série de maisons succursales au départ aussi à élever les petits enfants. Celles qui établissement actuel vous fournirait les de Montréal ; cette constitution a aussi

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ILL. 9. MGR IGNACE BOURGET, DEUXIÈME ÉVÊQUE ILL. 10. PLAN DES PROPRIÉTÉS DES SŒURS GRISES À LA CÔTE-SAINT-ANTOINE (CARMEL). DE MONTRÉAL, EN 1862. | MUSÉE MCCORD, I-4562.0.1. DESSIN DE SŒUR SAINT-JEAN-DE-LA-CROIX. | A.S.G.M.

pour effet de les soustraire à l’autorité organisations charitables protestantes don à la Communauté d’un superbe ver- de l’évêque de Montréal. prolifèrent partout à Montréal, alors que ger de la contenance de huit arpents en les vénérables institutions francophones superficie, situé dans le village de Côte- Un site pour accomplir vivotent dans un centre-ville désuet. Dans Saint-Antoine »15, aux limites ouest de les vues de Mgr Bourget ? le plan de Mgr Bourget, les congrégations la cité de Montréal. Le don de ce ter- anciennes et les nouvelles qu’il convainc rain, au lieudit « Le Carmel », puisqu’il Dès la fin des années 1850, les relations de venir s’installer à Montréal doivent s’y trouvait un petit ermitage, incite les sont on ne peut plus tendues entre rétablir l’équilibre linguistique, surtout religieuses à acquérir des lots voisins. Mgr Bourget et le Séminaire (ill. 09). dans les nouveaux quartiers mieux nan- En effet, l’année suivante, elles y font L’évêque veut en effet démembrer « La tis. Le déménagement de sa cathédrale l’acquisition d’un terrain considérable, paroisse » (Notre-Dame) et ranger sous et de son palais épiscopal dans l’ouest de « contenant en superficie environ qua- son autorité toutes les nouvelles parois- la ville doit ainsi être suivi par d’autres rante-cinq arpents », pour la somme de ses qui naîtraient de ce démembrement installations catholiques, symbolique- quarante-trois mille dollars16 (ill. 10) ; ce et de l’expansion urbaine subséquente. ment fortes, dans ce secteur de la ville. lot est considérablement agrandi en 1858 Motivé par les statistiques démographi- par d’autres acquisitions limitrophes. ques qui, en 1861, révèlent que Montréal Ainsi motivées par Mgr Bourget, mais n’est plus une ville à majorité franco- peu encouragées par les Sulpiciens, les Tout laisse alors croire que les Sœurs phone, Mgr Bourget veut intégrer les Sœurs grises vont cependant recevoir un grises se déplaceront dans le village de immigrants irlandais dans les paroisses signal providentiel qui les aidera dans la Côte-Saint-Antoine (Wesmount), sur catholiques et, par des monuments de mise en route de leur projet de relocali- un vaste lot bordé au nord par la rue l’Église catholique, coloniser l’ouest de sation. En effet, le 16 juillet 1856, deux Sherbrooke, au sud par la rue Kitchener la ville où les anglicans et les protes- ans après que sœur Deschamps ait rédigé et à l’est par l’avenue Greene. Quant tants prospèrent. En même temps, les son mémoire, « M. Olivier Berthelet fait au domaine de la Montagne, un temps

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convoité comme site du nouvel hôpital général, les Sulpiciens décident en 1857 d’en lotir la portion située au sud de la rue Sherbrooke pour aider à financer la construction de leur nouveau Grand Séminaire. Ils se ravisent en 1859 et déci- dent de n’en lotir que la portion située au sud de la rue Sainte-Catherine ; ce ter- rain, dit de la Croix-Rouge17, bordé par la prestigieuse nouvelle rue Dorchester, a été l’objet d’un plan de lotissement, déposé le 2 novembre 1859 par l’ar- penteur Henri-Maurice Perrault (ill. 11). Le 20 juillet 1860, James Mullins en a ILL. 8. MONTRÉAL. LE JARDIN POTAGER DE L’HÔPITAL GÉNÉRAL DES SŒURS GRISES À LA acquis deux lots, au coin des rues Sainte- POINTE-À-CALLIÈRE. | MUSÉE MCCORD. I-26334.1. Catherine et Guy18.

Pourtant, 19 mars 1861, les Sœurs grises achètent des Sulpiciens, au terme d’un marathon de négociations, ce vaste ter- rain du sud de la rue Sainte-Catherine, d’une superficie de quelque onze arpents (440 865 pieds carrés)19 ; plus encore, elles le remembrent en rachetant, quatre jours après, les lots de James Mullins20. Qu’est-ce qui a provoqué un tel revire- ment de situation ?

L’intervenant principal dans cette affaire est le supérieur ecclésiastique des ILL. 11. PLAN DE LOTISSEMENT D’UNE PARTIE DU DOMAINE DE LA MONTAGNE DES SULPICIENS, 1859. | BANQ, CA601, S53, SS1, P1433. Sœurs grises, le Sulpicien Mathurin Clair Bonnissant. Le 18 octobre 1860, il a écrit à Mgr Bourget : Mathurin Clair Bonnissant évoquait non pas au supérieur ecclésiastique des Dans la persuasion où j’ai presque toujours alors, sans le localiser précisément, un Sœurs, mais directement au supérieur du été que les terrains achetés à la Côte- autre site, sur la côte Castonguay, nette- Séminaire, monsieur Granet : Saint-Antoine étaient trop éloignés de la ment plus cher que le terrain des Sulpiciens, ville pour que les Sœurs puissent s’y établir mais moins éloigné que celui du village Une place convenable pour cet établisse- avec avantage, je me suis occupé depuis de Côte-Saint-Antoine. Il se montrait ainsi ment [l’hôpital général] serait la ferme de la longtemps privément de la recherche sensibles aux visées de l’évêque, lui-même Montagne. Si le Séminaire pouvait lui céder d’un terrain qui peut mieux leur convenir. fort peu convaincu de l’à-propos du don une quinzaine d’arpents pour mettre cette Comme Votre Grandeur, j’ai pensé souvent d’Olivier Berthelet et de l’intérêt de voir les communauté en état de faire tout le bien au terrain du Séminaire à la Croix-Rouge, Sœurs investir le verger et les terrains adja- qu’elle aurait à faire, il serait nécessaire de et j’en ai parlé souvent d’une manière cents ; la côte Saint-Antoine est bien dis- n’exiger d’elles que le capital, sans aucun sérieuse, et il n’y a pas encore longtemps ; tante, à l’époque, de la portion urbanisée intérêt ; et même il faudrait lui donner toute mais j’ai toujours vu qu’il y avait des difficul- de Montréal. Le 19 octobre, Mgr Bourget la flexibilité possible, pour le paiement de ce tés comme insurmontables à la réalisation a ainsi, pour préciser son vouloir, écrit à capital, par exemple en lui faisant gagner de ce projet. son tour une lettre, envoyée cependant chaque année par les ouvrages que le

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les Sœurs de l’Hôtel-Dieu, c’est-à-dire, vous communiquer ce que Dieu, ce me semble, m’inspire pour le plus grand bien de la reli- gion, en mettant ces bonnes servantes de nos Pauvres plus en état de faire du bien au prochain. Maintenant, si le Séminaire juge à propos de se charger de diriger les Sœurs Grises dans cette voie d’améliorations et de développements, comme j’ai dirigé les Sœurs de l’Hôtel-Dieu, ma tâche sera finie25.

Questions d’argent

Les discussions se sont donc poursuivies avec le Séminaire au sujet du site de la ILL. 12. MONTRÉAL. L’HÔTEL-DIEU AU LIEU DIT MONT-SAINTE-FAMILLE, VERS 1865. | MUSÉE MCCORD, MP-1764.2. Croix-Rouge. Les religieuses voulaient bien consentir à payer le prix demandé Séminaire lui ferait faire. C’est ce que l’Évê- faudrait tirer parti du terrain qu’elles occu- (mille livres l’arpent), mais tentaient d’ob- que [Mgr Bourget évoque en ces termes sa pent maintenant, en le partageant par lots tenir un délai de paiement, sans intérêt, propre action] a cru devoir faire pour met- pour le livrer au commerce. La rente du gros le temps de réaliser quelques actifs26. tre à flot les Sœurs de la Providence. Car capital qu’elles peuvent former, en cédant aux Les Sulpiciens, eux, ne renonçaient pas en leur vendant la partie du terrain de Saint- instances qui leur sont faites de vendre ce à l’idée d’obtenir la pleine valeur de la Jacques qui leur restait à sa juste valeur, il terrain si précieux sous tous rapports, les vente de leurs terrains de la Croix-Rouge, leur a fait don de l’intérêt, et leur donne le aiderait à soutenir leur hôpital. en l’occurrence ce qu’ils pouvaient obtenir temps qu’elles voudront prendre pour payer sur le marché. C’est alors que les religieu- en ouvrage ou autrement le montant de la Maintenant, pour les frais de leur nouvelle ses de l’Hôtel-Dieu ont été invitées, par vente. Moyennant cet arrangement, cette bâtisse à faire sur un autre terrain, elles Mgr Bourget, à vendre aux Sœurs grises petite Communauté va se trouver bientôt n’auront qu’à vendre les quarante et quel- le terrain qu’elles détenaient en face de sans dettes et avec quelques ressources ques arpents de terre qu’elles possèdent à leur établissement, juste au nord de la rue pour faire un peu plus de bien21. la Côte Saint-Antoine. D’ailleurs, rien ne les Sherbrooke, ce que les Sœurs grises ont oblige pour le moment à faire tous les bâti- refusé27 ; leur supérieur avait démontré Mgr Bourget insistait ainsi sur sa préfé- ments qui pourraient leur être nécessaires qu’il leur en aurait coûté deux fois plus rence pour le site de la Croix-Rouge. Il par la suite23. cher de s’installer à cet endroit28. Tandis ajoutait des arguments économiques qui que le site de la Croix-Rouge – en bor- éclairent sa stratégie d’ensemble : utili- L’évêque concluait en évoquant son rôle dure duquel le développement de la rue ser le levier immobilier pour financer les d’intermédiaire dans la relocalisation des Dorchester allait bon train – menaçait de œuvres des Sœurs grises22. Hospitalières de Saint-Joseph de l’Hôtel- plus en plus d’échapper au Sœurs, des Dieu, couronnée de succès24 (ill. 12). La premiers lots y ayant trouvé acquéreur Revenant aux Sœurs Grises, je vois avec méthode valait d’être reprise : depuis déjà six mois, monsieur Bonnissant peine que cette communauté ne peut plus a en effet envoyé à Mgr Bourget, le 29 jan- faire ses œuvres sans s’enfoncer de plus Je crois que ce calcul réussira aux Sœurs vier 1861, un mémoire comparant les deux en plus dans les dettes. Ce qu’il y a de plus Grises comme il a réussi aux Sœurs de l’Hô- options, celle du site de la Croix-Rouge et regrettable, c’est que surchargée comme elle tel-Dieu, qui vont se trouver avec un nouvel celle du site de l’Hôtel-Dieu : l’est par ses œuvres, elle ne paie ses comp- Hôpital beaucoup plus spacieux que l’ancien tes courants chez les marchands qu’après et de nouvelles rentes pour le soutenir. 1er terrain : celui des Sœurs de l’Hôtel-Dieu, en avoir été requise trois et quatre fois ; ce rue Sherbrooke. Il contient deux parties : la qui met ces pauvres Sœurs dans une anxiété J’ai cru devoir faire pour ces bonnes Sœurs première partie, qui se trouve en arrière, inexprimable. Pour les tirer de ce gouffre, il Grises ce que j’ai fait, dans le temps, pour contient en superficie 15 arpents 34 perches

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59/100. La deuxième partie, en avant, appartient déjà à M. Slatt. Le tout coûterait £10240-17-9 [10 240 livres, 17 shillings et 9 pences]. Il faudrait en plus acheter le lot voisin de M. Slatt, qui contient 10 ½ arpents pour une autre somme de £10 000. Un coût total donc de plus de £20 000.

2e terrain : celui de la Croix-Rouge : les 12 arpents qu’il contient à £1000 l’arpent, en déduisant l’intérêt des deux années font environ $10 69029.

Le mémoire de monsieur Bonnissant pré- cisait que les Sœurs grises détenaient un avoir immobilisé de cent vingt-quatre mille six cent quatre-vingt-douze livres, plus le site de Côte-Saint-Antoine, la ferme des Tanneries et des terrains à la ILL. 13. QUÉBEC. L’HÔPITAL GÉNÉRAL DE QUÉBEC EN 1830. AQUARELLE DE JAMES PATTISON COCKBURN. | BAC, OTTAWA, C-40010. pointe Saint-Charles. Il en coûterait cin- quante mille livres pour acheter le terrain de la Croix-Rouge et y bâtir ; il concluait : À partir de là, les choses se sont précipi- l’hôpital général au cœur de l’establis- « il restera un capital qui triplera au moins tées : le 3 février 186132, le Conseil général hment anglophone crée des remous. le revenu foncier de l’hôpital »30. Ainsi, de la communauté a adopté une résolu- Plusieurs résidants du secteur s’inquiè- d’une part, s’avérait-il que les religieuses tion autorisant l’acquisition du terrain de tent ; la rumeur s’amplifie. À l’origine avaient les moyens d’acheter le site de la la Croix-Rouge ; l’achat était conclu 44 des inquiétudes se profile la réputation, Croix-Rouge, alors que l’offre des religieu- jours plus tard. Les Sœurs ont finalement construite dans l’histoire, d’un hôpital ses de l’Hôtel-Dieu faisait paraître le prix obtenu un congé d’intérêt de deux ans ; général « à la française ». Apparu au sei- exigé par le Séminaire comme plus que en revanche, leur nouvelle propriété est zième siècle, l’hôpital général se destinait raisonnable ; d’autre part, les Sulpiciens grevée de deux lots vendus et construits en effet à accueillir, hors des murs de la ne pouvaient avoir de raisons valables, qu’elles doivent racheter à prix fort. Sur ville, les indigents, les déficients et ceux c’est-à-dire économiques, de refuser de le site se trouve aussi une maison louée, qui souffraient de maladies contagieuses ; leur céder ce terrain qu’ils avaient entre- dans une position assez centrale pour l’institution donnait refuge à tous ceux pris de lotir quatorze mois auparavant. empêcher toute construction, dont le que l’on ne souhaite pas voir dans la cité33. Surtout, monsieur Bonnissant a ajouté, à bail n’expire qu’en 1865. Puis, tant dans L’hôpital général se différenciait ainsi de sa démonstration de la capacité financière le Vieux-Montréal que sur la côte Saint- son exact contraire, l’hôtel-dieu, situé à des Sœurs d’acquérir et d’occuper le site Antoine, les acheteurs se font attendre. l’intérieur des murs et voué à accueillir les de la Croix-Rouge, un argument de taille, Huit années vont s’écouler avant que l’hô- vieillards et les malades (étant entendu en justifiant que celles-ci renoncent éven- pital général ne soit mis en chantier. Mais que ceux qui avaient les moyens financiers tuellement au congé d’intérêt espéré : les Sœurs grises se sont réservé un empla- de quelque cure recevaient plutôt celle-ci cement de choix dans le New Montreal, à dans leur domicile). En 1656, Louis XIV avait Or, il semble maintenant que cette augmen- la grande satisfaction de Mgr Bourget. édicté cette mission de l’hôpital général tation de charge dans le prix du terrain n’est de mettre au travail les mendiants et de pas assez considérable pour faire renoncer au L’hôpital général mal vu sauver leurs âmes ; l’institution était consi- choix d’un terrain qui offre des avantages nota- dans le New Montreal dérée comme une maison de correction. blement plus grands que tout autre, soit qu’on Quelques années plus tard, on l’avait aussi considère les choses sous le rapport moral, Si la Croix-Rouge plaît aussi aux Sœurs enjoint de recueillir les « enfants trouvés ». soit qu’on les envisage du côté matériel31. grises, l’annonce de l’implantation de C’est pourquoi l’hôpital des Frères Charon

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with incurable diseases; so that there is nothing to fear for the public health from such an establishment. The poor and the sick of all categories, it is true, are the principal objects of our solicitude; but we go and visit them at their own places, and give them, there, all the care and assistance in our power. We know, by experience, that were our establishment removed beyond the city limits, it would be very difficult, if not impossible, to continue this charitable ministration34.

Aux riverains du site de la Croix-Rouge selon qui l’hôpital général devait grever la valeur de leurs propriétés, les Sœurs rappellent que, dans toutes les grandes cités de l’Occident, des hôpitaux s’élèvent ILL. 14. MONTRÉAL. L’HÔPITAL GÉNÉRAL DE POINTE-À-CALLIÈRE ET SON ENCEINTE. COMPOSITION dans les limites de la ville. Valable, cet DE HENRY RICHARD S. BUNNETT, VERS 1888. | MUSÉE MCCORD, M978.71.20. argument amalgame néanmoins l’hospice – hôtel-dieu ou hôpital général – issu de qui serait repris par Marguerite d’You- l’habitude culturelle de l’Occident méri- l’Ancien Régime et la forme moderne de ville, se dressait à Pointe-à-Callière, au dional, omniprésente en France, d’encein- l’hôpital qu’il convoque, c’est-à-dire celui, sud du ruisseau Saint-Pierre et hors des dre par un haut mur chaque propriété ; né en Angleterre à la fin du dix-huitième murs de la ville. À Québec, l’hôpital géné- à l’opposé, le monde anglo-saxon privi- siècle, que l’on destinait avant tout à ral, fondation de Louis XIV en 1692, se légiait, au moins depuis le dix-septième former des médecins dans un lieu où le trouvait pareillement loin de la ville, aux siècle, une urbanité décloisonnée. Dans regroupement d’un certain nombre de confins de la rivière Saint-Charles (ill. 13). l’opinion publique, surtout dans la ban- malades servait l’enseignement. C’était le Bref, les conditions d’hygiène et de santé lieue victorienne qui surgissait des terres cas, par exemple, du Montreal General, publique des dix-septième et dix-huitième du quartier Saint-Antoine, le haut mur « teaching hospital » de vingt-quatre lits siècles proscrivaient d’accueillir de tels projeté sur le site de la Croix-Rouge ne seulement établi en 1818 au centre-ville, établissements dans la ville, pour des rai- ranimait que plus fortement le dédain his- au coin de la rue Saint-Antoine et du bou- sons semblables à celles qui, de nos jours, toriquement rattaché à un hôpital géné- levard Saint-Laurent. motivent l’hésitation de certains face à ral, autant qu’était vif encore le souvenir des établissements voués aux démunis et des grandes épidémies de choléra et de Les Sœurs grises vont recevoir plusieurs aux exclus de la société. typhus qui avaient ravagé Montréal. appuis publics, notamment par des lettres de lecteurs du journal The Gazette35 ; tous En 1869, devant l’imminence d’un chan- À ces critiques, les Sœurs grises vont insistent sur le fait que l’hôpital général tier et au vu des premiers plans qui sont opposer diverses réponses, la principale qui s’installera rue Guy et Dorchester n’est soumis, le Comité de la santé de la ville faisant valoir l’évolution de la vocation pas un hôpital pour contagieux, mais fait écho aux revendications des protesta- de leur hôpital général depuis le début un « Almshouse for sick and infirm old taires. Le nouvel hôpital général fait peur, du dix-neuvième siècle : people » et un « Foundling and Orphan surtout que les premiers plans font voir House ». Le projet de déménagement de un site ceint par un haut mur de pierre You will allow us to observe, gentlemen, l’hôpital général des Sœurs grises parti- qui rappelle l’enceinte maçonnée du vieil that our hospital is not open to contagious cipe en effet à un objectif de modernisa- hôpital général, dans le Vieux-Montréal diseases, nor even to ordinary diseases; tion et de spécialisation de l’établissement (ill. 14). Au principe de clôture des com- but solely to orphans, aged and helpless selon les normes du dix-neuvième siècle. munautés religieuses se couplait ici persons, to the poor, and infirm, afflicted Mathurin Clair Bonnissant avait d’ailleurs

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annoncé cette particularité du nouvel éta- blissement des Sœurs :

Il faut remarquer qu’il ne serait pas néces- saire pour quitter l’Hôpital Général que le nouvel hôpital fut entièrement bâti ; la moi- tié même des bâtiments étant faite, elle suffirait pour loger ce qu’il devra y avoir dans deux ans dans la maison ; car il est de toute nécessité de diminuer d’une manière considérable le nombre des pauvres et des orphelins36.

Au fil des ans, les Sœurs grises cibleront en effet les clientèles qu’elles desservent dans des sites plus nombreux et différen- ciés37. Sur le site de la Croix-Rouge, c’est la fonction de maison-mère, vaisseau amiral ILL. 15. MONTRÉAL. L’HÔTEL-DIEU DE LA RUE SAINT-PAUL. AQUARELLE DE JAMES PATTISON COCKBURN, 1829. | MUSÉE MCCORD, de la congrégation en Amérique, que l’on M18484. affirmera sans ambages.

Voilà ce que sous-entendait le supé- rieur ecclésiastique Bonnissant lorsqu’il affirmait :

On voit d’une manière évidente combien la Croix-Rouge est préférable, sous le rapport du spirituel et des œuvres de la Communauté ; avantages qui peuvent et doivent quelquefois s’acquérir à prix d’argent38.

Un couvent sans mur…

Pour calmer le jeu, les Sœurs abandon- neront l’idée d’ériger le haut mur de clô- ture prévu ; on confiera à une palissade de bois, d’allure temporaire, de fermer le site. Toutefois, tout en soustrayant l’en- ILL. 16. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. LA CLÔTURE ÉRIGÉE DEVANT L’ENTRÉE DE LA CHAPELLE EN 1880. | semble au tissu urbain, cette palissade MUSÉE MCCORD, MP-1980.47.41. « à la française » y ouvre une brèche : à partir de la rue Dorchester, vers laquelle se tourne le nouvel établissement des parvis ouvert sur la ville (ill. 15), tandis pierre, comme ceux des villas des envi- Sœurs, la palissade forme en effet un que, dans l’univers anglo-saxon, l’église rons, sera d’ailleurs érigé en 1880 pour couloir, allée publique conduisant à et ses dépendances, composant le church fermer l’allée menant à la chapelle39. C’est la chapelle. C’est que l’usage méridio- close, s’en distinguent par une enceinte. cette image, bien typique du quartier vic- nal intègre habituellement l’église au L’habitude française se dissipant, un por- torien, que croque alors le photographe domaine public, par exemple par un tail en fer forgé ancré à des piliers de Alexander Henderson (ill. 16).

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ILL. 17. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. ILL. 18. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. PLAN DU REZ-DE-CHAUSSÉE, PROJET DE1868. | A.S.G.M. PLAN D’IMPLANTATION, PROJET DE1868. | A.S.G.M.

Tout en apprivoisant leur nouveau milieu, Normand et construire des magasins sur Malgré la modicité de nos moyens, on les religieuses parviennent à « prendre le les rives de celles-ci. Le déménagement de commencerait au printemps, sous la pro- site ». Un changement toponymique en l’hôpital général est l’occasion d’une vaste tection du glorieux saint Joseph, à jeter est symptomatique : entre les mains des réingénierie de l’ossature économique et les fondations d’une partie de notre futur Sœurs grises, le lieu dit de la Croix-Rouge de la mission de la congrégation. Mais les Hôpital, la partie seulement destinée pour devient le Mont-Sainte-Croix. Mais le sec- religieuses restent attachées à la « maison la Communauté, laquelle partie mesurerait teur et la culture de ses habitants se sont de la fondation » ; elles en préservent ce environ 695 pieds de longueur, sur 50 de aussi imposés à l’établissement, au point que la Ville n’exproprie pas et les maga- largeur, y compris un lavoir de 81 pieds de de changer la conception de l’urbanité sins qu’elles y font élever fourniront les longueur, le tout à trois étages et un rez- qu’entretenaient les Sœurs grises. À sa premiers revenus qui leur permettront de de-chaussée. façon, l’arrivée de l’Université Concordia propager l’œuvre de Marguerite d’Youville sur les lieux pose à nouveau ces questions en Amérique. Afin de parvenir à ce résul- […] La maçonnerie du rez-de-chaussée sera de l’adéquation symbolique et fonction- tat, les Sœurs grises déploient une énergie en pierre éclatée avec un cordon de pierre de nelle de l’institution au quartier. considérable pour faire adopter par Rome taille ; et les trois autres étages donnant sur leur constitution ; le statut de congréga- les mêmes rues [Dorchester et Guy], seront LA QUESTION DE L’ARCHITECTE tion romaine qu’elles obtiennent en 1865 en pierre de rang, le tout exécuté selon le les autorise dorénavant à essaimer dans les plan qui sera adopté par la Communauté et Entre l’achat du site en 1861 et l’ouver- diocèses du Nouveau Monde. Mais leurs approuvé par les supérieurs41. ture du chantier, le 28 avril 186940, les préoccupations immédiates se tournent Sœurs grises ont eu fort à faire : mettre vers le chantier de la maison-mère, d’où On entreprend dès lors de creuser le site en vente des terrains à Pointe-à-Callière, elles organiseront leur rayonnement. pour y établir les fondations. à la Pointe-Saint-Charles, à la côte Saint- Antoine ; contracter des emprunts à des En vue de la construction Déjà en 1868, les religieuses s’étaient fait taux favorables ; régler, sur le site de leur livrer de la pierre sur le site ; elles avaient ancien hôpital général, l’expropriation de Le 1er mars 1869, le Conseil général surtout reçu une première série de plans l’emprise des nouvelles rues Saint-Pierre et décide : illustrant ce que pourrait être le futur

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couvent. Les archives des Sœurs grises jeu de plans non datés. Il s’est associé à et protestante. Le Montréal catholique conservent quatorze planches datées de Victor Bourgeau en 1868, pour former parvint, un temps, à épancher sa soif de 1868 et signées « Victor Bourgeau, archi- l’agence Bourgeau et Leprohon43 ; les nouveauté grâce aux contributions des tecte, Montréal ». Dans ce lot se trouvent deux compères avaient auparavent, pour James O’Donnell, John Ostell (1813-1892) un plan d’implantation, un dessin de leur premier grand projet commun, com- et d’autres, mais Mgr Bourget en arriva l’élévation rue Dorchester, un plan du plété le décor intérieur de Notre-Dame bientôt à la conclusion qu’un architecte rez-de-chaussée, divers plans d’étage et de Montréal, que Bourgeau avait com- « protestant » ne pouvait décemment des coupes de la chapelle ainsi que des mencé en 1855, associé pour l’occasion, construire une église, un couvent ou une dessins des dépendances (ill. 17 et 18). Ce de 1859 à 1862, à Théophile Fahrland44. école catholique, tandis que son diocèse jeu de plans est aujourd’hui incomplet ; Alcibiade Leprohon est, il faut le dire, devait adopter une signature architectu- plusieurs portions du bâtiment projeté réputé avoir été l’élève de Bourgeau rale qui marquerait le paysage construit n’y figurent pas. Les archives ont cepen- avant d’être devenu son associé. Les au sceau de son Église. Cela commandait dant préservé une deuxième série de plans qu’il cosigne avec Bourgeau pour bien sûr une unité stylistique, mais sur- plans, non datés, qui décrivent de façon le nouvel hôpital général des Sœurs gri- tout une pratique architecturale régulée plus précise les bâtiments élevés de 1869 ses et qui en ont manifestement guidé uniformément. à 1890 ; ils sont signés par Bourgeau et la construction diffèrent en plusieurs Leprohon, architectes. points des premiers ; nous reviendrons M gr Bourget, après avoir espéré que sur cette question lors de l’analyse du quelques religieux se qualifient en La décision de retenir les services de renouveau architectural de la maison- architecture, à l’instar, jadis, des pères Victor Bourgeau date du 31 mars 1869, mère des Sœurs grises de Montréal. Félix Martin et Joseph Michaud, va donc soit plusieurs mois après que les premiers adopter Victor Bourgeau et l’impo- plans aient été déposés et un mois après Victor Bourgeau, constructeur ser comme maître d’œuvre sur tous les le début du chantier : des œuvres de Mgr Bourget chantiers d’églises et de couvents ; il l’as- sortit ainsi du titre « d’architecte » sans Il a été résolu à l’unanimité des voix que vu L’épisode du choix de l’architecte de la égard aux véritables auteurs des plans l’importance des travaux du Nouvel Hôpital maison-mère met en lumière un change- et dessins (ill. 19). Ceux-ci n’agissent en on choisirait Monsieur Victor Bourgeault ment dans les pratiques architecturales effet souvent que comme dessinateurs, [sic], Architecte, pour faire exécuter le plan requises par la construction des édifices mettant en forme un style diocésain ou de cette bâtisse, dressé par lui, pourvu tou- religieux du diocèse de Mgr Bourget. un projet sulpicien à partir des modèles tefois que le prix fixé par le dit architecte ne Jusque dans les années 1840-1845, les cou- et des référents montréalais ou occiden- fût pas trop élevé42. vents et les églises étaient plutôt érigés taux. Bourgeau a ainsi « construit » des par d’habiles constructeurs qui utilisaient églises d’après les plans de John Ostell : Cet anachronisme apparent s’explique. La quelques plans – souvent les mêmes – Saint-Joseph45, Saint-Pierre-Apôtre46 et résolution qui nous est parvenue concerne pour orchestrer leurs chantiers ; le savoir- Laprairie47, par exemple. Lorsque cette l’engagement de Victor Bourgeau pour faire traditionnel dominait, reproduisait « source » s’est tarie, Bourgeau a formé voir à l’exécution des plans, c’est-à-dire, des formes architecturales connues et dans son atelier, sous la direction d’Alci- dans le vocabulaire d’aujourd’hui, pour mettait en œuvre des matériaux selon biade Leprohon, une relève de dessina- superviser la construction. On précise par des techniques éprouvées. Si cette situa- teurs d’églises, de couvents et d’écoles, ailleurs que les plans qu’il « exécutera » tion perdurerait dans les paroisses rura- comme Thomas Baillairgé, dans le dio- ont aussi été dressés par lui. Bourgeau les, l’urbanisation rapide et l’explosion cèse de Québec, l’avait fait avant lui48. n’est donc pas payé pour avoir fait les démographique de la métropole a com- Mais alors que Baillairgé dessine ou plans, mais engagé pour suivre le dérou- mandé, autour de 1850, la construction supervise le dessin des plans sans jamais lement des travaux ; il agit comme archi- de nombreux lieux de culte dont la figure mettre les pieds sur un chantier, Victor tecte de chantier. architecturale adopterait les valeurs et la Bourgeau fait précisément le contraire : symbolique des diverses traditions reli- sachant à peine écrire ou dessiner49, il est Cela n’évince pas pour autant l’éventuelle gieuses. Or, les architectes habiles dans omniprésent sur les chantiers, comme participation de son associé, Étienne- de tels exercices étaient tous des immi- entrepreneur d’abord, comme architecte Alciabiade Leprohon, cosignataire du grants appartenant aux Églises anglicane surveillant ensuite.

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ILL. 19. VICTOR BOURGEAU, VERS 1880. | A.S.G.M. ILL. 20. MONTRÉAL. PLAN DU REZ-DE-CHAUSSÉE DE L’HÔTEL-DIEU. | ARCHIVES DES HOSPITALIÈRES DE L’HÔTEL-DIEU DE MONTRÉAL.

Ce type de pratique n’est d’ailleurs pas Parmi eux, Napoléon Bourassa, artiste et manières de plusieurs dessinateurs permet inhabituel, comme en témoigne, à tout architecte, a laissé un commentaire un aussi d’expliquer la polyvalence stylisti- le moins pour le cas de Bourgeau, la peu mois obligeant : que extrême dont le brave homme aurait construction de l’Hôtel-Dieu de Montréal. été capable : néoclassicisme vernaculaire, Les plans sont paraphés des mentions M. Bourgeault [sic] est de nos amis ; dans néobaroque ultramontain, néogothique, « Victor Bourgeau, architecte » et « Drawn les conditions où il s’est formé, il fait preuve néoroman et autres néobyzantin. by J. J. Harkin, Architect50 » ; les deux d’un talent et d’un goût remarquables, et signatures ont la même importance sur on peut l’excuser, sur une terre aussi libre Les architectes autour de Bourgeau les plans (ill. 20). et aussi peu soucieuse du passé qu’est la nôtre, de ne pas connaître suffisamment Mais si Victor Bourgeau n’est pas l’archi- Bien avant que les universitaires n’aient l’archéologie, et de ne pas respecter cer- tecte concepteur, responsable de la mise élaboré le mythe que l’on connaît taines lois de l’harmonie fondées sur le en forme des projets qu’il soumet et dont aujourd’hui sur Victor Bourgeau, ses symbolisme chrétien et consacrées par les il surveille l’exécution, qui sont donc les contemporains avaient pourtant cerné siècles et les grands maîtres52. architectes qui lui prêtent leur talent ? le personnage et décrit les limites de Disons d’abord qu’il y a plusieurs architec- son art : Que Victor Bourgeau n’ait pas dessiné de tes et dessinateurs qui gravitent autour plans saute aux yeux à qui veut bien ana- de lui et de ses chantiers. Il y a bien sûr Il fut obligé d’apprendre l’écriture et le calcul lyser tous les documents qui portent sa John Ostell, architecte de formation bri- à l’âge où nos hommes d’aujourd’hui ont déjà signature ou ceux de bâtiments dont on tannique, éminence grise de l’architecture parcouru une assez bonne partie de leur lui a attribué la paternité ; on peut rele- diocésaine à Montréal dès 1836 et dont chemin […] Comme il s’était fait lui-même il ver plusieurs « mains » – ou intervenants – l’influence se perpétuerait bien après qu’il avait l’esprit éminemment pratique, sachant selon la composition et le rendu de ces ait délaissé la pratique architecturale, tirer parti de tout, alliant, quand il le fallait, documents (ill. 21 et 22). Son nom est vers 1856-1857, à la faveur des entrepri- l’élégance à la simplicité et toujours la soli- aussi l’objet de calligraphies nombreuses, ses commerciales auxquelles il s’était dès dité des constructions à l’économie51. allant d’un « Victor Bourgeau » hésitant à lors consacrée53. Victor Bourgeau travaille plusieurs graphies différentes, quoique sous sa direction lors du parachèvement plus affirmées (ill. 23). Distinguer ainsi les des tours de Notre-Dame ; il fait ainsi son

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ILL. 21. TROIS-RIVIÈRES. DESSIN DE LA FAÇADE DE LA CATHÉDRALE, SIGNÉ ILL. 22. WARWICK. DESSIN DE LA FAÇADE DE L’ÉGLISE SAINT-MÉDARD, SIGNÉ PAR VICTOR BOURGEAU, 1854. | BANQ, QUÉBEC, P372, D3, P3. PAR VICTOR BOURGEAU, 1863. | BANQ, QUÉBEC, P 48, D1.

stage d’apprentissage chez John Ostell et aussi comme architecte et s’associera en enseignements de l’École des sciences prend le relais, après 1853, lorsque celui-ci 1880 à Albert Mesnard (1847-1909), qui appliquées aux arts, future École poly- ne peut plus publiquement revendiquer la est à l’emploi de Bourgeau jusqu’en 1873. technique, fondée en 1873. De son côté, paternité d’édifices catholiques. C’est à l’agence de Perrault et Mesnard l’architecte Adolphe Lévesque (1829-1913) qu’on confiera la suite des travaux à la est un proche de Bourgeau ; il agit comme Il y en a bien d’autres qu’on aurait avan- maison-mère après le décès de Victor témoin55 lors du décès de celui-ci, avec qui tage à mieux connaître. L’architecte Bourgeau54. Albert Mesnard avait étudié il avait cosigné les plans de l’église de Henri-Maurice Perrault (1828-1903), neveu au collège de l’Assomption en compagnie Coaticook en 188356. Adolphe Lévesque de John Ostell et un temps son associé, est de Louis-Gustave Martin (1846-1879) et a probablement travaillé de concert avec aussi apparenté aux entrepreneurs David de Joseph-Roch Poitras (1844-1885), John Ostell à la conception des plans et Joseph Perrault – les constructeurs de deux architectes qui, établis à Montréal, de l’église Saint-Pierre-Apôtre avant la maison-mère des Sœurs grises. Son fils, vont aussi travailler dans la mouvance que Bourgeau ne prenne le relais de sa Maurice Perrault (1857-1909), s’établit de Victor Bourgeau, après avoir suivi les construction (ill. 24). Lévesque a en effet

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une religieuse qui aurait pu influer sur le cours des choses ? Cela avait été le cas à l’Hôtel-Dieu, en 1826 : lorsqu’il fut ques- tion de reconstruire l’hôpital de la rue Saint-Paul, la communauté désigna sœur Lacroix, « douée de beaucoup de talent et de capacité pour les affaires temporelles [qui agira] à la fois comme architecte et directrice, puisqu’elle combina elle-même le plan, les dimensions de la bâtisse et sur- veilla les ouvriers »60. À l’hôpital général, sœur Saint-Jean-de-la-Croix a démontré de réelles compétences en architecture, mais elle a plutôt été active autour de ILL. 23. LA PRAIRIE. PLAN DE LA VOÛTE DE L’ÉGLISE DE LA NATIVITÉ DE LA SAINTE-VIERGE, SIGNÉ PAR VICTOR BOURGEAU, 1864. | ARCHIVES DE LA PAROISSE. 1900. Certains auteurs mettent de l’avant la personnalité de sœur Jane Slocombe très tôt maîtrisé le style néogothique ; en et Poitras qui est retenue par Mgr Fabre, (1819-1872), supérieure de 1863 à 1872 ; 1858, il a même traduit The Present State successeur de Mgr Bourget, qui semble las la consultation des archives et la lecture of Ecclesiastical Architecture in England des formules stéréotypées proposées par des textes et des ouvrages la concernant d’Augustus Welby Pugin, maître à pen- Bourgeau et qui voit à Sainte-Brigide l’oc- démontrent qu’elle a participé à l’acquisi- ser du renouveau gothique catholique57. casion de promouvoir le renouveau néo- tion du site et à la gestion du projet, mais Adolphe Lévesque a d’ailleurs dessiné et roman annoncé par le style de l’église de rien ne laisse croire qu’elle ait pu jouer un signé, en 1876, les plans de l’église du la maison-mère des Sœurs grises quelques rôle majeur dans la mise en forme archi- Sacré-Cœur-de-Jésus (rue Ontario) dont années plus tôt. Il faut néanmoins observer tecturale du projet61. l’intérieur, achevé par Joseph Venne, s’ins- que, lors de l'invitation lancée pour prépa- pire de celui de Saint-Pierre-Apôtre. rer les plans de l’église Sainte-Brigide, le Le rôle de Mathurin Clair Louis « père Bourgeau », alors âgé de soixante- Bonnissant Le processus de sélection des architec- neuf ans, s’est adjoint un jeune architecte tes pour la construction de l’église de constructeur qu’il a formé sur ses chantiers, Les archives des Sœurs grises conservent Sainte-Brigide-de-Kildare à Montréal Jean-Baptiste Bourgeois (1856-1930), qui plusieurs documents qui démontrent que donne une idée assez précise de l’interac- réutilisera d’ailleurs des dessins d’églises le supérieur ecclésiastique de la commu- tion qui existait entre tous ces personna- produits par l’agence de Bourgeau. nauté, le Sulpicien Mathurin Clair Louis ges. Ainsi, le 16 juin 1878, le conseil de Bonnissant (1816-1886)62, a largement fabrique charge deux marguilliers « de Dans le cas de la maison-mère des Sœurs contribué à la définition des paramètres voir Messieurs Bourgeault [sic], Martin grises, on se retrouve avec un architecte du projet, autant en ce qui concerne le et Ménard, architectes, pour plan, spé- constructeur, Victor Bourgeau, associé à programme – la distribution et l’organi- cifications et coût de la nouvelle église un habile dessinateur, Étienne-Alcibiade sation des espaces du couvent – qu’au de Ste-Brigide58 ». Il s’agit des architectes Leprohon. Or, comme on le verra plus plan de la forme (ill. 25). Ses nombreux Victor Bourgeau, Louis-Gustave Martin loin, ce chantier a induit plusieurs nou- mémoires font état d’une réelle compé- et Albert Mesnard. Quelques jours plus veautés importantes, à la fois dans la tence en architecture et en construction tard, la paroisse reçoit « des plans préparés typologie architecturale des couvents et ainsi que de fréquents contacts avec les par MM. Bourgeault [sic] et Bourgeois et dans le paysage construit, en proposant architectes et les entrepreneurs du projet, par MM. Martin et Poitras »59. Cette fois, des formes nouvelles. Au vu de ce qui a comme nous le verrons dans la suite de il s’agit d’une équipe formée de Victor été dit plus haut, ce ne sont pas les deux cette analyse. Bourgeau et de Jean-Baptiste Bourgeois architectes nommés au projet qui peuvent et d’une seconde formée de Louis-Gustave être crédités, seuls, de ce renouveau. On Nous proposons donc de reconnaître Martin et de Joseph-Roch Poitras. C’est peut donc regarder du côté de la com- M. C. Bonnissant comme l’un des auteurs et la deuxième équipe formée de Martin munauté ; y a-t-il eu chez les Sœurs grises concepteurs de la maison-mère des Sœurs

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grises de Montréal. Ce fait semble d’ailleurs admis par ses contemporains, puisque son éloge funèbre indique qu’il « présida à la construction du vaste établissement [que les Sœurs grises] occupent actuellement et de la belle église qui en forme le centre63 ». À l’appui de ce partage de la paternité des lieux, on trouve aussi dans les archi- ves : « les trois autels sont du style roman comme la chapelle. MM. V. Bourgeau et Leprohon, d’après les plans donnés par Père [sic] Bonnissant, en sont les architectes et M. O’Brien, le sculpteur64 ».

La genèse d’un nouveau monument

Affirmer que Victor Bourgeau fut l’archi- tecte de la maison-mère des Sœurs grises de Montréal est donc réducteur à bien des égards. Le tableau de la pratique architecturale qui se dessine sous nos yeux ILL. 24. MONTRÉAL. L’ÉGLISE SAINT-PIERRE-APÔTRE. | BANQ, ILL. 25. MATHURIN CLAIR BONNISSANT. | A.S.G.M. lors de l’analyse de ce projet est autre- QUÉBEC, P547, S1, SS1, SSS1, D2, P1799. ment plus complexe et intéressant. D’une part, se trouvent les religieuses qui ont une mission, des œuvres pour l’accomplis- sement desquelles elles ont besoin d’espa- ces. Dans ce domaine leur savoir se limite pour beaucoup à ce qu’elles connaissent : la maison de la fondation et le nouvel Hôtel-Dieu qu’elles ont visité, aux dires de M. C. Bonnissant65. Celles qui voyagent, dont la supérieure Jane Slocombe, ont pu voir des maisons ailleurs, mais peu ont l’envergure de celle qu’elles imaginent au Mont-Sainte-Croix.

L’architecte qu’elles choisissent s’inscrit dans une pratique traditionnelle. Ouvrier issu des métiers du bois – il a d’abord été menuisier avant de s’engager dans des projets de sculpture –, Bourgeau s’est fait connaître par la réalisation de décors sculptés dans des églises, dans le sillage de Louis-Amable Quévillon et de ses élèves. C’est lors de la réalisation de tels chantiers (intérieurs en bois) qu’il s’est frotté à la construction du gros œuvre. Il a, comme ILL. 26. QUÉBEC. LE MONASTÈRE ET L’ÉCOLE DES URSULINES. | PIERRE LAHOUD. le dit le dicton populaire, « appris sur

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ILL. 27. MONTRÉAL. PROJET POUR LE SÉMINAIRE SAINT-SULPICE EN 1684. | ANF, SECTION OUTRE-MER. ILL. 28. MONTRÉAL. PROJET D’EXTENSION DU SÉMINAIRE SAINT-SULPICE, EN 1709. | BAC, OTTAWA. NMC-2156.

le tas ». Contremaître aguerri, meneur Montréal – les Wells, Ostell, Lawford, architectural à la fois métropolitain et d’hommes, économe et responsable66, il Thomas, etc. – ont le défaut, aux yeux de typiquement canadien-français. Afin de a gagné la confiance des autorités ecclé- Mgr Bourget et de son Église, d’apparte- démontrer cela, nous analyserons, dans siastiques du diocèse, des paroisses et des nir à d’autres confessions : ils sont tantôt les pages qui suivent, la position de la communautés religieuses. anglicans, tantôt protestants, certaine- maison-mère des Sœurs grises dans le ment tous « anglais ». catalogue typologique des couvents, par- Les Sœurs grises et leur architecte ticulièrement des couvents montréalais ; « M. Bourgeault [sic] » détiennent un Au lieu, donc, de convoquer l’un de nous observerons aussi le renouveau pro- savoir-faire commun. Ils peuvent imagi- ceux-là, les Sœurs font confiance à Victor posé par le choix de matériaux, la pierre ner et ériger un hôpital général comme Bourgeau. Mais leur supérieur ecclésiasti- « à bosses », et les circonstances qui ont ceux qu’ils connaissent : la maison de la que, monsieur Bonnissant, homme cultivé, entouré l’adoption d’un nouveau réper- fondation ou le nouvel Hôtel-Dieu de proche de Victor Rousselot, curé de Notre- toire formel. Dans ces trois domaines, le Montréal. Ensemble, ils peuvent même Dame et personnage aux goûts artistiques rôle joué par Mathurin Clair Bonnissant énumérer les inconvénients et les défauts affirmés, intervient. Il représente la com- est déterminant. qu’ils observent sur ces bâtiments exis- munauté auprès de l’architecte engagé tants. Mais, sans une intervention de et des entrepreneurs ; il a le dessein d’un L’APPORT DE LA MAISON-MÈRE l’extérieur de cet univers traditionnel, édifice plus distinctif qui se démarque- DES SŒURS GRISES AU TYPE Victor Bourgeau et les Sœurs grises ne rait des structures traditionnelles. C’est DU COUVENT MONTRÉALAIS peuvent guère que reproduire l’antérieur grâce à son intervention que la maison- et l’existant. mère des Sœurs grises marque plusieurs Origine du couvent montréalais avancées sur les habitudes de l’époque ; D’autre part, on trouve un monde nou- l’ensemble propose en effet une mise en Établissons d’abord qu’il existe à Montréal veau auquel ces acteurs résistent : celui forme nouvelle du programme et de la une architecture conventuelle originale et des architectes professionnels, habiles figure construite de l’hôpital général tel distincte, dans laquelle s’inscrit d’emblée dans l’art de la composition. Leurs plans qu’il était alors connu dans l’imaginaire la maison-mère des Sœurs grises. terminés, ceux-ci établissent des devis collectif. Tout cela parce que le Sulpicien précis grâce auxquels des entrepreneurs Bonnissant a bien décodé cette montréa- Les premiers couvents sont apparus à peuvent être mis en concurrence par le lité émergente qui conjugue tradition et Québec au milieu du dix-septième siècle. biais d’un processus public d’appel d’of- renouveau ; il l’a mise au service de l’Église Les Ursulines, les Augustines de l’Hô- fres. Mais, comme on l’a vu, les nouveaux qui entreprend, dans ces années 1860, tel-Dieu, les Jésuites et les Messieurs acteurs de la pratique architecturale à de participer pleinement à un paysage du Séminaire de Québec ont érigé des

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ILL. 29. PLAN DE L’HÔTEL-DIEU DE MONTRÉAL. ILL. 30. PLAN MONTRANT LES ÉTAPES DE CONSTRUCTION DE L’HÔPITAL GÉNÉRAL DE POINTE-À-CALLIÈRE. | A.S.G.M. GÉDÉON DE CATALOGNE, 1695. | ARCHIVES DES HOSPITALIÈRES DE L’HÔTEL-DIEU DE MONTRÉAL.

bâtiments autour d’une cour intérieure, partir de 1684, une maison plus confor- des bâtiments de l’Hôtel-Dieu, sur la rue avec projet d’en délimiter une seconde table qui s’inspire plutôt des hôtels par- Saint-Paul (ill. 29). On y trouvait le corps lors de travaux d’agrandissement (ill. 26). ticuliers ou des pavillons de la noblesse de logis « semi-double » dans la partie du Ces couvents qui empruntent le « plan que des couvents et des cloîtres anciens « couvent des Dames religieuses », avec un château » sont tous héritiers du modèle (ill. 27). Un corps de bâtiment, dit « semi- couloir du côté de la cour d’honneur qui établi par Sebastiano Serlio pour le châ- double », enfile des pièces qui, ajourées se poursuivait perpendiculairement dans teau d’Ancy-le-Franc, en 1542, bâtiment sur le jardin, s’ouvrent, du côté cour, sur l’arrière-corps, où il donnait accès à la qui devint un modèle, tant pour la cour un « couroir ». Le Séminaire Saint-Sulpice « cour de la communauté ». La nouveauté carrée du Louvre que pour les couvents et de la rue Notre-Dame est de ce fait un tenait ici plutôt du plan (incomplet) arti- les monastères de la France des seizième bâtiment tout à fait unique en Amérique ; culé en forme de H, avec un avant-corps et dix-septième siècles. En France, dans il adopte ce dispositif au moment où il et deux arrière-corps68. les ensembles de ce type architectural, les n’apparaît que timidement encore en pièces sont situées en enfilade, c’est-à- France. Dès 1705, les Sulpiciens ont par- À la même époque, les Récollets et les dire que chacune sert d’antichambre à la fait le modèle67 : ils ont agrandi leur sémi- Jésuites ont participé à la mise au point suivante ; au rez-de-chaussée, la figure du naire par deux avant-corps délimitant de ce type de couvent, sans pourtant cloître dessine une galerie sous arcades ; une cour d’honneur ouverte sur la rue atteindre la sophistication du Séminaire aux étages, les salles sont traversantes, Notre-Dame (ill. 28). et l’étendue de l’Hôtel-Dieu. Il n’y eut sans plus. En Nouvelle-France, rudesse bientôt guère que l’emplacement de climatique oblige, les arcades du rez-de- Les couvents montréalais ont adopté cette l’église ou de la chapelle – et l’impact chaussée sont dotées de fenêtres. figure progressiste – « le plan palais », de celle-ci sur les circulations intérieu- puisqu’il se réfère au palais urbain ou à res – pour poser problème et susciter des Bien au fait du renouveau qui s’annon- l’hôtel particulier – et ont contribué à la ajustements. Dans cette nouvelle unani- çait alors en architecture, les Sulpiciens mettre au point. En 1695, l’ingénieur du mité apparente des visées architecturales, de Montréal se sont fait construire, à roi Gédéon de Catalogne a dressé les plans seules les religieuses de la Congrégation

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ILL. 31-32. PLAN DU REZ-DE-CHAUSSÉE ET DU PREMIER ÉTAGE DE L’HÔPITAL GÉNÉRAL DE POINTE-À-CALLIÈRE. DESSINS DE SŒUR SAINT-JEAN-DE-LA-CROIX. | A.S.G.M.

de Notre-Dame, à l’écart de la rue Notre- la forme moderne que prendrait leur accoutumé à y voir. Ce plan ne serait bon que Dame, érigèrent encore un bâtiment hôpital général nouveau. Leur réflexion pour une prison, maison de correction ou autour d’une « cour des élèves69 ». s’inscrit dans un mouvement qui a saisi hospice où l’on est obligé de tenir séparées l’Occident tout entier dès la fin du dix- entièrement les unes des autres certaines Au fil des ans – surtout à la suite d’in- huitième siècle et qui a donné naissance classes de personnes, etc.71. cendies – les bâtiments conventuels de à l’hôpital moderne. Parmi tous les Montréal ont été reconstruits et agran- débats, ceux qui ont entouré la recons- On peut aisément concevoir que les dis. Ces travaux, en quelque sorte, ont truction de l’Hôtel-Dieu de Paris après religieuses – et Mgr Bourget – auraient pérennisé le plan en H tout en raffinant sa l’incendie de 1772 ont particulièrement aimé construire un monumental édifice distribution intérieure. Un dessin de sœur connu un écho ici. En effet, le projet du en forme de croix… au Mont-Sainte- Saint-Jean-de-la-Croix reconstitue les éta- médecin Antoine Petit, qui proposait un Croix, geste symbolique qui aurait den- pes de construction, de reconstruction plan avec cinq ailes rayonnant vers une sifié le statut de la catholicité romaine et d’agrandissement de l’hôpital général enceinte circulaire à partir d’une église à Montréal, a fortiori après la mise en des Sœurs grises à Pointe-à-Callière ; en centrale, a été connu au Québec. Les chantier de la cathédrale Saint-Jacques en 1824, l’ensemble atteignait un premier Augustines de l’Hôtel-Dieu du Québec forme de réplique de la basilique Saint- état complet (ill. 30). La même religieuse ont considéré cette figure architecturale Pierre de Rome. a aussi reconstitué scrupuleusement les en vue de la construction de leur nou- plans d’étages de l’hôpital disparu ; ces vel hôpital, en 179970. Les Sœurs grises Mais tandis que l’Occident se sème de documents recèlent une mine d’informa- songeaient aussi à ce modèle ; il semble nouveaux hôpitaux, les Sœurs grises, gui- tion sur la vie à l’hôpital général au milieu que ce soit monsieur Bonnissant qui les dées encore une fois par leur supérieur du dix-neuvième siècle, encore très cal- en ait dissuadées : ecclésiastique, optent pour la continuité. quée sur les usages qui avaient cours dans Bonnissant leur conseille : l’Ancien Régime. On y retrouve, exprimées Abandonnez l’idée de construire un hôpital graphiquement, un certain nombre des à 4 ailes disposées en forme de croix avec Sur l’ensemble, la forme générale du plan raisons qui ont incité les Sœurs grises à se l’église au milieu. Outre que cette forme à adopter – se baser beaucoup sur le plan relocaliser. Nous y reviendrons. serait peu monumentale, on y trouverait de l’hôpital actuel, dont on a une longue bientôt de graves inconvénients dans l’usage expérience, dont on connaît les avantages De quel type de couvent et la pratique. Entr’autres choses, on ne et les défectuosités, et qui perfectionné et s’agira-t-il ? pourrait point donner au culte, dans une telle agrandi pourrait convenir beaucoup mieux église (à quatre faces et où l’autel serait au que plusieurs autres plans ; Dès la fin des années 1850, les Sœurs centre) la solennité et même la convenance grises ne cherchaient donc pas seule- que requiert une communauté comme celle Se servir aussi de la connaissance pratique ment un site ; elles pensaient aussi à des Sœurs Grises et qu’on a toujours été que l’on a de la grandeur des divers lieux et

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appartements pour établir la grandeur plus considérable que l’on a donnée aux mêmes appartements72.

Afin d’analyser cette recommandation, il vaut la peine de revoir les plans de l’ancien hôpital général de la Pointe-à-Callière (ill. 31 et 32). Pour ce qui est de l’inconfort des cette maison, « les défectuosités », on peut rappeler les nombreuses inondations évoquées par sœur Deschamps dans son mémoire de 1854. Ces inondations ont mené au déménagement de plusieurs quartiers des sœurs pour les mettre à l’abri de l’humidité : le réfectoire est resté au rez-de-chaussée, mais la salle de la communauté a été placée au premier étage, dans l’aile arrière ouest, tandis que le dortoir des sœurs s’est retrouvé dans l’aile est, au-dessus des locaux utilisés par ILL. 33. MONTRÉAL.VUE D’ENSEMBLE DE LA FAÇADE DE LA MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES, VERS 1885. | MUSÉE MCCORD, VIEW-1480.1. les pauvres. L’afflux de recrues, la pression d’un nombre grandissant d’orphelins et de démunis ont compliqué la ségrégation Dans l’univers étroit de Mgr Bourget, adop- de cette chapelle avec la rue, plus préci- des clientèles, les circulations et l’organi- ter un plan radial ou une architecture sément à son retrait (ou son avancée) plus sation fonctionnelle de l’ancien l’hôpi- pavillonnaire aurait été interprété comme ou moins grand par rapport à celle-ci. À tal général. Sa figure d’ensemble survit un geste de déconstruction de la fidélité ce sujet aussi, M. C. Bonnissant intervient : cependant à la critique : sur un site salu- à Rome et du respect de la tradition, tou- « Il semble préférable de placer l’Église bre et avec un bâtiment plus vaste, le plan tes références symboliques qui étayaient en arrière, au lieu de la mettre en avant en H apparaît la solution idéale. encore, à l’époque, la puissance de l’Église comme à l’Hôtel-Dieu. » Les raisons qu’il catholique sur Montréal. La maison-mère, invoque sont : « 1e la beauté de l’édifice ; Le repli sur la tradition s’explique de plu- comme auparavant le nouvel Hôtel-Dieu 2e cela donne la facilité de diminuer un sieurs manières. La plupart des nouveaux du Mont-Sainte-Famille, resterait dans le peu la longueur de la façade ; de 50 pieds hôpitaux qui s’érigent dans la seconde rang avec un plan en H et une chapelle au moins73 ». moitié du dix-neuvième siècle innovent en arborant, en son centre, une figure ecclé- suivant l’évolution de la science médicale : siale bien affirmée. M. C. Bonnissant suggère en fait aux l’architecture pavillonnaire est souvent Sœurs grises de reprendre sur le nou- privilégiée parce qu’elle permet d’éviter La place de la chapelle veau site la position qu’occupait la cha- la contagion. Mais l’hôpital général des pelle à Pointe-à-Callière, c’est-à-dire un Sœurs grises n’est pas un hôpital au sens Dans l’édifice projeté par les Sœurs grises, volume qui se développe hors œuvre, où on l’entend à cette époque : au regard la place de la chapelle a aussi fait l’objet derrière le corps de logis. Les religieuses des clientèles, c’est un hospice, et au de discussions. Il semble que personne de l’Hôtel-Dieu avaient pour leur part regard des religieuses, c’est un couvent. n’ait jamais mis en question sa position repris l’implantation de leur couvent de Construire plus grand au Mont-Sainte- au centre du corps de logis principal la rue Saint-Paul : la chapelle s’y étire vers Croix permet de clarifier ces usages et de – c’est en fait ce qui distingue une ins- l’avant et il n’y a guère que le sanctuaire bien les distinguer : l’aile de la rue Guy titution religieuse d’un bâtiment laïc, qui soit contenu dans le corps de logis. sera la maison des religieuses, celle de la qui ne comprendrait que marginalement Les deux partis ont des avantages et des rue Saint-Mathieu, l’hospice des pension- un lieu destiné au culte. La question qui inconvénients. Une chapelle dégagée naires (orphelins et vieillards). s’est posée tient plutôt à l’interrelation en façade s’affirme comme une église

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ce qu’il y avait vu, il conçut plutôt, de retour à Québec, un monumental édi- fice doté d’une véritable église comptant trois étages de galeries profilées vers l’avant (sud) et rattachées au corps de logis principal, dont la façade est dres- sée au nord. Les ailes latérales se replient vers le nord aussi, formant un plan en trident (ill. 34).

Un couvent trop vaste ?

Mathurin Clair Bonnissant est très actif dans la définition du programme fonction- nel de la maison-mère des Sœurs grises. Début 1868, il presse les religieuses :

Il est nécessaire d’en venir à quelque déci- sion ; le temps presse ; vu que l’on peut ILL. 34. QUÉBEC. L’HOSPICE DES SŒURS DE LA CHARITÉ DE QUÉBEC. | PIERRE LAHOUD. vendre d’un jour à l’autre ; et il faut encore un certain temps à un architecte pour faire dans la ville. Cette position ante de la est dégagée, l’habitude veut que le clo- un plan aussi considérable dans tous ses chapelle permet aussi d’utiliser le déga- cher soit installé sur la croisée : il dispa- détails et d’une manière convenable. gement derrière le corps de logis pour raît du paysage. On se trouve donc dans construire une aile supplémentaire ; le l’obligation d’ériger un haut dôme, ce qui Il importe surtout d’arrêter les points prin- plan en H devenant en quelque sorte un fut le cas à l’Hôtel-Dieu. Par ailleurs, une cipaux sur lesquels doivent être basés les plan en « croix de Jérusalem », une croix chapelle engagée, comme c’était le cas à détails, comme sont : dont les extrémités sont barrées par des Pointe-à-Callière, permet d’utiliser le nar- béquilles perpendiculaires. L’Hôtel-Dieu thex comme passage entre les deux ailes, 1e La place et la grandeur approximative à avait d’ailleurs été ainsi agrandi, en favorisant une continuité de la circulation. donner à l’Église ; 1846 ; lorsque les religieuses hospitaliè- En effet, dans le nouvel Hôtel-Dieu, les res s’étaient déplacées au Mont-Sainte- architectes ont eu à imaginer un labo- 2e La place et la grandeur de la salle de Famille – projet dont Victor Bourgeau rieux couloir qui contourne la sacristie, communauté, du réfectoire, des cuisines, et J. J. Harkin ont préparé des plans en derrière le sanctuaire, pour permettre de des lavoirs et séchoirs etc. 1859 –, elles avaient tout naturellement passer de l’aile de la communauté (ouest) répété cette disposition. à celle de l’orphelinat (arrière) ou à celle Il est important de ne pas revenir facilement de l’hôpital (est). et sans de bonnes raisons sur ce qui a été À l’inverse, lorsque la chapelle est plus décidé ; car autrement, on n’avancerait que engagée dans le bâtiment, sa façade, De telles spéculations sur la typologie peu sans une décision finale75. alignée avec celle du corps de logis, crée des couvents et la position de la chapelle un effet monumental accru. En effet, sont fréquentes au milieu du dix-neu- Le clerc a un souci constant : la propension on crée ainsi une division tripartite bien vième siècle. Ainsi, lorsque les Sœurs de des Sœurs à vouloir toujours construire lisible depuis la rue, puisque aucun des la Charité de Québec – une fondation des plus vaste. Les nombreuses remarques avant-corps ne soustrait les autres à la vue Sœurs grises de Montréal – ont décidé qu’il fait parvenir à la supérieure et aux (ill. 33). De plus, le clocher posé en façade en 1849 de se construire un hospice, elles membres du conseil permettent de com- de la chapelle couronne l’ensemble du ont délégué à Montréal leur architecte, prendre que, entre le jeu de plans de 1868 couvent et peut donc être proportionné Charles Baillairgé, pour qu’il visitât la et celui soumis en 1869, le projet a pris de en conséquence, alors que si la chapelle maison-mère74. Peu impressionné par l’expansion, ce qu’il redoute :

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ILL. 35. LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION DE LA MAISON-MÈRE ILL. 36. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. RELEVÉ EN PLAN DU REZ-DE- DES SŒURS GRISES. | COURTOISIE DE BEAUPRÉ ET MICHAUD, ARCHITECTES. CHAUSSÉE (ÉTAGE 1) PAR SŒUR SAINT-JEAN-DE-LA-CROIX, VERS 1900. | A.S.G.M.

Que l’on considère surtout attentivement beaucoup les ailes de devant pour ne pas est fait, vous pouvez sans crainte leur s’il est nécessaire d’augmenter considé- trop les rapprocher des constructions de dire que je trouve que l’augmentation faite rablement le plan fait l’année dernière, qui la rue Dorchester ; on avait mis 80 pieds à cette partie seule de votre hôpital, de paraissait déjà si étendu. entre l’extrémité de ces ailes et la rue : 40 pieds en longueur est plus considérable cette distance n’est à peu près que juste qu’il n’était nécessaire, car je trouve qu’on Pour se faire une idée de cette étendue on ce qu’il faut pour que les Sœurs ne soient pourrait bien se passer de faire dans le peut la comparer à celle du nouvel Hôtel- pas gênées. soubassement des décharges aussi gran- Dieu, que les Sœurs pour la plupart ont vu des, au premier étage une pharmacie de et visité […] D’un autre côté, qu’on prenne garde de trop 75 pieds de long et au deuxième étage, un allonger les ailes des lavoirs ; car plus elles ouvroir pour le noviciat aussi étendu, sans Le futur hôpital général, d’après les dimen- seront longues, plus elles intercepteront une parler du reste. sions du plan dressé l’année dernière, partie considérable de la vue et de l’air de la couvrirait sans comprendre l’église et les montagne aux autres parties de l’édifice. Voilà mon opinion, et je l’exprime à nou- sacristies une superficie de 60 732 pieds veau pour m’acquitter d’un vrai devoir de carrés. En ajoutant l’église et les sacristies Dans tous les cas, pour conserver plus de conscience77. – 14 000 pieds carrés – on aurait en tout régularité, elles ne devraient pas passer en 74 732 pieds carrés, au moins 1/3 de plus longueur la moitié du corps du bâtiment, L’histoire, toutefois, donnera raison qu’à l’Hôtel-Dieu. c’est-à-dire 70 à 75 pieds76. à M. C. Bonnissant. Le prolongement de l’aile ouest vers l’avant sera retardé Selon les commentaires du Sulpicien, les La comparaison des deux séries de plans jusqu’en 1898 et le repli de cette aile des plans de 1869 proposent un bâtiment plus – la deuxième série est fort incomplète – lavoirs vers le nord ne sera jamais réalisé vaste, ce à quoi il s’objecte : ne permet cependant pas de conclure que (ill. 35). les Sœurs grises se sont rangées à l’avis de Mais est-il à propos et nécessaire d’aug- leur supérieur. Il leur exprime son désac- Un nouvel acquis : menter encore ces dimensions ? cord une dernière fois le 19 mai 1869, le déploiement du corridor alors que le chantier est lancé : 3e Si les Sœurs se décidaient à accroître Lorsque Mathurin Clair Bonnissant entre- ces dimensions, qu’elles considèrent bien Maintenant, si quelques Sœurs désirent prend de comparer le projet de la mai- qu’il est nécessaire de ne pas allonger avoir mon avis sur l’ensemble de ce qui son-mère des Sœurs grises à l’Hôtel-Dieu

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ILL. 37-38. MONTRÉAL. COLLÈGE DE MONTRÉAL. COULOIR LATÉRAL DU REZ-DE-CHAUSSÉE ILL. 39. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. ET CORRIDOR CENTRAL À L’ÉTAGE. | GUILLAUME ST-JEAN. DÉTAIL DU PLAN DE L’ÉTAGE DU SOUBASSEMENT DE L’AILE DE LA RUE GUY, 1869. | A.S.G.M.

récemment construit, il attire l’attention couloir latéral, côté jardin, aux étages, des extrémité79. C’est l’arrivée de l’éclairage sur la grande nouveauté proposée par pièces plus petites sont disposées de part au gaz qui va prêter vie aux longs corri- les plans soumis, qui cause la différence et d’autre d’un corridor. Henri-Maurice dors institutionnels, à partir des années observée des coûts : « cette grande diffé- Perrault a dupliqué cette distribution lors 1840 en Grande-Bretagne, dans les rence vient en partie de ce que le corps de la construction du collège voisin, en années 1865 à Montréal. La maison-mère du bâtiment principal de l’Hôtel-Dieu n’a 1868 (ill. 37 et 38). À l’Hôtel-Dieu, Victor des Sœurs grises est en effet dotée, dès que 36 pieds en largeur78 ». Dans le nouvel Bourgeau et J. J. Harkin avaient, en 1859, sa construction en 1871, de « gazeliers », hôpital général, les corps de logis sont en retenu le couloir latéral pour le corps appareils d’éclairage au gaz80. fait plus larges que jamais auparavant : ils principal, large de trente-six pieds, mais ont cinquante pieds de large, autorisant inséré des corridors dans l’aile qui se pro- Mais le corridor central a d’autres contrain- des corps doubles de bâtiments, avec cou- file derrière la chapelle et les ailes placées tes : la structure du bâtiment s’en trouve loir, où les pièces sont distribuées le long en béquilles au bout des ailes en croix ; ces modifiée. Des murs de refend supportent des façades avant et arrière. C’est une ailes ont quarante-deux pieds de large et depuis le sous-sol les murs des corridors, avancée importante : le nombre de pièces des corridors de dix pieds de large. qui contribuent à réduire la portée des est multiplié par deux, les circulations sont solives (ill. 39). Dans la maison-mère, l’ar- simplifiées et, surtout, le caractère privé Au-delà de ces exemples montréalais, il chitecte introduit des colonnes de fonte des espaces est mieux assuré (ill. 36). semble bien que l’on doive se replier sur pour assumer ces portées dans les salles la Grande-Bretagne pour découvrir un tel des pauvres et de la communauté ; placées L’avènement du corps de bâtiment double système de distribution intérieure, dans au bout des corridors, celles-ci ne sont, avec couloir chez les Sœurs grises est pré- les édifices publics toutefois. On y trouve en effet, pas divisées par un corridor (ill. cédé de quelques tentatives. Il semble bien des corps doubles de logis avec couloir 40 et 41). que ce soit au Grand Séminaire de la rue central dès la fin du dix-septième siècle ; Sherbrooke que John Ostell ait apporté mais les édifices sont alors relativement S’il est logique de penser que l’apparition l’idée en 1854. En effet, alors qu’au rez- petits et le corridor ne peut être éclairé des corridors dans le paysage conventuel de-chaussée l’architecte est resté fidèle au que par des fenêtres placées à chaque montréalais soit attribuable à John Ostell,

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ILL. 40-41. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. CORRIDOR CENTRAL AU REZ-DE-CHAUSSÉE ET SALLE DE LA COMMUNAUTÉ. | GUILLAUME ST-JEAN ; THOMAS COOMANS. au Grand Séminaire, l’emploi généralisé de nos richards. J’aime bien ce contraste- de ce dispositif chez les Sœurs grises est là81. » Au moment de recevoir une députa- cependant une première ; il est respon- tion de plusieurs membres du Comité de sable de la largeur inusitée et tributaire santé et de mettre en chantier l’édifice, en de l’introduction d’un nouveau mode mai 1869, les religieuses avaient compris d’éclairage. Ce sont de telles innovations que leur nouvel hôpital général n’était qui rompent avec la continuité caracté- pas bienvenu dans le quartier. L’une des ristique de l’architecture conventuelle conseillères, sœur Labrèche, constate que jusqu’à l’achèvement de la maison-mère la difficulté « c’est qu’on n’aime pas le voi- dans les années 1880. Et il faut rappeler sinage des pauvres, on ne prise pas cette que déjà, à cette époque, le choix des construction de pierre. Ces Messieurs ont Sœurs émule consciemment la figure même offert l’ornementation à leurs frais. traditionnelle avec murs en pierre grise, Enfin, il est facile de voir que la santé n’est toit en bâtière et chapelle centrale. Leur qu’un prétexte82. » maison-mère se révèle ainsi être le dernier couvent montréaliste. Une architecture sobre ?

UN NOUVEAU MATÉRIAU : Les Sœurs grises vont garder le cap ; elles ILL. 42. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. LA PIERRE À BOSSAGE veulent un monument sobre, suivant en L’AILE LE LA RUE GUY, PEU APRÈS SA CONSTRUC- cela les recommandations de leur supé- TION, EN 1872. | MUSÉE MCCORD, VIEW-22.1. Lorsque les Sœurs grises emménagent rieur, monsieur Bonnissant : dans leur nouvel établissement, le 6 octo- bre 1871, seules l’aile de la rue Guy et Je fais observer que vous devez toutes, Les Sœurs grises vont prendre bonne la moitié du corps principal sont érigées sans aucun doute, vous faire un devoir dans note de cette consigne et agir en (ill. 42). Mais le bâtiment s’impose dans le la construction de votre hôpital de demeu- conséquence : voisinage déjà par sa monumentalité. Sœur rer, tant pour l’extérieur que pour l’intérieur, Peltier, annaliste de la communauté, écrit : dans certaines règles de simplicité qui Le lendemain, cinq avril [1871], Mère « Je vous dis que ces grands murs de pierre conviennent à votre état ; et vos Supérieurs Slocombe s’en va visiter le chantier de la mai- presque brute et sans ornement, ont l’air seront les premiers à vous rappeler ce prin- son-mère. À sa grande surprise, elle aperçoit monastère, à côté des élégantes maisons cipe, s’il était besoin83. « les magnifiques ornements du portique ». À

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son avis, ils donnent une apparence de luxe à la maison ; ce qui ne lui agrée aucunement. Elle les fait enlever et détermine que le por- tique sera dépouillé de toute ornementation inutile ; la simplicité étant toujours de mise chez les Sœurs grises84.

On peut d’ailleurs constater qu’entre les premiers plans soumis en 1868 et ceux dressés en 1869, l’ornementation de l’édifice projeté a été réduite de façon importante (ill. 43 et 44). La commu- nauté a opté pour une chapelle avec une seule tour, mais surtout, en dépit de l’intégration dont l’édifice fera ulté- rieurement preuve, les religieuses ont choisi un fenêtrage traditionnel85, des croisées, au lieu des fenêtres arquées et à guillotine omniprésentes sur les mai- sons victoriennes voisines, inspirées de l’architecture Second Empire86 (ill. 45 et 46). Les frontons des avant-corps sont aussi simplifiés ; on leur enlève la pierre taillée des rampants ; seul le déborde- ment du toit reste pour donner forme ILL. 43-44. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. ÉLÉVATIONS DE LA FAÇADE PRINCIPALE EN 1869 (PROJET) ET 1869 (RÉALISÉE). | A.S.G.M. à la cimaise.

ILL. 45-46. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. DÉTAIL DE L’ÉLÉVATION DE 1868 ET FENÊTRES, TELLES QUE CONSTRUITES. | A.S.G.M. ; GUILLAUME ST-JEAN.

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Mais la différence majeure entre le projet de 1868 et celui de 1869 est l’adoption de Évaluations et remarques touchant les diverses sortes de pierre de rang qu’on peut la pierre « à bossage », en remplacement employer dans les façades de l’hôpital, sur les rues Dorchester et Guy de la pierre de taille. Plusieurs rapports 1e les entrepreneurs disent qu’ils ne peuvent fournir au prix de 10 sous le pied carré, et mémoires rédigés par Mathurin Clair que de la pierre de rang piquée, d’un genre à peu près semblable à celle des murs Bonnissant montrent que c’est lui qui a latéraux de l’église des Jésuites. À ce prix, la verge en superficie serait de $0.75 cts ; ce qui ferait pour les 2250 verges que contiennent environ les deux façades, incité les Sœurs à choisir ce matériau, la somme de $1687.50. même si cela engageait un surcoût. Les Il est bon de remarquer que cette pierre piquée ne fera pas certainement un bel entrepreneurs, au demeurant peu habi- effet au-dessus du soubassement construit tout entier en pierres éclatées, et à tués à mettre en œuvre ce type de pierre, côté des pignons qui seront construits aussi avec cette même sorte de pierre, se sont d’ailleurs montrés récalcitrants mais de moindre hauteur. au départ ; ils ont finalement agréé à la 2e Les entrepreneurs disent qu’ils peuvent fournir, pour 3 sous de plus environ par démonstration du supérieur des religieu- pied, une pierre de rang éclatée ou à bosses, mais toujours préparée seulement au marteau ou au pic. Ils demandent cette augmentation de prix, parce que cette ses. Pour fastidieuse que soit parfois sa pierre sera un peu plus soignée que la première et demandera un peu plus de travail, lecture, le mémoire de Bonnissant révèle et aussi parce que ne devant pas la trouver entièrement dans les toises, ils seront obligés d’acheter une certaine quantité de pierre spéciale pour cela. éloquemment l’ampleur de son savoir et la vigueur de sa volonté d’imposer le Cette sorte de pierre devant donc coûter environ $1.00 la verge, le coût total en sera de $2250.00 environ. renouveau dans le paysage construit. 3e Quoique cette dernière sorte de pierre doive exiger probablement un peu moins d’entretien que la première, cependant elle en exigera encore, après un certain L’apparence et le coût nombre d’années, beaucoup plus que la pierre éclatée dont les lits seraient préparés au ciseau, et les joints semblables à ceux de la pierre de taille. Le mémoire de Mathurin Clair Bonnissant Cette troisième sorte de pierre pourrait être fournie au prix de $1.40 la verge ; ce nous apprend que l’usage de la pierre à qui ferait pour les 2 250 verges, $3150.00. bosses a été introduit à Montréal par les 4e Avant de s’arrêter d’une manière définitive sur le choix qu’elles ont à faire entre Jésuites lors de la construction de l’église ces diverses sortes de pierre, les Sœurs doivent bien considérer ce qui convient du Gesù en 1864-1865, d’après les plans de mieux et ce qui est plus avantageux pour elles, sous tous les rapports et pour tous les temps. Elles doivent spécialement considérer quelles seront les dépenses d’entretien et de réparation, qu’elles auront plus tard à supporter dans chacun de ces genres de construction.

Les Architectes et les entrepreneurs s’accordent à dire qu’avec la troisième sorte de pierre susdite : les joints étant une première fois bien tirés, c’est pour toujours et qu’il n’y a jamais besoin de réparation.

Il n’en est pas ainsi des pierres de rang préparées seulement au marteau et dont les joints se trouvent nécessairement plus ou moins distants ou larges.

Les entrepreneurs disent qu’avec cette sorte de pierre, après un certain nombre d’années, comme ce sera peut-être 20, 25 ans, qu’on mette même 30 ans si l’on veut, il faudra ensuite reprendre les joints, environ tous les dix ans les uns portant les autres.

Les mêmes entrepreneurs estiment le travail qu’il faudra alors faire à 0.50 cts par verge en superficie, en y comprenant la main-d’œuvre, le mortier et les échafauda- ges. Ce serait donc environ une somme de $1125.00 qu’il faudrait alors débourser, à peu près tous les dix ans, seulement pour l’entretien de ces deux façades.

Or, comme il est facile de voir, il ne faudra qu’une ou deux de ces réparations, pour atteindre la somme d’argent qu’on ménagera dans la construction, en ne prenant pas la pierre préparée au ciseau.

(ASGM. Dossier Maison mère ; historique 519. Notes touchant la construction de l’hôpital des Sœurs [résumé des originaux de 1868 à 1882]. Évaluations et remar- ques touchant les diverses sortes de pierre de rang qu’on peut employer dans les façades de l’hôpital, sur les rues Dorchester et Guy, p. 146-148. Le document original porte le no MM 518.) ILL. 47. MONTRÉAL. ÉGLISE DU GESÙ, PEU APRÈS 1865. | MUSÉE MCCORD, VIEW-543.

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ILL. 48. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. LA PIERRE À BOSSAGE ILL. 49. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. CIMETIÈRE AD SANCTOS DES FAÇADES ET LA PIERRE DE RANG PIQUÉE DES FAÇADES SECONDAIRES, SOUS LA CHAPELLE. | THOMAS COOMANS. SUR JARDIN. | GUILLAUME ST-JEAN.

l’architecte étasunien d’origine irlandaise, il marque un virage esthétique dans le dans la construction (silhouettes de toitu- Patrick C. Keely (1816-1896) ; celui-ci avait paysage construit montréalais. La pierre res, traitements rustiques et polychromes mis en œuvre, pour les tours, une pierre à bossage (ou « à bosses ») est un bloc des surfaces, etc.)90. bosselée ou « pierre éclatée dont les lits de calcaire dont la face principale n’est [étaient] préparés au ciseau, et les joints pas finement bouchardée (lissée à l’aide Mais, comme le révèle Mathurin Clair semblables à ceux de la pierre de taille87 » d’une boucharde) ; celle-ci conserve donc Bonnissant, la première incursion de cette (ill. 47). Le Sulpicien argue que ce type de une apparence brute. Sa mise en œuvre taille de pierre chez les catholiques appa- pierre serait plus approprié pour le nou- produit un effet rustique, des parois raît à l’église du Gesù. Tout se passe en vel hôpital général que la pierre de taille rugueuses qui accrochent la lumière effet comme si le matériau avait dû rece- grise bouchardée qui avait été le lot des et donnent une impression d’âge. Au voir la sanction romaine, celle des Jésuites églises et des couvents, et plus générale- Québec, la pierre à bossage est apparue en l’occurrence, avant de pouvoir être ment de tous les édifices importants de d’abord sur des monuments anglicans. À diffusé dans le diocèse de Mgr Bourget. Montréal, depuis l’ouverture des carrières notre connaissance, la pierre à bossage ou L’hôpital général établit donc une pre- de pierre calcaire pour la construction de calcaire surgit en premier, dans l’architec- mière91, puisque la grande majorité des Notre-Dame de Montréal en 1826. ture de Montréal, lors de la construction couvents érigés à Montréal dans les de la cathédrale Christ Church, d’après années suivantes vont adopter la pierre à Toutefois, M. C. Bonnissant, avec une les plans de Frank Wills (1856) ; cette bossage92 ; la chapelle des Sœurs grises va certaine réserve, proposait de ne lam- introduction est suivie, toujours chez les établir le même précédent pour l’architec- brisser que les avant-corps de cette anglicans, par la mise en œuvre de l’église ture paroissiale du diocèse de Montréal, pierre, en laissant les pans de façade en Saint George’s (William T. Thomas, 1869). comme on le verra plus loin93. pierre de taille lisse ; il suggérait quand Sur ces monuments, ce type de pierre s’ex- même de faire « mieux » qu’à l’Hôtel- plique par l’application rigoureuse des L’AVÈNEMENT D’UNE ARCHITEC- Dieu, c’est-à-dire en utilisant, par exem- principes du mouvement ecclésiologiste89 TURE NÉOROMANE DIOCÉSAINE ple, des joints de maçonnerie bleus88. qui préconise, entre autres, l’adoption L’idée plut cependant à la communauté, des finis rustiques des murs de l’architec- En avril 1874, après une pause de trois à un point tel que toutes les surfaces ture médiévale. En architecture civile, la ans, le Conseil général des Sœurs grises des façades des rues Guy, Dorchester et pierre à bossage apparaît plus tard, sous reprend le chantier : Saint-Mathieu se sont trouvées parées l’influence de l’architecture du Second de pierre à bossage (ill. 48). Empire français qui propose, outre un Il a été proposé et résolu à la pluralité des retour aux grands moments de l’histoire voix que, vu l’état de gêne où se trouvent les Le changement de la pierre bouchar- de l’architecture classique nationale, une sœurs, n’ayant pas de salle de communauté dée à la pierre à bossage est important ; valorisation des éléments pittoresques assez vaste pour les réunions, et l’état de

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ILL. 50. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. ILL. 51. MONTRÉAL. ÉGLISE SAINT-VINCENT-DE-PAUL. | BANQ, ILL. 52. MONTRÉAL. L’ÎLE-BIZARD. ÉGLISE SAINT-RAPHAËL- PROJET DE FAÇADE DE LA CHAPELLE, 1868. | A.S.G.M. QUÉBEC. P547, S1, SS1, SSS1, D2, P3403. ARCHANGE. BOURGEAU ET LEPROHON, 1873. | CPRQ.

souffrance où se trouvent nos pauvres dans 76 de largeur dans le transept. La voûte est composition où domine le vocabulaire le rez-de-chaussée, que nous commencerions à plus de 80 pieds du plancher. Cette église architectural de l’âge roman : portail avec cette année la construction de la chapelle est du style romain [sic], du 10e siècle. arc à ressauts, fenêtres cintrées, lésènes, avec une tour. La dite chapelle aura soixante- frises d’arceaux et bandes lombardes. Les neuf pieds de front sur cent soixante-douze Mgr de Montréal a fait la cérémonie de la tours supportent un clocher complexe de pieds de profondeur, y compris la tour et bénédiction. On remarquait auprès de Sa trois niveaux : une chambre des cloches sans y comprendre la sacristie94. Grandeur une trentaine de prêtres. Mgr de ajourée par une arcade triple ; dans la flè- Montréal a prononcé une allocution de cir- che de plan carré qui la coiffe est inséré Ce chantier comprend aussi « le corps de la constance. L’église n’attend plus pour être un tambour de plan octogonal ajouré bâtisse, depuis la dite chapelle jusqu’à la complète que ses autels95. par des baies jumelées. Ce tambour est rue St. Mathieu ». Les religieuses avaient à son tour surmonté d’une flèche légè- déjà délimité le pourtour de la crypte en Une chapelle d’un style nouveau rement galbée. 1871, pour y relocaliser leur cimetière ad sanctos (ill. 49). La première pierre de Le premier projet soumis pour la construc- Sans doute par économie, mais aussi pour l’église est posée le 1er mai 1874 et la com- tion de l’hôpital général proposait une des raisons esthétiques, ce premier projet munauté assiste à une première messe le chapelle avec deux tours (ill. 50) ; le pro- d’église n’a pas été réalisé pour les Sœurs 23 décembre 1878. jet de 1869 réduisait ce programme à une grises. Mais l’exercice de composition n’a seule tour (ill. 54). Le chantier qui se ter- pas été vain puisque Adolphe Lévesque va Lundi dernier [23 décembre] a eu lieu la mine fin 1878 laisse la façade inachevée s’en inspirer directement, tout en livrant bénédiction de la magnifique église des dont le clocher ne sera complété qu’en une composition originale, pour ériger la Dames de l’Hôpital-Général, rue Guy. C’est 1890 (ill. 55). monumentale église Saint-Vincent-de-Paul un des plus beaux monuments élevés dans en 187596 (ill. 51). Victor Bourgeau, quant notre ville à la gloire de la religion. L’édifice Le premier projet de façade est du plus à lui, avait déjà érigé de monumentales mesure environ 180 pieds de longueur sur grand intérêt. Il s’agit en effet d’une façades à deux clochers avant ce projet

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projet refusé pour ériger l’église de l’Île- Bizard, en 1873, sans trop convaincre (ill. 52). Deux ans plus tard, le même modèle guide les deux compères à Saint-Cuthbert (1875), encore avec un certain nombre de raccourcis. Dans tous les cas, les œuvres parentes de Bourgeau et de Leprohon ne rivalisent en rien avec l’église que livrera Adolphe Lévesque à la paroisse Saint- Vincent-de-Paul. Ce qui repose la question de la paternité des dessins de 1868 : Victor Bourgeau ou Adolphe Lévesque ?

L’architecture intérieure de la chapelle projetée en 1868 est moins originale que celle qui est érigée en 1874. Elle retient une structure traditionnelle selon laquelle les trois nefs sont logées sous une seule toiture ; ses grandes arcades sont d’une légèreté encore toute classique (ill. 53). ILL. 53. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. PROJET POUR L’INTÉRIEUR DE LA CHAPELLE, 1868. COUPE SUR LE LONG. | A.S.G.M. En fait, le choix du vocabulaire roman se limite à quelques arcades plaquées sur les murs. Il reste cependant que, dans ce cas aussi, Victor Bourgeau et ses élèves vont s’approprier cette composition pour le décor intérieur de certaines églises, dans les paroisses rurales97.

La chapelle qui sera construite est celle esquissée sur la série de plans de 1869 ; les architectes en ont livré plusieurs des- sins (ill. 54). Il s’agit d’une façade entiè- rement recomposée, avec une seule tour et un clocher spectaculaire. L’effet d’en- semble produit est saisissant : alors que le premier projet présentait en quelque sorte une église qui scindait le corps de bâtiment la contenant, le projet réamé- nagé revient à l’idée d’une chapelle dont ILL. 54. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. ILL. 55. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. DESSINS DE L’ÉLÉVATION DE LA FAÇADE LA FAÇADE DE LA CHAPELLE VERS 1878 ; la figure culmine au centre de la longue DE LA CHAPELLE, 1869. | A.S.G.M. LE CLOCHER N’EST PAS ENCORE CONSTRUIT. | MUSÉE façade. Cet effet d’insertion plus harmo- MCORD, VIEW,1132.1. nieux tient aux ouvertures, de dimensions réduites et jumelées ou disposées en tri- pour l’hôpital général, mais elles étaient lombardes, particulièrement sur la façade plets ; leur répétition s’ajuste au rythme toutes, sinon néobaroques, du moins néo- de l’église Saint-Antoine de Lavaltrie en des ouvertures de l’ensemble du bâtiment. classiques. Bourgeau s’était néanmoins 1867. Avant même que la chapelle des L’étagement aussi est modifié. La façade avancé à esquisser quelques ornements Sœurs grises ne soit mise en chantier, il répercute désormais l’élévation intérieure, néoromans, des lésènes et des bandes va, avec Alcibiade Leprohon, s’inspirer du qui aura trois niveaux ; chacun s’inscrit donc

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ILL. 56-57. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. L’INTÉRIEUR DE LA CHAPELLE. | THOMAS COOMANS ; GUILLAUME ST-JEAN.

mieux dans l’horizontalité de la grande lors de l’inauguration de l’édifice, parmi les tribunes, fenêtres hautes, abside en hémi- façade de la maison-mère (ill. 55). « plus beaux monuments élevés dans notre cycle et absidioles sur les bras du transept, ville à la gloire de la religion ». décor d’arcades (ill. 56 et 57). Mais la réfé- Un intérieur grandiose rence architecturale ne se situe certaine- L’architecture en est résolument nou- ment pas au dixième siècle. L’architecture Mais c’est l’intérieur de la chapelle pro- velle98 ; le journaliste écrit ainsi « romain » est plus légère : les piliers sont plutôt jetée en 1869 et construite en 1874-1879 pour ce que l’on sait en fait être « roman ». des colonnes et les voûtes s’avèrent déjà qui propose la plus grand part du renou- C’est dire que ce style est encore peu gothiques. En fait, quand on y regarde de veau architectural dont peut être créditée connu à Montréal ; il n’est que vaguement plus près, il s’agit d’une architecture ins- la maison-mère des Sœurs grises. M. C. placé dans le temps. Ce style roman quali- pirée du renouveau gothique qui touche Bonnissant a longuement évoqué ses fie l’ensemble de la composition architec- la France au dix-neuvième siècle. Parmi dimensions imposantes et les chroniqueurs, turale : plan en croix latine avec bas-côtés, les nombreuses chapelles et églises néo- comme nous l’avons vu, l’ont remarquée élévation à trois étages : grandes arcades, romanes de l’époque, on peut d’ailleurs

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ILL. 58. SAINT-CLOUD. ÉGLISE SAINT-CLODOALD, JEAN-FRANÇOIS ILL. 59. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. COUPE LONGITUDINALE DE LA CHAPELLE, 1869. | A.S.G.M. DELARUE, ARCHITECTE, 1860. | DROITS RÉSERVÉS.

suggérer une parenté avec l’église Saint- l’église Saint-Pierre-Apôtre (ill. 60) ; à cet Vers un style diocésain Clodoald de Saint-Cloud, près de Paris, endroit nous avons proposé de créditer érigée à partir de 1860 (ill. 58). John Ostell et Adolphe Lévesque – traduc- Mgr Bourget, ultramontain féroce, avait, teur des œuvres de Pugin – de la concep- après 1855, combattu avec force l’em- Déjà, la façade utilisait le vocabulaire tion. Suivit la cathédrale Christ Church, ploi de l’architecture gothique pour les roman ; l’intérieur va plus loin en adop- érigée de 1856 à 1859 d’après les plans églises catholiques de son diocèse100 et tant la figure de l’église romane tardive de Frank Wills (1822-1857), architecte bri- imposé comme répertoire formel, aux (douzième et treizième siècles), telle que tannique de formation, mais qui eut une architectes de celles-ci, l’architecture le dix-neuvième siècle l’avait déjà interpré- carrière étasunienne remarquable. Enfin, baroque romaine créée au seizième siè- tée dans quelques grandes églises de la en 1864-1865, avait été construite l’église cle, dans la foulée du Concile de Trente, région parisienne qui ont attiré l’attention. du Gesù, œuvre de Patrick C. Keely, archi- par une Église qui préconisait l’utilisation Le changement majeur qu’introduit la tecte attitré de la Compagnie de Jésus de l’art et de l’architecture comme outils chapelle de l’Invention-de-la-Sainte-Croix en Amérique du Nord. Or, tandis que les de prosélytisme101. Mgr Bourget appréciait dans le paysage architectural montréalais deux premières de ces églises à claire-voie le Gesù et dut être très satisfait de lire réside dans l’adoption d’un étagement sont de style néogothique, cette troisième que la chapelle des Sœurs grises serait, avec claire-voie ou fenêtres hautes (ill. 59). adopte plutôt un vocabulaire néobaroque elle-aussi, « romaine ». Mais son retrait Après les mésaventures de la cathédrale modéré, rehaussé par un impressionnant progressif des affaires, après qu’il ait été de Québec, en 174499, les constructeurs ensemble de fresques (ill. 61). On peut rai- désavoué par Rome dans l’affaire de la d’églises du Québec avaient abandonné sonnablement penser que ce soit l’exemple division de la paroisse sulpicienne Notre- ce type de structure. Il était réapparu à du Gesù qui a conforté les Sœurs et leur Dame, puis sa démission, le 11 mai 1876, Montréal au dix-neuvième siècle au sein supérieur ecclésiastique, M. C. Bonnissant, ont ouvert la voie à l’affirmation d’autres de l’Église anglicane, inspirée par les pré- d’aller de l’avant avec une chapelle dotée points de vue. En 1873, la nomination de ceptes du mouvement ecclésiologiste et d’une claire-voie. Toutefois, le parti réso- Mgr Édouard-Charles Fabre (1827-1896) en les écrits d’Augustus Welby Pugin. La pre- lument néoroman du monument du bou- tant que coadjuteur est survenue au terme mière église catholique ainsi érigée avec levard Dorchester nous renvoie à d’autres de quelques années de flottement dans le une claire-voie – clerestory en anglais – fut spéculations qui ont marqué l’époque. diocèse, pendant lesquelles s’est amorcée

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une réorientation des choix esthétiques au sein l’Église de Montréal. En effet, le successeur de Mgr Bourget choisira d’autres architectes et adoptera des projets d’égli- ses d’un nouveau goût, le style roman ou « normand », en suivant le modèle proposé par la chapelle des Sœurs grises.

Tout cela se passe à Montréal au moment où l’architecture néoromane se développe en France. Dans les années 1840, la « Fille de l’Église » a en effet redécouvert son héritage roman, surtout dans le sud-ouest où les monuments des dixième, onzième et douzième siècles sont nombreux. Les travaux des historiens d’architecture ont dès lors révélé que le style roman était un style original et cohérent, mais de surcroît qu’il mettait au jour des racines nationales aussi profondes que le gothique, devenu néanmoins le style national des Français ILL. 60. MONTRÉAL. ÉGLISE SAINT-PIERRE-APÔTRE, ILL. 61. MONTRÉAL. ÉGLISE DU GESÙ, VUE DE L’INTÉRIEUR. | MALCOLM THURLBY. VUE DE L’INTÉRIEUR. | MALCOLM THURLBY. sous le Second Empire. Mais l’Italie catho- lique, qui n’avait que peu souscrit à l’ar- chitecture gothique, adopta résolument l’architecture néoromane, quelquefois appelée lombarde, paléochrétienne ou romano-byzantine. Rome prétendait ainsi retourner à l’architecture des origines de la chrétienté, c’est-à-dire d’avant le grand schisme d’Orient de 1054102.

Dans le débat sur les styles qui faisait rage dans l’Europe du milieu du dix-neuvième siècle, l’adoption du style roman gagne des adeptes, surtout parmi les archi- tectes qui ont à construire des églises rurales103. Contrairement au style gothi- que pour l’emploi duquel on impose une vaste connaissance archéologique ILL. 62. MONTRÉAL. LA CHAPELLE NAZARETH. | BANQ, QUÉBEC. ILL. 63. MONTRÉAL. LA CHAPELLE NOTRE-DAME- – les Anglicans s’y emploient dans The E6, S8, SS1, SSS660, D3914, PA1. DE-LOURDES, VERS 1880. | MUSÉE MCCORD, VIEW-971.1. Ecclesiologist et Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc propose le modèle de sa cathédrale idéale –, le style roman paraît une extrême simplicité. Il n’a point de parti À Montréal, ce nouveau style a séduit plus libre, moins normatif : pris, de règle formulée, de proportions consa- tous ceux qui cherchaient à « refranci- crées : il s’adapte à toutes les exigences, s’ac- ser » le paysage construit montréalais ; [L’art roman] est calme, grave, monumental, commode de tous les matériaux, et sait varier, en outre, il semble avoir été apprécié a un caractère religieux très prononcé, et se suivant les circonstances, les formes de ses par les congrégations religieuses qui prête également à une grande richesse et à colonnes et de tous ses ornements104. cherchaient à se doter de maisons dont

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surmonte, à toute la chapelle en un mot, un caractère autrement prononcé d’ornemen- tation architecturale ; et M. Bourgeault [sic] n’eût pas demandé mieux que de nous doter d’un chef-d’œuvre108.

On comprend que le goût néoroman ne convainquait pas encore et que, s’il avait pu en décider, Victor Bourgeau aurait aimé faire autrement. Chose certaine, l’adoption du nouveau style était une initiative sulpi- cienne. Les mêmes Sulpiciens choisissent d’ailleurs à nouveau Napoléon Bourassa pour construire la chapelle Notre-Dame- de-Lourdes, en 1873 ; elle sera de style roman « lombard » (italien) (ill. 63).

Mais, comme on peut s’en douter, le style néoroman était plus facilement adopté pour les façades d’églises et de chapelles ILL. 64. MONTRÉAL. ÉGLISE SAINTE-BRIGIDE-DE-KILDARE. | ILL. 65. L’ ÎLE PERROT. FAÇADE DE L’ÉGLISE, ÉRIGÉE que pour en organiser l’intérieur, ce qui SYLVAIN LAFRANCE. EN 1901 D’APRÈS LES PLANS DE L’ARCHITECTE ALCIDE CHAUSSÉE. | CPRQ. remettait en cause bien des acquis dans les milieux de la pratique traditionnelle109. À Montréal, c’est à l’église Sainte-Brigide- l’expression architecturale concorderait de-Kildare (ill. 64) que les architectes avec la figure symbolique du monastère, Poitras et Martin ont lancé le mouvement, institution emblématique du Moyen Âge avec une façade composée à partir des roman105. Les Sulpiciens ont d’ailleurs joué modèles néoromans de l’architecte fran- un rôle dans son implantation à Montréal. çais Théodore Ballu, mâtinés d’ornements En effet, monsieur Victor Rousselot, curé inspirés des livres de modèles de l’Étasu- de Notre-Dame féru de l’architecture nien Samuel Sloan110. Après Sainte-Brigide, néogothique française – c’est lui qui le diocèse de Montréal a vu apparaître dirigea les travaux de « refrancisation » bon nombre d’églises dotées de faça- en architecture néogothique du décor des néoromanes, au point donc où l’on intérieur de Notre-Dame, à partir de peut en déduire que ce style est devenu 1869 –, fit construire la même année, à le style diocésain officiellement adopté ses frais, la chapelle de l’Asile Nazareth, sous l’épiscopat de Mgr Fabre111 (ill. 65). La rue Sainte-Catherine106 (ill. 62). Or, cette façade de la chapelle des Sœurs grises a chapelle, dont il avait confié l’ornemen- en quelque sorte anticipé ce tournant. tation intérieure à l’italianisant Napoléon Bourassa, était dotée d’une façade néoro- Un clocher métissé mane107. Encore ici, c’est Victor Bourgeau qui construisit l’édifice, mais un chroni- La chapelle de l’Invention-de-la-Croix est queur nota : surmontée d’un élégant clocher. Dessiné en 1868, il ne fut réalisé que plus tard, La façade est digne et convenable, mais en 1890, comme cela a été souvent le lot avec des ressources, il eût été facile de don- des églises paroissiales. Le projet soumis ILL. 66. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES ; LA TOUR ET LE CLOCHER. | GUILLAUME ST-JEAN. ner à cette façade même, à la flèche qui la présentait deux versions de clochers de

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ILL. 67. LONDRES. ÉGLISE ST. BRIDE’S. ILL. 68. TOULOUSE. CLOCHER DE LA BASILIQUE CHRISTOPHER WREN ARCHITECTE. | LUC NOPPEN. SAINT-SERNIN, XIIe SIÈCLE. | LUC NOPPEN.

même hauteur ; c’est la version sobre, La tour, néogothique, de Saint-Pierre- légèrement moins ornée, qui a été rete- Apôtre, dont la conception remonte à nue en 1890 (ill. 66). Plusieurs ont déjà 1851, a été surmontée d’une flèche mal- signalé la parenté d’un clocher de ce type habile en 1874-1875. Le tout est inspiré avec celui de St. Bride’s, église londo- des modèles ecclésiologistes mis au point nienne de Christopher Wren érigée après par A. W. Pugin. Cela s’explique : pour les le grand feu de 1666 (ill. 67). La ressem- Sœurs grises, l’atelier de Bourgeau a tout blance tient à l’effet de « pièce montée » simplement transcrit le modèle de la tour qui superpose des étages ; toutefois, le en vocabulaire roman. Puis, pour échapper traitement à Montréal se veut davantage à l’élan gothique, les architectes ont repris néoroman, comme l’affirment les baies le clocher traditionnel, à deux tambours géminées et les bandes lombardes. Dans ajourés, pour obtenir l’effet de pièce mon- le registre de l’architecture romane, on tée, en le dessinant avec un vocabulaire peut bien sûr évoquer le modèle de Saint- roman au lieu de classique. Il s’agit en fait Sernin de Toulouse, clocher du douzième de la transcription des clochers de John siècle révélé au dix-neuvième siècle grâce Ostell, formés de deux coupoles superpo- à une lourde restauration menée par sées (ill. 70), en vocabulaire roman. Victor Viollet-le-Duc (ill. 68). Bourgeau avait construit un tel clocher sur

l’église Saint-Joseph en 1878 (ill. 71), mais ILL. 69. MONTRÉAL. LA TOUR ET LE CLOCHER DE L’ÉGLISE Mais il faut, avant tout, noter la res- l’avait habillé d’arcs gothiques. SAINT-PIERRE-APÔTRE. | GUILLAUME ST-JEAN. semblance entre la tour et le clocher de la chapelle des Sœurs grises et ceux Dans l’architecture religieuse du Québec, de l’église Saint-Pierre-Apôtre (ill. 69). les clochers sont les meilleurs révélateurs

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de la persistance des traditions architec- turales ; en même temps ce sont les pre- miers objets qu’une nouvelle tendance peut affecter. Construits en bois jusqu’à l’orée de la Première Guerre, ils sont le siège de l’inventivité des constructeurs qui s’y sont adonné à leur art : celui de la charpente, celui de la tôlerie aussi. Le clo- cher de la chapelle de l’Invention-de-la- Sainte-Croix ne dépare pas ce catalogue bien québécois.

CONCLUSION

L’exploration de la genèse de la maison- mère des Sœurs de la Charité à laquelle nous nous sommes livré permet de déceler à quel point ce grand projet a été l’occa- sion d’invention, mais aussi de consolida- tion d’une tradition, encore bien vivante en 1865-1870, de l’architecture conven- tuelle de Montréal (ill. 72).

ILL. 70. LA PRAIRIE. CLOCHER DE L’ÉGLISE ILL. 71. MONTRÉAL. CLOCHER DE L’ÉGLISE DE LA NATIVITÉ. | LUC NOPPEN. SAINT-JOSEPH. | GUILLAUME ST-JEAN. Monument de renouveau et de prolon- gement, la maison-mère des Sœurs gri- ses porte le témoignage d’efforts sans précédents lors du choix du site, lors de la définition du programme fonctionnel et lors de la conception formelle. Rares sont les monuments, qui, après l’immense chantier de la basilique Notre-Dame, ont fait l’objet, au dix-neuvième siècle, d’autant de spéculations. Si nos architec- tes ont longtemps été avares de paro- les, dans ce cas précis, les Sœurs grises et Mathurin Clair Bonnissant ont pris le relais pour faire mémoire. Leurs écrits et leurs gestes jettent un éclairage nouveau sur la société montréalaise dont ils ont été d’éminents acteurs.

La relecture des archives et la visite des bâtiments suggèrent que le champ de recherche est encore vaste, largement inexploré, pour autant que l’on accepte d’ouvrir les horizons. Lorsqu’on utilise les archives et les savoirs acquis pour, non pas

ILL. 72. MONTRÉAL. MAISON-MÈRE DES SŒURS GRISES. VUE AÉRIENNE. | PIERRE LAHOUD. documenter, mais interpréter les bâtiments

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et les sites, on s’aperçoit que leur significa- BAnQ Bibliothèque et Archives nationales du Clémentine Drouin (1916, 1933 et 1943) et tion se précise, devient plus dense. Mais, Québec les nombreux titres de sœur Estelle Mitchell, dont : Mitchell, [sœur] Estelle, L’essor apos- surtout, elle rejoint plus aisément la sen- CPRQ Conseil du patrimoine religieux du tolique. Histoire de l’hôpital général des Québec sibilité de notre époque. Sœurs de la Charité de Montréal, « Sœurs UCSS Univers culturel de Saint-Sulpice, Grises », 1877-1910, t. 4, Montréal, Méridien ; Montréal Si la fin du vingtième siècle a permis de et Mitchell, [sœur] Estelle, 1964, Mère Jane Slocombe, neuvième supérieure générale fixer rapidement quelques repères d’une des Sœurs Grises de Montréal, 1819-1872, histoire de l’architecture, celle-ci reste, BIBLIOGRAPHIE Montréal, Fides. avouons-le, à être écrite. Trop souvent, COMPLÉMENTAIRE 3. Salomon de Friedberg, Barbara, 1975, les efforts d’interprétation auxquels nous Le domaine des Sœurs Grises, boulevard convient les nouveaux médias s’abreuvent Drouin, Martin, 2001, « Les campagnes de sauve- Dorchester, Montréal, Rapport préparé pour à des recherches fondées sur des problé- garde de la maison Van Horne et du couvent le ministère des Affaires culturelles, Québec, des Sœurs grises ou le questionnement d’une juin. matiques datées qu’il nous incombe de identité urbaine (Montréal, 1973-1976) », 4. Par les travaux du Groupe de recherche sur renouveler, sans quoi l’intérêt envers le Journal de la Société pour l’étude de l’archi- la pierre grise de Montréal. paysage construit ira – ou continuera tecture au Canada, vol. 26, nos 3-4, p. 25-36. 5. Gauthier, Raymonde, 1983, Victor Bourgeau d’aller – décroissant. Gauthier, Raymonde, 1991, « Chapelle de l’Inven- et l’architecture religieuse et conventuelle tion-de-la-Sainte-Croix », Les chemins de la dans le diocèse de Montréal (1821-1892), mémoire. Monuments et sites du Québec, t. 2, Au cœur de notre travail, Victor Bourgeau thèse de doctorat en histoire de l’art, Québec, Québec, Les Publications du Québec, p. 112. s’est imposé sous d’autres habits que Université Laval ; Gauthier, Raymonde, 1988, « Une pratique architecturale au ceux qu’on lui prête habituellement ; Gauthier, Raymonde, 1991, « Domaine des Sœurs grises de Montréal », Les chemins de XIXe siècle : Victor Bourgeau, 1809-1888) », loin de réduire son rôle, sa pratique, la mémoire. Monuments et sites du Québec, ARQ – Architecture-Québec, no 41, février, telle que nous l’avons esquissée, permet t. 2, Québec, Les Publications du Québec, p. 10-23. d’envisager une relecture de la pratique p. 113-116. 6. Martin, Tania, 1995, Housing the Grey Nuns: architecturale du dix-neuvième siècle, Marsan, Jean-Claude, 1974, Montréal en évolu- Power, Religion and Women in Fin-de-siècle particulièrement dans le milieu canadien- tion, Montréal, Fides. Montréal, mémoire de maîtrise, Montréal, Université McGill ; Martin, Tania, 1997, français. Au-delà du cas de la maison- Middleton, Robin et David Watkin, 1993, « Housing the Grey Nuns: Power, Women Architecture du XIXe siècle, Paris, Gallimard, mère des Sœurs grises, ce type d’analyse and Religion in Fin-de-siècle Montréal », coll. « Electa ». laisse entrevoir le potentiel considérable dans Annmarie Adams et Sally McMurry (dir.), d’interprétation des couvents et des Musée David M. Stewart [Lemay, Nicole], 1992, Perspectives in Vernacular Architecture VII, Mission Montréal. Les congrégations reli- Knoxville (TN), University of Tennessee Press, églises de Montréal. Il est urgent d’y gieuses dans l’histoire de la ville, Montréal, p. 212-229 ; Martin, Tania, 1999, « The Mother voir, au moment où ces bâtiments fer- Fides. House of the Grey Nuns: A Building History of the General Hospital », Journal de la Société ment, sont repris pour certains, démolis Pinard, Guy, 1987, « La Maison-mère des Sœurs pour l’étude de l’architecture au Canada, pour d’autres. Mettre en valeur le poids Grises », Montréal, son histoire, son architec- vol. 24, no 2, p. 40-49. sémantique de ces hauts lieux contribue- ture, t. 3, Montréal, La Presse, p. 283-295. rait certainement à mieux les évaluer, à 7. Archéotech, 2005, Site historique de la Maison-mère des Sœurs grises de Montréal, les protéger, ou à tout le moins à s’assurer NOTES 1190, rue Guy, Rapport préparé pour le minis- que le génie du lieu qu’ils ont engendré tère de la Culture et des Communications, Montréal, décembre ; Groupe Cardinal Hardy, ne s’estompe à tout jamais. 1. L’auteur tient à remercier toutes les person- 2007, Réaménagement du Domaine des Sœurs nes qui l’ont aidé et rendu possible cette Grises pour l’Université Concordia, Montréal. publication, notamment Mylène Laurendeau, Des travaux d’inventaire ont aussi été menés des Archives des Sœurs grises de Montréal, sur le mobilier et les œuvres d’art. LISTE DES ABRÉVIATIONS et M. Gabriel Collard qui nous a reçu à la UTILISÉES Maison-mère; Guillaume St-Jean, Pierre 8. Beaupré et Michaud, architectes [Michaud, Lahoud et Thomas Coomans qui ont contri- Josette], 2007, Étude des valeurs patri- ANF Archives nationales de France bué à la qualité de l’illustration et, bien sûr, moniales du couvent des Sœurs Grises Lucie K. Morisset qui a inspiré ce texte, en a (construit sous le nom d’Hôpital général des A.S.G.M. Archives des Sœurs grises de étoffé les arguments et raffiné l’expression. Sœurs Grises. Domaine des Sœurs Grises de Montréal Montréal, Rapport préparé pour l’Université 2. Notamment par des religieuses de la BAC Bibliothèque et archives Canada Concordia. Montréal, février. congrégation : sœur Albina Fauteux et sœur

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9. Les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu en 1861, 23. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 30. Id. les religieuses de la Congrégation de Notre- 464. Copie d’une lettre de Mgr Bourget à 31. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 517. Dame en 1908 Même les sulpiciens, sei- M. Granet, supérieur du séminaire Saint- Mémoire de M. C. Bonnissant, s.d. (probable- gneurs de l’île, établissent leur séminaire et Sulpice, 19 octobre 1860. ment de février 1861). leur collège sur le site de l’ancien Fort de la 24. Rappelons à ce sujet que le Séminaire s’était Montagne, dont la construction débute en 32. ASGM, Registre des affaires temporelles, vol. opposé à la relocalisation de l’Hôtel-Dieu sur 1855. II (1853-1899), 3 février 1861, p. 21. le mont Sainte-Famille, en 1858. Mgr Bourget 10. Archives des Sœurs grises de Montréal (ASGM), de son côté pressait les religieuses de quitter 33. « L’Hôpital général d’ancien régime n’a Maison-mère, dossier 443. Transcriptions : le centre-ville ; il les avait déjà encouragées jamais eu aucune fonction médicale, mais mémoire de sœur Deschamps, supérieure, à en 1852 à acheter, rue Dorchester, « un très fut le lieu de renfermement des pauvres. M. Faillon, supérieur de Saint-Sulpice, 8 août bel édifice désigné sous le nom de Collège Voulu par des dévots laïcs (la Compagnie du 1854 ; réponse de M. Faillon, le 4 novembre Baptiste, qui avait été fondé par une société Saint-Sacrement) sous le règne de Louis XIII, 1854, p. 153-154. de sectateurs dans le but d’enseigner l’er- il entendait résoudre le problème récurrent reur ». Ce bâtiment sera occupé par les de la mendicité et des cours des miracles. » 11. Id., p. 156. religieuses de l’Hôtel-Dieu qui y établiront ([http://fr.wikipedia.org/wiki/Hôpital_géné- 12. Id., p. 157. l’hôpital Saint Patrick [en face du site de la ral], consulté le 22 juillet 2009.) 13. Id., p. 158. Croix-Rouge]. (Lahaise, Robert, 1980, Les édi- 34. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, fices conventuels du Vieux-Montréal. Aspects 531. Lettre des Sœurs grises aux membres 14. Id., p. 159. ethno-historiques, Montréal, Hurtubise/ du Comité de santé de la Cité de Montréal ; o 50, 15. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 452. HMH, coll. « Les Cahiers du Québec », n texte publié dans The Gazette, jeudi 20 mai p. 95-96.) Extrait de l’Ancien Journal, 16 juillet 1856, 1869. p. 552. Olivier Berthelet (1798-1872) était un 25. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 35. Un rapide sondage nous en a permis d’en bourgeois fortuné qui s’est fait connaître 464. Copie d’une lettre de Mgr Bourget à retracer deux : The Gazette, 19 mai 1869 et comme le plus grand philanthrope franco- M. Granet, supérieur du séminaire Saint- 21 mai 1869. phone de Montréal. Il a particulièrement Sulpice, 19 octobre 1860. appuyé l’œuvre des Sœurs grises en finan- 36. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 517. 26. « Notre mère osera-t-elle vous prier, Très- çant la construction de l’asile Saint-Joseph, Mémoire de M. C. Bonnissant, s.d. Honoré Père, de tâcher d’obtenir de ces rue Cathédrale, leur première expansion hors Messieurs, un aussi long délai que possible 37. Elles érigeront notamment un monumental de l’hôpital général. avant de payer l’intérêt pour nous faciliter les orphelinat à ville Saint-Laurent, la crèche 16. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 521. moyens de vendre plus cher nos terrains de la d’Youville, en 1912. Lettre de sœur Slocombe [supérieure] au car- Côte Saint-Antoine. Elle vous demande cela 38. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 517. dinal Quaglia, préfet de la Congrégation des en vue du plus grand bien des pauvres, vous Mémoire de M. C. Bonnissant, s.d. évêques et réguliers, 4 janvier 1869. priant en même temps de considérer que ce 39. ASGM, Maison-mère, église, document 8. 17. Ce nom tient à une légende qui veut que, sur sera aussi à l’avantage du Séminaire à raison Soumission de David Perrault, 12 juin 1880 le site, une croix fut élevée et peinte en rouge de la Commutation qui sera d’autant plus (clôture de pierre) ; document 9, soumission en 1752 pour marquer la sépulture d’un forte que nous vendrons plus cher. (ASGM, de Day et Deblois, 28 juin 1880 (travail de meurtrier. (Drouin, [sœur] Clémentine, 1943, Dossier Maison-mère ; historique, 466. Copie ferronnerie). L’hôpital Général des Sœurs de la Charité, d’une lettre de sœur Slocombe [maître des « Sœurs grises », 1853-1877, t. 3, p. 211-212.) novices], à M. Granet, supérieur du séminaire 40. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, Saint-Sulpice, 28 octobre 1860, 26 octobre 533. Lettre de mère Slocombe à Mgr Bourget, 18. Greffe du notaire E. Lafleur, no 1155, 20 juillet 1860.) 12 août 1869. 1860. 27. « [Nos sœurs] ont aussi admiré le désinté- 41. ASGM, Administration temporelle, Procès- 19. Id., no 1262, 19 mars 1861. ressement des bonnes Religieuses de l’Hô- verbaux, vol. II (1853-1899), 1er mars 1869, 20. Id., no 1265, 23 mars 1861. tel-Dieu qui ont bien voulu accéder aux p. 36. désirs de Votre Grandeur, en nous offrant 21. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 42. Id., vol. II (1853-1899), 31 mars 1869, p. 37. un terrain dont elles pourraient retirer un si 464. Copie d’une lettre de Mgr Bourget à grand profit. » (ASGM, Dossier Maison-mère ; 43. L’association a été dissoute en 1877, deux M. Granet, supérieur du séminaire Saint- historique, 465. Copie d’une lettre de sœur mois après le décès d’Edwige Vaillant, épouse Sulpice, 19 octobre 1860. Slocombe [maître des novices] à Mgr Bourget, de Victor Bourgeau ; elle a cependant été 22. Il semble que cette stratégie soit d’Olivier 26 octobre 1860.) renouvelée le 18 août 1880 pour se terminer Berthelet qui, après avoir fait fortune dans avec le décès de Bourgeau, survenu le 5 mars 28. Il faut cependant noter qu’on compare un l’immobilier dans l’est de la ville, est devenu 1888. site de vingt-cinq arpents à celui de douze conseiller – certains diront le ministre des arpents de la Croix-Rouge. 44. Théophile Fahrand (1825-1870) aurait reçu sa Finances – de l’évêque (Dictionnaire biogra- formation à l’École des beaux-arts de Paris. phique du Canada en ligne [http://www.dic- 29. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 469. À Montréal il combinait une pratique de l’ar- tionaryofarchitectsincanada.org/], consulté Lettre de M. C. Bonnissant à Mgr Bourget, chitecture et de la bijouterie. (Biographical le 23 juillet 2009). 29 janvier 1861. Dictionary of Architects in Canada (1800-

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1950), [http://www.dictionaryofarchitectsin- 53. James, Ellen, 1985, John Ostell Architecte, supérieur chez les Sœurs de la Charité dites canada.org], consulté le 19 juillet 2009). Arpenteur / Architect, Surveyor, Montréal, Sœurs Grises. Il fut de 1854 à 1862 confesseur Musée McCord / McCord Museum. des Frères des écoles chrétiennes et confes- 45. Dans le dossier de l’église Saint-Joseph, seur aussi des Sœurs de l’Hôtel-Dieu, durant construite en 1861-1862, il apparaît que 54. « Vu l’importance des travaux que nécessitent deux triennats, en 1870 et 1878. Les Sœurs Victor Bourgeau n’a fait que superviser le les réparations à notre église et l’achèvement Grises furent plus particulièrement l’objet de chantier ; il a alors proposé de modifier le de notre hôpital, et tous les autres besoins son dévouement paternel. Et même lorsqu’il parti original de l’intérieur, en substituant à qui pourraient se rencontrer on choisirait n’avait auprès d’elles aucun titre officiel, il la charpente exposée, disposition tradition- pour remplacer feu Mr Victor Bourgeault [sic], ne cessait pas de les aider de ses conseils. » nelle des églises anglicanes, une fausse-voûte Messieurs Perrault et H. Mesnard, comme (ASGM, Dossier du père Bonnissant, p.s.s. plus « canadienne-française », ce qui explique architectes. » (ASGM, Administration tem- Circulaire de L. J. Icarel, p.s.s., Paris, décem- le caractère un peu incongru de l’intérieur. Il porelle, Procès-verbaux, vol. II (1853-1899), bre 1886.) a enfin, en 1878, livré les plans du clocher. 12 mars 1890, p. 155v et 156. 63. ASGM, Dossier du père Bonnissant, p.s.s. 46. Dans le cas de Saint-Pierre-Apôtre, la men- 55. Archives de la paroisse Notre-Dame de Circulaire de L. J. Icarel, p.s.s., Paris, décem- tion de Victor Bourgeau n’apparaît que dans Montréal, Registre BMS. bre 1886. le discours que l’évêque d’Ottawa, membre 56. Alfred Préfontaine, architecte du monastère des la Congrégation des oblats – qui a fait 64. BAnQ, Québec. Fonds de l’Inventaire des des Carmélites de Montréal en 1895-1896, construire cette église –, livre lors de l’inau- œuvres d’art ; fichier des artistes et artisans était aussi actif auprès de Victor Bourgeau. guration du bâtiment, le 26 juin 1853 : « l’exé- de Gérard Morisset. Fiches Montréal, Sœurs Il sera admis à l’Association des architectes de cution de ce travail fait le plus grand honneur grises : Nos antiquités et certains dons faits la Province de Québec (AAPQ) en 1890 – ; il à l’architecte qui l’a dirigé, et cet architecte à la Communauté, I, 3a. a également assisté à cette cérémonie. est notre compatriote M. Victor Bourgeault 65. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique 519. [sic] . Il a fait une belle église, un beau monu- 57. Lévesque, Adolphe, 1858, « État actuel de Notes touchant la construction de l’hôpital ment. (La Minerve, mardi 28 juin, p. 2.) l’Architecture religieuse en Angleterre, des Sœurs (résumé des originaux de 1868 à Art. II, par A. Welby Pugin », La Minerve, 47. Nous avons bien établi ailleurs que Victor 1882). Note de 1868 de M. L. C. Bonnissant, 16 mars au 6 août 1858. Bourgeau n’avait fait que livrer des plans p. 148-150. Quelques remarques pour aider pour le décor intérieur de l’église à La Prairie 58. Archives de la paroisse Sainte-Brigide-de- les sœurs administratrices dans les décisions en 1864, John Ostell ayant préparé ceux Kildare, Comptes et Délibérations, 1875-1896, finales qu’elles ont à prendre touchant les de l’église reconstruite en 1856. (Morisset, feuillet 31. Délibération du 16 juin 1878. plans de leur futur hôpital. Lucie K. et Luc Noppen, 1998, L’église de la 59. Id., feuillet 32. Délibération du 20 juin 66. Ces traits de caractère ont été consignés par Nativité de la Sainte-Vierge de La Prairie 1878. Émile Venne, professeur à l’École des beaux- de la Madeleine, Rapport préparé pour la arts de Montréal et fils de Joseph Venne, Commission des lieux et monuments histo- 60. Lahaise, p. 85. collaborateur de Victor Bourgeau. (L’Ordre, riques du Canada, novembre.) 61. Ses origines britanniques ont d’ailleurs 22 et 23 mars 1935.) 48. Noppen, Luc, 1985, « Thomas Baillairgé », constitué un atout pour faire accepter l’im- 67. L’aile ouest a été érigée en 1705, l’aile est, Dictionnaire biographique du Canada, plantation du nouvel hôpital général dans démolie en 1850, a été complétée en 1714. vol. VIII, p. 41-45. un quartier dominé par la bourgeoisie anglophone. 68. La même année, l’architecte Claude Baillif 49. Nous revenons ici sur quelques interpréta- avait adopté la figure de l’hôtel particulier tions que nous avons déjà livrées : c’est en 62. « Monsieur Mathurin Louis Clair Bonnissant pour ériger le palais épiscopal de Mgr de travaillant sur les pratiques architecturales naquit à Nantes le 12 août 1816 et y fit ses Saint-Vallier, à Québec ; il n’avait cependant instaurées par l’Église catholique que nous études, y compris le cours de théologie. érigé que l’aile est et la chapelle. Il faut dire en sommes venu à établir une distinction, Ordonné prêtre le 19 décembre 1840, il que l’évêque, étant célibataire, n’avait pas dans l’univers traditionnel, entre l’archi- exerça dans son diocèse le saint ministère, besoin de l’autre aile. En effet, dans l’hôtel tecte constructeur de l’architecte concep- comme vicaire à Blain, jusqu’en 1843 et en parisien, l’aile droite est réservée à Monsieur, teur. (Noppen, Luc, 1982, « Victor Bourgeau », la Madeleine de Nantes jusque vers 1847. Il l’aile gauche à Madame… Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI, quitta, le 7 janvier de cette année, sa ville p. 100-103.) natale pour aller faire sa Solitude, et partit 69. Ces chantiers ont été bien documentés par de la Solitude le 27 septembre suivant ; il Robert Lahaise (op. cit.). 50. Nous n’avons trouvé aucune information sur arriva, après un voyage d’un mois environ, cet architecte. 70. Ce projet a été publié dans Noppen, Luc et le 24 octobre, à Montréal. Marc Grignon, 1983, L’art de l’architecte. Trois 51. « Nécrologie. Victor Bourgeau, architecte », Appliqué d’abord au ministère de la paroisse siècles de dessin d’architecture à Québec, La Minerve, 22 mars 1888, p. 1 pendant plusieurs mois, il fut ensuite chargé Québec, Musée du Québec / Université Laval, 52. Cité par Émile Venne. Causerie à la radio jusqu’au 28 octobre 1849 des pauvres et des p. 156-159. (poste CRCM), 19 mars 1935, publiée dans enfants de l’Hôpital Général. Les 37 années 71. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique 519. L’Ordre, les 22 et 23 mars 1935. qu’il passa ensuite au Canada furent en Notes touchant la construction de l’hôpital grande partie consacrées aux soins des des Sœurs (résumé des originaux de 1868 à Communautés religieuses. Il exerça long- 1882). Note de 1868 de M. L. C. Bonnissant, temps les fonctions de confesseur ou de

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p. 144-146. Quelques remarques touchant les trente-trois. Or, cette façade ne change pas de la Communauté urbaine de Montréal, plans que les Sœurs doivent adopter pour de dimensions, elle est coincée entre les rues Montréal, CUM.) leur futur hôpital général. Guy et Saint-Mathieu ; par contre le nombre 93. Noppen, Luc, 2008, L’église Sainte-Brigide- de fenêtres a été augmenté pour accroître 72. Id. de-Kildare (Montréal). Étude historique, l’éclairage d’un plus grand nombre de pièces analyse architecturale et évaluation patri- 73. Id. et l’aile qui longe la rue Saint-Mathieu a été moniale, Montréal, Rapport de la Chaire de reculée de quelques pieds. 74. Ce fait est relaté dans Caron, Robert, 1980, recherche du Canada en patrimoine urbain Un couvent du XIXe siècle. La maison des 87. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique, 517. – ESG, UQAM, novembre. sœurs de la Charité de Québec, Montréal, Mémoire de M. C. Bonnissant, s.d. 94. ASGM, Administration temporelle, Procès- Libre Expression, p. 37. 88. À Québec, l’architecte Joseph-Ferdinand verbaux, vol. II (1853-1899), 8 avril 1874, 75. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique Peachy a introduit dans les années 1880 p. 65. 519. l’usage de la pierre à bossage, avec de tels 95. Le Journal de Montréal, 26 décembre 1878, joints colorés destinés à souligner le bossage, 76. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique 519. p. 2. Notes touchant la construction de l’hôpital pierre par pierre. L’église Saint-Jean-Baptiste 96. « [E]n pierre de taille et en pierre à bosse » : des Sœurs (résumé des originaux de 1868 à de Québec (1881) est entièrement habillée c’est ainsi que l’on nomme ce type de maté- 1882). Note de 1869 de M. L. C. Bonnissant, d’une telle pierre. riau en 1900 dans Le Diocèse de Montréal à p. 148-150. Quelques remarques pour aider 89. Inspiré par la revue The Ecclesiologist, publiée la fin du XIXe siècle. Avec portraits du clergé. les sœurs administratrices dans les décisions par la Cambridge Camden Society et The Hélio-gravures et notices historiques de tou- finales qu’elles ont à prendre touchant les Ecclesiological Society de 1841 à 1868. tes les églises et presbytères, institutions plans de leur futur hôpital. 90. L’influence de l’architecture Second Empire d’éducation et de charité. Sociétés de bien- 77. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique 519. se fait sentir au Québec – en particulier à faisance, Œuvres de fabrique et Commissions Notes touchant la construction de l’hôpital Montréal – au moment où les carrières de scolaires, Montréal, Eusèbe-Sénécal & Cie, des Sœurs (résumé des originaux de 1868 à calcaire de Trenton du Plateau et du Mile Imprimeurs-Éditeurs, p. 779. 1882). Lettre de M. L. C. Bonnissant, p. 151- End s’épuisent et livrent des lits de pierre plis 97. C’est le cas des architectes Poitras et Martin, 152, 19 mai 1869. irréguliers, ce qui convient bien à un appa- en 1877, à l’église Saint-Louis-de-France de reil à bossages puisque les rangs de pierres 78. Id., Note de 1869 de M. L. C. Bonnissant, Terrebonne et à l’église de Saint-Liboire. p. 148-150. y sont plus étroits. Plusieurs architectes, dont Joseph-Ferdinand Peachy à Québec et 98. Dans l’histoire de l’architecture ecclésiale 79. En 1738, l’architecte William Adam livre William Tutin Thomas à Montréal, vont met- de Montréal – ou du diocèse de Montréal –, les plans du Edinburgh Infirmary, bâti- tre en œuvre de telles pierres sur des maisons ce propos formel est neuf. En cherchant, on ment avec un corridor central, et en 1752 bourgeoises, construites en terrasse sur le trouve bien une référence au style roman The Gentlemen’s Magazine publie un plan modèle des « villas suburbaines » du Second dans la première église du Saint-Enfant-Jésus analogue du London Hospital. (Stevenson. Empire. du Mile-End érigée en 1857 sous la direction Christine, 2000, Medicine and Magnificence. du père Taraise-Thomas Lahaie, né à Dijon 91. Il n’y a guère que la maîtrise Saint-Pierre, British Hospital and Asylum Architecture, (France) en 1815. 1660-1815, Yale University Press, New Haven / qui aurait été construite en 1868 avec de la 99. Noppen, Luc, 1974, Notre-Dame de Québec London, p. 112 et 145.) Ces bâtiments étaient pierre à bossage, qui précède le monumen- (1647-1922), son architecture, son rayonne- éclairés par des lampes à l’huile. tal ensemble de la rue Guy. Ajoutons que ce bâtiment possède un fenêtrage comme celui ment, Québec, Pélican. 80. Beaupré Michaud, p. 53. proposé sur les plans de 1868. 100. La plupart des églises construites avant cette 81. Commentaire de sœur Peltier, cité par 92. Parmi lesquels : le collège Notre-Dame – date sont en effet néogothiques, à commen- Mitchell, 1964, p. 413. Dufresne et Lapointe, 1881 ; le sanctuaire cer par Notre-Dame de Montréal (1824). Puis, on peut signaler : Saint Patrick (1841), Saint- 82. Cité par Mitchell, p. 385. Sainte-Anne du couvent de Lachine – Perrault et Mesnard, 1888 ; l’Institution des sourdes- Pierre-Apôtre (1851) et Saint-Jacques (1855) ; 83. ASGM, Dossier Maison-mère ; historique 519. muettes – Joseph Michaud, 1881 ; le Mont- lorsque le style gothique est adopté pour Notes touchant la construction de l’hôpital Saint-Louis – Jean-Zéphirin Resther, 1887 ; la Saint-Joseph (1861), il s’agit d’une initiative des Sœurs (résumé des originaux de 1868 à maison des Pères du Très-Saint-Sacrement des Sulpiciens qui prend modèle sur l’église 1882). Note du 11 décembre 1868 de M. C. L. – Jean-Zéphirin Resther, 1892 ; l’asile des wesleyenne de la rue Saint-Jacques. Bonnissant, p. 139-144. vieillards des Petites Sœurs des pauvres 101. Les exemples les plus probants de ce « vou- 84. Chroniques (1867-1873), p. 76, cité par – Casimir Saint-Jean, 1892 ; ainsi que l’hos- loir baroque » de Mgr Bourget sont : la façade Mitchell, p. 433. pice Saint-Antoine, 1892 ; l’hospice Gamelin, et le clocher de l’église de La Prairie (1855), 1893 ; l’hospice Auclair, 1894 ; l’hôpital 85. Les fenêtres sont ainsi plus hautes et plus l’église Notre-Dame-de-Grâce (1850), l’église des Incurables, 1899 ; l’agrandissement du étroites. Sainte-Anne de Griffintown (1854 - disparue), pavillon Marie-Morin de l’Hôtel-Dieu, 1902 ; la chapelle Notre-Dame-de-Pitié (1860 - dis- 86. Une différence apparaît aussi dans le nombre et le Mont-Sainte-Anne – Louis Caron, 1906. parue), l’église Le Gèsu (1864). À cette liste, de travées ; le projet de 1868 compte un corps (Communauté urbaine de Montréal, Les cou- incomplète, il faut bien entendu ajouter la principal de vingt-huit travées, plus les avant- vents : architecture religieuse II. Répertoire cathédrale Saint-Jacques (basilique Marie- corps et la chapelle ; celui de 1869 en compte d’architecture traditionnelle sur le territoire Reine-du-Monde).

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102. Leniaud, Jean-Michel, 1993, « Maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et program- mes », dans Chantal Bouchon, Catherine Brisac, Nadine-Josette Chaline et Jean-Michel Leniaud (dir.), Ces églises du XIXe siècle, Amiens, Ancrage, p. 114.

103. Leniaud, Jean-Michel, 1993, « Du néo-classi- que au béton », dans Bouchon et al., op. cit., p. 62.

104. Raynaud, Léonce, Traité d’architecture, Paris, 1850-1858, p. 239, cité par Nayrolles, Jean, 2006, « Un Rundbogenstil Français ? », dans Bruno Foucart et Françoise Hamon (dir.), L’architecture religieuse au XIXe siècle. Entre éclectisme et rationalisme, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne.

105. À ce sujet il vaut la peine de rappeler que, lors de la construction de l’hospice des Sœurs de la Charité de Québec, l’évêque avait signalé à l’architecte qu’il trouvait inconvenant de retrouver une chapelle néogothique devant un couvent néoclassique. (Caron, p. 47.)

106. La chapelle est démolie vers 1960 pour déga- ger le site de la future .

107. Drouin, [sœur] Clémentine, 1943, L’hôpital général des Sœurs de la Charité, « Sœurs Grises », 1821-1853, t. 3, Montréal, s. éd.

108. Explication des peintures de la chapelle Nazareth. Montréal, Eusèbe Senécal, s.d., p. 11 (brochure conservée aux ASGM).

109. Le chantier de la chapelle des Sœurs grises s’est avéré complexe et le bâtiment a du être consolidé en 1890 par les architectes Perrault et Mesnard ; la croisée a été étrésillonnée pour contenir les charges du toit.

110. Nous avons fait la démonstration de l’origine de cette façade dans Noppen, 2008, p. 150- 175.

111. On peut nommer, entre autres : 1873 – Île Bizard, église Saint-Raphaël-Archange ; 1875 – Saint-Cuthbert ; 1875 – Saint-Isidore (Montérégie) ; 1879 – Montréal, église Notre- Dame-du-Bon-Conseil ; 1879 – Oka, église l’Annonciation ; 1880 – Chambly, église Saint- Joseph ; 1880 – Saint-Ours, église de l’Imma- culée-Conception ; 1881 – Mascouche, église Saint-Henri ; 1881 – Saint-Télesphore ; 1882 – Varennes, basilique Sainte-Anne ; 1885 – Sainte-Thérèse ; 1887 – Laurentides, église Saint-Lin ; 1895 – Montréal, église de l’Im- maculée-Conception ; 1887 – Montréal, église Saint Anthony ; 1894 – Verchères, façade de l’église Saint-François-Xavier ; 1900 – Dorval, église Présentation-de-la-Sainte-Vierge ; 1901 – Île Perrot, façade de l’église Sainte-Jeanne de Chantal.

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ANALYSIS | ANALYSE

UN LIEU DE CALME ET DE PAIX AU CŒUR DE LA TOURMENTE Le débat patrimonial autour de la sauvegarde du Carmel de Montréal (2003-2007)

MARTIN DROUIN est coordonnateur de l’Institut du > MARTIN DROUIN 1 patrimoine et professeur associé au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM. Il est aussi adjoint à la rédaction de la revue Architecture Canada, le journal de la Société pour l'étude de l'architecture au Canada. a campagne de sauvegarde du Carmel Lde Montréal a-t-elle vraiment eu lieu ? Maintenant que le calme médiatique est revenu, certains pourraient croire que toute cette affaire ne fut qu’un (mauvais) rêve. La petite porte couronnée d’une arche en arc brisé sur laquelle trône une sculpture de Notre-Dame du Mont-Carmel annonce toujours le monastère (ill. 1). La chapelle est ouverte aux visiteurs. Sur la rue Henri-Julien, le mur d’enceinte a été restauré. Les moniales poursuivent leur engagement spirituel. Il y a pourtant cinq ans, les Montréalais avaient clairement affiché une incrédulité partagée lors de l’annonce du départ des religieuses et de la construction d’appartements en copro- priété. Le bruit du siècle et sa chronique événementielle venaient ainsi perturber le caractère immuable du lieu. Rapidement, une campagne de sauvegarde s’organisa pour freiner l’opération de reconversion tout juste amorcée. Ainsi, de l’automne 2003 au printemps 2007, bien des rebon- dissements tinrent en haleine les princi- paux acteurs impliqués dans le dossier. À cet égard, le débat patrimonial autour de la sauvegarde du monastère, de son jardin et de son mur d’enceinte est riche d’ensei- gnements pour comprendre la dynamique qui entoure la sauvegarde des ensembles conventuels au Québec. Plus encore, le cas du Carmel de Montréal s’inscrit dans une problématique plus large de l’avenir des biens d’église.

Un peu partout en Occident, tant les trans- formations de la pratique religieuse que le vieillissement des communautés ont posé depuis déjà plusieurs années la question de la pérennité des infrastructures asso- ciées à l’exercice de la foi chrétienne. Les ILL. 1. MONASTÈRE DU CARMEL, FAÇADE DE L’AVENUE DU CARMEL. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009.

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 > 45-60 45 MARTIN DROUIN > ANALYSIS | ANALYSE

ILL. 2. ENCART DE SAUVONS MONTRÉAL POUR LA CAMPAGNE DE SAUVEGARDE ILL. 3. A.J. RICE, LAPRÉS & LAVERGNE, « LE COUVENT DES CARMÉLITES », LE MONDE ILLUSTRÉ, DU COUVENT DES SŒURS GRISES, LE JOUR, 6 JUIN 1975. | BANQ. VOL. 15, No 759, P. 453, 19 NOVEMBRE 1898. | BANQ.

coûts financiers importants liés à l’entre- artistique que pour leur valeur de repère, le combat mena finalement à une inter- tien et à la réparation des bâtiments ont de ont offert un potentiel de réutilisation vention du gouvernement provincial en plus transformé des mutations sociales et indéniable. Les promoteurs immobiliers ne 1982. Ce fut surtout dans les années 1990 culturelles en un fardeau économique réel se sont donc pas trompés en proposant des que les contestations se multiplièrent. Si le pour les propriétaires des édifices2. Dans ce projets de développement résidentiel. « déclassement » du couvent Saint-Isidore, contexte, le dossier des églises a souvent rue Notre-Dame Est, puis sa démolition, retenu l’attention en raison notamment de À Montréal, la population a aussi rapide- constituèrent un cas extrême, bien d’autres l’aspect spectaculaire des démolitions ou ment reconnu la valeur de ces lieux. Depuis projets furent questionnés par les groupes des reconversions de même que de l’atta- une quarantaine d’années, bien des pro- de sauvegarde et les comités de citoyens. chement de populations qui ont fréquenté jets de démolition, de reconversion ou de La volonté de déménager l’Hôtel-Dieu de ou fréquentent encore ces lieux de culte3. densification furent au cœur de campa- Montréal, avenue des Pins, le recyclage de L’avenir des couvents, des monastères ou gnes de sauvegarde menées au nom du la maison des Sœurs de Marie-Réparatrice, des ensembles conventuels n’en constitue patrimoine. L’une des premières batailles boulevard Mont-Royal, de même que la pas moins des défis majeurs au cœur des fut livrée au début des années 1970 par conversion et la densification du site du centres urbains et ce, à plusieurs égards. l’association Espaces verts, alors nouvel- monastère du Précieux-Sang, boulevard Il y a d’abord la mémoire de ces congré- lement créée, pour contrer l’intention de Décarie, et du monastère des Pères domi- gations religieuses qui ont œuvré pendant construire sur le domaine des Sulpiciens de nicains, rue Notre-Dame-de-Grâce, firent longtemps dans les domaines de l’éduca- la rue Sherbrooke5. Au milieu de la même les manchettes7. Aujourd’hui encore, la tion, de la santé et des services communau- décennie, la lutte féroce pour empêcher destinée de la maison-mère des Sœurs taires avant que l’État ne se soit impliqué la disparition du couvent des Sœurs grises, des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie, massivement au cours de la seconde moitié situé sur le boulevard René-Lévesque, mar- boulevard Mont-Royal, et de l’ancien du vingtième siècle4. Se pose ensuite plus qua bien des consciences (ill. 2)6. Au cours séminaire de philosophie, chemin de la concrètement la question de la présence de la première moitié des années 1980, Côte-des-Neiges, demeure incertaine. La physique de ces communautés dans la ville. l’avenir incertain du monastère du Bon- campagne de sauvegarde du Carmel, qui Les propriétés foncières, souvent localisées Pasteur et du collège Mont-Saint-Louis, s’est déroulée de 2003 à 2007, n’était pas dans des lieux de premier choix en raison rue Sherbrooke, ainsi que les difficultés la première et ne sera vraisemblablement d’une installation ancienne, ont acquis une qui ont découlé des plans de recyclage ont pas la dernière. valeur économique importante. Les édifi- fait couler beaucoup d’encre. L’affaire du ces, d’une qualité architecturale généra- boisé des Sulpiciens, avenue Atwater, a été S’il ne fait aucun doute que les propriétés lement reconnue tant pour leur mérite vécue comme une amère défaite, même si foncières des congrégations religieuses

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ILL. 4. JARDIN D’ACCUEIL AVEC LA CHAPELLE À L’ARRIÈRE-PLAN. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. ILL. 5. JARDIN D’ACCUEIL. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009.

ont attiré depuis longtemps les promo- au nord-ouest de l’arrondissement du de l’ensemble conventuel d’après les plans teurs et que, conséquemment, les modi- Plateau-Mont-Royal. La communauté de l’architecte Alfred Préfontaine. Un an fications projetées ont majoritairement s’y était établie à la fin du dix-neuvième plus tard, les carmélites quittaient la mai- soulevé la grogne populaire, les façons de siècle après avoir abandonné le premier son d’ pour s’installer dans leur faire et de réagir dans la tourmente ont bâtiment qu’elles avaient fait construire nouveau monastère (ill. 3)8. Plus de cent évolué au cours des dernières décennies. dans les années 1870 dans le quartier ans s’étaient donc écoulés lorsque les Retisser les fils de l’écheveau autour du Hochelaga-Maisonneuve à leur arrivée moniales échafaudèrent le projet d’un projet de reconversion du Carmel et du au Canada ; cet édifice, ensuite occupé second déménagement. combat orchestré permet de mettre en par les Pères rédemptoristes avant qu’ils exergue les spécificités de la protection déménagent sur la rue Crémazie en 1913, Différentes raisons allaient être évoquées d’un lieu emblématique de la métropole fut démoli par les autorités portuaires à la pour justifier le départ du monastère québécoise. L’affaire du Carmel est symp- fin des années 1920. Le lieu adopté pour de l’avenue du Carmel (ill. 4-5). Il faut tomatique d’une nouvelle dynamique implanter le nouveau Carmel était situé en retenir trois principales qui allaient dans la transformation des villes d’Occi- à la limite de deux municipalités, Côte- revenir tout au long de la campagne. dent, à la fois unique et exemplaire de la Saint-Louis et Saint-Louis-du-Mile-End, Une quatrième allait s’ajouter au fil du place occupée par le patrimoine dans nos avant que celles-ci ne soient annexées à débat. Tout d’abord, le vieillissement de villes au tournant du vingt et unième siè- Montréal en 1893 et en 1910 respective- la communauté fut mis de l’avant afin de cle. Ainsi, tant l’attitude des protagonis- ment. Si le développement urbain n’avait mieux comprendre le choix des carméli- tes impliqués que les arguments avancés pas encore atteint le secteur, les terres tes. Une moyenne d’âge élevée jumelée témoignaient à la fois d’une permanence avaient cependant été cadastrées et à des effectifs restreints laissait présumer et d’une évolution notable au regard de loties. L’urbanisation montrait des signes que les religieuses souhaitaient emména- l’histoire de la sauvegarde du patrimoine évidents, épaulée par le développement ger dans des installations adaptées aux à Montréal. Un retour sur le déroulement du tramway qui permettait d’irriguer besoins découlant d’une telle situation. des événements permettra d’en révéler l’essor démographique de la métropole. Quant au petit nombre de carmélites l’originalité. Juste au nord du terrain choisi, des trains présentes dans le monastère montréa- de voyageurs et de marchandises transi- lais, il alimenta bien des spéculations par LES CARMÉLITES DÉMÉNAGENT taient depuis 1876 sur la ligne de chemin rapport à la viabilité de la communauté. de fer en direction de Saint-Jérôme, dans Si le chiffre de dix-huit moniales pouvait À l’automne 2003, les carmélites déci- la région des Laurentides. Ce fut finale- porter à croire à la fragilité de l’établis- dèrent de quitter leur monastère situé ment en 1895 que débuta la construction sement montréalais, des commentateurs

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ILL. 6. MUR D’ENCEINTE, VU DE L’INTÉRIEUR. | CONSEIL DU PATRIMOINE RELIGIEUX DU QUÉBEC, 2002. ILL. 7. ENTREPÔT RÉFRIGÉRÉ ET BÂTIMENT INDUSTRIEL, VUS DE L’AVENUE DU CARMEL. | MARTIN DROUIN, 2006.

ILL. 8. MUR D’ENCEINTE, RUE HENRI-JULIEN, AVEC POUTRES ILL. 9. MONASTÈRE DU BON-PASTEUR, RUE SHERBROOKE. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. DE CONSOLIDATION. | MARTIN DROUIN, 2006.

oublièrent de mentionner que la règle bâtiments industriels construits dans les produits cultivés, ce qu’elles ne pouvaient des carmélites leur imposait de vivre en années 1960 (ill. 7). Plus concrètement, le plus faire dans leur propriété montréa- groupe réduit ; tout au plus, vingt et une coût de restauration du mur d’enceinte laise. Dans ces conditions, il apparaissait contemplatives pouvaient se regrouper bordant la rue Henri-Julien fut abon- justifié, voire logique, que les carmélites en un même lieu. La volonté de délo- damment invoqué ; on dut d’ailleurs le quittent le Plateau-Mont-Royal, l’un des calisation fut également justifiée par consolider au cours de la campagne. Un arrondissements les plus densément peu- un environnement sonore incompatible entrepreneur estimait à plus de un mil- plés de Montréal, pour le calme beaucoup avec les objectifs de prière et de dévo- lion de dollars le montant de la facture à plus probant d’une propriété en bordure tion. Des écrans de bois avaient d’ailleurs payer pour la réfection (ill. 8)9. Les monia- du fleuve Saint-Laurent. été installés depuis longtemps sur le mur les se disaient incapables d’assumer un donnant vers la ruelle derrière la rue tel coût. Enfin, au moment où fut connu Quelques mois plus tard, la mère prieure Saint-Denis pour empêcher les résidents leur plan de déménager sur une ferme à avisait les autorités municipales de la de voir le déroulement des activités dans Lanoraie, municipalité située à proximité décision de vendre le site. Le bureau du le jardin intérieur (ill 6). Outre la densi- de Montréal, les religieuses évoquèrent maire et le comité exécutif demandèrent fication de la circulation et la présence la possibilité de s’auto-suffire grâce à alors l’avis à la Société de développement des trains, le bruit invoqué provenait des la production agricole et à la vente des de Montréal (SDM), bras immobilier de la

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ILL. 10. BÂTIMENTS INDUSTRIELS, 5445-5455, RUE DE GASPÉ. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. ILL. 11. VUE DU JARDIN. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009.

Ville de Montréal. Regroupé en 2007 avec LA NOUVELLE AU GRAND JOUR solennité. Cette vision passéiste, baignée la Société d’habitation et de développe- de nostalgie et de merveilleux, contras- ment de Montréal (SHDM), l’organisme À la fin du mois de mai 2004, c’est-à-dire tait avec l’aridité de l’environnement, s’était déjà illustré dans le domaine du environ une dizaine de mois après le début surtout à l’ouest du monastère, que tout patrimoine alors qu’il portait le nom de de l’affaire, le journal Le Devoir annonçait un chacun pouvait constater (ill. 10). Ce Société immobilière du patrimoine de que le monastère des Carmélites allait être contraste faisait nécessairement du jar- Montréal (SIMPA). L’un des premiers pro- vendu pour y construire des habitations din des carmélites un objet de qualité. Le jets réalisés fut d’ailleurs le chantier de en copropriété12. Le journal, lentement deuxième thème touchait la vocation du recyclage du monastère du Bon-Pasteur rejoint par La Presse, The Gazette et le site et découlait du constat posé précé- au début des années 1980 (ill. 9). Les auto- Journal de Montréal, allait abondamment demment. En effet, puisque le lieu avait rités municipales voulaient ainsi donner le commenter le débat. Trois grands thèmes toujours été clos et impénétrable, il sem- bon exemple à un moment où les menta- revinrent tout au long de la campagne. blait logique de profiter des enjeux de lités se transformaient considérablement Tout d’abord, l’aspect mystérieux du site la reconversion pour en faire un espace vis-à-vis du potentiel de réutilisation en faisait un lieu unique à préserver. En ouvert et accessible. En effet, pourquoi ne des bâtiments anciens. Malgré quelques effet, des religieuses cloîtrées y vivaient, pas donner la chance aux Montréalais, qui crises financières aiguës, le résultat fut entourées d’un immense mur de pierre, n’ont pu voir du monastère que sa façade couronné de succès et encensé par la depuis plus d’un siècle. La congrégation et son mur d’enceinte, de fréquenter ce critique10. Dans le dossier du Carmel, la appartenait aux Carmélites déchaussées, lieu pour en savourer tous les charmes ? La SDM souligna l’intérêt d’acquérir le site une branche réformée par Thérèse d’Avila transformation du jardin monastique en pour le redévelopper, mais fit remarquer en pleine contre-réforme catholique au un parc public s’affirma d’ailleurs comme les difficultés inhérentes à la probléma- seizième siècle, qui, jusqu’au concile de l’un des enjeux majeurs de la campa- tique patrimoniale au moment où un tel Vatican II, où la règle s’était légèrement gne de sauvegarde (ill. 11). Le troisième projet allait être connu. De plus, au su de assouplie, avaient très peu de contacts thème consolidait la pertinence des deux l’intention d’un promoteur privé de faire avec l’extérieur13. Les images qui dévoi- premiers en s’opposant à la « privatisa- l’acquisition du site, la SDM suggéra à la laient l’intérieur, dont celles utilisées par tion » du site pour en faire un ensemble ville de ne pas intervenir11. Lorsque les les défenseurs du site, montraient des résidentiel. La volonté de construire des protestations s’élevèrent, comme l’avait scènes anciennes où l’on voyait le jardin habitations en copropriété anéantissait prévu la SDM, ce furent d’autres instan- avec ses arbres fruitiers et ses potagers14. l’espoir d’en faire un lieu public. De plus, ces municipales qui s’impliquèrent dans La silhouette des nonnes y était recon- à l’idée de culture et d’histoire à sauve- le dossier. naissable avec leurs habits empreints de garder s’opposait l’aspect « mercantile »

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soumis le projet de reconversion concep- tualisé par le Groupe Cardinal Hardy. Le promoteur et la firme d’architectes n’en étaient pas à leur première association. Les deux travaillaient ensemble depuis 1996, en partenariat avec la Société de développement de Montréal, sur l’impor- tant programme résidentiel du quai de la Commune, situé dans le faubourg des Récollets, secteur en grande mutation à l’ouest du Vieux-Montréal. Outre l’édifica- tion de trois bâtiments, la réalisation avait permis le recyclage de deux entrepôts anciens qui avait remporté de nombreux prix. Entre 2002 et 2004, ils avaient égale- ILL. 12. AMÉNAGEMENT PROPOSÉ PAR LES ARCHITECTES. | GROUPE CARDINAL HARDY, LE MONASTÈRE DES CARMÉLITES, 2004. ment réalisé le projet intitulé « Époques » à l’intérieur de l’arrondissement histori- que, qui consistait en la reconversion d’un de la construction d’appartements de crucial que le site n’était pas protégé par ancien bâtiment commercial, érigé en « luxe ». Selon une même logique, il la Loi sur les biens culturels, ni au niveau 1907, en logements en copropriété ainsi aurait été possible de souligner l’incom- provincial ni au municipal. Toutefois, qu’en la construction d’un édifice de six patibilité d’un tel projet avec l’idéal de le plan d’urbanisme l’avait déjà inscrit étages au coin des rues Sainte-Hélène et « renoncement » et de « dépouillement » comme un ensemble significatif et une LeMoyne. Les deux partenaires avaient des carmélites. La « vaste condoïsation de grande propriété institutionnelle d’in- chacun un portfolio prestigieux18. Jacques la ville » dépossédait les Montréalais d’un térêt patrimonial. Cela ne permettrait Vincent, cofondateur du Groupe immo- patrimoine incontournable. La médiati- cependant pas de limiter les envies de bilier Prével en 1978, avait entre autres sation de la nouvelle allait en faire une développement du promoteur. Saluée par reçu en 2003 le prix Blanche-Lemco-Van cause publique. les commentateurs, l’étude commandée Ginkel remis par l’Ordre des urbanistes apparaissait au premier abord difficile à du Québec pour sa « contribution signifi- Voyant se dessiner une possible contes- réaliser, mais elle fut finalement remise cative au développement de l’urbanisme tation du projet de reconversion, les en novembre 2004, soit deux mois et demi au Québec »19. Quant au Groupe Cardinal autorités municipales demandèrent l’avis après la demande des autorités municipa- Hardy, actif depuis 1986, il avait signé le du Conseil du patrimoine de Montréal, les. Le Conseil concluait que l’« ensemble plan directeur d’aménagement du Vieux- organisme créé en 2002 dans la fou- devrait jouir d’un statut de reconnais- Port de Montréal, célébré unanimement, lée de la réorganisation municipale et sance de manière à ce que le sort de cet en plus de réaliser maints projets d’habi- du Sommet de Montréal et qui venait établissement soit envisagé eu égard à sa tations en contexte ancien20. Le projet du remplacer le défunt Comité consultatif valeur historique, architecturale et sym- Carmel s’inscrivait donc dans la continuité, de Montréal sur la protection des biens bolique de même qu’à son intégrité afin tant en termes de collaboration que d’in- culturels15 avec un mandat élargi. La vice- que tout le site soit préservé »17. Bien sûr, tervention en milieu ancien. présidente du comité exécutif déclarait le Conseil ne se prononça pas sur la nature qu’il était fondamental de connaître du projet de conversion du promoteur, ni L’approche préconisée pour la requalifi- l’opinion de son instance consultative en sur les esquisses proposées et déposées cation du Carmel misait sur la symboli- matière de patrimoine. Elle affirma par entre-temps par la firme d’architectes. que du lieu, tout en tirant avantage des ailleurs : « L’analyse sera importante dans terrains non construits pour densifier le cas d’une demande de modification LE PROJET DE RECONVERSION le site et ainsi rentabiliser l’investisse- de zonage16. » Pouvait-on conclure que ment. Les concepteurs proposaient de la reconversion était déjà une affaire Au début du mois de septembre, le pro- renforcer le caractère d’isolement créé réglée ? L’avis semblait d’autant plus moteur, le Groupe immobilier Prevel, avait par le mur d’enceinte pour en faire un

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ILL. 13. SIMULATION DU PROJET PROPOSÉ. | GROUPE CARDINAL HARDY, LE MONASTÈRE DES CARMÉLITES, 2004. ILL. 14. SIMULATION DU PROJET PROPOSÉ. | GROUPE CARDINAL HARDY, LE MONASTÈRE DES CARMÉLITES, 2004.

« paysage habité »21. Outre la reconver- la hauteur des bâtiments contrevenait plusieurs édifices. Laissés à eux-mêmes, sion du monastère, dorénavant appelé à la réglementation en vigueur et où le en état d’abandon, certains monuments se les résidences du cloître, la proposition taux d’implantation dépassait le pour- sont considérablement détériorés et n’ont imaginée valorisait la conservation du centage permis. Ces démarches n’étaient pu être restaurés. Conscients des enjeux jardin, quoique nécessairement réduit cependant pas exceptionnelles ; bien au qui entourent le site du Carmel, nous ten- par la construction de maisonnettes et contraire, les comités consultatifs d’ur- tons d’inscrire un projet valorisant ce legs d’appartements tout autour de l’espace banisme, organismes municipaux chargés monastique. Compte tenu de l’inévitable ainsi réaménagé dans une sorte d’« épais- d’évaluer ces demandes, en avaient l’habi- départ des moniales, le projet de réinvestir sissement » du mur d’enceinte (ill. 12). tude. Au total, cent soixante-cinq unités le monastère par une vocation résidentielle Qualifié de « sobre et rationnel », le trai- devaient être livrées à la fin du projet de apparaît comme une possible solution à la tement architectural mettait à profit le reconversion. mise en valeur de ce patrimoine unique22. mur en moellons pour former un socle sur lequel reposait un parallélépipède Avec la présentation du projet, le promo- S’il profitait de la vague de popularité aux lignes épurées constituées par la teur saisit l’occasion pour se livrer à une pour le patrimoine afin de l’offrir à une juxtaposition de loggias à la fenestra- critique sévère de l’institution patrimo- clientèle avide d’expérience authentique, tion abondante. Ces nouvelles construc- niale québécoise. Conscient de l’impact le promoteur se voyait, lui aussi, partici- tions, du côté de la rue Henri-Julien et en médiatique du déménagement des car- per à l’effort collectif de sauvegarde. Bien arrière-cour, baptisées les appartements mélites et de la reconversion, il écrivait en sûr, la démarche ne pouvait s’apparenter du verger, qui comptaient cinq étages, conclusion du document présenté : à celle des instances officielles. C’est bien augmentaient considérablement la den- pour cette raison d’ailleurs que les criti- sité du site. Du côté de la ruelle derrière Le réaménagement du monastère des ques furent souvent acerbes à l’endroit la rue Saint-Denis, les maisonnettes de la Carmélites en résidences privées soulève des promoteurs, notamment sur l’inévi- muraille, comme elles étaient nommées, la controverse. Il démontre, une fois de table argument pécuniaire qui pouvait se recherchaient davantage le dialogue avec plus, qu’un réel débat sur la protection du cacher derrière les bons sentiments. les constructions anciennes par l’utilisa- patrimoine religieux s’avère indispensa- tion de la pierre à bossage. Seul le troi- ble. Il est évident que le gouvernement du Si la question ne pouvait être résolue, le sième étage se dégageait de la base avec Québec ne se donne pas, ou n’a pas pré- promoteur se disait conscient de recon- une façade, en retrait, totalement vitrée sentement, les moyens d’entretenir et de vertir « un témoin architectural signifi- (ill. 13-14). Malgré les qualités affichées conserver l’intégrité de ces domaines tout catif » dont « l’intérêt patrimonial [était] d’intégration architecturale, une telle réa- en les rendant disponibles à la collectivité. incontournable ». Leur feuille de route lisation demandait quelques dérogations L’inertie des actuelles politiques en matière était là pour démontrer leur capacité de au plan d’urbanisme, dans la mesure où de patrimoine nuit à la mise en valeur de travailler dans un tel contexte. D’ailleurs,

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les religieuses, comme dans beaucoup de (CDÉC) Centre-Sud – Plateau-Mont-Royal. problème. Elle espérait particulièrement transactions de ce genre, n’hésitèrent La CDÉC travaillait à l’échelle locale pour que l’avenir du site fût discuté publique- pas à dire que la transformation de leur favoriser le développement économique ment et que le projet de requalification monastère était entre bonnes mains. Il et social du quartier depuis les années fût à la mesure de l’importance symbo- suffit de rappeler que les Sœurs grises 1980. Active sur le terrain pour favoriser lique du lieu. Le monastère, le jardin et avaient avancé le même type d’argument la concertation du milieu, l’organisation le mur d’enceinte composaient l’âme du dans les années 1970 pour rassurer le se sentit interpellée par le redéveloppe- site. Par rapport à l’édifice religieux, peu public par rapport à la conversion de leur ment du Carmel27. C’est ainsi qu’elle ini- de problèmes se posaient si ce n’était le résidence du boulevard René-Lévesque. tia une coalition qui allait regrouper un maintien de la figure architecturale du Les religieuses assuraient que leur pro- dizaine d’organismes prêts à se joindre à bâtiment. L’enjeu se situait davantage priété pourrait être acquise par des « inté- la protestation : Action du Parc, Action- autour du « patrimoine vert ». Dans un rêts européens, sensibilisés aux valeurs Solidarité Grand-Plateau, Association des secteur en pleine densification où les fri- historiques et culturelles »23. Rappelons résidants et des résidantes du Plateau, ches industrielles et les espaces résiduels aussi que le groupe Valorinvest voulait Conseil régional de l’environnement de semblaient graduellement en voie d’être détruire, selon le standard des monu- Montréal, Conseil des monuments et sites bâtis, ce jardin d’exception devait être ments historiques de l’époque, les deux du Québec, Comité de citoyens du Mile- gardé intact. Quant au mur, il était cette ailes du couvent pour ne garder que le End, Comité multi-sectoriel des quartiers ligne de démarcation entre le brouhaha corps central avec son clocher élancé Saint-Louis et Mile-End, Coopérative d’ha- de la ville et la quiétude d’un espace derrière lequel se trouvait la chapelle bitation Saint-Denis, Héritage Montréal quasi sanctifié par cent ans de prière et de l’Invention-de-la-Sainte-Croix. Dans et la Maison d’Aurore. Plusieurs indivi- de contemplation. Un des membres de la le cas du Carmel, ce type de raisonne- dus se joignirent au mouvement tandis coalition écrivait : ment ne convainquit pas l’éditorialiste que d’autres organismes appuyèrent la du journal Le Devoir qui blâmait l’indif- démarche sans s’associer formellement Il n’y aurait pas de problème à réutiliser férence et la lenteur des gouvernements à la coalition28. Aux groupes communau- les bâtiments pour des usages résiden- tout en se questionnant sur la faiblesse taires se joignirent des associations de tiels, mais à condition que ceux-ci puis- de la communauté religieuse devant quartier et de résidents, de même que sent cohabiter avec le maintien intégral du l’offre financière du promoteur immo- des organismes voués à l’amélioration des mur et du cloître qu’il abrite et qui devrait, bilier24. S’insurgeant contre la construc- milieux de vie et des groupes de défense lui, être ouvert au public, devenir un jar- tion de « condos de luxe » pour « loger les du patrimoine. din public. Y ériger des allées de condos riches », ce dernier affirmait au contraire comme c’est forcément l’intention du que « de tels lieux appartiennent à l’en- La mobilisation, empreinte de profession- promoteur serait aussi préjudiciable que semble des Québécois »25. Cet appel ne nalisme et de légitimité populaire, allait d’empiler les appartements dans la nef de fut pas lancé en vain puisqu’un groupe jouer un rôle fondamental dans la sauve- Saint-Jean-de-la-Croix29 ! de sauvegarde se mit sur pied trois mois garde du Carmel. La Coalition pour la pré- après la publication de la nouvelle dans servation du site du Carmel de Montréal La coalition voulait faire du Carmel un les journaux. joua en effet un rôle de chien de garde endroit ouvert à tous les Montréalais et dans le dossier en alimentant le débat un tel lieu de rencontre s’incarnait dans À LA DÉFENSE DU CARMEL public par des activités de mobilisation et la figure du parc public. de sensibilisation à la valeur du lieu et en Au début du mois de septembre 2004, s’investissant activement dans le proces- UN MORATOIRE DÉCRÉTÉ à peu près au même moment où le pro- sus de requalification, comme nous allons PAR LE PROMOTEUR moteur présentait le projet aux autorités le voir plus loin. Si la coalition souhaitait municipales, un communiqué annonçait la conservation intégrale du site et que Quelques semaines après le dépôt de l’avis l’organisation d’une « Coalition pour celui-ci fût officiellement protégé par du Conseil du patrimoine de Montréal, la préservation du site du Carmel de l’État québécois en vertu de la Loi sur les au début du mois de décembre 2004, le Montréal »26. La fédération fut mise sur pied biens culturels, elle ne voyait aucun incon- promoteur créait tout un émoi. Il décidait à l’instigation de la Corporation de déve- vénient à réinvestir le monastère d’une de suspendre le projet de requalification loppement économique communautaire autre valeur d’usage. Ce n’était pas là le du Carmel pour quelque temps. Jacques

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Vincent, dirigeant du Groupe immobilier Prével, déclarait au journaliste :

La coalition nous demande des délais pour faire des démarches […] Nous sommes réceptifs à cette demande. En tant que bons citoyens, nous avons même avantage à conserver de bons rapports avec le milieu. Seulement, nous pensons qu’il sera très dif- ficile de trouver une solution alternative via- ble à notre proposition, capable de sauver ce patrimoine30.

Un mois après la nouvelle, après s’être entendu avec les religieuses, le promo- teur annonçait qu’il donnait à la coalition jusqu’au 15 juin 2005 pour trouver une solution. Il se disait prêt à revendre le site au prix qu’il l’avait payé. Le montage financier d’un projet alternatif devait donc réussir à amasser cinq millions et demi de ILL. 15. SANCTUAIRE DES PÈRES DU TRÈS-SAINT-SACREMENT. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. dollars31. Pour l’une des premières fois dans l’histoire de la sauvegarde du patrimoine à Montréal, un promoteur mettait lui-même l’occasion de montrer la vitalité du mouve- pourraient servir, en partie, de locaux pour en suspens un projet de développement ment de protestation. Un document pour les besoins administratifs de l’arrondisse- pour permettre aux opposants de réagir. l’étude de projets alternatifs à la construc- ment, selon les souhaits de la mairesse. On avait vu des promoteurs, comme dans tion d’un complexe résidentiel fut rapide- Ainsi, deux communautés, les Carmélites le cas de la construction du nouvel édifice ment réalisé avec la description précise du et les Pères du Très-Saint-Sacrement, arri- de l’École des hautes études commerciales site, les balises techniques, les plans ainsi vées à Montréal dans la seconde moitié (HÉC) dans le boisé de Brébeuf sur le che- que les grandes lignes des valeurs patrimo- du dix-neuvième siècle et installées sur min de la Côte-Sainte-Catherine, organiser niales du lieu. Officiellement orchestrée par le Plateau-Mont-Royal dans les années eux-mêmes une consultation publique afin la Coalition pour la préservation du Carmel, 1890, cherchaient à redéployer l’avenir de prendre le pouls de la population et de la démarche portait le sceau officiel de la de leur communauté au même moment. baliser les paramètres du projet. Certains CDÉC Centre-Sud – Plateau-Mont-Royal et La démarche s’avéra cependant infruc- avaient d’ailleurs crié au scandale, dénon- de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal. tueuse car, d’une part, les pères avaient çant l’instrumentalisation de la contesta- La mairesse de l’arrondissement, Hélène déjà offert l’endroit à l’archevêché afin tion publique32. Cette fois, le promoteur Fotopoulos, ancienne responsable du d’assurer la continuité du sanctuaire, classé accordait six mois pour trouver une alter- patrimoine à la Ville de Montréal, s’était monument historique en 197933, et, d’autre native au projet. La balle était désormais déjà impliquée pour trouver une solution part, les sœurs et les frères de Jérusalem, dans le camp des protestataires et des à l’affaire quelques mois auparavant. Elle qui avaient accepté de venir à Montréal à autorités compétentes. avait en effet proposé que la Fraternité la demande de Mgr Jean-Claude Turcotte, monastique de Jérusalem, communauté désiraient s’établir au cœur de l’activité Dès le départ, la coalition indiqua qu’elle chrétienne qui prévoyait s’implanter dans quotidienne des villes34. Dans le cas de la n’avait jamais eu l’intention d’acheter le la métropole au cours de l’année 2004, sauvegarde du Carmel, la mairesse réitéra Carmel. L’objectif visait plutôt à trouver choisisse le Carmel plutôt que la maison son engagement à trouver une solution des solutions de remplacement. Malgré des Pères du Très-Saint-Sacrement, ave- en associant officiellement les bureaux de des délais extrêmement serrés, le mora- nue Mont-Royal (ill. 15). En échange, les l’arrondissement au processus qui allait se toire proposé par le promoteur allait être bâtiments de la communauté de prêtres mettre en branle. En février 2005, les trois

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ILL. 16. PRÉAU. | CONSEIL DU PATRIMOINE RELIGIEUX DU QUÉBEC, 2002. ILL. 17. GRILLE DE L’ANCIEN CŒUR AMÉNAGÉ DANS LE JARDIN. | CONSEIL DU PATRIMOINE RELIGIEUX DU QUÉBEC, 2002.

groupes communiquaient leur intention devaient s’appuyer sur ses propres études à la commande des religieuses avec sim- d’étudier des dossiers alternatifs de requa- avant de répondre à la demande de clas- plicité et innovation. Quant au jardin, il lification avant la fin du mois d’avril. sement déposée par Héritage Montréal incarnait lui aussi par sa structure encore dès le mois d’août 2004 et d’intervenir visible la pratique ancienne des jardins DES ÉTUDES POUR EN DÉCLINER dans la campagne de sauvegarde qui utilitaires. Ses dimensions et son carac- LA VALEUR accumulait les rebondissements. tère modestes le rattachaient aux ordres mendiants, alors que son mur d’enceinte, Pendant ce temps, loin des gestes d’éclat Les études en arrivaient à peu près aux tout en rappelant l’idéal de clôture de la et du battage médiatique, le ministère mêmes conclusions. Le Carmel de Montréal communauté, en faisait l’un des derniers de la Culture et des Communications du apparaissait comme un témoin historique représentants de ce type au Québec. Les Québec menait deux études d’évaluation important dont l’état d’intégrité archi- qualités d’aménagement du préau singu- patrimoniale : l’une pour le monastère et tecturale rendait unique un bâtiment qui larisaient semblablement le Carmel. En l’autre pour le jardin35. Celles-ci venaient s’abreuvait à une tradition monastique somme, les espaces non construits boni- s’ajouter à l’avis du Conseil du patrimoine multiséculaire. Arrivées de Reims en 1875 fiaient considérablement les qualités du de Montréal, à l’évaluation patrimoniale à l’instigation de Mgr Bourget, archevêque site. Si le Carmel se classait dix-septième menée pour le compte du promoteur36 et de Montréal, à une période des plus effer- sur les cinquante ensembles conventuels au rapport rédigé dans le cadre de la syn- vescentes de l’Église catholique au Québec, montréalais à l’étude par la Fondation du thèse historique et de l’évaluation patri- les moniales allaient en effet incarner une patrimoine religieux du Québec, la res- moniale des ensembles conventuels de filiation vivante aux ordres contemplatifs ponsable de cette étude lui attribuait un Montréal de la Fondation du patrimoine médiévaux. Tant leur démarche spirituelle véritable « coup de cœur »40. Même si les religieux du Québec37. Ces études plus que le choix d’une architecture typique, rapports furent déposés au mois de mars récentes s’ajoutaient aux trois volumes avec son carré claustral, les démarquaient 2005, il fallut attendre plusieurs mois dans pionniers consacrés à l’architecture des des autres congrégations religieuses (ill. 16). la campagne de sauvegarde avant que ensembles conventuels montréalais réa- Le Carmel de Montréal était d’ailleurs la l’institution patrimoniale québécoise ne lisés au tournant des années 198038, ainsi plus ancienne implantation monastique réagisse au grand jour. qu’à l’inventaire architectural du Carmel au Québec et l’une des rares aujourd’hui, mené en 1977 pour le compte du minis- sinon la seule, en milieu urbain. L’architecte L’APPEL DE PROPOSITIONS tère des Affaires culturelles39. Si la valeur Alfred Préfontaine (1865-1945), peu connu patrimoniale ne faisait aucun doute, tant mais dont on sait qu’il fit son apprentis- Ce qui retint l’attention au cours de l’hi- pour les opposants que pour le promo- sage chez Victor Bourgeau et construisit ver 2005 fut plutôt l’exercice lancé par la teur, les autorités gouvernementales plusieurs bâtiments religieux, répondit coalition. Deux mois étaient ainsi alloués

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pour échafauder des propositions de reconversion, soit un laps de temps extrê- mement court pour ce type d’opération. Au total, le site à aménager formait une superficie de plus de un hectare et demi. Le monastère, la maison du chapelain et la maison du gardien constituaient les trois constructions majeures. Ces bâti- ments de deux étages représentaient un peu plus de trois mille deux cents mètres carrés d’espace habitable. À ces construc- tions implantées en tête de parcelle, du côté de l’avenue du Carmel s’ajoutaient un atelier et un garage de même que trois ermitages construits dans le grand jardin. Celui-ci, d’une superficie d’envi- ron un hectare, comprenait près de deux cents arbres. Ancien potager converti en un lieu d’agrément et de méditation, l’espace avait été graduellement façonné de zones distinctes pour les besoins des carmélites (ill. 17). Le jardin d’accueil, le jardin du chapelain, la cour conventuelle et le préau bonifiaient la présence d’es- paces verts. Un mur d’enceinte de deux à huit mètres de haut ceinturait le site. Le cahier des charges précisait que les pro- positions devaient valoriser un certain nombre de critères : « préservation de l’intégrité du jardin ; préservation maxi- male de la valeur patrimoniale des lieux ; accessibilité du site au public ; vocation répondant aux besoins de la collectivité ; potentiel réaliste de financement et de viabilité ; cohabitation harmonieuse avec la fonction résidentielle » du secteur41. Dans la foulée, les instigateurs de l’ap- pel de propositions indiquaient que les projets devaient favoriser la conservation de la chapelle en regard de son caractère ILL. 18. INTÉRIEUR DE LA CHAPELLE. | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. particulier (ill. 18-19). Ils ajoutaient aussi que les intentions de requalification ne devaient pas nécessairement toucher l’en- une proposition, mais qui pensaient ne de sa viabilité. La Maison Parent-Roback semble du site, mais qu’elles pouvaient pas avoir les compétences pour le faire. proposait en effet de redéployer ses ins- cibler plus particulièrement le lieu de tallations dans le monastère du Carmel. À culte, les bâtiments, le jardin ou le mur Une vingtaine de propositions furent l’étroit dans ses locaux du Vieux-Montréal, d’enceinte. Enfin, un support technique déposées à la date prescrite. Une seule aménagés en 1998, l’organisme qui regrou- était offert à ceux qui souhaitaient faire semblait cependant s’imposer en raison pait plus d’une dizaine d’associations

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une grande partie pour y construire des résidences, c’est là-dessus qu’on n’est pas d’accord46. » La proposition fut finalement écartée par les responsables de la Maison Parent-Roback au début du mois de sep- tembre 2005. Annie Pelletier, coordon- natrice, expliquait : « Cette proposition va à l’encontre de la volonté du milieu et nous pensons, comme le milieu, que ce lieu doit être préservé dans son inté- gralité47. » Si les opposants ne pouvaient payer la somme offerte par le promo- teur, l’objectif était désormais de rendre impossible la construction dans le jardin. Ainsi, le promoteur n’aurait plus d’autre choix que de retirer son offre d’achat.

COUP DE THÉÂTRE

ILL. 19. CŒUR DES RELIGIEUSES. | CONSEIL DU PATRIMOINE RELIGIEUX DU QUÉBEC, 2002. DANS LE MONASTÈRE

Le dernier coup de théâtre de la cam- d’aide aux femmes et de promotion de projet de la Maison Parent-Roback. En pagne ne vint pas du promoteur, ni de la condition féminine souhaitait de plus y échange, il poursuivait l’idée de construire la coalition, ni des autorités municipa- installer une maison de naissance, l’entre- tout autour du mur. Jacques Vincent éva- les, ni du ministère de la Culture et des prise d’insertion sociale Resto Plateau, de luait à environ six mille cinq cents mètres Communications, mais des Carmélites même qu’une salle culturelle à l’intérieur carrés la superficie nécessaire à prélever elles-mêmes. Deux ans après avoir commu- de la chapelle42. Si la transformation des sur un total de onze mille mètres carrés. niqué leur intention de quitter le monas- bâtiments suscitait beaucoup de convoitise Il ajoutait que le parc ainsi constitué tère, elles annonçaient la fin de l’entente avec la proposition de projets de musée, – les quatre mille cinq cents mètres car- avec le Groupe immobilier Prével. Elles d’auberge de jeunesse ou de résidences rés restants – pourrait être accessible à la avaient finalement décidé de demeurer universitaires43, le coût de la conservation population. Il expliquait : « Personne ne dans leur monastère à Montréal. Un com- du jardin représentait le plus grand défi. veut payer pour ce parc […] Nous voulons muniqué l’annonçait ainsi : Le promoteur pouvait offrir cinq millions agir en entreprise citoyenne et donner et demi de dollars aux Carmélites grâce à un coup de main à la communauté » en La communauté a pris un temps de réflexion la vente d’appartements construits dans le intégrant un « projet communautaire à pour discerner, dans tous les événements jardin. En excluant cette possibilité, la coa- notre projet immobilier »45. Visiblement, de cette dernière année, quelle était l’orien- lition rendait quasi impossible le montage les bénéfices financiers de la vente des tation que nous devions maintenant prendre financier pour constituer le parc public, au appartements du verger et des maisonnet- […] Nous avons choisi de continuer notre cœur de la problématique depuis le début tes de la muraille s’avéraient intéressants. mission de prière, ici, au coeur de Montréal. de la campagne (ill. 20)44. Ainsi, lorsque la Les membres de la coalition réagirent pru- Cette dernière année n’a pas été facile et date fatidique du 15 juin 2005 tomba, la demment à l’offre du promoteur. Tout nous aspirons toutes à retrouver un cli- coalition demanda un autre délai afin de en se disant heureux de l’ouverture à un mat plus propice à notre style de vie. Nous mieux ficeler le projet de requalification. projet communautaire, ils n’acceptaient tenons à souligner le respect et la droiture pas de perdre la possibilité de conserver dont ont fait preuve les dirigeants du Groupe La réponse du promoteur ne tarda pas l’ensemble du site. Lorraine Decelles, Prével depuis le premier jour de nos discus- à venir. Le Groupe immobilier Prével coordonnatrice de la Maison d’Aurore, sions. Nous savions que notre départ serait proposa une nouvelle solution d’aména- commentait : « On le dit depuis le début, difficile tant pour nous que pour les gens du gement. Il laissait les bâtiments pour le c’est un jardin historique. En prendre Plateau. Les faits le montrent bien. Nous

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avons aussi été touchées par la sollicitude des gens et leur désir constamment exprimé de nous aider. Cependant, les problèmes qui nous avaient fait choisir de partir sont les mêmes qu’il y a deux ans. Nous sommes présentement à la recherche de solutions et tentons d’évaluer toutes nos options pour y remédier48.

Tous les efforts déployés au cours des deux dernières années étaient balayés en un instant. Si l’on pouvait se réjouir du maintien des carmélites dans leur monas- tère, comme elles le disaient elles-mêmes, aucune solution n’avait été trouvée aux problèmes évoqués pour justifier leur déménagement.

Il est vrai que la décision de la Commission ILL. 20. AMÉNAGEMENT DU JARDIN. | CONSEIL DU PATRIMOINE RELIGIEUX DU QUÉBEC, 2002. de protection du territoire agricole du Québec émise au début de l’année 2005, quelques semaines avant que l’appel de Lanoraie, du Comité consultatif agri- agricole freine, jusqu’à l’annuler, le projet proposition soit lancé par la coalition, cole local, de la Municipalité régionale de déménagement des carmélites. avait porté un dur coup à leur projet. de comté (MRC) d’Autray, de même que La commission avait alors exprimé son du Syndicat des producteurs agricoles Une fois le projet de Lanoraie débouté, désaccord à la construction d’un monas- d’Autray. La Commission de protection les carmélites attendirent plus de six tère à Lanoraie afin, affirmait-elle, de du territoire agricole du Québec, créée mois avant de mettre fin à l’entente avec « préserver l’homogénéité du milieu lors de l’adoption de la Loi sur la pro- le Groupe immobilier Prével. Pendant agricole concerné »49. Rappelons le pro- tection des terres agricoles en 1978, qui ce temps, des solutions alternatives de jet. En avril 2004, les religieuses avaient avait eu le mandat de conseiller le gou- reconversion étaient présentées, mais acquis une ferme d’une superficie de qua- vernement et d’accepter les demandes aucune ne pouvait régler le problème du tre-vingt-un hectares pour la somme de de dérogation, fut saisie du dossier des jardin et ainsi égaler l’offre du promoteur. deux cent mille dollars. Elles désiraient carmélites. Pour la commission, il n’était Les religieuses ont peut-être eu peur de ensemencer plus de trente-cinq hecta- pas question de permettre l’implantation tout perdre avec cette contestation. C’est res en blé biologique pour la fabrication d’un usage institutionnel en zone agri- alors que les discussions s’intensifièrent d’hosties. Tout en préservant une grande cole, car, tout en diminuant le potentiel avec les fonctionnaires du ministère de partie des quarante-quatre hectares de agraire, il ajoutait des contraintes au la Culture et des Communications du boisés, elles projetaient de construire développement de l’agriculture dans le Québec. Même si la Loi sur les biens cultu- un bâtiment comprenant vingt-quatre secteur. De plus, écrivaient les commis- rels leur permettait de sauvegarder le site cellules pour les moniales, un réfectoire, saires, « l’implantation d’un nouvel usage sans l’avis des propriétaires, ceux-ci, de une cuisine, une aumônerie, des services institutionnel dont la vocation première concert avec la ministre responsable du d’hôtellerie, de même que deux ermita- est de permettre à cette communauté Patrimoine québécois, préféraient opter ges. Une proposition de plan d’implan- religieuse de perpétuer la vie érémitique pour la conciliation avec la rencontre des tation avait d’ailleurs été préparée en et contemplative conférerait à cette unité carmélites afin d’expliquer les avantages juin 2004. Les travaux prévoyaient l’uti- foncière un contexte d’exploitation agri- et les obligations de l’intervention éta- lisation de deux hectares et demi pour cole si particulier qu’elle serait atypique tique51. Les discussions furent positives la construction. Le projet avait reçu un dans ce milieu agricole »50. L’ironie du sort puisqu’en février 2006 la ministre annon- appui très ferme de la Municipalité de voulait que la protection du patrimoine çait son intention de classer le Carmel52.

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Quatre mois plus tard, la décision deve- comme concept rassembleur pour sauve- toujours un problème, les religieuses ont nait effective53. Finalement, une aire de garder le monde dans lequel nous vivons. même vieilli. Quelques irritants sonores protection venait s’ajouter au classement D’ailleurs, peut-être englobera-t-il un jour en provenance des bâtiments industriels du monument historique en février 200754. le patrimoine comme porte-étendard de ont diminué avec l’aide des membres de L’objectif était alors de protéger le calme la protestation ? la coalition. Les religieuses ont obtenu de et la confidentialité du jardin contre des l’aide pour financer la restauration du mur constructions trop envahissantes dans le Les principaux protagonistes ont bien d’enceinte. Elles ne pourront cependant secteur. Au printemps de la même année, changé depuis les démolitions outranciè- pas s’auto-suffire avec la production agri- les travaux de réfection du mur d’enceinte res des années 1970. Tant l’engouement cole, à moins qu’elles mettent leur ferme débutaient. La campagne de sauvegarde pour le patrimoine que les mécanismes en métayage. Il reste à souhaiter qu’elles était bel et bien terminée. de révision de projets ont transformé puissent assurer une présence dans leur les approches. Les promoteurs ont fait monastère encore longtemps. * * * des pas de géant. S’ils ne suivent pas tous la même démarche que celui impli- Malgré la multiplicité des intervenants de Au terme des quatre années qu’auront qué dans la reconversion du Carmel, ils l’institution patrimoniale, il semble tou- duré les tribulations entourant le destin acceptent de jouer le jeu de la concerta- jours difficile d’adopter une démarche du Carmel de Montréal, que pouvons-nous tion comme celui qui a recyclé en 2004 proactive dans la résolution de dossiers retenir ? Tout d’abord, l’avenir des couvents, l’église Saint-Jean-de-la-Croix, boulevard chauds. Il s’agit peut-être de redéfinir le des monastères et des ensembles conven- Saint-Laurent, en copropriétés résidentiel- rôle de ces derniers pour que, dans les tuels est un dossier qui ne laisse personne les. S’il est possible d’être en désaccord grands enjeux de reconversion, ils devien- indifférent. Il n’y a qu’à constater le nom- avec un tel choix, jamais le promoteur n’a nent des relais ou des agents facilitateurs bre d’intervenants impliqués au cours de caché ses intentions et il a joué la carte entre deux usages, deux états ou deux la campagne et les efforts déployés pour de la transparence et de la collaboration. possesseurs. Au-delà de la logique de trouver une solution, que celle-ci vienne Quant au Groupe immobilier Prével, tout l’achat par le biais des sociétés parapu- de la part du promoteur ou des oppo- en préservant son image, il a innové en bliques ou du classement en vertu de la sants. Personne ne peut rester indifférent proposant un moratoire. Il ne pensait Loi sur les biens culturels, n’aurait-on pas devant ces grandes propriétés au cœur des peut-être pas avoir à composer avec un besoin de médiateurs capables d’aider à villes qui, sous couvert d’une protection groupe si bien organisé qui allait profi- proposer des solutions alternatives ? Il est du patrimoine, sont souvent menacées ter du temps imparti. En comptant sur la vrai que l’État peut avoir peur d’alourdir par la densification. Encore récemment, CDÉC Centre-Sud – Plateau-Mont-Royal et la charge monétaire associée à sa res- l’Office de consultation publique de les autres groupes communautaires enra- ponsabilité. Toutefois, au terme du pro- Montréal, dans son rapport sur le projet de cinés dans le milieu, la coalition a pu miser cessus pour trouver d’autres avenues au développement du site de l’ancien sémi- sur son professionnalisme et un réseau de projet de reconversion du Carmel, alors naire de philosophie, recommandait « de contacts précieux. L’appui des associations que toutes les démarches ont finale- réduire l’empreinte au sol » des esquisses de résidents élargissait l’assise locale tan- ment échoué, n’aurait-on pas mieux fait soumises55. C’est l’un des grands défis de dis que l’apport des groupes de sauve- d’intervenir plus tôt ? Quant au rôle des la conservation du patrimoine, habituée garde ajoutait à la crédibilité. L’arrivée autorités municipales dans le dossier, il à raisonner davantage en termes de bâti- de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal faut ici noter l’écart entre l’action de la ment et d’architecture. Les campagnes de dans le processus d’appel de propositions ville centrale et celle de l’arrondissement sauvegarde orchestrées n’ont pas manqué renforçait la légitimité de la démarche. Il Plateau-Mont-Royal. En novembre 2004, de changer de cibles. Ainsi, celle pour la ne fait aucun doute que la mobilisation au moment où la Ville de Montréal dévoi- protection du Carmel s’inscrit en quelque populaire a joué un rôle fondamental lait son projet de politique du patrimoine, sorte dans l’air du temps. Depuis les années dans l’affaire du Carmel. L’expérience du le maire Gérald Tremblay affirmait : 1990, la place du « patrimoine vert » a en combat du patrimoine porte ses fruits. effet connu une croissance exponentielle Quant aux carmélites, elles ont vécu qua- Il ne faut plus simplement réagir à la pièce, dans l’argumentaire des défenseurs. La tre années mouvementées. Les problèmes à la dernière minute, quand se présente un campagne marque jusqu’à un certain point évoqués pour justifier leur déménagement cas ou un problème. Pour le carmel […], la place grandissante de l’environnement sont-ils réglés ? La moyenne d’âge est nous aurions agi différemment si nous

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avions été guidés par une politique. Nous NOTES le territoire de la communauté urbaine de aurions par exemple été informés plus tôt Montréal : Les couvents, Montréal, Service de la planification du territoire, p. 24 et des intentions de vendre ou de détruire 1. L’auteur tient à remercier Luc Noppen, direc- 266 ; Linteau, Paul-André, 2000, Histoire de teur de l’Institut du patrimoine et titulaire les immeubles, et le Conseil du patrimoine Montréal depuis la Confédération, Montréal, de la Chaire de recherche du Canada en aurait pu intervenir56. Boréal, p. 187-208. patrimoine urbain à l’UQAM, de son appui constant à ses recherches, Karine Arslanyan, 9. Lorsque le chantier fut lancé en 2007, les tra- Depuis l’adoption de la politique du assistante de recherche, de son aide précieuse vaux de maçonnerie furent révisés à la hausse patrimoine en 200557, peu de choses ont et Kevin Cohalan, membre de la Coalition pour et évalués à six millions de dollars pour solidi- la sauvegarde du Carmel, du temps accordé fier l’ensemble du mur. (Voir : Hustak, Alan, changé, même si le Conseil du patrimoine à discuter de la campagne de sauvegarde du 2005, « Groups Want Say in Couvent to Condo continue de se prononcer dans maints Carmel. Plan », The Gazette, 22 février ; et Baillargeon, Stéphane, 2007, « Ouverture du chantier du dossiers. Quant à celui du Carmel, il est 2. Morisset, Lucie K. et Luc Noppen, 2009, Carmel », Le Devoir, 23 mai 2007.) clair que le dynamisme de la mairesse de « Omniprésents couvents : quelques bali- l’arrondissement a clairement démontré ses pour cerner le phénomène », ARQ – 10. Drouin, 2005, p. 231-235. Architecture-Québec, no 148, p. 10-13. le rôle positif que peuvent jouer les pou- 11. Coalition pour la préservation du site du voirs publics. 3. Noppen, Luc, Morisset, Lucie K. et Thomas Carmel, 2005, Appel de proposition. Site du Coomans (dir.), 2006, Quel avenir pour quelles Carmel, Montréal, CDÉC Centre-Sud – Plateau- églises ? / What Future for Which Churches?, Mont-Royal / Arrondissement Plateau-Mont- La campagne pour la sauvegarde du site Québec, Presses de l’Université du Québec ; Royal, annexe 4. du Carmel, qui s’est conclue de manière Noppen, Luc et Lucie K. Morisset, 2005, Les 12. Baillargeon, Stéphane et Frédérique Doyon, églises du Québec : un patrimoine à réin- paradoxale, constitue-t-elle une victoire 2004, « Des monastères aux condos », Le venter, Québec, Presses de l’Université du ou une défaite pour le patrimoine ? Une Devoir, 29 mai, p. A1. Québec ; Noppen, Luc, Lucie K. Morisset et victoire assurément, d’aucuns diront. Le Robert Caron (dir.), 1997, La conservation des 13. Pelletier-Baillargeon, Hélène, 1977, Le Carmel monastère est protégé. Le bâtiment garde églises dans les villes-centres. Actes du premier de Montréal. Ses racines, sa spiritualité, sa vie, la fonction pour laquelle il a été conçu. colloque international sur l’avenir des biens Montréal, Fides. d’églises, Sillery (Québec), Septentrion. Il est à l’abri, comme son environnement 14. Les images provenaient de l’ouvrage intitulé immédiat, de projets qui pourraient nuire 4. Afin de mettre en valeur cet apport excep- Jardin fermé : le Carmel de Montréal qui fut tionnel, le musée David M. Stewart à Montréal publié en 1955. (Coalition pour la préserva- à la conservation de ce lieu unique. Les choisissait ce thème pour souligner le trois tion du Carmel de Montréal, 2004, Le jardin moniales ont retrouvé leur place. Elles cent cinquantième anniversaire de Montréal. du Carmel de Montréal, Montréal, s.n.) assurent ainsi une continuité, une filiation (Lemay, Nicole et Jean Provencher, 1992, 15. Le Comité consultatif de Montréal sur les Mission Montréal : Les congrégations reli- directe avec les traditions érémitiques du biens culturels avait été créé en 1987, grâce gieuses dans l’histoire de la ville, Montréal, Moyen Âge, qui pourraient certainement à l’amendement de 1985 à la Loi sur les biens Fides). être qualifiées d’immatérielles. Pour les culturels qui permit aux municipalités de pro- 5. Drouin, Martin, 2004, « Le domaine des téger sur leur territoire des biens culturels voisins immédiats, la présence des carmé- messieurs de Saint-Sulpice, trente ans de jugés importants. Il fut dissous en 2001. lites assure un charme indéniable, teinté luttes pour la sauvegarde du patrimoine à 16. Le journaliste affirmait que les religieuses Montréal », Architecture Canada, vol. 29, no 1, d’exotisme. D’autres par ailleurs affirme- avaient refusé l’accès au site, ce qui aurait 2, p. 3-14. ront qu’il s’agit d’une défaite. Alors que grandement compliqué l’analyse patrimo- le processus d’appropriation motivait les 6. Drouin, Martin, 2001, « Les campagnes de niale. Une semaine plus tard, trois membres groupes communautaires pour donner sauvegarde de la maison Van Horne et du du Conseil du patrimoine visitaient les lieux. couvent des Sœurs grises ou les question- (Baillargeon, Stéphane, 2004, « Carmel : la une nouvelle vie au Carmel, l’annonce nements d’une identité urbaine (Montréal, Ville commande une analyse… qui ne pourra de la décision des carmélites et du clas- 1973-1976) », Architecture Canada, se faire que sur papier », Le Devoir, 27 août, sement a stoppé toutes les démarches. vol. 26, nos 3-4, p. 25-36. p. B2.) Deux ans de mobilisation et une solution 7. Drouin, Martin, 2005, Le combat du patrimoine 17. Conseil du patrimoine de Montréal, 2004, Avis alternative presque ficelée ne sont plus à Montréal (1973-2003), Québec, Presses de A04-PMR-06 Le Carmel, 11 novembre, [http:// aujourd’hui qu’un souvenir. Le jardin ne l’Université du Québec. ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/ conseil_patrimoine_mtl_fr/media/documents/ 8. Bourque, Hélène, 2005, Carmel de Montréal. sera pas un parc public. Une dernière A04-pmr-06.pdf], consulté le 22 juillet 2009. question mérite tout de même d’être Évaluation patrimoniale du monastère, Québec, Direction du patrimoine, Ministère 18. Voir [www.prevel.ca] et [www.cardinal-hardy. posée : l’exercice devra-t-il être recom- de la Culture et des Communications, p. 17-22 ; ca], consultés le 22 juillet 2009. mencé un jour ? Communauté urbaine de Montréal, 1984, 19. Revue Urbanité, vol. 2, no 3, 2003, p. 28. Répertoire d’architecture traditionnelle sur

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20. « Aménagement du Vieux-Port de Montréal », dit non à Fotopulos », Le Devoir, 2 octobre, 47. Baillargeon, Stéphane, 2005, « La Maison ARQ – Architecture-Québec, no 54, 1990 ; p. C7. Parent-Roback dit non au promoteur », Le « Vieux-Port de Montréal », ARQ – Architecture- Devoir, 7 septembre, p. B8. 35. Bourque, 2005, op. cit. ; Prud’Homme, Chantal, Québec, no 73, 1993, p. 12-13. 2005, Le Carmel de Montréal. Évaluation patri- 48. Baillargeon, Stéphane, 2005, « Finalement, 21. Groupe Cardinal Hardy / Groupe Immobilier moniale des jardins, Montréal, Direction du le Carmel reste sur le Plateau », Le Devoir, Prevel, 2004, Le Monastère des Carmélites, patrimoine, Ministère de la Culture et des 26 octobre, p. A1. dossier présenté à la Ville de Montréal : arron- Communication du Québec. 49. Montour, Diane, commissaire de la Commission dissement Plateau-Mont-Royal, 9 septembre. 36. Marsan, Jean-Claude et Caroline Tanguay, de protection du territoire agricole du 22. Id., p. 29. 2004, Le monastère des Carmélites, Montréal. Québec, 2005, Compte rendu d’orientation Étude patrimoniale, Montréal, s.n. préliminaire, Dossier 338282, Les Moniales 23. Sans auteur, 1974, « Le projet de la Place de la Carmélites de Montréal, 18 janvier, Archives Tour semble en bonne voie de réalisation », Le 37. Bourque, Hélène, 2002, Synthèse historique de la Commission de protection du territoire Jour, 10 décembre ; Drouin, 2001, p. 25-36. et évaluation patrimoniale des ensembles agricole du Québec. conventuels de Montréal. Rapport de syn- 24. Boileau, Josée, 2004, « Les condos de la foi », thèse, Montréal, Fondation du patrimoine 50. Id. Le Devoir, 27 août, p. A8. religieux du Québec. Rappelons que la 51. Baillargeon, Stéphane (2006), « Le Carmel 25. Boileau, Josée, 2004, « Sauver leur âme », Le Fondation du patrimoine religieux du Québec dans l’espérance », Le Devoir, jeudi 12 janvier, Devoir, 4 juin, p. A8. est aujourd’hui le Conseil du patrimoine reli- p. B8. 26. Sans auteur, 2004, « À la défense du Carmel », gieux du Québec. 52. Ministère de la Culture, des Communications Le Devoir, 2 septembre, p. B8. 38. Bélisle, Michel, 1980, L’architecture des ensem- et de la Condition féminine du Québec, 2006, bles conventuels montréalais. Volume 1 : 1642- 27. Camus, Nathalie, 2003, « La Corporation de « La ministre Line Beauchamp annonce son 1840, Montréal, Direction régionale, Ministère développement économique communautaire intention de classer le Carmel de Montréal », des Affaires culturelles du Québec ; Forget, Centre-Sud/Plateau Mont-Royal : une CDÉC communiqué du 17 février. de première génération », Montréal, Cahiers Madeleine, 1980, L’architecture des ensembles 53. Ministère de la Culture, des Communications du CRISES, coll. « Études de cas d’entreprises conventuels montréalais. Volume 2 : 1840- et de la Condition féminine du Québec, 2006, d’économie sociale ». 1875, Montréal, Direction régionale, Ministère des Affaires culturelles du Québec ; Hallé, « Le monastère des carmélites classé monu- 28. Parmi ces organismes, citons la Fédération Jacqueline, 1980, L’architecture des ensembles ment historique », communiqué du 19 juin. des coopératives d’habitation intermunici- conventuels montréalais. Volume 3 : 1875-1900 54. Baillargeon, Stéphane, 2005, « Le Carmel reçoit pale du Montréal métropolitain, la Fédération / 1900-1930, Montréal, Direction régionale, son aire de protection », Le Devoir, 4 avril des sociétés d’histoire du Québec, la Société Ministère des Affaires culturelles du Québec. 2007. d’histoire de la Côte-des-Neiges, la Société 39. Bélisle, Michel, 1977, Sœurs Carmélites, d’histoire du Mile-End, la compagnie Trans- 55. Office de consultation publique de Montréal, Monastère – Inventaire architectural, Théâtre et le YMCA du Parc. (Voir : Coalition 2009, Projets de règlements p-09-022 et p-04- Montréal, Direction régionale, Ministère des pour la préservation du site du Carmel, 2005, 047-78. Projet de développement du site de Affaires culturelles. Rappelons que le minis- annexe 4.) l’ancien séminaire de philosophie. Rapport de tère des Affaires culturels est aujourd’hui le consultation publique, Montréal, 30 juillet, 29. Décarie, Jean, 2004, « Condos au Carmel. ministère de la Culture, des Communications [http://www2.ville.montreal.qc.ca/ocpm/pdf/ Frapper un mur… », Le Devoir, 25 septembre, et de la Condition féminine. P36/Rapport.pdf], consulté le 10 août 2009. p. B5. 40. Bourque, 2002, p. 66. 56. Baillargeon, Stéphane, 2004, « Montréal 30. Baillargeon, Stéphane, 2004, « Moratoire au dévoile un projet de politique du patrimoine », monastère », Le Devoir, 8 décembre, p. B8. 41. Coalition pour la préservation du site du Carmel, 2005, p. 3-1. Le Devoir, 4 novembre, p. C8. 31. Baillargeon, Stéphane, 2005, « Sursis du carmel 57. La politique a été adoptée en mai 2005. (Voir jusqu’au 15 juin », Le Devoir, 25 janvier 2005, 42. Rodrigue, Sébastien, 2005, « Une maison [http://patrimoine.ville.montreal.qc.ca/politi- p. B8 ; Benessaieh, Karim, 2005, « Le monastère des naissances au Carmel de Montréal ? », La que.htm], consulté le 10 août 2009.) des carmélites en sursis jusqu’au 15 juin », La Presse, 4 juin, p. A29. Presse, 25 janvier, p. A9. 43. Sans auteur, 2005, « Outside the Box », The 32. Drouin, 2005, p. 268. Gazette, 19 avril.

33. Gauthier, Raymonde, 1992, « Église Notre- 44. Baillargeon, Stéphane, 2005, « Nouvelle Dame-du-Très-Saint-Sacrement », dans demande de classement du Carmel », Le Commission des biens culturels, Les chemins Devoir, 9 juin, p. B7. de la mémoire. Monuments et sites historiques 45. Baillargeon, Stéphane, 2005, « Une nouvelle du Québec, t. 2, Québec, Les publications du proposition d’aménagement du Carmel », Le Québec, p. 137-139. Devoir, 4 juillet, p. B7.

34. Leclerc, Jean-Claude, 2004, « La ville est leur 46. Doyon, Frédérique, 2005, « Accueil prudent du monastère », Le Devoir, 20 septembre, p. B6 ; projet d’aménagement au Carmel », Le Devoir, Sans auteur, 2004, « Carmel : l’archevêché 6 juillet, p. B8.

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SEEN BUT IGNORED Concordia University’s Henry Foss Hall Building in Montréal

ANJA BORCK holds a master’s degree in art > ANJA BORCK 1 history from Ludwig-Maximilians-Universität, Munich (Germany). For her Ph.D. thesis (in the Concordia University interuniversity program) she does research on contemporary Canadian and German industrial architecture. ontréal’s Henry Foss Hall Building M(fig. 1),2 erected between 1964 and 1966, is a major element of today’s Concordia University campus and a rare example in Canada of a high-rise build- ing to hold originally an entire univer- sity. For over forty years it has been an eye-catcher, a giant white block visible from quite a distance. In 1994 it went through an exterior cleaning procedure and in 2003 renovations were begun to rejuvenate the interior. Although for many years it was the focus of the university’s downtown campus, its architecture never attracted attention among the general public. By 2008, the seventh, eighth, eleventh, and twelfth floors had been reorganized and mod- ernized. The other floors of the twelve- storey building are to be renovated in the next few years.

THE HALL BUILDING IN THE PUBLIC EYE

The west part of the foyer of the Hall Building is a busy area. Students like to sit there, to read papers, talk, and pass the time. Few of them are aware that the nine little concrete blocks and four elab- orate heavy steel-granite tables are part of a memorial (fig. 2). In 1992 professor Valery Fabrikant shot dead four of his colleagues on the building’s ninth floor. Engraved sentences on each of the tables commemorate the victims. The concrete blocks are iconic miniature copies of the building itself, the scene of the crime.3

The Fabrikant incident was one of two events that brought Concordia University and the Hall Building to the headlines. FIG. 1. HALL BUILDING. | ANJA BORCK.

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FIG. 2. BLOCK FROM MEMORIAL INSTALLATION. | ANJA BORCK.

FIG. 3. NINTH FLOOR REMODELLED IN BRIGHT COLOURS AFTER THE “COMPUTER RIOT” FIG. 4. DESTRUCTION OF THE NINTH FLOOR AFTER THE “COMPUTER RIOT.” | CONCORDIA ARCHIVES. HAD DESTROYED THAT PART OF THE BUILDING. | ANJA BORCK.

The building was also the site of the so- politics; it has become a model for other Books about Québec’s architecture have called “computer riot” in 1969, which Canadian universities. But there is no ignored it6 as have most articles featuring ended with a fire in the computer lab- memorial to remind people of this past Canada’s new campuses.7 Nevertheless, its oratories. It destroyed a large part of the event.4 The only visible record is a pop obviously photogenic character found facilities on the ninth floor and caused art coloured remodelling of the destroyed an audience through advertisements in damage of over two million dollars (close offices in the northeast corner on the architecture magazines distributed both to eight percent of the overall final cost ninth floor (fig. 3 and 4).5 in Canada and abroad (fig. 5). of the building, which had opened three years earlier). It was the most important While these two episodes in the life of the It is in magazines that a few references to student revolt in Canadian history. Partly Hall Building are reasonably well publi- the building can be found. In Montréal 66, as a result of that protest, students can cized, its history lies hidden in archives and published by the City of Montréal in antici- now actively participate in the University’s its architectural qualities are overlooked. pation of Expo ’67, journalist Réal Pelletier

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FIG. 5. ADVERTISEMENT FOR SCHOKBETON IN PROGRESSIVE ARCHITECTURE, 1966. FIG. 6. FORMER NORRIS BUILDING, NOW A YMCA. | GUILLAUME ST-JEAN. informed the public, in his article “Sir text. The Hall Building was seen, but its The education program became George Williams University aura bientôt architecture was strangely ignored. independent from the YMCA’s program son gratte-ciel,” about the services of the in 1926 with the founding of the Sir expanded university8. The Montreal Star FROM THE YMCA George Williams College and it opened printed a loose supplement for the build- TO CONCORDIA UNIVERSITY its courses to women.12 In 1948 the SGW ing’s inauguration on October 11th, 1966. College attained full university status, In 1967 architect-artist Melvin Charney Sir George Williams University (SGWU) although it did not acknowledge its aca- highlighted the Hall Building in a large started as the evening education program demic status in its name until 1959. In photograph in his article “Les possibilités of the Young Men’s Christian Association 1956, it commissioned its first building de la construction en béton préfabriqué (YMCA), origins shared by various other for a sum of three million dollars. The site dans la conception nouvelle des écoles,”9 universities in Canada and the United was adjacent to the YMCA building on although he did not mention it in his States.11 Because it was located close to Drummond Street. A local architectural discussion of new addition to Montréal the business district and courses were firm, the well-established Ross, Peterson, universities using prefabricated tech- taught after office hours, employees Townsend and Fish, was asked to plan and niques. The same happened in Norbert could complete their education and learn oversee construction of the new building, Schoenauer’s article “The new city cen- new skills to boost their careers. That was which was later named Norris Building tre,”10 where the published photograph not possible in existing universities with (fig. 6). The same firm had designed the of the building was not referenced in the only daytime classes. YMCA next door. The Norris Building was

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of the Quartier Concordia to unify and harmonize an area of six city blocks of Concordia’s downtown campus.

THE DESIGNING ARCHITECTS

The motivation of SGWU in hiring the firm Ross, Fish, Duschenes and Barrett as architects for the new project was, according to David Fish, son of one of the firm’s partners, the longstanding good relationship between the University and the architects.15 In the past they had been responsible for several buildings for the YMCA, including the Norris Building.

Ross, Fish, Duschenes and Barrett was a well-known local enterprise estab- lished in 1904 under the name Ross

FIG. 7. TD BANK, MONTRÉAL, 1958. | GUILLAUME ST-JEAN. FIG. 8. MCGILL BUILDING. | GUILLAUME ST-JEAN. and MacFarlane. In 1913 it had eighty employees, and was one of Canada’s lar- gest architectural firms, known as Ross a modest structure. As befitting its low extent of this challenge is highlighted in and Macdonald. The company continued profile as a small university offering edu- the increasing number of articles in archi- working under the different names of the cation to less privileged populations, the tectural magazines focusing on school, partners. In 1950, John K. Ross (1915-1978) building blends unobtrusively into the college, and university planning. and the former chief draftsman John Fish street’s façades. Driven by demand for (1903-1978) shared the company with Rolf its services, six years later the University With a funding of twenty million from Duschenes (1918--) and John Alexander was preparing for the next major step in the Provincial Government and projected Barrett (1921-1996). They operated under its growth. capital of six million from the University, their names from 1958 until 1976. The firm the ambitious project of the Hall Building worked with salaried architects and drafts- In the beginning of the 1960s, there were could be launched.14 The planning started men. Talented younger colleagues would many examples of university expansion in 1962, and inauguration was in 1966. design the projects, overseen by one of and foundation in Canada and the United the four seniors. As North American cus- States. They all struggled with the same For political and economic reasons the tom has it, all buildings, however, were problems in order to accommodate an SGWU merged in 1974 with Loyola designated by the company’s name.16 estimated doubling of the student College seven kilometres further west population every five years in the per- and the combined board decided on The plans for the Henry F. Hall Building iod between 1965 and 1975.13 The rapid a new name for their common future: were created in 1964 by Irish architect development of new technologies, such Concordia, inspired by Montréal’s motto James A.M.K. O’Beirne (born in 1931). He as videotaping, computers, and closed “Concordia salus,” which means “well- had graduated from University College, circuit TV, made it necessary to install being through harmony.” Over the years, Dublin, in 1956. In that same year he trav- technological equipment where formerly further expansions were necessary; sev- elled to Montréal and was hired by Ross, a blackboard would have been adequate. eral old structures in the neighbourhood Patterson, Townsend and Fish. It was the Nobody knew where this technological were rented or bought and new ones beginning of a building boom in Canada evolution was leading, but it was clear erected on both campuses. Since 2003 which gave many young architects a good that new buildings had to be flexible the Groupe Cardinal Hardy (architects) career start. James O’Beirne worked for enough to undergo major changes. The has been working on the realization two years mostly doing design works for

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the early stages of contracts. The first building of his own design and under his responsibility was the elegant Montréal headquarters of the Toronto Dominion Bank on Victoria Square in 1958 (fig. 7). Three characteristics can be observed here, that will later play a role also in the Hall Building. The first is transparency at street- level by opening the walls with ceiling- high windows on the two main façades; the transparent ground floor was a popu- lar feature of modernist architecture. The second is the optical division of the ground floor from the high-rise structure, in this case done by a set-back mezzanine; it cre- ates the impression that the whole upper building is floating on top of the base. The third is the concern to fit the contemporary modern building into the historic surround- ing. The TD Bank had bought a corner-lot FIG. 9. HALL BUILDING AND SURROUNDINGS. | GUILLAUME ST-JEAN. beside the McGill Building, a downtown landmark, built by Robert Ernest Bostrom in 1912 (fig. 8). James O’Beirne brought neighbourhood which resulted in discon- basic change in the district enabled the the two buildings into harmony by care- nected faculties and handicapped cooper- University to purchase a large property to fully considering the older building’s pro- ation. The University decided to create a allow one densely used building. SGWU portion and design. The windows of his much larger new home to accommodate all started planning its nearly block-size building, for instance, sit between vertical faculties and allow room for some future building on the north side of the street stone rails, and a contrasting metal panel development. It was decided to keep the in 1962, while demolition started along with a geometric relief structure sits below location close to the business district to the road.21 So far, SGWU was still seen as each window, taking inspiration from its facilitate attendance at day and night a close offspring of the YMCA. This was neighbour where we see the same fea- classes for part-time students. Acquiring a going to change: the design of the exterior tures in an older style. spacious university campus was financially had to produce an independent identity, out of the question. The option left was proclaiming the unique and open spirit of In 1960, James O’Beirne returned to work to stack one faculty on top of the other, a maturing university. in Ireland, observing the European con- creating a high-rise building with a room struction scene. In 1962, he received an organization closer to that of a downtown As dominant as the building looks, the offer from his old company in Montréal high school or college than to a standard occupied space is in fact small (fig. 9). The to head the team for the Montréal SGWU university campus.18 The city proposed a footprint, measuring approximately sixty- project, which he accepted. He came central site split on two different lots.19 six by seventy-eight metres, had to contain back to Canada and stayed until 1967, The University, though, decided on a block everything a university needs: faculty facili- when he left for good to start his own close to the old Norris Building on Burnside ties, offices, classrooms, and auditoriums firm in Ireland.17 Street West, later renamed Boulevard de holding between one hundred and six hun- Maisonneuve. At that time residential dred and fifty seats, laboratories, librar- THE HALL BUILDING’S CONCEPT developments of the nineteenth century ies, exhibition space, a three hundred and had overbuilt Burnside Street for several fifty-seat theatre, garage space, and also The vigorous growth since the opening blocks. To complete the street as part of some kind of public area. Only a physical of the Norris Building in 1956 had forced a regular grid plan, several occupied lots education facility was left out in the plan- SGWU to rent office space all over the had to be expropriated and cleared.20 This ning.22 As a comparison, the twenty year

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FIG. 10. HALL BUILDING FAÇADE DESIGN, 1964. | WATERCOLOUR BY JAMES A.M.K. O’BEIRNE. FIG. 11. SCREEN WALL ON THE BACK SIDE OF THE HALL BUILDING. | ANJA BORCK.

older central building of the Université de working on a convincing fit. Three streets preferred material for functional public Montréal by Ernest Cormier occupied eight bordered the property. On the back side of buildings, especially in the educational times that area for similar facilities. the slightly elongated property, the archi- sector. But concrete posed a problem: Ada tect planned a small plaza, which he con- Huxtable, architecture critic for the New To fit in all the required rooms, it was nected over a fashionable concrete screen York Times, stated in 1960 that “the nature clear from the beginning that the building with the building to bind them (fig. 11). and quality of concrete surface, the infinite had to reach the maximum floor-space in With free space all around the building, possibilities of precasting in plastic molds, relation to the lot-size allowed under the he was able to treat the Hall Building as a of site-casting in reusable forms—in short, building code of the time. It would clearly solitary structure, creating some distance the development of a complete concrete tower over all older, adjacent buildings of from the old neighbourhood. The building structural aesthetic other than shells and the once fashionable upper-middle class covered the whole available terrain except vaults—still provide an open field.”25 neighbourhood.23 The architect expressed the area of the plaza, which made the his concerns about the huge difference in footprint nearly a square. Building for the Despite the struggle over aesthetics, the scale of his new project and the surround- maximum density on this large footprint great benefit of precast concrete, aside ings at a meeting with the City of Montréal resulted in the building’s iconic cubic form. from its low cost, was the timesaving planning authorities. However, in the early The missing space for a campus was com- aspect on the construction site while 1960s, the city planners realized that the pensated for by the small plaza and a wider warranting consistent quality. Pieces with old dwellings were reaching the end of sidewalk around the front entrance area defects could be set aside at the factory their lifespan and a future move towards for which the building’s ground floor was resulting in material of a uniform quality. much larger buildings was desired.24 But recessed. Initially columns were planned to At the Police Administration Building in there was a countermotion. The preserva- support the outreaching floors, but to gain Philadelphia by Geddes, Brecher, Qualls tion movement, which started in Montréal extra space, the more expensive solution and Cunningham, finished in 1963, it took in the early 1970s, succeeded in conserving of cantilevering was later developed. just a few days to complete the façade. many of the old houses or at least their Cranes were used to put three-storey-high exterior, and new bylaws restricted build- CONTEMPORARY CONCRETE prefabricated wall panels into place along ing density to much lower levels. DESIGN the irregular curving façade. The Police Administration Building (fig. 12) became However, in a preparatory watercolour In the mid-1960s, publications for archi- widely publicized in major architectural (fig. 10), James O’Beirne set the Hall tects and builders touted the huge poten- magazines, such as Canadian Architect Building into the given surrounding, tial of reinforced concrete. It became the and Progressive Architecture.

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FIG. 12. PHILADELPHIA POLICE ADMINISTRATION. | PRECAST/PRESTRESSED CONCRETE INSTITUTE.

FIG. 13. MODEL BY ROSS, FISH, DUSCHENES AND BARRETT, C. 1963. | CONCORDIA ARCHIVES. FIG. 14. FAÇADE DETAIL. | ANJA BORCK.

The façade design of the Hall Building earthquake security measurements had using a variety of materials and surface posed obvious difficulty. The different increased construction costs. structures (fig. 14). The light requirements functions inside required a variety of were solved through inlays that could lighting: some facilities needed fewer Schokbeton, a Dutch concrete company freely change from full windows to half windows than others, and it was seen with a new facility just outside the city,26 windows to concrete boards. Starting in as necessary that the university facilities offered an alternative for the façade with the early 1960s, Marcel Breuer and Minoru interrelate in specific ways. The architect high-quality low-priced prefabricated Yamasaki had already worked with pre- tried to group windows and wall sec- wall panels. The only condition was that fabricated repetitive concrete windows tions into a geometric pattern (as shown all units had to be of the same design. as the only element of a façade design in fig. 13), but was unable to fully satisfy James O’Beirne may have had prior know- (fig. 15), and the shell of the already men- the room requirements with an accept- ledge of Schokbeton’s portfolio, because tioned Philadelphia Police Administration able optic as long as its style was modeled Schokbeton had worked in Dublin on the building from 1963 (fig. 12) may also have after the design concepts of the modern well-known American Embassy27 while he been inspirational to O’Beirne. In contrast movement. Little money could be spent was in Ireland. The architect discarded his to these buildings with load-bearing walls, on the façade because the now support- initial design and created complex, three- the panels of the Hall Building were con- free cantilevering and also additional dimensional sculptured concrete panels crete curtain-wall claddings as used for

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FIG. 15. COLLEGE OF EDUCATION, WAYNE STATE UNIVERSITY, FIG. 16. PREFABRICATED CONCRETE CURTAIN WALL OF REMARKABLE ELEGANCE. | ANJA BORCK. DETROIT, 1960. | MORRIS, PRECAST CONCRETE IN ARCHITECTURE, P. 462.

the first time in 1959 by Ieoh Ming Pei for light requirements with uniform and substantial base for the optically heavy the Hilton Hotel in Denver.28 standardized components. Nevertheless, top. He introduced the fieldstone for the façade was consistent all around the the sidewalls of the foyer (fig. 17), an Despite the repetitive modules over a large building, demonstrating approachability unusual look in high-rise buildings.30 The area, the SGWU façade appears dynamic from all directions and symbolizing its combination of fieldstone with moulded (fig. 16). Walls that move like folded paper openness to a diverse array of students. concrete, though, was not uncommon. in a vertical zigzag back and forth, paired Probably unrelated to what was happen- windows, and projecting window frames However, some saw in James O’Beirne’s ing in Montréal, Marcel Breuer included with rounded corners give volume to the exterior design for the Hall Building a fieldstones in his precast concrete archi- surface and additionally produce attract- break in style between the quasi-trans- tecture, for instance in the low-rise Mary ive shadow effects on sunny days. That parent ground floor and the massive top College in Bismarck, North Dakota (built concrete could be shaped very freely in part of the building, less apparent in the 1965-1968). other than angular forms was well-known finished building than during the plan- but seldom applied to the design of pre- ning phase. O’Beirne was aware of this The suitability of fieldstone in Montréal fabricated panels.29 problem and sought a solution to relieve may go beyond the visual effect. It is optical weight over some sort of optical a traditional local material that can be Many components of James O’Beirne’s illusion: he chose black cladding for the found in most of the city’s few remain- façade design can be traced back to ear- ventilation system between the canti- ing buildings of the eighteenth century, lier ideas of well-known architects. The lever slab and the floors above. From a associated closely with the early history of zigzag-wall for instance is very similar to distance, the upper white structure seems Montréal. It was already used in contem- Minoru Yamasaki’s wall treatment at the to float over the rest, an effect similar porary local architecture by Hazen Sise College of Education in Detroit. O’Beirne’s to that of his earlier bank building. The and Guy Desbarats in the nearby Beaver skill was to combine various components chair of SGWU’s Fine Arts Department, Lake Pavilion (1958) on as to produce a customized solution for the Alfred Pinsky, was not satisfied with a regional reference to a neighbour- formerly unsolved problem of very specific that visual trick and insisted on a more ing eighteenth-century farmhouse.31 In

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FIG. 17. FIELDSTONE WALL AT HALL BUILDING. | GUILLAUME ST-JEAN. FIG. 18. SPIRAL STAIRCASE TODAY OFF-LIMIT TO THE PUBLIC. | MICHAEL DRUMMOND. a deeper sense the fieldstone attaches inauguration of the building on October into a new library building in 1992. On thereby the university to the past of its 14th, 1966 took place here, proudly fea- the east side of this level, stained glass site and it has certain legitimacy with the turing the mechanized stairs. On the windows by Montréal artist and fine arts institute’s relatively long history. mezzanine floor are escalators for ver- professor Jean McEwen (1923-1999) are tical transportation. A staircase on the mounted. Coloured glass pieces layered A DENSE STRUCTURE eastmost side of the foyer, a structure like watercolours form abstract figures AND COMPLICATED SPACE of exposed concrete, leads down to the of light and dark hues on three separate ORGANIZATION small D.B. Clarke Theatre, which has an window panels (fig. 19). It is the only art- impressive entrance with its own small work from the time of origin left in the The route from the “sidewalk-campus” to underground foyer and restrooms. entire building and quite significant in the the classrooms and offices of the higher opus of McEwen. Unfortunately it is now floors leads through a foyer behind the Forgotten today is a small, hidden passage cut in two sections by an office. southern glass wall, and a spacious mezza- compressed between the tapering eastern nine. The foyer has some surprising fea- wall of the auditorium and the outside Each floor of the building is highly cus- tures: for example, a Scharoun-inspired wall, with a wooden, free hanging spiral tomized with complicated interrelating low-hanging rounded ceiling section staircase by which the mezzanine could spaces, taking advantage of the vari- which holds the higher rows of the main be reached (fig. 18). This gallery space, ability offered by a steel-concrete frame auditorium behind it.32 The architect which is no longer open to the public, structure. The A-A section (fig. 20) and would have liked to see the curved wall of also gave access to a lounge where social the floor plans show only a few features the foyer highlighted with artwork, which events took place. repeating on all floors: the escalators he indicated in his watercolour. This never and the four emergency staircases. In happened; the wall stayed unadorned. The mezzanine offers a much wider area several parts of the building, floors and than one might expect. It was the loca- ceilings have been removed to allow In the centre of the foyer runs a somewhat tion of Montréal’s first university art gal- auditoriums with raked seating. The cen- short escalator up to the mezzanine. The lery. The gallery moved across the street tral seventh floor (fig. 21) was designed

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FIG. 19. STAINED-GLASS WINDOWS, PHOTO-MONTAGE SHOWING THE ORIGINAL TRIPTYCH. | ANJA BORCK.

FIG. 20. PLAN SKETCH, SECTION A-A, MARCH 1963. | CONCORDIA ARCHIVES. FIG. 21. PLAN SKETCH, 7th FLOOR, MARCH 1963. | CONCORDIA ARCHIVES.

FIG. 22. ORIGINAL WALL DESIGN, 9th FLOOR. | ANJA BORCK. FIG. 23. ORIGINAL DISPLAY CASES AND EAMES’ PLASTIC ARMCHAIRS. | ANJA BORCK.

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FIG. 25. PROPOSED REMODELLING. | KPMB AND FSA, NORM LI (RENDERING).

FIG. 24. CONCORDIA GUY-METRO BUILDING. | GUILLAUME ST-JEAN. FIG. 26. INTERIOR CORRIDOR AFTER THE RENOVATION. | GUILLAUME ST-JEAN. as an open canteen and bistro area with early production line (1948) of Charles offices have no daylight, while rooms with kitchen and shops, following the idea of and Ray Eames, which have reached a outside windows are used for storage for Le Corbusier’s “services communs de ravi- certain cult-status today (fig. 23). With no apparent reason.34 The windowless taillement” in the middle of the Unité little maintenance these features can corridors create problems with orienta- d’Habitation in Marseille.33 serve many more years and keep the tion and the escalators are not reliable history of the building alive. for fast movement inside the building. Restricted to a low budget for interior Finding space for additional elevators has decoration, beautification measures are However, we may question whether the caused numerous headaches because of not numerous and reflect the taste of initial effort to tailor this building so the complicated inner structure. 1960s. Some murals were produced but exactly to the needs of all the faculties are likely hidden today behind addi- involved was the right solution, when it Nevertheless, the overall infrastructure tional walls. The colourful tiles that was obvious that growth would not cease with its many different-sized auditoriums curve around the corridors’ corners are once the building was completed. A cen- and classrooms still serves the institution’s still in excellent condition (fig. 22). From tral library was already on the university needs well to this day. The sufficiently the original furniture several pieces sur- wish list while the Hall Building was under open concept of the building structure vived, such as the display cases along construction. Throughout the different allows even major modifications on a corridor walls. In the 1980s upholstered floors of the edifice, it is clear that the broad scale, and the quality of the struc- sofas had to be replaced. The university changes that occurred over time did not tural materials has so far resisted the rav- chose solid plastic armchairs out of the unconditionally benefit its users. Many ages of time both inside and outside.

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THE QUESTION OF RECOGNITION or later buildings around it took up the Why, we should ask, is the Hall Building, challenge to create something of similar if it is so prominent and of such high After over forty years the Hall Building refinement. quality, so widely overlooked by all the still provokes controversy. Montréal’s experts in the literature, even those who international style found a much higher Criticism of the interior of the Hall Building focus on Montréal architecture? The acceptance than this academic edifice of was common from early on, for example answer may lie in the circumstances of the same period. It stands next to the as expressed by author Margaret Atwood those years: the city was in the middle business district with its universally rec- in her short article “What I Remember of an incredible transformation period ognized high-rise towers and alongside Most” about her years teaching at SGWU with projects of enormous scale being the main trend of those years, although in 1967 and 1968: “I found the building undertaken by architects of international with its prefabricated cladding it had impersonal and my windowless cubbyhole reputation. Under the ambitious mayor more foresight than other buildings of an office claustrophobic.”36 Compared Jean Drapeau (1916-1999; mayor 1954- which continued the ideas of the 1920s to the cosiness of the Norris Building, the 1957 and 1960-1986) and in preparation and 1930s. Certain details of its concept Henry F. Hall Building was gigantic, the for the World’s Fair of 1967, a large purge are not understood by many observers. corridors seemingly endless, but space in the city of its so-called eyesores took This includes the fieldstone walls on a tall was nevertheless immediately scarce. place38 to allow the creation of the new structure, which is somewhat uncharac- Money was spent on additional room “superblocks”39 with basically no limits in teristic for North America.35 rather than on better quality offices or size. According to Laurent Lamy, Montréal embellishments because student numbers spent in 1964 around two hundred and The University improved the building’s were constantly on the rise. Other public fifty million dollars on building projects; exterior appearance by having the sur- universities were not better off. In less this was the same amount of money that face cleaned in 1994 to bring it back than two years after the inauguration New York spent, with its population six to its light colour, and repaired broken day, the wide corridor space had to be times larger.40 The Hall Building, with windows. While other Concordia build- modified into workplaces for the grow- overall expenses of around twenty-five ings of this style, for instance the Guy- ing faculty and staff. With the merger of million, could not compete in this race Metro Building, may be remodelled and SGWU with Loyola College in 1974 came between more and more spectacular harmonized with the new complexes on the next incentive for modifications, this high-rise offices, nor could it inspire the Guy and St. Catherine Street with glass time also on an administrative level. Over imagination of the public like Expo ’67. curtain walls (fig. 24 and 25), the Hall the next several years laboratories and When the excitement of the 1960s was Building’s façade is for now not in ques- libraries which had asked for reduced day- over, the Hall Building was already long tion. Nevertheless the public attitude light moved out of the building into new established and already insufficient. towards this building is at best ambiva- locations and left their customized facili- lent. Prefabricated concrete panel archi- ties behind to be reused in some other Some years later, completely new issues tecture dominates in the surroundings of way. One might wonder that, despite in architecture came to the fore which the Hall Building with all the insipidity the extensive changes, the building could put the recent construction boom in a this method is capable of producing. In still function as well as it did. Only after negative light. The calculated end of the the 1960s as in the 1970s, buildings in the library building was finished in 1992 lifespan of a building had until then justi- the neighbourhood adopted grey, dull and the nearby Engineering and Visual fied its demolition. Many developers had and repetitive façades often combined Arts (EV) building was planne, a make- abused the opportunity to erase whatever with mirror-glass windows. They are so over of the interior seemed inevitable; was old and unprofitable. Such practice unappealing that a second look seems started in 2003, it is in progress (fig. 26). had an immense impact on Montréal and superfluous. Because of the similar build- However, restoring floors closer to the on that part of the city. Within less than ing style the same criticism is too easily original arrangement by removing the ten years, the once very prominent uni- levelled at the much more refined exter- additional offices and restoring the cor- versity core was surrounded by a forest of ior of the Hall Building. It introduced ridors to their original width would have tall apartment blocks and office edifices. this style to the neighbourhood with a better protected the integrity between Rapid change stimulated the preserva- very complex and competently designed the exterior and the interior design than tion movement, which especially gained model, but none of the contemporary the ongoing radical makeover.37 momentum after the demolition of the

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Van Horne mansion in 1972, home of the and artist), Johanne Sloan (art historian), canadiens : 1940-1980, Québec, Presses de Canadian Pacific Railway builder, William Kathryn Walter (artist), and was inaugurated l’Université Laval), nor can it be found in in 1996 to commemorate the four professors Loren Lerner and Mary F. Williamson’s 1991 Van Horne. The movement counteracted who were murdered: Matthew Douglass, bibliography (Art and Architecture in Canada: further destruction and much of what Michael Hogben, Aaron Saber, and Phoivos a Bibliography and Guide to the Literature, was left of the city’s old buildings was Ziogas. According to Dr. Johanne Sloan, the Toronto, University of Toronto Press). installation was initially planned to be outside protected. The enthusiasm for and pride 7. The Canadian Architect from May 1964 the building on the sidewalk. The University in Montréal’s latest architectural adven- published fourteen pages about new and expressed the wish to have greenery included planned university buildings in Toronto, tures had vanished. in the artwork, which the artists did not fully Winnipeg, Sudbury, Montréal (McGill), approve, especially when the location was Burnaby, Hamilton, Waterloo, Scarborough, moved inside the building. The pots with ficus Today our perspective is changing. A and Ottawa. plants are officially part of the installation as rediscovery of the heyday of the Québec a symbol of renewal; however, their inclusion 8. “Montréal 66,” Le Devoir, April 1966 issue, metropolis with exhibitions and publica- into the artwork is debatable. p. 19-21. tions about the 1960s and Expo ’67 has 4. The riot gave rise to publicity the university 9. Architecture – Bâtiment – Construction, March started.41 However, less prominent land- was not happy about. In the history of Sir 1967, p. 43-49. marks are still disappearing, without much George Williams University, written by its 10. Architectural Design, July 1967, p. 320. noise. Many are demolished; others are ex-president Douglass Burns Clarke (1977, Decades of Decisions, Montréal, Concordia 11. Cleveland State University in Ohio and the externally or internally remodelled and University, p. 138), the riot is mentioned very Golden Gate University in California are lose their architectural integrity. Only a briefly: “All this student activism came to an examples, as well as the Khaki University few will survive the times unaltered, hope- ugly climax in February 1969 with the occupa- program of the Canadian Forces set up in Britain during the wartimes of the twentieth fully those that are recognized as artistic- tion and destruction of the computer centre […] Although very few students were actively century. ally important. The Hall Building deserves involved in this crisis, the sheer violence of 12. Coeducation in colleges and universities was to be considered in that category. it seemed to have discharged the pressures by then standard, even if male students far that were building up at the time. Afterwards, outweighed female students. By 1925 female NOTES students’ activism waned.” students were a third of the student body 5. The riot gave rise to three publications: Eber, while in 1920, five years earlier, only seven hundred and one of four thousand and seven 1. Acknowledgement: I want to acknowledge Dorothy, 1969, The Computer Centre Party: students in Canada—less than one in four— with particular thanks my mentor, Dr. Jean Canada Meets Black Power, Montréal, Tundra were women (Statistics Canada). Belisle, who encouraged me to undertake this Books; Forsythe, Dennis, 1971, Let the Niggers work and to seek to have it published. Thanks Burn!: the Sir George Williams University 13. Sheffield, Edward F., 1959, Staffing the to the Canadian Centre for Architecture (CCA) Affair and its Caribbean Aftermath, Montréal, Universities and Colleges of Canada, Ottawa, and Concordia University for the TD Financial Black Rose Books / Our Generation Press; and Canadian Universities Foundation, October, Bank Group-CCA Collection Research Grant, Pruden, Keith, The Georgian Spirit in Crisis: p. 4; and 1960, Financing Higher Education in and to Alexis Sornin from the CCA for offer- the Causes of the Computer Centre Riot, 2005, Canada, No. 1: Financial Needs of Canadian ing me the opportunity to present my project master thesis, Concordia University. Universities and Colleges, Ottawa, Canadian to colleagues; to architect David Fish, who 6. It is not mentioned in: Architecture du Universities Foundation, p. 5. worked on the Hall Building as a student in e 20 siècle au Québec (Bergeron, Claude, 14. Clarke, p. 63. 1963 and contributed his knowledge of the 1989, Québec, Musée de la civilisation), building and of the history of his firm. Special Architecture contemporaine au Québec 15. Interview with David Fish by Anja Borck on th thanks to James A.M.K. O’Beirne, the archi- 1960-1970 (Lamy, Laurent, 1983, Montréal, September 4 , 2007. Henry F. Hall building file, tect of the building, for sharing his memories. Éditions de l’Hexagone), Montréal en Ready Reference files, Concordia University My further gratitude goes to the Concordia Évolution (Marsan, Jean-Claude, 1994, Archives. University Archives and Nancy Marrelli for so Montréal, Fides), Architecture et urbanisme au 16. Collaborations with independent architects agreeably fulfilling all my requests. Finally, Québec (Charney, Melvin et Marcel Bélanger, like Peter Dickenson—who designed the CIBC this paper benefited from Joan Mansfield’s 1971, Montréal, Presses de l’Université Building in Montréal but died during the work, patience in reading it several times and her de Montréal, Conférences J.-A. De Sève), which was then completed by Ross, Patterson, help in polishing my written English. Discovering Modern Montréal and the Estérel Townsend and Heughan—are an exception 2. Henry Foss Hall was the SGWU principal from Resort in Québec (Brussels, DOCOMOMO to that rule. 1957 until 1962. [Documentation and Conservation of 17. All information about James A.M.K. O’Beirne Buildings, Sites and Neighbourhoods of the is taken from his letter to Anja Borck dated 3. The installation consists of four tables, nine Modern Movement], 2007), there are no December 4th, 2007. Henry F. Hall building file, concrete blocks, a steel-light-installation and entries in Claude Bergeron’s bibliography Ready Reference files, Concordia University plants. It is a collaboration of three former stu- of periodical on Canadian architecture Archives. dents of Concordia, Eduardo Aquino (architect (1986, Index des périodiques d’architecture

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18. It was compared with the projects published famous concert hall openly reflects the raked in Progressive Architecture, May 1961, p. 142- seats of the structure above. 155: “The School in the Urban Environment.” 33. According to the plan in Giedeon, Sigfried, Laurent Lamy (p. 49-50) observed a similar 1982, Space, Time and Architecture, Cambridge trend. (MA), Harvard University Press, p. 547. 19. Clarke, p. 62. 34. These are my own observations during visits 20. The City of Montréal’s archives hold docu- of the building in 2008. Rooms with daylight ments about the expropriation going back to were used to store furniture and boxes. the year 1955 for the widening of the Burnside 35. Morris (1978, p. 154) criticizes the “illogical Street and opening from Drummond to Guy American combination of heavyweight pre- (file 104404/25 and further). By August 1962 cast cladding panels and steel frame construc- expropriations were made to build the Metro tion for skyscraper design.” But, because this south between MacKay and Bishop (file 3113 combination is so common, the more suit- 1102.11-3/1). able solution to give a heavy upper part an 21. The first demolition permits were issued in adequate strong bottom disturbs local taste. January 1962, starting on the east end of 36. Jones, Ginny and Joel McCormick (ed.), 1977, Burnside Street, while the architects, Ross, The Illustrated Companion History of Sir Fish, Duschenes and Barrett, contracted James George Williams University, Comprehending O’Beirne as head of the Hall Building project, Excerpts of The Georgian Spirit by Henry F. by then called the Burnside Building. Hall, and Decades of Decisions by Douglass 22. Clarke, p. 62. It was a restriction set by the Burns Clarke, Montréal, Concordia University, government as a condition to receive financial p. 25. support of about twenty million dollars. 37. This concern of losing interior and exter- 23. Fish, Michael, 1975, A Sense of Neighbourhood ior integrity was further discussed at the in Montréal’s Downtown, Montréal, M. Fish, Conserving the Modern in Canada Conference p. 13. Also: The Montréal insurance map for in 2005, using the example of Laval University that time shows very dense development in (Conserving the Modern in Canada. Buildings, the surrounding district. Ensembles, and Sites: 1945-2005, Conference Proceedings, 2005, Peterborough (ON), Trent 24. Letter from James O’Beirne to Anja Borck University, p. 67-76). dated December 4th, 2007. 38. International Council on Monuments and Sites 25. Cited after Ada Huxtable’s article “Historical (ICOMOS), 1996, Monuments and Sites Canada, Survey” in Progressive Architecture, October Colombo, Sri Lanka, National Committee of 1960, p. 144. ICOMOS, p. 4. In preparation for Expo ’67 in 26. According to the company’s webpage, [www. Montréal the city set an example of razing schokbeton.com], the facility opened in down what was considered unsightly. 1962. 39. Charney, Melvin, 1980, “The Montrealness of 27. Architecture – Bâtiment – Construction, March Montréal,” Architectural Review, May, p. 299- 1967, p. 48. 302. He refers to the new large scale super- 28. Morris, Anthony and Edwin James, 1978, blocks that were significantly transforming Precast Concrete in Architecture, London, the city. Godwin, p. 158. 40. Lamy, p. 15.

29. An earlier, simpler example of rounded win- 41. For instance the exhibition at the Canadian dows was realized at the Imperial Oil Building Centre for Architecture in collaboration with in Don Mills, Ontario, by John B. Parkin the Museum of Fine Arts, “The ’60s: Montréal Associates. (Canadian Architect, March 1963, Thinks Big” in 2005. Articles in architectural p. 41-46.) magazines such as in Canadian Architect, 30. According to David Fish’s account (September August 2007, “Learning from Expo,” by 4th, 2007 interview). Annemarie Adams.

31. An observation brought to me by Dr. Cynthia Hammond, Concordia University.

32. Hans Scharoun’s Philharmonie in Berlin opened in 1963. The foyer underneath the

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LE DEVENIR DU PATRIMOINE RELIGIEUX Pour la sauvegarde d’un domaine immobilier à vocation communautaire

FRANÇOIS DUFAUX, Ph.D., est architecte et > FRANÇOIS DUFAUX chargé d’enseignement à l’École d’architecture de ET TANIA MARTIN l’Université Laval et chercheur affilié à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine religieux bâti. Il réalise aussi ses propres contrats de recherche sur le patrimoine. uel est le devenir du patrimoine TANIA MARTIN, Ph.D., est professeure agrégée Qreligieux en Amérique du Nord, à l’École d’architecture et titulaire de la Chaire plus particulièrement au Québec ? Cette question a été posée à de nombreu- de recherche du Canada en patrimoine religieux ses reprises, entre autres par Gustave bâti à l’Université Laval. Elle poursuit depuis Baudouin et Ramsay Traquair en pas- 1993 des recherches sur le patrimoine religieux, sant par Luc Noppen, Lucie K. Morisset l’architecture et les paysages culturels en et Laurier Turgeon1. Si l’on en juge par le Amérique du Nord. nombre d’articles et d’éditoriaux parus Les auteurs ont tous deux assuré entre 2004 dans les journaux et la multiplication des et 2008 l’enseignement dans la concentration colloques, des séminaires et des tables en patrimoine du programme de maîtrise rondes consacrés à ce sujet au cours des dernières années, la question demeure professionnelle. Ils tiennent à remercier tous les importante pour les universitaires et les étudiants qui soit ont travaillé pour un des projets décideurs encore aujourd’hui. Comme de recherche de l’équipe de la Chaire de recherche société, nous restons troublés en 2009 du Canada en patrimoine religieux bâti, soit se de voir ces ensembles disparaître sous sont inscrits à la concentration en patrimoine de le pic des démolisseurs ; en même temps, l’École d’architecture de l’Université Laval. Ceux- nous peinons, souvent en toute urgence, ci les ont aidés à avancer leur réflexion sur le à leur trouver une nouvelle vocation. devenir du patrimoine religieux. Dans cet essai, nous proposons une réflexion qui s’appuie sur les recherches menées depuis cinq ans conjointement à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine religieux bâti et dans le cadre du programme de maîtrise pro- fessionnelle à l’École d’architecture de l’Université Laval, spécialement dans la concentration en conservation et restauration. Dans un premier temps, nous posons un diagnostic historique et actuel, nous identifions les différents enjeux récurrents et ceux plus particu- liers à chaque contexte et propriété liés à l’avenir de ce patrimoine bâti, urbain et paysager. Nous partageons en conclusion les observations tirées de ces expériences de recherche-création.

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UNE PERSPECTIVE qui définit le développement immobilier en Ontario. Les rivalités confessionnelles DE PÉRENNITÉ et la construction de la seconde moitié apparaissent avec l’arrivée de groupes du vingtième siècle et du début du vingt d’immigrants ayant d’autres croyances, Notre réflexion découle du travail que et unième. Les acteurs privés et publics de l’international aussi bien que d’ailleurs nous avons entrepris principalement partagent jusqu’à maintenant un cadre sur le continent. Cette diversité confes- avec les étudiants de deuxième cycle sur opérationnel qui n’est guère favorable au sionnelle contraste avec l’unité religieuse la question du patrimoine qui abordait recyclage ou à la réhabilitation du patri- traditionnelle rencontrée en Europe ou avant tout, mais non exclusivement, les moine immobilier, d’origine religieuse ou dans de nombreux pays latino-américains ensembles conventuels et les noyaux non ; il établit, au contraire, les conditions peu marqués par l’immigration. Elle pose paroissiaux. De prime abord, nous avons pour sa déperdition et nous proposons une relation de majorité ou de minorisa- supposé un changement de vocation de le réviser. tion relative entre la chrétienté catholi- après le départ des communautés et des que et réformée. Dès lors, les pratiquants congrégations religieuses. L’approche STRUCTURE ET AMPLEUR accordent à « leur » église une dimension proposée envisageait l’accueil de nou- DU PATRIMOINE RELIGIEUX identitaire en dehors du contexte géogra- velles fonctions et leurs usagers sécu- phique. La survie des églises dépend avant liers, sans toutefois écarter la possibilité Une réalité continentale tout de ce soutien populaire, en échange d’une cohabitation religieuse et laïque de services jugés essentiels. Ainsi, de ou l’accueil d’un autre type d’usage reli- Le patrimoine religieux est un élément nombreux établissements communautai- gieux. L’hypothèse de départ était que constitutif important des milieux de vie res confessionnels, tels hôpitaux, écoles, cette reconversion, si elle veut tirer parti nord-américains. Il se distingue par la collèges et universités, ainsi que d’autres de tous les potentiels des lieux, doit tra- diversité et par le nombre de bâtiments services sociaux, ont été conçus comme vailler avec les prémisses fondatrices de et de sites voués d’une manière ou d’une des projets culturels et sociaux, parfois ces propriétés, à la fois dans leur logique autre à l’exercice d’une religion ou au sou- en complémentarité, souvent en rupture urbaine et architecturale, mais aussi dans tien de ses fidèles. Cette présence souli- avec les institutions laïques et civiles déjà la nature de leur programme et de leur gne deux réalités historiques. En premier en place. La construction de tels édifices gestion. Tout ça en portant attention à lieu, les concurrences confessionnelles ancrait les catholiques minoritaires en l’évolution de ces lieux depuis leur éta- entre les diverses églises réformées et pays protestants, ou à l’inverse les com- blissement – la grande majorité ayant l’Église catholique, auxquelles s’ajoutent munautés protestantes minoritaires en connu au fil du temps de multiples trans- les traditions non chrétiennes ainsi que régions catholiques. Elle pouvait aussi formations. Enfin, nous avions conscience celles des Premières Nations, se traduisent suppléer à l’absence de services éduca- que ces sites revêtent des significations par un vaste programme de construc- tionnels, hospitaliers et caritatifs civils changeantes, tant pour les communautés tion de lieux de culte. En second lieu, la en régions majoritairement catholiques, et les congrégations religieuses que pour société civile a délégué, ou a investi le comme au Québec. les riverains de ces propriétés et la société cadre confessionnel avec un ensemble civile. En maintenant un degré certain de services communautaires à vocations Une variété d’établissements de vocation communautaire et d’auto- caritative, hospitalière et éducative. Il nomie financière, nous pouvons assurer existe ainsi un pluralisme chrétien, voire La formation et l’envergure du patrimoine une pérennité et une pertinence dans les religieux, qui marque fondamentalement religieux traduisent aussi les structures aménagements et leurs fonctions. le paysage urbain et rural de la plupart internes aux confessions. L’héritage des des régions du Canada et des États-Unis. églises réformées est plus atomisé, offrant Ce souci d’une continuité des inten- un degré de distinction ethnique et sociale tions initiales dans la sauvegarde d’une Une présence confessionnelle prédo- aux divers immigrants protestants dans contribution collective et dans les carac- minante dans une région particulière une multiplicité de lieux et d’établisse- téristiques formelles de l’aménagement révèle un legs associé à la fondation ments concurrents. Ceux-ci complètent peut sembler conservateur, voire timide. coloniale, tels le catholicisme au Québec, des structures civiles marquées par leur L’approche réclame des solutions mieux au Nouvelle Mexique ou au Maryland, ou foi, historiquement en position d’autorité adaptées à long terme, remettant en les diverses branches du protestantisme en Amérique du Nord. L’Église catholi- cause le cadre opérationnel à court terme au Massachusetts, en Pennsylvanie ou que se déploie dans une dynamique très

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différente. Largement minoritaire dans la souvent folklorique posée par les préju- hospitalières qui suppléent à l’absence plupart des régions, ou minorisée par le gés des confessions réformées. de service public4. Ce choix est le résultat pouvoir politique associé aux églises pro- de nombreux débats et tractations entre testantes tant au Canada qu’aux États- La modernisation de l’après-guerre a les opinions libérales et conservatrices qui Unis, l’Église catholique se présente par bouleversé l’ordre social patiemment traversent la société canadienne-française ses différents établissements comme un construit à partir du dix-septième siècle de l’époque. On constate par exemple réseau alternatif en résistance aux structu- sur la côte est et dans le sud-ouest, mais que les idéaux républicains des patrio- res civiles. Cette position minoritaire conju- surtout, depuis la seconde moitié du dix- tes, sans remettre en cause la place du guée à l’esprit de la contre-réforme et aux neuvième siècle, partout en Amérique catholicisme, avaient considéré limiter son diverses traditions et aspirations nationales du Nord. Les différentes confessions, qui influence notamment dans le domaine des différentes communautés immigrantes avaient adopté des logistiques concurren- de l’éducation. L’échec de la rébellion de favorise la constitution d’une unité for- tes dans la multiplicité des services scolai- 1837-1838, suivi des changements d’allé- melle et de puissance associée à l’ensemble res, hospitaliers et caritatifs, ont envisagé geance d’une partie des élites libérales, des établissements catholiques. progressivement des regroupements et d’une part, et le dynamisme du clergé et des abandons qui se traduisent par la des milieux conservateurs appuyés par les La réalité est tout autre. L’apparence transformation ou la fermeture de lieux anglo-protestants, d’autre part, abouti- d’unité romaine occulte les motivations de culte et d’autres institutions. sent à cette consécration politique de propres aux différentes communautés l’Église catholique du Québec comme catholiques. L’emprise du clergé irlandais LE CATHOLICISME l’institution nationale par excellence à sur le catholicisme américain a souvent COMME RELIGION NATIONALE : partir de 1840. Ce rôle contraste avec la été assimilée à une revanche américaine LE CAS DE QUÉBEC faiblesse des administrations publiques5. sur la Grande-Bretagne. Les missions des communautés originaires du Québec sont Un projet historique (1840-1960) Cette mise en contexte explique l’omnipré- apparues comme une reconquête « spiri- sence du patrimoine religieux, en ville et à tuelle » d’un continent perdu en 1760. La situation du catholicisme au Québec est la campagne, à la fois sur les plans quanti- Les différentes églises nationales des donc en premier lieu relativement compa- tatif par le nombre, qualitatif par la monu- minorités italiennes, allemandes et sla- rable aux conditions minoritaires géné- mentalité et identitaire par la définition du ves affirment une appartenance culturelle rales en Amérique du Nord. Confession noyau paroissial comme le centre commu- particulière dans le siècle de la prise de certes majoritaire sur le plan démographi- nautaire par excellence. Pour saisir cette conscience des nationalités, au même titre que dans la province, une large part de importance, il faut considérer dans la très que les églises réformées pour les autres sa croissance institutionnelle au dix-neu- grande majorité des villes et des villages du immigrants. Chacun de ces groupes érige vième siècle reste dictée par un « accom- Québec la médiocrité des hôtels de ville et une architecture institutionnelle distinc- modement raisonnable » avec le pouvoir des autres bâtiments publics par rapport tive et similaire à la fois2. colonial britannique et l’État canadien, aux établissements catholiques. Il faut de lui-même héritier des objections des élites même souligner le recours des concepteurs L’Église catholique est bien plus qu’un lieu protestantes sur sa présence. et des bâtisseurs à une architecture civile spirituel pour ses fidèles ; son patrimoine et publique habillant les presbytères, les bâti raconte l’histoire des aspirations Toutefois, il faut aussi reconnaître qu’à collèges et les hôpitaux. C’est une mesure sociales, communautaires et familiales l’intérieur des frontières du Québec, de l’engagement civique tout comme de de générations de Nord-Américains, depuis l’époque du Bas-Canada jusqu’au la représentation symbolique du pouvoir comme le patrimoine bâti des protestants statut de province après 1867, l’Église communautaire confié au clergé catho- d’ailleurs, surtout en milieu où ils sont catholique maintient une position de lique et à ses communautés religieuses6. minoritaires. Cette dimension identitaire religion nationale établie sous le régime Pour mesurer ce rôle spécial en particulier demeure vive malgré le déclin réel de la colonial français. Son encadrement spi- au Québec, il faut enfin comparer l’im- pratique religieuse au sein des « grandes rituel définit les paroisses et il façonne plantation spatiale des établissements églises » au cours du dernier demi-siècle3. la géographie urbaine et rurale. La religieux avec d’autres sociétés américaines Il constitue un héritage tant des « vieux société civile lui confie un ensemble de du Nouveau Monde. L’héritage colonial catholiques » que dans la perception responsabilités sociales, éducatives et espagnol repose sur l’aménagement d’une

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place publique centrale où s’affrontent les né de l’encadrement et des contraintes œuvres et l’autonomie des communautés grands pouvoirs sociaux : l’Église, l’hôtel de dictés par la coordination générale du et des paroisses permettent d’ajuster ces ville et les maisons des grandes familles. haut clergé sur les paroisses et les œuvres modèles et idéaux à chaque contexte. En contrepartie, la tradition républicaine sociales face aux requêtes et aux projets Ainsi, l’ampleur des immeubles ainsi que aux États-Unis assure une complémenta- soumis par les fidèles et les communautés la complexité et le raffinement du décor rité entre l’institution religieuse et publi- religieuses10. Centralisation et autonomie et des matériaux varient selon les circons- que dont témoignent l’implantation et s’affrontaient dans un équilibre souvent tances et les ressources12. l’architecture monumentale néoclassique discret et difficile. Ainsi, cette structure des palais de justice ou des bureaux d’ad- confédérative conduisait à une concur- Cette mise en contexte est importante : ministration publique qui incarnent l’idéal rence et à une émulation entre les diffé- elle pose les conditions structurelles qui civique américain. Si ces derniers édifices rents fidèles, religieux et laïcs, et à une soutiennent le développement institu- occupent le centre de la ville, les églises et capacité de mobilisation et d’intervention tionnel des confessions chrétiennes en les établissements religieux se situent sur sans cesse réévaluée et réitérée jusqu’à la Amérique du Nord. Elle permet ainsi de les îlots adjacents. seconde moitié du vingtième siècle. distinguer l’échelle particulière du catho- licisme au Québec où il devient une struc- La place prépondérante des institutions Un patrimoine partagé ture nationale sans concurrence devant la catholiques dans l’espace communautaire faiblesse des institutions civiles locales et québécois est partiellement enchâssée Ces rapports entre les acteurs sur les plans la tolérance mesurée des gouvernements dans la Constitution de 1867 qui impose à immobilier et architectural se démontrent colonial et fédéral. La responsabilisation la province l’existence d’un système d’édu- par l’adoption de certains principes d’amé- des paroisses et des diocèses et la coordi- cation confessionnel divisé entre catho- nagement et de composition. Les diverses nation des œuvres des communautés reli- liques et protestants. L’historiographie études de cas démontrent une nette préfé- gieuses nous renseignent sur l’approche moderne a insisté sur les pressions du rence pour l’obtention d’une large parcelle confédérale et corporatiste privilégiée par clergé pour défendre ces prérogatives en prévision d’une croissance éventuelle. la hiérarchie ecclésiale. Celle-ci favorise une dans la santé et l’éducation7. Pourtant, Ces parcelles regroupent plusieurs fonc- certaine autonomie concurrentielle et un les nombreuses requêtes faites auprès tions entre l’église, la cure, la salle parois- étroit contrat social entre la société civile des communautés religieuses féminines siale et le cimetière, les communautés et l’institution religieuse. Enfin, la mise en de la part de particuliers bienveillants ou religieuses assurant tantôt l’éducation, les forme urbaine et architecturale souligne la de compagnies minières et forestières soins hospitaliers et les œuvres caritatives. vision d’ensemble à long terme, l’intention témoignent éloquemment de l’intérêt Le lieu de culte est souvent l’élément le symbolique et identitaire, la complémen- des laïcs à confier les œuvres sociales aux plus monumental. Son traitement archi- tarité des fonctions à l’intérieur de règles communautés religieuses8. Les raisons tectural affirme sa dimension symbolique typologiques établies. Tout cela laisse une sont multiples, mais le coût très bas des au centre d’un ensemble de bâtiments large place au jugement dans l’adéquation services offerts par les religieux et les reli- souvent utilitaires, destinés aux œuvres entre les ressources et les besoins du milieu gieuses devant les salaires versés dans le sociales et scolaires11. d’implantation et la pérennité de ce qui milieu éducatif ou hospitalier public ou s’impose comme le domaine communau- protestant a certainement été décisif. Sur le plan conceptuel, les recherches taire adapté à son contexte tout en sauve- Moindres aussi sont les risques de corrup- constatent le recours à quelques bâtiments gardant l’unité d’un patrimoine national. tion caractéristiques de nombreux projets types, c’est-à-dire à des immeubles qui publics de l’époque, tels les chemins de adoptent des règles communes de com- Ces stratégies communautaires et ces fer. L’Église offrait par le biais de ses éta- position dans l’organisation du plan et des modèles d’aménagement institutionnel blissements catholiques des services « bon élévations. La distribution des fonctions marquent le paysage québécois et s’ap- marché », bien gérés et régulièrement mis et le partage de méthodes constructives, pliquent là où se retrouvent les commu- à jour dans les moyens et les méthodes tel l’emploi préféré de la pierre ou de la nautés d’origine canadienne-française, d’enseignement, de soin et de secours9. maçonnerie alors que domine la construc- depuis les Maritimes jusqu’aux Provinces tion en bois dans la plupart des villes et des Prairies et aux Territoires du Canada, Un autre aspect important demeurait le villages, présentent une certaine régu- sans oublier les communautés d’immigra- dynamisme social de l’Église catholique larité. En même temps, la hiérarchie des tion établies en Nouvelle-Angleterre et

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dans l’Ouest américain de 1840 à 196013. Pourtant, au même moment, les nouvel- le temps avec la décolonisation et un À titre d’exemple : la congrégation Notre- les élites de la société civile, au Québec affranchissement du passé qui mettent Dame de Montréal construit un couvent comme ailleurs, commencent à contester en opposition l’Église catholique et la en pierre à Caraquet en 187414, la paroisse par l’appel à la modernité et à la théo- société civile comme des entités presque Sainte-Anne de Falls River entre 1884 et logie personnaliste le discours spirituel, étrangères. L’artifice rhétorique remet 1895 tente de reproduire l’architecture idéologique et la mainmise sociale à tra- en cause la légitimité sociale du contrat et les dévotions associées à Sainte-Anne- vers les œuvres diverses19. historique, permet de dévaluer la contri- de-Beaupré15, les sœurs Grises ouvrent un bution communautaire des religieux et hôpital à Calgary en 1891, et les sœurs de Le débat sur la modernisation de la société des religieuses et justifie une spoliation la Providence établissent une académie québécoise, que l’on situe volontiers dans sociale et immobilière. Les œuvres et à Vancouver dans l’État du Washington les bouleversements économiques de les biens d’un groupe marginalisé, les en 1856. Une certaine parenté entre ces l’après-guerre ou l’effervescence sociale clercs et les communautés religieuses, établissements qui se multiplient sur le des années 1960 et qui se conjugue avec sont transférés et, dans certains cas, continent est visible selon la période de le renouvellement de l’Église catholique, quasiment expropriés, vers le groupe en construction ; un véritable réseau s’im- transparaît ainsi dans les transformations croissance des nouvelles élites, les pro- plante a mari usque ad mare16. et les adaptations des œuvres des commu- fessionnels laïcs et les classes moyennes. nautés religieuses. L’institution catholique Ce transfert demeure avant tout une En fait, les transformations architectura- doit négocier entre une volonté de péren- opération « en famille », car le clergé est les nous renseignent sur une transition nité millénaire associée à un certain res- composé des parents des membres de progressive entre la tradition incarnée pect pour des rituels et des valeurs qui sont cette même société civile ; l’opposition par l’institution catholique et la moder- régulièrement confrontés au désir d’agir et est générationnelle. Cette perspective nisation effective des établissements et de servir les gens dans un contexte social donne un autre sens au déclin de l’appel des pratiques17. Les Augustines de l’Hô- et culturel en évolution. Sur le plan spiri- de la vie religieuse pour les plus jeunes tel-Dieu de Québec procèdent en 1892 tuel, l’encadrement des fidèles demande qui voient désormais la possibilité de à un agrandissement de leur hôpital qui au clergé de renouveler sans cesse les s’engager sur les plans hospitalier, cari- intègre l’implantation classique autour moyens d’animer leur foi. Sur le plan social, tatif, scolaire et communautaire en parti- d’une cour intérieure tout en adoptant le contrat accordé par la société civile en cipant à l’expansion des ambitions et des une construction résolument moderne sur éducation, dans les soins de santé et les ressources de la société civile22. le plan technique. Une deuxième recons- secours caritatifs, exige une mise à jour des truction entre 1927 et 1931 supprime deux méthodes et des moyens, dont le domaine Pour l’Église catholique, entre ses parois- ailes historiques pour les remplacer par de immobilier. Ce patrimoine bâti est ainsi le ses, ses communautés et ses œuvres, la nouveaux pavillons en béton armé. Cette reflet non seulement de l’évolution des spoliation se traduit par deux processus transformation pose immédiatement la établissements catholiques dans ses com- parallèles. Une première démarche très question du patrimoine historique avec posantes, mais aussi celui de la société qu’il rapide procède à une sorte de nationali- le classement de la chapelle construite au dessert et qui le soutient20. sation, une étatisation et une sécularisa- début du dix-neuvième siècle18. tion de nombreux hôpitaux, institutions Une spoliation moderne caritatives et scolaires. Les laïcs de plus en Le vaste mouvement d’investissement col- plus nombreux, munis de leurs nouveaux lectif de la société civile par l’entremise La coupure des années 1960 entre une diplômes collégiaux et universitaires dans des communautés religieuses auxquelles part croissante de la société civile et ces secteurs, prennent la relève d’une on confie de nouvelles fonctions démarre l’institution religieuse catholique est main-d’œuvre religieuse insuffisante. Un véritablement après 1840 pour s’arrêter néanmoins réelle. Cette dynamique est second processus plus lent, profitant de assez brusquement, en apparence, avec commune à l’ensemble des pays occiden- l’autonomie légale des paroisses et des le concile Vatican II au début des années taux, quoiqu’avec une rapidité et une communautés religieuses, procède à une 1960. En nombre de membres et d’œu- acuité variables. L’expérience québécoise vente progressive des actifs immobiliers vres, l’Église catholique du Québec avait se distingue par son envergure et son dont le nombre s’accélère actuellement connu un sommet et une apparente omni- empressement21. La « modernisation » avec le décès des générations plus vieilles présence dans la décennie précédente. invoquée par cette rupture coïncide dans de paroissiens, de curés et de religieux.

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Depuis les années 1960, les communau- foncière des terrains et des bâtiments. Ce désormais Québécois pour marquer la tés religieuses ont cédé souvent de façon geste apparemment bienveillant envers transition d’une minorité pancanadienne volontaire leurs établissements hospita- ces propriétaires religieux participe à une par association à une majorité relative à liers, caritatifs et scolaires dans l’espoir de dévaluation financière. Celle-ci favorise un territoire. La rupture du contrat social sauver l’œuvre, témoignant la sincérité de leur vente à un prix modeste à la société entre l’institution catholique et le gouver- leur engagement social. Parfois, la situation civile qui procède à des opérations immo- nement du Québec pour les œuvres hos- financière difficile des institutions force un bilières ponctuelles selon la logique de pitalières, caritatives et éducatives illustre peu la main de cette cession devant l’in- la « main invisible » du marché, à Sillery avec éloquence la fin de cet investisse- suffisance des subsides publics. La société comme ailleurs au Québec. L’atomisation ment mutuel entre les deux partenaires civile trouve ensuite les moyens, grâce des opérations permet, en principe, une d’une même société civile. Les ensembles aux politiques en santé et en éducation, transition progressive de biens privés paroissiaux et les domaines conventuels de financer ce qu’elle refusait quelques depuis près de un demi-siècle. encore existants forment une deuxième années plus tôt aux communautés reli- composante dont la sauvegarde est lais- gieuses23. Cet écart d’une dizaine d’années La société québécoise et nord-américaine sée à l’initiative des citoyens, du clergé entre la quasi-faillite des établissements se trouve donc en ce début de vingt et et des communautés religieuses. On catholiques et les nouvelles ressources de unième siècle à la fin d’un cycle d’éta- constate que ce second processus de prise l’État-providence pour ces mêmes œuvres blissement, de croissance et de déclin en charge montre une fracture sans grand laïcisées manifeste le nouveau contrat d’une structure institutionnelle, sociale éclat en contraste avec les grandes opéra- social établi par la société civile. Le fait que et politique enracinée dans une religion tions d’anticléricalisme connues en France les œuvres catholiques soient directement partagée et affirmée. Elle nous a légué à la Révolution de 1789 ou dans l’Espagne transmises à la responsabilité de l’État qué- un patrimoine non négligeable qu’il nous républicaine entre 1934 et 1938. bécois en pleine croissance, sans considérer appartient de réintégrer dans nos paysa- une autre alternative, révèle la dimension ges culturels. En Amérique du Nord, l’État-providence nationale portée par les établissements avait assuré la transmission et le finance- catholiques sur ce territoire24. Toutefois, il faut constater que ce dou- ment des œuvres sociales, hospitalières et ble processus de passation présente éducatives de l’Église catholique en créant La gestion du domaine immobilier des aujourd’hui ses limites pour la pérennité un secteur « parapublic » largement investi communautés religieuses qui n’ont pas des œuvres et des bâtiments liés aux éta- par deux générations issues des nouvel- été directement touchées par cette éta- blissements hospitaliers et éducatifs étati- les classes moyennes. Le discours politique tisation a été laissée à la discrétion des sés ainsi que pour la sauvegarde physique actuel envisage désormais une privatisa- propriétaires, tout comme celle des fabri- du parc immobilier plus large des biens tion plus directe au profit d’une partie des ques. Certaines morcellent leurs proprié- paroissiaux et des communautés religieu- membres de la société civile. Cette propo- tés ; d’autres les louent ou les vendent à ses en voie de déshérence. Les processus sition suggère un changement structurel des tiers. L’exemption fiscale sur la taxa- diffèrent dans les deux types de transfert, fondamental de biens naguère au service tion municipale en raison de la vocation mais la finalité des opérations coïncide de la collectivité, aujourd’hui étatisés et communautaire des propriétés de com- avec les intérêts particuliers de certains demain privatisés25. Le débat est ouvert ; munautés religieuses atteste directement membres de la société civile. certains verront dans ce transfert une d’une reconnaissance civile de la contri- étape essentielle à la modernisation de bution de ce patrimoine. Ce privilège ASSURER UN AVENIR la société québécoise, d’autres pourront disparaît avec la passation aux nouveaux AU PATRIMOINE RELIGIEUX l’analyser comme une autre cassure dans propriétaires ; la municipalité envisage une continuité sociale et identitaire. une croissance des redevances fonciè- Les limites structurelles res. Or, lors de nos travaux, nous avons Sur le plan architectural, la transforma- découvert à Sillery, un des quatre arron- La Révolution tranquille est souvent assi- tion physique de la plupart des institu- dissements historiques à Québec dans les- milée à la fin du catholicisme comme tions reprises par l’État témoigne d’une quels se trouve bon nombre de domaines religion sociale unissant les Canadiens large indifférence marquée par une religieux, que la mesure était augmen- français qui, pour ceux qui se trouvent volonté de rupture conséquente avec l’ef- tée par une sous-évaluation de la valeur dans « la belle province », se nomment ficacité à court terme de la modernité.

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Le patrimoine historique, sur le plan phy- de destruction complète ou partielle sous-évaluation des biens immobiliers sique aussi bien qu’immatériel, est une que ceux d’il y a quarante ans, comme religieux, les propriétaires n’ont guère les ressource exploitée dans l’immédiat qui le démontre le cas du monastère des moyens d’envisager une mise en valeur adopte une logique comparable à celles Franciscaines à Québec29. Faut-il s’étonner au-delà de faire face aux coûts d’entretien des agrandissements et des transforma- d’un tel discours alors que les conditions et de fonctionnement. tions dictés par les nouveaux program- structurelles demeurent les mêmes ? mes. Là où avaient primé la cohérence Lorsque des travaux plus importants s’im- d’ensemble, la pérennité et la continuité De nombreuses églises sont fermées, posent, les fabriques et les communautés formelle des immeubles s’imposent désor- ou condamnées à l’être sans que leur religieuses doivent choisir entre la vente mais la logique ponctuelle, le résultat à reconversion soit assurée, sans parler ou la recherche de subventions. Dans les court terme et l’affirmation du temps des presbytères et des anciennes écoles deux cas, il faut s’en remettre à la société présent. Le milieu hospitalier illustre ces qui complétaient le noyau paroissial. civile : les promoteurs privés et leurs inté- changements dramatiques ; la croissance Le moratoire actuellement en vigueur rêts pour le patrimoine immobilier et his- des moyens et des ressources a entraîné à Sillery concernant le développement torique, ou l’État plaçant les communautés une transformation chaotique des bâti- immobilier des propriétés des commu- religieuses et les paroisses dans le cortège ments et des sites26. nautés religieuses signale avant tout des demandeurs de subventions. les limites de faisabilité financière d’un Du côté des paroisses et des communau- projet résidentiel conventionnel sur des Nous constatons ainsi une impasse eu tés religieuses, le bilan n’est guère plus sites pourtant exceptionnels par leurs égard à ce processus inachevé de sécula- convaincant dans la prise en charge de attributs physiques, leur localisation et risation du domaine des biens religieux. leurs anciens édifices par le secteur privé le marché haut de gamme envisagé. Très L’État québécois ne conçoit pas d’allouer ou public. La sous-évaluation financière peu d’autres ensembles paroissiaux ou les ressources pour imaginer une natio- des biens paroissiaux et conventuels n’a de domaines conventuels réunissent de nalisation effective, selon le modèle fran- pas suscité l’intérêt généralisé des promo- pareilles conditions et leur reconversion çais. Le secteur privé du grand capital se teurs privés pour la reconversion de ces est ainsi d’autant plus problématique. lance rarement dans une opération de sites et bâtiments. D’une part, l’offre de grande envergure proposant une profi- sites à développer en ville avec les projets Certes, la valeur patrimoniale constitue tabilité marginale inférieure à dix pour de rénovation urbaine et l’ouverture des une dimension croissante depuis une cent sur le plan financier. D’une part, le banlieues a marginalisé l’intérêt de ces quinzaine d’années, confirmée par la Québec doit reconnaître sa spécificité grandes parcelles. D’autre part, la logi- création du Fonds du patrimoine reli- avec une longue tradition d’investis- que d’un urbanisme normatif et d’une gieux, en 1996, par le ministère de la sement immobilier stable, sécuritaire, architecture standardisée déclassait les Culture, des Communications et de la mais aussi de rendement modeste et très opérations de recyclage demandant Condition féminine, qui subventionne décentralisé dans sa structure financière finesse et jugement27. les travaux d’entretien, de réfection et de et de construction32. D’autre part, il doit restauration, notamment pour les lieux aussi composer avec les logiques conti- De l’autre côté de la médaille, les domai- de culte. L’intention est sincère et l’aide nentales marquées par les traditions bri- nes conventuels morcelés et partiellement peu contraignante, ce qui a généré des tannique, américaine et protestante. vendus au cours des dernières décennies dérives justement remarquées30. La com- n’ont pas assuré le financement escompté mission parlementaire commandée par le À ce titre, considérons les stratégies struc- par les communautés. En outre, ce phéno- gouvernement québécois en 2005 témoi- turelles adoptées lors de la réforme pro- mène a abouti à un aménagement urbain gne aussi d’une préoccupation quant à testante en Europe et aux États-Unis. Les désordonné bousculé par les impératifs à l’avenir de ce patrimoine, dans ses dimen- institutions hospitalières, caritatives et court terme des promoteurs28. sions immobilières, archivistiques, maté- scolaires des ordres religieux abolis sont rielles et immatérielles31. Mais l’ampleur transférées vers deux formes de prise en Il faut considérer qu’aujourd’hui les du domaine religieux dépasse largement charge : soit une nationalisation complète promoteurs des projets les plus récents les moyens envisagés actuellement par la par les gouvernements nationaux, notam- de reconversion de propriétés religieu- société civile, par l’entremise soit de l’État ment en Angleterre, en Allemagne et en ses invoquent les mêmes arguments soit du secteur privé. Conséquence de la Scandinavie avec l’église officielle, soit la

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passation des biens à des fiducies et à des des ensembles réalisés entre la fin du dix- de notre connaissance sur ce patrimoine fondations tels les exemples écossais et neuvième siècle et les années 1950 dont bâti ressort aussi lors du relevé architec- américain. Dans les deux cas, la société la valeur comme « monument historique » tural et des analyses entreprises sur les civile ayant reconnu la profitabilité margi- est discutable. Cependant, ils forment transformations du monastère de l’Hôtel- nale des œuvres sociales, la pérennité des avec les milliers d’autres propriétés des Dieu au cours des étés de 2006 à 2008. œuvres est assurée par un financement communautés et des paroisses catholiques Ces études démontrent l’antiquité de public direct ou une autonomie financière un paysage culturel de taille à réactualiser. certaines parties des murs – datant du complète ou partielle33. D’ailleurs, cette Ils méritent notre attention, car ils posent dix-septième siècle –, mais aussi les modi- dernière approche se compare aux fiefs et un défi au-delà d’une simple valorisation fications substantielles apportées à partir aux seigneuries concédés aux premières historique ; comment convaincre la société des années 1930. communautés religieuses sous le Régime de l’intérêt à recomposer ce patrimoine français pour assurer une partie de leur immobilier banal à plusieurs égards ? En remontant le fil du temps, nous avons financement34. Pourrait-on s’inspirer d’un pu retrouver les intentions originales des tel mécanisme et l’actualiser à la lumière Pour qu’ils comprennent bien les poten- divers plans d’ensemble. En les compa- des circonstances particulières du vingt et tiels des lieux ou d’une propriété, nous rant avec la série de modifications qu’ont unième siècle ? proposons aux étudiants de considérer subies les propriétés étudiées, nous per- les enjeux d’aménagement à différentes cevons régulièrement l’ordre inachevé Les limites conceptuelles échelles : le site dans le cadre urbain, les de ces ensembles. Le fait d’établir une bâtiments à l’échelle architecturale et vision pour un projet d’envergure à long À côté des questions posées par la ges- les intérieurs à l’échelle des détails afin terme, en étapes distinctes et à réaliser tion et le financement du patrimoine reli- de distinguer les éléments caractéristi- progressivement, est assez commun et gieux, notre recherche-création porte sur ques, les plus exceptionnels comme les s’inscrit dans une logique reconnaissable la conception de projets d’intervention, plus communs. Bref, nous les invitons dès le Régime français. Cela souligne l’im- généralement dans le cadre d’ateliers de à analyser l’état existant ainsi que son portance qu’on accordait à la cohérence deuxième cycle et occasionnellement de évolution. Ce premier examen à travers global du projet tout en composant avec premier cycle à l’École d’architecture, ou un filtre typomorphologique confirme à les ressources disponibles. Nous observons d’essais-projets d’étudiants à la maîtrise chaque fois la nature monumentale des aussi que les architectes et les bâtisseurs professionnelle sous notre supervision35. ensembles paroissiaux et des domaines successifs divergeaient souvent du plan L’ensemble de ce travail effectué sur conventuels, mais aussi le caractère pro- initial ; ils construisaient des ajouts à leur une période de cinq ans nous a permis saïque des lieux et l’humilité des détails gré selon les méthodes contemporaines et de reconnaître un certain nombre d’élé- qui rappellent le dénuement matériel obtenaient des résultats parfois mitigés, ments récurrents sur le devenir du patri- d’une société traditionnelle pauvre. parfois intéressants. moine religieux. La volonté de réaliser un projet nous met Nous avons aussi appris que la nature D’emblée, la démarche préconisée repose devant l’importance de la recherche sur morphologique, la forme et le volume sur une approche pragmatique et fac- les lieux, pour mesurer leurs caractéris- d’un espace se prêtent plus à un certain tuelle marquée par la conception d’un tiques spatiales, et celle dans les archi- type d’usage qu’à un autre ; l’examen de projet ; les considérations idéologiques ves. Les archives religieuses sont souvent la conception de différents immeubles sur l’importance et la valeur patrimoniale riches et précises, mais nous constatons confirme qu’il y a une adéquation récur- des lieux ne font pas explicitement par- des limites aux sources documentaires les rente entre les usages et la morphologie tie des objectifs pédagogiques36. En effet, plus récentes. Par exemple, l’état actuel des lieux. Plus particulièrement, les lieux les Nouvelles Casernes, bâtiment faisant des lieux est mal relevé : s’il existe des dits organiques, destinés à des usages partie du lieu historique du Canada du plans d’évacuation, il n’y a pas nécessai- communs, s’adaptent mieux si leur qualité parc de l’Artillerie, et le monastère de rement de coupes ou d’élévation. Cette morphologique est respectée ; par exem- l’Hôtel-Dieu, tous deux construits à la information médiocre reflète, au moins ple convertir une chapelle en conservant fin du Régime français, constituent les inconsciemment, un intérêt marginal sa fonction de lieu de rassemblement a seuls monuments classés. Les cinq autres pour un objet jugé par certains de peu de de plus grandes chances d’adaptation domaines abordés dans les ateliers sont valeur, ou encore à dévaluer. La précarité que le fait de la compartimenter. Les

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lieux sériels, ceux qui sont déjà divisés en typomorphologiques et historiques, nous la construction neuve tient peu compte compartiments réguliers comme les cellu- exigeons des étudiants une recherche cri- des coûts environnementaux et sociaux. les le long d’un corridor dans un monas- tique sur les enjeux urbains, sociaux et Il est clair que la finalité du cadre éco- tère, accueillent facilement les usages dits économiques. Ils sont conséquemment nomique est maintenant de favoriser la privés. Le couvent converti en foyer pour invités à considérer la pertinence des construction neuve, laissant peu de place personnes âgées ou en bureaux respecte divers programmes, de nouveaux usages, à une autre approche40. aussi ce principe. De plus, il est alors pos- et leur disposition dans les lieux étudiés. sible d’insérer ces nouveaux usages en L’indécision du gouvernement du Québec altérant peu le tissu original du bâtiment, La préoccupation de pérennité associée après le rapport de la commission par- réduisant par la même occasion l’ampleur à la foi et aux œuvres s’est traduite par lementaire montre que la société civile et le coût des travaux37. un souci constant de relativement bien est peu pressée de considérer la réalité construire les établissements de la part des économique de la valeur et du coût d’en- À l’intérieur d’un ensemble paroissial ou propriétaires religieux. Nous remarquons tretien de ces biens immobiliers religieux. d’un complexe conventuel, l’église ou la d’ailleurs que cette solidité matérielle a Pour le moment, la démarche usuelle chapelle constitue, règle générale, l’élé- même souvent prévalu sur la complexité ouvre deux options : soit la vente à bas ment dont la valeur patrimoniale est la de la composition et du décor architectu- prix des domaines au secteur privé ou plus claire dans une logique de monument ral. À cette approche rationnelle s’ajoute leur cession à des agences parapubliques historique38. Le public leur accorde une une tradition d’entretien des ensembles pour réaliser un projet apparemment ren- grande importance, ce qui fait que trop conventuels. Cela ne sous-entend pas qu’il table ; soit la subvention des travaux pour souvent on vend, détruit, ou recycle plus faille ignorer les rénovations mal avisées, une partie du patrimoine religieux. Dans aisément les autres bâtiments voisins, ou souvent les plus récentes, mais suggère le fond, ces deux options transfèrent la les ailes plus banales dans leur décor et que ce qui est présent doit être appré- responsabilité et l’initiative de l’avenir du plus simples dans leur organisation spa- cié et judicieusement évalué avant d’être patrimoine religieux à la société civile, tiale. Peu à peu, le lieu de culte se trouve détruit ou remplacé. Ce parti pris s’inscrit sans toutefois assurer la sauvegarde des isolé, perdant son contexte et son sens. parfaitement dans la logique du dévelop- intérêts communautaires initialement Pour éviter l’impasse d’un lieu de rassem- pement durable qui rejoint ainsi les objec- investis dans ces domaines. blement inutile au milieu de nouveaux tifs de sauvegarde du patrimoine bâti. usages indifférents, il vaut mieux conser- Nos recherches-créations révèlent réguliè- ver la complémentarité initiale entre Le patrimoine bâti est généralement rement que la conversion et l’accueil de l’église et ses établissements voisins39. sous-évalué sur le plan financier. Cela nouveaux usagers et fonctions dans des contribue à une dévalorisation struc- bâtiments et sites exigent de s’inspirer des Le patrimoine religieux représente une turelle des milieux anciens et à favori- intentions analogues à celles qui avaient grande unité architecturale dans le recours ser leur remplacement. La logique est guidé leur formation. Il faut maintenir à des typologies communes pour ses dif- empruntée au renouvellement de l’équi- une vision d’ensemble à long terme, tout férents bâtiments. Conceptuellement pement industriel où une obsolescence, en considérant des transformations éven- l’architecture des écoles, des hôpitaux et souvent virtuelle, est incluse dans les tuelles, moduler ces mutations en fonc- des couvents est similaire ; celle des cha- calculs de dépréciation et allège la fisca- tion des différents immeubles et au fur et pelles et des églises de même. Toutefois, lité immobilière. Cet artifice a pour effet à mesure que les parcelles se libèrent. l’intégration de nouveaux usages hier, qu’on sous-estime les valeurs du marché comme demain d’ailleurs, doit mesurer ainsi que le coût réel de reconstruction. Pertinence et continuité leur pertinence dans le contexte parti- Aujourd’hui, on évalue les coûts de culier. Il n’existe pas une solution univer- reconstruction sur la base des techniques On peut reconnaître à l’échelle du conti- selle, de normes applicables à toutes les et des matériaux contemporains, évitant nent une certaine similitude structurelle situations, ce qui rappelle d’ailleurs les ainsi de prendre en compte la valeur et nord-américaine au patrimoine et au manières dont les diverses œuvres des la qualité des matériaux plus anciens paysage religieux dans sa « multi-confes- communautés catholiques étaient étroi- et le savoir-faire impliqué dans leur sionnalité » chrétienne, avec des tonalités tement enracinées dans leur milieu social assemblage. Par ailleurs, la comparaison régionales particulières : ils sont variés et local. Dans nos cours, en aval aux études actuelle des coûts entre la rénovation et relativement sectaires, ils ont souvent

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une connotation ethnique, ils couvrent La rupture coïncidant avec la Révolution fiscales traditionnelles. C’est un un vaste programme immobilier de lieux tranquille peut être analysée comme la principe de précaution à long terme de culte et de services communautaires ; fin du contrat social entre l’institution qui s’inscrit à la fois dans une logi- leur existence et leur soutien sont paral- catholique et la société civile. Celle-ci que de défense des intérêts collec- lèles aux établissements civils. décide de désormais gérer les œuvres tifs, de sauvegarde du patrimoine hospitalières, caritatives et scolaires par et de développement durable. C’est La construction et la gestion du parc l’intermédiaire des institutions publiques aussi reconnaître que l’on ne peut immobilier du patrimoine religieux au étatisées dans la logique québécoise présumer de l’avenir sur la place et Québec s’inscrivent dans une approche d’un État-providence moderne où les le rôle des œuvres communautaires comparable à celles des autres confes- laïcs assurent les responsabilités dévolues à moyen et long terme, avec ou en sions chrétiennes en Amérique du Nord. naguère aux communautés religieuses. dehors de l’institution catholique. La dimension catholique ajoute le défi Ce patrimoine d’origine religieux a été d’avoir à négocier sa place et sa raison rapidement transféré à ces nouveaux - L’autonomie locale des fabriques et d’être avec des régimes politiques géné- gestionnaires qui ont démontré peu des communautés religieuses doit ralement peu favorables en raison de d’intérêt envers son entretien éclairé et être reconnue tout en assurant une l’influence des églises protestantes sur sa sauvegarde. coordination d’ensemble. Même si les traditions politiques britannique et un tiers acquiert la propriété, l’in- américaine. Cette négociation demande Le patrimoine religieux en voie d’être tention est de favoriser l’initiative de la part de l’Église une coordination libéré constitue un deuxième lot de biens locale pour arrimer les transforma- et une unité qui se conforment aux exi- paroissiaux et conventuels dont l’avenir a tions à leur contexte, mais aussi de gences vaticanes en plus de consolider été laissé jusqu’à maintenant aux « mains poser des objectifs et des critères les positions d’une religion minoritaire invisibles » du marché et d’une fisca- communs en plus d’assurer une ou minorisée exigeant une obéissance et lité bienveillante, mais aussi réductrice logistique de mise en œuvre. une dévotion de ses membres, séculiers quant à la valeur des biens. L’ampleur et clercs. de ce patrimoine dépasse largement les - La capacité de gérer et de res- capacités du secteur privé d’en faire des ponsabiliser les initiatives locales Par ailleurs, dans le contexte québécois, opérations immobilières rentables dans demande de réviser les cadres l’Église catholique dans ses différentes le cadre étroit d’un développement spé- juridique et financier en explorant composantes se substitue entre 1840 et culatif courant. La sauvegarde ponctuelle les implications d’une structure de 1960 à l’existence d’institutions laïques de certains immeubles et ensembles fiducie pour préserver les actifs assurant les soins hospitaliers, caritatifs repose sur l’accès à des subventions qui immobiliers des fabriques et des et la formation scolaire. Le contrat social assurent des travaux souvent d’urgence communautés religieuses ainsi entre l’Église et la société nous rensei- sans établir une stratégie à long terme. qu’une réévaluation fiscale pour gne peut-être autant sur la puissance de consolider leur assise financière. La l’institution collective que sur les intérêts L’expérience de la recherche – en atelier démarche s’inspire des expériences et les faiblesses des laïcs, notamment les avec les étudiants et lors des travaux de historiques dans le contexte des élites qui organisent cette répartition la Chaire de recherche du Canada en églises protestantes pour assurer des responsabilités communautaire. patrimoine religieux bâti – suggère qu’il une pérennité des œuvres. Cette place de l’église augmente et se faille considérer de revenir aux principes renouvèle à chaque génération jusqu’aux et aux objectifs de création, de gestion - La recherche documentaire et sur années 1960 de manière à s’adapter aux et d’usages de ces lieux pour guider leur le terrain concernant les caracté- nouveaux besoins d’une société en crois- transformation comme ils avaient assuré ristiques physiques, architecturales sance démographique rapide et en voie leur croissance. Voici les leçons que nous et urbaines des propriétés et l’ana- d’urbanisation et d’industrialisation. Ce avons retenues : lyse de leurs contextes historique, rôle élargi des établissements religieux social et économique constituent s’inscrit dans un objectif de pertinence et - La vocation communautaire doit des éléments incontournables et de continuité, renouvelant ainsi la voca- primer sur les intérêts strictement préalables à la mise en valeur. C’est tion communautaire des œuvres. privés en échange des concessions aussi la seule manière d’élargir nos

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connaissances sur la composition NOTES Religion in North America, 1840-1960, thèse de et la transformation des lieux41. À doctorat, Berkeley, University of California. l’inverse, ignorer ces étapes est un 1. Baudouin, Gustave, 1919, « Nos vielles égli- 7. Ferretti, 1999. ses. La désolation de nos monuments his- aveu sur l’intention de sous-évaluer 8. Martin, 2002. toriques », La revue nationale, vol. 1, no 2 ; les lieux. Traquair, Ramsay, Olivier Maurault et Antoine 9. Oates, Mary, 1995, The Catholic Philanthropic Gordon Nelson, 1941, « La conservation des Tradition in America, Bloomington and - L’expérience acquise lors des projets monuments historiques dans la province du Indianapolis, Indiana University Press ; Danylewycz, Marta, 1987, Taking the Veil: An d’atelier et de recherche à l’École Québec », Revue trimestrielle canadienne, mars ; Noppen, Luc et Lucie K. Morisset, 2005, Alternative to Marriage, Motherhood and d’architecture et à la Chaire per- Les Églises du Québec : Un patrimoine à réin- Spinsterhood in Québec, 1840-1920, Toronto, met d’établir un premier canevas venter, Ste-Foy, Québec, Presses de l’Univer- McClelland and Stewart ; Laurin, Nicole, sur une démarche intégrée, tenant sité de Québec ; Turgeon, Laurier (dir.), 2005, Danielle Juteau et Lorraine Duchesne, 1991, À la recherche d’un monde oublié : les com- compte de la logique historique, Le patrimoine religieux du Québec : de l’objet cultuel à l’objet culturel, Centre interuniver- munautés religieuses de femmes au Québec des qualités actuelles et de la fai- sitaire d’études sur les lettres, les arts et les de 1900 à 1970, Montréal, Le Jour. sabilité potentielle. Cette approche traditions (CELAT), Québec, Presses de l’Uni- 10. L’initiative pouvait souvent venir des religieu- versité Laval. initiale serait à bonifier par l’expé- ses qui organisaient régulièrement des collec- rience à venir, tant lors de nouvel- 2. Perin, Roberto, 1993, Rome et le Canada : la tes de fonds avec le concours des associations les recherches que la réalisation de bureaucratie vaticane et la question nationale, d’auxiliaires dans le but de subvenir à leurs 1870-1903, Montréal, Boréal. œuvres ; parfois ces plans se butaient à des projets. obstacles provenant de plus haut dans la hié- 3. On ne doit pas confondre ce déclin avec les rarchie ecclésiale. courants protestants évangélistes qui eux, au Le défi culturel que pose une telle révi- contraire, prennent de plus en plus d’ampleur 11. Martin, Tania, 2006, « Les cadres du culte : sion du modus operandi pour le patri- chez les chrétiens. Le noyau paroissial et l’église », dans Lucie K. moine religieux dépasse les aspects Morisset, Luc Noppen et Thomas Coomans 4. Rousseau, Louis et Frank W. Remiggi (dir.), 1998, (dir.), Quel avenir pour quelles églises ?, techniques, économiques, légaux ou Atlas historique des pratiques religieuses : le Québec, Presses de l’Université du Québec, constructifs. Ce défi propose de réviser Sud-Ouest du Québec au XIXe siècle, Ottawa, p. 351-370. trois prémisses héritées de la Révolution Presses de l’Université d’Ottawa ; Courville, Serge et Normand Séguin (dir.), 2001, Atlas 12. Martin, 2002 ; Martin, Tania et François Dufaux, tranquille au Québec. L’avenir de ces historiques du Québec : La paroisse, Sainte- 2005, « Bâtiments cherchent vocation ! Projets biens doit se soustraire au choix entre Foy, Québec, Presses de l’Université Laval ; d’atelier sur le recyclage du patrimoine reli- l’étatisation improbable ou la privatisa- Ferretti, Lucia, 1999, Brève histoire de l’Église gieux du Québec », dans Laurier Turgeon (dir.), tion insolvable d’un patrimoine immo- catholique au Québec, Montréal, Boréal ; Kelly, Le patrimoine religieux du Québec…, op. cit., Stéphane, 1997, La petite loterie : comment la p. 529-543 ; recueils des ateliers : Résidence Mgr bilier à vocation sociale, pour envisager Couronne a obtenu la collaboration du Canada Lemay–2004, Saint-Charles-de-Limoilou–2004, un statut tiers responsable, autonome et français après 1837, Montréal, Boréal. Monastère de l’Hôtel-Dieu–2005, Domaines conventuels de Sillery–2006, Les Nouvelles imputable, dont l’objectif est la sauve- 5. Gauvreau, Michael, 2005, The Catholic Origins Casernes–2007, Les pères de l’Assomption et garde de l’intérêt public. Comme société, of Québec’s Quiet Revolution, 1931-1970, les sœurs de Sainte-Jeanne d’Arc–2008. nous devons surmonter le conflit entre- Montreal, McGill-Queen’s University Press ; 13. La thèse de Tania Martin (2002) examine ce tenu par la société civile envers l’Église Sylvain, Philippe et Nive Voisine (dir.), 1991, Histoire du catholicisme québécois, Volume 2, phénomène. catholique et symboliquement son patri- Les XVIIIe et XIXe siècles : Réveil et consolida- 14. Lagacé, Sylvain, 2008, Un collège universitaire moine immobilier pour mieux définir les tion 1840-1898, Montréal, Boréal Express ; à Bathurst, essai-projet, Québec, Université Fecteau, Jean-Marie, 2004, La liberté du pau- intérêts historiques et contemporains des Laval. e deux partenaires. Par ailleurs, pour l’en- vre : Crime et pauvreté au XIX siècle québé- cois, Montréal, VLB Éditeur. 15. Brault, Gerard J., 1986, The French-Canadian semble de la société québécoise, il s’agira Heritage in New England, Hanover (NH), 6. Communauté urbaine de Montréal (CUM), de retrouver un soin dans la gestion et University Press of New England. Service de la planification du territoire, 1984, l’entretien des ressources héritées du Architecture religieuse II : les Couvents, 16. Martin, 2002. passé, aussi bien naturelles que cultu- Répertoire d’architecture traditionnelle sur 17. Ibid. relles, dont l’environnement bâti. Nous le territoire de la Communauté urbaine de 18. Dufaux, François, Mathieu Lachance, Jean espérons que cette nouvelle perspective Montréal, Montréal, CUM ; Michaud, Josette, 1991, Le Vieux Montréal. Les œuvres du temps, Guérette et François Gonthier-Gignac, 2007, permettra de réactualiser la contribution Montréal, Guérin ; Martin, Tania, 2002, The Monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de communautaire et nationale de cet héri- Architecture of Charity: Power, Gender, and Québec : Relevés et analyse architecturale, été 2006, rapport de recherche, Québec, École tage commun.

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d’architecture de l’Université Laval ; Dufaux, hôpitaux au Québec (rapports des ateliers de 33. Rodger, Richard, 2001, The Transformation of François, Mathieu Lachance, Jean Guérette et maîtrise en programmation architecturale, Edinburgh: Land, Property and Trust in the Marc-André Bouchard-Fortin, 2007, Monastère 2004-2009). Nineteenth Century, Cambridge, Cambridge des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec : University Press. 27. Le zonage avec ses usages exclusifs et ses Analyse historique des bâtiments, été 2007, distances minimales, le Code national du 34. Lebel, Alyne, 1981, « Les propriétés fonciè- rapport de recherche, Québec, École d’ar- bâtiment traditionnellement hostile aux res des Ursulines et le développement de chitecture de l’Université Laval ; Dufaux, constructions anciennes, les modèles de Québec, 1854-1940 », Cahiers de géographie François et Jérémie Bisson, 2008, Monastère logements modernes et les superficies stan- du Québec, vol. 25, no 64, p. 119-132. des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec : dardisées érigent tous différents obstacles Une recherche sur la logique spatiale des 35. L’atelier, dans le programme d’une école d’ar- normatifs qui rendent difficile la conversion bâtiments, été 2008, rapport de recherche, chitecture, est un cours d’un trimestre dans des propriétés conventuelles. Québec, École d’architecture de l’Université lequel une quinzaine d’étudiants abordent un Laval. 28. Alexandre Laprise en fait la démonstration exercice de conception en architecture ou en dans une étude de cas (dans son mémoire design sous la supervision d’un professeur et 19. Meunier, E.-Martin et Jean-Philippe Warren, en cours) concernant le domaine Mérici des de critiques invités comme jurys. Ces présen- 2002, Sortir de la grande noirceur : l’horizon Ursulines de Québec et le collège Bellevue de tations rassemblent souvent d’autres archi- personnaliste de la Révolution, Sillery, Québec, la congrégation Notre-Dame à Québec. tectes et acteurs intéressés au projet étudié. Septentrion ; et Gauvreau, 2005. L’essai-projet est la dernière épreuve avant le 29. La propriété des Franciscaines est vendue dans 20. Nous nous appuyons sur les résultats de la diplôme de maîtrise professionnelle ; il s’agit les années 1980 à l’Agence municipale d’habi- thèse de Tania Martin (2002) et les observa- d’un projet individuel de recherche-création tation de la Ville de Québec pour devenir un tions sur le terrain à l’occasion de nos diffé- mené par l’étudiant sous la supervision d’un ensemble de logements abordables destinés rents exercices de recherche-création. professeur. aux personnes âgées en perte d’autonomie. 21. Bouchard, Gérard, 2001, Genèse des nations et Mal entretenue, elle est revendue en 2003 à 36. Une cinquantaine de propriétés conventuelles cultures du nouveau monde : essai d’histoire des promoteurs privés qui s’engagent à main- sur le territoire de la ville de Québec ont fait comparée, Montréal, Boréal. tenir les logements. En 2006, les nouveaux l’objet d’une étude commanditée par la muni- propriétaires envoient des avis d’éviction. La cipalité et réalisée par la firme PatriArch. 22. Plutôt que prendre le voile, par exemple, les Régie du logement conclut en 2007 à la vétusté femmes intègrent le marché du travail. (Laurin 37. Martin, Tania, 2008. Recycling Catholic des lieux et juge l’éviction nécessaire, dans la et al., 1991.) Convents and Religious Institutional Buildings mesure où le projet proposé prétend desservir into Affordable and Alternative Housing, 23. Martin, Tania, 2005, « Le patrimoine conven- la même clientèle. Le projet de 2009 annonce Ottawa, Canadian Mortgage and Housing tuel québécois : la désacralisation, la resacra- la construction de logements en condomi- Corporation / Société canadienne d’hypothè- lisation ou la profanisation ? », dans Laurier niums, ce qui est une forme de détournement ques et de logement (CMHC/SCHL). Turgeon (dir.), Le patrimoine religieux du des promesses initiales faites lors de la vente Québec…, op. cit., p. 89-112. par les religieuses. Dans un scénario similaire, 38. L’étude des lieux démontre que les autres bâti- ments peuvent en avoir tout autant que le lieu 24. Ferretti, 1999. les sœurs de Jésus-Marie sont aux prises avec l’Université de Montréal dans la vente du de culte, et parfois davantage, selon la grille 25. D’un point de vue juridique, les communautés pavillon sur le Mont-Royal, promis à une voca- de valeur qu’on pourrait appliquer. religieuses étaient aussi des propriétaires pri- tion éducative et aujourd’hui revendu à un 39. Martin et Dufaux, 2005 ; et Martin, 2006. vés, et cette reconnaissance balise une partie promoteur pour conversion en condominiums. des initiatives politiques du clergé à partir de (Robitaille, Antoine, 2009, « Le couvent des 40. Lorimer, James, 1981, La cité des promoteurs la Conquête de 1763, en passant par l’Acte de Franciscaines : Édifices anciens dans le couloir [traduit de l’anglais par Jean Paré], Montréal, Québec de 1774 et les divers actes constitu- de la mort », Le Devoir, 10 juillet.) Boréal Express. tionnels de 1791 à 1867, y compris l’abolition 41. C’est aussi, en partie, la philosophie derrière le du régime seigneurial en 1856. Toutefois, il 30. Noppen et Morisset, 2005. cours mis sur pied par Tania Martin, Patrimoine faut préciser que ces communautés religieuses 31. Assemblée nationale du Québec, 2006, Croire bâti et paysages culturels in situ /Field School mettaient leurs immeubles institutionnels au au patrimoine religieux du Québec ; [http:// in Built Heritage and Cultural Landscapes, service de la collectivité. Cela est différent de www.assnat.qc.ca/fra/37legislature2/commis- [http://www.arc.ulaval.ca/futursetudiants/ ce nouveau phénomène de privatisation qui sions/cc/rapport-patrimoine.html], Mandat insitu/]. exclut ces lieux d’un usage communautaire. d’initiative entrepris par la Commission de (Young, Brian, 1986, In Its Corporate Capacity: la culture : rapport, Québec, Secrétariat des The Seminary of Montreal As a Business commissions de l’Assemblée nationale du Institution 1816-1876, Kingston, McGill- Québec. Queen’s University Press ; et Kelly, 1997.) 32. Hanna, David, 1986, Montreal, A City Built 26. Carole Després, professeure à l’École d’archi- by Small Builders, 1867-1880, thèse de docto- tecture de l’Université Laval, est responsa- rat, McGill University ; Dechêne, Louise, 1981, ble de la concentration en programmation « La rente du Faubourg Saint-Roch à Québec architecturale au niveau de la maîtrise. Elle 1750-1850 », Revue d’histoire de l’Amérique travaille depuis quelques années en atelier sur française, vol. 34, no 5, p. 569-596. le réaménagement de départements dans des

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EDUCATING MEMORY Regarding the Remnants of the Indian Residential School

GEOFFREY CARR is a PhD candidate in the > GEOFFREY CARR Department of Art History, Visual Art, and Theory at the University of British Columbia. This article draws upon his dissertation, an examination of the overlooked architectural and design history of the Indian Residential School system in British embers of the ‘Namgis First Nation Columbia. In addition he is researching and writing Min Alert Bay are fighting a race on the problems pertaining to the preservation against time to preserve St. Michael’s Indian Residential School (fig. 1). Andrea and commemoration of these places Sanborn, executive director of the U’mista Cultural Society, is spearheading the effort to have the school designated as a heritage property or a national historic site. This is another in a series of initia- tives to keep the structure operational, coming on the heels of a frustrated bid to convert the school into an Indigenous lan- guage centre and museum. For Andrea Sanborn and others in the ‘Namgis nation, the retention of St. Michael’s will pro- vide a crucial, material reminder of the coordinated effort on the part of govern- ment and various churches to assimilate Indigenous communities, not only in Alert Bay but across the entire nation.

For a number of reasons the fate of this notorious institution, whose derelict hulk looms over the bay on Cormorant Island, hangs in the balance (fig. 2). With each delay and each passing year, the ‘Namgis must spend approximately sixty thousand dollars to heat, illuminate, patrol, and clean the vacated school. Then there is the prohibitive cost to renovate, which hov- ers between fifteen and twenty million dollars. Though the foundation remains intact, the building needs extensive struc- tural repair, as well as the removal of asbestos and other toxic building materi- als. Worse still the social and historical value that these institutions hold remains contested within the Indigenous popula- tions of the region and, more generally, in government agencies and in the cri- tiques of scholars attending to questions of social memory and commemoration.1 FIG. 1. ST. MICHAEL’S INDIAN RESIDENTIAL SCHOOL, ALERT BAY (BC). | GEOFFREY CARR.

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scholarly publications on the architecture of the Indian Residential School system, so what follows is more exploratory than prescriptive, an effort to widen and com- plicate the discussion of this grim aspect of Canada’s history. If there is a central aim, it is to resist reading what in German is known as Slusstrich, the final line of text after which the cover of a book may be forever closed.8 In the Canadian media, the phrase “turn the page on this painful history” is often heard; yet I suggest that this page is merely the colophon to a long and perplexing text.

INDIAN EDUCATION AND

FIG. 2. ST. MICHAEL’S INDIAN RESIDENTIAL SCHOOL. | GEOFFREY CARR. THE TECHNOLOGIES OF POWER

The move by the ‘Namgis to preserve and the disappeared in Darfur does not exist, Before examining each of these schools commemorate St. Michael’s is informed even in the minds of survivors.5 The anti- in greater detail, it is necessary to make by the liberal humanist position that to pode of hypertrophic memory, it seems, some general comments about the his- memorialize painful pasts is to inocu- is an utter, dehumanized void, suggesting tory and architecture of the Indian late the present against their convulsive that some degree of memorialization is Residential School system. The federal reoccurrence. Critiques of this stance are needed in a just society. government took control over the edu- neither new nor few. The inverted books cation of Canada’s Indigenous peoples in of Rachel Whiteread’s “Nameless Library,” This question of commemorative bal- the 1870s. At that time the government located in Vienna’s Judenplatz, express ance is apt when considering the current entered into an uneasy partnership with scepticism of the capacity of representa- state of the network of residential school the denominations of various churches, as tion to contain and convey the memory sites which dot the country, as it remains churches could provide inexpensive teach- of mass social trauma, as well as of the a matter of contention how—or if at ers and staff to supervise the schools.9 In human faculty for reading such evoca- all—these places will alter the telling of addition, it was widely believed that only tions (fig. 3). Andreas Huyssen describes Canada’s history. As part of the multibil- Christian conversion could open the way the global proliferation of memorial lion dollar Residential School Settlement, for Indigenous children to enter “the cir- structures as a “hypertrophy of mem- the Canadian government has earmarked cle of civilization.”10 Small day schools, ory,” akin to an abnormal and sudden twenty million dollars for the production initially thought most effective, were growth of unneeded tissue.2 Still others of memorials and other commemorative constructed on or near reserves (fig. 5). have analyzed the ways in which suffering activities.6 But a surprising silence accom- For decades they formed the backbone becomes a commodity consumed by the panies this Commemoration Initiative of the Indian education system, but by touristic gaze.3 John Torpey has even regarding how the one hundred and the 1910s, day schools began to fall out suggested that contemporary fixations thirty-two sites of former residential of favour, as the children maintained with social memory indicate the loss of schools should be acknowledged.7 In light close ties with their families and com- common, progressive goals associated of this omission, I examine two former munities. The attitude of Hayter Reed, a with liberal, democratic states.4 While residential schools in British Columbia—St. high-ranking official in the Department each of these critiques performs a val- Michael’s in Alert Bay and St. Eugene near of Indian Affairs (DIA), is typical: “the ued intervention, there is also peril at Cranbrook—to outline the complexity of more remote from the Institution and the opposite extreme, in complete obliv- issues and challenges facing those who distant from each other are the points ion. Bernard Henri Lévy has noted with manage the material remnants of this sys- from which the pupils are collected, the shock the extent to which the memory of tem (fig. 4). To date there has been no better for their success.”11

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FIG. 3. RACHEL WHITEREAD, “NAMELESS LIBRARY,” 2000, VIENNA, AUSTRIA. | © CREATIVE COMMONS, SHIFT OPERATIONS (LEFT) AND ROBERT SCARTH (RIGHT).

FIG. 4. ARCHITECTURAL PLAN: ST. EUGENE INDIAN RESIDENTIAL SCHOOL, 1911, ALLAN KEEFER, ARCHITECT. FAÇADE ELEVATION. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA (2009). SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 1067.

During these early years, the DIA also be assimilated into settler economies with In the 1910s, the design of the residential built a number of industrial schools closer the ultimate aim of dissolving Indigenous school slowly came into favour, as the gov- to urban centres, according to the recom- identity (fig. 7). The schools failed in this, ernment became increasingly frustrated mendations made by MP Nicholas Flood though, for attendance at the industrial by the resistance of Indigenous peoples Davin (fig. 6). In his now infamous Report schools was voluntary and, thus, absen- to their assimilation into settler society on Industrial Schools for Indians and Half teeism proved problematic, as children (fig. 8). It was determined within the DIA Breeds (1879), Davin touted the American traveled with parents on seasonal hunt- that it would be more cost-effective to policy of “aggression civilization” that ing trips and for ceremonies. In addition, convert Indigenous populations into an he saw in action while touring US Indian the costs of employing qualified teachers agrarian class and sequester their com- boarding schools.12 These larger schools proved prohibitive, and, owing to sub-par munities on reserves. The new schools were built to provide vocational training curricula, the students of the industrial were situated closer to reserves than were and lodging to both girls and boys, to cre- schools were usually unable to compete industrial schools, often serving as col- ate a new class of skilled labour that could with Whites for skilled jobs. lection centres for children from distant

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FIG. 6. ARCHITECTURAL PLAN: INDUSTRIAL SCHOOL, N.D., E.E. BLACKMORE, ARCHITECT. FAÇADE ELEVATION. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 120.

FIG. 5. ARCHITECTURAL PLAN: DAY SCHOOL FOR 50 STUDENTS, 1904, R.M. OGILVIE, FIG. 7. ARCHITECTURAL PLAN: INDUSTRIAL SCHOOL, N.D., E.E. BLACKMORE, ARCHITECT. ARCHITECT. ELEVATIONS AND FOUNDATION PLAN. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRO- GROUND FLOOR. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER DUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 229. AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 123.

places. As a disproportionate number In these boarding schools, vocational and, recently, an official apology. The of students were dying from influenza training was substituted for an inad- majority of the schools were closed in and tuberculosis in the earlier schools, equate mix of instruction, basic language the seventies, but the last government- the residential schools were designed lessons, and daily stints of what can only run school to close, the Gordon School in to provide better ventilation and more be described as forced labour. Conditions Saskatchewan, did so in 1996. commodious conditions.13 They failed on in the residential schools were generally both counts, however, as overcrowding appalling. Children were malnourished, Survivor testimony comprises the most and disease persisted.14 Coincidentally, at neglected, and beaten for speaking crucial component of the historical record the height of the construction of this new their native language. Serious diseases of these schools, ranging from sordid to building type, compulsory education for continued to infect students. And child laudatory.16 Yet personal accounts, owing Indigenous children was passed into law molestation was so rampant that a judge to their subjective nature, tend to divert (1920), as was already the case for non- in a recent court case referred to the attention away from the role these insti- Indigenous Canadians. A significant dif- schools as “institutionalized pedophilia.”15 tutions played as instruments of govern- ference, however, for aboriginal families, After revelations of physical and sexual ment policy. Moreover, the fact that some was the manner in which children were abuse began to surface in the eighties, students genuinely praise the schools has often forcibly removed from their homes a protracted legal struggle ensued, and lent weight to apologist refutations and to and communities, though many students the federal government was forced by the dismissals of the trauma suffered by most did attend voluntarily. weight of litigation to offer reparations in these structures as mere psychodrama,

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FIG. 8. ARCHITECTURAL PLAN: KUPER ISLAND RESIDENTIAL SCHOOL, C. 1913, R.G. ORR, FIG. 9. KAMLOOPS INDIAN RESIDENTIAL SCHOOL, KAMLOOPS (BC). | GEOFFREY CARR. ARCHITECT. ELEVATION. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 837. something to ’get over.’ The contention DESIGNING INSTITUTIONS following the example, day and night, here is that the analysis of the architecture of their teachers.”19 I should add that of the Indian Residential School system For nearly one hundred years, various recently in England much has been made allows for a shift in critique, to consider federal departments have produced a of the trauma inherent in the English pub- matters of personal trauma alongside a set bewildering amount of designs meant to lic school model, owing to the separation of interrelated biopolitical issues.17 In this manage most aspects of Indigenous life. from parents, harsh discipline, hazing, and way, the commemorative stakes are raised The residential school represents the ‘apex’ sexual abuse.20 Institutions clearly have a at Alert Bay and elsewhere, for what is of this venture; other built forms range profound impact on the modern subject, remembered is not an aging school but, from community centres, agent’s house, often beneficial but also often the site of instead, a technology of power that cir- and bungalows, to furniture and even repetitive, inherited debasements. Why culated discourses still operational in the outhouses. The schools, thus, functioned then should the Indian Residential School present moment. within an extensive network of govern- system be considered an exceptional case? ment architectures, an infrastructural sys- What fundamental differences exist Before tracing these relations, however, it is tem built to pacify the nation’s Indigenous between this system and the network of important to note that I am not portraying communities by enforcing changes to land other institutions that routinely render the residential school as an institution of use practices: assigning reserves, parceling injury to modern subjects? total control, as no design can ever impose and fencing land, abolishing communal complete submission over its subjects. As structures, building single-family dwellings, Cree scholar Linda Bull has noted that, many commentators have shown—even constructing roads, wharves, and so on. unlike most boarding schools that were in the most oppressive places—fissures, meant to ensure that children engaged cracks, and overlooked spaces exist in Yet it could be argued that each modern more concretely with their own culture, which the programme of constraint fails, or subject has, to varying degrees, been con- the residential schools, by displacing lan- at least operates less efficiently.18 Moreover stituted through one type of institution guage and Indigenous histories, were spe- some people will always fare better than or another. Indeed, many of the architects cifically designed to do the opposite: others, regardless of surroundings. Thus of the residential school system them- this ambivalence of institutional space, selves attended boarding schools. Duncan Other residential schools did not share shifting between authority and agency, Campell Scott, perhaps the most reviled the following characteristics: a) Academic between material restraint and subjective superintendent of Indian Affairs, argued programs were not the focus of Indian retort, resists full definition, though admit- for residential schools by insisting that residential schools: in fact, the schools did tedly most of the survivors with whom I “our best men and women were brought not even provide solid academic programs. speak say little of liberty. up, away from the home influences and b) Parents had no say about their children’s

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via an interior door made accessible to their assigned pavilion by a hallway or adjacent room. Visits in the parlour were closely supervised to ensure that parents and children would not converse in their native tongue.22 Though opinions in the Department of Indian Affairs were div- ided regarding the influence of parents, the dominant position held that students received maximum possible benefit by separating from families and home com- munities.23 A 1912 report from Alert Bay Indian Agent W.M. Halliday, now infam- ous for his role in seizing and selling Kwakwaka’wakw potlatch paraphernalia, reveals the degree to which the schools FIG. 10. ARCHITECTURAL PLAN: KAMLOOPS INDIAN RESIDENTIAL SCHOOL, 1923, R.G. ORR, ARCHITECT. FAÇADE ELEVATION were meant to effect this schism between AND SECTIONS. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES children and their families and elders and, CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 912016 ITEM 634. as well, the degree to which such divides attendance at Indian residential schools; recreation rooms, and so on (fig. 11). The had profound political implications: they had no part in the decision to attend, centre block typically housed adminis- and could not withdraw their children from trative offices and staff chambers, while In my last report, I drew your attention to them. c) In many cases, children did not flanking pavilions served to cordon off the fact that the Indians in this agency were speak the language used in the school, and students according to gender, and, within so wrapped up in the potlatch customs and were forbidden to speak the language they each pavilion, students would be further system, that they looked with the greatest knew. The specific aim of this goal was to separated according to age. Student indifference upon education. Education has remove the children from the influence of testimonies reveal how painful this com- a tendency to break up the old customs, and their parents.21 partmentalization proved to be, for the young men who received more or less often pupils were not allowed to speak education at the industrial or day schools Such fundamental differences between to family members or members of their look upon the potlatch as an evil. At present Indian Residential Schools and other own community, leaving them vulner- they are in the minority, and there is not one boarding schools are evident also in their able and alone. As a consequence, family of them strong enough mentally to come out designs. The vast majority of residential ties would often disintegrate, even with and take the leadership against the potlatch schools built between 1910 and 1930 were sisters, brothers, or cousins living on an and be able to put up with the opposition of drab in appearance, employing a promin- adjacent floor. the older men… If one such should arise ent entranceway capped by a spire, high- and throw down the gauntlet, and have the lighting the religious curriculum taught In delineating key differences in the necessary eloquence and leadership, victory within. Commonly the schools employed residential schools, two purpose-built would be assured.24 an H-shaped design, with a central block rooms warrant close attention: the flanked by two attached pavilions, one “Indians Parlour (or Indians Room)” The following year, after noting some notable exception being the Kamloops and the “Monitor Room.” The Indians dissatisfaction with the stubbornness of School that had detached wings serving Parlours, first seen in the plans for indus- the potlatch, W.M. Halliday makes clear as dormitories (figs. 9-10). Floor plans trial schools, were built for the purpose his belief that assimilation is inevitable, for all of the schools were highly stan- of limiting the visual and actual access but that this will only be accomplished dardized, each institution laid out with a of visiting family to the interior of the by an intergenerational effort and a similar series of classes, kitchens, dormi- school (fig. 12). Visitors would enter more intensive school system. “The work tories, bathrooms, infirmaries, staff sleep- the parlour directly through an outside of the industrial and boarding schools”, ing quarters, workshops, sewing rooms, doorway, whereas children would enter he states, “is more far-reaching than the

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FIG. 11. ARCHITECTURAL PLAN: KUPER ISLAND RESIDENTIAL SCHOOL, FIG. 12. ARCHITECTURAL PLAN: KUPER ISLAND RESIDENTIAL SCHOOL, C. 1913, R.G. ORR, ARCHITECT. DETAIL, C. 1913, R.G. ORR, ARCHITECT. GROUND FLOOR. | © INDIAN AND GROUND FLOOR. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES 111 ITEM 844. CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 844. day school, as the pupils are entirely away (fig. 13). This is an especially sophisti- Room is both visible and unverifiable. from the home influence of the parents cated example; other cruder versions of However to equate the Monitor Room during the greater part of the year.” In the same (also seen in regular boarding with a Panopticon seems inaccurate, for in this way, in his words, each generation schools), would provide a clear view when a Panopticon, the watcher is central and of ex-pupils will form a “link in the chain supervisors would enter or exit (fig. 14). can see the entirety of the inhabitants in between barbarism and civilization.”25 It Yet in this instance the monitor enters one sweep (fig. 15). Instead I ask if this is important to remember, when consid- unseen through a hallway door and has mode of surveillance could be character- ering the overall impacts of this anti-pot- a tripartite site line (through curtained ized more accurately as something viral, a latch policy, that potlatch is not merely a windows), looking simultaneously out- form of inoculation, a strain of controlled cultural practice, but is, as Joseph Masco side, into the small boys’ dormitory and, contagion introduced into the very young. points out, a “transaction with legal, also, into the small boys’ washroom. What Seen this way, the contagion could be set- economic, socio-structural, and religious is especially curious about this particular tler culture, dispensed in quantities large dimension[s].”26 Here, through the school room is the extension of its designed enough to disrupt Indigenous identity but structures, the biopolitical imperatives of logic, its refinement by the architects at too small to allow for full-blown admis- the state are made apparent, by physically the DIA.27 Why these improvements to sion into “civilized” society. limiting familial relations with the hope the technologies of watching? While it is of producing a comprador class of non-cit- true that young children typically require A third crucial design feature of these izens meant to unseat the ancient, socio- the most supervision, not surprisingly, the institutions, the chapel, also exerted a political hold of the Kwakwaka’wakw in remoteness of that sort of watching pro- form of biopolitical rationality, and was the Alert Bay region. vided no comfort to students. Ktunaxa similarly reliant upon a subtle form of self- archivist and survivor, Margaret Teneese surveillance. The ubiquitous presence of As is evident in the design and function relates how it was the youngest who most the chapel in each school, regardless of its of the Indians parlour, close surveillance keenly felt the loss of a loving bond to denomination, underscores the perceived was an essential tactic used by staff to caregivers upon entering the system, a importance of religious training to the advance the programme of the institu- consequence of a highly-regimented, mil- moral uplift of Indigenous populations tion. This same perceived need to watch itary-like daily routine.28 This space echoes (fig. 16). As early as 1883, Prime Minister students is apparent in the installa- aspects of Jeremy Bentham’s Panopticon, John A. MacDonald stated that “secular tion in most schools of Monitor Rooms in that the power enabled by the Monitor education is a good thing among white

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well-intentioned, caring people, who were accepted in Indigenous communities and fought for better treatment of children at the schools. It is precisely this sort of ambiguity, I suggest, that justifies the sort of analytical shift that I am arguing for. By thinking through the architecture of this educational system, alternate perspectives open on these seemingly intractable ques- tions, providing new material to assist in working through this traumatic history.

To this end, it is important to respect- fully augment very personal and often fraught issues around the school with the logic of systems and structures. Giorgio’s Agamben’s work on biopolitics and the concept of exclusion is helpful here, to flesh out what he terms the “inclusions of man’s natural life in mechanisms and cal- FIG. 13. ARCHITECTURAL PLAN: KUPER ISLAND culations of natural power.”32 Agamben RESIDENTIAL SCHOOL, C. 1913, R.G. ORR, ARCHITECT. DETAIL, SECOND FLOOR. | © INDIAN states that “our age is nothing but the AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION implacable and methodological attempt OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES to overcome the division dividing the CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN FIG. 14. ARCHITECTURAL PLAN: ST. EUGENE INDIAN 33 AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 844. RESIDENTIAL SCHOOL, 1911, ALLAN KEEFER, people.” Yet the ‘people’ are always ARCHITECT. DETAIL, SECOND FLOOR. | © INDIAN already divided: people and People; bare AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES life (those exposed to death) and citizen; CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN zoe (minimal biological survival) and bios AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 1068. (political life). Thus, within the state, there is a move to inclusive exclusion, where men but among Indians the first object the devil more than I was of God. Our spirit- those outside of ‘legitimate’ life are held is to make them good Christian men by uality, the thing that should have been our apart by their incorporation into the core applying proper moral restraints.”29 This strength, was working against us. You know, of ethico-political concerns. Consequently, sentiment is echoed repeatedly by church they played with us that way. I didn’t like that. there appears the paternalism of the Indian and government officials, most citing the I didn’t have words for it then, but I can see it Act, the concern for religious welfare, and laxness, ineffectiveness, and even satanic now. That was a way of control.31 the wish to educate. Always there will be dangers of Indigenous religion and well-meaning actors, but for the state to philosophical thought. Here again the Yet it bears mentioning that many former exist, this bifurcated unity must also exist. technique of surveillance factors heav- students remain Christians and sincerely With this in mind, the schools appear more ily, in this case as students were repeat- praise their religious education while as carceral spaces than schools, a type of edly warned that either God or the devil attending the residential schools, despite factory meant to produce non-citizens, were watching each action and thought.30 widespread criticism of the church’s inter- who are inclusively excluded, through Vivian Ignace describes her understand- vention into Indigenous life. It would be new religious beliefs, new work habits, ing of God, while attending Kamloops too simple and profoundly insulting to new language, and so on. These structures Indian Residential School: regard this faith as false consciousness. housed a system of belonging that served Moreover, not all Whites in the system to disrupt and ultimately subvert ancestral I never knew a compassionate God. I knew were evil. A minority of principals, priests, land use practices, cultural traditions, lan- there was a God, but I was always scared of ministers, nuns, teachers, and staff were guages, social networks, and economies.

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FIG. 15. “AMERICAN PANOPTICON.” INTERIOR VIEW OF CELL HOUSE, NEW ILLINOIS STATE FIG. 16. ARCHITECTURAL PLAN: KUPER ISLAND RESIDENTIAL SCHOOL, C. 1913, R.G. ORR, PENITENTIARY AT STATEVILLE, NEAR JOLIET (IL), N.D. | SOURCE: SCANNED FROM THE POSTCARD ARCHITECT. LEFT ELEVATION. | © INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS. REPRODUCED WITH THE PERMISSION COLLECTION OF ALEX WELLERSTEIN (COPYRIGHT EXPIRED). OF THE MINISTER OF PUBLIC WORKS AND GOVERNMENT SERVICES CANADA, 2009. SOURCE: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA / INDIAN AND NORTHERN AFFAIRS / RG22M 77803 / 111 ITEM 839.

FIG. 17. ST. EUGENE GOLF RESORT & CASINO, CRANBROOK (BC). | GEOFFREY CARR. FIG. 18. SIDE VIEW OF ST. EUGENE AT NIGHT. | GEOFFREY CARR.

THE LUXURY punctuated by dressed stone window attract outside investment.34 Their appli- OF COMMEMORATION sills and relieving arches, as well as by a cation was not approved for a number string course in the upper floor and gran- of reasons, including an intervention by In this final section, I will consider how ite coping articulating a loosely Mission Indian and Northern Affairs of Canada this disturbing history is integrated into Revival-styled gable. St. Eugene is also who “strongly urged that any initiatives perhaps the most high profile adaptive exceptional in that the Department of regarding the possible commemoration of reuse project of any residential school Indian affairs employed a private architect Aboriginal residential schools be delayed in Canada: St. Eugene in Cranbrook to design the structure, the prominent until the research studies and report of the (figs. 17-18). The reasons for this fame Allan Keefer, who also designed, among RCAP [Royal Commission on Aboriginal and, at times, notoriety, poses a similar other buildings, Stornoway, the house of Peoples] have been released to the pub- slate of divisive and obfuscating issues. the official opposition in Ottawa. Initially lic.”35 According to a HSMBC insider, the the Ktuxaxa/Kinbasket Tribal Council general feeling at the time was that “the Unlike most residential schools that used sought to designate the school as a site Board had dodged a bullet.” Since that brick for the external walls, St. Eugene of national historic significance under unsuccessful bid, the former residential is built with rock-faced concrete blocks the guidelines specified by the Historic school has undergone a major renovation, resting on a high concrete foundation. Sites and Monuments Board of Canada converting the building and grounds into The rhythm of the rusticated blocks is (HSMBC) in the belief that it would help a luxury resort, a golf course, and a casino

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FIG. 20. ENTRANCE GATES OF THE RESORT. | GEOFFREY CARR.

FIG. 19. VIEW FROM THIRD FLOOR SUITE LOOKING OVER THE GOLF COURSE. | GEOFFREY CARR.

FIG. 22. REPLICA KTUNAXA TIPI SITUATED BEHIND THE MAIN BUILDING FIG. 21. RENOVATED CHAPEL INTERIOR, CHIEF DAVID MEETING ROOM. | GEOFFREY CARR. OF THE RESORT. | GEOFFREY CARR.

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(fig. 19). This forty million dollar project sufficient attention to a history that group with the Truth and Reconciliation did receive federal funding, in excess of is often overlooked and downplayed. Commission will conduct forensic investi- three million dollars, and promises to There have been some programmatic gations at residential school graveyards, generate a projected thirteen to fifteen shifts since the opening of the resort, owing to allegations of burials of children million dollars a year for a consortium of however. Initially there was resistance to and newborns in unmarked graves. The bands across the country. But not under calling attention to Ktunaxa culture, but question that keeps surfacing then is the aegis of HSMBC designation. since, management has displayed poign- what is the nature of this heritage, this ant historical photographs in the lobby, patrimony, this material inheritance? Not The redevelopment of St. Eugene, how- plant species important in Ktunaxa life, surprisingly, the federal government and ever, came at a significant cost to its and as well has staged a Legends Night, the churches continually speak of page mnemonic program. Very little of the where guests and locals gather to hear turning, while shying away from the original structures remains intact, nota- legends shared by an elder inside a tipi burning questions raised by the hideous ble exceptions include the entrance gate (fig. 22). Clearly this sort of cultural com- spectre of the schools: how to prosecute to the grounds and the beam work and modification has its critics, as does the offenders, determine if an instrument rosette window inside the old chapel, commodification of misery. of genocide have occurred, or reassess now the “Chief David Meeting Room” sovereign legitimacy if indeed such crimes (figs. 20-21). More importantly, it was Yet, lacking substantial and sustained gov- have occurred. Many Indigenous thinkers clear during my visit that many of the ernment investment to develop a more- and others regard the school system as guests had no interest in the building’s typical site of memory, the Ktunaxa were a crime against humanity, owing to the history; indeed it appeared that many left with few options. Like the ‘Namgis at policy of forcible relocation of children were completely oblivious.36 The inter- Alert Bay, they faced untenable mainten- and to the high mortality rates at some pretive centre located in the basement ance bills to preserve an empty building. schools.40 With some sympathy, I ques- of the resort is open most days to inform Moreover there was a widespread wish tion if the sheer geographic and temporal visitors of the intergenerational impact to convert this site of social trauma to scope of this traumatic history could ever of the residential school and also more the economic good of the local commun- be managed by official bodies, such as broadly of Ktunaxa culture—though it ity. The long-term Ktunaxa plan, if the the Monument Board, and yet we are was relatively quiet during various visits. resort manages to weather the current confronted by the material fabric of this This same space also houses the Ktunaxa economic downturn, is to buy out their brutal national memory. If this ambivalent Language Initiative, charged with the partners and again retain sole possession and conflicted social memory—and its urgent task of reviving Ktunaxa, a lan- of the property. It remains to be seen if dwelling places—are indeed like bullets guage isolate with only approximately this plan will bear fruit in the long term, from the past, too lethal to our national twenty fluent speakers.37 Understaffed however, as the resort has already once myths to face, it suggests that Canada has and underfunded, the exigencies faced been forced to enter bankruptcy protec- only entered the initial stages of denial by the language initiative tend to over- tion38 The inclusion of a casino in the plan and will need to struggle for many years shadow the educational program of the is likewise not without significant contro- to work through this troubled chapter of interpretive centre. Moreover, the mod- versy, but, without this revenue stream, its colonial history. est confines do not allow for the display the resort likely would not have survived of full-size artefacts, including a full- restructuring.39 For Andrea Sanborn, her resolve to pre- sized sturgeon nosed canoe that cannot serve St. Michael’s as a site of memory be repatriated from the museum at Fort The only non-commercial space at the crystallized during a UNESCO confer- Steele until it can be stored properly. The resort is a small, active cemetery tucked to ence in Athens in 2008. After speaking Ktunaxa have applied for funding to the the side of the golf course, in which rest to the assembly about the history of the federal government to construct a two the remains of former students and staff. Indian Residential School system, she was million dollar museum to be installed At the request of Ktunaxa elders, the cem- surprised at the reactions, most express- on the second floor of what once was etery was not photographed, but its mar- ing disbelief that Canada could be ever the school barn (now the pro shop). It ginal presence reveals the extent to which implicated in such a violation of human is hoped by some Ktunaxa staff that this sort of development remains problem- rights. To what degree the federal gov- the inclusion of the museum will draw atic. It bears mentioning that a research ernment will fund the preservation of

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this dissonant piece of our built heritage of Tourism Research, vol. 30, no. 2, p. 386- 16. For a small sample of autobiographical remains to be seen. What also remains 405. accounts from residential school surviv- ors, see: Furniss, Elizabeth, 1995, Victims of unclear is how to effect such a costly ven- 4. Torpey, John, 2006, Making the Whole What Benevolence: The Dark Legacy of Williams Has Been Smashed: On Reparation Politics, ture without a commercially viable tour- Lake Residential School, Vancouver, Arsenal Cambridge (MA), Harvard University Press. ist business and without erasing most of Pulp Press; Graham, Elizabeth, 1997, The the actual, historical traces of the school. 5. Levy, 2008, “Genocide and the Games,” The Mush Hole: Life at Two Indian Residential Georgia Straight, August 7-14, p. 35. Schools, Waterloo (ON), Heffle Publishers; Despite the epistemological uncertainties 6. The official court notice detailing the settle- Jack, Agnes (ed.), 2000, Behind Closed Doors: of representing mass social traumata, I ment can be read at: [http://www.residen- Stories from the Kamloops Indian Residential believe that more needs to be done to tialschoolsettlement.ca/english_index.html], School, Kamloops (BC), Secwepemc Cultural recognize, commemorate, and salvage accessed August 10, 2009. Education Society; Johnston, Basil, 1988, Indian School Days, Toronto, Key Porter some of the material remnants of the 7. The total number of schools is a matter of Books; Knockwood, Isabelle, 1992, Out of residential schools. It remains significant debate, and various Indigenous communities the Depths: The Experiences of Mi’kmaw that the original logic of the schools dic- around the country continue to struggle to Children at the Indian Residential School at have local schools formally recognized as tated their construction far from public Shubenacadie, Nova Scotia, Lockeport (NS), Indian Residential Schools, without which Roseway; Olsen, Sylvia, 2001, No Time to Say view. They operated in a near-vacuum, they are entitled neither to apology nor Goodbye: Children’s Stories of Kuper Island apart not only from settlers but also from compensation. Residential School, Victoria (BC), Sono Nis the communities of Indigenous peoples. 8. Slusstrich also denotes the falling of a stage Press; and Sterling, Shirley, 1992, My Name is Not surprisingly, even in instances where curtain or the final note of a piece of music. Seepeetza, Toronto, Douglas & McIntyre. the development of cities and towns has 9. Four denominations managed residential 17. The term biopolitics appears first in Michel encircled these once isolated structures, schools. The Roman Catholic Church was Foucault’s The History of Sexuality (v. 1), where it describes the growing interest of most living in their vicinity know little or the most heavily involved, followed by the Church of England, the United Church, and the modern state in the biological condition anything of them. In a sense, then, refus- the Presbyterian Church. of its population. Beginning in the eighteenth ing to spend adequate funds, denying century, the capitalist state enacted programs 10. As Harold Cardinal points out in his seminal applications for designation as heritage of disease prevention, hygiene, sanitation, text, The Unjust Society (1999, Vancouver, water supply, and education. In the process, or national historic sites, and excluding Douglas and McIntyre, p. 36), this was a viola- the exercise of power and government moves these material remnants from educational tion of an early treaty agreement which stated from the close control of the sovereign to be that education would be bound by the policy curricula K-12 and up is to extend the dispersed more widely through a number of non-interference with religion. foundational logic and culture of silence of technologies of power, including institu- 11. Milloy, John S., 1999, A National Crime: the tions such as hospitals, insane asylums, pris- upon which these places were erected. Canadian Government and the Residential ons, and schools. In this way, the biopolitical School System, 1879 to 1986, Winnipeg, state begins to regulate its citizens and non- NOTES University of Manitoba Press, p. 30. citizens according to new, scientific categor- ies of age, race, gender, sexuality, and so on. 12. Miller, J.R., 1996, Shingwauk’s Vision: A (See Foucault, Michel, 1990, The History of 1. The ‘Namgis are one of seventeen commun- History of Native Residential Schools, Toronto, Sexuality, New York, Vintage Books.) ities that belong to the Kwakwaka’wakw University of Toronto Press, p. 101. Nation. Most ‘Namgis children did not attend 18. See: Levi, Primo, 1986, Moments of Reprieve, 13. Kuper Island Residential School presents the St. Michael’s, whereas children from those New York, Summit Books; Rabinow, Paul, bleakest statistics in this regard: in 1915, in communities that did send children there, 1997, “Space, Knowledge, Power: Interview the survey of students who had attended the such as the Kwagu’l, would prefer to have with Michel Foucault,” in Neil Leach (ed.), school over the past twenty-five years, it is the school demolished. Rethinking Architecture: A Reader in Cultural mentioned that in the total of two hundred Theory, New York, Routledge, p. 367-379; 2. Huyssen, Andreas, 2003, Present Pasts: Urban and sixty-four known students, one hundred Lefebvre, Henri, 1991, The Production of Palimpsests and the Politics of Memory, and seven had died. (See Milloy, p. 93.) Space, Cambridge (MA), Blackwell; and Casella, Stanford (CA), Stanford University Press, 14. In 1930, a special inspector labelled St. Eugene Eleanor Conlin, 2007, “Why Incarcerate,” The p. 5. as a “veritable tubercular institution,” a crisis Archaeology of Institutional Confinement, 3. Lennon, John and Malcolm Foley, 2004, that nearly caused the closing of the school. Gainesville (FL), The University of Florida Press, Dark Tourism: The Attraction of Death and (Library and Archives Canada (LAC), RG10, vol. p. 57-83. Disaster, London, Thomson Learning; Heller, 6453, file 884-5, p. 3.) 19. DIA Annual Report, 1913, p. 409. Dana A., 2005, The Selling of 9/11: How a 15. Supreme Court Justice Douglas Hogarth used National Tragedy Became a Commodity, New 20. Duffel, Nick, 2000, The Making of Them: The this term to describe Alberni Residential York, Palgrave MacMillan; Strange, Carolyn British Attitude to Children and the Boarding School during his sentencing of Arthur Henry and Michael Kempa, 2003, “Shades of Dark School System, London, Lone Arrow Press. Plint. Tourism: Alcatraz and Robben Island,” Annals

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21. Bull, Linda, 1991, “Indian Residential Schooling: five thousand dollars to fund the Language The Native Perspective,” Canadian Journal of Initiative charged with reviving this threat- Native Education, vol. 18 suppl., p. 1-63. ened language.

22. Ktunaxa survivor Gordon Sebastian shared this 38. Pierre, Sophie, 2009, “Nee Eustace: The during an interview, August 12, 2009. Little Girl Who Would Be Chief,” Response, Responsibility, and Renewal, Canada’s Truth 23. One typical example of dissenting view of this and Reconciliation Journey, p. 44. is found in the 1911 DIA Annual Report, in which an Indian Agent notes: “My experience 39. For opposing views on the Indigenous casino has taught me that the co-operative influence debate see Alfred, Taiaiake, 2005, Wasa’se: of the parent is one of the strongest and, best Indigenous Pathways of Action and Freedom, forces in the work of uplifting the children.” Peterborough (ON), Broadview Press; and Darian-Smith, Eve, 2003, New Capitalists: 24. DIA Annual Report, 1912, p. 336. Law, Politics, and Identity Surrounding Casino 25. Id., 1913. Gaming on Native American Land, Belmont 26. “It Is a Strict Law That Bids Us Dance: (CA), Wadsworth Publishing. Cosmologies, Colonialism, Death, and Ritual 40. Such critics among others include Roland Authority in the Kwakwaka’wakw Potlatch, Chrisjohn, 1997, The Circle Game: Shadows and 1849 to 1922,” Comparative Studies in Society Substance in the Residential School Experience and History, vol. 37, no. 1, p. 41-75. in Canada, Penticton (BC), Theytus Books; 27. It is telling that the only other schools designed Agnes Grant, 1996, No End of Grief: Indian and constructed by the federal government Residential Schools and Canada, Winnipeg during this period were military colleges. (MN), Pemmican Press; Ward Churchill, 2004, Kill the Indian, Save the Men: The Genocidal 28. Personal interview, August 10, 2009; surviv- Impact of the American Indian Residential ors routinely note the general fear of the Schools, San Francisco, City Lights. Monitor Rooms, for often child-abuse would be perpetrated at nighttime in the dormitories by supervisors stationed in these rooms.

29. Milloy, p. 36.

30. The severity of religious instruction eased as schools went through reforms in the sixties. Many of the students from this era knew little of the suffering of their parents and grand- parents, as few survivors were prepared to divulge their suffering and an era cloaked in secrecy.

31. Jack, p. 161.

32. Agamben, Giorgio, 1998, Homo Sacer: Sovereign Power and Bare Life, Stanford (CA), Stanford University Press, p. 119.

33. Id., p. 179.

34. HSMBC policy for designating schools can be found at: [http://www.pc.gc.ca/clmhc-hsmbc/ crit/crit3_E.asp#schools], accessed August 17, 2009.

35. Historic Sites and Monuments Board, 1996, “Issue Analysis: St. Eugene Indian Residential School, Cranbrook (BC),” p. 577.

36. This I can personally attest to, as my parents have dined at the resort and were surprised when I informed them of its previous use as a residential school.

37. Despite the critically endangered status of Ktunaxa, federal government has allotted only

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ESSAY | ESSAI

EXPLOITATION ANTINOMIQUE Ou la création de l’architecture contemporaine au sein du patrimoine bâti, par huit agences montréalaises, de 1994 à 2005

MATHIEU POMERLEAU a complété en 2008 une > MATHIEU maîtrise en aménagement, option conservation POMERLEAU de l’environnement bâti. Il est détenteur d’un baccalauréat en design architectural ainsi que d’un certificat en histoire de l’art. Il travaille actuellement, à Montréal, dans le domaine de la e mot antinomie se définit comme conservation du patrimoine. Lune « contradiction de forme ou de fond entre deux lois, deux principes »1. Si l’on applique cette prémisse philoso- phique au problème posé par l’interven- tion contemporaine sur une construction considérée comme patrimoniale, on peut opposer la rhétorique patrimoniale qui invite en substance à conserver un bâti- ment au besoin légitime de procéder à un exercice de création permettant l’émergence d’une identité architecturale contemporaine.

Inévitablement, un rapport est pourtant à établir entre ancien et nouveau. Cet article s’attardera à analyser les modes d’innovation qui ont été proposés pour renouveler la création de ce rapport, de 1994 à 2005, par huit agences d’architec- ture montréalaises. Il ne se limitera pas à une forme particulière de patrimoine ni à un type précis de projet d’architecture. L’objet de l’étude est un corpus formé par dix réalisations architecturales de ces agences qui ont été récompensées par l’Ordre des architectes du Québec, dans le cadre de son programme d’émulation appelé les « Prix d’excellence ».

L’intérêt particulier de cette période est qu’elle se caractérise par une intention nouvelle de la part des architectes qué- bécois de légitimer le besoin d’innovation en contexte patrimonial. Cette intention se comprend comme une réaction icono- claste au principe de la mise en relation avec l’histoire qu’avait proposé la post- modernité. Ce principe était fondé sur l’idée que, pour définir l’identité contem- poraine d’une intervention architectural sur un site/édifice patrimonial, il fallait ILL. 1A. CENTRE D’INTERPRÉTATION DU BOURG DE PABOS. VUE AÉRIENNE DU SITE. | PIERRE LAHOUD.

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 > 101-112 101 MATHIEU POMERLEAU > ESSAY | ESSAI

ILL. 1B. VUE EN DIRECTION DE LA « COUR DES INDICES PRÉCIEUX ». ILL. 2. VUE DU MONUMENT-NATIONAL DANS LA PERSPECTIVE À DROITE LES PANNEAUX PIVOTANTS QUI S’OUVRENT SUR LA FAÇADE SUD ; DU BOULEVARD SAINT-LAURENT ; AU REZ-DE-CHAUSSÉE, À GAUCHE, LA STRUCTURE OUVERTE. | MICHEL LAVERDIÈRE. LES VITRINES DU FOYER. | GUILLAUME ST-JEAN.

nécessairement avoir recours à l’Histoire, Co., démoli au tournant des années 1950. industrialisée que l’architecte dispose au à laquelle appartient par définition le Aussi l’Éperon ordonne-t-il la façade de sommet de la tour – horloge de la tour, patrimonial. Dans ce contexte, l’identité rue de la Commune en puisant dans les marquise, etc. – une référence au carac- architecturale contemporaine hésite entre modes de composition des autres édifices tère industriel du port. Brian Carter écrit l’affirmation de sa propre existence et de la rue, qui forment un ensemble d’une à ce sujet : « Sited at the place where the l’exploration littérale ou métaphorique cohérence reconnue et admirée. city meets the harbour, the tower clearly de référents historiques. makes reference to the industrial para- Selon François Magendie, l’édifice se situe phernalia of cranes, masts and jetties of Citons comme exemple de cette appro- toutefois à la frontière de deux mondes, the surrounding docks3. » che l’édifice de l’Éperon du musée de « une sorte de point singulier dans le la Pointe-à-Callières. L’architecte Dan S. contexte général de culture nord-amé- Ce constat est basé sur une analyse du Hanganu y utilise des évocations de l’his- ricaine encore traversée par les courants discours publié dans la presse architectu- toire qui tentent d’expliquer, ou de révé- contradictoires d’une postmodernité rale (magazines, revues professionnelles) ler, les composantes disparues ou cachées (finissante ?), qu’elle soit déconstructi- et la presse écrite (journaux) sur les bâti- de l’histoire du patrimoine. Autrement viste ou historiciste »2. Parce qu’il évoque ments du corpus. Ce discours est celui de dit, il tente d’interpréter l’histoire, celle l’histoire tout en cherchant à innover tous les intervenants qui ont eu à com- d’un bâtiment particulier, d’un quartier dans le contexte extrêmement patri- poser soit avec la conservation du bien ou encore de la ville. Par exemple, le bâti- monial du Vieux-Montréal, l’édifice de patrimonial, soit avec la création de l’ar- ment est façonné en reprenant exacte- l’Éperon annonce donc cette transforma- chitecture contemporaine, soit avec les ment l’empreinte au sol et les principes tion profonde des idées qui marquera les deux. Il s’agit donc, de façon générale, volumétriques du dernier édifice à avoir années 1990 et 2000. Certains critiques du discours des architectes, des comman- occupé le site, celui de la Royal Insurance voient en effet dans l’ornementation ditaires, des membres du jury des Prix

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d’excellence de l’Ordre des architectes du Québec, des membres du jury d’autres programmes d’excellence4 ou encore de commentaires critiques de la part d’ar- chitectes ou de journalistes. C’est donc dire que la recherche prend appui sur la fortune critique des bâtiments retenus pour la recherche.

Précisons en outre que ce texte présente en partie les résultats du mémoire de maîtrise de l’auteur intitulé Architecture contemporaine et patrimoine bâti au Québec. Étude de caractérisation des Prix d’excellence de l’Ordre des archi- tectes du Québec. 1980-2005. Ce projet de recherche a été réalisé en 2005-2007 pour l’obtention du diplôme de maîtrise ILL. 3. VUE DU THÉÂTRE ESPACE GO DANS LA PERSPECTIVE DU BOULEVARD SAINT-LAURENT ; AU REZ-DE-CHAUSSÉE, en aménagement, option conservation LES VITRINES DU FOYER. | GUILLAUME ST-JEAN. de l’environnement bâti, sous la direc- tion des professeurs Jacques Lachapelle Selon les membres du jury, seule la propo- de tenter une quelconque restitution, et Susan Bronson. sition de l’équipe Cormier, Cohen, Davies, le parti architectural n’en demeure pas architectes correspond au souhait exprimé moins fort stimulant pour la production L’APPORT DE HUIT AGENCES par le promoteur, à savoir l’obtention d’un contemporaine (ill. 1A et 1B). MONTRÉALAISES concept novateur pour l’interprétation du site archéologique et historique de la Baie Faucher, Blouin, Aubertin, Atelier Big City (Cormier, du Grand Pabos. Il s’agit d’un projet qui sort Brodeur, Gauthier, architectes : Cohen, Davies architectes) : totalement de l’ordinaire par sa fraîcheur et La revalorisation de la ville Le pragmatisme face à l’histoire sa nouveauté5. Réaménagement du Monument-National Centre d’interprétation du bourg Ce qui est admiré et célébré dans ce pro- et construction du théâtre Espace Go, de Pabos, Pabos Mills. jet est justement l’abandon de l’approche boulevard Saint-Laurent, Montréal. postmoderne, jugée trop intellectualisée, Au sein du corpus formé par les deux cent au profit d’une autre, plus concrète. À Le besoin d’innovation qui marque la treize bâtiments primés lors de la remise Pabos, le travail de la tectonique et de la période étudiée exige le recours à la des Prix d’excellence de l’Ordre des archi- matérialité est en effet essentiel dans l’éta- notion de contextualité, c’est-à-dire à tectes du Québec, le Centre d’interpré- blissement du concept d’interprétation la réflexion approfondie sur le rapport tation du bourg de Pabos marque la fin des vestiges archéologiques. C’est aussi au site. Cette dernière constitue l’un des de la valorisation des idées postmodernes de ce travail tectonique et chromatique principaux apports de la postmodernité. au sein de ce programme d’émulation. qu’émerge l’identité contemporaine du Ainsi, il semble que, malgré son effrite- On constate en effet qu’après 1994 plus site. En effet, point d’influence esthéti- ment progressif durant la période étudiée, aucune construction contemporaine fai- que ou esthétisante ici ; s’il faut interpréter la postmodernité ait laissé en héritage la sant référence à l’histoire pour entrer en l’histoire, c’est par cette « machine à voir6 » sensibilité au contexte. relation avec le contexte patrimonial dans que l’on entrera en relation avec elle7. lequel elle prend place ne sera récompen- Ce mouvement de revalorisation de la sée. C’est qu’on a considéré l’architecture Bien qu’il faille reconnaître que les vesti- ville, initié au cours des années 1980 du Centre d’interprétation comme radica- ges en présence se résumaient à bien peu en réaction aux brutaux principes d’ur- lement nouvelle : de choses et qu’il aurait été très hasardeux banisme moderne, se poursuit donc. Le

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ILL. 4. VUE DE LA BIBLIOTHÈQUE DES JÉSUITES DANS LE CHOEUR ET DE LA SALLE POLYVALENTE, ILL. 5. VUE DE LA « PAROI D’ENTRÉE » QUI MASQUE LES DEUX ÉTAGES DANS L’ESPACE DE LA NEF. | GUILLAUME ST-JEAN. DE LA BIBLIOTHÈQUE, DEPUIS LE CHŒUR. | GUILLAUME ST-JEAN.

réaménagement du Monument-National les qualités urbaines de ces secteurs de ancienne caractérise le travail de Beaupré (ill. 2) et la construction du théâtre Espace Montréal. Joseph Baker écrit d’ailleurs : Michaud en partenariat avec Dupuis Go8 (ill. 3) incarnent cette tendance de « Elsewhere, however, more adventurous LeTourneux à la Bibliothèque de théologie fond. Par une habile distribution de leur companies can be found cohabiting cheek du collège Jean-de-Brébeuf. L’expertise fonction, tous deux contribuent à la by jowl with the cloth trade, the empo- des architectes y a été mise à profit pour consolidation de leur secteur du boule- riums of the Main, the boutiques and insérer dans le volume de la chapelle les vard Saint-Laurent. En effet, dans les deux bars of St. Denis10. » Outre l’exploitation superficies requises pour deux program- cas, l’architecte Éric Gauthier redéfinit positive des génies des lieux des diffé- mes : celui de la bibliothèque et celui de l’exploitation traditionnelle de l’archéty- rents quartiers de la ville, l’Espace Go et la salle polyvalente (ill. 4). pal lot montréalais. Plutôt que de dispo- le Monument-National consolident donc ser l’espace du foyer perpendiculairement la vie de quartier. Toujours selon Joseph Grâce à une telle planification, l’identité au trottoir, comme le dicterait l’occupa- Baker, « They bring back what every sound contemporaine de la chapelle-biblio- tion traditionnelle, le foyer est plutôt neighbourhood needs—something of the thèque est liée à la fois à une réflexion allongé dans un espace parallèle au trot- public stature that was once contributed sur le programme et à une réflexion sur toir, redoublant ainsi « astucieusement, by the local picture palace and the corner le rendu matériel de sa réorganisation. comme une vitrine, l’espace public »9. bank; they are what Jane Jacobs has ter- C’est sans doute de cette étroite relation med, ‘staunch buildings’11. » entre matérialité et programme que se Un tel parti architectural a des consé- dégage la cohérence de cette réalisation. quences bénéfiques pour tout le Beaupré Michaud et Dupuis Cette dernière est aussi imputable à la quartier. À l’instar des autres petits LeTourneux : Justesse et retenue capacité des architectes de questionner théâtres construits ou rénovés en même la typologie de la chapelle du collège. temps qu’eux – l’Usine C, le Théâtre Bibliothèque des jésuites, L’implantation de la nouvelle fonction d’Aujourd’hui, le Rideau Vert, etc. –, ces collège Jean-de-Brébeuf, Montréal. est en effet fort originale dans la mesure bâtiments s’implantent en effet hors des où de « subtiles dissymétries dans le trai- milieux centraux, là où existe, en fait, La même réflexion sur l’adéquation entre tement de la paroi d’entrée contribuent un bassin de créateurs qui apprécient les fonctions nouvelles et l’architecture à déjouer l’axe de la nef et diminuer sa

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charge symbolique »12. Ces dissymétries s’insèrent minutieusement dans l’or- donnance classique de la chapelle qui demeure le schème de référence pour comprendre l’espace. En effet, la nouvelle fonction se dissimule derrière ce rythme et n’est rendue visible que par les maté- riaux qui permettent de l’isoler : parois de verre, panneaux d’isolation acoustique, etc. « Le défi actuel avec les églises n’est pas seulement financier et fonctionnel, mais consiste à réapprendre à les regar- der comme un fait d’architecture. Vaincre l’indifférence, c’est là toute la difficulté et la réussite de ce projet13. » (ill. 5)

Atelier YH2 (Yiakouvakis, Hamelin architectes) et atelier In Situ (Lebel, Pratte architectes) : Exploration urbaine et poétique architecturale ILL. 6. LES MAISONS CLOSES : VUE DES JARDINS DEPUIS LE DEUXIÈME ÉTAGE. | ATELIER YH2.

Maisons closes, rue Colonial, Montréal (Atelier YH2). Édifice Zone, et de privauté »14 de l’époque contempo- Ces deux bâtiments innovent par ailleurs rue Duke, Montréal (Atelier In Situ). raine. Ces transformations maintiennent d’un point de vue patrimonial dans la toutefois le caractère essentiel du lieu. mesure où l’édifice est exploité tel quel, À l’instar du Monument-National et du L’identité contemporaine des maisons sans parti pris pour un état d’existence théâtre Espace Go, les maisons closes par closes se manifeste par l’expression forte idéal. Il est donc modifié en fonction l’atelier YH2 et l’édifice Zone par l’ate- des murs mitoyens, prolongés à l’arrière des potentiels évidents et latents que lier In Situ explorent aussi des figures dans le jardin (ill. 6). recèle son état actuel. En témoigne archétypales de Montréal. Dans le cas de le maintien de l’usure de la structure l’édifice Zone, il s’agit de la grande nef On peut en effet considérer que l’intro- d’acier de l’édifice Zone. L’intérêt de industrielle, un élément incontournable duction de nouvelles fonctions participe cette attitude est à comprendre dans du canal de Lachine, qualifiée jadis de à la requalification des secteurs. Dans le le décalage qu’elle institue par rapport « vallée industrielle ». Conçue pour une cas de l’édifice Zone (ill. 7), ce sont les à la connaissance historique sur laquelle entreprise multimédia dont le patron abords du canal de Lachine qui se recy- repose habituellement l’argumentaire était séduit par la vastitude de ses nefs, clent ainsi après avoir vivoté à la suite du projet d’intervention contemporaine l’architecture y est recyclée dans la pour- de la fermeture du canal au cours des sur le patrimoine. Cette approche, plus suite métaphorique du travail taylorisé années 1950. De la même manière, les subjective et moins « rigoureuse » en qui investissait autrefois ces espaces : maisons closes s’inscrivent dans le mou- regard de cette connaissance, séduit en lieu et place des machines s’implan- vement de revitalisation qui a fait pas- tout de même les différents jurys des tent désormais les tables de travail des ser le Plateau-Mont-Royal à Montréal de Prix d’excellence. employés. Pour les maisons closes, l’atelier quartier ouvrier à quartier en demande. YH2 explore l’idée de la mitoyenneté qui Ces deux réalisations témoignent donc L’idée d’une telle approche fait son appari- a régi le développement de tous les quar- de l’émergence d’une nouvelle culture tion au Monument-National où l’on parle tiers ouvriers de Montréal. Les deux rési- urbaine qui a été reconnue par l’attri- d’« archéologie sélective »15 dans la façon dences sont profondément transformées bution des Prix d’excellence à ces deux dont les architectes ont choisi les éléments pour leur donner les « qualités d’intimité réalisations. de décor intérieur à préserver. Selon cette

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ILL. 7. ÉDIFICE ZONE : VUES DU GRAND HALL ET DE LA CIRCULATION PRINCIPALE. | IN SITU.

approche, ces éléments représentent bien Centre d’interprétation de Pabos sous spectacle – permet de préserver le pay- la valeur patrimoniale de l’édifice et parti- l’influence de certains principes décons- sage où s’implantent le monastère exis- cipent aussi à sa nouvelle vie en tant que tructivistes. L’application de telles idées à tant et la nouvelle aile du collège. Cet témoin du passé. Cela dit, cette subjecti- un centre d’interprétation est importante enfouissement permet aussi de distancier vité était limitée, dans ce cas particulier, puisqu’elle redéfinit littéralement l’expé- le monastère de l’aile nouvelle, conçue par l’imposante connaissance historique rience de ce type d’édifice. Plutôt qu’une elle aussi sous l’influence de principes à propos de l’édifice. Dans le cas des mai- construction fermée implantée sur le site, déconstructivistes. Ce faisant, l’identité sons closes et de l’édifice Zone, Guy Besner c’est toute l’architecture qui s’ouvre à lui. des deux bâtiments s’affirme davantage ; analyse l’approche du patrimoine comme À ce propos, Lucie K. Morrisset soutient non plus en symbiose comme c’est le une « lecture » : « La forte matérialité de que, « au lieu d’un édifice qui réfléchit, cas pour les projets de Faucher, Blouin, ces trois projets résulte d’une méthode qui c’est « une idée qui inspire »17. Aubertin, Brodeur, Gauthier, architectes porte sur la compréhension et la lecture ou encore à l’édifice Zone, mais plutôt du bâti – car il s’agit bien ici d’une lecture, Dans un tout autre contexte d’implan- comme deux œuvres indépendantes. la force narrative du projet étant restituée tation – urbain dans ces cas –, la firme La même analyse peut être appliquée par l’espace lui-même16. » Saucier + Perrotte adopte une approche à la Cinémathèque québécoise, aména- inspirée du contextualisme qui définit gée au sein de deux anciennes écoles. Saucier + Perrotte, architectes : des implantations où l’adéquation entre L’architecture des agrandissements, nom- S’émanciper du patrimoine l’ancien et le nouveau semble presque mément celle du hall principal, doit être naturelle. Un tel parti permet d’alléger comprise dans son rapport analogique Cinémathèque Québécoise, boulevard le contexte patrimonial de la complexité avec le monde du cinéma : « Le projet Maisonneuve, Montréal et Collège que représente l’intégration en leurs célèbre le cinéma en exploitant la ten- Gérald-Godin, boulevard Gouin murs de programmes techniques lourds. sion entre la légèreté de la lumière et le ouest, Pierrefonds (Montréal). Cela permet aussi, et surtout, d’affran- poids des images18. » Selon cette analogie, chir les ajouts contemporains du contexte le hall est une réflexion architecturée sur À la différence des bâtiments précédem- patrimonial préservé et de profiter de ce le thème de la boîte lumineuse, en oppo- ment étudiés, la définition de l’iden- nouvel état d’existence pour affirmer sition à la salle obscure (ill. 8). tité architecturale contemporaine peut davantage l’identité de ceux-ci. émerger d’une réflexion conceptuelle Bien qu’elle ne formule aucun objectif de issue d’un univers référentiel complète- Dans le cas du collège Gérald-Godin, conservation patrimoniale à proprement ment différent de celui auquel appar- le fait d’avoir enfoui une large part du parler, l’approche de Saucier + Perrotte tient le patrimoine. L’Atelier Big City, programme nouveau – comprenant prend place dans un souci évident de par exemple, conçoit l’architecture du entre autres un gymnase et une salle de requalification de l’existant. Cela dit,

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ILL. 8. CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE : VUE DU HALL PRINCIPAL, AU CENTRE. ILL. 9. COLLÈGE GÉRALD-GODIN : VUE FRONTALE JUXTAPOSANT LE MONASTÈRE À GAUCHE ON APERÇOIT LA COUR ET À DROITE LA FAÇADE DE L’ÉCOLE ET SON AILE NOUVELLE. | GUILLAUME ST-JEAN. JEANNE-MANCE, RECYCLÉE. | GUILLAUME ST-JEAN. l’univers référentiel de l’architecture nou- Indeed, the power of the design comes from intériorisé. Selon Jacques Lachapelle, le velle n’a pour ainsi dire rien à voir avec un the surreal, unexpected juxtaposition of the projet « devient le révélateur des contra- quelconque souci de conservation, comme Centre’s various components. Visitors fol- dictions de l’architecture initiale »20. c’était d’ailleurs le cas au collège (ill. 9). low a route that flows through all parts of the interior, old and new […] Spaces are Cela dit, malgré la force de ce parti, l’in- Dan S. Hanganu, architectes : linked by the movement of visitors along the tervention n’en est pas moins subtile et Jouer avec le patrimoine route, not by formal continuity. For example, retenue lorsqu’on s’attarde aux élévations you enter by climbing the monumental des réserves, le nouveau volume intégré Centre d’archives de Montréal, édifice stairs fronting Viger Square and passing au complexe existant. Il en va de même Gilles-Hocquart, rue Viger, Montréal. under the imposing Ionic colonnade into the de l’intervention dans le muséum ; les staid, renovated 1910 entrance lobby. You apports contemporains sont présents, Au Centre d’archives de Montréal, Dan check in and start up the cast iron escalier néanmoins en harmonie avec la légèreté S. Hanganu a été aux prises avec un d’honneur. But then, on the landing, instead de l’architecture ancienne (ill. 11). contexte patrimonial remarquablement of following the stair as it switches back complexe. Non seulement la commande upstairs, you plunge under stained glass Lapointe Magne architectes : demandait l’incorporation d’une diversité windows straight through the wall and into a L’audace du façadisme de typologies architecturales – une école different century: the lofty, skylit, six-storey beaux-arts, un muséum, une résidence, atrium. Simple, dramatic, effective19. Théâtre Espace Libre, rue Fullum, des édifices servants tels qu’une chauf- Montréal. ferie, etc. –, mais elle exigeait aussi de L’atrium que décrit David Theodore a superposer à cet ensemble une organi- investi la cour arrière de l’ancienne École Dans la perspective de la présentation sation nouvelle, signe de l’insertion d’un des Hautes Études Commerciales (ill. 10). des différents modes d’innovation en nouveau programme, lui aussi remarqua- On peut toujours y voir, intégrée aux contexte patrimonial émergeant au blement complexe. matériaux contemporains – verre, acier –, cours des années 1990, le théâtre Espace la brique typique des façades arrière qui Libre apparaît comme un cas particu- Dan S. Hanganu a pris avantage de la com- contraste avec la pierre de taille des lier. Il s’agit d’un cas de façadisme, une plexité de l’ensemble en se basant sur elle façades principales. S’opposant aussi de approche qui n’a jamais fait l’unanimité pour créer l’identité nouvelle du Centre. manière presque humoristique avec ce au sein des spécialistes de la conserva- Par un jeu de contraire et d’inversion, il contexte, se trouvent toujours les épau- tion21. En effet, seules la façade princi- est en effet parvenu à rendre visible ce frures de la maçonnerie ou encore la quin- pale, une partie de la façade latérale et que les architectures anciennes voulaient, caillerie ancienne de l’édifice qui semblent la tour de séchage des boyaux à l’arrière au contraire, rendre invisible : désormais étranges dans cet extérieur sont préservées.

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ILL. 10. VUE DE L’ACCÈS AU MUSÉUM DEPUIS L’ATRIUM PRINCIPAL. À DROITE ON PEUT VOIR ILL. 11. VUE DE L’ANCIEN MUSÉUM DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES UN MUR DE MAÇONNERIE BRUTE LAISSÉ VISIBLE. | DAN HANGANU. COMMERCIALES, RECYCLÉ EN SALLE DE CONSULTATION DU CENTRE D’ARCHIVES DE MONTRÉAL, ÉDIFICE GILLES- HOCQUART. | DAN HANGANU.

Il faut bien avouer que peu de valeurs À l’instar de la Bibliothèque des jésuites, rue Fullum. Outre ces dispositifs, l’emploi patrimoniales peuvent être associées aux les architectes ont effectivement su réor- de la couleur jaune pour les portes et la « intérieurs » d’une caserne de pompiers. Il ganiser l’édifice en fonction du nouveau base du mur-rideau ajoute une dimension aurait en outre été particulièrement dif- programme tout en préservant la possi- chromatique à la réorganisation visuelle ficile d’insérer les dispositifs techniques bilité de « lire » l’architecture ancienne. de l’architecture ancienne. nécessaires à la construction d’un théâtre La salle de spectacles se situe au rez-de- dans un tel intérieur. Malgré l’invocation chaussée et, dépendamment de sa confi- Comme l’affirment les jurys des program- de ces raisons, la démolition de la caserne guration, l’entrée se fait soit par les portes mes d’excellence, il se dégage effecti- est critiquée : de la rue Fullum, soit par l’arrière près de vement de ce bâtiment une puissante la tour de séchage. Il s’agit là d’une redé- volonté d’ancrer la fonction nouvelle Still with Montreal unfortgoing a mini- finition originale et innovatrice du mode dans l’édifice ancien, mais aussi celle d’y building boom, its stock of cast-off civic d’utilisation du théâtre archétypal. Les affirmer sans équivoque la fonction nou- buildings and churches are particularly fonctions sont reliées verticalement par velle. Les valeurs patrimoniales associées vulnerable. It’s a little distressing to see une série d’escaliers située le long de la à la caserne disparue ont certes souffert that Espace Libre continues the trend façade latérale. de cette volonté bicéphale, mais l’apport of letting Montreal’s fine tradition of que constitue ce bâtiment à la création fire halls disappear under the banner of Cette façade latérale marque le recyclage architecturale contemporaine valait assu- modernization22. de l’édifice : au contraire des parements rément le sacrifice (ill. 12). de maçonnerie ancienne, elle se com- Du point de vue des jurys des pro- pose en ouverture et en transparence. La conservation du patrimoine grammes d’excellence toutefois, l’in- Il s’agit en effet d’un mur-rideau tout à tervention de Lapointe, Magne est un fait moderne. Par ailleurs, une imposante Afin d’exposer l’étendue du spectre anti- « véritable coup de théâtre [qui] dénote marquise recouvrant un balcon situé nomique dans lequel peut se situer un un geste architectural courageux et derrière le parapet de l’ancienne façade projet d’intervention contemporaine sur ambitieux »23. impose la nouvelle identité du côté de la le patrimoine bâti, mentionnons avant

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ILL. 12. VUE DU BÂTIMENT DU THÉÂTRE ESPACE LIBRE. | GUILLAUME ST-JEAN. ILL. 13. VUE DE LA CHAPELLE DU SACRÉ-CŒUR RECONSTRUITE. | GRAPHEX, JODOIN LAMARRE PRATTE ET ASSOCIÉS ARCHITECTES.

ILL. 14. VUE DE LA CHAPELLE DE LA MAISON MÈRE DES SŒURS GRISES, RESTAURÉE. | THOMAS COOMANS.

de conclure que l’Ordre des architectes autre, axé quant à lui sur la rhétorique connaissance que les architectes doivent du Québec a aussi récompensé depuis patrimoniale. Dans ces cas spécifiques où aussi justifier leurs décisions. sa première édition, en 1978, une série la conservation des valeurs patrimoniales d’interventions contemporaines sur des est une priorité, le travail des architectes Citons l’exemple de la restauration de édifices patrimoniaux en marge du para- est balisé par la connaissance historique à la chapelle du Sacré-Cœur de la basili- digme créatif abordé dans cet article. Ces partir de laquelle s’orientent les principes que Notre-Dame, détruite à la suite de projets se situent dans un paradigme tout d’intervention. C’est en regard de cette l’incendie de décembre 1978. La firme

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de reconstruction ici, tout le travail s’est concentré sur le maintien de l’authenti- cité des lieux, entre autres par un travail rigoureux sur le traitement chromatique des finis intérieurs (ill. 15).

CONCLUSION

Un constat global ressort à propos des dif- férents modes d’innovation proposés par les huit agences : toutes s’incarnent dans des solutions architectoniques inspirées d’un intérêt renouvelé par certains princi- pes modernes. Bien qu’adaptés aux contex- tes patrimoniaux, l’abstraction des formes, la sensibilité à l’espace et à la lumière, le travail de structure et l’exploration des matériaux sont en effet des thèmes récur- rents dans tous les bâtiments étudiés.

L’abstraction des formes permet de for- muler une réaction vis-à-vis du contexte patrimonial. Au théâtre Espace Libre, une « simple modernist box24 », la nouvelle volumétrie cubique de l’édifice s’insère chirurgicalement aux limites des vestiges de l’ancienne caserne. Contre les surfa- ces fortement structurées par les enta- blements anciens se distinguent donc les textures et les rythmes de l’ajout.

Le travail de l’espace, quant à lui, est exploité de façon générale dans l’opti- que de la création d’une spatialité pou- vant susciter une expérience particulière au sein des espaces intérieurs des édifices patrimoniaux, souvent traditionnels et ILL. 15. VUE DE LA CHAPELLE DE LA MAISON MÈRE DES SŒURS GRISES, RESTAURÉE. | LES ARCHITECTES DESNOYERS MERCURE & ASSOCIÉS. typiques. La principale qualité recherchée est la fluidité, laquelle est indissociable Jodoin Lamarre Pratte, soucieuse de per- (dimension, hauteur). Le contraste évi- du travail sur la lumière. En témoigne pétuer l’« esprit du lieu », s’est efforcée dent consacre la mise en valeur des ves- l’exploitation des nefs industrielles de de maintenir les vestiges architecturaux tiges, mais célèbre aussi l’existence de l’édifice Zone qui, communicant entre réutilisables de la chapelle détruite. l’architecture nouvelle (ill. 14). elles par le hall et abondamment éclairées L’identité architecturale nouvelle prend par les fenêtres à claire-voie, génèrent un donc racine au sein de ces vestiges restau- Quant à elle, l’agence Desnoyers Mercure sentiment de liberté. rés, mais s’incarne néanmoins dans une a procédé en 1996 à la restauration de architecture moderne simplement inspi- la chapelle de la maison-mère des sœurs Intrinsèquement lié à ce dernier thème rée des principes volumétriques anciens grises, boulevard René-Lévesque. Point se trouve celui de la structure – de la

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tectonique –, lequel est compris ici comme intéressants. Cela dit, l’intervention concours canadiens, Montréal, Laboratoire une intervention à la fois structurelle – la contemporaine en contexte patrimonial d’étude de l’architecture potentielle, École d’architecture, Université de Montréal, [http:// charpente elle-même de l’édifice – et limite nécessairement l’ambition créa- www.ccc.umontreal.ca/], consulté le 15 février matérielle – la composition des surfaces trice, étant donné sa nature antinomique. 2009. par les matériaux – servant la redéfinition Ainsi, la tendance annoncée par le travail 6. LEAP, 2007. des espaces. À l’édifice Zone par exem- de cette agence entre nécessairement en 7. À propos des méthodes d’intervention dans ple, le rythme des structures, incarnation conflit avec cette prémisse de base. En le contexte précis des sites archéologiques, on même de la valeur patrimoniale du lieu, outre, le statu quo laisse présager que plu- pourra comparer ce projet aux cas de recons- est repris comme élément fondateur de sieurs solutions très intéressantes peuvent truction du fort Chambly, par Blouin, Blouis l’identité contemporaine du projet. Quant émerger du contexte créatif que constitue et associés, Prix d’excellence 1983, ou encore à celui du centre d’interprétation des vesti- au travail des matériaux, il sert souvent de l’intervention contemporaine sur le patri- ges du Haut-fourneau des forges du Saint- jeu de contrastes entre plein et vide, lourd moine ; citons entre autres le Centre d’in- Maurice, par la firme Gauthier Guité Roy, Prix et léger, ou entre opacité et transparence. terprétation de la place Royale à Québec. d’excellence 1985. Ainsi, Barry Sampson, membre du jury du Il y a cependant fort à parier que le besoin 8. La contrainte patrimoniale est, dans ce cas-ci, programme d’excellence de la revue The d’innovation qui a mené au rejet des le contexte immédiat du lot où est construit le théâtre. Il ne s’agit pas d’une création ex Canadian Architect écrit à propos de la méthodes d’intervention postmodernes nihilo, mais bien d’une œuvre architecturale verrière qui sépare le chœur de la nef de amènera de la même façon les architectes en étroite relation avec son quartier, tant par la chapelle du collège de Brébeuf : « This à pousser l’audace. Les contraintes inhé- sa morphologie que par l’organisation de ses is clearly a new overlay but one that adds rentes à l’intervention contemporaine sur fonctions. a dramatic sign of new occupation while le patrimoine offrent, en effet, un terreau 9. Adamczyk, Georges, Anne Cormier, Philippe allowing existing spatial figure and detail fertile pour le pouvoir créatif. C’est, en Lupien et Pierre Boyer-Mercier, 1995, « Espace Go », ARQ : La revue d’architecture, no 87, to be seen and felt simultaneously25. » l’essence, la principale conclusion de ce p. 12-13. projet de recherche. 10. Baker, Joseph, 1996, « Urban Interludes », The Ce constat nous amène à affirmer que Canadian Architect, vol. 41, no 3, p. 18-19. la mise en relation postmoderne a été NOTES 11. Ibid. remplacée par le recours à la modernité e 12. Lachapelle, Jacques, 2005, « Révéler la pour intervenir de manière innovante 1. Académie française, 1994 [9 éd.], Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Académie fran- mémoire », ARQ : La revue d’architecture, en contexte patrimonial. Le choix de la o çaise, [http://www.academie-francaise.fr/dic- n 132, p. 16-20. modernité comme univers référentiel peut tionnaire/index.html], consulté le 15 février 13. Ibid. sans doute être compris dans la perspec- 2009. 14. Hamelin, Marie-Claude et Loucas Yiakouvakis, tive globale d’un phénomène de réhabi- 2. Magendie, François, 1993, « Un métissage 2007, « Les maisons closes », Atelier YH2, litation de ce mouvement initiée au cours culturel », Techniques et architecture, juin- Montréal, Atelier YH2, [http://www.yh2ar- des années 1990. Synonyme d’audace et juillet, p. 91-94. chitecture.com/projets/closes/pro-clos.html], d’avant-garde, la modernité convenait 3. Carter, Brian, 1993, « Layers of Meaning », consulté le 3 décembre 2007. o bien aux intentions des praticiens de la The Architectural Review, vol. 193, n 1155, 15. Ross, Susan, 1991, « La restauration et le p. 42-46. période. Pragmatiques, ces derniers sou- réaménagement du Monument National, Montréal », ARQ : Architecture-Québec, no 62, haitaient effectivement s’éloigner de l’in- 4. Plusieurs des bâtiments du corpus ont en effet reçu des distinctions d’autres program- p. 16-19. tellectualité postmoderne tout en voulant mes d’Excellence canadiens. Le recensement 16. Besner, Guy, 1999, « La mémoire vive », tout de même poursuivre le mouvement de ces récompenses s’est limité à trois d’en- Intérieurs, no 9, p. 36-38. de revalorisation de la ville que cette der- tre eux : les Awards of excellence de la revue 17. Morisset, Lucie K., 1994, « Le centre d’in- nière avait suscité. The Canadian Architect, la remise annuelle des médailles du Gouverneur général du Canada terprétation du Bourg de Pabos », ARQ : o en architecture et les prix Orange et Citron de Architecture-Québec, n 81, p. 10-11. Alors que s’achève la première décennie l’organisme Sauvons Montréal. 18. Perrotte, André et Gilles Saucier, 2007, e du XXI siècle, on peut toutefois s’inter- 5. Voir Hénault, Odile, « Le centre d’interpré- « Cinémathèque québécoise », Saucier + roger sur la suite de cet élan, initié il y a tation Bourg de Pabos », dont des extraits Perrotte, Montréal, Saucier + Perrotte, [http://www.saucierperrotte.com], consulté plus de 15 ans déjà. L’œuvre de Saucier + sont disponibles dans : LEAP, 2007, « Centre le 6 décembre 2007. Perrotte, teintée d’idées déconstructivis- d’interprétation du Bourg de Pabos. Cormier Cohen Davis (Atelier Big City) », Catalogue des tes, annonce au Québec des changements

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 111 MATHIEU POMERLEAU > ESSAY | ESSAI

19. Theodore, David, 2000, « Bridging Past and Present », The Canadian Architect, vol. 45, no 9, p. 24-27.

20. Lachapelle, Jacques, 2006, « Architecturer le récit patrimonial », dans Denis Bilodeau et Marc Choko (dir.), Concours d’architecture et imaginaire territorial. Les projets culturels au Québec 1991-2005, Montréal, Laboratoire d’étude de l’architecture potentielle (LEAP), Centre de design de l’Université du Québec à Montréal, p. 199-215.

21. On se rappellera par exemple la controverse entourant la conservation des façades de l’im- meuble New Westminster, intégré à l’agrandis- sement du Musée de beaux-arts de Montréal par Moshe Safdie. Ce bâtiment avait tout de même reçu une mention dans la catégorie « architecture institutionnelle » lors des Prix d’excellence 1992.

22. Theodore, David, 2003, « Siren Call », The Canadian Architect, vol. 48, no 10, p. 20-23.

23. Adamczyk, Georges, David Covo, Émilien Vachon, Borkur Bergman et Luc Noppen, 2003, « Le Théâtre Espace Libre », ARQ : La revue d’architecture, no 123, p. 11.

24. Theodore, David, 2003, « Siren Call », The Canadian Architect, vol. 48, no 10, p. 20-23.

25. Chomik, Bill, Barry Simpson et Pierre Thibault, 1999, « Award of Merit. Collège Jean-de- Brébeuf Chapel Restoration », The Canadian Architect, vol. 44, no 12, p. 36-37.

112 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 REPORT | RAPPORT

LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL

NATHALIE CLERK est historienne d’architecture à > NATHALIE CLERK Parcs Canada. Elle a préparé des rapports sur une variété de sujets (paysages culturels, architecture religieuse et domestique, etc.) pour la Commission des lieux et monuments historiques du Canada et pour le Bureau d’examen des édifices fédéraux n décembre 2007, la Commission des du patrimoine. Elieux et monuments historiques du Canada recommandait que le Jardin bota- nique de Montréal soit désigné lieu histori- que national pour les raisons suivantes :

- l’étendue de ses collections et de ses installations, tels ses vingt-deux mille espèces et cultivars de plantes, ses dix grandes serres d’exposition, sa trentaine de jardins thématiques et son vaste arboretum, en fait un des plus importants jardins bota- niques au monde ;

- dès la fondation du jardin en 1931, le frère Marie-Victorin, qui a été l’âme de cet ambitieux projet, et Henry Teuscher, l’architecte pay- sagiste qui en a dressé les plans et lui a donné ses grandes orienta- tions, ont voulu en faire un jar- din botanique idéal, ce qu’il est demeuré jusqu’à nos jours en raison de ses grandes qualités esthétiques, de sa vocation scientifique et de ses fonctions éducative et sociale ;

- la richesse et la diversité de ses col- lections destinées à la recherche, à la conservation, à la présentation et à l’éducation mettent clairement en évidence la mission qui est particu- lière aux jardins botaniques.

Le Jardin botanique de Montréal est un lieu d’exception qui se démarque tout particulièrement par son histoire, par les grandes qualités esthétiques de ses jardins ainsi que par la richesse et la di- versité de ses collections, dévolues à des fins de recherche, de conservation, de ILL. 1. LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. LES JARDINS D’EXPOSITION CRÉÉS DÈS 1938 SELON UN PLAN DE L’ARCHITECTE PAYSAGISTE HENRY TEUSCHER. ON VOIT ICI LE JARDIN DES PLANTES VIVACES, LA PLUS ANCIENNE SECTION DES JARDINS D’EXPOSITION. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 > 113-139 113 NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT

ILL. 2. L’ EMPLACEMENT DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. | COMMUNAUTÉ URBAINE ILL. 3. L’ EMPLACEMENT DES PRINCIPAUX JARDINS ET BÂTIMENTS SUR LE SITE DE MONTRÉAL, MAP ART. DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. | TIRÉ DE LA BROCHURE PRODUITE PAR LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL.

présentation et d’éducation. Il a été dé- les réaménagements menés à l’entrée du en face du Parc olympique, présente la signé lieu d’importance historique natio- Jardin soient terminés. forme d’un quadrilatère de soixante-quin- nale en 2008. Le présent article reprend ze hectares (ill. 1 à 4). Avec ses vingt-deux essentiellement le rapport présenté aux DESCRIPTION DU LIEU mille espèces et cultivars3 de plantes, ses membres de la Commission des lieux et dix grandes serres d’exposition, sa trentai- monuments historiques du Canada en Fondé le 9 juin 1931, le Jardin botanique ne de jardins thématiques (dont la rose- vue de l’évaluation du Jardin. On y pro- de Montréal est issu de la collaboration raie, le jardin de Chine, le jardin japonais pose une description du lieu ainsi qu’une entre le frère Marie-Victorin (PHN1, 1987), et le jardin des Premières-Nations) et son analyse de son importance historique et professeur et scientifique de grand renom vaste arboretum4, la propriété constitue de son intégrité. Le Jardin botanique de qui a initié et mené cet ambitieux projet, un impressionnant îlot de verdure au sein Montréal est ensuite comparé à d’autres et Henry Teuscher, horticulteur, botanis- de la ville et l’un des principaux jardins jardins afin de bien faire ressortir ses ca- te et architecte paysagiste qui en est le botaniques au monde. Ses collections do- ractéristiques spécifiques. Mentionnons concepteur et en a dressé les plans2. Ce cumentées de plantes vivantes servent à que ce rapport a été préparé avant que vaste jardin, situé dans l’est de Montréal des fins de recherche, de conservation, de

114 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT

ILL. 4. UNE VUE AÉRIENNE DATANT DU MILIEU DES ANNÉES 1990, MONTRANT LA PORTION ILL. 5. LE PAVILLON ADMINISTRATIF (1932-1938, LUCIEN KÉROACK, ARCHITECTE) DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL COMPRISE ENTRE LA RUE SHERBROOKE ET UNE PARTIE DU JARDIN D’ACCUEIL AVEC SES BASSINS (1938). | NATHALIE CLERK, ET LE BOULEVARD PIE IX. | PIERRE LAHOUD. PARCS CANADA, 2006. présentation et d’éducation, témoignant Sherbrooke. Un chemin bordé d’arbres en sur les grands phénomènes associés aux ainsi du mandat scientifique et pédagogi- forme de boucle part des jardins d’accueil plantes et abrite une collection de mono- que propre aux jardins botaniques. et du pavillon administratif et permet de cotylédones (palmiers, bananiers et bam- parcourir le Jardin jusqu’à son extrémité bous). La salle Chlorophylle, destinée aux L’AMÉNAGEMENT GÉNÉRAL nord et de revenir vers l’entrée de la rue enfants, est jointe à cette serre centrale. Sherbrooke. La serre d’accueil est encadrée de part et Ce jardin botanique est constitué d’un d’autre par des serres qui ont chacune ensemble diversifié de jardins – aux sty- Les jardins d’accueil, le pavillon leur spécialité : serre des forêts tropica- les et aux tracés variés, dont le caractère administratif et les serres les humides, serre des plantes tropicales est tant formel que pittoresque – harmo- économiques, serre des orchidées et des nieusement interreliés par un réseau de Après avoir franchi l’entrée sud-ouest du aracées, serre des fougères, serre des chemins et de sentiers. La vaste propriété Jardin, le visiteur parcourt d’abord les jar- bégonias et des gesnériacées, serre des de forme rectangulaire peut être sommai- dins d’accueil (1938) – des jardins formels régions arides, hacienda, jardin céleste et rement découpée en quatre grands sec- aménagés à la française comptant selon grande serre d’exposition. Cette dernière teurs : d’abord les jardins d’accueil mènent les saisons des plantes bulbeuses et des grande serre abrite différentes expositions vers le pavillon administratif et les serres ; annuelles – entrecoupés de trois voies, et activités en fonction des saisons : fête le secteur ouest, qui longe le boulevard dont celle du centre mène au pavillon du printemps, bal des citrouilles, papillons Pie IX, présente des jardins d’apparence administratif (1932-1938) (ill. 5). Ce long en liberté, etc. Adossée au côté ouest du formelle ; la partie centrale entrecoupée bâtiment de brique et de pierre calcaire, pavillon administratif, la cour des sens d’avenues et de petits sentiers où les de styles Beaux-Arts et Art déco, se pro- est un petit jardin destiné aux personnes différents aménagements se succèdent longe à l’arrière par le complexe d’accueil, aveugles. Derrière ces serres, se trouvent de façon plus pittoresque jusqu’à l’arbo- destiné à recevoir les visiteurs. Dix serres les serres de service et les pépinières aux- retum ; enfin, le côté est constitue une d’exposition, dont la construction a été quelles le public n’a pas accès. étroite bande de verdure ponctuée de entreprise en 1956, sont regroupées der- divers jardins longeant le parc Maison- rière le complexe d’accueil (ill. 6). Quelque Le côté ouest du Jardin botanique neuve. Le public a accès au site par trois trente-six mille plantes et arbres exoti- entrées du côté de la rue Sherbrooke. Il ques, répartis en douze mille espèces et Les jardins d’exposition (1938) s’étendent y a aussi une entrée du côté du boule- variétés, en provenance de régions équa- en une étroite bande le long du boule- vard Rosemont. Deux entrées de service toriales ou tropicales, y sont présentés. vard Pie IX, à partir de l’édifice qui abrite sont situées sur Pie IX et une autre sur La serre d’accueil fournit des explications le restaurant (1956) jusqu’aux jardins des-

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ILL. 6. L’UNE DES SERRES D’EXPOSITION, DONT LA CONSTRUCTION A ÉTÉ ENTREPRISE ILL. 8. LES JARDINS AMÉNAGÉS PAR LES JEUNES, DONT LE BUT EST DE LEUR FAIRE EN 1956. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. DÉCOUVRIR L’HORTICULTURE. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

ILL. 7. UN APERÇU DES JARDINS D’EXPOSITION (1938). | PIERRE LAHOUD 2004 ; NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

tinés aux jeunes. Les jardins d’exposition du monastère, le coin du Québec, les jar- qui servent à produire les fleurs utilisées regroupent une dizaine de différents pe- dins de ville, le jardin des nouveautés, le par la Ville de Montréal. tits jardins, ordonnés de façon rigoureuse jardin des plantes vivaces et le jardin des et formelle, que séparent des murets, des plantes économiques (ill. 7). Des jardins La portion centrale marches ou encore des tonnelles, dont la aménagés par des jeunes se trouvent à du Jardin botanique vocation est à la fois esthétique et pé- l’extrémité nord des jardins d’exposition, dagogique : on trouve ici le jardin des dans un cadre champêtre (ill. 8). À l’ex- Dans la portion centrale du Jardin s’amor- arbustes, le jardin des plantes toxiques, trémité nord, se trouvent aussi les serres ce la visite des grands jardins thémati- le jardin des plantes médicinales, le jardin Louis-Dupire, non accessibles au public, et ques, reliés par un réseau de sentiers

116 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT

ILL. 9. LA ROSERAIE REGROUPE QUELQUE 10 000 ROSIERS, DONT CERTAINES VARIÉTÉS ILL. 10. LE JARDIN AQUATIQUE (1938). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. TRÈS ANCIENNES. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

ILL. 11. LE JARDIN DE CHINE, LE « JARDIN DU LAC DE RÊVE » (1991). | PIERRE LAHOUD ; NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006 ; GUILLAUME ST-JEAN, 2009. et de petits chemins. Le premier jardin À gauche du Jardin aquatique et de la Au nord du jardin aquatique, le jardin ja- rencontré par le visiteur du côté est de roseraie, le jardin de Chine (1991), nommé ponais (1988) présente un aménagement cette portion du site est l’immense ro- le « jardin du lac de rêve », est inspiré des naturaliste où l’eau et la pierre symbolisent seraie (1976) dont l’entrée est protégée anciens jardins de l’époque Ming : c’est un respectivement le calme et la continuité, la par un imposant lion de pierre, offert par jardin de deux hectares et demi sans pe- longévité et les forces de la nature (ill. 12). la ville de Lyon à l’occasion du trois cent louse, doté de plantes, de plans d’eau et Les plantes ainsi que l’eau et la pierre s’y cinquantième anniversaire de Montréal de sept pavillons traditionnels, jouant sur conjuguent pour exprimer la paix intérieu- (ill. 9). Cette roseraie d’une superficie de les contrastes du yin et du yang (ill. 11). re, une valeur traditionnelle des Japonais. six hectares regroupe quelque dix mille L’accès à ce jardin se fait par la cour d’en- Les plantes ont été choisies pour assurer rosiers, dont neuf cents variétés de roses trée gardée par deux lions de pierre et do- une succession de floraisons et ainsi ex- anciennes. Elle est constituée de plates- tée de nombreux éléments symboliques. primer une vision idéale de la nature. La bandes aux formes sinueuses, entre les- La porte en forme de lune mène vers le cour du pavillon japonais abrite des bon- quelles sont intercalés arbres et arbustes pavillon de l’amitié, puis à la cour du prin- saïs et un jardin zen. Des petits ponts, des ornementaux. Suit le jardin aquatique temps où se trouvent des penjings (arbres carpes Koï – considérées comme des fleurs (1938) dont les bassins surélevés abritent miniatures) et au pavillon des lotus avec vivantes –, une lanterne kukimi-gata ou des plantes aquatiques et des plantes de son plan d’eau où poussent des centaines lanterne de neige – plus haute que les milieux humides du Québec et de régions de lotus. Une petite montagne de pierre autres pour dépasser de la neige en hi- tropicales (ill. 10). s’élève au pied du lac de rêve. ver – complètent ce paysage.

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ILL. 12. LA COUR DU PAVILLON DU JARDIN JAPONAIS AVEC SES BONSAÏS (1988). | NATHALIE ILL. 13. LE JARDIN ALPIN (1937, COMPLÉTÉ EN 1962). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. CLERK, PARCS CANADA, 2006.

ILL. 14. LE JARDIN DES LILAS (ANNÉES 1930). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 15. LE RUISSEAU FLEURI (1976). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

ILL. 16. LE SECTEUR DES ÉTANGS (AMORCÉ EN 1936). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 17. LE JARDIN DES PREMIÈRES-NATIONS (2001). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

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ILL. 18. L’ARBORETUM AMORCÉ DANS LES ANNÉES 1940 ET DÉVELOPPÉ VERS LE NORD ILL. 19. LA FORÊT DES MONTRÉAL DE FRANCE (1992). | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. À COMPTER DES ANNÉES 1960. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

Le jardin alpin (1937, complété en 1962), de l’arboretum et protégé par des conifè- d’évaluation de l’importance historique situé à côté du jardin de Chine, présente res, le jardin Leslie-Hancock (1976) com- nationale de la Commission des lieux et la flore qui est particulière à onze régions prend une impressionnante collection monuments historiques du Canada, afin montagneuses du globe (ill. 13). Ce jardin d’éricacées (rhododendrons, bruyères, d’évaluer si ce lieu « illustre une réalisa- se développe autour d’un grand massif azalées, etc.). tion exceptionnelle par sa conception et rocheux et d’une chute d’eau et toutes les son élaboration, sa technologie ou son plantes qui y sont présentées peuvent vi- Le côté est du Jardin botanique aménagement, ou représente une pério- vre à plus de mille mètres d’altitude. Sui- de importante de l’évolution du Canada », vent les pittoresques secteurs du jardin Le long du parc Maisonneuve, le visiteur et selon le critère 1 c) afin de déterminer des lilas (années 1930) (ill. 14) et du ruis- découvre d’abord la forêt des Montréal de s’il « est surtout associé d’une manière évi- seau fleuri (1976) (ill. 15), puis la section France (1992), un petit boisé constitué de dente et importante à une ou plusieurs plus romantique des étangs (années 1930) vingt-trois espèces d’arbres, provenant de personnes considérées d’importance his- (ill. 16). Non loin des étangs, le jardin six villes françaises qui s’appellent « Mon- torique nationale ». des Premières-Nations (2001) reproduit tréal », et qui ont été données à l’occasion les trois grands écosystèmes des Premiè- du trois cent cinquantième anniversaire La Commission adoptait en 1994 des li- res Nations (forêt de conifères, forêt de de Montréal (ill. 19). La visite se poursuit gnes directrices pour évaluer l’importan- feuillus et zone nordique) et présente par le jardin du Sous-bois (1960) avec ses ce nationale des parcs et des jardins. Le certaines des connaissances et des acti- plantes (petits prêcheurs, sanguinaires, Jardin botanique de Montréal sera donc vités particulières aux Amérindiens et aux astilbes, géraniums vivaces, hostas) qui évalué plus spécifiquement en raison : Inuits, telles que la cueillette des plantes nécessitent peu de lumière (ill. 20). Enfin, alimentaires et médicinales, la culture des à l’extrémité nord-est du Jardin botani- - de l’excellence de ses qualités esthé- plantes alimentaires et l’utilisation du que se dresse la maison de l’arbre (1996), tiques (ligne directrice 1) ; bois et des arbres (ill. 17). L’arboretum un centre d’interprétation de l’arbre et du (amorcé dans les années 1940 ; développé bois qui comporte aussi une collection de - du caractère remarquable ou unique à compter de la fin des années 1960) oc- bonsaïs nord-américains (ill. 21). de son type et de ses styles qui cupe la moitié de la portion centrale du témoignent ainsi d’une période Jardin botanique. Environ neuf mille cinq ANALYSE DE L’IMPORTANCE importante de l’histoire du Canada ou cents spécimens d’arbres appartenant à HISTORIQUE DU LIEU de l’horticulture (ligne directrice 2) ; trois mille espèces y sont regroupés. Cha- que arbre est identifié et regroupé selon Le Jardin botanique de Montréal sera - de l’importance de l’influence qu’il sa famille et son genre (ill. 18). Au centre examiné selon le critère 1 a) des critères a exercée dans le temps ou sur un

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ILL. 20. LE JARDIN DU SOUS-BOIS (1960). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 21. LA MAISON DE L’ARBRE (1996). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006.

territoire donné, du fait de son ment celui-ci se situe en regard des lignes De même, dans l’Agenda international ancienneté, de son type, de son directrices de la Commission. pour la conservation dans les jardins bo- style (ligne directrice 4) ; taniques, l’organisme Botanic Gardens Définition des jardins botaniques Conservation International en fournit la - de la présence de spécimens horti- définition suivante : « un jardin botanique coles d’une rareté ou d’une valeur La majorité des spécialistes s’entendent est une institution possédant des collec- exceptionnelle (ligne directrice 5) ; pour dire que les véritables jardins bo- tions documentées de plantes cultivées taniques modernes desservent quatre pour la recherche scientifique, la conser- - des liens qui existent entre lui et grandes fonctions, à savoir la recher- vation, l’exposition et l’éducation »6. des personnages ou des événements che, la conservation, l’enseignement et historiques d’intérêt national (ligne l’information. Voici en quels termes le Ces jardins se démarquent des parcs et directrice 7) ; professeur Warren T. Byrd, directeur du des jardins d’exposition par la présence Département d’architecture du paysage à de collections de plantes ligneuses (des - de l’importance des architectes, des l’Université de Virginie à Charlottesville, arbres) ou herbacées servant à des fins dessinateurs ou des horticulteurs décrit ce type de jardin : de recherche et d’éducation7. Les plantes qui en ont conçu les plans (ligne vivantes présentées y sont documentées, directrice 8). The principal components of all botanic organisées et exposées en tenant compte gardens and arboreta are their living plant de certains critères tels que leur histoire, Dans cette section du rapport, nous dé- collections, which are arranged according to leur origine géographique, leurs diffé- finirons d’abord brièvement ce qu’est un some accepted system of classification with rentes utilités et leur évolution. Le jardin jardin botanique et verrons quelles sont appropriate labeling and documentation of botanique possède aussi habituellement les origines de ce type de paysage. Nous each plant’s history and origin. Historically un herbier et une bibliothèque spécialisée décrirons ensuite le contexte historique these collections are augmented by two dans les domaines de la botanique et de qui a favorisé la fondation d’un jardin bo- other primary facilities: a herbarium of dried l’horticulture. Les jardins botaniques sont tanique à Montréal dans les années 1930, labeled and curated plant specimens, and a classés en fonction du nombre, de la va- ainsi que les moments marquants qui ont library devoted to botanical and horticultural riété et de la diversité de leurs collections modelé son histoire et son évolution. Nous science. Added elements and functions may et de leurs plantations8. Non seulement verrons brièvement de quelle façon ce jar- include greenhouses, propagation houses, les jardins botaniques exercent des fonc- din botanique se voulait un « jardin idéal » laboratories, conservatories, nurseries, tions d’ordre scientifique, social, éducatif, et comment il s’acquitte de ses différentes plants breeding quarters, specialty gardens, récréatif et culturel, mais, depuis les dix missions. Enfin, nous examinerons com- publication center and other ancillary places5. dernières années, ils sont aussi devenus

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des centres importants pour la conserva- Le premier jardin botanique canadien on en compterait une trentaine, la ma- tion de la biodiversité, en intégrant les vo- aurait été créé en 1836 dans les Jardins jorité d’entre eux étant associés à une lets développement et conservation9. On publics d’Halifax par la Halifax Horticul- université ou à des services municipaux y pratique toujours la botanique systéma- tural Society11. Ce jardin comprenait des ou gouvernementaux15. tique traditionnelle, c’est-à-dire la classifi- plates-bandes, des arbres, un ruisseau, cation et l’identification des plantes, mais des serres, une grange, une cour pour le L’histoire du Jardin botanique les préoccupations contemporaines pour tir à l’arc et une grotte. Acheté par la ville de Montréal l’environnement y ont favorisé la mise en d’Halifax en 1875 et combiné à un autre place d’études à caractère écologique, no- jardin, il deviendra plutôt un grand parc L’idée de créer un jardin botanique à tamment sur des espèces rares ou sur des d’esprit victorien : les Jardins botaniques Montréal est proposée à quelques repri- plantes en voie de disparition. royaux à Halifax (LHN12, 1983). Un premier ses au cours du dix-neuvième siècle, mais jardin botanique associé à une institution ne parvient à se concrétiser que dans les L’origine des jardins botaniques d’éducation est aménagé en 1861 par années 1930. Ainsi, en 1863 et en 1870, sir George Lawson de l’École de médecine du John William Dawson (PHN, 1943), géolo- Le Jardin botanique de Montréal s’inscrit Queen’s College (aujourd’hui l’Université gue et recteur de l’Université McGill, es- dans une longue et ancienne tradition. En Queen’s) à Kingston en Ontario, mais son saie en vain d’encourager cette institution effet, on peut faire remonter l’origine des existence est de courte durée puisqu’il à soutenir l’aménagement d’un jardin bo- jardins botaniques aux premiers jardins cesse d’exister dans les années 1870. tanique sur ses terrains ; ce jardin aurait d’herbes médicinales qu’aménageaient par ailleurs été associé à la Faculté des les médecins et les étudiants en méde- En 1886, l’adoption de la Loi sur les sta- sciences naturelles16. Un projet de jardin cine qui souhaitaient avoir accès à des tions agronomiques du ministère fédéral botanique et d’arboretum près du mont plantes dotées de propriétés médicinales de l’Agriculture entraîne la mise sur pied Royal est aussi mis de l’avant en 1873 par ou pharmaceutiques10. Par la suite, des d’un réseau de fermes expérimentales et la Montreal Horticultural Society, mais il jardins plus spécialisés sont créés à Pise de stations de recherche13. C’est ainsi que ne se réalise pas. Puis, en 1885, la Mon- (1543) et à Padoue (1545) en Italie pour la Ferme expérimentale centrale d’Ot- treal Botanical Garden Association lance permettre l’étude des particularités horti- tawa (LHN, 1997) voit le jour en 1886. l’idée d’un jardin botanique de soixante- coles et économiques des plantes. D’autres Dès 1887, on y aménage un arboretum quinze acres sur le mont Royal ; ce projet sont ensuite mis sur pied à Leipzig en Al- et semble-t-il un jardin botanique. Des ne voit cependant pas le jour en raison lemagne (1580), à Leyden en Hollande centres de recherche agricole sont par du manque d’appui politique. (1587) et à Montpellier en France (1593). la suite créés dans d’autres régions du Au cours des dix-septième et dix-huitième pays, mais surtout dans l’Ouest, afin Il faut attendre les années 1920-1930 pour siècles, plusieurs jardins sont ouverts pour de partager la recherche et de diffuser que le climat social et politique soit favo- permettre l’observation scientifique des auprès des fermiers et des jardiniers de rable à la création d’un jardin botanique nouvelles plantes rapportées en Europe nouvelles connaissances14. à Montréal. Il faut savoir qu’au Québec par des voyageurs. À titre d’exemple, on ces années sont marquées par un vérita- sait que le Royal Botanic Garden à Kew en Après celui de Kingston en 1861, un ble réveil scientifique initié en partie par Angleterre (1759) a été le premier jardin deuxième jardin botanique associé à une la Faculté des sciences de l’Université de botanique à cultiver le caoutchouc, la ba- université est créé en 1916 à l’Université Montréal17, où gravite le frère Marie-Vic- nane, le thé, l’ananas, le café et le cacao. de la Colombie-Britannique par le bota- torin (PHN, 1987) qui est alors en charge Les diverses possibilités que pouvait of- niste John Davidson. Le Jardin botanique de la Chaire de botanique de l’institution frir la culture de ces plantes intéressaient de Montréal est créé en 1931 et son amé- (ill. 22a). Celui-ci est d’ailleurs considéré particulièrement les gouvernements qui y nagement entrepris au cours des années comme « l’incarnation du mouvement voyaient certains avantages économiques. 1930. Les Jardins botaniques royaux (LHN, scientifique »18 qui est en voie de s’im- C’est ainsi que progressivement les jardins 1993) à Hamilton sont fondés à la fin des planter car, par ses travaux, ses écrits et botaniques ont été amenés à jouer un rôle années 1920, mais ne sont véritablement ses conférences, il va contribuer à donner important dans l’introduction de nouvel- aménagés qu’à compter de 1941. Plusieurs une plus grande visibilité et importance à les plantes, ainsi que dans l’expérimenta- jardins botaniques sont fondés après la ce qu’on appelle alors « les petites scien- tion et dans l’enseignement. Seconde Guerre mondiale. De nos jours, ces ». Le frère Marie-Victorin dénonce

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ILL. 22A. LE FRÈRE MARIE-VICTORIN (1885-1944). | JBM : QUATRE-TEMPS, VOL. 22, No 2, 1998, P. 9. ILL. 22B. HENRY TEUSCHER (1891-1984). | JBM : QUATRE-TEMPS, VOL. 30, Nos 2-3, 2006, P. 20.

l’inexistence d’une tradition scientifique comme Léon Trépanier et Camilien Hou- sont interrompus en 1933 en raison de la au Québec, la pénurie d’éducation et de22, faisant valoir que plusieurs grandes crise économique. de recherches scientifiques et l’absence villes du monde possèdent un tel jardin. Il d’une d’élite scientifique19. En 1923, il souligne les nombreux mérites que pour- Entre-temps, en 1932, sur la recomman- crée l’Institut botanique, qui regroupe rait présenter un jardin botanique pour dation du directeur du Jardin botanique des botanistes et dont la vocation est la Montréal, en particulier celui « de placer de New York, le frère Marie-Victorin a recherche, la constitution de collections et Montréal sur la carte des villes que l’on déjà choisi celui qui fera l’aménagement d’herbiers ainsi que la diffusion20. Cet Ins- peut visiter, où il y a quelque chose pour du Jardin de Montréal : il s’agit de Henry titut donnera naissance à la Société cana- l’œil et pour l’esprit »23. Il décrit les mérites Teuscher, biologiste, horticulteur et archi- dienne d’histoire naturelle, qui facilitera des jardins botaniques modernes, dont la tecte paysagiste expérimenté qui rêve de la fondation du Jardin botanique. mission est à la fois utilitaire, esthétique, créer un jardin botanique idéal (ill. 22b). scientifique et philanthropique. Dans une Ce dernier a étudié l’horticulture et l’ar- Le frère Marie-Victorin lance l’idée d’éta- entrevue accordée au Devoir, il affirme : chitecture de paysage en Allemagne et blir un jardin botanique à Montréal pour « Je reviens pénétré de la nécessité, pour travaille alors comme dendrologue (spé- une première fois en 192521, puis une une ville comme la nôtre et pour une uni- cialiste des arbres) au Jardin botanique de deuxième fois en 1929, après avoir par- versité comme celle de Montréal, d’avoir New York. À l’époque où Henry Teuscher ticipé au Congrès international de bota- un grand jardin botanique scientifique- étudie en Allemagne, il existe dans ce pays nique à Cape Town en Afrique du Sud. ment organisé24. » Et il en propose déjà un grand intérêt pour les parcs populai- Il a alors l’occasion de visiter différents l’emplacement : le côté nord-ouest du res à vocation utilitaire et pédagogique. jardins botaniques (notamment le Jardin grand parc Maisonneuve. Ce terrain offre On s’intéresse aussi à la création de nou- des Plantes à Paris, les jardins botaniques une grande variété de sols convenant à veaux jardins aménagés de manière plus de Kew, de Prague et de Cologne ainsi différents types de culture25. L’Association rigoureuse et ordonnée, selon des préoc- que l’Arnold Arboretum à Boston), de du Jardin botanique de Montréal est créée cupations d’ordre social et hygiénique27. rencontrer des botanistes de renom et de sous l’égide du frère Marie-Victorin et de Les mêmes idées circulent aux États-Unis découvrir la flore étrangère. À son retour, la Société canadienne d’histoire naturelle et influencent le projet de Jardin botani- il relance l’idée d’un jardin botanique, qui le 27 janvier 1930. Le maire de Montréal que de Montréal. Même si jusqu’en 1936 pourrait être comparable à celui de New Camilien Houde soutient le projet et l’em- le projet est à plusieurs fois menacé, le York, de Paris ou d’Édimbourg, et cette placement proposé au parc Maisonneuve frère Marie-Victorin et Henry Teuscher fois-ci le projet reçoit l’aval de la Société est accepté en 1931. Le 4 mars 1932, des lui donnent forme et élaborent l’aména- canadienne d’histoire naturelle. Dans un fonds sont octroyés pour entreprendre le gement des terrains dans un échange de discours, que reprend intégralement Le projet. Des travaux de canalisation et de correspondance assidu. Lorsque le projet Devoir, le frère Marie-Victorin cherche nivellement de même que la construction reprend finalement vie en 1936, le comité non seulement l’appui de ses concitoyens, d’une serre, d’une chaufferie et d’un petit exécutif de la Ville constitue la Commis- mais aussi celui de journalistes, tel Louis pavillon de pierre (Lucien F. Kéroack, ar- sion du Jardin botanique de Montréal et Dupire du Devoir, et d’hommes politiques chitecte) sont entrepris26. Mais les travaux nomme le frère Marie-Victorin directeur

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ILL. 23. UNE VUE AÉRIENNE DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL EN 1938. | JARDIN BOTANIQUE ILL. 24. UNE VUE AÉRIENNE DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL EN 1948. | JBM : QUATRE- DE MONTRÉAL. TEMPS, VOL. 30, Nos 2-3, 2006, P. 13. scientifique et Henry Teuscher surinten- sont entrepris, comme l’aménagement l’avenir du Jardin botanique est encore dant et chef horticulteur. En 1937-1938, ce du jardin alpin, du jardin aquatique, de une fois menacé et des discussions avec le dernier prépare un plan qui précise dans l’entrée principale avec sa fontaine et ses gouvernement provincial et le ministère le détail le tracé des chemins et l’empla- cascades d’eau, des premiers jardins pour de la Défense, qui entend réquisitionner cement des jardins et des bâtiments (ill. 3 les écoliers et du terrain de jeux. le terrain, se poursuivent au cours de ces et 23). C’est ce plan, remis à jour en 1939, années. Au printemps 1942, la Ville de qui garantira la pérennité du Jardin, tout Même si les travaux sont loin d’être ter- Montréal en devient l’unique proprié- en lui permettant de se renouveler. minés, certaines sections du Jardin sont taire. À ce moment, dix des vingt-trois semble-t-il accessibles au public dès sections sont complétées (ill. 24). Plusieurs résolutions sont adoptées par 193629. Le personnel de l’Institut bota- la Ville pour permettre la réalisation du nique de l’Université de Montréal em- Le décès tragique du frère Marie-Victorin, Jardin botanique et le projet reçoit aussi ménage dans les nouveaux bureaux du à la suite d’un accident d’automobile sur- l’appui du premier ministre Maurice Du- pavillon administratif en 1939. Au même venu en 1944 alors qu’il revenait d’une ex- plessis. Bénéficiant du programme d’aide moment, la collection horticole du Jardin cursion d’herborisation, fait en sorte que aux chômeurs mis sur pied par le gouver- est vraiment entreprise et un programme le Jardin botanique connaît une période nement du Québec, Teuscher peut enga- d’activités éducatives est mis en place où, selon André Bouchard, « une grande ger deux mille hommes pour effectuer (grâce notamment à l’École d’apprentis- partie de son œuvre s’effrita. Plusieurs une grande partie des travaux manuels sage horticole qui forme des jardiniers des groupes et sociétés associés au Jardin dans le Jardin. Entre 1936 et 1939, on professionnels, aux jardinets d’écoliers et qui donnaient tout son dynamisme à peut ainsi mettre en place une pépinière et à l’École de l’éveil)30. Au moment où l’institution disparurent. Le Jardin botani- et des serres de service ; on aménage cer- éclate la Seconde Guerre mondiale, une que, parc d’expositions botaniques et hor- tains des jardins d’exposition et on pose grande partie du Jardin a déjà été aména- ticoles, a survécu grâce à la force du plan les clôtures28 ; on creuse aussi les étangs et gée au coût de onze millions de dollars31. de Teuscher, mais ne demeura pas le lieu on utilise la terre ainsi obtenue pour créer Le Jardin botanique ouvre véritablement de stimulation intellectuelle qu’il avait le remblai du côté du boulevard Pie IX. ses portes en 1939 et connaît très tôt un été33. » Les cercles des jeunes naturalistes Les mille plants d’arbres et d’arbustes grand succès : une première exposition et les jardinets d’écoliers, qui avaient été donnés par le Boyce Thompson Arbore- sur les chrysanthèmes attire plus de dix initiés par le frère Marie-Victorin, sont tum de New York sont enfin mis en terre. mille visiteurs en 1940. À cette époque, toutefois maintenus. Henry Teuscher est Une partie du pavillon administratif est on y reçoit parfois de quinze à vingt mille alors nommé conservateur et demeure complétée, les fondations des serres d’ex- visiteurs le dimanche et les écoliers y vont au Jardin jusqu’au moment de sa retraite position sont coulées et d’autres travaux la semaine32. Malgré cela, de 1939 à 1942, en 1962. Jacques Rousseau, botaniste et

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ethnologue réputé, en devient le direc- On accroît alors la superficie de certains qu’il considère avant tout comme « une teur de 1944 à 1956 et il contribue à son jardins et le nombre de spécimens aug- institution d’éducation », ainsi que la nou- rayonnement par ses publications et ses mente36. Certaines serres d’exposition et velle vocation sociale du jardin moderne, recherches34. Les premières serres d’expo- de service sont réaménagées, d’autres qui contraste avec celle des anciens jar- sition qui avaient été démantelées au dé- construites. Une grande serre d’exposi- dins, qui étaient plutôt réservés aux scien- but des années 1940 commencent à être tion est ainsi bâtie à l’extrémité ouest des tifiques. Pour lui, le jardin botanique doit reconstruites et certaines sont inaugurées serres d’exposition. Le complexe d’accueil évidemment être un centre de recherche, en 1956. Les années 1960 sont marquées est érigé pour recevoir des présentations mais il doit aussi aider « le citadin déraciné par un certain déclin dans les activités et sur les volets éducatif et scientifique du à retrouver ou à conserver le lien salutaire les projets. De grandes expositions flo- jardin. Le bâtiment administratif est ré- avec la nature dont, après tout, il fait par- rales y sont cependant montées dans la nové et on lui ajoute une annexe pour tie »39. Il recommande deux types d’aména- serre centrale. C’est même à cette époque accueillir les laboratoires de l’Institut de gement pour rapprocher le grand public qu’est agrandi l’arboretum ; on utilise à recherche en biologie végétale. Le Jardin de la nature et l’intéresser aux sciences : cet effet l’ancienne carrière au nord du s’implique également dans de nombreux le jardin où se trouvent la flore indigène site, ce qui permet de prolonger le Jardin projets comme la promotion en 1977 du ainsi que quelques types de végétation jusqu’au boulevard Rosemont. parc écologique de Saraguay (une forêt si- exotique et les jardins floraux (regroupant tuée au nord de Montréal) et les Floralies notamment des plantes vivaces, annuelles Il faut attendre les années 1970 marquées internationales de 1980, qui marquent une et aquatiques, une rocaille, un arboretum, par une conjoncture économique favo- ouverture sur le monde. C’est aussi au cours un jardin médicinal avec des plantes mé- rable et l’apparition des préoccupations de ces années qu’apparaissent de nouveaux dicinales utilisées par les Amérindiens et environnementales pour que le Jardin aménagements : le ruisseau fleuri (1976), la un jardin économique40). Comme autres botanique de Montréal s’épanouisse à roseraie (1976), les jardins du Japon (1988) possibilités de jardins, il propose un jardin nouveau, tout en demeurant dans la et de Chine (1991). Même après le départ de rhododendrons et d’azalées, un jardin continuité de la vision mise de l’avant par de Pierre Bourque en 1993, cette tendance oriental et un jardin anglais ; tous ces amé- ses fondateurs. Avec l’arrivée de Pierre se poursuit avec la maison de l’arbre (1996), nagements verront le jour au cours des Bourque à titre de responsable des jardins la cour des sens (1999) et le jardin des Pre- années 1970 à 1990. Pour Henry Teuscher, extérieures dans les années 1970 et de di- mières-Nations (2001). Tous ces nouveaux les possibilités offertes par les différents recteur en 1980, les activités scientifiques projets et ces installations permettent au types de jardins sont nombreuses et il est et culturelles reprennent, redonnant tout Jardin botanique de Montréal d’avoir un important de savoir se renouveler. Il pré- son dynamisme à l’institution : travaux de plus grand rayonnement et d’acquérir une voit aussi une section destinée aux jardins recherches dont les résultats sont publiés, réputation internationale. des enfants, comme on en trouve alors constitution de collections et d’inventai- au jardin de Brooklyn ; mais, selon lui, ces res, activités de vulgarisation, fondation Le Jardin botanique de Montréal : jardins doivent être assez à l’écart pour de la Société d’animation du Jardin et de un jardin botanique « idéal » ne pas déranger les autres activités qui se l’Institut botanique – qui permet à ses déroulent sur le site. Dans ce texte, il s’in- membres d’approfondir leurs connais- Le frère Marie-Victorin a dès l’origine une téresse aussi à l’aménagement physique sances en botanique et en horticulture vision précise de ce qui définit un jardin des lieux : présence d’avenues bordées notamment par la publication d’une re- botanique moderne, lequel doit se distin- d’arbres, d’un restaurant, de terrains de vue de vulgarisation scientifique –, créa- guer des jardins ordinaires par sa beauté, jeux et d’aires de pique-nique. Il prépare tion de la nouvelle école d’horticulture son organisation et son utilité37. Il perçoit un premier plan très détaillé du Jardin bo- Louis-Riel, en collaboration avec la Ville le côté esthétique particulier à ce type tanique de Montréal dès 1937-1938. À cet et la Commission des écoles catholiques de jardin comme une façon de piquer la égard, le Jardin botanique de Montréal de Montréal, et fondation de l’Institut de curiosité du public et de susciter l’intérêt serait l’un des seuls à avoir été entrepris recherche en biologie végétale. En outre, pour les sciences. Henry Teuscher partage dès le départ avec un tel plan41. une plus grande coopération se dévelop- la même vision. Déjà en 1933, celui-ci ré- pe avec l’Université de Montréal et on as- dige un texte intitulé « Programme d’un Cette vision orientée par des considé- siste à la mise sur pied d’un programme jardin botanique idéal »38, où il souligne rations d’ordres social, pédagogique et de formation et de diverses sociétés35. l’importance pédagogique d’un tel lieu, scientifique se poursuit avec Jacques Rous-

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seau qui prend la relève à la suite du décès delà de neuf cent mille spécimens repré- que, une oasis de beauté et de fraîcheur, du frère Marie-Victorin. Par ailleurs, avec sentant quatre-vingt-dix-neuf pour-cent mais surtout d’éducation pour le peuple l’arrivée de Pierre Bourque dans les années de la flore du Québec. Les collections du et pour l’enfant »48. Dès 1938, il fonde 1970, les activités à caractère pédagogi- Jardin sont toujours enrichies par les ré- l’École d’apprentissage horticole et ré- que, tout en s’inscrivant dans la continui- coltes effectuées par les botanistes lors serve une section du Jardin à des jardinets té des idées mises de l’avant par Henry d’expéditions de recherche et grâce aux destinés aux jeunes écoliers. Puis, en 1939, Teuscher, sont renforcées, en favorisant la échanges avec d’autres institutions. On y il y installe l’École de l’éveil, fondée par sa création de jardins qui mettent en vedette trouve actuellement plus de vingt-deux collègue Marcelle Gauvreau, dans le but un type de plantes (comme la roseraie) ou mille espèces et cultivars de plantes prove- de permettre aux jeunes citadins de dé- des jardins thématiques (comme le jardin nant de différentes régions du monde. couvrir la nature. En 1943, peu de temps de Chine ou le jardin japonais que men- avant sa mort, il entreprend un projet tionnait déjà Teuscher en 1933). Tout ce patrimoine végétal est essentiel d’association entre le Jardin et l’Institut à la recherche menée par l’Institut de botanique de l’Université de Montréal. Le jardin botanique de Montréal : recherche en biologie végétale, orga- ses missions42 nisme affilié à la Ville de Montréal et à Cette vocation pédagogique se perpétue l’Université de Montréal45. La recherche de nos jours par des programmes destinés Nous verrons ici brièvement comment ce se fait sous l’égide de cet Institut qui re- au grand public, dont diverses activités Jardin botanique s’acquitte de ses gran- groupe des professeurs du Département de vulgarisation scientifique et d’anima- des missions, soit la recherche scientifique des sciences biologiques de l’Université tion dans les domaines de l’horticulture, et la conservation, l’exposition et l’éduca- de Montréal et des botanistes du jardin. de la botanique et des sciences naturel- tion, lesquelles ont orienté le développe- Créé en 1990, cet Institut origine en fait les : visites guidées, ventes de plantes, ment de ce lieu depuis ses tout débuts et de l’Institut botanique qui avait été fondé expositions thématiques et didactiques, lui ont donné ses caractéristiques actuel- en 1923 par le frère Marie-Victorin ; l’as- événements spéciaux pour faire décou- les, tout en contribuant à son essor et à sociation avec l’Université de Montréal vrir de nouvelles cultures aux visiteurs, en faire un grand jardin botanique. remonte également au tout début de la renseignements horticoles, ateliers et création du Jardin. L’Institut de recherche cours d’horticulture, publications de vul- La recherche scientifique en biologie végétale se consacre surtout garisation, dont la revue Quatre-Temps, et la conservation à la biologie moléculaire, à la biodiversité et l’accès à une bibliothèque spécialisée. et à l’écologie46. Il a acquis une réputation Il existe aussi toute une gamme d’activi- Depuis sa fondation en 1931, le Jardin de chef de file mondial dans la recherche tés destinées spécifiquement aux jeunes : botanique de Montréal joue un rôle sur la diversité de la vie végétale47. Les camps de jour, jardins-jeunes, visites pour dans l’avancement de la recherche en chercheurs de l’Université de Montréal la clientèle scolaire, site Internet, etc. Une botanique et est un important centre de mènent surtout des recherches dans des salle adjacente aux serres leur est même référence en horticulture tant à l’échelle disciplines comme la génétique, la biochi- réservée, la salle Chlorophylle. Dans le nationale qu’internationale43. Les collec- mie des plantes ou la biologie molécu- Jardin même, des panneaux informatifs tions commencent très tôt à y être orga- laire. Ceux du Jardin orientent davantage renseignent le visiteur sur l’histoire, l’évo- nisées. Des dons de semences arrivent dès leurs recherches vers les besoins du Jar- lution et les qualités horticoles de chaque 1936 de Chine, des États-Unis, d’Écosse, de din ; ils assurent la gestion des collections jardin. Les plantes et les arbres y sont aussi France, etc. ; à cette même époque Henry de végétaux et sont responsables des in- identifiés. Les espèces rares ou menacées Teuscher et le frère Marie-Victorin entre- ventaires et des répertoires. y sont signalées. Une simple promenade prennent des excursions d’herborisation dans ce Jardin est donc une occasion de au Québec et au Nouveau-Brunswick. En L’exposition et l’éducation dépaysement, mais aussi de multiples 1937, le registre du jardin compte déjà découvertes, occasionnées tant par la douze mille lots de plants44. Présente- Dès le début, le frère Marie-Victorin ac- présence de la flore du Québec et du Ca- ment, le Jardin compte une collection de corde une grande importance à la voca- nada que par celle de régions exotiques semences classifiées selon les normes des tion éducative du Jardin, qu’il considère et lointaines. Par ailleurs, de nombreuses grands instituts botaniques. Il abrite aussi comme essentielle. Il écrit en 1937 dans Le sociétés, fondations ou écoles s’intéres- l’Herbier Marie-Victorin qui compte au- Devoir qu’il est « une institution scientifi- sant à l’horticulture, à la botanique ou

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à l’écologie sont affiliées au Jardin bota- Le Jardin en regard des lignes du jardin Leslie-Hancock où fleurissent nique : à titre d’exemples, mentionnons directrices de la Commission en mai et en juin rhododendrons et aza- l’École d’horticulture du Jardin botanique des lieux et monuments lées ; du jardin des lilas avec ses trois mille de Montréal, qui permet de préparer des historiques du Canada arbustes ; et du pittoresque jardin fleuri, ouvriers horticoles, la Société de bonsaï doté de plates-bandes regorgeant d’iris, et de penjing de Montréal, la Société des L’excellence de ses qualités d’hémérocalles, de pivoines et de plantes roses du Québec, la Fondation Marie-Vic- esthétiques (ligne directrice 1) vivaces disposées autour d’un ruisseau torin pour la nature et les sciences et, en- (ill. 9, 14 et 15). D’autres jardins, moins fin, les cercles des jeunes naturalistes qui Il est possible d’apprécier ce jardin bota- flamboyants, se distinguent par leur lui sont associés depuis les débuts. nique de plusieurs façons. Et même si la beauté naturelle, plus simple et familière. recherche scientifique, la conservation et On peut ainsi mentionner le secteur des Ajoutons par ailleurs que l’emplacement l’éducation en sont des fonctions essen- étangs avec ses grands arbres, empreint du Jardin au cœur de la ville lui permet tielles, la dimension esthétique y tient de romantisme ; les jardins-étudiants, un d’être bien intégré au tissu urbain et de une place fort importante. L’un des re- peu en retrait dans un cadre bucolique jouer un rôle social et éducatif auprès gards que l’on peut poser sur ce jardin et champêtre ; le jardin des Premières- des nombreux citadins et visiteurs qui s’y est ainsi orienté vers ses qualités visuelles Nations, qui rappelle les différents en- rendent. Au fil des ans, le Jardin botani- et d’exécution, auxquelles s’ajoutent sou- vironnements des forêts du Québec ; le que de Montréal a initié des politiques vent des qualités plus intangibles comme secteur de la maison de l’arbre, avec ses de plantation d’arbres en milieu urbain la présence des parfums ou le sens du boisés et son plan d’eau ; et le jardin du et vu à la protection de milieux naturels. toucher. Dans son entité, avec ses soixan- sous-bois avec ses plantes appréciant Les jardins d’exposition, qui avaient une te-quinze hectares de plantes, d’arbres un éclairage discret et tamisé (ill. 8, 16, vocation pédagogique dès le moment où et de verdure, ce Jardin peut d’abord 17, 20 et 21). D’une tout autre échelle, Henry Teuscher les a conçus, permettent être considéré comme une grande et puisqu’il occupe la moitié du terrain du encore aujourd’hui à la population ur- magnifique oasis de verdure et de cou- Jardin botanique, l’arboretum regroupe baine de découvrir des nouveautés hor- leurs placée en milieu urbain. Par contre, des milliers d’arbres se succédant dans un ticoles, les plantes vénéneuses, les plantes chaque jardin a pour ainsi dire sa propre cadre pastoral, qui fait tout à fait oublier médicinales, etc. En tant qu’importante personnalité et ses caractéristiques parti- le milieu urbain environnant (ill. 18). En- attraction touristique, ce jardin a aussi un culières, qui en font un petit microcosme, fin, pour terminer, mentionnons la petite rôle récréatif et éducatif majeur : nombre parfois familier, parfois dépaysant. Pour cour des sens (située aux côtés du pa- de visiteurs s’y rendent pour simplement le visiteur, ce jardin botanique constitue villon administratif), qui est destinée aux se promener ou se reposer, mais aussi donc une véritable expérience esthéti- personnes aveugles, et dont les qualités pour participer à différentes activités. Le que, reposant autant sur la beauté d’en- esthétiques s’expriment par différentes caractère multiculturel du Jardin botani- semble du lieu et sur sa végétation aux facettes de l’odorat et du toucher, no- que, particulièrement évident depuis la coloris, aux agencements et aux formes tamment le piquant, le doux, le visqueux création du jardin japonais en 1988, du des plus diversifiés que sur les contrastes, et le rugueux. jardin de Chine en 1991 et du jardin des le dépaysement, la variété ou l’harmonie Premières-Nations en 2001, en constitue qui existent d’un jardin à l’autre. Les qua- Les qualités esthétiques du lieu peuvent un autre volet éducatif. Les jardins japo- lités esthétiques du lieu reposent donc aussi provenir du dépaysement et de la nais et chinois sont non seulement une sur une multitude de facteurs. Nous en nouveauté que dégagent certains amé- occasion de découvrir d’authentiques jar- relevons ici quelques-uns. nagements. Par les dimensions, les for- dins asiatiques, mais aussi de se familiari- mes et la beauté souvent inusitées des ser avec ces deux cultures par une gamme Certains jardins se démarquent simple- plantes et des arbres exotiques qu’elles d’activités et d’expositions particulières. ment par leurs très grandes qualités vi- recèlent, les serres offrent ainsi un grand De même, le jardin des Premières-Na- suelles, créées notamment par la variété dépaysement visuel, qui peut être appré- tions permet de découvrir la culture des et l’abondance des coloris : c’est le cas de cié en toute saison (ill. 6). L’humidité exis- Inuits et des Amérindiens par la présence la roseraie avec ses plates-bandes sinueu- tant dans les serres n’est pas étrangère de trois écosystèmes différents et d’une ses où se retrouvent plus de dix mille ro- à cette ambiance particulière. Le jardin gamme d’activités. siers qui fleurissent de mai à octobre ; alpin, aménagé autour d’un monticule

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avec une chute d’eau, offre un environ- Le caractère remarquable ou unique comme étant de très grands jardins bo- nement complètement différent, celui de son type et de ses styles qui taniques50. Pour Marie-France Larochelle, des hautes montagnes où poussent des témoignent d’une période importante préposée aux renseignements horticoles plantes alpines et subalpines (ill. 13). de l’histoire du Canada au Jardin botanique de Montréal, des mille Dans un tout autre registre, le jardin ou de l’horticulture (ligne directrice 2) huit cent quarante-six jardins botaniques de Chine, avec ses sept pavillons, son qui existent au monde, celui de Montréal grand plan d’eau où se reflètent les bâ- a) Son type serait l’un des cinq plus importants, basé timents, sa montagne de pierre et ses Comme mentionné précédemment, la sur ses dimensions, la richesse de ses col- plantes tels les lotus et les pivoines, est création du Jardin botanique dans les an- lections et le nombre d’employés et de un lieu paisible regorgeant de beauté et nées 1930 coïncide avec la mise en place visiteurs51. À l’occasion des témoignages de symboles, également très dépaysant d’une structure scientifique au Québec. soulignant le soixante-quinzième anniver- (ill. 11). De même, le jardin japonais, Celui-ci compte alors parmi les tout pre- saire du Jardin botanique de Montréal, avec son pavillon, ses pierres agencées miers jardins botaniques mis en place au sir Peter Crane FRS52, directeur des célè- de manière symbolique, son étang se Canada et s’inscrit dans le développe- bres Jardins botaniques royaux de Kew prolongeant en cascade et en ruisseaux, ment d’une tradition horticole structurée. en Angleterre, écrit : « Non seulement le ses ponts permettant des points de vue, Lorsqu’on recommence à parler d’aména- Jardin botanique est l’un des plus impor- ses arbres et arbustes à fleurs exprimant ger un jardin botanique à Montréal dans tants au monde, mais il est aussi un lieu une vision idéalisée de la nature, est un les années 1920, il en existe seulement d’innovation reconnu comme tel par ses lieu empreint d’harmonie et de quiétude deux au pays : la Ferme expérimentale pairs, grâce notamment à la qualité de ses et qui n’a pas fini d’étonner le visiteur centrale d’Ottawa établie en 1886 par le aménagements et au dynamisme de ses occidental (ill. 12). gouvernement fédéral est un centre de re- programmes éducatifs53. » De même, Gre- cherche agricole qui compte entre autres gory Long, président-directeur général Enfin, certains des jardins ont des élé- un arboretum et un jardin botanique ; et du Jardin botanique de New York, écrit : ments tels que murs, murets, bassins et le Jardin botanique de l’Université de la « Le Jardin botanique de Montréal est non plans d’eau qui s’allient aux différents Colombie-Britannique, fondé en 1916. Le seulement le plus important au Canada, aménagements horticoles et les complè- service des parcs de la ville de Hamilton mais également l’un des plus grands et tent, contribuant ainsi à créer l’ambiance en Ontario envisage aussi d’aménager un des plus beaux au monde54. » particulière du lieu. C’est par exemple jardin botanique à la fin des années 1920, le cas des jardins d’accueil constitués de mais la crise économique retarde le projet b) Ses différents styles nombreuses plates-bandes colorées, for- jusque dans les années 1940, alors qu’il Plusieurs influences stylistiques peuvent mées de plantes bulbeuses aménagées est pris en charge par le gouvernement être retracées dans ce Jardin : certaines à la française, au centre desquelles s’éti- provincial. Montréal est donc la seule ville sont contemporaines à l’époque de Henry rent une longue fontaine et des casca- canadienne à se lancer dans une telle en- Teuscher, alors que d’autres expriment des d’eau en dégradé (ill. 5). Les jardins treprise à cette époque49. des intérêts et des préoccupations plus d’exposition ne paraissent être au pre- modernes. Un même jardin peut aussi mier coup d’œil qu’un seul grand jardin, Bon nombre d’auteurs et de spécialistes présenter plus d’une influence stylistique. mais, en s’y promenant, on y découvre considèrent ce Jardin botanique comme C’est ce mariage et ce contraste d’influen- une succession de petits jardins aména- le plus important au pays, mais aussi com- ces variées qui contribuent à donner sa gés de manière formelle, fort différents me l’un des plus importants au monde. personnalité à ce Jardin et à en faire un les uns des autres et bien délimités par Plusieurs s’accordent pour dire que celui lieu dynamique et vivant, offrant une di- des murets, des marches, des pergolas, de Kew à Londres est le meilleur exem- versité d’expériences aux visiteurs. des tonnelles, etc. (ill. 7). Enfin, le jardin ple en raison de son ancienneté, de ses aquatique abrite des plantes qui pous- grandes collections et de ses expositions, La première influence que l’on remarque sent dans des bassins surélevés remplis mais mentionnent également ceux de en pénétrant par l’entrée sud-ouest du d’eau et constitue ainsi un lieu organisé New York (Brooklyn Botanic Garden), Jardin botanique, c’est l’influence Beaux- de manière symétrique et balancé, où le de St. Louis (Missouri Botanic Garden), Arts, visible dans l’architecture du pavillon support des plantes détient une place d’Édimbourg, de Singapour, de Paris (Jar- administratif (1932-1938) et dans l’aména- importante (ill. 10). din des Plantes), de Berlin et de Montréal gement du jardin d’accueil (1938) (ill. 5).

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On sait que le terme Beaux-Arts réfère à À cette influence Beaux-Arts s’est aussi nature : on y voit ainsi des Amérindiens un style d’édifice classique, mais aussi à greffée une autre influence qui lui est qui écrasent le maïs et vont à la chasse une méthode de composer issue de l’en- presque contemporaine : celle de l’Art dans un canoë, un homme qui ramasse seignement de l’École des beaux-arts à déco, popularisée par l’exposition des Arts de l’eau d’érable et un orignal parmi les Paris, qui fut reprise par les architectes décoratifs de Paris en 1925, qui privilégie nénuphars. Les bassins sont ornés de cas- nord-américains au tournant du vingtiè- la verticalité, les ornements stylisés, les tors et de hérons. Les grilles de l’entrée me siècle et dont la popularité s’est sou- motifs géométriques, les mélanges de cou- sont parées de sarracénies, fleur préférée vent maintenue jusqu’à la Seconde Guerre leurs et de matériaux. Ce style influencé du frère Marie-Victorin. mondiale. Cette méthode de composition, par la technologie symbolisait la moderni- visant à exprimer la symétrie, l’ordre et la té et s’accordait sans doute très bien avec Certains jardins présentent un caractère monumentalité, est basée sur la symétrie la vision progressiste du frère Marie-Vic- informel, rappelant davantage l’esprit du axiale, les lignes droites, les tracés régu- torin et de Henry Teuscher. C’est ainsi que mouvement pittoresque anglais. C’est le liers, la régularité, la création de points le pavillon administratif qui allie la pierre cas de la roseraie et du jardin fleuri qui de vue et la hiérarchisation des espaces. calcaire et la brique est orné d’éléments privilégient les aménagements romanti- Le jardin d’accueil témoigne de cette in- décoratifs, tels que bas-reliefs, urnes, ques dont les tracés et les sentiers ont des fluence Beaux-Arts par son plan symé- médaillons, motifs en zigzag, chevrons formes sinueuses et irrégulières (ill. 9 et trique et balancé, basé sur un système et formes géométriques qui dénotent 15). Certains d’entre eux sont situés dans d’axes bordés de plates-bandes. Le long l’apport du style Art déco. Certains des un cadre naturel qui accentue leurs qua- sentier central mène ainsi à la fontaine éléments font aussi allusion à la fonction lités pittoresques – c’est le cas du jardin et aux cascades, éléments essentiels de du lieu : bas-relief montrant deux enfants alpin, de l’arboretum, des jardins-jeunes, cette perspective, puis vers le pavillon ad- qui effeuillent une marguerite et portant du jardin des Premières-Nations, du jar- ministratif. Le pavillon administratif est l’inscription « Reine des prés, dis-moi la vé- din Leslie-Hancock et enfin du secteur des lui-même un bâtiment qui témoigne de rité » ; et médaillons représentant les bo- étangs entouré d’érablières et d’arbres l’influence de l’architecture Beaux-Arts tanistes Johan Mendel et Carl von Linné. qui se trouvaient sur le site bien avant par sa symétrie, sa monumentalité et l’or- Cette influence Art déco se voit aussi dans son aménagement (ill. 13, 16, 17 et 18). ganisation ordonnée et bien balancée des certains éléments du jardin d’accueil qui différentes façades d’origine. compte un bassin de forme octogonale et Enfin, mentionnons la présence de cer- six bassins en dégradé. De même, la grille tains jardins thématiques dont l’influence Cette influence Beaux-Arts peut aussi de fer forgé du côté de la rue Sherbrooke stylistique provient d’un groupe culturel se retracer dans l’aménagement formel est constituée de piliers de pierre moulée particulier. C’est le cas du jardin de Chine de certains autres jardins anciens. Les d’inspiration Art déco. (1991), dont l’aménagement a été fait par jardins d’exposition, entrepris dès 1938, Le Weizhong, architecte chinois de gran- sont fondés sur un système d’axes et pri- Par ailleurs, comme le fait remarquer l’his- de réputation, dans la foulée de l’amitié vilégient les points de vue pour mettre torien Jacques Des Rochers, le programme unissant Montréal et Shanghai (ill. 11). en valeur des éléments horticoles ; diffé- iconographique du pavillon administra- Pour créer ce jardin, celui-ci a puisé son rents éléments structurels, tels que murs, tif et de certains éléments structurels du inspiration dans les jardins de style privé terrasses, treillis, pergolas, bassins et fon- jardin d’accueil comporte de nombreuses de l’époque Ming (quatorzième au dix- taines, permettent de bien délimiter et allusions au patrimoine naturel du Qué- septième siècle). Il s’agirait du plus grand hiérarchiser l’espace, où vient s’insérer la bec et du Canada. Cette tendance à vou- jardin chinois du genre situé à l’extérieur nature (ill. 7)55. Le jardin aquatique, aussi loir « canadianiser » l’architecture et les de la Chine et certainement de l’un des conçu en 1938, présente un autre amé- arts décoratifs s’inscrit dans un courant aménagements les plus élaborés du si- nagement très structuré et symétrique qui fait son apparition au pays dans les te57. Il en est de même du jardin japonais comptant une centaine de bassins suré- années 193056. Le pavillon administratif (1988), qui a été dessiné par un architec- levés qui servent à accueillir les plantes est ainsi orné de médaillons avec des te de renom, Ken Nakajima. Ce jardin, aquatiques (plantes submergées, plantes feuilles d’érables et des cônes et aiguilles contrairement à celui de Chine, offre une à feuilles flottantes et plantes émergen- de pin. Il comporte aussi des bas-reliefs interprétation moderne d’un jardin tradi- tes) ainsi que des petits ponts, des esca- colorés en terre cuite qui illustrent des tionnel japonais (ill. 12). S’inscrivant dans liers et des fontaines (ill. 10). scènes mettant en vedette l’homme et la la tradition naturaliste, il comporte un lac,

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des arrangements de roches ainsi qu’une végétale sont également donnés dans anciens et cent vingt espèces botani- maison de thé58. On y trouve des plantes les installations du Jardin aux étudiants ques. Une section de cette roseraie est du Québec, mais l’esprit et la philosophie de l’Institut de recherche en biologie consacrée à des rosiers très anciens, dont d’un jardin japonais. végétale et des recherches sont menées l’origine date d’avant 186761, et regroupe dans les collections de plantes vivantes des spécimens représentatifs des plus im- L’importance de l’influence du Jardin par les chercheurs de l’Institut. portants groupes rustiques dans l’histoire qu’il a exercée dans le temps Le jardin transmet aussi une panoplie de du développement de la rose62. Le Jardin ou sur un territoire donné, du fait connaissances par les expositions florales possède aussi une collection exception- de son ancienneté, de son type, organisées depuis 1942, la publication nelle et reconnue dans le monde entier de son style (ligne directrice 4) des feuillets horticoles – ceux des années de mille cinq cents espèces et hybrides 1940-1945 étaient même rédigés par d’orchidées, totalisant trois mille spéci- L’influence exercée par le Jardin botani- Henry Teuscher – ainsi que par son service mens. C’est Henry Teuscher, spécialiste que est de plusieurs ordres. Mentionnons de référence horticole. des orchidées, qui a initié cette collection. d’abord celle de ses recherches scien- Par ailleurs, le jardin Leslie-Hancock abrite tifiques qui ont une portée nationale L’apport de l’expertise développée par l’une des collections de rhododendrons et internationale, notamment dans les le Jardin s’exerce enfin de manière plus parmi les plus nordiques et le jardin alpin domaines de la biologie moléculaire et concrète en milieu urbain. Ainsi, à partir l’une des plus importantes collections de cellulaire, de la biodiversité des plantes de 1954, le Jardin botanique participe à plantes alpines au monde (quatre mille à fleurs et de l’écologie. À cet égard, sir des compagnes d’embellissement urbain à espèces et cultivars)63. Peter Crane FRS, directeur des Jardins bo- Montréal. Son expertise est aussi requise taniques royaux de Kew, affirme que le pour la réalisation de grands projets tels Les arbres représentent un autre aspect Jardin botanique de Montréal s’est bâti l’Exposition universelle de 1967, les Jeux important de ce Jardin. Le terrain concédé une réputation de chef de file en ma- olympiques en 1976 et surtout les Floralies pour aménager le Jardin botanique dans tière de diversité de la vie végétale et, internationales de Montréal en 1980. les années 1930 comptait déjà plusieurs de concert avec d’autres jardins botani- grands arbres indigènes (frêne de Penn- ques et d’autres instituts de recherche, il Finalement, mentionnons que le person- sylvanie, érable rouge, orme américain, a grandement contribué à la connaissance nel du Jardin botanique de Montréal a etc.)64. De nombreux conifères de l’entrée de la diversité végétale, dont la conserva- également contribué à la création d’autres principale ont été plantés en 1936-1937 tion des plantes et leur utilisation durable parcs et jardins, dont ceux du Biodôme, et plusieurs des arbres plantés jusqu’aux pour l’humanité59. du parc-plage de l’île Notre-Dame à Mon- années 1950 provenaient de l’Arnold Ar- tréal et du Jardin botanique du Nouveau- boretum de l’Université Harvard de Bos- Au Québec même, le Jardin a contribué Brunswick – un jardin de sept hectares ton. De nos jours, l’ensemble du jardin et contribue encore à l’essor de l’horticul- comptant cinquante mille végétaux, dont comprend dix-sept mille arbres et arbus- ture par son enseignement, tant auprès une roseraie, des rhododendrons, un ar- tes. Pour sa part, l’immense arboretum, du grand public que des spécialistes. Au boretum et un jardin fleuri. qui couvre une superficie de quarante moment de la fondation du Jardin botani- hectares, soit la moitié de la superficie que, il n’existe aucune formation profes- La présence de spécimens horticoles du Jardin, compte neuf mille cinq cents sionnelle en horticulture ornementale60. d’une rareté ou d’une valeur plantes ligneuses appartenant à trois Au fil des ans, par l’intermédiaire de exceptionnelles (ligne directrice 5) mille espèces et variétés, regroupées en l’École d’apprentissage horticole, puis de quarante-cinq collections. Même s’il est l’école Louis-Riel et de l’École des métiers Le Jardin botanique de Montréal compte encore jeune, l’arboretum renferme des de l’horticulture, plus de sept cents hor- l’une des collections les plus riches de collections importantes : arbres et arbus- ticulteurs seront formés. L’initiation des plantes vivantes en Amérique du Nord. tes indigènes, espèces et variétés étrangè- jeunes à l’horticulture débute dès 1938, Ainsi, la roseraie abrite environ dix mille res qui peuvent être cultivées ici comme alors que le Jardin est encore en chantier, spécimens de roses, dont cent cinquan- plantes d’ornement. Le Jardin possède par la création des jardinets d’écoliers. Le te cultivars de lignées modernes, cent également l’une des collections les plus programme se poursuit aujourd’hui par soixante cultivars de rosiers arbusifs mo- importantes de bonsaïs et de penjings au les jardins-jeunes. Des cours de biologie dernes, cent vingt cultivars de rosiers monde. Il a notamment reçu en 1985 la

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collection de penjings de Wu Yee-Sun de botanique. Cet Institut donne naissance ticulteur et un architecte de paysage ré- Hong Kong, qui était un spécialiste des en 1925 à la Société canadienne d’histoire puté. Il commence à réfléchir au Jardin arbres miniatures et un maître à penser naturelle, qui sera éventuellement asso- de Montréal dès 1932, avant même son de l’école Lingnan au sud de la Chine. Ces ciée à la création du Jardin botanique de arrivée à Montréal. Il rédige en 1933 Pro- collections de bonsaïs et de penjings sont Montréal. Le frère Marie-Victorin est aussi gramme d’un jardin botanique idéal, où exposées au jardin de Chine, au jardin ja- l’auteur de La Flore laurentienne (1935), se retrouvent ses grandes idées qui vont ponais et à la maison de l’arbre65. ouvrage de référence majeur sur la flore orienter l’aménagement et le développe- québécoise, qui est toujours d’actualité et ment ultérieur du lieu, dont il prépare les Le Jardin fait aussi des échanges de se- dans lequel il a répertorié les espèces de plans en 1937-1938. Il devient le premier mences avec de nombreux pays. On sait plantes en provenance de toutes les par- surintendant et horticulteur en chef du que cette tradition s’est amorcée très ties habitées du Québec67. Il a aussi fondé Jardin en 1936 et y travaillera comme tôt. Par exemple, dans les années 1930 l’Association canadienne-française pour conservateur de 1942 jusqu’au moment et 1940, Elsie Reford faisait des échanges l’avancement des sciences (ACFAS68) en de sa retraite en 1962. Scientifique et de plants avec Henry Teuscher et elle a 1923. Il sera directeur scientifique du Jar- grand vulgarisateur, il publie plus de cinq ainsi reçu des spécimens rares qui peu- din botanique de 1936 jusqu’à son décès, cents articles dans des revues américaines, vent encore être admirés aux Jardins de survenu en 1944. L’historien Yves Gingras canadiennes et européennes, ainsi que Métis (LHN, 1995)66. Le Jardin abrite enfin écrit à son sujet : « Chose certaine, cet es- deux livres sur l’horticulture. En 1976, il l’Herbier Marie-Victorin, qui appartient à prit combatif lui a permis de construire reçoit le prix de l’American Association of l’Université de Montréal, et qui regroupe une œuvre scientifique, éducative et ins- Botanical Gardens and Arboreta en raison neuf cent mille spécimens représentant titutionnelle qui a contribué de façon uni- de sa contribution exceptionnelle aux jar- quatre-vingt-dix-neuf pour-cent de la que à l’édification du Québec moderne. Et dins botaniques modernes71. flore du Québec. Une partie de cet her- parmi toutes ses contributions, le Jardin bier (soit cinquante mille spécimens) pro- botanique est sans contredit sa plus belle Parmi les nombreuses autres personnes, vient de la collection personnelle du frère et sa plus connue69. » architectes paysagistes, horticulteurs, Marie-Victorin donnée à l’Université de botanistes, qui ont participé à l’aména- Montréal en 1920. L’importance de l’architecte gement du Jardin, mentionnons Le Wei- (des architectes), du dessinateur zhong, architecte paysagiste réputé Les liens qui existent entre (des dessinateurs) ou de l’horticulteur d’origine chinoise, directeur de l’Institut le jardin et des personnages ou (des horticulteurs), qui en ont conçu de design et d’architecture du paysage des événements historiques d’intérêt les plans (ligne directrice 8) : de Shanghai dans les années 1990, qui a national (ligne directrice 7) conçu le jardin de Chine, ainsi que Ken Plusieurs architectes et architectes pay- Nakajima, architecte japonais de renom, La fondation du Jardin botanique de Mon- sagistes importants ont été associés à qui est le concepteur du jardin japonais tréal, en 1931, est due à la détermination et l’aménagement du Jardin botanique de et à qui on devait déjà la réalisation du à la passion du frère Marie-Victorin (1885- Montréal. Celui qui se distingue tout par- pavillon du Japon sur le site de l’. 1944 ; PHN, 1987), considéré comme l’âme ticulièrement est Henry Teuscher (1891- Citons enfin l’architecte Lucien Kéroack de ce projet, et qui, malgré les nombreu- 1984), qui « fut et reste le seul auteur et (1886-1951), architecte à la ville de Mon- ses difficultés et embûches rencontrées, exécuteur du plan du Jardin botanique tréal, qui a préparé les plans du pavillon réussit à le mener à bien. Né en 1885, de Montréal. Ce dernier étant le seul à administratif, de la fontaine et du bassin Conrad Kirouac prend le nom de Marie- posséder la triple compétence d’un bo- du jardin d’accueil et des clôtures. Victorin lorsqu’il devient frère des Écoles taniste, d’un horticulteur et d’un archi- chrétiennes. Marie-Victorin fait figure de tecte-paysagiste », tel que le décrit Jules Résumé de l'importance historique pionnier au cours des années 1920-1930 Brunel, successeur du frère Marie-Victorin du lieu en œuvrant dans un domaine jusqu’alors à la direction de l’Institut botanique de négligé, la botanique. À partir de 1920, l’Université de Montréal70. D’origine alle- Pour conclure cette partie du rapport, on il est chargé de la Chaire de botanique, mande, Henry Teuscher travaille d’abord peut affirmer que le Jardin botanique de nouvellement créée à l’Université de Mon- au Jardin botanique de Berlin ; après avoir Montréal est un lieu d’exception, dont la tréal, et en profite pour créer l’Institut de émigré aux États-Unis, il devient un hor- fondation en 1931 marque un moment

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important de l’histoire du Québec mo- Jardin botanique de Montréal ainsi que On sait que presque tous les bâtiments derne. Ses différentes composantes, ainsi dans sa capacité de renouvellement »72. sont en place dès la fin des années 1930, que la beauté, la richesse et la diversité de sauf les serres d’exposition actuelles en- ses collections consacrées à des fins de re- La fonction treprises en 1956 et le restaurant égale- cherche, de conservation, de présentation ment bâti en 1956. Henry Teuscher avait et d’éducation illustrent toujours avec Ce lieu a conservé sa fonction de jardin bo- prévu de regrouper les serres d’exposi- éloquence l’idéal de ses fondateurs et les tanique, laquelle s’est maintenue depuis sa tion, les serres de service, la chaufferie, différentes facettes de la mission qui est fondation en 1931 et rappelle la volonté du les garages et les ateliers derrière le pa- particulière aux jardins botaniques. À ce frère Marie-Victorin et de Henry Teuscher villon administratif. C’est toujours le cas ; titre, il est devenu l’un des grands jardins d’en faire un lieu d’agrément, de science, cette séquence (grille, jardins d’accueil, botaniques au monde. de conservation et d’éducation. Comme à pavillon administratif, serres et services) a l’origine, cette fonction s’exprime toujours été respectée malgré l’agrandissement du INTÉGRITÉ DU LIEU dans l’aménagement actuel du lieu. pavillon administratif et le déplacement des grilles d’entrée. À l’origine, deux Comme tous les paysages culturels, ce L’aménagement de l’ensemble stationnements se trouvaient de part et jardin botanique a évolué et a connu d’autre du pavillon administratif. De nos des transformations au fil des ans. Il a En 1937-1938, Henry Teuscher préparait jours, les terrains de stationnement se toutefois su conserver un grand nombre un plan d’ensemble très détaillé du Jardin trouvent le long de la rue Sherbrooke. d’aspects qui sont particulièrement si- botanique, lequel a permis dès les débuts gnificatifs pour son intégrité et qui per- d’orienter l’emplacement des divers jar- Les jardins mettent, encore aujourd’hui, d’évoquer dins, les tracés des jardins et des chemins d’importantes facettes de son histoire. et les choix horticoles. Une comparaison Plusieurs des jardins que Henry Teus- Les aspects suivants méritent notamment entre le plan d’origine et le plan actuel cher avait identifiés sur son plan d’ori- d’être soulignés : sa fonction en tant que (voir ill. 3) et l’examen de photographies gine en 1938 existent toujours : c’est le jardin botanique ; l’aménagement de l’en- aériennes de 1938, de 1948 et du milieu cas du jardin d’accueil (1938), des jardins semble qui permet de reconnaître encore des années 1990 (ill. 4, 23 et 24) sont à d’exposition (1938), du jardin aquatique aujourd’hui les principaux éléments du cet égard fort révélateurs. On découvre (1938) et du jardin alpin (1936) (ill. 3). Au plan mis en place par Henry Teuscher dans ainsi que la structure d’ensemble du Jar- fil des ans certains aménagements seront les années 1930 ; plusieurs jardins conçus din, les principaux tracés, la répartition déplacés, notamment les jardins-jeunes. par Henry Teuscher existent toujours, alors de l’espace, l’emplacement de plusieurs D’autres aménagements prévus par Teus- que d’autres s’inscrivent dans la continuité grands aménagements ont été conservés cher seront réalisés beaucoup plus tard, de sa pensée ; la présence de bâtiments, et sont toujours bien identifiables, malgré par exemple le jardin japonais, le jardin et en particulier du pavillon administratif les changements qu’a connus le Jardin à de rhododendrons, le jardin anglais et le (1932-1938), associés aux tout débuts de partir des années 197073. Le chemin ac- jardin de plantes médicinales des Amé- ce lieu ; enfin, les terrains qui ont conservé tuel en forme de boucle qui ceinture le rindiens. D’autres jardins créés dans les essentiellement les mêmes limites. C’est site pour donner accès aux divers jardins années 1970 vont incorporer des aména- l’existence du plan très détaillé préparé existait déjà sur le plan de 1938 (ill. 3 et gements qui étaient déjà présents ailleurs par Henry Teuscher qui a permis au Jardin 27). Très tôt, l’espace qu’occupe le jardin sur le site : c’est le cas du ruisseau fleuri et de se développer et d’évoluer de façon est délimité par une clôture et des grilles de la roseraie. D’autres sections prendront très harmonieuse, dans la continuité des d’entrée, ainsi que par des rangées d’ar- une plus grande ampleur, notamment l’ar- idées mises de l’avant dès les années 1930. bres et des talus le long du boulevard boretum. Par ailleurs, certains nouveaux D’après André Bouchard, professeur titu- Pie IX. Dès l’origine, l’entrée principale aménagements, notamment la maison laire d’écologie à l’Université de Montréal est située à l’angle du boulevard Pie IX et de l’arbre, le jardin de Chine ou la cour et chercheur à l’Institut de recherche en de la rue Sherbrooke. Cette clôture a été des sens n’avaient pas été prévus, mais biologie végétale, « la force du plan d’un reculée à l’intérieur du site et a été rap- s’inscrivent dans la continuité de certai- jardin botanique idéal, élaboré et réalisé prochée des jardins d’exposition à la suite nes idées de Teuscher par leur dimension par Henry Teuscher, a constitué un élé- de l’installation récente de nouveaux kios- éducative, tout en témoignant de préoc- ment déterminant dans la pérennité du ques pour percevoir les frais d’entrée. cupations bien contemporaines.

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Le jardin d’accueil, entrepris en 1938 se- ils étaient alors situés le long de la rue arbres indigènes du Québec sont revalo- lon le plan de Teuscher, existe toujours Sherbrooke. La popularité de l’automobi- risés. Le ruisseau fleuri est aménagé pour et occupe le même emplacement, mais le et l’agrandissement des stationnements créer un plus grand intérêt pour la flore il a été simplifié par l’élimination d’un ont fait en sorte qu’ils ont été déplacés indigène. Les serres sont réorganisées sentier qui menait au stationnement. à quelques reprises pour occuper depuis pour développer leur vocation éducative. Certaines plates-bandes de plantes her- 1990 leur emplacement actuel. L’entrée du jardin alpin ainsi que le jardin bacées ont été remplacées par des fleurs. Leslie-Hancock sont mis en place. Le jardin Ce jardin est toujours entouré des grands Dans la portion centrale du Jardin botani- de haies et le jardin des iris et des héméro- conifères qui se trouvaient sur le site bien que, Henry Teuscher avait prévu la présen- calles (qui eux-mêmes remplaçaient les jar- avant son aménagement. La présence de ce d’éléments naturels (étang, montagne, dins morphologiques et génétiques) sont nouveaux kiosques pour percevoir les boisés), qui existent toujours : les étangs transférés au ruisseau fleuri et à l’ancien frais d’entrée a impliqué l’élargissement du secteur des étangs, la montagne du fructicetum. Les collections d’arbres (pom- du chemin à l’entrée. La fontaine octo- jardin alpin et les boisés du jardin des Pre- metiers, sorbiers, cerisiers, lilas, saules, gonale et les bassins avec les cascades qui mières-Nations et de l’arboretum. Il avait etc.) de la partie sud de l’arboretum sont font face au pavillon administratif ont aussi prévu une série de jardins spéciali- plantées vers 1945, mais celui-ci commen- été mis en place dès 1936. sés pour illustrer les formations naturel- ce vraiment à se développer à partir de la les de la flore du Canada, ainsi que les fin des années 1960, lorsqu’on entreprend Les jardins d’exposition, entrepris eux groupes biologiques et génétiques, les de combler l’ancien dépotoir au nord du aussi en 1938 selon le plan de Teuscher, plantes aquatiques et le jardin taxono- site. On plante alors un plus grand nombre ont conservé l’essentiel de leurs grandes mique. Certains de ces jardins spécialisés d’arbres indigènes du Québec, ainsi que caractéristiques d’origine, notamment les existent toujours. Entrepris dès 1936, le des plantes en massifs75. Dès 1931, Henry tracés, le découpage en plusieurs petits jardin alpin est véritablement complété Teuscher avait prévu d’intégrer une rose- jardins, et leur esprit à la fois esthéti- dans les années 1960-1970. Pour sa part, raie de type arbustif à l’arboretum76. La que et pédagogique. Certains des petits le jardin aquatique (1938) a conservé roseraie actuelle est aménagée en 1976 jardins prévus à l’origine ont également sa centaine de bassins et son aménage- pour les Jeux olympiques, en collabora- été conservés, tels le jardin de fleurs vi- ment rectiligne et symétrique, malgré des tion avec l’École d’architecture de paysage vaces, le jardin de plantes économiques, changements apportés à son périmètre de l’Université de Montréal et selon une le jardin de plantes toxiques et le jardin par l’aménagement de la roseraie et du idée de Pierre Bourque, et elle intègre des de plantes médicinales, alors que certains jardin de Chine. collections de rosiers se trouvant à divers nouveaux aménagements sont apparus, endroits sur le site. Toujours dans les an- tels le coin du Québec et les jardins de Jusqu’au milieu des années 1970, on peut nées 1970, un petit jardin minéralogique ville. Le long du boulevard Pie IX, Teus- affirmer que peu de grands changements entouré de conifères est aménagé au sein cher avait prévu la séquence suivante : un ont été apportés au plan initial de Henry du jardin alpin. Le jardin du sous-bois, si- petit terrain de stationnement, les jardins Teuscher74. L’arrivée de Pierre Bourque tué du côté est, est alors placé sur l’ancien d’exposition, un terrain de cricket (jamais comme directeur va cependant amorcer stationnement qui se trouvait du côté cen- réalisé), un terrain de pique-nique et des des modifications, menées en collabora- tre-est. Le chemin de ceinture prend alors terrains de jeux. Comme changements à tion avec l’École d’architecture de paysage de l’ampleur. cette séquence, on peut d’abord noter la de l’Université de Montréal, et qui, dans construction du restaurant en 1956, là où l’ensemble, s’inscrivent dans la continuité Au cours des années 1980-1990, la nature se trouvait à l’origine un petit stationne- des idées de Henry Teuscher. Certains didactique et muséologique des présen- ment. Le terrain de cricket, le terrain de projets très spécialisés, tels le jardin de tations est accentuée. On diversifie aussi pique-nique et les terrains de jeux prévus gazon, le jardin taxonomique et le jardin les types d’espaces, notamment par de sur le plan de Teuscher ont laissé place génétique, sont donc éliminés alors que grands projets. Le jardin japonais qui aux jardins-jeunes, désormais situés dans certains autres, déjà réalisés, sont replacés avait été proposé par Henry Teuscher en la continuité de l’axe des jardins d’expo- ailleurs ou encore intégrés à de nouveaux 1933 est entrepris, puis le jardin de Chine, sition. Ces jardins destinés aux jeunes aménagements. C’est ainsi que certaines conçu en Chine, est assemblé sur place par existaient dès l’origine – ils s’appelaient collections, comme celles des iris et des des ouvriers chinois. C’est aussi au cours jusqu’en 1990 les jardins d’écoliers –, mais pivoines, sont déplacées. Les plantes et les de ces années que sont mis en place la

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ILL. 25. LES SERRES DE SERVICE. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 26. L’AILE AJOUTÉE (1995) À L’ARRIÈRE DU PAVILLON ADMINISTRATIF (1932-1938). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. forêt des Montréal de France (1992) et le Les bâtiments mais la construction de nouvelles serres est jardin des Premières-Nations (2001). entreprise en 1956 à l’arrière du pavillon Le Jardin compte de nombreux bâtiments administratif. La construction de ces serres Dans le cadre de son soixante-quinze an- associés aux différentes fonctions du lieu : se poursuit dans les années 1960 et 1980. niversaire en 2006, le Jardin botanique le pavillon administratif (1932-1938), les Certaines des premières serres de service de Montréal entreprend de réaliser cer- serres d’exposition (à compter de 1956), (1932-1933) existent toujours. La première tains travaux, notamment de réaména- ainsi que des serres de service, une chauf- chaufferie (1932-1933) est démolie en 1938 ger le côté est du pavillon administratif ferie, des garages (ill. 5, 6 et 25). Au fil des et remplacée par celle qui existe toujours afin de mieux accueillir les visiteurs et de ans, certains abris et bâtiments de service à l’arrière des serres de service. faire dévier la circulation des véhicules disparaissent ou sont remplacés. de services77. Ces travaux n’auront pas Les terrains de véritable impact sur les aménage- Le pavillon administratif de style Beaux- ments et les jardins. Ainsi, les alentours Arts et Art déco est le plus ancien et le Les limites du terrain demeurent essen- du pavillon administratif deviendront plus intéressant bâtiment du site. Sa por- tiellement les mêmes depuis 1931. On sait une zone piétonnière qui s’appellera la tion centrale, en pierre calcaire, est bâtie cependant qu’au moment des Jeux olym- place Marie-Victorin. Les entrées seront en 1932, alors que les deux ailes en forme piques en 1976, la rue Sherbrooke Est a déplacées et les guérites remplacées. On de H, en brique de couleurs rouille et cha- été agrandie, impliquant la réduction du y installera aussi un kiosque d’informa- mois, sont construites en 1936-1938. La terrain à l’entrée du Jardin et le déplace- tion pour les visiteurs. Dans un second fenestration de l’avant-corps est changée ment de la grille située au coin du bou- temps, on verra aussi à rénover certaines en 1965 et deux autres ailes, en forme de levard Pie IX et de la rue Sherbrooke Est. des serres et à revoir leurs expositions, H, sont ajoutées en 1995 pour prolonger La construction de l’Insectarium en 1990 puis à aménager des sentiers pour inciter le bâtiment à l’arrière. Ces deux nouvelles entraîne aussi l’agrandissement du terrain un plus grand nombre de visiteurs à se ailes, également de brique, s’intègrent du côté est, à même le parc Maisonneuve, rendre dans l’arboretum. bien au bâtiment d’origine ; elles abritent vis-à-vis du jardin aquatique, afin de per- les laboratoires de l’Institut de recherche mettre la construction de ce nouveau bâ- Pour résumer, on peut affirmer que le Jar- en biologie végétale et le centre d’accueil timent. Dans les années 1930, une carrière din botanique a conservé plusieurs de ses des visiteurs et sont rattachées aux serres occupait la partie nord du terrain ; Henry premiers jardins, tout en se développant d’exposition (ill. 26). L’intérieur de ce bâ- Teuscher avait d’abord prévu y aména- et en se transformant avec harmonie dans timent est modifié au cours des ans, sauf ger un jardin, peut-être semblable à celui la continuité des principes et des idées son hall principal. Les premières serres qu’avait entrepris Jennie Butchart dans les déjà présentes dans son plan d’origine. d’exposition (1939) sont démolies dès 1940, années 1910 dans une ancienne carrière

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ILL. 27. LE CHEMIN BORDÉ D’ARBRES QUI PERMET DE PARCOURIR LE SITE D’UNE EXTRÉMITÉ ILL. 29. L’ ARBORETUM (AMORCÉ EN 1887) DE LA FERME EXPÉRIMENTALE CENTRALE, À L’AUTRE. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. OTTAWA, ONTARIO (1886). | MONIQUETRÉPANIER, PARCS CANADA, 1997.

ILL. 28. LE PLAN DES JARDINS BOTANIQUES ROYAUX, HAMILTON/BURLINGTON, ONTARIO (ÉTABLIS OFFICIELLEMENT EN 1941). | ROYAL BOTANICAL GARDENS.

de sa propriété de Victoria en Colom- de Montréal appartient à une classe à 1997), un centre de recherche horticole bie-Britannique. Au Jardin botanique de part en raison du nombre d’espèces vé- et agricole qui possède un arboretum et Montréal, cette ancienne carrière devint gétales qu’il conserve, de la qualité de ses qui aurait déjà eu un jardin botanique, a un simple dépotoir avant d’être aménagée programmes éducatifs, du nombre d’em- aussi été désignée d’importance histori- pour recevoir l’arboretum (ill. 3). ployés (de deux cent vingt à trois cent cin- que nationale. quante selon la saison) et du nombre de CONTEXTE COMPARATIF visiteurs (près de un million par an)79. C’est certainement avec le jardin botanique de Hamilton/Burlington (LHN, 1993) que ce- Il existerait présentement une trentaine Il existe néanmoins un petit groupe de lui de Montréal se compare le mieux, même de jardins botaniques et d’arboretums au jardins botaniques canadiens importants si le premier n’a pas le même nombre d’es- Canada78. Chacun de ces jardins botani- avec lesquels il partage des points com- pèces et la même variété de collections et ques a son histoire, parfois relativement muns et avec lesquels il convient d’établir que son programme de recherche est pré- récente, ses collections spécialisées – sou- des comparaisons pour bien faire ressortir sentement moins important (ill. 28)80. Les vent élaborées en fonction de la région ses qualités et ses particularités. Jusqu’à motifs invoqués par la Commission pour sa où il est situé – et des particularités spé- ce jour, un seul jardin botanique a été dé- désignation sont : sa collection horticole cifiques. Comment le Jardin botanique signé d’importance historique nationale : de premier ordre ; le fait qu’il a bénéficié de Montréal se compare-t-il aux autres les Jardins botaniques royaux de Hamil- du savoir-faire de plusieurs spécialistes ta- jardins botaniques ? D’après plusieurs ton/Burlington (LHN, 1993). La Ferme lentueux, en faisant un lieu d’une grande sources consultées, le Jardin botanique expérimentale centrale d’Ottawa (LHN, beauté, et aussi à cause de sa collection

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ILL. 30. L’ARBORETUM MORGAN, COLLÈGE MACDONALD, SENNEVILLE, ILL. 31. LE JARDIN BOTANIQUE DE L’UNIVERSITÉ DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE, QUÉBEC. | MICHEL PELLETIER, PARCS CANADA, 2001. VANCOUVER, COLOMBIE-BRITANNIQUE (1916, RÉAMÉNAGÉ EN 1968). | BOTANICAL GARDENS UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA. de lilas. Les Jardins botaniques royaux de jardins sont la rocaille, le plus vieux jardin 1887, on y aménageait un arboretum et un Hamilton ont été établis officiellement en du site puisqu’elle fut entreprise dès 1930, jardin botanique. Cet arboretum du Domi- 1941, mais leur origine remonte aux années le jardin Laking (1947), où l’on trouve no- nion, situé près du lac Dow à Ottawa, cou- 1920, lorsque la ville commence à acquérir tamment des iris, le jardin d’enseignement vre soixante-cinq acres et existe toujours. Il des terrains pour embellir l’entrée nord- (1947-1948), l’arboretum (1960) et le parc compte certains des plus vieux spécimens ouest de la ville. Les terrains de ce jardin Hendrie (années 1960), qui compte la ma- de plantes ligneuses reconnues pour leur botanique présentent une longue forme gnifique roseraie. Ce jardin botanique pos- rusticité et qui sont cultivées au Canada. allongée où sont dispersés ses jardins. Ils sède aussi une région naturelle (comptant Les premiers arbres, en provenance d’Al- couvrent en fait une très grande superfi- des marais, des lacs peu profonds, des boi- lemagne, du Japon, de Corée, de Chine, cie, soit deux mille sept cents acres dont sés, etc.) de deux mille acres. Les différen- de Russie, de France, d’Angleterre et des environ trois cents sont cultivés, ce qui en tes collections sont utilisées pour des fins États-Unis, ont été plantés entre 1880 et fait le plus grand jardin botanique au pays. d’expositions et d’enseignement et, dans 1890. Certains ont réussi à survivre malgré Ses aménagements sont véritablement en- une moindre mesure, pour des recherches les rigueurs du climat. Chaque arbre est trepris après la Seconde Guerre mondiale scientifiques, menées en collaboration bien identifié. C’est l’arboretum le plus re- (sauf la rocaille qui est développée dès avec l’Université McMaster81. Les collec- connu au pays. En raison de diverses cou- les années 1930). Les recommandations tions y sont bien classées et identifiées. Ses pures d’ordre budgétaire, il semble que le de l’architecte paysager, Carl Borgstrom, prestigieuses collections de lilas et d’iris lui jardin botanique ait existé jusque vers 1915 sont pour la plupart suivies et y sont encore ont acquis une réputation internationale, seulement82 ; par la suite, il est devenu un visibles : la création de grands ensembles la première lui ayant d’ailleurs valu d’être jardin d’exposition comptant des jardins qui se distinguent par leurs coloris et leurs reconnu comme l’autorité internationale de haies, des roseraies, des rocailles, des textures, le choix des arbres en fonction d’enregistrement des noms de lilas culti- jardins expérimentaux avec des plantes de leur feuillage automnal et hivernal et vés. Ce jardin botanique compte aussi un annuelles et des vivaces. Signalons égale- de leur intérêt botanique, la mise en place centre d’interprétation de la nature, des ment que l’arrondissement historique de d’une roseraie et le choix de plantes de services éducatifs, une bibliothèque et il Senneville (LHN, 2001) compte à l’intérieur grandes dimensions. publie une revue. de ses limites l’Arboretum Morgan du col- lège MacDonald (ill. 30). D’une superficie De nos jours, on y trouve six grands jardins Quant à la Ferme expérimentale centrale de deux cent quarante-cinq hectares, cet souvent insérés dans des boisés naturels d’Ottawa (LHN, 1997), elle a été établie en arboretum, qui regroupe la plupart des es- avec des collections regroupant huit mille 1886 par le gouvernement fédéral (ill. 29). sences indigènes du Québec et dix-huit col- espèces, ce qui le place au deuxième rang Elle a contribué au développement de lections d’arbres et d’arbustes provenant au pays après celui de Montréal qui en l’agriculture grâce à ses recherches scien- d’autres pays, est consacré à la conserva- compte vingt-deux mille. Ses principaux tifiques et à ses nouvelles méthodes. Dès tion de la forêt et à la sylviculture.

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ILL. 32. LE JARDIN BOTANIQUE DEVONIAN DE L’UNIVERSITÉ DE L’ALBERTA, SITUÉ ILL. 33. LE JARDIN BOTANIQUE DE LA MEMORIAL UNIVERSITY OF NEWFOUNDLAND, PRÈS D’EDMONTON, ALBERTA (1959). | DEVONIAN BOTANIC GARDEN. OXEN POND, ST. JOHN’S, TERRE-NEUVE (1972). | MEMORIAL UNIVERSITY BOTANICAL GARDEN.

Il existe trois autres jardins botaniques au tions de rhododendrons et de magnolias des plantes ligneuses. On y a développé pays qui peuvent à certains égards être comptent parmi les plus importantes en une expertise dans les plantes vivaces her- comparés à celui de Montréal, même s’ils Amérique du Nord. Il offre un programme bacées propres à la région des Prairies. Ce n’ont pas son envergure sur les plans du d’introduction aux plantes à l’intention jardin botanique possède une collection nombre d’espèces et de la diversité des des pépinières et un programme éducatif de plantes fragiles qui ont pu s’adapter à collections. Les trois sont associés à une de recherche. Sa mission d’origine était l’environnement des Prairies ainsi qu’un université, ce qui favorise leur fonction l’étude de la flore de la province. Au fil jardin alpin et un jardin de primevères. scientifique. Il s’agit du Jardin botanique des ans, sa mission s’est élargie et il s’in- Il possède également un jardin des Pre- de l’Université de la Colombie-Britanni- téresse désormais à la conservation et à mières-Nations qui regroupe des plantes que à Vancouver, du Jardin botanique la présentation de plantes en provenance médicinales. On y trouve aussi une biblio- Devonian de l’Université de l’Alberta, à d’Asie, de plantes de la région et de plan- thèque et un herbier. l’ouest d’Edmonton, et du Jardin bota- tes alpines. Le University of British Colum- nique de l’Université Memorial, à Oxen bia Centre for Plant Research y mène des Le Jardin botanique d’Oxen Pond, créé en Pond, Terre-Neuve. Le Jardin botanique études sur l’adaptation des plantes, l’évo- 1972, est rattaché à la Memorial Universi- de la Colombie-Britannique a été créé en lution, la physiologie, etc.84. Comme celui ty of Newfoudland (ill. 33). Couvrant tren- 1916 par John Davidson, premier botanis- de Montréal, ce Jardin a connu des hauts te-quatre hectares, il regroupe une série te de la province83, ce qui en fait le plus et des bas au cours de son histoire, mais de jardins d’exposition spécialisés, dont ancien jardin botanique existant encore les années 1970-1980 lui ont été particu- un jardin aménagé dans un boisé pour au pays (ill. 31). Sa configuration actuelle lièrement bénéfiques. attirer les papillons, un parc sylvestre, un date cependant de 1968. C’est un jardin jardin faunique et une rocaille. En raison de quarante-quatre hectares et demi, où Pour sa part, le Jardin botanique Devo- des conditions de sol et du climat qui sont les jardins sont dispersés comme à Ha- nian de l’Université de l’Alberta, situé particuliers à cette région, ce jardin bota- milton. Il regroupe notamment le Nito- non loin d’Edmonton, a été fondé en nique a choisi de privilégier l’habitat et les be Memorial Garden – un jardin japonais 1959 (ill. 32). Ce jardin d’une superficie plantes propres à Terre-Neuve plutôt que classique –, le Lohbrunner Alpine Garden, de soixante-dix-sept hectares se spécialise d’essayer de constituer un jardin botani- le David C. Lam Asian Garden – le plus dans la culture des plantes indigènes et al- que traditionnel. On y trouve également grand jardin du site, consacré aux plan- pines. Il sert de laboratoire extérieur aux une réserve naturelle et des plates-ban- tes d’origine asiatique – et le B.C. Native botanistes de l’Université de l’Alberta85. des présentant un caractère semi-formel. Garden – qui présente des plantes et des On y poursuit des recherches sur la rusti- Plusieurs des plantes présentes sur le site arbres propres à cette province. Ses collec- cité des plantes vivaces ornementales et proviennent d’anciens jardins retracés

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dans certaines régions de l’île. On y pour- recueillies en 1998, le Jardin botanique de en raison de ses grandes qualités suit des recherches sur l’évolution et la Montréal est un lieu récréotouristique à esthétiques, de sa vocation scienti- préservation dans leur milieu de plantes caractère scientifique qui attire une clien- fique et de ses fonctions éducative rares et menacées86. tèle différente au gré des saisons88. Sa et sociale ; programmation diversifiée (expositions, Conclusion cours, activités saisonnières ou à saveur - la richesse et la diversité de ses culturelle, etc.) lui permet de rejoindre collections dévolues à des fins de On peut affirmer que le Jardin botani- une clientèle variée (jeunes, grand public, recherche, de conservation, de pré- que de Montréal et les Jardins botani- spécialistes, etc.). Ce jardin est mention- sentation et d’éducation illustrent ques royaux de Hamilton/ Burlington né dans tous les guides touristiques de avec éloquence la mission qui est comptent parmi les deux plus importants Montréal où il est souvent décrit comme particulière aux jardins botaniques ; au pays. Bien qu’à Hamilton/Burlington « l’un des plus beaux au monde ». Il a aussi les dimensions soient plus grandes qu’à fait l’objet de nombreuses publications, - encore aujourd’hui, il a conservé Montréal, les jardins ont été aménagés tant sur son histoire que sur certaines de plusieurs de ses premiers aménage- sur un long terrain entrecoupé par une ses collections. La qualité des recherches ments, tout en se développant de route, ce qui nuit à la cohésion de l’en- scientifiques menées par ses chercheurs façon harmonieuse dans la continu- semble. Tous deux possèdent cependant et spécialistes contribue également à son ité de son plan d’origine. d’importantes collections, dont certaines rayonnement, au pays comme à l’étran- ont acquis une grande renommée, mais ger89. Le Jardin botanique a reçu plusieurs NOTES Montréal se distingue nettement par le prix prestigieux, dont l’Award of Garden nombre et la diversité des végétaux et Excellence pour sa roseraie en 2003 et le 1. Personne d’importance historique nationale. des aménagements, ainsi que par l’im- prix Kéroul du ministère du Tourisme du 2. J’aimerais remercier Mme Susan Buggey, profes- portance de sa réputation internatio- Québec pour l’aménagement de la cour seure associée, et M. Ron Williams, professeur, tous deux à l’École d’architecture de paysage, nale. Un certain nombre d’autres jardins des sens en 2004. Faculté de l’aménagement, Université de Mon- botaniques canadiens se sont spécialisés tréal, pour leurs commentaires et suggestions en constituant d’intéressantes collections IMPORTANCE HISTORIQUE dans la préparation de ce rapport. en fonction du climat ou des conditions EN RÉSUMÉ 3. Une espèce est un groupe naturel d’individus régionales inhérentes et mènent des re- descendant les uns des autres, dont les carac- cherches axées sur ces collections, mais ils Le Jardin botanique de Montréal est d’im- tères génétiques, morphologiques et physiolo- giques voisins ou semblables leur permettent n’ont ni la réputation du Jardin de Mon- portance historique car : de se croiser. Un cultivar est une variété d’une tréal, ni la diversité de ses collections et espèce. de ses aménagements. - ses quelque vingt-deux mille 4. Un arboretum est une collection d’arbres culti- espèces et cultivars de plantes, ses vés dans un même endroit pour des fins de ÉVALUATION DE LA COLLECTIVITÉ dix grandes serres d’exposition, sa recherche, de conservation, d’éducation et de trentaine de jardins thématiques et loisir. Le Jardin botanique de Montréal jouit son vaste arboretum contribuent à 5. Byrd, Warren T., Jr., 1989, « Re-creation to d’une grande notoriété tant au pays qu’à en faire l’un des plus grands jardins Recreation », Landscape Architecture, vol. 79, no 1, p. 44. Rapporté dans Hucker, Jacqueli- l’étranger. Il est une importante attrac- botaniques au monde ; ne, 1993, Royal Botanical Gardens, Hamilton, tion touristique, puisqu’il reçoit près de Ontario, Commission des lieux et monuments un million de visiteurs par an, dont trente - dès sa fondation en 1931, le frère historiques du Canada (CLMHC), rapport au pour-cent sont des touristes étrangers. Marie-Victorin, le scientifique et feuilleton 1993-04, p. 94. Marie-Andrée Camirand, agente de mar- botaniste qui a été l’âme de cet 6. Tiré de Jardin botanique de Montréal, Les jardins botaniques et la conservation, [http:// keting au Jardin botanique de Montréal, ambitieux projet, et Henry Teuscher, www.ville.montreal.qc.ca/jardin/ urgence/ écrivait en 1998 : « Montréal peut s’enor- l’architecte paysagiste qui en a monde/jabo.htm], consulté le 22 juin 2006. Le gueillir de posséder une montagne en son dressé les plans et lui a donné ses Botanic Gardens Conservation International centre, un fleuve majestueux qui coule sur grandes orientations, ont voulu en est un organisme international fondé en 1987 et regroupant plus de 800 institutions situées son flanc et un Jardin botanique bien an- faire un jardin botanique idéal, ce dans 120 pays dont l’objectif est de préserver 87 cré en son cœur . » D’après des données qu’il est demeuré jusqu’à nos jours et de promouvoir la diversité horticole pour

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les populations et la planète. Voir à ce propos 20. Bouchard, André, 1982, « Marie-Victorin et le no 1 (édition française), Montréal, Jardin bo- Botanic Gardens Conservation International, Jardin botanique de Montréal », dans Denis tanique de Montréal, p. 4. [http://www.bgci.org/worldwide/about], Barabé et Sylvie Laliberté (dir.), Bulletin de la 40. Un jardin économique est constitué de plan- consulté en août 2006. Société d’animation du Jardin et de l’Institut tes dont l’usage est utilitaire (plantes que l’on botanique. Jardin botanique de Montréal : 7. Tiré de « Jardin botanique », L’Encyclopédie peut consommer, arbres fruitiers, etc.). 1931-1981. Numéro spécial en l’honneur du canadienne, [http:www.thecanadianencyclo- 50e anniversaire du Jardin botanique de la 41. Vick, Roger, 1991, « The Founding of the Mon- pedia.com], consulté le 22 juin 2006. ville de Montréal, vol. 6, nos 3-4, p. 20. treal Botanical Garden », Kinnikinnick, vol. 7, 8. Prieur, Benoit, 1992, Guide des beaux jar- no 2, p. 56. 21. Bouchard, 1998, p. 9-20. dins du Québec, La Prairie, Québec, Broquet, 42. Plusieurs des renseignements mentionnés p. 5. 22. Chartrand, Luc, Raymond Duchesne et Yves dans cette section du rapport proviennent de Gingras, 1987, Histoire des sciences au Québec, 9. Tiré de Convention on Biological Diversity, l’information qui nous a été transmise avec Montréal, Boréal, p. 264-266. [http://www.biodiv.org/doc/submissions], p. 9, cette demande par le Jardin botanique de consulté le 12 juillet 2006. 23. Bouchard, 1982, p. 21. Montréal.

10. Tiré de « Jardin botanique », L’Encyclopédie 24. Rapporté dans Deschênes, Gaétan, 1996, His- 43. Camirand, Marie-Andrée, 1998, « Le Jardin bo- canadienne, op. cit. ; Bisgrove, Richard, 1990, toire de l’horticulture au Québec, Saint-Lau- tanique de Montréal : un attrait touristique The National Trust Book of the English Garden, rent, Éditions du Trécarré, p. 95. incontournable », Quatre-Temps, vol. 22, no 2, London, Viking, p. 15 et 38. p. 16. 25. Pinard, Guy, 1992, Montréal. Son histoire. Son 11. von Baeyer, Edwinna, 1984, Rhetoric and Roses: architecture, Montréal, Éditions du Méridien, 44. Paquet, Martin, 2006, « D’hier à aujourd’hui », A History of Canadian Gardening, Markham, tome 5, p. 80. C’est également l’ancien site Quatre-Temps, vol. 30, nos 2-3, p. 12. Fitzhenry and Whiteside, p. 84-85. du collège Mont-Lasalle où Marie-Victorin a 45. Ville de Montréal, 1991, Guide du Jardin bo- étudié. 12. Lieu d’importance historique nationale. tanique de Montréal, Montréal, Ville de Mon- 26. Communauté urbaine de Montréal, 1981, tréal, p. 48. 13. von Baeyer, p. 135-136. Répertoire d’architecture traditionnelle sur 46. Émission radiophonique « Samedi et rien 14. Un autre centre est créé à Nappan en Nouvel- le territoire de la Communauté urbaine de d’autre », animée par Joël LeBigot et présen- le-Écosse pour desservir les provinces mariti- Montréal. Les édifices publics, Montréal, Com- tée à Radio-Canada, le 27 août 2006. Entrevue mes, un autre à Brandon pour le Manitoba, un munauté urbaine de Montréal, p. 138. avec Gilles Vincent, directeur du Jardin bota- autre à Indian Head pour la Saskatchewan et 27. Des Rochers, p. 36-37. nique de Montréal. un autre à Aggasiz pour la Colombie-Britan- nique. L’établissement de ces fermes expéri- 28. Bouchard, 1998, p. p. 27. 47. « Témoignages 75 ans », Quatre-Temps, mentales a été désigné événement historique vol. 30, nos 2-3, juin 2006, p. 52. Mentionné 29. Soucy, Gaétan, 1996, Histoire de l’horticul- national en 1981. par sir Peter Crane FRS, directeur des Jardins ture au Québec, Saint-Laurent, Éditions du botaniques royaux de Kew. 15. Hucker, p. 105 ; Bibliothèque et Archives Ca- Trécarré, p. 114. nada, Cultiver son jardin au Canada. L’histoire 48. Rapporté dans Charpentier, Anne et Ghyslaine 30. Bouchard, 1998, p. 29. du jardinage au Canada, [http:// www.collec- Gagnon, 2006, « L’éducation au Jardin botani- tionscanada.ca/jardin], consulté le 12 juillet 31. Bouchard, 1982, p. 26. que. Une promenade qui mène à la réflexion », os 2-3, p. 54. 2006. 32. Bouchard, 1998, p. 27. Quatre-Temps, vol. 30, n 49. Dagenais, Michèle, 1998, « Le Jardin botanique 16. Bouchard, André, 1998, Le Jardin botanique de 33. Bouchard, 1982, p. 28. Montréal. Esquisse d’une histoire, Montréal, de Montréal : une responsabilité municipa- Fides, p. 7-8 ; Des Rochers, Jacques, 1995, Étude 34. Joly, Francine, 1998, « Un Jardin et des Hom- le ? », Revue d’Histoire de l’Amérique françai- o historique et analyse patrimoniale du Jardin mes », Quatre-Temps, vol. 22, n 2, p. 41. se, vol. 52, no 1, [http://www.erudit.org/revue/ botanique de Montréal, vol. 1, Ministère de 35. Bouchard, 1982, p. 28. haf/1998v52n1], consulté le 18 juillet 2006. la Culture et des Communications, Direction 50. Cette liste a été dressée à partir des informa- générale de Montréal, juillet, p. 7-8. 36. Labrecque, Michel, 1998, « Dix-sept ans plus tard », Quatre-Temps, vol. 22, no 2, 1998, tions suivantes : messages envoyés par Ron 17. Linteau, Paul-André, 1992, Histoire de Mon- p. 5. Williams à Nathalie Clerk les 21 juillet et 3 oc- tréal depuis la Confédération, Montmagny, les tobre 2006 ; conversation avec Gilles Vincent, Éditions du Boréal, p. 394-395. 37. Rapporté dans Des Rochers, p. 41-42. directeur du Jardin botanique de Montréal, le 10 août 2006 ; et Hucker, p. 105-107. 18. Textes choisis et présentés par Yves Gingras, 38. Les premières notes pour ce texte datent de Frère Marie-Victorin. Science, culture et na- 1932 ; elles sont publiées en 1933 dans la revue 51. Larochelle, Marie-France, 2006, « Le Jardin bo- tion, s.l., Les Éditions du Boréal, 1996, p. 11. Parks and Recreation et elles sont revues et tanique en chiffres », Quatre-Temps, vol. 30, corrigées en 1940 (Des Rochers, p. 41-43). nos 2-3, p. 30. 19. Marie-Victorin, 1917, « L’étude des sciences naturelles : son développement chez les Ca- 39. Teuscher, Henry (directeur des services techni- 52. Membre de l’Académie des sciences britanni- nadiens français », Revue canadienne, vol. X, ques du jardin botanique de Montréal), 1940, que. p. 272-292. « Programme d’un jardin botanique idéal », Mémoires du Jardin botanique de Montréal, 53. « Témoignage 75 ans », p. 52. 54. Id., p. 53.

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55. Des Rochers, p. 84-86. 77. Renseignements fournis par Gilles Vincent, directeur du Jardin botanique de Montréal, 56. Des Rochers, p. p. 86. le 10 août 2006. 57. Lincourt, Jean-Jacques, avec la collaboration 78. À ce propos, le nombre de jardins botaniques de Sylvie Perron, 2001, Jardin botanique de au pays varie selon la définition adoptée. En Montréal, coll. « Les guides des jardins du Qué- 1993, Jacqueline Hucker dans son rapport sur bec », s.l., Fides, p. 44. les Royal Botanical Gardens de Hamilton préci- 58. Williams, Ron et Sachi Williams, 1988, « Les jar- sait (op. cit., p. 105) qu’il existait une trentaine dins japonais traditionnels et contemporains », de jardins botaniques, centres de recherche Quatre-Temps, vol. 12, no 2, p. 47. et serres au pays. C’est ce chiffre que nous 59. « Témoignages 75 ans », p. 52. conservons. Par contre, d’autres sources in- diquent qu’il en existerait présentement une 60. Parent, Jean-Pierre, 2006, « Le Jardin botani- quarantaine (voir « Vert tendre », les jardins que et l’essor de l’horticulture au Québec », botaniques royaux, [www.rbg.ca/greenle- Quatre-Temps, vol. 30, nos 2-3, p. 59. gacy], consulté le 14 septembre 2006), alors 61. Laberge, Claire et Daniel Fortin, 1994, Guide que d’autres en mentionnent quatre-vingts de la roseraie du Jardin botanique de Mon- (Martin, Carol, 1998, Cultivating Canadian tréal, préface de Pierre Bourque, Saint-Lau- Gardens: The History of Gardening in Canada, rent, Éditions du Trécarré, p. 46. Ottawa, Bibliothèque nationale du Canada, p. 11). 62. Id., p. 14-15. 79. Larochelle, p. 30-31 ; « Témoignages 75 ans », 63. Paquet, p. 12. Quatre-Temps, vol. 30, nos 2-3, juin 2006, p. 64. Beaudoin, Marie-Fleurette, en collaboration 52-53. avec Anne Charpentier, 1990, Les arbres re- 80. Hucker, p. 105-106. En 1993, les jardins botani- marquables du Jardin botanique de Montréal, ques royaux de Hamilton étaient présentés à Saint-Laurent, Éditions du Trécarré, p. 18-19. l’attention de la Commission des lieux et mo- 65. Lincourt et Perron, p. 33. numents historiques du Canada et étaient dé- signés lieu historique national. La Commission 66. « Témoignages 75 ans », p. 53. Rapporté par recommandait alors « que lui soit présentée Alexander Reford, directeur des Jardins de le plus rapidement possible une courte étude Métis. portant sur le Jardin botanique de Montréal 67. Vermette, Luce, 1987, Le frère Marie-Victo- parce que c’est aussi, à son avis, un des plus rin, f.é.c., botaniste, écrivain et éducateur : beaux jardins de sa catégorie au Canada ». sa contribution scientifique, Commission des 81. Mentionnons que des fonds ont été accordés lieux et monuments historiques du Canada, à ce jardin botanique par le gouvernement rapport au feuilleton 1987-26, p. 641, 648- de l’Ontario en juin 2006, ce qui permettra 655. peut-être de redonner vie au programme de 68. Désormais appelée l’Association francophone recherche scientifique. (Royal Botanical Gar- pour le savoir. dens, [www.rbg.ca], consulté le 22 septembre 2006.) 69. Gingras, Yves, 2006, « Le frère Marie-Victorin, l’âme du Jardin botanique », Quatre-Temps, 82. La société du jardin botanique d’Ottawa, Ot- vol. 30, nos 2-3, p. 19. tawa’s Botanic Garden, avril 2000, p. 2.

70. Bouchard, 1982, p. 23. 83. Tiré de « Jardin botanique », L’Encyclopédie canadienne, op. cit. 71. Bélanger, Anne, 2006, « Henry Teuscher. Por- trait d’un homme passionné », Quatre-Temps, 84. Information tirée de Culture.ca, [www.culture. vol. 30, nos 2-3, p. 22. ca, vitrine thématique], consulté le 21 septem- bre 2006. 72. Bouchard, 1998, p. 47. 85. Ibid. 73. Des Rochers, p. 72. 86. Ibid. 74. Id., p. 30. 87. Camirand, p. 17. 75. Beaudoin et Charpentier, p. 11-20. 88. Ibid. 76. Laberge et Fortin, p. 14-15. 89. Joly, p. 42.

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 139 CALL FOR PAPERS | APPEL À TEXTES

EDITORIAL STATEMENT POLITIQUE ÉDITORIALE

The Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada is a bilingual Le Journal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada est une revue refereed publication whose scope encompasses the entire spectrum of Canadian bilingue avec comité de lecture dont le champ englobe l’architecture canadienne de architecture from all historical periods and all cultural traditions. In addition to toutes les périodes historiques et toutes les traditions culturelles. En plus d’articles de historical, cultural, and æsthetic inquiries, the Journal also welcomes articles nature historique, esthétique, ou culturelle, le Journal accepte aussi les textes traitant dealing with theoretical and historiographical issues generally relevant to the de questions théoriques ou historiographiques pertinentes à l’étude de l’architecture study of Canadian architecture and architectural practice. Discussions of current et de la pratique architecturale au Canada. L’examen des questions méthodologiques methodological issues, for example, fall within the scope of the Journal, as do d’actualité, par exemple, fait partie du champ couvert par le Journal, tout comme les critical issues of preservation and restoration. débats de conservation et de restauration. Articles should be original and provide a new contribution to scholarship, whether they Les textes soumis au Journal doivent apporter une contribution scientifique originale, are mainly factual and documentary or whether they develop a new interpretation on que ce soit par le biais d’informations factuelles jusqu’alors inconnues ou encore par a specific theme. It is the aim of the Journal to forward the understanding of Canadian le développement d’une nouvelle interprétation concernant un thème particulier. architecture in as many ways as possible. L’objectif du Journal est de promouvoir une meilleure compréhension de l’architecture canadienne par le plus grand nombre de voies possibles.

Submissions to the Journal are encouraged and welcomed from SSAC members and Le Journal invite tous les chercheurs en architecture canadienne, qu’ils soient mem- non-members alike. Please send proposed articles, relevant to the study of Canadian bres de la SÉAC on non, à soumettre leurs articles. On peut soumettre un article en architecture, to: l’envoyant à :

PROF. LUC NOPPEN, EDITOR PROF. LUC NOPPEN, RÉDACTEUR JOURNAL OF THE SSAC JOURNAL DE LA SÉAC CANADA RESEARCH CHAIR ON URBAN HERITAGE CHAIRE DE RECHERCHE DU CANADA EN PATRIMOINE URBAIN INSTITUT DU PATRIMOINE INSTITUT DU PATRIMOINE UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, CP 8888, SUCC. CENTRE-VILLE UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, CP 8888, SUCC. CENTRE-VILLE MONTRÉAL QC H3C 3P8 MONTRÉAL (QC) H3C 3P8 E-MAIL : [email protected] COURRIEL : [email protected] PHONE : (514) 987-3000 X-2562 | FAX : (514) 987-6881 TÉL. : (514) 987-3000 P-2562 | TÉLÉC. : (514) 987-6881

SUBMISSION OF ARTICLES IN ENGLISH SOUMISSION D’ARTICLES EN FRANÇAIS

Authors should send to the editor a copy of their manuscript, prepared according Les auteurs doivent faire parvenir au rédacteur un manuscrit présenté selon les règles to the guidelines of the Journal. Although articles in the “Analyses” section usually de la revue. Habituellement, un article de la section « Analyses » compte environ comprise 7000 words and fifteen to twenty illustrations, shorter or longer articles 7000 mots et de quinze à vingt illustrations ; pour la section « Essais » on pourra may be considered for the other sections: “Essays” can comprise 2500 to 3500 cependant considérer des textes de longueur différente : 2500 à 3500 mots et de cinq words and five to ten illustrations. Reports may vary in length as they are preferably à dix illustrations. Par ailleurs, la longueur des « Rapports » peut varier puisque la published integrally. The necessary permission to publish must have been secured revue les publie, de préférence, intégralement. Les rapports doivent être soumis avec from the organization for which reports were intended. l’autorisation de l’organisme à qui ils ont été destinés. Authors must submit their article on an electronic medium or by email. Illustrations Les textes sont soumis en format électronique (sur support informatique ou transmis should accompany the manuscript. These consist of photographic prints, slides or, par courriel). Les illustrations doivent être soumises en même temps que le manuscrit. preferably, digital files (360 dpi, 4” x 6” minimum, TIFF or EPS format), on CD-ROM. Ce sont des photographies ou des diapositives ou, de préférence, des fichiers Photocopies or facsimiles are acceptable only for line drawings. It is the responsibility numériques (résolution 360 ppp au format minimal de 10 x 15 cm, format TIFF ou EPS), of the author to obtain the required reproduction authorizations for the illustrations sur CD-ROM. Les photocopies et les fac-similés ne sont acceptés que pour les dessins and to pay copyright fees when necessary. SSAC and the editor of the Journal decline au trait. Les auteurs doivent fournir des illustrations libres de droits ; le cas échéant, responsibility in that matter. All illustrations should have captions, including, where il leur appartient d’obtenir les autorisations nécessaires et de défrayer les droits applicable, subject, date, and name of architect, author or source. Illustrations will be de publication. La SÉAC et le rédacteur de la revue déclinent toute responsabilité returned to authors. en cette matière. Toutes les illustrations doivent être accompagnées d’une légende All manuscripts are submitted for review to the SSAC’s Editorial Review Panel who comprenant, normalement, l’identification du sujet, la date, le nom de l’architecte, reports to the editor. The editor informs authors of the decision, no later than sixty l’auteur ou la provenance de l’image. Les illustrations seront retournées aux auteurs. days after initial submission; the editor also ensures that the requested modifications Tous les manuscrits sont évalués par le comité de lecture qui fait rapport au rédacteur. have been made before the final acceptance and proposition of the publication date. Le rédacteur transmet l’avis du comité aux auteurs, au plus tard soixante jours après Authors will receive three copies of the issue in which their article is published. la soumission initiale ; il s’assure que les modifications requises sont apportées avant d’accepter le texte et de proposer une date de publication. Les auteurs recevront trois exemplaires du numéro de la revue dans lequel leur texte est publié.

140 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 DIRECTIVES AUX AUTEURS

MISE EN FORME DU TEXTE Bibliographie complémentaire Exceptionnellement, s’il y a des références additionnelles importantes • Titre principal de l’article : minuscules gras. auxquelles on ne réfère pas dans le texte, on pourra ajouter une • Aucune mise en forme du texte ou des pages (police utilisée « Bibliographie complémentaire » en suivant la même présentation dans tout le texte : 12 points, style « normal » ; pas de caractères gras, que celle des notes de fin (voir la section « Exemples de références »). soulignés, italiques, capitales, petites capitales), sauf pour les titres : niveau 1 – gras ; niveau 2 – souligné ; niveau 3 – italique ; les mots EXEMPLES DE FORMAT DES RÉFÉRENCES étrangers sont aussi en italique ; les citations longues sont en retrait. • Aucun espace entre les paragraphes (un seul retour d’un paragraphe à Livre / 1 auteur un autre). Churchill, Gilbert A., [7th ed.] 1999, Marketing Research: Methodological Foundations, Fort Worth, The Dryden Press. POSITION DES DIFFÉRENTS CORPS DE TEXTE Livre / 2 auteurs et plus • Les références bibliographiques sont comprises dans les notes Noppen, Luc et Lucie K. Morisset, 2000, L’architecture de Saint-Roch : de fin de document ; s’il y a des références additionnelles, celles-ci sont Guide de promenade, Québec, Ville de Québec. placées à la fin du texte, précédées du titre « Bibliographie Chapitre de livre complémentaire ». Mercier, Guy, 2000, « L’usage urbain de la nature : conflit et ralliement. • Les légendes des illustrations sont placées à la fin du texte, L’exemple du quartier Saint-Roch à Québec », dans Jean-Pierre Augustin après la bibliographie. et Claude Sorbets (dir.), Sites publics, lieux communs. Aperçus sur • Le nom du(des) auteur(s) vient tout de suite après le titre principal l’aménagement de places et de parcs au Québec, Bordeaux, Maison et une(des) courte(s) notice(s) biographique(s) est(sont) placée(s) des sciences de l’homme d’Aquitaine, p. 119-136. au tout début du texte. • Les citations courtes sont insérées dans le texte, entre guillemets ; Article de revue scientifique les citations longues sont composées légèrement en retrait dans un Gagnon, Serge, 1998, « De Lower St. Lawrence à Charlevoix : paragraphe indépendant (en alphabet romain; en italique seulement l’émergence d’un haut lieu de villégiature de la bourgeoisie marchande si en langue autre que celle de l’article). canadienne », Téoros, vol. 17, no 1, p. 15-22. Article de journal FORMAT DES RÉFÉRENCES Beaubien, Claude, Jr., 1973, « Pour la conservation de la maison Van Horne », La Presse, 22 août, p. 8. Le format des références utilisé dans la revue Architecture au Canada est le suivant : Rapport • Notes de fin de document, avec appels de note automatiques. Poullaouec-Gonidec, Philippe, Michel Gariépy, François Tremblay, Bernard • La référence à un ouvrage ou à un article (format américain) n’est pas Saint-Denis, Christiane Montpetit et Julie Tellier, 1999, Balisage des donnée dans le texte ; on suit plutôt le modèle européen, c’est-à-dire enjeux de paysage concernant trois filières de production d’électricité, un appel de note dans le texte et le détail en note de fin (voir exemples). Rapport de recherche de la Chaire en paysage et environnement, • Dans la note de fin, l’appel1 est suivi d’un point et d’une marque de Montréal, Université de Montréal. tabulation. Thèse ou mémoire Sabourin, Cécile, 1985, Le tourisme dans les régions rurales du Québec : 1. [TAB] Exemple de note de fin. Les références sont présentées de la bilan et perspectives, thèse de doctorat en droit et économie du tourisme, même façon dans les notes de fin et la bibliographie complémentaire Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille III. (le cas échéant) : les segments de la référence sont tous séparés par une virgule. À remarquer qu’ici l’appel, suivi d’une tabulation, n’est pas Référence Internet en exposant : Noppen, Luc et Lucie K. Morisset, 2000, L’architecture de Julius Shulman, Modernity and the Metropolis, exposition tenue Saint-Roch : Guide de promenade, Québec, Ville de Québec. au J.P. Getty Museum, Los Angeles, 11 octobre 2005-22 janvier 2006, [http://www.getty.edu/art/exhibitions/shulman/], consulté le 15 août 2008. La référence complète (voir les exemples) est utilisée pour la première occurrence. Dans les entrées suivantes, on utilise le format abrégé, Litt, Paul, 1992, The Muses, the Masses, and the Massey Commission, peu importe le type de référence : auteur(s), numéro de page : Toronto, University of Toronto Press ; et Royal Commission on National Mercier, p. 122. Development in the Arts, Letters and Sciences (1949-1951), • S’il y a plus d’une référence du même auteur, on insère l’année : [http://www.collectionscanada.ca/massey/h5-400-e.html#content], Mercier, 2000, p. 122. consulté le 11 mars 2005. • Et s’il y a plus d’une référence du même auteur la même année, on ajoute les premiers mots du titre : Mercier, 2000, L’usage urbain…, p. 122. OU Gagnon, 1998, « De Lower St. Lawrence à Charlevoix… », p. 16.

JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009 141 GUIDELINES FOR AUTHORS

TEXT EDITING Complementary Bibliography Exceptionally, if there are additional important documents not • Main title of article: bold lower case. referred to in the text, these are inserted at the end, under the title • No formatting of text or pages (use 12-point font, “normal style,” “Complementary Bibliography,” using the same presentation as the throughout the text; no bold, underline, italics, capitals, or small endnotes (see section “Reference Format Examples”). capitals), except for titles: level 1 – bold; level 2 – underlined; level 3 – italics; use italics also for foreign words; long quotations REFERENCE FORMAT EXAMPLES are indented. • No extra space between paragraphs (one return only after each Book / 1 author paragraph). Churchill, Gilbert A., [7th ed.] 1999, Marketing Research: Methodological Foundations, Fort Worth, The Dryden Press. POSITION OF THE DIFFERENT PARTS OF THE TEXT Book / 2 or more authors • Bibliographic references are included in endnotes; if there are Noppen, Luc et Lucie K. Morisset, 2000, L’architecture de Saint-Roch : additional references, these are placed at the end of the paper, under Guide de promenade, Québec, Ville de Québec. the title “Complementary Bibliography.” Book chapter • Illustration captions are at the end of the text, after the bibliography. Farber, Carole, 1983, “High, Healthy, and Happy: Ontario Mythology • Author’s name(s) is(are) placed immediately after the main title; on Parade,” In Frank E. Manning (ed.), The Celebration of Society: short biographical note(s) is(are) directly at the beginning of the Perspectives on Contemporary Cultural Performance, Bowling Green article. (OH), Bowling Green University Popular Press / London, Congress of • Short quotations are included in the paragraphs, preceded and Social and Humanistic Studies, University of Western Ontario, p. 33-50. followed by quotations marks; long quotations are indented independent paragraphs (roman alphabet; use italics only if Scientific paper language differs from that of article). Fripp, R. Mackay, 1899, “The Influence of the Modern Christian Church upon the Ecclesiastical Architecture of the Dominion,” Canadian REFERENCE FORMAT Architect and Builder, vol. 12, no. 4, p. 9. Newspaper article The following format is used in Architecture in Canada for the Carter, David Giles, “New Uses for our Landmarks Might Be a Way of references: Saving Them,” The Gazette, July 13, 1973, p. 7. • Endnotes with automatic endnote marks. • References to articles or documents (American style) are not cited Report within the text; the European style is used: endnote marks in the text Hammer and Company Associates, 1968, An Economic and Social with details in endnotes (see examples). Study of the Vieux Carré, New Orleans, Louisiana, Vieux Carré • In endnotes, reference marks1 are followed by a period and tab mark. Demonstration Study Report Series, no. 4, New Orleans (LA), Bureau of Governmental Research, Washington (DC), Associates. 1. [TAB] Endnote example. References are written in the same manner Thesis or dissertation both for endnotes and complementary bibliography (if the need arises): Galas, Walter, 1996, Neighborhood Preservation and Politics in New all segments of a reference are separated by commas. Note here that Orleans: Vieux Carré Property Owners, Residents and Associates, the endnote mark, followed by a tab, is not in superscript: Churchill, Inc. and City Government, 1938-1983, master’s thesis in Urban and th Gilbert A., [7 ed.] 1999, Marketing Research: Methodological Regional Planning, College of Urban and Public Affairs, University Foundations, Fort Worth, The Dryden Press. of New Orleans. The complete reference is used for the first occurrence. For the Internet reference following occurrences, the same abbreviated format us used for all Julius Shulman, Modernity and the Metropolis, exposition tenue types of references: author(s), page number: au J.P. Getty Museum, Los Angeles, 11 octobre 2005-22 janvier 2006, Mercier, p. 122. [http://www.getty.edu/art/exhibitions/shulman/], accessed August 15, • If more than one reference by the same author, insert year: 2008. Mercier, 2000, p. 122. • Finally, if more than one reference by the same author in the same Litt, Paul, 1992, The Muses, the Masses, and the Massey Commission, year, the italicized first words of the title are included: Toronto, University of Toronto Press ; et Royal Commission on National Mercier, 2000, L’usage urbain…, p. 122. OR Development in the Arts, Letters and Sciences (1949-1951), Fripp, 1899, “The Influence of the Modern Christian Church…,” p. 9. [http://www.collectionscanada.ca/massey/h5-400-e.html#content], accessed March 11, 2005.

142 JSSAC | JSÉAC 34 > No 2 > 2009

Prix MARTIN-ELI-WEIL Prize Appel de candidatures Call for candidacies de la from Société pour l’étude de Society for the Study of l’architecture au Canada Architecture in Canada MEILLEUR ESSAI EN BEST ESSAY IN HISTOIRE DE L’ARCHITECTURE ARCHITECTURAL HISTORY

Le prix Martin-Eli-Weil de la SÉAC récompense annuellement un The Martin-Eli-Weil prize is awarded annually by the SSAC to a essai, soumis par une étudiante ou un étudiant, qui explore le rôle student who submitted an essay on the role played by the built joué par l’environnement bâti dans la société canadienne. Le prix de environment in the Canadian society. The $250 prize and certificate 250 $, accompagné d’un certificat, sera remis à la lauréate ou au shall be awarded to the winner at the Society’s Annual Conference, lauréat à l’occasion du Congrès annuel de la Société, où elle ou il where he/she will be invited to present a conference on his/her sera invité à présenter son essai sous forme de conférence; en essay. The winning essay shall also be published by the Society in outre, la Société publiera l’essai gagnant. the Journal. Toutes les étudiantes et tous les étudiants inscrits à temps plein ou All part-time and full-time students registered in a Canadian univer- à temps partiel dans une université canadienne sont admissibles; sity are eligible; submissions from students registered in a foreign les soumissions d’étudiantes et d’étudiants inscrits dans une univer- university, but dealing with a Canadian subject, are also invited. sité étrangère mais portant sur un sujet canadien sont aussi The essay, in French or English, may deal with a specific building, bienvenues. contemporary or historic, whether existing or at a proposal stage; a L’essai, en anglais ou en français, peut porter sur un édifice particu- complex of attached buildings; a specific building type (examined lier, contemporain ou historique, proposé ou déjà existant ; sur un for its historical, functional, structural, or aesthetic importance); complexe de bâtiments reliés ; sur un type de bâtiments (examiné cultural landscape (parks, cemeteries, farms, etc.); the life of a d'après son importance historique, fonctionnelle, structurale ou person who has influenced the built environment; or a philosophi- esthétique); sur les paysages culturels (les parcs, les cimetières, les cal, sociological, or historical issue related to the built environment. fermes, etc.); sur la vie d'une personne qui a influencé Architectural projects that do not strictly comply with the above l'environnement bâti; ou sur un problème philosophique, criteria shall be rejected. sociologique ou historique rattaché à l'environnement bâti. Les Submissions must be presented in hard copy, double-spaced, and projets architecturaux ne seront pas acceptés à moins d'être contain from 3000 to 5000 words. The use of visual material is conformes aux exigences énumérées ci-dessus. encouraged but their printed format should not exceed 8 x 10 Les soumissions, de 3000 à 5000 mots, doivent être transmises sur inches (20 x 25 cm). If applicable, submissions must be accompa- papier, à double interligne. L'utilisation de matériel visuel est nied by endnotes and a bibliography, and be supported by concep- encouragée si celui-ci, en format imprimé, n'excède pas 20 x 24 cm tual framework in accordance with current standards. Essays will (8 par 10 po). Les soumissions doivent être accompagnées, lorsque be evaluated according to originality and innovative nature of the applicable, de notes et d'une bibliographie et étayées par un appar- subject, as well as accuracy, relevancy of methodology, and writing eil conceptuel conforme aux règles de l’art. Elles seront évaluées en style. fonction de l’originalité et du caractère novateur du sujet, de la Essays should be sent sent by March 1st, 2010, at the précision et de la pertinence de l’appareil méthodologique et de la following address: qualité de la langue. Les essais doivent parvenir au plus tard le 1er mars 2010, Martin Drouin à l’adresse suivante : Institut du patrimoine, Université du Québec à Montréal C.P. 8888, succ. Centre-ville Montréal (Québec) H3C 3P8 Canada

La Société pour l’étude de l’architecture au Canada est une société savante que se The Society for the Study of Architecture in Canada is a learned society devoted to consacre à l'examen du rôle que joue l'environnement bâti dans la société canadienne. the examination of the role of the built environment in Canadian society. Among its Parmi ses membres se trouvent des ingénieurs en structure, des architectes de paysage, members are structural engineers, landscape architects, architectural historians, urban des historiens de l'architecture, des historiens en urbanisme, puis des urbanistes, des historians, urban planners, sociologists, ethnologists, and experts in such fields as sociologues, des folkloristes et des spécialistes dans des domaines tels la préservation du heritage conservation and landscape history. Created in 1974 by Martin Eli Weil, a patrimoine et l'histoire du paysage. Fondée en 1974 sous la direction de l'architecte en conservation architect, this national Society is mainly interested in all forms of the conservation Martin Eli Weil, la Société est une association nationale dont l'intérêt se Canadian built environment. concentre sur l'environnement bâti du Canada sous toutes ses formes. www.canada-architecture.org www.canada-architecture.org Collection Cahiers de l’Institut du patrimoine de l’UQAM

Déjà 8 titres !/Already 8 titles! Le Forum canadien de recherche publique sur le patrimoine, réseau stratégique de recherche d’observation, d’information et de concertation, subventionné par le CRSH (2008-2015) et logé à l’Institut du patrimoine de l’UQAM, aspire à réunir décideurs et chercheurs de tous milieux dans la conception d’un dialogue entre l’expertise (qui choisit le patrimoine) et ces collectivités (qui le vivent), en rendant disponibles les résultats de la recherche et en intégrant celles sur le patrimoine et sur les représentations culturelles, la décision et l’utilisation (par le public) du patrimoine, afi n d’à la fois résoudre des problèmes multisectoriels et pancanadiens et d’être en mesure de décliner une force nationale pour résoudre des problèmes locaux. Cela sera fait, d’abord, autour de trois grands « chantiers », problèmes prépondérants 1 2 3 qui recouvrent nos expertises et nos préoccupations : l’avenir du « patrimoine religieux », celui du patrimoine moderne et, dans une perspective plus théorique, la formation de la mémoire patrimoniale des Canadiens.

The Canadian Forum for Public Research on Heritage, a strategic knowledge cluster and network for research, observation, information, and cooperation, with SSHRC’s support (2008-2015) and hosted by UQAM’s Institut du patrimoine, hopes to bring together decision makers and researchers in all areas PAYSAGES CONSTRUITS : PATRIMOINE ET PATRIMONIALISATION LES TEMPS DE L’ESPACE for dialogue among experts (those who designate heritage) and the local communities (those who live MÉMOIRE, IDENTITÉ, IDÉOLOGIE DU QUÉBEC ET D’AILLEURS PUBLIC URBAIN : it). To do so, it makes results available and integrates research on heritage and cultural representations, CONSTRUCTION, decisions, and the public use of heritage in order to both solve multisectoral and Canada-wide problems TRANSFORMATION and build a national force to solve local problems. To begin, the focus will then be placed on three main ET UTILISATION areas/critical problems in our areas of expertise and concerns: “religious heritage”, “modern heritage”, Prix and, in a more theoretical vein, “canadian heritage memory”, e.g., understanding heritage through its Phyllis-Lambert narratives and as etched on the memory of Canadians. Prize 2007 www.patrimoine-canada.ca 4 5 6

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Canadian Forum for Public RESEARCH IN MUSEUM EDUCATION : Research on Heritage ACTIONS AND PERSPECTIVES

Royal Ontario Museum : Daniel Libeskin / Bregman + Hamann Architects (photo : Thomas Coomans) + Hamann Architects Royal Ontario Museum : Daniel Libeskin / Bregman www.multim.com ) 2009 ( 2 O JSÉAC / JSSAC N 34, LUNENBURG May 26-29, 2010 | 26-29 mai 2010 ARCHITECTURE CANADA in/au

15 $ 15$ VOL.34 > No 2 > 2009