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Le Cinéma Italien Mary P. Wood

Le Cinéma Italien Mary P. Wood © 2005 by Mary P. Wood and Berg Publishers

First published in the United Kingdom by Berg Publishers, Oxford

© G3J editeur 2007 pour la traduction française ISBN 9791092267099978-2-9527983-0-3

Conception graphique GRITTI MORLACCHI & SCHIRMER Milano

Traduit de l'anglais (UK) par Francis Hetroy

Impression Nava

Diffusion Fischbacher

G3J sarl 153, rue de l’Université 75007 Paris [email protected] Sommaire

1 Chapitre 1 Qu’est-ce que le cinéma italien?

41 Chapitre 11 Cinéma populaire et succès du box-office

74 Chapitre 111 Films épiques et historiques

96 Chapitre 1v Réalisme et néoréalisme dans le cinéma italien

130 Chapitre v Le cinéma d’auteur

162 Chapitre vi Comprendre le changement de réalité

184 Chapitre vii Représentations et politiques des genres masculin et féminin

215 Chapitre viii Style visuel et utilisation de l’espace cinématique

239 Conclusion

248 Filmographie

257 Notes

260 Bibliographie

277 Index Illustrations

Ill. 1.1 Le Studio 3 Itala Films 3 Ill. 1.2 Assunta Spina (Gustavo Serena, 1915) 5 Ill. 2.1 Fuori dal mondo (Giuseppe Piccione, 1999) 50 Ill. 2.2 Sedotta e abbandonata (, 1962) 57 Ill. 2.3 Per un pugno di dollari (, 1964) 64 Ill. 2.4 Il Cartaio (Dario Argento, 2003) 70 Ill. 3.1 Cabiria (Giovanni Pastrone, 1914) 79 Ill. 3.2 Fabiola (Allessandro Biasetti) 82 Ill. 3.3 La meglio Gioventù (, 2003) 92 Ill. 4.1 I buchi neri (Papi Corsicato, 1995) 106 Ill. 4.2 Roma Città aperta (Roberto Rossellini, 1945) 108 Ill. 4.3 Ladri di Biciclette (, 1948) 115 Ill. 4.4 Il Bandito (, 1946) 121 Ill. 4.5 Riso amaro (Giuseppe De Santis, 1948) 125 Ill. 4.6 Catene (Raffaello Matarazzo, 1950) 126 Ill. 5.1 La Caduta degli Dei (, 1969) 138 Ill. 5.2 Fellini Casanova (, 1976) 141 Ill. 5.3 La Sfida (, 1958) 148 Ill. 5.4 Il gioco di Ripley (Liliana Cavani, 2002) 157 Ill. 6.1 Cristo si è fermato a Eboli (Francesco Rosi, 1979) 167 Ill. 6.2 L’America (, 1994) 177 Ill. 7.1 Cabiria (Giovanni Pastrone, 1914) 186 Ill. 7.2 Poveri ma belli (, 1956) 196 Ill. 7.3 Pane, amore e fantasia (, 1954) 199 Ill. 7.4 Il bell’Antonio (Mauro Bolognini, 1960) 208 Ill. 7.5 Io non ho paura (Gabriele Salvatores, 2002) 211 Ill. 7.6 Il più bel giorno della mia vita (Cristina Comencini, 2002) 213 Ill. 8.1 Cadaveri eccellenti (Francesco Rosi, 1975) 225 Ill. 8.2 I Banchieri di Dio (Giuseppe Ferrara, 2002) 227 Ill. 8.3 L’amore molesto (, 1998) 236

Les photos 2.2, 4.2, 4.3, 5.1, 7.2, 7.3, et 8.3 sont reproduites grâce à la courtoisie de l’Institut du Film britannique. Bien que tout ait été mis en œuvre pour retrouver trace des propriétaires des droits, dans quelques cas les recherches se sont révélées infructueuses et nous profitons de ces lignes pour présenter nos excuses à tout propriétaire de droit que nous aurions involontairement lésé. L’éditeur de la version française a préféré conserver les titres des films cités dans leur version originale. Remerciements

Le cinéma italien représente ma passion depuis de nombreuses années et les recherches pour écrire ce livre se sont appuyées sur beaucoup d’insti- tutions, d’amis, de parentés familiales et de collègues. J’ai profité de toutes les occasions qui m’ont été données pour enseigner le cinéma ita- lien. Mon rôle de Directrice de programmes d’études des médias et des films à la Faculté de Formation Continue de Birkbeck College, Université de Londres, m’a offert la possibilité de donner des cours sur ce thème de manière régulière. D’anciens enseignants-collaborateurs, Robert Murphy, Lesley Caldwell et Karen Smith, ainsi que mes étudiants, m’ont permis d’échanger des opi- nions et d’avoir de très enrichissantes discussions. Des collègues venus d’autres institutions m’ont également permis de travailler des thèmes de conférences - Laura Lepschy de University College de Londres, Richard Dyer de l’Université de Warwick, Susan Hayward et son programme de maîtrise sur le cinéma européen de l’Université d’Exeter, Pauline Small de Queen Mary Université de Londres, le Département d’études externes de l’Université d’Oxford, l’Institut des Recherches historiques de l’Université de Londres, Hilary Smith et ses collègues de l’Institut du Film britannique et du Théâtre national du Film, le Consulat italien, Mario Fortunato et Giovanni Gruber de l’Institut culturel italien de Londres. Le soutien financier du Fond de recherche du Birkbeck College fut consi- dérable, me permettant de m’entretenir avec des producteurs et des pro- fessionnels de l’Industrie du cinéma à Londres. Plusieurs bourses du Fonds de la Faculté de Formation Continue ont permis de financer des voyages et autres dépenses pour me rendre dans des bibliothèques en Italie et pour participer à des conférences où j’ai pu apporter des contribu- tions permettant la poursuite de mes recherches. Une modeste bourse de voyage de l’Académie britannique en 2004 m’a également permis de met- tre en place une recherche sur le film noir italien. Plusieurs entretiens eurent lieu à cette occasion et je remercie vivement Francesco Rosi pour sa courtoisie, ainsi que les personnes suivantes pour m’avoir consacré de Remerciements

leur temps; Elda Ferri de Jean Vigo international, Conchita Di Girolami de RAI Trade m’ont apporté leur soutien en facilitant le prêt de films qui présentaient un intérêt pour mes recherches. Je suis reconnaissante au personnel de la bibliothèque de l’Institut du Film britannique et du service de visionnage, à la bibliothèque de l’Institut culturel italien de Londres, au Centro Sperimentale di Cinematografia et au Cineteca Nazionale de , et au Dr Umberta Brazzini de la Cineteca Regionale Toscana de Florence. Mes amis et collègues Emma Sandon et Lesley Caldwell, m’ont apporté beaucoup de commentaires et discussions passionnantes sur le cinéma italien. Ecrire ce livre a apporté un surcroît de travail à Emma, à Penny Lazenby et son équipe, Sarah Edwards, Helen Atkinson, Chris Mottershead et Sarah Steinke. Le projet n’aurait pas abouti sans leur soutien. Des remer- ciements sont également à adresser à mon étudiante, Silvia Felce, pour son aide dans la traduction de lettres. Le Dr Alison Jones et son équipe au Royal Free Hospital de Hampstead m’ont soutenue et mes amis de Branch Hill Allotments m’ont permis de garder les pieds sur terre. Je suis particulièrement reconnaissante à la constante amitié et la longue hospitalité de Francesca Bosi; à l’amour et au soutien de ma sœur, Hilary Burden, et à mon mari, Donald Wood, tous deux ayant vu plus de films italiens qu’ils n’auraient imaginé.

Des morceaux de «Bertolucci» par Y.Tasker (ed.), Fifty contemporary film- makers, (Londres: Routeledge) paraissent au chapitre V. Des versions plus anciennes et des parties du chapitre VI paraissaient comme «Clandestini»: the «other» hiding in the italian body politic» de G.Rings et de R. Morgan- Tamosunas (éditeurs), European cinema: Inside out. Images of the self and the other in postcolonial film, avec l’aimable autorisation de l’Universitätsverlag Winter de Heidelberg. Certains passages du chapitre VII furent, à l’origine, publiés dans “The Trouble with Men: masculinities in European and Hollywood cinema” de Phil Powrie, Ann Dairies et Bruce Babington (éditeurs), Wallflower press 2004. Des passages de versions antérieures du chapitre VIII ont été publiés dans «Revealing the Hidden city: the cinematic Conspiracy Thriller of the 1970’s, The Italianist, 23, 2003. Mes remerciements vont également aux éditeurs du Journal of the Institute of Romance Studies pour leur autorisation de reproduire des documents publiés, à l’origine, dans mon article, «Representation of Rome in Italian cinema: space and power» volume 8, 2000. Le Cinéma Italien

Nous sommes reconnaissants aux personnes suivantes d’avoir permis la reproduction des photos qui paraissent dans ce livre: Photo 1.1, Alberto Friedmann, le Case di vitro. Stabilimenti cinematografici e teatri di posa a Torino (Associazione F.E.R.T, Turin 2003) reproduite grâce à l’aimable autorisation de l’auteur. Photo2.1, Lumière & Co. Photo2.2, Photo de Franco Vitale, par courtoisie d’ Opera Film. Photo 2.2, 4.5, 5.3, 6.1, Cristaldifilm. Photos 2.3, 5.2, 8.1, Alberto Grimadi Productions. Photos 4.6, 7.2, 7.3, Titanus S.p.a. Photo 8.3 Cesare Accetta pour le film L’amore molesto distribué par Lucky Red.

La maison d’édition et l’auteur ont fait de leur mieux pour contacter tous les propriétaires des photos contenues dans ce livre. Si des omissions sont apparues, les éditeurs seront heureux d’accepter les corrections qui paraîtront dans une future édition de l’ouvrage. 1 Qu’est-ce que le cinéma italien?

Dans les années 2000, on pouvait voir relativement peu de films italiens dans les salles de cinéma ou à la télévision sur le câble ou le satellite, hors des frontières de l’Italie. Les films distribués sous d’autres formes de médias, cassettes vidéo ou DVD, étaient généralement des films d’art classiques ou des films sortis à l’étranger dans un nombre limité de salles. Les circuits commerciaux, culturels et industriels impliqués dans la pro- duction des films italiens ont toujours été, et demeurent encore aujourd’hui, profondément politiques. En fait, ceux qui se sont impliqués dans la réalisation de films ont eu à négocier et à agir de concert avec de nombreuses institutions et habitudes institutionnelles pour faire en sorte que leurs films soient distribués aussi largement que possible. Les struc- tures du cinéma et des médias ont changé de manière relativement impor- tante au fil des ans et l’un des buts de ce chapitre est d’indiquer combien quelques-uns de ces changements ont eu une incidence sur le produit- film tel que nous le connaissons aujourd’hui. Retracer certains aspects du développement historique du film en Italie, des médias européens et autres, nous permettra d’avoir une vue globale des relations du pouvoir culturel en Italie et de la situation de celle-ci dans ses relations de pouvoir avec les médias dans leur ensemble. Bien que la majorité de la production du cinéma italien n’ait pas voyagé au-delà des frontières du pays, il est néanmoins paradoxal de constater que l’industrie cinématographique italienne a toujours eu des liens internatio- naux. Au début du XX siècle, le cinéma fut développé par des hommes d’entreprise influencés par les Films Lumière et par l’habileté de techni- ciens français itinérants. Entre 1961 et 1976, alors que l’Italie produisait à peu près 200 films par an, environ 2% seulement étaient exportés. Ce n’était en aucune façon les films italiens les plus populaires de la saison. Malgré tout, l’Italie a toujours été active dans la promotion d’accords de co-production bi-ou multi-latérale entre pays. Le cinéma populaire est la base d’un iceberg dont nous ne voyons que le sommet. Les études sur le cinéma italien, ciblées sur des initiatives de réalisateurs

1 Qu’est-ce que le cinéma italien?

individuels, sur leur travail ou sur la définition de genres tels que la comé- die, les films d’horreur, les westerns, ne donnent qu’une idée partielle de la nature du cinéma italien. Elles font abstraction de l’intéressant travail que producteurs et réalisateurs, ainsi que d’autres, ont à faire en tant que professionnels pour rendre possible la production d’un film. Quelle que soit leur niche industrielle, les producteurs et réalisateurs de films italiens doivent négocier avec les structures de leur propre pays, et plus récem- ment, avec celles des pays de l’Union européenne et celles de l’économie mondiale. Ce chapitre montrera brièvement comment le cinéma italien a développé des formes standardisées jusqu’en 1944. La carrière du réalisa- teur Francesco Rosi sera utilisée pour démontrer précisément le dévelop- pement d’une sorte de production de «qualité» internationale qui connut succès en dehors de l’Italie. Sa présence dans l’industrie du cinéma italien à partir de 1945 fournit un élément essentiel pour se frayer un chemin à travers les complexes méandres du cinéma italien de l’après-guerre. Elle laisse apparaître des contrastes avec les producteurs de films contempo- rains qui ont eu des difficultés à gagner une image nationale et a fortiori internationale. Les premiers pas du cinéma

Avec ses siècles de culture urbaine, de traditions visuelles, littéraires et théâtrales, l’Italie a accueilli la réalisation de films à la fin du XIX siècle avec enthousiasme. Les réalisateurs ont pu tirer avantage de l’abondante lumière naturelle, de la beauté des paysages, d’artistes chevronnés à la formation classique, d’artistes régionaux ou venant de la Commedia dell’arte, des tra- ditions artisanales en peinture comme en sculpture. Avec toutes les innova- tions technologiques (et le développement plus récent de la vidéo procure un parallèle intéressant avec les conséquences sociales et économiques de son utilisation), le cinéma italien entre 1895 et 1910 prit quelque temps à s’installer dans des pratiques standardisées et à savoir établir une communi- cation avec ses publics. Au début, les réalisateurs, d’origines différentes, risquaient leurs propres capitaux pour faire des courts-métrages de 10 à 18 minutes, mais le nouveau support attira rapidement l’investissement de consortia, de banques et de personnes privées (Brunetta 1993 a: 26-7). Les sociétés de productions pro- liférèrent dans la plupart des grandes villes italiennes et, dès 1910, de grandes et prospères sociétés à Milan (Luca Comerio, S.A Baratti), Turin (Ambrosio, Itala, Aquila), Rome (Cines, les Frères Pineschi, Alberini Santoni) et Naples (les frères Troncone & co, Manifatture cinematografiche

2 Le Cinéma Italien

riunite) s’établirent des identités propres. En fait, comme l’a souligné Giuliana Bruno, le cinéma muet italien est généralement représenté par les chercheurs anglo-saxons comme étant composé de grandes fresques épiques. Comme on peut l’imaginer, dans le climat d’entreprise qui régnait à la fin du XIX siècle et au début du XX ième, les productions étaient très différenciées et prospères dans de nombreux et divers centres géographiques (Brunetta 1993a : 47). Dans son étude sur le réalisateur, Elvira Notari, et sur sa société Dora films de Naples, Bruno reconstruit les différentes grandes productions de films muets, les courts métrages dal vero (documentaires pris sur le vif et sur site), les films d’événements réels, les stocks de films coloriés à la main. A ce stade, nous pouvons obser- ver les caractéristiques du cinéma italien typique de cette période qui allait, dans le futur, évoluer en pratiques commerciales et en genres. Tout d’abord, il y a l’importance du régionalisme dans la culture italienne qui affiche fièrement ses accents régionaux et ses dialectes, les histoires et les traditions théâtrales, les prises de vue et les acteurs locaux. C’est encore une force de la vie italienne; jamais il ne sera oublié que le grand comique Totò était napolitain, ou que l’acteur/réalisateur est tos- can. Des films comme L’amore molesto de Mario Martone (1998) ou Cinema Paradiso de Guiseppe Tornatore (1989) utilisent des acteurs locaux pour rendre plus populaires des rôles mineurs et donner une impression d’au- thenticité de lieux. Le cinéma italien a aussi, dès ses débuts, été fasciné par l’actualité. Comme nous le verrons, il tenta d’éclairer les points forts

Ill. 1.1 Le Studio 3 Itala Films

3 Qu’est-ce que le cinéma italien?

derrière les événements. Enfin, la coloration et les nuances des films reflé- tèrent la recherche du cinéma pour la nouveauté et le sensationnel, mais aussi permirent la continuation de traditions et de symboliques artistiques antérieures. L’exploitation et l’organisation visuelles de la pittoresque et spectaculaire nature du décor italien sont des éléments constants qui par- ticularisent ce cinéma. Le mélodrame, dans lequel les histoires aux événe- ments dramatiques sont mises en scène avec un maximum de charge émo- tionnelle, est une forme théâtrale flexible autorisant tous les genres et per- mettant d’être utilisée à des fins sérieuses. Il est clair, selon la liste des genres établie par Maria Adriana Prolo et uti- lisée par la société Pathé en 1911, que les compagnies de production non seulement connaissaient leurs marchés nationaux et taillaient des pièces sur mesure mais aussi que la courte durée des premiers films avait conduit à des recherches difficiles pour identifier de nouvelles histoires (Prolo 1951 : 47). Les premières compagnies de films utilisèrent les acteurs du théâtre local et/ou du théâtre en langue dialectale, mais seulement quelques-uns, comme Mary Cléo Tarlarini chez Ambrosio, Letizia et Lydia Quaranta chez Itala de Turin réussirent à rendre leurs noms célèbres auprès du public à force de paraître dans un grand nombre de films. La description par Vittorio Martinelli des caractéristiques physiques des actrices travaillant pour les studios de Turin est révélatrice des rôles possi- bles dans les courts et moyens-métrages, selon différents types de situa- tions sociales et de types féminins: la brave héroïne, la soeur, le garçon manqué, la rebelle (Martinelli 1998 : 342-53). Le prestige des grandes vedettes de studio du milieu des années 10 jusqu’aux années 20, la diva, a occulté le fait, bien que significatif, qu’elles aient été exceptionnelles. La simple diversité des rôles féminins en est une indication. Le seul regis- tre des rôles féminins prouve que le stéréotype traditionnel du calme féminin, de l’acceptation des conventions sociales et religieuses a été dépassé par la représentation plus moderne de la femme active et aventurière, de récits dans lesquels les femmes faisaient fi des conventions patriarcales en rejetant leurs maris pour choisir leurs amants. Monica Dall’Asta (1998 : 354- 60) fait un lien entre la floraison de protagonistes féminines et actives sous l’influence des «reines de feuilletons» américains et l’importance des femmes dans les forces actives durant la rapide période d’industrialisation du Nord de l’Italie dans les années 10 et 20. D’autres pays européens, particulièrement la France, ont partagé l’intérêt de l’Italie pour les femmes aventurières et espionnes, reflétant le potentiel pour de nouveaux récits qu’ont généré les conflits coloniaux, et, dans le contexte italien, celui avec l’Empire Ottoman. Néanmoins, c’est la diva italienne avec sa fatale et langoureuse

4 Le Cinéma Italien

Ill. 1.2 Assunta Spina (Gustavo Serena, 1915)

beauté, sa capacité à transmettre de fortes émotions dont on se souvient le mieux comme représentant le cinéma muet italien. Le développement d’un système de vedettariat, dans lequel la compagnie productrice utilisait le nom et la notoriété d’un acteur pour faire la publi- cité d’un film, est allé de pair avec d’autres développements connus telle que la standardisation de films (nombre de dents de films, nombre d’images/minute), l’augmentation de la longueur des films en plusieurs bobines, l’évolution de la distribution et des secteurs d’exploitation, le développement des possibilités de publicités, de critiques de films et de journaux cinématographiques de toutes sortes, une forte démarche com- merciale à l’étranger (Bernardini 1982 : 83). Dans les années qui ont pré- cédé 1910, les entrepreneurs achetaient des courts-métrages pour les mon- trer comme divertissements dans les foires, dans les cirques, les music- halls ou les halls à bière. Des centaines de copies des films les plus popu- laires étaient faites. Mais, afin d’atteindre un public de qualité qui paierait les tickets à prix plus élevé, le film et le lieu devaient tous deux offrir une expérience divertissante. La façon de visionner un film eut un effet immé- diat sur la composition du public et sur le type de présentations et réac- tions de celui-ci. Les distributeurs, avec des droits exclusifs pour quelques films, pouvaient faire fortune avec l’exploitation intense de quelques titres à succès projetés dans des salles en exclusivité. Un niveau plus élevé

5 Qu’est-ce que le cinéma italien?

était requis des professionnels et des acteurs jouant les rôles principaux dans les longs-métrages. Le système moderne, reconnaissable à sa forme, s’est développé alors que les talents d’acteurs individuels reconnus, la créa- tivité ou directement le coût et la complexité des productions étaient le sujet de campagnes publicitaires. Les Premières des films furent alors pré- sentées dans des lieux prestigieux, suivies de projections dans différentes régions d’Italie et à l’étranger, puis par l’acquisition par le distributeur des droits d’exploitation du film pour une durée déterminée, dans des cinémas ou zones géographiques particulières (Bernardini 1982 : 82-3). Claudio Camerini (1986 : 61) donne l’année 1910 comme date-clé pour le dévelop- pement du système de vedettariat avec l’importation de films scandinaves dans lesquels des noms de vedettes comme Asta Nielsen et Henny Porten dominent l’affiche, et avec l’importance donnée à des noms d’acteurs de la Comédie Française comme publicité pour des productions de Films d’art chez Pathé. En résumé, des acteurs italiens commencèrent à développer leur art et vedettariat par le biais d’associations avec les films d’une compa- gnie spécifique, et, durant l’âge d’or du divismo italien (1914-19), les socié- tés de productions utilisèrent les personnalités des plus grandes vedettes, les dive, pour se différencier sur un marché concurrentiel. On trouve au pre- mier rang Francesca Bertini, Lydia Borelli, Leda Gys qui, convaincues de leur éternel attrait aux yeux de «leur» public, imposaient de gros cachets, sans réaliser la profondeur de la crise de l’industrie cinématographique. L’attrait international pour les films historiques épiques avec de grandes vedettes à l’affiche peut être évalué grâce à une lettre du Baron Alberto Fassini, directeur de la compagnie Cines de Rome à Georges Kleine aux Etats-Unis. Cette lettre, citée par Gian Piero Brunetta (1993 : 50-1), attire l’attention sur les prochaines productions de films épiques. «Je veux vous informer de mon intention de produire, deux fois par an, un long métrage qui nécessitera de gros investissements et sera un véhicule publicitaire pour l’ensemble de notre production. Considérant les coûts exceptionnels, je vous demanderai de nous offrir, dès à présent, de meilleures conditions financières pour l’acquisition des négatifs. La semaine prochaine, nous commencerons la production d’un de ces films dont le titre est Quo Vadis? A cette fin, j’ai loué 20 lions qui resteront dans nos studios pendant quatre semaines. Pour vous convaincre du merveilleux de ce film, je me contenterai de vous dire que le négatif coûtera 80 000 Lires et que sa longueur sera d’environ 1500-2000m.» Les films épiques italiens se sont inspirés surtout de l’histoire italienne, ou plus particulièrement romaine, remaniant les données historiques qui

6 Le Cinéma Italien

faisaient partie de l’héritage culturel de la classe moyenne européenne. Il est clair cependant que ce sont les éléments spectaculaires de ces films qui ont contribué à leur grand succès. La première guerre mondiale et l’effondrement du cinéma italien

Alors que l’apogée du film épique classique italien était annoncée, les graines de la crise de l’industrie cinématographique étaient semées. En visant un public «de qualité», les producteurs, distributeurs et exploitants atteignirent des coûts très élevés dans la production de films et l’entretien de salles luxueuses, tout en se privant du grand public pour qui le prix du ticket d’en- trée était prohibitif. Des films tels que Quo Vadis? (Enrico Guazzoni, 1913) et Cabiria (Giovanni Pastrone, 1914) furent de grands succès mondiaux tant au niveau des retours financiers qu’au niveau des critiques, si bien qu’environ 50 compagnies de production se développèrent en Italie, réalisant trop de films pour le seul marché italien (Brunetta 1933 a : 53-5). En conséquence, au début de la Première Guerre Mondiale, avant que l’Italie n’entre dans le conflit, de nombreux studios commencèrent à fermer à cause de l’absence d’un marché étranger, ou, comme Brunetta (1993 a : 56) l’a exprimé à cause de la panique, du manque de capitaux, manque également d’organisation commerciale saine voire parce que des gens-clés avaient été mobilisés. Tout ceci fit clairement apparaître l’absence de planification et de politique au sein de l’industrie. Les réalisateurs et les producteurs italiens de films tentèrent également des expériences technologiques. Giovanni Pastrone, le directeur de Cabiria, déposa plusieurs brevets apportant de nombreuses modifications à l’équipe- ment des caméras, tout particulièrement avec le travelling (Rondolino 1993 :118). Cependant les entrepreneurs italiens furent laissés à la traîne avec l’arrivée du film sonore. Pastrone donna un plus fort avantage à l’indus- trie cinématographique américaine, limitant ainsi sévèrement le marché potentiel des films italiens. Après la Première Guerre Mondiale, la produc- tion de films italiens chuta de «200 films en 1920 à moins d’une douzaine d’oeuvres en 1927». Bien que de grandes fresques épiques et de grands films mettant en scène Bartolomeo Pagano dans le personnage du Maciste conti- nuèrent à être produits, le goût du public était plutôt tourné vers les drames américains plus égalitaires des années 20 (Bondanella 2001 : 215). Un manque d’organisation professionnelle avait fait chuter l’industrie du film italien de sa position de tête avant 1919, n’étant pas en mesure de résister à la conduite plus compétitive et expansionniste du capitalisme américain.

7 Qu’est-ce que le cinéma italien?

Le cinéma sous le fascisme (1933-1943)

La crise créée par la technologie du cinéma sonore ne fut pas seulement commerciale mais le fut aussi au niveau du contenu et de l’idéologie. Gianni Rondolino (1993 : 126-7) remarque que même avant l’établisse- ment «des parlants», les films italiens avec leurs thèmes historiques et leurs divas langoureuses avaient un air «vieille mode» comparés à ceux de l’Amérique. Les causes de la crise furent nombreuses et complexes. Rondolino suggère que les standards hautement professionnels qui avaient évolué avec les productions internationales à grande échelle conduisaient à un manque de fraîcheur et de nouveaux thèmes dans l’in- dustrie. L’Italie vécut d’énormes bouleversements dans les années 20 et la crise de l’industrie cinématographique connut une situation générale de tensions provoquées par les changements du pays en marche vers la modernité. L’industrialisation rapide changea les structures de classe, créant une classe moyenne et une classe ouvrière urbaine. De nouveaux emplois et de nouveaux accords professionnels apportèrent aussi de nou- veaux styles de divertissements et augmentèrent la consommation selon le modèle capitaliste. La marche sur Rome de Benito Mussolini en 1922 et l’établissement de l’Etat fasciste furent également partie prenante de la modernisation. Le but de Mussolini était de faire en sorte que tous les sec- teurs de l’Etat travaillent pour la modernisation de l’Italie sur le modèle d’une vaste corporation avec un homme fort à sa tête. Le développement de la production cinématographique et partiellement des publics du cinéma a fait partie de cette modernisation de l’Italie; preuve en est la mise en place de puissantes institutions, même si l’Etat fasciste ne contrôla jamais totalement la production du film commercial. Cette infra- structure institutionnelle jeta les bases à la fois du cinéma néoréaliste de l’après 1945 et de l’expansion du cinéma populaire en offrant la possibilité de former et bâtir un public adepte de la «lecture» de récits cinématogra- phiques. Des réalisateurs tels qu’ et Roberto Rossellini commencèrent leur carrière à cette époque, de même que l’acteur Vittorio De Sica et le scénariste . Le but de l’Etat en installant l’Opera Nazionale Dopolavoro (OND) était de créer des activités après les heures de travail que supervisaient des groupes intéressés à l’organisation d’activités divertissantes. Il en résulta «767 salles de cinéma sous son contrôle» sur un total de 1938 (Hay 1987 : 15). Se rendre au cinéma était essentiellement une expérience urbaine dans les années 20 et 30, pour la bonne raison que de nombreuses zones rurales manquaient d’électricité. Les activités de l’OND comprenaient

8 Le Cinéma Italien

des infrastructures pour des projections itinérantes. L’Istituto LUCE (L’Unione Cinematografica Educativa) fut instauré en 1924 pour produire et distribuer des documentaires et films d’information. Une organisation pour la jeunesse, la Gioventù Universitaria Fascista (GUF) fut mise en place pour promouvoir l’étude du cinéma. La guerre contre l’illettrisme et la croissance d’un public de classe moyenne conduisit à l’augmentation de la circulation des journaux et à celle des magazines spécialisés dans le cinéma. L’enthousiasme de Mussolini conduisit non seulement à l’établis- sement d’écoles de cinéma, le Centro Sperimentale di Cinematografia (CSC) en 1935 mais aussi à l’ouverture des studios Cinecitta à Rome. Le magazine Film fut distribué aux troupes, et la formation de personnels chargés des films fut développée rapidement pour répondre aux besoins en documentaires et films d’information en temps de guerre. Les mesures fascistes pour promouvoir le cinéma étaient essentiellement pragmatiques. Enersto.G.Laura (2000 : 63) a montré combien Mussolini eut toujours la volonté de voir l’Istituto LUCE s’autofinancer. Pour y par- venir obligation fut faite à chaque salle de cinéma d’Italie de projeter les documentaires de LUCE. Cependant le petit nombre de personnel tech- nique invité à aider les opérateurs de caméras qui filmaient les événe- ments sur tout le pays impliquait, pour justifier l’aide financière, que le gouvernement ait un suivi politique et culturel. Les films LUCE se déve- loppèrent grâce à des films d’information montrant des événements esti- més d’importance par le Conseil des Ministres jusqu’à des films ouverte- ment de propagande et d’idéologie fascistes tel que Camicia nera (Chemise noire, Giovacchino Forzano, 1933). L’impact de ces institutions sur les populations est impossible à juger, bien qu’une variété de témoignages indique que la jeune population en particulier utilisa les groupes GUF pour développer sa passion pour le cinéma et élargir ses horizons culturels (Rosi 1970 : 53-4). L’ institution des films fascistes représentait surtout une tentative de contrer l’influence culturelle des Etats-Unis, et proclamer la vitalité italienne et sa capacité à engager une réalité nationale moderne et spécifique. Une partie de l’enthousiasme pour l’éducation cinématogra- phique correspond à la construction d’une culture dans ce domaine; il est clair que les étudiants des années 30-40 du CSC furent impliqués dans des débats fondés sur la visualisation intensive de films au sujet de la nature du film, à propos de la finalité du documentaire, et sur le réalisme. La ligne officielle était de comparer de manière défavorable les films étran- gers à ceux de l’Italie. Cependant une bataille critique naquit à propos de l’oeuvre de Renoir, et la question du réalisme fut fortement débattue dans les pages de Cinéma. La circulation libre de films non produits par l’Axe ne

9 Qu’est-ce que le cinéma italien?

fut pas reconduite après 1940. Quelques films britanniques ou venus des Etats-Unis, disponibles en Suisse, et quelques autres tournés en Afrique du Nord fussent visionnés avec grand intérêt par des critiques de films (Argentieri, 1998). L’absence de compétition avec les films français et américains permit à l’espace de l’industrie du cinéma italien de se déve- lopper. Une nouvelle génération de réalisateurs, qui avaient été entraînés par CSC ou/et dans la production de documentaires et films d’information, purent faire évoluer le cinéma italien dans une direction plus véritable- ment réaliste. La partie commerciale avait aussi un besoin désespéré de modernisation. L’entrepreneur Stefano Pittaluga essaya de regrouper l’industrie contre la menace américaine en établissant l’Unione Cinematografia Italiana (UCI), représentant les producteurs et les distributeurs pour une rationalisation du marché. L’opération fit banqueroute en 1927 (Quaglietti 1980 : 14-20), Bondanella 1983 : 11-12); Landy 1986 : 11-12). La propre compagnie de Pittaluga, qui avait absorbé d’autres entreprises, devint Cines-Pittaluga, mettant en place une politique qui continuera après sa mort en 1931, résultant en la formation d’un corps gouvernemental : Ente Nazionale Industrie Cinematografiche (ENIC) en 1935. La conséquence des initia- tives de Pittaluga, fut la mise en place par le gouvernement fasciste d’une Direzione Generale per la Cinematografia en 1934 avec Luigi Freddi à sa tête. Ce corps était sous la direction du Ministero per la Cultura Popolare (Minculpop) tout comme l’était le fond pour financer la production du film italien à la Banca Nazionale del Lavoro (Bondanella 1983 : 13). Son système de prix pour la «qualité» et ses taxes pour le doublage des films étrangers, parmi d’autres initiatives, furent plus tard maintenus pendant l’après-guerre. Peu de films traitant de la guerre furent produits en Italie durant les deux guerres mondiales, peut-être parce qu’ils étaient coûteux, mais aussi parce que les distributeurs préféraient des films divertissants ou des mélo- drames. Les analyses de Mino Argentieri montrent que les références à la guerre sont généralement absentes, l’Italie étant représentée comme un pays calme et tranquille (Argentieri 1998 : 49-53). Très peu de films mon- trent que l’Italie est en guerre, exception faite de Avanti, c’è posto (Il y a une place au Front, 1942) de Mario Bonnard ou les allusions à la difficulté à obtenir du gaz domestique dans Campo de’ Fiori de Bonnard (1941). Argentieri révèle l’influence surprenante des idées apportées par le mou- vement du documentaire britannique. Les théories de Grierson et Flaherty furent mises en pratique par les réalisateurs comme De Robertis et Rossellini et montrèrent comment ceux-ci adaptèrent l’idée

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du dramatique documentaire social et le mode explicatif au film de guerre. L’époque fasciste, qui finit en 1941, toucha à son but de modernisation de l’industrie cinématographique en mettant en place des institutions qui, plus ou moins sans efforts, s’insérèrent dans la période de reconstruction, principalement parce que les Américains préféraient les structures institu- tionnelles existantes à n’importe quelle autre qui pourrait inclure le com- munisme. Ironiquement, la taxe fasciste pour le doublage fut réactivée vers la fin des années 40 comme un moyen de gagner de l’argent sur l’im- portation des films américains que les organisations italiennes étaient inca- pables d’arrêter par d’autres moyens. Les structures de l’industrie cinématographique après les deux guerres mondiales

Traditionnellement l’industrie cinématographique était définie par trois secteurs internes: production, distribution et exploitation. Les structures externes affectant l’industrie consistaient en l’intervention de l’Etat aux niveaux des finances et de la législation, en une compétition externe à l’industrie pour contrôler le marché intérieur (particulièrement par les Américains) et en une influence transnationale de développement de nou- velles technologies. Il faut maintenant inclure les directives de l’Union Européenne. L’industrie cinématographique n’oeuvre pas en vase clos et joue un rôle interactif avec d’autres industries culturelles et d’autres médias. De 1945 jusqu’au milieu des années 70, les compagnies de pro- duction se sont réparties par taille: des petites compagnies créées pour la réalisation d’un seul film (rendant difficile l’attribution des droits du film) jusqu’aux grandes compagnies aux contacts nationaux et internationaux produisant plusieurs films par an. Quelques distributeurs se sont spéciali- sés sur une région particulière de l’Italie, tel que Fortunato Misiano sur la Sicile et le Sud. D’autres ont couvert le territoire national ou avaient des contacts internationaux. Le secteur d’exploitation était organisé pour exploiter les films dès leur première projection dans les cinémas en exclu- sivité, faisant souvent partie de grandes chaînes de cinémas (la prima visione), jusqu’aux salles de banlieues (secunda visione), enfin dans les petites villes (terza vizione), et un grand choix de salles paroissiales, d’as- sociations politiques, de lieux balnéaires ou de saisons. Les traditionnels longs-métrages sont extrêmement onéreux à produire; même les petites productions impliquent un investissement financier consi- dérable et un important nombre de rôles créatifs et de services. Le cinéma italien a eu à faire évoluer des mécanismes pour évaluer les productions à

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succès. A partir de l’immédiate période de l’après-guerre, celles-ci ont pris la forme de rapports de statistiques détaillées des résultats du box-office des films individuels, des genres, des réalisateurs, du personnel créatif. Les statistiques essayèrent d’aller à l’encontre de larges plages d’incertitudes et d’ambiguïtés provenant de florissants paiements au noir versés (par exem- ple) aux vedettes qui n’apparaissaient sur aucun des états financiers. L’Italie était divisée en 12 zones, et les détails des gains du box-office étaient gardés dans les villes principales de chaque zone. Ceci eut un impact sur la forme des films permettant le développement de genres et sous-genres ainsi que de carrières de personnes impliquées dans les sec- teurs de la créativité et de la technique de l’industrie cinématographique. De plus, les producteurs prenaient leur décision sur la base d’une projec- tion de revenus des marchés nationaux et internationaux. Des années 40 aux années 60, ces décisions ont pu être prises suite à la prévision d’un film pour une zone géographique spécifique tels que le sud de l’italie et la Sicile. Des films pornographiques légers visaient les cinémas luci rosse de banlieues (lumières rouges) et le champ de l’exportation vers le Moyen- Orient. Il existait aussi des formules assez complexes pour le financement de la production d’un film, et plus récemment pour réclamer des finance- ments supplémentaires de l’Etat (article 28 sur les finances et plus tard l’article 8) si rétrospectivement le film était reconnu «de qualité» par son impact culturel et artistique, ou grâce à la contribution de son personnel créatif et technique.1 Perrella (1981) suggère que la relative stabilité à long terme de la société italienne et de l’industrie du film a généré diverses pratiques institution- nelles standard dont le but a été de maximiser l’effort et l’investissement. Des produits sur mesure pour les marchés spécifiques sont une pratique standard; la répétition des formes en est une autre. Un film est plus facile à vendre s’il appartient à un genre standard d’une manière standard dans des moments spécifiques à des moments spécifiques de l’année. Le dan- ger des oeuvres très originales est qu’on ne peut pas les répéter; les efforts mis en place pour leur publicité ou leur tournage ne font pas aisément par- tie du répertoire des pratiques institutionnelles. Un moyen de vendre ce désavantage est de catégoriser et de vendre le film grâce au nom du réali- sateur: «un film de Fellini» ou «le dernier Rosi». Le réalisateur/auteur est à la fois une définition légale et une nécessité institutionnelle utilisée comme critère de valeur culturelle et /ou commerciale (Fragola 1984 :3). Pour simplifier, les films étaient habituellement financés par une série de «garanties minimales», sous formes de «lettres au porteur» présentées aux banques ou à la Banca Nazionale del Lavoro, à intervalles réguliers.

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Ces garanties étaient réclamées aux distributeurs par les producteurs et couvraient les coûts de la production initiale. Il revenait aux producteurs de présenter un accord attrayant. Pour cela, généralement, ils engageaient les auteurs de scripts, réalisateurs et acteurs et le script en mains cher- chaient «une offre financière globale» à présenter aux distributeurs et/ou à un co-producteur étranger. Il était possible de vérifier le succès des pro- jets précédents dans lesquels réalisateurs, producteurs, acteurs, et musi- ciens étaient impliqués, et d’analyser comment les films d’un genre simi- laire avaient réussi dans différentes zones géographiques de l’Italie, de manière à estimer le retour financier possible. L’étude de l’industrie ciné- matographique entre 1945 et 1976 révèle que les producteurs ont soit choisi soit ont continué d’occuper une niche commerciale; ils en vinrent à dominer un espace particulier de la production à l’intérieur duquel ils ten- tèrent de se diversifier dans des genres différents. Les compagnies de la famille Argento (SEDA, ADC, Opera) se spécialisèrent dans les films d’horreur faits par Dario Argento mais produirent aussi des films d’horreur à petits budgets faits par d’autres réalisateurs pour un marché de niche. Bien que Franco Cristaldi fût tout d’abord associé avec le cinéma d’art avec des sujets «difficiles», il produisit aussi des comédies et des films moins sérieux avec grand succès.2 Les auteurs à cette époque avaient ten- dance à travailler sur tous les champs de l’industrie, mais, rapidement les réalisateurs furent associés à un type particulier de films. La présence d’un grand nombre de petits entrepreneurs explique en grande partie les plaintes permanentes au sujet du manque de politique culturelle concertée ou, quand la législation tente de protéger l’industrie cinématographique, l’incapacité des secteurs de l’industrie à respecter celle-ci. Des lois imposant un quota pour la projection obligatoire de films italiens par an furent souvent ignorées par le secteur de l’exploitation qui voulait remplir les salles de cinéma, souvent avec des films commerciaux avec force publicité. La combinaison de l’information statistique détaillée et de l’administration créative compte aussi pour le phénomène filone. Un filone est un courant de films semblables plutôt qu’un genre. Transposer des sujets à succès, des noms, thèmes et vedettes résulta en la production de films semblables rapidement réalisés jusqu’à ce que l’intérêt du public disparaisse. La pratique américaine de publicités très en amont pour des films commerciaux pouvait être contre - productive. Des films avec des titres identiques étaient réalisés et programmés à la hâte aussi proches que possible des films américains Spartacus ou Cléopâtre. Après 1976, date de l’explosion des chaînes de télévision commerciales, les pratiques décrites ci-dessus sont devenues moins transparentes et plus

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complexes. L’industrie cinématographique s’est polarisée et a depuis été dominée soit par des oligarchies soit par un petit nombre changeant de grandes compagnies verticales et intégrées de production ayant des inté- rêts télévisuels. Nous allons maintenant étudier l’évolution de ces struc- tures depuis 1945. 1945-1950: La période de la reconstruction

La première phase de l’industrie cinématographique italienne de l’après- guerre a pour caractéristique, d’une manière générale, le fait d’être comme un chaos organisé. Avec l’ouverture de Cinecitta en 1937, Rome domina l’industrie cinématographique durant la période fasciste, mais ses studios furent endommagés par les bombardements alliés, ses équipements furent enlevés par les Allemands, et ses bâtiments occupés comme camps de réfugiés de 1945 à 1948. Privées de Cinecitta, les productions commencè- rent dans d’autres studios plus petits, ou des centres régionaux; des arran- gements plutôt ad hoc et désorganisés, réminiscences du cinéma muet (Brunetta 1982 : 37-45). Malgré les difficultés, environ 25 films furent réa- lisés en 1945, allant jusqu’à respectivement 65 et 67 en 1946 et 1947 mais ces films étaient incapables de conquérir plus de 13% de leur propre mar- ché (Zanchi 1975 : 85). Brunetta (1982 : 1-21) donne des preuves que les difficultés rencontrées par le cinéma italien viennent des stratégies améri- caines de domination du secteur de la distribution italienne. Inondant le marché sous l’égide de la Branche pour le Bien-être Psychologique (PWB), les productions américaines empêchèrent effecti- vement le cinéma italien d’être présent. Mis à part des films identifiés comme plus ou moins néo-réalistes, la production italienne essaya de contrer ce déluge en faisant des films à petit budget, beaucoup d’entre eux s’inspirant du style américain. Des éléments de Film noir peuvent être identifiés dans de nombreux films néoréalistes à succès, Il bandito (Le ban- dit, Alberto Lattuada, 1946), In nome della legge (Au nom de la loi, Pietro Germi, 1949), Senza pietà (Sans pitié, Alberto Lattuada, 1948) alors que le mélodrame et les jambes nues ne génèrent en rien le succès de Riso Amaro (Riz amer, 1949). Les moyens de pénétrer l’industrie cinématographique étaient nombreux mais les contacts personnels étaient eux aussi toujours importants. Pour ceux qui avaient un intérêt intellectuel, le groupe GUF avait été le foyer de débats brûlants et (ironiquement) d’idées de gauche en compagnie d’autres libres- penseurs. De petits magazines comiques et de bandes dessinées (Fellini), des radios et

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des théâtres locaux (Rosi) furent aussi des relais importants. Des relations napolitaines suggérèrent le nom de Rosi à Luchino Visconti pour travailler sur le film La Terra trema (1948) comme assistant réalisateur. Le tournage en Sicile durant sept mois, son coût augmenta de 120 millions de Lires alors que le film italien moyen coûtait environ 50 millions. Visconti com- mença à tourner avec de l’argent du Parti Communiste, et contribua de ses propres fonds quand l’argent vint à manquer. Le tournage fut terminé avec l’argent d’Universalia, une compagnie de production catholique (Rosi 1996 : 25). Il fit 35 millions de Lires au box-office mais il faut se sou- venir que classé comme l’un des films néo-réalistes des plus mal reçus, il eut néanmoins un lancement international et est encore en circulation en vidéo et DVD. Il y eut plusieurs raisons à ce manque de succès immédiat, peut-être la principale réside-t-elle dans sa différence économique, idéo- logique et esthétique par rapport aux autres films de 1948 et 1949. Les dia- logues enregistrés étaient dans la version Aci Trezza en dialecte sicilien, incompréhensible en dehors de la région proche, si bien que le film sortit en version doublée en italien standard supervisé par Rosi. C’était la ver- sion préférée de Visconti avec sa propre voix utilisée pour les commen- taires. La réaction du public et de la critique à La Terra trema fut mélan- gée, regrettant généralement le manque d’intrigue, de vedettes et de rythme (Anon, 1950 : 64). Cet exemple est typique du contexte de changement industriel de l’époque. Bien que, financièrement parlant, les premiers films néoréalistes fûrent populaires, reflétant le sentiment politique de l’après-guerre dans le pays, quand la Terra trema fut présenté en 1949, l’accueil fut mauvais. La fin des années 40 et 50 fut marquée par un rapide retour aux pratiques industrielles standard et aux relations hiérarchiques dans le travail. Comme les budgets de production augmentaient pour tenter de rivaliser avec les films américains, l’industrie se dirigea vers le modèle capitaliste américain; les exigences des investisseurs devinrent de plus en plus grandes quant à la définition du produit. Le combat politique élargi, conclu par une écra- sante victoire des Démocrates-Chrétiens aux élections de 1948, se refléta également dans l’industrie cinématographique italienne. Les politiciens Démocrates-Chrétiens et les responsables nommés dans les corps de l’Etat s’opposèrent aux films néoréalistes sur la base du fait qu’ils donnaient à l’étranger une mauvaise image de l’Italie. Le vote du texte de Legge Andreotti en 1949 fut le point culminant des efforts déployés par les poli- ticiens depuis 1947 pour manipuler et contrôler l’industrie cinématogra- phique. Quaglietti (1980 : 52-73) suggère qu’Andreotti comprit l’impor- tance d’avoir les producteurs avec lui s’il voulait imposer des contrôles sur

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les films réalisés. La taxe d’Andreotti pour le doublage. La leggina de 1947, gonfla le montant des fonds accessibles aux producteurs sous la forme de prêts d’Etat, mais les mécanismes régulant l’accès à ces fonds constituèrent une forme supplémentaire de censure. Non seulement le scénario (plus tard modifié dans le traitement) et le budget, mais aussi les détails de l’équipe technique et créative devaient être fournis à la Sezione Autonoma Cinema de la Banca Nazionale del Lavoro. Des contrôles similaires furent mis en place pour garantir l’octroi de l’essentiel nulla osta pour autoriser la distribu- tion et l’exploitation d’un film. L’impact, aussi bien en termes économiques que culturels, du déferlement de films américains menaça le marché de saturation, menant l’industrie au bord de la crise. Quaglietti (1980 : 47) maintient que le secteur d’exploitation comprenait 6551 salles de cinémas en 1948 et que ce secteur avait besoin des films américains pour pouvoir continuer à fonctionner. Le fait que les films néoréalistes n’étaient pas considérés comme une réponse à la crise est prouvé par les appels lancés par l’industrie cinématographique aux réalisateurs ayant des talents de bons conteurs et un sens commercial (Campassi 1949 : 35). Les producteurs vou- laient des films avec des garanties de succès, des produits commerciaux avec des vedettes selon le modèle américain (Ferrau 1949 : 7). Les visages et interprétations d’acteurs non professionnels dans les films néoréalistes étaient insuffisants pour les mélodrames émotionnels de la fin des années 40 et n’allaient pas avec l’aspiration à une meilleure vie prônée par les scé- narios. Les acteurs qui assuraient la transition avec le cinéma fasciste chan- gèrent de style (Carla del Poggio est moins soignée après guerre), furent asso- ciés à des genres populaires (Vittorio De Sica, Anna Magnani, ), furent engagés pour jouer des rôles de personnes de classe moyenne (Gino Cervi), ou continuèrent à offrir des stéréotypes considérés comme positifs de la masculinité italienne (Amedeo Nazzari). Le cinéma italien eut aussi besoin d’acteurs jeunes qui représentaient les aspirations inspirées par la nouvelle situation politique et sociale. De jeunes acteurs masculins vinrent du théâtre et du sport. Les concours de Miss Italia et autres fournirent des terrains de chasse pour trouver des starlettes lançant les carrières de Silvana Pampanini, Gina Lollobrigida, Lucia Bosè, Silvana Mangano, Eleonora Rossi Drago et Sophia Loren entre autres, reflétant l’appel d’Andreotti pour «moins de guenilles, plus de jambes» (Bizzari 1979 : 41). Les films de la fin des années 40 montrent les conflits et bouleversements de l’immédiate période de l’après-guerre; des films néoréalistes et poli- tiques au coude à coude avec des mélodrames de deuils, conflits de généra- tions et vengeances, films d’aventures et comédies.

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Les florissantes années 1950 et 1960

L’importance de la guérison économique de l’Italie peut être appréciée par l’augmentation de la production du nombre de films par an: de 92 films en 1950 à 190 en 1954, 160 en 1960 et plus de 200 durant toutes les années 60. Des associations de producteurs et de distributeurs (ANICA et AGIS) firent de nombreux accords avec Motion Pictures Association of America (MPAA) pour limiter la domination américaine du marché; la plus importante étant le blocage des revenus obtenus en Italie par des films américains. Bien que quelques compagnies eussent recours à des straté- gies extrêmement créatives pour sortir leur argent du pays, des sommes significatives de dollars américains furent investies dans les films italiens; La production italienne couvrit tout le champ des films: des produits à succès jusqu’aux genres solides à budget moyen et filoni, jusqu’aux filoni éphémères à petit budget, rapidement exploités sur les marges du marché. A côté des comédies et mélodrames, plusieurs filoni majeurs dominent cette période. Environ 170 exemples (10% de la production italienne) du filone épique peplum furent produits entre 1957 et 1964 (Miccichè 1995 :123-3). Le film sexy fut en permanence présent vers la fin des années 50, et l’inattendu succès de Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars, 1965) lança la mega-filme d’environ 300 westerns spaghetti dont le nombre diminuera au début des années 70. Bien que des films à succès modéré et peu rentables couvrissent une diversité de genres de plus en plus large, il restait proportionnellement des groupes aussi importants dans les catégo- ries principales de la comédie et du drame. Les prix pour la qualité, de manière assez pénible, eurent tendance à être attribués à des films appar- tenant à ces deux catégories. En terme de quantité cependant, le cinéma populaire italien représentait une situation hégémonique, par rapport au petit pourcentage des films d’art produits chaque année. Au commence- ment des années 50, le coût moyen d’un film italien était de 100 millions de Lires, environ un sixième du coût d’une production américaine moyenne. Au fur et à mesure que le nombre de films à grand succès aug- menta, des films moins ambitieux furent privés de revenus. Cependant à cause du nombre de films en production, il y eut de très larges opportuni- tés, au moins pour les films medio, pour des débutants dans l’industrie cinématographique. Le temps que Rosi en vienne à faire son premier film, il avait déjà acquis dix ans d’expérience dans l’industrie à tous les niveaux des récompenses financières. Après l’expérience de La terra trema, son profil de carrière comprit des films à grand courant populaire qui réussirent bien, et des films d’art sans

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succès. Il fut l’assistant du réalisateur Raffaello Matarazzo, un des réalisa- teurs des plus prolifiques et des plus couronnés de succès des années 50 avec Tormento (Tourment, 1950) et I figli di nessuno (Les enfants de personne, 1951) avec comme interprètes Amedeo Nazzari et Yvonne Sanson, deux mélodrames fleuris avec des scénarios typiquement compliqués, produits par un grand studio, Titanus. Ils furent premier et second au classement national, gagnant respectivement plus de 900 et 700 millions de Lires alors que le prix moyen du ticket d’entrée était de 103.7 Lires. En 1951 Rosi collabora également au scénario de la comédie populaire de Luciano Emmer Parigi è sempre Parigi (Paris sera toujours Paris) avec pour acteurs Marcello Mastroianni et Lucia Bosè. On lui demanda de finir Camicie rosse (Chemises rouges, 1952), un drame historique au sujet de Garibaldi, quand Goffredo Alessandrini abandonna le projet. En 1958 il retourna collaborer avec Ettore Giannini, pour qui il travailla comme réa- lisateur assistant de Carosello Napoletano (Rond point napolitain). Le film, produit par Lux était une adaptation très réussie pour l’écran d’une revue théâtrale. Avec des recettes au box-office de plus de 753 millions de Lires, il arriva quasiment au sommet des résultats financiers pour la saison 1953-4. Remarquable pour la variété des types napolitains, personnages et cos- tumes, le film donna un rôle à Sophia Loren et fut le premier du genre comédie musicale qui ne dura pas. Il souleva quelque intérêt au Festival de Cannes (Casiraghi 1954 : 13). La contribution de Rosi fut également l’adaptation de livres d’auteurs célèbres Proibito (Interdit, , 1954) et Racconti romani (Contes romains, Gianni Franciolini, 1955), une comédie Il Bigamo (Le bigame, Luciano Emmer, 1956) et l’assistance à Vittorio Gassman pour le biographique Kean, genio e sregolatezza (Kean, 1956). Ses mérites incluent également des travaux sur les scripts ou sur l’assistance de réalisateur pour des films qui ont remporté les éloges de la critique: Bellissima, (Luchino Visconti, 1951), I vinti (Antonioni, 1952) et Senso (Visconti, 1954). Du point de vue de la construction d’un profil de carrière convaincant, il est significatif qu’il ait su trouver un équilibre entre des succès importants au box-office sur des produits de genres reconnus, et du travail sur des films qui reçurent la reconnaissance des critiques et des prix pour leur qualité (et peu de succès quant à l’aspect financier). Ce type de carrière peut être constaté chez certains de ses premiers collaborateurs. Le travail sur une grande variété de films avec suffisamment de succès de la critique et du box-office pour apparaître comme quelqu’un à l‘offre attrayante pour un certain type de producteurs. D’autres jeunes réalisateurs, comme Florestano Vancini, ,

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Vittorio de Seta, se préparaient pour leur début avec de longs-métrages en se faisant la main sur des courts-métrages. La phase de néoréalismo rosa, et la prolifération de comédies donna l’occasion à d’autres de faire leur premier film. Cinéma d’art et production prestigieuse (1)

Vers la fin des années 50, une convergence de facteurs économiques, sociaux et politiques favorisa l’émergence de producteurs de films voulant prendre des risques en finançant des films plus politiques et plus expéri- mentaux. Avec l’aide du plan Marshall, l’industrie cinématographique reprit, préparant le chemin pour le miracle économique des années 50 et 60. La prospérité grandit et l’emploi augmenta, couplés avec le dévelop- pement de centres industriels au Nord et l’immigration au Sud. La mon- tée sociale qui accompagna le boom fournit un large éventail de nouveaux sujets pour les producteurs de films et des lignes de forces intéressantes se dégagèrent avec des récits plus traditionnels; John Foot (2003 : 138) dit que «10 millions d’Italiens bougèrent d’une région à une autre en une période de dix ans; plus de 17 millions changèrent de maison. Politiquement, il y eut un mouvement vers des formes de gouvernement plus centre-gauche apportant moins de censure: le goût du public était prêt à s’intéresser à des produits plus radicaux. De plus, bien que le défer- lement de films américains lâchés sur l’Italie après la guerre n’ait pas fini d’être épuisé, l’industrie cinématographique américaine était entrée dans une de ses propres crises. Elle en était venue à s’appuyer sur des revenus de marchés européens. L’intervention de l’Etat italien à partir des années 60 reflète les tentatives politiques de contrôler l’espace culturel national (Guback 1969 :10). La stratégie consistait à bâtir l’infrastructure de festi- vals et prix pour la qualité que David Bordwell et Steve Neale identifient comme une des caractéristiques de l’art cinématographique et qui sera étudiée au chapitre V. Comme de nombreux pays européens et d’Amérique latine développaient les mêmes stratégies, et que le secteur de l’exploitation reconnaissait un public potentiel pour les films d’art, ceux-ci devinrent plus exportables, aidés par le développement d’accords de co-productions. Le premier film de Rosi, La sfida (Le défi, 1958) fut produit par Franco Cristaldi qui représentait une force déterminante dans le cinéma italien lançant de «nouveaux réalisateurs et sujets. C’était une co-production Lux/Vides/Cinecitta avec les films Sueva de Madrid. La présence de Cinecitta dans les accords de production est intéressante parce que les

19 Qu’est-ce que le cinéma italien?

facilités de studios gérés par l’Etat fournirent une autre sorte de soutien à l’industrie cinématographique. Dans les années 60, Cinecitta offrit des délais de paiement qui en firent une banque pour ses propres clients (Champenier 1989 : 67). L’attribution du prix spécial du jury (ex aequo avec Les amants de Louis Malle) au Festival du film de Venise de 1958 et de trois nastri d’argento (ruban d’argent équivalent des Oscars) suscita un grand intérêt pour le film. Il arriva quinzième dans le classement national du box-office, une très haute place parmi les comédies, les films mytholo- giques et d’aventures. Bien que politique dans sa recherche pour compren- dre l’installation au pouvoir de la mafia napolitaine, Camorra, tourné entre les paysans fermiers, et les marchés napolitains de fruits et légumes, s’aligne, au niveau du style comme du récit, sur le film de gangster améri- cain, le film noir, et de l’histoire d’amour pour rendre les idées plus sédui- santes. Le succès de La sfida permit à Rosi de faire I magliari pour Vides/Titanus en 1959 avec comme interprètes Renato Salvatori et Alberto Sordi, grandes vedettes du cinéma italien. La même utilisation des formes popu- laires, l’enquête, le genre de comédie régionale de gangster se trouve aussi chez Rosi dans l’histoire de travailleurs illégaux en Allemagne; là encore le film fut un succès et gagna en 1960 le nastro d’argento pour la photogra- phie. L’évènement clé du cinéma dans les années 60 fut cependant La dolce vita (1960). La dolce vita prouva à l’industrie cinématographique qu’il était possible de gagner de l’argent avec des sujets controversés, traités sous des formes narratives non conventionnelles. Salvatore Giuliano de Rosi (1961) marcha de la même manière. Les deux films provoquèrent des scandales, un tollé de la part du public, et pour le dernier une enquête par- lementaire fut ouverte pour allusion à des connivences entre la police, les carabiniers et la mafia en Sicile. Salvatore Giuliano fut une production Lux/Vides/Galatea. Elle fit la répu- tation de Rosi à l’étranger en gagnant l’Ours d’argent à Berlin et bien que rejetée par Venise, obtint un nastro d’argento pour sa réalisation, musique et photographie en noir et blanc, un gobelet d’or du meilleur réalisateur, et le prix San Fedele du meilleur film de la critique étrangère en 1962. Salvatore Giuliano fut un film extrêmement important à différents niveaux. C’était un film engagé politiquement qui traitait de manière rigoureuse les problèmes du Sud et y faisait face. C’était aussi un film novateur dans la forme, ce que les films néoréalistes n’avaient pas su être. Dans sa recherche d’authenticité, Rosi tourna la plus grande partie du film là où l’action avait vraiment pris place et utilisa de manière dominante des acteurs non professionnels, une stratégie inhabituelle pour un film qui fit

20 Le Cinéma Italien

plus de 700 millions de Lires au box-office. Avec très peu d’exceptions, la réaction d’admiration des critiques fut unanime. Comme beaucoup de ses films ultérieurs, ceux-ci ne furent pas seulement débattus dans les colonnes réservées au cinéma mais aussi dans les pages culturelles. Le mani sulla città (Mains basses sur la ville, 1963) fut un moins grand succès financier mais gagna le Lion d’Or en 1963 au XXIV Festival du film à Venise, imposant de le considérer avec sérieux. Après le manque relatif de succès de Le mani sulla città, la chance de mon- ter une co-production fut un pas logique garantissant une base plus large pour un investissement financier, accès à deux ou plus de marchés locaux, apportant les avantages conséquents d’être éligible pour des quotas d’ex- ploitations «nationales» et d’obtenir des prix, double base pour calculer les subsides et inclure une plus grande variété de vedettes, de personnel artis- tique et technique sans mettre en danger la nationalité du film (Guback 1969 : 181). Le film de courses de taureaux de Rosi, Il momento della verità (Le moment de la vérité, 1964) était une co-production italo-espagnole en couleurs utilisant l’histoire d’un torero pour étudier l’exploitation et la pauvreté des populations rurales. Les genres les plus populaires en ce temps là étaient les drames en costumes d’époque, les films dramatiques et à épisodes. Le film fut rapidement exploité dans les meilleures salles, ses gains élevés reflétèrent les besoins du marché, et le fait d’avoir été tourné dans des lieux exotiques était un attrait supplémentaire. A ce stade de la carrière de Rosi, les pressions financières pouvaient diffi- cilement être ignorées. Ses trois premiers films avaient été des succès, les deux derniers de moindre mesure. Pour continuer à faire des films selon son goût, il devait en produire un qui ferait de l’argent. Mais Rosi et son co-scénariste, Tonino Guerra, dont le projet était d’adapter un conte de fées napolitain, se firent voler l’idée par le producteur Carlo Ponti dont les préoccupations étaient liées aux pressions de l’accord de co-production américaine avec de lourdes injections d’argent. Le film devait être réalisé en couleurs, en scope, avec des vedettes. MGM le commercialisa comme une histoire d’amour, C’era una volta (Cendrillon-style italien, 1967) («Sophia! Omar! Tous les deux fantastiques en rôle de paysanne et de prince qui la dompte!). Il n’est pas surprenant que la critique n’ait su qu’en faire, cherchant frénétiquement un message sous les charmantes images. Financièrement, ce fut cependant un succès, venant en huitième position sur les listes nationales. Il est intéressant de noter que nous avons dans C’era una volta un exemple de la volonté d’un producteur s’imposant à un rélisa- teur. Malgré cela, Rosi et son producteur, Luciano Perugia, eurent beaucoup de difficultés à attirer un financement pour leur film suivant Uomini contro

21 Le Cinéma Italien

Padre Padrone, 25 Malèna, 44, 160 Il sole anche di notte, 208 Torre Roberta, 158, 173 Sotto il segno dello scorpione, 24 Angela, 158 Sovversivi, 24 Sud side story, 173 Taviani, Lina Nerli, 220 Torriglia, A.M., 187 Tea with Mussolini voir Un tè con Mussolini Toscan du Plantier, Daniel, 29-30 Teatro di guerra, 176 Tosi, Piero,133, 156, 220 Un tè con Mussolini, 153 Totò (Antonio de Curtis), 3, 43, 55-57, 60 Tedeschi, Valera Bruni, 209 Totò al giro d’Italia, 57 Télévision, 25-29, 72, 153-154 Totò che visse due volte, 60 Comédie, 56 Totò contro Maciste e Cleopatra, 44 Tenebrae voir Tenebre Toto’s tour of Italy voir Totò al giro d’Italia Tenebre, 67-68 Tragic pursuit voir Caccia tragica Il tè nel deserto, 152 Trauma, 69 Teorema, 143 Tre fratelli, 27, 29, 212, 216-217, 233 La terra trema, 15, 17, 103, 134-135 The Tree of wooden clogs voir Terrorisme, 27, 34, 55-56, 63, 93-94 l’Albero degli zoccoli Tessari, Duccio, 83 La tregua, 37, 94, 149-150, 182 Thank you, Aunt voir Grazia zia Troisi, Massimo, 51, 54, 73 Théorème voir Teorema Trotta, Margarethe von There’s a room at the front voir Il lungo silenzio, 205 Avanti, c’è posto The Truce voir La tregua Thompson, Kristin, 106 The Turkish bath: Hamman voir The Thracian Gladiator voir Il bagno turco, hamman Il gladiatore della Tracia Turner, B.S., 203 Three brothers voir Tre fratelli Turturro, John, 182 Thumim, Janet, 49-50 Tie Me Up, Tie Me down voir! Atame! Uccellacci e uccellini, 143 To die for Tano voir Tano da morire L’uccello dalle piume di cristallo, 68-69 Todorov, T., 180 Gli ultimi giorni di Pompei, 187 To each his own voir A ciascuno il suo Ultimo tango a Parigi, 23, 152 Toffetti, S., 160 Ultrà-ultras, 204 To forget Palermo voir Under the sign of the scorpion voir Dimenticare Palermo Sotto il segno dello scorpione Tognazzi, Ricky Ungari, E., 23 La scorta, 171 L’Unione Cinematografica Italiana Ultrà-Ultras, 204 (UCI), 10 Tognazzi, Ugo, 59 Uomini contro, 21, 148, 150 To leave in Peace voir Vivere in pace Uomini sul fondo, 99 Tombolo, Black Paradise voir US cinema, 8, 17 Tombolo Paradiso nero European cinema, 34-35 Tombolo paradiso nero, 122 Crise, 18 Torino nera, 62 Post-war, 14-16, 53, 63 Torment voir Tormento Vaghe stelle dell’orsa, 135, 234 Tormento, 18, 126 Vallone, Raf, 87, 125, 191-193 Tornatore, Giuseppe Vancini, Florestano, 18 Cinema Paradiso, 3, 44, 159 Il vangelo secondo Matteo, 143 La leggenda del pianista sull’oceano, 160 Vanel, Charles, 216, 223

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The vanquished voir I vinti Wagstaff, Chris, 100, 103, 195, 241 Vanzina, Stefano, 43 The way we laughed voir Così ridevano Variety lights voir Luci del varietà Wertmüller, Lina, 55, 156, 221 Veidt, Conrad, 45 Westerns Spaghetti, 17, 26, 63-64, 73 Veltroni, W., 28 Pasqualino Settebellezze, 157-158 Ventura, Lino, 224 We Still Kill the Old Way voir Verdone, Carlo, 34, 43, 54, 59-60 A ciascuno il suo Viaggi di nozze, 60 We want The Colonels voir Verga, Giovanni, 45, 100, 134 Vogliamo i colonelli Vergano, Aldo The Whip and The Body voir Il sole sorge ancora, 103, 111-112 La frustra e il corpo Verismo, 100 White, Hayden, 94 I Vesuviani, 161 White, John, 217 Un viaggio chiamato amore, 209 White Nights voir Le notti bianche Viaggio in Italia, 143 The White Sheik voir Lo sceicco bianco Viano, M., 38 Without Pity voir Senza pieta Vidali, Enrico The Wolf of the Sila voir Il lupo della Sila Il gladiatore della Tracia, 80 Wood, Mary P., 25, 48, 63, 150, 182, 222 Vigano, A., 52 Wyke, Maria, 80, 82 Villagio, Paolo, 34, 55, 59 Vincendeau, G., 131, 189 Year one voir Anno uno I vinti, 18, 145 Visconti, Luchino, 24, 42, 45, 133-136 Zaccone, Teodosi, A., 27, 33, 39 Bellissima, 18, 134 Zagarrio, Vito, 172 La caduta degli dei, 71, 135, 138 Zampa, Luigi Il gattopardo, 88, 135 Anni difficili, 103 Gruppo di famiglia in un interno, 71 L’Onorevole Angelina, 103, 118-119 L’innocente, 71, 135 Vivere in pace, 102 Ludwig, 135 Zanchi, C., 14 Morte a Venezia, 135 Zavattini, Cesare, 8, 99, 113, 190 Le notte bianche, 135 Zeffirelli, Franco, 153 Ossessione, 48, 99-101, 133-135 Callas Forever, 154 Rocco e i suoi fratelli, 135, 230-231 Un tè con Mussolini, 153 Senso, 18, 48, 88, 134-135 Lo zio di Brooklyn, 60 La terra trema, 15, 17, 103, 134-135 Zizek, Slavoj, 175, 177 Vaghe stelle dell’orsa, 135, 234 Zonn, L.E., 216 La vita è bella (Benigni), 37-38, 44, 52, Zurlini, Valerio, 18 59, 94, 159 La vita è bella (Bragaglia), 52 Una vita difficile, 55 I Vitelloni, 140, 228 Vitti, Monica, 146, 230 Viva l’Italia, 143 Vivere in pace, 102 Vogliamo i colonelli, 54 Volere volare, 59, 209 Volonté, Gian Maria, 42, 167, 212 Voyage to Italy voir Viaggio in Italia

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