La Béotie et la mer Leandro Coste

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Leandro Coste. La Béotie et la mer. Histoire. 2019. ￿dumas-02477155￿

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La Béotie et la mer Mémoire de Master 2

Leandro Coste Sous la direction de Septembre 2019 Christophe Chandezon

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Remerciements

À l’issue de ces deux années de master, j’ai enfin le plaisir de me retourner pour voir le chemin accompli et je ne peux que constater qu’il n’a pas été fait seul. J’ai été sans cesse bien accompagné et ce qui pourrait ressembler à un travail solitaire me voit redevable à de nombreuses personnes. Je me dois ici de les remercier le plus sincèrement possible. En premier lieu, je souhaite exprimer toute ma gratitude à mon directeur M. Christophe Chandezon. Dès mes années de licence d’Histoire, j’ai toujours eu réponse à mes sollicitations, m’aiguillant notamment dans mon intérêt naissant pour la Béotie, jusqu’à me proposer ce sujet. Les deux années suivantes, j’ai toujours pu compter sur sa patience et son soutien pour mon mémoire, mais également pour des matières plus diverses telles que le stage ou en me donnant des lettres de recommandations lorsque j’en ai eu besoin. Pour cela et tout le reste, qu’il soit chaleureusement remercié. Mme Hélène Ménard, qui a offert à plusieurs élèves de notre promotion l’opportunité de présenter notre sujet devant les étudiants de M1. Ses conseils m’ont été fort utiles tout comme ses recommandations bibliographiques. Je pense ensuite aux élèves qui étaient en cours avec moi au cours de ces deux années de Master. J’ai une pensée notamment pour Amandine et Raphaël, avec qui j’ai partagé l’essentiel des trajets quotidiens entre Béziers et Montpellier, et Florian, dont la présence en bibliothèque au cours des mois de rédaction fut source de motivation. Je remercie également Axel et Dounia qui, outre de nombreux conseils, m’ont offert leur aide, respectivement pour la conception de cartes et pour des traductions grecques. Enfin, je dois remercier de tout mon cœur Sam, Nina, Étienne et Hélène, pour avoir relu ce mémoire et contribué à l’améliorer par leurs nombreuses remarques.

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Sauf indication contraire, toutes les dates mentionnées dans ce mémoire doivent être entendues comme étant « avant J.C. ».

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Introduction

Les Grecs sont généralement présentés comme un peuple de marins et si cette image est à nuancer1, il est indéniable que les Grecs ont côtoyé la mer comme peu de leurs contemporains. De cette culture de la mer, l’Athénien serait le modèle et, comme dans de nombreux cas, le Béotien ferait figure d’antithèse. L’étude de la Béotie par le prisme de la mer peut en effet sembler paradoxale tant elle transparaît comme une région terrestre. La Béotie dispose d’espaces propices aux pratiques agricoles tant autour de Thèbes et de sa plaine Ténérique que sur les berges du lac du Copaïs. Elle apparaît alors comme un pays bien plus fertile que l’Attique2, sa voisine orientale, et dispose en conséquence d’une riche aristocratie foncière avec une culture équestre développée3. De cet attachement à la terre et ses valeurs associées, le meilleur exemple est assurément Hésiode dont la vie est rythmée par le travail des champs dans le respect des dieux. Pourtant, la mer est bien présente en Béotie, par deux fois même. Celle-ci dispose d’un littoral sur le golfe de Corinthe au sud, et d’un autre au nord sur le canal d’Eubée, ce dernier étant lui-même divisé en deux parties par le détroit de l’Euripe, entre le continent et l’île d’Eubée. Si la position de la Béotie vis-à-vis de la mer a souvent été négligée par les Modernes et les Anciens, elle ne l’a pas toujours été, comme on peut notamment le voir chez Éphore de Cumes, cité par Strabon, qui déclare que « la supériorité de la Béotie sur les pays limitrophes réside à la fois dans cette fertilité et dans le fait que, seule, elle est baignée par trois mers et dispose de ports en plus grand nombre »4. Il s’agit alors de déterminer quelle peut être la relation de la Béotie à son littoral, et plus largement à la mer.

1 Voir CORVISIER J. N., Les Grecs et la mer, p. 9. 2 Comme le note Strabon, Géographie, IX, 2, 1. 3 On peut notamment voir GARTLAND S. D., Geography and History in , p. 58-61. 4 Strabon, IX, 2, 2 : « Ἔφορος δὲ καὶ ταύτῃ κρείττω τὴν Βοιωτίαν ἀποφαίνει τῶν ὁμόρων ἐθνῶν καὶ ὅτι μόνη τριθάλαττός ἐστι καὶ λιμένων εὐπορεῖ πλειόνων ». 5

La Béotie en Grèce centrale5

La Béotie est une région historique de la Grèce mais il s’agit ici de préciser ce qui la définit. Pour ce faire, il est possible de s’appuyer sur la définition des Béotiens que propose Henri van Effenterre6 : « Au sens banal, c’étaient les habitants des diverses cités de la Béotie, groupées par moment en Confédération ». Cette définition a pour qualité d’être la plus simplificatrice possible tout en restant en tout point véridique. Ainsi, en suivant la réciproque de ce raisonnement, on pourrait logiquement définir la Béotie en disant qu’il s’agit de la région7 habitée par les Béotiens parfois groupés en Confédération. Définir la Béotie par ses habitants fait particulièrement sens car ce sont eux qui ont donné leur nom à la région et non l’inverse : « Béotien » serait un ethnique porté par les envahisseurs Doriens8 tel que le rapporte Thucydide9. Si l’on admet que la Béotie est la région habitée par les Béotiens, il faut se demander où habitent les Béotiens. Face à cette question émergent deux réponses, représentant deux réalités distinctes.

5 Carte en domaine public pouvant être trouvée sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ancient_Regions_Central_Greece.png (visité le 11/08/19). 6 Les Béotiens, p. 31, où il ne s’agit en réalité que du point de départ d’une réflexion plus large permettant d’envisager les multiples réalités qui se cachent derrière le terme. 7 Cette définition toute personnelle repose sur une réciproque artificielle : la notion de « cité » a disparu au profit de celle de « région », sémantiquement plus unificatrice. C’était néanmoins une nécessité pour ne pas définir la Béotie comme étant toutes les cités où vivent des Béotiens, Plutarque vivant à Delphes n’a pas fait de celle-ci un sanctuaire béotien. 8 GIOVANNINI A., Étude historique sur les origines du catalogue des vaisseaux, p. 46-47. 9 I, 12. 6

Une première Béotie « historique » apparaît fixe, figée par la tradition et unie par des traits culturels. Ses frontières sont relativement bien établies : au sud-est, la frontière part du golfe de Corinthe en suivant les monts du Cithéron qui séparent la Béotie de la Mégaride et rejoint alors le massif du Parnès qui délimite la frontière avec l’Attique. La séparation entre la Béotie et la région d’Oropos est elle plus floue : elle prend la forme d’une zone de confins sud-nord descendant du Parnès vers le golfe d’Eubée et rejoignant à peu près l’embouchure de l’Asopos. Au sud-ouest, la frontière passe par le versant occidental de l’Hélicon, la Phocide étant au-delà dans la vallée du Parnasse. Puis cette frontière forme une boucle qui englobe le lac du Copaïs et les cités le bordant, la Locride orientale se trouvant au nord, séparée par le petit massif du Chlomo. Au nord et au sud, le golfe d’Eubée et le golfe de Corinthe constituent des frontières naturelles. Il s’agit des limites de la Béotie historique que l’on retrouve déjà en partie dans le Catalogue des Vaisseaux d’Homère10 et qui présente quelques traits homogènes tels que son dialecte béotien. La région fait dans les 2 000 km², avec environ 50 kilomètres dans l’axe sud-ouest/nord-est11 et autant dans l’axe sud-est/nord- ouest12.

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La Béotie et ses frontières historiques13

10 Iliade, II, v. 484-516, Homère y distingue cependant les Béotiens des Minyens, dans la région d’Orchomène. 11 La distance à vol d’oiseau entre Creusis et Chalcis. 12 Entre Platées et Chéronée. 13 BALADIÉ R., Strabon Géographie IX, Cartes (hors texte). Carte modifiée personnellement. 7

Face à cette définition existe une deuxième réalité de la Béotie, politique cette fois-ci : c’est la Confédération béotienne, qui a existé de façon quasi-continue entre le Ve et la première moitié du IIe siècle avant J. C. Il s’agit d’un Koinon, une communauté de cités partageant des institutions, des lois, une monnaie, des fêtes et donc une identité commune. C’est un vecteur identitaire fort qui a valeur tant en Béotie qu’à l’extérieur faisant de la qualité de « Béotien » un synonyme récurrent de « citoyen du Koinon des Béotiens ». Bien que ces deux définitions se superposent et se complètent l’une l’autre, elles correspondent à des réalités différentes. Alors que la Béotie historique est figée, la Confédération béotienne est amenée à évoluer et peut s’agrandir de façon à inclure des cités extérieures (à l’image de Chalcis, sur l’île d’Eubée) ou elle peut à l’inverse ne pas intégrer des cités béotiennes telles que Thèbes, qui en fut exclue au tournant du IIIe siècle.

Ce sont ces deux réalités de la Béotie qui doivent être prises en compte dans l’intitulé « La Béotie et la mer » et qui définissent le cadre spatial de cette étude. Si l’échelle spatiale peut être fluctuante en fonction du contexte politique étudié, elle implique nécessairement une Béotie historique figée qui doit également être prise en compte. Dans la mesure où il est question des rapports de la Béotie à la mer dans les périodes historiques, c’est l’histoire béotienne et celle de sa Confédération qui donnent les bornes chronologiques à ce mémoire. En effet, bien que le Koinon se soit progressivement formé dès la période Archaïque14 et qu’il ait pu réapparaître dans une forme diminuée au cours de la basse époque hellénistique15, ce sont ce que l’on appelle traditionnellement les première, deuxième et troisième Confédérations béotiennes qui serviront ici de trame chronologique à cette étude. Ces trois formes du Koinon prennent place entre 447 et 172 avant J.C., et c’est cette constante institutionnelle qui donne une partie de sa cohérence à l’objet historique étudié. Avant 447, nous considérons que le processus d’unification de la Béotie n’est pas encore achevé16 et après 172, on peut estimer que l’intégration progressive de la Béotie à l’Empire romain modifie trop en profondeur son organisation régionale. Il s’agit néanmoins de dates fixes qui, si elles font sens pour les questions politiques, doivent être envisagées avec plus de souplesse sur les autres sujets. Ainsi, pour traiter des questions économiques, cultuelles ou culturelles, seront à l’occasion considérées des sources remontant à la période Archaïque et pouvant aller jusqu’à la fin de la période hellénistique.

14 BUCK J., History of Boeotia, p. 107-121. 15 MÜLLER Chr., « A Koinon after 146 ? », p. 122-130. 16 Le choix de cette date fait sens mais comporte néanmoins une part d’arbitraire, le processus d’unification se poursuivant certainement encore dans les décennies suivantes. 8

L’étude des rapports qu’entretenaient les Grecs à la mer est un champ historique régulièrement renouvelé. Les Grecs et la mer, livre de Jean Nicolas Corvisier, fait figure d’ouvrage de référence sur ce sujet et ce mémoire s’y rattache à plus d’un égard — et notamment par son titre. Cependant, la mer des Béotiens ne constitue pas le grand large que pouvaient connaître la plupart des Grecs mais prend la forme d’un horizon en grande partie limité à celui des golfes qu’ils bordent. Le golfe de Corinthe et le canal d’Eubée constituent des espaces riches où les Béotiens côtoient à toutes les époques plusieurs puissances maritimes qui y ont leurs propres intérêts que ce soit l’Eubée « célèbre par ses navires »17, Corinthe et sa position sur l’Isthme, les thalassocraties athénienne et macédonienne voire l’Étolie et ses pirates au IIIe siècle. De plus, bien que les golfes de Corinthe et d’Eubée forment deux bras de mer débouchant sur la mer Ionienne et la mer Égée, cette communication se fait par des détroits ce qui peut compromettre l’accès des Béotiens à la haute-mer, que les Grecs appellent πέλαγος. Malgré cette situation délicate, ces golfes constituent des voies d’échanges importantes auxquelles les Béotiens sont néanmoins intégrés. Il s’agit donc de voir ici le rapport que les Béotiens pouvaient entretenir avec ces espaces maritimes, celui-ci se construisant entre marginalité et intégration, intérêts généraux et particuliers, ambitions panhelléniques et échanges culturels privés.

Pendant longtemps les historiens spécialistes de la Béotie ont ignoré ou négligé son rapport à la mer. Si des fouilles ont été entreprises sur des petits sites portuaires béotiens comme celui d’Anthédon en 188918, elles n’ont que peu influé sur la recherche historique d’alors qui ne s’intéressait qu’aux aspects événementiels de l’histoire béotienne. Il fallut attendre la première moitié du XXe siècle pour que l’étude des ports béotiens soit envisagée. C’est William Heurtley qui a ouvert la voie avec son article « Notes on the Harbours of South Boeotia » en 1925, où il envisage les échanges économiques que pouvait connaître la Béotie dans le golfe de Corinthe à l’époque Mycénienne en contextualisant les fragments de céramiques trouvés dans les sites portuaires. Si cet article sort de la période étudiée, il a une influence certaine sur la recherche ultérieure et doit à cet égard être relevé. C’est ensuite en 1933 que Gustave Glotz, dans son article « Un Carthaginois à Thèbes en 365 avant J.C », met en relation un décret de proxénie honorant un Carthaginois avec la politique navale d’Épaminondas. C’est ce même sujet qui est développé plus en profondeur par Franco Carrata-Thomes près de 20 ans plus tard avec son Egemonia Beotica e potenza marittima nella politica de

17 Homère, Hymne à l’Apollon Délien, v. 31 et 219. 18 BUCK, C.D. « Discoveries at Anthedon in 1889 », p. 443-460. 9

Epaminonda publié en 1952. L’année suivante, Pierre Salmon consacre une partie de son article « L’Armée fédérale béotienne » au fonctionnement de la flotte et du navarque. C’est donc par le biais du champ politique et militaire que la mer est rentrée dans le domaine des études béotiennes. Il faut attendre une nouvelle génération de chercheurs pour que l’approche maritime de la Béotie soit renouvelée. Paul Roesch s’est intéressé pendant plus de trente ans à des aspects variés de l’histoire béotienne, principalement par le biais de l’épigraphie. On peut notamment relever son Thespies et la Confédération béotienne en 1965 où il aborde entre autres la question de certaines magistratures civiques liées à la mer et ses Études Béotiennes en 1983 qui se présentent comme une synthèse hétérogène des multiples sujets de recherche auxquels il s’est consacré. Denis Knoepfler, en tant qu’épigraphiste spécialiste de la Béotie et de l’Eubée, s’est quant à lui intéressé dans plusieurs articles aux ports de part et d’autre du golfe Euboïque, et notamment leurs échanges19. Aujourd’hui, on voit de nombreux chercheurs influencés par Paul Roesch et Denis Knoepfler s’intéresser à des sujets divers touchant à l’histoire béotienne à l’image de John Michael Fossey, Fabienne Marchand, Christel Müller et dont les plus jeunes représentants sont Yannis Kalliontzis, Thierry Lucas ou Samuel Gartland notamment. Tous mettent largement à profit l’épigraphie et peuvent ainsi aborder des thématiques maritimes à l’occasion. La mer n’est cependant jamais au centre de leurs préoccupations ce qui laisse de nombreuses questions dans l’ombre qu’elles soient économiques, culturelles ou cultuelles. De plus lorsque des spécialistes de l’histoire événementielle abordent la politique navale béotienne20 ce n’est souvent que dans le cadre du programme naval d’Épaminondas qui, s’il en est l’exemple le plus éclatant, n’est pas un épisode isolé. De fait, c’est ce vide historiographique qui donne sa légitimité à ce sujet.

La Béotie est indéniablement une puissance continentale. Mais que ce soit dans les questions politiques, économiques ou sociétales, la mer n’apparaît jamais totalement délaissée, en raison même de la situation géographique de la Béotie. La mer est une réalité du paysage béotien et par conséquent, elle est également présente dans la vie de ses habitants. Notre objectif sera de comprendre comment les Béotiens se sont adaptés à la mer, comment ils vivent avec mais aussi vivent d’elle, et dans quelle mesure ils ont souhaité mettre à profit leur position maritime. En somme, retrouver tout ce qui fait de la Béotie un pays maritime. Pour répondre à cette problématique, ce mémoire s’organise en trois parties thématiques : - La première est purement géographique et vise à étudier le littoral béotien plus en détail, son intégration à l’intérieur du pays et ses liens avec l’extérieur.

19 Voir notamment Hyettos de Béotie en 1976 ou « Inscriptions de Béotie Orientale » en 1986. 20 À l’image de John Buckler (The Theban Hegemony) ou Robert Buck (Boiotia and the Boiotian League). 10

- La deuxième partie s’attache à développer les questions culturelles, cultuelles et économiques. Le but est de retrouver la mer dans la vie et la mentalité des Béotiens en remontant notamment à la période Archaïque. - La dernière partie vise à retrouver la politique maritime de la Confédération béotienne de 447 à 172. Cela étant dit, il s’agit désormais d’aborder la question des littoraux béotiens, ce qui constitue notre trame de fond.

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Partie I : Le littoral béotien

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Introduction

Selon les mots d’Éphore21, la Béotie est « baignée de trois mers », particularité qui, selon le même auteur, la prédisposerait à l’hégémonie et serait donc une de ses forces. Pourtant, la Béotie, loin d’être un pays maritime, ne présente aucune cité de première importance le long du littoral et ne connut jamais de migration importante visant à se rapprocher de la mer. Quelques cités importantes disposent d’un port — à l’image de Thespies ou de Tanagra — mais celui-ci apparaît trop éloigné pour qu’on ait pu vouloir le rattacher à la ville par des Longs Murs comme cela pu être le cas à Athènes, Corinthe ou Mégare22. Ainsi, s’il y a de nombreux sites qui bordent le rivage, l’essentiel de la population béotienne habite en réalité l’intérieur des terres23. Pour mieux comprendre cette situation, il est nécessaire d’exposer brièvement la géographie béotienne. À l’image du reste de la Grèce, la Béotie est un pays montagneux mais elle se distingue de ses voisins par de vastes plaines fertiles. L’exemple le plus notable est assurément Thèbes au cœur de la plaine Ténérique, à l’est du pays, tandis que l’ouest de la Béotie est caractérisé par le lac du Copaïs avec Orchomène au nord-ouest de celui-ci. À partir de ces espaces, il est malaisé de rejoindre la mer, justement parce que des paysages montagneux les en séparent : - Le sud de la Béotie est marqué par le massif de l’Hélicon dont le sommet culmine à plus de 1700m (le plus haut de Béotie). L’accès au golfe de Corinthe depuis Thèbes ou Thespies n’est possible qu’en passant par des routes de montagne et des vallées. On débouche alors sur les trois baies qui constituent le littoral béotien méridional, avec d’est en ouest la baie de Livadostra, la baie de Dombraina — toute en longueur – et enfin la rade de Sarandi. - La côte béotienne donnant sur la façade nord du canal d’Eubée est certainement d’accès encore plus difficile, celle-ci étant séparée du centre de la Béotie par une succession de monts (le Messapion, le Ptoion) et de lacs (le Copaïs, le Paralimni). La côte, qui a néanmoins l’avantage d’être relativement proche de Thèbes, prend ici la forme d’une étroite plaine coincée entre les montagnes et la mer. À l’ouest de celle-ci, se trouve la profonde baie de Skroponéri tandis qu’à l’est on atteint l’Euripe sans difficulté. - La côte béotienne qui s’étend au sud de l’Euripe est la seule qui soit facile d’accès. La plaine Ténérique rejoint le littoral par des petites collines et on y voit notamment Tanagra, une

21 Strabon, IX, 2, 2. 22 GARTLAND S. D., Geography and History in Boiotia, p. 51, n. 150. 23 GARTLAND S. D., ibid. p. 51. 14

cité de taille moyenne qui dispose d’un bon port sur cette côte. L’ensemble de la côte est constitué de plages et ce n’est qu’à proximité de l’Euripe que l’on trouve des baies bien protégées.

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La Béotie24

Le but étant ici de contextualiser les littoraux béotiens au sein de la région, les sources pour traiter cette question apparaissent variées. Pour ce qui est des sources littéraires, Strabon et sont en toute logique les deux auteurs les plus utilisés. Strabon, géographe contemporain d’Auguste, traite de la Béotie dans la deuxième partie du livre IX de sa Géographie et s’attache notamment à décrire le littoral bordant le canal d’Eubée. Pausanias, au IIe siècle, dédie le neuvième livre de sa Périégèse à la Béotie dont il décrit dans leur plus grande proportion les côtes. Ces deux auteurs constituent les principaux témoignages sur la géographie de la Béotie ancienne mais d’autres seront aussi utilisés tels que Dionysios fils de Calliphon qui a écrit un poème géographique dans lequel il traite de la côte béotienne de Délion à Anthédon ou Hérakleidès le Critique (ou le Crétois) dont la périégèse traite de ports béotiens. En parallèle de ces sources littéraires, il sera utile de relever ce que nous apprend l’archéologie des sites portuaires béotiens. Il est rare que ces sites aient fait l’objet de fouilles extensives, soit que l’habitat moderne l’en empêche, soit qu’il y ait eu peu d’intérêt porté sur eux. Les vestiges en surface constituent néanmoins des sources non négligeables, notamment pour ce qui est du bâti portuaire qui est parfois visible25 et de façon générale, la Béotie fait l’objet de

24 BALADIÉ R., Strabon Géographie IX, Cartes (hors texte). Carte modifiée personnellement. 25 C’est par exemple le cas à Siphai. 15 chantiers internationaux de plus en plus nombreux ce qui s’applique également aux sites portuaires26. Enfin, dans la mesure où nous aborderons principalement des questions géographiques dans cette partie, nous pouvons également considérer comme sources les récits d’observateurs modernes en prenant en compte les possibles évolutions géologiques liées au temps. En ce sens, on peut notamment relever le témoignage de William Martin qui a parcouru la Béotie dans la première moitié du XIXe siècle ou, bien plus récemment, Rod Heikell qui est l’auteur d’un guide de navigation en eaux grecques constituant une référence chez les plaisanciers. Dans cette étude du littoral béotien nous aborderons dans un premier temps les eaux béotiennes et les questions liées à leur navigation, puis, plus longuement, nous analyserons en détail les ports qui constituent ce littoral pour finir par les ports voisins, auxquels sont liés les Béotiens.

26 C’est par exemple une équipe canadienne qui a fouillé Chorsiai. 16

I Les mers béotiennes

Quelles sont les caractéristiques de ces trois golfes auxquels les Béotiens ont accès ? Le golfe de Corinthe, au sud de la Béotie, prend la forme d’un bras de mer de 130 kilomètres de long et jusqu’à 32 kilomètres de large, se terminant en impasse à l’est. Dans sa partie occidentale, le golfe se resserre en un détroit de moins de trois kilomètres de large à proximité de Naupacte avant de s’ouvrir au-delà sur le golfe de Patras et la mer Ionienne. Dans leur ensemble, les littoraux du golfe sont parsemés de montagnes se jetant directement dans la mer à l’image de ce que l’on voit en Béotie. Les vents étésiens viennent principalement de l’ouest même s’ils peuvent souffler de l’est ou du nord-est27. Le golfe met en relation de nombreuses régions de Grèce, à savoir l’Achaïe dans le Péloponnèse, et au nord l’Étolie, la Locride occidentale et la Phocide. La Béotie se situe au fond du golfe, où elle dispose d’un littoral d’une vingtaine de kilomètres de long à vol d’oiseau, dans une poche que l’on appelle parfois mer Alcyonnide comprenant la Béotie au nord, la Mégaride à l’est et la péninsule de Pérachora au sud, et au-delà de laquelle se situe la cité de Corinthe. On y trouve également quelques îles inhabitées. La navigation peut se révéler ardue, sujette à des tempêtes violentes, comme en a fait les frais Pausanias à proximité du port de Creusis28. On navigue néanmoins toujours à vue et les navigateurs étant nombreux, les dangers devaient être bien connus et maîtrisés. Le golfe est traversé par une route maritime majeure qui permet de relier l’Italie et la Grande Grèce à Corinthe. Celle-ci est assurément la cité la plus importante du golfe auquel elle donne son nom car constituant l’accès le plus facile pour rejoindre le golfe Saronique en traversant l’Isthme. L’essentiel des routes maritimes du golfe conduisent ainsi à Corinthe mais on peut également relever d’autres cités majeures telles que Sicyone, sa voisine, Naupacte, à l’entrée du détroit, le sanctuaire de Delphes avec son port de Kirra, ou Mégare qui y dispose de quelques ports.

27 HEIKELL R., Grèce – Mer Ionienne, p. 156. 28 Pausanias, IX, 32, 1. 17

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Les golfes de Corinthe et de Patras29

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La mer Alcyonide (avec la Béotie au nord)30

29 HEIKELL R., Grèce – Mer Ionienne, p. 157. 30 HEIKELL R., Grèce – Mer Ionienne, p. 173. 18

À l’opposé du golfe de Corinthe, la Béotie donne sur le canal d’Eubée, un bras de mer séparant la Grèce continentale de l’île d’Eubée et faisant environ 130 kilomètres de long. Il s’agit également d’une route commerciale majeure entre le nord et le sud de la Grèce. En effet, passer par le versant oriental de l’île d’Eubée implique une navigation difficile, le long d’une côte inhospitalière et comptant peu d’abris31 alors que le canal d’Eubée comporte de nombreux sites bien protégés, notamment dans son côté continental, Béotie comprise. La meilleure façon de naviguer en Égée se faisant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, le canal d’Eubée est communément traversé du nord au sud32 et il s’agissait donc de la voie principale pour se rendre de Macédoine vers l’Attique. L’entrée dans la partie nord du golfe d’Eubée se fait par un bras de mer que l’on appelle aujourd’hui chenal d’Oreil. Il sépare l’Eubée de la Thessalie et fait une trentaine de kilomètres de long pour se réduire fréquemment à moins de quatre kilomètres dans sa largeur et il est donc facilement contrôlable par les cités qui le bordent, la plus importante étant Histiée/Oréos. Il permet également d’accéder au golfe Pagasique où est fondée Démétrias au IIIe siècle. Le chenal débouche finalement sur le golfe Maliaque, puis continue le long de la Locride orientale jusqu’en Béotie. Le meltem souffle du nord et permet de naviguer sans problème dès le printemps mais pendant l’hiver, de violentes tempêtes peuvent survenir dans le canal33. Là encore, la Béotie dispose d’une vingtaine de kilomètres de littoral. La navigation le long des côtes béotiennes ne paraît pas dénuée de risques comme le montre un épisode malheureux que connut Antigone Dôsôn34. Celui-ci, naviguant avec sa flotte au large de Larymna, est frappé par un reflux extraordinaire (« παραδόξου γενομένης ἀμπώτεως ») et ses navires échouèrent sur le rivage. Les courants pouvaient donc être violents comme les coups de vent et on peut d’ailleurs noter que le niveau de l’eau a augmenté d’au moins 1, 50 mètres depuis la période hellénistique35.

31 BRESSON A., L’économie des cités grecques II, p. 165 32 GARTLAND S. D., Geography and History in Boiotia, p. 50. 33 HEIKELL R., Grèce – Mer Égée, p. 129. 34 Polybe, XX, 5, 7. 35 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 101. 19

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Le golfe Euboïque nord36

En naviguant vers le sud, le golfe d’Eubée se resserre pour former le détroit de l’Euripe, entre la Béotie et la cité eubéenne de Chalcis. Celui-ci faisait environ 60 mètres de large37 et était réputé pour ses marées. En effet, pour chaque lunaison, il y a 22 ou 23 jours où l’Euripe fait l’objet de marées normales et où le courant change de sens toutes les six heures. En revanche, lorsque la lune est dans son premier quartier, pendant trois jours l’Euripe est touchée par des marées bien plus nombreuses avec son courant qui change de sens sept fois par jour et par nuit et cela se reproduit pendant encore trois jours lors du dernier quartier de la lune. Ce phénomène, qui reste encore aujourd’hui mal expliqué38, intéressait déjà beaucoup les anciens39. Il semble que les marées de l’Euripe, malgré leur force accentuée par l’étroitesse du détroit, n’ont pas constitué un obstacle

36 HEIKELL R., Grèce – Mer Égée, p. 147. 37 Strabon, IX, 2, 2 parle d’un pont de deux plèthres de long reliant les deux berges. 38 Il s’explique vraisemblablement par la superposition de multiples facteurs à savoir le mouvement de la lune au-dessus de l’Égée, la position de l’Euripe au sein du canal d’Eubée ainsi que sa latitude, la forme du canal et le fait que ses deux parties soit interconnectées par la mer Égée. Le mouvement des marées dans l’Égée atteindrait le canal d’Eubée par son entrée nord et sud mais la longueur inégale des deux bras de mer fait que l’Euripe est touchée par des mouvements de flux et reflux inversant le courant successivement. Voir AIGINITIS D., Le problème de la marée de l’Euripe. 39 Strabon, I, 3, 12 décrit ce phénomène tandis que Socrate, chez Platon (Phédon, 90), compare les raisonnements des sophistes aux flux et reflux de l’Euripe. 20 important pour les navigateurs40 qui pouvaient, en étant prudents, rejoindre facilement la partie sud du canal d’Eubée.

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Le détroit de l'Euripe41

En poursuivant vers le sud, on trouve un détroit un peu plus large, le Sténo, à proximité du port béotien d’Aulis, où ici le niveau de la mer a reculé42. La côte béotienne se poursuit sur environ 15 kilomètres, avant de laisser place à l’Oropie et enfin à l’Attique. Le golfe s’ouvre alors sur la mer Égée au niveau de la plage de Marathon. Il ne semble pas que cette partie ait présenté des difficultés de navigation notable.

40 GARTLAND S. D., Geography and History in Boiotia, p. 48. 41 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications, p. 134. 42 GHILARDI M. « Geoarchaeology of Ancient Aulis », p. 2080. 21

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Le golfe Euboïque sud43

Les Béotiens bordent ainsi deux littoraux indépendants mais qui constituent tous deux des voies de navigation importantes dans le monde grec. Au-delà de ce dynamisme, il faut surtout relever que les Béotiens partagent avec Chalcis le contrôle de l’Euripe, une position à l’intérêt stratégique majeur. Il s’agit maintenant de voir plus en détail les cités qui composent ces littoraux.

43 HEIKELL R., Grèce – Mer Égée, p. 134. 22

II Les ports béotiens

Nous allons ici présenter successivement les ports béotiens bordant les deux golfes. Pour ce faire, nous aborderons d’abord les sites portuaires du golfe de Corinthe, d’est en ouest puis ceux du canal d’Eubée, en suivant la même direction, comme aurait pu le faire un ancien périégète44.

La Béotie et la mer

44 C’est d’ailleurs le trajet que fit Pausanias le long du golfe de Corinthe et celui que fit Dionysios fils de Calliphon dans son Poème géographique remontant le canal d’Eubée. 23

A- Le golfe de Corinthe

La Béotie dispose d’environ 20 kilomètres de littoral à vol d’oiseau sur le golfe de Corinthe. Cette côte est divisée en trois baies, avec d’est en ouest : la baie de Livadostra avec le port de Creusis, celle de Domvrena où se trouvent Siphai et Thisbé et enfin la rade de Sarandi avec Chorsiai.

Creusis

Sur la côte béotienne donnant sur le golfe de Corinthe, au fond de la baie de Livadostra et sur l’emplacement de l’actuelle Livadostro45, se trouve le site antique de Creusis qui servait de port à la cité de Thespies. Il s’agit du site le plus oriental de Béotie et par conséquent le plus proche de la Mégaride.

45 Livadostra désigne le nom de la baie alors que Livadostro désigne le nom de la rivière qui débouche dans la baie. Les deux noms peuvent indéfiniment désigner le village qui se situe à l’embouchure de la rivière, sur la baie. 24

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Creusis et la région de Thespies46

1) Données topographiques

Creusis prend place à l’embouchure de la rivière Oeroé — aujourd’hui appelée Livadostro —, entre le mont Korombili à l’ouest, qui le sépare de Siphai et du Cithéron à l’est, au- delà duquel se trouve Aigosthènes. L’étroite vallée ainsi formée se termine par une petite plaine triangulaire avec une plage d’un kilomètre de long : c’est dans cet espace que se trouvait Creusis. Aujourd’hui, la plage apparaît encore encadrée par deux anciens ouvrages défensifs avec à l’ouest, les vestiges d’une forteresse classique au sommet d’une acropole alors qu’à l’autre extrémité de la plaine apparaît encore visible une tour médiévale dressée sur une petite colline. Les découvertes archéologiques ont été faites en très grande majorité autour de ces deux éléments étant donné que la plaine jouxtant la plage est couverte de maisons modernes47.

46 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 134. 47 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I9, p. 12. 25

Ces fouilles indiquent que le site de Creusis était occupé de façon continue entre la période préhistorique et l’époque romaine tardive mais que les deux sites ont été utilisés successivement : sur le site de la tour médiévale, les découvertes, notamment de céramiques, datent de l’Helladique ancien, moyen et récent, puis de l’époque archaïque, classique, hellénistique et romaine48. Autour de la forteresse classique, le matériel trouvé indique une présence qui remonte à l’époque archaïque et couvre la période classique et hellénistique jusqu’à une période romaine tardive. Le site de Creusis lui-même devait prendre la forme d’un village présentant un réel habitat groupé sous forme nucléaire49, collé ou à proximité de la mer, et donc en contact direct avec son port50. Le village disposait d’assez d’espace à l’arrière de la plaine pour s’adonner à l’agriculture51 tandis que les monts alentours sont propices aux pâturages. Pausanias, qui a vraisemblablement personnellement visité Creusis, explique qu’il n’y a aucun monument public notable dans le port52. Il semble que Creusis n’a jamais été indépendante ni autonome53 et qu’elle a donc toujours été intégrée à une cité plus importante qui est Thespies la plupart du temps. Aucune source ne parle de Creusis comme d’une cité et plusieurs auteurs tardifs la décrivent comme étant le port de Thespies : c’est le cas de Pausanias54, ou de Strabon55. Si ce sont des sources d’époque romaine, il est avéré que le contrôle qu’exerçaient les Thespiens sur Creusis devait être fort à l’époque hellénistique étant donné qu’à la fin du IIIe siècle, au temps de la Troisième Confédération béotienne, Thespies nommait des magistrats pour l’administration du port de Creusis56. À l’époque classique, le contrôle qu’exerçait Thespies sur le littoral béotien apparaît plus étendu encore étant donné qu’elle disposait de Siphai57, port plus éloigné, et devait de fait également contrôler Creusis. Les seuls moments où Creusis ne devait plus dépendre de Thespies étaient ceux où cette dernière perdait elle-même toute liberté au profit de Thèbes comme ce fut le cas à la fin du IVe siècle ou au temps de l’hégémonie thébaine. Creusis devait alors connaître le même sort que sa puissante voisine et tomber dans le territoire thébain. Ainsi, les bouleversements territoriaux qui accompagnaient les passages de la première à la deuxième forme du Koinon ou de la deuxième à la troisième, ne devaient

48 Ibid. 49 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 163. 50 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 56. 51 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 163. 52 ΙΧ, 32, 1 : τοῖς δὲ ἐν Κρεύσιδι, ἐπινείῳ τῷ Θεσπιέων, οἰκοῦσιν ἐν κοινῷ μέν ἐστιν οὐδέν. 53 ROESCH P., Thespies, p. 55. 54 IX, 32, 1. 55 IX, 2, 14. 56 Comme l’indique la présence des λιμέναρ[χυ] ἐν Κρεῦσ[ι]ν de la « stèle des magistrats de Thespies » (IThesp, n°38). 57 Thuc., IV, 76. 26 jamais toucher l’autonomie de Creusis qui ne faisait que basculer de la prédominance thébaine à celle de Thespies.

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Le site de Creusis58

2) Situation maritime

La baie de Creusis est généralement présentée comme mauvaise pour la navigation car très exposée aux vents violents. En effet, ouverte en direction du sud, la baie se trouve dans le prolongement direct de la vallée séparant le Korombili du Cithéron et est donc sujette à de puissants vents de couloirs venant des hauteurs. W. A. Heurtley, qui a décrit les ports de la côte sud de la Béotie en 1923, a rencontré ces difficultés en navigant dans la baie et rapporte les variations

58 ROESCH P., Thespies, p. 219. 27 climatiques qui touchent la zone59. Dès l’Antiquité, ces phénomènes étaient déjà présents, signe qu’ils ne sont pas dûs à une évolution naturelle du milieu. Pausanias explique que le voyage depuis le Péloponnèse jusqu’à Creusis est venteux et agité, qu’il est impossible de faire le trajet en ligne droite étant donné que des caps jaillissent de l’eau et qu’en plus le vent souffle depuis les montagnes60 — ce qui rend effectivement plus difficile un voyage vers Creusis depuis le sud. Un épisode célèbre rapporté par Xénophon expose comment l’armée spartiate de Cléombrote emprunta la route terrestre venant de Thespies et fut surprise par une tempête alors qu’elle était en haut de la montagne qui surplombe Creusis, le vent faisant alors dégringoler les ânes chargés de matériel et jetant dans la mer les armes et boucliers des soldats61. Alors que ces récits laisseraient entendre que Creusis est un port trop mauvais pour être utilisé, il n’en est rien, les habitants ayant vraisemblablement appris à éviter ces dangers dans leurs navigations et il apparaît même que le site a été largement exploité au cours de la période antique. Le fait que Creusis a été continuellement occupé de la période archaïque à la période romaine constitue déjà un indice révélateur de l’intérêt que pouvait représenter le site pour les Béotiens et notamment son port. La présence de la forteresse traduit également l’importance du port à l’époque classique. Celle-ci constitue la trace la plus visible d’une occupation antique dans la baie de Livadostra et se trouve sur l’extrémité ouest de la plage. Elle a été amplement étudiée par Fossey et Gauvin et nous renverrons donc à leur étude pour ce qui relève de la description de la forteresse62. La forteresse se trouve sur une petite colline qui domine de 30 à 40 mètres la plaine environnante. Elle prend la forme d’un losange écrasé de 110 m dans son axe principal nord-est/sud-ouest pour un périmètre de plus de 300 m63, et dont l’extrémité sud-ouest s’achève au niveau de la mer. Il y aurait deux entrées dans la forteresse, une première au sud-ouest — parfaitement visible aujourd’hui — permet d’accéder à ce qui serait le port antique, du côté opposé à la plaine. Une autre porte sur le côté nord-ouest et faisant face à la première est décrite par Paul Roesch64 qui a

59 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 39 : « It was my experience to witness both the windless and almost unnatural calm which gave this sea its name, and one of the storms which made it notorious in antiquity ». 60 IX, 32, 1 : πλοῦς δὲ ἐς Κρεῦσίν ἐστιν ἐκ Πελοποννήσου σκολιός τε καὶ ἄλλως οὐκ εὔδιος· ἄκραι τε γὰρ ἀνέχουσιν ὡς μὴ κατ’ εὐθὺ τῆς θαλάσσης πε-ραιοῦσθαι καὶ ἅμα ἐκ τῶν ὀρῶν καταπνέουσιν ἄνεμοιβίαιοι. 61 Hell., V, 4, 16-18 62 FOSSEY J.M., GAUVIN G., « Livadhostro : Un relevé topographique des fortifications de l’ancienne Kreusis ». 63 Ibid., p. 77 64 ROESCH P., Thespies, p. 219. 28 visité la forteresse mais elle est aujourd’hui introuvable, car une route moderne a été construite sur son emplacement, entraînant sa destruction ainsi que celle d’une partie de la muraille65. Le port devait se trouver à proximité immédiate de la forteresse, certainement à l’ouest de cette dernière comme l’indique Roesch qui y a vu les traces d’un quai antique66. Si Fossey et Gauvin ne sont pas parvenus à retrouver ce quai, ils admettent néanmoins que la plage à l’ouest de la forteresse est plus propice à accueillir les navires que la partie de la plaine, à l’est, où l’embouchure du fleuve Livadostro rend la zone marécageuse67. Selon l’hypothèse de Roesch, la présence de la forteresse doit directement être liée à l’arrivée des navires dans le port68. En effet, toute personne arrivant à Creusis sur ce quai occidental se voyait contrainte de passer par l’intérieur de la forteresse pour le paiement des douanes. La forteresse disposant de plus de trois tours, il est très facile de contrôler les navires au mouillage comme le reste de la baie69. Cet aspect militaire de Creusis n’est en effet pas à négliger et on voit qu’à plusieurs reprises au cours de son histoire, le port a servi à accueillir des flottes de guerre plus ou moins importantes. C’est ainsi que l’on voit 12 trières béotiennes stationnées à Creusis en 371, peu de temps avant la bataille de Leuctres70 ou même au cours de la troisième guerre de Macédoine, où le port apparaît largement mis à profit par les Romains qui y stationnent leurs navires une première fois en 17171 et une deuxième fois au printemps 169. Cette deuxième fois est particulièrement intéressante car il y est question d’une flotte assez importante pour transporter 5 000 hommes qui serait stationnée à Creusis72. Ce dernier épisode mérite plus d’attention car il permet par extension d’avoir un ordre d’idée des capacités du port. Voici le passage qui nous est utile :

Principio veris, quod hiemem eam, qua haec gesta sunt, insecutum est, ab Roma

profectus Q. Marcius Philippus consul cum quinque milibus militum, quos in supplementum legionum secum traiecturus erat, Brundisium pervenit. M. Popilius consularis et alii pari nobilitate adulescentes tribuni militum in Macedonicas legiones consulem secuti sunt. Per eos dies et C. Marcius Figulus praetor, cui classis provincia evenerat, Brundisium venit; et simul ex Italia profecti Corcyram altero die, tertio Actium, Acarnaniae portum, tenuerunt. Inde consul ad Ambraciam egressus itinere terrestri petit Thessaliam ; praetor superato Leucata

65 FOSSEY J.M., GAUVIN G., op. cit., p. 82. 66 ROESCH P., Thespies, p.219. 67 FOSSEY J.M., GAUVIN G., op. cit, p. 79. 68 ROESCH P., Thespies, p. 219. 69 Ibid. 70 Xen., Hell., VI, 4, 3. 71 Tite-Live XLII, 56, 5. 72 Tite-Live, XLIV, 1, 1-5. 29

Corinthium sinum invectus et Creusae relictis navibus terra et ipse per mediam Boeotiam— diei unius expedito iter est—Chalcidem ad classem contendit.

Et sa traduction :

« Au début du printemps qui suivit l’hiver où ces événements eurent lieu, le consul Q. Marcius Philippus partit de Rome avec 5 000 soldats, soit l’effectif qu’il avait l’intention d’emmener avec lui pour renforcer ses légions, et parvint à Brindes. M. Popilius, ancien consul, et d’autres jeunes gens d’une égale noblesse suivirent le consul pour servir dans les légions de Macédoine en qualité de tribuns militaires. À ce moment arriva aussi à Brindes le préteur C. Marcius Figulus à qui le commandement de la flotte avait été dévolu ; partis en même temps d’Italie, ils gagnèrent Corcyre le lendemain et Actium, port d’Acarnanie, le surlendemain. Parti de là pour Ambracie, le consul se rendit en Thessalie par la voie de terre ; le préteur, ayant doublé le cap Leucas, passa par le golfe de Corinthe et, laissant ses navires à Créusis, prit lui aussi la voie de terre qui traverse la Béotie — le trajet ne dure qu’un jour pour un voyageur sans bagages — et rejoignit sa flotte à Chalcis. »

Les seules informations dont nous disposons sur cette flotte est qu’elle contenait 5 000 hommes73. Si l’on admet que ces troupes ont été transportées sur des quinquérèmes, navires typiques de la flotte romaine au temps des Guerres Puniques, et que l’on se fie à Polybe qui indique qu’une quinquérème comprend 300 rameurs et 120 fantassins74, alors on peut estimer le nombre de navires impliqués dans l’opération. Soit les 5 000 hommes ne constituent que les fantassins embarqués sur les navires et il aurait alors fallu une quarantaine de quinquérèmes pour les transporter75, soit ces renforts comprennent également les rameurs et il n’aurait alors fallu qu’une dizaine de navires pour faire le trajet76. Il est difficile de préférer une possibilité à l’autre. Le port de Creusis aurait donc eu les capacités de contenir au minimum une dizaine de quinquérèmes, et au maximum une quarantaine de quinquérèmes, tout en gardant à l’esprit que ces nombres restent très hypothétiques et peuvent varier suivant le type de navires envisagés.

73 Tite-Live disait que le Sénat comptait envoyer 6 000 fantassins et 250 cavaliers en renforts (XLIII, 12, 3). 74 Polybe I, 5, 7-8. 75 5 000/120 = 41,6. 76 5 000/420 = 11,9. 30

Si la baie peut se montrer agitée et donc impropre au stationnement de tant de navires, Heurtley indique avoir vu une digue antique lors de son passage sur le site de Creusis dans les années 192077. Le port aurait donc connu des aménagements importants au cours de l’Antiquité, signe de son importance pour les Béotiens.

3) Communications avec l’intérieur de la Béotie

Comme le montre bien l’épisode de la retraite de Cléombrote, la route qui relie Creusis à l’arrière-pays peut s’avérer difficilement praticable78. Plusieurs observateurs79 rappellent le caractère isolé de Creusis, séparé du reste de la Béotie par des hauteurs. La principale route partant de Creusis devait rejoindre Thespies en passant par la petite ville d’Eutrésis. Selon Farinetti80, il faudrait environ trois heures de marche pour faire le trajet entre Thespies et Creusis, ce qui fait du port le lieu le plus reculé du district de Thespies. Heurtley a vraisemblablement identifié la route antique qui séparait les deux sites et qui suit dans sa partie basse le cours de l’Oeroe avant de s’élever et de passer par une gorge ou se trouve une autre petite rivière puis de rejoindre la vallée de l’Asopos par une crête81. Cette route est toujours en grande partie praticable aujourd’hui et son utilisation antique est attestée par la présence d’une tour hellénique dans la gorge82. Si la route est peu aisée aux abords de Creusis, notamment dans la gorge, elle devient beaucoup plus facile une fois cette dernière dépassée83. Il est assuré que la route pouvait être utilisée par des ânes comme on peut le voir dans l’expédition de Cléombrote84 et elle devait même être empruntée par des véhicules car c’était encore le cas à l’époque ottomane85. Platées apparaît facilement accessible depuis Creusis — le trajet était plus aisé que celui qui reliait le port à Thespies — et les Platéens devaient également profiter de ce port pour leurs affaires maritimes.

77 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 40. 78 Xen., Hell., VI, 4, 3. 79 C’est notamment l’opinion de BUCKLER J. (The Theban Hegemony, p. 162), qui soutient que Creusis, comme les autres ports méridionaux de Béotie, se trouve aux pied de montagnes limitant les communications avec l’intérieur. 80 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 163. 81 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 39. 82 Ibid. 83 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 56. 84 Xen., Hell., VI, 4, 3. 85 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 39. 31

Le fait que les Romains utilisent fréquemment le port de Creusis pour stationner leurs navires en Grèce centrale indique bien que le port n’est pas aussi isolé que le laissent entendre Xénophon ou des commentateurs modernes. En occupant Creusis, les Romains cherchaient un port assez vaste pour stationner des navires en nombre important mais également un port à partir duquel l’intérieur de la Béotie pouvait facilement être atteint et surtout Chalcis, leur base en Grèce centrale. Comme l’indique bien Tite-Live86, le trajet entre Creusis et Chalcis pouvait être fait en moins d’une journée par des soldats légèrement équipés et le désagrément de la route paraît bien moindre en comparaison de la proximité d’accès des sites importants de Grèce centrale. Des petites routes permettant de rejoindre les sites côtiers voisins de Siphai et d’Aigosthènes existent également. Celles-ci sont en revanche très difficiles et ne devaient être utilisées qu’occasionnellement, notamment par qui voulait longer la côte.

Si Creusis apparaît à première vue comme un port béotien assez inhospitalier, il dispose en réalité de qualités notables qui surpassent ses défauts (vents violents, route pénible…). Décrit par Pausanias87 comme étant le port de la cité de Thespies, il s’agit de l’un des ports béotiens les plus importants sur le golfe de Corinthe. C’est d’ailleurs le seul port béotien de cette côte qui soit mentionné par Strabon88 et il ne faut donc pas surévaluer son importance. Bien qu’utile, Creusis reste un port de taille bien modeste sur le golfe de Corinthe, surtout en comparaison avec Léchaion qui est à proximité.

86 XLIV, 1, 5. 87 IX, 32, 1. 88 IX, 2, 14. 32

La baie de Domvrena : Siphai et Thisbé

Si l’on suit le récit de Pausanias89, en partant de Creusis et en navigant vers l’ouest, on dépasse un bras du mont Korombili pour tomber sur les ports de la baie de Domvrena, c’est-à-dire ceux des cités antiques de Siphai et Thisbé. La baie de Domvrena est une belle baie toute en longueur, fermée par une série d’îles aujourd’hui inhabitées.

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La baie de Domvrena90

1) Description générale

La baie fait dix kilomètres de long et est bien fermée : sur sa partie est, le bras du Korombili qui la sépare de la baie de Livadhostro se termine par une courbure vers l’ouest, fermant la baie au sud également. L’extrémité ouest est clôturée par le promontoire d’Agiomachos qui prend la forme d’un L. Sur ses dix kilomètres de longueur, seuls cinq sont ainsi ouverts sur le reste du golfe de

89 IX, 32, 2-4. 90 MOGGI M., OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, La Beozia, p. 118. 33

Corinthe, au sud, et cette entrée se trouve elle-même protégée par les trois îles de Makronèsos, Gkrompoloura et Phonias. Dans l’extrémité est de la baie, fiché dans le bras du Korombili, le port d’Aliki se présente ouvert vers l’ouest au bord d’une plaine en croissant cerclée de hautes montagnes. C’est à cet endroit que se trouvait l’antique port de Siphai. Le site n’est pas plat mais se développe sur une pente raide allant d’ouest en est, de la mer jusqu’à une colline91. On perçoit ainsi une acropole située sur la colline, une ville haute sur la pente, et une ville basse en bord de mer92. La muraille antique est encore bien visible. Elle passait au nord de la ville et comportait deux portes, une dans sa partie ouest, à proximité de la plage et une autre au sommet de la colline. La ville était également fortifiée dans son côté sud avec au moins deux tours de guet, et des murs intérieurs séparant l’acropole de la ville haute, et cette dernière de la ville basse93. Cet ensemble défensif traduit un investissement architectural extensif datant du IVe siècle.

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Les vestiges de Siphai94

La région de Siphai est globalement peu propice à l’agriculture. Aucun cours d’eau n’est assez important pour être actif toute l’année et seuls quelques ruisseaux reprennent leur cours en hiver95. Aujourd’hui, on peut constater qu’une petite partie de la plaine est consacrée à l’agriculture

91 FOSSEY J.M., GIROUX H., « Deux sites fortifiés en Béotie du sud », p. 6. 92 Ibid. 93 FOSSEY J.M., GIROUX H., « Deux sites fortifiés en Béotie du sud », p. 6. 94 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 169. 95 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 170. 34 céréalière mais ce sont surtout des oliviers qui sont cultivés sur les versants du Korombili96. Il est certain que dans l’Antiquité, les gens vivaient également de la pêche à Siphai dans la mesure où Aristote traite dans son Histoire des animaux des poissons pêchés dans l’étang près de Siphai97 et du pâturage dans les montagnes alentours98. On trouve à Siphai des traces de céramiques minyennes datant de l’Helladique moyen et d’autres de l’Helladique récent99, témoignages d’une très ancienne occupation du site. À partir de l’époque classique, Siphai était vraisemblablement une polis qui n’eut pas toujours son autonomie ou ce que Emeri Farinetti désigne comme une proto-polis, l’agglomération n’étant pas parvenue à se développer à proprement parler comme une polis100. Au Ve siècle, Siphai était directement rattachée à Thespies comme l’indique Thucydide101 mais elle dû acquérir son autonomie au cours du IVe siècle, peut-être dès 386102 et de façon assurée à partir de 335. Même si Siphai avait profité de la paix du Roi pour gagner son autonomie vis-à-vis de Thespies, elle restait néanmoins au cœur des luttes d’influence de Thespies et de Thèbes au cours des décennies suivantes. À partir de la période hellénistique, il est certain que Siphai était pleinement autonome au sein de la Troisième Confédération dans la mesure où un décret d’Aigosthènes datant de vers 200 avant J.C. parle d’une « τὰν πόλιν Σιφείων », désignant parmi ses citoyens un proxène de ceux d’Aigosthènes103. La partie ouest de la baie relève elle du territoire de l’antique Thisbé. Il s’agit d’une cité dont les vestiges sont encore visibles sur l’emplacement de l’actuelle Kakosi (ou Thisvi), petite agglomération collée à celle de Domvréna, les deux formant un gros village. Contrairement à Creusis ou Siphai, Thisbé n’est pas collée à la mer mais coincée entre les deux montagnes de Karamunghi et Paleovouna, assez hautes pour être faiblement enneigées en hiver104, et il faut compter une heure de marche depuis la ville pour parcourir les cinq kilomètres qui la séparent de la côte105. La cité est située en bord d’une rivière, le Parmessos (actuelle Askris) dont le cours suit la vallée de Domvréna106. À proximité immédiate de la ville, la rivière se termine dans une petite plaine et n’atteint donc jamais la mer, du moins pas en surface. Aucune catavothre n’est visible

96 Ibid. 97 Histoire des animaux, II, 8, 34, « Ὁμοίως δὲ καὶ κεστρεῖς, οἷον ἐν Σιφαῖς οἱ ἐν τῇ λίμνῃ ». 98 Ibid. 99 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 39. 100 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 173. 101 IV, 76, 3. 102 FEYEL M., PLATON N., « Inventaire sacré de Thespies trouvé à Chostia (Béotie) », p. 166. 103 IG VII 207. 104 LEAKE W. M., Travels in North , p. 506. 105 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 176. 106 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 168. 35 mais il pourrait y en avoir une cachée sous les sédiments de la vallée107. Il est intéressant de noter qu’en hiver, le cours de la rivière croît considérablement sous les fortes pluies typiques du climat méditerranéen. Il est alors fréquent que la partie basse de la vallée soit sujette à des crues et la plaine devient alors un poljé108. Comme l’explique Pausanias, les Thisbéens avaient tenté de maîtriser ce phénomène par une digue traversant la plaine109. Avec celle-ci, ils pouvaient repousser l’eau d’une moitié vers l’autre afin de cultiver la moitié asséchée et faisaient l’inverse l’année suivante pour cultiver l’autre partie. C’est la seule mention que l’on ait de cette pratique à Thisbé mais on a trouvé sur place une digue de 1,2 kilomètres qui est une trace explicite de ce système110. Les techniques de construction de la digue remontent à l’époque mycénienne mais elle a connu plusieurs séries de réparations au cours de son histoire, les plus importantes ayant vraisemblablement eu lieu au IVe siècle111, tandis que les Thisbéens l’utilisaient encore 500 ans plus tard, au temps de Pausanias. Un sénatus-consulte112 découvert à Thisbé et datant de 170 av J.C. se révèle très utile pour percevoir quelles pouvaient être les autres activités des habitants. Il s’agit d’une réponse romaine à une ambassade thisbéenne à la suite d’exactions subies par la cité dans le conflit qui oppose Rome à Persée de Macédoine. Un passage nous intéresse ici particulièrement :

ὡσαύτως περὶ ὧν οἱ αὐτοὶ λόγους ἐποιήσαντο περὶ χώρας [κ]αὶ περὶ λιμένων καὶ προσόδων καὶ περὶ ὀρέων· ἃ αὐτῶν ἐγε- γ̣όνεισαν, ταῦτα ἡμ[ῶ]ν μὲν ἕνεκεν ἔχειν ἐξεῖναι ἔδο- ξεν.

Avec sa traduction113 :

« De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés au sujet du territoire, des ports et de leurs revenus, et des montagnes, il a été décidé qu'il leur serait permis de posséder, de notre chef, ce qui leur avait appartenu. »

107 Ibid. 108 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 174. 109 Pausanias, IX, 32, 3. 110 CHATELAIN Th., La Grèce Antique et ses marais, p. 195-199. 111 Ibid. 112 IG VII 2225. 113 BERTRAND J.M., Inscriptions historiques grecques, p. 229-230. 36

En partant du principe que les Romains ne s’en sont pris qu’à ce qui était digne d’intérêt à leurs yeux, c’est-à-dire ce qui revêtait un intérêt économique, on perçoit les rapports qu’avaient les Thisbéens avec leur environnement. Ces derniers exploitaient leur chôra soit la plaine environnante marécageuse, les ports dont ils tiraient des revenus (par le biais de taxes) et les montagnes qui étaient donc également exploitées, probablement pour quelques cultures mais aussi pour des pâturages.

2) Situation maritime

Si l’on reprend ce même passage du sénatus-consulte, on voit que Thisbé ne peut être vue indépendamment de ses ports, indiqués au pluriel dans l’inscription. Aujourd’hui, la baie d’Hagios Ioannis est le port régulier de Kakosi et de Domvréna114. Le port est bien relié à Thisbé mais on trouve également des vestiges antiques sur la petite baie voisine de Vathy, vestiges consistant en quelques murs fortifiés traversés d’une porte ainsi que d’une route suivant le lit d’une rivière115, attestant ainsi de son ancienne utilisation. William Leake a immédiatement associé la baie de Vathy à l’antique Thisbé par la présence de ces vestiges116 mais Heurtley a supposé que la baie d’Hagios Ioannis devait également être utilisée dans l’Antiquité comme aujourd’hui dans la mesure où elle est très bien reliée à Thisbé117. Les défauts de ce port sont néanmoins qu’il est d’une taille réduite, qu’il n’a pas d’eau potable et qu’il est régulièrement soumis à des vents violents qui peuvent endommager des bateaux mal amarrés118. Le Vathy est plus sûr et il est traversé par un petit cours d’eau mais alors qu’Hagios Ioannis dispose d’assez de place pour quelques maisons, on ne trouve pas ce même espace autour du Vathy119. En utilisant le sénatus-consulte de 170 et la mention des « ports de Thisbé », Paul Roesch a montré que les Thisbéens utilisaient les deux baies à la fin de l’époque hellénistique120 tandis que Heurtley pensait qu’ils devaient même être utilisés depuis l’époque mycénienne. Roesch propose également que la toute petite baie de Kolpo Vathy a été utilisée comme mouillage d’attente en

114 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 41. 115 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 37. 116 LEAKE W. M., Travels in North Greece, p. 507. 117 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 41. 118 Ibid. 119 Ibid. 120 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 53-54. 37 complément d’Hagios Ioannis et du Vathy étant donné qu’elle est bien protégée mais pas reliée à Thisbé. Aucun vestige ne vient cependant confirmer cette hypothèse. Dans cette partie ouest de la baie de Domvrena, ce ne sont donc que quelques plages qui apparaissent au sein d’un paysage très rocailleux composé essentiellement de pentes raides inexploitables. Ces falaises sont remplies de pigeons sauvages comme le remarquait encore William Leake en 1835121 mais comme le notait surtout Strabon122 qui faisait ainsi le rapprochement avec Homère dont le Catalogue des Vaisseaux parle déjà de « Thisbé, riche en colombes »123. Il faut donc noter que Thisbé est associée à son port depuis des temps très reculés ce qui n’a rien de surprenant dans la mesure où il s’agissait d’une cité mycénienne de première importance. Le « Trésor de Thisbé » comprend de nombreux objets de luxe datant de l’Helladique récent I tandis que plusieurs fragments de poterie trouvés dans les environs remontent à l’Helladique récent III et proviennent de Mycènes ou Corinthe, des centres de production importants du XII/XIe siècle124. Ces fragments sont ainsi les vestiges d’un commerce mycénien qui prenait place de part et d’autre du golfe de Corinthe et auquel Thisbé était associée. Le port de Thisbé, que ce soit celui du Vathy ou d’Hagios Ioannis, était donc utilisé depuis l’époque mycénienne et il dut être utilisé continuellement au cours de l’histoire de Thisbé puis de Kakosi/Domvréna. On peut néanmoins noter qu’à l’époque impériale, Thisbé semble avoir connu un nouveau développement maritime étant donné que l’on trouve plusieurs bâtiments datant du IIIe siècle de notre ère sur l’île de Kouveli, une petite île au centre de la baie de Domvréna et à deux kilomètres des côtes béotiennes ainsi que sur Makronisos, la plus orientale des îles fermant la baie de Domvréna125. L’intégration de ces îles aux routes commerciales maritimes ne peut que représenter une importante activité de ces voies dans la mesure où les populations sur ces îles sont dépendantes des approvisionnements en eau depuis la Béotie126. Dans tous les cas, les différents ports de Thisbé, s’ils sont plus ou moins protégés, restent de taille très modeste et n’ont jamais pu constituer des ports importants en Béotie alors qu’il n’en est pas de même pour Siphai, à l’autre bout de la baie. On n’a aucun mal à identifier le port antique de Siphai qui se trouve dans la partie sud de la ville moderne d’Aliki. La muraille qui ceint la ville sur son côté nord se termine au niveau de la mer et débouche directement sur les traces du port antique. Dans le prolongement même de la

121 LEAKE W. M., Travels in North Greece, p. 507. 122 IX, 2, 28. 123 Iliade, II, 502 : « τε πολυτρήρωνά τε Θίσβην ». 124 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 43. 125 GREGORY T. E. « A Desert Island Survey in the Gulf of Corinth », p.17-21. 126 GREGORY T. E. « A Desert Island Survey in the Gulf of Corinth », p. 21. 38 muraille, une digue de 27m de long est toujours visible127 tandis que les vestiges des quais antiques sont perceptibles sur quelques dizaines de mètres le long de la plage. Frederick Cooper reconnaît même ce qui serait une cale-sèche dans le port, associant celle-ci à la politique navale d’Épaminondas128 mais tous ne partagent pas cet avis. Bonnier pense ainsi que ces vestiges portuaires sont postérieurs à la période classique et hellénistique, relevant plutôt de l’époque romaine de Siphai129. Il est néanmoins indéniable que le port de Siphai a reçu un investissement architectural important tout au long de son histoire. Heurtley envisage qu’une partie de la muraille surplombant le port comme étant d’époque mycénienne car il l’associe à des fragments de poterie datant de l’Helladique récent130. Il est difficile de se prononcer là-dessus mais cela atteste de l’intérêt que portaient les Béotiens à ce port en des temps très reculés. L’essentiel de la muraille date néanmoins du IVe siècle131, période où le site connut certainement son plus grand développement, tandis que d’autres installations d’époque romaine sont visibles autour de la baie d’Aliki132. Cet investissement continu se justifie facilement par la disposition du port qui se trouve assez vaste et surtout bien protégé des vents et courants. Ces qualités tendraient à en faire un port de premier choix pour la côte sud de la Béotie, et plus particulièrement au sein de la baie de Domvréna. Il est maintenant nécessaire de voir comment cette dernière est reliée à l’intérieur de la Béotie.

3) Relations avec l’intérieur de la Béotie

Si Siphai dispose d’indéniables qualités portuaires, son principal défaut tient à ses communications avec l’intérieur des terres, comme pour la plupart des ports méridionaux de Béotie. La plaine de Siphai est surplombée par le pic de Mavrovouni et il est probable que l’une des routes actuelles133 passant directement à l’ouest du pic était également utilisée dans l’Antiquité dans la mesure où l’on trouve le long de celle-ci les vestiges d’un sanctuaire archaïque et d’un fort

127 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 40. 128 COOPER F. A., « The Fortifications of Epaminondas », p. 180. 129 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 37. 130 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 40. 131 COOPER F. A., « The Fortifications of Epaminondas », p. 180. 132 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 174. 133 Il y a trois routes actuelles permettant de quitter la plaine de Siphai, une passant à l’est de Mavrvouni et deux autres à l’ouest. On parle ici de celle du milieu, qui longe directement la crête de Mavrovouni. Voir FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 168. 39 d’époque classique134. Dans tous les cas, quitter la plaine de Siphai implique d’escalader la crête de Mavrovouni pour passer devant la forteresse antique et redescendre de l’autre côté de la montagne en suivant la route qui devient alors beaucoup plus facile et permet de rejoindre en quelques heures de marche Thespies135. Juste avant d’atteindre le sommet de la crête, Heurtley indique qu’il est également possible de suivre une route basculant vers l’ouest et permettant d’arriver à Domvréna — Thisbé donc — en deux heures trente136. Ces routes sont tellement pénibles que certains ont estimé que Siphai a pu constituer un site propice à l’installation de pirates137. Du côté de Thisbé, la situation est inverse. Il n’y a aucune difficulté particulière pour aller des ports à la ville (même si la route menant au Vathy est plus difficile que celle à Hagios Ioannis)138 et Thisbé est elle-même bien reliée à Thespies et de là au reste de la Béotie grâce à la vallée du Permessos139. Depuis Thisbé, il est également possible de rejoindre Orchomène par une route traversant le massif de l’Helikon par le col de Zagora140. Si cette route n’est pas particulièrement difficile, elle n’est pas adaptée au passage de chariots ou charrettes et le transport ne pouvait donc se faire qu’à dos d’animal141. L’intérêt de cette dernière route n’est néanmoins pas à négliger car en reliant Thisbé à la cité d’Orchomène, c’est la région du Kopais et par extension la Grèce du nord qui deviennent accessibles, et il est possible que lorsque Thisbè et Coronée se disputèrent pour le contrôle du plateau de Koukoura — dispute réglée par Antonin le Pieux142 — le litige portait sur le contrôle de cette voie commerciale143. Il existe également une route qui permet de rejoindre en une heure la cité de Chorsiai144 mais elle est beaucoup plus difficile et paraît peu propice à des échanges importants.

134 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 56 et TOMLINSON R.A., FOSSEY J.M., « Ancient Remains on Mount Mavrovouni ». 135 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 40. 136 Ibid. 137 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 168. 138 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 115. 139 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 56. 140 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 41. 141 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 42. 142 IG VII 2870, C’est ce que nous permet de connaître cette stèle faite par les Coronéens et comportant trois documents différents liés à cette question. 143 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 170. 144 LEAKE W. M., Travels in North Greece, p. 513. 40

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La région de Thisbé145

Ainsi, durant l’Antiquité, la baie de Domvréna était marquée par la présence des deux petites cités de Siphai et Thisbé qui présentent des caractéristiques bien différentes. Si Siphai est collée à son littoral et dispose de bonnes conditions maritimes avec un grand port bien protégé, elle est néanmoins assez isolée au sein de la Béotie et le contact avec l’intérieur des terres est peu aisé. Au contraire, Thisbé est à quelques kilomètres de ses ports qui sont trop petits pour jouer un premier rôle politique à partir de la période classique. Il n’en reste pas moins que la cité de Thisbé se trouve bien intégrée dans le réseau des routes béotiennes. De fait les ports de Thisbé constituent une bonne entrée en Béotie pour les marchandises transitant par le golfe de Corinthe, fait assez unique sur la côte méridionale béotienne.

145 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 176. 41

Chorsiai

Après Creusis, Siphai et Thisbé, le dernier port méridional de Béotie et le plus occidental est Chorsiai. Juste à l’ouest du promontoire d’Agiomachos qui clôt la baie de Domvréna, se trouve la rade de Sarandi au fond de laquelle la petite cité prend place.

1) Description générale

Chorsiai se situe en contrebas de l’Hélikon, coupée du reste de la Béotie par ses hauteurs. La cité est également très proche de la frontière avec la Phocide qui commence juste à l’ouest avec les versants du mont Palaiovouna. À l’image de Thisbé, Chorsiai n’est pas collée à la mer mais se trouve à environ un kilomètre et demi de celle-ci146. La cité se situe ainsi dans une petite plaine triangulaire suivant une pente allant du nord au sud147. Une partie de la ville est surélevée et constitue l’acropole tandis qu’au sud, à l’est et l’ouest de celle-ci s’étend la ville basse148. La cité est entièrement fortifiée et on peut notamment voir une porte au sud qui devait en toute logique mener au port149. La route jusqu’à la mer ne présente aucune difficulté tandis que la plaine de Chorsiai est traversée par plusieurs petits cours d’eau saisonniers qui permettent d’alimenter la cité en eau150. Il faut également noter qu’une arête rocheuse descendant de l’Helikon surplombe la plaine et se termine en falaise sur son côté ouest, à environ deux kilomètres de la mer. On trouve sur celle-ci les traces d’une forteresse d’époque classique qui permettait de surveiller l’ensemble de la plaine, des routes qui en sortent ainsi que la baie151. La plaine entourant Chorsiai permettait vraisemblablement aux habitants de s’adonner à l’agriculture. Son territoire, de dimensions limitées152 ne suffisait pas toujours à assurer sa subsistance à la cité, malgré une population sans doute peu nombreuse. Un décret de proxénie153

146 LEAKE W. M., Travels in North Greece, p. 515. 147 FOSSEY J.M., GIROUX H., « Deux sites fortifiés en Béotie du sud », p. 7. 148 Ibid. 149 LEAKE W. M., Travels in North Greece, p. 515. 150 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 171. 151 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 42. 152 ROESCH P., « Les textiles et l’eau : Chorsiai de Béotie », p. 98. 153 SEG XXII, 410. 42 en l’honneur de Kapôn fils de Brochas fut délivré par les habitants de Chorsiai pour son aide face aux disettes rencontrées par la cité dans la première moitié du IIe siècle. Les questions entourant la date de cette inscription et l’origine de Kapôn ont longtemps posé problème même si un consensus semble aujourd’hui trouvé. En effet, tout laisse entendre que ce Kapôn était Thisbéen dans la mesure où un décret civique de 120-110 présente un Brochas fils de Kapôn à la tête d’une magistrature thisbéenne154. L’inscription de Kapôn a souvent été mise en relation avec les difficultés économiques que rencontre l’ensemble de la Béotie au tout début du IIe siècle155 notamment visibles dans une autre inscription156, datée avec certitude des années 200-190157, et détaillant le remboursement d’une dette que les citoyens de Chorsiai devaient aux Thisbéens. Cette vision apparaît impossible si l’on admet que Kapôn est Thisbéen, celui-ci ne pouvant recevoir la proxénie d’une autre cité béotienne alors que le Koinon existe toujours et il faut alors admettre que le décret de proxénie est postérieur (certainement de peu) à 171158. Ce sont donc deux épisode distincts et séparés de quelques décennies qui attestent de difficultés économiques rencontrées par la cité de Chorsiai dans la première moitié du IIe siècle, ainsi que de ses liens avec la cité voisine de Thisbé. Malgré le caractère exceptionnel de ces décrets qui doivent être replacés dans leur contexte troublé, respectivement les crises économiques du début du IIe siècle et la dissolution du Koinon en 171, il n’en reste pas moins que Chorsiai paraît bien dépendante des échanges extérieurs pour parvenir à subvenir à ses besoins. Si elle n’est pas auto-suffisante en grain, Chorsiai ne devait donc pas être si isolée que ça, et devait s’en sortir grâce à d’autres activités dont on a également trace. Plusieurs structures dans les environs de Chorsiai ont été interprétées comme des établissements tournés vers l’élevage159. A ces éléments, il faut rajouter un quartier à l’est de la ville qui prend la forme d’une petite installation industrielle destinée au travail des textiles160. Le bâtiment, d’époque hellénistique, comporte deux salles, une destinée au tissage et au foulage tandis que l’autre comprenait un atelier de teinture161. Il semble donc que de nombreux habitants de Chorsiai vivaient de l’élevage de moutons, de l’exploitation de leur laine voire de la production et

154 IG VII 4139. 155 MIGEOTTE L., « Endettement des cités béotiennes autour des années 200 avant J.-C. », p. 65. 156 SEG XXII, 407. 157 Par l’indication de l’Archonte fédéral Empédiondas, suivant la chronologie des Archontes de Roland Etienne (ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 350). 158 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 244, n. 208, date également retenue par Christel Müller (MÜLLER Ch., « La procédure d’adoption des décrets en Béotie », Citoyenneté et participations à la basse époque hellénistique, p. 101-105). 159 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 174. 160 ROESCH P., « Les textiles et l’eau : Chorsiai de Béotie ». 161 Ibid., p. 97. 43 de l’exportation de textiles162. Il est possible, comme le soutient Anton Bonnier163, que les besoins en laine de l’atelier aient excédé les capacités de Chorsiai et que de la laine ait pu être importée par mer, mais absolument rien ne le confirme. En outre, les habitants de Chorsiai pouvaient toujours pratiquer l’oléiculture ou la pêche164.

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Chorsiai et sa région165

2) Aspects chronologiques

L’occupation du site de Chorsiai apparaît très ancienne, avec des traces d’une présence remontant au Néolithique Moyen mais sans continuité jusqu’à l’époque archaïque166. L’occupation est ainsi perceptible au cours des trois phases de l’Helladique Ancien, à l’Helladique Moyen, à l’Helladique Récent II et III A-B (mais pas le C) ainsi qu’au Géométrique167. Face aux lacunes que

162 Ibid., p. 98. 163 BONNIER A., Coastal Hinterlands, p. 100. 164 ROESCH P., « Les textiles et l’eau : Chorsiai de Béotie », p. 98. 165 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 186. 166 FOSSEY J.M., Khostia 1980, p. 125. 167 Ibid. 44 comporte cette chronologie, une hypothèse intéressante a été avancée par John Michael Fossey et Ginette Gauvin qui ont étudié le site voisin de Mali168 sur les hauteurs de la crête de Malia Senga, séparant les territoires de Thisbé et de Chorsiai. Ce site reculé comporte justement des tessons qui attestent de son occupation au cours de l’Helladique Récent III C, du Proto-géométrique et du Géométrique Ancien, soit les périodes d’abandon de Chorsiai. Les auteurs ont interprété ce basculement comme lié au repli que connaissent les populations au cours des « siècles obscurs », la baisse démographique et l’insécurité ambiante justifiant le déplacement des habitants de Chorsiai vers un site plus petit et plus facile à défendre169. À partir de l’époque archaïque, le site est continuellement occupé jusqu’à l’époque hellénistique. La région semble même avoir été assez densément peuplée à partir du IVe siècle et au cours de la période suivante170. Rien n’atteste de l’autonomie de Chorsiai à l’époque classique, et à l’image de Thisbé, elle devait être intégrée au territoire de Thespies. Á l’époque hellénistique, elle était assurément une petite polis intégrée au Koinon. On la voit émettre des décrets qui prouvent sont autonomie. Il est probable qu’elle ait accédé à l’autonomie en même temps que Siphai, c’est-à-dire soit en 386, avec la Paix du Roi, soit en 335, lorsque le Koinon change de forme pour la troisième fois. À la fin de la période hellénistique, la cité est néanmoins détruite et abandonnée, ce que ne rapporte aucune source littéraire171. John Fossey a proposé que ce soit une conséquence de la fin de la Confédération béotienne172 — à l’image de Thisbé, maltraitée par les Romains en 170 — mais il faut certainement abandonner cette idée dans la mesure où il a été établi que la cité a continué à exister après cette date (en nommant par exemple Kapon fils de Brochas proxène) et c’est probablement au Ier siècle qu’elle a été détruite.

3) Communications maritimes et terrestres

Aujourd’hui, nous disposons de très peu de traces de l’activité portuaire de Chorsiai. Une petite localité balnéaire appelée Sarantis occupe le fond de la baie et aucun vestige antique n’est visible. Il ne semble pas que les Anciens aient un jour disposé d’un port aménagé, et les marins de

168 FOSSEY J.M., GAUVIN G., « Mali en Béotie du sud ». 169 FOSSEY J.M., GAUVIN G., « Mali en Béotie du sud », p. 74. 170 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 174. 171 FOSSEY J.M., Khostia 1980, p. 125. 172 Ibid. 45

Chorsiai devaient donc simplement tirer leurs navires sur la grève ou les laisser en mouillage. La présence de fragments de céramique corinthienne datant de l’Helladique Récent III atteste d’échanges commerciaux par le biais du golfe de Corinthe depuis une époque ancienne173 et, ainsi qu’il a déjà été dit, il est possible que les productions locales de Chorsiai aient fait l’objet d’un commerce. Il semble impossible d’être plus précis. Pourtant, la baie de Sarandi ne représente pas un mouillage dénué de qualités. La plage est large et des emplacements sûrs peuvent y être trouvés par tout temps174. De brusques coups de vents peuvent néanmoins survenir de façon inattendus, accentués par la forme de la vallée de l’Helikon qui surplombe Chorsiai175 mais rien de plus gênant que sur les autres ports béotiens donnant sur le golfe de Corinthe. Ce ne sont donc pas des raisons maritimes qui font de Chorsiai une cité isolée mais bien sa mauvaise intégration aux réseaux routiers béotiens. En effet, seules deux routes permettent d’accéder à Chorsiai et elles impliquent de traverser des bras de l’Helikon. La première relie Chorsiai à Thisbé en passant par la crête de Malia Senga tandis que la deuxième conduit en Phocide, notamment à la cité de Voulis176. Si Heurtley exclut que tout commerce important ait pu passer par Chorsiai, il note que la cité garde une importance stratégique car des armées pouvaient emprunter ces routes177. C’est ce que fit notamment Cléombrote en 371, quand, envahissant la Béotie depuis la Phocide, il emprunta la route menant à Chorsiai, puis à Thisbé, Siphai et enfin Creusis178.

Ainsi, Chorsiai apparaît comme une petite cité ayant accédé tardivement à l’autonomie à l’image des autres cités du littoral sud de la Béotie et ayant connu une fin brutale qui demeure inexpliquée. Elle est néanmoins profondément marquée par son isolement qui en fait, de loin, la cité la plus difficile d’accès de Béotie, coincée dans une vallée à proximité de la Phocide. Il ne semble pas que Chorsiai ait été totalement exclue des réseaux économiques béotiens, rattachée à ceux-ci en raison de sa dépendance aux approvisionnements en grains. Il semble ainsi qu’elle a toujours entretenu des liens avec Thisbé, sa voisine orientale, et même qu’elle ait exporté une partie de sa production textile, ce qui nuancerait cette vision autarcique de la cité.

173 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 44. 174 Ibid., p. 42. 175 Ibid. 176 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 17. 177 HEURTLEY W.A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 42. 178 Xén., Hell., VI, 4, 3. 46

B- Le canal d’Eubée

Sur son côté nord-ouest, la Béotie donne sur le canal d’Eubée où elle dispose d’environ 40 kilomètres de côtes à vol d’oiseau. Cette côte est divisée en deux parties avec d’est en ouest les sites de Délion et Aulis, sur le territoire de la cité de Tanagra et de l’autre côté de l’Euripe, ce sont Salganeus et enfin Anthédon.

Délion

Dans la partie sud du golfe d’Eubée, la plus orientale des positions maritimes béotiennes est Délion, sur le territoire de Tanagra, et dont la principale caractéristique est la présence d’un sanctuaire à Apollon.

1) Description générale

De tous les sites béotiens bordant la côte donnant sur le golfe d’Eubée, Délion apparaît comme le plus oriental. Le site est aujourd’hui identifié avec certitude sur l’emplacement de l’actuelle Dilési179 ce qui en fait l’un des points de côte les plus proches pour les Tanagréens180. Délion jouxte également la frontière que la Béotie partage avec la cité d’Oropos, cette frontière devant se trouver à moins de 10 stades à l’est de Délion comme l’atteste Thucydide, dans sa description de la bataille de Délion181. Cette limite du pays béotien est précisée chez Platon qui traitant de l’Attique dans son Critias soutient qu’elle s’étend jusqu’à une zone entre l’embouchure de l’Asopos et Oropos182 soit un peu à l’est de Délion. Plutarque en parle également dans sa Vie de

179 Au-delà de la parenté étymologique entre Délion et Dilési, des vestiges antiques ont désormais été mis à jour, notamment ceux du temple d’Apollon. 180 Élément qui apparaît également confirmé par Tite-Live, indiquant que Délion est à 5 milles de Tanagra (XXXV, 51, 1). 181 Thuc., IV, 90, 4 et IV, 99, 1. 182 C’est bien une vision athénienne qui intègre l’Oropie (Critias, 110, d-e). 47

Lysandre, où il rapporte un oracle d’Apollon Isménios aux Thébains183. Il y est question d’une frontière/ἐσχατιὰν, ce qu’il interprète comme étant Délion, car située à la frontière de l’Attique et de la Béotie. Le témoignage de Plutarque, un Béotien passionné par l’exégèse des oracles et par l’interprétation des lieux184, confirme celui des deux Athéniens qui intègrent l’Oropie à l’Attique (en tant que région conquise chez Thucydide185). De nombreux auteurs anciens parlent de Délion et de son sanctuaire à Apollon. La première mention littéraire de Délion remonte à Hérodote qui la désigne comme un lieu appartenant aux Thébains186 en insistant sur le sanctuaire. Thucydide, dans un long passage traitant de la campagne de Délion en 424187, ne traite essentiellement que du sanctuaire qui est fortifié, mais il fait brièvement mention d’habitats à proximité (« τῶν οἰκοπέδων τῶν ἐγγὺς ») dont les pierres et briques sont prélevées pour la défense du sanctuaire188. Diodore, à propos de cette même campagne militaire — au sujet de laquelle il semble prendre Thucydide pour source principale — ne parle également que du sanctuaire. Strabon189 est le seul à présenter Délion comme une « petite ville des Tanagréens » (« Ταναγραίων πολίχνιον ») comprenant un temple à Apollon alors que Pausanias qui décrit également Délion190 ne parle jamais d’un village mais uniquement du sanctuaire. Enfin, Tite-Live191, traitant de Délion au cours des événements de 192, ne parle jamais d’un quelconque habitat mais uniquement du sanctuaire, de la forêt environnante et de la plage. Si les Anciens insistent tant sur le sanctuaire, c’est que c’est lui qui représentait l’intérêt principal du site. Celui-ci était dédié à Apollon Délios, Léto et Artémis192 et est souvent mis en relation avec le sanctuaire de Délos. Hérodote faisait déjà ce lien dans son œuvre193 et Strabon présente le sanctuaire de Délion comme étant érigé sur le modèle de Délos194. C’est néanmoins Diodore de Sicile qui indique que les Thébains ont instauré la fête des Délia dans le sanctuaire à la suite de leur victoire sur les Athéniens en 424195. Il est possible que cette mesure soit une réponse à la politique d’Athènes à Délos, où elle a décidé de purifier l’île deux ans auparavant et d’y organiser

183 Plutarque, Lysandre, 29, 10-12. 184 FLACELIERE R., Plutarque Vies, Tome 6, p. 212, n. 2. 185 IV, 98, 8. 186 VI, 118 : « Δήλιον τὸ Θηβαίων ». 187 Thuc., IV, 89-101. 188 IV, 90, 2 : « καί λίθους ἅμα καὶ πλίνθον ἐκ τῶν οἰκοπέδων τῶν ἐγγὺς καθαιροῦντες ». 189 IX, 2, 7. 190 IX, 20, 1. 191 XXXV, 51, 1-3. 192 Pausanias, IX, 20, 1. 193 VI, 118. 194 IX, 2, 7 : « ἐκ Δήλου ἀφιδρυμένο ». 195 Diodore, XII, 70. 48 des Délia196. Sur la plage même de Dilési, une stoa s’avançant vers la mer a été mise à jour197. Celle- ci fait 15,80m de large pour une longueur estimée à 106/110m198 ce qui atteste de l’importance du sanctuaire. Ainsi, il n’est ici majoritairement question que du sanctuaire à Apollon. Bien que Thucydide le laisse entendre, Strabon apparaît comme le seul auteur à parler explicitement de la présence d’un habitat à Délion. Strabon n’est probablement jamais allé en Béotie199 et son témoignage ferait donc partie des moins fiables. Pourtant, les évidences archéologiques attestent d’une certaine occupation du site. Les fouilles effectuées dans le village Dilesi ont mis à jour des bâtiments comportant des quantités importantes de fragments de céramique ce qui fut interprété comme des ateliers et des commerces200. Sur la plage de Dilési, des vestiges de quais antiques sont encore visibles aujourd’hui même si le niveau de la mer a augmenté depuis 2 000 ans201 tandis qu’à 500 mètres au sud de la plage, un autre établissement est perçu comme un atelier de potier202. Il faut également noter un passage de Thucydide qui indique que le sanctuaire était entouré de vignes203 et un autre de Pausanias204 qui fait mention d’une tradition fabuleuse où un triton s’en prend aux troupeaux (βοσκήματα) que les Tanagréens conduisent en bord de mer. Il est bien probable que ce bord de mer soit dans les environs de Délion dans la mesure où la plage est très proche de Tanagra205. Au vu de ces éléments, Délion transparaît comme une petite agglomération qui vit principalement du dynamisme du sanctuaire et de sa position de port à proximité de Tanagra. Des sites funéraires ont été trouvés, datant notamment de l’époque classique206 ce qui laisse entendre qu’il s’agissait d’un établissement permanent dans le voisinage de Tanagra. Les populations locales vivaient donc de l’artisanat et du commerce, notamment maritime, mais elles devaient aussi travailler dans les terres agricoles alentour appartenant aux habitant de Tanagra, notamment des

196 BRELAZ C., « Les premiers comptes du sanctuaire d’Apollon à Délion », p. 285. 197 ΧΑΡΑΜΗ Α., «Δήλιον (Αρχαιότητα)», 2012, Encyclopedia of the Hellenic World, Boeotia, Consulté sur http://www.ehw.gr/l.aspx?id=13057 (16/01/19). 198 Aujourd’hui, seuls 72m sont visibles sur la plage, le portique continue sur environ 25m dans la mer mais cette portion est trop érodée pour en voir clairement les limites. 199 BALADIE R., Strabon, Géographie tome VI, p. 22. 200 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I14, p. 33. 201 FARINETTI E., Ibid. 202 FARINETTI E., Ibid. 203 IV, 90, 2 : « ἄμπελον κόποντες τὴν περὶ τὸ ἱερὸν ». 204 IX, 20, 5. 205 MOGGI M., OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, La Beozia, p. 332. 206 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I14, p. 33. 49 vignes207. Il est aussi possible que l’élevage d’animaux ait eu cours à Délion, au profit des Tanagréens.

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Délion et le golfe Euboïque sud208

2) Aspects chronologiques

Aucun vestige archaïque ou antérieur n’a été trouvé à Dilési209. Le sanctuaire d’Apollon date du milieu du Ve siècle210 mais, selon toute vraisemblance, le culte remonte au moins au début du Ve siècle comme le laisse entendre Hérodote211. Le site de Délion était peut-être déjà utilisé pour ses qualités portuaires à l’époque archaïque dans la mesure où, selon Éphore de Cumes212, les

207 Pour le vin, Tanagra était la cité la plus réputée en Béotie comme en atteste Hérakleidès le Critique, I, 8, « οἴνῳ δὲ τῷ γινομένῳ κατὰ τὴν Βοιωτίαν πρωτεύουσα ». 208 ROESCH P. « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 173. 209 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I14, p. 33-33. 210 ΧΑΡΑΜΗ Α., «Δήλιον (Αρχαιότητα)», 2012, Encyclopedia of the Hellenic World, Boeotia. 211 VI, 118. 212 70 F 44 a, rapporté par le scholiaste d’Apollonios de (Scholia in Apollonii Rhodii Argonautica, II, 844-7). 50

Tanagréens avaient participé à la fondation d’Héraclée du Pont, ce qui supposerait qu’ils avaient coutume de naviguer. Hérodote213 présente Délion comme une possession des Thébains (Δήλιον τὸ Θηβαίων) dans les années 470 alors que Pausanias, pour le même épisode, indique qu’elle appartenait aux Tanagréens214. De la même façon, Thucydide présente Délion comme étant sur le territoire de Tanagra215 mais Diodore indique que ce sont les Thébains qui ont créé la fête des Délia216. Il apparaît alors difficile de savoir si Délion a réellement appartenu à Thèbes ou si elle se trouvait simplement dans sa sphère d’influence217. C’est manifestement à l’époque classique que le port et le sanctuaire ont réellement commencé à se développer, vraisemblablement après la bataille de Délion et la création des Délia étant donné que le sanctuaire semble déjà dans un état bien délabré au moment où les Athéniens s’en sont emparés218. L’activité du port paraît avoir continué à s’accroître au cours de la période hellénistique comme l’atteste le matériel archéologique comprenant de nombreux fragments d’amphores commerciales à partir du IVe siècle219. À l’époque romaine, le port semble connaître une activité encore plus accrue et ce jusqu’au VIe siècle de notre ère. C’est ce que laisse entendre la présence de bâtiments commerciaux et de nécropoles majoritairement utilisés aux époques romaine et romaine tardive220.

3) Connexions maritimes et terrestres

Le port de Délion est situé dans une zone commerciale particulièrement intéressante, à proximité de l’entrée de l’Euripe. Si Délion n’est pas en face de Chalcis comme l’indique Hérodote221, elle permet néanmoins de rejoindre très facilement les cités eubéennes de Chalcis et d’Érétrie. Ainsi, lorsque le sanctuaire de Délion est pillé par des troupes perses en 490222, cela s’est

213 VI, 118. 214 X, 28, 6. 215 IV, 76, 4. 216 XII, 70. 217 BRELAZ C., « Les premiers comptes du sanctuaire d’Apollon à Délion », p. 285. 218 Thuc., IV, 90, 2. 219 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I14, p. 33. 220 Ibid, p. 31-33. 221 VI, 118. 222 Hérodote, op. cit. 51 produit alors que l’armée était stationnée à Érétrie223, peut-être au cours d’une corvée de ravitaillement224. En longeant la côte vers l’est, on atteint également rapidement Oropos, qui n’est qu’à une dizaine de kilomètres, puis l’Attique. Il y a plusieurs occurrences de flottes passant par Délion au cours de la période antique. La première serait à la bataille de Délion en 424, lorsque les Athéniens utilisèrent le port pour envahir la Béotie225 mais il est difficile de déterminer l’importance de cette flotte dans la mesure où une partie des forces athéniennes ont très bien pu arriver par voie de terre également226. En 199, au cours de la deuxième guerre de Macédoine, les armées de Rome et de Pergame prennent dont les habitants se réfugient à Délion, en Béotie227. La migration semble assez importante pour qu’Attale craigne de se retrouver avec pour conquête une île vide et rappelle les habitants exilés. Enfin, en 192, ce sont 500 soldats romains qui attendent à Délion une flotte pour rejoindre Chalcis avant d’être anéantis par les forces Séleucides228. Les capacités maritimes du port seraient donc loin d’être négligeables. Au niveau des voies terrestres, Délion est également bien reliée au réseau des cités béotiennes. La route entre Délion et Tanagra ne devait présenter aucune difficulté d’autant que Délion se situe à l’un des rares endroits où la côte béotienne n’est pas montagneuse. Il devait également être possible de rejoindre facilement Oropos et Aulis, de part et d’autre de Délion en suivant la côte comme l’ont fait les Athéniens ou les Romains en 424 et 192.

Ainsi, avec son port de Délion, Tanagra apparaît comme étant une cité importante de Béotie ayant l’un des accès à la mer les plus privilégiés. Délion est une petite localité n’ayant jamais accédé au statut de cité mais elle jouit néanmoins d’un dynamisme important lié tant à ses qualités portuaires qu’au sanctuaire d’Apollon et aux Délia qui s’y déroulent. Délion, située à un carrefour de routes terrestres et maritimes, est bien reliée à l’intérieur de la Béotie mais aussi au reste du monde grec — Avec notamment l’Attique et l’Eubée — ce qui constitue une force comme une faiblesse. Si l’activité commerciale du port n’est allée qu’en s’accroissant avec la Pax Romana, Délion

223 Hérodote, VI, 102. 224 LEGRAND Ph.-E., Hérodote, Histoires VI, p. 113, n. 1. 225 Thuc., IV, 89-101. 226 Thucydide fait mention d’environ 8 000 Athéniens (IV, 94, 1) et il aurait été bien plus aisé de les faire venir par voie de terre, néanmoins il semble que la plupart est venue par mer vu que c’est par mer qu’ils rentrèrent après la bataille (IV, 96, 9 et IV, 100, 5). 227 Tite-Live, XXXI, 45, 5-8. 228 Tite-Live, XXXV, 50, 11 et XXXV, 51. 52 a également été à de multiples reprises la porte d’entrée pour des invasions étrangères en Béotie, ce que l’on retrouve dès l’invasion mythique des Érétriens à Tanagra229.

229 Pausanias, IX, 22, 2. 53

La région de l’Euripe : Aulis, Salganeus et Hyria

La région de l’Euripe revêt un intérêt bien particulier pour les Béotiens car le détroit représente autant une route maritime majeure qu’une frontière partagée avec Chalcis. Face à la cité eubéenne, les Béotiens ne disposent d’aucune cité d’importance sur le détroit mais on trouve toute de même de petites localités à savoir Aulis, Salganeus et hypothétiquement Hyria.

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La plaine de Dhrosia230

230 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications on its mountains¸ p. 109. 54

1) Géographie de la région

La rive occidentale de l’Euripe débouche directement sur la plaine de Dhrosia, une péninsule coupée du reste de la Béotie par une chaîne de montagnes méridionale. La plus élevée d’entre elles est le Mont Messapion au sud-ouest de la plaine tandis qu’à l’est, la chaîne se termine avec le Megalo Vouno, surplombant la mer juste au sud de l’Euripe. À son extrémité occidentale, la plaine de Dhrosia comprend une petite colline de forme étrangement pyramidale appelée Lithosoros231. Strabon232 indique que Salganeus se trouve sur une hauteur à proximité de l’Euripe, avant d’expliquer que le village tire son nom d’un navigateur qui guidait les Perses avant d’être injustement mis à mort, et dont le tombeau fastueux se trouve à proximité du village. Si l’histoire est certainement fabuleuse, le site du tombeau est généralement identifié comme étant sur le Lithosoros voire étant le Lithosoros lui-même dont les formes anguleuses ont pu laisser croire qu’il n’était pas naturel233. En analysant les environs du Lithosoros, Frazer a identifié des murs qu’il rattache à l’antique Salganeus bien qu’il ne parvienne pas à les dater234. Bakhuizen, n’ayant trouvé aucune trace de ces murs antiques, rejette l’interprétation de Frazer qui plaçait le village de Salganeus au pied du Lithosoros, et préfère en rester à des conclusions plus vagues, où Salganeus se situerait quelque part au nord-ouest de la plaine de Dhrosia, probablement sur le littoral du golfe d’Eubée235. Au sud de l’Euripe, le Megalo Vouno surplombe la mer au niveau du détroit du Steno tandis que, juste à l’ouest, une petite vallée sépare la montagne de la colline Vesalas. C’est dans cette vallée que se trouvait Aulis. La colline de Vesalas se situe elle-même sur une petite péninsule entourée de deux bassins : au nord se trouve le Mikro Vathy, la petite baie, et au sud le Bathys Limen, appelé actuellement Megalo Vathy, une baie plus grande et plus profonde. Si Aulis se situe sur le Mikro Vathy, le Bathys Limen reste facilement accessible, à moins d’un kilomètre de là. Vient ensuite le site d’Hyria dont la première mention se trouve dans le Catalogue des Vaisseaux, où elle arrive en premier, associée à Aulis236. Le site reste cependant largement méconnu. Strabon en parle comme étant à proximité d’Aulis237 et Etienne de Byzance indique qu’elle est à

231 Nom qui en grec signifie justement « tas de pierre ». 232 IX, 2, 9. 233 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 13-14. 234 FRAZER J. G., Pausanias’s Description of Greece vol. V, p. 92 : « whether the wall was ancient or modern seemed dubious ». 235 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 12. 236 Hom., Iliade, II, 496 : « οἵ θ’ Ὑρίην ἐνέμοντο καὶ Αὐλίδα πετρήεσσαν ». 237 Strabon, IX, 2, 12 : « κεῖται δ’ ἐγγὺς Αὐλίδος ». 55 proximité de l’Euripe238. Pourtant sa localisation pose problème car il est probable que le site n’existait en réalité plus à l’époque de Strabon qui n’aurait fait que citer le Commentaire du Catalogue des Vaisseaux d’Apollodore d’Athènes239. Pausanias n’en parle pas et il y a encore des débats quant à son emplacement. Hyria serait donc un site ayant connu son floruit au cours de l’Âge du Bronze avant de perdre en importance au cours des siècles suivants où peut-être a-t-il disparu ; peut-être a-t-il été réduit à un petit village240. Deux sites côtiers d’époque mycénienne correspondent à la localisation de Hyria : - Le site de Glypha, au sud de la plaine de Dhrosia, qui présente des traces de céramiques du Néolithique à l’Helladique Récent III C, mais aussi de fortifications et d’habitats241. C’est l’hypothèse retenue par Bakhuizen242 ou Buck243. - Le site de Dramesi, sur la côte entre Aulis et Délion, fut étudié par Carl Blegen. Il y a notamment découvert une tombe mycénienne comportant un pilier où sont gravés des navires244 et il reconnaît dans ce site la Hyria homérique. Paul Roesch le suit sur ce point245 mais le site est parfois également identifié avec celui de Graia246, identification qui pose également son lot de problèmes247. Sur ces trois sites, seule Aulis est donc clairement identifiée. Aulis est de loin le site maritime le plus célèbre de Béotie car c’est dans ce port que les Achéens se seraient rassemblés avant de partir pour la guerre de Troie, et c’est là qu’aurait eu lieu l’épisode célèbre du sacrifice d’Iphigénie à Artémis par Agamemnon. Grâce ce mythe, le site jouit d’une aura particulière auprès des Grecs et le sanctuaire d’Artémis Aulideia a été mis à jour à une centaine de mètres du Mikro Vathy248. Le sanctuaire semble avoir été un lieu de pèlerinage pour les Grecs249. S’y sont ainsi rendus plusieurs

238 Hyria : Ὑρία πρὸς τὸν Εὔριπον 239 BLEGEN C., « Hyria », p. 39. 240 C’est ce que semblent penser notamment Paul Roesch qui en parle comme d’un petit port (Thespies et la Confédération Béotienne, p. 51) ou Emeri Farinetti qui pense qu’il s’agissait d’un village à l’image de Salganeus (Boiotian Landscapes, p. 214). 241 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 20. 242 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 147. 243 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 20. 244 BLEGEN C., « Hyria », p. 39-42. 245 Thespies et la Confédération Béotienne, p. 294. 246 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 19. 247 Graia est une cité homérique aussi mal située que Hyria. Elle est parfois localisée dans le territoire de Tanagra, suivant Pausanias (IX, 20, 2) et d’autres fois dans le voisinage d’Oropos, suivant Strabon (IX, 2, 10) ou Aristote (Steph. Byz. s. u. Tanagra), Voir HADAS-LEBEL J., « Enquête sur le nom latin des Grecs », p. 59- 60. 248 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 20. 249 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 154. 56 personnages dont le roi Agésilas en 396250 ou Paul Émile en 167251. Pausanias s’est rendu sur le site du sanctuaire et plusieurs reliques mythiques sont exposées autour de celui-ci renvoyant directement au récit homérique252. Ainsi, dans le temple était visible du bois de platane dont il est mention dans l’Iliade253 et on a également montré à Pausanias le seuil de la tente d’Agamemnon ce qui laisse entendre que les habitants d’Aulis alimentaient l’intérêt touristique du sanctuaire. En plus d’avoir découvert le temple d’Artémis, les fouilles entreprises à Aulis permirent de mettre à jour des ateliers de potiers à proximité du sanctuaire254. Cette découverte confirme ce que pouvaient dire les sources littéraires à propos d’Aulis. Pausanias soutenait que les habitants d’Aulis étaient peu nombreux et que la plupart étaient potiers255 tandis que Plutarque vante la qualité de la vaisselle d’Aulis au détriment d’une argenterie plus couteuse256. Le fait que les potiers soient regroupés autour du sanctuaire257 laisse entendre qu’ils dépendaient de l’activité de celui-ci et on peut supposer que les voyageurs de passage constituaient une partie de leur clientèle. Aulis devait d’ailleurs être un lieu d’embarquement pour ceux qui cherchaient à se rendre à Chalcis comme l’avait fait Hésiode258. Des marins et pêcheurs d’Aulis devaient donc également exercer l’activité de passeur259, du moins avant que ne soit créé un pont sur l’Euripe en 410260. Contrairement à Salganeus et à sa fertile plaine de Dhrosia261, Aulis ne disposait que de faibles capacités agricoles, l’espace entre les collines de Vesalas et de Megalo Vouno étant très limité262.

2) Occupation et histoire des sites

Par sa position stratégique, la région de l’Euripe a connu une histoire mouvementée tout au long de l’Antiquité. Les sites de Glypha et du Lithosoros présentent des traces d’occupation

250 Xénophon, Hell., III, 4, 3. 251 Tite-Live, XLV, 27, 9. 252 IX, 19, 7. 253 II, 307. 254 GHILARDI M., « Geoarchaeology of Ancient Aulis », p. 2074. 255 IX, 19, 8 : « ἄνθρωποι δὲ ἐν τῇ Αὐλίδι οἰκοῦσιν οὐ πολλοί, γῆς δέ εἰσιν οὗτοι κεραμεῖς ». 256 Il ne faut pas s’endetter, 828a. 257 ROESCH P., Thespies et la Confédération Béotienne, p. 51. 258 Les Travaux et les Jours, v. 650-655. 259 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 154. 260 Diodore, XIII, 47. 261 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 4. 262 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 154. 57 remontant au Néolithique263, sites qui ont été continuellement occupés au cours de l’Helladique264. La terminaison en -ευς de Salganeus renvoie à des temps mycéniens265 bien antérieurs au prétendu pilote éponyme des guerres médiques266. De son côté, si l’on n’a aucune trace d’installation portuaire à Aulis, le port devait assurément être utilisé depuis l’époque mycénienne, alors intégré au Royaume de Thèbes267. C’est probablement son importance pour le centre thébain qui lui vaut sa prestigieuse place dans l’Iliade268. À Aulis, le culte d’Artémis est attesté depuis le VIIIe siècle par la présence de céramiques géométriques associées à un bâtiment absidal trouvé sous le pronaos du temple classique269. Durant les époques archaïque et classique, Aulis devait toujours relever de Thèbes tandis que Salganeus devait dépendre de la petite cité de Mykalessos, jusqu’à ce que cette dernière soit ravagée au cours de la guerre du Péloponnèse270. Le IVe siècle et l’hégémonie thébaine virent la côte de Salganeus intégrée au territoire thébain comme l’était Aulis, permettant ainsi à la cité d’Épaminondas de disposer d’une plus grande ouverture sur le golfe d’Eubée. La situation se dégrada néanmoins considérablement pour les Béotiens lors de la période hellénistique, au cours de laquelle, les souverains macédoniens imposent un contrôle toujours plus important sur la région de l’Euripe. Le contrôle du détroit en lui-même échappe aux Béotiens au cours des années qui suivent la destruction de Thèbes. En 334, les Chalcidiens étendent les murailles de leur cité sur la rive occidentale de l’Euripe, intégrant à leur territoire un bout de la plaine de Dhrosia par le biais d’une forteresse271. Les guerres entre diadoques empirent la situation car Chalcis apparaît comme une cité indispensable à détenir pour contrôler la Grèce-Centrale, le canal d’Eubée et développer une importante thalassocratie. Au tournant des IVe et IIIe siècles, sont construites toutes une série de forteresses reliées par des murailles entre le Mont Messapion et le Megalo Vouno. Ces fortifications ferment totalement la plaine de Dhrosia qui semble avoir été intégrée au système défensif de Chalcis par Polémaios, général d’Antigone le Borgne272, celui-ci souhaitant stationner ses troupes dans la région. Il faut dès lors considérer que les Béotiens perdent tout contrôle sur le village qui devient, au mieux, une zone de confins. La forteresse qui se trouve sur le Megalo Vouno est elle-même complétée par une autre forteresse, contemporaine, sur le Vesalas. Il faut alors admettre qu’Aulis

263 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I14, p. 22-24. 264 Ibid. 265 À l’image des mythiques Ὀδυσσεύς, Ἀχιλλεύς, Νηρεύς ou Νηλεύς. 266 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 14. 267 GHILARDI M., « Geoarchaeology of Ancient Aulis », p. 2074. 268 Ibid. 269 MOGGI M., OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, La Beozia, p. 324. 270 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 18. 271 Strabon, X, 1, 8. 272 BAKHUIZEN S. C., Salganeus,, c’est le propos qui est défendu dans cet ouvrage. 58 dut également perdre une bonne part de son autonomie, ses environs directs étant surveillés par des forces étrangères intéressés par le contrôle du littoral. La région se trouve régulièrement impliquée dans les conflits entre grandes puissances méditerranéennes jusqu’à la dissolution du Koinon en 172/1. Il semble que les Romains aient récompensé la fidélité de Tanagra dans les guerres de Macédoine pour étendre son territoire jusqu’à Aulis273. Il est difficile de savoir ce qu’il en est de Salganeus à l’époque romaine mais peut-être a-t- elle également été donnée à Tanagra qui contrôlait alors toute la côte béotienne entourant l’Euripe. Il ne semble pas qu’Aulis et Salganeus aient acquis à un quelconque moment le statut de polis.

3) Accès maritimes et terrestres

Dans la mesure où l’on ne sait pas avec certitude où se trouvait Salganeus, il est difficile de parler de son port, si tant est qu’elle en ait eu un. En admettant que Salganeus se soit trouvée en bord de mer, il ne s’agissait que d’un petit village qui ne devait pas disposer d’un port bâti et les pêcheurs devaient se contenter de tirer leurs embarcations sur la plage. Il en va tout autrement pour Aulis qui est au contraire « bien connue par la grande capacité de son port » selon les mots de Pline274. Ce port est en réalité double, deux baies séparées par le Vesalas appelées respectivement Mikro Vathy et Bathys Limen. Aulis se situe sur le Mikro Vathy qui constitue son port régulier275. Celui-ci ne peut contenir que 50 navires selon Strabon et il propose donc que la flotte des Achéens se soit plutôt réunie dans le Bathys Limen276. Si ce dernier ne permet en aucun cas de stationner une flotte de plus de mille vaisseaux telle que présentée dans le Catalogue des Vaisseaux, le Bathys Limen n’en reste pas moins un excellent port, qui, associé aux bonnes capacités du Mikro Vathy, fait d’Aulis la meilleure place maritime de Béotie. Aucun vestige d’un port en dur n’a été découvert à Aulis même s’il faudrait entreprendre de plus importantes fouilles sur cet aspect-là du site277. Sur la base de carottages, il a été déterminé que les deux baies antiques étaient bien plus étendues que ce qu’elles sont aujourd’hui, prenant

273 C’est ce que traduirait le témoignage de Strabon (IX, 2, 8) qui indique qu’il s’agit d’une possession des Tanagréens : « Ταναγραίων πολίχνιον Αὐλίδος ». Voir FISSORE E., Tanagra de Béotie, p. 126. 274 Histoire Naturelle, IV, 7, 26 : « Aulis capaci nobilis portu ». 275 Strabon, IX, 2, 8. 276 Ibid. 277 GHILARDI M., « Geoarchaeology of Ancient Aulis », p. 2080, les fouilles archéologiques entreprises à Aulis datent de 1956 à 1961, par Ioannis Threpsiadis et se sont concentrées sur le secteur du sanctuaire d’Artémis. 59 alors la forme de lagunes dont la profondeur n’excédait pas 2 à 3 mètres sur leurs bords278. La forme des baies permet de protéger naturellement les navires des tempêtes et courants puissants que l’on trouve à proximité de l’Euripe279. Par deux fois on a mention de flottes importantes stationnant à Aulis : une première fois en 313, lorsque Polémaios, s’y rend avec 160 navires280 et une deuxième fois en 304, avec Démétrios Poliorcète et toute sa flotte281. D’un point de vue maritime, Salganeus comme Aulis sont très bien reliées aux différentes voies navigables du canal d’Eubée, intégrées respectivement dans les bassins au nord et au sud de l’Euripe. Il devait ainsi être facile de rejoindre depuis leurs ports des cités eubéennes telles que Érétrie ou Chalcis, comme le fit Hésiode282. Pour ce qui est des accès terrestres, les deux villes sont inégalement desservies. Depuis Aulis, on devait aisément pouvoir atteindre Thèbes en contournant le Megalo Vouno par le sud pour rejoindre Mykalessos, trajet adapté aux véhicules283 comme il était facile aussi de longer la côte pour rejoindre Tanagra ou Délion284. Salganeus semble plus isolée. La seule route naturelle pour sortir de la plaine de Dhrosia va droit au sud vers Mykalessos, traversant les montagnes par le col d’Aniforitis, un chemin difficile285. Deux routes modernes, taillées dans la roche, permettent de quitter la plaine en longeant la côte et sont également attestées dans l’Antiquité286. La première permet de rejoindre Aulis comme l’a fait Paul Émile en 167287, tandis que la seconde suit la plage vers l’ouest jusqu’à Anthédon, route que prit Hérakleides le Critique288. Le trajet pouvait être fait en un peu plus d’une heure de marche289. Il est impossible de savoir quand ces routes ont été créées mais il se peut qu’elles soient devenues nécessaires après la construction du pont sur l’Euripe en 410290. En effet, même si ce n’était pas son objectif premier291, l’installation de ce pont dut créer une nouvelle route commerciale

278 GHILARDI M., « Geoarchaeology of Ancient Aulis », p. 2079-80. 279 Ibid. p. 2080. 280 Diodore, XIX, 77, 2-3. 281 Diodore, XX, 100, 5, flotte qui devait assurément être considérable dans la mesure où Diodore indique que Démétrios s’y rend avec toute son armée après le siège de Rhodes, siège qu’il avait entrepris avec 200 vaisseaux longs et 170 vaisseaux de transport (XX, 82, 4). 282 Les Travaux et les Jours, v. 650-655. 283 GHILARDI M., « Geoarchaeology of Ancient Aulis », p. 2074. 284 C’est cette route qu’empruntèrent les Romains en 192 dont le but était de rejoindre Chalcis en passant par Délion et Aulis (Tite-Live, XXXV, 50, 11). 285 BAKHUIZEN S. C., Salganeus¸ p. 20. 286 Ibid. 287 Tite-Live, XLV, 27, 9. 288 I, 26. 289 LEAKE W. M., Travels in North Greece vol. II, p. 270-271. 290 BAKHUIZEN S. C., Salganeus, p. 20. 291 C’est Diodore de Sicile, XIII, 47, 3-6, qui rapporte l’épisode de la construction de ce pont en plein cœur de la guerre du Péloponnèse, pour des raisons purement militaires. 60 importante entre Chalcis et l’intérieur de la Béotie, route passant obligatoirement par Salganeus. Si la plaine de Dhrosia s’en trouve bien reliée à l’intérieur des terres par ces routes, il faut noter qu’elles sont faciles à défendre par qui contrôle la plaine, et donc bien intégrées dans le système défensif autour de Salganeus292.

La région autour de l’Euripe apparaît au centre des contacts que pouvaient avoir les Béotiens avec l’extérieur. Probablement en raison de sa proximité avec la grande cité de Chalcis, située sur la rive eubéenne du détroit, le versant béotien n’a jamais compté aucune cité importante mais plusieurs villages, tirant au mieux parti de leur situation géographique. Aulis constitue un cas particulier en raison de la renommée de l’épisode mythique dont elle est le théâtre tout en étant, d’autre part, un excellent port béotien. Les qualités maritimes des ports cumulées à l’intérêt stratégique de l’Euripe ont à de nombreuses reprises été la source de tourments pour les populations locales qui eurent à subir le passage de puissances étrangères. Ces épisodes violents sont visibles dès la guerre du Péloponnèse293 mais c’est surtout à l’époque hellénistique, au moment où Chalcis est perçue comme un « verrou de Grèce-Centrale » que la région fut le plus touchée. Ces villages béotiens ne semblent néanmoins ne jamais avoir connu de fin brutale, perdurant continuellement jusqu’à l’époque romaine.

292 BAKHUIZEN S. C., Salganeus, p. 137. 293 Où l’on voit les habitants d’Aulis se réfugier à Thèbes de peur d’une attaque athénienne au début du conflit (Helléniques d’Oxyrynchos, 17, 3) ou en 413 lorsque des mercenaires thraces débarquent et pillent Mykalessos (Thuc., VII, 29, 1-2). 61

Anthédon

En longeant la côte septentrionale béotienne d’est en ouest, le dernier port rencontré est Anthédon, comme l’indiquait déjà Homère dans son Catalogue des Vaisseaux par la mention d’ « Ἀνθηδόνα τ’ἐσχατόωσαν »294, « Anthédon, tout au bout du pays ».

1) Description générale

Anthédon apparaît comme une petite ville côtière sur une étroite plaine coincée entre la mer au nord et la chaîne du Messapion au sud tandis qu’à l’ouest, la plaine est fermée par le mont Ptoion295. Une vallée entre les deux massifs permet de rejoindre le lac Paralimni au sud-ouest. La ville se situe elle-même sur le versant nord du Messapion dont la pente, tournée vers la mer, forme deux terrasses qui servaient d’acropole296. Aucun village moderne ne couvre le site antique297 si bien que sont encore facilement visibles des vestiges de la muraille sur le côté nord de l’acropole298. Ce mur d’enceinte devait englober soit l’acropole seule, soit la ville entière et le port compris, ce dernier étant un peu à l’ouest299.

294 Iliade, II, v. 508. 295 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 201. 296 MOGGI M., OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, La Beozia, p. 342. 297 Le village moderne le plus proche étant Lukisia, à environ deux kilomètres. 298 MOGGI M., OSANNA M., Ibid. 299 Ibid. 62

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

La région d'Anthédon300

Hérakleides le Critique est passé par Anthédon, probablement à la fin du IIIe siècle avant J.C.301, et sa description constitue le meilleur témoignage dont nous disposons pour connaître la vie de la cité302. En voici une traduction303 :

23. Ἐντεῦθεν εἰς Ἀνθηδόνα στάδια ρξʹ· ὁδὸς πλαγία· ἁμαξήλατος δι’ ἀγρῶν πορεία. Ἡ δὲ πόλις οὐ μεγάλη τῷ μεγέθει, ἐπ’ αὐτῆς τῆς Εὐβοϊκῆς κειμένη θαλάττης· τὴν μὲν ἀγορὰν ἔχουσα κατάδενδρον πᾶσαν, στοαῖς ἀνειλημμένην διτταῖς. Αὕτη δὲ εὔοινος, εὔοψος, σίτων σπανίζουσα διὰ τὸ τὴν χώραν εἶναι λυπράν. 24. Οἱ δ’ ἐνοικοῦντες σχεδὸν πάντες ἁλιεῖς, ἀπ’ ἀγκίστρων καὶ ἰχθύων, ἔτι δὲ καὶ πορφύρας καὶ σπόγγων τὸν βίον ἔχοντες, ἐν αἰγιαλοῖς

300 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 250. 301 PERRIN E., « Héracleides le Crétois à Athènes : les plaisirs du tourisme culturel », p. 194, n. 8. 302 I, 23-24. 303 Il s’agit ici d’une traduction personnelle s’aidant occasionnellement de celles de James George Frazer et de Friedrich Pfister. 63

τε καὶ φύκει καὶ καλύβαις καταγεγηρακότες· πυρροὶ ταῖς ὄψεσι πάντες τε λεπτοὶ, δ’ ἄκρα τῶν ὀνύχων καταβεβρωμένοι, ταῖς κατὰ θάλατταν ἐργασίαις προσπεπονθότες, πορθμεῖς οἱ πλεῖστοι καὶ ναυπηγοὶ, τὴν δὲ χώραν οὐχ οἷον ἐργαζόμενοι, ἀλλ’ οὐδὲ ἔχοντες, αὑτοὺς φάσκοντες

ἀπογόνους εἶναι Γλαύκου τοῦ θαλασσίου, ὃς ἁλιεὺς ἦν ὁμολογουμένως.

23. « D’ici [Thèbes] à Anthédon, ce sont 160 stades. La route est carrossable et sillonne à travers champs. La cité, qui n’est pas de grande dimension, est située au bord de la mer d’Eubée. L’agora est couverte d’arbres de tout son long et encadrée de deux portiques. Celle-ci dispose de bon vin304 et abonde en poissons, mais le grain y est rare à cause de la pauvreté des terres. » 24. « Les habitants sont presque tous pêcheurs, avec des hameçons et des poissons ; ils tirent aussi leur subsistance de la pourpre et des éponges, passant toute leur vie sur la plage, dans les algues305 et les cabanes. Ils sont tous roux et maigres à voir, et le bout de leurs ongles est endommagé, meurtri à cause du travail dans la mer. Nombreux sont passeurs ou charpentiers de marine. Non seulement ils ne travaillent pas la terre mais ils ne la possèdent pas et disent être descendants de Glaucos de la mer, que l’on dit avoir été pêcheur. »

Si l’on met de côté les remarques cyniques propres à l’auteur, il ressort de ce passage que les Anthédoniens sont un peuple de marins. Des pêcheurs pour la plupart, de poissons, de pourpres ou d’éponges mais pouvant aussi gagner leur vie comme constructeurs de bateaux ou passeurs, peut-être en complément de leur activité de pêcheur. Cette activité de passeur semble se retrouver chez Tite-Live qui narre les événements de l’année 196 avant J.C. 306, au moment où la Béotie est tiraillée entre des tendances pro-macédonienne et pro-romaine. Après avoir assassiné le chef de la tendance pro-macédonienne Brachyllas en 196, le béotien Zeuxippos rejoint Anthédon dans sa

304 On peut aussi accepter « beaucoup de vin » comme traduction, le terme εὔοινος ayant une conception qualitative ou quantitative. 305 Bresson, L’économie de la Grèce des cités, p. 155, propose que ce φύκει (n. φυκος) se traduise par « orseille », une plante servant de colorant. L’hypothèse est ingénieuse mais parait néanmoins peu probable comme le précise LYTLE E. « Fish Lists in the Wilderness », p. 278, n. 95. 306 XXXIII, 28, 11-15. 64 fuite307, ce que Denis Knoepfler voit comme un projet pour atteindre l’Eubée308, région favorable aux Romains. Ce serait donc en vertu des facilités de transport entre l’île et le continent que Zeuxippos aurait rejoint la cité d’Anthédon, confirmant les dires d’Hérakleides309. Comme le note John M. Fossey310, les poissons d’Anthédon avaient une certaine renommée dans l’Antiquité tel que l’atteste un passage des Deipnosophistes où, citant le gastronome Archestratos de Géla, il est mention d’un merlu anthédonien, plus gras que de coutume311. Pour ce qui est de la viticulture, le témoignage d'Hérakleides peut surprendre car il va à l’encontre des propos du Béotien Plutarque qui soutient justement qu’Anthédon n’abonde pas en vin312. Dans la mesure où ce sont trois siècles qui séparent les deux auteurs, il se peut que la viticulture ait décliné dans cet intervalle313 mais on peut également envisager que les deux auteurs ne parlent simplement pas de la même chose, Plutarque faisant mention de l’abondance de la production alors qu’Herakleides traite de la qualité du vin314. L’ambiguïté du terme « εὔοινος » employé par Hérakleides, porteur en lui-même de ce double sens de quantité et de qualité, rend difficile l’affirmation d’une hypothèse au détriment de l’autre. Hérakleides parlant de ce qu’il voit dans l’agora, il est également possible qu’il s’agisse ici de vin importé à Anthédon. Dans tous les cas, les vignes pouvaient être cultivées sur les pentes du mont Messapion, comme c’est le cas de nos jours315. Il est notable que comme le soutient Fossey316, la description d’Hérakleides contraste fortement avec la région que l’on peut visiter aujourd’hui, où les habitants vivent peu de la pêche mais au contraire de la culture de céréales, d’agrumes et de légumes.

307 Tite-Live, XXXIII, 28, 15. 308 KNOEPFLER D., « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 599. 309 Ibid., p. 600. 310 Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 263. 311 Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, 316a. 312 Plutarque, Étiologies grecques, 19 : Ἡ γὰρ ἐν Βοιωτοῖς οὐκ ἔστι πολύοινος. 313 C’est l’hypothèse que retient FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 263. 314 BOULOGNE J., Plutarque, Œuvres morales. Tome IV, p. 405, n. 102. 315 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 263, qui soutient d’ailleurs que le vin actuel n’est pas dénué de qualités. 316 Ibid. 65

2) Chronologie du site

La première attestation d’Anthédon remonte à Homère qui la cite dans son Catalogue des Vaisseaux317. L’archéologie atteste d’une occupation du site remontant au Néolithique puis de façon plus ou moins continue tout au long des différentes phases de l’Helladique, du Géométrique et de la période archaïque318. Sa présence dans le Catalogue des Vaisseaux ainsi que la continuité du matériel archéologique indiqueraient que la ville connut une certaine importance au temps des Mycéniens319, peut-être, à l’image d’Aulis, en tant que port associé au palais de Thèbes. Au Ve siècle, on peut vraisemblablement considérer qu’Anthédon ne disposait d’aucune autonomie et était directement rattachée au territoire de Thèbes320. Cette situation n’évolue qu’avec le IVe siècle où l’on voit Anthédon devenir une polis avec le passage à la Troisième Confédération321. Anthédon a peut-être accédé, brièvement, une première fois à l’indépendance en 386, avec la Paix du Roi322 mais ce fut réellement en 335, à la destruction de sa puissante voisine, que la cité put définitivement parvenir à l’autonomie323. Commence alors une période de prospérité pour la petite cité mais cela s’achève brutalement en 86, lorsqu’elle est détruite par Sylla dans le cadre de la première guerre Mithridatique324. C’est peut-être à partir de cette date, que la viticulture anthédonienne s’est effondrée comme le propose Fossey325. La cité n’a pas cessé d’exister avec cette destruction. Probablement refondée peu après, elle perdure tout au long de l’époque romaine, comme l’atteste Strabon qui en parle comme d’une polis326, avant de disparaître à l’époque proto-byzantine327.

317 Iliade, II, v. 508. 318 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 255. 319 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 204. 320 Elle n’apparaît pas dans les Helléniques d’Oxyrhinchos, 16, 3, qui précise que Thèbes contrôlait 2 districts pour sa cité, ce qui devait correspondre à un territoire allant jusqu’à la côte d’Anthédon. 321 Comme l’atteste sa présence dans plusieurs décrets fédéraux hellénistiques comme IG VII 2723 et IG VII 3207. 322 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 64. 323 KNOEPFLER D., « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 602. 324 Plutarque, Sylla, 26, 3. 325 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 263. 326 Strabon, IX, 2, 13 : Ἀνθηδὼν πόλις λιμένα ἔχουσα. 327 MOGGI M., OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, La Beozia, p. 343. 66

3) Port et réseaux

Aujourd’hui, sont encore visibles des vestiges de quais bien que leur datation soit difficile à déterminer. Certains estiment qu’ils remontent à l’Antiquité tardive328 mais il est parfois avancé que la cité n’a jamais dépassé le ler siècle avant J.C. et que ces quais seraient donc ceux construits au IVe siècle329. Dans tous les cas, Dionysios fils de Calliphon, un poète-géographe du Ier siècle av. J.C., décrit en quelques vers toute la côte béotienne et, au sujet d’Anthédon, voici ce qu’il dit330 :

Ἀνθηδὼν δ ’ἔχει

Ἀνθηδόνιον τὸν λιμένα·

Que Didier Marcotte traduit par :

« Anthédon a son port, l’Anthédonien ;»

Il est intéressant de noter que le port d’Anthédon s’est vu attribuer pour nom l’ethnique local331 ce que confirme Stéphane de Byzance qui mentionne également le port d’Anthédon comme s’appelant Ἀνθηδόνιον 332. Cette dénomination du port va bien de pair avec la description faite par Hérakleides, où le port serait au centre de la vie de la cité333, et il serait très probable que l’on y vît déjà des quais et structures en dur à l’époque de Dionysios voire même aux siècles antérieurs. Le port dispose en effet d’avantages naturels non négligeables, situé comme il l’est dans une petite baie bien protégée ouverte vers l’est seulement. Si le port est bien positionné, il reste de taille modeste mais ce qui serait son seul défaut apparaît largement contrebalancé par la baie de Skroponéri à quelques kilomètres à l’ouest d’Anthédon. Il s’agit d’une longue et profonde baie, très bien protégée par une presqu’île en son milieu. Sur un côté de la presqu’île, on distingue les traces d’un mur circulaire daté habituellement du IVe siècle334 tandis que l’on y a trouvé des fragments de

328 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 254. 329 On peut retrouver le détail de ce débat dans LYTLE E. « Fish Lists in the Wilderness », p. 279. 330 Dionysios fils de Calliphon, Αναγραφη της Ἑλλαδος, v. 91-92. 331 MARCOTTE D., Le poème géographique de Dionysios fils de Calliphon, p. 151. 332 Stéphane de Byzance, Ἀνθηδών : « ἔστι καὶ λιμὴν Ἀνθηδόνιο ». 333 MARCOTTE D., op. cit. 334 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I13, p. 4. 67 céramique remontant à l’Helladique et surtout à l’époque classique et romaine (peut-être hellénistique aussi)335. Tout au fond de la baie se trouve un petit fort, que l’on appelle Skroponéri Kastron, datant vraisemblablement d’une époque romaine tardive336. L’hypothèse traditionnellement retenue est que le site aurait été aménagé dans le cadre du programme naval d’Épaminondas, au milieu du IVe siècle337 et dépendait alors de Thèbes, comme Anthédon. Avec la destruction de Thèbes en 335, Anthédon accéda à l’autonomie et la baie de Skroponéri fut naturellement intégrée au territoire de la petite cité. Les deux sont très facilement reliées, le trajet se faisant en environ deux heures de marche338. On peut alors envisager que ce port de l’Anthédonien soit situé dans la baie de Skroponéri, récupérée par les citoyens d’Anthédon seulement une trentaine d’années après son aménagement, et non le port régulier de la cité qui, lui, était directement rattaché à la ville. Par la route, Anthédon est assez bien reliée au reste de la Béotie. Hérakleides a emprunté les deux voies principales d’Anthédon pour y arriver et en partir. La première vient directement de Thèbes339 et devait en toute logique passer par les berges du lac Paralimni dont l’extrémité septentrionale n’est qu’à une heure de marche d’Anthédon340. Alors que Farinetti note que la communication le long du lac devait être difficile car les rivages sont rocheux et peu praticables341, Hérakleides ne fait mention de rien de cela et au contraire précise que la route sillonne à travers champs et était adaptée aux véhicules. Il faut donc envisager que la route ne suivît pas strictement le rivage ou qu’elle était facile à pratiquer, à moins qu’elle ne passât pas du tout par là. Dans tous les cas, nous devons retenir que le trajet entre Thèbes et Anthédon n’était pas si problématique. L’autre route est celle qu’emprunte Hérakleides pour rejoindre Chalcis depuis Anthédon en passant par Salganeus342. Là encore, il ne fait mention d’aucune difficulté et indique simplement que la route, lisse et non caillouteuse, longe la plage. Depuis Anthédon, il était donc possible de rejoindre aisément les deux cités voisines de Thèbes et de Chalcis, deux cités majeures dans le monde grec et dont les marchés étaient tout aussi importants.

335 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 262. 336 FARINETTI E., op. cit., p. 5. 337 Voir FOSSEY J.M., « Une base navale d’Épaminondas » et ROESCH P., « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p. 56. 338 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, p. 205. 339 Hérakleides le Critique, I, 23. 340 FARINETTI E., Ibid. 341 Ibid., p. 204. 342 Hérakleides le Critique, I, 26. 68

Anthédon apparaît donc comme l’archétype de la petite ville dont la vie est entièrement tournée vers le travail de la mer. Bénéficiant de bonnes conditions portuaires et étant directement reliée à Thèbes, elle a pendant longtemps été rattachée au territoire de cette dernière dont elle était le port. Ce n’est qu’avec la Troisième Confédération béotienne qu’Anthédon se trouve intégrée au Koinon en tant que polis autonome. Il n’en reste pas moins qu’à toutes les époques, Anthédon devait constituer un port particulièrement intéressant, notamment d’un point de vue économique étant donné qu’il s’agissait du seul port béotien d’importance situé sur le côté nord du canal d’Eubée tout en étant proche de l’Euripe et de Chalcis.

69

III Régions et cités portuaires voisines

En tant qu’organisation politique, le Koinon des Béotiens a connu des dimensions variables, par accroissement ou rétrécissement. Il a ainsi pu inclure des cités portuaires qui ne font traditionnellement pas partie de la Béotie historique. Il s’agit ici de brièvement faire connaître ces cités et leur situation. Celles-ci se répartissent dans les trois régions maritimes voisines de la Béotie : - La Locride orientale, qui borde le canal d’Eubée au nord de la Béotie. - Les cités eubéennes de Chalcis et d’Érétrie, situées respectivement sur l’Euripe et sur la partie sud du canal d’Eubée, auxquelles on peut rajouter Oropos, colonie d’Érétrie qui lui fait face et qui voisine Tanagra. - La Mégaride, dont le territoire comprend des ports sur le golfe Saronique mais aussi celui de Corinthe.

1) La Locride opontienne

En Locride orientale, plusieurs cités côtières ont été intégrées au Koinon des Béotiens de façon plus ou moins continue au cours des périodes historiques : il s’agit de Larymna, Halai et Oponte, qui forment toutes trois une région nommée Locride opontienne. Cette région prend la forme d’une bande côtière coincée entre le canal d’Eubée au nord et la Béotie au sud, les deux n’étant séparées que par le mont Chlomo, aisément franchissable. Les Béotiens ont par conséquent été enclins à s’étendre aux dépens de ces voisins qui disposaient d’une position privilégiée sur le canal d’Eubée. Larymna, la plus orientale de ces cités, apparaît comme le principal débouché maritime pour Orchomène et les cités béotiennes du nord du Copaïs343. Il s’agit d’une petite cité portuaire bénéficiant d’une baie profonde et relativement bien protégée entre deux péninsules344. Halai n’est guère plus grande et se situe sur la côte opposée de la plus grande des péninsules, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Larymna. Les deux cités partagent une histoire sensiblement similaire.

343 ETIENNE R., KNOEPFLER., Hyettos de Béotie, p. 196, n. 646. 344 BUCK J., The Theban Hegemony, p. 161 note que le port peut cependant être touché par des tempêtes et des vents violents 70

Toutes deux ont été suffisamment prospères à l’époque archaïque pour se doter de murailles345. Halai est détruite au cours du Ve siècle, vraisemblablement lors de l’invasion perse346, et n’est reconstruite qu’au IVe siècle, peut-être avec le règne de Philippe II de Macédoine et le développement maritime de la partie nord du canal d’Eubée347. Il est possible que Larymna ait rejoint le Koinon des Béotiens au temps de l’hégémonie thébaine348 — et peut-être était-ce également le cas de Halai si elle avait déjà été reconstruite349 — mais c’est peu sûr. Il en tout cas attesté que les deux cités firent partie de la Confédération béotienne à partir de 270 environ et peut-être jusqu’en 172 sans interruption350. Les deux cités sont ensuite détruites par Sylla en 86 selon Plutarque351 tandis qu’elles existent toujours au temps de Strabon, qui les situe en Béotie352. Oponte, contrairement à ses voisines, n’était pas située directement sur la côte mais à 60 stades de son port de Kynos353, probablement sur le site moderne d’Atalante354. Oponte était également plus importante, et faisait par conséquent l’objet d’un contentieux considérable entre les grandes puissances de la période hellénistique. Alors qu’elle avait su maintenir son indépendance relative tout au long de la période classique355, elle a peut-être rejoint le Koinon des Béotiens en 273/2356 mais ces derniers la perdent au profit des Étoliens en 245357. Il est possible qu’elle soit brièvement redevenue béotienne dans la deuxième moitié du siècle358 avant d’être impliquée dans différents conflits ultérieurs. La Locride opontienne a toujours fait figure de puissance mineure en comparaison de la Confédération béotienne toute proche. Au-delà des facilités d’extension qu’avaient les Béotiens vis-à-vis de ses voisins, la Locride orientale devint également une région stratégique à partir du IVe siècle, où l’on assiste à un basculement des puissances vers la Grèce centrale et surtout septentrionale avec le développement de la Macédoine. La Locride fait figure de porte d’entrée vers la Béotie pour les puissances extérieures, et son contrôle constitue donc une préoccupation majeure

345 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 105. 346 COLBURN HAAS J., Ibid, p. 6. 347 BRESSON A., The Making of Economy, p. 169. 348 Infra, p. 242. 349 C’est l’avis de CARRATA THOMES Fr., Egemonia Beotica, p. 29. 350 ROESCH P., Thespies et la Confédération Béotienne, p. 66-67. 351 Sylla, 26. 352 Strabon, IX, 2, 13. 353 Strabon, IX, 4, 2. 354 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 99. 355 Elle est néanmoins parfois contrainte de s’aligner sur la diplomatie de puissances majeures, comme les Athéniens après la bataille d’Oenophyta (Thuc., I, 108) ou les Thébains au temps de leur hégémonie (Xén., Hell., VI, 5, 23). 356 FLACELIERE R., Les Aitoliens à Delphes, p. 192. 357 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 321. 358 Infra, p. 303. 71 pour les Béotiens359. Les cités de Locride orientale connaissent également leur floruit au cours de la période hellénistique, où elles profitent de leur position sur le canal d’Eubée360, celui-ci connaissant alors un dynamisme important grâce à la présence macédonienne à Démétrias et Chalcis. Dans ce contexte, il est possible que les Béotiens aient cherché à s’approprier ces débouchés maritimes.

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La Locride opontienne361

2) L’Eubée et Oropos

Il faut brièvement aborder le cas des cités eubéennes de Chalcis et d’Érétrie qui ont également fait partie de la Confédération béotienne pendant de courtes périodes. Il s’agit certainement des plus proches voisins des Béotiens, notamment Chalcis qui n’est séparée de la Béotie que par l’Euripe dont Éphore, cité par Strabon, explique que le détroit « fait de l’Eubée

359 On peut voir à ce sujet le cas de Korseia au cours de la troisième guerre sacrée (politique p. 70-71) ou des patrouilles béotiennes autour de Larymna vers 227 (politique p. 92-94). 360 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 7. 361 COLBURN HAAS J., Hellenistic Halai, p. 95. 72 autant dire une partie de la Béotie » 362. Par cette proximité, les cités eubéennes et béotiennes ont souvent maintenu des contacts, qui ont souvent pu prendre la forme de rapprochements diplomatiques lorsque leurs intérêts communs les opposaient à une tierce puissance. Au cours de la période classique, Chalcis et Érétrie se trouvent souvent confrontées à l’impérialisme athénien et elles profitent des périodes de conflits entre la Béotie et l’Attique pour se soulever elles-mêmes. Les Eubéens se révoltent en 446 à la suite des Béotiens mais c’est un échec363. C’est en 411 qu’Érétrie et Chalcis parviennent à se libérer de la tutelle athénienne avec le soutien des Péloponnésiens et c’est d’un commun accord avec les Béotiens qu’un pont est construit au-dessus de l’Euripe, liant définitivement Chalcis au continent364. Au IVe siècle, les Eubéens sont de nouveau alliés des Athéniens mais s’inquiétant du retour de leur impérialisme, ils profitent de l’hégémonie thébaine pour changer de camp et s’associer aux Béotiens365. Avec les conflits des Diadoques, l’Eubée devint une zone stratégique nécessaire au contrôle de la Grèce centrale et du canal d’Eubée. Dans ce contexte, les cités eubéennes perdirent grandement de leur autonomie, souvent tenues par des garnisons étrangères et basculant d’une souveraineté à une autre au gré des changements politiques366. Cela conduisit Chalcis à être tenue par une garnison béotienne entre 308 et 304367 puis rejoindre le Koinon dans les années 280368. Érétrie rejoignit également le Koinon pendant moins d’une dizaine d’années à partir de 286/5369. Les raisons qui les ont amenés à faire partie de la Confédération béotienne sont différentes et traduisent les rapports que pouvaient avoir les Béotiens avec leurs voisins eubéens : - Chalcis apparaît tenue par une garnison béotienne370 ce qui laisse entendre qu’elle a été prise de force par les Béotiens alors que la cité était libérée de toute présence étrangère (notamment macédonienne). La Béotie s’est elle-même retrouvée ballotée dans les conflits des Diadoques et directement menacée par les forces étrangères tenant l’Euripe. Il s’agit certainement ici d’une politique béotienne visant à se libérer de ce cette menace qui pesait sur eux en cherchant à contrôler l’Euripe tout en assouvissant des ambitions expansionnistes au détriment des Chalcidiens.

362 IX, 2, 2 : « Προστίθησι δὲ ὅτι καὶ τὴν Εὔβοιαν τρόπον τινὰ μέρος αὐτῆς πεποίηκεν ὁ Εὔριπος ». 363 LÉVY E., La Grèce au Ve siècle, p. 60. 364 Diodore, XIII, 47, 3-6. 365 Infra, p. 242. 366 Infra, p. 284-291. 367 Infra, p. 288-291. 368 Infra, p. 295-296. 369 Infra, p. 297. 370 Diodore, XX, 100, 6 73

- Il est possible que des partis dans ces cités eubéennes aient souhaité rejoindre la Confédération béotienne pour se préserver des ambitions royales faute d’accès à une réelle indépendance. L’intégration à un Koinon paraissant alors un moindre mal. - Les deux cités représentaient des places commerciales importantes qu’aucune cité béotienne ne pouvait égaler. Les revenus qu’une cité pouvait notamment tirer du contrôle de l'Euripe motivaient certainement les ambitions béotiennes. Oropos est quant à elle la cité ayant certainement connu le destin le plus mouvementé parmi les voisines de la Béotie, celle-ci étant constamment disputée par les Béotiens et les Athéniens, tout en étant sous l’influence de sa voisine et fondatrice, Érétrie. Oropos se trouve en effet à un carrefour : - Située sur le rivage continental de la partie sud du canal d’Eubée, la cité fait face à Érétrie, sur la côte opposée. - Elle est également toute proche de la Béotie où le port de Délion n’est qu’à 10 kilomètres. Aucune barrière naturelle ne protège Oropos de sa puissante voisine si ce n’est l’embouchure du fleuve Asopos. - Oropos constitue également un site stratégique pour les Athéniens et leur approvisionnement en grain371. Celui-ci était débarqué à Oropos et prenait de là une route terrestre passant par Décélie, qui bien que montagneuse, restait très praticable et plus avantageuse que la route maritime. En conséquence, Oropos connut un destin particulièrement mouvementé, ballotée au gré des luttes entre ces puissances. Fondation érétrienne, elle resta sous l’influence de sa cité mère jusqu’aux années suivant les guerres Médiques où elle tomba sous le contrôle d’Athènes372. C’est au cours de la guerre du Péloponnèse qu’elle parvient à se libérer de la domination athénienne avec le concours érétrien et béotien373, uniquement pour être intégrée au Koinon béotien en 402374. Au cours du IVe siècle, Oropos redevint athénienne, goûta à l’indépendance avec la Paix du Roi, redevint une fois encore une possession athénienne, puis érétrienne, béotienne, brièvement indépendante entre 338 et 335, date où elle est donnée par Alexandre à Athènes375. La situation devient encore plus confuse au cours des conflits de Diadoques et il faut attendre les alentours de

371 MORENO A., Feeding the Democracy, p. 117. 372 KNOEPFLER D., « Oropos, colonie d’Érétrie », p. 50-51. 373 Thuc., VIII, 60, 1. 374 Diod., XIV, 17, 1-3. 375 KNOEPFLER D., « Oropos, colonie d’Érétrie », p. 53. 74

285 pour qu’Oropos rejoigne la Confédération béotienne, où elle y resta prospère pendant plus d’un siècle, jusqu’à la dissolution de celle-ci en 172376. Si Oropos constitue une telle paume de discorde entre ces trois puissances, c’est pour plusieurs raisons : - Les Athéniens dépendent partiellement de la route commerciale les reliant à l’Euripe. - Les Béotiens et les Érétriens peuvent se sentir menacés par une présence étrangère toute proche. - Les trois puissances peuvent tirer profit du dynamisme de son port et des importantes retombées économiques qui en découlent. En effet, Oropos dispose d’une assise stratégique sur le canal d’Eubée où son port est tout proche d’Érétrie et de l’Euripe. Hérakleidès y critique notamment les douaniers omniprésents377, signe de l’importance du commerce que connaît la cité au IIIe siècle. À cela, il faut ajouter l’Amphiaraion, un célèbre sanctuaire oraculaire et médical situé juste à l’est d’Oropos378. Fondé dans la deuxième moitié du Ve siècle, le sanctuaire disposait de son propre port pour accueillir des visiteurs venant de toute la Grèce379. L’importance de l’Amphiaraion constitue assurément un facteur important dans les luttes pour Oropos, et c’est notamment dans le sanctuaire qu’étaient exposés un certain nombre de décrets fédéraux béotiens au IIIe siècle380. On en arrive à cette identité particulière d’Oropos qui au cours de ce paisible IIIe siècle voit la cité parfaitement intégrée à la Béotie et où l’Oropie apparaît comme son extension naturelle. Ses habitants refusent cependant de se qualifier de Béotiens, et se voient plutôt comme des Athéniens en Béotie381 alors même qu’un siècle plus tôt, les inscriptions civiques étaient gravées en Ionien d’Érétrie382.

376 KNOEPFLER D., Ibid., p. 54-55. 377 Hérakleidès le Critique, I, 7. 378 Sur le sanctuaire, voir ROESCH P. « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 173-184. 379 FOSSEY J. M., « Boiotians Decrees of Proxenia », p. 44-47. 380 ROESCH P. « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 178. 381 Hérakleidès le Critique, I, 7. 382 KNOEPFLER D., « Oropos, colonie d’Érétrie », p. 50. 75

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Le territoire d'Oropos383

3) La Mégaride

Il faut enfin relever le cas de la Mégaride, qui rejoignit également la Confédération béotienne à la fin du IIIe siècle384. Si les deux régions partagent une frontière commune au sud de Platées, celle-ci est solidement marquée par les sommets du Cithéron et les Mégariens ne semblent jamais avoir eu de contacts continus avec la Béotie, leurs intérêts étant peu liés à la Grèce centrale. L’annexion de Mégare par le Koinon n’apparaît alors que comme le résultat d’une alliance entre celui- ci et Antigone Dôsôn385 et les ambitions béotiennes ne semblent motivées que par une volonté d’extension au détriment d’une importante cité donnant sur le golfe Saronique. L’annexion de Mégare s’accompagne cependant de celle de plusieurs petites localités qui pouvaient apparaître davantage liées au Koinon par leur position. C’est le cas d’Aigosthènes, petit port de Mégaride donnant sur le golfe de Corinthe et qui n’est situé qu’à quelques kilomètres de la frontière béotienne et son intégration au Koinon s’est faite à l’avantage des deux partis. En effet,

383 ROESCH P. « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 173. 384 Polybe, XX, 6, 8. 385 Infra, p. 307-309. 76

Aigosthènes dispose d’une position non négligeable sur le golfe de Corinthe qui est accessible depuis Platées386 voire depuis Creusis387. Dans l’autre sens, Aigosthènes a acquis une réelle autonomie dans la Confédération béotienne. Alors qu’elle n’était auparavant qu’une kômè388, un bourg dépendant de Mégare, il est attesté qu’il s’agit d’une cité dans la Confédération béotienne où elle a noué des liens étroits avec d’autres cités comme Siphai389. Ceci explique que lorsque Mégare quitta la Confédération béotienne avant la fin du IIIe siècle, Aigosthènes ne l’accompagna pas et resta dans le Koinon jusqu’à la dissolution de celui-ci en 172390.

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La Mégaride391

386 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 103, n. 1. 387 Xen., Hell., V, 4, 17-18. 388 IG VII 1. 389 IG VII 207 est un décret de la cité d’Aigosthènes donnant la proédrie et d’autres privilèges aux citoyens de Siphai en vertu des liens qui les unissent. 390 Infra, p. 312-313. 391 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 489. 77

Conclusion

Dans cette partie nous avons principalement étudié les littoraux béotiens en partant des sites portuaires qui les composent. Pour faire un bilan de la situation maritime de la Béotie, nous pouvons faire le chemin inverse et porter un regard sur son littoral en partant des grands centres urbains. Les cités les plus importantes de Béotie sont assurément Thèbes, Orchomène et Thespies et de ces trois, seule Thespies dispose d’un accès constant à la mer, avec son port de Creusis. Suivant les périodes, elle a pu exceptionnellement étendre son territoire de façon à inclure Siphai, Chorsiai et Thisbé ce qui traduit un réel intérêt de la part de ses élites dans le contrôle du littoral donnant sur le golfe de Corinthe. Les Thébains peuvent également accéder à la mer par Anthédon, qui constitue le port le plus proche de leur cité et y était intégré durant la période classique. Ils ont également pu être amenés à étendre leur influence sur la région de l’Euripe lorsqu’ils exerçaient leur hégémonie, au cours du IVe siècle. Cependant, avec la période hellénistique, Thèbes perdit sa position de force et en conséquence perdit également tout accès à la mer, devenant dès lors une cité enclavée. Enfin Orchomène n’a jamais eu de port régulier mais il est possible qu’elle pût accéder à la mer par Halai ou Larymna sans que ceux-ci ne fassent partie de leur territoire. Indéniablement, Tanagra, si elle n’a pas le poids de Thèbes, Orchomène ou Thespies en Béotie, apparaît comme l’une des cités ayant la plus importante assise maritime. Elle dispose de Délion comme port régulier et durant toute la période hellénistique, elle contrôle l’ensemble de la côte béotienne donnant sur le golfe Euboïque Sud, à savoir la côte qui va de Délion à Aulis. En comparaison, Platées ne dispose que d’un accès très limité à la mer, pouvant profiter de sa proximité avec Creusis ou Aigosthènes sans que jamais ces ports ne fassent partie de son territoire. Ainsi, au-delà des difficultés relatives pour accéder aux côtes béotiennes, la mer apparaît surtout comme un territoire inégalement réparti, où, à part les petites cités côtières (Chorsiai, Siphai, Anthédon), ce ne sont que quelques cités qui disposent d’un port : à savoir Thespies, Tanagra et Thèbes suivant les périodes. La carte suivante permet de bien comprendre le pays maritime béotien tel que présenté dans ces pages ; et il s’agit maintenant de comprendre comment les Béotiens vivent de la mer.

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La Béotie et la mer

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Partie II : Vie maritime des Béotiens Aspects économiques, sociaux et culturels

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Introduction

Après avoir contextualisé les littoraux béotiens, nous nous intéresserons désormais à la vie maritime des Béotiens, pour tenter de retrouver dans quelle mesure la mer fait partie de la vie quotidienne des Béotiens. Nous l’avons vu, si les côtes béotiennes ne comportent pas de grande ville, elles se composent en revanche d’une succession de petits sites qui vivent de leur position maritime. Il s’agira ici d’étudier les différents aspects qui caractérisent le rapport des Béotiens à la mer qu’ils soient culturels, cultuels ou économiques. En conséquence, les sources étudiées sont certainement les plus variées de ce mémoire car elles doivent nous permettre d’appréhender des réalités profondément différentes. Pour ce qui est des sources littéraires, la plupart des auteurs qui ont été utilisés dans la partie précédente peuvent également être mis à profit ici, car ils donnent de précieuses indications sur l’activité des sites béotiens. On pense notamment à Hérakleidès le Critique pour les questions économiques ou à Pausanias qui décrit de nombreux cultes propres aux cités qu’il visite. Remonter au VIIIe siècle nous permet d’inclure deux des sources littéraires les plus riches pour cette partie : Hésiode et Homère. Le premier est probablement le plus illustre des Béotiens et il dédie toute une partie des Travaux et des Jours aux questions liées à la navigation tandis que l’œuvre du deuxième constitue probablement le plus ancien « récit géographique » de la Béotie par le biais du Catalogue des Vaisseaux, un célèbre passage de l’Iliade. Par ces deux poètes, que la légende oppose, il nous est permis d’appréhender une Béotie archaïque qui n’est en aucun cas déconnectée des choses de la mer. Celle-ci mérite une étude approfondie car elle nous permet de mieux comprendre le rapport à la mer des Béotiens, celui-ci se construisant manifestement dès la période archaïque. Pour les questions économiques, les décrets de proxénie constituent assurément le matériau principal mais on pourra également mettre à profit les listes de vainqueurs aux concours béotiens pour percevoir les réseaux maritimes dans lesquels s’inscrit la Béotie. Il faut d’ailleurs noter que, comme nous l’avons déjà expliqué pour la période archaïque, la date de 172 avant J.C., fait peu de sens pour des études économiques ou cultuelles et nous prendrons donc à l’occasion des sources postérieures. Il nous est ainsi possible d’inclure des inscriptions allant jusqu’au Ier siècle avant J.C., notamment dans le cadre des concours béotiens où le corpus devient plus consistant à la fin de la période hellénistique ; et d’autre part, on pourra également prendre en compte des témoignages d’auteurs tardifs sur la réalité de leur époque lorsque cela a trait à des sujets cultuels notamment comme en traitent souvent Pausanias ou Plutarque, au IIe siècle.

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La numismatique sera à l’occasion mise à profit tant pour des sujets économiques que pour d’autres culturels ou cultuels. Enfin, il faut évoquer un important corpus iconographique propre à la Béotie archaïque qui est principalement composé de fibules mais auxquelles on peut adjoindre quelques céramiques. Ce vaste corpus nous permettra d’étudier cette vie béotienne sur une longue période en abordant dans un premier temps la naissance d’une culture de la mer à l’époque archaïque, puis les cultes béotiens liés à la mer, et enfin l’économie maritime en Béotie.

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I Culture de la mer dans la Béotie archaïque

Lorsque l’on envisage le rapport des Grecs à la mer, la période archaïque fait figure d’époque charnière car c’est avec elle qu’apparaît le phénomène de colonisation du bassin méditerranéen ainsi que le développement du commerce maritime. Les Béotiens sont généralement perçus comme n’ayant pas pris part à cet épisode historique. La raison la plus fréquemment invoquée est qu’ils n’étaient pas touchés par la sténochôria, eux qui disposaient d’un vaste et fertile pays alors même que le manque de terre n’est plus considéré comme le moteur principal de la colonisation grecque392. Or, il se trouve qu’elle a pu y participer, ou du moins qu’elle ne s’en est pas totalement exclue et même se retrouve dans ce développement des échanges maritimes qui définit le monde grec pour les siècles ultérieurs. À ce titre-là, Hésiode apparaît comme un témoin de première importance.

1) La navigation chez Hésiode

Dans la vision traditionnelle du Béotien, celui-ci apparaît comme un paysan attaché à sa terre et le meilleur exemple en serait Hésiode, au VIIIe siècle. Celui-ci expose un idéal paysan dans Les Travaux et les Jours consistant à travailler honnêtement la terre au rythme des saisons et dans le respect des dieux. Pourtant, c’est ce même poète qui dédie une partie de son œuvre à la navigation au cours de 77 vers sur les 826 que contiennent Les Travaux et les Jours. Voici le passage concerné393 :

618 Εἰ δέ σε ναυτιλίης δυσπεμφέλου ἵμερος αἱρεῖ· Est-ce la navigation périlleuse dont le désir te εὖτ’ ἂν Πληιάδες σθένος ὄβριμον Ὠρίωνος possède ? Souviens-toi alors que quand les Pléiades, fuyant 620 φεύγουσαι πίπτωσιν ἐς ἠεροειδέα πόντον, devant la Force puissante d’Orion, tombent dans la mer δὴ τότε παντοίων ἀνέμων θυίουσιν ἀῆται· embrumée, c’est le moment où bouillonnent les souffles de καὶ τότε μηκέτι νῆα ἔχειν ἐνὶ οἴνοπι πόντῳ, ton vent394. C’est donc le moment aussi, souviens-t ’en, de γῆν δ’ ἐργάζεσθαι μεμνημένος ὥς σε κελεύω· ne plus diriger de vaisseaux sur la mer vineuse, mais de νῆα δ’ ἐπ’ ἠπείρου ἐρύσαι πυκάσαι τε λίθοισι travailler la terre, ainsi que je t’y engage. Tire le vaisseau au rivage, entoure-le de tous côtés de pierres, qui arrêteront

392 GARTLAND S., Geography and History of Boeotia, p. 62. 393 Hésiode, Les Travaux et les Jours, v. 618-694. 394 En novembre. 84

625 πάντοθεν, ὄφρ’ ἴσχωσ’ ἀνέμων μένος ὑγρὸν ἀέντων, l’élan des vents au souffle humide, et retire le nable, pour χείμαρον ἐξερύσας, ἵνα μὴ πύθῃ Διὸς ὄμβρος. que la pluie de Zeus ne pourrisse rien. Place chez toi en bon ὅπλα δ’ ἐπάρμενα πάντα τεῷ ἐγκάτθεο οἴκῳ, ordre tous les agrès, plie soigneusement les ailes de la nef εὐκόσμως στολίσας νηὸς πτερὰ ποντοπόροιο· marine, pends le bon gouvernail au-dessus de la fumée, et πηδάλιον δ’ εὐεργὲς ὑπὲρ καπνοῦ κρεμάσασθαι. toi-même attends que revienne la saison navigante. Alors tire 630 αὐτὸς δ’ ὡραῖον μίμνειν πλόον εἰς ὅ κεν ἔλθῃ· à la mer le vaisseau rapide et prépares-y la cargaison voulue, καὶ τότε νῆα θοὴν ἅλαδ’ ἑλκέμεν, ἐν δέ τε φόρτον pour avoir du profit à rapporter chez toi, grand sot de Persès, ἄρμενον ἐντύνασθαι, ἵν’ οἴκαδε κέρδος ἄρηαι, à l’exemple de notre père, qui naviguait faute d’aisance, et ὥς περ ἐμός τε πατὴρ καὶ σός, μέγα νήπιε Πέρση, qui, un beau jour, arriva ici, après avoir traversé une vaste πλωίζεσκ’ ἐν νηυσί, βίου κεχρημένος ἐσθλοῦ· étendue de flots, laissant derrière lui Cumes l’éolienne, sur 635 ὅς ποτε καὶ τεῖδ’ ἦλθε πολὺν διὰ πόντον ἀνύσσας, un vaisseau noir. Il ne fuyait point devant l’opulence, la Κύμην Αἰολίδα προλιπὼν ἐν νηὶ μελαίνῃ, richesse, la prospérité, mais bien devant la pauvreté funeste, οὐκ ἄφενος φεύγων οὐδὲ πλοῦτόν τε καὶ ὄλβον, que Zeus donne aux hommes ; et il vint ainsi s’établir près de l’Hélicon, à Ascra, bourg maudit, méchant l’hiver, dur ἀλλὰ κακὴν πενίην, τὴν Ζεὺς ἄνδρεσσι δίδωσιν. l’été, jamais agréable. νάσσατο δ’ ἄγχ’ Ἑλικῶνος ὀιζυρῇ ἐνὶ κώμῃ,

640 Ἄσκρῃ, χεῖμα κακῇ, θέρει ἀργαλέῃ, οὐδέ ποτ’ ἐσθλῇ. Pour toi, Persès, souviens-toi de faire chaque chose

en son temps, mais surtout quand il s’agit de naviguer. En τύνη δ’, ὦ Πέρση, ἔργων μεμνημένος εἶναι paroles vante les petits navires, mais place les marchandises ὡραίων πάντων, περὶ ναυτιλίης δὲ μάλιστα. dans un grand : plus considérable est la cargaison, plus νῆ’ ὀλίγην αἰνεῖν, μεγάλῃ δ’ ἐνὶ φορτία θέσθαι· considérable sera la somme de tes profits, pourvu que les μείζων μὲν φόρτος, μεῖζον δ’ ἐπὶ κέρδεϊ κέρδος vents retiennent leurs souffles contraires. Si tu veux tourner 645 ἔσσεται, εἴ κ’ ἄνεμοί γε κακὰς ἀπέχωσιν ἀήτας. vers le commerce ton cœur léger, échapper aux dettes et à la Εὖτ’ ἂν ἐπ’ ἐμπορίην τρέψας ἀεσίφρονα θυμὸν faim amère, je t’enseignerai les lois de la mer retentissante, βούληαι [δὲ] χρέα τε προφυγεῖν καὶ λιμὸν ἀτερπέα, bien qu’à vrai dire je ne m’entende ni à la navigation ni aux δείξω δή τοι μέτρα πολυφλοίσβοιο θαλάσσης, navires : jamais encore je ne me suis embarqué sur la vaste οὔτε τι ναυτιλίης σεσοφισμένος οὔτε τι νηῶν. mer, si ce n’est pour l’Eubée, à Aulis, où jadis les Grecs 650 οὐ γάρ πώ ποτε νηὶ [γ’] ἐπέπλων εὐρέα πόντον, attendirent la fin de la tempête, aux temps où ils avaient εἰ μὴ ἐς Εὔβοιαν ἐξ Αὐλίδος, ᾗ ποτ’ Ἀχαιοὶ rassemblé une vaste armée pour aller de la Grèce sainte μείναντες χειμῶνα πολὺν σὺν λαὸν ἄγειραν contre Troie aux belles femmes. C’est là que je m’embarquais Ἑλλάδος ἐξ ἱερῆς Τροίην ἐς καλλιγύναικα. pour Chalcis et les tournois du valeureux Amphidamas. Bien ἔνθα δ’ ἐγὼν ἐπ’ ἄεθλα δαΐφρονος Ἀμφιδάμαντος des prix étaient proposés par les fils du héros, et c’est alors, 655 Χαλκίδα [τ’] εἰσεπέρησα· τὰ δὲ προπεφραδμένα πολλὰ je puis le rappeler, qu’un hymne me donna la victoire je ἄεθλ’ ἔθεσαν παῖδες μεγαλήτορες· ἔνθα μέ φημι gagnai un trépied à deux anses, que je consacrai aux Muses ὕμνῳ νικήσαντα φέρειν τρίποδ’ ὠτώεντα. de l’Hélicon dans les lieux mêmes où, et pour la première τὸν μὲν ἐγὼ Μούσῃσ’ Ἑλικωνιάδεσσ’ ἀνέθηκα fois, elles m’avaient mis sur la route des chants harmonieux. ἔνθα με τὸ πρῶτον λιγυρῆς ἐπέβησαν ἀοιδῆς. Je n’ai pas d’autre expérience des nefs aux mille chevilles. 660 τόσσον τοι νηῶν γε πεπείρημαι πολυγόμφων· Mais je ne t’en dirai pas moins les desseins de Zeus qui tient ἀλλὰ καὶ ὣς ἐρέω Ζηνὸς νόον αἰγιόχοιο· l’égide, car les Muses m’ont appris à chanter un hymne Μοῦσαι γάρ μ’ ἐδίδαξαν ἀθέσφατον ὕμνον ἀείδειν. merveilleux.

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Ἤματα πεντήκοντα μετὰ τροπὰς ἠελίοιο, C’est cinquante jours, à partir du moment où ἐς τέλος ἐλθόντος θέρεος, καματώδεος ὥρης, tourne le soleil395, au cœur du lourd été, que, pour les 665 ὡραῖος πέλεται θνητοῖς πλόος· οὔτε κε νῆα mortels, dure la saison navigante. Alors tu ne briseras pas tes καυάξαις οὔτ’ ἄνδρας ἀποφθείσειε θάλασσα, vaisseaux, et la mer ne prendra pas tes équipages – à moins εἰ δὴ μὴ πρόφρων γε Ποσειδάων ἐνοσίχθων que Poseidon qui ébranle la terre, ou Zeus, roi des ἢ Ζεὺς ἀθανάτων βασιλεὺς ἐθέλῃσιν ὀλέσσαι· Immortels, ne soit décidé à les perdre, car c’est en eux que ἐν τοῖς γὰρ τέλος ἐστὶν ὁμῶς ἀγαθῶν τε κακῶν τε. résident en somme tous biens et tous maux à la fois. Alors 670 τῆμος δ’ εὐκρινέες τ’ αὖραι καὶ πόντος ἀπήμων· les brises sont franches, et la mer est sans danger. Sans peur, εὔκηλος τότε νῆα θοὴν ἀνέμοισι πιθήσας confie-toi aux vents, tire à la mer le vaisseau rapide, places-y ἑλκέμεν ἐς πόντον φόρτον τ’ ἐς πάντα τίθεσθαι· toute la cargaison, et hâte-toi de revenir à ton foyer le plus σπεύδειν δ’ ὅττι τάχιστα πάλιν οἶκόνδε νέεσθαι tôt que tu pourras. N’attends ni le vin nouveau avec les μηδὲ μένειν οἶνόν τε νέον καὶ ὀπωρινὸν ὄμβρον pluies de l’arrière-saison, ni l’approche de l’hiver avec les souffles terribles du Notos, qui accompagne, en soulevant 675 καὶ χειμῶν’ ἐπιόντα Νότοιό τε δεινὰς ἀήτας, les flots, les abondantes pluies du ciel d’automne et rend la ὅς τ’ ὤρινε θάλασσαν ὁμαρτήσας Διὸς ὄμβρῳ mer périlleuse. πολλῷ ὀπωρινῷ, χαλεπὸν δέ τε πόντον ἔθηκεν.

Il est pour les mortels une autre navigation, c’est ἄλλος δ’ εἰαρινὸς πέλεται πλόος ἀνθρώποισιν· celle du printemps, quand, pour la première fois, l’homme ἦμος δὴ τὸ πρῶτον, ὅσον τ’ ἐπιβᾶσα κορώνη aperçoit au sommet du figuier des feuilles aussi grandes que 680 ἴχνος ἐποίησεν, τόσσον πέταλ’ ἀνδρὶ φανήῃ la trace laissée au sol par la corneille qui s’y posa. Alors la ἐν κράδῃ ἀκροτάτῃ, τότε δ’ ἄμβατός ἐστι θάλασσα· mer est abordable : c’est l’heure de la navigation du εἰαρινὸς δ’ οὗτος πέλεται πλόος· οὔ μιν ἔγωγε printemps. Mais je ne puis en faire l’éloge ; elle ne plaît guère αἴνημ’, οὐ γὰρ ἐμῷ θυμῷ κεχαρισμένος ἐστίν· à mon cœur : il faut en saisir l’instant, et il est malaisé d’y ἁρπακτός· χαλεπῶς κε φύγοις κακόν· ἀλλά νυ καὶ τὰ éviter un malheur. Les hommes en usent néanmoins, parce 685 ἄνθρωποι ῥέζουσιν ἀιδρείῃσι νόοιο· que leurs âmes sont aveugles : l’argent, c’est la vie des χρήματα γὰρ ψυχὴ πέλεται δειλοῖσι βροτοῖσιν. pauvres mortels ! Il est dur pourtant de mourir au milieu des δεινὸν δ’ ἐστὶ θανεῖν μετὰ κύμασιν· ἀλλά σ’ ἄνωγα flots. Va, crois-moi, médite sur tout cela en ton cœur, ainsi φράζεσθαι τάδε πάντα μετὰ φρεσὶν ὡς ἀγορεύω. que je t’y engage. Ne mets pas tout ton bien au fond d’un μηδ’ ἐν νηυσὶν ἅπαντα βίον κοίλῃσι τίθεσθαι, vaisseau creux ; laisse à la terre la plus forte part et 690 ἀλλὰ πλέω λείπειν, τὰ δὲ μείονα φορτίζεσθαι· n’embarque que la moindre. Il est dur de rencontrer un δεινὸν γὰρ πόντου μετὰ κύμασι πήματι κύρσαι· désastre au milieu des flots de la mer. Il serait dur, surtout, δεινὸν δ’ εἴ κ’ ἐπ’ ἄμαξαν ὑπέρβιον ἄχθος ἀείρας pour avoir à son chariot imposé un faix trop lourd, de voir ἄξονα καυάξαις καὶ φορτία ἀμαυρωθείη. soudain l’essieu brisé et la charge perdue. Observe la 694 μέτρα φυλάσσεσθαι· καιρὸς δ’ ἐπὶ πᾶσιν ἄριστος. mesure : l’à-propos en tout est la qualité suprême.

395 Le solstice d’été. 86

Hésiode décrit ici une activité commerciale adaptée à la vie de petits propriétaire terriens396 se méfiant des « rois dévorateurs de présents »397. Quelques notions apparaissent essentielles pour comprendre ce passage : Hésiode utilise le terme « βίος »398 pour désigner ce qui est chargé sur le navire (ici traduite par « bien ») mais il utilise également ce même terme pour désigner le fruit de la récolte destiné à la subsistance du foyer et il n’y a donc pas de rupture terminologique entre ces deux aspects399. Les revenus issus de la mer ne viennent qu’en complément du travail des champs qui mobilise l’essentiel du temps de travail annuel. On embarque ainsi une partie de son « βίος » afin de réaliser un profit qu’Hésiode appelle « κέρδος »400. Le but est donc vraisemblablement d’embarquer un surplus de production (céréales, vin...) pour l’exporter soit vers des régions aux mauvaises récoltes, soit vers Corinthe qui devait peut-être avoir des besoins constants dès l’époque archaïque401. La période de navigation que présente Hésiode s’étend, au plus large, entre le printemps et l’automne, bien qu’il déconseille fortement de naviguer avant l’été402 et qu’il ne dise rien de plus sur la navigation automnale que de rentrer les navires en novembre403. Ses conseils portent plus précisément sur une période qui se réduit à 50 jours à partir du solstice d’été et s’achèverait donc au milieu du mois d’août404, un délai particulièrement bref qui semble aller à l’encontre de ce que pratique une partie de ses contemporains qu’il juge avide405. Plus étonnant sont ses conseils sur l’entretien du navire406, car Hésiode laisse entendre que Persès serait propriétaire d’un bateau. Hésiode et son frère habitent vraisemblablement comme leur père, à Askra, sur le territoire de Thespies. Or bien que Thespies disposât d’un port, Creusis, le village d’Askra était située dans l’extrémité opposée du territoire, bien plus proche du lac Copaïs que du golfe de Corinthe, dont elle était d’ailleurs séparée par l’Hélikon.

396 VAN EFFENTERRE H., Les Béotiens, p. 83. 397 Hésiode, Les Travaux et les Jours, v. 38-39 : « βασιλῆας δωροφάγους ». 398 Aux vers 635, 689. 399 ZURBACH J., Les hommes, la terre et la dette, vol. 1, p. 299. 400 Aux vers 632, 644. 401 ZURBACH J., Les hommes, la terre et la dette, vol. 1, p. 301. 402 V. 678-683. 403 V. 619-623. 404 V. 663-665. 405 V. 683-685. 406 V. 624-634. 87

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

La région de Thespies407

La possession d’un navire par un habitant d’Askra dont l’activité maritime ne serait que secondaire apparaît hautement improbable. Hésiode explique que le vaisseau doit être laissé sur la grève durant la mauvaise saison ce qui est en réalité inconcevable comme le fait de le ramener à l’intérieur de ses terres408. La possession même d’un navire semble futile pour un paysan d’Ascra alors que plus tôt Hésiode présente les limites à la construction d’un charriot, bien plus utile à un paysan409 :

407 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 134. 408 EDWARDS A., Hesiod’s Ascra, p. 59-60. 409 V. 455-457. 88

φησὶ δ’ ἀνὴρ φρένας ἀφνειὸς πήξασθαι ἄμαξαν· νήπιος, οὐδὲ τὸ οἶδ’· ἑκατὸν δέ τε δούρατ’ ἀμάξης, τῶν πρόσθεν μελέτην ἐχέμεν οἰκήια θέσθαι.

« L’homme riche d’illusions parle de construire un chariot. Le pauvre sot ! il ne sait pas qu’il y a cent pièces dans un chariot et qu’il faut d’abord prendre soin de les rassembler chez soi. »

Dans ce contexte, le plus plausible est que quelqu’un souhaitant exporter ses productions s’embarque dans le navire de quelqu’un résidant à Creusis et dont l’activité principale est maritime, que ce soit la pêche ou le commerce sur le golfe de Corinthe. Ce que décrit donc ici Hésiode ne s’applique donc pas à la réalité d’Ascra. Il a été débattu de savoir d’où Hésiode tire ses connaissances de la mer410, d’autant qu’il dit explicitement ne rien y connaître et n’avoir pris la mer qu’une fois, pour aller d’Aulis à Chalcis411, mention qui n’est certainement pas dénuée d’une part d’ironie. Hésiode explique tenir son savoir des Muses412 ce qui ne nous avance pas plus mais on voit ailleurs qu’il prend clairement pour exemple son père « qui naviguait faute d’aisance »413, qui aurait donc pris la mer poussé par la pauvreté dans laquelle il était414. C’est une situation critique qui s’oppose à son idéal décrit plus tôt dans l’œuvre415 :

θάλλουσιν δ’ ἀγαθοῖσι διαμπερές· οὐδ’ ἐπὶ νηῶν νίσονται, καρπὸν δὲ φέρει ζείδωρος ἄρουρα.

« Ils s’épanouissent en prospérités, sans fin ; et ils ne partent point en mer, le sol fertile leur offrant ses moissons. »

Le cas de son père est donc une réalité bien distincte de celle qu’il présente dans ses conseils

410 ZURBACH J., Les hommes, la terre et la dette, vol. 1, p. 300. 411 V. 648-654. 412 V. 662. 413 V. 634. 414 ZURBACH J., Les hommes, la terre et la dette, vol. 1, p. 300. 415 V. 236-237. 89 de navigation où l’on navigue quand on a un excédent de production et surtout où il s’agit d’un choix comme Hésiode l’introduit lui-même dans ce passage416 : « Est-ce la navigation périlleuse dont le désir te possède ? ». Ainsi le point de vue d’Hésiode sur la navigation apparaît contradictoire entre les conseils qu’il prodigue et l’exemple de son père qu’il enjoint de suivre. Il est également très flou dans sa faisabilité, comme sur la question de la possession des navires et Hésiode exprime de nombreuses réserves et conseille la prudence contre l’avidité de ceux qui naviguent au printemps. La question du choix volontaire de se lancer dans le commerce maritime apparaît cruciale dans ce tableau car on a ici l’impression qu’Hesiode développe sur ce sujet à contre-cœur alors que lui-même n’y connaît pas grand-chose. Il apparaît alors bien possible que ce passage soit une réponse à l’attitude de ses contemporains qu’il désapprouve, la qualifiant d’avide. Si l’on admet qu’Hésiode décrit une réalité entre le VIIIe et le VIIe siècle417, c’est alors précisément le temps des colonisations grecques et du développement du commerce maritime qui allait de pair418. Le voyage du père d’Hésiode, quittant l’Éolide pour la Béotie (elle-même une région éolienne), s’inscrit probablement dans ce contexte. Cette évolution des pratiques à laquelle assiste Hésiode s’accompagne de nombreuses opportunités de faire fortune à condition de prendre des risques importants. La mentalité conservatrice et traditionnelle d’Hésiode devait le pousser à s’opposer à ces nouvelles pratiques économiques qui touchèrent également la Béotie.

2) La Béotie dans la colonisation

Il est communément admis que la Béotie ne fut pas un moteur du mouvement de colonisation que connaît le monde grec. Celui-ci était porté par les Eubéens, les Corinthiens, ou les Mégariens, tous voisins de la Béotie. Néanmoins, les Béotiens semblent impliqués dans plusieurs fondations où ils sont associés aux Mégariens notamment, d’abord dans la Propontide. Les traces d’une participation béotienne sont ténues, se résumant souvent à des survivances d’une culture béotienne exportée. Chalcédoine, sur la rive orientale du Bosphore, est fondée par les Mégariens419 certainement

416 V. 617. 417 HUNZINGER Chr., Hésiode, Les Travaux et les Jours, p. 8-9. 418 PERYSINAKIS I, « Hesiod’s treatment of wealth », p. 116. 419 Thuc., IV, 75, 2. 90 au cours du VIIe siècle420. Une inscription de la cité remontant à la période hellénistique fait mention d’une tribu civique nommée Ἀσωποδωρος421 du nom du fleuve Asopos passant à proximité de plusieurs cités béotiennes telles que Thèbes ou Tanagra422. Le nom de cette tribu pourrait ainsi bien avoir une origine béotienne bien que la mention soit légère423. La fondation de Chalcédoine apparaît étroitement liée à celle de Byzance, cette dernière étant sur la rive opposée du Bosphore, et ayant été fondée quelques années après sa voisine424. Il s’agit incontestablement d’une colonie mégarienne comme l’attestent l’alphabet, le dialecte, l’onomastique, les institutions, les cultes et le calendrier, tous d’origine mégarienne425. Si les sources faisant mention des Mégariens sont nombreuses426, des auteurs leurs associent d’autres fondateurs. C’est le cas de Justin427 qui dit que Byzance aurait été fondée par le roi de Sparte Pausanias, au Ve siècle ou d’Ammien Marcelin qui présente la cité comme une fondation des Athéniens428. Ces origines s’expliquent certainement par l’importance de ces deux cités à l’époque classique, les amenant à s’immiscer dans les affaires byzantines429. Milet est parfois évoquée comme fondatrice de Byzance430 mais cela paraît peu concevable car cela supposerait une association avec Mégare alors que les deux cités étaient rivales dans la colonisation431. Constantin Porphyrogénète est le seul à évoquer le rôle des Béotiens qu’il associe aux Mégariens et aux Spartiates dans la fondation de Byzance432. L’empereur byzantin disposant de sources nombreuses sur la question, on peut à priori le considérer comme bien informé sur l’histoire de sa cité433. D’autres éléments renforcent l’hypothèse d’une présence béotienne parmi les colons de Byzance. Un passage de Diodore fait mention d’un collège de trente magistrats à Byzance

420 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 240-242. 421 IK Kalchedon 7, l. 16. 422 Si l’Asopos est connu comme étant un fleuve béotien, il faut aussi noter qu’il en existe plusieurs homonymes : un près de Sicyone, un autre près d’Héraclée Trachinienne et un dernier à (voir Strabon, VIII, 6, 24). 423 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 109. 424 Hérodote, IV, 144 parle de 17 ans d’intervalle entre les deux. 425 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 254-255. 426 Voir toujours ROBU A., op. cit., p. 248-249 qui mentionne le Pseudo-Scymnos au IIe siècle et de nombreux auteurs de l’époque impériale ou byzantine : Denys de Byzance, Philostrate, Jean le Lydien, Hésychios, Georgius Cedrenus, Syméon, Joseph Genesius ou dans une scholie à Démosthène. 427 IX, 1, 3. 428 Histoires, XXII, 8, 8. 429 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 257-258. Pausanias n’a par exemple pas fondé Byzance, qui lui est antérieure de plusieurs siècles, mais il l’a conquise en 478-477 ce qui put être assimilé à une refondation de la cité, car s’accompagnant du retour de nombreux exilés. Athènes est elle liée à Byzance par ses deux Ligues maritimes qui intégrait la cité du Bosphore. 430 Velleius Paterculus, II, 7, 7. 431 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 264. 432 De Thematibus¸ II, p. 46, (éd. I. Bekker). 433 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 109. 91 appelés Βοιωτοί434. Le manuscrit est néanmoins considéré comme corrompu au sujet de ces Béotiens dont on ne trouve aucune mention par ailleurs, et on remplace généralement ce terme par τοὺς Βυζαντίους435. Le philosophe byzantin Léon aurait composé des Histoires béotiennes dans la deuxième moitié du IVe siècle436 et il n’est pas exclu que son intérêt pour les Béotiens découle de leur rôle dans la fondation de sa cité437. Au Ier siècle de notre ère, le médecin byzantin Aglaïas ou Aglaïdas présente sa famille comme descendant d’Héraclès438 ce qui laisserait entendre que le héros « béotien » joua un rôle dans la fondation de la cité439. Héraclès dispose d’un temple440 et d’un bois sacré441(un ἄλσος) dans la cité et apparaît sur des monnaies impériales byzantines442.

Monnaie byzantine du début du IIIe siècle ap. J.C., avec Héraclès au revers443

John M. Fossey remarque également que le calendrier byzantin comporte les mois de Μαχάνειος et d’Εὐκλεῖος444, faisant référence à Zeus Machaneus dont le culte apparaît à Tanagra445 et à Artémis Eukleia, qui était honorée en Béotie446. Adrian Robu rejette ce rapprochement car ces mois devaient probablement se retrouver à Mégare et peut-être à Corinthe447. Si ces réserves sont pleinement justifiées, l’hypothèse de Fossey spécifierait le rôle des

434 XIV, 12, 3. 435 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 265. 436 Plutarque, Traité des fleuves, II : « Λέων ὁ Βυζάντιος ἐν τοῖς Βοιωτιακοῖς ». 437 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 265. 438 BUSSEMAKER U. C. (éd.), Carminum medicorum reliquiae, in Poetae bucolici et didactici, 1851, p. 97 : « ΑΓΛΑΙΟΥ, ΕΥΓΕΝΕΣΤΑΤΟΥ ΒΥΖΑΝΤΙΩΝ, ΕΞ ΗΡΑΚΛΕΟΥΣ ΤΟ ΓΕΝΟΣ ΚΑΤΑΓΟΝΤΟΣ ». 439 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 266. 440 Syméon Métaphraste, Chronographia, XXV, 11, p. 704 (éd. Bekker). 441 Hésychios de Milet, Histoire romaine et générale, VI, 37 (in Patria de Constantinople). 442 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 266. 443 Moushmov 3415, avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 444 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 109. 445 IG VII 548. 446 Plutarque, Aristide, 20. 447 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 265, n. 661. 92

Béotiens dans cette colonisation à la cité de Tanagra, ce qui fait sens d’un point de vue géographique mais surtout rejoint un passage d’Athénée de Naucratis qui explique que dans le naos des Byzantins à Olympie, peut être vue une statue en bois d’un triton tenant un canthare en argent448. Le canthare étant un attribut de Dionysos, la divinité est ici associée au triton ce qui est un particularisme de Tanagra où il s’agit d’un culte important449. Il est ainsi plus ou moins assuré que Byzance fut également fondée à partir d’une association entre Mégariens et Béotiens, et peut-être plus précisément des Tanagréens. Il est néanmoins impossible de savoir si les Béotiens faisaient partie de la première génération de colons (les apoikoi) ou d’une migration ultérieure (les époikoi) ou même s’ils avaient le même statut social par rapport aux Mégariens450. La colonisation de Byzance devait également comprendre des Argiens et peut- être des Corinthiens451 mais les indices sur les fondateurs concernent principalement les Mégariens et les Béotiens. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard, mais lorsque Byzance chercha à quitter la Ligue de Délos au cours de la guerre du Péloponnèse, Sparte appuie ce projet et y envoie une petite flotte dirigée par un Mégarien452 et comprenant sans doute des Béotiens453, probablement en raison de leur passé commun de fondateurs454. Astacos, à l’est du Bosphore, aurait été créée par les Mégariens associés aux Athéniens selon Strabon455, tandis que Charon de Lampsaque la présente comme une colonie chalcédonienne456, probablement fondée dans la seconde moitié du VIIe siècle457. Il est possible que la colonie ait été effectivement fondée par les Chalcédoniens et qu’une seconde vague de colons soit ensuite arrivée depuis Mégare458 mais l’inverse est également possible459. Memnon, historien natif d’Héraclée du Pont et auteur d’une histoire locale a fait un bref récit de cette fondation460 ici traduit par Virginie Davaze461:

448 Deipnosophistes, XI, 480a. 449 Infra, p. 123-125. 450 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 269. 451 ROBU A., Ibid., p. 270-278. 452 Thuc., VIII, 80, 3. 453 Xénophon. Helléniques, I, 3, 15, (voir Infra, p. 213). 454 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 268. 455 Strabon, XII, 4, 2. 456 FGrH 262 8b. 457 DAVAZE V., Memnon, historien d’Héraclée du Pont, p. 366. 458 DAVAZE V., Ibid., p. 366. 459 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 109 ou ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 206 jugent plus fiables les sources qui traitent d’Astacos comme une fondation mégarienne. 460 Memnon, 12, 2. 461 Memnon, historien d’Héraclée du Pont, p. 365-366. 93

Τὴν Ἀστακὸν δὲ Μεγαρέων ᾤικισαν ἄποικοι, ὀλυμπιάδος ἱσταμένης ιζ′, Ἀστακὸν ἐπίκλην κατὰ χρησμὸν θέμενοι ἀπό τινος τῶν λεγομένων Σπαρτῶν καὶ γηγενῶν, ἀπογόνων τῶν ἐν Θήβαις. Ἀστακοῦ τὴν κλῆσιν, ἀνδρὸς γενναίου καὶ μεγαλόφρονος.

« Astacos avait été fondée par des colons mégariens au début de la dix- septième olympiade ; ils l’appelèrent Astacos, sur l'ordre d'un oracle, du nom de ceux que l’on appelle les Spartes et les fils nés de la terre de Thèbes ; il s’appelait Astacos, c’était un héros noble et magnanime. »

On voit que le nom même de la colonie est ici encore lié aux légendes béotiennes, et plus particulièrement thébaines. Si l’indice est faible, il sous-entend une fois de plus une participation commune des Béotiens et des Mégariens à la colonisation de la zone du Pont462. Enfin, Sinope est connue pour être une colonie milésienne, comme de nombreuses autres cités463, fondée dans la deuxième moitié du VIIe siècle. Si aucune source écrite ne mentionne une quelconque participation béotienne à sa fondation, il est possible qu’ils soient intervenus à un moment ou un autre car quelques éléments lient les deux. Le nom de Sinope fait référence à une fille de l’Asopos, fleuve béotien qui est également le père de Thèbes, Tanagra, Thespies464 et le nom de l’oikiste pourrait également être un indice pour une colonisation béotienne. Son nom ne se trouve que dans le Périple du Pseudo-Scymnos465 sous la forme Ἁμβρώντας, nom inconnu que l’on peut corriger de deux façons466 : - Habrondas467, nom typiquement béotien. - Habron468, nom répandu en Asie mineure, et donc version plus probable. Si l’on admet que l’oikiste se nommait Habrondas, alors il se pourrait qu’il traduise une participation béotienne à la fondation de Sinope469. Néanmoins, l’hypothèse est trop mince pour

462 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 109. 463 Pline, Histoire Naturelle, V, 31, 1, dit que Milet fonda plus de 80 colonies. 464 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 110. 465 Périple du Pseudo-Scymnos, F 27, v. 992. 466 Voir IVANTCHIK A., « Les légendes de fondation de Sinope du Pont », p. 34, n. 2 expose les débats autour des formes du nom. 467 C’est la version retenue par Karl Müller (Geographi Graeci Minores, 1855, Paris, vol. 1, p. 236). 468 On transforme alors Ἁμβρώντας en Ἅμβρων τῷ, c’est la version retenue par Didier Marcotte (Les géographes grecs, 2002, Paris, vol. 1, p. 147). 469 Comme l’a suggéré BILABEL Fr., Die Ionische Kolonisation, p. 151 repris par FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 110. 94 en tirer une quelconque affirmation et la participation des Béotiens reste très incertaine ici.

Après ces premières fondations en Propontide, les Mégariens se rendirent au-delà du Bosphore, toujours accompagnés des Béotiens. C’est Justin qui rapporte l’histoire mythique de la fondation d’Héraclée du Pont470 :

Quippe Boeotiis pestilentia laborantibus oraculum Delphis responderat, coloniam in Ponti regione sacram Herculi conderent. Cum propter metum longae ac periculosae navigationis mortem in patria omnibus praeoptantibus res omissa esset, bellum his Phocenses intulerunt, quorum cum adversa proelia paterentur, iterato ad oraculum decurrunt; responsum idem belli quod pestilentiae remedium fore. Igitur conscripta colonorum manu in Pontum delati urbem Heracleam condiderunt […].

« De fait, la réponse faite par l’oracle de Delphes aux Béotiens qui subissaient une épidémie avait été de fonder une colonie consacrée à Hercule dans la région du Pont. Alors qu’ils avaient laissé tomber cette affaire en raison de la crainte qu’inspirait une longue et périlleuse navigation et parce que tous préféraient mourir dans leur patrie, les Phocéens portèrent la guerre chez eux ; comme ces derniers leur avaient infligé quelques défaites, les Béotiens recoururent de nouveau à l’oracle qui leur répondit que le remède à la guerre serait le même que pour l’épidémie. Après avoir enrôlé une troupe de colons, on les transporta dans le Pont où ils fondèrent Héraclée […]. »

Ce récit comporte toutes les composantes de la « propagande » delphique avec une épidémie, un oracle qui est ignoré, un deuxième fléau et l’accomplissement de l’oracle ce qui rend suspecte cette tradition471. Xénophon472, Diodore473 et Arrien474 présentent Héraclée comme une fondation non pas béotienne mais mégarienne. Cette tradition mégarienne est non seulement bien attestée, mais c’est également la plus ancienne, Xénophon étant la plus ancienne référence à la fondation d’Héraclée475. Plusieurs auteurs donnent néanmoins une double parenté à la cité

470 Justin, Abrégé des Histoires Philippiques, XVI, 3, 4-7. 471 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 296. 472 Anabase, VI, 2, 1 : « εἰς Ἡράκλειαν πόλιν Ἑλληνίδα Μεγαρέων ἄποικον ». 473 XIV, 31, 3. 474 Périple du Pont-Euxin, XVIII, 3. 475 D. ASHERI, Uber Die Fruhgeschichte Von Herakleia Pontike, p. 23. 95 d’Héraclée. C’est le cas d’Éphore, comme l’indique une scholie à Apollonios de Rhodes476, qui indique qu’Héraclée du Pont fut fondée par les Béotiens et les Mégariens tandis qu’Apollonios parle lui-même tantôt des Béotiens et des Mégariens de Nisaia477, tantôt seulement de ces derniers478. L’historien Euphorion se montre plus précis en indiquant qu’Héraclée est une colonie béotienne avec un oikiste mégarien479. Si Pausanias et la s’accordent également sur l’origine mégarienne et béotienne d’Héraclée le premier dit que ce sont des colons de Tanagra qui firent le voyage480 tandis que la seconde les fait venir de Thèbes481. Il est possible que la cité de Siphai ait également été impliquée dans la migration482 car on retrouve à Héraclée la tombe de Tiphys, héros éponyme de la petite cité béotienne483. Il est également possible de retrouver cette identité béotienne par les colonies secondaires fondées par Héraclée. À Kiéros, en Asie mineure, une tribu se nomme Thebais comme l’atteste de nombreuses inscriptions484. Stephane de Byzance mentionne une colonie d’Héraclée non localisée nommée Panélos485. Il développe en disant que le nom de la colonie vient de son oikiste, un Béotien descendant d’un des chefs de l’Iliade. Dans la Souda, il est mention d’un certain Hérakleides fils d’Euphron, d’Héraclée du Pont qui se dit descendant de Damis, qui mena le contingent thébain lors de la fondation d’Héraclée486. Personne ne conteste la double origine des fondateurs d’Héraclée qui provenaient soit de Mégare (notamment de Nisaia), soit de Béotie avec notamment probablement les cités de Thèbes, Tanagra, Siphai, Thespies. Il faut cependant noter qu’alors que les sources insistent sur la parenté mégarienne de la colonie, les traces culturelles et surtout celles liées aux cultes héroïques renvoient principalement à la Béotie avec Tiphys, Damis ou Pénéléos. Rien que le nom de la cité est certainement un héritage béotien plus que mégarien car le culte d’Héraclès est très rare chez cette dernière487. En conséquence, David Asheri soutient que cela traduit un décalage entre la situation

476 FGrHist 70 F 44a, scholies à Apollonios de Rhodes, II 845 : « ὅτι δὲ Βοιωτοὶ καὶ Μεγαρεῖς ἔκτισαν τὴν ἐν Πόντωι Ἡράκλειαν καὶ Ἔφορος ἐν πέμπτωι καὶἄλλοι ἱστοροῦσιν ». 477 II, 846-850. 478 II, 743-749, où il dit que les habitants de Nisaia se rendent dans le pays des Mariandyniens, à savoir la région d’Héraclée. 479 Fr. 177 : « τὴν δὲ Μαριανδυνῶν γῆν σὺν Γνησιόχωιτῶι Μεγαρεῖ Βοιωτοὶ κατέσχον, ὡς Εὐφορίων ἱστορεῖ ». 480 V, 26, 7. 481 Souda, s. v. Ἡρακλείδης. 482 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 295. 483 Apollonios, II, 854. 484 IK Prusias ad Hypium 1-8, 10-12 et 14. 485 Steph. Byz. Πάνελος. Pour le héros homérique Pénéléos, voir Iliade, II, 494. 486 Souda, s. v. Ἡρακλείδης. 487 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 299. 96 des Mégariens et des Béotiens qui ont dû arriver en même temps à Héraclée488. Les Mégariens devaient être les plus nombreux, mais également de condition plus modeste alors que les Béotiens étaient probablement des aristocrates, des « γνώριμοι », qui ont fait le voyage avec leurs traditions familiales héroïques s’étant ensuite inscrites dans le paysage local489. Ce tableau peut se compléter par le cas de Chersonèse en Tauride (en Crimée actuelle). Selon le pseudo-Scymnos490, la cité serait née de la migration d’habitants d’Héraclée et de Délos et on admet par conséquent qu’elle fut fondée en 422/1, au moment où les Déliens sont expulsés de leur île par les Athéniens491 alors que le stratège athénien Lamachos avait peu avant pillé la chôra d’Héraclée492. Cependant, les découvertes archéologiques sur le site attestent qu’il était occupé depuis le début du Ve siècle et certaines céramiques remontent même au VIe siècle493. Il a alors été envisagé que le pseudo-Scymnos ait confondu Délos avec Délion, petite ville portuaire à proximité de Tanagra494. De nombreux ostraka des VIe et Ve siècles ont été rassemblées495 permettant de faire une étude prosopographique des premiers habitants de Chersonèse et il ressort que les deux tiers des noms sont propres à Mégare, la Béotie ou la Thessalie496. Il est possible que ces colons soient exclusivement issus d’Héraclée, mais il est aussi envisageable qu’il y ait eu des renforts de population venant de Grèce propre, surtout si l’on admet la possibilité que ce soit de Délion et non de Délos dont parle le pseudo-Scymnos. Enfin, c’est le mythe d’Iphigénie qui lie directement Chersonèse à la Béotie. En effet, selon la légende, Agamemnon aurait sacrifié sa fille à Artémis, dans son sanctuaire d’Aulis sur le territoire de Tanagra, afin que les Achéens puissent disposer de vents favorables jusqu’à Troie. La déesse aurait pris en pitié Iphigénie, l’aurait remplacée par une biche et aurait fait de la jeune Atride une de ses prêtresses à son temple en Tauride497. Le mythe autour d’Artémis à Aulis est intimement lié à la question des expéditions maritimes et cela ne peut être un hasard si ce mythe en particulier apparaît dans une région où l’on a des traces de colons béotiens. La fluctuation du mythe serait alors bien une conséquence de cette migration qui a certainement comporté des « Béotiens » d’Héraclée mais aussi d’autres directement de Béotie.

L’implication des Béotiens dans les fondations en Propontide et dans le Pont apparaît ainsi

488 D. ASHERI, Uber Die Fruhgeschichte Von Herakleia Pontike, p. 27. 489 D. ASHERI, Ibid. 490 F 12, v. 822-830 491 Thuc., V, 1. 492 Thuc., IV, 75. 493 VINOGRADOV J. G., ZOLOTAREV M., « La Chersonnèse de la fin de l’Archaïsme », p. 85. 494 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 306, n. 852. 495 VINOGRADOV J. G., ZOLOTAREV M., « La Chersonnèse de la fin de l’Archaïsme », p. 85. 496 VINOGRADOV J. G., ZOLOTAREV M., Ibid., p. 103-109. 497 C’est notamment le sujet des deux pièces d’Euripide : Iphigénie à Aulis et Iphigénie en Tauride. 97 intrinsèquement liée au mouvement de colonisation mégarien. En Grande-Grèce, on ne retrouve pas une telle association d’autant que les Mégariens n’y ont fondé que Mégara Hyblaea. Quelques indices pointent néanmoins vers une participation béotienne dans la colonisation en Occident, indices rassemblés par Duane Roller et c’est à son article que l’on renverra essentiellement pour cette question498. Strabon fait directement mention d’un héros anthédonien nommé Messapos qui aurait donné son nom à la Messapie, dans l’actuel Salento499 :

Ἐν δὲ τῇ Ἀνθηδονίᾳ Μεσσάπιον ὄρος ἐστὶν ἀπὸ Μεσσάπου, ὃς εἰς τὴν Ἰαπυγίαν ἐλθὼν Μεσσαπίαν τὴν χώραν ἐκάλεσεν·

« Anthédon a de même dans son voisinage le mont Messapius, ainsi nommé du héros Messapus, le même qui, étant passé en Iapygie, donna à cette contrée son nouveau nom de Messapie ».

Toujours en Messapie, Hérodote rapporte le récit d’une colonisation menée par des Crétois500 :

συναραχθέντων δὲ τῶν πλοίων, οὐδεμίαν γάρ σφι ἔτι κομιδὴν ἐς Κρήτην φαίνεσθαι, ἐνθαῦτα Ὑρίην πόλιν κτίσαντας καταμεῖναί τε καὶ μεταβαλόντας ἀντὶ μὲν Κρητῶν γενέσθαι Ἰήπυγας Μεσσαπίους,

« leurs vaisseaux s'étant brisés, et n'ayant plus de ressources pour se transporter en Crète, ils restèrent dans le pays et y bâtirent la ville d'Hyria; qu'ils changèrent ensuite leur nom de Crétois en celui d'Iapyges-Messapiens ».

Si les Béotiens n’apparaissent jamais dans ce récit, le toponyme Hyria est identique à une Hyria sur le territoire de Tanagra501. Le nom même de Tanagra peut être relié à la rivière du Tanagro

498 ROLLER D. W., « Boiotians in South Italy : Some thoughts », p. 63-70. 499 Strabon, IX, 2, 13. 500 Hérodote VII, 170, 2. 501 ROLLER D. W., « Boiotians in South Italy : Some thoughts », p. 65. 98 qui traverse la Campanie avant de se jeter dans le Sélé, et servait de route commerciale entre l’intérieur des terres et les cités côtières comme Poseidonia502. Si l’étymologie du terme Graeci, qui désigne les Grecs en latin, est très discutée503, l’une des thèses les plus communément avancée rapproche ce terme et son équivalent grec Γραικοί504 de celui de Graia505, dont elle serait la forme adjectivée. Graia est une localité méconnue de Béotie qui apparaît pour la première fois dans le Catalogue des Vaisseaux506 avant de disparaître dans les siècles ultérieurs. On admet généralement qu’elle se situe soit entre Oropos et Tanagra, soit directement sur le site de Tanagra dont le nom serait lié507. Les connexions qui peuvent ainsi être faites entre la Béotie et l’Italie pointent exclusivement vers Anthédon et la région de Tanagra, soit le littoral béotien qui donne sur le golfe d’Eubée et non pas vers le golfe de Corinthe, qui est pourtant tourné vers l’ouest. Cela s’explique certainement par le contexte de ces migrations dont les moteurs sont les cités eubéennes de Chalcis et d’Érétrie qui fondèrent notamment Pithécusses ou Cumes dès le VIIIe siècle. Les Béotiens auraient alors accompagné les Eubéens dans ces migrations, auraient peut-être été en contact avec les Romains dans la baie de Naples et puis, en investissant l’intérieur des terres, auraient donné les toponymes de Hyria et Messapion508. Il est enfin possible que les Béotiens aient participé à la fondation de colonies en Sardaigne selon le mythe d’Iolaos, héros Thébain et compagnon d’Héraclès. En effet, celui-ci aurait mené une migration composée de Thespiens et d’Athéniens vers la Sardaigne où ils auraient fondé Olbia509. Ce mythe est attesté localement où les Sardes vénèrent le héros et ont donné le nom de Iolaia à plusieurs localités510 mais aussi en Béotie où à Thèbes, on peut voir le monument héroïque de Iolaos, bien que les Thébains conviennent eux-mêmes que le héros mourut en Sardaigne avec les Thespiens et Athéniens qui l’ont accompagné511. La participation des Thespiens fait sens d’un point de vue géographique dans la mesure où il s’agit justement des Béotiens qui disposent de la meilleure assise sur le golfe de Corinthe et qui seraient donc les mieux connectés à leur colonie.

502 ROLLER D. W., Ibid., p. 63. 503 HADAS-LEBEL J., « Enquête sur le nom latin des Grecs et de la Grèce », p. 55-60 résume les débats sur cette question. 504 Qui n’est qu’un synonyme littéraire de Ἕλληνες, transcription du mot latin apparue au IIIe siècle sous la plume savante de quelques auteurs (HADAS-LEBEL J., « Enquête sur le nom latin des Grecs et de la Grèce », p. 57). 505 BUSOLT G., Griechische Geschichte bis zur Schlacht bei Chaeroneia, vol. 1, p. 43-45. 506 Homère, Iliade, II, v. 498. 507 Supra, p. 57, n. 257. 508 ROLLER D. W., « Boiotians in South Italy : Some thoughts », p. 67. 509 Pausanias, X, 17, 5. 510 Pausanias, Ibid. 511 Pausanias, IX, 23, 1. 99

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Les migrations béotiennes dans la colonisation grecque512

Ainsi les Béotiens auraient participé aux mouvements de colonisation qui touchèrent tant la mer Noire que la Grande Grèce, bien que dans une moindre mesure pour cette dernière. Aucune colonie n’apparaît comme une fondation purement béotienne et il est difficile de voir dans quelle mesure ils sont impliqués dans les débuts des colonies. On serait incliné à penser que les traces d’une présence béotienne en Italie sont si ténues que leur participation ne s’est résumée qu’à des migrations de populations en complément des Eubéens, voire après ceux-ci dans des vagues de migration secondaires. La seule exception serait Olbia, une fondation vraisemblablement Béotienne et Athénienne plus tardive. Dans l’autre sens, dans le Pont et la Propontide, les liens entre les colonies et la Béotie sont assez forts pour que l’on puisse penser à une implication forte des Béotiens avec les Mégariens, d’autant qu’il semble que ce soient les élites sociales béotiennes qui aient fait le voyage, notamment à Héraclée. Il est également difficile de retrouver les causes de cette colonisation béotienne. Le

512 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 112 (carte modifiée personnellement). 100 commerce maritime grec s’est développé en même temps que la colonisation et il est bien possible que les Béotiens aient quitté leur contrée en recherche de métaux513. La sténochôria ne paraît pas avoir été un problème majeur chez les Béotiens. Les sites béotiens ont continué à se développer en taille et en nombre au cours des siècles suivants514 et vu que la Béotie n’a jamais fondé seule un établissement, il est bien possible qu’il n’y ait simplement pas eu assez d’habitants souhaitant partir515. Les associations que nouèrent les Béotiens avec les Eubéens sont probablement le fait de leur proximité géographique mais également du dynamisme dont jouissait le canal d’Eubée. Pour ce qui est de l’association entre les Béotiens et les Mégariens, les causes sont plus floues. Un décret d’Aigosthènes du IIIe siècle516 donne aux habitants de Siphai « la proedria et le droit de participer aux sacrifices communs à l’instar des citoyens, en vertu du “dévouement” (eunoia) et de la “concorde” (homonoia) qui existent, depuis les ancêtres (ek progonôn), entre les deux communautés »517. Adrian Robu envisage en conséquence que les liens d’amitiés ancestraux qui unissent ces deux communautés remontent à l’époque de la colonisation car c’est bien la mer qui fait de ces deux cités des voisines directes dans le golfe Halcyonique518. Cela expliquerait ou confirmerait la présence des habitants de Siphai dans la fondation d’Héraclée du Pont mais moins pour les autres cités béotiennes qui ne sont pas des voisines directes de Mégare. Il est possible d’envisager une toute autre raison dans l’association des Mégariens et des Béotiens par le biais du sanctuaire de Delphes. Ce grand centre oraculaire apparaît à l’origine de la plupart des mouvements de colonisation519. Or, nous l’avons vu dans le cas du récit de la fondation d’Astacos par Memnon520, il s’agit de l’Oracle qui aurait ordonné aux Mégariens de donner un nom thébain à la colonie :

Τὴν Ἀστακὸν δὲ Μεγαρέων ᾤικισαν ἄποικοι, ὀλυμπιάδος ἱσταμένης ιζ′, Ἀστακὸν ἐπίκλην κατὰ χρησμὸν θέμενοι ἀπό τινος τῶν λεγομένων Σπαρτῶν καὶ γηγενῶν, ἀπογόνων τῶν ἐν Θήβαις. Ἀστακοῦ τὴν κλῆσιν, ἀνδρὸς γενναίου καὶ μεγαλόφρονος.

« Astacos avait été fondée par des colons mégariens au début de la dix-

513 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 113. 514 FOSSEY J. M., Ibid. 515 FOSSEY J. M., Ibid., p. 107. 516 IG VII 207. 517 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 295. 518 ROBU A., Ibid. 519 Voir KYRIADIKIS N., « Le sanctuaire d’Apollon Pythien à Delphes et les diasporas grecques », p. 77-93. 520 Memnon, 12, 2. 101

septième olympiade ; ils l’appelèrent Astacos, sur l'ordre d'un oracle, du nom de ceux que l’on appelle les Spartes et les fils nés de la terre de Thèbes ; il s’appelait Astacos, c’était un héros noble et magnanime. »

Il faut se méfier de ce qu’avance ici Memnon, son histoire étant postérieure de près d’un millénaire à la fondation d’Astacos, il y a de fortes chances pour qu’il ait été corrompu par des traditions apocryphes. Néanmoins, les trois éléments de Delphes, Thèbes et Mégare sont présent dans ce récit, ce qui ne peut être un hasard. C’est peut-être cette même relation que l’on peut retrouver directement sur le site de Delphes où le trésor des Béotiens et celui des Mégariens, tous deux construits au VIe siècle, se trouvent à proximité l’un de l’autre521. Peut-être est-ce ainsi la position des Béotiens sur la route de Delphes qui a fait naître cette association avec les Mégariens. Cela laisse surtout entendre que l’association entre les Mégariens et les Béotiens remonte à très tôt dans le projet de fondation. Il est peu probable que les Béotiens soient arrivés en Orient dans une deuxième vague de migration alors qu’ils apparaissent dès la consultation de l’oracle. Or, ces fondations mégariennes dans la Propontide semblent être perçues comme étant essentiellement mégariennes. Même Plutarque, qui est pourtant fier d’être Béotien et fin connaisseur de l’histoire de son pays, parle dans ses Étiologies grecques d’une guerre opposant les Mégariens aux Samiens, dans leur colonie de Périnthe522. Adrian Robu a montré que ces Mégariens n’étaient probablement pas des citoyens de Mégare mais ceux des colonies de Propontide qui se sentaient menacés par la fondation de Périnthe vers 602, fondation qui servit alors de casus belli523. Cette guerre est donc probablement menée par des colons de Périnthe, Selymbria et Byzance qui se trouvent désignés sous le nom de Mégariens. Or ces fondations « mégariennes » semblent s’inscrire dans un « projet » cohérent qui, s’il n’a pas été planifié, suit une logique qui lui est propre524 : les cités de Chalcédoine, de Selymbria, de Byzance et d’Astacos sont toutes situées à des emplacements stratégiques permettant de contrôler l’accès au Bosphore. Le but premier n’était pas nécessairement commercial — il est trop tôt pour l’envisager — mais probablement plus simplement de réussir à s’installer durablement face aux populations locales et aux autres cités colonisatrices telles que Samos525. Ces conflits entre cités colonisatrices attestent néanmoins d’intérêts importants autour du contrôle du Bosphore ce qui rejoint la logique d’installation que l’on perçoit avec la création des colonies de Chalcédoine suivie

521 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 266. 522 Plutarque, Étiologies grecques, 57. 523 ROBU A. « Les établissements mégariens de la Propontide et du Pont-Euxin », p. 184-187. 524 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 206-213. 525 ROBU A., Ibid., p. 209. 102 de Byzance, sur les deux rives du détroit. On peut ainsi recouper plusieurs éléments pour caractériser la participation béotienne aux fondations mégariennes : - Les Béotiens sont minoritaires face aux Mégariens en Propontide et dans le Pont. - À Héraclée, il est probable que ce soient des aristocrates béotiens qui aient migré. - Les fondations se sont faites à des endroits stratégiques. Il apparaît donc bien plausible que dès les premières fondations de Propontide, les Béotiens qui y participèrent furent des membres de l’aristocratie, peut-être des fils second-nés ou des exilés à la suite d’une stasis. Face à ces problèmes sociaux, la participation aux fondations pouvait paraître comme une solution viable. Cette hypothèse ne repose sur rien de très concret mais reste crédible d’autant que l’on a des traces bien visibles d’un goût pour les choses maritimes chez les élites béotiennes de l’époque Archaïque.

3) Culture aristocratique de la mer

Les fibules constituent une source intéressante pour aborder les sociétés de l’époque archaïque. Il s’agit de sortes d’épingles permettant de maintenir en place les différentes parties d’un vêtement et dont l’usage se généralise à partir de l’époque géométrique en devenant une véritable pièce décorative. On dispose d’un nombre important de fibules trouvées en Béotie, la plupart du VIIIe/VIIe siècle, et les thèmes que l’on y trouve sont similaires à ceux de la céramique attique contemporaine : figures géométriques, swastikas, oiseaux, poissons, chevaux, guerriers et, pour ce qui nous intéresse, des navires526.

526 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 190. 103

Fibule thébaine en bronze, début VIIe 527

La présence de ces derniers est remarquable car s’il s’agit d’un thème qui n’est pas propre à la Béotie, la façon de les représenter est elle purement béotienne. En effet, nous disposons de treize fibules béotiennes représentant des navires dont les représentations (photographiées ou figurées) ont été rassemblées par Lucien Basch528 et nous pouvons les reproduire ici :

527 Musée du Louvres, Br 1880 - Photo de Hervé Lewandowski, illustration de G. Perrot et Ch. Chipiez, Histoire de l'art dans l'Antiquité, Paris, 1882, fig. 129. 528 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 191-195, illustrations que l’on peut facilement retrouver ici : http://marine.antique.free.fr/navgrob08.php (consulté le 04/07/19). 104

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur 1- Fibule en or – 2e quart du VIIIe529 2- Fibule en bronze (Thisbé) - début VIIe530

3- Fibule en bronze (Thisbé, gravée sur les deux faces) - début VIIe 531

529 British Museum, collection Elgin ; L. Basch, n° 401. 530 Musée de Berlin (Antiquarium) n°31013a - d'après R. Hampe, Frühe griechische Sagenbilder in Böotien, Athènes, 1936, pl. 4 ; L. Basch, n°404. 531 Musée de Berlin (Antiquarium) n°31013b - d'après R. Hampe, Frühe griechische Sagenbilder in Böotien, Athènes, 1936, pl. 5 ; L. Basch, n°403. 105

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur 4- Fibule de bronze (Thèbes) - début du VIIe532 5- Fibule de bronze (Thèbes) – début VIIe533

6- Fibule bronze (Chéronée) - début VIIe534 7- Fibule bronze (Thisbé) – début VIIe535

532 British Museum n°121 ; L. Basch, n°405. 533 Musée National d'Athènes n°8199 - d'après R. Hampe, Frühe griechische Sagenbilder in Böotien, Athènes, 1936, pl. 11 ; L. Basch, n°406. 534 Musée de Thèbes - d'après R. Hampe, Frühe griechische Sagenbilder in Böotien, Athènes, 1936, pl. 6 ; L. Basch, n°407. 535 Staatliche Museen, Berlin, n°8396 - d'après FURTWÄNGLER A., Archäologischer Anzeiger, 1894, p.116, fig. 1 ; L. Basch, n°408. 106

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur 8- Fibule de bronze (Thèbes) - début VIIe536 9- Fibule de bronze - début VIIe537

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur 10- Fibule en bronze - début VIIe 538 11- Fibule – début VIIe 539

536 British Museum n°3204 - d'après H. B. Walters, Catalogue of the bronzes... in the British Museum, Londres, 1899, p. 37, fig. 87 ; L. Basch, n°409. 537 Musée National de Copenhague n°4803 - L. Basch, n°410. 538 Ashmolean Museum, Oxford, n°1893. 206 - L. Basch, n°412. 539 Ashmolean Museum, Oxford, n°1890. 624 - L. Basch, n°413. 107

12- Fibule - début VIIe 540 13- Fibule en bronze (Thèbes) – début VIIe 541

Dans ces représentations, plusieurs détails permettent de définir assez précisément un type de navire béotien : - Contrairement à ce qui apparaît fréquemment à Athènes, les navires béotiens ne présentent souvent pas de lisse de nage, rambarde qui se situerait dans la continuité du bordé542. - Ils n’ont également pas de gaillard arrière, ayant à la place ce qui semble être une toile montée sur de légers arceaux543 comme on peut le voir clairement sur la fibule en or 1, la plus ancienne du corpus. - Le mât est tenu dans une sorte de chevalet544. - Enfin, la différence la plus notable concerne le stolos et l’aphlaston. Ces deux termes renvoient respectivement aux éléments ornementaux à l’avant et l’arrière du navire que l’on pourrait comparer aux figures de proue et de poupe. Sauf que contrairement à celles-ci, le stolos et l’aphlaston ne sont pas des éléments de charpente rajoutés mais font partie intégrante de la coque545. Alors que le stolos et l’aphlaston prennent habituellement la forme d’une corne, sur ces représentations béotiennes ils se terminent par une sorte

540 Ashmolean Museum, Oxford, n°G376 - L. Basch, n°414. 541 Musée du Louvre - d'après G. Perrot et CH. Chipiez, Histoire de l'art dans l'Antiquité, Paris, 1882, fig. 129; L. Basch, n°415. 542 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 191. 543 BASCH L., Ibid. 544 BASCH L., Ibid., p. 194. 545 BASCH L., Ibid., p. 155. 108

de boîte que l’on a du mal à comprendre. Il est peu probable qu’il s’agisse de fanaux et on admet, par défaut, qu’il s’agit d’un emblème dont la signification nous échappe546.

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On peut comparer le stolos (et l’aphlaston) sur cette fibule béotienne et cette céramique attique547

Ces spécificités définissent avec clarté un style béotien dans la représentation des navires que l’on peut même retrouver en dehors de Béotie. On peut ainsi compléter ce corpus avec deux autres fibules :

- Une fibule en bronze trouvée dans le cimetière du Céramique à Athènes. Elle date vraisemblablement du début du VIIIe siècle548 ce qui en fait l’objet le plus ancien de notre corpus.

546 BASCH L., Ibid., p. 191. 547 Fragment de céramique attique G. R. I. Louvre, A 526. 548 Les objets trouvés le cimetière s’échelonnent entre la fin du IXe et le premier quart du VIIIe. 109

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14- Fibule en bronze trouvée à Athènes549

- Une fibule en bronze trouvée dans la grotte de Zeus sur le mont Ida, en Crète. Elle date du début du VIIe siècle. Cette fibule est attribuée à un certain « Maître des cygnes »550, un bronzier béotien spécialisé dans la représentation des décors animaliers.

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15- Fibule en bronze trouvée en Crète551

Outre ce Maître des cygnes, plusieurs fibules sont attribuées à un « Maître des bateaux »552 qui est assurément béotien553. En effet, sur la base de la composition et du traitement des gréements,

549 Musée du Céramique à Athènes - d'après B. Schweitzer, Die geometrische Kunst Griechenlands, Cologne, 1969, p.226; L. Basch, n°402. 550 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 191. 551 Musée National d'Athènes n°11765 - L. Basch, n°411. 552 C’est HAMPE R., Frühe grieschiche Sagenbilder in Böotien, p. 16-17 qui a rassemblé ces fibules, surnommant leur auteur Schiffsmeister. 553 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 191. 110 on attribue à ce bronzier la fibule 13554 ou la fibule 5555. Cela atteste non seulement d’un savoir-faire béotien particulier dans l’incision des fibules, mais plus particulièrement dans le thème des fibules. On ne connaît pas les centres de production, mais dans la mesure où la plupart proviennent de Thèbes ou de Thisbé, on peut supposer qu’elles ont dû être réalisées dans les environs. Il faut d’ailleurs relever que cette fibule trouvée en Crète comporte une lisse ornée de croisillons en x. La seule autre occurrence dans le monde grec est également béotienne, sur un vase de la deuxième moitié du Ve siècle556, et il est possible qu’il s’agisse d’une structure réelle, propre à la Béotie et non pas un motif ornemental557.

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Vase béotien - Deuxième moitié du Ve siècle558

Si l’on s’intéresse aux images mêmes, on voit que les scènes dans lesquelles s’inscrivent ces navires varient beaucoup. Il semble qu’on ne soit en présence ici que de navires « longs » et aucun navire « rond » pour reprendre la typologie ancienne. Plusieurs fibules présentent le navire avec des oiseaux au-dessus (dans le ciel) et des poissons en dessous (dans la mer). C’est le cas des 4, 5, 7-12 (dans les 11 et 12, la reproduction du dessin a omis les animaux qui sont bien présents sur la fibule) et il s’agit d’un thème classique de ces fibules, souvent marquées par l’orientalisme559. La présence

554 https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/la-fibule-plaque-beotienne, consulté le 05/07/19. 555 TZAHOU-ALEXANDRI O., « Contribution to the Knowledge of 8th Century B.C. Ship Représentations », p. 342. 556 Musée de Berlin, n° 3263. 557 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 194. 558 Musée de Berlin n° 3263. 559 https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/la-fibule-plaque-beotienne. 111 des chevaux est plus intéressante car ils peuvent apparaître soit dans un but ornemental distinct du navire (comme dans la 6 où ils sont en dessous du navire), soit embarqués sur celui-ci comme dans les 3 et 7. Déjà à l’époque archaïque, le cheval constitue un marqueur fort de l’identité des aristocraties militaires béotiennes et le voir embarqué atteste que les navigations représentées sont le fait des élites béotiennes. On peut généraliser cette idée en relevant le caractère militaire qui transparaît de plusieurs fibules. La 2 et la 3 représentent chacune des soldats lourdement armés avec longue lance, bouclier rond et casque (ainsi que ce qui semble être un panache). La 2 présente même une rangée de boucliers disposés le long de la lisse du navire, soulignant le nombre de soldats à bord. Sur cette même fibule, on peut également voir que l’éperon est colorié, signe qu’il est en bronze et que le combat à l’éperon se développe560 Il est impossible de savoir si ces images renvoient à de véritables expéditions béotiennes, à des scènes des épopées homériques ou à un mélange des deux. Le goût que pouvaient avoir les aristocrates béotiens pour l’imaginaire de l’expédition maritime se retrouve certainement dans leurs importations. En effet, comme Lucien Basch qui se refuse à y voir une coïncidence561, on se doit de remarquer que c’est à Thèbes qu’ont été trouvées deux cratères attiques de la fin du VIIIe siècle qui comptent parmi les meilleures représentations de navires archaïques :

560 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 201. 561 BASCH L., Ibid., p. 195. 112

Cratère probablement athénien c. 710-700562

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Cratère athénien v. 735563

562 Musée de Toronto, 919.5.18. https://collections.rom.on.ca/objects/523071/spouted-krater-or-louterion- decorated-with-a-long-boat?ctx=6bad88d2-fa6d-46d2-93c0-34669eac563d&idx=0. 563 British Museum, 1899,0219.1. 113

Ici encore, il est impossible d’aller beaucoup plus loin dans l’interprétation des scènes représentées. Elles peuvent renvoyer à un épisode mythologique comme l’expédition des Argonautes, l’épopée d’Ulysse, le départ vers Troie ou bien à un épisode réel d’expédition maritime. Dans tous les cas, si les scènes représentées n’ont rien de béotiennes, elles s’intègrent néanmoins à cet imaginaire béotien des expéditions maritimes.

La question du lien entre la Béotie et les épopées homériques prend tout son sens lorsque l’on se penche sur le cas du Catalogue des Vaisseaux. Il s’agit d’un célèbre passage de l’Iliade où entre les vers 484 et 759 du livre II sont décrites région par région les participations à l’armée achéenne, avec la liste des cités, le nombre de vaisseaux et les chefs. C’est une source essentielle pour percevoir la géographie homérique mais il apparaît comme un ajout postérieur au texte de l’Iliade564. En effet, le Catalogue ne décrit pas les forces d’une guerre terrestre telle que présentée dans l’Iliade mais celles d’une expédition maritime, les effectifs n’étant pas donnés en hommes mais en navires565. De plus, de nombreux chefs présentés dans le Catalogue sont anecdotiques alors que manquent Idoménée, Mérion, Nestor, Ulysse ou Achille, qui reviennent de nombreuses fois tout au long de l’Iliade566. De ces contradictions découlent de nombreux débats autour de la période représentée dans le Catalogue des Vaisseaux : est-ce la Grèce de la guerre de Troie qui est représentée, celle de la fin de l’époque mycénienne, ou est-ce celle d’Homère, au VIIIe siècle ? Par sa position dans le Catalogue, la Béotie apparaît au cœur de ces problématiques. En effet, le Catalogue débute avec les Béotiens567 et ce sont 29 sites qui sont mentionnés auxquels il faut ajouter Orchomène et d’Asplédon qui, s’ils font partie de la Béotie historique, sont présentés dans l’Iliade en tant que Minyens568. Parmi les sites recensés, plusieurs coïncident avec des noms historiques comme Thisbé ou Anthédon tandis que d’autres sont mal localisés (Graia, Schoinos, Skolos, Étéonos) ou pas localisés du tout (Eilésion, Arné, Mideia et Nisa). Pour ceux qui le sont, tous ont produit du matériel mycénien à l’exception de Coronée (bien que cela puisse changer)569. Des sites béotiens actifs à l’époque mycénienne n’apparaissent cependant pas à l’image de Tanagra, Chéronée ou Lébadée et il est possible qu’ils se retrouvent dans l’un des noms non localisés570. Un

564 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., The in ’s , p. 160. 565 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., Ibid. 566 BATISTA RODRIGUES LEITE L., Usages antiques et modernes des discours en catalogue, p. 76, chacun de ces personnages voit son nom revenir au moins une cinquantaine de fois au cours du récit, 123 fois pour Ulysse et 367 fois pour Achille. 567 Iliade, II, v. 484-510. 568 Iliade, II, v. 511-516. 569 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., The Catalogue of Ships in Homer’s Iliad, p. 33. 570 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., Ibid. 114 site comme Hyria, qui apparaît dans le Catalogue, semble avoir disparu aux temps historiques571 et il est probable que ce soit à la fin de l’époque mycénienne qu’il ait été abandonné572. On dispose de plusieurs sites mycéniens en Béotie qui sont abandonnés lors des « Siècles obscurs » et dont on ne connaîtra certainement jamais le nom ancien573 comme c’est le cas de Dramesi574. À partir de ces éléments, Richard Hope Simpson et John Lazenby ont conjointement présenté le Catalogue comme retranscrivant une mémoire mycénienne qui se serait transmise par l’oralité à travers les âges obscurs575. Si le Catalogue retranscrit une mémoire mycénienne, sa rédaction peut être bien postérieure. Adalberto Giovannini démontre que la Grèce décrite dans le Catalogue des Vaisseaux correspond bien plus à la situation de la Grèce du VIIe siècle qu’à celle XIIIe576. Athènes, par exemple, est la seule cité d’Attique dont il est mention577 et elle apparaît en tant que grande puissance, comptant autant de navires que les Eubéens et presque autant que Ménélas. Cela ne peut se comprendre que si l’on admet qu’il s’agit ici d’Athènes en tant que polis de l’Attique, formée après le synœcisme attribué à Thésée578. La présentation de la Béotie correspond parfaitement à ce que l’on connaît de la Béotie archaïque avec une opposition entre un semblant de Koinon qui frappe des monnaies au bouclier béotien et Orchomène, indépendante à l’ouest579. Envisager que cette description s’applique tant à la Béotie du VIIe qu’à celle du XIIIe siècle serait absurde, la Béotie ne peut être restée figée au cours de ces cinq siècles qui furent notamment marqués par l’invasion dorienne, quand on voit qu’à l’inverse, sur les 29 sites Béotiens qui apparaissent dans le Catalogue, seuls sept constituent des communautés politiques au IIe siècle580. On peut donc envisager de façon assurée que pour le cas de la Béotie, et de la plupart des autres régions, le Catalogue décrit une réalité du VIIe siècle581. Avec ses 29 (ou 31) sites mentionnés, la Béotie occupe une place à part dans le Catalogue des Vaisseaux. En effet, en plus d’être en première place du Catalogue, ce sont les Béotiens qui comptent le plus de sites, et de loin : en deuxième vient le contingent dirigé par Agamemnon lui-même qui ne compte que 12 cités pour une région comprenant la Corinthie et l’Achaïe. Même en admettant

571 Supra, p. 56-57. 572 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., Ibid, p. 153. 573 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., Ibid, p. 154. 574 Supra, p. 57. 575 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., Ibid, p. 158-160. 576 GIOVANNINI A., Étude historique sur les origines du Catalogue des Vaisseaux, p. 23-34. 577 Iliade, II, v. 546. 578 GIOVANNINI A., Étude historique sur les origines du Catalogue des Vaisseaux, p. 26. 579 GIOVANNINI A., Ibid., p. 24. 580 Thespies, Kopai, Thisbé, COronée, Platées, Thèbes et Anthédon. 581 GIOVANNINI A., Étude historique sur les origines du Catalogue des Vaisseaux, p. 34, et c’est le cas pour l’ensemble des régions qui apparaissent dans le Catalogue à l’exception de la Thessalie et d’Ithaque. 115 comme le font Hope Simpson et Lazenby que cette prééminence s’explique par la richesse et le peuplement de la Béotie à l’époque mycénienne582, toujours est-il que plusieurs des sites béotiens mentionnés devaient être très modestes à l’image d’Anthédon. La Béotie occupe indéniablement une place à part dans le Catalogue des Vaisseaux et Sylvie Perceau l’explique en présentant le Catalogue comme étant composé pour un auditoire béotien583. Elle montre ainsi que le Catalogue, après l’invocation aux Muses584, débute par le terme « Βοιωτῶν »585 et le même paragraphe est le seul du Catalogue à s’achever par une autre mention directe aux Béotiens586 servant ainsi d’apostrophe encadrante587. La forme du Catalogue et son décalage avec le reste de l’Iliade traduiraient donc une attente particulière d’un auditoire béotien pour la question maritime588. Il ne faut alors pas oublier que c’est à Aulis, en Béotie, que la flotte achéenne s’est rassemblée pour partir vers Troie, rapprochant une fois de plus les Béotiens des navigations homériques. En admettant que le Catalogue des Vaisseaux ait été composé pour un public aristocratique béotien, il a souvent été avancé qu’il a été écrit en Béotie, et que le modèle du catalogue est lui- même béotien589. Ce postulat repose sur le lien qui est fait entre la place de la Béotie dans le Catalogue des Vaisseaux et les catalogues que l’on attribue d’autre part à Hésiode. On admet traditionnellement qu’Hésiode aurait composé de nombreuses œuvres dont seules deux nous sont parvenues entièrement : Les Travaux et Jours et la Théogonie. Parmi les œuvres perdues, la plus célèbre est le Catalogue des femmes. Il s’agit d’une liste généalogique de femmes mortelles ayant eues des héros pour maris ou fils et l’œuvre suivrait directement la Théogonie si l’on en croit ses deux derniers vers590 :

νῦν δὲ γυναικῶν φῦλον ἀείσατε, ἡδυέπειαι Μοῦσαι Ὀλυμπιάδες, κοῦραι Διὸς αἰγιόχοιο.

« Et maintenant, chantez, Muses Olympiennes, au délicieux langage, filles de Zeus qui tient l’égide, chantez les femmes. »

Aujourd’hui, on considère au contraire les derniers vers de la Théogonie comme une

582 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., Ibid, p. 168. 583 PERCEAU S., La parole vive, p. 161. 584 Iliade, II, v. 484-493. 585 Iliade, II, v. 494 : « Βοιωτῶν μὲν Πηνέλεως καὶ Λήϊτος ἦρχον ». 586 Iliade, II, v. 509-510 : « ἐν δὲ ἑκάστῃ κοῦροι Βοιωτῶν ἑκατὸν καὶ εἴκοσι βαῖνον ». 587 PERCEAU S., La parole vive, p. 162. 588 PERCEAU S., Ibid., p. 161. 589 BATISTA RODRIGUES LEITE L., Usages antiques et modernes, p. 53. 590 Théogonie, v. 1021-1022. 116 interpolation tardive visant justement à mettre en valeur le Catalogue des femmes en l’associant au chef-d’œuvre d’Hésiode591. De plus, la paternité d’Hésiode sur la Théogonie apparaît elle-même contestée depuis l’Antiquité comme le montre un passage de Pausanias592 :

Βοιωτῶν δὲ οἱ περὶ τὸν΄Έλικῶνα οἰκοῦντες παρειλημμένα δόξῃ λέγουσιν ὡς ἄλλο ΄Ησίοδος ποιήσειεν οὐδὲν ἢ τὰ Ἔργα˙ καὶ τούτων δὲ τὸ ἐς τὰς Μούσας ἀφαιροῦσι προοίμιον (…). ἔστι δὲ καὶ ἑτέρα κεχωρισμένη τῆς προτέρας, ὡς πολύν τινα ἐπῶν ὁ ΄Ησίοδος ἀριθμὸν ποιήσειεν, ἐς γυναῖκάς τε ᾀδόμενα καὶ ἃς μεγάλας ἐπονομάζουσιν ΄Ηοίας, καὶ Θεογονίαν τε καὶ ὲς τὸν μάντιν Μελάμποδα, καὶ ὡς Θησεὺς ἐς τὸν Ἅιδην ὁμοῦ Πειρίηῳ καταβαίη παραινέσεις τε Χίρωνος ἐπὶ διδασκαλία δὴ τῇ Ἀχιλλέως, καὶ ὅσα ἐπὶ Ἔργοις τε καὶ ΄Ημέραις.

« Les Béotiens qui habitent à proximité du mont Hélicon maintiennent la tradition qu’Hésiode n’aurait écrit que Les Travaux, tout en rejetant pourtant son proème aux Muses. (…) Il y a une autre tradition très différente de cette première, selon laquelle Hésiode aurait écrit un grand nombre de poèmes, l’un sur les femmes, un autre qu’on appelle Les Grands Éhées, la Théogonie, le poème sur le voyant Mélampus, celui sur la descente aux enfers de Thésée, les Préceptes de Chiron destiné à l’instruction d’Achille, et d’autres poèmes en plus de Les Travaux et les Jours. »

On voit que la tradition qui attribue la Théogonie et le Catalogue des femmes à Hésiode n’est pas béotienne, l’héritage local d’Hésiode ne lui donnant que les Travaux et les Jours. L’idée selon laquelle le genre catalogal est une invention béotienne apparaît bien fragile593. Si on ne peut rattacher le Catalogue des Vaisseaux à une tradition béotienne que l’on retrouverait chez Hésiode, rien ne s’oppose en revanche à ce que l’on considère le Catalogue des Vaisseaux comme une création béotienne594, ce qui paraît plausible à plusieurs égards.

591 BATISTA RODRIGUES LEITE L., Usages antiques et modernes, p. 60. 592 IX, 31, 4-6. 593 HOPE SIMPSON R., LAZENBY J., The Catalogue of Ships in Homer’s Iliad, p. 169. 594 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 195. 117

Il faut enfin noter que le Catalogue ne donne que peu de précisions sur les navires qui sont utilisés pour le transport des Grecs. On sait seulement que les vaisseaux de Philoctète transportaient 50 hommes595 et ceux des Béotiens 120596. Thucydide interprète ces mentions comme étant les plus petits et plus grands navires participant à l’expédition597. Un navire contenant 120 hommes n’est pas envisageable pour l’époque mycénienne mais peut l’être en 700 où on pourrait le voir comme une dière à 100 rameurs et 20 membres d’état-major598. Cela en ferait un navire ayant 50 rameurs par côté, répartis sur deux étages, et serait ainsi une étape intermédiaire logique entre le pentécontore, qui n’a que 50 rameurs, et la trière, qui n’apparaît qu’aux VIe siècle avec ses 170 rameurs sur trois rangées599.

La Béotie de l’époque Archaïque qui ressort de ce tableau ne paraît en aucun cas coupée de la mer. Le développement des activités maritimes que connaît alors le monde grec touche également la Béotie et ses élites, notamment thébaines. Celles-ci développent un imaginaire lié aux expéditions maritimes que l’on retrouve dans des épisodes mythiques et héroïques, dans leur goût vestimentaire et artistique et, plus directement, dans leur participation aux mouvements de colonisation. Hésiode en est un témoin direct et sa vision est des plus intéressantes car il témoigne de rapports à la mer ambivalents avec une culture aristocratique qui la mêle à ses idéaux héroïques et au même moment une paysannerie plus modeste, qui, bien qu’elle vive loin des côtes, est le réceptacle de cette culture qui se diffuse verticalement, avec des réactions contrastées : - Un attrait pour le commerce maritime en développement qui offre de nombreuses opportunités d’enrichissement personnel malgré des risques importants. - Une mentalité plus traditionnelle qui se méfie justement de la navigation au profit des ressources de la terre et dont le meilleur représentant est Hésiode. Ces positions illustrent clairement l’ambivalence qu’entraîne le développement des activités maritimes à l’époque archaïque et qui se rencontre continuellement au cours des périodes ultérieures.

595 Iliade, II, v. 720-721. 596 Iliade, II, v. 510. 597 Thucydide, I, 10. 598 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 195. 599 BASCH L., op. cit. 118

II Les divinités maritimes dans les cultes béotiens

Dans quelle mesure la mer est-elle présente dans le monde rituel des Béotiens ? Cela sera étudié selon trois points de vue : ce que l’on sait d’eux dans l’intérieur des terres, puis dans les régions côtières avec en premier le canal d’Eubée et le golfe de Corinthe pour finir.

1) Dans l’intérieur des terres

En tant que souverain du monde marin, Poséidon est la figure principale lorsque l’on envisage le lien cultuel des Grecs à la mer. Dans les cités béotiennes, le dieu apparaît quasiment absent : on en trouve des mentions à Thèbes et Orchomène mais sans qu’on n’ait de trace directe d’un culte dans ces cités600. Le sanctuaire d’Onchestos, sur le territoire d’Haliarte, fait figure d’exception. Le sanctuaire, dédié à Poséidon, apparaît déjà dans le Catalogue des Vaisseaux et sert même de capitale fédérale au Koinon au cours de la période hellénistique. Le Poséidon qui apparaît à Onchestos n’est cependant pas une divinité maritime mais le maître des chevaux et du passage, et ses attributs sont directement liés à ces fonctions. Le sanctuaire se situe au sud du lac du Copaïs, jouxtant la route principale traversant la Béotie d’est en ouest601 et une inscription thébaine — qu’Albert Schachter rattache néanmoins à Onchestos602 — fait référence à un Poséidon Empylaios, « Poséidon de la porte ». Le concours fédéral qui y a lieu consistait en des courses hippiques comme le notait déjà Pindare603 et le huitième mois de l’année béotienne se nommait hippodromios, probablement en référence à Poséidon Hippodromios604. Tout au long du IIIe siècle, alors que le sanctuaire d’Onchestos sert de capitale au Koinon, plusieurs monnaies fédérales représentent à l’avers Poséidon605 :

600 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 221-224. 601 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 212. 602 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 217. 603 Parthénées, fr. 94b, v. 41-49. 604 Pindare, Isthmiques, I, v. 54 (voir SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 212). 605 Pour d’autres monnaies béotiennes représentant Poséidon (mais avec un intérêt moindre pour nous), on peut voir les BMC 81, 99, 103 et SNGCop 392. 119

Tétradrachme en argent, 288-244606

Drachme en argent, vers 250607

Drachme en argent, 244-197608

606 BMC 63 avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 607 BMC 77 avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 608 BMC 78 avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 120

Drachme en argent, vers 250609

On remarque que les attributs du Poséidon représenté sont le trident et le dauphin, aucun ne renvoyant à ses compétences béotiennes traditionnelles, et le dauphin renvoyant exclusivement à son royaume maritime. Cette ambivalence dans les modes de représentations du Poséidon d’Onchestos laisse envisager que les compétences de cette divinité pouvaient à l’occasion renvoyer à un univers maritime. En plus des Empylaios, Hippodromios ou des épiclèses locaux d’Onchestios610 et d’Helikonios611, le Poséidon d’Onchestos aurait pu se voir attribuer d’autres épiclèses, plus maritimes, dont les noms ne nous sont pas parvenus. Les traces restent fragiles et si le fait venait à être avéré cela ne serait néanmoins qu’une compétence marginale de cette divinité. Il apparaît difficile de trouver des traces concrètes d’autres cultes à des divinités maritimes dans l’intérieur des terres mais on peut noter la présence de figures héroïques propres à la Béotie qui apparaissent dans certains cultes possiblement rattachés à la mer. C’est le cas d’Ino, fille de Cadmos et épouse du roi de Béotie Athamas, qui fut la tante et la nourrice de Dionysos et dont l’histoire est racontée par Ovide612. Rendue folle par Héra, elle se jeta dans la mer avec son fils Mélicerte dans les bras. Avec le concours d’Aphrodite et de Poséidon, la mère et son fils furent transformés en divinités de la mer et changèrent également d’identité : Ino pris le nom de Leucothéa tandis que Mélicerte devint Palaimon. Plutarque fait mention d’un temple de Leucothéa à Chéronée, sa cité natale613. L’entrée du sanctuaire (σηκός) était interdite aux esclaves et aux Étoliens, ce que Plutarque rattache à la légende d’Ino, qui était jalouse d’une esclave étolienne. Albert Schachter estime que la divinité honorée à Chéronée était probablement la Béotienne Ino dont le culte serait alors associé Dionysos en tant

609 BMC 79 avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 610 Pausanias IX, 25, 5 et IX, 37, 1. 611 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 214. 612 Métamorphoses, IV, 416-563. 613 Quaestiones Romanae, 16. 121 que tante et nourrice614. Il s’appuie principalement sur le fait qu’à Thèbes le sanctuaire de Dionysos comprenait un σηκός de Sémélé, la mère de Dionysos, qui constituait le point central du culte615. Schachter suppose ainsi qu’à Chéronée, le σηκός de Leucothéa devait occuper une fonction analogue vis-à-vis d’un sanctuaire de Dionysos et il exclut donc qu’il soit ici question de la divinité maritime. Il s’agit pourtant d’un sanctuaire à Leucothéa et non pas à Ino. Si les deux noms renvoient à la même personne, Leucothéa est bien la déesse de la mer dont le nom, signifiant « Blanche déesse », renvoie à ses attributs maritimes. On doit également écarter toute possibilité de confusion entre Ino et Leucothéa, Plutarque connaissant naturellement bien sa cité d’origine. On peut alors estimer qu’il y avait un réel culte à Leucothéa à Chéronée, qui pouvait être influencé dans ses aspects rituels par l’identité béotienne d’Ino. Ce qui est surprenant, c’est que la seule mention d’un culte à Leucothéa en Béotie apparaisse à Chéronée, cité la plus éloignée de la mer en Béotie et il est possible que ce culte existait ailleurs en Béotie. Dans le même ordre d’idée, une inscription trouvée dans la cité voisine de Coronée voit un certain Mélantichos fils d’Ariston consacrer un temple et une stoa à Héraclès Palaimon616. Palaimon est donc Mélicerte, le fils d’Ino devenu lui-même un dieu de la mer et il apparaît ici en tant qu’épiclèse d’Héraclès, signifiant « Héraclès Lutteur ». On retrouve cette épithète chez Lycophron617 tandis Héraclès et Palaimon sont vénérés dans un même sanctuaire à Athènes, celui de Pankratès618. Palaimon est en revanche bien vénéré en tant que divinité maritime à Corinthe, dans le cadre des concours Isthmiques. À Coronée, il est difficile de voir si l’association d’Héraclès à Palaimon s’accompagne de la récupération d’attributs maritimes faute d’autres traces. S’il s’agit bien d’un Héraclès marin, il est possible qu’il apparaisse dans d’autres cités béotiennes plus proches de la mer où est vénéré Héraclès sans que l’on en sache plus sur les cultes présents619. Ce sont les seules mentions concrètes de cultes de divinités liées à la mer dans l’intérieur de la Béotie. Elles sont peu nombreuses et peu explicites et il faut par conséquent se rapprocher du littoral pour disposer de traces plus concrètes des cultes maritimes béotiens.

614 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 62. 615 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 187. 616 IG VII 2874. 617 Alexandra, v. 662-663. 618 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 10. 619 Héraclès est notamment vénéré à Siphai dont le culte s’accompagne d’un concours annuel (Pausanias, IX, 32, 4). 122

2) Sur le canal d’Eubée

Ainsi, on ne retrouve aucun culte important lié à la mer qui serait pratiqué partout en Béotie et c’est sur les littoraux que l’on a le plus de traces de tels cultes. C’est notamment le cas avec Dionysos, qui, en tant que divinité réputée Béotienne — il est le petit-fils de Cadmos, roi mythique de Thèbes — est omniprésent en Béotie620. Les formes que prend son culte sont loin d’être uniformes mais on remarque un certain nombre de particularismes dans les sites côtiers donnant sur le canal d’Eubée. À Tanagra, Pausanias relève plusieurs traditions autour du culte de Dionysos621 :

ἐν δὲ τοῦ Διονύσου τῷ ναῷ θέας μὲν καὶ τὸ ἄγαλμα ἄξιον λίθου τε ὂν Παρίου καὶ ἔργον Καλάμιδος, θαῦμα δὲ παρέχεται μεῖζον ἔτι ὁ Τρίτων. ὁ μὲν δὴ σεμνότερος ἐς αὐτὸν λόγος τὰς γυναῖκάς φησι τὰς Ταναγραίων πρὸ τῶν Διονύσου ὀργίων ἐπὶ θάλασσαν καταβῆναι καθαρσίων ἕνεκα, νηχομέναις δὲ ἐπιχειρῆσαι τὸν Τρίτωνα καὶ τὰς γυναῖκας εὔξασθαι Διόνυσόν σφισιν ἀφικέσθαι βοηθόν, ὑπακοῦσαί τε δὴ τὸν θεὸν καὶ τοῦ Τρίτωνος κρατῆσαι τῇ μάχῃ· ὁ δὲἕτερος λόγος ἀξιώματι μὲν ἀποδεῖ τοῦ προτέρου, πιθανώτερος δέ ἐστι. φησὶ γὰρ δὴ οὗτος, ὁπόσα ἐλαύνοιτο ἐπὶ θάλασσαν βοσκήματα, ὡς ἐλόχα τε ὁ Τρίτων καὶἥρπαζεν· ἐπιχειρεῖν δὲ αὐτὸν καὶ τῶν πλοίων τοῖς λεπτοῖς, ἐς ὃ οἱ Ταναγραῖοι κρατῆρα οἴνου προτιθέασιν αὐτῷ. καὶ τὸν αὐτίκα ἔρχεσθαι λέγουσιν ὑπὸ τῆς ὀσμῆς, πιόντα δὲ ἐρρῖφθαι κατὰ τῆς ᾐόνος ὑπνωμένον, Ταναγραῖον δὲ ἄνδρα πελέκει παίσαντα ἀποκόψαι τὸναὐχένα αὐτοῦ· καὶ διὰ τοῦτο οὐκ ἔπεστιν αὐτῷ κεφαλή. ὅτι δὲ μεθυσθέντα εἷλον, ἐπὶ τούτῳ ὑπὸ Διονύσου ὅτι δὲ μεθυσθέντα

εἷλον, ἐπὶ τούτῳ ὑπὸ Διονύσου νομίζουσιν ἀποθανεῖν αὐτόν.

[4] « In the temple of Dionysus the image too is worth seeing, being of Parian marble and a work of Calamis. But a greater marvel still is the Triton. The

620 On le retrouve notamment à Akraiphia, Anthédon, Chéronée, Éleuthérai, Haliarte, Copai, Creusis, Larymna, Lébadée, Orchomène, Potniai, Tanagra, Thèbes, Thespies et Thisbé. 621 IX, 20, 4-5. 123

grander of the two versions of the Triton legend relates that the women of Tanagra before the orgies of Dionysus went down to the sea to be purified, were attacked by the Triton as they were swimming, and prayed that Dionysus would come to their aid. The god, it is said, heard their cry and overcame the Triton in the fight. The other version is less grand but more credible. It says that the Triton would waylay and lift all the cattle that were driven to the sea. He used even to attack small vessels, until the people of Tanagra set out for him a bowl of wine. They say that, attracted by the smell, he came at once, drank the wine, flung himself on the shore and slept, and that a man of Tanagra struck him on the neck with an axe and chopped off his head. For this reason the image has no head. And because they caught him drunk, it is supposed that it was Dionysus who killed him.. »

Il est donc ici question d’un culte à Dionysos où les Tanagréennes se purifiaient dans l’eau de mer. L’inscription IG VII 550 est une dédicace à Dionysos mais elle a été trouvée dans la région de Tanagra et non pas dans la cité ce qui rend difficile son association au temple622. Plutarque explique que la plupart des fêtes à Dionysos ont lieu la nuit623 et d’autre part qu’à Tanagra il y a une pierre qui servait aux sacrifices nocturnes624. Il est donc possible que les fêtes de Dionysos à Tanagra se faisaient la nuit625. Le combat — réel ou métaphorique — entre Dionysos et le triton semble être un thème cher aux Tanagréens. Des séries de monnaies tanagréennes reprennent l’image de Dionysos au revers et l’une d’entre elles, datant du IIe siècle après J.C., nous intéresse particulièrement :

622 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 183. 623 Quaestiones Romanae, 112. 624 Quaestiones Graecae, 37. 625 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 185. 124

Aerus en cuivre de Tanagra, 138-161626

On y voit Dionysos sous un toit porté par les Atalantes627 tandis que le triton se trouve sous Dionysos. Contrairement à la statue décrite par Pausanias, le triton de la monnaie a toute sa tête et s’il est parfois envisagé qu’il ne s’agisse donc pas du même triton, on admet communément qu’il y a au moins un lien entre ces monnaies et ce que Pausanias a vu628. Albert Schachter pense que les deux figures de Dionysos et du triton étaient importantes à Tanagra avant que ne soit établi leur combat, peut-être au IIe siècle après J.C. Ce serait alors la présence de la mer629 qui a rapproché les deux figures jusqu’à les associer dans une même légende : le triton est une créature marine tandis que le culte de Dionysos est lié à la mer par la purification. Le modèle du combat entre Dionysos et des figures de la mer n’est cependant pas propre à Tanagra et on retrouve ce thème dans plusieurs localités béotiennes le long du canal d’Eubée comme le relève Ernst Maas630. Celui-ci, par la présence de la mer dans le culte dionysiaque à Tanagra, identifie la divinité vénérée à Dionysos Pélagios631, Dionysos « de la haute mer », qui protège les Tanagréens des menaces maritimes comme le triton et dont le culte implique une purification par l’eau de mer632. Dionysos apparaît en conflit avec d’autres « forces de la mer » sur plusieurs sites voisins. Dans la région même de Tanagra, Ernst Maas estime voir une opposition entre Dionysos et Orion fils de Poséidon, que l’on présente parfois comme un géant de la mer633, par le fait que le fils de

626 BMC 60 avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 627 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 184 628 SCHACHTER A., op. cit. 629 SCHACHTER A., op. cit. 630 MAAS E., ΔΙΟΝΥΣΟΣ ΠΕΛΑΓΙΟΣ, p. 70-80. 631 MAAS E., Ibid., p. 76. 632 Que l’on peut comparer avec ce que dit Plutarque (Étiologies grecques¸ 40) où il est mention d’une purification dans la mer à Tanagra dans le cadre d’un mythe local. 633 Ératosthène, Catastérismes, p. 126 (éd. Robert). 125

Dionysos et roi de , Oenopion, ait refusé d’accorder la main de sa fille à Orion, malgré sa promesse634. Si cette légende place ce conflit à Chios, il semble que le mythe d’Orion provienne de la région de Tanagra635 : Pausanias y visite sa tombe636 et Corinne, célèbre poétesse tanagréenne, fait référence à lui en tant que « notre père »637. C’est enfin à Anthédon que l’on dispose d’une dernière mention d’un duel entre Dionysos et une divinité maritime, ici Glaucos638. Athénée de Naucratis cite un certain Théoclyte de Méthymne qui fait mention de la lutte entre Glaucos et Dionysos pour la main d’Ariadne, lutte remportée par l’Olympien639. Le temple de Dionysos à Anthédon n’est pas en relation avec la mer mais, au contraire, tourné vers les terres, à l’extérieur de la ville640. Il paraît alors peu probable qu’il s’agisse d’un temple à Dionysos Pélagios que l’on trouve à Anthédon. Si l’on ne trouve aucune trace concrète d’un culte spécifique à Dionysos Pélagios, il reste plausible que dans ces localités portuaires on se soit adressé à l’occasion à Dionyos en tant que maître de la mer. L’association de Dionysos au monde de la mer ne semble pas absurde en Béotie car on la retrouve dans deux céramiques liées au banquet, et donc à Dionysos. Il s’agit d’un rhyton et d’un canthare, servant tous deux à contenir du vin et prenant la forme d’un navire641.

Rhyton probablement béotien, seconde moitié du VIIe siècle642

634 Diodore, IV, 85. 635 MAAS E., ΔΙΟΝΥΣΟΣ ΠΕΛΑΓΙΟΣ, p. 77. 636 IX, 20, 3. 637 Frr. 654, col. III, v. 37-39 : « ἔπιτ᾿ Ὠα[ρί]ων ἁμὸς γενέτωρ γῆα[ν Ϝ]ὰν ἀππασάμενος· » 638 MAAS E., ΔΙΟΝΥΣΟΣ ΠΕΛΑΓΙΟΣ, p. 74. 639 Deipnosophistes, VII, 296a. 640 Pausanias, IX, 22, 6. 641 BASCH L., Musée imaginaire de la marine antique, p. 234. 642 Museum of Fine Arts, Boston, n° 99, 515 A ; L. BASCH, n° 484. 126

Canthare béotien, 2e quart ou milieu du VIe siècle643

Il faut d’ailleurs noter que le canthare représente lui-même un triton sur son côté. On serait naturellement tenté de présenter ce canthare comme figurant le duel entre Dionysos et le triton à Tanagra. Cela reste cependant très incertain : - L’autre face du canthare représente des sirènes et des dauphins. Le triton ne serait donc pas au centre du décor qui est une simple thématique maritime. - Le canthare est antérieur d’environ 650 ans à Pausanias. Il est possible que le mythe ne soit pas si vieux ou qu’il ait évolué entretemps644. - On sait seulement que le canthare est béotien. Même si Tanagra est un centre de production relativement important en Béotie, il est probable qu’il n’ait rien à voir avec cette cité. Dionysos, qui apparaît donc comme une divinité omniprésente en Béotie, revêt à l’occasion des attributs maritimes. Il est difficile de voir s’il s’agit d’une caractéristique propre au littoral oriental d’autant que ces exemples céramiques sont mal localisés. Dans la littérature, les associations entre Dionysos et le monde maritime sont variées et concernent toutes le littoral, notamment dans les régions donnant sur le canal d’Eubée. Glaucos, la petite divinité qui se trouvait en conflit avec Dionysos à Anthédon, dispose d’une importante aura locale. De passage à Anthédon, c’est Hérakleidès le Critique qui rapporte que les habitants se disent descendants de Glaucos, que l’on dit avoir été pêcheur645. Le mythe de

643 Louvre, CA 577 ; L. BASCH n° 485. 644 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 184. 645 Hérakleidès, I, 24. 127

Glaucos était célèbre chez les Grecs, et il comporte quelques variantes suivant les auteurs646. Le récit plus complet est celui d’Ovide647 chez qui Glaucos, un pêcheur anthédonien, voyant des poissons revenir à la vie au contact de l’herbe sur la berge, il gouta lui-même à cette herbe et se jeta aussitôt dans la mer où Thétys et Océan firent de lui une divinité de la mer. Alors que Pausanias est à Anthédon, on lui montre le « Saut de Glaucos », le point d’où il aurait sauté dans la mer, et on lui explique que la divinité délivre des oracles dont de nombreux marins attestent la véracité648. Une scholie de la République de Platon raconte que c’est une nuit par an que Glaucos — qui n’est d’ailleurs pas présenté comme un θέος mais un δαίμων — s’approche du rivage et délivre des oracles sinistres aux marins649. Cette scholie ne mentionne pas directement Anthédon et il est possible qu’il fasse référence à Délos, où il est dit que Glaucos délivre également des oracles650. Si l’on n’a pas de trace concrète d’un culte oraculaire à Glaucos, le témoignage de Pausanias laisse entendre qu’il existait sans que l’on ait la moindre information sur la façon dont était transmis l’oracle. C’est dans la région de Tanagra que l’on dispose de plus de traces de cultes liés à la mer, cultes tournant autour d’Apollon et Artémis. Délion, petit port à proximité de Tanagra, vit principalement autour de son sanctuaire dédié à Apollon Délios, Léto et Artémis. Le sanctuaire apparaît vraisemblablement lié à celui de Délos, et s’il existe déjà au début du Ve siècle, il semble se développer considérablement au cours de la guerre du Péloponnèse, avec la création de Délia qui répondent aux fêtes instituées par les Athéniens à Délos651. Le sanctuaire est attenant à la mer et il est possible qu’en conséquence, le culte qu’y recevait Apollon soit lié au monde maritime. En effet, à quelques kilomètres à l’est, en longeant la côte, on trouve le grand sanctuaire oraculaire d’Amphiaraos et son port sacré, le Delphinion652. Le nom du port le rattache sans doute à Apollon Delphinios, l’Apollon Dauphin qui, embarqué dans un navire crétois, rejoint son futur sanctuaire de Delphes653. Cet Apollon oropien semble directement lié à la question du passage maritime, notamment avec la partie sud de l’île d’Eubée où l’on trouve deux sanctuaires analogues654 :

646 Pour l’ensemble des sources où il est mention de ce Glaucos voir BEAULIEU M. C., The Sea as a Two-Way Passage, p. 29, n. 82. Eschyle a notamment écrit une pièce à son sujet, Glaucos Pontios, aujourd’hui perdue (Pausanias, IX, 22, 7). 647 Métamorphoses¸ XIII, 898-968. 648 Pausanias, IX, 22, 7. 649 Scholie de Platon, République, X, 611d. 650 Athénée, Deipnosophistes, VII, 296c, où il cite Aristote. 651 Supra, p. 49-50. 652 Strabon, IX, 2, 6. 653 Hymne à l’Apollon Délien, v. 388-512. 654 FENET A., Les dieux olympiens et la mer, p. 156-157. 128

- À Érétrie, cité mère d’Oropos, se trouve un important sanctuaire dédié à Apollon Daphnéphoros, divinité poliade655. - À Marmarion, port dont Strabon explique qu’étant à proximité de carrières de marbre, la pierre est continuellement exportée vers l’Attique, au-delà du canal d’Eubée656. Le port est lui-même placé sous la protection d’Apollon Marmarios dont le nom — comme celui du port — renvoie à l’activité locale du travail du marbre (μάρμαρος). Le culte d’Apollon apparaît ainsi lié à la traversée maritime du golfe d’Eubée dans cette tradition eubéenne (que l’on retrouve à Oropos) et c’est vraisemblablement le cas aussi à Délion. Plusieurs éléments permettent d’établir des connexions entre le sanctuaire d’Apollon Délien et celui d’Apollon Daphnéphoros, opposés par le golfe657 : D’une part, la triade apollinienne semble avoir également été vénérée à Érétrie comme l’indique une inscription locale658, de plus, a été trouvée à Tanagra un canthare archaïque avec le nom théophore Daliodoros659 qui a la particularité de mêler le dialecte béotien avec l’écriture eubéenne660. Le culte d’Apollon à Délion serait donc sous une double influence eubéenne et délienne, les deux ayant une dimension maritime non négligeable. Aulis, dans la région de Tanagra, est elle célèbre pour avoir été le point de rassemblement des Achéens avant leur départ pour la guerre de Troie. Le Pseudo-Apollodore fait référence à un sacrifice qu’auraient fait les Grecs à Aulis avant de s’embarquer661 mais il est le seul à en parler et la mention est trop mince pour savoir s’il y avait réellement un culte à Apollon662, alors que le port est tout proche de l’Eubée, au-delà du détroit de l’Euripe. Il en va autrement avec Artémis qui apparaît comme une divinité centrale dans le récit du départ des Achéens vers Troie tel que le rapporte notamment Euripide dans son Iphigénie à Aulis. Les Grecs, rassemblés à Aulis, ne peuvent lever l’ancre faute de vents favorables après qu’Agamemnon eut offensé Artémis. Pour apaiser la colère de la déesse, Agamemnon est contraint de sacrifier sa fille Iphigénie, et les vaisseaux grecs purent s’en aller vers Troie. Aux périodes historiques, Aulis vit de l’activité du sanctuaire d’Artémis Aulideia devenu une sorte de lieu de pèlerinage663. L’épisode le plus notable de l’importance du culte de cette Artémis a lieu au début du

655 Sur l’importance du sanctuaire, voir notamment BÉRARD Cl. « L’urbanisation d’une cité grecque », p. 27- 28. 656 Strabon, X, 1, 10. 657 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 45. 658 IG XII, 2, 266. 659 IG VII 621. 660 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 45, n. 7 : Le second delta est écrit « Δ », une forme normale en Béotie, mais que l’on ne trouve jamais en Béotie, là où un « D » serait attendu. 661 Épitomé, III, 15 : « Ὅτι ὄντος ἐν Αὐλίδι τοῦ στρατεύματος, θυσίας γενομένης Ἀπόλλωνι ». 662 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 43. 663 Supra, p. 57-59. 129

IVe siècle lorsque le souverain Spartiate Agésilas se rend à Aulis afin de sacrifier à la divinité avant de mener une expédition militaire en Asie664. Il s’agit ici d’une manœuvre politique qui atteste néanmoins que le culte, qui existe indépendamment de la présence d’Agésilas665, est resté lié aux expéditions maritimes. Le culte d’Artémis existe depuis au moins le VIIIe siècle avant J.C.666 mais il est possible qu’il succède à un culte plus ancien dédié à une héroïne ou déesse nommée Iphigénie ou Iphianassa voire Iphimédéia667, et que l’on retrouve plus tard comme fille d’Agamemnon. Cette dernière, Iphimédéia, est connue par un fragment du Catalogue des femmes d’Hésiode qui l’associe au sacrifice à Aulis668 et elle apparaît dans une tablette mycénienne de Pylos en tant que déesse Ipemedeja669. Le culte de cette Artémis à Aulis serait donc ancien et, comme celui d’Apollon, il semble qu’il soit lié à plusieurs sites autour du canal d’Eubée : - À Amarynthos, juste à l’est d’Érétrie, se trouve un sanctuaire d’Artémis dont une scholie des Oiseaux d’Aristophane indique qu’il aurait été fondé par Agamemnon670. Le culte de cette Artémis Amarousia a une signification considérable car, s’accompagnant d’une fête opulente671, il se voulait symboliser l’union des cités eubéennes672. - À Anthédon, en Béotie, Pausanias voit le tombeau d’Iphimédéia et de sa famille673. Peut- être s’agit-il d’une trace du même culte ancien674. - À Brauron, en Attique, se trouve un important sanctuaire d’Artémis dont il est parfois dit qu’il fut le réel lieu du sacrifice d’Iphigénie675. Il semble que cela soit une tradition athénienne tardive676, peut-être conçue dans le cadre de la rivalité qui oppose Athènes à la Béotie677

664 Comme le raconte notamment Xénophon (Helléniques, III, 4, 3). 665 Le sacrifice d’Agésilas est d’ailleurs interrompu par les béotarques pour vice de forme, le souverain ayant lui-même sacrifié une biche, sans employer le mageiros attaché au sanctuaire (Plutarque, Agésilas, VI). 666 MOGGI M., OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, La Beozia, p. 324. 667 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 96. 668 Hésiode, fr. 23a MW. 669 Tn 216. 670 Scholies dans Aristophane, Les Oiseaux¸ v. 873 : « ‘Εὐφρόνιος δέ φησιν ὅτι ἐν Ἀμαρύνθῳ ἡ Κολαινὶς, διὰ τὸ τὸν Ἀγαμέμνονα θῦσαι αὐτῇ ἐκεῖ κριὸν κόλον ». 671 Strabon, X, 1, 10. 672 MARCOTTE D., Le poème géographique de Dionysios, p. 142. 673 IX, 22, 6, Iphimédéia était mariée à Aloas et avait pour enfant les Aloades Otos et Éphialtès. 674 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 96. 675 L’association entre Iphigénie et l’Artémis de Brauron se trouve pour la première fois chez Euripide (qui a auparavant écrit Iphigénie à Aulis) dans son Iphigénie en Tauride où l’héroïne, prêtresse d’Artémis en Tauride, doit rejoindre Brauron pour y servir la déesse (v. 1442-1461). La seule mention concrète du sacrifice d’Iphigénie ayant lieu à Brauron et non à Aulis se trouve dans une scholie de la Lysistrata d’Aristophane (Leiden MS, v. 645a-645b). 676 EKROTH G., « Inventing Iphigenia », p. 59-101. 677 MARCOTTE D., Le poème géographique de Dionysios, p. 144. 130

- Pausanias rapporte enfin que c’est à Mégare qu’Iphigénie mourut selon une tradition locale et on peut y voir son tombeau ainsi qu’un temple à Artémis bâti par Agamemnon678. C’est la seule mention d’une telle légende et il est possible que ce soit une construction récente679. Si tous ces sites paraissent liés par le même culte ancien, il est difficile d’y retrouver le même rapport à la mer qu’à Aulis. Selon une tradition littéraire qui remonte à Hésiode, Iphigénie, en devenant prêtresse d’Artémis, se transforme en Hécate, divinité chtonienne associée à la mort, aux carrefours et à la fertilité680. L’Artémis/Iphigénie que l’on retrouverait à Brauron est certainement liée à Hécate681 tandis que l’épiclèse agrotera (« chasseresse ») de celle de Mégare semble également éloigné des questions maritimes. Alors que rien ne rattache ces sanctuaires à la navigation contrairement à celui d’Aulis, il apparaît possible que ce soient les pratiques locales, sous l’influence de l’épisode d’Agamemnon, qui aient progressivement fait d’Artémis Aulideia une divinité liée aux voyages maritimes682. Il faut d’ailleurs noter une inscription romaine du IIIe siècle de notre ère683 qui prend la forme d’une dédicace de la part d’une femme, probablement tanagréenne :

θεᾷ ἐπηκόῳ « déesse à l’écoute,

Ἀρτέμιδι à Artémis

Αὐλίδι σωτείρῃ Aulideia sauveuse »

Cette inscription atteste au moins de la pérennité du culte. On peut également envisager qu’elle s’inscrive dans un contexte maritime (comme pour remercier la déesse d’une navigation sans encombre) d’autant qu’Artémis Aulideia ne semble avoir jamais été une divinité particulièrement importante pour les Tanagréens — à l’inverse de Dionysos ou d’Apollon qui ont pu figurer sur des monnaies civiques.

678 Pausanias, I, 43. 679 MARCOTTE D., Le poème géographique de Dionysios, p. 143. 680 Comme l’explique Pausanias (I, 43, 1). 681 À Brauron, Hékate apparaît dans plusieurs œuvres votives : PAAH 1945-48, p. 88-89, fig. 6 ; BCH 73 (1949) p. 527, fig. 10 ; SARIAN, l.c. (n° 67), p. 998, n° 114. 682 MARCOTTE D., Le poème géographique de Dionysios, p. 145. 683 IG XIV 963. 131

3) Sur le golfe de Corinthe

Les traces de cultes équivalents sur la côte méridionale de la Béotie sont plus ténues. On ne trouve aucun culte maritime à Apollon ou Artémis comme on l’a vu plus tôt. La mention la plus directe à une divinité marine consiste en une statue de Poséidon en bronze, datant du début du Ve siècle et trouvée dans la mer au large de Creusis684. Celle-ci ne prouve cependant pas qu’il y ait eu un culte à Poséidon dans le port de Thespies et il est même généralement admis qu’elle n’a fait que passer par Creusis, étant originaire ou destinée au sanctuaire d’Onchestos685.On remarque quelques cultes à Dionysos dans des sites comme Thisbé686 sans que rien ne le rattache à des attributs maritimes. Il en va peut-être autrement à Thespies où Pausanias explique que Dionysos est vénéré dans la cité même687 mais aussi dans son port de Creusis où la statue du dieu était visible chez un particulier688. Le fait que Dionysos ait sa statue chez un habitant peut potentiellement renvoyer à un culte similaire à celui que l’on trouve à Aigion689 où des statues de Zeus et d’Héraclès étaient exposées chez un individu nommé prêtre de ces divinités pour l’année690. Si l’on admet qu’à Creusis, la prêtrise à Dionysos est une charge tenue par un particulier, on peut supposer que cela fut décidé à Thespies, où il y a donc déjà un sanctuaire à Dionysos. Il est donc possible que ce fut une décision répondant à un besoin des habitants de Creusis vivant de la mer. La mention la plus intéressante nous vient cependant de Chorsiai où une inscription trouvée sur le site fait mention d’un culte à Héra691 et il est possible qu’il soit lié aux questions maritimes. L’inscription est en réalité thespienne et il s’agit d’une liste d’objets sacrés appartenant aux Thespiens (« hιερὰ χρέματα Θεσππιέων ») situés dans trois lieux distincts : dans un héraion, à Creusis et à Siphai. Elle est généralement datée des années 386-380, soit les années où fut appliquée la Paix du Roi et où Thespies perdit vraisemblablement le contrôle de ces sites et dut vouloir inventorier ses possessions692. Dans la mesure où l’inscription a été trouvée à Chorsiai, on admet que l’héraion devait s’y trouver et étant donné que les sanctuaires de Creusis et Siphai ne sont pas nommés, il est probable qu’il s’agisse également d’héraions d’autant que les objets sont du même

684 Musée National d’Athènes, n° 11761. 685 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, II, p. 207. 686 IG VII 2233. 687 IX, 26, 8, mais le passage est corrompu. 688 IX, 32, 1. 689 MOGGI M, OSANNA M., Pausania Guida della Grecia Libro IX, p. 395. 690 Pausanias, VII, 24, 4. 691 SEG XXIV 361. 692 ROESCH P., TAILLARDAT J., « L'inventaire sacré de Thespies : l'alphabet attique en Béotie », p. 70-87. 132 genre693. Ces objets listés sont bien plus nombreux dans l’héraion « de Chorsiai » (l. 4-25) qu’à Siphai (l. 25-26) ou Creusis (l. 27-28) et il s’agit principalement d’ustensiles en bronze liés à la cuisine ou aux repas, de klinai, de tables ainsi que de bassines pour les pieds et de pots de chambre694, mais rien qui permettent d’identifier plus précisément le culte pratiqué. On peut envisager deux influences extérieures au développement du culte d’Héra sur la côte sud de la Béotie : - Héra reçoit un culte important à Platées ou elle est notamment célébrée en tant qu’Héra Kithaironia695, épiclèse que l’on retrouverait également à Thespies696. Ce serait alors une Héra liée au Cithéron et vénérée en tant que déesse des mariages697. - Les sites béotiens évoqués dans l’inscription donnant tous sur le golfe de Corinthe, il est également possible qu’ils soient connectés ou au moins influencés par le sanctuaire d’Héra à Pérachora698, situé à une vingtaine de kilomètres au-delà d’une baie. Il s’agit, semble-t-il, du seul sanctuaire d’Héra de Grèce continentale qui soit lié au monde maritime699 où on retrouve la déesse avec les épiclèses Liménia (« du port ») ou Leukôlenos (« aux bras blancs ») que l’on rattache parfois au monde maritime700. Le sanctuaire de Pérachora se situe à un endroit stratégique pour ceux naviguant entre Corinthe et la Béotie (et au-delà tout le littoral nord du golfe de Corinthe) car il est proche d’une des seules criques de la côte sud, rocheuse, de la péninsule et constitue un amer très utile dès l’époque archaïque701. La route maritime entre les ports méridionaux béotiens et Corinthe était abondamment utilisée et il apparaît plausible que le culte de cette Héra de Pérachora se soit exporté en Béotie.

On s’aperçoit donc que les sources renvoyant aux compétences maritimes des divinités olympiennes en Béotie sont floues. À aucun moment, on ne dispose pour Héra, Poséidon, Artémis ou Apollon d’une trace d’une épiclèse évidente telle que Liménios/as ou Pontios/as. On en est souvent réduits à supposer l’existence de ces attributs sans que l’on n’ait jamais la moindre certitude. Si la mer béotienne ne paraît pas être le domaine des grandes divinités panhelléniques, il n’en va de même pour des plus petites divinités ou des héros dont les mythes et légendes sont solidement

693 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 238. 694 TOMLINSON R. A., « Two Notes on Possible Hestiatoria », p. 222. 695 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 242-250. 696 SCHACHTER A., Ibid., p. 251. 697 Op. cit. 698 SCHACHTER A., Cults of Boiotia, I, p. 243. 699 FENET A., Les dieux olympiens et la mer, p. 69. 700 NOVARO-LEFÈVRE D., « Le culte d’Héra à Pérachora », p. 48-50. 701 NOVARO-LEFÈVRE D., « Le culte d’Héra à Pérachora », p. 42-44. 133 associés à des localités béotiennes. Nous avons déjà vu le cas d’Artémis et d’Iphigénie à Aulis, qui prendrait la forme d’un particularisme béotien, un culte maritime né d’un usage local ancien. Les figures héroïques sont également moins nombreuses sur cette façade littorale. La seule qui apparaisse liée à la mer se trouve à Siphai. Pausanias rapporte que les habitants se vantent d’être les meilleurs navigateurs de Béotie à l’image de leur héros éponyme, Tiphys, qui pilota l’Argo dans l’expédition des Argonautes702. Alors qu’une tradition littéraire voit le héros trépasser au cours de l’expédition en Bithynie703, les Siphéens montrent l’endroit où il est revenu704 mais on ne sait pas s’il avait un tombeau à Siphai ou s’il a pu recevoir un culte héroïque à un moment.

Ainsi, les cultes maritimes apparaissent inégalement répartis au sein du territoire béotien. Il n’y a aucune divinité panbéotienne qui soit liée à la mer, si ce n’est le Poséidon fédéral mais cela reste très incertain et ce ne serait dans tous les cas que des attributs secondaires. Naturellement, l’intérieur du pays est peu concerné par ces pratiques cultuelles. On peut toujours envisager que des cultes méconnus soient ponctuellement liés à la mer comme le culte à mystère des Cabires, près de Thèbes, mais même si leur existence était avérée, ils resteraient marginaux au sein du paysage béotien. C’est dans les régions côtières que ressortent en revanche le plus de traces de cultes dédiés à des divinités maritimes. Ceux-ci peuvent prendre plusieurs formes : - Il peut s’agir de divinités honorées partout en Béotie mais qui revêtent localement des attributs maritimes, comme Dionysos.

- Il peut également s’agir de divinités dont le culte maritime traduit une influence étrangère sur les littoraux béotiens comme c’est peut-être le cas avec l’Apollon de Délion ou l’Héra sur le golfe de Corinthe.

- Il y a enfin le cas des petites divinités locales, ou des héros locaux dont le mythe est étroitement lié à la région.

Non seulement le paysage cultuel béotien apparaît ainsi divisé entre l’intérieur et le littoral, mais dans ce dernier cas, il semble que les pratiques cultuelles connaissent un plus grand dynamisme autour de certains centres bien définis, à savoir les régions de Tanagra et de Thespies. La mer devient ainsi un espace d’échanges par le biais des cultes, ce que l’on peut également retrouver dans les questions économiques que l’on verra ensuite.

702 Pausanias, IX, 32, 4. 703 Apollonios de Rhodes, Argonautiques, II, v. 851-858. 704 Pausanias, IX, 32, 4. 134

III Le commerce maritime en Béotie

Quel commerce pouvait connaître la Béotie par le biais de ses ports ? Aucun selon certaines visions modernes d’une Béotie privée de tout horizon maritime705. Pourtant, Éphore de Cumes — cité par Strabon706 — porte un avis différent sur la question :

Ἔφορος δὲ καὶ ταύτῃ κρείττω τὴν Βοιωτίαν ἀποφαίνει τῶν ὁμόρων ἐθνῶν καὶ ὅτι μόνη τριθάλαττός ἐστι καὶ λιμένων εὐπορεῖ πλειόνων, ἐπὶ μὲν τῷ Κρισαίῳ κόλπῳ καὶ τῷ Κορινθιακῷ τὰ ἐκ τῆς Ἰταλίας καὶ Σικελίας καὶ Λιβύης δεχομένη, ἐπὶ δὲ τῶν πρὸς Εὔβοιαν μερῶν ἐφ᾽ ἑκάτερα τοῦ Εὐρίπου σχιζομένης τῆς παραλίας τῇ μὲν ἐπὶ τὴν Αὐλίδα καὶ τὴν Ταναγρικὴν τῇ δ᾽ ἐπὶ τὸν Σαλγανέα καὶ τὴν Ἀνθηδόνα, τῇ μὲν εἶναι συνεχῆ τὴν κατ᾽ Αἴγυπτον καὶ Κύπρον καὶ τὰς νήσους θάλατταν τῇ δὲ τὴν κατὰ Μακεδόνας καὶ τὴν Προποντίδα καὶ τὸν Ἑλλήσποντον·

« Éphore déclare que la supériorité de la Béotie sur les pays limitrophes réside à la fois dans cette fertilité et dans le fait que, seule, elle est baignée par trois mers et dispose de ports en plus grand nombre, aussi bien sur le golfe de Crisa et de Corinthe — par où elle reçoit les marchandises en provenance d’Italie, de Sicile et de Libye — que dans les parties de son territoire qui sont tournées vers l’Eubée, où le littoral se divise en deux de part et d’autre de l’Euripe, d’un côté vers Aulis et le territoire de Tanagra, de l’autre vers Salganeus et Anthédon — le premier est en relations avec la mer d’Égypte, de Chypre et de l’archipel, l’autre avec celle des parages de la Macédoine, avec la Propontide et avec l’Hellespont.»

705 VAN EFFENTERRE H., Les Béotiens, p. 11. 706 Strabon, IX, 2, 2. 135

Ainsi, selon Éphore, la Béotie serait un carrefour commercial entre Méditerranée occidentale et orientale. Pour comprendre cette vision très optimiste, il faut garder en tête qu’Éphore écrit au milieu du IVe siècle, en tant que témoin d’une période de prospérité pour les Béotiens. Il semble néanmoins décrire une Béotie postérieure à la bataille de Mantinée car il critique ensuite vertement l’incapacité des Béotiens à accéder à l’hégémonie faute de chefs compétents et ce malgré une géographie avantageuse. Ces arguments étant repris par Strabon, cela montre que si l’opinion d’Éphore est peut-être exagérée, elle reste suffisamment convaincante pour le géographe, trois siècles plus tard.

Un commerce maritime devait donc nécessairement exister en Béotie et celui-ci était suffisamment important pour que des lettrés étrangers en aient connaissance. Il s’agit ici d’en préciser la nature ce qui se fera en étudiant successivement les trois mers dont parlent Éphore et Strabon.

136

A- Le commerce dans le golfe de Corinthe

Il sera ici question des relations économiques que peuvent avoir les Béotiens par leur côte méridionale, c’est-à-dire celle qui est composée des ports de Creusis, Siphai, Thisbé et Chorsiai, donnant tous sur le golfe de Corinthe.

1) Lieux de commerce

L’étude des contacts maritimes qu’ont pu avoir les Béotiens à l’époque mycénienne sort largement de notre chronologie et requerrait sa propre étude approfondie qui se suffirait à elle- seule. Néanmoins, dans le cadre du golfe de Corinthe, il me semble à propos d’y revenir brièvement dans la mesure où c’est réellement à l’époque mycénienne que s’y est développé un commerce maritime précurseur de celui que l’on peut retrouver dans les siècles ultérieurs. Cette question ayant été traitée par W. A. Heurtley dans un article fondateur paru au cours des années 1920707, c’est principalement sur celui-ci que s’appuiera ce court développement. Cet article prend la forme d’une description de la côte méridionale béotienne, d’est en ouest, où l’auteur étudie chaque port en s’appuyant essentiellement sur le matériel archéologique afin d’en déterminer la situation en des temps préhistoriques.

Il en ressort que tous les ports béotiens de l’époque classique étaient déjà exploités au cours de l’Helladique récent et que l’importance du matériel sur place ne laisse que peu de doute sur le caractère extensif des échanges par le biais du golfe de Corinthe alors que les fragments de céramique plus anciens sont trop peu nombreux pour confirmer la présence de contacts extérieurs continus708. De façon plus précise, les lieux d’échange les plus importants sont manifestement les ports de Thisbé et de Creusis, les deux menant à Thespies et au-delà à Thèbes ou Orchomène709. Siphai et Chorsiai étaient également bien intégrées à ce commerce maritime mais les contacts avec

707 « Notes on the Harbours of S. Boeotia, and Sea-Trade between Boeotia and Corinth in Prehistoric Times », p. 38-45. 708 HEURTLEY W. A., « Notes on the Harbours of S. Boeotia », p. 43. 709 Ibid., p. 44. 137 l’intérieur des terres étant plus difficiles, ces ports n’étaient probablement pas privilégiés lorsqu’il s’agissait d’écouler une marchandise à destination des grands centres béotiens. La céramique trouvée sur place provenant certainement des ateliers de Mycènes mais aussi de Corinthe, il faut probablement envisager qu’elle était embarquée à Corinthe à destination de la Béotie, où l’on venait chercher du blé.

Pour les époques qui nous intéressent directement, nous disposons de sources bien plus nombreuses pour percevoir les réseaux commerciaux dans lesquels s’inscrivaient les Béotiens par leur côte méridionale. Sur cette question, les décrets de proxénie constituent un corpus de choix. En effet, pour ce qui est de la Béotie, il faut bien distinguer les décrets fédéraux, décernés par le Koinon, des décrets civiques, propres à chaque cité. Alors que les premiers sont motivés par des raisons politiques et diplomatiques, ceux des cités semblent être liés à des raisons commerciales comme l’a montré John M. Fossey710. Dans les deux cas, les décrets sont bien plus nombreux pour la période hellénistique qu’à la période classique, surtout pour les décrets civiques qui datent pour la plupart des années 250-172711 et ce sont donc ces dernières qui nous intéressent. En effet, en compilant l’ensemble des décrets de proxénie accordés par des cités béotiennes, le corpus se répartit de cette façon712 :

Cité émettrice Nombre de décrets trouvés

Oropos 177

Thespies 28

Tanagra 28

Akraiphia 19

Thisbé 10

Chorsiai 5

Thèbes 3

Orchomène 3

Platées 2

Haliarte 2

710 « Boioitian decrees of proxenia », p. 38-40. 711 Ibid., p. 40. 712 Ibid. 138

Coronée 1

Chéronée 1

Anthédon 1

Si le hasard des fouilles a son rôle dans les découvertes de décrets de proxénie, leur nombre et leur répartition ne trompent pas. Les cités où l’on a trouvé le plus d’inscriptions sont toutes des cités côtières — en gras dans le tableau — et ce à l’exception d’Akraiphia. La présence de cette dernière est justifiée par l’importance du sanctuaire oraculaire du Ptoion — ainsi que par les fouilles méticuleuses dont il fit l’objet — et ce sont également des raisons religieuses qui expliquent la nomination de tant de proxènes par les Oropiens. Selon John M. Fossey, la surreprésentation des cités maritimes dans ce tableau ne peut s’expliquer que par des raisons commerciales : c’est la nécessité de nouer des liens avec des cités d’outre-mer dans le cadre de leurs relations économiques qui les poussait à développer un important réseau de proxènes713. Dans ce contexte, les cités enclavées qui ne disposaient pas de navires marchands, ne devaient nommer des proxènes que ponctuellement, se contentant habituellement d’échanges à une échelle locale714.

Le tableau est clair mais qu’en est-il dans le sens inverse ? Quelles sont les cités béotiennes qui comptent parmi leurs citoyens un proxène d’une cité étrangère ? On dispose de 117 décrets de proxénie étrangers honorant des Béotiens715 dont 58 proviennent de Delphes, 13 du Koinon des Étoliens, 8 de celui des Achéens, 6 d’Épidaure et 4 d’Athènes pour les cités les plus représentées. Les autres proviennent de plusieurs cités de Grèce centrale716, du Péloponnèse717, des îles718, de Carie719 et de Macédoine. Voici la provenance des Béotiens honorés720 :

713 Epigraphica Boeotica II, p. 105. 714 Ibid. 715 Selon le site http://proxenies.csad.ox.ac.uk/. 716 Kallion, Hyampolis, Phocide, Élatée, Skarpheia. 717 Arcadie, Sparte, Tégée, Argos. 718 Égine, Karthaia, Délos et Chios, mais aussi Chalcis et Érétrie en Eubée. 719 Cnide et Pladasa. 720 Ici, les décrets honorant plusieurs proxènes d’une même cité ne sont comptés qu’une fois. 139

Les Béotiens proxènes suivant leur cité d'origine 40 38 35 30 25 20 14 15 12 12 9 10 8 6 5 4 5 3 3 2 1 0

Les cités maritimes sont toujours présentes dans le graphique (Anthédon, Oropos, Tanagra, Thespies et Thisbé) mais leur proportion n’est pas écrasante comme elle peut l’être dans l’autre sens. Le tableau est dominé par Thèbes qui compte près du tiers de l’ensemble des proxènes (38 sur 117). Même Thespies et Tanagra, qui comptent parmi les cités les plus importantes du Koinon, ne présentent pas de différence significative avec des cités comme Orchomène ou Coronée, qui sont enclavées. Alors que pour la Béotie, il est à priori possible de déduire de la nature des décrets les motivations qui se cachent derrière, ce n’est pas possible ici tant le contexte des cités émettrices est variable. Ces motivations purent être économiques mais il semble bien qu’il y ait eu des motifs politiques721 ou religieux722 dans certains cas. Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que les cités du littoral béotien ne représentent pas un intérêt majeur pour les puissances étrangères. Dans le meilleur des cas, les ports béotiens étaient vus comme des points de passage vers l’intérieur des terres et il ne me semble pas plus pertinent de nous attarder sur ce type de décrets pour l’instant.

Restons-en donc aux traités de proxénie béotiens. Pour la côte sud béotienne, les cités qui nous intéressent sont Thespies, Thisbé et Chorsiai, et on peut déjà noter que la seule qui soit absente est Siphai.

721 SEG 44 901 : le Béotien honoré à Cnide n’était autre qu’Épaminondas qui est passé par la cité au cours de son expédition maritime. 722 On voit notamment que les décrets de proxénie delphiens concernent en majorité Thèbes (25) et Tanagra (10). Il est possible que Delphes et Tanagra aient partagé un lien particulier en raison de leurs cultes respectifs à Apollon. 140

Si on prend le cas de Thespies — la plus prolifique de ces cités en termes de proxénies mais aussi la plus importante politiquement et démographiquement — on voit que l’essentiel des proxènes proviennent de cités maritimes un peu partout dans le monde grec. Plusieurs se trouvent dans des cités du golfe de Corinthe avec un proxène de Corinthe723, deux de Sicyone724, deux d’Amphissa725, un de Physkeis en Locride occidentale726 et un de Delphes727. Plus loin à l’ouest, sont représentées Épidamne en Épire avec deux proxènes728 et Tarente en Italie du Sud avec un proxène729. Le versant Égéen du monde grec est également présent avec deux proxènes à Argos730, un à Égine731, six à Athènes732, un à Chalcis733, deux à Héraclée Trachinienne734 sur le golfe Maliaque et un provenant du Koinon des Thessaliens735. Dans des horizons plus lointains, ce sont Canope et Alexandrie736, un ou deux à Périnthe737 et Séleucie738— sans qu’on sache laquelle précisément— qui sont représentées par des proxènes. Enfin, on voit un proxène à Panopée739, en Phocide, qui apparaît comme la seule cité sans littoral parmi les décrets où l’ethnique subsiste.

723 IThesp, n° 2. Une datation est possible par la présence au début de la stèle du nom de l’archonte, Lousias. Cependant la chronologie des archontes béotiens est largement sujette à débat, et si certains auteurs avancent des dates précises pour ces inscriptions, nous en resteront à un vague fin du IIIe/début IIe siècle. 724 IThesp, n° 10 et 11, fin du IIIe/début IIe siècle. 725 IThesp, n° 8, entre 217 et 188. 726 IThesp, n° 7, fin du IIIe/début IIe siècle. 727 IThesp, n° 28, après 47 av J.C, c’est le seul d’époque romaine. 728 IThesp, n° 15 et 16, fin du IIIe/début IIe siècle. 729 IThesp, n° 22, début du IIe siècle. 730 IThesp, n° 3 et 5, fin du IIIe/début IIe siècle. 731 IThesp, n° 4, fin du IIIe/début IIe siècle. 732 IThesp, n° 29, v. 250-240, n° 12, fin du IIIe/début IIe siècle, et n° 20, début IIe siècle. 733 IThesp, n° 6, fin du IIIe/début du IIe siècle. 734 IThesp, n° 9, fin du IIIe/début du IIe siècle. 735 IThesp, n° 18, fin du IIIe/début du IIe siècle. 736 IThesp, n° 19, fin du IIIe siècle. 737 IThesp, n° 14 et 23, fin du IIIe/début du IIe siècle, dans la n°23 l’ethnique y est mutilé et restitué ainsi par Roesch « Πε(ρ)ί[νθιον ?]». 738 IThesp, n° 24, début du IIe siècle. 739 IThesp, n° 13, fin du IIIe/début du IIe siècle. 141

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

Répartition des proxènes des Thespiens à l'époque hellénistique740

On ne dispose jamais de la raison pour laquelle Thespies a accordé ces proxénies et, s’il est probable qu’une majorité de ces proxènes l’aient été pour des raisons économiques, il serait impropre de dire que ces personnages sont tous honorés pour cela par le simple fait qu’ils proviennent de cités maritimes. En effet, certains indices laissent penser le contraire comme le fait que les Égyptiens de Canope et d’Alexandrie sont honorés le même jour et sont au nombre de trois, ce qui laisse plus penser à une ambassade lagide741. Il est également possible de classer ces décrets par la nature des privilèges que reçoivent les honorandi et leurs descendants, traduisant l’importance des services rendus à la cité742. Il apparaît que les Thespiens accordent nécessairement la proxénie et le titre d’évergète à la personne honorée et à ses descendants mais pour ce qui est du droit de posséder la terre et des biens immobiliers (« γᾶς κὴ Ϝυκίας ἔππασις »), il est rare qu’il soit étendu aux descendants du proxène743. En effet, sur toutes ces inscriptions, il n’y a que cinq proxènes qui peuvent transmettre ce droit à leurs descendants : celui d’Égine, un des deux de Sicyone744, les deux d’Épidamne et celui de Physkeis. Soit des cités qui n’ont rien en commun dans leur situation géographique ou dans les liens qui les unissent.

740 FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 12. 741 ROESCH P. Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 27. 742 Ibid., p. 4. 743 Ibid. 744 IThesp, n° 10, l’autre n’a pas ce droit. 142

Pour ce qui est de l’identité des proxènes, la très grande majorité d’entre eux n’apparaît pas sur d’autres inscriptions et quelques noms nous sont parvenus dans des états trop lacunaires pour qu’une quelconque interprétation puisse en être tirée. La seule exception concerne Héraclée de l’Oitas où les deux proxènes se nomment Alexis et Antillos, tous deux fils Aristeas et donc certainement frères. A Delphes, une longue inscription du début du IIe siècle fait la liste des proxènes de la cité pour chaque archontat et on retrouve ce même Alexis comme proxène nommé en 170/69745 (où il est d’ailleurs exclusivement accompagné de deux proxènes tanagréens). À Physkeis, le proxène Léontios fils de Krinias est inconnu par ailleurs mais son fils, Krinias fils de Léontios, apparaît lui au milieu du IIe siècle en tant qu’agonothète dans sa cité de Physkeis746 et s’est également vu honoré à Delphes à la même époque747. Ce devait donc être une famille influente à un niveau local, voire régional. C’est plus ou moins la même situation à Amphissa où l’on trouve un potentiel descendant du proxène Eutuchos fils d’Herakleidas, un certain Herakleidas fils d’Eutuchos honoré à Delphes dans la deuxième moitié du Ier siècle. Néanmoins ce sont près de deux cents ans qui séparent les deux inscriptions et les deux noms d’Herakleides et d’Eutuchos sont loin d’être rares ce qui empêche de tirer une quelconque hypothèse sur notre proxène. En revanche, on note au Ier siècle un homonyme au proxène d’Égine, un certain Eukrates fils de Damon qui n’est ici plus citoyen d’Égine mais de Thespies, vainqueur à un concours inconnu dans une inscription de Coronée748. Le nom de Damon est extrêmement fréquent en Béotie749 tandis que celui d’Eukrates est assez commun750 ce qui interdit toute conclusion définitive751. Néanmoins, cette parfaite homonymie entre un proxène des Thespiens et un Thespien ayant vécu cent cinquante ans après rend tentante l’hypothèse selon laquelle le proxène aurait pu recevoir la politeia à une date ultérieure — celle-ci n’apparaissant pas sur le décret honorifique –alors qu’il s’était installé à Thespies.

Les conclusions que l’on peut donc tirer de cette approche prosopographique sont très minces, si ce n’est que ces individus appartiennent vraisemblablement aux élites locales, ce qui était

745 Syll.3, 585, l. 301. 746 IG IX, I² 3, 680, l.1. 747 SGDI II 1842, l. 10. 748 IG VII 2871. 749 Selon le LGPN en ligne (http://www.lgpn.ox.ac.uk/publications/vol3b/topm_u.html et http://www.lgpn.ox.ac.uk/database/lgpn.php), le nom Δημων et ses variantes Δαμουν et Δαμων apparaît comme le quatrième nom le plus fréquent en Grèce centrale et il y représente même plus de la moitié des occurrences sur l’ensemble du monde grec (277 sur 479). 750 Ibid., on trouve 63 Eukrates en Grèce centrale sur 282 dans le monde grec. 751 GOSSAGE A. G., « The Comparative Chronology of Inscriptions Relating to Boiotian Festivals », p. 128, propose ainsi que le Eukrates fils de Damon, de Thespies qui apparaît à Coronée soit le fils de Damon fils d’Ariston, de Thespies qui apparaît sur la même stèle, vainqueur à une autre épreuve. C’est possible mais là encore l’abondance du nom interdit toute certitude. 143 de toute façon attendu. Il apparaît alors nécessaire d’envisager d’autres angles d’étude pour ces décrets de proxénie. Paul Roesch propose de dater les deux décrets honorant des citoyens de Sicyone au seul moment du IIIe siècle où les relations entre le Koinon des Béotiens et celui des Achéens — auxquels font donc respectivement partie Thespies et Sicyone – furent cordiales ou au moins acceptables, c’est-à-dire entre le moment où les deux Koina rejoignent la symmachie d’Antigone Doson en 224/3 et celui où ils manquent de se faire la guerre en 206/5752, au sujet de Mégare753. Paul Roesch subordonne donc les relations de proxénie entre les deux cités à celles de leurs confédérations, mais nous serions davantage inclinés à nous écarter de cet avis. En effet, comme le montre Roesch lui-même754, le fait d’accorder un droit de propriété aux descendants du proxène est une prise de risque pour la cité, car ceux-ci conservent ce que leur ancêtre a acquis mais peuvent également acheter des terres au risque pour la cité qu’une famille étrangère se constitue un important domaine au détriment des citoyens. Le danger est encore plus présent à la fin du IIIe siècle, lorsque la Béotie était touchée par un phénomène de regroupement des terres qui excluait les fermiers les plus modestes755. Il serait certainement exagéré d’envisager les relations entre les Béotiens et les Achéens comme amicales dans la mesure où, durant toute la période d’alliance entre les deux Koina, Mégare constituait un contentieux. Dans un tel contexte, il serait absurde de considérer que ce droit de propriété fut donné à un citoyen étranger en vertu des relations entre les deux cités qui n’ont jamais eu de liens politiques particuliers dans leur histoire si ce n’est cette alliance commune agencée par le souverain macédonien756. Le plus probable est alors que ces privilèges furent donnés à un véritable évergète qui avait des liens personnels avec les Thespiens. Cette relation, si elle ne pouvait être, a priori, ni politique ni religieuse, serait plutôt économique, l’unique lien entre les deux cités étant leur position sur le golfe de Corinthe où elles se font face. On pourrait alors très bien envisager que cet évergète anonyme fut par exemple un riche Sicyonien vivant du commerce maritime et ayant vendu des céréales à un prix « normal » une année où Thespies connaissait de mauvaises récoltes, en vertu de bonnes relations nouées précédemment avec les habitants. Rien n’est ici prouvé si ce n’est que le facteur économique ne peut être écarté et

752 Roesch parle de 192, date qui était alors envisagée pour ce conflit. On le date aujourd’hui bien plus de 206/5 suivant AYMARD A., Les premiers rapports de Rome et de la confédération achaienne, p. 14-15, n.7 753 ROESCH P. Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 15. Mégare faisait partie du Koinon achéen jusqu’en 224/3 où par un concours de circonstances, Antigone Dôson la leur retira pour l’intégrer à la Confédération béotienne, selon les souhaits de cette dernière. En 206/5, les Mégariens retournent de leur propre chef aux Achéens. Les Béotiens tentent de la reconquérir par la force mais rappellent finalement leurs troupes de peur d’une guerre face aux Achéens. 754 Ibid., p. 4. 755 Ibid., p. 4. 756 Infra, p. 307. 144 représenterait même la cause privilégiée dans la distribution des proxénies à Sicyone mais également dans les autres cités.

En effet, il faut noter que les inscriptions où le droit de propriété est donné aux descendants du proxène constituent une exception par rapport au reste du corpus qui lui se contente de donner le titre d’évergète et de proxène, l’enktesis (que les Béotiens appellent ἔππασις) ainsi que l’ἀσουλία (l’inviolabilité) et l’ἀσφάλια (la sécurité) sur terre et sur mer. Ce sont des privilèges qui n’ont de valeur que pour un étranger qui voyage et que les Thespiens accordent à un citoyen de confiance pour garantir la sécurité de leurs propres concitoyens de passage dans une cité étrangère potentiellement hostile, ce qui prendrait particulièrement sens dans le cadre de relations commerciales.

Voyons maintenant le cas de Thisbé. Sur les dix proxènes des Thisbéens dont on a gardé trace, neuf ont leur ethnique, tous d’époque hellénistique. Ici, les cités représentées sont exclusivement autour du golfe de Corinthe ou à proximité : On peut ainsi voir un proxène à Pagai757, trois à Sicyone758, un à Amphissa759, un à Naupacte760 et enfin un à Chalcis761 et peut-être aussi un à Panopée762. Comme le dit bien Fossey763, le réseau des proxènes Thisbéens touche les mêmes régions que celui de Thespies mais à une échelle moindre ce qui correspond à la hiérarchie politique et démographique entre les deux cités. Aucun de ces proxènes n’est connu ailleurs, ni par eux-mêmes, ni par d’hypothétiques descendants.

Chorsiai, dernière cité de cette côte méridionale béotienne, présente cinq décrets de proxénies dont seuls trois comportent un ethnique. Deux concernent les cités de Delphes764 et de Phénéos765, en Arcadie, tandis que la troisième concerne Thisbé766, sa voisine béotienne. Une fois de plus les citoyens de Delphes et de Phénéos sont inconnus et rien ne peut nous indiquer quelle put être la raison de leurs honneurs. En revanche, le décret en l’honneur d’un Thisbéen fait figure

757 SEG III 344, IIIe siècle. 758 SEG III 346, IIIe siècle, IG VII 2223, IIIe/IIe siècle et SEG III 348, IIIe siècle. 759 SEG III 349, IIIe siècle. 760 IG VII 2224, IIIe/IIe siècle. 761 SEG III 350, IIIe siècle 762 SEG III 345, l’ethnique est en partie mutilé mais peut potentiellement être restitué en « [Παν]οπεῖα », choix en partie soutenu par la présence de la cité dans les proxénies de Thespies. 763 « Boioitian decrees of proxenia », p. 44. 764 IG VII 2385, IIIe siècle. 765 IG VII 2387, IIIe/IIe siècle. 766 IG VII 2383, après 171, l’ethnique est absent mais est reconstitué grâce à un rapprochement onomastique avec le Brochas fils de Kapôn, de Thisbé qui apparaît en IG VII 4139, l. 32. 145 de belle exception au sein de ce corpus de proxénies béotiennes. Loin de suivre un bref formulaire standardisé, le décret détaille les services rendus par un certain Kapôn fils de Brochas, de Thisbé :

[Καλ]λιξένω ἄρχοντος. [— — — — —]κ[λ]εῖος ἔλεξε· ἐπιδεὶ Κάπων Βρόχαο [Θισβεὺς εὔν]οος ἐὼν [διατ]ελῆ τῆ πόλι Χορσιείων [ἐν παντὶ κ]ηρῦ, κὴ [σ]πανοσιτ̣ ίας γενομένας περὶ [τὰν χώρ]αν̣ , κὴ τᾶν πολίων πασ[ά]ων ἀπεψαφισμέ- [νων τ]ὰν τῶ [σ]ίτω [ἀπο]στ[̣ ο]λάν, προέχρεισε τῆ πό- [λι πο]υρῶν κοφίνως διακατίω[ς κ]ὴ κατέστασε [τὸν] σ̣ῖτον τῆ πόλι· [κὴ] οὕ[σ]τερ[ον] δίκας ἐώσας τῆ πό- [λι] ἁμέων [κ]ὰτ τὸ σού[μ]βο[λ]ον τὸ πὸτ α[ὐτ]ώς, βειλόμε- [ν]ος ἐκ παντὸς τρό[πω] ἀποδί[κ]νουσθη τὰν εὔνυ- αν κὴ ἥρεσιν ἃν ἔχ[ι π]οτὶ Χορσιείας, οὐκ ἐόντων χρειμάτων ἐν τ[̣ ῦ] κ[υ]ν[ῦ], προέ̣[χρ]εισε̣ [τ]ῆ πόλι χρεί- ματα οὐκ ὀλίγα, κὴ δανίω μεγάλω γενομένω, κὴ τῶν πολιτά[ω]ν πιθόντων αὐτόν, ἀφεῖκε τὰν πόλιν δραχμὰς πεντακατίας· ἔτι δὲ κὴ τῶν ἰ[δ]ι- ωτάων τῦς κ[α] χρείαν ἐχόντυς εὐχ[ρ]ειστέων διατελῆ ἐν παντὶ κηρῦ· ὅπως ὦν κὴ ἁ πόλις φή- νειτη εὐ[χ]άριστος ἐῶσα κὴ τιμεῶσα καθόλου [κ]ὰτ ἀξίαν [τ]ὼς ἀγαθόν τι ποιέ[ο]ντας αὑτάν, δ[ε]- [δό]χθη τῦ δάμυ πρόξενόν τε εἶμεν κὴ εὐεργέ- [τ]α τᾶς πόλιος Χο[ρσιεί]ω[̣ ν αὐτὸν κὴ] ἐ̣κγ̣ [̣ όν]ως,

[κὴ εἶμεν αὐτῦς — — — — — — — — — — — — —] [— — — — — — — — — — — — — — — — — — —]

146

Voici la traduction proposée par Léopold Migeotte767 :

« Sous l’archonte Kallixénos, (un tel fils de) -Kleis a fait la proposition : attendu que Kapon fils de Brochas, de Thisbé ( ?), ne cesse d’être dévoué à la cité de Chorsiai en toute occasion ; et comme il y avait une pénurie de blé en Béotie et que toutes les cités avaient interdit par décret l’envoi du blé, il a avancé à la cité deux cents kophinoi de blé et a livré le grain à la cité ; plus tard, comme un procès était ouvert à la cité, conformément à l’accord conclu à leur sujet ( ?)768, voulant manifester de toutes les manières et le dévouement et les bonnes dispositions qu’il a pour les gens de Chorsiai, alors qu’il n’y avait plus d’argent dans la caisse commune, il a avancé à la cité des sommes importantes ; et comme la dette était devenue considérable, il a, sur les instances des citoyens, fait remise à la cité de cinq cents drachmes ; et de plus, aux particuliers dans le besoin il ne cesse de se montrer utile en toute occasion ; afin donc qu’il soit clair que la cité est reconnaissante et honore tout à fait selon leurs mérites ceux qui lui rendent service ; plaise au peuple : qu’il soit proxène et bienfaiteur de la cité de Chorsiai, lui et ses descendants… »

Ce sont effectivement des actes d’évergétisme qui ont valu à Kapôn ses honneurs mais l’origine de la relation entre le Thisbéen et Chorsiai est avant tout d’origine commerciale : Kapon a avancé 200 kophinoi de blé, il s’agit d’une vente à crédit sans intérêts769. Cette proxénie — la seule exposant le contexte d’émission parmi les cités qui nous intéressent — est donc liée à des relations économiques ce qui permet à minima de confirmer que les Béotiens pouvaient valoriser ce type de liens par la proxénie. Il serait néanmoins malvenu d’en faire une généralité car, par le raisonnement inverse, on peut relever que la formulation de ce décret étant exceptionnelle, il est possible que les circonstances ayant conduit à son inscription soient tout aussi rares. Pourtant les faits décrits ne sont pas incroyablement généreux. L’honorandus vend d’abord du blé à la cité par une avance, puis lui prête de l’argent et finit par renoncer à une partie du remboursement. Ce sont des actions

767 L’emprunt public dans les cités grecques, p. 42. 768 Il y a des discussions pour savoir à quoi se réfère ce α[ὐτ]ώς (l.9), qui pourrait potentiellement renvoyer aux Béotiens, aux kophinoi ou au blé (voir MIGEOTTE L., L’emprunt public dans les cités grecques, p. 44). 769 MIGEOTTE L., L’emprunt public dans les cités grecques, p. 43. 147 commerciales où à chaque fois Kapôn pouvait y trouver son compte (à part dans le cas du remboursement) et c’est certainement leur répétition en temps de disette qui lui vaut ces honneurs. Qu’est-ce qui justifie alors que ses actions aient mérité d’être gravées sur pierre alors que tant d’autres proxènes ont simplement reçu le titre d’évergète sans plus de détails ? La réponse se trouve peut-être dans le contexte de ce décret. On a longtemps admis que le décret datait du début du IIe siècle à partir de sa graphie propre au IIe siècle mais aussi à l’usage du dialecte béotien qui suggère une date antérieure à 171, moment où le dialecte est abandonné pour la koinè. À partir de ces deux critères, il était alors possible de relier cette inscription à une autre où il est aussi mention d’une crise frumentaire qui vit déjà Chorsiai s’endetter auprès de Thisbé770 au tournant du IIe siècle. En plaçant ce décret de proxénie dans les années 200-180, on voyait comme une bizarrerie supplémentaire le fait qu’une cité béotienne nomme un proxène dans une autre cité du Koinon or c’est précisément ce fait-là qui impose de repousser la date de ce décret à une date postérieure à la dissolution du Koinon, et probablement peu après 171 tel qu’il est aujourd’hui communément admis771.

Dans la mesure où il est mention d’une série d’événements distincts qui touchent la cité (la crise frumentaire, le procès, l’emprunt, le remboursement), il est probable que les faits rapportés prennent place sur quelques années. Or comme le dit bien Denis Knoepfler772, l’embargo sur les céréales qu’appliquent les citées béotiennes correspond bien mieux à un contexte postérieur à la dissolution du Koinon qu’à une période où il était encore en place et pouvait pallier à l’approvisionnement des cités les plus en peine. Par ce raisonnement, on en déduit qu’il est probable qu’à une date de peu postérieure à la fin de la Confédération, la Béotie a été touchée par une crise de subsistance. Si l’on décide de garder le contexte de 171 pour ce décret, on comprend aisément le caractère exceptionnel de la crise qui touche la Béotie. En effet, à une mauvaise saison de récolte, il faut alors ajouter la guerre qui oppose toujours Persée de Macédoine aux Romains et qui est probablement l’une des causes directes de cette période difficile. En effet, les armées romaines sont passées par une Béotie qui était globalement peu fidèle à sa cause et qui a lourdement souffert de cette attitude. Les troupes romaines étant elles-mêmes installées à Chalcis773, il est possible que leur seule présence ait détourné une partie des ressources locales comme des exportations de grain à

770 SEG III 342. 771 Comme le soutiennent ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 243-244 et MÜLLER Ch., « La procédure d’adoption des décrets en Béotie », p. 101-105. 772 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 243. 773 À partir de 171, ce sont plus de 15 000 hommes qui stationnent à Chalcis dans la mesure où l’on y voit 1 000 romains qui la tiennent en garnison (Tite-Live, XLII, 44, 7-8) rejoints par 2 000 Pergaméniens (Tite-Live, XLII, 55, 7-8), 10 000 marins Romains (Tite-Live, XLII, 56, 3-5) et l’équipage de deux quinquérèmes, dix trières et cinq tétrères alliées soit probablement dans les 3 600 marins (Tite-Live, XLII, 56, 6). 148 destination de la Béotie. Même quand le gros des forces romaines se trouvait en Thessalie dans les affrontements contre les Macédoniens, il semble qu’il y ait eu une importante logistique d’approvisionnement passant par le canal d’Eubée774 et les ressources béotiennes peuvent avoir continué à être mobilisées. Si on ajoute à cela la suppression du Koinon et de ses capacités de soutien aux petites cités, cela ne dut qu’accroître l’ampleur de la crise béotienne, poussant les cités dans ce qui pourrait ressembler à un repli identitaire.

Il faut d’ailleurs relever que Thisbé est l’une des cités les plus lourdement touchées par la guerre au cours de laquelle elle a été assiégée et soumise aux exactions romaines pour avoir maintenu tardivement son soutien à Persée. De façon indirecte, on a une idée assez précise de ses peines grâce au sénatus-consulte qu’adressèrent les Thisbéens en 170 dans lequel ils demandent au Sénat un assouplissement de l’attitude de ses généraux à leur encontre775. Au milieu des revendications, il est question des possessions de la cité (l. 17-20) :

ὡσαύτως περὶ ὧν οἱ αὐτοὶ λόγους ἐποιήσαντο περὶ χώρας

[κ]αὶ περὶ λιμένων καὶ προσόδων καὶ περὶ ὀρέων· ἃ αὐτῶν ἐγε-

γ̣όνεισαν, ταῦτα ἡμ[ῶ]ν μὲν ἕνεκεν ἔχειν ἐξεῖναι ἔδο-

ξεν.

Et sa traduction776 :

« De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés au sujet du territoire, des ports et de leurs revenus, et des montagnes, il a été décidé qu'il leur serait permis de posséder, de notre chef, ce qui leur avait appartenu. »

774 PICARD O., Chalcis et la Confédération eubéenne, p. 291 : « les quinquérèmes et cargos chargés de blé qui se laissèrent surprendre dans le canal d’Oréos par la flotté macédonienne (Plutarque, Paul-Émile, 8) venaient certainement de Chalcis. Lorsqu’en 169, “ le roi Ptolémée l’ainé” fit don de blé aux Romains, l’officier chargé de convoyer ce blé, le Chypriote Aristôn fils d’Hérakleidès, passa par Chalcis où il fut honoré de la proxénie (IG XII 9, 900 B l. 2-5) ». 775 IG VII 2225. 776 BERTRAND J.M., Inscriptions historiques grecques, p. 229-230. 149

On voit que les Romains avaient mainmise sur ce qui semble être l’intégralité du territoire thisbéen avec ses terres cultivées, ses pâturages en montagne et ses ports. Il est probable que Kapôn ait lui aussi était concerné par ces exactions car, quelles que soient ses affinités vis-à-vis des Romains, l’ambassade dans le sénatus-consulte est envoyée par « ceux des Thisbéens qui sont restés fidèles à notre amitié »777 et il serait étonnant que Kapôn n’ait pas subi comme tout le monde une période d’expropriation pendant au moins une année. Selon toute logique, Il faut nécessairement considérer que les affaires entre Kapôn et Chorsiai sont postérieures aux déboires de Thisbé, c’est- à-dire après le sénatus-consulte daté d’octobre 170 et donc plus probablement après 169, car il serait étrange que des citoyens de Thisbé soient en mesure d’aider une autre cité alors que la leur est dans une situation encore plus critique.

Enfin, il est nécessaire de déterminer si le cas de Kapôn a quelque chose à voir avec le commerce maritime. Selon toute vraisemblance, Kapôn fils de Brochas faisait partie de l’aristocratie thisbéenne. Étant capable de faire des avances à une cité étrangère, il ne devait lui-même pas être si inquiété par la crise qui touchait la Béotie et sa propre cité. Celui qui semble être son fils, Brochas fils de Kapôn, figure d’ailleurs dans une inscription d’Akraiphia liée aux Ptoia dans les années 120- 110778 où il apparaît en tant que théodoroque, c’est-à-dire en tant qu’hôte des théores de la fête, position qui demandait une bonne aisance financière et des réseaux au sein de sa cité. Il y a donc de fortes chances que ce Kapôn ait possédé une riche propriété foncière, tirant des revenus de leur exploitation. Cependant la mise en place d’un embargo par la cité était une mesure exceptionnelle à la hauteur de la crise en cours et le contourner n’était assurément pas un délit que l’on pouvait commettre à la légère car cela signifie aller à l’encontre des intérêts de sa propre cité, indépendamment de ses affinités politiques. On comprend mal pourquoi Kapôn aurait agi dans ce sens-là alors que ses profits dans l’affaire sont minimes, il fait une avance aux citoyens de Chorsiai sans percevoir aucun intérêt derrière. Une façon de contourner ce problème serait d’envisager que le blé vienne de l’extérieur de Thisbé, et donc par mer. Kapôn aurait pu tirer une partie de sa fortune de l’importation de céréales provenant d’une région au-delà du golfe de Corinthe (le Péloponnèse, la Sicile ?) et ses débouchés auraient inclus Thisbé et Chorsiai, peut-être parmi d’autres ports environnants. Si cette hypothèse ne repose sur rien de concret et ne peut être confirmée, elle permet néanmoins de contourner certains problèmes posés par l’inscription, comme celui de l’embargo. Néanmoins, l’inscription est certainement postérieure de plusieurs années à cette crise frumentaire et il est possible qu’elle rende compte de façon biaisée le contexte et la politique des cités d’alors.

777 L. 7-8 : « οἵτινες ἐν τῆι φιλίαι τῆιἡμετέραι ἐνέμειναν ». 778 IG VII 4139, l. 31-32. 150

Il serait dès lors facile d’envisager d’autres motifs rendant possible le commerce de grains entre les deux cités, ce qui rendrait notre hypothèse caduque.

Quel bilan tirer de cet ensemble de décrets de proxénies ? Comme l’a soutenu John M. Fossey779, il y a une hiérarchie dans le réseau des cités béotiennes du littoral où l’on voit que Thespies est celle qui a le plus dense réseau de proxénie, puis Thisbé et enfin Chorsiai. À notre connaissance, Siphai n’est absolument pas représentée soit qu’elle ait effectivement une activité diplomatique moindre que ses voisines, soit en raison du hasard des découvertes épigraphiques (les deux ne s’excluant évidemment pas). Un décret d’Aigosthènes honore cependant un citoyen de Siphai à la fin du IIIe siècle780 et atteste donc de l’intégration de la petite cité béotienne dans les réseaux commerciaux du golfe de Corinthe, même à une échelle plus petite que ses voisines. Cette prédominance de Thespies et Thisbé n’est certainement pas liée à leurs qualités portuaires mais bien à leur marché propre, bien plus importants qu’à Siphai ou Chorsiai et surtout à leur connexion aux marchés de l’intérieur de la Béotie, facilement accessibles depuis la côte781.

On a probablement un indice — bien que plus tardif — de la mise à l’écart de Siphai vis-à- vis de Thespies et Thisbé dans le texte de Pausanias. En effet, dans sa description de la côte sud béotienne, alors qu’il parcourt le littoral d’est en ouest en partant de Creusis, Pausanias rejoint directement Thisbé avant de passer par Siphai et de reprendre sa route vers le nord depuis Thespies782. Cette étrangeté a longtemps prêté à confusion les chercheurs qui ont eu du mal à identifier les ports783. Si l’explication ne saurait être définitive, le plus plausible est que Pausanias ait simplement embarqué dans un navire faisant le trajet de Creusis à Thisbé et qu’il ait ensuite pris un autre navire pour aller à Siphai784. Il s’agit d’un bon indice en faveur d’une route commerciale reliant les deux ports principaux de cette côte béotienne. Thisbé étant nichée dans la partie occidentale de la baie de Domvrena, il semble qu’une route maritime directe ne rentrait pas dans la baie en suivant la côte au niveau de Siphai mais en passant entre les îles de Kouveli et Makronisos qui ferment la baie, au large de Thisbé. Cela est d’autant plus plausible que l’on a des traces de bâtiments datant du IIIe siècle après J.C. sur Kouveli785, soit quelques décennies après le passage de Pausanias quand

779 « Boioitian decrees of proxenia », p. 43-44. 780 IG VII 207. 781 On pourrait objecter que le trajet de Creusis à Thespies est peu aisé, mais il n’en reste qu’il s’agit d’un trajet court menant à une cité importante, et probablement plus facile que celui de Siphai à Creusis ou de Chorsiai à l’intérieur de la Béotie. 782 Pausanias, IX, 32, 2-5. Il est raisonnable de penser que Pausanias a rejoint Thespies par voie de terre depuis Siphai, trajet certainement plus rapide que de repasser par Creusis. 783 LEAKE W. M., Travels in North Greece, II, p. 503 et 515, en se fondant sur le texte de Pausanias, confond Chorsiai et Siphai. 784 MOGGI M., OSANNA M., Pausania, Guida della Grecia, Libro IX, p. 398. 785 GREGORY T. E. « A Desert Island Survey in the Gulf of Corinth », p. 17-21. 151 les îles revêtaient peut-être déjà un intérêt économique pour les marchands de passage. Si l’on subordonne le trajet de Pausanias à la présence d’habitants sur ces îles, cela élimine de fait l’intérêt de cette route commerciale à l’époque hellénistique. Pausanias ne passe pas non plus par Chorsiai, probablement car la cité n’existait plus à son époque786. On peut noter que si Pausanias arrive en Béotie depuis l’Attique en passant par Platées787, une fois à Creusis il décrit une autre façon d’arriver en Béotie : par mer depuis le Péloponnèse788. Dans la mesure où c’est un trajet qu’il n’a pas fait, il s’agit selon toute logique des dires des marins locaux qui le renseignèrent sur les risques de la traversée. Ce témoignage n’est certainement pas anodin, car le Péloponnèse constitue un horizon évident depuis la plage de Creusis, ouverte plein sud.

Plusieurs indices attestent des liens particuliers entre ces deux littoraux opposés et plus particulièrement entre Thespies et son port de Creusis et Corinthe avec Léchaion. Sur les 43 décrets de proxénies provenant des cités béotiennes nous intéressant, un seul concerne Corinthe et provient de Thespies789 (fin du IIIe/début IIe siècle). Dans l’autre sens, une inscription corinthienne790 datant possiblement du milieu du IIe siècle — le seul indice étant d’ordre stylistique791 — comporte un unique mot dans son texte très lacunaire, justement l’ethnique thespien. Selon John Harvey Kent, l’inscription semble être un décret de proxénie792. Si l’on admet que l’on a affaire à un proxène, il s’agirait du seul décret de ce type concernant une cité béotienne et l’une des rares proxénies corinthiennes dont on ait trace. Les liens entre les deux ports peuvent être potentiellement confirmés par la mention chez Xénophon793 d’une ambassade thébaine renvoyée chez elle par Agésilas en 392/1 par mer depuis Léchaion jusqu’à Creusis.

D’une façon plus générale, le golfe de Corinthe constitue un espace privilégié pour le commerce béotien comme le montrent les décrets de proxénie que nous avons étudiés. Corinthe y est donc représentée mais apparaît aussi sa voisine Sicyone qui compte cinq proxènes pour les Thespiens et les Thisbéens. Sont également représentées Pagai, Aigosthènes, Physkeis, Amphissa, Delphes et Naupacte. À ce tableau, il faut certainement ajouter Phénéos qui est facilement accessible depuis Sicyone bien qu’elle ne soit pas sur le littoral. Il faut probablement considérer que si les documents épigraphiques n’ont pas conservé les noms des cités voisines sur le pourtour du golfe, celles-ci étaient également concernées et impliquées dans ce commerce avec la Béotie,

786 FOSSEY J.M., Khostia 1980, p. 125. 787 KNOEPFLER D., « Pausanias le Périégète et les cités de la Béotie Antique », p. 608. 788 Pausanias, IX, 32, 1. 789 ROESCH P., IThesp, n° 2. 790 Corinth VIII, 3, 45. 791 KENT J. H., Corinth, the inscriptions, vol. VIII, partie 3, p. 14. 792 Op. cit., opinion qui est manifestement partagée par FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 96. 793 Hell., IV, 5, 10. 152 notamment Pellène ou Égira. Toutes ces cités sont faciles à atteindre depuis la Béotie. Depuis Creusis, Corinthe et Sicyone sont à une quarantaine de kilomètres, tandis que les ports mégariens de Pagai ou Aigosthènes ne sont qu’à environ 15 kilomètres. Plus loin, Amphissa se situe plus ou moins à 75 kilomètres de Creusis tandis que Naupacte en est séparée par une centaine de kilomètres. Cela signifie que chacun de ces ports est accessible en une ou deux journées de navigation pour un Béotien tandis que leur répartition sur tout le pourtour du golfe permet la pratique du cabotage.

Les décrets de proxénies béotiens attestent clairement de liens avec les ports occidentaux. Dans les décrets thespiens, sont ainsi représentées Tarente et Épidamne ce qui rejoint l’affirmation de Strabon/Éphore794 selon qui la Béotie reçoit des marchandises d’Italie et c’était donc certainement vrai pour la Sicile et la Libye — dans son sens antique. C’est peut-être dans cet ensemble géographique qu’il faut intégrer Naupacte dont la position — la plus éloignée qui soit vis-à-vis des Béotiens au sein du golfe de Corinthe — en fait une escale idéale pour qui cherche à rejoindre l’Occident grec.

Athènes est surreprésentée dans les décrets de proxénies thespiens795 tandis que Chalcis apparaît aussi bien à Thespies qu’à Thisbé comme c’est peut-être le cas aussi de Panopée. Le point commun entre ces trois cités est que ce sont toutes des voisines directes des Béotiens, facilement rejoignables depuis Thespies ou Thisbé. Il serait donc naturel d’envisager qu’il s’agit de débouchés intéressants pour les marchands rentrant en Béotie par la côte sud. Les biens commerçables (provenant aussi bien du Péloponnèse que de Grande-Grèce) pouvaient emprunter les routes terrestres menant à chacune de ces cités en passant :

- Par Platées ou par Thèbes puis Tanagra et Oropos pour rejoindre l’Attique.

- Par Thèbes et menant directement à Chalcis.

- Par le sud du Copaïs jusqu’à Chéronée puis Panopée et pouvant ensuite continuer vers Delphes ou la Grèce du nord.

On a également une trace de cette route commerciale terrestre passant par l’intérieur de la Béotie dans la présence de la statue de Poséidon trouvée au large de Creusis796, celle-ci date des

794 Strabon, IX, 2, 2. 795 Notons que Thespies a, comme Platées et Orchomène, noué depuis l’époque classique des liens étroits avec Athènes en vertu de leur opposition commune à Thèbes. 796 Athens, National Archaeological Museum, inv. X11761, elle a été trouvée en 1897 à Agios Vasilios, dans la partie orientale de la baie de Livadhostra. 153 années 480-470 et il est possible que la statue provienne d’un atelier béotien, possiblement lié au sanctuaire d’Onchestos797, ou alors des ateliers d’Égine ou de Sicyone798.

Les autres cités présentes dans les décrets de proxénies thespiens peuvent potentiellement être vues comme dans le prolongement de ces routes commerciales. Héraclée Trachinienne et la Thessalie pouvaient facilement être rejointes en embarquant depuis Chalcis ou en poursuivant sa route au-delà de Panopée. De l’autre côté, ce sont Argos et Égine qui apparaissent accessibles pour qui rejoint Corinthe afin de se réembarquer dans son port oriental de Cenchrées ou en embarquant à Athènes. Cette dernière route, plus longue, permettait néanmoins de profiter des marchés intérieurs béotiens.

Les routes béotiennes

797 SCHACHTER A., Cults of Boiotia vol. 2, p. 207. 798 MATTUSCH C. C. Greek Bronze Statuary, p. 82. 154

2) Objets de commerce

Qu’est ce qui transitait par les ports méridionaux béotiens ? S’il est difficile de répondre de façon absolue à cette question faute de sources directes, il est néanmoins possible de voir au-moins partiellement ce qui constituait l’objet de ce commerce. Bien que la Béotie soit une région fertile et excédentaire en céréales, elle a également pu connaître à de multiples reprises des crises frumentaires qui l’obligeaient à importer des céréales. Ces importations devaient naturellement venir de l’outre-mer, particulièrement quand la crise touche toute la région. Le cas est attesté à Thespies, à la fin du IIIe siècle, où l’on voit dans la « stèle des magistrats » 799 que la cité nomme des sitônai¸ des magistrats chargés d’acheter des céréales au meilleur prix à l’étranger. Ceux-ci sont nommés pour deux années consécutives et on voit que la cité prévoit donc cet approvisionnement en amont de toute conjoncture. À Thespies, ce besoin était manifestement une occupation de premier ordre pour la cité. Dans cette stèle des magistrats, il est question de deux groupes de sitônai différents800 :

- Un premier groupe, composé de deux sitônai et d’un trésorier, dispose de fonds provenant de libéralités royales801.

- Un deuxième groupe, composé de deux sitônai et d’un trésorier, dispose de fonds « consacrés »802.

Ce sont ensuite des sitôpolai, au nombre de trois, qui sont chargés de revendre le blé acheté803. Une inscription804, probablement du début du IIe siècle et en tout cas postérieure à la stèle des magistrats805, voit la cité de Thespies créer un troisième groupe de sitônai dont les fonds proviennent de souscriptions publiques.

799 IThesp, n° 84. 800 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 220. 801 IThesp, n° 84, l. 31-32. 802 IThesp, n° 84, l. 33-35. 803 Ibid, l. 35. 804 IThesp, n° 41. 805 ROESCH P. Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 57. 155

Si on n’en a pas une trace aussi concrète, ce besoin d’approvisionnement devait également concerner les autres cités du littoral, au moins de façon épisodique. Chorsiai disposant d’un territoire cultivable exigu, on a vu qu’elle pouvait recourir à l’aide extérieure comme avec Kapôn fils de Brochas806. En dehors de telles extrémités, il est probable que Chorsiai devait représenter un petit marché local intéressant pour qui cherchait à écouler une cargaison de céréales. Siphai présente une situation assez similaire à Chorsiai, celle-ci disposant d’un territoire de taille réduite, et on peut supposer qu’elle pouvait importer une partie de sa consommation céréalière. Il est possible que ce soit également le cas pour Thisbé. Bien qu’il s’agisse d’une petite cité disposant, à priori, d’assez de terres pour prétendre à l’autosuffisance, celle-ci a vraisemblablement rencontré les mêmes difficultés que ses voisines au cours de la période hellénistique807, et il serait étonnant qu’elle n’ait pas eu à importer elle aussi une part de sa consommation céréalière. On peut à ce sujet noter que Thespies dispose elle aussi de terres fertiles en bonne quantité, mais qu’elle connaît également des risques de disette importants.

On a vu dans les proxénies de Thespies la présence de Périnthe dans un décret de la fin IIIe/début IIe808. Cette cité dénote du reste du corpus par sa position excentrée, sur le littoral de Propontide, et Paul Roesch s’interroge notamment sur la présence d’un proxène des Thespiens à Périnthe809. Celui-ci ne peut être identifié mais il est possible qu’il ait été nommé pour des raisons économiques dans la mesure où Périnthe est connue pour ses exportations de céréales autant que pour sa position sur la route du Pont. Si rien ne permet de confirmer cette hypothèse, elle s’accorde au contexte thespien d’alors où l’on cherche manifestement de nouvelles sources d’approvisionnement en céréales par le biais de sitônai.

L’importation de blé apparaît donc comme au cœur des échanges de ces ports béotiens, au moins au cours de la période hellénistique, et probablement au cours des siècles antérieurs. Il est difficile de savoir ce qui pouvait composer le reste de la cargaison des étrangers faute de sources.

Que vendaient en retour les Béotiens ? Comme pour les importations, on manque de sources explicites sur la question et on en est réduit à des hypothèses. Cela pouvait être des productions locales. À Chorsiai, on a précédemment vu la présence d’un atelier de

806 IG VII 2383. 807 On a vu qu’elle était avait mis en place un embargo comme les autres cités béotiennes dans IG VII 2383 et elle a même particulièrement souffert de la troisième guerre de Macédoine. 808 IThesp, n° 14 et peut-être n° 23. 809 ROESCH P. Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 22. 156 textile où la laine était filée, foulée et teinte810 et les textiles produits pouvaient être exportés ou directement vendus à Chorsiai811. À Siphai, Aristote mentionne une espèce de poisson particulière à ce littoral812. On peut estimer sans trop de risque que la pêche était une activité fréquente à Siphai dont les produits pouvaient constituer une source de revenus. Les poissons pêchés ne peuvent traverser la Méditerranée mais ils pouvaient être vendus dans les ports voisins comme celui d’Aigosthènes813.

À Thespies et Thisbé, cités disposant d’un territoire plus important, on peut considérer que les années d’abondance voyaient les plus riches propriétaires exporter une partie de leur production vers des régions moins chanceuses où la rareté du produit permettait des bénéfices importants. On dispose pour Thespies d’un exemple concret des marchandises transitant par son port avec la statue de Poséidon trouvée au large de Creusis814 ce qui montre que des objets luxueux pouvaient y passer même si l’on ne peut dire s’il s’agit d’importations ou d’exportations.

Les cités béotiennes tiraient manifestement des revenus importants de l’activité économique de leurs ports. On a vu dans le cas de Thisbé, qu’au lendemain de leur reddition aux Romains, les Thisbéens se souciaient de récupérer leurs ports et leurs revenus815. Ces revenus provenaient vraisemblablement de taxes douanières à l’image du pentekostè qui était appliqué en plusieurs points du monde grec816. À Thespies, la situation est d’autant plus précise que l’on voit dans une inscription du IVe siècle des pentekostologoi817 :

Τοὶ πεντ[εικοσ]-

στολόγο[ι τοί ἐπί]

[--- -ω]νος ἄρχ[οντος]

------v ------

810 ROESCH P., « Les textiles et l’eau », p. 97. 811 Ibid.¸ p. 98. 812 Histoire des animaux, II, 13, 3, « Ὁμοίως δὲ καὶ κεστρεῖς, οἷον ἐν Σιφαῖς οἱ ἐν τῇ λίμνῃ ». 813 Cela serait d’autant plus envisageable que le poisson dont parle Aristote est une espèce endémique à Siphai. 814 Athens, National Archaeological Museum, inv. X11761. 815 IG VII 2225, l. 18. 816 VELISSAROPOULOS J., Nauclères grecs, p. 208. 817 Thespiai Museum. Inv. Number SF 2710 157

Il s’agit de la seule trace d’une telle magistrature818 en Béotie. Il est possible qu’elle soit apparue à Thespies à l’exemple d’Athènes819, avec laquelle elle avait des affinités. Il est alors très probable que cette taxe concernait les importations et exportations passant par Creusis820. Au IIIe siècle, on ne trouve plus de pentekostologoi à Thespies, même dans la « stèle des magistrats821 » où l’on peut voir le détail des magistratures de la cité sur deux années consécutives de la fin du siècle. En revanche il y est mention de « λιμέναρχυ ἐν Κρεῦσις », des liménarques à Creusis dont on a encore une mention dans une dédicace aux Dioscures du Ier siècle de notre ère822. Il s’agit certainement de magistrats administrant le port, pour le compte de Thespies823. Il pourrait s’agir d’une fonction analogue à celle des pentekostologoi ou des sortes d’épimélètes, chargés de la surveillance et du contrôle du port. Dans ce dernier cas, on n’aurait plus de trace de la façon dont était prélevée le pentekostè824. Ces liménarques apparaissent une année au nombre de sept825 et une autre au nombre de cinq826 ce qui laisse entendre que le nombre n’était pas fixé mais pouvait varier d’une année sur l’autre827 sans que l’on n’en connaisse les raisons828. L’absence de secrétaire laisse supposer qu’ils n’exerçaient pas leur magistrature en collégialité mais à tour de rôle829. Paul Roesch a de plus identifié sur le site de Creusis une petite forteresse collée à la mer qui coupait l’accès entre les quais et la ville de Creusis (et par extension Thespies)830. Dans la mesure où toute personne arrivant par mer à Creusis devait passer par cette forteresse, il est fort possible que le ou les liménarques en fonction y siégeaient, contrôlant les arrivées ou percevant les taxes douanières des marchands en transit831.

818 Il en s’agit bien d’une dans la mesure où il s’agit d’une liste de magistrats. 819 SCHACHTER A., MARCHAND F., « Fresh Light on the Institutions and Religious Life of Thespiai », p. 280. On voit notamment une mention de pentokostologoi à Athènes chez Démosthènes, Contre Midias, 133. Néanmoins, à Athènes, il ne s’agit pas d’une magistrature comme à Thespies mais une charge. 820 SCHACHTER A., MARCHAND F., op. cit, p. 279. 821 IThesp, n°84. 822 IG VII 1826. 823 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 214. 824 On peut imaginer que les pentekostologoi qui étaient auparavant des magistrats soient devenus une charge, ce qui expliquerait qu’ils n’apparaissent pas dans la fameuse stèle. 825 IThesp, n° 84, l. 10-14. 826 Ibid., l. 72-74. 827 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 216. 828 On peut notamment penser à la difficulté de trouver des volontaires. 829 Ibid. 830 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 219. 831 Ibid. 158

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

Carte du site de Creusis832

Ainsi, il ressort de ces pages que la Béotie n’était pas en reste pour ce qui est du commerce par le golfe de Corinthe. Les cités de Thespies, Siphai, Thisbé et Chorsiai, si elles sont toutes intégrées dans ces réseaux maritimes, le sont également de façon très inégale : alors que Siphai et Chorsiai n’entretiennent des liens qu’avec les ports qui leur sont voisins, Thisbé s’inscrit certainement dans des réseaux à l’échelle du golfe de Corinthe entier alors que Thespies maintient des contacts avec des cités de l’ensemble du monde Grec, tant en Occident que dans l’espace égéen voire dans des horizons plus lointains en Orient. Si les ressources céréalières semblent au cœur de ces échanges, notamment en période de crise frumentaire, les biens transitant par ces ports étaient variés, avec notamment des produits de la pêche, de l’artisanat et des biens de luxe. On peut également se demander si les contacts qu’avaient les Thespiens avec la péninsule Italique ne pourrait se comprendre dans

832 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 219 159 le cadre d’importation de métaux. Dans tous les cas, le commerce maritime apparaît comme une importante source de revenus pour ces cités, notamment Thespies et Thisbé.

160

B- Le commerce dans le Golfe euboïque nord

Abordons maintenant le cas du golfe Euboïque nord, partie qui comprend la petite ville de Salganeus, Anthédon, et les cités excentrées de Larymna, Halai.

1) Objets de commerce

Pour traiter cette région, les sources apparaissent bien moins abondantes que pour les deux autres côtes béotiennes et il est même difficile de trouver la moindre trace des activités de certains sites comme Salganeus. Les sources dont nous disposons concernent principalement Anthédon, ce qui est peut-être un signe du statut économique de la cité. En effet, à propos d’Anthédon, nous pouvons revenir sur un passage d’Hérakleidès le Critique833 qui décrit les activités de la cité à la fin du IIIe siècle :

Ἡ δὲ πόλις οὐ μεγάλη τῷ μεγέθει, ἐπ’ αὐτῆς τῆς Εὐβοϊκῆς κειμένη θαλάττης· τὴν μὲν ἀγορὰν ἔχουσα κατάδενδρον πᾶσαν, στοαῖς ἀνειλημμένην διτταῖς. Αὕτη δὲ εὔοινος, εὔοψος, σίτων σπανίζουσα διὰ τὸ τὴν χώραν εἶναι λυπράν. Οἱ δ’ ἐνοικοῦντες σχεδὸν πάντες ἁλιεῖς, ἀπ’ ἀγκίστρων καὶ ἰχθύων, ἔτι δὲ καὶ πορφύρας καὶ σπόγγων τὸν βίον ἔχοντες, ἐν αἰγιαλοῖς τε καὶ φύκει καὶ καλύβαις καταγεγηρακότες· πυρροὶ ταῖς ὄψεσι πάντες τε λεπτοὶ, δ’ ἄκρα τῶν ὀνύχων καταβεβρωμένοι, ταῖς κατὰ θάλατταν ἐργασίαις προσπεπονθότες, πορθμεῖς οἱ πλεῖστοι καὶ ναυπηγοὶ, τὴν δὲ χώραν οὐχ οἷον ἐργαζόμενοι, ἀλλ’ οὐδὲ ἔχοντες, αὑτοὺς φάσκοντες

ἀπογόνους εἶναι Γλαύκου τοῦ θαλασσίου, ὃς ἁλιεὺς ἦν ὁμολογουμένως.

833 I, 23-24. 161

« La cité, qui n’est pas de grande dimension, est située au bord de la mer d’Eubée. L’agora est couverte d’arbres de tout son long et encadrée de deux portiques. Celle-ci dispose de bon vin834 et abonde en poissons, mais le grain y est rare à cause de la pauvreté des terres. Les habitants sont presque tous pêcheurs, avec des hameçons et des poissons ; ils tirent aussi leur subsistance de la pourpre et des éponges, passant toute leur vie sur la plage, dans les algues835 et les cabanes. Ils sont tous roux et maigres à voir, et le bout de leurs ongles est endommagé, meurtri à cause du travail dans la mer. Nombreux sont passeurs ou charpentiers de marine. Non seulement ils ne travaillent pas la terre mais ils ne la possèdent pas et disent être descendants de Glaucos de la mer, que l’on dit avoir été pêcheur. »

De cet exposé, Anthédon apparaît comme une petite cité vivant de la pêche et dont l’agora semble être l’élément revêtant le plus d’intérêt pour le visiteur étranger qu’est Hérakleidès. Cette mention de l’agora d’Anthédon n’est peut-être pas anodine quand on voit que la seule autre cité où l’auteur décrit l’agora est Chalcis836, celle-ci tirant également son dynamisme du commerce. Si l’on part du témoignage d’Hérakleidès pour percevoir la vie économique d’Anthédon, on ne peut qu’associer l’activité de l’agora à celle de sa population vivant de la mer : pêcheurs, charpentiers, passeurs vers l’Eubée... La mention de poissons en abondance dans l’agora laisse entendre que la pêche approvisionnait directement le marché local de la cité. Cette production fournissait probablement l’intérieur des terres837 comme le laisse entendre la « stèle des poissons d’Akraiphia »838, datant probablement de la fin du IIIe siècle839. Il s’agit d’une longue inscription lacunaire, brisée en deux blocs et comportant deux listes de poissons distinctes : - Une première comporte entre 65 et 70 espèces de poissons d’eau de mer840, classées par ordre alphabétique sur les deux blocs et à chaque fois associés à un prix.

834 On peut aussi accepter « beaucoup de vin » comme traduction. 835 Bresson, L’économie de la Grèce des cités, p. 155, propose que ce φύκει (n. φυκος) se traduise par « orseille », une plante servant de colorant. L’hypothèse est ingénieuse mais peu probable comme le précise LYTLE E. « Fish Lists in the Wilderness », p. 278, n. 95. 836 I, 28-29, alors que Hérakleidès passe également par Athènes, Oropos, Tanagra, Platées et Thèbes. 837 LYTLE E., « Fish Lists in the Wilderness », p. 277. 838 SEG XXXII 450. 839 LYTLE E., « Fish Lists in the Wilderness », p. 261. 840 Ibid., p. 258. 162

- La seconde présente au moins six poissons d’eau douce avec leur prix841 mais en désordre et uniquement dans le bloc B. Il s’agit vraisemblablement d’un décret civique émanant d’Akraiphia842 et la grande question autour de cette stèle est de savoir si les valeurs associées à chaque poisson843 correspondent à une volonté de régulation des prix de la part de la cité ou à des taxes844. Dans les deux cas, il est certain que la liste ne peut correspondre à la réalité des denrées maritimes que l’on trouvait sur les étals d’Akraiphia en temps normal845, et il est par extension impossible que les autorités civiques aient pu mettre en place une taxation si poussée qu’elle varierait selon les espèces arrivant dans la cité. La différence de forme entre les deux listes s’expliquerait alors par leur origine : la liste des poissons de mer serait d’Anthédon, port le plus proche, tandis que la petite liste de poissons d’eau douce est rajoutée à Akraiphia, et ceux-ci pourraient notamment provenir du Copaïs à proximité846. Les prix ou taxes ne correspondraient en aucun cas à ceux qui sont pratiqués à Anthédon mais auraient été adaptés au marché d’Akraiphia, notamment dans la période des Ptoia. Non seulement cette hypothèse permet de rejoindre l’affirmation d’Hérakleidès selon lequel l’agora d’Anthédon abonde en poissons mais elle confirme également la variété des produits de la mer que ramenait cette population de pêcheurs. Akraiphia n’était peut-être pas le seul débouché béotien pour les pêcheurs anthédoniens, notamment quand on voit la position de Thèbes, tout aussi proche d’Anthédon et représentant certainement un marché autrement plus attractif. Un indice dans ce sens apparaît chez Aristophane, dans les Acharniens, où un marchand thébain présent en Attique refuse d’y acheter des anchois sous prétexte qu’il lui est possible d’en trouver en Béotie847. Bien que l’on soit dans une comédie s’adressant à un public athénien et où l’auteur ne cherche en aucun cas à présenter une situation réaliste, il est probable qu’Aristophane ait cherché à traduire la réalité des échanges entre la Béotie et l’Attique pour donner de la force à son propos pacifiste s’opposant à l’embargo en place848. Pierre Ducrey a publié un décret de Chalcis849 dont voici les premières lignes :

841 Ibid., p. 259. 842 ROESCH P., « Sur le tarif des poissons d’Akraiphia », p. 6. 843 Sur le prix des poissons, voir LYTLE E., « Fish Lists in the Wilderness », p. 283-285. 844 FORSYTH D., « Epigraphic Fish Lists », p. 73. 845 LYTLE E., « Fish Lists in the Wilderness », p. 283. 846 Ibid.p. 273. 847 Aristophane, Les Acharniens, v. 902 : « Ἀμφύας ἢ κέραμον; ἀλλ’ ἔντ’ ἐκεῖ· » 848 V. 875 – 880, le Thébain détaille les marchandises qu’il apporte de Béotie et dont manquent les Athéniens, notamment des anguilles du Copaïs. 849 BCH 90 (1970), p. 133-137. 163

[Ἐπὶ ἡγενόμο]ς [Φ]ρύνωνος850

[------ca 20 ------εἶπεν · ἐπειδὴ - - ca 4 - - Δει]νάρχου Ἀνθηδόνιος

εὔνους ὢν vac. [διατελεῖ τῶι δήμωι τῶι Χαλκιδέων καὶ πολλοῖς τῶν πολιτῶ]ν χρήσιμος

γίνεται εἰς ὃ ἂν αὐ- [τόν τις παρακαλεῖ, ------ca 30 ------] ΙΟΥΜΟΥ

Παραμόνου αἰχμαλώτω[ν] [ ------ca 42 ------εἰς Ἀνθ]ηδόνα851 και

πωλουμένων ἐξη- [γόρασεν έκ των ιδίων ? · ἷνα οὖν ὁ δήμος εὐχάριστος φαίνηται οἱ τ(ε) ἄ]λλοι τῶν δυναμένων εὐερ- [γετεῖν αὑτόν ζηλωταὶ γίνωνται τῶν ὁμοίων, εἰδότες τήν τῶν] Χαλκιδέων εὐχαριστίαν· [δεδόχθαι τῆι βουλῆι καὶ τῶι δήμωι · πρόξενον εἶναι καὶ εὐεργέτην] τοῦ δήμου τοῦ Χαλκιδέων κτλ.

[Sous l’hégémon ?] Phrynônos

… a proposé. Attendu que … fils de Deinarchos, d’Anthédon étant sans cesse bienveillant envers le peuple des Chalcidiens et utile aux nombreux des citoyens a appelé à l’aide … …fils de Paramonos prisonniers … … à Anthédon et les a rachetés de ses propres biens (?) ; et donc le peuple reconnaissant le fit connaître à tous, lui et ceux capables de bienfaire, et les louent pour qu’ils soient leurs semblables, sachant la reconnaissance des Chalcidéens.

850 KNOEPFLER D., « Contributions à l’épigraphie de Chalcis », 1977, p. 303-304 soutient qu’il faut certainement rejeter la restitution [Ἐπὶ ἡγενόμο]ς, car le décret réutilise une base de statue antérieure et ce Phrynonos serait alors le personnage honoré par la statue, et non l’Anthédonien. 851 Les restitutions qui viennent à partir d’ici sont celles proposées par KNOEPFLER D., « Contributions à l’épigraphie de Chalcis », 1990, p. 494. 164

Plaise au conseil et au peuple qu’il soit proxène et évergète du peuple des Chalcidiens etc.

Il est donc ici question d’un Anthédonien honoré pour avoir racheté des prisonniers chalcidiens conduits à Anthédon, possiblement au cours de la troisième guerre de Macédoine852. Il faut probablement admettre que la présence de ces prisonniers à Anthédon n’est pas fortuite. Les deux cités se font plus ou moins face de part et d’autre de l’Euripe et cette proximité constitue un premier argument fort, mais il faut peut-être également considérer que le petit port béotien constituait un marché intéressant pour la vente d’esclaves, et par extension Anthédon devait disposer d’une agora assez dynamique à une échelle régionale.

2) Les réseaux commerciaux dans le golfe

L’intégration d’Anthédon à un commerce régional se retrouve plus précisément dans la numismatique. En effet, en 1935, un trésor est trouvé dans la cité béotienne853 et, bien qu’il ait été aussitôt dispersé, il a pu être en grande partie reconstitué grâce à Margaret Thompson854. Le trésor date de la première moitié du IIe siècle855 et se compose ainsi : - De Chalcis, un octobole et au moins quatre tétradrachmes.

- D’Érétrie, au moins quatre octoboles et au moins six tétradrachmes.

- D’Athènes, dix tétradrachmes stéphanophores.

La présence d’Érétrie et de Chalcis atteste vraisemblablement d’un commerce régulier sur l’ensemble du golfe Euboïque, échanges dans lesquels Anthédon était manifestement intégrée. Athènes se trouve également bien représentée dans ce tableau ce qui s’explique aisément par son importance économique et les contacts assidus qu’elle a toujours su nouer avec l’Eubée. La présence de ces tétradrachmes dits du « Nouveau Style » ne traduit donc pas nécessairement de contacts directs entre Anthédon et l’Attique mais plutôt l’intégration de la cité béotienne à cet espace économique eubéen. Le fait que Chalcis soit moins représentée qu’Érétrie ou Athènes n’est

852 KNOEPFLER D., « Contributions à l’épigraphie de Chalcis », 1990, p. 496-497. 853 IGCH 223. 854 THOMPSON M., « The Beginning of the Athenian New Style Coinage », p. 25-28. 855 PICARD O., Chalcis et la Confédération eubéenne, p. 183. 165

également pas forcément significatif d’une moindre importance de celle-ci mais cela peut tout aussi bien être le fruit du hasard de la constitution du trésor. En effet, de nombreux indices laissent entendre que, par leurs positions respectives de part et d’autre de l’Euripe, Chalcis et Anthédon entretenaient des liens étroits. Nous avions déjà vu856, suivant l’avis de Denis Knoepfler857, que l’activité de passeur dont parle Hérakleidès se fait entre Anthédon et Chalcis. Le fait que des prisonniers Chalcidiens se retrouvent vendus comme esclaves à Anthédon atteste également de liens entre les deux cités, quels qu’ils soient858. Dans ce même passage, Hérakleidès parle du vin que l’on retrouve sur l’agora d’Anthédon. Le problème est que le terme εὔοινος peut signifier « beaucoup de vin » ou « bon vin » sans que l’on puisse fixer une acceptation définitive tandis que Plutarque dit spécifiquement qu’Anthédon n’abonde pas en vin859. Cela a conduit à des interprétations divergentes de la part des modernes qui acceptent ou rejettent l’idée qu’Anthédon ait pu produire beaucoup de vin860. Une autre possibilité est que ce vin, présent sur l’agora, ne soit pas Anthédonien mais importé. Chalcis pourrait être un partenaire privilégié dans ce commerce, car elle jouissait de la plaine Lélantine, des terres volcaniques très fertiles et particulièrement adaptées à la viticulture861. On dispose ainsi de traces concrètes d’un commerce actif dans le canal d’Eubée où est intégrée Anthédon. Malheureusement, les décrets de proxénie anthédoniens ne sont d’aucune utilité pour percevoir l’étendue des réseaux dans lesquels était intégrée la cité, on ne dispose que d’un seul décret anthédonien et l’ethnique n’a pas été préservé par le temps. Dans l’autre sens, on dispose de trois décrets de proxénie de Thermos honorant des Anthédoniens862 et s’inscrivant tous dans une même période dans la deuxième moitié du IIIe siècle, peut-être autour des années 245- 236863. Denis Knoepfler replace ces décrets dans le cadre du développement de la piraterie Étolienne en Égée et donc dans le golfe de Corinthe864. Anthédon, particulièrement exposée, dut se rapprocher de cette nouvelle puissance maritime pour protéger ses activités euboïques. Il faut

856 Supra, p. 65-66. 857 « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 599. 858 Il est par exemple possible de supposer que cet évergète Anthédonien avait des raisons propres de racheter les prisonniers, soit qu’il les connaissait personnellement, soit qu’il entretenait des relations particulières avec la cité de Chalcis. 859 Plutarque, Étiologies grecques, 19 : Ἡ γὰρ ἐν Βοιωτοῖς οὐκ ἔστι πολύοινος. 860 Supra, p. 66. 861 CORVISIER J. N., Les Grecs et la mer, p. 296 et MORENO A., Feeding the Democracy, p. 82 ; et c’est encore vrai aujourd’hui. 862 IG IX I² I 17, IG IX I² I 21 et IG IX I² I 27. 863 KNOEPFLER D., « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 615-616. Peut-être qu’IG IX I² I 27 est plus tardive que les deux autres. 864 Ibid., p. 616. 166 relever — comme le fait également Denis Knoepfler865 — que sur deux de ces décrets866, un citoyen d’Oponte se porte garant des proxènes vis-à-vis des Étoliens. Cela atteste des bonnes relations entre Anthédon et Oponte, qui se sont certainement faites par leur position mutuelle sur la portion septentrionale du canal d’Eubée. De façon générale, il semble que la première moitié du IIIe ait été une période propice au développement des cités du golfe et de leur commerce grâce au contrôle qu’avaient les Macédoniens sur Chalcis, Démétrias et Histiée et donc sur la route maritime qui liait ces cités867. Cela est peut-être plus visible dans le cas de la petite cité de Halai qui faisait alors partie du Koinon des Béotiens et qui connaît son apogée à ce moment-là868. Halai était vraisemblablement une cité dont l’activité reposait sur la pêche à l’image d’Anthédon869. Détail intéressant, dans le récit de Plutarque, alors que Sylla se trouve à Aidepsos en Eubée, des pêcheurs d’Halai de passage lui offrent de beaux poissons870 ce qui atteste non seulement de leur activité mais également de leur intégration dans ce commerce au sein du canal d’Eubée871. Grâce à Xénophon, on voit un autre aspect de cette économie locale remontant au IVe siècle. En effet, en 377, Thèbes est touchée par une pénurie de blé et envoie des citoyens à Pagasai, au nord du golfe, afin d’approvisionner leur cité872. Il est probable que ce soit d’Anthédon qu’ils embarquèrent s’agissant du port béotien le plus proche tant de Thèbes que de Pagasai. Si l’on en revient à Hérakleidès qui disait qu’Anthédon manquait de grain faute de terres fertiles, on peut facilement supposer qu’une partie de sa consommation provenait d’importations maritimes, notamment de régions fertiles comme l’Eubée, voire de navires venant de Grèce du nord ou des abords de la mer Noire, la route du grain menant à Athènes passant justement par le canal d’Eubée873. À l’image d’Anthédon, qui constitue une ouverture maritime privilégiée pour les Thébains, il est possible que les cités locridiennes de Larymna, Halai voire Oponte aient servi de port pour les cités béotiennes occidentales aux moments où elles faisaient partie du Koinon874. C’est précisément le cas d’Orchomène qui ne disposait d’aucun accès à la mer sur son territoire mais qui

865 Ibid., p. 617. 866 IG IX I² I 17 l. 120-121, et 21 l. 5-6 à défaut de la 27 qui est néanmoins trop mutilée pour être exclue. 867 BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités II, p. 165. 868 O’NEIL K. et al. « Halai, The 1992-1994 Field Seasons », p. 310. 869 BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités II, p. 165. 870 Plutarque, Sylla, 26. 871 Cela ne signifie néanmoins pas qu’Halai avait des relations privilégiées avec Édepse, la présence des soldats Romains dans la cité devait en faire un débouché particulièrement intéressé pour qui cherchait à écouler sa marchandise. 872 Xén., Hell., V, 4, 56-57. 873 BRESSON A., L’économie de la Grèce des cités II, p. 165. 874 Halai et Larymna ont rejoint le Koinon au cours du IVe siècle tandis qu’Oponte l’a rejoint vers 272. Leur présence au sein du Koinon a ensuite beaucoup fluctué au cours de la période hellénistique (voir la partie III). 167

était à proximité de ces cités, notamment en été lorsque le dessèchement du Copaïs permet une traversée directe jusqu’en Locride875, cependant rien ne permet de confirmer cette hypothèse.

Ainsi, il ressort de cette étude que la façade maritime béotienne au nord de l’Euripe semble dominée par la présence d’Anthédon. Bien que la petite cité ne disposait que d’un port d’importance secondaire au regard d’autres ports béotiens (comme ceux de Thespies ou Tanagra) ou de ceux du golfe euboïque nord (Chalcis, Histiée, Démétrias, Oponte…), toute son activité semble tourner autour des échanges entre l’intérieur de la Béotie et les sites du canal d’Eubée. C’est probablement cette activité marchande qui ressort du qualificatif de cupide qu’Hérakleidès attribue aux Anthédoniens876. Malgré sa position annexe dans le golfe, le marché d’Anthédon voyait passer des poissons, de la pourpre, du blé, du vin et des esclaves ce qui atteste de son dynamisme qui devait être partagé par les autres cités du canal. Le golfe d’Eubée présente une forte densité de ports sur l’ensemble de son pourtour, leur apparition étant une cause autant qu’une conséquence de l’importance des échanges qui y ont cours. Si Anthédon y apparaît dans sa portion septentrionale comme la plus importante des cités béotiennes par ses échanges, Larymna, Halai et surtout Oponte étaient également actives dans ce commerce régional.

875 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 196. 876 I, 25 : « τὴν πλεονεξίαν ἐν Ἀνθηδόνι ». 168

C- Le commerce dans le Golfe euboïque sud

Dans cette dernière sous-partie sur l’économie béotienne, il sera question du littoral béotien au sud de l’Euripe, c’est-à-dire la côte entre Aulis et Délion, les deux étant sur le territoire de Tanagra, mais également d’Oropos, cette dernière ayant pu être intégrée au Koinon suivant les périodes.

1) Réseaux maritimes tanagréens

À l’image de la côte béotienne donnant sur le golfe de Corinthe, les décrets de proxénie apparaissent comme fondamentaux pour étudier les échanges entre la Béotie et le canal d’Eubée, notamment par la présence de Tanagra qui dispose d’un accès à la mer par le tout proche port de Délion. Sur les 28 décrets que la cité a fourni, 21 ethniques ont été préservés, nous permettant de retracer l’origine des proxènes. On peut ainsi les répartir en plusieurs espaces géographiques : - En Eubée, on en voit deux à Chalcis877 et un à Érétrie878.

- En Grèce continentale, il y en a quatre à Athènes879, deux à Corinthe880, un à Élatée881, un à Démétrias882 et un en Macédoine883.

- En Orient, il y en a deux à Cyzique884, un à Téos885, deux à Milet886, un à Aspendos887, trois à Antioche888 (probablement sur l’Oronte) et enfin deux à Alexandrie889.

877 IG VII 511 et 512, datant toutes deux de la première moitié du IIe siècle. 878 IG VII 504, milieu du IIIe siècle. 879 IG VII 531 et 525, ainsi que SEG II 184, datant respectivement du IIIe siècle, de la fin IIIe/début IIe siècle et du milieu du IIe siècle. 880 IG VII 513, IIIe siècle. 881 IG VII 529, milieu du IIe siècle. 882 IG VII 517, IIIe siècle. 883 IG VII 506, IIIe siècle. 884 IG VII 523, fin IIIe/début IIe siècle. 885 IG VII 522, fin IIIe/début IIe siècle. 886 IG VII 519 et 524, datant respectivement du IIIe siècle et de la fin IIIe/début IIe siècle. 887 IG VII 520, IIIe siècle. 888 IG VII 518, fin IIIe/début IIe siècle. 889 IG VII 507 et 519, toutes deux du IIIe siècle. 169

- En Occident, on en voit un à Pisida890 en Tripolitaine et deux à Néapolis891, même s’il est difficile de savoir de laquelle il est question892.

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Répartition des proxènes des Tanagréens893

Comme pour Thespies, il est difficile d’en savoir plus sur ces proxènes. Le décret SEG II 184 en faveur de deux Athéniens indique qu’ils sont musiciens et père et fils. Plusieurs autres couples de proxènes apparaissent comme des membres d’une même famille. C’est le cas des deux Corinthiens894 qui sont aussi père et fils, et des deux proxènes de Cyzique895 qui sont frères. Le décret IG VII 519 honore simultanément un certain Nikanôr fils de Damarchos, de Milet et un Niôn fils de Nikanôr, d’Alexandrie. On peut envisager que ce soient un père et un fils et que l’un des deux ait déjà été honoré de la politeia dans sa cité d’adoption mais une coïncidence reste possible dans la mesure où Nikanôr est un nom fréquent896. Il est difficile de tirer plus de conclusions de

890 IG VII 508, IIIe siècle. 891 IG VII 505 et 516, toutes deux de la fin du IIIe siècle. 892 Le plus probable est qu’il s’agisse de la plus importante d’entre elles, Naples, mais il peut tout aussi bien s’agir de n’importe quelle Néapolis dans le monde grec, et rien ne dit que les deux décrets concernent la même cité. 893 FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 11. 894 IG VII 513. 895 IG VII 523. 896 Selon le LGPN en ligne (http://www.lgpn.ox.ac.uk/database/lgpn.php), il y a 478 occurrences du nom Nikanôr dans le monde grec (mais l’Égypte n’est pas prise en compte). Néanmoins, il est surtout populaire en Grèce du nord et dans le Péloponnèse, ces deux régions comptant près de la moitié des Nikanôr enregistrés. 170 ces inscriptions. Le proxène d’Élatée apparaît comme un notable local dans la mesure où il est honoré ailleurs pour des dons d’huile au gymnase de sa cité897. Enfin, les proxènes d’Antioche étant au nombre de trois, on peut supposer qu’il s’agissait d’une ambassade séleucide. L’un des proxènes de Néapolis, Pélops fils de Dexia, apparaît aussi honoré comme proxène dans la cité voisine d’Oropos. Ce sont, ici encore plus, des régions bien distinctes qui ressortent de ce tableau de proxènes. D’une part on y voit des cités voisines à Tanagra avec Chalcis et Érétrie, qui lui font face au-delà du canal d’Eubée, Athènes, facilement accessible par voie de terre en passant par Oropos ou par mer en contournant l’Attique898, et enfin Élatée, accessible en traversant la Béotie par voie de terre. Plus au nord, des proxènes des Tanagréens se trouvent à Démétrias et en Macédoine. Tous ces proxènes traduisent le dynamisme des circulations que connaît traditionnellement le canal d’Eubée, notamment en raison de la route des céréales qui relie Athènes au Pont. En admettant cela, il faut certainement inclure Cyzique, en Propontide. Par ailleurs, un autre groupe de cités semble se détacher de ces décrets de proxénies avec les cités de Téos, Milet, Aspendos, Antioche et Alexandrie, toutes sur la voie commerciale liant l’Égypte au monde Égéen. Il est d’ailleurs probable que Tanagra soit reliée à ces cités non pas par la route septentrionale longeant la Macédoine et la Thrace mais en traversant les , trajet que décrit ainsi le pseudo-Scylax899 :

Διὰ τῆς θαλάττης [ἀπὸ] τῆς Εὐρώπης εἰςτὴν Ἀσίαν ἐπιεικῶς εὐθὺ κατ’ ὀρθόν. Ἄρχεται δὲ τὸ διάφραγμα ἀπὸ Εὐρίπου τοῦ κατὰΧαλκίδα καὶ ἔστιν ἐπὶ Γεραιστὸν στάδια [ψʹ καὶ νʹ]. Ἀπὸ Γεραιστοῦ ἐπὶ Παιώνιον τῆς Ἄνδρου στάδια πʹ. Ἀπὸ [Παιωνίου] τῆς Ἄνδρου ἐπὶ τὸν Αὐλῶνα στά-δια σπʹ. Τοῦ Αὐλῶνος διάπλους εἰς Τῆνον στάδια ιβʹ.Αὐτῆς δὲ τῆς νήσου ἐπὶ τὸ ἀκρωτήριον τὸ κατὰ Ῥηναίαν στάδια ρνʹ.ναίαν στάδια ρνʹ. Τοῦ δὲ διάπλου εἰς Ῥηναίαν στάδια μʹ. Αὐτῆς δὲ Ῥηναίας καὶ τοῦ διάπλου εἰς Μύκονονστάδια μʹ.Ἀπὸ δὲ Μυκόνου διάπλους ἐπὶ τοὺς Μελαντίους σκοπέλους προαριστιδίου μικρῷ ἐλάττων, σταδίων [ρ] μʹ.Ἀπὸ δὲ Μελαντίων σκοπέλων πλοῦς εἰς Ἴκαρονπροαριστίδιος. Αὐτῆς δὲ τῆς

897 SEG XLII 478. 898 Il semble que la voie terrestre était privilégiée. Dans son récit de la guerre du Péloponnèse, Thucydide (VII, 28) explique que le contour par mer de l’Attique était plus coûteux que la voie terrestre, directe. 899 Ps-Scylax, 113. 171

Ἰκάρου στάδια τʹ ἐπὶ μῆκος. Ἀπὸ δὲ Ἰκάρου πλοῦς εἰς Σάμον προαριστίδιος. Αὐτῆς δὲ Σάμου στάδια σʹ.Ἐκ Σάμου εἰς Μυκάλην τοῦ διάπλου στάδια ζʹ. (ιζ?). Τὸ πᾶν, ἐὰν ἐκ Σάμου πλέωσι πρὸ ἀρίστου, στάδια͵βτοʹ, μὴ

προσλογιζομένου τοῦ πλοῦ [τοῦ ἐκ Μυκάληςεἰς Σάμον].

« Passage de la mer d’Europe à celle d’Asie en ligne droite. Ce passage commence à l’Euripe qui est auprès de Chalcis. De là à Géraïstos, il y a sept stades ; de Géraïstos à Pæonium d’Andros quatre-vingt stades ; d’Andros à l’Aulon deux cent quatre-vingt stades ; d’Aulon à Ténos douze stades ; de l’extrémité de cette île jusqu’au promontoire Rhénée cent cinquante stades ; le trajet de ce promontoire est de quarante stades ; celui de Rhénée jusqu’à autant ; de Mykonos aux rochers Melantioï, environ quarante stades ; de ces rochers jusqu’à Icaros, vous naviguez une demi-journée. La longueur de cette île et de trois cents stades ; d’Icaros à le trajet est d’une demi-journée. L’île de Samos a deux cents stades de longueur, de Samos à Mycale le trajet est de sept stades, et si en partant le matin de Samos, vous faites deux mille trois cent soixante-dix stades. »

L’intégration de Tanagra à cette route commerciale vers l’Asie va de soi par sa proximité avec l’Euripe mais est probablement confirmée par un épisode de la deuxième guerre de Macédoine où l’île d’Andros est prise par les Romains et les habitants ainsi que la garnison macédonienne sur place sont autorisés de se réfugier à Délion, le port de Tanagra900. Cet exil ne peut se comprendre que dans le cas où Tanagra et Andros entretenaient des liens étroits, certainement économiques vu leur proximité. La route décrite par pseudo-Scylax passe directement de Rhénée à Mykonos car c’est la route la plus courte entre l’Europe et l’Asie, cependant la route commerciale habituelle passait nécessairement par Délos, située entre les deux îles et plaque tournante de l’économie égéenne. C’est d’ailleurs peut-être lié, un décret de proxénie délien du IIIe siècle honore justement un Tanagréen901, seule cité de Béotie directement représentée dans les proxénies déliennes. La relation entre ces deux cités n’est cependant peut-être pas seulement économique ici mais pourrait également reposer sur une parenté religieuse. En effet, le port de Tanagra, Délion, a pour particularité de comporter un sanctuaire important dédié à la triade apollinienne ce qui en fait un

900 Tite-Live, XXXI, 45, 6. 901 IG XI 4 641. 172 cousin de celui de Délos902. La seule autre cité dont nous disposons de décrets de proxénie honorant des Tanagréens est Delphes également célèbre pour son sanctuaire panhellénique d’Apollon. Fait remarquable dans le cas des proxénies delphiennes, Tanagra apparaît comme la deuxième cité comptant le plus de proxènes en Béotie derrière Thèbes tandis que le reste du tableau concerne essentiellement des cités du sud-ouest Béotien, soit les plus proches de Delphes.

Proxénies delphiennes honorant des Béotiens 30

25

20

15

10

5

0 Chéronée Coronée Lébadée Oropos Platées Tanagra Thèbes Thespies Thisbé

Cette forte représentation de Tanagra dans ce type de sources — à l’inverse de cités plus importantes et plus accessibles telles que Thespies ou Orchomène — peut s’expliquer par leur culte commun à Apollon. Ce pourrait être une situation analogue entre Tanagra et Délos d’autant que le seul autre décret de proxénie délien concernant la Béotie honore un certain Polystratos fils de Daliôn, Béotien903. En l’absence d’un ethnique plus précis, ce nom théophore de Daliôn ne suffit pas à prouver qu’il est ici question d’un Tanagréen mais cela reste possible de l’envisager. En effet, il s’agit d’un nom rare qui, dans sa forme Δαλίων904, n’apparaît que six fois dans nos sources dont quatre fois pour des Béotiens : outre ce proxène béotien à Délos, ce sont un Thébain905, un Tanagréen906 et un Coronéen inhumé à Tanagra907. On dispose de neuf occurrences d’autres noms théophores liés à Apollon Délien en Béotie908, dont cinq proviennent de Tanagra909, deux de

902 Supra, p. 49-50. 903 IG XI 4 824. 904 Dans sa forme Δηλίων, on le trouve dix fois exclusivement dans les Cyclades 905 IG VII 2434. 906 SEG XLI 487. 907 IG VII 1566. 908 SITTIG E., Ancient Greek Theophoric Proper-Names, p. 50, pour ceux en dehors de Béotie, p. 51-52. 909 Δαλιάδας (IG VII 538 et 585), Δαλικκὼ (IG VII 883), Δαλιόδωρος (IG VII 537) Δηλιοκν[...] (IG VII 545). 173

Thèbes910, un d’Oropos911 et un de Copaïs912. Les noms en référence à Apollon Délien sont donc naturellement les plus fréquents à Tanagra d’autant qu’il est habituel en Béotie de donner des noms théophores en rapport à un culte local913. Il est alors très probable que le béotien honoré à Délos, fils d’un Daliôn, soit également un Tanagréen, tant par son nom que par la proximité relative entre les deux cités. Les décrets de proxénie font ainsi apparaître deux ensembles distincts de réseaux de cités : un premier s’inscrit le long de la côte entre Athènes et la mer Noire, le deuxième dans un espace entre la Grèce continentale et l’Égypte en passant par les Cyclades. Cela rejoint les descriptions faites par Éphore et Strabon de la Béotie où celle-ci reçoit des marchandises d’Égypte, de Chypre et des Cyclades par sa côte au sud de l’Euripe, tandis qu’au nord elle est en relation avec la Macédoine, la Propontide et l’Hellespont914. On constate aussi que ces deux mers béotiennes n’étant pas coupées l’une de l’autre, Tanagra maintenait des relations autant avec le nord de l’Égée qu’avec le sud, grâce à l’Euripe. Hérakleides précise en passant par Tanagra que les terres de la cité sont pauvres en grain915, ce qui est également attesté par la présence de Tanagra parmi les bénéficiaires des exportations de Cyrène dans la célèbre « stèle des céréales » 916. Il s’agit d’une inscription qui voit la cité de Cyrène lister les cités auxquelles elle a envoyé 805 000 médimnes de grain au cours d’une période de disette entre 331 et 336. Il semble alors bien probable que ces routes commerciales où était intégrée Tanagra et dont les extrémités étaient l’Égypte et le Pont permettaient l’importation de céréales vers la Béotie.

2) Un isthme béotien ?

Il peut paraître plus étonnant que Thespies et Tanagra — les deux cités les plus importantes sur leurs côtes respectives du golfe de Corinthe et du canal d’Eubée — aient toutes deux noué des liens avec des cités de régions au-delà de leur horizon maritime premier, c’est-à-dire dans les espaces

910 Δάλαρχος (IG VII 2639 et 2446). 911 Δαλόξενος (IG VII 484). 912 Δάλιχος (IG VII 2782). 913 PARKER R., « Theophoric Names and the History of Greek Religion », p. 55, il cite en notamment en exemple Galaxidoros, Onchestodoros, Oropodoros, Eutretiphantos, Homoloiodoros… 914 Strabon, IX, 2, 2. 915 I, 8 : « Καρποῖς δὲ τοῖς ἐκτῆς χώρας σιτικοῖς οὐ λίαν ἄφθονος ». 916 SEG IX, 2, l. 32. 174 commerciaux de l’autre. Tanagra disposait de proxènes à Pisida en Tripolitaine et peut-être à Néapolis en Italie tandis que Thespies en avait à Héraclée Trachinienne en Thessalie, à Périnthe et aussi à Séleucie et en Égypte917 ce qui montre bien que les relations des cités béotiennes avec l’extérieur n’étaient pas exclusives pour leurs voisines mais qu’elles partageaient certainement des liens avec les mêmes cités lointaines. Cela impliquerait également qu’il y ait une voie terrestre importante traversant la Béotie d’un golfe à l’autre, à priori entre Thespies et Tanagra, de sorte que ces cités aient un intérêt direct à nommer des proxènes tant en Occident qu’en Orient. Nous pouvons peut-être en savoir plus grâce à certains décrets de proxénie. À Thespies, un décret du début de la fin du IIIe/début du IIe siècle honore deux frères, Aristos et Alexis fils d’Aristéas d’Héraclée918, probablement de l’Oitas. Il s’agit ici précisément du type de proxénie qui laisse entendre une connexion par l’intérieur de la Béotie, car se faisant entre une cité du golfe de Corinthe et une autre dans la partie nord du canal d’Eubée. Or, nous disposons d’un décret de Delphes prenant la forme d’une longue liste des proxènes honorés par la cité dans la première moitié du IIIe siècle. L’inscription compile les proxènes de toutes les années entre 197/6 et 175/4 et est ensuite complétée pour quelques années jusqu’en 149/8. Voici ce que dit la stèle pour l’année 170/69919 :

ἄρχοντος Λαϊ- Étant archonte

άδα, βουλευόν- Laiadas, étant bouleutes

των τὰν πρώ- du premier

ταν ἑξάμηνον semestre

Βακχίου, Ἀρι- Bakchias, Aristiôn,

στίωνος, Ἀμυ- Amynéas, sont

νέα, οἵδε πρόξε- proxènes :

νοι· Ἀντίφιλος Antiphilos

Ἀρίστωνος fils d’Aristôn,

Ταναγραῖος, de Tanagra,

Ἄλεξις Alexis

Ἀριστέα fils d’Aristéas,

917 Supra, p. 141. 918 IThesp, n° 9. 919 Syll3 585, l. 291-306. 175

Ἡρακλειώτας, d’Héraclée,

Διόδωρος Diodôros

Ἡρακλείδου fils d’Hérakleides,

Ταναγραῖος. de Tanagra.

On retrouve donc ici cet Alexis fils d’Aristéas, proxène des Thespiens, mais honoré cette fois à Delphes. Ce qui est intéressant, c’est qu’il soit présenté entre deux Tanagréens (dont nous n’avons pas d’autre mention) et que ce soient les seuls proxènes honorés à Delphes pour cette année-là. Il n’y a pas d’autre Tanagréen parmi les quelques 150 autres noms que contient la stèle (dont onze Béotiens) et ceux-ci encadrent justement un Héracléote qui a déjà été honoré dans la cité de Thespies. Il se peut que les trois personnages n’aient rien à voir, mais la coïncidence paraîtrait alors presque trop grande et il est probable qu’Alexis ait été à Delphes en même temps que l’un ou l’autre des Tanagréens, voire que les deux comme le laisse deviner la forme du décret. En effet, dans la plupart des cas, l’inscription reproduit le formulaire avec le nom de l’archonte, les bouleutes et le semestre pour chaque proxène différent au cours d’une même année920 à moins qu’ils n’aient été vraisemblablement honorés dans la même session921. C’est ce qui paraît être le cas ici, où le nom de l’Héracléote s’insère entre ceux des Tanagréens. Il est difficile de comprendre ce qui pouvait lier ces trois personnages, mais l’inscription témoigne de l’existence de relations triangulaires entre Thespies, un partenaire économique oriental et Tanagra, qui sert certainement de voie d’entrée dans la Béotie. Il est facile d’envisager que ce que l’on perçoit ici entre Thespies, Héraclée et Tanagra devait également s’appliquer dans bien d’autres cadres et il est bien possible que Thespies ait été intégrée aux voies commerciales vers le Pont et l’Égypte grâce à la route la reliant à Tanagra et que cette dernière était elle-même connectée à l’Occident méditerranéen par le biais de Thespies. Le pseudo-Scymnos a composé dans la deuxième moitié du IIe siècle un περίοδος prenant plus la forme d’une description en vers du monde méditerranéen dédié à un roi Nicomède de

920 Comme c’est le cas par exemple pour l’année 179/8 : « ἄρχοντος [Ε]ὐαγγέλου, βουλευόντων τὰμ πρώταν ἑξάμηνον Βούλωνος, Αἰακίδα Μελισσίωνος· Διονύσιος Ληγέτου Ἐλεάτας. ἄρχοντος Εὐαγγέλου, βουλευόντων τὰμ πρώταν ἑξάμηνον Βούλωνος, Αἰακίδα, Μελισσίωνος· Μικυθίων Μικυλίωνος Χαλκιδεύς. ». 921 MACK W., Proxeny and Polis, p. 305. 176

Bithynie922. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il décrit la Béotie en prenant manifestement Éphore comme source (comme le fit plus tard Strabon)923. Voici le passage concerné924 :

Ταύτης δὲ κεῖται πλησίον Βοιωτία,

χώρα μεγίστη καιρία τε τῇ θέσει·

χρῆται μόνη γὰρ τρισὶ θαλάτταις, ὡς λόγος,

ἔχει δὲ λιμένας οὓς μὲν εἰς μεσημβρίαν

βλέποντας εὐκαιρότατα πρὸς τὸν Ἀδρίαν

τὸ Σικελικόν τ’ ἐμπόριον, οὓς δὲ πρὸς Κύπρον

καὶ τὸν κατ’ Αἴγυπτόν τε τὰς νήσους τε πλοῦν·

οὗτοι δὲ περὶ τὴν Αὐλίν εἰσὶν οἱ τόποι,

ἐν οἷς Ταναγραίων ἐστὶ κειμένη πόλις,

ὑπὲρ δὲ ταύτην ἐν μεσογείῳ Θεσπιαί·

τὸν δὲ τρίτον ἔξω τοῦ κατ’ Εὔριπον δρόμου

εἰς τὴν Μακεδόνων Θετταλῶν θ’ ἱκνούμενον,

ἐφ’ οὗ παράλιός ἐστιν Ἀνθηδὼν πόλις.

Θῆβαι μέγισται δ’ εἰσὶ τῆς Βοιωτίας.

« La Béotie est sise tout à côté [des Locriens], région très vaste, favorablement située. Comme on sait, elle est seule, en effet, à s’ouvrir sur trois mers. Aussi bien ses ports méridionaux, très opportunément, regardent l’Adriatique et le marché de Sicile ; d’autres pointent sur Chypre et font les liaisons vers l’Égypte et les îles (il s’agit du pays qui environne Aulis, où se trouvent la cité des Tanagréens et Thespies, d’avantage à l’intérieur des terres) ; en troisième lieu, un port situé en dehors du courant de l’Euripe et à la Thessalie — il est flanqué de la ville d’Anthédon, en bordure de mer. Thèbes est la plus grande de Béotie. »

922 MARCOTTE D., Les Géographes Grecs, tome I, p. 1-24. 923 MARCOTTE D., Les Géographes Grecs, tome I, p. CXXVIII. 924 Pseudo-Scymnos, Circuit de la Terre, v. 488-501. 177

Son récit paraphrase Éphore et ne donne aucune information supplémentaire si ce n’est qu’il s’attache à donner les noms des principaux ports béotiens dans chacune des trois mers. On ne sait pas quelles sources il utilise pour ce faire et, ses ambitions étant plus littéraires que géographiques, il n’est vraisemblablement jamais allé en Béotie. En conséquence, il se trompe en plaçant Thespies sur la même côte que Tanagra, c’est-à-dire sur le golfe Euboïque sud et non sur le golfe de Corinthe où elle appartient. Cette erreur est des plus intéressante car elle laisse entendre que pour lui — ce qui implique ses sources et son point de vue d’Anatolien — la cité de Thespies constituait un débouché accessible depuis la côte tanagréenne. Il devait ainsi être connu des commerçants (notamment orientaux) que les marchandises débarquées dans la région de Tanagra pouvaient facilement atteindre Thespies et au-delà le golfe de Corinthe. La piste est mince mais elle corrobore tout ce qui a été dit précédemment et on peut raisonnablement estimer qu’une route relativement importante traversait la Béotie d’un littoral à un autre.

Il est difficile de retrouver une trace plus concrète d’une telle route entre Thespies et Tanagra, ou du moins entre les deux côtes béotiennes. Tite-Live, dans son récit de la troisième guerre de Macédoine, mentionne le trajet du prêteur C. Marcius Figulus qui en 169, partit de Rome par mer pour rejoindre une autre flotte stationnant à Chalcis925 :

praetor superato Leucata Corinthium sinum invectus et Creusae relictis navibus terra et ipse per mediam Boeotiam—diei unius expedito iter est—Chalcidem ad classem contendit.

« le préteur, ayant doublé le cap Leucas, passa par le golfe de Corinthe et, laissant ses navires à Creusis, prit lui aussi la voie de terre qui traverse la Béotie — le trajet ne dure qu’un jour pour un voyageur sans bagages — et rejoignit sa flotte à Chalcis. »

Tite-Live fait ici mention d’une route directe de Creusis à Chalcis, base militaire romaine, ce qui ressemble au parcours de Pausanias en Béotie, qui ayant pris Thèbes pour centre, fait des allers-retours depuis celle-ci vers les différents sites qu’il souhaite visiter et passe ainsi d’une part par Thespies puis Creusis926 et, une autre fois, part de Thèbes pour aller vers Mykalessos et Aulis (tout près de Chalcis) avant de poursuivre vers Délion et Tanagra927.

925 Tite-Live, XLIV, 1, 1-5. 926 IX, 25-26 puis 32. 927 IX, 18-20. 178

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

Le trajet de Pausanias en Béotie928

Hérakleides, lui, entre en Béotie par Oropos et rejoint ensuite Tanagra. De là, contrairement à Pausanias, il se rend à Thèbes en faisant un détour par Platées929 et il apparaît comme le seul périégète à faire ce trajet. Un indice se trouve peut-être dans la « stèle des céréales » de Cyrène930, où, parmi 52 cités de Grèce continentale ainsi que des îles égéennes qui apparaissent sur cette inscription — en plus des reines d’Épire et de Macédoine, Cléopâtre et Olympias — figurent également les deux cités béotiennes de Tanagra et de Platées, la première recevant 10 000 médimnes931 et la seconde 6 000932. Le plus probable est ici que Platées ait reçu sa part de céréales par le biais de Tanagra comme le soutient Patrice Brun933. Peu importe qu’il s’agisse de médimnes attiques ou éginétiques dont il est

928 KNOEPFLER D., « Pausanias le Périégète et les cités de la Béotie Antique », p. 606. 929 Hérakleides, I, 10-12. 930 SEG IX, 2. 931 L. 32 : « Βοιωτοῖς Ταναγραίοις μυρίος ». 932 L. 44 : « Πλαταιέσσιν ἑξακιχηλίος ». 933 BRUN P., « La stèle des céréales de Cyrène et le commerce du grain en Égée », p. 196. Il associe ainsi Tanagra et Platées à une route commerciale passant par Carystos, au sud de l’Eubée. RHODES P. J. et OSBORNE R. soutiennent eux que les deux cités béotiennes doivent être intégrées aux cités du golfe de Corinthe (Greek Historical Inscriptions 404-323 BC, p. 492). Cela me semble peu probable : rien ne laisse entendre qu’au début de la Troisième Confédération Béotienne Platées ait eu un accès par la mer sur ce golfe, et le grain aurait dû passer par Thespies, qui devait également souffrir de cette disette et aurait donc également dû recevoir du grain selon toute logique. Paul Roesch (Études Béotiennes, p. 469) avance une hypothèse intéressante mais difficile à prouver : dans la mesure où les Tanagréens sont spécifiés comme étant en Béotie mais pas les Platéens, et que leurs mentions dans l’inscription ne se suivent pas, il est possible qu’il ne soit pas ici question de Platéens en Béotie mais d’exilés à Athènes, attendant que leur cité soit reconstruite pour y revenir comme ce pouvait être le cas au cours du règne d’Alexandre. 179 ici question, les quantités de grains transportées sont telles que cela indique bien que la route terrestre reliant Tanagra à Platées était adaptée à un commerce important. Si l’on compare ces différents récits, on perçoit que la route la plus courte pour passer de Thespies à Tanagra impliquait de rejoindre Thèbes ce qui devait prendre à peu près autant de temps que pour aller de Creusis à Chalcis, mais un détour pouvait également être fait pour rejoindre Platées. Depuis Thespies, Chalcis devait constituer un marché facilement accessible par voie de terre et autrement plus important que celui de Tanagra. Plusieurs raisons peuvent être envisagées pour comprendre le développement de cet « isthme béotien ». En toute logique, il existe peu de régions en Grèce qui permettent de passer rapidement de la mer Ionienne à l’Égée sans faire le tour du Péloponnèse, mais à ce compte-là, la Mégaride et surtout Corinthe surpassent de loin la Béotie par leurs situation naturelle sur l’Isthme de Corinthe. Il est alors possible que ce soit l’accès à Chalcis qui ait été recherché. La cité eubéenne connut un important développement à la période hellénistique où elle était au cœur des ambitions des différents souverains et même de Rome qui, comme nous venons de le voir, en fit sa base. En effet, par sa position sur l’Euripe, Chalcis est considérée comme un « verrou » de l’Europe à l’image de Corinthe, Athènes et Démétrias, dont la position maritime est très avantageuse pour qui cherche à contrôler le continent. Dans ce contexte, la Béotie constitue l’accès le plus rapide vers l’Occident pour qui part de Chalcis (ou l’inverse). Cela prend d’autant plus de sens à partir du IIe siècle, lorsque les Romains s’installent à Chalcis et qu’ils devaient garder un contact constant entre leur base et l’Italie. La route par la Béotie dû alors connaître des échanges de plus en plus importants entre Creusis et Chalcis. Tanagra, elle, constitue le port le plus proche pour qui souhaite s’embarquer vers l’Égée depuis Creusis. Cette route est certainement antérieure aux Romains et elle dû même commencer à se développer dès 411 avant J.C., à partir du moment où un pont fut construit sur l’Euripe, reliant dès lors Chalcis aux routes béotiennes.

180

La Béotie et la mer

3) Le cas d’Oropos

Il est enfin possible de comparer la situation de Tanagra à celle de sa voisine Oropos, qui, sans être totalement béotienne934, fit partie du Koinon pendant la plus grande partie de la haute époque hellénistique. Les fouilles de la cité ont permis de découvrir un très important corpus de décrets de proxénies, supérieur en nombre à ceux de toutes les autres cités béotiennes cumulées. Ces proxénies nécessitent néanmoins d’être prises à part dans la mesure où elles sont liées à

934 Hérakleides, I, 7, dit que les Oropiens nient être des Béotiens mais des Athéniens vivant en Béotie, tandis que leur dialecte n’est ni l’attique ni le béotien mais l’ionien d’Érétrie. 181 l’Amphiaraion, grand sanctuaire oraculaire et médical935 dont la renommée dépassait de loin le cadre de la Béotie. L’affluence au sanctuaire était telle que plusieurs décrets fédéraux du Koinon y furent affichés, certainement pour des raisons de visibilité936. L’activité de la cité ne reposait cependant pas uniquement sur le sanctuaire mais elle était aussi un centre économique important à un emplacement stratégique entre le canal d’Eubée et Athènes, facile à atteindre par la route937. Hérakleidès, qui a justement pris cette route en partant d’Athènes, insiste, une fois arrivé à Oropos, sur la rapacité des douaniers qu’il compare à des voleurs tant les taxes sont élevées sur les marchandises passant par la ville938. Dans ce sanctuaire international, les décrets de proxénies étaient exposés publiquement sur une terrasse du sanctuaire939, à l’image de ce qui se passait à Delphes ou Délos. Nous disposons ainsi de 175 décrets où l’ethnique est préservé940 ce qui permet d’avoir une vue complète des réseaux dans lesquels s’inscrivait la cité bien que la nature de ces relations diffère en partie de celles que l’on voit dans les autres cités béotiennes. Ces décrets de proxénie ont été rassemblés et étudiés par John Fossey941 et c’est donc à ses travaux que nous renverrons essentiellement. Toutes les inscriptions, à de rares exceptions, datent du IIIe et parfois du IIe siècle, c’est-à-dire des périodes de prospérité du sanctuaire. Voici comment se répartissent les proxènes suivant leur origine : - La majorité viennent d’Athènes avec 63 proxènes ou d’Eubée qui en compte 20, sept à Karystos et treize à Chalcis. Étrangement, Érétrie est totalement absente bien que les deux cités aient toujours été très liées par leur position et par leur histoire commune942.

- Dans le Péloponnèse on en voit deux à Corinthe comme à Mégare — que l’on intègre par commodité à ce groupe—, un à Sicyone, deux en Laconie et deux autres à Messène.

- En Grèce centrale et septentrionale, on voit deux proxènes à Élatée, un dans les cités thessaliennes de Méliteia, Thèbes de Phthiotide et Métropolis puis 17 proxènes en Macédoine.

- À l’ouest, plusieurs proxènes des côtes Ioniennes sont honorés avec un en Épire et un à Dimalion mais aussi dans les îles avec un à Corcyre, à Céphalonie et à Zakynthos. Il

935 ROESCH P., « L’Amphiaraion d’Oropos », p. 177. 936 SCHACHTER A., Cults of Boiotia I, p. 24, n. 2. 937 MORENO A., Feeding the Democracy, p. 117-118. La route entre les deux cités faisait 48 kilomètres et était vraisemblablement adaptée aux véhicules. 938 Hérakleides, I, 7. 939 Ibid., p. 178. 940 Voir notamment PETRAKOS V., Oi επιγραφές του Οροποῦ, qui a fouillé site et compilé les inscriptions. 941 Epigraphica Boeotica II, p. 14-16. On peut retrouver les références de ces décrets aux page 55-74. 942 Oropos est une colonie d’Érétrie et les deux se font face dans le canal d’Eubée ce qui les a poussées à toujours maintenir des liens. 182

faut également noter un proxène dans une Néapolis, où, ici encore, il est probable qu’il s’agisse de celle d’Italie, mais sans aucune certitude.

- Dans le nord de l’Égée, ce sont deux proxènes à et un à Myrina, sur l’île de . En Propontide, ce sont trois proxènes à Lampsakos et trois autres à Lysimacheia, un à Parion, Miletopolis et Kios943, ainsi que deux à Byzance. Enfin, dans la région du Pont, trois proxènes à Héraclée du Pont — si c’est bien cette Héraclée — deux à Chersonèse, un à Messembrie et un dernier à Amisos.

- Dans les Cyclades, on voit deux proxènes à Délos, un à Paros et un à Théra. Plus à l’est, ce sont trois proxènes à , deux à Rhodes et un à Samos. Il y a également un proxène en Crète.

- En Éolide, ce sont un proxène à Cymé et un à Pergame. En Ionie, quatre à Éphèse, deux à Milet et un à Smyrne et Euromos. En Carie, Halicarnasse a un proxène ainsi que Bargylia. Enfin, en Pamphylie ce sont Phasélis, Perge et Selge qui comptent chacune un proxène.

- En Orient, apparaissent dans ces décrets Soloi et Chytroi en Chypre avec respectivement un et deux proxènes, ainsi qu’une Séleucie, puis en Phénicie ce sont Sidon et Tyr avec un et deux proxènes également, et enfin un à Cyrène.

943 Epigr. Tou Oropou, n° 163, avant 202. John Fossey n’a vraisemblablement pas eu connaissance de celle-ci. 183

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Distributions des proxènes d’Oropos944

Voici, pour plus de clarté, un tableau présentant la répartition des proxènes suivant leur origine géographique :

Origine des proxènes d’Oropos Athènes 36 % Eubée 11,4 % Péloponnèse (avec Mégare) 5 % Grèce centrale et septentrionale 12,6 % Occident (avec Néapolis) 3,4 % Nord égéen, Propontide et Pont-Euxin 12,4 % Îles égéennes 6 % Asie Mineure (façade méditerranéenne) 8,6 % Orient (avec Cyrène) 4,6 %

944 FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 15. 184

On remarque ainsi que la Grèce égéenne et son extension orientale représentent l’essentiel de ce corpus. 60% des proxènes proviennent de la côte orientale de la Grèce que l’on peut interpréter comme une zone d’influence antigonide, entre Pella et Athènes et comprenant les deux côtes opposées du canal d’Eubée. Le nord de la mer Égée, la Propontide et le Pont au-delà représentent également une part non négligeable des proxènes avec ses 12% comme l’ensemble comprenant la plupart des îles égéennes, l’Asie mineure et l’Orient qui comptent additionnés presque 20% des proxènes que l’on retrouve à Oropos. Face à cette surreprésentation du monde égéen, pontique et oriental, la présence de l’Occident grec paraît négligeable. À l’exception de l’hypothétique Néapolis, aucune cité grecque d’Italie n’est présente dans le corpus. Quelques cités de la façade ionienne de la Grèce sont présentes et devaient effectivement être facilement accessibles depuis le golfe de Corinthe pour qui venait de Sicyone et peut-être de Corinthe mais cela reste marginal. À l’image de Tanagra, Oropos apparaît bien plus connectée avec le monde Égéen, ce qui était attendu de sa position, mais maintient néanmoins quelques liens à l’occident. Probablement par cet isthme béotien. Il paraît ainsi malaisé de retrouver concrètement cette route entre Orient et Occident passant par la Béotie. Il est avéré que la communication entre Thèbes et Chalcis était aisée par voie de terre, d’autant qu’un pont enjambait l’Euripe depuis 411 et il est clair que Chalcis constituait le principal centre commercial dans le canal d’Eubée. Cependant Tanagra semble également bien intégrée dans ce réseau économique et il est très probable que de la même façon qu’il existait une route entre Chalcis et Thespies, il en existait certainement une autre importante entre Thespies et Tanagra. Il paraît difficile de percevoir les raisons favorisant une route à l’autre car les facteurs en jeu étaient nombreux, notamment autour de Chalcis. La traversée de l’Euripe par voie de terre devait être bien pratique et de là, il était possible de rallier soit Thespies en passant par Thèbes, soit Athènes en passant par Tanagra et Oropos. Il est également possible que la présence macédonienne à Chalcis ait joué sur le commerce entre les deux rives de l’Eubée, notamment par la présence d’une garnison pouvant tenir l’Euripe.

Ainsi, les réseaux de proxènes des différentes cités béotiennes recoupent bien ce que disait Strabon citant Éphore dans un passage que nous pouvons remettre ici945 :

945 Strabon IX, 2, 2. 185

Ἔφορος δὲ καὶ ταύτῃ κρείττω τὴν Βοιωτίαν ἀποφαίνει τῶν ὁμόρων ἐθνῶν καὶ ὅτι μόνη τριθάλαττός ἐστι καὶ λιμένων εὐπορεῖ πλειόνων, ἐπὶ μὲν τῷ Κρισαίῳ κόλπῳ καὶ τῷ Κορινθιακῷ τὰ ἐκ τῆς Ἰταλίας καὶ Σικελίας καὶ Λιβύης δεχομένη, ἐπὶ δὲ τῶν πρὸς Εὔβοιαν μερῶν ἐφ᾽ ἑκάτερα τοῦ Εὐρίπου σχιζομένης τῆς παραλίας τῇ μὲν ἐπὶ τὴν Αὐλίδα καὶ τὴν Ταναγρικὴν τῇ δ᾽ ἐπὶ τὸν Σαλγανέα καὶ τὴν Ἀνθηδόνα, τῇ μὲν εἶναι συνεχῆ τὴν κατ᾽ Αἴγυπτον καὶ Κύπρον καὶ τὰς νήσους θάλατταν τῇ δὲ

τὴν κατὰ Μακεδόνας καὶ τὴν Προποντίδα καὶ τὸν Ἑλλήσποντον·

« Éphore déclare que la supériorité de la Béotie sur les pays limitrophes réside à la fois dans cette fertilité et dans le fait que, seule, elle est baignée par trois mers et dispose de ports en plus grand nombre, aussi bien sur le golfe de Crisa et de Corinthe — par où elle reçoit les marchandises en provenance d’Italie, de Sicile et de Libye — que dans les parties de son territoire qui sont tournées vers l’Eubée, où le littoral se divise en deux de part et d’autre de l’Euripe, d’un côté vers Aulis et le territoire de Tanagra, de l’autre vers Salganeus et Anthédon — le premier est en relations avec la mer d’Égypte, de Chypre et de l’archipel, l’autre avec celle des parages de la Macédoine, avec la Propontide et avec l’Hellespont.»

En effet, nous l’avons vu, les cités béotiennes entretiennent effectivement des liens avec des cités de trois horizons différents, clairement identifiés par Éphore, à savoir : - L’Occident grec et la Libye (dans son acceptation antique).

- Les Cyclades et la Méditerranée orientale.

- Le nord de la mer Égée, la Propontide et l’Hellespont.

Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que les décrets de proxénies sont pour leur très grande majorité postérieurs à 250 alors que le témoignage d’Éphore remonte lui au milieu du IVe siècle et les deux concordent néanmoins. Cela démontre que les contacts qu’avaient les Béotiens avec l’Orient méditerranéen précédaient l’hellénisation de cet espace par Alexandre le Grand et ses diadoques.

186

Néanmoins, le portrait que dresse Éphore du commerce maritime béotien peut et doit être complété. En effet, dans le domaine économique, on ne peut résumer la Béotie à trois côtes distinctes, où chacune aurait ses propres liens avec des espaces leur servant de débouché naturel. Ce commerce maritime semble d’abord reposer sur deux cités côtières, Thespies et Tanagra, respectivement situées sur le golfe de Corinthe et sur la partie sud du canal d’Eubée. Les cités sur l’autre portion du golfe Euboïque n’ont pas l’importance des deux précédentes et ce sont Thespies et Tanagra qui jouissent d’importants réseaux commerciaux dans le nord de la mer Égée et dans la région du Pont. Anthédon, alors qu’elle se situe au nord de l’Euripe, ne semble pas avoir noué de liens avec des cités lointaines, et si elle vit indéniablement du commerce maritime, celui-ci ne se fait qu’à une échelle locale, celle du canal d’Eubée. Dans l’autre sens, les cités de Thespies et de Tanagra semblent également commercer avec des cités extérieures à leur mer, mais dans la mer de l’autre, signe que les deux cités communiquaient entre elles, suivant des routes terrestres qui intégraient Thèbes et probablement les voisines à moitié béotiennes de Chalcis et Oropos. Cela ne signifie en aucun cas que les autres cités béotiennes étaient exclues de tout contact maritime avec l’extérieur. Pour s’en assurer, on peut se référer aux travaux de Paul Roesch qui a rassemblé toutes les mentions épigraphiques et papyrologiques de Béotiens apparaissant à l’étranger entre 378 et 100 environ946. Il complète son étude par un tableau des ethniques des Béotiens à l’étranger sans prendre en compte ceux qui reçoivent des magistratures à Delphes, ce qui donne ceci, toute période confondue947 :

Ethnique Nombre d’occurrences Anthédon 6 Coronée 16 Chéronée 8 Haliarte 2 Lébadée 6 Orchomène 12 Oropos 5 Platées 25 Tanagra 23 Thisbé 7 Thespies 42

946 Études béotiennes, p. 463-495. 947 Ibid., p. 496. 187

Thèbes 152

Il faut noter que ce tableau est dépassé aujourd’hui. Roesch a fait cette étude il y a plus de trente ans et elle est donc loin d’être exhaustive. À cet égard, on ne s’en servira brièvement qu’à titre comparatif. On voit, comme le remarque Roesch948, que le tableau correspond assez bien à l’importance des cités dans le Koinon. Thèbes écrase le tableau de son poids mais il apparaît néanmoins que la plupart des cités portuaires sont également présentes, à l’exception de Siphai et Chorsiai. Il est bien possible que leur position maritime joue un rôle dans ces contacts — on remarque notamment le nombre important de Thespiens et le peu d’Orchoméniens, ou encore le nombre de citoyens d’Anthédon ou de Thisbé supérieurs à ceux d’Haliarte — mais ce rôle est certainement secondaire et peu significatif. C’est donc tout l’inverse du tableau des proxènes nommés par les Béotiens, où au contraire, ce sont les cités côtières qui sont les plus présentes. Pour achever cette étude des réseaux dans lesquels s’inscrit la Béotie, un dernier corpus épigraphique mérite d’être pris en compte, celui des listes de vainqueurs aux concours béotiens. Plusieurs fêtes avaient lieu en Béotie et attiraient de nombreux étrangers. Certains venaient d’horizons éloignés et circulaient par des routes commerciales traversant la Méditerranée. Il s’agit donc d’un bon comparatif aux réseaux qui transparaissaient des décrets de proxénies. Ces listes de vainqueurs ayant été rassemblées et étudiées par John M. Fossey949, nous reproduirons ici une partie de son étude qui entre dans notre période. Si le corpus commence au IVe siècle, la plupart des inscriptions concernent les IIe et Ier siècles avant notre ère et on dispose encore de plusieurs listes à l’époque impériale. Afin d’avoir des résultats suffisants, seront ici également pris en compte les inscriptions de la basse époque hellénistique. Les références aux inscriptions utilisées par Fossey sont citées dans son article auquel nous renvoyons950. Fossey répartit les vainqueurs en trois fourchettes chronologiques pour la période qui nous intéresse avec à chaque fois des cartes pour les accompagner :

948 Ibid., p. 497. 949 Epigraphica Boeotica II, p. 105-116. 950 Ibid., p. 106-113. 188

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Origine des vainqueurs des concours au Ier siècle951

Ces vainqueurs proviennent exclusivement d’une seule liste provenant de l’Amphiaraion d’Oropos952. Dix-neuf de ces athlètes sont athéniens, ce qui fait sens d’un point de vue géographique. Les autres athlètes célébrés se répartissent de façon égale principalement dans des horizons maritimes proches d’Oropos : sur l’île d’Andros, en Thessalie et dans le nord du Péloponnèse (à Sicyone notamment). On voit dans des horizons plus distants un Macédonien et un Ionien de Colophon et au plus loin, un citoyen de Cyrène et un autre de Sinope dans le Pont.

951 FOSSEY, J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 112. 952 IG VII 414. 189

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Origine des vainqueurs des concours au IIe siècle953

Le corpus concerné est ici bien plus important et concerne principalement des concours comme les Mouseia et les Erotideia à Thespies, des Basileia de Lébadée, des Ptoia d’Akraiphia et quelques mentions pour les Hérakleia à Thèbes, soit des cités dispersées sur toute la Béotie. La Grèce centrale apparaît bien représentée, avec Delphes notamment, comme la façade égéenne de l’Asie mineure. Il faut noter la présence une fois de plus de cités du Proche-Orient avec Antioche sur le Pyrame, Sidon ou Alexandrie mais également — fait nouveau — de cités italiennes et de l’Occident grec.

953 FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 113. 190

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Origine des vainqueurs des concours au Ier siècle954

Dans cette dernière période, la plus dense en sources épigraphiques, on voit une fois de plus la surreprésentation de la Grèce centrale et de l’Asie mineure (en particulier en Thessalie, Ionie et Carie). Les cités du Pont, du Levant et d’Occident sont également bien représentées, probablement en raison de l’intégration de la Grèce dans l’orbite romaine955. Quel bilan tirer de la distribution de ces vainqueurs ? L’Occident, l’Orient et la Grèce septentrionale sont suffisamment représentés pour attester de contacts avec ces régions par le biais des trois mers béotiennes. S’il est impossible d’affirmer par quel port un athlète rentre en Béotie, ou même s’il y arrive seulement par mer il est avéré que certains ports devaient être particulièrement actifs en période de fête. C’est assurément le cas pour Oropos dont le port du Delphinion, qualifié de sacré par Strabon956, était dédié au sanctuaire d’Amphiaraos où se déroulaient les concours, et était distinct de celui de la cité, plus à l’ouest. Malgré le peu de liste de vainqueurs dont nous disposons pour le concours, l’Amphiaraion avait une portée internationale notamment par sa facilité d’accès par mer957, et les Amphiaraia devaient attirer de nombreux étrangers. Sans avoir la même aura, la situation devait être analogue à Tanagra et son port de Délion où avaient lieu des Delia958. Bien que le concours n’ait laissé aucune trace de ses vainqueurs, le fait qu’il soit associé à la petite ville de Délion, où le sanctuaire est collé à la mer, laisse deviner que l’accès par le port au

954 FOSSEY J. M., Epigraphica Boeotica II, p. 114. 955 Ibid., p. 115. 956 IX, 2, 6. 957 SCHACHTER A., Cults of Boiotia I, p. 24, n. 2. 958 BCH 131 (2007), p. 246-248 est une copie de la reddition de compte de l’agonothète en charge de l’organisation du concours. 191 concours était favorisé. C’est certainement le cas pour Creusis également, port de Thespies dont les Mouseia et les Erotideia étaient réputées en Béotie et au-delà. En effet, si ces festivités n’ont pas lieu à proximité même du port, il s’agit néanmoins du meilleur accès pour rejoindre la Béotie depuis le golfe de Corinthe (ce qui concerne nombre de vainqueurs que l’on a vu précédemment). De plus, Strabon qualifie également le port de Creusis de sacré959 et il est bien possible que l’activité du port associée à la présence des liménarques960 soit liée à sa situation de point de passage vers les fêtes961. Le dynamisme économique des cités portuaires apparaît ainsi quelque part étroitement lié à leur attrait culturel à l’image d’Oropos dont l’activité est partagée entre son sanctuaire panhellénique et sa position entre Érétrie et Athènes.

959 Strabon, IX, 2, 14. 960 Supra, p. 158. 961 MIGEOTTE L., « Ressources financières des cités béotiennes », in FOSSEY J. M., Boiotia Antiqua IV, p. 227. 192

Conclusion

La Béotie qui transparaît à l’issue de ces pages est celle d’un pays dichotomique, divisé entre des Béotiens du littoral et ceux, bien plus nombreux, de l’intérieur des terres. Alors que les premiers ont leur vie rythmée par la mer, les seconds ont un rapport à celle-ci bien plus lâche. Cela se ressent dans à peu près tous les domaines de la vie des Béotiens. Près des côtes, les cultes liés à la mer sont plus vivaces, les Béotiens s’intéressent à l’outre-mer, notamment dans les questions marchandes, et il y a globalement une réelle culture de la mer qui remonte à l’époque archaïque et dont le meilleur exemple se trouve probablement à Anthédon, telle qu’elle a été décrite par Hérakleidès (I, 24-25). Les cités de Thespies et de Tanagra sont certainement les moteurs de cette Béotie maritime. Elles bénéficient du littoral le plus important auquel elles sont bien reliées et sont elles-mêmes bien connectées entre elles, faisant de la Béotie un « isthme » entre Orient et Occident. Les cités maritimes ont ainsi des intérêts maritimes que n’ont pas les cités enclavées et cela ressort dans leur politique. Si ces cités des terres ne sont néanmoins pas totalement exclues de la mer. Dès l’époque archaïque, Thèbes, la plus importante des cités béotiennes, apparaît mêlée aux mouvements de colonisations probablement par sa position qui l’intègre à la route entre Thespies et Tanagra, et la voit également assez proche de la mer à Anthédon. Toujours sur le plan politique, un passage de Thucydide illustre parfaitement cette ambivalence des Béotiens par rapport à la mer. L’historien « cite »962 le discours prononcé par une ambassade des Platéens devant les Spartiates qui venaient de prendre leur cité au début de la guerre du Péloponnèse963 :

τῷ δὲ ξυνεπιθέμενοι τότε ἐς ἐλευθερίαν τῆς Ἑλλάδος μόνοι

Βοιωτῶν. καὶ γὰρ ἠπειρῶταί τε ὄντες ἐναυμαχήσαμεν ἐπ᾿ Ἀρτεμισίῳ,

« contre ce Mède que jadis nous fûmes les seuls Béotiens à attaquer avec vous pour la liberté de la Grèce. On nous vit en effet combattre sur mer à l’Artémission, nous, peuple du continent […].»

962 Thucydide dit lui-même (I, 22, 1) que les discours qu’il présente sont des reconstitutions qui ne peuvent être prises pour la réalité même si elles s’en rapprochent autant que ce peut. 963 Thucydide, III, 54, 3-4. 193

Ces phrases traduisent probablement quel pouvait être le sentiment de la plupart des Béotiens de l’intérieur vis-à-vis de la mer : ils en étaient peu coutumiers mais pouvaient s’y engager si les circonstances le permettaient ou le requéraient. Cette division entre cités enclavées et cités littorales existe mais apparaît brouillée par l’existence du Koinon des Béotiens. Celui-ci donnant une unité politique à la région, il contribua également à uniformiser les intérêts des Béotiens dans le cadre de leurs rapports à l’extérieur et notamment à la mer, ce que nous verrons dans une troisième partie.

194

Partie III : La politique maritime béotienne de 447 à 171

195

Introduction

Tous les ports du littoral béotien, au-delà de leurs particularités, sont liés par la Confédération béotienne qui apparaît de façon quasi-continue entre 447 et 171. Celle-ci voit les différentes cités de Béotie regroupées — volontairement ou non — au sein d’un État fédéral que les Grecs appellent Koinon et auquel elles peuvent envoyer des magistrats pour les représenter au sein d’institutions fédérales. Ce faisant, les cités béotiennes disposent d’une politique commune comprenant une armée, une monnaie et une justice fédérale. Le Koinon construit une authentique identité béotienne qui justifie la délégation de compétences civiques à une entité plus large, cette identité étant notamment cultivée par de nombreuses fêtes religieuses fédérales. Les cités béotiennes sont réparties dans des districts964 suivant leur poids démographique ce qui leur permet, en théorie, d’être représentées équitablement dans le Koinon. Dans les faits, ce n’est la plupart du temps qu’une minorité de cités qui se répartissent les charges les plus importantes voire qui disposent d’une prépondérance absolue dans la Confédération. C’est le cas de Thèbes qui domine les autres cités béotiennes pendant toute la période classique et plus particulièrement au IVe siècle. Ce système politique original965 donne un poids considérable aux cités béotiennes qui, ensemble, peuvent facilement être vues parmi les plus grandes puissances de Grèce continentale. Suivant les périodes, les institutions fédérales prennent une forme plus ou moins démocratique ou oligarchique, le Koinon étant profondément réinventé par deux fois en 382 et 335, deux moments parmi les plus difficiles de l’histoire béotienne. Ce sont ainsi trois Confédérations béotiennes qui se succèdent entre 447 et 171. En dehors de ces deux dates, apparaissent des semblants de confédération qui ne peuvent être abordés ici car ils sont beaucoup moins connus et qu’ils ne disposent très probablement d’aucune prérogative en matière militaire et en politique extérieure ; car ce sont précisément ces éléments qui nous intéressent ici. La Béotie constitue une puissance terrestre où la chose navale paraît négligeable à première vue. La mer, nous l’avons vu à de multiples reprises, est bien présente en Béotie, au nord et au sud, avec le golfe de Corinthe et le canal d’Eubée. Si l’on admet que la mer est une frontière, ces deux golfes constituent alors tant une bordure hermétique qu’un espace ouvert aux contacts extérieurs966, au cœur de nombreux enjeux pour les Béotiens.

964 Appelés mérè ou télè suivant les époques et dont le nombre varie. 965 Il sert probablement de modèle à de nombreuses autres confédérations de cités entre le IVe et le IIIe siècle. 966 COURLET C., “La frontière : couture ou coupure ?”, p. 5-12. 196

Cette partie étant essentiellement de l’histoire politique, les sources littéraires en sont naturellement le matériau de base avec en premier lieu Thucydide, Diodore de Sicile, Xénophon, Plutarque, Polybe et Tite-Live. Le problème est que peu s’intéressent à la Béotie, se montrent impartiaux vis-à-vis d’elle ou même sont connaisseurs des choses maritimes. L’épigraphie constitue alors un bon complément pour comprendre l’histoire de la Béotie. Ce sont principalement des inscriptions béotiennes qui nous sont utiles, notamment des décrets de proxénie ou d’alliance mais d’autres de nature très variée peuvent également entrer en jeu. Ponctuellement, l’archéologie peut également être mise à profit, notamment dans les questions liées à la fortification du littoral béotien. Notre propos consistera ainsi à retrouver quelle put être la politique maritime de la Confédération béotienne au vu de sa situation maritime. Cette dernière évoluant considérablement suivant les périodes, il est nécessaire de la restituer pour comprendre pourquoi les Béotiens développèrent leur flotte à des moments donnés et ce qu’ils en firent ou à l’inverse pourquoi ils ne le firent pas. Il est ainsi possible de se demander dans quelle mesure les Béotiens ont pu développer une politique maritime de 447 à 171, ce qui sera vu au temps de chacune des trois Confédérations.

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I Le Koinon, une nouvelle puissance maritime (447-371)

L’histoire fédérale béotienne commence de façon formelle en 447/6. Après dix années de domination, les Béotiens échappent à l’influence athénienne après l’avoir vaincue dans la bataille de Coronée. Les gouvernements athénophiles sont remplacés dans toutes les cités tandis que la Béotie se dote de nouvelles institutions fédérales. Le Koinon qui se met alors en place est de nature oligarchique et contrôle tous les aspects de la politique béotienne. La politique extérieure fait naturellement partie de ses attributions ainsi que tout ce qui relève du domaine militaire. Pour la première fois de leur histoire, les Béotiens ont les moyens d’exercer une politique maritime commune. Cette première Confédération béotienne perdure pendant 60 ans et, alors qu’elle avait été instaurée en opposition à la démocratie athénienne, c’est sous les coups de Sparte qu’elle s’effondre en 386. Cette période intermédiaire est donc nécessairement troublée, les Béotiens alternant succès et crises, et ce n’est qu’après avoir vaincu les Lacédémoniens à Leuctres, que les Béotiens eurent de nouveau les moyens de développer une réelle politique fédérale. Il s’agit de voir ici quelle politique maritime les Béotiens purent mettre en place entre ces deux batailles terrestres.

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A- La Béotie dans les conflits contre Athènes (447-404)

1) La situation béotienne au lendemain de Coronée

Lorsqu’est fondée la « première Confédération béotienne », en 447/6, ce ne sont que quelques cités qui se répartissent le contrôle du littoral béotien comme le présente R. J. Buck967 : - Thespies dispose d’un vaste territoire comprenant Creusis, Siphai, Thisbé et Chorsiai soit l’intégralité du littoral béotien donnant sur le golfe de Corinthe. - Thèbes contrôle le littoral allant d’Anthédon à l’Euripe, Aulis y compris, soit l’essentiel du littoral donnant sur le canal d’Eubée. - Tanagra ne dispose que de la portion littorale où se trouve Délion. Parmi ces cités, Thespies et Thèbes jouent un rôle majeur dans le Koinon, chacune disposant de deux mérè — comme Orchomène — sur les neuf répartis entre les cités membres968. Cette première Confédération comprenait un navarque fédéral que l’on voit apparaître pour la première fois lors de la guerre du Péloponnèse969 et que l’on retrouve également au temps de la deuxième et troisième Confédération. On en sait très peu sur les institutions navales du Koinon si ce n’est qu’elles existent. Comme l’hipparque, le navarque était certainement élu par la Boulè fédérale pour un an et devait être subordonné aux ordres des béotarques970. Il est possible que les Béotiens ne désignaient un navarque que lorsque les circonstances le requéraient et son élection n’était donc probablement pas systématique. Rien n’indique d’ailleurs que la navarchie ait été mise en place dès 447/6 et peut- être est-il plus probable qu’il s’agisse d’une magistrature plus tardive. En effet, contrairement au reste de l’armée fédérale, la gestion de la flotte ne repose que sur les capacités de quelques cités, principalement Thèbes et Thespies. On ne peut par exemple que difficilement demander à une cité comme Orchomène de fournir des trières dans la mesure où elle ne dispose pas de littoral. La participation effective de l’ensemble des cités béotiennes à l’effort naval demandait ainsi une organisation supérieure à la simple mobilisation d’hoplites et de cavaliers. Il est alors peu probable que la navarchie ait été mise en place en même temps que les autres institutions fédérales mais

967 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 155-156. 968 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 155, les Helléniques d’Oxyrynchos (16, 3) indiquent que le Koinon était divisé en onze mérè (ou districts) dont deux pour Platées qui n’en faisait pas partie en 446. 969 FD III, 1, 52. 970 SALMON P., « L’armée fédérale des Béotiens », p. 359. 199 plutôt à un moment où les Béotiens eurent la volonté de développer une activité commune sur mer, soit plus tardivement971. Le contexte béotien de 447/6 paraît effectivement peu favorable au développement d’une politique navale. Les Béotiens avaient vaincu les Athéniens sur terre à Coronée mais avaient toutes les raisons de continuer à redouter cette puissante voisine. Si les Béotiens obtiennent la liberté de leur territoire en échange de la cession de prisonniers athéniens comme le précise Thucydide972, les Béotiens durent également promettre de ne pas aider les Eubéens dans leur révolte et de laisser le droit de passage aux Athéniens pour intervenir en Eubée973. Dès l’annonce de la défaite athénienne à Coronée, l’Eubée se souleva dans l’espoir de quitter la Ligue de Délos et ce n’est que par une diplomatie plus souple que Périclès put empêcher les Béotiens et Eubéens de conjuguer leurs forces. Le stratège athénien intervint alors directement sur l’île et la força à revenir dans le giron d’Athènes974. Les mesures qui sont prises contre les cités rebelles sont très dures : Histiée voit ses habitants réduits en esclavage et remplacés par des clérouques975 tandis que Chalcis et Érétrie doivent jurer une fidélité totale (et humiliante) aux Athéniens976. Les Athéniens durent également s’assurer que des élites pro-athéniennes soient à la tête de ces cités comme on le voit à Chalcis où les citoyens les plus riches sont contraints à l’exil977. Ce faisant, le contrôle que pouvaient avoir les Athéniens sur le canal d’Eubée est très important : d’une part Histiée permet de contrôler tout passage dans le golfe Euboïque nord, d’autre part la maîtrise d’Érétrie et d’Oropos — qui fait partie du territoire athénien et fait face à Érétrie — permet de verrouiller la partie sud du canal. Dans le golfe de Corinthe, la situation n’est pas meilleure car Athènes tient Naupacte978 ce qui lui permet de surveiller les entrées et sorties dans le golfe. De fait, les Béotiens ne disposent d’aucune possibilité de manœuvre dans leur littoral et il faut attendre l’éclatement de la guerre du Péloponnèse pour que les Béotiens, alliés aux Spartiates, retrouvent les moyens de s’opposer à Athènes.

2) La Béotie au début de la guerre du Péloponnèse (431- 413)

971 Robert Buck estime lui que la navarchie dut apparaître dès 447/6 (A History of Boeotia, p. 158). 972 I, 113, 3. 973 BUCK R. J., A History of Boeotia, p. 153. 974 Thucydide, I, 114. 975 Plutarque, Périclès¸ 23, 2. 976 IG I3 40 et IG I3 39 sont des décrets athéniens réglant les sorts de Chalcis et d’Erétrie. 977 Plutarque, Périclès¸ 23, 2 978 Thucydide, I, 103, 3. 200

Lorsque commence la guerre, de nombreux Béotiens vivant à la frontière de l’Attique préférèrent quitter leurs bourgades non fortifiées pour se réfugier derrière les murs de Thèbes dont la population double979. Les habitants d’Aulis, à proximité de l’Euripe, firent de même980. La mer ne devait alors en aucun cas constituer un vecteur de sécurité mais bien un horizon où à tout instant pouvait surgir la menace athénienne. On redoutait que les Athéniens ne s’adonnent à des actes de piraterie le long du golfe. La migration vers Thèbes des gens d’Aulis fait transparaître l’attitude des Béotiens quant à la guerre sur mer dans les premières années du conflit car ce faisant, les Béotiens perdent le contrôle du meilleur port qu’ils aient sur le canal d’Eubée. Les Thébains auraient pu faire fortifier Aulis pour garder le Bathys Limen ce qu’ils ne firent pas probablement parce qu’ils avaient conscience que leur position était trop compromise. Aulis est particulièrement exposée aux Athéniens qui contrôlent toutes les places fortes du canal d’Eubée, dont sa voisine Chalcis, et jamais les Béotiens n’auraient pu dresser une flotte pouvant rivaliser avec Athènes. Cette attitude ne fût manifestement pas inutile car dès 431, Athènes envoie 30 vaisseaux pour protéger l’Eubée et seule la Locride fut touchée981. Les Locriens d’Oponte profitèrent du début des hostilités pour commettre des actes de piraterie en Eubée982 entraînant aussitôt une réaction athénienne. En mettant une garnison sur l’île d’Atalantè, juste en face d’Oponte, les Athéniens ne devaient qu’accroitre la pression qu’ils exerçaient dans le canal d’Eubée. Au cours des années suivante, l’emprise qu’avaient les Athéniens sur le canal d’Eubée s’accrut dans la mesure où dès 428, ce sont 100 trières qui protègent l’Eubée et le golfe Saronique983. Si les Athéniens sont peu présents dans le golfe de Corinthe, ils y tiennent Naupacte984, base navale hautement stratégique permettant de contrôler toutes les entrées et sorties du golfe. Cette position impacte la situation maritime non seulement de la Béotie mais également de nombreux alliés de Sparte comme la Phocide, Corinthe, Mégare ou Sicyone. En 429, les Lacédémoniens et leurs alliés lancent une expédition par mer contre l’Acarnanie dans l’espoir de libérer Naupacte985. Cette campagne débouche sur les deux batailles batailles de Patrai et de Naupacte, où les Lacédémoniens n’arrivent à aucun résultat concluant986. On n’y compte aucun navire béotien alors

979 Helléniques d’Oxyrynchos, 17, 3. 980 Ibid. 981 Thuc., II, 26. 982 Thuc., II, 32. 983 Thuc., III, 17. 984 Thuc., II, 69 et 80. 985 Thuc., II, 80-93. 986 La bataille de Patrai est un désastre où les 47 navires péloponnésiens sont vaincus par les 20 trières du stratège Phormion, principalement parce que les Athéniens sont bien mieux entraînés. La bataille de Naupacte est plus serrée mais ne donne aucun résultat significatif. 201 que leurs alliés auraient eu besoin du plus de renforts possibles. Une première hypothèse voudrait que les Béotiens ne possédaient alors aucun navire sur le golfe de Corinthe mais cela paraît peu probable car ils y disposent de ports importants. Il faut alors probablement considérer des raisons internes à la Béotie. La domination qu’exerçaient les Thébains sur le reste des Béotiens n’était pas sans opposition et Thespies est justement traversée de courants pro-athéniens987. Dans un tel contexte, il est probable que les Thébains et Lacédémoniens n’ont eu aucune confiance en des équipages nécessairement thespiens — c’est-à-dire venant de territoires contrôlés pas Thespies — pour intervenir contre Athènes. Les Béotiens auraient néanmoins pu contribuer à la flotte alliée en finançant des navires équipés par d’autres cités, comme cela se faisait dans la Ligue de Délos, mais il n’y a aucun indice là-dessus. Dans tous les cas, on voit que la politique navale du Koinon reste intimement liée à la politique des cités qui le composent. Lorsque l’île de , à l’exception de Méthymna, voulut quitter la Ligue de Délos en 428, elle fit savoir qu’elle avait besoin du soutien de la Ligue du Péloponnèse pour se protéger d’Athènes. Les gens de Mytilène font expressément appel aux Béotiens pour défendre leur cause, rappelant leur origine éolienne commune et un Thébain est envoyé avec un Laconien à Mytilène pour préparer la suite des événements alors que l’île est déjà envahie par les Athéniens988. L’année suivante, une flotte de 40 navires péloponnésiens989 est envoyée vers Lesbos990 et il est difficile d’en savoir plus sur sa composition. Le fait que la flotte parte du Péloponnèse et y revienne991 semble indiquer que les Béotiens n’y participèrent pas malgré leur implication dans les affaires de Mytilène. À l’aller, la flotte perdit même du temps à faire le tour du Péloponnèse992 et il s’agissait donc probablement des navires précédemment impliqués à Naupacte. Lorsque cette flotte parvint enfin à Lesbos, Mytilène avait déjà été contrainte de se rendre aux Athéniens et les Péloponnésiens rentrèrent chez eux sans rien faire de notable993. En 426, le stratège athénien Nicias débarque à Oropos, possession athénienne, et de là, pille le territoire voisin de Tanagra après avoir vaincu les Béotiens dans une bataille994. Avec ses 60 navires, Nicias reprend la mer et se dirige vers la Locride en passant certainement par l’Euripe où il ne rencontra aucune opposition même si les Béotiens durent tenir leurs côtes pour éviter tout autre débarquement. Si les Athéniens pouvaient se déplacer librement dans le canal d’Eubée, c’est

987 Courants qui transparaissent en 424 (Thuc., IV, 133, 1) ou en 414 (Thuc., VI, 95, 2). 988 Thuc., III, 5, 3. 989 Thucydide désigne sous le terme de Péloponnésiens les Spartiates et tous leurs alliés, y compris les Béotiens ou les Siciliens, et le terme n’a aucune valeur géographique. 990 Thuc., III, 26, 1. 991 Thuc., III, 29 et III, 33. 992 Thuc., III, 29 : « πλέοντες περί τε αὐτὴν τὴν Πελοπόννησον ἐνδιέτριψαν ». 993 Thuc., III, 32-33. 994 Thuc., III, 91. 202

également durant l’hiver 426/425 que les Spartiates cherchèrent à y étendre pour la première fois leur influence en fondant leur colonie d’Hérakleia Trachinienne995. Cette colonie disposait d’une situation maritime avantageuse sur le golfe Maliaque permettant d’armer une flotte pour attaquer rapidement l’Eubée et les Lacédémoniens associèrent à cette fondation tous les alliés qui souhaiteraient y participer. Il est très probable que les Béotiens y envoyèrent des colons étant donné que le voyage est court et que participer à une fondation liée à Héraklès ne pouvait que plaire aux Béotiens et notamment aux Thébains. De fait, les destinées d’Hérakleia et de la Béotie apparaissent souvent liées dans la suite de la guerre.

Le golfe Maliaque996

En 424, Athènes met en place une audacieuse expédition visant à sortir définitivement la Béotie de la guerre. Les Athéniens prévoient de débarquer simultanément à Siphai, sur le golfe de Corinthe, et à Délion, sur le canal d’Eubée, de façon à prendre la Béotie en étau997. Siphai doit leur être remise par des démocrates béotiens, probablement thespiens998, puis Chéronée et Orchomène, cités traditionnellement hostiles à Thèbes, devaient également ouvrir leurs portes aux Athéniens. De l’autre côté, Délion devait être fortifiée par les soldats débarqués, de façon à diviser les forces béotiennes entre ces deux points d’attaque, les vaincre et instaurer en Béotie une démocratie favorable à Athènes. Rien ne se passa comme prévu999. Le plan avait fuité si bien que les autorités

995 Thuc., III, 92. 996 Carte libre de droits trouvée sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_location_of_Malis.png. 997 Thuc., IV, 76-77. 998 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League 423-371, p. 16. 999 Thuc., IV, 89-101. 203 béotiennes dépêchèrent des armées à Chéronée et à Siphai, empêchant le stratège athénien Démosthénès de débarquer. De plus, une grave erreur de coordination voit Démosthénès atteindre Siphai avant le jour d’arrivée de son collègue Hippocrate à Délion permettant à l’armée béotienne de se porter tout entière contre ce dernier. Hippocrate débarque néanmoins et fortifie aussitôt le sanctuaire d’Apollon Délien où il s’installe. L’expédition se solde par un désastre pour les Athéniens qui sont vaincus et perdent quelques jours après leur position fortifiée dans le sanctuaire de Délion. Entre ces deux batailles, Thucydide indique que les Béotiens ont fait venir du golfe Maliaque des frondeurs et des archers1000 qui ont probablement été recrutés par (ou parmi) les Béotiens installés à Hérakleia Trachinienne.

La bataille de Délion1001

À la suite de cet épisode, Thèbes profita de la mort de nombreux Thespiens à la bataille de Délion pour faire raser les murs de leur cité1002 ce qui la priva de toute autonomie. Le prétexte qu’usèrent les Thébains est que Thespies était favorable à Athènes ce qui n’est pas improbable1003

1000 Thuc., IV, 100. 1001 Carte libre de droit trouvée sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Battle_of_Delium_detail_map- fr.svg?uselang=fr. 1002 Thuc., IV, 133, 1. 1003 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 18. 204 dans la mesure où l’on voit des démocrates thespiens se révolter contre la domination thébaine en 4141004. La conséquence principale est surtout que Thèbes récupère à son avantage les deux districts thespiens au sein du Koinon, lui permettant alors de contrôler plus de la moitié des institutions fédérales1005. Thèbes nomme, directement ou pas, six béotarques sur onze et des Bouleutes dans les mêmes proportions1006. Dans le domaine maritime, les changements durent également être importants car en plus de disposer de l’essentiel des ports sur le canal d’Eubée, Thèbes contrôle toutes les ouvertures sur le golfe de Corinthe. Pour la première fois de l’histoire béotienne, la politique navale du Koinon était uniformisée, ne dépendant plus que de la volonté thébaine. Peut- être s’agit-il ici du contexte le plus plausible pour l’apparition de la navarchie. En effet, les dissensions entre Thèbes et Thespies furent alors gommées de force par la première et on constate un fort décalage dans la participation des Béotiens aux affaires maritimes entre le début et la fin de la guerre. La Paix de Nicias, conclue pour 50 ans entre Lacédémoniens et Athéniens en 421, impose un status quo ante bellum qui ne pouvait convenir aux Béotiens qui s’étaient agrandis durant le conflit, notamment au détriment de Platées. Les Béotiens, comme les Corinthiens, Mégariens et Éléens, préfèrent jurer un armistice avec Athènes renouvelable tous les 10 jours. Les tensions traversant le monde grec sont donc toujours vives d’autant que le refus des Béotiens de s’aligner sur la politique des Lacédémoniens ne devait que nuire aux bonnes relations entre les deux cités. Depuis 422, les Béotiens tiennent la forteresse athénienne de Panakton qui devait être rendue suivant les clauses de la Paix de Nicias. Les Spartiates font pression sur les Béotiens pour qu’elle soit rendue aux Athéniens afin qu’eux-mêmes puissent récupérer Pylos, tenue par les Athéniens. Les Béotiens finissent par accepter mais rasent d’abord la forteresse avant de la restituer1007. Cette mauvaise attitude des Béotiens se retrouve également en 419 lorsqu’ils s’emparent d’Hérakleia Trachinienne après en avoir expulsé le commandant spartiate, arguant que la place était mal gérée1008. Cette action devait s’inscrire dans une volonté de se développer en profitant de l’accalmie relative de ces années- là. La prise d’Hérakleia ne pouvait que s’accompagner de la mise en place d’une politique navale active. En effet, Hérakleia est coupée de la Béotie et le contact entre les deux ne pouvait facilement être maintenu que par mer et d’autre part, elle constitue une place navale essentielle pour contrôler le golfe Maliaque et menacer l’Eubée athénienne.

1004 Thuc., VI, 95, 2. 1005 Sur les onze mérè du Koinon, Thèbes exerce un contrôle sur les deux qui lui sont attribués, sur les deux de Thespies ainsi que les deux de Platées, réintégrée de force à la Confédération en 427. 1006 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne¸ p. 41. L’annexion de Platées au début du conflit a fait passer le nombre de districts de 9 à 11 au sein de la Confédération. 1007 Thuc., V, 39. 1008 Thuc., V, 52. 205

C’est avec la grande expédition de Sicile que la guerre reprend. En 415, les Athéniens assiègent Syracuse qui tient difficilement et c’est sur les conseils d’Alcibiade que Sparte répondit à ses demandes de secours.

L'expédition de Sicile des Athéniens1009

Conjointement aux Lacédémoniens, les Béotiens envoient à Syracuse 300 hommes commandés par deux béotarques thébains et un thespien1010. Ces béotarques dirigent probablement cent hommes chacun dont une partie sont Platéens1011. En envoyant si peu d’hommes accompagnés de trois béotarques, les Béotiens n’entendaient probablement envoyer qu’une force symbolique qui se révéla néanmoins utile en Sicile1012. Étant donné que ce sont les cités de Thèbes et de Thespies qui participent à l’expédition, rien ne s’oppose à priori à ce qu’ils utilisent leurs propres navires mais la traversée se fit à partir d’holkades partant de Ténare. La raison d’une telle action reste à déterminer. D’une part la présence des Athéniens à Naupacte ne peut être vue comme un barrage infranchissable étant donné que c’est par là que passèrent les Corinthiens et Sicyoniens qui durent néanmoins user de ruse pour traverser à l’insu des Athéniens. Même en admettant que les Béotiens

1009 Carte libre de droits trouvée sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Spedizione_in_sicilia_it.svg. 1010 Thucydide (VII, 19, 3-4) ne les désigne pas comme des béotarques mais c’est probablement leur statut comme le soutient Paul Roesch (Thespies¸ p. 98). 1011 Thuc., VII, 57, 5, Thucydide les nomme ainsi alors que Platées a disparue en tant que cité depuis 427 ; ils font partie du territoire de Thèbes et doivent être soit des Thébains, soit des non-citoyens. 1012 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne¸ p. 41. 206 ne disposaient d’aucun navire sur le golfe de Corinthe — ce qui serait très étonnant tant le transport de 300 hommes est facile — ils auraient alors probablement pu s’embarquer sur ces navires corinthiens. Il faut alors considérer que les Béotiens et les Lacédémoniens s’étaient simplement donné rendez-vous dans le Péloponnèse en vertu de leur alliance pour s’embarquer suivant un plan établi de concert en territoire lacédémonien. Les différents navires ne semblent pas avoir vogué ensemble car on voit les Thespiens seuls finir leur voyage sur des navires syracusains croisés à Locres Epyzéphyrienne1013.

3) La Béotie dans la guerre de Décélie

La situation des Athéniens devint rapidement inquiétante, ceux-ci étant dans des positions compromises tant en Sicile qu’en Attique où les Lacédémoniens avaient pris pied à Décélie. En 413, n’ayant plus les moyens de supporter les coûts d’une guerre de plus en plus longue, les Athéniens furent contraints de renvoyer des mercenaires thraces non sans leur dire de s’en prendre à tous les ennemis qu’ils croiseraient sur le chemin du retour, en premier lieu les Béotiens1014. Cette flotte thrace, raccompagnée par le stratège athénien Diitréphès, passe par le canal d’Eubée et s’arrête sur le territoire de Tanagra qui est de nouveau pillé. Après avoir passé Chalcis, les Thraces débarquèrent dans la plaine de Salganeus sans se faire voir. Ils bénéficièrent probablement du fait que les populations côtières béotiennes s’étaient repliées dans les grandes cités fortifiées alors que les habitants d’Aulis ou même de Salganeus auraient pu voir arriver cette flotte qui devait compter au moins 1300 hommes. Le lendemain matin, Mykalessos fut prise et sa population massacrée, fait qui choqua Thucydide et probablement nombre de ses contemporains. Ce n’est qu’à ce moment- là que les Thébains apprirent le drame qui se déroulait à Mykalessos et y dépêchèrent en hâte leur cavalerie qui repoussa alors les Thraces vers leurs navires. La défaite d’Athènes en Sicile bouleversa la situation en Grèce où l’empire maritime athénien commençait à s’effriter. Devant la réussite des Spartiates et de leurs alliés, de nombreuses cités membres de la Ligue de Délos voulurent faire défection tandis que les Lacédémoniens comptaient eux-mêmes sur le soutien des flottes siciliennes pour vaincre Athènes1015. Les Lacédémoniens et leurs alliés en vinrent à penser que la fin de la guerre était proche et qu’il suffisait de porter l’effort de guerre sur mer pour vaincre Athènes, là où elle était la plus forte. Durant l’hiver

1013 Thuc., VII, 25. 1014 Thuc., VII, 29, 1-2. 1015 Thuc., VIII, 2, 2-4. 207

413/2, Sparte ordonne la construction d’une flotte de cent navires, attendu que chaque membre de la Ligue du Péloponnèse fournisse un certain nombre de trières ; voici comment l’effort fut réparti1016 :

Membres de la Ligue Contribution attendue Sparte 25 navires Béotie 25 navires Phocide et Locride 15 navires Corinthe 15 navires1017 Arcadie, Pellène et Sicyone 10 navires Mégare, Trézène, Epidaure et Hermionè 10 navires

Les Béotiens devant contribuer à la flotte dans les mêmes proportions que Sparte, ils constituent une puissance navale majeure du côté des Péloponnésiens même si le commandement appartient au navarque des Spartiates. Durant le même hiver, les Eubéens envoyèrent une délégation à Décélie où se trouvait le roi de Sparte Agis pour l’informer qu’ils souhaitaient des renforts lacédémoniens afin de quitter la Ligue de Délos. Peu après ce furent les Lesbiens qui demandèrent la même chose, soutenus par les Béotiens comme en 428. Agis choisit alors de soutenir en priorité Lesbos et promet d’y envoyer un harmoste avec 10 navires tandis que les Béotiens s’engagent à en fournir 10 autres1018. Les Béotiens sont ainsi engagés dans un vaste programme naval et le fait qu’ils puissent promettre 10 navires aux Lesbiens alors qu’ils devaient déjà en fournir 25 à la Ligue du Péloponnèse indiquerait qu’ils n’étaient pas dépassés par cette politique navale. Cela devait les amener à posséder une flotte d’au moins 35 navires, allant peut- être jusqu’à une cinquantaine de navires au total1019. De plus, les Béotiens avaient manifestement les moyens de financer tant la construction des navires que les soldes des matelots — estimés à 10 000 hommes1020 — car aucune alliance avec la Perse n’était encore contractée. Il aurait été ainsi

1016 Thuc., VIII, 3, 2. 1017 La contribution corinthienne est étonnamment basse compte tenu de ses capacités navales (elle avait notamment lancé 90 navires en mer en 433). Il faut probablement considérer que ces 15 navires s’additionnent à leur flotte existante, d’environ 35 navires, et que l’effort qui leur est demandé prend en compte leur importante contribution dans les opérations de Sicile (HORNBLOWER S., A Commentary on Thucydides, vol. III, p. 757). 1018 Thuc., VIII, 5, 1-2. 1019 SALMON P., « L’armée fédérale des Béotiens », p. 359. 1020 Ibid., p. 360. 208 impossible de lancer un tel programme de construction sans une précédente politique navale qui nous échappe. Cependant, en 413/2, ces 50 navires ne sont pas encore une réalité pour les Béotiens et il semble que les espérances de Sparte et de ses alliés sur mer sont rapidement déçues. Alors qu’Agis recevait des ambassades à Décélie, la cité de Sparte accueillait elle-même des délégations de Chios et d’Érythrées de Ionie qui préparaient également leur défection de la Ligue de Délos1021. Les Spartiates choisissent également de soutenir le satrape de Sardes Tissapherne qui souhaitait être à l’origine d’une alliance entre le Grand Roi et Sparte visant à débarrasser l’Asie de toute influence athénienne en échange de subsides1022. Il est alors décidé d’aider Chios en priorité afin de bénéficier de sa flotte pour lutter contre Athènes.

Le monde égéen dans la guerre du Péloponnèse1023

1021 Thuc., VIII, 5, 4. 1022 Thuc., VIII 5, 4-5 et VIII, 6, 1-3. Tissapherne était lui-même en rivalité avec le satrape Pharnabaze dans cette affaire car décrocher cette alliance aurait été une source de prestige auprès du Grand Roi. 1023 Carte libre de droit provenant de https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Map_Peloponnesian_War_431_BC-fr.svg?uselang=fr. 209

Attendu que Chios disposait de 60 navires, les Lacédémoniens comptaient y envoyer 40 vaisseaux alliés, dont dix des leurs avant de baisser leur contribution personnelle à cinq navires1024. Le projet était de faire passer les navires du golfe de Corinthe au golfe Saronique en les faisant traverser le diolkos, la voie terrestre qui lie les deux ports de Corinthe de chaque côté de l’isthme. Thucydide indique que les Péloponnésiens ne disposaient finalement que de 39 navires pour cette expédition en comptant les dix navires qu’Agis comptait envoyer à Lesbos1025. Thucydide ajoute ensuite que les Péloponnésiens devaient faire cette manœuvre sans attirer l’attention des Athéniens et que pour se faire, seule la moitié de ces navires traverserait l’isthme — il donne le nombre de 21 navires — et l’autre moitié viendrait en renfort ensuite1026. Thucydide laisse clairement entendre que ces 39 navires sont dans le golfe de Corinthe étant donné que la moitié d’entre eux doit traverser l’isthme1027. Or en reprenant les chiffres des différentes contributions, seules la Phocide, l’Arcadie, Sicyone et Pellène disposent d’un littoral exclusivement sur le golfe et elles ne représentent qu’au maximum une grosse quinzaine de navires1028. Il faut donc nécessairement considérer que Corinthe, Mégare et la Béotie, qui possédaient des ports tant sur le golfe de Corinthe que du côté de la mer Égée, firent construire leurs navires sur leur façade maritime occidentale1029. Il peut paraître surprenant qu’une flotte destinée à servir en orient fut construite à l’ouest de l’isthme mais la raison en est que les Péloponnésiens redoutaient fortement de s’engager sur mer contre Athènes. Même si Athènes avait perdu sa flotte en Sicile, ses capacités de constructions surpassaient celle des Lacédémoniens et leurs alliés alors que ceux-ci s’étaient facilité la tâche en se répartissant l’effort de guerre entre eux. Dans ce contexte, les ports béotiens d’Aulis et d’Anthédon ou de Mégare et Cenchrées pour les alliés des Béotiens se révélaient bien trop exposés à une attaque athénienne pour pouvoir accueillir les chantiers navals. C’est donc probablement à Creusis que les Béotiens firent construire leurs navires pour cette expédition. L’attitude des Péloponnésiens rassemblés à Cenchrées est d’ailleurs significative1030 :

1024 Thuc., VIII, 6, 4-5. 1025 Thuc., VIII, 7, 1. 1026 Thuc., VIII, 8, 3-4. 1027 Thuc., VIII, 8, 3 : « διαφέρειν δὲ τὸν ἰσθμὸν τὰς ἡμισείας ». 1028 En considérant que la Phocide et la Locride se soient partagées équitablement le chantier des quinze navires et que toutes les cités impliquées aient effectivement réussi à construire en un hiver ce qui leur était demandé. 1029 C’est-à-dire Léchaion pour Corinthe, Aigosthènes et Pagai pour Mégare et Chorsiai, Siphai et Creusis pour la Béotie. 1030 Thuc., VIII, 8, 3-4, traduction de Raymond Weil avec la collaboration de Jacqueline de Romilly. 210

διαφέρειν δὲ τὸν ἰσθμὸν τὰς ἡμισείας τῶν νεῶν πρῶτον, καὶ εὐθὺς ταύτας ἀποπλεῖν, ὅπως μὴ οἱ Ἀθηναῖοι πρὸς τὰς ἀφορμωμένας τὸν νοῦν μᾶλλον ἔχωσιν ἢ τὰς ὕστερον ἐπιδιαφερομένας. Καὶ γὰρ τὸν πλοῦν ταύτῃ ἐκ τοῦ προφανοῦς ἐποιοῦντο, καταφρονήσαντες τῶν Ἀθηναίων ἀδυνασίαν, ὅτι

ναυτικὸν οὐδὲν αὐτῶν πολύ πω ἐφαίνετο.

« la moitié seulement des navires serait d’abord transportée par-dessus l’isthme, et ceux-là prendraient la mer immédiatement pour que l’attention des Athéniens ne se portât pas tant sur ce départ et fût retenue par les navires qu’on devait transporter en renfort ensuite. C’est que les Péloponnésiens organisaient à découvert leur expédition dans ce secteur, taxant Athènes d’impuissance parce que nulle escadre athénienne importante ne se montrait encore ».

On y voit les Péloponnésiens agir dans la crainte d’Athènes, cherchant à partir vite et à détourner son attention, tout en tenant des discours qui, s’ils paraissent méprisants, trahissent surtout une forte appréhension à se lancer seuls dans un projet particulièrement risqué. Athènes reste la grande puissance maritime, quasiment invaincue sur mer, et c’est en secret que les Lacédémoniens et leurs alliés firent construire leur flotte comme c’est en vitesse qu’elle devait quitter Cenchrées pour Chios. Le départ est cependant différé suivant la volonté des Corinthiens qui veulent assister aux concours Isthmiques se déroulant au-même moment1031. Si les Corinthiens peuvent autant faire pression sur les Lacédémoniens, c’est probablement qu’une bonne partie de cette flotte leur appartient. Les Athéniens participent eux-mêmes à ces concours où ils comprennent ce qui se trame en raison de l’importante flotte ennemie stationnée à Cenchrées1032. Athènes envoie aussitôt un stratège à Chios dont l’assemblée accepte de fournir sept navires aux Athéniens en gage de fidélité car ignorant tout des négociations avec Sparte. Les 21 navires péloponnésiens parviennent à quitter Cenchrées poursuivis par les Athéniens qui tentent de les contraindre à la bataille. Après avoir perdu un navire, les Péloponnésiens accostent à Speiraion, à la frontière du territoire d’Épidaure où ils sont attaqués sur terre et sur mer par les Athéniens qui les bloquent ensuite sur la plage1033. Malgré l’arrivée de renforts venant de Corinthe et d’Épidaure,

1031 Thuc., VIII, 9, 1. 1032 Thuc., VIII, 10, 1. 1033 Thuc., VIII, 10-11. 211 la situation ne se libère pas pour la flotte péloponnésienne et les éphores envisagent même de renoncer à l’expédition vers Chios, celle-ci ayant été si rapidement mise en défaut. À Sparte, c’est Alcibiade qui parvient à convaincre les éphores du bien-fondé de l’opération, étant lui-même l’instigateur de toute cette politique visant à vaincre Athènes sur mer1034. Alcibiade et le spartiate Chalcideus partent alors pour l’Asie avec les cinq trières lacédémoniennes et ils parviennent à détacher l’Ionie de la Ligue de Délos. Commence alors une lutte difficile entre Sparte et Athènes pour le contrôle de l’orient égéen. La flotte des alliés était toujours coincée à Speiraion quand, tentant une sortie à l’improviste, ils l’emportent sur les Athéniens, s’emparent de quatre de leurs navires et retournent à Cenchrées où ils peuvent préparer un nouveau départ vers Chios et l’Ionie1035. Astyochos, le nouveau navarque lacédémonien partit peu après de Corinthe avec quatre navires vers l’Ionie1036 avant d’y être rejoint un peu plus tard par six navires péloponnésiens1037. Il faut probablement considérer que celui-ci partit avec les quatre navires athéniens capturés ainsi qu’avec ses propres hommes alors que les navires alliés avaient besoin d’un peu de temps pour se préparer à un nouveau départ après les mésaventures précédentes. C’est à la fin de l’été 412 qu’une flotte composée de 33 navires péloponnésiens et 22 navires siciliens rejoignit l’orient égéen1038. Si l’on ajoute à cette flotte les six navires précédemment partis vers l’Ionie, on voit que l’ensemble des navires alliés disponibles au printemps étaient désormais en orient, y compris les navires béotiens. Cette flotte était d’ailleurs amenée à passer l’hiver en Asie ce qui ne devait pas poser problème dans la mesure où les soldes des marins étaient désormais entièrement réglées par Tissapherne au nom du grand Roi1039. Au début de l’année 411, les Béotiens parviennent à s’emparer d’Oropos qui était tenue par une garnison athénienne, aidés pour cela des Oropiens et des Érétriens qui voyaient la présence d’Athènes en face de l’Eubée comme une menace1040. Les Eubéens souhaitaient toujours se débarrasser de la domination athénienne et demandaient l’intervention des Péloponnésiens. C’est au cours de l’été qu’une flotte péloponnésienne de 42 navires — dont des navires siciliens et italiens — partît de Laconie pour l’Eubée1041. Cette flotte s’arrêta à Oropos et les Athéniens dépêchèrent aussitôt une escadre vers l’Eubée. Une bataille au large d’Érétrie vit les Athéniens défaits sur mer et l’Eubée entière put rejoindre la Ligue du Péloponnèse à l’exception d’Oréos,

1034 Thuc., VIII, 12, 1-3. 1035 Thuc., VIII, 20, 1. 1036 Thuc., VIII, 23, 1. 1037 Thuc., VIII, 23, 5. 1038 Thuc., VIII, 26, 1. 1039 Thuc., VIII, 29. 1040 Thuc., VIII, 60, 1. 1041 Thuc., VIII, 91, 2. 212 toujours tenue par une garnison athénienne1042. La perte de l’Eubée fut un revers pour les Athéniens qui n’avaient alors plus de navires pour défendre le Pirée tandis que leur cité était en proie à de profonds troubles entre démocrates et oligarques. Dans l’autre sens, l’alliance avec l’Eubée devait constituer un soulagement important pour les Béotiens, alors débarrassés d’une menace directe sur leur littoral. En Orient, la situation des Péloponnésiens n’était cependant pas aisée. Le satrape Tissapherne versait les soldes sans générosité ni régularité, suivant ainsi les conseils d’Alcibiade qui cherchait à regagner les faveurs d’Athènes1043. En conséquence, les Péloponnésiens choisirent de se détourner de Tissapherne pour plutôt soutenir le satrape Pharnabaze, dans l’Hellespont1044. Byzance en profite pour faire défection de la Ligue de Délos alors qu’une petite flotte péloponnésienne dirigée par un Mégarien est envoyée pour s’en emparer1045. Celle-ci comprend probablement des Béotiens dirigés par un certain Koiratadas1046. Le fait que les Béotiens et les Mégariens soient associés dans le soulèvement de Byzance est probablement lié à leur passé commun de fondateurs de la colonie de Byzance1047. Le but serait alors de renforcer leur entrée dans la Ligue du Péloponnèse par des liens plus anciens1048. Après des mois de petites escarmouches, les flottes péloponnésiennes et athéniennes se rencontrent finalement à Cynosséma durant l’été 411. Malgré leur supériorité numérique, les Lacédémoniens et leurs alliés y sont défaits1049 et les Béotiens y perdent deux navires1050. Dans les dernières pages de son œuvre, Thucydide indique que cette victoire permit aux Athéniens de regagner espoir pour la suite du conflit1051. Au cours de l’hiver 411/10, la flotte péloponnésienne est lourdement défaite à Abydos où ils perdent trente trières1052 puis à nouveau au printemps 410, lors de la bataille de Cyzique où c’est l’essentiel de leurs navires qui disparaît1053. Les Athéniens retrouvent dès lors une suprématie incontestée sur mer et en viennent même à refuser une ouverture de paix de la part des Lacédémoniens.

1042 Thuc., VIII, 95. 1043 Thuc., VIII, 45-46. 1044 Thuc., VIII, 80, 1-2. 1045 Thuc., VIII, 80, 3. 1046 Xénophon. Helléniques, I, 3, 15, on retrouve ce Koiratadas à Byzance en 408. 1047 Constantin Porphyrogénète, De Thematibus, II, 1 : « Αὐτὸ δὲ τὸ Βυζάντιον Με- γαρέων καὶ Λακεδαιμονίων καὶ Βοιωτῶν ἐστιν ἀποικία » . 1048 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 268. 1049 Thuc., VIII, 104-106. 1050 Thuc., VIII, 106, 3. 1051 Thuc., VIII, 106, 5. 1052 Xén., Hell., I, 1, 7. 1053 Plutarque, Alcibiade, 29. 213

C’est dans ce contexte que Diodore rapporte que, peu après la bataille d’Abydos, les Eubéens craignaient des représailles athéniennes et proposèrent aux Béotiens de construire un pont sur l’Euripe pour leur permettre d’intervenir facilement sur l’île1054. Les Béotiens avaient tout intérêt à accepter pour accroître leur contrôle sur le golfe, d’autant que l’épisode de Mykalessos était récent et les deux peuples se mirent alors à la tâche. Le pont en bois ne fermait pas l’Euripe mais ne laissait le passage qu’à un navire à la fois ce qui rendait le courant encore plus puissant à ce niveau-là alors que des tours à chaque extrémité permettent de surveiller le détroit. Ce faisant, les Béotiens et Eubéens ont radicalement accru le contrôle qu’ils pouvaient avoir sur l’Euripe, renvoyant ainsi aux propos d’Éphore qui, quelques décennies plus tard, indique que par ce pont, l’Eubée peut être considérée comme faisant partie de la Béotie1055. Sur les rives de l’Hellespont, les Béotiens, comme les autres alliés de Sparte, n’avaient probablement plus de flotte après la bataille de Cyzique et ce n’est que grâce à Pharnabaze que les Péloponnésiens purent reconstruire leur flotte, celui-ci prenant en charge toutes les dépenses1056. Néanmoins, leur situation maritime reste difficile. À une date entre 411 et 403, Oropos se détache de la Béotie pour revenir à Athènes1057 et en 408, c’est toute la région du Bosphore et de l’Hellespont qui est prise par Athènes, notamment Byzance qui était en partie tenue par des forces béotiennes1058. La situation des Péloponnésiens s’améliore sensiblement à partir de 407, lorsqu’ils obtiennent le soutien personnel de Cyrus le Jeune, cadet ambitieux du Grand Roi1059. Lysandre, navarque lacédémonien, récupère alors la direction de la flotte et parvient à vaincre les Athéniens à Notion1060 probablement en 4061061. Cette défaite ne devait pas avoir de lourdes conséquences matérielles car la même année les deux flottes ennemies au complet se rencontrent aux Arginuses. La bataille fut d’une envergure inédite. Les Péloponnésiens opposaient 120 navires aux 150 d’Athènes et de ses alliés, et tous avaient conscience que les enjeux qui en découlaient seraient décisifs pour la suite du conflit. Toute l’aile gauche de la flotte péloponnésienne, comprenant les Eubéens et anciens alliés d’Athènes, était dirigée par le Béotien Thrasondas1062, qui était probablement navarque. Le combat tourna rapidement à l’avantage des Athéniens lorsque l’aile droite céda à la suite de la mort du navarque spartiate Callicratidas. L’aile gauche béotienne fut la dernière à tenir avant d’être

1054 Diodore, XIII, 47, 3-6. 1055 Strabon, IX, 2, 2. 1056 Xén., Hell., I, 1, 24-26. 1057 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 19 et p. 123-126. 1058 Xén., Hell., I, 3, 14-22. 1059 Xén., Hell., I, 4, 1-7. 1060 Xén., Hell., I, 5, 10-14. 1061 Rhodes P.J., A History of the Classical Greek World, p.149. 1062 Diod., XIII, 99, 6. 214 contrainte à une fuite difficile1063. C’est alors une terrible défaite pour les Péloponnésiens qui y perdirent probablement 77 navires dont 68 appartenant aux alliés1064. Considérant ces chiffres et le rôle primordial des Béotiens dans la bataille, leur bilan devait également être très lourd. La principale conséquence de cette défaite pour les Lacédémoniens est qu’ils refirent appel à Lysandre pour diriger la flotte car celui-ci disposait de relations privilégiées avec la Perse et notamment Cyrus le Jeune. Grâce au soutien du prince, les Péloponnésiens se dotent à nouveau d’une flotte, et partent pour l’Hellespont où se livra la bataille d’Aigos Potamoi en 405. Les Athéniens sont pris au dépourvu alors qu’ils étaient sur la plage et sont contraints de se battre sur des trières à moitié remplies avant de voir leur flotte anéantie par Lysandre1065. Un passage de Pausanias1066 indique que le navarque des Béotiens et second de la flotte péloponnésienne était un certain Érianthès et qu’il était honoré à Delphes par une offrande comprenant les statues des commandants à Aigos Potamoi. Ce témoignage est confirmé par une inscription honorifique de Delphes1067 où le navarque béotien apparaît sous l’orthographe Arianthios1068. C’est le même personnage que l’on retrouve déjà en tant que béotarque à la bataille de Délion en 4241069 où il s’était illustré et où Thucydide avait décidé qu’il était à propos de reproduire son discours précédant la bataille1070. Arianthios était donc un Thébain1071 à la tête de la politique béotienne lorsqu’il exerça la navarchie dont il tira un important prestige personnel. On voit ainsi que les enjeux maritimes dans les dernières années du conflit avaient largement supplanté les affaires terrestres si bien que les Béotiens les plus en vue préféraient probablement viser la charge de navarque que celle de béotarque. En aucun cas on ne peut voir la navarchie comme une magistrature annexe mais bien comme une charge pouvant s’accompagner des plus hauts honneurs. La bataille d’Aigos Potamoi devait sceller le sort des Athéniens dans la guerre, ceux-ci n’ayant plus les moyens de s’opposer à Sparte. Alors que les Lacédémoniens assiégeaient Athènes sur terre, Lysandre et ses deux cents navires n’eut qu’à recueillir les défections des derniers alliés d’Athènes1072 avant de bloquer tout accès au Pirée1073. Les Athéniens subissent un siège difficile

1063 Diod., XIII, 100, 1. 1064 Diod., XIII, 100, 3 et Xén., Hell., I, 6, 34. 1065 Xén., Hell., II, 1, 27-29. 1066 X, 9, 7-10. 1067 FD III, 1, 52. 1068 «Ἀριάνθιος Λυσιμαχίδαο Βοιωτῶν ναύαρχος.» 1069 Thuc., IV, 91, il y est appelé Arianthidas, soit une orthographe encore différente, mais il s’agit bien d’Arianthos comme le soutient Pierre Salmon (« L’armée fédérale des Béotiens », p. 359). 1070 Thuc., IV, 92. 1071 Plutarque, Lysandre, 15. 1072 Chalcédoine, Byzance, Lesbos, Égine et Mélos rejoignent Lysandre. Seule Samos choisit de résister aux Lacédémoniens. 1073 Xén., Hell., II, 2, 5-9. 215 pendant quelques mois avant de remettre leur sort aux Spartiates. Ceux-ci convoquent une assemblée à Sellasie où le même Arianthios souhaite qu’Athènes soit rasée1074, soutenu dans cette position par les Corinthiens et bon nombre d’autres Grecs selon Xénophon1075, mais les Spartiates refusent. Étant donné que cette assemblée a lieu en 404, il faut considérer qu’Arianthios n’est alors probablement plus navarque. Il dut rentrer en Béotie durant l’hiver 405/4 pour remettre sa charge à la manière des béotarques et se rendit à Sellasie soit avec une nouvelle charge de béotarque ou navarque, soit simplement en tant qu’ambassadeur, les Béotiens renouvelant leur confiance en un concitoyen qui s’était plus d’une fois illustré. Le refus qu’essuya Arianthios par les Spartiates peut probablement être vu comme une reproduction des rapports entre les Péloponnésiens durant la guerre. Les Lacédémoniens pouvaient demander des conseils à leurs alliés, notamment les Béotiens, les Syracusains ou les Corinthiens, mais le navarque de Sparte reste le seul maître de la flotte, et la décision finale lui revenait entièrement. Ce refus devait néanmoins constituer le début d’une rupture effective entre Sparte et Thèbes, leur alliance commune n’étant pas destinée à survivre longtemps à la fin du conflit. La Guerre du Péloponnèse apparaît comme un moteur important au développement de la marine béotienne. Non seulement l’opposition à Athènes requérait de porter l’effort de guerre sur mer mais les bouleversements propres au conflit permirent à Thèbes d’accroître son contrôle sur les institutions fédérales et sur le littoral béotien. Tous ces éléments permirent donc au Koinon de disposer d’une flotte relativement importante mais certainement insuffisante pour intervenir de façon isolée dans des théâtres d’action éloignés.

1074 Plutarque, Lysandre, 15. 1075 Hell., II, 2, 19. 216

B- La Béotie dans les conflits contre Sparte (404-379)

1) La politique béotienne au sortir de la guerre du Péloponnèse

En 404, la Grèce sort exsangue de 25 années de guerre. Athènes, plus que tout autre, voit sa situation se dégrader à l’issue du conflit. Les conditions de paix imposées par les Spartiates — plus clémentes que ce que requéraient les Béotiens et Corinthiens — se contentent d’abolir toute la puissance navale d’Athènes. La Ligue de Délos disparaît, les fortifications du Pirée ainsi que les Longs Murs sont abattus tandis qu’Athènes doit remettre l’intégralité de sa flotte aux Lacédémoniens et leurs alliés à l’exception de 12 navires1076. Si l’on en croit le discours officiel des Spartiates, ceux-ci ménagent Athènes en souvenir des services rendus à la Grèce. Cependant leur réel objectif était probablement de maintenir un contre-poids à la puissance thébaine1077 et leur politique était intégralement tournée vers l’avenir. Si cela est avéré, il faut certainement estimer que les Béotiens ne reçurent que peu de navires athéniens, les Spartiates cherchant à contenir Thèbes. L’opposition entre Sparte et ses anciens alliés transparaît déjà en 404/3, lorsque les Trente d’Athènes expulsant de la cité les démocrates, ceux-ci se réfugient d’abord au Pirée où, toujours maltraités par les tyrans, ils partent pour Mégare et pour Thèbes1078. Probablement en 402/1, Oropos fait appel aux Thébains pour mettre fin à la stasis qui divise ses citoyens1079 et elle est alors réintégrée au Koinon. En 399/8, Hérakléia Trachinienne est également touchée par une révolte et ce sont les Spartiates qui y interviennent, font exécuter 500 rebelles et en profitent pour y mettre une garnison1080. Sparte dispose alors de la thalassocratie dans le monde grec, sa flotte opérant même en Sicile1081. Fort de cette hégémonie incontestée, Agésilas souhaite porter la guerre contre la Perse en 396 et il se rend dans un premier temps à Aulis en Béotie1082. Le roi spartiate, qui entend se poser en nouvel Agamemnon, veut reproduire au sanctuaire d’Artémis Aulideia le sacrifice précédant le départ de l’ensemble de la flotte grecque vers l’Asie, comme cela avait été fait avant la guerre de Troie. Alors qu’il y sacrifie une biche, les béotarques envoient à

1076 Xén., Hell., II, 2, 20. 1077 LEVY E., La Grèce au Ve siècle, p. 118. 1078 Xén., Hell., II, 4, 1. 1079 Diod., XIV, 17, 1-3. 1080 Diod., XIV, 38. 1081 Diod., XIV, 70. 1082 Plutarque, Agésilas, 6, 6-11. 217

Aulis des cavaliers1083 interrompre la cérémonie au prétexte qu’elle ne se déroulait pas selon les usages béotiens. Agésilas ne peut que repartir à son navire, furieux contre les Béotiens. Il n’y a pas à douter que c’est sciemment que les Béotiens se montrèrent si déplaisants envers Agésilas, car en lui refusant toute référence homérique, ils lui nient également toute supériorité sur les Grecs1084. Cette insulte personnelle ne fait que s’ajouter à une longue liste de vexations dont la dernière est leur refus de suivre Agésilas en Asie1085. Les tensions entre Sparte et Thèbes étaient ainsi nombreuses et ce fût probablement sans difficulté que des dirigeants thébains se laissèrent corrompre par l’or perse en échange d’une déclaration de guerre contre Sparte1086.

2) La guerre de Corinthe

La « guerre béotienne » qui prend place en 395 est un conflit exclusivement terrestre au cours duquel Orchomène quitte le Koinon pour se rallier à Sparte et où les Béotiens parviennent à repousser les Lacédémoniens devant Haliarte. Ce conflit est néanmoins directement suivi par la guerre de Corinthe qui voit les Béotiens, les Corinthiens, les Argiens — qui ont tous reçu des subsides perses — et les Athéniens se liguer contre Sparte. On dispose notamment d’une copie du traité d’alliance entre Athènes et Thèbes1087. Celui-ci reprend les termes habituels dans le cadre d’une symmachie et parle ainsi de secours à l’autre en cas d’agression sur terre ou sur mer1088. Si ce sont des termes que l’on retrouve de façon stéréotypée dans tous les traités, on peut néanmoins réfléchir un instant sur la réalité de leur application pour les contractants. En effet, il ne paraît absolument pas malvenu de considérer que les Athéniens comptaient sur un soutien effectif sur mer de la part des Béotiens. Athènes ne s’est toujours pas relevée de sa défaite à Aigos Potamoi où elle a perdu l’ensemble de sa flotte alors même que les Béotiens y ont joué le second rôle et disposaient toujours d’une flotte non négligeable. S’ils n’ont ni l’entrainement, ni la culture de la mer de chacune des autres puissances de cette nouvelle alliance, les Béotiens devaient à ce moment- là bénéficier d’un réel prestige et d’une certaine expérience acquise au cours des quinze dernières années. Durant l’hiver 395/4, une assemblée est tenue entre eux à Corinthe où il est décidé

1083 Xén., Hell., III, 4, 4. 1084 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 30. 1085 Xén., Hell., III, 5, 5. 1086 Xén., Hell., III, 5, 1, Buck estime néanmoins qu’il s’agit d’une accusation fallacieuse de Xénophon qui cherche à décrédibiliser les Béotiens et leurs alliés (Boiotia and the Boiotian League, p. 34). 1087 IG II² 14. 1088 « ἐάν τις ἴηι ἐπὶ πολέμωι ἐπ Ἀθηναίος ἢ κατὰ γῆν ἢ κατὰ θάλατταν, […] καὶ ἐάν τις ἴηι ἐπὶ πολέμωι ἐπὶ Βοιωτὸς ἢ κατὰ γῆν ἢ κατὰ θάλατταν ». 218 d’envoyer des ambassades pour débaucher les alliés de Sparte1089. L’Eubée, Leucade, l’Acarnanie, Ambracie et les cités de Chalcidique se détournèrent alors du camp spartiate pour rejoindre les alliés mais aucune cité du Péloponnèse ne répondit à l’invitation. Une des premières mesures de la coalition fut d’envoyer 2 000 soldats en Thessalie pour aider le roi de Larissa contre le tyran de Phères1090. Cette expédition était composée d’Argiens et de Béotiens et, étant donné que les Spartiates avaient encore pour alliés les Phocidiens, les Oetéens, les Héracléens de Trachis et les Aenianes1091, il paraît difficile que cette petite armée ait pu forcer le passage par voie de terre jusqu’en Thessalie. Le plus probable est qu’ils ont directement pris la mer pour débarquer en Magnésie, voie plus sûre grâce à la scission entre Sparte et l’Eubée. Médios de Larissa put alors capturer Pharsale, y massacrant la garnison lacédémonienne. Les Béotiens et Argiens agirent ensuite de concert pour reprendre Hérakleia Trachinienne dont le contrôle fut laissé aux Argiens. Les Béotiens parvinrent ensuite à s’allier les Athamanes et les Aenianes, puis, forts de 6 000 hommes, ils vainquirent les Phocidiens sur le chemin du retour vers la Béotie1092. Si l’année 394 est marquée par les défaites alliées de Némée et de Coronée, celles-ci sont sans conséquence alors qu’en Égée a lieu la bataille de Cnide dont les répercussions sont majeures. Le satrape Pharnabaze et l’Athénien Conon, à la tête d’une flotte mercenaire financée par la Perse, y anéantissent la flotte lacédémonienne ce qui constitue un coup d’arrêt à leur thalassocratie. En effet, après avoir vaincu les Lacédémoniens, Conon et Pharnabaze font le tour des alliés de Sparte en Égée qui chassent aussitôt leurs harmostes1093 puis ils revinrent à Athènes où Conon, enrichi par le Grand Roi, finança la reconstruction des Longs Murs tandis que la cité retrouvait sa flotte1094. À partir de 393, le principal théâtre d’action de la guerre allait être l’isthme de Corinthe, avec les alliés installés à Corinthe et les Lacédémoniens à Sicyone1095. Étant donné que les Spartiates avaient perdu tout contrôle sur la mer Égée et que l’isthme était bloqué, le contrôle du golfe de Corinthe devint une nécessité pour les Lacédémoniens et leurs alliés de Grèce centrale afin que le contact entre eux puisse être maintenu, et c’est là qu’allait se dérouler la majeure partie des actions maritimes1096. Cette même année, Pharnabaze et Conon se rendirent à Corinthe où ils rencontrèrent les autres alliés et des fonds leurs furent distribués pour financer la guerre1097. Les Corinthiens font

1089 Diod., XIV, 82, 1-4. 1090 Diod., XIV, 82, 5-6. 1091 Xén., Hell., III, 5, 6. 1092 Diod., XIV, 82, 6-10. 1093 Diod., XIV, 84, 3. 1094 Xén., Hell., III, 5, 6. 1095 Xén., Hell., IV, 4, 5. 1096 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 48. 1097 Diod., XIV, 84, 5. 219 alors construire des navires amenés à opérer dans le golfe de Corinthe et ils s’imposèrent face aux Spartiates en Achaïe et autour de leur port de Léchaion1098. En 392, Corinthe fut l’objet d’un coup d’État qui permit aux démocrates appuyés par les alliés de chasser de la cité ceux qui étaient favorables à la paix. Cette action brutale entraîna une riposte des exilés qui introduisirent une troupe de Lacédémoniens dans les Longs Murs de la cité1099. Ce faisant, les Lacédémoniens isolèrent la ville du port de Léchaion. Une bataille s’ensuivit où les Lacédémoniens sortirent victorieux, Léchaion fut pris dans la foulée et la garnison béotienne qui le tenait massacrée. La présence de cette garnison ne peut être un hasard alors que Xénophon indique bien que ce sont les Corinthiens qui menaient des expéditions dans le golfe. La présence béotienne s’explique plus naturellement si l’on admet qu’ils participèrent également aux expéditions corinthiennes dans le golfe et les Béotiens auraient effectivement pu facilement y contribuer en faisant venir des navires de Creusis. Ce silence probable de Xénophon peut s’expliquer par sa tendance à omettre les actions béotiennes à moins que ce ne soient des échecs1100. Dans tous les cas, ce ne furent que des succès éphémères, car en prenant Léchaion, les Spartiates purent s’imposer dans le golfe du Corinthe1101. À partir de 392/1, la guerre se poursuivit toujours autour de Léchaion et de Corinthe. En 390, les alliés reprennent l’essentiel du territoire corinthien sauf Lechaion, toujours tenue par une garnison spartiate si bien que les communications que maintenaient les Lacédémoniens entre Sicyone et le port de Corinthe ne pouvaient se faire que par mer1102. Les Lacédémoniens semblent alors exercer une réelle supériorité navale dans le golfe de Corinthe et c’est ainsi par mer qu’Agésilas renvoie à Creusis une ambassade béotienne afin de l’empêcher de prendre contact avec les Béotiens de Corinthe1103. En 389, les Athéniens et les Béotiens entreprennent une expédition pour aider les Acarnaniens à s’emparer de Calydon que tenaient les Achéens1104. Ces derniers font alors appel aux Lacédémoniens qui envoient Agésilas au-delà du golfe de Corinthe. L’envoi de troupes en Acarnanie par les Béotiens et les Athéniens dut nécessairement se faire par mer, la voie de terre impliquant de traverser entièrement la Phocide puis l’Étolie. Si les navires étaient athéniens, cela impliquait qu’ils eussent traversé l’Isthme par le diolkos, solution peu pratique, et le plus probable est que les vaisseaux mobilisés fussent béotiens, ceux-ci pouvant facilement rejoindre Léchaion

1098 Xén., Hell., IV, 8, 10. 1099 Xén., Hell., IV, 4, 7-13. Comme Athènes, Corinthe disposait de murailles reliant la cité au port de Léchaion. 1100 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 54. 1101 Xén., Hell., IV, 8, 11. 1102 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 56. 1103 Xén., Hell., IV, 5, 10. 1104 Xén., Hell., IV, 6, 1-2. 220 d’autant que les navires athéniens avaient à faire en Égée. Il est probable que les alliés cherchaient à accroître leur contrôle sur le golfe de Corinthe par cette expédition1105. Ce sous-conflit s’acheva par une victoire d’Agésilas qui parvint à détacher l’Acarnanie de son alliance en 3881106, ce qui dut constituer un coup difficile pour les alliés. C’est néanmoins à l’est que l’issue de la guerre allait se décider. Entre 391 et 387, l’Égée fut un théâtre important dans l’opposition entre Sparte et Athènes. Grâce à leur navarque Antalcidas, les Lacédémoniens obtinrent coup sur coup le barrage de l’Hellespont, dont la libre-circulation était vitale pour Athènes, et l’alliance avec le Grand Roi qui se fit en lui cédant le contrôle des cités grecques d’Asie. Avec ces succès, la paix qui allait se conclure — négociée sans succès depuis 392 — se fit aux conditions imposées par Sparte. Les Spartiates exigèrent que toutes les cités grecques soient indépendantes et qu’elles jurent la paix individuellement, ce qui signifiait la fin du Koinon béotien. Si les Thébains résistent brièvement face à ces conditions, ils sont contraints de jurer la Paix du Roi en 386 comme toutes les autres cités béotiennes qui regagnent alors leur indépendance. Dès lors, la Confédération béotienne disparaît.

3) Les conséquences de la Paix du Roi

Le retour à l’indépendance des cités béotiennes est dramatique pour des cités comme Thèbes ou Thespies qui s’étaient accrues au détriment de leurs voisines. Thèbes perdit alors le contrôle de la majorité du littoral béotien ne lui laissant très certainement plus aucun port. Une inscription thespienne trouvée à Chostia et datant des années 395-380, comporte l’inventaire des offrandes sacrées conservées à Creusis, Chorsiai et Siphai1107. Michel Feyel propose de dater cette inscription de 386 en soutenant que cet inventaire est une conséquence de la Paix du Roi qui rendit leur indépendance à ces trois cités1108 . L’idée est séduisante à ceci près qu’il faut exclure de l’équation Creusis, qui ne semble pas avoir été indépendante un jour1109. Il est ainsi très probable que Siphai et Chorsiai gagnèrent leur indépendance en 386 alors que Creusis resta le port de Thespies. Cette dernière regagna naturellement son autonomie vis-à-vis de Thèbes, la domination de celle-ci ne reposant que sur le monopole des institutions fédérales.

1105 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 57. 1106 Xén., Hell., IV, 7, 1. 1107 ROESCH P., Inscriptions de Thespies, n° 38. 1108 FEYEL M., PLATON N., « Inventaire sacré de Thespies trouvé à Chostia (Béotie) », p. 166. 1109 ROESCH P., Thespies, p. 55. 221

Sur le canal d’Eubée, Oropos quitta la Béotie pour redevenir athénienne1110. Il est probable que Délion, de taille trop modeste et trop proche de Tanagra, n’ait pas eu les moyens de s’émanciper de cette dernière. Aulis et Anthédon accédèrent très probablement à l’indépendance, privant Thèbes de deux ports essentiels. La paix d’Antalcidas appliquée en Béotie visait ainsi principalement à rabaisser et contenir la puissance thébaine ce qu’elle fit parfaitement. Thèbes perdit tout accès à la mer tandis que l’unité maritime béotienne se trouvait alors rompue. Les cités béotiennes étaient déjà divisées pendant la guerre de Corinthe entre pro-spartiates ou pro- thébaines. Les divisions entre les différents partis ne durent que s’accroître après la disparition du Koinon car la situation des cités ne s’améliorait pas et les Spartiates pouvaient même se montrer très brutaux. Dès 382, une troupe spartiate dirigée par Phoibidas s’empare de la Cadmée et contrôle désormais la politique thébaine1111. Des harmostes lacédémoniens sont également placés à Thespies et Platées1112 tandis qu’Orchomène reste fidèle à Sparte. Ainsi, à travers l’histoire de la première Confédération béotienne transparaît à de nombreuses reprises l’histoire navale béotienne. Dans ces premières années du IVe siècle, les Béotiens s’en tiennent à une activité navale plus limitée qu’au temps de la guerre du Péloponnèse. Non seulement, les Béotiens renoncent à accompagner Sparte dans ses expéditions orientales mais lorsque les deux se retrouvent en guerre ouverte, la marine béotienne n’agit que dans le cadre très proche du golfe de Corinthe. Si cette politique connut des succès et échecs relatifs dans le cadre de la guerre de Corinthe, la situation Béotienne est désastreuse après la Paix du Roi ce qui n’est pas sans rappeler les événements succédant à la bataille d’Oinophyta. La prise de la Cadmée par Phoibidas ne constitue en aucun cas une fin de la politique maritime thébaine qui au contraire, connût un dynamisme inédit dans les années suivantes. C’est une nouvelle génération de démocrates thébains qui émerge entre les années 380 et 370, amenée à bouleverser la politique béotienne, dont le plus auguste représentant est Épaminondas.

1110 Isocrate, Le Plataïque, 20. 1111 Xén., Hell., V, 2, 25-29. 1112 Xén., Hell., V, 4, 10. 222

C- Thèbes face à la menace spartiate (379-371)

Thèbes ne retrouve son indépendance qu’en 379, lorsqu’un coup d’État expulse la garnison spartiate qui occupait la Cadmée. L’oligarchie laconophile thébaine est renversée au profit d’une démocratie avec à sa tête Pélopidas et Épaminondas. Il s’agit alors d’un tournant pour l’histoire béotienne car la région va progressivement retomber sous la domination thébaine comme c’était déjà le cas avant la Paix du Roi. Thèbes s’étant libérée de l’autorité spartiate et dès lors en guerre ouverte avec la cité lacédémonienne, les quelques années qui la séparent de la bataille de Leuctres en 371 la voient résister à des invasions successives des souverains de Sparte, développer une alliance avec Athènes et surtout œuvrer pour faire renaître une confédération béotienne dirigée par elle-même. Ce deuxième Koinon béotien — également appelé de façon maladroite Ligue Thébaine — s’agrandit progressivement tout au long des années 380. Certaines cités la rejoignent de bonne grâce tandis que d’autres sont intégrées de force à l’image de Platées, détruite en 373 et dont Thèbes récupère non seulement le territoire mais également son poids institutionnel dans le Koinon. De fait, Thèbes dispose d’une part de territoires propres plus étendus en plus d’une prédominance totale sur la Confédération1113 ce qui contraint cette dernière à aligner sa politique extérieure sur les ambitions thébaines. Thèbes est une cité proprement terrestre avec un accès à la mer limité mais avec l’unification du Koinon au niveau territorial et surtout politique — axée sur le parti démocratique thébain —, elle se trouve alors en position de développer une politique extérieure active ce qui passe par une reprise d’une activité maritime.

1) Enjeux autour du golfe de Corinthe

Lorsque Thèbes retrouve son indépendance en 379, sa situation reste critique. Elle est isolée au point qu’aucune autre cité béotienne ne semble vouloir la soutenir1114 et le coup des démocrates thébains n’a absolument pas diminué les capacités de la cité lacédémonienne. Le caractère imminant

1113 Thèbes disposant à partir de 373 du territoire de Platées, elle peut élire quatre béotarques sur sept (au lieu de deux), des bouleutes dans les mêmes proportions (4/7e) sans oublier que le régime démocratique étendu à la politique du koinon favorise grandement Thèbes car c’est chez elle qu’ont lieu les réunions de l’assemblée. 1114 Certaines comme Platées semblent même être ouvertement favorables aux Spartiates car redoutant l’indépendance thébaine. 223 de la riposte spartiate ne fait alors aucun doute. Xénophon détaille six expéditions menées par les rois de Sparte contre les Thébains entre 378 et 375 : - En 378 dirigée par Cléombrote1115. - Toujours en 378 mais dirigée par Agésilas1116. - Une en 377 dirigée par Agésilas1117. - Une en 376 dirigée par Cléombrote1118. - Une tentative par voie de mer en 3751119. - Une destinée à la Phocide entre 375 et 3711120. Dès la première expédition, Cléombrote prend Thespies pour base1121. Cette cité constituait une base de choix pour les Spartiates car d’une part elle permettait d’accéder facilement à la plaine de Thèbes, mais en plus elle comptait sur son territoire Creusis, port principal de la côte sud de la Béotie qui permettait de faire le lien avec le Péloponnèse. Les navires que pouvait contenir Creusis ont dû être capturées et mis à profit par les Lacédémoniens suivant leurs besoins. Avant de rentrer à Sparte, Cléombrote laisse un harmoste à Thespies, ce qui fait d’elle une dépendance directe du pouvoir lacédémonien. De fait, lorsque la même année, Agésilas partit pour la Béotie, il reprend la même cité pour base1122 pour les mêmes raisons. Cet axe de liaison entre Thespies et Sparte est largement utilisé par les Spartiates et on voit ainsi que toujours en 378, c’est par mer qu’est envoyé un bataillon et un polémarque1123. De la même façon, en 377, Agésilas envoie des ordres au polémarque de Thespies pour lui dire de faire garder le sommet qui domine la route du Cithéron1124, c’est-à-dire, l’extrémité béotienne de la route terrestre qui lie Sparte à Platées puis Thespies. Un tel ordre a été très probablement envoyé par mer, moyen plus rapide et plus sûr. Il faut d’ailleurs noter que les Spartiates ne transportent que rarement leurs troupes par voie de mer1125. Pour des raisons pratiques, à chacune des expéditions dont il vient d’être question, ils envoyèrent leur armée par la route de Platées, qui est plus courte et passe par l’intérieur des terres.

1115 Xénophon., Helléniques, V, 4, 14. 1116 Xén., Hell., V, 4, 35. 1117 Xén., Hell., V, 4, 47. 1118 Xén., Hell., V, 4, 59. 1119 Xén., Hell., V, 4, 63, Cette tentative est mise en échec par la flotte athénienne qui patrouille alors autour du Péloponnèse à la demande de Thèbes. 1120 Xén., Hell., VI, 1, 1. 1121 Xén., Hell., V, 4, 15. 1122 Xén., Hell., V, 4, 38. 1123 Xén., Hell., V, 4, 46. 1124 Xén., Hell., V, 4, 47. 1125 Xén., Hell., VI, 1, 1, Ils le font en 375, pour débarquer leurs troupes en Phocide contre les Béotiens, mais c’est uniquement parce qu’ils ne peuvent les faire passer par la Béotie et ces troupes semblent rester en Phocide jusqu’à la bataille de Leuctres. 224

En revanche, pour le chemin du retour, on voit qu’en 378 Cléombrote ramène ses troupes de Thespies en passant par Creusis (où elles subissent une terrible tempête), puis Aigosthènes1126. Il s’agit de la route qui relie Creusis à Corinthe, en passant par Aigosthènes et Pagai1127 et dont l’avantage est ainsi de longer la mer, ce qui permet de garder un contact constant avec le Péloponnèse et de maintenir un approvisionnement facile tout en évitant le territoire de cités pouvant se montrer hostiles. Après la bataille de Tégyres et la paix qui s’ensuit, Sparte perd toute assise en Béotie mais l’intérêt de longer les côtes du golfe de Corinthe est encore visible en 371 : Cléombrote, venant de Phocide, décide de passer par Thisbé et de suivre la côte béotienne jusqu’à arriver à Creusis1128. Il prend alors Siphai dont il décide de raser les murs avant d’accorder la même sentence à Creusis1129. De la même façon, après Leuctres, les troupes spartiates vaincues choisissent une fois de plus de rentrer par Creusis puis Aigosthènes1130, route jugée plus sûre car comme le dit Xénophon, les Spartiates ne se fiaient alors pas en la trêve conclue et ils devaient craindre de passer près de cités comme Platées ou Athènes avec une armée diminuée, ce que l’on peut également appliquer à 378. Pour renforcer leur position dans le sud de la Béotie, il est possible que les Spartiates aient fait construire différentes forteresses qui défendaient les routes menant aux ports sur le Golfe de Corinthe. Ont été trouvées au moins deux forteresses de ce type mais on peut imaginer qu’il y en avait d’autres. La première est celle de Mavrovoúni qui contrôle la route qui mène à Siphai1131, découverte en 1969, tandis que la deuxième se trouve sur la route qui mène à Thisbé et à son port naturel1132, découverte en 1970. Ainsi, jusqu’en 375, Sparte devait exercer un contrôle direct sur Creusis (par le biais de son harmoste à Thespies), sur Siphai et sur le port de Thisbé, dans la partie occidentale de la baie de Domvréna1133, soit au moins les deux tiers de la côte sud de la Béotie. Par ces éléments, l’intérêt que revêt le contrôle des côtes béotiennes est clair et il s’agit d’une problématique essentielle tant pour les Spartiates que pour les Thébains. Tant que l’une des deux cités rivales contrôle le pourtour du golfe de Corinthe, l’autre reste sous la menace d’une invasion terrestre. Ainsi, ce qui est valable pour les Spartiates au détriment des Thébains à cette époque s’applique également de façon réciproque à la décennie suivante.

1126 Xén., Hell., V, 4, 16-18. 1127 VAN DE MAELE S., « La route antique de Mégare à Thèbes par le défilé du Kandili », p.13. 1128 Xén., Hell., VI, 4, 3, Il surprend ainsi les Thébains qui s’attendaient à le voir prendre par la route passant par Coronée comme nous le dit Diodore (XV, 52, 7). 1129BUCKLER J., The Theban Hegemony, 371-362 B.C., p. 59. 1130 Xén., Hell., VI, 4, 25-26. 1131 TOMLINSON R. A., FOSSEY J. M., « Ancient Remains on Mount Mavrovouni, South Boeotia », p. 243- 263. 1132 FOSSEY J. M., « Une deuxième base d’invasion spartiate en Béotie », p. 183. 1133 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 53-54. 225

La Béotie et ses voies de communications

2) L’alliance avec Athènes

Bien que Thèbes soit redevenue une puissance indépendante, elle reste sous le coup de la menace lacédémonienne qui cherche à la vaincre. Pour cela les Spartiates tentent continuellement d’engager les Thébains dans une bataille rangée et multiplient les invasions de la Béotie. Les premières années de l’indépendance thébaine sont donc particulièrement difficiles car elle se trouve parfaitement isolée. La situation change néanmoins dès 378, lorsque Athènes décide de soutenir Thèbes à la suite du « coup de Sphodrias ». Sphodrias, harmoste de Thespies nommé par Cléombrote, tente de s’emparer du Pirée par surprise alors qu’Athènes était officiellement une alliée

226 de Sparte. Si Sphodrias échoue dans cette initiative, probablement personnelle1134, cela suffit à dresser les Athéniens contre Sparte et une alliance est faite avec les Thébains. Outre cet ennemi commun, Athènes devait avoir de la sympathie pour la jeune démocratie béotienne, d’autant que ce sont les Athéniens qui ont accueilli Pélopidas et les autres démocrates thébains en exil entre 382 et 3791135. C’est en 377, qu’Athènes, par un formidable sursaut, parvient à reformer son hégémonie sur la mer Égée en fondant la seconde confédération athénienne (ou Ligue maritime) à laquelle Thèbes participe1136. On voit, en effet, Thèbes apparaître en troisième position derrière les Athéniens et les Chiotes dans le célèbre décret d’Aristotélès1137 qu’est la charte constitutive de la Ligue maritime. L’alliance entre Thèbes et Athènes ne peut s’insérer qu’entre le coup de Sphodrias et la création de la Ligue maritime, soit dans le courant de l’année 378/7. Étant donné que le but de cette ligue est essentiellement maritime et que la plupart des cités qui en font partie sont des îles ou en tout cas des cités maritimes, il faut alors supposer que Thèbes, en rejoignant la ligue, avait non seulement l’intention mais également la possibilité de développer une politique navale1138. D’ailleurs, et c’est forcément lié, c’est en 377 que l’on voit pour la première fois au IVe siècle, l’existence formelle d’une flotte thébaine par le biais d’un épisode que rapporte Xénophon1139 :

Μάλα δὲ πιεζόμενοι οἱ Θηβαῖοι σπάνει σίτου διὰ τὸδυοῖν ἐτοῖν μὴ εἰληφέναι καρπὸν ἐκ τῆς γῆς, πέμπουσιν ἐπὶδυοῖν τριήροιν ἄνδρας εἰς Παγασὰς ἐπὶ σῖτον δέκα τάλανταδόντες. Ἀλκέτας δὲ ὁ Λακεδαιμόνιος φυλάττων Ὠρεόν, ἐνᾧ ἐκεῖνοι τὸν σῖτον συνεωνοῦντο, ἐπληρώσατο τρεῖς τριήρεις, ἐπιμεληθεὶς ὅπως μὴ ἐξαγγελθείη. ἐπεὶ δὲ ἀπήγετοὁ σῖτος, λαμβάνει ὁ Ἀλκέτας τόν τε σῖτον καὶ τὰςτριήρεις, καὶ τοὺς ἄνδρας ἐζώγρησεν οὐκ ἐλάττους ἢ τρια-κοσίους. τούτους δὲ εἶρξεν ἐν τῇ ἀκροπόλει, οὗπερ αὐτὸς ἐσκήνου. ἀκολουθοῦντος δέ τινος τῶν Ὠρειτῶν παιδός,ὡς ἔφασαν, μάλα καλοῦ τε κἀγαθοῦ, καταβαίνων ἐκ τῆς ἀκροπόλεως περὶ τοῦτον ἦν.

1134 Les motivations de Sphodrias sont incertaines : Xénophon (V, 4, 20) dit que ce sont les Thébains qui l’ont corrompu dans l’espoir justement de pousser les Athéniens à rejoindre leur camp. Diodore (XV, 29, 6) dit que l’idée vient de Cléombrote sans s’en référer aux éphores. 1135 Plutarque, Pélopidas, VI. 1136 Diodore, XV, 29, 7. 1137 IG II² 43. 1138 CARRATA THOMES F., Egemonia Beotica e potenza marittima nella politica de Epaminonda, p.15. 1139 Xén., Hell., V, 4, 56-57. 227

καταγνόντες δὲ οἱ αἰχμά-λωτοι τὴν ἀμέλειαν, καταλαμβάνουσι τὴν ἀκρόπολιν, καὶ ἡ πόλις ἀφίσταται· ὥστ’ εὐπόρως ἤδη οἱ Θηβαῖοι σῖτον παρεκομίζοντο.

« Très gênés par le manque de blé, puisqu’ils n’avaient pu, durant deux ans, récolter sur leur territoire, les Thébains envoient sur deux trières à Pagasai, pour y chercher du blé, des hommes à qui ils donnent dix talents. Le Lacédémonien Alkétas, qui gardait la place d’Oréos, pendant que les autres achetaient leur blé, fit munir trois trières de leurs équipages, en veillant à ce que la chose ne fût pas ébruitée. Et, pendant qu’on ramenait le blé, Alkétas s’en empare ainsi que des trières et des hommes qui n’étaient pas moins de trois cents : il les enferma dans l’Acropole où il avait établi lui-même sa tente. Mais il avait toujours avec lui un adolescent d’Oréos, à ce qu’on raconta, aussi noble que beau, et il descendait de l’Acropole pour être en sa compagnie. Les prisonniers, après avoir remarqué cette négligence, s’emparent de l’Acropole ; et la ville fait défection, si bien qu’il fut désormais facile aux Thébains de se faire venir du blé. »

On a ainsi la confirmation que Thèbes disposait alors d’au moins quelques navires. Ces navires devaient probablement stationner dans le port d’Anthédon, cité portuaire proche de Thèbes et dont le chantier naval était réputé1140 mais qui était indépendante depuis la Paix du Roi1141, ce qui laisse entendre que Thèbes a repris le contrôle de son territoire entre 379 et 377. La suite de l’histoire racontée par Xénophon est plus rocambolesque mais une inscription très mutilée vient confirmer dans les grandes lignes ces événements car il s’agit d’un traité conclu entre Thèbes et Histiée au début du IVe siècle1142. On ne dispose que des quatre dernières lignes du traité :

[μὲ ἐξέμεν καταλ]- ύεσθαι [τὸ]ν πόλεμον hιστιαιέ- ας χορὶς Θεβαίον, hαγεμονία-

1140 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p.38. 1141 BUCK R. J., Boiotia and the Boiotian League, p. 64. 1142 Le traité est édité dans ARAVANTINOS V., PAPAZARKADAS N., « hαγεμονία : A New Treaty from Classical Thebes », Chiron, vol. 42, 2012, p. 239-254. 228

ν δὲ ἐμὲν τõ πολέμο Θεβαίον καὶ κατὰ γᾶν καὶ κὰτ θάλατταν

Traduite ainsi1143 :

« Qu’il ne soit pas permis aux Histiéens de mettre fin à la guerre séparément des Thébains ; la conduite de la guerre appartiendra aux Thébains sur terre comme sur mer ».

Cette inscription date très probablement de 377 ou 3761144 et montre bien que les Thébains entendaient porter l’effort de guerre sur mer également, mettant certainement à profit cette alliance inégale avec Histiée. Ce traité ne devait probablement pas survivre à l’entrée d’Histiée dans la Ligue maritime en 3751145, notamment pour ce qui est de l’hagémonia thébaine, clause contraire à la politique athénienne d’alors1146. Quelle place Thèbes a-t-elle occupé dans la Ligue maritime ? Aucune selon Xénophon1147 qui explique qu’en 375 les Athéniens, minés par les frais de guerre, souhaitent la paix avec Sparte, alors que les Thébains se développent grâce à eux1148 sans contribuer en rien aux dépenses de la flotte. Bien que Thèbes ne concédât aucune victoire sur terre aux Lacédémoniens, il est en effet probable qu’elle n’ait jamais eu les moyens de s’opposer à eux sur mer : en 376, les Athéniens, menacés par la flotte spartiate, parviennent à vaincre leurs 65 navires1149 sans aucune aide thébaine à la bataille de . Le ressentiment des Athéniens quant à cet absentéisme dans la ligue1150 devait être fort d’autant que plus tôt dans l’année, les Thébains, pour empêcher un débarquement lacédémonien en Béotie, ont fait appel aux Athéniens pour patrouiller autour du Péloponnèse, ce qu’ils firent avec 60 trières1151. Les Thébains n’étaient ainsi pas en mesure de fournir une flotte suffisante pour contre-carrer une flotte spartiate et étaient contraints de se reposer sur les

1143 KNOEPFLER D., « Bulletin épigraphique », n°170, 2013, p. 472. 1144 Ibid., p. 473. 1145 Diod., XV, 30. 1146 KNOEPFLER D., « Bulletin épigraphique », n°170, 2013, p. 473. 1147 Hell., VI, 2, 1. 1148 C’est à ce moment-là que les Thébains récupèrent dans leur Koinon un certain nombre de cités béotiennes, probablement Haliarte, Tanagra, Coronée, Chéronée, Copai… mais pas Platées, Orchomène ou Thespies qui sont occupées par des garnisons spartiates. 1149 Diodore, XV, 34, 5. 1150 Qu’elle soit justifiée ou non, cette opinion a dû se diffuser parmi le demos athénien tout au long de la décennie 380, soutenue par les pacifistes, oligarques et tous ceux fondamentalement hostiles à Thèbes. 1151 Xén., Hell., V, 4, 62. 229

Athéniens. Il est toujours possible d’imaginer qu’il s’agit d’une stratégie thébaine pour exploiter les finances athéniennes au lieu des siennes mais cela aurait été risqué surtout que la menace lacédémonienne était alors grande. Thèbes n’aurait de toute façon jamais pu aligner 60 trières face à Sparte. Même avant la Paix du Roi, lorsque Thèbes disposait des moyens du Koinon entier, elle n’aurait jamais pu rivaliser sur mer avec Sparte. Thèbes a ainsi bien été contrainte de faire appel à Athènes dans cette affaire, preuve de la précarité de sa situation.

3) Le développement d’une flotte béotienne

Les choses changent néanmoins à partir des années 374-373. Après la victoire du Béotien Pélopidas à la bataille de Tégyres en 375 et de la paix qui s’ensuivit, les Thébains eurent les mains libres pour intégrer au Koinon diverses cités et leur littoral comme ce fût le cas pour Thespies, annexée entre 373 et 371. Thespies voit alors ses murs rasés et peut-être que la cité elle-même a été intégrée par synoecisme au territoire thébain1152. Si Thespies avait pu retrouver une quelconque influence sur les cités de Chorsiai et Siphai depuis la Paix du Roi, celles-ci en sont dès lors débarrassée mais seulement pour retomber aussitôt sous l’autorité thébaine. Un passage de Strabon1153 indique qu’Hyria, sur la partie sud du canal d’Eubée, appartenait autrefois à Thèbes alors qu’elle faisait partie du territoire de Tanagra du temps de Strabon. Il est très probable que c’est lors de l’expansion des Thébains en Béotie que ces derniers prirent Hyria, c’est-à-dire entre 379 et 371, le plus plausible étant qu’ils se soient appropriés ce territoire soit en même temps qu’Anthédon (379-377), soit dans cette période de paix qui suit Tégyres. En prenant Hyria, il est possible que les Thébains se soient également emparés des autres ports tanagréens jusqu’à Anthédon, c’est-à-dire Salganeus et Aulis, mais c’est plus difficile à affirmer étant donné que la position exacte d’Hyria reste inconnue, voire si elle a seulement existé aux périodes historiques. Dès lors, Thèbes, à nouveau maîtresse du Koinon, redevient une puissance qui compte dans le monde grec, une puissance capable de développer une réelle politique navale. La paix est brisée en 373 lorsqu’Athènes, par le biais de son stratège Timothée, s’immisce dans les luttes locales de Zacynthe et qu’en retour Sparte en fait de même avec Corcyre. Dans les expéditions navales qui en découlent, c’est la Ligue maritime qui est impliquée, y compris la Béotie.

1152 Xén., Hell., VI, 3, 1, rapporte qu’avant les négociations de la paix de 371, les Thespiens exposèrent auprès des Athéniens qu’on supprimait leur cité (ἀπόλιδας). Sur cette question voir SNODGRASS A., « Thespiai and the Fourth Century Climax in Boiotia », p. 9-64. 1153 IX, 2, 12. 230

Par la mention de triérarques béotiens dans un plaidoyer du pseudo-Démosthène contre Timothée1154, on a la preuve de la présence de navires béotiens dans la flotte athénienne envoyée en mer Ionienne. Le plaidoyer est prononcé dans le cadre d’un procès en 362 entre le fils du banquier Phormion qui demande à être remboursé de dettes que Timothée a contracté auprès de son père et les événements ainsi rapportés se déroulent dans l’année 373/372. Le plaidoyer rapporte que Timothée, stratège athénien stationnant avec la flotte à Calaurie, devait rentrer à Athènes pour un procès, mais craignant que les navires béotiens ne fassent défection ce qui lui serait défavorable judiciairement, il souscrit à un prêt de 1000 drachmes qu’il donna au navarque béotien afin qu’il reste en position1155. La présence d’un navarque est intéressante. Cela prouve déjà que la flotte engagée est fédérale et non pas uniquement thébaine mais confirme aussi que le nombre de trières engagées devait être suffisant pour que le Koinon élise un magistrat qui dirige l’expédition. De plus, la présence de triérarques pourrait indiquer que la Béotie entretient ses trières par une liturgie comme à Athènes ce qui serait plausible dans la mesure où le Koinon est une démocratie1156. Une inscription athénienne de 373/2 confirme également que Thèbes a fourni des navires dans la Ligue maritime mais sans dire combien ni dans quel but1157. On peut supposer qu’il s’agit de la même expédition que celle de Timothée. Enfin, il faut noter que lorsque Cléombrote dirige sa dernière expédition contre Thèbes en 371, venant de Phocide par voie de terre, il s’empare une fois de plus de Creusis dans laquelle étaient stationnées 12 trières selon Xénophon1158 tandis que Diodore, plus vague, parle de quelques trières1159. La présence d’une petite flotte béotienne dans le port de Thespies favorise l’idée que la cité a été prise par les Thébains à une date haute, plus vers 373 que 371, car si l’on admet que la flotte est partie de Creusis avant d’y revenir, il faut considérer un temps nécessaire à sa construction. De plus, il est probable que ce soient justement ces navires qui ont participé à l’expédition de Timothée, deux ans auparavant1160.

Ainsi, malgré le silence des sources sur le sujet, il est possible de reconstituer ce que devait être la politique maritime thébaine (et béotienne) entre 379 et 371. Thèbes parvient à briser son

1154 [Démosthène], Contre Timothée, 14. 1155 [Démosthène], Contre Timothée, 14, « il emprunta 1000 drachmes à Antiphanès de Lamptra, qui naviguait comme intendant de l’armateur Philippe, pour les distribuer aux triérarques béotiens et les décider à rester jusqu’au moment où le jugement aurait lieu » et 21, «il prétend que ce n’est pas à lui qu’elles ont été prêtées mais à l’amiral béotien (τῶι Βοιωτίωι ναυάρχος) ». 1156 CARRATA THOMES F., Egemonia Beotica e potenza marittima, p. 31. 1157 IG II² 1607, 49. 1158 Hell., VI, 4, 3. 1159 XV, 53, 1. 1160 CARRATA THOMES F., Egemonia Beotica e potenza marittima, p. 17. 231 isolement par son alliance avec la puissance athénienne dans le cadre de la Ligue Maritime. Bien que Thèbes dispose d’une petite flotte, elle ne semble que très peu voire nullement mise à contribution dans la Ligue alors qu’elle-même recourt à la flotte athénienne pour sa défense. Si sa participation reste ainsi limitée jusqu’en 375, elle parvient dès lors à se reconstituer un littoral maritime en élargissant son territoire par l’annexion d’autres cités (Anthédon, Creusis…) mais également en intégrant toutes les cités de Béotie au Koinon, la dernière étant Orchomène au lendemain de Leuctres. Cette politique refroidit sensiblement ses relations avec Athènes car cette dernière redoute une Thèbes trop puissante et a de plus toujours considéré comme des alliées des cités béotiennes comme Platées ou Thespies qui subissent alors violemment la domination thébaine. Néanmoins, c’est dans la deuxième moitié de la décennie que Thèbes semble le plus participer aux activités maritimes de la Seconde Confédération Athénienne en envoyant une flotte dans les expéditions en mer Ionienne de Timothée. Une raison essentielle à ce basculement est la libération de la côte sud béotienne de son influence spartiate. Ce faisant, Thèbes dispose non seulement de ports sur le Golfe de Corinthe qu’elle peut mettre à profit dans une nouvelle politique navale, mais elle se délivre également de la menace spartiate qui pouvait jusqu’alors menacer facilement la Béotie en gardant un contact par mer avec ses armées envoyées par terre. La Béotie apparaît comme une puissance navale non négligeable, tant lors de la guerre du Péloponnèse où elle dispose d’un fort commandement associé aux Spartiates, qu’au cours du IVe siècle, où elle intervient régulièrement dans le golfe de Corinthe, aux côtés des Athéniens. Si elle compte au moins une trentaine de navires au cours de la guerre du Péloponnèse — peut-être jusqu’à 50 —, elle ne semble pas avoir été capable de renouveler cette flotte dans les décennies suivantes. On voit ainsi que ce ne sont qu’une dizaine de navires qui stationnent à Creusis en 371, sur le golfe de Corinthe, et c’est probablement autant que l’on retrouve sur le canal d’Eubée à la même date. Toutes les fois où il est question de vaisseaux béotiens, il est question de trières et il n’y a donc pas à douter que la flotte béotienne devait être construite sur le modèle des autres flottes de Grèce continentale (notamment d’Athènes et de Sparte) avec la trière en navire d’excellence. Nous avons vu qu’au cours de la guerre du Péloponnèse, la fonction de navarque des Béotiens semble porteuse de prestige comme avec Arianthios qui mena les Béotiens et une moitié de la flotte Péloponnésienne au cours de la bataille d’Aigos Potamoi. On peut envisager que des efforts considérables ont été entrepris par les Béotiens pour se développer autant que possible sur mer dans ces dernières années du Ve siècle. Avec les difficultés que rencontrent les Thébains face aux Spartiates dans les premières années du IVe siècle, ils n’eurent vraisemblablement plus les moyens de mener la même politique. L’épisode du blé à Histiée en 377 montre que ce ne sont que deux trières qui sont envoyées dans une expédition où elles ont été facilement dépassées par une flotte

232 ennemie. De plus, dans le récit de cet épisode1161, Xénophon rapporte que les deux trières thébaines ne comptent que 300 hommes d’équipage alors qu’un équipage complet en compterait normalement 200 par navires entre les rameurs et l’état-major. Il est fréquent qu’au IVe siècle, les cités aient du mal à recruter des équipages et que les trières naviguent ainsi sans équipage complet. Cela ne se comprend néanmoins que dans le cas de flottes importantes et le fait que les Thébains ne parviennent pas à remplir deux trières est probablement révélateur des difficultés qu’ils rencontraient à redévelopper une politique maritime. C’est finalement avec la période de l’hégémonie thébaine qui commence en 371 que les Thébains disposent à nouveau des capacités maritimes qu’ils avaient au Ve siècle. En 371, contre toute attente, les Thébains écrasent la phalange spartiate à Leuctres. La victoire des Thébains finit du même coup d’achever l’alliance entre Athènes et Thèbes. Par sa puissance, la cité béotienne est devenue une menace pour les intérêts athéniens. Thèbes est dès lors en conflit ouvert contre Sparte et Athènes ce qui redéfinit les enjeux thébains quant à la mer. Il faut néanmoins garder en tête, que lors de cette petite décennie, Thèbes et la Béotie sont dirigées par les démocrates Thébains, et parmi eux Épaminondas, grand architecte du programme naval béotien des années à venir. Les acteurs de l’hégémonie thébaine sont ainsi sensiblement les mêmes que dans la décennie précédente et la politique maritime thébaine dû garder une certaine continuité avant et après Leuctres ; seuls les moyens ont changé.

1161 Xén., Hell., V, 4, 56-57. 233

II Hégémonie thébaine et nouvelles ambitions navales (371-338)

La bataille de Leuctres fait l’effet d’un cataclysme en Grèce. La montée en puissance de Thèbes à la tête du Koinon inquiétait les Grecs et en premier lieu les Athéniens qui se réjouissaient de l’expédition punitive de Cléombrote. À la surprise de tous, les Thébains parviennent à vaincre la redoutable phalange spartiate au-cours d’une bataille rangée. Si la nouvelle est accueillie avec froideur à Athènes, Thèbes peut désormais étendre son influence en Grèce par ses propres moyens et ainsi poursuivre sa politique navale entamée depuis 375. La victoire de Leuctres ne peut être vue comme un coup d’arrêt total à la puissance lacédémonienne. Selon Xénophon1162, les éphores décrétèrent immédiatement une nouvelle expédition contre Thèbes à laquelle tous leurs alliés acceptèrent de participer et ils armèrent une flotte pour le transport de cette armée. Thèbes est ainsi confrontée à des enjeux similaires à sa situation avant Leuctres : se protéger de Sparte en sécurisant le Golfe de Corinthe et, dans un second temps, étendre son influence dans le monde grec jusqu’à en devenir l’hégémone. Cette période de grâce pour Thèbes est souvent présentée comme connaissant son terme en 362, avec la mort d’Épaminondas à la bataille de Mantinée, ce qui fait sens. Pour notre sujet, on peut néanmoins la prolonger jusqu’en 338 avec la bataille de Chéronée qui elle seule marque une fin définitive et brutale pour la démocratie thébaine. Avant cette date, si Thèbes ne peut plus prétendre à l’hégémonie, elle reste une des grandes puissances de Grèce sans qu’il y ait de rupture profonde avec sa situation avant Mantinée. C’est donc dans ces bornes chronologiques que doit être étudiée la politique maritime des Béotiens, particulièrement active à cette période.

1162 Hell. VI, 4, 17-18. 234

A- Le développement de l’hégémonie thébaine (371-366)

1) Premières expéditions dans le Péloponnèse

Au lendemain de Leuctres, la Béotie apparaît toujours aussi vulnérable à une attaque maritime venant du Péloponnèse. Le contrôle du Golfe de Corinthe apparaît alors comme une priorité pour la démocratie thébaine. La première étape de ce projet est de faire fortifier tout le littoral sud afin de se prémunir d’une éventuelle riposte lacédémonienne d’autant que Cléombrote, dans sa dernière expédition, a fait abattre les murs de différentes cités comme Siphai et Creusis. Les Béotiens avaient également le souvenir douloureux des épisodes de la guerre du Péloponnèse où les habitants d’Aulis avaient dû quitter le littoral pour se réfugier à Thèbes et où Mykalessos fut martyrisée. Les fouilles et études de J. M. Fossey ont mis à jour plusieurs éléments de ce système défensif, notamment à Siphai et Chorsiai1163. Ainsi, à Siphai1164, les murailles ceignent la ville tout en profitant du relief abrupt des côtes béotiennes pour la protection du site. L’acropole est elle- même séparée de la ville haute par des murs intérieurs que l’on retrouve également entre la ville haute et la ville basse. Le tout est complété par au moins 6 tours de guets. À Chorsiai1165, on retrouve des éléments défensifs identiques avec une muraille protégeant le site entier mais comprenant des portions plus légères, là où le relief suffit. Ici aussi, l’acropole est séparée de la ville basse par des murs intérieurs et des tours de guets permettent tant de contrôler les entrées dans la ville que de surveiller les environs et le littoral. Les techniques de constructions de ces fortifications étant similaires, il est possible de les inclure dans un dispositif plus large, à l’échelle du Koinon. Est ainsi mis en place un réseau dense de sites fortifiés complété par des tours de guet qui protège tout le littoral sud de la Béotie, de Chorsiai jusqu’à Creusis en comprenant Chorsiai et Thisbé1166. Cette dernière occupe une position centrale dans le dispositif car elle est au croisement des voies qui mènent aux ports du sud (Chorsiai, Siphai et la baie de Domvréna), vers l’intérieur de la Béotie ainsi que la route venant du Mont Hélicon qu’avait emprunté Cléombrote avant Leuctres1167. En parallèle à ces mesures pour protéger leurs frontières, les Thébains interviennent rapidement au-delà du Golfe de Corinthe. Dès la fin de 370, Thèbes profite d’un appel à l’aide des

1163 FOSSEY J.M., GIROUX H., « Deux sites fortifiés en Béotie du sud ». 1164 Ibid., p.6. 1165 FOSSEY J.M., GIROUX H., « Deux sites fortifiés en Béotie du sud », p.7-8. 1166 COOPER Fr., « The Fortifications of Epaminondas », p. 155-191. 1167 BUCKLER J., The Theban Hegemony, 371-362 BC, p.66. 235

Arcadiens pour intervenir directement dans le Péloponnèse. Cette expédition, dirigée par Épaminondas et Pélopidas durant l’hiver 370/369, est une grande réussite. L’Élide, l’Argolide1168 et l’Arcadie, régions traditionnellement soumises à Sparte, rejoignent le camp de Thèbes1169. Pour la première fois, des forces étrangères menacent Sparte directement sur son territoire. La Laconie est pillée par les troupes d’Épaminondas qui met ensuite le siège devant Sparte sans parvenir à la prendre grâce à la défense d’Agésilas1170. Xénophon dit alors que les Thébains empruntèrent la route qui mène de Sparte à Gythéion et assiègent cette dernière pendant trois jours avec l’aide de périèques1171. Gythéion est le port principal des Spartiates en Laconie, à environ 40 kilomètres de leur ville. Si Xénophon n’en dit pas plus, Denis Knoepfler1172 a replacé dans le contexte de cette expédition une très belle stèle exposée au Museum of Fine Arts de Boston.

1168 Il est ici question d’Argos et des villes qui en dépendent directement. 1169 Diod., XV, 62, 5. 1170 Diod., XV, 65, 1-5. 1171 Hell., VI, 5, 32. 1172 Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.71 à 88. 236

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

Stèle du Museum of Fine Arts of Boston1173

Y sont ainsi visibles Héraklès étranglant les deux serpents dans le fronton, symbole typiquement thébain ; en dessous, les Dioscures faisant face à Athéna Aléa (comme l’indique clairement la mention Πολυδεύκες Κάστορ Ἀθάνα{ς} Ἀλέα) ; une trière encore en dessous et enfin une inscription mutilée :

Θεός ἔδοχε τόι δάμοι. Ἐργοτέλεος ἄρχοντος, Ἰσμεινίας ἔλεξε· Τιμέα[ν] Χειρικράτεος Λάκωνα πρό[ξε]- νον εἶμεν κὴ εὐεργέτα[ν Βοιω]- τῶν κὴ αὐτὸγ κὴ ἐκγό[νους]

1173 MFA 1987.197. 237

κὴ εἶμεν [ϝοι] γᾶς κ[ὴ ϝοικίας] ΕΓΩΝ [...... ]

« Dieu. Décidé par le peuple, Ergotéléos étant archonte, Isménias a proposé : Que Timéas, fils de Cheirikratès, de Laconie soit proxène et évergète des Béotiens, lui et ses descendants et qu’il ait le droit d’acquérir des terres et une maison… »

Il s’agit d’un décret honorifique de la Confédération Béotienne dédié à un certain Timéas fils de Cheirikratès, de Laconie, que Knoepfler identifie à un périèque par son ethnique1174. Par les divinités représentées, Knoepfler parvient également à déterminer que ce Timéas a dû faire partie de ces périèques qui se sont soulevés contre Sparte à l’approche d’Épaminondas, et qu’il a participé aux combats de Thérapné qui se sont déroulés à proximité du temple d’Athéna Aléa1175 et dans la maison des Tyndarides1176. Le décret entend ainsi rappeler ces combats qui se sont déroulés autour de sanctuaires de divinités chères aux Spartiates. Enfin, en se servant d’un passage des Stratagèmes de Polyen1177 qui dit que les Thébains s’étaient emparés de Gythéion où ils avaient placé une garnison1178, Knoepfler avance l’hypothèse que cette stèle est liée à la période où les Thébains étaient en possession de ce port comme l’indique la présence d’une trière1179. Si les Thébains contrôlaient effectivement Gythéion, il faut alors envisager la possibilité qu’ils aient cherché à en faire une cité pour tous ces périèques alliés. Comme le rapporte Emily Mackil1180, il est possible que ce Timéas soit le fils de Cheirikratès, navarque lacédémonien en charge en 3951181. Étant donné que rien ne s’oppose à ce qu’un périèque soit navarque1182, il se pourrait que le périèque Timéas vienne

1174 Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.76. 1175 Xén., Hell., VI, 5, 27. 1176 Xén., Hell., VI, 5, 31. 1177 Stratagèmes, II, 9. 1178 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.294 avance notamment l’idée que Polyen confond cet épisode de Gythéion avec un événement un peu plus tardif (avant la bataille de Mantinée) rapporté par Plutarque (Agésilas, 34, 8-11). 1179 Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.78. 1180 MACKIL E., « A Boeotian Proxeny Decree and Reliefs in the Museum of Fine Arts, Boston and Boiotian- Lakonian Relations in the 360 », p. 157-194. 1181 Helléniques d’Oxyrynchos, 19, 1. 1182 KNOEPFLER D., « Bulletin épigraphique », Revue des Études Grecques, tome 122, fascicule 2, n°160, 2009, p. 464. 238 donc d’un milieu de marins et que ses compétences aient été recherchées (et honorées) par les Béotiens. Si aucun auteur n’a jamais rapporté ce projet, c’est que l’entreprise a dû rapidement être mise en échec1183. En 369/8, Denys l’Ancien, tyran de Syracuse, envoie une expédition en soutien aux Lacédémoniens. Celle-ci débarque en Laconie1184, peut-être à Gythéion, et il apparaît alors très vraisemblable que ce port soit déjà redevenu lacédémonien1185. Il est même possible que ces renforts syracusains aidassent à la reprendre. On peut rattacher cet échec au fait que les Hilotes laconiens ne se rallièrent pas à Épaminondas1186 ce qui ne fût pas le cas en Messénie où les Béotiens se rendirent seulement quelques semaines plus tard. Accueillis en héros par les Messéniens, ils détachent tout le pays de l’emprise spartiate et refondent Messène1187, privant ainsi les Spartiates de plus de la moitié de leur territoire, et ce de façon définitive1188. Les Spartiates étaient alors dans une position critique et si les Athéniens répondirent favorablement à leur appel à l’aide, ils ne parvinrent pas à empêcher Épaminondas de rentrer en Béotie par l’Isthme1189. Cette première expédition dans le Péloponnèse concrétise l’inversion du rapport de force entre Thèbes et Sparte. C’est Thèbes qui est désormais en mesure d’envahir le territoire spartiate et Sparte qui doit chercher le soutien d’Athènes. Si Thèbes a lourdement touché tout le réseau d’alliance lacédémonien en détachant l’Élide, l’Arcadie, l’Argolide ainsi que la Messénie (et au moins la Laconie pour une part), il ne s’agit que de la partie méridionale du Péloponnèse, difficile d’accès depuis la Béotie. Corinthe est toujours une fidèle alliée de Sparte et contrôle ainsi les routes de l’Isthme qui passent également par Mégare ainsi qu’à proximité de l’Attique. La route maritime est également difficile car l’Achaïe étant indépendante, c’est tout le littoral sud du golfe de Corinthe qui ne fait pas partie de l’alliance thébaine. À l’été 369, quelques mois seulement après la fin de la première expédition, Thèbes et ses alliés armèrent une nouvelle expédition contre les Lacédémoniens1190. Une fois de plus, Épaminondas dirige l’armée béotienne et après avoir brisé la ligne défensive lacédémonienne sur l’Isthme, il parvient dans le Péloponnèse par voie de terre1191. Les Thébains font alors la jonction

1183 KNOEPFLER D., Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.79. 1184 Xén., Hell., VII, 1, 28. 1185 Cornelius Nepos, Vie d’Épaminondas, VIII, en 369 a lieu le procès d’Épaminondas qui se défend en rappelant ses hauts-faits et il ne parle que de Messène et jamais de Gythéion. 1186 Xén., Hell., VI, 5, 29. 1187 Diod., XV, 66, 1. 1188 CARLIER P., Nouvelle histoire de l'Antiquité. 3, Le IVe siècle grec jusqu'à la mort d'Alexandre, p.63. 1189 Xén., Hell., VI, 5, 51-52. 1190 Diod., XV, 68, 1, L’initiative de cette expédition revient aux Péloponnésiens et non aux Thébains. 1191 Diod., XV, 68, 2-5. 239 avec leurs alliés et le cours de l’expédition varie alors suivant les auteurs. Diodore1192 raconte qu’Épaminondas se dirigea d’abord contre Épidaure et Trézène1193 en pillant leur territoire mais sans parvenir à prendre les cités et se porta ensuite contre Sicyone et Pellène, en Achaïe, qui se rendirent d’elles-mêmes terrifiées par ce qui s’était passé en Argolide. Xénophon dit que c’est l’inverse qui s’est déroulé1194. Les Thébains attaquèrent en premier Sicyone et Pellène et font ensuite une expédition au nord de l’Argolide dont ils ravagent le territoire. Malgré cette contradiction le résultat est le même : Épidaure et Trézène sont obligées de sortir du conflit alors que Sicyone et Pellène doivent rejoindre l’alliance thébaine. À partir de là, pour Diodore comme Xénophon, les Thébains tentent de prendre Corinthe mais elle est défendue par l’Athénien Chabrias qui les repousse1195. Peu après cet échec des Béotiens, Corinthe reçoit plus de vingt trières de la part de Denys de Syracuse1196. Incapables de vaincre les mercenaires celtes et ibères de Denys, les Thébains rentrent en Béotie par voie de terre et ces mercenaires battent les Sicyoniens avant de rentrer à Syracuse par la mer1197. Le bilan de cette expédition est moins brillant que la première. Alors qu’elle visait à détacher du conflit les alliés Spartiates contrôlant toute la façade maritime nord du Péloponnèse que sont Épidaure, Sicyone et Corinthe, Thèbes n’a que partiellement atteint son but. En faisant sortir Sicyone et Épidaure de l’alliance lacédémonienne, ils affaiblissent largement Sparte en la privant de l’une des assises principales de son pouvoir. Mieux encore, en prenant Sicyone, les Béotiens disposent désormais d’une base navale de première importance sur le Golfe de Corinthe et d’un bon moyen de communication entre la Béotie et l’Arcadie1198. Une garnison thébaine garde Sicyone1199, signe de son importance. En revanche, en échouant à prendre Corinthe, les Béotiens sont privés d’une cité dont la position stratégique est essentielle pour le contrôle de l’Isthme (et donc la route terrestre liant la Béotie au Péloponnèse) ainsi que de son littoral portant sur le golfe de Corinthe et Saronique. Le débarquement des mercenaires de Denys est révélateur des faiblesses du réseau d’alliance thébain en 369 : tant que Corinthe reste dans le giron de Sparte, celle-ci peut facilement recevoir des renforts, et à moins que les Thébains ne soient dans le Péloponnèse, il est facile de s’en prendre aux gens du Péloponnèse (comme Sicyone) sans craindre une riposte thébaine. Aucun auteur ne précise si Denys de Syracuse a débarqué dans le port de Léchaion, sur

1192 XV, 69, 1. 1193 Ce sont des cités voisines d’Argos mais toujours alliées à Sparte dont le territoire contrôle une partie du littoral péloponnésien sur le golfe Saronique. 1194 Hell., VII, 1, 18. 1195 Diod., XV, 69, 2-4 et Xén., Hell., VII, 1, 19. 1196 Xén., Hell., VII, 1, 20. 1197 Xén., Hell., VII, 1, 21-22. 1198 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.98. 1199 Xén., Hell., VII, 2, 11. 240 le golfe de Corinthe, ou de Cenchrées sur le golfe Saronique. Le chemin par Léchaion est assurément le plus court et le plus habituel car il s’agit d’une route commerciale importante entre Corinthe et son ancienne colonie mais vu le contexte du moment, il ne s’agit pas de la route la plus sûre, Thèbes contrôlant non-seulement les ports au nord et au sud du golfe de Corinthe. Néanmoins, et au vu du silence des auteurs sur le sujet1200, il est possible que Thèbes n’ait pas eu les moyens de s’opposer à une vingtaine de trières ennemies dans le Golfe de Corinthe. Les 12 trières de 371 sont la seule mention d’une flotte thébaine sur cette mer sans qu’on n’ait d’information sur la présence d’une flotte béotienne dans le golfe de Corinthe après Leuctres. Denys de Syracuse est lui à la tête d’une des flottes les plus importantes du monde grec et il avait ainsi les moyens de vaincre tous les éventuels navires thébains défendant la côte sud de la Béotie. La vingtaine de navires syracusains envoyés dans le golfe de Corinthe doivent donc correspondre à une force proportionnée de façon à ne pas être gênée par les Thébains dans leurs opérations. Il est alors possible d’estimer par opposition la taille de la flotte béotienne stationnant dans le golfe de Corinthe qui, comme en 371, ne devait pas excéder la dizaine de navires1201. Néanmoins, sur les huit cités alliées de Sparte au nord du Péloponnèse1202, seules Phlionte et Corinthe ont continué la guerre aux côtés des Spartiates1203. L’expédition si elle n’a pas été une réussite totale à l’image de la première, elle est dans son ensemble un succès : Thèbes en sort renforcée et Sparte diminuée. Son contrôle accru sur le golfe de Corinthe lui permettrait d’intervenir plus facilement dans le Péloponnèse mais Thèbes apparaît également impliquée dans d’autres théâtres d’action.

2) L’essor de l’alliance thébaine

Une des conséquences principales de la bataille de Leuctres est que plusieurs régions de Grèce — qu’elles aient été indépendantes ou déjà alliées à Sparte ou Athènes — vont choisir de s’associer à Thèbes. Xénophon nous renseigne sur le sujet en disant que lors de la première expédition d’Épaminondas dans le Péloponnèse, les Béotiens « avaient avec eux les Phocidiens qui étaient maintenant leurs sujets, les gens de toutes les cités d’Eubée, ceux des deux Locrides, les

1200 Xén., Hell., VII, 1, 28, Lors de la deuxième expédition de Denys qui débarque en Laconie, Xénophon explique que la flotte a contourné le Péloponnèse. 1201 Il paraît peu probable que les Béotiens n’aient eu aucun navire sur le golfe de Corinthe étant donné l’importance extrême de la zone dans leur conflit contre Sparte. 1202 Corinthe, Épidaure, Trézène, Sicyone, Pellène, Hermione, Halia et Phlionte. 1203 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.101. 241

Acarnaniens, les gens d’Héraclée, les Maliens ainsi que des cavaliers et peltastes de Thessalie »1204. Tous ces peuples ont rejoint le camp thébain après qu’Épaminondas a décidé de ne pas prendre par la force Orchomène mais de la considérer comme alliée explique Diodore. Il rajoute que ce sont les cités de la Locride, de la Phocide et de l’Étolie qui sont devenues alliées de la Béotie. Ce sont ainsi la plupart des peuples de Grèce centrale qui rentrent très rapidement dans le réseau d’alliance thébain. Un passage de Pausanias1205 indique que Larymna — un port en Locride orientale — appartenait à Oponte mais s’est rattachée d’elle-même à Thèbes quand elle est-devenue puissante. Il faut probablement estimer que Larymna a rejoint le Koinon après Leuctres et que dans la foulée Oponte et les autres cités de Locride ont rejoint l’alliance thébaine. La Thessalie était déjà liée aux Thébains avant Leuctres car elle était dirigée par Jason de Phères, dont l’alliance avec les Thébains constituait en même temps une source de rivalité. Son assassinat en 370 a probablement constitué une opportunité permettant aux Thébains de s’immiscer dans sa sphère d’influence1206 et récupérer comme alliés tous ces peuples de Grèce Centrale1207. L’Eubée faisait jusqu’alors partie de la Confédération athénienne et elle profite également du soudain basculement des forces pour s’allier à sa voisine continentale, d’autant qu’il est possible que Thèbes ait toujours maintenu une garnison à Histiée. Diodore est le seul à parler des Étoliens alors que Xénophon cite les Acarnaniens. Néanmoins, une inscription1208 postérieure à ces événements d’une quinzaine d’années, vers 355, liste les contributions faites dans le cadre de la troisième guerre sacrée et il y est mention d’Anaktorion et Alyzeia1209, deux cités acarnaniennes alliées des Béotiens à ce moment-là. Il est très probable que ces deux cités aient été leur alliée dès 371/370, peut-être même parmi d’autres cités acarnaniennes, ce qui donnerait raison à Xénophon. Comme les cités eubéennes, Anaktorion et Alyzeia faisaient jusqu’alors partie de la Ligue maritime athénienne et leur proximité terrestre avec la Béotie devait représenter une sérieuse garantie défensive, les Thébains pouvant intervenir rapidement pour défendre les Acarnaniens en cas d’attaque athénienne par mer. La Béotie et l’Acarnanie sont néanmoins séparées par l’Étolie, ce qui implique soit de la traverser en armes, soit de passer par le golfe de Corinthe. Les Acarnaniens participant à l’expédition d’Épaminondas, les deux armées ont dû se rejoindre en Béotie avant de partir pour le Péloponnèse et il faut alors admettre que les Acarnaniens ont soit rejoint les ports

1204 Hell., VI, 5, 23 : « ἠκολούθουν δ’ αὐτοῖς καὶ Φωκεῖς ὑπήκοοι γεγενημένοικαὶ Εὐβοεῖς ἀπὸ πασῶν τῶν πόλεων καὶ Λοκροὶ ἀμφότεροι καὶ Ἀκαρνᾶνες καὶ Ἡρακλεῶται καὶ Μηλιεῖς· ἠκολούθουν δ’αὐτοῖς καὶ ἐκ Θετταλίας ἱππεῖς τε καὶ πελτασταί ». 1205 Pausanias, IX, 23, 7. 1206 La Phocide avait été pillée par Jason de Phères peu après Leuctres alors qu’il rentrait de Béotie. 1207 CARLIER P., Le IVe siècle grec, p.58. 1208 IG VII 2418. 1209 L. 8, 16 et 18. 242 du sud de la Béotie par mer, soit sont passés par l’Étolie qui devait alors également être alliée des Béotiens1210. J. Buckler, suivant le témoignage de Diodore, estime ainsi que les Étoliens faisaient partie de l’alliance thébaine depuis 3701211 mais il paraît difficile d’avoir un avis tranché sur la question. Ces alliances concernent toutes des régions relativement proches de la Béotie qui cherchent alors à s’émanciper de la domination spartiate, thessalienne ou athénienne. La diplomatie d’Épaminondas se montre conciliante envers les petites cités grecques afin de les attirer dans l’alliance thébaine comme elle le fit en premier à Orchomène qui fût intégrée honorablement dans le Koinon. Les Béotiens n’apparaissent ainsi que comme des membres communs de leur alliance mais ce sont les plus puissants et ils exercent alors leur hégémonie de facto et non de jure. Aucun béotarque n’était le tagos de l’alliance comme l’était Jason de Phères en Thessalie, et les Béotiens n’exigeaient pas de phoros de leurs alliés1212 ni qu’ils aient le même régime politique qu’eux1213. Cette souplesse envers ses alliés1214 séduisait les cités grecques ce qui affaiblissait les autres grandes puissances1215 sans que Thèbes ne dirige explicitement sa politique extérieure contre eux. Si les cités de l’Eubée ou de l’Acarnanie quittent l’alliance athénienne au profit de Thèbes, ce n’est probablement pas dû à une politique active de cette dernière pour les débaucher spécifiquement mais à une volonté plus générale de fonder une alliance avec qui le souhaite. Il en va autrement avec Carthage et la Macédoine. On dispose d’un décret fédéral1216 de proxénie accordé à un Carthaginois appelé Nôbal (ou Hannôbal ou Annibal)1217 :

[θ]εός, τύχα. [Θι]οτέ<λ>[ι]- ος ἄρχοντος ἔδοξε τοῖ δάμοι, πρόξενον εἶμεν Βοιωτῶν καὶ εὐε- ργέταν Νώβαν Ἀξι-

1210 Il est difficile d’imagine qu’une cité comme Anaktorion ait pu décider de traverser le territoire de la Confédération étolienne en armes alors qu’elles sont ennemies. 1211 BUCKLER J. The Theban Hegemony, p.190. 1212 Par leur Seconde Ligue Maritime, les Athéniens se sont efforcés de gommer toute trace de l’impérialisme brutal qui caractérisait Athènes au sein de la Ligue de Délos mais le souvenir du Ve siècle perdurait chez ses alliés. 1213 Sicyone et les cités achéennes ont ainsi pu garder leurs oligarchies. 1214 Mais pas avec les membres du Koinon qui servaient sans mot dire les ambitions thébaines. 1215 En contrepartie, la légitimité de Thèbes comme hégémone paraît plus fragile et l’expose ainsi à la rivalité de ses alliées au sein même de son système d’alliance, comme ce fût le cas avec les Arcadiens. 1216 C’est-à-dire voté par l’assemblée du Koinon béotien. 1217 IG VII 2407. 243

ούβω Καρχαδόνιον, καὶ εἶμέν <ϝ>οι γᾶς καὶ <ϝ>οικία- ς ἔ<π>πασιν καὶ ἀτέλιαν καὶ ἀσουλίαν καὶ κὰ<γ γ>ᾶ<γ> καὶ κὰτ θάλατ<τ>αν καὶ πο- λέμω καὶ <ἰ>ρά<να>ς ἰ<ώ>σας. [β]οιωταρχιόντων̣ Τίμ<ων>[ο]- ς,̣ Αἰτών<δ>αο, Θ̣ίωνος, <Μ>έ[ν]- <ω>νος, Ἱππί<α>ο, <Ε>ὐμαρί[δ]αο, Πά̣<τ>ρ<ω>νος.

« Dieu et bonne fortune. Diotélès étant archonte, le peuple a résolu : Annôbal, fils d’Azroubal (= Asdrubal), Carthaginois, sera proxène et évergète des Béotiens, avec droit de posséder des terres et une maison, exemption d’impôts, droit d’asylie sur terre et sur mer, en paix et en guerre. Béotarques : Timôn, Daitôndas, Thiôn1218, Mélôn, Hippias, Eumaridas, Patrôn »1219.

Il a longtemps été faussement daté en 3651220, en le plaçant dans le contexte du programme naval d’Épaminondas, mais la restitution du nom du béotarque -Θ̣ίωνος en un génitif du béotarque Ergotélios permit de revoir la date à 3691221. Un rapprochement entre Thèbes et Carthage en 369 traduit une politique résolument anti-lacédémonienne de la part des Béotiens. Syracuse, alliée de longue date des Lacédémoniens, a d’autre part Carthage pour grande rivale pour le contrôle de la Sicile1222. C’est cette même année que Denys l’Ancien intervient par deux fois en Grèce en soutien

1218 Il s’agit donc en réalité d’un Ergotélios, voir paragraphe suivant. 1219 Traduction de GLOTZ G. « Un carthaginois à Thèbes en 365 avant J.C », p. 332. 1220 GLOTZ G. « Un carthaginois à Thèbes en 365 avant J.C », p. 331 ou ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p. 45-60 ont retenu cette date de 365 car le décret ne peut dater que d’une année ou Épaminondas et Pélopidas n’étaient pas béotarques ce qui limite les possibilités à quelques années. 1221 KNOEPFLER D., Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.85. 1222 Denys était encore en guerre contre Carthage entre 383 et 378. 244 aux Spartiates1223 et Thèbes avait alors tout intérêt à se rapprocher de Carthage pour entraver la toute puissante Syracuse. Les Béotiens semblent ainsi avoir les moyens de mener une politique à cheval sur l’espace égéen et la Méditerranée centrale, ce qui est inédit pour eux. Ce sont alors deux blocs d’alliance qui se créent entre l’Orient et l’Occident. Toujours en 369, les Athéniens prennent Oropos aux Béotiens1224 comme le montre un décret de l’Amphiareion1225 et l’année suivante (368/7), un traité fonde une alliance défensive entre Athènes et Syracuse1226. C’est le même Athénien qui est à l’origine du traité et de la prise d’Oropos ce qui montre que ces deux actions s’inscrivent dans la même ligne politique anti-thébaine1227. Le conflit entre Carthage et Syracuse reprend dès 368 lorsque Denys l’Ancien cherche à prendre divers territoires siciliens appartenant à Carthage. Alors qu’il pensait en sortir facilement victorieux en profitant de la destruction par incendie des arsenaux et de la flotte de Carthage, il est surpris par 200 trières puniques dans le port d’Éryx où il est défait. La mauvaise saison interrompît les combats et Denys de Syracuse mourût de maladie au cours de cette trêve hivernale1228 ce qui mit un terme au conflit. Les Thessaliens étant menacés par les tyrans de Phères, Pélopidas intervient à plusieurs reprises en Thessalie et parvient d’autre part à repousser les Macédoniens qui étaient à Larissa. Il en découle deux traités d’alliance entre la Béotie et la Macédoine en 369 et 368, à chaque fois accompagnés d’otages1229. La Macédoine est ainsi intégrée de force au réseau d’alliance béotien. Il s’agit d’une atteinte supplémentaire à la thalassocratie athénienne car la Macédoine est une grande exportatrice de bois, ressource nécessaire à la flotte athénienne et dont les livraisons sont alors interrompues1230.

3) La Paix de Suse et ses conséquences

En 368, après quatre années de guerre continue entre Thèbes, Sparte et leurs alliés respectifs, le roi achéménide Artaxerxès II chercha à imposer une paix similaire à celles de 371 et 386. Il envoya pour cela Philiscos qui réunit les différents belligérants à Delphes pour conclure la

1223 Xén., Hell., VII, 1, 20 et VII, 1, 28. 1224 KNOEPFLER D., Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.86. 1225 PETRAKOS, Epigraphes tou Oropou¸ 290. 1226 IG II² 105, mais IG II² 103 est également un décret athénien honorant Denys de Syracuse quelques semaines avant. 1227 KNOEPFLER D., Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de l’Antiquité, p.86. 1228 Diod., XV, 73, 1-5. 1229 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p. 53. 1230 Ibid, p. 57. 245 paix. Celle-ci devait rendre la Messénie aux Lacédémoniens ce que les Thébains refusèrent immédiatement faisant échouer les pourparlers. Philiscos arma 2 000 mercenaires qu’il laissa à Sparte pour lutter contre les Thébains mais leur solde était réglée par le satrape Ariobarzanès et non pas le souverain achéménide1231. Le Grand Roi, qui soupçonnait Ariobarzanès de révolte, se méfiait en conséquence de Sparte car il redoutait une action commune des deux à l’image de l’expédition de Cyrus II le jeune. Les Thébains profitent de cette situation pour envoyer Pélopidas à Suse, rapidement rejoint par des émissaires des autres cités grecques, alliées comme ennemies, si bien que c’est un congrès qui se tint auprès du Grand Roi1232 en 367. Au-delà de la méfiance d’Artaxerxès pour Sparte et Athènes, Pélopidas gagne la confiance du souverain achéménide en soutenant que Thèbes n’a jamais lutté contre la Perse mais a combattu pour elle à Platées1233. En ajoutant que Thèbes a vaincu Sparte en bataille rangée, a ravagé la Laconie et n’a jamais connu la défaite depuis1234, Pélopidas défend que Thèbes, contrairement à Sparte, représente une alliée fiable pour les Achéménides tout en étant capable de faire respecter une nouvelle paix en Grèce. Ayant acquis le Grand Roi à sa cause, Pélopidas fait écrire dans le traité que la Messénie garde son autonomie et que les Athéniens mettent leurs vaisseaux à sec1235. J. Buckler1236 soutient que cette dernière exigence est une disposition classique de démobilisation que l’on retrouvait déjà dans les clauses de la paix de 3711237. Cependant cette clause de 371 avait un caractère bien plus général qu’en 367 et concernait tous les belligérants (τά τε στρατόπεδα διαλύειν καὶ τὰ ναυτικὰ καὶ τὰ πεζικά /« les troupes en campagne, sur terre comme sur mer, étaient licenciées ») alors que celle de Suse est directement dirigée contre Athènes. D’ailleurs, seul Léon d’Athènes proteste ouvertement contre la tournure du texte1238, allant même jusqu’à laisser entendre qu’Ariobarzanès constituerait un bien meilleur allié que le Grand Roi pour les Athéniens1239. Alors qu’Artaxerxès paraît s’étonner de cette réaction athénienne et modifie le traité en conséquence1240, celle-ci semble pourtant parfaitement à propos. Il est inconcevable que les Athéniens acceptent de renoncer à leur flotte dont dépend leur

1231 Diod. XV, 70, 2 et Xén., Hell., 7, 1, 27. 1232 Xén., Hell., VII, 1, 33. 1233 Xén., Hell., VII, 1, 34, cet argument audacieux a peut-être été rajouté par Xénophon afin de discréditer les Thébains. 1234 Xén., Hell., VII, 1, 35. 1235 Xén., Hell., VII, 1, 36. 1236 The Theban Hegemony, p. 155. 1237 Xén., Hell., VI, 3, 18. 1238 Xén., Hell., VII, 1, 37. 1239 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p. 157. 1240 Xén., Hell., VII, 1, 37, Le Grand Roi ne fait qu’inviter les Athéniens à proposer des conditions plus justes, sans conséquences réelles. 246 puissance. La proposition thébaine est une provocation envers les Athéniens et on ne peut exclure que Pélopidas ait délibérément cherché à déclencher une guerre maritime contre Athènes alors que Thèbes est à ce moment-là au sommet de sa puissance. Pourtant, une fois le congrès terminé et les ambassadeurs rentrés dans leurs cités, Thèbes échoue à faire appliquer le traité. Les Thébains envoient d’abord à Corinthe des émissaires pour la faire jurer de respecter le traité ce qui la ferait, de fait, quitter le camp athénien qui a rejeté la paix, or les Corinthiens refusèrent toute alliance avec le Grand Roi. Suivant l’exemple de Corinthe, de nombreuses cités s’abstiennent de prêter serment sapant ainsi l’autorité thébaine1241. Néanmoins, Thèbes dispose désormais d’un puissant allié en la personne du Grand Roi ce qui permit à Thèbes de bénéficier des subsides achéménides au détriment de Sparte excluant celle-ci de toute ambition navale. Épaminondas a alors enfin les moyens de lancer son programme naval : développer une flotte pour abattre l’empire maritime athénien. En 366, après un refroidissement des relations entre Thèbes et l’Arcadie1242, Épaminondas lance une nouvelle expédition dans le Péloponnèse1243 dans le but de réaffirmer l’autorité thébaine sur ses alliés contraints de s’aligner sur son commandement. C’est l’Achaïe qui est visée par Épaminondas afin de priver la Ligue du Péloponnèse d’un nouveau membre au profit de l’Alliance thébaine mais également pour disposer d’un accès maritime direct vers l’Élide. En effet, l’Arcadie, qui se présente de plus en plus comme une rivale de Thèbes sans mettre en défaut leur alliance, est également en conflit avec Élis à propos de quelques territoires1244. Thèbes soutenant Élis, en cas de conflit ouvert avec l’Arcadie, les Béotiens pourront ainsi débarquer directement en Achaïe pour venir en aide aux Éléens1245. Épaminondas repasse par l’Isthme, puis par Némée et rejoint ensuite la côte achaïenne à Rhion, qui n’est qu’à trois kilomètres de l’Étolie. C’est de là qu’il a probablement envoyé des troupes par mer au-delà du détroit afin de prendre les cités de Naupacte et Calydon qui se rendirent aux Thébains1246. En même temps, Épaminondas continua à longer la côte vers l’ouest jusqu’à prendre Dymè. À la suite d’une rencontre avec une délégation achéenne, Épaminondas accepte de rentrer en Béotie et de laisser une oligarchie diriger l’Achaïe en échange de leur intégration dans l’alliance thébaine. Toujours en 366/365, d’autres événements viennent bousculer les équilibres en Grèce :

1241 Xén., Hell., VII, 1, 40. 1242 Par l’action de Lycomède, l’Arcadie, mue par un vif élan patriotique, se mît à rivaliser avec Thèbes au sein de l’alliance. Elle est néanmoins lésée par la paix de Suse au profit de leurs voisins éléens et refuse de jurer la paix. Les Arcadiens vont jusqu’à nier aux Béotiens leur prédominance dans l’alliance. 1243 Xén., Hell., VII, 2, 39-41. 1244 La Triphylie a été arrachée par les Spartiates aux Éléens en 397 et reconquise par les Arcadiens. Les Éléens la revendiquent en conséquence à leurs « alliés ». 1245 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.186. 1246 Diod., XV, 75, 2. 247

- D’une part, Thémésion, tyran d’Érétrie s’empare d’Oropos qui était jusqu’alors une possession athénienne. Les Athéniens lancent immédiatement une expédition contre Thémésion, soutenu par les Thébains et ces derniers en profitent pour récupérer pour eux Oropos sans jamais la restituer à Thémésion1247. - Pendant ce temps-là, ce sont les Éléens qui parviennent à s’emparer de la Triphylie1248 et les Thébains ignorèrent l’ambassade arcadienne qui en demandait la restitution. Abandonnés diplomatiquement, les Arcadiens font alors une alliance avec Athènes et déclarent la guerre aux Éléens. - Enfin, Corinthe, épuisée par tant d’années de guerre et menacée d’une occupation athénienne, choisit de quitter le conflit en acceptant la paix thébaine1249. Accompagnés de Phlionte, ils ne jurent cependant que la paix et refusent de rentrer dans l’alliance béotienne par fidélité envers Sparte. C’est néanmoins une victoire diplomatique pour les Thébains qui voient sortir du conflit une cité ayant une position privilégiée sur le golfe de Corinthe. Par cette dernière expédition, le golfe de Corinthe est dans sa plus grande part une possession de Thèbes et de ses alliés tout comme l’est le canal d’Eubée. La Béotie dispose d’un contrôle complet de son littoral qui n’est bordé que de pays alliés. F. Carrata-Thomes comprend cette expédition contre l’Achaïe comme une promesse d’un effort maritime plus large au service d’une hégémonie sur le monde grec1250 tandis que J. Buckler1251 refuse de voir la troisième expédition d’Épaminondas comme étant liée à son programme naval qu’il mit en place au même moment, estimant que la prise de Naupacte et les tentatives thébaines pour détacher Corinthe de son alliance ne sont que des coïncidences et soutenant que le programme naval était résolument tourné vers l’Égée. Pourtant, il paraît difficile de dissocier totalement le golfe de Corinthe des golfes Euboïques dans les conflits qui opposent Thèbes à Athènes. Déjà en 424, dans la campagne qui mena à la bataille de Délion, les Athéniens avaient prévu d’envahir la Béotie par Siphai et Délion avec l’aide de Mégare, Naupacte ou des cités Acarnaniennes1252. Un projet similaire est facilement envisageable dans les années 360 dans la mesure où Athènes est alliée à Corinthe, Sparte mais également à Syracuse qui a déjà débarqué par deux fois des troupes en Grèce1253. Considérant tous ces éléments, la sécurisation totale du golfe de Corinthe constitue un enjeu primordial dans la politique extérieure béotienne. Un passage de Strabon citant Éphore de Cumes présente la Béotie

1247 Diod., XV, 76, 1. 1248 Diod., XV, 77, 1. 1249 Xén., Hell., VII, 4, 4-11. 1250 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica e potenza marittima nella politica de Epaminonda, p. 22. 1251 The Theban Hegemony, p.189. 1252 Thucydide, IV, 76, 1-4. 1253 Xén., Hell., VII, 1, 20 et VII, 1, 28. 248 comme étant prédisposée à l’hégémonie grâce à la qualité de ses terres mais également car elle est baignée de trois mers (καὶ ὅτι μόνη τριθάλαττός ἐστι)1254. Or Éphore, historien de la deuxième moitié du IVe siècle, fut justement un témoin de l’hégémonie thébaine. La description qu’il fait de la Béotie n’est pas anodine et doit forcément être liée à cet épisode de sa jeunesse. Son témoignage a d’autant plus de valeur qu’un passage de Polybe1255 loue la pertinence d’Éphore pour ce qui est relatif aux combats sur mer, si bien qu’il serait irrecevable de considérer l’ascendance thébaine comme reposant uniquement sur des fondements terrestres. Les trois golfes béotiens devaient connaître d’intenses échanges de part et d’autre car ils sont au cœur du réseau d’alliance thébain.

Alors que la situation thébaine avant Leuctres était critique, la période 371-366 constitue une inversion radicale des rapports de force. Thèbes se trouve en position de force et peut désormais aspirer à l’hégémonie de la Grèce. Si les premières années de cette hégémonie thébaine ne sont pas marquées par une politique navale extensive, la Béotie développe un solide réseau d’alliance à travers le Péloponnèse, la Grèce-Centrale et la Grèce du Nord ce qui modifie en profondeur la géopolitique du moment : - Sparte ne peut plus rivaliser sur terre avec Thèbes et n’a probablement plus aucun moyen d’envoyer des trières en mer. - Le golfe de Corinthe et le golfe Euboïque (notamment dans sa partie nord) sont dans leur plus large partie des mers intérieures béotiennes. - Entre Carthage, la Béotie et ses alliés et d’autre part Athènes, Sparte et Syracuse, ce sont deux réseaux d’alliance antinomiques en conflit ouvert en Grèce et en Sicile. - Par ses liens avec l’Acarnanie, l’Eubée et la Macédoine, la Béotie retire des membres importants de la Ligue Maritime d’Athènes tout en disposant à son profit de régions littorales propices au développement d’une flotte. - L’alliance entre la Perse et Thèbes apporte à cette dernière les moyens pour financer une réelle politique navale. En étendant sa zone d’influence à des régions de plus en plus éloignées de la Béotie, Thèbes est rapidement incitée à développer une politique agressive sur mer en raison de ses prétentions hégémoniques. Épaminondas n’a jamais négligé la chose maritime dans sa politique extérieure qui peut être vue comme l’un des fils conducteurs de son action en Grèce. Par une relation circulaire de cause à effet, la politique maritime béotienne apparaît tant comme une cause qu’une conséquence de l’opposition graduelle entre Thèbes et Athènes. Au-delà de ses visées

1254 Strabon, IX, 2, 2. 1255 XII, 25, l. 249 hégémoniques, chaque fois que Thèbes développe son contrôle maritime — notamment pour protéger son littoral contre Athènes — elle empiète sur la zone d’influence athénienne ce qui accroît les rivalités entre les deux puissances. Dans un tel contexte, un conflit naval direct entre les deux cités paraît inévitable.

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B- Le programme naval d’Épaminondas (366-362)

Après s’être attachés à sécuriser tout le littoral béotien, Épaminondas et Pélopidas disposent des moyens de développer leur propre marine de guerre à partir de 367. Pour la première fois de son histoire, la Béotie peut aspirer à une hégémonie maritime. Il s’agit d’un aspect fondamental de la politique thébaine et qui a pourtant souvent été négligé. La raison incombe d’abord aux sources. Si Diodore de Sicile et Xénophon sont les deux historiens les plus utiles pour étudier l’hégémonie thébaine, seul Diodore aborde concrètement le programme naval d’Épaminondas et brièvement qui plus est, le temps de deux paragraphes1256. Xénophon n’en parle absolument pas, probablement par désintérêt des affaires maritimes mais aussi par hostilité envers les Béotiens. Néanmoins, d’autres sources permettent d’aborder cet événement comme des inscriptions, des passages de l’œuvre de Justin, ou des discours d’Isocrate et d’Eschine. L’historiographie moderne a elle-même eu tendance à négliger cet aspect des choses, mésestimant probablement les capacités béotiennes à développer une politique navale. L’article de Gustave Glotz sur cet aspect de l’hégémonie thébaine1257 a poussé de nombreux historiens1258 à sa suite à s’intéresser à ces dernières années du gouvernement d’Épaminondas. Le résultat est que nous disposons aujourd’hui d’une historiographie renouvelée tant sur l’hégémonie thébaine que sur la géopolitique égéenne dans les années 360. En effet, en développant sa marine de guerre, la Béotie ne fait qu’accroître les tensions qui l’opposaient à Athènes depuis Leuctres (voire depuis la prise de Platées en 373). La rivalité grandissante sur mer entre les deux grandes puissances ne pouvait que conduire à un conflit ou au moins à un profond bouleversement des rapports de force en Égée.

1) Conditions préalables

Voici ce que dit Diodore de Sicile sur le programme naval d’Épaminondas dans un passage de son livre XIII1259 :

1256 XV, 78, 4 et 79, 1-2. 1257 GLOTZ G., « Un carthaginois à Thèbes en 365 avant J.C », p. 331-339. 1258 Comme Paul Roesch, Franco Carrata-Thomes ou Denis Knoepfler, entre autres. 1259 XIII, 78, 4 et 79,1-2. 251

Ἅμα δὲ τούτοις πραττομένοις Ἐπαμεινώνδας ὁ Θηβαῖος, μέγιστον ἔχων τῶν πολιτῶν ἀξίωμα, συναχθείσης ἐκκλησίας διελέχθη τοῖς πολίταις, προτρεπόμενος αὐτοὺς ἀντέχεσθαι τῆς κατὰ θάλατταν ἡγεμονίας. διελθὼν δὲ λόγον ἐκ χρόνου πεφροντισμένον ἐδείκνυε τὴν ἐπιβολὴν ταύτην συμφέρουσάν τε καὶ δυνατήν, τά τε ἄλλα προφερόμενος καὶ διότι τοῖς πεζῇ κρατοῦσι ῥᾴδιόν ἐστι περιποιήσασθαι τὴν τῆς θαλάττης ἀρχήν· καὶ γὰρ Ἀθηναίους ἐν τῷ πρὸς Ξέρξην πολέμῳ διακοσίας ναῦς ἰδίᾳ πληροῦντας

Λακεδαιμονίοις δέκα ναῦς παρεχομέ νοις ὑποτετάχθαι. πολλὰ δὲ καὶ ἄλλα πρὸς ταύ-την τὴν ὑπόθεσιν οἰκείως διαλεχθεὶς ἔπεισε τοὺςΘηβαίους ἀντέχεσθαι τῆς κατὰ θάλατταν ἀρχῆς. εὐθὺς οὖν ὁ δῆμος ἐψηφίσατο τριήρεις μὲν ἑκατὸν ναυπηγεῖσθαι, νεώρια δὲ ταύταις ἴσα τὸν ἀριθμόν, Ῥοδίους δὲ καὶ Χίους καὶ Βυζαντίους προτρέπεσθαι βοηθῆσαι ταῖς ἐπιβολαῖς. αὐτὸς δὲ μετὰ δυνάμεως

ἐκπεμφθεὶς ἐπὶ τὰς εἰρημένας πόλεις Λάχητα μὲν τὸν Ἀθηναίων στρατηγόν, ἔχοντα στόλον ἀξιόλογον καὶ διακωλύειν τοὺς Θηβαίους ἀπεσταλμένον,

καταπληξάμενος καὶ ἀποπλεῦσαι συναναγκάσας, ἰδίας τὰς πόλεις τοῖς Θηβαίοις ἐποίησεν. εἰ μὲν οὖν ὁ ἀνὴρ οὗτος πλείω χρόνον ἐπέζησεν, ὡμολογημένως ἂν οἱ Θηβαῖοι τῇ κατὰ γῆν ἡγεμονίᾳ καὶ τὴν τῆς θαλάττης ἀρχὴν προσεκτήσαντο· ἐπεὶ δὲ μετ’ ὀλίγονχρόνον ἐν τῇ περὶ τὴν Μαντίνειαν

μάχῃ λαμπρο τάτην τὴν νίκην τῇ πατρίδι περιποιήσας ἡρωικῶςἐτελεύτησεν,

εὐθέως καὶ τὰ τῶν Θηβαίων πράγματατῇ τούτου τελευτῇ συναπέθανεν.

Pendant ces événements, le Thébain Épaminondas, qui jouissait d’un très grand prestige auprès de ses concitoyens, les convoqua en assemblée et prononça devant eux un discours qui les exhortait à tout faire pour établir leur hégémonie sur mer. Au cours de cette harangue qu’il méditait depuis longtemps, il s’efforça de montrer que cette entreprise était à la fois utile et possible ; il allégua en particulier qu’il est facile d’acquérir la maîtrise de la mer quand on est la plus grande puissance terrestre : lors de la guerre contre Xerxès, par exemple, les Athéniens qui alignaient à eux seuls deux cents navires étaient placés sous le commandement des Lacédémoniens qui n’en fournissaient que dix. Il développa beaucoup d’autres

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arguments en faveur de sa thèse et persuada les Thébains de tout faire pour obtenir la maîtrise de la mer. Aussitôt, le peuple décida par un vote de construire cent trières et un même nombre de loges pour vaisseaux et d’engager Rhodes, Chios et Byzance à l’aider à réaliser ses dessins. Épaminondas fut lui-même envoyé avec des forces armées auprès des cités nommées plus haut, tandis que le stratège athénien Lachès, à la tête d’une escadre considérable, avait pour mission d’empêcher les Thébains d’agir. Épaminondas le frappa de terreur, l’obligea à quitter les lieux et acquit les cités à Thèbes. Si ce grand homme avait vécu plus longtemps, les Thébains, de l’avis de tous, auraient acquis, en plus de l’hégémonie sur terre, la maîtrise de la mer. Et quand, peu après, il mourut héroïquement en donnant à sa patrie l’éclatante victoire de Mantinée, aussitôt la grandeur de Thèbes périt avec lui.

Ce passage constitue notre source principale concernant cet épisode de l’histoire béotienne qui commence donc en 365 par une proposition devant l’assemblée pour que soit lancée la construction de 100 trières1260. Il s’agit d’une flotte importante mais qui reste largement inférieure aux capacités navales d’Athènes qui dispose d’une flotte au moins deux fois plus importante. Pourtant, la Béotie n’aurait jamais pu financer seule ces 100 trières. Il est difficile d’évaluer le prix d’une trière mais à partir de l’exemple athénien de la loi de Thémistocle1261 on peut estimer que le prix d’une trière était d’un talent, 200 talents ayant été utilisés pour construire 200 navires1262. Les inventaires navals d’Athènes1263 de la fin du IVe siècle laissent supposer que les trières avaient une durée de vie de vingt ans1264 alors que l’entretien annuel devait couter entre 40 et 60 mines (soit un talent) sans qu’il y ait de mention de dégâts liés aux combats1265. La solde des marins devait être encore plus élevée que les frais de construction et devait être de l’ordre d’un talent par mois pour une trière en mer1266. Cela donne 100 talents par mois pour une flotte de 100 trières sachant qu’une campagne sur mer dure généralement 6 mois et peut s’étendre jusqu’à 8 mois. C’est une somme que jamais la Béotie n’aurait pu supporter seule comme la très grande majorité des cités grecques

1260 Diod., XV, 79, 1. 1261 SEG 18 153, fameuse stèle du IIIe siècle provenant de Trézène et reproduisant un original athénien du IVe siècle. Il ne s’agit pas du décret original datant de 480 mais d’une réécriture à la gloire de Thémistocle ce qui appelle à la prudence dans son étude. 1262 CORVISIER J., Les Grecs et la Mer, p. 152 mais voir aussi LABARBE J., La Loi navale de Thémistocle, p. 21 -51. 1263 C’est-à-dire les inscriptions IG II² 1604-1632 qui datent de 378 à 323 environ. 1264 CORVISIER J., Les Grecs et la Mer, p. 153. 1265 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p. 161. 1266 CORVISIER J., Les Grecs et la Mer, p. 154. 253 et c’est de l’Empire achéménide que vint, une fois de plus, l’aide financière nécessaire à la construction d’une flotte. Pélopidas revient en effet de Suse avec le soutien d’Artaxerxès qui permit à la Béotie de se doter d’une flotte de guerre. J. Buckler1267 soutient que l’idée d’une telle flotte devait venir du Grand Roi et non des Thébains car les Béotiens étaient à ce moment-là trop préoccupés par les affaires du Péloponnèse et que l’envoi de Philiscos auprès des Spartiates montre qu’une alliance entre la Perse et Lacédémone était encore à redouter jusqu’à la conférence de Suse.1268 Le premier argument concernant le Péloponnèse ne tient plus si l’on considère que les expéditions dans le Péloponnèse ne négligeaient pas les questions maritimes. La politique d’expansion thébaine s’étant également faite au détriment d’Athènes1269, Épaminondas devait savoir que le conflit se porterait tôt ou tard contre Athènes et que pour la vaincre, il faudrait lutter également sur mer1270. La prise de Gythéion, Sicyone ou Naupacte doivent être vues autant comme des entreprises affaiblissant Sparte et ses alliés que comme des façons de se renforcer sur mer. De plus, ce sont les Thébains qui allèrent au Grand Roi et non l’inverse si bien que l’on ne peut affirmer dans l’autre sens que l’idée d’une flotte soit d’origine achéménide. Il est très probable que Pélopidas s’était concerté avec les autres béotarques et Épaminondas sur les objectifs de cette délégation à Suse et ils durent établir qu’il faudrait tourner l’alliance contre Athènes. Il y a peu de raisons que le Grand Roi ait cherché l’hostilité des Athéniens, sa véritable crainte restant l’alliance entre Ariobarzanès et Sparte. L’attitude respective de Léon d’Athènes et d’Artaxerxès indique plutôt qu’Athènes n’a que peu de liens avec Ariobarzanès mais menace de s’allier à lui et qu’en retour le Grand Roi est prêt à se montrer plus conciliant pour les intégrer dans l’alliance, sans résultat1271. Si Épaminondas comptait financer une flotte de guerre avant Suse, il aurait été audacieux de s’en reposer sur le soutien achéménide qui n’était pas encore acquis et qui, au contraire, avait longtemps bénéficié aux Lacédémoniens. Les Spartiates ne sont pas les seuls à avoir profité de l’appui du Grand Roi, les Thébains en ayant notamment bénéficié au début de la guerre de Corinthe, en 395, quand Sparte s’était justement dressée contre la Perse1272. Ces événements sont utilisés par Pélopidas dans son argumentaire face au Grand Roi1273. On peut ainsi présumer que les Thébains savaient d’avance que les circonstances étaient favorables à un basculement d’alliance en leur faveur et que le but de

1267 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p. 156. 1268 Xén., Hell., III, 5, 1. 1269 Par la prise de l’Eubée ou de l’Acarnanie. 1270 C’est exactement la même logique qui sous-tendait la guerre du Péloponnèse où il fallait vaincre l’autre là où il est le plus fort. 1271 Xén., Hell., VII, 1, 37. 1272 Xén., Hell., III, 5, 1. 1273 Xén., Hell., VII, 1, 34. 254

Pélopidas était non seulement de le concrétiser, mais en plus de l’accompagner du soutien financier perse. Il faut alors se demander si l’alliance entre la Perse et la Béotie comprenait déjà un appui financier ou si celui-ci a été accordé dans les mois qui ont suivi, en définitive si ces subsides ont été versés aux Thébains à Suse ou après. En effet, le programme naval n’est lancé qu’en 3651274, lorsque Épaminondas prononce un discours devant l’assemblée fédérale béotienne1275 les exhortant à développer leur hégémonie sur mer1276. Se sont ainsi écoulés près de deux ans entre l’alliance de Suse et le discours d’Épaminondas ce qui peut être expliqué de plusieurs façons. D’une part, si Artaxerxès n’avait peut-être pas encore fourni de contribution financière à la Béotie, le contexte en Égée a dû l’inciter à financer la flotte. En effet, Athènes, loin de désarmer sa flotte comme le voulait la paix de Suse, envoie plutôt son stratège Timothée soutenir Ariobarzanès dans sa révolte contre le Grand Roi1277. Celui-ci partit avec trente trières pour Samos qu’il soumit après dix mois de siège difficile. Samos, bien que tenue par une garnison perse, n’était pas une possession achéménide et de fait sa prise ne constitue pas une violation de la paix de Suse1278. Néanmoins, il n’y a aucune équivoque sur le caractère hostile de l’entreprise athénienne envers le souverain achéménide et ce dernier a pu pousser les Thébains à se doter d’une flotte en conséquence1279. D’autre part, Diodore précise que le discours pour le programme naval était un discours qu’Épaminondas « méditait depuis longtemps » (ἐκ χρόνου πεφροντισμένον)1280 et il a effectivement dû préparer bien en amont la construction de cette flotte. Le développement d’une flotte de guerre n’allait pas de soi pour une région comme la Béotie qui n’a pas une tradition navale aussi importante qu’Athènes, Syracuse ou Carthage. Il y avait plusieurs manques à pallier et en premier lieu le bois nécessaire à la construction des navires. La Béotie dispose d’un peu de pin sur le Cithéron et l’Hélicon mais trop peu pour le chantier d’une flotte d’autant que le pin peut idéalement être utilisé pour les rames ou le revêtement, mais d’autres parties du navire requièrent un bois plus solide et moins souple1281. L’Eubée pouvait fournir du bois de platane mais également dans des proportions limitées. C’est donc vers la Macédoine que dût se tourner la Béotie, grande région exportatrice de bois de construction navale et alliée de la Béotie depuis 368. La Macédoine dispose de réserves surabondantes de pin, bois léger et imputrescible qui est ainsi idéal pour le

1274 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p. 164. 1275 CARRATA THOMES F., Egemonia Beotica, p. 5. 1276 Diod., XV, 78, 4. 1277 Démosthène, Pour la liberté des Rhodiens, 9 et Cornélius Népos, Timothée, I, 3. 1278 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p. 166. 1279 CARLIER P., Le IVe siècle grec, p. 67. 1280 Diod., XV, 78, 4. 1281 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p.57. 255 revêtement du navire tandis que la Béotie contrôle toute la route maritime qui la relie à Pella ou à Amphipolis1282. Paul Roesch avance l’hypothèse qu’Épaminondas, ayant longuement réfléchi à son projet, a dû organiser bien en amont l’approvisionnement du bois car la construction d’une flotte importante ne s’improvise pas et que le vote de l’assemblée lui était de toute façon acquis d’avance1283. En admettant ceci, alors il faut estimer qu’Artaxerxès a pu fournir des subsides aux Béotiens dès le congrès de Suse. On ne peut en effet exclure l’idée qu’Épaminondas, voyant les Athéniens se retourner contre les Perses sur mer, ait choisi de profiter de cette opportunité pour lancer son programme naval planifié en amont et n’attendant que d’être voté à l’assemblée. L’attitude athénienne légitimait une intervention thébaine sur mer ayant pour prétexte de faire appliquer la paix de Suse qui supposait un désarmement de la flotte athénienne et les Béotiens étaient ainsi assurés de disposer du soutien perse en cas de guerre ouverte. Il n’y a pas à douter que l’objectif premier d’Épaminondas était l’anéantissement de tout l’empire maritime athénien. Dans un procès opposant Démosthène à Eschine en 343, ce dernier rappelle de façon imagée la menace que représentait Épaminondas qui souhaitait « transporter les Propylées sur la Cadmée »1284.

2) Mise en chantier de la flotte

À la suite du discours d’Épaminondas, le peuple béotien vote la construction de cent trières et cales sèches ainsi que le projet d’aller solliciter le soutien de Rhodes, Chios et Byzance1285. Il faut d’abord déterminer où les arsenaux et les cales sèches ont été placés. Par la mention de Chios, Rhodes et Byzance, par le fait que le projet soit dirigé contre Athènes ou que la Macédoine soit impliquée, il n’y a pas à douter que le programme naval est dès l’origine tourné vers l’Égée. Dès lors, il faut exclure tous les ports béotiens sur le golfe de Corinthe (Creusis, Siphai, Chorsiai…) et envisager exclusivement ceux qui sont situés sur le canal d’Eubée. Plusieurs hypothèses sont alors envisageables : - Larymna : En utilisant un passage de Pausanias1286 qui dit que Larymna, en Locride, se rangea d’elle-même aux côtés de Thèbes quand cette dernière devint très puissante,

1282 Ibid. 1283 Ibid, p.58. 1284 Eschine, Sur l’ambassade infidèle, 105 « Δεῖ τὰ τῆς Ἀθηναίων ἀκροπόλεως προπύλαια μετενεγκεῖν εἰς τὴν προστασὶαν τῆς Καδμείας ». 1285 Diod., XV, 79, 1. 1286 Pausanias, IX, 23, 7 : « καὶ συνετέλει δὲ ἐς Ὀποῦντα ἡ Λάρυμνα τὸ ἀρχαῖον· Θηβαίων δὲ ἐπὶ μέγα ἰσχύος προελθόν-των, τηνικαῦτα ἑκουσίως μετετάξαντο ἐς Βοιωτούς ». 256

Glotz1287 propose ce port comme ayant accueilli les chantiers navals. Pausanias indique que Larymna dispose effectivement de baies profondes propices à l’installation d’une flotte car situées à proximité de la plage, mais Glotz surinterprète ce passage de la Périégèse en y voyant une preuve de l’annexion de Larymna par les Béotiens pour y construire une flotte. Néanmoins, alors que Roesch1288 estime que Larymna n’a jamais fait partie de la Béotie, il est possible qu’elle ait rejoint le Koinon après Leuctres alors que les cités de Locride orientale rejoignaient l’alliance thébaine. La baie de Larymna est fortifiée de murs complétés de tours datant de l’hégémonie thébaine1289 ce qui indique qu’elle a eu un rôle à jouer dans le projet d’Épaminondas. On ne peut néanmoins pas placer Larymna au centre du programme naval béotien sur ce seul passage de Pausanias car d’autres ports paraissent mieux adaptés à un tel projet1290. - Anthédon : Il s’agit du port traditionnel de Thèbes et la communication entre les deux est très aisée. De plus, il est réputé pour ses constructeurs de navires comme l’atteste le témoignage d’Hérakleides le Critique, plus d’un siècle plus tard1291. Le port est cependant trop petit pour jouer un rôle de première importance dans le programme naval étant donné qu’il ne pouvait accueillir qu’une dizaine de navires1292. - Oropos : Elle aurait pu faire l’affaire si elle n’était pas aussi proche de la forteresse athénienne de Rhamnonte et aussi exposée à une attaque venant de l’Attique. Il faut également exclure des ports comme Délion ou Salganeus, trop petits ou trop exposés pour un tel projet1293. - Aulis : Il s’agit du seul port béotien qui semble alors suffisamment grand pour accueillir une flotte importante tout en étant rapidement accessible depuis Thèbes. Ce port dispose de deux baies bien protégées dont le Bathys Limen qui est assez vaste pour accueillir une flotte importante. On dispose de plusieurs occurrences de flottes étrangères à la Béotie qui y débarquèrent comme le fit Polemaios, général d’Antigone le Borgne, en 3131294. - La baie de Skroporéni : Roesch est le premier à proposer la rade de Skroporéni1295, située entre Larymna et Anthédon, comme lieu où les Béotiens ont pu construire leur flotte. En

1287 G. GLOTZ, « Un carthaginois à Thèbes en 365 avant J.C », p. 337. 1288 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p.54. 1289 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.164. 1290 Ibid., il indique que les communications entre Larymna et Thèbes étaient difficiles avant l’assèchement du Copaïs. 1291 Hérakleides le Critique, I, 24. 1292 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p.54. 1293 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 27. 1294 BAKHUIZEN S.C., Salganeus and the fortifications on its mountains, p. 115. 1295 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p. 56. 257

effet, il s’agit d’une grande baie, profonde, avec une plage de sable et bien protégée naturellement. De plus, elle présente tout un réseau de fortifications et de tours de guets datés traditionnellement du IVe siècle1296, fortifications que l’on trouve également sur une presqu’île au milieu de la baie fermant l’accès à celle-ci ce qui indique clairement que les Anciens avaient également perçu la situation idéale de la baie et l’avaient mis à profit. La baie est elle-même bien reliée à Thèbes étant donné qu’une route permet d’aller de Skroporéni à Thèbes en passant par Anthédon ou en longeant le lac Paralimni1297. Il est ainsi probable que la baie de Skroporéni ait fait partie des ports accueillant un arsenal pour construire la flotte.

La Béotie et la mer

1296 FARINETTI E., Boiotian Landscapes, Appendix I13, p. 4. 1297 Ibid. 258

Carrata-Thomes1298 estime qu’une flotte aussi importante n’a pu être construite à un seul endroit et que des arsenaux ont été installés à Aulis et Larymna et secondés par des arsenaux plus petits à Anthédon et Halai1299. Cette hypothèse est séduisante d’autant qu’il y a peu de raison que le port de Larymna soit mis à profit mais pas les ports béotiens traditionnels que sont Anthédon et Aulis. Il faut compléter ce tableau avec la rade de Skroporéni qui dut également accueillir des chantiers navals. La question des matériaux de constructions était donc réglée avec l’alliance de la Béotie à la Macédoine, cette dernière devant fournir du bois aux arsenaux. Un décret de proxénie émanant du Koinon1300 confère justement le titre de proxène à un Macédonien nommé Athanèos fils de Damonikos en 365. Ce Macédonien reçoit le droit de posséder la terre (ἔππασις en béotien), de la vendre (ἐνώναν) ce qui est plus rare dans le cadre d’une proxénie et surtout la protection contre le droit de saisie en représailles (ἀσυλία) pour lui et sa famille. Ces privilèges prennent surtout sens si le personnage honoré exerçait une activité commerciale1301. Un fournisseur en bois aurait toutes les raisons d’être honoré par l’assemblée fédérale béotienne en 365 mais surtout on retrouve un certain Dèmonikos fils d’Athènaios, de Pella nommé navarque par Alexandre en 326, sur les rives de l’Hydaspès1302. La filiation entre les deux paraît évidente et permet de voir une tradition maritime au sein d’une même famille aristocratique de Pella1303 qui se confirme si le proxène est effectivement fournisseur en bois. La Béotie disposant des moyens pour se doter d’une flotte, il a souvent été dit que les Béotiens durent recourir à une aide technique étrangère pour superviser la mise en œuvre du programme naval car ils manquaient d’expérience dans la construction navale. Ce manque d’expérience n’est qu’en partie vrai car les Béotiens ont toujours eu une tradition navale, même minime. Suivant l’exemple de Gustave Glotz1304, de nombreux historiens1305 ont associé l’inscription IG VII 2407 au programme naval. Il s’agit d’un décret fédéral de proxénie similaire au décret SEG XXXIV 335 mais honorant un Carthaginois. En le datant en 365, on estimait que ce Carthaginois devait être un spécialiste en construction navale venu épauler les Béotiens dans leur projet. Il s’avère cependant que ce traité date en réalité de 369 comme nous l’avons vu

1298 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 28. 1299 Halai est un port de Locride au nord de Larymna et de moindre importance mais on y a trouvé des murailles datant de l’hégémonie thébaine. 1300 SEG XXXIV 335. 1301 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p. 59. 1302 Arrien, Anabase, 18, 3. 1303 ROESCH P. « Un décret inédit de la ligue thébaine et la flotte d'Épaminondas », p. 59. 1304 GLOTZ G., « Un carthaginois à Thèbes en 365 avant J.C », p. 331-339. 1305 Franco Carrata Thomes et Paul Roesch notamment. 259 précédemment1306 et le Carthaginois Nôbal ne peut correspondre à un ingénieur naval. Y a-t-il eu un spécialiste naval envoyé par une puissance étrangère pour aider la Béotie à mettre en place son projet sur mer ? Peut-être, mais rien ne le prouve. S’il y en a eu un, il aurait effectivement pu être carthaginois, macédonien, eubéen voire byzantin ou de n’importe quelle autre puissance maritime plus ou moins favorable aux Béotiens mais rien n’indique même qu’ils aient eu besoin d’un tel expert. Il faut alors considérer que les Béotiens ont eux-mêmes dirigé la construction de leurs navires. Les ports béotiens étaient anciens et peuplés de gens qui vivaient de la mer et on retrouve régulièrement des mentions de trières béotiennes1307 si bien que leur construction est un art qui ne s’est jamais perdu en Béotie.

3) Pendant la construction

Une fois le chantier lancé, vint la question des équipages des navires. Une trière comprenait habituellement 200 hommes1308. Si l’on se fie à Xénophon, au moment où deux trières béotiennes sont prises par les Spartiates à Oréos en 377, il parle de 300 marins capturés1309 soit 150 marins par navire. Chaque trière béotienne devait compter entre 150 et 200 hommes1310 suivant leur capacité à recruter des équipages complets. À l’image d’Athènes, les navires béotiens ne devaient que péniblement recruter les 200 marins nécessaires à la nage, difficulté habituelle au IVe siècle1311. Pour une flotte de 100 trières, cela donne au moins 15 000 rameurs qui devaient être formés à ramer en cadence. Le littoral béotien regorge de villes, villages et hameaux dont les habitants vivent de la mer (sur le golfe de Corinthe comme dans les golfes Euboïques) et ce sont eux qui ont dû être mobilisés pour former la nage des trières qui devait également être composée de mercenaires. Il est impossible d’en savoir plus sur les proportions de mercenaires ou de Béotiens dans les équipages. On l’a vu, les frais nécessaires pour le programme naval durent être énormes car comprenant l’achat des matériaux, la construction des navires, l’aménagement des arsenaux et des cales-sèches et enfin la solde des marins et mercenaires. Il est possible que les subsides perses n’aient pas suffit à financer l’ensemble du projet et ce furent alors probablement l’ensemble des cités du Koinon qui pallièrent

1306 Supra, p. 243-244. 1307 En 377, 373 ou même 371, et entre ces dates les Béotiens ont toujours eu des trières, utiles pour des missions diplomatiques comme pour aller à Suse. 1308 La trière athénienne à l’époque classique ayant un équipage de 200 marins dont 170 rameurs. 1309 Hell., V, 4, 56. 1310 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 31. 1311 Voir AKRIGG B., Population and Economy in Classical Athens, p. 43-45 pour les débats sur cette question. 260 les dépenses ce qui permit de faire participer l’ensemble de la confédération au projet fédéral. Les officiers et techniciens devaient également provenir du littoral béotien tandis que les épibates devaient être l’infanterie classique béotienne, prélevée dans l’ensemble du Koinon. Une flotte de cette taille étant inédite en Béotie, sa mise en place a dû s’accompagner de la création de nombreux grades ayant chacun des compétences propres. La flotte devait être divisée en escadres avec un commandant à leur tête ayant sous ses ordres des capitaines de navire et des vice-capitaines1312. Le système des triérarques et navarques s’est probablement maintenu depuis 373/372 ce qui indiquerait que l’entretien des trières continue à se faire par le biais d’une liturgie semblable à ce qui se faisait à Athènes. Au même moment, Épaminondas et les autres béotarques sont occupés sur divers théâtres d’action. En 364, Pélopidas retourne en Thessalie où il meurt à la bataille de Cynocéphale. Une conspiration cherchant à renverser la démocratie en Béotie est éventée et les Thébains en profitent pour raser Orchomène. Ce n’est qu’en 363 que la Béotie pût s’intéresser à nouveau à l’Égée et les marins ont ainsi eu tout le temps nécessaire pour s’entraîner d’abord sur la terre ferme1313 puis sur les navires construits au fur et à mesure1314. Pendant ces années-là, le stratège athénien Timothée continue ses expéditions en mer Égée. Après avoir soumis Samos en 365 et y avoir installé des clérouques, il se rend dans le golfe Thermaïque. Là, il prend le port de Pydna mais il est défait devant Amphipolis, la cité étant aidée des Olynthiens, ce qui l’oblige à partir vers d’autres mers1315. Ne pouvant se permettre de rentrer à Athènes après une défaite, Timothée choisit de se rendre dans l’Hellespont où la révolte d’Ariobarzanès fait rage et multiplie les opportunités de hauts-faits. Il prend Sestos, en Chersonèse, car il s’agissait d’une possession du roi thrace Cotys, allié d’Artaxerxès. Étant donné que la paix de 367 laissait leur indépendance aux cités d’Europe, la prise de Sestos ne constitue pas une violation du traité et le Grand Roi ne pourrait la revendiquer même s’il en venait à vaincre le satrape rebelle. Timothée continue alors son expédition en Propontide où il remplit ses caisses en pillant Cyzique qui appartient à des satrapes loyalistes. Il finit par débarquer à Héraclée, sur la mer Noire, qui est en pleine guerre civile mais il n’arrive à rien. Cette dernière intervention en mer de Marmara et en mer Noire constitue clairement une violation de la Paix du Roi ce qui montre que le stratège athénien en est venu à mépriser la puissance perse1316. Timothée retourne alors en Chalcidique où il s’empare de Potidée et Toroné, probablement en 3641317 avant de rentrer à Athènes. Le bilan de

1312 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 31. 1313 Les travaux de John Sinclair Morrisson et de sa trière Olympias ont bien montré la nécessité d’une parfaite coordination entre les rameurs pour qu’une trière puisse manœuvrer efficacement. 1314 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.164. 1315 Ibid., p.167. 1316 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.168. 1317 Ibid., p.169. 261 l’expédition de Timothée est mitigé, la prise de Sestos constitue sa réussite la plus notable car elle offre à Athènes une nouvelle place forte sur la route des céréales, le contrôle des Détroits étant la clef de voute de la thalassocratie athénienne. Depuis le Ve siècle, l’acheminement du blé à Athènes depuis le Pont constitue un point névralgique de la puissance athénienne, l’Attique n’étant pas autosuffisante.1318

4) L’expédition d’Épaminondas

Diodore ne donne que peu de renseignements sur les buts d’Épaminondas dans son expédition, mais on sait assez pour supposer. Comme les Spartiates avant lui1319, Épaminondas devait savoir qu’Athènes était dépendante de son approvisionnement en blé et il devait également avoir conscience qu’en mettant des clérouques à Samos, les alliés d’Athènes devaient craindre un retour des excès qui avaient marqué l’impérialisme athénien au sein de la Ligue de Délos. C’était un argument fort sur lequel il pouvait jouer pour faire basculer plusieurs membres de la ligue maritime athénienne dans l’alliance thébaine. Épaminondas prend ainsi la mer au printemps 363 à destination de Rhodes, Chios et Byzance1320. Le fait qu’il ne soit pas béotarque cette année-là1321 — alors que son prestige militaire est intact — laisse supposer qu’il était navarque. Il est difficile d’établir avec certitude la route que suivit la flotte. Timothée était à ce moment-là toujours en Chalcédoine tandis qu’Athènes verrouille le golfe Euboïque Sud. Dans le même passage, Diodore indique que Lachès, un stratège athénien, est envoyé à la tête d’une escadre considérable (στόλον ἀξιόλογον) pour s’opposer à Épaminondas. Il paraît alors probable que la flotte béotienne soit partie d’Aulis1322 et qu’elle ait été interceptée au sortir du golfe Euboïque Sud par Lachès qui venait d’Athènes. Le stratège athénien se trouve néanmoins en infériorité numérique et il est obligé d’éviter le combat1323 ce qui indique bien qu’Épaminondas est sorti avec la majeure partie de la flotte béotienne voire la totalité.

1318 Démosthène, Contre Leptine, 30-32, Athènes importait depuis les régions du Pont près de 400 000 médimnes de blé par an soit plus de la moitié des exportations provenant de Mer Noire. 1319 Xen. Hell., II, 2, 1-2, La première chose que fit Lysandre après la bataille d’Aigos Potamoi fut de prendre Byzance. 1320 Diod., XV, 79, 1. 1321 On connaît la liste des béotarques de 363 par le décret IG VII 2408. 1322 Le passage de l’Euripe étant long et risqué, il aurait été étrange de partir de la rade de Skroporéni. 1323 Diod., XV, 79, 1. 262

En 363/2, l’île de Céos subit de lourdes sanctions de la part d’Athènes pour avoir rompu les serments qui les liaient1324. L’information provient d’une inscription athénienne qui incrimine spécifiquement Ioulis, l’une des quatre cités de Céos avec Carthaia, Corésia et Poiessa. Ioulis s’est ainsi soulevée contre Athènes, probablement avec les autres cités de Céos, au moment où Épaminondas entreprend son expédition et les deux faits sont très probablement liés même s’il manque une preuve explicite. Deux hypothèses sont alors possibles, soit Épaminondas a accosté à Ioulis et directement poussé les habitants de l’île à la révolte1325, soit ceux-ci se sont soulevés en réaction à l’expédition thébaine, en espérant son soutien1326. Aucune source littéraire ne vient corroborer la première ce qui laisserait la deuxième comme étant la plus probable, mais on ne peut exclure un passage d’Épaminondas par les Cyclades étant donné que la traversée de la mer Égée implique d’aller d’île en île. Si le décret ne concerne que Ioulis, c’est qu’Athènes avait tout intérêt à diviser les différentes cités de Céos alors qu’elles même aspiraient depuis longtemps à l’indépendance et à l’isopolitie. Plusieurs inscriptions de Céos voient les différentes cités de l’île disposer d’une citoyenneté commune voire l’étendre à d’autres cités d’Eubée1327. On a parfois estimé que ces traités d’isopolitie avec l’Eubée devaient être liés au soulèvement de Céos mais ils datent en réalité du premier quart du IVe siècle1328 et n’ont ainsi aucun lien avec la politique béotienne. Une autre inscription athénienne, concernant Naxos cette fois-ci1329, a parfois été vue comme une preuve que l’île a également fait défection de la Ligue Maritime au passage d’Épaminondas1330 mais c’est loin d’être aussi évident. L’inscription, très fragmentaire, est un traité entre Naxos et Athènes et rien ne prouve qu’il ait fait suite à une défection de Naxos ni qu’il date de l’expédition d’Épaminondas1331. Si l’on admet que l’ordre Rhodes/Chios/Byzance donné par Diodore1332 a un sens, alors Épaminondas accosta probablement à Rhodes en premier après avoir traversé les Cyclades, ce qui fait également le plus de sens géographiquement. Il y est favorablement accueilli et Rhodes rejoint l’alliance thébaine comme l’indique Diodore1333. Une monnaie est d’ailleurs parfois associée à cette alliance :

1324 IG II² 111. 1325 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 33. 1326 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p. 173. 1327 IG XII 5 594, pour une isopolitie entre Céos et Histiée et SEG 14: 530 pour Érétrie. 1328 THOMOPOULOS J., « Inscriptions de Céos », p. 316-322. 1329 IG II² 179. 1330 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 33. 1331 BUCKLER J., The Theban Hegemony, p.310 n.42, Le traité ne peut être daté qu’entre 377 et 353, ce qui est trop vague pour l’associer à Épaminondas. 1332 Diod., XV, 79, 1. 1333 Diod., XV, 79, 1. 263

Statère d'argent thébaine - IVe siècle1334

Il s’agit d’une monnaie thébaine qui comporte au droit le bouclier béotien et le revers comporte non seulement le nom d’Épaminondas (ΕΠΑΜΙ) mais également une amphore et surtout une rose (rhodon) qui est justement l’emblème de Rhodes et il est parfois envisagé que cette monnaie traduise cette nouvelle alliance d’importance pour les Béotiens1335. De Rhodes, la flotte béotienne reprend la mer et s’arrête à Cnide qui semble également rejoindre le camp de Thèbes. En effet, un décret de proxénie cnidien honore justement Épaminondas1336. Il s’agit ici bien d’une visite officielle faisant du Thébain le représentant légal des Cnidiens1337 Il est possible que Kos ait choisi de soutenir les Béotiens contre Athènes, car elle fit partie des cités s’étant soulevées contre Athènes lors de la guerre des Alliés moins de 10 ans plus tard1338. En longeant la côte de l’Asie Mineure, c’est ensuite Chios puis Byzance qui rejoignent le camp thébain1339. Un décret de proxénie béotien1340 daté avec certitude en 363 confirme la réussite des Thébains dans leur entreprise. Il est possible que Cyzique et Chalcédoine, cités appartenant à des satrapes loyalistes d’Artaxerxès aient choisi de soutenir les Béotiens contre Athènes à la suite de Byzance1341 mais cela ne repose sur aucune preuve formelle. Comme Timothée avant lui, Épaminondas se rend à Héraclée du Pont qui est toujours en pleine guerre civile1342. Les oligarques demandent alors à Épaminondas d’intervenir contre le demos1343 mais il refusa et quitta la mer Noire

1334 Hepworth 32 Sear SG 2399 avec la permission de Dane, de wildwinds.com. 1335 HORNBLOWER S., The Greek World, p. 162. 1336 SEG LXIV 901. 1337 BUCKLER J., « Epameinondas and the New Inscription from Knidos », p. 202. 1338 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 33. 1339 Diod., XV, 79, 1. 1340 IG VII 2408. 1341 CARRATA THOMES Franco., Egemonia Beotica, p. 33. 1342 Justin, XVI, 4, 1-5. 1343 Sur la politique des cités orientales au temps d’Épaminondas, voir RUSSEL Th., « Diodoros 15.78.4—79.1 and Theban Relations with the Bosporus », p. 65-79. 264 sans plus de succès. Les Béotiens purent alors rentrer en Béotie en passant par le nord de la mer Égée et débarquèrent probablement dans les différents ports de la partie nord du golfe Euboïque. L’expédition d’Épaminondas en Égée est globalement un succès. Il n’a jamais été question de chercher directement le conflit avec Athènes mais uniquement de montrer à ses alliés mécontents que la Béotie avait les moyens de lutter contre les Athéniens sur mer pour les inciter à changer de camp. De ce point de vue-là, Épaminondas a probablement réussi. La plupart des cités visitées ont favorablement accueilli les Béotiens et ont aussitôt changé de camp. La suite logique de cette expédition aurait été que les Béotiens lancent une guerre sur mer contre Athènes et ils seraient alors rejoints par leurs nouveaux alliés. Cependant, l’année suivante, Épaminondas mène une nouvelle expédition dans le Péloponnèse où il espère vaincre définitivement les puissances spartiates et athéniennes sur terre. La confrontation a lieu à Mantinée. La valeur tactique d’Épaminondas porte une nouvelle fois ses fruits mais il meurt dans la bataille en offrant la victoire aux Béotiens. Thèbes perd alors non seulement l’instigateur du programme naval mais également son meneur qui la porta à l’hégémonie. Diodore — qui comme Strabon utilise Éphore comme source — parle ainsi de sa mort1344 :

εἰ μὲν οὖν ὁ ἀνὴρ οὗτος πλείω χρόνον ἐπέζησεν, ὡμολογημένως ἂν οἱ Θηβαῖοι τῇ κατὰ γῆν ἡγεμονίᾳ καὶ τὴν τῆς θαλάττης ἀρχὴν προσεκτήσαντο· ἐπεὶ δὲ μετ’ ὀλίγον χρόνον ἐν τῇ περὶ τὴν Μαντίνειαν μάχῃ λαμπροτάτην τὴν νίκην τῇ πατρίδι περιποιήσας ἡρωικῶς ἐτελεύτησεν, εὐθέως καὶ τὰ τῶν

Θηβαίων πράγματατῇ τούτου τελευτῇ συναπέθανεν .

« Si ce grand homme avait vécu plus longtemps, les Thébains, de l’avis de tous, auraient acquis, en plus de l’hégémonie sur terre, la maîtrise de la mer. Et quand, peu après, il mourut héroïquement en donnant à sa patrie l’éclatante victoire de Mantinée, aussitôt la grandeur de Thèbes périt avec lui ».

Ce serait donc « de l’avis de tous » qu’Épaminondas aurait étendu l’hégémonie thébaine sur mer s’il avait vécu plus longtemps. Même chez Isocrate1345 qui est pourtant très hostile aux Béotiens, on ne trouve aucune mention indiquant que l’expédition navale d’Épaminondas fut un échec. Au

1344 Diod., XV, 79, 2, texte traduit par Claude Vial sous la direction de François Chamoux. 1345 Discours à Philippe, 53. 265 contraire, il indique qu’en s’en prenant à Byzance comme s’ils devaient commander sur mer comme sur terre, ils abusent de la fortune et il rajoute que ce n’est que dans les événements de la troisième guerre sacrée qu’ils connurent leurs premières déconvenues1346. Pourtant, une autre tradition historiographique semble s’être développée au sujet d’Épaminondas, plus critique quant à son programme naval. C’est celle qui transparaît chez Plutarque qui présente Épaminondas comme ayant combattu sur mer d’une façon très inférieure à son mérite et à sa gloire1347. Et il rajoute1348 :

πλὴν Ἐπαμεινώνδαν μὲν ἔνιοι λέγουσιν, ὀκνοῦντα γεῦσαι τῶν κατὰ θάλασσαν ὠφελειῶν τοὺς πολίτας, ὅπως αὐτῷ μὴ λάθωσιν ἀντὶ μονίμων ὁπλιτῶν, κατὰ Πλάτωνα, ναῦται γενόμενοι καὶ διαφθαρέντες, ἄπρακτον ἐκ

τῆς Ἀσίας καὶ τῶν νήσων ἀπελθεῖν ἑκουσίως ·

« Quelques-uns, il est vrai, disent que c’est volontairement qu’Épaminondas, hésitant à faire goûter à ses concitoyens les avantages de l’empire des mers pour ne pas les voir se transformer à leur insu, selon le mot de Platon, de solides hoplites en matelots corrompus, s’en était revenu d’Asie et des îles sans avoir rien fait ».

Plutarque ne fait ici que rapporter une ancienne tradition littéraire qui ne paraît pas avoir de fondement historique. Épaminondas apparaît comme le principal instigateur de sa politique navale et il serait absurde de considérer qu’il l’ait fait à contre-cœur. Néanmoins, tout n’a pas été idéal dans l’expédition d’Épaminondas. Il a délibérément choisi de ne pas intervenir à Héraclée du Pont et surtout, les Béotiens ne sont pas intervenus pour protéger les habitants de Céos, soit parce qu’ils n’ont pas vu en Céos une alliée potentielle ou plus probablement parce que Thèbes ne voulut pas s’opposer seule à Athènes. Celle-ci semble avoir pris très au sérieux la menace d’un développement maritime béotien et elle réagit avec énergie, démontrant ainsi qu’elle reste la plus grande puissance navale dans l’Orient grec. La réaction sévère d’Athènes contre Céos dénote cependant le retour de cet impérialisme tant redouté par ses alliés. Chios, Rhodes, Byzance et Kos1349, avaient rallié l’alliance thébaine en 363 et comptaient sur l’aide béotienne pour vaincre Athènes. Avec la mort d’Épaminondas, Thèbes se désintéressa néanmoins totalement de la mer Égée et ce n’est qu’en 357 que ces cités trouvèrent un nouvel appui chez le satrape Mausole et se

1346 Discours à Philippe, 54. 1347 Philopoimen, 14, 2. 1348 Philopoimen, 14, 3, traduction de Robert Flacelière. 1349 Le ralliement de Kos n’est pas assuré mais plausible. 266 soulevèrent définitivement contre Athènes. La plus grande conséquence de la politique navale d’Épaminondas ne survient ainsi que cinq ans après sa mort, après avoir mis à jour les faiblesses de l’empire maritime athénien, celui-ci fut mis en grande difficulté avec la guerre des Alliés. La deuxième moitié de cette décennie est donc marquée par une politique maritime inédite et jamais reproduite dans l’histoire béotienne. Pendant quelques années, les Béotiens s’engagèrent dans une politique navale audacieuse allant à l’encontre de leurs habitudes. Celle-ci apparaît tant comme le projet personnel d’un homme, Épaminondas, que comme la conséquence logique du développement béotien dans les années précédentes. Il n’allait cependant pas de soi, et face aux résistances rencontrées et à la suite de la mort d’Épaminondas, les autres chefs politiques Béotiens se détournèrent rapidement de ses ambitions navales, signe de la fragilité du projet. Si pendant quelques années les Béotiens suivirent Épaminondas dans ses projets maritimes, c’est probablement plus par confiance personnelle que par leurs propres convictions. Cela explique probablement en partie le caractère éphémère du programme naval béotien.

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C- Le retrait de la Béotie sur mer (362-338)

La mort d’Épaminondas à Mantinée constitue un coup difficile pour les Béotiens qui perdent alors le plus grand acteur de leur hégémonie. La bataille de Mantinée ne voit personne remporter de victoire décisive et elle ne bouleverse d’aucune façon la situation géopolitique en Grèce, comme le confirme la paix qui suit la bataille. Pour la première fois depuis le début du IVe siècle, la paix est jurée sans recourir à l’appui du Grand Roi ce qui traduit sa perte de puissance tandis que les Grecs sont eux-mêmes épuisés par tant d’années de conflit. Alors que 362 est la date habituellement retenue pour marquer la fin de l’hégémonie thébaine, il est probable que les Béotiens aient conservé le sentiment d’exercer une suprématie sur les Grecs jusqu’à leur défaite de Chéronée en 3381350. En effet, la puissance thébaine ne s’est pas brutalement effondrée au lendemain de Mantinée mais c’est progressivement qu’elle a été dépassée par la Macédoine de Philippe II. La paix de 362 reconnaît l’indépendance de la Messénie tandis que les Thébains restent à la tête d’une alliance similaire à celle qui précède la bataille et aspirent toujours à exercer leur influence dans le Péloponnèse1351. C’est sur mer que la politique thébaine connut un revirement total. Alors qu’en 363 les Thébains envoyaient 100 trières en mer Égée, après Mantinée, la Béotie semble se désengager totalement du programme naval initié par Épaminondas seulement quelques années auparavant. Il faut certainement y voir la preuve de profondes dissensions entre Épaminondas et les autres chefs politiques béotiens qui ne devaient pas voir ces ambitions maritimes comme étant si prometteuses. Il est néanmoins nécessaire de garder à l’esprit que, pour la deuxième moitié du IVe siècle, les sources littéraires traitant de la Grèce sont bien moins nombreuses qu’au temps de l’hégémonie thébaine. Diodore de Sicile est le seul historien antique dont l’œuvre nous soit parvenue et on est ainsi totalement tributaire du livre XVI de sa Bibliothèque historique pour l’étude de la Béotie à cette époque alors même qu’elle n’apparaît qu’épisodiquement dans ce livre dont l’acteur principal est Philippe II. À côté, les orateurs athéniens sont particulièrement utiles car traitant abondamment des relations entre cités dans leurs discours politiques. Il s’agit donc d’étudier ici les enjeux maritimes de la Béotie dans les dernières décennies de la Troisième Confédération Béotienne.

1350 CARLIER P., Le IVe siècle grec, p.71. 1351 Diod. XV, 94, 1-2. En 361, les Béotiens interviennent dans le Péloponnèse en soutien aux Mégapolitains opposés aux Arcadiens, Éléens et Mantinéens. 268

1) Les capacités maritimes béotiennes au lendemain de Mantinée

Si le programme naval d’Épaminondas fut éphémère, l’un des points les plus obscurs à son propos est de savoir ce qu’il est advenu des cent trières construites. Celles-ci n’ont été engagées dans aucun combat naval et n’ont finalement que très peu servi. Il n’y a aucune mention concrète d’une intervention navale béotienne dans les années suivant Mantinée ce qui a même amené des historiens comme George Law Cawkwell1352 à considérer que les Béotiens n’avaient pas construit l’intégralité des 100 trières — malgré ce qu’avance Diodore1353 — mais seulement une quarantaine de navires. Le texte de Diodore ne laisse pourtant que peu de place au doute1354 et il faut alors envisager d’autres hypothèses quant au devenir de la flotte. F. Carrata Thomes suggère une possibilité intéressante à ce sujet1355. En 361/0, dans la confusion qui règne après Mantinée, Alexandre de Phères envoie plusieurs vaisseaux dans les Cyclades commettre des actes de piraterie contre des îles alliées à Athènes1356. Cette dernière envoie aussitôt son stratège Léosthénès pour arrêter Alexandre. Contre toute attente, le tyran de Phères parvient à vaincre Léosthénès au cours d’une bataille terrestre devant Péparéthos, au large de la Thessalie, et s’empare par la même occasion de cinq trières athéniennes1357. Polyen1358 parle même d’une bataille navale où Alexandre l’emporte sur Léosthénès par ruse. Alors qu’Alexandre ne dispose normalement pas d’une flotte pouvant rivaliser avec la puissante marine athénienne, Charès — stratège remplaçant Léosthénès — craint la confrontation et préfère s’en prendre à Corcyre, alliée d’Alexandre en mer Ionienne1359. Pendant ce temps, Alexandre lance même une expédition contre le Pirée où, usant toujours d’un effet de surprise, il pille le port avant de partir aussitôt1360. Face à un tel basculement des forces sur mer, il est possible d’imaginer qu’Alexandre ait profité de la confusion en Grèce centrale pour s’emparer d’une partie de la flotte béotienne qui devait être stationnée à Larymna. Le contexte s’y prêterait bien et cela permettrait d’expliquer en partie la situation navale thessalienne et béotienne du moment. Néanmoins, aucune source ne vient corroborer cette hypothèse qui reste très incertaine.

1352 « Epaminondas and Thebes » CQ, n°66, p. 271. 1353 XV, 79, 1. 1354 BUCKLER J., BECK H., and the Politics of Power in the Fourth Century BC, p. 183. 1355 CARRATA THOMES F., Egemonia Beotica, p. 43. 1356 Diod. XV, 95, 1. 1357 Diod. XV, 95, 2 et Démosthènes, Apollodore contre Polyclès, 4. 1358 VI, 2, 1. 1359 Diod. XV, 95, 3. 1360 Polyen, VI, 2, 2. 269

Un autre élément peut compléter ce tableau. En 357, l’Eubée est divisée entre pro- Athéniens et pro-Thébains si bien que l’île devint le théâtre d’une terrible guerre civile1361. Thébains et Athéniens interviennent directement et s’opposent à plusieurs reprises sans qu’un camp ne prenne réellement le dessus. Un commentaire byzantin dans l’Éloge à Athènes d’Aelius Arisitide1362 indique que Tisiphonos, tyran de Phères ayant succédé à Alexandre la même année, a mis ses navires à disposition des Thébains. Une telle information – même si elle est très incertaine1363 — laisse envisager que les Béotiens n’avaient alors plus aucune flotte. Si cette collaboration est avérée, les navires de Tisiphone sont alors les mêmes que ceux utilisés par Alexandre de Phères, navires potentiellement béotiens. Peut-être que Tisiphone n’aurait ainsi fait que rendre les navires aux Béotiens mais rien n’est moins sûr. La guerre sociale s’achevant par une victoire des Athéniens, l’Eubée rentre dans la Ligue Maritime d’Athènes en 3571364. Alors que les Béotiens disposaient d’un contrôle total sur les golfes Euboïques, le littoral béotien oriental est dès lors une zone sensible car particulièrement exposé à la puissance athénienne. Si la Béotie disposait encore d’une flotte, il est légitime de penser qu’elle ait été condamnée à défendre les ports béotiens. Officiellement, la Béotie et Athènes sont en paix et il ne semble pas qu’il y ait eu de troubles sur leur frontière commune durant toute la guerre d’Eubée. Néanmoins, la situation reste très tendue entre les deux puissances voisines qui se voient mutuellement comme la menace principale pour l’autre. Dans un tel cadre, Thèbes ne pouvait que difficilement sortir ses trières pour intervenir en mer Égée et encore moins pour intervenir contre Athènes au risque d’une riposte. C’est probablement ce qui explique l’attitude béotienne lors de la guerre des Alliés qui commence la même année. Alors que les Béotiens avaient tout intérêt à poursuivre le programme naval d’Épaminondas en soutenant Chios, Rhodes, Cos et Byzance, ceux- ci n’y participent absolument pas. Cela est non-seulement lié à la prise de l’Eubée par les Athéniens mais également à un désintérêt plus général des élites béotiennes pour la mer à la suite de la mort d’Épaminondas, ces dernières étant plus préoccupées par des questions liées à la Grèce centrale.

1361 Diod. XVI, 7, 2. 1362 Scholia ad Aristides, Παναθηναϊσκός, 179, 6, «Εὐβοέας ἀπὸ Θηβαίων καὶ Δημοσθένης ἐν Φιλιππικοῖς Ὅτε ἥκομεν Εὐβοεῦσι βεβοηθηκότες, ὅτε Θηβαῖοι ἐζήτουν αὐτοὺς χειρώσασθαι, καὶ ἄρξαι τῆς ὅλης Ἑλλάδος. ὅτε διέβησαν εὐφρόνως Θηβαῖοι ταῖς Τισιφρόνου ναυσὶ χρησάμενοι.» 1363 SPRAWSKI S., « The End of the Pheraean Tyranny », p. 183. 1364 Eschine, Contre Ctésiphon, 85. 270

2) Contacts d’outre-mer

À la suite de l’assassinat d’Alexandre de Phères en 357, la Béotie retrouva une forte ascendance en Grèce Centrale qui était concrétisée par le contrôle qu’exerçaient les Thébains sur le Conseil Amphictyonique de Delphes1365. En étant alliés aux Delphiens, Locriens ainsi qu’aux Thessaliens et leurs périèques, les Béotiens disposent d’une large majorité lors des votes de l’Amphictyonie et ils en profitent pour régler de vieux différents entre les membres, notamment contre Sparte et la Phocide1366. Les tensions allèrent croissant jusqu’à ce que les Phocidiens s’emparent de Delphes et que les membres du Conseil Amphictyonique de Delphes déclarent la guerre à la Phocide. Le conflit qui commence alors oppose les Béotiens et leurs alliés à la Phocide qui a obtenu le soutien d’Athènes et de Sparte. L’inscription fragmentaire IG VII 2418 détaille les contributions financières que reçoivent les Béotiens au début de la guerre et sont ainsi citées Anaktorion et Alyzeia en Acarnanie, Byzance ainsi qu’une contribution personnelle de la part du proxène des Béotiens à Ténédos, et probablement d’autres dont on n’a pas de trace. Les Thébains jouent le beau rôle dans cette guerre car ils apparaissent comme les défenseurs légitimes de l’un des plus grands sanctuaires panhelléniques du monde grec et ces contributions durent répondre à une propagande béotienne active. Néanmoins, tous ceux que l’on voit y répondre sont liés d’une façon ou d’une autre à Thèbes ce qui montre bien les limites de cette propagande manichéenne au profit d’une Realpolitik1367. Anaktorion et Alyzeia faisaient probablement partie des cités ayant rejoint l’alliance Thébaine après Leuctres tandis que la présence de Byzance tend à montrer qu’elle a gardé des liens favorables avec Thèbes depuis 363. Enfin, on voit par la présence d’un proxène des Béotiens à Ténédos que les Thébains entretenaient également des liens étroits avec des îles d’Égée qui n’étaient pas impliquées dans la guerre des Alliés. Toutes ces alliances constituées entre Leuctres et Mantinée sont ainsi maintenues dans la décennie suivante et se révèlent utiles en temps de guerre. Bénéficiant de ce soutien financier et de la supériorité numérique, le béotarque Pamménès envahit

1365 L’Amphictyonie de Delphes comprenait à raison de deux hiéromnèmons par région : les Delphiens, les Phocidiens, les Béotiens, les Locriens, les Ioniens (dont un Athénien), les Doriens (dont parfois un Spartiate), et les différents peuples de Thessalie qui disposaient de 12 représentants. Il y avait ainsi 24 votants aux sessions du Conseil. 1366 CARLIER P., Le IVe siècle grec, p.91. 1367 Même Athènes et Sparte ont choisi de soutenir les Phocidiens contre leur rivale béotienne. Philomélos de Phocide cherche lui-même à atténuer la mauvaise image de ses compatriotes en ne pillant pas le sanctuaire et en soutenant que Delphes appartenait à leurs ancêtres. Les Grecs avaient également parfaitement conscience que les Thébains avaient utilisé avaient utilisé l’Amphictyonie pour soutenir leurs propres intérêts ce qui était peu louable. 271 la Phocide en 355 et inflige une sévère défaite aux troupes de Philomélos à la bataille de Néon où ce dernier trouve également la mort. Les Béotiens durent croire que la guerre sacrée était terminée car ils répondirent peu après à un appel à l’aide du satrape Artabaze qui s’était révolté contre Artaxerxès III1368. Ce fait est particulièrement intéressant car il présuppose un basculement total de la politique thébaine à l’égard du Grand Roi. La précédente alliance entre la Perse et la Béotie, en 367, n’avait été que peu concluante. Les Béotiens ne reçurent aucun soutien de sa part pour appliquer la paix ce qui constitua un lourd revers pour la diplomatie thébaine mais en plus le programme naval n’ayant rien donné de concluant, le Grand Roi dû couper les subsides peu après ce qui justifie probablement ce retournement diplomatique. De plus, ces premières années de conflit avec la Phocide ont coûté cher — la bataille de Néon a impliqué plus de soldats que celle de Leuctres — et Artabaze offre justement de l’or en grande quantité alors que les Béotiens savaient que le Grand Roi n’aurait pas les moyens d’intervenir en retour en Grèce. Toutes ces raisons ont pu expliquer cette nouvelle alliance béotienne1369. C’est encore Pamménès qui, auréolé de prestige après la bataille de Néon, prit la tête des 5 000 hoplites en direction de la Phrygie mais la route qu’il emprunta est sujette à débats1370. En effet, Démosthène1371 indique que Pamménès rencontra Philippe II à Maronéia et que les deux s’allièrent. À part ça, il est difficile d’en savoir plus et la chronologie des événements — comme pour l’ensemble de la troisième guerre sacrée1372 — est difficile à établir. Onomarchos, qui succède à Philomélos à la tête de la Phocide, relance le conflit contre les Béotiens en 354. Il faut nécessairement considérer que Pamménès a quitté la Béotie avant que la guerre ne reprenne et après la bataille de Néon, soit dans la deuxième moitié de 3551373. Denys d’Halicarnasse1374 indique que le discours contre Aristocrate de Démosthène date de 352/1. Si la date indiquée par Denys d’Halicarnasse est vraie, alors le plus probable est que Pamménès ait rencontré Philippe II sur le chemin du retour1375. Pourtant, la plupart des historiens admettent que Pamménès est passé par voie de terre pour rejoindre l’Asie voire qu’il aurait rencontré Philippe II en Macédoine et aurait conquis avec lui la Thrace1376. Kelly1377 soutient néanmoins que Pamménès a pu passer par la mer.

1368 Diod. XVI, 34, 1-2. 1369 BUCKLER J., BECK H., Central Greece and the Politics of Power in the Fourth Century BC, p. 226. 1370 Ibid., p. 227. 1371 Contre Aristocrate, 183. 1372 La chronologie de la troisième guerre sacrée est très incertaine, même dans ses dates de début et de fin, et est ainsi largement sujette à débat. La plupart des dates indiquées ici peuvent se voir opposées d’autres dates tout aussi vraisemblables mais elles permettent de fixer la succession des événements. 1373 BUCKLER J., Philip II and the Sacred War, p. 51. 1374 Lettre à Ammée, I, 4. 1375 SEALEY R., A History of the Greek City States, 700-338 B.C., p. 468. 1376 BUCKLER J., Philip II and the Sacred War, p. 51. 1377 KELLY, D. H., « Philipp II and the Boiotian Alliance », p. 79. 272

Selon Kelly, les Phocidiens contrôlaient le passage des Thermopyles ce qui verrouillait tout accès vers la Macédoine aux Béotiens sans compter que l’usage de navires est le moyen le plus facile pour rejoindre l’Asie mineure. Si Thèbes disposait encore de ses 100 trières, elle avait alors largement les moyens de transporter 5 000 hommes par mer. S’ils ont rejoint l’Asie en trières, ces soldats — qui devaient être un mélange de citoyens béotiens, d’esclaves mais aussi de mercenaires dont les Béotiens cherchaient à se débarrasser après la guerre contre la Phocide1378 — ont dû alors participer au voyage en tant que rameurs et on peut estimer qu’il aurait fallu environ trente navires pour les transporter1379 ce qui permet de laisser le reste de la flotte béotienne défendre ses ports. Contrairement à ce que soutient Buckler1380, un passage par Maronée ne constituerait pas nécessairement un détour car cela permettrait à la flotte béotienne de caboter le long de régions qui ne sont pas hostiles à la Béotie, voire alliées : la Thessalie, la Macédoine, la Thrace voire jusqu’à Byzance1381, toutes plus ou moins hostiles à Athènes qui a notamment perdu Amphipolis en 357. De plus, un arrêt de Pamménès à Maronée n’est pas non plus le fruit du hasard car la nouvelle des conquêtes macédoniennes a pu (et dû) lui parvenir alors qu’il était en Phrygie. Au retour, Pamménès pu s’arrêter à Maronée et jurer cette alliance avec le roi macédonien et peut-être a-t-il même pris cette même route à l’aller1382. Rien ne permet ainsi de trancher sur la question de la route que prît Pamménès lors de son expédition en Phrygie mais surtout rien n’exclut un passage par voie de mer qui constitue pourtant la voie la plus rapide, la moins dangereuse et la plus pratique pour traverser la mer Égée. Une fois arrivé en Phrygie, Pamménès remporte rapidement plusieurs victoires contre les troupes achéménides mais Artabaze le soupçonne de comploter avec des satrapes loyalistes et le fait enfermer1383. La rébellion s’achève alors peu après car Artabaze n’a plus les moyens de continuer la lutte et il est contraint de s’exiler en Macédoine alors que Pamménès dut probablement être libéré en Phrygie et rentrer en Béotie même s’il n’y a plus aucune mention de lui. Cet épisode phrygien traduit une certaine attitude chez les élites béotiennes qui cherchent toujours à s’impliquer dans des théâtres plus larges que la seule Grèce Centrale. Les années suivantes voient un rapprochement entre Thèbes et Artaxerxès III qui pardonne manifestement

1378 CARLIER P., Le IVe siècle grec, p.92. Le mercenariat semble s’être développé au IVe siècle et s’il constituait une aide non négligeable lors des conflits, en temps de paix, il s’agissait d’une nuisance pour les cités qui souffraient de pillage. 1379 Si l’on considère qu’une trière béotienne contenait environ 170 hoplites et épibates. 1380 BUCKLER J., Philip II and the Sacred War, p. 51. 1381 Byzance paraît plus isolée des Béotiens car Chalcédoine restait athénienne. 1382 On peut également envisager une route par les Cyclade à l’aller : c’est la plus directe et la plus pratique en termes de vents, car aller du sud au nord en été implique d’aller contre les vents étésiens. 1383 Polyen, VII, 33, 2. 273 aux Béotiens leur soutien à Artabaze1384. En 350/49, les Béotiens interviennent de nouveau dans les affaires achéménides en répondant cette fois à un appel du Grand Roi qui a besoin de mercenaires pour soumettre l’Égypte1385. Il est intéressant de noter que les Athéniens et les Spartiates, tout en maintenant leur amitié avec le Grand Roi, refusèrent de lui envoyer des troupes, ce que les Athéniens avaient déjà fait lors de la campagne de Phrygie1386. Cela dénote bien de cette volonté béotienne à s’investir en Orient afin d’améliorer leurs finances. Les Béotiens envoient ainsi 1000 hoplites commandés par Lacratès en Égypte tandis que les Argiens envoient 3000 soldats. Autant une route terrestre vers la Phrygie était envisageable que cette expédition-ci dut obligatoirement se faire par mer et il serait très surprenant que les Béotiens aient accepté d’y participer s’ils n’avaient pas de navires pour transporter ces troupes. Il faut alors admettre que la Béotie disposait encore d’une partie de sa flotte. Il s’agit de la dernière occurrence d’une intervention béotienne outre-mer au temps de la Seconde Confédération Béotienne ce qui n’est pas incohérent dans la mesure où ces navires, ayant été construits en 365, étaient anciens. Hors combat, on estime traditionnellement la durée de vie d’une trière au IVe siècle à maximum 20 ans et plus probablement à une dizaine d’années1387. La Béotie ne fut jamais impliquée dans une bataille navale et on peut estimer qu’il n’y a pas de raison à ce que la Béotie n’ait plus eu ses navires 15 ans après leur construction. Si les Béotiens disposaient encore d’une flotte de guerre, celle-ci était en réalité inadaptée à toute bataille sur mer. Les navires béotiens devaient être anciens et fragiles au moment où les autres grandes puissances navales modernisaient leurs flottes en se dotant de tétrères. Peut-être même que les trières béotiennes les plus endommagées ont été démontées si bien que les Thébains, même s’ils l’avaient voulu, n’auraient pu reprendre une activité maritime intense. Cependant, cette campagne d’Égypte n’augurait de toute façon aucune bataille navale ; l’Égypte est une puissance terrestre et ce sont des hoplites qui sont envoyés. Même en cas de conflit sur mer, la flotte achéménide avait largement les moyens d’intervenir seule. C’est néanmoins la dernière fois que les Thébains cherchèrent à intervenir dans des conflits au-delà de la mer Égée car la situation de la Béotie était elle-même très instable, celle-ci étant au cœur des conflits qui ravageaient la Grèce centrale.

1384 Diodore, XVI, 40, 1-2 voit Artaxerxès accorder aux Béotiens 300 talents d’argent pour les aider dans leur guerre contre la Phocide. 1385 Diodore, XVI, 44, 1-2. 1386 Diodore, XVI, 34, 1-2, explique que c’est parce que le stratège athénien Charès a dû quitter le conflit aux côtés d’Artabaze que ce dernier chercha le soutien des Béotiens. 1387 CORVISIER J., Les Grecs et la Mer, p.153. 274

3) Les conflits en Grèce centrale

À la suite de la bataille de Néon, Onomarchos succède à Philomélos et reprend le conflit contre la Béotie alors que celle-ci a envoyé une armée de 5000 soldats en Phrygie. La Béotie est dès lors dans une situation difficile d’autant qu’Onomarchos n’hésite pas à puiser abondamment dans les richesses de Delphes pour engager des mercenaires. Le conflit touche directement la Béotie où les Phocidiens prennent Chéronée et Orchomène en 3541388. L’année suivante, Onomarchos combat sur deux fronts : - En Thessalie, où il est allié aux tyrans de Phères contre les autres Thessaliens. Ces derniers ont fait appel à Philippe II de Macédoine, mais il est vaincu par deux fois par les Phocidiens. - En Béotie, où il s’empare de Chéronée1389. Onomarchos est finalement défait par Philippe à la bataille du Champ de Crocus, en 352, et cela permit probablement aux Béotiens de récupérer les places précédemment perdues1390. C’est Phayllos, frère d’Onomarchos, qui prend alors la tête de la Phocide en tant que strategos autokrator et il relance immédiatement une expédition qui est cette fois concentrée uniquement sur la Béotie. La première campagne de Phayllos est un échec celui-ci étant vaincu à de nombreuses reprises par les Béotiens alors qu’ils étaient en infériorité numérique. Sparte, alliée des Phocidiens, cherche alors à profiter du fait que les Thébains soient occupés en Grèce centrale pour tenter de soumettre la Messénie et l’Arcadie. Thèbes parvient néanmoins à envoyer une armée pour défendre ses alliés et au cours des deux expéditions de 352 et 351, aucun des deux camps ne parvient à surpasser l’autre. C’est le même sentiment qui transparaît des conflits entre Thèbes et Phayllos au même moment, où personne ne parvient à une victoire décisive. Le conflit se poursuit dans les années suivantes, les Phocidiens étant cette fois-ci menés par Phalaiskos. Celui-ci parvient à prendre Coronée en 3491391 et s’empare ensuite d’Orchomène et de « Korsiai »1392. Il est nécessaire de s’attarder un moment sur le cas de Korsiai car il n’existe aucune cité béotienne portant ce nom. Diodore n’invente pas les faits qu’il rapporte mais il y a une faute dans le nom de la cité pouvant être attribuée à Diodore ou à un copiste. La confusion porte entre Chorsiai et Korseia et plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer à quelle cité il fait

1388 BUCKLER J., Philip II and the Sacred War, p. 56-57. 1389 Ibid., p. 72. 1390 Ibid., p. 82. 1391 Diod., XVI, 56, 2, ou en 348/7, Diodore se montre flou sur les événements entre 351 et 347 alors que la guerre semble continuer. 1392 Diod., XVI, 58, 1. 275 référence. Paul Roesch1393 soutient qu’il faut exclure Korseia car il estime qu’il ne s’agit que d’un village — mal localisé — qui n’a aucune importance stratégique contrairement à Chorsiai, port important du golfe de Corinthe. Chorsiai étant situé sur l’extrémité occidentale de la Béotie, c’est également le port le plus proche de la Phocide. Cette position suffirait à justifier l’intérêt de Chorsiai pour les Phocidiens s’ils souhaitaient maintenir un contact maritime avec leur région d’origine. C’est l’opinion la plus communément admise1394. Pourtant, Denis Knoepfler et Roland Etienne, en proposant de localiser Korseia sur la forteresse de Néochori1395, rouvrent l’hypothèse que ce soit ce site qui ait été pris par Phalaiskos. En effet, Néochori est une forteresse béotienne située sur le versant nord du mont Chlomo donnant sur la Locride ce qui permet de contrôler toute la côte locrienne qui va d’Oponte à Halai. Une telle position est très utile pour les Béotiens ou dans le cas présent les Phocidiens car le Chlomo, dans l’autre sens, bouche toute vue sur la Béotie1396. C’est d’autant plus utile pour les Phocidiens que la Locride est une alliée fidèle des Béotiens1397 et que Korseia est facilement accessible depuis Orchomène et Coronée qu’ils contrôlent d’autre part. L’invasion de Phalaiskos, en plus de priver les Béotiens de toute la partie occidentale de la Béotie — isolant de fait Chéronée —, leur fait perdre le contrôle soit d’une partie du littoral locrien, soit, moins probablement, de celui de l’extrémité sud-ouest de la Béotie ce qui serait néanmoins de bien moindre importance. La situation de la Béotie, critique à de nombreux égards, ne va que difficilement s’améliorer dans les années suivantes. Les Béotiens sont épuisés par dix années de guerre et contraints de s’allier à Philippe II en 347. Celui-ci leur envoie des renforts probablement par mer. En effet, le passage des Thermopyles est toujours contrôlé par les Phocidiens et surtout par les Athéniens qui cherchent à tout prix à maintenir Philippe le plus loin possible de l’Attique. Les Athéniens auraient facilement pu empêcher Philippe de passer par l’Euripe si Chalcis avait fermé le détroit mais l’Eubée, après s’être révoltée en 349, est devenue indépendante ce qui ouvre le passage aux renforts Macédoniens. Ceux-ci sont en proportion insuffisante pour permettre aux Béotiens de mettre un terme à la guerre sacrée mais suffisantes pour repousser les Phocidiens hors de Béotie. La guerre s’achève en 346 à l’avantage de Philippe qui récupère par la même occasion un contrôle total de l’Amphictyonie par la domination de la Thessalie. Les années suivantes sont particulièrement calmes pour la Béotie qui assiste impuissante — ou simplement indifférente — à l’extension de l’influence macédonienne en Grèce centrale. Les

1393 « Korseia, Chorsiai et la IlIe Guerre sacrée », p. 374-376. 1394 BUCKLER J., Philip II and the Sacred War, p. 102. 1395 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux entre 250 et 171 avant J.-C., p. 34. 1396 Ibid., p. 37. 1397 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie, p. 40. 276

Thébains ne réagissent qu’en 339 en décidant d’occuper les Thermopyles contre Philippe mais celui-ci contourne le défilé et s’empare d’Élatée, juste à la frontière béotienne, ce qui constitue une menace très claire contre Thèbes. Il propose néanmoins aux Thébains de revenir dans le giron macédonien, usant ainsi de la carotte et du bâton. La prise d’Élatée est également au cœur de toutes les préoccupations chez les Athéniens : si Philippe parvient à séduire les Béotiens, son but évident est de pénétrer en Attique. Suivant les conseils de Démosthène, Athènes propose une alliance sans condition à la Béotie1398 car perdre ici face à Philippe signifierait la fin d’Athènes. Les Béotiens s’allient alors aux Athéniens contre la Macédoine. Eschine, en 336, reproche à Démosthène son attitude envers les Béotiens arguant qu’ils étaient alors dans une position plus critique que les Athéniens et il expose alors ce que Démosthène leur a concédé1399 : - Les Athéniens se chargent des deux tiers des dépenses de guerre. - Le commandement sur terre est entièrement dévolu aux Béotiens. - Le commandement sur mer est partagé entre les deux puissances mais les Athéniens en prennent toute la dépense. Évidemment ce discours est loin d’être objectif, Eschine est lourd de reproches contre son grand rival Démosthène qui a dominé la vie politique athénienne de 339 à 338. Eschine tourne les événements à son avantage comme lorsqu’il présente « sans ambages » la mesure concernant le commandement sur terre, il est clair que la proposition de Démosthène était tournée autrement. Néanmoins, ce développement est riche en enseignement car il peut nous informer sur la façon dont les Thébains voyaient l’avenir dans sa perspective la plus optimiste. La proposition athénienne a probablement entraîné la résurgence d’espoirs hégémoniques béotiens où l’on s’imaginait aux grands jours d’Épaminondas. Le fait que les Béotiens récupèrent le commandement sur terre n’est pas surprenant étant donné que la Béotie est une puissance continentale en première ligne face à Philippe, devant se battre sur son propre territoire et qu’il est classique que les deux grandes puissances se divisent le commandement entre terre et mer1400. La division sur mer est plus originale car elle prouve que les Thébains n’avaient pas renoncé à tout développement maritime. On peut même supposer qu’en acceptant le commandement de la moitié de la flotte commune, les Béotiens disposaient d’une petite flotte qui permettrait — au-delà de la défense des ports béotiens — d’intervenir directement contre une puissance étrangère. Les Athéniens et Béotiens espéraient vaincre Philippe à Chéronée et s’attendaient probablement à ce que la guerre suivante soit longue

1398 Démosthène, Sur la Couronne, 178. 1399 Eschine, Contre Ctésiphon, 143. 1400 Comme l’avaient fait Sparte et Athènes en 369. 277 et que la marine y joue un rôle1401. Les termes de cette alliance sont néanmoins si défavorables aux Athéniens qu’il est difficile de les voir les supporter sur le long terme et Démosthène devait espérer renégocier les proportions du commandement béotiens après Chéronée, une fois que les possibilités d’une alliance entre Thèbes et Philippe ont été largement compromises. Tout cela présupposait néanmoins une victoire face à Philippe et en l’absence, les termes de l’alliance entre Thèbes et Athènes n’eurent que des conséquences bien limitées comme le prouve le fait qu’Eschine est obligé de rappeler ces événements à un auditoire qui soutient largement Démosthène1402. À l’été 338, la défaite des Athéniens et des Béotiens à Chéronée scelle l’histoire de la deuxième Confédération Béotienne.

La victoire de Philippe sur les Béotiens constitue une rupture réelle dans l’histoire maritime béotienne car en modifiant l’organisation interne du Koinon1403, Philippe retire toute prédominance régionale aux Thébains, décision qui est implacablement confirmée par la destruction de leur cité en 335. À la bataille de Mantinée, Thèbes ne perdait qu’un seul de ses dirigeants, même si c’était le plus brillant d’entre eux, alors qu’entre 338 et 335, c’est toute la classe dirigeante thébaine qui est remplacée ce qui constitue indéniablement une fracture politique autrement plus importante. Le développement d’une marine béotienne ne fût pas qu’un projet éphémère d’Épaminondas mais il s’agissait réellement d’un outil que les Thébains entendaient mettre à profit pour étendre leur influence dans des théâtres d’action toujours plus éloignés à partir de leur indépendance en 379 et ce jusqu’à leur défaite en 338. Cette préoccupation pour la mer transparaît tout au long de la période même si sa mise en place a souvent été pénible et parsemée d’obstacles. Dans un premier temps, les Béotiens ont sans cesse œuvré pour sécuriser leurs côtes ce qui leur permit de disposer d’une flotte de taille modeste mais capable de missions spécifiques notamment dans le cadre de leur alliance avec Athènes. La situation change néanmoins du tout au tout à partir de 365, lorsque les Béotiens après s’être alliés aux Perses, choisissent de se doter d’une flotte considérable qui pourrait s’opposer à Athènes après avoir réussi à attirer dans leur alliance plusieurs membres de la Ligue Maritime Athénienne. Ce vaste projet n’aboutit pourtant jamais à la suite de la mort de son principal artisan en 362, Épaminondas. Les 25 années suivantes virent les Béotiens ne jamais renoncer

1401 Déterminer ce rôle serait un exercice difficile et périlleux, proche de l’uchronie, car il ne repose que sur la victoire des Athéniens et Béotiens à Chéronée. On peut néanmoins supposer que les Athéniens avaient toujours des vues sur Amphipolis et que les Béotiens et leurs alliés auraient facilement pu reprendre l’Eubée aux Macédoniens. 1402 Ce fameux procès intenté par Eschine se terminant par sa propre condamnation comme calomniateur. 1403 C’est la date traditionnellement retenue pour le passage à la troisième forme du Koinon des Béotiens. 278 totalement à l’usage de leur flotte qui semble néanmoins s’être progressivement désagrégée ce qui est lié à plusieurs raisons : - Désintérêt des élites béotiennes pour les questions égéennes au profit de celles relevant de l’influence béotienne en Grèce centrale. - La précarité de la situation maritime béotienne à partir du moment où l’Eubée retourne dans l’alliance athénienne. - Vieillissement des trières béotiennes alors que les autres puissances maritimes dotent leurs flottes de tétrères comme le fit Athènes. - Et certainement pour des raisons financières. Ce dernier élément est probablement l’une des raisons principales du désengagement sur mer et elle est simple : maintenir une flotte de guerre importante coûte une fortune, fortune que les Béotiens n’eurent jamais. Peut-être est-ce là que réside la réelle faiblesse de la Béotie dans ses projets maritimes. Alors que la Béotie était au sommet de sa puissance, sa stratégie diplomatique était habile et visait principalement à affaiblir ses ennemis. Il s’agissait d’attirer dans son réseau d’alliance les nombreux alliés insatisfaits des Athéniens et Lacédémoniens qui étaient jusqu’alors contraints de rester dans la Ligue Maritime ou dans la Ligue du Péloponnèse. La Béotie disposait ainsi de nombreux alliés sur lesquels elle n’imposait pas de taxe car elle devait se montrer aussi attractive que possible pour débaucher de nouveaux alliés à ses rivales. Ce système avait ses avantages mais il se montre impropre à toute hégémonie maritime qui demanderait des fonds énormes. Si l’on compare la situation béotienne avec celle de ses rivales, le problème paraît évident. Si Athènes pu développer sa propre flotte au Ve siècle, ce fut avec l’argent des mines du Laurion mais elle ne la maintint en service que grâce au très impopulaire phoros. C’est la même chose pour Sparte qui put se doter d’une flotte de trières en pleine guerre du Péloponnèse grâce au soutien du Grand Roi mais repris ensuite pour son propre compte les techniques brutales athéniennes. Au IVe siècle, c’est Athènes qui parvient à reconstituer sa Ligue Maritime mais qui malgré toutes ses promesses de ne pas reprendre ses habitudes de la Ligue de Délos fût obligée de reprendre tributs et exactions contre les alliés récalcitrants car c’est de la survie de sa flotte qu’il en dépendait. Le cas béotien est loin d’être similaire, ceux-ci bénéficièrent de l’appui du Grand Roi pour se doter de la flotte et la mettre à l’eau après la paix de Suse mais ne disposèrent jamais d’une source de revenu suffisante pour exercer une hégémonie sur mer. Sur ce sujet-là, le milieu du IVe siècle est marqué par des difficultés croissantes pour la Béotie qui est impliquée dans la troisième guerre sacrée et qui doit successivement servir satrapes révoltés et Grand Roi pour améliorer sa situation financière. Le passage d’Eschine sur l’alliance entre Athènes et Thèbes illustre parfaitement la situation béotienne

279 où les Thébains n’ont plus les moyens pour des dépenses de guerre importantes, notamment sur mer, mais se rêvent maîtres de la Grèce, sur terre comme sur mer.

280

III La mer divisée (338-171)

Avec la défaite de Chéronée, les Thébains perdent toute la suprématie qu’ils pouvaient avoir sur les autres cités de Béotie. Les cités voisines de Thèbes avaient été les premières à souffrir de son hégémonie qui fut notamment marquée par 40 années de guerre. L’impérialisme thébain pouvait également se montrer extrêmement brutal comme en pâtirent Platées, Thespies et Orchomène qui perdirent leurs murs et leur indépendance respectivement en 373, 371 et 364. Le ressentiment qu’avaient la plupart des cités béotiennes à l’égard de Thèbes fut habilement exploité par Alexandre le Grand lorsqu’il remit son sort à la Ligue de Corinthe qui se montra impitoyable. La responsabilité de la destruction d’une des cités les plus anciennes et les plus importantes de Grèce est ainsi partagée entre ses ennemis traditionnels comme la Phocide, mais aussi Thespies ou Platées1404. La Troisième Confédération Béotienne qui se forme à la même période s’attache à être beaucoup moins centralisatrice avec plusieurs cités majeures qui se partagent le pouvoir et se réunissent au sanctuaire fédéral d’Onchestos. La date de 338 fait particulièrement sens pour une étude de la politique navale béotienne car celle-ci est intimement liée aux institutions fédérales. Au niveau géopolitique, la situation de la Béotie a elle aussi considérablement évolué. Le monde des cités existe encore mais elles doivent désormais composer avec les puissants royaumes d’Alexandre et de ses diadoques dont les conflits pèsent sur les petites cités qui ne peuvent que difficilement rivaliser avec les souverains macédoniens. Dans un tel contexte, la politique maritime béotienne a également changé du tout au tout car elle dut suivre ses propres capacités et apparaît souvent limitée à un simple contrôle du littoral. C’est alors une période difficile pour la Béotie qui coexiste avec des puissances bien plus importantes qu’elle jusqu’à ce que cette Confédération soit supprimée par Rome en 171. On peut néanmoins découper cette longue troisième confédération en deux temps avec une autre bataille de Chéronée servant de transition en 245, une autre défaite pour les Béotiens. Cette date fait sens tant parce qu’elle semble suivie de réformes profondes en Béotie que parce que Polybe la voit lui-même comme un tournant dans l’histoire béotienne. Les sources pour étudier les affaires maritimes béotiennes — comme dans à peu près tous les autres aspects de leur politique — se révèlent néanmoins bien moins nombreuses qu’aux autres périodes, rendant plus difficile les possibilités de retracer les enjeux maritimes des Béotiens dont il est ici question.

1404 CARLIER P., Le IVe siècle, p.138. 281

A- La Béotie dans les luttes des diadoques (338 - 245)

1) Les conséquences du passage à la Troisième Confédération béotienne

Entre la bataille de Chéronée et la destruction de Thèbes, la situation politique de la Béotie évolue considérablement. Les mesures que prend Philippe contre les Thébains sont sévères car il cherche à saper toute leur puissance. Il renverse la démocratie au profit d’une oligarchie dévouée à sa personne et place une garnison macédonienne sur la Cadmée. Thespies, Orchomène et Platées regagnent alors leur totale autonomie au détriment de Thèbes. Thespies, qui avait peut-être même été assimilée au territoire de Thèbes après Leuctres, peut alors récupérer son territoire, notamment Creusis. Thèbes se retrouve privée du port principal sur le golfe de Corinthe tandis que les ports de Chorsiai et de Siphai gagnent également leur liberté1405. Dans le cas de Siphai, une inscription honorifique mégarienne de la fin du IIIe siècle atteste que Siphai était une cité indépendante1406 tandis que Chorsiai promulgue plusieurs décrets de proxénies au cours de la période hellénistique1407. La destruction de Thèbes permet à d’autres cités de s’émanciper ou d’étendre leur territoire. C’est le cas d’Anthédon qui paraît être une polis tout au long de la période hellénistique1408 et qui a probablement accédé à l’autonomie en 335 plutôt que 3381409. Tanagra a dû également profiter de la destruction de Thèbes pour récupérer Hyria1410 — si tant est qu’elle existait encore — et certainement les ports du golfe Euboïque sud, Salganeus et Aulis1411. La Béotie est elle-même dépossédée d’Oropos qui est donnée aux Athéniens, probablement par Alexandre en 3351412. Cette nouvelle organisation territoriale de la Confédération béotienne, suivant l’opinion de D. Knoepfler1413, devait comporter 7 télè divisant le littoral entre plusieurs cités suivant leur importance territoriale :

1405 DECOURT J. C., « Etude d’Archéologie spatiale : Essai d’application à la géographie historique en Béotie », p. 44. 1406 IG VII 207 qui parle d’une « τῇ πόλι Σιφείων ». 1407 Comme IG VII 2385. 1408 Des inscriptions fédérales présentent des magistrats d’Anthédon comme IG VII 2723 et IG VII 3207. 1409 KNOEPFLER D., « Inscriptions de Béotie Orientale », p. 602. 1410 Strabon, IX, 2, 12, il indique qu’Hyria appartenait autrefois aux Thébains avant d’être récupérée par Tanagra. 1411 BAKHUIZEN S. Salganeus and the fortifications on its mountains, p. 22. 1412 KNOEPFLER D., « Oropos et la Confédération béotienne à la lumière de quelques inscriptions revisitées », p. 120. 1413 Ibid., p. 147. 282

- Thespies contrôle un télos entier correspondant à son territoire et lui donnant un accès à la mer par Creusis. - Tanagra dispose également d’un télos entier comprenant toute la côte sur le golfe Euboïque sud. - Un télos rassemblait plusieurs petites cités au sud de l’Hélicon soit tout le littoral béotien du golfe de Corinthe à l’ouest de Creusis comprenant les cités de Thisbé, Siphai et Chorsiai. - Un autre télos comprenait toutes les petites cités du golfe Euboïque nord soit la côte qui va de Salganeus à Boumélita et qui comprenait Halai, Larymna et Anthédon. Avec cette division de la Béotie, Thèbes n’eut plus jamais accès à la mer — même après sa reconstruction — son territoire ayant été réparti entre ses voisines. La plupart des cités béotiennes durent se réjouir de la suppression de Thèbes soit car elles en bénéficiaient directement par des acquisitions territoriales, soit qu’elles étaient débarrassées de sa pesante autorité. Néanmoins, sa disparition dut profondément fragiliser les frontières béotiennes et notamment le littoral béotien. Les Macédoniens, qui disposaient également d’une garnison à Chalcis depuis 338, étendent les limites des murailles de la cité au-delà du détroit de l’Euripe de façon à englober la colline de Karababa1414. Il s’agissait d’un territoire qui appartenait jusqu’alors à Thèbes et c’est sa destruction qui permit aux Chalcidiens de s’en emparer1415. Cette forteresse de Karababa, sécurisant tout le détroit de l’Euripe, put alors permettre aux Macédoniens de contrôler la Grèce centrale et les deux golfes Euboïques1416. Cette situation politique dut s’accompagner d’une période difficile pour l’économie béotienne sous le règne d’Alexandre le Grand. Le sac de Thèbes, ville la plus riche de la région, y a évidemment contribué1417 mais il faut certainement envisager une hausse importante du prix du grain en Grèce. Celle-ci pourrait être due à des facteurs climatiques défavorables en Grèce continentale1418 ou même en raison de l’expédition asiatique d’Alexandre qui s’accompagne d’une forte demande en blé1419. C’est ce que semble en partie indiquer la « stèle des céréales »1420 qui voit Cyrène vendre ou distribuer d’importantes quantités de grain à de nombreuses cités grecques entre 331 et 325 ou 323. Tanagra et Platées sont concernées en Béotie comme plusieurs autres cités du golfe de Corinthe1421 (à l’image de Sicyone). Cette mauvaise situation dut pousser les cités

1414 Strabon, X, 1, 8. 1415 BAKHUIZEN S. Salganeus and the fortifications, p. 22. 1416 Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 1. 1417 POST R., The Military Policy of the Hellenistic Boiotian League, p. 48. 1418 BERTHELOT H., « La “stèle des céréales” de Cyrène », p. 7. 1419 BRUN P., « La stèle des céréales de Cyrène et le commerce du grain en Égée », p. 185. 1420 SEG, IX, 2. 1421 RHODES P. J., OSBORNE R., Greek Historical Inscriptions 404-323 BC, p. 492. 283 béotiennes à se recentrer sur leurs problèmes internes sans pouvoir développer de grande politique fédérale d’autant que toute politique extérieure relève alors des volontés d’Alexandre. C’est ce qui ressort du silence des sources sur une quelconque politique maritime béotienne d’autant que la Troisième Confédération était encore jeune. A la mort d’Alexandre, de nombreuses cités profitent de l’occasion pour tenter de renverser l’autorité macédonienne. Mais contrairement aux Athéniens ou aux Étoliens, les Béotiens s’allièrent aux Macédoniens car ils redoutaient que les Athéniens ne voulussent rétablir Thèbes1422. Cette nouvelle guerre mis une fois de plus la Béotie en première ligne d’invasions étrangères, continuant de miner les richesses de la région. C’est probablement là que réside le drame de la Béotie qui, par sa position centrale en Grèce, est continuellement traversée par des forces étrangères ce qui se vérifie à de multiples reprises dans les décennies suivantes.

2) Le contrôle de l’Euripe dans les conflits des diadoques

À la fin du IVe siècle, la Béotie connaît un destin mouvementé, ballotée dans les conflits entre les diadoques. Lorsque meurt Alexandre, la Béotie est toujours contrôlée par Antipatros, stratège d’Europe, et ce jusqu’à sa mort en 319. La guerre Lamiaque qui secoue alors la Grèce est notamment marquée par la défaite athénienne à qui voit la disparition de toute sa puissance navale1423. Les cités grecques vaincues, leur contrôle allait dès lors être au cœur des conflits des diadoques, sur terre et sur mer. La Grèce continentale est ainsi l’objet d’une nouvelle guerre entre Polyperchon, successeur désigné d’Antipatros, et Cassandre, fils d’Antipatros qui revendique la succession de son père. Cassandre récupère peu après la Béotie et refonde Thèbes en 3161424. Cette refondation devait inquiéter grandement les autres cités béotiennes, notamment Anthédon, petite cité n’ayant gagné que récemment son indépendance face à Thèbes. Il faut dès lors distinguer dans la politique des diadoques les mesures pro-thébaines de celles qui sont pro- béotiennes, les deux étant difficilement conciliables. Lorsque Cassandre, traverse une fois de plus la Béotie avec son armée en 315 et s’arrête pour aider à reconstruire Thèbes1425, cela ne dût qu’accroître le mécontentement des Béotiens d’autant que le passage d’une armée sur ses terres entraîne nécessairement des saisies et des conflits au détriment des populations locales. Pendant ce temps, Antipatros, contrôlant l’Asie et en conflit ouvert avec Cassandre, proclame ses intentions

1422 Pausanias, I, 25, 4. 1423 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, 323 – 30 av. J.-C., tome I, p. 31. 1424 Diod., XIX, 61, 2. 1425 Diod., XIX, 63, 3-4. 284 de rendre leur liberté aux cités grecques dans son manifeste de Tyr1426. Ce discours de propagande est directement dirigé contre Cassandre et dut être bien reçu en Béotie, préfigurant une expédition d’Antigone en Grèce. Celle-ci a lieu en 313, lorsque le stratège d’Asie envoie son neveu Polémaios à la tête d’une flotte de 160 navires — dont 10 navires rhodiens — en Béotie1427. Polémaios débarque dans le Bathys Limen d’Aulis et reçoit immédiatement un grand soutien de la part des Béotiens qui lui donnent 2200 hommes et 1300 cavaliers qui se rajoutent à ses 5 500 soldats et 500 chevaux. Il entreprend alors de fortifier la position de Salganeus pour y placer son armée1428. Son but était alors de prendre Chalcis qui était toujours tenue par une garnison macédonienne alors que Cassandre était lui-même en Eubée en train d’assiéger Oréos. Dans ce contexte troublé, Chalcis constitue une place hautement stratégique pour qui la tenait car elle permet d’empêcher toute flotte de passer l’Euripe ce qui explique qu’elle soit dans les ambitions de tout prétendant au contrôle de la Grèce. Il nous faut revenir sur la fortification de Salganeus car toute une série d’éléments défensifs sont encore visibles aujourd’hui dans les montagnes qui surplombent la plaine de Dhrosia dans laquelle se trouve Salganeus, fortifications que Bakhuizen1429 assimile à celles construites par Polémaios. Il s’agit d’un ensemble de cinq forteresses reliées entre-elles par le mur d’Aniforítis qui sert clairement à protéger la plaine de Dhrosia1430. Les forteresses sont pour la plupart rudimentaires car construites rapidement mais celle de Kastro, la plus orientale, bénéficie d’une installation soigneusement planifiée. En effet, elle profite idéalement de la colline sur laquelle elle repose et aucun détail de son implantation ne semble laissé au hasard si bien qu’elle ne peut qu’avoir été élaborée par un architecte spécialisé dans de tels ouvrages1431. Si cette forteresse est la plus soignée de toutes, cela est dû à l’intérêt stratégique de sa position qui surplombe Aulis, l’entrée de l’Euripe sur le Stenó1432 ainsi que la route qui mène d’Aulis à Chalcis et Salganeus. Sur la colline de Vesalás, entre Aulis et le golfe Euboïque, une autre forteresse sobrement nommée Forteresse d’Aulis, semble fermer le dispositif1433. Cette dernière forteresse joue également un rôle important car elle permet de surveiller tant la route qui va d’Aulis à Chalcis et Salganeus que le Bathys Limen, le grand port d’Aulis. L’ensemble accroît donc l’emprise que pouvait avoir quelqu’un sur l’Euripe et si c’est

1426 Diod., XIX, 61, 1-4. 1427 Diod., XIX, 77, 2-3. 1428 « τειχίσας τὸν Σαλγανέα συνήγαγεν ἐνταῦθα πᾶσαν τὴν δύναμιν ». 1429 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications on its mountains. 1430 Ibid., p. 84. 1431 Ibid., p. 64. 1432 Détroit formant une petite baie au sud de l’Euripe. 1433 Ibid., p. 96. 285

Polémaios qui l’a effectivement fait construire, elle lui permettait de mettre sa vaste armée à l’abri dans la plaine de Dhrosia sans qu’elle n’occupe une cité, suivant les volontés d’Antigone.

Les fortifications de Salganeus1434

Comme le reconnaît Bakhuizen lui-même1435, la datation du site est peu aisée. La forteresse de Kastro est très certainement macédonienne et les techniques de constructions laissent entendre qu’elle a été construite au IVe/IIIe siècles mais il est difficile de savoir si tout l’ensemble défensif date de la même époque. Si l’hypothèse de Bakhuizen est séduisante et repose en plus sur un passage de Diodore ne laissant que peu de place au doute, plusieurs éléments rendent cette solution moins évidente. D’une part, le système défensif est tourné contre la Béotie — région alliée de Polémaios — et protège la plaine ainsi que Chalcis ce qui ne s’accorde que peu avec les objectifs de Polémaios1436. De plus, la situation de Polémaios en 313 ne lui laissait que difficilement le loisir

1434 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications on its mountains, p. 68. 1435 Ibid., p. 94-95. 1436 PICARD O., Chalcis et la Confédération eubéenne : Étude de numismatique et d’histoire, IVe-Ier siècle, p. 256. 286 de s’atteler à la construction d’un système défensif aussi vaste — même en considérant que celui- ci ait été construit à la hâte1437 — ce qui éliminerait l’idée selon laquelle Polémaios ait construit ce système juste après s’être emparé de Salganeus en 3131438. Deux hypothèses peuvent alors être envisagées : soit le système défensif a en réalité été construit par les Macédoniens avant 3131439 en complément de la fortification de Chalcis et elle était donc tournée contre les Béotiens et quiconque contrôlant la Grèce centrale1440, soit Polémaios l’a construit après s’être emparé de Chalcis (ce qu’il fit peu après avoir débarqué, obligeant Cassandre à retourner en Macédoine), car il savait dès lors que les prochaines expéditions devaient avoir lieu en Grèce Centrale. Cette dernière hypothèse paraît plus intéressante que la première car elle supposerait que Diodore ne se soit trompé que dans l’enchaînement des événements s’il parle bien des défenses protégeant la plaine de Dhrosia lorsqu’il évoque la fortification de Salganeus (ce qui reste quand même très probable). Dans tous les cas, qui que ce soit qui ait construit ce complexe défensif, celui qui occupe Chalcis tient également la plaine de Dhrosia et la conséquence en est dramatique pour les Béotiens. Ceux-ci se retrouvent non seulement particulièrement exposés à une invasion terrestre mais ils perdent alors tout contrôle d’Aulis et de son Bathys Limen, le plus grand port de toute la Béotie. Pour mieux faire accepter le fait aux Béotiens, cette perte territoriale est contrebalancée par l’acquisition d’Oropos1441 en 3121442. Polémaios contrôlant toute l’Eubée en plus d’Aulis, il faut considérer que toute la défense des côtes béotiennes sur le golfe Euboïque ne reposait que sur le bon vouloir du général d’Antigone qui disposait toujours d’une flotte considérable. Polémaios resta probablement dans la plaine de Salganeus jusqu’en 310, date où il s’allie à Cassandre1443 et choisit de se révolter contre Antigone. Il lui apparut alors que sa position était moins solide que ce qu’il croyait de prime abord et il dut se résigner à placer des garnisons à Chalcis et à Érétrie pour s’assurer de leur fidélité1444. L’année suivante il rencontra Ptolémée à Kos pour fonder une alliance contre Antigone ce qui mit également un terme à sa rébellion car Ptolémée choisit plutôt de le forcer à boire la cigüe, estimant probablement qu’une telle alliance ne lui

1437 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications, p. 100. 1438 POST R., The Military Policy of the Hellenistic Boiotian League, p. 79. 1439 Du temps de Cassandre ou d’Alexandre. 1440 PICARD O., Chalcis et la Confédération eubéenne, p. 256. 1441 Diod., XIX, 78, 3. 1442 Les Béotiens avaient donc perdu Oropos en 338 ou 335 et la cité était alors redevenue athénienne. Elle accéda néanmoins à l’indépendance à la suite de la défaite d’Athènes dans la guerre Lamiaque. Cette indépendance dura jusqu’en 313, lorsque Cassandre quitta l’Eubée pour prendre Oropos mais la cité ne résista pas au siège de Polémaios l’année suivante. 1443 Diod., XX, 19, 2. 1444 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications, p. 122. 287 rapporterait rien. La mort de Polémaios conduit à une libération de l’Euripe comme nous l’indique un décret Athénien1445 :

[— — — — — — — — — — — — — — — — — Στρατο] [κλῆς Εὐθ]υδ[ήμου] Δ[ι]ομεεὺς εἶπεν· ἐ[πειδὴ ․․] ․ότιμος π[ρ]ότερόν τε κατασταθεὶ[ς ἐπὶ τὴν] [τ]οῦ Εὐρίπου φυλακὴν ὑπὸ Πολεμα[ίου, τελευ]- [τ]ήσαντος ἐκείνου ἀπέδωκε Χα[λκιδεῦσιν τ]- [ὸν Ε]ὔριπον κα[ὶ] α[ἴ]τιος ἐγένετο [τοῦ τὴν πόλ]- [ιν] αὐτῶν ἐλευθέραν γενέσθαι κα[τὰ τὴν προ]- [α]ίρεσιν τῶν βασιλέων Ἀντιγόνο[υ καὶ Δημη]- [τρ]ίου καὶ νῦν ἐπιστρατεύσαντ[ος ἐπὶ τὸν δ]- [ῆμ]ον τὸν Ἀθηναίων Κασσάνδρ[ου ἐπὶ δουλεί]- [αι τ]ῆς πόλεως π — — — — — — — — — — — — —

Stratoklès, fils d’Euthydémos, de Dioméia a proposé : Attendu que […]-Otimos, ayant été nommé par Polémaios pour commander la garde de l’Euripe, a précédemment rendu l’Euripe aux Chalcidéens après la mort de Polémaios, donnant ainsi sa liberté à la cité, suivant les volontés des rois Antigone et Démétrios ; et maintenant, quand Cassandre a marché contre le peuple des Athéniens avec le souhait de réduire leur cité en esclavage…

L’inscription est grandement mutilée dans la partie qui concerne directement Athènes mais on voit que ce commandant de l’Euripe est honoré par les Athéniens pour avoir libéré Chalcis et l’Euripe. Cela signifie certainement que Polémaios exerçait un contrôle strict sur les passages dans le détroit allant au détriment des Athéniens et par extension des Béotiens. La mort de Polémaios donna à la Béotie une liberté inattendue au milieu d’une Grèce en grande partie soumise aux diadoques et il est ici nécessaire de déterminer ce que purent être les années suivantes pour les Béotiens. Manifestement, ils ont cherché à profiter de la disparition de Polémaios pour s’étendre

1445 IG II² 469. Traduction par Andrew Smith sur http://www.attalus.org/docs/sig1/s328.html. 288 au-delà du golfe Euboïque étant donné qu’un passage de Diodore1446 indique que Chalcis était contrôlée par une garnison béotienne ce qui leur permit de tenir l’Euripe à leur avantage. Maurice Holleaux a brillamment déduit à partir d’une inscription érétrienne1447 qu’Érétrie devait également faire partie du Koinon béotien car les magistrats principaux civiques présents dans le décret sont des polémarques, une institution proprement béotienne et jamais érétrienne1448. Holleaux va plus loin en datant cet épisode de la période 308-304, datation très largement acceptée par la grande majorité des spécialistes de la Béotie1449. Denis Knoepfler rejette cette datation en soutenant de son côté que le décret ne peut pas être antérieur à 2871450 ce que l’on doit accepter. Knoepfler exclut également une adhésion de Chalcis au Koinon entre 308 et 304 car Holleaux fonde son raisonnement sur une inscription du sanctuaire d’Apollon Ptoios présentant un Chalcidien parmi les aphédriates mais également un archonte thébain. Cela signifie que Chalcis a fait partie du Koinon en même temps que Thèbes, or cette dernière ne l’a certainement rejoint qu’en 2871451. Si l’on suit le passage de Diodore, il faut néanmoins admettre que Chalcis a au moins été contrôlée par les Béotiens dans les dernières années du IVe siècle et peut-être même fait partie une première fois du Koinon1452. Dans les deux cas il s’agissait d’un succès important pour les Béotiens qui souhaitaient vraisemblablement regagner le contrôle de l’Euripe. D’autre part, les Béotiens semblent avoir conclu une alliance avec Cassandre1453 ce qui leur offrit un peu de répit dans le tumulte des conflits entre diadoques. Les Béotiens disposaient alors d’une confortable assise sur leur littoral eubéen. Alors qu’avant 309, les Béotiens n’ont même plus d’Aulis, ils récupèrent à ce moment-là non seulement l’intégralité du littoral béotien sur le golfe Euboïque mais également Chalcis ce qui permet de contrôler entièrement l’Euripe et de disposer en conséquence d’une position privilégiée sur les deux parties du canal d’Eubée. Cela va certainement de pair avec des échanges intenses entre les deux rives du golfe.

1446 XX, 100, 6. 1447 IG XII, 9, 192. 1448 HOLLEAUX M., « Notes sur un décret d’Érétrie », p.163. 1449 KNOEPFLER D., « ΕΧΘΟΝΔΕ ΤΑΣ ΒΟΙΩΤΙΑΣ : The Expansion of the Boeotian Koinon towards Central Euboia in the Early Third Century BC », p. 77. 1450 Ibid., p. 78-85. 1451 Ibid., p. 79, Thèbes n’avait été refondée il n’y a qu’une dizaine d’années et rien ne permet de croire qu’elle a fait partie du Koinon à la fin du IVe siècle si ce n’est la datation traditionnelle du décret où apparaît un aphédriate Thébain. 1452 Ibid., p. 86. Knoepfler n’y croit pas et soutient que Chalcis a plutôt fait brièvement partie du Koinon une douzaine d’années après Érétrie. 1453 Diod., XX, 100, 6. 289

Cette période de grâce est cependant très brève. En 304, Démétrios Poliorcète débarque à Aulis et retire Chalcis aux Béotiens1454. Oropos subit le même sort et est rendue aux Athéniens1455 alors que le Poliorcète contraint les Béotiens à sortir de leur alliance avec Cassandre. En débarquant à Aulis, il faut considérer que Démétrios dut occuper la plaine de Dhrosia et récupérait à son avantage toute la forteresse permettant de contrôler l’Euripe, Chalcis, Aulis et de menacer directement la Béotie d’une invasion. Les choses basculèrent pour la Béotie qui retomba sous l’influence de Cassandre après la bataille d’Ipsos en 301. Démétrios garda néanmoins quelques places fortes en Grèce et il est possible qu’il ait conservé Chalcis, comme le pense Olivier Picard1456. Si c’est la cas, Démétrios dut contrôler également la forteresse de Karababa et peut-être même la plaine de Dhrosia qui est facilement accessible pour qui contrôle Chalcis. La Béotie semble néanmoins indépendante et c’est probablement à ce moment-là que les Béotiens se rapprochent des Étoliens1457. Par deux fois les Béotiens durent lutter contre Démétrios au cours de la décennie et il est intéressant de voir que dans le premier conflit, en 293, les Béotiens menés par Peisis de Thespies sont assistés par le Spartiate Kléonymos1458, membre de la famille royale agiade. Robert Flacelière, citant Beloch, soutient que Kléonymos dût arriver en Béotie grâce à l’assistance de navires étrangers et ils estiment que ce durent être des navires étoliens qui lui permirent de traverser le détroit de Rhion1459. Pourtant rien ne justifie l’intervention particulière des Étoliens dans cette affaire alors que la route la plus rapide entre le Péloponnèse et la Béotie consiste simplement à débarquer directement en Béotie. Le plus probable est donc que ce soit Peisis de Thespies qui ait fait appel à Kléonymos alors que les Béotiens cherchaient à conclure une paix avec Démétrios. Creusis, port des Thespiens, est justement le port principal des Béotiens sur le golfe de Corinthe et il apparaît parfaitement indiqué pour envoyer des navires chercher le soutien de Kléonymos. Il est difficile de savoir le nombre d’hommes qui accompagnèrent Kléonymos et par conséquent la taille de la flotte dont il avait besoin. Celle-ci ne devait pas être très importante dans la mesure où, tenant Thèbes, il renonce à affronter Démétrios et parvient même à s’en éclipser

1454 Diod., XX, 100, 6. 1455 SEG III 117, c’est ce que prouve de façon indirecte ce décret athénien de 303/2 présentant Oropos comme une possession athénienne. 1456 Chalcis et la Confédération eubéenne, p. 264-267. 1457 FLACELIERE R., « Les rapports de l’Aitolie et de la Béotie au IIIe siècle avant J.-C. », p. 81-89. Le traité entre la Béotie et l’Étolie est habituellement daté entre 301 et 281 mais plus probablement autour de 300, au lendemain de la bataille d’Ipsos. On voit ensuite les Béotiens présents de façon continue à l’Amphictyonie au cours de la première moitié du IVe siècle ce qui dénote de ses bons rapports avec l’Étolie. 1458 Plutarque, Démétrios, 39. 1459 FLACELIERE R., « Les rapports de l’Aitolie et de la Béotie au IIIe siècle avant J.-C. », p.91. En effet, les Spartiates ne disposaient pas de navires sur le golfe de Corinthe et Corinthe étant elle-même aux mains de Démétrios, il leur était impossible de rejoindre la Béotie par voie de terre. 290 discrètement1460. Il est ainsi parfaitement concevable que les Béotiens aient disposé d’une petite flotte sur le golfe de Corinthe. Les Béotiens ne parvinrent néanmoins jamais à repousser Démétrios qui leur imposa des sanctions lourdes. Ils durent payer de fortes amendes tandis que leurs cités furent occupées par des garnisons de Démétrios1461 et leur situation n’en fût que plus difficile. Un tel contexte devait être particulièrement lourd pour les Béotiens qui sans liberté politique, minés financièrement et ne disposant que d’un contrôle partiel de leur littoral, ne purent en aucun cas développer une quelconque politique navale. Démétrios Poliorcète n’était lui-même pas en position de force. Entre 295 et 287, son empire maritime égéen s’effrite alors que Ptolémée Ier récupère Chypre et les Cyclades1462. C’est ensuite en Grèce que sa position s’effondre, lorsque Démétrios perdit la Macédoine entière au profit de Lysimaque et Pyrrhus en 288/71463. Les choses changent alors rapidement pour les Béotiens. Passant par la Béotie, Démétrios agit une fois de plus dans la politique intérieure du Koinon en y intégrant Thèbes et Oropos. Les Béotiens retrouvent alors leur pleine indépendance, peut-être à la suite de combats patriotiques1464, Démétrios ayant dans tous les cas emporté avec lui les différentes garnisons placées dans les cités béotiennes pour les utiliser dans son expédition vers l’Asie de 286.

3) La Béotie face à ses voisines (287 à 245)

En mer Égée, la nouvelle grande puissance maritime allait être la dynastie lagide. Les Lagides n’avaient que peu d’intérêts en Grèce continentale si ce n’est y favoriser l’indépendance des cités pour saper les ambitions impérialistes des rois de Macédoine. Cela passe par des actions évergétiques qui visent à se montrer favorables aux Grecs et où plusieurs personnages sont impliqués. Le premier d’entre eux est Philoklès, roi de Sidon au service de Ptolémée. Celui-ci apparaît notamment dans une liste de souscriptions pour la refondation de la cité de Thèbes1465, lancée par Cassandre en 316. De nombreux rois figurent dans la liste, et Philoklès apparait pour les

1460 Plutarque, Démétrios, 39. 1461 Plutarque, Démétrios, 39. 1462 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 94. 1463 WILL E., op cit. 1464 SEG 30 439, c’est ce que pourrait indiquer cette épigramme en l’honneur d’Eugnotos, mort au combat au début du IIIe siècle. 1465 IG VII 2419. 291 années 310 et 3081466 : dans la première occurrence la stèle est mutilée et on ne dispose pas de la somme donnée mais dans la seconde, il est contributeur à hauteur de 100 talents1467. Or, si Philoklès est peut-être déjà roi de Sidon1468, il ne l’est que de nom, la cité phénicienne étant alors contrôlée par les Antigonide, et on admet parfois qu’il agit pour le compte de Ptolémée Ier, même si on comprend mal pourquoi ce dernier aurait camouflé ses bonnes œuvres1469. Ce qui nous intéresse plus concerne directement les Cyclades, contrôlées par Ptolémée et réunies en un Koinon des Nésiotes. Le Koinon est dirigé par un nésiarque qui apparaît directement nommé par le souverain lagide, et celui que nous connaissons le mieux est justement un Béotien, Bakchôn fils de Nikétas1470. Celui-ci apparaît en tant que nésiarque dans des décrets de plusieurs îles1471 : - À , daté de 286 environ1472.

- À Samos, vers 2801473.

- À Karthaia de Kéos, vers 2801474

- À Délos, vers 2801475, puis en 278 environ1476.

- À Naxos, entre 280 et 2701477.

On peut donc considérer qu’il a été nésiarque au moins entre 286 et le début des années 270. La plupart de ces décrets sont des décrets honorifiques des Nésiotes où il figure parmi les officiels, mais on peut néanmoins relever les deux décrets déliens IG XI 4, 1125 et 1126 qui sont des bases de statues à son effigie, la première est d’ailleurs la seule mention de son patronyme. En dehors de ces deux inscriptions, celle de Samos est la seule qui présente Bakchôn dans l’exercice de ses fonctions de nésiarque. Il s’agit d’un long décret des synèdres, mutilé sur ses treize dernières lignes, prenant place dans les toutes premières années du règne de Ptolémée II après la mort de son père. Il y est question de l’organisation, selon les volontés lagides, de concours isolympiques à

1466 MERKER L., « The Ptolemaic Officials and the League of the Islanders », p. 145. 1467 L. 11-13. 1468 S’il s’agit bien d’une royauté réelle, il est possible que ce ne soit qu’une titulature lagide comme on le verra ensuite. 1469 MERKER L., « The Ptolemaic Officials and the League of the Islanders », p. 145. 1470 IG XI 4 1125. 1471 On peut trouver cette liste dans ROESCH P., Études Béotiennes, p. 475. 1472 IG XII 5 1004. 1473 IG XII 7 506. 1474 IG XII 5 1065. 1475 IG XI 4 559, 1038, 1125 et 1126 . 1476 IG XI 2 161. 1477 OGIS 43. 292

Alexandrie en l’honneur du roi décédé et où il est attendu des insulaires qu’ils participent suivant ce qui est décrit (contribution financière, envoi de théores…). Les différentes cités des Cyclades élisent vraisemblablement des synèdres suivant leur importance qui constituent le conseil du Koinon1478. Le nésiarque dirige le Koinon pour le compte de Ptolémée dans les Cyclades et il peut ainsi réunir le conseil des synèdres1479 et dispose de compétences administratives variées (c’est par exemple lui qui désigne la personne chargée de recueillir les contributions des cités dans notre inscription). Il est également le représentant officiel de Ptolémée et il est globalement en charge des relations extérieures du Koinon, qui restent dictées par la politique lagide1480. Si Bakchôn est le nésiarque le mieux connu, on en connaît deux autres : son prédécesseur qui est originaire de Cyzique et un successeur qui serait originaire d’Halicarnasse1481. On remarque qu’aucun d’entre eux n’est natif des Cyclades et que par conséquent, il est quasiment assuré que le nésiarque soit directement nommé par le souverain d’Égypte et probablement à vie1482. Celui qui semble être le supérieur hiérarchique direct de Bakchôn est justement Philoklès, roi de Sidon1483. Dans la mesure où il est généralement présenté comme « roi de Sidon », on ne connaît pas exactement la fonction de Philoklès dans le royaume lagide. On devine qu’il devait avoir des compétences militaires importantes peut-être en tant que « navarque »1484 ou en tant que stratège1485, lui donnant possiblement la direction générale de la marine égyptienne, comme son titre pourrait l’indiquer1486 tandis que Bakchôn aurait la responsabilité de la marine de son Koinon1487.

1478 DELAMARRE J., « Les deux premiers Ptolémées », p. 112. 1479 DELAMARRE J., op. cit. 1480 DELAMARRE J., « Les deux premiers Ptolémées », p. 112, c’est ainsi Bakchôn qui transmet les volontés royales aux insulaires. 1481 MERKER L., « The Ptolemaic Officials and the League of the Islanders », p. 152-153. 1482 DELAMARRE J., « Les deux premiers Ptolémées », p. 112. On voit ainsi Bakchôn rester en poste après la mort de Ptolémée Sôter. 1483 MERKER L., « The Ptolemaic Officials and the League of the Islanders », p. 150. 1484 Il est assuré qu’il n’en portait pas le titre, mais ses compétences y ressemblaient (voir HAUBEN H., « A Phoenician King in the service of the Ptolemies », p. 28). 1485 DELAMARRE J., « Les deux premiers Ptolémées », p. 110. 1486 DELAMARRE J., op. cit., sous l’Empire perse, le roi de Sidon exerçait le plus haut commandement de la flotte phénicienne (Sidon étant la cité la plus importante de Phénicie). « Roi de Sidon » serait ainsi une titulature officielle du royaume lagide. 1487 DELAMARRE J., « Les deux premiers Ptolémées », p. 112. 293

Œuvre non reproduite par respect du droit d’auteur

Le Koinon des Nésiotes au temps de Ptolémée Ier1488

Il est donc question d’un Béotien nommé par les Lagides à la tête du Koinon des Nésiotes. Dans la mesure où Philoklès apparaissait déjà en Béotie en tant que contributeur pour la reconstruction de Thèbes — peut-être en raison du mythe faisant des Thébains des Phéniciens — , il est possible d’envisager que c’est Philoklès qui aurait introduit Bakchôn devant Ptolémée Ier1489. On pourrait même envisager que ce Bakchôn soit Thébain, d’autant que Thèbes redevient béotienne dès 288/7, ce qui s’accorde plutôt bien à la carrière du nésiarque. Dans tous les cas, on peut raisonnablement supposer que le rapprochement de Bakchôn avec Ptolémée s’est accompagné d’un rapprochement des Béotiens avec l’Égypte, idée renforcée par les actes d’évergétisme lagides. Si l’on n’a aucune trace d’alliance entre les Ptolémées et les Béotiens, la Béotie peut avoir noué des liens diplomatiques plus ou moins étroits avec les Lagides d’autant que la Macédoine connaît ses années les plus mouvementées justifiant un retrait de son influence en Grèce centrale1490.

1488 MARCHESINI M., Il Koinon dei Nesioti, p. 184 1489 HAUBEN H., « A Phoenician King in the service of the Ptolemies », p. 34. 1490 En moins de 10 ans la Macédoine change abondamment de mains : Démétrios Poliorcète perd la Macédoine au profit de Lysimaque qui est lui-même vaincu par Séleucos. Assassiné par Ptolémée Kéraunos, celui-ci en devient roi avant de succomber au cours de l’invasion galate. Le pays tombe alors dans une période d’« anarchie ». C’est finalement Antigone Gonatas, le fils de Démétrios, qui parvient à la récupérer opportunément à la suite d’une victoire face aux Gaulois, mais il est en conflit face à Pyrrhos qui a depuis longtemps des vues en Grèce centrale. Sur toutes ces questions, voir WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 97-110. 294

En Grèce même, la situation n’est cependant pas totalement libérée pour les Béotiens. Chalcis devait toujours être une possession de Démétrios car c’est là qu’avaient été construits une partie des navires pour sa dernière campagne1491 et le contrôle de la cité échut à son fils, Antigone Gonatas qui était installé à Corinthe. Étant donné que les seules possessions d’Antigone à la mort de son père étaient Corinthe, Chalcis, Démétrias et peut-être le Pirée1492, toutes ayant un intérêt stratégique primordial pour le contrôle des routes maritimes grecques, Antigone ne pouvait se permettre en aucun cas de perdre Chalcis. Celle-ci lui permettait de contrôler l’Euripe et — à défaut de pouvoir contrôler directement la Béotie ou l’Eubée — permettait de contenir leurs éventuelles volontés expansionnistes, exactement comme le fit Corinthe vis-à-vis du Péloponnèse. De fait, il est possible que la plaine de Dhrosia soit toujours tenue par une forte garnison profitant du système défensif en place. Il est difficile de savoir quels ports sur l’Euripe étaient directement contrôlés par Antigone à part Chalcis où il devait faire construire ses navires de guerre, comme son père avant lui. Peut-être était-ce également le cas d’Aulis qui pouvait facilement être tenue par qui contrôlait la plaine de Dhrosia. Néanmoins, rien n’indique qu’elle ait été retirée du territoire de Tanagra pendant une longue période au temps des Antigonides. Peut-être Aulis a-t-elle été rendue aux Béotiens en 288, en même temps qu’Oropos. C’est d’autant plus envisageable qu’en contrôlant la forteresse d’Aulis, il est possible de surveiller toute activité navale dans le Bathys Limen ce qui permettrait à Démétrios et Antigone Gonatas de maintenir un contrôle fort sur l’Euripe. Si Chalcis était si bien tenue par Antigone, ce n’était pas le cas d’Érétrie et c’est dans les années suivant la capture de Démétrios par Séleucos, en 286, que Denis Knoepfler fixe l’intégration d’Érétrie au Koinon des Béotiens1493. Étant donné que l’inscription IG XII, 9, 192 voit des polémarques célébrer le départ d’une garnison d’Érétrie, Knoepfler estime qu’il doit s’agir des garnisons de Démétrios permettant aux Érétriens d’instaurer une démocratie en 286/51494. C’est également cette année-là qu’il date la célèbre convention entre les cavaliers d’Orchomène et ceux de Chéronée1495. Il s’agit d’une inscription comportant deux documents différents relatifs à l’activité de la cavalerie béotienne. Les escadrons interviennent soit autour de Thèbes, soit autour d’Oropos, deux cités nouvellement intégrées dans le Koinon. Ce qui est intéressant ici, est la mention d’expédition « hors de Béotie »1496 mais la pierre est malheureusement brisée juste après, mutilant la partie qui indiquait les régions extérieures concernées. Dans le contexte de l’époque, Knoepfler

1491 Plutarque, Démétrios, 43. 1492 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 210. 1493 KNOEPFLER D., « ΕΧΘΟΝΔΕ ΤΑΣ ΒΟΙΩΤΙΑΣ : The Expansion of the Boeotian Koinon towards Central Euboia in the Early Third Century BC », p. 86. 1494 Ibid. 1495 SEG, XXVIII, 461. 1496 « ἐχθόνδε τᾶς Βοιωτίας » 295 assimile ces expéditions à l’intégration d’Érétrie au Koinon1497 faute d’autre possibilité1498. L’hypothèse est d’autant plus séduisante qu’Érétrie est juste en face d’Oropos et facilement joignable par des navires. Knoepfler envisage que ces expéditions consistaient à envoyer par mer des cavaliers vers Érétrie pour les attirer dans le Koinon1499 ce qui se fit manifestement. Érétrie aurait alors appartenu au Koinon pendant quelques années, au maximum entre 286/5 et 278/7 car un passage de la Vie de Ménédème de Diogène Laërce présente un décret érétrien qui félicite Antigone Gonatas pour sa victoire sur les Gaulois et les magistrats d’Érétrie présents sont des stratèges et des probouleutes et non des polémarques béotiens1500. De plus, Diogène indique qu’à la suite de ce décret, Ménédème dut s’exiler d’Érétrie vers Oropos car soupçonné de vouloir donner la cité eubéenne à Antigone ce qui n’aurait fait que peu de sens si les deux faisaient encore partie du Koinon1501. Ainsi, Érétrie fit partie du Koinon béotien pendant quelques années, probablement jusqu’en 281-280 selon Knoepfler1502. On remarque que ce sont sensiblement les mêmes dates que celles où Bakchôn apparaît dans les Cyclades en tant que nésiarque. Il semble donc que ces années 280 aient été favorables à un développement de l’influence béotienne dans la partie sud du canal d’Eubée où ils disposaient d’Érétrie et des faveurs de Ptolémée dans le Cyclades. C’est peut-être dans ce contexte qu’il faut placer ce qui serait la seule mention d’un navarque fédéral de toute la période hellénistique. En effet, Alexandre Rizos Rangabé a publié une inscription1503 provenant selon lui de Lébadée1504 :

[Χ]αρέας Ἐρ(γ)οτέλε[ος] [ἵ]ππαρχος Λυςῖνος Λυσιάδα ναύαρχος [Ν]ιχόξενος Καράνο[υ]

On y voit un navarque du nom de Nichoxenos fils Karanos. Paul Roesch date cette inscription de la première moitié du IIIe siècle mais il est difficile d’en dire plus étant donné que la

1497 Ibid., p. 71. 1498 Les Béotiens n’avaient que peu d’intérêts en Locride, Phocide ou Mégaride tandis que l’Attique était encore défendue par les Macédoniens, notamment à Rhamnonte. 1499 Ibid., p. 72. 1500 Vie de Ménédème, 142. “Οἱ στρατηγοὶ καὶ οἱ πρόβουλοι εἶπον. ἐπειδὴ βασιλεὺς Ἀντίγονος μάχῃ νικήσας τοὺς βαρβάρους παραγίνεται εἰς τὴν ἰδίαν, καὶ τὰ ἄλλα πάντα πράσσει κατὰ γνώμην, ἔδοξε τῇ βουλῇ καὶ τῷ δήμῳ ...” 1501 HOLLEAUX M., « Notes sur un décret d’Érétrie », p.176. 1502 KNOEPFLER D., « ΕΧΘΟΝΔΕ ΤΑΣ ΒΟΙΩΤΙΑΣ : The Expansion of the Boeotian Koinon towards Central Euboia in the Early Third Century BC », p. 86. 1503 RANGABE, Antiquités Helléniques, II (1855), p. 833, n°1313. 1504 Ibid., « Cette inscription se trouve, autant que j’en sais, à Lévadie ». 296 pierre semble avoir disparu1505. Si tous ces éléments sont avérés — tant à propos de la date que de la provenance de la stèle — il s’agit alors de la seule mention d’un navarque béotien pour toute la Troisième Confédération Béotienne. La présence d’un navarque n’est pas anodine car elle implique de réels projets maritimes de la part des Béotiens. Même s’il est impossible de connaître le détail de ces projets, on ne peut s’empêcher de noter qu’ils s’accorderaient bien avec l’attention portée au monde égéen que dû engendrer la politique lagide. Ce fût un épisode bref de l’histoire béotienne et probablement peu heureux pour les Érétriens. Le fait qu’ils se soient libérés rapidement, manifestement sans aide extérieure, serait néanmoins révélateur de la faible emprise que pouvaient avoir les Béotiens sur Érétrie qui retomba rapidement dans la sphère d’influence d’Antigone Gonatas. Cet épisode montre surtout que même si les Béotiens peuvent se permettre de développer une activité maritime dans des régions comme le golfe Euboïque sud, région où ils sont peu concurrencés par de grandes puissances navales, ils ne rencontrent que peu de succès dans leur politique d’outre-mer ce qui témoigne de la faiblesse des capacités navales béotiennes dans cette première moitié du IIIe siècle. Antigone ne semble pas pour autant avoir hérité des ambitions conquérantes de son père sur la Grèce centrale ce qui offrit à la Béotie de précieuses années de paix1506. Le deuxième quart du IIIe siècle voit alors la Béotie bénéficier d’un contexte particulièrement paisible. Toutes ses frontières sont sécurisées et les Béotiens n’eurent manifestement que rarement l’occasion de mobiliser leur armée de 279 jusqu’aux années 2501507. On considère habituellement que la Béotie eut des relations relativement amicales avec Antigone Gonatas qui contrôlait Chalcis1508 alors même qu’elle était alliée d’autre part aux Étoliens depuis le début du IIIe siècle. Or il semble que la relation entre la Béotie et l’Antigonide ne soit pas si simple. La puissance d’Antigone en Grèce apparaît largement diminuée par ses conflits contre Pyrrhus, il perd brièvement la Macédoine et c’est dans le Péloponnèse que les deux souverains luttèrent pour le contrôle de la Grèce1509. Les Béotiens, alliés aux Étoliens en profitent de leur côté pour s’agrandir1510 : entre l’automne 273 et le printemps 272, ils gagnent une voix de plus à l’Amphictyonie tandis que les Locriens d’Oponte perdent la leur et que les Étoliens en gagnent eux-mêmes deux au détriment des Ainianes. On peut vraisemblablement en déduire, comme le soutient R. Flacelière, que les Béotiens s’agrandirent au

1505 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 124. 1506 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 338. 1507 ROESCH P., Etudes béotiennes, p. 353. 1508 CLOCHE P., Thèbes de Béotie, des origines à la conquête romaine, p. 213-214. 1509 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 214-215. 1510 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 217. 297 détriment d’Oponte, récupèrant ainsi tout le littoral au nord du Copais, la Locride Opontienne1511. Il nous reste encore à aborder le cas de l’entrée dans le Koinon de Chalcis. Or, l’inscription issue du Ptoion où figure un Chalcidien dans le collège des aphédriates1512 date vraisemblablement des années 2701513. Le seul moment où les Béotiens auraient pu retirer Chalcis à l’emprise d’Antigone est justement durant la guerre qui l’oppose à Pyrrhos dans le Péloponnèse, ce dernier ayant pu agir directement pour en expulser les soldats d’Antigone au cours de l’hiver 274/31514. Pyrrhos est cependant tué à Argos en 272 et Antigone Gonatas aurait pu alors réintégrer Chalcis à son royaume, où elle tenait une place cruciale de « verrou » de la Grèce. D’une façon générale, les années suivantes voient les puissances voisines à la Béotie développer leur politique navale ce qui se fit nécessairement au détriment des Béotiens. L’accroissement de la Ligue Étolienne au détriment des Ainianes en 273/2 leur permet d’accéder au littoral égéen en plus de leur position sur le golfe de Corinthe1515. C’est probablement à partir de cette période que se développa la piraterie étolienne sur la mer Égée, redoutable politique qui toucha de nombreuses cités1516. Cette piraterie toucha également le canal d’Eubée1517 et si les Béotiens semblent avoir été épargnés, c’est probablement dû à des bons contacts maintenus entre les cités portuaires béotiennes et l’Étolie comme on en a trace dans les décennies suivantes1518. D’autre part, c’est Antigone Gonatas qui, dans les années 2601519, cherche à développer son assise maritime en Égée1520 ce qui entraîna l’opposition d’une coalition composée de Ptolémée II Philadelphe, Athènes, Sparte et d’autres puissances du Péloponnèse1521 tandis qu’Antigone tient toujours Chalcis et Corinthe. La guerre de Chrémonidès qui commence alors est un conflit essentiellement maritime, au moins dans ses enjeux : s’emparer des îles égéennes pour Antigone et briser les verrous macédoniens de Corinthe et Chalcis pour la coalition. L’assise que pouvait avoir Antigone sur Chalcis ne put qu’être renforcée par le danger de la situation et de sa position essentielle de relais et de base entre Démétrias et Corinthe, tout en devant assiégeant Athènes par

1511 FLACELIERE R., Les Aitoliens à Delphes, p. 192. Denis Knoepfler rejette cependant l’idée qu’Oponte ait pu être annexée si tôt (« Les relations des cités eubéennes avec Antigone Gonatas », p. 147). 1512 IG VII 4148, Les aphédriates représentent leur cité dans les cérémonies fédérales. 1513 KNOEPFLER D., « Les relations des cités eubéennes avec Antigone Gonatas », p. 147. 1514 KNOEPFLER D., Ibid., p. 148. 1515 FLACELIERE R., Les Aitoliens à Delphes, p. 191. 1516 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 325-327. 1517 KNOEPFLER D., « Inscriptions de la Béotie orientale », p. 615. 1518 Ibid., p. 616. 1519 Peut-être entre 267 et 262 mais les dates sont globalement très mal assurées. 1520 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 220. 1521 Comme les Achéens et une partie des Arcadiens. 298 terre et par mer1522. La Béotie — foncièrement neutre dans ce conflit, en façade1523 — ne pouvait prétendre qu’à un rôle ultra marginal dans le golfe Euboïque dont l’intérêt était primordial pour Antigone. Le conflit s’achève par une victoire totale d’Antigone dont la position en Grèce est renforcée1524. L’Étolie, qui s’est également tenue à l’écart du conflit, en a néanmoins profité pour étendre encore plus son contrôle sur la Grèce Centrale en annexant d’abord la Locride Épicnémidienne puis la Phocide entre 260 et 2581525. La situation de la Béotie s’est alors largement dégradée car les Étoliens sont désormais aux portes de la Béotie. Il est possible que les relations entre la Béotie et l’Étolie en aient pâti étant donné que les Béotiens sont quasi constamment absents de l’Amphictyonie à partir de 2561526. La situation béotienne s’aggrave encore à la fin de la décennie1527 lorsque Alexandre, gouverneur de Corinthe et de Chalcis, se révolte contre Antigone Gonatas et se proclame roi1528. Alors que la Béotie n’avait que peu de raisons de redouter sa voisine eubéenne, l’arrivée d’Alexandre change totalement les choses car lui-même avait toutes les raisons de se méfier des Béotiens en bon terme avec Antigone. Le retrait des Béotiens de l’Amphictyonie peut également être interprété comme un basculement des préoccupations béotiennes vers Chalcis1529. La situation maritime de la Béotie avait, dans ce contexte-là, tout lieu d’être grave alors que leurs rapports avec leurs voisins sont au plus bas. D’une part, les Étoliens disposent d’un littoral important tant sur le golfe de Corinthe que sur le golfe Euboïque nord et ils se montrent actifs dans les deux. En conséquence de leur activité soutenue de piraterie en Égée, les Étoliens deviennent une puissance navale de premier plan au milieu du IIIe siècle. En effet, plusieurs inscriptions montrent de petites puissances en Égée — comme Téos1530, Délos1531, Chios1532 ou Smyrne1533 — nouer des liens avec la Ligue Étolienne pour se protéger de la piraterie ou simplement échapper à l’influence des grandes

1522 Pausanias, III, 6, 4. 1523 Un Béotien a donné 100 drachmes à Cos pour des dépenses militaires (Inscr. of Cos, 10b, l. 55-56) et il est possible que cela eut lieu dans le cadre de cette guerre (ROESCH P., Études béotiennes, p. 477) d’autant qu’à Platées, un décret de la Ligue des Hellènes proposé par un Béotien, honore Glaukon fils d’Étéoclès, leader athénien qui après la défaite de son camp, est exilé en Égypte Ptolémaïque (BCH 99, 1975, p. 51-75). Il est donc possible que les Béotiens aient souhaité un recul de la puissance macédonienne en Grèce centrale sans oser soutenir Athènes. 1524 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 229. 1525 FLACELIERE R., Les Aitoliens à Delphes, p. 198-200. 1526 Ibid., p. 200. 1527 La date est très incertaine mais cela eu probablement lieu soit en 253/2, soit en 251. 1528 Plutarque, Aratos, 17,2 ; Justin, Épitomé des Histoires Philippiques, XXVI ; IG XII 9 212. 1529 POST R., The Military Policy of the Hellenistic Boiotian League, p. 83. 1530 IG XI 1 191. 1531 IG XI 2 287b. 1532 SIG 443. 1533 OGIS, 228-229. 299 monarchies hellénistiques. Dans le golfe de Corinthe, les Étoliens se montrent également entreprenants car on les voit essayer (et échouer) de prendre Sicyone en 2511534 ce qui traduit bien leur dynamisme dans les affaires maritimes autour des années 250. De l’autre côté, c’est Alexandre qui contrôle Chalcis et Corinthe et qui dispose alors d’une assise importante tant sur la mer Égée que sur le golfe de Corinthe. La présence d’Alexandre sur le golfe de Corinthe ne devait qu’être renforcée par son alliance avec Aratos de Sicyone1535. Ce sont donc deux blocs d’alliance qui s’opposent de part et d’autre d’une Béotie de plus en plus isolée avec d’un côté les Étoliens qui bénéficient toujours de la neutralité bienveillante d’Antigone Gonatas et de l’autre les Achéens et Alexandre, toutes des puissances (notamment maritimes) bien plus importantes que la Béotie. Finalement, les Béotiens sont attirés dans l’alliance achéenne et entrent en guerre contre l’Étolie en 245. Dès le début de la guerre, les Béotiens sont vaincus à Chéronée mais les Étoliens ménagent la Béotie en ne leur retirant qu’Oponte1536. Il est clair que la Béotie ne représente aucune menace pour la Confédération Étolienne alors que peu après Alexandre meurt, probablement empoisonné par Antigone Gonatas1537.

La défaite des Béotiens à Chéronée semble constituer un réel tournant dans l’histoire béotienne dans la mesure où elle est parfois associée à une réforme militaire1538 tandis que Polybe présente cette date comme le début d’une époque de crise pour la Béotie1539. Le constat que l’on peut tirer pour la période qui s’achève alors est contrasté pour la politique maritime des Béotiens. Il est évident qu’à partir de la destruction de Thèbes, ils n’eurent plus les moyens de développer aucune politique maritime d’envergure. Les enjeux des Béotiens étaient alors centrés sur une échelle régionale où dans le meilleur des cas ils parviennent à élargir la Béotie et contrôler une plus grande portion du littoral euboïque (Oponte, Oropos, Chalcis et Érétrie) et dans le pire des cas, ils perdent des portions de leur propre littoral (l’exemple le plus frappant étant Salganeus et Aulis). Épisodiquement, quelques expéditions maritimes béotiennes transparaissent des sources

1534 Plutarque, Aratos, 4. 1535 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 320. 1536 Ibid., p. 321. Ce faisant, les Etoliens disposent d’un contrôle accru sur le littoral du golfe Eubéen mais surtout ils disposent d’une voix de plus à l’Amphictyonie au détriment des Béotiens. 1537 Plutarque, Aratos, 17. 1538 La question de la datation de cette réforme est largement sujette à débat. Feyel (Polybe et l’histoire de Béotie, p. 197) la date entre 250 et 240 et l’assimile à une conséquence de la défaite de Chéronée. Roesch (Études Béotiennes, p. 353-354) estime qu’elle est antérieure à Chéronée. Plus récemment, Post (The Military Policy of the Hellenistic Boiotian League, p. 91) la voit comme une conséquence à la bataille de Chéronée alors que Kalliontzis (Contribution à l’épigraphie et l’histoire de la Béotie hellénistique) place cette réforme à une date bien plus basse, autour de 230. 1539 Polybe, XX, 4, 6-7. 300 disponibles mais son utilisation semble se faire plus par nécessité qu’autre chose. La marine constituait vraisemblablement un outil à disposition du Koinon. Il n’y a pas à douter que bien d’autres petites expéditions maritimes durent avoir lieu sous le commandement d’un navarque étant donné que c’est une constante de l’histoire béotienne, mais les sources sont en grande partie silencieuses là-dessus, comme sur bien d’autres aspects de l’histoire béotienne au temps des diadoques et de leurs successeurs.

301

B- La Béotie et l’arrivée des Romains (245-171)

Dans une fameuse disgression, Polybe décrit la situation de la Béotie au IIIe siècle1540 en gommant toutes les réussites des Béotiens pour ne retenir qu’une lente déliquescence de leur situation. Dans ce récit à charge et parfaitement partial, la bataille de Chéronée de 245 est présentée comme un tournant dans la vie politique béotienne, accélérant un phénomène qui aurait commencé dès le règne de Philippe II de Macédoine pour se poursuivre au-delà du IIIe siècle, jusqu’à l’effondrement du Koinon au début de la troisième guerre de Macédoine. Il est incontestable que cette période qui va de 245 à 171 n’est pas la plus heureuse de l’histoire béotienne. En conséquence, la situation maritime béotienne connaît de nombreux aléas qui se répercutent dans la politique navale qui en découle. La Béotie, puissance secondaire au lendemain d’une défaite, doit toujours composer dans une Grèce dominée par les grandes puissances maritimes que sont les Macédoniens, les Étoliens, les Achéens et enfin les Romains. Il s’agit alors de retrouver dans cette dernière partie les enjeux et intérêts maritimes des Béotiens au regard de sa situation.

1) Échecs et réussites dans la politique béotienne (245 - 221)

Les années suivant la Bataille de Chéronée sont des années de paix pour la Béotie, intégrée de force dans une alliance avec l’Étolie. La puissance étolienne connaît alors son apogée notamment grâce sa piraterie et c’est dans ce contexte qu’il faut placer plusieurs inscriptions étoliennes1541. Il s’agit de trois listes de proxènes de Thermos parmi lesquels figurent trois

Anthédoniens. Elles s’inscrivent toutes trois dans une même période d’une ou deux décennies, probablement aux environs de 245 et 2361542. Comme l’explique Denis Knoepfler1543, pour être ainsi honorés, ces trois Anthédoniens ont dû se faire bien voir des Étoliens par des services rendus ou au moins par de bonnes dispositions à leur endroit, qu’ils l’aient fait en tant que particuliers ou en tant que magistrats. Par sa position et ses activités commerciales, Anthédon était la cité

1540 XX, 4-7. 1541 IG IX I² I 17, IG IX I² I 21 et IG IX I² I 27. 1542 KNOEPFLER D., « Inscriptions de la Béotie Orientale », p. 615-616. Peut-être qu’IG IX I² I 27 est plus tardive que les deux autres. 1543 KNOEPFLER D., op. cit., p. 616. 302 béotienne la plus exposée à la piraterie étolienne1544 et ses citoyens durent ressentir la nécessité de se prémunir de sa puissante voisine par d’autres biais que la seule alliance fédérale de 245 qui ne représentait qu’une faible garantie. Dès 239 et l’avènement de Démétrios II, la Grèce est une fois de plus frappée par une guerre qui oppose le nouveau roi de Macédoine à l’Étolie et l’Achaïe coalisés. Entre 237 et 2361545, Démétrios II entre en Béotie qui se détache aussitôt de son alliance avec l’Étolie pour rejoindre le camp macédonien1546. Il est impossible de savoir comment Démétrios rejoignit la Béotie1547 mais le plus probable est qu’il soit arrivé par mer1548. Polybe semble indiquer que plus qu’une simple alliance, la Béotie subissait une domination macédonienne1549 pourtant on voit mal comment Démétrios, dans sa situation, pouvait imposer quoi que ce soit aux Béotiens. En effet, il n’y a aucune mention de garnisons macédoniennes laissées en Béotie alors qu’au même moment il retire Oponte aux Étoliens pour la donner aux Béotiens1550. Oponte a une position essentielle pour Démétrios car elle contrôle une route propice à une invasion étolienne alors que lui-même s’aventure vers le sud, contre les Achéens1551. Pourtant, il la rend aux Béotiens au lieu d’y mettre une garnison1552, geste bienveillant qui s’accorde mal avec le discours de Polybe. Une solution permettant de concilier l’annexion d’Oponte au texte de Polybe serait d’envisager que les Béotiens ont reçu Oponte en compensation d’un tort qui serait, selon toute logique, la perte d’un territoire1553. Il devait s’agir, une fois de plus, de la région de l’Euripe qui était concernée, seul endroit méritant de tels accommodements. L’explication la plus plausible serait ainsi que Démétrios II, en traversant l’Euripe, a renoué avec les pratiques de ses prédécesseurs et

1544 Pirates qui ne sont pas nécessairement des Etoliens mais plus probablement des peuples marins faisant partie de la Ligue Étolienne (WILL E., Histoire politique, tome I, p. 326). 1545 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 83 – 105. 1546 Polybe, XX, 5, 3. 1547 FEYEL M., op. cit., p.101. Il oppose à l’idée de Benedikt Niese selon quoi Démétrios aurait traversé l’Euripe en soutenant qu’il aurait aussi bien pu forcer le passage par les Thermopyles et la Locride ou la Phocide. 1548 Ce que laisse entendre WILL E., op. cit., p. 346 : « en 237/6, en effet, Démétrios II débarquait en Béotie ». 1549 Polybe, XX, 5, 3-4 : « ἦσάν τινες οἳ δυσηρεστοῦντο τῇ παρούσῃ καταστάσει ». 1550 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 331 – 337. La datation de nombreux événements de la deuxième moitié du IIIe siècle est difficile à établir car elle repose en grande partie sur la chronologie des archontes fédéraux béotiens, le contenu des décrets promulgués sous leur archontat et le contexte de l’époque ce qui amène bien des incertitudes. C’est le cas ici du décret IG VII 393, daté de l’archontat de Charopinos (avant 224), où les Opontiens font partie du Koinon alors que la Béotie n’eut jamais les moyens de s’étendre au détriment des Étoliens, ce qui implique une aide étrangère qui ne peut qu’être macédonienne. Concernant notre sujet, il semble plus judicieux de renvoyer directement aux travaux des spécialistes plutôt que de reproduire leurs raisonnements. 1551 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 332. 1552 Comme le fera Philippe V en 218 (FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie au IIIe siècle avant notre ère, p. 145, n. 3). 1553 Il serait étrange qu’un gain de territoire soit un dédommagement à une perte d’indépendance accompagnant la mise en place de garnisons ou de taxes. 303 décidé de réoccuper la plaine de Dhrosia, autour de Salganeus, ce qui lui permettrait de tenir une place ayant un fort intérêt stratégique entre l’Achaïe et l’Étolie. Ce faisant, les Béotiens perdirent de nouveau une portion de leur littoral comprenant peut-être même Aulis. La récupération d’Oponte devait paraître un gain de littoral appréciable mais assez dérisoire à côté de celui de Salganeus et d’Aulis qui étaient d’un intérêt autrement plus grand par leur proximité des grandes cités béotiennes. Dès que cette question fut réglée, Démétrios put partir avec son armée vers la Mégaride, laissant peut-être une petite garnison sur le Kástro qui domine la plaine de Dhrosia pour surveiller les Béotiens et tenir l’Euripe, mais cela reste bien hypothétique. C’est peut-être dans la continuité des événements qu’il faut placer un décret honorifique d’Aigosthènes :

ἐπὶ βασιλέος Ἀπολλοδώρου τοῦ Εὐφρονίου, γραμματεὺς βουλᾶς καὶ δάμου Δαμέας Δαμοτέλεος, ἐστρατάγουν Δαμοτέλης Δαμέα, Φωκῖνος Εὐάλκου, Ἀριστότιμος Μενεκράτεος, Θέδωρος Παγχάρεος, Πρόθυμος Ζεύξιος, Τίμων Ἀγάθωνος. ἐπειδὴ τοὶ Αἰγοστενῖτα[ι] ἀνάγγελλον Ζωΐλογ Κελαίνου Βοιώτιον, τὸν ἐπὶ τοῖς στρατιώταις τοῖς ἐν Αἰγοστένοις τεταγμένον ὑπὸ τοῦ βασιλέος Δαματρίου, αὐτόν τε εὔτακτον εἶμεν καὶ τοὺς στρατιώ- τας παρέχειν εὐτάκτους, καὶ τἆλλα ἐπιμελεῖσθαι καλῶς καὶ εὐ- νόως, καὶ ἀξίουν αὐτὸν διὰ ταῦτα τιμαθῆμεν ὑπὸ τᾶς πόλιος, […]

Sous la royauté d’Apollodoros, fils d’Euphronios ; le secrétaire de la Boulè et du Démos, Daméas, fils de Damotéles ; Damotéles fils de Daméas, Phôkinos, fils d’Eualkos, Aristotimos, fils de Ménékrates, Théodôros, fils de Panchares, Prothymos, fils de Zeuxis, Timon, fils d’Agathon étant généraux. Attendu que les Aigosthéniens rapportent que Zôilos, fils de Kélainos, de Béotie, nommé par le roi Démétrios à la tête des soldats postés à Aigosthènes, a été bien discipliné et a maintenu la discipline des soldats, et s’est occupé de toute autre chose de façon bonne et avec bienveillance, et il mérite pour cela d’être honoré par la cité ;1554

1554 Traduction faite à partir de celle de ROBU A., « Between Macedon, Achea and Boeotia », p. 110-111. 304

[…]

L’inscription continue ensuite avec la liste des honneurs reçus. Le Démétrios dont il est question est certainement le deuxième du nom1555 et non le Poliorcète. Ce qui nous intéresse ici, c’est bien sûr le fait que le chef de la garnison soit Béotien. On ne dispose pas de date assurée pour l’inscription et il faut la situer entre 236/5 et 230/291556 mais on peut facilement envisager qu’elle soit liée au passage du roi en Béotie et à cette nouvelle alliance. Elle traduirait alors non seulement une volonté royale d’impliquer les Béotiens dans cette expédition mais également de l’intérêt des Béotiens envers Aigosthènes. En aucun cas, on ne peut cependant estimer qu’Aigosthènes a fait partie du Koinon a une date aussi haute, comme on l’a autrefois pensé1557 mais il s’agit néanmoins d’une légère faveur accordée par le roi envers les Béotiens que placer l’un des leurs à la tête d’une garnison dans ce petit port mégarien, tout proche de la Béotie. Cette garnison ne dut rester en place que peu de temps, peut-être juste le temps de l’expédition contre l’Achaïe. Oponte elle-même ne devait d’ailleurs rester béotienne qu’une petite dizaine d’années étant donné que dès 228, Antigone Dôsôn, successeur de Démétrios, leur enlève la cité locrienne1558 ce qui n’était pas pour améliorer les relations entre la Béotie et la Macédoine. L’attitude des Béotiens révèle néanmoins une certaine souplesse dans leurs relations extérieures où ils jouent sur plusieurs tableaux sans s’opposer frontalement aux Macédoniens1559. En 229, à la mort de Démétrios, les Athéniens cherchent à racheter leur indépendance après qu’Aratos de Sicyone avait négocié pour 150 talents la retraite de mercenaires macédoniens contrôlant le Pirée, Munychie, le cap et Salamine1560. Aratos participa personnellement à hauteur de 20 talents dans le but d’amener Athènes à rejoindre la Confédération Achéenne et des inscriptions indiquent que les cités béotiennes y ont également contribué en tant que créditeurs des Athéniens, probablement pour se rendre favorable à Aratos1561. Thèbes1562 et Thespies 1563 ont vraisemblablement prêté respectivement 4 et 6 talents et il apparaît probable que d’autres cités béotiennes y avaient également participé et le prêt total des Béotiens dut alors s’élever à plus de

1555 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 324. 1556 ROBU A., « Between Macedon, Achea and Boeotia », p. 110-111. 1557 FEYEL M., Polybe et l’Histoire de la Béotie, p. 103, théorie qui a été démontée par ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 323-331. 1558 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 334. 1559 WILL E., Histoire politique, tome I, p. 364. 1560 Plutarque, Aratos, 34. 1561 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 122. 1562 IG VII 2405-2406. 1563 IG VII 1737-1738. 305 vingt talents1564. Plus qu’un simple placement rémunérateur, Michel Feyel a bien montré qu’il s’agit d’une action politique pour se montrer favorables à Aratos1565. Par opposition, un autre épisode datant probablement de 2271566 illustre bien cette ambivalence dans la politique béotienne envers la Macédoine au début du règne d’Antigone Dôsôn. C’est Polybe qui le raconte1567 ainsi avec la traduction de M. Feyel1568 :

Ἀντίγονος μετὰ τὸν Δημητρίου θάνατον ἐπιτροπεύσας Φιλίππου, πλέωνἐπί τινας πράξεις πρὸς τὰς ἐσχατιὰς τῆς Βοιωτίας πρὸς Λάρυμναν, παραδόξου γενομένης ἀμπώτεως ἐκάθισαν εἰς τὸ ξηρὸν αἱ νῆες αὐτοῦ. κατὰ δὲ τὸν καιρὸν τοῦτον προσπεπτωκυίας φήμης ὅτι μέλλει κατατρέχειντὴν χώραν Ἀντίγονος, Νέων, ἱππαρχῶν τότε καὶ πάντας τοὺς Βοιωτῶν ἱππεῖς μεθ’ αὑτοῦ περιαγόμενοςχάριν τοῦ παραφυλάττειν τὴν χώραν, ἐπεγένετο τοῖς περὶ τὸν Ἀντίγονον ἀπορουμένοις καὶ δυσχρηστουμένοις διὰ τὸ συμβεβηκός, καὶ δυνάμενος μεγάλα βλάψαιτοὺς Μακεδόνας ἔδοξε φείσασθαι παρὰ τὴν προσδοκίαν αὐτῶν. τοῖς μὲν οὖν ἄλλοις Βοιωτοῖς ἤρεσκε τοῦτοπράξας, τοῖς δὲ Θηβαίοις οὐχ ὅλως εὐδόκει τὸ γεγονός. ὁ δ’ Ἀντίγονος, ἐπελθούσης μετ’ ὀλίγον τῆς πλήμηςκαὶ κουφισθεισῶν τῶν νεῶν, τῷ μὲν Νέωνι μεγάληνεἶχε χάριν ἐπὶ τῷ μὴ συνεπιτεθεῖσθαι σφίσι κατὰ

τὴνπεριπέτειαν, αὐτὸς δὲ τὸν προκείμενον ἐτέλει πλοῦν εἰς τὴν Ἀσίαν.

« Antigonos, tuteur de Philippe depuis la mort de Démétrios, passait avec une escadre le long des confins de la Béotie, devant Larymna, pour aller exécuter certaine entreprise militaire ; un reflux extraordinaire se produisit, et ses navires s’échouèrent à sec. Là-dessus, un bruit se répandit : Antigonos allait faire une incursion dans le pays. Néon était alors hipparque, et, en cette qualité, il faisait une tournée à la tête de toute la cavalerie béotienne, pour veiller à la sûreté du pays ; il tomba sur les gens d’Antigonos, qui étaient dans l’embarras et ne savaient comment

1564 FEYEL M., Contribution à l’épigraphie béotienne, p.37. 1565 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 122. 1566 WILL E., Histoire politique, tome I, p. 364. 1567 Polybe, XX, 5, 7-11. 1568 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 15-16. 306

se tirer de l’aventure ; et bien qu’il fût en mesure de faire grand mal aux Macédoniens, on s’aperçut qu’il s’en gardait bien contrairement à leur attente. Par- là, il eut l’approbation des Béotiens, sauf des Thébains, qui se montrèrent entièrement mécontents de ce qui s’était passé. Mais Antigonos, lorsque le flux, survenu peu après, eut soulagé ses navires, conserva une grande reconnaissance à Néon de ne pas l’avoir attaqué en profitant de cet accident ; et pour son compte, il mit à exécution son projet de faire voile vers l’Asie. »

De ce passage, il est possible de tirer deux conclusions à propos de la situation maritime béotienne : - Contrairement à la version de M. Feyel, Roland Etienne et Denis Knoepfler soutiennent qu’il n’y a pas de causalité entre le débarquement d’Antigone et la peur d’une invasion macédonienne mais une simple concomitance entre deux événements1569. Comme ils le démontrent ensuite, la Béotie et la Macédoine sont alors nécessairement en mauvais termes car on s’attendait en Béotie à une invasion macédonienne et cela est dû à la perte d’Oponte1570 et hypothétiquement à la perte de la plaine de Dhrosia. - Le fait qu’Antigone navigue le long de la côte béotienne alors qu’une guerre entre les deux est à craindre laisse supposer que les Béotiens ne disposaient d’aucune flotte en activité dans le golfe Euboïque nord, que ce soit à Anthédon, Larymna ou Halai. La politique extérieure béotienne apparaît ainsi très souple au temps du règne d’Antigone Dôsôn. Cette attitude porta ses fruits car on voit la Béotie, l’Achaïe et la Phocide rejoindre une alliance fondée par Antigone Dôsôn en 2241571 et lorsque ce dernier cherche à intervenir dans le Péloponnèse en soutien aux Achéens, il fut contraint de passer par l’Eubée puis par la Béotie1572 où il pouvait certainement profiter de son contrôle de l’Euripe. Le conflit qui commence alors entre Antigone et Cléomène de Sparte eut des conséquences dans l’Isthme où, en échange de son soutien aux Achéens, Antigone prit Corinthe et l’Arcrocorinthe1573, l’un des fameux « verrous de la Grèce » et Mégare se retrouva elle-même isolée de la Confédération achéenne. De la même façon qu’Antigone exigeait Corinthe en échange de son intervention contre Sparte, les Béotiens — soutenus par Antigone — revendiquèrent Mégare en profitant de son isolement1574. L’annexion de

1569 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 335. 1570 Ibid., p. 336. 1571 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 126-127. 1572 Polybe, II, 52, 8 : « διὰ τῆς Εὐβοίας ἐπὶ τὸν Ἰσθμόν ». Edouard Will soutient que le plus probable est donc que Dôsôn soit passé par l’Euripe (Histoire politique du monde hellénistique, tome I, p. 388). 1573 Polybe, II, 51, 6-7. 1574 Polybe (XX, 6, 8) évoque cet épisode qui est surtout mis en lumière par FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 129-130. 307 cette cité offrait aux Béotiens de larges ouvertures maritimes car au-delà de la chôra mégarienne, la cité d’Aigosthènes rejoignit également le Koinon1575 et peut-être même Pagai dont on estime habituellement qu’elle dut suivre le destin de Mégare1576. La Béotie récupère non seulement deux ports importants sur le golfe de Corinthe (Pagai et Aigosthènes) mais également un accès au golfe Saronique par le biais de Mégare ce qui est alors un fait inédit. L’annexion de Mégare ne devait cependant pas bouleverser la situation maritime béotienne car le Koinon ne pouvait se permettre une activité navale intense dans un théâtre si éloigné de ses intérêts premiers. En revanche les importants revenus tirés du commerce maritime mégariens devaient être intéressant pour les Béotiens.

La Béotie et la mer

1575 C’est ce qu’indique notamment l’inscription fédérale IG VII 229 trouvée à Aigosthènes : « Καφισία[ο] ἄρχοντος ἐν Ὀγχηστοῖ » (l.1/2). 1576 ETIENNE R., KNOEPFLER D., Hyettos de Béotie et la Chronologie des Archontes fédéraux, p. 329-330, n. 242. 308

Pagai et Aigosthènes sont en revanche des ports non négligeables sur le golfe de Corinthe, ce qui devait particulièrement intéresser les Béotiens. Il est difficile de connaître le territoire des différentes cités béotiennes mais il semble que jamais Platées n’a disposé d’un accès direct à la mer1577. Au sein du Koinon, le littoral le plus proche de Platées était Creusis qui appartenait à Thespies1578 tandis que le télos platéen allait probablement jusqu’au canal d’Eubée mais il s’agissait alors du territoire d’Oropos. En revanche, Aigosthènes apparaît comme le port naturel de Platées car sa vallée possède « des débouchés faciles sur la Béotie, tandis qu’elle est séparée du reste de la Mégaride par des monts qui offrent un obstacle sérieux1579 ». Le cas d’Aigosthènes est intéressant car une inscription du temps de Démétios II1580 la présente comme une kômè mégarienne, un bourg rattaché à Mégare qui n’avait aucune indépendance alors qu’il est assuré qu’il s’agissait d’une cité en 224, lorsqu’elle rejoignit le Koinon des Béotiens1581, et il s’agit même de la date la plus probable pour une telle évolution. Les Béotiens, qui avaient conscience que leur contrôle sur la Mégaride était fragile, imposèrent une stricte indépendance à ces nouvelles cités qui sortirent de l’orbite de Mégare1582 comme le prouve les destinées séparées d’Aigosthènes et Mégare après 206/5 lorsque cette dernière quitta le Koinon. Il est alors facile d’imaginer qu’en tant que bienfaiteurs d’Aigosthènes, celle-ci se soit bien intégrée dans le Koinon tandis que Mégare y entrait pleine de ressentiment à l’égard des Béotiens. Dans un tel contexte, s’il est probable que Mégare ait bénéficié d’un télos1583 comprenant Pagai, il est également possible qu’Aigosthènes n’en fit pas partie et qu’elle rejoignit plutôt celui de Platées et d’Oropos pour y rester après le départ de Mégare du Koinon. Dans tous les cas, le contexte était alors favorable à un accroissement de l’influence béotienne sur le golfe de Corinthe. D’une part, la Béotie élargissait sa façade maritime sur le golfe en intégrant Aigosthènes et Pagai, d’autre part elle bénéficiait de la solide amitié d’Antigone Dôsôn qui contrôlait Corinthe. Lorsque ce dernier nomma le Béotien Brachyllas comme épistate de Sparte en 2221584, cela ne devait qu’inciter les Béotiens à porter plus d’intérêt vers le golfe de Corinthe, au moins pour maintenir un contact facile avec cette nouvelle acquisition1585. Ces liens étaient d’autant plus faciles que tout le rivage péloponnésien du golfe de Corinthe était tenu par les Achéens, eux-

1577 Dans le meilleur des cas, Platées aurait pu disposer d’un petit mouillage sur le golfe de Corinthe, mais c’est loin d’être assuré. 1578 Qui y exerçait un contrôle fort à la fin du IIIe siècle étant donné que l’on voit des liménarques thespiens à Creusis. 1579 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 103, n. 1. 1580 IG VII 1. 1581 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens de Sicile¸ p. 369. 1582 SMITH P. J., The Archaeology and Epigraphy of Hellenistic and Roman Megaris, Greece, p.110. 1583 KNOEPFLER D., « Oropos et la Confédération béotienne », p. 146. 1584 Polybe, V, 8, 12. 1585 Des contacts durent forcément être maintenus dans la mesure où Brachyllas est le fils de Néon, chef béotien de la tendance pro-macédonienne et personnage à la tête de la vie politique béotienne. 309 mêmes alliés d’Antigone Dôsôn et des Béotiens, ce qui rendait toute la zone paisible et propice aux activités entre les trois puissances. Nous avions précédemment étudié les décrets de proxénie Thespiens1586 et nous pouvons remarquer que sur les 23 décrets dont nous disposons, 18 sont datés entre la fin du IIIe siècle et le début du IIe suivant les spécialistes. Si nous ne souhaitons pas préciser plus cette datation1587, nous pouvons néanmoins relever la relative proximité entre des dates entre ces décrets et le contexte béotien que nous venons de décrire. Il est bien possible que l’apaisement des relations autour du golfe de Corinthe ait bénéficié à un développement des échanges, notamment commerciaux, perceptible dans le cas des Thespiens. Ces deux décennies passées sont caractérisées par la souplesse de la diplomatie béotienne qui, jouant de son attitude équivoque, peut contrebalancer les quelques pertes territoriales qu’elle connut par des gains plus intéressants et se préserver ainsi face aux autres grandes puissances. La Béotie de la fin des années 220 apparaît comme bien remise des déconvenues de la bataille de Chéronée. Elle dispose notamment d’une position confortable sur un golfe de Corinthe sécurisé et propice aux développements pour ses propres développements maritimes, ce qui constitue une première depuis la période de l’hégémonie thébaine.

2) La Béotie entre Philippe V et Rome

Ce ne fut cependant qu’une paix éphémère car Antigone Dôsôn mourut en 221 et dès l’année suivante, commença la guerre des Alliés qui opposait le jeune Philippe V et les Achéens aux Étoliens. Ce conflit devait mettre un terme à cette situation si favorable aux Béotiens car, selon la volonté de Philippe V, ce fût une guerre sur mer qui commença alors dans le golfe de Corinthe1588. Philippe rassembla à Léchaion des navires achéens et macédoniens1589 qui partirent pour Céphalonie où ils furent rejoints par des navires épirotes, acarnaniens et d’autres appartenant à Skerdilaïdas1590 ; il n’y a là aucune mention de navires béotiens alors qu’ils auraient facilement pu

1586 Supra, p. 137-154. 1587 Par exemple, le décret IThesp, n°2, en l’honneur d’un Corinthien, est daté à 215-213, par Paul Roesch, 210-205 par le LGPN, et du début du IIe siècle par Christian Habicht suivant, une fois encore, la chronologie que l’on retient des Archontes fédéraux béotiens, ce décret étant daté à l’archonte Λουsίας. (Voir ROESCH P., Les Inscriptions de Thespies – fascicule 1, p. 8). 1588 Polybe, V, 2, 1-3. 1589 Polybe, V, 2, 4. 1590 Polybe, V, 3, 3. 310 en fournir provenant de Creusis ou même de Mégaride1591. Comme l’a bien montré M. Feyel, la Béotie préféra s’en tenir à une stricte neutralité sans que cela n’entache son alliance avec la Macédoine1592. Cette attitude des Béotiens, soutenue par la dynastie lagide1593, se poursuit tout au long de la guerre des Alliés et lorsqu’elle s’achève en 217, la Grèce centrale put de nouveau profiter de quelques années de paix. La paix est de nouveau rompue en 214, lorsque commence la première guerre de Macédoine. Une fois de plus, une part importante des conflits allait se dérouler sur mer, autant dans le golfe de Corinthe que dans le canal d’Eubée ce qui devait considérablement inquiéter les Béotiens. Alors que les Étoliens mènent une campagne terrestre contre les alliés de Philippe V, les Romains le font par mer prenant et pillant de nombreuses cités du golfe de Corinthe ou de mer Ionienne1594. C’est conjointement que les Romains et les Étoliens prennent Antikyra en Phocide1595 en 210, soit une cité portuaire aux portes de la Béotie leur permettant de garder facilement contact avec leur base à Corcyre. Au-delà du golfe de Corinthe, c’est rapidement tout le littoral béotien qui se retrouve menacé par le conflit. Dès 209, Attale Ier de Pergame rejoint les Romains à Égine1596 et ayant cumulé leurs flottes respectives, ils disposent alors de 60 navires1597 pour poursuivre leurs opérations. La flotte ennemie étant installée à Égine, Mégare se trouve particulièrement exposée à un coup de main ce qui dut inciter les Béotiens à demander des renforts à Philippe V pour protéger leurs côtes1598. Le souverain macédonien s’attache à défendre tous ses alliés, y compris les Béotiens auxquels il envoie des troupes1599, tandis qu’il envoie également mille cinq cents hommes à Chalcis et en Eubée1600. En 208, cette grande flotte pergamo-romaine se tourne vers le golfe Euboïque nord où elle s’empare d’abord d’Oréos1601 avant de se diviser : les Romains allèrent contre Chalcis mais renoncèrent à la prendre devant les défenses macédoniennes1602 tandis qu’Attale, après avoir pillé Oponte, manque lui-même de se faire prendre par Philippe V1603. Après cela, c’en fut fini des expéditions dans le canal d’Eubée.

1591 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 142. 1592 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p. 156-157. Cela est probablement dû à plusieurs facteurs comme la volonté de rester en bons termes avec l’Etolie, ne pas contribuer au développement d’une Macédoine trop forte en Grèce centrale ou même une faible confiance dans les capacités militaires du jeune roi. 1593 Ibid., p. 166-167. 1594 Ibid., p.171. Il s’agit d’Oiniadai et de Nasos en Acarnanie, l’île de Zacynthe puis Dymé en Achaïe. 1595 Tite-Live, XXVI, 26, 1-2. 1596 Polybe, X, 41, 1. 1597 Tite-Live, XXVIII, 5, 1 : Romanae quinque et uiginti quinqueremes, regiae quinque et triginta. 1598 Polybe, X, 41, 3. 1599 Polybe, X, 42, 2. 1600 Polybe, X, 42, 2-3. 1601 Tite-Live, XXVIII, 6, 1-7. 1602 Tite-Live, XXVIII, 6, 8-12. 1603 Tite-Live, XXVIII, 7, 4-7. 311

Ainsi, à aucun moment la guerre ne toucha les territoires béotiens mais ceux-ci se sentirent suffisamment menacés pour faire appel à Philippe. Cette crainte est facilement compréhensible car si les Béotiens pouvaient peut-être avoir confiance dans les Étoliens car n’étant pas intervenus dans la guerre des Alliés1604, il n’en allait probablement pas de même avec les Romains ou les Pergaméniens, puissances lointaines cherchant surtout à s’enrichir dans ce conflit. La vue de ces grandes flottes dans le canal d’Eubée, dans le golfe de Corinthe ou même le golfe Saronique devait nécessairement pousser les Béotiens à la plus grande prudence sur mer, d’autant que Philippe V ne disposait alors d’aucune flotte pour les secourir1605. À partir de 208, le conflit vit Philippe prendre l’avantage sur les Étoliens qui, abandonnés par Rome et Pergame, durent se résoudre à traiter avec la Macédoine en 206, confirmant la perte de tout le littoral égéen qu’ils possédaient1606. La situation béotienne ne paraît guère plus reluisante dans les années suivantes. Polybe explique que Mégare choisit de quitter le Koinon béotien pour celui des Achéens1607. Cela entraîna immédiatement une réaction des Béotiens qui tentèrent de récupérer Mégare avec toutes leurs forces avant d’abandonner devant la menace illusoire d’une intervention de Philopoimen à la tête d’une armée achéenne1608. Cet épisode où Philopoimen apparaît en tant que stratège des Achéens date probablement de 206/5 comme l’a soutenu André Aymard1609. Cet événement indique d’une part à quel point Mégare est peu intégrée au Koinon dans lequel elle est entrée à contrecœur, et où la moindre occasion de regagner l’Achaïe (à défaut de son indépendance) était bonne à prendre. D’autre part, on voit que les Béotiens avaient de grands intérêts à garder Mégare dans leur Koinon car en cherchant à la reprendre ils risquèrent une guerre avec l’Achaïe, affaire qui ne pouvait être prise à la légère1610. Les relations entre la Mégaride et la Béotie ne se sont vraisemblablement pas calmées comme l’atteste une inscription mégarienne trouvée à Pagai1611 datée de la fin du IIIe siècle ou de 192-191 environ1612. Il s’agit d’un décret portant sur le règlement d’un conflit territorial entre

1604 FEYEL M., Polybe et l’histoire de Béotie, p.169. 1605 Tite-Live, XXVIII, 7, 17. Philippe V doit faire appel à ses alliés carthaginois pour disposer d’une flotte de guerre et lorsqu’il la reçut, il ne put y ajouter que sept quinquirèmes et vingt lembi (Tite-Live, XXVIII, 8,8). 1606 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome II, p. 91. 1607 Polybe, XX, 6, 9. 1608 Polybe, XX, 6, 10-12 et Plutarque, Philopoimen, 12, 3. 1609 Les premiers rapports de Rome et de la confédération achaienne (198-189 avant J.-C.), p. 14-15, n.7. C’est la date habituellement reprise aujourd’hui comme chez KNOEPFLER, « Huit otages béotiens proxènes de l’Achaïe : une image de l’élite sociale et des institutions du Koinon Boiôtôn hellénistique », p.102, n.93 ou ROBU A., Mégare et les établissements mégariens de Sicile¸ p. 367 n.201. Auparavant, l’historiographie avait plus tendance à retenir la date de 193/2 comme chez FEYEL (Polybe et l’histoire de Béotie, p. 30-33). 1610 On voit ainsi mal pourquoi les Béotiens auraient tenté de reprendre Mégare seulement parce qu’ils s’irritaient d’être ouvertement méprisés : « Οἱ δὲ Βοιωτοὶ διοργισθέντες ἐπὶ τῷ καταφρονεῖσθαι δοκεῖν ». 1611 IG VII 188-189. 1612 ROBU A., « Recherches sur l’épigraphie de Mégaride », p. 86. 312

Pagai et Aigosthènes pour la possession du petit port de Panormos1613, entre les deux. Alors que Pagai est soutenue par Mégare et la Confédération Achéenne dans cette affaire, Aigosthènes reçoit l’appui de la Confédération Béotienne1614. L’inscription explique ensuite que l’on fit venir des juges d’Épire et d’Acharnanie pour régler la question de façon impartiale et Mégare remercie Sicyone et la Confédération Achéenne de son soutien dans l’affaire. Ce qu’il nous faut retenir de ce décret c’est que si Pagai suivit Mégare dans son retour vers la Confédération Achéenne, Aigosthènes resta elle dans le Koinon1615, peut-être jusqu’à sa dissolution. Les années suivantes apparaissent tout aussi mouvementées pour les Béotiens. Si les expéditions orientales de Philippe avaient pour but d’acquérir la thalassocratie en Égée dans les dernières années du IIIe siècle, celle-ci est rapidement surpassée par la coalition entre Rhodes, Rome et Pergame au début de la deuxième guerre de Macédoine1616 qui commence en 200. Ce conflit va une fois de plus passer par d’importantes opérations navales qui impacteront la vie des Béotiens. Ces derniers sont partagés entre une faction pro-macédonienne, toujours dirigée par Brachyllas, et une autre qui leur est hostile. Cette situation détermine la politique des Béotiens qui restent fidèles à la Macédoine mais s’attachent surtout à une stricte neutralité dans la guerre. Dès les premiers mois du conflit, les Romains envoient vingt trières en soutien à Athènes qui subissait entre autres des attaques de pirates venant de Chalcis1617. Il est difficile de savoir si ces pirates étaient des alliés de Philippe ou seulement des bandes qui profitaient de la guerre pour s’enrichir aux dépens d’Athènes1618. La même année, les Romains prennent et pillent Chalcis qu’ils laissent en ruine faute de troupes à pouvoir placer en garnison1619. La situation dans le canal d’Eubée était alors trop confuse pour que les Béotiens aient intérêt à entreprendre une quelconque expédition extérieure alors qu’ils cherchent justement à se faire oublier dans ce conflit. Il est notable que lorsqu’en 199 les Romains et Attale prirent Andros dans les Cyclades, les habitants et la garnison macédonienne qui l’occupaient furent libres de se réfugier à Délion, en Béotie1620 ce qui traduirait des liens, au moins commerciaux, entre les deux cités. La seule alliance entre la Macédoine et la Béotie ne suffit pas à expliquer le choix de la destination des habitants d’Andros car l’Eubée apparaît plus proche et plus sûre et on voit mal des étrangers être accueillis en masse dans une cité inconnue.

1613 L. 5-6 : « ἐπειδὴ ἀν[τιποιησαμένου τοῦ κοινοῦ τῶν][Αἰτωλῶ]ν τοῦ τε λιμένος τοῦ Πανόρμου ». 1614 L. 7 : [ἔπεμψ]αν οἵ τε Ἀχαιοὶ καὶ οἱ Βοιωτοὶ ποτὶ τὰ[ν πόλιν]. 1615 ROBU A., « Recherches sur l’épigraphie de Mégaride », p. 86. 1616 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome II, p. 150. 1617 Tite-Live, XXXI, 22, 5-7. 1618 DE SOUZA P., Piracy in the Ancient World, p. 140. Mais il précise également que ces pirates ne pouvaient jouer qu’un rôle mineur de diversion car un rôle plus important aurait rendu inadéquat l’emploi du mot « praedō » chez Tite-Live (Ibid, p. 145). 1619 Tite-Live, XXXI, 23, 6-12. 1620 Ibid., 45, 6. 313

Le conflit vit bientôt les Romains et Pergaméniens éliminer toute opposition sur mer. En Eubée, ce fut d’abord Oréos qui tomba aux mains d’Attale1621 puis ils prirent successivement Érétrie et Carystos dont la garnison macédonienne est envoyée sur des navires romains en Béotie1622. Les Romains s’installèrent ensuite à Cenchrées1623 et à Antikyra1624, cette dernière permettant d’accéder rapidement au littoral béotien du golfe de Corinthe tandis qu’ils occupaient également la Locride1625. De fait, le littoral béotien était alors totalement encerclé par les forces romaines et attalides si bien que les Béotiens n’auraient rien pu entreprendre sur mer même s’ils l’avaient souhaité. T. Quinctius Flaminius contraint alors les Béotiens à s’allier avec Rome, ce qu’ils firent à contre-cœur, et le général romain put vaincre Philippe à Cynocéphales en 197. Les clauses qu’imposent les Romains à Philippe sont sévères, notamment dans les affaires maritimes où il dut remettre à Rome toute sa flotte à l’exception de six navires1626. Philippe s’exécuta et il ne semble pas que la Macédoine ait un jour rompu cette clause ce qui marquait dès lors la fin des ambitions maritimes antigonides. Les lendemains de la seconde guerre de Macédoine sont difficiles pour les Béotiens qui se montrent très hostiles aux Romains et entreprennent diverses exactions contre eux1627 ce qui nécessite l’intervention armée de Flamininus1628. Le monde grec est bouleversé par la proclamation de liberté que fait Flamininus aux Concours isthmiques de 196 ce qui impacte la situation maritime béotienne. D’une part, la Phocide et la Locride retournaient dans la Confédération étolienne, leur permettant d’accéder à nouveau sur le littoral égéen, tandis que les Achéens récupéraient la ville de Corinthe1629. Le plus grand changement dans le voisinage béotien eut lieu avec l’accession à l’indépendance de l’Eubée. Celle-ci retrouve alors sa liberté à l’exception de Chalcis, Érétrie et Oréos qui furent occupées par des garnisons romaines le temps de la guerre contre Nabis et finalement libérées en 1941630. Dès lors, les Béotiens retrouvèrent également une liberté dont ils ne pouvaient jouir tant qu’une puissance hostile occupait l’Euripe. Néanmoins, la question de la possession de Chalcis par des puissances étrangères ressurgit en même temps qu’éclatait la guerre antiochique, opposant principalement Rome à Antiochos III et l’Étolie. Dès 192, les Étoliens s’emparent de Démétrias1631, la principale base maritime de

1621 Ibid., 46, 14-16. 1622 Tite-Live, XXXII, 17, 1-3. 1623 Ibid., 17, 3. 1624 Ibid., 18, 4. 1625 Ibid., 32, 1. 1626 Appien, Livre Macédonien, 9, 3. 1627 Cette vague de violence eu lieu en réaction à l’assassinat de Brachyllas où Flamininus semble impliqué. 1628 Tite-Live, XXXIII, 29. 1629 Ibid., 34, 7-9. 1630 Tite-Live, XXXIV, 51, 1-2. 1631 Tite-Live, XXXV, 34. 314

Philippe V qu’il avait perdu en 196. La même année, l’Étolien Thoas tente une expédition pour prendre Chalcis avec l’aide d’Euthymidès, un Chalcidien banni à Athènes car hostile aux Romains1632. Thoas envoie une partie de son armée par mer, du golfe Maliaque jusqu’à Chalcis par le canal d’Eubée tandis que lui-même traverse la Béotie par voie de terre1633. Les Eubéens, avertis du coup, occupent aussitôt Salganeus avec toutes leurs forces1634 ce qui devait nécessairement être la plaine de Dhrosia1635. Il est intéressant de noter que les Béotiens n’ont vraisemblablement les moyens de s’opposer à aucune de ces deux invasions qui devaient pourtant aller contre leurs intérêts. D’une part, ils avaient plus d’intérêt à ce que Chalcis reste aux mains des Eubéens plutôt que d’être de nouveau occupée par une garnison étrangère, à plus forte mesure par des Étoliens qui encercleraient alors une partie du littoral béotien alors que le seul motif de rapprochement entre les deux est la haine de Rome. D’autre part, l’attitude des Eubéens ne pouvait qu’indisposer les Béotiens car l’occupation de la plaine de Salganeus menaçait directement la Béotie. Cette inaction béotienne est probablement liée aux nombreuses difficultés internes du Koinon1636. Thoas ayant néanmoins échoué à prendre Chalcis par surprise, il repartit avec ses troupes pour l’Étolie. Ce ne devait cependant être que la première de trois expéditions contre Chalcis. Toujours en 192, Antiochos III débarque à Démétrias1637 et décide peu après de prendre Chalcis. S’il est plus rapide que les Étoliens et arrive cette fois-ci à prendre Salganeus par voie de terre et par mer1638, il ne parvient pas à convaincre les Chalcidiens de se joindre à son alliance l’obligeant à quitter les lieux. À la fin de l’année 192, Antiochos lance de nouvelles opérations contre Chalcis1639 dans un contexte plus trouble. En effet, les troupes royales dirigées par un certain Ménippos sont devancées par des renforts achéens et pergaméniens qui occupent la plaine de Salganeus pour les Chalcidiens1640 et Ménippos doit s’installer à proximité de l’Hermaion entre la plaine et Mykalessos1641. Des renforts romains envoyés par Flamininus à Chalcis traversent également la Béotie jusqu’à Aulis, mais voyant que les Séleucides bloquent le passage, ils se replient sur Délion

1632 Ibid., 37, 4-5. 1633 Tite-Live, XXXV, 37, 6-9. 1634 Ibid., 34. 1635 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications, p. 135. 1636 Les fameux troubles sociaux, judiciaires et politiques que présente Polybe dans sa disgression à charge sur la Béotie (XX, 6, 1-12) qui, s’il faut les relativiser, durent être bien présents dans les années qui suivirent l’intervention de Flamininus contre les Béotiens. 1637 Tite-Live, XXXV, 43, 5-6. 1638 Ibid., 46, 3-4. 1639 Ibid., 50, 6-11 et 51, 1-10. 1640 BAKHUIZEN S. C., Salganeus and the fortifications, p. 135. 1641 Ibid., p. 137. 315 où devait les rejoindre une flotte1642. Ménippos attaque alors les Romains par surprise et les anéantit. Antiochos peut alors faire pression sur Chalcis qui lui ouvre ses portes tandis que les partisans chalcidiens des Romains sont bannis de la cité. Les Pergaméniens et Achéens occupent cependant toujours la plaine de Salganeus mais, encerclés de toute part, ils doivent se rendre et peuvent partir sans être inquiétés. Quelques Romains étaient parvenus à s’emparer d’une forteresse de l’Euripe mais ils doivent rapidement céder face à une attaque séleucide par mer et par terre. Il est probable que cette forteresse soit celle d’Aulis étant donné qu’elle est entre Délion et l’Euripe tout en pouvant être attaquée par mer. La Béotie ne semble jouer aucun rôle dans toute cette affaire alors que de larges portions de son littoral et de son territoire sont le théâtre des opérations. Le fait est qu’elle n’avait pas les moyens de s’opposer à ces puissants envahisseurs et ce n’est qu’après qu’Antiochos eut pris Chalcis que les Béotiens firent alliance avec lui1643, apparemment sans aucune bonne volonté1644. Antiochos dut probablement occuper la plaine de Salganeus pour y placer une partie de ses 10 000 hommes1645, s’agissant là d’une des meilleures places qu’il tenait en Grèce. Antiochos disposant de Démétrias, Oréos et Chalcis, il est probable que la partie nord du canal d’Eubée ait été au cœur des communications entre les différentes garnisons séleucides et qu’Antiochos ait lui-même privilégié les déplacements par mer entre Démétrias et Chalcis1646 tant le contrôle qu’il pouvait avoir sur cette mer était grand. Ce fut néanmoins un épisode de grâce bien éphémère car dès 191, la bataille des Thermopyles vit la défaite du souverain séleucide qui, après un bref passage par Chalcis, retourna en Asie en laissant l’Euripe ouvert aux Romains1647. Flamininus s’installe alors lui-même à Chalcis, reprenant à son avantage la position d’Antiochos sur l’Euripe1648. Pour informer le Sénat de sa victoire aux Thermopyles, Flaminius envoie le tribun militaire Caton (l’Ancien) à Rome. Celui-ci part de Chalcis et rejoint Creusis où il embarque dans le golfe de Corinthe1649. Cela présuppose que

1642 Tite-Live, XXXV, 50, 11 indique bien que les Romains donnaient l’impression de vouloir passer en Eubée depuis Délion et que ceux d’entre eux qui réussirent à s’échapper de la bataille le firent par mer (XXXV, 51, 4). 1643 ROESCH P., Études Béotiennes, p. 371. Cette alliance ne comprenait visiblement aucune aide militaire béotienne mais seulement des mesures flatteuses décernés à Antiochos, « cachant ainsi leur réticence sous les honneurs ». 1644 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome II, p. 205. Les Béotiens avaient déjà repoussé cette alliance une première fois avant la prise de Chalcis (Tite-Live, XXXV, 50, 5) et ce n’est que par l’intervention personnelle du roi à Thèbes que les Béotiens se rallièrent à lui « sub leni verborum praetextu » (Tite-Live, XXXVI, 6, 5). 1645 Tite-Live, XXXVI, 11, 3, il est précisé que les officiers tenaient leurs quartiers d’hiver dans tout le pays « mais surtout vers la Béotie ». 1646 Tite-Live, XXXVI, 11, 1. 1647 Ibid., 21, 1. 1648 Ibid., 31, 5. 1649 Ibid., 21, 5. 316 les Romains possédaient des navires dans la baie et qu’ils devaient donc également être présents à Thespies et son port afin de maintenir un contact facile avec l’Occident. Cette occupation avait vocation à ne durer que le temps de résoudre les affaires grecques et dès la fin de l’année, les troupes romaines quittèrent la Grèce pour poursuivre Antiochos en Asie1650. Aussitôt les Romains partis, leur influence en Grèce s’efface également1651 comme le prouve le semblant de guerre entre la Béotie et l’Achaïe en 1861652. Flamininus et le Sénat romain souhaitaient que Zeuxippos et d’autres Béotiens favorables à Rome puissent rentrer d’exil en Béotie et envoyèrent pour cela une lettre au Koinon. Les Béotiens, toujours fidèles à la Macédoine, refusèrent en soutenant que Zeuxippos et les autres bannis avaient été condamnés pour le meurtre de Brachyllas et ils envoient alors un ambassadeur à Rome pour défendre leur position. Dans cette crise diplomatique, les Romains sont soutenus par les Achéens qui veulent en profiter pour résoudre de vieux litiges avec la Béotie. En effet, les Achéens souhaitent que les tribunaux béotiens leurs soient réouverts pour régler des affaires depuis longtemps laissées de côté. Face au manque de réaction des Béotiens, Philopoimen autorisa ses concitoyens achéens à s’emparer des biens béotiens pour se faire justice. La situation alla presque jusqu’à la guerre lorsque des troupeaux des Béotiens Simon et Myrrichos furent saisis par des Mégariens. Si c’est cette dernière saisie qui envenima la situation, c’est qu’elle eut lieu directement sur le territoire béotien1653 et concernait des citoyens assez éminents pour que leurs noms aient été retenus par Polybe. On peut sans doute supposer que les emporoi béotiens vivant du commerce dans le golfe de Corinthe durent également souffrir de cette politique achéenne. La guerre fut néanmoins évitée grâce aux Romains qui abandonnèrent le cas des exilés et les Achéens furent contraints de s’aligner sur leur position.

3) La fin de la Confédération

Si les sources sont silencieuses sur le devenir de la Béotie dans les années suivantes, rien n’indique qu’elle connût des troubles particuliers avec des puissances extérieures. Entre 174 et 1721654, la Béotie conclut une alliance avec Persée1655 qui poursuit alors une politique pour étendre

1650 Ibid., 35, 6-7. 1651 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome II, p. 246. 1652 Polybe, XXIII, 2. 1653 Ces troupeaux devaient se trouver dans le Cithéron, zone d’élevage traditionnelle dans cette partie de la Béotie. 1654 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome II, p. 263. 1655 Tite-Live, XLII, 12, 5. 317 son influence en Grèce1656. En retour, les Romains entreprennent une campagne diplomatique à travers la Grèce en 172/1 au cours de laquelle une trêve est conclue avec Persée, mais la guerre paraît néanmoins inévitable. Les légats romains Q. Marcius Philippus et A. Atilius Serranus passent par la Béotie avant de s’installer à Chalcis où ils purent juger des tensions qui divisaient les Béotiens. Les exilés pro-Romains de plusieurs cités béotiennes vont directement à Chalcis demander le soutien des Romains pendant que les cités se déchirent pour savoir quelle attitude tenir1657. La plupart des cités béotiennes envoient elles-mêmes des délégués à Chalcis pour revenir dans l’alliance romaine comme le fit également l’archonte Isménias au nom du Koinon. Les Romains traitèrent avec les cités individuellement plutôt qu’avec les magistrats fédéraux ce qui mit de fait fin au Koinon1658. Si l’essentiel des cités béotiennes s’étaient tardivement ralliées aux Romains, les cités de Thisbé, Haliarte et Coronée choisirent de leur côté de rester fidèles à Persée1659. La trêve conclue précédemment avec la Macédoine allait durer encore quelques mois où les Béotiens ne connurent pas de troubles avec l’extérieur mais entre eux, des conflits ayant lieu entre les cités alliées aux Romains ou alliées à Persée1660. Dès 171, la troisième guerre de Macédoine était lancée et l’un de leurs premiers objectifs était de régler le problème des derniers soutiens béotiens à Persée. Pendant que les Romains débarquaient en Épire et passaient en Thessalie, Chalcis était le point de rencontre de toutes leurs flottes alliées1661. Les Romains divisèrent leur propre flotte pour débarquer en Béotie tant du côté de Chalcis1662 que de Creusis1663. Haliarte subit un siège difficile où ses habitants se défendirent courageusement avant de tomber puis ce fut Thisbé qui fut prise sans se battre1664. Coronée semble avoir continué à résister1665 mais dut également céder peu après. Les généraux romains qui avaient opéré en Béotie se montrèrent impitoyables avec les cités prises : Haliarte fut rasée et ses habitants vendus comme esclaves1666 pour ceux qui avaient échappé au massacre. En comparaison, le sort de Thisbé et de Coronée dut être plus doux car seule une

1656 La Béotie, comme une grande partie de la Grèce continentale, est alors en proie à des troubles sociaux opposant démocrates favorables à Persée et demandant une redistribution des terres et des oligarques maintenant leur fidélité envers les Romains. L’alliance entre la Béotie et Rome ne se fit ainsi sans unanimité comme le montre plusieurs passages de Tite-Live (XLII, 13, 7 et XLII, 38, 5). 1657 Polybe, XXVII, 1, 1-13 et Tite-Live, XLII, 43, 4-10. 1658 Polybe, XXVII, 2, 1-10 et Tite-Live, XLII, 44, 1-7. 1659 Polybe, XXVII, 5, 1-8. 1660 Tite-Live, XLII, 46, 9. 1661 Ibid., 55, 7 et 56, 6-7. 1662 Ibid., 56, 3-4. 1663 Ibid., 56, 5. 1664 Ibid., 63, 1-12. 1665 Ibid., 67, 12, on y voit les Thébains appeler à l’aide les Romains contre les Coronéens. 1666 Ibid., 63, 10-12. 318 partie de la population fut vendue1667 tandis que leurs territoires furent soumis à diverses exactions. Du moins, les Thisbéens et Coronéens avaient encore le loisir de protester contre ce traitement, ce que n’eurent assurément pas les gens d’Haliarte dont on n’entend plus parler. C’est ce qu’indique notamment un sénatus-consulte1668 trouvé à Thisbé et datant de 170. Il s’agit d’une réponse à une ambassade thisbéenne envoyée à Rome pour se plaindre des exactions qu’elle subit. Les Romains répondent souvent favorablement aux demandes thisbéennes ce qui traduit probablement une prise de conscience de la part du Sénat romain qui réalise que l’action de ses généraux en campagne ternit l’image renvoyée par Rome en Grèce1669. Là où ce document est très utile à notre sujet, c’est qu’il présente les revendications des ambassadeurs puis la réponse du Sénat sur des sujets divers, notamment les ports de la cité. C’est ainsi qu’il est écrit (l.17-20) :

ὡσαύτως περὶ ὧν οἱ αὐτοὶ λόγους ἐποιήσαντο περὶ χώρας [κ]αὶ περὶ λιμένων καὶ προσόδων καὶ περὶ ὀρέων· ἃ αὐτῶν ἐγε- γ̣όνεισαν, ταῦτα ἡμ[ῶ]ν μὲν ἕνεκεν ἔχειν ἐξεῖναι ἔδο-

ξεν.

Et sa traduction1670 :

« De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés au sujet du territoire, des ports et de leurs revenus, et des montagnes, il a été décidé qu'il leur serait permis de posséder, de notre chef, ce qui leur avait appartenu. »

P. Roesch a clairement identifié les ports de Thisbé comme étant les trois mouillages occidentaux de la baie de Domvréna, excluant de fait Siphai et Chorsiai1671. Au-delà de leur localisation, la question de la possession des ports de Thisbé évoquée au Sénat montre qu’elle posait problème. Les Thisbéens n’auraient certainement pas eu à en revendiquer la possession si elle n’était pas au cœur d’un litige, et il faut donc comprendre que les Romains ont dû occuper ces ports. Le plus probable est qu’ils s’emparèrent des ports après que Thisbé se soit rendue mais il est

1667 À Thisbé, ce sont les opposants politiques aux Romains qui furent vendus (Tite-Live, XLII, 63, 12) tandis que Coronée dut subir un sort analogue sans que l’on n’en sache plus (Tite-Live, XLIII, 4, 8-11). 1668 IG VII 2225. 1669 WILL E., Histoire politique du monde hellénistique, tome II, p. 273. D’autant que Thisbé n’est pas la seule cité à envoyer une ambassade auprès du Sénat. 1670 BERTRAND J.M., Inscriptions historiques grecques, p. 229-230. 1671 ROESCH P., Thespies et la Confédération béotienne, p. 53-54. 319 aussi possible que lorsque le préteur C. Lucrétius passa dans le golfe de Corinthe pour débarquer à Creusis, il en profita pour s’en prendre à ces ports sans défense. Il faut noter que les revenus des ports ne devaient pas être négligeables car ce sont ces questions qui intéressaient les Romains1672. Le fait est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un port bien plus modeste que celui de Creusis, montrant ainsi l’importance des échanges commerciaux béotiens au niveau du golfe de Corinthe au IIe siècle. Il est enfin nécessaire de réfléchir aux conséquences de la suppression du Koinon par les Romains sur la situation maritime des cités béotiennes. Si la disparition de l’hipparque ou des béotarques dut pénaliser nombre de cités, elles pouvaient toujours reprendre à leur échelle ces institutions fédérales. Il n’en va pas de même pour les questions maritimes où la transition dut être la plus brutale car pour de nombreuses cités, leur politique maritime ne reposait que sur les institutions fédérales, notamment toutes celles qui ne disposent pas de littoral. Le sujet est d’autant plus important que nombre de cités enclavées comme Thèbes, Platées, Orchomène ou Chéronée jouaient un rôle majeur dans le Koinon et devaient souhaiter maintenir des contacts avec l’outre- mer. Cette question apparaît même très vite dans la politique des cités béotiennes car dès l’alliance des Béotiens aux Romains en 172/1, Marcius et Atilius conseillent aux différentes cités béotiennes de se rendre individuellement à Rome pour renouveler leur alliance devant le Sénat1673 ce qui devait faire exploser la Confédération. La situation des Béotiens étant alors critique, l’envoi de cette ambassade devait être une priorité pour l’ensemble des cités sans que l’on n’ait plus de détails sur ce sujet. Le problème est identique pour Coronée qui, vaincue par les Romains, ne disposait pas de littoral contrairement à Thisbé. Or nous disposons de deux mentions d’ambassades coronéennes de cette période. Une première vient de Tite-Live1674 qui indique que le Sénat rendit un décret aux Abdéritains en 170, un an après en avoir rendu une aux Coronéens. Si Tite-Live dit vrai, cela suppose que Coronée a été vaincue à la fin de l’année 171 et elle dut envoyer peu après une ambassade à Rome1675. Il est également mention d’une ambassade dans le sénatus consulte de 170 :

ὡσαύτως περὶ ὧν οἱ αὐτοὶ λόγους ἐποιήσαντο περὶ τοῦ γράμματα δοῦναι Θισβεῦσιν εἰς Αἰτωλίαν καὶ Φωκίδα· περὶ τού- του τοῦ πράγματος Θισβεῦσι καὶ Κορωνεῦσιν εἰς Αἰτωλίαν καὶ Φωκί-

1672 Notamment les negotiatores qui suivaient de près les expéditions militaires romaine comme on le voit avec Cn. Pandusinus qui se trouve à Thisbé lorsqu’est rendu ce senatus-consulte. 1673 Tite-Live, XLII, 44, 5. 1674 XLIII, 4, 11. 1675 FOUCART P., « Sénatus-consulte de Thisbé (170) », p. 344. 320

δα καὶ ἐάν που εἰς ἄλλας πόλεις βούλωνται γράμματα φιλάν-

θρωπα δοῦναι ἔδοξεν.

Et sa traduction1676 :

« De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés, demandant qu'on donnât des lettres aux Thisbéens pour l'Étolie et la Phocide ; sur cette affaire, il a été décidé qu'on donnerait aux Thisbéens, ainsi qu'aux Coronéens, des lettres de recommandation pour l'Étolie et la Phocide et pour d'autres cités, s'ils le veulent. »

Si les Coronéens sont ici associés à la revendication des Thisbéens, c’est simplement que les deux cités eurent exactement la même demande et passèrent certainement dans la même journée devant le Sénat. Il faut alors nécessairement estimer qu’il s’agit de deux ambassades coronéennes différentes car il serait très surprenant que la première ait étendu son séjour à Rome jusqu’en octobre 170, date où fut délivré ce sénatus-consulte1677. Si on ne dispose pas d’information sur le détail de la première ambassade, il paraît bien plausible que l’ambassade de Coronée et de Thibée en 170 sont en réalité bien liées. En effet, faute de moyen pour accéder facilement par mer jusqu’à Rome, les Coronéens ont probablement dû faire jouer leurs bonnes relations avec leurs voisins de Thisbé qui connurent le même destin dans la guerre contre Rome et avaient ainsi les mêmes intérêts. Il est même possible que les deux ambassades voyageant ensemble, elles se sont accordées sur certains intérêts communs comme la question du voyage de retour qui transparaît de cette demande de lettre de recommandation. Dans un tel contexte, il est très facile d’imaginer qu’il y eut des accords analogues entre le reste des cités béotiennes souhaitant envoyer des ambassades à Rome pour qu’elles s’organisent conjointement pour faire le voyage. Ainsi, si les cités sont bien reçues individuellement devant le Sénat, ce serait dans les faits une individualité assez artificielle qui est manifestée, car les ambassades durent être toutes reçues les unes à la suite des autres dans un intervalle de temps réduit. C’en est néanmoins fini de la politique maritime béotienne. Si la politique fédérale est remplacée par les relations que pouvaient entretenir les cités, ce n’est qu’une solution de secours alors que même le Koinon ne cherchait pas à gommer les rivalités entre cités. De fait, les cités béotiennes apparaissent alors isolées tandis les anciennes rivalités durent rapidement ressurgir entre elles.

1676 Ibid., p. 313. 1677 BERTRAND J. M., Inscriptions historiques grecques, p.229-230.

321

Ainsi s’achève la politique maritime béotienne sous les coups de Rome. Depuis le règne de Philippe II, la Béotie n’est plus qu’une puissance maritime négligeable en Grèce continentale, entourée d’États ayant des flottes bien plus importantes. À l’échelle de l’Égée entière, voire de la Méditerranée, le contraste des forces est plus grand encore et la bataille de Chéronée de 245 était loin d’arranger les choses. Dans la continuité de leur situation antérieure à Chéronée, les enjeux maritimes béotiens apparaissent limités par les politiques des grandes puissances alentour, contexte qui ne fait qu’empirer avec l’addition de la puissance romaine. Encore plus qu’à la période précédente, on a le sentiment que la Béotie lutte pour contrôler son littoral alors que le golfe de Corinthe et le canal d’Eubée sont au cœur des luttes de toutes les grandes puissances de l’époque et qu’elle renonce à toute ambition navale, sa marine n’ayant une utilité qu’à l’échelle de ses golfes. La suppression du Koinon par les Romains, présentée comme un grand succès diplomatique devant le Sénat, marqua du même coup la fin de toute politique maritime fédérale excluant de fait les cités enclavées. Il serait probablement intéressant de voir dans quelle mesure cet éloignement du littoral joua sur la situation des cités béotiennes à l’époque romaine.

322

Conclusion

Quel bilan tirer de la politique maritime des Béotiens ? La mer est assurément une problématique secondaire pour les élites béotiennes mais elle n’est pas négligée comme l’indique l’existence d’un navarque à toutes les périodes. Les Béotiens ne développent une politique maritime que quand ils en ont les moyens, et sur ce point, leurs capacités semblent suivre scrupuleusement la situation générale de la Béotie. Si l’on reprend une dernière fois les mots d’Éphore qui présente la Béotie comme prédisposée à l’hégémonie sur mer car baignée de trois mers1678, il s’agit d’un constat qui ne peut s’appliquer qu’au milieu du IVe siècle, au temps où Thèbes connaissait son acmé. En dehors de cette période, la Béotie ne semble plus disposer d’une position maritime si idéale car elle apparaît surtout entourée de plus grandes puissance navales au sein d’espaces maritimes réduits. Les Béotiens sont ainsi directement en contact avec les Achéens, Corinthiens, Étoliens, Eubéens, Athéniens ou même les différents souverains hellénistiques et en premier lieu les Antigonides. En plus de ce voisinage, la circulation dans les trois golfes se révèle peu aisée pour les Béotiens qui peuvent vite se retrouver entravés par qui tient Naupacte, Chalcis ou même les différents ports eubéens contrôlant les accès au canal d’Eubée. C’est donc un bilan très nuancé qui ressort de cette étude. Les Béotiens constituent assurément une puissance navale, mais d’une stature plus ou moins secondaire voire négligeable suivant les périodes. À l’époque classique, les Béotiens disposent continuellement d’une flotte qui peut intervenir dans des théâtres éloignés, si les circonstances le permettent, c’est-à-dire en cas d’alliance avec d’autres puissances navales comme les Lacédémoniens pendant la guerre du Péloponnèse ou Athènes au début du IVe siècle. Même pendant son hégémonie, Thèbes ne peut espérer vaincre Athènes sans le soutien de Rhodes, Byzance et Chios alors qu’elle-même fait d’importants efforts pour développer une flotte considérable. L’époque hellénistique est encore plus difficile pour les Béotiens alors que les grandes puissances étrangères développent leurs flottes avec des navires toujours plus nombreux et plus imposants. La Béotie n’est alors reléguée qu’à un rang de puissance régionale secondaire et ses initiatives navales ne peuvent se développer que dans les golfes voisins où elle agit rarement et sans audace, quand elle en a les moyens. Car c’est probablement là que réside le drame de la situation maritime béotienne, Chalcis constitue l’un des « verrous » permettant de contrôler toute la Grèce centrale ainsi que tout le canal d’Eubée. L’Euripe se trouve ainsi au cœur des ambitions des souverains hellénistiques et les Béotiens ne peuvent

1678 Strabon, IX, 2, 2. 323 s’opposer à la perte régulière d’une part importante de leur littoral. C’est d’ailleurs dans ce contexte que s’achève l’histoire de la Troisième Confédération, supprimée par les Romains installés à Chalcis. La politique maritime fédérale des Béotiens connaît naturellement sa fin avec la suppression du Koinon, ce qui constitue également le terme de notre étude. Après cette date, les différentes cités béotiennes n’eurent probablement plus les moyens de développer une quelconque politique navale d’autant qu’à plusieurs reprises elles souffrent de la domination romaine à l’image d’Anthédon, Halai et Larymna, ruinées par Sylla au Ier siècle av. J.C1679. Il est alors difficile de voir la Béotie comme étant indépendante, alors qu’elle est progressivement pacifiée et intégrée dans l’imperium romanum.

1679 Plutarque, Sylla, 26. 324

Conclusion générale

Tout au long de ce mémoire, la Béotie est apparue comme un pays maritime. La principale caractéristique de son littoral est qu’il est double, donnant sur le golfe de Corinthe au sud et sur le canal d’Eubée au nord, rattachant ainsi la Béotie tant à la mer Ionienne qu’à la mer Égée. Une autre donnée fondamentale est que le canal d’Eubée est lui-même divisé en deux golfes par le détroit de l’Euripe qui sépare la Béotie de l’Eubée. Dans un premier temps, nous avons analysé en détail ces côtes et il en ressort qu’elles sont mal rattachées à l’intérieur de la Béotie, ce qu’avaient déjà relevé la majorité des observateurs modernes. La Béotie est un pays montagneux, à l’image du reste de la Grèce, mais ses cités les plus importantes sont tournées vers le centre du pays et ses vastes plaines fertiles. Ce n’est qu’en suivant des vallées ou des chemins de montagne que l’on atteint la mer ce qui peut limiter les communications avec le littoral. De plus, les golfes béotiens étant pour la plupart liés à la Méditerranée par des détroits, l’accès au grand large dépend de puissances étrangères pouvant entraver le passage. Résumer le rapport des Béotiens à la mer à ces limites serait néanmoins réducteur. Les sites béotiens sont nombreux sur les trois golfes avec des cités indépendantes (Anthédon, Siphai, Thisbé, Chorsiai) et des petites villes qui servent de ports à des cités de l’intérieur (comme Creusis ou Délion). Les golfes d’Eubée et de Corinthe constituent des routes maritimes importantes pour les Grecs auxquels les Béotiens sont directement connectés. D’autre part, on compte de nombreux sites le long des côtes béotiennes et ceux-ci sont raccordés par des routes à l’intérieur de la Béotie. Dans ce paysage maritime béotien, les deux cités les plus importantes sont indéniablement Thespies, l’une des principales cités de Béotie avec à sa disposition un port sur le golfe de Corinthe, et Tanagra, cité moyenne mais très bien reliée à la côte par son port de Délion, sur la partie sud du canal d’Eubée. En conséquence, ce sont Thespies et Tanagra qui ont la plus importante activité maritime et qui apparaissent les plus impliquées dans des échanges avec d’autres cités leur faisant face dans leurs golfes respectifs, dans le Péloponnèse ou l’Eubée notamment. Ces deux cités, bien que bordant des littoraux opposés, sont toutes deux dans la portion la plus orientale de leur côte respective et c’est ainsi toute la partie est de la Béotie qui apparaît bien connectée à la mer, région dont le principal centre urbain est Thèbes.

325

Les liens maritimes que pouvaient avoir les Béotiens sont visibles à toutes les époques et dans des domaines variés. Dès l’époque archaïque, la Béotie apparaît comme la première région du Catalogue des Vaisseaux d’Homère, celle qui compte le plus de cités, et c’est dans le port béotien d’Aulis que la flotte grecque, menée par Agamemnon, se rassemble avant de partir pour Troie. C’est également de Béotie que sont originaires les divinités marines Leucothéa et Palaimon tout comme le héros Tiphys, pilote du navire mythique Argo. De façon plus matérielle, nous avons vu que Thespies et Tanagra ont pu collaborer avec Mégare ou des cités Eubéennes dans le cadre de mouvements de colonisation tant vers l’Hellespont et la mer Noire qu’en Grande Grèce. Souvent, le pays littoral béotien apparaît comme un monde distinct de celui de l’intérieur des terres, par ses pratiques cultuelles notamment. Nous avons ainsi vu des petits cultes locaux propres à des cités côtières à l’image de Glaukos, pêcheur divinisé professant des oracles aux marins d’Anthédon. Mais nous avons également pu étudier des cultes qui ont émergé sur les littoraux béotiens par l’influence des régions côtières voisines comme celui d’Apollon à Délion. Les mers béotiennes prennent alors la forme d’espaces d’échange ce qui transparaît de façon bien plus éloquente dans les questions économiques. Sur ce sujet, il en est ressorti qu’au-delà du dynamisme économique de Thespies et Tanagra, les deux cités béotiennes sont elles mêmes interconnectées par une route terrestre mettant en relation des régions de part et d’autre des deux golfes. On s’aperçoit que ces échanges s’organisent selon un triangle autour de Thespies, Tanagra mais aussi Chalcis, principale cité d’Eubée dont la position stratégique — à quelques dizaines de mètres de la Béotie, au-delà du détroit de l’Euripe — l’a souvent vue convoitée par les grandes puissances étrangères. Cela est d’autant plus vrai au cours de la période hellénistique où Chalcis bascule de souveraineté en souveraineté jusqu’à finir tenue par les Romains. Pour ces derniers, la route la plus pratique pour rejoindre l’Urbs implique de traverser la Béotie jusqu’au golfe de Corinthe d’où ils pouvaient rejoindre l’Italie par mer. Au milieu de ce triangle de communications se situe surtout Thèbes, qui profite de cette position et peut, par son importance politique, développer des ambitions maritimes. Le contexte politique constituait alors la dernière variable à prendre en compte dans cette étude, ce qui fut fait dans une troisième partie. On y vit que les cités béotiennes, réunies en un Koinon, disposaient d’une politique commune portant sur des questions maritimes. Dès la guerre du Péloponnèse, la Béotie apparait comme une puissance navale non négligeable et cela se confirme au cours du IVe siècle, où sous la conduite d’Épaminondas, les Béotiens se lancent dans un vaste programme naval aux résultats contrastés. La période hellénistique est plus compliquée, les grandes monarchies disposaient de fonds permettant de soutenir des flottes dont le gigantisme transparaît tant dans par leur proportion que dans les dimensions des navires engagés. Jamais la Béotie ne

326 réussit à concurrencer ces royaumes ni même ces voisins les plus proches, eux-mêmes réunis en Confédérations tels que l’Achaïe ou l’Étolie. Si la politique navale des Béotiens s’achève brutalement avec la suppression de leur Koinon en 171, cela ne constitue pas un terme pour affaires maritimes des Béotiens et il nous faut envisager une extension de ce sujet dans ses bornes chronologiques. Par soucis de cohérence, nous avons commencé notre étude à l’époque archaïque pour l’achever au IIe ou Ier siècle avant J.C. suivant les questions abordées. La limite du IIe siècle a surtout du sens dans des domaines politiques mais moins pour les autres et on pourrait aisément inclure la Béotie à l’époque impériale, ce qui nous permettrait d’étudier plus en détail deux de nos sources littéraires principales pour notre région, à savoir Strabon et Pausanias. La Béotie mycénienne mériterait également un examen approfondi. Les légendes homériques autour de l’épisode d’Aulis évoquent le dynamisme maritime de ces Béotiens, et les fouilles de la Thèbes mycénienne attestent de contacts diplomatiques importants avec l’Orient. Néanmoins, il me semble difficile de raccorder de façon cohérente la Béotie historique à la Béotie mycénienne, et cette dernière mériterait probablement une étude indépendante. Il nous faut également revenir sur d’autres limites et les difficultés rencontrées au cours de ce mémoire car ce sont elles qui peuvent définir les perspectives d’avenir pour ce sujet. On peut regretter que parfois, pour les questions économiques et sociales, on soit resté assez généraliste dans leur bornage chronologique. Les sources étudiées, notamment épigraphiques, ont pu être sommairement contextualisés dans leur période d’origine. Cela s’explique par le fait que la chronologie de la Béotie, surtout à l’époque hellénistique, est difficile à établir. Alors que pour les années de l’hégémonie thébaine, il est relativement facile de dater une inscription car nous connaissons la plupart des béotarques de chaque année, et ce n’est pas le cas pour les siècles suivants, tandis que les sources littéraires font également défaut. Pour les inscriptions du IIIe ou IIe siècle tels que les décrets de proxénie, au-delà de critères paléographiques, leur datation repose uniquement sur la mention de l’archonte fédéral que l’on tente de replacer dans l’Histoire béotienne. Se construit ainsi une chronologie des archontes fédéraux béotiens qui, loin d’être fixée, constitue un champ d’étude constamment renouvelé — et débattu — par les apports de chercheurs tels que Michel Feyel, Denis Knoepfler ou plus récemment Yannis Kalliontzis. À plusieurs occasions dans ce mémoire, nous avons été confrontés à des inscriptions qui étaient ainsi datées et nous avons préféré ne pas prendre parti pour rester dans des chronologies larges conciliant les différents avis. Il pourrait néanmoins être utile de rentrer dans ces questions dans le cadre de notre sujet car la mer offre une approche oblique du problème. En effet, grâce au travail accompli ici, nous disposons d’une histoire politique de la Béotie abordée du point de vue de la mer. Dans le

327 cadre de décrets de proxénies, où le contexte maritime joue un rôle crucial, la prise en compte de cette histoire maritime de la Béotie associée à une étude étroite de la chronologie des archontes fédéraux pourrait donner des résultats intéressants, ce que nous n’avons pu faire ici faute de temps. Même si nous avons tendu à l’exhaustivité dans les sources traitées, elle n’a vraisemblablement pas été atteinte. C’est notamment le cas pour les sources épigraphiques où le volume VII du corpus des Inscriptiones Graecae, volume portant sur la Béotie, doit prochainement faire l’objet d’une importante mise à jour rajoutant environ 6 000 documents aux 4 000 qui existent dans le corpus de Dittenberg (l’édition actuelle qui remonte à 1892). Celles-ci concernent plusieurs cités côtières comme Thisbé, Siphai, Anthédon ou Chorsiai pour lesquelles nous avons eu du mal à réunir les publications, dispersées dans des périodiques variés. Ce corpus devrait paraître en 2020 et il devrait sans aucun doute s’accompagner de nouvelles perspectives pour notre sujet. Ainsi, ce mémoire, intitulé « La Béotie et la mer », peut faire l’objet d’un élargissement important dans la chronologie abordée, mais aussi dans le corpus des sources et dans la façon de les traiter. La mer des Béotiens apparaît donc comme un sujet d’étude riche qui, malgré son premier caractère marginal, n’apparaît pas si éloignée que ça des Béotiens. À une vingtaine de kilomètres tout au plus, elle est là, parfois inhospitalière voire hostile, mais présente néanmoins.

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338

Sources épigraphiques :

IG I3 : 39 40

IG II² : 14 43 103 105 111 179 469 1607

IG VII : 1 188 189 207 393 414 484 504 505 506 507 508 511 512 513 516 517 518 519 520 522 523 524 525 529 531 537 538 545 548 585 621 883 1566 1737 1738 1826 2224 2225 2233 2383 2385 2387 2405 2406 2407 2408 2418 2419 2434 2446 2639 2723 2782 2870 2871 2874 3207 4139 4148

IG IX I² 1 : 17 21 27

IG IX I² 3 : 680

IG XI 1 : 191

IG XI 2 : 161 287b

IG XI 4 : 559 641 824 1125 1126

IG XII 2 : 266

339

IG XII 5 : 594 1004 1065

IG XII 7 : 506

IG XII 9 : 900 B

IG IX : 963

IThesp : 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 13 14 15 16 17 18 19 20 22 23 24 28 29 38 41 84

OGIS : 43 228 229

SEG III : 117 342 344 345 346 349 350

SEG IX : 2

SEG XIV : 530

SEG XVIII : 153

SEG XXII : 407 410

340

SEG XXIV : 361

SEG XXVIII : 461

SEG XXX : 439

SEG XXXII : 450 SEG XXXIV : 335

SEG XLI : 487

SEG XLII : 478

SEG XLIV : 901

SGDI II : 1842

SIG : 443

Syll.3 : 585

Corinth VIII, 3 :

341

45

Epigr. Tou Oropou : 163 290

FD III, 1 : 52

IK Kalchedon : 7

IK Prusias ad Hypium : 1 2 3 4 5 6 7 8 10 11 12 14

Inscr. of Cos : 10b Tn : 216

Autres inscriptions : - Thespiai Museum Inv. Number SF 2710

- MFA 1987.97

- BCH 90 (1970), p. 133-137.

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342

Sources numismatiques :

Toutes les monnaies ont été trouvées sur www.wildwinds.com

Moushmov 3415 : Julia Mamaea, AE22 of Byzantion, Thrace. IOYΛIA MAMAIA AYΓ, draped bust right / BYZANTIΩN, Herakles standing facing, resting on club set on rock, lionskin over left arm, right hand on hip. Moushmov 3415; Varbanov 1943.

BMC 60 : Antoninus Pius, AE25 of Tanagra, Boeotia. AD 138-161. 11.08 g. AY KAI ANTωNEINOC EYCEBHC, laureate head right, slight drapery on left shoulder / TANAΓΡAIωN, distyle shrine with Dionysos standing left within, holding kantharos and thyrsos; the two columns each surmounted by male figure supporting the roof, triton swimming left below. BMC 60; Northwick Coll. sale, lot 797; Vienna 34959; BCD Boiotia 316a; Pausanias 3; Imhoof- Blumer, Boeotiens, 111.

BMC 63 : Boeotia, Thebes, Confederate coinage AR Tetradrachm. Circa 288-244 BC. Laureate head of Zeus right / BOI-ΩTΩN, Poseidon seated left, holding dolphin in extended right hand, trident in left; Boeotian shield ornament on throne.

BMC 77 : Boeotia. Federal Coinage, AR Drachm, ca 250 BC. 5.09g, 18mm. Head of Demeter facing three-quarters to right, wreathed with corn / BOIΩTΩN, Poseidon standing facing, head right, holding trident and dolphin. AH monogram over Boeotian shield to right. BMC 77; BCD 95.

BMC 78 : Thebes, Boeotia, AR Drachm. Circa 244-197 BC. Three-quarter facing head of Persephone, slightly right, wreathed with corn-ears / BOIΩTΩN, Poseidon, naked, standing right, holding trident and dolphin, KΔΩ monogram and Boeotian shield to right. BMC 78.

343

BMC 79 : Boeotia, Federal coinage, AR Drachm. ca. 250 BC. Head of Demeter or Kore three-quarters right, wreathed with grain & in necklace / BOIΩTΩN, Poseidon standing right, holding dolphin & resting on trident, ΔE monogram above round shield in right field. Winterthur 1931, Pozzi 1452, SNGCop 383.

IGCH 223 : Trésor d’Anthédon trouvé en 1935. Hepworth 32 Sear SG 2399 : Thebes. Circa 395-335 BC. AR Stater. Boeotian shield / Amphora; EΠ left, AMI right, rose above. BMC 135, Hepworth 32.

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- British Museum n°121 ; L. Basch, n°405.

- Musée National d'Athènes n°8199 - d'après R. Hampe, Frühe griechische Sagenbilder in Böotien, Athènes, 1936, pl. 11 ; L. Basch, n°406.

- Musée de Thèbes - d'après R. Hampe, Frühe griechische Sagenbilder in Böotien, Athènes, 1936, pl. 6 ; L. Basch, n°407.

- Staatliche Museen, Berlin, n°8396 - d'après Archäologischer Anzeiger, 1894, p.115, fig. 1 ; L. Basch, n°408.

- British Museum n°3204 - d'après H. B. Walters, Catalogue of the bronzes... in the British Museum, Londres, 1899, p. 37, fig. 87 ; L. Basch, n°409.

- Musée National de Copenhague n°4803 - L. Basch, n°410.

- Ashmolean Museum, Oxford, n°1893. 206 - L. Basch, n°412.

344

- Ashmolean Museum, Oxford, n°G376 - L. Basch, n°414. - Musée du Louvre - d'après G. Perrot et CH. Chipiez, Histoire de l'art dans l'Antiquité, Paris, 1882, fig. 129; L. Basch, n°415. - Musée du Céramique à Athènes - d'après B. Schweitzer, Die geometrische Kunst Griechenlands, Cologne, 1969, p.226; L. Basch, n°402. - Musée National d'Athènes n°11765 - L. Basch, n°411.

Céramiques : - Fragment de céramique attique G. R. I. Louvre, A 526.

- Musée de Berlin, n° 3263.

- Musée de Toronto, 919.5.18.

- British Museum, 1899,0219.1.

- Museum of Fine Arts, Boston, n° 99, 515 A ; L. BASCH, n° 484.

- Louvre, CA 577 ; L. BASCH n° 485.

- Musée National d’Athènes, n° 11761.

Statues :

- Athens, National Archaeological Museum, inv. X11761.

345

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360

Liste des illustrations

Cartes :

1: La Béotie en Grèce centrale ...... 6 2: La Béotie et ses frontières historiques ...... 7 3: La Béotie...... 15 4: Les golfes de Corinthe et de Patras ...... 18 5: La mer Alcyonide ...... 18 6: Le golfe Euboïque nord ...... 20 7: Le détroit de l'Euripe ...... 21 8: Le golfe Euboïque sud ...... 22 9: La Béotie et la mer ...... 23 10: Creusis et la région de Thespies ...... 25 11: Le site de Creusis ...... 27 12: La baie de Domvrena ...... 33 13: Les vestiges de Siphai ...... 34 14: La région de Thisbé ...... 41 15: Chorsiai et sa région ...... 44 16: Délion et le golfe Euboïque sud ...... 50 17: La plaine de Dhrosia ...... 54 18: La région d'Anthédon...... 63 19: La Locride opontienne ...... 72 20: Le territoire d'Oropos ...... 76 21: La Mégaride ...... 77 22: La Béotie et la mer ...... 79 23: La région de Thespies ...... 88 24: Les migrations béotiennes dans la colonisation grecque ...... 100 25: Répartition des proxènes des Thespiens à l'époque hellénistique ...... 142 26: Les routes béotiennes ...... 154 27: Le site de Creusis ...... 159 28: Répartition des proxènes des Tanagréens...... 170

361

29: Le trajet de Pausanias en Béotie ...... 179 30: La Béotie et la mer ...... 181 31: Distributions des proxènes d’Oropos ...... 184 32: Origine des vainqueurs des concours au Ier siècle ...... 189 33: Origine des vainqueurs des concours au IIe siècle ...... 190 34: Origine des vainqueurs des concours au Ier siècle ...... 191 35: Le golfe Maliaque ...... 203 36: La bataille de Délion ...... 204 37: L'expédition de Sicile des Athéniens ...... 206 38: Le monde égéen dans la guerre du Péloponnèse ...... 209 39: La Béotie et ses voies de communications ...... 226 40: La Béotie et la mer ...... 258 41: Les fortifications de Salganeus ...... 286 42: Le Koinon des Nésiotes au temps de Ptolémée Ier ...... 294 43: La Béotie et la mer ...... 308

Monnaies :

1: Monnaie byzantine du début du IIIe siècle ap. J.C., avec Héraclès au revers ...... 92 2: Tétradrachme en argent, 288-244 ...... 120 3: Drachme en argent, vers 250 ...... 120 4: Drachme en argent, 244-197 ...... 120 5: Drachme en argent, vers 250 ...... 121 6: Aerus en cuivre de Tanagra, 138-161 ...... 125 7: Statère d'argent thébaine - IVe siècle ...... 264

Céramiques :

1: Céramique attique ...... 109 2: Vase béotien - Deuxième moitié du Ve siècle...... 111

362

3: Cratère probablement athénien c. 710-700 ...... 113 4: Cratère athénien v. 735 ...... 113 5: Rhyton probablement béotien, seconde moitié du VIIe siècle ...... 126 6: Canthare béotien, 2e quart ou milieu du VIe siècle ...... 127

Fibules :

1: Fibule thébaine en bronze, début VIIe ...... 104 2: Fibule en or – 2e quart du VIIIe Fibule en bronze (Thisbé) - début VIIe ...... 105 3: Fibule en bronze (Thisbé, gravée sur les deux faces) - début VIIe ...... 105 4: Fibule de bronze (Thèbes) - début du VIIe Fibule de bronze (Thèbes) – début VIIe ...... 106 5: Fibule bronze (Chéronée) - début VIIe Fibule bronze (Thisbé) – début VIIe ...... 106 6: Fibule de bronze (Thèbes) - début VIIe Fibule de bronze - début VIIe ...... 107 7: Fibule en bronze - début VIIe Fibule – début VIIe ...... 107 8: Fibule - début VIIe Fibule en bronze (Thèbes) – début VIIe ...... 108 9: Fibule en bronze trouvée à Athènes ...... 110 10: Fibule en bronze trouvée en Crète ...... 110

Inscription :

1: Stèle du Museum of Fine Arts of Boston ...... 237

363

364

Table des matières

Introduction ...... 4

Partie I : Le littoral béotien ...... 13

Introduction ...... 14

I Les mers béotiennes ...... 17

II Les ports béotiens ...... 23

A- Le golfe de Corinthe ...... 24

Creusis ...... 24

1) Données topographiques ...... 25

2) Situation maritime ...... 27

3) Communications avec l’intérieur de la Béotie ...... 31

La baie de Domvrena : Siphai et Thisbé ...... 33

1) Description générale ...... 33

2) Situation maritime ...... 37

3) Relations avec l’intérieur de la Béotie ...... 39

Chorsiai ...... 42

1) Description générale ...... 42

2) Aspects chronologiques...... 44

3) Communications maritimes et terrestres ...... 45

B- Le canal d’Eubée ...... 47

Délion ...... 47

1) Description générale ...... 47

2) Aspects chronologiques...... 50

3) Connexions maritimes et terrestres ...... 51

La région de l’Euripe : Aulis, Salganeus et Hyria ...... 54

365

1) Géographie de la région ...... 55

2) Occupation et histoire des sites ...... 57

3) Accès maritimes et terrestres ...... 59

Anthédon ...... 62

1) Description générale ...... 62

2) Chronologie du site ...... 66

3) Port et réseaux ...... 67

III Régions et cités portuaires voisines ...... 70

1) La Locride opontienne ...... 70

2) L’Eubée et Oropos ...... 72

3) La Mégaride ...... 76

Conclusion ...... 78

Partie II : Vie maritime des Béotiens, Aspects économiques, sociaux et culturels ...... 81

Introduction ...... 82

I Culture de la mer dans la Béotie archaïque ...... 84

1) La navigation chez Hésiode ...... 84

2) La Béotie dans la colonisation ...... 90

3) Culture aristocratique de la mer ...... 103

II Les divinités maritimes dans les cultes béotiens ...... 119

1) Dans l’intérieur des terres ...... 119

2) Sur le canal d’Eubée ...... 123

3) Sur le golfe de Corinthe ...... 132

III Le commerce maritime en Béotie ...... 135

A- Le commerce dans le golfe de Corinthe ...... 137

1) Lieux de commerce ...... 137

2) Objets de commerce ...... 155

B- Le commerce dans le Golfe euboïque nord ...... 161

1) Objets de commerce ...... 161

366

2) Les réseaux commerciaux dans le golfe ...... 165

C- Le commerce dans le Golfe euboïque sud ...... 169

1) Réseaux maritimes tanagréens ...... 169

2) Un isthme béotien ? ...... 174

3) Le cas d’Oropos ...... 181

Conclusion ...... 193

Partie III : La politique maritime béotienne de 447 à 171 ...... 195

Introduction ...... 196

I Le Koinon, une nouvelle puissance maritime (447-371) ...... 198

A- La Béotie dans les conflits contre Athènes (447-404) ...... 199

1) La situation béotienne au lendemain de Coronée ...... 199

2) La Béotie au début de la guerre du Péloponnèse (431- 413) ...... 200

3) La Béotie dans la guerre de Décélie ...... 207

B- La Béotie dans les conflits contre Sparte (404-371) ...... 217

1) La politique béotienne au sortir de la guerre du Péloponnèse ...... 217

2) La guerre de Corinthe ...... 218

3) Les conséquences de la Paix du Roi...... 221

C- Thèbes face à la menace spartiate (379-371) ...... 223

1) Enjeux autour du golfe de Corinthe ...... 223

2) L’alliance avec Athènes ...... 226

3) Le développement d’une flotte béotienne ...... 230

II Hégémonie thébaine et nouvelles ambitions navales (371-338) ...... 234

A- Le développement de l’hégémonie thébaine (371-366) ...... 235

1) Premières expéditions dans le Péloponnèse ...... 235

2) L’essor de l’alliance thébaine ...... 241

3) La Paix de Suse et ses conséquences ...... 245

B- Le programme naval d’Épaminondas (366-362) ...... 251

1) Conditions préalables ...... 251

367

2) Mise en chantier de la flotte ...... 256

3) Pendant la construction ...... 260

4) L’expédition d’Épaminondas ...... 262

C- Le retrait de la Béotie sur mer (362-338) ...... 268

1) Les capacités maritimes béotiennes au lendemain de Mantinée ...... 269

2) Contacts d’outre-mer ...... 271

3) Les conflits en Grèce centrale ...... 275

III La mer divisée (338-171) ...... 281

A- La Béotie dans les luttes des diadoques (338 - 245) ...... 282

1) Les conséquences du passage à la Troisième Confédération béotienne ...... 282

2) Le contrôle de l’Euripe dans les conflits des diadoques ...... 284

3) La Béotie face à ses voisines (287 à 245)...... 291

B- La Béotie et l’arrivée des Romains (245-171)...... 302

1) Échecs et réussites dans la politique béotienne (245 - 221) ...... 302

2) La Béotie entre Philippe V et Rome ...... 310

3) La fin de la Confédération ...... 317

Conclusion ...... 323

Conclusion générale ...... 325

Catalogue des sources ...... 329

Bibliographie ...... 347

Liste des illustrations ...... 361

Table des matières ...... 365

368

369