ACCAPAREMENT DES TERRES RURALES DANS LA COMMUNE DE () : UNE NOUVELLE PROBLEMATIQUE FONCIERE

ABOUDOU Y. M. A. Ramanou , GNELE José Edgard et ABDOULAYE Abdoul Rasmane,

Département de Géographie et Aménagement du Territoire, Faculté des Arts et des Sciences Humaines, Université de

RÉSUMÉ L’étude sur la problématique de l’accaparement des terres rurales dans la commune de Tchaourou (Borgou/Bénin) permet aux acteurs locaux d’appréhender les contours de la question et surtout d’anticiper sur les réponses possibles à apporter en vue de la maîtrise de la situation. Elle vise à décrire et analyser les manifestations et les conséquences du phénomène. Pour cela, il a été nécessaire de recourir à la documentation, la collecte de données sur le terrain au moyen de la méthode accélérée de recherche participative (MARP), puis au traitement et à l’analyse des résultats à l’aide de la méthode SWOT, et enfin à un essai de cartographie. Il résulte de cette étude que le phénomène d’accaparement des terres rurales de la commune de Tchaourou est le fait d’une multitude d’acteurs (administration, élus locaux, propriétaires terriens, acquéreurs, etc.) natifs (20 %) et ou étrangers (70 %). En effet, se fondant sur l’achat comme mode dominant d’acquisition des terres (50,77 %) et sur la précarité dans laquelle végète la population, la tendance au bradage des terres par les paysans se trouve stimulée, notamment dans les arrondissements de Sanson et de en raison de leur proximité avec la ville de Parakou. Contrairement à l’intention initialement déclarée par les acquéreurs, 95 % des terres ainsi acquises sont soustraites à toute forme d’exploitation, les soumettant ainsi à la thésaurisation plutôt qu’à un développement prospectif. Mots clés : accaparement, terres rurales, foncier, Tchaourou, Bénin.

ABSTRACT Rural land grab in the district of Tchaourou (Benin): a new land issues The study about the problematic of monopolizing of the rural lands carried out in the administrative district of Tchaourou (Borgou/Bénin) allows the stakeholders to apprehend the contours of the question and chiefly anticipate the possible responses to bring about in order to master the situation. For this reason, the study takes into account the documentation, data collection on the field owing to the accelerated method of participatory research (MARP), followed by the processing and the analysis of the results thanks to the SWOT method backed up by a geographical test.

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It results from this study that the phenomenon of monopolizing of the rural lands of the administrative district of Tchaourou is the fact of a number of native stakeholders (administration, local authorities, landowners and buyers) 20 % and or strangers 70 %. In effect, basing on the purchase as prevailing means of acquisition of lands in this administrative district (50,77 %) and on the precariousness in which vegetates the population, the tendency to selling dirt cheap of the lands by the peasants is mainly stimulated in the administrative districts of Sanson and Tchatchou because of their closeness to the town of Parakou with thousands hectares already engulfed Contrary to the declared initial intention by the buyers, 95 % of the lands then acquired are not subjected to any form of exploitation, submitting then to hoarding rather than a prospective development. Key words: Monopolizing, Rural lands, Tchaourou, Benin.

INTRODUCTION Dans les pays en voie de développement, la terre constitue la seule source de richesse et joue un rôle important dans l’épanouissement socio- économique de la population (Azon, 2008). En Afrique au sud du Sahara, l’accès au foncier est basé à la fois sur les régimes moderne et coutumier. Aussi, ce dernier est-il axé sur les valeurs et normes de chaque groupe social (Igué, 1995). Toutefois, dans un nombre de plus en plus important de régions, ces régimes ont connu, au cours des dernières décennies, des changements significatifs à cause de la forte poussée démographique, d’une migration galopante ainsi qu’une augmentation soutenue de l’effectif des actifs agricoles (Zogo, 2006). Au Bénin, l’augmentation de besoins d’espaces résulte de l’attachement à la propriété foncière car pour tout Béninois qui travaille à l’intérieur du pays ou à l’étranger, avoir un terrain est un signe de réussite sociale (Mondjannangni, 1977). Ainsi, la terre est perçue comme un instrument de développement socio-économique et devient l’objet de convoitise. Elle subit des attaques successives, des transactions diverses et parfois frauduleuses, des revendications, des contestations de propriété (Lavigne Delville et al., 2002). Jadis, les immigrés n’éprouvaient pas de difficultés pour s’installer et pour trouver des terres à exploiter, car, les autochtones se montraient généralement bienveillants et hospitaliers. Mais, la cupidité et l’esprit égoïste de certains ont engendré des tensions foncières et une méfiance entre les différents acteurs fonciers (Gahoungo, 2006). Dès lors, il est clair qu’on ne peut concevoir le développement d’une localité sans une bonne gestion du foncier. Certes, à Tchaourou, les problèmes fonciers ne sont pas les mêmes que dans les autres communes. Néanmoins, certaines

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pratiques en matière d’occupation et d’utilisation des terres conduisent à leur émiettement et diverses conséquences, notamment en milieu rural. La meilleure expression de ce phénomène se traduit par l’hétérogénéité du paysage végétal avec des parcelles portant de maigres cultures, d’une part et l’apparition de grandes et de nombreuses plaques indiquant le nom de l’acquéreur ou du propriétaire et l’étendue approximative dudit domaine, d’autre part. C’est le phénomène d’accaparement des terres rurales dont l’ampleur ne cesse de s’accroître dans la commune de Tchaourou. La présente vise à élucider dans ladite commune, comment se manifeste le phénomène, quels en sont les acteurs et les impacts ? A cet effet et pour mieux appréhender les contours de la question, il a été présenté le milieu d’étude, la méthodologie utilisée, puis les principaux résultats obtenus à travers successivement, les modes d’accès au foncier dans le milieu, les fondements dudit phénomène, les acteurs qui en sont responsables, ses impacts et enfin quelques approches de solutions.

1. SITE ET APPROCHE METHODOLOGIQUE 1.1. Milieu d’étude La commune de Tchaourou est située en latitude entre 8° 40’ et 9° 40’ N, et en longitude entre 2° 02’ et 3° 08’ E. Elle est limitée au nord par les communes de Parakou, Pèrèrè et N’Dali, au sud par la commune de Ouessè, à l’est par le et à l’ouest par les communes de et . Elle s’étend sur une superficie de 7.256 km2, soit 28 % du département du Borgou auquel il appartient et environ 6,5 % du territoire national. Elle est divisée en 7 arrondissements organisés en 36 villages ou quartiers de ville (figure 1). La commune de Tchaourou est située dans la pénéplaine cristalline allant de Dan (sud) à Kandi (nord), a un relief modéré constitué de plaines et de plateaux surmontés par endroits de monticules culminant parfois plus de 300 m d’altitude. Elle est soumise à l’influence du climat sud-soudanien uni- modal caractérisé par une saison sèche et une saison humide avec des totaux pluviométriques annuels de l’ordre 1100 à 1200 mm. Cette répartition pluviométrique, combinée à la diversité des sols (ferrugineux tropicaux, ferralitiques et hydromorphes), favorise d’une part, une diversité de cultures (dont l’igname, le manioc, le maïs) et d’autre part, le développement des essences végétales dominées par Parkia biglobosa, Vitellaria paradoxa, Daniella oliveri, Tamarindus indica, Khaya senegalensis, Afzelia africana qui en déterminent le type de végétation. Ces conditions naturelles expliquent par ailleurs, le fait que le milieu d’étude soit l’une des destinations privilégiées des transhumants peulhs en provenance du nord du pays ou des pays voisins (Niger, Burkina Faso, Nigeria).

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Figure 1 : Situation de la commune de Tchaourou

Avec une population de 221.108 habitants dont 91 % de ruraux (INSAE, 2013) et une densité d’environ 15 hbts/km2, la commune compte plusieurs groupes socioculturels dont les plus dominants sont les Baatombu (34,2 %), les Peulh (18,9 %) et les Nago (15,8 %) auxquels s’ajoutent quelques minorités (Otamari, Yom-Lokpa, Fon, Adja). C’est ce potentiel démographique qui impulse la dynamique foncière dans le milieu.

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1.2. Méthodologie La méthodologie adoptée s’articule en 3 étapes dont la collecte des données, le traitement des données et l’analyse des résultats. La collecte des données regroupe, outre la recherche documentaire, les travaux de terrain ainsi que ceux de laboratoire. En effet, il a été effectué, dans les 7 arrondissements de la commune, des enquêtes auprès des populations sur la base d’un échantillon de 215 personnes diversement constitué et représentatif, suivant un taux de 5 %. Au total, 21 villages sur les 36 que compte la commune ont été parcourus à raison de 3 par arrondissement, soit un taux de couverture de 58,33 %. Aussi, la Méthode Accélérée de Recherche Participative (MARP) qui place les acteurs de développement au cœur de la recherche a-t-elle été utilisée. Par ailleurs, les 7 chefs d’arrondissement (CA) ainsi que certains acteurs clés du service en charge des affaires domaniales de la mairie ont été interrogés au moyen de guides d’entretien. Toutes les informations collectées ont fait l’objet d’un traitement manuel puis, analysées.

2. RÉSULTATS Ils portent sur les trois volets que sont d’abord, les modes d’accès aux terres rurales et les fondements de l’accaparement de ces terres dans la commune de Tchaourou, ensuite, les acteurs du phénomène d’accaparement et enfin, les impacts socioéconomiques dudit phénomène sur le monde paysan. 2.1. Modes d’accès et fondements de l’accaparement des terres rurales à Tchaourou 2.1.1. Modes d’accès à la terre ou à la propriété foncière Si au Bénin, il est admis que la terre appartient à l’Etat, il est aussi reconnu que sur le terrain la gestion des terres relève des communautés ou des présumés propriétaires terriens qui sont les véritables acteurs des transactions foncières. En effet, à Tchaourou, les terres ou les parcelles sont vendues non par l’Etat, mais par des personnes à qui l’on (même l’Etat) reconnaît le droit de propriété. Ce n’est qu’au moment d’effectuer des opérations de lotissement que l’administration locale obtient après avis de la collectivité présumée propriétaire, un certain nombre de réserves devant accueillir les infrastructures. A Tchaourou, le mode dominant d’accès à la terre est l’achat (50,77 %) suivi de l’héritage (45,23 %). Cela traduit l’individualisation de plus en plus poussée de la propriété foncière. Quant au don et au prêt, ils apparaissent très minoritaires, soit 4 % parce que pour les populations locales, la terre est

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ACCAPAREMENT DES TERRES RURALES DANS LA COMMUNE DE TCHAOUROU (BENIN) devenue onéreuse et précieuse. Aussi, la valeur pécuniaire prise par la terre accélère-t-elle le passage du droit collectif au droit d’usage individuel puis au droit de propriété individuelle. De ce fait, la terre, jadis sacrée, devient progressivement un objet de transaction commerciale et de spéculations de toutes sortes. 2.1.2. Fondements de l’accaparement des terres Les terres rurales de la commune de Tchaourou subissent d’importantes transformations qui aboutissent généralement à des transferts de propriété, des droits d’usage ou d’exploitation. Au nombre des fondements qui sous-tendent l’accaparement des terres, on distingue des facteurs internes et externes. ! Facteurs internes Au titre des facteurs externes, on retient entre autres : − l’absence des performances administratives ou la trop grande léthargie de l’administration en matière d’occupation ou de gestion des terres puisque les services de la mairie ne disposent d’aucune donnée fiable sur le foncier et son statut ; − l’absence d’organisation et de gestion foncière orientée vers le développement à travers les documents de planification spatiale tels que prescrits par la loi (SDAC, PAR, PDU, etc.) en dehors du plan de développement communal (PDC) qui planifie quelque peu le développement économique et social et de quelques lotissements opérés dans les agglomérations urbaines (Tchaourou et Tchatchou) sans y laisser aucune véritable trame urbaine ; − la précarité paysanne des populations rurales, liée aux conditions pénibles (techniques rudimentaires et archaïques, absence de crédits, écoulement difficile et peu rentable des produits agricoles, etc.), expose les communautés à une vulnérabilité élevée face aux pressions de l’économie monétaire et aux tentatives de gains ou d’argent faciles ; − l’absence de normes d’acquisition foncière (pas de limitation) donne la liberté à chacun, dans la mesure de ses moyens, d’acquérir ici ou là, autant de superficies de terres que possible (500 à plus de 1 000 ha de terres par un seul individu et parfois d’un seul tenant) en milieu rural. Quant au milieu urbain, notamment à Tchaourou, les ménages utilisent plus que modérément l’espace avec un léger dépassement soit 1,64 fois plus que les besoins réels.

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! Facteurs externes C’est, le fait d’acteurs non résidents pour qui l’accumulation foncière est de plus en plus perçue comme le meilleur moyen de thésauriser ou l’une des méthodes de blanchiment d’argent. D’ailleurs, les arrondissements les plus touchés par le phénomène (Sanson, Tchatchou, Tchaourou et Kika), témoignent que les acquéreurs cherchent à anticiper sur les gains fonciers que pourraient engendrer l’extension urbaine pluridirectionnelle et surtout vers le sud de la ville de Parakou. 30 % des terres objet d’accaparement, connaissent une mise en valeur agricole. La majeure partie (70 %) reste en friches. De nos jours, il apparaît que le phénomène constitue un facteur limitant pour les investissements (surtout agricoles) de même qu’il contribue à une gestion hasardeuse et hypothétique du foncier. Ainsi, le développement du phénomène pourrait exposer les populations rurales de la commune à ces difficultés. La connaissance de la diversité des acteurs et de leurs stratégies apporte un éclairage intéressant sur cette perspective. 2.1.3. Acteurs de l’accaparement des terres à Tchaourou Il a été distingué dans la commune de Tchaourou quatre catégories d’acteurs dans le phénomène d’accaparement des terres (autorités et élus locaux, chefs traditionnels, populations locales (collectivités familiales et ménages) et acquéreurs domaniaux).

- Autorités et élus locaux Outre les autorités ministérielles et préfectorales qui représentent l’Etat à divers niveaux, il y a les autorités communales qui sont constituées des élus locaux (maire et adjoints, conseillers communaux, chefs d’arrondissements, de villages ou de quartiers de ville) et des responsables des services communaux notamment en charge des affaires domaniales. Nantis du pouvoir public, ils se considèrent comme les intermédiaires légaux en matière foncière. En fonction de leur position administrative et de service, ils influencent ou subissent de la part des acquéreurs, des pressions aux fins de délivrer à tort ou à raison les documents (légaux ou non) de propriété foncière, occasionnant ainsi l’émergence de conflits. C’est aussi bien souvent pour eux, les seules opportunités pour se faire de l’argent.

- Chefs traditionnels Ils revendiquent le statut de chefs de terres, garants ou dépositaires des rites et croyances. Ils se disent représentants légitimes des mânes des ancêtres et à ce titre, s’estiment incontournables dans les transactions foncières. Ils constituent des sources de renseignement sur la validité ou l’effectivité d’une propriété. Parfois, ils sont aussi les propriétaires terriens.

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Des oppositions ou des rivalités de ces deux acteurs (élus locaux et chefs traditionnels) sur le terrain, découlent de nombreux conflits fonciers, alors qu’ils servent d’intermédiaires entre l’administration et les ménages.

- Populations locales Parmi les populations locales on distingue d’une part, les collectivités familiales : présumées propriétaires. Ce sont en majorité les descendants des premiers occupants, propriétaires de plusieurs domaines de grandes étendues. Ils représentent environ 90 % des ménages. De nos jours, certains de ces ménages jouent principalement le rôle de coursier et ou de démarcheurs dans la vente de terres en raison des 10 % à y gagner. D’autre part, on a les ménages ayant acquis, leurs terres à peu de frais ou par don et ceux, ne disposant d’aucune terre ou en quête d’en avoir. Ils sont environ 10 % et sont souvent représentés par les nouveaux résidents.

- Acquéreurs domaniaux Ce sont des autochtones (intellectuels ou politiques) en quête de thésaurisation de terres (3 %) ou des étrangers nantis venus des villes voisines ou d’ailleurs (97 %) avec les billets de banque (150.000 F CFA en moyenne par hectare), parviennent à convaincre les populations rurales de brader leurs terres. Ces nouveaux acquéreurs disposent d’une cinquantaine de domaines de superficies de 5 ha en moyenne, selon le Chef du Service des Affaires Domaniales (SAD) de la mairie de Tchaourou. Les autres domaines ont des superficies de plus de 10 ha d’un seul tenant (Tableau I). Tableau I : Répartition des domaines de grandes superficies par arrondissement concerné Arrondissement Superficie Sanson Tchatchou Tchaourou (ha) Statut Statut Statut Acquéreurs Acquéreurs Acquéreurs N E N E N E 5 – 20 10 1 9 5 4 1 2 2 - 20 – 50 2 - 2 2 - 2 2 1 1 50 - 200 1 - 1 1 - - - - - 1000 1 - 1 ------N (Natif) et E (Etrangers) Source : SAD/Mairie Tchaourou, 2013 et enquêtes de terrain, 2013

Ce tableau montre que le phénomène d’accaparement des terres est plus accentué dans l’arrondissement de Sanson au nord-est de la commune avec un domaine de 1000 ha d’un seul tenant pour un seul acquéreur.

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Ces acquéreurs étrangers (97 % environ) ont destiné leurs domaines à des fins agricoles. Mais, ils ne parviennent à les exploiter que partiellement. Ce qui confirme, par ailleurs, leurs intentions de thésaurisation foncière, même si certains ambitionnent de profiter du poids économique de la ville de Parakou pour installer dans les environs des fermes ou pour réaliser d’autres investissements. Ainsi, l’accès à la terre préoccupe la plupart des acteurs du monde rural et de ce fait, la terre y apparait souvent comme le point de mire de nombreuses convoitises.

Figure 2 : Espaces sous emprise d’accaparement des terres dans la commune

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La figure 2 donne un aperçu de l’ampleur du phénomène sur l’espace communal. Elle montre que le phénomène est répandu dans toute la commune mais, il s’exprime avec plus d’acuité au nord de la ville de Tchaourou et surtout dans les 2 arrondissements au nord-est et au nord-ouest de la commune. Plus de 20.000 ha de terres en sont l’objet. Aussi, de nombreuses agglomérations se retrouvent-elles sous forte pression de demande foncière, exposant les générations futures à des conflits qui entraineraient leur dépossession ou leur renvoie de leurs terres et même de leur village ou terroir.

2.2. Impacts de l’accaparement des terres rurales Parmi les divers impacts de l’accaparement des terres, l’étude a porté son intérêt sur les impacts socioéconomiques, notamment sur le monde paysan. Une fois les terres vendues, les paysans, anciens propriétaires, connaissent des fortunes diverses dès que les recettes de la vente sont dépensées. 20 % deviennent des ouvriers agricoles, 30 % migrent vers de nouvelles terres, 40 % se reconvertissent à de nouveaux métiers (artisans, petits commerce, etc.). D’autres encore, (10 %) s’adonnent au taxi-moto. De ces mutations, il découle que : − l’agriculture familiale qui participe à l’animation de la vie communautaire est en déperdition du fait de l’absence progressive de terres cultivables ; − l’agrobusiness tant prôné par les investisseurs privés, acteurs de l’accaparement des terres, tarde à stimuler les espoirs de modernisation agricole dans le milieu. D’un autre point de vue, la majorité des domaines sur lesquels on trouve de grandes plaques portant les mentions « domaine privé de … » reste vierge, inexploitée ou interdite d’exploitation, laissant ainsi de grandes étendues de terres à perte vue sans cultures, ni construction. Enfin, dans les milieux sous emprise du phénomène d’accaparement des terres, note-t-on une exacerbation de conflits fonciers qui entame la cohésion sociale et la quiétude des populations locales. En effet, ces conflits qui assaillent les chefs coutumiers et traditionnels, les services judiciaires et de police ainsi que les services communaux en charge des affaires domaniales sont dus à une multitude de raisons dont les plus récurrentes sont entre autres : - la méconnaissance de leurs droits, du fonctionnement de l’institution judicaire qui empêche souvent les populations pauvres, en tant que propriétaires terriens de faire face aux procédures administratives afin d’obtenir leur titres fonciers ;

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- la coexistence d’une pluralité de régimes fonciers (coutumier et moderne) ; - la quasi-absence de documents graphiques et littéraux faisant l’inventaire de toutes les propriétés foncières et de leurs ayants droits ; - la faible couverture des plans fonciers ruraux (ne concernant que trois arrondissements sur sept) qui aurait permis de mettre en place une politique d’attribution des titres de propriété ; - la remise en cause des droits des acquéreurs de terres par les héritiers de leurs vendeurs ; - les ventes multiples de certains domaines facilitées par la non-mise en valeur des terres par les nouveaux acquéreurs.

3. DISCUSSION A Tchaourou comme ailleurs au Bénin, il est apparu que le mode dominant d’accès à la terre est l’achat selon Lassissi et le Millenium Challenge Account Bénin cités par Vissoh et al. (2011). Il est suivi de l’héritage et de la location. C’est d’ailleurs la prééminence de l’achat qui explique, de nos jours, l’essor du phénomène d’accaparement des terres agricoles. Crousse et al. (1986) estiment que pour plusieurs collectivités locales en Afrique Noire, l’absence de performances administratives ou la trop grande léthargie de l’administration en matière d’occupation ou de gestion des terres sont les principaux fondements du phénomène d’accaparement des terres rurales. A ceux-ci s’ajoute, l’absence de normes d’acquisitions foncières (pas de limitation) qui selon Ferland (1982), hypothèquent la sécurité sociale en milieu rural. En effet, cette situation influe sur les ratios notamment celui de la superficie par actif agricole en milieu rural qui est passé de 7 à 2 ha par actif agricole en moins de 25 ans dans le département du Borgou (PDM, 2004). Enfin, si le CODESRIA (2012), affirme que l’accaparement des terres est un phénomène séculaire, il note qu’il en a résulté un héritage difficile, caractérisé par une série de conflits autour de la gestion des ressources foncières et de litiges fonciers, la perte de contrôle des peuples sur la terre et les ressources naturelles, l’exposition à des systèmes fonciers et de gestion des ressources naturelles inconnus. De ces fondements (internes et externes), il découle que nombreux et divers sont les acteurs de ce phénomène qui est manifeste par l'ampleur de la ruée actuelle vers les terres agricoles comme l’a affirmé Aboudou (2010). Des impacts socioéconomiques liés à l’accaparement des terres dans la commune de Tchaourou, on peut retenir la disparition progressive de l’agriculture familiale avec ses nombreuses conséquences telles que l'exode rural ou son accentuation, l’augmentation de la précarité et de la pauvreté des populations rurales (Vissoh et al., 2011). Pourtant, l’Etat à travers les efforts

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ACCAPAREMENT DES TERRES RURALES DANS LA COMMUNE DE TCHAOUROU (BENIN) entrepris par le Projet de Restructuration du Secteur Agricole (PRSA) entendait prévenir cette situation. Ces réalités sont, selon Lavigne Delville et al. (2002), récurrentes en Afrique de l’ouest et hypothèquent la sécurisation foncière des producteurs ruraux.

CONCLUSION La présente étude a permis de se rendre compte que le phénomène d’accaparement des terres rurales est certes séculaire, mais dans le milieu d’étude, il n’est apparu que récemment. Aussi, prend-il une importance ou une ampleur telle que le développement de la commune peut en être hypothéqué. En effet, la question foncière est devenue une préoccupation majeure en témoignent les dynamiques multiples de la part des acteurs tant autochtones qu’allochtones, tous imbus par des intérêts immédiats, précaires et parfois inavoués. Il s’ensuit une véritable compétition pour l’accès à la terre surtout pour les nantis. Dans le même temps, les populations locales, notamment rurales, victimes de la dépossession de leurs terres, voient leur espace agricole s’amenuiser progressivement sous les effets conjugués de la croissance démographique, de l’urbanisation croissante et de la pénibilité sans cesse croissante des conditions de vie. De plus, les facilités et les attraits du monde moderne servent d’appâts largement diffusés par les médias de masse aggravent le phénomène. Ainsi, sans précaution ni aucune prospective et surtout en abstraction d’une prise en compte du devenir des générations actuelles et futures, les populations rurales, se laissent plonger dans des incertitudes. Celles-ci sont parfois à hauts risques pour elles-mêmes, leurs familles voire la communauté. Et ceci, en termes de dénuement (pas de terres à cultiver), d’appauvrissement prononcée (raréfaction de ressources et de subsistances, etc.), d’instabilité et de déliquescence sociale (perte des valeurs sociales et récurrence de conflits divers). Cette étude a en outre permis de mettre en exergue, la nécessité pour les communes du Bénin en général et celle de Tchaourou en particulier, de disposer et de mettre application conformément aux lois sur la décentralisation, les outils d’organisation et de gestion de l’espace commune. En effet et au regard de tout ce qui précède, il urge que les autorités communales amorce une véritable maîtrise foncière à travers entre autres, la généralisation voire la systématisation du plan foncier rural. Aussi, que les populations locales soient sensibilisées sur les enjeux de ce phénomène d’accaparement des terres de manière à inverser à court terme, la tendance à sa généralisation à tout l’espace communal.

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