MOCHINAGA Tadahito (1919-1999) Maître des marionnettes

A plusieurs reprises, la France a invité l’un des maîtres de l’animation de marionnettes en stop motion, KAWAMOTO Kihachirô. Lors du Festival des Nouvelles Images du Japon au Forum des Images en 1999, puis en 2003, pour présenter le film Jours d’hiver avec entre autre TAKAHATA Isao, et plus récemment, le 29 octobre 2005, pour l’avant première de son 2ème long-métrage, Le Livre du mort. Ce fut l’occasion de mettre en lumière un pan de son travail, mais aussi de s’intéresser à cette discipline graphique très prisée au pays du bunraku. Dans le texte qui suit, nous vous proposons de découvrir le parcours d’un autre artiste de l’animation de marionnette, et non des moindres, puisqu’il s’agit du fondateur de celle-ci, et dont KAWAMOTO fut justement l’élève. Le parcours très diversifié de MOCHINAGA Tadahito s’inscrit dans l’Histoire du 20ème siècle et des relations que l’animation japonaise entretint avec d’autres pays. Tim BURTON (Les Noces funèbres) aura l’occasion de découvrir quelques-uns de ses travaux alors qu’il était tout juste âgé de huit ans.

MOCHINAGA Tadahito est né en 1919 à Tôkyô, mais il vécut une grande partie de sa prime enfance en Mandchourie (province de la Chine alors sous la domination du Japon) où son père travaillait pour la Compagnie des chemins de fer du sud. Contrairement aux autres petits japonais, il connaîtra, en allant à l’école en terre mandchoue, des enfants issus d’une autre culture que la sienne et cela enrichira sa vision des relations humaines. Pendant un peu plus de dix ans, il fit ainsi des allers et retours entre le pays du soleil levant et le continent. Regagnant l’archipel en 1929, il découvre à Tôkyô le premier film de Mickey qui va fortement le marquer. Il entre ensuite au collège au Japon, et c’est alors qu’après avoir vu le film Water Babies (1935) de la série des Silly Symphony de DISNEY, il décide de devenir créateur de dessins animés. Ce petit film d’animation réalisé dans un superbe technicolor toujours aussi envoûtant (les premiers essais de la couleur au Japon datent de 1948, treize ans plus tard) jouait sur les teintes d’un étang et de la nature qui l’environne. La multitude de petits bébés animés ensemble sur de nombreux plans agira sur lui comme l’élément déclencheur de sa vocation. Ainsi, sur cette oeuvre, l’utilisation de la caméra multi-plane dont la fonction est de donner de la profondeur aux décors le passionnât à tel point qu’il l’utilisera un peu plus tard. Il découvrira également pendant cette période la technique du stop motion (elle consiste a filmer image par image des personnages en volume : marionnettes, patte à modeler...) avec l’Horloge Magique de Ladislas STAREVITCH qui l’impressionnera beaucoup, mélangeant acteurs réels et marionnettes. MIYAZAKI Hayao et KONDO Yoshifumi rendront d’ailleurs un petit hommage à ce film dans Mimi o sumaseba. Après le collège, il entre à l’Université des Arts de Tôkyô où il étudie pendant trois ans les différentes techniques du cinéma d’animation. En tant qu’élève, il y réalisera en 1938 son tout premier film sur cellulo qui s’intitule très explicitement Comment faire un dessin animé. Ces professeurs reconnaissent en lui son talent artistique et il sera très rapidement remarqué puis engagé dans le département animation de la Geijutsu Eiga-sha1.

Il y effectuera alors en 1940 son tout premier travail professionnel. Sous la direction de SEO Mitsuyo2, il occupe le poste de décorateur sur le film d’animation Ahiru Rikusentai commandité par le Ministère de l’Education et mettant en scène une école de canetons. Les petits volatiles s’offraient les services du compositeur HATTORI Tadashi qui composera en 1945 la musique du film Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre de KUROSAWA Akira. Il poursuivra ses travaux l’année suivante avec SEO Mitsuyo, et toujours dans le cadre du Ministère de l’Education, sur le dessin animé Ari-chan, une histoire très poétique d’une fourmi transportée par la musique d’un violon joué par un cricket. C’est sur ce film de 13 minutes que sera utilisé pour la première fois au Japon la caméra multi-plane à quatre niveaux que MOCHINAGA concevra lui-même, et qu’il voulait mettre à profit depuis sa découverte. Puis la même année, le 7 décembre, le Japon entre en guerre avec l’attaque de Pearl Harbor. L’animation va alors adopter une position extrême de nationalisme et de propagande militaire, bien que cela avait déjà commencé depuis que le Japon occupait la Mandchourie. Même si les animateurs n’étaient pas tous d’accord, les studios de productions ne pouvaient que s’y soumettre. De nouveau sous la direction de SEO, il réalisera en 1943 des décors pour Momotarô no Umiwashi (Les aigles de mer de Momotarô). Ce film d’animation, d’une durée de 37 minutes, fut commandité par le Ministère de la Marine Impériale. Il mettait en scène Momotarô, personnage d’un célèbre conte, parodiant l’attaque de Pearl Harbor par l’intermédiaire de lapins assaillant l’Île des démons3. La musique fut composée par ITO Noboru qui signera trois ans plus tard celle du film Ceux qui bâtissent l’avenir de KUROSAWA Akira.

L’année suivante, toujours dans la mouvance patriotique, il travaille sur la photographie et les décors d’un film qu’il dirige également. Fuku-chan no Sensuikan (Le Sous-marin de Fuku- chan) mettait en scène le personnage du manga de YOKOYAMA Ryûichi4, attaquant avec son submersible un cargo ennemi. Ce film, dont le héros était très célèbre à l’époque et qui connaîtra un grand succès (en 1982 fut notamment réalisée une série de 71 épisodes), sortira en novembre 1944 alors que le manque de nourriture commençait à se faire plus que ressentir. Une des scènes très marquantes pour les estomacs contrariés se déroule d’ailleurs dans la cuisine du sous-marin, où celle-ci est très fournie en divers aliments. L’acteur de comédie FURUKAWA Roppa (il joua entre autre à deux reprises sous la direction de NARUSE Mikio) participera à cette aventure en y interprétant une chanson, chose qu’il fit souvent tout au long de sa carrière. Ces films d’animation étaient des plus enthousiastes envers la nation militaire nipponne, malgré le fait que dans la réalité les défaites étaient de plus en plus nombreuses, comme déjà en 1943 et entre autre, à l’image emblématique du cuirassé Yamato qui fut torpillé et gravement endommagé. Dans la même période, et de l’autre coté de l’océan, le kryptonnien des frères FLEISCHER et quelques autres personnages de cartoon et de par le monde remplissaient la même mission patriotique. Triste utilisation d’un art que l’on nomme animation, venant du latin animae, et signifiant insuffler la vie.

L’Empire du Milieu

En 1945 la maison de MOCHINAGA ne résistera pas aux terribles bombardements de Tôkyô. Voulant prendre du repos après un travail qui l’a épuisé, il décide avec Ayako son épouse de partir en juin en Mandchourie. Choix pour lui des plus logiques, car ce pays a participé à son évolution personnelle et que de nombreuses structures japonaises y sont présentes5. Malgré le fait que beaucoup croient en la défaite de leur pays, le Japon persiste et MOCHINAGA décidera peut-être ainsi de prendre un nouveau départ malgré la folie destructrice qui l’entoure. Là-bas, à ChangChun, ville du printemps éternel et capitale de la Mandchourie (dirigée par l’empereur Pu Yi devenu le pantin des japonais), le studio Man-Ei (Manchuria Film Studio) régi par une équipe japonaise, fait appel à lui pour diriger son département d’art. A son arrivée dans cette entreprise qui comprend environ 2000 employés (japonais, chinois et coréens), il demandera que les conditions de travail soient les mêmes pour tout le personnel, qu’il soit ou non japonais, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Il travaillera tout d’abord sur l’animation d’un documentaire sur l’agriculture en Mandchourie. Puis en août 1945, après la défaite du Japon, le studio Man-Ei revient aux chinois qui lui adopteront en octobre la nouvelle nomination de Tong Pei Film Studio (Les films du Nord-Est), pour définitivement prendre le nom en février 1955 de ChangChun Film Studio6. Les japonais de cette entreprise ont alors le choix de demeurer ici où de retourner dans leur pays. MOCHINAGA décidera de rester car il a beaucoup apprécié travailler avec les artistes locaux. Mais suite à la guerre civile entre nationalistes et communistes qui éclate en 1947, et l’attaque des nationalistes de TCHANG Kai-chek sur ChangChun (qui sera reprise en 1949 par l’armée de Libération de MAO), MOCHINAGA, comme tout le staff, doit abandonner le studio. Ils recréeront le Tong Pei Film Studio plus au nord, dans la ville minière de Hao Gang où MOCHINAGA réalisera alors son tout premier film avec des marionnettes, Le Rêve de l’Empereur, qui fut aussi le premier film chinois utilisant cette technique. Au départ de ce projet, il désirait filmer des marionnettes en temps réels, mais il opta ensuite pour une animation image par image. Il mettait en scène sur une durée de 35 minutes, TCHANG Kai- Chek vêtu comme un empereur dans un Opéra de Pékin, prononçant ainsi son rôle de pantin de l’Amérique, celle-ci soutenant les nationalistes. Sa femme Ayako, qui était aussi son assistante, s’occupera également de la garderie pour les enfants du personnel. Toujours au sein de ce studio, il réalise l’année suivante le dessin animé Une tortue dans un pot où on lui attribue le nom de Fan Ming (Chemin lumineux) qu’il conservera à double titre et utilisera pour les crédits dans ses œuvres chinoises. Il effectuera sur ce film un travail sur les couleurs mais également sur l’ensemble des activités, et sa femme Ayako sera encore à ses cotés pour contrôler la finition des cellulos. Ces deux films aux techniques différentes, caricaturant TCHANG Kai-Chek (qui pendant la Seconde Guerre Mondiale a mis toute son énergie à combattre les communistes plutôt que les japonais, et cela soutenu par les Etats-Unis), seront projetés dans les caravanes circulant dans les zones rurales et auprès de l’armée communiste. Il ira même observer la réaction des spectateurs qui étaient charmés par cette intrusion de l’imaginaire visuel. Pendant ces quelques années, tout en travaillant à la conception de ses films, il formera également de nombreux artistes. En 1949, la guerre civile terminée et remportée par l’Armée Rouge de MAO, le studio est de retour dans la capitale de ChangChun. Il officiera dans la nouvelle section d’art qui est alors créée et dirigée par le grand TE Wei7, avec qui il se lia d’amitié pour la vie. Ce qui semble impossible pour leurs deux nations, quelques hommes peuvent heureusement le faire. Le nouveau gouvernement reconnut la valeur des films mettant en scène son ancien ennemi, mais conscient de l’importance que pouvaient véhiculer les messages animés, il conseilla que dorénavant, ceux-ci s’adresseraient avant tout aux enfants. Ce genre de conseil n’augurait rien de bon pour l’avenir de l’animation en Chine, qui se verra quelques années plus tard victime de la paranoïa de la Révolution Culturelle.

Cette nouvelle division au sein du studio déménagera en 1950 pour s’installer à Shanghai plus propice à une concentration d’artistes. Elle deviendra un département du Shanghai Film Studios8, nommé Studios d’Animation de Shanghai, toujours dirigés par TE Wei. Là-bas, MOCHINAGA dirigera le dessin animé Merci Kitty. Il mettait en scène un chat ayant pour rôle la surveillance de nuit d’un village afin de protéger ses habitants. Cette petite histoire, conçue pour un jeune public, était aussi une manière de présenter MAO Tsé-Toung comme le grand protecteur de toute la Chine, Mao signifiant en chinois le chat. La chanson de ce film connut un très grand succès auprès des enfants de Shanghai.

MOCHINAGA travaille ensuite avec TE Wei sur quelques courts-métrages animés pour les enfants, puis il expérimente la couleur pour les premiers animés chinois qui en bénéficieront. Après ces multiples expériences, il décide en 1953 de rentrer au Japon où un nouveau support médiatique vient d’ouvrir ses portes via la NHK, la télévision. Le fait que l’occupation américaine sur le sol japonais prenait fin fut peut-être également une raison de plus qui le décida à retourner dans son pays, bien que cette présence sera encore assez active jusqu'à la fin des années 60. Il retiendra, de ces quelques années passées sur le continent, une grande joie et la satisfaction d’avoir formé de jeunes animateurs chinois, mais également d’avoir tissé des liens amicaux entre deux peuples qui conservent malheureusement encore aujourd’hui de la rancoeur. Il laisse derrière lui une animation chinoise en pleine expansion, mais dont l’évolution sera stoppée pour un temps dans sa créativité une dizaine d’année plus tard.

De retour au Pays du Soleil Levant

C’est à partir de 1953 qu’il utilisera alors pleinement la technique d’animation de marionnette, et essentiellement en stop motion. Dans le cas de cette technique, on peut conserver le terme de marionnettes mais celui de poupées est tout aussi approprié, surtout dans la culture du bunraku. Ainsi, il ne s’agit plus de faire évoluer un personnage en temps réel et en agissant directement sur lui (fil, tige ou main), mais de filmer un personnage statique dans les différentes poses que l’on va lui donner, et de plus, en ayant la possibilité d’animer différentes matières de personnages, d’objets et autres. Bien évidemment, le temps de réalisation est plus long qu’un film où les personnages sont directement animés, mais ce temps peut être aussi réduit si l’on utilise plusieurs équipes animant chacune une scène en même temps, avec plusieurs copies des mêmes marionnettes. De plus, l’appréhension visuelle est différente par rapport à un film de marionnettes tourné en temps réel, où l’on peut voir, ou deviner, les liens qui unissent l’animateur au pantin. Dans la technique du stop motion, où le temps entre chaque mouvement est invisible et aléatoire, il n’y a pas de trace humaine, si ce n’est que l’on est conscient qu’il y en ai une. On peut malgré tout plus facilement l’oublier par rapport à une marionnette à fil, dont ce dernier est la preuve matérielle qui l’unit à l’humain. Toutefois, on peut deviner la pression des doigts sur certains matériaux, mais cela n’enlève en rien la magie de cette technique. Au contraire, cela suscite parfois de nouvelles émotions.

MOCHINAGA commence tout d’abord par travailler sur des films publicitaires où il est assisté par un jeune concepteur artistique issu des studios de la Toho, KAWAMOTO Kihachirô. Il sera son élève et travaillera avec lui jusqu’en 1958. Il crée ainsi les studios de la Dentsû Eiga-sha (Studio d’Animation de Marionnettes / Ningyo Eiga Seisaku-jo) où seront conçus ses films durant la suite de cette décennie. Au cours de l’année 1955, il réalise le film Uriko-hime to Amanojaku (La Princesse Melon et l’Amanojaku, 1956, 18 min.). C’est une version féminine de la légende de Momotarô avec une princesse née dans un melon, et élevée avec beaucoup d’affection par un vieux couple. Princesse Melon, dont le chant enchante, se verra être la proie d’un homme riche qui demandera au Amanojaku, un esprit des eaux démoniaque pouvant à loisir adopter les formes qu’il veut, de l’enlever. Mais ce dernier malgré sa nature se liera d’amitié avec la jeune fille. C’est une adaptation de la pièce du romancier et dramaturge KINOSHITA Junji qu’il écrivit après la guerre pour le théâtre kabuki. Elle fut encore récemment adaptée dans une pièce du théâtre de marionnettes du bunraku, mais également en 1982 par MOCHIZUKI Sumitto qui oeuvra sur de nombreuses séries du genre pour la NHK. Depuis quelques temps, le théâtre français adapte lui aussi cet auteur dont plusieurs histoires utilisent les étoffes, comme pour celle de la Princesse Melon qui seront convoitées par son kidnappeur. Après la diffusion et le succès en janvier 1956 de ce film, il dirige pour le mois de juin Gohiki no kozaru tachi (Les cinq enfants singes)9 mettant en scène cinq petits singes dont la forêt vient d’être brûlée par un loup. Un oiseau les avertit que s’ils souhaitent de nouveau jouer dans leur forêt, ils devront planter des noix pour faire naître de nouvelles pousses. Mais pour cela il faudra aller les chercher derrière la montagne où se trouvent une autre forêt, mais également un grand serpent qui méritera toute leur méfiance. Ce film de 17 minutes fut récompensé au Festival du Film Educatif en y remportant le premier prix. Sur ce court- métrage et le précédent, MOCHINAGA était accompagné à la direction et au scénario par TANAKA Yoshitsugu, qui avait pour sa part écrit, produit et réalisé en 1949 la première adaptation animée de Gauche le violoncelliste de l’écrivain MIYAZAWA Kenji, cela, en utilisant la technique des ombres chinoises (silhouette).

Dans le même temps, il anime la partie en volume du film Birû Mukashi Mukashi (Histoire de la bière) sorti au cinéma en juillet 1956. Il est réalisé et scénarisé par l’écrivain IIZAWA Tadashi (1909-1994) qui avait précédemment réalisé le script de Kappa Kawatarô avec YABUSHITA Taiji et MORI Yasuji, deux illustres personnalités du studio Tôei Animation. Ce film, commandité et financé par la compagnie Asahi Beer pour célébrer son 50ème anniversaire, se délectait à nous montrer que depuis que l’homme est homme et de par le monde, il a toujours été accompagné par cette boisson. Outre l’animation des poupées dont avait en charge MOCHINAGA, ce film utilisait également les dessins sur cellulo, mais aussi la technique des silhouettes dont bénéficiera la partie consacrée au premier japonais ayant absorbé ce breuvage. Partie réalisée par le spécialiste en la matière, OFUJI Noburô (La Baleine). La technique contemporaine de fabrication de la bière fut également mise en scène, et la recette que le film engendra coula à flot puisqu’il eut un immense succès rarement atteint à l’époque pour un film d’animation. Il faut dire que si la forme plaisait aux enfants, le sujet lui, était des plus apprécié des adultes. Toujours très prolifique, en 1956, trois ans après la traduction du livre original au Japon, il réalise Chibikuro Sambo no tora taiji (La chasse au tigre de Sambo le petit noir) sur un scénario écrit par MURA Haruo (producteur du documentaire Kobayashi Issa), suivi l’année d’après de Chibikuro Sambo to futago no otôto (Sambo le petit noir et ses frères jumeaux). Pour ces deux moyens-métrages, les marionnettes ont été à nouveau confectionnées par son élève KAWAMOTO Kihachirô. L’histoire s’inspire d’un livre pour enfant de 1899 d’Hélène BANNERMAN, contant les aventures d’un petit garçon noir représenté avec la vision de l’époque et les stéréotypes raciaux d’alors (histoire qui mélangeait d’ailleurs culture indienne et africaine). Les rééditions du livre original, sans modification du titre par exemple, notamment au Japon, ne sont pas des plus appréciées, et cela est des plus compréhensibles. En cause, les caractéristiques physiques prononcées ainsi que la couleur de peau qui y est soulignée. Mais il faut noter que cela concerne surtout le livre original, car les adaptations, avec le temps et fort heureusement, se sont quelque peu éloignées de cette imagerie, même si elles conservent une partie de celle-ci. La version de Ub IWERKS en 1932 était encore assez caricaturale, au contraire de celle de MOCHINAGA qui nous présente un petit garçon très mignon, et qui comme dans l’histoire originale, se joue de trois grands tigres.

Il poursuit ses créations avec un conte japonais, Fushigi no Taiko (Le Tambour mystérieux, 20 août 1957), où le jeune Gengoro trouve près d’un fleuve un petit tambour à manche capable de réaliser ses souhaits. Ce film d’un format similaire aux autres (19 minutes) adapte l’histoire de ISHII Momoko, à qui l’on doit également une version du Moineau à la langue coupée, et est produit par TANAKA Yoshitsugu. Toujours animé en stop motion, il s’attelle avec KAWAMOTO à l’adaptation de Kobutori (1958), d’après un conte populaire nippon L’enleveur de bosses. Cette légende, dont les origines pourraient être irlandaises, connut une première adaptation animée en 1929 réalisée par MURATA Yasuji. Elle narrait l’histoire d’un vieux bûcheron ayant une verrue sur le visage. Un jour, il fait une étrange rencontre dans la forêt. Des ogres sont en train de danser et attiré par cette ambiance, il se joint à eux. Ces derniers, admiratifs, décident de lui ôter sa verrue. Un de ses amis pourvu également d’une verrue, voyant la scène, décide lui aussi d’entamer des pas de danse. Dans la transposition animée par MOCHINAGA et réalisée par le décorateur MIZUTANI Hiroshi (directeur artistique de MIZOGUCHI), avec au scénario et à la production TANAKA Yoshitsugu, les deux vieillards, Tarô et Jirô iront à la rencontre des ogres et participeront aux danses endiablées de ces derniers. Si Tarô arrive à suivre correctement les mouvements de la ronde, il n’en est pas de même de Jirô qui commence de par ce fait à rendre nerveux les ogres à son encontre.

S’aventurant également dans les milieux glacés, il conçoit l’année suivante le film Ruru et Kiki, les petits manchots (1958, 17 min.) contant les aventures de deux jeunes frères manchots en Antarctique. Un jour, Ruru s’éloigne seul de son foyer et rencontre un skua, un oiseau de la famille des sternes qui se nourrit parfois de jeunes manchots. Ce petit film s’offrait une partition musicale signée du compositeur aux nombreuses œuvres classiques HAYASHI Hikaru (Onibaba de SHINDÔ, Sous les drapeaux, l’enfer de FUKASAKU). Il termine cette décennie avec Osama ni natta kitsune (Le Renard qui voulait devenir Roi, 1959, 19 min.), nous présentant un renard ‘‘shakespearien’’, qui à l’aide d’une armure va imposer son pouvoir sur les autres animaux de la forêt. En plus des spectacles de marionnettes qui sont alors proposés aux élèves, un grand nombre de ses films se verra diffusé dans les écoles. Après son parcours artistique qui l’a mené de ses 20 ans à ses 39 ans, du Japon à la Chine, il abordera la quarantaine avec un nouvel horizon, celui des Etats-Unis d’Amérique.

Pour les enfants de l’Oncle Sam

En 1958, deux ans après sa réalisation, La chasse au tigre de Sambo le petit noir se verra récompensé au premier Festival International du Film de Vancouver. Arthur RANKIN Jr le découvre alors et l’appréciera tellement qu’il contactera peu de temps après MOCHINAGA pour lui demander de collaborer à divers projets de sa maison de distribution, Videocraft International qu’il venait de créer avec . Acceptant cette proposition, MOCHINAGA concevra à cet effet le Studio MOM qui sous-traitera les productions américaines. De Rankin & Bass, on connaît surtout en France leurs productions animées télévisées tels The Jackson Five Show, Cosmocats et Silverhawks, mais également la réalisation du long-métrage La Dernière Licorne avec le studio japonais Topcraft (où sera produit Nausicaä de MIYAZAKI Hayao), ou encore Le retour du roi d’après l’œuvre de TOLKIEN, qui faisait suite au film The Hobbit (1977), à ne pas confondre avec le film de BAKSHI. C’est donc à partir de 1960 que le Studio MOM, fort de ses 130 employés dont certains sont issus de la Geijutsu Eiga-sha1, reçoit les manuscrits ainsi que les voix et les différentes ambiances enregistrées de la série Les nouvelles aventures de Pinocchio (Pinokio no boken, 130 épisodes de 5 min.) dont MOCHINAGA et ses techniciens auront la charge de fabriquer et d’animer les marionnettes. Cette série, où officiera sur quelques épisodes OKAMOTO Tadanari qui deviendra à l’instar de KAWAMOTO un des grands de l’animation en volume, sera diffusée au Japon deux ans plus tard, de décembre 1963 à mars 1964, avec la série du petit indien en pâte à modeler Ciscorn Ôji (Prince Ciscorn), dans un programme promotionnant l’arrivée des corn-flakes dans l’archipel par la firme Nissin Cisco. MOCHINAGA modifiera quelque peu son nom, apparaissant dans les crédits américains de ces productions en tant que Tad MOCHINAGA et responsable du procédé Animagic ainsi nommé par les producteurs.

Suivra en 1963, dans un même ordre de travail, le long- métrage Willy McBean and his Magic Machine scénarisé et réalisé par RANKIN Jr, où le jeune Willy poursuivra à travers le temps, un savant voulant modifier l’Histoire. Willy, n’ayant pas l’intention de réapprendre celle-ci sur les bancs de l’école, se verra obligé d’agir et traversera avec sa machine divers époques, prétextes à diversifier les univers rencontrés, du Roi Arthur à Buffalo Bill, en passant par Christophe Colomb et quelques autres. L’année suivante, il œuvre sur le téléfilm Rudolph, the red-nosed reinder (1964, 47 minutes) réalisé par Larry ROEMER et NAGASHIMA Kizo, dont ce dernier dirigera de nombreuses autres productions de Rankin & Bass. Ce conte de Noël, diffusé le 6 décembre sur la NBC, adaptait l’œuvre du poète Robert L. MAY. Il nous présentait un petit renne au nez rougeoyant que le Père Noël joignit à la première place de son attelage pour illuminer celui-ci. Mais avant cela, il subira quelques moqueries au sujet de sa truffe qui le conduiront à fuir son entourage avec le petit elfe Herbie, qui lui en a assez de fabriquer des jouets et aimerait devenir dentiste. Ils partiront alors tous les deux à la recherche du pays des jouets abandonnés et auront fort à faire avec l’abominable homme des neiges. Ils rencontreront également un Roi Lion faisant écho intentionnellement à celui que l’on peut voir dans Le Roman de Renart de Ladislas STAREVITCH. Pour promotionner ses productions, Rankin & Bass emploiera de nombreuses stars, comme ici, pour le personnage de Sam le bonhomme de neige (également narrateur) qui fut joué vocalement par le grand acteur Burl IVES. On a pu le voir en Big Daddy au coté de Paul NEWMAN et de Elizabeth TAYLOR dans La Chatte sur un toit brûlant, un de ses plus grands rôles. Il sera à de multiples reprises le narrateur à la voix chaleureuse de nombreux films, notamment pour ces mêmes productions. Ce téléfilm est parsemé de chansonnettes composées par Johnny MARKS, ainsi que Maury LAWS qui en dehors de sa carrière classique oeuvrera très souvent pour Rankin & Bass. Rudolph aura beaucoup de succès et sera même chanté par le grand acteur crooner Dean MARTIN. Ce conte, souvent adapté, encore récemment en image de synthèse, est une petite fable sur la tolérance à la différence, Rudolph passant du personnage dont on se moque, et qui ne sera pas accepté, à celui de personnage respecté. Ce téléfilm ouvrait également pour Rankin & Bass un rendez-vous annuel à l’approche des fêtes de Noël. Il sera présent sur le petit écran pendant plus d’une vingtaine d’année.

MOCHINAGA anime ensuite The Daydreamer (Andersen's Fairy Tales, 1966), film mélangeant acteurs et marionnettes (comme le fit STRAREVICH) et mettant en scène le célèbre Hans Christian Andersen rêvassant aux contes qu’il imagine. Comme pour Rudolph, le scénario est signé par Roméo MULLER, et NAGASHIMA assiste Jules BASS à la réalisation. Le père du jeune Christian était interprété par Jack GILFORD (Cocoon, L’homme des cavernes) et Burl IVES était de nouveau présent en prêtant sa voix à Neptune dans le rêve de La petite sirène. Comme pour Willy McBean, ce film demanda la création de plusieurs univers allant de conte en conte avec Les nouveaux vêtements de l’empereur, Le jardin du paradis ou Petite Poucette, ce qui multiplia également outre les décors, la création de nombreux personnages. Petite particularité, l’acteur japonais HAYAKAWA Sessue, qui avait débuté sa carrière en 1914, prêtait également sa voix pour le personnage de la taupe dans Petite Poucette. Ce fut son dernier rôle à l’âge de 77 ans10. Dans le même temps, MOCHINAGA confectionne et anime les marionnettes du téléfilm Ballad of Smokey the Bear qui sera diffusé sur la NBC, le jeudi 24 novembre 1966, jour du Thanksgiving. Il fut écrit par Joseph SCHRANK, scénariste de la MGM pour Vincente MINNELLI entre autre, et dont ce sera la seule incursion dans ce domaine, mais aussi son dernier travail. Il est dirigé à nouveau par Larry ROEMER, dont la mise en scène est accompagnée par les compositions country de Johnny MARKS. Ce film s’offrait les services d’une icône du film noir, James CAGNEY, qui prêtait sa voix à celle de Grand Ours, le narrateur. Smokey était, et est toujours un personnage populaire, puisqu’il est l’emblème aux Etats-Unis et au Canada de la lutte et de la prévention contre les incendies de forêts, et cela depuis 1944. Dans le film que MOCHINAGA anime avec HIROSHI Tabata, Smokey sera bien évidemment mis en scène lors d’un incendie qu’il devra maîtriser, mais il aura aussi à faire face à un gorille. La fabrication des marionnettes et de l’environnement sera aussi l’œuvre de KOMURO ‘‘Pinchan’’ Ichiro et KITA Kyoko avec l’apport des design de Don DUGA (La Dernière Licorne). Smokey connaîtra également des adaptations en dessin animé dont une série en 1969 par Rankin & Bass. La même année, fort du succès de ces co- productions, Rankin & Bass travaillera avec des animateurs de la Tôei pour la série King Kong Show ainsi qu’avec celle qui y était couplée 001/7 Oyayubi Tom (Tom Thumb 001/7) où officiait à la direction de l’animation MORI Yasuji (Le Serpent Blanc, Le Chat Botté).

Il termine cette période en apothéose sur le long-métrage réalisé par Jules BASS et NAGASHIMA Kizo, Mad Monster Party (1967). Le Dr Frankenstein est sur le point de prendre sa retraite. Il réunit les monstres de son entourage, Frankenstein, sa fiancée, Dracula, le Loup-garou, la Momie, la Créature du lagon noir, le Bossu de Notre Dame, l’Homme invisible et Dr Jekill & Mister Hyde. Il leur apprend son désir de voir son jeune neveu invité également, lui succéder au titre de créateur de monstres et d’hériter de sa toute nouvelle et dangereuse formule chimique. Mais dans l’ombre, certains essayeront par tous les moyens d’aller à l’encontre de cette succession. A tous les niveaux, un soins important fut alloué à ce film, des décors minutieux aux multiples détails, des jeux de lumière et de la couleur sur les différentes atmosphères ainsi que les personnages, mais aussi un jeu d’acteur des plus agréables et une synchronisation parfaite entre les voix et le mouvement des lèvres. De plus, l’expression des visages et des regards est restituée avec une multitude de variations. Une fois de plus, un grand acteur y participe. Boris KARLOF, qui doublait également le rat dans Daydreamer, prête sa voix bien évidemment au docteur Frankenstein (il joua le monstre pour la première fois en 1931). On appréciera le personnage de Félix Flankin dont les traits sont calqués sur l’acteur Peter LORRE (1904-1964) [et dont le prénom du personnage fait écho à son dernier rôle] et qui perd souvent la tête comme l’acteur dans Les Contes de la terreur, à l’instar de Dracula modelé fort logiquement sur le visage de Bela LUGOSI (1882-1956) [qui adopta les dents longues en 1931], deux grandes stars du cinéma de genre. Parmi les particularités physiques des différents personnages, un grand soin sera apporté également à celui de Francesca, la secrétaire du Docteur. Ces formes très généreuses soulignent que ce n’est pas un monstre, mais que c’est une très belle créature. Elle participe à donner au film une touche sensuelle à l’instar de nombreux films fantastiques de ce genre, comme King Kong dont on retrouvera d’ailleurs le géant à la fin de cette aventure. Sensualité que l’on retrouve aussi dans un générique digne d’un film de James Bond, et interprété par Gale GARNETT (qui double Francesca avec une voix des plus suave) dont les talents vocaux en tant que chanteuse eurent beaucoup de succès dans les années 60. La partition musicale que l’on doit à Maury LAWS (Le Vol des dragons, Bilbo the hobbit) était des plus variées allant du jazzy, au style New Orléans ainsi que du rock psychédélique joué par quatre squelettes chevelus. L’équipe de MOCHINAGA conçu les marionnettes à partir des croquis de Jack DAVIS, célèbre dessinateur des Contes de la crypte. Le comics était également représenté par la présence au scénario d’Harvey KURTZMAN avec la participation de l’écrivain de SF, Forrest J. ACKERMAN. Ce film, comme les précédents, sera des plus appréciés par un jeune Tim BURTON. Ce que l’on peut regretter dans la récente version américaine du DVD qui loue l’oeuvre de Rankin & Bass, c’est que le travail des animateurs est peu évoqué comme sur les affiches promotionnelles où le staff Animagic est peu mis en avant.

Tim Burton, en créant son premier long-métrage en stop motion L’étrange Noël de Monsieur Jack, fera en sorte d’amalgamer un univers fantastique comme Mad Monster Party, avec la féerie de Noël maintes fois mise en scène par Rankin & Bass. On y retrouvait également en la personne de Zéro le chien fantôme de Jack, un personnage souvent présenté par les célèbres producteurs, Rudolph, le petit renne au nez rougeoyant.

Après avoir participé à toutes ces productions qui firent le succès et la renommée de Rankin & Bass, il fut un peu moins productif pendant quelques temps. Entre la série sur Pinocchio et le dernier film, le travail fut des plus intensif et quelque peu éprouvant. Cela, sur une période relativement courte de sept années avec un ouvrage toujours poussé vers une plus grande qualité, que cela soit pour la mise en scène, les mouvements ou les différents matériaux utilisés. Le studio MOM, lui, continuera à œuvrer sur les nombreuses productions américaines en stop motion de Rankin & Bass avec entre autre NAGASHIMA Kizo, HIROSHI Tabata, KOMURO Ichiro, KONO Akikazu sur des téléfilms comme (1968), Santa Claus Is Comin’ To Town (1970), The Year will Santa Claus (1974), Rudolph’s Shiny New Year, The Little Drummer Boy Book II (1976), Nestor the Long-eared Christmas Donkey, The Easter Bunny Is Comin’ to Town (1977), Bermuda Depths (1978), Jack Frost, Rudolph and Frosty’s Christmas July (1979), Pinocchio Christmas (1980) ou encore The Life and Adventure of Santa Claus (1985). MOCHINAGA fut sans doute un des premiers animateurs japonais à travailler en co- production avec des artistes américains. Cela permit par la suite de voir d’autres co- productions, comme la série Johnny Cypher (1968) de Joe ORIOLO le créateur de Casper le fantôme, et où officiera aux décors un grand nom de la direction artistique au sein de l’animation japonaise, MUKUO Takamura (Captain Harlock, Galaxy Express 999, Marco). Le studio japonais Topcraft, avec le producteur HARA Toru (qui deviendra l’un des membres du célèbre studio Ghibli), participera également à la conception d’animés avec Rankin & Bass, telle la série Kid Power (1973), le téléfilm 20 000 lieux sous les mers ou encore le très beau film La Dernière Licorne. Le stop motion, ou la magie du volume animé de MOCHINAGA et du studio MOM, a permis également au public américain d’être très familier à cette forme d’art sur des œuvres de long- métrage ou de téléfilms (Déjà dans les années 40.George Pal avait réalisé de nombreux courts-métrages, ses fameux Puppetoon) Au contraire, le public français n’a eu droit en général qu’a un format plus court, avec des œuvres pour les plus petits tels Kiri le clown, Colargol ou encore Aglaé et Sidonie. Bien évidemment il y eu quelques long-métrages tels ceux de STAREVITCH, mais cela fut plus épisodique. Sans vouloir être fantaisiste, peut-être serait-ce en partie pour cela que des studios d’animation américains, tel Pixar, eurent une certaine facilité à aller vers la réalisation de films en long-métrage utilisant pleinement la 3D. L’image de synthèse est une technique qui, malgré ses faiblesses lorsqu’elle se veut réaliste, restitue parfois quand cela est réussi, un univers tactilement proche de celui du volume. En cela, on peut justement constater que certaines productions 3D s’évertuent à créer des personnages pouvant être assimilable à ceux du stop motion.

On retrouvera MOCHINAGA sur une grande production sortie sur les écrans le 17 mars 1979 avec Kurumi wari ningyo (The Nutcracker Fantasy, 94 minutes). Ce film de marionnettes en stop motion, dont la gestation fut assez longue, est réalisé par NAKAMURA Takeo11. Il adaptait honorablement le conte d’HOFFMAN, Casse-noisette et le roi des souris, sur les musiques de TCHAIKOVSKI réarrangées par HANEDA Kentarô (Cobra, Final Yamato) et WAKATSUKI Akahito. Il fut écrit et produit par TSUJI Shintarô (Unico, Hoshi no Orpheus, deux œuvres de TEKUKA Osamu) le créateur de Sanrio (Hello Kitty). MOCHINAGA sera accompagné à l’animation par MAGARI Fumiko (Ciscorn Ôji). Ils animèrent également les scènes de ballets dirigées par le danseur et chorégraphe SHIMIZU Tetsutarô de la compagnie de Ballet Matsuyama. L’ambiance du film fut particulièrement soignée, avec une lumière proche du clair obscur comme utilisée pour Mad Monster et que Tim BURTON emploiera dans ses films d’animation, également sous l’influence du cinéma fantastique. On y retrouvait à la création du design des personnages, le directeur de l’animation de Gatchaman et chara designer de Prince Saphir, MIYAMOTO Sadao.

Mochinaga, de la Chine au Japon

En 1979, après les terribles évènements de la Révolution Culturelle, le studio de Shanghai ne l’ayant pas oublié fera appelle à lui pour superviser l’animation de jeunes animateurs chinois sur le film Who Mewed ? (Qui a miaulé ?). Peut-être était-ce en écho à Merci Kitty, MAO venant de décéder quelques temps plus tôt en 1976. Tout au long de ces années, il était resté en contact avec ce studio et les amitiés qu’il y avait développées, tout en suivant également avec attention son évolution. En 1981 sera réalisée, grâce en grande partie à MOCHINAGA et cela pour la première fois, une rétrospective du studio de Shanghai à Tôkyô où il invitera entre autre son grand ami TE Wei. En 1985 et l’année suivante, il enseignera la technique d’animation à l’Académie du film de Pékin et en octobre 1986, il sera le seul invité officiel et honorifique japonais lors de l’anniversaire des 60 ans du Cinéma d’Animation Chinois. Il organisera également pour les animateurs japonais et autres personnels de la profession, des visites au Studio de Shanghai. Grâce à lui, la Chine et le Japon ont pu créer des liens culturels et humains. Liens qu’il persistera à établir pendant et via le Festival du Film d’Animation d’Hiroshima, dès sa création en 1985 et cela jusqu'à la fin de sa vie. Ces liens seront notamment activés de nouveaux en 1987 par KAWAMOTO Kihachiro qui accepta l’offre du studio de Shanghai de produire entièrement son film Tirer sans tirer, et cela grâce à une première rencontre lors justement de la première édition du Festival d’Animation d’Hiroshima.

Avant de commencer à rassembler ses souvenirs pour une éventuelle autobiographie que son amie TE Wei lui conseillait d’écrire, il réalise ce qui sera sa dernière œuvre, Badger and a boy (Le Tanuki et le garçon, 1992) un court-métrage de 13 minutes qu’il a également produit. L’histoire adapte un livre pour enfant de SASAKI Shigeru. Un jeune tanuki voit un jour un garçon sur un vélo. Voulant goûter lui aussi aux joies de la bicyclette, il se transforme en petite fille et ainsi va à la rencontre du petit cycliste12.

Dans les années qui suivirent, MOCHINAGA dont la santé faiblit, n’aura pas le temps de terminer et de compiler toutes ses notes pour voir éditer de son vivant sa biographie. Mais sa veuve Ayako poursuit cette entreprise. Son œuvre, marquée par un désir d’expérimentation (il fut l’initiateur du stop motion et de la caméra multi-plane au Japon), est hélas un peu oubliée. Cela n’en fait pas moins une œuvre à part entière et d’une grande qualité artistique. Simples et toujours aussi agréables à découvrir, ses films accessibles à un large public, à la fois touchants et d’une grande sensibilité, auront encore longtemps notre admiration et souhaitons le, toucheront encore bien des coeurs.

Rares sont les artistes japonais ayant travaillé de longues années avec des artistes chinois puis des artistes américains, tout en ayant réalisé indépendamment une œuvre personnelle, et tout en étant également au service des autres. MOCHINAGA meurt le 1er avril 1999 à l’âge de 80 ans. C’est d’ailleurs en cette année 2006, l’âge de KAWAMOTO Kihachiro, son ancien élève.

Jacques Romero, octobre 2005

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Notes

1. La Geijutsu Eiga-sha qui était quelque peu sous le contrôle du gouvernement militaire produira entre autre de nombreux documentaires comme Yukiguni (Le Pays de neige, 1939) de ISHIMOTO Tokichi, ou le film sur la discrimination des castes au Japon Ningen mina kyodai : buraku sabetsu no kiroku (Les Hommes sont tous frères, 1960) par KAMEI Fumio (1908-1987), grand réalisateur de documentaires comme Soldat au combat ou Kobayashi Issa.

2. SEO Mitsuyo (qui fut l’assistant de MASAOKA Kenzo) affilié à la Geijutsu Eiga-sha à partir de 1940, produira de nombreux films d’animation patriotiques et de propagandes. Déjà entre 1933 et 1935 dans son propre studio, il mettait en scène les aventures du singe Sankichi à la tête d’une petite armée portant des uniformes japonais et bataillant contre des pandas étant facilement représentatifs de la Chine. Cela ne l’empêcha pas de réaliser également des œuvres prônant le pacifisme et le communisme.

3. Dans un tout autre genre, on remarquera dans l’œuvre manga de TAKAHASHI Rumiko que le peuple de Lamu est un peuple de Oni (ogres en japonais) et que l’auteur s’est en partie inspiré pour son design du model Agnès LUM vivant à Hawaï. 4. Pendant la guerre, YOKOYAMA Ryûichi participera à la réalisation de documentaires hors Japon. En 1955, il créera le studio Otogi qui sera en 1961 à l’origine de la première série d’animation japonaise (d’un format de 5 minutes) avant celle de Tetsuwan Atom, première série animée d’un format de 25 minutes.

5. Pendant la guerre russo-japonaise (1904-1905), le Japon, soutenu par l’Angleterre, reprendra la Mandchourie occupée par les russes et y conservera un contrôle très important jusqu’au 18 septembre 1931, où il envahira cette province de la Chine pour en prendre définitivement possession, la nommant Mandchoukouo, et cela jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce 18 septembre, MOCHINAGA dû avoir peur, car des militaires japonais organisèrent un attentat (pour ainsi accuser les chinois de l’avoir perpétué) sur la compagnie de chemin de fer où travaillait son père.

6. Parmi les grandes productions de ce studio, signalons Sur la Soungari (1947) de JIN Shan, mettant en scène la Mandchourie de 1931, Le Pont (1949), La cloche du vieux temple (1958) de ZHU Wenshu, Les Pionniers (1974) de YU Yanfu ou encore Les femmes du lac aux âmes parfumées (1993) de XIE Fei.

7. On doit à TE Wei des chef-d’œuvres tels La Flûte du bouvier (1963) ou Impression de montagnes et d’eau (1988) qui utilisaient la technique du lavis animé. Comme MOCHINAGA, il avait participé aux dessins animés patriotiques de son pays. Depuis le 5 octobre 2005, on peut voir sur quelques uns de nos grands écrans une des ses œuvres datant de 1960, Les têtards à la recherche de leur maman, dans le programme Les Trois Moines et autres histoires.

8. C’est à Shanghai, en 1926, que fut réalisé le premier film d’animation chinois par les frères WAN qui réaliseront également en 1941 le premier long-métrage d’animation chinois La Princesse à l’éventail de fer. On doit également à WAN Lai-Ming (1899-1997) le célèbre film Le Roi des singes (1965). MOCHINAGA rencontrera au Studio de Shanghai le plus jeune des frères WAN, Chao-Chen (Lai-Ming et Gu- Chan revinrent de Hong Kong à Shanghai en 1956) qui occupait la même fonction que lui, à savoir superviseur technique et qui sera l’un des grands dans le domaine de l’animation de marionnettes. Parmi le grand nombre de films en prise de vue réelle marquants de ce studio, on peut citer Qui Jin (1984) de XIE Jin, mettant en scène la première féministe chinoise ou encore d’autres films du même réalisateur Le printemps au pays des eaux (1955), mais aussi plus récemment Temptress Moon (1996) de CHEN Kaige avec Leslie CHEUNG et GONG Li ou Purple Butterfly (2003) de LOU Ye.

9. Quelques années auparavant, une variation de cette histoire vit le jour sous le titre Five Little Monkeys par l’auteur pour la jeunesse, Juliet KEPES (1919-1979, épouse du célèbre artiste designer Gyogy KEPES).

10. HAYAKAWA Sessue (1889-1973), acteur japonais dont la carrière internationale (presque essentiellement une centaine de films américains ou français) fut des plus riches. Il joua notamment dans l’hexagone dans des films comme Tempête sur l’Asie avec Madeleine ROBINSON, Patrouille Blanche avec Robert LE VIGAN, Macao l’enfer du jeu avec Eric VON STROHEIM, Le soleil de minuit avec Jules BERRY, mais également dans des films US comme Tokyo Joe avec Humphrey BOGART ou Le Pont de la rivière Kwai de David LEAN où il fut nominé pour l’oscar du meilleur seconde rôle masculin. Il joua auprès de Louis JOUVET ou Robert RYAN mais aussi Jerry LEWIS, mais pratiquement pas de productions japonaises, si ce n’est une avec HARA Setsuko, actrice fétiche de OZU Yasujirô et également en 1961 dans The Big Wave au coté de l’acteur et réalisateur ITAMI Juzô (le délicieux Tampopo) qui débutait alors.

11. NAKAMURA Takeo fut assistant directeur du maître KUROSAWA Akira sur Ikimono no kiroku (1955) avec MIFUNE Toshirô, SHIMURA Takeshi et CHIAKI Minoru, tous trois samouraïs l’année précédente. Il fut également assistant sur Shka (1961) de MISUMI Kenji (Zatoichi). Il travailla aussi pour Rankin & Bass (Santa Claus is comin’ to town) mais également en indépendant avec L’Etrange aventure de Tora (1971) co-réalisé avec KONO Akikazu (ce dernier fit ses débuts avec KUROSAWA Akira sur L’ange Ivre).

12. Hasard du calendrier, la même année en août, TAKAHATA Isao commence à travailler sur Pompoko dont les protagonistes sont des tanuki. Ce chef d’oeuvre est justement sur quelques grands écrans français depuis le début de l’année 2006. A noter tout de même que le tanuki, à qui l’on prête le don de changer de forme, est un animal exploité depuis très longtemps dans les œuvres japonaises.

______Une partie de cet article prend pour base un travail de ONO Kosei, grand critique de l’animation. Il a notamment participé à un long entretien avec TEZUKA Osamu, édité dans le volume 3 de la collection Les conversations de Tezuka Osamu, où l’ont trouvent aussi une entrevue avec MATSUMOTO Leiji ainsi que ISHINOMORI Shôtarô.

Les images sont © Ono Kosei, Geijutsu Eiga-sha, Tong Pei Film Studio, Dentsû Eiga-sha, Videocraft International, Rankin & Bass, Studio MOM