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Discours à l’occasion de la remise des insignes de chevalier de la Légion d’honneur à lundi 30 septembre 2013

Nous sommes réunis ce soir pour vous exprimer toute l’estime dans laquelle vous tient la République et vous tiennent mes compatriotes (parmi beaucoup d’autres). Je suis particulièrement heureux de vous accueillir en présence de votre famille, de vos amis, de personnalités qui nous font l’honneur d’être présents à cette occasion.

La relation entre la Grèce et la France est exceptionnelle de qualité, par l’amitié et la confiance qui la caractérisent. Elle est faite de sympathie, de solidarité, d’épreuves communes, de références partagées. Mais elle est faite aussi d’hommes, comme vous-même qui êtes un des maillons qui relient nos deux peuples.

Occasion exceptionnelle pour un être d’exception.

Votre vie d’homme et d’artiste, dont nous allons évoquer quelques étapes, est tout entière marquée d’ouverture à l’échange, de voyage, de créativité. Votre personnalité même s’élabore et s’enrichit au contact de la nouveauté, qu’elle soit musicale ou plus largement esthétique, incluant bien entendu la beauté qui naît de la relation humaine.

Si la Grèce et la France sont les terres d’ancrage où vous puisez vos ressources intimes, vos origines préfigurent d’emblée votre destin de voyageur qui parcourra le monde,

Vous êtes né à Alexandrie, le 15 juin 1946, sur cette terre d’Egypte dont Madame votre mère me disait avoir la nostalgie et qui a fourni à la chanson française tant de voix célèbres : Dalida, Moustaki, Claude François... et vous-même ! Votre famille, d’origine grecque, y est installée depuis deux générations. Né au cœur d’une communauté orthodoxe, vous vivez dans une ville musulmane qui vous imprègne de musique folklorique mêlée d’influences byzantine et arabe. Vous n’oublierez jamais d’intégrer ces variations à vos compositions ultérieures. Ce qui attirera vers vous un public toujours renouvelé, sensible à de telles combinaisons, notamment au cœur de la musique rock contemporaine.

Vous êtes d’abord attiré par le chant et serez soliste dans le choeur de l’église grecque d’Alexandrie pendant 5 ans, tout en découvrant la guitare et la trompette, vos premiers instruments. Mais l’histoire contraint bientôt vos parents à quitter l’Egypte, à la suite des événements liés à la nationalisation du canal de Suez.

Arrivé en Grèce, c’est la musique qui scelle définitivement vos choix de vie : à 17 ans vous formez votre premier groupe et jouez de la basse ou de la guitare. Très vite, vous chantez les grands succès de l’époque et votre voix, singulière, immédiatement reconnaissable, conquiert un public qui ne cessera de grandir.

Survient alors à l’été 1966 une rencontre déterminante, celle de Vangelis Papathanassiou. Vous sentez peu après que les choses se passent au nord de l’Europe, dans cette Angleterre où des groupes majeurs bouleversent la création musicale. C’est là qu’en 1968 vous tentez de vous rendre, c’est là qu’il nous faut remercier les douaniers anglais ! car de leur fait, vous êtes contraint de rebrousser chemin, de retourner à Paris, en France qui dès lors, jalonne l’histoire de votre vie d’homme et d’artiste.

C’est là, en mai 1968, que naît la chanson qui deviendra un succès immense, tel qu’on vous le réclame sans cesse : c’est , dont l’enregistrement se fait la veille même du déclenchement de la grève qui paralyse Phonogram.

Avec le groupe des « Aphrodite’s child » vous enregistrez deux albums qui seront numéro un au hit-parade aussi bien en France qu’en Allemagne, en Hollande, en Belgique, en Italie. Mais le groupe va se séparer : Vangelis souhaite sortir de la pop music tandis que vous-même vous sentez prêt à devenir le chanteur à l’envergure internationale que nous connaissons. En juin 1971 paraît votre premier 45 tours, We shall dance, suivi d’un album Fire and ice, mélange de folklore grec et de pop .

Les années se succèdent et avec elles des succès qui forgent votre légende : votre album Forever and ever de 1973, comporte 5 titres mondiaux. Comment choisir parmi tant de réussites ? Goodbye my love goodbye, 1973, Mourir auprès de mon amour , en 1977, Man of the World en 1980, et le grand succès en France Quand je t’aime , en 1987, ou encore On écrit sur les murs, en 1989.

Votre présence sur scène renforce l’engouement général. Des dizaines de millions de disques sont vendus (60 millions ?), des centaines de milliers de kilomètres franchis : en 1975, par exemple, vous parcourez cinq continents en cinq tournées de 45 jours !

Votre port d’attache cependant est en France, d’abord, à Neuilly sur Seine puis à Maisons-Laffitte que vous trouvez un logis et installez votre famille…

C’est là un autre aspect de votre vie. La France est aussi pour vous le lieu privilégié de l’amour et le berceau de vos enfants, dont Emilie, qui est avec nous ce soir, et Cyril son frère, musicien lui aussi, qui est retenu à Belgrade par un concert. En dépit des distances qui vous éloignent souvent, carrière internationale oblige, disent votre chaleur si vive, votre affection immense, l’attention que vous leur accordez lors de vos séjours auprès d’eux.

Précisément, ceux qui vous approchent reconnaissent en vous un tempérament d’artiste à la recherche de la beauté sous toutes ses formes, même les plus humbles. A cela s’ajoute une quête permanente d’inspiration créative. Les succès innombrables et continus n’altèrent pas votre besoin de renouvellement, sans craindre pour autant les retours sur des formes déjà visitées que vous cherchez à renouveler. Ce fut le cas pour votre dernier album appartenant résolument au pop rock. Les jeunes générations saluent en vous un pionnier dans la capacité à mêler des éléments ethniques aux sons les plus actuels.

L’amour de la vie et le désir de transmettre sa beauté, de contribuer aussi à un monde meilleur, guident vos décisions et vos choix artistiques.

Vous étendez encore votre répertoire : le recueil de chants de Noël de votre album Christmas est devenu le classique du genre. Avec le Spleen de Charles Baudelaire et d’autres références similaires vous introduisez la poésie ou bien encore vous reprenez des chansons françaises immensément populaires auxquelles votre voix exceptionnelle rend un hommage appuyé : Les moulins de mon cœur, La mer, Les feuilles mortes, et tant d’autres encore .

Votre fille mieux que moi pourrait rappeler l’ensemble de votre carrière éblouissante, dont le documentaire qu’elle vient de réaliser rend bien compte.

Je veux seulement affirmer combien la France vous est reconnaissante de l’attachement fidèle que vous lui avez montré, combien elle salue en vous à la fois l’homme de cœur et l’artiste, pleinement réalisé et toujours créatif, combien elle se réjouit de vos retours fréquents, puisque vous y partagez vos jours avec la Grèce.

Pour toutes ces raisons, Demis Roussos, au nom du Président de la République, nous vous remettons les insignes de chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur.