École des Hautes Études en Sociales

École doctorale de l’EHESS (ED 286) Formation doctorale « Sciences, Savoirs, Techniques : Histoire et Société » Centre Alexandre Koyré (UMR 8560)

Thèse pour l’obtention du titre de docteure de l’EHESS Discipline : Histoire Spécialité : Histoire des sciences

POUR TRANSFORMER LES UNIVERSITÉS

L’émergence de l’ « évaluation » des universités en et aux Pays-Bas, années 1980 et 1990

Présentée par Aline Waltzing

Thèse dirigée par Dominique Pestre

Date de soutenance : le 15 juin 2020

Rapporteurs 1 Willem Halffman, Radboud Universiteit Nijmegen 2 Christine Musselin, Sciences Po Paris

Jury 1 Julie Bouchard, Université Paris 13 2 Isabelle Bruno, Université de Lille 3 Willem Halffman, Radboud Universiteit Nijmegen 4 Christine Musselin, Sciences Po Paris 5 David Pontille, Mines ParisTech

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RÉSUMÉ

Cette thèse porte sur deux institutions d’ « évaluation » des universités créées en 1985 en France (le Comité national d'évaluation) et aux Pays-Bas (l'association des universités néerlandaises). Aujourd’hui, l’évaluation de la recherche et de l’enseignement est principalement étudiée en tant qu’outil « néomanagérial » de gouvernement des universités. Or, cette interprétation ne correspond pas à son histoire : dans cette thèse, je propose de partir de situations concrètes dans lesquelles des formes ensuite dites d’ « évaluation » ont émergé. Ce travail analyse d'abord la gestation des deux instances d'évaluation étudiées, pour se pencher ensuite sur leur fonctionnement dans les années 1980 et 1990, et il propose enfin des épilogues sur les transformations qu'elles ont connues à la fin des années 1990 et au début des années 2000. L’intérêt de la perspective historique est d’une part de mettre au jour la contingence des évolutions, l’enchevêtrement des projets réformateurs ainsi que des intentions des différents acteurs. D’autre part elle permet de percevoir les changements au fil du temps, et de montrer comment les projets peuvent se déployer ou s’inverser du fait des transformations sociales et économiques locales et internationales.

Mots-clés : institutions d’évaluation ; évaluation des universités, enseignement supérieur, recherche ; années 1980 et 1990 ; histoire des universités ; histoire de l’évaluation.

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ABSTRACT

In this thesis, I examine two cases of what has come to be called university “evaluation” in France (through the Comité national d’évaluation, founded in 1985) and in the (the association of Dutch universities, founded in the same year). Today, the assessment of research and teaching in universities is often perceived in terms of a turn towards “neomanagerial” governance in academia. However, this interpretation doesn’t do justice to the history of evaluation in higher . Focusing first on the emergence of the two assessment agencies in France and in the Netherlands, I then look into the ways they functioned in the 1980s and 1990s before they were transformed at the end of the 1990s. A historical perspective is useful for two reasons: firstly, it allows us to grasp the contingency characterising the process of establishing these instruments and to account for how the actors’ intentions were entangled with these projects; and secondly, it bears witness to the changes the sector has seen, how tendencies were spread or reversed in view of social and economic development on local and international levels.

Keywords: assessment institutions; evaluation of universities, higher education, research; 1980s and 1990s; university history; history of evaluation.

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REMERCIEMENTS

J’aimerais avant toute chose dire combien cette thèse a bénéficié de conditions d’encadrement favorables :

Dominique Pestre, comme à son habitude, a su se montrer bienveillant, patient, toujours encourageant, et quelquefois intransigeant lorsqu’il le fallait. Je le remercie en particulier pour sa disponibilité sans faille en fin de rédaction, nos échanges fréquents ont été une véritable aubaine pour moi.

Le Centre Alexandre Koyré et les personnes qui le peuplent ont été un environnement d’apprentissage et de travail stimulant, formateur et chaleureux. Merci à l’équipe, aux habitué·e·s des locaux et aux enseignant·e·s du master de l’EHESS adossé au CAK ; merci à Marlon Aprosio, Céline Barthonnat, Marine Bellégo, Emanuel Bertrand, Benjamin Bothereau, Benoît Dauguet, Dalia Deias, Sylvain Di Manno, Wolf Feuerhahn, Mélanie Fourmon, Ludovic Fulleringer, Bob Fyke, Maxence Gévaudan, Rafael Mandressi, Safia Mefoued, Leny Patinaux, Anne Rasmussen, Marion Razakariasa, Martin Robert, Antonella Romano, Anne Sirand, Jean-Paul Théologidès, Anabel Vazquez pour le soutien, les nombreuses discussions et les desserts partagés.

Les chercheuses et chercheurs m’ayant orientée, conseillée et encouragée dans le cheminement de mes recherches sont nombreux·ses. Je remercie en particulier Johannes Angermüller, Christine Barats, Étienne Bordes, Julie Bouchard, Elsa Boulet, Isabelle Bruno, Patricia Faasse, Ab Flipse, Quentin Fondu, Willem Halffman, Hugo Harari-Kermadec, Barend van der Meulen, David Pontille, Mélanie Sargeac, Jack Spaapen, Don Westerheiden.

De nombreux interlocuteurs encore ont nourri mes recherches : je pense aux témoins des histoires que j’ai étudiées pour cette thèse, aux ancien·ne·s employé·e·s du CNÉ et de la VSNU avec lesquel·le·s j’ai pu m’entretenir, aux archivistes à Paris, La Haye et que j’ai pu solliciter, aux rencontres plus ponctuelles mais non moins importantes faites lors de colloques, séminaires et ateliers.

5 Au tout début de mes enquêtes, le think tank franco-néerlandais (EHESS-Nijmegen) de 2013-2014 a contribué de manière non négligeable à me lancer dans cette voie : merci aux participant·e·s. Ce travail est également redevable à l’ENS : pour la bourse de la Sélection internationale pendant mon master et mes débuts en histoire des sciences, et pour m’avoir ensuite donné la possibilité de commencer une thèse avec un contrat doctoral. Par la suite, le LaRAC et le département de sciences de l’éducation de l’université de Grenoble m’ont été une terre d’accueil très agréable : merci aux collègues pour les échanges et pour la confiance qui m’a été accordée en tant qu’ATER nouvellement arrivée.

Cette thèse n’aurait ni eu lieu ni été terminée sans celles et ceux qui me sont proches. Tout d’abord celles et ceux qui ont suivi mes pérégrinations malgré la distance : merci à mes parents et ma sœur, pour tout ; merci à Vivi, Isa et Laeticia. Mes terres d’accueil successives ont apporté leur lot de belles rencontres et de heureux hasards : je pense aux membres de la séduction internationale et associé·e·s, puis à la maisonnée du commandant. En particulier, je remercie la chaudière transalpine, fil rouge de toutes ces aventures, Ecki et Gabri, fidèles compagnons des divers déménagements et d’innombrables discussions. Merci à Moïse, Marie-Jo et Sidi Jacky pour toutes les nourritures terrestres et célestes de cette dernière année, et, enfin, au Ché Vert pour tous les dénivelés, parcourus et à venir.

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TABLE DES MATIÈRES

POUR TRANSFORMER LES UNIVERSITÉS ...... 1 L’émergence de l’ « évaluation » des universités en France et aux Pays-Bas, années 1980 et 1990 ...... 1 Résumé ...... 3 Abstract ...... 4 Remerciements ...... 5 Table des matières ...... 7 Table des illustrations ...... 12 Notice ...... 13 Abréviations ...... 14 Introduction ...... 17 I. Revue bibliographique sur l’ « évaluation » ...... 17 1. Les récits de la mise en économie ...... 18 2. Les récits de la managérialisation ...... 23 3. L’analyse des effets de ces transformations ...... 26 II. Problèmes que me pose la bibliographie ...... 30 1. Une autre époque ...... 30 2. Une autre échelle ...... 32 3. D’autres acteurs ...... 33 III. Les déplacements que je propose d’opérer ...... 35 1. La période ...... 36 2. Les échelles et le choix des cas d’étude ...... 36 3. La comparaison et les circulations ...... 38 IV. Présentation de la thèse ...... 41 1. Sources ...... 41 2. Plan ...... 43 Pays-Bas, Chapitre 1 ...... 47 Les universités néerlandaises, l’autonomie et la qualité, 1982-1987 ...... 47

7 I. 1982 – les néolibéraux au pouvoir ? ...... 48 II. Les universités sous pression démographique et démocratique, 1960-1983 ...... 49 1. Réformer l’administration des universités – bestuurshervormingen ...... 49 2. L’organisation des études et les contraintes budgétaires ...... 53 3. De la nécessité d’une politique scientifique nationale ...... 57 a. Le Wetenschapsbeleid : la au service de la société, 1966-1974 ...... 58 b. 1982, financement conditionnel de la recherche ...... 60 c. Les scientomètres de Leiden ...... 63 III. 1985, les universités s’associent ...... 65 1. Mais qui est la VSNU ? ...... 68 IV. HOAK, la bataille pour l’autonomie et la qualité ...... 73 1. Tenir le gouvernement à distance ...... 76 a. « Ontstrengelen » – démêler les responsabilités de chacun ...... 76 b. Surveiller… sans trop punir ...... 77 c. Limiter l’autorité et augmenter la responsabilité ...... 78 d. Gouverner à distance ...... 79 2. Débureaucratiser ...... 80 a. Déréguler l’organisation des cursus ...... 80 b. Déréguler sans désordre : se concerter ...... 82 V. Vers la création d’une attention à la qualité systématique ...... 85 1. « Autonomy ? What autonomy ? » ...... 86 2. Conclusions ...... 88 France, Chapitre 1 ...... 91 L’émergence d’un comité d’évaluation des universités en France, 1981-1985. Schwartz, Savary et les universités françaises ...... 91 I. Le programme de Schwartz, « La France en mai 1981 : l’enseignement et le développement scientifique » ...... 92 1. Les universités submergées doivent se diversifier ...... 94 2. Plaidoyer pour la « sélection-orientation » ...... 96 3. Réglementation nationale intenable ...... 98 4. Les universités ont besoin de feedback ...... 99 5. Moins d’inquiétude pour la recherche ...... 101 a. Lier recherche et industrie pour la puissance internationale ...... 102 b. L’appareil d’État pour la recherche existant ...... 104

8 6. Pour des « instances nationales d’évaluation » ...... 105 II. Les projets d’ « autonomie » des universités de la CPU ...... 110 1. La diplomation ...... 110 2. La contractualisation – « autonomie » financière ...... 111 3. Un « ménisque » entre État et universités ...... 113 III. Les Propositions pour l’enseignement de l’avenir du Collège de France – l’ « autonomie » selon Bourdieu ...... 114 IV. La « décevante » loi Savary ...... 119 1. La genèse de la loi Savary ...... 120 a. Une longue gestation, oppositions multiples ...... 122 2. La déception de Schwartz ...... 124 3. Les dispositions de la loi Savary ...... 127 4. Autonomie – contractualisation – évaluation ? ...... 129 V. Le Comité National d’Évaluation, outil réformateur sans sa réforme ? ...... 132 1. Paternité ...... 132 2. Outil réformateur ? ...... 134 3. Reliquat ...... 135 Pays-Bas, Chapitre 2 ...... 139 Le kwaliteitszorgstelsel en acte, 1987-1997 ...... 139 I. Tour d’essai pour l’enseignement supérieur...... 140 1. L’acceptabilité ...... 143 2. Les visiteurs : universitaires, « éducationalistes » et « sociétaux » ...... 144 3. L’étudiabilité des cursus ...... 147 a. Enseigner pour « la société » ? – le marché du travail ...... 150 b. Les destinataires des visites : les responsables de formations ...... 152 c. Les destinataires des visites : le public étudiant ...... 153 II. Comment visiter ? ...... 153 1. La souplesse de l’étude de soi ...... 155 2. La dureté des indicateurs ...... 160 3. Centralité de la procédure ...... 163 III. Le tournant de 1993 ...... 168 IV. Évaluer la recherche ...... 171 1. Une histoire conjointe mais deux systèmes distincts ...... 171 a. Étapes du processus dans la recherche...... 173

9 2. La bibliométrie en conflits ...... 174 3. Identifier la recherche de qualité ...... 178 4. La recherche pertinente pour la société ? ...... 180 a. Les évaluateurs de la recherche, scientifiques internationaux ...... 182 5. Bien gouverner la bonne recherche ...... 183 V. Aider les universités à se « différencier » ...... 187 1. Enseignement supérieur : différenciation horizontale ...... 187 2. Recherche : différenciation verticale ...... 188 VI. Conclusions : enseignement vs recherche ...... 190 1. Une différence de hiérarchie ? ...... 190 2. L’enseignement dans le monde, la recherche hors du monde ? ...... 191 France, Chapitre 2 ...... 193 L’évaluation selon le CNÉ, 1985-1998 ...... 193 I. L’installation et le positionnement du CNÉ entre gouvernement et universités ...... 194 1. Un statut incertain ...... 195 2. Le CNÉ comme solution à la crise ...... 197 3. Contre l’administration centrale, ami et allié des universités ...... 199 4. Le Comité et ses membres : quelle renommée, les pairs de qui ? ...... 202 5. Les destinataires et fonctions du comité : aider leurs pairs ...... 207 a. Instrument de lutte au service du public ...... 208 b. Internaliser une connaissance de soi ...... 209 c. Les établissements passent avant le gouvernement ...... 210 d. La politique interne des établissements ...... 211 e. Les dirigeants universitaires ...... 212 f. Rendre des comptes aux usagers ...... 213 g. De faibles effets en interne ? ...... 214 II. Pratiquer l’évaluation ...... 215 1. Le bureau ...... 215 2. Construction d’une méthodologie ...... 217 a. Les étapes d’une évaluation ...... 218 b. Affiner le travail méthodologique ...... 221 3. Les critères et indicateurs ...... 223 a. Le rapport au chiffre ...... 226 b. Du travail « sur mesure » ...... 228

10 III. L’absence de rupture en 1989 – le renouvellement des années 1990 ...... 230 IV. Ambitions internationales et intégration européenne ...... 233 1. Les réseaux professionnels ...... 233 2. L’aide au développement de l’évaluation ...... 235 3. La construction européenne – d’un espace européen de l’enseignement supérieur ...... 236 V. Conclusions ...... 242 Pays-Bas, Épilogue ...... 245 La VSNU perd ses fonctions évaluatrices, 1997-2004 ...... 245 I. Externaliser les visites de l’enseignement supérieur ...... 245 II. Intégrer un processus standard d’évaluation de la recherche ...... 249 III. Moderniser l’administration des universités ...... 250 IV. Des glissements dans l’histoire de l’évaluation des universités ...... 252 France, Épilogue ...... 255 CNÉ-AERES, 1998-2006 ...... 255 I. Rupture et succession ...... 255 II. Glissements et différences fondamentales ...... 259 Conclusions ...... 265 I. Les années 1980 et 1990 ...... 265 1. La nouvelle fonction sociale des universités ...... 265 2. Renégocier les tâches et pouvoirs respectifs ...... 268 3. Les vertus formatives de l’évaluation de soi ...... 271 a. Le soi managérial ? ...... 272 b. Un instrument émancipateur ...... 274 c. Les pairs définissent la qualité ...... 276 d. Certaines contraintes néanmoins ...... 277 4. Deux cas contrastés ...... 279 5. L’évaluation et le NPM – discussion, suite et fin ...... 280 II. Après le tournant 2000 ...... 281 1. Caractérisation des nouveaux régimes ...... 281 2. La nature des transformations ...... 284 a. Détournement de l’évaluation ? quelques analogies ...... 284 b. Inertie et continuités ...... 287 Sources ...... 291

11 Archives Nationales (AN), Pierrefitte-sur-Seine ...... 291 Nationaal Archief (NA), La Haye ...... 293 Archives de la KNAW ...... 299 Archives de la Commission européenne ...... 300 Documents du CNÉ ...... 300 Documents de l’AERES ...... 300 Documents de la VSNU ...... 300 Documents ministériels et législatifs ...... 301 Presse ...... 301 Articles et ouvrages mobilisés au titre de sources ...... 302 Entretiens et correspondance ...... 304 Bibliographie ...... 307 Annexes ...... 321 Annexe 1 : Tableau prosopographique réalisé sur les membres de la présidence de la VSNU lors de sa création ...... 321 Annexe 2 : Tableau prosopographique réalisé sur les membres du CNÉ depuis sa création ...... 325 Annexe 3 : Bulletin du CNÉ, n°6, mai 1988, p. 1-4 [AN 20080020/289] ...... 335

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 : Extrait de « Bijlage 2 : Checklist voor aandachtspunten bij de zelfstudie », De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, annexe 2, p. 44 [NA 2.19.250/435]...... 158 Figure 2 : Extrait de « Bijlage 1 : Vragenlijst ten behoeve van de visitatiecommissie », De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, annexe 1, p. 35 [NA 2.19.250/435]...... 162 Figure 3 : Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 4 [AN 20080020/289]...... 204 Figure 4 : Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 3 [AN 20080020/289]...... 218

12 NOTICE

Langues

Les expressions et citations en anglais ne sont pas traduites. Les expressions et citations en néerlandais sont directement traduites en français, avec l’original entre parenthèses lorsque cela m’est utile. Je donne les traductions françaises des sigles les plus utilisés dans cette thèse dans la liste des abréviations. Je traduis également les intitulés et titres des sources néerlandaises mobilisées dans la liste des sources en fin de travail, et non à chaque note de bas de page.

Genre grammatical

J’emploie parfois la forme d’un mot au masculin même quand la catégorie est susceptible d’inclure des femmes (employés, chargés de mission, étudiants). Lorsque le mot désigne un exemple indéterminé d’une catégorie, j’utilise soit la forme masculine, soit la forme féminine (le lecteur, l’historienne). J’utilise le point médian uniquement dans les remerciements.

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ABRÉVIATIONS

AN = Archives nationales

AERES = Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur

ANR = Agence nationale de la recherche

ARHO = Adviesraad voor het Hoger Onderwijs (organe de conseil auprès du gouvernement en matière d’enseignement supérieur)

BUOZ = Beleidsnota Universitair Onderzoek (note sur la politique de la recherche universitaire)

CEA = Commissariat à l’énergie atomique

CERN = Organisation européenne pour la recherche nucléaire

CNÉ = Comité national d’évaluation

CNESER = Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche

CNRS = Centre national de la recherche scientifique

CoNRS = Comité national de la recherche scientifique

CNU = Conseil national des universités

CPE = Centre de prospective et d’évaluation

CPU = Conférence des présidents d’université

CSRT = Conseil supérieur de la recherche et de la technologie

CvB = College van bestuur (équipe de direction, présidence des universités)

CWTS = Centrum voor Wetenschap en Technologische Studies (centre d’études des sciences et des technologies)

14 DEP = Direction de l’évaluation et de la prospective

DGRST = Direction générale à la recherche scientifique et technique

ENS = École normale supérieure

ENQA = European Network for Quality Assurance in Higher Education

ESR = l’enseignement supérieur et la recherche

HCERES = Haut conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur

HOAK = Hoger Onderwijs, Autonomie en Kwaliteit (enseignement supérieur, autonomie et qualité)

IMHE = Programm for Institutional Management in Higher Education

INRA = Institut national de la recherche agronomique

IN2P3 = Institut national de physique nucléaire et de physique des particules

KNAW = Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen (académie royale des sciences néerlandaise)

LOLF = Loi organique relative aux lois des finances

LRU = Loi relative aux libertés et responsabilités des universités

MUB = Wet Modernisering Universitaire Bestuursorganisatie (loi de modernisation de l’organisation de la gestion des universités)

NA = Nationaal archief (archives nationales des Pays-Bas, à la Haye)

NPM = New Public Management

NVAO = Nederlands-Vlaamse Accreditatieorganisatie (organisation d’accréditation néerlandaise et flamande)

NWO = Nederlandse Organisatie voor Wetenschappelijk Onderzoek (organisation néerlandaise pour la recherche scientifique)

15 OCDE = Organisation de coopération et de développement économiques

QANU = Quality Assurance Netherlands Universities

QSF = Association pour la qualité de la science française

RAWB = Raad van Advies voor het Wetenschapsbeleid (organe de conseil auprès du gouvernement en matière de politique scientifique)

SEP = Standard Evaluation Protocol

TQM = Total Quality Management

TVC = taakverdeling en concentratie (partage des tâches et concentration)

VF = voorwaardelijke financiering (financement conditionnel)

VNU = Verbund Norddeutscher Universitäten (association des universités d’Allemagne du Nord)

VSNU = Vereniging van Samenwerkende Nederlandse Universiteiten (association des universités néerlandaises coopérantes)

WUB = Wet Universitaire Bestuurshervorming (loi de réforme de l’administration des universités)

ZWO = Zuiver Wetenschappelijk Onderzoek (organisation de la recherche scientifique fondamentale)

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INTRODUCTION

L’évaluation des universités, de leur recherche et de leur enseignement, est aujourd’hui principalement étudiée en tant qu’outil néomanagérial de gouvernement des universités. L’explication dominante du phénomène « évaluation » par les analystes est celle d’une application d’un agenda politique proche du New Public Management (NPM) : managérialisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, autonomisation gestionnaire et, par la même, mise sous contrôle par des mécanismes de redevabilité et de transparence, démantèlement de l’université en tant que service public, entrée de logiques économiques dans son organisation. Ces explications ont leurs raisons d’être, elles peuvent être utiles pour décrire les effets que certaines formes d’évaluation peuvent aujourd’hui avoir – mais elles ne répondent pas à la question des origines : d’où nous est arrivée cette évaluation ? Et si l’on pense d’emblée l’évaluation comme un outil néomanagérial de gestion des universités imposé de l’extérieur, on court le risque de la téléologie, de devenir anachronique dans l’analyse, de ne pas être suffisamment attentive aux logiques propres de ces histoires. Car rien n’indique que la volonté néomanagériale soit primordiale aux origines du phénomène, dans les années 1980 et 1990 – c’est ce qui ressort du travail qui suit et que je vais tenter d’analyser.

Je propose, dans cette thèse, de prendre la question à partir de deux institutions créées précisément pour des activités dites d’ « évaluation » des universités, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il s’agit du Comité national d’évaluation (CNÉ), créé en France en 1985, et de l’Association des universités néerlandaises coopérantes (VSNU : Vereniging van Samenwerkende Nederlandse Universiteiten) aux Pays-Bas, créée la même année.

I. Revue bibliographique sur l’ « évaluation »

Afin de pouvoir expliciter le projet de recherche de cette thèse, précisons tout d’abord les interprétations aujourd’hui courantes du phénomène « évaluation » : on peut pour cela s’appuyer sur une riche bibliographie historique et sociologique (l’histoire étant néanmoins

17 nettement en minorité), mais pouvant également provenir des sciences politiques, des sciences économiques, des sciences de l’information et de la communication et de la scientométrie. Ces travaux, en étudiant diverses formes d’ « évaluation » dans le monde académique, dégagent des tendances à l’œuvre sur environ les quarante ou trente dernières années, et ils en font leurs cadres d’interprétation : ils étudient des formes de mise en économies des universités, de la recherche et de l’enseignement supérieur (1) ; l’arrivée de logiques managériales dans ces espaces, institutions et activités (2) – et ces deux interprétations sont souvent liées1. De nombreux travaux portent également sur les effets de ces transformations et de l’installation de diverses formes d’ « évaluation » (3).

1. Les récits de la mise en économie

Une première tendance est l’idée selon laquelle les établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent jouer un rôle clé dans la vie économique nationale et internationale2. Sous le vocable de knowledge economy, économie des savoirs, l’OCDE, notamment, véhicule une conception de la production de connaissances comme traduisible en valeur économique par le biais de l’innovation – il s’agit d’une analyse et d’un agenda à la fois3. En lien à cette idée, on peut évoquer également les travaux de Helga Nowotny, Peter Scott et Michael Gibbons sur le régime « mode 2 » de production des savoirs, un modèle explicatif mais aussi prescriptif qui consiste à penser la recherche scientifique comme sortant de sa tour d’ivoire, intégrant davantage et servant tous les aspects de la vie en société4. Au niveau européen, cette tendance culmine lors de la définition en 2000 de la « stratégie de Lisbonne » de l’Union européenne : il faut renforcer la compétitivité de l’Europe dans l’économie mondiale de la connaissance en vigueur5.

1 Une bonne partie d’entre elles sont thématisées par exemple dans ce manuel réalisé par des sociologues des sciences allemands, sur l’Allemagne, mais certains chapitres concernent également le cadre européen et d’autres pays : Simon, Dagmar, Knie, Andreas, et Hornbostel, Stefan (éd.), Handbuch Wissenschaftspolitik, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2010. 2 Musselin, Christine, « Les réformes des universités en Europe », Revue du Mauss L'Université en crise. Mort ou résurrection ?, n°33, 2009, p. 69-91. 3 Powell, Walter et Snellman, Kaisa, « The Knowledge Economy », Annual Review of Sociology, vol. 30, 2004, p. 199-220 ; Milot, Pierre, « La reconfiguration des universités selon l’OCDE: Économie du savoir et politique de l’innovation », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 148, n°1, 2003, p. 68-73, [En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_2003_num_148_1_3323]. 4 Nowotny, Helga, Scott, Peter, Gibbons, Michael et al., The New Production of Knowledge. The Dynamics of Science and Research in Contemporary Societies, New York, Sage Publications, 1994 ; Id., Rethinking Science. Knowledge and the Public in an Age of Uncertainty, Cambridge : Polity ; Malden (Mass.), Blackwell Publishers, 2001. 5 Bruno, Isabelle, À vos marques, prêts, cherchez !: la stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éd. du Croquant, 2008.

18 Comme l’analyse entre autres Christine Musselin, la conception de « nos » économies actuelles et futures comme des knowledge economies est exprimée dans les politiques depuis les années 1980. Dès l’ère thatchérienne britannique, les discours politiques dévalorisent l’idée d’une communauté scientifique isolée du monde économique et prônent au contraire que les scientifiques se voient comme des agents économiques6. Lors du « processus de Bologne » lancé en 1999, la tendance à mettre l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) au centre des économies nationales et internationales est confirmée en Europe7. La représentation de l’enseignement supérieur a ainsi été revue en fonction de sa contribution au développement économique des nations. Ces manières de concevoir l’éducation et l’enseignement supérieur correspondent aux thèses du capital humain, développées dès les années 1960 par des économistes états-uniens comme Theodore Schultz et Gary Becker8. Dans l’analyse de Sandrine Garcia, dans le sillage du processus de Bologne, les étudiants sont invités à voir leur éducation comme un investissement et à se voir comme des entrepreneurs de soi-même. Un autre développement est la « rationalisation » du budget de l’enseignement supérieur et qui vise à favoriser les domaines dits à haute productivité, et en agrémentant les ressources globales de fonds privés9. Ces tendances, autant dans l’enseignement supérieur que dans la recherche, sont souvent – mais à différents degrés – analysées en termes d’économicisation, entendue comme l’application de logiques marchandes à la recherche et l’enseignement10. Dans la bibliographie, ce processus apparaît comme le plus fortement développé dans le monde anglo- saxon, aux États Unis notamment. Pour le cas étatsunien, Sheila Slaughter et Gary Rhoades parlent d’ « academic capitalism », conçu comme l’implication d’institutions universitaires dans des comportements de marché (« market-like behaviours ») : la génération de revenus devient une préoccupation au cœur de l’activité académique, que ce soit dans la recherche, tendant vers le dépôt de

6 Musselin, Christine, « Les réformes des universités en Europe », op. cit. ; Pestre, Dominique, Science, argent et politique. Un essai d'interprétation, Versailles, Editions Quæ, 2003. 7 Monte, Michèle et Rémi-Giraud, Sylvianne, « Les réformes dans l'enseignement supérieur et la recherche. Mots, discours, représentations », Mots. Les langages du politique, n° 102, 2013, p. 7. Voir aussi Scholz, Ronny et Angermüller, Johannes, « Au nom de Bologne? Une analyse comparative des discours politiques sur les réformes universitaires en Allemagne et en France », Mots. Les langages du politique, vol. 102, n°2, 2013, p. 21-36, [En ligne : http://www.cairn.info/revue-mots-2013-2-page-21.htm]. 8 Par exemple Becker, Gary, Human Capital : A theoretical and empirical analysis, with special reference to education, New York ; London, Columbia University Press, 1964. 9 Garcia, Sandrine, « Réformes de Bologne et économicisation de l’enseignement supérieur », Revue du Mauss L'Université en crise. Mort ou résurrection ?, n°33, 2009, p. 122-140. 10 Ibidem.

19 brevets, ou dans l’enseignement, où des matériaux de cours sont commercialisés11. Daniel Kleinman et Robert Osley-Thomas ont étudié comment le langage de la commercialisation a pénétré le monde académique des États Unis12. Dans une analyse similaire venant du Canada, ces développements sont décrits par Howard Buchbinder comme une orientation des universités vers les marchés, dans le cadre de ce qui est ici nommé société de l’information et globalisation du capital13. Burton Clark et Henry Etzkowitz ont étudié la transformation des universités en « universités entrepreneuriales » dès 1998 – le travail de Clark porte sur des universités au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Finlande et en Suède14. Aux Pays-Bas, plusieurs chercheurs dénoncent les développements récents faisant que les universités se comportent de plus en plus comme des entreprises privées : orientées par le profit15, elles spéculent16 et fonctionnent sur des modèles de management et de productivité, négligeant leur fonction de service publique17. Dans le sillage de cette économicisation, une tendance complémentaire se dessine : les établissements d’enseignement supérieur et de recherche doivent devenir des entités autonomes. C’est à dire qu’ils doivent gérer eux-mêmes leurs ressources et leur répartition – nous reviendrons in extenso sur ce que cette forme d’ « autonomie » peut vouloir dire au cours de cette thèse. L’État, dans cette conception, n’a pas à trop contrôler la production scientifique, ce qui risquerait de l’entraver par excès de bureaucratie, mais lui incombent uniquement des tâches de régulation et d’évaluation, comme l’analyse Christine Musselin18. D’après Michèle Monte et Sylvianne Rémi-Giraud, « L’amélioration de la qualité de l’enseignement et de la productivité des chercheurs est présentée comme l’objectif majeur de

11 Slaughter, Sheila et Rhoades, Gary, Academic capitalism and the new economy, Baltimore, Johns Hopkins Press, 2004, p. 37. 12 Kleinman, Daniel L., et Osley-Thomas, Robert, « Uneven Commercialization: Contradiction and Conflict in the Identity and Practices of American Universities », Minerva, n°52, 2014, p. 1-26. 13 Buchbinder, Howard, « The Market Oriented University and the Changing Role of Knowledge », Higher Education, vol. 26, n°3, octobre 1993, p. 331-347. 14 Clark, Burton R., Creating Entrepreneurial Universities: Organizational Pathways of Transformation, Oxford, Pergamon, 1998 ; Etzkowitz, Henry, « The norms of entrepreneurial science: cognitive effects of the new university-industry linkages », Research Policy, vol. 27, n°8, 1998, p. 823-833. 15 Kroeze, Ronald et Keulen, Sjoerd, « De universiteit is er voor onderwijs en onderzoek, niet voor de winst », Socialisme en Democratie, n°7, 2012, p. 18-26. 16 Engelen, Ewald, Fernandez, Rodrigo and Hendrikse, Reijer, « How Finance Penetrates its Other: A Cautionary Tale on the Financialization of a Dutch University », Antipode, vol. 46, n°4, septembre 2014, p. 1072-1091. 17 Halffman, Willem et Radder, Hans, « The Academic Manifesto: From an Occupied to a Public University », Minerva, vol. 53, n°2, juin 2015, p. 165-187. 18 Musselin, Christine, « Les réformes des universités en Europe », op. cit.

20 la réforme, et l’évaluation régulière et standardisée des performances comme le moyen de mesurer les progrès réalisés »19. Le programme de ces réformes est décrit dans quelques études comme néolibéral20 : pour Irwin Feller, il sert à réduire le contrôle gouvernemental des établissements, en échange d’une responsabilité accrue des universités pour la levée d’une plus grande partie de leurs fonds, et pour la mise à disposition de preuves quantitatives de leur performance21. La caractérisation de ce qui est néolibéral est complexe et pas toujours bien définie. On trouve en effet déjà ici plusieurs éléments de cette philosophie politique : moins de pouvoirs à l’État, plus de dérégulation, c’est-à-dire laisser aux mécanismes de marché le soin de réguler (par la main invisible) ce qui doit l’être. Cela rejoint en effet les analyses en terme d’économicisation de l’ESR. Pourtant, les recherches d’Irwin Feller indiquent aussi une augmentation de l’implication de l’État dans le monde scientifique, justement avec les mécanismes gouvernementaux d’évaluation qui se mettent en place22. D’autres études de cas européens, comme celle de Oili-Helena Ylijoki, abondent dans ce sens d’une augmentation de la bureaucratie étatique en la matière plutôt que l’inverse23. Plusieurs auteurs ont en effet montré à quel point il était compliqué de mobiliser la catégorie du néolibéralisme : se réfère-t-on à ses théoriciens ou aux think tanks qui l’ont repris (et transformé) et propagé24 ? Pense-t-on au néolibéralisme en tant que dogme, en tant que forme de gouvernement, en tant que « fait libéral » ou en tant que moment historique25 ? Cela explique que les analyses des phénomènes qui nous intéressent ici en tant que phénomènes néolibéraux sont toujours nuancées ou à

19 Monte, Michèle et Rémi-Giraud, Sylvianne « Les réformes dans l'enseignement supérieur et la recherche », op. cit. 20 Par exemple dans l’introduction de ACIDES, Chauvel, Séverine, Clément, Pierre, Flacher, David, Harari- Kermadec, Hugo, Issehnane, Sabina, Moulin, Léonard, Palheta, Ugo, Arrêtons les frais ! Pour un enseignement supérieur gratuit et émancipateur, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2015 ; ou encore chez Lorenz, Chris, « If You’re So Smart, Why Are You under Surveillance? Universities, Neoliberalism, and New Public Management », Critical Inquiry, vol. 38, n°3, mars 2012, p. 599-629, [En ligne : https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/664553]. 21 Feller, Irwin, « Performance Measurement and the Governance of American Academic Science », Minerva, vol. 47, n°3, septembre 2009, p. 323-344. 22 Ibidem. 23 Ylijoki, Oili-Helena, « University Under Structural Reform: A Micro-Level Perspective », Minerva, n°52, 2014, p. 55-75, une étude de cas sur la Finlande. 24 Fleury, Jean-Matthias, « Lire Hayek sérieusement. Le néolibéralisme, entre rationalisme modéré et conservatisme », Agone, n°61, 2017/1, p. 85-111. 25 Pestre, Dominique, « Néolibéralisme et gouvernement. Retour sur une catégorie et ses usages », in Pestre, Dominique, Le Gouvernement des technosciences: Gouverner le progrès et ses dégâts depuis 1945, Paris, Éditions La Découverte, 2014, p. 261-284 ; Id., « Understanding the Forms of Government in Today’s Liberal and Democratic Societies: An Introduction », Minerva, vol. 47, n°3, septembre 2009, p. 243-260, [En ligne : http://link.springer.com/10.1007/s11024-009-9126-2].

21 nuancer, et que des auteurs puissent dénoncer à la fois les évaluations comme néolibérales et bureaucratiques – les deux pouvant être simultanément vraies.

Dans son étude du programme-cadre de 2014-2020 pour la recherche et le développement technologique de l’U.E., Isabelle Kustosz analyse ses influences sur les politiques nationales : « Il a généralisé la logique de l’appel à projet comme proposition concurrente au financement de la recherche sur fonds récurrents », la « contractualisation de la recherche » ainsi que le « management par projet »26. Ces tendances sont par exemple analysées par Isabelle Bruno et Emmanuel Didier comme se manifestant dans le paysage législatif et institutionnel français dans les années 2000 : le Pacte pour la recherche signé en 2006 annonce « Intensifier la dynamique d’innovation et rapprocher davantage la recherche publique et la recherche privée ; renforcer l’intégration du système français de recherche dans l’Espace européen de la recherche »27 ; la création de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) en 2005 inaugure le financement de la recherche par projets28 ; l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), remplaçante du CNÉ en 2006, évalue la recherche hors projets et l’enseignement supérieur à plusieurs échelles (établissements, centres de formation, unités de recherche)29 ; et enfin la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) prône une « autonomie » accrue des universités, dans la droite ligne des idéaux d’autonomie en termes de gestion de ressources desquels il était question plus haut30. Thomas Piketty estime cependant qu’elle n’est pas parvenue à donner les conditions aux universités de se gérer de manière autonome, notamment par un maintien de contraintes règlementaires fortes couplées à une insuffisance de moyens31. Ces réformes sont analysées comme les maillons

26 Kustosz, Isabelle, « Contractualisation et contrôle de la recherche : une lecture critique du programme-cadre de recherche et de développement technologique de l'Union européenne », Mouvements, n°71, 2012/3, p. 28. 27 Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking: l’État sous pression statistique, Paris, Zones, 2013. 28 Voir à ce sujet la thèse soutenue par Émilien Schultz : Construire une économie de la recherche sur projets. L’installation de l’Agence Nationale de la Recherche en France et ses conséquences dans les domaines de la génomique végétale et de la chimie durable, thèse de doctorat soutenue à l’Université Paris 4 sous la direction de Michel Dubois, 2016. 29 Sur l’AERES, voir les travaux de Clémentine Gozlan depuis sa thèse : Réinventer le jugement scientifique : l'évaluation de la recherche en sciences humaines et sociales à l’AERES, thèse soutenue à SciencePo Paris sous la direction de Christine Musselin, 2016 ; voir aussi Pontille, David et Torny, Didier, « Rendre publique l’évaluation des SHS : les controverses sur les listes de revues de l’AERES », Quaderni, vol. 77, n°1, mars 2012, p. 11-24, [En ligne : http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=QUAD_077_0011]. 30 Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking, op. cit., et cf Musselin, Christine, « Les réformes des universités en Europe », op. cit. 31 Piketty, Thomas, « Autonomie des universités : l’imposture », Revue du MAUSS, vol. 33, n°1, 2009, p. 283- 285, [En ligne : http://www.cairn.info/revue-du-mauss-2009-1-page-283.htm] ; Neyrat, Frédéric, « Des « universitaires mieux évalués » ? Les illusions croisées de la LRU et du modèle américain », Mouvements, vol. 60, n°4, 2009, p. 118-123, [En ligne : http://www.cairn.info/revue-mouvements-2009-4-page-118.htm].

22 d’une chaine qui constitue la réponse de modernisation apportée par le gouvernement français aux discours évoqués jusqu’ici.

2. Les récits de la managérialisation

La bibliographie sur les réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche en Europe relève l’importance des questions de gestion. En introduisant la notion de « gouvernance » des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des travaux ont pu mêler des études sur les réformes de l’enseignement supérieur à des analyses des changements de régimes de politiques publiques en général : c’est notamment le cas des travaux de Catherine Paradeise, Emanuela Reale, Ivar Bleiklie et Ewan Ferlie32. Depuis les années 1980 et partant de la Grande Bretagne de Margaret Thatcher se sont propagées des réformes du secteur public: il s’agit d’une « nouvelle gestion publique », communément appelée New Public Management (NPM). La tendance de la gestion des services publics va vers une utilisation accrue de techniques managériales, comme la rationalisation en termes de productivité, de comptabilité et d’audit, importées du secteur privé dans la sphère publique – comme la santé, la justice, l’éducation33. Cette gestion se fonde sur les marchés plutôt que la planification, sur des systèmes de mesures, d’évaluation et de management des performances34. Les universités et les entreprises sont de plus en plus évaluées en fonction de critères convergents35. De plus, les instances de décision se déplacent des professionnels eux-mêmes aux experts, consultants et managers36. Dans l’enseignement supérieur et la recherche, ce phénomène est étudié comme une déprofessionnalisation de la profession académique37. Les échelons de gouvernement sont décentralisés, voire privatisés, et à la fois le gouvernement tente de garder le contrôle sur ces fonctions et services devenus autonomes, comme l’indique Michael Power38. La notion d’autonomisation fait effectivement partie de

32 Paradeise, Catherine, Reale, Emanuela, Bleiklie, Ivar et Ferlie, Ewan (éd.), University governance. Western European comparative perspectives, Dordrecht, Springer, 2009. 33 Page, Stephen, « What's New about the New Public Management? Administrative Change in the Human Services », Public Administration Review, vol. 65, n°6, 2005, p. 713-727. 34 Bruno, Isabelle, « La recherche scientifique au crible du benchmarking. Petite histoire d’une technologie de gouvernement », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°55‑4 bis, 2008, p. 28-45. 35 Owen-Smith, Jason, « From Separate Systems to a Hybrid : Accumulative advantage across public and private science », Research Policy, n°32, 2003, p. 1081-1104. 36 Vilkas, Catherine, « Des pairs aux experts : l’émergence d’un « nouveau management » de la recherche scientifique ? », Cahiers internationaux de sociologie, n°126, mai 2009, p. 61-79. 37 Gülker, Silke, Simon, Dagmar et Torka, Marc, « Evaluation of science as consultancy? », Quaderni, n°77, 1/2012, p. 41-54. 38 Power, Michael, The Audit Explosion, Londres, Demos, 1994, p. 12-14.

23 l’idéal NPM39. Ces logiques sont par exemple bien décrites dans les travaux sur la LOLF française : la loi organique relative aux lois des finances de 2001 prévoit que tout financement public soit soumis à un contrôle d’adéquation des réalisations de chaque service avec les objectifs qu’il a dû se fixer auparavant40. Ces réformes « néomanagériales » font entrer dans les sphères publiques des recettes venant du quality management (ou quality assurance), outils managériaux développés dans le secteur privé dans le cadre de la compétitivité industrielle : pour être compétitif, les produits, et donc la production et son organisation, doivent être de qualité – c’est-à-dire plaire au consommateur, client ou usager41. Le Total quality management (TQM) est une philosophie de gestion des entreprises attribuée à un enseignant des mathématiques à la Graduate School du Ministère de l’agriculture des États Unis, William Edwards Deming, qui par un détour par des entreprises japonaises et leur kaizen (amélioration permanente) aurait diffusé le TQM aux États Unis42. Dans le quality management, il s’agit de faire participer tout le monde au management de l’entreprise : motivation, « involvement », « job enrichment and empowerment » sont des notions-clés43. On favorise l’esprit d’équipe, ainsi qu’un « leadership »44 charismatique. Luc Boltanski et Ève Chiapello ont rencontré des concepts très semblables dans leur étude du discours du management des années 1990 par rapport à celui des années 1960, publié au

39 Power, Michael, The Audit Society: Rituals of Verification, Oxford, N.Y., Oxford University Press, 1999, p. 104. 40 « La LOLF, qu’est-ce que c’est ? », Site du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, dernière mise à jour : août 2010. URL : http://www.education.gouv.fr/cid31/la-lolf-qu-est-ce- que-c-est.html. 41 Power, Michael, The Audit Explosion, op. cit., p. 12-14. 42 J’ai consulté (en 2015) douze ouvrages de référence sur le (total) quality management de la bibliothèque universitaire de Paris Dauphine ; on y trouve notamment une histoire, à tendance hagiographique, qui se veut retracer ses origines : Bernard, Claude Yves, Le management par la qualité totale. L’excellence en efficacité et en efficience opérationnelle, AFNOR, 2000 ; Besterfield, Dale H. et al, Total Quality Management, 1995 ; Boéri, Daniel, Maîtriser la Qualité. Tout sur la certification et la qualité totale. Les nouvelles normes ISO 9001, 2001 ; Deming, W. Edwards, Out of the Crisis, 2000 (1e éd. 1982) ; Gogue, Jean-Marie, Management de la Qualité, 5e éd. 2009 ; Hand, Max & Plowman, Brian (ed), Quality Management Handbook, 1992 ; Hayes, Glenn E., Quality Assurance : management & technology, 1974 ; Ishikawa, Kaoru (traduit et adapté par Douchy), La gestion de la qualité. Outils et applications pratiques, 2002 ; Marvanne, Patrice, Le VadeMecum de la Qualité Totale, coll. Pratiques d’entreprises, 2001 ; Oakland, John S., Total Quality Management, Portsmouth, New Hampshire, Heinemann Professional Publishing, 1989 ; Shewart, Walter A. (traduit et présenté par Gogue), Les fondements de la Maîtrise de la Qualité, 1989 ; Zink, Klaus J., Total Quality Management as a Holistic Concept. The European Model for Business Excellence, 1998 ; voir aussi sur le TQM : Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking: l’État sous pression statistique, op. cit.; Stauss, Bernd, « Total Quality Management und Marketing », Marketing: Zeitschrift für Forschung und Praxis, vol. 16, n°3, 1994, p. 149-159 ; McGowan, Robert P., « Total Quality Management: Lessons from Business and Government », Public Productivity & Management Review, vol. 18, n°4, 1995, p. 321-331. 43 Hayes, Glenn E., Quality Assurance, op. cit., p. 427 ; Besterfield, Dale H. et al, Total Quality Management, op. cit, p. 58 ; Zink, Klaus J., Total Quality Management as a Holistic Concept, op. cit, p. 18. 44 Hayes, Glenn E., Quality Assurance, op. cit., p. 430.

24 premier chapitre de leur Nouvel esprit du capitalisme45. Le management qu’ils étudient, des années 1990, prône l’épanouissement personnel, la libération, le développement personnel, fondé sur une connaissance de soi, une vraie autonomie et un management plus humain46. Le TQM, lui aussi, dit se fonder sur une « compréhension de la nature humaine »47. En d’autres termes, ce management se veut le contraire de l’aliénation par l’organisation du travail taylorienne. Le TQM s’oppose explicitement au management par objectifs48. Ce rejet ne vise cependant pas le fait de suivre des objectifs, mais ces objectifs ne doivent pas être imposés : il s’agit de se fixer ses objectifs soi-même. L’ « auto-contrôle »49 est privilégié : la « seule solution pour contrôler l’incontrôlable » selon Boltanski et Chiapello50. Cette ambiguïté semble inhérente aux définitions aussi bien du TQM que du NPM, et résulte de la limite, très ténue semble-t-il, entre autodiscipline et discipline exercée de l’extérieur ; c’est une distinction sur le fil du rasoir qui se retrouvera aussi dans l’emploi du terme « autonomie » dans les diverses sources de nos études de cas. Le benchmarking est un instrument de gestion développé en entreprise, par Toyota et la compagnie américaine Xerox – il est étudié, chez Isabelle Bruno notamment, comme instrument du NPM. Dans un souci de compétitivité, l’amélioration continue a été érigée comme un objectif alternatif à la course à la productivité – produire mieux au lieu de produire seulement plus. Pour pouvoir s’améliorer, les acteurs eux-mêmes prennent connaissance des « meilleures pratiques » dans leur domaine, les érigent en standards à atteindre, tout en les réévaluant en permanence. L’instance de contrôle est le client ou consommateur. Par la réflexion continue sur leur propre position par rapport au benchmark mouvant et par définition inatteignable, les acteurs participent à leur propre gestion. Ils entrent en « coopétition » avec les autres acteurs de leur domaine, qui sont leurs collaborateurs dans la détermination des benchmarks, mais également leurs compétiteurs dans la poursuite de ces objectifs51. Enfin, notons encore que certains manuels de TQM parlent explicitement de son utilité pour les services publics : malgré leurs avantages, ils donnent lieu à un laisser-faire naturel qui débouche sur de profondes carences en management, tolérant des gaspillages et menant à

45 Boltanski, Luc et Chiapello, Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999. 46 Ibidem, p. 150-159. 47 Besterfield, Dale H. et al, Total Quality Management, op. cit, p. 45. 48 Gogue, Jean-Marie, Management de la Qualité, op. cit, p. 104. 49 Boéri, Daniel, Maîtriser la Qualité, op. cit, p. 19. 50 Boltanski, Luc et Chiapello, Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit., p. 135. 51 Bruno, Isabelle, « La recherche scientifique au crible du benchmarking. Petite histoire d’une technologie de gouvernement », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°55‑4 bis, 2008, p. 28-45.

25 une appropriation excessive des richesses (par les impôts) et « entrainant les causes profondes du chômage »52. Le positionnement politique (sur ce que doit être un État) du TQM est ainsi assez explicite et peut être qualifié de « néolibéral » – certains auteurs identifient d’ailleurs le NPM comme néolibéral, et pas uniquement ses critiques les plus acerbes, comme par exemple Chris Lorenz53. Ces travaux contribuent à dresser le portrait d’une nouvelle manière de gérer l’espace public, dont l’évaluation participe, et qui recourt à des techniques venant du monde marchand. Les analyses font part d’un certain consensus à ce sujet, qui serait notamment lié aux tendances hégémoniques du néolibéralisme et à la fonction de l’OCDE comme tête de pont du NPM dans les pays membres54. Ces interprétations vont parfois de pair avec celle d’une économicisation de l’ESR.

3. L’analyse des effets de ces transformations

Un troisième aspect semble susciter le consensus dans la littérature et porte sur les effets – critiqués – de certains outils d’évaluation sur les universités, l’enseignement supérieur et la recherche. Ces travaux portent sur les outils quantitatifs : ce sont eux qui sont étudiés en tant qu’outils de l’évaluation55. L’évaluation de la recherche a en effet très souvent recours à des mesures quantitatives, objectivantes, nous indique Séverine Louvel, comme des comptages de publications, la bibliométrie, des classements, indices de citations et autres indicateurs de performance, qui, une fois formalisés, doivent permettre d’évaluer à distance56.

52 Bernard, Claude Yves, Le management par la qualité totale, op. cit, p. 19-21. 53 Par exemple de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Schimank, Uwe, « On the Way towards New Public Management? The Governance of University Systems in England, the Netherlands, Austria, and », in Jansen, Dorothea, (éd.). New Forms of Governance in Research Organizations, Dordrecht, Springer, 2007, p. 137-152, [En ligne : http://link.springer.com/chapter/10.1007/978-1-4020-5831-8_5]. Pour la position de Chris Lorenz, voir Lorenz, Chris, « If You’re So Smart, Why Are You under Surveillance? Universities, Neoliberalism, and New Public Management », op. cit. 54 Bruno, Isabelle, « La recherche scientifique au crible du benchmarking », op. cit. 55 Les études de cas empiriques de cette thèse donneront l’occasion de parler des technologies ne mobilisant pas de chiffres (comme les questionnaires et formulaires à remplir par les évalués par exemple) ; la littérature parle des pratiques d’évaluation non chiffrée essentiellement dans les travaux en valuation studies : Lamont, Michèle, « Toward a Comparative Sociology of Valuation and Evaluation », Annual Review of Sociology, vol. 38, n°1, août 2012, p. 201-221 ; Rosental, Claude, « Book Review: Social studies of evaluation: Michele Lamont, How Think: Inside the Curious World of Academic Judgment », Social Studies of Science, vol. 40, n°3, juin 2010, p. 481-484 ; « Introduction » et « Conclusion », in Dussauge, Isabelle, Helgesson, Claes-Fredrik et Lee, Francis (éd.), Value practices in the life sciences and medicine, Oxford, Oxford University Press, 2015 ; Vatin, François (dir.), Évaluer et valoriser : une sociologie économique de la mesure, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2013. 56 Louvel, Séverine, « Avant-propos : réinterroger l'évaluation comme technologie de ‘pilotage à distance’ du secteur public. L'exemple de la recherche », Quaderni, n°77, 1/2012, p. 5-10.

26 L’histoire de la bibliométrie57 peut être retracée jusqu’aux années 1950, notamment grâce aux travaux de Paul Wouters58. Comme l’expliquent David Pontille et Didier Torny, les outils bibliométriques ont d’abord eu le sens d’assister les bibliothèques et les activités de recherche, puis ont servi aux revues et chercheurs pour construire leur légitimité au sein du monde académique, et ensuite seulement pour les preneurs de décision et les politiques ; ils sont devenus des instruments de l’évaluation59. Devant l’énorme succès de certains outils bibliométriques y compris auprès des universitaires eux-mêmes (l’enthousiasme a d’après Peter Weingart souvent remplacé un « scepticisme bien fondé »60), de très nombreux auteurs s’accordent à mettre en garde contre des outils bibliométriques trop simplistes ou mal utilisés : les impact factors des revues par exemple sont l’outil le moins pertinent mais le plus populaire chez les décideurs et dans les médias. Ces outils ne doivent jamais être utilisés comme chiffres prêts à l’emploi et sans peer review : les risques sont notamment de ne favoriser plus que des recherches conventionnelles, de favoriser la quantité au détriment de la qualité, et que la concurrence instaurée mène à la perte de domaines de recherche et à la création d’oligopoles61. Les inquiétudes quant aux effets des classements de revues, et ensuite d’institutions de recherche et d’enseignement supérieur, sont semblables. Le classement de ce type le plus connu est le Shanghai ranking, publié pour la première fois en 2003, mais Julie Bouchard a montré que de tels classements ont été développés par la presse, à plus petite échelle, dès la fin des années 197062. Pour classer les « meilleures universités mondiales », le classement de Shanghai prend en compte le nombre de prix Nobels obtenus par les chercheurs ainsi que des

57 Proche de la scientométrie (étude quantitative des activités scientifiques), il s’agit d’une technologie de calcul permettant d’appréhender la production scientifique. La plupart du temps, il s’agit de compter le nombre de citations d’un texte, pratique qui n’est évidente qu’à partir du moment où les formes de références sont standardisées, et que s’est créée une forme de « culture de la citation », cf référence suivante. 58 Wouters, Paul, The Citation Culture, , 1999 ; id., « Aux origines de la scientométrie: La naissance du Science Citation Index », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 164, n°4, 2006, p. 11-22, [En ligne : http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2006-4-page- 11.htm]. 59 Pontille, David et Torny, Didier, « La manufacture de l'évaluation scientifique. Algorithmes, jeux de données et outils bibliométriques », Réseaux, n° 177, 2013/1, p. 23-61. 60 Weingart, Peter, « Impact of bibliometrics upon the science system: Inadvertent consequences? », Scientometrics, vol. 62, n°1, 2005, p. 119. 61 Ibidem ; Butler, Linda, « Assessing university research: a plea for a balanced approach », Science and Public Policy, vol. 34, n°8, 2007, p. 565-574, [En ligne : http://spp.oxfordjournals.org/content/34/8/565.short] ; Donovan, Claire, « Introduction: Future pathways for science policy and research assessment: metrics vs peer review, quality vs impact », Science and Public Policy, vol. 34, n°8, 2007, p. 538-542, [En ligne : http://spp.oxfordjournals.org/content/34/8/538.short] ; Hicks, Diana, Wouters, Paul, Rafols, Ismael et al., « The Leiden Manifesto for research metrics », Nature, vol. 520, avril 2015, p. 429-431 ; Leydesdorff, Loet, « Caveats for the Use of Citation Indicators in Research and Journal Evaluations », Journal of the American Society for Information Science and Technology, vol. 59, n°2, 2008, p. 278-287. 62 Bouchard, Julie, « La fabrique d'un classement médiatique de l'enseignement supérieur et de la recherche », Quaderni, n°77, 1/2012, p. 25-40.

27 outils bibliométriques 63 . Bien qu’il classe les universités, ce classement porte donc exclusivement sur la recherche. Malgré les nombreuses critiques de cet instrument, dont celles d’Yves Gingras64, Christine Barats et Jean-Marc Leblanc montrent la popularité qu’a acquise cet instrument aussi en France, grâce aux médias français, allant jusqu’à inspirer les politiques de regroupement d’entités de recherche et d’enseignement supérieur pour accroître leur « visibilité internationale », menées par la ministre de l’ESR Valérie Pécresse (2007-2010)65. Là encore, les chercheurs mettent en garde contre les dysfonctionnements de ce raisonnement66 : en effet, la taille n’est pas une variable explicative du classement67. Ces inquiétudes ont généré jusqu’à la publication d’un manifeste, le Leiden Manifesto déjà cité précédemment, pour la bonne utilisation des métriques pour étudier (ou évaluer) la recherche scientifique68. La performativité de l’évaluation a été analysée par Wendy Espeland et Michael Sauder comme une proposition qui se réalise d’elle-même (self fulfilling prophecy)69 : Grégoire Chamayou explique que si l’évaluation a lieu dans un contexte introduisant des mesures managériales dans la recherche et l’enseignement supérieur, les chercheurs seront conçus – et certains agiront – comme des entrepreneurs de soi70. Ainsi, l’évaluation et ses outils modifient les comportements des chercheurs : pour réussir dans le monde académique, il faut augmenter ses indices de publications et de citations. Or pour cela, comme dénonce Grégoire Chamayou, il convient de publier des petites unités et non des ouvrages entiers, de faire scandale pour être cité-e, et de minimiser le temps alloué à des activités non rentables comme l’administration, l’enseignement, et même la

63 Gingras, Yves, « La fièvre de l’évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs », Note de Recherche, CIRST, UQAM, Montréal, 2008. 64 Ibidem. 65 Barats, Christine et Leblanc, Jean-Marc, « Généalogie de la co-construction médiatique du ‘classement de Shanghai’ en France. Corpus de presse et usages sociodiscursifs », Mots, Les langages du politique, n°102, 2013/2, p. 67-83. Ces politiques ont mené en France à la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) créés en 2006, suivis des communautés d’universités et d’établissements (ComUE) en 2013 et des fusions d’universités – l’idée étant qu’en augmentant les effectifs, les performances chiffrées à l’échelle d’un établissement lui permettraient de monter dans les classements. 66 Grossetti, Michel, « Réflexions sur les regroupements d’universités et les politiques d’“excellence” », HAL archives ouvertes, 2017. 67 Stoczkowski, Wiktor, « « Une Grenouille vit un Bœuf qui lui sembla de belle taille… », ou comment (ne pas) moderniser les universités françaises », The Conversation, 29 novembre 2017, [En ligne : https://theconversation.com/une-grenouille-vit-un-boeuf-qui-lui-sembla-de-belle-taille-ou-comment-ne-pas- moderniser-les-universites-francaises-86743]. 68 Hicks, Diana, Wouters, Paul, Rafols, Ismael et al., « The Leiden Manifesto for research metrics », op. cit. 69 Espeland, Wendy N., et Sauder, Michael, « Rankings and Reactivity: How Public Measures Recreate Social Worlds », American Journal of Sociology, vol. 113, n°1, juillet 2007, p. 1‑40. 70 Chamayou, Grégoire, « Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation », Revue du Mauss, L'Université en crise. Mort ou résurrection ?, n°33, 2009, p. 146-165.

28 recherche, si ce n’est pour permettre rapidement une publication71. Ces comportements sont étudiés comme des effets pervers des formes d’évaluation en question ; Richard Münch appelle ce phénomène « Evaluitis » (en allemand : maladie de l’évaluation)72. Certaines critiques se sont regroupées dans le mouvement pour la Slow Science, ou de la « désexcellence », en opposition aux politiques d’excellence dans l’enseignement supérieur et la recherche73. Parmi ces modifications de comportement, on peut encore citer ce que Mario Biagioli et ses collègues appellent le academic misconduct : des tentatives frauduleuses d’augmenter ses taux de publication, par le plagiat ou le court-circuitage du peer review anonyme par exemple74. Le succès des canulars soumis à des revues pour dénoncer les dysfonctionnements dans les mécanismes de peer review est également interprété comme conséquence de la pression à publier75. En somme, ces travaux, souvent critiques, sur les effets de l’évaluation et les critiques par l’absurde montrent que certaines formes d’évaluation ont des effets économiques et financiers mais aussi sociaux, sur l’organisation et la structure des entités évaluées et sur les personnels. Mais les critiques ne sont pas toujours contre toute forme d’évaluation et proposent le plus souvent des aménagements aux systèmes en place et aux outils employés afin d’éviter les dégâts. Richard Whitley et Jochen Gläser par exemple distinguent les effets désirés et involontaires des systèmes d’évaluation de la recherche. Selon eux, les effets désirés, à savoir améliorer la qualité de la recherche, sont parfois perturbés par des dysfonctionnements menant à une perte de diversité dans la recherche ou une instabilité des carrières : ce sont des externalités négatives76.

71 Chamayou, Grégoire, « Petits conseils aux enseignants-chercheurs… », op. cit. ; Charle, Christophe, « L'évaluation des enseignants-chercheurs. Critiques et propositions », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°102, 2009/2, p. 159-170 et Power, Michael, The Audit Explosion, op. cit. 72 Münch, Richard et Baier, Christian, « Institutional Struggles for Recognition in the Academic Field: The Case of University Departments in German Chemistry », Minerva, vol. 50, n°1, mars 2012, p. 97-126 ; Münch, Richard et Schäfer, Len Ole, « Rankings, Diversity and the Power of Renewal in Science. A Comparison between Germany, the UK and the US », European Journal of Education, vol. 49, n°1, mars 2014, p. 60-76, [En ligne : http://doi.wiley.com/10.1111/ejed.12065]. 73 Gosselain, Olivier, « Slow Science. La désexcellence », Uzance, Revue d’Ethnologie européenne de la Fédération Wallonie-Bruxelles, vol. 1, 2011, p. 128-140. 74 Biagioli, Mario, « Watch out for cheats in citation game », Nature, vol. 535, n°7611, juillet 2016, p. 201-201, [En ligne : http://www.nature.com/articles/535201a] ; Biagioli, Mario, Kenney, Martin, Martin, Ben R. et al., « Academic misconduct, misrepresentation and gaming: A reassessment », Research Policy, vol. 48, n°2, mars 2019, p. 401-413, [En ligne : https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0048733318302658]. 75 Voir par exemple cette tribune de chercheurs: « Canulars scientifiques, revues prédatrices et « slow science » », Le Monde, 30 octobre 2018, https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/30/canulars- scientifiques-revues-predatrices-et-slow-science_5376660_1650684.html. 76 Voir la conclusion de Whitley, Richard et Gläser, Jochen, The changing governance of the sciences. The advent of research evaluation systems, Dordrecht, Springer, 2007, p. 245 [En ligne : http://site.ebrary.com/id/10223428].

29 On peut remarquer un assez large consensus sur les effets observés de certaines formes d’évaluation sur le comportement des enseignants et chercheurs : que ce soit chez leurs critiques plus radicales exprimées par exemple par Grégoire Chamayou, Richard Münch ou Chris Lorenz ou dans les analyses des systèmes d’évaluation avec une charge critique moindre, chez Richard Whitley et Jochen Gläser par exemple. Ce consensus relatif se retrouve dans les mises en garde sur l’utilisation des dispositifs d’évaluation, dans le Leiden manifesto pour ne citer que cet exemple – avec évidemment des divergences dans les positions politiques à adopter en réaction.

II. Problèmes que me pose la bibliographie

Les interprétations, dans ces travaux, du phénomène « évaluation » construisent des récits explicatifs éminemment utiles pour notre compréhension des transformations de nos sociétés, des services publiques, y compris l’enseignement supérieur et la recherche – essentiellement, à mon sens, pour la compréhension des effets de ces transformations. Elles alimentent des débats très riches à ce sujet, auxquels je participe volontiers également. Ces travaux déploient de plus des études d’objets et de contextes extrêmement variés, ce qui permet de complexifier les récits explicatifs décrits à partir de points de vue différents. Toutefois, ces récits – pour simplifier, ceux de l’économicisation et de la néomanagérialisation – posent plusieurs problèmes : lorsque j’observe l’émergence de ce que les acteurs appellent « évaluation » dans les universités françaises et néerlandaises des années 1980 et 1990, à partir des archives de l’époque, les argumentaires desdits récits ne sont pas centraux. Pourtant, les acteurs parlent bien d’ « évaluation », cela a lieu dans l’ESR, et ils la présentent comme une nouveauté. Mais ils ne parlent ni du NPM, ni de logiques marchandes, et ces questions ne semblent pas du tout centrales dans leurs choix et motivations. Les préoccupations sont ailleurs. Comment alors expliquer ce hiatus entre mon matériau empirique et la littérature, foisonnante, sur les phénomènes d’ « évaluation » dans l’ESR ? En quoi consistent ces écarts, et donc les déplacements que je propose d’opérer par rapport à la littérature ?

1. Une autre époque

Un premier élément qui permet d’expliquer ce hiatus est que mes recherches ne portent pas sur la même période : alors que cette thèse propose d’explorer des formes dites d’ « évaluation » dans les années 1980 et 1990, la littérature porte avant tout sur les années

30 2000 et 2010, très rarement sur les années 1980 voire 1990. En effet, nous avons vu qu’en ce qui concerne la France, les travaux nous parlent de la LRU, de l’ANR, de l’AERES, de la LOLF, et donc des années 2000. Les analyses du paysage néerlandais en termes de NPM et d’universités-entreprises portent également davantage sur la fin des années 1990 et les années 200077. Les nombreux travaux sur les transformations dans les universités et la recherche en Allemagne, dont par exemple ceux de Richard Münch et Christian Baier ou de Uwe Schimank, indiquent eux aussi une forte présence des recettes NPM dans les années 200078. Si je regarde une autre période que la leur, rien d’étonnant à ce que leurs récits explicatifs ne soient pas opérants. Pourquoi alors ces interprétations continuent-elles à me poser problème ? La littérature en question s’interroge parfois sur les origines des développements qu’elle décrit : dans ces cas-là, elle les situe invariablement dans les années 1980. C’est par exemple le cas de Harry de Boer, Jürgen Enders et Uwe Schimank, qui étudient des formes d’évaluation comme éléments constitutifs du NPM dans l’ESR des années 2000, ici au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Autriche et en Allemagne79. Pour eux, les années 1980 sont le point de départ des transformations vers des modes de gouvernance néomanagériaux dans les universités européennes. Or, la recherche de de Boer, Enders et Schimank ne porte pas dans le détail sur les années 1980 : elles ne sont mobilisées que rapidement en tant que période d’origine des développements étudiés. Le problème de cette interprétation est qu’elle nous amène à porter un regard téléologique, et donc anachronique, sur les années 1980, en tant que point de départ de développements qui concorderaient depuis cette époque à instaurer des régimes néomanagériaux dans les systèmes d’ESR – ce que mes recherches m’amènent à nuancer voire contester. En effet, l’explication de la néomanagérialisation ne me permet pas de comprendre pourquoi l’association des universités néerlandaise œuvre en 1984 pour installer un système de visite des universités, tout en refusant par exemple que soient établis des

77 Par exemple chez de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Westerheijden, Don, « From paper to practice: two reforms and their consequences in Dutch higher education », in Gornitzka, Ase, Kogan, Maurice et Amaral, Alberto, Reform and change in higher education. Analysing policy implementation, Dordrecht, Springer, 2005, p. 101 ; Kroeze, Ronald et Keulen, Sjoerd, « De universiteit is er voor onderwijs en onderzoek, niet voor de winst », op. cit. ; Halffman, Willem et Radder, Hans, « The Academic Manifesto: From an Occupied to a Public University », op. cit. 78 Münch, Richard et Baier, Christian, « Institutional Struggles for Recognition in the Academic Field: The Case of University Departments in German Chemistry », op. cit. ; Schimank, Uwe, « “New Public Management” and the Academic Profession: Reflections on the German Situation », Minerva, vol. 43, n°4, décembre 2005, p. 361-376. 79 de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Schimank, Uwe, « On the Way towards New Public Management? The Governance of University Systems in England, the Netherlands, Austria, and Germany », op. cit.

31 classements à partir de ses rapports d’évaluation des formations universitaires (le classement étant un outil par excellence de ces nouvelles formes de management). Lorsqu’ils évoquent cette question des origines, les travaux s’appuient notamment sur des études historiques des nouvelles formes de management et de leur diffusion : les travaux de Sjoerd Keulen et Ronald Kroeze aux Pays-Bas80 et ceux de Philippe Bezes ou Marie-Laure Djelic en France81, par exemple, retracent effectivement ces histoires jusqu’aux années 1980 – mais ils ne portent pas sur l’ESR. Keulen et Kroeze nous parlent par exemple du ministère néerlandais de l’environnement, Bezes des écoles de gestion puis des hauts fonctionnaires en France, et Djelic des entreprises françaises. Ainsi, lorsque les travaux sur l’ESR des années 2000 et 2010 attribuent les origines des transformations qu’ils observent aux années 1980, cette affirmation ne se base pas sur une étude détaillée, historique, de l’ESR à cette période – ce à quoi je propose de contribuer dans cette thèse.

2. Une autre échelle

Un deuxième élément d’explication au décalage entre mon matériau empirique et la littérature est le niveau d’analyse. En effet, l’exemple pris ci-dessus, le chapitre d’ouvrage de Harry de Boer, Jürgen Enders et Uwe Schimank, est un article collectif dans un ouvrage collectif, et il cherche à dégager des tendances lourdes, à un niveau d’interprétation assez élevé, portant sur plusieurs pays. C’est le cas de nombreux autres ouvrages collectifs présentés au début de cette introduction82. De Boer, Enders et Schimank concèdent eux- mêmes que leur approche « macro » masque des dynamiques plus fines. En effet, ces travaux tentent souvent de donner une explication aux transformations qu’ils analysent : l’économicisation, la néomanagérialisation, le néolibéralisme. Malgré tout l’intérêt de telles analyses à leurs échelles, les appliquer à mes cas d’études risquerait d’aplanir les reliefs, les trajectoires différentes et les autres dynamiques que je peux observer à mes échelles, à savoir celles d’une institution française et d’une institution néerlandaise.

80 Keulen, Sjoerd et Kroeze, Ronald, « Introduction: The era of management: a historical perspective on twentieth-century management », Management & Organizational History, vol. 9, n°4, octobre 2014, p. 321-335. 81 Bezes, Philippe, « État, experts et savoirs néo-managériaux: Les producteurs et diffuseurs du New Public Management en France depuis les années 1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, 2012, vol. 193, no 3, p. 16-37 ; Djelic, Marie-Laure, « L’arrivée du management en France : un retour historique sur les liens entre managérialisme et Etat », Politiques et management public, vol. 22, n°2, 2004, p. 1-17. 82 Par exemple Paradeise, Catherine, Reale, Emanuela, Bleiklie, Ivar et Ferlie, Ewan (éd.), University governance. Western European comparative perspectives, op. cit. ; Simon, Dagmar, Knie, Andreas, et Hornbostel, Stefan (éd.), Handbuch Wissenschaftspolitik, op. cit. ; Whitley, Richard et Gläser, Jochen, The changing governance of the sciences. The advent of research evaluation systems, op. cit.

32 En effet, lorsque j’étudie les archives du Comité national d’évaluation (CNÉ) français ou de l’association des universités néerlandaises (VSNU), je constate que plusieurs phénomènes sont à l’œuvre : à côté, éventuellement, de la knowledge economy et du NPM, d’autres agendas meuvent les personnes à l’origine des systèmes d’évaluation que je propose d’étudier dans cette thèse, et ces différentes dynamiques s’entremêlent. Par exemple, l’expansion massive de la population estudiantine et enseignante est une des dynamiques qui préoccupe le plus ces acteurs : les universités se retrouvent dans des conditions de travail très différentes et ne peuvent plus fonctionner comme avant. Ainsi, peut-être que l’ « évaluation » est aussi une manière de répondre à l’expansion universitaire. Un deuxième élément pose problème dans ces travaux qui tentent d’expliquer par le même phénomène des évolutions dans plusieurs lieux et pays : que faire des différentes trajectoires d’un pays à l’autre ? Pour Christine Musselin, par exemple, les réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche en Europe ont pris place avec des temporalités et à des rythmes différents selon les pays. Ainsi, ces réformes, comprenant l’institutionnalisation de diverses formes d’évaluation, auraient été rapides et radicales en Grande Bretagne, plus progressives mais précoces aux Pays Bas et tardives en France83. Plutôt que des rythmes de pénétration différents des mêmes dynamiques (mais cela reste un débat que je ne voudrais pas trancher a priori), mes cas d’étude permettent de voir des trajectoires différentes : nous allons voir qu’aux Pays-Bas l’ « évaluation » nait de négociations entre universités et gouvernement, dans un certain consensus, tandis qu’en France le CNÉ émerge dans (ou malgré) une incompatibilité fondamentale entre les projets de certains universitaires et le ministère en place.

3. D’autres acteurs

Un troisième écart, enfin, entre une partie de la littérature et mes recherches, concerne les acteurs auxquels on attribue les transformations analysées : sont-elles d’origine endogène ou exogène ? L’analyse en terme de NPM véhicule l’idée que des recettes sont empruntées à l’extérieur de l’université (le quality management vient des entreprises) et importées dans les universités – que donc les réformes et évolutions dans l’ESR ont lieu sous les effets de l’extérieur. De telles prises de pouvoir ont eu lieu dans d’autres domaines, d’ailleurs précisément à la même époque : c’est le cas, par exemple, des entreprises multinationales dans la gestion des problèmes environnementaux entre 1988 et 1992. Elles s’imposent non

83 Musselin, Christine, « Les réformes des universités en Europe », op. cit.

33 seulement par leurs recettes (techniques de management, audits, labels, certifications) mais également par l’adoption de ces dernières par les politiques publiques84. Un autre exemple encore : Isabelle Bruno et Emmanuel Didier étudient l’introduction d’outils de benchmarking venus des entreprises dans les hôpitaux états-uniens dans les années 1980, et leur adoption dans les hôpitaux en France dans les années 200085. En ce qui concerne les transformations dans l’ESR, nous avons vu les travaux sur la déprofessionnalisation de la profession académique, qui suggèrent une prise d’influence par des acteurs extérieurs86. Mais la littérature n’est pas unanime sur ce point et certains analysent les développements comme endogènes, David Pontille et Didier Torny par exemple au sujet des outils bibliométriques87. Clémentine Gozlan, dans son travail sur l’AERES, montre également comment les membres de communautés scientifiques sont à l’origine de la définition des critères d’évaluation88. Peut-être que les transformations analysées et dénoncées comme NPM ne sont pas simplement le résultat de réformes imposées de l’extérieur ; peut- être qu’au contraire, comme le dit Stefan Collini, « universities are doing it to themselves »89. Dans les cas qui m’occupent, j’observe une certaine endogénéité. Comme nous allons voir, il n’y a pas de projet néomanagérial ni de managers à l’origine de la VSNU ni du CNÉ. En 1984-85, ce sont des présidents d’universités néerlandais qui s’associent, notamment pour empêcher l’ingérence ministérielle, et qui proposent un système de « visites » dans l’enseignement supérieur. L’évaluation n’est pas ici qu’une politique publique visant à introduire des logiques marchandes dans les universités. En 1981, Laurent Schwartz, médaille Fields et anticolonialiste, esquisse les premiers traits d’une « instance d’évaluation » qui devrait servir aux universités à avoir un retour sur leurs activités, afin de pouvoir s’adapter au

84 On trouve une synthèse de cette histoire chez Pestre, Dominique, « Les entreprises globales face à l’environnement, 1988-1992. La révolution des engagements volontaires, du management vert et labels privés », à paraître en 2020 dans Le mouvement social. Entre temps, il en évoque des éléments dans Pestre, Dominique, « La mise en économie de l’environnement comme règle. Entre théologie économique, pragmatisme et hégémonie politique », in Pestre, Dominique et Boudia, Soraya, (dir), numéro spécial sur « Les mises en économie de l’environnement », Écologie et Politique, n°52, 2016, p. 19-44. 85 Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking : l’état sous pression statistique, op. cit. 86 Vilkas, Catherine, « Des pairs aux experts : l’émergence d’un « nouveau management » de la recherche scientifique ? », op. cit. ; Gülker, Silke, Simon, Dagmar et Torka, Marc, « Evaluation of science as consultancy? », op. cit. 87 Pontille, David et Torny, Didier, « La manufacture de l'évaluation scientifique », op. cit. 88 Gozlan, Clémentine, « L’autonomie de la recherche scientifique en débats : évaluer l’« impact » social de la science ? », Sociologie du Travail, vol. 57, n°2, avril 2015, p. 151-174, [En ligne : http://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0038029615000230]. 89 Collini, Stefan, « Sold out », London Review of Books, vol. 35, n°20, 24 octobre 2013, p. 3-12, [En ligne : https://www.lrb.co.uk/v35/n20/stefan-collini/sold-out] ; il fait un compte-rendu des ouvrages de Brown, Roger et Carasso, Helen, Everything for Sale? The Marketisation of UK Higher Education, Routledge, 2013 et de McGettigan, Andrew, The Great University Gamble: Money, Markets and the Future of Higher Education, Pluto, 2013.

34 nouvel afflux de populations étudiantes et à forger leur nouvelle place dans la société. Il n’a certainement pas de projet néomanagérial importé de l’extérieur dans les universités.

Pour ces raisons, les interprétations aujourd’hui dominantes des formes d’ « évaluation » comme agents de l’économicisation ou de la néomanagérialisation dans l’ESR sont mal adaptées à mes objets d’étude : elles portent sur une autre période, opèrent à d’autres échelles, et attribuent des origines exogènes aux phénomènes observés. Plaquer ces récits interprétatifs à mes objets d’étude serait anachronique. Ils ne rendraient pas justice à ce que les personnes impliquées projettent et font dans les années 1980 ; ne pas prendre en compte ces acteurs revient à leur attribuer des intentions en bloc, et rend impossible toute compréhension de ce qui s’est passé dans les années 1980. On cherchera en vain la doxa managériale ayant pu inspirer la création de la VSNU ; on ne comprendra pas le fonctionnement du CNÉ si l’on s’attend à un outil de gouvernement pour promouvoir la knowledge economy. En retour, ces problèmes posés par la littérature signifient aussi qu’observer les émergences de la VSNU et du CNÉ vers 1985 permet de raconter des histoires très différentes des récits entendus jusqu’ici, ceux de la néomanagérialisation ou de l’économicisation – et ces histoires pourront à terme permettre de renouveler la compréhension des transformations des mondes universitaires qui nous entourent. Aussi, je propose avec cette thèse d’opérer plusieurs déplacements par rapport aux travaux existants.

III. Les déplacements que je propose d’opérer

Tout d’abord, compte tenu du hiatus entre mes objets d’études et la littérature existante, il me semble primordial d’étudier cette histoire des premiers temps de l’« évaluation » sans préjuger de sa nature. En effet, les acteurs des années 1980 parlent d’ « évaluation », mais c’est manifestement autre chose que celle analysée dans la littérature. Malgré l’homonymie, rien ne permet d’assurer à ce stade qu’il s’agit de la même chose. Ainsi, il est essentiel de rester ouverts et de ne pas surcharger d’emblée la notion, d’oublier pour un temps les interprétations qui aujourd’hui dominent. Il s’agit donc simplement, dans un premier temps, de tenter de comprendre ce qui s’est passé dans les années 1980 autour des institutions qui sont mes objets, et d’avancer dans le sens du temps.

35 1. La période

Un premier déplacement consiste, nous l’avons vu, à étudier les années 1980 et 1990, pour elles-mêmes et pas en tant qu’origine d’autre chose. Cette période m’intéresse parce qu’en 1985 sont fondées le CNÉ et la VSNU, des nouvelles institutions, les premières dans ces pays créées spécifiquement pour aller « évaluer » les universités – j’utilise ce terme ici par facilité et au prix d’une généralisation grossière, mais les chapitres qui suivent vont permettre de se rendre compte de ce que cela signifie dans le détail. Dans cette période fondatrice puis d’exercice du CNÉ et de la VSNU, trois éléments retiendront notre attention. Tout d’abord les conditions d’apparition de ces institutions. Qui sont les personnes et groupes à l’origine de leurs créations ? Que veulent-ils et elles ? Quels sont leurs intérêts, leurs préoccupations ? What are they up to ? – pour le dire à la manière de Clifford Geertz. Une fois mises en place, il faudra ensuite comprendre leur fonctionnement. Qui les compose, sous quelles contraintes œuvrent-elles, comment travaillent-elles, avec quels outils ? Finalement j’essaierai de définir l’évolution de leurs activités au fil du temps. Suivre les évènements des années 1980 et 1990 dans le sens du temps m’a finalement pris presque l’entièreté du travail de recherche pour cette thèse. Relier cela aux évaluations contemporaines, à ce qui est étudié dans les travaux présentés ci-dessus, aux années 2000 et 2010, est une seconde étape, qui dans cette thèse (ne) prend place (que) dans deux épilogues et dans la conclusion. En effet, la fin des années 1990 n’est pas la fin des activités des institutions que j’étudie, mais c’est le moment où je vois venir, dans les archives, des transformations importantes dans les régimes que je décris pour les années 1980 et 1990. L’intérêt de la perspective historique, à mon sens, est d’une part de mettre au jour la contingence des évolutions, l’enchevêtrement des projets réformateurs, des transformations et intentions des différents acteurs et d’autre part de voir que les choses changent avec le temps, que les projets peuvent se déployer ou s’inverser du fait des transformations sociales et économiques locales et internationales. Les enquêtes menées pour cette thèse montreront ce que ça a été aux débuts, dans les années 1980 et 1990, et donneront des indices des transformations à l’œuvre autour des années 2000 – de leurs natures et de leurs raisons.

2. Les échelles et le choix des cas d’étude

Un deuxième déplacement par rapport aux récits des réformes de l’ESR en Europe et au delà est de réduire l’échelle : je propose de partir de situations concrètes dans lesquelles des formes ensuite dites d’évaluation ont émergé, au niveau national, en France et aux Pays-

36 Bas. Mes cas d’étude sont nationaux, mais mon niveau d’analyse porte en réalité sur deux institutions nationales plus que sur deux pays, qui seraient encore un espace trop large à cerner (d’autant plus si je m’intéressais à toutes les formes d’évaluation de l’ESR de ces deux pays). Ces institutions m’intéressent en tant que telles, leur localité. Il n’existe que très peu de travaux sur ces deux institutions : la VSNU n’est évoquée qu’à la marge dans les travaux sur l’évaluation de la recherche néerlandaise, comme intervenant dans les réformes de l’enseignement supérieur90. Il est vrai que cette thèse ne donne pas non plus d’analyse complète de l’histoire de cette association, puisqu’elle porte essentiellement sur ses activités dites de visites des universités – mais il s’agit de son activité principale pendant ma période, et de la raison principale de sa création, comme nous le verrons. Le CNÉ est évoqué presque encore plus rarement : dans un article de Jean-Yves Mérindol91, sur deux pages d’un ouvrage de Christine Musselin92, et il fait l’objet d’une thèse sur les effets de l’auto-évaluation à laquelle se soumettaient les universités visitées par le CNÉ au début des années 200093. Étudier ces institutions et leurs activités dans ces deux pays est intéressant à plusieurs égards : tout d’abord pour les fondations contemporaines, en 1985, d’instances pour « évaluer » les universités. La France et les Pays-Bas participent plus tard au processus de Bologne et font partie dès 1994 d’un projet pilote lancé par la Commission européenne sur les méthodes d’ « évaluation » de l’enseignement supérieur, avec le Royaume-Uni et le Danemark. Le Royaume-Uni a été cité plusieurs fois jusqu’ici dans l’historiographie des réformes NPM et des réformes universitaires, en tant que « précurseur » notamment sous le gouvernement Thatcher. Il a déjà été l’objet de nombreux travaux94 et n’a pas été envisagé

90 Par exemple chez de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Westerheijden, Don, « From paper to practice: two reforms and their consequences in Dutch higher education », op. cit. 91 Mérindol, Jean-Yves, « Comment l’évaluation est arrivée dans les universités françaises », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier 2009, p. 7-27, [En ligne : http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RHMC_555_0007]. 92 Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 107-108. 93 Macarie-Floréa, Monica Roxana, Le Comite national d’évaluation: les effets de l’autoévaluation, thèse soutenue à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense sous la direction de Marie-Françoise Fave-Bonnet, 2010, [En ligne : http://bdr.u-paris10.fr/theses/internet/2010PA100091.pdf]. 94 Par exemple ici : Boulet, Elsa et Harari-Kermadec, Hugo, « Le rôle de la quantification dans le processus de marchandisation de l'université. Étude de cas d'une université anglaise », Politiques et Management public, vol. 31, n°4, 2014, [En ligne : http://pmp.revuesonline.com/article.jsp?articleId=20144] ; Butler, Linda, « Assessing university research: a plea for a balanced approach », op. cit. ; Donovan, Claire, « Introduction: Future pathways for science policy and research assessment: metrics vs peer review, quality vs impact », op. cit. ; Naidoo, Rajani, « L’État et le marché dans la réforme de l’enseignement supérieur au Royaume-Uni (1980-2007) », Critique internationale, vol. 39, n°2, 2008, p. 47-65, [En ligne : http://www.cairn.info/revue- critique-internationale-2008-2-page-47.htm] ; Paye, Simon, Différencier les pairs. Mise en gestion du travail

37 comme cas d’étude pour cette thèse. Partir du cas français s’explique tout d’abord par la réalisation de la présente thèse dans un établissement d’enseignement supérieur en France. Y ajouter le cas d’études néerlandais a d’une part l’intérêt du contraste : en effet, comme les institutions d’ « évaluation » sont installées par les gouvernements en place, il est intéressant d’avoir ces deux pays comme cas d’étude qui se trouvent au début des années 1980 dans des situations d’alternances politiques opposées. Les Pays-Bas, longtemps sous un gouvernement social-démocrate, voient alors l’élection d’un gouvernement chrétien-démocrate de « managers » autoproclamés, tandis qu’en France, où la droite a longtemps gouverné, le CNÉ est fondé par le gouvernement socialiste de François Mitterrand nouvellement élu. En France, le CNÉ intervient dans une administration centrale des universités forte et dans un monde universitaire historiquement dominé par les facultés, tandis que la VSNU émerge dans un paysage universitaire néerlandais avec des universités d’emblée plus fortes. Le cas des Pays-Bas a d’autre part l’intérêt d’avoir été par la suite présenté comme « modèle » à suivre dans d’autres pays. En 1994 a par exemple été fondée une association des universités d’Allemagne du Nord (Verbund Norddeutscher Universitäten, VNU), également pour « évaluer » l’enseignement dans les universités membres. Le VNU s’est inspiré, selon ses dires, des pratiques de la VSNU lors d’une visite à l’université de Groningen avant d’installer son propre système. Cette thèse devait à l’origine également inclure l’enquête menée sur les universités d’Allemagne du Nord, cas plus tardif mais aux acteurs à première vue semblables au cas néerlandais ; mais pour des raisons de temps, cette enquête est moins aboutie que les deux autres et a été écartée de la thèse.

3. La comparaison et les circulations

Nous avons donc des cadres d’analyse foisonnants, des objets d’études peu explorés – et de belles conditions de comparaisons. Mais cette thèse est-elle une étude comparative ? Rien n’indique a priori que les deux cas relèvent d’un même contexte ou d’une même intention ; ils semblent bien trop différents pour les comparer. De plus, la comparaison est un art difficile, et je craindrais de me polariser sur des analyses en termes de points communs qui, nécessairement, supposent simplifications, biais et raccourcis. Aborder la comparaison trop vite risquerait de miner la rigueur monographique, de grande importance pour cette thèse attachée à mettre en avant les singularités de chaque cas. Aussi, les récits détaillés de ce que fait chaque institution et du devenir de leurs projets, sont produits séparément. Cela

universitaire et encastrement organisationnel des carrières académiques (Royaume-Uni, 1970-2010), thèse de doctorat soutenue à l’Institut d’Études Politiques de Paris sous la direction de Christine Musselin, 2013.

38 n’empêche pas de tracer des parallèles lorsqu’ils se présentent. Nous partons donc des particularités de chaque cas, et attendons les conclusions pour tenter quelques généralisations. Mais même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une analyse comparative, avoir choisi deux cas d’étude plutôt qu’un permet d’être plus attentive à la singularité de chacun d’eux et à la contingence historique : il n’y a pas de cheminement typique ou évident vers l’installation de formes d’ « évaluation » communes. Encore un commentaire qui rejoint le problème de la comparaison et la recherche des points communs : comme évoqué, je ne postule pas de cause commune aux transformations de l’ESR dans les pays européens, qui relèveraient d’une sorte de « fond commun » (le management ? le néolibéralisme ?) – les situations sont tellement différentes d’un pays à l’autre. En revanche, se présente plutôt pour nous la question des circulations entre les institutions de différents pays, circulation d’idées, de modèles, d’individus. Car effectivement, il y a par exemple des contacts entre le CNÉ et la VSNU dans les années 1990. La circulation des modèles d’universités, ou de gouvernement ou de gestion de l’enseignement supérieur et de la recherche semble être une hypothèse largement partagée et une question que se pose la plupart des chercheuses et chercheurs du domaine, mais rares sont les travaux empiriques capables de montrer comment a lieu cette circulation, où se situent les contacts, ce qu’ils diffusent et ce qui ne parvient pas à circuler. Gary Rhoades et Barbara Sporn par exemple font remarquer cette lacune et proposent de s’intéresser à la circulation du concept de quality assurance entre États-Unis et Europe95. Un panel organisé au congrès de l’association française de science politique en juillet 2019 sur précisément cette thématique a également fait sentir ce manque de travaux et surtout la difficulté à saisir ce que seraient de tels modèles et en quoi circuler pourrait bien consister96. J’ai rencontré pendant mes recherches des traces de circulation, dans le sens où des personnes de différentes institutions d’évaluation nationales se sont rencontrées dans des espaces d’échanges institués : le programme sur la gestion des établissements d’enseignement supérieur de l’OCDE, ou encore un projet pilote de la Commission européenne qui retiendra notre attention dans le deuxième chapitre sur la France – des circulations entre pays mais aussi entre milieux différents, par exemple entre recherche et administration. Lorsque les

95 Rhoades, Gary et Sporn, Barbara, « Quality assurance in Europe and the US: Professional and political economic framing of higher education policy », Higher education, vol. 43, n°3, 2002, p. 355-390, [En ligne : http://link.springer.com/article/10.1023/A:1014659908601]. 96 Session thématique 36 : « De la circulation internationale des modèles d’enseignement supérieur et de recherche à l’évolution des modèles nationaux de politiques scientifiques » du 15ème Congrès AFSP & 8ème CoSPoF, Bordeaux. J’y ai présenté avec mes deux collègues Quentin Fondu et Mélanie Sargeac les résultats de notre enquête collective sur le programme sur la gestion des établissements d’enseignement supérieur de l’OCDE (1969-2008). Nous préparons la publication d’un premier article issu de cette recherche collective.

39 archives néerlandaises et françaises parlent de leur cas comme d’un modèle pour d’autres pays, je m’interroge bien sûr sur l’utilisation qui a pu être effectivement faite de la connaissance de ces systèmes dans d’autres pays. D’autant plus que j’ai mené l’enquête sur l’association des universités d’Allemagne du Nord qui indique s’être inspirée des pratiques d’évaluation de la VSNU moyennant une visite à Groningen. Mais la focale de cette thèse réside dans la saisie des moments particuliers que sont ceux de l’émergence de deux institutions dites d’évaluation des universités – et je ne suis pas encore parvenue dans mon enquête sur le cas allemand à tracer jusqu’au bout et à comprendre précisément quels sont les éléments de l’emprunt du modèle néerlandais. Ce qui me frappe dans ce cas-là sont à nouveau avant tout les différences d’avec ce que je connais des Pays- Bas, les similitudes se résumant à peu de choses. Cette difficulté empirique de retracer de tels emprunts ne signifie pas une résignation définitive, loin s’en faut, mais cette thèse ne pourrait répondre à cette problématique que de manière très insatisfaisante ; aussi, la question de la circulation des modèles (sous forme de références à ce qui se fait à l’étranger, d’invitation de collègues étrangers, d’emprunts ou pas de modèles jusque là étrangers au monde universitaire, etc.) n’y est évoquée que ponctuellement, pour tout d’abord se concentrer sur ce qui a lieu localement.

Toutes ces raisons de travailler sur le CNÉ et la VSNU, la France et les Pays-Bas, sont de « bonnes raisons ». Je tiens néanmoins à également évoquer un antécédent plus contingent à ces choix : en 2013, mon directeur de mémoire, Dominique Pestre, m’a proposé de me joindre à un groupe de recherche collective formé de cinq étudiants étant passés par le master adossé au Centre Koyré de l’EHESS, et de cinq étudiants de disciplines variées de l’université de Nimègue – l’ensemble constituant un programme extracurriculaire travaillant sur The Value of Science principalement co-encadré par Willem Halffman et Dominique Pestre. Dans ce projet, nous avons choisi d’étudier les systèmes d’évaluation des unités de recherche alors en place aux Pays-Bas (Standard Evaluation Protocol) et en France (par l’AERES) – le prétexte était tout trouvé pour se plonger dans une enquête historique sur les origines de ces formes d’évaluation-là dans ces deux pays. Cette recherche collective (étude bibliographique, étude de documents, entretiens et observations) a donné lieu à la publication d’un rapport en mai 2014 qui a été soumis au Rathenau Instituut, organe de conseil auprès du gouvernement néerlandais en matière de politiques scientifiques, et à la présidence de l’EHESS97.

97 Augustin, Manuel, Baudrin, Mathieu, Dauguet, Benoît, Di Manno, Sylvain, Van Engelen, Bas, Maliepaard, Eliza Marie, Raimbault, Benjamin, Ribberink, Nina, Seibel, Larissa et Waltzing, Aline, Valuating Sciences

40 IV. Présentation de la thèse

1. Sources

Les enquêtes présentées dans cette thèse sont avant tout construites sur l’étude des archives des diverses institutions : les archives produites par le CNÉ et la VSNU, conservées aux archives nationales des pays respectifs, en sont le matériau empirique principal. Dans le cas français, il s’agit des archives constituées par le CNÉ héritées et ensuite déposées par son successeur, l’AERES. La VSNU a procédé à des dépôts périodiques. Dans les deux cas, il s’agit d’archives écrites, quelques unes manuscrites mais pour la plupart tapées à la machine à écrire puis à l’ordinateur, datant des années 1980, 1990 et 2000. Ce sont des statuts de ces institutions, des comptes rendus de réunions, des documents de travail, des textes pour des interventions publiques, des lettres adressées aux autorités ou aux universités, des articles de presse conservés, des rapports adressés au gouvernement ou publics lorsqu’il s’agit des rapports d’évaluation, des listes et grilles, formulaires, guides et protocoles réalisés pour le travail du CNÉ et de la VSNU, et des brochures de ces institutions. La mobilisation de ces sources dans les chapitres permettra de les connaître plus en détail. Ces archives donnent bien-sûr accès à un point de vue particulier, interne aux institutions que j’étudie. Je n’ai donc pas ou peu accès à ce qui concerne leur perception de l’extérieur, par les universitaires par exemple, et aux effets de leurs activités. Je suis allée y chercher essentiellement des informations sur leur fonctionnement et leurs activités ainsi que sur leur perception d’eux-mêmes, leur représentation de soi. Les archives conservées ne sont évidemment pas la totalité des documents produits par ces institutions : il y a des lacunes dont nous savons, et probablement d’autres dont nous ne savons rien. Par exemple, pour constituer les rapports sur les universités, le CNÉ et la VSNU chargent des universitaires extérieurs de rédiger des rapports partiels : on ne les trouve malheureusement que rarement dans les dossiers. Pour reconstituer et suivre les processus d’ « évaluation », ou de « visites », j’ai puisé dans des dossiers concernant des universités, des formations et des unités de recherche différentes, afin d’élargir la variété de types de documents pris en compte. Ce corpus d’archives a pu être complété : par exemple, Laurent Schwartz ayant joué un rôle important dans la fondation du CNÉ, j’ai pu consulter ses publications sur le sujet, ainsi que des entretiens avec lui, mais aussi avec René Rémond (en tant que président de la Conférence des présidents d’universités, CPU), et Serge Hurtig (en tant que proche d’Alain

Through Research Evaluation : the Netherlands and France, Nijmegen, Radboud Universiteit Honours Academy, 2014.

41 Savary, ministre de l’enseignement) menés entre 1998 et 2000 par le Service d’histoire de l’éducation de Lyon. Des archives de la CPU ont également été utiles. L’académie royale des sciences néerlandaise (KNAW) ayant été partie prenante des procédures d’évaluation de la recherche, je suis allée consulter ses archives portant sur cette question. Par ailleurs, je n’aurais pas pu construire mes chapitres sans recours à des travaux existants sur les universités et l’ESR en France et aux Pays-Bas. Que les chercheuses et chercheurs qui m’ont guidée vers cette littérature en soient ici encore une fois vivement remerciés. Les années 1980 sont une période charnière pour ce qui concerne les témoignages oraux que l’on pourrait récolter : les personnes en zénith ou fin de carrière à l’époque sont aujourd’hui décédées. Ainsi, si je n’ai malheureusement plus pu m’entretenir avec les anciens membres du premier CNÉ ou de la VSNU de la période fondatrice, j’ai en revanche été en contact avec quelques ancien-ne-s employé-e-s de ces institutions : quatre pour le cas néerlandais et trois pour le cas français. Il ne s’agit pas d’un échantillon mais des rares contacts que j’ai pu obtenir. Parmi ces derniers, j’ai pu mener des entretiens avec cinq d’entre eux et elles (trois français, deux néerlandais – les autres contacts se sont confinés aux mails), que j’ai menés de manière semi-directive pendant une à deux heures et demie, à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Nos conversations ont porté sur leurs activités passées dans le poste qu’ils et elles occupaient, ainsi que sur leurs conceptions de leur travail. Je les traite de manière anonyme (j’informe sur leurs parcours et fonctions) sauf dans un cas où la personne concernée en exprime le souhait. Mon enquête de terrain aux Pays-Bas s’est effectuée lors d’assez courtes visites à La Haye et à Amsterdam : je m’y suis rendue trois fois pour une semaine à dix jours. J’ai passé la majeure partie de mon temps au Nationaal Archief de La Haye, mais j’ai aussi consulté des archives de la KNAW, l’académie des sciences néerlandaise, à Amsterdam, et j’ai rencontré de nombreux chercheurs et chercheuses ainsi que des témoins de mon histoire dans ces deux villes (ces contacts et d’autres ont pu être poursuivis par mail et par téléphone). Ces séjours express ont des avantages et des désavantages : pendant mes recherches, j’ai avant tout été socialisée dans le monde universitaire français et j’ai passé peu de temps aux Pays-Bas. Je suis donc plus au fait de ce qui se discute dans les séminaires et pendant les pauses café en France qu’aux Pays-Bas. En revanche, la concentration de mon enquête néerlandaise sur des périodes courtes a certainement intensifié mes échanges sur place, m’a permis des contacts peut-être plus efficaces et plus utiles pour la reconstitution de cette histoire-là et pour comprendre le contexte néerlandais. Que mes interlocuteurs soient encore une fois remerciés ici.

42 2. Plan

Comme évoqué, mes deux cas d’étude sont présentés dans deux sous-ensembles monographiques. Ils font l’objet de deux chapitres chacun, qui se suivent chronologiquement et qui scindent ma période en deux. La présentation linéaire d’une table des matières sied mal à l’architecture de cette thèse ; aussi, je propose en alternative le tableau qui suit : la lecture peut se faire dans le sens, chronologique, de la table des matières (partie I Pays-Bas puis France puis partie II Pays-Bas puis France), ou en partant d’abord du chapitre 1 puis 2 sur les Pays-Bas pour lire ensuite les chapitre 1 puis 2 sur la France.

Introduction Pays-Bas France

Chapitre 1 : Les universités Chapitre 1 : Schwartz, Savary et les néerlandaises, l’autonomie et la qualité, universités françaises, 1981-1985 1982-1987 émergence

Chapitre 2 : Le kwaliteitszorgstelsel en Chapitre 2 : L’évaluation selon le CNÉ, actes, 1987-1997 1985-1998 fonctionnement

Épilogue, 1997-2004 Épilogue, 1998-2006 transformations

Conclusions

Les premiers chapitres respectivement sur les Pays-Bas et la France portent sur les phases d’émergence des deux institutions que j’étudie. Ils débutent légèrement en amont des dates de fondation (1985) avec les prises de fonction des nouveaux gouvernements qui vont faire passer les réformes universitaires qui nous intéressent : 1982 aux Pays-Bas, 1981 en France. Ces bornes chronologiques ne nous empêcheront pas de remonter en arrière ponctuellement pour expliquer certains éléments.

43 Ces deux chapitres sont construits sur la littérature et des analyses de textes d’archives. En effet, ils consistent pour partie d’une analyse des textes programmatiques qui sous-tendent la création des deux institutions qui nous occupent : un rapport écrit pour le gouvernement de Pierre Mauroy par Laurent Schwartz en 1981, et un policy paper du gouvernement de préparé dès 1984 et amandé par les présidents d’universités réunis à la VSNU à peine créée. Ces deux chapitres décrivent les projets qui y sont portés et leur cheminement jusqu’à la fondation des systèmes dits d’évaluation ou de visites que nous étudions dans les seconds chapitres. Le chapitre sur les Pays-Bas commence par un retour sur les politiques universitaires depuis les années 1960 et la situation au début 1980 : les ministères, les équipes de direction des universités, la durée des études, les coupes budgétaires, les outils pour la politique scientifique. Ce n’est que dans un second temps qu’intervient l’analyse textuelle du policy paper en question (HOAK, « note pour l’autonomie et la qualité dans l’enseignement supérieur ») et de ce qui s’y est négocié entre VSNU et État, avec un focus particulier sur le « système d’attention à la qualité » mis en œuvre par la VSNU – institution dont on tentera de cerner la nature. Le chapitre sur la France en revanche, pour des raisons chronologiques, part du texte de Laurent Schwartz sur l’enseignement et le développement scientifique et de son projet pour les universités. Interviennent alors un autre acteur qui s’attribue aussi la paternité du CNÉ, la CPU, ainsi qu’un rapport du Collège de France pour un autre exemple de ce que peuvent être des revendications de l’époque pour l’ « autonomie » des universités. Le cheminement de ce chapitre aboutit aux écritures et à la promulgation de la loi Savary de 1984 et en quoi elle ne suit pas (ne peut pas suivre) le programme de Schwartz, mais installe tout de même le CNÉ.

La première phase s’arrête là où commence celle de l’étude du CNÉ et de la VSNU « en actes », de leur fonctionnement une fois leurs activités dites d’évaluation lancées : 1985 en France, 1987 aux Pays-Bas. Les deuxièmes chapitres de chaque cas ne courent pas jusqu’à l’arrêt des activités des deux institutions mais s’achèvent à la fin des années 1990. J’émets en effet l’hypothèse qu’on se trouve là au seuil de périodes de transformations importantes des régimes que nous aurons vu jusque-là. C’est donc davantage en fonction du début de ces transformations que je clos ces chapitres-là qu’en fonction d’une véritable fin des deuxièmes chapitres. Aux Pays-Bas, j’ai choisi comme borne une loi sur la modernisation des universités passée en 1997 ; en France, l’arrivée du nouveau délégué général du CNÉ en 1998.

44 Ces chapitres restituent le travail d’archives sur les activités des deux institutions et se nourrissent également des quelques entretiens évoqués plus haut. Ils couvrent un temps plus long et se concentrent plus que les premiers chapitres sur les continuités ; ils cherchent à cerner des pratiques qui se stabilisent. Mais dans les deux cas ces chapitres portent également attention aux changements qu’on peut y observer. Le chapitre sur les Pays-Bas commence par décrire les visites dans l’enseignement supérieur qui sont instituées dès 1987 et analyse les guides et protocoles rédigés à cet effet, ainsi que les étapes de la procédure, l’étude de soi et les indicateurs en jeu. En 1993 est installé un système parallèle pour la recherche. En plus des procédés utilisés par la VSNU, ce chapitre met en lumière les objectifs poursuivis lors de ces activités et les enjeux pour les différents acteurs. On tentera de faire sens des différences observées entre ce qui se passe dans l’enseignement supérieur et la recherche. Dans le second chapitre sur la France, c’est tout d’abord l’installation du CNÉ sous la présidence de Schwartz qui retiendra notre attention, son positionnement, ses membres, et comment se présente et se pense le CNÉ. Suivra la description de ce que le bureau du CNÉ considère comme son cœur de métier : la réflexion méthodologique et ses activités à l’international ; et donc l’analyse du fonctionnement de ce qu’ils nomment évaluation et des pratiques qui se stabilisent sous ce vocable. Ce chapitre répond au premier, puisque le CNÉ n’a pas les moyens de réaliser le programme initial de son premier président, et il explicite le périmètre d’action effectif de ce comité.

Ces quatre chapitres, cœur de la thèse et du travail empirique réalisé sur les deux cas d’étude, sont suivis, comme je l’ai annoncé, de deux épilogues : ils portent sur les transformations susmentionnées – parfois basculements parfois glissements –, qui ont lieu entre 1997-1998 et 2004-2006. Ces dernières dates sont celles des relais pris par de nouvelles institutions des activités que nous étudions dans les deuxièmes chapitres, mais ne sont pas nécessairement un aboutissement des transformations à l’œuvre. Ces épilogues se basent sur des indices trouvés en archives, glanés dans les entretiens et ma correspondance, ainsi que sur d’autres travaux de recherche. Ils évoquent pour l’essentiel les transformations législatives dans l’ESR et les modifications connues par les institutions que nous avons étudiées dans les quatre chapitres précédents : pour le cas néerlandais, l’épilogue parle de la loi pour la modernisation des universités de 1997 et des institutions-relais de la VSNU (un organe d’accréditation, NVAO, une fondation pour l’assurance qualité, QANU, et un protocole d’évaluation de la recherche, SEP). En ce qui

45 concerne la France, l’épilogue revient sur les transformations connues par les universités dans le sillage de la LRU, la création de l’ANR et de l’AERES. Bien que les éléments avancés dans ces épilogues ne constituent pas le cœur du travail empirique réalisé pour cette thèse et qu’ils comportent davantage d’hypothèses, on verra là des signaux de transformations assez nettes qui seront synthétisées dans la conclusion. Cette dernière, enfin, permet de revenir sur ce que nous avons appris des quatre chapitres de cette thèse sur ce qui est advenu dans les années 1980 en terme d’ « évaluation » dans les universités néerlandaises et françaises, de synthétiser la singularité de chaque cas d’étude, et d’expliciter en quoi cela se distingue de ce que décrivent de nombreux travaux à propos des années 2000 et 2010. Il s’agit ici de caractériser les histoires que j’annonce dans cette introduction pouvoir raconter à partir de mes recherches.

46

PAYS-BAS, CHAPITRE 1

LES UNIVERSITÉS NÉERLANDAISES, L’AUTONOMIE ET LA QUALITÉ, 1982-1987

Résumé du chapitre En 1982 arrive au pouvoir un gouvernement de managers qui souhaite diminuer l’appareil d’État. Or, si l’on suit les acteurs, l’explication des évolutions dans l’ESR par un « moment néolibéral » ne tient pas. Des années 1960 aux années 1980, les gouvernements néerlandais mènent des réformes universitaires répondant à la fois à la massification et aux mouvements étudiants et sociaux. Dans le cadre des contraintes budgétaires grandissantes, le ministère tient néanmoins à maintenir un accès aux études au plus grand nombre : il limite la durée des cursus et réforme le système des bourses, mais il reconfigure et ferme également des formations en 1983. En même temps (et dans le cadre de l’OCDE des années 1960) se développe un intérêt pour la « politique scientifique » : le ministère créé en 1974 multiplie les initiatives pour suivre les dépenses publiques pour la recherche scientifique. En 1982, un « financement conditionnel » doit accroître la part des budgets pour la recherche dans le calcul des budgets universitaires globaux. La recherche est déjà l’objet d’outils gouvernementaux, qui vont servir de référence pour le futur système de visite dans l’enseignement supérieur. En 1985, le ministère de l’enseignement et de la recherche annonce un changement des modes de gouvernement, davantage « à distance ». Au même moment, les universités se rassemblent en une association : pour être plus fortes face aux coupes budgétaires et pour empêcher que le ministère installe une inspection de l’enseignement supérieur. Cette association se mêle aussitôt du projet de gouvernement à distance pour fixer les rôles respectifs du ministère et des universités. Elles proposent notamment de s’occuper elles-mêmes de la mise en place d’un « système d’attention pour la qualité » de leur enseignement, sous l’autorité de l’inspection ministérielle, mais sans son intervention. Cette histoire permet de retracer ce que « autonomie » veut dire pour les différents acteurs et dans les différentes situations : le ministère délègue des tâches, accorde une autonomie administrative, gestionnaire, et demande des mécanismes pour rendre des comptes en retour. Les universités souhaitent une plus grande liberté de mouvement dans l’organisation de leurs activités (l’enseignement essentiellement) et veulent empêcher une trop grande intrusion du ministère – une autonomie professionnelle ou corporatiste.

*

47 I. 1982 – les néolibéraux au pouvoir ?

La date de naissance communément admise des politiques pour « évaluer » l’enseignement supérieur dans les universités néerlandaises est 1985, avec la publication, par le ministère pour l’enseignement et la recherche, de la HOAK Nota98. Il s’agit d’une note, sorte de policy paper ou document d’orientation 99 pour l’ « enseignement supérieur, autonomie et qualité » (Hoger Onderwijs, Autonomie en Kwaliteit), qui prône l’autonomie des universités en échange de qualité : une forme d’ « attention à la qualité » (kwaliteitszorg100) interne et externe doit être installée. Par ce document, le ministère souhaite modifier les modes de gouvernement des universités en installant un « gouvernement à distance », en « dérégulant » et en laissant à l’État des fonctions de supervision du bon fonctionnement du système d’enseignement supérieur101 – nous analyserons cette note en détail dans la section IV de ce chapitre. 1982 inaugure plus d’une décennie d’un gouvernement chrétien-démocrate mené par une figure de « manager » autoproclamé, Ruud Lubbers, avec comme objectif principal de réduire le déficit budgétaire par la diminution des dépenses publiques – il arrive au pouvoir après la fin des Trente Glorieuses, en même temps que Thatcher au Royaume Uni, en plein « moment néolibéral » occidental. Le premier ministre Lubbers peuple ou fait conseiller plusieurs de ses ministères par des directeurs d’entreprises (santé, culture, environnement) qui promeuvent des méthodes de management pour leurs activités politiques, dont le Total Quality Management théorisé par Deming102. Son ministre de l’environnement vient du cabinet de conseil McKinsey et son ministre des finances a été directeur de la AMRO Bank.

98 Par exemple chez Slaman, Pieter, « De omhelzing en de wurggreep. Rijksoverheid en hoger onderwijs, 1918- 2018 », in Slaman, Pieter (dir.), In de regel vrij. 100 jaar politiek rond onderwijs, cultuur en wetenschap, Ministerie van Onderwijs, Cultuur en Wetenschap, 2018, p. 247-265 [en ligne : https://www.rijksoverheid.nl/documenten/publicaties/2018/09/25/in-de-regel-vrij.-100-jaar-politiek-rond- onderwijs-cultuur-en-wetenschap] ; Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg. 75 jaar ministerie van Onderwijs [Kunsten] en Wetenschappen. 1918-1993, Van Gorcum, Assen, 1993, p. 625-778 ; Harry F de Boer, Jürgen Enders et Don F Westerheijden, « From paper to practice: two reforms and their consequences in Dutch higher education », op. cit., p. 101 ; dans l’historique sur la page web de la VSNU : http://www.vsnu.nl/nl_NL/historie.html. 99 Ce type de Nota est très courant dans les politiques publiques néerlandaises et semble avoir une fonction réformatrice tout aussi importante que l’adoption de nouvelles lois, qui parfois ne font qu’entériner des évolutions préalables. 100 Kwaliteitszorg signifie soucis pour la qualité, soin apporté à la qualité ou attention à la qualité. 101 Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Nota Hoger Onderwijs: Autonomie en Kwaliteit, vergaderjaar 1985- 1986, 19253, n°1-2, http://resourcessgd.kb.nl/SGD/19851986/PDF/SGD_19851986_0006096.pdf. 102 Kroeze, Ronald et Keulen, Sjoerd, « The managers’ moment in Western politics: The popularization of management and its effects in the 1980s and 1990s », Management & Organizational History, vol. 9, n°4, octobre 2014, p. 394-413.

48 Ces « managers » forment un gouvernement « no-nonsense » au « autocratique », sous- entendu sans rhétorique politique superflue, notamment103. À première vue, il serait tentant de prendre le raccourci qui se propose à nous : l’évaluation, un outil managérial, aurait été mis en place dans les universités par un gouvernement de managers, dans le cadre de réformes de l’appareil d’État visant à autonomiser, déréguler, à déléguer des parties de pouvoir et de gestion. Gardons ce contexte en tête : il fait certainement partie des motivations des politiques à ce moment. Malgré cette toile de fond, le lien entre les politiques managériales des années 1980 et la mise en place d’une évaluation externe des universités n’est pas aussi direct et immédiat qu’on pourrait d’abord le penser. En effet, les universités néerlandaises (nous préciserons qui) ont été très actives dans l’avènement de ces réformes et dans l’émergence des formes d’évaluation qui sont l’objet de cette thèse ; ceci n’est pas l’histoire d’une application de directives ministérielles soudainement venues d’en haut. Or, il paraîtrait pour le moins incongru d’imputer a priori aux universités des intentions « managériales » ou « néolibérales ». Je propose donc d’aller voir de plus près la situation politique universitaire du début des années 1980.

II. Les universités sous pression démographique et démocratique, 1960-1983

1. Réformer l’administration des universités – bestuurshervormingen

Remontons pour cela très brièvement aux années 1960 : le nombre d’étudiants, comme dans la plupart des pays européens à cette époque, est en train d’augmenter de manière exponentielle. De 30.000 inscrits dans les universités néerlandaises en 1950, ils sont passés à 40.000 en 1960, 100.000 en 1970 et 140.000 en 1980104. L’afflux est numériquement énorme et les effectifs sont multipliés par entre deux et trois entre 1960 et 1970. Cette croissance s’accompagne de l’augmentation des nombres des cours, des enseignants, des universités : Twente et Maastricht sont des fondations des années 1960 et 1970. La loi pour l’enseignement supérieur de 1960 renforce les facultés en tant que structures décisionnelles sur l’organisation des études, au détriment des chaires. Les facultés se transforment d’ « assemblées de professeurs » en « conseils d’administration », et les

103 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 638. 104 Schuyt, C. J. M., Op zoek naar het hart van de verzorgingsstaat, Leiden, Stenfert Kroese, 1991, p. 354 [En ligne : http://www.dbnl.org/tekst/schu069opzo01_01/schu069opzo01_01_0030.php].

49 universités obtiennent la personnalité juridique105. Cela reflète déjà un souci de renforcement des entités administratives, et d’affaiblissement du pouvoir individuel des professeurs. 1960 est aussi l’année de création d’un Academische Raad, un conseil académique représentatif du « corps scientifique », c’est-à-dire du personnel académique, mais aussi un organe de conseil auprès du gouvernement, avec des membres nommés par le ministère. Il doit servir à la coopération entre universités et autres établissements d’enseignement supérieur entre eux, mais aussi entre ces institutions et « la société ». En 1965, ce conseil réalise un rapport pour le ministère avec des recommandations pour « renforcer » la direction des universités : c’est le Maris-rapport, réalisé sous la présidence de l’ingénieur A. Maris. Ce rapport préconise notamment, pour accroître l’efficacité de la structure d’organisation et de la direction des universités, de substituer leur direction duale par un seul presidium. Auparavant un « sénat » composé de professeurs s’occupait de l’enseignement et de la recherche tandis qu’un « collège de curateurs », composé de politiciens et d’entrepreneurs, traitait les affaires financières et les ressources humaines. Dans le presidium unique, trois membres à temps plein doivent composer cette direction et doivent rendre des comptes au ministère. Ce rapport et les réformes qu’il propose sont vivement critiqués par la communauté universitaire, car il « méconnait le caractère professionnel de l’université ». Une direction des universités qui s’occupe de tous les aspects, gestion financière et personnelle ainsi qu’enseignement et recherche confondus, représente pour les professeurs une mise sous tutelle. Dans les mouvements contestataires autour de mai 1968 aussi – dès 1967 en l’occurrence –, les étudiants mènent des actions de protestation contre ce rapport dans lequel ils n’apparaissent pas : ces réformes des structures internes ne leur accordent aucune place. Les universités néerlandaises connaissent alors des « occupations » par les mouvements contestataires étudiants – les plus fameuses à Tilburg, renommée Karl Marx Universiteit pour l’occasion, et au siège administratif de l’université d’Amsterdam – ainsi que des expérimentations avec des « gedemocratiseerde bestuursvormen », des formes de direction démocratisées106. Le ministre de l’enseignement et des sciences de l’époque, G. H. Veringa, tête de liste du parti populaire catholique et juriste à l’université de Nijmegen, prend l’initiative de proposer une note avec des réformes des modes de direction des universités, prenant en compte les mouvements contestataires. Il aurait eu de la « compréhension » pour leurs revendications, se souvenant de la place plus importante qu’avaient les étudiants dans

105 « van hooglerarenvergadering tot bestuurscollege » : Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Gewubd en gewogen. Rapport, Zitting 1978-1979, 15515 n°2, p. 21. 106 Kennedy, James C., Nieuw Babylon in aanbouw. Nederland in de jaren zestig, Amsterdam, Boom, 1995, p. 169-171.

50 les universités étatsuniennes lors de ses études de sociologie à New York. Il défend en tous cas au parlement les bienfaits des mouvements étudiants, qui ont fait forte impression sur les politiques et dans les médias, puisqu’ils ont aussi remis l’enseignement supérieur au centre de l’agenda, et forment un catalyseur de changements107. En échange avec le parlement en sort en 1970 une loi « expérimentale » et « temporaire » pour la réforme de l’administration des universités, la Wet Universitaire Bestuurshervorming (WUB). La WUB introduit des organes représentatifs des différentes communautés universitaires, y compris personnel académique, non-académique et étudiants, sous forme de conseils facultaires et universitaires. Ces instances doivent satisfaire les aspirations des contestataires et sont à la fois un instrument pour gérer les oppositions d’une partie du personnel académique. Par « démocratisation », cette loi entend explicitement endiguer les mouvements protestataires, mais aussi discipliner les enseignants et chercheurs. Cette loi, par son caractère d’expérimentation, donne lieu à un rapport de bilan en 1979 qui analyse en quoi elle a tenu ses objectifs – il fait l’éloge de la cyclicité du processus législatif. Ce bilan, long de près de 250 pages et publié par le parlement, est rédigé par une commission composée de cinq personnes issues du parlement, de la fonction d’État et des fonctions de direction dans des universités. On y trouve par exemple un ancien haut fonctionnaire dans les colonies puis dans le ministère de l’enseignement et de la recherche, un économiste à Rotterdam et député du parti du travail ainsi qu’un chimiste puis philosophe des sciences ancien recteur de l’université de Nijmegen. Le titre du rapport, gewubd en gewogen, est un pastiche d’une expression biblique, « gewikt en gewogen en te licht bevogen », c’est à dire « jugé insuffisant après avoir été examiné et soupesé » – ici « passé par la WUB » (gewubd). Sur les vertus de « démocratisation » de la WUB, les rapporteurs observent que certains chercheurs, surtout dans les facultés de sciences humaines et sociales, utilisent l’occupation comme forme de protestation lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec l’issue de « processus de décision multi niveaux », pourtant démocratiques. Les auteurs du rapport estiment, certes, qu’ « on peut mesurer la qualité d’une démocratie à la mesure dans laquelle elle prend en compte les points de vue de minorités » – mais ils se voient dépassés par de tels « excès ». De même, les instances représentatives sont parfois « dévoyées » par des chercheurs qui y font tenir des motions reprenant des positionnements politiques sur des problèmes dépassant « la sphère directement universitaire »108.

107 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 504. 108 Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Gewubd en gewogen, op. cit., p. 100-105.

51 La WUB est en fait une tentative de compromis entre les revendications pour plus de démocratie dans les universités et les propositions avancées par le rapport Maris. Elle est votée par une majorité de presque tous les partis, y compris les travaillistes, sauf les partis les plus à gauche pour qui la « démocratisation » n’y est pas suffisante109. La WUB installe ainsi des Colleges van Bestuur (CvB), conseils d’administration ressemblant aux presidia de Maris : cinq membres à temps plein ont pour la durée de leur mandat le métier de diriger l’université. Trois d’entre eux sont issus du conseil (représentatif) universitaire (universiteitsraad) – le rector magnificus et deux autres professeurs – une personne est à la tête de l’administration et une dernière est nommée par le ministère, le voorzitter, chair en anglais ou président de l’université110. En somme, le bilan de la WUB porte sur ses quatre objectifs ou valeurs définies comme la démocratisation, l’efficacité, l’autonomie et la mise en avant de la qualité – et le bilan est plutôt mitigé. L’instauration d’instances représentatives dans les universités n’aurait, toujours selon le rapport de 1979, pas l’effet désiré d’accroître la participation de tous les concernés à l’organisation de leur université (ils ne votent pas assez et ne s’investissent pas assez dans ces instances). La démocratisation, concluent-ils, devrait être perçue avant tout comme un « processus d’apprentissage » dans lequel il faut investir du temps et de l’argent. La démocratisation pose donc des problèmes d’efficacité : dans l’organisation des universités, l’efficacité serait en pratique entravée par des « processus de différentiation » trop profonds, les unités de formation et de recherche étant trop fragmentées, le pouvoir central universitaire (les CvB) pas assez forts. Il semble donc que ce soit l’existence de contre- pouvoirs aux CvB, sous forme des conseils facultaires et universitaires, qui pose des problèmes d’ « efficacité ». L’autonomie des établissements semblerait quant à elle « plutôt diminuée ces dernières années qu’augmentée », notamment du fait du développement du Conseil académique, un organe représentatif comme nous l’avons vu mais aussi politique, par ses membres nommés et son rôle de conseiller111. La WUB est effectivement une réforme qui est étudiée comme ayant introduit le gouvernement comme acteur fort dans l’enseignement supérieur néerlandais : auparavant, toute réforme du système passait par l’approbation des universités, alors que, cette fois-ci, le ministre a décidé par-dessus leurs avis – sollicités mais qu’il pense trop divergeant112.

109 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 511. 110 Ibidem. 111 Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Gewubd en gewogen, op. cit., p. 15-17. 112 de Boer, Harry, Maassen, Peter et de Weert, Egbert « The troublesome Dutch university and its Route 66 towards a new governance structure », Higher Education Policy, n°12, 1999, p. 329-342.

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2. L’organisation des études et les contraintes budgétaires

À la fin des années 1960, le directeur du département pour l’enseignement supérieur dans le ministère pour l’enseignement et la recherche, Kees Posthumus, tente pour sa part de trouver une solution à l’augmentation des dépenses publiques qui résulte des nouvelles et croissantes populations étudiantes qui entrent chaque année à l’université. Il est docteur en chimie, un des premiers professeurs à la haute école technique de nouvellement fondée dans les années 1950, recteur dès 1961 et appelé au ministère par Veringa en 1967. Il propose alors de réduire la durée des cursus à quatre ans au lieu de cinq, afin d’endiguer les flux auxquels font face les universités113. Les mouvements étudiants semblent avoir retardé cette réforme, qui ne faisait pas partie de la WUB de Veringa (une manœuvre d’apaisement). Cependant, le très bref ministère de Brauw en 1971-72 est l’occasion d’une autre recette pour maîtriser les coûts de l’enseignement supérieur : issu d’une sécession du parti travailliste qui estime qu’il faut que les utilisateurs des services publiques y contribuent davantage, il fait augmenter les frais d’inscription de 200 à 1000 gulden114. C’est sous le ministre travailliste (1973-77 et 1981-82) que le sujet de la durée des études est remis à l’ordre du jour. Docteur en sociologie de l’enseignement en 1968, professeur à l’université de Nijmegen en 1970 et membre de son CvB en 1972, c’est un jeune ministre sans expérience en politique mais connaissant bien l’université qui semble avoir sensiblement bouleversé le ministère et le parlement : il souhaite tout réformer, conçoit l’enseignement comme un moyen pour transformer la société et pour réduire les inégalités sociales et insiste beaucoup sur la nécessité pour les citoyens d’une « éducation permanente »115. À ce dernier titre, il pave le chemin vers la création d’une université d’études à distance, la Open Universiteit, fondée en 1981. Il faut selon lui que l’accès aux études supérieures soit garanti au plus grand nombre, et envisage pour cela de réduire, comme l’a déjà proposé Posthumus en 1968, la durée des cursus à quatre ans, laissant étudier plus longtemps uniquement les personnes poursuivant leur carrière académique – c’est également à mettre en lien avec la diminution des budgets publics.

113 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 511. 114 Ibidem et Slaman, Pieter, « De omhelzing en de wurggreep. Rijksoverheid en hoger onderwijs, 1918-2018 », op. cit. Slaughter, Sheila et Rhoades, Gary observent le même phénomène dans leur ouvrage Academic Capitalism and the New Economy: Markets, State and Higher Education, op. cit. 115 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 555 et 561-562.

53 La Nota Hoger Onderwijs voor Velen (« enseignement supérieur pour un grand nombre », 1978) est parfois attribuée à van Kemenade mais est en fait publiée sous son successeur du parti libéral , économiste ayant travaillé dans une banque puis professeur à Amsterdam, conseiller municipal puis sénateur, avant de devenir ministre de 1977 à 1981. Ce white paper reprend précisément la proposition de réforme de la durée des études, dans l’intérêt de l’accès pour un grand nombre à l’enseignement supérieur – une aspiration qui semble ainsi faire consensus parmi les ministres qui se succèdent de bords politiques divers116. La continuité dans ces politiques entre la fin des années 1960 et le début des années 1980 semble assez forte. C’est par la loi de 1981 que les nouveaux cursus sont installés : des programmes d’études en deux phases (Wet op de tweefasenstructuur) doivent dorénavant comprendre une partie introductive (propedeuse) aux fonctions d’orientation et une partie de spécialisation de trois ans maximum (doctoraalfase), pour une durée totale du cursus de « première phase » de quatre ans. La seconde phase est celle du doctorat, de « l’assistant en formation » ou du « chercheur en formation » (assistent in opleiding ou onderzoeker in opleiding)117. La tenue des programmes d’études en quatre ans va rester une préoccupation jusque dans les années 1990, nous y reviendrons in extenso au prochain chapitre. À la toute fin du gouvernement de coalition des années 1970, Jos van Kemenade redevient ministre de l’enseignement et de la recherche, en 1981-82, moins perturbateur et plus « politicien », c’est-à-dire conciliant selon certains historiens118. Souhaitant développer notamment l’enseignement pour les adultes, il se heurte rapidement aux contraintes budgétaires qui risquent de mettre à mal le respect dont il bénéficie dans les universités. Avec l’arrivée au pouvoir de Ruud Lubbers, comme évoqué, réduire les dépenses publiques devient un des objectifs principaux du gouvernement. Pour l’enseignement supérieur scientifique (donc dans les universités), il vise des économies de huit pourcent119. C’est qui prend en 1982 la charge de ministre de l’enseignement, la recherche et la culture, un chrétien-démocrate et politologue formé à l’université libre d’Amsterdam. Il a fait une rapide ascension en politique et est considéré comme spécialiste de l’enseignement dans sa fraction politique. Willy van Lieshout aurait été un autre favori des chrétiens-démocrates à ce poste – directeur de la haute école technique de Eindhoven dans les années 1960, il a alors plaidé auprès du gouvernement qu’il faut développer des formations

116 Ibid., p. 565. 117 Ibidem. 118 Ibid., p. 631. 119 Slaman, Pieter, « De omhelzing en de wurggreep. Rijksoverheid en hoger onderwijs, 1918-2018 », op. cit.

54 professionnelles techniques (et demandé des fonds pour ce faire) pour répondre aux besoins de l’industrie. Mais Deetman est élu et reste à son poste jusque 1989. Des historiens de ce ministère le décrivent comme un pragmatique, déterminé et persévérant, sans humour, un « comptable avec peu de cœur pour l’enseignement »120. Sa première tâche au sein du gouvernement est effectivement la réduction du budget des universités, pour la recherche aussi bien que pour l’enseignement. Bien que les contraintes budgétaires soient annoncées dès la fin des années 1970 sous van Kemenade, l’opération lancée à ce moment-là est bien plus soudaine que les réformes présentées jusqu’ici et dont les gestations s’étirent sur dix à vingt ans parfois : structures d’organisation interne des universités, durée des études, et nous en verrons encore. L’opération taakverdeling en concentratie (TVC, « partage des tâches et concentration ») menée par le ministère en 1983 coupe dans toutes les disciplines, supprime des formations, fusionne d’autres, pour une économie totale de 258 millions de gulden à l’époque. Deetman aurait bénéficié de la « collaboration » des CvB des universités – contraintes – par la promesse que ce serait la seule et unique coupe budgétaire de telle envergure. Il faudrait mener des recherches sur les circonstances précises de ces coupes : elles sont organisées par disciplines (mais par qui : les doyens ?), pour discuter des unités de formation et de recherche susceptibles d’être agrandies, réduites, fusionnées, ou fermées, selon des critères de « efficacité, qualité et pertinence pour la société »121 – mais comment procèdent-ils concrètement, qui est consulté et qui effectue les choix ? Heureux du résultat, Deetman se targue d’avoir organisé les premières coupes « sélectives » dans les budgets universitaires122 – donc en fonction de réflexions sur le fond de ces choix (mais encore une fois, je n’en sais pas plus), des coupes intelligentes, en somme. Il estime que l’enseignement supérieur vit au dessus de ses moyens – par contre, il soutient avoir défendu les universités contre des réduction de budget encore plus conséquentes voulues par Lubbers et son ministre des finances, Onno Ruding. Pour ce dernier, les problèmes budgétaires du pays sont surtout dus aux systèmes d’allocations pour les loyers et de « financement des études »123.

120 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 639 ; Slaman, Pieter, « De omhelzing en de wurggreep. Rijksoverheid en hoger onderwijs, 1918-2018 », op. cit. 121 Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », in Slaman, Pieter (dir.), In de regel vrij, op. cit., p. 277-297. 122 Ibidem. 123 de Boer, Harry F, Enders, Jürgen et Westerheijden, Don F, « From paper to practice: two reforms and their consequences in Dutch higher education », op. cit., p. 101-102; Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 648-653.

55 Voici une autre question qui lie la période des années 1960 aux années 1980 et qui concerne à la fois l’accessibilité de l’enseignement supérieur, ses coûts et la durée des études, le tout dans le contexte des mouvements étudiants et des contraintes budgétaires croissantes : le financement des études (studiefinanciering). Dans les années 1960 et 1970, les allocations familiales comprennent des aides pour les familles dont les enfants étudient, et les étudiants d’origine modeste peuvent bénéficier de subventions supplémentaires. Or, au fil de ces décennies et en particulier autour des mouvements de 1968, les revendications portent sur le droit des étudiants à être indépendants de leurs parents pendant leurs études. Comme évoqué, rendre l’enseignement supérieur accessible au plus grand nombre (Hoger Onderwijs voor Velen, la note de 1978) semble avoir fait consensus par delà les gouvernements. Une réforme du financement des études est en préparation au ministère depuis au moins 1971 : il s’agit aussi, avec la croissance démographique des universités, d’avoir un système plus clair et contrôlable sur les dépenses. Les éléments de l’indécision dans la discussion portent sur l’attribution d’aides à tous ou spécifiquement aux étudiants de milieux moins favorisés (la discrimination positive, en quelque sorte). Ce n’est qu’en 1986 que la loi en question voit le jour : dorénavant tous les étudiants entre 18 et 27 ans reçoivent une bourse d’études indépendamment des ressources de leurs parents, et peuvent obtenir un prêt sans intérêts voire une bourse supplémentaire sur critères sociaux. Le remplacement des allocations familiales par ces bourses d’études doit se faire sans augmentation de budget. Cette réforme de 1986 reste néanmoins quelque peu contre-intuitive pour qui ne s’intéresserait qu’aux politiques de réduction des dépenses publiques entamées avec Lubbers en 1982. Certes, elle se fait sans pertes et est rapidement liée aux politiques limitant la durée des études ; étudier longtemps, dans ce système de bourse, est d’autant plus coûteux pour l’État. Dans un premier temps, pour des cursus devant tenir en quatre ans, chaque étudiant bénéficie de six ans d’études financées – au delà, les frais de scolarité ne sont plus subventionnés. Mais ce n’est qu’à partir des années 1990 que ces bourses sont limitées à la durée des cursus (quatre ans) et plus tard transformées en prêts si les études ne sont pas terminées dans les temps impartis, ensuite transformées en prêts qui ne deviennent que des bourses à condition de se diplômer dans les temps124.

124 Marchand, Wouter, Onderwijs mogelijk maken: Twee eeuwen invloed van studiefinanciering op de toegankelijkheid van het onderwijs in Nederland (1815-2015), thèse de doctorat soutenue à l’Université de Groningen, 2014, [En ligne : https://www.rug.nl/research/portal/files/14215157/Complete_dissertation.pdf]. Pour plus de détails sur les modalités de ces bourses, p. 212-215.

56 Nous avons vu jusqu’ici les réformes et transformations universitaires en ce qu’elles affectent l’enseignement, plus que la recherche. Or, les coupes de 1983 pèsent tout autant sur les activités de recherche que d’enseignement ; aux Pays-Bas, la majeure partie de la recherche publique s’effectue au sein des universités. Dès 1982, le directeur-général pour l’enseignement supérieur et la recherche scientifique au ministère Deetman est Roel in’t Veld, un social-démocrate, économiste et juriste de formation, enseignant l’administration publique à l’université de Leiden, puis Nijmegen et Rotterdam après son poste au cabinet. Au ministère, il a la tâche de préparer les universités à une nouvelle époque, c’est-à-dire à faire leur travail de manière plus « orienté vers un but et bon marché » (doelmatiger en goedkoper)125.

3. De la nécessité d’une politique scientifique nationale

Une histoire des politiques scientifiques (Wetenschapsbeleid) néerlandaises depuis cent ans pourrait être résumée ainsi, pour sa première partie : la période entre les deux guerres mondiales est caractérisée par une volonté, au ministère, de veiller davantage à ce que les « forces scientifiques » du pays soient employées pour les besoins stratégiques mais aussi de la société. Une organisation pour la recherche appliquée en sciences naturelles est fondée en 1930. L’historienne Patricia Faasse parle de « politique scientifique avant la lettre »126. À partir des années 1950, l’accent est en revanche mis sur la recherche fondamentale, « pure », avec la fondation de son organisation (Zuiver Wetenschappelijk Onderzoek, ZWO), sans doute en réaction aux « excès » de l’influence politico-idéologique dans les sciences sous les régimes totalitaires. La ZWO est une organisation par et pour les chercheurs (universitaires, essentiellement) permettant de « stimuler » et de « coordonner » les activités de recherche, ayant recours au jugement par les pairs des qualités scientifiques des recherches qu’elle finance. Elle doit faire contrepoids aux distributions existantes des ressources entre universités, en prenant en compte les intérêts proprement « scientifiques ». Autour et au sein de cette organisation s’organisent des groupes disciplinaires. Au fil des Trente Glorieuses, ces activités et les financements sont en croissance.

125 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 647. 126 Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », op. cit. Je la remercie pour le généreux partage de ses travaux alors encore en cours d’écriture.

57 a. Le Wetenschapsbeleid : la science au service de la société, 1966-1974

La fin des années 1960 amorce un regain d’intérêt du gouvernement pour la recherche scientifique, visant à savoir, avant toute chose, combien et ce que le gouvernement finance : en 1966, le ministre Isaac Diepenhorst fonde un organe de conseil auprès du gouvernement en matière de politique scientifique (Raad van Advies voor het Wetenschapsbeleid, RAWB) et publie le premier « budget scientifique » (Wetenschapsbudget) qui recense les dépenses pour la recherche. Le discours porté par l’OCDE aurait été déterminant dans ces politiques, et notamment le Manuel Frascati publié en 1964, qui vise à harmoniser les pratiques de recensement des activités scientifiques nationales à l’aide d’une mesure des dépenses (à défaut de savoir mesurer les résultats de la recherche). Mais le gouvernement néerlandais ne fait pas que suivre l’OCDE. Le ministre Diepenhorst affirme que la mesure les activités de recherche ne saurait être découplée de la question de sa « valeur » pour la société dans des domaines spécifiques127. Entre 1971 et 1981, le gouvernement néerlandais se dote d’un ministère pour la politique scientifique, sans portefeuille mais séparé du ministère pour l’enseignement et la recherche. En est issu en 1974 une « note », comme la HOAK en 1985, qui définit un changement d’intentions politiques. L’auteur de cette note est le ministre (1973- 1977), du parti radical de gauche écologiste, qui a été président de l’université de avant son mandat128. Il argumente que la position de la science est en train de changer, qu’elle sort de sa quête de la seule vérité pour suivre un idéal de servir la société. Trip estime ainsi que jusque- là la recherche universitaire fonctionnait avec trop peu de « transparence » et de « débat », dans une « trop grande autonomie » : ce document remet en question le lien naturel qui existerait entre croissance économique, dépenses pour la recherche et effets de la recherche pour le « bien commun » – logique qui peut être imputée au fonctionnement qui sous-tend la ZWO, organisation pour la recherche « pure ». Laisser la recherche dans cet état pourrait, selon Trip, avoir une influence négative sur la qualité et l’efficacité de la recherche (l’efficacité, doelmatigheid, étant ici son adéquation avec les besoins de la société). De plus, la croissance économique fléchit et le monde universitaire connaît une expansion sans précédent, qui entraîne une augmentation « automatique » des budgets universitaires et donc ceux de la recherche, si on ne change rien au système d’allocation des

127 Ibidem. Sur le manuel Frascati, je remercie Ludovic Fulleringer pour l’analyse effectuée ensemble sur les textes des versions successives de ce manuel. 128 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 555-580.

58 ressources aux universités. Il faut donc prendre en main la politique scientifique : « il faut un capitaine » [qui dirige le navire] ainsi qu’un « contrôle démocratique nécessaire »129. Définir les besoins de la société ne va pas de soi : le ministre rassure le monde académique qu’il ne compte pas mener une politique scientifique « centraliste », mais qu’il installera des forums de « consultation » (overleg) avec des chercheurs, des membres des départements ministériels ainsi que des « utilisateurs potentiels des résultats de recherche ». Ces « conseils sectoriels » sont installés successivement pour l’agriculture, les sciences de la nature et de l’environnement, la santé, etc. Ils n’ont pas de fonds mais sont pensés comme des plateformes de développement de politiques scientifiques. La note de 1974 prône ainsi une adéquation des activités de recherche avec les priorités de la société, (comme instrument pour cela) une démocratisation des politiques scientifiques et de recherche (le ministre clarifie ainsi qu’il n’entend pas s’arroger un pouvoir central sur la recherche), ainsi que la nécessité d’accorder plus d’attention à la « qualité » et à l’ « efficacité » de la recherche130. Ces derniers termes, ces déclarations d’intention peu spécifiques ne nous sont pas très utiles pour comprendre les motivations de ce ministère. Les actions concrètes nous y aident davantage. Dès 1974 également et à côté des conseils sectoriels, ce ministère installe des « commissions de reconnaissance » (verkenningscommissies – verkenning, « reconnaissance » étant aussi le terme utilisé au sens stratégique, de « repérage ») dans certains domaines de recherche scientifique, à commencer par les sciences sociales, les sciences de l’éducation et l’aménagement du territoire : des domaines neufs ou du moins peu structurés au sein de la ZWO. Ces commissions, purement académiques et fonctionnant sur le modèle traditionnel de jugement par les pairs (émis sur base des publications et brevets), doivent initialement faire l’inventaire de ces domaines scientifiques pour le ministre. En 1978, la commission installée pour la chimie a cependant un cahier de charges plus large et doit remettre un rapport qui, en plus d’un état de l’art, doit émettre des jugements sur la qualité et les développements dans ces domaines de recherche (au regard de la recherche dans d’autres pays, dans d’autres domaines, et au regard des développements technologiques

129 « Er is een stuurman nodig », brochure du ministère accompagnant la Nota Wetenschapsbeleid en 1974, citée dans Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », op. cit. 130 Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », op. cit. ; Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 555-580 ; Smit, J.P., « Geen waardevrij bolwerk van de vrijheid meer: De ‘identiteitscrisis’ van de Universiteit Leiden in de jaren 1970 », in Dorsman, L.J. et Knegtmans, P.J. (éd.), Universiteit & Identiteit: Over samenwerking, concurrentie en taakverdeling tussen de Nederlandse universiteiten, Hilversum, Uitgeverij Verloren, 2017, p. 47-70.

59 et de la société néerlandaise) ainsi que des recommandations pouvant servir aux politiques scientifiques. Ces verkenningscommissies publient des rapports, à la demande des ministres successifs, jusque dans les années 1990. Ils auraient par ailleurs été utilisés, pour certaines disciplines, dans l’opération TVC pour arbitrer entre les coupes budgétaires131. On peut aisément voir dans ces commissions de « reconnaissance » des formes avant-coureuses de l’évaluation qui est l’objet de cette thèse – mais elles ne sont pas les seules à entrer dans cette généalogie, comme nous verrons à présent. b. 1982, financement conditionnel de la recherche

Ainsi, dans la seconde moitié des années 1970, le ministère (de la politique scientifique, mais cela reviendra dès 1981 au ministère de l’enseignement et de la recherche) se dote de nouveaux instruments pour gouverner la recherche scientifique : conseils sectoriels et commissions de reconnaissance. En parallèle, rappelons la massification des universités et la menace, brandie au gouvernement, des budgets qui augmentent de manière incontrôlée et des coupes nécessaires à effectuer132. Un autre aboutissement de ces questions sur l’utilité des recherches scientifiques pour la société est la BUOZ Nota, encore une note, sur la « politique de la recherche universitaire » (Beleidsnota Universitair Onderzoek), longuement préparée mais publiée en 1979. Cette note est préparée notamment par l’organe de conseil auprès du ministère en matière de politique de recherche (RAWB, fondé en 1966). En 1976, celui-ci correspond avec l’Académie royale néerlandaise des sciences (KNAW) sur la nécessité de développer des recherches sur la science. À une proposition de la part de la section sciences sociales de la KNAW pour un tel programme de recherche succède en 1978 une note du RAWB au ministre, sur la « recherche universitaire : conseil en matière de financement et organisation de la recherche universitaire », qui, en collaboration avec ce ministère, aboutit en 1979 à la BUOZ133. Il faudrait étudier le RAWB, qui le compose, comment il fonctionne et ce qu’il produit, pour en savoir davantage. Comme lorsque le ministre Diepenhorst se mit à mesurer les dépenses pour la recherche en 1966, les préconisations de l’OCDE semblent être décisives dans la BUOZ – Stuart Blume et Jack Spaapen y font référence de manière générique mais je pense notamment

131 Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », op. cit. Je remercie également Barend van der Meulen pour les conversations que nous avons eues – il a fait sa thèse sur les verkenningscommissies. 132 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 647. 133 Raad van Advies voor het Wetenschapsbeleid (RAWB), Universitair onderzoek, Advies inzake « Financiering en organisatie van het universitair onderzoek », 1979 [KNAW Archief dossier 7780].

60 à la série des Examens des politiques scientifiques nationales de l’OCDE et le numéro sur les Pays-Bas en 1973. Son verdict : la recherche universitaire est trop peu financée par des ressources extérieures. En effet, la ZWO est critiquée pour son attitude trop « passive » : elle ne finance pas suffisamment la recherche (80% de ses fonds l’alimentent elle-même) et n’est, surtout, pas un instrument de redistribution des ressources, donc de politique scientifique134. Aussi, la BUOZ préconise des réformes vers des universités plus « accountable » et une recherche scientifique plus « efficace » et « subordonnée » aux intérêts économiques et sociaux du pays, notamment par le biais d’une plus grande « efficacité » (doelmatigheid) de l’allocation des moyens à la recherche universitaire, et une plus grande « responsabilité » des établissements pour les moyens alloués à la recherche 135 . Elle annonce notamment l’installation d’un « financement conditionnel » de la recherche universitaire, le voorwaardelijke financiering (VF). La recherche universitaire est alors financée très majoritairement par un budget calculé sur base de paramètres propres aux universités (dont notamment le nombre d’étudiants inscrits), mais aussi par des fonds qui peuvent être accordés par la ZWO (8% en 1979) ainsi que la possibilité de conclure des contrats de recherche avec des tiers136. Dans le contexte de massification universitaire et des coupes budgétaires imminentes, le fait que la recherche universitaire vive pour sa plus large partie des fonds accordés aux universités, et donc calculés sur la base du nombre d’étudiants inscrits, constitue une menace pour la recherche. Voilà également un point critiqué aussi bien par le RAWB que l’OCDE dans ses « examens des politiques scientifiques nationales » : il faut séparer le financement de la recherche de celui de l’enseignement137. Dès la préparation de la note, le RAWB plaide pour l’introduction du VF afin d’éviter que le financement des universités soit trop lié au nombre d’étudiants inscrits ; pour que même avec les coupes budgétaires la bonne recherche puisse être protégée également dans les universités moins fréquentées par les étudiants138. Le VF a ainsi vocation à augmenter le poids de la recherche dans la détermination des budgets alloués aux universités : la moitié du

134 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B., « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », Minerva, vol. 26, n° 1, 1988, p. 1-30 ; Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », op. cit. 135 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit.; RAWB, Universitair onderzoek, Advies inzake « Financiering en organisatie van het universitair onderzoek », 1979 [KNAW Archief dossier 7780]. 136 Ibidem. 137 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit., p. 4. 138 Lettre du RAWB à la KNAW, 25 avril 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1].

61 budget accordé à chaque université sera désormais calculé selon la formule traditionnelle, l’autre selon le système du VF139. Dans son annonce officielle de cette nouvelle modalité de financement, en 1982, le ministre Deetman explique à l’Académie des sciences et aux universités qu’il faudrait parler de « financement protégé » plutôt que « conditionnel » puisqu’il servira à mettre en sécurité la recherche de haute qualité140 : les meilleurs chercheurs souvent ne seraient pas capables d’exprimer l’utilité de leur travail aux gens en dehors de leur discipline – il s’agit de les y entraîner141. Concrètement, le VF est un système par lequel tout groupe de recherche universitaire d’au moins cinq personnes (équivalent temps plein) peut postuler à un financement accordé par le ministère pour le programme de recherche qu’il propose. Une telle candidature prend la forme de dossiers envoyés par les chercheurs de chaque groupe de recherche, dossiers qui sont ensuite évalués par des commissions d’experts composées par l’Académie des sciences (la KNAW) ou la ZWO et ses sous-groupes disciplinaires, selon les domaines concernés. Ces instances désignent des experts internationaux, qui doivent évaluer les dossiers à l’aune de critères comme l’ « importance scientifique », « importance sociétale », position dans la recherche scientifique internationale, nationale et locale, « cohérence » du programme, et s’il s’agit de la poursuite d’une recherche, sa durée et ses résultats. Si le programme en question compte moins de cinq chercheurs équivalents temps plein, il faut que le dossier contienne une argumentation pour le maintien d’une structure de recherche si petite. On porte aussi attention aux relations entre « prestations délivrées » et « moyens investis », et entre « prestations délivrées » et « objectifs formulés au départ ». Une dimension non négligeable dans ces dossiers est celle des « résultats » de la recherche. Ces commissions ne doivent s’exprimer qu’en terme de décision univoque pour ou contre l’accord du financement conditionnel142. L’introduction du VF ne fait pas consensus : certaines universités craignent une bureaucratisation excessive autour du montage des dossiers pour le VF143, ou se plaignent du

139 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit., p. 9. 140 KNAW Archief dossier VF n°533-1, notamment lettre du Ministre aux directions des universités, 15 février 1983. 141 Lettre de la KNAW au Ministre de l’enseignement et des sciences, 6 janvier 1983, p. 3 [KNAW Archief dossier VF n°533-1]. 142 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit. ; KNAW Archief dossier VF n°533-1, notamment lettre du Ministre aux directions des universités, 15 février 1983. 143 Lettre de la Rijksuniversiteit te Leiden à la KNAW, 29 juin 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1].

62 peu de « feedback » que prévoit la procédure144. La phase de construction du VF se terminant en 1987, une deuxième phase est initiée, avec une transformation notable : on passe d’une évaluation ex ante (de programmes de recherche proposés) à une évaluation ex post (de programmes de recherche ayant déjà opéré)145. La mise en œuvre du VF et son fonctionnement tout au long des années 1980 n’a, d’après Blume et Spaapen, pas été à la hauteur des ambitions des réformateurs : même si comme prévu, la part « recherche » du budget universitaire est désormais accordée selon ce système, il ne redistribue pas significativement les ressources entre universités ou entre disciplines. Ces dernières sont suffisamment bien organisées pour éviter qu’il y ait des « perdants » et que les déséquilibres deviennent trop grands. Cependant, on a pu noter que les chercheurs de certaines universités (Leiden, Groningen et Nijmegen) savent plus rapidement répondre avec un grand nombre de dossiers que d’autres. De manière plus large, le VF est plutôt étudié comme introduisant l’habitude de solliciter des commissions d’expert externes dans les décisions d’attribution de financement pour la recherche, et ce à grande échelle146. c. Les scientomètres de Leiden

Un autre antécédent de l’introduction de ce financement conditionnel (à côté de la BUOZ) est une initiative de l’université de Leiden : son équipe de direction, son CvB, décide à la fin des années 1970 de mettre de côté une partie de son budget pour « stimuler la recherche de très haute qualité ». Ce système, le Z-financiering 147 , serait une source d’inspiration pour le modèle du financement conditionnel installé en 1982 – c’est l’avis des chercheurs cités jusqu’ici et celui d’un témoin de cette histoire à Leiden148. Il serait très intéressant d’étudier ce système de financement plus en détail, pour les raisons que j’expose à présent. Le VF tout comme l’initiative de Leiden cherchent à identifier la « bonne » recherche. Or, pour ce faire, les personnes impliquées (comme déjà au sein des verkenningscommissies)

144 Lettre de la Erasmus Universiteit Rotterdam à la KNAW, 12 octobre 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1]. 145 VSNU, De tweede cyclus. Voorwaardelijke financiering. Voornemens van de colleges van bestuur m.b.t. de voorwaardelijke financiering zoals vastgelegd in het bestuurlijk overleg van 19 december 1986 [NA 2.19.250/434]. 146 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit. 147 « Z » sans doute pour se démarquer des parties du budget universitaire alloué selon la formule traditionnelle, à l’enseignement et en fonction du nombre d’étudiants : ces parties du budget étaient dénommées « A1 », « A2 », etc. 148 Blume, Stuart S. et Spaapen, Jack B, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit., p. 9 et entretien téléphonique avec Ton van Raan, 01/03/16.

63 s’intéressent aux publications et brevets, aux « résultats » des recherches. À l’échelle de l’initiative de Leiden, déjà, des indicateurs bibliométriques sont utilisés à cet effet. La bibliométrie, étude quantitative des publications – dont Eugene Garfield, linguiste puis créateur du Science Citations Index, est souvent présenté comme père fondateur –, recoupe partiellement le domaine de la scientométrie, étude quantitative de l’activité scientifique, notamment de la production scientifique (publications et brevets) – domaine dont Derek de Solla Price est souvent présenté comme fondateur : physicien puis historien des sciences, il s’est notamment intéressé à la croissance quantitative de la science et à la « demi-vie » (en termes de citations générées) des publications scientifiques149. Il n’est pas tout à fait clair dans ce contexte si ces formes d’allocation des ressources sont une conséquence de la scientométrie ou l’inverse : la réponse réside sans doute quelque part entre les deux. D’une part, deux chercheurs initialement physiciens de Leiden, Ton van Raan et Cees Le Pair, s’intéressent aux travaux précurseurs en bibliométrie de Eugene Garfield et Derek de Solla Price et effectuent des recherches scientométriques sur leur domaine de recherche, avant que soit lancée cette initiative à Leiden. D’autre part, ces chercheurs ne constituent un groupe de recherche qu’une fois ce projet lancé, au début des années 1980. Ce n’est que suite à cela que ce groupe s’institutionnalise sous forme de centre de recherche, avec le soutien du ministère, en 1986 : le CWTS150, centre STS de cette université, dont le fondateur et premier directeur va être le même Ton van Raan, premier chercheur avec une chaire en scientométrie. Le centre vit exclusivement de contrats de recherche ponctuels, mais nombre d’entre eux sont financés par des subsides du ministère pour des études servant notamment au VF et aux politiques de recherche. Le CWTS estime en rétrospective que sa création est un des points de départ de l’évaluation liée au financement conditionnel aux Pays Bas : sa faculté de rattachement publie une brochure pour ses 50 ans d’existence en 2013, et cette rétrospective concorde avec le souvenir de Ton van Raan avec qui j’ai parlé en 2016151. Sans pouvoir véritablement attribuer l’implication des études quantitatives des sciences – des scientomètres de Leiden – dans la mise en place des formes successives d’évaluation de la recherche aux Pays-Bas152, le développement de ces activités en même

149 Cf Wouters, Paul, The Citation Culture, op. cit. Il s’agit de sa thèse de doctorat publiée. 150 Centrum voor Wetenschap en Technologische Studies, Centre d’études des sciences et des technologies. 151 Holsteyn, Jan van et al. (éd.), Perspectives on the Past. 50 Years of FSW, Leiden, Faculty of Social and Behavioural Sciences, December 2013 ; Entretien téléphonique avec Ton van Raan, 01/03/16. 152 En référence à un tout autre cas, celui de l’implication de certains chercheurs en science studies dans la mise en place d’un paradigme de « gouvernance participative » à l’Union européenne : Bertrand, Emanuel, « Le discours de la gouvernance participative européenne et l’idéologie néolibérale. Une analyse sémantique à la

64 temps que le VF, qui de plus bascule vers des évaluations ex post en 1987, a certainement outillé ce type d’évaluation. Il n’est pas anodin que l’évaluation de la recherche ait recours, dès le début, aux analyses bibliométriques du CWTS naissant, et que la scientométrie soit institutionnalisée à ce moment-là de l’histoire de l’évaluation aux Pays-Bas.

Depuis les années 1970, le gouvernement néerlandais se dote ainsi d’instruments de connaissance et de gouvernement de la recherche par son financement : verkenningscommissies et VF, créés successivement mais coexistant. Le gouvernement s’emploie à réduire une certaine forme d’autonomie des universités dans le domaine de leurs politiques scientifiques et de la distribution de leurs fonds : « to bring universities to book », dans la formule de Stuart Blume et Jack Spaapen. Pour le volet recherche, les universités arrivent donc en 1985 avec un certain bagage en terme d’ « évaluation » par des commissions extérieures.

III. 1985, les universités s’associent

Revenons à l’opération TVC et les coupes dans les budgets universitaires en 1983. Dans les deux années qui suivent, les événements s’enchaînent et il devient ardu de démêler quel élément est la conséquence de l’autre : après les coupes budgétaires, nous assistons de manière contemporaine à la création de l’association des universités néerlandaises et à la publication, par le ministère, de la HOAK Nota évoquée précédemment, introduisant un principe d’ « autonomie » pour la gestion des universités. Ce document correspond à l’ « esprit » du gouvernement Lubbers, mais de manière plus contingente on peut le rapprocher de l’expérience TVC, qui a laissé au ministère le souhait de se défaire des tâches difficiles et désagréables de devoir arbitrer les coupes budgétaires – et donc de laisser faire les universités entre elles. Notons que nous sommes ici face à une contradiction dans les termes : en 1974 le ministre Trip parle de la trop grande autonomie des universités (dans les politiques de recherche), en 1985 il faut attribuer plus d’autonomie aux universités (pour l’organisation de leur enseignement et la gestion des établissements). À une décennie d’écart et touchant des activités différentes, il ne faut à mon sens pas trop opposer le sens de ces deux déclarations : nous verrons en détail ce que prône la HOAK et ce que son autonomie veut dire.

lumière des travaux de Marcel Gauchet sur le néolibéralisme », HAL archives ouvertes, 2014, [En ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01140205/].

65 L’autre événement marquant de 1985 est la création d’une Association des universités néerlandaises coopérantes (Vereniging van Samenwerkende Nederlandse Universiteiten, VSNU). Son histoire n’a pas encore été écrite, et les circonstances de sa création restent peu claires. Néanmoins, les éléments d’explication sont nombreux : d’une part, le ministère estime que le Conseil académique doit être remplacé par deux institutions, de manière à séparer la fonction de concertation et coopération entre universités (overleg) de celle de conseil auprès du gouvernement (advies). De fait, en même temps que la VSNU, le ministère installe un organe de conseil auprès du gouvernement en matière d’enseignement supérieur (Adviesraad voor het Hoger Onderwijs, ARHO). D’autres part, les présidents d’universités souhaitent s’associer contre la menace des coupes budgétaires, comme celle de 1983 – en 1986 a lieu un second assaut, l’opération Selectieve Krimp en Groei (SKG), « réduction et augmentation sélectives » 153 . C’est l’interprétation des historiens, mais aussi le souvenir qu’en avait l’ancien dirigeant de l’université libre d’Amsterdam Harry Brinkman154, membre élu du CvB dès 1972 puis président de l’université nommé en 1979, jusque 1996. Après ses études (jusqu’au doctorat) en Lettres, il a toujours travaillé dans l’administration de sa faculté puis de son université155. Les présidents des universités néerlandaises se seraient par ailleurs réunis dans un cercle plus informel, depuis le début des années 1980 au moins, du nom de Vereniging voor universitair bestuur en management (VUBM), association pour l’administration et la gestion universitaires. Peu connue des chercheurs qui s’occupent de l’enseignement supérieur néerlandais, elle a dû disparaître assez tôt après la création de la VSNU156. La naissance d’un organe de concertation « inter-académique » dans le sillage de coupes budgétaires est un phénomène qu’on peut retracer jusqu’aux années 1920 aux Pays- Bas : pour réaliser son « plan de distribution des chaires », le ministre de l’époque sollicite l’expertise des universitaires eux-mêmes. Cet épisode aurait inauguré l’habitude des dirigeants universitaires à se rassembler, tout d’abord au sein du Interuniversitair Contact Orgaan, puis du Academische Raad et enfin la VSNU, notre objet d’étude157. Mon hypothèse

153 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 648-653. 154 Harry Brinkman a été interviewé par les chercheurs Ab Flipse, cf note suivante, et Don Westerheijden, politiste au CHEPS (Centre for Higher Education Policy Studies) à l’université de Twente. 155 Notices nécrologiques sur divers sites de l’université libre d’Amsterdam, notamment celle rédigée par l’historien de cette université Ab Flipse : http://www.geheugenvandevu.nl/hoofdmenu/personen/brinkman-hj. 156 de Boer, Harry F, Enders, Jürgen et Westerheijden, Don F, « From paper to practice: two reforms and their consequences in Dutch higher education », op. cit., p. 101-102. Je me réfère notamment à mes échanges par mail et téléphone avec ce dernier. 157 Faasse, Patricia, « Over mogelijkheden, wensen en ‘onvermijdelijke keuzen’. Een eeuw wetenschapsbeleid », op. cit.

66 (tout comme le souvenir qu’en avait par exemple Harry Brinkman) que l’opération TVC a fortement contribué à motiver les présidents d’universités à s’associer ne semble donc pas trop incongrue. La VSNU est née non seulement d’une convergence des intérêts des dirigeants universitaires d’une part et de ceux du ministère d’autre part, mais aussi en interaction avec la rédaction de la HOAK. Il m’a été impossible d’établir une chronologie précise des événements158 : les pré-projets de la HOAK sont-ils antérieurs à la création de la VSNU ? Cette dernière, en 1985, est précédée d’une commission pour sa création, composée des présidents de toutes les universités néerlandaises, se réunissant depuis au moins l’été 1984159. La HOAK Nota quant à elle connaît plusieurs versions en amont de sa publication en 1985, auxquelles la VSNU réagit d’ailleurs par écrit aussitôt fondée, et dont elle parvient à infléchir certaines orientations. Or, comme évoqué, la HOAK prône l’ « autonomie » des universités : la VSNU est ainsi un organe nécessaire pour la prise en charge des tâches dont le ministère veut se défaire, pour la gestion entre elles des universités. La HOAK n’est donc pas pensable sans une forme de VSNU, mais on peut aussi considérer la HOAK comme une raison pour la création de la VSNU, ou du moins ayant suscité des réactions communes des universités. En effet, dans tout le discours sur la « dérégulation », le « gouvernement à distance » et l’ « autonomie » des universités, le document, ministériel rappelons-le, attache néanmoins une grande importance à ce que les universités, et le système d’enseignement supérieur dans son ensemble, soient tenus à rendre des comptes au ministère. L’enseignement supérieur professionnel (Hoger Beroepsonderwijs, HBO, par distinction avec l’enseignement scientifique, Wetenschappelijk Onderwijs, WO) dispensé dans les hautes écoles (hogescholen) fait partie de l’enseignement secondaire et est de ce fait soumis à l’Inspectorat. Le ministre Deetman et son cabinet réfléchissent dès son entrée en fonction à une manière d’installer un type d’ « inspection » pour les universités 160 . Dès sa création, la VSNU œuvre ainsi principalement à empêcher qu’une telle inspection vienne évaluer les enseignements qui ont lieu dans leurs universités – en d’autres termes à préserver leur autonomie. Sa contre- proposition consiste à se charger elle-même d’installer des formes d’évaluation internes et externes : c’est ma conclusion de l’étude des archives qui suit.

158 Elle reste donc à faire, moyennant d’autres sources, peut-être les débats parlementaires autour de la HOAK. 159 Lettre de J A P Veringa aux Colleges van bestuur van de instellingen van w.o., Nijmegen, 31 oktober 1984 [NA 2.19.250/98]. 160 Knippenberg, Hans et van der Ham, Willem, Een bron van aanhoudende zorg, op. cit., p. 648-653.

67 1. Mais qui est la VSNU ?

Avant de nous pencher sur la HOAK et les premiers travaux de la VSNU autour de ces négociations sur le partage des tâches entre universités et ministère, voyons qui peuple cette nouvelle association. La VSNU, qui existe toujours, représente les quatorze universités néerlandaises (qui en sont donc membres) face au gouvernement, et doit promouvoir leurs intérêts161. Ne sont donc pas inclues les hautes écoles de l’enseignement professionnel – quelques établissements auparavant dénommés « hautes écoles techniques », comme celles de Eindhoven ou Twente, sont devenues universités dès 1981 et vont de fait faire partie de la VSNU. Il s’agit d’une association dont l’objectif principal est de « renforcer la position de l’ESR dans la société », en intervenant auprès des « cabinets », du « politique », des « autorités » et des « organisations de la société ». Elle discute également avec les autorités et les « organisations d’employés » des conditions de travail dans le monde universitaire, et « développe des services » pour ses membres162. Aujourd’hui la VSNU a mauvaise presse dans le monde académique : décriée comme association d’employeurs, ayant trahi sa base en défendant la précarisation des contrats de travail dans les universités, elle porte toujours le sigle « VSNU » mais a supprimé le « S » pour samenwerkende (coopérantes) de son nom officiel163. La nomination en 2017 d’un ancien « top manager » de Shell et McKinsey pour présider l’association des universités a causé de nombreuses protestations de la part d’universitaires auxquelles la VSNU a répondu par un communiqué officiel défendant la légitimité de cette nomination164. Ce sont là des signaux de profondes transformations, dont je donne des éléments dans l’épilogue sur le cas néerlandais. Mais j’évoque ici cette situation actuelle car elle fait partie du problème historiographique qui consiste à voir dans la VSNU un acteur de la « managérialisation » de l’enseignement supérieur néerlandais : en 1985, la VSNU n’est certainement pas une association d’employeurs – nous avons vu les circonstances, motivations et intérêts ayant mené à sa créations. Elle n’est pas moins « démocratique » que

161 Ontwerp-statuten en concept-huishoudelijk reglement van de VSNU, 1984 [NA 2.14.283/171] ; Site de la VSNU, URL : http://www.vsnu.nl/historie.html. 162 Vraagstelling VSNU, document non daté [NA 2.19.250/241]. 163 Halffman, Willem, « Hef die vereniging van universiteiten op, die kan niets », Nieuwe Rotterdamse Courant, 11 September 2014, [En ligne : https://www.nrc.nl/nieuws/2014/09/11/hef-die-vereniging-van-universiteiten- op-die-kan-1417149-a924311]. 164 VSNU, « Over de benoeming van Pieter Duisenberg als voorzitter van de VSNU », Nieuwsberichten, 19 September 2017, [En ligne : http://www.vsnu.nl/nl_NL/nieuwsbericht/nieuwsbericht/313-over-de-benoeming- van-pieter-duisenberg-als-voorzitter-van-de-vsnu.html].

68 son prédécesseur le Conseil académique et rassemble des délégués des différents niveaux d’organisation et de représentation dans les universités : la VSNU est composée de commissions thématiques (dont une sur les « politiques étudiantes ») peuplées par des délégués des conseils universitaires, de commissions disciplinaires regroupant les doyens de toutes les facultés, de réunions entre recteurs, et, à son sommet, d’un conseil d’administration. Ce dernier, CvB des CvB de chaque université en quelque sorte, est composé uniquement des présidents d’universités (voorzitter) ; parfois sont présents les recteurs ou autres membres du CvB, mais uniquement en remplacement des présidents. Rappelons que les présidents d’universités sont les membres nommés de chaque CvB, par le ministère. Au sein des CvB des universités, ils ont comme partenaires ou opposants les « recteurs magnifiques », qui ont également leur « conférence » informelle depuis la fin du XIXe siècle : un organe qui a toujours existé en parallèle des organisations inter-académiques officielles (Interuniversitair Contactorgaan, Academische Raad puis VSNU)165. Regardons la composition du conseil d’administration de la VSNU dans les cinq premières années. Nous avons déjà rencontré trois d’entre eux : le ministre travailliste Jos van Kemenade (1973-77 et 1981-82) a déjà présidé l’université de Nijmegen avant son premier mandat et est ensuite devenu président de l’université d’Amsterdam entre 1984 et 1988, où il est professeur en sciences de l’éducation. En cette dernière qualité – un président d’université ancien ministre de l’enseignement et des sciences –, il est parmi les « pères fondateurs » de l’Association des universités néerlandaises. Harry Brinkman est le deuxième, docteur en Lettres puis administrateur de son université (l’université libre d’Amsterdam), membre de son CvB de 1972 à 1996. Le troisième est Willy van Lieshout : nous l’avons déjà rencontré en tant que favori chrétien-démocrate pour le ministère en 1982 (à côté de Deetman) et en tant que défenseur du développement de nouvelles formations techniques lorsqu’il dirigeait la haute école technique de Eindhoven ; ingénieur mécanique de formation, il est proche de la famille et du groupe Philips (originaires de Eindhoven). Il mène la commission (composée de ces mêmes présidents d’universités) pour l’installation de la VSNU en 1984-85, mais il ne devient que le deuxième président de l’association, en 1991, date à laquelle il quitte la présidence de l’université catholique de Nijmegen (1974-1991). Un article de presse à l’occasion de son

165 Pour une histoire de cette conférence des recteurs, voir Steijn, Frans Van, « Het Rectoren College 1955- heden », in Dorsman, L.J. et Knegtmans, P.J. (éd.), Universiteit & Identiteit: Over samenwerking, concurrentie en taakverdeling tussen de Nederlandse universiteiten, Hilversum, Uitgeverij Verloren, 2017, p. 91-115. Elle a été écrite par l’ancien secrétaire du Rectoren College (2003-2015) sur la base de ses archives. Avant cela il était responsable du système d’évaluation de la recherche au sein du bureau de la VSNU.

69 départ de la VSNU le décrit comme une « araignée dans la toile de l’enseignement » (il en tire les fils), un personnage incontournable des politiques de l’enseignement d’après-guerre166. Le premier président de la VSNU est Peter van der Schans, ingénieur formé en sciences naturelles et président de l’université agricole de Wageningen. Il est probable que le choix des présidents d’universités se soit porté sur lui pour ne pas entrer dans des querelles entre les grandes et anciennes universités renommées – c’est l’interprétation que m’a suggérée l’ancien employé du bureau de la VSNU en charge des évaluations (je le présente dans quelques pages)167. La toute première réunion avant même la fondation de la VSNU est présidée par le président de l’université de Leiden, la plus ancienne du pays. Van der Schans est présenté comme quelqu’un d’aimable et calme, sans l’ambition de s’imposer dans les débats – personne idéale pour la phase initiale, « de transition », de la VSNU168. Les autres présidents d’université de la VSNU sont Kees Cath (Leiden), Rob van den Biggelaar puis Loek Vredevoogd (Maastricht, université de Limburg à l’époque), Jan Borgman puis Eric Bleumink (Groningen), Jos van Kemenade puis Jankarel Gevers (Amsterdam), puis Jan Veldhuis (Utrecht), (université technique de ), Henk ter Heege (université technique de Eindhoven), Will Koppelaars (université Erasmus à Rotterdam), Gottfried Leibbrandt (Open Universiteit), Carel van Lookeren Campagne (université technique de Twente), Dick de Zeeuw (université agricole à Wageningen), et Ruud de Moor (université catholique de Tilburg). Les profils vus jusqu’ici sont assez représentatifs des caractéristiques et trajectoires de ces personnes : des hommes pour la plupart nés dans les années 1920, ils ont donc la soixantaine en 1985 – avec l’exception de quatre cinquantenaires (van Kemenade, Vredevoogd, Brinkman et Veldhuis) et de Gevers né en 1944169. Il s’agit de quatre juristes de formation, trois sociologues, trois économistes, deux ingénieurs (agricole et mécaniste), un historien, un littéraire, un médecin, un chimiste et un astronome. Ils ne sont que sept (sur dix-huit) à avoir été enseignants ou chercheurs (trois ont

166 Hageman, Esther, « Spin in onderwijsweb neemt afscheid », Trouw, 24/08/1995, [En ligne : https://www.trouw.nl/home/spin-in-onderwijsweb-neemt-afscheid~a378143b/] ; voir aussi van Koolwijk, Quirien, « W.C.M. van Lieshout, invloedrijke onderwijskenner; Ook zonder hamer een voorzitter », Nieuwe Rotterdamse Courant, 2/04/1991, [En ligne : https://www.nrc.nl/nieuws/1991/04/02/wcm-van-lieshout- invloedrijke-onderwijskenner-ook-6962238-a198064]. 167 Entretien avec Ton Vroeijenstijn, 6/02/18, 10-12h. 168 Ibidem et Entretien avec Willy van Lieshout dans le journal de l’université de Twente, « Universiteit kan zich als geen ander ongenietbaar maken », U-Today, 23/08/1995, [En ligne : https://www.utoday.nl/news/45117/universiteit_kan_zich_als_geen_ander_ongenietbaar_maken]. 169 Je me base pour cela sur une prosopographie sommaire réalisée à partir de notices nécrologiques, d’articles de journaux et d’articles de sites web des universités sur les présidents d’universités siégeant au conseil d’administration de la VSNU lors de sa fondation et pendant les cinq premières années. Le tableau réalisé pour reprendre ces données est en annexe.

70 été élus recteur avant de devenir président de leur université), et quatre à avoir fait une carrière politique (anciens ministres, députés, maires, présidents de parti ou de fraction au parlement – trois après avoir été enseignant/chercheur ou en poursuivant ces activités à temps partiel, un ayant été avocat). Par contre, ils sont sept à avoir été membre d’un parti (trois libéraux, deux chrétiens-démocrates, deux travaillistes). Trois ont travaillé au ministère de l’enseignement et des sciences et trois autres ont été sollicités par les ministres successifs pour former ou participer à des commissions, et enfin trois au moins ont travaillé dans des entreprises. Van Lieshout et Gevers étaient chacun à leurs tours favoris de leurs partis au poste de ministre, bien qu’ils n’aient pas fait carrière en politique, mais ne l’ont pas obtenu ou pas voulu. La VSNU est réputée avoir été lors de sa fondation un organe moins « politique » que son prédécesseur, le Conseil académique qui comprend des membres qui effectivement rapportent au ministère. Elle s’installe par ailleurs à Utrecht, assez centrale géographiquement, et pas à La Haye auprès du gouvernement (le Conseil académique est domicilié à La Haye). Les trajectoires des personnes dirigeant la VSNU sont néanmoins proches du pouvoir, du ministère pour l’enseignement et les sciences notamment. Dans la plupart des universités, les présidents sont choisis (nommés par le ministre) pour leur expérience dans l’administration de l’enseignement supérieur, toujours à des niveaux hiérarchiques élevés (ils vont devoir présider, après tout) : au ministère, des directeurs- généraux des départements du cabinet ou sollicités par les ministres en tant qu’experts, ou au sein des universités, des anciens doyens, recteurs ou ayant déjà présidé d’autres universités. Plus rarement, mais cela semble être le cas dans trois universités au moins, les présidents ne semblent pas avoir de qualifications dans ces domaines d’administration de l’enseignement supérieur, ni n’avoir été d’éminents chercheurs ou professeurs (dans les universités « techniques » de Twente et de Eindhoven, mais également Leiden). Plusieurs d’entre eux ont fait toute leur carrière dans la même université, l’ont présidée pendant longtemps et sont considérés comme incontournables dans l’histoire de leur établissement : en particulier Brinkman à l’université libre d’Amsterdam, Gevers à l’université d’Amsterdam, de Moor à Tilburg, ter Heege à Eindhoven – Leibbrandt a d’abord œuvré au sein du ministère à la création de la Open Universiteit, puis l’a présidée pendant sept ans. Après leur passage au conseil d’administration de la VSNU, trois d’entre eux dirigent ou président des institutions nationales importantes dans le monde académique, dont deux institutions nouvellement créées en 2003 qui s’occupent de la « qualité » de l’enseignement

71 supérieur : l’organisation pour la recherche néerlandaise (NWO), la fondation pour l’assurance qualité dans les universités néerlandaises (QANU) et l’agence d’accréditation néerlandaise et flamande (NVAO), que je présente dans l’épilogue. Les personnes à la tête de la VSNU n’ont donc pas tous l’expérience du travail universitaire et sont plutôt des « administrateurs » d’universités, en partie des politiciens, souvent des personnes dont le métier devient surtout celui de présider, souvent dans le monde académique, parfois en dehors. Certains sont vus ou se présentent comme des « managers », ou figures charismatiques de leur université : par exemple, le président de l’université technique de Twente, Carel van Lookeren Campagne, issu lui-même du privé (il a travaillé chez Douwe Egberts et Heineken), affirme vouloir faire de Twente « une université entrepreneuriale » et est à la fois présenté comme une figure de « père », « chaleureuse et sociale », accueillant avec le sourire les étudiants manifestants sur le point d’occuper ses bureaux – je tiens tout de même à préciser que ce sont des articles de presse particulièrement élogieux, parus suite à son décès170. La figure d’ « entrepreneur d’université » existe, mais ce n’est pas la norme chez ces présidents d’universités. Ce CvB de la VSNU, cependant, n’est pas seul à prendre les décisions au sein de l’association : comme évoqué, les recteurs y ont leurs réunions, tout comme les doyens et d’autres universitaires et étudiants réunis dans les commissions disciplinaires et thématiques. Par ailleurs, au début des années 1990, l’image courante prise pour illustrer la nature de la VSNU est celle d’une « brouette remplie de grenouilles », qui s’agitent dans tous les sens et ne parviennent pas à former un ensemble homogène ou consensuel. L’image vient très probablement de van Lieshout, qui prend la présidence de la VSNU en 1991 et qui souhaite amener l’association vers le modèle de « rameurs dans un bateau »171. Le journal universitaire de Twente rapporte en 1995 que la VSNU est souvent nommée « dans les couloirs » l’association des universités non-coopérantes (VNSU, Vereniging van Niet-Samenwerkende Universiteiten). L’article rapporte aussi les propos de Gevers et Brinkman, qui expliquent la difficulté pour des universités de parler d’une seule voix, encore plus de faire du « lobbying »172. Il semblerait ainsi que ce soient surtout les circonstances de l’émergence de la VSNU qui aient été le moment de « coopération » entre

170 Visschedijk, Rik, « Een vaderfiguur van de campus », U-Today, 13/02/2017, [En ligne : https://www.utoday.nl/news/63794/Een_vaderfiguur_van_de_campus] ; « UT-voorzitter Van Lookeren overleden », Algemeen Dagblad, 13/02/2017, [En ligne : https://www.ad.nl/enschede/ut-voorzitter-van- lookeren-overleden~a9ff2edb/]. 171 « VSNU nog steeds kruiwagen vol kikkers », U-Today, 11/01/1995, [En ligne : https://www.utoday.nl/news/44334/vsnu_nog_steeds_kruiwagen_vol_kikkers]. 172 Ibidem ; « Universiteit kan zich als geen ander ongenietbaar maken », U-Today, op. cit.

72 les universités : association contre les coupes budgétaires, contre l’inspection ministérielle, pour la prise en mains propres des formations et des enseignements.

La VSNU, c’est aussi un bureau : au début de son existence, il comprend une dizaine de personnes employées par la VSNU, en grande partie anciennement employés du Conseil académique ou dans les services administratifs d’universités. Ils ont des fonctions de secrétariat ou sont chargés de projet pour les diverses activités de la VSNU, dont notamment l’évaluation. Le premier directeur de ce bureau, et donc du fonctionnement de la VSNU, est un physicien de formation, ancien employé de l’université de Delft. Un personnage important pour notre récit est Ton Vroeijenstijn, historien de formation, employé au bureau du Academische Raad entre 1973 et 1985, où il est en charge de la création d’un bureau central pour la recherche sur l’enseignement supérieur, qui doit coordonner les centres de recherche en la matière qui existent dans les universités néerlandaises. Dès 1985 il devient employé de la VSNU et chargé de travailler au développement d’un système d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur – il se souvient avoir été appelé par van Kemenade qui le connaissait du Academische Raad173. Quatre personnes assistent le travail de Ton Vroeijenstijn et s’occupent donc de « qualité » – l’un d’entre eux a pris la tête d’une nouvelle équipe d’ « attention à la qualité » concernant la recherche dès les années 1990. Nous verrons leurs tâches au chapitre suivant. Le bureau s’est ainsi agrandi au fil des ans. Je mobilise ici ma correspondance avec une ancienne employée de la VSNU dans l’équipe autour de Ton Vroeijenstijn, qui me permet d’en savoir plus sur ce bureau174.

IV. HOAK, la bataille pour l’autonomie et la qualité

Venons-en à présent à l’acte fondateur des activités d’ « attention à la qualité » de la VSNU : la contribution de l’association des universités à la rédaction de la HOAK Nota de 1985, note du gouvernement pour l’autonomie et la qualité dans l’enseignement supérieur, et les négociations qui ont lieu à cette occasion entre universités et ministère. C’est pour cela que j’intitule cette sous-partie « bataille pour l’autonomie et la qualité ». La HOAK Nota de 1985 prend dans l’histoire des politiques de l’enseignement supérieur néerlandais une position de véritable jalon. En atteste par exemple la publication

173 Entretien téléphonique avec Ton Vroeijenstijn, 20/03/2017, 10-11:15 et entretien avec Ton Vroeijenstijn, 06/02/2018, 10-12. 174 Correspondance avec une ancienne employée du bureau de la VSNU, échanges de mails en mai 2016.

73 d’un article pour ses vingt cinq ans dans la revue néerlandaise de droit et politique de l’enseignement (dans la rubrique « jalons »)175. C’est un ancien fonctionnaire du ministère176 qui y analyse la note, vue depuis 2011 : il la présente avant tout comme un texte annonçant un changement de « philosophie de gouvernement » (sturingsfilosofie), laissant les « autorités » gouverner à un niveau d’agrégation plus élevé que jusqu’à ce jour, de manière à ce que les établissements d’enseignement supérieur assument une plus grande responsabilité pour leur propre organisation interne et en particulier pour l’enseignement qu’ils dispensent – pour qu’ils s’ « autorégulent »177. L’auteur constate le caractère « méta » et « vague » du document, donnant peu d’éléments empiriques et du contexte situé dans lequel elle émerge : effectivement, à aucun endroit il n’évoque les récentes coupes budgétaires ni ne thématise de manière générale le financement des universités. De plus, la HOAK concerne les universités en tant qu’établissements et les activités d’enseignement supérieur, mais à aucun moment la recherche – bien que la recherche ait lieu dans ces universités qu’il s’agit de rendre plus « autonomes »178. Nous avons vu que dans les politiques de recherche le constat dans les années 1970 est au contraire celui d’une trop grande autonomie, et que l’État se dote de plusieurs instruments pour lui rendre davantage redevable la recherche scientifique. Pour les questions d’enseignement, la HOAK ne définit pas d’objectifs précis mais estime souhaitable un système dans lequel l’enseignement puisse plus facilement « s’adapter aux nouvelles conditions » (créer des nouvelles formations, en somme), pour une plus grande « variété » dans l’enseignement supérieur. Elle prévoit qu’en l’absence de régulation a priori, les universités devront surveiller leur qualité de manière explicite et en rendre compte publiquement179.

Ainsi la HOAK, mais aussi l’implication de la VSNU, dépasse le seul objectif de créer un système d’évaluation des universités : la VSNU crée en son sein un groupe de travail « dérégulation », dans lequel les membres de direction des universités discutent de la suppression du « Academisch Statuut », règlement détaillé des cursus et diplômes universitaires, pour avoir plus d’autonomie dans leurs choix en matière d’enseignement et formations. Ces règlements sont pour eux des « obstacles au planning flexible et au

175 Mertens, Ferdinand, « Mijlpalen: Hoger Onderwijs Autonomie en Kwaliteit (Hoak) nota 25 jaar. Reden tot tevredenheid? », Nederlandse Tijdschrift voor Onderwijsrecht, vol. 23, n°1, avril 2011, p. 61-66. 176 Il y était « directeur [pour l’] instrumentation politique [dans l’] enseignement supérieur », ibid., p. 66. 177 Ibid., p. 63. 178 Ibid., p. 64-65. 179 Ibidem.

74 renouvellement de l’enseignement, ils limitent le choix des étudiants et ne constituent pas en eux-mêmes une garantie de qualité »180. La solution proposée consiste à supprimer ce règlement « détaillé » – suppression entérinée par la HOAK in fine – pour ne garder qu’une législation qui ne concerne que les programmes d’études dont l’existence est « indispensable et essentielle pour la société » – nous verrons plus bas ce que cela concerne181. Cette « dérégulation » est le corollaire de l’autonomie – le système d’évaluation va remplacer le Statuut. Ce groupe de travail « dérégulation » est précisément celui qui émet les réactions de la VSNU par rapport à la HOAK Nota – les discussions sur l’évaluation à mettre en place prennent donc place dans le cadre de réflexions sur la « dérégulation », c’est-à-dire sur les manières d’administrer les universités « autonomes », soumises à moins de règlements contraignants. Ce groupe est composé de sept hommes, dont quatre membres des collèges de direction d’universités, un doyen (celui de la faculté de droit à Rotterdam, Piet W. C. Akkermans), un « directeur de projet », J. A. Acherman, et un « secrétaire », D. R. Kooyman, employés par la VSNU. Parmi les présidents d’université se trouvent Jos van Kemenade, ancien ministre, sociologue et président de l’université d’Amsterdam déjà évoqué, Eric Bleumink, professeur de médecine puis président de l’université de Groningen et Ruud de Moor, sociologue président de l’université de Tilburg. Un dernier est membre du CvB de Twente, E. A. W. Bolle, statisticien ayant par ailleurs fondé une entreprise182.

En s’impliquant dans la rédaction de la HOAK, la VSNU mène un travail considérable de démarcation entre ce que doivent être les tâches des autorités (« de overheid », désignant le gouvernement) et celles des universités (le terme employé est « instellingen », les institutions). Les notes, rapports et avis qu’elle produit sont éloquents sur tous ces aspects : je les analyse ci-dessous. Ces écrits sont l’œuvre des membres de la VSNU, des collèges de direction des universités, constitués en groupes de travail, formellement avec le concours des employés de la VSNU. Ces derniers seraient dans les faits moins actifs dans ces écrits de positionnement que plus tard dans l’élaboration des protocoles et procédures pour le système d’évaluation de la qualité négocié entre ministère et VSNU – notamment Ton Vroeijenstijn, comme il en témoigne183.

180 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 5 [NA, 2.19.250/329]. 181 Ibidem, p. 6 182 Ibidem. 183 Entretien téléphonique avec Ton Vroeijenstijn, 20/03/2017, 10-11:15.

75 1. Tenir le gouvernement à distance a. « Ontstrengelen » – démêler les responsabilités de chacun

La VSNU rappelle tout d’abord les missions des autorités en matière d’enseignement supérieur : elles ont « comme tâche de maintenir et de développer un système d’infrastructure par et dans lequel un enseignement scientifique peut avoir lieu qui permet aux étudiants d’être capables de mener à bien des recherches aussi bien que d’exercer un métier pour lequel des connaissances scientifiques sont requises – un système qui contribue au développement des personnes et des groupes, et au fonctionnement sociétal »184. L’enjeu consiste donc à former les étudiants à la fois à la carrière académique et aux métiers hors université ; le gouvernement doit garantir les conditions de possibilité du bon fonctionnement d’un tel enseignement supérieur – sous-entendu il doit se limiter à cela. Ce rappel de la VSNU est en effet destiné à indiquer ses limites au ministère. Explicitement, la VSNU se sert du projet de la HOAK comme « cadre de discussion » et de « développement d’idées » au sein des institutions et avec le ministère sur les « changements souhaités [par celui-ci et par les universités] dans les relations entre autorités et institutions d’enseignement supérieur »185. L’organe de conseil auprès du gouvernement ARHO abonde dans ce sens et annonce au ministère qu’il faut « démêler » (ontstrengelen) et « défaire les écheveaux existants » dans le « champ de tension entre les responsabilités respectives des institutions et des autorités »186. Les négociations portent donc sur une modification des répartitions des tâches actuelles, et le gouvernement, en lançant le projet de la HOAK, semble être en faveur. Les universités voient la HOAK comme un ensemble de « propositions sur le gouvernement de l’enseignement supérieur par les autorités », sur le « partage des responsabilités ». Les tâches des institutions doivent être vues comme « complémentaires » à celles des autorités. « Étant donnée l’autonomie (zelfstandigheid) et l’expertise (deskundigheid) des institutions, il va de soi de leur faire prendre en charge elles-mêmes le

184 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 3 [NA 2.19.250/329]. 185 Ibidem. 186 Adviesraad voor het hoger onderwijs (ARHO), « Kwaliteitsbewaking in het hoger onderwijs », Advies aan de van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986, p. 2-3 [NA 2.19.250/329].

76 contrôle de la qualité aussi bien de l’enseignement que de la recherche »187. En effet, comme nous allons le voir dans la sous-section qui suit, l’évaluation incombe aux universités ; la surveillance de son bon déroulement, le cas échéant, aux autorités. b. Surveiller… sans trop punir

En effet, selon la VSNU, le projet de la HOAK tel que présenté par le ministère part trop du principe que l’évaluation est une tâche des autorités, mélangeant leur devoir légal de garantir l’ « aptitude » (deugdelijkheid) de l’enseignement et leur rôle dans l’évaluation de l’enseignement : elles devraient se limiter à veiller à ce que les universités s’en occupent suffisamment188. Tandis que les institutions d’enseignement ont la « responsabilité pour les systèmes d’évaluation », les autorités ont la « responsabilité pour la surveillance de la qualité » dans l’enseignement supérieur189. La surveillance se fait donc à une certaine distance et en dernier recours, en cas de problème. L’évaluation, telle qu’envisagée à cette époque (et telle qu’elle sera effectivement mise en place en 1987), est légalement placée sous la « surveillance » de l’inspection de l’enseignement190. Le premier projet de la HOAK propose d’inclure des inspecteurs dans l’organisation et l’administration des commissions de visite, dans les tâches de développement des objectifs de l’évaluation et de la méthodologie, et dans l’accompagnement des procédures d’évaluation. Souvenons-nous que Deetman cherche initialement à faire inspecter l’enseignement supérieur de la même manière que l’enseignement professionnel. Cependant, procéder ainsi consisterait pour la VSNU à confondre l’évaluation interne aux universités et celle, externe, par le ministère191. Pour elle, les universités devraient engager leur responsabilité pour leur propre évaluation (par une signature), et ensuite rendre des comptes de leur système et des évaluations effectuées au ministère. Celui-ci pourrait alors avoir recours à une évaluation « indépendante » de celle menée sous la direction de l’institution, mais uniquement s’il a des doutes sur le soin apporté aux évaluations par l’institution192. Aussi, les autorités ne devraient qu’intervenir « en cas de manquement »193, et

187 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 9 [NA, 2.19.250/329]. 188 Ibid., p. 5. 189 Ibid., p. 4. 190 ARHO, « Kwaliteitsbewaking in het hoger onderwijs », Advies aan de minister van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986, p. 3 [NA 2.19.250/329]. 191 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 4 [NA 2.19.250/329]. 192 Ibid., p. 17.

77 limiter les conséquences négatives en termes de financement aux cas de problèmes sérieux194. La VSNU se prémunit contre le couplage des résultats de l’inspection (et de leurs propres évaluations) à des sanctions budgétaires. Les autorités peuvent surveiller, mais sans trop punir. c. Limiter l’autorité et augmenter la responsabilité

Dans cette entreprise de clarification des tâches de chacun, il s’agit pour la VSNU avant tout de limiter celles des autorités : le verbe « limiter » ou « confiner » (beperken) apparaît souvent en lien avec le mot « autorité » (overheid)195. On préconise ainsi pour les autorités de « se retirer » (terugtreden van de overheid) et une « plus grande autonomie pour les institutions » (vergroting van de autonomie der instellingen). C’est également l’avis de l’une des principales responsables de l’organisation des évaluations au sein du bureau de la VSNU dans les années 1990 : la mise en place des systèmes d’évaluation aurait été poussée par les universités, dans le but d’empêcher le ministère d’introduire une inspection de l’éducation dans l’enseignement supérieur ou, du moins, de limiter ses pouvoirs196. L’ARHO analyse et préconise que les universités « peuvent prendre plus de responsabilité » mais tout autant qu’elles « vont devoir porter plus de responsabilité pour le système d’enseignement supérieur » (je souligne)197. La VSNU abonde dans ce sens : elles « portent elles-mêmes la responsabilité pour le développement d’un système ouvert et transparent de surveillance de la qualité »198. La responsabilité est ainsi comprise comme une liberté mais aussi comme un devoir et un fardeau. Notons qu’il ne s’agit pas uniquement pour les universités de prendre la responsabilité pour leur organisation et leur évaluation, mais, par leur évaluation, elles peuvent aussi exercer la « responsabilité publique des moyens mis en œuvre par les autorités »199 – c’est-à-dire rendre des comptes au contribuable des actions gouvernementales en matière d’enseignement supérieur. Responsabilité dont on pourrait

193 Standpunt van de instellingen voor W.O. inzake de concept-beleidsnota hoger onderwijs, autonomie en kwaliteit, vastgesteld in het bestuurlijke overleg VSNU, 17 juni 1985, p. 5 [NA 2.19.250/329]. 194 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 4 [NA, 2.19.250/329]. 195 Ibid., p. 15. 196 Correspondance avec une ancienne employée du bureau de la VSNU, échanges de mails en mai 2016. 197 ARHO, « Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK », Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 1-3 [NA 2.19.250/330]. 198 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 3 [NA, 2.19.250/329]. 199 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449].

78 penser qu’elle incombe aux autorités, mais qui est ici prise en charge par les universités elles- mêmes. d. Gouverner à distance

Dans ces négociations entre périmètres du ministère et des universités, le partage des tâches tel que décrit jusqu’ici est, en quintessence, la définition du « gouvernement à distance » (afstandelijk bestuur ; besturen voulant dire administrer, gérer) tel que véhiculé dans ces échanges sur l’écriture de la HOAK et sur l’évaluation à mettre en place : « Les institutions règlent elles-mêmes l’accomplissement de leurs tâches et les autorités ne s’en mêlent que si elles l’estiment nécessaire », résume l’ARHO200. La VSNU estime que l’évaluation permet d’« administrer à distance » (besturen op afstand) : cela veut dire qu’il faut être d’accord sur le fait que la « responsabilité administrative » (bestuurlijk) des institutions appartient à elles-mêmes, mais aussi que « plus d’autonomie et de flexibilité sont nécessaires pour pouvoir activement affecter les développements sociétaux en matière d’enseignement, de recherche et de technologie ». Les universités demandent en somme plus de capacité d’action, plus de liberté de mouvement, notamment en ce qui concerne le développement des formations. Les autorités, elles, doivent « se retenir » dans le développement de politiques, ne pas les « imposer », et surtout « réagir », dans leur « planning à long terme »201. Alors même que le projet de la HOAK parle lui-même de gouvernement à distance, la VSNU estime qu’il n’y est pas encore assez « distant » et reformule les périmètres d’action de chacun. C’est ce que nous avons vu dans les sous-sections précédentes, notamment celle sur la surveillance. L’internalisation de l’évaluation par les universités, à la lumière de ces lectures, est donc le combat des universités elles-mêmes. Un autre aspect de cette distance, et qui est déjà contenu dans le projet de la HOAK tel que reçu et commenté par la VSNU, est le changement du niveau de gouvernance sur lequel « les autorités » doivent intervenir : dans un mouvement d’éloignement de celles-ci de l’enseignement supérieur, elles ne doivent que gouverner (du planning jusqu’au financement) à un niveau supérieur que les disciplines ou domaines d’études (studiengang). Aussi, il s’agit de regrouper les disciplines en « secteurs », au sein desquels les institutions conservent une liberté quant au choix des cursus proposés (onderwijsaanbod). Les secteurs sont donc des

200 ARHO, « Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK », Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 1-2 [NA 2.19.250/330]. 201 Standpunt van de instellingen voor W.O. inzake de concept-beleidsnota hoger onderwijs, autonomie en kwaliteit, vastgesteld in het bestuurlijke overleg VSNU, 17 juni 1985, p. 3 [NA 2.19.250/329].

79 unités de gouvernement, introduits par la HOAK, mais dont les découpages doivent être décidés de concert entre toutes les instances de l’enseignement post-secondaire, et pas uniquement les universités202. Dans le cadre de ces négociations, positionnements et démarcations, la VSNU, en prenant sur soi l’évaluation, estime cependant qu’elle n’est pas un relais des autorités sur les universités, qu’elle n’est pas un échelon intermédiaire du gouvernement à distance : elle ne fait que rendre un service203 – c’est une manière de mettre encore plus à distance le gouvernement, mais c’est une affirmation il est vrai un peu incongrue dans la mesure où la VSNU reprend de fait des tâches incombant auparavant au ministère.

2. Débureaucratiser

Dans les textes préparatifs, en amont de l’émergence des systèmes d’évaluation, le discours sur le gouvernement à distance va de pair avec un souhait de « dérégulation » (deregulering) – nous l’avons vu dès l’intitulé du groupe de travail de la VSNU qui s’occupe de la HOAK204 – la « débureaucratisation » (ontbureaucratisering) est une autre notion utilisée dans ce cadre205. a. Déréguler l’organisation des cursus

On a vu que les autorités sont appelées à se limiter, se retenir : en effet, elles sont vues comme porteuses de trop de régulations (overregulering). Cela vise essentiellement le Academisch Statuut, qui stipule le règlement des cursus universitaires : la dénomination des formations et cursus existants, et quels cours sont nécessaires à l’obtention de quel diplôme. Ce Statuut existe depuis 1921206. Les universités demandent un allègement de ces règlements, voire sa suppression : même si l’organe de conseil auprès du ministère en matière d’enseignement supérieur ne rapporte pas de véritable demande de suppression du Statuut par les enseignants, il fait en revanche remonter leurs plaintes sur les règles trop détaillées qui « enferment » assez tôt les

202 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 4-5 [NA, 2.19.250/329]. 203 Ibid., p. 17. 204 Le groupe de travail au sein de la VSNU qui rédige ses avis sur le projet de la HOAK s’appelle Werkgroep Deregulering ; ibidem. 205 VSNU, Korte besluitenlijst bestuurlijk overleg, 30 januari 87, p. 2 [NA 2.19.250/32]. 206 Louw, Rudolf G., Het Nederlands Hogeronderwijsrecht. Een thematisch commentaar op het Wet op het hoger onderwijs en wetenschappelijk onderzoek, thèse de doctorat, Leiden University Press, 2011.

80 étudiants dans des voies spécialisées d’où on ne peut plus sortir aisément207. Pour les présidences des universités rassemblées à la VSNU, le rejet est plus clair : le Statuut « rend un planning flexible difficile, entrave le chemin de novations dans l’enseignement, limite la liberté de choix des étudiants et n’offre en lui-même pas de garantie de qualité ». Ce sont « ces règles minutieuses, décrets, procédures d’approbation […] qui dans la pratique limitent l’autonomie et la liberté d’action des institutions, et qui ainsi frustrent les initiatives de mouvement et de novation au sein des institutions ». Il s’agit de « bureaucratie coûteuse et superflue », « inefficace », « coûteuse en temps » et « inutile »208. On somme, le Statuut rend difficile la création de nouveaux cursus. La VSNU concède cependant qu’à l’abolition du Statuut, il faudra introduire des nouvelles dispositions règlementaires sur certains domaines d’enseignement aux « effets civils », comme les cursus « qui mènent à des formations indispensables pour la société (médecins, ingénieurs civils, etc.) » et ceux qui « sont liés à des effets civils reconnus par les autorités (Droit néerlandais) ». Dans ces domaines, supposés évidents ou définis par les « autorités », celles-ci gardent donc, selon la VSNU, une légitimité à intervenir dans l’organisation de leurs enseignements209. On notera qu’on ne trouve ici qu’une liste non exhaustive des domaines que cela peut concerner : médecine, ingénierie civile, droit néerlandais. La VSNU regrette que le projet de la HOAK n’aille pas assez loin, oublie beaucoup d’endroits et de manières possibles pour la dérégulation, et ne limite pas de manière assez drastique la « rage réglementaire » (regelzucht). Aussi, le « souhait [exprimé dans la HOAK] pour une autonomie plus grande et plus vaste semble peu crédible ou peu faisable ». Pour déréguler, la VSNU ne pose pas son espoir dans une nouvelle loi, mais il suffit de « vraiment être prêt à vouloir gouverner à distance ». La dérégulation est « à portée de main » : c’est sur le terrain de la « culture de l’administration » (bestuurscultuur) qu’on peut réaliser le gouvernement à distance. Aussi faut-il plus d’ « autonomie » dans les « pratiques quotidiennes de gestion », une « attribution efficace des moyens » en termes de « personnel et investissements »210. La VSNU croit en la modification locale des pratiques, moins en les capacités de réformes par le haut.

207 ARHO, « Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK », Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 19 [NA 2.19.250/330]. 208 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 5-6 et p. 25 [NA, 2.19.250/329]. 209 Ibid., p. 5-6. 210 Ibid, p. 2, p. 6 et p. 24; VSNU, Korte besluitenlijst bestuurlijk overleg, 30 januari 87, p. 2 [NA 2.19.250/32].

81 b. Déréguler sans désordre : se concerter

À côté de la dérégulation par le ministère, en supprimant le Academisch Statuut notamment, les institutions doivent veiller à se « concerter mutuellement » et à se « répartir les tâches », pour « empêcher que l’autonomie mène à des doublons, et à une concurrence inefficace sur les marchés des étudiants et des moyens potentiels ». « Sans cette concertation, l’autonomie mène facilement à l’arbitraire des autorités et à la concurrence inefficace ». Ainsi, dérégulation ne doit pas vouloir dire anarchie totale du marché libre : il faut conserver des instances de coordination des différentes institutions « autonomes », qui remplacent la bureaucratie antérieure trop contraignante. Ces réflexions entre institutions ne doivent pas avoir de caractère ponctuel, mais doivent « résulter d’une vision plus intégrale des développements souhaités dans l’enseignement scientifique néerlandais ». À ce titre, la VSNU estime que des études sur les développements dans les sciences et dans la société devraient être à disposition des institutions et du ministère211. En se concertant, les universités souhaitent également se différencier : des problèmes peuvent se créer si les institutions ont « les mêmes initiatives ». Pour la VSNU, « une plus grande différenciation des cursus peut augmenter l’attractivité de l’enseignement supérieur et diminuer le taux d’abandon des études, les étudiants trouvant des formations qui répondent mieux à leurs souhaits et capacités ». Aussi, elle est contre la sélection et les limitations à l’accès aux études universitaires, et estime important que le ministère continue à « honorer l’afflux d’étudiants dans le financement » des universités212. Nous avons vu précédemment l’augmentation explosive de la démographie universitaire : proposer plus de formations différentes doit probablement aussi être vu sur fond de ce nouvel enjeu qu’est un enseignement supérieur beaucoup plus peuplé qu’avant. Des cursus plus différents sont aussi susceptibles de satisfaire plus de personnes (diminuer les taux d’abandon). Le conseil du gouvernement en matière d’enseignement supérieur ARHO analyse la situation de l’enseignement supérieur en 1986 comme ayant connu des changements importants dans la dernière décennie : la « pression sur la qualité » de l’enseignement supérieur et de la recherche aurait augmenté, et l’enseignement aurait trop peu joué son rôle dans le suivi des facteurs d’évolution des pratiques de métier. Aussi, les formations ne suivant pas assez le développement technologique, on se retrouve avec un manque de main d’œuvre

211 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 17 [NA, 2.19.250/329]. 212 Ibid., p. 19-23.

82 dans certains domaines et du chômage dans d’autres. « Les institutions manquent systématiquement de responsabilité pour leurs choix d’objectifs et pour les mesures pour une qualité d’enseignement aussi haute que possible »213. Il conclut que « l’accentuation d’une évaluation de la qualité ex post est le complément évident de l’augmentation de la liberté des institutions dans la programmation et l’installation de l’offre des cursus et formations »214. Si l’on supprime le règlement et libère les universités, elles vont bien devoir installer des formes de contrôle a posteriori de ce qu’elles font de cette liberté. La solution aussi bien à ce besoin de « concertation » que de « qualité » est la mise en place d’un système d’évaluation de la qualité tel que décrit par la VSNU. Il faut, d’après la VSNU, non seulement que les universités se concertent (c’est effectivement une raison d’être de cette association d’universités), mais aussi qu’institutions et autorités se concertent entre elles, même si cela peut paraître contraire à l’autonomie : « une plus grande autonomie par rapport aux autorités ne peut qu’être assumée et réalisée de manière efficace si une concertation mutuelle et un partage des tâches préviennent arbitraire, gaspillage et introversion » 215 – voilà où la VSNU voit son rôle. C’est aussi une justification de la VSNU pour ce travail de démarcation (démêler les tâches de chacun) que j’ai analysé ci-dessus : il doit éviter que ministère et VSNU fassent double emploi. Il faut aussi rappeler que ce passage est adressé au ministère : ces lignes servent à le ménager et convaincre de leur bonne volonté. Dans l’analyse de l’ARHO, le ministère semble adhérer à cette vision des choses, puisqu’en « réduisant les règles et procédures uniformisantes et centralisantes et en favorisant les prises de décision pluriformes et décentralisées, [il] veut stimuler la flexibilité du système d’enseignement supérieur ». Le texte de la HOAK telle que proposée par le gouvernement constate le peu de « disposition au changement » dans l’enseignement supérieur, qui « résulte aussi bien de la structure que de la culture » au sein du système d’enseignement supérieur216. En somme, la VSNU et le ministère présentent l’émergence de l’évaluation comme un remplacement direct des règlements « bureaucratiques », pour accroître l’autonomie des universités (et par ricochet des étudiants) dans leurs choix en matière d’enseignement supérieur, d’administration et d’allocation des ressources en interne – tout en ne pouvant pas laisser de vide administratif complet.

213 ARHO, « Kwaliteitsbewaking in het hoger onderwijs », Advies aan de minister van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986 [NA 2.19.250/329]. 214 Italique dans la source : ARHO, Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK, Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 1 [NA 2.19.250/330]. 215 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 10-11 [NA, 2.19.250/329]. 216 ARHO, Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK, Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 2 et p. 13 [NA 2.19.250/330].

83

Il faudrait évidemment s’interroger sur l’apparente homogénéité de la position de la VSNU, et savoir quelles oppositions ses membres (certaines universités) ont pu éventuellement exprimer à l’entreprise de la VSNU et à son acception de l’ « autonomie ». À la lecture des premiers documents de réunions de la VSNU, les présidents des universités au moins sont certainement acquis à la cause, ou jouent le jeu. En dehors de ce groupe de travail au niveau de la VSNU, on peut trouver des positions contrastées parmi les présidences d’universités individuelles. Comme réactions à la première version de la HOAK et au premier re-travail par la VSNU, on peut citer celle de l’université de Utrecht, en faveur de l’évaluation telle que proposée (effectuée par les institutions elles- mêmes), tout en insistant qu’il serait nécessaire d’impliquer les étudiants tout au long de l’évaluation. Nous verrons au chapitre suivant dans quelle mesure ce sera le cas, mais c’est en tous cas un niveau de précision dans lequel n’entre pas encore le groupe de travail « dérégulation » de la VSNU. L’université de Leiden s’exprime contre l’évaluation, car elle surmènerait le « management de l’enseignement » : il faudrait au contraire garder le Academisch Statuut, la HOAK paraissant « peu mûrie », comme si elle était « conçue derrière un bureau, sans penser si elle est réalisable ou pas ». C’est étonnant si on se rappelle que le CvB de Leiden a pris une position beaucoup plus interventionniste pour l’administration de la recherche produite dans son université (Z-financiering précurseur du système de financement conditionnel). Rotterdam elle aussi craint que l’évaluation serait « en trop », en sus des commissions déjà existantes de « reconnaissance » des formations (les verkenningscommissies ministérielles) : une « surveillance légère » serait à privilégier. Groningen par contre est d’accord avec la proposition d’évaluation, mais estime qu’il ne faut pas trop insister sur l’évaluation interne, sinon la procédure perdrait en crédibilité : il faudrait bien équilibrer l’aspect interne et externe. Toutes ces réactions individuelles et groupées au sein de la VSNU ont mené à une nouvelle version de la HOAK, envoyée au parlement (Tweede Kamer) début 1986217.

217 Lettres des directions des universités de Utrecht, Leiden, Rotterdam et Groningen à la VSNU, 5 et 10 décembre 1985, 13 et 20 janvier 1986 [NA 2.19.250/330].

84 V. Vers la création d’une attention à la qualité systématique

Reste que la VSNU se propose pour mettre en œuvre un « système d’attention à la qualité [kwaliteitszorgstelsel] structurel et visible pour les autorités »218, tout en insistant pour que ce système soit l’affaire des institutions d’enseignement supérieur, et que les autorités ne s’en mêlent qu’en cas de manquement. Bien que toutes les universités ne soient pas d’accord, au niveau de la VSNU la décision est prise en faveur d’un système national pour toutes les universités, organisé par disciplines – la VSNU elle-même étant organisée en « organes disciplinaires », et un interdisciplinaire219. La VSNU dit vouloir partir de ce qui est déjà fait en interne dans les universités, bottom-up, pour rejoindre ce qui est demandé top-down. En effet, elle met en garde contre un système d’évaluation imposé par le haut, qui méconnaîtrait les mécanismes de kwaliteitszorg internes existants et qui susciterait donc la méfiance des universitaires. En conséquence, il faut que les institutions mettent en avant ce qui existe déjà, l’explicitent et si nécessaire le renforcent. L’ « attention à la qualité » présente dans les départements et facultés doit former le « concept de base » pour la mise en place du système d’évaluation par la VSNU : « instrumentaire pour l’évaluation systématique des cursus », c’est-à-dire évaluation des étudiants, surveillance des échéances, des pourcentages de succès, rapports d’enseignements, et commissions de reconnaissance des formations. Jusqu’ici, concède la VSNU, la kwaliteitszorg n’était pas « structurelle et visible », mais cela ne veut pas dire que les institutions n’ont rien fait dans ce sens220. Arrêtons-nous un bref instant sur la terminologie employée : au sein de la VSNU et dans la HOAK, il est question dans un premier temps d’un système de « souci », « soin » ou « attention » pour la qualité, le kwaliteitszorgstelsel. Dès 1985/6, la VSNU parle également d’ « evaluatie »221 et de « kwaliteitstoetsing »222 (test de la qualité), comme synonymes, mais j’ai noté ces termes beaucoup moins souvent que kwaliteitszorg. Ce dernier terme est aussi celui par lequel se désignent les employés du bureau de la VSNU qui travaillent à ce système d’évaluation de l’enseignement supérieur, autour de Ton Vroeijenstijn. Au même moment,

218 Standpunt van de instellingen voor W.O. inzake de concept-beleidsnota hoger onderwijs, autonomie en kwaliteit, vastgesteld in het bestuurlijke overleg VSNU, 17 juni 1985, p. 5 [NA 2.19.250/329]. 219 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985 [NA 2.19.250/329]. 220 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 4-8 [NA, 2.19.250/329]. 221 VSNU, Korte besluitlijst van het bestuurlijk overleg op 2 mei 1986 et VSNU, Korte besluitenlijst uit ab en bo op 4 sept. 1987 [NA 2.19.250/32]. 222 VSNU, Groupe de travail « Deregulering », Notitie Verschiedenheid en Kwaliteit, annexée à la lettre du Bureau der Universiteit van Amsterdam, D.R. Kooyman à het Bestuur van de VSNU, 15 novembre 1985 [NA 2.19.250/329].

85 l’organe de conseil ministériel ARHO parle plutôt de « kwaliteitsbeoordeling »223 (jugement ou évaluation de la qualité). Nous reviendrons sur l’évolution de cette terminologie lors du début « en actes » des activités qu’elle désigne, au prochain chapitre.

1. « Autonomy ? What autonomy ? »224

Tous les thèmes pris pour angles d’analyse jusqu’ici font état de tensions, voire de paradoxes : l’interne et l’externe, l’ancien et le nouveau, la dérégulation et une nouvelle procédure. Ces tensions s’expriment assez nettement autour de la notion d’autonomie : la HOAK, le ministère et la VSNU parlent d’autonomie des universités, qui doit être augmentée, par le biais notamment d’un système d’évaluation de la qualité dont elles prennent elles- mêmes la direction. Répondre à la question « que désigne cette autonomie ? » permet déjà de faire un point sur l’histoire que nous venons de parcourir. Il s’agit avant tout d’une autonomie de gestion, pour s’organiser soi-même – pas d’une autonomie intellectuelle des enseignants qui serait à préserver, par exemple. Elle doit permettre de faire la place pour de nouvelles formations : avoir l’autonomie de changer, de s’adapter au monde extérieur, à la société (sans que les textes insistent en particulier sur le marché du travail pour les diplômés, mais nous verrons au prochain chapitre ce qu’ils entendent par « la société »). Le ministère donne cette autonomie, en demandant de la redevabilité en échange. Le président de l’université libre d’Amsterdam, Harry Brinkman, est assez clairvoyant là-dessus dès 1986 : il parle d’« autonomie conditionnelle »225, comme le financement conditionnel, qui, rappelons-le, était présenté comme financement protecteur par le ministre Deetman en 1982. L’autonomie, pour les universités qui s’associent, c’est aussi avoir plus de force pour se défendre des « attaques » du gouvernement (TVC et inspection) – une autonomie corporatiste, professionnelle. Le ministère, pour sa part, se défait des tâches désagréables comme l’organisation des coupes budgétaires ; il fait donc des universités (de ses dirigeants, notamment les présidents d’universités) les agents politiques du ministère. Une autonomie qui signifie donc une délégation des tâches, des pouvoirs, des responsabilités.

223 ARHO, « Kwaliteitsbewaking in het hoger onderwijs », Advies aan de minister van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986 [NA 2.19.250/329]. 224 L’historien de la Vrije Universiteit Amsterdam Abraham C. Flipse concluait avec ces mots son intervention sur les transformations des régimes de gouvernance des universités néerlandaises, à la 7e conférence de la société européenne d’histoire des sciences (ESHS), le 22 septembre 2016. 225 C’est le titre de son allocution de rentrée universitaire en 1986 : Flipse, Ab, « The universities between the state and the market: changes in governance, funding and quality control since the 1980s in the Netherlands. The case of the Vrije Universiteit Amsterdam and its distinctive identity », Paper presented at the conference ‘Funding Bodies in Late Modern Science’, , 30/11-1/12/2017.

86 Dans la recherche également nous avons vu l’émergence d’outils qui installent les prises de décision à des échelles inférieures, où les universités interagissant avec des commissions d’experts (verkenningscommissies, financement conditionnel). Ainsi, bien que ces développements soient caractérisés au milieu des années 1970 comme s’opposant à la trop grande autonomie des chercheurs qui font ce qu’ils veulent comme ils l’entendent, ils participent en fait au même mouvement que dans l’enseignement supérieur où on parle de « plus d’autonomie » pour les établissements. Cette autonomie-là est effectivement celle des chercheurs dans les universités, pas celle des établissements promue dans la HOAK. Ce qui m’intéresse ici c’est donc qu’en fonction de quelle autonomie on parle, des systèmes d’ « évaluation » émergent pour créer l’autonomie (des établissements, pour l’organisation de l’enseignement supérieur) et à la fois pour remédier contre la trop grande autonomie (des chercheurs) – et cela m’intéresse d’autant plus que les systèmes de « kwaliteitszorg » successifs pour l’enseignement supérieur et pour la recherche seront largement créés sur le même modèle et en se référant l’un à l’autre, comme nous verrons au chapitre suivant. Encore un commentaire sur ces questions d’autonomie, qui permet de les saisir par contraste avec ce que nous avons vu dans ce chapitre : peu après la HOAK, en 1987, un groupe d’universitaires (dont le futur ministre de l’enseignement et de la recherche, travailliste, , le futur ministre de la justice chrétien-démocrate Ernst Hirsch-Ballin ainsi que le recteur de l’université de Rotterdam) publie avec le cabinet de conseil McKinsey un texte intitulé « l’université entrepreneuse » (on dirait plutôt entrepreneuriale mais la traduction littérale est celle-ci). Ils y plaident – eux aussi – pour une plus grande « autonomie » des universités, mais dans l’installation de frais de scolarité, de moyens de sélection des étudiants à l’entrée des universités et afin de pouvoir entrer sur le marché financier : une autonomie dans le sens de la « libéralisation » et du marché226. Ces positions, qui devraient être étudiées plus en détail, résonnent avec bien des aspects du gouvernement Lubbers, mais restent très divergentes par rapport à la HOAK Nota de son ministre Deetman. Il semblerait donc qu’en 1985, c’est un modèle encore davantage social-démocrate ou étatique qui prime sur un modèle plus libéral. Enfin, il faut se rappeler aussi que nombre de personnes ayant vécu ces transformations dans les universités (notamment l’installation des systèmes d’évaluation), et qui parfois les analysent avec un regard des sciences humaines et sociales, ne les décrivent

226 Mertens, Ferdinand, « Mijlpalen: Hoger Onderwijs Autonomie en Kwaliteit (Hoak) nota 25 jaar. Reden tot tevredenheid? », op. cit., p. 63-64.

87 pas comme une « autonomisation » des universités, mais parlent au contraire d’un surplus de contraintes, de comptes à rendre dans des processus formalisés, de définitions de la qualité de leur travail qui leur sont étrangères, d’agendas politiques imposés par des organes de gestion de plus en plus managériaux – en bref, de moins d’autonomie227. Il convient donc aussi de s’interroger sur qui obtient de l’autonomie dans cette histoire : nous parlons depuis le début des présidents d’universités et avant tout de leur association, la VSNU, moins du corps universitaire.

2. Conclusions

Faisons le point : l’histoire de l’émergence d’un système d’évaluation de l’enseignement supérieur dans les universités néerlandaises est intimement liée à l’histoire de l’émergence d’une association de ces universités, et des politiques universitaires menées à ce moment et en amont par les ministères des années 1970 et 1980. S’y entrecroisent la massification des universités, l’expérience des mouvements protestataires dans et autour des universités, et les problèmes budgétaires, dans l’enseignement supérieur mais de manière plus large en ce début des années 1980. S’y rajoutent un gouvernement « managérial » et ses volontés de « déréguler », « autonomiser », déléguer des pouvoirs tout en gardant leur hiérarchie. Plus concrètement dans les universités, ces éléments rejoignent les problèmes qui consistent à organiser des enseignements pour un plus grand nombre et des populations nouvelles (se libérer du Academisch Statuut), ou à « diriger » et « administrer » (besturen) des universités « démocratiques » (plus grandes, avec des voix discordantes et contestataires parfois). Les universités sont encore confrontées aux coupes budgétaires et à des demandes de contrôle sur ses activités de la part du ministère. Réduire les budgets sans trop faire de dégâts et surveiller ce qui se fait dans les universités se traduit alors dans la réduction de la durée des études couplée à la réforme du financement des études (essayer de continuer à garantir l’accès aux études supérieures à un « grand nombre »), les divers outils pour garder un œil sur les dépenses pour la recherche et le financement conditionnel « protecteur », et enfin l’installation d’un système de « kwaliteitszorg » dans l’enseignement supérieur, à défaut de laisser entrer l’inspection ministérielle dans les universités.

227 Mais ces écrits sont plus récents et portent sur des transformations postérieures (et/ou successives) à celles que nous analysons ici. Voir par exemple Halffman, Willem et Radder, Hans, « The Academic Manifesto: From an Occupied to a Public University », op. cit.

88 C’est donc dans ce cadre qu’on peut à présent comprendre la mise en place d’un système d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur telle qu’argumentée dans nos sources : comme une manière de mettre en œuvre l’ « autonomie » des universités, du point de vue de la politique universitaire. En d’autres termes, l’évaluation (la kwaliteitszorg, soin à la qualité, le système que va mettre en place la VSNU) n’est qu’un aspect de ce que je propose d’appeler une dérégulation administrée, mais c’est aussi par l’évaluation que cette dérégulation va être mise en œuvre : installer un tel système va permettre aux universités de se gérer elles-mêmes ; c’en est en quelque sorte un des premiers pas. Cette négociation entre gouvernement et universités est aussi formulée en d’autres termes par un directeur de projet au sein de la VSNU, en charge des évaluations, en 1990 : « la littérature a montré que les universités ne font confiance qu’au jugement de pairs experts », la méfiance entre ministère et monde académique étant réciproque (« Pourquoi le ministère veut-il autant d’informations concrètes ? Que va-t-il en faire ? » et « Les universitaires veulent-ils nous cacher quelque chose ? Ne savent-ils pas nous donner des informations spécifiques parce que leurs administrations fonctionnent mal ? »)228. Du point de vue des universitaires que sont aussi ces personnes impliquées dans ces écrits et dans les actions pour la mise en place de l’évaluation, il s’agit de participer à un travail de communication envers le ministère qui permette de les maintenir en charge et en contrôle de la manière dont sont gouvernés les enseignements au sein des universités – que ce soit pour préserver l’intégrité de leurs activités au sein des universités (ne pas laisser le ministère ou son inspection décider des cours faisant partie d’un cursus) ou que ce soit pour transformer ces activités (proposer de nouveaux cours, en fonction de ce que demandent des étudiants ou leurs potentiels employeurs ultérieurs). En d’autres termes, on peut dire que le consensus s’est formé autour d’une nouvelle manière pour l’État de garder un certain contrôle sur ce qui se passe dans les formations universitaires : à l’origine exercé sous forme d’un règlement (Academisch Statuut), il doit avoir lieu désormais par une structure, un « système » qui prévoit des procédures (le kwaliteitszorgstelsel) dont les universités vont rendre compte, et par un contrôle indirect (c’est un point important des négociations) par l’inspection ministérielle, la tutelle du système en question.

228 L’article relate des paroles de Hans Acherman, « directeur de projet » à la VSNU, proche collaborateur de Ton Vroeijenstijn dans la kwaliteitszorg : van Koolwijk, Quirien, « Wie meet de kwalitiet van het onderwijs ? », Nieuwe Rotterdamse Courant, 3/04/1990, [En ligne : https://www.nrc.nl/nieuws/1990/04/03/wie-meet-de-kwaliteit-van-het-onderwijs-6927037-a933251].

89 Ceci ne sont que des conclusions préliminaires, mais il me semble important de manière plus générale de considérer l’émergence de nouvelles formes d’ « évaluation » toujours en lien avec les questions budgétaires – elles seraient en quelque sorte une mesure de contrebalancement des coupes budgétaires : on réduit le budget, mais puisqu’on se préoccupe de la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche, les conséquences ne seront pas trop néfastes. Ou encore, puisqu’on réduit, il faut évaluer, ou puisqu’on évalue, on peut réduire. C’est une logique plus explicite dans le financement conditionnel par exemple (préserver la bonne recherche des coupes budgétaires) que dans l’enseignement supérieur, où l’évaluation sert notamment, comme nous allons voir, à vérifier que les cursus soient étudiables en quatre ans (ce qui, en somme, signifie aussi permettre des économies).

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FRANCE, CHAPITRE 1

L’ÉMERGENCE D’UN COMITÉ D’ÉVALUATION DES UNIVERSITÉS EN FRANCE,

1981-1985. SCHWARTZ, SAVARY ET LES UNIVERSITÉS FRANÇAISES

Résumé du chapitre Sous Mitterrand et le nouveau gouvernement Mauroy, Laurent Schwartz est chargé de réaliser le rapport du bilan pour l’enseignement et la recherche. Si la recherche française lui semble bien se porter, il a de nombreuses critiques à adresser aux universités, qui doivent se transformer face à son nouveau public grandissant. Aussi, il propose un programme pour des universités plus « autonomes », créant leurs propres cursus et diplômes et pouvant sélectionner et orienter les étudiants à l’entrée. Il déplore la « sélection par l’échec », profondément injuste, dans le fonctionnement actuel des universités. Il accuse les universités d’avancer avec des œillères, ne sachant pas leurs effets sur les mondes sociaux qui les entourent. Par l’installation d’ « instances nationales d’évaluation », il souhaite installer des mécanismes de « feedback » de la société vers les universités et leurs activités. Le projet de Schwartz importe particulièrement dans la mesure où il deviendra le premier président du CNÉ. La première CPU également clame la paternité du CNÉ : parmi leurs revendications on trouve la diplomation par les universités (pour pouvoir proposer de nouvelles formations sans habilitation nationale) et la contractualisation des budgets (pour permettre aux universités d’en user librement et de prévoir avec plus de quelques mois à l’avance). Le gouvernement sous Mitterrand n’est cependant pas prêt à mettre en œuvre ces programmes, puisqu’ils sont contraires à certains de ses fondamentaux (accès égal à tous à toutes les filières, réglementation nationale des diplômes, pour garantir leur égalité). La loi Savary (la réforme de l’enseignement supérieur) est préparée au ministère depuis 1981 : les demandes d’ « autonomie » et de « diversification » restent sans réponses, hormis la possibilité d’établir des contrats avec le ministère, qui ne deviendra effective qu’en 1989. La loi installe un CNÉ qui n’a pas les capacités d’action prévues dans les programmes qui sous-tendent sa création.

*

91 Ce chapitre raconte et analyse les projets d’ « autonomie » des universités qui sous- tendent la création du CNÉ. Le principal programme abordé ici, celui de Laurent Schwartz, n’a pas été gagnant, mais l’un de ses éléments, une instance d’évaluation, a néanmoins été installée. D’autres programmes sont entrés en compte dans cette histoire : celui de la première Conférence des Présidents d’Universités (CPU) depuis les années 1970, mais aussi le projet de loi Savary qui tranche la question en 1984. Reliquat de programmes plus larges, le CNÉ est installé par la loi Savary, sous la présidence de Laurent Schwartz, tel un outil réformateur sans sa réforme.

I. Le programme de Schwartz, « La France en mai 1981 : l’enseignement et le développement scientifique »

En 1981 arrive au pouvoir François Mitterrand, installant un gouvernement socialiste avec son premier ministre Pierre Mauroy, le ministre de la recherche et de la technologie (puis de la recherche et de l’industrie) Jean-Pierre Chevènement et le ministre de l’éducation nationale Alain Savary. Le premier ministre installe aussitôt une Commission du bilan pour outiller son gouvernement – il charge Laurent Schwartz de rédiger le volume 4, un rapport sur la France en mai 1981 : l’enseignement et le développement scientifique. Laurent Schwartz est mathématicien, lauréat de la médaille Fields en 1950, et professeur à l’école polytechnique. En plus de sa grande renommée scientifique et académique, il rend public son engagement, pendant la guerre d’Algérie, contre la torture et pour la décolonisation. Trotskyste dans sa jeunesse puis adhérant au parti socialiste unifié (PSU), il est affilié au syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP) jusque dans les années 1980. En guise de présentation de ses mémoires, sa maison d’édition le présente comme « la figure même de l'intellectuel engagé dans l'après-guerre, avec Jean-Paul Sartre »229. Il se souvient d’ailleurs en 1999 qu’il a été appelé à participer à la commission du bilan pour son engagement anticolonial, pas en tant qu’expert pour les questions d’enseignement supérieur et de recherche : cette dernière est une position qu’il prend une fois dans la commission. Ces questions lui tiennent à cœur et Mauroy n’a encore nommé personne pour s’en occuper230. Sa légitimité et la raison pour laquelle il est dans cette commission est donc cet engagement anticolonial et son image de figure de la gauche.

229 https://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/memoires/un-mathematicien-aux-prises-avec-le- siecle_9782738104625.php. 230 Entretien enregistré avec Laurent Schwartz, mené par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat le 1/12/1999, pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation.

92 En 1981, il est « en fin de carrière universitaire, mais [s]es engagements redoublent » 231 : son engagement dans les politiques universitaires françaises devient considérable avec la rédaction du rapport du bilan en question. Par la suite, Schwartz publie encore sur l’ESR français, dont notamment Pour sauver l’université, au Seuil en 1983, et en qualité de président du CNÉ Où va l’Université ? Rapport du Comité national d’évaluation, Préface de Laurent Schwartz, éditions Gallimard, 1987 ainsi que Pour la qualité de l’université française, aux PUF avec Pierre Merlin en 1994. Schwartz est secondé, pour le rapport du bilan, par André Staropoli pour le volet sur la recherche et la technologie et par Renée Ribier pour la partie sur l’enseignement. Celle-ci, après une scolarité en Lettres à l’École Normale Supérieure (ENS), a travaillé au Ministère de l’éducation nationale et « connaît admirablement les universités »232. Staropoli, après une scolarité également à l’ENS et l’agrégation, en Lettres, ainsi que le diplôme de l’Institut d’Études Politiques de Paris, a travaillé à la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST), organisme de l’administration auprès du Premier ministre : entre 1967 et 1974, il y est secrétaire du comité consultatif à la recherche scientifique et technique puis chef du service de l’information et des relations extérieures – c’est probablement en cette qualité qu’il est responsable de la revue de la DGRST. Il passe ensuite un an comme « research associate » au Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, dans le cadre d’un « programme conjoint » DGRST-MIT, « financé également par la National Science Foundation », « de comparaison des politiques gouvernementales d’aide à l’innovation ». Il y est accueilli au Centre for Policy Alternatives, où il a des charges d’enseignement et de recherche. Il mène des « études et recherches en matière de politique de la science et de la technologie – en particulier dans les domaines de l’énergie, de l’aide à l’innovation, et du Technology Assessment »233. À son retour en 1975, il entre au Ministère chargé de l’agriculture – par le biais d’un de ses amis qui y travaille – et y prend les fonctions de chargé de mission auprès du directeur général de l’enseignement et de la recherche, puis de sous-directeur de la recherche et des programmes234. C’est à ce moment qu’il est sollicité pour contribuer au volume 4 du rapport du bilan avec Schwartz.

231 Schwartz, Laurent, Un mathématicien aux prises avec le siècle, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997, p. 494. 232 Entretien avec Sabine Staropoli, 13/11/2017, 17-18:30. 233 Staropoli, André, Curriculum Vitae, juin 2000 et un autre CV sans titre de mars 1985 [communiqués par son épouse Sabine Staropoli] ; Derian, Jean-Claude et Staropoli, André, La technologie incontrôlée? Une présentation du “Technology assessment”, Paris, PUF, 1975. 234 Ibidem et entretien avec Sabine Staropoli, 13/11/2017, 17-18:30.

93 Schwartz est donc, certes, secondé par deux personnes, issues de la DGRST et des ministères du gouvernement précédent, mais il est l’auteur singulier d’une large partie de ce rapport, fait inhabituel dans cette Commission du bilan. Le volume est organisé en deux parties : la première composée de la contribution de Renée Ribier sur « l’enseignement élémentaire et secondaire » (suivie d’un commentaire de Laurent Schwartz) et de celle d’André Staropoli sur « la recherche et la technologie », et une seconde partie signée par Laurent Schwartz lui-même, comportant quatre chapitres sur « l’enseignement supérieur à l’université », « la recherche », « les grandes écoles » et « la technologie ». Cette seconde partie, fait plutôt rare au regard des autres volumes préparés par la Commission du bilan, est donc une « contribution personnelle de l’un de ses membres », « étant donné le rôle déterminant qu’a joué M. Schwartz dans la rédaction de ce dernier ensemble et l’impossibilité pour la Commission de discuter de manière approfondie, dans les délais impartis [c’est-à-dire six mois], un texte d’une telle ampleur » – comme nous avertit un court texte de présentation en début d’ouvrage235. En effet, Schwartz est signataire de la moitié des 430 pages du rapport, alors que la contribution de Renée Ribier en fait 170, et celle d’André Staropoli seulement 45. Laurent Schwartz souligne en introduction le caractère situé et personnel de son texte, tout en précisant qu’il ne s’agit pas uniquement de son avis : il a consulté « plus d’une centaine de personnes » qui restent anonymes en accord avec celles-ci, dit-il236. Schwartz est donc un personnage central de l’histoire qui nous intéresse ici : il formule des problèmes et des solutions concernant les universités françaises. La centralité de son personnage persistera dans notre histoire puisqu’il devient, en 1985, le président de la première instance d’évaluation des universités, le Comité National d’Évaluation (CNÉ) – toujours flanqué de ses deux collaborateurs Renée Ribier, chargée de mission au CNÉ, et André Staropoli, son secrétaire général.

1. Les universités submergées doivent se diversifier

Leur premier constat concernant les universités françaises est qu’elles sont en crise : elles sont submergées par une croissance démographique spectaculaire depuis les années 1960. En France, le nombre d’étudiants inscrits dans le supérieur est passé d’environ 150.000 en 1950 et 300.000 en 1960 à 850.000 en 1970 et 1,2 million en 1980 (puis 1,7 million en

235 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, Études et rapports de la Commission du bilan, La documentation française, décembre 1981. 236 Ibid., p. 7.

94 1990 et 2,2 millions en 2000)237. Compte tenu des nouveaux et grandissants publics étudiants, les universités doivent se diversifier : ne pas se limiter aux formations « de culture générale » mais proposer des formations « professionnelles », « (nécessaire dès lors que la France compte 850000 étudiants et pas 100000) »238. Commençons par une citation de Laurent Schwartz qui donne un condensé de son programme. Pour l’analyse qui suit, je mobilise non seulement son texte du rapport pour la Commission du bilan de 1981, mais aussi son ouvrage Pour sauver l’université, qui reprend en 1983 une large part de ses constats de 1981 (il reprend ses formulations, jusqu’à des paragraphes entiers). Cet ouvrage est publié dans un contexte probablement encore plus urgent que 1981 pour Schwartz, parce qu’il prend alors connaissance du projet de loi socialiste pour réformer les universités, qui ne va pas du tout dans son sens – nous y reviendrons dans une partie consacrée à cette loi. Ma tentation de reprendre d’abord des citations de cet ouvrage provient probablement de sa plus grande clarté : Schwartz y est moins prudent que dans le rapport de 1981. Voici l’université qu’il souhaite voir advenir : « Une Université démocratique, largement ouverte aux masses, dispensant à la fois culture générale et formation professionnelle, ouverte sur le monde extérieur, pratiquant à tous les niveaux une sélection-orientation, cultivant la diversité (et permettant donc une certaine concurrence entre les universités et les diplômes qu’elles délivrent), donnant à la recherche et à la qualité une place fondamentale : telles sont les grandes lignes d’un projet d’Université moderne à peu près valable pour tous les pays avancés »239. Pour Schwartz, l’université de masse « démocratique » (les étudiants sont de plus en plus nombreux et proviennent de classes sociales moins élevées) est une nouvelle réalité qui doit être prise en compte par les universités, qui ne peuvent plus se limiter à former des universitaires. Les universités doivent changer de nature, puisqu’elles doivent former un grand nombre d’étudiants à une « diversité » de rôles et de métiers dans la société. Former à des métiers en dehors de l’université implique une « ouverture sur le monde extérieur ». Ce qu’il appelle la « sélection-orientation » doit permettre d’amener ces nombreux et divers étudiants à des cursus différents. Pour ce faire, les universités doivent se transformer et, surtout, elles ne doivent pas toutes être les mêmes : elles doivent pouvoir choisir des

237 http://www.education.gouv.fr/acadoc/ 238 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, Paris, Seuil, 1983, p. 11-13. Les chiffres ne concordent pas ; j’ignore comment l’expliquer. 239 Ibid., p. 13.

95 domaines dans lesquels elles décident de proposer des cursus. C’est ce qu’il entend par « une certaine concurrence », pour éviter qu’il y ait les mêmes formations partout. Ces transformations des universités sont d’autant plus nécessaires que nous (dans les « pays avancés ») sommes dans des sociétés dans lesquelles les métiers reposent sur la production et diffusion de savoirs (secteur tertiaire, des services). De plus, la nouvelle démographie universitaire est une caractéristique commune à de nombreux pays « avancés » ; Schwartz estime que son programme est valable pour ces cas de figure.

2. Plaidoyer pour la « sélection-orientation »

Voyons à présent plus en détail comment s’articulent les idées de Schwartz à propos de la « sélection-orientation ». D’après Schwartz, dans son rapport comme dans l’ouvrage de 1983, il faut instaurer une « sélection-orientation » à l’entrée des universités pour faire face aux flux étudiants en expansion. Nous avons vu que ce qui l’intéresse est l’orientation de ce public nombreux et varié vers des cursus divers qui préparent à une diversité de métiers dans la société. Cependant, lorsqu’il emploie le terme de « sélection-orientation », il doit savoir que ce premier terme, nonobstant son couplage au second par un tiret, suscite traditionnellement de vives oppositions au sein de la gauche française, notamment le parti socialiste, une large part des syndicats universitaires et des universitaires et étudiants eux- mêmes. C’est ce qui explique à mon sens pourquoi il passe plusieurs pages à défendre sa « sélection-orientation ». Reprenons ses termes, dans l’ouvrage de 1983 : dans la situation actuelle, à défaut d’une « sélection démocratique, par l’orientation », il y a de fait une « sélection aveugle, par l’échec » dans les universités françaises, qui ne profite à personne et a des effets particulièrement néfastes pour les étudiants issus de milieux moins favorisés. Tous les étudiants peuvent entrer à l’université, mais seuls ceux qui ont les ressources (intellectuelles, sociales, culturelles, économiques) nécessaires réussissent les examens ou peuvent se permettre de les repasser240. Il présente la situation actuelle de la « sélection par l’échec » comme « inégalitaire, puisqu’elle favorise, à travers le redoublement par exemple, les enfants de familles culturellement et financièrement aisées ». Citant Bourdieu, il évoque le « manque d’ambition chez les élèves de milieu modeste, dont ils ne sont en rien responsables […] et auquel il est urgent de remédier par une sélection valorisante » – précisément ces personnes qui sont les

240 Ibid., p. 24.

96 « premières victimes de la sélection par l’échec »241. On voit ici l’homme de gauche justifier sa position opposée à celle du parti socialiste, refusant toute forme de sélection (sauf, certes, en médecine et dans les instituts universitaires de technologie, IUT). La « sélection-orientation » est ardemment promue par l’Association pour la Qualité de la Science Française (QSF), fondée en 1982 à l’initiative de Georges Poitou, mathématicien alors directeur de l’École Normale Supérieure, dont Laurent Schwartz assume la présidence242. À la fin de son ouvrage Pour sauver l’université, Schwartz annexe le manifeste de l’association, sur lequel il développe dans son ouvrage de 1994 co-écrit avec Pierre Merlin, Pour la qualité de l’université française. Ces inégalités sociales pérennisées par le système universitaire qui refuse la « vraie » sélection sont d’après lui constitutives du système éducatif français dans son ensemble. Dans le rapport du bilan, à la suite de la contribution de Renée Ribier, il pointe plusieurs défauts de l’enseignement, avant tout liés à la mauvaise formation de certains enseignants dans les collèges, mais aussi les inégalités sociales reproduites par le système scolaire : Schwartz décrit les stratagèmes par lesquels les familles plus favorisées peuvent faire inscrire leurs enfants dans les « bonnes » écoles. Dès le collège, « on sélectionne par les maths » des personnes qui après s’inscrivent dans des filières sélectives en lettres ou en école de commerce, alors que l’accès à l’enseignement supérieur est réputé ouvert à toutes et tous. Il dénonce une caractéristique du système éducatif français qui le traverse jusque dans l’enseignement supérieur : « les français se disent égalitaires », mais « dans les actes, établissent de terribles hiérarchies »243. Il dénonce (dans Pour sauver l’université) nommément l’« égalitarisme primaire », qui aurait déjà posé problème chez les Grecs, lors de la Révolution française et la Révolution culturelle chinoise, « aveuglément admirée par 68 », des gens qui « aujourd’hui sont en partie devenus enseignants, chercheurs, journalistes, députés socialistes ». « Cet égalitarisme primaire qui refuse tout ce qui dépasse, tout talent, toute qualité […] comme si les bons élèves n’étaient pas intéressants », pour « encourager ceux qui ont raté leurs études », « à juste titre ». Dans les universités, cet « égalitarisme primaire » aurait mené à refuser toute sélection à l’entrée, en vérité une « fausse démocratisation » : « enseignement au rabais pour tous et échec technologique »244. Le style est ici sans concession vis-à-vis de l’idéologie égalitariste du gouvernement socialiste – il l’est un peu moins dans le rapport, évidemment.

241 Ibidem. 242 Schwartz, Laurent, Un mathématicien aux prises avec le siècle, op. cit., p. 494. 243 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 192-194. 244 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 15.

97 L’université telle que conçue jusqu’à présent, face aux importants et nouveaux flux étudiants de surcroît, aurait donc le double défaut de reproduire les inégalités sociales et de ne pas suffisamment s’occuper des bons étudiants. En effet, Schwartz, lui-même issu des grandes écoles, n’est absolument pas favorable à leur abolition. Il est élitiste en ce sens, tout en critiquant certains aspects du système : il craint que, sans réforme, on se retrouve avec des écoles « dynamiques et très sélectives » mais « formant trop peu d’ingénieurs et ignorant la recherche », et des universités « sortes de ‘garderies d’étudiants’ contribuant médiocrement à diminuer le nombre de chômeurs » 245. C’est la menace qui plane selon lui sur les universités si elles ne se transforment pas. Introduire une « sélection démocratique, par l’orientation » est donc pour Schwartz une question de première importance pour les universités grandissantes mais aussi de manière plus large pour les besoins de la société française de l’époque. C’est pour lui une question d’autant plus problématique que « dans un contexte de compétition mondiale »246, il faut relever « le défi scientifique et technologique »247 – et donc former des personnes pour le relever. Le point essentiel de Schwartz à retenir ici est que les universités ne peuvent plus, dans les nouvelles conditions démographiques, traiter tout le monde de la même façon (ce qu’il appelle « l’égalitarisme primaire ») ; d’où la nécessité de la « sélection-orientation » et de la diversité des cursus, notamment de formations professionnelles.

3. Réglementation nationale intenable

Des universités telles que conçues ici ont besoin de la possibilité d’inventer de nouvelles formations et de nouveaux diplômes, et pour cela d’une certaine liberté de mouvement. Or, dans la situation actuelle, les universités ne sont que « en théorie » « autonomes » dans la répartition interne de leurs budgets : « en réalité » elles sont soumises à une « réglementation tatillonne », un « contrôle a priori » et aux décisions « technocratiques d’en haut », et elles n’ont la main ni sur les recrutements ni sur leurs locaux. L’ « autonomie de gestion » lui semble souhaitable, accompagnée idéalement d’une « autonomie des critères d’admission » – ce qui rejoint ses idées d’instaurer une « sélection-orientation »248. Il dénonce cette situation dès le rapport de 1981.

245 Ibid., p. 24. 246 Il s’agit ici de compétition géopolitique autant qu’économique : il parle plus loin de « puissance, de la croissance économique et de l’expansion internationale », nous y venons dans trois pages. 247 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 15. 248 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 284-290.

98 Ainsi, pour répondre à l’afflux des étudiants par une diversité de formations universitaires, les universités doivent devenir autonomes, et les règlements qui les contraignent doivent être allégés. Bien qu’il soit donc en faveur d’un pouvoir de diplomation pour les universités, il concède que cette forme d’ « autonomie » ne devra se faire « que très progressivement [car] la plupart des universitaires consultés acceptent l’autonomie des premier et deuxième cycles plus ou moins facilement, mais refusent celles des troisième cycles, et veulent des habilitations nationales »249. On comprend ici que dans un programme qui prévoit des universités capables de choisir et définir de nouveaux cursus et diplômes (c’est ce qu’il entend par « autonomes »), un système national centralisant ces tâches devient intenable. Pour Schwartz, le système universitaire tel qu’il est, avec une administration centrale des cursus et diplômes (contenus et intitulés), est un frein considérable aux transformations si cruciales pour les universités et pour la société dans son ensemble. Schwartz est cependant aussi conscient du fait que s’attaquer à l’habilitation nationale des diplômes et des cursus sera difficile face aux résistances de « la plupart des universitaires » – principe de réalisme dans le rapport de 1981. Nous reviendrons également sur cette question des diplômes nationaux et d’établissements, qui occupe différents acteurs à ce moment, au premier chef les présidents d’université.

4. Les universités ont besoin de feedback

Le discours de Schwartz spécifie dès le rapport de 1981 ce qu’il entend par l’ « ouverture au monde extérieur » nécessaire aux universités, et mêle ces considérations à ce qu’il critique dans le système universitaire français actuel. Dans ses réflexions sur la nouvelle nature que devraient prendre les universités en France, Schwartz pense aux universités états-uniennes. Aux États-Unis, constate Schwartz, les universités sont véritablement autonomes et fonctionnent dans un marché : elles sont financées par des entreprises et par leurs étudiants. Ce lien implique qu’elles réagissent au « feedback » que leurs donnent les étudiants, employeurs potentiels et financeurs – peut-être utilise-t-il ce terme en anglais parce qu’il pense aux États-Unis. En France en revanche, les universités sont séparées de ce « monde extérieur » et peuvent fonctionner en vase clos, sans savoir les conséquences positives ou négatives de leurs activités : sans ces « mécanismes de marché », « l’université actuelle n’a pas de feed-back, elle est irresponsable devant tout, en

249 Ibid., p. 290.

99 partie parce qu’elle est traitée en irresponsable. Toute erreur devrait être payée, tout succès récompensé »250. Explorons un instant cette « ouverture au monde extérieur » dont je parle dès le début : Dans les universités actuelles, il déplore que depuis le « traumatisme » de 1968 l’ « Université » a connu un « immobilisme total », que les bonnes volontés de changement se sont heurtées au « corporatisme » et « conservatisme du mandarinat universitaire, des étudiants et enseignants, et des syndicats »251 – qui se cachent et se protègent (ces termes assez francs sont de l’ouvrage de 1983). Il dénonce l’entre soi du monde académique et surtout les tensions politiques internes : « des modes d’élection aux conseils qui privilégient les lobbies syndicaux ou politiques »252, des dirigeants « ‘mal élus’ ou choisis pour des raisons syndicales en dehors des critères de compétence et de qualité » ; il y voit une « politisation au mauvais sens du terme »253. Des dirigeants « nommés » auraient l’avantage d’être « indépendants des pressions syndicales et corporatistes » – mais nommés par qui ? leurs supérieurs hiérarchiques, le ministère, des conseils d’enseignants-chercheurs… il n’en dit pas plus. Il avance comme comparaison « élit- on le pilote d’un avion ? »254, pour montrer que dans d’autres milieux professionnels, les dirigeants ne sont pas élus, sans que cela ne pose problème – c’est même naturel. Il est également en faveur de « la présence de personnalités extérieures dans les conseils, corollaire naturel de l’ouverture nécessaire de l’Université sur le monde extérieur, en particulier sur l’industrie »255 – point qui traduit ses inquiétudes sur la recherche coupée de l’industrie. D’après lui, ce n’est pas aux syndicats de gérer les universités telles qu’il les conçoit ; ce ne sont pas des considérations politiques qui doivent déterminer les choix des universités quant aux cursus et diplômes qu’elles décident de développer.

Les universités françaises ne sont donc pas assez ouvertes sur le monde extérieur puisqu’elles vivent dans l’entre soi, mais aussi en ce sens qu’elles ne se soucient pas assez de ce qu’elles produisent ; les effets de leurs activités ne sont pas pris en compte dans le système. Il faudrait selon Schwartz remédier à ce problème en trouvant des équivalents au système étatsunien, sans pour autant qu’il veuille l’adopter tel quel. Nous avons vu d’entrée que le « monde extérieur » est notamment composé des étudiants, employeurs potentiels et

250 Ibid., p. 284-290. 251 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 9-10. 252 Ibid., p. 11. 253 Ibid., p. 13-14. 254 Ibid., p. 69-72. 255 Ibid., p. 11.

100 financeurs de l’université (pour la France, cette dernière catégorie peut être entendue comme le service public, l’État, le contribuable). Si aux États-Unis, les universités jouissent d’une « autonomie complète », elles font partie, en France, du service public – et Schwartz ne souhaite pas changer cela. C’est précisément parce que la France est un « pays aussi dirigiste » qu’elle « a besoin de savoir régulièrement comment il se porte ». En France, « l’université n’est pas intégrée à un marché lui donnant un feed-back, on ne peut donc pas se passer d’instances nationales d’évaluation »256. Ces phrases viennent du rapport de 1981. Schwartz propose donc d’installer un système de « feedback » pour les universités, en l’absence d’un « marché », c’est-à-dire des « instances nationales d’évaluation ». Celles-ci effectueraient une « évaluation régulière » des universités, « par exemple tous les cinq ans », « tant pour ses activités d’enseignement que de recherche, branche par branche et globalement. Les universités auraient en quelque sorte des plans quinquennaux suivis de bilans »257. Avec cette dernière phrase, Schwartz semble vouloir inscrire sa proposition dans la continuité des pratiques existantes dans le monde universitaire, au sein du CNRS notamment. Mais cela revient aussi à encourager dans les universités une évaluation systématique qui existe déjà dans les centres de recherche.

Avant de poursuivre sur cette notion d’ « évaluation » qui émerge ici dans les écrits de Schwartz, arrêtons-nous un instant sur ce qu’il dit de la recherche : effectivement, son rapport pour la Commission du bilan, mais aussi son ouvrage postérieur pour sauver l’université traitent également de la recherche et du « développement scientifique » de la France.

5. Moins d’inquiétude pour la recherche

Le « tableau sombre » que dresse Schwartz en 1983 sur l’enseignement supérieur tranche avec la « situation favorable » de la recherche française258. La crise qu’il diagnostique pour les universités, dès le rapport de 1981, ne les concerne pas tant en tant qu’institutions de recherche : à la suite du bilan dressé par André Staropoli, il estime que la recherche française « se porte plutôt bien à l’échelle internationale ». Concernant « l’état des sciences et des techniques », Staropoli concède la difficulté de « tenter une évaluation de la qualité scientifique, qui ne peut s’apprécier qu’au plan international. Cependant, si l’on tient compte

256 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 284-290. 257 Ibidem. 258 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 9-10.

101 d’un certain nombre de critères [il en dresse la liste plus loin dans son texte : « prix Nobel, présence française dans les grands colloques internationaux, dans les académies des sciences étrangères, et leurs publications dans des revues internationales »] et du sentiment exprimé par la communauté scientifique elle-même […] on peut dire que les résultats de la recherche fondamentale française sont satisfaisants, et on doit constater un réel progrès et une nette amélioration depuis vingt ans »259. Seul bémol d’après Schwartz : les enseignants-chercheurs seraient encore trop nombreux à ne pas produire de recherche – « la force française de recherche repose sur de fragiles épaules »260. a. Lier recherche et industrie pour la puissance internationale

Si la qualité de la recherche française leur semble satisfaisante, Schwartz et Staropoli expriment néanmoins leur inquiétude quant aux liens de la recherche et de l’industrie, trop peu développés. Il y aurait une « coupure » entre les deux : les universités, lieux de recherche et liées au CNRS, et les grandes écoles, productrices des élites administratives du pays et liées aux industries et entreprises. La contribution préparée par André Staropoli, sur « la recherche et la technologie », porte en fait sur la « recherche et développement, la R et D ». Il y présente d’emblée l’ « importance » des activités de recherche, en termes numériques (le nombre de personnes employées, la part des dépenses, publiques et privées, dans le PIB) et en termes qualitatifs : « Dans les principaux pays développés, la R et D, désormais, est un des éléments fondamentaux de la puissance, de la croissance économique et de l’expansion internationale »261. Voilà une manière de présenter l’objet fort proche des « examens des politiques scientifiques nationales » que produit l’OCDE depuis 1960, par exemple – notons qu’il n’y est pas (encore) question de l’attractivité des pays et des marchés ou de l’importance de déposer des brevets, par exemple. C’est un thème qu’il développe tout au long de son texte : le monde connaît « un formidable bouleversement technologique et une compétition économique sans précédent ». Aussi, brandit-il la menace, « la France ne saurait conserver une relative autonomie tant sur le plan économique que politique et militaire – et maintenir son niveau de vie – si elle ne se hisse pas à un niveau supérieur, très proche de ses principaux concurrents ». La France souffrirait de ses « mentalités », d’un « mépris pour la technique », ne dépose pas assez de

259 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 207. 260 Ibid., p. 337. 261 Ibid., p. 197.

102 brevets et « la dépendance technologique de la France demeure ». Il s’agit d’une manière assez commune de présenter la situation à l’époque et antérieure : on la retrouve par exemple chez le politiste des sciences Jean-Jacques Salomon, qui a été chargé par le ministère en 1984 d’un rapport sur la politique technologique de la France262. Le problème ne résiderait donc pas dans une déficience de la recherche française, mais plutôt dans la « coupure entre le monde industriel et la recherche publique », « aggravée » encore par une « très sensible dégradation des relations entre les milieux de la recherche et les pouvoirs publics, le Gouvernement et les Directions des organismes » et une « détérioration du climat psychologique » qui provoqueraient des comportements de « repli » et « corporatistes »263. Son analyse fait ici écho à ce que nous avons lu sous la plume de Schwartz concernant les universités : oppositions politiques contreproductives, impossibilité de l’administration centrale à gérer correctement la situation. Les deux personnes semblent partager cette position, bien que j’en sache nettement moins sur André Staropoli, qui a laissé moins d’écrits. Les chapitres de Laurent Schwartz reprennent largement ces constats, notamment celui sur « la recherche » : elle est présentée dans une comparaison internationale, qui laisse apparaître la France comme ayant de « bons résultats » – la recherche et sa reconnaissance au sein du monde académique lui tiennent particulièrement à cœur. Mais il déplore tout comme Staropoli une représentation répandue, selon eux, dans la société française, à savoir la « prééminence, dans l’esprit de tous, de la décision, de l’administration, sur la connaissance et la recherche scientifique ou technique », en termes de prestige et de salaire. Il fait sans doute référence ici aux hiérarchies perçues entre les différents parcours de formation, les grandes écoles d’ingénieur, de commerce ou d’administration étant plus prestigieuses que les universités. Justement, la coupure se traduit également dans la séparation entre les universités, lieux de recherche et liées au CNRS, et les grandes écoles, productrices des élites administratives du pays et des ingénieurs, donc liées aux industries et entreprises. C’est aussi une « mentalité française », « pas assez technique » qui consiste, dans le monde industriel, à rejeter les universitaires, « bande de gauchistes irresponsables et incompétents », et parmi les enseignants et étudiants à mettre en garde contre la « mainmise capitaliste sur l’université » par les entreprises – il caricature ici volontairement les positions que les uns peuvent avoir par

262 Salomon, Jean-Jacques, La gaulois, le cow-boy et le samouraï. La politique française de la technologie, Paris, Economica, 1986. 263 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 204-205.

103 rapport aux autres264. Là encore, il s’oppose au discours d’une partie de la gauche, d’une partie de la base électorale du parti socialiste. b. L’appareil d’État pour la recherche existant

Malgré ces inquiétudes concernant la coupure industrie-recherche, la recherche le préoccupe moins dans ce rapport : d’une part, elle est moins le fait des universités que des organismes de recherche, et d’autre part elle est déjà dotée d’un appareil d’État depuis la fin des années 1950. La DGRST par exemple est un organe de pilotage interministériel de la recherche universitaire et extra-universitaire (hormis la recherche militaire) qui finance, par contrats, des grands projets de recherche dont l’État décide avec ses conseillers scientifiques. Son rôle est fondamental dans le financement de la recherche et elle vise notamment à réduire l’écart entre industrie et universités. En parallèle, la recherche militaire est pilotée par une autre direction (la DRME) dans la poursuite de l’objectif de de Gaulle de hisser la France en position de puissance internationale dans le cadre de la guerre froide, et donc en position de puissance nucléaire265. Ensuite, d’autres outils de « politique scientifique » ont encore été créés dès l’arrivée au pouvoir de Mitterrand : le Centre de Prospective et d’Évaluation (CPE, 1981) et le Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie (CSRT, 1982). Le premier, fondé comme service ministériel auprès du ministère de l’industrie et de la recherche sous la direction de Thierry Gaudin, effectue des « évaluations » des grands programmes de recherche civile. Après une étude sur les retombées économiques des activités de recherche aux États-Unis le long de la route 128 et dans la Silicon Valley, l’ambition est d’ « évaluer », de la même manière, les effets que peuvent avoir les grands programmes de recherche français (nucléaire, aéronautique, spatial), notamment sur les entreprises françaises266. Le second, le CSRT,

264 Ibid., p. 455-457. 265 Ramunni, Girolamo, « La mise en place d’une politique scientifique », in De Gaulle en son siècle, Tome 3 : Moderniser la France, Paris, Plon, 1992, p. 654-713 ; Duclert, Vincent, « La naissance de la délégation générale à la recherche scientifique et technique », Revue française d'administration publique, n°112, 2004, p. 647-658 ; Duclert, Vincent, « 9. L'invention d'une haute institution gouvernementale. La Délégation générale à la recherche scientifique et technique », in Chatriot, Alain et al., Le gouvernement de la recherche. Histoire d’un engagement politique, de Pierre Mendès-France au général de Gaulle (1953-1969), Paris, La Découverte, 2006, p. 132-149 ; Pestre, Dominique et Jacq, François, « Une recomposition de la recherche académique et industrielle en France dans l’après-guerre, 1945-1970. Nouvelles pratiques, formes d’organisation et conceptions politiques », Sociologie du travail, vol. 96, n°3, 1996, p. 263-277 ; Pestre, Dominique, « La création de la DMA et de la DRME en 1961 : projet politique stratégique ou création conjoncturelle ? », in Chatriot, Alain et Duclert, Vincent, Le gouvernement de la recherche, op. cit., p. 163- 173. 266 Entretien avec Thierry Gaudin, 27/10/2017, 11h-12h30 et Choix stratégiques et grands programmes civils, Rapport du CPE [communiqué par Thierry Gaudin] ; fond du CPE, AN 20010132.

104 « évalue » les politiques publiques de recherche en s’intéressant aux activités des grands organismes publics de recherche – fonction proche du CPE mais encore différente267. Dès 1983, Schwartz salue les effets du « colloque national sur la recherche et la technologie » organisé début 1982 par le ministre de la recherche et de la technologie, Jean- Pierre Chevènement, pour consulter les communautés scientifiques et plus largement tous les acteurs de la recherche, en préparation à la loi de 1982 sur la recherche et le développement technologique. Cet événement aurait selon lui réussi à convaincre les politiques de l’enjeu important que représente la recherche pour le pays, mais pas de l’importance de ses liens à l’enseignement268. Les observateurs sont par ailleurs nombreux à remarquer que Mitterrand porte moins d’intérêt aux questions d’enseignement qu’à la recherche269.

6. Pour des « instances nationales d’évaluation »

Revenons à présent à l’endroit de l’argumentaire de Schwartz où émerge l’idée d’ « instances nationales d’évaluation » : elle traverse tous les chapitres de Schwartz dans le rapport du bilan, celui sur « l’enseignement supérieur à l’université », « la recherche », « les grandes écoles » et « la technologie ». Ces instances prennent pleinement place dans son projet plus large pour les universités françaises, elles sont des outils qui doivent aider les universités à se transformer dans la direction qu’elles estiment souhaitable : des universités capables de choisir quelles (nouvelles) formations proposer à quel public d’étudiants, en fonction du monde qui les entoure. Aussi, cette « évaluation » doit permettre de connaître les universités, à la manière d’inventaires de l’extérieur, et surtout de se connaître elles-mêmes, pour qu’elles puissent faire des choix informés sur leurs « politiques ».

En effet, Schwartz plaide pour des « instances nationales d’évaluation », des institutions dédiées et chargées d’évaluer les universités, d’abord, mais aussi le CNRS, les grandes écoles et la technologie. Hormis la dernière, qu’il décrit de façon différente, ces

267 Le CSRT (1982-1995) conseillait le gouvernement et le ministère sur tous les choix en matière de recherche ; Entretien téléphonique avec Jean-Paul Karsenty, 10/10/17, 10:30-11:30, qui a été secrétaire général du CSRT en 1986-1995. 268 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 11. 269 Entretiens enregistrés avec René Rémond, Laurent Schwartz et Serge Hurtig (entretien sur « sa carrière et ses rapports/son amitié avec A. Savary ») menés par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat, M. Frank et Pierre Mignaval le 29/09/1998, le 1/12/1999 et le 29/02/2000 pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation ; Fridenson, Patrick, « La politique universitaire depuis 1968 », Le mouvement social, n°233, 2010, p. 53.

105 instances prendraient la fonction de « feed-back », qui permettrait, en l’absence d’un marché, de « récompenser les succès et payer les échecs » selon sa formule. Ce sont aussi des instances qui remplaceraient le contrôle a priori et les règlements, qui, comme nous avons vu, ne peuvent plus être la forme de gestion adéquate pour les nouvelles universités. Schwartz estime qu’il existe déjà des « évaluation analogues, mais plus partielles : chaque président d’université a une connaissance globale de son université ; les commissions du CNRS évaluent tous les deux ans les laboratoires associés et les laboratoires propres, la Mission de la Recherche a des évaluations directes. Mais ici nous pensons à des évaluations, plus scientifiques que financières, d’une beaucoup plus grande ampleur ». « On ne peut se cacher le coût de telles évaluations, en temps pour les scientifiques. Mais ce serait bien moindre que le temps gaspillé aujourd’hui à cause d’une réglementation tatillonne »270. Il faut lire cela en ayant en tête ce qui importe à Schwartz : faciliter pour les universités la création de nouveaux cursus et diplômes, permettre aux universités d’obtenir un « feedback » et de s’adapter en conséquence. Voilà qui nécessite du temps de travail des universitaires eux- mêmes. Plus loin, il explique que ces instances s’inscriraient dans une « triple modification » : « autonomie réelle des universités, contrôle financier et scientifique a posteriori, évaluation nationale régulière des universités [qui] devrait remplacer tout contrôle à priori ». Schwartz parle ici d’une « autonomie de gestion »271 : nous avons vu que cela signifie essentiellement la capacité de définir et de mettre en place de nouveaux cursus et diplômes. L’insistance sur le « contrôle a posteriori » est à comprendre dans le même sens : remplacer les listes ministérielles – établies a priori – d’intitulés et des cours des différentes formations et diplômes par des cursus et diplômes malléables en fonction des « évaluations » faites a posteriori.

Tentons de clarifier ce que Schwartz entend ici par « évaluation » ; procédons tout d’abord par exclusion. Les « instances nationales d’évaluation » dont parle Schwartz ici feraient autre chose que « les évaluations » de la qualité de la recherche auxquelles procèdent Staropoli et Schwartz dans le rapport, de manière assez rapide. Pour rappel, ils y regardent des « critères quantitatifs » comme les « prix Nobel », la « présence de français dans les conférences internationales », les « publications dans les revues internationales » pour affirmer que la « place de la recherche française dans le monde est bonne ». Notons que

270 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 289. 271 Ibid., p. 290.

106 Schwartz couple aussi ces « critères » à son « sentiment » : les données concernant les mathématiques donnent un faible « résultat [qui] n’est sûrement pas significatif […] les mathématiciens français sont très stricts, ils publient peu mais très bien »272. Cette forme d’ « évaluations » diffère de celle des « instances » qu’envisage Schwartz, puisqu’elle statue sur la qualité et la situation par rapport à d’autres pays des produits de la recherche (je souligne). Les « instances d’évaluation », à ce stade de son programme, ont en revanche des fonctions de « feedback » pour les établissements, pas de statuer sur la situation et la qualité des produits de la recherche, que ce soit à l’échelle de la nation ou d’un établissement.

L’ « évaluation » dont il est question ici est encore différente des activités (dites cependant aussi d’ « évaluation ») demandées par les ministères, au sens d’estimations, par exemple des retombées économiques des grands programmes de recherche – comme ce que fait le Centre de Prospective et d’Évaluation (CPE) par exemple273, ou le Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie (CSRT)274. Aussi bien Staropoli que Schwartz parlent, dans le rapport, des « audits » des grands organismes de recherche, qui ont notamment lieu dans l’optique de les réformer : or, ceux-ci auraient été « conduits sans la concertation nécessaire et dans le secret » et, bien qu’ayant pointé des déficiences, ils n’ont pas relevé les responsabilités, qui « sont politiques » et n’ont ainsi pas pu concevoir les bonnes réformes275. On voit ainsi qu’eux aussi se définissent par la négative, en se démarquant d’autres pratiques existantes. Les références ne sont pas plus explicites que cela, mais Staropoli a directement assisté à l’audit et à la préparation de la réforme de l’INRA en 1978-1979, lorsqu’il était sous- directeur de la recherche et des programmes à la direction générale de l’enseignement et de la recherche au ministère de l’agriculture. Ce rapport d’ « audit » effectué à la demande du ministre a été élaboré en trois mois par une commission présidée par le directeur général de la SNCF et composée de deux chercheurs français, un directeur d’université états-unien, un membre du conseil économique et social, un directeur d’entreprise et un président d’institut technique. Pour réaliser ce rapport, cette commission a consulté avant tout des « personnalités » du ministère, d’autres administrations, des présidents d’autres organismes de

272 Ibid., p. 328, souligné dans le texte. 273 Entretien avec Thierry Gaudin, 27/10/2017, 11h-12h30 et Choix stratégiques et grands programmes civils, Rapport du CPE [communiqué par Thierry Gaudin] ; fond du CPE, [AN 20010132]. 274 Entretien téléphonique avec Jean-Paul Karsenty, 10/10/17, 10:30-11:30. 275 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 203.

107 recherche, mais que peu l’INRA lui-même, tout au plus ses trois derniers directeurs généraux, les représentants des syndicats et le président du conseil d’administration276. Ce rapport d’audit en particulier peut donner une idée de la manière dont ce type d’exercice a pu être conçu, mais rien n’indique que Schwartz ou Staropoli pensent à celui-ci dans leur critique. Celle-ci est néanmoins suffisamment forte pour susciter la curiosité de la lectrice non avertie, telle que moi-même, sur les réformes d’organismes de recherche qui les auraient mécontentés. Les instances que propose Schwartz, contrairement à ce qu’il déplore concernant ces « audits », devraient instaurer un « dialogue » entre les partis concernés, ne pas être l’œuvre d’expertises « froides » et surtout ne pas se faire dans le « secret » : « Encore aurait-il fallu substituer à l’examen clinique, au « regard froid » des experts extérieurs, l’association des principaux intéressés, le dialogue et la confrontation de points de vue » 277. Schwartz « regrette » en effet ces « méthodes antidémocratiques »278. En ce sens, il souhaite des « instances nationales d’évaluation » plus « démocratiques » – concrètement, il souhaite inclure les « principaux intéressés » dans ses instances et leurs activités, c’est-à-dire les présidents d’universités et les directeurs de département. Il me semble, en cohérence avec le projet de Schwartz vu jusqu’ici, qu’il faille comprendre « démocratie » essentiellement par opposition au fonctionnement par règlements nationaux établis dans les cabinets ministériels. Notons que la démocratie est aussi vécue comme contrainte dans le programme de Schwartz : il estime que les grandes écoles ont eu tendance à rester « secrètes et fermées », contrairement aux universités (ou encore plus que les universités dont il déplore le manque d’ouverture), et que « un certain pouvoir occulte y existe beaucoup ». Elles se seraient encore plus « protégées par le secret » après les attaques subies dans le courant de mai 1968 – mais Schwartz estime que « la protection par le secret reste à la longue une mauvaise méthode, nous sommes en démocratie, il faut vivre la démocratie comme elle est, et se défendre de ses excès par les moyens appropriés ; des évaluations objectives par des instances régulièrement désignées pourraient être la meilleure méthode »279. En d’autres termes, ces « instances » seraient un instrument de démocratie, en tant que garants d’une certaine publicité, de « dialogue », d’une « objectivité », pour « faire participer les principaux intéressés » (et éviter de n’appliquer que des règlements rigides), mais aussi

276 Commission d’Étude sur l’Institut National de la Recherche Agronomique, Rapport de la Commission, novembre 1978 [AN 19860598/8, dossier Audit INRA]. 277 La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 203. 278 Ibid., p. 352. 279 Ibid., p. 393.

108 pour encadrer la démocratie et plus particulièrement la critique – souvenons-nous des attaques féroces de Schwartz contre certains syndicats et contre les élections « politiques » de certains dirigeants universitaires. Lorsqu’il parle d’ « excès » de démocratie, il entend probablement les contestations (électorales ou insurrectionnelles) qui bloquent le fonctionnement des universités en tant qu’institutions d’enseignement et de recherche. Les « instances d’évaluation » telles que conçues ici devraient fournir un instrument de protection des universités contre ces blocages (au sens large) puisqu’elles mettraient à jour les (dys)fonctionnements internes, par des comités indépendants, extérieurs aux établissements, et donc supposément au dessus des mêlées politiques internes.

Ce rapport du bilan prône donc l’installation d’ « instances d’évaluation » aussi bien pour l’enseignement supérieur, les établissements que pour la recherche et ses établissements, y compris le CNRS. Le fait qu’il inclut dans cette série des « instances d’évaluation » pour la technologie est assez déroutant pour notre propos, puisque leur périmètre est assez différent des autres. Tout d’abord, comme dans les autres cas, ces instances servent de substitut à un marché : « Dans le cas d’industries nationalisées, donc ayant un certain monopole, ces évaluations sont nécessaires en l’absence de marché concurrentiel ». Cependant, dans ce cas-là, il présente ces instances comme pouvant servir à la réglementation des technologies. En effet, ces instances-là doivent répondre au « problème du contrôle ; la technologie a des nuisances, il y a des problèmes de pollution, d’écologie, et des dangers, comme dans le cas du nucléaire ». Sur ce dernier cas, il fait état de « positions extrêmes, nous vivons en démocratie, le pays a le droit d’être informé autrement que par des manifestations et contre manifestations ». Il estime « absolument scandaleux » qu’aucune « évaluation objective » n’ait lieu280. L’évaluation servirait donc aussi à informer le public, mais avant tout les politiques. On sent que ces instances-ci auraient une fonction différente car supplémentaire aux autres (le « feedback » pour l’enseignement et la recherche), à savoir celle d’arbitre dans les controverses sociotechniques et donc de contribuer à la prise de décisions en matière de réglementation des technologies.

Les instances d’évaluation des établissements, de l’enseignement supérieur et de la recherche ne sont cependant pas couplées ici à la prise de décision par l’État, c’est important de le souligner. Elles sont davantage à comprendre comme un outil nécessaire à faire advenir

280 Ibid., p. 464-465.

109 les universités qu’il prône : sélectionnant et orientant le flux d’étudiants dans des formations diverses qu’elles auront choisies de proposer, elles doivent être en ce sens des universités « autonomes », qui énoncent ce qu’elles veulent être et faire – formulent des « politiques ». Elles doivent aussi tenir compte de leurs environnements, des étudiants et des demandes sociales, des marchés de l’emploi. C’est en cela qu’elles sont aussi des universités « responsables », qui ont des mécanismes de « feedback », ou d’« évaluation ».

II. Les projets d’ « autonomie » des universités de la CPU

Le « projet d’Université moderne » de Schwartz, bien que singulier, ne sort pas de nulle part : l’ « autonomie » des universités – des établissements donc – est un thème récurrent dès la première conférence des présidents d’universités (CPU) en 1971, et des idées d’ « évaluer » font partie de ce programme. Tout d’abord, on peut considérer que l’introduction même des présidents d’universités par la loi Faure en 1968 va dans le sens d’un renforcement des entités que sont les universités – a fortiori compte tenu de la force historique particulière en France des disciplines et des facultés au détriment des universités281. De plus, des formules d’autonomie universitaire sont évoquées au second colloque (national sur l’enseignement et la recherche scientifique) de Caen en 1966282. L’emploi des mêmes termes ne peut cependant présager d’une concordance d’idées ; voyons donc à quoi l’autonomie et l’évaluation font référence ici.

1. La diplomation

De manière assez similaire au discours de Schwartz, les présidents d’universités sont en 1971 majoritairement en faveur d’un accroissement de l’« autonomie » de leurs établissements pour pouvoir « diversifier » les diplômes qu’ils proposent. La discussion à la CPU porte alors notamment sur la possibilité de réduire le nombre de diplômes nationaux pour conférer à chaque université la latitude de délivrer les diplômes qu’elle souhaite. Il s’agit pour eux également d’une évolution nécessaire et corollaire aux transformations que vivent les universités et la société française283. Lors de la réunion de la CPU en décembre 1971, à laquelle est convié le président de la commission pédagogie du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), les présidents d’université abandonnent cependant l’idée, par réalisme : comme

281 Cf Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit. 282 Fridenson, Patrick, « La politique universitaire depuis 1968 », op. cit., p. 49. 283 Procès-verbaux des réunions plénières de la CPU en 1971 [AN 20080235/9].

110 l’avance ce dernier (pour soutenir la position du CNESER, qui est en faveur des diplômes nationaux), instaurer des diplômes universitaires à côté des diplômes nationaux désavantagerait ceux-là, par « pesanteur sociologique » 284 . Le public accorderait probablement plus de valeur aux diplômes nationaux, en premier les employeurs et les étudiants. De plus, seuls les diplômes nationaux garantiraient une « mobilité nécessaire » pour les étudiants. Les arguments de ce représentant du CNESER semblent convaincre – le CNESER, composé de représentants élus des enseignants-chercheurs et donc de syndicats, défend alors une position majoritaire proche de celle du parti socialiste, celle que Schwartz décrie comme « égalitariste ». Pour empêcher toute inégalité entre les établissements et leurs diplômes, les diplômes doivent rester nationaux. Jean Frézal, médecin, fondateur et premier président de l’université Paris Descartes et deuxième vice-président de la CPU, « constate [en décembre 1971] avec amertume que la CPU abandonne les voies qu’elle avait choisies en juin pour orienter les universités vers les novations »285. L’aspiration à cette autonomie-là est ainsi étouffée dans l’œuf, bien qu’elle continue à être discutée dans les années 1980, notamment chez Schwartz. En 1975, lorsque sont élaborées les nouvelles formations de 2e cycle, d’après Patrick Fridenson, « l’État [les gouvernants et l’administration] refuse une conception des études faisant une large part à l’autonomie […] au profit d’une vision des diplômes centraliste et liée aux ‘besoins de l’économie’ de façon mécanique »286, c’est-à-dire davantage sur le modèle de la planification centrale que de la diversification des diplômes au sens de la CPU des premiers mois.

2. La contractualisation – « autonomie » financière

Cette position tranche à première vue avec les débats et les documents issus en 1975 du colloque de Villard-de-Lans sur l’ « autonomie » des universités, pourtant co-organisé par le secrétaire d’État aux universités Jean-Pierre Soisson et la CPU (dont notamment deux de ses vice-présidents, l’actuel, René Rémond, et l’ancien, Jean Louis Quermonne, ensuite directeur général de l’enseignement supérieur au ministère). En réalité, ici encore, il ne faut pas se laisser berner par le concept d’ « autonomie », puisque si le gouvernement et Soisson en défendent des formes, ils ne sont pas moins en faveur du maintien des diplômes nationaux.

284 Procès-verbal de la réunion plénière de la CPU le 15 décembre 1971, p. 5 [AN 20080235/9]. 285 Ibidem. 286 Fridenson, Patrick, « La politique universitaire depuis 68 », op. cit., p. 55.

111 Les participants du colloque de Villard-de-Lans mettent en avant l’idée de « contrats » entre les universités et l’État. L’enjeu majeur pour la CPU concerne l’attribution des budgets, trop restreints mais aussi annoncés trop tard : les contrats doivent permettre au ministère d’attribuer des ressources selon un calendrier plus avantageux pour les présidents d’universités, ressources qu’ils vont ensuite pouvoir gérer eux-mêmes en interne287. Voilà la forme d’ « autonomie » qui est discutée dans ce cadre. René Rémond, historien, président de l’université de Nanterre entre 1971 et 1976 et premier vice-président de la CPU, se souvient en 2000 qu’ils ont construit alors un « modèle idéal d’autonomie des universités » : délivrées de tout « contrôle a priori », ce « schéma idéal » consiste à « si possible regrouper [les universités, autonomes,] régionalement, pour que partout il y ait la totalité des enseignements », afin d’ « éviter tout double emploi » et permettre une « bonne gestion des moyens », tout en assurant de la sorte que chaque étudiant puisse effectuer tout son cursus dans sa région288. Leur idée d’autonomie recouvre ainsi la question de la « carte universitaire » de la France, de l’aménagement du territoire – elle touche donc aussi aux politiques d’habilitation des diplômes –, mais elle part avant tout du problème des modalités d’attribution (et ensuite de gestion interne) des budgets aux universités. Comme l’expose l’historien Charles Mercier, « Cette période 1975-1976 apparaît comme la matrice des développements ultérieurs de l’autonomie universitaire, matrice paradoxalement peu reconnue comme telle par les chercheurs289, peut-être parce qu’elle est immédiatement suivie par le raidissement centralisateur de 1976-1981 »290. Effectivement, le mandat d’Alice Saunier-Seïté a été vécu notamment par la CPU comme ayant œuvré à l’encontre de leurs aspirations du début des années 1970 – la communication entre ministère et CPU a du moins été interrompue291. L’idée de contrats issue du colloque de Villard-de- Lans, concernant l’attribution des budgets aux universités, est en effet mise en veille pendant

287 Je remercie Étienne Bordes pour les échanges que nous avons eus à ce sujet : il prépare pour sa thèse une socio-histoire de la CPU (sous la direction d’Emmanuelle Picard). Je me réfère également à Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France. Les acteurs universitaires, politiques et syndicaux face à la réforme (1968-1984), thèse de doctorat en histoire soutenue à l’Université Paris-Sorbonne sous la direction d’Emmanuelle Picard et Jean-Noël Luc, le 9 décembre 2016, p. 438-439. 288 Entretien enregistré avec René Rémond, mené par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat le 29/02/2000, pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation. 289 Il cite en référence Fridenson, Patrick, « La politique universitaire depuis 68 », op. cit., p. 60 et Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit. 290 Mercier, Charles, Autonomie, autonomies: René Rémond et la politique universitaire aux lendemains de Mai 1968, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, p. 217. 291 Alice Saunier-Seïté ne s’est pas rendue à la CPU entre décembre 1978 et son départ du ministère. De nombreux présidents assistent en juin 1981 à leur première séance en compagnie du ministre (41 sur 77 membres). Je remercie Étienne Bordes pour ces précisions.

112 ces années-là et ne connaît ses premières concrétisations que dans la seconde moitié des années 1980 – nous y reviendrons.

3. Un « ménisque » entre État et universités

Un dernier mot sur la CPU et sa place dans notre histoire d’évaluation. D’après Arnaud Desvignes, les archives de la CPU et du colloque de Villard-de-Lans ne contiennent pas de trace d’une proposition d’instance d’évaluation ; ils ne permettent donc pas de corroborer les témoignages qui suivent, qui relatent néanmoins des idées que je propose de mettre en relation avec l’histoire qui nous intéresse dans ce chapitre. René Rémond s’attribue en 2000 pour partie la paternité du CNÉ, « héritage de la première CPU » : dans le « schéma idéal » d’universités autonomes élaboré à Villard-de- Lans, l’État a la fonction d’accorder les moyens aux initiatives prises par les universités, négociés dans des « contrats ». Or, dans ce schéma se pose la question de « qui évalue ? ». Dans le souvenir de Rémond (en 2000), mais aussi de son collègue président de Grenoble II, Jean Louis Quermonne (en 1991)292, c’est Jean Frézal qui aurait exprimé l’idée en premier, dès les premières réunions de la CPU : qu’il faille un « ménisque » (Frézal est médecin), c’est-à-dire une « articulation » entre État et universités, une « entité indépendante qui puisse formuler un jugement, pour accorder ou refuser des moyens ». Elle n’aurait pas elle-même de pouvoirs de décision ou de distribution, mais de larges pouvoirs « d’investigation »293. Ce sont là les paroles rapportées de Frézal, sans le terme d’ « évaluation », dans le souvenir de Rémond qui lui utilise effectivement le terme « évaluer » – mais nous sommes alors en 2000. Notons déjà que quelques membres de la première CPU vont réapparaître au CNÉ : Jean-Louis Quermonne, alors président de Grenoble II et premier vice-président de la CPU, sera parmi les premiers membres du CNÉ dès 1985 et François Luchaire, alors président de Paris I, en sera membre et président dès 1989. Nous verrons une brève prosopographie des membres du CNÉ au prochain chapitre. L’idée de la première CPU (plus précisément de Frézal) se situe, comme le projet de Schwartz, à l’intermédiaire des universités et du gouvernement, mais avec des fonctions différentes : les « instances d’évaluation » servent de feedback pour permettre aux universités de proposer des nouveaux cursus et diplômes, alors que le « ménisque » sert (indirectement, certes) à arbitrer les attributions de budget. La proposition de la CPU est trop peu fournie pour

292 Quermonne, Jean-Louis, L’appareil administratif de l’État, Paris, Seuil, 1991, p. 282-283, cité par Arnaud Desvignes, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 445. 293 Entretien enregistré avec René Rémond, mené par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat le 29/02/2000, pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation.

113 en dire davantage sur sa position, si ce n’est que l’impression prévaut que le « ménisque » en question serait effectivement un instrument de la contractualisation des rapports entre universités et État, notamment pour le financement. La contractualisation des budgets est un sujet qui leur tient manifestement à cœur : il est abordé sans cesse lors des réunions de la CPU294. Schwartz en revanche ne présente pas spécialement ses instances comme arbitres des finances, l’autonomie budgétaire est pour lui un moyen parmi d’autres pour obtenir des « universités modernes » qui puissent diversifier leurs formations.

III. Les Propositions pour l’enseignement de l’avenir du Collège de France – l’ « autonomie » selon Bourdieu

Je propose de suivre encore la trace d’un autre discours en faveur de l’ « autonomie des universités » des années 1980, avant d’en venir à la loi Savary effectivement mise en place en 1985, la création du CNÉ et au hiatus qui existe entre ces concrétisations et le projet de Schwartz que nous suivons depuis le début. Après la commission du bilan, Mitterrand a, en 1984, demandé un rapport sur l’enseignement aux professeurs du Collège de France – parmi eux Pierre Bourdieu, qui s’y est particulièrement investi295. Dans ces Propositions pour l’enseignement de l’avenir. Élaborés à la demande de Monsieur de Président de la République par les professeurs du Collège de France, publiées en 1985, les auteurs défendent sur 45 pages un programme pour l’enseignement « tout au long de la vie » – et les remarques portent davantage sur le système scolaire qu’universitaire. Notons que ces propositions ne font pas référence aux lois relatives à l’éducation qui sont alors en train d’être promulguées par le gouvernement socialiste, notamment la loi Savary sur l’enseignement supérieur. Dans un des rares travaux qui existent sur le CNÉ, Jean-Yves Mérindol (mathématicien, président de l’université de Strasbourg puis de l’Université Sorbonne Paris Cité et habitué des ministères) présente Bourdieu comme l’un des deux « grands universitaires » (avec Schwartz) à avoir pensé l’évaluation des universités296. L’histoire de ce rapport n’y est pas davantage mise en rapport avec la création du CNÉ que ce que je propose de faire ici – je ne pense pas en effet qu’elle ait eu une incidence sur le CNÉ. Néanmoins, il

294 J’ai consulté les Procès-verbaux des réunions plénières de la CPU en 1971 [AN 20080235/9] et je remercie encore une fois Étienne Bordes d’avoir partagé ses enquêtes avec moi. 295 « Le rapport du Collège de France : Pierre Bourdieu s’explique. Entretien avec Jean-Pierre Salgas », La Quinzaine littéraire, n°445, août 1985, p. 8-10. 296 Mérindol, Jean-Yves, « Comment l’évaluation est arrivée dans les universités françaises », op. cit. Aussi, je lui dois l’idée d’inclure une brève analyse de ce rapport dans cette histoire du CNÉ ; je le remercie de l’entretien qu’il a bien voulu m’accorder le 23/05/2016.

114 me semble intéressant d’évoquer ici cet exercice en miroir de celui de Schwartz trois-quatre années plus tôt : tous ces universitaires de renommée formulent des propositions politiques qui se recoupent en partie, mais suivent des enjeux fondamentalement différents. Aussi, cet excursus permettra de mieux saisir ce que peuvent véhiculer des revendications pour l’ « autonomie » des établissements d’enseignement dans les années 1980 – nous venons de le voir pour les années 1970 chez les présidents d’université. L’exposé des motifs de ces Propositions part du constat des évolutions de la société, des sciences et des techniques, des transformations économiques et sociales, des valeurs et des instances pédagogiques (« la famille, l’atelier, les communautés de village ou de quartier, et les Églises »), des nouvelles technologies de communication, de la télévision, pour signifier le changement tout autant nécessaire du système éducatif français. Dans ce rapport, le cœur du problème consiste à rendre possible un « système d’enseignement aussi démocratique que possible en même temps qu’adapté aux exigences du présent et capable de répondre aux défis de l’avenir »297. Les auteurs déplorent notamment la contribution du système d’enseignement au maintien des inégalités sociales : les « verdicts » prononcés sur les étudiants dans le cadre de l’enseignement sont trop définitifs et peuvent engranger le « cercle vicieux de l’échec » et ainsi une « ‘sélection par l’échec’, comme on dit parfois ». Ils n’excluent pas que des formes de sélections (ce texte semble plus prudent sur ce point que celui de Schwartz) fassent partie de la solution au problème (« un refus de la sélection qui conduit à repousser toujours le moment de vérité ») – or, ils insistent, plus que Schwartz, sur la nécessité de donner à tous, aux « plus démunis » surtout, les moyens d’accéder à tous les niveaux d’études298. Cette préoccupation principale dans le rapport du Collège de France est tout à fait cohérente avec les thèmes de recherche de Pierre Bourdieu : la reproduction des inégalités sociales par le système d’enseignement. On ne peut sous-entendre que Schwartz s’opposerait à ces objectifs : rappelons qu’il mobilise Bourdieu pour dire que les universités d’aujourd’hui non seulement forment mal leurs publics mais en plus les discriminent par manque de « sélection-orientation ». Lutter contre les inégalités sociales n’en est pas moins un objectif marginal dans son programme : il se préoccupe avant tout de la capacité des universités à former les nouveaux publics étudiants. La principale solution prônée dans les Propositions de 1985 est la « diversification », la « pluralité » et la « multiplication » des enseignements, qui permettrait à un plus grand

297 Collège de France, Propositions pour l’enseignement de l’avenir, Paris, Minuit, 1985, p. 10. 298 Ibid., p. 21.

115 nombre d’étudiants de trouver un domaine où exceller (il faut « multiplier les formes d’excellence socialement reconnues »299) et à contrecarrer les hiérarchies uniques. Cette diversité se traduit entre autre dans de nouvelles formations (« enseignement fondamental et professionnel »300), comme chez Schwartz, censées répondre aux « exigences du présent et […] aux défis de l’avenir »301, exprimées notamment dans le marché de l’emploi. Y devraient contribuer aussi les pédagogies alternatives, mais aussi la capacité de l’historicisation, dans tous les domaines (le rapport fait l’éloge des vertus de « l’histoire des sciences et des techniques et des œuvres culturelles »), à « inculquer les dispositions critiques » et à défaire les hiérarchies sociales entre disciplines et différentes formes de savoirs302 – et avec ces dernières les hiérarchies entre les filières d’enseignement. Les hiérarchies entre disciplines : voilà encore un point qui paraît cohérent avec les travaux de Pierre Bourdieu. Lorsque Schwartz parle de diversifier les formations, ce n’est pas pour bousculer les hiérarchies universitaires, mais avant tout pour avoir des filières adaptées à la diversité des publics, pour former à des métiers différents des métiers universitaires. Le rapport du Collège de France pose, tout comme Schwartz, le danger de l’isolement de l’enseignement par rapport au monde qui l’entoure : « un univers séparé, sacré, coupé de l’existence ordinaire », qui peut avoir des « réactions de fermeture et de défense corporatiste » 303 – encore une attaque commune avec Schwartz. Ici, l’« ouverture » nécessaire, cependant, n’est pas la même que chez Schwartz : il ne faut pas « sacrifier au mythe de ‘l’ouverture sur la vie’, qui peut conduire à des aberrations » et à « compromettre l’autonomie indispensable de l’institution scolaire à l’égard de la demande sociale ». Il ne faut donc pas que les universités s’adaptent trop aux demandes de la société – on peut ici penser aux besoins des employeurs, du marché du travail, ou de demandes exprimées par les politiques –, sinon elles risquent de perdre leur liberté académique. Dans ce rapport, il s’agit moins pour l’enseignement de prendre en compte les demandes de l’extérieur que de faire en sorte que l’extérieur participe à l’enseignement : « l’École ne peut pas et ne doit pas être le seul lieu de formation ». Cette « ouverture » doit « devenir le foyer d’une nouvelle vie associative, lieu de l’expérience pratique d’une véritable éducation civique »304. Se mêlent ici l’intérêt d’inverser les hiérarchies scolaires (l’école n’est

299 Ibid., p. 17. 300 Ibid., p. 25. 301 Ibid., p. 10. 302 Ibid., p. 13, p. 17-18, p. 21. 303 Ibid., p. 41. 304 Ibidem.

116 pas le seul lieu de formation) et celui de former les citoyens critiques, par le biais des sciences sociales notamment. Dans le rapport de 1985 l’autonomie est ainsi pensée comme contrepoids à une certaine ouverture (« autonomie à l’égard de la demande sociale »305, « à l’abri de toutes les pressions extérieures »306), alors que Schwartz voit avant tout l’autonomie – administrative, de l’entité établissement – comme élément constitutif de l’ouverture sur le monde extérieur. Cette divergence tient aussi de l’acception du concept d’ouverture : l’ouverture souhaitée pour l’enseignement chez Schwartz est plutôt réceptrice du monde extérieur (une ouverture sur), alors qu’elle est davantage émettrice dans le rapport du Collège de France : le monde extérieur aussi est source d’éducation, et peut concourir à combattre la reproduction des inégalités sociales. Pourtant, il y a un lexique et des motifs communs : dans le rapport du Collège de France, il s’agit aussi d’une autonomie au sens de capacité de manœuvre pour les établissements et surtout « du corps enseignant » à mettre en œuvre la diversification de l’enseignement : diversité pédagogique 307 et des niveaux et types de cursus proposés ; uniquement des cursus et des formations chez Schwartz. Ce sont en effet les établissements qui doivent être « autonomes et diversifiés », voire « autonomes et concurrents (au moins au niveau de l’enseignement supérieur) » : ils ont pour cela besoin d’avoir « la maîtrise d’un budget global » (comme le demande la première CPU), des « ressources diversifiées » (et faire « coexister » des établissements à financement public et privé) et d’être « autonomes » en matière « de création d’enseignements, de collation des grades et de régulation des flux étudiants » – les établissements de recherche devant en sus être autonomes dans la détermination de leurs « objectifs ». Ces éléments, qui vont en partie dans la direction des propositions de Schwartz (création d’enseignements, collation des grades et régulation des flux étudiants) et celles de la première CPU (maîtrise du budget), semblent plus radicaux par endroit dans ce texte du Collège de France, tout en pouvant entrer en contradiction avec ses positions vues précédemment : après la mise en garde contre trop d’ « ouverture » qui ferait perdre la liberté académique, les membres du Collège de France prônent l’association de « personnes extérieures » aux « délibérations » dans les établissements scolaires – y compris à leur

305 Ibid., p. 41. 306 Ibid., p. 25. 307 Il faudrait par exemple pouvoir « introduire dans les recrutements un contingent d’élections et de promotions sur travaux effectués et accomplissements réels (comme […] l’introduction d’innovations pédagogiques exemplaires) », ibid., p. 23.

117 financement. Rappelons qu’il s’agit d’une œuvre collective. De plus, si Bourdieu (et ses collègues) maitrise les constats sur les problèmes des systèmes d’enseignement, émettre des recommandations de réformes lui est probablement moins familier. Ces propositions semblent encore confuses dans les passages qui suivent : l’objectif est, pour ces auteurs, qu’une telle autonomie et diversité dans l’enseignement introduise une « émulation réelle » entre ceux-ci, l’État restant néanmoins garant contre la « concurrence sauvage » qui mènerait à nouveau à la « ségrégation scolaire », par exemple en « soutenant des enseignements économiquement non rentables mais culturellement importants »308. Ils expliquent que leur position consiste à vouloir « dépasser l’opposition entre le libéralisme et l’étatisme », à opérer une « redéfinition profonde du rôle de l’État », désormais « contrôleur » et « correcteur » de l’ « émulation ouverte » substituée à la « concurrence larvée »309. Difficile de démêler ces phrases pour en extraire un sens clair : on est dans la nuance permanente, les auteurs tentent de naviguer entre les écueils.

Ces Propositions pour l’enseignement de l’avenir étaient certes l’œuvre d’un collectif, mais Bourdieu y a participé et a assumé ses contenus – il affirme également, assez tôt après la publication de ce rapport (août 1985), que « il y a eu des usages proprement idéologiques de [s]es analyses »310. On peut éventuellement penser là aux passages cités ci-dessus, sur l’ « autonomie », la « concurrence » et l’ « émulation » ou aux propositions d’instaurer des « avantages matériels et symboliques (subventions, promotions, primes […]) » aux enseignants afin de « renforcer ou restaurer la motivation des maîtres »311. En 1992, sept ans après le rapport, Bourdieu a participé à la fondation d’une Association de Réflexion sur les Enseignements Supérieurs et la Recherche (ARESER), qui a de plus en plus critiqué l’idée d’universités autonomes, « soumises à des modes managériales »312. C’est un glissement très intéressant compte tenu de notre sujet. L’ARESER s’est positionnée notamment contre QSF, fondée dix ans plus tôt et présidée par Laurent Schwartz, qui, elle, plaide essentiellement pour des mécanismes de sélectivité et d’orientation dans les universités et pour des frais d’inscription plus conséquents – les deux associations étaient domiciliées au 45 rue d’Ulm à Paris, à l’ENS. QSF continue d’exister comme liste aux

308 Ibid., p. 25. 309 Ibid., p. 25-26. 310 « Le rapport du Collège de France : Pierre Bourdieu s’explique. Entretien avec Jean-Pierre Salgas », op. cit. 311 Collège de France, Propositions pour l’enseignement de l’avenir, op. cit., p. 28. 312 Cf Mérindol, Jean-Yves, « Comment l’évaluation est arrivée dans les universités françaises », op. cit., p. 20. Voir les publications de l’ARESER sur son site web : http://www.areser.fr/publications et http://www.areser.fr/les-bulletins.

118 élections dans les instances universitaires, au même titre que les syndicats : « S’il revient aux organisations syndicales d’assurer la défense collective et individuelle des universitaires, l’association QSF entend que les choix scientifiques soient faits sur la base de critères exclusivement scientifiques, indépendamment de toute autre considération ». Aujourd’hui, QSF salue la plupart des réformes universitaires récentes (sélection, recrutement des enseignants-chercheurs)313.

Sans vouloir m’engager ici dans une recherche sur les positionnements politiques de Bourdieu314, cet excursus permet d’interroger le thème d’ « autonomie des universités » tel qu’il a pu être véhiculé dans les années 1980. Les revendications d’ « autonomie » des universités semblent ainsi avoir changé de bord politique entre les années 1980, où elle est volontiers promue par des gens « de gauche » mobilisés autour de Mitterrand, et les années 1990, où elle est vue, par Bourdieu et l’ARESER notamment, comme un thème de la « managérialisation », voire « néolibéral ». Mais n’homogénéisons pas ces deux pôles : pour le premier, nous avons vu qu’on ne peut amalgamer les positions de Bourdieu, Schwartz et du parti socialiste. Non seulement Schwartz se positionne explicitement en opposition à l’ « égalitarisme primaire » du parti socialiste (ce sont ses termes, je le rappelle), mais nous avons vu aussi que l’acception de l’autonomie des universités est toute autre chez Schwartz, les présidents d’universités et Bourdieu. Elle concerne respectivement la création de cursus et de diplômes, la répartition des budgets et une liberté pédagogique plus accrue. Pour le parti socialiste, nous verrons que l’annonce d’ « autonomie » couvre un système tout compte fait restant assez centralisé et règlementé. Le clivage est en effet particulièrement marqué entre l’ « autonomie » voulue par Schwartz par exemple (mais aussi la première CPU) et celle inscrite dans la loi Savary.

IV. La « décevante » loi Savary

Jusqu’ici, nous avons fait le tour de plusieurs programmes pour des formes d’ « autonomie » des universités. Nous avons surtout étudié le programme de Schwartz, sollicité et prolifique sur ces questions. Or, il n’a pas été le « grand architecte » des réformes universitaires qui nous intéressent ici, bien au contraire. En effet, il a été « déçu » (ce sont ses

313 http://www.qsf.fr. 314 Voir pour cela ses Interventions politiques (1961-2001), Agone, 2002. Sur son engagement après 1990 : Bourdieu, Pierre, Contre-feux, Paris, Raison d’agir, 1998. Voir aussi Perez, Amin, Faire de la politique avec la sociologie, Agone, à paraître 2020.

119 souvenirs en 1999) par la loi « Savary » pour l’enseignement supérieur (du nom du ministre de l’Éducation nationale de 1981 à 1984), dont le seul vrai mérite selon lui est l’installation, en 1984, du Comité National d’Évaluation des universités, dont il prend la présidence dès l’entrée en fonction du CNÉ, en 1985. En rétrospective, en 1999, Schwartz estime que tous ses écrits et efforts ont été « mis de côté » par les politiques au pouvoir, et qu’il a fondé QSF « pour abolir la loi Savary », en 1982, alors que les projets de loi circulaient déjà315. Une ancienne chargée de mission du CNÉ, qui y a travaillé dès la fin des années 1980 et dit avoir beaucoup d’estime pour le travail de Schwartz au CNÉ, a réagi à mon évocation de QSF dans ces termes « oui alors ça on lui en a beaucoup voulu [à Schwartz], parce que c’était parfaitement rétrograde ça » 316 – faisant référence à la sélection à l’entrée des universités. Comme si la pensée de Schwartz pouvait être partagée en deux idées distinctes : l’évaluation et la sélection. Gardons à l’esprit qu’elle parle après coup, en 2016, et qu’elle avait peut-être un autre avis dans les années 1980. J’avance néanmoins cet élément pour appuyer qu’il ne faut en tous cas pas commettre l’erreur de voir dans le CNÉ l’organe d’application de l’entièreté du programme de Schwartz. On ne peut donc non seulement pas établir d’identité d’intention entre le programme de Schwartz et la loi Savary, mais pas non plus avec le CNÉ. Tous ces éléments (le programme de Schwartz, la loi Savary, les positions des personnes allant peupler le CNÉ) sont par contre constitutifs de l’histoire de l’émergence du CNÉ.

1. La genèse de la loi Savary

Dans son ouvrage Pour sauver l’université de 1983, je le rappelle, Schwartz reprend largement ses travaux pour la Commission du bilan et réagit à la loi Savary sur l’enseignement supérieur qui est alors en préparation – il paraît peu avant sa promulgation en 1984. La genèse de cette loi a été reconstituée à partir de nombreux témoignages de membres du cabinet d’Alain Savary et d’autres personnes impliquées, dans un ouvrage collectif faisant suite à un colloque organisé sur l’ancien ministre, en 2000, par d’anciens collègues et amis et ayant également mobilisé des historiens317. Dans cet ouvrage, qui comprend aussi des lectures d’éloge et des souvenirs après coup, je mobilise essentiellement

315 Entretien enregistré avec Laurent Schwartz, mené par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat le 1/12/1999, pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation. 316 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14-16h. 317 Hurtig, Serge (dir.), Alain Savary : politique et honneur, Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), collection « Académique », 2002.

120 le chapitre de deux historiennes du Service d’histoire de l’éducation dont j’ai déjà utilisé les enregistrements d’entretiens menés avec Laurent Schwartz et René Rémond318. Ensuite, la genèse de cette loi fait l’objet d’une recherche approfondie dans la thèse d’Arnaud Desvignes319. Aussi, je tâcherai d’en faire ressortir uniquement les points saillants qui importent pour comprendre la création du CNÉ. La préparation de cette loi a lieu dès l’entrée en fonction d’Alain Savary et son contenu est fixé dès septembre 1982 – voilà comment Schwartz et ses collègues peuvent y réagir aussi tôt. La loi Savary est la première loi d’orientation pour l’enseignement supérieur depuis la loi Faure de 1968. D’après les témoignages recueillis dans le cadre de l’ouvrage collectif à la mémoire de Savary, celui-ci suit des « principes qui doivent orienter la refonte de l’enseignement supérieur : démocratisation, autonomie, pluridisciplinarité. Ces principes ne sont pas en rupture avec la loi Edgar Faure, mais il entend leur donner tous les développements nécessaires »320. À ce stade la mobilisation de ces notions fétiches ne nous informe pas beaucoup, mais retenons que l’intention n’est pas une rupture avec le statu quo. Même s’il n’est pas très présent dans les 110 points du programme électoral de Mitterrand, le parti socialiste a déjà un programme pour l’enseignement supérieur avant son entrée au gouvernement : « L’objectif du plan socialiste en matière d’enseignement supérieur est de mettre fin aux mécanismes aboutissant à une sélection des étudiants sur critère social, de mieux les préparer à leur activité professionnelle future et de lier davantage enseignement et recherche »321. Le premier objectif concerne les mécanismes de reproduction sociale dans l’enseignement (dénoncés par Bourdieu) et constitue le cœur du programme des socialistes. Le second concerne une préoccupation proche de celle de Schwartz : avec l’expansion de l’enseignement supérieur, il faut former les publics étudiants à des métiers en dehors de l’université. Pour Schwartz, ces deux objectifs ne sont pas tenables simultanément : pas de véritable diversification si l’on reste radicalement « égalitariste » dans son combat contre la reproduction sociale, ce dont Schwartz accuse le PS. Le dernier objectif est un problème beaucoup plus interne à l’enseignement supérieur : l’enseignement ne formerait pas assez à la recherche, ou la recherche n’alimenterait pas assez l’enseignement.

318 Bernard, Danièle, Lepagnat, Françoise, « Chapitre 10. Alain Savary et la loi d'orientation de l'enseignement supérieur », in Alain Savary : politique et honneur, op. cit. 319 Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit. 320 Bernard, Danièle, Lepagnat, Françoise, « Chapitre 10. Alain Savary et la loi d'orientation de l'enseignement supérieur », in Alain Savary : politique et honneur, op. cit., p. 224-225. 321 Mexandeau, Louis et Quilliot, Roger, Libérer l’école, Plan socialiste pour l’Éducation nationale, Paris, Flammarion, 1978 ; cité par Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 519.

121 Peu après sa nomination, Alain Savary détaille ses intentions dans un discours prononcé devant la CPU : il y affirme la nécessité de dialogue avec les présidents et d’autonomie de l’enseignement supérieur. C’est bien sûr un discours à comprendre en lien avec ses interlocuteurs, qui ont vécu le mandat d’Alice Saunier-Seïté, prédécesseure de Savary, comme une rupture de dialogue, et l’autonomie est précisément un concept qu’ils demandent et ils estiment que cela leur a été refusé jusque là. Savary envoie ainsi le signal qu’il entend réintroduire une écoute des présidents d’université. Dans la suite de son discours, il évoque des propositions un peu plus concrètes : il entend accorder suffisamment de moyens aux établissements, négocier une « véritable » carte universitaire « non imposée » et assouplir l’habilitation des diplômes – ces derniers doivent rester nationaux, conformément au programme du PS. Je suis d’accord avec Arnaud Desvignes pour interpréter ces annonces comme des attaques implicites de sa prédécesseure. Savary, encore d’après Desvignes, reprend également à son compte des idées de ses prédécesseurs (sans le dire), comme mettre en place une « contractualisation » et instaurer une instance nationale d’évaluation pour en assurer le contrôle (même si son lien avec l’attribution des budgets reste peu clair dans ce discours). C’est effectivement une idée qui peut être retracée jusqu’au mandat de Soisson au milieu des années 1970322. Prenons à ce stade ce discours comme une déclaration stratégique et politique ; nous verrons par la suite ce qu’il compte véritablement faire passer dans sa loi pour comprendre ce que recouvrent ces termes. a. Une longue gestation, oppositions multiples

Dès 1981, Alain Savary charge Claude Jeantet de présider une commission afin de produire un rapport qui puisse alimenter le projet de loi sur l’enseignement supérieur : Claude Jeantet est « maître-assistant de biochimie au Collège de France, syndiqué au SGEN-CFDT et membre de la délégation à l’éducation du PS »323. Le ministère semble multiplier les demandes de rapports : cela peut permettre d’avoir une plus grande variété d’avis sur lesquels s’appuyer, mais aussi que davantage de personnes se sentent sollicitées. C’est ensuite Georges Dupuis, juriste chargé de mission au cabinet Savary, qui rédige les projets de loi. Arnaud Desvignes montre bien, par l’étude des différentes versions et des réactions des syndicats et instances du monde universitaires, à la fois les continuités entre le programme socialiste de 1978, le rapport Jeantet et la loi Savary mais aussi le parcours mouvementé jusqu’à l’adoption

322 Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 522-525. 323 Ibid., p. 570.

122 de la loi324. Je renvoie à son texte, surtout pour les sources qu’il mobilise, et je propose ici un rapide aperçu de ce parcours, avec un focus sur la question de la sélection. Alain Savary a effectivement des difficultés à faire passer sa loi : cela a duré deux ans, face aux diverses oppositions des syndicats, de mouvements de grève et d’occupation, et de la droite au Parlement et surtout au Sénat (qui dépose plus de 2000 amendements), mais aussi au sein même du cabinet du ministre. Depuis le premier avant-projet de loi rédigé par le juriste Jacques Georgel début 1982, les débats sont nombreux. À commencer par la sélection : ce premier projet n’en parle pas, or la commission Jeantet estime qu’il faille préciser que toute forme de sélection n’est admissible que pour des filières qui forment à des métiers spécifiques : elle aurait sa place à l’entrée des STS et IUT, mais pas à l’entrée des classes préparatoires ni en médecine325. Savary exclut d’abord toute forme de sélection, face à la CPU, puis envisage d’introduire une « régulation académique ou inter-académique des flux » étudiants, et surtout de ne donner accès au second cycle qu’aux étudiants « qui remplissent les conditions d’accès fixées par le règlement de la formation »326. Ceci suscite l’opposition des syndicats (SNESUP, SGEN et les deux UNEF), mais également des inquiétudes au sein de la CPU. Aussi, Savary informe Mauroy qu’il proposera « une nouvelle rédaction tenant davantage compte de l’équilibre nécessaire entre l’absence de sélection, les exigences de la répartition des étudiants entre les établissements, l’utilité d’une bonne orientation »327. Il veut maintenir des formes de sélectivité pour le second cycle, mais admet qu’elle ne peut concerner le premier cycle, dans les filières généralistes du moins. Les membres du cabinet, mais aussi les députés socialistes sont en effet divisés eux aussi sur cette question de la sélection à l’université : ils ne la rejettent pas en bloc. C’est encore la question de la sélection qui provoque les contestations étudiantes du printemps 1983 : d’abord en médecine (contre le numerus clausus et la sélection de facto opérée en sixième année), puis plus largement contre la loi Savary, avant tout parmi les étudiants en droit (donc pas de la part des syndicats étudiants de gauche, dont l’opposition au projet de loi est moins forte et concerne avant tout le refus de la sélection au second cycle). Ainsi, lorsque je parle dans ce chapitre de l’impossibilité politique pour le gouvernement d’installer une sélection à l’entrée de l’université (avec la loi Savary), il s’agit de la position

324 Ibid., p. 596-655. 325 Ibid., p. 604. 326 Note d’information. Préparation d’une nouvelle loi relative aux enseignements supérieurs, ministère de l’Éducation nationale, service information, 18 octobre 1982 [AN 19860251/16-18 1160782] ; cité par Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 609. 327 Lettre d’Alain Savary datée du 26 novembre 1982 et adressée au Premier ministre [AN, 5AG 4/RC4] ; cité par Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 611.

123 finale de Savary, ou plutôt du ministère : c’est davantage le résultat des ajustements au sein du cabinet et dans le contexte des oppositions que je viens d’évoquer, que le reflet d’une position personnelle de Savary. L’autre point clé d’opposition au sein de ces débats concerne les élections directes au collège unique pour les conseils scientifiques dans les universités : l’élection directe favoriserait les disciplines à forts effectifs, risquerait de « syndicaliser » les élections et de priver certaines unités d’enseignement et de recherche de représentation à ces conseils328 – les syndicats de gauche sont pour, la CPU contre, Schwartz aussi. L’élection des présidents d’universités par le conseil d’administration uniquement ou par trois conseils universitaires (administratif, scientifique, et des études et de la vie universitaire) pose également question329. Les députés et sénateurs de l’opposition déposent alors nombre d’amendements, notamment pour permettre plus de sélection, éviter les collèges uniques aux élections et garantir plus de poids dans les conseils aux professeurs. L’Assemblée engage des compromis à ce dernier sujet mais ne prend pas suffisamment en compte ces critiques en deuxième lecture du texte ; le Sénat dépose un recours au Conseil constitutionnel, qui lui donne raison au sujet du collège unique, modalité qui est donc supprimée dans la loi Savary, début 1984.

2. La déception de Schwartz

Schwartz est manifestement informé et clairvoyant sur les désaccords que suscitent le projet de loi mais aussi son propre programme : il rappelle que son rapport se fonde sur la consultation « d’une centaine de personnes, plusieurs organisations, et [de] plus de cent cinquante lettres » – encore faudrait-il savoir de qui il s’agit. Une « telle convergence de vues était apparue sur les difficultés de l’enseignement supérieur, des grandes écoles et de la recherche – et sur les solutions possibles – que l’on peut être légitimement déçu par l’évolution actuelle ». « Si la gauche avait présenté un tel projet [tel qu’il le décrit dans son rapport de 1981, repris dans son ouvrage de 1983] un accord général aurait sans doute été possible avec l’opinion publique »330. Ce consensus est certainement exagéré, une figure rhétorique chez Schwartz, qui déplore d’ailleurs plus loin dans son texte que le projet de loi, avant sa promulgation, a connu

328 Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 602. 329 Ibid., p. 628. 330 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 13.

124 une « opposition cacophonique » dans les milieux académiques331, notamment sur les points suivants, que lui-même soutient : « le principe de professionnalisation des enseignements, ou plutôt, selon l’expression finalement retenue, la « formation ou préparation professionnelle » (nécessaire dès lors que la France compte 850000 étudiants et pas 100000), le tutorat, l’évaluation des universités et des enseignants-chercheurs, la présence de personnalités extérieures dans les conseils, corollaire naturel de l’ouverture nécessaire de l’Université sur le monde extérieur, en particulier sur l’industrie »332. Une part de la profession universitaire est manifestement, et sans grande surprise, réticente à ces interférences dans leur métier. On retrouve trois éléments du diagnostic de Schwartz qui sont présents dans le projet de loi – mais cette présence semble avant tout rhétorique et recouvre des réalités différentes : les universités doivent proposer des formations « professionnelles », elles doivent être évaluées et s’ouvrir sur les industries et entreprises. En effet, Schwartz continue : « Mais il y eut plus grave [que l’opposition cacophonique des universitaires]. Le projet de loi, malheureusement, contenait aussi des traits extrêmement négatifs : le rejet de toute sélection à l’entrée ; le refus d’une vraie diversification des universités ; des modes d’élection aux conseils qui privilégient les lobbies syndicaux ou politiques, etc. Le monde universitaire tout entier, pour des raisons variées, a alors rejeté une loi que je ne peux moi-même absolument pas soutenir »333. Le projet de loi de Savary, « en refusant sélection et vraie diversification », est « rétrograde » : « la qualité disparaît au profit de la médiocrité, la diversité au profit de l’uniformisation, la responsabilité est battue en brèche par la politisation au mauvais sens du terme »334. Sans sélection, on ne pourra pas répondre aux flux de nouveaux étudiants sans que la qualité de l’enseignement en pâtisse ; les universités ne vont pas avoir assez de moyens pour « véritablement » diversifier leur offre de formations, puisque l’organisation de l’enseignement reste centralisée ; elles ne vont pas pouvoir s’ouvrir sur l’extérieur car on reconduit les causes des « corporatismes » et « conservatismes » qui l’enferment (les élections au collège unique par exemple : les enseignants de rang inférieur, plus nombreux et plus nombreux à être syndiqués, y imposeraient des logiques « politiques »). L’opposition est en effet irrésoluble entre les deux programmes : Savary, en tant que

331 Les témoignages déjà cités autour de la genèse de cette loi confirment cela : Bernard, Danièle et Lepagnat, Françoise, « Chapitre 10. Alain Savary et la loi d'orientation de l'enseignement supérieur », in Alain Savary : politique et honneur, op. cit., p. 229. 332 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 11. 333 Ibidem. 334 Ibid., p. 14.

125 ministre du gouvernement socialiste, ne peut camper sur autre chose que les positions « égalitaristes » et proches des syndicats à moins de risquer d’aller contre sa base électorale (malgré ses convictions, peut-être, et l’avis de certains de ses collègues, comme nous l’avons vu ci-dessus). Cela signifie maintenir des garanties nationales pour l’égalité de tous les cursus et diplômes dans chaque domaine, par delà les établissements et les découpages territoriaux. Et cela, précisément, est ce qui pour Schwartz va mener les universités à leur perte : il faut au contraire permettre aux universités de proposer des enseignements différents. Selon lui, non seulement la diversité des cursus, voire de filières au sein des universités, ne va pas accroître les inégalités sociales, mais les principes dits « égalitaristes » défendus par le gouvernement ne parviennent pas à les combattre. Chez Schwartz, la diversité des diplômes est horizontale (sélectionner-orienter vers des formations adéquates, pour former à des métiers différents ; les hiérarchies sociales entre ces métiers et les formations qui y mènent ne sont pas le problème), alors que dans le discours du parti socialiste tel qu’il est critiqué par Schwartz, toute différence devient immédiatement verticale sur une échelle de valeur. Nous l’avons vu de manière exemplaire lors de l’intervention du délégué du CNESER à la CPU à propos de la proposition d’introduire des diplômes d’établissements, qui prendraient par la force des choses nécessairement une place inférieure par rapport aux diplômes nationaux. Savary est effectivement très clair sur ce point avec la loi qu’il promeut : il tient à « confirmer le caractère national des diplômes et [à] garantir le libre accès de tous les bacheliers à l’enseignement supérieur » ainsi qu’à « accroître la démocratisation de l’enseignement supérieur, y développer la participation des étudiants, y associer tous les personnels »335 – des propositions conformes avec le programme du parti socialiste et du gouvernement à ce moment. Le sens que prend la « démocratisation » chez lui est diamétralement opposé à celui qu’y met Schwartz : la même chose pour tous chez Savary, une diversité des formations pour un public plus large certes mais surtout divers chez Schwartz.

Schwartz se souvient (en 1999) avoir été invité pour QSF, qui est alors composé de 500 membres, pour un petit-déjeuner avec François Mitterrand et des membres de son gouvernement et des cabinets (hormis Savary) en automne 1983. Mitterrand aurait été sensible à la réputation de ces chercheurs regroupés, et inquiet de voir tous ces universitaires en opposition à la loi Savary. Schwartz se souvient du soutien de Lionel Jospin (alors premier

335 Bernard, Danièle et Lepagnat, Françoise, « Chapitre 10. Alain Savary et la loi d'orientation de l'enseignement supérieur », in Alain Savary : politique et honneur, op. cit., p. 231 et 223.

126 secrétaire du parti) et qu’ils étaient « à deux doigts » de « réussir »336. Un compte-rendu de cette entrevue permet en effet à Arnaud Desvignes d’affirmer que les députés socialistes étaient très divisés, notamment sur la question de la sélection et celle des élections au collège unique, au moment où le projet de loi, après passage au Sénat, allait passer en seconde lecture à l’Assemblée337. In fine, il semble néanmoins que l’impossibilité politique déjà évoquée d’entraver l’égalité de traitement entre les étudiants (a priori tous doivent avoir accès à tous les cursus) l’ait emporté et ait annulé toute possibilité d’appliquer le programme de Schwartz.

3. Les dispositions de la loi Savary

La loi Savary telle qu’adoptée en 1984 ne contient effectivement pas les points chers à Schwartz (sélection, « vraie diversification », fin des « corporatismes »). Elle comporte certes des formulations qui doivent plutôt convenir à Schwartz : le texte de la loi Savary réserve, en effet, une place importante à la « formation continue », aux formations « professionnelles » au même titre que les formations « scientifiques » et « culturelles », annonce donc effectivement un souci de la formation aux divers métiers dont le pays, son économie, son marché de l’emploi, ont besoin. L’enseignement supérieur est défini comme servant à « la croissance régionale et nationale dans le cadre de la planification, à l’essor économique, et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins actuels et leur évolution prévisible » – et cette prévision doit être le fait de « comités consultatifs régionaux des établissements d’enseignement supérieur » comprenant des « représentants des établissements », de « l’État, de la région, des collectivités locales ainsi que des activités éducatives, culturelles, scientifiques, économiques et sociales » 338 . Mais ces dispositions restent au stade de formulations, et ces dernières phrases reflètent un modèle très étatiste par rapport à ce que Schwartz préconise en termes d’autonomie des universités : la planification centrale par l’État est précisément ce que Schwartz critique et dénonce comme impraticable dans le contexte actuel d’expansion universitaire.

La loi est donc en principe favorable au développement de formations « professionnelles » dans les universités, mais la déception de Schwartz vise probablement ce

336 Entretien enregistré avec Laurent Schwartz, mené par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat le 1/12/1999, pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation. 337 Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 650-51. 338 « Loi 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur », Journal officiel de la République française, 27 janvier 1984, p. 431-433 et p. 439.

127 passage, insuffisant à ses yeux quant au pouvoir de manœuvre donné aux universités : « Ils [les pouvoirs publics] favorisent le rapprochement des règles d’organisation et de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur tout en respectant la nécessaire diversité de ceux-ci »339. La « diversité », et la liberté de créer de nouvelles formations et diplômes, ne semble ici prévue qu’à la marge, alors que c’est le cœur du projet de Schwartz. Les établissements sont pourtant définis comme « autonomes » dans la loi – « ils jouissent de la personnalité morale et de l’autonomie scientifique et pédagogique, administrative et financière » – et ils peuvent établir des contrats avec le gouvernement. On remarque ici l’antiphrase que peut représenter le terme « autonomie », puisqu’il s’agit ici non pas de faire sa propre loi, mais de prendre des engagements vis-à-vis d’entités extérieures : « leurs activités de recherche, de formation et de documentation peuvent faire l’objet de contrats d’établissements pluriannuels dans le cadre de la carte des formations supérieures définie à l’article 19 ». Ces contrats doivent fixer les objectifs des établissements et les moyens mis à disposition par le gouvernement ; ensuite les « établissements rendent compte périodiquement de l’exécution de leurs engagements ; leurs rapports sont soumis au comité national d’évaluation prévu à l’article 65 »340. Le CNÉ est ainsi pris, dans une certaine mesure, dans l’idée de contractualisation dans la conception de cette loi : c’est vis-à-vis de cette instance que les établissements rendent leurs comptes au sujet des contrats qu’ils auront souscrits. Mais la loi ne précise pas quelle sera la forme ni le contenu des contrats et, en conséquence, quelle sera la nature des « évaluations » par le comité : le caractère assez vague de ces dispositions n’indique pas que le comité doive sanctionner le respect des engagements pris par les établissements vis-à-vis de l’État.

Pour Arnaud Desvignes, la loi Savary adopte une position contradictoire par rapport à l’autonomie des universités : d’une part, les diplômes restent nationaux et l’État reste le principal pourvoyeur et contrôleur des budgets et des recrutements. Mais d’autre part, les universités peuvent établir des contrats et peuvent obtenir des financements des collectivités territoriales, et les régions jouent un rôle dans la définition de la carte universitaire. Desvignes y voit des réformes pour l’ « autonomie » au sens de « dispositions destinées à responsabiliser les universités et à leur permettre de mener davantage une politique d’établissement, à vaincre les éventuelles résistances des UFR et à moins dépendre de l’État ». Il ramène cette ambiguïté

339 Ibid., p. 433. 340 Ibid., p. 434.

128 face à l’ « autonomie » à la tension, chez les gouvernants, entre « tradition jacobine et aspirations girondines », avec les mots de René Rémond341. Cependant, il ne me semble pas que les universités, après 1984, dépendent moins de l’État qu’auparavant. À mon sens, il faut plutôt abandonner l’idée d’une adéquation des mots avec les actes – d’autant plus que le sens des mots peut varier – et accepter qu’à la fois la loi Savary parle d’autonomie et qu’elle maintienne en même temps une mainmise étatique forte sur la plupart des fonctions universitaires.

4. Autonomie – contractualisation – évaluation ?

La création du CNÉ, par la loi Savary, est prise dans ce qu’elle nomme la « politique contractuelle », c’est-à-dire la possibilité d’établir des contrats concernant la répartition des budgets accordés aux universités par l’État. Mais nous avons vu que même si la contractualisation constitue le contexte disons textuel de la création du CNÉ, dans la loi Savary, la contractualisation reste à ce stade un concept vide (d’autant plus qu’elle n’est pas réalisée avant 1989), qui ne peut donc marquer significativement le CNÉ lors de sa mise en place. Néanmoins, on ne peut si facilement évacuer la question de la contractualisation de l’histoire du CNÉ. Aussi, je propose de brièvement aborder ce qu’est cette contractualisation – bien que cela mériterait de faire l’objet de nombreuses recherches plus approfondies. En effet, les travaux de Desvignes et Mérindol convergent pour citer deux autres antécédents au CNÉ, à savoir des rapports qui formulent l’idée d’une « instance d’évaluation », en 1978 et en 1981, dans le cadre de réflexions sur la contractualisation pour l’attribution des budgets universitaires : les ministères ont chargé successivement deux professeurs d’économie (à Paris Dauphine et Rennes I respectivement) de présider des commissions pour ce faire : Alain Bienaymé et Yves Fréville. Le premier propose en 1978 « de créer une instance scientifique d’évaluation de la qualité des recherches des établissements d’enseignement supérieur. Cette instance, dont le rôle serait de donner un avis au ministère des universités, devrait être indépendante de l’administration centrale, des présidents d’université et de directeurs d’école » 342 . Yves Fréville, chargé d’une « commission d’étude de la réforme du financement des universités », propose en 1981 qu’une plus large part des budgets soit allouée aux universités en fonction de critères « qualitatifs » (formulés par les universités) et pas uniquement « quantitatifs » (surfaces et

341 Desvignes, Arnaud, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 659 et 660. 342 Bienaymé, Alain, L’organisation et le développement de la recherche dans les établissements d’enseignement supérieur, Paris, Conseil économique et social, 1978, cité par Jean-Yves Mérindol, « Comment l’évaluation est arrivée dans les universités françaises », op. cit., p. 14.

129 nombres d’étudiants)343. Ce type de contractualisation supposerait ce que Arnaud Desvignes appelle un « comité des finances universitaires » ou une « instance nationale chargée de réfléchir aux critères d’attribution du budget aux universités », dont Fréville prévoit jusqu’à la composition : onze membres, des « personnalités compétentes en matière d’enseignement supérieur, de recherche et de finances universitaires », présidés par un universitaire nommé par le ministère344. Les instances envisagées dans ces deux derniers rapports demandés par le ministère sont effectivement instrumentales pour contribuer à arbitrer l’attribution de la part « contractuelle » des budgets. Les travaux de Patrick Fridenson montrent que la gestation de cette « politique contractuelle » a été longue : Des critères de répartition chiffrés sont apparus sous un gouvernement de droite, Alice Saunier-Seïté ayant validé fin 1976 l’approche initiée par l’ancien président Jean-Louis Quermonne […] D’autres modèles lui ont succédé. La gauche au pouvoir a validé l’idée (de présidents et d’un syndicat) qu’une partie de la dotation budgétaire puisse faire l’objet d’une négociation avec chaque établissement qui débouche sur un contrat pluriannuel. Cela a d’abord été le cas pour la recherche (1983) puis pour un contrat global, cadré en mars 1989 par la circulaire de Daniel Bancel. Ainsi s’est affirmée la politique contractuelle, elle-même élément du lent mais régulier élargissement de l’autonomie accordée par la loi Faure de 1968. En octobre 1994, sous la droite, elle a été étendue aux relations des établissements avec les organismes de recherche.345 La contractualisation est un autre élément de ce que Charles Mercier appelle la « matrice de l’autonomie universitaire ». Étant donnée la position centrale de la contractualisation des rapports entre État et universités également dans les projets d’ « autonomie » des universités vus jusqu’ici (chez la CPU, certains membres du ministère – rapports Bienaymé, Fréville et Jeantet, dans la loi Savary), un travail historique centré sur ce sujet serait le bienvenu. Arnaud Desvignes a montré que ce type de « contrats » a déjà pu être mis en place dans certains établissements en amont de 1989, mais aussi combien cela est compliqué à retracer – il faudrait sonder université par université quelles sont les modalités adoptées : quelle forme prennent les contrats, quels contenus, comment ils sont couplés à l’obtention de ressources (et quelle part celles-ci représentent dans les budgets), qui en décide et de quelle manière.

343 Fréville, Yves, Rapport au Premier ministre de la commission d’étude de la réforme du financement des universités, La Documentation française, 1981, tome 1, p. 122-126, cité par Arnaud Desvignes, Vers l’autonomie des universités en France, op. cit., p. 590. 344 Ibid., p. 444-445. 345 Fridenson, Patrick, « La politique universitaire depuis 1968 », op. cit., p. 60.

130 Si ces derniers travaux insistent plutôt sur la continuité et la longueur de gestation de ces réformes (et peuvent ainsi installer l’idée d’une certaine téléologie établie après coup : en forçant le trait, cela reviendrait à dire que les réformes, déjà à l’époque, tendaient vers une autonomie enfin réalisée plus tard), Christine Musselin soutient au contraire que la circulaire de 1989 ne s’inscrit pas dans la continuité des projets antérieurs. Elle a étudié comment les « petites » mesures, comme justement la circulaire de 1989 sur la contractualisation, ont eu beaucoup plus d’impact que certaines « grandes » réformes universitaires, comme la loi Savary par exemple. Elle peut peut-être être conçue comme une « grande réforme » parce qu’aucune loi n’est intervenue depuis 1968 qui concerne l’enseignement supérieur dans son ensemble, mais je rappelle que selon les historiens, Savary ne compte pas rompre avec la loi d’Edgar Faure dans son projet de loi346. La loi Savary est peut-être davantage une loi d’opportunité politique qu’une véritable réforme : elle appose un sceau du gouvernement socialiste au domaine de l’enseignement supérieur, en rupture politique avec ses prédécesseurs, mais sans installer des changements importants. Musselin conçoit les contrats d’établissements, introduits par une circulaire en 1989, comme des outils ayant considérablement renforcé les entités « universités » au détriment des facultés, interlocuteurs privilégiés pour les ministères jusque là – ce à quoi les initiatives antérieures ne sont pas parvenues (de la CPU, notamment, mais également la mise en place de contrats quadriennaux pour la recherche dans les universités dès 1983)347. Une circulaire peut en effet avoir l’avantage d’une efficacité plus grande (qu’une loi) en contexte d’instabilité politique, comme pendant la « première cohabitation » avec la droite à l’Assemblée en 1986- 1988. En ce sens, la contractualisation est un instrument pour l’ « autonomie » des universités telle que nous l’avons vue apparaître dans les textes programmatiques jusqu’ici : une autonomie gestionnaire, qui donne plus de pouvoir administratif à l’entité université. Par contre, l’autonomie qu’analyse Musselin est un transfert de pouvoirs des facultés aux universités, alors que dans les autres programmes il s’agit avant tout d’un transfert de l’administration centrale (ministère) aux universités. L’un peut bien sûr participer de l’autre. Christine Musselin souligne aussi l’ambiguïté de parler ici d’ « autonomie », puisque la contractualisation participe autant de processus de centralisation que de décentralisation par

346 Bernard, Danièle, Lepagnat, Françoise, « Chapitre 10. Alain Savary et la loi d'orientation de l'enseignement supérieur », in Alain Savary : politique et honneur, op. cit., p. 224-225. 347 Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit., chapitre 5, surtout p. 105-117 ; Id., Les universités d’Edgar Faure à nos jours, communication prononcée le 5 octobre 2009 à l’Académie des sciences morales et politiques, [En ligne : https://www.asmp.fr/travaux/communications/2009/musselin.htm].

131 l’État348. D’autant plus si l’on conçoit l’autonomie vis-à-vis des facultés : elles voient alors le processus comme une centralisation au niveau de l’université, à leur détriment. Il n’y a donc pas de lien évident entre autonomie et contractualisation : elle n’est pas par essence un instrument pour l’autonomie des établissements, mais elle a fonctionné comme tel après 1989349. Comme évoqué, la circulaire de 1989 sur la contractualisation aurait été passée indépendamment des projets antérieurs tels que ceux de la CPU en 1975, la création du CNÉ ou la mise en place des contrats quadriennaux pour la recherche. Christine Musselin n’en dit pas plus par contre sur les liens entre la loi Savary et la circulaire, et sur ce qui s’est concrètement produit entre 1984 et 1989 dans les universités (mais aussi dans les bureaux et couloirs du ministère) à ce sujet : quelles discussions sur ces « contrats » pourtant annoncés dans la loi Savary ? Son hypothèse de déconnection entre CNÉ et contractualisation (dans leurs genèses et dans leurs fonctionnements) est une piste que je propose de suivre. Le lien entre évaluation et contractualisation est encore moins évident que celui entre autonomie et contractualisation. Le CNÉ n’est pas un instrument de la politique contractuelle à l’image de ce qui est prévu dans les rapports Fréville ou Jeantet (comme évoqué, une base de la loi Savary, en 1982)350 : dans le projet de Schwartz, nous l’avons vu, l’évaluation est au service de la réalisation des universités qu’il souhaite voir advenir – elle n’est pas au service d’une contractualisation et ne doit pas servir d’arbitrage pour l’attribution de ressources en fonction d’engagements pris auparavant. Cela ne fait ni partie du programme, ni de ce que le CNÉ va effectivement être, comme nous le verrons au chapitre suivant. La contractualisation est une idée (ou plutôt, sont des idées) présente dans la loi Savary et dans plusieurs rapports, elle est évoquée comme antécédent à l’ « évaluation » chez Desvignes, Mérindol et Fridenson, mais en l’occurrence elle semble déconnectée de la création du CNÉ – et elle est mise en place qu’en 1989.

V. Le Comité National d’Évaluation, outil réformateur sans sa réforme ?

1. Paternité

Le CNÉ, justement, Schwartz le présente comme sa seule réussite à insuffler de

348 Berrivin, Renaud et Musselin, Christine, « Les politiques de contractualisation entre centralisation et décentralisation : les cas de l’équipement et de l’enseignement supérieur », Sociologie du travail, vol. 38, n°4, 1996, p. 575-596. 349 Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit., p. 110-111. 350 Berrivin, Renaud et Musselin, Christine, « Les politiques de contractualisation entre centralisation et décentralisation … », op. cit., p. 587.

132 bonnes initiatives dans la loi Savary : « l’évaluation est une des chances de salut de l’Université française »351. Il semble y voir le seul vecteur effectivement mis en place par cette loi pour augmenter l’autonomie des universités telle qu’il l’entend. Schwartz ne s’octroie cependant pas la seule paternité de ce Comité : « cette idée, cependant, avait été envisagée à plusieurs reprises, mais à chaque fois différée »352. Nous avons déjà vu le rôle de la première CPU et de René Rémond, qui estime (cité par Mercier dans son ouvrage de 2015) que « Nous, quand je dis « nous » c’est un peu [Claude] Jeantet, Serge Hurtig et moi surtout, nous avons sauvé le Comité national d’évaluation qui était un héritage de la première conférence des présidents d’université […]. Par conséquent, je n’irais pas jusqu’à dire que nous avons rédigé cet article mais on l’a très largement inspiré. D’une certaine façon, c’est notre apport et notre contribution [à la Loi Savary] »353. Charles Mercier rajoute que « aux noms mentionnés par René Rémond, il faudrait ajouter celui du mathématicien Laurent Schwartz, qui milita dans le cadre de l’association pour la Qualité de la science française (QSF) pour la création de ce comité »354 – faisant cependant abstraction de son implication dans la commission du bilan. Dans le souvenir de René Rémond, en 2000, l’histoire de la création du CNÉ est « encourageante » : il a dû « faire le deuil » de ses aspirations d’autonomie pour les universités, et notamment des diplômes d’universités, mais il estime que ce comité, et Schwartz, ont fait « un très bon travail ». Schwartz l’aurait par ailleurs contacté, bien qu’ils ne se connaissaient pas personnellement, pour qu’il lui succède à la présidence du CNÉ. Mais Rémond a refusé, ne voulant pas abandonner sa présidence de la Fondation nationale des sciences politiques – à regret, puisque, « très attaché à l’expérience d’autonomie », cela l’aurait beaucoup intéressé355. Ce sont des souvenirs tardifs à traiter avec précaution, mais retenons que le CNÉ est une institution dont la première CPU aussi clame la paternité. Les présidents d’universités ont en effet intérêt, pas seulement en 1975 mais encore une décennie plus tard, de voir leurs positions et leurs institutions renforcées administrativement (des universités plus « autonomes » en ce sens). Aussi, ce type de comité d’évaluation n’a pas été perçu comme une menace mais plutôt comme un intermédiaire entre chacun d’eux et le ministère,

351 Schwartz, Laurent, Pour sauver l’université, op. cit., p. 88. 352 Où va l’Université ? Rapport du Comité national d’évaluation, Préface de Laurent Schwartz, Paris, Gallimard, 1987, p. 48. 353 Mercier, Charles, Autonomie, autonomies: René Rémond et la politique universitaire aux lendemains de Mai 1968, op. cit., p. 217. 354 Ibidem. 355 Entretien enregistré avec René Rémond, mené par Danièle Bernard et Françoise Lépagnat le 29/02/2000, pour le Département Mémoires de l’Éducation, Service d’histoire de l’éducation.

133 l’ « administration centrale » – il y a une forte collusion entre CNÉ et CPU pendant les premières années.

2. Outil réformateur ?

Le CNÉ est né de programmes plus larges pour les universités françaises, empreints d’inquiétudes (de Schwartz et d’autres) que face à l’accroissement massif des nombres d’étudiants dans les vingt années précédentes, elles ne seraient plus à même de tenir leur rôle. Plus encore, leur rôle doit changer puisqu’il est désormais insensé de former tous les étudiants à des métiers universitaires. Il faut donc diversifier les types de formations que l’on peut recevoir à l’université – et on doit donner aux universités les marges de manœuvre pour se transformer dans ce sens. Par ailleurs, des universités agrandies et diversifiées de telle sorte ne peuvent plus se contenter de poursuivre leurs enseignements comme ils les ont appris et en fonction de leurs connaissances du monde académique : ce dernier doit aussi s’ouvrir à l’extérieur, aux besoins de la société et de l’économie. Les universités ont donc besoin de « mécanismes de feedback » sur leur fonctionnement, leurs enseignements et les étudiants formés qui en sortent, en fonction de ce « monde extérieur », pour se transformer en y répondant. Certaines formes de « feedback » existent alors pour la recherche et les technologies, par exemple au CPE qui cherche à connaître les retombées économiques des grands programmes de recherche civils. En ce sens c’est dans un « écosystème propice à l’évaluation » qu’apparaît le CNÉ356. L’émergence du CNÉ est, sous cet angle de vue, le fruit de la volonté d’un homme de doter les universités d’un outil concret qui puisse contribuer à les transformer dans le sens du programme qu’il a énoncé : plus autonomes, ouvertes, capables de changer, de se diversifier et d’orienter les étudiants vers des formations diverses. Schwartz veut effectivement renforcer le pouvoir administratif et décisionnel des universités. Or, le CNÉ est installé au sein d’un programme politique qui ne correspond pas au projet de Schwartz – c’est aussi une institution que le ministère donne à Schwartz, en quelque sorte – un lot de consolation face à sa déception, et celle des autres déçus de la loi Savary, peut-être ? L’installation du CNÉ fait néanmoins partie de ce programme politique, une loi qui n’introduit l’ « autonomie » des universités que dans les termes, ou à la marge : une « autonomie dans la définition de leurs « engagements », pour le développement de diverses

356 Selon l’expression de Jean-Paul Karsenty, entretien 10/10/17, 10:30-11:30.

134 formations « professionnelles », « scientifiques et culturelles »357. Pour que ce comité voie le jour, il a effectivement fallu une convergence avec les intentions du ministère sur ces quelques points au moins. Compte tenu de l’imbrication, dans la loi, entre CNÉ et contrats d’établissements, et compte tenu du fait que la contractualisation n’est mise en place qu’en 1989, il faut néanmoins aussi envisager que l’intention du ministère n’ait que peu d’effet sur ce que le CNÉ va être. Et que peut-être le ministère est bien conscient d’installer un comité peu opérationnel, c’est-à-dire aux capacités d’action assez réduites.

3. Reliquat

En somme, le CNÉ semble être un reliquat de projets réformateurs plus larges, que ce soit le « schéma idéal des universités autonomes » de la première CPU ou le « projet d’Université moderne » de Schwartz, ou encore les projets de contractualiser une partie des budgets universitaires. L’ « autonomie » universitaire concerne chez Schwartz avant tout la création de cursus et de diplômes, pour la première CPU la répartition des budgets et chez Bourdieu et ses collègues du Collège de France une liberté pédagogique plus accrue. Ces compréhensions différentes reflètent des objectifs et enjeux eux aussi différents, respectivement : s’adapter au nouveau contexte de l’expansion universitaire ; proposer des diplômes qui conviennent aux nouveaux étudiants et savoir gérer ses budgets ; combattre les inégalités sociales. Malgré leurs singularités, ils ont en commun le souhait (avec des accents différents) de voir les universités maîtresses de la définition et la distribution des diplômes et de la gestion de leurs moyens financiers. La loi Savary, si elle reprend certains termes fétiches utilisés aussi dans ces aspirations réformatrices (« autonomie », « contrats », « évaluation »), reste néanmoins dans une forte continuité avec le statu quo et nombre de réglementations « centrales » au niveau national. Le gouvernement ne peut politiquement parlant en aucun cas déroger sur la définition nationale des diplômes et sur l’interdiction de toute sélection à l’entrée des universités. Dans ce contexte, le CNÉ ressemble à un rocher solitaire dont le pourtour aurait disparu par érosion. Charles Mercier estime que le CNÉ fait partie de la « matrice des développements ultérieurs de l’autonomie universitaire » : il faudrait alors ajouter que, dépouillé des réformes qui devaient l’accompagner (universités sélectionnant-orientant ses

357 « Loi 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur », op. cit., p. 431-433.

135 étudiants, définissant leurs propres diplômes et cursus, en concurrence ou concertation régionale), il est tout au plus un outil pour une autonomie que les universités n’ont pas encore acquise. Mais cette formulation suppose une téléologie dont il faut ensuite analyser le fondement : quel rapport entre les activités du CNÉ et « les développements ultérieurs de l’autonomie universitaire » ? La politique contractuelle arrivée en 1989 est un aspect exemplaire par lequel le CNÉ est arrivé avant les réformes souhaitées par les auteurs des projets que j’étudie dans ce chapitre. Un outil à l’opérationnalité diminuée donc, étant donné les aspirations réformatrices de ses promoteurs – voilà qui explique aussi pourquoi l’historiographie sur l’évaluation des universités et l’autonomie des universités en France s’est peu intéressée au CNÉ et beaucoup plus aux années 2000. Christine Musselin avance deux explications pour le peu d’effets qu’a eu le CNÉ : d’une part son indépendance par rapport au ministère (aspect que j’explore au chapitre suivant), et d’autre part son obstination à considérer les établissements en entier alors qu’à cette époque encore, comme elle le montre, les facultés sont les niveaux de gouvernement cruciaux dans (et par delà) les universités358. Il est vrai qu’à aucun moment les textes programmatiques étudiés ici n’évoquent cette prédominance des facultés dans le monde universitaire français : renforcer les entités « université » n’y est jamais exprimé comme un affaiblissement des facultés. Or, étant donné les projets de Schwartz, il ne me semble aucunement étonnant359 que le CNÉ soit conçu pour évaluer les établissements dans leur ensemble, y compris leur gouvernement, et pas les disciplines une par une, comme cela se fait dans d’autres pays (dont les Pays-Bas). Procéder ainsi serait passer à côté des objectifs de Schwartz : proposer une diversité de formations pour préparer à des métiers variés ne peut s’envisager qu’à l’échelle de l’université, pas dans chaque domaine facultaire un à un. En effet, nous n’avons fait que l’évoquer brièvement, mais l’autonomie des universités telle que conçue par Schwartz par exemple (mais aussi dans la première CPU) passe par un processus qui pour les facultés et pour les universitaires peut plus ressembler à une centralisation du pouvoir par les présidences d’université qu’à un accroissement de leur autonomie.

En dépit de ses handicaps, le CNÉ est bel et bien mis en place et a formalisé des pratiques dites d’ « évaluation » dont les formes postérieures ont hérité, dans des

358 Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit., p. 107-108. 359 Christine Musselin estime cela « étonnant », à juste titre si l’on considère la structure et le fonctionnement du monde universitaire français hérité depuis la Révolution, cf ibid., p. 107.

136 environnements législatifs et réglementaires recadrés depuis. Nous verrons au prochain chapitre quelle est la nature de ce comité une fois fondé, ses intentions, et les pratiques qu’il met en place. Il s’agira de qualifier cet outil réformateur sans sa réforme, et donc dans les cadres dans lesquels il œuvre, tel qu’il est actif et non pas avec les seules lunettes des projets plus larges desquels il a pu faire partie avant 1985.

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PAYS-BAS, CHAPITRE 2

LE KWALITEITSZORGSTELSEL EN ACTE, 1987-1997

Résumé du chapitre L’association des universités lance son premier tour d’essai de « visitations » des formations universitaires en 1987. Elle fait visiter toutes les formations d’un domaine dans les universités qui offrent ces formations, par des comités de visite constitués d’enseignants-chercheurs, mais aussi de personnes extérieures représentant des secteurs de la société liés aux enseignements en question (c’est-à-dire du marché de l’emploi). Les enjeux de ces évaluations sont de garantir que les cursus soient étudiables dans les temps impartis (question budgétaire évoquée au chapitre précédent), mais aussi qu’on forme les personnes dont la société a besoin, c’est- à-dire qui sont demandées sur le marché du travail. Les membres de l’association et notamment ses employés fixent d’emblée des procédures par écrit, dans des guides ou protocoles, tout en laissant des marges aux évaluateurs. L’ « étude de soi » est la pierre angulaire de la procédure : il s’agit de donner des informations sur soi mais aussi de se livrer à un exercice plus souple de réflexion sur soi. Tandis que les pratiques se consolident, l’association des universités construit un système de visites semblable pour les unités de recherche en 1993 : jusqu’alors la recherche est considérée comme déjà évaluée dans le cadre du financement conditionnel. Au delà des similitudes et du caractère uniformisateur de la mise en procédures, les « visitations » des formations restent assez différentes de celles des unités de recherche : pour la forme (vocabulaire, langue, outils) mais aussi pour les enjeux qui les gouvernent. Les évaluations de la recherche se passent en anglais, avec des comités d’experts plus « internationaux », et à l’aide d’études bibliométriques, réalisées par les scientomètres de l’université de Leiden. Certaines sont contestées devant la commission d’appel prévue par la VSNU par des unités de recherche évaluées. Dans les deux systèmes, l’objectif principal de leur cahier des charges est de favoriser la « différenciation » : pour l’enseignement, cela veut dire permettre aux universités de mettre en place de nouvelles formations, tout en faisant en sorte qu’elles restent ou deviennent « étudiables » dans les temps impartis. Il s’agit là d’une « différenciation » beaucoup plus horizontale que dans l’évaluation de la recherche, où il faut explicitement l’inscrire sur des échelles de valeurs avec pour but d’identifier la recherche « ++ ».

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Ce récit concerne deux systèmes d’attention à la qualité, l’un dans l’enseignement supérieur et l’autre dans la recherche. Leurs histoires sont liées, mais elles permettent aussi de saisir des différences fondamentales dans les deux activités – ces différences serviront de structure à ce chapitre. Intéressons-nous d’abord à l’installation de procédures d’évaluation de l’enseignement supérieur dans les universités – ce sont les premières dans la chronologie, en 1987 ; 1993 pour la recherche. La plupart des enjeux évoqués au chapitre précédent concernent spécifiquement l’organisation de l’enseignement : durée des études, bourses, réglementation des cursus et diplômes, inspection... Mais initialement, la réflexion autour d’un premier « tour d’essai » d’évaluation de disciplines universitaires est plus large : un processus d’évaluation pour la recherche semblable à celui alors en préparation pour l’enseignement supérieur est dit « envisageable » dès 1985360. Cependant, dans un premier temps et en pratique, le système reste confiné à l’enseignement supérieur, c’est-à-dire à l’activité tout autant qu’aux structures institutionnelles associées, facultés ou départements. D’une part, comme évoqué, le ministère lance dès le début des années 1980 l’idée d’une inspection de l’enseignement supérieur, contre laquelle il semble aux universités le plus urgent de réagir. D’autre part, la recherche est déjà considérée comme bénéficiant d’une forme d’attention pour la qualité : par le biais du « financement conditionnel » des programmes de recherche. Nous verrons comment ces systèmes d’attention à la qualité distinguent entre les activités et structures de recherche (dont il s’agit d’identifier les meilleurs produits et les modes de gestion qui les accompagnent) et les activités et structures d’enseignement (où il s’agit, entre autres, de faire tenir les cursus dans la durée d’études impartie). Ainsi, les raisons pour cette séparation ne sont pas uniquement à imputer à la contingence historique mais tiennent aussi des différents enjeux et objectifs invoqués.

I. Tour d’essai pour l’enseignement supérieur

Dès la création de la VSNU en 1985, Ton Vroeijenstijn est chargé de développer un guide d’évaluation, une procédure pour le « système d’attention à la qualité » de l’enseignement supérieur (kwaliteitszorgstelsel) – selon ses dires, il est appelé à rejoindre la

360 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 20 [NA 2.19.250/329].

140 VSNU à sa sortie du Conseil académique par Jos van Kemenade lui-même, le ministre puis président d’université, co-fondateur de la VSNU. En voyage d’étude en Australie, au Canada et aux États-Unis en 1985 et 1986, Vroeijenstijn se familiarise avec l’ « état de l’art » en la matière et rencontre notamment Herb Kells, un « expert » en évaluation aux États-Unis puis au Royaume-Uni. Il a par exemple publié sur les indicateurs de performances pour l’enseignement supérieur dans une revue sur la « gestion des établissements d’enseignement supérieur » de l’OCDE dans les années 1980 et 1990. Vroeijenstijn l’invite par la suite aux Pays-Bas – où Kells approfondit ses contacts lors d’un séjour à l’université de Twente en 1990361. Ce n’est qu’à l’issue du tour d’essai de son système de soin à la qualité (un tour d’essai de visites des formations, nous y venons) que la VSNU installe une cellule au sein de la VSNU spécialement dédiée aux évaluations : l’équipe « kwaliteitszorg ». Satisfaite de l’essai (de la « bonne idée » de ces évaluations, qu’elle a pu réaliser « en temps imparti »), la VSNU estime que, par la suite, le temps de préparation des visites devrait être moindre, grâce au bureau de la VSNU notamment, comprenant, je le rappelle, une dizaine de personnes. Pour quatre évaluations par an, elle prévoit de mettre un membre du bureau à cette tâche : Ton Vroeijenstijn prend alors officiellement cette fonction, avec trois secrétaires formées en conséquence362. Le « tour d’essai » (proefronde) d’évaluation de l’enseignement supérieur est lancé en 1987 pour tester l’idée de système d’évaluation de la VSNU : en deux ans, il faudra « accumuler de l’expérience » et se mettre d’accord sur les critères à utiliser, pour empêcher que les évaluations (c’est-à-dire les processus – en cours de conception – de visites de composantes d’enseignement) se fassent de manières trop différentes 363. Pratiquer des évaluations doit donc permettre de se mettre d’accord sur un modus operandi, mais une première version est néanmoins préparée en amont, par Ton Vroeijenstijn et ses collègues, notamment sous forme du « guide » à l’attention des facultés évaluées, pour la « préparation à la visite des commissions de visitation »364.

361 Entretien téléphonique avec Ton Vroeijenstijn, 20/03/2017, 10-11:15 et enquête collective sur la revue évoquée : Fondu, Quentin, Sargeac, Mélanie et Waltzing, Aline, « La constitution d’un "champ de la réforme" universitaire ? – Le programme sur la gestion des établissements d’enseignement supérieur (IMHE) de l’OCDE (1969-2012) », Journée d’étude « Le registre scientifique des organisations internationales : acteurs, productions, usages », Sciences Po Lyon, 5 juillet 2018. 362 J’ai déjà présenté le bureau dans le chapitre précédent. VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, 22 october 1988, p. 16 et p. 10 [NA 2.19.250/437]. 363 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 17 [NA 2.19.250/329]. 364 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987 [NA 2.19.250/435].

141 Le modèle retenu est en effet celui de « visites » d’évaluation. Le terme « visitatie »365 est d’ailleurs utilisé dès le début pour désigner le processus dans son ensemble, indifféremment de kwaliteitszorg366 ou evaluatie, les termes évoqués jusqu’ici. La traduction française serait visitation, au sens biblique, mais aussi au sens de visite d’inspection, historiquement d’une paroisse par son évêque, pouvant aujourd’hui aussi désigner une fouille au corps, ou encore une visite médicale367. Ici, le système se structure autour d’une visite, sur place, d’un département d’université ou d’une unité de formation par une « commission de visite » (visitatiecommissie) : l’évaluation se fait par discipline enseignée, c’est-à-dire que chaque commission de visite s’occupe des départements ou unités de formations d’une discipline dans toutes les universités où cette discipline est enseignée. Notez bien : ce procédé disciplinaire ne doit pas nous laisser croire qu’il s’agit de jugements uniquement scientifiques sur la qualité des enseignements et des formations, ils concerneront tout autant les questions d’organisation, de gestion, de gouvernance, comme nous verrons plus en détail par la suite. Le processus commence par un premier contact entre établissement et évaluateurs – membres de la VSNU et personnels de son bureau –, leur demande d’un dossier d’auto- analyse, de présentation et d’informations sur l’université, la faculté et le département concernés. Suit ensuite une visite par des pairs sollicités (proposés par les groupes disciplinaires au sein de la VSNU), la rédaction du rapport et enfin sa publication. Un rapport final clôture l’opération après l’évaluation d’une discipline entière, sur toutes les universités. Le tour d’essai d’évaluation de l’enseignement supérieur a quelques particularités : par exemple, le rapport final n’est pas public, et ne peut pas mener à des conséquences externes. Les recommandations émises doivent cependant être tout aussi soignées et les universités peuvent en tirer des conclusions et « entreprendre des actions »368. Avant le lancement de ce test, les incertitudes sont encore grandes : quelles informations doivent être récoltées auprès des universités, par qui, qu’est-ce qu’on va faire de ces informations, leur statut de publicité, où sont les diverses responsabilités ? Le tour d’essai doit aboutir à un « guide pour la kwaliteitszorg externe », avec une forme d’organisation du système, une feuille de route pour le processus de visite, ainsi qu’une analyse coûts-bénéfices

365 VSNU, Korte besluitlijst van het bestuurlijk overleg op 2 mei 1986 et VSNU, Korte besluitenlijst uit ab en bo op 4 sept. 1987 [NA 2.19.250/32]. 366 Pour rappel : soin, attention à la qualité, soucis pour la qualité. 367 On traduirait « visite », sans ces connotations, plutôt par bezoek. « Visitatie », Wikipedia. De vrije encyclopedie, consulté le 26/09/17, [En ligne : https://nl.wikipedia.org/wiki/Visitatie]. 368 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 9 [NA 2.19.250/435].

142 du système pour « permettre un effet utile maximal à coût minimal » 369 . Je n’ai malheureusement pas d’information sur la manière dont ils prévoient alors de calculer les bénéfices ; les coûts en revanche concernent le temps de travail des personnes concernées et les budgets consacrés par la VSNU et par les universités pour la logistique. L’association des universités néerlandaises établit donc un guide d’essai et choisit quatre disciplines cobayes : toutes les formations universitaires du pays en histoire, en physique et astronomie, en psychologie, et en ingénierie mécanique et technique maritime vont être visitées370. Le tour d’essai dans son ensemble est organisé par le bureau de la VSNU ainsi que par une « commission spéciale » ou « d’accompagnement » composée de quatre membres de l’association et de quatre doyens des disciplines concernées, expressément pour ce premier tour d’essai371. Elle doit garantir la « complémentarité de l’évaluation externe et interne » – que ce qui est « prévu nationalement » en externe corresponde aux « efforts internes »372. Pour éviter les conflits d’intérêts, le bureau de la VSNU plutôt que les universités se charge de fixer un calendrier pour les visites, de composer les comités de visite, d’écrire le guide général – même s’il doit rester adaptable aux disciplines concernées. La VSNU met aussi à disposition son soutien en terme de secrétariat, logistique et financier. L’essentiel du devoir des universités est de donner les informations demandées par les évaluateurs, et de faire leur analyse de soi373. La VSNU prend en charge les frais des commissions de visite, tandis que les universités concernées par les évaluations doivent financer la logistique de la visite, avec les repas des évaluateurs et des évalués374.

1. L’acceptabilité

Avant même la mise en place du système, la VSNU engage une réflexion sur son acceptation dans les universités : elle propose de s’inspirer des États-Unis, où l’évaluation externe aurait été développée par les institutions elles-mêmes, de manière à ce qu’elle soit complémentaire à l’auto-évaluation dans les universités. C’est aussi pour cette raison que la

369 ARHO, Conclusies Hoger Onderwijs Overlegkamer, 10 april 1986 [NA 2.19.250/330]. 370 VSNU, Korte besluitlijst van het bestuurlijk overleg op 2 mei 1986 et VSNU, Korte besluitenlijst algemeen bestuur op 26 juni 1987 [NA 2.19.250/32]. 371 VSNU, Korte besluitenlijst uit ab en bo op 4 sept. 1987 [NA 2.19.250/32]. 372 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 9 [NA 2.19.250/435]. 373 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 17 [NA 2.19.250/329]. 374 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 17 [NA 2.19.250/435].

143 VSNU propose de se baser sur les activités existantes qui s’apparentent le plus à de l’ « attention à la qualité » (kwaliteitszorg) pour monter son système d’évaluation – c’est-à- dire les réunions et les conseils internes aux départements et entre les enseignants375. Dans le même ordre d’idées, la VSNU veut récolter les données nécessaires pour évaluer en s’adressant aux niveaux les plus élevés et centraux possibles des universités, pour ne pas « surmener les niveaux inférieurs ». Aussi faut-il faire un état des lieux sur les informations sur les universités qui sont publiquement disponibles (nombres d’étudiants, d’examens déposés), celles que peuvent donner les universités (nombre et statut du personnel) et celles que les facultés sont susceptibles de donner (information descriptive sur la formation du personnel, les cursus, la provenance des étudiants, l’administration interne) – c’est ainsi qu’est structuré le guide pour le tour d’essai d’évaluations. La VSNU élabore en conséquence ce qui sera demandé à chaque échelon376. La VSNU se préoccupe donc tout d’abord d’être acceptée par les différents échelons de responsabilités et d’administration dans les universités, mais les enseignants et les étudiants sont également sollicités.

2. Les visiteurs : universitaires, « éducationalistes »377 et « sociétaux »378

Les organes disciplinaires de la VSNU (donc les doyens) sont en charge de proposer la composition des comités de visite. Constitués ad hoc pour chaque évaluation in situ à partir des propositions de la VSNU, ceux-ci doivent chacun rassembler cinq membres, universitaires néerlandais, experts internationaux, personnes des « domaines de métier » relatifs aux cursus en question, sous la présidence d’une personne qui ne soit pas en poste dans l’enseignement supérieur (souvent un universitaire retraité). Ces commissions sont formellement installées par le président de la VSNU, et doivent visiter toutes les unités de formation relatives à la discipline évaluée (un comité par discipline). Pour constituer ces commissions, il s’agit, pour les organes disciplinaires de la VSNU, de trouver des experts renommés, qui connaissent bien l’enseignement supérieur néerlandais et la discipline en

375 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 14 [NA 2.19.250/329] et Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992 [NA 2.19.250/441]. 376 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 9 et p. 12-15 [NA 2.19.250/435]. 377 Onderwijskundige en néerlandais : personne formée en sciences de l’éducation, sous-entendu aussi avec de l’expérience dans la conception de cursus. 378 Je mets des guillemets car comme nous le signalent les fondateurs de la parodique Agence Nationale pour l’Excellence Scientifique (ANES : http://excellagence.fr), l’usage de ce terme est critiqué : Héran, François, « Pour en finir avec ‘sociétal’ », Revue française de sociologie, 1991, vol. 32, n°4, p. 615-621. Peut- être qu’il suffirait effectivement de dire « social », le sens étant « relevant de la société ».

144 question, mais qui, en même temps, ne peuvent pas être actifs dans les départements évalués379. Un certain nombre de membres des commissions de visite du tour d’essai se sont plaints du temps que leur prend cet office : dès 1988, la VSNU propose en conséquence un dédommagement (vacatiegeld) forfaitaire de 500 florins380 par membre et le double pour le président de commission381 – en sus de la prise en charge de leurs déplacements. À l’issue du tour d’essai, la VSNU précise les règles : le président de chaque commission ne doit plus être extérieur à l’enseignement supérieur, mais seulement extérieur aux facultés évaluées. Ensuite est requis un minimum de quatre « experts », universitaires de la discipline en question (en essayant de couvrir toutes les spécialités des domaines évalués) et/ou issus de « groupements de la société du domaine récepteur de l’enseignement en question » (correspondant grosso modo aux métiers considérés comme débouchés possibles), dont au minimum un expert universitaire étranger et un « expert en pédagogie ou enseignement ». Effectivement, un membre des sciences de l’éducation est souvent présent dans les comités382. L’expert « étranger » peut être un Néerlandais à l’étranger ou un étranger qui connaît néanmoins le monde universitaire néerlandais et parle néerlandais ; il est d’ailleurs recommandé d’inclure au moins un membre qui connaisse bien les structures universitaires néerlandaises. Si les membres de l’organe disciplinaire de la VSNU le demandent, il est possible d’installer une commission « internationale ». Nous avons déjà vu que les autorités ont comme devoir de garantir l’ « aptitude » (deugdelijkheid) de l’enseignement supérieur : ce terme regroupe deux aspects, à savoir sa « qualité » et le fait que les « fonctions sociales estimées indispensables » soient garanties383. La qualité concerne le « niveau d’enseignement » et la « qualité des processus d’enseignement, incluant l’organisation de l’enseignement et le niveau des étudiants sortants ». Les jugements sur la qualité doivent alors être émis « en fonction des attentes des étudiants, de la faculté et de la société, surtout le domaine récepteur (het afnemende veld) » concerné par les études en question384.

379 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 16 [NA 2.19.250/329]. 380 L’équivalent de presque 400 euros en 2016 selon le site de conversion de l’institut international pour l’histoire sociale néerlandais, URL : http://www.iisg.nl/hpw/calculate-nl.php. 381 VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, october 1988, p. 3 [NA 2.19.250/437]. 382 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 21 [NA 2.19.250/435]. 383 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 8 [NA, 2.19.250/329]. 384 VSNU, Gids voor de externe kwaliteitszorg, welke een herziening betrof van de eerdere gids bij de proefvisitaties, november 1988, p. 11 [NA 2.19.250/436].

145 Pour se faire une idée de ce que peut bien signifier cette formule, voyons la composition des comités de visite des premières évaluations. Par exemple, en psychologie : trois universitaires, une personne de l’association professionnelle néerlandaise des psychologues et une du service psychologique de l’État (du service public, pour les fonctionnaires) ; en physique et astronomie : deux universitaires, un chercheur au CERN, une personne des laboratoires Shell et une de l’entreprise Philips385. Le « domaine récepteur » d’un certain enseignement signifie donc les métiers dans lesquels les étudiants sont susceptibles de pouvoir travailler suite à leur formation ; ses représentants sont leurs employeurs potentiels, privés ou publics. Ils représentent un organisme dans lequel les étudiants pourraient être embauchés et ils parlent pour les employeurs du secteur. Ainsi, on peut supposer, en déduisant de la composition de ces commissions, qu’un bon enseignement est celui qui à la fois satisfait les attentes universitaires et les attentes des potentiels employeurs, avec sans doute un nuancier sur les compromis à concéder entre les deux au cas par cas. Il n’est probablement pas anodin que les représentants du privé dans le cas de la physique appartiennent à des grands capitaux néerlandais : il s’agit d’évaluations nationales, certes pas étatiques mais néanmoins conduites pour le bien commun, celui de la nation. Dans la psychologie, la présence du privé semble plus discrète, l’enjeu économique perçu étant probablement moindre. L’enjeu pour le service public est marqué dans les deux cas pris pour exemple : on encourage les formations à déboucher à des carrières de recherche de pointe (CERN) ou au service public (service psychologique du fonctionnariat). L’inclusion d’étudiants dans les commissions de visite n’intervient qu’au début du second tour d’évaluation (qui commence en 1993), et est facultative. Mais c’est, selon le bilan annuel de la VSNU, le cas dans « presque toutes » les évaluations en 1994 et cela donne « pleine satisfaction » aux commissions386. En réalité, les étudiants « peuvent » désormais faire partie des commissions de visite, mais leur rôle est conçu comme plus important de l’autre côté du miroir : ils doivent participer à l’auto-évaluation en amont et à la visite elle- même, et ce depuis le tour d’essai en 1987387. L’idée d’impliquer les destinataires premiers des enseignements et futurs employés potentiels est cohérente avec la présence des futurs employeurs potentiels dans les commissions, et le concept de « domaine récepteur de la société ».

385 Les titres n’étant pas genrés et les noms indiqués sans prénoms, je ne peux rien dire de leur genre. VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 21 [NA 2.19.250/435]. 386 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 10 [NA 2.19.250/453]. 387 Numéro spécial « Verslag VSNU conferentie ‘Door naar de tweede ronde’ », VSNU Berichten, n°39, maart 1993, p. 4 [NA 2.19.250/287].

146 Se pose alors la question de ce qui fait « société » pour la VSNU, à l’aune de laquelle doit être évalué l’enseignement supérieur – mais aussi la recherche, que nous traiterons dans un second temps.

3. L’étudiabilité des cursus

La réforme des cursus et de leur durée est un des enjeux « sociétaux » qui occupent la VSNU – nous avons évoqué l’importance de cette question dans les politiques universitaires des années 1960 à 1980 au chapitre précédent. Cet enjeu est sans cesse évoqué dans les sources sous le vocable de l’« étudiabilité » (studeerbarheid) des programmes de formation dans les temps impartis : les cursus universitaires complets (hors doctorat) doivent tenir (être « étudiables ») en quatre ans. Pour répondre à cet enjeu, les visites de l’enseignement supérieur portent en premier lieu sur les chiffres d’étudiants entrants et sortants, et des diplômes délivrés (le « rendement » étudiant, la durée des cursus). S’y rajoute une description plus qualitative, de la provenance des étudiants, c’est à dire de leur formation antérieure, et de leurs difficultés. D’autres critères concernent le personnel d’enseignement (nombre et qualifications, évolution), les cursus proposés, les formes données à l’enseignement, la charge de travail que représentent les études, et enfin des critères plus organisationnels comme l’existence de conseils incluant des étudiants, et de dispositifs d’attention à la qualité internes – ces éléments sont élaborés lors du tour d’essai et restent pertinents au deuxième tour d’évaluation débuté en 1993388. Pour voir si les programmes sont étudiables, on regarde donc les populations étudiantes et enseignantes, comment elles sont encadrées, ainsi que des indicateurs de réussite ou de problèmes dans les études tels que les diplômes, la durée des études. La tâche affichée des autorités, rappelons-le, est de « maintenir et de développer un système d’infrastructure par et dans lequel un enseignement scientifique peut avoir lieu qui permette aux étudiants d’être capables de mener à bien des recherches aussi bien que d’exercer un métier pour lequel des connaissances scientifiques sont requises, un système qui contribue au développement des personnes et des groupes, et au fonctionnement sociétal »389. L’enseignement suit donc au moins deux finalités : former à la recherche scientifique (et à terme aux métiers universitaires) et aux métiers hors universités, pour le bien individuel (épanouissement personnel) et pour le bien commun (la société). La VSNU constate

388 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 7-8 [NA 2.19.250/435]. 389 Standpunt van de instellingen voor W.O. inzake de concept-beleidsnota hoger onderwijs, autonomie en kwaliteit, vastgesteld in het bestuurlijke overleg VSNU, 17 juni 1985, p. 3 [NA 2.19.250/329].

147 rapidement que ces finalités ne sont pas compatibles, notamment lorsqu’on cherche à réduire la durée des études. Après ses quatre premières disciplines évaluées, la VSNU porte en effet une conclusion mitigée sur l’ « étudiabilité » : tout d’abord, elle estime que les étudiants doivent s’ « adapter » à la réforme des études pour les faire tenir en quatre ans. Selon la VSNU, l’évaluation a montré que la durée des études prévue convient pour accomplir un cursus. Cependant, certains enseignants recommandent aux étudiants de profiter de la durée légale maximale de six ans d’études subventionnées par l’État, en leur donnant des activités extracurriculaires et supplémentaires, par exemple pour préparer une éventuelle poursuite des études en thèse : les auteurs du rapport regrettent qu’on ne récompense pas ceux qui étudient rapidement. Il y a donc les étudiants qui finissent en quatre ans, puis ceux qui utilisent encore les deux années suivantes pour approfondir leurs études ou ajouter des formations différentes – pour augmenter leurs chances sur le marché du travail, ce que les évaluateurs estiment légitime, ou juste pour profiter (« étudier c’est mieux que rester sans emploi »), ce qui leur semble un détournement du système peu souhaitable390. Ces derniers éléments sont issus du rapport de visite des formations en histoire, mais sont repris dans le rapport final du tour d’essai entier sur les visites dans les quatre disciplines. Le premier tour d’évaluation révèle donc une tension entre une partie des enseignants, pour la plupart surtout intéressés à délivrer une formation à la recherche, donc longue, et à garder les étudiants à l’université, et d’autre part les évaluateurs, estimant que cela « réduit leurs chances sur le marché du travail » et « est contraire à l’esprit de la HOAK ». Dans la suite de nos interprétations précédentes, on retrouve ici la tension entre la poursuite de la formation à la recherche et le besoin, face à la massification et aux besoins en main d’œuvre qualifiée, de produire des diplômés employables et non des universitaires. Aussi, les évaluateurs proposent, dans ce bilan des premières évaluations, que les études courtes soient récompensées, par exemple par des « kopopleidingen », des formations courtes avec certificats à la clé, pouvant être ajoutées aux études antérieures, pendant le reste de la durée légale de six ans d’études391. La durée des études serait donc modulable en fonction des (bonnes) volontés des enseignants encadrant leurs étudiants, puisque les programmes des cursus, tels que conçus en principe, sont tout à fait « étudiables ».

390 VSNU, Onderwijsvisitatie. Proefvisitatie Geschiedenis, Utrecht, juli 1988, p. 9 [NA 2.19.250/489]. 391 VSNU, Over de kwaliteit van het nederlandse universitaire onderwijs. Beschouwingen naar aanleiding van de proefvisitaties bij Geschiedenis, Natuur- en Sterrenkunde, Psychologie, Werktuigbouwkunde (inclusief Maritieme Techniek), oktober 1988 [NA 2.19.250/438].

148 Rappelons que cet enjeu de faire tenir les cursus en quatre ans est d’ordre économique et est présenté comme une solution à la « démocratisation » : réduire la durée des études doit permettre au « plus grand nombre » d’avoir accès à l’enseignement supérieur, compte tenu de l’explosion démographique, des coûts qu’elle entraine et de la volonté du gouvernement Lubbers de réduire les dépenses publiques. Mais la réduction de la durée des études reste compliquée jusque dans les années 1990 : cet enjeu continue à être une priorité aussi bien dans le cadre de l’évaluation, pour la VSNU, que pour le ministère. Il faut que le sujet « soit toujours à l’agenda », qu’il soit « intégré dans le système de kwaliteitszorg, puisque c’est un système de correction permanente ». Le ministère demande ainsi en 1992 à la VSNU d’expliciter comment les universités garantissent l’ « étudiabilité » de leurs formations392. Cette situation n’a pas changé en 1994, quand la VSNU, dans son bilan annuel des activités de kwaliteitszorg, place l’ « étudiabilité » au centre de ses préoccupations : les programmes d’études ne sont ni « trop chargés » ni avec des « obstacles inutiles », mais on constate encore « beaucoup de dépassement de la durée des cursus, car les étudiants et les formations n’ont pas eu le sentiment que se tenir à la durée des cursus est nécessaire ». Cependant, les commissions de visite s’attendent à un « changement de mentalités » « dans les prochaines années », notamment sous l’influence des « coupes budgétaires »393. Les réductions de financement par l’État sont donc perçues comme un instrument incitatif à suivre la réforme. Le critère de l’étudiabilité semble primer sur les autres critères : ainsi, après la visite des formations en physique et astronomie, en 1995, la commission de visite recommande d’encourager les étudiants à faire des séjours à l’étranger, mais uniquement si cela ne rallonge pas la durée de leur cursus394. En 1996, l’inspection de l’enseignement supérieur, tutelle du système de visite de la VSNU, rappelle à l’ordre la commission de visite qui a visité les formations en physique et astronomie : cette dernière estime qu’une durée d’études de cinq ans est nécessaire pour un cursus si difficile. Pour l’inspection, la commission de visite « se place en dehors du cadre légal » avec cette affirmation, contraire à la réforme pour faire tenir les cursus en quatre

392 Lettre du Ministerie van Onderwijs en Wetenschappen à la Tweede Kamer der Staten-Generaal, 15 december 1992 [NA 2.19.250/443]. 393 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 6 [NA 2.19.250/453]. 394 VSNU, Onderwijsvisitatie. Natuur- en sterrenkunde in Nederland. Facultair rapport Rijks Universiteit Leiden, april 1995, p. 7 [NA 2.19.250/498].

149 ans395. Cette critique de l’inspection est mise en avant par la VSNU pour expliquer pourquoi elle a été enjointe à mener une seconde visite dans ces formations, et à rééditer une nouvelle version du rapport de visite396. L’étudiabilité des cursus, c’est-à-dire la réduction de la durée des études à quatre ans, est ainsi une injonction forte de la part du ministère et l’élément le plus contraignant du système de visite de l’enseignement. a. Enseigner pour « la société » ? – le marché du travail

Comme nous l’avons vu dans les discours sur la « fonction sociale » de l’enseignement, l’enjeu de l’ « étudiabilité » des formations est également empreinte de préoccupations pour les marchés du travail sur lesquels vont se retrouver les étudiants (cf. par exemple l’idée des kopopleidingen, ci-dessus). L’un des arguments pour plus de « flexibilité » dans la programmation des cursus par les facultés est que « la société évolue très vite » : il faut que l’offre de formations s’accorde mieux avec les dynamiques des développements de la société et des sciences. Avec la HOAK, on souhaite une « dynamisation du système », des « réponses plus souples », une « différenciation et variété de la question d’enseignement » et un « lien plus étroit avec les développements sur le marché du travail ». Dans les textes sur les réformes préconisées dans la HOAK, on évoque aussi une « nouvelle manière de gérer l’enseignement supérieur » : ce sont des transformations, de manière assumée, « vers un fonctionnement des institutions plus lié au marché (marktgericht) » 397 . L’organe de conseil au gouvernement en matière d’enseignement supérieur, qui voit cela d’un bon œil, fait néanmoins remarquer qu’il existe forcément un « décalage temporel » (faseverschil) entre les formations et les demandes du marché : une fois terminée la formation, le marché aura déjà évolué398. Ces deux positions sont présentes dans les rapports de visites, par exemple celui de l’évaluation des formations en géographie réalisée en 1990 : on y lit que la propedeuse (le premier cycle) remplit bien sa fonction d’orientation et donne les bases, pour un choix plus large dans la phase doctoraal (deuxième cycle). Le premier cycle permet aussi de changer et

395 VSNU, Rapport internationale visitatiecommissie natuur- en sterrenkunde, 1996, p. 11 [NA 2.19.250/499]. Les critiques de l’inspection sont reprises en introduction de ce rapport, qui fait suite au premier rapport de 1995, cible des critiques de l’inspection. 396 VSNU, Onderwijsvisitatie natuur- en sterrenkunde in Nederland, oktober 1996, p. 1 [NA 2.19.250/500]. 397 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 15 [NA 2.19.250/329]. 398 ARHO, « Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK », Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 2 et p. 11-14 [NA 2.19.250/330].

150 de réagir aux nouveaux développements concernant les perspectives sur le marché du travail. Les vakgroepen (groupes disciplinaires d’une faculté en charge d’une formation, correspondant aux départements français) de géographie par exemple se préoccupent beaucoup de l’enseignement, estiment les évaluateurs, font des excursions et prennent en compte le lien avec le marché du travail dans leurs enseignements. La commission honore cela mais estime aussi qu’il faut être attentif au risque que les considérations concernant le marché du travail prennent trop de place par rapport à la recherche fondamentale dans les enseignements399. La commission d’experts pour la visite des cursus en histoire, par exemple, exprime en 1988 ses inquiétudes par rapport à ses « débouchés traditionnels, saturés » : il n’y a plus de débouchés en recherche et en enseignement, mais les étudiants continuent à arriver. Ils peuvent donc aller vers des métiers de l’administration (beleid en bestuur), mais d’autres disciplines forment déjà à ces débouchés depuis plus longtemps. Les enseignants réfléchissent donc déjà depuis quelques temps à d’autres débouchés, et à modifier les cursus en conséquence, par exemple face à une « demande d’universitaires à formation générale » (algemeen opgeleide academici). S’en suit, selon la commission de visite, une « crise identitaire de la discipline » : ces détenteurs de culture générale, ces intellectuels généralistes, sont-ils encore des historiens ?400 Ainsi, faire évoluer les formations en fonction des débouchés est souhaité, mais la VSNU est consciente des problèmes que cela peut poser. Toujours est-il que, quand la VSNU spécifie plus concrètement ce qu’est « la société » autour de l’enseignement supérieur, il s’agit du marché du travail. Nous l’avons déjà vu dans la composition des commissions de visite dès 1987. Les évaluateurs saisissent le marché du travail à travers les employeurs potentiels, c’est-à-dire par rapport aux métiers qu’ils envisagent les plus adéquats après chaque formation. Ces évaluateurs saluent par exemple l’introduction d’épreuves orales dans les études de physique, où les étudiants sont amenés à présenter leurs travaux, comme une compétence utile sur le marché du travail. Cette novation ferait suite à une enquête de 1994

399 VSNU, De kwaliteit van het universitair onderwijs. Visitatie geografie, februari 1990, p. 7-8 [NA 2.19.250/493]. 400 VSNU, Onderwijsvisitatie. Proefvisitatie Geschiedenis, Utrecht, juli 1988, p. 8 [NA 2.19.250/489]; VSNU, Over de kwaliteit van het nederlandse universitaire onderwijs. Beschouwingen naar aanleiding van de proefvisitaties bij Geschiedenis, Natuur- en Sterrenkunde, Psychologie, Werktuigbouwkunde (inclusief Maritieme Techniek), oktober 1988, p. 18 [NA 2.19.250/438].

151 sur « le marché du travail pour les jeunes physiciens » réalisée par Marian van Asten, ingénieure physicienne à l’université technique de Eindhoven401. La commission de visite apprécie non seulement le fait que le cursus contienne une formation utile pour le futur emploi des étudiants, mais aussi que les responsables de la formation se soient inspirés d’une enquête sur ces emplois pour introduire cet élément de formation. Les autres nouveautés introduites dans les formations pour aider les étudiants à trouver des débouchés (qu’elles présentent comme telles du moins) sont les stages et les contacts avec les anciens étudiants. Les évaluateurs des formations en histoire par exemple justifient l’introduction de ces nouveautés par la remarque que le marché du travail universitaire n’est pas prêt de s’agrandir, et qu’il faut former à d’autres métiers402. b. Les destinataires des visites : les responsables de formations

La question des destinataires des évaluations donne un autre indice de ce que signifie « la société » dans ce contexte. Les destinataires premiers des rapports sont ses récipiendaires, à savoir les présidents d’université, les doyens, mais aussi en premier lieu les responsables des formations (les évaluations de la recherche ont les mêmes destinataires, les directeurs d’unités). Aussi bien les commissions de visite que les facultés évaluées font un retour positif sur ces évaluations « utiles ». À court terme du moins, la VSNU estime que l’évaluation suscite la « réflexion sur l’enseignement » au sein des facultés, et qu’elle occasionne déjà « l’initiation de changements ». « D’après les retours des facultés les conclusions des commissions de visite étaient souvent une confirmation de ce qu’on savait déjà. Mais […] le fait que des experts extérieurs le disent était un encouragement pour poursuivre sur la route entamée ou un stimulant pour porter plus d’attention à des changements »403. L’auto-analyse et l’objectivation permise par l’extérieur sont conçues comme se faisant écho. Le succès de l’évaluation tient donc à ses effets incitant, encourageant, stimulant pour les enseignants et responsables des cursus. La VSNU constate que ses évaluations ne permettent pas d’obtenir une « vue d’ensemble » sur la recherche nationale dans une discipline. Néanmoins, procéder en suivant les structures des facultés, départements et programmes augmente « l’utilité de l’évaluation comme instrument de politique pour les directions des facultés (beleidsinstrument voor faculteitsbestuuren) ». Au delà des visées comparatives, pour obtenir un « état des lieux de la

401 VSNU, Onderwijsvisitatie. Natuur- en sterrenkunde in Nederland. Facultair rapport Rijks Universiteit Leiden, april 1995, p. 6 [NA 2.19.250/498]. 402 VSNU, Proefvisitatierapport Geschiedenis UvA, Utrecht, augustus 1988, p. 5 [NA 2.19.250/489]. 403 VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, 22 october 1988, p. 10-11 [NA 2.19.250/437].

152 discipline », c’est donc la possibilité d’utilisation des rapports d’évaluation par les différents niveaux d’administration des universités qui prime404. c. Les destinataires des visites : le public étudiant

En 1994, la VSNU fait état d’un problème : bien que les destinataires premiers des rapports d’évaluation soient les « collègues de discipline et les administrateurs et politiques (beleidmakers) », « le public », c’est-à-dire les (futurs) étudiants et leurs parents, y cherchent une « vue d’ensemble des caractéristiques spécifiques, forces et faiblesses des formations visitées ». La presse tente de répondre à cette demande en compilant des « tableaux pour les consommateurs » (consumententabellen) comparatifs sur la base des rapports d’évaluation des formations. Ces tableaux sont le résultat des demandes d’en bas, pour ainsi dire. Cependant, pour la VSNU, ils sont « trop simplifiés » : ses rapports sont « denses et complexes », concède-t-elle, mais elle procède déjà à une « discussion comparative » dans un rapport final de l’évaluation de toutes les formations d’une même discipline, c’est-à-dire une simplification plus lisible pour le public. Cela consiste à parler des formations dans leur ensemble, mais aussi de celles en particulier qui ont été « mises en avant de manière positive ou négative ». La VSNU n’a pas encore de solution pour satisfaire cette demande du public mais il reste pour elle « hors de question de procéder à des classements » comme cela est parfois fait dans les tableaux dans la presse, mobilisant des symboles comme « ++ », « + », « 0 », « - » et « -- »405. Servir le « public » (autre avatar de la société), au sens des étudiants et potentiels étudiants et leurs parents, est une préoccupation de la VSNU qu’elle ne réussit pas à satisfaire, refusant les simplifications nécessaires à cette communication, qu’elle craint trop normatives et contreproductives pour les évalués aussi bien que pour les évaluateurs enseignants et chercheurs. On observe donc des évaluateurs résistant aux simplifications gestionnaires voulues par le bas.

II. Comment visiter ?

Le tour d’essai d’évaluation a été précédé de nombreuses réflexions sur la manière dont on peut procéder à la « kwaliteitszorg externe ». Un premier constat de la VSNU, en amont du premier tour d’essai, est que « la qualité de l’enseignement couvre beaucoup

404 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. 405 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 12 et p. 23 [NA 2.19.250/453].

153 d’aspects différents ». Leur stratégie est donc de « ne pas chercher à les recouvrir tous », mais de se « concentrer sur les aspects qui semblent avoir besoin de la plus grande attention », au cas par cas406. En effet, la qualité est un « concept complexe » et n’a pas de sens univoque : on peut parler de qualité « du point de vue des manières d’enseigner », des « relations étudiants-travail », ou du « point de vue des employeurs »407. On retrouve là une tension légèrement déplacée par rapport à celle que nous observions auparavant entre former pour la recherche et former pour les métiers hors universités : ici elle se situe entre qualité pédagogique (pour bien apprendre) et qualité d’employabilité (pour être recruté, être bien formé pour son emploi). La VSNU est par ailleurs bien consciente du caractère polysémique de « qualité » – la qualité normative qui dit le bien et la qualité descriptive qui dit les propriétés – mais elle y voit l’avantage de susciter le débat dans le cadre du système de kwaliteitszorg. Par exemple, une conclusion du tour d’essai est qu’on peut se réjouir de la qualité de l’enseignement supérieur néerlandais : les « différences » en qualité observées tenant plus à la diversité des finalités et aux spécialisations des cursus que véritablement aux niveaux inégaux du contenu académique enseigné408.

Aussi, la VSNU estime qu’il faut s’appuyer sur l’expérience accumulée avant de fixer le format pour les rapports d’évaluation une fois qu’on aura mieux compris « comment décrire et améliorer la qualité de l’enseignement supérieur » 409 . Bien qu’initialement précautionneuse dans la formalisation de ses méthodologies, la VSNU marque dès le début son intérêt pour les « performance indicators » : les « indicateurs objectifs » peuvent servir de base aux jugements des commissions d’experts, même si ceux-ci doivent « arriver à la fin à un jugement d’ensemble par une argumentation ». L’évaluation ne peut et ne doit donc pas être purement objectivée. Pour la VSNU, l’évaluation « est nécessairement comparative, avec des standards arbitraires » : elle estime qu’une comparaison au sein d’une université semble la plus évidente – or, le système tel qu’il est construit mène plutôt à comparer les formations d’une même discipline dans différents établissements. Nous avons vu que la VSNU cherche à

406 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 15 [NA 2.19.250/329]. 407 ARHO, « Kwaliteitsbewaking in het hoger ondewijs », Advies aan de minister van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986, p. 5 [NA 2.19.250/329]. 408 VSNU, Over de kwaliteit van het nederlandse universitaire onderwijs. Beschouwingen naar aanleiding van de proefvisitaties bij Geschiedenis, Natuur- en Sterrenkunde, Psychologie, Werktuigbouwkunde (inclusief Maritieme Techniek), oktober 1988, p. 15 [NA 2.19.250/438]. 409 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 15 [NA 2.19.250/329].

154 éviter une mise en concurrence entre les formations (elle refuse d’établir des classements pour la presse) en privilégiant dans ses rapports des descriptions et analyses qualitatives des points forts et des problèmes de chaque formation. Alors que la VSNU concède une part d’arbitraire dans ses évaluations, « il faut que ce système respecte des attentes élevées en validité, objectivité et soin »410. C’est cette tension que nous pouvons observer dans deux pratiques du système qui se recoupent : l’ « étude de soi » et le recueil de données, d’ « indicateurs ». Ces deux attentes forment les deux parties du dossier demandé à l’entité évaluée en amont de la visite : des informations et des données sur l’université et la formation évaluée (documents demandés et, initialement, compilation d’un factbook), et une partie descriptive et analytique appelée « étude de soi » (zelfstudie), dont le guide explique le contenu désiré ainsi que la manière de présenter cet écrit411.

1. La souplesse de l’étude de soi

Dès le premier document écrit sur les modalités d’évaluation prévues pour le tour d’essai d’évaluation de l’enseignement supérieur, il est question des informations descriptives que la faculté de l’entité évaluée doit livrer : des informations sur le personnel, les cursus et l’enseignement, les étudiants, les dispositions d’évaluation interne, le fonctionnement du conseil aux étudiants, l’administration. La VSNU estime que cette description, couplée à une analyse, doit être faite sous forme d’une « étude de soi » (zelfstudie) par le département évalué. Dès le premier guide pour le tour d’essai en 1987, le concept et l’outil de l’étude de soi sont expliqués en détail : avant d’en décrire les contenus et la forme attendus, une page entière est dédiée à sa définition412. La zelfstudie « est le point de départ de l’évaluation-visite », mais « également partie intégrante d’un processus continu pour la kwaliteitszorg interne ». Elle « est vue comme stimulant la réflexion interne sur la qualité et pouvant mener à des mesures pour une amélioration ». Par référence à ce qui est déjà pratiqué auparavant, elle « peut être vue comme une synthèse du rapport facultaire sur l’enseignement [facultair onderwijsverslag] et du plan de développement facultaire [facultaire ontwikkelingsplannen] » – donc une partie bilan et une partie projet. Elle porte enfin « une analyse systématique du fonctionnement d’une partie de la faculté : forces et faiblesses et plans pour l’avenir ». Les auteurs du guide proclament

410 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 16 [NA 2.19.250/329]. 411 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987 [NA 2.19.250/435]. 412 Ibidem.

155 que la zelfstudie « n’est pas une activité nouvelle, mais une systématisation de ce qui était déjà fait ou devait déjà être fait ». Cette étude de soi est également le « lien entre kwaliteitszorg interne et externe » : elle est introspective et réalisée en interne, mais en même temps elle est adressée aux commissions de visite, qui doivent préparer leurs entretiens pendant la visite sur la base de ces études413. Cette conception qu’exprime la VSNU de l’étude de soi correspond parfaitement à l’analyse que fait Michael Power des phénomènes d’audit : il s’agit tout d’abord d’un self-audit, une évaluation de soi, suivant des protocoles à usages apparemment internes mais dérivant souvent leur autorité de potentielles utilisations pour la vérification externe414. Une autre donnée plaide pour le poids de la zelfstudie dans ce dispositif d’évaluation : lors du bilan du tour d’essai, en 1988, la VSNU tente d’estimer le coût de la procédure, y compris en temps, pour les institutions évaluées415. De ce bilan ressort que l’ensemble du tour (donc l’évaluation de quatre disciplines) a mobilisé environ 1900 jours de travail d’un être humain (mensdagen) du personnel universitaire, avec en moyenne 74 jours par visite, dont 43 jours pour la zelfstudie, par rapport à seulement 4 pour le factbook416, 10 pour la préparation de la visite et 15 pour la visite elle-même 417 . Pour le second tour d’évaluation de l’enseignement supérieur entamé en 1993, la zelfstudie « reste le pivot de la kwaliteitszorg »418. Dans son bilan d’activité de 1994, la VSNU estime que « grâce à la zelfstudie » la « kwaliteitszorg prend de plus en plus un caractère structurel dans les universités »419. Le format souhaité pour l’étude en question est celui d’une « description de la situation actuelle de la discipline dans le pays, puis une analyse de la situation (avec forces et défis, problèmes) » du département en question, ainsi qu’une partie sur les « projets : quelles solutions, quels changements sont prévus et comment ». La VSNU théorise en 1985 que « la qualité de l’enseignement a trois aspects : l’input (les étudiants), le processus d’enseignement,

413 Ibid., p. 7-8 et p. 15 [NA 2.19.250/435]. 414 Power, Michael, The Audit Explosion, op. cit., p. 9-10. 415 En envoyant des questionnaires aux entités évaluées, un à chaque direction d’établissement et un pour la faculté concernée, sur le nombre de personnes ayant été mobilisées et la durée de leur travail pour l’évaluation. Les coûts pour la VSNU ont été estimés en argent dépensé, pas en temps investi : frais de logement et de transport des experts, rémunération des secrétaires, frais de logistique et d’impression. 416 Nous y venons dans quelques paragraphes. 417 VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, 22 october 1988, p. 27-34 [NA 2.19.250/437]. 418 VSNU, Rapport met de titel 'Door naar de tweede ronde. Voorstellen voor aanpassing van de externe kwaliteitszorg onderwijs', februari 1993, p. 15 [NA 2.19.250/448]. 419 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 4 [NA 2.19.250/453].

156 et l’output (les diplômés) »420. Il est intéressant de noter que la VSNU, donc des présidents d’universités, raisonne en ces termes de la production (input, processus, output) peu familiers dans le monde universitaire. Dans l’étude de soi, on doit retrouver des informations sur les étudiants – « formation, expérience professionnelle, déficiences » –, le « développement du personnel », les « cursus proposés », la « forme donnée à l’enseignement », la « charge de travail des études », le « règlement d’évaluation interne », le « renouvellement de l’enseignement », l’administration et le « conseil aux étudiants »421. Lors du tour d’essai, les données chiffrées (sur les diplômés d’un cursus par exemple) sont demandées en dehors de l’étude de soi – à regarder la liste ci-dessus, on constate que cette dernière porte donc sur l’ « input » et le « processus », tandis que l’ « output » est essentiellement décrit par des chiffres. La partie plus analytique de l’étude de soi, pour laquelle les évalués sont encore plus libres, peut néanmoins porter sur cet « output » (dans leur diagnostic ou projet). Le guide contient une « checklist » des éléments attendus dans l’étude de soi. Cette checklist doit être suivie pour structurer l’étude, mais on appelle dans le guide même à « ajouter ce qui semble important », et si un point n’est pas pris en compte par les évalués, il faut « expliquer pourquoi il n’est pas pertinent »422. Le guide n’est donc qu’une « aide », et il faut l’utiliser « de manière créative »423.

420 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 14 et p. 17 [NA, 2.19.250/329]. 421 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 7-8 [NA 2.19.250/435]. 422 Ibid., p. 7-8 et p. 15. 423 Ibid., p. 18.

157

Figure 1 : Extrait de « Bijlage 2 : Checklist voor aandachtspunten bij de zelfstudie », De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, annexe 2, p. 44 [NA 2.19.250/435].

158 On voit à son aspect que cette liste n’est pas un formulaire, ni un catalogue des indicateurs demandés (figure 1). Dans cet extrait, la VSNU propose aux évalués de renseigner les caractéristiques des étudiants entrants : sous le titre « description », on lit « sous ce point, vous pouvez porter attention : au nombre d’étudiants entrants, aux caractéristiques du flux entrant (genre, âge, origine géographique, formation antérieure/expérience professionnelle) » etc. Dans la partie « analyse », « l’attention peut être portée sur : votre opinion sur les étudiants entrants, les problèmes concernant leur formation antérieure, goulets d’étranglement relatifs aux déficiences [que pourraient avoir certains étudiants] » etc. La troisième partie enfin, littéralement sur « ce qu’on compte faire / ce à quoi on s’attend » (voornemens/verwachtingen), interroge les évalués : « comment pensez-vous défaire les goulets d’étranglement constatés ? » et « est-ce que les analyses ci-dessus incitent à prendre des mesures ? ». Bien que l’étude de soi soit une injonction de l’extérieur, elle est peu contraignante à en croire la souplesse du guide, et l’importance qu’y accorde la VSNU indique néanmoins le soucis de partir des évalués et de leurs ressentis et leurs problèmes : les questions et les éléments à renseigner sont assez ouverts. Garder un équilibre entre formalisation et partir des problèmes des évalués est important afin d’empêcher que les visites ne soient pour ces derniers que l’occasion de « danses rituelles » pour se montrer sous son meilleur jour – c’est une expression que je reprends ici à une ancienne membre de la commission de visite en droit, en 1993424. Ton Vroeijenstijn parle aujourd’hui à ce sujet des dangers du « window dressing »425, qu’il se félicite d’avoir évité justement grâce à la configuration du système de visites que je suis en train de présenter.

Pour l’évaluation de la recherche également, l’étude de soi va être une étape importante du processus d’évaluation. Nous allons revenir sur sa mise en place en 1993, mais je propose de déjà avancer ces éléments sur l’étude de soi. Contrairement au système de visites dans les formations, on trouve moins de documents décrivant la zelfstudie pour l’évaluation de la recherche : les guides pour l’évaluation de la recherche renvoient souvent

424 Numéro spécial « Verslag VSNU conferentie ‘Door naar de tweede ronde’ », VSNU Berichten, n°39, maart 1993, p. 5 [NA 2.19.250/287]. 425 Entretien téléphonique avec Ton Vroeijenstijn, 20/03/2017, 10-11:15.

159 aux procédures mises en place pour l’évaluation de l’enseignement supérieur, pour lesquelles la réflexion sur l’étude de soi a déjà été menée426. Après le tour d’essai de l’évaluation de la recherche, cette étude de soi sera plus couramment appelée « évaluation de soi » (zelfevaluatie), ce qui souligne son caractère non seulement descriptif (et analytique : c’est une étude) mais aussi normatif. Comme pour l’enseignement, il faut « donner des éléments pour saisir les points forts et faibles des programmes de recherche »427. Ces évaluations de soi doivent servir à « rendre les universités plus responsables », notamment pour décharger les évaluateurs pour qui le travail de récolte d’informations est trop lourd – argument inverse cette fois à celui de faire accepter l’évaluation en réduisant la charge pour les évalués, comme nous l’avons relevé plus haut concernant le système de visites dans l’enseignement supérieur428. Dans ces évaluations de soi, il s’agit de décrire brièvement (en trois pages) les programmes de recherche, cinq « publications-clés » ainsi qu’une « courte description du contenu des résultats de la recherche (pas que les nombres de promotions, de subsides et d’invitation) ». Il faut aussi les rendre « plus claires » sur les « missions » des programmes429. On notera qu’ici les évalués ne sont pas guidés par une checklist, peut-être parce qu’ils sont déjà accoutumés à des présentations de soi dans le cadre du financement conditionnel. Les quelques remarques de la VSNU sur le contenu attendu des évaluations de soi traduisent d’une part que les évalués, pour démontrer la qualité de leur recherche, énumèrent par exemple « promotions, subsides et invitations » comme autant d’indicateurs de qualité, et, d’autre part, que la VSNU souhaite également baser le jugement des évaluateurs sur une appréciation des contenus de la recherche. Cela rejoint aussi la description par la VSNU de son évaluation comme étant du « peer review » classique430.

2. La dureté des indicateurs

À côté de l’étude de soi, les membres des commissions de visite se basent sur d’autres documents que doivent fournir les universités : les programmes d’enseignement, le guide étudiant pour la formation, éventuellement les rapports d’enseignement – les commissions de

426 Lettre de la VSNU au College van Bestuur de la Technische Universiteit Eindhoven pour l’évaluation d’un de ses instituts de recherche, 17 januari 1996 [NA 2.19.250/464]. 427 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. 428 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449]. 429 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. 430 VSNU, Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992 [NA 2.19.250/441].

160 visite peuvent si nécessaire demander des documents supplémentaires431. La préparation des évaluateurs doit également se fonder sur le « factbook » – un recueil de données sur l’établissement par la VSNU432. Comme l’indique le document dont est tirée la figure 2, la VSNU reçoit des informations sur les budgets (dépenses et ressources) des départements concernés, les évaluations des enseignements par les étudiants, des données sur le marché du travail, le niveau des étudiants sortants (diplômes), la charge de travail des enseignants et des étudiants433. Le document qui doit servir à la VSNU pour solliciter les données chiffrées auprès des CvB (équipes de direction) des universités a beaucoup plus l’allure d’un formulaire (voir figure 2) que le guide (checklist) pour l’étude de soi – c’est un tableau à remplir avec des chiffres, un formulaire qui ne laisse que peu de souplesse. Dans l’extrait en figure 2, nous trouvons en abscisse les catégories de personnel enseignant et en ordonnées leur âge dans le premier tableau, s’ils sont docteurs ou pas dans le second tableau. Lors du bilan du premier tour d’essai d’évaluation de l’enseignement supérieur, le bureau de la VSNU constate que les difficultés à compiler le factbook sont telles que les informations sont « incomplètes ou difficiles à interpréter » – il est donc difficile d’obtenir des indicateurs fiables. Aussi a-t-on supprimé ce « livre de faits », pour ne demander « que quelques chiffres importants » : « aussi longtemps que l’université n’a pas de système de compilation de données cela ne servira à rien ». En revanche, la zelfstudie est conçue comme « très utile en externe aussi bien que pour l’interne », et elle doit donc être conservée. Cette conclusion accompagne aussi la volonté de « réduire l’information demandée » : la « zelfstudie doit suffire à elle-même »434. La VSNU semble avoir conscience, même si ce n’est que diffusément, des limites des chiffres.

431 VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, 22 october 1988, p. 4 [NA 2.19.250/437]. 432 Ibid., p. 6-8. 433 « Bijlage 1 : Vragenlijst ten behoeve van de visitatiecommissie », De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, annexe 1, [NA 2.19.250/435] ; Lettre de la Rijksuniversiteit Groningen à la VSNU, 11 juli 1986 [NA 2.19.250/330]. 434 VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, 22 october 1988, p. 11 et 14-16 [NA 2.19.250/437].

161

Figure 2 : Extrait de « Bijlage 1 : Vragenlijst ten behoeve van de visitatiecommissie », De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, annexe 1, p. 35 [NA 2.19.250/435].

162 Il n’est pas clair à partir des sources si ce formulaire (figure 2) va être abandonné après le tour d’essai (s’il s’agit de ce qu’ils nomment le factbook) et lesquelles de ces données continueront à être demandées dans l’étude de soi. Les données chiffrées font en tous cas partie intégrante de ce qui alimente le processus d’évaluation, mais elles n’en sont pas le cœur. Même si l’on continue à solliciter des données chiffrées, elles ne le sont plus sous forme de tableaux dans des formulaires – l’évalué est donc plus libre à les renseigner, et de la manière de les fournir. La VSNU se contente de plus de souplesse. De plus, la construction de connaissances sur les évalués devient rapidement surtout qualitative, par manque de chiffres aisément accessibles. Enfin, ne nous laissons pas berner par le mot « indicateurs » : il ne s’agit pas nécessairement de chiffres. Les notions de « critères », d’ « objets évalués », et d’ « indicateurs » sont souvent utilisées comme synonymes. Dans les archives, le terme « critère » désigne tantôt des éléments à prendre en compte dans l’étude de soi ou pendant la visite, tantôt (plus rarement) des éléments indiquant la bonne qualité de quelque chose. Les « indicateurs » sont les éléments demandés dans l’étude de soi, par exemple la formation antérieure des étudiants, la forme donnée aux enseignements – ils ne sont pas nécessairement chiffrés. Il s’agit là d’éléments à évaluer, sans indication de ce qui serait par exemple une formation antérieure « adéquate » des étudiants dans une discipline, ou une « bonne » manière d’enseigner.

3. Centralité de la procédure

Après cette phase préparatoire de retour sur soi et de compilation de données suivent cinq autres étapes de l’évaluation : la visite, le « rapportage », la réaction des universités, les actions et le suivi. La visite elle-même s’étend en règle générale sur deux jours par faculté et comprend des entretiens avec la direction de l’université (college van bestuur), l’administration de la faculté, les responsables de la formation évaluée – entretiens informés par les documents reçus et surtout l’étude de soi. Les interactions sont partagées en « conversations » avec l’équipe de direction de l’université puis de la faculté, en « interviews » avec des personnes choisies, et en « échanges de vues » lors des deux déjeuners (« open lunch »). Lors de sa visite, la commission d’experts doit « se faire une idée de la

163 qualité des enseignants, du curriculum, de la structure de prise en charge de l’enseignement, la kwaliteitszorg au sein du secteur et l’état des ressources et infrastructures matérielles »435. À la fin de la visite un créneau est prévu pour que la commission de visite puisse « discuter de ses conclusions préliminaires et des recommandations » qu’elle souhaite faire, entre elle et ensuite avec l’équipe de direction universitaire et les personnels et étudiants présents de la formation en question436. En 1994, les commissions de visite font remonter à la VSNU leur demande d’avoir systématiquement un temps de « rapportage oral » à la fin des visites, afin de, par exemple, « dire des choses confidentielles qu’elles ne veulent pas publier mais qu’elles trouvent importantes pour la qualité des formations »437. Ainsi, la VSNU formalise jusqu’à l’informel. Les experts de la commission rédigent ensuite leurs rapports, compilés puis envoyés aux universités concernées, dans un délai de deux semaines après la dernière visite, notamment pour qu’elles relèvent les « erreurs factuelles ». Le résultat, publié, de chaque évaluation est un rapport final, avec une première partie sur « l’état général de la discipline dans le pays », et une seconde partie sur les résultats par faculté. Dans le mois suivant, l’université doit « réagir » par écrit, dans quelle mesure elle est « d’accord avec les conclusions et recommandations » de la commission de visite et dire quelles « actions » seront prises pour donner suite aux recommandations. Ces « actions » sont considérées comme la fin du « processus de visitation », bien qu’il soit envisagé comme cyclique. Cette fin de l’évaluation ne signifie cependant « pas la fin des activités » : les facultés doivent travailler à la réalisation des recommandations, en collaboration avec la direction de l’université. Le suivi (follow-up) de la mise en œuvre des recommandations consiste à laisser la latitude à la commission de déterminer quelle forme il doit prendre. Sauf besoin d’un suivi plus serré, il s’agit en général d’une prochaine visite cinq ans plus tard438.

Une particularité de l’émergence du système d’évaluation néerlandais est l’importance accordée à la procédure, applicable à tous et systématique. Dès la création de la VSNU, développer un guide est le premier pas dans la mise en place du système d’évaluation439. Nous

435 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 14 et p. 17 [NA, 2.19.250/329]. 436 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 25-26 [NA 2.19.250/435]. 437 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 12 [NA 2.19.250/453]. 438 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987, p. 7-8 [NA 2.19.250/435] et VSNU, Gids voor de externe kwaliteitszorg, welke een herziening betrof van de eerdere gids bij de proefvisitaties, november 1988 [NA 2.19.250/436]. 439 Entretien téléphonique avec Ton Vroeijenstijn, 20/03/2017.

164 avons vu au chapitre précédent que les acteurs de l’émergence de l’évaluation sont en faveur de la dérégulation et débureaucratisation, mais qu’il s’agit d’empêcher que cela aboutisse à une libéralisation totale et anarchique. À présent, dans la mise en forme de l’évaluation, dans cette vaste entreprise qui s’annonce de dérégulation, de débureaucratisation et de gouvernement à distance, on se trouve face à l’émergence de nouveaux ensembles de procédures formalisées, qui peuvent sembler bureaucratiques. Nous avons vu la centralité de l’étude de soi et l’appel de la VSNU à partir des pratiques internes aux entités évaluées. On se trouve donc devant un paradoxe apparent : un système bottom-up, pour l’autonomie, avec une forte prétention à l’internalisation et désétatisé (« débureaucratisé »), mais centralisé par la VSNU, avec une procédure unifiée. Dès le premier tour d’essai, le guide contient non seulement les cadrages généraux sur l’esprit dans lequel le système de visites doit œuvrer, les objectifs poursuivis, mais également un détail de plus en plus fin des tâches de chacun, des temps dans lesquels les étapes de la procédure doivent avoir lieu, des checklists des documents que les évalués doivent mettre à disposition et de ce que les études de soi doivent contenir. Ces protocoles sont ainsi des déclarations d’intention, mais aussi des modes d’emploi pour les évaluateurs et les évalués440. Tout est écrit et l’écrit est le garant de la méthode : le protocole est si complet qu’il peut être suivi par n’importe qui, donc tout le monde peut être évaluateur – nous reviendrons sur cet aspect, étant donné que l’évaluation aussi bien de l’enseignement supérieur que de la recherche s’effectue en dehors de la VSNU à partir de la moitié des années 2000. Le système de visites est dès lors garanti non plus par une institution, mais par un protocole – ce qui ne veut pas dire qu’il faut sous-estimer le rôle de l’institution dans la définition de ce qu’est l’évaluation. Ce degré de formalisation implique aussi qu’une infrastructure doive exister dans chaque université pour soutenir l’évaluation : ce sont les centres « voor Onderzoek van het Wetenschappelijk Onderwijs (het RWO-centrum) » (pour la recherche en matière d’enseignement scientifique) qui ont une expertise en sciences de l’éducation et connaissent les enseignements de leur établissement441. Ton Vroeijenstijn, comme je l’évoquais, a été en charge au sein du Conseil académique de mettre en commun le travail de ces centres dans la décennie avant son arrivée à la VSNU.

440 VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987 [NA 2.19.250/435]. 441 Ibid., p. 18 et VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 18 [NA, 2.19.250/329].

165 Une des fonctions de l’évaluation est purement performative : un des objectifs déclarés du processus est d’installer des procédures formalisées de kwaliteitszorg dans les universités. L’étude de soi, nous l’avons vu, est à la fois une pratique interne, ou à internaliser, et elle doit permettre d’internaliser le concept de kwaliteitszorg que promeut la VSNU avec son système d’évaluation. C’est un argument circulaire mais qui souligne le besoin apparent de formalisation des activités de kwaliteitszorg qui pouvaient déjà avoir lieu en interne avant. Il faut désormais être sûr que tout le monde s’évalue. L’intérêt qu’exprime la VSNU pour les indicateurs en est un indice : leur utilité est tout d’abord celle de montrer « l’efficacité de la kwaliteitszorg »442. C’est à dire que les indicateurs ne servent pas tant à indiquer la qualité de l’enseignement supérieur, mais avant tout à montrer la qualité ou l’efficacité des pratiques d’évaluation et leurs retombées supposées sur l’enseignement supérieur. Voilà une des caractéristiques de l’audit selon Michael Power : il évalue avant tout l’existence de procédures d’évaluation, plus que les qualités des activités premières443. L’évaluation est également estimée « nécessaire pour savoir ce qui dans un certain cas est défini comme la qualité, quels indicateurs on peut utiliser pour cela, et comment cela est mesuré » 444 . Ainsi, l’évaluation serait une manière de formaliser des pratiques de « valuation »445 internes à l’enseignement et aux universités, pas toujours explicitées ni a fortiori formalisées. Or, après le tour d’essai, et à la lecture des guides d’évaluation, une impression prévaut : on se trouve face à un édifice solide de procédures, mais peu d’indications sur ce qui est ou devrait être valorisé dans l’enseignement. On formalise et standardise pour solidifier l’évaluation, en laissant le débat sur les valeurs se dérouler au cas par cas, le cas échéant. En somme, le rôle central de la procédure consiste à créer dans les universités un devoir de démontrer sa qualité, étant donné que ce qui la définit reste débattable – en débattre fait partie des engagements des évalués.

Lorsqu’en 1986 le Parlement discute du système d’évaluation, des questions sur les critères de qualité surgissent : on souligne la nécessité de développer des « procédures standard », définies dans des protocoles. Les critères devraient toujours dépendre de l’ « orientation » de l’évaluation (son objet), mais des « indicateurs de performance » devraient jouer un rôle important – d’ailleurs on avance, pour les légitimer sans doute, que les

442 Ibidem. 443 Power, Michael, The Audit Explosion, op. cit., p. 9-10. 444 ARHO, « Kwaliteitsbewaking in het hoger ondewijs », Advies aan de minister van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986, p. 6 [NA 2.19.250/329]. 445 Je me réfère ici aux travaux en valuation studies évoqués en introduction.

166 « performance indicators » sont étudiés internationalement. Dans tous les cas l’évaluation doit avoir lieu d’une manière « défendable scientifiquement », avec le plus grand nombre possible de « techniques objectives »446 : les députés expriment l’importance de l’armer de science et d’objectivité contre des attaques éventuelles. La même année, l’université de Groningen livre ses réflexions à la VSNU sur les modalités d’évaluation : elle insiste sur le soin à apporter au choix des experts « externes » et « indépendants ». En effet, elle concède que « des jugements sur la qualité ne peuvent être bureaucratisés » ; en même temps, et pour une « simple raison de comparabilité », l’évaluation doit être « standardisée »447. Difficile de saisir ici la limite entre bureaucratie et standard, si ce n’est que la première est négativement connotée. Tous deux réfèrent en effet à des processus d’abstraction.

Un dernier point sur cette tension entre formalisation et flexibilité : un rapport de la Cour des Comptes néerlandaise, présenté au parlement, émet en 1999 son avis sur divers aspects du système d’évaluation de l’enseignement supérieur. Le système leur semble suffisant comme « instrument de surveillance que les institutions réalisent leur responsabilité pour la qualité de l’enseignement supérieur », tout en restant « assez peu coûteux ». Ce rapport regrette cependant que les « visitaties » soient peu comparables entre elles. De plus, là où le système de kwaliteitszorg interne est déjà bien développé, les formations se sentent « peu concernées » par la visite d’évaluation externe : pour pallier à cela, il faudrait instituer une limite entre les « verdicts suffisants et insuffisants » des évaluations – cela s’assimile à introduire une forme de notation, ou du moins à lier les évaluations à des conséquences, précisément ce que refuse la VSNU. La Cour des Comptes plaide pour des « définitions et des normes plus précises », afin qu’on puisse plus facilement comprendre la manière dont le jugement a été construit : « il faut que les critères de qualité aient une base juridique »448, c’est à dire que leur contenu soit fixé quelque part. Ce rapport rend visible le problème posé dès le départ dans l’élaboration du guide d’évaluation, à savoir la tension sensible entre formaliser, objectiver, et laisser la place à l’expérience des évaluateurs et à la spécificité des évalués. La solution de la Cour des Comptes (fixer juridiquement des critères et des indicateurs) semble incompatible avec la

446 Tweede Kamer der Staten-Generaal, Hoger Onderwijs : autonomie en kwaliteit. Lijst van vragen en antwoorden, Vastgesteld 29 april 1986, p. 23 [NA 2.19.250/330]. 447 Lettre de la Rijksuniversiteit Groningen à la VSNU, 11 juli 1986 [NA 2.19.250/330]. 448 Algemene Rekenkamer, Kwaliteitszorg Hoger Onderwijs, rapport adressé à la Tweede Kamer der Staaten- Generaal, vergaderjaar 1999-2000, 27010, n°1-2, p. 4-7 [NA 2.19.250/471].

167 pratique de la VSNU, car elle pousse trop loin la formalisation. La VSNU fixe certes un guide avec des « critères », mais elle laisse leur appréciation aux experts de la commission de visite – puisque, nous l’avons vu, « critère » signifie aspect à évaluer, pas indicateur de la bonne qualité de quelque chose.

III. Le tournant de 1993

En 1993, plusieurs changements interviennent dans l’histoire de la VSNU et de ses activités de kwaliteitszorg. L’événement le plus palpable dans les sources est la fin du premier tour des visites dans l’enseignement supérieur : toutes les disciplines dans toutes les universités ont été évaluées. Penser les modalités d’un deuxième tour mobilise les énergies de la VSNU : rassemblant 300 personnes parmi les membres et employés de la VSNU, membres de commissions de visite, enseignants et responsables de formation, de départements et de facultés ayant participé au premier tour, ainsi que des représentants du ministère, de l’inspection de l’enseignement supérieur et de l’association des établissements d’enseignement supérieur professionnel et technique, la conférence qu’elle organise en mars 1993 en témoigne de manière exemplaire 449 . L’ampleur de cette conférence donne l’impression d’un tournant, mais conformément à ses conclusions, les caractéristiques du système de visites ne sont pas modifiées substantiellement. En effet, cette conférence vise à discuter les « adaptations » du système proposées par un groupe de travail interne à la VSNU : en premier lieu, celui-ci suggère de distinguer plus nettement les deux fonctions des visites, à savoir la redevabilité et l’amélioration, en séparant le rapport public d’un rapport plus directement adressé aux facultés des formations visitées (« à usage interne »). La gageure principale du système est selon Ton Vroeijenstijn (il écrit cela en 1995) de tenter de « servir ces deux maîtres » à la fois : « accountability » et « improvement »450. En second lieu, les divisions disciplinaires des évaluations doivent s’affiner après 1993 : par exemple, faire visiter tous les enseignements du pays en informatique et mathématiques par une même commission de visite est trop difficile ; les membres de la VSNU veulent créer deux commissions pour ces deux disciplines. Cette modification va de pair avec la volonté de faire davantage évaluer le contenu des programmes d’enseignement, et

449 Numéro spécial « Verslag VSNU conferentie ‘Door naar de tweede ronde’ », VSNU Berichten, n°39, maart 1993 [NA 2.19.250/287]. 450 Vroeijenstijn, A. I., Improvement and Accountability : Navigating between Scylla and Charybdis. A Guide for External Quality Assessment in Higher Education, Higher Education Policy Series 30, London and Bristol, Pennsylvania, Jessica Kingsley Publishers, 1995.

168 moins les structures et conditions de travail et d’études, comme cela a été le cas de manière prépondérante au premier tour. Pour évaluer les contenus, les évaluateurs doivent être davantage spécialistes de la discipline en question. Enfin, la VSNU ouvre la discussion sur l’inclusion d’étudiants dans les commissions de visite – nous en avons déjà parlé451. Aucune de ces propositions n’a véritablement modifié le système de visites pour le second tour : inclure un membre étudiant, se concentrer davantage sur les contenus des enseignements et constituer des commissions plus ciblées par disciplines sont repris comme des suggestions facultatives pour les organes disciplinaires de la VSNU (les doyens), mais séparer deux rapports est rejeté comme peu praticable. Par ailleurs, l’objectif principal pour les commissions doit à leur sens rester l’amélioration de l’enseignement, pas de rendre des comptes, ce qui occupe avant tout les évalués lors de la rédaction de leur étude de soi, pas les évaluateurs452. Une modification non discutée dans ce cadre, mais notable, est qu’avec la fin du premier tour d’évaluation de l’enseignement supérieur et le début pour la recherche, les visites ne sont plus financées par la caisse des contributions des universités mais elles leur sont facturées chacune d’elles453. L’évaluation est donc en quelque sorte individualisée pour les universités, même si chaque commission continue à visiter toutes les formations d’un domaine dans toutes les universités qui en offrent. D’autres changements interviennent dans l’institution VSNU en 1993 : davantage centralisée, son équipe de direction composée des présidents d’universités prend les décisions sans passer par les doyens et les représentants du personnel et étudiants ; auparavant, ces derniers étaient dans les « organes de réflexion par secteur » – ils sont remplacés par des commissions composées de membres des équipes présidentielles (colleges van bestuur) des universités454. Ces modifications concordent avec le mouvement plus général vers la centralité décisionnelle des présidents, sur lequel nous reviendrons dans l’épilogue. De manière générale, la VSNU se transforme en fonction des politiques de l’enseignement supérieur : en 1989, le travailliste Jo Ritzen remplace Wim Deetman au ministère de l’enseignement et des sciences. Rappelons qu’il est l’un des signataires en 1987 de la tribune pour l’ « université entrepreneuriale » publiée avec McKinsey455. Au pouvoir, il

451 Numéro spécial « Verslag VSNU conferentie ‘Door naar de tweede ronde’ », VSNU Berichten, n°39, maart 1993, p. 4 [NA 2.19.250/287]. 452 Ibid., p. 4-7. 453 VSNU Berichten, n°43, december 1993 [NA 2.19.250/287]. 454 VSNU Berichten, n°37, oktober 1992 [NA 2.19.250/287]. 455 Mertens, Ferdinand, « Mijlpalen: Hoger Onderwijs Autonomie en Kwaliteit (Hoak) nota 25 jaar. Reden tot tevredenheid? », op. cit., p. 63-64.

169 promeut une dérégulation des emplois universitaires : aussi, la VSNU discute dès 1990 de la nécessité de se constituer en « association d’employeurs », pour remplacer l’État en quelque sorte dans sa fonction coordinatrice456. La grande réforme des structures universitaires n’interviendra qu’en 1997 – pour faire des universités les employeurs de leur personnel –, mais le changement de cap au gouvernement est manifestement perçu dès 1990.

C’est également à la fin du premier tour que le système de kwaliteitszorg de la VSNU devient un modèle à suivre à l’étranger. Il a notamment un rôle majeur dans la coordination d’un projet pilote pour l’évaluation de l’enseignement supérieur mené sous le patronage de la Commission européenne en 1994-1995, avec ses homologues danois, britanniques et français : ce projet pilote fait l’objet d’une sous-section du second chapitre sur le cas français, à laquelle je renvoie ici. La conception de ce projet pilote recoupe les points communs des quatre systèmes nationaux en question et garde de ce que nous connaissons désormais du système néerlandais la dimension étude de soi et visite, le procédé par discipline, et avant tout la force d’initiative de l’université elle-même dans l’organisation de sa propre évaluation. Le système de la VSNU est aussi un modèle par exemple pour les présidents et recteurs d’universités d’Allemagne du Nord, qui se constituent en association en 1993 entre autre afin d’évaluer leurs formations. Une des premières activités de cette association des universités d’Allemagne du Nord (Verbund Norddeutscher Universitäten, VNU) est une visite à l’université de Groningen pour étudier leur système de kwaliteitszorg, durant l’été 1993457. Ce qui semble faire le succès du modèle néerlandais est la capacité d’action des universités et notamment de leurs présidents – qui va en s’accroissant, nous l’avons évoqué, au fil des années 1990. Les contacts institutionnels internationaux de la VSNU se font en particulier à travers Ton Vroeijenstijn, chargé depuis le début de la mise en place du système de visites dans l’enseignement supérieur. En 1995, il publie un guide à l’usage des universités et des gouvernements étrangers, basé sur l’expérience néerlandaise : Improvement and Accountability : Navigating between Scylla and Charybdis. A Guide for External Quality Assessment in Higher Education458.

456 VSNU Berichten, n°27, oktober 1990 [NA 2.19.250/287]. Le sujet revient en 1993 : VSNU Berichten, n°40, mei 1993 [NA 2.19.250/287]. 457 Fischer-Bluhm, Karin, « Wie es begann », in VNU, 10 Jahre Evaluation von Forschung und Lehre, brochure commémorative du VNU, Hambourg, 2004, p. 26 – obtenue par correspondance personnelle avec une ancienne directrice du bureau du VNU. 458 Vroeijenstijn, A. I., Improvement and Accountability : Navigating between Scylla and Charybdis, op. cit.

170 C’est dans ce contexte que la VSNU renouvelle son système de visites dans l’enseignement supérieur (pour un « second tour ») et qu’elle lance le premier tour d’évaluations de la recherche dans les universités, qui était auparavant soumise aux évaluations sur dossier pour l’obtention du financement conditionnel. Ce dernier, ayant plutôt échoué à redistribuer les fonds dans les universités, comme évoqué au chapitre précédent459, doit être remplacé par un système non plus directement lié à l’attribution des budgets, mais qui permettrait d’identifier et de « différencier » la qualité de la recherche dans les universités.

IV. Évaluer la recherche

Pour organiser le premier tour d’essai de l’évaluation de la recherche en 1993, la VSNU puise beaucoup dans son expérience des évaluations de l’enseignement supérieur. « Dans l’intérêt de la continuité », elle propose de « commencer par ce qui avait été fait pour le VF » : procéder par disciplines, telles que définies dans le financement conditionnel, se baser sur les rapports d’activités scientifiques des universités, et conserver les rôles de la KNAW et de la NWO, respectivement pour constituer les commissions d’experts et pour son droit de regard dans l’évaluation. La VSNU va à présent évaluer toute la recherche dans les universités ; aussi a-t-elle besoin d’un « règlement uniforme » de l’évaluation, pour des raisons de « commensurabilité », de « faisabilité administrative » et de « responsabilité externe ». Le nouveau système prévoit également une « procédure d’appel » en cas de « désaccord de l’équipe de direction de l’université avec le résultat de l’évaluation », arbitrée par un comité rassemblé par la KNAW460. La VSNU, comme de coutume, prend sur elle la logistique, dont la préparation de la visite, la visite elle-même et l’aide à la rédaction du rapport461.

1. Une histoire conjointe mais deux systèmes distincts

L’émergence institutionnelle de l’évaluation s’est ainsi faite de manière plus ou moins simultanée mais distincte pour la recherche et pour l’enseignement supérieur : système d’évaluation-visite de l’enseignement supérieur dès 1987 par la VSNU, et système d’évaluation-visite de la recherche seulement à partir de 1993, mais avec l’antécédent du

459 Blume, Stuart et Spaapen, Jack, « External assessment and “conditional financing” of research in Dutch universities », op. cit. 460 VSNU, Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992 [NA 2.19.250/441]. 461 Ibidem.

171 financement conditionnel dès 1982. Il s’agit donc en parallèle et de manière légèrement décalée dans le temps de deux systèmes voisins (surtout entre 1993 et 2003, alors que la VSNU s’occupe des deux) mais séparés l’un de l’autre : les évaluations fonctionnent selon des protocoles et des procédures distincts. En 1992, juste avant le lancement du premier tour d’évaluation de la recherche et du deuxième pour l’enseignement supérieur, la question d’évaluations-visites groupées est débattue à la VSNU. Des visites conjointes sont suggérées par soucis d’économiser efforts et coûts, et en argumentant que les deux aspects – enseignement et recherche – sont « très liés » dans les activités des facultés, par exemple par l’organe disciplinaire des sciences de l’ingénierie de la VSNU : séparer ces deux aspects dans deux évaluations leur pose donc un problème de principe aussi bien que pratique462. Le groupe de travail à la VSNU en charge de concevoir l’évaluation de la recherche en 1993 décide contre un tel regroupement de procédures, tout en laissant la possibilité aux disciplines d’expérimenter des visites conjointes si elles le souhaitent. Ce sera le cas des départements en « techniques spatiales et de l’aéronautique », mais aussi, dans une moindre mesure, en lettres, où l’on organise les deux visites, distinctes, selon le même calendrier, afin qu’une seule étude de soi puisse alimenter les deux processus d’évaluation. L’argumentaire de la VSNU pour garder deux systèmes séparés évoque les critères d’évaluation différents pour les activités de recherche et d’enseignement, et surtout le fait que les comités d’évaluateurs doivent être composés différemment : alors que l’évaluation de l’enseignement supérieur doit se faire par des experts néerlandais (et un étranger familier avec les Pays-Bas), les experts en recherche sont davantage des étrangers. La recherche est perçue comme plus naturellement internationale, alors qu’évaluer l’enseignement suppose une meilleure connaissance du contexte néerlandais – et l’enseignement est avant tout adressé aux étudiants néerlandophones. Aussi, l’évaluation de la recherche se fait en anglais ; celle de l’enseignement supérieur en néerlandais463. Les deux systèmes d’évaluation doivent rester distincts car, nous explique la VSNU, si les visites de l’enseignement supérieur sont orientées sur le processus (d’enseignement), les évaluations de la recherche se concentrent sur la production (de recherche). On note aussi la divergence dans le vocabulaire : l’enseignement supérieur est soumis à des visitaties, la

462 Lettre du DOO ‘construerende technische wetenschappen’ à la direction de la VSNU, 19 juin 1992 [NA 2.19.250/441]. 463 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993. Evaluatie van de proefronde, mars 1994 [NA 2.19.250/449].

172 recherche à des beoordelingen (évaluations)464. La VSNU craint également que si les visites d’évaluation sont regroupées, les commissions de visites porteraient plus d’attention à la recherche qu’à l’enseignement465. Nous approfondirons l’interrogation sur cette différence de traitement à la fin du chapitre. Comme déjà évoqué, la réflexion initiale sur le système d’évaluation à mettre en place concerne tout d’abord l’enseignement supérieur, mais elle est plus large et la VSNU envisage dès le début un processus semblable pour la recherche : la VSNU estime déjà que le VF, évaluation « par les autorités », puisse à terme être remplacé par un « test périodique par domaine de recherche »466. Il s’en suit que le système d’évaluation de la recherche se construit en 1993 sur la base d’une réflexion générale sur les universités, mais axée sur l’université en tant que lieu d’enseignement, et en partie sur le modèle de l’évaluation de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, le premier protocole d’évaluation de l’enseignement supérieur précise qu’il procède par discipline pour plus tard pouvoir se greffer sur l’évaluation de la recherche qui a déjà lieu dans le cadre du VF – cette évaluation de la recherche détermine donc aussi en amont le système mis en place pour l’enseignement supérieur467. Ces systèmes se sont ainsi influencés mutuellement et successivement. a. Étapes du processus dans la recherche

Comme pour l’élaboration de l’étude de soi pour la recherche en 1993, on trouve moins de matériaux sur la définition des étapes de ce nouveau processus que lors de la mise en place des visites de l’enseignement supérieur six ans plus tôt. Tout en reprenant ces étapes élaborées en 1987, l’évaluation de la recherche ne doit au départ pas nécessairement comprendre une visite sur place : des spécifications disciplinaires du protocole par les commissions installées peuvent arbitrer sur ce point. La visite peut être remplacée par des « entretiens » : encore en 1994, à l’issue du tour d’essai, ces entretiens sont considérés comme « très utiles », permettant de « présenter » ses recherches, bien que les « visites in situ » soient plus interactives que des entretiens « centraux » plus « formels », qui ont plus l’allure d’ « examens ». Le tour d’essai doit en principe servir pour estimer le « coût du système » et

464 VSNU Berichten, n°34, maart 1992 [NA 2.19.250/287]. 465 Numéro spécial « Verslag VSNU conferentie ‘Door naar de tweede ronde’ », VSNU Berichten, n°39, maart 1993, p. 4 [NA 2.19.250/287]. 466 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 9 et p. 20 [NA 2.19.250/329]. 467 VSNU, Gids voor de externe kwaliteitszorg, welke een herziening betrof van de eerdere gids bij de proefvisitaties, november 1988, p. 9 [NA 2.19.250/436].

173 décider si les visites sont obligatoires. Les évaluateurs ne se sont cependant pas fixés sur la question des visites après ce tour d’essai : les organes disciplinaires de la VSNU (les doyens) ont le choix de recourir aux visites ou de préférer économiser ces coûts468. Cependant, en 1994 et 1995 plusieurs conflits éclatent entre unités de recherche et leurs évaluateurs sur les rapports d’évaluation : ces différents, traités en commission d’appel, portent sur des évaluations ayant été menées sans visite in situ469, et ils ont contribué à les rendre obligatoires pour le second tour entamé en 1996470. Intéressons-nous un instant à ces traces de situations de conflits : elles sont une particularité de l’évaluation de la recherche.

2. La bibliométrie en conflits

L’évaluation porte en partie sur la production de la recherche, ses résultats : les publications. Les « listes de publications » demandées aux entités évaluées sont « volumineuses » et « posent problème » : parfois y sont inclues les publications de tous les membres d’une facultés, pas uniquement celles d’un programme demandé. Aussi, la VSNU estime après le tour d’essai qu’il faut, dans un protocole « disciplinaire », adapté aux disciplines évaluées au cas par cas, déterminer « comment on va classer les publications […] scientifiques ou disciplinaires », et « si et si oui comment » on va « utiliser des données bibliométriques »471. Ce qu’on nomme « évaluation » rencontre ici un nouveau type de problème : classer, hiérarchiser via des indicateurs la qualité intrinsèque du résultat de la recherche est au cœur du processus. Des données bibliométriques sont en effet utilisées dès 1993, mais leur utilisation reste l’objet de vives discussions. Nous avons déjà vu au chapitre précédent que les scientomètres de l’université de Leiden sont impliqués dès les années 1980 dans des formes d’évaluation de la recherche, notamment par l’initiative « pilote » d’études bibliométriques ayant servi de base aux procédures du financement conditionnel. En 1986, le groupe de scientomètres est inclus dans la faculté de Social and Behavioural Sciences de Leiden. Il vit exclusivement de recherche contractuelle, selon son père fondateur. Le groupe publie son premier manuel d’études quantitatives des sciences en 1988, et il devient centre de recherche en 1989, le CWTS. Ton

468 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie va de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. 469 Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la commission d’appel, 19 oktober 94 [NA 2.19.250/541], et Lettre du Biologische Raad de la KNAW à la VSNU, 3 mei 1994 [NA 2.19.250/542]. 470 Lettre de la VSNU au College van Bestuur van de Technische Universiteit Eindhoven, 17 januari 1996 [NA 2.19.250/464]. 471 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie va de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449].

174 van Raan, son premier directeur, obtient d’après lui la « peut-être première » chaire de Quantitative Studies of Science du monde en 1991. Le centre n’a que peu de doctorants et peu d’enseignements, si ce n’est pour des étudiants de master en sciences472. Dès 1993, le CWTS de Leiden est sollicité par la VSNU pour effectuer des études bibliométriques de la « productivité » et de l’ « impact » des programmes de recherche des disciplines évaluées – études pour lesquelles la VSNU rémunère le CWTS grâce à des subsides accordés par le ministère 473 . Contrairement aux visites dans l’enseignement supérieur, le système pour la recherche a donc, en recourant au CWTS, son propre pourvoyeur d’indicateurs, c’est-à-dire d’analyses chiffrées de la recherche réalisées pour l’évaluation. En conclusion du tour d’essai d’évaluation de la recherche, la VSNU estime qu’il faut « utiliser l’analyse bibliométrique pour soutenir le jugement » : « si utilisée avec responsabilité, cela augmente beaucoup la confiance [portée au système d’évaluation] et l’objectivité [des jugements portés] »474. La VSNU part ici du principe que les évalués et les personnes extérieures aux processus d’évaluation accordent plus de confiance à des études d’un centre de recherche qu’au simple jugement des pairs. Or, peu après le lancement du système d’évaluation de la recherche, certains programmes de recherche, par le biais de l’équipe de direction de leur université, portent plainte en commission d’appel (« commissie van beroep ») contre les résultats de leur évaluation : ces cas concernent notamment l’usage d’outils bibliométriques. Selon la commission d’appel, sur 220 programmes évalués en biologie, deux plaintes, ce n’est pas beaucoup. Elles occupent cependant la commission d’appel de juin 1994 à janvier 1995, et occasionnent une correspondance conséquente qui tranche nettement avec le caractère plus « bureaucratique » de la plupart des autres documents d’archives475. Ici, en effet, les écrits sont plus passionnés, même si exprimés dans un cadre institutionnel par la direction de l’université de Utrecht : après un premier passage par la commission d’appel, l’appréciation du programme plaignant est revue de « unsatisfactory » à « satisfactory », mais l’université rétorque que le rapport des évaluateurs est de la « critique sarcastique et destructive », leur « réputation a été sérieusement endommagée » – « it is a disgrace »476.

472 van Holsteyn, Jan et al. (éd.), Perspectives on the Past. 50 Years of FSW, op. cit. ; Entretien téléphonique avec Ton van Raan, 1/03/2016. 473 Lettre de la VSNU au secrétaire d’État de l’enseignement et des sciences, 22 juli 1993 [NA 2.19.250/541]. 474 Ibidem. 475 Rapport de la première réunion de la Commissie van beroep, 8 juli 1994 [NA 2.19.250/541]. 476 Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 13 oktober 1994 [NA 2.19.250/541].

175 Selon le premier directeur du CWTS, la plupart des critiques adressées à leurs analyses bibliométriques sont « purement émotionnelles », et donc pas pertinentes, estimant par exemple qu’ « on ne peut pas mesurer la qualité », « c’est dégoûtant », « c’est comme vouloir mesurer l’amour » – la mesure désacraliserait et perdrait toute la complexité de la chose. Il y aurait cependant aussi des « vraies » critiques, constructives, et dont le CWTS aurait tiré des enseignements, notamment quand certains chercheurs en ingénierie et en sciences de l’information ont protesté que, dans leur domaine, il fallait plutôt compter les communications aux conférences, plus représentatives des échanges scientifiques que les publications. Selon ses souvenirs, « we were always willing to listen to what the victims [rire] of our work had to say, and to look and see what is emotional, what is rational. […] Interactions with the customer, to say it in market terms, were always very important »477. En somme, cette position consiste à disqualifier toute critique qui s’adresse au fait même d’utiliser des outils bibliométriques dans les évaluations et à s’intéresser uniquement aux critiques plus ponctuelles susceptibles d’être incorporées dans les manières de faire de la bibliométrie. Les cas considérés ici montrent combien la catégorisation de van Raan est peu opérationnelle, car si l’on peut considérer les critiques comme « émotionnelles » dans certaines expressions, elles sont tout autant « rationnelles » : elles portent sur les outils et indicateurs bibliométriques utilisés dans les jugements des comités d’experts. Il s’agit d’évaluations des laboratoires de biologie, notamment ceux de l’université d’Amsterdam et de Utrecht – le dossier conservé de la plainte portée par Utrecht est plus fourni, privilégions donc cet exemple. Dans le rapport, les publications sont jugées avoir peu d’impact international (car pas de publication dans Science ou Nature, en substance) et reposer sur deux membres du programme de recherche essentiellement ; ce dernier commentaire est révoqué par la commission d’appel, qui rectifie que les analyses bibliométriques indiquent une bonne répartition de l’output parmi les chercheurs. Les critiques ne portent pas seulement sur les interprétations de la bibliométrie par les experts, mais aussi sur les analyses faites par le CWTS elles-mêmes : les chercheurs plaignants, pour expliquer pourquoi le jugement des experts n’est pas juste à leur avis, pointent du doigt quelques erreurs, et plus généralement les biais du Science Citation Index. Par exemple, la recherche de leur programme serait présente dans plusieurs domaines

477 van Holsteyn, Jan et al. (éd.), Perspectives on the Past. 50 Years of FSW, op. cit. ; Entretien téléphonique avec Ton van Raan, 1/03/2016.

176 délimités par le SCI à la fois, alors que les analyses du CWTS se concentrent sur l’un d’eux uniquement, et seuls les premiers auteurs des publications sont répertoriés478. En somme, les études bibliométriques sont à la fois critiquées par les évalués et mobilisées pour réfuter les jugements des experts. On pourrait ainsi qualifier ces plaintes de « statactivistes »479, d’activisme contre les effets délétères de l’usage d’outils quantitatifs en mobilisant des outils quantitatifs. Notons néanmoins que là aussi, les critiques recevables dans le cadre des procédures d’appel sont constructives et ne remettent pas en question l’exercice bibliométrique en soi. Dans les cas qui nous intéressent, la catégorisation en « émotionnel » ou « rationnel » n’est pas la plus opérante, puisqu’on trouve ces deux types dans les archives des procédures d’appel. Ici, d’autres critères semblent être disqualifiants : les lettres parlent d’une « réaction personnelle » d’un chercheur en particulier dont les critiques n’ont pas été retenues ; c’est la direction de l’université qui doit faire appel, sinon la commission d’appel abandonne l’affaire – ce qui s’est passé dans ce cas précis480. Les deux cas qui ont mené à des plaintes sont des évaluations sans visite : les commissions avaient 22 programmes à évaluer à l’université de Utrecht et en ont choisi six pour les visiter, par manque de temps. Pour le reste, elles basent leurs jugements sur les auto- évaluations et les études bibliométriques. Au final, ces plaintes contribuent à rendre les visites obligatoires dans l’évaluation de la recherche : l’équipe de direction de l’université de Utrecht regrette en effet que trop peu de place soit laissée dans le protocole pour un dialogue et un retour (« hoor en wederhoor ») en amont de la publication du rapport. Les visites étaient jusqu’alors facultatives pour des raisons d’économies de temps et de coûts481. On trouve encore des traces d’autres plaintes, elles aussi critiques des jugements basés sur la bibliométrie, dans les années 2002-2003, par des programmes de recherche en chimie. Là encore, l’université concernée, à Groningen, mobilise des outils quantitatifs dans son argumentaire pour démontrer la qualité de sa recherche : listes de publications, thèses

478 Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 16 juni 1994 [NA 2.19.250/540] ; Rapport de la première réunion de la Commissie van beroep, 8 juli 1994 [NA 2.19.250/541] ; Lettre du président de la commission d’évaluation en biologie à la Commissie van beroep, 6 september 1994 [NA 2.19.250/541] ; Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 13 oktober 1994 [NA 2.19.250/541] ; Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 19 oktober 1994 [NA 2.19.250/541] ; Lettre de la Commissie van beroep à la commission d’évaluation en biologie, avec les minutes de la dernière réunion de la Commissie van beroep le 9 décembre 1994, 4 januari 1995 [NA 2.19.250/542]. 479 Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking, op.cit. et Bruno, Isabelle, Didier, Emmanuel, Prévieux, Julien et al., Statactivismes. Comment lutter avec les nombres, Paris, Zones, 2014. 480 Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la commission d’appel, 19 oktober 1994 [NA 2.19.250/541]. 481 Ibidem.

177 soutenues (au lieu des publications d’articles par des doctorants, comme l’ont fait les évaluateurs), mais elle mobilise aussi des arguments d’autorités, comme par exemple des « avis d’experts émis lors d’évaluations pour des subsides spécifiques »482. Ces plaintes suscitent le débat au sein de la VSNU car les plaignants demandent de suspendre la publication des rapports d’évaluation. Cela ne convient pas du tout à la VSNU qui rétorque qu’ « il ne s’agit que d’un conseil par une commission d’experts »483. Déjà à l’issue du tour d’essai d’évaluation de la recherche, en 1994, la VSNU réagit aux demandes de révision du jugement de certaines facultés en rappelant que leur évaluation n’est de toute manière « qu’un conseil » : « c’est aux facultés de voir ce qu’elles en font, quelles mesures elles prennent » 484 . Comme en témoignent ces plaintes, il semble donc y avoir plus d’inquiétude de la part des évalués au sujet des effets de l’évaluation de leur recherche que de leur enseignement supérieur. Le fait même que la VSNU prévoit une procédure d’appel dans l’évaluation de la recherche indique sa potentielle conflictualité. Nous verrons dans quelques pages en quoi les évaluations de la recherche ont un caractère beaucoup plus clairement normatif que celles de l’enseignement supérieur.

3. Identifier la recherche de qualité

L’enjeu principal déclaré de l’évaluation de la recherche semble tout d’abord être de « protéger la recherche de qualité », en assurant qu’on continue de la financer suffisamment dans un contexte de contraintes budgétaires – comme nous l’avons vu, c’est l’enjeu déclaré au moins depuis le VF, et cela semble rester la première préoccupation de ce système dans les années 1990. Formulé en 1994, cet objectif devient la « maintenance et l’amélioration de la qualité de la recherche » et la « reconnaissance du potentiel scientifique » 485 . Plus concrètement, cela se traduit par l’« identification de la recherche de pointe, ou excellente » (toponderzoek)486. En effet, le système d’évaluations-visites a été étendu à la recherche notamment pour permettre de « différencier » davantage entre différents niveaux de qualité de

482 Lettre de la Faculteit Scheikunde van de Universiteit Utrecht au responsable de l’évaluation à la VSNU, 30 juni 2002 ; Lettre du président du College van Bestuur van de Rijksuniversiteit Groningen au directeur de la VSNU, 21 oktober 2002 ; Article de presse, « Scheikunde visitatie, een aanfluiting voor de biochemie ? », in Chemisch Weekblad, n°23, 7 december 2002, p. 6-7 ; Lettre du College van Bestuur van de Rijksuniversiteit Groningen à la Commissie van beroep, 30 januari 2003 ; Lettre de la commission d’évaluation en chimie à la Commissie van beroep, 16 mei 2003 [NA 2.19.250/548]. 483 Rapport de la réunion du Algemeen Bestuur de la VSNU, 15 november 2002 [NA 2.19.250/548]. 484 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. 485 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449]. 486 Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992, p. 1 [NA 2.19.250/441].

178 la recherche, d’identifier la recherche excellente et de la distinguer de la recherche de qualité mais pas excellente487. Après le tour d’essai, les « aspects d’évaluation » ont été fixés à quatre : la « qualité de la production scientifique » ; la « quantité de la production scientifique » (« en distinguant bien les deux ») ; la « pertinence [relevance dans les textes originaux en anglais] scientifique » ainsi que, « pour les domaines portés vers la stratégie et la technologie », la « pertinence sociétale ou technologique » ; et la « perspective scientifique » pour le futur488. Ces critères restent presque les mêmes jusqu’aux années 2010, avec quelques modifications : les deux premiers critères sont reformulés en 1998 comme « qualité » et « productivité » académiques, jusqu’en 2015, où on supprime toute « productivité » ou « quantité » de la production pour ne garder que le critère de « qualité ». Le dernier critère, de « perspective » pour le futur, devient « viabilité » en 1998, plus tard formulé comme « vitalité et faisabilité » (2003-2015), puis de nouveau « viabilité » (2015). Évaluer la qualité signifie rendre des comptes du rapport input/output (ce qui est produit avec combien de personnes et de financements), donc de la production scientifique – en distinguant quantité et qualité, et en laissant aux évalués la possibilité d’indiquer des outputs moins conventionnels que les seules publications académiques –, et de sa pertinence, pour la société notamment. Sur les groupes de recherche, les évaluateurs cherchent à connaître leur « affiliation » et leur « taille », et sur les programmes de recherche, les groupes de recherche qui en font partie, le « terrain de recherche concerné » et une « indication globale de la taille ». La taille semble être une donnée critique, puisque les évalués, quand leur recherche ne fait pas partie d’un programme de recherche institutionnalisé, doivent se présenter par rapport à la taille des autres groupes de recherche dans leur domaine, notamment en regard du nombre de leurs publications (« les publications sont-elles suffisantes ? »)489. Les groupes de chercheurs doivent ainsi avoir une taille critique pour être considérés comme viables – sinon ils doivent se justifier et convaincre les évaluateurs, ou intégrer d’autres groupes de recherche. Ce critère de taille est peut-être un artefact des études bibliométriques. Cette taille critique existait déjà dans le système du financement conditionnel, je le rappelle : cinq personnes équivalent temps plein.

487 Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992, p. 1 [NA 2.19.250/441]. 488 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449]. 489 Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992, p. 1 [NA 2.19.250/441].

179 4. La recherche pertinente pour la société ?

C’est le second enjeu de l’évaluation de la recherche, mais il ne va pas d’emblée de soi. Notons que le critère de « pertinence » recouvre au début le monde académique aussi bien que non académique, et la « societal relevance » ne doit concerner que certains domaines de recherche destinés à avoir des effets sur la société. On voit à travers le temps que la « pertinence » de la recherche « pour la société » (societal relevance) devient de plus en plus importante dans les protocoles d’évaluation de la recherche : en 1993 on estime encore qu’il faut évaluer d’abord la « pertinence scientifique » de la recherche et, « pour les domaines portés vers la stratégie et la technologie » uniquement, également la « pertinence sociétale et technologique ». Il est également précisé que ce sont les évalués qui doivent définir ce qui pour eux est cette societal relevance, car sa définition pose problème aux évaluateurs dès le tour d’essai490. Effectivement, les sources sont fugaces sur ces éléments ; les définitions restent larges et sans exemples concrets. Néanmoins, on peut penser aux domaines qui ont un intérêt national particulier, que la VSNU évoque à d’autres endroits : le droit néerlandais et des domaines de « formations indispensables pour la société (médecins, ingénieurs civils, etc.) »491, mais on peut penser aussi à l’agriculture. Lorsque la VSNU le précise, son acception de « la société » recouvre donc essentiellement le marché du travail, l’économie du pays, mais par là aussi l’intérêt national, le bien commun, la qualité de vie générale. Notons que les précisions de la VSNU sur l’importance de certains domaines pour la société concernent l’enseignement plus que la recherche : pour elle, former à des métiers a un intérêt plus évident (ou plus facile à saisir et à exprimer) pour la société que mener des recherches. En 1997, les chercheurs en science studies Arie Rip et Barend van der Meulen, à l’université de Twente à l’époque, publient un rapport sur la societal relevance dans le système de la VSNU : comment elle est évaluée, par quels critères. Ils concluent qu’ « il n’est pas évident que la societal relevance puisse être évaluée : là où il y a peu d’usagers, où leurs souhaits sont peu articulés, la contribution [de la recherche] à des objectifs sociétaux est incertaine ». Aussi, concluent-ils, « il faut que le management crée les circonstances dans lesquelles la qualité sociétale peut être évaluée »492. En d’autres termes, il est sous-entendu

490 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993. Evaluatie van de proefronde, mars 1994 [NA 2.19.250/449]. 491 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 5-6 [NA, 2.19.250/329]. 492 van der Meulen, Barend et Rip, Arie, Maatschappelijke kwaliteit van onderzoek tussen verantwoording en management. Een inventarisatie van beoordelingspraktijen, Universiteit Twente, Centrum voor Studies van

180 que la bonne recherche a forcément une « qualité sociétale », la difficulté résidant dans sa saisie par les évaluations. Si la societal relevance n’est au départ pas le critère le plus important dans les évaluations de la recherche, cela tient donc de la difficulté à la définir, par les évalués autant que les évaluateurs. En 1998, le ministre se réjouit que ce critère soit plus présent dans le nouveau protocole493, alors qu’à sa lecture ce qui frappe plutôt est que la « academic relevance » est plus importante que la « societal relevance ». Cette dernière doit être indiquée uniquement « if applicable », chose que décident les organes disciplinaires de la VSNU : « In academic fields with a strong strategic or applied element this [le critère de pertinence] also includes the societal and/or technological impact: what significance has the research had for the development of societal and/or technological applications? »494. Ici, la société pour laquelle la recherche doit être pertinente est déjà plus imagée : il s’agit d’alimenter le développement technologique (on pense donc aux sciences de l’ingénierie et aux sciences expérimentales) et des « applications sociétales » de la recherche. Ce dernier concept reste difficile à saisir : pour nous dans la compréhension des textes, mais cette ambiguïté indique aussi la difficulté de la VSNU et des évaluateurs, voire des évalués, à le définir. Un groupe de travail de la VSNU en charge de l’élaboration de nouveaux protocoles d’évaluation, en 1999, définit des « zones d’attention » pour l’évaluation à venir : certaines portent sur la « valuation (waardering) par les pairs » (par le biais des « publications », « citations » et autres « paramètres d’estime »), par les « chercheurs » (part des CDI, des jeunes chercheurs, collaboration avec des collègues) et par « la société » (« effets sociétaux », « coopérations avec l’industrie », « alliances stratégiques », « public relations ») 495. Les valeurs de la recherche sont donc toujours à trouver aussi bien dans le monde de la recherche lui-même (chez les collègues immédiats et les collaborateurs directs, mais aussi chez les pairs du domaine de recherche, plus éloignés) que dans la société, qui se définit ici à l’aide d’exemples très divers, plus ou moins concrets : des coopérations avec l’industrie, avec des tribunaux pour la recherche en droit par exemple, ou des activités de vulgarisation (participation à des conférences ou publications grand public, par exemple). Jusque là, la pertinence pour la société n’est jamais le critère le plus important.

Wetenschap, Technologie en Samenleven, Eindrapport juni 1997, p. 55 [KNAW Archief dossier 3580 – Maatschappelijke kwaliteit]. 493 Lettre du Minister van onderwijs, cultuur en wetenschappen à la KNAW, 16 oktober 1998 [NA 2.19.250/471]. 494 VSNU, Assessment of Research Quality. Protocol 1998, 1998. 495 Werkgroep kwaliteitszorg wetenschappelijk onderzoek, Kwaliteit Belicht. Naar een nieuw stelsel van kwaliteitszorg voor het wetenschappelijk onderzoek, december 1999, p. 21-22 [NA 2.19.250/471].

181 Ce n’est qu’à partir de 1999 que toute recherche doit indiquer sa pertinence pour la société dans l’auto-évaluation – en 2009, le critère « pertinence » ne recouvre plus que sa qualité et son impact pour la société, et n’inclut plus la pertinence académique (cette dernière est désormais confinée à la rubrique « qualité » des critères d’évaluation)496. a. Les évaluateurs de la recherche, scientifiques internationaux

Il est frappant de voir que malgré le discours sur la « pertinence sociétale » de la recherche les commissions d’évaluation pour la recherche ne doivent pas nécessairement contenir des membres non-académiques, comme c’est le cas pour l’enseignement supérieur. Les membres constituant les commissions d’évaluation sont surtout choisis en fonction de leur « prestige scientifique » et de leur « indépendance » : ce sont les conditions de la « qualité » mais aussi de l’ « acceptation » de l’évaluation. Voilà pourquoi, légitime la VSNU, il faut demander à la KNAW de composer ces commissions (elle le faisait déjà pour les commissions de lecteurs des dossiers VF), sur propositions des instituts de recherche concernés. Ces réflexions justifient également que ces commissions soient composées en grande partie d’experts « étrangers »497. L’évaluation est présentée comme adoptant des « formes de peer review acceptées dans le monde scientifique », qui donc se base surtout sur les « prestations passées, mais aussi les plans d’avenir »498. Les commissions comprennent quatre à cinq membres, dont un qui la préside, et un membre de la NWO, l’organisation néerlandaise de la recherche scientifique (organe public de financement) – aucun représentant d’autres secteurs économiques comme dans l’enseignement. La méta-évaluation du tour d’essai pour la recherche spécifie que les « experts » ont entre 45 et 72 ans, pour la plupart actifs dans la recherche, et qu’ils sont « très disposés » à siéger dans ces commissions. Ils sont d’ailleurs dès le départ dédommagés pour ce travail, à la même hauteur que les évaluateurs de l’enseignement supérieur. Les facultés évaluées seraient satisfaites de leurs évaluateurs, bien que parfois des sous-domaines de la discipline soient sous ou sur représentés499. Pour l’évaluation de la recherche, la VSNU se félicite après son tour d’essai que les doyens des facultés évaluées aient « accepté les pairs comme tels » et « accepté les

496 VSNU, Assessment of Research Quality. Protocol 1998, 1998 ; KNAW, VSNU, NWO, Standard Evaluation Protocol 2003-2009, 2003 ; Standard Evaluation Protocol 2009-2015, 2009 ; Standard Evaluation Protocol 2015-2021, 2015. 497 Ibidem. 498 Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992 [NA 2.19.250/441]. 499 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449].

182 jugements ». Sur demande de la VSNU, les doyens donnent leur avis sur les évaluations du tour d’essai : ils félicitent la KNAW pour leur composition des commissions, respectant les différences entre disciplines et entre commissions. Ils se réjouissent aussi de l’ « indépendance des commissions internationales ». Un regret, en revanche, est que parfois les « visions du futur d’une discipline sont différentes entre évalués et évaluateurs », et entre évalués de « différentes spécialités » 500 : chaque programme de recherche (et chaque chercheur) a sa propre approche qu’il souhaite développer, qui ne coïncide pas nécessairement avec celles des autres.

5. Bien gouverner la bonne recherche

Nous avons vu également que l’évaluation a des objectifs gestionnaires, dans le sens qu’elle vise à faire internaliser des pratiques d’évaluation aux évalués. Il s’agit de « donner des jugements de qualité aux facultés et aux équipes de direction des universités », pour rendre possible un « pilotage sur base de la qualité » (sturing op basis van kwaliteit). La VSNU reconnaît qu’elle « pourrait classer, comparer », mais que ce qu’elle veut « surtout », c’est « permettre une amélioration »501. Rappelons tout de même que l’évaluation de la recherche vise explicitement à différencier entre différents degrés de qualité de la recherche (identifier la recherche excellente), ce qui comporte forcément une forme de classement. Lors de la présentation du nouveau système de visites dans la recherche, en 1994, le président du groupe de travail dédié de la VSNU présente les évaluateurs comme des jardiniers : puisque son objectif est la bonne croissance des plantes, lorsqu’il visite son jardin, il ne va pas tirer sur la plante pour examiner ses racines ! Il va plutôt s’en approcher avec précaution, regarder les feuilles, éventuellement la tailler pour en guider la croissance dans la direction souhaitée. C’est avec cette image, empruntée au directeur du Higher Education Quality Council britannique, que ce groupe de travail compte gagner la confiance des évalués502. L’objectif du système de kwaliteitszorg est la bonne croissance de la recherche ; elle se fait grâce à des recoupes et des tuteurs, et elle dépend donc de la manière dont sont organisées les activités de recherche. Les enjeux pour le système d’évaluation de maintenir une recherche de qualité dans les universités et d’encourager une recherche qui soit pertinente

500 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449]. 501 Ibidem. 502 Prof. ir. K. F. Wakker, Voorzitter VSNU-werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, “Evaluatie eerste ronde onderzoekbeoordelingen”, in VSNU Congres, Onderzoeksbeoordelingen: het perspectief, Hilversum, 13 april 1994 [NA 2.19.250/449]. Il cite Malcolm Frazer, « Quality Debate Conference », Times Higher Education Supplement, 1993.

183 pour la société s’imbriquent de plus en plus avec l’enjeu d’améliorer la gestion de la recherche – cela devient particulièrement apparent à la fin des années 1990. Dès le tour d’essai dans la recherche, une question très discutée est de savoir si les commissions d’évaluation doivent également prendre en compte la manière dont les activités de recherche sont organisées503. Le terme utilisé en néerlandais, onderzoeksbeleid, peut être traduit par politique de recherche ou gestion de la recherche : il s’agit, à lire les textes où ce terme figure, de la manière dont les activités de recherche sont dirigées, plus concrètement par exemple des organigrammes des facultés dans lesquelles s’inscrivent les programmes de recherche et des réformes internes que ces structures institutionnelles peuvent subir504. En 1992, plusieurs universités sont d’accord pour que l’évaluation de la recherche ne doive pas prendre en compte les « aspects de management de la recherche » : ils ne seraient « pas d’intérêt national ». Évaluer cet aspect devrait donc être « facultatif », « uniquement si le verdict sur le programme donne des raisons pour cela »505. En d’autres termes, ces universités estiment que la manière dont la recherche est produite devrait rester l’affaire des chercheurs, sauf à constater une trop faible qualité de la recherche, auquel cas un problème de gestion pourrait en être à l’origine et devrait être examiné par les évaluateurs. Souvenons- nous que pour la VSNU, si les visites de l’enseignement concernent les processus, l’évaluation de la recherche porte essentiellement sur les résultats, et non sur la manière d’y parvenir. La VSNU envisage une influence des processus sur les résultats, mais elle fait un usage précautionneux de ses pouvoirs d’investigation sur ceux-là, peut-être au nom d’une autonomie des chercheurs dans leurs manières de travailler. Toutefois, suite au tour d’essai de 1993, la VSNU, lors de son congrès-bilan, estime qu’il « faut que la commission [d’évaluation] s’exprime aussi sur l’onderzoeksbeleid », puisque les chercheurs évaluateurs « ont de l’expérience » dans ce domaine. Aussi, la VSNU décide de rendre obligatoire l’évaluation de cet aspect dans le prochain protocole506. Par exemple, la recherche est-elle organisée en groupes ? En programmes ? De quelles natures sont-ils ? Comment fonctionnent-ils ? Y a-t-il des personnes ou des collectifs à leur tête qui décident des orientations futures ? Comment sont prises ces décisions ?

503 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. 504 Ibid., p. 10. 505 Lettre du College van bestuur van de Vrije Universiteit Amsterdam à la VSNU, 28 september 1992 [NA 2.19.250/441] ; Lettre du College van bestuur van de Erasmus Universiteit Rotterdam à la VSNU, 9 juli 1992 [NA 2.19.250/540]. 506 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449].

184 Pendant ce temps, dans l’enseignement en 1995, la VSNU préconise que les « études de soi » et les « commissions de visite » se focalisent davantage sur « les contenus que sur l’organisation et les conditions » de l’enseignement, et que donc elles portent « aussi sur des écrits et travaux de fin d’étude ». « Jusque là les commissions lisaient peu », mais cela va être « généralisé » dès 1994507. On assiste à un mouvement inverse dans la recherche, où l’évaluation semble au contraire porter de plus en plus sur des questions d’ « organisation », de onderzoeksbeleid. Dans la description de l’étude de soi que doivent réaliser les évalués, nous avons déjà vu que la VSNU demande en 1993 à voir une description du contenu des recherches menées. L’évolution que je veux décrire ici est visible dans les sources de la fin des années 1990 : en 1999, un groupe de travail de la VSNU est chargé de développer un nouveau protocole pour l’évaluation de la recherche. Nous y reviendrons dans l’épilogue, mais sachons déjà qu’un objectif du renouvellement de ce système est d’ « intégrer », de « simplifier » l’évaluation et de « réduire la charge évaluative », car « le chercheur doit consacrer autant de temps que possible à la recherche ». « Réduire les systèmes [de kwaliteitszorg] à une évaluation externe », qui soit un « stimulus pour améliorer sa propre politique de recherche (onderzoeksbeleid) » n’est que possible si une « kwaliteitszorg interne » existe partout : voilà pourquoi la zelfevaluatie reste un pilier de l’évaluation de la recherche508. Améliorer le système d’évaluation doit donc servir l’objectif principal, qui reste de rendre la recherche encore meilleure : ce qui est « bien » doit devenir « excellent » et l’ « excellent » doit le rester. Le groupe de travail se dit « convaincu » que pour ce faire, la gestion des « ressources humaines » est un enjeu crucial. La « recherche excellente (toponderzoek) dépend du capital humain à disposition », « research is people », et « il est crucial pour la recherche et la politique de la recherche que les entrées, fluctuations et sorties des chercheurs et personnels de soutien soient équilibrées et dirigées ». Aussi, le groupe de travail préconise qu’il faut également évaluer « les recrutements et la politique du personnel » des unités de recherche, et, par conséquence, que les « directeurs d’unités de recherche aient les pleins pouvoirs en la matière »509. Pour améliorer la recherche, il faut recruter de bons chercheurs : les identifier, les attirer, être en mesure de les recruter. Il s’agit dans ce nouveau protocole d’ « optimiser les conditions » de la recherche par un « management de la recherche qualitativement élevé » : malheureusement, le management

507 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 9 [NA 2.19.250/453]. 508 Werkgroep kwaliteitszorg wetenschappelijk onderzoek, Kwaliteit Belicht. Naar een nieuw stelsel van kwaliteitszorg voor het wetenschappelijk onderzoek, december 1999, p. 2-4 [NA 2.19.250/471]. 509 Ibidem.

185 serait souvent « associé à la bureaucratie », « peu dynamique », mais l’évaluation devrait être un « moment explicite de réflexion sur les missions, la qualité ». Le texte en question mobilise la métaphore du « voyage vers l’excellence », ses auteurs se targuant de « puiser dans leur propre expérience avec la top-recherche internationale »510. Ceux qui font de la recherche excellente sont ainsi crédités d’une expertise sur comment gérer la recherche de manière à lui permettre d’être excellente. C’est une position didactique assez proche de certains travaux récents en sociologie des organisations sur le fonctionnement d’établissements américains reconnus comme excellents : je pense notamment à cet article de Jean-Claude Thoenig et Catherine Paradeise qui encouragent les établissements d’enseignement supérieur français à s’inspirer de certaines caractéristiques du MIT ou de Berkeley pour eux aussi mieux réussir à attirer ou créer des « talents »511. Le groupe de travail définit en 1999 neuf « zones d’attention » (aandachtsgebieden) pour l’évaluation à venir, dont les premières portent sur des questions de gestion : « leadership », « gestion et stratégie », « formation et sélection des chercheurs et personnel », « moyens », « management des processus et professionnels »512. L’évaluation de soi, dans la procédure, ne doit pas nécessairement avoir de « structure fixe », mais doit évoquer certains points importants, comme justement le « leadership », ou la « constitution d’équipes », de manière à « rendre possible des comparaisons de prestations » et le « benchmarking »513. Les préoccupations gestionnaires prennent manifestement plus d’importance dans l’évaluation après le tournant du millénaire : des personnes dotées de « leadership » sont susceptibles de savoir diriger les activités de recherche de manière à ce qu’elles soient meilleures – qualité mesurée, comme nous l’avons vu, à l’aune de la production de la recherche mise en avant par les évalués, notamment les publications. Les discussions entre évaluateurs et évalués, qui portaient auparavant par exemple sur les différents domaines et thèmes de recherche à promouvoir dans le futur (où pouvaient se situer des désaccords) se déplaceraient donc vers des préoccupations avant tout managériales sur les qualités des chercheurs qui gèrent et gouvernent la recherche et sur ses structures organisationnelles. Je disais cette évolution contraire à celle dans l’enseignement, mais notons qu’il s’agit ici, dans la recherche, d’un mouvement plus tardif que dans l’enseignement : la VSNU

510 Ibid., p. 19. 511 Thoenig, Jean-Claude et Paradeise, Catherine, « Organizational Governance and the Production of Academic Quality: Lessons from Two Top US Research Universities », Minerva, vol. 52, n°4, 2014, p. 381-417. 512 Werkgroep kwaliteitszorg wetenschappelijk onderzoek, Kwaliteit Belicht. Naar een nieuw stelsel van kwaliteitszorg voor het wetenschappelijk onderzoek, december 1999, p. 21-22 [NA 2.19.250/471]. 513 Ibid., p. 20.

186 appelle en 1994 à se concentrer davantage sur les contenus des cursus, et en 1999 à s’intéresser avant tout à la manière dont la recherche est organisée dans les universités.

V. Aider les universités à se « différencier »

1. Enseignement supérieur : différenciation horizontale

Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la VSNU met en place son système de visites dans une situation où les universités ont besoin de plus de liberté pour se « différencier » et proposer une diversité de cursus pour mieux répondre aux diverses aspirations des étudiants514 – la liberté en question doit donc concerner aussi bien les universités que leurs évaluations. Selon l’organe de conseil sur l’enseignement supérieur auprès du gouvernement, l’évaluation intervient dans un contexte d’une nécessaire « hétérogénéité croissante de la question de l’enseignement », devant devenir « accessible et utile pour une plus grande partie de la population (augmentation de la participation à l’enseignement supérieur) »515. Rappelons aussi l’inquiétude de la VSNU que l’enseignement échoue à prendre en compte les développements technologiques qui transforment les métiers, et donc la demande sur le marché du travail. Les sources ne sont pas claires ici si le constat est que les universités se différencient, ou veulent ou doivent se différencier, toujours est-il qu’elles ont besoin pour cela de plus de liberté de mouvement, d’autonomie, de flexibilité. En effet, le système d’évaluation est dès le début pensé comme « flexible », sans « schéma directeur », « plan » ou « blueprint »516 – essentiellement, pour que les diverses formations proposées ne soient pas évaluées de manière uniformisante. Cette flexibilité est aussi le fait d’une incertitude de la VSNU quant aux effets « collatéraux » de l’évaluation, surtout quand elle est trop directive517. L’incertitude est cependant aussi assumée comme corollaire de la flexibilité qui doit permettre aux universités à innover et mieux répondre à « la société » (nous avons vu que ce concept recouvre essentiellement le marché du travail) : « l’un des objectifs du projet de la HOAK est de donner de l’espace de différentiation et de profilage [profilering] aux

514 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 19-23 [NA, 2.19.250/329]. 515 ARHO, Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK. Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986, p. 21 [NA 2.19.250/330]. 516 ARHO, Conclusies Hoger Onderwijs Overlegkamer, 10 april 1986 [NA 2.19.250/330]. 517 VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985, p. 16 [NA 2.19.250/329].

187 universités » – ce qui veut dire aussi « expérimentation d’enseignement » et « résultats incertains »518. Il faut laisser une marge de manœuvre aux universités pour qu’elles puissent proposer des nouveaux cursus et se spécialiser dans certains domaines.

2. Recherche : différenciation verticale

Dans l’évaluation de la recherche aussi, il est question de laisser aux universités la latitude de se « différencier » et de se « profiler ». Cependant, si dans l’enseignement supérieur il s’agit surtout d’accroître la diversité des cursus proposés – une différenciation disons horizontale –, dans la recherche cet appel à la « différenciation » est plutôt à incidence verticale sur une échelle de valeur visant à repérer la « recherche excellente », le toponderzoek519. Les discussions en amont du système d’évaluation de la recherche entre institutions, VSNU et ministère aboutissent fin 1990 à une note qui dit que « les universités voient comme leur responsabilité de prendre en charge l’intégralité de leur management de la recherche », ainsi que de leur personnel – il s’agit de donner des possibilités de carrière aux « jeunes chercheurs talentueux ». Les universités vont dès début 1991 « augmenter au possible la sélectivité et le profilering du partage interne des ressources et rendre cela visible via une responsabilité externe ». Pour cela, les universités « s’engagent à proposer avant le 1er mars 1991 un système d’évaluation de toute la recherche financée par le 1e geldstroom » (le financement public de base des universités), cela « avec une plus grande différentiation de la qualité que ce qui était le cas avec le VF », à savoir une échelle à deux niveaux, signifiés par l’octroi ou non du financement conditionnel. Concrètement, différencier veut dire qu’en plus d’identifier la recherche « bonne » ou pas (indiqué dans ces archives avec les symboles « + » et « - ») il faudra également identifier la recherche excellente (« ++ »)520. L’échelle des valeurs est rendue très visible par ces symboles, qui n’existent pas dans l’évaluation de l’enseignement supérieur. Après le tour d’essai, la VSNU décide qu’il faut « élargir l’échelle d’évaluation à cinq points », « qui seront définis par la commission » d’évaluation en charge, pour « donner la latitude aux évaluateurs d’adapter selon leur discipline »521. Souvenons-nous qu’au même moment (1994-1995) la VSNU rejette avec véhémence les classements que la presse tente de réaliser entre les

518 VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985, p. 14 [NA, 2.19.250/329]. 519 Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992, p. 1 [NA 2.19.250/441]. 520 Ibidem. 521 VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie va de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449].

188 différents cursus proposés dans une discipline, en utilisant justement ces symboles « + » et « - »522. Noter les formations est inacceptable ; noter la recherche ne l’est pas. La conception du nouveau système d’évaluation précise directement l’usage préconisé des résultats de l’évaluation pour la « répartition interne des ressources » : la recherche « ++ » nécessite d’être rendue plus « visible à l’extérieur par des financements », tandis que l’obtention d’un « + » ne servirait pas de base pour la prise de décision puisqu’il s’agit d’une « preuve d’aptitude » (deugdelijkheid). Face à la recherche évaluée « - », les directions des universités doivent par contre « prendre des mesures », notamment en faisant le choix entre « renforcer » et « réduire », c’est-à-dire considérer que la faiblesse indique un besoin de davantage de soutien ou considérer que ces recherches ne méritent plus d’être menées (dans ce cadre et telles quelles)523. Une liberté de mouvement est néanmoins aussi prévue dans l’évaluation de la recherche sans visée de « différenciation » de la qualité de la recherche : dès le tour d’essai de l’évaluation de la recherche en 1993, le protocole laisse la latitude à une « propre vue et le bon sens des facultés et des commissions d’évaluation »524. Il est également prévu de décliner le protocole en plusieurs « protocoles disciplinaires », pour permettre aux facultés de l’adapter en fonction de leurs « spécificités » : puisque cette possibilité a été trop peu utilisée en 1993, la VSNU estime après coup qu’il faut d’abord solliciter les sections disciplinaires de la VSNU pour qu’elles fassent quelques propositions, et ensuite rassembler plus tôt les commissions d’évaluation, pour qu’elles aient le temps de travailler sur de tels protocoles disciplinaires525. Dès 1993, on laisse également une souplesse aux « spécificités disciplinaires » quant aux « autres types d’output » de la recherche que les habituelles publications scientifiques : il faut « que les unités définissent les destinataires de leurs publications ». De même, la définition du critère de « pertinence pour la société », comme nous avons vu, doit « venir des évalués », car elle « pose problème pour les évaluateurs ». Dans la même optique, la VSNU estime qu’il est « parfois utile d’aller dans les détails pour évaluer des parties de programmes de recherche », « pour que les résultats de l’évaluation soient utiles », sans toutefois aller jusqu’aux « individus » – « pour cela, il y a d’autres procédures ». D’ailleurs, la commission d’évaluation de la recherche en histoire préfère ne pas donner de note par programme, car

522 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 12 et p. 23 [NA 2.19.250/453]. 523 Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992, p. 3 [NA 2.19.250/441]. 524 VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449]. 525 Ibidem.

189 ceux-ci sont « trop hétérogènes » : ils se sont donc limités à des descriptifs de leurs jugements, cette souplesse ne pose pas problème dans la procédure. Dans son bilan des activités d’évaluation de 1994, la VSNU se félicite d’avoir un système à la fois « cadré » et laissant la place au « sur mesure », partant « de plus en plus des souhaits et besoins que formulent les entités à évaluer ». Une « diversité méthodologique » rend l’évaluation plus « utile » à chaque discipline : pour « fixer » les « objectifs », les « listes de publications », la « bibliométrie nécessaire ». Cela se fait dans l’intérêt d’« optimiser » l’évaluation dans le sens de l’ « utilité pour le management universitaire », en renforçant le « caractère auto-évaluant », « le choix de sa propre mission et d’un profil de recherche facultaire »526. Faire travailler les commissions disciplinaires sur des adaptations du protocole général de la VSNU, en enseignement supérieur comme en recherche, est une partie importante de leur conception de la kwaliteitszorg.

VI. Conclusions : enseignement vs recherche

Le cas d’étude qui est l’objet de ce chapitre est en réalité deux cas d’études : malgré le même cadre institutionnel et les similitudes entre les procédés, évaluer la recherche contraste avec visiter l’enseignement dans les universités. Le système de la VSNU pour la kwaliteitszorg dans la recherche est plus normatif – il s’agit d’inscrire la recherche évaluée sur une échelle de valeur – et plus conflictuel.

1. Une différence de hiérarchie ?

La VSNU ne donne pas d’explication pour ces différences : elle indique tout au plus que les deux systèmes de visites doivent rester séparés parce que la recherche est plus « internationale », jugée en fonction de ses résultats (et moins les processus des activités de recherche au début du moins) et qu’elle porterait de l’ombre à l’enseignement si les deux venaient à être évalués conjointement par une même commission de visite. En effet, l’importance que les enseignants et chercheurs accordent à la recherche avant l’enseignement est étudiée dans des travaux récents comme une conséquence, néfaste, des régimes d’évaluation contemporains (surtout de ceux qui régulent les carrières des enseignants et chercheurs), ou un fait social accentué par ces derniers527. Nous pouvons en revanche aussi

526 VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995, p. 7 et p. 18 [NA 2.19.250/453]. 527 Cf par exemple la thèse de Paye, Simon, Différencier les pairs. Mise en gestion du travail universitaire et encastrement organisationnel des carrières académiques (Royaume-Uni, 1970-2010), op. cit.

190 noter, en retournant à la revue de littérature proposée en introduction, que les travaux s’intéressant aux outils d’évaluation et à leurs conséquences (souvent les conséquences néfastes) portent davantage sur la recherche que l’enseignement supérieur. Cette hiérarchie qu’établissent les enseignants et chercheurs est certainement plus ancienne et doit avoir d’autres raisons – les évaluateurs de la VSNU disent justement, au début des années 1990, vouloir en éviter les effets négatifs en maintenant les visites de l’enseignement séparées : à choisir, ces experts universitaires discuteraient plus volontiers de leurs recherches que de la manière dont ils organisent leurs enseignements. C’est un présupposé de la VSNU, dont il faudrait vérifier la réalité chez les autres universitaires, les enseignants et chercheurs qui ne siègent pas à la VSNU. Toujours est-il que cette hiérarchie peut constituer un élément d’explication pour la différence que nous pouvons noter entre évaluation de la recherche et visites de l’enseignement : la recherche est considérée plus « noble » que l’enseignement et, surtout, elle prime dans l’avancement des carrières des universitaires ; aussi, l’évaluation de la recherche serait plus normative et plus conflictuelle, puisque l’enjeu est plus important pour eux.

2. L’enseignement dans le monde, la recherche hors du monde ?

Mais une autre explication s’impose à la relecture des sources mobilisées pour ce chapitre : ce n’est jamais dit aussi clairement et dans ces termes, mais la VSNU conçoit l’enseignement comme d’emblée plus inscrit dans le monde social que la recherche. Pour visiter les formations, les évaluateurs doivent bien connaître le système universitaire néerlandais et des futurs employeurs potentiels visitent les formations. Les procédures font plus de place au cas par cas, la qualité est entendue au sens descriptif, la VSNU pousse à plus considérer les contenus, et elle se refuse à établir des classements et à comparer. Elle utilise certes des indicateurs chiffrés tels que le nombre d’étudiants inscrits et diplômés, elle calcule des rendements, mais ils ne sont pas sujets à discussion dont nous trouverions des traces dans les archives, comme dans le système d’évaluation de la recherche. Il n’est jamais question non plus de coupler les visites aux financements des formations, comme ce sera le cas pour la recherche – mais l’enjeu économique est fortement présent dans les visites de l’enseignement sous forme de l’étudiabilité des cursus afin de réduire la durée des études (cette injonction vient du ministère). Ces éléments laissent penser que pour la VSNU, l’enseignement est déjà ancré dans la société. Elle évoque sans cesse la nécessité de davantage lier les enseignements aux débouchés potentiels pour les étudiants – mais ce sont des liens qui existent déjà en partie.

191 Dans l’évaluation de la recherche en revanche, nous avons vu les difficultés et les réticences de la VSNU et des évaluateurs d’ouvertement prendre en considération les différents avatars de « la société ». Nous avons vu que dans le programme mais aussi dans la mise en œuvre de l’évaluation de la recherche, la VSNU a comme priorité d’identifier et de favoriser la recherche excellente – qu’elle soit (directement) utile à la société est une question secondaire (ou, plutôt, son utilité est d’une autre nature et se juge différemment). En effet, les commissions d’évaluation sont composées avant tout de chercheurs de renom, et, comme nous avons vu, ce n’est que très progressivement que la VSNU impose aux chercheurs d’indiquer la pertinence de leurs travaux pour la société, quel que soit leur domaine. Si la VSNU procède ainsi, c’est peut-être par anticipation des réticences des chercheurs évalués si elle faisait autrement, mais cela correspond certainement aussi à la position d’une partie de la VSNU, ou indique l’ambiguïté de sa position sur la question si la recherche doit être évaluée par ses pairs uniquement et en fonction de sa qualité pour les autres chercheurs ou s’il faut prendre en considération (et dans quelle mesure) ses retombées tangibles dans d’autres secteurs de la société. Malgré cette ambiguïté, tandis que l’enseignement est déjà dans la société, il faut dans une certaine mesure y amener la recherche : c’est un autre élément d’explication des différences entre les deux systèmes. Amener la recherche dans la société ne veut pas nécessairement dire évaluer la recherche à l’aune de son utilité pour des secteurs de la société autres que universitaire, mais cela consiste pour la VSNU à accorder un droit de regard de l’extérieur sur la recherche, et à faire distribuer les ressources et restructurer la recherche en fonction de cette évaluation. L’enseignement est déjà évalué et récompensé par la société, par l’afflux plus ou moins conséquent d’étudiants – la recherche ne l’est pas (encore). À une plus grande volonté de réforme correspond en quelque sorte un système d’évaluation plus contraignant et en tous cas une plus grande conflictualité. Ces conclusions sont partielles et alimentent les conclusions générales de cette thèse. Les différences entre les deux systèmes de kwaliteitszorg dans l’enseignement et dans la recherche vivent à la fin des années 1990 encore des transformations que j’évoque dans un épilogue.

192

FRANCE, CHAPITRE 2

L’ÉVALUATION SELON LE CNÉ, 1985-1998

Résumé du chapitre Le premier Comité, installé en 1985, se positionne entre État et universités. Peuplé essentiellement de chercheurs prestigieux et ayant eu des responsabilités de direction dans les universités, il affirme son autonomie par rapport au ministère ; il entend aider ses pairs, les universités, dans leurs rapports avec l’administration centrale. À ses débuts et jusqu’en 1989, le Comité n’est pas certain de continuer à exister : il n’obtient l’indépendance budgétaire du ministère et le statut désiré d’autorité administrative indépendante qu’en 1989. Néanmoins, le CNÉ a un bureau grandissant dès les années 1980 : des chargés de missions élaborent (avec les membres du premier mandat, puis seuls) des « méthodologies » d’évaluation, qui sont construites au fur et à mesure des évaluations menées dans les établissements. La « réflexion méthodologique » se fait au début en étroite collaboration avec les présidents d’universités : elle concerne essentiellement la définition des informations et données à recueillir et à construire. Les évaluations s’adressent aux « pairs » du Comité, c’est-à-dire avant tout aux présidents d’établissements, directeurs d’institut ou de département, même si leur visée est plus large. Par son positionnement, le CNÉ a une relation faible à la politique contractuelle de 1989. Cette date n’a pas marqué une rupture dans son histoire et dans ses pratiques. Les changements interviennent plutôt au milieu des années 1990, lorsqu’un premier tour de tous les établissements est achevé. C’est également le moment de son engagement croissant dans des réseaux professionnels internationaux : avec les autres précurseurs européens dans son domaine, le CNÉ participe à l’aide au développement et à la construction européenne, notamment dans un projet pilote pour l’évaluation des universités en Europe.

*

193 Il s’agit à présent de cerner ce qu’a été ce Comité national d’évaluation, pensé dans le cadre de réformes pour l’ « autonomie » des établissements d’enseignement supérieur (nous avons vu ce qui peut se cacher derrière ce raccourci), mais mis en place sans celles-ci. Ses activités sont réputées avoir eu peu d’effets, son histoire est interprétée comme un échec relatif – je propose d’en analyser les raisons, notamment en m’interrogeant sur les positionnements du CNÉ, ses ambitions, sa composition, ses interlocuteurs, et ses pratiques. Ce jugement d’échec implique par ailleurs que le CNÉ soit conçu comme un instrument de transformation des universités : ce qu’il est censé être dans le programme de Schwartz, mais pas dans la loi Savary, comme nous avons vu jusqu’ici. Nous tenterons de comprendre comment le CNÉ se situe par rapport à ces ambitions et surtout ce qui lui est possible de faire compte tenu des constellations politiques et administratives autour de lui : produit de plusieurs positions de gauche dissonantes, puis sous la première cohabitation (dès 1986 la droite a la majorité à l’Assemblée nationale et entre au gouvernement), qu’il soit dépendant du ministère ou qu’il ait acquis un statut indépendant, il ne sera jamais un instrument du pouvoir, conformément d’ailleurs à ses revendications. Plutôt que de s’inscrire dans une historiographie a posteriori du CNÉ comme précurseur dysfonctionnel ou inoffensif des politiques pour l’ « évaluation » ou l’ « autonomie », je propose ici de nous intéresser à cette instance pour elle-même. Comprendre quelles sont les activités principales du Comité et ses modalités nous aidera à cerner en quoi « évaluer » consiste pendant cette période depuis sa création jusque vers 1998 : le Comité existe formellement jusqu’à la prise de relais par l’AERES en 2006, mais le milieu des années 1990 est le moment de plusieurs points de rupture (que je vais expliciter), dont en 1998 la prise de fonction d’un nouveau délégué général à la tête du bureau du CNÉ.

I. L’installation et le positionnement du CNÉ entre gouvernement et universités

La loi Savary de 1984 installe le Comité National d’Évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, pour évaluer les « réalisations dans l’accomplissement des missions » de l’enseignement supérieur telles que définies dans cette même loi : « la formation initiale et continue, la recherche scientifique et technologique ainsi que la valorisation de ses résultats, la diffusion de la culture et l’information scientifique et technique, et la coopération internationale » – définition, rappelons-le, très étroite par rapport au programme initial de Schwartz528. La nouvelle institution doit servir à superviser que les

528 « Loi 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur », op. cit., p. 431.

194 établissements suivent leurs contrats, qui garantissent que ces établissements, « autonomes », œuvrent dans le sens des missions de l’enseignement supérieur. Le CNÉ évalue donc les établissements dans leur ensemble, aussi bien en tant qu’institutions d’enseignement supérieur que de recherche. Rappelons néanmoins que les universités n’établissent pas encore de contrats avant 1989 ; le CNÉ ne peut donc réellement remplir sa fonction prévue dans la loi.

1. Un statut incertain

Inauguré par le Président de la République en mai 1985, le CNÉ est dès le départ conçu comme une institution indépendante du gouvernement et du monde académique529. Dans son décret d’organisation de février 1985, il n’est pas rattaché au Ministère de l’Éducation Nationale, mais il n’est pas doté de véritable statut – il n’a pas de personnalité morale et juridique. Cette situation est perçue par le CNÉ comme « préjudiciable, non pas pour l’indépendance du Comité, qui est totale, mais pour sa gestion, car [il est] traité à la fois comme un service extérieur et comme un service du Ministère »530. Ces formulations sont de André Staropoli, secrétaire général du CNÉ ; il signe au nom du Comité dans son ensemble, notamment comme ici dans la communication avec le ministère. Le CNÉ est ainsi dès son installation confronté à des problèmes liés à son statut ambigu. On pourrait dire que malgré son intention de positionnement entre universités et gouvernement, il est de facto encore assez dépendant du ministère. Je ne peux ici m’avancer à interpréter cela comme une mise sous tutelle ; il peut tout autant s’agir d’une négligence à mener l’installation du CNÉ jusqu’à son terme. Nous avons néanmoins vu au chapitre précédent que la loi Savary maintien une organisation étatique centrale de l’enseignement supérieur ; une dépendance du ministère n’est donc pas si surprenante. Assurément le Comité s’en trouve quelque peu limité dans ses ambitions. Concrètement, cette situation lui pose des problèmes de gestion de ses ressources pendant les premières années : il a, juge-t-il, le budget nécessaire, mais ne peut pas en disposer librement. Il est par exemple question de manière récurrente de difficultés à payer les déplacements des experts sollicités par le CNÉ. Pendant plusieurs années il expose ces problèmes au ministère et demande le statut d’autorité administrative indépendante, c’est-à- dire : « pas de contrôle financier a priori, des postes de contractuels de droit public, un budget

529 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 530 André Staropoli, Note sur le CNÉ, correspondance avec le MEN, 6 juin 1988 [AN 20080020/1].

195 directement négocié avec les Finances et inscrit pour ordre au MEN »531. En 1989 finalement, un nouveau décret, à la rédaction duquel le CNÉ participe532, lui confère le statut désiré d’autorité administrative indépendante (loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989533). Il peut être intéressant de comprendre ce processus comme une augmentation de l’autonomie gestionnaire du CNÉ, alors que sa création même est intervenue dans le cadre de réformes (ou de projets) pour l’autonomie de gestion des universités. Une hypothèse pour expliquer ce délai entre 1985 et 1989 est que le CNÉ n’a pas été mis en place pour durer, mais pour faire le tour des universités par des monographies descriptives : dresser un état des lieux en quelque sorte sur la situation de l’université, en donner une vision cohérente. « Personne n’avait pensé que ça allait durer » : c’est l’interprétation, en 2015, d’un ancien chargé de mission du CNÉ, recruté en 1988, donc juste avant l’obtention du statut, arrivant dans un CNÉ ayant alors vécu presque trois ans dans une certaine instabilité 534 . Formé en géographie et ayant effectué des vacations pour la commission d’experts en géographie pendant l’évaluation de l’université de Strasbourg en 1986, il a ensuite été embauché au CNÉ, où il est resté jusqu’au relais par l’AERES, jusqu’en 2008. On peut également évoquer les mauvaises relations entre le CNÉ (son secrétariat général) et le ministère pour expliquer l’acquisition tardive du statut désiré. Il faut probablement aussi voir ce délai dans le contexte politique plus large : les élections législatives de 1986 ramènent la droite au pouvoir, et le projet de loi Devaquet risque de remettre en jeu les structures du monde universitaire. Étant très fortement contesté sur ses menaces d’introduire une sélection à l’entrée des universités, d’augmenter les frais d’inscription et de signifier la fin des diplômes nationaux, ce projet de loi est rapidement abandonné. Un point problématique de mon enquête à cet endroit est que je ne sais pas ce que le CNÉ, ou plus précisément Schwartz, pense du projet de loi Devaquet, vu les similitudes avec son propre programme. Le CNÉ, création de la gauche, n’a probablement rien à dire, publiquement, à ce sujet. Le silence de Schwartz dans les archives m’est difficile à interpréter : son accord est peut-être peu dicible, les propositions Devaquet venant de la droite ; son désaccord est peut-être évident vu cette origine politique ; il estime peut-être au contraire que son programme est différent de celui de Devaquet.

531 André Staropoli, Note à l’attention du Ministre de l’Éducation Nationale, 17 juin 1988 [AN 20080020/1] ; Id., Lettre à Antoine Prost, chargé de mission auprès du Premier Ministre, 7 juillet 1988 [AN 20080020/1]. 532 André Staropoli, Projet du nouveau décret relatif à l’organisation et au fonctionnement du CNÉ, 1988 [AN 20080020/1]. 533 « Loi d’orientation sur l’éducation, n°89-486 du 10 juillet 1989 », Journal officiel de la République française, 14 juillet 1989, p. 8864. Le CNÉ est une des premières institutions de ce type en France. 534 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30.

196 Il semble que le monde universitaire continue à se trouver dans un certain flou concernant la pérennité de ses formes d’organisation jusque 1989 et la nouvelle loi d’orientation. Cette période floue a été décrite du point de vue de l’administration centrale dans une enquête menée en 1987-1988 par Erhard Friedberg et Christine Musselin. Ils montrent que les réglementations et statuts évoluent rapidement : des « modifications successives dans le statut de certaines catégories de personnel […], des bouleversements dans les procédures de recrutement, tant dans la composition des instances que dans les circuits » – dans leur enquête, les auteurs parlent encore d’ « attentisme » ou d’absence de « politique générale » particulièrement dans ces années-là, après le « traumatisme » de l’échec du projet de loi Devaquet535. Ce ne sont que le premier renouvellement du comité (de ses membres, en 1989) et le nouveau statut qui inscrivent véritablement le CNÉ dans la durée, au même moment que la circulaire – qui introduit la contractualisation d’une partie du budget des universités avec l’État – met fin aux années d’instabilité dans les politiques d’enseignement supérieur. Son statut d’autorité administrative indépendante le place enfin formellement dans la position qu’il souhaite afficher, entre gouvernement et universités, sans entièrement faire partie ni de l’un ni des autres.

2. Le CNÉ comme solution à la crise

Indépendamment de ses difficultés de gestion, le CNÉ fonctionne dès 1985 dans ses bureaux sur le boulevard Saint Germain : inauguré en mai 1985, il est en plein état de marche dès la constitution de son secrétariat général achevée vers janvier 1986536. Sous la présidence de Laurent Schwartz (1985-1989), le CNÉ537 est prolifique sur la conception qu’il a de lui- même et de son rôle – avec ces écrits, constituant une bonne part des archives du CNÉ, il se représente à lui-même, aux universitaires et au public général. Je reprends ici les éléments les plus importants issus de l’analyse plus fine de ces textes entamée dans le cadre de mon mémoire de master538. Le CNÉ s’inscrit en rupture dans un monde universitaire qu’il caractérise comme « en crise ». La sortie de crise est une rhétorique commune de la gauche au pouvoir, qui irrigue

535 Friedberg, Erhard et Musselin, Christine, L’État face aux universités en France et en Allemagne, Paris, Economica, 1993, p. 33 et 68-69. 536 Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 1 [AN 20080020/289]. 537 C’est le plus souvent Schwartz qui parle ou qui signe, en seconde position Staropoli. 538 Waltzing, Aline, L’invention de l’évaluation : Les institutions d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche et leurs définitions de soi. Le Comité National d’Évaluation en France et le cas néerlandais, des années 1980 à nos jours, Mémoire de M2 soutenu à l’EHESS sous la direction de Dominique Pestre, 2014.

197 plusieurs domaines, dont l’enseignement supérieur. Outre la crise démographique et de l’État Providence plus généralement (montée du chômage, par exemple), le CNÉ dénonce la « mauvaise gestion » des universités. L’idée de l’ « Université » au singulier, héritée de Napoléon, serait au cœur du problème, puisqu’elle suggère qu’on puisse gérer cet ensemble supposé homogène dans une « administration centrale », « dénoncée comme bureaucratique et tatillonne », allant à l’encontre d’une « autonomie réelle » des universités539. On retrouve ici des éléments du programme de Schwartz exposé au chapitre précédent. Ce monde en crise fait partie du passé que le CNÉ aspire à dépasser. La crise économique et les réductions de budget ont provoqué des « malaises et dysfonctionnements » dans les universités, et une « prise de conscience politique », ainsi qu’une « insatisfaction profonde des usagers » face à « un système qui coûte cher » – d’où une « demande sociale » pour l’évaluation, de la part des « usagers » aussi bien que des établissements540. On est encore dans le registre plus large de la crise de l’État Providence. Le CNÉ s’emploie à décrire combien l’ « évaluation » qui existait auparavant était peu satisfaisante : « partielle », « individuelle », « peu fréquente », les autorités n’y recouraient pas, il y avait « équipartition de la masse budgétaire » et donc des « inégalités injustifiées », « l’irresponsabilité domine chez les établissements », il n’y avait ni « sanctions » ni « stimulation ». On entend ici la voix de Laurent Schwartz dans son programme défendu déjà dans le rapport du bilan : les universités n’ont pas de feedback, la répartition des budgets ne prend pas en compte leur diversité. Par ces « évaluations » anciennes, il fait très probablement référence aux évaluations individuelles de la part des organismes de recherche (y compris le CNRS) de leur personnel. Effectivement, elles n’étaient pas utilisées par les dirigeants de ces institutions, pour attribuer des ressources par exemple ; elles n’étaient pas prévues pour cela. Le CNÉ se présente comme solution à ces problèmes, par l’installation d’une « véritable évaluation globale », « institutionnelle », « permanente », dont la nouveauté consiste à faire intervenir des « experts »541. Elle se distingue donc de ce qui se faisait auparavant, puisqu’elle ne prend plus en compte que les individus, elle émane d’une institution fondée expressément pour cette activité, et elle concerne des institutions dans leur ensemble (des universités et la manière dont elles sont organisées en interne). De plus, le CNÉ n’évalue pas lui-même, il sollicite des « experts », que nous allons caractériser plus loin.

539 CNÉ, Bilan d’une mise en place, 1986 [AN 20080020/27]; André Staropoli, « L’enseignement universitaire en France. Son organisation, le problème de la sélection », Conférence au colloque de l’Académie de Lausanne sur « L’université en question », 13-18 juin 1987 [AN 20080020/27]. 540 Ibidem. 541 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]; Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27].

198 Essentiellement, il s’agit de pairs. En revanche, on peut s’interroger, dans la suite de mes conclusions du premier chapitre sur la France, sur la capacité du CNÉ à intervenir sur « l’équipartition des budgets », à fournir des « sanctions » et « stimulations ». Dans son discours, le CNÉ trouve les origines de l’évaluation – ses origines – dans la « prise de conscience politique » et la « demande sociale » des « usagers » ainsi que des établissements, mais elle invoque aussi des pratiques dans d’autres pays (ceux de l’OCDE, en particulier le Royaume Uni, les États-Unis), qu’il faut suivre, et la « nécessité », apparemment mécanique, d’accompagner l’« autonomie » des universités de leur « évaluation »542. Voici bien sûr des considérations qui se situent sur un tout autre niveau que l’enquête historique menée au chapitre précédent, qui permet de voir l’évaluation comme émergeant d’un compromis entre diverses aspirations réformatrices pour plus d’autonomie des universités et les impossibilités politiques de les mener à bien. Dans ces textes du CNÉ, nous sommes plutôt dans le registre du récit historique légitimateur, présentant sa création comme une évidence (tout concourrait à sa création), une nécessité, voire la seule solution plausible aux problèmes existants, et une fondation dont la nécessité vient par le bas (la « demande sociale », la « prise de conscience politique »).

3. Contre l’administration centrale, ami et allié des universités

Comme évoqué ci-dessus, le CNÉ inclut dans son rôle de solution à la crise une critique de l’ « administration centrale » – elle est assez virulente. Cette « administration » – en fin de compte : le ministère – est une cause des dysfonctionnements des universités, « bureaucratique » et « tatillonne »543. Compte tenu des préoccupations de Schwartz, il faut y lire notamment les difficultés pour les universités à modifier leurs cursus et diplômes. Le CNÉ se targue d’ailleurs d’avoir « ressenti » dans sa propre chair les « problèmes administratifs du système universitaire », faisant référence aux difficultés liées à son statut entre 1985 et 1989. Dans ce contexte, le CNÉ proclame qu’il va « aider les universités contre son administration »544. Une utilisation des rapports d’évaluation proposée par le CNÉ est de « se tourner vers l’administration en s’appuyant sur le rapport [d’évaluation] »545. Quand il dit être « sévère avec tout le monde », le CNÉ inclut tant les « universitaires qui ne travaillent pas

542 CNÉ, Bilan d’une mise en place, 1986 [AN 20080020/27]. 543 Ibidem. 544 Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27]. 545 André Staropoli, « L’évaluation de l’enseignement supérieur et le rôle du CNÉ », Conférence, 1987 [AN 20080020/27].

199 assez » que l’ « administration qui étouffe les universités »546. Ici encore on peut penser aux carcans qui règlementent les cursus et diplômes. Il évalue ainsi non seulement les établissements, mais « aussi l’aide du Ministère et des pouvoirs publics aux universités »547, et donc « une politique publique et son efficacité »548. Cette position très critique vis à vis du ministère, d’après une ancienne chargée de mission du CNÉ interrogée en 2016, serait surtout le fait du secértaire général du CNÉ, ce qui n’aurait par ailleurs pas toujours facilité les relations avec ce qui est alors de facto son ministère de tutelle, avant l’obtention du statut d’autorité administrative indépendante : « Et puis [il] s’était fait énormément d’ennemis au ministère, en n’arrêtant pas de dire que l’administration française était insupportable »549. Agrégée en Lettres et enseignante au collège et dans l’enseignement supérieur, elle est recrutée au CNÉ en 1989 et y reste jusque 1998. Le CNÉ insiste beaucoup sur son indépendance vis à vis du gouvernement : il se voit comme « intermédiaire » entre les universités et les ministères550, mais avant tout défenseur et protecteur de l’enseignement supérieur contre son organisation néfaste et autoritaire par l’administration.

Le CNÉ abonde en effet autour du thème de sa sympathie avec les universités. Il se présente comme ami et allié : il entend se démarquer d’une image de « juges sévères » et de « police », du « contrôle napoléonien », de la vérification de « l’application de normes », et il tient à préciser qu’il n’a pas de « pouvoir de décision ». En plus d’être un instrument et une « aide », le Comité insiste sur l’ « atmosphère nouvelle » « de liberté et de confiance » qu’il souhaite étendre au monde universitaire, et sur l’intention de « discuter amicalement »551. Ici encore, le CNÉ précise qu’il n’est pas un instrument du pouvoir (politique, juridique, exécutif, règlementaire) mais qu’il est des leurs. Ces déclarations vont de paire avec un discours de réussite : le CNÉ est composé de « quinze sages nommés par le Président de la République », fondation « chaleureusement approuvée » par les établissements552. Dès les premiers bilans d’activité, il constate que les demandes d’évaluation, adressées par des établissements, affluent : cette « démarche

546 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 547 Ibidem. 548 CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27]. 549 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 550 CNÉ, Bilan d’une mise en place, 1986 [AN 20080020/27]. 551 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 552 Interview d’André Staropoli, Courrier-Cadres : Association pour l’emploi des cadres, n°767, 29 avril 1988 [AN 20080020/27].

200 spontanée », signe d’un « accueil amical », est la preuve de cette réussite, et confirme l’autolégitimation du CNÉ par la « demande sociale » déjà évoquée553. En effet, le CNÉ a « à cœur d’obtenir la confiance de la Communauté académique »554. Ce n’est qu’en 1995 que, dans le cadre d’un texte destiné à des collègues européens, le CNÉ parle d’une « méfiance » des établissements par rapport au Comité, voulant « protéger » leurs établissements et ayant « peur de la standardisation des diplômes européens »555. Cette présentation toute positive par le CNÉ ne semble pas totalement fantaisiste dans la mesure où effectivement les cinq premières évaluations se sont faites sur base du volontariat des établissements, et compte tenu de ce que nous savons des projets réformateurs de la CPU dans les années 1970. Une partie au moins des présidents d’universités en 1985 est manifestement acquise à l’idée de faire évaluer leur établissement par le CNÉ. Par exemple, la présidente de l’université d’Angers, créée en 1971, sollicite le CNÉ dès sa mise en place, sentant son université délaissée par l’État : une jeune université en croissance avec particulièrement peu de moyens matériels et humains556. Il y a certainement de la résistance dans les universités et parmi une part des enseignants ; et il y a sûrement des différences entre les positions des présidents d’universités et facultés et du corps professoral et syndicats – mais elles ne laissent pas de traces à mes échelles. Il faut de plus distinguer entre ce que souhaite le CNÉ et ce qu’il dit (nous sommes une aide amicale) des réalités, certainement plus conflictuelles. Le Comité se présente dès 1985 aussi en tant qu’égal des universités, un pair, ayant donc de la sympathie mais aussi critique : il assure que cette attitude amicale ne l’empêchera pas d’être « sévère avec tout le monde »557 et sans « complaisance ». Des bonnes relations interpersonnelles ne doivent pas empêcher que des critiques puissent être exprimées ; il sera ainsi « pragmatique ». Il précise que cette critique est celle de « l’esprit de libre examen tout à fait conforme à la tradition universitaire »558. En d’autres termes, le Comité annonce qu’il suit

553 CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27] ; Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27]. 554 Interview d’André Staropoli, Courrier-Cadres : Association pour l’emploi des cadres, n°767, 29 avril 1988 [AN 20080020/27]. 555 Ce rapport porte sur un projet pilote mené en 1994-95 (que nous décrirons plus bas) ; craindre la « standardisation des diplômes européens » aurait été anachronique dans les années 1980, on voit bien un changement de contexte dès ce milieu des années 1990 – l’épilogue et la conclusion reviendront là-dessus. « National Report – France », European Pilot Project for Evaluating Quality in Higher Education, 19 juillet 1995 [AN 20080020/24]. 556 Université d’Angers, la Présidente, Message personnel de la Présidente au Comité National d’Évaluation, 18 juin 1986 [AN 20080020/35]. 557 Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27]. 558 CNÉ, Bilan d’une mise en place, 1986 et CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27].

201 le même ethos et les mêmes standards de preuve que le monde universitaire auquel il souhaite s’intégrer ; que son activité suit les mêmes codes que l’évaluation par les pairs inhérente au monde de la recherche.

4. Le Comité et ses membres : quelle renommée, les pairs de qui ?

Le Comité, en tant qu’institution et ses membres, est avant tout décrit comme un « instrument » à l’usage des universités et de l’enseignement supérieur en général : un « instrument fondamental dans la réussite des missions des universités françaises » (souvenons-nous que ces « missions » sont arrêtées dans la loi Savary), et un « instrument d’élévation et d’épanouissement de notre enseignement supérieur ». Il est également doté d’une série de qualités : l’ « indépendance absolue », la « liberté », la « confiance », le « courage », l’ « objectivité » et la « responsabilité » devant sa tâche « impressionnante et fascinante »559 – ses membres sont auréolés de toutes les vertus. Nous avons vu qu’il se situe à l’intermédiaire entre gouvernement et universités, mais surtout du côté de ces dernières : un pair, interlocuteur bienveillant et protecteur. Voyons donc qui peuple le CNÉ dans ses premiers quinze ans. Ses membres sont nommés par décret ministériel, à partir de listes composées de représentants (et quelques rares représentantes) de la communauté scientifique et compilées par les présidents de section du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) et du Conseil national des universités (CNU), l’Institut de France, la CPU et la Conférence des directeurs d’école et de formation des ingénieurs ainsi que les directeurs d’institut universitaire de formation des maîtres. À ces listes se rajoutent un membre du Conseil d’État ainsi qu’un membre de la Cour des Comptes, souvent des membres du Conseil économique et social ou « au titre de personnalités qualifiées par leur compétence en matière d’économie et de recherche, désignés après avis du Conseil économique et social »560. Les membres ont un mandat non renouvelable de quatre ans – une moitié du Comité est renouvelée tous les deux ans entre 1989 et 2000. Pour les évaluations elles-mêmes, le Comité consulte des experts, essentiellement des chercheurs et professeurs de France et d’ailleurs. Regardons de plus près le premier comité, en place de 1985 à 1989, dont la composition est reprise dans le premier numéro du Bulletin publié de manière trimestrielle par le CNÉ dès octobre 1986 (voir figure 3). Sur les quatorze, nous avons donc un membre de la Cour des Comptes et deux membres du Conseil d’État : l’un, honoraire car à la retraite,

559 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 560 Bulletin du CNÉ, n°9, mai 1989, p. 4 [AN 20080020/289].

202 instituteur avant de passer l’ÉNA, a entre autres travaillé au ministère de l’éducation nationale dans les années 1950, était conseiller juridique et administratif de la DGRST dans les années 1960 et conseiller juridique de la direction de la politique scientifique au ministère de l’industrie et de la recherche dans les années 1980 et 1990561 ; l’autre n’a pas d’activités particulièrement liées à l’enseignement et la recherche, si ce n’est ses enseignements du droit à Lille et à l’IEP de Paris. Le membre du Conseil économique et social est instituteur et conseiller pédagogique, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves562.

561 Notice du dictionnaire biographique Who’s who in France : https://www.whoswho.fr/decede/biographie- raymond-poignant_12271. 562 Notice biographique réalisée en 1999 par le Service d’histoire de l’éducation dans le cadre de leur campagne d’entretiens : http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/archoral/temoins/112.htm.

203

Figure 3 : Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 4 [AN 20080020/289].

Parmi les dix « scientifiques » restant, deux sont explicitement convoqués pour leurs activités en dehors de la sphère strictement académique, alors qu’ils en ont fait partie : Pierre

204 Aigrain, en tant que « ancien ministre » (secrétaire d’État chargé de la recherche en 1978- 1981) et « conseiller scientifique du président du groupe Thomson » au moment où il devient membre du CNÉ – il a par ailleurs eu une carrière de physicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), au Collège de France, à l’ENS puis à l’université de Paris. Il a également été parmi les « sages » sollicités pour la création de la DGRST563. Jean Teillac, présenté comme « Haut commissaire à l’énergie atomique », a été chercheur en physique à l’Institut du radium devenu Institut Curie, il a ensuite été fondateur puis directeur de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS, suite à quoi il rejoint le CEA. Il est également représentant pour la France au CERN peu avant de devenir membre du CNÉ564. Outre Schwartz, mathématicien, il y a en tout quatre physiciens au CNÉ, dont deux dans la recherche nucléaire (au CEA)565. Ensuite, on trouve deux littéraires, un politiste, un économiste, et un médecin et biologiste (également passé par le CEA). Ces chercheurs sont auréolés du prestige académique des institutions dans lesquelles ils ont été formés et ont travaillé : l’ENS (trois normaliens et deux y ayant travaillé), l’École Polytechnique, le Collège de France. Schwartz, à 70 ans en 1985, est l’ainé d’un comité d’une moyenne de 60 ans, suivi de près d’André Mandouze (comme Schwartz normalien, résistant pendant la guerre, anticolonialiste après566), avec quatre cinquantenaires et deux « jeunes » chercheurs (ils sont tout de même déjà professeurs), le physicien Combarnous et l’économiste Vignau, dont les 45 et 48 ans contrastent avec la moyenne. Hormis ces deux derniers, les scientifiques du Comité cumulent souvent leur prestige de chercheurs avec des responsabilités académiques ou politiques : quatre d’entre eux ont dirigé leur équipe de recherche, laboratoire ou institut, un était président d’université puis directeur des enseignements supérieurs et de la recherche au ministère chargé des Universités en 1975-76 (Jean Louis Quermonne, que nous avons déjà rencontré au chapitre précédent). Combarnous a eu des fonctions semblables dans le même ordre, mais après son passage par le CNÉ. Deux encore ont été impliqués dans la création de la DGRST.

563 Notice Wikipédia consultée le 27/07/2018 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Aigrain et entretien publié par les archives orales du CNRS, Histcnrs, réalisé en 1987: http://www.histcnrs.fr/archives-orales/aigrain.html. 564 Notice biographique de l’encyclopédie Larousse: http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jean_Teillac/180414. 565 Pour cette étude prosopographique, j’ai réalisé un tableau avec les données biographiques des membres du CNÉ (listes établies à partir des informations parues dans le Bulletin du CNÉ), prenant pour sources des sites du type de ceux cités dans les notes précédentes : sites web institutionnels, articles de presse et nécrologiques, notices d’encyclopédies. Tableau en annexe. 566 Il a été professeur à l’université d’Alger dès 1946, puis recteur de cette université, et directeur de l’enseignement supérieur du ministère de la nouvelle Algérie indépendante en 1963. Judic, Bruno , « André Mandouze, l’Algérie et Saint Augustin », Les Cahiers d’EMAM, n°23, 2014.

205 Le comité suivant (membres en 1989-1991 pour une moitié, 1989-1993 pour l’autre) est plus âgé (moyenne de 65, qui retourne à 60 dans les prochains comités) et six des onze scientifiques sont normaliens – une élite académique encore plus établie. On y trouve les deux premières femmes du comité (ensuite il y en aura une en 1995 et deux en 2000), une ingénieure de l’ESPCI et une chimiste directrice de l’ENS des jeunes filles, avant de devenir la première femme directrice (par intérim) de l’ENS mixte en 1989. Ils sont particulièrement nombreux à avoir dirigé leur institut ou établissement (sept sur onze, dont le successeur de Jean Teillac à la direction de l’IN2P3, Jean Yoccoz). La répartition entre disciplines ressemble à la génération précédente : une prépondérance de trois physiciens, deux chimistes, une ingénieure, un mathématicien, un médecin, un historien, un juriste et un littéraire. Il y a également de nouveau un membre ayant travaillé au ministère (Jean Sirinelli, qui a aussi été recteur d’académies avant 1989), et le seul véritable profil de politique est celui de François Luchaire, second président du CNÉ : professeur en droit politique, cofondateur et premier président de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 1971, vice-président de la conférence des recteurs européens (1974-1979), il est également membre du Conseil constitutionnel en 1965-1974, cofondateur du Parti Radical de Gauche, président du comité de soutien à la candidature de Mitterrand en 1974, et plus tard membre du Comité économique et social. L’ancienne chargée de mission du CNÉ que j’ai interviewée estime que ses deux premiers présidents (et par contraste avec ceux qui suivent) sont « de très fortes personnalités intellectuelles et politiques ». Elle les stylise ainsi : Schwartz comme « un académique » et « engagé politique », Luchaire, plus jeune, comme davantage un « institutionnel » et « politique » (« forte dimension institutionnelle », « savait ce que c’était la création des universités françaises », « la réflexion politique était centrale »)567. Après eux, cette employée du CNÉ estime que les présidents du CNÉ n’ont plus la même « envergure » : René Mornex, président en 1993-1995, professeur d’endocrinologie à l’université Claude-Bernard de Lyon, serait encore un « vrai académique », « convaincu de la dimension recherche, parce qu’il était de cette génération de médecins qui avaient fait sauter le pas à la médecine française d’intégrer la recherche ». Lui succèdent Jean-Louis Aucouturier, ingénieur physicien professeur à l’École nationale supérieure d’électronique et de radioélectricité de Bordeaux, en 2000 Gilles Bertrand, professeur de chimie et ancien président de l’université de Bourgogne (1988-1995), président de la CPU entre 1990 et 1992,

567 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h.

206 et enfin en 2004 Michel Levasseur, professeur de gestion à Lille. La chargée de mission en question a quitté le CNÉ peu après la prise de fonction d’Aucouturier en 1995, avec qui elle était en désaccord, sur le fond (il n’avait pas de « vision » pour l’enseignement supérieur et la recherche) et la forme (« une manière de travailler, ça n’allait plus »). C’est également en rupture avec ce président que le premier secrétaire général du CNÉ a été remercié568. Après les deux premiers comités, donc parmi les membres ayant intégré le CNÉ à partir de 1991, on observe effectivement des profils un peu différents : les physiciens sont moins nombreux par rapport aux autres disciplines (un par comité), les normaliens également, mais ils sont toujours assez nombreux à avoir eu des charges de direction dans leurs établissements. Ces indices laissent ainsi penser que les profils deviennent moins prestigieux passé 1991. Cette impression générale doit être prise avec prudence, d’autant plus que la présence de données biographiques sur internet diminue pour les personnes encore vivantes. On continue par exemple dans les années 1990 à trouver des membres des Académies (des sciences, des inscriptions et belles lettres) parmi les membres du CNÉ.

Globalement, nous avons affaire, surtout dans les deux premiers comités, à des profils typiques d’une certaine élite du monde universitaire de l’époque, et notamment de l’élite qui dirige les institutions d’enseignement supérieur et de recherche. Ils ne sont en revanche pas des « agents du ministère » (une à deux personnes maximum par comité sont passées par le ministère), conformément à ce qu’ils revendiquent. Ainsi, quand le CNÉ (c’est-à-dire Schwartz et Staropoli) dit être un pair de ceux qu’ils évaluent, il est surtout un pair de ceux à qui s’adressent les évaluations : les directeurs de laboratoires, d’instituts et les présidents d’universités.

5. Les destinataires et fonctions du comité : aider leurs pairs

Le CNÉ a justement une idée assez précise sur ses destinataires et par conséquent ses fonctions, où se situe son opérationnalité. Nous avons déjà vu que le CNÉ ne se conçoit pas comme instrument pour servir les politiques du ministère, mais comme ami et allié des universités : dans cette section, nous allons entrer dans plus de détail à ce sujet. Cela permettra de préciser qui le CNÉ entend servir, et par quels moyens : en substance, il veut aider les dirigeants d’université à former leur politique interne, en les incitant à mener des exercices autoréflexifs. Les prochains paragraphes clarifieront ce que j’entends par là.

568 Ibidem.

207 a. Instrument de lutte au service du public

Le CNÉ se présente à ses débuts plutôt comme instrument de lutte, avant tout contre la bureaucratie et l’inefficacité, mais aussi contre une massification de l’enseignement qui soit accompagnée d’un déclin de la qualité, et de manière plus ponctuelle les inégalités et injustices dans la distribution des fonds. Le CNÉ entend également se dresser contre les « tabous » et les « corporatismes », l’ « anarchisme » et le « népotisme » dans les recrutements569. Voilà les fléaux attribués au monde universitaire ; le Comité, par son regard extérieur, va permettre de dévoiler ce dont on ne parle pas et sortir les universités de l’entre soi défensif. Au sujet des recrutements plus précisément, le CNÉ semble envisager une utilisation de ses évaluations pour permettre aux responsables d’unités et de départements de faire leurs choix de manière plus éclairée, plus réfléchie, et donc sans favoritismes déplacés et contreproductifs pour les objectifs qu’ils se donnent. Mais le CNÉ veut aussi combattre les critiques injustes du système universitaire par ses évaluations « sévères mais justes » : il doit également lutter contre l’ignorance et la méconnaissance de l’enseignement supérieur. À ce propos, Laurent Schwartz a été invité par la CPU lors de sa réunion du 20 novembre 1986 : outre la simple volonté de se rencontrer, l’élément déclencheur pour cette invitation est un article dans Le Monde, qui titre, pour résumer le rapport « Recherche et Universités » réalisé par le CNÉ, que « la moitié des universitaires français ne font pas de Recherche ». Les membres de la CPU, choqués, se sont plaints de la mauvaise image ainsi répandue sur les universités. Je rappelle que Schwartz exprime depuis le rapport de bilan de 1981 son inquiétude sur le nombre trop restreint des enseignants-chercheurs qui produisent de la recherche570. Même après clarification par Schwartz, Quermonne, Morel et Staropoli sur le contenu plus nuancé de leur rapport, les présidents d’universités sont encore nombreux à réclamer une mise au point publique de la part du CNÉ. Ils regrettent de ne pas avoir été consultés avant la publication du rapport571. On ne peut pas véritablement parler ici de conflit (les échanges sont cordiaux), mais l’épisode pousse assurément le CNÉ à inclure encore davantage les présidents d’universités dans les processus d’évaluation en amont de la publication des rapports, et même dans l’élaboration des méthodologies, comme nous verrons à la prochaine sous-partie.

569 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 570 Cf chapitre précédent, La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, op. cit., p. 337. 571 Je remercie Etienne Bordes pour le généreux partage de ses trouvailles en archives, dont : CPU, Compte- rendu de la « Conférence privée, Séance du Jeudi 20 novembre 1986 », p. 12 [AN 20080235/11].

208 b. Internaliser une connaissance de soi

Le CNÉ se conçoit donc comme un instrument de lutte, au service des universités et du service public. L’objectif premier des exercices d’évaluation semble avoir été la construction de connaissances : il faut permettre à la communauté universitaire de « se connaître elle-même », et de « faire connaître » son « fonctionnement et son état de santé » aux « établissements, au ministère et à l’opinion publique »572. Si le mot d’ordre est « mieux connaître », la « finalité de l’évaluation est auto-connaissance avant d’être examen externe »573. « S’auto-évaluer » semble être la clé de voûte de l’entreprise du CNÉ dès sa création : il est important et souhaitable que les établissements « recherchent l’évaluation » et l’ « intègrent dans [leur] vie courante »574. On lit encore que « l’ambition du CNÉ est […] de faire apparaître comme une nécessité interne la fonction d’évaluation de l’institution universitaire et, de ce fait, de permettre une auto-régulation de l’ensemble du système »575. À terme, c’est davantage l’université elle-même qui devrait s’évaluer que le CNÉ qui évalue les universités. L’idée est ainsi de faire émerger des pratiques internes grâce à l’évaluation par le CNÉ, qui est un comité externe aux établissements ; le CNÉ adresse aux universités une injonction socratique, « connais-toi toi-même ! » 576 . Cette internalisation des pratiques d’évaluation telles qu’introduites par le CNÉ est déjà une fin en soi, mais elles doivent aussi servir à « s’améliorer » : améliorer la « qualité »577 des études, des établissements, du système universitaire. Sa signification est supposée consensuelle, puisque la « qualité » est entendue comme un ensemble de « normes internationales universellement reconnues »578 – nous reviendrons plus loin, lorsqu’on traitera des méthodes d’évaluation au CNÉ, sur les indices qui nous permettent de comprendre ce qui fait qualité pour les évaluateurs. L’idée sous- jacente est en tous cas qu’un retour réflexif sur soi améliore ses activités.

572 Ibidem. 573 CPU et CNÉ, Méthodologie : Projet de grille, critères et indicateurs pour l’évaluation, novembre 1987 [AN 20080020/27]. 574 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 575 André Staropoli, « Une étude de cas : l’expérience du Comité National d’Évaluation des universités en France », Communication au colloque de l’association internationale de science politique sur « L’évaluation des politiques scientifiques et technologiques. Perspectives comparatives », Québec, décembre 1986 [AN 20080020/27]. 576 Waltzing, Aline, L’invention de l’évaluation, op. cit. 577 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 578 Ibidem.

209 c. Les établissements passent avant le gouvernement

Aussi, ce centrage sur la connaissance de soi veut dire que le CNÉ s’adresse principalement aux entités évaluées elles-mêmes, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Mais le CNÉ envisage aussi pouvoir informer les politiques scientifiques – s’adresse donc au gouvernement. Comme nous l’avons évoqué au sujet du programme de Schwartz, puis aux débuts du CNÉ, l’utilité de l’évaluation pour la politique est aussi celle de permettre de penser d’autres manières d’administrer les universités et l’enseignement supérieur que l’ « administration centrale », pour en finir avec la bureaucratie excessive. Mais nous avons également vu les relations conflictuelles entre CNÉ et ministère. Les positions, déclarations d’intention et présentations de soi du CNÉ vues ci-dessus (ami et allié des universités contre l’administration tatillonne) rejoignent l’analyse de Christine Musselin : elle parle d’un climat de « défiance réciproque » entre CNÉ et ministère, « plutôt que de coopération ». C’est le résultat d’un choix délibéré de la part du CNÉ qui veut « éviter d’être considéré comme une annexe du ministère ». Le peu de coopération se traduit notamment par la « décision » que les évaluations du CNÉ « ne pourraient être utilisées par le ministère pour orienter l’allocation des ressources aux établissements »579. Christine Musselin ne précise pas qui a pris cette décision, mais on peut s’imaginer les deux partis : le ministère car il n’est pas prêt avant 1989 de mettre en place une contractualisation effective des budgets, et le CNÉ pour les raisons déjà citées de volonté d’insertion dans le monde universitaire. Ce passage indique également que le CNÉ, contrairement à certains projets évoqués au chapitre précédent, ne se veut précisément pas être un instrument pour la contractualisation. L’enquête de Monica Macarie-Floréa indique qu’en 2005 l’évaluation n’est toujours pas liée à la préparation des contrats d’établissement580. En revanche, dans une lettre de 1988 de Lionel Jospin (alors ministre de l’Éducation nationale) au président du CNÉ, il estime que les « études [du] CNÉ seront précieuses pour fixer le cadre de cette démarche », c’est-à-dire la « politique contractuelle » avec les universités581 – or, comme nous avons vu, le CNÉ se distancie fortement, du moins à ses débuts, de toute suspicion de pouvoir être utilisé pour des arbitrages budgétaires. La position intermédiaire se voit ici encore : le CNÉ est tiraillé entre d’une part justifier de son utilité face aux autorités, et probablement ses ambitions réformatrices (dans l’esprit de Schwartz en tous

579 Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit., p. 107-108. 580 Macarie-Floréa, Monica Roxana, Le Comite national d’évaluation: les effets de l’autoévaluation, op. cit., p. 189. 581 Lettre de Lionel Jospin à Laurent Schwartz, 25 novembre 1988 [AN 20080020/20].

210 cas, Quermonne sans doute aussi), et d’autre part la nécessité de rassurer la communauté universitaire pour pouvoir mener à bien ses évaluations. Schwartz affirme en effet dès l’inauguration du CNÉ qu’il est souhaitable que les « décisions de présidents d’universités, du gouvernement, de l’industrie et des agences d’État finançant l’université se basent sur l’évaluation »582. Pour revenir à l’affirmation de Christine Musselin que la non-utilisation des rapports du CNÉ pour l’arbitrage budgétaire résulte d’une décision (mais comme évoqué, elle ne dit pas qui l’aurait prise), celle-ci aura donc certainement été le fruit de débats contradictoires, et peut-être davantage un état de fait qu’une véritable décision de la part du CNÉ – puisque le ministère n’entend de toute façon pas s’en inspirer, ou parce que les relations entre CNÉ et ministère sont trop mauvaises. d. La politique interne des établissements

Avant tout, le CNÉ doit « aider les responsables à prendre des décisions »583, c’est-à- dire les dirigeants dans les établissements : présidents d’universités, directeurs d’instituts, de départements. Il doit leur permettre de reconnaître leurs « faiblesses » et s’ « aider à s’améliorer »584. L’évaluation leur donne une « prise de conscience de ce qu’ils étaient »585 et « habituellement un choc »586. Ces déclarations de Schwartz et Staropoli sous-entendent que les universités ne sont pas habituées à ce genre d’exercice autoréflexif. Celui-ci doit donc servir la « politique interne » avant tout – j’avance ce terme ici même s’il apparaît surtout dans les documents de la fin des années 1990587. Dans les années 1980 il s’agit plutôt de « politique générale », « politique scientifique », comme nous le voyons aux citations suivantes. Ces notions recouvrent deux choses différentes dans les textes dès les années 1980 : premièrement, l’évaluation sert à « dégager la politique générale de l’établissement »588, et à définir une « politique scientifique », élément absolument nécessaire

582 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 583 Ibidem. 584 Ibidem. 585 André Staropoli, « L’évaluation de l’enseignement supérieur et le rôle du CNÉ », Conférence, 1987 [AN 20080020/27]. 586 Interview Laurent Schwartz, « La France n’a pas maîtrisé son enseignement supérieur, Science et Avenir, n°71, janvier 1989 [AN 20080020/27]. 587 André Staropoli, « L’évaluation en France », Conférence mondiale de l’UNESCO sur L’enseignement supérieur au 21e siècle: « Visions et actions », 5-9 octobre 1998 [AN 20080020/25] ; « National Report – France », European Pilot Project for Evaluating Quality in Higher Education, 19 juillet 1995 [AN 20080020/24]. 588 CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27]

211 à l’ « excellence » académique589. Plus concrètement, cela veut dire établir des « objectifs à long terme », des « nouvelles stratégies » en matière de politique de « recrutements » : il faut recruter « internationalement », pas en fonction de l’ « excellence des individus » mais de l’ « adaptation au profil recherché »590. On peut penser ici aux orientations de la recherche visées dans les laboratoires, mais aussi à l’enseignement : si l’université, ou le département, décide de développer des formations d’un certain type dans un certain domaine, c’est ce choix qui doit guider les recrutements. Deuxièmement, la politique interne des établissements est censée utiliser les rapports d’évaluation pour se réorganiser : des établissements ayant « suivi les recommandations » du CNÉ ont pu « résoudre leurs conflits internes ». Staropoli insiste que le Comité n’est pas un « arbitre entre les partenaires internes à l’institution », mais un « interlocuteur privilégié » pour le président de l’établissement, un médiateur en cas de problème591. Cette utilisation de l’évaluation comme outil de gouvernement par les dirigeants d’établissements est ainsi pleinement assumée : afin de faire émerger des universités gérées, avec une politique assumée de long terme, dépassant les facultés et surtout les professeurs eux-mêmes. e. Les dirigeants universitaires

Les efforts du CNÉ pour ménager la communauté universitaire se dirigent donc essentiellement vers les dirigeants universitaires, qui sont par ailleurs les interlocuteurs privilégiés du CNÉ pendant les évaluations, et moins vers le « petit peuple » des universitaires, qui peuvent davantage redouter des effets des rapports du comité. Cette orientation vers les dirigeants universitaires (destinataires, pairs du comité, interlocuteurs) est évidemment cohérente avec l’ambition de rendre les universités plus « autonomes » : s’adresser à leurs présidents et renforcer leur position. Christine Musselin souligne déjà la particularité qui consiste à évaluer des établissements dans un monde universitaire encore dominé par les facultés : cela correspond à une volonté d’inverser l’ordre des pouvoirs. On trouve un bel exemple de l’incompatibilité entre l’approche du CNÉ et les universités telles qu’elles fonctionnent alors lors de la réunion de la CPU avec une délégation du CNÉ, en 1986 : un membre de la CPU réagit à un rapport du CNÉ dans lequel ce dernier estime que les universités recrutent trop localement. En effet, il tient à rappeler que les

589 Laurent Schwartz, Favoriser l’excellence, Conférence à l’OCDE, 8-10 septembre 1986 [AN 20080020/24]. 590 Ibidem. 591 André Staropoli, « L’évaluation de l’enseignement supérieur et le rôle du CNÉ », Conférence, 1987 [AN 20080020/27].

212 « Universités en France ne recrutent pas leur personnel […] la responsabilité ne peut donc en incomber aux présidents »592. Cette affirmation établit probablement un léger raccourci, puisque les professeurs et les facultés ont leur mot à dire dans les recrutements ; c’est peut- être aussi une volonté de se dédouaner. Mais ce qu’entend défendre ce président d’université ici est que les destinataires principaux du CNÉ n’ont pas les capacités d’action pour suivre ses recommandations ; dans ces circonstances, le CNÉ est dans l’immédiat un outil à l’efficacité réduite. Mais on peut envisager que les membres et experts du CNÉ poursuivent une volonté de transformer en profondeur le système, davantage sur le long terme. De plus, ils savent évidemment comment fonctionne le recrutement universitaire : leurs rapports ne sont pas uniquement adressés aux présidents d’universités, mais aussi à la communauté universitaire dans son ensemble et le ministère et l’administration centrale ; et leurs vœux et jugements ne sont pas toujours des recommandations prêtes à l’emploi. f. Rendre des comptes aux usagers

En dehors de la connaissance de soi, l’auto-évaluation et l’amélioration, qui font partie intégrante des intentions d’augmenter l’autonomie des établissements, rendre des comptes est un second volet des objectifs du CNÉ : la « responsabilité » envers les usagers et les politiques, puisqu’il s’agit d’un service public, est le corollaire et la contrepartie de l’autonomie593. La manière dont le CNÉ, en la personne d’André Staropoli ici, formule sa Weltanschauung sur le sujet est presque liturgique : « le fonctionnement harmonieux des universités repose sur le triptyque ‘autonomie – responsabilité – évaluation’ », c’est la « manière pragmatique de faire avancer les choses »594. À la question « pourquoi affirmer l’autonomie des universités ? », le secrétaire général du CNÉ répond que « affirmer l’autonomie […] c’est affirmer la responsabilité […] laquelle implique leur évaluation. Il s’agit là d’un triptyque indissociable »595. On trouve donc dans les textes du CNÉ également la préoccupation de s’adresser aux « usagers » de l’enseignement supérieur. Ce terme, repris de la loi Savary et des autres réformes du service public de l’époque, recouvre les contribuables (qu’il faut informer sur le bon usage de leurs impôts) les étudiants (qui, constate le CNÉ en 1989, n’utilisent pas encore

592 CPU, Compte-rendu de la « Conférence privée, Séance du Jeudi 20 novembre 1986 », p. 12 [AN 20080235/11]. 593 Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27]. 594 CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27]. 595 Interview d’André Staropoli, Courrier-Cadres : Association pour l’emploi des cadres, n°767, 29 avril 1988 [AN 20080020/27].

213 les évaluations pour s’informer sur les universités), mais aussi les employeurs (qu’il faut convaincre de se fier et référer aux rapports du CNÉ)596. g. De faibles effets en interne ?

L’orientation principale vers les dirigeants universitaires explique certainement aussi les faibles effets du CNÉ sur le monde universitaire au delà du cercle restreint des présidents d’université et des doyens et directeurs de départements : c’est ce que nous rapportent deux travaux qui évoquent le CNÉ597. Mais cette orientation n’est pas un accident, c’est une volonté délibérée. C’est une position assumée par le CNÉ, nous l’avons vu dans les textes, mais il n’est pas clair avec quelle profondeur il a l’ambition de faire émerger des pratiques d’évaluation au sein des universités. Aussi, l’ancienne chargée de mission déjà citée regrette a posteriori qu’ils aient échoué à impliquer « tout le monde » dans les évaluations, « pas seulement l’équipe présidentielle » : « L’évaluation des universités, quand partout, je prêche la bonne parole en disant, ça ne marche que si tout le monde est impliqué, les étudiants, tous les, tous les enseignants et les non-enseignants, etc, et pas seulement l’équipe présidentielle, excusez-moi, mais on a quand même vraiment raté. Enfin, ou on y est pas encore. »598 Le CNÉ parle d’internalisation des pratiques, mais s’adresse avant tout aux dirigeants : il s’attend probablement à ce que les équipes présidentielles impliquent a minima les enseignants et chercheurs – sinon la prise de conscience créée par l’auto-évaluation ne fonctionnerait pas. Les évaluations, comme nous allons le voir, se passent par ailleurs avec des experts scientifiques par discipline, ce qui implique des contacts avec les enseignants et chercheurs et facultés. Mais il est vrai que les interactions du CNÉ avec l’université passent surtout par ses dirigeants. Le souvenir cité ci-dessus laisse croire que cette internalisation n’ait pas pris l’ampleur souhaitée. Lorsque Monica Macarie-Floréa étudie dans sa thèse les effets de l’auto-évaluation encadrée par le CNÉ sur la communauté universitaire, elle aussi les juge faibles et se limitant dans tous les cas aux équipes présidentielles et aux directeurs de départements ou doyens au maximum – elle semble y voir un échec599. Mais tout dépend de la manière dont elles mesurent les effets d’internalisation. Précisons que cette dernière thèse se base sur des

596 Waltzing, Aline, L’invention de l’évaluation…, op. cit. 597 Musselin, Christine, La longue marche des universités françaises, op. cit., p. 107-108 ; Macarie-Floréa, Monica Roxana, Le Comite national d’évaluation: les effets de l’autoévaluation, op. cit., p. 267-269. 598 Entretien avec une ancienne chargée de mission au CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 599 Macarie-Floréa, Monica Roxana, Le Comite national d’évaluation: les effets de l’autoévaluation, op. cit, p. 267-269.

214 entretiens avec les équipes présidentielles qui ont participé aux évaluations du CNÉ vers 2005, en les interrogeant sur la mesure dans laquelle ces personnes ont l’impression d’avoir ressenti des effets de ces évaluations. Ce sujet va encore nous occuper lorsque nous traiterons des méthodologies d’évaluation : les interlocuteurs des évaluateurs sont effectivement tout d’abord les équipes présidentielles et les directeurs de départements ou doyens.

II. Pratiquer l’évaluation

1. Le bureau

Le Comité, en plus de ses membres, c’est également un bureau avec ses employées, 12 secrétaires et chargés de missions en 1986, plutôt une quinzaine dans les années suivantes. La mise en place du secrétariat est achevée vers janvier 1986, huit mois après son inauguration – c’est alors que le Comité peut véritablement démarrer ses travaux, avec l’évaluation de l’université Louis Pasteur de Strasbourg et celle de l’université de Pau, terminées toutes deux lors de la parution du premier Bulletin, en octobre 1986. Laurent Schwartz annonce alors fièrement que le Comité a une dizaine d’évaluations en cours ou en attente600. Le secrétaire général du CNÉ, jusqu’en 1998, est André Staropoli, que nous avons déjà présenté. À en juger par la quantité de textes programmatiques qu’il signe pour le CNÉ, il est la voix du Comité tout autant que ses présidents successifs – et contrairement à eux il assure la continuité de l’institution pendant plus de dix ans. Concernant les membres de son secrétariat, il est bien plus difficile de trouver des informations que sur les membres du Comité : on ne trouve que très ponctuellement la composition du bureau dans les archives. Ce qu’on peut en dire globalement, c’est qu’il est majoritairement féminin et que le CNÉ continue à recruter des chargés de mission en plus ou en remplacement, surtout à la fin des années 1980. Ces chargés de mission sont directement employés par le CNÉ ou mis à disposition par leur organisme d’origine, le CNRS ou l’INSERM par exemple601. En ce qui concerne les quatre personnes dont je connais la biographie, deux sont formées en Lettres (dont André Staropoli, dont nous avons vu le parcours dans le chapitre précédent), un en géographie – et le second secrétaire général (de 1998 jusqu’à la fin du CNÉ) en mathématiques.

600 Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 1 et 4 [AN 20080020/289]. 601 Ibidem ; entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ (1989-1995), 10/02/2016, 14h-16h ; entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ (1987-2006), 2/07/2015, 10h-12h30.

215 Il est intéressant de noter que sous le premier Comité, le bureau est partagé en chargés de missions et secrétaires pour les « affaires générales » d’évaluation et ceux dédiés à des « secteurs scientifiques » spécifiques (« sciences exactes », « sciences de la vie et de la santé » et « sciences humaines et sociales », voir figure 3 – les deux chargés de mission avec qui j’ai pu parler étaient dans la catégorie « affaires générales ») 602. Ce partage peut surprendre étant donné que le CNÉ entend évaluer des établissements dans leur ensemble, pas des disciplines – du moins pas en premier lieu. Si la structure par établissement domine effectivement les processus d’évaluation, les divisions disciplinaires entrent en compte dans leur préparation : les chargés de mission aident à compiler les informations sur les établissements que ceux-ci fournissent, mais ils gèrent aussi les listes d’experts à contacter pour chaque établissement, qui sont sollicités pour leurs compétences dans les domaines disciplinaires de l’université en question, et enfin ils retravaillent les rapports écrits par ces experts, là aussi, sur un domaine disciplinaire spécifique de l’université évaluée. Par la suite, ces catégories évoluent légèrement, notamment pour faire place aux chargés de mission aux affaires européennes ou internationales – ce point nous occupera dans une prochaine section. Le Comité prend officiellement les décisions : « c’était pas des fantoches, c’est eux qui avaient le dernier mot » 603 , mais le gros des processus d’évaluation incombe au secrétariat. Au delà de toute la logistique, les chargés de mission s’occupent du traitement des informations envoyées par les universités : la chargée de mission que j’ai pu interviewer se souvient qu’au début les listes étaient « beaucoup trop longues », et « des universités nous arrivaient des cartons d’infos »604. Ensuite ils s’occupent des rapports envoyés par chaque expert : cela peut être de la simple relecture, correction de fautes et compilation comme cela peut, si le chargé de mission « mouillait sa chemise »605, consister en un important travail de réécriture pour la réalisation du rapport final sur l’établissement dans son ensemble. L’élaboration d’une méthodologie pour les évaluations est une activité mise en avant par le CNÉ, particulièrement sous le premier Comité : « les toutes premières années, Schwartz, Mandouze, ont certainement beaucoup plus mis la main à la pâte », affirme une ancienne chargée de mission. À partir de son recrutement, avec d’autres, et l’agrandissement du bureau à la fin des années 1980, le travail méthodologique est le fait des chargés de

602 Voir figure 3 ; Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 4 [AN 20080020/289]. 603 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 604 Ibidem. 605 Ibidem.

216 mission, plus des membres du Comité – ce souvenir concorde avec celui de l’autre ancien chargé de mission que j’ai pu interviewer, mais reste bien-sûr à prendre avec précaution606.

2. Construction d’une méthodologie

Le Bulletin du CNÉ est une source particulièrement utile pour cette section : ces publications trimestrielles sont des fascicules de quatre pages, dont la première au moins est toujours prise par un éditorial du président. Pour chaque évaluation achevée, un résumé du rapport final (une demie page environ) paraît dans le Bulletin, tout comme la liste des publications du CNÉ et une liste des évaluations à venir. Les sept premiers numéros du Bulletin comprennent toujours une section dédiée à la « méthodologie » : l’avancée des groupes de travail du CNÉ, sur les « critères et méthodes », ou par exemple sur les spécificités à prendre en compte dans l’évaluation des sciences humaines et sociales. En mai 1988, le numéro 6 est un numéro spécial entièrement dédié à la « méthodologie de l’évaluation »607. Mais la réflexion sur le processus d’évaluation à suivre a déjà eu lieu en amont et un protocole, malléable et peu détaillé, certes, est déjà prêt pour les premières évaluations : nous trouvons une description des étapes et un questionnaire type envoyé aux établissements à évaluer dans le premier numéro d’octobre 1986, mais aussi dans des documents tels que le bilan réalisé par le CNÉ en 1986 sur son activité jusqu’alors. Pour initier chaque évaluation, le CNÉ demande un dossier au président ou directeur de l’établissement, comprenant des « documents existants » ainsi qu’une « brève appréciation des forces et des faiblesses » de l’université en question608 – nous verrons ensuite de ce qu’il s’agit. Pour chaque évaluation, deux membres du Comité sont désignés responsables (en particulier pour la rédaction du rapport final) et font partie du comité d’expert qui va être mis en place : avec des membres du secrétariat, ils se rendent une première fois dans l’établissement pour clarifier les objectifs de l’évaluation (nous les avons vu) et son déroulement, mais aussi pour discuter des problèmes qui ont pu motiver la demande d’évaluation par l’établissement – c’est-à-dire avec le président de l’université et les directeurs de ses composantes. Après cette première visite, « explicative », le CNÉ demande des informations complémentaires aux directeurs des composantes : c’est pour ces dernières que le CNÉ a d’emblée préparé un questionnaire, ou une « liste d’items » à prendre en compte dans

606 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30. 607 Bulletin du CNÉ, n°6, mai 1988, p. 1 [AN 20080020/289]. 608 Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 3 [AN 20080020/289].

217 l’évaluation (voir figure 4). Elle s’adresse aux évalués, mais aussi aux évaluateurs pour les guider lors de la visite d’évaluation.

Figure 4 : Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 3 [AN 20080020/289]. a. Les étapes d’une évaluation

Élaborer une méthodologie veut donc dire fixer des étapes pour un processus d’évaluation et des « items » à évaluer : quelles informations demander aux évalués, quels aspects à considérer par les évaluateurs. Les efforts du CNÉ en matière de méthodologie concernent tout d’abord la décision sur les informations à demander, et ensuite la difficulté de les obtenir : fiables, complètes et comparables. Il renonce souvent à relever certaines données : ne soit-ce que le détail des étudiants inscrits, inscrits aux examens, ayant passé. Le peu de connaissance existante des universités, la difficulté d’obtenir et d’établir des informations précises et chiffrées peuvent surprendre, mais cela concorde avec l’enquête qu’ont effectuée Friedberg et Musselin en 1987 dans les services administratifs du ministère : les informations circulent mal, les différents services communiquent peu et on « connaît mal

218 les établissements »609. On peut donc considérer les premières évaluations réalisées par le CNÉ comme un état des lieux sur les universités françaises610. Au ministère, « on calculait les incidences financières […] et l’on suivait les statistiques, en flux et en stocks (nombre d’étudiants, de diplômés, d’ATOS), mais aucune des directions du ministère n’avait développé d’outils de gestion plus qualitatifs, de tableaux de bord… », concluent les enquêteurs de 1987611. Il est assez frappant de constater combien le CNÉ parle le même langage que ces derniers, et est au fait des problèmes du ministère, auxquels il propose d’apporter des solutions. Le CNÉ entend en effet aider les universités à tenir des « tableaux de bord » et construire des outils qualitatifs. En d’autres termes, bien que le CNÉ ne soit pas un agent du ministère, il reprend des tâches insuffisamment remplies par ce dernier, estimant savoir mieux s’en charger.

Ce n’est qu’après la récolte de ces informations que le Comité sollicite des « experts » pour mener à bien l’évaluation : ils sont choisis « en fonction de la taille de l’établissement et la liste de ses enseignants et de ses chercheurs », c’est-à-dire en fonction des domaines disciplinaires dans lesquels ces derniers sont actifs, surtout dans la recherche, qui guide leurs choix en premier lieu, d’après Schwartz612. Ils sont « d’une quinzaine à une trentaine pour les universités, moins pour les écoles dont les disciplines sont plus concentrées »613. Les caractéristiques de ces « experts » sont en premier lieu d’être des « collègues » « indépendants » : ils sont pour la plupart des enseignants et chercheurs, et selon le CNÉ indépendants par la nature même de leur profession. Les textes du CNÉ véhiculent en effet l’idée que l’activité même de la recherche scientifique est de nature indépendante (la rigueur de la méthode scientifique, l’objectivité). Mais ils sont aussi indépendants au sens d’extérieurs à l’établissement évalué et extérieurs aux organismes ministériels. S’ils ne sont pas stricto sensu enseignants et chercheurs, ces experts peuvent aussi être des « administrateurs » dans l’enseignement supérieur, des anciens présidents d’universités par exemple, mais aussi des « personnalités extérieures », comme par exemple des « chefs d’entreprise » ou des

609 Friedberg, Erhard et Musselin, Christine, L’État face aux universités en France et en Allemagne, op. cit., p. 28. 610 Comme je le propose déjà dans mon mémoire de Master, et comme le font les deux anciens chargés de mission du CNÉ avec lesquels je me suis entretenue. 611 Friedberg, Erhard et Musselin, Christine, L’État face aux universités en France et en Allemagne, op. cit., p. 70. 612 Laurent Schwartz, « La France n’a pas maîtrisé son enseignement supérieur », Science et Avenir, n°71, janvier 1989 [AN 20080020/27]. 613 Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 3 [AN 20080020/289].

219 « directeurs de musées, de théâtre » etc.614. En 1987, 10% des experts sont « étrangers ou du secteur privé »615, ce qui veut dire que la grande majorité provient du secteur public français (établissements d’enseignement supérieur et/ou de recherche, institutions culturelles). Le CNÉ décrit combien le choix des experts est délicat : ils doivent être spécialistes et généralistes à la fois, « ouverts mais fermes », dire ce qu’ils pensent et être « à l’écoute des doléances »616. Ce descriptif correspond au programme du CNÉ quant à ses fonctions et destinataires : aider (amicalement, dans le dialogue) les établissements à se dévoiler à eux- mêmes, à identifier les problèmes, les aider contre l’administration inefficace. Le Comité a recours aux évaluateurs étrangers (puisque la recherche est internationale), mais leur caractère « international » ne prime pas sur la nécessaire connaissance de la langue et du système universitaire français617. Nous observons la même attitude par rapport aux experts étrangers aux Pays-Bas (cf second chapitre sur les Pays-Bas).

Une fois le comité d’expert constitué et après lecture des documents fournis par l’établissement et ses composantes, les évaluateurs se rendent sur place pour leur « mission » de deux à quatre jours par établissement. Ils y visitent les lieux et rencontrent et discutent avec l’équipe présidentielle et les directions de composantes. En fonction de leur spécialité, les experts rencontrent également, dans les composantes qu’ils visitent, les personnels administratifs, les responsables des formations, quelques enseignants-chercheurs et quelques étudiants618. Il faut donc nuancer les remarques d’interviews citées précédemment sur le fait que le milieu n’a pas été touché, seulement les équipes présidentielles : les experts ont un plus large éventail d’interlocuteurs. Le travail préparatoire d’auto-évaluation est certes demandé uniquement aux directeurs de composantes et aux présidents (et n’oublions pas les personnels administratifs sur ces échelons), les interlocuteurs principaux à travers toutes les étapes de l’évaluation. Mais le travail demandé pour l’auto-évaluation suppose que ces derniers sollicitent les professeurs et chercheurs, a minima.

614 Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27]. 615 André Staropoli, « L’évaluation de l’enseignement supérieur et le rôle du CNÉ », Conférence, 1987 [AN 20080020/27]. 616 Le Monde, Version travaillée d’un article sur le CNÉ rédigé par Frédéric Gaussen, octobre 1985 [AN 20080020/27] ; Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 617 Waltzing, Aline, L’invention de l’évaluation, op. cit. 618 Voir par exemple Évaluation du département d’audio-visuel de Paris VII, Rapport établi par Jean-Louis Leutrat, Lyon, le 28 mai 1986 [AN 20080020/114].

220 Après la visite, chaque expert rédige son rapport, encore confidentiel, et les deux membres du Comité responsables de cette évaluation s’attèlent aux parties concernant l’établissement dans son ensemble (« sa gestion, son gouvernement ») et à la mise en commun des rapports d’expert pour préparer la version finale. « Avec l’aide de l’équipe du secrétariat général » et des « experts [les plus] généralistes », dit le Bulletin619 – ce travail est toujours préparé par les chargés de mission, me disent mes interviewés620. Le rapport final ne comporte pas uniquement les jugements émis par les évaluateurs, mais doit aussi terminer par des recommandations, également préparées par les évaluateurs. Une dernière visite est enfin l’occasion pour les deux membres du Comité de présenter leur rapport à l’équipe présidentielle et aux directions des composantes. Le rapport final (les éventuelles réponses ou remarques du président d’établissement sont annexées dès 1987) est alors arrêté en séance plénière au CNÉ, publié et adressé au Président de la République, au ministre de l’Éducation nationale, au ministre chargé de l’enseignement supérieur et au président de l’établissement. Plusieurs exemplaires sont distribués à l’établissement, et un au moins reste au centre documentaire du CNÉ, dans ses locaux, mais la distribution reste assez modeste : en 1994, les rapports finaux sont imprimés en 800 à 900 exemplaires environ621. b. Affiner le travail méthodologique

Outre ce tour d’horizon des établissements d’enseignement supérieur (qu’il va achever en 1993-1994622), le CNÉ adresse tous les quatre ans un bilan de synthèse sur l’état de l’enseignement supérieur au Président de la République. Le CNÉ développe aussi d’autres types d’évaluation, dès 1987, mais ils ne feront pas de séries exhaustives, uniquement des rapports ponctuels : des évaluations « thématiques », c’est-à-dire d’une discipline (la géographie, l’odontologie) ou d’un type de formation (les IUFM) dans plusieurs établissements, ou encore géographiques sur une région. Cette évolution correspond à la volonté du CNÉ de « diversifier » et « affiner ses interventions ». Ses efforts se concentrent alors (et c’est cela qu’il entend par « affiner ») sur la réflexion méthodologique générale et plus particulièrement pour l’évaluation dans les sciences humaines et sociales, sur les critères et indicateurs à mobiliser et sur le « traitement informatisé des données collectées »623.

619 Bulletin du CNÉ, n°1, octobre 1986, p. 3 [AN 20080020/289]. 620 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ (1989-1995), 10/02/2016, 14h-16h ; entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ (1987-2006), 2/07/2015, 10h-12h30. 621 Je remercie Christine Barats de m’avoir indiqué cette information: Rapport d’activité du CNE au Président de la République, juin 1994, p. 19. 622 Bulletin du CNÉ, n°16, octobre 1993, p. 1 [AN 20080020/289]. 623 Bulletin du CNÉ, n°4, octobre 1987, p. 1 [AN 20080020/289].

221 L’activité du CNÉ en « méthodologie » se traduit notamment par la mise en place de groupes de travail, internes mais aussi avec d’autres organismes : l’un avec la CPU, suite à la réunion déjà évoquée pendant laquelle la CPU se plaint d’un article paru dans Le Monde et du peu de sollicitation qu’elle a eue par le CNÉ avant la publication de son premier rapport624. Ce groupe de travail CNÉ-CPU a donc des fonctions diplomatiques, mais il a aussi produit un « projet de grille : critères et indicateurs pour l’évaluation » un an après ladite réunion qui est devenu le premier véritable guide d’évaluation du CNÉ625. Même si le CNÉ le présente toujours modestement comme « document de travail », c’est la grille la plus détaillée des critères et indicateurs que j’aie pu trouver dans les archives pour l’ensemble des années 1980 et 1990626. En parallèle, le CNÉ lance un programme de recherche et d’études sur la méthodologie de l’évaluation, avec la Fondation nationale des Sciences politiques (FNSP) sous la direction scientifique d’André Staropoli, grâce à un financement du Fonds de la recherche, pour « mieux connaître et faire connaître les universités »627. Rappelons l’intérêt de René Rémond, directeur de la FNSP, pour les activités du CNÉ. Je n’ai cependant pas trouvé de publication issue de ce programme, nous en avons uniquement l’annonce. La « méthodologie » occupe ainsi une part indéniablement importante des activités du CNÉ, et fait la fierté de ses chargés de mission, du moins les deux que j’ai interrogés. C’est aussi une caractéristique marquante des débuts du CNÉ : jusqu’en 2003, il fonctionne sans protocole d’évaluation, il établit ses « listes d’item » en cours de route, sur le terrain au fur et à mesure des évaluations, en interaction avec ses interlocuteurs, les présidents et directeurs de composantes. Effectivement, la grille issue du groupe de travail CNÉ-CPU témoigne de l’importance de la collaboration des présidents d’universités à l’élaboration de la méthodologie du CNÉ en 1987 et 1988. Le souvenir de l’ancienne chargée de mission que j’ai interviewée corrobore ceci : les présidents d’université ont su être impliqués dans la réalisation des listes d’item dans les années 1980 – mais à partir de la fin du premier tour d’évaluations, dès 1993, ils n’ont plus été mobilisés. 2003 est la date de la publication par le CNÉ du Livre de références, qui arrête tous les aspects de méthodologie discutés, mis en œuvre et publiés dans le Bulletin jusqu’alors. Ne pas avoir de protocole fixé une fois pour toute entraîne une activité plus continue dans la « réflexion méthodologique ».

624 CPU, Compte-rendu de la « Conférence privée, Séance du Jeudi 20 novembre 1986 », p. 12 [AN 20080235/11]. 625 CPU et CNÉ, Méthodologie : Projet de grille, critères et indicateurs pour l’évaluation, novembre 1987 [AN 20080020/27]. 626 Bulletin du CNÉ, n°6, mai 1988 [AN 20080020/289]. 627 Bulletin du CNÉ, n°2, janvier 1987, p. 3 [AN 20080020/289].

222 En même temps, probablement justement par cet aspect de « construction au fil des évaluations », il est très important aux yeux des anciens membres du bureau d’élaborer une « vraie méthodologie »628 et de l’ « expliciter par écrit »629 : c’est le gage du sérieux de leur travail. L’idée d’évaluer sans un tel travail de réflexion méthodologique leur semble extrêmement « choquante », comme cela a pu être le cas, d’après eux, dans une première période de leur successeur, l’AERES. Mes trois entretiens avec d’anciens employés au CNÉ concordent sur ce point. Je reviendrai sur cette phase de transition CNÉ-AERES dans un épilogue.

3. Les critères et indicateurs

Les instruments d’évaluation du CNÉ sont l’écoute, l’observation et la récolte d’informations. Les listes d’items, les objets à évaluer, les « critères » dans les termes du CNÉ et les « indicateurs » pour ce faire, sont ainsi le cœur du travail du bureau du CNÉ et en particulier de ses travaux méthodologiques. Sous forme de questionnaire puis de grille, ces critères et indicateurs signalent en premier lieu l’importance de la dimension auto-évaluative des processus installés par le CNÉ. Dénommée plutôt « évaluation interne » par le CNÉ, nous avons vu dans les déclarations d’intention et présentations de soi du Comité la place qu’elle prend, en cohérence avec l’idée d’autonomie de gestion des universités qui y est promue. Ce qui est évalué par le CNÉ, les « critères » ou « items », ne sont tout d’abord pas les personnes et leurs carrières (il n’interfère donc pas dans les prérogatives des organismes de recherche qui « évaluent » leurs personnels), mais toujours ce qui concerne les établissements : ce qui permet d’en comprendre le fonctionnement, ses « forces et faiblesses », et comment l’améliorer. Nous avons déjà vu la nature de ces items dans le questionnaire ci-dessus (figure 4) qui est adressé aux directeurs de composantes des établissements. Les trois catégories principales sont l’enseignement, la recherche et la gestion de l’établissement, et elles comprennent des éléments descriptifs sur les activités passées et présentes ainsi que des éléments prospectifs. Ces trois catégories sont aussi celles retenues dans la grille des critères et indicateurs élaborée avec la CPU et publiée dans le Bulletin de mai 1988. En 1986 et 1987 les « relations extérieures » et la « politique générale et les projets d’avenirs » sont des aspects traités séparément après les trois premières catégories.

628 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 629 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14h30-16h30.

223 Sous la rubrique enseignement, les informations à renseigner et à évaluer concernent tout d’abord les enseignements et formations proposées (leur description) et les problèmes des enseignants : ils doivent tenir l’équilibre entre formation de culture générale et formation professionnelle. Ensuite, l’évaluation demande un « suivi » des étudiants : le nombre d’inscrits, les taux d’encadrement, de réussite aux examens, la durée moyenne d’obtention d’un diplôme et les débouchés. La formation continue est devenue une préoccupation en sus, dès 1987, conformément aux missions de l’enseignement supérieur définies dans la loi Savary. On serait tentée de vouloir déceler dans ces critères et indicateurs ce qui fait la valeur des universités, de l’enseignement supérieur, pour le CNÉ. Nous en trouvons des indices, par exemple sa recherche d’un « équilibre entre culture générale et formation professionnelle », mais il faut aussi rappeler que les rapports sont le fruit de constellations diverses entre évaluateurs (membres du Comité, experts sollicités et chargés de mission) avec des valeurs et des idées sur l’enseignement supérieur qui ne peuvent pas toujours converger. La question « qu’est-ce qu’est un enseignement supérieur ou un établissement de qualité selon le CNÉ » n’est donc pas toujours pertinente. En effet, les critères et indicateurs ne nous disent pas toujours ce qui est le bien selon le CNÉ. La demande et l’évaluation des informations sur le suivi étudiant par exemple pourraient laisser supposer que, pour le CNÉ, un bon enseignement supérieur mène la plupart de ses étudiants à la diplomation et vers un débouché. Or, dans les archives, ces chiffres ne sont jamais commentés. Sous la plume de certains évaluateurs (ou dans la réécriture par les chargés de missions du CNÉ, il sera impossible de le savoir), l’existence de nombreux débouchés dans une région donnée peut être un argument en faveur du développement d’un domaine de formation630. Mais je n’ai trouvé aucune source permettant de savoir quel taux de réussite aux examens caractérise un bon enseignement, par exemple. L’idée que plus les diplômés sont insérés plus la formation est bonne reste un sous-entendu.

Pour évaluer la recherche, le CNÉ tient à s’assurer qu’elle ait une place suffisante dans les universités (la « formation à la recherche par la recherche ») et que recherche fondamentale et appliquée soient équilibrées. Il se préoccupe de la qualité de la recherche, sans en revanche la définir davantage que par un recours aux « normes internationales universellement reconnues » non explicitées. Le CNÉ prend en réalité en compte les

630 CNÉ, Rapport d’évaluation de l’université d’Angers, 1987, p. 35 [AN 20080020/28].

224 publications, productions de la recherche (la part des enseignants-chercheurs ayant publié récemment un article ou un livre – le CNÉ s’en remet au peer review), ainsi que sa « valorisation », sous forme de brevets ou de « diffusion » de la recherche – ce sont des éléments positifs mais pas indispensables à ce que la recherche d’une composante soit considérée comme « excellente »631.

Ce qui correspond à l’évaluation de la « gestion » et de la « vie » au sein des établissements sont premièrement les éléments concernant la structure organisationnelle de l’établissement. Dans un rapport d’évaluation de 1988, on peut lire la recommandation suivante adressée à des unités de recherche : « si elles veulent être reconnues et […] subventionnées, ces équipes de taille sous-critique ont […] intérêt à se regrouper ou à se fédérer », ce qui serait également « fructueux sur le plan de la recherche elle-même »632 – le CNÉ recommande des restructurations. En ce qui concerne les ressources humaines, l’évaluation s’intéresse d’abord aux effectifs du personnel et ensuite à leur « recrutement » : celui-ci doit être « respectueux de la qualité et de la mobilité » pour obtenir de « bonnes équipes ». Un bon établissement est celui qui « attire » des gens « variés » sur le plan de l’origine « géographique et sociale », en veillant à ce que le recrutement soit « international »633. Il doit y avoir une politique systématique de recrutement, c’est-à-dire concertée au niveau de l’établissement et cohérente en fonction des objectifs fixés (là encore, pensons aux choix de développer des cursus et diplômes, nouveaux ou pas). Élément nouveau ici : le souci de mobilité et de variété dans le lieu d’origine des personnes. Le CNÉ évalue également les conditions de vie dans les établissements : la « qualité de vie » a été l’objet d’un groupe de réflexion spécifique qui a mené une enquête dans plusieurs universités de tailles différentes, sur l’état de l’immobilier ainsi que sur l’existence et le bon fonctionnement des services. L’évaluation porte aussi sur les ressources à disposition : les équipements et services, les dépenses moyennes par étudiant et par enseignant – tout cela toujours sans indication de ce qui serait bien, ou souhaitable.

631 Voir par exemple Rapport de Mr Roger Fayolle, professeur à l’université de Paris III, sur la mission effectuée à l’université d’Angers, le 15 et 16 janvier 1987, comme expert en littérature française et littérature comparée, p. 1-8 [AN 20080020/35]. 632 CNÉ, Rapport d’évaluation de l’université Paris VII, 1988 [AN 20080020/282]. 633 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27].

225 Quand le CNÉ s’intéresse aux relations extérieures des universités, il prend en compte leur ouverture sur l’industrie, les collectivités locales et les régions, des personnalités extérieures et des professionnels, ou encore les relations avec les partenaires économiques et sociaux et d’autres établissements d’enseignement – des éléments qui ne surprennent guère compte tenu des programmes pour les universités « ouvertes sur le monde extérieur » que nous avons vus au chapitre précédent. Les relations extérieures recouvrent également les « relations publiques » des universités : leurs relations internationales et les presses d’universités.

Enfin, il faut lors de l’évaluation « dégager la politique générale »634 de chaque établissement, voir « si les universités savent innover », ont des « projets audacieux » et de l’ « initiative »635. Il est également estimé que « chaque université » a un « domaine dans lequel elle est excellente et compétitive », et qu’il s’agit de promouvoir l’excellence par une « stratégie » prenant en compte la spécificité de l’université et ses points forts636. L’évaluation consiste aussi en une « appréciation de la mise en œuvre de la stratégie et des perspectives d’avenir »637. Il faut « insister sur la façon dont ils définissent leurs projets et remplissent les missions » qui leurs sont assignées, moins sur les contenus de ces projets. Encore une fois, ces critères concordent avec le souhait qui sous-tend la création du CNÉ (cf chapitre précédent) : le souhait d’universités plus « autonomes » et plus « diverses », actrices de leur nature et de leurs projets. a. Le rapport au chiffre

Quand le CNÉ parle d’indicateurs, il s’agit d’indices qui permettent de renseigner l’évaluation de certains items, objets ou critères que l’évaluation doit prendre en compte – il peut s’agir d’indicateurs quantitatifs autant que qualitatifs. Ainsi, dans le numéro spécial « méthodologie » du Bulletin en 1988, les rubriques « enseignement », « recherche » et « gestion » sont suivies de listes d’indicateurs assez détaillées (voir annexe 3). Nous avons déjà évoqué des mesures chiffrées comme les taux de réussite des étudiants ou les taux d’encadrement, mais un indicateur peut aussi être plus complexe, par

634 CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27]. 635 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985 [AN 20080020/27]. 636 Laurent Schwartz, Favoriser l’excellence, Conférence à l’OCDE, 8-10 septembre 1986 [AN 20080020/24]. 637 CPU et CNÉ, Méthodologie : Projet de grille, critères et indicateurs pour l’évaluation, novembre 1987 [AN 20080020/27].

226 exemple une « analyse socio-économique des entrants à l’université »638. Les indicateurs quantitatifs sont donc amplement mobilisés par le CNÉ et ses experts, mais il en exprime continuellement sa méfiance. Tout d’abord, les évaluateurs sont conscients des difficultés liées à la construction de données quantitatives. Nous avons déjà vu la difficulté d’obtenir les informations, le manque de données au ministère et dans les universités : il est question d’informations non « homogènes », de données « pas établies de la même façon », et des différentes « interprétations » possibles d’ « un même ratio »639. En conséquence, le CNÉ se méfie des indicateurs : alors que dès 1987 il élabore des « indicateurs de moyens et de résultats », sur les « enseignements, les étudiants, la politique de l’établissement et [sur] la gestion des moyens financiers et des services »640, le CNÉ affirme en 1995 qu’il « ne croît pas aux indicateurs de performance » et ne les utilise pas641. On serait tentée d’y lire une critique des services ministériels qui produisent à ce moment des chiffres sur l’enseignement supérieur (la Direction de l’évaluation et de la prospective du Ministère de l’éducation nationale (DEP) par exemple), mais ce n’est qu’une hypothèse. Le terme « indicateurs de performance » est utilisé par Schwartz pour faire référence aux pratiques britanniques d’évaluation des polytechnics, connues lors d’un voyage d’études en Angleterre. L’aspect duquel le CNÉ se distancie est leur utilisation comme formule prête à l’emploi, alors que lui privilégie toujours l’analyse qualitative par rapport aux indicateurs quantitatifs, qui doivent à chaque fois être remis dans leur contexte. On ne peut par exemple fixer un taux d’insertion souhaitable valable pour les diplômés de toutes les disciplines. Ces mises en garde contre les chiffres mal maniés semblent assez abstraites compte tenu du fait que le CNÉ ne décrète de toute manière pas le bien, mais elles s’adressent sans doute aux évaluateurs, auxquels est laissée la latitude d’émettre des jugements de valeur.

En octobre 1993, alors que le CNÉ est sur le point de terminer un premier tour d’évaluation de tous les établissements d’enseignement supérieur français, il réactualise sa méthodologie – les numéros du Bulletin précédents n’ont plus autant de sections « méthodologie » qu’aux débuts du CNÉ. Dans ce numéro 16 (le deuxième sous la présidence

638 Bulletin du CNÉ, n°6, mai 1988, p. 3 [AN 20080020/289]. 639 CNÉ, Bilan d’une mise en place, 1986 [AN 20080020/27]. 640 CPU et CNÉ, Méthodologie : Projet de grille, critères et indicateurs pour l’évaluation, novembre 1987 [AN 20080020/27]. 641 « National Report – France », European Pilot Project for Evaluating Quality in Higher Education, 19 juillet 1995 [AN 20080020/24] ; André Staropoli, L’évaluation en France, Conférence mondiale de l’UNESCO sur L’enseignement supérieur au 21e siècle: “Visions et actions”, 5-9 octobre 1998 [AN 20080020/25].

227 de René Mornex), nous trouvons notamment des mises au point sur ce qu’il entend par indicateurs, ce qu’ils sont et ce qu’ils ne peuvent pas être : alors que le CNÉ propose de resserrer l’acception d’ « indicateurs » à des outils de mesure, il assure qu’ « aucun ‘ratio’ ne peut être établi » pour parler de la qualité des conditions de vie et de travail des étudiants et personnels, par exemple. Certaines choses ne sont donc pas mesurables. Dans ce même numéro, le CNÉ persiste à refuser d’établir des « classements » entre universités, malgré la « demande sociale (celle des étudiants, celle des employeurs) » pour ce type d’outil, parce qu’il considère, « pour reprendre l’expression de Laurent Schwartz, [qu’]‘il y a plusieurs sortes d’excellence’ »642. En effet, souvenons-nous que l’objectif premier de Schwartz – qui semble avoir perduré jusqu’en 1993 au CNÉ – est de permettre aux universités de se réinventer, de créer des cursus et des diplômes dans des domaines et de types divers, pour s’adapter au public large et varié de l’expansion universitaire. Un classement entre universités irait contre cette logique, à moins de multiplier les classements dans des domaines suffisamment circonscrits. Le CNÉ semble ainsi se démarquer de certaines manières de faire : en refusant indicateurs de performance, classements, systèmes de notation, en privilégiant les méthodes qualitatives et en portant une approche spécifique pour l’évaluation dans les sciences humaines et sociales, le CNÉ semble se distancier de critiques qui pourraient émaner de l’opinion publique (les étudiants et employeurs, dit le CNÉ, demandent des classements) ou du milieu de l’évaluation et de la gestion des établissements dans d’autres pays (je reparlerai des relations du CNÉ avec l’étranger et des réseaux dans lesquels il évolue). Par la même occasion, le CNÉ semble répondre à des possibles critiques ou appréhensions émanant du corps universitaire par rapport à ce qu’ils craignent de l’évaluation. Nous rencontrons cette opposition à une demande de classements de la part du public également dans le cas du VSNU néerlandais (voir à ce sujet le second chapitre sur les Pays-Bas). b. Du travail « sur mesure »

Ces positionnements de la part du CNÉ ne concernent pas uniquement son rapport aux chiffres : l’opposition ne se fait pas seulement entre quantitatif et qualitatif, mais aussi en terme de degré de formalisation plus ou moins rigide. Le CNÉ se targue en effet de faire du « sur mesure », « quitte à décevoir ceux qui attendraient de l’évaluation qu’elle soit une

642 Bulletin du CNÉ, n°16, octobre 1993, p. 2 [AN 20080020/289].

228 science exacte »643 – là encore, il peut faire référence à d’autres « professionnels » de l’évaluation ou aux étudiants et employeurs par exemple. L’ancienne chargée de mission déjà citée, particulièrement active dans les relations internationales du CNÉ, se souvient qu’à l’origine le CNÉ se démarque fortement de l’évaluation telle que conçue dans certains domaines de la gestion : avant ses contacts plus intenses avec l’étranger et le Royaume Uni en particulier au milieu des années 1990, le CNÉ, dans son souvenir, ne « parlait jamais d’assurance qualité », ou de la « qualité au sens des qualiticiens »644. Ces termes ne sont effectivement pas dans mon corpus d’archives de cette époque. En parlant de « qualiticiens », je ne pense pas qu’elle ait voulu se démarquer des idées des promoteurs du Quality Management, qu’elle connaît peu ; il s’agissait plutôt de souligner que le CNÉ abordait la question sans s’embarrasser de ces théories, mais en partant « du terrain », en faisant du « sur mesure », comme déjà évoqué. Son ancien collègue m’a spontanément dit que le travail au CNÉ n’était « pas une question de NPM ». Il veut dire par là que leur préoccupation ne se situait pas dans l’établissement d’une théorie de l’évaluation, ou d’une théorie de la bonne gestion d’établissements. Toujours d’après cet ancien chargé de mission, le CNÉ « co-produisait des monographies » sur les établissements, avec eux : « si on se met d’accord sur l’objet, sa réalité, on peut prendre des décisions sur [ce dernier] »645. Encore une fois, les rapports du CNÉ se veulent utiles pour les universités qui sont appelées à se réinventer. Le rejet d’une théorie ou idéologie de l’évaluation, et surtout de trop de formalismes rigides (les classements par exemple) ne doit pas être mis en contradiction avec l’exigence du travail méthodologique exposé plus haut. Ces caractéristiques vont de pair. L’évaluation par le CNÉ donne ainsi une image bottom-up, participative dirait-on aujourd’hui, partant des problèmes concrets des évalués en élaborant des méthodes suffisamment malléables et en fonction des besoins – avec la nuance, rappelons-le, qu’il s’agit avant tout d’une tranche bien circonscrite d’interlocuteurs, leurs pairs, les « dirigeants » dans les établissements. Pour autant, les évaluations ne se déroulent pas toujours sans tensions, elles ne sont pas lisses ou dépourvues de conflits : j’en veux pour exemple (rare dans les traces historiques) un souvenir de l’ancienne chargée de mission qui a fait une enquête sur toutes les universités parisiennes qui préparent aux concours du CAPES et de l’agrégation. Elle a montré des « redondances totalement inutiles entre ces universités qui faisaient toutes la

643 Ibidem. 644 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 645 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30.

229 même chose. Ils [certains présidents de ces universités parisiennes] étaient dans un état de rage ! »646. À plusieurs reprises, les présidents successifs du CNÉ parlent effectivement de l’acceptation et de l’accueil bienveillant dans les établissements, mais aussi des quelques réticences qu’ils ont rencontrées – mais sans précisions647. Il semble néanmoins que la conflictualité ait été plus grande avec le ministère qu’avec les établissements : je rappelle que le CNÉ évalue si et comment les universités remplissent ses missions (enseignement, recherche, valorisation, telles qu’établies dans la loi Savary), mais également le « comportement de l’État au travers des ministères et des financements […] Et on s’est pas fait des amis », se souvient l’ancienne chargée de mission648.

III. L’absence de rupture en 1989 – le renouvellement des années 1990

1989 est à la fois considéré comme un tournant dans les politiques d’enseignement supérieur (introduction effective de la contractualisation d’une partie des budgets universitaires avec le gouvernement)649 et cette date marque également un changement dans l’histoire du CNÉ : l’obtention du statut d’autorité administrative indépendante et la nomination du second Comité sous la présidence de François Luchaire assurent enfin sa pérennité. Cependant, le CNÉ continue son travail d’évaluation sans modification apparente, si ce n’est des recrutements. La contractualisation, évoquée en une phrase par Schwartz dans le Bulletin de janvier 1989, n’a pas provoqué de changement de cap au CNÉ. Content du nouveau statut, il cite le ministre de l’Éducation Nationale qui estime qu’avec la contractualisation, le rôle du CNÉ est susceptible de croître650. Or, le CNÉ ne prend pas davantage la vocation de servir à l’attribution des fonds qu’il ne l’a depuis sa création en 1985. Tout au plus, René Mornex estime en 1993 (date de sa prise de fonction en tant que président du CNÉ), que « le développement des rapports contractuels entre les établissements et l’État, les établissements et les grands organismes de la recherche ou les collectivités territoriales, entraîne une exigence forte d’auto-évaluation permanente de l’activité et de la qualité scientifique de chaque

646 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 647 Voir par exemple CNÉ, Un premier bilan d’activité, 1987 [AN 20080020/27] ; Bulletin du CNÉ, n°9, mai 1989 [AN 20080020/289]. 648 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 649 Musselin, Christine, Les universités d’Edgar Faure à nos jours, communication prononcée le 5 octobre 2009 à l’Académie des sciences morales et politiques, [en ligne], URL : . 650 Bulletin du CNÉ, n°8, janvier 1989, p. 1 [AN 20080020/289].

230 établissement, ce qui demande la mise en place d’un minimum d’instruments d’observation homogènes, fiables et conservant une certaine pérennité »651. Mornex met en rapport contractualisation et évaluation (ce qui est déjà fait par le ministère précédent, et dans la loi Savary, comme nous l’avons vu au chapitre précédent), mais il semble plutôt prendre l’introduction des contrats comme prétexte pour souligner l’importance du travail du CNÉ et surtout l’importance de l’aider à pouvoir faire son travail : assurer la « pérennité » (institutionnelle, budgétaire) du Comité, mais je pense aussi à la difficulté déjà évoquée à obtenir les données sur les universités. Sur ce dernier point, il n’est pas clair si c’est le CNÉ lui-même qui entend construire des « instruments d’observation homogènes », ou s’il y enjoint les universités (ce serait conforme aux programmes réformateurs derrière le CNÉ), ou si c’est un appel au ministère et à ses services pour coordonner un recueil de données dans ce sens (ce qui serait plus conforme à un principe de réalité compte tenu du rôle important que garde l’administration centrale).

L’introduction des contrats d’établissement est peut-être une opportunité politique pour le CNÉ mais n’a pas significativement modifié ses activités. Une rupture dans l’histoire du CNÉ a plutôt lieu au milieu des années 1990 : ayant fini d’évaluer une première fois toutes les universités françaises en 1993-1994, il est alors « intellectuellement compliqué », se souvient l’ancienne chargée de mission652, de trouver un mode de travail pour après ces premières évaluations, un nouveau sens à l’évaluation – le passage cité ci-dessus en est une tentative. La chargée de mission en question a quitté le CNÉ en 1995, ce qui est une autre raison de ce ressenti de rupture, mais l’autre chargé de mission que j’ai interviewé m’a lui aussi spontanément parlé de ce moment comme « rupture », alors qu’il est resté en poste au CNÉ jusqu’à sa dissolution. Le CNÉ finit par envisager (et mettre en œuvre) un second tour plus léger, un « retour » dans les établissements évalués cinq à six ans auparavant, avec un comité d’expert plus restreint et un focus sur les problèmes explicités par les évalués et sur le suivi des recommandations faites lors de la première évaluation. Le CNÉ poursuit également avec les évaluations « thématiques » sur des domaines disciplinaires653. 1995 est également une rupture au CNÉ par l’arrivée à sa présidence de Jean-Louis Aucouturier, qui provoque le départ d’une partie du noyau dur de l’équipe, à savoir la chargée de mission avec laquelle j’ai pu m’entretenir (en 1995) et le secrétaire général (en 1998). Ces

651 Bulletin du CNÉ, n°16, octobre 1993, p. 1 [AN 20080020/289]. 652 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 653 Bulletin du CNÉ, n°16, octobre 1993, p. 2 [AN 20080020/289].

231 deux derniers constituent, dans le souvenir de l’ancienne chargée de mission déjà citée, en quelque sorte une mémoire vive des pratiques du CNÉ depuis ses débuts (« à un moment donné on personnifie une institution » : elle parle d’elle-même et surtout du secrétaire général654) et des fortes personnalités, difficiles à vivre pour ce nouveau président (« il [ne] voulait plus avoir un secrétaire général qui avait trop d’idées et qui n’allait pas dans son sens »655). Le départ du secrétaire général s’est fait de manière conflictuelle : suite au constat de retards de paiement conséquents pour les évaluateurs extérieurs, il a été remercié par le nouveau président du CNÉ. Je parle également de noyau dur compte tenu de leur mobilisation dans les activités internationales du CNÉ, qu’ils démarrent tous deux en 1994, comme nous verrons à la prochaine section. 1995 est également la date du déménagement du CNÉ dans le quinzième arrondissement de Paris, un éloignement par rapport aux précédents domiciles dans le sixième, boulevard Saint-Germain puis rue du Bac – mais j’en ignore les raisons. J’en profite pour rappeler l’hypothèse évoquée plus haut concernant l’impression d’un léger déclin du prestige des profils des membres du CNÉ dès le début des années 1990. En 1999 arrive un nouveau « délégué général », pour remplacer l’ancien secrétaire général : il a été professeur de mathématiques, président de l’université du Mans, plus tard conseiller d’établissements et sollicité par le ministère pour préparer les contrats d’établissements ; il a un certain bagage en « gestion d’établissements ». Il se souvient en 2016 que « Aucouturier avait été conseiller d’établissement comme [lui] »656. Après deux années de reprise difficiles, il a su reconstituer une équipe (portée de 16 personnes lors de son arrivée à 26 au début des années 2000) et diriger un travail de mise au point de la méthodologie d’évaluation dont le CNÉ avait fait l’expérience, plus informelle jusqu’alors, sous forme du premier Livre de références en 2003657. Il faut certes nuancer quelque peu ce propos puisque nous avons vu que des documents de type grilles et listes pour les évaluateurs et les évalués existent déjà auparavant, notamment celui réalisé avec la CPU. Mais il est vrai que le CNÉ n’a pas avant 2003 de document de référence complet sur les étapes du processus évaluatif communicable à l’extérieur.

654 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 655 Ibidem. 656 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14h30-16h30 ; Bulletin du CNÉ, n°30, novembre 2000, p. 8 [AN 20080020/289]. 657 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14h30-16h30 ; entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h ; entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ depuis 1988, 2/07/2015, 10h-12h30.

232 IV. Ambitions internationales et intégration européenne

J’ai évoqué les activités en lien avec d’autres pays à maintes reprises et le CNÉ en parle suffisamment (mes interlocuteurs mais aussi les archives) pour pouvoir en faire une section dans ce chapitre – bien qu’elle donne lieu à des excursus et nous éloignera quelque peu des parties qui précèdent et qui portent sur les manières dont les « évaluations » se sont développées au sein du CNÉ. Mais nous verrons que les activités internationales sont constitutives de cette histoire. Cette section nous est également utile en regard de l’étude du cas néerlandais et pour le chapitre conclusif. Je propose ici de distinguer trois types d’activités du CNÉ en relation avec l’étranger, et qui ont des implications différentes.

1. Les réseaux professionnels

Depuis sa création, le CNÉ (c’est-à-dire son président, ou plus souvent son secrétaire général) assiste à de nombreuses conférences sur des sujets de l’enseignement supérieur, organisées par des universités étrangères ou des organismes internationaux comme l’Unesco ou l’OCDE. Le CNÉ y présente son « cas » et se fait l’ambassadeur de l’évaluation des universités en France658. Les archives nous livrent une partie de ces présentations, et certains numéros du Bulletin ont une rubrique « échanges » qui en dresse une liste659. Le CNÉ fait quelques voyages d’études chez des collègues au Royaume Uni660 et aux États Unis661. Ces visites interviennent en 1986 et 1987, alors que le CNÉ construit ses premières méthodologies. Bien que Laurent Schwartz du moins perçoive les États Unis comme un modèle – nous avons vu les références aux universités états-uniennes dans le programme de Schwartz au chapitre précédent –, l’ancienne chargée de mission estime que le CNÉ n’a rien à leur envier : « Dès que le projet a pris un peu corps, ils sont allés à l’étranger, notamment aux États-Unis, pour observer ce qui se faisait. Or à l’époque aux États Unis, on était encore, donc on avait des agences d’accréditation, qui pour certaines avaient quasiment un siècle, pour beaucoup plus de 50 ans, mais qui étaient encore avec des méthodologies intangibles, et qui portaient sur l’input, et pas du tout sur les output. Donc en fait la révolution aux États Unis, s’est faite après. Donc il faut pas

658 Par exemple Laurent Schwartz, Favoriser l’excellence, Conférence à l’OCDE, 8-10 septembre 1986 [AN 20080020/24] ; André Staropoli, « L’enseignement universitaire en France. Son organisation, le problème de la sélection », Conférence au colloque de l’Académie de Lausanne sur « L’université en question », 13-18 juin 1987 [AN 20080020/27] ; André Staropoli, « L’évaluation en France », Conférence mondiale de l’UNESCO sur L’enseignement supérieur au 21e siècle: « Visions et actions », 5-9 octobre 1998 [AN 20080020/25]. 659 Par exemple Bulletin du CNÉ, n°7, octobre 1988, p. 3 et Bulletin du CNÉ, n°11, janvier 1991, p. 3 [AN 20080020/289]. 660 Bulletin du CNÉ, n°2, janvier 1987, p. 4 [AN 20080020/289]. 661 Bulletin du CNÉ, n°4, octobre 1987, p. 4 [AN 20080020/289].

233 qu’on s’étonne, du coup, de dire que nous on n’avait qu’une liste d’items. Je veux dire, en définitive, des référentiels d’évaluation, c’était quand même plus intéressant de faire ce qu’on faisait, c’est-à-dire de se demander en termes de stratégie comment une université remplissait ses services publics que de se demander si la bibliothèque avait le bon nombre de mètres carrés, et qui était ce que faisaient les américains. »662 Elle loue le procédé inductif du CNÉ par rapport aux agences états-uniennes plus anciennes qui n’évaluent que les intrants avec des grilles assez strictes. Elle insiste que le CNÉ n’est pas en retard sur les pratiques étrangères dans les années 1980. Malgré toutes les précautions à prendre avec un tel témoignage, on peut retenir que parmi les employés du bureau du CNÉ, l’admiration et donc l’adoption de ce qui se fait à l’étranger n’est pas omniprésente, et peut-être moins forte que la conscience de leur spécificité propre. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu d’emprunts de pratiques vues à l’étranger, mais je n’ai pas de compte rendus de ces voyages d’études à l’étranger, ou d’éventuelles correspondances.

La participation à certaines conférences entre dans la même catégorie d’activités internationales, dans la mesure où le CNÉ reconnaît explicitement leur apport pour la construction de sa propre méthodologie. C’est particulièrement le cas de sa participation régulière aux conférences du programme IMHE de l’OCDE : ce programme pour la gestion des établissements d’enseignement supérieur (Institutional Management in Higher Education) fait partie du centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI) de l’OCDE créé en juillet 1968. La première grille d’évaluation du CNÉ se réfère en effet au groupe de travail avec la CPU et aux travaux de l’IMHE663. Initié grâce aux financements de la Fondation Ford et du groupe Shell, le programme a ensuite fonctionné avec les contributions de ses membres (des établissements d’enseignement supérieur des pays membres de l’OCDE et des organismes nationaux qui les administrent), sous la direction d’un groupe composé de représentants de ces établissements pour chaque pays. Jusqu’à la fin des années 1980, les conférences de l’IMHE sont essentiellement un lieu d’échanges d’expériences entre différents cas nationaux dont les représentants présentent des études. André Staropoli y présente le CNÉ en 1986, intervention ensuite publiée dans la revue trisannuelle du programme, dans un numéro dédié à l’évaluation dans les universités664. Il a ensuite participé au groupe d’études sur l’évaluation de l’IMHE, avec des collègues

662 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 663 Bulletin du CNÉ, n°6, mai 1988, p. 1 [AN 20080020/289]. 664 Staropoli, André, « Le Comité national d'évaluation des universités: son rôle et son fonctionnement », Revue internationale de gestion des établissements d’enseignement supérieur, vol. 10, n°2, 1986, p. 171-175.

234 administrateurs et chercheurs d’autres pays membres, dont le directeur de l’enseignement supérieur au ministère néerlandais de l’enseignement et de la recherche, Roel in’t Veld665. En plus des présidents, directeurs et administrateurs d’établissements d’enseignement supérieur, ce programme et surtout sa revue mobilisent également des chercheurs dans le domaine émergeant des études sur l’enseignement supérieur – et parfois ce sont les mêmes personnes. Ce réseau est fortement centré autour du Royaume Uni (puis États-Unis, Australie, Europe de l’Ouest et du Nord) et œuvre à la mise en relation entre administrateurs et chercheurs afin de structurer un nouveau domaine de recherches et d’action : la gestion des établissements d’enseignement supérieur. Je mobilise ici les résultats d’une enquête collective sur le programme IMHE et sa revue – je remercie Quentin Fondu et Mélanie Sargeac pour le travail réalisé ensemble666. L’investissement du CNÉ dans ce programme n’est pas massif667, mais la fréquentation continue de ses conférences annuelles jusque dans les années 1990 au moins atteste de l’intérêt que le CNÉ, ou du moins son secrétaire général, porte à la démarche. La méthodologie du CNÉ se nourrit donc, dit-il, de la confrontation avec les méthodes en cours dans d’autres pays, grâce aux travaux du programme IMHE : lors de sa première élaboration dans les années 1986-1988, mais aussi dans les années 1990.

2. L’aide au développement de l’évaluation

Un second volet, moins important, des activités internationales du CNÉ est de l’ordre du développement. Il reçoit des délégations étrangères de responsables de l’enseignement supérieur : des dirigeants d’établissements, des membres des ministères de tutelles, des représentants d’organismes nationaux d’administration de l’enseignement supérieur… qui souhaitent connaître le fonctionnement et apprendre de l’expérience du CNÉ. En 1991, le CNÉ déclare avoir reçu des représentants « allemands, turcs, danois, brésiliens, nord- américains » et avoir « engagé un processus de coopération avec des représentants officiels du

665 « Informations IMHE », Gestion de l’enseignement supérieur, vol. 1, n°2, 1989, p. 240-241. Il s’agit de la même revue qu’à la note précédente, qui a changé de nom entre temps. 666 Fondu, Quentin, Sargeac, Mélanie et Waltzing, Aline, « La constitution d’un "champ de la réforme" universitaire ? – Le programme sur la gestion des établissements d’enseignement supérieur (IMHE) de l’OCDE (1969-2012) », Journée d’étude « Le registre scientifique des organisations internationales : acteurs, productions, usages », Sciences Po Lyon, 5 juillet 2018. 667 Une communication/publication dans la revue et la participation à un groupe d’études, par rapport à d’autres contributeurs, surtout britanniques, qui animent le programme IMHE, publient fréquemment dans la revue de l’IMHE, et sont membre du groupe de direction de l’IMHE.

235 gouvernement mexicain […] ainsi qu’avec une délégation tunisienne composée de présidents et de professeurs d’universités et de [représentants ministériels] »668. Plus tard, se souviennent les anciens employés du CNÉ, il reçoit une délégation chinoise, la conférence des recteurs chiliens, le ministre de l’enseignement supérieur de l’île Maurice. Il est également sollicité pour accompagner des évaluations au Liban669, et comme consultant pour la mise en place d’un système d’évaluation : à Madagascar par exemple, il aurait organisé des séminaires à la demande de la Banque Mondiale670. Les activités du CNÉ en lien avec d’autres pays ne consistent donc pas seulement à se former aux pratiques d’évaluation des autres et à échanger d’égal à égal sur ce sujet, mais aussi explicitement à aider d’autres pays à développer leurs propres systèmes d’évaluation – à apprendre du CNÉ.

3. La construction européenne – d’un espace européen de l’enseignement supérieur

Le CNÉ fait effectivement partie des « pionniers » de l’évaluation des universités en Europe, quoique puisse laisser croire le discours historiographique de l’échec relatif du CNÉ – c’est effectivement une des premières instances d’ « évaluation » des universités en Europe, avec les Pays-Bas et le Royaume Uni. Dans la seconde moitié des années 1990, le CNÉ est au zénith de son activité internationale : c’est sa participation au European Pilot Project for Evaluating Quality in Higher Education depuis 1993 qui l’y entraîne. En 1991, sous présidence néerlandaise, le Conseil des Ministres européen décide de mener un projet pilote de coopération entre pays européens en matière d’évaluation de l’enseignement supérieur, sans encore en préciser la forme. Cette proposition est déjà liée, bien en amont de la réalisation du processus de Bologne, au projet de créer un espace européen de l’enseignement supérieur. Dans les deux années suivantes, cinq réunions ont lieu à l’initiative de la Commission européenne, avec des représentants des ministères concernés des pays membres de l’époque, mais aussi des représentants de l’OCDE et de l’Unesco. Il s’agit de rassembler des présentations d’ « experts » sur les systèmes existants d’évaluation de l’enseignement supérieur dans les différents cadres nationaux : ils sollicitent l’aide des quatre

668 Bulletin du CNÉ, n°11, janvier 1991, p. 3 [AN 20080020/289]. 669 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14h30-16h30 ; entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 670 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h.

236 systèmes d’évaluation existant en Europe à ce moment, à savoir les britanniques, français, néerlandais et danois671. À la recherche de domaines potentiels de coopération au niveau européen, le groupe de travail se concentre sur les méthodologies d’évaluation développées dans les pays membres, afin d’établir des pratiques communes au niveau européen. Dès 1993, le projet prend des formes plus concrètes : dans un premier temps, les représentants des Pays-Bas souhaitent faire évaluer une série de disciplines et d’établissements européens par un comité d’évaluation européen, dans lequel ils entendent prendre un certain poids672. Ces éléments ne sont pas en dissonance avec mon enquête : en effet, comme le montre l’étude du cas néerlandais, l’évaluation y est assez tôt outillée de protocoles formalisés – par ailleurs, le gouvernement néerlandais bénéficie des travaux du centre d’études sur les politiques d’enseignement supérieur néerlandais de l’université de Twente (le CHEPS), qui a rapidement acquis une réputation internationale. Cependant, en 1994, les délégations des autres pays déclinent en majorité la proposition néerlandaise et optent pour des comités d’évaluation nationaux, procédant à des évaluations dans chaque pays, sur un modèle établi en réunion européenne, proposé par le groupe de coordination quadri-national673. Il y a donc parmi ces représentants nationaux (des ministères et des établissements d’enseignement supérieur) une réticence à pousser plus loin l’harmonisation internationale. D’après l’une des coordinatrices du projet, la chargée de mission au CNÉ déjà citée, ces modalités sont éminemment politiques, et touchent à la conception même de l’Europe que l’on souhaite promouvoir : ce projet pilote fait partie, pour elle, d’une idée d’un espace européen de l’enseignement construit sur le « développement de principes communs et partagés, mais dans la reconnaissance de cultures particulières », « sensible au respect des spécificités culturelles » et sur un « échange, une compréhension mutuelle, dans la reconnaissance de la diversité »674. On y décèle une critique de toute mise en commun qui ne prendrait pas en compte ces spécificités nationales.

671 Concernant les textes suivants, en anglais, les traductions sont les miennes. Proposals for European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education, s.l.n.d., vraisemblablement le résultat des réunions du groupe de travail susmentionné, entre fin 1993 et début 1994 [Archive communiquée par correspondance avec le service d’archives de la Direction générale Éducation et culture de la Commission européenne en avril-juin 2015]. 672 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h et European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education. European Report, 20 November 1995, en particulier « Annex 1 – Historical Background », p. 42 [Archive communiquée par correspondance avec le service d’archives de la Direction générale Éducation et culture de la Commission européenne en avril-juin 2015]. 673 Ibidem et Proposals for European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education, op. cit. 674 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h.

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Le projet pilote se déroule en 1994 et 1995, sous la forme décidée en 1993. Les procédures et critères sont tirés des points communs entre les quatre systèmes nationaux d’évaluation de l’enseignement supérieur existants en Europe à ce moment : le système britannique (au management group du projet siège Jim Donaldson pour le Scottish Higher Education Funding Council), français (André Staropoli y siège pour le CNÉ, avec la chargée de mission que j’ai interviewée), néerlandais (pour la VSNU, Ton Vroeijenstijn : un personnage principal des chapitres sur le cas néerlandais) et danois (le tout récent Evalueringscenteret avec Christian Thune). Ces derniers coordonnent le projet pilote au niveau européen, avec le mandat de la Commission européenne675. Les points communs de ces quatre systèmes sont leur position intermédiaire et externe aux gouvernements et institutions d’enseignement supérieur, et quelques points clés des procédures d’évaluation : l’étape d’auto-évaluation, puis une évaluation externe par un groupe de pairs en visite sur place, et la publication d’un rapport d’évaluation. Entendons-nous bien, ce qui est commun ne sont donc pas des critères de qualité de l’enseignement, mais des critères que doivent remplir les procédures d’évaluation dans chaque pays, à savoir les étapes susmentionnées. Pour pouvoir s’exprimer sur les objectifs poursuivis par ces évaluations (au-delà de celui de faire faire des évaluations à ceux qui n’en ont pas encore fait), il faudrait avoir accès aux archives de ces évaluations dans chaque pays participant, a minima aux rapports nationaux, ce à quoi je ne suis pas parvenue auprès du service d’archives de la Commission européenne. Dans quelle mesure les évaluateurs locaux se référent-ils à des documents établis en commun ? Quels sont les enjeux et problèmes évoqués dans chaque évaluation et chaque pays ? Une fois les deux disciplines à évaluer (sciences de l’ingénierie et sciences de l’information et de la communication) et les universités participantes (volontaires) choisies, des interlocuteurs dans chaque pays membre coordonnent les évaluations aux niveaux nationaux (il faudrait approfondir cette recherche pour en savoir plus sur eux), assistés par le « groupe de management » britannique-français-néerlandais-danois. Les établissements évalués rédigent des auto-évaluations et prennent part à l’organisation et à la désignation du comité de pairs (dont au moins un étranger d’un autre pays membre participant). Ensuite, chaque pays doit rédiger un rapport national sur l’expérience acquise pendant le projet : 46

675 European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education. European Report, op. cit. et Proposals for European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education, op. cit.

238 établissements de 17 pays membres (deux ou quatre évaluations par pays) participent au projet pilote. Enfin, un rapport général doit être rédigé par un comité composé des secrétaires des comités nationaux et du management group du projet, en anglais et en français, alors que les rapports nationaux, dans leur langue d’origine, sont traduits dans deux langues européennes au choix676. L’ancienne chargée de mission du CNÉ et coordinatrice du projet pilote était particulièrement enthousiaste à l’évocation de ces souvenirs : pour la grande liberté dont jouissaient les coordinateurs du projet et la stimulation intellectuelle qu’apportait ce travail avec des collègues d’autres pays. Elle évoque également la difficulté à tenir 17 pays dans un même projet, que certains établissements menaçaient d’abandonner en pleine voie677. Pour les auteurs du rapport final de ce projet pilote, il a été utile à tous les participants : il a permis à ceux qui avaient déjà un système d’évaluation de réfléchir à d’autres méthodes et aux autres à tester si l’application des méthodes utilisées dans d’autres pays leur serait profitable. Cela aurait aussi permis de surmonter nombre d’appréhensions de la part des universités, en les faisant participer à leur propre évaluation678. Ce projet pilote ressemble ainsi à un atelier d’apprentissage et d’enrichissement mutuel entre les pays « développés » (en matière d’évaluation de l’enseignement supérieur) et les pays « en voie de développement » – ce sont mes guillemets. C’est aussi un document pour l’intégration européenne : il insiste à la fois sur une « culture européenne » et sur la « diversité européenne ». Il est par exemple remarqué, en terme de « culture européenne », que partout il y a des tendances à la « dérégulation » dans les systèmes d’ESR européens : aussi, on observe des « attempts to fill the control gap that consist in reinforcing self-responsibility of institutions [and in using] old ‘tried and tested’ academic norms and values as vehicles for change in order to create new instruments for improving their performance »679. C’est en cela qu’un espace européen de l’enseignement supérieur, et de son évaluation, leur semble possible, souhaitable et même déjà en germe. Il est intéressant de noter que ce texte véhicule l’idée que les États européens se retirent de l’administration des établissements d’enseignement supérieur, vide qui tend à être comblé par les établissements eux-mêmes, qui mobilisent et transforment pour cela leurs propres normes académiques, notamment pour créer des instances d’évaluation. Si ce récit peut encore correspondre au cas néerlandais (bien qu’il omette alors le rôle des universités

676 Ibidem. 677 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 678 European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education. European Report, op. cit. 679 Ibidem.

239 associées dans cette « dérégulation »), il semble moins compatible avec la situation française que nous avons décrite dans ces chapitres : le CNÉ ne remplit pas de « control gap », d’autant plus que l’État ne s’y retire pas tant.

À l’issue de ce projet pilote, le Conseil européen en tire une recommandation sur la collaboration intra-européenne en matière d’évaluation des établissements d’enseignement supérieur680, dans laquelle il prévoit notamment la création d’un réseau des institutions européennes d’évaluation de l’enseignement supérieur. En effet, le résultat le plus tangible du projet pilote est la création, en 2000, du European Network for Quality Assurance in Higher Education (ENQA) – une pérennisation de la plateforme d’échanges ayant fonctionné pendant le projet pilote. Ce réseau doit promouvoir la coopération en matière d’évaluation de l’enseignement supérieur et représenter les institutions des pays européens pour l’ « évaluation » ou l’ « assurance qualité » – nous reviendrons sur ce changement de vocabulaire dans l’épilogue. De ce fait, l’ENQA est également devenu organe d’ « accréditation » de ces institutions, dans le sens qu’elle leur accorde un label et certifie qu’elles font partie des organes européens d’évaluation d’universités681. Après avoir tenu un rôle moteur pendant le projet pilote, le CNÉ continue formellement à être un animateur de ce réseau, notamment par la tenue de sa réunion annuelle à Paris en 2005682. En 2008, un ancien chargé de mission du CNÉ, chargé des activités internationales depuis 2000, est devenu le président de l’ENQA683. Cependant, si jusqu’au milieu des années 1990 le CNÉ a une position de pionnier en Europe (« on a fait la course en tête », « on était très légitimes », se souvient l’ancienne chargée de mission)684, ses anciens employés estiment qu’il est dépassé par d’autres pays dès la fin des années 1990 – il faudrait en étudier les implications concrètes, mais nous sortons du périmètre chronologique de cette enquête.

680 Recommandation publiée en 1998. Je cite un document préparatoire: Proposal for a Council recommendation for European Cooperation on the field of Quality Evaluation in Higher Education, s.l.n.d. [Archive communiquée par correspondance avec le service d’archives de la Direction générale Éducation et culture de la Commission européenne en avril-juin 2015]. 681 http://enqa.eu/index.php/about-enqa/enqa-history/. 682 On trouve des photos de cette rencontre dans la salle des Actes de l’ENS Ulm sur facebook : https://www.facebook.com/media/set/?set=a.745590322175613.1073741839.599129873488326&type=3&upl oaded=19. 683 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30. 684 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h.

240 Le projet pilote européen est a posteriori clairement identifié par mes interlocuteurs de l’ancien CNÉ comme un outil dans la mise en place du processus de Bologne – et mon interlocuteur néerlandais Ton Vroeijenstijn, lui aussi coordinateur du projet pilote, exprime le même avis. La participation active au réseau ENQA est perçue comme un attribut éminemment important du CNÉ, tant le dédain qu’y aurait porté le premier président de l’AERES les a scandalisés685. J’ai certes parlé avec les personnes du CNÉ qui ont été investies dans ces activités internationales. Ce sont elles qui ont laissé le plus de traces en archives, qui m’ont renvoyées les unes aux autres, et qui avaient des positions plus importantes au CNÉ. Or, ce qui m’a initialement mise sur la voie de ces activités internationales du CNÉ, c’est l’existence de classeurs et dossiers spécifiques dans les archives du CNÉ pour les conférences à l’étranger, et surtout pour les documents concernant le projet pilote européen. Ce classement, endogène, est encore un indice de l’importance de ces activités pour le bureau du CNÉ. Notons que là encore, comme pour la réflexion méthodologique, ces activités sont le fait du secrétariat général, pas des membres du CNÉ. À propos du seul investissement du secrétariat général dans ce projet européen, l’ancienne chargée de mission du CNÉ et coordinatrice du projet pilote européen se souvient : « il n’y a pas eu cette volonté politique au ministère. C’est clair. Ni des ministres, ni du ministère au sens administratif du terme. » « Et les présidents d’université, j’ai pas le souvenir que ça les ait beaucoup excité. Le projet pilote européen, je pense que ça a dû faire peur à un certain nombre de personnes, parce que du coup, l’ampleur possible de choses de ce genre a dû donner le vertige à certains. »686 André Staropoli a manifestement déjà un intérêt pour la dimension internationale lorsqu’il se lance dans le projet pilote européen en 1993 – souvenons-nous de son séjour aux États-Unis pour étudier leurs politiques d’aide à l’innovation au milieu des années 1970. En retour, cette activité internationale est indéniablement importante pour l’histoire du CNÉ, notamment pour l’élaboration de ses méthodologies. Elles ont par exemple fait entrer le vocabulaire de l’ « assurance qualité » au CNÉ à la fin des années 1990. Le délégué général du CNÉ qui a succédé à Staropoli estime que les activités internationales et l’ « explicitation » des méthodes d’évaluation du CNÉ ont « été de pair », faisant référence à la genèse du Livre de références de 2003, dont la préparation remonte à 1999687. C’est aussi par la confrontation

685 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30 ; entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 686 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h. 687 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14h30-16h30.

241 et le travail en commun avec des acteurs d’autres pays que le CNÉ a dû et su expliciter sa méthodologie ; son investissement dans la « réflexion méthodologique » a en retour alimenté ses activités internationales et le projet européen. Il ne me semble donc pas incongru d’accorder de l’importance à ces indices et au ressenti de mes interviewés lorsqu’ils me font comprendre que pour eux, l’histoire du CNÉ, c’est aussi l’histoire de l’intégration européenne et de la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur. En effet, l’un d’entre eux m’enjoignait à soutenir ma thèse en 2018, pour l’anniversaire du processus de Bologne688. L’autre, pour raconter l’histoire du CNÉ, part du constat de deux échecs : celui de l’évaluation des universités (un échec car les étudiants et les universitaires au delà des équipes de direction des universités n’ont pas suffisamment été intégrés dans le processus), mais aussi celui de la construction européenne689. Ainsi, l’histoire du CNÉ est aussi liée à l’histoire d’une tentative d’intégration européenne, en ayant contribué à porter le modèle d’Europe véhiculé dans le projet pilote.

V. Conclusions

Dans ce chapitre, pour parler d’ « évaluation », je me suis intéressée à la nature et aux fonctions de l’institution qu’est le CNÉ, à ses positionnements par rapport à l’État et aux universités, et à ses activités. Il se range en effet clairement du côté des universités, alors qu’il est une création ministérielle. Les débats au sein du CNÉ portent moins sur la qualité de l’enseignement supérieur (qu’est-ce qu’un enseignement supérieur de qualité ?) que sur la manière la plus intelligente et utile pour le CNÉ et les universités de connaître les différentes réalités sur l’enseignement supérieur, de construire ces connaissances – et de pouvoir ainsi se juger (« s’auto-évaluer ») et progresser (« s’améliorer ») : le CNÉ ne fait pas que de la méthodologie. Le débat sur ce qui fait la qualité de l’enseignement supérieur serait plutôt à chercher auprès des experts sollicités, dans le cas par cas de l’évaluation de chaque université et chaque composante. J’ai également insisté sur les interactions entre le CNÉ et ses interlocuteurs et sur sa recherche d’informations et de données sur les universités : sur son travail de réflexion méthodologique et son partage à l’international. Ces activités se font toujours dans la pratique sur le terrain, c’est-à-dire en allant voir les universités, en communiquant avec leurs

688 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30. 689 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14h-16h.

242 responsables. Il s’agit pour le CNÉ moins de tester ses méthodologies que d’au contraire les construire sur la base de ce qu’ils et elles voient, lisent et entendent. De tout ce travail, qu’est-il resté ? Il demeure très difficile de juger a posteriori de l’implication des présidents, directeurs d’établissements ou d’instituts et de départements dans les évaluations, s’ils ont pu en tirer des enseignements ou des habitudes. Et d’autant plus si l’on s’intéresse aux universitaires sans charge administrative, ou aux étudiants. Vu son indépendance et ses relations houleuses avec le ministère, le travail du CNÉ ne semble pas avoir été mis à profit par l’administration centrale – elle a fait des efforts parallèles de construction de connaissances sur les universités, au sein de la Direction de l’évaluation et de la prospective du Ministère de l’éducation nationale (DEP) par exemple, avec laquelle le CNÉ n’a pas eu de contact attesté690. Il n’a pas non plus servi pour les contrats d’établissement. Néanmoins, le CNÉ a amorcé la création d’un métier de l’évaluation des universités, en consolidant ses pratiques : à travers le réseau européen dont nous avons parlé et la pierre apportée à l’édifice de l’espace européen de l’enseignement supérieur, ainsi que grâce au travail méthodologique qui a pu être poursuivi. En effet, bien que l’AERES succède initialement au CNÉ sur le mode de la rupture politique, administrative et expérientielle, la nouvelle agence hérite en 2006 de son Livre de référence et d’une partie des personnels de son bureau – ceci est l’objet de l’épilogue qui suit.

690 Voir les travaux de Xavier Pons à ce sujet, qui portent davantage sur les statistiques scolaires produites par ce Département : elles semblent avoir été son domaine principal, au détriment de l’enseignement supérieur. Pons, Xavier, « Les statisticiens du ministère de l’Éducation nationale : évolutions d’un métier d’État (1957-2007) », Histoire de l’éducation, août 2014, p. 115-132, [En ligne : http://histoire-education.revues.org/2823].

243

244

PAYS-BAS, ÉPILOGUE

LA VSNU PERD SES FONCTIONS ÉVALUATRICES, 1997-2004

Ces épilogues sont indispensables pour situer les histoires que j’ai tenté de retracer dans les chapitres précédents : en effet, je propose ici leur articulation avec les travaux récents sur l’évaluation dans les universités, et plus généralement sur les transformations universitaires des dernières décennies. À défaut d’avoir constitué le focus de mon enquête, ces transformations du tournant des années 2000 ne m’apparaissent que sous forme d’indices et d’hypothèses. Néanmoins, tout indique que de profonds glissements ont lieu dès la fin des années 1990 : je les vois venir dans mes sources, et je constate qu’ils doivent avoir eu lieu si je me fie aux travaux sur l’évaluation des années 2010.

I. Externaliser les visites de l’enseignement supérieur

Au tournant des années 2000, les activités de la VSNU liées à la qualité (kwaliteitszorg) se transforment profondément ; la VSNU perd peu à peu ses fonctions évaluatrices. Intéressons-nous tout d’abord aux activités de kwaliteitszorg relatives à l’enseignement ; la recherche continue à être traitée séparément (dans ce texte et dans l’histoire). Le système des visites dans l’enseignement supérieur a été mené trois fois dans chaque discipline. Dès 1999, je trouve des traces des réflexions à la VSNU pour se défaire de cette tâche. L’activité « fleurit » et a acquis une « réputation internationale »691 : déjà en 1993, la VSNU se réjouit qu’avant même d’entamer son deuxième tour d’évaluation de l’enseignement de toutes les disciplines du pays, son guide d’évaluation soit utilisé à l’étranger – on aurait adapté le modèle en Suède, il serait en discussion en Finlande, en Norvège et au Danemark, on allait évaluer quatre disciplines test au Portugal, sur le modèle « néerlandais », et on aurait traduit le guide en Grande Bretagne, en Allemagne et au

691 VSNU, « Vraagstelling VSNU », in Stukken betreffende de intentie om de afdeeling kwaliteitszorg van de VSNU te verzelfstandigen onder de voorlopige naam Stichting Kwaliteitszorg Nederlandse Universiteiten (KNU) omwille van wettelijke wijzingen in het stelsel van de externe kwaliteitszorg, 2000-2003, s.d. [NA 2.19.250/241].

245 Portugal692. Effectivement, nous l’avons évoqué, l’expérience néerlandaise a servi à la mise en place d’un système de visite dans l’enseignement supérieur des universités associées d’Allemagne du Nord693. La VSNU considère également que le champ de la kwaliteitszorg est « en plein mouvement » : avec les réformes politiques vers plus de « redevabilité, indépendance, transparence et fonctionnement de marché (marktwerking) », l’activité d’évaluation de l’enseignement supérieur va changer. Seuls les deux derniers termes sont du vocabulaire nouveau pour la VSNU ; elle semble accueillir ces développements favorablement, dans la continuité de ce qu’ils ont fait avant et qui a été si bien reçu internationalement. C’est explicitement dans le sillage des réformes de Bologne que le ministère met en place une accréditation des cursus universitaires, concrétisée en 2002 par l’organisation néerlandaise pour l’accréditation, NAO (et depuis 2005 incluant les formations universitaires en Flandre : NVAO). La priorité pour le ministère est alors d’accréditer les cursus universitaires : cela consiste à certifier qu’ils remplissent certaines caractéristiques, de manière plus éloignée que les visites de la VSNU dans les formations et auprès des enseignants – maintenir une évaluation systématique de l’enseignement supérieur, en dehors de cette accréditation, n’est alors pas estimé nécessaire694. Dans ce contexte, la VSNU tient à rappeler l’utilité de ses activités d’évaluation, qui vont au-delà de la labélisation que permet l’accréditation : elle met en avant ses vertus autoréflexives susceptibles d’apporter des améliorations, alors que l’accréditation est trop superficielle pour ce faire695. La VSNU s’emploie ainsi à pérenniser son activité, estimant que pour continuer à développer l’évaluation, il faut la poursuivre dans un cadre dédié spécifiquement à cette activité, en dehors de la VSNU. Pour penser à une forme institutionnelle viable, la VSNU sollicite des bureaux de conseil : des études de marché et propositions de business plan se succèdent de 2000 à 2003. Au sein de la VSNU, on discute alors du « potentiel de marché » de ses activités d’évaluation des formations : outre sa « réputation internationale », elle met en avant l’ « image positive » de ses activités d’évaluation, qu’ « on accorde beaucoup de valeur aux jugements des commissions de visite » dans les universités, et que les gens sont « concernés, loyaux et

692 VSNU, Door naar de tweede ronde. Voorstellen voor aanpassing van de externe kwaliteitszorg onderwijs, februari 1993, p. 4 [NA 2.19.250/448]. 693 Fischer-Bluhm, Karin, « Wie es begann », in Verbund Norddeutscher Universitäten (VNU), 10 Jahre Evaluation von Forschung und Lehre, brochure commémorative du VNU, Hambourg, 2004, p. 26 – obtenue par correspondance personnelle avec une ancienne directrice du bureau du VNU. 694 VSNU, “Vraagstelling VSNU”, in Stukken betreffende de intentie om de afdeeling kwaliteitszorg van de VSNU te verzelfstandigen…, op. cit. 695 Ton Vroeijenstijn, VBI-VSNU, Quo vadis ?, 12 april 2003 [NA 2.19.250/241].

246 tendent vers une haute qualité »696. Dans l’étude de marché d’un des bureaux de consultant sollicité, on trouve le verdict suivant : la « position de marché » de cette section de la VSNU est « stable », avec une « assez bonne acceptation par les institutions », une « méthodologie bien développée », mais une « capacité en personnel et organisation limitée avec une pression de travail assez grande »697. Ce que ce bureau de conseil entend par « position de marché » est à ce stade de l’ordre de la projection, puisqu’il ne s’agit pas (encore) d’une activité commerciale : il n’y a pas (encore) de marché de l’évaluation des universités, la VSNU est jusque là la seule à en faire (elle est donc en bonne position effectivement). La VSNU semble jouer le jeu en adoptant le vocabulaire des bureaux de conseil. En 2004, elle exprime son accord avec leurs études : il faut qu’une fondation, avec sa propre image, prenne le relais du travail de la VSNU, avec des procédures compatibles avec celles de la NAO, qui « offre des possibilités d’une évaluation nationale comparative », tout en restant dans la VSNU, avec ses « avantages financiers », ses « infrastructures » et sa « proximité avec les clients »698 – l’usage de ce dernier terme est assez déroutant venant de la VSNU que nous connaissons, il faut peut-être le comprendre par rapport au destinataire du document que je cite, le bureau de conseil Andersson Elffers Felix. Mais on peut aussi rapprocher ce nouveau vocabulaire des évolutions que Franco Moretti et Dominique Pestre ont étudiées dans la langue de la Banque mondiale, où s’impose également à la fin des années 1990 et au début des années 2000 un tout autre univers de référence langagier et conceptuel, marquant une certaine victoire des entreprises multinationales699. La VSNU persiste en tous cas à vouloir perpétuer son activité à côté de celle de l’organisation d’accréditation. En plus des bureaux de conseil, elle consulte également les statuts d’autres organes d’évaluation, comme ceux de la Stiftung Evaluationsagentur Baden- Würtemberg (EVALAG) (une fondation) ou de la Quality Assurance Agency britannique700 – mais je ne peux que constater leur présence dans les archives, malheureusement sans annotations ou indications sur leur réception. Le choix se porte finalement sur la création d’une véritable organisation à part en dehors de la VSNU, la QANU (Quality Assurance

696 Ibidem. 697 Andersson Elffers Felix, Routeverkenning VBI-VSNU, april 2003, p. 11 [NA 2.19.250/241]. 698 Ton Vroeijenstijn, VBI-VSNU, Quo vadis ?, 12 april 2003 [NA 2.19.250/241]. 699 Moretti, Franco et Pestre, Dominique, « Bankspeak: the language of World Bank reports », New Left Review, vol. 92, 2015, p. 75-99, [En ligne : https://philosophersforchange.org/2015/04/14/bankspeak-the-language-of- world-bank-reports/]. 700 Satzung der Stiftung Evaluationsagentur Baden-Würtemberg (EVALAG), 25/07/2000 et QAA : Businessplan 2000-2003 [NA 2.19.250/242].

247 Netherlands Universities), en 2004701. C’est une fondation indépendante, qui existe encore aujourd’hui et qui propose aux universités qui le souhaitent de les assister ponctuellement et à la demande dans l’évaluation de leurs formations. Elle puise dans les quinze années d’expérience de visites de l’enseignement supérieur de la VSNU, avec un transfert d’une partie du personnel. Aujourd’hui, la position de Ton Vroeijenstijn oscille entre « I accepted accreditation, giving a quality label ; after all, evaluation was informal accreditation » et son appréciation mitigée de la NVAO qui « was loosing all its improvement orientation »702. Il est donc indécis si le fait d’accréditer plutôt que de visiter les formations (« évaluer ») constitue une rupture massive ou si c’est plutôt de l’ordre de la continuité. Pour nous aussi il est difficile d’en juger, puisque nous n’en savons pas assez sur le travail de la NAO/NVAO. La QANU assurément est en continuité personnelle et des pratiques partielle avec l’équipe kwaliteitszorg de la VSNU, mais ce qui était le système de visite se trouve désormais encastré dans d’autres fonctionnements : dès 2004, les universités organisent elles-mêmes l’évaluation de leurs propres formations, en sollicitant la QANU – processus et rapports qui sont ensuite soumis pour accréditation à la NVAO. Les activités de l’agence d’assurance qualité néerlandaise servent directement au processus d’accréditation. C’est une solution de repli pour la VSNU et les présidents d’universités ; imposée par le ministère, la nécessité de l’accréditation est inévitable. Cette position de la VSNU elle-même (que la kwaliteitszorg doit être poursuivie en dehors de son institution) porte à penser qu’elle doit désormais être occupée avec autre chose que l’évaluation, ce dont il faudrait découvrir la nature. Cela n’explique cependant pas les circonstances qui ont mené la VSNU à œuvrer pour – ou à subir – la délocalisation de ses activités premières : il faudrait investiguer la question, s’intéresser notamment aux ressources humaines de l’association à la fin des années 1990. Elles sont probablement limitées précisément par le nouvel impératif qui consiste à accréditer les cursus – mais ce sont des hypothèses qu’il s’agirait de vérifier. Quoi qu’il en soit, on voit que les acteurs d’avant ressentent une rupture (on n’est plus là pour aider les universités à se connaître) ; le fait qu’ils ne rejettent pas totalement le nouveau système indique que eux aussi sont pris dans les transformations de la fin des années 1990 - années 2000 et qu’ils évoluent avec le nouveau mode de gestion sur lequel nous reviendrons en conclusion.

701 VSNU, Stukken betreffende de transitie van de afdeling kwaliteitszorg naar de stichting ‘Kwaliteitszorg Nederlandse Universiteiten/Quality Assurance Netherlands Universities’ (KNU/QANU), 2003-2004 [NA 2.19.250/242]. 702 Entretien avec Ton Vroeijenstijn, mené le 6/02/2018, 10-12h.

248 II. Intégrer un processus standard d’évaluation de la recherche

En ce qui concerne la recherche, le gouvernement souhaite un système d’évaluation de toutes les unités de recherche publique, y compris hors des universités. Le ministère prévoit dès 1998 la mise en place d’un groupe de travail VSNU-KNAW-NWO703 pour créer un nouveau système d’évaluation de toute la recherche du pays, dès la fin du second tour mené par la VSNU, en 2003 : c’est le début des SEP, standard evaluation protocol. L’évaluation n’est plus organisée par la VSNU (elle ne livre plus que les protocoles, élaborés avec les deux autres institutions) mais bien par les universités elles-mêmes : c’est un système qui ne procède plus par discipline (les unités de recherche d’une même discipline ne sont donc plus comparées entre elles), mais qui laisse le soin aux universités d’organiser une par une les évaluations de leurs unités de recherche – dans un cadre néanmoins assez strict. Avec le SEP, on suit un protocole uniforme, qui ne diffère pas de ceux utilisés jusque là par la VSNU. Il s’agit d’un système plus décentralisé mais en même temps plus formalisé et fixé par un protocole national pour toute la recherche – plus décentralisé encore que ce qui se passe avec la QANU qui continue à prendre en charge les évaluations pour l’enseignement supérieur (alors que le SEP n’est qu’un texte). Le régime d’évaluation fixé en 2003 est divisé en périodes de 6 ans (chaque unité de recherche doit être évaluée avec cette périodicité) et chaque période est celle d’un nouveau SEP (2003-2009, 2009-2015, 2015-2021). Ces protocoles successifs opèrent parfois des changements : le deuxième protocole laisse ainsi plus de place aux adaptations pour chaque domaine ou discipline, en introduisant des terms of reference devant être rédigés pour chaque évaluation au cas par cas, et le protocole spécifie comment procéder dans les cas spéciaux de la recherche interdisciplinaire. D’après Jack Spaapen704, une opposition forte est en train de grandir vers 2001 chez des chercheurs contre cette évaluation qui emploie des « hard indicators » (bibliométriques) et n’est pas adaptée pour les sciences humaines et sociales mais aussi certaines sciences techniques et expérimentales. Cela peut expliquer l’apparition de ces terms of reference. 2009 introduit également un « follow-up » qui vérifie, entre deux évaluations, si les recommandations sont suivies. Les quatre critères d’évaluations sont similaires depuis le début – production, c’est à dire qualité de la recherche et productivité ou quantité, pertinence

703 Le groupe de travail est en fait composé d’experts indépendants choisis par ces trois institutions, pas de membres de ces trois institutions. 704 Chercheur néerlandais en science studies, il travaille depuis 1999 à la KNAW, notamment en tant que « policy advisor » sur des questions d’évaluation de la recherche et de recherche et innovation responsables. Entretiens menés le 21/09/2015 et le 7/02/2018.

249 générale puis sociétale, et perspectives ou vitalité et faisabilité. Mais le dernier SEP en date (2015) a retiré le critère de « productivité » pour ne garder que la qualité scientifique ; il n’a plus recours aux indicateurs bibliométriques. Le système de notation pour chaque critère, qui existe depuis 1993, comprend 3 puis 4 niveaux, mais est plus amplement détaillé dès le premier SEP. Il faudrait ici affiner l’interprétation de ce qui est en train d’advenir dans ce système d’évaluation de la recherche mais il semble y avoir deux mouvements au premier abord contradictoires : une évolution qui répond probablement aux critiques, c’est-à-dire moins de bibliométrie et de focus sur la productivité des unités de recherche, et une adaptation systématique du protocole au domaine évalué. La marginalisation partielle et progressive des indicateurs bibliométriques porte à penser que la raison des universitaires et leur souci du jugement des pairs ait finalement réussi à l’emporter sur le gouvernement par les nombres – c’est un phénomène étudié par Claire Donovan en Australie, alors qu’un mouvement opposé a eu lieu au même moment au Royaume Uni (plus de poids aux indicateurs bibliométriques)705. Mais il y a également une autre évolution, avec le SEP, qui donne davantage l’impression de maintenir ou d’accroître la contrainte qui pèse sur ces unités de recherche (la notation, le follow-up). Les universités sont elles-mêmes en charge, mais elles sont contraintes par le SEP. En effet, il semble que les exercices du SEP aient plus de conséquences, en termes financiers et existentiels pour les unités de recherche, que les évaluations des années 1990 ; les présidents les utilisent pour arbitrer des fonds voire pour fermer des départements – et les évalués œuvrent pour que le critère de productivité soit moins important dans ces arbitrages : c’est ce vers quoi pointent les indices récoltés dans notre enquête collective de 2014706.

III. Moderniser l’administration des universités

La VSNU perd ainsi ses fonctions évaluatrices, dans l’enseignement supérieur aussi bien que pour la recherche ; elle les délègue aux équipes de direction des universités et à leurs administrations. Ces changements sont cohérents avec les réformes récentes de l’organisation des universités, qui renforcent les équipes de direction des universités. La loi de 1997 pour la « modernisation de l’organisation de la gestion des universités », MUB (Wet Modernisering Universitaire Bestuursorganisatie), est analysée dans la littérature comme introduisant une

705 Donovan, Claire, « Introduction: Future pathways for science policy and research assessment: metrics vs peer review, quality vs impact », Science and Public Policy, vol. 34 / 8, 2007, p. 538-542, [En ligne : http://spp.oxfordjournals.org/content/34/8/538.short]. 706 Augustin, Manuel, Baudrin, Mathieu, Dauguet, Benoît, et al., Valuating Sciences Through Research Evaluation : the Netherlands and France, op. cit.

250 rupture avec le modèle des universités comme démocraties représentatives en place depuis 1970 – il s’agirait aussi d’une reprise de contrôle du ministère sur les universités707. Elle traduit les critiques, au sein du ministère, qui auraient été formulées à l’égard de la manière dont les universités se géraient et se gouvernaient jusque là : nous avons déjà évoqué ce type de critiques dans le premier chapitre sur les Pays-Bas, depuis 1979 au moins, dans le rapport bilan de la WUB de 1970 (la réforme qui introduit, avec des compromis, des organes représentatifs dans les universités)708. Essentiellement, les critiques, à présent comme alors, regrettent la difficulté à prendre des décisions compte tenu des nombreuses instances et des avis divergeant des représentants qui y siègent. En 1997, les universités se trouvent en effet sous le ministère de Jo Ritzen (depuis 1989), travailliste mais également celui-là même qui fait partie en 1987 du groupe publiant le pamphlet sur l’université entrepreneuriale avec le cabinet de conseil McKinsey : pour des universités qui seraient libres de demander des frais d’inscription, de sélectionner leurs étudiants, de spéculer709. La réforme de 1997 (MUB) consiste à remplacer une structure de gouvernement voulue plus horizontale et démocratique par une structure plus verticale, qui donne plus de poids à l’équipe de direction des universités, réduite de quatre à trois membres, au détriment des conseils universitaires élus, ainsi qu’aux doyens au détriment des conseils facultaires. Concrètement, la présidence de l’université, le executive board, est désormais désignée par un organe de supervision (supervisory board), lui-même nommé par le ministre. Il approuve les plans budgétaires et stratégiques de l’université, les rapports annuels, la comptabilité et la réglementation sur les structures de prise de décision internes. Auparavant, pour rappel, le ministère nommait le président mais les autres membres du CvB étaient élus. Le ministre n’a en apparence pas plus d’incidence directe sur le président de l’université, mais en réalité il élargit son emprise par le biais de cet organe de supervision (qui nomme l’entièreté du CvB).

707 de Boer, Harry, Institutionele verandering en professionele autonomie. Een empirisch-verklarende studie naar de doorwriking van de wet “Modernisering Universitaire Bestuursorganisatie” (MUB), thèse de doctorat soutenue à la Universiteit Twente, Enschede, CHEPS, 2003, p. 56 ; de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Westerheijden, Don, « From paper to practice: two reforms and their consequences in Dutch higher education », op. cit. ; de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Leisyte, Liudvica, « Public Sector Reform in Dutch Higher Education: The Organizational Transformation of the University », Public Administration, 2007, vol. 85, n°1, p. 27-46. 708 Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Gewubd en gewogen. Rapport, Zitting 1978-1979, 15515 n°2, p. 100- 105. 709 Mertens, Ferdinand, « Mijlpalen: Hoger Onderwijs Autonomie en Kwaliteit (Hoak) nota 25 jaar. Reden tot tevredenheid? », Nederlandse Tijdschrift voor Onderwijsrecht, vol. 23 / 1, avril 2011, p. 61-66; Dossier « Universiteit BV », in Univers. Tilburgs Universiteitsblad, vol. 25, n°13, 20 november 1987, p. 5-12, [En ligne: https://issuu.com/universonline/docs/1987-11-20].

251 Ensuite, le executive board désigne les doyens de facultés, qui désignent les directeurs de programmes : l’ancien mécanisme d’élection est entièrement remplacé. Les conseils élus représentatifs du personnel et des étudiants continuent à exister, mais pour des fonctions de conseil, sans pouvoir de décision sur les budgets. Les « groupes disciplinaires » (vakgroepen), ou unités d’enseignement et de recherche disciplinaires, sont supprimés – pas en tant que groupes d’enseignement ou de recherche, mais ils n’existent plus dans la hiérarchie organisationnelle de l’université. La présidence des universités est non seulement renforcée comme instance d’allocation des moyens, les universités deviennent également employeurs de leur personnel. Il faudrait étudier plus finement ce que ces réformes ont provoqué comme changements dans les universités, et notamment le profil des présidents d’universités. Un chercheur a montré, à l’exemple de l’astronomie, comment les doyens sont de plus en plus des managers et moins des chercheurs – mais son travail porte sur les années 1980, il faudrait s’intéresser davantage aux quinze années suivantes710. Les transformations des institutions sont à mettre en lien avec les nouveaux profils des personnes en charge : de fait, les présidents d’universités sont depuis 1997 les employeurs du personnel universitaire – raison de plus d’être managers. Ils seraient de plus en plus recrutés parmi les « managers publics » : mes interlocuteurs néerlandais m’ont parlé d’anciens ambassadeur, chef de police, ou futur directeur d’hôpital – des « typical chair persons », dont le métier est de présider quoi que ce soit711. Cela a forcément des incidences sur les nouveaux régimes d’évaluation.

IV. Des glissements dans l’histoire de l’évaluation des universités

Nous avons vu que la VSNU perd ses fonctions « évaluatrices » : il faudrait mettre en lien ce changement avec les transformations et réformes que nous n’avons ici que pu esquisser. En effet, si la nature des universités a changé, que les présidents sont désormais d’autres personnalités, avec d’autres fonctions, cela transforme nécessairement aussi l’association des universités. Un travail approfondi sur la VSNU elle-même après 2004 serait indispensable ici pour comprendre ce qu’elle est devenue, une fois débarrassée de son travail d’évaluation, de son équipe de kwaliteitszorg. Que font alors, concrètement, les employés du bureau de la VSNU, les membres délégués, présidents et doyens qui s’y trouvent ?

710 Baneke, David M., « Sterrenkunde na Oort. De veranderende bestuurscultuur in wetenschap en universiteit in de jaren zeventig en tachtig », Bijdragen en mededelingen betreffende de geschiedenis der Nederlanden, vol. 129 / 1, 2014, p. 25-54. 711 Entretien avec Ton Vroeijenstijn, 6/02/2018 et entretien avec Barend van der Meulen, chercheur en science studies au Rathenau Instituut, 1/02/2018.

252 Plus récemment, nombreux ont été les chercheurs à analyser et critiquer le développement des universités néerlandaises vers des institutions orientées de plus en plus vers le profit 712 , des institutions qui spéculent 713 , et fonctionnent selon des logiques managériales et productivistes714. La VSNU est aujourd’hui décriée comme association patronale agissant contre les intérêts des universitaires715. En 1999, l’ancien consultant chez McKinsey et ancien ministre de l’environnement sous Lubbers Pieter Winsemius est invité par la VSNU pour une présentation sur « Personnel management at universities » lors de sa conférence annuelle716. La nomination, pour présider la VSNU, d’un ancien cadre supérieur à Shell et McKinsey en 2017 a suscité l’opposition dans la communauté universitaire – mais il est resté en poste717. Ces transformations semblent être systémiques : elles concordent avec les réformes universitaires, correspondent à des changements de personnel et de fonctions, de philosophies aussi, au ministère, dans les universités et au sein de la VSNU. La VSNU semble avoir perdu ses raisons d’être initiales. Il ne semble plus s’agir aujourd’hui d’universités associées pour maintenir le ministère à distance, qui cherchent à accroître l’autonomie professionnelle ou corporatiste des universités, tout en s’attelant à la tâche de rendre des comptes au ministère – cela doit avoir lieu depuis au moins la fin des années 1990, mais il faudrait dater ces développements, et surtout les situer, beaucoup plus finement. La VSNU n’est plus non plus une institution d’évaluation des universités depuis 2004. Si en 1985 le ministère délègue des tâches à la VSNU, qui en devient un agent, cela semble se déplacer vers chaque université individuellement, et plus précisément sa présidence et le président d’université en particulier, vers la fin des années 1990. De même, si l’autonomie à laquelle aspirent les universités dans les années 1980 est collective, elle semble être davantage individuelle à partir de cette même période. Les universités sont parvenues à tenir le ministère à distance en 1985 (pour concevoir leur propre système d’évaluation), elles n’ont pas empêché le ministère d’imposer son évaluation (l’accréditation) en 2003. Ton Vroeijenstijn caractérise la position du ministère au tournant des années 2000 ainsi : « we can

712 Kroeze, Ronald and Keulen, Sjoerd, « De universiteit is er voor onderwijs en onderzoek, niet voor de winst », op. cit. 713 Engelen, Ewald, Fernandez, Rodrigo and Hendrikse, Reijer, « How Finance Penetrates its Other: A Cautionary Tale on the Financialization of a Dutch University », op. cit. 714 Halffman, Willem and Radder, Hans, « The Academic Manifesto: From an Occupied to a Public University », op. cit. 715 Halffman, Willem, « Hef die vereniging van universiteiten op, die kan niets », op. cit. 716 de Weert, Egbert, « Pressures and Prospects Facing the Academic Profession in the Netherlands », Higher Education, vol. 41, n° 1/2, 2001, p. 101. 717 VSNU, « Over de benoeming van Pieter Duisenberg als voorzitter van de VSNU », op. cit.

253 take back now what we have given in 85 » – une reprise de contrôle dans son interprétation également718. Enfin, en ce qui concerne la manière dont sont désormais conduites les évaluations, il semble que dans ce nouveau contexte, les universités ne réfléchissent plus ensemble sur les enseignements d’un cursus ou d’une discipline ; ils ne font plus visiter ensemble les formations dans un domaine donné. L’enjeu pour la présidence de l’université n’est peut-être plus tant de réfléchir aux cursus et diplômes qu’elles veulent proposer aux étudiants, mais de parvenir à obtenir leur accréditation. De même, si la présidence est gestionnaire et employeuse de ses enseignants et chercheurs, elle souhaite probablement intervenir davantage sur l’attribution de fonds aux différentes unités de recherche, aux départements, et sur leur structuration, justement. Dans la recherche du moins, les évaluations semblent plus porter à ce type de conséquences que dans les années 1990.

718 Entretien avec Ton Vroeijenstijn, mené le 6/02/2018.

254

FRANCE, ÉPILOGUE

CNÉ-AERES, 1998-2006

I. Rupture et succession

Le tournant des années 2000 est pour le CNÉ une période de formalisation de ses activités et acquis, nous l’avons évoqué au second chapitre sur la France. Le nouveau délégué général s’emploie dès son arrivée en 1998 à reconstituer une équipe de chargés de mission au sein du bureau du CNÉ, et à fixer par écrit les procédures jusqu’alors plutôt informelles dans un Livre des références terminé en 2003. Ce nouveau délégué général se souvient d’avoir cherché à engager dans cette période des personnels familiers avec les « habitudes d’évaluation dans le privé », et d’avoir recruté dans des « boîtes d’audit » en 2003-2004719. Le bureau du CNÉ s’élargit donc à des personnes venant d’entreprises, des évaluateurs professionnels : il faudrait caractériser leurs profils plus en détail, d’où ils viennent, et comprendre en quoi, éventuellement, cette nouveauté a pu être accompagnée de transformations des évaluations de cette période (2000-2005) par rapport à celles des quinze années précédentes – même si le Livre des références se veut traduire l’expérience accumulée, plus que modifier les pratiques. Souvenons-nous de l’engagement du bureau du CNÉ dans les activités internationales : après le projet pilote européen de la moitié des années 1990, un employé du bureau devient chargé des affaires internationales en 2000, au moment même de la création de l’ENQA, le réseau pour l’assurance qualité dans l’enseignement supérieur qui fait suite à ce projet européen. Rappelons le récit de ce nouveau délégué général sur le redressement qu’il a dû et su effectuer au CNÉ, qui souffrait de « rapports exécrables avec le Trésor »720. Si les activités du CNÉ dans les premières années 2000 indiquent effectivement un renouvellement,

719 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14h30-16h30. 720 Ibidem.

255 l’impression de période faste ne doit pas nous induire en erreur : le CNÉ a manifestement de moins en moins de soutien par le ministère, il est mis en affaires courantes dès 2004. Le ministère ne nomme ni de nouveau président du CNÉ ni n’assure le renouvellement de ses membres721 – probablement en vue, déjà, de sa suppression en 2006. Le CNÉ est alors remplacé par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) : une agence d’évaluation à la fois des universités (établissements d’enseignement supérieur et de recherche), des formations et des unités de recherche. Ces trois échelons sont visités dans des cycles séparés. La succession entre ces deux institutions s’est faite sur le mode de la rupture bien plus que de la continuité. Certes, une large partie des chargés de mission du CNÉ aurait été reprise par la nouvelle agence. Mais mes interlocuteurs me parlent avant tout d’une rupture. L’ancienne chargée de mission au CNÉ (1989-1995) et son collègue qui est resté pendant les premiers mois de l’AERES (1988-2006) parlent des débuts de cette agence dans des termes très sévères. Cette opposition est principalement dirigée contre la personne du premier président de l’AERES. D’une part, ancien premier président de la CPU, puis, au ministère, directeur de l’enseignement supérieur, son arrivée à la tête de l’AERES est pour eux un problème déontologique : « Donc voilà, ça s’est passé comme ça, deuxième aberration absolument scandaleuse722, alors ça les étrangers n’en croyaient pas leurs yeux, on a eu un ancien président d’université, pire que ça, un ancien premier président de la CPU, qui était à l’époque directeur de l’enseignement supérieur au ministère, et qui se fait propulser premier président de l’AERES. Donc ça j’veux dire, c’est évident qu’en termes de déontologie, c’était in-défendable, mais absolument indéfendable »723. Cette présidence constitue pour cette ancienne chargée de mission un conflit d’intérêt. Le fait qu’elle s’offusque qu’il ait été président d’université (et de la CPU, dans une moindre mesure) peut surprendre, puisque parmi les membres du CNÉ on trouve des anciens présidents d’universités. On comprend que le problème déontologique doit résider avant tout dans la provenance directe du ministère : le CNÉ déploie tous ses efforts depuis sa création pour convaincre les universitaires qu’il n’est pas un instrument du ministère. Les explications de l’ancienne chargée de mission du CNÉ laissent penser qu’elle interprète l’arrivée de

721 Ibidem ; entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30 ; Bulletin du CNÉ, n°s30- 50, novembre 2000-juillet 2005 [AN 20080020/289]. 722 Nous revenons à la première « aberration » quelques paragraphes plus loin. 723 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ (1989-1995), 10/02/2016, 14h-16h.

256 l’AERES comme une tentative du ministère de reprendre le contrôle sur l’évaluation des universités : « La secrétaire générale de l’AERES était une ancienne chargée de mission du CNÉ, donc en fait l’équipe du CNÉ a été gardée dans l’AERES, mais sauf qu’il a fallu recruter bien plus de gens, et que si mes souvenirs sont bons, à ce moment là, il y a toute une équipe qui est arrivée, qui étaient les conseillers du ministère. Donc ça a forcément changé les…[Elle ne finit pas sa phrase] [Le premier président de l’AERES] il a eu non seulement l’audace de venir, mais en même, en plus il a emmené l’équipe du ministère. Le ministère n’a jamais aimé qu’il y ait une instance indépendante qui, qui évalue. La résistance en France à la décentralisation et à des autorités administratives indépendantes est quand même quelque chose d’intéressant »724. D’autre part, ce premier président de l’AERES aurait manifesté son dédain par rapport à l’expérience accumulée par le CNÉ depuis 1985 : selon l’ancien chargé de mission du CNÉ qui est passé à l’AERES, elle était « pilotée par des gens sans vision », son président a voulu faire « table rase », « nier ce qui s’est fait avant »725. Son ancienne collègue abonde dans le même sens : « Et, il dit, y a pas besoin de méthodologie d’évaluation, mais l’a dit, mais franco de port, on fait confiance aux experts, et il a envoyé gambader, sans aucun cadrage méthodologique, des experts dans des universités, en disant on va faire je sais plus combien d’évaluations en trois mois ou six mois. Alors on pourrait penser que des gens responsables et raisonnables ont dit mais non mais on veut pas aller faire ça, et on constate que tous ces gens sont des ventres mous de première grandeur, parce que des dizaines de personnes ont accepté d’aller faire ça »726. On peut mesurer l’affront que cela doit représenter à l’importance, que nous avons vue au second chapitre sur la France, qu’accorde le bureau du CNÉ à son travail méthodologique : le travail pour élaborer les listes d’items, la réflexion sur comment mener les évaluations est le gage du sérieux de leur travail ; il le met en avant dans ses interventions orales, écrites, et dans ses publications (je pense au Bulletin du CNÉ). Dans le vécu de cette ancienne chargée de mission, l’attitude du président de l’AERES est un déni du travail qu’ils ont mené au CNÉ pendant vingt ans, et montre une rupture avant tout dans les manières de travailler. Après cette première phase, l’AERES se serait néanmoins « remise à travailler proprement ». Elle remet effectivement en ligne des « référentiels » construits sur le modèle

724 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016. 725 Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10h-12h30. 726 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016.

257 du Livre des références du CNÉ727. Malgré le rejet initial, l’AERES puise donc dans l’expérience accumulée au CNÉ – le contraire aurait été surprenant, compte tenu du transfert du personnel. Mais l’opposition des inventeurs de la première évaluation porte également sur la forme de la nouvelle agence : « la loi qui est passée [en 2006], a été dictée par la recherche, et c’est pour ça que l’AERES était l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Et on ne s’est pas préoccupé de l’évaluation institutionnelle et de l’évaluation de programme, ni de la dimension institutionnelle, ni de la dimension éducative, formative, n’étaient au premier plan, c’était la recherche. Moyennant quoi on a créé cette usine à gaz, qui n’a aucun sens, il n’y a aucun autre exemple de par le monde, dans un pays de la taille de la France, d’avoir un seul organisme, et qui plus est qui coiffe les trois entrées, je veux dire c’est, ‘fin, c’est évident que c’est une aberration »728. Le second secrétaire général du CNÉ se souvient également que dans les premiers textes de la loi sur la recherche de 2006, la nouvelle agence d’évaluation devait n’être qu’une « AER », agence d’évaluation de la recherche : « c’était contre tout ce que nous avions fait depuis des années ». Pour les anciens, cela signifie ignorer l’utilité sociale des universités qui consiste à enseigner et former des jeunes gens. Il souligne la contradiction avec les engagements français pris lors d’une conférence du processus de Bologne à Bergen en 2005 : « on avait signé là, les français, qu’on allait mettre en place l’évaluation de l’enseignement supérieur ». Le CNÉ aurait donc bataillé pour que la future agence évalue aussi l’enseignement supérieur : les universités en tant que lieux d’enseignement, et ces activités elles-mêmes729. Manifestement, le problème principal des établissements d’enseignement supérieur, dans les années 2000, n’est plus (ou ne doit plus être) celui de développer des cursus et des diplômes différents pour préparer les nombreux et nouveaux étudiants à une diversité de métiers, mais doit concerner les activités de recherche. Il faut en effet penser à la stratégie de Lisbonne promue à ce moment-là, selon laquelle les pays européens doivent miser sur l’ « économie de la connaissance » pour s’assurer un bon avenir : cela suppose le développement des connaissances, et au premier chef des activités de recherche scientifique.

727 www.aeres-evaluation.fr ; l’ancien site web de l’AERES semble avoir disparu, mais il contenait tous les référentiels en question, repris en partie par l’HCERES aujourd’hui. 728 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016. Je mets en italique les mots qu’elle prononce en exergue. 729 Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016.

258 Le problème de la nouvelle évaluation, pour les anciens, est ainsi non seulement l’agence et son président, l’ampleur démesurée des tâches qu’elle prétend prendre en charge, mais aussi le fait qu’elle évalue la recherche : en tant que telle, elle reçoit de nombreuses critiques. « la nouvelle loi [de 2013] a été complètement dictée par la recherche, parce que c’est l’évaluation de la recherche qui déplaisait aux chercheurs, et sinon le reste du travail de l’AERES qui s’était remis à travailler proprement, personne n’en a parlé, et là on s’est trouvé dans une situation encore plus aberrante, qui était que l’AERES est remplacée par l’HCERES dans la loi, ça met bien plus d’un an à se faire, au risque de perdre la reconnaissance européenne au travers de l’ENQA »730. J’ai déjà évoqué la différence fondamentale qu’il semble y avoir entre évaluation de l’enseignement et évaluation de la recherche dans le second chapitre néerlandais : les mêmes hypothèses peuvent être reprises. Les évaluations de la recherche sont susceptibles d’être plus normatives, contraignantes et conflictuelles pour les chercheurs, peut-être pour leur plus grande incidence sur leurs carrières.

II. Glissements et différences fondamentales

Si la loi sur la recherche de 2006 met en place l’AERES, une Agence nationale pour la recherche (ANR) est créée dès 2005 : elle distribue des financements conséquents pour des projets de recherche soumis à des évaluations sur dossier731. Les transformations dans les politiques de recherche – et même plus spécifiquement des formes d’évaluations de la recherche ou plutôt la redéfinition de ce que doit être « la recherche » et comment on juge sa qualité – sont donc plus larges que l’introduction de visites d’évaluation dans les unités de recherche, et elles ont un impact plus sensible. En effet, les évaluations de l’ANR décident directement de l’octroi de ressources. Les notes qu’accordait l’AERES aux unités de recherche semblent avoir été un vecteur de réputation notamment pour la constitution des laboratoires d’excellence (Labex), structures destinées à accueillir des financements pour des projets de recherche à plus large échelle732. À cela s’ajoutent des réformes des services publics en général et des universités en particulier. La loi organique relative aux lois des finances (LOLF) de 2001 signe

730 Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016. 731 Je renvoie ici aux travaux d’Émilien Schultz et notamment sa thèse : Construire une économie de la recherche sur projets. L’installation de l’Agence Nationale de la Recherche en France et ses conséquences dans les domaines de la génomique végétale et de la chimie durable, op. cit. 732 Augustin, Manuel, Baudrin, Mathieu, Dauguet, Benoît, et al., Valuating Sciences Through Research Evaluation : the Netherlands and France, op. cit.

259 l’introduction de l’attribution des moyens aux services publics en fonction de la mesure de leurs « performances ». En 2007, les universités deviennent plus « autonomes » dans la gestion de leurs budgets et ressources humaines et (sur demande) propriétaires de leur immobilier, par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU). Toutes ces transformations sont étudiées dans une littérature abondante, qui situe notamment l’inauguration de l’ère de l’évaluation dans les universités à ce moment-là, au milieu des années 2000 – ce qui sous-entend que les évaluations menées par le CNÉ n’en sont pas véritablement. Il resterait alors à savoir dans quelle mesure les visites des établissements menées par l’AERES sont différentes de celles du CNÉ. Le nouveau régime d’évaluation est décrié par les concepteurs des années 1980 comme beaucoup plus procédurier ; elle a perdu le sens qu’elle avait pendant sa conception, cherchant à aider les établissements à s’améliorer. 2006 est probablement une rupture nette dans les pratiques de cette forme d’évaluation, mais nous en savons peu sur l’évaluation au CNÉ dans les premières années 2000 par rapport à la période précédente (1985-1998). Par exemple, contrairement au CNÉ, l’AERES semble avoir très tôt souscris aux préceptes du quality management : l’agence publie des « référentiels » (alors que le bon vieux CNÉ n’a que des listes d’items), des guides pour les évaluations avec des listes de critères (avec explications détaillées), qui se déclarent conformes à l’assurance qualité733. Une différence fondamentale réside à mon sens dans l’usage de ces documents : les listes d’items servent aux évaluateurs et aux évalués avant tout, ils sont constamment adaptés pour chaque visite, tandis que le référentiel a vocation de circuler davantage, il est présentable et davantage fixé. Mais il s’agit aussi d’une différence plus graduelle dans le niveau de précision que prennent par exemple les descriptions des critères. Déjà, un document de 2006 montre que le terme « référentiel » est une proposition du CNÉ : pour traduire l’anglais « standard » ils proposent « référence » (« qu’il [le CNÉ] utilise déjà dans le cadre de ses propres activités »), et « ‘référentiel’ pour nommer des ensembles de références »734. En janvier 2006, à ses derniers moments, le CNÉ publie une traduction française d’un guide de l’ENQA : « Références et lignes directrices pour le management de la qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur ». Ce texte, comme les documents plus tardifs de l’AERES, évoquent sur presque chaque page le management de la qualité ou l’assurance

733 Voir par exemple AERES, Le référentiel qualité de l’AERES, décembre 2009, p. 9 ; Manuel qualité de l’AERES, octobre 2010. 734 CNÉ, Références et lignes directrices pour le management de la qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur. Traduction proposée par le CNÉ, janvier 2006, p. 2.

260 qualité, mais sans se référer à l’origine de ces concepts. Il faudrait ici ouvrir la boîte noire du management de la qualité, qui bien qu’il existe des manuels et doctrines gestionnaires de ce nom, n’est probablement pas un ensemble toujours homogène où qu’il soit mobilisé. Le CNÉ explique sa traduction ainsi : « Le ministre français chargé de l’enseignement supérieur a signé à Bergen en mai 2005, au nom de la France, le texte adoptant ces références et lignes directrices [celles décrite dans le document traduit émanent de l’ENQA, dont le CNÉ est membre]. Elles s’imposent donc à l’ensemble des parties prenantes françaises, notamment les établissements et les diverses structures d’évaluation. Le CNÉ souhaite que ceux-ci s’en saisissent pour améliorer leurs politiques et démarches en faveur de la qualité de l’enseignement supérieur »735. Enjoindre les établissements à se saisir de références afin d’améliorer leurs démarches en faveur de la qualité – voilà qui semble bien loin du CNÉ des années 1980, quand il enjoignait la « communauté universitaire de se connaître d’elle-même », pour « faire comprendre comment fonctionnent les universités », faire leur « bilan de santé », pour « dire ce qui fonctionne bien ou mal, ce que l’on peut corriger ou améliorer », « savoir écouter les revendications et suggestions des étudiants ; voir comment les enseignements respectent les deux impératifs souvent contradictoires de formation à une culture générale et de formation professionnelle ayant des débouchés »736. Le contraste linguistique est frappant – le texte de 2006 effectivement semble plus procédurier, désincarné. Cela semble être une caractéristique de l’évolution de la langue dans d’autres contextes également sur la même période737. L’entrée de notions du management de la qualité dans l’évaluation des universités semble ici être un effet de traduction, de contacts avec l’étranger, de souscription à des agendas européens. Il faudrait notamment étudier par quelles voies ces agendas opèrent sur les transformations locales, des systèmes d’évaluation et universitaires. Dans tous les cas, sous cet angle de vue, la transformation de l’évaluation est davantage un glissement progressif qu’une rupture radicale. Notons que la rupture dont me parlent les premiers chargés de mission du CNÉ ne consiste pas dans l’introduction de techniques managériales dans l’évaluation : la voir comme un glissement qui s’est opéré dès la fin du CNÉ me semble plausible. Aussi, la transition vers l’AERES mériterait d’être analysée plus en détail. Les autres transformations contemporaines sont des éléments d’explication : on pourrait avancer que la volonté du ministère d’installer une institution d’évaluation plus étendue coïncide avec sa

735 Ibidem. 736 Laurent Schwartz, Discours d’installation du CNÉ, 10 mai 1985, p. 1-4 [AN 20080020/27]. 737 Moretti, Franco et Pestre, Dominique, « Bankspeak: the language of World Bank reports », op. cit.

261 politique d’accorder plus d’ « autonomie » aux universités (qu’elle est le revers de la médaille, en quelque sorte, la même rhétorique qu’en 1985 : on laisse aux universités plus de latitude dans la gestion de leur budget, donc on surveille les résultats grâce à l’AERES) ; que les visites des unités de recherche vont de pair avec la politique du financement par projet de la recherche – mais les deux processus restent dans les faits très déconnectés. Pour bien comprendre ces développements, il s’agirait de déceler les intérêts de tous les acteurs concernés à ce moment : pourquoi le CNÉ ne convient pas pour le nouveau système d’évaluation ou le nouveau programme pour les universités, ou la recherche, ou l’enseignement supérieur.

En attendant que ces enquêtes soient menées, encore un indice pour tenter de saisir en quoi les évaluations du CNÉ sont différentes de celles de l’AERES, qui sont fortement critiquées dans la communauté académique dans les années 2010. En 1990, l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF) organise un colloque sur « L’université en question. Table ronde internationale sur les nouveaux défis lancés à l’université par les transformations du monde moderne »738 à l’université de Toulouse Le Mirail. Le sociologue Jean Michel Berthelot y fait une présentation intitulée « projet universitaire et dynamique de l’évaluation », dans laquelle il confronte les évaluations du CNÉ aux évaluations « anarchiques et bureaucratiques » et « subies » auxquelles sont habituellement soumises les activités universitaires et qui les aliènent : il fait essentiellement allusion aux demandes d’habilitation des nouveaux cursus et diplômes. Il n’est pas clair à quel titre il parle dans ce contexte, mais ses travaux sur l’épistémologie des sciences sociales l’incitent peut-être à s’interroger sur les évolutions dans le métiers des chercheurs. « L’expérience du Comité National d’Evaluation des Universités laisse penser à l’inverse que les universités françaises ont la possibilité d’accroître leur capacité d’action739 collective pour peu qu’elles acceptent de se soumettre à la discipline d’une auto-évaluation réglée ». Il poursuit en expliquant que l’évaluation du CNÉ est « concertative au lieu d’être bureaucratique », « incitative » et non « coercitive », « empirique » et non « à priori », pour conclure que « comme telle cette démarche résulte moins d’une politique consciente et volontariste du CNE que l’instauration d’un nouvel espace de jeu de l’évaluation mettant en

738 Les actes de ce colloque sont publiés : L’université en question. Actes de la Table ronde internationale sur les nouveaux défis lancés à l’université par les transformations du monde moderne, AISLF et UTM, Institut de sciences sociales Raymond Ledrut, 1991. 739 Je remarque en le citant, ayant déjà écrit une première version de ma conclusion (où j’utilise l’expression « capacité d’action »), que lui aussi évite le terme « autonomie ».

262 évidence la capacité des universitaires – qu’ils soient évaluateurs ou évalués – de la pratiquer avec intérêt et scrupule »740. Il évoque ensuite les limites du système d’évaluation mis en place par le CNÉ. Cette intervention d’un universitaire extérieur au CNÉ (il n’en a du moins pas été membre) est éminemment intéressante pour la croyance qu’elle traduit que le CNÉ fait quelque chose de plus vrai que les autres formes d’évaluation, de plus fidèle aux activités universitaires, et qu’il consiste en un horizon positif et optimiste pour les universités (du moins pour leur « capacité d’action collective »). On peut légitimement se poser la question quel est alors son projet universitaire ; que je ne connais pas. Il faudrait en savoir plus sur les organisateurs et participants à ces tables rondes et leurs positionnements. Toujours est-il qu’il existe parmi les universitaires en 1990 des personnes qui estiment que le CNÉ n’est pas leur ennemi, ni un instrument de contrainte (ou plutôt : il est un instrument d’autodiscipline bénéfique), bien au contraire : il est un outil, une solution contre l’évaluation « subie, anarchique et bureaucratique ». Jean-Michel Berthelot estime que les caractéristiques des évaluations telles que pratiquées par le CNÉ (concertative, incitative, empirique) ne résultent pas d’une politique consciente et volontariste – cependant, elles correspondent à la présentation de soi du CNÉ depuis son inauguration, comme nous l’avons vu dans ses archives : il veut mettre en place un dialogue, aider les universités à s’améliorer et construire ses listes d’items à partir du terrain, au fur et à mesure des visites d’évaluation.

Les basculements ou glissements (en fonction des personnes qu’on interroge et des objets qu’on regarde) qui opèrent dans les années 2000 dans les manières de concevoir et de pratiquer l’évaluation des universités sont liées aux transformations plus larges dans les universités françaises, mais aussi au projet (et à la mise en œuvre) d’un espace européen de l’enseignement supérieur. Souvenons-nous de l’importance qu’accordent les anciens employés du CNÉ à leurs activités européennes, dans le cadre de l’ENQA, et dans la construction de cet espace européen plus largement (cf second chapitre sur le CNÉ). Eux estiment que cette construction européenne est un échec ; par ailleurs, ils sont mécontents de l’évaluation telle qu’elle est pratiquée par l’AERES. Or, les transformations dans l’évaluation se font précisément avec la justification de l’agenda européen. On ne peut qu’en conclure que

740 Berthelot, Jean Michel, « Projet universitaire et dynamique de l’évaluation », in L’université en question… op.cit., p. 15-19.

263 le projet européen des évaluateurs des années 1980 et 1990 ne concorde pas avec celui du processus de Bologne des années 2000. Étudier cela serait un sujet de thèse à part entière.

264

CONCLUSIONS

I. Les années 1980 et 1990

Cette thèse porte sur l’émergence de l’ « évaluation » des universités en France et aux Pays-Bas, dans les années 1980 et 1990. Nous avons vu dès l’introduction combien il est peu évident de savoir a priori ce que « évaluer » veut dire, malgré une littérature foisonnante sur la question. Dans les cas qui nous ont occupés tout au long de cette thèse, il est effectivement question d’institutions et de pratiques dites d’ « évaluation » – et les termes peuvent varier –, mais peu importe la dénomination : ce que nous enseignent ces enquêtes, c’est que dans les années 1980 et 1990, cela signifie, pour la VSNU et le CNÉ, des choses différentes mais précises.

1. La nouvelle fonction sociale des universités

Le CNÉ et la VSNU partent du constat d’un monde universitaire en pleine mutation, et qu’il va falloir changer, adapter, voire réinventer les universités. En France, le nombre d’étudiants inscrits dans le supérieur est passé d’environ 150.000 en 1950 et 300.000 en 1960 à 850.000 en 1970 et 1,2 million en 1980 (puis 1,7 million en 1990 et 2,2 millions en 2000) 741. L’évolution est semblable aux Pays Bas – en nombres absolus évidemment moindres, compte tenu des populations nationales : 30.000 inscrits en 1950, 40.000 en 1960, 100.000 en 1970, 140.000 en 1980742. Les effectifs ont doublé en France et augmenté de trente pourcents aux Pays-Bas entre 1950 et 1960, ils ont été multipliés par presque trois entre 1960 et 1970 dans les deux pays, et ils ont encore augmenté de moitié dans la décennie suivante. Cette croissance est accompagnée par l’augmentation du nombre des cours, d’enseignants (en France en 1950 : 6000 enseignants dans le supérieur, puis 11.000, 35.000, 40.000, 50.000, et 80.000 en 2000743), ainsi que par la création de nouvelles universités, institutions et bâtiments, pour accueillir toute cette activité – par exemple à Nanterre et à Vincennes, à Twente et à Maastricht dans les années 1960 et 1970.

741 http://www.education.gouv.fr/acadoc/ 742 http://www.dbnl.org/tekst/schu069opzo01_01/schu069opzo01_01_0030.php 743 Émin, Jean-Claude et Esquieu, Paul, « Un siècle d’éducation », in Éducation et Formations, n° 54, décembre 1998, p. 69 [consulté en ligne dans la base de données de la DEPP : http://infocentre.pleiade.education.fr/silene/].

265 Face à ces bouleversements démographiques, les universités ne peuvent plus faire comme avant : Laurent Schwartz le dit clairement dès 1981, et les présidents d’universités néerlandais également partent de ce premier constat dès la fondation de leur association. Désormais, il faut préparer les étudiants, beaucoup plus nombreux et divers qu’avant, à une diversité de métiers : devenir universitaire ou enseignant du secondaire ne peut et ne doit plus être l’horizon pour tous les étudiants. Il faut donc développer de nouveaux cursus et de nouvelles formations, adapter les enseignements au marché du travail et à la multiplication des débouchés envisagés. Les universités ont une nouvelle fonction sociale à remplir. Les cursus et diplômes sont à cette époque régis par des règlementations nationales : aussi, Laurent Schwartz et les présidents d’universités français et néerlandais demandent plus de capacités d’action, plus de souplesse pour développer de nouvelles formations et adapter les leurs aux nouveaux publics. Le terme autonomie est souvent employé dans nos sources (moins par les politiques, plus par les présidents d’universités) pour désigner cet objectif. Pour ses promoteurs, cette forme d’autonomie implique en effet un refus des règlements centralisés des cursus et diplômes, établis dans les cabinets des ministères : ce rejet est commun aux programmes qui sous-tendent la gestation de la VSNU et du CNÉ (et il est présent à la CPU), mais sera plus central dans le programme de la VSNU et sera suivi d’effets plus radicaux aux Pays-Bas : la suppression in fine de ce règlement, le Academisch Statuut. Les institutions et pratiques dites d’ « évaluation » sont donc notamment installées pour tenter de sortir du carcan bureaucratique des ministères, pour se doter de moyens pour élaborer de nouveaux cursus et diplômes et pour faire face au nouveau rôle que doit jouer l’université en contexte d’expansion démographique. Laurent Schwartz – et son projet importe particulièrement dans la mesure où il deviendra le premier président du CNÉ – considère que les universités avancent sans connaître leur impact sur les mondes sociaux qui les entourent. Par l’installation d’ « instances nationales d’évaluation », il souhaite installer des mécanismes de « feedback » de la société vers les universités et leurs activités, universités qui, devenues conscientes des enjeux et des possibles, pourront choisir et se redéfinir. « Évaluer », c’est ainsi un moyen pour les universités de se saisir des problèmes, de leur nouvelle situation, de se prendre en main. En France, la demande d’augmenter les capacités d’action des universités recouvre initialement aussi d’autres objectifs : les présidents d’universités français réunis à la CPU souhaitent pouvoir distribuer leurs budgets en interne et les prévoir avec plus de temps d’anticipation que ce que leur permet le ministère jusque là – mais le ministère n’est pas prêt à céder. Pour Laurent Schwartz, l’« autonomie » doit aussi donner la capacité aux universités

266 de sélectionner et orienter les étudiants dès le début de leurs études universitaires – mais ce projet n’est suivi ni par une partie des présidents d’universités ni par la plupart des membres du ministère Savary. Il en résulte que la gestion budgétaire comme celle des effectifs étudiants par la sélection-orientation sont assez tôt exclues des projets et pratiques d’ « évaluation » qui se mettent en place dans les années 1980 en France.

Pour le CNÉ comme pour la VSNU, c’est le lien des universités avec « la société » qui importe : c’est un enjeu prévalant non seulement lors de la création de ces deux institutions, mais aussi pendant ses activités dites d’évaluation au cours des années 1980 et 1990. Les universités, pour la société, doivent diversifier les cursus qu’elles proposent, et orienter les étudiants vers ces différentes formations, nous l’avons vu. L’enseignement, pour la société, doit préparer les étudiants à entrer sur le marché du travail, mais également, aux Pays-Bas, maintenir un coût acceptable (d’où l’enjeu de l’ « étudiabilité » des cursus dans les temps impartis). La société, c’est ainsi le contribuable et le marché de l’emploi. Certes, l’enseignement supérieur est aussi conçu comme devant servir à la formation à la recherche, à la transmission des savoirs, mais cela ne peut être sa seule utilité pour la société. Le plus grand nombre des étudiants ira « sur le marché du travail » (sous-entendu en dehors du monde académique) ; aussi, la « pertinence sociétale » de l’enseignement passe par la préparation aux divers métiers. La recherche universitaire doit, elle aussi et du moins en partie, être menée pour la société : les transformations dans l’enseignement supérieur se répercutent sur la recherche puisque l’expansion démographique suscite des politiques de coupes budgétaires et d’attribution plus sélective des fonds. La préoccupation première des politiques (et de plus en plus des présidents d’universités) pour la recherche semble effectivement être celle de la répartition des budgets. Se développent alors dans la recherche des outils orientés vers l’allocation des moyens, mais dans les deux pays préexiste également un appareil d’État dédié à la recherche et à s’assurer qu’elle se lie aux intérêts nationaux : en France, la DGRST, les grands programmes de recherche et les organes devant les « évaluer » ; aux Pays-Bas, on peut remonter aux verkenningscommissies des années 1970, mais je pense surtout au financement conditionnel de 1982. Pour la VSNU, les « visites » dans les unités de recherche servent avant tout à identifier et promouvoir la recherche excellente, afin qu’elle puisse être financée de manière prioritaire dans un contexte de coupes budgétaires. En revanche, il semble que l’injonction de lier la recherche à « la société », c’est-à-dire le marché de l’emploi, les industries, les

267 entreprises, les développements technologiques, ne parvienne pas (encore) à s’exprimer pleinement dans le cadre des visites organisées par la VSNU : la procédure néerlandaise pour la recherche n’inclut pas systématiquement des représentants du marché du travail (d’entreprises, des pouvoirs publics) dans les commissions, alors que c’est le cas pour les visites dans l’enseignement supérieur. L’introduction de la « pertinence sociétale » comme critère explicite d’évaluation de la recherche a bien lieu, mais elle est lente et progressive aux Pays-Bas dans les années 1990 et 2000 – elle l’est également en France dans les années 2010, comme le montrent les travaux d’Émilien Schultz et de Clémentine Gozlan sur l’introduction de ce critère à l’ANR et à l’AERES744.

2. Renégocier les tâches et pouvoirs respectifs

Dans les deux cas, on peut observer que la VSNU et le CNÉ sont le fruit de négociations entre universités et gouvernements, mais cela recouvre des réalités différentes : il faut préciser qui sont ces parties dans les deux pays, et en quoi consiste l’interaction. Aux Pays-Bas, d’autres objectifs s’ajoutent à la nécessité de réinventer les universités en fonction de leur nouveau rôle social : au début des années 1980, les universités se sentent menacées par les coupes budgétaires opérées par le ministère (il ne veut ou ne peut répondre financièrement à l’expansion démographique) et souhaitent s’associer pour mieux s’en défendre. Le ministère fait planer une seconde menace sur les universités : il annonce une inspection de l’enseignement supérieur, comme dans le secondaire et le supérieur professionnel. C’est également une conséquence directe de la nouvelle démographie universitaire, de la nouvelle quantité de cours et d’enseignants et des nouveaux cursus à développer : toutes choses sur lesquelles le ministère cherche à maintenir un regard. Il s’agit presque d’une course de vitesse à qui saura en premier satisfaire les nouveaux besoins : le gouvernement pense à une inspection, la VSNU prend les devants et propose sa kwaliteitszorg, son propre « système d’attention à la qualité » qui envoie des comités d’évaluateurs dans ses formations, puis unités de recherche. « Évaluer », dans ce contexte, c’est aussi une alternative à l’inspection ministérielle, c’est s’associer entre universités, c’est tenter d’éloigner l’emprise de l’administration centrale par les ministères. Aux Pays-Bas, les présidents d’universités et le gouvernement renégocient leurs tâches et pouvoirs respectifs. Le gouvernement, c’est des personnels politiques, ministres et

744 Schultz, Émilien, Construire une économie de la recherche sur projets. L’installation de l’Agence Nationale de la Recherche en France et ses conséquences dans les domaines de la génomique végétale et de la chimie durable, op. cit. et Gozlan, Clémentine, « L’autonomie de la recherche scientifique en débats : évaluer l’« impact » social de la science ? », op. cit.

268 membres des cabinets d’un gouvernement chrétien-démocrate de managers – mais nous avons vu que ce qualificatif est trop rapide et ne doit pas occulter le fait que pendant cette période c’est (encore) une approche social-démocrate du gouvernement de l’enseignement supérieur qui domine. Dans la configuration néerlandaise, on observe une certaine convergence entre les présidents d’universités et le personnel politique : une certaine entente sur les réformes à entreprendre, notamment pour laisser plus de liberté de mouvement aux universités, leur déléguer des tâches, « déréguler » la création des cursus et diplômes – bien que, comme nous l’avons vu, les notions telles que « déréguler », et « gouverner à distance » soient redéfinies et renégociées dans le processus. L’autonomie des universités néerlandaises, qui consiste à définir leur propre système de kwaliteitszorg au lieu de subir l’inspection ministérielle de leurs enseignements, est ainsi une victoire des universités. Cependant, elle n’est possible que dans la conjoncture favorable au ministère, qui souhaite déléguer des tâches aux universités tout en gardant un certain contrôle (l’inspection de l’enseignement est tutelle du système installé par la VSNU). En d’autres termes, l’autonomie gestionnaire (la capacité d’action qui consiste à pouvoir développer de nouveaux cursus et diplômes, essentiellement) voulue par les universités l’est aussi par le gouvernement néerlandais ; beaucoup moins par le gouvernement français, qui maintient au contraire une administration centrale forte. Les universités ont d’emblée des capacités d’action plus étendues aux Pays-Bas : ne serait-ce que par le fait que les universités sont capables, en 1984, de se rassembler en une association et d’intervenir dans le projet de réforme du ministère (HOAK). La CPU ne semble pas avoir la force nécessaire pour infléchir les politiques du gouvernement français. En France, les instigateurs de ce qui sera nommé évaluation sont des personnalités universitaires et des membres de la CPU et ensuite du CNÉ : Laurent Schwartz, Jean-Louis Quermonne et René Rémond pour ne citer que les principaux. Les présidents d’universités ont moins de place dans cette histoire qu’aux Pays-Bas. Rappelons que les universités françaises sont historiquement dominées par les facultés : c’est certainement un élément d’explication. Alain Savary fait partie du premier gouvernement socialiste depuis la seconde guerre mondiale en France et ne s’inscrit pas a priori en opposition politique avec les promoteurs de l’évaluation. En revanche, il est très probable que leurs propositions soient inadmissibles pour des raisons politiques de désaccord présumé avec la base électorale du parti socialiste : on ne peut pas laisser chaque université inventer ses diplômes et cursus, cela créerait des inégalités entre les formations et donc entre les diplômés. Ainsi Savary ne permet pas à Schwartz et à son programme de s’imposer : il le tient à la périphérie, le CNÉ reste en marge. La tentative

269 de négociation en France porte donc comme aux Pays-Bas sur qui fait quoi (entre universités et gouvernement), mais aboutit à un compromis peu satisfaisant pour les quelques universitaires à l’initiative, puisque le gouvernement installe une instance d’évaluation largement dépouillée de ses capacités d’action.

Les institutions d’évaluation dans les deux pays constituent des compromis issus des négociations entre universités et gouvernements : la VSNU préexiste à ces négociations ; le CNÉ en émerge, il est fondé après la bataille. Dans les deux cas, ces organes sont intermédiaires entre gouvernements et universités. Néanmoins, le CNÉ doit mener un travail de positionnement beaucoup plus important que la VSNU, qui est déjà peuplée de présidents d’université et de doyens et fait davantage partie du corps universitaire. Le CNÉ est composé d’universitaires de renom ayant eu des charges administratives et de direction dans le monde académique ou dans les ministères, mais ce ne sont jamais des présidents d’universités ou doyens en poste : davantage que la VSNU, le CNÉ œuvre pour se faire accepter par la communauté universitaire comme un des leurs, et non comme une extension du ministère. Dans les deux cas, les membres de ces organes ont des trajectoires hybrides académiques-administratives-politiques (certains sont passés par des postes dans la haute administration dans les ministères), mais la position de la VSNU et du CNÉ est anti-ministère (ils plaident pour une autonomie des universités au sens d’une plus grande indépendance des ministères). Si ces deux institutions sont, évidemment, créées en réaction à ce qui se passe autour des universités, elles viennent de l’intérieur du monde universitaire ; elles ne sont pas importées ou imposées par l’extérieur. Dans le débat sur l’origine endogène ou exogène de l’ « évaluation » évoqué dans l’introduction, je peux donc conclure, pour mes cas, à une grande endogénéité. Clémentine Gozlan fait une observation similaire dans ses travaux sur l’AERES : elle montre la reprise en main par des pairs de la définition des critères d’évaluation de l’agence pour les sciences humaines et sociales (des « experts » issus des communautés universitaires concernées) ; l’évaluation est ici aussi, en 2013, une œuvre endogène745.

745 Gozlan, Clémentine, « L’autonomie de la recherche scientifique en débats : évaluer l’« impact » social de la science ? », op. cit.

270 3. Les vertus formatives de l’évaluation de soi

Pour pouvoir prendre en charge leur nouvelle fonction sociale, les universités doivent avoir les moyens de se prendre en main, de se transformer – moyens qu’elles tentent de négocier avec leurs ministères de tutelles. En conséquence, les procédés qui se stabilisent sous le vocable d’ « évaluation » à ce moment-là doivent essentiellement être réalisés par et pour les entités évaluées : pour aider les universités à se prendre en main, la VSNU et le CNÉ estiment qu’il ne suffit pas d’envoyer des commissions d’évaluateurs dans les unités de formation ou de recherche, ils leur demandent au préalable un exercice de présentation de soi autoréflexif qui constitue le cœur du processus. La VSNU lance son premier tour d’essai de « visitations » des formations universitaires en 1987. On fera visiter toutes les formations d’un domaine dans les universités qui offrent ces formations, par des comités de visite constitués d’enseignants-chercheurs, mais aussi de personnes extérieures représentant des secteurs de la société liés aux enseignements en question, c’est-à-dire du marché du travail. Les membres de l’association, et notamment ses employés, élaborent des guides qui devront être suivis par les évalués et par les comités de visite. Des procédures sont d’emblée fixées par écrit, dans ces guides ou protocoles, tout en laissant des marges aux évaluateurs. L’ « étude de soi » est la pierre angulaire de la procédure : il s’agit de donner des informations sur soi mais aussi de se livrer à un exercice plus souple de réflexion sur soi ; il faut suivre le guide mais il laisse une liberté importante. Les évalués sont invités à faire une description de la situation actuelle de la discipline dans le pays, puis une analyse de leur situation (leurs « forces et défis » et problèmes), ainsi que de se projeter dans l’avenir : les projets, les solutions à leurs problèmes, les changements prévus. Le comité évaluateur glane pendant ce temps des informations sur les universités, facultés et départements concernés auprès de ces différents échelons. Après lecture des « études de soi », les membres du comité viennent visiter les formations in situ, rencontrent et parlent avec des personnels, étudiants et les équipes de direction des différents échelons. Suite aux visites, le groupe d’évaluateurs met ses impressions en commun et, avec l’aide du bureau de la VSNU, rédige un rapport final sur la discipline, avec une partie sur chaque formation dans les universités visitées. Ces rapports peuvent, pour chaque formation concernée, comprendre des recommandations des évaluateurs. Chaque rapport est construit sur le même schéma que les études de soi, et est rendu public.

271 En France, le CNÉ contacte les universités pour procéder à leur « évaluation » dès 1986 : l’entité évaluée est l’établissement dans son ensemble, mais tous les échelons sont sollicités. Là encore, tandis que le bureau du CNÉ cherche à récolter les informations sur l’université à évaluer, le Comité demande aux universités de leur remettre par écrit une évaluation de soi. Pour sa réalisation, le CNÉ élabore une liste d’ « items » à prendre en compte, pour le rapport sur soi mais aussi pendant l’évaluation par les externes : l’ « évaluation interne » comprend des volets sur l’enseignement, la recherche et la gestion de l’établissement (des éléments descriptifs sur les activités passées et présentes ainsi que des éléments prospectifs), ainsi que sur les « relations extérieures » et la « politique générale et les projets d’avenirs »746. Ce travail « méthodologique » d’élaboration de listes d’items ou grilles est le fait du bureau du CNÉ et de ses premiers membres et est réalisé en collaboration avec la CPU. Ainsi préparé, un groupe d’évaluateurs (des pairs des domaines disciplinaires présents dans l’université en question, deux membres du Comité accompagnés par un ou une employée) visite l’université sur place. Chaque évaluateur rédige ensuite son rapport et le soumet au CNÉ : les rapports sont compilés et remaniés par les chargés de mission du CNÉ, discutés au sein du groupe de pairs désignés et publiés sous forme d’un rapport final pour chaque université. Il reprend les mêmes catégories que l’évaluation interne produite par l’université, avec, dans chaque catégorie, les recommandations émises par les évaluateurs, le cas échéant. a. Le soi managérial ?

Les évaluations sont donc tout d’abord des auto-analyses couplées à des inventaires : cela permet à l’extérieur de connaître les universités, mais aussi aux universités de se connaître pour mieux s’administrer elles-mêmes. Aussi, l’ « évaluation » est un état des lieux pour identifier les problèmes et les résoudre ; c’est communiquer entre soi et à l’extérieur ce qui se passe dans les universités. Donner des capacités d’action aux universités passe notamment par des pratiques et des institutions qui les font agir ensemble : il importe avant tout, pour les instigateurs de la VSNU et du CNÉ, que ces moments d’ « évaluation » aient lieu, que les évalués préparent leur rapport sur soi et que des pairs extérieurs visitent l’université – moins les résultats des évaluations dans leur substance. La VSNU et le CNÉ attribuent à l’évaluation une certaine

746 Je cite les intitulés des catégories établies par le CNÉ.

272 performativité en acte : faire faire ensemble permettra de formuler son état pour formuler ce qu’on va faire dans le futur, de prendre conscience de ce que l’on est en train de faire, de formuler ses problèmes pour soi et pour l’extérieur, de les faire exister en y mettant des mots. Une des vertus attribuées à l’évaluation de soi est de faire en sorte que les universités apprennent à se penser elles-mêmes. En même temps, l’évaluation est un moyen pour les universités de se constituer en ensembles : faire faire ensemble aux évalués les fera exister en tant qu’universités, ou plus simplement fera exister des activités de gestion au sein des universités, au niveau des présidences tout d’abord mais aussi aux autres échelons. Après l’aspect autoréflexif, les évaluations sont aussi, et essentiellement, des visites (ou visitations en néerlandais) : elles sont donc l’occasion pour l’université de se mettre en scène, de se présenter, de se donner à voir aux comités d’experts (en sus de le faire pour elle- même). Cela ajoute aux auto-évaluations une dimension de spectacle, qui participe pleinement aux vertus supposées de l’évaluation. Nous avons vu que les évaluations sont aussi des inventaires, des états des lieux, pour se connaître et se faire connaître. Inventorier est une forme de construction de savoirs mais aussi de gouvernement – c’est un thème courant de l’histoire des sciences747. Le processus de Bologne par exemple a été désigné par l’analyste du discours Martin Nonhoff comme une entreprise d’inventaire, plus littéralement de mesure (Vermessung en allemand : prendre la mesure de, inventorier les mesures de)748. En tant qu’inventaire de soi, cet aspect également contribue aux vertus des procédés institués par le CNÉ et la VSNU.

L’auto-évaluation comme moyen pour mieux se gérer est un lieu commun des philosophies de la gestion, a fortiori de celles en vogue depuis les années 1970-80, notamment le quality management749. Mais établir ce lien de parenté ici n’est pas nécessairement plus pertinent que de rappeler l’injonction socratique (connais-toi toi-même) ou les pédagogies alternatives qui promeuvent également l’évaluation de soi, la réflexion sur ses propres

747 Voir par exemple la conclusion générale des trois volumes de Pestre, Dominique (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, Paris, Seuil, 2015, p. 475 (du tome 3). 748 Nonhoff, Martin, « Die Vermessung der europäischen Universität als hegemoniales Projekt. Eine Hegemonieanalyse », in Angermüller, Johannes et al. (éd.), Diskursforschung. Ein interdisziplinäres Handbuch, Bielefeld, Transcript, 2014, Band 2: Methoden und Analysepraxis. Perspektiven auf Hochschulreformdiskurse, p. 206. L’expression Vermessung der Welt désigne en allemand l’entreprise qui consiste à construire des savoirs sur l’entièreté des choses de notre monde, afin, entre autres, de s’en rendre maîtres – c’est également le titre d’un roman historique sur les vies des frères Humboldt et de Friedrich Gauß : Kehlmann, Daniel, Die Vermessung der Welt, Reinbek, Rowohlt Verlag, 2005. 749 Voir par exemple Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking: l’État sous pression statistique, op. cit. ; Stauss, Bernd, « Total Quality Management und Marketing », op. cit. ; McGowan, Robert P., « Total Quality Management: Lessons from Business and Government », op. cit.

273 capacités, points positifs et points négatifs. Le politologue néerlandais Hans Daalder écrit en 1974 déjà sur le multi positionnement politique des réformes universitaires d’après 68 : il y voit à la fois des éléments de « nouvelle démocratie » et de « nouvelle gestion publique »750. En effet, malgré l’air de famille des études de soi avec les principes de l’amélioration permanente dans le Total Quality Management751, je ne peux attribuer la centralité de l’évaluation interne dans nos cas d’études à une pénétration de doctrines néomanagériales dans les universités. Lorsque les sources de la VSNU et du CNÉ des années 1980 et 1990 mentionnent des techniques de management, ce n’est jamais pour les reprendre à leur compte – dans les années 2000 en revanche elles le font. Mes entretiens avec les anciens employés des bureaux de ces institutions d’évaluation ne livrent certes que des souvenirs, ce qui complique la tâche de l’historienne, mais ils se distancient du quality management : en réponse à ma question dans le cas français, spontanément dans le cas néerlandais. Dans le livre de Ton Vroeijenstijn de 1995, il se démarque du concept de qualité tel qu’entendu par les nouvelles formes de management, qui prétend être une « nouvelle invention de la dernière décennie »752. Il sous-entend que les universités n’ont pas besoin d’une mode managériale pour les faire s’interroger sur la qualité (de leur travail, de la recherche, de comment et ce qu’apprennent les étudiants) : ces questions les occupent depuis bien longtemps. b. Un instrument émancipateur

Puisque l’objectif consiste à apprendre aux universités à se saisir de leurs problèmes, à se transformer et à se redéfinir, la VSNU et le CNÉ vivent leurs systèmes d’ « évaluation » comme des instruments d’indépendance, libérateurs, d’empowerment (donner les capacités d’action pour), bien plus que des instruments de contrainte – bien qu’ils soient conscients de cet aspect-là également. Les premiers évaluateurs (employés et membres des deux institutions) expriment à maintes reprises leur attachement au bottom-up : ils veulent partir des situations concrètes des universités, des lieux et des personnes qu’ils évaluent, de leurs diagnostics, intentions et objectifs – être à leur écoute.

750 Daalder, Hans, « The Dutch Universities between the “New Democracy” and the “New Management” », Minerva, vol. 12, n°2, avril 1974, p. 221-257. Comme nous l’avons vu au premier chapitre sur les Pays-Bas, cela concorde effectivement avec notre analyse de la réforme Veringa (WUB) comme compromis entre plusieurs fronts. 751 Cf introduction ; Bruno, Isabelle et Didier, Emmanuel, Benchmarking, op. cit. 752 Vroeijenstijn, A. I., Improvement and Accountability : Navigating between Scylla and Charybdis, op. cit., p. 2.

274 Partir des réalités locales signifie pour eux essentiellement ne pas trop formaliser leurs procédés. En effet, lorsque l’évaluation est mise en œuvre, les bureaux de la VSNU comme du CNÉ ont besoin de définir leurs manières de faire par écrit, de les rendre reproductibles, du moins compréhensibles a posteriori : ils produisent des guides, protocoles, listes d’items, calendriers753. Néanmoins, ils veulent privilégier l’ancrage local de leurs procédés et pouvoir y adapter les formalisations : ils se méfient en effet des dangers d’une formalisation trop rigide. Ainsi, dans l’évaluation des établissements d’enseignement supérieur, la VSNU et le CNÉ refusent catégoriquement que soient établis des classements à partir des rapports qu’ils produisent. La VSNU est consciente (c’est attesté au moins depuis 1993) du potentiel performatif de ses visites, mais elle s’efforce aussi de combattre les potentiels effets pervers : laisser une souplesse dans la définition des critères de qualité et surtout ne pas coupler de sanctions/récompenses aux résultats d’évaluations pour éviter toutes « danses rituelles » lors des visites. C’est pour la même raison que la VSNU refuse tout classement des formations évaluées. Cette conscience à la VSNU ne surprend guère si on pense aux travaux d’Alain Desrosières sur la conscience des statisticiens du caractère construit et conventionnel de leurs chiffres754. De la même manière, les auteurs du Leiden Manifesto par exemple, qui mettent en garde contre les effets néfastes d’une mauvaise utilisation des indicateurs bibliométriques, sont d’autant plus conscients de ces effets qu’ils construisent eux-mêmes des indicateurs pour l’étude des activités scientifiques755. Le procédé est plus inductif en France (le bureau du CNÉ élabore des listes d’items au fur et à mesure), plus déductif aux Pays-Bas (le bureau de la VSNU teste un guide ou un protocole). Mais dans les deux cas, les bureaux se souviennent de leur grand enthousiasme lors des premières évaluations : du sentiment et de la fierté de servir les universités, le bien commun, le service public. Lorsqu’ils parlent de leurs successeurs des années 2000 (QANU, NVAO, AERES), ce sont des transformations qu’ils ne saluent pas, qui dans leur interprétation perdent leur ancrage local, et donc leur sens. De plus, ils expriment (dans les sources historiques cette fois) leurs grandes difficultés à concevoir le deuxième tour d’évaluations – donc la pérennisation du système de visites, lorsqu’il n’est plus construit en marchant, partant des préoccupations locales (du moins c’est ainsi qu’ils le conçoivent). La

753 C’est le propre des institutions : Boltanski, Luc, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009 et les ouvrages d’Alain Desrosières. 754 Desrosières, Alain, « How to be Real and Conventional: A Discussion of the Quality Criteria of Official Statistics », Minerva, vol. 47, n°3, septembre 2009, p. 307-322, [En ligne : http://link.springer.com/10.1007/s11024-009-9125-3]. 755 Hicks, Diana, Wouters, Paul, Rafols, Ismael et al., « The Leiden Manifesto for research metrics », op. cit.

275 procédure, pour elles et eux, doit inciter les universités à se livrer à ces exercices de réflexion sur soi. Enfin, les bureaux ont l’ambition d’harmoniser leurs procédés (ou plutôt : de faire comme tel autre pays, ou d’apprendre aux autres comment ils font), au niveau européen notamment, mais la mise en avant des particularités nationales signifie de fait son contraire, du moins dans l’évaluation de l’enseignement. Pensons aux membres « étrangers » des commissions de visite dont il est toujours précisé qu’ils doivent néanmoins bien connaître le système national d’enseignement supérieur et de recherche, ainsi que la langue – en bref avoir un ancrage local. c. Les pairs définissent la qualité

On remarquera aussi que, compte tenu de la manière dont ont lieu les « évaluations » et des objectifs poursuivis, le CNÉ et la VSNU ne sont pas là pour dire aux universités ce qu’elles doivent faire, mais ils sont là pour que les universités se prennent en main : aussi, on cherchera en vain un définition de la qualité – de ce qu’est un bon enseignement, une bonne recherche, un bon établissement – formulée par le CNÉ ou la VSNU. Par ailleurs, malgré l’omniprésence du terme « qualité » dans nos sources, nous avons vu que ce qui motive les instigateurs de ces deux institutions n’est pas un problème de « qualité » des universités ; c’est beaucoup plus que les universités doivent se transformer, assumer leur nouvelle fonction sociale. Ainsi, lorsque la VSNU et le CNÉ établissent des guides et des listes de critères, il ne s’agit pas de définitions de ce qui est « bon », mais plutôt d’éléments ou d’aspects à prendre en compte, à regarder pour se penser soi-même et produire les rapports. La « valuation »756 – la qualification et l’attribution des valeurs par les évaluateurs à ce qu’ils visitent – est paradoxalement peu explicite dans les évaluations. Elles sont un lieu institué pour ces pratiques de valuation, mais les appréciations sont toujours laissées au cas par cas. Ni la VSNU ni le CNÉ ne se prétendent a priori détenteurs de définitions de la bonne université, du bon enseignement ou de la bonne recherche – ces définitions sont déléguées à l’évaluation par les pairs. Je tiens à préciser que mon propos n’est pas ici de dire que le focus sur la procédure (le fait que des « évaluations » aient lieu) vise à empêcher le débat sur la substance (sur ce qui

756 Au sens des valuation studies (évoquées en introduction).

276 fait qualité), comme cela est reproché aux dispositifs de gouvernement néolibéraux757 ; le débat a bien lieu, mais pendant chaque visitation, pas à l’échelle de la VSNU ou du CNÉ. En effet, les jugements de valeur ont lieu au cœur même des visites, pas en amont ; la définition de la qualité n’est pas une activité politique distincte mais fait partie intégrante de la tâche d’évaluation758 – tout comme la définition des catégories dans le travail statistique, comme nous l’a montré Alain Desrosières759. C’est ce qui est défendu également dans le domaine de recherche des valuation studies760 évoqué en introduction. Ces pairs, les évaluateurs écrivant chaque rapport d’évaluation, sont toujours multiples, et il est impossible (compte tenu des archives conservées) de déceler la contribution de chacun : membres de la VSNU ou du CNÉ, experts sollicités par ces instances, et employés de leurs bureaux. Aussi, s’interroger sur « quelle est la qualité de l’enseignement supérieur selon la VSNU ou le CNÉ ? » est une question de recherche peu praticable et peut- être pas la plus pertinente, pour des raisons heuristiques et ontologiques à la fois. C’est ainsi que l’intérêt, lorsqu’on étudie l’histoire de l’évaluation, notamment dans cette période initiale, consiste moins à comprendre quel système de valeur la sous-tend et promeut, que réfléchir aux configurations (de pouvoir, d’institutions) qui lui donnent lieu et auxquelles elle donne lieu. d. Certaines contraintes néanmoins

Il n’y a donc ni définition de la qualité a priori et en amont par le CNÉ et la VSNU, ni standards formels à l’aune desquels il faut « évaluer ». Les universités restent néanmoins dépendantes des ministères et de certaines injonctions. En France, je serais bien en peine d’identifier une commande de la part du ministère en ce qui concerne les évaluations du CNÉ : c’est à ce stade (en 1985) une dérogation, une autorisation accordée à Laurent Schwartz et ceux qui le soutiennent. Nous connaissons leur programme ; il ne peut être mis en œuvre dans un système universitaire tel que celui de la loi Savary. Les universités restent

757 Pestre, Dominique, « Understanding the Forms of Government in Today’s Liberal and Democratic Societies: An Introduction », Minerva, vol. 47, n°3, septembre 2009, p. 248, [En ligne : http://link.springer.com/10.1007/s11024-009-9126-2]. 758 Paradeise, Catherine et Thoenig, Jean-Claude, « Academic Institutions in Search of Quality: Local Orders and Global Standards », Organization studies, vol. 34, n°2, 2013, p. 189-218, [En ligne : http://oss.sagepub.com/content/34/2/189.short] ; Power, Michael, The Audit Explosion, op. cit., p. 29. 759 Desrosières, Alain, La politique des grands nombres, Paris, La Découverte, 2010. 760 « Introduction » et « Conclusion », in Dussauge, Isabelle, Helgesson, Claes-Fredrik et Lee, Francis (éd.), Value practices in the life sciences and medicine, op. cit. ; Lamont, Michèle, « Toward a Comparative Sociology of Valuation and Evaluation », op. cit. ; Rosental, Claude, « Book Review: Social studies of evaluation: Michele Lamont, How Professors Think: Inside the Curious World of Academic Judgment », op. cit.

277 tributaires de l’administration centrale, mais les activités du CNÉ en leur sein jouissent d’une grande liberté. En revanche, aux Pays-Bas, certains éléments sont cadrés par le haut. La commande du ministère pour les évaluations, c’est qu’elles contribuent à rendre les enseignements plus économiques et plus adaptés aux emplois : les enjeux sont la réduction de la durée des études et que les étudiants trouvent des débouchés. Ce sont encore des injonctions assez vagues et peu efficaces dans l’évaluation de l’enseignement aux Pays-Bas, mais non des moindres. Les évaluations ne produisent pas, par exemple, une preuve du taux d’employabilité des étudiants d’une formation. Il n’y a pas de sanctions suite au système de visite non plus pour les cursus que les étudiants compléteraient en plus de quatre ans. Mais voilà la qualité d’un enseignement universitaire selon la VSNU, voilà une définition minimale de sa valeur, venant du ministère et à laquelle adhère la VSNU – cela n’empêche pas qu’à l’intérieur de la VSNU certains évaluateurs puissent ne pas partager ces valeurs. Dans la recherche néerlandaise, en revanche, l’injonction à identifier la recherche excellente semble avoir plus d’efficacité, ne serait-ce que par la performativité des notes accordées aux Pays-Bas (les « - » et « + » sur une échelle de valeur) : a minima, la qualité est définie comme hiérarchisée. En conclusion du second chapitre sur les Pays-Bas, nous avons relevé les particularités de l’évaluation de la recherche par rapport aux visites dans l’enseignement supérieur : déjà, une différence de vocabulaire pour désigner le processus. L’évaluation dans la recherche, contrairement à celle dans l’enseignement supérieur, se fait en anglais, avec des étrangers dans les commissions. Elle a systématiquement recours à des indicateurs chiffrés sur les activités de recherche, sous forme des études bibliométriques commandées aux scientomètres de Leiden, et utilise un système de notation (+/-) que la VSNU refuse explicitement de voir appliqué aux formations universitaires. Enfin, elle prévoit une commission d’appel pour gérer les désaccords des évalués avec les rapports sur leurs programmes de recherche761. Les visites dans l’enseignement supérieur visent à une différenciation horizontale (une diversité de formations), tandis que les évaluations de la recherche procèdent à une différenciation verticale : il s’agit d’identifier la recherche excellente. Si l’on regarde la littérature critique de l’évaluation, elle porte le plus souvent sur l’évaluation de la recherche : le Leiden manifesto762 tout comme les mises en garde par Yves Gingras763 par exemple

761 En France, l’AERES, contrairement au CNÉ, prévoit également une telle procédure d’appel : AERES, Le régime des plaintes et réclamations touchant à la qualité des évaluations, 12 juillet 2012. 762 Hicks, Diana, Wouters, Paul, Rafols, Ismael et al., « The Leiden Manifesto for research metrics », op. cit.

278 portent sur les research metrics ; les conséquences néfastes sur le métier et le comportement des chercheurs sont avant tout incriminées à la pression à la publication inhérente aux systèmes d’évaluation de la recherche764. L’analyse de mes cas d’étude va dans le même sens : l’évaluation de la recherche est non seulement celle qui semble avoir un plus grand potentiel conflictuel ; c’est avant tout elle qui pose problème. En effet, on peut penser que s’il y a implicitement ou explicitement un classement introduit par l’évaluation dans la recherche, comme dans le cas néerlandais, ce classement est susceptible de pouvoir servir à la répartition des budgets.

4. Deux cas contrastés

Jusqu’ici, la structure de mes conclusions met les deux cas d’étude côte à côte : elles présentent les régimes de cette période dans leur cohérence et elles sont avant tout axées sur les points communs – tout en signalant les divergences entre les deux cas lorsqu’elles sont significatives. Mais malgré les traits similaires relevés dans les parties 1 à 3 de ces conclusions, « évaluer » recouvre des réalités bien différentes dans les deux cas. Reprenons très brièvement ces récits pour dégager et rendre justice aux singularités de chaque cas étudié. Dans le cas français, les programmes initiaux sont portés plus par des personnalités que par un collectif de dirigeants d’universités. Les présidents d’universités (la CPU) ont néanmoins un rôle dans cette histoire, y compris après la mise en place du CNÉ. Ensuite, il s’agit de projets de changements bridés par le ministère : la réforme de 1984 maintient largement le statu quo. C’est dans ce contexte qu’émergent l’institution et les pratiques dites d’évaluation : si les ambitions de changement apparaissent encore vivaces (donner les moyens aux universités de se transformer), les objectifs et enjeux de l’évaluation demeurent difficilement identifiables. Les effets sur les universités restent limités – si ce n’est l’instauration de l’habitude de visiter et de se faire visiter, et faire exister des activités administratives relevant de la préparation et de la réalisation des visites au CNÉ et dans les universités à plusieurs échelons. Dans le cas néerlandais sont à l’œuvre l’association des universités et d’abord les présidents d’universités. Ils négocient avec le ministère, dans une certaine position de force (ils parviennent à imposer leur kwaliteitszorg), mais également sur la base d’un certain consensus sur les réformes à mener. À cet alignement des acteurs correspondent des

763 Gingras, Yves, « La fièvre de l’évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs », op. cit. 764 Par exemple chez Biagioli, Mario, « Watch out for cheats in citation game », op. cit. ; Chamayou, Grégoire, « Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation », op. cit. ; Charle, Christophe, « L'évaluation des enseignants-chercheurs. Critiques et propositions », op. cit.

279 changements plus importants : non seulement l’évaluation s’impose comme une évidence dans les pratiques universitaires, mais les visitations doivent suivre des objectifs définis au sein du ministère (« étudiabilité », débouchés pour les diplômés, détecter la recherche excellente) et elles sont susceptibles d’avoir des conséquences tangibles pour les entités évaluées (si les chercheurs protestent de l’évaluation de leur unité de recherche, c’est qu’ils en craignent les conséquences). L’évaluation, aux Pays-Bas, n’est pas plus qu’en France à cette époque un phénomène de néomanagérialisation, mais elle y déploie des changements plus radicaux.

5. L’évaluation et le NPM – discussion, suite et fin

Si l’on admet les précédentes conclusions, et compte tenu de la littérature sur l’évaluation néomanagériale des années 2000 et 2010, force est de conclure qu’il s’agit de choses bien distinctes à ces deux moments historiques. Dans les années 1980 et 1990, évaluer c’est une alternative à l’inspection ministérielle et un état des lieux pour identifier les problèmes et les résoudre ; c’est obtenir et exercer une plus grande capacité d’action, s’associer entre universités et communiquer entre soi et à l’extérieur ce qui se passe dans les universités. C’est également tenter d’éloigner l’emprise de l’administration centrale par les ministères et se doter de moyens pour élaborer de nouveaux cursus et diplômes afin de faire face au nouveau rôle que doit jouer l’université en contexte d’expansion démographique. Comme annoncé en introduction, le but premier de ce travail n’est pas de savoir si l’évaluation est un instrument néomanagérial, mais plutôt de comprendre comment et pourquoi ces outils, dispositifs socio-techniques, ont été pensés, par qui, dans quels contextes et comment ils ont pu se transformer. Ces recherches me permettent néanmoins d’affirmer qu’avant le tournant de 2000, cela ne ressemble pas à un projet néomanagérial. Dans les cas qui nous occupent, l’évaluation n’est pas une technique de management venue des entreprises et appliquée aux universités. La caractérisation des acteurs impliqués et leurs motivations interdisent cette hypothèse. Dire qu’il y avait déjà du NPM dans les années 1980, même sous forme de traces, d’antécédents, de formes embryonnaires, que l’on observerait dans l’évaluation765, relève ainsi, pour une enquête historique telle que cette thèse propose de l’être, du contresens historique, de l’anachronisme.

765 Comme j’ai pu le faire ici : Waltzing, Aline, « NPM y es-tu ? France, Pays-Bas, Allemagne années 1980 », in Barats, Christine, Bouchard, Julie et Haakenstad, Arielle (dir.), Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance, Presses des Mines, coll. Sciences Sociales, 2018.

280 Sans invalider la littérature qui alerte sur les transformations qui affectent l’enseignement et la recherche depuis quelques décennies, je propose au contraire de contribuer à situer ces transformations dans le temps et dans l’espace, autour d’un dispositif qui est étudié comme véhiculant ces transformations, basculements ou glissements – l’évaluation. Ces dispositifs ont une histoire propre et ne sont pas purs vecteurs d’un projet téléologique ; ils ne sont pas par essence la source de tous les maux qui accablent les universités. Si l’on peut admettre que toute forme d’évaluation a un potentiel managérial, il ne s’exprime qu’en fonction des règles du jeu : l’évaluation néerlandaise se transforme entre autres grâce à la réforme universitaire de 1997, l’évaluation française à la faveur de la LRU. Cette transformation des règles du jeu est l’objet de nombreux travaux sociologiques, en sciences politiques, en sciences de l’information et de la communication ; en revanche, il y a peu de travaux historiques sur le sujet. La prochaine étape serait de caractériser plus finement les transformations du troisième millénaire : en quoi la situation est-elle différente des années 1980 et 1990, et quelles sont les dynamiques à l’œuvre, comment caractériser ces changements ?

II. Après le tournant 2000

1. Caractérisation des nouveaux régimes

Les conclusions que j’avance ici sont davantage de l’ordre de l’hypothèse et sont tirées des épilogues : elles portent sur ce qui semble changer vers l’an 2000 et qui diffère de ce que nous avons connu jusqu’ici. Tout d’abord, les acteurs, les employés et membres de la VSNU et du CNÉ, ceux qui les peuplent, mais aussi le personnel politique, semblent changer de nature. En effet, le renforcement des capacités d’action des universités est passé par une présidentialisation des universités : les présidents obtiennent plus de pouvoirs. En France, on peut voir le renforcement de la position des présidents d’universités tout d’abord dans les contrats qu’ils signent avec le gouvernement dès 1989, puis de manière plus décisive avec la LRU en 2005. Aux Pays-Bas, l’équipe de direction et son président sont renforcés dès la réforme de 1997, tout comme les doyens, par l’affaiblissement des instances représentatives et le renforcement des rapports hiérarchiques. Les présidents d’universités deviennent de plus en plus des gestionnaires, a fortiori aux Pays-Bas où ils deviennent employeurs de leur personnel. Le personnel politique dans les gouvernements aussi change : prenons comme exemple Jo

281 Ritzen, partisan d’un modèle d’universités entrepreneuriales, qui accède au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dès les années 1990. Il apparaît clairement que ces changements au sein du personnel et des rapports hiérarchiques feront à terme évoluer les procédures. En effet, nous avons vu que les pratiques changent fondamentalement à la fin des années 1990 et au début des années 2000, en France comme aux Pays-Bas. De nouvelles institutions prennent en charge ce qui est alors stabilisé sous le terme d’évaluation ou de kwaliteitszorg : QANU, NVAO, SEP (ce dernier est un protocole, pas une institution au même titre que les autres) et AERES. Elles font respectivement de la quality assurance, de l’accréditation et de l’évaluation. Dans le cas néerlandais, il s’agit plutôt d’un glissement que d’un basculement : la QANU est une fondation directement issue de la VSNU. Mais l’accréditation des formations dans l’enseignement supérieur succède, souvent en la remplaçant, à l’évaluation et consiste à bien des égards en son contraire. Les inventeurs de la première évaluation des années 1980 présentent l’accréditation des années 2000 et 2010 comme la vérification d’une adéquation des formations avec des standards fixés auparavant (un processus fortement formalisé), alors que les visites des années 1980 et 1990 se veulent construites par le bas, et laissent aux universités la latitude d’exprimer leurs préoccupations dans leurs études de soi. Les transitions des années 2000 se font davantage sur le mode de la rupture dans le cas français, avec une hostilité explicite des employés du bureau des années 1980 et 1990 au nouveau cours pris par les institutions – et un CNÉ en affaires courantes environ deux ans avant la création de l’AERES. En France, l’opposition se fait moins avec l’accréditation qu’avec la nouvelle instance qui évalue les formations, les établissements et la recherche de manière « industrielle », c’est-à-dire en négligeant la localité – cela signifie que les évalués ne peuvent pas en faire quelque chose d’utile pour eux. C’est une déception partagée que l’évaluation des années 2000 a perdu son sens – le sens qu’ils y avaient trouvé dans les années 1980 et 1990. Ces nouvelles activités, ou activités transformées, font écho à de nouvelles préoccupations au sein des universités mais aussi au sein des gouvernements. Les transformations à l’œuvre – surtout celles observées aux Pays-Bas – indiquent une reprise en main de l’extérieur sur les dispositifs d’évaluation étudiés dans cette thèse : le ministère reprend le contrôle de l’évaluation déléguée à la VSNU pendant deux décennies et établit des

282 systèmes d’évaluation plus contraignants. D’autres travaux sur l’ESR néerlandais confirment cette interprétation766. On peut penser, dans la lignée des reprises en mains et pressions extérieures, aux universités états-uniennes et aux lois et décisions de la Cour suprême des années 1980 : lors de la présidence Reagan, pour des raisons politiques et idéologiques, les universités deviennent des institutions fortement incitées à prendre des brevets. Cela transforme profondément, en quinze à vingt ans, la nature des universités américaines. Ces transformations pèsent sur les universités européennes : notamment via l’OCDE et son rôle de promoteur de l’innovation et des start ups organiquement liées à l’université, idées dont l’efficacité s’impose via le modèle de la Silicon Valley767. La manière dont s’est déroulée la délocalisation des visites de l’enseignement supérieur, et avant tout le vocabulaire employé pour ce faire, est indice d’un changement remarquable : les activités de « visitation » de la VSNU sont présentées en 2003 comme au centre d’un marché, les universités en sont des « clients », et chaque université sollicite désormais individuellement la QANU pour effectuer chaque évaluation. En France également nous avons vu le contraste linguistique entre les textes des débuts du CNÉ et ceux de l’AERES. Les transformations linguistiques observées dans l’épilogue sur la France sont très proches de ce que Franco Moretti et Dominique Pestre ont étudié dans les rapports de la Banque mondiale à la même époque, c’est-à-dire à la fin des années 1990 et au début des années 2000 : une langue de plus en plus opaque, peu concrète, autoréférentielle et managériale768. De nouvelles fonctions et règles régissent désormais ce qui est (toujours) appelé « évaluation », et une nouvelle langue s’impose, dont le corps social dirigeant semble s’imprégner, y compris les présidents d’universités. Le tournant de la fin des années 1990 et du début des années 2000 semble ainsi s’accomplir sous l’influence de plusieurs dynamiques, comme le renforcement de la position des présidents dans les universités, les demandes d’objectivation des États, les pressions exercées par Bologne et Lisbonne et relayées par les gouvernements, mais aussi les demandes d’autres provenances. Remémorons-nous par exemple les tentatives de la presse, dès le début des années 1990, de fabriquer des classements à partir des rapports d’évaluation : selon ces

766 de Boer, Harry, Institutionele verandering en professionele autonomie, op. cit., p. 56 ; de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Westerheijden, Don, « From paper to practice: Two reforms and their consequences in Dutch higher education », op. cit. ; de Boer, Harry, Enders, Jürgen et Leisyte, Liudvica, « Public Sector Reform in Dutch Higher Education: The Organizational Transformation of the University », op. cit. 767 Pestre, Dominique, Science, argent et politique. Un essai d'interprétation, op. cit. 768 Moretti, Franco et Pestre, Dominique, « Bankspeak: the language of World Bank reports », op. cit.

283 journalistes, pour répondre à la demande des étudiants et de leurs parents. Ces personnes semblent alors partisanes d’une plus grande « efficience » à stimuler par la concurrence. Dès la fin du CNÉ, ses anciens employés accordent beaucoup d’importance à ce que leur successeur, l’AERES, reste membre du réseau d’ « assurance qualité » européen ENQA : l’ « évaluation » est désormais fortement marquée par le processus de Bologne et l’harmonisation d’un espace européen d’enseignement supérieur. Les accréditations, tout comme le système introduit par l’AERES, doivent aussi servir à remplir le cadre européen et ses demandes en réglementation uniforme769. Par ailleurs, à cette époque, la libéralisation et la mise en concurrence voire la privatisation des universités sont à l’agenda de l’OCDE (ce qui n’est pas vrai en 1980- 1990)770 – et de nombre de politiques dans ces années, comme le montrent de nombreux travaux cités en introduction. La meilleure illustration du nouveau cours sont la stratégie de Lisbonne et le Livre Blanc de la Commission européenne sur la participation : on peut émettre l’hypothèse qu’ils sont des facteurs contribuant à accentuer l’importance de la « pertinence sociétale » (et alors essentiellement économique via la course à l’innovation) dans l’évaluation – et le financement ! – de la recherche771.

2. La nature des transformations a. Détournement de l’évaluation ? quelques analogies

Comment interpréter ces transformations ? Nous venons de voir le contraste entre les années 2000 et 2010 et ce que j’ai décrit pour les années 1980 et 1990. Je postule ainsi une non identité entre les phénomènes d’ « évaluation » en différents lieux et à différents moments. Comme évoqué à maintes reprises dans les chapitres précédents, les mots utilisés gardent rarement la même signification dans des situations différentes : « autonomie » peut vouloir dire rendre des comptes, la « qualité » désigne rarement la substance de quelque chose et plus souvent des procédures à suivre, voire un état d’esprit, et la « débureaucratisation » indique rarement la disparition de règles administratives. Plusieurs observateurs ont noté cette propension (qu’ils attribuent souvent au management) des mots à se vider de leur signification

769 On peut ici se référer par exemple à Garcia, Sandrine, « Réformes de Bologne et économicisation de l’enseignement supérieur », op. cit. ou Scholz, Ronny et Angermüller, Johannes, « Au nom de Bologne? Une analyse comparative des discours politiques sur les réformes universitaires en Allemagne et en France », op. cit. 770 J’en trouve notamment des indices dans les publications du programme Institutional Management in Higher Education (IMHE) de l’OCDE que j’ai étudiées avec Quentin Fondu et Mélanie Sargeac. 771 Je renvoie ici par exemple au travail de Bruno, Isabelle, À vos marques, prêts, cherchez !: la stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, op. cit.

284 habituelle pour en acquérir une autre, parfois opposée772. Aussi, toujours remettre en question (et remettre dans leur contexte) les mots et ce qu’ils veulent dire me semble de première importance. J’évoquais déjà que l’évaluation des années 2000 est à plusieurs égards présentée par les premiers évaluateurs comme le contraire de ce qu’ils souhaitaient faire dans les années 1980 et début 1990. En partie, ils se sentent pris à revers. Cela rappelle par exemple le vécu des science studies contemporaines : développées dans les années 1960 et 1970 pour déconstruire les mythes et l’autorité scientifiques, elles ont été récupérées par leurs adversaires depuis la fin des années 1990, par exemple en soutien de l’industrie du tabac ou par des climatosceptiques773. Pour assumer cette analogie, encore faudrait-il bien identifier les adversaires de cette première évaluation : on peut effectivement estimer que le ministère néerlandais (adversaire – pour ne pas dire partenaire – de négociations pour les universités) a récupéré l’évaluation de la VSNU pour ses besoins d’accréditation. Je propose de continuer de raisonner par analogie, cela aidera à expliciter l’hypothèse concernant le développement et le devenir de ce type d’évaluation des universités. Ce type de dépossession et de détournement a eu lieu à d’autres endroits sur la même période – pensons à la thèse de l’intégration de la critique du capitalisme par ce dernier, dans le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Ève Chiapello. Justement, toute une partie y porte sur l’emprunt, par le nouveau management des années 1990, du répertoire de Mai 68774. Pour nos histoires, cela supposerait que l’évaluation soit une critique du système universitaire tel qu’il existe jusque là, ou une critique des configurations universités- ministères, ou bien encore une critique de la manière des ministères de gérer les affaires universitaires. Ce n’est pas faux, puisque l’émergence de ces évaluations porte des projets de changements et qui critiquent les configurations et les modes de fonctionnement existants. Cela supposerait ensuite que l’évaluation (la critique) ait été intégrée par ce système, qui, tout en se transformant par cette intégration, détourne le sens initial de l’évaluation : le ressenti des premiers évaluateurs est effectivement de cet ordre. À la fin des années 1990, l’évaluation fait

772 Cette étude déjà mobilisée sur les transformations de la langue de la Banque mondiale le dit très explicitement : Moretti, Franco et Pestre, Dominique, « Bankspeak: the language of World Bank reports », op. cit. ; voir aussi par exemple Lorenz, Chris, « If You’re So Smart, Why Are You under Surveillance? Universities, Neoliberalism, and New Public Management », op. cit. 773 Oreskes, Naomi et Conway, Erik M., Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming, London, New York, Bloomsbury Press, 2010. Je renvoie aussi aux discussions ayant eu lieu lors de la table ronde « Des SSK au gouvernement des technosciences » de la journée d’études La politique des sciences studies. Hommage à Dominique Pestre, le 5 octobre 2018 à l’EHESS. 774 Premier chapitre: « Le discours de management des années 1990 », in Boltanski, Luc et Chiapello, Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 99-166.

285 partie intégrante des rapports entre ministères et universités, elle y est devenue une évidence. Elle est ainsi intégrée dans les rapports hiérarchiques que l’administration ministérielle entretient avec les universités – davantage une injonction que fondée sur des besoins des universités. Mais comme pour l’analogie avec la récupération du registre critique des science studies par les climatosceptiques, l’intégration de la critique ici suppose des pôles politiques opposés entre critiques et intégrateurs, ce qui n’est pas si évident dans nos histoires. Par exemple, nous avons vu dans l’épilogue sur les Pays-Bas l’ambiguïté de Ton Vroeijenstijn face aux développements de la kwaliteitszorg après 2003 à la NVAO : il critique la standardisation des procédés, mais il salue le fait que chaque université s’occupe désormais de sa propre évaluation. Un exemple encore pour ce type de mécanisme est celui de l’appropriation d’outils bibliométriques par des acteurs différents, successivement et simultanément. À la différence des deux analogies précédentes, les généalogies de la bibliométrie et des classements de revue proposées par David Pontille et Didier Torny ne dessinent pas de front entre premiers concepteurs et leurs adversaires qui s’approprient le dispositif initial. Ils montrent en revanche comment d’un outil pour bibliothécaires et chercheurs en scientométrie, les listes et classements de revues scientifiques tout comme les comptages de citations d’articles ont été ensuite appropriés par des chercheurs pour négocier leurs carrières et conditions de travail. Ce n’est qu’en dernier lieu que ces outils ont été mobilisés pour le gouvernement de la recherche, donc par des directeurs d’unités, d’établissements, des administrateurs dans les ministères775. Les premiers bibliothécaires bibliomètres n’ont pas prévu ce dernier usage lors de la conception de leurs outils – s’ils y sont opposés requiert une réponse certainement nuancée. Pour les cas qui nous occupent, on pourrait identifier une appropriation de l’outil (évaluation) par d’autres acteurs à d’autres fins : effectivement, les ministères prennent plus de pouvoir sur le dispositif, davantage comme un instrument de contrôle. Mais on peut aussi parler d’une appropriation par les mêmes types d’acteurs qui ont changé de nature, de profils au fil du temps : nous avons évoqué les présidents d’université néerlandais ; je renvoie aux travaux prosopographiques de Christian Topalov et de Joël Laillier sur les trajectoires de ceux

775 Pontille, David et Torny, Didier, « La manufacture de l'évaluation scientifique. Algorithmes, jeux de données et outils bibliométriques », op. cit. ; Id., « Infrastructures de données bibliométriques et marché de l’évaluation scientifique », in Menger, Pierre-Michel et Page, Simon (éd.), Big data et traçabilité numérique. Les sciences sociales face à la quantification massive des individus, Paris, Collège de France, 2017, p. 105-120 ; Id., « Les classements à l’international des revues en SHS », in Barats, Christine, Bouchard, Julie et Haakenstad, Arielle (éd.), Faire et dire l'évaluation dans l'enseignement supérieur et la recherche. L'enseignement supérieur et la recherche conquis par la performance, Paris, Presses des Mines, 2018, p. 137-153.

286 qui « gouvernent la science » en France pour cerner leurs profils depuis les années 2000776 : là aussi se dessinent des profils de gens dont le métier est avant tout de diriger l’enseignement supérieur et la recherche. Cette dernière analogie va dans le sens de l’hypothèse d’un détournement, même s’il n’est pas sûr qu’il soit à proprement parler politique : quand on avance dans le temps historique, que de nouveaux acteurs émergent pour s’occuper d’un outil créé auparavant, il va forcément se transformer, être réapproprié. b. Inertie et continuités

Si nous pouvons parler d’un détournement, au sens où ce qui est fait n’est pas reconnu comme ce qui était attendu par les prédécesseurs, certains éléments peuvent plaider pour une continuité : même si les contextes ont changé, y compris les individus qui peuplent ces institutions et les universitaires en général (il faudrait en faire une sociologie), le simple fait de suivre l’histoire dans son sens indique que les formes d’évaluation des années 2000-2010 ont aussi puisé dans l’histoire de l’évaluation telle qu’elle est conçue et se pratique dès les années 1980. L’AERES reprend une partie du travail accompli par le CNÉ, la QANU celui de la VSNU, et les années 2000 débutent dans un monde universitaire déjà accoutumé à certaines formes d’évaluation de soi et de visites par des groupes de pairs « experts ». Les transformations peuvent même être interprétées comme un approfondissement : ainsi les idées de Schwartz peuvent être décrites, par certains des opposants actuels, comme le début d’une réforme qu’il n’aurait pas fallu enclencher (ses idées sur la sélection, comme l’idée même d’une évaluation, quel que soit son sens). On peut par ailleurs remarquer l’inertie de quelques problèmes soulevés pendant plusieurs décennies : c’est le cas de l’enjeu de la durée des études dans un système sans restriction d’accès à l’université (l’ « étudiabilité » et les bourses d’études aux Pays-Bas), mais aussi la diversification des cursus et diplômes et la nécessité de suivre, anticiper ou du moins alimenter le marché du travail (cf le refus très durable en France de la diplomation par les établissements), ou l’orientation-sélection des étudiants (dans le programme de Schwartz

776 Ils s’intéressent notamment aux membres de l’AERES, de l’ANR, du CNU et du CoNRS. Laillier, Joël et Topalov, Christian, « Qui organise l’évaluation dans les sciences humaines et sociales en France ? », Sociologie, vol. 8, n°2, 2017, [En ligne : http://journals.openedition.org/sociologie/3111].

287 et très récemment en France avec la loi ORE). En effet, la répétition, en histoire, témoigne de ce qui n’a pas été entendu777 ; il y a des éléments de continuité. Prenons par exemple la récurrence des revendications d’ « autonomie » par les universités ou les discours politiques qui veulent la leur accorder : le monde universitaire français a connu des « moments pour l’autonomie » en 1975, en 1985-1989 et en 2005. Ces moments ont en commun les requêtes des universitaires pour obtenir plus de pouvoirs sur la gestion de leurs budgets, de l’habilitation des diplômes et cursus, et pour moins dépendre des règlementations centrales. De plus, par le biais de certaines personnes, comme Jean-Louis Quermonne ou Laurent Schwartz, il y a une continuité entre les idées de 1975 et celles de 1981-85. Mais on ne peut, à mon sens, en conclure que les réformes de 2005 ont pour origine les idées développées lors du colloque de Villard de Lans organisé par le ministère Soisson et la CPU en 1975 : par exemple, l’ « autonomie » de la LRU n’accorde pas l’habilitation des diplômes aux universités.

Les transformations des années 2000 peuvent donc être perçues comme un détournement par rapport aux intentions initiales (le ministère néerlandais veut que les cursus obtiennent l’accréditation, il ne suffit plus que les universités développent leurs cursus et les évaluent entre elles), mais pour d’autres aspects ils approfondissent des tendances amorcées bien avant (par exemple la présidentialisation des universités néerlandaises). On peut encore évoquer la possibilité que le nouveau « modèle » des universités états-uniennes libéralisées exerce une pression sur les gouvernements et les universités européennes, y compris les universités néerlandaises et françaises. Enfin, en s’interrogeant sur la nature des transformations des années 2000, on peut à présent se demander si les formes d’évaluations de l’AERES, de la QANU, de la NVAO et du SEP, qui ont hérité des évaluations des années 1980, sont davantage que ces dernières des créations « NPM ». L’AERES se réfère aux vertus du quality management dans ses référentiels778 : adhésion à une doctrine managériale. La littérature dénonce les effets néfastes des réformes universitaires du tournant de l’an 2000 y introduisant des outils managériaux,

777 Je reprends une formule utilisée récemment dans un tout autre contexte : « les historiennes et les historiens savent combien la répétition témoigne de ce qui n’a pas été entendu », in « L’appel de 440 historiennes françaises : ‘Mettons fin à la domination masculine en histoire’ », Le Monde, 03/10/2018. 778 Voir par exemple AERES, Le référentiel qualité de l’AERES, décembre 2009, p. 9 ; AERES, Section des unités de recherche, Critères d’évaluation des entités de recherche : le référentiel de l’AERES, version du 3 novembre 2014.

288 dont l’évaluation, des enseignants-chercheurs par exemple 779 . Mais ne faisons pas d’amalgames, toutes les formes d’évaluation n’ont ni la même origine, ni le même fonctionnement, ni les mêmes effets. Les travaux de Clémentine Gozlan sur l’AERES montrent par exemple qu’en 2013 aussi il y a autodéfinition par la communauté universitaire, que l’évaluation n’est pas le fait de managers venus de l’extérieur. En revanche, elle estime que « des universitaires endossent des discours néo-managériaux »780. Ici encore, l’objectif principal pour poursuivre ces recherches consisterait à cerner tous les éléments permettant de comprendre ce qui bascule autour des années 2000 : tout d’abord, les réformes universitaires et leurs enjeux, et ce qui bouge dans les configurations ministères- universités. Il faudrait voir ensuite ce qui change dans le monde de la recherche (en sciences expérimentales notamment) et plus globalement dans le monde universitaire européen après les réformes libérales de Reagan. Une analyse fine du processus de Bologne serait indispensable pour cette nouvelle étape de recherche. Par des approches micro et situées (dans des universités européennes et au niveau des systèmes nationaux, à la fin des années 1990 et au début des années 2000), il s’agirait de comprendre comment les « évaluations » sont menées et utilisées dans les différents contextes nationaux et institutionnels. Une telle étude permettrait de dégager les nouvelles et multiples significations que le concept d’« évaluation » peut détenir à partir des années 2000.

779 Chamayou, Grégoire, « Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation », op. cit. ; Charle, Christophe, « L’évaluation des enseignants-chercheurs: Critiques et propositions », op. cit., p. 159. 780 Gozlan, Clémentine, Réinventer le jugement scientifique : l'évaluation de la recherche en sciences humaines et sociales à l’AERES, op. cit., p. 93 ; id., « L’autonomie de la recherche scientifique en débats : évaluer l’« impact » social de la science ? », op. cit.

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SOURCES

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VSNU, « Vraagstelling VSNU », in Stukken betreffende de intentie om de afdeeling kwaliteitszorg van de VSNU te verzelfstandigen onder de voorlopige naam Stichting Kwaliteitszorg Nederlandse Universiteiten (KNU) omwille van wettelijke wijzingen in het stelsel van de externe kwaliteitszorg, 2000-2003, s.d. [NA 2.19.250/241]. (Pièces concernant l’intention d’autonomiser le service kwaliteitszorg de la VSNU, sous le nom provisoire Fondation KNU, pour suivre les directives juridiques dans le système de kwaliteitszorg externe)

Andersson Elffers Felix, Routeverkenning VBI-VSNU, april 2003 [NA 2.19.250/241].

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QAA : Businessplan 2000-2003 [NA 2.19.250/242].

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VSNU Berichten, n°27, oktober 1990 [NA 2.19.250/287]. (Bulletin VSNU)

VSNU Berichten, n°34, maart 1992 [NA 2.19.250/287].

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« Verslag VSNU conferentie ‘Door naar de tweede ronde’ », VSNU Berichten, n°39, maart 1993 [NA 2.19.250/287]. (Rapport de la conférence VSNU ‘Vers le second tour’)

VSNU Berichten, n°40, mei 1993 [NA 2.19.250/287].

VSNU Berichten, n°43, december 1993 [NA 2.19.250/287].

VSNU, Werkgroep Deregulering, Autonomie en Kwaliteit. Een eerste reactie, april 1985 [NA, 2.19.250/329]. (Groupe de travail dérégulation, Autonomie et qualité. Une première réaction)

Standpunt van de instellingen voor W.O. inzake de concept-beleidsnota hoger onderwijs, autonomie en kwaliteit, vastgesteld in het bestuurlijke overleg VSNU, 17 juni 1985 [NA 2.19.250/329]. (Position des institutions d’ESR concernant le projet de la HOAK, définie au conseil d’administration de la VSNU)

VSNU, Werkgroep deregulering, Notitie verscheidenheid en kwaliteit, november 1985 [NA 2.19.250/329]. (Groupe de travail dérégulation, Note différence et qualité)

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VSNU, Groupe de travail « Deregulering », Notitie Verscheidenheid en Kwaliteit, annexée à la lettre du Bureau der Universiteit van Amsterdam, D.R. Kooyman à het Bestuur van de VSNU, 15 novembre 1985 [NA 2.19.250/329].

Adviesraad voor het hoger onderwijs (ARHO), « Kwaliteitsbewaking in het hoger onderwijs », Advies aan de minister van onderwijs en wetenschappen, van niet-ambtelijke commissie WOB, Den Haag, 21 februari 1986 [NA 2.19.250/329]. (« Surveillance de la qualité dans l’enseignemen supérieur », Conseil au ministre de l’enseignement et des sciences, de la commission non-administrative pour l’ESR)

Lettres des directions des universités de Utrecht, Leiden, Rotterdam et Groningen à la VSNU, 5 et 10 décembre 1985, 13 et 20 janvier 1986 [NA 2.19.250/330].

ARHO, Conclusies Hoger Onderwijs Overlegkamer, 10 april 1986 [NA 2.19.250/330]. (Conclusions enseignement supérieur chambre de consultation)

Tweede Kamer der Staten-Generaal, Hoger Onderwijs : autonomie en kwaliteit. Lijst van vragen en antwoorden, Vastgesteld 29 april 1986 [NA 2.19.250/330]. (Deuxième chambre des États Généraux [=chambre des députés], Enseignement supérieur : autonomie et qualité. Liste de questions et réponses)

Lettre de la Rijksuniversiteit Groningen à la VSNU, 11 juli 1986 [NA 2.19.250/330].

ARHO, « Onderwijskundige gevolgen van de nota HOAK », Advies aan de minister, Den Haag, 23 juli 1986 [NA 2.19.250/330]. (« Conséquences de la HOAK sur l’enseignement », Conseil au ministre)

VSNU, De tweede cyclus. Voorwaardelijke financiering. Voornemens van de colleges van bestuur m.b.t. de voorwaardelijke financiering zoals vastgelegd in het bestuurlijk overleg van 19 december 1986 [NA 2.19.250/434]. (Le second cycle. Financement conditionnel. Projets des présidences concernant le financement conditionnel comme établi en conseil d’administration du 19 décembre 1986)

VSNU, De externe kwaliteitszorg, een gids voor de faculteiten ter voorbereiding op het bezoek van de visitatiecommissie, 1987 [NA 2.19.250/435]. (La kwaliteitszorg externe, un guide pour les facultés pour la préparation à la visite par la commission de visitation)

VSNU, Gids voor de externe kwaliteitszorg, welke een herziening betrof van de eerdere gids bij de proefvisitaties, november 1988 [NA 2.19.250/436]. (Guide pour la kwaliteitszorg externe, qui concerne une révision du guide précédent à l’aune des visites d’essai)

295

VSNU, De evaluatie van het project proefvisitaties, 22 october 1988 [NA 2.19.250/437]. (L’évaluation du projet visites d’essai)

VSNU, Over de kwaliteit van het nederlandse universitaire onderwijs. Beschouwingen naar aanleiding van de proefvisitaties bij Geschiedenis, Natuur- en Sterrenkunde, Psychologie, Werktuigbouwkunde (inclusief Maritieme Techniek), oktober 1988 [NA 2.19.250/438]. (À propose de la qualité de l’enseignement universitaire néerlandais. Considérations après début des visites d’essai en histoire, physique et astronomie, psychologie et ingénierie mécanique (y compris technologie maritime))

VSNU, Notitie Kwaliteitszorg universitair onderzoek, 2 april 1992 [NA 2.19.250/441]. (Note Kwaliteitszorg recherche universitaire)

Lettre du DOO ‘construerende technische wetenschappen’ à la direction de la VSNU, 19 juin 1992 [NA 2.19.250/441]. (Lettre de l’organe disciplinaire de la VSNU ‘sciences techniques et ingénierie’)

Lettre du College van bestuur van de Vrije Universiteit Amsterdam à la VSNU, 28 september 1992 [NA 2.19.250/441].

Lettre du Ministerie van Onderwijs en Wetenschappen à la Tweede Kamer der Staten- Generaal, 15 december 1992 [NA 2.19.250/443]. (Lettre du ministère de l’enseignement et des sciences à la chambre des députés)

VSNU, Rapport met de titel 'Door naar de tweede ronde. Voorstellen voor aanpassing van de externe kwaliteitszorg onderwijs', februari 1993 [NA 2.19.250/448]. (Rapport ayant pour titre ‘Vers le second tour. Propositions pour l’adaptation de la kwaliteitszorg externe dans l’enseignement’)

VSNU, Stukken betreffende de evaluatie van een nieuwe aanpak van onderzoeksbeoordelingen middels het congres ‘Onderzoeksbeoordelingen, het perspectief’, 1993 [NA 2.19.250/449]. (Pièces concernant l’évaluation d’une nouvelle approche d’évaluations de la recherche moyennant le congrès ‘Évaluations de la recherche, la perspective’)

VSNU, Werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, Quality Assessment of Research. Onderzoeksbeoordeling 1993 : Evaluatie van de proefronde, maart 1994 [NA 2.19.250/449]. (Groupe de travail kwaliteitszorg recherche, Quality Assessment of Research. Évaluations de la recherche 1993 : évaluation du tour d’essai)

Prof. ir. K. F. Wakker, Voorzitter VSNU-werkgroep Kwaliteitszorg Onderzoek, “Evaluatie eerste ronde onderzoekbeoordelingen”, in VSNU Congres, Onderzoeksbeoordelingen: het perspectief, Hilversum, 13 april 1994 [NA 2.19.250/449].

296 (Président du groupe de travail VSNU Kwaliteitszorg Recherche, « Évaluation premier tour d’évaluations de la recherche », in Congrès VSNU, Évaluations de la recherche : la perspective)

VSNU, Jaarverslag 1994. Kwaliteitszorg Onderwijs en Onderzoek, juin 1995 [NA 2.19.250/453]. (Rapport annuel 1994. Kwaliteitszorg enseignement et recherche)

Lettre de la VSNU au College van Bestuur van de Technische Universiteit Eindhoven, 17 januari 1996 [NA 2.19.250/464].

Lettre du Minister van onderwijs, cultuur en wetenschappen à la KNAW, 16 oktober 1998 [NA 2.19.250/471].

Werkgroep kwaliteitszorg wetenschappelijk onderzoek, Kwaliteit Belicht. Naar een nieuw stelsel van kwaliteitszorg voor het wetenschappelijk onderzoek, december 1999 [NA 2.19.250/471]. (Groupe de travail kwaliteitszorg recherche scientifique, Focus sur la qualité. Vers un nouveau système de kwaliteitszorg pour la recherche scientifique)

Algemene Rekenkamer, Kwaliteitszorg Hoger Onderwijs, rapport adressé à la Tweede Kamer der Staaten-Generaal, vergaderjaar 1999-2000, 27010, n°1-2 [NA 2.19.250/471]. (Cour des comptes, Kwaliteitszorg enseignement supérieur)

VSNU, Onderwijsvisitatie. Proefvisitatie Geschiedenis, Utrecht, juli 1988 [NA 2.19.250/489]. (Visitation dans l’enseignement. Visitation d’essai Histoire)

VSNU, Proefvisitatierapport Geschiedenis UvA, Utrecht, augustus 1988 [NA 2.19.250/489]. (Rapport de visitation d’essai Histoire Université d’Amsterdam)

VSNU, De kwaliteit van het universitair onderwijs. Visitatie geografie, februari 1990 [NA 2.19.250/493]. (La qualité de l’enseignement universitaire. Visitation géographie)

VSNU, Onderwijsvisitatie. Natuur- en sterrenkunde in Nederland. Facultair rapport Rijks Universiteit Leiden, april 1995 [NA 2.19.250/498]. (Visitation dans l’enseignement. Physique et astronomie aux Pays-Bas. Rapport facultaire Université de Leiden)

VSNU, Rapport internationale visitatiecommissie natuur- en sterrenkunde, 1996 [NA 2.19.250/499]. (Rapport commission de visitation internationale physique et astronomie)

297 VSNU, Onderwijsvisitatie natuur- en sterrenkunde in Nederland, oktober 1996 [NA 2.19.250/500]. (Visitation dans l’enseignement physique et astronomie aux Pays-Bas)

Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 16 juni 1994 [NA 2.19.250/540]. (Lettre de la présidence de l’Université d’Utrecht à la commission d’appel)

Lettre du College van bestuur van de Erasmus Universiteit Rotterdam à la VSNU, 9 juli 1992 [NA 2.19.250/540].

Lettre de la VSNU au secrétaire d’État de l’enseignement et des sciences, 22 juli 1993 [NA 2.19.250/541].

Rapport de la première réunion de la Commissie van beroep, 8 juli 1994 [NA 2.19.250/541].

Lettre du président de la commission d’évaluation en biologie à la Commissie van beroep, 6 september 1994 [NA 2.19.250/541].

Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 13 oktober 1994 [NA 2.19.250/541].

Lettre du College van Bestuur van de Universiteit Utrecht à la Commissie van beroep, 19 oktober 94 [NA 2.19.250/541].

Lettre du Biologische Raad de la KNAW à la VSNU, 3 mei 1994 [NA 2.19.250/542]. (Lettre du Conseil biologique [=en biologie] de la KNAW)

Lettre de la Commissie van beroep à la commission d’évaluation en biologie, avec les minutes de la dernière réunion de la Commissie van beroep le 9 décembre 1994, 4 januari 1995 [NA 2.19.250/542].

Lettre de la Faculteit Scheikunde van de Universiteit Utrecht au responsable de l’évaluation à la VSNU, 30 juni 2002 [NA 2.19.250/548]. (Lettre de la faculté de chimie de l’Université d’Utrecht)

Lettre du président du College van Bestuur van de Rijksuniversiteit Groningen au directeur de la VSNU, 21 oktober 2002 [NA 2.19.250/548].

Rapport de la réunion du Algemeen Bestuur de la VSNU, 15 november 2002 [NA 2.19.250/548]. (Direction générale)

298 Article de presse, « Scheikunde visitatie, een aanfluiting voor de biochemie ? », in Chemisch Weekblad, n°23, 7 december 2002, p. 6-7 [NA 2.19.250/548]. (« Visitation en chimie, une insulte à la biochimie ? », in Hebdomadaire de la chimie)

Lettre du College van Bestuur van de Rijksuniversiteit Groningen à la Commissie van beroep, 30 januari 2003 [NA 2.19.250/548].

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Archives de la KNAW783

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Lettre de la KNAW au Ministre de l’enseignement et des sciences, 6 janvier 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1].

Lettre du Ministre aux directions des universités, 15 février 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1].

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Lettre de la Rijksuniversiteit te Leiden à la KNAW, 29 juin 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1].

Lettre de la Erasmus Universiteit Rotterdam à la KNAW, 12 octobre 1983 [KNAW Archief dossier VF n°533-1]. van der Meulen, Barend et Rip, Arie, Maatschappelijke kwaliteit van onderzoek tussen verantwoording en management. Een inventarisatie van beoordelingspraktijen, Universiteit Twente, Centrum voor Studies van Wetenschap, Technologie en Samenleven, Eindrapport juni 1997 [KNAW Archief dossier 3580 – Maatschappelijke kwaliteit]. (Qualité sociétale de la recherche entre responsabilité et management. Un inventaire de pratiques d’évaluation, Centre d’études sur la science, la technologie et la société, Rapport final)

783 Pièces d’archives classées par date. Traductions des titres originaux en français entre parenthèses.

299 Archives de la Commission européenne784

Proposals for European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education, s.l.n.d., entre fin 1993 et début 1994.

European Pilot Projects for Evaluating Quality in Higher Education. European Report, 20 November 1995.

Proposal for a Council recommendation for European Cooperation on the field of Quality Evaluation in Higher Education, s.l.n.d.

Documents du CNÉ

CNÉ, Références et lignes directrices pour le management de la qualité dans l’espace européen de l’enseignement supérieur. Traduction proposée par le CNÉ, janvier 2006 [Obtenu auprès d’un ancien employé du CNÉ].

Documents de l’AERES785

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Documents de la VSNU786

VSNU, Assessment of Research Quality. Protocol 1998, 1998.

KNAW, VSNU, NWO, Standard Evaluation Protocol 2003-2009, 2003.

784 Archives communiquées par correspondance avec le service d’archives de la Direction générale Éducation et culture de la Commission européenne en avril-juin 2015. 785 Récupérés sur le site web de l’AERES avant sa suppression. 786 Récupérés lors de la recherche collective menée avec les étudiants de l’EHESS et de Nijmegen en 2013-2014.

300

Id., Standard Evaluation Protocol 2009-2015, 2009.

Id., Standard Evaluation Protocol 2015-2021, 2015.

Documents ministériels et législatifs787

Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Gewubd en gewogen. Rapport, Zitting 1978-1979, 15515, n°2.

La France en mai 1981. L’enseignement et le développement scientifique, Études et rapports de la Commission du bilan, La documentation française, décembre 1981.

« Loi 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur », Journal officiel de la République française, 27 janvier 1984.

Tweede Kamer der Staaten-Generaal, Nota Hoger Onderwijs: Autonomie en Kwaliteit, vergaderjaar 1985-1986, 19253, n°1-2, [En ligne : http://resourcessgd.kb.nl/SGD/19851986/PDF/SGD_19851986_0006096.pdf].

« Loi d’orientation sur l’éducation, n°89-486 du 10 juillet 1989 », Journal officiel de la République française, 14 juillet 1989.

« La LOLF, qu’est-ce que c’est ? », Site du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, dernière mise à jour : août 2010. [En ligne : http://www.education.gouv.fr/cid31/la-lolf-qu-est-ce-que-c-est.html].

Presse788

Hageman, Esther, « Spin in onderwijsweb neemt afscheid », Trouw, 24/08/1995, [En ligne : https://www.trouw.nl/home/spin-in-onderwijsweb-neemt-afscheid~a378143b/]. (Araignée dans la toile de l’enseignement fait ses adieux) van Koolwijk, Quirien, « Wie meet de kwalitiet van het onderwijs ? », Nieuwe Rotterdamse Courant, 3/04/1990, [En ligne : https://www.nrc.nl/nieuws/1990/04/03/wie-meet-de-kwaliteit- van-het-onderwijs-6927037-a933251]. (Qui mesure la qualité de l’enseignement ?)

787 Classés de manière chronologique. 788 Traductions des titres originaux en français entre parenthèses.

301 van Koolwijk, Quirien, « W.C.M. van Lieshout, invloedrijke onderwijskenner; Ook zonder hamer een voorzitter », Nieuwe Rotterdamse Courant, 2/04/1991, [En ligne : https://www.nrc.nl/nieuws/1991/04/02/wcm-van-lieshout-invloedrijke-onderwijskenner-ook- 6962238-a198064]. (W.C.M. van Lieshout, connaisseur de l’enseignement influent ; un président même sans marteau)

Visschedijk, Rik, « Een vaderfiguur van de campus », U-Today, 13/02/2017, [En ligne : https://www.utoday.nl/news/63794/Een_vaderfiguur_van_de_campus]. (Une figure de père du campus)

VSNU, « Over de benoeming van Pieter Duisenberg als voorzitter van de VSNU », Nieuwsberichten, 19 September 2017, [En ligne : http://www.vsnu.nl/nl_NL/nieuwsbericht/nieuwsbericht/313-over-de-benoeming-van-pieter- duisenberg-als-voorzitter-van-de-vsnu.html]. (À propos de la nomination de Pieter Duisenberg comme président de la VSNU)

« Le rapport du Collège de France : Pierre Bourdieu s’explique. Entretien avec Jean-Pierre Salgas », La Quinzaine littéraire, n°445, août 1985.

Dossier « Universiteit BV », in Univers. Tilburgs Universiteitsblad, vol. 25, n°13, 20 november 1987, p. 5-12, [En ligne: https://issuu.com/universonline/docs/1987-11-20]. (Université s.a.r.l.)

« VSNU nog steeds kruiwagen vol kikkers », U-Today, 11/01/1995, [En ligne : https://www.utoday.nl/news/44334/vsnu_nog_steeds_kruiwagen_vol_kikkers]. (VSNU toujours une brouette remplie de grenouilles)

« Universiteit kan zich als geen ander ongenietbaar maken », U-Today, 23/08/1995, [En ligne : https://www.utoday.nl/news/45117/universiteit_kan_zich_als_geen_ander_ongenietbaar_mak en]. (L’université sait se faire odieuse comme nul autre)

« UT-voorzitter Van Lookeren overleden », Algemeen Dagblad, 13/02/2017, [En ligne : https://www.ad.nl/enschede/ut-voorzitter-van-lookeren-overleden~a9ff2edb/]. (Président de l’UT Van Lookeren décédé)

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302

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Entretiens et correspondance789

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Entretien avec un ancien chargé de mission au CNÉ, 2/07/2015, 10-12:30.

Correspondance avec une ancienne employée du bureau de la VSNU, échanges de mails en mai 2016.

Entretien avec une ancienne chargée de mission du CNÉ, 10/02/2016, 14-16.

Entretien téléphonique avec Ton van Raan, 01/03/2016, 14-14:40.

Entretien avec le second secrétaire général du CNÉ, 10/03/2016, 14:30-16:30.

789 Classés de manière chronologique.

304

Entretien téléphonique avec Ton Vroeijenstijn, 20/03/2017, 10-11:30.

Entretien téléphonique avec Jean-Paul Karsenty, 10/10/2017, 10:30-11:30.

Entretien avec Thierry Gaudin, 27/10/2017, 11-12:30.

Entretien avec Sabine Staropoli, 13/11/2017, 17-18:30.

Entretien avec Barend van der Meulen, 1/02/2018, 13-15.

Entretiens avec Jack Spaapen, 21/09/2015, 13-13:45 et 7/02/2018, 13-14:30.

Entretien avec Ton Vroeijenstijn, 6/02/2018, 10-12.

305

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319

320 ANNEXES

Annexe 1 : Tableau prosopographique réalisé sur les membres de la présidence de la VSNU lors de sa création stricht stricht Vrije Amsterdam Amsterdam Groningen Groningen Limburg/Maa Limburg/Maa Leiden Université Brinkman Biggelaar Bleumink den Harry J. Jankarel Jos van Eric Jan Loek Rob B. van Kees J. Cath Nom Gevers Kemenade Borgman Vredevoogd Naissance 1934 1944 1937 1929 1938 1921 Décès 2016 1998 2012 l’enseigneme dr sociologie médecine droit, dr lettres sociologie astronomie Formation droit économie de nt technique médicales puis Amsterdam prof sciences de prof sciences of Poste universitaire l'éducation Nijmegen observation astronomical Technology European CvB Commission chairman of roi Noord- Science and admin fac puis commissaire du député, maire prés NWO 88, 2003 1e dir NVAO édition avant entreprise prés HBO-Raad Autre poste Eindhoven 88 94-97 first avant puis Assembly Holland the European PvdA contre PvdA Parti politique Ritzen Hoger Onderwijs favori min dir-gén adjoint min 73-77 et 81-82 Poste ministère avant 72 79-96, CvB depuis 88-98, avant 84-88, Nijmegen 88-2000, rm 81-88 (rm 78-81) 88-94, puis 72-88 78-88 voorzitter CvB 72 Leiden Leiden pour pvd IMHE OCDE bourses KNAW 78 Autre étudiants admin univ et admin et carrière pol leader pur admin univ pur admin univ prof puis prof et admin prof puis admin min entreprise Remarques puis univ moins pol

321 Nijmegen Open Rotterdam Eindhoven Delft Utrecht Utrecht Université Lieshout Willy C. M. Gottfried J. Will G. Henk J. ter Henk J. Leendert Jan Veldhuis Nom van Ginjaar Zeevalking Leibbrandt Koppelaars Heege Naissance 1929 1926 1929 1922 1928 1938 Décès 2016 2013 2005 2003 droit mécanique économie droit chimie ingénierie économie et histoire, Formation Limburg 90-94 prof haute école gezondheidkunde aan TNO puis deeltijd- Poste universitaire technique Maastricht de Rijksuniversiteit milieu- hoogleraar voor municipal, maire, entrepreneur dév hbo-Raad puis chez Philips avocat, puis prés QANU député, Autre poste sénateur, prés parti président du de fraction député, conseiller VVD VVD, D66 VVD CDA Parti politique étr, puis OCW ministerie van generaal van het conseiller Cals favori min, 78 directeur- commission 96 pr secrétaire d'État cabinet min affaire Wetenschapsbeleid min santé 77-81, Poste ministère Deetman Ritzen justice 75-77 et 79 qqs mois Min Onderwijs cursus min transport 81- 82 hogeschool secrétaire CvB 74?-91, puis v 81-88 81-90, puis prés 85-88 86-2003, avant 82-86 76-95 voorzitter CvB Rotterdam Leiden VSNU aussi, ble pol ES d'État franc-maçon incontourna épouse Autre secrétaire CvB que à côté carrière pur pur politicien, pur admin min chercheur puis pur admin univ Remarques pol

322 nt Tilburg/Braba Wageningen Twente Université Campagne Zeeuw Moor Ruud A. de Dick de Carel van Nom Lookeren Naissance 1928 1924 1925 Décès 2001 2009 2017 agricole sociologie ingénierie Formation institut de rech agricole puis prof Nijmegen Prof socio Tilburg Wageningen puis chercheur Poste universitaire rech agric, Egberts et Heineken conseiller dir sci soc dir institut de entreprise Autre poste municipal, avant, Douwe sénateur, prés KNAW parti (KVP) KVP, CDA puis Parti politique PvdA commissions sollicité Poste ministère 91 85-88 et rm 83- 85-89 80-92 voorzitter CvB mort agric et env mort lors de (laissé fondation pr universiteit pdt guerre, van maken onderneme mission BM réflexion sur centre à OU Buchenwald nde manifestant warem hart, Autre s), we Bangkok, après sa en son nom een moeten er sociaal admin univ carrière pol prof puis chercheur et entreprise Remarques

323

324 Annexe 2 : Tableau prosopographique réalisé sur les membres du CNÉ depuis sa création Combarnous Cagnac François André Gérard Ducher Michel Bernard Jean Andrieu Pierre Aigrain Laurent Nom Schwartz Mandouze Morel directeur au Centre de conseiller scientifique de France recherche Levain de l’Académie des bulletin économique et social Professeur au Collège Professeur émérite Conseiller Maître à la Professeur à Professeur à Membre du Conseil groupe Thomson ancien ministre, Membre de présentation dans cour des comptes l’université Bordeaux l’université Paris VI sciences du président (Université Paris IV), I Tillemont membre 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 dates de nomination âge à 62 69 57 45 54 52 61 70 sexe m m m m m m m m mécanique physique, mathématiq discipline biomédical lettres physique physique ues rattachement Bordeaux I Académie des Sciences institution universitaire de CdF Paris IV Paris VI Polytech ENS 34, Polytech autres institutions avant CEA ENS 37, Alger ENS 50, Kastler ENS trav, CEA, CdF ou après 2001 d'université Bordeaux 1996- président ministre, ment l’Enseigne de la Recherche 1988-1989 Algérie directeur 1963 Directeur ancien ministère DGRST de de la fondation au MEN indépenda DGRST lors nouvelle supérieur nte France (2000-2006) Scientifique de Gaz de de l’Inria (1996-1998), société française de l’Institut Français du du Conseil Scientifique Directeur de la (1992-1996), Président Président du Conseil 81-82 président de la direction de labo au CEA Président du Conseil Recherche de l’ENSAM Pétrole (1988-1995), d'optique théorique et président de l'Institut appliquée physique, 1990 Scientifique de autres fonctions pol conseiller et anticolo ue anticolo! né Alger instituteur Marine résistance, autres pédagogiq résistance tala, prince Algérie,

325 Pottier Quermonne Vignau Jean-Pierre Jean Teillac Max Querrien Jean-Louis Bernard Raymond Nom Poignant monuments et des d’université à directeur d’études et d’administration de la l’énergie atomique l’Institut d’études bulletin Montpellier I l’Institut d’études Professeur à Haut commissaire à Conseiller d’état, Professeur Professeur à Conseiller d’état présentation dans l’Institut français l’université l’université Paris IV sites, président de président du Conseil politiques de Paris, politiques de Paris d’architecture de recherches à caisse nationale des honoraire membre 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 1985-1989 dates de nomination âge à 48 65 64 58 61 68 sexe m m m m m m sciences langues discipline économie physique amérique du Sud politiques rattachement IEP Paris Paris IV institution universitaire de Montpellier I CEA IEP Grenoble,Grenoble II EPHE, Bordeaux, autres institutions avant institut Curie, CNRS, CERN ENA, IEP de Paris ENA ou après Strasbourg, Paris d’architecture d'université président de 58-69, prés dir IEP Grenoble président Grenoble II 70-75 l’Institut français 75-76 Universités des enseigneme MIR 80-90s oui directeur MEN 50s, ministère supérieurs nts et de la DGRST 60s, recherche ministère au chargé des amérindienne du CNRS institut de physique d'Ethnolinguistique de l'Équipe (1972-1976), Directeur humaines au CNRS direction de Institut du radium, Directeur scientifique (1972-1985) pour les sciences nucléaire, fondé et dir IN2P3 pour la France au soc maire de conseiller général représentant autres fonctions et adjoint au CERN 78-83 Montpellier, pol Conseil éco et membre du dant Aca lettre dès correspon autres membre des belles 83, 97

326 Fessard François Jean Flahaut Philippe Jean Cerf Raymond Denise Albe- Nom Contamine Luchaire Castaing Comité bulletin id id id, président du id id Au titre de présentation dans représentant de la communauté sci membre 1989-1993 1989-1991 1989-1991 1989-1993 1989-1993 1989-1993 dates de nomination âge à 67 61 57 68 70 73 m m sexe m m m f pharma, mathématiq discipline histoire physique droit ingénierie ues math, chimie rattachement prof émérite Paris V institution universitaire de ENS 47, Lille, Orsay ENS 40, Toulouse, Paris, autres institutions avant Sorbonne, Nancy, Paris ESPCI membre CEA 87 ou après d'université et 1 co-fond de Paris I président e prés 70-76 ministère and as a member of la pharmacie française sa mort) du Comité français des la Société d'histoire de CNRS 83-89 europ 74-79 la pharmacie (1992 à direction de vice-prés conf recteurs doyen fac, président fonde faculté des committees from 1978- Florence, Italy (1975), Chair of the Scientific du Comité d'éducation sanitaire et sociale de 1984 Congress on Pain in intérnationales (1989- various other (1984-1990), président Program Committee unions scientifiques sciences Orsay, 1992), et président de for the First World « conseil de l'ordre » administrateur civil du 82, conseil éco admin gauche dès présidé comité constitutionnel 65- de gauche en 72, Mvt des radicaux carrière pol et soutien 74, fondateur membre Conseil autres fonctions soc 84-89 Mitterrand 74, pol sciences, résistant sécurité nucléaire Aca sci Aca des autres 82, Conseil de

327 Davezac Georges François Jean-Paul Jean Yoccoz Jean Sirinelli Josiane Serre Gabriel Richet Nom Zahn Brunet qualifiées par leur Comité 91-93 Comité 89-91 éco et soc après avis du Conseil matière d’économie et bulletin compétence en id id id Au titre de id id, vice-président du id, vice-président du présentation dans personnalités de recherche, désignés membre 1989-1993 1989-1991 1989-1991 1989-1991 1989-1993 1989-1993 1989-1991 dates de nomination âge à 68 67 54 64 73 m f sexe m m m m m astrophysiqu lettres chimie discipline physique médecine e helléniste rattachement institution universitaire de Strasbourg, Grenoble ENS 44 ENS 55 ENS 47, CdF, UK, ENS 41, Paris IV autres institutions avant ou après Ulm d'université intérim dir ENS dir ENS jeunes président filles 75-89, fr à l’étr au IUFM chargée des MAE, 68- au cabinet 62-67 après CNÉ ministère DGRST chargé des MEN Jospin enseignants au min 72 dir ES Versailles 72-73 71, puis dir IN2P3 75- direction de Midi, Toulouse dir Obs Nice, Pic du dir adjoint Teillac dès 67 recteur Aca de prés CA et CS 83 Limoges, recteur Aca à hôpital Tenon INSERM, fonde école autres fonctions pol de la Ligue française OFAJ te, CA de médecins, franco-all l'Esneigne prix Nobel, jeunesse) ment et de secr gén grand père autres rien pour la (office n résistant l'Éducatio de tous trouvé permanen

328 Blondel 91 Jean Lagasse Jean Didier Claude Roger Errera Bertrand Saint- t Bouchet Charles Nom Sernin remplacé en Magaud/Huber de la Cour des du Conseil d’État l’université de Ferrand bulletin professeur émérite des professeur de géologie En qualité de membre En qualité de membre id id présentation dans à l’université Blaise- Toulouse l’ingénieur à Pascal de Clermont- Comptes sciences de membre 1989-1993 1989/1991 1991-1993 1991-1995 1989-1991 1989-1991 dates de nomination âge à 58 71 67 59 56 sexe m m m m m m sciences philosophie, discipline ingénierie géologie droit histoire des rattachement prof Paris X institution universitaire de Toulouse Clermont-Ferrand autres institutions avant ou après d'université président dir cabinet ministère MEN 86-87 chancelier d'universités, jusque direction de dir labo génie recteur de 4 et dir LAAS 67-77 électrique 56-66, fond académies et 89 Magaud député, autres fonctions conseil pol puis CES constitutionnel s chez l'OCDE 63- directeur surtout! communis de la dès 75, scientifiqu CNIL Régie scientifiqu industrie dans pays technique spcialiste pour la dans dissidents ami des Consultant monde du Bouchet autres recherche deviendra Tchéko es de affaires direction travail Renault, il es et affaires tes, 65 des à la directeur des CES et

329 Menasseyre Vincens Raymond Robert Henri François Jean Cluzel Bernard Marcel Pinet Jean Andrieu Jean-Marie René Mornex Jean-Marie Nom Mayeur Flamant Legeais Duranton Dagognet l’université de Roussy Sciences morales et politiques l’université de Paris- l’Institut Gustave économiques à Bernard de Lyon l’université Claude- Paris XI Kremlin médecine, Université l’Académie des l’Université Louis biologie, ancien philosophie, d’endocrinologie à IV et à l’Institut président de bulletin Paris Poitiers Pasteur de Strasbourg, Université Paris I conseiller d’État professeur de droit Bicêtre, directeur de professeur de professeur de professeur de membre de sénateur de l’Allier, conseiller-maître membre du Conseil professeur de sciences professeur professeur d’histoire présentation dans Poitiers, ancien privé, Université de sciences Toulouse I d’études politiques de l’Université de l’Académie des [Cour des Comptes] contemporaine à éco et soc président de membre de membre 1991-1995 1993-1997 1993-1997 1993-1997 1993-1997 1993- 1991-1995 1991-1995 1991-1995 1991-1995 1991-1995 dates de nomination âge à 61 63 65 57 69 60 58 64 58 m sexe m m m m m m m m m m médecine philosophie, discipline droit médecine biologie économie médecine histoire rattachement Paris I institution universitaire de Poitiers Paris XI Strasbourg Toulouse I Lyon Paris IV, IEP Paris ENA Lyon III autres institutions avant INRA ou après d'université Poitiers Strasbourg président au MEN dir de plein ministère de choses doyen 71-77. l’Institut de sciences direction de directeur de l’Institut 1960 direction de directeur de l’Institut dir unité INSERM à dir IHMC 78-83 fondé centre de rech d’études judiciaires, Gustave Roussy 88-94 criminelles, 1966 Lyon 77-88, doyen, l’Allier, centre- sénateur de autres fonctions droite pol Aca sci membre autres CNIL

330 Chaigneau Cremer Aucouturier Maurin Georges Jean Louis Pierre Gilson Yves Claude Jean Richard Maurice Nom Cambus Lettres Université radioélectricité de appliquées, président paléographe, membre l’université René médecine, président universités (sciences membre du Conseil de l’Académie des bulletin nationale supérieure la Confédération d’électronique et de professeur de professeur des la commission sociale vice-prés de la mathématiques et secrétaire général de secrétaire national de archiviste- professeur de chimie, présentation dans membre du Conseil Président du CNE de la section du travail Descartes-Paris V française CFE-CGC, Inscriptions et Belles Bordeaux, est nommé physiques) à l’École l’Institut des Sciences éco soc CGPME, président de du Conseil éco soc honoraire de de la CGPME, économiques Montpellier II éco soc membre 1995- 1995-2000 1993-1997 1993-1997 1993-1997 1993- 1993-1997 dates de nomination âge à 68 69 60 51 72 57 sexe m m m m m m m ingénieur archiviste- discipline médecine chimie physique paléographe rattachement ENSER Bordeaux institution universitaire de Paris V Montpellier II École des chartes autres institutions avant ou après d'université honoraire Paris V, président président prés 89-94 ministère et Dr du Pôle Véhicules d'Aquitaine, Fondateur département de Cochin (en 1986) direction de Coordonnateur du Directeur de l'Institut médecine interne de Électriques Aquitain de Microélectronique autres fonctions pol des PME, confédérat membre ion nat puis auprès consultant expert vice-prés créateur?? et 95 UNEDIC, chez EDF déjà du bureau prés de la ingénieur parfumeur autres du Conseil CNAM, CNÉ en 94 éco et soc

331 Bertrand Legrand Lescuyer Groshens Jean-Jacques Philippe Claire Bazy- Pierre Vialle Gilles Georges Jean-Claude Patrick Pierre Toubert Chantal Claude Jessua François Nom Bénilan Mironneau Malaurie Bonnaud Gautier université Paris II Cour des Comptes ancien recteur, ancien recteur, de recherche INRA, Conseil éco et soc 94- Strasbourg, directeur 99 Cour des Comptes conseiller maître à la conseiller d’État universités (sciences universités (sciences universités (physique), bulletin membre du Conseil directeur de l’Institut de France (histoire ancien membre du conseiller-maître à la agrégé de droit public, agrégé de droit public, architecte, ingénieur médiévale), membre professeur au Collège professeur des professeur des professeur des présentation dans des matériaux de université Bordeaux II du médicament), économiques), scientifique adjoint au de physique et chimie CNRS éco soc de l’Institut membre 2000- 2000- 2000- 2000- 2000-2004 1995- 1995- 1995- 1995- 1995- 1995- 1995- dates de nomination âge à 56 65 60 51 55 63 m sexe m m f m m m m m f m m mathématiq droit discipline chimie architecte histoire pharma économie physique ues rattachement Lyon III Besançon institution universitaire de Bourgogne INRA CdF Bordeaux II Paris II Strasbourg autres institutions avant ENA ENA Ponts chargé de rech, ENS 52, EPHE ou après président CPU 90- d'université Lyon III 87-94 Bourgogne 88-95, président 92 Industrie, Éco dans dir cabinets ministère les 70s min Plan, l'unif 81-88, 92-96 doyen fac droit, membre CNU scientifique adjoint au direction de dir équipe de math de dir du DEA en droit, dir labo directeur de l’Institut ancien recteur ancien recteur CNRS de physique et chimie des matériaux de Strasbourg, directeur autres fonctions pol groupe assurances PDG du médiéviste trav sur autres e capitalism hist du nationales

332 Froehly Fardeau Carrière Bouchet Bouvier Claude Michel Michel Deleau Chantal Bernard Jean-Claude Hubert Nom Cumunel éco et soc bulletin membre du Conseil présentation dans membre 2000- 2000- 2000- 2000- 2000- 2000- 2000- dates de nomination âge à 56 59 71 52 54 65 56 m sexe m m f m m m grammaire agriculture lettres ingénieur en psychologie discipline physique médecine ingénierie rattachement Rennes II Aix-Marseilles I institution universitaire de Limoges Strasbourg autres institutions avant Salpêtrière, INSERM, CNAM ou après d'université Aix-Marseilles I 87- président 92 Dir ES de mission MEN e auprès du pédagogiqu chargé de ministère depuis 98 direction de dir IPCMS phy chi dir école doctorale dir labo dir labo dir labo INSERM CoNRS Strasbourg, membre autres fonctions pol 89-99 l'emploi agricole, tion Confédéra Conseil cadres, l'actionnar des cadres, Crédit FO, CNIL… autres des secr gén prés Assoc générale re de Observatoi membre pour iat salarié, éco et soc

333 Laugénie Versini Laurent Marcel Pinet Jean-Pierre Claude Pierre Gilson Nom Nougier et soc confédération nat des bureau du Conseil éco bulletin Conseiller d’état UNEDIC, membre du prés de la présentation dans honoraire PME, vice-prés membre 2000- 2000- 2000- 2000- 2000- dates de nomination âge à 68 70 61 62 76 sexe m m m m m géographie discipline lettres électronique et lettres rattachement Pau institution universitaire de Paris IV Montpellier II autres institutions avant ENS ENA ENS Cachan ou après d'université Pau 93-98 président mission Dir au MEN dir de plein chargé de ministère ES au MEN de choses CoNRS, expert pour CNU comité d'orientation et direction de doyen honoraire d'évaluation de la dir labo, membre du MSTP, prés section formation du CNRS Nancy, membre autres fonctions pol des PME, confédérat tion des des RH de membre ion nat comité de vice-prés UNEDIC, universités modernisa membre gestion prés du du bureau prés de la autres du Conseil de éco et soc CNIL l'Agence

334 Annexe 3 : Bulletin du CNÉ, n°6, mai 1988, p. 1-4 [AN 20080020/289]

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