Histoire, Mémoire Et Diaspora Dans La Littérature Marocaine D'expression Espagnole 1951-2009
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UvA-DARE (Digital Academic Repository) Le patrimoine revisité: Histoire, mémoire et diaspora dans la littérature marocaine d’expression espagnole 1951-2009 el Haddad, Y. Publication date 2013 Link to publication Citation for published version (APA): el Haddad, Y. (2013). Le patrimoine revisité: Histoire, mémoire et diaspora dans la littérature marocaine d’expression espagnole 1951-2009. General rights It is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Disclaimer/Complaints regulations If you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, stating your reasons. In case of a legitimate complaint, the Library will make the material inaccessible and/or remove it from the website. 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Les départs des Marocains-Juifs qui eurent lieu à l’époque avant le protectorat franco-espagnol, furent marginaux par rapport à la grande vague d’émigration qui commence dans la seconde moitié des années 1940. 546 À ce moment-là, plusieurs raisons sociopolitiques et historiques vont contribuer à un sentiment de malaise et d’insécurité qui conduira à l’émigration par étapes d’une partie considérable des Juifs marocains. Il s’agit d’un exode massif, le plus grand dans l’histoire du Maroc. 547 Quelles furent les principales raisons des départs des Juifs marocains de leur pays ? Quels sont les contextes de ces exodes ? C’est ce contexte historique et culturel qui sert d’arrière-plan pour les romans écrits par des auteurs juifs-marocains de langue espagnole qui, pour la plupart, venaient des régions du Nord. Comme le note l’historien Robert Assaraf, les Juifs du nord du Maroc avaient une position particulière par rapport aux autres communautés juives marocaines de ce pays : Favorisés aussi bien par leur niveau culturel plus élevé de descendants directs des expulsés d’Espagne que par la géographie et l’histoire – proximité de l’Europe et précocité de l’ouverture vers l’extérieur – les juifs du nord du Maroc, et en tête ceux de Tétouan, dès le XVIII e siècle, ont entamé le mouvement- individuel – d’émigration du Maroc. 548 Ce sont justement ces Juifs-Marocains d’origine espagnole qui vont, pour la plupart, opter pour l’Espagne lorsqu’ils décident que la situation au Maroc devient 545 Cf. Le numéro spécial du magazine d’histoire du Maroc, Zamane , « Maroc, terre juive », nº 30, mai 2013. 546 Assaraf, Robert, 2005, p. 277. 547 Cf. Kenbib, Mohammed, Juifs et Musulmans au Maroc 1859-1948, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Université Mohammed V, Rabat, 1994. 548 Assaraf, Robert, 2005, p. 270. 179 intenable à cause des tensions au sein de la société et surtout des répercussions de la situation au Moyen-Orient, à savoir le conflit israélo-arabe. 549 8.2 Le début d’un schisme intercommunautaire Selon l’historien Mohammed Kenbib, à partir des années 1859-1860— depuis la Guerre de Tétouan— les relations judéo-musulmanes au Maroc commencèrent à se dégrader. 550 Peu après, ce fut l’action de l’Alliance Israélite universelle et ses écoles, aujourd’hui appelée Ittihad-Maroc, qui eut un poids considérable sur les relations intercommunautaires. 551 La mainmise de son enseignement a certes contribué à créer un fractionnement entre Arabes et Juifs marocains. 552 Comme l’avance Guy Dugas : « L’école est également le lieu de l’acculturation, de la confrontation à l’Occident, de la rupture avec la majorité arabe… »553 Ceci est encore affirmé par Judith Roumani qui, en parlant des Juifs sépharades, dit ceci : « In causing Sephardim to identify with the colonizers, Alliance schools contributed to the demise of the age-old relationship between Jews and Muslims. »554 Cette occidentalisation des Juifs-Marocains par le biais de l’Alliance par laquelle l’influence de la France, principalement, était fortement perceptible, marqua le détachement (culturel) des Juifs de leur environnement autochtone. Dans ce mouvement d’« émancipation » et d’acculturation des Juifs s’inscrit aussi la politique coloniale française avec son dicton « diviser pour régner », qui représentait le comble dans la détérioration des relations judéo-musulmanes. 555 Comme l’explique l’écrivain Edmond Amran El Maleh : 549 Voir aussi Zafrani, Haïm, Juifs d'Andalousie et du Maghreb , Paris, Maisonneuve et Larose, 1996. 550 Voir par rapport à la Guerre de Tétouan et aux Juifs, Ortega, Manuel L., Los hebreos en Marruecos : estudio histórico, político y social , Madrid, Ed. hispano-africana, 1919, pp. 121-124. 551 Cf. Laskier, Michael M., The Alliance Israélite Universelle and the Jewish Communities in Morocco, 1862-1962 , Albany, State University of New York Press, 1983. 552 Grosrichard, Ruth, 22-28 novembre 2008, pp. 58. 553 Dugas, Guy, 1990, p. 29. 554 Roumani, Judith, (éd. Halevi-Wise, Yael), 2012, p. 217. 555 Kenbib, Mohammed, 1985, p. 88. Voir par rapport à l’influence des Puissances coloniales sur les Juifs-Marocains : Miège, Jean-Louis, Le Maroc et l’Europe, Paris, 1961-1962, tome I, pp. 559-572 et tome II, pp. 277-292 ; Laroui, Abdellah, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), Paris, 1977, pp. 310-319 ; Levy-Mongelli, Danielle, Un cas d’aliénation culturelle : les Juifs d’Afrique du Nord dans l’aventure coloniale française , Grenoble, La Pensée Sauvage, 1980. 180 Le Protectorat, on le sait, a dès avant son installation, et par le biais de l’Alliance Israélite, mis en œuvre une politique d’assimilation en profondeur, cherchant à « occidentaliser les juifs marocains », à soi-disant les « émanciper » pour les asservir comme auxiliaires de sa politique, en travaillant à les détacher de la réalité nationale ; ceci s’inscrit dans une plus large perspective d’une politique de division, comme on l’a vu lors du fameux dahir berbère. 556 La perspective d’Amran El Maleh est confirmée par d’autres spécialistes comme Mohammed Kenbib, Simon Lévy, Guy Dugas et Ruth Grosrichard qui, eux aussi, soulignent l’importance des écoles francophones de l’Alliance Israélite universelle ainsi que le susmentionné protectorat français. 557 Les Espagnols, quant à eux, réclamaient aussi cet effort d’« émancipation » des Juifs-Marocains dès 1860, prétendant être les « véritables initiateurs ». 558 Ceci était illustré notamment par la politique d’ouverture aux sépharades méditerranéens. Un autre facteur d’importance était la propagande sioniste qui joua un rôle significatif et décisif dans les départs du Maroc et qui s’est répandue comme une tache d’huile. L’influence sioniste mise en oeuvre— même avant l’installation du Protectorat franco-espagnol en 1912— à côté de l’occidentalisation, explique aussi le manque d’identification des couches d’élites juives à l’égard de la lutte pour l’indépendance du Maroc. 559 Le « processus de sionisation » comme le décrit Kenbib fut poursuivi de manière plus décidée après la Seconde Guerre Mondiale. 560 En 1947 déjà, des immigrations clandestines sont organisées depuis l’Algérie. Les choses commencent davantage à se déstabiliser au sein de la société autour de 1948, année où l’État d’Israël est proclamé. Une situation qui envenima davantage les choses déjà devenues assez sensibles entre les deux communautés, musulmane et juive, et qui engendra les premiers départs du Maroc. Une des raisons sous- entendues de ces départs fut pour quelques-uns, au commencement, plutôt d’ordre religieux, affilée par l’inspiration ou la conspiration sioniste. Israël, comme berceau religieux et terre promise faisait appel à la foi de nombreux Juifs du Maroc. 561 À 556 Amran El Maleh, Edmond, 1999, p. 211. 557 Grosrichard, Ruth, 22-28 novembre 2008, pp. 55. 558 Kenbib, Mohammed, 1985, p. 95. 559 Cf. Al Ālam, 21-12-2012. 560 Kenbib, Mohammed, 1985, p. 103. 561 Grosrichard, Ruth, 22-28 novembre 2008, pp. 56. Voir à cet effet aussi, Levy, André et Alex Weingrod (éd.), 2005, pp. 68-96. 181 partir de la proclamation de l’État d’Israël en 1948 jusqu’en 1956, le protectorat français autorise l’organisation de l’immigration clandestine vers Israël. 562 Ou comme le note Robert Assaraf : « […] elles acceptèrent de laisser faire et de fermer les yeux.» 563 Ces immigrations étaient aussi connues sous le nom d’ alyas .564 Mais la situation politique tendue et ambiguë allait aussi provoquer un schisme dans la société marocaine, cette fois entre les loyautés. 565 Les frictions portant sur le conflit israélo-arabe augmentèrent au sein des deux communautés. Cela eut des conséquences économiques et sociales— harcèlements, insultes, menaces, meurtres— pour les communautés juives au Maroc. À cet égard, on note la confusion suivante qui se produisit dans la société marocaine par rapport à ses citoyens musulmans : La confusion la plus dommageable est celle qui consiste à ne pas faire la distinction entre « juif et sioniste » et entre « juif et israélien », à propos de la guerre qui oppose pays arabes et Israël, Palestiniens et Israéliens, et dont on sait combien elle pèse sur les relations entre juifs et musulmans au Maroc.