La Patrie Et L'europe Selon Pierre Frieden
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Juni 2005 Histoire 51 La patrie et l’Europe selon Pierre Frieden Les Cahiers du Redressement ont 60 ans A la faveur du soixantième anniversaire de la Seconde Guerre mondiale d’une part, et du débat de plus en plus vif sur l’Europe, son identité et sa finalité d’autre part, la pensée des pères fondateurs de l’Union européenne connaît un regain d’intérêt sans précédent. On invoque volontiers Monnet, Schuman, Adenauer, plus rarement Churchill... Au Grand-Duché, Joseph Bech reste le grand pionnier de l’intégration européenne. Or, plus en retrait, une autre personnalité a joué un rôle dont il est difficile de mesurer l’impact réel sur les décisions politiques. Il s’agit du ministre d’Etat sans doute le plus intellectuel au XXe siècle, aujourd’hui tombé dans l’oubli ou presque: Pierre Frieden.1 En 1945, ce professeur de philosophie devenu reproche aussi d’asseoir son catholicisme sur des André ministre tire les conséquences de ses réflexions raisons d’utilité sociale, notion chère au pragma- sur l’homme, sur le mal qui venait de s’abattre sur tisme. Mais il ne cache pas ses sympathies pour Grosbusch l’humanité et sur son pays en publiant une série certaines des critiques de Bourget à l’adresse de la d’articles et de dialogues sur le thème du redresse- Révolution française, ainsi que pour sa soif d’in- ment, notion qui dépasse celle, bien connue pour fini et son désir de régénération morale. l’époque, de reconstruction matérielle. Son che- minement passe par la patrie et mène tout droit La vie et l’oeuvre de Pierre Frieden coïncident aussi vers l’Europe, un an avant le discours de Churchill avec la structuration de la nation luxembour- à Zurich et six ans avant la proclamation du Plan geoise, pour laquelle il développe une immense Schuman. affection dans les années 30 et 40. Mais par son intérêt pour la philosophie, les Le cheminement de Pierre Frieden lettres classiques et modernes, et par ses longs séjours à l’étranger, Pierre Frieden est tout autant Disciple du professeur catholique de Munich prédestiné à assimiler et à aimer la culture euro- Friedrich Wilhelm Foerster, Pierre Frieden porte péenne. Dans la seconde moitié des années 20, il l’essentiel de son intérêt à cette génération de veut apporter sa contribution à la réconciliation « figures de proue », philosophes ou écrivains, franco-allemande, publie une série d’articles sur qui, face aux matérialismes, ont affirmé la « pri- le système éducatif français dans des revues alle- mauté du spirituel », et plus particulièrement mandes, et recommande à ses étudiants de sui- ceux qui se sont convertis au catholicisme2, tels vre les cours des professeurs acquis à l’esprit de La vie et l’oeuvre Charles Péguy, Joseph Lotte, Jacques Rivière, etc. Locarno.4 Séduit par les idées néothomistes, il est En 1924, il consacre une monographie à l’oeuvre convaincu que la réconciliation de peuples enne- de Pierre Frieden 3 de Paul Bourget . Détail intéressant : il en rejette mis passe par l’éducation.5 coïncident avec le nationalisme qui dériverait d’un positivisme la structuration Déjà à l’époque, cet « Alain catholique et luxem- ignorant tout ordre supérieur capable de fon- de la nation der les droits de l’individu et de la société. Il lui bourgeois »6 est considéré comme le pendant chré- tien du cercle libéral autour de l’industriel Emile luxembourgeoise. André Grosbusch est historien. Mayrisch et du carrefour de Colpach. 52 Histoire forum 247/248 Vers le milieu des années 30, la montée des fascis- A la même époque, Frieden rédige un fragment Quelques mes et l’échec de la Société des Nations font pâlir autobiographique, Fritz Endres, texte méditatif qui jours avant le tout projet d’intégration européenne. A l’instar de retrace les jours de détention à Hinzert et anticipe « référendum » l’Eglise luxembourgeoise, Frieden donne la prio- bien des écrits ultérieurs. rité au patriotisme lié au culte de la Vierge, pour du 9 octobre mieux affronter l’épreuve qui se dessine à l’ho- Lorsqu’en été de 1944, d’anciens élèves membres 1941, Frieden fait rizon. Pour lui, les célébrations du centenaire de de la L.F.B. (Lëtzebuerger Fräiheetsbewegong) qui circuler un article l’Indépendance en 1939 correspondent à l’apogée regroupe des éléments chrétiens, libéraux et socia- de ce qu’il appelle « notre Risorgimento ». listes, lui demandent de fonder une revue dès la intitulé Pro Patria Libération imminente, Frieden accepte et devient dans les bureaux Le projet européen ébauché avant 1933 semble directeur de D’Hêmecht, revue patriotique rédigée de diverses mort. Dans les milieux catholiques, il est tout au en grande partie en luxembourgeois. administrations. plus perçu dans une optique de défense de l’Occi- dent contre le bolchevisme d’abord, et contre le Dès le retour du gouvernement d’exil, le Minis- nazisme ensuite.7 tre d’Etat Pierre Dupong lui confie le ministère de l’Instruction publique, qu’il transforme en Minis- La carrière de Pierre Frieden est brusquement tère de l’Education Nationale. Son Message aux interrompue en octobre 1940, lorsqu’il perd son éducateurs8 a fait une forte impression auprès des poste de professeur. Sans attaquer directement professeurs, sans toutefois faire l’unanimité. les nazis, il leur refuse systématiquement toute collaboration malgré les pressions. Dès septem- Malgré sa nouvelle fonction, Frieden veut garder bre 1941, il dirige une organisation clandestine de de bonnes relations avec les milieux de la Résis- quête pour aider les déportés, les destitués et leurs tance qui n’épargne point le gouvernement de ses familles. Quelques jours avant le « référendum » critiques. La concorde des Luxembourgeois lui du 9 octobre 1941, il fait circuler un article intitulé tient à coeur. Pro Patria dans les bureaux de diverses administra- En effet, dans l’immédiat après-guerre, l’atmos- tions. Du 31 août au 3 septembre 1942, il ouvre phère générale est lourde. Au-delà du deuil pour son bureau de la Bibliothèque Nationale à une tous ceux qui n’ont pas survécu à l’épreuve de cellule de grève contre l’enrôlement de force des l’occupation et de la guerre, la joie de la Libéra- jeunes Luxembourgeois dans la Wehrmacht, et tion est ternie par les soucis de la reconstruction envoie une lettre de protestation aux Occupants. aggravés par l’Offensive des Ardennes d’une part, Il est aussitôt emprisonné au Grund et transféré mais surtout par les plaies qu’ont ouvertes la col- dans le camp de concentration de Hinzert. Il laboration et l’épuration d’autre part. a la chance de rentrer le 3 novembre, mais est des- titué et mis sous résidence surveillée jusqu’à la Au niveau des relations internationales, il appa- Libération. raît clairement que ni les chemins battus des C’est dans ce contexte de mise à l’écart que Pierre années 30 ni le nouvel élan patriotique ne suffi- Frieden a le loisir de méditer sur les origines de la ront à trouver les réponses adéquates aux nom- guerre et des crimes indicibles des forces du mal breux défis futurs. qu’incarnent les nazis. Les Cahiers du Redressement sont projetés après sa Les Préliminaires du Redressement, ou la détention à Hinzert et mûris lors de longues con- voie de la patrie versations nocturnes avec son ami bibliothécaire Par une suite d’articles dans Hêmecht, Frieden Emile Lefort, abattu plus tard par la Gestapo. expose les conditions du redressement : évaluer l’état de la patrie au sortir de la grande épreuve, dégager le vrai sens de la résistance, mettre en garde à la fois contre toute querelle stérile et para- lysante et contre un nationalisme de repli qui obs- true l’ouverture vers l’Europe. Ces Préliminaires préparent les lecteurs aux Cahiers du Redressement proprement dits. Il y réclame d’emblée « une union sacrée autour de la charte fondamentale de la patrie : respect pour la vie humaine, de la liberté des convictions, de la dignité de l’homme, de la justice, de l’honneur, de la vérité. »9 Dans Le serment de nos martyrs, Frieden regrette la polarisation de la société en deux camps avant la guerre, division « engendrant la méfiance, Pierre Frieden le dédain et même la haine, ces poisons de Juni 2005 Histoire 53 l’âme. »10 Il conjure l’unité dans la diversité et dis- sout le paradoxe en subordonnant celle-ci à celle-là. De Pierre Frieden ass 1892 zu Mertert gebuer. No sénger Première am Pour « allumer dans l’âme de chacun la flamme Iechternacher Kolléisch huet heen séng Studien um Cours Supérieur, zu vivante », il distribue les rôles : « l’Eglise d’abord, Fribourg, Zurich an zu München gemaach. Hien huet séch an der Philoso- si elle veut être fidèle à sa mission évangélique phie an an der klassischer Philologie spezialiséiert, an séng éischt Artikelen et humaine (...), notre Souveraine ensuite : elle an der Academia publizéiert. An den zwanzéger Joeren war heen Profes- est au-dessus de la mêlée des intérêts particuliers ser am Dikricher Kolléisch, ier en 1929 eng Nominatioun als „professeur- et des idéologies partisanes ». En troisième lieu, bibliothécaire“ am Athénée krut, an Direkter vun der Nationalbibliothéik il compte sur l’Unio’n et son organe spirituel, la gouf. Vun 1934 bis 1940 huet hie Philosophie um Cours Supérieur gin. Am revue Hêmecht, pour « se vouer à ce sacerdoce civi- Krich huet hee resistéiert an offiziell géint d’Zwangsrekrutéierung protesté- que.» iert. Hie gouf doropshin an de Gronn agespart an huet 8 Wochen am KZ Hinzert gelidden. Bis zur Liberatioun stoung hien ënner „Hausarrest“. Dans L’autre épuration, Frieden s’attaque à l’empoi- Déi Zäit huet hee genotzt fir den Neiopbau an der Nokrichszäit weltan- sonnement des relations entre Luxembourgeois schauléch virzebereeden.