Le Ralliement Créditiste De Camil Samson Et La Tentation De La Troisième Voie Frédéric Boily
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Document généré le 1 oct. 2021 00:08 Bulletin d'histoire politique Le Ralliement créditiste de Camil Samson et la tentation de la troisième voie Frédéric Boily Le hockey Canada-URSS : aspects politiques d’une rivalité sportive Volume 22, numéro 2, hiver 2014 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1021994ar DOI : https://doi.org/10.7202/1021994ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association québécoise d'histoire politique VLB éditeur ISSN 1201-0421 (imprimé) 1929-7653 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Boily, F. (2014). Le Ralliement créditiste de Camil Samson et la tentation de la troisième voie. Bulletin d'histoire politique, 22(2), 176–188. https://doi.org/10.7202/1021994ar Tous droits réservés © Association québécoise d'histoire politique et VLB Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des Éditeur, 2014 services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Le Ralliement créditiste de Camil Samson et la tentation de la troisième voie1 Frédéric Boily Professeur agrégé de science politique Université de l’Alberta Quelques jours avant la fin de l’année 2012, nous avons appris la dispari- tion de l’ancien chef du Ralliement créditiste, Camil Samson. Ceux qui l’ont côtoyé ont bien entendu évoqué le « style Samson », celui du politi- cien de la « vieille école » qui, habile tribun, enflammait son auditoire par sa verve colorée et autres images évocatrices à la limite du burlesque qui ont fait le délice des humoristes2. La première ministre Pauline Marois a quant à elle parlé d’un « homme politique incomparable »3. Incarnation d’une époque révolue, les politiciens de ce style ont bel et bien disparu et c’est pourquoi certains ont alors dit « qu’une page d’histoire du Québec et du folklore »4 avait été tournée. À première vue, le Ralliement créditiste que Samson a dirigé à partir de 1970 a peu pesé sur la dynamique d’ensemble de la vie politique qué- bécoise. Pourtant, un regard plus attentif à l’ensemble du phénomène montre que la mouvance créditiste a été partie prenante de la politique provinciale et fédérale pendant une quarantaine d’années5. En effet, les partisans de cette idéologie ont fait sentir leur présence dès les années 1930 avec la Ligue du crédit social (1936), l’Union des électeurs (1939) et surtout avec les résultats électoraux de Réal Caouette obtenus au tour- nant des années 1960 lorsque prévalait un contexte d’instabilité poli- tique6. En 1962, la députation de 26 élus du Québec (30 au total au Cana- da) permettait aux créditistes de détenir la balance du pouvoir à la Chambre des communes. À ce titre, le créditisme a fait pleinement partie de la tradition poli- tique du Québec et c’est pourquoi il est possible, comme nous le verrons dans la troisième section de l’article, de réinsérer l’aventure du Ralliement créditiste, qui s’est aussi appelé Parti créditiste, en 1973 et Parti démocrate créditiste en 1980, à l’intérieur de ce qu’on peut appeler la tentation 176 Bulletin d’histoire politique, vol. 22, no 2 BHP 22-2 368 pages.indd 176 13-12-17 13:26 « ni-niste » et protestataire québécoise. Cette tentation consiste, pour une formation politique, à se présenter comme un parti qui, bien campé sur le centre, n’est ni de droite ni de gauche et qui, face aux questions constitu- tionnelles, dénonce à la fois le « fédéralisme inconditionnel » et le « souve- rainisme buté ». Nous verrons pourtant que cette position du « vivre au centre ou crever aux extrêmes »7, pour reprendre le titre d’un document créditiste, se révélait inconfortable parce que le parti avançait un ensemble plutôt hétéroclite d’idées associées au conservatisme, au créditisme et au populisme (première section). Voilà qui n’était certainement pas étranger aux insuccès électoraux du parti (deuxième section) ou à son « infortune politique », pour reprendre l’expression d’un historien qui désignait ainsi les médiocres résultats électoraux des partis de droite après les années 19608. Populisme, créditisme et conservatisme Le premier élément à relever à propos du Ralliement créditiste concerne la construction de l’image du chef, laquelle empruntait au style populiste, plus précisément à ce qu’on peut appeler le populisme protestataire. Le populisme peut en effet se présenter selon deux grandes formes9. La pre- mière est celle du populisme protestataire qui propose un discours dénon- çant, non sans virulence, les élites en place. Ces dernières sont alors accu- sées de contrôler un système fonctionnant à leur seul profit au détriment de celui du peuple. Les populistes affirment que le peuple n’est pas conve- nablement représenté, que les élites agissent seulement pour leurs « petits copains ». Tout en dénonçant la confiscation du patrimoine national, les populistes protestataires ne cherchent donc pas à renverser la démocratie parlementaire, les populistes prétendant au contraire mieux représenter le peuple. La deuxième forme, celle du populisme identitaire, ne se contente pas de dénoncer les élites puisque dans cette variante (parfois appelé na- tional-populisme), on fustige les « autres », une catégorie aux frontières floues comprenant les immigrants, les Arabes, les musulmans, les Juifs, etc. Les « autres » se voient accusés de corrompre, au plan identitaire, le peuple10. Cette forme de populisme a émergé avec force à partir des années 1980 avec la montée du Front national, en France11. Si le populisme identitaire qui dénonce l’immigration et ses effets néfastes se révélait absent des documents créditistes, le parti de Camil Samson ne naviguant pas dans les eaux de la dénonciation des flux migra- toires, par contre, celle de la protestation était bien présente. En effet, le chef créditiste se dépeignait sans difficulté comme un homme du peuple aux origines modestes, comme on pouvait le lire dans un petit livre hagio- graphique, Camil Samson et le défi créditiste12. Édité par le parti pour faire connaître les idées défendues par le chef, on insistait particulièrement sur Association québécoise d’histoire politique 177 BHP 22-2 368 pages.indd 177 13-12-17 13:26 « ses humbles origines », sur le fait qu’il n’appartenait pas aux « classes privilégiées » et sur son appartenance au milieu régional en rappelant sa naissance à Shawinigan jusqu’à son déménagement en Abitibi, ainsi que ses nombreux métiers (travailleur sur les chemins de fer en Ontario, tra- vailleur forestier et dans les mines ou encore vendeur d’automobiles13). Se présentant sous les dehors de l’homme du commun, le chef créditiste disait préférer, lorsqu’il était en voyage, « casser la croûte dans les petits restaurants longeant la route, où il est susceptible de rencontrer les gens du peuple, les ouvriers et les collets blancs »14. Or c’est ce politicien « près du peuple » qui se « rebellait » contre une évolution politique jugée né- faste, au nom d’un peuple opprimé ou, en reprenant une expression popu- laire tirée d’un document créditiste, pour défendre le « peuple [qui] se fait bouffer »16. Les ingrédients essentiels de la protestation populiste faisaient donc partie de la recette politique du créditisme provincial. Au-delà du style résolument populiste, le Ralliement créditiste défen- dait également les principales idées de l’idéologie du Crédit social, encore qu’en entrevue en 2007, Samson confiait que, dans les années 1960, c’est la verve de Réal Caouette, dont il « buvait » les paroles, qui l’enthousiasmait plutôt que le programme créditiste. Peut-être que devant le discrédit jeté aujourd’hui sur les idées créditistes, Samson voulait sans dissocier17. Cela dit, rappelons que cette idéologie avait connu son heure de gloire, en Alberta, sous la direction de William « Bible Bill » Aberhart et Ernest Manning, qui s’était hissé au pouvoir en 1935 pour y demeurer jusqu’en 1971, devenant ainsi l’une des dynasties les plus durables de la vie poli- tique canadienne. À l’origine, le créditisme avait un caractère réformateur plutôt étonnant, par exemple avec le contrôle des institutions financières. On voulait aussi accorder aux individus un dividende de base, ce qui au- rait impliqué un contrôle des prix des denrées essentielles avec l’établisse- ment d’un « juste prix »18. Il s’agissait de relancer la consommation en s’attaquant au système financier qui, croyait-on, manipulait le crédit à son seul avantage. C’est accompagné des partisans du Ralliement national qui, à l’image de Fabien Roy, n’avaient pas accepté que leur formation menée par Gilles Grégoire succombe, en 1968, à l’idée de regrouper les souverainistes19, que le Ralliement créditiste se lance dans la bataille électorale de 1970 pour promouvoir certaines idées du Crédit social, notamment celle d’offrir un dividende à l’ensemble de la population. Plus près des idées créditistes que de l’option souverainiste20, on expliquait que la notion de salaire se révélait maintenant, à « l’ère post-industrielle », un anachronisme qui ne permettait pas de déterminer la « juste distribution des biens et des ser- vices »21. Conséquemment, il fallait réformer en profondeur le système monétaire : « Nous considérons que chaque individu est l’héritier du patri- moine matériel accumulé par le travail, l’habileté et l’esprit d’invention de 178 Bulletin d’histoire politique, vol. 22, no 2 BHP 22-2 368 pages.indd 178 13-12-17 13:26 ses devanciers et qu’en foi de quoi, chaque individu devrait recevoir, en plus de son salaire, un dividende social.