PRINCIPALES ABREVIA TIONS

A.J.D.A Actualité Juridique. Droit Administratif. A.N Assemblée Nationale. C.C. Conseil Constitutionnel. C.E. Conseil d'Etat. D Recueil Dalloz. G.A .J.A Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative. J. C.P. Juris-Classeur Périodique. J.O. Journal Officiel. Rev. adm ...... Revue Administrative. R.D.P. Revue du Droit public et de la Science Politique. Rec Recueil Lebon. R.F.S.P...... Revue Française de Science Politique. R.I.D.C. Revue Internationale de Droit Comparé. R.P.P ...... Revue Politique et Parlementaire. S ...... Recueil Sirey.

© Ed. ECONOMICA, 1979

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous pays. L'ouvrage de Françoise Decaumont, consacré à la présidence de , que l'on a le plaisir de présenter a le mérite essentiel d'être d'abord et avant tout une thèse, en un moment où ce genre universitaire se détourne, pour une part, de sa conception originaire. Qu' au surplus, la démarche ait été couronnée de succès, ne saurait laisser indifférent. Assurément, l'étude de cette période, largement délaissée à ce jour, repré- sente un tournant décisif de la Vème République. Le consulat s'efface, en effet, à partir de 1969, au bénéfice du principat. Au final, le régime s'institutionnalise et, sous la réserve de l'alternance, s'enracine. Dans ces conditions, ce dernier peut désormais retrouver une place au sein de la typologie des régimes occi- dentaux. Mais, par une ironie du sort, depuis l'instant où son fondateur l'a dé- tourné de son lit constitutionnel, la République actuelle semble réfractaire aux classifications reçues. Dans cette perspective s'inscrit une réponse, véritable provocation pour d'aucuns : le présidentialisme promu, en la circonstance, à la cohérence, alors que jusque-là on l'assimilait tout au plus à une excroissance des systèmes parlementaire et présidentiel. Accepté par les uns, récusé par les autres, le présidentialisme revêt depuis peu, en Doctrine, un aspect de bataille d'Hernani, qu 'il s'agisse de sa dénomina- tion ou de sa définition. Adopté récemment par le langage politique, du Chef de l'Etat à celui de l'opposition entre autres, le terme mérite d'être utilisé sans détour de préféren- ce aux délicats euphémismes proposés : régime mi-parlementaire, mi-présiden- tiel ou régime semi-présidentiel à la réminiscence ferroviaire. Il est malaisé d'imaginer, de ce point de vue, qu 'un régime tout en prétendant à l'unité, puisse être pour partie authentique et pour partie hérétique ! La puissance d'égare- ment d'une telle vision est digne de celle produite par les sirènes. Dans ces con- ditions, on se prend à songer à une autre comparaison instructive. La décou- verte de l'okapi au début du siècle sur le continent africain, après un instant d'étonnement, a opéré, à bon droit, un reclassement en zoologie. Pourquoi, en d'autres termes, la famille politique refuserait-elle de reconnaître l'existence de l'un de ses membres ? Le précédent du gouvernement d'assemblée indique clai- rement que les préoccupations éthiques ne doivent, en aucune façon, obscur- sir la pensée du constitutionnaliste. Qui plus est, le régime présidentialiste peut se prévaloir, tout à la fois, de la légitimité démocratique et de l'autorité qui en découle. La remarquable stabili- té de la Vème République n 'y est pas étrangère. L'élu de la Nation tout entiè- re, au moyen du relais incomparable de la majorité parlementaire élue à son appel et sur ses options, qui ne se souvient, à ce propos, du slogan de mars 1973 une majorité pour le Président ?, étend son contrôle à l'ensemble de l'es- pace politique, ou peu s'en faut. Bref, tel un monarque électif, il concentre entre ses mains le pouvoir décisionnel. Mais à tout prendre, le régime parlementaire majoritaire britannique ou ger- manique ne parvient-il pas au même résultat ? Pour diverses considérations, la France a opté initialement pour une démarche institutionnelle au lieu et place d'une démarche partisane, afin de mieux ensuite les combiner harmonieuse- ment. Ultime avancée de l'Exécutif, le présidentialisme demeure, à ce titre, re- présentatif de la logique pluraliste, si, à l'évidence, on laisse dans l'ombre ici sa variante tiers-mondiste. Dans une vision anticipatrice, M. Jean Rivero affirmait jadis que la Consti- tution de 1958 était grosse de plusieurs régimes. La monarchie républicaine de Georges Pompidou illustre parfaitement cette dynamique institutionnelle. Tou- tefois, l'ère nouvelle ouverte en mai 1974 débouche depuis peu sur une altéra- tion de ses mécanismes. Ce qui renforce, sans aucun doute, l'intérêt du présent ouvrage. En définitive, il y a fort à parier que ce dernier, dont on appréciera en outre la richesse de la documentation et la finesse de la rédaction, dérangera certaines commodités intellectuelles. Cependant, il sera malaisé, à l'avenir, d'en ignorer la contribution. Sous ce rapport, félicitons son auteur d'avoir osé braver les interdits consti- tutionnels et engagé de la sorte une belle querelle. Puisse cet exemple être mé- dité !

Saint-Denis-de-la-Réunion, le 24 mai 1979.

Jean Gicquel Professeur aux Universités de Paris L'auteur tient à remercier les personnes qui ont bien voulu lui accorder un entretien et tout particulièrement MM. Edouard Balladur, René Brouillet, Etienne Burin des Roziers, Yves Cannac, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Delors, Jean Donnedieu de Vabres, Mme Anne-Marie Dupuy, MM. Michel Jobert, Pierre Messmer et Simon Nora.

INTRODUCTION

«Il se trouve, en effet, que, comme Athè- nes, nous nous sommes donné, je cite ici Périclès, un régime politique qui ne se pro- pose pas pour modèles les lois d'autrui». Georges POMPIDOU (Discours à l'occasion du centenaire de l'Ecole libre des sciences politiques, 8 dé- cembre 1972).

«Je n'ai pas de prédécesseur», aimait à répéter le Général de Gaulle. A-t-il eu un successeur ? Le problème de l'avenir du régime se pose dès sa création en raison du charisme exceptionnel dont jouit son fondateur. La Constitution de 1958 devait alors apparaître comme une «enveloppe», bref un habit trop étroit que le Général de Gaulle taille à sa mesure. Alliant sa légitimité historique aux circonstances politiques de son arrivée au pouvoir, il s'évade du cadre constitu- tionnel pour parvenir à une pratique des pouvoirs étendus dont il nous décrit tous les mécanismes dans sa fameuse conférence de presse du 31 janvier 1964. Une interprétation du texte, si extensive soit-elle, ne peut, en tout état de cau- se, rendre compte de la réalité politique. Certes, la personnalité du Général de Gaulle dominant les institutions, la ré- partition incertaine des compétences au sein de l'Exécutif, le règlement du con- flit algérien, en un mot, «le rang» qu'il entend restituer à la France, donnent naissance à l'exercice de la conduite du peuple par son Guide. Le Chef de l'Etat n'exerce plus une fonction mais une mission, à la dimension de son mandat his- torique, qui l'entraîne à sortir des institutions, invoquant au besoin le texte pour plier la lettre rebelle. Ce système peut être qualifié, pour une part essen- tielle, d'«aconstitutionnel». La Constitution n'est pas, en l'occurrence, bafouée, mais écartée du fait des circonstances de crise qui entourent la venue au pou- voir du Général de Gaulle. Les accords d'Evian posent inévitablement, en avril 1962, la question de la normalisation du régime. Doit-on persévérer dans la pratique inaugurée en 1958 ou ressusciter la conception initiale de l'arbitrage actif ? Le Chef de l'Etat esti- mait, pour sa part, que son mode personnel de gouvernement utilisé dans une situation exceptionnelle valait désormais pour les jours ordinaires. De son côté, la classe politique pensait que la parenthèse ouverte en 1958 devait se clore et que le Président de la République devait rentrer dans le rang, d'où le moyen imaginé par le Général de Gaulle, pour renforcer «l'équation personnelle» de ses successeurs, de faire élire le Président de la République directement par le peuple. Car enfin, «le présent n'assure pas l'avenir. Un édifice dont la solidité dépend de la présence d'un homme est nécessairement fragile» (1). La révision de l'automne 1962 consiste donc moins à bouleverser la Constitution qu'à con- forter les assises du régime, ceci afin d'éviter tout retour déguisé à la IVème République. Assurément, le collège électoral, même élargi, se révèle un support trop étroit pour un futur Président. Dans cette perspective, l'élection du Chef de l'Etat au suffrage universel direct «relève moins de la volonté d'un homme, qu'elle n'obéit à la logique constitutionnelle» (2). Donnant tout son plein sens à la Constitution de Bayeux considérée, à bien des égards, comme le «brouil- lon», selon Pierre Viansson-Ponté, de la Constitution de 1958, la réforme fonde la «République nouvelle» dès lors que l'on ne revient jamais sur une conquête du suffrage universel. «En l'an de grâce 1962, fleurit le renouveau de la Fran- ce» (3). Le système est inauguré en décembre 1965, mais quelque peu faussé. Le Gé- néral de Gaulle, candidat hors du commun, écrase de tout son poids historique l'institution. Il s'agit plutôt d'une confirmation par le corps électoral d'une lé- gitimité personnelle que d'une véritable élection. Il faut attendre 1969 pour que le contexte politique se normalise. En effet, c'est la première élection prési- dentielle où tous les candidats sont sur le même plan. Elle allait se révéler «un véritable test pour nos institutions» (4) et conduire à l'enracinement du régi- me. Dorénavant, celles-ci vont fonctionner avec un Président ordinaire, au sens descriptif du terme, élu du peuple, alors qu'on les croyait, jusqu'à présent, liées à leur fondateur. Mais là aussi, «les hommes comptent plus que les institu- tions» (Chateaubriand). Imagine-t-on M. Alain Poher à l'Elysée ? «Sept ans d'intérim, c'est trop !», assure M. Maurice Schumann. La question du régime est à nouveau posée : d'un côté, une présidence moins engagée, plus régulatrice qu'animatrice, pour le Président du Sénat ; de l'autre, un arbitrage actif et non pas fictif, pour l'ancien Premier Ministre. En fait, Georges Pompidou a bien compris le mécanisme de la Vème Répu- blique pour avoir été, depuis 1962, le plus proche collaborateur du Général de Gaulle, sans compter son rôle dans l'ombre de ce dernier, à partir de 1944, et surtout, en 1958, lors de la mise en place des institutions. Depuis 1962, il préfi- gure sa carrière politique comme si, en fin stratège, il voulait se constituer une clientèle en vue de l'échéance présidentielle dont il ignore la date. Parvenu au sommet de l'Etat, il entend faire valoir l'héritage reçu. Sous ce rapport, sa dé- marche procède d'une intention planificatrice (I) et répond à une volonté diri- giste (II).

(1) Général de Gaulle, Mémoires d'espoir, t. 2, 1971, p. 13. (2) J. Gicquel, Essai sur la pratique de la Vème République. Bilan d'un septennat, 1968, p. 241. (3)Général de Gaulle, Mémoires d'espoir, t. 2,1971, p. 13. (4) G. Pompidou, conférence de presse du 10 juillet 1969, , 11 juillet 1969. I - UNE VOLONTÉ PLANIFICATRICE (1962-1968).

La nomination de Georges Pompidou à l'Hôtel Matignon, le 14 avril 1962, est placée sous le signe de la novation. Inconnu du public, étranger au milieu parlementaire, ce nouveau venu provoque un vent de protestations parmi les élus. Pourtant, ce «néophyte du forum» n'est pas un novice en politique, tant s'en faut ! Il travaille en symbiose avec le Général de Gaulle depuis plusieurs années. C'est M. René Brouillet, une amitié normalienne, qui le fait entrer, en sep- tembre 1944, au Cabinet de celui-là, Président du Gouvernement provisoire depuis le 1er octobre. Le Général cherchait, dit-on, «un agrégé sachant écrire». Georges Pompidou a alors 33 ans (1). Après le départ du Général de Gaulle, en janvier 1946, il est nommé Directeur adjoint du Commissaire général au Touris- me, puis maître des requêtes au Conseil d'Etat, au tour extérieur. En 1947, le Général de Gaulle créé le R.P.F.. Il est en quête d'un collaborateur non mêlé aux cercles politiques. Georges Pompidou est l'homme tout désigné. Il n'appar- tient à aucun parti et c'est un homme entièrement dévoué. Il devient son Chef de Cabinet et, plus encore, l'Eminence grise du mouvement. Il commence alors une carrière de conseiller privé qui le conduit à vivre, durant toutes ces années, dans l'intimité du Général de Gaulle. Dans les conseils du R.P.F., il s'initie à la technique électorale, à l'organisation du mouvement. Cette expérience devait, un jour, lui être précieuse. En 1953, le Général accentue son retrait de la scène politique. L'année suivante, le R.P.F. se disloque et René Fillon, son trésorier, introduit Georges Pompidou à la Banque Rothschild. Au départ, il y occupe des fonctions fort modestes. Puis les qualités dont il fait preuve à ce poste lui valent d'être promu, deux années plus tard, Directeur Général. Quand Charles de Gaulle revient au pouvoir, le 1er juin 1958, c'est naturel- lement à Georges Pompidou qu'il offre de diriger son Cabinet. Celui-ci n'accepte d'ailleurs de reprendre sa place auprès du Général que pour une durée de six mois. Parlant et agissant au nom du Président du Conseil, son influence, pendant cette courte période, est souvent déterminante. Il inspire le choix des princi- paux ministres. Membre du Comité interministériel, il participe en observateur muet (2) à l'élaboration de la Constitution. Fort de l'expérience du R.P.F., il organise les élections législatives dans la foulée du référendum. Le 8 janvier 1959, le Général de Gaulle quitte l'Hôtel Matignon pour l'Elysée où René Coty lui remet ses pouvoirs. Ensuite, les deux Présidents se rendent ensemble sous l'Arc de Triomphe afin d'y ranimer la flamme, où il se séparent. C'est Georges Pompidou qui, sur l'invitation pressante du nouveau Chef de l'Etat, prend place

(1) Georges Pompidou est né, le 5 juillet 1911, à Montboudif, dans le Cantal. Après avoir entrepris des études secondaires au lycée d'Albi, puis au lycée Louis-le-Grand, il entre à l 'Ecole Normale Supérieure dont il sort agrégé de Lettres, non sans avoir obtenu, entre temps, le diplôme de l'Ecole libre des Sciences politiques. Il commence alors une carriè- re de professeur de Lettres, tout d'abord au lycée de Marseille, ensuite au lycée Hen- ri IV. (2) Guy Mollet révèle que Georges Pompidou était toujours présent aux séances du Comité interministériel, mais n'intervenait pas dans les discussions. « Les institutions à l'épreu- ve des élections», R.P.P., 1973, n° 838,p. 3. à ses côtés dans la voiture qui redescend les Champs-Elysées (1). Le lendemain, il transmet, au nom du Général de Gaulle, les pouvoirs du dernier Président du Conseil de la IVème République à M. Michel Debré, nommé Premier Ministre (2). Insigne honneur fait à son Directeur de Cabinet qui achève, ce jour-là, sa mis- sion auprès de lui. Par l'autorité et l'activité qu'il a déployées à ce poste-clé, Georges Pompidou a pleinement assumé la fonction qui lui était assignée au point d'apparaître comme une sorte de vice-Président du Conseil. Du reste, le nouveau Chef de l'Etat ne s'y trompe pas : «L'Histoire ne saura jamais tout ce qu'a fait Pompi- dou pendant ces six mois d'organisation de la Vème République» (3). Le Géné- ral de Gaulle a tôt fait de récompenser ce collaborateur discret et dévoué en le nommant au Conseil constitutionnel, en février 1959. Georges Pompidou reprend alors ses fonctions privées rue Laffitte tout en conservant ses relations avec l'Elysée (4). Si son rôle est marginal, à partir de ce moment-là, il n'est nullement secondaire. «Maintenu dans l'ombre du pou- voir, il y joue le rôle du conseiller secrètement écouté» (5). Homme de confian- ce du Général de Gaulle, celui-ci lui demande, en février 1961, de prendre se- crètement contact avec les représentants du Front de Libération Nationale algé- rien, d'abord à Berne, puis à Neufchâtel, en vue de sonder leurs intentions. Mis- sion accomplie et réussie. Le 30 mars, un communiqué annonce officiellement l'ouverture des négociations qui sont conduites, à Evian, par le Ministre d'Etat, M. Louis Joxe. En somme, Georges Pompidou démêle quelques affaires pour l'Elysée comme il débrouille les dossiers pour la Banque Rothschild. Quelques mois plus tard, M. Michel Debré lui propose le portefeuille des Finances (6). Mais il décline l'offre qui lui est faite. L'année suivante, cependant, il accepte l'Hôtel Matignon. Que de chemin parcouru par ce Directeur de Banque (7) ! Dernier des char- gés de mission au Cabinet du Général de Gaulle, en 1944, il devient, le 14 avril 1962, le premier de ses Ministres. Sans nul doute, l'homme a fait ses preuves. «Il sait se rendre complémentaire. Les deux tempéraments s'emboîtent bien» (8). C'est la condition première d'une fructueuse collaboration. Plus qu'une promotion, cette nomination est la consécration de la fidélité et de la confiance

(1) V. P. Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne, t. I, 1970, p. 85. (2) Le Monde, 11-12 janvier 1959. Juste retour des choses, la même cérémonie se déroule, trois ans et demi plus tard, mais les pouvoirs sont transmis dans l'ordre inverse. V. Le Monde, 17 avril 1962. (3) Rapporté par O. Guichard, Un chemin tranquille, 1975, p. 85. (4) Pendant ce temps, Georges Pompidou entreprend de composer une Anthologie de la Poésie française qui sera publiée en octobre 1960. (5) A. Claisse, Le Premier Ministre de la Vème République, 1972, p. 43. (6) En effet, M. Wilfrid Baumgartner devait démissionner le 18 janvier 1962 et passer alors à la présidence du Conseil d'Administration de Rhône-Poulenc. Il avait accepté de rem- placer M. Antoine Pinay simplement pour un an. (7) P. Viansson-Ponté observe fort à propos qu'il n'y a pas un, mais trois Georges Pompi- dou : le professeur, le banquier, le politicien. « Un banquier baudelairien entre à l 'Hôtel Matignon», Le Monde, 14 avril 1962. (8) P. Rouanet, Pompidou, 1969, p. 51. que lui témoigne le Général de Gaulle. «Ayant éprouvé depuis longtemps sa va- leur et son attachement...Georges Pompidou m'a paru capable et digne de me- ner l'affaire à mes côtés», écrit-il (1). Pourtant, c'est sur la pointe des pieds que Georges Pompidou fait son entrée officielle en politique avant de prendre, quel- ques années plus tard, toute sa carrure d'homme d'Etat.

Assurément, le nouveau Premier Ministre passe pour un intrus. Sa nomina- tion suscite chez les parlementaires stupéfaction et déception. Du reste, ses dé- buts sont bien pâles. L'accueil qu'il reçoit à l'Assemblée Nationale est des plus réservés. Sa première intervention y est presque maladroite. A l'évidence, c'est un homme inexpérimenté qui est projeté dans l'arène politique. Son «investitu- re» se fait sans passion, à une faible majorité (2). En un mot, «serez-vous le maître ou serez-vous la voix de son maître ?», lui lance M. Legendre (3). Quand il réplique du haut de la tribune de l'Assemblée, le 5 juin 1962, à la motion de censure consécutive à l'affaire Jouhaud, il se fait chahuter comme un collégien dans cette atmosphère surexitée (4). Certes, avouera plus tard l'intéressé, «je ne suis pas un politicien de profession» (5). Néanmoins, son discours est sévère. Progressivement, l'homme s'enhardit. Le ton monte à la tribune du Palais-Bour- bon quand le Premier Ministre, un mois plus tard, entend briser les résistances à la force de frappe, puis défendre avec vigueur le projet d'élection du Président de la République au suffrage universel. Se plaçant uniquement sur le terrain juridique, il est quelque peu mal à l'aise sentant «le mauvais génie d'autrefois présent dans l'hémicycle» (6). L'opposition, de son côté, fourbit son arme. Le 5 octobre 1962, son Cabinet est renversé. Ses premiers pas en politique ont consisté à essuyer les tempêtes, à répondre aux coups. Mais Georges Pompidou ne s'est pas dérangé pour assurer un gouvernement de transition. L'entrée au Palais-Bourbon d'une majorité inespérée bouscule les habitudes et les idées jus- que-là reçues, et conforte sensiblement l'assise du Premier Ministre. Lors du vo- te de confiance, le 13 décembre, il gagne quelques voix (7). Toutefois, l'année 1963 s'annonce sous de mauvais auspices. La réquisition manquée lors de la grève des mineurs, en mars, constitue sans conteste, de l'a- veu de l'intéressé, «une bavure». En revanche, le mariage est paisible entre l'U.N.R. et les républicains indépendants. A preuve, Georges Pompidou et M. Valéry Giscard d'Estaing, au lendemain, il est vrai, d'un rappel à l'ordre du Gé- ( 1 ) Général de Gaulle, Mémoires d'espoir, t. 2,1971, p. 112. (2)Avec 259 voix contre 128 et 119 abstentions, Georges Pompidou est loin du score obte- nu par M. Michel Debré, le 16 janvier 1959 (453 voix contre 56 et 29 abstentions). (3)J.O., Débats A.N., 2ème séance du 26 avril 1962, p. 757. (4) Les rapports sont d'autant plus tendus entre le Gouvernement et le Parlement que les ministres M .R.P. viennent de démissionner à la suite du discours du Général de Gaulle, le 15 mai 1962, se déclarant hostile à l'intégration européenne. (5) G. Pompidou, entretien radiotélévisé du 24 octobre 1962, Le Monde, 26 octobre 1962. (6 )Ibid. (7) Avec 268 voix contre 116 et 69 abstentions, Georges Pompidou améliore son score de 9 voix. né ral, présentent ensemble, le 12 septembre, le plan de stabilisation. Quelques jours plus tard, cependant, le Premier Ministre lance un sérieux avertissement à l'opposition désireuse de renverser le Gouvernement : «Nous ne jouerons pas au jeu du «culbuto»» (1). C'est ainsi que Georges Pompidou «découvre peu à peu ses talents», observe M. Jacques Fauvet (2). Après le style Conseil d'administra- tion ou de faculté, il se montre un «debater» incisif et persuasif à la tribune de l'Assemblée Nationale. Chef de Gouvernement, il devient Chef de la majorité, combatif, excessif. L'homme se révèle habile, au demeurant, quand l'adversité se déclenche. Mais, c'est Raminagrobis, s'écrie François Mauriac. Le romancier décèle, en fait, sous des sourcils broussailleux, l'homme de Car actère.

A partir de 1964, Georges Pompidou compose son personnage et l'impose à telle enseigne qu'il commence à faire figure de dauphin. Les élections présiden- tielles approchent. Le discours d'Orange, en septembre 1963, marque le point de départ de la campagne électorale. Les observateurs s'interrogent sur la suc- cession. «Elle ira aux héritiers naturels», répond le Premier Ministre, d'une ma- nière sybilline (3). Le 24 avril 1964, à l'Assemblée Nationale, M. François Mitterrand apostrophe littéralement le Premier Ministre, lui reprochant d'être «le parent pauvre de nos institutions», bref de ne pas exister. La riposte ne se fait point attendre. Georges Pompidou relève l'attaque dont il est l'objet. Dé- fiant le leader de l'opposition sur le terrain des institutions, il va même jusqu'à ironiser sur la fragilité de la IVème République dont M. François Mitterrand est issu. Le ton est batailleur, accrocheur, le sourcil épais. On est loin de l'homme visiblement inexpérimenté de 1962. «La réponse pourtant est claire, écrit Pierre Viansson-Ponté. Elle s'étalait à tous les regards au Palais-Bourbon, elle crevait même les yeux : point n 'est besoin d'un document posthume pour nom- mer un héritier présomptif» (4). Le Premier Ministre est projeté sur le devant de la scène politique et occupe, à lui seul, tout l'écran. A preuve, au cours de l'hospitalisation du Président de la République, en avril 1964, et lors du voyage en Amérique du Sud de ce dernier, au mois de sep- tembre, c'est Georges Pompidou qui supplée le Chef de l'Etat en vertu de l'arti- cle 21 «in fine» de la Constitution. C'est Georges Pompidou qui préside, en juin, le 48ème Anniversaire de la bataille de Verdun. Dans d'autres circonstan- ces, la présence des deux hommes revêt l'allure d'un symbole. C'est ainsi que Georges Pompidou descend les Champs-Elysées aux côtés du Général de Gaulle, le 8 mai 1964, parcourt Toulon, le 15 août. Au cours de certains déplacements officiels, à Château-Go ntier, le 21 mai 1965, et à Versailles, le 16 juin, il re- çoit l'insigne honneur d'être placé à la gauche du Chef de l'Etat alors que, jus- (1)G. Pompidou, journées d'études parlementaires de l'U.N.R. à Beaulieu-sur-Mer, 20-22 septembre 1963, Le Monde, 24 septembre 1963. (2) J. Fauvet, «M. Pompidou et l'opposition», ibid. (3) G. Pompidou, déclaration aux assises nationales de l'U.N.R.—U.D.T. à Nice, 22-24 no- vembre 1963,Le Monde, 26 novembre 1963. (4) P. Viansson-Ponté, Le Monde, 26-27 avril 1964. qu'à présent, le protocole réservait cette place au maire de la commune. Le 19 juin 1964, il entreprend son premier voyage officiel dans le Cantal, bientôt sui- vi par de nombreux déplacements en province (1) et de fréquents séjours à l'étranger (2). On songe alors à la fameuse boutade prêtée au Général de Gaul- le : «Faites-vous connaître». Le Premier Ministre démontre peu à peu non seu- lement ses dons d'orateur mais, aussi et surtout, ceux de successeur. Il est clair que «Georges Pompidou est devenu un vice-Président. La fonction crée l'orga- ne» (3). La cause est entendue. L'esprit l'emporte sur la lettre. En réalité, la succession n'est pas encore ouverte. Le Général de Gaulle qui aime à garder secrètes les décisions à sensation n'annonce sa candidature que le 4 novembre 1965 (4). Mais se voulant au-dessus de la mêlée, le Chef de l'Etat est mis en ballottage, le 5 décembre suivant. Sans nul doute, la candida- ture de M. Jean Lecanuet, qui obtient plus de 15 % des suffrages exprimés, y contribue pour une large part. En outre, celui-ci a pleinement bénéficié de la publicité électorale. A l'inverse, le Président sortant n'ayant usé que partielle- ment du temps de parole qui lui était alloué, a commis incontestablement une erreur psychologique et politique. Il laisse alors à son Premier Ministre le soin de mettre en œuvre, pour le second tour, un nouveau plan de bataille. «Nous avons une bonne base de départ, constate celui-ci, mais sous réserve que la cam- pagne soit une campagne excellente !» (5). Conscient de l'impact des moyens audio-visuels, Georges Pompidou incite le Général de Gaulle à descendre dans l'arène. D'emblée, le Chef de l'Etat parle le premier. Le décor n'est plus le même. Il utilise tout son temps de parole, accepte de «jouer le jeu» en se faisant ques- tionner par un journaliste. Habile, volontiers gouailleur, hochant la tête, levant les bras, le Président de la République retrouve sa cible favorite : les partis poli- tiques. C'est de la grande mise en scène. Mais derrière, le souffleur, c'est Geor- ges Pompidou. Qui plus est, ce dernier ouvre une perspective d'avenir : «Après tout ce qui a été dit, discuté, étalé, le Général de Gaulle sera amené à repen- ser son action» (6). Il est certain que l'effet mobilisateur voulu par le Premier (1) Outre le tour de France électoral de Georges Pompidou en 1967, Le Premier Ministre se rend à Albi, Verdun, Calais, en 1964 ; au Mont-Saint-Michel, en 1965 ; visite les dé- partements de l'Indre-et-Loire, en 1963 ; du Cantal, de la Polynésie, en 1964 ; de la Manche, de l'Ille-et-Vilaine et des Ardennes, en 1965 ; de l'Aveyron en 1966 ; puis le Cantal, en 1968. (2) Alors que son prédécesseur n'avait effectué que deux voyages à l'étranger (Londres et Bonn, en 1960), Georges Pompidou parcourt la Turquie en 1963, le Japon et la Suède en 1964, le Pakistan et l'Inde en 1965, le Royaume-Uni en 1966, l'U.R.S.S. et l'Autri- che en 1967, l'Iran et l'Afghanistan en 1968. (3) J. Gicquel, Essai sur la pratique de la Vème République. Bilan d'un septennat, 1968, p. 281. (4) Maintenu dans l'incertitude, le Premier Ministre fait écrire, en hâte, par Merry Brom- berger, Le destin secret de Georges Pompidou, 1965, hagiographie, pour l'essentiel, dans l'hypothèse d'une candidature aux élections présidentielles. Attitude adroite, cer- tainement, comme l'ouvrage de Pierre Rouanet, en 1969, qui reste la meilleure biogra- phie écrite, à ce jour, sur Georges Pompidou. (5) Cité par R. Rouanet,Pompidou, 1969, p. 133. (6)G. Pompidou, conférence de presse du 16 décembre 1965, Le Monde, 18 décembre 1965. C'est, en effet, le moyen imaginé par le Premier Ministre pour sortir de sa réserve, les règles de la Commission nationale de contrôle lui interdisant d'apparaître à la télévi- sion avant le second tour. Le journal télévisé ne pourra faire moins que de rapporter l' intervention du Premier Ministre. Ministre a joué pleinement en faveur du Chef de l'Etat. C'est lui l'artisan de la campagne électorale. Il est aussi et surtout l'artisan de la victoire du Général, le 19 décembre. Celui-ci sort de l'épreuve quelque peu diminué. Est-ce la fin du Gaullisme-unanimité ? En revanche, son second apparaît grandi. A compter de l'élection présidentielle, Georges Pompidou exerce sa fonction avec plus d'autorité encore. Le Chef de l'Etat se tient volontiers en recul, lais- sant le Premier Ministre aux prises avec le quotidien. La mise en place de la nouvelle équipe gouvernementale indique combien celui-ci a acquis peu à peu une grande indépendance dans le choix de ses collaborateurs. C'est ainsi que, voulant mettre fin à une «contestation feutrée», il congédie, en janvier 1966, M. Valéry Giscard d'Estaing (1) et le remplace par M. Michel Debré qui rentre dans le rang. Progressivement, il s'entoure d'une nouvelle génération d'hommes politi- ques, véritable vivier de ministrables, comme le montrent les récentes promo- tions de MM. Jean Charbonnel, et François Ortoli. En 1967, il réussit à vaincre la résistance de l'Elysée en introduisant M. Olivier Guichard au Gouvernement. Si l'on remarque que divers services, et non des moindres (2), sont rattachés à l'Hôtel Matignon, «on peut se demander si le Premier Minis- tre... n'est pas en train de se tailler une sorte de «secteur réservé»» (3). Mais à peine la campagne présidentielle est-elle terminée que s'ouvre celle des législati- ves. C'est Georges Pompidou qui définit les positions du parti majoritaire au Conseil National de l'U.N.R.—U.D.T. à Poitiers, le 27 juin 1966, en imposant, d'entrée de jeu, le principe de la candidature unique. A cette fin, il préside la création d'un Comité d'action pour la Vème République, institution fonda- mentale du fait majoritaire, distribue les investitures et tranche les différends. C'est le Premier Ministre qui, le 31 janvier 1967, lors du grand meeting au Pa- lais des Sports, présente les candidats investis par Matignon. Georges Pompidou se lance dans la bataille électorale sans compter. Il récuse les prétentions de M. Jean Lecanuet qui aspire à constituer un groupe charnière à l'Assemblée, cel- les de M. Valéry Giscard d'Estaing qui prétend soutenir la majorité tout en con- servant sa personnalité, ce qui ne manque pas de provoquer, entre les deux hommes, un «duel à fleurets mouchetés» (4). Il entame un tour de France élec- toral au cours duquel il porte la contradiction, les 22 et 27 février 1967, succe- sivement à M. François Mitterrand, à Nevers, et à M. Pierre Mendès-France, à Grenoble. Mais, c'est «croquemitaine», assure M. Jean Lecanuet, griffes acérées sous patte de velours. Le Chef de l'Etat intervient le 4 mars. En fait, le travail est accompli et la campagne est close. Sans nul doute, la conjoncture électorale est bien le lot du Premier Ministre. Jusque-là animateur de la majorité, celui-ci s'en veut aussi l'inspirateur. (1)G. Pompidou reprochait au Ministre de l'Economie et des Finances d'entretenir un dia- logue direct avec l'Elysée, entravant, de ce fait, la liberté d'action du Premier Ministre. V. M. Jobert, L'autre regard, 1976,p. 27. (2) Il en est ainsi, entre autres, de l'Aménagement du Territoire, du Commissariat général au Plan, du Commissariat à l'Energie Atomique, du Commissariat au Tourisme, et des différents organismes de Recherches scientifiques. (3) R. Barillon, Le Monde, 30 avril-2 mai 1967. (4) P. Viansson-Ponté, Histoire de la République gaullienne, t. II, 1971, p. 245. Dans la foulée, il entend façonner cette formation à vocation électorale, «ce parti d'électeurs», selon la formulation de M. Jean Charlot, dans laquelle il atti- re une génération nouvelle d'hommes politiques liée à la personne même du Premier Ministre. Rassembleur, fédérateur, sont les qualificatifs qui résument la démarche de Georges Pompidou, en novembre 1967, à Lille. L'efficacité a-t-el- le pris, dès ce moment-là, le pas sur la fidélité ? Telle est bien la façon dont les gaullistes de gauche interprètent l'évènement. «A Lille, domineront ceux qui proclament situer déjà leur action dans les perspectives de l'après-gaullisme», écrit M. Louis Vallon(1) qui refuse de se rendre à ce «somptueux Congrès» (2). Le Premier Ministre se donne le change en ralliant l'U.G. Vème (3). Ces assises marquent-elles le point de départ du pompidolisme ? S'il est malaisé de l'affir- mer avec certitude, on peut raisonnablement penser qu'elles représentent un tournant, sur le plan tactique, dans la carrière du Premier Ministre. Evoquant, d'ailleurs, l'esprit de Lille, le Président de la République devait cautionner publiquement, pour la première fois, le comportement de son Premier Ministre, en soulignant néanmoins qu'il est, «seul», le mandataire du peuple français tout entier (4). La répartition des tâches entre le Chef de l'Etat et son Premier Ministre sem- ble se dessiner plus nettement encore au vu du front parlementaire qui se fait jour. L'étroite majorité dont dispose le Gouvernement au lendemain de la con- sultation de mars 1967 met en difficulté son Chef. A plusieurs reprises, Geor- ges Pompidou croise le fer avec les leaders de l'opposition, frôle la censure, mais fait face. L'adversité décuple ses forces. Pierre Cot ne s'y trompe pas qui esquisse le portrait d'«un diable aux sourcils broussailleux» (5). C'est ce même physique et cette même assurance que l'on retrouve chez le Premier Ministre lors des évènements de mai 1968.

A dire vrai, c'est un homme nouveau qui revient d'Afghanistan : «Dès mon retour... j'ai réuni les ministres compétents, puis... j'ai décidé que la Sorbonne serait librement réouverte...»(6). Bref, le ton tant impératif que décisif sur- prend. Mais, vous être «le miraculé de Kaboul», s'écrie M. François Mitterrand, le 14 mai 1968 à la tribune de l'Assemblée. En fait, le Premier Ministre, univer- sitaire de surcroît, a vu la crise de haut, avec un œil neuf, oserions-nous dire.

(1)L. Vallon, L'anti de Gaulle, 1969,p. 31. (2) Quatre mille délégués et adhérents participent, le 24 novembre 1967, aux assises de Lille au cours desquelles le Premier Ministre prend personnellement la parole. Au sur- plus, la présence de groupes folkloriques, de vedettes... et de cinquante ambassadeurs conviés a suivre les travaux du congrès témoigne du souci qu'ont eu les dirigeants de donner à cette manifestation un certain prestige. (3) Son leader, M. Philippe Dechartre, sera nommé, huit mois plus tard, Secrétaire d'Etat à l'Equipement et au Logement. (4) Général de Gaulle, conférence de presse du 27 novembre 1967, Discours et Messages, t. 5, 1970,p. 247. (5)J.O., Débats A.N., 1ère séance du 24 avril 1968, p. 1305. (6) G. Pompidou, allocution télévisée du 11 mai 1968, Le Monde, 15 mai 1968. Désavouant toutes les décisions prises en son absence par le Gouvernement, il s'empare de la situation. «Il fait tout, il est partout, il encaisse et parfois rend les coups. On a l'impression qu'il n'y a plus de gouvernement, plus d'Etat, mais un homme seul qui lutte avec courage dans la tempête» (1). Visiblement, un homme d'Etat est né à l'épreuve du pouvoir et c'est bien le seul à s'être com- porté comme tel. Pour faire face aux syndicats, à l'université, à la rue, il prend personnellement en charge les secteurs essentiels, fait des négociations de Gre- nelle son affaire personnelle, de sorte qu'il se trouve seul en première ligne (2). Mais «c'est le Ministère tout entier», pourrait-on s'écrier comme à l'adresse de M. Thiers, en 1871, et d'ajouter, est-ce l'homme providentiel ? Le Chef de l'Etat, fidèle à sa méthode, préfère prendre du champ pour mieux dominer l'évé- nement laissant son Premier Ministre aux prises avec la conjoncture politique (3). Georges Pompidou apparaît, dès cet instant, comme l'homme fort du Gou- vernement et, plus encore, l'homme fort du régime. Mais surtout, il va démon- trer qu'il peut, le cas échéant, faire fléchir le Chef de l'Etat. A ce moment-là, plus que jamais, naît une divergence de solutions, et peut- être de conceptions, à la tête de l'Exécutif. Certes, ce n'était pas la première fois que le Général de Gaulle affrontait les difficultés, mais chaque fois, il les avait surmontées et réglées grâce à la caution populaire. C'est la raison pour la- quelle «il fallait, puisque la démocratie elle-même était en danger, ... que le peuple tout entier fût consulté» (4). Ainsi, dans l'esprit du Chef de l'Etat, le ré- férendum était l'instrument idoine pour nouer le dialogue avec le peuple «par- dessus tous les intermédiaires» et, en particulier, ses représentants qui consti- tuent un écran déformant. Hostile à cette procédure, Georges Pompidou en percevait tous les dangers. De fait, si un référendum est plus facile à organiser qu'une élection, il est, en revanche, beaucoup plus difficile à gagner. En raison de l'effet déformant du scrutin majoritaire à deux tours, on peut, avec une mi- norité de voix, obtenir la majorité des sièges à l'Assemblée tandis que, par dé- finition, elle ne peut permettre de remporter un référendum. Question de bon sens assurément, mais question qui revêtait toute son importance à un moment où la France connaissait une crise sans précédent. La solution du Général était logique, celle de Georges Pompidou était tactique. Mais dès l'instant qu'il réus- sit à convaincre le Président de la République qu'il fallait choisir la dissolution et renoncer aux vertus sanctifiantes du référendum, le Premier Ministre «a fait naître une branche orléaniste du gaullisme jusque-là légitimiste»(5). Les élections de juin sont un large succès pour le Premier Ministre. Le Cantal le réélit avec 80,6 % des voix. Le Général de Gaulle en prend-il ombrage ? «Il

(1) P. Viansson-Ponté, «La seule issue», Le Monde, 30 mai 1968. (2) V. Ph. Alexandre, L'Elysée en péril, 1969. (3) Après l'élection présidentielle de décembre 1965, il semble que le Général de Gaulle se soit davantage préoccupé de la politique extérieure laissant à Georges Pompidou le soin du quotidien. C'est ainsi qu'en septembre 1966, le Chef de l'Etat se rend à Pnom-Penh ; en juillet 1967, au Canada ; au cœur des évènements de mai 1968, il part pour la Rou- manie, avant de «disparaître», le 29 mai. Assurément, le Général de Gaulle n'occupait pas tout le terrain. (4) Général de Gaulle, entretien radiotélévisé du 7 juin 1968, Le Monde, 9-10 juin 1968. (5) R. Rouanet,Pompidou, 1969, p. 262. paraît, Madame, que votre mari et moi avons gagné les élections», croit-on en- tendre au cours d'une conversation. «L'étendue de notre victoire nous impose la discrétion», rétorque le Premier Ministre (1). L'homme de la majorité est de- venu l'homme de la Nation. Mais plus sa notoriété grandit dans l'opinion publi- que, plus il s'achemine vers sa chute. L'autorité et la popularité sont le lot du Chef de l'Etat, non celui du Chef de Gouvernement. Ce Premier Ministre doit être neutralisé. On ne peut mettre deux têtes sous un même bonnet. Cependant, tout porte à croire qu'initialement le Chef de l'Etat n'avait pas l'intention de le remercier. «Je ne changerai par le Premier Ministre dont la va- leur, la soliditié, la capacité méritent l'hommage de tous» (2). Mais alors que Georges Pompidou est, en mai 1968, l'homme indispensable, les élections ache- vées, l'ordre recouvré, il n'apparaît plus comme tel. Le 10 juillet, il est placé «en réserve de la République» (3). La lettre de congédiement est, à cet égard, révélatrice. Outre l'éloge fait à son ex-Premier Ministre, le ton est empreint d'une particulière cordialité (4). Il n'y a pas, à ce moment-là, divorce mais sim- ple séparation : «Je tiens à garder avec vous des relations particulièrement étroites», souligne le Chef de l'Etat (5). Mais surtout, en l'invitant à se prépa- rer à tout mandat qu'un jour la Nation pourrait lui confier (6), le Président de la République ouvrait à l'ex-Premier Ministre une perspective d'avenir. Désor- mais, Georges Pompidou fait figure de recours (7). Pourtant, il a fallu qu'il passe par l'angoisse de l'attente. Dès le 17 janvier 1969, à Rome, Georges Pompidou sort de sa réserve en an- nonçant, comme allant de soi, qu'il sera «candidat à une élection à la Prési- dence de la République lorsqu'il y en aura une» (8). La réplique du Général de Gaulle est cinglante et prend la forme d'un désaveu : «J'ai le devoir et l'inten- tion de remplir mon mandat jusqu'à son terme» (9). Puis, le 13 février, à Ge- nève, l'ex-Premier Ministre réitère : «J'aurai peut-être, si Dieu le veut, un des- tin national» (10). Si la «petite phrase» de Rome a paru faire sensation dans l'opinion publique, chacun s'accorde à reconnaître que ce n'était là une révéla- tion pour personne et qu'elle n'a, en fait, «étonné que ceux qui voulaient bien (1) G. Pompidou, Le Monde, 2 juillet 1968. (2) Général de Gaulle, allocution télévisée du 30 mai 1968, Le Monde, 1er juin 1968. (3) Général de Gaulle, conférence de presse du 9 septembre 1968, Discours et Messages, t. 5, 1970,p. 323. (4) Le Général de Gaulle appelle Georges Pompidou «Mon cher ami», et non plus «Mon cher Premier Ministre», comme en 1962. A n'en point douter, cette nouvelle formule traduit bien l'évolution, au fil des annés, des rapports entre les deux hommes. (5) En dehors d'un dîner offert à Georges Pompidou et à son épouse et de quelques entre- tiens privés, l'ex-Premier Ministre est reçu officiellement à l'Elysée, le 9 janvier 1969. (6) V. en annexe, le texte de la lettre de démission de Georges Pompidou, le 10 juillet 1968, et la réponse du Général de Gaulle. (7) Un sondage réalisé par la S.O.F.R.E.S., en octobre 1968, indique que Georges Pompi- dou serait le meilleur candidat à la Présidence de la République (41 %), M. Couve de Murville : 15 %, M. François Mitterrand : 9 % M. Valéry Giscard d'Estaing : 9 %, sans opinion : 26 %. Le Monde, 22 octobre 1968. (8) Le Monde, 19-20 janvier 1969. (9) Le Monde, 23 janvier 1969. (10) Le Monde, 15 février 1969. être étonnés» (1). Même si la chose était connue de tous, il convient de préciser que c'est la première fois que Georges Pompidou le disait publiquement, d'où la réaction du Général. En somme, cette déclaration serait passée totalement inaperçue si le représentant de l'Agence France-Presse, à Rome, n'avait cru de- voir donner à ces propos une importance injustifiée. Il est vrai qu'entre temps les relations entre Georges Pompidou et le Chef de l'Etat s'étaient quelque peu détériorées. Il y a tout lieu de penser que la rupture date des événements de 1968 qui ont brisé la confiance qui unissait les deux hommes. En effet, lors- que le 29 mai, le Général de Gaulle part pour une destination inconnue (on ap- prendra plus tard qu'il s'est rendu à Baden-Baden), il ne croit pas devoir dé- voiler ses intentions au Premier Ministre, et notamment la direction qu'il prend, de sorte que Georges Pompidou, maintenu dans l'ignorance la plus complète, se retrouve seul à la tête de l'Etat, ce qui l'oblige à occuper tout le terrain. Se sentant isolé et abandonné par le Général alors que, jusqu'à présent, il y avait entre eux une très grande estime, il s'en offusque. Ensuite, la dégradation de leurs relations connaît un enchaînement à plusieurs étapes. Banale en soi, l'af- faire Markovitch prend un relief accusé à partir de l'instant où y sont mêlés les noms de l'ancien Premier Ministre et de son épouse. Sans aucun doute, le choix du moment où éclate cette ténébreuse affaire n'est pas dû au hasard. Avec le recul du temps, on peut supposer qu'un complot politique s'amorçait pour em- pêcher Georges Pompidou de se présenter à l'Elysée (2). Dernier avisé de l'intri- gue qui se tramait contre lui, celui-ci s'en émeut. A partir de là, il s'est estimé libéré des liens qui l'attachaient au Général de Gaulle. La déclaration de Genè- ve, intentionnellement prononcée, procède de ce «détachement affectif» (3). L'annonce du référendun, le 2 février suivant, rapproche l'ancien Premier Ministre du Chef de l'Etat. Le 12 mars, Georges Pompidou et sa femme sont reçus officiellement à déjeuner à l'Elysée. On s'interroge encore sur les vérita- bles mobiles de cette rencontre. Avait-elle pour objet de mettre fin aux ma- nœuvres dirigées contre l'ancien Premier Ministre et dissiper le malentendu en- tre les deux hommes ? Coïncidence troublante, le même jour, René Capitant, Garde des Sceaux, diffuse un communiqué condamnant les «rumeurs menson- gères perfidement répandues autour de l'affaire Markovitch». Quoiqu'il en soit, «ce dîner n'a rien arrangé», aurait confié Georges Pompidou (4). Néanmoins, celui-ci se lance activement dans la campagne électorale. Il mobilise l'U.D.R. autour de lui, multiplie les témoignages de fidélité au projet du Chef de l'Etat : «Je voterai «oui»... car, en politique, je ne conçois pas d'action hors de la fidé- lité et de la continuité», déclare-t-il, le 28 mars, dans le Cantal (5). L'ancien Premier Ministre réoccupe le devant de la scène politique et répond clairement, et non moins sèchement, à ceux qui jouent l'échec du référendum

(1) E. Michelet, La querelle de la fidélité, 1971, p. 138. (2)V. en ce sens, M. Couve de Murville, Le Figaro, 29 septembre 1975. (3) M. Jobert,Mémoires d'avenir, 1974, p. 82. (4) Rapporté par Ph. Alexandre, Le duel de Gaulle-Pompidou, 1970, Coll. de poche, p.375. (5) Le Monde, 30-31 mars 1968. pour hâter sa venue au pouvoir (1). «Je voterai «oui» et je ne permets à person- ne de traduire mes pensées et mes arrière-pensées» (2). Pourtant, cette mise au point de l'ex-Premier Ministre ne parvient pas à dissiper le malaise. La campa- gne référendaire prend alors une tournure étrange dans la mesure où elle ne semble guère passionner l'opinion, malgré le caractère nettement plébiscitaire de la consultation. Peut-être l'électeur a-t-il senti que la relève était de toute façon assurée et que l'enjeu n'était pas aussi important qu'on voulait bien lui faire croire ? L'allocution sécurisante du Président du Sénat, porte-drapeau du «non», en témoigne : même si le Général de Gaulle décide de se retirer... «Non, la France ne tombera pas dans le chaos» (3). Désormais, M. Alain Poher et Georges Pompidou offrent le visage de successeurs éventuels en cas de transi- tion et, le moment venu, d'élection. Prévu depuis quelques jours par les instituts de sondage, l'échec du référen- dum est consacré le 27 avril au soir. En liant son destin personnel aux résultats du scrutin, le Général de Gaulle a-t-il commis une erreur de stratégie ou s'est-il délibérément lancé dans un «référendum-suicide» ? (4). Seul, semble-t-il, An- dré Malraux soutient cette dernière thèse (5) qui a suscité une vive réprobation de la part des anciens collaborateurs du Chef de l'Etat (6). Peut-être faut-il tout simplement voir dans l'attitude présidentielle un phénomène de persévérance, si- non d'entêtement. Après avoir changé la «Constitution politique» de la France, l'heure était venue de modifier sa «Constitution sociale» (Maurice Hauriou). Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le référendum n'avait d'autre fina- lité que de rétablir le circuit de confiance entamé par la crise de mai 1968. Aussi peut-on raisonnablement avancer que la consultation représentait le pari d'un homme soucieux d'apporter une ultime retouche à son personnage. Entré dans l'Histoire par les évènements, il en sortirait par la voie du suffrage univer- sel. Le 28 avril, à 0 h 11, un communiqué émanant de Colombey, où réside le Général de Gaulle, tombe comme un couperet : «Je cesse d'exercer mes fonc- tions de Président de la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi». La succession est ouverte. Au total, l'action de Georges Pompidou, Premier Ministre a, sur le plan ins- titutionnel, une valeur de premier ordre. A partir de 1962, «il s'agira désormais de faire vivre dans des circonstances normales un système constitutionnel qui s'est construit en période de crise», observe M. Alain Claisse(7).En effet,depuis 1959, M. Michel Debré rôde un mécanisme qui n'a jamais encore fonctionné et (1) V. en ce sens, J. Médecin, Le Monde, 6-7 avril 1969 ; et M. Poniatowski, L'Economie, 22 mars 1969. (2) G. Pompidou, déclaration aux assises nationales de l'U.J.P. à Strasbourg 12-13 avril 1969, Le Monde, 15 avril 1969. (3) A. Poher, déclaration télévisée du 24 avril 1969, Le Monde, 26 avril 1969. (4) V. F. Bon, «Le référendum du 27 avril 1969 : suicide politique ou nécessité stratégi- que ?»,R.F.S.P., 1970, p. 205. (5) A. Malraux, interview au New York Times, Le Monde, 8 août 1972. (6) V. notamment les déclarations de MM. M. Couve de Murville et J.M. Jeanneney lors d'un colloque organisé, le 22 mai 1976, sur cette question. Le Monde, 26 mai 1976. V. éga- lement, M. Droit, Les feux du crépuscule, 1977, p. 168. (7) A. Claisse, Le Premier Ministre de la Vème République, 1972, p. 30. les grincements sont nombreux, de sorte que le Premier Ministre n'a pas pu s'émanciper complètement de la tutelle présidentielle. Georges Pompidou hérite d 'un habit qui n'a guère été porté, tout du moins en période calme, alors que le Général de Gaulle a déjà modifié le sien. Par son tempérament propre et ses relations privilégiées avec le Chef de l'Etat, il transforme la fonc- tion et lui imprime, au fil des années, une autre dimension. «Ainsi couvert par le haut et étayé par le bas, mais en outre confiant en lui-même à travers sa cir- conspection, il se saisit des problèmes en usant, suivant l'occasion, de la faculté de comprendre et de la tendance à douter, du talent d'exposer et du goût de se taire, du désir de résoudre et de l'art de temporiser, qui sont les ressources va- riées de sa personnalité» (1). Cet hommage rendu par le Général de Gaulle, du fond de sa retraite, à ce fidèle collaborateur suffit, à lui seul, à expliquer les raisons qui ont conduit celui-là à garder un Premier Ministre bien au-delà de ce qu'on pouvait l'imaginer. «J'ai mis Georges Pompidou en fonction afin qu'il m'assiste au cours d'une phase déterminée. Les circonstances pèseront assez lourd pour que je l'y maintienne plus longtemps qu'aucun Chef de Gouverne- ment ne l'est resté depuis un siècle», poursuit-il. Tout donne à penser, avec le recul du temps, que la mission de Georges Pompidou devait prendre fin, sinon avec les élections présidentielles, tout du moins avec les élections législatives de 1967. En 1965, une première phase s'ou- vrait, celle de la légitimité démocratique, et un nouveau Premier Ministre devait accompagner ce second septennat (2). Mais «le contrat a été rompu», estime le Général de Gaulle (3) qui doit subir l'épreuve du ballottage. Il renonce, une pre- mière fois, à se séparer d'un Premier Ministre «qui semblait si complémentaire de lui» (4) et qui avait tant contribué à son succès, le 19 décembre. Dès 1966, les germes d'un désaccord entre le Général de Gaulle et Georges Pompidou sont perceptibles. Il porte principalement sur la question de la participation (5) qui, dans l'esprit du Chef de l'Etat, était de nature à favoriser la réintégration de l'électorat communiste dans la communauté nationale. Or, dans ce domaine, il se heurtait à une réticence certaine de son Premier Ministre. L'échec électoral de M. Maurice Couve de Murville dans le 7ème arrondissement de Paris, en mars 1967, consolide le provisoire. Les évènements de mai 1968 débouchant sur une crise institutionnelle de- vaient altérer leurs relations personnelles (6). Dégagé de l'allégeance présiden- tielle, Georges Pompidou s'affirme. (1 ) Général de Gaulle, Mémoires d'espoir, t. 2, 1971, p. 114. (2) A cet égard, M. Léon Noël (De gaulle et les débuts de la Vème République, 1976, p. 265), révèle qu'au cours d'un entretien avec le Général de Gaulle, en octobre 1963, ce dernier aurait émis l'idée de nommer Georges Pompidou à la présidence du Con- seil constitutionnel, ce qui, à l'évidence, est contraire à l'article 56 de la Constitution qui dispose que le mandat n'est pas renouvelable, sauf dans l'hypothèse d'un rempla- cement inférieur à trois ans (art. 12 de l'ordonnance du 7 novembre 1978). (3) Rapporté par A. Malraux, Les chênes qu' on abat..., 1971, p. 22. (4) V. en ce sens, M. Couve de Murville : rapporté par M. Droit, Les feux du crépuscule, 1977,p.198. (5) De ce point de vue, le Général de Gaulle avait été séduit par les idées de Marcel Loichot exprimées dans son ouvrage, La Réforme pancapitaliste, 1966. (6) V. notamment, R. Marcellin, L'importune vérité, 1978, pp. 31 et s. II - UNE VOLONTÉ DIRIGISTE (1969 -1 974).

L'accession de Georges Pompidou à la présidence de la République, le 15 juin 1969, dépouille le régime de sa parure historique pour lui faire revêtir sa robe démocratique. La conception visionnaire du pouvoir cède le pas à une vue plus familière. Bref, au gaullisme unanimitaire succède le gaullisme majoritaire. «Je maintiendrai». Si telle n'était la devise de la Maison d'Orange, la formule résume à elle seule l'action, sinon l'ambition de Georges Pompidou. Par une pente naturelle, celui-ci transforme les institutions au point de les ancrer dans les mentalités et dans les faits. Sous ce rapport, le nouveau Chef de l'Etat ne saurait être considéré, contrairement à une opinion largement répandue, com- me une pâle copie de son prédécesseur. En ce sens, la France connaît à partir de 1969, un régime nouveau. La Vème République, c'était, avec Charles de Gaulle, un visage, sous la présidence de Georges Pompidou, c'est une institution. Le Chef de l'Etat concentre entre ses mains le pouvoir décisionnel ce qui lui confère une autorité sans pareille. A cet égard, il apporte la preuve que les institutions qui reposaient jusque-là sur le pres- tige d'un homme peuvent désormais fonctionner avec un personnel ordinaire. Certes, son arrivée au pouvoir est placée sous les meilleurs auspices. Sur la lan- cée du régime précédent, il bénéficie tout à la fois d'une réelle autorité et d'une confortable majorité élue, en fait, sur son som. Son mérite, et il n'est pas moin- dre, est d'avoir réussi, selon son expression, «un retour à la normale». Soucieux avant tout de préserver l'héritage reçu, «il incline vers les attitudes prudentes et les démarches réservées», écrit fort à propos le Général de Gaulle (1). Assurément, ce n'est pas un réformateur de tempérament. «Ayons le sens du réel», aimait-il à répéter. Peu porté vers les actions éclatantes, il préfère la prudence à l'aventure, sans pour autant refuser d'endosser ses responsabilités. Sa nature le conduit à composer là où son prédécesseur tranchait. De Gaulle était un militaire, Georges Pompidou est un universitaire. A l'inverse de celui- là, il évite soigneusement l'affrontement, recherche l'appui des intermédiaires et s'abrite sous l'autorité de la Constitution. Homme malicieux, ce n'est pas un juriste mais il sait dominer le Droit. En un mot, «le pompidolisme arrondit les angles du gaullisme» (J.-R. Toumoux). Cependant, en homme avisé, il entend, en toutes circonstances, ne rien dévoiler de ses projets afin de n'être point pri- sonnier d'une solution. «Le propre de l'action politique, c'est de se garder les mains libres», déclare-t-il (2). Démarche très gaullienne, s'il en est. Dans ces conditions, comment qualifier le régime français sous le mandat de Georges Pompidou ? En d'autres termes, dans quelle catégorie le ranger ? La question ne se posait pas avec une particulière acuité dans les premières années de la Vème République tant son fondateur échappait aux normes habi- tuelles, ce qui rendait le régime réfractaire à toute classification juridique. In- triguée, tout d'abord, par le texte de 1958, la Doctrine est bientôt apaisée par la personnalité du Général de Gaulle qui fournit, à elle seule, une explication. (1 ) Général de Gaulle, Mémoires d'espoir, t. 2, 1971, p. 113.

(2) G. Pompidou, conférence de presse du 23 septembre 1971, Le Monde, 25 septembre1971. Mais à partir du moment où le système se normalise, le débat rebondit et s'enri- chit du fait de la réforme de 1962. De ce point de vue, l'embarras des auteurs se mesure à la variété des épithètes qu'ils ont cru devoir décerner aux différents régimes politiques (1) et à vouloir, à tout prix, faire rentrer la Vème Républi- que dans un cadre pré-établi. Déjà, le Général de Gaulle, qui aimait décontenancer les juristes, déclarait : «Tous les professeurs de Droit constitutionnel nous expliquent qu'il y a trois régimes possibles : le régime d'assemblée, le régime parlementaire et le régime présidentiel. C'est fort bien, mais pourquoi faudrait-il absolument que le régime de la France entre exactement dans une de ces trois catégories ? Il n'y a aucune raison pour que la Constitution de la France entre nécessairement dans un de ces schémas théoriques ; elle peut fort bien n'être ni tout-à-fait parlementaire ni tout-à-fait présidentielle ; elle peut parfaitement avoir un caractère spécifi- que» (2). De même, Georges Pompidou affirmait-il, sous une forme imagée : «Notre système, précisément parce qu'il est bâtard, est peut-être plus souple qu'un système logique : Les «corniauds» sont souvent plus intelligents que les chiens de pure race» (3). Il en résulte que si la classification opérée par la Doctrine est satisfaisante d'un point de vue intellectuel, elle ne résiste pas à l'examen des faits. Celle-ci persévère à opposer les deux notions traditionnelles alors que la France essaie de les concilier, ainsi qu'il convient de le vérifier. Sans conteste, la Constitution de 1958 établit un régime parlementaire. Mais si elle en possède apparemment toutes les structures, elle s'en éloigne quant à son esprit. De surcroît, l'arrivée d'une majorité parlementaire, en 1962, qui a remplacé avantageusement les mécanismes du parlementarisme rationalisé, n'a fait qu'accentuer le phénomène. En effet, la vie politique française est essentiel- lement dominée par l'élection présidentielle qui confère au Chef de l'Etat son autorité, ce qui est incompatible avec un régime fondé sur son effacement. Il s'ensuit que le scrutin présidentiel revêt principalement l'aspect d'une élection- pilote. A ce titre, il imprime sa marque aux élections législatives et assure à la Vème République sa survie. Sous ce rapport, le Premier Ministre est ravalé au rang de subordonné, bref d'agent de liaison entre le Président et sa majorité. Pour exister et durer, le Cabinet doit bénéficier simultanément de cette double confiance. Dans cette perspective, la dissolution est présidentielle. C'est la rai- son pour laquelle certains auteurs ont pu penser, qu'à beaucoup d'égards, la Constitution de 1958 pouvait se définir comme une seconde Restauration ou bien encore une République orléaniste et même un «orléanisme renforcé» (4). (1) Si l'on se réfère au critère historique et logique de la séparation des pouvoirs, les consti- tutionnalistes ont coutume de distinguer les régimes de séparation des pouvoirs (régime présidentiel), de collaboration des pouvoirs (régime parlementaire) et les régimes de confusion des pouvoirs au profit de l'exécutif (présidentialisme) ou du législatif (régime d'assemblée). (2) Rapporté par R. Janot, «les institutions à l'épreuve des élections», R.P.P., 1973, n° 838,p. 23. (3) G. Pompidou, Le nœud gordien, 1974, p. 68. (4) V. en ce sens, M. Duverger, «Les institutions de la Vème République», R.F.S.P., 1959, p. 109. En outre, si la responsabilité ministérielle subsiste, elle n'a guère l'occasion de jouer devant l'Assemblée Nationale et se manifeste seulement devant le peuple, ce qui ressort, à l'évidence, du régime présidentiel. Véritable pot-pourri, la Vème République combine diverses modalités de régimes parlementaires, dualiste et moniste, avec les techniques du parlementarisme rationalisé et les ressources du parlementarisme majoritaire, sans toutefois s'identifier à une forme pure. Aussi, prétendre que la France pratique le parlementarisme majoritaire, au moins depuis 1962 (1), nous paraît erroné, car la situation ne rend pas compte de la réalité. Même si l'analogie avec le système anglais est certaine, eu égard à la présence d'une majorité à ce jour constante, il ne faut pas perdre de vue la prééminence du Chef de l'Etat. Le fait que ce dernier entende conserver un rôle actif dans la direction de la politique empêche de souscrire à cette opinion. Est-ce à dire que la Vème République instaure un véritable régime présiden- tiel ? Certes, l'élection du Chef de l'Etat au suffrage universel en constitue un élément important. Mais une seule composante ne suffit pas à définir un régi- me. C'est une condition nécessaire mais nullement suffisante. L'Exécutif reste bicéphale et le Premier Ministre participe étroitement à la prise des décisions alors qu'aux Etats-Unis, le Président cumule les fonctions de Chef de l'Etat et de Chef de Gouvernement. Sans doute l'Exécutif français se rapproche-t-il d'une structure monocéphale dans la mesure où le Premier Ministre ne saurait prétendre à une politique d'inspiration différente de celle du Président au risque d'être congédié. En revanche, par le truchement de la majorité parle- mentaire, ce dernier assujettit l'Assemblée à sa volonté tandis qu'aux Etats- Unis, les prérogatives du Congrès ne sont nullement entamées. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, protecteur des pouvoirs publics (2), tout du moins dans sa conception initiale, ne souffre guère la comparaison avec la Cour Suprê- me fonctionnant dans l'intérêt des citoyens. Enfin, si la séparation des pouvoirs entre le Législatif et l'Exécutif est, dans la pratique américaine, très atténuée, force est de constater qu'un changement de majorité, en cours de mandat prési- dentiel, ne met pas le régime en péril à l'instar, semble-t-il, du système français. Le fait majoritaire, qui se manifeste en novembre 1962 et qui se perpétue, soude tous les éléments du régime au point de lui faire prendre un visage inédit, proche du présidentialisme. Mais alors que le Général de Gaulle, homme d'ex- ception, masquait la réalité, la vision qui résulte du mandat de Georges Pompi- dou apparaît cohérente, ce qui lui confère son originalité, sa spécificité. Les traits que prend la Vème République, à partir de 1969, sont d'autant plus mar- qués qu'un double éclairage l'enserre désormais. Aussi le moment est-il venu de franchir le pas. Sous couvert de continuité, Georges Pompidou crée un style présidentiel. Libé- ré de ses traits initiaux, le présidentialisme est en mesure de fonctionner dans un cadre institutionnel : la primauté du Chef de l'Etat est assurée grâce à l'investi- ture populaire et confortée par un large soutien parlementaire. Sous cet angle, le pompidolisme s'identifie au présidentialisme. Il s'ensuit que la Vème République (1) V. notamment, D.-G. Lavroff, Le système politique français, 1975, pp. 524 et s. ; et M. Duverger, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 14ème éd., t. 2, 1976, p. 325. (2) V. L. Favoreu, «Le Conseil constitutionnel, régulateur de l'activité normative des Pou- voirs publics»,R.D.P., 1967, pp. 5 et s. permet d'enrichir le Droit constitutionnel d'une catégorie nouvelle. Toutefois, il y a lieu d'observer que l'idée n'est pas pleinement acceptée, d'où la nécessité de cerner la notion avant d'envisager son application au phénomène français.

Si la Doctrine hésite à qualifier le régime français, c'est parce qu'elle s'atta- che à des concepts aujourd'hui dépassés. Or, chercher à insérer la Vème Répu- blique dans un moule classique, sinon statique, que la théorie juridique offre aux constituants, c'est refuser la dialectique qu'engendre la dynamique d'une Constitution. Quels que soient les regrets que l'on puisse en avoir, il faut re- connaître que ces étiquettes bien typées ne rendent pas compte de la réalité politique. Déjà, dans les pays anglo-saxons, les critères traditionnels sont quelque peu battus en brèche. En Grande-Bretagne, la responsabilité ministérielle ne peut plus, à elle seule, définir le régime parlementaire tant le contexte politique en modifie les effets. Il y a peu de chance, en raison du système des partis, que le Cabinet soit renversé à la suite d'un vote hostile de la Chambre des Commu- nes. De ce fait, le Premier Ministre anglais, fort d'un pouvoir important et pra- tiquement désigné par le suffrage universel, évoque, à la limite, le modèle prési- dentiel (1). A l'inverse, l'emprise du Congrès sur le Président américain n'est pas sans rappeler, pour une part, le «parlementarisme de couloirs» (Woodrom Wilson). La menace de destitution qui a entraîné la démission du Président Richard Nixon, en août 1974, à la suite de l'affaire du «Watergate», en fournit une illustration éclatante (2). A fortiori, la France remet-elle en cause ces caté- gories pré-établies, d'où le recours, pour le moins exempt de risque, à la formu- le du régime mixte. L'idée est séduisante, mais critiquable : on reste au milieu du gué (3). Ce qui montre à l'évidence l'insuffisance de la théorie classique. Il convient donc d'abandonner la distinction ancienne pour s'attacher à des notions nouvelles plus conformes à la pratique constitutionnelle. A cet égard, seul le présidentialisme a le mérite de s'adapter au droit positif. Du reste, n'est- il pas dans sa nature de mêler certaines techniques du régime présidentiel avec les mécanismes empruntés au régime parlementaire au point d'aboutir à un sys- tème cohérent ? A ce propos, le régime français n'est pas un phénomène isolé. Le Portugal, depuis 1976, l'Autriche, l'Islande, l'Irlande et la Finlande, pour ne prendre que quelques exemples, s'apparentent à un tel système. Sans doute la Constitution de 1958 prend-elle un relief accusé dans la mesure où le Chef de l'Etat assume

(1) V. sur ce point, F.-G. Marx, «La Grande-Bretagne vit-elle sous un régime présiden- tiel ?»,R.D.P., 1969, pp. 5 et s. (2) V. à ce propos, l'excellent ouvrage d'A. Schlesinger, La Présidence impériale, 1976 ; et A. Tunc, «Le couple Président-Congrès dans la vie politique des Etats-Unis d'Améri- que», Mélanges Georges Burdeau, 1976, pp. 561 et s. (3) Qui plus est, certains auteurs paraissent ignorer totalement l'existence du présidentia- lisme. V. notamment, J. Petot, «La notion du régime mixte», Mélanges Charles Eisen- mann, 1975,pp. 98 et s. l'essentiel des responsabilités alors que dans les pays cités, il a, compte-tenu de quelques variantes, un rôle relativement effacé. Si l'on excepte la thèse du parlementarisme majoritaire que, pour notre part, nous récusons, un rapide inventaire des étiquettes décernées à la Vème République indique très clairement que le présidentialisme est loin d'être an- cré dans les esprits. La plupart des auteurs, s'ils s'accordent à admettre la spé- cificité du système français, le situent au carrefour de la distinction tradition- nelle entre régime parlementaire et régime présidentiel, mais ne prennent pas nettement position. Ils répugnent à associer au sein d'une même catégorie jur- ridique des éléments qui semblent difficilement compatibles. «Le régime cons- titutionnel de la Vème République, écrit M. Michel-Henry Fabre, ne peut pas plus être catalogué comme régime présidentiel que parlementaire. Il combine ces deux régimes, mais la combinaison est à sens unique, elle ne joue qu'au bé- néfice du pouvoir exécutif... Les auteurs imaginent une catégorie constitution- nelle nouvelle, le régime présidentialiste» (1). De même, M. Georges Burdeau, tout en soulignant les dangers d'un tel sys- tème, se borne à observer qu'il s'agit là d'un «mécanisme original» (2) tandis que M. Jacques Robert estime que «le syncrétisme —en droit public— est aven- tureux» (3). Quant à dire que le poids du Chef de l'Etat, qui n'a cessé de croî- tre sous la Vème République, ne remet pas en cause la nature ambiguë du régi- me (4), nous paraît à tout le moins contestable. D'autres l'élèvent au rang de «Principat» (5), pour reprendre, sous une forme rajeunie, une expression em- pruntée à M. Bertrand de Jouvenel. Enfin, il importe de faire bonne justice à l'idée développée par M. Maurice Duverger, et reprise récemment (6), selon la- quelle nos institutions établiraient un régime semi-présidentiel. Si tentante soit- elle, cette explication n'est pas convaincante. Ou le régime est présidentiel, ou il ne l'est pas. Il semble difficile de soutenir raisonnablement qu'un système est authentique à demi. A tout prendre, mieux vaut considérer, sans risque de se tromper, que la Vème République est une «Monarchie républicaine», tant il est vrai que ce terme générique recouvre des formules très diverses (7). On conçoit que la Doctrine ait été déconcertée et déroutée par un tel régi- me, tout du moins initialement. Mais continuer à se référer à des normes clas- siques alors qu'à l'évidence on s'en éloigne, apparaît choquant. Ainsi, la Doctri- ne constate, décrit, réfléchit mais refuse de porter un jugement. Ce faisant, elle

(1) M.-H. Fabre, Principes républicains de Droit constitutionnel, 3ème éd., 1977, p. 374 ; V. également, G. Vedel, «Les deux Constitutions», Le Monde, 10 janvier 1973. (2) G. Burdeau, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 18ème éd., 1977, p. 479. (3) J. Robert, «L'équivoque constitutionnelle», Le Monde, 13 février 1973. (4) P. Gaborit et D. Gaxie, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 1976, p. 127. (5) P. Avril, Le régime politique de la Vème République, 3ème éd., 1975, p. 379. (6) M. Duverger, Echec au Roi, 1978 ; V. dans le même sens, M. de Villiers, «La Cinquième République et le régime semi-présidentiel», Rev. adm., 1976, pp. 589 et s. (7) M. Maurice Duverger donne ce nom (dont la paternité, du reste, revient à M. Michel Debré) à tous les régimes politiques dans lesquels on assiste à un renforcement du pou- voir au profit du Chef de l'Exécutif, que celui-ci soit élu directement par le peuple (Etats-Unis, France...) ou par l'intermédiaire de ses représentants (Grande-Bretagne, Al- lemagne fédérale, Suède, Canada...), La Monarchie républicaine, 1974. manque, pour une part, à sa mission qui consiste à interpréter, proposer et sys- tématiser. Pourtant, cette nouvelle terminologie n'a pas rebuté certains auteurs qui, au fil des années, s'y sont ouvertement ralliés. Rejetant la thèse du semi-présiden- tialisme, Marcel Prélot lui préfère celle du «présidentialisme accentué», mieux encore, de «l'ultra-présidentialisme» (1). Pour sa part, M. Pierre Pactet recon- naît que «l'épithète «présidentialiste», jusqu'alors peu laudative, peut-être ap- pliquée à un tel régime» (2), sans manquer de relever les inconvénients qui peu- vent en résulter. De son côté, M. Benoit Jeanneau précise qu'il s'agit là d'un «présidentialisme parlementaire» (3) et M. Charles Debbasch, d'un «néo-prési- dentialisme» (4). Par ailleurs, le Doyen Georges Vedel choisit une option plus réaliste, celle du «présidentialisme majoritaire» (5) Enfin, il faut signaler que la formule fait son apparition en 1975, dans le manuel d'André Hauriou. Jus- que-là localisée aux pays du Tiers-Monde, la notion est étendue au phénomène français (6). De fait, après avoir repoussé l'appellation au profit de celle de «consulat», M. Jean Gicquel, initiateur de la notion avec M. Gérard Conac (7), admet ce point de vue (8). On remarque, en effet, que le vocable reste inusité pendant plusieurs décen- nies alors que les régimes politiques d'Amérique latine calqués, au cours du siè- cle dernier, sur le modèle offert par les Etats-Unis (9), s'orientent vers une sorte de présidentialisme primaire marqué par la toute puissance du Président et une vie politique pour le moins mouvementée. Mais très vite, on s'aperçut que le système copié par les constituants sud-américains n'était pas adapté aux problè- mes de ces populations et surtout à leur psychologie. «Leur première préoccu- pation, souligne fort justement M. Gérard Conac, n'était pas de limiter le pou- voir mais de le rendre effectif» (10), d'où la tendance au «personnalisme» à peine atténué par la règle dite du «non continuisme» (11). De surcroît, cette concentration de l'autorité entre les mains d'un homme n'était pas tempérée par la mise en place de mécanismes inhérents au régime parlementaire, tels la présence aux côtés du Président d'un Premier Ministre, ce qui aurait permis (1) M. Prélot, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 5ème éd., 1972, p. 620. En revanche, il y a lieu d'indiquer que la 6ème édition, 1975, mise à jour par Jean Bou- louis ne reprend pas à son compte cette dénomination. (2) P. Pactet,Institutions politiques et Droit constitutionnel, 3ème éd., 1974, p. 141. (3) B. Jeanneau, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 4ème éd., 1975, p. 88. (4) Ch. Debbasch, La France de Pompidou, 1974, p. 27. (5) G. Vedel, Introduction aux études politiques, cours I.E.P., Paris, 1976-1977, p. 311. (6) A. Hauriou et J. Gicquel, Droit constitutionnel et Institutions politiques, 6ème éd., 1975, p. 692. (7) G. Conac, «Pour une théorie du présidentialisme. Quelques réflexions sur les présiden- tialismes latino-américains», Mélanges Georges Burdeau, 1976, pp. 115 et s. (8) J. Gicquel, Essai sur la pratique de la Vème République. Bilan d'un septennat, 1968, p. 359 ; et Réflexions sur la seconde décennie du régime, 1977, pp. 4 et s. (9) V. J. Lambert, «La transposition du régime présidentiel hors des Etats-Unis : le cas de l'Amérique latine», R.F.S.P., 1963, pp. 577 et s. (10) G. Conac, art. précité, p. 128. (11) V. B. Chantebout, Droit constitutionnel et Science politique, 1978, p. 417. plus de souplesse en cas de tensions. Quant au Congrès, il était davantage regar- dé comme le fruit d'un produit importé, et donc déconsidéré. Enfin, le déséqui- libre des pouvoirs est accentué par le fait qu'en cas de crise grave, notion au demeurant dotée d'une grande élasticité, les libertés sont suspendues au gré du Président. En conséquence, tous ces régimes, dans leur phase plus ou moins libérale ou autoritaire, ont un point commun : ils sont axés autour de l'institution prési- dentielle, centre unique du pouvoir. C'est cette hiérarchisation, voire cette sou- mission des organes de l'Etat au Président, qui constitue la caractéristique es- sentielle du présidentialisme qui le différencie du système Nord-américain. Si- tuées à un niveau inférieur, les Assemblées ne sont pas en mesure de contreba- lancer le poids excessif de l'Exécutif et, par-là même, d'en limiter les méfaits. Ainsi, on comprend mieux l'absence de construction doctrinale afférente à ces pays imprégnés, sinon de l'esprit, tout au moins du schéma présidentiel améri- cain. L'accession à l'indépendance des pays africains permet d'affiner la notion. Choisissant de s'organiser sur le modèle de l'ancienne puissance colonisatrice avec laquelle ils avaient gardé des liens de subordination économique et cul- turelle, ces nouveaux Etats vont, à leur tour, connaître la prépondérance prési- dentielle. Il est vrai que les circonstances se prêtaient mieux à la personnalisa- tion du pouvoir («chef historique», techniques modernes de propagande, par- ti unique) qu'en Amérique latine, ce qui facilitait d'autant l'implantation du présidentialisme. Ce phénomène de contagion n'a pas échappé à M. Jean Buchmann, observa- teur averti des réalités africaines, qui constate, dès 1962, la poussée du prési- dentialisme qui, selon des modalités différentes, se dessine dans les anciens ter- ritoires français (1). Inventeur, à notre connaissance, de ce terme, l'auteur dé- cèle deux vagues de présidentialisme. La première, qui se dégage par étapes, avec des variantes, au Moyen-Congo, au Ghana, puis au Katanga consiste en un «présidentialisme authentique» : le Président est désigné par le Parlement, mais n'est pas responsable devant lui ; en revanche, il dispose du droit de dissolution qui apparaît comme un moyen d'en appeler directement au pays dans l'hypo- thèse d'un conflit, ce qui conforte incontestablement sa position face à l'As- semblée tandis que le Gouvernement est nettement dominé. Au reste, l'édifi- cation progressive de ce «néo-présidentialisme» dans les pays francophones n'est pas le fruit du hasard. On perçoit, à l'époque, l'influence de l'interpréta- tion gaulliste du parlementarisme. Cette opinion est partagée par M. Roger-Gé- rard Schwartzenberg pour qui, «au bout de quelques années, les Constitutions inspirées du parlementarisme occidental ont été ou bien mises en sommeil par des dictatures, ou bien remplacées par des Constitutions de type présidentiel —ou plutôt présidentialiste, car le véritable régime présidentiel comporte un contrôle très efficace du Parlement sur l'Exécutif- souvent inspiré du modèle fourni par la Vème République» (2). Bref, la filiation est certaine. A partir de (1) J. Buchmann, L'Afrique noire indépendante, 1962, pp. 252 et s. (2) R.-G. Schwartzenberg, Sociologie politique, 3ème éd., 1977, p. 298. cette trame, chaque Etat va broder son propre canevas. Sous cet angle, c'est certainement le présidentialisme ivoirien issu de la Constitution du 3 novembre 1960, manifestation de la seconde génération, qui semble avoir exercé le plus grand rayonnement sur l'Afrique noire d'expression française, et a joué de la sorte le rôle d'une Constitution pilote : le Président, détenteur exclusif du pouvoir exécutif et élu au suffrage universel direct en mê- me temps et pour la même durée que l'Assemblée, peut prononcer la dissolu- tion, recourir au référendum et s'emparer des pleins pouvoirs dans des condi- tions proches de celles prévues par la Constitution française de 1958. Cette structure est dominée par deux traits essentiels liés à ses origines métropolitai- nes : la prééminence présidentielle et l'abaissement corrélatif du Parlement. Ultérieurement, l'ossature sera imitée et complétée par des procédures mus- clées au point de tendre vers un présidentialisme renforcé. Il s'agit bien d'une synthèse opérée entre les conceptions gaullistes et la réalité africaine qui abou- tit à une hiérarchisation accrue des pouvoirs au profit d'un organe personnalisé. Cependant, note M. Jean-Yves Calvez, c'est «un pouvoir qui tient encore très largement aux qualités du détenteur, un pouvoir encore peu institutionnalisé malgré les apparences constitutionnelles» (1). Dans le même ordre d'idées, il n'est pas sans intérêt de mentionner la Constitution marocaine de 1970, copie conforme de celle promulguée en 1962, établissant, selon l'expression de M. Maurice Duverger, «un parlementarisme orléaniste mâtiné de gaullisme» (2). Dès lors, cette première analyse des systèmes politiques africains effectuée sur le terrain ne saurait être regardée comme une pure invention de son auteur. Bien au contraire, le présidentialisme recouvre une réalité qui a sa cohérence et qui correspond à un besoin. Il y a bien là une forme nouvelle de régimes politi- ques. Et si on constate chez ces derniers des variations en raison de l'environne- ment, ils ont tous des traits communs qui leur donnent un air de famille : l'agencement des pouvoirs et leurs modes de fonctionnement sont en grande partie similaire. Tant et si bien qu'en dépit de sa diversité, le présidentialisme n'en présente pas moins une certaine unité. Aussi, prétendre que ce type de ré- gime est un mythe (3) apparaît à tout le moins surprenant. Curieuse démarche que celle qui consiste à nier l'évidence ! Ce n'est pas parce que le pavillon re- couvre des régimes politiques variés qu'il n'existe pas. Appliqué au régime par- lementaire, ce raisonnement conduirait à en refuser l'existence. Or, par delà les différences institutionnelles, assez mineures pour la plupart, on dénote une pra- tique contemporaine des régimes parlementaires qui permet de dégager un type de système logique «structuré — stabilisé» (4). Ceci dit, il y a une dynamique des Constitutions qui veut que l'or accorde moins d'attention au texte qu'à la pratique politique. L'expérience française commande que l'on oriente ses re- cherches dans cette direction.

(1) J.-Y. Calvez, Aspects politiques et sociaux des pays en voie de développement, 1971, p. 80. (2) M. Duverger, «La seconde Constitution marocaine», Le Monde, 1er septembre 1970. (3) R. Moulin, Le présidentialisme et la classification des régimes politiques, thèse, Rouen, 1978. (4) J.-C. Colliard, Les régimes parlementaires contemporains, 1978. Etiquette commode, à l'origine, pour cataloguer des régimes politiques mix- tes, et donc hétéroclites, le présidentialisme tend à devenir un concept se si- tuant en marge des canons classiques. Ceci étant, cette audace raisonnable auto- rise enfin à classer la Vème République -ce régime sans nom faute d'une étude approfondie- dans une catégorie juridique distincte des modèles traditionnels. Il en ressort que ce concept est susceptible de revêtir deux modalités très différentes selon qu'il se pratique dans un pays sous-développé ou bien dans un pays avancé. Sans doute celles-ci présentent-elles des affinités techniques certai- nes résultant, pour une large part, de la juxtaposition d'un système parlementaire et d'un système présidentiel. En outre, si dans les pays du Tiers-Monde, «l'ex- pression : parti dominant est un euphémisme destiné à déguiser la réalité qu'est le parti unique» (1), dans les sociétés dites développées, le résultat est, toute proportion gardée, identique : l'opposition est largement exclue du circuit po- litique. Mais au-delà d'une similitude technique, il n'en demeure pas moins vrai que le contexte sociologique, économique et surtout idéologique confère au présidentialisme des traits particuliers. Pour l'essentiel, il s'agit d'une dénatura- tion du système présidentiel américain : les pouvoirs du Chef de l'Etat élu, la plupart du temps, pour une durée illimitée, sont exaltés, le Parlement domesti- qué et les libertés supprimées. Il s'ensuit que le présidentialisme démocratique ne saurait se confondre avec le présidentialisme autoritaire ou consulaire, selon M. Benoit Jeanneau. Le pre- mier correspond à la réalité : d'une part, le Président français reçoit son pou- voir au terme d'élections disputées et le perd par des procédures réellement démocratiques ; d'autre part, ses prérogatives sont limitées par l'existence du Parlement et la reconnaissance des libertés publiques. Le second est une pure fiction ainsi qu'en témoigne son application, avec des nuances, en Afrique noire (2) et en Amérique latine. A juste titre, ces sociétés illustrent la formule du «pouvoir clos», selon M. Georges Burdeau. Bref, dans ces pays, le présidentia- lisme dissimule à peine un régime dictatorial. En fait, si la Doctrine est réticente à franchir le pas, c'est parce qu'il lui sem- ble que la France ne souffre guère une telle comparaison. Le présidentialisme ne peut évoquer qu'une dégénérescence du schéma présidentiel qui est le lot inévi- table des pays du Tiers-Monde. «En revanche, écrit fort à propos M. Gérard Conac, les constitutionnalistes sont plus réservés lorsqu'il s'agit de repérer le présidentialisme en dehors des régions qui sont considérées comme ses terres d'élection» (3). Il constitue «une application déformée du régime présidentiel classique, par l'affaiblissement des pouvoirs du Parlement et l'hypertrophie des pouvoirs du Président : d'où son nom», indique M. Maurice Duverger (4). «En théorie constitutionnelle, renchérit M. Jacques Robert, sont qualifiés de «pré- sidentialistes» les régimes qui sont tout entier centrés sur une personnalisation (1) G. Burdeau, Traité de Science politique, t. III,2ème éd., 1968, p. 439. V. également sur cette question, D.-G. Lavroff, Les partis politiques en Afrique noire, 2ème éd., 1978. (2) V. J. Gicquel, «Le présidentialisme négro-africain. L'exemple camerounais», Mélanges Georges Burdeau, 1976, pp. 701 et s. (3) G. Conac, art. précité, p. 116. (4) M. Duverger, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 11ème éd., 1970, p. 197. du pouvoir présidentiel... Il s'agit le plus souvent de régimes autoritaires, derriè- re l'apparence de systèmes présidentiels. Tel n'est point le cas de la France» (1). A dire vrai, la notion est entachée d'une coloration péjorative, peu flatteuse pour une Démocratie, et n'est pas encore totalement libérée de son appréciation pri- mitive, ce qui prouve que toute préoccupation éthique ou morale n'est pas ab- sente d'une réflexion portant sur la typologie des régimes politiques. Du reste, on relève qu'à l'heure actuelle, le présidentialisme représente obligatoirement, dans certains esprits, une altération du régime présidentiel alors que le parle- mentarisme n'a pas cette résonance. En résumé, la notion est discréditée avant d'être analysée, et cette identification empêche toute progression doctrinale. Aussi est-il temps de mettre fin à ces idées reçues et de montrer que le pré- sidentialisme est un système cohérent susceptible de vivre par lui-même : le mandat de Georges Pompidou offre un exemple privilégié. Du régime présiden- tiel, il tire la vigueur du pouvoir exécutif par l'intermédiaire du suffrage popu- laire ; du régime parlementaire, il bénéficie du soutien constant de la coalition majoritaire. Régime finalisé, le présidentialisme est avant tout au service du Chef de l'Etat. En bonne logique, on est conduit à ranger la République pompi- dolienne sous cette rubrique. A cet égard, la Constitution de 1958 renfermait les germes de l'évolution. Le décor était planté pour glisser vers un tel régime. Notamment, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct autorise une extension de la fonction présidentielle autour de laquelle s'ordonne tous les autres pou- voirs, bref «un ensemble de satellites gravitant autour d'une étoile de première grandeur», selon la brillante formule de M. Jacques Georgel. Ce qui était en ges- tation sous la présidence du Général de gaulle allait se concrétiser avec son suc- cesseur. Dans ces conditions, Georges Pompidou déborde largement la sphère exécu- tive pour remplir l'ensemble de l'espace politique. Tous les pouvoirs qui sem- blent enchevêtrés sont, en réalité, fortement hiérarchisés, comme il importe de le démontrer, de sorte que le système fonctionne en circuit fermé. Fort d'un appui populaire sans précédent, Georges Pompidou réduit le Premier Ministre au rôle d'obligé du Président et soumet la majorité à son entière volonté. Amorcé dès 1962, le présidentialisme se fixe dans la vie politique française.

Dès son élection, le second Président de la Vème République tient à souli- gner «la primauté du Chef de l'Etat qui lui vient de son mandat national... A la fois chef suprême de l'exécutif, gardien et gérant de la Constitution, il est, à ce double titre, chargé de donner les impulsions fondamentales, de définir les directions essentielles, d'assurer et de contrôler le bon fonctionnement des pou- voirs publics ; à la fois arbitre et premier responsable national» (2). Or, dans l'esprit de Georges Pompidou, l'arbitrage ne saurait revêtir un sens dénaturé à l'image des Républiques passées. Pour cet agrégé de Lettres, il convient de re- (1) J. Robert, «Le présidentialisme parlementaire», Le Monde, 6 juin 1974. (2) G. Pompidou, conférence de presse du 10 juillet 1969, Le Monde, 12 juillet 1969. Toinet (M.-F.), «Le Congrès américain», in Les Parlements aujourd'hui, 1976, p. 16. Touffait (A.), et Vouin (R.), «Les textes ayant valeur législative s'imposent aux juridictions de l'ordre judiciaire», Concl. et notes sous Crim., 26 février 1974,D., 1974.JP. 273. Tranchant (A.), «Le Général de Gaulle, Michel Debré et la durée du mandat présidentiel», Le Monde, 10 octobre 1973. Tricot (B.), «Le processus de prise des décisions», in Au service de l'Etat, 1977, p.119. Tunc (A.), «Le couple Président-Congrès dans la vie politique des Etats-Unis d'Amérique», Mélanges Georges Burdeau, 1976, p. 561. Vedel (G.), - «Le Conseil constitutionnel et les candidatures», Le Monde, 14 mai 1969. – «Passation des pouvoirs», ibid, 28 mai 1969. — «La logique», ibid, 6 octobre 1971. – «Les pièges de l'incompatibilité», ibid, 21 décembre 1971. – «Le Conseil constitutionnel n'est pas Mme Soleil», ibid, 30 décem- bre 1971. — « Un régime pas si présidentiel», ibid, 14 juillet 1972. — « Le seul arbitre sera l'électeur», ibid, 4 août 1972. — «La fonction centriste», ibid, 14 octobre 1972. — «Les deux Constitutions», ibid, 10 janvier 1973. — «Tout vient à point...», ibid, 30 septembre-ler octobre 1973. — «Encore une petite phrase...», ibid, 5 décembre 1973. — «Un mauvais système», Le Point, 8 avril 1974. — «Des rayons et une ombre», Le Monde, 10 novembre 1977. Vendroux (J.), «En toute objectivité», ibid, 29 mars 1972. Verrier (P.), «Le Médiateur», R.D.P., 1973, p. 941. Viansson-Ponté (P.), — «Un banquier baudelairien entre à l'Hôtel Matignon», Le Monde, 14 avril 1962. — «Les pouvoirs parallèles», l'Evénement, mars 1966, p. 25. — «Trois gaullismes», Le Monde, 28 novembre 1967. — «La seule issue», ibid, 30 mai 1968. — «Le nouveau style du régime», ibid, 28 janvier 1970. — «Les raisons profondes», ibid, 23 mars 1972. — «Le sabre du Président», ibid, 21 juin 1972. — «De l'ouverture à la fidélité», ibid, 7 juillet 1972. — «Eh bien ! Dansez maintenant», ibid, 26 juillet 1972. — «Etablir le régime présidentiel», ibid, 7 septembre 1972. — «Le masque a craqué», ibid., 23 septembre 1972. — «Un dimanche tous les sept ans», ibid, 1er novembre 1972. — «Rumeurs...»,ibid, 8 février 1973. — «Un «Watergate», est-il possible en France ?», ibid, 5 juin 1973. — «Le pouvoir raconté aux enfants», ibid, 7-8 avril 1974. — «La cassure», ibid, 26 août 1976. — «Vaincre ou périr», ibid, 27 août 1976. — «Les trois Gouvernements», ibid, 23 septembre 1976. Villiers (M. de ), «La Cinquième République et le régime semi-présidentiel», Rev. adm., 1976, p. 589. Weber (Y.), «La crise du bicaméralisme», R.D.P., 1972, p. 1972. Ysmal (C.), — «Des élections sans surprise mais non sans changements», R.P.P. , 1973,no 841, p. 1. — «Le coût et le financement des campagnes», Le Monde, 19 avril 1974.

IV – Collections.

L'Année dans le monde. L'Année politique. Journal Officiel. Le Figaro. Le Monde. La Nation.