CLAIX et PONT-de-CLAIX à travers les siècles IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE, A , SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE ALLIER, 300 EXEMPLAIRES SUR VELIN PUR FIL LAFUMA, NUMEROTES DE 1 à 300, QUI CONSTITUENT L'EDITION ORIGINALE. Général L.-D. BEZEGHER (du C. R.) CLAIX et PONT-de-CLAIX à travers les siècles (suite chronologique)

(avec 1 croquis et 42 blasons de l'auteur)

ÉDITIONS DES CAHIERS DE L'ALPE COLLECTION « MONOGRAPHIES » publiée par la Société des Écrivains Dauphinois -MONTFLEURY DU MEME AUTEUR

A paraître : — La Provence. — Le Bas-Languedoc, le Gévaudan et le Vivarais. AVANT-PROPOS

C'est beaucoup pour répondre au vœu de plusieurs de nos concitoyens — curieux de l'histoire de leur terroir, jusqu'ici mal connue — ainsi qu'aux fréquentes questions de maints vacan- ciers, que cet ouvrage a été entrepris. Les mille faits de la vie locale nous sont progressivement apparus au fil des archives, surtout à partir du XIIIe siècle ; dès lors, sur la longue suite des méfaits du terrible Drac, est venue se tisser la trame des événements heureux ou malheureux de notre communauté, avec ses innombrables problèmes, graves ou mineurs, posés par les guerres, les épidémies, les récoltes, la vigne, l'eau potable, les écoles... Bien que principalement destiné aux Claixois et aux Pontois, ce livre constitue une contribution à l'évocation du passé du Dauphiné, mais il a aussi vocation d'intéresser tous les amateurs d'histoire. L.-D. BÉZÉGHER (Claix, juin 1967 - mai 1968).

CHAPITRE PREMIER Le cadre géographique

Laconiquement, le Dictionnaire du Dauphiné, de Guy Allard, se borne à indiquer que Claix est « une paroisse à deux lieues de Grenoble ». Il vaut mieux préciser que cette commune (avec ses 2 188 hectares) est à 10 km au Sud de Grenoble et demeure, bien qu'amputée depuis 1873 des 483 hectares de son hameau du Pont-de-Claix, l'une des plus étendues de la région. Avant la scission en deux communes, l'ensemble étalait aux flancs du Vercors un vaste quadrilatère à peine déformé jusqu'au- delà du Drac, et dont les limites étaient : — à l'Ouest, le rebord oriental de la grande arête du Vercors ; — au Nord, une ligne sensiblement Ouest-Est partant du rocher du Moucherotte vers Comboire et Echirolles ; — à l'Est, le bois de la Marceline ; — au Sud, le ruisseau de la Pissarde jusqu'au château de La Bâtie puis une ligne coupant perpendiculairement la « mon- tagne » du Grand Rochefort. L'observateur qui, des ponts du Drac, fait face au Vercors, à l'Ouest, voit donc se dérouler devant lui les pentes abruptes presque entièrement boisées de ce massif (du Nord au Sud : bois des Prés Vachers, bois des Chaumes, bois de la Pissarde), domi- nant une série de plateaux élevés (le Peuil, Savoyères, Saint-Ange), et enfin des coteaux (Cossey, Malhivert ou Malivers, La Côte, Furonnières, Jayères, Aillères) descendant vers la plaine. L'altitude passe d'environ 1 800 mètres, qui est celle de l'arête du Vercors, baptisée par les géographes « Grande crête Saint- Michel » (avec 1 875 m au Moucherotte, à l'extrémité Nord), à 977 m entre le Peuil et Savoyères, 291 m au bourg de Claix, pour tomber à 251 m seulement aux ponts du Drac, dont la large vallée orientée Sud-Nord semble buter à l'Ouest sur le petit rocher de Rochefort (409 m) et, plus au Nord, sur la grosse masse du rocher de Comboire, dit aussi autrefois de la Balme ou de Bozancieu (511 m). Les communes voisines sont : à l'Ouest Saint-Nizier, au Nord et Echirolles, à l'Est Echirolles et , au Sud Varces-Allières-et-Risset ; le chef-lieu de canton est Vif. En élargissant ce cadre et en simplifiant, on peut dire que notre terroir se trouve sensiblement à la charnière du « grand sillon alpin » Drac-Isère moyenne, dont la partie Sud vient s'insérer entre les Préalpes (pour nous le Vercors) et les Grandes Alpes (Oisans, Vanoise). Les spécialistes discutent encore sur l'origine de ce sillon, dans lequel on a voulu voir longtemps l'œuvre de l'érosion, alors que l'école moderne — avec Raoul Blanchard — en fait plutôt le résultat du plissement proprement dit de l'énorme masse alpine. Quant à nous, nous ne pouvons que nous réjouir de son exis- tence qui nous vaut de vivre dans une large dépression « aérant » si agréablement la montagne. Ce qui nous donne — sans en avoir les inconvénients d'altitude et de climat — ces magnifiques pay- sages aux cimes longtemps enneigées de Belledonne, du Taillefer, du Grand Serre et, à peine moins longtemps, du Vercors. Toutefois le Drac, avec ses crues terribles et ses 750 à 800 tonnes annuelles de débris (sable et cailloux) par kilomètre carré de « bassin versant », a perpétuellement projeté une ombre maléfique sur cette situation trop privilégiée, aidé en cela par les ruisseaux dévastateurs affluant du Vercors, comme la Pissarde, le Rif-Talon et le ruisseau de Malhivert qui, périodiquement, affouillent leurs rives et ravinent chemins et champs voisins : ce n'est pas sans raison que Drac signifie « dragon » dans plu- sieurs langues ou dialectes... Autre ombre au tableau : la quasi-permanence de la « bise », ce vent froid du Nord, dont le régime s'apparente étroitement à celui du fâcheux mistral. Violente en hiver, désagréable et nocive au printemps, elle est surtout sensible dans la coulée du Drac, alors que le bourg (ou chef-lieu) en est mieux protégé par Comboire et le Vercors. Elle détermine une différence de près de deux semaines dans la végétation et la floraison entre Claix- village et les quartiers de la Ridelet et de la Balmette, où tout est moins hâtif. Au reste s-a présence est attestée par une locution séculaire restée longtemps courante jusque dans les papiers officiels ; le côté (ou la limite) Nord d'une parcelle étant dit « le côté de bise (ou bize) ». Pourtant, malgré une moyenne de 80 jours de gelée par an, le climat de Claix est relativement tempéré, la même bise se faisant parfois bienveillante pour venir précisément rafraîchir les températures élevées de l'été — qui atteignent jusqu'à 32 ou 33°, avec une tendance généralement orageuse. La neige dure souvent peu dans la vallée, mais elle est plus fréquente et se prolonge sur les hameaux du Peuil et de Malhivert. Le régime des pluies, bien que variable d'une année à l'autre, est commandé par la présence du Vercors, qui arrête une grande partie des nuages venant de l'Ouest et constitue un des grands châteaux d'eau naturels de . Neiges d'hiver et pluies de printemps sont restituées par lui sous la forme d'innombrables sources, au débit quelquefois mai- grelet, qui sont partout dans ce sol calcaire et descendent au Drac, malheureusement souvent à une profondeur de 0,50 m à 1 m, trop grande pour bénéficier à la couche superficielle du sol arable. Nous aurons, hélas ! trop d'occasions de reparler des inces- santes crues du Drac : bornons-nous à signaler ici que ses maxima sont de beaucoup supérieurs (avec 950 litres/seconde) à ceux de l'Isère à Grenoble (390 litres/seconde), mais que la création d'une série de barrages hydro-électriques en amont en a depuis dix ans beaucoup régularisé le cours : lumière, force motrice et matériaux de construction font oublier débordements et ravages. Il reste à noter que, malgré l'attirance de Grenoble, Claix (sauf les hameaux supérieurs) n'a pas connu de dépopulation importante. Au contraire, non seulement beaucoup de nos conci- toyens vont travailler en ville ou à Pont-de-Claix et rentrent fidè- lement chez eux le soir, mais nombreux sont les Grenoblois qui, fuyant le bruit de la grande cité, ne se contentent plus de venir passer le dimanche ou l'été à Claix, et y habitent maintenant à demeure.

CHAPITRE II De la légende à l'histoire

Qu'était-il de Claix et de ses environs à la préhistoire ? Il est seulement possible d'avancer que, dès le retrait des glaciers et au moment où s'installaient les cours d'eau, vinrent dans ce pays des hommes que l'on nous dépeint comme des brachycéphales de petite taille, vivant de chasse et de pêche. Les seules traces d'habitat humain de l'époque de Taillée dans le voisinage sont celles de la station de Bobache, en Vercors, et de la Grotte des Chasseurs, de Méaudre. Puis, grâce au zèle d'érudits chercheurs, le sommet et les envi- rons immédiats de notre colline du Grand Rochefort (au Sud du pont de Claix) ont fourni un raccourci assez explicite des différents peuplements s'étant succédé sur cette rive du Drac. [Les renseignements que nous résumons ci-après ont été empruntés, pour une large part, à un article de M. Müller — qui dirigea les fouilles entre 1904 et 1913 — paru dans les Annales de l'Université de Grenoble (1931, p. 318 sqq). Ces fouilles ont eu lieu au sommet du Rochefort sur le terrain appartenant à M. Cribier-Richard, qui exploitait là une tuilerie et des carrières, ainsi que dans la zone de captage des eaux de Grenoble, au sud-ouest.] Il est ainsi possible d'affirmer que Rochefort a été habité dès l'époque de la Pierre Polie (ou Néolithique) et que ces environs de Grenoble constituaient alors l'un des deux centres principaux de peuplement du Dauphiné (l'autre étant celui des Baronnies, au Sud-Est de Nyons). Les témoins de cet habitat sont encore peu abondants : quel- ques lames en silex plus ou moins abîmées, des fragments d'outils et un joli tranchant de hache en jadéite verte. Les spécialistes estiment que ce sommet était fort peu occupé et qu'on n'y avait pas construit de cabanes groupées comme il en existait à Saint-Loup, sur la montagne d'Uriol, au Nord-Ouest de Vif. A l' Age du Bronze (ou Chalcolithique : 2 000 à 1 000 ans avant l'ère chrétienne), le plateau avait été à peu près abandonné et l'on n'a trouvé trace d'aucun objet de ce métal. Toutefois en 1919 — au cours de travaux de dragage dans le lit du Drac, vers le Saut du Moine — il a été trouvé à quatre mètres de profondeur une épée en bronze de cette époque mesu- rant environ 0,55 m (découverte unique dans les environs de Grenoble) ; plus tard, suivit au hameau de Cossey une hache aussi en bronze, à ailerons terminaux. Quelques tessons de céramique, peut-être contemporains (?), ont été recueillis vers le rocher de Château-Bouvier (1 543 m), ainsi qu'à la grotte Vallier, toute proche, au pied du Moucherotte. Mais dans cette dernière, ils étaient mélangés à d'autres poteries gallo-romaines, nettement postérieures. Cependant c'est Saint-Paul-de-Varces qui devait livrer le maxi- mum de vestiges, avec la découverte en septembre 1960, dans une carrière en exploitation, d'une véritable nécropole protohisto- rique (1800 avant J.-C.). Celle-ci — suivant M. Aimé Bocquet — comportait trois grou- pes de tombes : — l'un de 28 corps, en deux gisements, dans une grotte naturelle faite de gros blocs rocheux, avec, en outre, un gobelet caliciforme, un ciseau en schiste poli, une épingle de bronze, des perles d'ambre, etc. ; — un autre, de trois corps, entre des rochers, sans « mobilier » ; — le troisième, de 27 corps en deux tombes collectives, avec six lames de silex, un poinçon en os, une pioche en bois, de cerf. Et, plus loin, une rouelle et une hache à douille de la fin de l'âge du bronze. Plus près de nous, l'Age du Fer (de 900 à 500 avant J.-C.) a ramené, tant sur le sommet du Rochefort qu'à ses abords, une population relativement nombreuse attestée par d'abondants débris de poterie grossière et des tombes humaines sommaires, mais contenant aussi des poteries assez bien conservées. La carrière-nécropole de Saint-Paul a livré également un bra- celet en schiste qui pourrait être du début de cette période.

A partir du moment où l'on peut mettre un nom sur les diffé- rents peuples occupant notre région, il est généralement admis que les premiers connus furent les Ibères, qui ne tardèrent pas à être supplantés par les Ligures (vers le VIe siècle avant notre ère). Ceux-ci, tout en continuant à vivre surtout de chasse et de pêche, s'adonnaient déjà à l'agriculture et à l'élevage, d'où (peut- être ?) ces nombreux champs enclos de grosses pierres super- posées qui, selon certains auteurs, auraient constitué des parcs à bestiaux. Bientôt (vers 400 avant J.-C.), les Ligures sont en majeure partie refoulés vers le Sud-Est et les Hautes-Alpes par les Celtes, ou Gaulois, qui, après avoir conquis la vallée du Rhône, s'instal- lent sur le pays et s'y mélangent plus ou moins avec les éléments ligures demeurés sur place. Leur plus importante tribu, les Allobroges, occupe toute la rive droite de l'Isère (Savoie et Dauphiné), avec un môle important vers l'actuel Grenoble et le confluent Isère-Drac. De telle sorte que nos devanciers claixois ont dû se trouver à la limite entre le pays des Allobroges et celui des Voconces, dont un rameau, les Vertacomacorii, peuplait le Vercors — d'où son nom — tandis que les Tricorii, leurs cousins et alliés, occu- paient le Trièves. (Une tombe gauloise mise à jour à l'Echelette, près de Fontaine, date sans doute de 200 à 300 ans avant J.-C.) Etant donné la distance et les difficultés d'accès tant au Vercors qu'à Die, capitale des Voconces, il est permis de supposer que de tout temps l'influence du futur Grenoble, donc des Allobroges, a été primordiale pour notre région. Nous ne savons malheureusement rien du comportement de ces derniers ; seul Paul Berret, dans ses Contes et légendes du Dau- phiné, décrit comme suit « le Retour de l'Allobroge » : Celui-ci, encore barbare, avait sa demeure au rocher de Com- boire : « ... un vent chaud tourbillonnait autour de ce rocher... Le Drac s'étalait tumultueusement dans toute la plaine ; il y étendait en vainqueur le réseau de ses eaux ardoisées, d'où émergeaient des cailloux blancs. Rien n'était plus mobile que sa course... », mais nous n'en saurons pas davantage... Aucun événement notoire n'aurait laissé sa trace ici si, depuis deux siècles environ, d'innombrables discussions ne n'étaient élevées sur l'itinéraire emprunté en 218 avant J.-C. par le célèbre général carthaginois Annibal, venu d'Espagne pour porter la guerre chez les Romains : Annibal, fils d'Amilcar Barca, vient, malgré sa jeunesse (26 ans), de donner des preuves de sa valeur militaire en prenant Sagonte (entre l'Ebre et Carthagène) avant que les alliés romains de celle-ci n'aient pu la secourir. Il décide alors de porter la guerre en Italie et d'attaquer Rome avec l'aide des peuples gaulois du Piémont. Traversant Pyrénées et Languedoc, il arrive au delta du Rhône à la tête de : — 60 000 hommes, dont 20 000 cavaliers (en majorité Numides), et 37 éléphants, selon certains écrivains ; — 90 000 hommes, plus 12 000 cavaliers et 37 éléphants, sui- vant d'autres. Il aurait franchi le Rhône vraisemblablement au lieu dit l'Ardoise, sur le territoire de Caderousse (5 km d'Orange). Puis — et c'est ici que les auteurs divergent (notamment Polybe et Tite-Live) — il aurait poursuivi sa route vers l'Est : — soit par la Drôme, la Durance et le col de Traversette ; — soit par l'Isère, le col de Clapier et l'ancien col du Petit- Mont-Cenis. Des multiples hypothèses envisagées, et sans prendre parti, nous ne retiendrons que celle de Paul Azan, la seule intéressant notre terroir : « Annibal aurait suivi le Rhône, puis l'Isère, longeant la fron- tière des Voconces par le pays de Royans, il aurait ensuite trouvé le Drac qui lui barrait la route. Et c'est vers Comboire qu'il aurait franchi notre torrent. » Paul Berret, mentionné plus haut, va même jusqu'à décrire l'opération en ces termes : « ... Une équipe vint jusqu'au pied de Comboire, armée de pelles et de pics, et descendit dans le lit du Drac.... Ils étaient suivis de machines énormes qui roulaient péniblement sur le sol et à l'aide desquelles ils enfoncèrent des madriers dans le sable gris du fleuve... Une large chaussée se dessina d'une rive à l'autre... On fit tout d'abord passer les éléphants... » En faisant abstraction de la part d'imagination qu'introduit l'auteur dans cette description, il reste possible que les Cartha- ginois aient traversé Pont-de-Claix et que — comme iront jusqu'à l'avancer d'autres historiens — leurs agents recruteurs aient eu un certain succès auprès des Allobroges, qui faisaient bon accueil à ces ennemis des Romains. Peut-être même certains de nos loin- tains aïeux ont-ils servi dans ces phalanges alors hautement réputées ( ? ). Ce qui paraît plus sûr, c'est qu'avant d'aborder la montagne, Annibal, frappé de l'excellence des chaussures gauloises (le mot « galoches » vient de galicae), aurait acheté dans notre région des chaussures de montagne pour remplacer les sandales usées de ses mercenaires. Précaution qui ne dut pas être inutile, car un mauvais temps précoce (on était à la fin d'octobre, ou début de novembre) vint s'ajouter rapidement aux difficultés que présen- tèrent pour les conquérants les harcèlements des tribus ligures de haute montagne. Mais notre dessein n'étant pas de suivre la campagne d'Annibal, revenons au destin de nos Claixois. C'est plus de cinquante ans avant le reste de la Gaule que les Allobroges furent soumis par Rome, dont ils avaient excité la jalousie par une politique maladroite d'expansion et notamment par leur alliance avec les Arvernes du Massif Central. Quintus Fabius Maximus- battit leur coalition en 121 avant J.-C. au confluent du Rhône et de l'Isère, et le futur Dauphiné fut incorporé à la province romaine de la Narbonnaise. Le sort des populations autochtones n'était guère enviable à l'époque : pendant près d'un demi-siècle avant l'arrivée de César, celles-ci, tant Allobroges que Voconces, furent livrées au despo- tisme tout-puissant des proconsuls et des questeurs, à leur impla- cable fiscalité, aux incessantes réquisitions ainsi qu'à l'exploita- tion éhontée par les trafiquants et les usuriers romains de leur obédience. Après ces cinquante ans d'occupation romaine, le pays était sans doute plus pauvre qu'avant l'arrivée du Consul Domitius : seules quelques cités importantes faisaient illusion, mais Claix était à ce moment à peine passé du simple « lieu de refuge » au véritable centre d'habitat autour et auprès de la Balme (Balma étant un vocable typiquement celtique et non romain). L'on sait que c'est vers 52 avant notre ère que César établit pour près de cinq siècles la domination romaine en Gaule ; c'est vers 43 que le nom de Cularo (le futur Grenoble) apparaît dans l'histoire. En effet, Cicéron rapporte que son ami Munatius Plancus, légat de César, nommé proconsul de la Gaule Chevelue après le départ de ce dernier, lui écrit le 6 juin 43 de Cularo « à la frontière des Allobroges » : « ... la veille des nones de juin (le 4), nos troupes avaient toutes repassé l'Isère (mais, pour Camille Julian, il s'agit du Drac vers Pont-de-Claix) et les ponts que j'avais fait jeter étaient rompus... » C'est d'ailleurs aussi en 43 que se produit la première connue des 80 grandes crues du Drac. Le même Cularo, bien que n'étant alors qu'une sorte d'antenne orientale de la grande cité dauphinoise de Vienne, jouait un rôle important en tant que poste de douane et l'on y percevait la fameuse taxe du « quarantième » de la valeur des marchandises (la « quadragesima Galliarum »), laquelle était plutôt un droit de circulation (comme nos droits de régie actuels) qu'un véritable droit de douane. Une réorganisation de la Gaule romaine en quatre provinces intervint entre 25 et 14 avant J.-C. : l'ancien pays des Allobroges forma la plus grande partie de la Viennoise, mais notre bassin du Drac, avec le Trièves et le Diois, entra dans la Narbonnaise Seconde, dont Claix et Pont-de-Claix devaient former la pointe septentrionale. Vers l'an 27 avant J.-C. eut lieu dans tout l'Empire romain un vaste recensement des personnes et des biens, avec élaboration d'un premier cadastre destiné à faciliter la perception de l'impôt. La présence romaine est démontrée sur tout notre terroir par d'innombrables débris de poteries et de tuiles appartenant aux deux grandes variétés latines (l'imbrex, semblable à la tuile creuse provençale, et la tegula, ou tuile à rebords), mais surtout par un marteau en plomb découvert sur le terrain de captage des eaux de Rochefort : il s'agissait là d'un ex-voto analogue à ceux que les Romains avaient accoutumé de plonger dans les sources, et il y avait sans doute à cet endroit un « balneum » (établissement de bains ou piscine ?), vraisemblablement emporté par une crue du Drac. Mais c'est encore le sommet du Grand Rochefort qui a fourni le meilleur « résumé » de ce peuplement : Un habitat gaulois existait sur une plate-forme à l'Est du rocher, à 25 ou 30 mètres en contrebas du sommet. Celui-ci — en raison de son altitude, des vues qu'il offrait sur toute la région et de son accès malaisé — devint rapidement sinon un « oppi- dum » (le mot paraît un peu exagéré), du moins une petite agglomération plus ou moins bien fortifiée et, à partir de 270 après J.-C., un lieu de refuge permanent : On n'y a trouvé aucune trace de construction maçonnée, mais un rempart de terre battue et de pierres fait de matériaux prélevés sur place (et dont le volume a pu être évalué à environ 100 mètres cubes) entourait le pourtour du sommet. Pourtant ce qui fait l'originalité de ce site, c'est le fait qu'il a dû constituer longtemps un lieu d'offrandes de monnaies, raris- sime dans notre région : En effet, au sommet du Rochefort et au centre de son enceinte, les fouilles ont révélé les soubassements d'une murette semi- circulaire en pierres sèches d'environ 2,50 m de diamètre et 0,35 m d'épaisseur, dont la convexité était tournée vers le Sud-Est. Son centre était peut-être occupé autrefois par la statue d'un dieu païen ignoré, disparue, et il ne s'y trouvait plus qu'un gros galet sphérique en quartzite blanc, pesant 4 à 5 kilos, lequel constituait peut-être une pierre sacrée (ou Bétyle) (?). Autour de cette murette, et à l'extérieur, étaient réparties environ 90 pièces de monnaie romaine, groupées par époques et s'échelonnant du ne siècle avant J.-C. au Ve siècle de notre ère. A l'exception d'une obole grecque de Marseille et d'un quinaire gaulois (peut-être voconce), tous deux en argent, il s'agissait d'as en bronze, provenant surtout des ateliers romains de Nîmes et de Vienne, et enfin de pièces allant des empereurs Gallien (253) à Honorius (408 à 422). Ceci indépendamment d'environ 130 autres pièces de monnaie éparses sur le reste de la plate-forme et de multiples tessons de coupes, ou coupelles en poterie, ayant peut-être servi aux libations accompagnant l'offrande (?). [Les spécialistes s'interrogent encore à ce sujet.] Le très bon réseau routier gaulois — dont une branche menait au sommet du Rochefort — fut complété et remanié. Les méan- dres du Drac s'opposant à la circulation en plaine, les Romains s'attachèrent à établir, ou à consolider, la voie, de faible largeur, partant de Varces jusqu'à Fontaine, par Allières, Claix et le col de Comboire, ou Conseil (Cossey), qui resta longtemps très fréquentée. Faute de documents, plusieurs siècles de la vie de nos loin- tains aïeux restent obscurs : Quand et comment se propagea parmi nous la religion chré- tienne ? Tout ce que l'on sait, c'est que Lyon avait ses martyrs dès 177, que Grenoble eut un évêque dès la fin du IVe siècle (sans doute saint Domnin, qui figura au Concile de Nicée en 381), et qu'en 313 l'empereur Constantin fit de la religion catholique la religion officielle. Vers la même époque les quatre provinces initiales de la Gaule romaine étaient passées à 17. Le premier événement important certain fut l'arrivée en Savoie et en Dauphiné, vers le milieu du ve siècle, et après plusieurs siècles de domination romaine, d'un peuple d'origine germanique, les Burgondes, pour près de cent ans (443-534). Contrairement à une opinion généralement admise, il ne s'agis- sait pas là d'une invasion brutale et massive, mais bien d'une occupation voulue et acceptée par l'Empire romain. Celui-ci, à son déclin, avait dû renforcer son armée de nombreux auxiliaires. Les Burgondes, devenus soldats de l'Empire (« foede- rati »), avaient d'abord été installés autour de Worms pour défendre la ligne du Rhin face à l'Est, mais, après avoir perdu près de 20 000 hommes en deux défaites (435 et 436), leurs débris avaient été transférés en Savoie et Dauphiné, sans doute avec l'agrément du général Aétius, pour repeupler et coloniser ces terres insuffisamment occupées. Quoi qu'il en soit, « l'hospitalité » romaine, qui régissait le cantonnement, dut se conjuguer avec la coutume burgonde et le soldat, arrivant avec sa famille, « cantonna » de manière définitive chez l'habitant, qui dut lui céder le tiers, et parfois la moitié, de son habitation et de ses biens 1. 1 Selon M. Müller, déjà cité, la présence d'un « oppidum » burgonde est attestée à Saint-Loup — à l'extrémité Nord de la colline d'Uriol, qui s'allonge à l'Ouest de la route nationale entre Varces et Vif — par des débris de fer à cheval d'un modèle particulier et de la poterie mince, tournée, typiquement burgonde. Ledit oppidum fut remplacé plus tard par une chapelle dédiée à saint Michel et saint Loup, à son tour quasi disparue. D'après Th. Perrenot, « il y eut donc dépossession partielle des propriétaires gallo-romains, mais, à une époque où la terre avait beaucoup perdu de sa valeur, ce sacrifice fut compensé par la paix sociale, l'ordre, la stabilité et la sécurité que leur apportait la paix burgonde ». Si l'on ajoute que, par le jeu des mariages mixtes, la fusion entre occupants et occupés ne tarda pas à s'opérer, en comprendra pourquoi le type humain de notre région se trouva modifié et pourquoi, à côté des petits bruns brachycéphales du type ibère, on trouve tant de grands gaillards blonds et dolichocéphales. Très rapidement les distinctions entre races et origines dispa- rurent et il ne resta que celle entre hommes libres et serfs ou esclaves. Cependant à partir de 534 et malgré une victoire des Bur- gondes à Vézeronce, près de , dix ans plus tôt, l'invasion franque déferle sur le pays, qui connaît peu après (548) un hiver extrêmement rude : tous les cours d'eau gèlent et les oiseaux se laissent prendre à la main. La vie et les événements locaux sous les premiers rois francs (Mérovingiens) demeurent mal connus. Clotaire, petit-fils de Clovis, aurait possédé Grenoble et Die ; il eut à faire face aux invasions des Lombards venus d'Italie, entre 550 et 600. Tandis que le pouvoir royal s'affaiblit, celui de l'Eglise, triom- phant progressivement de l'hérésie arienne amenée par les Bur- gondes, s'affermit, en dépit de l'assassinat à Grenoble au début du VIle siècle, de l'évêque Ferréol (ou Fer jus), qui devait donner son nom à La Tronche jusqu'à la Révolution. Le Dauphiné retrouve un semblant d'indépendance sous Pé- pin II (680-714), mais ceci est de courte durée ; il ne tarde pas à être repris en main par Charles-Martel, le vainqueur des Arabes à Poitiers. Les historiens ont fait justice des assertions de Chorier et de Guy Allard, suivant lesquelles les Sarrasins auraient occupé Gre- noble et sa région pendant les VIle, vine et IXe siècles ; il demeure toutefois vraisemblable qu'ils l'ont traversée et pillée vers 736- 737 et qu'ils y sont revenus pour des temps assez courts à la fin du Xe siècle. Après le fils de Charles-Martel — Pépin le Bref — son petit- fils Charlemagne régna à son tour sur le Dauphiné. Une tradition tenace, se basant sur le roman de Garin et la Chronique, affabulée, de l'archevêque Turpin, affirma longtemps que le grand empereur serait venu à Grenoble et y aurait fait bâtir la cathédrale dédiée par lui à saint Vincent (vers 800, l'année de son couronnement à Rome). Si ces faits se sont révélés faux, force est de reconnaître que c'est aux « Capitulaires » de l'empereur qu'il faut faire remonter la première organisation valable de l'administration politique du « pagus » (canton ou district) : toutes les affaires de celui-ci étant désormais traitées dans des « plaids » (assemblées ou conseils) auxquels prennent part tous les hommes libres sous la présidence du comte, délégué royal, qui réunit entre ses mains tous les pouvoirs, l'évêque ne gardant théoriquement que l'auto- rité spirituelle. C'est vers cette époque que nous sommes ramenés une fois encore au domaine de la légende, avec celle des « Trois Pucelles ». Tout le monde dauphinois connaît ces rochers qui se dressent à l'extrémité Nord du Vercors et qui sont en réalité quatre, mais le quatrième n'est visible que du plateau de Saint-Nizier. Il s'agirait là des filles du sire de Naves (d'une famille entiè- rement disparue depuis longtemps et quasi mythique), jadis suze- rain de ce plateau de Saint-Nizier et de tout le versant du Vercors tourné vers Grenoble. Seul rappelle ce nom le signal de Naves (1 613 m). Enlevées par les Sarrasins, ces demoiselles auraient été sauvées par Roland, le neveu de Charlemagne — dont la plus jeune, âgée de 16 ans, serait devenue amoureuse. Mais celui-ci, fidèle à « la belle Aude au bras- blanc », ayant refusé de l'épou- ser, elles furent toutes quatre pétrifiées, dans des circonstances mal expliquées... Notre pays connut alors en moins de deux siècles de multiples avatars que l'on peut, pour mémoire, résumer ainsi : 839 : Louis le Pieux partage l'empire de son père Charlemagne entre ses trois fils, Lothaire, Louis et Charles le Chauve — qui reçoit la Burgondie (englobant Savoie et Dauphiné). 843 : Ce partage, non accepté, ayant amené une guerre entre les trois frères, le Traité de Verdun démembre définitive- ment l'Empire, et le Dauphiné va, avec la Burgondie, à la Lotharingie (part de Lothaire). 855 : L'héritage de ce dernier est partagé, à sa mort, entre ses trois fils, dont le plus jeune, Charles de Provence, reçoit les terres situées entre le Rhône et les Alpes, qui forment le royaume de Provence, ou de Bourgogne cis-jurane. Mais en 879, celui-ci est remis par les archevêques réunis à Mantaille (château du comte d'Albon, à Anneyron, dans la Drôme) au comte de Provence Boson, oncle du roi Louis le Bègue (la légi- timité des deux fils de ce dernier étant contestée). Après diverses péripéties plus ou moins confuses, l'ensemble constitué par le futur Dauphiné, la Savoie et la Provence — désigné communément sous le vocable de « Royaume d'Arles et de Vienne » — passe dans les mains de souverains dont l'influence sera souvent théorique, mais dont l'un, Rodolphe III le Fainéant, se reconnaît le vassal de l'empereur germanique Conrad II en 1027. Le royaume devient donc ainsi pour quatre siècles dépen- dance de l'Empire romain germanique. PLANCHE I

ALLEMAND

LE CHAPITRE LES TEMPLIERS N.-D. DE GRENOBLE D'ECHIROLLES

LE DAUPHIN

BÉRENGER DE SASSENAGE- BÉRENGER DU GUA.

CHYPRE CHAPITRE III Formation du Dauphiné et apparition de la haute féodalité (IX Xe et XI siècles)

La désagrégation progressive de l'autorité impériale, puis celle de l'éphémère royaume d'Arles et de Vienne amenèrent l'établis- sement et la prolifération de la féodalité dans toute notre région. Une quantité de véritables petits états ecclésiastiques ou laïques se formèrent, appartenant à d'importantes familles, dont les chefs se subrogèrent d'eux-mêmes aux représentants ou mandants offi- ciels du souverain défaillant. L'évêque de Grenoble fut heureux de cumuler à nouveau sous sa crosse les pouvoirs spirituel et temporel. Pour notre terroir, voici les principales familles que nous voyons apparaître dès maintenant et que nous retrouverons tout au long de son histoire : — surtout les Bérenger, de Sassenage, et les Alleman, ou Alle- mand, d'Uriage ; — et plus tard : les Commiers, d' ; les Arces, de Gon- celin, et les Montchenu, de , si nombreux et si puissants, qu'un vieux proverbe dauphinois disait : « Arces, Varces, Granges et Commiers, Tel les regarde qui ne les ose férier (frapper), Mais gare la queue des Alleman et des Bérenguier [(Bérenger) !... » Mais au-dessous de celles-ci pullulaient d'autres familles de moindre importance, dont plusieurs « exploitaient les habitants au moins autant qu'elles étaient censées les protéger ». De multiples châteaux font alors leur apparition, mais ce ne sont souvent encore que de simples « maisons fortes » : grosses tours carrées massives, aux fenêtres en forme d'archères ou de meurtrières, auxquelles sont accolés une ferme et un « chosal » abritant les communs. Beaucoup d'auteurs s'accordent cependant à reconnaître que, dans le Trièves et le Haut-Dauphiné, le régime féodal était moins tyrannique qu'ailleurs, « ... la nature y étant un tyran plus redou- table que le seigneur... ». C'est au cours du XIe siècle que s'affirmera la prédominance sur toute notre région d'une famille particulièrement heureuse puisqu'elle recueillera les droits des rois de Bourgogne sur toute la partie Sud du comté du Viennois. En effet, malgré quelque incertitude des documents', il est établi que la reine Hermangarde — ayant reçu ce comté de son mari, Rodolphe le Fainéant, en 1011 — le céda vers 1029-1030 à l'archevêque de Vienne, Brochard. Celui-ci presque aussitôt donna en fief : — la partie Nord, la future Savoie, à son beau-frère, Hugues aux Blanches mains ; — et la partie Sud, notre futur Dauphiné, à Guigues de Vion, frère de l'évêque de Valence, qui sera la souche de la 1" race des dauphins du Viennois. Ce GUIGUES rr, dit le Vieux, qui peut donc être considéré comme le véritable fondateur du Dauphiné, se retira à l'abbaye de Cluny, où il mourut entre 1060 et 1070. Son fils GUIGUES II, dit le Gras — qui lui succéda et mourut entre 1070 et 1079 — aurait le premier pris le nom d'Albon. Ceci sans doute parce que ce fief était le plus important de ses domaines, mais peut-être aussi par besoin de se créer un nom patronymique de son choix ; c'était en effet le début de l'usage des « noms de famille » : jusqu'alors il n'y avait eu que des prénoms et des sobriquets. Puis son fils, GUIGUES III, dit le Comte parce que le premier à porter ce titre, régna à son tour. Mais déjà éclataient entre le comte d'Albon et l'évêque de Grenoble, le futur saint Hugues, d'âpres discussions relatives à leurs biens temporels et à leurs droits réciproques. L'évêque, brandissant l'anathème, parvint à se faire restituer les terres et les revenus des églises établies sur ses domaines : le comte Guigues se présenta devant le synode réuni dans l'église Saint-Laurent de Grenoble et abandonna entre les mains du prélat « toutes les églises, les services, cimetières, dîmes et droits ecclésiastiques qu'il possédait en domaine, ou d'autres, par lui, en fiefs ». Quelles répercussions ces discussions eurent-elles pour nos ancêtres ? Nul ne peut le dire avec certitude, mais l'existence d'une église à Claix et dans l'obédience directe de l'évêque est attestée dès le XIe siècle par le Cartulaire de saint Hugues. L'abbaye du Monestier de Saint-Chaffre, en Velay, avait reçu d'une « matrone », nommée Leotgarda (veuve du seigneur du lieu, Béthon), et de ses sept fils, en août 1030, les églises de Sainte-Marie, de Saint-Jean et de Saint-Etienne, dans le bourg de Vif, et toute proche, à l'extérieur, celle de Sainte-Marie de Bréga. Sans doute faut-il placer à ce moment la suzeraineté des Sasse- nage sur Claix et la construction de leur château fort, destiné à « protéger la vallée contre les invasions barbares » ? Suivant Pilot, lorsque Guigues le Vieux prit le titre de Comte du Graisivaudan et eut à en chasser les Savoyards, il trouva des secours en troupes et en argent auprès du plus puissant des seigneurs hommagers de l'évêque, le baron de Sassenage. La seigneurie de Sassenage, sur la rive gauche du Drac, englo- bait alors les terres de Sassenage, Fontaine, Seyssins, Seyssinet, Pariset, Claix, , , Veurey, Méaudre, Lans, Villard- de-Lans, Corençon et , c'est-à-dire pratiquement tout le Vercors, ceci vers 1040-1050. (Pendant des siècles d'ailleurs on ne dira pas à Claix le « Ver- cors », mais bien « la montagne de Sassenage ».) Quelle était l'origine de cette famille de Sassenage ? Girard, fils d'Artaud, comte du Forez et de Lyon, ayant plus que tout autre contribué à refouler en Provence les Sarrasins, avait reçu de l'évêque Isarn et des habitants, comme récompense, cette seigneurie de Sassenage et celle du Royannais. Son petit-fils, Artaud III, eut trois enfants : — l'aîné, Artaud IV, garda le comté du Forez ; — le 2e, Ismidon, eut la principauté de Royans, et son fils Béren- ger, donna son prénom comme patronyme à ses descendants ; — le 3e, Hector, eut Sassenage qui devint son nom de famille : l'on affirme que vers 1030 il recevait l'hommage de plus de cent gentilshommes et s'arrogeait même le droit d'anoblir certains de ses vassaux. A titre documentaire, on peut indiquer que plus de 3 siècles après (1366), Pierre Chabert fut anobli par François II de Sasse- nage et que la noblesse n'a jamais été contestée à sa postérité. Vers 1095 le nom d'un Alleman apparaît dans les documents locaux, avec Alleman d'Uriage qui, prenant l'habit des fils de saint Benoît au monastère de Domène, donne à celui-ci la moitié d'un « manse » situé à Villeneuve d'Uriage. Dans notre pays uniquement agricole, il est intéressant de savoir que le manse représentait alors l'étendue de terre — légèrement variable avec les régions — pouvant assurer la subsistance d'une famille. Dès cette époque, les « tenures » libres étaient beaucoup plus nombreuses' que les tenures serviles : au début du siècle suivant, il n'y aura pratiquement plus de serfs en Dauphiné : il est toutefois impossible d'apporter des chiffres même approxi- matifs pour Claix. La présence des moines bénédictins, fils de l'abbaye de Saint- Chaffre en Velay, signalée plus haut (1030), se retrouve attestée entre 1091 et 1096, avec la fondation de l'église de Saint-Michel de Connexe (ou Connest) par un seigneur du nom de Lantelme (ou Nantelme), fils de Foldierce. De son vivant, ce Lantelme en fit don avec les terres environ- nantes qui consistaient principalement en bois — ainsi que de plusieurs autres églises — à cette abbaye, sous la condition que le monastère détacherait quelques-uns de ses moines à Connexe et que son corps serait enseveli dans l'église qu'il avait fait édifier en cette solitude, au vocable de l'archange saint Michel. Dès les premières années du siècle suivant, il y avait déjà là plusieurs religieux sous la houlette d'un prieur. Leur présence en ce lieu (ruines encore visibles dans les bois, à 618 m d'altitude, à 2 km au Sud de Champ-sur-Drac) est à signaler parce que ultérieurement les prieurés de Risset et Saint- Ange en dépendront. Cependant, malgré l'assertion de la carte d'état-major, il n'y eut jamais là d'abbaye, mais un simple prieuré. L'Histoire de Grenoble de Pilot mentionne que, suivant une antique tradition dauphinoise et catalane, c'est à la fin de ce siècle qu'un seigneur local aurait transporté à Compostelle le « chef » (tête) d'un saint Jacques inhumé à Echirolles — dont toute la partie Sud était au territoire de Claix — : la tête déposée actuel- lement à Compostelle ne serait donc pas celle de l'apôtre... (?). En effet, dans la nuit du 12 mai 1488, le curé d'Echirolles ayant fait ouvrir devant la porte de l'église le tombeau qu'on désignait comme celui du saint, on y découvrit sous une voûte un corps sans tête, auprès duquel se trouvait une urne en terre sans vernis ni ornement. L'évêque vint vérifier le fait dès le lendemain et en informa le pape, puis les choses en restèrent là... (On devait trouver en 1804, entre Drac et Isère, trois autres tombes avec des pots semblables.) Pour en terminer avec la haute féodalité, empruntons à l' Album du Dauphiné les indications suivantes : « ... Le Trièves s'appelait jadis « la Vallée chevalereuse... ». Les gentilshommes de ce pays étaient en grand renom de loyauté, de fierté et de bravoure. Ils ne voulurent jamais se soumettre à la coutume féodale qui obligeait les hommes liges à servir leurs souverains à la guerre. Ils eurent la délicatesse fort singulière de regarder cet usage, alors universellement pratiqué par leurs égaux, comme une espèce de domesticité indigne d'eux. On fit droit aux réclamations de leur altière susceptibilité et ils obtinrent de figurer pour leur propre compte sur les champs de bataille, comme les hauts barons. « Ce n'est donc pas dans cette contrée, où les vassaux forçaient les suzerains à de pareilles concessions, qu'a pu prendre naissance cette vieille maxime dauphinoise : « Un seigneur de beurre mange un vassal d'acier. »

ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 28 NOVEMBRE 1968 SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE

Numéro d'édition : 2499. Dépôt légal : 4" trimestre 1968.

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.