« Supplient très humblement…We Humbly Beg… » Les pétitions collectives et le développement de la sphère publique au Québec, 1764-1791

Mémoire

Gisela Giral

Maîtrise en histoire Maître ès arts(MA)

Québec, Canada

© Gisela Giral, 2013

RÉSUMÉ

Ce mémoire porte sur la contribution des pétitions collectives au développement de la sphère publique québécoise de la seconde moitié du XVIIIe siècle. À cette fin, plusieurs notions ont été mises en relation : le public, la sphère publique, l‘opinion publique, les espaces de sociabilité. La présente étude est basée sur une analyse détaillée de quelque 278 pétitions collectives depuis la mise en place du gouvernement civil en 1764 jusqu‘à la création du système parlementaire en 1791. En l‘absence d‘institutions représentatives traditionnelles, la pratique de pétitionner collectivement aux autorités coloniales est devenue un outil essentiel pour influencer les décisions politiques et administratives. Pratique de longue date en Angleterre, mais rare en Nouvelle-, les pétitions collectives ont permis la participation d'un large groupe de la population de la colonie dans la sphère publique coloniale : les anciens et les nouveaux sujets, les hommes et les femmes, les élites et les gens ordinaires.

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ABSTRACT

This thesis examines the contribution of collective petitions to the development of Quebec's public sphere in the second half of the eighteenth century. It examines these using the concepts of public, public sphere, public opinion, and spaces of sociability. The study is based on a detailed analysis of some 278 collective petitions from the establishment of civil government in 1764 until the creation of the parliamentary system in 1791. In the absence of traditional representative institutions, collective petitioning to colonial authorities became an essential tool for influencing political and administrative decisions. A long- standing practice in England but rare in New France, collective petitioning allowed for the participation of a broad swathe of the colony's population in the colonial public sphere: old and new subjects, men and women, elites and ordinary people.

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REMERCIEMENTS

J‘aimerais ici prendre le temps d‘être reconnaissante à ceux qui ont contribué à l‘arrivée à bon port de ce travail. Je tiens d‘abord à remercier mon directeur de recherche Donald Fyson, dont ses conseils m'ont permis d'approfondir mes connaissances sur un sujet autant passionnant que peu exploré, alimentant ainsi ma réflexion. Grâce à son aide, j'ai pu mieux structurer mes idées et produire un mémoire que j'espère convaincant et intéressant. Cela m'a donné l‘occasion de découvrir la dynamique sociopolitique au Québec dans une période charnière de son histoire. Ensuite, je sais gré à mon amie Lise-Marie, qui m‘a beaucoup encouragé avec ses lectures et commentaires toujours pertinents. Finalement, juste un mot pour les deux hommes de ma vie, Guillermo et Luca, qui ont constamment été à mon côté avec de l‘amour et la patience : gracias!

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TABLE DE MATIÈRES

RÉSUMÉ...... III ABSTRACT...... V REMERCIEMENTS ...... VII TABLE DE MATIÈRES ...... IX LISTE DES FIGURES ...... XI LISTE DES TABLEAUX ...... XIII INTRODUCTION ...... 1

PROBLÉMATIQUE DU MÉMOIRE ...... 3 DÉFINITIONS ET SURVOL HISTORIOGRAPHIQUE ...... 4 Pétitions ...... 4 Espace public et sphère publique ...... 12 LES SOURCES : POSSIBILITÉS ET LIMITES ...... 17 MÉTHODOLOGIE ...... 20 ORGANISATION DU TRAVAIL ...... 21 CHAPITRE I. LE « PUBLIC », LA SPHÈRE PUBLIQUE ET L’OPINION PUBLIQUE...... 23

1.1 LE PUBLIC ...... 23 1.2 LA SPHÈRE PUBLIQUE ...... 25 1.3 L’OPINION PUBLIQUE ...... 30 1.3.1 Espaces de sociabilité ...... 32 1.4 L’IMPRIMERIE ET LA PRESSE ...... 34 1.4.1 Métier d’imprimeur ...... 40 1.4.2 Pamphlets et libelles ...... 41 1.4.3 Imprimerie et alphabétisation ...... 44 CHAPITRE II. LE CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET LES PÉTITIONS COLLECTIVES DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE DE L’APRÈS-CONQUÊTE...... 47

2.1 L’APRÈS-CONQUÊTE ...... 48 2.1.1 La population ...... 49 i. Les « Canadiens » ou les « nouveaux sujets » ...... 49 ii. Les « Britanniques » ou les « anciens sujets » ...... 55 iii. Les loyalistes ...... 58 2.1.2 La politique de « britannisation », « …so soon as the state and circumstance… » ...... 60 2.1.3 L’Acte de Québec. Anno Decimo Quarto : « … à l'effet de pourvoir d'une façon plus efficace au gouvernement de la province de Québec dans l’Amérique du Nord » ...... 62 2.1.4 L’Acte constitutionnel de 1791. Anno Tricesimo Primo : « … concernant le bon gouvernement et la prospérité » ...... 74 CHAPITRE III. LES PÉTITIONS : EXPRESSION ET PRATIQUE POLITIQUES COLLECTIVES ...... 81

3.1 ANALYSE QUANTITATIVE ...... 81 3.2 PRATIQUE PÉTITIONNAIRE ...... 85 3.2.1 Les pétitionnaires ...... 86

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3.2.2 Les femmes et les pétitions ...... 89 3.3 ANALYSE DE CONTENU ...... 91 3.3.1 Vie quotidienne et régulations ...... 92 3.3.2 Administration de la justice ...... 97 3.3.3 Commerce; Transport et communications ...... 101 3.3.4 Loyalistes ...... 107 3.3.5 Prisonniers ...... 110 3.3.6 Religion ...... 111 3.3.7 Autres ...... 112 CONCLUSION ...... 115 ANNEXE I : LES CONTEMPORAINS ...... 119 ANNEXE II : LES GOUVERNEURS DE LA PÉRIODE ...... 131 BIBLIOGRAPHIE ...... 133

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LISTE DES FIGURES

FIGURE 1: APERÇU D‘UNE PÉTITION ...... 6 FIGURE 2: PÉTITION PRÉSENTÉE À LORD DORCHESTER, REPRODUITE DANS LA GAZETTE DE QUÉBEC...... 39 FIGURE 3 : REPRÉSENTATIONS DES CITOYENS DE MONTRÉAL À CARLETON, 1778...... 44

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LISTE DES TABLEAUX

TABLEAU 1 : NOMBRE DE PÉTITIONS PAR ANNÉE ...... 83 TABLEAU 2 : NOMBRE DE PÉTITIONS SELON CATÉGORIE ...... 85 TABLEAU 3 : NOMBRE DE PÉTITIONS SELON LIEU D‘ORIGINE ...... 114

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INTRODUCTION

Le 27 janvier 1770, Hector Theophilus Cramahé*1, le secrétaire civil de la Province de Québec reçoit une pétition adressée au gouverneur Guy Carleton* de la part de Jotham Gay, Richard Dobie*, Michael Hanagin et James Peppy relative aux droits d‘importation de rhum dans la province :

[...] setting forth their having paid a Duty of Six pence Halifax Currency per Gallon on Rum imported into this Province before the Establishment of Civil government to Persons appointed by Governor Murray* to collect the Same, which Duty being Two pence per Gallon more as the Memorialists are informed, than the Duty paid to the French government at the Conquest of this Country; they pray that the said Excess of Duty may be refunded to them with Interest2.

Selon les pétitionnaires, pendant la période du gouvernement militaire, depuis la Conquête jusqu‘à l‘établissement du gouvernement civil, les coûts qu‘ils ont dû payer pour le droit d‘importer du rhum dans la province étaient supérieurs à ceux qu‘avait établis le gouvernement français3; ils demandent donc qu‘on leur rembourse l‘excédent payé et les intérêts. De plus, les pétitionnaires « [...] are also informed that their Lordships have sent orders to pay in Like manner the over plus Interests and Charges to such Persons as had brought Actions against Mr Thomas Ainslie One of the Collectors of the Said Duties4. »

1 Tous les noms des contemporains suivis d'un astérisque (*) figurent à l'Annexe I accompagnés d'une courte description. 2 RG1 E1 à la Bibliothèque et Archives Canada (BAC); en bref dans ce mémoire : Journaux du Conseil. Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), séance du 1er février 1770, p. 70. J‘aimerais ici remercier Christian Blais, historien à la Bibliothèque de l‘Assemblée nationale du Québec, de m‘avoir permis de consulter les transcriptions des sessions du Conseil. 3 Les droits pour l'importation des spiritueux représentaient l'une des sources de revenus établies par le gouvernement militaire (James Murray). Voir à ce sujet A. L. Burt, The Old Province of Quebec, Volume I (1760-1778), Toronto, The Carleton Library, 1968 (1933), nº 37, p. 46. 4 BAC, RG4 A1, volumes 10-52, p. 6663. La suite des évènements est décrite par David Milobar : « The Quebec merchants resisted imposition of the duties through the courts; they used the constitutional right to trial by jury to defend the rights of the periphery from the intrusive authority of the centre. The Canada merchants‘ brought a series of lawsuits against Murray and colonial customs officials charged with collecting duties. The deputy collector of customs in Quebec, Thomas Ainslie, was arrested following suits brought against him regarding the duties », dans « The Origins of British-Quebec Merchant Ideology: New France, the British Atlantic and the Constitutional Periphery, 1720-70 », Journal of Imperial and Commonwealth History, 24, 3 (1996), p.382.

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Ils demandent aussi qu‘on intente une action contre le collecteur de ces droits. Ils concluent respectueusement leur pétition par la formule suivante : « And your Memorialists as in Duty Bound will Pray ».

Le Conseil du gouverneur prend connaissance de cette requête le 1er février 1770. Par la suite, le Comité des comptes publics du Conseil analyse la question et ordonne que les pétitionnaires et toutes les autres personnes concernées par la même plainte lui présentent leurs preuves afin qu‘il produise un rapport à la « chambre5 »; le Comité ordonne aussi « that the Attorney General be directed to attend the said Committee on this Business of the Excess of Duties collected on Rum 6».

Leur pétition cible un problème particulier qui ne concerne pas toute la population à ce moment-là. De fait, ceux qui signent la pétition et la présentent au gouverneur Carleton en Conseil par l‘entremise du secrétaire civil sont bien évidemment des commerçants qui se sentent lésés au plan économique7. Cela ne constitue pas non plus un problème politique majeur (même s‘il en est devenu un par la suite). Néanmoins, cet exemple nous permet de saisir la portée de la pratique pétitionnaire qui rejoignait bien des groupes de personnes dans la sphère publique québécoise comme les commerçants, les professionnels, les propriétaires fonciers, les groupes ethniques, les habitants de la ville, etc., dans le but d‘influencer les délibérations des autorités politiques. En outre, les pétitionnaires présentaient leurs pétitions à n‘importe laquelle des autorités politiques de l‘époque, aux gouverneurs et au Conseil sans privilégier une instance plus qu‘une autre.

5 Terme utilisé dans le texte original pour référer au Conseil dans son ensemble, c'est-à-dire, aux séances plénières. 6 À la session du 30 mai 1770, on lit le rapport du Comité des comptes publics au sujet de la pétition, incluant aussi les griefs d‘autres personnes qui ont présenté au Comité des pièces justificatives ou « vouchers » démontrant les coûts payés pour l‘obtention des droits. Puis, on adopte et ordonne « that the Report be Entered in this Book and that Warrants be directed to the Receiver General to pay the Claimants the Excess of Duty and Interest thereon as stated in the said Report », Journaux du Conseil, Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 87. 7 Mary Ann Fenton décrit les plaintes et pétitions de marchands face aux politiques des droits d‘importation appliquées par les gouverneurs Murray et Carleton. Ces plaintes rappelaient celles des colons américains « no taxation without representation », dans « Petitions, Protests, and Policy: The Influence of the American Colonies on Quebec, 1760-1776 », Ph.D., University of New Hampshire, 1993, 430 p. Par contre, Pierre Tousignant affirme : « dans la province de Québec, faute de gouvernement représentatif, on s‘était soumis en silence », dans « La genèse et l'avènement de la Constitution de 1791 », Ph.D., Université de Montréal, 1971, vi, 488 p., p. 28. Pour un aperçu plus vaste de la question de perception des droits, voir Burt, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 129-132.

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Problématique du mémoire

L‘objet de la présente recherche vise une importante période de l‘histoire sociopolitique du Québec, soit celle qui s‘étend de 1764 à 1791. Sans doute, les trente premières années de l'administration civile britannique au Québec (à la suite de la Conquête et le Traité de Paris qui mettait fin officiellement à la guerre de Sept ans (1756-1763) entre la France et la Grande-Bretagne8) sont d'une importance capitale pour la compréhension de l'histoire canadienne et québécoise. Ces trente ans sont marqués, d'une part, par la volonté manifestement exprimée, en 1763, de « britanniser » la colonie et, d'autre part, par la nécessité de composer avec les circonstances et les événements. Ce mémoire se penche plus particulièrement sur la pratique de pétitionner collectivement et son incidence sur le développement de la sphère publique au Québec, entre la Conquête et l‘instauration du système parlementaire inauguré à partir de l‘Acte constitutionnel de 1791.

Notre approche cible les pétitions en tant que manifestation d‘une pratique collective, peu utilisée9 dans la « sphère publique québécoise » de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, caractérisée par l‘absence des institutions représentatives classiques10. Ce mémoire

8 Par le traité de Paris de 1763, la Nouvelle-France, à l'exception de la partie ouest de la Louisiane, devient officiellement une possession britannique. De son immense empire en Amérique du Nord, la France ne conserve que les minuscules îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve. Le traité définitif est signé le 10 février 1763. Pour consulter les 27 articles du traité, voir Adam Shortt et Arthur G. Doughty, Documents relatifs à l'histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, Ottawa, Thomas Mulvey, 2 volumes, 1921 (dorénavant DC), p. 83-94. 9 Selon le principe « […] étant bon que chacun parle pour soi, et que personne ne parle pour tous », de Colbert à Frontenac, 1673, repris de l‘article de Christian Blais, « La représentation en Nouvelle-France », Bulletin d’histoire politique, 18, 1 (automne 2009), p. 51-76. 10 Quelques questions s‘imposent : les ordonnances de l‘intendant, n‘exprimaient-elles pas parfois le résultat de certaines pétitions collectives? A-t-il des sources qui confirment cela? Bref, des pistes d‘analyse nouvelles. Pourtant, il semble intéressant pour ceux qui se penchent sur la question de la représentation d‘analyser les nouvelles pistes que proposent les auteurs de Québec : quatre siècles d’une capitale, Québec, Les publications du Québec, Assemblée nationale du Québec, 2008, 712 p. Selon eux (Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre) : « À la lumière de sources nouvelles, nous démontrons qu‘au contraire, diverses formes de représentations politiques existaient sous l‘Ancien Régime pour permettre aux principaux habitants de faire connaître leurs doléances et promouvoir leurs intérêts. Assurément, il ne s‘agit pas de démocratie au sens moderne du terme, mais en Nouvelle-France, l‘élection en 1647 du syndic Jean Bourdon marque véritablement le début d‘un système de représentation. Ces élections se continueront d‘ailleurs dans la colonie aux XVIIe et XVIIIe siècles et figurent parmi les faits surprenants de l‘histoire politique de la Nouvelle-France », dans Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs,

3 veut cerner la façon dont la population s‘exprime par la pratique pétitionnaire dans la sphère publique québécoise et tente aussi de confirmer l‘hypothèse selon laquelle les pétitions collectives ont contribué au développement de la sphère publique québécoise.

Plusieurs questions s‘imposent : quels étaient les groupes de pétitionnaires (d‘intérêts, d‘origine ethnique, de sexe, etc.) et quels étaient leurs rapports entre eux et avec les autorités politiques? Est-ce que cela met en évidence des disputes locales? Cette pratique de pétitionner est-elle plus qu‘un outil pour communiquer aux autorités politiques les besoins locaux? A-t-elle des impacts politiques sur la sphère publique québécoise? Représente-t- elle une pratique continue? À travers cette pratique, voit-on l‘expression de l‘opinion publique? La population locale a-t-elle la capacité de s‘adapter à ces nouveaux outils?

Or, la pratique de pétitionner individuellement et collectivement, en tant que mode d'expression politique collective, a été traitée de manière assez générale par l‘historiographie. Par contre, les historiens ont délaissé la période qui s‘étend de la Conquête britannique jusqu‘à la création du système parlementaire en 1791 et ont surtout ciblé leurs recherches sur le fonctionnement de la « pratique pétitionnaire » dans le cadre des institutions parlementaires classiques (dont les pétitions constituent l‘un des outils légalement reconnus). Nous croyons que notre recherche contribuera à une meilleure connaissance d‘un aspect de l‘histoire sociale et politique québécoise et canadienne.

Définitions et survol historiographique

Il importe ici de cerner quelques notions afin de comprendre le cadre théorique dans lequel s‘inscrit ce mémoire. En effet, notre sujet de recherche s‘intéressant aux pétitions collectives et le développement de la sphère publique il s‘impose de définir d‘abord ces deux concepts.

Pétitions

Globalement, et reprenant cette notion de Lex Heerma Van Voss, on entend par pétitions des « [...] demands for a favour, or for the redressing of an injustice, directed to

Bulletin mémoires vives, Bulletin nº 25, mai 2008, « Québec : quatre siècles d‘une capitale, la contribution d‘une Assemblée nationale qui se souvient ».

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some established authority 11». Soulignons encore la terminologie variée généralement associée aux documents historiques que nous qualifions de pétitions. Peu importe que les documents d‘époque parlent de pétition, de représentation, de requête, de grief, de supplique ou encore de remontrance, quelques traits communs en ressortent, et ce, indépendamment du contexte étudié12. Dans ce sens, la plupart des documents identifiés comme des pétitions sont structurés de la même façon : une salutation formelle à l‘autorité concernée, puis une brève identification des pétitionnaires, l‘explication plus ou moins détaillée de leur situation ou de leur grief; viennent ensuite la récapitulation plus spécifique de leur pétition, la formule finale de respect envers l‘autorité et finalement les signatures des pétitionnaires (voir figure 1).

11 Lex Heerma Van Voss, éd., Petitions in Social History, Cambridge/Amsterdam, Cambridge University Press for the Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis, 2001. International Review of Social History, Supplement, 9, p. 1. Dans la même ligne, David Zaret : « The word petition was a common figure of speech, used literally and metaphorically to signify deferential request for favor or redress of a grievance », dans Origins of Democratic Culture: Printing, Petitions, and the Public Sphere in Early-Modern England, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 2000, p. 83. 12 Andreas Würgler, « Voices from Among the ―Silent Masses‖: Humble Petitions and Social Conflicts in Early Modern Central Europe », dans Van Voss, éd., Petitions in Social History, p. 14.

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Figure 1: aperçu d’une pétition

Source : Collection Haldimand, vol. 21878.

Concernant le caractère collectif des pétitions, celui-ci vient du nombre d‘individus qui s‘accordent sur leur contenu et qui les signent; de plus, pour qu‘une pétition soit considérée comme collective, elle doit être signée par au moins deux personnes, ou en leur nom. Ainsi, au cours de notre recherche, nous avons trouvé plusieurs pétitions signées par deux individus, mais aussi beaucoup d‘autres signées par des centaines de personnes. En laissant de côté les pétitions de type individuel, nous centrons notre analyse sur une pratique collective, éventuellement politique.

En outre, selon plusieurs historiens, le style d‘écriture des pétitions et leur attitude déférente ne témoignent (en général) d'aucune intention de la part des pétitionnaires de remettre en question la structure du pouvoir établi, au moins directement. Elles visent

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seulement à influencer les décisions politiques des autorités en place13. L‘expression finale qui accompagne la plupart des demandes que nous avons analysées le confirme également : « your petitioners as in duty bound shall (ever) pray » ou « vos suppliants ne cesseront de prier » ou encore « les suppliants offriront leurs vœux pour la conservation de Votre Excellence »; par ces formules, les pétitionnaires espèrent obtenir la clémence des autorités, prient pour la santé du souverain et son bon gouvernement et affirment leur obéissance aux autorités14.

Du point de vue de l‘histoire de la pétition, dans quelques sociétés de l‘Ancien Régime elle semble un outil utilisé au sein de la « sphère publique ». En Angleterre, la royauté reconnaît très tôt à ses sujets le droit de lui présenter des pétitions sur des aspects problématiques de leur vie15; la pétition apparaît ainsi avec la Grande charte de 1215. Dès

13 Ruth Bogin souligne que « Petitions, by their very nature, acknowledged the power of the rulers and the dependence of the aggrieved », dans « Petitioning and the New Moral Economy of Post-Revolutionary America », William and Mary Quarterly, 45, 3 (1988), p. 420; dans ce même sens, Keith Johnson affirme que : « A petition, even one asking for something to which the petitioner has some legal claim, is still a form of begging. “The formulation of a petition,‖ the American historian Linda Kerber has written, ―begins in the acknowledgement of subordination. The rhetoric of humility is a necessary part of the petition as a genre, whether or not humility is felt in fact‖ », dans «'Claims of Equity and Justice': Petitions and Petitioners in Upper Canada, 1815-1840 », Histoire sociale / Social History, 28, 55 (1995), p. 239. Pourtant, il faut remarquer les pétitions qui ont l‘intention de produire des changements dans la structure de pouvoir, comme dans le cas de celles (surtout entre 1770 et 1788) adressées soit au Conseil, aux gouverneurs et même au roi, demandant la constitution d‘une Chambre d‘Assemblée. C‘est-à-dire, avec ces pétitions-là, ils cherchaient d‘être politiquement représentés, ce qui suppose un notable changement au niveau de la structure du pouvoir. Toutefois, d‘après Steven Watt « [...] notwithstanding infrequent petitions making strong criticisms of official conduct or proposing major changes to the political framework [...] there were many more examples which serve more to facilitate governance than disrupt it », dans « 'Duty Bound and Ever Praying': Collective Petitioning to Governors and Legislatures in Selected Regions of Maine and Lower Canada, 1820-1838 », Ph.D., Université du Québec à Montréal, 2006. Xii, 268 p., p. 96. 14 Würgler, « Voices from Among the ―Silent Masses‖ », p.16. C‘est aussi vrai que cette formule révèle une tension dans le rapport avec l‘autorité : d‘un côté, les pétitionnaires reconnaissaient l‘autorité et ses prérogatives et, d‘un autre côté, ils insistaient pour partager avec les autorités leurs opinions sur des sujets qui les intéressaient ou les affectaient, Watt, « 'Duty Bound and Ever Praying ' », p. 13. Selon l‘étude de Bogin, après la Révolution des colonies américaines, les pétitionnaires montraient une nouvelle attitude vis-à-vis des autorités gouvernementales et « their salutations grew more matter-of-fact », ainsi « although some petitioners still employed such usages as "obedient and faithful Subjects," others blended traditional phrases with suggestions of republican citizenship. Assurances of deference and humility diminished along with unctuous terms of adulation», Bogin, « Petitioning and the New Moral Economy », p. 420.

15 « The right of English subjects to petition the government for redress of grievances originated at some indeterminate point deep in medieval past. This right was based upon the concept that the king was the source of justice and that in providing this justice he and his government must be accessible to all. Englishmen sent petitions to the highest levels of government, including the king and council, by the thirteenth century, long before Parliament assumed its ultimate organization and importance », Raymond Bailey, Popular Influence

7 cette époque, de nombreux sujets adressent des pétitions au roi dans l'espoir de bénéficier de sa « grâce ». L'affirmation progressive de la chambre des communes lui donne, à partir du XVIIe siècle, une tout autre dimension. Ce n'est plus au roi, mais à la chambre qu'elles sont désormais adressées. Le Bill of Rights de 1689 consacre le droit de pétitionner16 et permet alors à cette pratique ancienne de poursuivre son évolution, si bien qu‘en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle, la pétition est le moyen normal par lequel l‘ensemble du peuple – surtout ceux qui sont dépourvus de pouvoir politique et sont privés du droit de vote – peut faire entendre sa voix auprès des autorités publiques17.

La même pratique se développe en France sous les monarques absolus, à partir du XVIe siècle : les doléances, placets ou suppliques rédigés sur le ton d'une très humble requête, visent à obtenir du roi qu'il protège le pétitionnaire des décisions arbitraires des administrations. Dans l'histoire révolutionnaire de la France, le droit de pétition devient un instrument fondamental de contestation politique, et bientôt un symbole de la souveraineté populaire et des droits du citoyen. Les cahiers de doléances, rédigés en 1789 dans l'ébullition qui précède les événements de l'été de la même année, ont pour but d‘informer le monarque des conditions de vie de ses sujets, des difficultés du commerce et de l‘exercice de la justice envers ses sujets et jouent un rôle déterminant. Sous la monarchie de juillet (de 1830 à 1848), à nouveau, des centaines de pétitions réclament des réformes constitutionnelles et électorales.

upon Public Policy. Petitioning in Eighteenth-Century Viginia, Westport, Greenwood Press, 1979, p. 9. Voir aussi Johnson, « 'Claims of Equity and Justice ' », p. 219-240. 16 En fait, dans l‘article 5 du Bill of Rights, il est reconnu au peuple anglais le droit de pétition : que c'est un droit des sujets de présenter des pétitions au Roi et que tous emprisonnements et poursuites à raison de ces pétitionnements sont illégaux. Nonobstant, tel qu‘analysé par James Bradley, le droit de pétitionner au Roi et non au Parlement, « was a right that at once looked to the past and pressed into the future. It looked back in time by its recognition of the king‘s authority and his role as defender and protector of the people; it looked forward in that it took seriously the right of the people to be heard. The right to petition the king without fear of reprisal was thus a progressive concept that genuinely embraced individual rights », Popular Politics and the American Revolution in England. Petitions, the Crown, and Public Opinion, Macon, Mercer, 1986, p. 37- 38. 17 Van Voss, éd., Petitions in Social History, p. 4. Nonobstant, ils existent des cas de refus de traitement des pétitions en Angleterre au XVIIIe siècle; à propos des pétitions présentées par des marchands anglais aux chambres des Communes et des Lords, concernant l‘appui aux colonies américaines qui luttaient pour leurs droits, leurs pétitions ont été carrément rejetées et jamais entendues. Cela fut, d‘après les quelques Lords qui se sont opposés à cette mesure, une subversion aux droits sacrés des sujets; voir Bradley, Popular Politics, chapitre I.

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Nonobstant, au sein des colonies françaises d‘Amérique septentrionale18, les pétitions collectives ne jouissent pas d‘un statut privilégié, puisque ce type de pratique communicative est formellement interdit sans l‘autorisation préalable des autorités coloniales19. En fait, dès 1677, une ordonnance défend aux habitants d‘élire des représentants et de faire aucune signature commune sans la permission expresse du gouverneur ou de l‘intendant20. Toutefois, en Nouvelle-France se tiennent sporadiquement des assemblées de notables grâce auxquelles le peuple peut en quelque sorte exercer une certaine influence – quoique très relative – sur la législation. Ainsi, avant de promulguer des lois touchant le bien commun, le gouverneur et l‘intendant convoquent de telles assemblées afin de connaître l‘opinion du peuple via les notables21. Ensuite, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et au début du XIXe, l‘avènement d‘une « pratique pétitionnaire » dans la province de Québec s‘inscrit plutôt dans un contexte non sans rapport avec les développements contemporains que connaît la Grande-Bretagne, où l‘opinion du peuple se manifeste par différentes pratiques communicatives, dont les pétitions.

L‘historiographie variée concernant les pétitions implique d‘auteurs américains et européens -depuis la fin des années 1970 et jusqu‘au présent — et aborde la question des pétitions selon différents axes : politique, social, historique, géographique, etc. Leur contribution a grandement nourri notre propre réflexion.

Ainsi, Raymond Bailey, étudie l‘origine et le développement des pétitions populaires au XVIIIe siècle en Virginie, et leur incidence sur le processus politique et sur les politiques

18 Mathieu Fraser, « La ―pratique pétitionnaire‖ à la Chambre d‘assemblée du Bas-Canada, 1792-1795 : origines et usages », Mémoire présenté à la Fondation Jean-Charles-Bonenfant, 2008, p. 19, http://www.fondationbonenfant.qc.ca/stages/essais/2008Fraser.pdf. 19 Comme soulignait Madeleine Réberioux, « Inutile de dire qu'il ne s'agissait pas de la pétition individuelle, du ―placet‖, pleinement admis déjà sous l'Ancien Régime, mais bien de pétitions collectives alors interdites », dans « Pétitioner », Le Mouvement Social, 181 (octobre-décembre 1997), p. 127. 20 David Gilles, « Archéologie de l‘herméneutique du droit québécois. En quête des discours juridiques avant la Conquête », Revue Juridique Thémis, 44, 3 (2010), p. 61. 21 Par exemple, l‘on trouve le cas du gouverneur Louis de Frontenac qui convoque des États-Généraux à l‘automne 1672, semblant ignorer la position de la monarchie relative à cette institution. Il rassemble ces messieurs du « clergé, de la noblesse, de la justice et du Tiers État » afin de trouver dans cette assemblée de notables un appui à sa politique. Sur cette question de la représentation dans la colonie, voir Blais et al, Québec, quatre siècles d’une capitale, p. 69-83 et Gilles, « Archéologie de l‘herméneutique », p. 61.

9 publiques. L‘importance des pétitions dans le processus politique se démontre clairement, car la législation promulguée par l‘Assemblée générale est régulièrement une réponse aux requêtes et aux pétitions présentées par la population22. Il existe alors en Virginie un comité spécialement consacré à l‘étude des pétitions : le comité des « propositions and grievances ». Les lois promulguées à la suite des pétitions abordaient une grande variété de sujets répondant aux intérêts collectifs ou individuels : la division des comtés, le changement des frontières, la taxation sur la concession des pensions, les combats contre la variole, les inspections concernant le tabac, parmi beaucoup d‘autres sujets. En fait, on peut noter au moins cinq principales sources de législation en Virginie, mais la plupart des lois tirent leur origine des recommandations faites par différents comités en réponse aux pétitions des citoyens23. Quant à elle, Ruth Bogin analyse tout au long de la décennie révolutionnaire en Amérique, les actions, dont les pétitions, des « ordinary Americans » qui ont fait émerger un égalitarisme économique interprété comme le « New Moral Economy » dont parle E. P. Thompson pour le XVIIIe siècle en Angleterre24.

Dans son travail publié en 199625, David Zaret pose un regard socio-politique sur la pratique de pétitionner en relation avec l‘« invention » de l‘opinion publique26, dans l‘espace public créé par la Révolution anglaise. Ici, grâce à l‘importance de l‘imprimerie, les pétitions (et d‘autres moyens de communication traditionnels) empruntent de nouvelles voies, autant dans leur contenu que dans leur portée27. Selon l‘auteur, l‘importance attribuée aux pétitions ne vient pas seulement du fait que les pétitions sont un message politique en elles-mêmes, mais aussi un outil privilégié pour transmettre leur message de la périphérie vers le centre (entendons le centre du pouvoir politique). Pour sa part, un

22 Bailey, Popular Influence upon Public Policy, p. 55. 23 Ibid, p. 61-64. 24 Bogin, « Petitioning and the New Moral Economy », p. 392. 25 David Zaret, « Petitions and the "Invention" of Public Opinion in the English Revolution », The American Journal of Sociology, 101, 6 (Mai, 1996), p. 1497-1555. 26 Voir à ce sujet : Keith Michael Baker, « Public opinion as political invention », Inventing the French revolution. Essays on French political culture in the eighteenth century, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 167-199. 27 « Unacknowledged change in petitioning supplied a practical precedent for ―people‘s public use of their reason‖ which Habermas describes as an elite, 18th century development », dans Zaret, « Petitions and the "Invention" of Public Opinion », p. 1498.

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ouvrage collectif édité par Lex Heerma Van Voss en 2001, s‘intéresse aux pétitions comme source importante en histoire sociale28. On y trouve des essais qui abordent, dans différents contextes sociogéographiques, plusieurs questions : une définition plus large des pétitions, les pétitions comme voix des sujets sans pouvoir de s‘exprimer autrement, l‘analyse des formes et l‘analyse de leurs contenus.

Au Canada, dans une thèse consacrée aux pétitions collectives adressées aux gouverneurs et aux législatures du Maine et du Bas-Canada dans la première moitié du XIXe siècle, Steven Watt met l‘accent sur le caractère généralisé et continu de la pratique de pétitionner auprès des différentes instances du pouvoir public29. Watt étudie aussi la pratique de pétitionner comme manifestation de la politique informelle, son caractère potentiellement démocratique (surtout la possibilité de donner voix à une grande variété d‘opinions et de perspectives politiques); il analyse la structure des groupes de pétitionnaires et met aussi l‘accent sur le caractère unique de certaines questions débattues et de leur influence sur le pouvoir politique.

Puis, dans un mémoire présenté à la Fondation Jean-Charles-Bonenfant en 2008, Mathieu Fraser aborde les pétitions du point de vue de la culture politique du Bas-Canada (rappelons que le Bas-Canada est né de la division de la province de Québec après l‘Acte constitutionnel de 1791); il étudie le rôle des citoyens dans le fonctionnement interne des institutions mises en place par la constitution de 179130. De son côté, dans un travail présenté en 2009, Donald Fyson réévalue la période critique qui s‘étend de la Conquête jusqu‘en 1775 en dépassant les interprétations « misérabilistes » et « jovialistes » pour étudier l‘« adaptation mutuelle » dans cette nouvelle société : dans la sphère politique, l‘auteur démontre l‘utilisation de certaines pratiques britanniques de représentation collective vis-à-vis de l‘administration coloniale, dont les pétitions collectives31, sans précédent sous le Régime français. Comme le souligne Fyson, les différents groupes

28 Van Voss, éd., Petitions in Social History. 29 Watt, « ―Duty Bound and Ever Praying ' ». 30 Fraser, « La ―pratique pétitionnaire‖ à la Chambre d‘assemblée ». 31 Donald Fyson, « The Conquered and the Conqueror: The Mutual Adaptation of the Canadiens and the British in Quebec, 1759-1775 », dans Phillip A. Buckner et John G. Reid, dir., 1759 Revisited: The Conquest of Canada in Historical Perspective, Toronto, University of Toronto Press, 2012, p. 190-217.

11 professionnels, des avocats aux boulangers, constituent la sphère publique et utilisent les pétitions collectives pour faire valoir leurs intérêts particuliers, comme apporter des modifications aux conditions de travail ou à l‘augmentation des règlementations de leur commerce par l‘État32. Il est approprié, semble-t-il, de souligner cet aspect d‘« adaptabilité des Canadiens33 » ou de la « Canadien flexibility toward British institutions » dont parle Fyson, c‘est-à-dire de cette possibilité d‘incorporer certaines pratiques et certaines institutions qui leur étaient imposées dans le but de contrer la prétention d‘assimilation des autorités britanniques.

Sommairement, et au-delà des études faites à propos des pétitions, nous placerons la pétition collective au cœur même de notre analyse, comme outil d‘expression politique des « citoyens ordinaires34 » dans la sphère publique québécoise, à l‘intérieur d‘une structure politique sans instances parlementaires classiques.

Espace public et sphère publique

Depuis une vingtaine d‘années, la notion d‘espace public est un concept-clé de l‘historiographie politique et sociologique. Dans son ouvrage classique L’Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise35, Jürgen Habermas affirme que le Siècle des Lumières est traditionnellement présenté comme le laboratoire de l‘espace public. Pour Habermas, l‘émergence de la « sphère publique » et le développement de l‘État moderne se produisent simultanément. De plus, cette sphère publique (« le règne des pratiques communicatives et d‘associations ») se

32 Ibid. 33 Reprenant la définition de Cole Harris, on appelle « Canadiens » les francophones dont les ancêtres vivaient au Canada durant le Régime français; les immigrants anglophones se distinguent par la langue, la religion ou l‘appartenance ethnique. Juste après la Conquête, et jusqu‘à tardivement au cours du XIXe siècle, l‘utilisation de l‘expression « Canadien français » serait anachronique, dans Le pays revêche : société, espace et environnement au Canada avant la Confédération, Québec, Presses de l'Université Laval, 2012, p. 221. 34 Nous allons reprendre la notion de « citoyen ordinaire » définie par Steven Watt, i.e.: « Theoretically, given the lack of formal rules regarding who can participate or the parameters of debate, anyone could prepare a petition on any subject. The only pretext petitioners needed to rely on was that they were interested in or affected by the decisions of those political authorities to whom they addressed themselves », dans « 'Duty Bound and Ever Praying' », p. 9. 35 Jürgen Habermas, L‘Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1988 (1978), 324 p. [Titre original : Strukturwandel der Öffentlichkeit : untersuchungen zu einer Kategorie der bürgerlichen Gesellschaft, 1962].

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situerait quelque part entre l‘État et la sphère intime de la famille, et l’usage public du raisonnement incarnerait son moyen particulier de confrontation politique. À la suite du travail d‘Habermas, de nombreux politologues et sociologues, entre autres, se questionnent sur la nature bourgeoise de cette sphère publique (caractérisée par des débats sur les affaires commerciales et sur l‘économie politique, où l‘idéal est l‘inclusion des participants sans distinction de statut et la qualité des argumentations).

À propos de la catégorie de « bourgeois », Roger Chartier, à la suite de Habermas et de l‘historien allemand Reinhart Koselleck, considère que « les données empiriques dont nous disposons aujourd‘hui, sur les différentes formes de sociabilité ou sur les différents porteurs de l‘usage public de la raison, démentent toute attribution sociale univoque. Leur assise sociologique traverse à la fois le Tiers État et la noblesse et implique des bourgeoisies de types extrêmement différents 36». Or, selon la version d‘Habermas, nous pouvons maintenir cette qualification sociale pour désigner ce processus de constitution de l‘espace public à partir de formes de sociabilité. Particulièrement, Habermas utilise le coffeehouse londonien de la période après la Restauration comme un modèle, un paradigme de la formation de la sphère publique, favorisant ainsi tout un courant de recherche sur la culture politique de la Restauration. D‘autre part, dans cette sphère publique se forme une opinion axée sur la rationalité et l‘universalité, éventuellement contestataire, et qui chevauche l‘opinion publique et l‘opinion essentiellement privée. Il est important de noter que cette « opinion publique », telle qu‘elle apparaît au XVIIIe siècle, se présente conceptuellement de manière unitaire (dans les écrits de J. J. Rousseau, de Louis-Sébastien Mercier, de Malesherbes, entre autres) comme l‘est l‘État centralisateur lui-même dont elle endosse les attributs idéaux37. Nous voudrions souligner en ce sens l‘apport de Baker sur l‘invention de l‘opinion publique en tant que source de légitimité, et l‘opinion publique devenue autorité

e 36 Pour ce qui concerne la constitution de l‘espace public au XVIII siècle, le débat entre Keith M. Baker et Roger Chartier semble éclairant : « Dialogue sur l'espace public», Politix, 7, 26 (1994), p. 5-22. Voir aussi : Reinhart Koselleck, Le règne de la critique, Paris, Minuit, 1979 et Colin Jones, 'The Return of the Banished Bourgeoisie', Times Literary Supplement, 29 (March 1991), p. 7-8. 37 Cela ne veut pas dire qu‘effectivement il existe une « opinion publique» unitaire – c'est-à-dire, comme phénomène social ou politique empirique —; il y a beaucoup d‘opinions différentes sous l‘Ancien Régime.

13 politique, comme ultime instance politique38. À côté des voies institutionnelles traditionnelles de production de l‘opinion (les Parlements, les États provinciaux, les États généraux), le XVIIIe siècle voit naître d‘autres voies institutionnelles telles les Académies provinciales qui ont fait l‘objet d‘une recherche approfondie par Daniel Roche39. De plus, la parole et la conversation constituent des éléments dont il faut tenir compte dans une étude sur la formation ou la transformation de l‘opinion. En outre, il faut indiquer l‘importance centrale de l‘imprimé (pamphlets, libelles, correspondance), ainsi que la lecture à haute voix de celui-ci, et son lien étroit avec les formes de sociabilité dans lesquelles se forme l‘opinion.

La majorité des auteurs européens reprennent la notion de sphère publique de Habermas pour la soutenir ou la questionner. James Van Horn Melton, par exemple, effectue une réévaluation critique de la « sphère publique bourgeoise » habermassienne. Selon l‘auteur, pendant la période des Lumières, le « public » acquiert une nouvelle signification à cause de la reconnaissance par l‘État du pouvoir de l‘opinion publique dans la vie politique. De même, l‘expansion de la culture de l‘imprimé crée un nouveau public lecteur qui forme ses propres opinions tout en participant à de nouveaux espaces de sociabilité40; au Québec, cette culture de l‘imprimé est favorisée par l‘apparition de la Gazette de Québec, qui naît dans la Province de Québec en 1764. L‘absence d‘institutions représentatives en France (sauf les États généraux consultés exceptionnellement) telles qu‘on les trouve dans le Parlement anglais (dans la chambre des Communes spécifiquement) contribue à faire naître l‘« opinion publique » un peu partout. Bref, pas seulement à travers les moyens institutionnels traditionnels.

38 Baker, « Public Opinion as Political Invention», et aussi Baker et Chartier « Dialogue sur l‘espace public», p. 13-15. 39 Daniel Roche, Le siècle des lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Tome I, Paris, Mouton, 1978, 394 p. 40 « In theory at least, public opinion had an institutional locus, and for this reason the concept was less vexatious in British political discourse than it was in France. There the absence of representative bodies claiming to represent the views and interests of a national constituency meant that ―public opinion‖ was simultaneously more frequently invoked and more difficult to define », dans James Van Horn Melton, The rise of the public in enlightenment Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 62.

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D‘autre part, Roger Chartier dans son ouvrage classique Les origines culturelles de la Révolution française, traite de l‘apparition d‘une « sphère publique politique » qui est doublement caractérisée. D‘abord, cette « sphère publique politique » définit un espace de discussion et d‘échanges soustrait à l‘emprise de l‘État et qui se veut critique à l‘égard des actes ou des fondements de celui-ci (caractère politique); puis elle se différencie de la cour qui appartient au domaine du pouvoir public, et du peuple qui n‘a point d‘accès au débat critique (caractère sociologique)41. Nous pouvons donc dire que l‘organisation de la sphère publique politique repose sur deux principes, à savoir que cette sphère représente l‘espace où les personnes privées font usage public de leur raisonnement; et que la communication entre ces personnes privées postule une égalité de nature entre elles, si différentes soient- elles les unes des autres.

Au Canada, dans son livre Médias et démocratie, Anne-Marie Gingras reprend et discute la notion de sphère publique habermassienne. Selon l‘auteure, même si la sphère publique est réglementée par l‘autorité, elle est utilisée par des « personnes privées rassemblées en un public », « directement contre le pouvoir lui-même » pour « discuter avec lui des règles générales de l‘échange, sur le terrain de l‘échange des marchandises et du travail social » – domaine qui reste essentiellement privé, mais dont l‘importance revêt désormais un caractère public; selon Habermas, « l‘usage public du raisonnement » rend possible l‘opposition de la sphère publique à l‘État42. Une société bourgeoise se consolide et s‘affirme face à l‘État pour discuter avec lui des termes de l‘échange, comme les taxes sur les prix et les impôts. L‘économie devient politique; il s‘agit d‘un sujet susceptible d‘être débattu dans la sphère publique, qui se pose comme un tiers dans le débat entre l‘État et la société civile. Selon Watt, l‘étude de la pratique pétitionnaire peut être abordée du point de vue du cadre théorique de la sphère publique. Ainsi « such studies [sur la sphère publique] tend to place a strong emphasis on the role played by informal practices in

41 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 2000 (1990), p. 32. 42 Anne-Marie Gingras, Médias et démocratie : Le grand malentendu, 2e édition revue et augmentée, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2006 (1999), p. 14.

15 providing hitherto marginalized groups a political voice and ultimately formal recognition by the state 43».

Craig Calhoun édite en 1992, un ouvrage qui vise à présenter les thèses d‘Habermas, surtout les différents aspects de la sphère publique habermassienne, dans le contexte de la construction de la république américaine44. Nancy Fraser, quant à elle, se pose quelques questions à propos des matières publiques débattues par des personnes privées : « What counts as a public matter? What, in contrast, is private? 45» Et elle suppose que seulement les participants eux-mêmes peuvent décider lesquelles de leurs préoccupations sont ou ne sont pas des préoccupations communes, même si on ne peut pas garantir que tous soient d‘accord. C‘est alors à travers la contestation discursive qu‘ils arrivent à se décider46.

Faisons le point : nous analyserons principalement la signature des pétitions collectives et plus largement la consignation par écrit, à l‘intention des autorités politiques - gouverneurs, Conseils, etc.-, des demandes de modification des certaines politiques publiques, réfléchissant sur la participation des « citoyens ordinaires » dans les institutions de gouvernance locale dans la vie publique. Nous allons nous concentrer sur les pétitions comme mode d'expression politique collective47, pour cerner leur contribution au développement de la sphère publique politique au Québec. Nous soulignons que la

43 Watt, « 'Duty Bound and Ever Praying' », p. 48. 44 Craig Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, Cambridge, Mass., MIT Press, 1992, x, 498 p. 45 Faisant premièrement le point sur le fait que pour Habermas, la sphère publique bourgeoise évoquait une arène discursive ou les « personnes privées» délibéraient sur des « affaires publiques», elle mentionne de différents sens de « privé» et « public». ―Public‖, for example, can mean (1) state-related, (2) accessible to everyone, (3) of concern of everyone, and (4) pertaining to a common good or shared interest. [...] in addition, there are two other senses of ―private‖ hovering just below the surface here : (5) pertaining to private property in a market economy and (6) pertaining to intimate domestic or personal life, including sexual life; Nancy Fraser, « Rethinking the Public Sphere: A Contribution To The Critique of Actually Existing Democracy », dans Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, p. 128. 46 Ibid., p. 129. 47 Tel qu‘analysé par Watt, le contexte délibératif des pétitions nous offre un point de vue unique sur les caractéristiques de l‘expression politique à cette époque, « Petitions were both collectively and unequally authored documents, with different petitioners playing vastly different roles in their creation. An individual‘s contribution could range from drafting the text to merely affixing their name [...] », « 'Duty Bound and Ever Praying' », p. 11. Encore, il se dégage de l‘analyse des pétitions qu‘il existe des expressions de solidarité (solidarité professionnelle, religieuse, socio-économique, linguistique, etc.) qui vont au-delà de la totale compréhension du contenu spécifique du document signé, ce qu‘illustre par exemple, le fait de signer une pétition sans même avoir participé à sa discussion ou rédaction.

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formation d‘un espace public est déjà en cours à l‘époque. En fait, d‘après nous, l'opinion publique est présente dans les discussions publiques ayant eu lieu depuis le tout début de l‘établissement du gouvernement civil. Nous reviendrons sur ce point dans les deux premiers chapitres.

De plus, dans le chapitre suivant nous allons approfondir trois notions clefs de notre cadre conceptuel : celle du « public », de la « sphère publique » et de l‘« opinion publique », et leur déploiement au Québec entre 1764 et 1791, et d‘autres sujets qui en découlent, spécialement le rôle de l‘imprimerie et la presse.

Les sources : possibilités et limites

Par sa nature, cette étude repose sur des documents officiels, donc des pétitions et des adresses, issues des institutions politiques coloniales. Notre corpus de sources appartient principalement aux fonds d‘archives publics et aussi privés. Nous décrivons ici les sources sélectionnées en précisant les avantages et les limites de leur utilisation.

Premièrement, nous avons utilisé le fonds d‘archives du Secrétaire civil qui contient une multitude de documents dont des lettres, des pétitions, des adresses et d‘autres communications envoyées aux différentes autorités politiques et reçues au bureau du Secrétaire civil. Depuis l'instauration d'un gouvernement civil dans la Province de Québec en 1764, et en passant par sa division en deux provinces distinctes en 1791, puis par leur réunion en 1841, le secrétaire civil a été le principal responsable de la gestion de la correspondance locale, agissant au nom du gouverneur en ce qui avait trait aux affaires internes de la colonie48. Il avait notamment pour fonctions de faire parvenir aux fonctionnaires des directives, ainsi que des lettres circulaires pour recueillir des renseignements auprès d'eux, et d'acheminer les lettres, les pétitions, les rapports et d'autres documents destinés au gouverneur, à l'Assemblée législative (une fois installée) ou aux fonctionnaires pertinents pour qu'ils prennent les mesures qui s'imposaient ou qu'ils

48 De fait, le secrétaire civil est remplacé par le secrétaire provincial dans ce rôle à partir de l'Union et peut- être avant.

17 fournissent des avis, en informant les expéditeurs de la démarche entreprise. Ce fonds demeure donc une source d‘information très précieuse pour la période49.

En second lieu, nous avons analysé les journaux des conseils successifs qui participaient à l'administration de la province, qui se trouvent dans le Fonds Conseil législatif, Québec50. Ce fonds contient les délibérations et les décisions du Conseil de Québec. Ce Conseil se réunit pour la première fois en avril 1764 et ses premières tâches sont de conseiller et d'assister le Gouverneur dans l'établissement des institutions locales et des infrastructures gouvernementales, comme l'administration de la justice et des tribunaux dans la Province. Plus tard, la loi de 1774 (l‘Acte de Québec) crée le Conseil législatif de la province de Québec, une assemblée délibérante non élue dont les membres sont nommés par la Couronne, et qui assume le gouvernement de la colonie. Le Conseil législatif est composé d‘un minimum de 17 conseillers et d‘un maximum de 23 conseillers et il est chargé d‘adopter des ordonnances pour « la police, le bonheur et bon gouvernement » de la colonie. Le Conseil est dissout à la suite de la sanction de l‘Acte constitutionnel le 10 juin 1791 et remplacé par un Parlement bicaméral composé d‘une Chambre d‘assemblée élue et d‘un Conseil législatif nommé. Donc, l‘utilisation de cette source est non négligeable aux fins de notre étude, malgré le fait que certaines demandes de pétitionnaires n‘ont pas été retranscrites, mais énoncées.

Troisièmement, le Fonds Haldimand51 fait aussi partie de notre corpus. Ce fonds privé, contenant la volumineuse correspondance (commencée en 1758 et continuée jusqu'en 1785) de Sir , l‘un des gouverneurs de la Province de Québec, contient plus

49 BAC, RG4 A1, « Civil Secretary's correspondence. Quebec, Lower Canada and Canada East», volumes 10- 52. 50 BAC, RG1 E1, « Minute books of the Council (1764-1775)», volumes A, B et C, et « Journals of the Legislative Council (1775-1791)», volumes D, E et F. 51 Dorénavant Fonds Haldimand. Le fonds Haldimand lui-même est au British Library, Add. MS 21661- 21892 (The official correspondence and papers of Lieut.- General Sir Frederick Haldimand, K. B., commanding at various posts in North America, and afterwards Governor of the Province of Quebec; 1758- 1785), la Collection Haldimand, ayant été cédée par ses héritiers au British Museum, où le gouvernement canadien en a fait transcrire le texte entier qu‘on retrouve à BAC, Fonds Haldimand, série MG21. Nous avons consulté les originaux disponibles sur microfilms à la Bibliothèque de l‘Université Laval. Il existe également un répertoire détaillé : Collection du général Frederick Haldimand 1718-1791, compilée par Claude Kaufholtz-Couture. Québec : Association des familles d'origine germanique du Québec (AFOGQ) : Éditions Kaufholtzverlag, 2002 [ressource électronique : CD], couvrant la correspondance, le journal intime et les statistiques du commerce, compilés par le général Frederick Haldimand.

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de 26 000 lettres et documents de nature institutionnelle (lettres aux ministères, à d‘autres généraux, au Conseil, etc.) et personnelle. Le contenu de ces fonds est semblable à celui du secrétaire civil : ils contiennent tous les deux des lettres et des pétitions adressées à toutes les autorités politiques en place. De fait, c'est en partie un complément à RG4 A1 et on y retrouve beaucoup des mêmes types de documents.

Globalement, malgré qu‘il ne semble pas toujours très lisible, notre corpus documentaire reste un incontournable pour notre recherche; son contenu est d‘une importance majeure et possède la qualité d‘être accessible! L‘on y trouve des pétitions originales, des copies très complètes ou encore des descriptions bien détaillées. Il reste essentiel de consulter ces sources pour comprendre la contribution des pétitions adressées aux autorités coloniales au développement de la sphère publique québécoise. Pourtant, les pétitions dressées par les autochtones au Québec pendant notre période ne se retrouvent pas pour la plupart dans les fonds que nous avions consultés pour cette étude52.

Toutefois, si ces documents officiels mettent en lumière certains principes, il n‘en demeure pas moins qu‘il est souvent conseillé de réviser la presse locale, la Gazette de Québec, principal journal à l‘époque, pour voir si elle reflète ou reproduit les débats dont ces documents parlent. Ainsi, nous avons consulté quelques articles de dates précises qui nous intéressaient pour mieux situer le contexte de production des pétitions. Outre les sources principales mentionnées, nous nous sommes également servis d‘autres sources pour compléter l‘information recueillie, notamment Documents relatifs à l'histoire constitutionnelle du Canada53.

52 Elles font l'objet d'une thèse de doctorat -qui vient d‘être déposée- à l'Université du Québec à Montréal : Maxime Gohier : « La pratique pétitionnaire autochtone sous le Régime britannique : le développement d‘une culture politique moderne dans la vallée du Saint-Laurent (1760-1860) », http://www.territoireautochtone.uqam.ca/pages/publications/memoires.asp. Pour ceux qui s‘intéressent particulièrement aux pétitions parmi les populations autochtones, voir : Micah Abell Pawling, « Petitions and the Reconfiguration of Homeland: Persistence and Tradition Among Wabanaki Peoples in the Nineteenth Century », Ph.D., University of Maine, 2010. 53 Shortt et Doughty, DC.

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Méthodologie

Les documents des immenses fonds d‘archives du Secrétaire civil, du Conseil et de la Collection Haldimand étant en grande majorité à caractère textuel, la constitution de notre corpus s‘est réalisée d‘abord par la recherche par mots-clés dans l'instrument de recherche de chaque fonds, aussi que par une recherche dans les transcriptions fournies par Christian Blais sous format Word et PDF, puis par la sélection des éléments pertinents à notre sujet de recherche, dans son cadre chronologique et géographique.

La méthode privilégiée par les historiens qui ont mené des recherches similaires à la nôtre (Steven Watt par exemple) est l‘analyse de type qualitative ou de contenu. Nous avons procédé à une analyse détaillée des documents tirés des sources que nous venons de mentionner, pour creuser dans les contenus des pétitions collectives et déterminer leur importance et leur influence sur le développement de la sphère publique québécoise. En ce qui concerne le type de contenu des sources, nous avons déterminé l'intérêt et la valeur d'un sujet par sa présence plutôt que par sa fréquence dans les écrits. Ensuite nous avons identifié à travers les discours, la matière de ce mémoire, c‘est-à-dire, les pétitions envoyées aux autorités politiques, mettant en évidence le contexte sociopolitique (où la pétition a-t-elle été signée? Dans quelle situation?), l‘identité des pétitionnaires (noms, auto-identification sociale, type de signature, profession, genre et lieu d‘origine), le destinataire (Gouverneur, Conseils, nature du rapport préconisé entre pétitionnaires et destinataire) et le contenu des pétitions (sujet abordé, demande).

Nous avons aussi retenu certains éléments d'analyse quantitative : le nombre de pétitions par année, la fréquence de différents types de pétitions, la nature des signataires, les sujets des pétitions, etc. Par cette méthode, nous avons cerné les différents thèmes pertinents qui se dégagent des sources recueillies. Le regroupement de ces thématiques permet de répondre adéquatement aux questions qui nous intéressent.

Par ailleurs, nous signalons qu‘il n‘y a pas de registre systématique des activités ou des délibérations des pétitionnaires, sauf tout ce qui est contenu dans les pétitions elles-mêmes. Nous n‘avons pas trouvé de descriptions des activités des groupes de pétitionnaires et de la

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création des pétitions54. En plus de cela, la situation géographique assez restreinte révèle majoritairement des contextes urbains et la prépondérance des villes les plus importantes et les plus peuplées à cette époque : Québec, Montréal et Trois-Rivières. Or, dans la majorité des pétitions ciblées pour cette étude, les pétitionnaires s‘identifient eux-mêmes comme citoyens de la ville de Québec ou de Montréal, soulignant dans plusieurs cas leur lieu de résidence dans un quartier spécifique (Saint-Roch, par exemple). En effet, plus de quatre- vingt-dix pour cent des pétitions ont pour origine ces dernières villes. Néanmoins, cela ne signifie pas que la pratique pétitionnaire se limite aux villes; elle est aussi présente à la campagne.

Organisation du travail

La présent mémoire se déploie sur trois chapitres. Le premier chapitre aborde la discussion des concepts de sphère publique et opinion publique et leur développement au Québec à l‘intérieur de notre cadre chronologique. Le deuxième chapitre se concentre sur le contexte sociopolitique entre 1764 et 1791, mettant en lumière la genèse complexe de la pratique pétitionnaire dans la sphère publique québécoise et illustrant ceci par des pétitions « classiques ». Le troisième chapitre présente la pétition en tant qu‘outil d‘expression et pratique publique collective généralisée et se consacre à l‘analyse des pétitions recueillies dans notre corpus.

Même si plusieurs autres questions se dégagent de notre recherche, elles dépassent les limites de notre étude qui se concentre essentiellement sur les pétitions collectives et le développement de la sphère publique québécoise. Elles demeurent cependant ouvertes pour des recherches ultérieures.

54 Par contre, l‘étude de Bradley sur les pétitions en Angleterre concernant la Révolution américaine décrit les procédures des réunions des pétitionnaires qui variaient considérablement en rapport avec les différents groupes : « There were considerable differences in procedure, for example, between a university, a group of justices of the peace, a town corporation, a body of citizens in an urban setting, and a county meeting called for the purpose of petitioning. [...] An address from a corporation was set forth at a regular meeting time, at a prescribed place, (normally the guildhall) and seldom met with serious opposition. In contrast, the organisation of petitions and addresses in boroughs and counties was far more complex. [...] Leaders normally called for a public meeting weeks in advance by advertisements in local newspapers, and sometimes, depending upon the setting, by handbills », Popular Politics, p. 61.

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CHAPITRE I. Le « public », la sphère publique et l’opinion publique

Au cours du présent chapitre, nous approfondissons trois notions clefs, qui servent de cadre théorique à notre étude : celle du « public », de la « sphère publique » et de l‘« opinion publique », et leur déploiement au Québec entre 1764 et 1791, pour les illustrer par la suite avec des exemples précis dans les chapitres suivants. D‘autres sujets découlent de ceux-ci, spécialement le rôle de l‘imprimerie et la presse.

Nous voulons d‘abord nuancer l‘idée soutenue par Lamonde, sur la « consécration » de la formation d‘un espace public après l‘instauration du système parlementaire. En fait, d‘après nous, l'opinion publique est déjà présente dans les discussions publiques ayant eu lieu depuis le tout début de l‘établissement du gouvernement civil, et ce à travers les pétitions collectives. Nous allons analyser cela au chapitre suivant.

1.1 Le public

D‘abord, définissons avec Gerard Hauser le public « as the interdependent members of society who hold different opinions about a mutual problem and who seek to influence its resolution through discourse »55. Alors, à partir de notre compréhension du « public » québécois (qui est-il? à quoi s‘intéresse-t-il? comment agit-il?) nous analyserons la configuration et le développement de la sphère publique. Selon Hauser, « An understanding of ―the public‖ is essential to politics, and, at some level, members of a public share interests in important ways. However, a public‘s nature is not defined by its shared political interests but by its function: to provide critical evaluation and direction 56».

Cependant, le « public » québécois57 de la deuxième moitié du XVIIIe siècle n‘a pas de moyens formels ou légalement garantis qui lui permettent de transmettre son « intérêt général » comme : libre discours, presse libre, rassemblement libre et, éventuellement,

55 Gerard A. Hauser, Vernacular Voices: The Rhetoric of Publics and Public Spheres, Columbia, South Carolina, University of South Carolina Press, 1999, p. 32. 56 Ibid., p. 60. 57 On parle plutôt de population à cette époque-là.

23 institutions parlementaires représentatives. Mais il existe des moyens informels, dont les pétitions collectives. À l‘intérieur de certaines limites, la population jouit du droit de s‘assembler, de délibérer sur des thèmes qui peuvent intéresser les habitants de la province et de faire des représentations aux autorités légitimes, lesquelles donnent parfois des réponses favorables si cela leur convient. En Angleterre, au XVIIIe siècle, après la réunion des pétitionnaires, la signature des pétitions dans les différents comtés et leur subséquente présentation au Parlement, les porte-paroles affirmaient que leurs documents exprimaient légitimement les vœux du « public anglais »58.

Par ailleurs, nous abordons le développement de la sphère publique québécoise avant la création du système parlementaire en 1791, ce qui donne un cachet tout particulier à notre approche, d‘autant plus qu‘il n‘est pas question de moyens formels d‘expression, de participation ou de représentation. En fait, par la création de la Chambre d‘assemblée, les citoyens obtiennent le droit de pouvoir participer au pouvoir législatif et d‘envoyer des pétitions pour dénoncer des injustices et des abus afin que la législature les corrige, entre autres demandes. À cet égard, il nous semble intéressant de reprendre la notion de Nancy Fraser sur « weak publics » et « strong publics ». L‘auteure effectue une telle distinction à propos de la sphère publique bourgeoise, qui suppose la séparation entre la société civile (associative) et l‘État, et qui favorise les publics faibles dont les pratiques délibératives consistent uniquement en la formation d‘opinion, mais en dehors du champ de la prise de décisions59. Cependant, selon Fraser, la question devient plus compliquée avec l‘émergence de la souveraineté parlementaire;

With that landmark development in the history of the public sphere, we encounter a major structural transformation, since a sovereign parliament functions as a public sphere within the state. Moreover, sovereign parliaments are what I shall call strong publics, publics whose discourse encompasses both opinion formation and decision making. [...] as the terms ―strong public‖ and ―weak public‖ suggest, the force of public opinion is strengthened when a body representing it is empowered to translate such ―opinion‖ into authoritative decisions60.

58 Bradley, Popular Politics, p. 63. 59 Nancy Fraser, « Rethinking the Public Sphere », p. 134. Voir aussi Hauser, Vernacular Voices, p. 45. 60 Fraser, ibid., p. 134-135.

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C'est-à-dire, comme les termes « public fort » et « public faible » le suggèrent, la force de l'opinion publique est renforcée lorsqu'un organe la représentant est habilité à traduire cette « opinion » en décisions faisant autorité. Pourtant, au-delà de cette interprétation, qu‘il soit « faible » ou « fort », le public québécois de la période qui suit l‘établissement du gouvernement civil en 1764, discute déjà sur des affaires d‘intérêt général et participe ainsi au développement de la sphère publique.

1.2 La sphère publique

Cette sphère publique dont parle Habermas se situe quelque part entre l‘État et la société civile. Or, cette sphère publique est intégrée par des personnes privées (un public, la population, les pétitionnaires) possédant des intérêts communs (commerciaux, ethniques, professionnels, religieux, politiques, etc.) qui font l‘objet de discussions, agissant comme médiateurs entre la « société » (au sens plus large) et l‘ « État » (les autorités politiques de l‘époque : gouverneurs, conseils, etc.). Il y a ici des notions et des concepts modernes, mais qui ne semblent pas s‘éloigner de la réalité d‘une société qui assiste précisément à ce changement, c‘est-à-dire au passage d‘une société dite d‘Ancien Régime à un autre type de société dite moderne61. En plus, d‘après Calhoun, l‘importance de cette sphère publique habermassienne réside dans son potentiel « as mode of societal integration »62. Le discours public est un mode possible de coordination de la vie humaine.

Par ailleurs, théoriquement, c‘est la sphère publique littéraire qui jette les bases institutionnelles de la sphère politique : « These ranged from meeting places to journals to webs of social relationships 63». Selon Brian Cowan, vers la fin du XVIIe siècle on estime à Londres l‘existence d‘environ 1 000 « coffeehouses 64» où les habitués discutent

61 Cependant, Gingras pense que : « Le concept de sphère publique a été abondamment discuté à cause des aspects normatifs qui le fondent et qui se trouvent en complète contradiction avec les pratiques politiques erratiques des citoyens : non, le citoyen moyen n‘est ni rationnel ni très intéressé à la chose politique; non, le débat public ne se fait pas sans que soit pris en considération le statut des personnes qui s‘expriment dans l‘espace public; non, ce n‘est pas la qualité de l‘argumentation qui préside au choix des acteurs mis en valeur dans les médias», Médias et démocratie. 62 Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, p. 6. 63 Ibid. p. 12. 64 Le coffeehouse suppose un espace social dédié aux discussions intellectuelles sur une grande variété de sujets. Il est ouvert aux seuls hommes, mais sans égard pour le rang social.

25 régulièrement des affaires concernant l‘administration de l‘État et la politique65. Au dire d‘Habermas, de Sara et Frank Lennox, il y a sphère publique littéraire « when public discussion deals with objects connected to the activity of the state. Although state activity is so to speak the executor of the political public sphere, it is not a part of it 66».

Cependant, on constate que ceci ne semble pas une règle qui s‘applique partout. Pour ne nommer qu‘un exemple dans un autre coin du monde, en Amérique du Sud : la crise de la monarchie hispanique et la nécessité de combler le vide créé par l‘absence du monarque engendrent de nombreux débats politiques autour de la notion de souveraineté, ce qui entraine l‘apparition de l‘opinion publique et donc l‘apparition de l‘espace public moderne, sans qu‘il ait été précédé par la constitution d‘une sphère publique littéraire67.

Revenant à l‘Amérique du Nord britannique, nous constatons qu‘au lendemain de la Conquête, la Province de Québec assiste à la formation d‘un « espace public » propice à l‘émergence du littéraire. Ainsi, au dire de Bernard Andrès,

Leurs élites s‘engagent dans l‘écriture, les arts et la politique, résistent à l‘assimilation et risquent les premières œuvres du corpus québécois. Poèmes de circonstance, lettres ouvertes et pamphlets, fictions et correspondances, mémoires et peinture, sculptures et gravures voient le jour, alors que grondent les révolutions américaines et françaises, et que les premiers débats constitutionnels forgent une nouvelle référence identitaire. C‘est dans ce contexte qu‘une première génération de lettrés, celle de la Conquête, s‘exerce à l‘écriture et au débat d‘idées dans les textes privés ou publics. Marqués par un certain cosmopolitisme et par des idées philosophiques dont l‘ambition critique se portait sur ce que le XVIIIe siècle appelait les « préjugés » que ceux-ci soient religieux, politiques ou moraux, nos premiers lettrés introduisent de nouveaux modes de sociabilité caractéristiques de la République des Lettres à l‘âge

65 Même si Cowan affirme qu‘il y en a 551 coffeehouses « officiels» en 1734, chiffre qui néglige l‘existence d‘un bon nombre de « unlicensed coffeehouses»; Brian Cowan, The Social Life of Coffee: The Emergence of the British Coffeehouse, New Haven (CT), Yale University Press, 2005, p. 154. 66 Jürgen Habermas, Sara Lennox et Frank Lennox, « The Public Sphere: An Encyclopedia Article (1964)». New German Critique, 3 (autumn 1974), p. 49-55. 67 « Es durante la época de la revolución y de la independencia cuando aparece el espacio público moderno, sin que haya sido precedido –sobre todo en América- por la constitución de una ―esfera pública literaria‖. El origen exógeno de la crisis de la monarquía hispánica explica esta anomalía. La necesidad de suplir al rey ausente hace de la soberanía el problema candente de ese momento y provoca un intenso debate político que va a llevar a la aparición de la opinión publica », François-Xavier Guerra, Annik Lempérière et al, Los espacios públicos en Iberoamérica. Ambigüedades y problemas. Siglos XVIII-XIX, México, Centro Francés de Estudios Mexicanos y Centroamericanos, Fondo de Cultura Económica, 1998, p. 14.

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classique : cercles de discussion, théâtres et salons, pratique de la correspondance et développement de réseaux épistolaires. Ces hommes et femmes des Lumières incarnent le premier essor d‘une vie littéraire au Québec68.

Alors, reproduisant en quelque sorte les modes de sociabilité européens (salons, coffeehouses, chambres de lectures, etc.), une sphère publique littéraire discute sur des idées concernant la chose publique, les intérêts communs.

D‘autre part, en parlant de la sphère publique, Habermas la caractérise comme constituée de segments de la population européenne, masculine, majoritairement éduquée et possédant des propriétés. Ainsi, la sphère publique bourgeoise représente « a category that is typical of an epoch. It cannot be abstracted from the unique developmental history of that ‗civil society‘ originating in the European High Middle Ages; nor can it be transferred, ideal typically generalized, to any number of historically situations that represent formally similar constellations 69». Même si la sphère publique québécoise de la deuxième moitié du XVIIIe siècle se caractérise aussi par une population majoritairement masculine (nous allons quand même aborder au chapitre suivant la présence des femmes à travers les pétitions), d‘origine européenne (c'est-à-dire, excluant les autochtones), elle reste surtout illettrée. Pourtant, à travers l‘analyse des pétitions collectives, nous identifions quelques couches plus « cultivées » parmi la population : des professionnels, des marchands, etc.; nous y reconnaissons donc la croissance du rôle de la bourgeoisie canadienne (marchande surtout) d‘après Conquête, contrairement à celle des propriétaires fonciers. En effet, la bourgeoisie prend de plus en plus de place, mais les seigneurs (la noblesse militaire, la noblesse administrative, mais aussi les marchands, les artisans et les ecclésiastiques) participent quand même à la présentation des pétitions collectives aux autorités.

68 « C‘est précisément cette société de débats que la Nouvelle-France, devenue Province of Québec, découvre au lendemain de la Conquête anglaise, avec l‘introduction de l‘imprimerie en 1764 et la formation d‘un « espace public» propice à l‘émergence du littéraire. Si, sous le Régime français, les principaux écrits produits par des métropolitaines de passage se destinaient d‘abord à la France, un nouveau sens de l‘appartenance voit le jour parmi les Canadiens après 1760», dans Bernard Andrès et Marc André Bernier, Portrait des arts, des lettres et de l'éloquence au Québec, 1760-1840. Histoires littéraires des canadiens au XVIIIe siècle, Québec, Presses de l'Université Laval, 2002, p. 16. 69 Jürgen Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere: an Inquiry into a Category of Bourgeois Society, Cambridge, Mass., MIT Press, 1989, p. xvii.

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Malgré cela, pour Habermas ce n‘est pas la seule composition des classes dont proviennent les membres qui agissent dans la sphère publique qui la rende bourgeoise. C‘est plutôt la société qui est bourgeoise, et la société bourgeoise engendre une certaine forme de sphère publique. Comme nous l‘avons déjà mentionné, nous assistons au passage d‘une société dite d‘Ancien Régime à une autre dite moderne. Dans ce sens, la société civile du XVIIe et du XVIIIe siècle s‘est développée comme « the genuine domain of private autonomy [that] stood opposed to the state 70».

Alors, dans cette sphère publique où l‘accès est garanti à tous les participants, se forme donc l‘opinion publique et, au dire d‘Habermas, de Sara Lennox et Frank Lennox, une partie de la sphère publique advient et se déploie à chaque conversation amorcée par les particuliers qui s‘assemblent pour constituer un corps public. De plus,

They then behave neither like business or professional people transacting private affairs, nor like members of a constitutional order subject to the legal constraints of a state bureaucracy. Citizens behave as a public body when they confer in an unrestricted fashion –that is, with the guarantee of freedom of assembly and association and the freedom to express and publish their opinions- about matters of general interest71.

Nonobstant, pour Yvan Lamonde, la « consécration » de la formation d‘un espace public n‘est arrivée qu‘après l‘instauration du système parlementaire. Selon l‘auteur,

La campagne électorale de 1792 consacre la formation d'un espace public par des débats à propos de « l'intérêt public » ou du « bonheur public ». L'opinion publique naît de cette discussion publique dans diverses « publications » et de cette « publicité » que se donnent les candidats dans les gazettes ou dans la quinzaine de feuilles volantes et de brochures qui circulent lors de la campagne électorale72.

Dans la même voie, Jeffrey L. McNairn place au XIXe siècle l'émergence d'une opinion publique au Haut-Canada73. Spécifiquement, l‘auteur marque le moment des discussions

70 Ibid., p. 12. 71 Habermas, Lennox et Lennox, « The Public Sphere », p. 49-55. 72 Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, Volume I: 1760-1896, Saint-Laurent, Fides, 2000, p.40. 73 Jeffrey L. McNairn, The Capacity to Judge: Public Opinion and Deliberative Democracy in Upper Canada, 1791-1854, Toronto, University of Toronto Press, 2000.

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sur la constitution du Haut-Canada (son contenu, sa forme et sa portée) comme moment de création d‘une « opinion publique », « as a new form of authority 74». Mais c‘est surtout l‘importance des associations volontaires dans les villes qui compte dans la création d‘une opinion publique à l‘époque pour l‘historien. Cependant,

Most of these groups had no formal connection to politics, although gatherings of the like-minded undoubtedly occasioned casual political discussion. Voluntary associations were, however, political in a number of senses. The exponential growth of their number and range between 1820 and 1840 created and maintained a social space for the development of public opinion. Some associations were also political because they sought to influence government policy or officials. Some were political in that they were vehicles for the ideas and ambitions of those who felt slighted by existing political structures75.

Nous sommes pourtant de l‘avis, que la formation d‘un espace public est en cours dès la période précédente à celle identifiée par Lamonde. En fait, d‘après nous, l'opinion publique se trouve déjà dans les discussions publiques ayant eu lieu depuis le tout début de l‘établissement du gouvernement civil. La population discute sur des sujets concernant le bien public ou le bien commun, avec des argumentations pour et contre ces sujets. Surement avec l‘apparition du système représentatif, la compétition politique, les discussions dans la Chambre d‘assemblée (répandues aussi dans les publications officielles ou autres) et le débat public, l‘opinion publique est plus visible dans cette période. Mais cela ne nous empêche pas de confirmer son existence bien avant la période identifiée par Lamonde.

Revenant au concept de sphère publique habermasienne, il faut souligner que celui-ci correspond en tout point à l‘idéal des Lumières : valorisation de la rationalité, infinie confiance en l‘être humain, croyance en la capacité des sociétés de s‘autogouverner. Ainsi, la sphère publique devient pour Habermas l‘outil par lequel les sociétés peuvent s‘autogouverner : des conflits se régleraient grâce à une participation du public. Cet aspect du concept de la sphère publique constitue probablement un des éléments les plus utopiques de la thèse élaborée par le philosophe. Mais comme cet élément renvoie à un des fondements démocratiques les plus précieux – le gouvernement du peuple par le peuple –, il

74 Ibid. p. 24. 75 Ibid. p. 68.

29 connaît forcément une belle popularité encore aujourd‘hui. L‘idée que le peuple décide des politiques publiques et de l‘orientation générale de la gestion politique est fermement ancrée dans le système politique occidental. Ainsi, la Constitution américaine s‘amorce par ces mots : « We, the people… ». Toutefois, nous ne nous pencherons pas sur cet aspect dans la présente étude.

1.3 L’opinion publique

Quant à l‘opinion publique, elle se forme dans cette sphère publique. Selon Van Horn Melton, pendant la période des Lumières le public acquiert une nouvelle signification à cause de la reconnaissance par l‘État du pouvoir de l‘opinion publique dans la vie politique. Cependant, selon Zaret, « [...] the ―invention‖ of public opinion as a political force occurred well before the Enlightenment, in a more popular social milieu, a consequence not of theoretical principles but of practical developments that flowed from the impact of printing on traditional forms of political communication 76», et ce, dans l‘espace public créé par la Révolution anglaise. Grâce à l‘importance de l‘imprimerie, les pétitions (et d‘autres moyens de communication traditionnels) empruntent de nouvelles voies, autant dans leur contenu que dans leur portée77. L‘importance attribuée aux pétitions ne vient donc pas seulement du fait qu‘elles sont un message politique en elles-mêmes, mais aussi du fait qu‘elles constituent un outil privilégié pour transmettre leur message de la périphérie vers le centre (entendons le centre du pouvoir politique). Or, les pétitions collectives sont un outil qui reflète l‘opinion publique après le rassemblement et la discussion des gens sur des sujets concernant le bien public. L‘opinion publique repose donc sur la raison, mais aussi sur la participation.

Or, il faut souligner l‘apport de Baker sur l‘invention de l‘opinion publique en tant que source de légitimité, et l‘opinion publique devenue autorité politique, comme ultime

76 David Zaret, Origins of Democratic Culture, p. 6. Voir aussi Zaret, « Religion, Science, and Printing in the Public Spheres in Seventeenth-Century England » dans Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, p. 221-234. 77 « Unacknowledged change in petitioning supplied a practical precedent for ―people‘s public use of their reason‖ which Habermas describes as an elite, 18th century development », dans David Zaret, « Petitions and the "Invention" of Public Opinion », p. 1498.

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instance politique78. Illustrons cela par un exemple : en 1786, les autorités métropolitaines demandent au gouverneur Carleton, dans des instructions générales et particulières, de dresser un rapport concernant « l‘opinion du peuple » sur la modification de la constitution de la province de Québec, à la suite des nombreuses représentations faites dans ce sens. Il semble donc que les autorités coloniales prennent soin d‘entendre l‘opinion publique en tant que source d‘« autorité politique » 79. Et cela, jusqu‘au point que, encore en 1834, un législateur à l‘Assemblée du Haut-Canada conclut « The government of England is a government of public opinion 80».

Faisons le point, l‘opinion publique renvoie aux vues de ceux qui se sont assemblés pour discuter de manière critique et rationnelle sur un sujet précis81 : voilà ce qui nous intéresse dans les pétitions collectives adressées aux autorités politiques de l‘époque. Nous allons toucher à beaucoup d‘exemples dans les prochains chapitres, entre autres, concernant la réaction de l‘opinion publique à l‘Acte de Québec. En somme, c‘est au moyen de cet outil que la population québécoise participe et discute des intérêts que partagent ses membres, faisant ainsi entendre l‘opinion publique.

De plus, l‘absence d‘institutions représentatives classiques – telle que la Chambre d‘assemblée demandée répétitivement après 1764 — donne une nouvelle perception de l‘identification de l‘« opinion publique », qui peut désormais se retrouver un peu partout dans les différents espaces de discussion et de sociabilité. Toutefois, même dans un contexte d‘absence d‘institutions parlementaires classiques, à partir de l‘instauration de l‘Acte de Québec (1774), l‘accès de la population locale aux fonctions ou charges publiques (entre autres au Conseil législatif en ce qui concerne les élites) leur donne l‘occasion de discuter sur des sujets concernant la paix, le bien-être et le bon gouvernement

78 Baker, « Public Opinion as Political Invention», et aussi Baker et Roger Chartier, « Dialogue sur l'espace public», p. 13-15. 79 « […] qu'il [le gouverneur Carleton] transmette un rapport aussitôt que possible indiquant l'état réel de l'opinion du peuple en général à l'égard des demandes qui ont été faites pour modifier la constitution actuelle de Québec et si les anciens sujets (canadiens) désirent quelques modifications et en ce cas quel en est le caractère», dans « Projet de directions générales pour Sir Guy Carleton», Shortt et Doughty, DC, p. 797-798. 80 McNairn, The Capacity to Judge, p. 186. 81 Voir Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, p. 17.

31 de la province82. Alors, nous partageons les nuances apportées par les auteurs de Québec, quatre siècles d’une capitale : « Quoique ses membres soient désignés et non élus par les citoyens, le nouveau Conseil [Conseil législatif] constitue aux yeux de la métropole un organe représentatif de la population 83».

1.3.1 Espaces de sociabilité

Nous avons vu que l‘opinion publique se manifeste dans différents espaces de discussion et de rassemblement, donc des espaces de sociabilité. Au Québec, pour dresser une représentation aux autorités coloniales, pour en discuter ou, à tout le moins, pour être au courant du contenu de la représentation en question, la population se rassemble quelque part. Ainsi, il semble pratique courante de se réunir pour délibérer sur différentes questions. Par exemple, en 1766, à l‘occasion de l‘arrivée du gouverneur Carleton à Québec, on dépose une adresse de bienvenue dans un coffeehouse de la ville pour être signée par les membres de la population. À cette occasion, environ soixante-dix personnes, dont un tiers des Canadiens, signent cette adresse84.

Aussi, à l‘époque de la discussion sur la possible création d‘une Chambre d‘Assemblée, en 1773, les marchands britanniques tentent de s‘associer aux Canadiens pour en discuter. Le négociant Pierre Guy* écrit à son ami François Baby à cet effet,

Nous fumes invités il y a quelques jours à une assemblée tenue au Café de notre Ville [Montréal] par Messieurs les anciens Sujets qui nous donnèrent communication d‘une lettre et mémoire à eux adressés par les anciens Sujets résidents en la ville de Québec, concernant les représentations à faire pour un règlement pour affaires de la Colonie, dans lequel ils demandent une chambre d‘assemblée […]85

82 « L'Acte de Québec», Shortt et Doughty, DC, p. 557. 83 Blais et al, Québec, quatre siècles d‘une capitale, p. 175 et note 7. 84 Malgré le fait que « There it occasioned ―great disputes and very high words‖, because it proudly referred to the acceptance of the Stamp Act in Canada and loyally acknowledged the authority of parliament to legislate for Canada », dans Burt, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 122. 85 Lettre de Pierre Guy à François Baby, 27 novembre 1773, APC, MG 24 (Collection Baby), extrait de Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 166.

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Au Québec, il existe à l‘époque quelques espaces de sociabilité où des gens s‘assemblent pour discuter et échanger des idées, notamment, la Taverne de Frank ou Frank's Tavern, le British Coffee House, le Marchant's Coffee House, le Thespian Theatre. Ces espaces de sociabilité continuent à être privilégiés tout au long des années qui précédent la promulgation de l‘Acte de Québec. Également, en 1774, les marchands de Montréal et Québec se réunissent dans les coffeehouses, tavernes, et autres lieux pour discuter au sujet des lettres envoyées par le Congrès continental américain (Coercive Acts, Acte de Québec, etc.)86. Outre ces espaces de sociabilité, il faut mentionner le rôle de l‘Académie de Montréal, fondée en 1778 par Valentin Jautard* et * en l‘honneur du philosophe Voltaire. Cette instance savante se donne pour objectif de développer l‘esprit critique dans la Province.

En Angleterre, selon l‘analyse de Bradley, les espaces de sociabilité mentionnés plus haut (coffeehouses, tavernes) sont aussi privilégiés pour réunir ceux qui veulent, par leurs signatures, appuyer le contenu d‘une pétition donnée, donc sa politique87. Ainsi, « The practice of depositing the document at some convenient public place to be signed during specified hours of the day was common », mais aussi « The alternative method was for the leaders to carry the petition by hand from house to house [...] 88».

La sociabilité urbaine — et les endroits privilégiés où elle s‘exprime — continue à se développer au-delà de notre période d‘étude. Ainsi, une fois promulgué l‘Acte Constitutionnel de 1791, les tenants d'une Chambre d'assemblée doivent dorénavant préparer son établissement et son fonctionnement et envisager une première élection dans un pays qui ne connaît point ces usages, ce que Lamonde nous décrit : « dès janvier 1792, réunis à la taverne Frank's à Québec, des citoyens fondent le Club constitutionnel pour généraliser la connaissance de la Constitution britannique et faciliter l'apprentissage des

86 Fenton, « Petitions, Protest, and Policy », p. 295. 87 Il s‘invitait au coffee house Crompton à Manchester, à tous ceux qui voulaient appuyer l‘autorité législative; à la taverne Fletcher à tous ceux qui voulaient la réconciliation entre la Grande-Bretagne et ses colonies; également, ils se réunissaient à la King’s Arms Tavern ou à la London Tavern. Voir Bradley, Popular Politics. 88 Ibid., p. 63.

33 règles des assemblées délibérantes. On y débat et en discute 89». L‘opinion publique émerge donc dans les différents espaces de sociabilité mentionnés. Aussi, dans ce contexte apparaissaient l‘imprimerie et la presse, outils qui favorisent le débat et laissent des traces de cette opinion publique.

Bien que les concepts de sphère publique et d‘opinion publique autour desquels s‘organise cette étude soient « reconstruits » à partir des discours de l‘époque, ils représentent deux idéaux types pour reprendre l‘expression de Max Weber. Ils sont, d‘abord et avant tout, des catégories d‘analyse qui nous permettent de donner un sens à l‘histoire politique québécoise au moment de l‘établissement du gouvernement civil britannique.

1.4 L’imprimerie et la presse

Habermas décrit dans son ouvrage la naissance de la sphère publique bourgeoise dans l‘Angleterre du XVIIe siècle. La presse qui y naît, de même qu‘en France ou en Allemagne, constitue un instrument du pouvoir politique qui y transmet décrets, informations sur la police, sur les cours des places boursières, les prix des produits de toutes sortes. Même si les informations sont destinées à l‘ensemble de la société, les « couches cultivées » ainsi que les commerçants constituent la base véritable du public lecteur. Comme l‘État intervient de plus en plus dans le domaine de la vie économique, le groupe des éditeurs, manufacturiers et fabricants commence à dépendre de manière croissante des mesures prises par l‘administration.

Au Québec, même si les progrès sont lents, l‘imprimerie fait beaucoup de chemin depuis la fin du régime français. Avant la Conquête, aucun journal ni livre n‘est publié dans la colonie; on doit donc importer les livres d‘Europe. Il n‘y a pas non plus de bibliothèque publique où les gens peuvent emprunter des livres et ce, jusqu‘en 1783. En fait, la première bibliothèque publique ouvre à Québec sous l‘auspice du gouverneur Haldimand. C‘est lui qui dote les Canadiens d‘une certaine forme d‘ « instruction » et, en outre, il veut contrer la propagande et les rumeurs qui circulent au sein de la population à propos de la guerre dans

89 Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, p. 39.

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les colonies américaines et des intentions de la France quant à ses anciennes colonies90. Selon le gouverneur,

Le peu de ressources que nous trouvons icy et ayant lieu de m'apercevoir tous les jours que l'ignorance de ces peuples est un des plus grands obstacles que nous ayons à vaincre pour leur faire connaître leurs devoirs et leurs propres Interest m'a fait naître l'idée d'établir une bibliothèque Publique. J'ay fait convenir l'Evêque et le Supérieur du Séminaire de l'Avantage qui en résulteroit; Ils sont entrés dans mes idées et j'ay fait ouvrir une Souscription qu'ils ont signé avec moy de même que plusieurs prêtres, presque tous les marchands anglais et plusieurs Canadiens [...]91.

Toutefois, ces bibliothèques dites « publiques » ne sont accessibles qu‘à une partie restreinte de la population92.

Quant à elle, la première gazette hebdomadaire du Québec naît le 21 juin 1764. C‘est la Gazette de Québec fondée à Québec par William Brown* et Thomas Gilmore*, deux imprimeurs venus de Philadelphie. Ils envisagent de faire du journal un organe d‘information, de divertissement et d‘utilité publique. En outre, même si ses fondateurs visent à obtenir 300 souscripteurs, ils ne recrutent que 143 abonnés93. Il faut souligner que le prix de l‘abonnement annuel au journal est très élevé en plus des frais de poste.

La Gazette de Québec/Quebec Gazette, est un journal bilingue et contient des nouvelles locales et étrangères (surtout ces dernières), des annonces officielles provenant du gouvernement colonial et des publicités. Dorénavant, on nomme ce genre de publication périodique du « papier-nouvelles 94» ou « gazette », tel que leurs noms l‘indiquent souvent.

En plus, comme le souligne l‘analyse de Tousignant,

90 Blais et al, Québec, quatre siècles d‘une capitale, p. 182-183. 91 Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, p. 73. 92 Voir Lamonde, ibid., concernant les conditions de souscription qui empêchaient la majorité de la population de jouir de cette nouvelle institution. 93 Jean-Francis Gervais, « Brown, William », DBC, http://www.biographi.ca/009004-119.01- f.php?BioId=35898, consulté le 1er novembre 2012. 94 De l‘anglais newspaper.

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Officiellement neutre, La Gazette de Québec ne servit pas moins d‘instrument d‘apprentissage des libertés anglaises aux Canadiens français. Ayant commencé à paraître à l‘époque de la crise du Stamp Act, l‘occasion était favorable d‘instruire les habitants de la province de Québec « de ce qui se passait » alors en Angleterre et dans les colonies voisines. Pendant quelques années, avant que ne s‘affermisse l‘autorité du gouverneur Carleton qui devait exercer une surveillance rigoureuse, les éditeurs eurent la liberté de rapporter les nouvelles de leur choix95.

Effectivement, la Loi du Timbre (Stamp Act) promulguée en 1765 contrevient au principe connu « pas de taxes sans représentation » et elle a pour effet la restriction de la presse. La Gazette de Québec cesse sa publication le 31 octobre 1765 pour ne la reprendre qu‘en mai 1766, après l‘abolition de la Loi96. Malgré cette situation, la publication d‘articles et de lettres au cours des premières années (soit avant l‘intervention de l‘« Imprimatur » de Carleton à partir de 1770) montre une remarquable « liberté de presse » et des discussions fort importantes au sujet de la taxation, des droits, etc97. Dans ce sens, Gilles Galichan constate que « les gouverneurs se sont attribué les pouvoirs de tolérer, d‘interdire ou de condamner toute publication sur laquelle ils n‘exerçaient pas un plein contrôle98 ». Pourtant, durant la guerre d‘indépendance américaine, la Gazette demeure loyale au gouvernement, mais elle cesse momentanément de paraître lors du siège de Québec, en 177599.

Une deuxième publication du même genre est créée à Montréal en 1778 par l‘immigrant français Fleury Mesplet, envoyé par le Congrès américain en tant qu‘imprimeur de langue française. Il fonde la Gazette du commerce et littéraire, pour la ville et district de Montréal. Bien que l‘imprimeur veuille contribuer au développement du

95 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 22. 96 Gilles Gallichan, « La censure politique », dans Fleming et al, Histoire du Livre et de L'imprimé Au Canada, Volume I : Des débuts à 1840, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 2004, p. 340-341. 97 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 27-33. 98 « Ils pouvaient s‘appuyer sur les lois en vigueur et traduire en justice un imprimeur ou un journaliste en l‘accusant de libelle ou de sédition en vertu du droit coutumier anglais, qui interdisait de répandre des nouvelles susceptibles d‘entrainer la discorde entre le roi et ses sujets », Gallichan, « La censure politique », p. 339. 99 Cependant, Brown publie deux numéros spéciaux durant le siège, le 14 et le 21 mars 1776; André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise : des origines à nos jours, Tome 1 : 1764-1859, Québec, Presses de l‘Université Laval, 1973 (1965), p. 2.

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commerce au Québec, il désire aussi l‘instruction et divertissement des lecteurs. De plus, il interpelle la jeunesse à participer au journal comme espace de réflexion et d‘échange et ainsi « initier du coup les Canadiens à l‘utilisation de l‘―espace public‖ 100». Valentin Jautard, le principal rédacteur de Mesplet, collabore activement à la publication sous le pseudonyme Le spectateur tranquille, et propose aussi divers sujets de réflexion pour le public. Ainsi, selon Nova Doyon, « les collaborateurs amorcent une critique de la société telle qu‘elle est en train de se mettre en place au lendemain de la Conquête », puisque « l‘espace offert par le journal permet de forger l‘opinion publique en favorisant la diffusion des idées nouvelles 101». Toutefois, interdite après un an d‘existence, le journal de Mesplet et Jautard n‘est relancé qu‘en 1785, plus conforme aux normes de l‘époque, sous le titre de La Gazette de Montréal/The Gazette.

Outre les deux journaux mentionnés ci-dessus, d‘autres sont créés vers la fin du XVIIIe siècle tel que Le Courier de Québec ou Héraut François et le Quebec Herald, Miscellany and Advertiser, tous deux en 1788102. Malgré les épisodes de censure mentionnés, les Canadiens sont dès lors au courant des sujets d‘intérêt commun ou public, du fait que les colonies américaines refusent de se soumettre aux lois anglaises en matière de taxation et ils sont alors en mesure de faire des représentations aux autorités coloniales à plusieurs égards.

Les journaux servent aussi aux fins de publier les pétitions dressées par la population. Par exemple, en novembre 1788, la Gazette de Québec reproduit « La très Humble Adresse des Citoyens et Habitants Sujets Canadiens de différents Etats dans la Province de Québec en Canada au Roi », dont ils réclament la conservation de leurs droits, vu que les nouveaux sujets demandent l‘établissement d‘une Chambre d‘assemblée103». Puis en décembre, il parait une requête des marchands britanniques de Québec et Montréal, s‘opposant à l‘adresse antérieure et rappelant aux autorités la promesse qui leur avait été faite en 1784

100 Nova Doyon, « Valentin Jautard, un critique littéraire à la Gazette littéraire de Montréal (1778-1779) », dans Andrès et Bernier, Portrait des arts, des lettres, p. 101-108. 101 Ibid., p. 103. 102 Beaulieu et Hamelin, La presse québécoise, p. 8-9. 103 Gazette de Québec, 13 novembre 1788.

37 d‘une Chambre d‘assemblée, même si « That by Your Lordship‘s condescension, the Inhabitants of this Province have been favored with a publication in the Quebec Gazette of the Petitions to His Majesty and to Your Lordship, lately presented in the name of the Canadians 104».

104 Gazette de Québec, 11 décembre 1788.

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Figure 2: Pétition présentée à Lord Dorchester, reproduite dans la Gazette de Québec.

Source : Gazette de Québec, 11 décembre 1788.

Comme en témoignent, en 1790, les observations de l‘évêque de Québec :

Si, depuis 1775 […] on ne trouve pas toujours le même empressement, la même soumission à l‘autorité publique, n‘a-t-on pas droit de s‘en prendre au progrès qu‘a fait parmi nos Canadiens l‘esprit de liberté et d‘indépendance, amené d‘abord par la circulation des manifestes des Anglo-américaines, au commencement de la dernière guerre, et répandu depuis par la multiplication et la licence de nos gazettes et par la liberté des conversations sur les affaires publiques105?

En fait, le contenu de quelques pétitions repérées fait état de cette situation.

Néanmoins, on remarque une différence considérable dans la production de journaux, de brochures et de livres durant la même époque entre le Québec et les Treize colonies

105 « Mémoire de l‘évêque de Québec à Lord Dorchester », 20 mai 1790, cité par Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, p. 33.

39 américaines106. Malgré cela, il faut tenir compte du contexte québécois de l‘époque : des difficultés financières fréquentes, la lente colonisation et le faible accroissement de la population, l‘apparition assez étale des centres urbains ainsi que des communications difficiles et irrégulières.

1.4.1 Métier d’imprimeur

Dans les colonies, « l'imprimerie est alors un métier polyvalent »; si l'imprimeur de Québec ou de Montréal publie une gazette pour vivre ou survivre, il accomplit aussi d‘autres travaux; il offre en vente des livres et de la papeterie, il relie journaux, brochures et livres, il est parfois responsable du « bureau de la poste » ou fabrique même du papier comme dans le cas de James Brown*107. De plus, tel que l‘affirment Hare et Wallot « le patronage de l‘État favorise le succès des entreprises, encore que l‘État paie peu et en retard108 ». Dans ce sens, les imprimeurs Brown et Gilmore –les fondateurs de la Gazette de Québec — pétitionnent à maintes reprises, depuis 1765, demandant l‘argent qui leur est dû pour des travaux faits pour le gouvernement; c‘est le cas des pétitions de février, juin et décembre 1765 et, en 1771, concernant des impressions réalisées pour le bureau du Secrétaire. En août 1768, les imprimeurs pétitionnent de nouveau, mais cette fois-ci, pour l'augmentation de leur salaire. Ainsi, au début de 1769

The Committee having likewise read and considered the Petition of Brown & Gilmore Printers, praying an addition to their Salary as Printers to the Government; Are of Opinion that the sum of Twenty six pounds Sterling per annum should be added to their Salary as an Equivalent for the Business they do for the Government, which addition is also stated in the foregoing Publick accompt of Disbursements & Contingencies for the last half year109.

106 Au Québec, entre 1764 et 1774, le nombre de livres et de brochures produits oscille autour d‘une moyenne de 4 par année, dont 66 % comptent moins de 4 pages. Entre 1775 et 1786, ces chiffres grimpent à 12 par année, 61 % ayant moins de 4 pages; de 1787 à 1809, la moyenne atteinte 21 par année, dont 43 % de moins de 4 pages, John Hare et Jean-Pierre Wallot, « Les entreprises d‘imprimerie », dans Fleming et al, Histoire du livre et de l’imprimé, p. 79. 107 Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, p. 72, et Hare et Wallot, « Les entreprises d‘imprimerie », p. 78 : « Dans toutes les colonies, l‘imprimeur est souvent aussi éditeur, journaliste, libraire, relieur, fournisseur d‘articles de bureau et parfois propriétaire d‘une papeterie ». 108 Ibid., p. 77. 109 Journaux de Conseils, Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 44.

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À la lumière de ce qui précède, on peut constater qu‘il existe une évidente relation entre les imprimés et le pouvoir, puisque les imprimeurs accomplissent différents travaux pour le gouvernement, surtout l‘impression de règlements et d‘avertissements à la population et, dans certains cas, ils reçoivent même un salaire fixe. De plus, depuis 1764, la Gazette de Québec publie des lois et des ordonnances par ordre du gouverneur James Murray, devenant dans la pratique une publication semi-officielle110. Bien que Brown et Gilmore n‘utilisent pas le titre officiel d‘« imprimeurs du roi », ils le deviennent de facto111.

1.4.2 Pamphlets et libelles

À l‘époque paraît aussi une littérature de type pamphlets et libelles politiques, ciblant certainement un public assez restreint112 dû entre autres, aux multiples références classiques (pensons entre autres aux philosophes Voltaire, , Pufendorf, Grotius, Machiavel). C‘est le cas de Pierre Du Calvet* dans ses écrits – tout particulièrement dans son Appel à la justice de l’État 113—, de Fleury Mesplet, qui publie le premier journal hebdomadaire montréalais de langue française, et de Valentin Jautard dans la Gazette du commerce et littéraire, pour la ville et district de Montréal. Ce dernier publie un papier connu sous le nom de Tant pis, tant mieux, du genre libelle « qui se permettait d‘attaquer la sage politique du gouvernement anglais et surtout de combattre le despotisme du suisse Haldimand114 ». En 1779 et en 1780, le gouverneur Haldimand décide de sévir contre ces deux derniers publicistes jugés licencieux, et ils sont arrêtés. Jugé suspect, Pierre du Calvet est aussi emprisonné (pendant 948 jours), sans procès115. C'est pourquoi Bernard Andrès

110 Gilles Gallichan, « Les publications officielles », dans Fleming et al, Histoire du livre et de l’imprimé, p. 328. 111 Ibid. p. 329. 112 Michael Schudson, « Was There Ever a Public Sphere? If So, When? Reflections on the American Case », dans Calhoun, dir., Habermas and the Public Sphere, p. 143-163. 113 Formé d'un recueil de lettres adressées au Roi, au Prince de Galles, au Gouverneur Général Fréderik Haldimand, au secrétaire d'État et au peuple canadien lui-même, son Appel représente à la fois une protestation contre les injustices dont lui et ses amis furent victimes, la tyrannie du gouverneur Haldimand et un plaidoyer pour des institutions plus démocratiques pour le Canada. 114 Bulletin des recherches historiques, Volume XII, Nº 11 (1906), p. 321-324. 115 Annie Saint-Germain, « De héros révolutionnaire à héraut pamphlétaire : le cas de Pierre Du Calvet (1735- 1786) », dans Andrès et Bernier, Portrait des arts, des lettres, p. 213-225.

41 suggère que Mesplet, Jautard et Du Calvet : « forment un trio d‘agitateurs ou d‘animateurs, pionniers de l‘espace public116 ».

Un bel exemple de la réaction de la population dans l‘espace public, relié à l‘un des personnages que nous venons de mentionner : une pétition des citoyens de Montréal (août 1778) en faveur de l'imprimeur Fleury Mesplet, appuyant sa conduite et son intention de publier un papier périodique. Adressée au gouverneur Carleton, la pétition reconnaît :

[…] son zèle [celui à Mesplet] pour procureur de l‘Instruction & de l‘Amusement, en donnant un Papier Périodique, nous marque un bon Patriote. La Loi qu‘il s‘est imposé de ne traiter que des matieres qui ne regardent, ni l‘Etat, ni la Religion, nous prouve sa délicatesse; nous n‘y voyons que des Instructions pour les Jeunes Gens, & du plaisir pour tous117 (voir figure 2).

Quelques mois après la première publication du journal118, s‘en étant pris au clergé en critiquant l‘instruction dispensée dans les collèges et dénonçant des irrégularités du système judiciaire dans la Province, l‘imprimeur reçoit en fait l‘ordre du gouvernement de quitter la province. Le gouverneur est convaincu que ces publications servent à véhiculer les idées des Lumières et qu‘elles sont une propagande en faveur des insurgés américains. Néanmoins, nous partageons l‘opinion des auteurs d‘Histoire du livre et de l’imprimé... selon laquelle on ne peut pas parler de censure tout court au Québec, mais plutôt de censure discrétionnaire, car « elle s‘applique à un fait accompli et souvent lors d‘une crise119 ».

Dans cette littérature de type pamphlets et libelles politiques, il faut souligner l‘importance du rôle du « publiciste ». Ce nouveau personnage essaye, à travers l‘utilisation de genres littéraires variés et mixtes et par des argumentations philosophico — politiques, d‘incarner, en quelque sorte, l‘opinion publique120. En fait, par l‘entremise du publiciste la philosophie du XVIIIe siècle a bel et bien fait son entrée au Québec. On peut partager avec Andrès, le fait que

116 Andrès et Bernier, Portrait des arts, des lettres, p. 21. 117 Fonds Haldimand, vol.21845. 118 Voir Burt, The Old Province of Quebec, Volume II (1778-1791), p. 16. 119 Pierre Hébert, « La censure religieuse », dans Fleming et al, Histoire du livre et de l’imprimé, p. 352. 120 Guerra, Lempérière et al, Los espacios públicos en Iberoamérica, p. 16.

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Leur intérêt [celui de Du Calvet, de Roubaud, entre autres] réside dans l‘idée même de « publication », au sens large que donne encore le XVIIIe siècle à « publier » ou à « publicité ». On aura compris qu‘il s‘agit là de ce que Habermas appelle « espace public », c'est-à-dire, « un forum ou les personnes privées rassemblées en un public s‘apprêtaient à contraindre le pouvoir de se justifier face à une opinion publique121 »122.

Donc, les débats de société menés par les écrivains et publicistes à l‘époque font entendre l‘opinion publique dans l‘espace public québécois de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

121 Habermas, L’espace public, p. 36-37. 122 « Comme l‘ont déjà noté les auteurs de La vie littéraire au Québec, l‘émergence des lettres est ici contemporaine de la création de cet espace et de l‘aspiration démocratique qui s‘y exprime. C‘est ainsi que la plupart de nos premiers écrivains interviennent dans les grands débats de société que marquent le dernier tiers du XVIIIe siècle : statut des « nouveaux sujets britanniques », Acte de Québec, guerre d‘indépendance américaine, liberté d‘expression, projet d‘université, Constitution de 1791, place de la langue française dans les débats à la Chambre d‘assemblée, défense des intérêts canadiens dans la presse ou au Parlement, etc. C‘est à ces occasions qu‘ils font entendre leurs voix, « publient » leurs opinions et affinent leur plume », Andrès et Bernier, Portrait des arts, des lettres, p. 30.

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Figure 3 : représentations des citoyens de Montréal à Carleton, 1778.

Source : Fonds Haldimand, vol. 21845.

1.4.3 Imprimerie et alphabétisation

L‘imprimerie progresse lentement à cette époque et peu de gens savent lire. Selon Lamonde, le taux d'alphabétisation moyen de la colonie est d'environ 16 % et celui de la ville de Québec de 41 %123. Même s‘il est difficile d‘établir un lien entre le développement de l‘imprimé et l‘alphabétisation, nous appuyons l‘avis de Michel Verrette, « la

123 Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, p. 78.

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signification culturelle et sociale de l‘imprimé s‘appuie manifestement sur un lectorat potentiel124 ».

Toutefois, selon la définition actuelle adoptée par les historiens, quelqu‘un qui pouvait à l‘époque signer son nom est considéré comme alphabétisé. Dans ce sens, les pétitions adressées aux autorités constituent l‘une des sources utilisées pour analyser le degré d‘alphabétisation de la population125. Cependant, nous partageons encore l‘opinion de Verrette : « Dans cette perspective, statistiquement, l‘indicateur de la signature surestime sans doute le nombre de gens capables d‘écrire, sous-estime le nombre de ceux qui sont capables d‘une lecture élémentaire, tout en offrant une image juste de la population qui lit assez couramment126 ». Ainsi, parmi les pétitions collectives analysées où la signature semble-t-elle chose courante, nous en retrouvons plusieurs signées d‘une simple croix, ce qui rend compte de la participation de ceux qui ne sont pas censés être alphabétisés. Cela démontre le fait suivant : pour exprimer ses besoins à travers les pétitions, la population n‘a absolument pas besoin d‘être alphabétisée. D‘après Zaret, « Popular interest in petitions was not limited to persons who were able to read them. Petitions were read aloud and discussed in the same public places where oral, scribal, and printed news circulated, in churches, inns, and taverns, often in conjunction with efforts to obtain signatures or marks127 ».

D‘autre part, durant la première moitié du XVIIIe siècle nous constatons une baisse dans le taux d‘alphabétisation. Cela s‘explique par le contexte de guerre, de colonisation et de ruralisation de la population (population essentiellement constituée de défricheurs et d‘agriculteurs qui vivent dispersés sur un vaste territoire) – ce qu‘on a appelé la « canadianisation de la population128 ». Mais cette situation ne passe pas inaperçue pour la population locale. Ainsi, les nouveaux sujets des villes de Québec, Montréal et Trois- Rivières, demandent au gouverneur, en juillet 1770, la réouverture du Collège des Jésuites

124 Michel Verrette, « L‘alphabétisation », dans Fleming et al, Histoire du livre et de l’imprimé, p. 175. 125 Ibid. 126 Ibid. p. 176. 127 Zaret, Origins of Democratic Culture, p. 226. 128 Verrette, « L‘alphabétisation », p. 177.

45 de Québec pour donner une chance d‘avenir à leurs enfants129. C‘est alors dans l‘élite de la société que nous trouvons le lectorat canadien de l‘époque. Cette élite vit principalement en milieu urbain; elle se compose de professionnels, d‘officiers de l‘armée, de gens d‘affaires ou de marchands. On y ajoute les administrateurs coloniaux et les membres du clergé; puis, des artisans, boutiquiers, fonctionnaires et sous-officiers de l‘armée. Selon Laurence

[…] élite dont la moitié sont des anglophones, plus riches, plus instruits et plus soucieux d‘information du fait de leurs fonctions et activités. L‘autre moitié se compose d‘une petite bourgeoisie professionnelle et marchande francophone, de quelques milliers de personnes130.

Nonobstant, la plupart des membres de la population participent donc au monde de la lecture, principalement par l‘entremise de l‘Église catholique. En effet, sur le perron des églises, le dimanche, se produit la lecture publique.

***

Dans l‘ensemble, ce chapitre nous permet de saisir la signification du « public », de la « sphère publique » et de l‘ « opinion publique », ainsi que le rôle de l‘imprimerie et la presse et leur déploiement au Québec entre 1764 et 1791, et comment ceux-ci se relient à la pratique de pétitionner collectivement. Donc, au moyen de ce cadre théorique nous analysons autant le contexte sociopolitique, dans lequel la pratique pétitionnaire se déploie, que les pétitions collectives classiques adressées aux autorités coloniales dans le chapitre suivant.

129 Pétition des Canadiens, 29 juillet 1770, citée par Michel Brunet, La présence anglaise et les Canadiens : études sur l'histoire et la pensée des deux Canadas, Montréal, Beauchemin, 1958, p. 101. 130 Gérard Laurence, « Les journaux dans la ‗Province de Québec‘ et au Bas-Canada », dans Fleming et al, Histoire du livre et de l’imprimé, p. 249.

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CHAPITRE II. Le contexte sociopolitique et les pétitions collectives dans la sphère publique de l’après-Conquête.

Les trente ans qui suivent la Conquête et le Traité de Paris sont d'une importance capitale pour la compréhension de l'histoire canadienne et québécoise. Ces trente années sont marquées, d'une part, par la volonté clairement exprimée dans la Proclamation royale de 1763131, de « britanniser » la colonie par l‘intermédiaire d‘institutions (une éventuelle Chambre d‘assemblée, des lois anglaises) et du peuplement (l‘immigration britannique) et, d'autre part, par la nécessité de composer avec les circonstances et les événements en promettant aux « Canadiens » la protection de leur langue et de leur religion « as far as the laws of Great Britain » le permettent. Ainsi, cette période débute après la Conquête britannique et s‘étend jusqu‘en 1791, avant la création du système parlementaire classique, période pendant laquelle nous centrons notre travail sur la sphère publique québécoise en ciblant les pétitions collectives adressées aux autorités politiques pour découvrir leur contribution au développement d‘une sphère publique éventuellement politique.

Quels ont été les événements sociopolitiques les plus marquants à l‘origine de cet éventuel caractère politique dans la nouvelle « Province de Québec »? Cela dit, nous situer dans le contexte sociopolitique de l‘époque peut nous aider à comprendre pourquoi, comment et dans quelle mesure le fait d‘adresser des pétitions aux autorités politiques, de « pétitionner », est devenu une pratique participative politique dans la sphère publique québécoise. À ce propos, dans ce chapitre nous faisons le point sur la population locale (les « nouveaux sujets ») et la population nouvellement arrivée (les « anciens sujets »), les relations entre elles et avec les administrateurs coloniaux, en passant par la politique de « britannisation », l‘Acte de Québec de 1774 et finalement l‘Acte constitutionnel de 1791. Bref, nous nous concentrons sur le contexte sociopolitique dans lequel les discussions de la population et la formation de l‘opinion publique se manifestent dans la sphère publique québécoise au moyen des pétitions collectives.

131 Par la Proclamation royale d‘octobre 1763, la Grande-Bretagne crée la « Province de Québec », dans la partie colonisée de la vallée du Saint-Laurent.

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2.1 L’après-Conquête

La guerre de la Conquête laisse un lourd héritage : un pays en partie dévasté, de la disette, l‘inflation, parmi d‘autres. Notons que la campagne de Québec132 est beaucoup moins affectée que la ville qui est ruinée après avoir subi deux sièges. Globalement, Québec et ces zones sont les plus durement touchés, le reste de la vallée du Saint-Laurent ayant été épargné sur le plan des destructions, mais pas sur les autres points relevés. D‘autre part, la ville a dû loger la garnison britannique. Illustratif à cet égard, le 18 octobre 1764, les bourgeois et d'autres habitants de la Haute ville de Québec, présentent une pétition demandant d‘être récompensés pour avoir logé des officiers de la garnison, depuis la conquête de cette province133. Selon Harris, « la présence militaire dans les villes s‘est accrue. À Québec, l‘armée britannique répare et agrandit les fortifications, transforme certains des édifices institutionnels du Régime français (le collège des Jésuites, le palais de l‘Intendant) en baraques et entrepôts militaires et s‘approprie 40% de la haute-ville 134».

Malgré les désastreuses circonstances, certains profitent de l‘occasion pour spéculer (quelques bouchers, boulangers, importateurs), « Il fallait maintenant réparer les désastres et amorcer la reconstruction135 ». Défi autant pour les nouvelles autorités coloniales que pour la population.

Avec la Conquête, la structure économique de la nouvelle colonie ne change pas dramatiquement : les fourrures dominent le commerce international136 et les produits agricoles tels le blé et le bétail, demeurent ceux pour l‘économie de subsistance. D‘après Fernand Ouellet, « comme l‘économie coloniale repose avant tout sur le commerce des pelleteries, le leadership de la société appartient naturellement aux éléments hétérogènes qui composent la bourgeoisie : les négociants, les traiteurs, les nobles, les militaires et les

132 Avec de nuances pour la Côte-du-Sud et les autres zones ayant subi elles aussi des dévastations. 133 Journaux du Conseil, Volume A (13 août 1764 à 22 mai 1765), p. 72. 134 Harris, Le pays revêche, p. 251. 135 Fernand Ouellet, Histoire économique et sociale du Québec, 1760-1850 : structures et conjoncture, Montréal, Fides, 1966, p. 45. 136 « En 1770, les fourrures représentent 76 % des exportations totales du Québec; en 1788, 51,4 % », ibid., p. 37.

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administrateurs137 ». Toutefois, l‘agriculture est aussi importante pour l‘économie et le développement de la société. Selon Gérard Bouchard, « La vie paysanne se base sur une économie à occupations multiples (pluriactivité) où, fréquemment, les activités commerciales et de subsistance ainsi que le travail sur la ferme et à l‘extérieur de la ferme sont essentiels138 ».

L‘articulation économique entre la colonie et l‘empire, reste donc basée sur les principes du mercantilisme : la colonie fournit une matière première, les fourrures, et secondairement le blé, et, en retour, elle achète les produits manufacturés et autres produits britanniques importés de la métropole (beaucoup de vin européen par exemple, mais qui transite par l'Angleterre). Après 1785, les rapports deviennent plus hétérogènes : aux fourrures s‘ajoutent les céréales et les produits forestiers de même que la potasse et la perlasse139. Le contexte qui, pendant le Régime français, avait favorisé la main-d‘œuvre (la paysannerie) s‘est transformé en faveur de la propriété terrienne (les seigneurs et grands propriétaires)140.

Ce contexte socio-économique empreint les relations dans la sphère publique québécoise : parmi la population et, à l‘intérieur de celle-ci, parmi les différents groupes ethniques et professionnels, et entre celle-ci et les autorités coloniales. De plus, dans les discussions sur les intérêts communs des gens où il ressort l‘opinion publique, les pétitions collectives fournissent un outil pour la véhiculer.

2.1.1 La population

i. Les « Canadiens » ou les « nouveaux sujets »

Après la capitulation qui donne à l‘Empire britannique la possession des territoires français de l‘Amérique du Nord (1760), les habitants de ces contrées deviennent « Subjects of the King » ou, comme nous les appellerons désormais dans notre travail, les « nouveaux

137 Fernand Ouellet, « Les classes dominantes au Québec, 1760-1840. Bilan historiographique », Revue d'histoire de l'Amérique française, 38, 2 (1984), p. 223-244. 138 Repris de Harris, Le pays revêche, p. 235. 139 Ouellet, Histoire économique et sociale, p. 20. 140 Harris, Le pays revêche, p. 232.

49 sujets ». Hilda Neatby souligne, en parlant d‘eux : « It was inevitable that they should be viewed not primarily as a community, and certainly not as a potential nation, but as an economic factor141 », en acceptant le fait qu‘il s‘agit d‘une guerre entre deux empires pour des intérêts commerciaux. Or, les territoires qui s‘étendent le long du Saint-Laurent et des Grands Lacs sont une défense naturelle dans une éventuelle guerre avec les colonies américaines; voilà une raison de plus pour l‘empire de maintenir ces territoires et leur population en place.

Au moment de la Conquête, on dénombre environ 65 000 à 70 000 habitants d‘origine européenne (sans compter plusieurs milliers d'autochtones domiciliés). Cette population se développe à l‘intérieur du système seigneurial établi sous le régime français pour favoriser la colonisation du Canada142. La propriété foncière constitue le fondement de l‘organisation socioéconomique de ce monde essentiellement rural du XVIIIe siècle143. Selon Hobsbawn, « the world of 1789 was overwhelmingly rural, and nobody can understand it who has not absorbed this fundamental fact144 ».

Après la cession du Canada, les seigneuries restent dans l'ensemble, majoritairement entre les mains des Canadiens; en effet, ce n'est qu‘un tiers qui passe sous contrôle britannique. Mais la Conquête fait que les seigneurs désirent la continuation du système qui sert à leur prospérité et leur statut social; la noblesse seigneuriale se préoccupe des postes et relations vis-à-vis le gouvernement145. En plus, parmi ceux qui repartent en France on trouve surtout de membres des élites économiques francophones : de marchands, de négociants, membres de la noblesse militaire et d‘anciens administrateurs. Ceux qui restent cherchent dorénavant à renforcer leur position en se rapprochant du conquérant. Or, ce rapprochement n‘est pas dépourvu de frictions ou désaccords. Ainsi, très tôt, les discussions

141 Hilda Neatby, Quebec: The Revolutionary Age, The Canadian Centenary Series, Toronto, McClelland and Stewart Limited, 1977 (1966), p. 7. 142 Il existe environ deux cent cinquante seigneuries au moment de la Conquête, de dimensions très variables. 143 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 2. 144 Eric Hobsbawn, The Age of revolution: Europe, 1789-1848, London, Sphere Books, 1973 (1962), 413 p., Chap.I. 145 Voir Donald Fyson, « The Canadiens and the Conquest of Quebec: Interpretations, Realities, Ambiguities », dans Jarrett Rudy et al. (dir), Quebec Questions: Quebec Studies for the Twenty-First Century, Toronto, Oxford University Press, 2011, p. 24.

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et débats dans la sphère publique québécoise et l‘utilisation des pétitions collectives sont chose de plus en plus courante, notamment dans ce groupe qui veut se rapprocher du conquérant. Même si cela démontre une volonté d‘expression et de participation de la part de la population dans la sphère publique, ayant pour but d‘influencer les décisions des autorités politiques, il existe cependant des bornes à cette volonté d‘expression et de participation.

De ce fait, pour ne pas contrarier les autorités coloniales, il faut les aviser ou demander, en quelque sorte, l‘autorisation pour s‘assembler, ce qui montre l'un des paradoxes de la « liberté » de pétitionner à l‘époque de notre étude. C‘est ce qu‘illustre une pétition présentée au Conseil, en 1765, par Messieurs Amiot et Boisseau en leurs noms et au nom de tous les autres nouveaux sujets de la province de Québec; ces Messieurs prient le Conseil de leur accorder la nécessaire liberté de s'assembler afin de pouvoir présenter des pétitions ou faire des représentations au gouverneur et au Conseil concernant « leurs affaires 146». Dans le même sens, la représentation de Monsieur Hertel de Rouville au nom des sujets canadiens du district de Montréal, demande le droit de s'assembler pour des consultations et représentations au Conseil qui pourrait être d' « intérêt » pour la province. La liberté de s‘assembler reflète donc le besoin de ces sujets de discuter sur des thèmes d‘intérêt commun ou public, de faire ainsi ressortir l‘opinion publique. Voici la réponse à cette dernière pétition :

Resolved that His Majesty‘s Canadian Subjects at Montreal have Liberty to assemble in the same Manner with those at Quebec and that one or more of the Members of this Board be present at such meeting to dissolve them if they see Cause, And any of the Magistrates may attend if they think proper147.

146 « [...] to make any Representations to the Governor and Council of Matters relative to their own affairs », 25 avril 1765, Journaux du Conseil, Volume A (13 août 1764 à 22 mai 1765), p. 235. 147 L‘italique est de nous. 1er janvier 1766, RG4 A1, p. 5602-5604; 2 janvier 1766, Journaux du Conseil, Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 40. Dans la suite de cette pétition du 6 février 1766, on lit : « As the Seigneurs of the District of Montreal have presented a Petition to the governor & Council requesting leave to assemble in Order to deliberate upon such Matters as they may think necessary to represent to Government you are to take Care that no person should interupt [sic] this Meeting under the Restrictions which the Order of Council in Consequence of the said Petition has Subjected them to I have received Orders from the Secretary of State to signify to the new Subjects that they may make Representations of their just grievances in order to be redressed by His Majesty », Journaux du Conseil, p. 56-57.

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En fait, en vertu de la permission accordée par le gouverneur et le Conseil en date du 2 janvier et après la tenue de l‘assemblée, on lit à la séance du Conseil du 19 février 1766 un rapport sur les délibérations ayant eu lieu entre les seigneurs du district de Montréal148.

Bref, pour la population il est très important de jouir du droit de s‘assembler et de délibérer sur des sujets d‘« intérêt » commun, pour faire éventuellement des représentations. Pourtant, même si les autorités semblent donner leur accord, elles ne cessent de superviser (notamment sous l‘œil de juges de paix ou des membres du Conseil) et se réservent même le droit de dissoudre de telles « réunions » si celles-ci s‘avèrent un danger pour le gouvernement.

C‘est pourquoi dans l‘espace public d‘après Conquête les seigneurs canadiens craignant pour leur avenir, utilisent la pratique pétitionnaire et envoient des requêtes au roi pour le rétablissement des anciennes lois et coutumes françaises, lors du départ du gouverneur Carleton à Londres, en 1770. Ils sont une soixantaine de signataires, dont les principaux seigneurs et citoyens de Québec (des notaires et boutiquiers): Lanaudière*, Rigauville*, De Léry*, Duchesnay*, fils, mais aussi Berthelot*, Joseph Duval, Lecompte Dupré*, parmi beaucoup d‘autres. Ils formulent ainsi leur requête :

148 « Article 1. Resolu par l‘assemblée qu‘il sera fait un Address a sa Majesté, notre tres souvereign Monarque contenant les plus humbles et les plus vifs remerciements pour toutes les faveurs et Bontez donc elle nous a comblé depuis que nous avons le Bonheur de vivre sous sa Domination et dans laquelle nous le supplierons de vouloir bien nous continuer sa protection Royale et le libre exercise de notre Religion. 2. Que nous supplierons Sa Majesté de faire cesser toutes Distinctions d‘anciens et de nouveaux Sujets, affin que tous sur le meme pied, nous puissions concourir au bien de la province; en Sorte que les Sujets Catholics puisse etre utile a sa patrie comme les protestant. 3. Que sa Majesté sera tres humblement supplié de vouloir nous conserver les Coutumes et Usages de cette Province de la Maniere la plus avantageuse. 4. Que nous soumettons la nomination d'un Deputé a Londres a ce qui sera decidé dans l'assemblée de Quebec, sous le bon plaisir de son Excellence Le gouverneur, et dans le cas de la Necessité d'un Agent, l'assemblée se pretera les moyens convenables pour procurer les fonds necessaires. 5. Qu'il sera faits de tres sinceres remerciements a Son Excellence le gouverneur et a l'honorable Conceil de cette province sur la permission qu'ils ont accordé a cette Assemblée de faire leurs Deliberations; sur les marques de Justice qu'ils ont approuvés depuis l'Etablissement du gouvernement civil qu'en fin Sa dite Excellence sera supplier de vouloir bien appayer les tres humbles Representations de l'assemblée a Sa Majesté. 6. Que comme par la Suitte, il pourroit etre utile de faire quelques Representations, et qu'il seroit difficile de pouvoir s'assembler tous les membres de l'assemblée dans ce district, il a eté resolu que pour prepare les matieres il sera prié Les membres de la dite assemblee residents en cette ville, lesquels sont authorisés a faire les dites Representations lorsque Besoin sera en presence de Messieurs les Juges de paix. 7. Que quant au Deputé quil convient d'envoyer a Quebec pour porter la presente deliberation le committé y pourvoyra », Journaux du Conseil, 19 février 1766, Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767).

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Depuis l'Instant, Sire, de L'union de cette Province aux Domaines de Votre Couronne, vos très humbles Sujets ont pris la Liberté de vous représenter plusieurs fois, de quelle importance il étoit pour leurs interrêts d'être Jugées et Gouvernées Suivant les Loix, Coutumes, & Ordonnances, Sous Lesquels Ils sont nés, qui servent de Baze et de fondements à Leurs possessions et font La règle de Leurs familles, et combien il leur estoit à la fois desagréable, & humilliant d'être Exclus des places qu'ils pourroient remplir dans cette Province pour le Service de Votre Majesté et le Soulagement de Votre Peuple Canadien, unique Moyen d'exiter L'émulation149.

Ceci n‘est qu‘un exemple « classique » de pétition, un de ceux qui reviennent dans la littérature scientifique.

La prompte utilisation de la pratique pétitionnaire dans l‘espace public d‘après Conquête par la population locale démontre en plus la capacité des Canadiens, ou du moins leurs élites, d‘adapter à leur avantage certaines institutions du conquérant (« not only at the level of the Assembly and the press, but also at the local level of juries, magistrates, local officials and even the criminal law »). Ainsi, « while collective petitioning was essentially banned in New France, Canadiens very quickly took to this new form of political activity in the years following the Conquest150 ». L‘adaptabilité des Canadiens constitue donc l‘une des caractéristiques les plus remarquables de ces « nouveaux sujets ».

À part la noblesse seigneuriale, la population locale compte aussi une petite bourgeoisie, composée de négociants, de marchands, de boutiquiers et de gens des professions libérales, principalement les notaires151. Ces derniers jouent un rôle très important dans la société canadienne : dans leurs études sont conservés tous les documents originaux (transferts des droits des propriétés, actes des sociétés, contrats de mariage, et tout genre d‘engagement écrit). Même s'ils possèdent des commissions (sans salaire), ils ne sont pas des fonctionnaires publics152. Mais l‘on trouve aussi, dans la plupart de paroisses, les juges de paix. Officiers de la loi, « who dealt with most criminal cases and handled most

149 « Pétition pour obtenir le rétablissement des lois et coutumes françaises », Shortt et Doughty, DC, p. 399- 400. 150 Fyson, « The Conquered and the Conqueror », p. 73-74. 151 Plusieurs parmi ces derniers sont aussi seigneurs. 152 Burt, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 33.

53 local administration in the cities153 » ils sont communément des marchands, des professionnels ou des seigneurs qui n‘ont pas de salaire ni formation en droit. De plus, après 1774, les Canadiens sont majoritaires à détenir ces postes.

Un dernier groupe, mais non le moindre, forme l‘immense majorité de la population canadienne, le « petit peuple » selon les mots mêmes de Michel Brunet. Il est surtout constitué de paysans (défricheurs, agriculteurs), mais aussi d'artisans, etc. Pour eux, la Conquête n‘affecte pas dramatiquement leurs vies154. Pourtant, méfiants des nouvelles autorités, il est souhaitable de regagner leur confiance si on veut maintenir l‘obéissance et les engager à servir les intérêts des nouvelles autorités155. Mais les évènements démontrent très tôt que ce n‘est pas une tâche facile, notamment à l‘occasion de lever un bataillon de volontaires pour combattre la rébellion de Pontiac* en 1763-64. Les miliciens ne répondent pas à l‘appel tel que le gouverneur Murray le souhaite.

Rappelons de plus qu‘environ quatre-vingt-dix pour cent de cette population canadienne sont illettrés156. C‘est pourquoi les mandements des évêques sont parfois lus à haute voix pour les analphabètes; l‘Église catholique occupe une position privilégiée dans cette société rurale et orale même si elle est loin d'être toute-puissante157. Par l‘entremise de l‘évêque de Québec, Monseigneur Briand*, elle cherche à apaiser la population et défendre le gouverneur. Pourtant, l‘analphabétisme n‘empêche pas de faire ressortir l‘opinion publique de la population et de se mettre d‘accord sur des thèmes de préoccupation publique, tels des changements aux faubourgs suite à des modifications des terrains, la création des quais et les conséquences nuisibles aux habitants, etc. La participation à la

153 Fyson, « The Canadiens and the Conquest of Quebec », p. 28. 154 Fyson, « The Canadiens and the Conquest of Quebec », p. 28. 155 Michel Brunet, « Les Canadiens et les débuts de la domination britannique, 1760-1791 », Ottawa, Société historique du Canada, Brochure historique No 13, 1962, p. 7. 156 Si l‘on tient compte du recensement de 1790, de 5 à 10 % de la population adulte des deux sexes sait lire et écrire; Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 332, n. 318. Yvan Lamonde indique que « Ce taux d'alphabétisation, qui est un indicateur plus qu'une preuve définitive, car il est le résultat de l'analyse de la capacité, pour les conjoints, de signer leur nom sur l'acte de mariage, connaît un minimum durant la décennie 1770-1779 […] », dans Histoire sociale des idées, Volume I: 1760-1896, p. 67-69. 157 Ibid., p. 67.

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présentation de pétitions collectives, même pour les illettrés, nous est révélée par les croix, au lieu de signatures, en bas de plusieurs pétitions repérées pour la présente étude.

D‘ailleurs, même si la Proclamation royale de 1763 donne officiellement à la Province de Québec sa première constitution civile, les nouveaux sujets demeurent sous la protection du roi d‘Angleterre. Ils s‘attendent, en plus d‘un traitement humain comme individus, à faire partie de ce nouvel empire158,

They could also expect that measures would be taken to integrate them as smoothly and profitably as possible as a trading unit into the great trading empire of which they were now a part. They could not expect much attention to their moral rights as a collective entity. Probably few of them were conscious of the existence of such rights159.

ii. Les « Britanniques » ou les « anciens sujets »

Pour réaliser les objectifs de la Proclamation de 1763, à savoir l‘exploitation commerciale et la défense du territoire, on encourage, d‘une part, le peuplement britannique de la nouvelle colonie en concédant des terres aux militaires et, d‘autre part, l‘exploitation de prometteuses voies commerciales pour les marchands, toujours sous la protection des lois anglaises. Ainsi, la Proclamation stipule que

tous ceux qui habitent ou qui iront habiter nos dites colonies peuvent se confier en Notre protection royale et compter sur Nos efforts pour leur assurer les bienfaits des lois de Notre royaume d'Angleterre; à cette fin Nous avons donné aux gouverneurs de Nos colonies sous Notre grand sceau, le pouvoir de créer et d'établir, de l'avis de Nos dits conseils, des tribunaux civils et des cours de justice publique dans Nos dites colonies pour entendre et juger toutes les causes aussi bien criminelles que civiles, suivant la loi et l'équité, conformément autant que possible aux lois anglaises160.

158 Le travail de Julien Vernet, « Petitions from Peripheries of the Empire : Louisiana and Québec », American Review of Canadian Studies, 38, 4 (2008), p. 495-512, établit une intéressante comparaison entre les habitants de Québec et ceux de la Louisiane devenus « subjects of expanding empires », quant à leur situation politique et comment ils influençaient la politique administrative impériale surtout en vue d‘obtenir la représentation politique. 159 Neatby, Quebec: The Revolutionary Age, p. 16. 160 On peut consulter le texte intégral de la Proclamation d‘octobre de 1763 dans Shortt et Doughty, DC, p. 136-141.

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Parmi la population britannique ou les « anciens sujets » arrivés dans la colonie, on compte des marchands161, des professionnels, des militaires (officiers et soldats), des artisans, des journaliers et des administrateurs civils; à partir de l'arrivée des Loyalistes pendant les années 1780 s‘y ajouteront des cultivateurs. En 1764, le gouverneur Murray signale « two hundred Protestant subjects in the Province »; en effet, environ deux-cents familles britanniques sont présentes sur le territoire. Malgré leur petit nombre, les Britanniques exercent une influence et jouent un rôle capital dans la société, même si les « nouveaux sujets », tel qu‘ils l‘expriment eux-mêmes, constituent les dix-neuf vingtièmes de la population totale.

Les principaux gouverneurs de la période (voir annexe 2), James Murray, Guy Carleton (devenu Lord Dorchester) et Frederick Haldimand* détiennent la responsabilité administrative de la province; de ce fait, ils exercent, avec leur entourage, le pouvoir politique et social. Pourtant, il arrive très fréquemment que les administrateurs et les « anciens sujets » (surtout les marchands) ne partagent pas le même point de vue, surtout sur l'application des lois britanniques et sur la création d'une Chambre d'assemblée prévue par la Proclamation de 1763. Ce dernier point devient objet de débat récurrent dans l‘opinion publique. Il s'agit notamment de l'un des principaux sujets des grandes pétitions collectives du milieu des années 1770.

Effectivement, la question d‘être politiquement représenté fait l‘objet de nombreuses pétitions – et contre-pétitions —, requêtes et réclamations depuis le tout début de l‘établissement du gouvernement civil. La population, surtout les anciens sujets et notamment les marchands britanniques, s‘appuie principalement sur la Proclamation royale d‘octobre 1763, qui prévoit que le gouverneur doit convoquer une assemblée générale des représentants du peuple, quand les circonstances le permettraient. Cette convocation ne vient jamais.

161 Sur les différences entre les « marchands anglais » et les « marchands canadiens », consulter l‘étude de Fenton, « Petitions, Protest, and Policy », p. 18-19.

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Alors, déjà en 1765, les commerçants de Québec pétitionnent au Roi. Ils se plaignent de la conduite du gouverneur Murray et demandent l‘établissement d‘une Chambre de représentants.

Vos pétitionnaires supplient humblement Votre Majesté de prendre les présentes en sa gracieuse considération et de nous donner un gouverneur imbu de principes de gouvernement autres que les principes militaires; et pour mieux assurer à tous les sujets loyaux et fidèles de Votre Majesté la possession et la conservation de leurs droits et de leurs libertés, nous demandons humblement qu'il plaise à Votre Majesté d'ordonner l'établissement d'une Chambre de représentants dans cette province, comme dans toutes les autres provinces de Votre Majesté. Il s'y trouve en effet un nombre plus que suffisant de protestants loyaux et intéressés, à l'exclusion des officiers militaires, pour former une Assemblée législative, et les nouveaux sujets de Votre Majesté pourront être autorisés, si Votre Majesté le croit à propos, à élire des protestants sans avoir à prêter de ces serments que ne leur permet pas leur conscience162.

En 1773, les marchands britanniques tentent de convaincre les Canadiens de s‘adjoindre à leur pétition pour demander une Chambre d‘assemblée. Ils leur proposent de se réunir pour « échanger leurs idées sur des matières d‘intérêt commun ». À travers cette discussion supposément rationnelle sur une matière d‘« intérêt commun », ils essaient de gagner l‘opinion publique en leur faveur pour influencer ainsi les décisions des autorités coloniales sur un sujet précieux à leur propre convenance! Mais cela n‘aboutit pas, car les deux parties ne s‘accordent pas sur la composition et la représentation de cette assemblée.

Pour les marchands britanniques, la Chambre d‘assemblée et les lois britanniques sont essentielles à la « britannisation » de la colonie et à la préservation des intérêts britanniques, intérêts perçus et définis comme étant aussi les intérêts des Britanniques établis dans la colonie. En tant qu‘anciens sujets de Sa Majesté, ils considèrent que les principes touchant au droit de propriété, aux lois anglaises, au gouvernement mixte, à une constitution équilibrée et à la prédominance des protestants découlent de la constitution anglaise et doivent être respectés. En général, « The insistence of the ―old subjects‖ that they be ruled under a Protestant constitution was based upon popular British beliefs about the relationship between religion and civil liberty163 ». Deux idées fondamentales sous-

162 « Pétition de commerçants de Québec au Roi », sans date, Shortt et Doughty, DC, p. 202-205. 163 Milobar, « The Origins of British-Quebec Merchant Ideology », p. 380.

57 tendent leurs pétitions réclamant des changements constitutionnels : la première, « as British subjects, they possessed certain rights to liberty and security of property recognized throughout the empire »; deuxièmement, « the sanctity of contract », c'est-à-dire, le respect des promesses contenues dans les articles de la Proclamation de 1763164.

Ceci étant dit, le commerce et la religion sont également sources de beaucoup d'autres frictions. Selon Dickinson et Young, « Leur colère avait été attisée par son refus [du gouverneur] de former une chambre d‘assemblée, par ses rapports, fondés sur la compréhension et la cordialité, avec les seigneurs francophones, par sa tolérance envers les catholiques et par la résistance de ses fonctionnaires à appuyer leur objectif de fonder un grand empire commercial165 ». Selon Milobar, « The Quebec merchants adopted the rhetoric of ―country ideology‖ to articulate their demands for constitutional reform166 ». De toute façon, les changements de régimes juridiques suite à la Conquête font que ces marchands doivent s‘adapter aux lois et coutumes françaises. Selon Fyson « les nouveaux habitants britanniques font preuve du même mélange de pragmatisme et de souci d‘instrumentalisation du droit que les Canadiens167 ».

iii. Les loyalistes

La Révolution des colonies américaines provoque un exil. Des milliers de réfugiés américains demeurés fidèles à la couronne britannique pendant et après la Guerre d‘indépendance, les « loyalistes », fuient les colonies. Parmi ceux qui restent an Amérique du Nord britannique, quatre-vingts pour cent s‘établissent en Nouvelle-Écosse168 tandis que dix-huit pour cent se réfugient dans la province de Québec qui inclut encore à ce moment-là le « pays d'en haut », future province de l'Ontario. Face à cette nouvelle situation, le

164 Ibid., p. 381-382. 165 John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, 4e édition, Québec, Septentrion, 2009, p. 76. 166 Milobar, « The Origins of British-Quebec Merchant Ideology », p. 366. 167 Voir à cet égard Donald Fyson, « De la common law à la Coutume de Paris : les nouveaux habitants britanniques du Québec et le droit civil français, 1764-1775 », dans Florent Garnier et Jacqueline Vendrand- Voyer, dir., La coutume dans tous ses états, Paris, La Mémoire du Droit (à paraître), p. 157-172. 168 Qui incluait avant 1784 le territoire du Nouveau-Brunswick actuel, l'île St John (I.-P.-É.) et l'île du Cap- Breton.

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gouvernement adopte des mesures et concède des terres aux nouveaux arrivants. Toutefois, ces loyalistes refusent d'être soumis aux lois civiles françaises et au régime seigneurial de la province de Québec. Ils n‘ont pas abandonné leurs possessions et sacrifié leur ancienne vie pour se retrouver dans une colonie où l‘habeas corpus et les procès devant jury n‘existent pas, où les lois civiles et commerciales françaises ont cours, où les terres sont divisées suivant la tenure seigneuriale et où les sujets jouissent de droits politiques restreints169. Dans ce sens, la présence des loyalistes dans l‘espace public québécois (surtout à partir des années 1780) est indéniable ainsi que leur intention d‘attirer l‘opinion publique sur les intérêts qui leur tiennent à cœur. Certaines demandes des loyalistes présentées au moyen des pétitions sont abordées dans le prochain chapitre.

De plus, selon Fenton, « with the influx of Loyalists, a conservative political culture fashioned after the British parliamentary system began to emerge. This helped shape Canadian society in a way that distinguished it from the American experience170 ». Allant encore plus loin, Mancke, à propos de la thèse de Horowitz, analyse l‘argument selon lequel le libéralisme canadien « has been qualified and tempered by a Loyalist-derived "tory touch" ». Selon Horowitz,

The Loyalists brought a residual "feudal" fragment into British North America when they fled the rebelling colonies, leaving the United States with an almost unalloyed liberal ideology. In Canada, the "feudal" or tory legacy of Loyalist thought explains why Canadians are deferential, why they believe in "peace, order and good government" and why they have been more receptive to a strong state, especially with socialist leanings, than have their US neighbours171.

En somme, le façonnement de la sphère publique québécoise prend une nouvelle allure avec l‘arrivée des loyalistes; les nouveaux arrivants influencent considérablement l‘évolution de cette société qui les accueille.

169 Michel Ducharme, Le concept de liberté au Canada à l'époque des Révolutions atlantiques (1776-1838), Montréal, McGill-Queen's University Press, 2010, p. 52. 170 Fenton, « Petitions, Protest, and Policy », p. 21. 171 Elizabeth Mancke, « Early Modern Imperial Governance and the Origins of Canadian Political Culture », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, 32, 1 (Mar. 1999), p. 3.

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2.1.2 La politique de « britannisation », « …so soon as the state and circumstance… »

Comme nous l‘avons déjà mentionné, la Proclamation royale de 1763 exprime la nécessité de « britanniser » la colonie par l‘intermédiaire des institutions et du peuplement : une éventuelle Chambre d‘assemblée « dès que l'état et les conditions des colonies le permettront », des lois anglaises et une immigration britannique nombreuse. Néanmoins, les difficultés de son application se présentent multiples.

Face à l‘évidence d‘une insuffisante immigration britannique, déjà en 1767, le gouverneur Carleton tente de rallier les seigneurs de son côté, en raison, entre autres, de leur influence sur le « common people 172», en les réhabilitant dans leurs anciennes fonctions et en leur concédant honneurs et privilèges. Il soutient la cause du système seigneurial et la nécessité de rétablir les coutumes et les usages d‘avant la Conquête, objet de plaintes et de pétitions des seigneurs canadiens. Dans une lettre au secrétaire d'État britannique Lord Shelburne (1768), le gouverneur indique qu‘« aussi longtemps que les Canadiens seront exclus de toutes les places de confiance auxquelles sont attachés des revenus, ils ne pourront oublier qu‘ils ne sont plus sous la domination de leur souverain actuel 173». Ainsi, il propose en conséquence quelques mesures pour parvenir à gagner la confiance des seigneurs :

L‘élévation au rang de conseillers de trois ou quatre Canadiens en vue, dont les fonctions consisteraient à peu près à l‘honneur de porter ce titre, bien que dans certaines occasions ils pourraient se rendre utiles, et l‘organisation de quelques compagnies canadiennes d‘infanterie commandées par des officiers judicieusement choisis avec la concession de trois ou quatre emplois sans

172 En fait, dans sa lettre à Lord Shelburne* faisant état de la situation de la colonie en vue des modifications à la constitution civile de la province, Carleton écrit : « Comme les seigneurs exercent une profonde influence sur le bas peuple je vous transmets, avec la présente, un état de la noblesse du Canada, indiquant d'une manière assez exacte l'âge, le rang et la résidence actuelle des nobles; vous y trouverez aussi les noms de ceux qui sont natifs de France et qui dès leur jeune âge ont servi dans les troupes coloniales, se sont familiarisés avec le pays et avec la population et par suite ont acquis sur celle-ci une influence équivalente à celle dont jouissent les nobles nés dans la colonie qui occupent le même rang », « Carleton à Shelburne », 25 novembre 1767, Shortt et Doughty, DC, p. 256. 173 « Carleton à Shelburne », 20 janvier 1768, ibid., p. 269.

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importance dans l‘administration civile, produiraient un grand changement dans l‘opinion de la population174.

Bref, des places honorifiques au Conseil législatif175, des postes d‘officiers dans la milice coloniale et certains emplois dans l‘administration provinciale. En fait, dans son rapport au Board of Trade (1769), Carleton se présente en défenseur des anciennes coutumes et lois des Canadiens : les maintenir en vigueur empêchera la confusion des habitants de la province et évitera de possibles soulèvements. Donc, le fait de prendre soin de l‘opinion publique et d‘empêcher les critiques voire les réclamations, dont les pétitions collectives sont l‘outil privilégié, sous-tend toujours les actions des autorités coloniales. Il semble que la stabilité sociale et politique dépend jusqu‘à un certain point, de la capacité de faire preuve de tolérance culturelle176.

Somme toute, en raison des habitudes de gouvernement prises durant la période d'occupation (1759-1764), à cause d'une migration britannique insuffisante et qui semble vouloir demeurer stable177 et vu le mécontentement croissant des Treize Colonies américaines, le gouverneur tente de se concilier la majorité de la population, car il éprouve déjà beaucoup d'affinités avec les élites canadiennes. Il ne peut pas appliquer intégralement la Proclamation; l'histoire de son application semble l‘histoire d‘une détérioration constante. Les « nouveaux sujets » participent de plus en plus à l'administration civile, surtout au bas de l'échelle, ce qui ressemble à une sorte de concession ou une marque de confiance.

174 Ibid. 175 Tousignant reproduit la liste de douze seigneurs canadiens qui présentent Carleton à Hillsborough (secrétaire d'État et président du Board of Trade) en 1769, pour être choisis conseillers, dans « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 87. 176 Mancke est de l‘avis que « While Anglicization remained an official objective, one touted by colonial officials, it was largely passive and by example. Over and against the ideal of Anglicization, the accumulated acts of political expediency to cope with cultural diversity, such as the , created policies of cultural accommodation, though not equality », dans « Another British America: A Canadian Model for the Early Modern British Empire », Journal of Imperial and Commonwealth History, 25, 1 (1997), p. 5. 177 Pour Carleton, « Après avoir fait la revue des forces des anciens et des nouveaux sujets de Sa Majesté et avoir démontré la grande supériorité des derniers, il est peut-être opportun de faire remarquer qu'il n'est pas du tout probable que cette supériorité diminue à l'avenir; au contraire, il est à croire qu'elle augmentera et s'affirmera chaque jour. Les Européens qui émigrent ne préféreront jamais les longs hivers inhospitaliers du Canada aux climats plus doux et au sol plus fertile des provinces du sud de Sa Majesté », lettre de « Carleton à Lord Shelburne », 20 janvier 1768, Shortt et Doughty, DC, p. 257.

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Dans ce contexte, le gouverneur Murray et son successeur Carleton, après quelques années de gouvernement, arrivent aux mêmes conclusions : il semblerait que la politique de « britannisation » ne fonctionne pas dans une culture essentiellement française. De plus, comme nous l‘avons déjà souligné, le fait que les Canadiens ont une telle flexibilité envers les institutions britanniques « helped preserve them against assimilation, […], and is perhaps one of the reasons that colonial assimilationist policies, from the Royal Proclamation to the Union, were ultimately unsuccessful 178». Finalement, la sécurité du pays demeure l‘une des considérations majeures; pour tenter de maintenir la population canadienne fidèle à la Grande-Bretagne en cas d‘éventuel conflit avec la France, les Britanniques doivent assurer et protéger leurs intérêts. Puisque la guerre de la Conquête a coûté très cher, et qu‘on ne dispose pas des ressources nécessaires pour assimiler la population locale, il faut absolument trouver des compromis.

2.1.3 L’Acte de Québec. Anno Decimo Quarto : « … à l'effet de pourvoir d'une façon plus efficace au gouvernement de la province de Québec dans l’Amérique du Nord »179

Au mois de juin 1767, Lord Shelburne, informe Carleton que le Conseil privé du roi projette de doter la province de Québec d‘une constitution civile qui serait soumise à la législation du Parlement britannique. À cette fin, le ministre demande au lieutenant- gouverneur de lui fournir tous les renseignements nécessaires « en vue d'en arriver à un système à la fois équitable et avantageux pour les anciens et les nouveaux sujets de Sa Majesté180 ». Dans une communication du 25 novembre 1767, Carleton énumère les principes fondamentaux qui doivent servir de base à l‘élaboration d‘une constitution civile et d‘un système des lois pour le gouvernement et l‘administration de la province de Québec. En défense des droits et coutumes des Canadiens, Carleton se demande dans une lettre à Lord Shelburne

178 Fyson, « The Conquered and the Conqueror », p. 74. 179 Pour voir les différentes interprétations sur l‘Acte de Québec : Hilda Neatby, The Quebec Act : Protest and Policy, Scarborough, Ontario, Prentice-Hall of Canada, Ltd., 1972, p. 68-136, Coll. « Canadian Historical Controversies ». 180 « Lettre de Shelburne à Carleton », 20 juin 1767, Shortt et Doughty, DC, p. 254.

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Jusqu'à quel point ce changement de lois, qui prive un si grand nombre de leurs honneurs, de leurs privilèges, de leurs revenus et de leurs propriétés, est conforme à la capitulation de Montréal et au traité de Paris; jusqu'à quel point cette ordonnance affectant la vie, la sûreté corporelle, la liberté et la propriété du sujet est compatible avec le pouvoir qu'il a plu à Sa Majesté d'accorder au gouverneur et au Conseil; et jusqu‘à quel point cette ordonnance qui déclare d'une façon sommaire que la cour suprême de judicature décidera dans toutes les causes civiles et criminelles en vertu de lois qui n'ont pas été publiées et qui sont inconnues au peuple, est conforme aux droits naturels181?

Dans ce contexte, le gouverneur Carleton participe à l‘élaboration de ce projet et obtient, en 1774, l'Acte de Québec par lequel il vise à s'allier les membres de l'élite francophone et notamment seigneuriale. Plusieurs sont les historiens qui jugent l‘Acte de Québec conforme aux vues ou, à tout le moins, aux pressions du gouverneur182. L'Acte de Québec confirme la pratique libre de la religion catholique (déjà garantie par le Traité de Paris), autorise le clergé catholique à percevoir la dîme183, et rétablit officiellement le droit civil français (dont la Coutume de Paris représente un élément central, mais non exclusif) en matières civiles comme le réclamaient les seigneurs canadiens dans l‘une de leurs pétitions mentionnées ci-haut. Dans les faits, « le droit public demeure anglais, mais Londres restaure le droit privé d‘avant la Conquête – ou plutôt, pour citer l‘Acte, ―les Lois et Coutumes du Canada‖, avec quelques modifications inspirées de la common law184 ». On accorde à la noblesse seigneuriale l‘accès au Conseil, on abandonne formellement le « serment du test185 » — même si dans la pratique on avait nommé des Canadiens à des postes d‘huissiers, de greffiers, de voyers, etc.- le remplaçant par un serment d‘allégeance

181 « Lettre de Carleton à Shelburne », 24 décembre 1767, ibid., p. 263. 182 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution »; Burt, The Old Province of Quebec; Neatby, Quebec: The Revolutionary Age; Fyson, « De la common law à la Coutume de Paris ». 183 Toutefois, les Instructions de 1775 au gouverneur Carleton montrent le degré de dépendance de l‘Église catholique à l‘égard des autorités coloniales; voir à ce propos Shortt et Doughty, DC, p. 578. Rappelons aussi que la question relative à la religion n‘était pas réglée si l‘on tient compte de la mission Adhémar-Delisle, que nous aborderons dans le prochain chapitre. 184 Fyson, « De la common law à la Coutume de Paris », p. 160. 185 Pour accéder à une fonction publique dans le système anglais, il fallait prêter ce serment afin de prouver qu'on était un anglican pratiquant. Le serment du test comprenait quatre serments : l'allégeance à la Couronne britannique, la répudiation du prétendant Jacques II (de religion catholique) au trône d'Angleterre, le rejet de l'autorité du pape et l'abandon du dogme de la transsubstantiation (changement de toute la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ) dans le sacrifice de la messe. Les employés de l'État sont censés prêter le «serment du test ».

63 sans référence religieuse, et on leur ouvre théoriquement l'accès à toutes les fonctions publiques.

Les réactions de la part de la petite minorité britannique de la Province de Québec, notamment au sein de la classe marchande, ne se font pas attendre. Les anciens sujets demandent le rappel de l‘Acte de Québec, car plusieurs questions les préoccupent, dont la perte du privilège du procès par jury et l‘abrogation de l‘acte d‘habeas corpus. Ainsi, dans une pétition « classique » de 1774, ils représentent :

Nous avons perdu la protection des lois anglaises, si universellement admirées pour leur sagesse et leur douceur et pour lesquelles nous avons toujours entretenu la plus sincère vénération, et à leur place, doivent être introduites les lois du Canada qui nous sont complètement étrangères, nous inspirent de la répulsion comme Anglais et signifient la ruine de nos propriétés en nous enlevant le privilège du procès par jury. En matière criminelle, l'Acte d'habeas corpus est abrogé et nous sommes astreints aux amendes et aux emprisonnements arbitraires qu'il plaira au gouverneur et au Conseil d'infliger; et ceux-ci pourront à volonté rendre les lois criminelles instables en vertu du grand pouvoir qui leur est conféré, de leur faire subir des modifications186.

En outre, pour les anciens sujets d‘allégeance protestante, le caractère ecclésiastique et catholique du nouveau régime établi par l‘Acte de Québec menace la liberté civile, condition indispensable au développement d‘une société commerciale. D‘après Milobar, « They argued that feudal institutions, whether in government or land holding, were inimical to commerce, wealth, and liberty. No society based on a hierarchy of ―lords‖ and ―serfs‖ could possess a parliament on ―modern‖ lines which was the guardian of personal liberty and property187 ». Toutefois, si avant 1770 ils plaident pour la constitution d‘une chambre d‘assemblée composée uniquement d‘anciens sujets d‘allégeance protestante, après 1770, ils ouvrent la porte à la présence de catholiques romains au sein de cette chambre.

D‘autre part, la nouvelle Constitution promulguée dans l'Acte de Québec réaffirme le statut de capitale politique de la ville de Québec, et agrandit considérablement le territoire

186 « Pétitions pour obtenir l‘abrogation de l‘Acte de Québec », 12 novembre 1774, Shortt et Doughty, DC, p. 571-572. Les parties soulignées sont de nous. 187 Milobar, « The Origins of British-Quebec Merchant Ideology », p. 370.

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de la « province ». Celui-ci s'étend maintenant du Labrador jusqu'à la région des Grands Lacs, ce qui modifie significativement la Proclamation royale de 1763 et entraîne des conséquences directes : manque de contrôle sur le commerce des fourrures, spéculation sur les terres de l‘Ouest et accentuation des disputes entre la métropole et ses colonies pour les terres de l‘Ouest188. De plus, Montréal redevient une concurrente des postes de traite du réseau d‘Albany et de New York. Les barons britanniques de la fourrure, de Londres ou de Montréal, peuvent encore faire de bonnes affaires et leurs voyageurs engagés, souvent des Canadiens, continuer à parcourir le continent et à négocier avec les Amérindiens. Ce contexte devient propice aux débats dans la sphère publique québécoise et à la présentation de multiples pétitions à ces sujets. Par exemple, quelques marchands de Montréal effectuant le commerce au Grand Portage sur le lac Supérieur et le pays de l‘intérieur présentent une pétition au gouverneur Haldimand, demandant des permis et licences pour leur permettre d'expédier des approvisionnements, etc., et pouvoir continuer cette branche d'affaires189.

Les mesures de conciliation qu‘implique l‘Acte de Québec ne produisent pas tous les effets escomptés. Selon Mancke, même si l‘Acte de Québec reçoit de fortes critiques en raison de son caractère « too accommodationist » envers les besoins des Canadiens, il illustre « a pronounced case of a more widespread practice of cultural accommodation in the territories Britain acquired in the eighteenth-century190 ». Après tout, le gouverneur obtient l'appui de la majorité du clergé et des seigneurs, mais les habitants manifestent peu d'enthousiasme pour les intérêts britanniques. D‘après Burt,

In proportion as the Quebec Act pleased the clergy and the noblesse, it displeased the rest of the Canadians. [...] No bourgeois, no captain of militia was to be admitted to the inner circle of the government. To the people, whose real representatives were thus excluded, the character of the council was made

188 « The metropolitan-colonial disputes over western lands became even more tense when in 1774 Parliament, through the Quebec Act, put the area from the Great Lakes to the Ohio River within the jurisdiction of Quebec », Mancke, « Early Modern Imperial Governance », p. 15. 189 11 mai 1780, Fonds Haldimand, vol.21759, p. 83. 190 Mancke, « Early Modern Imperial Governance », p. 21.

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even more objectionable by the fact that most of the new Canadian councillors belonged to the haughtiest section of the noblesse [...]191.

Au niveau politico-institutionnel, l‘Acte de Québec sépare les deux fonctions, exécutives et législatives, autrefois accordées au Conseil du gouverneur créé en 1763. Cependant, le dévoilement de la composition du nouveau Conseil législatif reste décevant pour la population, car sur ses vingt et un conseillers, tous les membres canadiens sont des nobles, dont seulement sept catholiques. Nous ne pouvons pourtant nier la participation des Canadiens aux instances « représentatives » existantes et, de ce fait, l‘opportunité de laisser entendre leurs opinions.

En outre, le déclenchement de la Révolution américaine provoque, d‘après Burt, l‘adoption précipitée de l‘Acte de Québec; « The foundations of the British Empire in America were shaking. Canada might be swallowed up in an earthquake unless her constitutions were immediately established on a firm basis192 ». Neatby, pour sa part, nuance un peu cette affirmation : « An act [l‘Acte de Québec] of such kind, passed at such time, and applying to such territory, could not be seen merely as the clearing away of unfinished business in the St-Lawrence Valley. It was imperial legislation, dealing with a difficult imperial problem at a time of crisis of imperial relations193 ».

Et l‘on constate aussi le manque d'enthousiasme de la population envers la nouvelle loi, lors de l'invasion américaine de 1775-1776 : environ un millier de Canadiens s‘enrôlent dans la milice de Québec pour défendre la ville contre les armées rebelles américaines. Maigre chiffre si on tient compte de l‘événement. Néanmoins, pour diverses raisons194, les Canadiens ne se rangent pas non plus du côté des révolutionnaires, même s‘ils sont invités après le congrès tenu à Philadelphie en 1774195, à faire partie du prochain Congrès

191 Burt, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 184-185. 192 Ibid. p. 169. 193 Neatby, Quebec: The Revolutionary Age, p. 125. 194 D‘après Burt, il y a surtout trois raisons majeures : les envahisseurs n‘étaient pas assez nombreux; leurs ressources en matériaux étaient épuisées; et ils représentaient des protestants dans un milieu catholique romain, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 207. 195 Dans ce congrès, on proclame les droits des sujets britanniques d‘être gouvernés par des représentants élus par eux-mêmes, l‘habeas corpus, la tenure libre, la liberté de presse, tous des principes violés par la mère patrie. Voir Fenton, « Petitions, Protest, and Policy », p. 293-294.

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continental en tant que « confrères »; les Américains leur rappellent qu‘ils seront traités comme des ennemis s‘ils ne peuvent pas les considérer comme des amis. En fait, à l‘occasion du premier Congrès continental, les Américains demandent ouvertement l‘appui des commerçants et de la population de Québec. Donc, d‘après Fenton, l‘année 1776

[…] marked a pivotal point in the political cultures of both countries: the Americans went on to launch a unique experiment in democratic government; Quebec (Canada) remained a colony of Great Britain ultimately fashioning its government after the British parliamentary system. Never again would there be as favourable an opportunity to forge a continental union196.

La situation de guerre contre les Colonies américaines donne aussi l‘occasion de pétitionner. Nous identifions de nombreuses requêtes de prisonniers rebelles, surtout entre 1776 et 1783, demandant leur pardon, le soulagement de leur situation, de l‘argent pour subvenir à leurs besoins, et même leur élargissement dans certains cas.

De plus, dans ce contexte d‘agitation révolutionnaire, l‘Acte de Québec est perçu comme l‘un des « Actes intolérables »197 et, d‘après l‘étude de Fenton, cet Acte aurait pu influencer le cours de la Révolution des colonies américaines. Selon l‘auteure, « Alarmed by the Quebec Act, which the Americans perceived as one of the Intolerable Acts designed to ―enslave‖ them, the more radical element galvanized the separate states into a united force to pressure the home government into granting the colonies autonomy in all but imperial trade issues198 ».

Globalement, le caractère aristocratique du nouveau régime mis en place par l‘Acte de Québec suscite le mécontentement des éléments démocratiques de la population influencés par la Révolution américaine; au lendemain de la guerre d‘Independence, les principaux représentants de la petite bourgeoisie locale (formée surtout d‘avocats et notaires) décident de s‘unir aux marchands britanniques pour demander l‘établissement d‘une Chambre

196 Ibid., p. 7. 197 Les Intolerable Acts, comme ils ont été connus en Amérique, comprenaient les actes suivants : Boston Port Act (1er juin 1774), Quartering Act (2 juin 1774), Administration of Justice Act (20 mai 1774) et le Massachusetts Government Act (20 mai 1774). Le Parlement continua la promulgation de ces mesures avec l‘approbation de l‘Acte de Québec, législation sans rapport aux autres, mais également « intolérable » aux yeux des colonies américaines. 198 Fenton, « Petitions, Protest, and Policy », p. 6 et 238-243.

67 d‘assemblée199. Les marchands britanniques, conjointement avec ceux de Québec et de Montréal, s‘adressent au roi et au Parlement – conseillés par * — pour demander la constitution d‘une Chambre d‘assemblée.

En 1783 une partie importante de la bourgeoisie québécoise se rallie aux marchands britanniques pour demander la réforme de l‘Acte de Québec. Pour ce faire, les citoyens de Montréal envoient une adresse « aux citoyens de Québec », signée par Jean-Baptiste Adhémar, leur proposant de présenter une pétition conjointe, car « en cette occasion nos intérêts étant les mêmes, nous ne devons former qu‘un même corps », et « lorsqu‘il s‘agit de la cause commune »…; par cette pétition, on demande la permission d'amener des prêtres d'Europe et on réclame les droits civils dont on croit devoir jouir, vu qu'ils forment les dix-neuf vingtièmes de la population200. Pour porter les requêtes en Angleterre, on élit trois représentants : les Britanniques élisent William Dummer Powell* et les Canadiens, le marchand Adhémar et le notaire Jean-Guillaume Delisle. De plus, pour accomplir pareille mission, ils entreprennent une collecte : Adhémar envoie une lettre circulaire aux capitaines de milice, adressée « à un ou plusieurs des principaux [hommes] de chaque paroisse », leur demandant d‘entamer une collecte destinée à payer les dépenses des députés envoyés avec la pétition au roi, sollicitant la permission d'amener des prêtres d‘Europe201. Dans leur projet de requête au Roi et au Parlement de la Grande-Bretagne, on demande, premièrement, une assemblée indistinctement composée d‘anciens et de nouveaux sujets de Sa Majesté; ensuite, que l‘habeas corpus fasse partie de la constitution; qu‘on accorde le procès par juré en matière civile; que les anciennes lois et coutumes du Canada relatives à la propriété foncière, aux douaires, aux héritages et aux contrats de mariage demeurent en vigueur dans les régions de Québec et de Montréal, mais que les lois anglaises soient introduites dans les parties de la province où les Britanniques, les anciens sujets, sont en majorité; enfin, que le commerce soit régi par les lois anglaises dans toute l‘étendue de la

199 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 14. 200 « Adresse aux citoyens de Québec », 10 juillet 1783, Fonds Haldimand, vol.21845, p. 420. 201 Dans le corps de la lettre on se dirige « aux personnes intéressées au soutien de notre religion dans cette province », dans « Copie de la Lettre Circulaire à adresser à un ou plusieurs des Principaux de chaque Paroisse pour faire la collection d‘argent », juillet 1783, Fonds Haldimand, vol.21845, p. 460.

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province. Ils informent également le gouverneur Haldimand de leur intention de porter les requêtes en Angleterre :

Nous avons l‘honneur d‘informer Votre Excellence que nos concitoyens de tous les états nous ont légalement élus députés, pour porter à Londres leur humble supplique au Roy. […] L‘intention de nos compatriotes est seulement de demander des prêtres d‘Europe qui nous manquent ici.

En plus, ils demandent en qualité de députés élus par leurs concitoyens, la protection de Haldimand, sa recommandation et son appui pour leur mission202.

Nonobstant, la mission Adhémar-Delisle203 n‘est que le corollaire de toute la dispute entrainée par l‘expulsion de deux prêtres français arrivés à Québec à l‘été 1783 (les abbés Ciquard et Cassel), sans que le gouverneur Haldimand ait été informé préalablement de leur venue204. Étant donné que la population de Montréal manque depuis longtemps de prêtres pour desservir sa paroisse, ses collèges, ses hôpitaux et ses communautés, elle présente au gouverneur Haldimand « la très humble adresse des citoyens de la ville et faubourgs de Montréal » afin qu‘il autorise les deux prêtres à rester. Cette adresse est signée par environ 400 citoyens de Montréal :

[…] nous sommes informés qu'il a plû à Votre Excellence ordonner que ces deux prêtres descendent incessamment à Québec et comme nous craignons qu'ils ne passent de là en Europe, nous nous joignons en ce jour pour vous supplier très humblement, mais avec la confiance que sa bonté et sa justice nous inspirent, de vouloir bien permettre que ces deux prêtres, après avoir obéi aux ordres de Votre Excellence, obtiennent la permission de revenir en cette ville pour y rester sous notre cautionnement général qu'ils se comporteront avec conduite et loyauté envers le gouvernement […]205.

20218 août 1783, Fonds Haldimand, vol.21880, p. 149-150. 203 Cette mission politique cléricale dure plus de trois ans depuis son organisation jusqu‘au retour de M. Adhémar. Une fois les députés arrivés en Angleterre ils ont eu des difficultés pour rencontrer les représentants clés du gouvernement et même pour aller porter leurs représentations au Roi. Comme ils le racontaient eux- mêmes dans une lettre à l‘évêque de Québec et dans une autre aux habitants de la province de Québec (1er avril 1784), « un changement général survenu dans le ministère, des troubles élevés dans les deux chambres du Parlement et enfin sa dissolution ont interrompu le cours de nos opérations. Nous l'avons repris depuis peu, mais le ministère élude encore : il allègue des raisons de politique, dont nous espérons avec le temps détruire la force », Bulletin des recherches historiques, Volume XII, nº 12 (1906), p. 366-371. 204 Voir à ce sujet ibid., p. 248-249. 205 21 juin 1783, Fonds Haldimand, vol.21880, p. 140.

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Cela dit, pour le gouverneur Haldimand, la question des prêtres français en général et de ces deux prêtres expulsés en particulier206, est étroitement liée à la possibilité d‘une guerre avec la France et la possible influence du clergé catholique français sur la population. Donc, l‘expulsion des deux prêtres et la non-acceptation d‘autres prêtres de France relèvent de la question plus globale de la sécurité de la colonie. Précisément, Haldimand mentionne dans une lettre à Lord North*

I considered Mr. Adhémars writing Circular Letters to the Captains of Militia in consequence of a Committee of the Citizens of Montreal as a dangerous Innovation, and an imitation of the Conduct, which the Seditious in the neighbouring Colonies had held at the Commencement of the Rebellion, and which by Accustoming the Canadians to receive directions, or to have Correspondence with others than the Officers set over them by Government, might upon some future Occasion be employed to very bad purposes […]207.

Toutefois, la mission Adhémar-Delisle — à double caractère politique et clérical — ne semble pas avoir connu beaucoup de succès208. Dès leur retour, les délégués tracent un bilan de leur mission « aux habitants de la province de Québec » et suggèrent :

[…] il est plus que probable que dans le cours de la séance prochaine du parlement, le bill de Québec sera amendé ou qu'une maison d'assemblée sera créée et établie dans notre province, il nous semble que dans une telle circonstance, vous ne devez pas manquer à nous faire parvenir […], nos instructions ultérieures accompagnées de pouvoirs amples, afin que suivant l'exigence des cas, nous puissions d'une manière plus convenable soutenir et discuter nos droits209.

Dans ce contexte, paraît à Londres le violent réquisitoire de Pierre du Calvet contre l‘administration du gouverneur Haldimand, administration qu‘il qualifie d‘arbitraire et de despotique. Dans son livre Appel à la justice de l’État, il se fait l‘apôtre de plusieurs

206 Voir Burt, The Old Province of Quebec, Volume II, p. 22-23, concernant l‘expulsion de deux prêtres. 207 14 octobre 1783, Fonds Haldimand, vol.21717, p. 170-172. Les mots en caractère gras sont de nous. 208 Malgré cela, lors de la réunion de trois délégués avec Francis Maseres et Pierre Du Calvet du 13 mars 1784, ils discutèrent sur la possible réforme constitutionnelle et ils se consacrèrent à convaincre leurs concitoyens des avantages de la création d‘une Chambre d‘ Assemblée. Selon Tousignant, « cette rencontre produisit l‘effet qu‘espérait Du Calvet et qui ne tarda pas à se manifester : la politisation de la mission Adhémar et Delisle. Quinze jours plus tard, les deux délégués pressaient leurs concitoyens de se préparer à l‘éventualité d‘un changement de Constitution en leur prodiguant les conseils et les leçons qu‘ils avaient reçus », « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 287. 209 Voir Bulletin des recherches historiques, Volume XII, nº 12 (1906), p. 368-371.

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réformes, notamment l‘introduction dans la colonie de l‘habeas corpus, la reconnaissance de la primauté des lois sur la volonté du gouverneur dans la colonie, l‘envoi de députés canadiens au Parlement anglais et la liberté de la presse. Parmi toutes ses revendications figure la demande pour la création d‘une Chambre d‘Assemblée. Une fois parvenu à Québec, cet ouvrage contribue à relancer le mouvement réformiste. En novembre 1784 naissent à Montréal et à Québec des comités de réforme210. Ces comités préparent conjointement les fameuses pétitions datées du 24 novembre 1784, rédigées en anglais et en français, que l‘on adresse au Roi et au Parlement de la Grande-Bretagne et dans lesquelles on demande une Chambre d'assemblée. Ces pétitions « monstres », comportent environ 2300 signatures211 et incluent quatorze clauses et des recommandations pour doter le pays d‘une constitution212, et en récapitulant

[...] ils espèrent avec une ferme confiance que Votre Majesté mettra fin au désordre et à la confusion qui règnent actuellement dans les lois et les tribunaux de la province, ce qui met en danger leurs propriétés, entrave le commerce et détruit totalement cette confiance qui devrait exister et existerait parmi la population, et qui est la vie et le soutien du commerce. Et qu‘il vous plaise de nous octroyer une constitution et un gouvernement basés sur les principes stables et libéraux que désirent vos affectionnés sujets de cette province pour faire de cette colonie ravagée un brillant joyau de la couronne impériale d‘Angleterre213.

Ainsi, d‘après Michel Ducharme, « Bien que le mouvement pour des institutions représentatives demeure essentiellement anglo-protestant, certains Canadiens français y

210 « […] groupant dans les uns des commerçants britanniques et dans les autres une élite bourgeoise francophone formée surtout d‘avocats et notaires. Parmi les noms les plus connus, on rencontre de futurs députés, dont Joseph Papineau* et Louis Dunière* fils, à Montréal, et Jean-Antoine Panet*, à Québec », John Hare, Aux origines du parlementarisme québécois, 1791-1793 : étude et documents, Québec, Septentrion, 1993, p. 19. 211 À cet égard, Tousignant décrit avec détail comment étaient répartis les groupes de signataires : 855 anciens sujets et 1436 nouveaux sujets dont plus de 600 citoyens des villes de Québec, Montréal et Trois-Rivières et plus de 800 habitants des paroisses rurales, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 311. 212 « L‘humble pétition des anciens et nouveaux sujets de Votre Majesté, habitants de la province de Québec », Shortt et Doughty, DC, p. 733-737. L'on trouve un projet plus détaillé de l'Assemblée, rédigé par les comités de Québec et de Montréal en même temps que cette pétition, en consultant le document de la page 743. 213 Ibid., p. 737.

71 participent à partir de 1784 214». La composition des groupes de signataires rend compte du fait que désormais les Canadiens participent en grand nombre.

Cependant, après la présentation de la pétition des Comités de réforme, un groupe influent de nobles canadiens et de commerçants importants prépare sa propre pétition, contre tout changement à l‘Acte de Québec215. On voit ainsi que les discussions dans l‘espace public se multiplient, ce que reflètent les contre-pétitions dressées au cours des années suivantes.

À la suite du comité d‘enquête sur le commerce et la police du Conseil législatif, le 6 novembre 1786, on forme deux comités de marchands, l‘un à Montréal et l‘autre à Québec, qui doivent produire un rapport demandé par le gouverneur, Lord Dorchester. Le rapport du comité montréalais est lu lors d‘une assemblée publique à laquelle participent environ cent cinquante citoyens; il est ensuite présenté au comité du Conseil législatif216. La réponse ne se fait pas attendre de la part « des nouveaux sujets résidants à Montréal » qui envoient une adresse à Dorchester dans laquelle ils s‘opposent de nouveau — puisque les signataires sont ceux de la contre-pétition de 1784 —, aux demandes de réformes souhaitées par les comités de marchands de Québec et Montréal217, bien que les citoyens nouveaux sujets de la ville de Québec s‘y sont aussi opposés à travers « l‘humble supplique » du 19 janvier 1787218.

Une nouvelle pétition contre le projet de loi constitutionnelle (qui devrait remplacer l‘Acte de Québec) est dressée au mois d‘octobre 1788; de nouveau, on se plaint que « les grands propriétaires de Notre Nation, et les différents États qui la composent en général, n‘ont pas été consultés pour faire des innovations aussi importantes à leur bonheur, et à

214 Ducharme, Le concept de liberté, p. 52-53. 215 « La très humble adresse des citoyens et habitants catholiques romains », Shortt et Doughty, DC, p. 749- 751. Selon Tousignant, on relève quelque 2400 signatures auxquelles s‘ajoutent par la suite d‘autres pour porter le nombre total à plus de 3000, « Le conservatisme de la petite noblesse seigneuriale » (présentée au Colloque du GRISCAF en 1969), Annales historiques de la Révolution Française, 45 (1973), p. 333. 216 « Rapport des marchands de Montréal par leur Comité à l‘Honorable Comité du Conseil sur le commerce et la police », 23 janvier 1787, Shortt et Doughty, DC, p. 900. 217 « Adresse des nouveaux sujets de Sa Majesté, résidents à Montréal, à Son Excellence Lord Dorchester », 3 février 1787, ibid., p. 906. 218 « Pétition des nouveaux sujets de Sa Majesté résidants à Québec, à Son Excellence Lord Dorchester », ibid., p. 896.

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leurs intérêts communs ». Bref, que l‘opinion publique n‘est pas interpelée à cette occasion. Par la suite, on prépare une adresse de soutien à la pétition présentée à Lord Dorchester à la fin de l‘année où se voient clairement leurs craintes et leurs inquiétudes. Il ressort de ce document que les grands propriétaires craignent surtout la perte du régime seigneurial et la sujétion de l‘Église catholique au protestantisme.

Aux yeux des administrateurs coloniaux, la possibilité de doter les Canadiens d‘une Chambre d‘assemblée par une nouvelle constitution semble dangereuse en raison du « républicanisme » ambiant propre aux colonies américaines. Toutefois, nous partageons le point de vue de Michel Ducharme, « la constitution elle-même n‘est pas inspirée des idéaux révolutionnaires. Elle agit même comme un antidote au républicanisme. En effet, l‘octroi d‘une Chambre d‘Assemblée peut satisfaire aussi bien les tenants de la liberté républicaine que les défenseurs de la liberté moderne219 ». Selon Tousignant, de l‘Acte de Québec de 1774 à l‘Acte constitutionnel de 1791, on retrouve les mêmes réflexes de défense contre « the dangerous and progressive spirit of innovation220 ».

Malgré tous les événements mentionnés, la stratégie de Carleton réussit partiellement : la province demeure britannique, mais l‘édifice sociopolitique érigé à partir de l'Acte de Québec ne résiste pas aux conséquences de la guerre. L'arrivée des loyalistes et l'établissement d'un grand nombre d'entre eux à l'intérieur des limites de la province remettent en question cet édifice sociopolitique. Les plaintes des anciens sujets britanniques (les marchands surtout) deviennent plus pressantes avec leur arrivée. Pourtant, les documents analysés pour cette recherche (surtout entre les années 1783 – suite à la reconnaissance par la Grande-Bretagne de l‘indépendance de ses anciennes colonies américaines — et 1788) font état d‘un grand nombre de pétitions des loyalistes demandant aussi la concession de terres pour s‘y établir, de provisions et d‘abris, etc.; nous y reviendrons dans le prochain chapitre.

En somme, nous pouvons affirmer que les réactions, les débats et les discussions entourant la promulgation de l‘Acte de Québec, instaurent une opinion publique fort

219 Ducharme, Le concept de liberté, p. 60. 220 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 104.

73 critique à son égard. De nombreuses pétitions adressées aux autorités politiques de la part des anciens et des nouveaux sujets, demandant des modifications ou le rappel de l‘Acte de Québec, renforcent ainsi le caractère politique de la sphère publique québécoise, objet de notre analyse. Il s‘agit également de la première grande occasion de voir se manifester, au sein de la société coloniale, les tensions religieuses, sociales, ethniques et politiques qui définissent l‘histoire du Québec dans les décennies qui suivent.

2.1.4 L’Acte constitutionnel de 1791. Anno Tricesimo Primo : « … concernant le bon gouvernement et la prospérité »

Les frictions entre les marchands britanniques et le gouverneur augmentent. Les discussions et débats dans la sphère publique québécoise deviennent de plus en plus critiques à l‘égard des politiques coloniales. Les autorités métropolitaines demandent à Carleton dans des instructions générales et particulières, un rapport concernant l‘opinion du peuple sur la modification de la constitution de la province de Québec. Ils ordonnent

qu'il [le gouverneur Carleton] transmette un rapport aussitôt que possible indiquant l'état réel de l'opinion du peuple en général à l'égard des demandes qui ont été faites pour modifier la constitution actuelle de Québec et si les anciens sujets (canadiens) désirent quelques modifications et en ce cas quel en est le caractère221.

Et dans la suite des instructions particulières et confidentielles à Carleton, les autorités ajoutent :

attendu que plusieurs de nos fidèles sujets qui habitent notre province de Québec, nous ont demandé de faire certaines modifications dans la constitution actuelle de notre dite province […] Et qu'en même temps il nous a été représenté que le plus grand nombre de nos loyaux sujets ne désirent pas qu'aucune innovation ou modification ne soit faite dans la constitution actuelle, c'est par conséquent notre volonté et bon plaisir qu'aussitôt que possible après votre arrivée dans notre dite province, vous vous efforciez d'obtenir les renseignements les plus complets et les plus authentiques sur les sentiments des habitants à cet égard. Et si après avoir obtenu de tels renseignements, il vous semble qu'il soit nécessaire en tout cas de se départir du système actuel de gouvernement tel qu'établi par l'acte susdit, vous devrez nous en exposer la raison avec toute la précision possible et indiquer, en tenant compte de la

221 « Projet de directions générales pour Sir Guy Carleton, 1786 », Shortt et Doughty, DC, p. 797-798.

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situation de la province et des sentiments de nos sujets en général, ce qu'il serait opportun et sage de faire à cet égard222.

L‘on voit donc que dans la sphère publique québécoise, l‘utilisation de pétitions et contre-pétitions, les demandes des modifications et de non-innovation, révèlent la discussion et la division d‘opinions parmi la population concernée. Donc les habitants utilisent les pétitions et contre-pétitions comme outil pour protéger leurs intérêts ou les faire reconnaître face aux intérêts divergents d‘autres groupes en se faisant entendre par les autorités.

Alors, dans le but de renseigner les autorités métropolitaines et de soumettre à leur considération divers aspects de la vie coloniale et les besoins de la province, Dorchester crée quatre comités d‘enquête formés des membres du Conseil législatif devant rédiger un rapport sur le système judiciaire, la milice, l‘agriculture, le commerce et la police. Il leur demande de porter une attention toute particulière « aux anciennes lois et coutumes de la province ». La création de ces comités a lieu à l‘ouverture de la session du Conseil législatif, le 6 novembre 1786223. Ces comités sont bel et bien l‘occasion de débattre sur toutes ces matières d‘intérêt public. Les procès-verbaux des séances du Conseil législatif du 1er et 12 février 1787, du 13 mars 1787 et du 7 avril 1787 nous permettent de suivre les débats des comités et la présentation des enquêtes.

À l‘automne 1787, les réformistes canadiens et les commerçants britanniques délèguent Adam Lymburner*, marchand à Montréal, comme agent pour plaider la cause des réformes constitutionnelles; au printemps de 1788, il présente une pétition à Lord Sydney* demandant encore une fois la constitution d‘une assemblée, l‘application des lois commerciales anglaises et la réforme du système de justice. Le comité canadien fait plus qu‘appuyer le programme de 1784224 : il demande aussi qu‘on rétablisse toutes les lois qui existaient dans la province au moment de la Conquête. De même, il exige qu‘on soustraie l‘Église catholique à la « suprématie du roi » (imposée par l‘Acte de Québec) et qu‘on reconnaisse les droits de propriété des communautés religieuses.

222 « Projet d‘instructions particulières pour Carleton », ibid., p. 798-801. Les mots soulignés sont de nous. 223 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 380. 224 En référence aux demandes de la fameuse pétition de novembre 1784.

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En outre, dès leur arrivée dans la colonie, une des causes majeures du mécontentement des loyalistes et qu‘ils expriment aux autorités, c‘est le système de tenure seigneuriale; ils demandent la concession de terres de la Couronne en « franc et commun socage 225» et ils envisagent la formation d‘un gouvernement distinct pour eux, évitant ainsi de se soumettre aux lois et coutumes françaises226. L‘arrivée des loyalistes renforce la position des membres du « English Party » qui exigent l‘établissement d‘une Chambre d‘assemblée.

Or, il faut à la fois concilier les demandes manifestes dans la sphère publique, des partisans d‘une assemblée législative, surtout des marchands britanniques et de la partie réformiste de la bourgeoisie canadienne – notaires, avocats et petits commerçants — et le désir de maintenir le statu quo des grands propriétaires terriens, ceux que certains historiens appellent « la petite noblesse seigneuriale », privilégiée par l‘Acte de Québec qui conserve aux seigneurs leurs titres de propriété et leurs privilèges227. Pour satisfaire, en partie du moins, le groupe des marchands et des loyalistes, tout en évitant de contrarier les Canadiens, Londres révise l'Acte de Québec228 et adopte en 1791 une nouvelle constitution qui divise l'ancienne Province de Québec en Haut-Canada et Bas-Canada, en la coupant d‘environ 10 000 loyalistes établis au nord du lac Ontario et dans chacune des deux parties, prévoit la création d'une Chambre d'assemblée. Dans l‘Acte constitutionnel de 1791229, les caractéristiques propres de la province de Québec (institutions à forte connotation française, catholique et seigneuriale) sont préservées dans le Bas-Canada.

225 Le franc et commun socage est un type de tenure des terres en ce qui a trait à la propriété et à l'exploitation issu de la tradition anglaise. L'expression fait référence à un mode de propriété libre de la terre (par exemple la location à bail ou fermage), d'après les coutumes de la common law. 226 « L‘établissement de législatures provinciales distinctes (comme ce fut le cas pour l‘Île du Cap-Breton après la fondation du Nouveau-Brunswick) créa un dangereux précédent dont allaient se prévaloir les loyalistes établis dans la partie supérieure du fleuve Saint-Laurent pour réclamer les mêmes privilèges de gouvernement séparé. Ces milliers des colons venus se réfugier dans la province de Québec étaient pour la plupart d‘anciens fermiers originaires des colonies de New York et de Pennsylvanie », Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 360-361. 227 Hare, Aux origines du parlementarisme québécois, p. 15. 228 En fait, nous constatons qu‘il existe au moins deux projets de rédaction du Bill constitutionnel en 1790, voir Shortt et Doughty, DC, p. 974 et 988. La lecture de débats présentés dans la Gazette de Québec rend aussi compte de cette situation; voir Gazette de Québec, 26 mai, 23 et 30 juin, et 2, 7, 14 juillet 1791. 229 Voir texte intégral dans Shortt et Doughty, DC, p. 1013.

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Les autorités britanniques, manquant apparemment d‘informations précises de la part des administrateurs coloniaux et profitant de la division des forces sociales opposant les partisans d‘une réforme constitutionnelle et les défenseurs du régime établi par l‘Acte de Québec de 1774, imposent une nouvelle constitution qui, théoriquement, doit satisfaire les uns et les autres. Aux réformistes, on accorde une assemblée législative élective, mais, pour faire échec à l‘esprit démocratique et aux tendances républicaines des assemblées électives, on crée un corps législatif indépendant, pouvant constituer, aux yeux de Grenville*, « a respectable Aristocracy, as a support, & safeguard to the Monarchy ». Le Conseil législatif est ainsi constitué de membres nommés à vie et à qui le roi peut conférer des honneurs et des privilèges héréditaires, à l‘instar de la House of Lords. En même temps, on conserve les privilèges de l‘Église catholique et le système seigneurial dans la vallée du Saint-Laurent, la nouvelle province du Bas-Canada.

En plus d‘une législature tripartite composée de deux chambres et du gouverneur responsable de l‘exécutif, on décide de créer un Conseil exécutif indépendant des deux autres corps législatifs. Ce Conseil assiste le gouverneur dans l‘administration publique et sert aussi de cour d‘appel. Il revient au gouverneur de suggérer les noms des membres des deux conseils : le Conseil législatif et le Conseil exécutif. Il peut exercer aussi un droit de veto. Selon le juriste Henri Brun : « L‘Acte constitutionnel n‘accordait pas le parlementarisme au [Québec]. Il posait seulement les bases institutionnelles du développement d‘un régime parlementariste possible230 ». Cependant, pour les défenseurs de la tradition whig, l‘Acte constitutionnel, malgré son caractère conservateur, représente les institutions parlementaires anglaises et, conséquemment, les libertés anglaises.

La Constitution de 1791, selon Tousignant, « fut beaucoup plus libérale en ne faisant aucune discrimination entre les « qualifications» des candidats et celles des électeurs qui purent se prévaloir de leur droit de vote comme simples « freeholders» ayant un revenu annuel de quarante shillings et, dans les bourgs et villes, s‘ils étaient propriétaires d‘une maison rapportant un revenu annuel d‘au moins cinq livres sterling ou locataires payant un loyer annuel d‘au moins dix livres sterling; ce qui engloba la presque totalité des chefs de

230 Henri Brun, « La Constitution de 1791 », dans Recherches sociographiques, vol. 19, nº 1 (1969), p. 39, repris de Hare, Aux origines du parlementarisme québécois, p. 17.

77 famille, soit environ de 15 à 20 % de la population231 ». Cependant, le plan original de Grenville demandait des « qualifications » beaucoup plus élevées pour les citadins.

En somme, les pétitions et contre-pétitions qui naissent à propos des intérêts divergents concernant la création d‘une Chambre d‘assemblée, nous permettent de mettre en évidence le genre de rapports qui existent entre les différents groupes de pétitionnaires dans la sphère publique québécoise, rejoignant des centaines, voire des milliers de personnes, et les disputes suscitées par ces intérêts. Ainsi, selon Hare, « pendant les années 1788-1791, les réformistes et leurs adversaires livrent une bataille serrée pour influencer l‘opinion publique autant dans la colonie qu‘en Angleterre. On voit paraître des écrits – pétitions, mémoires, esquisses, lettres satiriques et même des poèmes — concernant les débats constitutionnels dans les journaux de la colonie 232». La pratique pétitionnaire semble donc beaucoup plus qu‘un outil pour communiquer aux autorités politiques uniquement de besoins locaux; elle est un important outil pour influencer l‘opinion publique sur des enjeux politiques majeurs.

***

En définitive, nous ne pouvons que constater l‘importance de la pratique pétitionnaire dans la sphère publique québécoise d‘après Conquête, reflétant les discussions dans l‘opinion publique et entrainant dans certains cas des changements politico-économico- sociaux majeurs. Or, la composante politique de la sphère publique se manifeste dans la plupart de grands débats menés depuis l‘établissement du gouvernement civil en 1764 et reproduits dans les pétitions collectives « classiques » présentées : notamment, le droit de s‘assembler, la demande de représentation, l‘instauration de l‘Acte de Québec, son rappel ultérieur et les modifications proposées à celui-ci, la création de l‘Acte constitutionnel et l‘établissement du système parlementaire. Ainsi, la bourgeoisie montante incarnée par les marchands britanniques et les éléments réformistes canadiens (membres des professions libérales, etc.) lutte contre les privilèges d‘une classe seigneuriale qui maintient les prérogatives de l‘ancien régime que favorise l‘Acte de Québec.

231 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 308. 232 Hare, Aux origines du parlementarisme québécois, p. 24-25.

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En plus, comme nous l‘avons proposé dans l‘introduction de cette étude, même si, en général, les pétitionnaires ne remettent pas en question la structure du pouvoir établi (au moins directement), mais essaient d‘influencer les décisions politiques des autorités en place, nous sommes face à des pétitions de haut contenu politique et qui remettent en question la structure du pouvoir, notamment dans le cas des demandes de représentation politique à propos de la constitution d‘une Chambre d‘assemblée.

Ainsi, cet espace public renouvelé, différent de celui d‘ancien régime, offre à la population (anciens et nouveaux sujets) la possibilité de discuter sur des politiques publiques et sur le fonctionnement du pouvoir établi et, peut-être, d‘influencer les décisions politiques des autorités en place. Pouvons-nous, avec Longmore, oser l‘hypothèse suivante : « A decisive alteration had occurred that suggests an underlying shift in political consciousness 233»?

233 Paul K. Longmore, « From Supplicants to Constituents: Petitioning by Virginia Parishioners, 1701-1775 », The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 103, No 4 (Oct., 1995), p. 407.

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CHAPITRE III. Les pétitions : expression et pratique politiques collectives

Au chapitre précédent nous avons présenté le contexte sociopolitique de la période ciblée par notre recherche; les pétitions collectives émergent comme l‘une des formes d‘expression et de pratique participative collectives de la population dans la sphère publique québécoise à l‘occasion d‘événements sociopolitiques importants. Dans ce troisième chapitre, nous allons examiner plus en détail les pétitions collectives retenues, plus nombreuses et moins connues que celles déjà présentées, pour essayer de comprendre pourquoi, comment et dans quelle mesure le fait de pétitionner aux autorités politiques est- il devenu une pratique participative qui a renforcé le caractère politique de la sphère publique québécoise. Dans ce but, nous présenterons : une analyse quantitative des pétitions sélectionnées (le nombre total de pétitions, le total par année, par catégorie, etc.), la pratique pétitionnaire elle-même (pratique politique collective, généralisée et continue), le rapport entre les pétitions et le sexe des pétitionnaires et enfin l‘analyse de quelques pétitions selon certaines catégories (les matières ou thèmes abordés).

3.1 Analyse quantitative

Le dépouillement des sources nous a permis de repérer un total de 278234 pétitions collectives; nous entendons par là des pétitions signées par deux individus ou plus, ou en leurs noms. Nous avons expressément laissé de côté les très nombreuses pétitions signées par un seul individu et qui concernent surtout des demandes de pardon, des droits de propriété, des reconnaissances de grades, des soulagements de dettes, des paiements salariaux, des demandes d‘assistance économique, etc., pour nous concentrer sur la pratique politique collective de pétitionner. Ce nombre significatif de pétitions justifie une analyse dans le cadre d‘un mémoire de maîtrise, surtout si l‘on tient compte que le fait de pétitionner n‘est pas un moyen formel de participation politique à l‘époque; il est toléré, mais pas institutionnalisé. Comme on l‘a déjà mentionné dans l‘introduction de la présente

234 Ce chiffre tient compte uniquement des pétitions tirées du corpus principal, sans mentionner celles que nous avons présentées en tant que pétitions « classiques » et qui font partie des sources secondaires, notamment, Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada.

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étude, la pétition collective, assez inhabituelle dans le contexte colonial français, fait preuve de l‘adaptation des Canadiens à une pratique anglaise de longue date.

Voici quelques constats tirés de notre analyse quantitative : si l‘on regroupe le nombre de pétitions par année, pour la totalité de la période étudiée (soit de 1764 jusqu‘en 1791), nous obtenons un total de 278 pétitions (dont 130 proviennent du fonds Haldimand, et 148 du fonds RG4 A1 et des journaux du Conseil législatif235). D‘autre part, si nous regroupons les pétitions par année, les années qui comptent le plus de pétitions collectives sont les suivantes : 1765 (36), 1783 (33), 1778 (23), 1781 (20), 1784 (17) et 1766 (19) (voir tableau 1). Même si nous y revenons plus attentivement ultérieurement, donnons quelques exemples : le 18 mai 1765, Montréal subit un gros incendie dont il est question dans plusieurs pétitions de cette année-là; neuf pétitions de 1783 abordent la mission des députés Adhémar* et Delisle* à Londres, envoyés avec une pétition au roi, demandant la permission d'amener des prêtres d‘Europe, et six pétitions proviennent de loyalistes désirant s‘établir dans la province; en 1778, sept pétitions abordent les changements apportés aux règlements relatifs aux postes; en 1781, plusieurs pétitions concernent les prisonniers rebelles.

235 Comme nous l‘avons déjà souligné dans l‘introduction, le contenu des fonds RG4A1 et Haldimand est semblable. En plus, les pétitionnaires présentent leurs pétitions à toutes les autorités politiques de l‘époque, aux gouverneurs et au Conseil, sans privilégier une instance plus qu‘une autre.

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Tableau 1 : nombre de pétitions par année

Année Nombre de pétitions Année Nombre de pétitions 1764 8 1779 11 1765 36 1780 13 1766 19 1781 20 1767 11 1782 12 1768 12 1783 33 1769 8 1784 17 1770 4 1785 8 1771 6 1786 3 1772 3 1787 5 1773 6 1788 5 1774 2 1789 2 1775 0 1790 4 1776 2 1791 1 1777 3 sans date 1 1778 23 Total 278

Par contre, nous avons trouvé très peu de pétitions pour les années 1775 et 1776; dans le contexte de l‘invasion américaine, toute la colonie sauf Québec est occupée par les Américains depuis novembre 1775 jusqu'en juin 1776, et le gouverneur Carleton proclame la « loi martiale » le 9 juin 1775 et suspend les séances du Conseil au mois de septembre. Le gouvernement civil n‘est rétabli qu‘à l‘été de 1776 et ensuite reprennent les séances du Conseil.

Remarquons qu‘en temps d‘agitation ou de crise, l‘occasion apparaît propice pour manifester les tensions (religieuses, sociales, ethniques et politiques) au sein de la sphère publique, puis le nombre de pétitions augmente amplement : l‘établissement de l‘Acte de Québec a fait naître beaucoup de pétitions dont l‘apogée a été la mission à Londres pour présenter au roi et au Parlement anglais des modifications significatives; l‘arrivée des loyalistes a aussi été l‘occasion de très nombreuses pétitions, pour ne nommer que ces deux situations d‘agitation ou de crise. Nonobstant, de manière générale, le flux des pétitions reçues par le Conseil et/ou les gouverneurs reste presque toujours constant tout au long de la période étudiée. Cela met en évidence le fait d‘une pratique généralisée et continue,

83 malgré le fait que les pétitions que nous appelons « classiques » semblent presque les seules connues à travers les études historiques consacrées à celles-ci.

Pour faciliter l‘identification des pétitions et l‘analyse de leur contenu, nous avons établi sept catégories à partir des thèmes prédominants dans chaque document; les voici : administration de la justice, commerce, vie quotidienne et régulations, propriété, transport et communications, politique et gouvernement, et autres (éducation, religion, prisonniers, loyalistes, salaires/demandes d‘emploi-charges/récompenses, divers). Chaque catégorie englobe des sujets connexes : la catégorie « administration de la justice » concerne l‘organisation de la justice, son exercice et les jugements rendus (la justice appliquée aux sujets); la catégorie « commerce » se réfère à des régulations ou réglementations commerciales, etc.; la catégorie « vie quotidienne et régulations » paraît peut-être la plus vaste, et elle discute des sujets de bien commun, entre autres les réglementations en vue d‘améliorer les conditions de vie de la population, la prévention des incendies, les communications; la catégorie « propriété » inclut les pétitions relatives à la demande de concessions de terres, à la reconnaissance des titres de propriété, etc.; quant à celle du « transport et communications », elle vise entre autres les réglementations à propos de postes, etc.; la sixième catégorie, « politique et gouvernement », touche plus largement à l‘administration de la colonie; finalement, la catégorie « autres » comporte des sous- catégories importantes, par exemple : loyalistes, religion, prisonniers, entre autres. Ces catégories permettent une certaine classification du contenu des pétitions, mais il ne s‘agit certainement pas de catégories étanches. Chaque pétition analysée peut faire partie de plus d‘une catégorie d‘après son contenu (voir tableau 2).

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Tableau 2 : nombre de pétitions selon catégorie

Catégorie de pétitions Nombre Administration de justice 25 Commerce 30 Vie quotidienne et régulations 74 Propriété 33 Transport et communications 19 Politique et gouvernement 37 Autres 98

Cette analyse fournit une foule d‘informations sur les préoccupations et les intérêts de la population ciblée et nous permet de les approfondir dans le cadre de notre recherche. Et si nous traduisons ceci en pourcentage, 23 % des sujets identifiés concernent la vie quotidienne de la population, ce qui rend compte de demandes de modification de politiques publiques et de régulations relatives au bien-être de la population, 12 % se réfèrent à la politique et au gouvernement; le commerce et la propriété totalisent chacun 10 % des sujets connexes identifiés. Quant à l‘administration de la justice, on la retrouve dans 8 % des sujets identifiés; enfin, 6 % des sujets identifiés sont relatifs au transport et communications. Cependant, rappelons qu‘il ne s‘agit pas de catégories étanches. Donc nous pouvons déjà saisir comment le fait de présenter des pétitions aux autorités politiques devient un important outil d‘expression de la population, traversant à la fois plusieurs sujets de préoccupation sur d‘intérêts variés.

3.2 Pratique pétitionnaire

D‘après notre analyse, nous remarquons que le nombre de pétitions adressées au Conseil se maintient sensiblement le même que le nombre de pétitions adressées directement aux gouverneurs, car la population présente ses griefs à l‘une et l‘autre instance sans distinction, en raison du contexte sociopolitique de l‘époque : il y a absence d‘institutions représentatives et parlementaires et les gouverneurs détiennent un pouvoir discrétionnaire sur certains sujets et ils président eux-mêmes les séances du Conseil.

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Parmi les pétitions repérées, certaines ont été envoyées directement au roi d‘Angleterre; cela démontre, d‘une certaine façon, le caractère vraiment sensible du sujet abordé et qui mérite, aux yeux des pétitionnaires, d‘être porté à la connaissance directe et personnelle du Roi. Malgré cela, on ne trouve pas une logique de fonctionnement institutionnalisée à l‘égard des pétitions, qu‘elles soient adressées au roi ou aux autres autorités politiques. Rien ne prévoit que, dans certaines circonstances, la pétition doit être présentée au roi plutôt qu‘aux autorités coloniales. Par contre, dans l‘Angleterre du XVIIIe siècle, la logique de fonctionnement pour présenter des pétitions au Parlement ou au roi indique que d‘abord on doit s‘adresser au Parlement (Chambre des Communes et Chambre des Lords) et, dans le cas d‘un refus par exemple, on s‘adresse au roi. Selon Bradley, les pétitions présentées en Angleterre en 1774 et 1775 au sujet de la Révolution américaine (pour ou contre), et refusées par les deux chambres pour ensuite être présentées au roi ont eu évidemment des conséquences marquantes au niveau constitutionnel. Le droit du sujet de pétitionner au roi remet en question un des acquis fondamentaux de la Glorieuse révolution : la souveraineté ultime du Parlement236.

3.2.1 Les pétitionnaires

Les profils des pétitionnaires sont très variés, ce qui nous est révélé par la façon dont ils s‘identifient en tant que groupe et par la structure même de chaque pétition237. Après la salutation formelle initiale à l‘autorité concernée, les pétitionnaires s‘identifient brièvement; en voici quelques exemples : les marchands de la Ville de Québec ou de Montréal, les bourgeois et autres habitants de la Haute ville de Québec, les bourgeois, armateurs et propriétaires de bâtiments à Québec, les maîtres des postes, les habitants de la paroisse de Pointe Levy, les boulangers de Québec, les nouveaux sujets, les officiers du régiment X, entre autres. Donc, l‘identification des pétitionnaires laisse supposer que cette pratique concerne aussi bien l‘élite de la population, souvent instruite, que les gens ordinaires, le « common people ». Nous abondons dans le même sens que Johnson qui affirme :

236 Voir Bradley, Popular Politics, p. 37-58. 237 Voir Introduction du présent travail, p. 5.

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It might be supposed that petitioning was a devise used primarily by the elite of Upper Canada –the educated, the literate, the well-off, and the official classes who had good connections to the Lieutenant Governor and his circle and knew how the system worked. It is likely that the elite submitted more than their share of petitions, but they certainly had no monopoly on the practice. The great majority of petitioners were ordinary people238.

Ensuite, la composition des groupes de signataires rend compte du fait que désormais les Canadiens participent de plus en plus à la présentation de pétitions. D‘après notre analyse, on peut constater que la participation des nouveaux sujets tout au long de la période étudiée est légèrement moindre que celle des anciens sujets. Or, ils utilisent en grand nombre la pétition pour des réclamations aux autorités et/ou pour faire entendre leurs opinions sur différents sujets d‘intérêt commun. Il existe aussi des cas où la présentation des pétitions se fait de manière conjointe.

En outre, même si nous avons établi comme principe général qu‘une pétition collective est une pétition signée par deux individus ou plus, ou en leurs noms, il nous semble plus approprié, dans le cadre de notre recherche, de distinguer encore celles qui sont signées par des groupes de dix personnes ou plus ou qui les concernent. Si les pétitions sont dressées, par exemple, par des partenaires commerciaux ou par les membres d‘une famille, cela implique que l‘objet de la discussion est un sujet privé, particulier et qui ne rejoint qu‘un nombre restreint de personnes. C‘est pourquoi il nous semble intéressant d‘identifier des groupes de pétitionnaires plus nombreux, car cela suppose que le contenu de la pétition rejoigne un plus grand nombre d‘individus, qu‘il exprime des intérêts plus généraux, plus partagés, plus publics239, voire politiques. Comme nous l‘avons déjà mentionné à la suite de Nancy Fraser, seuls les participants peuvent décider eux-mêmes de ce qui relève ou non de l'intérêt commun. Toutefois, rien ne garantit qu'ils soient tous d'accord. C‘est grâce à la contestation discursive qu‘ils arrivent à se décider. Ces pétitions révèlent donc chez la population une volonté de participer, de s‘exprimer, de discuter sur des sujets reconnus importants, sensibles; ces pétitions ont une portée « politique » dans la sphère publique québécoise.

238 Johnson, « 'Claims of Equity and Justice' », p. 222-223. 239 D‘après le quatrième sens du « public » qui entend Nancy Fraser : « pertaining to a common good or shared interest »; voir note de bas de page 15 du présent mémoire.

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Des 278 pétitions collectives analysées, presque la moitié sont signées par des groupes de plus de dix personnes ou représentent des groupes de plus de dix personnes. Ce chiffre augmente, même si les signatures ne sont pas apposées, quand on examine l‘auto- identification des pétitionnaires (les habitants de Québec et Montréal, les loyalistes de…) et le sujet abordé, car nous pouvons induire la participation d‘un nombre appréciable d‘individus à partir de l‘objet même de la pétition. Notre recherche nous a aussi permis d‘identifier quelques pétitions dites « monstres » (même si elles sont presque les seules connues à travers les études scientifiques), car elles concernent des groupes de centaines, voire de milliers des personnes240.

En outre, plusieurs « contre-pétitions » révèlent une significative division d‘opinions parmi la population concernée par l‘objet de celle-ci. Donc les pétitions et contre-pétitions sont possiblement l‘outil qu‘utilisent les habitants pour protéger leurs intérêts ou les faire reconnaître face aux intérêts divergents d‘autres groupes en se faisant entendre par les autorités. Par exemple, face à la pétition de construction d‘un quai par Mess. Johnston & Purss dans le cul-de-sac proche au Quai du Roy, des marchands, armateurs et propriétaires de bâtiments de la ville de Québec (au nombre de 21 signataires), contre-pétitionnent à leur tour, priant d'interdire ladite construction, car cela rétrécira le port et la rue en préjudice du passage des charriots, la charge et décharge des vaisseaux, causant aussi du dommage pour le commerce de la province241. Même en Virginie, au XVIIIe siècle, les législatures étudient les contre-pétitions leur permettant d‘évaluer la portée des décisions relatives à la création d‘un nouveau comté ou la modification des limites d‘un autre comté242.

240 C‘est l‘exemple de la « classique » contre –pétition « La très humble adresse des citoyens et habitants catholiques romains des différents états dans la province de Québec », Shortt et Doughty, DC, p. 749, comptant environ 2400 noms. Selon Tousignant, la presque totalité des signataires était « représentée » devant notaire, incapable d‘aller signer à Montréal en personne, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 322. La force du nombre (même s‘il ne semble pas tout à fait représentatif) révèle le pouvoir des pétitions ou contre-pétitions dans ce cas. 241 6 octobre 1773, RG4 A1, p. 7035. Dans la séance du conseil du 8 octobre 1773, on lit : « the said Johnston and Purss have no right or Authority to erect any Quay or other building upon the Spot in Question in virtue of the said Lease, but are obliged, by the Tenor thereof, to keep the Additional Space included in the said Lease, free of all Rubbish, Stones or Rocks, and all other things dangerous to Navigation », Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 141. 242 Bailey, Popular Influence upon Public Policy, p. 75-80.

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Somme toute, la pratique pétitionnaire est devenue pour la population un outil d‘expression politique de premier ordre dans la sphère publique québécoise, par sa portée, par sa forme d‘organisation (ou non) et comme moyen de représentation et de participation. Selon Campbell,

Regardless of the success or failure of the petition, such documents can provide important insights concerning societal attitudes. Whether the signatories were members of an organized group with a specific platform and goals, or a group of unorganized individuals who coalesced around a specific issue, an analysis of the demographic characteristics of the supporters of the issue can enhance our understanding of political attitudes and political culture243.

Bref, nous constatons l‘importance majeure, d‘une part, des pétitions comme outil d‘expression politique de la population et, d‘autre part, de la pratique pétitionnaire (outil de participation) en général dans la sphère publique québécoise.

3.2.2 Les femmes et les pétitions

Les femmes participent à la sphère publique québécoise de la moitié du XVIIIe siècle grâce à la pratique pétitionnaire. En effet, d‘après le dépouillement des sources nous retrouvons de pétitions signées par des femmes, dont quelques-unes au nom d‘une communauté religieuse ou d‘une institution religieuse. Même si la participation des femmes est bien moindre que celle des hommes, l‘identification de ces pétitions laisse entrevoir la présence des femmes dans leur communauté, et l‘importance des pétitions (et de la pratique pétitionnaire) comme outil des femmes voulant faire entendre leurs voix et présenter leurs demandes auprès des autorités244.

Par ailleurs, parmi les pétitions repérées, nous pouvons distinguer celles visant à demander la jouissance des droits établis, et celles dont l‘objectif est de modifier, d‘une

243 Gail G. Campbell, « Disfranchised but not Quiescent: Women Petitioners in New Brunswick in the Mid- 19th Century », Acadiensis, 18, 2 (1989), p. 24. 244 Quoique dans un autre cadre temporel, il est intéressant de reprendre cette idée de Campbell : « Yet for those who wish to analyse the nature and significance of women's political role in the 19th century, petitions provide the key. Only through the medium of petition could a woman gain official access to her government or express her views about policy to the legislators. Thus, the petition provides a useful measure of the signatory's knowledge of the way government worked, her degree of interest in the issues of the day, and her attitudes concerning those issues », ibid., p. 24.

89 certaine façon, des lois. Trois communautés religieuses, entre autres, vont utiliser la pétition pour essayer de modifier des lois. C‘est le cas de deux pétitions des sœurs de l‘hôpital général de Québec, datées du 1er et du 16 janvier 1781; ayant reçu la seigneurie de Berthier par legs testamentaire de Monsieur Charles Desbergeres de Rigauville, « prêtre et chanoine de la Cathédrale de Québec, et Grand vicaire de Monseigneur l'évêque », les sœurs demandent la mise en possession de cette seigneurie et la remise du droit d'amortissement « en vertu de leurs services aux soldats, matelots et aux pauvres ». Mais l'héritière de M. De Rigauville, Mme. L'Estringant de St-Martin s‘oppose au legs245 et réplique à son tour par une pétition. De leur côté, les sœurs de l'hôpital général de Montréal présentent une pétition le 29 janvier 1781, dans laquelle elles demandent la remise des droits d'amortissement sur la seigneurie de Châteauguay « acquise au nom des pauvres en 1765 »; enfin le 20 février 1781, les religieuses séculières de la Congrégation de Montréal pétitionnent en réclamant la remise des droits d'amortissement sur le fief connu sous le nom d'île Saint-Paul. Dans tous les cas, ces pétitions sont adressées au gouverneur Haldimand; celui-ci ordonne finalement la remise des droits d'amortissement. Nous constatons que la demande de concession de seigneuries ou de terres n‘est pas une question réservée exclusivement aux hommes, comme nous pouvions d‘abord le supposer.

Nous trouvons aussi parmi les documents ciblés des requêtes de femmes dont les maris sont de prisonniers, et qui se mettent d‘accord entre elles pour réclamer leur élargissement ou la possibilité d‘aller les rejoindre. Par exemple, dans une pétition datée du 2 juillet 1788, Mmes. Elizabeth Phillips et Dorothy Windecker (épouses des loyalistes Nicholas Phillips et Henry Windecker, des Rangers sous les ordres du Colonel Butler) demandent « qu'il leur soit permis d'aller rejoindre leurs maris à Niagara 246». Plus précisément, ces femmes, grâce à la pratique collective de pétitionner, donnent plus de poids à leurs demandes.

En résumé, concernant les pétitions des femmes, nous en avons repéré quelques-unes tout le long de la période étudiée. Elles sont surtout des demandes individuelles : demandes

245 2 janvier 1781, Fonds Haldimand, vol.21883, p. 167-169. 246 Fonds Haldimand, vol.21874, p. 213.

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de pensions à cause du décès de leurs maris247, suppliques pour l‘élargissement de leurs maris ou leurs fils emprisonnés. Dans d‘autres cas, les représentations sont faites au nom d‘une communauté religieuse, notamment de demandes de remise des droits des propriétés acquises, etc. Donc, la participation des femmes dans la sphère publique québécoise de la période étudiée n‘est pas exactement du même ordre que celle des hommes. Bref, la plupart des pétitions collectives de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, dans notre corpus, sont dressées et signées par des hommes (surtout d‘origine européenne, c'est-à-dire, excluant ceux d‘origine autochtone248). La présence des femmes dans la sphère publique québécoise, reliée à la pratique pétitionnaire, reste quand même un terrain à explorer.

3.3 Analyse de contenu

Dans le chapitre précédent nous avons mentionné que de nombreuses pétitions analysées font état de débats dans la sphère publique québécoise, concernant de matières d‘intérêt commun à la population, aux habitants. Quoique les frictions entre la population et le gouvernement sur les grands sujets politiques, et les pétitions issues à ces égards, sont assez connus pour l‘historiographie sociopolitique québécoise (les controverses sur l'application des lois britanniques et sur la création d'une Chambre d'assemblée prévue par la Proclamation royale de 1763, sur l‘importance des lois et des institutions françaises par rapport aux lois et institutions anglaises, sur le contrôle des revenus de la province, en plus d'autres désaccords concernant le commerce et la religion), nous nous concentrons maintenant sur des pétitions plus nombreuses et moins connues. Compte tenu de cela et dans le but de comprendre pourquoi, comment et dans quelle mesure le fait de pétitionner aux autorités politiques est devenu une pratique participative politique utilisée dans la sphère publique québécoise, nous examinons plus en détail quelques pétitions collectives ciblées pour notre étude. Alors, nous exposons notre analyse regroupée dans quelques-unes des catégories établies précédemment à partir des thèmes les plus remarquables de chaque document.

247 Selon l‘étude de Bogin, dans le cas des pétitions en Amérique à l‘époque de la Révolution des colonies américaines, « Women used petitions principally for individual goals », dans « Petitioning and the New Moral Economy », p. 396. 248 Voir note en bas de page 19.

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Bien qu‘une présentation assez détaillée des résultats puisse sembler un peu lourde pour le lecteur, nous présentons seulement quelques-unes des pétitions ciblées dans notre analyse, groupées dans sept des catégories que nous avons établies et qui illustrent le caractère politique de la pétition comme pratique participative collective dans la sphère publique québécoise.

3.3.1 Vie quotidienne et régulations

Cette catégorie est la plus vaste – comme son nom peut le suggérer —, car elle concerne des discussions d‘intérêt public ou commun dans la sphère publique québécoise, des demandes de modification de politiques publiques et de régulations relatives au bien- être de la population : régulation du prix du pain, prévention des incendies, construction de quais, ouverture de chemins, construction de ponts, etc., -ce qu‘on peut nommer « public works » —, mais qui touche aussi à plusieurs autres catégories. Ceci étant dit, on voit donc dans cette catégorie le caractère politique de la sphère publique autrement.

Les pratiques monopolisatrices étant chose assez courante, il ne suffit pas de fixer les prix. Or, en plus des sanctions que le gouverneur Murray proclame en 1760, il adopte une réglementation très rigide du marché du pain et du bœuf. En 1767, Pierre Le Chaume, boulanger de Québec est traduit en justice pour avoir tente d‘instaurer le monopole de la farine à son profit. Il est accusé d‘avoir acheté de grandes quantités de farine chez les habitants pour la revendre ensuite à un plus haut prix aux autres boulangers249. À cet égard, en 1767, quatre-vingt-dix citoyens de la ville et district de Montréal signent une représentation au gouverneur Carleton lui demandant de prohiber l'exportation du blé de la province, car le bien-être des citoyens consiste à avoir du pain à un prix raisonnable, ce qui serait impossible pour la plupart des gens sans l‘intervention du gouverneur250. En outre, le 5 mai 1768, Messieurs Gabriel Messayer, Augustin Cuvillier, John Haussmann, John Salle & Pierre Le Chaume, tous maîtres boulangers, à la suite des fraudes commises dans leur métier, demandent l'octroi de licences comme preuve de leur profession. Ils demandent

249 Ouellet, Histoire économique et sociale, p. 52-53 250 RG4 A1, p. 6107-6110.

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aussi d'inclure quelques réglementations sur le pain251. Par la suite, à la séance du Conseil du 29 août 1768, on lit le rapport du Comité à propos de la pétition des maîtres boulangers et on ordonne que le procureur général prépare une ébauche d‘ordonnance conforme aux résultats252. Nous constatons à l‘instar de Fyson que les différents groupes professionnels, même les boulangers, constituant la sphère publique, utilisent les pétitions collectives pour faire valoir leurs intérêts particuliers, comme apporter des modifications aux conditions de travail ou à l‘augmentation des règlementations de leur commerce par l‘État253. Encore, l‘aspect d‘« adaptabilité des Canadiens » ressort à chaque débat.

D‘autre part, plusieurs pétitions s‘intéressent à la prévention des incendies, après le gros feu faisant rage à Montréal le 18 mai 1765 et causant beaucoup de dommages. C‘est, entre autres, le cas de la lettre et de la pétition de Messieurs Walker et Knipe, juges de paix de Montréal, qui présente l‘état de la situation après un incendie qui vient de détruire 121 maisons; ils évoquent aussi la nécessité de trouver des logements pour la garnison autres que les maisons des particuliers qui peuvent s‘avérer utiles pour accueillir des familles ou des amis affectés par le sinistre. À cet effet, le Conseil décide d‘envoyer à Montréal deux membres du Conseil, Adam Mabane et Benjamin Price, pour s‘informer eux-mêmes de la situation et informer le Conseil sur les mesures appropriées pour aider les habitants en difficulté, ayant aussi « the Power of Distributing to the Amount of 300£ Currency amongst the people most necessitous in the said City of Montreal a list of whom was to be transmitted by them with the Sums of Money respectively Advanced to each Person254 ». En outre, les marchands et principaux habitants de la ville de Québec, font des représentations au gouverneur en Conseil dans un mémoire signé par dix-sept personnes; ils demandent la désignation d'une personne dont le rôle est de faire observer les ordonnances

251 Ibid., p. 6276-6277. Voir séance du Conseil en même date. 252 Journaux du Conseil, Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 27. 253 Fyson, « The Conquered and the Conqueror », p. 15-17. 254 22 mai 1765, Journaux du Conseil, Volume A (13 août 1764 à 22 mai 1765), p. 276. Voir aussi dans la séance du 27 juin 1765, la « lecture des pétitions des victimes du dernier incendie à Montréal (« […] together with a particular Recount of the Loss taken at Montreal by The Hon. Adam Mabane and Benjamine Price ») », et la détermination du Conseil d‘envoyer Benjamine Price en Angleterre « with the said Petitions and Account » pour représenter vis-à-vis les différentes autorités, afin d'obtenir des réparations pour les personnes souffrantes, Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 23.

93 et régulations concernant les incendies et leur prévention, pour le bien-être de la population255.

Puis, au mois de décembre 1772, John Aitkin, John Dechenaux, George Gregory, François Baby, John Melwen & John Purss, « tous membres de la Société amiable256 », adressent un mémoire au président du Conseil (Hector Theophilus Cramahé) lui proposant de lutter contre tout ce qui peut tendre à provoquer des incendies, comme les cheminées « dévoyées257 » et en interdire l‘utilisation258. De même, en 1773, les membres de la « société des syndicats » et d‘autres habitants importants de Montréal présentent une pétition signée par trente-deux personnes dans laquelle ils se plaignent de la construction par quelques bouchers de hangars de bois au marché, ce qui représente un vrai danger en cas d'incendie259. Puis en 1790, certains habitants du quartier St-Roch à Québec pétitionnent pour la prévention des incendies; par la suite, on établit une ordonnance permettant aux démunis de faire ramoner leurs cheminées à la charge du gouvernement, une fois par mois260. En somme, ce sont tous des cas reflétant l‘état d‘un débat (les incendies) si délicat dans la sphère publique, autant pour la population que pour les autorités, et qui demande des discussions dans l‘opinion publique ainsi que de solutions politiques concrètes de la part des autorités.

Par ailleurs, en ce qui a trait aux conditions de salubrité de la population, en 1767, Messieurs Stephen Moore, John Franks et Peter Faneuil, habitants de la Basse-Ville de Québec, font des représentations au Conseil sur l'état des rues : saleté, boue, empilement de bois dans les rues, porcs circulant dans les rues, etc. ; ils dénoncent les possibles dangers

255 1er juillet 1768, RG4 A1, p. 6303-6305. Voir séance du Conseil du 4 juillet 1768. 256 La Société amiable constitue une société privée de lutte contre les incendies constituée en 1769. Issue de cette ancienne société, la Société du feu voit le jour, en 1789. Ce nouvel organisme met en place des moyens de prévention plus efficaces et dispose, entre autres, de cinq pompes à bras auxquelles s‘ajoutent sept pompes possédées par la garnison et des particuliers. Musée de la Civilisation Québec, Place Royale, d’aujourd’hui à hier, « Incendies » http://www.mcq.org/place-royale/en/themes.php?id=4&ver=1, consulté le 2 novembre 2012. 257 Au sens de « vétustes ». 258 29 décembre 1772, RG4 A1, p. 6944-6945. Voir séance du Conseil du 22 avril 1773. 259 19 mars 1773, ibid., p. 6999-7001. Voir séance du Conseil du 24 juillet 1773. 260 30 mars 1790, Journaux du Conseil, Volume F (11mars 1790 au 30 avril 1791), p. 93.

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pour la santé des habitants et recommandent que « an Order to every Inhabitant to remove the mud from before his own house might be effectual to remedy that nuisance 261». Plus loin, en 1789, quelques habitants de Montréal réclament au Conseil l‘annulation de la coutume nommée l‘abandon des animaux (laisser errer les bestiaux dans les chemins publics), puisque cela met en danger la vie des habitants et s‘avère injurieuse à l‘agriculture262. Même si cela devient un sujet de régulation de la part du gouvernement, ceci ne reste principalement qu‘un objet de discussion dans la sphère publique et de prise de conscience de la population concernée.

En outre, des bourgeois de la ville de Québec, propriétaires de maisons situées en contrebas du Château St-Louis, réclament qu‘on intervienne, car ils craignent pour leurs maisons et leurs vies à cause du mauvais état du bâtiment à la suite d‘un bombardement lors du siège de 1759; ils demandent que Son Excellence [le gouverneur James Murray en Conseil] ordonne la visite des architectes du roi et qu‘intervienne pour résoudre cette situation263. Ici, la discussion sur la sécurité des habitants est au cœur du débat dans l‘opinion publique et interpelle les autorités.

D‘ailleurs, le 6 août 1781, les « habitants du faubourg Saint-Laurent à Montréal » présentent un mémoire signé par vingt-deux personnes concernant la division d'un terrain de M. Sanguinet et demandant l‘interdiction de se faire, dû aux changements — négatifs — apportés au faubourg264, tandis qu‘en 1782, des citoyens de la ville de Québec s‘adressent au gouverneur Haldimand à l‘égard de la construction d'un quai dans la Basse-Ville, soulignant que la plage est déjà étroite et que cela nuira aux habitants. On compte environ cinquante signatures dans la représentation rédigée en français et environ soixante-dix dans celle rédigée en anglais265. En outre, le 31 mai 1784, les citoyens de Montréal demandent la

261 14 novembre 1767, ibid., Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 252. 262 8 avril 1789, ibid., Volume E (15 janvier 1787 au 30 avril 1789), p. 481. 263 12 juin 1766, RG4 A1, p. 5822. 264 RG4 A1, p. 8178-8181. 265 Ibid., p. 8219-8221. En janvier 1783, « quelques citoyens de Québec » présentent au Conseil législatif une pétition concernant la construction d'un quai sur la grève de la basse ville (« at all times they have enjoyed the free right of the beach in the Lower town ») ce qui nuirait à la ville et à ses habitants en rendant impossible le passage des canoës avec des provisions. (Le rapport du comité du Conseil est signé par Henry Hamilton, et parle des titres sur lesquels est basée la réclamation); Fonds Haldimand, vol.21859, p. 3.

95 permission d'ouvrir dans la ville un chemin pour les voitures à partir du fleuve jusque vis-à- vis la nouvelle église266. Cette même année, les « citoyens et bourgeois de Notre-Dame de Bon Secours » à Montréal présentent une pétition signée par douze personnes dans laquelle ils demandent qu'on élargisse les rues et qu'on enlève la poterne en ruine pouvant causer des accidents afin de permettre la circulation des voitures267. D‘autre part, trente-six habitants de la paroisse de Berthier signent une pétition dans laquelle ils demandent à Haldimand la construction d'un pont pour traverser au Chemin de la poste; ils argumentent qu‘ils payent annuellement des droits de passage au seigneur de Berthier, ce qui serait suffisant pour défrayer la construction d‘un pont dont la durée de vie semblerait de trente à quarante ans268. Dans leur ensemble, ces pétitions touchent des changements urbanistiques pouvant comporter des incidences sur les conditions de vie (confort, accessibilité, sécurité, etc.) de la population concernée. Reprenant Nancy Fraser, ce sont des représentations dont on discute des sujets d‘intérêt commun dans la sphère publique, et on interpelle les autorités pour régler la situation au moyen des politiques publiques.

Quant aux groupes de pétitionnaires, comme nous l‘avons mentionné précédemment, on constate d‘après notre analyse que presque la moitié des pétitions ciblées sont signées par des groupes de plus de dix individus ou représentant des groupes de plus de dix personnes, étant donné l‘implication d‘un bon nombre d‘habitants révélée par le contenu des demandes. Quoi qu‘il en soit, ce chiffre peut augmenter, même si on ne voit pas de signatures apposées sur les documents, car la présentation des pétitionnaires suggère la participation d‘un nombre remarquable d‘individus (par exemple : les habitants de Québec et Montréal, les maîtres boulangers, les marchands et principaux habitants de la ville de… les bourgeois de la ville de Québec, etc.) dans la sphère publique québécoise.

266 Fonds Haldimand, vol.21723, p. 118 (?). Avant d'avoir reçu une réponse aux observations sur les fortifications envoyées par Twiss, il ne permet pas de changement, mais il espère qu‘il le pourra bientôt. 267 Barry St-Leger dans une lettre au major Mathews lui communique qu‘« il a visité le quartier de Notre- Dame de Bon Secours, à la suite de la pétition reçue de la part des citoyens et bourgeois les plus respectables. Il est peu probable que cette partie de la ville soit attaquée; il ne voit pas d'objection à ce qu'on ouvre une ruelle ou qu'on élargisse la porte à cet endroit. Montréal n'est rien moins qu'une place défendable », 27 mai 1784, Fonds Haldimand, vol.21790, p. 165. 268 Sans date, Fonds Haldimand, vol.21874, p. 151. Étant peut-être la suite de cette pétition, on retrouve le 14 juillet 1782, des témoignages des habitants de Berthier et de St-Cuthbert, ayant demandé un pont sur la rivière, signée en présence des notaires de la province de Québec (« partie des notables ont signées cette présente et partie ont déclarés ne savoir écrire ont fait leurs marques ordinaires [...] »), vol.21885, p. 154.

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En somme, cette catégorie nous permet de faire le point sur les discussions dans l‘opinion publique provoquées par des problèmes concernant un grand nombre d‘habitants, leur vie quotidienne et leur bien-être, et comment ils proposent des modifications et/ou régulations à des politiques publiques au moyen des pétitions collectives.

3.3.2 Administration de la justice

Nous partageons l‘avis de John Dickinson, selon lequel « Parmi les craintes les plus vives des anciens comme des nouveaux sujets, du moins si l‘on se fie à la correspondance officielle, furent les incohérences dans la manière dont on administrait la justice269 ». Par l‘ordonnance du 17 septembre 1764, James Murray établit les premières institutions judiciaires et décrète que dorénavant il faut juger « toutes les causes civiles et criminelles conformément aux lois de l'Angleterre et aux ordonnances de cette province270 », sauf pour les causes ayant débuté avant la Proclamation Royale de 1763. Les deux cours créées par cette ordonnance se tenaient deux fois par année et les frais étaient considérables. De plus, les personnes poursuivies pour dettes pouvaient être emprisonnées contrairement à la pratique sous le régime antérieur alors que leurs biens étaient saisis et vendus aux enchères271. Tout cela occasionne incertitudes, confusions et malentendus et se reflète dans les griefs de la population.

Même si tout employé de l'État est censé prêter le « serment du test », lequel comporte l‘abjuration de la foi catholique et la non-reconnaissance de l'autorité du pape, presque personne n'est soumis; les Canadiens occupent beaucoup de places dans la fonction publique et notamment dans le système judiciaire; les contrats notariés sont rédigés en français aussi bien qu'en anglais; le droit français prime dans la plupart des causes concernant les Canadiens; presque tous les juges comprennent le français (sauf le tout

269 John Dickinson, « L'administration chaotique de la justice après la Conquête : discours ou réalité?», dans Giovanni Dotoli, dir., Canada : Le rotte della libertà, Fasano, Schena, 2005, p. 117. 270 « Ordonnance établissant des cours civiles », 17 septembre 1764, Shortt et Doughty, DC, p. 180-185. Parmi les cours créées par l‘ordonnance, le Banc du Roi (King‘s Bench) constituait la plus haute cour, tandis que celle de niveau inférieur (pour des causes civiles) était la cour des plaidoyers communs (Common Pleas). Voir Burt, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 78-79. 271 Dickinson, « L'administration chaotique de la justice », p. 120.

97 premier juge en chef, William Hey272); les jurys sont mixtes, ce qui engendre la colère du petit groupe des marchands britanniques qui réclament tous les droits de citoyens britanniques et refusent d‘accepter que des catholiques puissent servir de jurés dans quelque litige que ce soit273. Dans ce sens, les marchands et partenaires Mess. Isaac Levi, Levi Solomons, Benjamin Lyon, Gershen Levi, Ezekiel Solomons et Chapman Abraham, prient la constitution d'une commission de faillite pour le soulagement des débiteurs (en accord avec les lois d'Angleterre), puisqu‘ils ont été prisonniers des sauvages et dépourvus des marchandises pour un gros montant d'argent et ils ont fait faillite274. Selon Dickinson, « les luttes autour du droit sont imbriquées dans les luttes pour la domination sociale et politique; les plaintes croissent en fonction du degré de tension entre Canadiens et anciens sujets275 ».

Plusieurs pétitions font état des couts et des temps de la justice. Notamment, la pétition de plusieurs témoins venus de Montréal pour témoigner dans un cas, priant d'être remboursés pour les dépenses et la perte du temps276, mais aussi celle des juges de la cour des plaidoyers communs, réclamant des ajustements salariaux surtout à cause des dépenses pour les voyages fréquents à Montréal277. D‘autre part, la confusion quant à l‘administration de la justice fait que, en 1766, des avocats français [Canadiens] de la Cour des plaids communs réclament par une pétition « Inconveniency of Writs of Certiorari278 being issued from the Supreme Court to the Court of common pleas ». Le Conseil répond que « an Ordinance be framed to prohibite such Writs for the future, As it evidently frustrates the Intention and Spirit of the Ordinance of the 17th September 1764 regulating

272 « Le juge en chef n‘avait aucune connaissance particulière du système juridique français et, quand il siégeait au tribunal, il avait besoin d‘un interprète », Peter Marshall, « Hey, William», DBC, http://www.biographi.ca/009004-119.01-f.php?&id_nbr=1947, consulté le 1er novembre 2012. 273 Voir Fyson, « De la common law à la Coutume de Paris », p. 157-172, et « The Canadiens and the Conquest of Quebec », p. 25. 274 8 février 1768, RG4A1, p. 6208-6209. 275 Dickinson, « L'administration chaotique de la justice », p. 126. 276 22 avril 1765, Journaux du Conseil, Volume A (13 août 1764 à 22 mai 1765), p. 219. 277 5 octobre 1765, ibid., Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 75. 278 Le writ of certiorari constitue un recours extraordinaire utilisé par un tribunal supérieur pour casser ou annuler l‘ordonnance ou la décision rendue par un tribunal inférieur n‘ayant pas la compétence requise pour rendre cette décision.

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the Courts of Justice, by which every Cause must be determined And Judgement issued before it can be removed from an Inferior to a Superior Court279 ».

Le premier février 1770, on approuve et adopte l‘ordonnance concernant la régulation des Cours de justice dans la province de Québec. L‘ordonnance stipule, entre autres, que

[…] sont expressément abrogées, révoquées et annulées toutes les ordonnances de même que tout article, toute clause ou toute phrase accordant à tout juge de paix la juridiction, le pouvoir ou l'autorité d'entendre et de juger les causes concernant la propriété privée.

[…] tout juge de paix ou toute autre personne qui commettra quelque acte ou quoi que ce soit contraire à l'objet, à la véritable portée et à la signification de la présente ordonnance, outre qu'il ou qu'elle sera passible d'une poursuite criminelle il ou elle devra payer à la partie lésée une amende représentant trois fois la valeur du dommage que cette dernière aura subi par suite de tel acte ou de quoi que ce soit contraire à ladite ordonnance.

[…] la cour des plaids communs qui ne siégeait dans la ville de Montréal qu'à certains jours et à certaines époques après s'être ajournée à Québec […], sera et qu'elle est par les présentes instituée en une cour d'archives, munie de sa juridiction propre, indépendante de la cour des plaids-communs de Québec à laquelle elle ne sera liée en aucune façon […]280

Le profond mécontentement des magistrats et des commerçants s‘exprime alors à travers diverses requêtes : le 18 avril 1770, divers marchands et autres habitants de la ville de Québec présentent un mémoire dans lequel ils prient le Conseil d‘abroger ou de modifier l'ordonnance concernant la régulation des Cours de justice; puis, des marchands de la ville de Montréal présentent une pétition « [...] for the more effectual Administration of Justice and for regulating the Courts of Law in this Province may be repealed or amended281 ».

Dans un tout autre contexte, mais toujours reflétant les débats dans l‘opinion publique, les citoyens et habitants de Trois-Rivières au nombre de dix signataires, adressent une

279 30 juillet 1766, Journaux du Conseil, Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 188. 280 « Ordonnance pour rendre plus efficace l‘administration de la justice et réglementer les cours civiles de cette province », 1er février 1770, Shortt et Doughty, DC, p. 382-396. 281 18 avril 1770 et 23 mai 1770, Journaux du Conseil, Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 106 et 110.

99 pétition au gouverneur Haldimand, en 1778, demandant l'établissement de cours de justice convenables dans le district, vu que

Les cours de justice nous ont été retranchées, par l‘érection d‘une cour de tournée qui se fait deux fois l‘année, qui nous est d‘autant plus disgracieuse, qu‘il est souvent impossible d‘y faire paroitre les personnes avec lesquelles nous pouvons avoir affaire, par le soin qu‘elles prennent de s‘absenter dans le tems que les cours font leur tournée282.

En outre, l‘application de la justice dans des cas spécifiques de jugements déjà rendus dont on souhaite l‘exécution ou la prolongation, fait aussi l‘objet de représentations. Ainsi, le 26 juillet 1765, Joseph Gridley pétitionne en son nom et au nom de Samuel Gridley & Co. –tous deux étant marchands de la ville de Québec-, concernant un jugement sur des lettres de change et ils demandent l‘autorisation d‘en appeler ce jugement, étant donné

That in Consequence of this Judgement Execution issued And was immediately served on a Ship which is not the property of your Petitioners, And also on goods and Effects the property of your petitioners on Board the said Ship, which has greatly distressed your Petitioners by preventing their Sending the necessary Supplys of goods and provisions to their Fisherys in the Gulph of St Lawrence, where their fishermen unless speedily relieved will be in the Utmost Danger of perishing for want of provisions283.

Le préjudice auquel les pétitionnaires peuvent encourir tout autant que les pêcheurs qui se voient privés des provisions à cause de l‘exécution du jugement (conforme aux lois britanniques), amène à pétitionner aux autorités.

Encore, selon la représentation des 37 signataires loyaux sujets, habitants de la ville de Québec, l‘application de la justice doit s‘accomplir par la constitution d'une commission spéciale, et ce, pour rendre justice à l'égard du crime commis contre deux citoyens qui voyageaient vers Nova Scotia284.

Par ailleurs, le 13 mai 1779, le procureur général Monk* envoie au lieutenant- gouverneur Cramahé la pétition des boulangers de Québec exposant un abus qui pourrait

282 17 juillet 1778, Fonds Haldimand, vol.21880, p. 105. 283 Journaux du Conseil, Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 81-84. 284 4 août 1784, Fonds Haldimand, vol.21880, p. 164.

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porter préjudice aux pauvres de la province. À cette fin, « Les juges de paix ont assigné des témoins pour le 19, et Son Excellence désire avoir une opinion afin de savoir jusqu'à quel point le statut d'Édouard VI contre les accapareurs285, est applicable au présent cas286 ». Encore, on se plaint et on demande d‘administrer la justice ce qui ne semble pas évident vu la confusion sur la portée des lois. De plus, demandant justice pour le « repos public et la tranquillité des citoyens », Mess. LeBrun, James Woods et d‘autres personnes informent Son Excellence [Haldimand] d'un viol commis sur une femme par plusieurs soldats de la garnison, « le plus atroce que l‘on n‘ait entendu parler depuis longtems ». En plus, les pétitionnaires mentionnent qu‘on ne peut pas « laisser courir les soldats dans la ville toutes les nuits ainsi qu‘ils le font journellement287 ».

Malgré le fait que ceux ne sont que quelques exemples des préoccupations et des griefs de la population dans la sphère publique québécoise, nous pouvons constater que ces pétitions touchant au fonctionnement et l‘organisation du pouvoir judiciaire ou à l‘application et administration de la justice, sont reliées au pouvoir politique et comportent des conséquences sociopolitiques parmi la population.

3.3.3 Commerce; Transport et communications

Bon nombre de pétitions s‘intéressent aux affaires commerciales, mais concernent en même temps d‘autres matières. Grosso modo, comme le commerce représente une préoccupation pour la population et pour le gouvernement, la Proclamation royale de 1763 se révèle vite une véritable entrave pour la nouvelle colonie britannique. Même le commerce des fourrures – le secteur le plus dynamique de l'économie — décline parce qu'il

285 « Par le statut des cinquièmes et sixièmes années d‘Édouard VI, chap. XIV, il a été statué que quiconque achèterait du blé ou grain avec intention de le revendre, serait réputé accapareur frauduleux, et serais, pour la première fois, condamné à deux mois de prison et à une amende montant à la valeur du blé; pour la seconde, à une incarcération de six mois et à une amende du double de cette valeur; et, pour la troisième fois, mis au pilori, condamné à une incarcération aussi longue qu‘il plairait au roi et à la confiscation de tous ces biens meubles et immeubles », Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Volume 2, Paris, Guillaumin et Cie., 1859, p. 301. 286 Fonds Haldimand, vol.21863, p. 9. 287 24 juin 1783, Fonds Haldimand, vol.21879, p. 128-129.

101 n‘est plus possible de s'approvisionner dans les réservoirs pelletiers des Grands Lacs et du Nord288. Tout cela fait l‘objet de multiples pétitions.

Déjà l‘institution des permis de traite vise deux objectifs essentiels : assurer l‘efficacité du contrôle et limiter le nombre des traiteurs289. De plus, les traiteurs doivent dorénavant limiter leurs activités autour des postes. À cet égard, Fenton souligne le fait que

While the traders in the old colonies were accustomed to the Indians bringing their furs to the posts, the Canadian traders, the coureurs de bois, had for a century been free to winter among the Indians. When Johnson restricted the trade to specified posts in 1765, the Quebec merchants, English and French, violently opposed the restriction as being not only detrimental to trade, but to the Indians as well290.

En effet, depuis le début du gouvernement civil, les protestations et pétitions contre ces régulations se multiplient. Les intéressés craignent la fin du commerce des fourrures, secteur essentiel de l‘économie comme nous l‘avons déjà noté plus haut.

Ainsi, dès le 27 août 1764, des marchands de Québec pétitionnent pour obtenir la permission de faire du commerce avec les Indiens du pays d'en Haut291. Aussi, le 31 octobre 1765, Messieurs William Brymer, John Gray et autres pétitionnent relativement à la question des phoques et autres pêcheries sur la côte du Labrador, car selon eux, certains ordres du gouvernement « seem entirely to deprive us And the great number of people we employ, of the fruits which we hoped would accrue from the Labour Industry & Expence we have bestowed on these Settlements for these four years by past292 ». En plus, le 30

288 Cependant, comme l‘indique Fyson : « […] by reorienting themselves to controlling the trade toward the interior of the continent, and specially through their relationships with the Natives who supplied the furs, Canadien merchants adjusted to the new regime », dans « The Canadiens and the Conquest of Quebec », p.24. 289 Ouellet, Histoire économique et sociale, p. 74. 290 Fenton, « Petitions, Protests, and Policy », p. 211-212 291 La réplique du gouverneur Murray était la suivante : « That he had not hitherto received any one article of instructions relating to the said Indian affairs, that although it is indeed reported that the war with these nations is at an end and that a peace is concluded with them, that he has not as yet received any intimation thereof from the Commander in Chief, nor any instructions, on that head. But that the moment, His Majestys orders and instructions relative to the regulations to be entered into, for carrying on the Indian Trade shall arrive Permissions will be immediately granted conformable thereto », Journaux du Conseil, Volume A (13 août 1764 à 22 mai 1765), p. 22-23. 292 Ibid., Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 85-86.

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mars 1766, cinquante-deux négociants de la Ville de Montréal présentent un mémoire concernant le commerce et la traite avec les sauvages des pays d'en Haut293. Un autre mémoire des marchands et commerçants britanniques et canadiens de Montréal, en date du 5 avril 1769, concerne les difficultés du commerce indien dans le pays d'en Haut et demande aux autorités d‘établir des régulations294.

Il appert que les régulations et restrictions imposées par la Proclamation de 1763 rendent le sujet du commerce – surtout avec les pays d‘en Haut- au cœur des préoccupations débattues dans l‘opinion publique, impliquant autant les Canadiens que les anciens sujets (même si le rôle de la bourgeoisie commerçante canadienne apparaît plus prédominant). De plus, la concurrence entre Montréal et Albany motive les commerçants canadiens à pétitionner aux autorités.

En plus des difficultés mentionnées dans le contenu des représentations, la disparité de la monnaie et le changement des devises posent bien des embarras aux commerçants et marchands et, évidemment, aux administrateurs coloniaux. À un moment donné, dans la Province de Québec circulent trois monnaies nationales! L‘une des premières mesures que doit prendre le Conseil est l‘adoption d‘une monnaie uniforme pour toute la colonie. À cet effet, par l‘ordonnance de Murray du 23 novembre 1759, on établit une table d‘équivalence des monnaies courantes. Cependant, Québec adopte la devise Halifax tandis que Montréal et Trois-Rivières adoptent la devise York. En 1764, une fois le gouvernement civil en place, une nouvelle ordonnance (14 septembre 1764295) établit une nouvelle table d‘équivalence et un nouveau cours monétaire. Ainsi, le cours de la Nouvelle-Angleterre est préféré à celui d‘Halifax. Aux dires de Burt, « the Halifax and the York systems had their

293 RG4 A1, p. 5732-5740. Fenton spécifie que « their memorial to James Murray requesting permission to winter among the Indians was sent by John Welles, Johnson‘s deputy in Montreal, to Johnson. This memorial was signed by a majority, almost two to one, of Canadians. The English included fur traders Richard Dobie, John Thompson, James Finlay, Joseph Torry, James Morrison, Samuel Holmes, Isaac Todd, Michael Wade, Robert and John Stenhouse, Jonas DeSaulles, Lawrence Ermatinger, John Porteous, John Livingston, John Jennison, Matthew Lessey, Benjamin Frobisher, and John Welles », dans « Petitions, Protests, and Policy », p. 212. 294 En conséquence, le Conseil décide de nommer un comité « to take the aforesd Memorials into Consideration and to report their Opinion thereon as well as upon the form of the licences and Bonds for the Indian Trade now in use », Journaux du Conseil, Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 47- 48. 295 Voir Gazette de Québec, 4 octobre 1764.

103 strong partisans in Quebec and Montreal, respectively296 ». À cet égard, des marchands de Québec et d‘autres habitants présentent un mémoire au Conseil pour la continuation de la devise Halifax (Halifax currency), tandis que des marchands de Québec et Montréal pétitionnent en faveur de la « New England lawful money297 ». Encore en 1766, des marchands et commerçants de Québec présentent un mémoire qui compte 27 signataires. D‘après eux, les deux tiers des gens d‘affaires ne s'accoutument pas à la devise de la Nouvelle-Angleterre (changement survenu à la suite de l‘ordonnance de 1764) et ils demandent l'annulation de l'ordonnance au bénéfice des intérêts commerciaux de la province298. Dans le même ordre d‘idée, le 31 août 1767, plusieurs marchands de Québec signent une pétition demandant le remplacement de la devise par celle de la Nouvelle- Écosse; à la suite de cela, le Conseil décide de mener une enquête à Montréal afin d‘évaluer si le changement demandé semble avantageux pour les habitants de cette partie de la province299. Quelles sont donc les conséquences sociopolitiques des débats et des représentations concernant les devises, et comment cela affecte la population? Sans doute, l‘adoption d‘une politique monétaire satisfaisante à la plupart : aux commerçants, aux marchands, à la population en général et aux autorités coloniales. Cela fait en sorte d‘empêcher la spéculation -en dépit surtout des plus démunis-, la balance commerciale négative, le manque de numéraire, entre autres.

D‘autre part, les changements qui surviennent dans l‘agriculture (qui passe d‘une plutôt de subsistance à une autre commerciale) donnent aussi lieu à des pétitions dans l‘espace public québécois, notamment concernant la transformation des matières premières. Dans ce sens, Mess. Benjamine Price, John Hay et Samuel Jacobs prient en 1765 pour la concession des maisons et des terres pour faire du malt et pour distiller des spiritueux « from corn », arguant « That such a Work is of the greatest Advantage to this province by the consumption of one of the Staple Commoditys of the Country ». Le Conseil reconnait dans sa réponse que « appearing to us that such Works are a Benefite to the Country And an

296 Burt, The Old Province of Quebec, Volume I, p. 108. 297 10 septembre 1764, Journaux du Conseil, Volume A (13 août 1764 à 22 mai 1765), p. 39-40. Dans le système de la Nouvelle-Angleterre, le dollar valait six shillings, étant supérieur aux deux autres systèmes. 298 31 août 1766, RG4 A1, p. 6167. 299 Journaux du Conseil, Volume B (31 mai 1765 à 28 décembre 1767), p. 247.

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Encouragement to Agriculture, We are of Opinion that a Lease for Ninety nine years may be granted the Petitioners300 ». C‘est le même cas de la pétition de Samuel Jacobs, John Welles & Co., demandant la concession des ruines de la forge du Roi, pour continuer leurs travaux de manufacture « for carrying on the Manufactury of Pearl Ashes, or extracting Salt from vegetables301 ».

Mais c‘est aussi le cas des demandes de licences et de permis d‘exportation. Messieurs Davison et Lees*, marchands de Québec, pétitionnent et prient les autorités de leur accorder la permission de transporter un chargement de bétail; Pierre et Jean-Baptiste Marcoux pétitionnent dans le même sens en demandant la permission d'exporter à Halifax de la farine et des biscuits302. Le débouché des produits agricoles du Québec se trouve à l‘origine de ces représentations. Même si nous constatons une prépondérance de pétitions de la part des marchands canadiens, les tout premiers responsables de l‘ouverture des nouvelles voies commerciales sont les marchands britanniques. Il existe pourtant des pétitions dans lesquelles on réclame la suspension du prélèvement sur des droits d‘importation. Notamment, cinquante et un négociants, marchands, bourgeois et habitants de la province de Québec pétitionnent les autorités de suspendre le prélèvement sur les droits d‘importation de l'eau de vie Britannique303.

D‘ailleurs, le 13 mars 1787, des marchands de Québec et Montréal présentent une pétition concernant les suggestions du chef de justice sur de possibles modifications de lois qui comporteraient des incidences sur les intérêts commerciaux de la province; cette pétition est signée par 48 personnes304.

Intimement lié au commerce, le transport – surtout à cause de la prohibition de faire du commerce avec les postes du Nord — devient une des phases du conflit. En fait, le commerce conduit au développement de la navigation sur les Grands Lacs par des

300 15 juillet 1765, ibid., p. 36-37, 39-40 et 88. 301 4 juillet 1768, ibid., Volume C (25 janvier 1768 au 16 septembre 1775), p. 20. 302 18 juillet et 5 août 1783, RG4 A1, p. 8552 et 8568. 303 10 juillet 1766, RG4 A1, p. 5859. 304 Journaux du Conseil, Volume E (15 janvier 1787 au 30 avril 1789), p. 42-43.

105 entreprises privées, mais cette navigation, aux dires de Burt, « because it might fall into the hands of the Americans, by collusion or otherwise, was a danger to the British possession of the western posts ». En conséquence, Carleton interdit en 1777 la navigation de tous les navires sauf ceux du gouvernement305. Or, le 4 août 1784, des marchands de Montréal présentent une pétition dans laquelle ils demandent que les vaisseaux appartenant aux particuliers disposent de la permission de transporter des marchandises sur les lacs; la réduction de l'armement naval leur fait craindre que leurs marchandises ne puissent atteindre les marchés dans le pays d'en Haut306.

D‘autre part, le service des postes, son fonctionnement et sa réglementation font l‘objet de pétition à maintes reprises, car ce service de transport de paquets est d‘une grande importance pour le gouvernement et le public en général en plus de constituer une voie de communication privilégiée. Notamment, 26 maîtres de poste effectuent des représentations à cause de la situation dans laquelle ils se trouvent : on leur a promis le privilège exclusif de mener toutes les personnes qui voyagent en utilisant le transport des postiers entre Québec et Montréal. De plus, ils se plaignent qu‘« il n‘y a ni ordre ni règlement qui subsiste vis-à-vis les voyageurs, nous avons des disputes continuelles, on nous insulte, et souvent même on nous bat ». À la suite de cette pétition, on peut lire l‘ordonnance présentée par M. Finlay* (directeur général des postes) concernant l‘établissement des bureaux de poste publics, avec pour but d‘assurer ce service et de favoriser le commerce « by an easy and speedy communication307 ». Dans le même sens, quelques mémoires présentés au cours de l‘année 1778 par des marchands de Montréal dénoncent les embarras que leur causent les changements aux règlements relatifs aux postes, tout comme ceux des marchands de Québec et d‘autres habitants, attirant l‘attention de l‘opinion publique sur des abus dans

305 Néanmoins, « For transportation it had to rely on the vacant space offered by the commanders of the ―king‘s‖ ships, who had orders to accept private freight in so far as it did not interfere with the ―king‘s service‖ », Burt, The Old Province of Quebec, Volume II, p. 24-25. 306 Fonds Haldimand, vol.21833, p. 172. D‘autre part, on trouve la réponse à leur pétition de la part de Haldimand et du major Mathews, en date du 9 août 1784 (Transmet l'ordonnance pour qu'un troisième vaisseau soit employé sur les lacs Ontario et Érié. Il ne peut pas considérer d‘accorder la permission de naviguer aux navires privés. On transmet la réponse à leur pétition et on attire leur attention sur leur retard à payer le fret des marchandises transportées par les navires du roi sur les lacs; on les prie de payer ponctuellement leurs dettes à ce sujet). 307 6 avril 1778, Journaux du Conseil, Volume D (17 août 1775 au 20 février 1786), p. 31.

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l'administration des postes entre Québec et Montréal308. En plus, des maîtres de postes dont les bureaux sont situés sur la route entre Québec et Montréal présentent une pétition sur laquelle on dénombre environ 30 signatures, et dans laquelle ils demandent une augmentation du prix des postes pour le public seulement, « attendu la cherté extraordinaire des fourrages, avoines et autres denrées pour la vie309 ». En somme, nous constatons que le service de postes, concernant différents participants à la sphère publique québécoise (voyageurs, maîtres de poste, commerçants, marchands), fait l‘objet de débats dans l‘opinion publique et de présentation des pétitions, avec des impacts au niveau sociopolitique.

Par ailleurs, nous repérons des pétitions relatives aux conditions de navigation des pilotes sur le fleuve St-Laurent, adressées à Lord Dorchester; ces pétitions, dont l‘une est signée par 11 personnes310, et une autre par 32 habitants de Montréal, demandent aux autorités un traversier régulier de Montréal vers Longueuil (« [...] and to ascertain reasonable rates of Passage at the same311 »). Dans la première représentation, les pétitionnaires annexent un plan pour le pilotage sur le fleuve St-Laurent. Cela regarde l‘implication théorique et pratique dans la sphère publique, des personnes concernées par le sujet en question et la possibilité d‘influencer les décisions politiques des autorités.

3.3.4 Loyalistes 312

Dès le début des négociations de paix avec les Américains et à la suite de l'indépendance américaine, de très nombreux loyalistes quittent les États-Unis, car il n'y a plus de place pour eux dans leur propre pays. Dès 1783, on compte plus de 40 000 loyalistes partis en exil. La province de Québec qui inclut encore à ce moment-là le «pays d'en haut » (la future province de l'Ontario) accueille seulement 18 % des réfugiés. À ce moment, le sort des loyalistes devient une des préoccupations de premier ordre pour le

308 30 septembre et 3 novembre 1778, Fonds Haldimand, vol.21877, p. 13 et 32. 309 15 janvier 1780, Fonds Haldimand, vol.21878, p. 195. 310 11 janvier 1787, Journaux du Conseil, Volume E (15 janvier 1787 au 30 avril 1789), p. 304-305. 311 11 juin 1773, RG4 A1, p. 6983-6984. 312 Pour un aperçu plus vaste de la question des loyalistes, voir Christopher Moore, The Loyalists : revolution, exile, settlement, Toronto, Macmillan of Canada, 1984, ix, 218 p.; et Burt, The Old Province of Quebec, Volume II, p. 76-115.

107 gouvernement britannique qui doit alors les indemniser pour les confiscations et les pertes qu‘ils ont encourues. Selon Moore, « after the American war, the British government announced it would hear claims and offer compensation to colonist who had suffered for their loyalty. Many of those who claimed had no particular wealth, fame or position 313». Après la première vague de loyalistes, d'autres Américains quittent les États-Unis pour venir occuper les nouvelles terres que le gouvernement colonial offre aux nouveaux arrivants.

De plus, comme nous l‘avons décrit, les loyalistes refusent d'être soumis aux lois civiles françaises et au régime seigneurial de la province de Québec et ils réclament un régime différent de celui des Canadiens et un gouvernement séparé de celui de la province de Québec. Néanmoins, il faudra attendre 1791 pour voir le Québec divisé entre le Bas- Canada (Québec) à l'est et le Haut-Canada (Ontario) à l'ouest. Cette division de la province de Québec assurera une certaine tranquillité, en créant des foyers distincts pour les nouveaux arrivants loyalistes d‘une part, et pour les Canadiens d‘autre part, même s'il y a aussi des loyalistes établis dans ce qui deviendra le Bas-Canada — dans les villes, autour de Sorel, dans les Cantons de l'Est.

Les pétitions analysées constituent donc une autre évidence de la présence des loyalistes sur le territoire depuis la fin des années 1770 (à part la correspondance des gouverneurs). Par exemple, la pétition des loyalistes de Saint-Jean, sur laquelle on dénombre environ quatre-vingts signatures, est adressée à Haldimand en 1783, par l‘intermédiaire de William Marsh [?], et exprime leur gratitude pour la protection accordée pendant la guerre des colonies américaines et lui demande aussi des terres pour s'établir314. Cela semble aussi le cas de la pétition des loyalistes venus de New York, qui demandent des denrées et du combustible avant le premier du mois de mai, et la permission de s'établir au Québec. Le document est « Signed in behalf of our brother loyalists at a general meeting », même si on ne compte que trois signatures315. En 1784, environ quatre-vingt-dix loyalistes signent une pétition, toujours adressée à Haldimand, demandant des terres dans le

313 Moore, The Loyalists, p. viii. 314 7 juin 1783, Fonds Haldimand, vol. 21875. 315 24 octobre 1783, ibid., p. 67.

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but de s‘établir dans la province de Québec316; une autre pétition loyaliste demande aussi la concession de terres dans la province, et professe en plus leur l'obéissance fidèle à Sa Majesté317. Puis en 1785, des loyalistes établis sur un nouvel emplacement le long du Saint- Laurent demandent au lieutenant-gouverneur en Conseil, Henry Hope*, des provisions jusqu'au 24 septembre, ainsi que la possibilité d'obtenir des terres318.

Il n‘y a pas un an que les loyalistes sont établis dans les nouveaux cantons que déjà les principaux chefs loyalistes adressent au roi leur première pétition. Celle-ci souligne

Que la tenure des terres au Canada les soumet aux règles, hommages, réserves et restrictions sévères des lois et coutumes françaises si différentes des tenures peu sévères auxquelles ils étaient habitués et dont les autres sujets de Votre Majesté continuent de jouir.

Ils demandent de ce fait la création d‘un « district distinct » administré par un lieutenant-gouverneur et un Conseil « revêtus des pouvoirs nécessaires pour l'administration intérieure, mais subordonnés au gouverneur et au conseil de Québec, comme l'île du Cap-Breton l'est maintenant au gouvernement de la Nouvelle-Ecosse319 ». Alors, dès le début de l‘année 1786, on envisage la possibilité d‘une division de la province de Québec320.

Somme toute, les représentations et les demandes des loyalistes après le conflit des colonies américaines obligent les autorités coloniales à prendre des mesures politiques à leur égard, soit la concession de terres, soit la création d‘un district distinct pour eux. Donc, leur présence dans la province de Québec, et dans le Bas-Canada par la suite, façonne notablement la sphère publique québécoise. De plus, pour les Britanniques de la colonie, la création d‘une nouvelle province regroupant les loyalistes établis au nord du lac Ontario les prive d‘une force importante. Aussi voient-ils avec désarroi le maintien du système

316 20 janvier 1784, Fonds Haldimand, vol. 21822, p. 161. 317 15 mars 1784, ibid., p. 206. 318 RG4A1, p. 8957-8958. 319 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 366. Voir « Pétition de Sir John Johnson* et des loyalistes », 12 avril 1785, Shortt et Doughty, DC, p. 758. 320 Voir à cet égard « Instructions à Lord Dorchester, 1786 », ibid., p. 801.

109 seigneurial et des lois françaises existantes dans la vallée du Saint-Laurent, la nouvelle province du Bas-Canada.

3.3.5 Prisonniers

À cause de la nature du fonds Haldimand (une de nos sources principales), qui ramasse à la fois le côté civil et le côté militaire des archives publiques, nous avons ciblé plusieurs requêtes de prisonniers, en grande majorité des rebelles de la guerre des Treize Colonies américaines, surtout entre 1776 et 1783, exposant des demandes de pardon, de soulagement dans leur situation et même des demandes d‘argent pour subvenir à leurs besoins.

Datée du 5 juin 1776, du Séminaire de Québec, des prisonniers rebelles pétitionnent le gouverneur Carleton, lui demandant du soulagement dans leur situation et d'être libérés sur parole. Ils suggèrent aussi l'échange de prisonniers; on compte environ 30 signatures sur cette pétition321. Un peu plus tard, le 23 juillet 1776, des prisonniers venus des Colonies et détenus aussi au Séminaire demandent dans une pétition, peut-être aussi adressée à Carleton, une avance d'argent pour subvenir à leurs besoins les plus urgents322; cette pétition est signée par Christopher Green « au nom de tous ».

Au cours de l‘année 1779, dans plusieurs pétitions adressées au gouverneur, des prisonniers demandent leur libération, sur parole dans certains cas. Pour montrer le caractère critique de leurs demandes, ils signalent par exemple, que « They are almost naked wanting clothing against the approching cold winter323 ». Dans certains cas, les prisonniers qui demandent leur élargissement constituent des officiers rebelles.

Ce qu‘on veut saisir par ces exemples c‘est que la pratique de pétitionner est ouverte même à des prisonniers, qui en principe sont privés de leurs droits civils (sauf dans le cas des prisonniers de guerre, qui gardent leurs droits). Donc, le caractère de prisonnier des pétitionnaires ne les empêche pas d‘influencer d‘une certaine façon les décisions des autorités, ayant des effets sur la sphère publique québécoise

321 Fonds Haldimand, vol.21841, p. 8. 322 Ils demandent exactement « One hundred pounds Halifax currency », ibid. p. 17. 323 13 août 1779, Fonds Haldimand, vol.21843, p. 37.

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3.3.6 Religion

La liberté de pratique du catholicisme est déjà reconnue depuis 1763 dans le Traité de Paris. Dans son Article 4,

Sa Majesté Britannique convient d'accorder aux Habitans du Canada la Liberté de la Religion Catholique; En Consequence Elle donnera les Ordres les plus precis & les plus effectifs, pour que ses nouveaux Sujets Catholiques Romains puissent professer le Culte de leur Religion selon le Rit de l'Eglise Romaine, en tant que le permettent les Loix de la Grande Bretagne324.

Néanmoins, l'interprétation précise de ces derniers mots est ce qui devient objet d‘obstacles et de problèmes. Bref, des débats dans l‘opinion publique avec l‘objectif d‘attirer l‘attention des administrateurs sur un sujet si cher aux « nouveaux sujets ». En outre, un acte du Parlement en 1774 confère une existence légale au culte de la religion catholique romaine dans la province de Québec; c‘est pourquoi les Canadiens veulent exercer et conserver ce culte et, pour eux, la liberté de culte inclut nécessairement avec elle la liberté de prendre les moyens de l‘obtenir et de l‘exercer.

Dans ce contexte, l‘ordination de nouveaux prêtres devient une préoccupation majeure pour les Canadiens, qui craignent le futur de la religion catholique. Nous avons déjà abordé la toute sensible question des disputes entrainées par la mission Adhémar-Delisle, mission à caractère politique et clérical, objet de multiples débats dans l‘opinion publique et source de nombreuses pétitions et contre-pétitions « classiques ». Cette mission à son précédent – avant l‘instauration du gouvernement civil — au moment où les habitants de Québec, Montréal et Trois-Rivières, demandent la nomination d‘un évêque et élisent un député pour aller porter leurs représentations devant le roi.

Toutefois, d‘autres problèmes reliés à la religion préoccupent aussi la population. Par exemple, Haldimand reçoit une pétition des habitants de la Rivière-Ouelle, dont les pétitionnaires demandent au curé de quitter le presbytère. Le gouverneur renvoie à l‘évêque de Québec ladite pétition, car la décision sur la partie spirituelle de la plainte contre le curé est un ressort de l'évêque, même s‘il désapprouve le style de la représentation. Il ordonne

324 « Traité de Paris 1763 », Shortt et Doughty, DC, p. 86. Les mots surlignés sont de nous.

111 aussi au capitaine de milice de venir immédiatement rendre compte de sa conduite irrégulière et indécente en avertissant le curé, à la demande des habitants, de quitter le presbytère. Il ajoute que

Je suis trop bien informé de la bonne conduite que le clergé du Canada a tenu envers le Gouvernement, lors de l‘invasion des rebelles, pour ne pas reprimer la moindre insolence qui pouvoit leurs être offertes, de la part des habitants, et j‘ay trop de confiance dans votre zêle, pour le service du Roi, et dans votre justice envers Son Peuple pour permettre à qui que ce soit d'empiéter sur Vos Droits et désobéir à Vos Ordres325.

En outre, les habitants de Trois-Rivières, au nombre de 16 signataires, demandent à Haldimand la concession d‘une partie d‘un emplacement enclavé sur « le terrain du Roy » pour y construire un presbytère, car ils n‘ont pas d‘autre place pour le construire326.

Dans l'ensemble, les discussions dans la sphère publique québécoise concernant des matières reliées à la religion – si précieuse pour les Canadiens — et la pratique de pétitionner aux autorités coloniales à cet égard comportent dans plusieurs cas des conséquences politiques.

3.3.7 Autres

La sphère publique québécoise étant assez complexe, toute sorte de discussions dans l‘opinion publique – à part celles présentées précédemment — peuvent donner lieu à des pétitions collectives de la part de la population. Entre autres, les habitants de Montréal présentent une pétition à Haldimand pour faire nommer M. Doty, l'aumônier, à la direction d'une école publique à Montréal, décidant son approbation faute d'objection à la nomination327. Aussi, les habitants de Percé demandent à Haldimand leur protection, à cause de la présence des rebelles dans leur côte. La réponse ne se faisant pas attendre fait état de la faiblesse de la marine et son insuffisance pour protéger les habitants sur la vaste côte de cette station, mais promet de faire de son mieux328. Dans une autre adresse des

325 13 juin 1780, Fonds Haldimand, vol.21726, p. 202-203. 326 24 février 1783, Fonds Haldimand, vol.21879, p. 109-110. 327 23 novembre 1780, Fonds Haldimand, vol.21819, p. 164. 328 8 et 9 juin 1779, Fonds Haldimand, vol.21800, p. 51-52.

112

« principaux Citoyens Nouveaux Sujets de la ville de Québec » au gouverneur (1781), ceux-ci expriment l'indignation qu'ils ressentent d'une nouvelle tentative d'invasion et « des malheurs d‘une guerre cruelle », et leur détermination de résister à l'invasion329.

***

En conclusion, l‘analyse des pétitions collectives ciblées nous permet donc de mettre en évidence plusieurs facteurs : qui sont les pétitionnaires (d‘après leurs noms, leur auto- identification sociale, leur type de signature, leurs professions, leur sexe, leur lieu d‘origine; voir tableau 3), dans quel contexte sociopolitique ils pétitionnent, qui sont les destinataires des pétitions, et quel est le contenu de celles-ci, c'est-à-dire, pour quoi pétitionnent-ils. Cette analyse nous permet aussi de mettre en lumière, le fait que pétitionner aux autorités politiques devient une pratique participative qui traverse les différentes couches de la population, faisant ressortir l‘opinion publique de gens et renforçant le caractère politique de la sphère publique québécoise.

Ainsi, nous constatons que les pétitions concernent un très large éventail de matières dont le degré d‘importance se révèle variable, quoique leur but reste – dans la plupart de cas — d‘influencer les politiques publiques. Nous constatons aussi que la pétition collective en tant qu‘outil d‘expression et la pratique pétitionnaire elle-même, s‘avère un moyen qu‘utilise la population (anciens et nouveaux sujets) pour communiquer au gouvernement toute sorte de préoccupations, des demandes de modification à certaines politiques publiques et même des propositions de changements politiques majeurs, obtenant parfois des réponses favorables.

329 Ibid. p. 30.

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Tableau 3 : nombre de pétitions selon lieu d’origine

Lieu d'origine Nombre de pétitions Québec 204 Montréal 51 Trois-Rivières 2 Berthier 1 Cataraqui 1 Gaspé 1 Grondines 1 Île-aux-Noix 1 Machiche 1 Saint-Antoine et de Lotbinière 1 Saint-François 1 Saint-Jean 3 Sorel 1 Londres 5 sans indication 4

Même si les pétitions présentées ici semblent — dans certains cas — assez simples ou superficielles, quand nous les analysons en profondeur, nous découvrons leur portée et leur influence dans la sphère publique québécoise et dans le cours des événements politiques. Comme nous l‘avons déjà mentionné, chaque pétition analysée touche en général différentes matières comportant des incidences plus ou moins grandes sur la population. Pour clarifier, une difficulté concernant le transport peut compter des conséquences au niveau du commerce et par la suite des effets sur la politique coloniale. Ainsi, les changements urbanistiques interpellent les autorités quant à leur régulation. Un problème religieux compte sans doute des impacts au niveau politique. En outre, les demandes et les réclamations des loyalistes arrivés dans le territoire québécois, en plus d‘avoir des effets sur la propriété, se répercutent sur le niveau administratif et politique en fonction du poids démographique et des caractéristiques distinctes de la population qu‘elles représentent. La salubrité, la sécurité, le bien-être de la population sont tous objets des débats dans la sphère publique québécoise et réclament au moyen des pétitions collectives l‘intervention politique des autorités coloniales. Bref, chaque cas pose un nouveau défi aux autorités coloniales et amène des conséquences politiques.

114

CONCLUSION

Le présent travail a donné lieu à une recherche approfondie sur les pétitions collectives et leur contribution au développement de la sphère publique politique au Québec, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Or, cette sphère publique est conçue comme un espace intermédiaire entre la société civile et l‘État (au sens moderne des mots), dans lequel le rôle des individus en tant que participants à cet espace se manifeste de diverses manières, dont les pétitions collectives et la pratique pétitionnaire. Nous prenons la théorie de la sphère publique d‘Habermas comme prémisse à toute discussion sur la pratique politique au sens plus large, et sur la pratique pétitionnaire en particulier. Encore, d‘autres notions clefs ont été mises en relation aux fins de notre recherche : le public, l‘opinion publique, les espaces de sociabilité, l‘imprimerie et la presse.

La Conquête, les changements politico-institutionnels qui suivent, les intérêts divergents des groupes sociaux, entre autres, suscitent des préoccupations et des discussions d‘intérêt public dans la population (autant les « anciens » que les « nouveaux sujets »). Dans ce contexte, le fruit d‘une opinion publique émergente dans la sphère publique québécoise se manifeste à travers les pétitions collectives, puisqu‘elles la font circuler surtout grâce à l‘imprimerie et la presse.

Plusieurs constats ont été tirés au cours de ce mémoire. D‘abord, nous avons souligné le fait que les pétitions collectives sont l‘une des formes d‘expression de la population et qu‘elles communiquent de manière générale l‘intérêt commun des gens, elles manifestent donc l‘opinion publique. La pétition est une pratique communicative, dont le flux d‘information se répand de la périphérie vers le centre du pouvoir330. Selon Zaret, « No communicative practice for sending messages from the periphery to the center had greater legitimacy than petitioning»331.

Ensuite, la pratique pétitionnaire utilise toujours une rhétorique déférente. Nous avons constaté que les pétitionnaires emploient souvent des métaphores religieuses. Ainsi, ils se

330 Voir Zaret, Origins of Democratic Culture, p. 68. 331 Ibid., p. 81.

115 présentent comme d‘« humbles » serviteurs qui « supplient » pour obtenir le soulagement de leurs réclamations, toujours « priant » pour la santé du souverain et pour son bon gouvernement, affirmant ainsi leur obéissance aux autorités. La rhétorique dans les pétitions limite et nuance l‘impact que connaîtrait l'expression du grief sans cette rhétorique, de sorte qu'elles n'impliquent pas que « la volonté populaire » incarne une source d'autorité. Selon Zaret, « In this form grievance appears as a neutral conveyance of information that eschews prescribing solutions but leaves that to the wisdom of the invoked authority332 ». Cela nous ramène au fait que la pratique de pétitionner aux autorités politiques ne remet pas en question la structure du pouvoir établi, au moins directement, mais qu‘elle peut influencer les décisions politiques des autorités en place.

D‘ailleurs, les pétitions semblent une pratique dont l‘expression est assez spontanée, dans le sens qu‘elle ne représente pas une volonté partisane préexistante. Ainsi, même si nous avons analysé plusieurs pétitions concernant certains groupes ayant des intérêts spécifiques (pensons aux groupes ethniques ou professionnels), le fait d‘acheminer des représentations aux autorités coloniales demeure le moyen d‘exprimer des besoins précis, à des moments particuliers.

En outre, les « contre-pétitions » révèlent une significative division dans l‘opinion de la population concernée par l‘objet de celle-ci. Donc les pétitions et contre-pétitions adressées aux autorités sont un outil qu‘utilisent les habitants pour protéger leurs intérêts ou les faire reconnaître face aux intérêts divergents d‘autres groupes. Ensuite, par l‘identification des pétitionnaires – et contre-pétitionnaires — nous admettons que cette pratique concerne aussi bien l‘élite de la population, souvent instruite, que les gens ordinaires (même ceux qui ne savent pas signer leurs noms).

Encore, la pétition collective, assez inhabituelle dans le contexte colonial français, démontre la capacité d‘adaptation des Canadiens à une pratique anglaise avec une longue histoire, même si dans la sphère publique québécoise de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, elle est utilisée par toute la population. Effectivement, presque la moitié des pétitions analysées pour cette étude rend compte de la participation des Canadiens. En

332 Ibid., p. 90.

116

faisant l‘apprentissage des « libertés anglaises » par la lecture des articles des journaux et des lettres envoyées aux imprimeurs, par des discussions sur leurs droits et leurs libertés, les Canadiens apprennent à présenter leurs griefs, leurs inquiétudes et leurs suggestions de changements, par de « respectueuses adresses » envoyées aux autorités politiques. En effet, au dire de Tousignant, « on leur avait enseigné très tôt que la liberté ne pouvait se concevoir sans le respect de l‘ordre établi dans l‘esprit de la Constitution britannique 333». C‘est pourquoi, au-delà des questions portant sur la forme des pétitions (sont-elles bien structurées ou non?), nous pouvons avancer que le traitement des demandes, d‘après leur contenu, est plutôt favorable aux intéressés.

Enfin, nous avons constaté que de manière générale, le flux de pétitions reçues par les autorités coloniales demeure presque toujours constant tout au long de la période étudiée, ce qui relève d‘une pratique généralisée et continue. Cela signifie que les pétitions ne représentent pas seulement un outil privilégié lors d‘événements politiques majeurs ou de crises, mais dans des occasions et situations variées.

Somme toute, la pratique pétitionnaire est devenue pour la population un outil d‘expression politique dans la sphère publique québécoise, par sa portée, par sa forme d‘organisation (ou non) et comme moyen de représentation et de participation. Bref, la discussion, les rassemblements, la participation, l‘intérêt général incarnent tous des éléments liés à l‘utilisation des pétitions collectives et renforcent notamment le développement de la sphère publique québécoise, désormais à contenu politique.

Sujet délaissé par les historiens qui ont surtout ciblé leurs recherches sur le fonctionnement de la pratique pétitionnaire dans le cadre des institutions parlementaires classiques, nous croyons donc que notre recherche contribuera à une meilleure connaissance d‘un aspect de l‘histoire sociale et politique québécoise et canadienne. Or notre corpus, à savoir les pétitions collectives puisées dans les fonds d‘archives, nous ayant aidés à répondre à nos questionnements, laisse pourtant supposer qu‘il reste quand même plusieurs réflexions qui peuvent amorcer des pistes d‘analyse nouvelles. Notamment, la forme des pétitions (peut-on identifier une évolution dans la technique de monter une

333 Tousignant, « La genèse et l'avènement de la Constitution », p. 39.

117 pétition?), le rôle et la participation des autochtones et celui des femmes d‘après la pratique pétitionnaire dans la sphère publique québécoise.

***

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ANNEXE I : Les contemporains

*Classés par ordre alphabétique

ADHÉMAR, JEAN-BAPTISTE-AMABLE (1736-1800)

Négociant, capitaine de milice et juge de paix, Adhémar voyage à Londres en 1778, pour remettre au secrétaire d‘État des Colonies américaines, lord Germain, une pétition signée par de marchands britanniques du Canada. Il est le seul Canadien à signer ce document demandant le rappel de l‘Acte de Québec. En 1783, il présente au gouverneur Haldimand, une requête signée par 300 paroissiens de Notre-Dame lui demandant de renvoyer l‘ordre d‘expulsion de deux prêtres français (François Ciquard et d‘Antoine Capel, sulpiciens) entrés clandestinement au Canada. En 1783, Adhémar et Jean De Lisle sont élus comme délégués à Londres, représentants de l‘élément canadien. Ils y voyagent accompagnés de William Dummer Powell, celui-ci allant porter une pétition des marchands britanniques relançant la campagne visant à obtenir pour le Canada une forme de gouvernement et un système judiciaire plus conformes à ceux d‘Angleterre.

AINSLIE, THOMAS (1729-1806)

Homme d‘affaires, fonctionnaire et officier de milice. En 1757, il s‘établit à Halifax, où il acquiert une certaine notoriété. En 1759, il obtient une partie du commerce de ravitaillement à Louisbourg, île du Cap-Breton. De 1760 à 1762, Ainslie, nommé par Murray, administre les postes du roi, comptoirs de traite des fourrures placés sous la tutelle du gouvernement et situés dans le bas Saint-Laurent, où il détient pour un temps le monopole de ce commerce. Comme receveur des douanes, Ainslie joue un rôle de premier plan dans l‘administration des douanes et dans la réglementation du commerce de la province pendant presque 40 ans. Il détient la responsabilité de l‘enregistrement des vaisseaux, de l‘inspection des acquits-à-caution des marchands, de la recherche des marchandises taxables dans les cargaisons importées, de la perception des droits de douane, du dédouanement des cargaisons exportées et de l‘application des lois commerciales de l‘Empire. En 1764, il est nommé juge de paix. À la suite de l‘invasion de la colonie par les Américains, il s‘engage volontairement comme capitaine dans la milice britannique à Québec.

BABY, FRANÇOIS (1733-1820)

Homme d‘affaires, officier de milice, fonctionnaire, homme politique, seigneur et propriétaire foncier, Baby participe notamment à la bataille des Plaines d'Abraham et à la bataille de Sainte-Foy. En 1773, on le charge de présenter à Londres la pétition des marchands et des seigneurs canadiens en prévision de l'adoption de l'Acte de Québec. Pendant l'invasion américaine de 1775-1776, il occupe le poste de capitaine de la milice de Québec. En 1778, il est nommé au Conseil législatif et fait partie du Conseil privé du gouverneur Frederick Haldimand. Il est aussi juge de paix du district de Québec à compter de 1779 et membre du Conseil exécutif en 1784 et de 1791 jusqu'à sa mort.

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BERTHELOT DARTIGNY (ou d‘artigny), MICHEL-AMABLE (1738-1815)

Avocat, notaire, juge et homme politique, Berthelot Dartigny étudie au Séminaire de Québec de 1749 à 1751 et de 1754 à 1757. Il obtient sa commission d'avocat en 1771 et sa commission de notaire en 1773. Avec ses confrères avocats, il fonde la Communauté des avocats en 1779. Après l'ordonnance qui sépare les professions de notaire et d'avocat, Berthelot Dartigny choisit de demeurer avocat. Il obtient une commission provisoire de juge de la Cour des plaids communs pour le district de Québec en 1791. De 1793 à 1796, il est député à la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, et de 1798 à 1808 pour les comtés de Québec et de Kent.

BLAISE DES BERGÈRES (ou DESBERGÈRES) DE RIGAUVILLE, CHARLES- RÉGIS (1724-1780)

Prêtre et chanoine de la Cathédrale de Québec, et Grand vicaire de général de Québec (de Monseigneur l'évêque Pontbriand).

BRIAND, JEAN-OLIVIER (1715-1794)

Évêque de Québec. Briand est ordonné prêtre en 1739. Il quitte la France pour s'installer à Québec. Il devient chanoine, trésorier du chapitre et confesseur des religieuses de l'Hôtel- Dieu et de l'Hôpital général. Il est également le secrétaire et le confident de l'évêque Henri- Marie Dubreil de Pontbriand. En 1759, Mgr de Pontbriand le nomme grand vicaire de Québec. En 1760, la mort de l'évêque laisse les catholiques de la colonie sans chef spirituel. C'est Briand qui assume alors l'administration du diocèse de Québec. Le grand vicaire adopte une attitude conciliante envers les autorités britanniques. En 1764, appuyé par le gouverneur James Murray, il part pour l'Europe afin de se faire consacrer évêque. En 1766, après sa consécration à Paris, il prête serment de fidélité au roi d'Angleterre et revient à Québec. Au cours de son mandat, Briand réussit à créer plus de 25 nouvelles paroisses, à ordonner près d'une trentaine de prêtres et à consacrer un évêque coadjuteur, Louis-Philippe Mariauchau d'Esgly. Des problèmes de santé l'incitent à démissionner en 1784.

BROWN, JAMES (1776-1845)

Relieur et homme d‘affaires, Brown travaille à titre de relieur pour l'imprimeur John Neilson, à Québec. Ensuite il s'installe à Montréal à titre de libraire-relieur. En 1804, il devient l'agent de ventes pour la papeterie de Walter Ware et en 1807, fond la Gazette Canadienne, hebdomadaire bilingue qui contient des nouvelles étrangères et locales, des lettres et des annonces.

BROWN, WILLIAM (1737-1789)

Journaliste et imprimeur, Brown décide de fonder un journal à Québec. Il s'associe avec un ancien collègue, Thomas Gilmore et, en 1763, ils signent un contrat d'association pour fonder un journal et établir le premier atelier d'imprimerie de la province. En 1764, le nouveau périodique, la Gazette de Québec/The Quebec Gazette, voit le jour.

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CARLETON, GUY, Lord Dorchester (1er baron Dorchester) (1724 - 1808)

Officier militaire britannique; gouverneur du Québec de 1768 à 1778 et de 1785 à 1795. Il sert sous les ordres du général Wolfe lors de la prise de Québec et il devient gouverneur de la province après que les marchands britanniques aient créé de l'agitation pour qu'on écarte son prédécesseur, sir James Murray. Comme Murray, il est sympathique aux Canadiens français et il appuie leurs efforts pour restaurer le droit civil français et pour éliminer les obstacles rencontrés par les catholiques occupant des postes gouvernementaux. Il défend Québec avec succès pendant la guerre de Sécession et aide à installer les Loyalistes dans la province de Québec après la guerre.

CHAUSSEGROS DE LÉRY, GASPARD-JOSEPH (ou Joseph-Gaspard) (1721-1797)

Ingénieur militaire, seigneur, grand voyer et conseiller législatif. Membre d'une famille d'ingénieurs militaires, Chaussegros de Léry commence très tôt sa formation dans ce domaine. Il est cadet dans les troupes de la Marine à l'âge de douze ans et y apprend l'arpentage, les techniques de construction et la cartographie. Il est responsable de la construction de plusieurs ouvrages de fortifications à la grandeur de la Nouvelle-France. En 1761, les Britanniques l'envoient en France avec sa famille, mais il revient au Canada, en 1764. Sous le Régime britannique, il entretient de bons rapports avec l'élite britannique et occupe des postes importants. Il devient grand voyer en 1768 et est nommé au Conseil législatif du Bas-Canada en 1792. Il achète les seigneuries de Perthuis, Rigaud-Vaudreuil, Gentilly, Le Gardeur et Sainte-Barbe.

CLARKE, ALURED (sir) (vers 1745-1832)

Officier et administrateur colonial, Clarke est nommé lieutenant-gouverneur de la province de Québec en remplacement de Henry Hope, en 1790. En 1791, lorsque le gouverneur lord Dorchester [Guy Carleton] part pour la Grande-Bretagne, Clarke assume le commandement des troupes britanniques en Amérique du Nord et l‘administration du territoire qui devient à cette même date la province du Bas-Canada. Sa fonction d‘administrateur civil consiste surtout à faire appliquer les dispositions de l‘Acte constitutionnel de 1791.

CRAMAHÉ, HECTOR THEOPHILUS (1720-1788)

Officier, secrétaire civil des gouverneurs Murray, Carleton et Haldimand, juge, lieutenant- gouverneur de la province de Québec puis nommé lieutenant-gouverneur de Détroit. Cramahé se fait défenseur des droits des Canadiens et favorise le plus possible la liberté religieuse des Canadiens.

DELISLE (ou DE LISLE), JEAN (vers 1724-1814)

Notaire et marchand, Delisle participe avec Jean-Baptiste-Amable Adhémar comme délégué canadien afin de porter à Londres, au roi George III, une pétition réclamant une réforme du gouvernement et du système judiciaire. Il devait aussi demander l‘autorisation

121 de faire venir de France des prêtres dont le pays avait un urgent besoin. Il se joint au comité réformiste canadien de Montréal, créé en novembre 1784.

DOBIE, RICHARD (vers 1731-1805)

Trafiquant de fourrures, homme d'affaires et officier de milice.

DU CALVET, PIERRE (1735-1786)

Garde-magasin, marchand, juge de paix et seigneur. Dès 1766, Du Calvet est juge de paix. En 1769, il propose au gouverneur Carleton un projet visant à uniformiser l‘administration de la justice dans toute la province. En 1770, il envoie à lord Hillsborough, secrétaire d‘État des Colonies américaines, un « Mémoire sur la forme judiciaire actuelle de la Province de Québec ». La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal, fondée par Fleury Mesplet, se prête à ces attaques contre la justice, au point d‘être suspendue et son rédacteur et imprimeur, emprisonnés. Le procureur général Monk, poursuit Du Calvet pour libelle. En 1784, il alerte de nouveau l‘opinion publique en publiant, toujours à Londres, Appel à la justice de l’État [...].

DUMMER POWELL, WILLIAM (1755-1834)

Avocat, juge, fonctionnaire, homme politique et auteur, Dummer Powell est admis au barreau d‘Angleterre en 1784. Il arrive à Québec recommandé par William Grant, ancien procureur général de la province de Québec, et ouvre son cabinet à Montréal. Il fait partie des délégués partant en Angleterre pour aller déposer une pétition contre l‘Acte de Québec, en 1783.

DUNIÈRE, LOUIS (fils) (1723-1806)

Marchand, propriétaire foncier, officier de milice et homme politique, Dunière est négociant à Québec et il est nommé capitaine dans la milice canadienne de Québec en 1775, avant l‘invasion américaine. Sur le plan politique, il témoigne régulièrement de son loyalisme envers les autorités britanniques par le biais d‘adresses et de pétitions, mais il formule des plaintes quant à l‘administration de la justice. À trois reprises, en 1784, 1785 et 1790, il se prononce avec d‘autres (tant Canadiens que Britanniques) en faveur de l‘établissement d‘institutions représentatives dans la province de Québec. En 1791, il est élu député à la chambre d‘Assemblée du Bas-Canada.

FINLAY, HUGH (vers 1730-1807)

Marchand, fonctionnaire, seigneur, homme politique et propriétaire foncier, Finlay est nommé maître général des postes adjoint de la province de Québec en 1784, et maître des postes adjoint de l'Amérique du Nord britannique en 1788, fonction qu'il occupe jusqu'en 1799. Il est nommé au Conseil de Québec en 1765, puis au Conseil législatif en 1775 et en 1792. Il fait aussi partie du Conseil privé du gouverneur Guy Carleton en 1776 et du Conseil exécutif en 1784.

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GAGE, THOMAS (1721-1787)

Officier et administrateur colonial, Gage est nommé gouverneur militaire de Montréal, en 1760, en même temps que Ralph Burton l‘est à Trois-Rivières, et James Murray occupe le même poste à Québec. En 1761, il est promu major général.

GERMAIN, GEORGE, Lord (1er vicomte de Sackville) (1716–1785)

Soldat britannique puis politicien, Lord Germain est Secrétaire d'État pour l'Amérique du cabinet de Lord North lors de la Guerre d'indépendance des États-Unis d'Amérique. En 1775, il est nommé Secrétaire d'État aux colonies américaines.

GILMORE (ou Gilmour), THOMAS (vers 1741-1773)

Journaliste, imprimeur, Gilmore connait William Brown chez l‘imprimeur William Dunlop, de Philadelphie. Il part vers Londres, après la signature du contrat d‘association avec Brown, pour y acheter des caractères, une presse, de l‘encre et du papier; il prend également des abonnements à divers journaux. En juin 1764, il rejoint à Québec son associé, et le 21 juin paraît le premier numéro de la Gazette de Québec/The Quebec Gazette.

GREGORY, GEORGE (vers 1751-1817)

Trafiquant de fourrures et marchand.

GUY, PIERRE (1738-1812)

Négociant, Guy s'établit comme marchand à Montréal, en 1763. Il sert d'intermédiaire aux frères Baby qui font la traite des fourrures. Il s'implique dans la milice et, en 1787, il est nommé lieutenant-colonel de la milice de la ville et banlieue de Montréal, puis obtient une commission de colonel dans le 2e bataillon de milice de la ville de Montréal en 1802. Il milite aussi en faveur de la création d'une Chambre d'Assemblée jusqu'à la constitution de 1791.

HALDIMAND, FREDERICK (sir) (1718-1791)

Né en Suisse, Haldimand est officier dans un régiment d'infanterie prussien en 1740 et participe à la guerre de la Succession d'Autriche. En 1756, il est recruté par la Grande- Bretagne et devient lieutenant-colonel d'un bataillon du Royal Americans. Haldimand prend possession de Montréal en 1760, à la suite de la reddition des forces françaises. Sous le Régime militaire, Haldimand est commandant en second de , gouverneur militaire de Montréal, puis de 1762 à 1764, gouverneur intérimaire de Trois-Rivières. Devenu général de brigade en 1765, il est assigné en Floride de 1767 à 1773. Il commande les troupes britanniques à New York de 1773 à 1775, puis il est nommé inspecteur général des armées aux Antilles en 1775. Haldimand devient gouverneur de la province de Québec, en remplacement de Guy Carleton, en 1777. Au cours de son mandat, devant la menace

123 d'invasion causée par la guerre d'Indépendance américaine, il s'emploie à améliorer les défenses de la province, à conserver l'appui des francophones par le maintien de l'Acte de Québec et à aider l'établissement des loyalistes. Il demeure en fonction jusqu'en 1786, bien qu'il quitte la colonie deux ans plus tôt.

HAMILTON, HENRY (vers 1734-1796)

Officier et administrateur colonial, Hamilton est député de la circonscription de Donegal au parlement irlandais et percepteur au port de Cork, et de Mary Dawson. En 1775, on lui nomme gouverneur civil à Détroit. En 1781, il est nommé lieutenant-gouverneur de la province de Québec, en remplacement d‘Hector Theophilus Cramahé, sur la recommandation de Haldimand.

HERTEL DE ROUVILLE, RENÉ-OVIDE (1720-1792)

Lieutenant général civil et criminel, directeur des forges du Saint-Maurice, grand voyer, juge de la Cour des plaids communs, Hertel de Rouville est nommé grand voyer du district de Montréal, par le gouverneur James Murray, poste qu'il occupe jusqu'en 1775, année où il obtient un mandat de gardien de la paix et de commissaire dans le même district. Avec Jean-Claude Panet, désigné pour le district de Québec, il est l'un des deux premiers juges canadiens-français à être nommé sous le Régime britannique. Malgré son impopularité tant auprès de ses compatriotes francophones que de la minorité de langue anglaise, le juge conserve sa commission jusqu'à sa mort.

HEY, WILLIAM (vers 1733-1797)

Juge en chef de la province de Québec, Hey s‘attarde à établir un système juridique acceptable par toute la population. Alors qu‘Hey était encore en Angleterre, les légistes de la couronne avaient recommandé au gouvernement britannique que Maseres et lui « préparassent un plan approprié, adapté à la juridiction des diverses cours de justice et qui convînt aux plaideurs ». S‘il ne désirait aucunement imposer un système entièrement fondé sur le droit anglais, le juge en chef croyait qu‘une restauration plus restreinte du droit civil français était souhaitable.

HILL, WILLS, Lord Hillsborough (comte de Hillsborough, puis 1er Marquis de Downshire) (1718-1793)

Président de la Board of Trade, de 1763 à 1765, et Secrétaire d'État aux Colonies américaines entre 1768 et 1772. Il devient Secrétaire d'État pour le département du Sud en 1779.

HOPE, HENRY (vers 1746 – 1789)

Officier et administrateur colonial, Hope est assermenté, en 1785, comme lieutenant- gouverneur de la province de Québec, remplaçant Henry Hamilton.

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JAUTARD, VALENTIN (1738-1787)

Avocat et journaliste, Jautard arrive dans la province de Québec en 1767 et il est nommé avocat en 1768. La Révolution américaine l‘enthousiasme si bien qu‘il accueille l‘armée d‘invasion à Montréal en 1775 par une adresse qu‘il fait signer par quelques dizaines d‘« habitants de trois faubourgs ». Il rencontre son compatriote imprimeur, Fleury Mesplet, et lorsque ce dernier entreprend de publier la Gazette du commerce et littéraire, pour la ville et district de Montréal, il devient son rédacteur.

JOHNSON, JOHN (Sir) (1741-1830)

Loyaliste, Johnson s'enfuit à Montréal au début de la Révolution américaine. Il est ensuite chargé de recruter des bataillons de milice et combat les indépendantistes américains. Il est nommé général de brigade en Amérique du Nord et surintendant général des Affaires indiennes en 1782. Il s'occupe des réfugiés loyalistes américains dans la région du Haut- Saint-Laurent à partir de 1784.

JUCHEREAU DUCHESNAY, ANTOINE (1740-1806)

Officier dans l‘armée et dans la milice, seigneur et homme politique, Juchereau Duchesnay participe à la guerre de la Conquête comme enseigne dans les troupes de la Marine. Il passe ensuite au service de la couronne britannique. Pendant l'invasion américaine de 1775, il prend part à la défense du fort Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu). Il est fait prisonnier et libéré après 18 mois de captivité en Nouvelle-Angleterre. Il assume le poste de colonel dans la milice, en 1772. Il hérite des seigneuries de Beauport, de Fossambault, de Gaudarville et de Saint-Roch-des-Aulnaies. Il devient le quatrième producteur de blé en importance dans la province de Québec. Homme d'affaires, il fait l'acquisition de cinq nouveaux fiefs et emplacements à Québec et à Montréal entre 1779 et 1809. Il prend part à la vie publique en tant que juge de paix et, engagé en politique, il est élu député de Buckinghamshire en 1792, lors de la constitution de la première Chambre d'assemblée du Bas-Canada. Nommé membre du Conseil exécutif du Bas-Canada en 1794, il conserve ce poste jusqu'à sa mort.

LE COMTE DUPRÉ, GEORGES-HIPPOLYTE (dit Saint-Georges Dupré) (1738-1797)

Marchand, officier de milice, grand voyer substitut et homme politique, Le Comte Dupré fait du commerce jusqu‘en 1770 au moins. Major de la milice canadienne à Montréal au début de l‘invasion américaine en 1775, il devient par la suite colonel. Il est l‘un des six Canadiens parmi les 12 notables qui signent la capitulation de Montréal en 1775. En 1776, avec trois autres officiers de milice, dont Edward William Gray, il est emprisonné au fort Chambly pour avoir refusé de remettre sa commission. Après le départ des Américains, Le Comte Dupré est l‘un des trois officiers chargés de recueillir, dans le district de Montréal, les armes et les commissions américaines aux mains des milices désaffectées, d‘arrêter et de juger les espions et les sympathisants. Il est inspecteur de police à Montréal, de 1788 à 1797.

LEES, JOHN (vers 1740-1807) et DAVISON, ALEXANDER

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Marchands de Québec, associés dès 1773, ils se spécialisent dans le commerce d‘importation et l‘approvisionnement des troupes britanniques cantonnées en Amérique du Nord. Ils détiennent le bail du domaine du roi sur la côte nord du Saint-Laurent.

LYMBURNER, ADAM (vers 1745-1836)

Marchand, officier de milice, représentant colonial et homme politique, Lymburner possède un des onze navires qui font le commerce à partir de Québec. Il agit à titre d'agent pour plusieurs marchands de fourrures de Montréal. Dès 1784, Lymburner signe une pétition pour demander la formation d'une Assemblée représentative. En 1787, il rentre à Londres pour porter auprès du parlement britannique, la question de la constitution. En 1791, il est nommé au Conseil exécutif du Bas-Canada.

MABANE, ADAM (vers 1734-1792)

Médecin, juge et membre du Conseil de Québec, Mabane débute dans ce dernier poste en 1764, nommé par le gouverneur Murray. Par la suite, il devient l‘un des juges de la Cour des plaids communs du district de Québec.

MASERES, FRANCIS (1731 - 1824)

Avocat, juge, mathématicien et historien britannique, Maseres est procureur général de la Province de Québec. En 1768, le gouvernement Carleton lui demande un rapport sur la réforme du système de lois qui doit s'appliquer dans la province. Il remet son rapport en février 1769. Il s'implique dans le mouvement de réforme de la constitution du Québec qui reprend de plus belle avec la fin de la guerre américaine en 1783 et qui aboutit avec l'adoption de l'Acte constitutionnel de 1791. Il embrasse la cause de Pierre du Calvet qui entend faire le procès du gouverneur Haldimand.

MESPLET, FLEURY (1734-1794)

Imprimeur, éditeur et libraire, Mesplet s'installe à Québec en 1775, et il est emprisonné pendant quelque temps après le retrait des Américains en 1776. Il publie la Gazette du commerce et littéraire, pour la ville et district de Montréal, premier journal hebdomadaire montréalais de langue française en 1778, dont l‘avocat Valentin Jautard est le rédacteur. L'année suivante, le gouverneur Frederick Haldimand fait emprisonner Mesplet et son rédacteur, Valentin Jautard, sans procès. Les deux hommes sont libérés en 1782.

MONK, JAMES (sir) (vers 1745-1826)

Avocat, fonctionnaire, homme politique et juge, Monk est choisi comme procureur général de la province de Québec, en 1776. À titre de juge subrogé, il œuvre à la Cour de vice- amirauté de 1778 à 1788. En 1789, il est remplacé comme procureur général. Il devient, en 1794, juge en chef de la Cour du banc du roi pour le district de Montréal. La même année, il accède au Conseil exécutif du Bas-Canada.

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MURRAY, JAMES (sir) (vers 1721-1794)

Officier et administrateur colonial. Il combat sous les ordres de Wolfe au siège de Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), en 1758, et l‘année suivante, au siège de Québec, il commande, sur les plaines d‘Abraham, l‘aile gauche de l‘armée en formation de combat. Responsable de Québec pendant l‘hiver de 1759–1760, il doit se replier à l‘intérieur des fortifications après la bataille de Sainte-Foy, le 28 avril 1760. Ensuite de la capitulation de Montréal, en 1760, on soumet le Canada à un régime militaire. On divise la colonie en trois districts administratifs – Québec, Trois-Rivières et Montréal –, placés respectivement sous les ordres de Murray, de Ralph Burton et de Thomas Gage. Lors du rétablissement du gouvernement civil, proclamé en Grande-Bretagne le 7 novembre 1763, on réunit les trois districts pour former la province de Québec.

NORTH, FREDERICK, Lord (2e comte de Guilford) (1732 – 1792)

Premier ministre de Grande-Bretagne, de 1770 à 1782, North amorce sa carrière d'homme politique à la Chambre des communes, est nommé lord de la chancellerie en 1758, chancelier de l'échiquier en 1767, et premier lord de la trésorerie en 1770. Il dispose une politique de conciliation envers les colonies avec notamment l'abrogation des Townshend Acts, votés en 1767. Après 1774, il change de politique pour la fermeté avec notamment la fermeture du port de Boston. On impute l'insurrection des colonies américaines à ses mesures financières impopulaires.

PANET, JEAN-ANTOINE (1751-1815)

Notaire, avocat, officier de milice, seigneur, homme politique et juge, Panet exerce la profession de notaire à Québec de 1772 à 1786 et celle d'avocat à partir de 1773. Il obtient plusieurs postes de commissaire, dont celui d'enquêter sur les biens des Jésuites en 1787. Il est nommé juge de la Cour des plaidoyers communs en 1794, et il est député à la Chambre d'assemblée du Bas-Canada à plusieurs reprises, des 1792. Il appuie le Parti canadien.

PAPINEAU, JOSEPH (1752-1841)

Arpenteur, notaire, agent seigneurial, homme politique et seigneur, Papineau reçoit sa commission d'arpenteur, en 1773. En 1775, il commence sa cléricature pour devenir notaire chez Jean De Lisle, obtenant sa commission en 1780. Il devient agent seigneurial du Séminaire de Québec, en 1788. Intéressé aux affaires publiques, il est député de Montréal et de Montréal-Est à la Chambre d'assemblée du Bas-Canada de 1792 à 1804 et de 1809 à 1814. Il appuie généralement le Parti canadien.

PETTY FITZMAURICE, WILLIAM, Lord Shelburne (2e comte de Shelburne, 1er marquis de Lansdowne, puis 2e comte Granville) (1737 — 1805)

Homme d'État britannique, Lord Shelburne est Président de la Board of Trade (Chambre de commerce), Secrétaire d'État pour le département du Sud en 1766 et ministre de l'Intérieur en 1782. Il devient Premier ministre de 1782 à 1783. Shelburne concluded the final peace

127 negotiations at the Treaty of Versailles (1783) which ended all European and American hostilities. Shelburne faced increasing opposition from Charles James Fox and Lord North.

PRICE, BENJAMIN (décédé vers1768)

Marchand, membre du Conseil de Québec nommé par le gouverneur Murray et maître des requêtes à la Cour de chancellerie.

PONTIAC (ou Pondiac) (entre 1712 et 1725-1769)

Chef de guerre des Outaouais de Détroit.

PURSS, JOHN (1732-1803)

Homme d‘affaires, officier de milice et fonctionnaire, Purss fait partie, dès 1762, de la société Johnston and Purss. À diverses reprises il se joint aux revendications politiques et commerciales des marchands de la colonie : en 1764, demandant le rappel du gouverneur Murray et plus tard, comme l‘un des signataires de l‘adresse de bienvenue du lieutenant- gouverneur Carleton. En 1784, il signe une pétition exigeant l‘annulation de l‘Acte de Québec, l‘octroi d‘une chambre d‘Assemblée, de l‘habeas corpus et du procès avec jurés dans les causes civiles. Il est trésorier, en 1786 et en 1790, de la Société du feu de Québec.

SINCLAIR, PATRICK (1736-1820)

Officier et administrateur colonial, Sinclair est nommé lieutenant-gouverneur et surintendant de Michillimakinac, dans la province de Québec, en 1775.

TARIEU DE LA NAUDIÈRE, CHARLES-FRANÇOIS (appelé aussi Charles-François- Xavier) (1710-1776)

Officier dans les troupes de la Marine et seigneur, Tarieu de La Naudière participe aux deux dernières grandes batailles, sur les plaines d‘Abraham en 1759 et à Sainte-Foy, en 1760. Il utilise une partie de sa fortune à des acquisitions de seigneuries : en 1767, il achète aux religieuses de l‘Hôpital Général de Québec le fief et seigneurie de Saint-Vallier et, en 1769, la seigneurie de Saint-Pierre-les-Becquets. Issu d‘une grande famille de la colonie, Tarieu de La Naudière fait, après la Conquête, très bon ménage avec les nouveaux administrateurs de la colonie. En 1766, il signe, avec d‘autres seigneurs du district de Québec, l‘adresse destinée au gouverneur Murray à l‘occasion de son départ. Lorsqu‘en 1769 le gouverneur Guy Carleton demande à Londres que les membres de la noblesse canadienne puissent entrer au Conseil de Québec, il suggère, parmi 12 noms, celui de Tarieu de La Naudière. Effectivement, ce dernier devient membre du Conseil législatif créé en 1775 par l‘Acte de Québec pour la première fois ouvert aux catholiques. Il n‘a guère le temps d‘y siéger puisqu‘il meurt au début de 1776 à l‘Hôpital Général de Québec.

TOWNSHEND, THOMAS, Lord Sydney (1er vicomte Sydney) (1733-1800)

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Homme politique britannique, Lord Sydney succède Lord Shelburne comme ministre de l'Intérieur en 1782 et devient leader de la Chambre des communes. Il est Secrétaire d'État à l‘Intérieur dans le premier cabinet de William Pitt, en 1786.

WYNDHAM, WILLIAM, Lord Grenville (1er baron Grenville) (1759-1834)

Homme d'État britannique, Lord Grenville sert comme président de la Chambre des communes, en 1789, avant son entrée au cabinet comme ministre de l'Intérieur. Puis il devient chef de la Chambre des Lords. En 1791, il succède au duc de Leeds comme Secrétaire d'État aux Affaires étrangères puis devient Vérificateur des comptes de l'Échiquier en 1794. Sa carrière politique s'achève en 1823. C‘était lui le penseur de l‘Acte constitutionnel.

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ANNEXE II : Les gouverneurs de la période

1. James Murray (août 1764-1768) 2. Paulus Æmilius Irving, Président — juin 1766 3. Guy Carleton, Lieutenant-Gouverneur — septembre 1766 (nommé administrateur le 24 septembre 1766, assermenté le 26 octobre 1768). 4. Hector Theophilus Cramahé, Président — août 1770 (nommé administrateur en l‘absence du gouverneur du 9 août 1770 à septembre 1774). 5. Guy Carleton — septembre 1774 6. Frederick Haldimand — juin 1778 (assermenté le 27 juin 1778). 7. Henry Hamilton, Lieutenant-Gouverneur — novembre 1784 8. Henry Hope, Lieutenant-Gouverneur — novembre 1785 9. Guy Carleton, Lord Dorchester — octobre 1786 10. Alured Clarke, Lieutenant — Gouverneur — août 1791 (nommé administrateur en l‘absence du gouverneur le 19 août 1791). 11. Guy Carleton, Lord Dorchester — septembre 1793

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BIBLIOGRAPHIE

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British Library :

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