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L'histoire en Les Diables bleus Savoie

LES CHASSEURS ALPINS EN SAVOIE SOCIETE SAVOISIENNE D'HISTOIRE ET D'ARCHEOLOGIE

siège général : square de Lannoy de Bissy 73000 Chambéry

C.C.P. 2345-98 WLyon Gérants-responsables de la revue : A. PALLUEL-GUILLARD L CHAVOUTIER L'HISTOIRE EN SAVOIE 15è année Revue trimestrielle historique n° 57 mars 1980 Commission paritaire n° 50 500 le numéro : 7 F ISSN 0046-7510 Abonnement : 25 F

Les Diables bleus

LES CHASSEURS ALPINS EN SAVOIE

par le colonel Jean POCHARD

ifm 'HISTOIRE LE DÉMONTRE clairement ; la chaîne des Alpes n'a jamais ni été une frontière entre la et l'Italie. L'Etat savoyard était solide- xif ment implanté sur les deux versants et gardait avec vigilance les passa• ges alpins. La frontière politique coïncidant avec le faite montagneux est une notion moderne, postérieure en tout cas au rattachement de la Savoie à la France en 1860. Il fallut même attendre que l'Italie se rapprochât de l'Allemagne et de i'Autriche, se fasse donc menaçante pour la France, pour que la frontière des Alpes éveille l'intérêt des militaires chargés de la défense nationa• le.

«Alors la France prit conscience de la nécessité d'avoir des troupes bien entraînées au combat de montagne (par d'incessantes manœuvres) et bien intégrées aux populations (par une propagande inlassable sur le beau et brave soldat admiré par tous, surtout par les jeunes filles).»

Ainsi naquirent les chasseurs alpins.

Une nation dont la moitié des frontières terrestres traverse des massifs montagneux se devait de posséder des forces capables d'y préserver la paix, d'y mener la guerre, d'y vaincre et d'écrire, en fait, une grande page de l'histoire de la Savoie que nous allons lire ensemble.

1 LES ORIGINES jtm ES ARMÉES ONT TOUJOURS eu besoin de troupes légères, aussi ni rapides à l'action que faciles à commander. A la veille de la Révolution, \Mm la monarchie française se décida enfin à développer des corps légers en créant douze bataillons de chasseurs à pied, portés bientôt à vingt-et-un, de 1792 à 1794, mais la Révolution balaie vite les premiers résultats de cette initiative. Il faut attendre la guerre d'Algérie pour voir se reconstituer, durable• ment cette fois, le corps des chasseurs.

La conquête de l'Algérie a provoqué bien des innovations dans une armée dont la structure remontait au Premier Empire. Elle a entraîné la création des zouaves, des bataillons d'Afrique et de la Légion Etrangère. L'initiative du dyna• mique prince héritier, le duc d'Orléans qui assumait alors les responsabilités majeures en Algérie, afait naître en 1837, à Vincennes, une compagnie provisoi• re (qui deviendra vite un bataillon) de chasseurs dotés de la nouvelle et efficace carabine rayée à longue portée, dite «Delvigne-Pontcharra», Puis l'Ordonnance du 28 septembre 1840 créa dix bataillons, formés chacun de huit compagnies, dont une de carabiniers et répondant de 1842 à 1848 au nom de chasseurs d'Orléans, en mémoire de leur fondateur, mort accidentellement en 1842. Au lendemajn de la révolution de février 1848, ils prirent la dénomination définitive de chasseurs à pied.

Comme ils avaient fait leurs preuves en Algérie, en particulier à la bataille de risly en 1844 et au combat désespéré de Sidi-Brahim (23-26 septembre 1845), le gouvernement impérial les dédoubla en créant en 1854 dix nouveaux batail• lons (du 11 é au 20è B.C.P.) comprenant chacun dix compagnies de 120 chas• seurs, que l'on vit bientôt sur tous les champs de bataille, aussi bien en Crimée qu'à Solferino ou au Mexique. Le corps s'accrut de nouveau durant la guerre de 1870, lorsque le gouvernement de défense nationale, qui avait alors un urgent besoin de troupes légères, organisa encore dix nouveaux bataillons (du 21 é au 30è B.C.P.), auxquels on adjoignit des bataillons de marche, qui fusionnèrent par la suite avec les corps préexistant.

Mais ce n'est qu'en 1885-1890 que les chasseurs alpins proprement dits vi• rent enfin le jour. Certes, on avait pensé depuis longtemps à des troupes spécia• lisées dans le combat en montagne. Des inscriptions romaines n'établissent- elles pas l'existence, sous l'empereur Vespasien, de cohortes «alpines» qui avaient pour enseigne le chat, symbole d'agilité et de vigilance ? Vauban avait aussi envisagé «quelques compagnies franches composées de gens du pays, qui en savent bien mieux les chemins et sont plus propres à guerroyer dans les pays de montagnes que ceux qui n'y sont pas accoutumés...» et le maréchal de Berwick avait recruté en 1709 des «fusiliers de montagne» pour les opposer aux troupes du duc de Savoie. Enfin, Kellermann avait obtenu de la Convention, en 1793, l'autorisation de lever temporairement des «chasseurs des Alpes».

En 1873, le député des Hautes-Alpes Cézanne^ (un des fondateurs et des premiers présidents du Club Alpin Français) soulignait devant l'Assemblée Nationale l'urgence de détacher sur la frontière des Alpes quelques compa• gnies d'élite. En effet, l'année précédente, le ministre de la guerre du nouveau royaume d'Italie, le général Ricotti, avait mis sur pied quinze, puis bientôt soixante-quinze compagnies alpines, réparties en vingt-deux bataillons sur tou• tes les crêtes de l'arc alpin, de Vintimille à Trieste. L'empire des Habsbourg organisait de son côté des troupes spécialisées pour la défense du Tyrol et du Vorariberg. Cézanne plaida en vain pour une inscription alpine semblable à

2 Ci-contre : Le chasseur alpin en 1885 (Le Monde Illustré). En cette période de transition, le chasseur conserve encore la veste traditionnelle, mais complétée par un pittoresque manteau : cependant le béret «alpin» et les bandes molletiè• res (qui facilitent la marche en montagne) révèlent l'évolution des "à-pieds» vers les «al• pins».

Ci-dessous : Avec les années, l'uniforme et l'équipement se perfectionnent. La vareuse est pourvue d'un large col qui, re- é. peut garantir contre le •d et la neige. Le béret s'est

I - * issé» et le chasseur est intenant pourvu d'une can- le piolet étant réservé alors .!..•< officiers, aux sous-officiers lux éclaireurs. l'inscription maritime : «Laisser le montagnard sur son roc comme le marin sur la mer, car l'Alpin doit connaître sa montagne comme sa maison...» il fallut attendre que l'Italie se rapproche ostensiblement des Empires centraux, cinq années plus tard, pour que le gouvernement se décidât enfin à reprendre l'idée du député haut-alpin. En 1878 donc, ie gouverneur de Lyon, générai Bourbaki, accepte de faire exécuter des manoeuvres de haute montagne par un bataillon de chasseurs à pied, en l'occurrence le 12è rappelé d'Algérie sous ia direction du commandant Arvers, lui aussi grand alpiniste et dirigeant du C.A.F, lyonnais, qui devait écrire fièrement quelques années plus tard : «C'est de Lyon que nous partîmes en 1879 pour créer l'alpinisme militaire français que nous revendi• quons hautement pour nôtre et dont nous ne laissons ia paternité a personne.»

En cinq ans en effet, le 12è B.C.P. parcourut la plupart des vallées dauphinoi• ses et franchit près de 200 passages et cols de la frontière, du Mont-Cenis jusqu'à la Tinée. Car il s'agissait de prévoir ia défense d'un nouveau front, très différent de ia frontière traditionnelle du Nord-Est, et de former des troupes spécialement entraînées et capables d'appliquer une tactique nouvelle. Bientôt les 13è et 14è B.C.P. exécutent eux aussi des manœuvres alpines, qui devien• nent systématiques à partir de 1882. Une batterie de montagne est bientôt adjointe à chacun de ces bataillons et, en 1886, on voit apparaître les «escoua• des franches» comprenant, autour d'un sergent et d'un caporal, une quinzaine de chasseurs aguerris au tir et aux exercices d'endurance (embryon des futures sections d'éclaireures-skieurs : les S.E.S.). Les lois de 1887 et de 1888 (loi Reille) transforment les dénominations de douze bataillons de chasseurs à pied bap• tisés Bataillons alpins de chasseurs à pied. Chaque bataillon, précisait la loi, serait composé de six compagnies comprenant chacune quatre officiers, neuf sous-officiers et cent cinquante chasseurs ou caporaux, plus six muiets de bât pour porter le train de combat et les bagages, ie tout sous ie commandement d'un chef de bataillon ou d'un lieutenant-colonel. Deux régiments d'artillerie de montagne (1° et 2° R.A.M.) à six batteries chacun sont créés pour fournir à chaque bataillon une batterie de quatre pièces de 65 mm sur mulets

Ces douze «groupes alpins» répartis sur toute la frontière des Alpes reçurent en outre le renfort d'une 13è groupe formé principalement d'un bataillon du 97° de ligne affecté à la Maurienne, puis d'un certain nombre de «bataillons territo• riaux composés d'hommes de la frontière et de la montagne, chasseurs, ber• gers, guides, rempart humain de seconde ligne d'une solidité à toute épreuve, sous la protection duquel nos alpins de l'active peuvent se sentir tranquilles... Tout ceci fut une mesure de sécurité et de protection, que nos voisins nous imposèrent et si nous avons des chasseurs alpins, nous n'avons point de chas• seurs pyrénéens...» (Bregeault 1898). Avec 12 000 hommes prêts au combat portés à 20 000 en temps de guerre, la France avait au début du XXè siècle rat• trapé son retard, «un corps d'éclaireurs incomparables, préparés aux surprises et aux mouvements rapides, eu état de se porter immédiatement là où sera le danger. C'est enfin en tout temps une excellente école pourformer des officiers et des soldats d'élite, entraînés aux fatigues et rompus aux périls, ayant acquis toutes les qualités physiques et morales qui font des troupes à la fois légères et solides, qualités qui ne sont guère le fruit d'une longue période de paix et du sé• jour prolongé dans de paisibles garnisons... Si les troupes alpines n'existaient pas, il faudrait les inventer...» (Ardouin-Dumazet, 1897). LA VIE DES CHASSEURS

ÈS L'ORIGINE, trois bataillons tiennent garnison en Savoie et y resteront jusqu'en 1914 : le 11 è BOA. à , chargé de défendre la Tarentaise ; le 13è à Chambéry, qui doit couvrir la Maurienne ; le 22è à Albertville, res• ponsable du Beaufortain, Chacun occupe en outre un poste avancé qui devien• dra bientôt un cantonnement d'hiver : la Redoute Ruinée près du Petit-Saint- Bernard (11 è B.C.A.), les Chapieux, près de Bourg-Saint-Maurice (22è), laTurra au-dessus du col du Mont-Cenis (13è). Ces Bataillons, considérés parmi les meil• leurs de l'armée française, ont attiré des officiers de valeur ;,le 11 é s'enorgueillit d'avoir compté dans son Etat- le capitaine de réserve Poincaré et, plus prés de nous, le commandant Doyen, qui fut en 1945 le commandant-en-chef de l'armée des Alpes.

Le duc d'Orléans avait voulu différencier les nouveaux coprs de troupe de l'infanterie traditionnelle en leur attribuant une tenue sobre, bleue avec des parements jonquille, les deux couleurs fondamentales des chasseurs. Voilà donc nos hommes revêtus d'une longue tunique serrée par un ceinturon noir, qui remplaçait les larges buffleteries blanches traditionnelles, et tombant sur un pantalon bouffant. Avec, sur le dos, leur havresac en toile noire maintenu par un cadre de bois qui, astiqué et brillant selon un règlement minutieux, ils ressem• blaient à des vitriers ambulants... Mais, en devenant alpin, le chasseur voit son uniforme se transformer : le bleu d'origine reste, bien sijr, la couleur de base, mais les guêtres deviennent des bandes molletières et ia veste est remplacée par une pittoresque vareuse à collet, surmontée d'un peu banal manteiet, lequel cédera bientôt la place à une ample cape. Enfin et surtout, le képi est supplanté par le béret, la légendaire «farte». Déjà au XVIIIè siècle, ie marquis de Saint-Si• mon avait noté que les fusiliers de montagne étaient «coiffés de petites toques à la béarnaise». On préféra toujours en effet le béret béarnais au béret basque jugé trop petit, mais on l'élargira encore par la suite.

Rien ne vaut un texte d'époque pour démontrer le caractère fonctionnel d'un paquetage particulièrement bien fourni I Relisons donc J. Bregeault, qui écrivait en 1898 : «Le jersey-maillot est indispensable pour les marches et les nuits au bivouac ; le caleçon et les chaussettes de laine préviennent les coupures, les chaussures napolitaines à semelle large et talon plat, en cuir souple et im• perméable, sont celles qui conviennent aux marches forcées et aux escalades, et les gros clous à tête pointue dont elles sont garnies empêchent les glissades sur la glace et sur le roc ; le pantalon très ample est serré autour des jambes par des lanières de drap dites bandes molletières, la vareuse est pourvue d'un large col pouvant se releverpour garantir le cou du froid ou de la neige ; le grand man• teau bleu à capuchon sert à l'occasion de couverture ; enfin la coiffure de mon• tagne par excellence, le béret basque, peut prendre toutes les positions et se plier à toutes les circonstances ou à toutes les intempéries... Il ne faut pas ou• blier l'équipement et les accessoires : la petite tente, le havresac pesant jusqu'à 25 kilogrammes, l'alpenstock, le court bâton ferré à crosse qui donne à un déta• chement en marche dans la montagne cet aspect si particulier et si pittoresque, le piolet plus rarement employé et seulement par les officiers et les sous-offi• ciers et chasseurs envoyés en éclaireurs ou chargés de tailler des marches dans la glace, les cordes, les raquettes que les hommes chaussent pour marcher sur la neige fraîche ou pulvérulente, ia large ceinture bleue que l'on s'enroule à deux autour du corps, les gants de laine, les lunettes noires et les voiles de gaze verte destinés à protéger les yeux contre la réverbération du soleil sur les glaciers. Il ne faut pas moins de tout cela pour taire un alpin ; mais quand il a tout cela, notre

5 L'empereur Vespasier) avait déjà, dans son armée, des «cohortes alpines» dont l'enseigne était le chat, symbole d'agilité et de vigi• lance... Vauban, puis le maréchal de Berwick et même Kellermann avalent des «chasseurs des Alpes». L'idée était dans l'air de «laisser le montagnard sur son roc comme le marin sur la mer, car l'Alpin doit connaître sa montagne comme sa maison...»

Chasseurs à Tré-La-Tête en 1955 (Photo Grillet) La tenue se veut plus libre, mais l'entrainement à la (haute) monta• gne reste è la base de l'Instruction des jeunes chasseurs. Les batail• lons favorisent ainsi le goût du sport et de la montagne, se don• nant un rôle éducatif à côté de leurs fonctions purement militaires. chasseur peut passer partout, grimper là où les chèvres ne s'aventurent point et faire concurrence aux chamois stupéfaits...»

Par tradition, le chasseur est fierdéson uniforme et n'y renonce qu'à laderniè- re extrémité. «Nous sommes trente mille braves au képi sombre, au manteau bleu...» chante-t-on dans les bataillons ! Pendant la guerre de 1914-18, les chas• seurs durent adopter ia capote bleu horizon comme toute l'infanterie, mais ils gardèrent, par dessous, leur tenue bleue traditionnelle. En septembre 1915, ils reçurent pour le combat le nouveau casque Adrian commun à tous les combat• tants, mais orné du cor de chasse. En 1961 -62, il fallut un vaste mouvement de protestation pour empêcher l'introduction du béret unique pour toute l'armée et le principe d'un seul insigne pour toute l'infanterie... L'adoption récente des gants à crispin par les gardes du drapeau et par les fanfares, ainsi que l'introduc• tion du foulard jonquille dans la tenue officielle ont été imposées par les «servi• ces» au détriment de la tradition.

Appelés par vocation à être soldats aguerris, les chasseurs s'entraînent en toutes saisons. Durant l'hiver, la gymnastique, les marches progressives et les exercices de tir les préparent aux manœuvres de l'été. Sitôt revenue la belle sai• son, le bataillon part occuper le secteur dont la garde lui est confiée. Il va le sillon• ner en tous sens, afin d'être prêt à occuper ses points stratégiques au premier si• gnal. On s'installe alors dans telle localité, partie chez l'habitant, partie dans d'antiques casernes : «aprèsquelques jours d'exercices préparatoires .. chaque compagnie va occuper le poste qui lui est attribué en attendant qu'elle soit affectée ailleurs et ainsi de suite, afin de parcourir tout le secteur pendant la période des^manœuvres...» (Bregeault). On prend donc gîte dans les chalets d'été ou dans les granges ; ou bien on bivouaque sous la tente au milieu des alpa• ges, des rocs et des glaciers. A partir de ces camps de base, chaque compagnie va s'initier à la haute montagne : «ils vont progressivement s'habituer à des fatigues plus grandes, à des chargements plus lourds, à des travaux plus pénibles, ils vont faire connaissance avec les départs nocturnes, les rudes montées, la neige... les glaciers, les crevasses, les clapiers et les couloirs de . pierres» (Ibld.). Dur entraînement, certes, mais quels magnifiques résultats I Car «jamais ie pied du chasseur ne se pose à faux ; à travers les mille obstacles du terrain, son pas reste uniforme et sa respiration égale ; même s'il est en bonne humeur, il se met à siffler un air du pays. Le voyez-vous longeant un précipice ? Il n'a pas l'air de se douter du danger, le vertige ne le connaît pas... il arrivera au poste sans être épuisé, ni même essoufflé, et tout prêt à combattre...» (Lt-col. Gambiez, 1884).

La première reconnaissance en glacier, c'est le 13è B.C.A. qui l'avait effec• tuée en 1883. L'année suivante, une compagnie du 12è, par la vallée de la Romanche, gagne la Maurienne et les Aiguilles d'Arve : «Jamais si grand nombre d'hommes n'avait jusqu'alors franchi simultanément sans cordes et sans bâtons ferrés un glacier atteignant une altitude d'environ 3100 mètres» (Duhamel. 1899). En 1897, lors des grandes manœuvres alpines, sous les yeux du prési• dent Félix-Faure, le 12é B.C.A., qui s'enorgueillissait d'être le meilleur bataillon en matière d'alpinisme, évolua sur les glaciers de Vanoise «avec autant de préci• sion que sur un terrain ordinaire de manœuvre» (ibid.) et un détachement alla même jusqu'à planter un drapeau sur le Dôme de Chasseforêt à 3600 m. d'altitude. En 1896 déjà, un col reliant les vallées du Ribon et de l'Arcelle en haute Maurienne reçut le nom de COL DES ALPINS, tant son franchissement apparut extraordinaire pour l'époque.

On pouvait cependant toujours craindre un coup de main de quelques enne• mis audacieux qui pourraient, en hiver, s'emparer irrémédiablement par surpri-

7 se de fortins ou de cols essentiels, d'où la décision de 1892 de garder certains points importants de la frontière durant toute l'année. On aménagea ainsi les postes du col du Fréjus (2500 m), de la Petite Turra (2600 m) et du col de Sollières (2647 m), terminés en 1893 en Maurienne, et ceux des Chapieux (1500 m), de Seloge (1700 m) et de la Redoute Ruinée (2410 m), achevés l'année suivante en Tarentaise. C'est là qu'hivernent désormais pendant six à huit mois, dans la solitude des frimas, des détachements de 15 à 30 hommes. «Cette vie rude mais active et saine dans cette atmosphère glaciale mais pure et microbicide fait des hommes robustes et des organisations solides...» (Sre- geault. 1898). «Ces prisonniers volontaires par amour de leur métier, de leur de• voir et de leur pays» doivent perpétuellement dégager les fortins et, dès que le temps le permet, faire des reconnaissances, «munis d'un passe-montagne tri• coté qui leur entoure la tête, de chaussons de laine recouvrant leurs souliers, de gros gants de laine, d'un collet à capuchon, ils ont aux pieds des raquettes ou des skis norvégiens...« (ibid.). Il n'empêche que l'hiver ne pouvait manquerde pa• raître interminable à ces hommes, et les veillées autour des poêles fumeux agré• mentées de jeux, d'histoires, de chansons et même de danses ne pouvaient guère suffire pour tromper un ennui que la cohabitation dans l'isolement ne faisait que rendre encore plus effrayant.

En 1890, avait eu lieu la première reconnaissance hivernale en raquettes, mais il faudra attendre encore cinq ans pour que le commandant Gélinet, de retour de Norvège, ait l'idée d'équiper de skis quelques officiers. En 1901, le ministère de la Guer'e autorise, sur proposition du gouverneur militaire de Lyon, deux bataillons de chasseurs alpins et un régiment d'infanterie alpine à expéri• menter ce nouveau mode de propulsion et, dès 1902, une école normale de ski fonctionne à Briancon. Mais c'est à partir de 1930 seulement que chaque batail• lon sera doté d'une section d'éclaireurs-skieurs (S.E.S.), qui s'entraîne au ski dans la haute montagne, un détachement du 7è B.C.A. résidant par exemple au Fort de la Redoute Ruinée dominant à plus de 2400 m le col du Petit-Saint- Bernard. Les S.E.S. s'illustreront par des exploits sportifs (victoire du 7é B.C.A. aux championnats de France de 1931 ), par des victoires militaires (la prise du Roc de Belleface en mars 1945 reste légendaire), par leur participation, de nos jours, au Secours en Montagne. Ce n'est qu'après la Première Guerre mondiale également que fut créée à Chamonix par le général Dosse, gouverneur militaire de Lyon, la célèbre Ecole de Haute Montagne (E.H.M.), qui fut rattachée alors au 11è B.C.A. Le capitaine Pourchier en assura le commandement jusqu'en 1939 Il contribua ainsi à la formation de près d'un millier de stagiaires et lui-même mit au point un équipement spécialisé de montagne, en particulier le fameux traî• neau qui porte son nom pour le sauvetage des blessés. Le 15juin 1945, une nou• velle école, autonome cette fois, était créée sous la dépendance directe du mi• nistère des armées. Réinstallée et modernisée dans de nouveaux locaux à l'extérieur de Chamonix, elle assure désormais, en dehors de ses missions pure• ment militaires, une participation active au Secours en Montagne dans des conditions parfois dramatiquement spectaculaires.

Mais, dans les débuts, les chasseurs ont préféré les exploits pédestres et se sont fait aider par de robustes animaux de bât. Bien qu'ils aient eu le pied peu montagnard, des chevaux ont quand même réussi, en 1895, à aller de Pralognan au col du Palet «par des sentiers à peine tracés sur le verglas, la glace et dans la neige, en côtoyant sans cesse le précipice» (Bregeault). On leur préféra long• temps -jusqu'aux années 1960- les mulets sobres, résistants, patients, mieux aguerris pour affronter les pentes et les rochers. En 1895, on alla même jusqu'à expérimenter des raquettes pour mulets à Chamechaude ! N'oublions pas enfin les chiens «passant eux-mêmes où les alpins ne peuvent passer, ne

S craignant ni le canon, ni la fusillade, transportant des dépêches sous le feu d'une batterie ou placés en sentinelle comme les chiens du Saint-Bernard à la Redoute Ruinée...» (Bregeault). On se rappelle peut-être le célèbre «Flambeau» qui assurait dans l'entre-deux-guerres la liaison de Lanslebourg à laTurra... Et les chiens d'avalanches des chasseurs alpins modernes se sont acquis, eux aussi, quelques droits à la reconnaissance des Savoyards et des skieurs imprudents.

L'EMPREINTE DES CHASSEURS EN SAVOIE

OUTES CES MANŒUVRES et cette gamme d'activités ne pouvaient manquer d'influer sur la province elle-même. Tour à tour cantonniers, T terrassiers, maçons et pontonniers. Ses Alpins sont dans leurs secteurs d'infatigables pionniers, traçant des sentiers, construisant des routes, lançant des ponts. Dans les seules dix dernières années du XlXè siècle, ils n'ouvrirent pas moins de 200 kilomètres de routes dans les Alpes ! On vit même en 1891 une équipe de 70 chasseurs du 13è B.C.A. réaliser en six jours une piste muletière de plus de quatre kilomètres et en deux mois la transformer en une route carrossa• ble de trois mètres de large : ils accomplissent ainsi le plus célèbre de leurs percements en construisant la route et le tunnel du Galibier, sous l'impulsion du général baron Berge. N'oublions pas non plus les modestes, mais nombreuses pistes tracées en montagne, par exemple pour gagner les Forts du Mont et du Truc en Tarentaise, avant de devenir aujourd'hui des routes pastorales ou touristiques. Selon le général Arvers (un des pionniers), les chasseurs devaient jouer un rô• le éducatif, propager les régies de la propreté et de l'hygiène dans la population locale. Les fringants Alpins n'étaient-ils pas eux-mêmes les soldats lès plus pro• pres de l'armée française ? Les voilà donc qui balayent et arrosent les rues, qui aménagent des lavoirs et des abreuvoirs ! Et l'on vantait, avant la guerre de 1914, leur rôle à Bourg-Saint-Maurice, où la fièvre typhoïde sévissait à l'état endémique : ils y avaient ramené la salubrité en creusant des tranchées et en construisant un aqueduc débitant une eau plus salubre. Les chasseurs se flattaient ainsi de bien remplir leur double mission de régénération de la jeunesse par l'exercie physique et de modernisation des campagnes par leurs contacts bienfaisants avec les ruraux.

De nos jours, si l'armée ne peut plus jouer ce rôle de modernisation, elle n'en conserve pas moins dans ia région alpine un rôle non militaire important. Certes, il est loin le temps où des villes comme Chambéry, Annecy et Albertville trouvaient dans la garnison le fondement de leur expansion économique et une des bases de leur vie sociale. Actuellement au contraire, c'est à la campagne que l'on renvoie les Alpins, mais il faut garder présent à l'esprit, pour ce qui est des centres moins importants, tels Modane ou Bourg-Saint-Maurice, que les au• torités locales restent très attachées à la présence des chasseurs. De toute façon, les bataillons cherchent toujours à participer activement à la vie locale, soit en s'engageant dans les activités sportives, soit en offrant leur concours pour l'entretien des sentiers et des pistes, voire pour la consolidation des églises ou autres édifices historiques en décrépitude.

Les chasseurs ont aussi joué un rôle important dans l'histoire de Savoie en

9 contribuant au développement de l'alpinisme. Pendant longtemps, seuls les officiers, pour la plupart membres du Club Alpin Français, pratiquaient l'escala• de ou la course glaciaire. Les fiommes de troupe, même les montagnards re• crutés sur place, craignaient encore trop les «monts horribles» et n'envisa• geaient aucun avenir professionnel de ce côté ; quant aux jeunes recrues étrangères à la montagne, elles ne pouvaient guère profiter de leur expérience une fois rendues à la vie civile, dans un monde qui ignorait les sports alpestres de masse. Malgré tout, le corps des chasseurs permit à bien des guides locaux de se perfectionner et aux jeunes Savoyards de découvrir la haute montagne. Les corps alpins ont ainsi contribué à modifier l'idée que les Savoyards se faisaient de la montagne. Peu à peu, l'hiver n'apparaît plus comme une morte saison, ni les sommets commes des zones aussi inutiles que stériles.

Dès 1895-1898, on fut conscient de ces changements profonds de men• talité. L'armée alpine, commandée par des responsables du Club Alpin, et la montagne elle-même, apparaissent alors aux yeux des contemporains comme des écoles-modèles de rééducation et de redressement moral. Le général Arvers l'écrit en 1895 : «La montagne est la meilleure des écoles, aimons-la donc, elle est saine au corps qu'elle fortifie, comme à l'esprit qu'elle élève, et dont elle élargit le champ...» Quant au président du C.A.F. ne s'exclame-t-il pas en 1898 : «Nous ne laisserons jamais échapper les occasions de resserrer s'il est possible les liens qui nous unissent à notre brave armée...». Les officiers ne pou• vaient alors manquer, dans cette perspective, de se présenter comme des spor• tifs accomplis alliant la compétence physique aux qualités intellectuelles, durs pour eux-mêmes afin d'être des chefs plus efficaces encore, proches de leurs hommes, mélanges d'héroïsme et de perfection pour tous ceux qui, les approchaient. Voilà donc toute une mythologie qui se comprend fort bien dans le culte nationaliste et militariste de la France de la belle époque. Mais il faut reconnaître aussi que cette idéologie s'appuie localement sur l'activité de ces officiers com• me géographes et topographes («la géographie, ça sert aussi à faire la guerre», dira en 1975 un titre célèbre...), photographes, historiens et enfin alpinistes as• soiffés de «premières». Même les dangers courus promouvaient la belle image de marque des chasseurs ! Les exemples ne manquent pas. En août 1897, un groupe d'officiers alpins en course sur le glacier de Rochemelon près du Mont- Cenis en oublia, dans le feu de l'action, de respecter la frontière et manqua de peu de se faire prendre par des carabiniers italiens d'autant plus vigilants que la France était alors en mauvaises relations avec l'Italie (au cours de la poursuite, un alpin se fracassa ie crâne en tombant dans une crevasse). Durant l'été 1892 déjà, la mort de deux officiers du 13è B.C.A. à la Grande Casse avait dura• blement frappé les imaginations, l'année même où le lieutenant Dunod du 12è B.C.A. étudiait «in situ» le projet d'observatoire du Mont-Blanc, prouvant ainsi que l'alpinisme n'était pas toujours gratuit. Ce n'est qu'aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale que, les sports de montagne se démocratisant un peu, les Alpins purent bénéficier à plein de l'entraînement sportif reçu pendant leur service militaire. Combien déjeunes peuvent témoigner depuis que c'est grâce aux chasseurs qu'ils ont pu s'initier durablement aux plaisirs du ski, de la randonnée ou de l'escalade ! Nous voilà bien loin de l'imagerie populaire du «beau chasseur fringant» et un peu dilettan• te. En fait, nous avons affaire à un corps militaire conscient de remplir un rôle important d'initiation à la montagne et au ski, et dans lequel sont enrôlés la plu• part des guides et des moniteurs appelés à accomplir, de nos jours, leur service national.

10 Ci-dessous ; Sous l'influence de la Norvège, le ski est révèle aux troupes alpines en 7 886 f 1 ère expérimentation à Briancon par des officiers du 159è R.I.A.), puis en 1895 à et à Embrun. Dès 1900 une école normale de ski initie les pre• miers volontaires. Depuis, le ski est devenu l'instrument obligatoire du chasseur, le biathlon une épreuve classique de l'entrainement et les raids, courses et épreuves en ski monnaie courante. L'ESPRIT CHASSEUR

N CULTIVE BEAUCOUP chez les chasseurs la conscience d'être une troupe d'élite. L'esprit de corps qui en résulte est très vivace, tout O comme le culte des traditions. Le duc d'Orléans lui-même n'écrivait-il pas en 1840 : «Les chasseurs à pied ne me paraissent pas devoir être une infanterie spéciale, mais le type de ce que toute infanterie devrait être... Les chasseurs présentent le type d'une infanterie équipée, armée et instruite pour la guerre la plus active...», d'où l'exaltation de l'esprit de dévouement et de courage, «l'acceptation, ie goût, l'amour d'une discipline plus rude que celle qu'on impose aux autres...»

On aime d'abord à rappeler les propos flatteurs tenus par des personnages historiques sur les chasseurs et leurs actes héroïques : •

Les compliments, c'est en somme pour la petite histoire, il se situe à un autre niveau, ie souvenir exaltant du combat de Sidi-Brahim, où une poignée de chas• seurs du 8é B.C.P. préféra, plutôt que de se rendre, se faire exterminer par les troupes d'Abd-el-Kader dans un combat de trois jours en Oranais occidental (là-même où l'émir devait faire sa soumission en décembre 1847). «Aucun n'a été ébranlé un seul instant», devait dire d'eux le maréchal Bugeaud. On conçoit dès lors que le chant de la Sidi-Brahim, autrefois exécuté religieusement sur un rythme lent et solennel, ait connu un succès immédiat :

«... La France est là qui vous regarde Quand sonne l'heure du combat Votre place est à l'avant-garde !»

L'esprit chasseur doit également beaucoup au Maroc et à Lyautey, depuis qu'en 1912 les 7è et 14è B.C.A. furent désignés pour aller pacifier le Maroc nou• vellement conquis, sous les ordres du célèbre général qui insista vainement pour les garder à son service par la suite : «C'est bien malgré moi que le gouvernement vous retire du Maroc... J'ai fait tout ce que j'ai pu pour vous con• server... Des effectifs, j'en ai assez et je pourrai toujours en avoir suffisamment. C'est pour une question plus importante, c'est avant tout pour une question de qualité... Il faut dans les troupes du Maroc occidental un minimum de troupes françaises, un minimum de troupes exclusivement composées comme vous de

12 Français de la Métropole et particulièrement de troupes splendides comme la vôtre...» C'est donc en connaissance de cause qu'en 1930 le vieux maréchal à la retraite pouvait donner la magnifique définition de l'esprit chasseur que les Alpins ne cessent de se répéter : «L'esprit chasseur ? C'est d'abord l'esprit d'équipe C'est la rapidité dans l'exécution de gens qui pigent et qui galopent, C'est l'allant, c'est l'allure, c'est le chic. C'est pour les chefs le sens social dans le commandement, C'est l'accueil aimable. C'est servir avec le sourire, la discipline qui vient du cœur. C'est le dévouement absolu qui sait aller. Lorsqu'il le faut, jusqu'au sacrifice total.»

Malgré ces références prestigieuses, le particularisme chasseur ne néglige pas de s'affirmer jusque dans des détails de langage. Le jaune n'existe pas, mais le jonquille ; ni le rouge, (sauf exceptions), mais le bleu cerise ; ni la musique, mais ia fanfare ; ni le tambour, mais les caisses claires ; ni les régiments, mais les bataillons et les demi-brigades ; ni la-caserne, mais le quartier ; ni l'uniforme, mais la tenue... Enfin les clairons sonnent, mais ne jouent pas ! Et l'allure se veut différente des autres : dès l'origine, pour se distinguer de la marche lourde de l'infanterie traditionnelle, les chasseurs à pied adoptèrent un pas rapide. En montagne les Alpins se doivent de marcher à pas lents, très allongés ; dans les défilés leur allure est moins rapide que celle des à-pieds, mais leurs pas plus allongés, ce qui n'est pas sans poser des problèmes...

Mais, pour eux, la psychologie compte bien davantage que le physique. «Du montagnard ils ont le pied sûr, la marche rythmée et la respiration égale, la force et l'agiletè, la résistance à peu près illimitée à la fatigue... Du soldat français, ils ont l'âme simple et l'esprit naïf (sic), le dévouement sans phrase et sans raison• nement à leurs chefs et à leur pays, la discipline rigoureuse et l'obéissance intel• ligente... Ils sont d'une scrupuleuse propreté : les ablutions fréquentes, sur• veillées par les officiers les maintiennent en bonne santé et eh force... Il est sur• tout des qualités charmantes, qu'aucun de ceux qui ont approché nos alpins ne se lasse de mettre en relief et de célébrer sur tous les tons, je veux dire l'entrain, la bonne humeur, la gaieté, la joie de vivre enfin qui ne les abandonnent jamais... Ce qui bannit la tristesse absolument, c'est l'effort, l'action saine et joyeuse par elle-même et qui le devient encore plus quand elle a un but noble et glorieux comme la défense de la patrie... Ce qui distingue les chasseurs français des alpins italiens, outre le costume, c'est le caractère et l'allure. Les Italiens sont mélancoliques, silencieux, quelque peu nonchalants, faisant leur métier avec plus de résignation que d'enthousiasme et quand ils rencontrent nos chasseurs, l'entrain de ceux-ci semble les mettre mal à l'aise», écrit Bregeault en 1898, non sans que son jugement soit influencé par la crise franco-italienne qui sévit alors.

L'année suivante, Duhamel se montrera plus nuancé sur lagaieté du chasseur : «La continuité de ces durs travaux, les longues marches aux hautesaltitudes, la parfaite cohésion de tous les éléments dans ces troupes, le voisinage immédiat de la frontière, l'idée constante du danger toujours imminent d'une chute d'ava• lanche, toutes ces causes ont influé sur le physique et sur le moral des Alpins. Elles leur ont imprimé ce cachet de joyeux entrain, d'allant et de mâle vigueur qu'aucune autre troupe ne saurait posséder à un degré égal en temps de paix... L'Alpin est peu bruyant : bien rares sont dans ses rangs les chanteurs. Comme l'habitant de la montagne, comme le marin vivant au milieu des plus grands spectacles de la nature, il sembleavoir pris l'habitude du recueillement dans une

13 muette contemplation... Son caractère simple et agreste se laisse souvent plus profondément émouvoir par les beautés de la nature que l'esprit raffiné de bien des personnes dont les yeux sont blasés par des spectacles artificiels (d'autant plusqu') il voit ses superieursadmirer eux-mêmes spontanément ce qu'il n'a pas su jusqu'alors apprécier...»

Mais c'est encore Henri Second qui trouva la formule la plus simple : «Vaillant soldat de la montagne Gentil guerrier, chasseur alpin, Rude lapin. Notre coeur t'accompagne...» Voilà pour l'esprit commun à tous les chasseurs alpms. Mais il reste place pour des nuances propres à chaque bataillon, qui a sa vie propre. Chacun a son insi• gne, le cor de chasse, bien sûr, qui est depuis longtemps la marque des tireurs d'élite, mais chaque corpsy ajoute un attribut particulier : le 27è un tigre, en réfé• rence à la visite de Clemenceau venu féliciter le bataillon pour sa légion d'hon• neur ; le 13è, depuis 1924, une croix de Savoie surmontée de l'aigle alpin... Chacun a sa salle d'honneur ; chacun sa devise (le i3é a repris celle de Bayard «sans peur et sans reproche») ; chacun son refrain : au 7è, «bataillon de fer et d'acier», au 13è, «sans pain sans fricot, au 13é on ne boit que de l'eau» (allusion aux manoeuvres «sèches» sans vin), au 27è «Si vous avez des poches, vous pouvez vous fouiller..» Chacun possède son fanion (au début tricolore, mais, depuis 1918, le bleu-jonquille a triomphé) sans'compter les fanions des compagnies (qui leur servaient autrefois, en montagne, à signaler leur position).

Chaque bataillon s'enorgueillit aussi de sa fourragère, qui matérialise le sacri- . fice, ia valeur et les succès des unités qui l'ont méritée. Le 27è, fort de ses six ci• tations, arbore une fourragère aux couleurs mêmes de la légion d'honneur ; les 7è et 13è B.C.A. ont la leur aux couleurs de la Médaille militaire... Chaque batail• lon enfin avait autrefois sa fanfare (uniquement des instruments de cuivre sans grosse caisse, avec seulement des caisses claires !). En Savoie, si le 27è B.C.A. a conservé sa fanfare, celles du 7é et 13è ont été «mises en sommeil provisoire», mais ils disposent toutefois de quelques clairons ornés de flammes bleu-jonquil• le aux ornements variables avec des cordons qui sont la seule pièce de la tenue des chasseurs qui n'ait été modifiée depuis 1840 !. On cultive avec amour l'esprit de corps. Depuis la revue solennelle du 4 mai 1841 aux Tuileries, les chasseurs ne disposent que d'un seul drapeau, confié annuellement à tour de rôle à chacun des bataillons (de 1919 à 1939, seuls les bataillons honorés de la fourragère rouge de la Légion d'honneur pouvaient en assurer la garde, ce qui explique sa présence à Annecy en 1939, où il fut caché pendant toute la guerre par les frères Monnet). L'arrivée du drapeau est donc pour un bataillon une fête (actuellement une fois tous les 13 ans) et célébrée de ce fait avec d'autant plus de ferveur. Entre temps, on se rattrape périodique• ment avec les baptêmes des chasseurs, qui reçoivent après les derniers exerci• ces de leurs «classes» !a fourragère des mains de leurs officiers ou de leurs anciens, en présence des autorités civiles souvent, car la cérémonie, tout comme la présentation du fanion, se déroule sur les lieux mêmes de l'exercice hors du quartier, parfois aussi sur le sommet des hautes montagnes, voire tout près du point culminant de la Savoie sous la Grande Casse en 1957 (les autorités civiles s'étaient alors fait excuser...)

On célèbre régulièrement les grands aniversaires de la Sidi-Brahim (les 23-26 septembre), de Solferino (le 24 juin), de l'Hilsenfirst (fin juin), du Roc Noir (début août), toutes fêtes ponctuées de chants et de repas en commun et, s'il le faut, de pèlerinages"au musée des chasseurs à Vincennes, installé en 1950 sur les lieux

^ 14 Le poste-frontiére de Sollières en 1910. Depuis la fin du XIXé siècle, les alpins gardent les frontières même en tiiver. ce qui n'est pas sans poser maints problèmes matériels, d'approvisionnement (par l'intermédiaire des traîneaux à chiens), de liaison et aussi de moral pour les «prisonniers volontaires par amour de leur métier, de leur devoir et de leur pays...»

Ci-dessous : Les premières S.E.S. défilant devant le général de Gaulle à Saint- Pierre-d'Albigny au printemps 7945, Créées pendant l'entre-deux-guerres, les sections d'éclaireures-skieurs regroupent les meilleurs d'entre les alpins en vue des opérations les plus hardies. Elles s'illustrent en Haute-Maurienne et en Hau- te-Tarentaise (au Roc Noir et à Belleface) en mars-avril 1945. pour en déloger l'ennemi des crêtes où II se cramponnait depuis l'automne précédent. mêmes du premier casernement, ou au nouveau musée des chasseurs d'Antibes inauguré en 1978. Des dizaines d'amicaies répandues dans toute ia France regroupent ies Anciens de toutes les formations de chasseurs (à pied, alpins, cyclistes ou mécanisés) pour conserver et cultiver les amitiés ainsi que les traditions, en liaison étroite avec les unités d'activé, le tout regroupé dans une grande fédéra• tion nationale des anciens chasseurs (la F.N.A.C.) qui a son propre drapeau (confié chaque année à une amicale différente, comme le grand drapeau des chasseurs...), sa propre revue mensuelle {«Le chasseur à p/ed» qui est devenu, au lendemain de la Grande Guerre «Le corde chasse»). Cet ensemble peut, par sa masse et sa cohésion, jouer un rôle déterminant sur l'opinion ou auprès du gouvernement, notamment par le biais de ses Congrès de «tradition chasseur». A Paris, depuis 1930, les anciens Alpins se retrouvent à i'amicale de «L'Edel• weiss». En Savoie même, les amicales ne remontent qu'à 1945 (celle des anciens du 13è B.C.A. n'est pas peu f ière d'avoir comme marraine la princesse Napoléon). Il serait donc très léger de se contenter d'une vision extérieure des chasseurs. Depuis plus d'un siècle, ils ont forgé, entretenu et nourri une mentalité, une mythologie d'autant plus vivaces du fait de leur nombre et du rôle qu'ils ont joué, tant pour la formation des hommes eux-mêmes que pour leur apport à leur pays d'implantation. En notre temps où tout change très vite, il n'en est pas moins surprenant de constater ces permanences qui prouvent que les muta• tions ne sont peut-être pas aussi radicales qu'elles le paraissent ou que ies mentalités ont des «pesanteurs» ou des vitalités étonnantes...

PENDANT LES DEUX GUERRES MONDIALES

^^«n N 1914, LES CHASSEURS comprenaient 31 batalllonsd'active, 19àpied [ ]m sur la frontière du Nord-Est, 12 alpins dans les Alpes (les lié, 13è et 'Vif 22è B.C.A. en particulier à Annecy, Chambéry et Albertville) et enfin 10 groupes de chasseurs cyclistes. Tous sont évidemment mobilisés et renforcés par autarit de bataillons de réserve, plus 9 corps de chasseurs territoriaux (les 1 er et 2è seront formés à Annecy et Chambéry) et 7 bataillons de marche consti• tués en 1915 (le 32è B.C.A. est mis sur pied à Chambéry). L'Italie étant notre alliée, les Alpins furent transférés tout de suite sur le front de l'Est. Les légendai• res tableaux du peintre Scott parus dans L'Illustration de 1914-1915 popularisè• rent dans la France entière l'action des chasseurs en Alsace, par exemple le dessin de l'Alsacienne tombant dans les bras de l'officier du 11 è B.C.A. qui vient de renverser ie poteau-frontière... Dès la fin août 1914, les deux chefs de batail- îons des 22è et 13è, de la Boisse et Verlet-Hanus, ont déjà été tués au combat, et le 53è bataillon est presque anéanti à Saint-Dlè (9 officiers tués, 5 blessés, 110 chasseurs tués). Mais ce n'est qu'en 1915 que se déroulèrent les combats les plus acharnés qui ont valu aux bataillons le surnom de Diables bleus sur les croupes sanglantes de l'Hartmann, du Metzeral et du Linge. Le 14 juin, le 13è s'empare de l'Hilsenfirst, pendant que la 6è compagnie du 7è B.C.A. résiste héroïquement durant trois jours aux Allemands, avant d'être délivrée par des volontaires sortis des rangs des 7è et 13è B.C.A., exploit qui valut à la dite compagnie d'être nommée «Compagnie de Sidi-Brahim». Après l'Alsace, ies chasseurs se retrouvent partout où il faut donner un choc sérieux ou dresser une solide barrière ; à Verdun, Vaux et Douaumont en 1917 et même sur le front italien où, après le désastre de Caporetto, les chasseurs appelés en renfort con-

16 tre les Autrichiens réussirent à s'emparer du Monte Tomba, retrouvant enfin l'occasion de briller dans les combats de montagne pour lesquels ils avaient été formés. Les chasseurs terminaient la guerre en 1919, couverts de gloire et de cita• tions, mais après quelle hécatombe, aussi bien pour les officiers que pour les hommes ! Le 11 è avait perdu près de 1600 hommes, le 13è près de 1500 et ie 22è 1340 (en 1914 chaque bataillon comptait 30 officiers et 1650 chasseurs). L'après-guerre amena bien des chasses-croisés et des regroupements. La 46é division de chasseurs alpins (avec les 6è, 7è, 13è et 27è B.C.A.) fut envoyée en Haute-Silésié pour assurer la régularité du plébiscite et calmer l'antagonisme entre Allemands et Polonais. Le 22è B.C.A. reçut la même mission au Sieswig Dour faire tampon entre -les Danois et les Allemands. En 1925, les 7è et 13è B.C.A. se retrouvent pour quelques mois en Tunisie, pendant que le 27è partici• pe aux opérations contre Apd-el-Krim au Maroc. La Savoie, par «un hasard très dirigé», échappé aux bouleversements et aux remani'ements des garnisons alpi• nes ; elle conserva ses trois bataillons. Chambéry retrouva son 13è B.C.A. «ba• taillon de Maurienne», mais le 27è remplaça !e 11è à Annecy en 1922 et le 7è succéda au 22è à Albertville en 1923. Les numéros avaient changé, mais l'esprit et les mœurs restaienf les mêmes. Certes, en 1930, chaque bataillon se voit doté d'une section d'éclaireurs-skieurs, spécialistes du ski en hiver et du rocher en été. Travaux et manœuvres se succèdent comme jadis, non sans danger par• fois : on se souvient encore en Savoie de l'avalanche qui emporta cinq chasseurs du 13è et deux fantassins alpins sur ies pentes de la Madeleine, au pied de ia Turra, en février 1935.

La Deuxième Guerre mondiale éclate en 1939. Comme en 1914, ies bataillons d'activé sont doublés en Savoie par trois bataillons de réserve formant deux de• mi-brigades sous les ordres des colonels Béthouard et Bel, incorporés à la 28è division alpine commandée par le général Lestien, commandant le secteur forti• fié de Savoie. L'Italie ne bougeant pas, la division, amputée des sections d'éclai• reurs-skieurs restés sur place, quitte les Alpes et gagne (comme en 1914) l'Alsace. En février 1940, la 5è demi-brigade, sous les ordres du colonel Béthouard (13è, 53è et 67è) est enlevée à la division pour constituer une brigade de Haute-Montagne destinée à la Finlande, mais les événements en dé• cident autrement. C'est finalement en Normandie, à Namsos, qu'elle se retrou• ve pour une quinzaine de jours (avril 1940) : sans couverture anti-aérienne, elle doit bientôt réembarquer et participera à la désastreuse campagne de France de juin 1940. La 5è demi-brigade sauve son honneur dans le pays de Caux, tout comme la 25è (les 7è, 27è et 47è B.C.A.) défend vaillamment le sien sur l'Aisne et sur l'Ailette, tandis que les éclaireurs-skieurs des 7è, 27è et 47é B.C.A. participent victorieusement à la défense des Alpes contre l'offensive italienne. Lors de l'armistice franco-italien du 24 juin 1940, tous les avant-postes de Haute Maurienne et de Haute Tarentaise avaient tenu. La Savoie avait été épargnée à l'Est comme à l'Ouest, où le général Cartier avait réussi à contenir l'avance allemande au Sud d'Aix (93è B.C.A.). Cette résistance vaut à la province d'échapper à l'occupation, mais les clauses de l'armistice réduisant considéra• blement l'armée, le 7è est dissous, pendant que les 27è, 13è et 6è de Grenoble forment la 3è demi-brigade sous les ordres du colonel Desroche.

Pendant deux ans, chacun ronge son frein, les qnciens comme les cadres d'activé. Une masse considérable de matériel et d'armes est camouflée en attendant la grande occasion de la revanche. Le colonel Vergezac qui a défendu Bourg-Saint-Maurice déclare à ses hommes en instance de démobili• sation dans l'été 40 : «Je n'admets pas l'armistice ; notre devoir à chacun de nous est d'une manière ou d'une autre de continuer la lutte...» De son côté le

17 lieutenant-colonel Pochard constitue à Ctiambéry une amicale des anciens des 13è et 53è, «future cellule de résistance aux boches» selon les instructions secrètes du général Frère, f utur chef de l'ORA... L'occupation de lazone libre par les Allemands à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord entraîne la démobilisation de l'armée française et le passage à la résistance active de la plu• part des cadres des bataillons dissous.

Valette d'Osia, commandant du 27è B.C.A. d'Annecy passe à la tête de la résistance de la Haute^Savoie avant d'être arrêté en septembre 1943. Il réussit à s'évader et à regagner la France-Libre-; le capitaine Chevallier aura le même sort, mais d'autres -et combien !- n'auront pas cette chance. En janvier 1944, une partie des maquis de Haute-Savoie se retrouve sur le plateau des Glières, attaquée bientôt par la milice et Darnand lui-même; désespérant de les déloger, ce dernier sollicite l'appui de la Wehrmacht qui intervient en mars avec l'appui massif de l'artillerie et de l'aviation. Morel et son successeur le capitaine Anjôt y perdent la vie et avec eux 155 résistants, presqu'autant furent capturés et déportés, 130 seulement réussirent à s'échapper. Le combat des Glières est la Sidi-Brahim de ia Résistance haut-savoyarde décapitée, mais non abattue : en mars 1944, le capitaine Godard, évadé de Pologne, prend le commandement de l'Armée Secrète de Haute-Savoie, tandis que le colonel Vergezac et les capitai• nes Bulle, Gerlotto et Héritier mettent sur pied l'Armée Secrète de Savoie. Nous ne reviendrons pas ici sur le récit des combats de 1944 (voir le n° 41 de l'Histoire en Savoie), mais il importe de noter la part importante qu'y ont pris les anciens cadres des bataillons alpins, lesquels purent ainsi renaître dans l'hon• neur. A partir d'août 1944 après le parachutage des Saisies, les unités A.S. vont participer activement à la libération de la Savoie en collaboration avec les unités F.T.P. Peu après le débarquement du 15 août en Provence, les garnisons allemandes de Haute-Savoie capitulent le 19. Aix-les-Bains est libéré après combat le 21, Chambéry abandonné le 22, Albertville pris après une dure batail• le le 23. Des unités de Haute-Savoie participent à l'écrasement des Allemands près de Saint-Pierre d'Albigny et à la difficile progression des résistants en Maurienne. Bourg-Saint-Maurice est libéré le 25 août, mais Saint-Jean seule• ment le 2 septembre. Avec l'aide de quelques renforts de la 1 é armée française, les résistants peuvent prendre Modane le 14, et libérer enfin les hautes vallées de l'Isère et de l'Arc. Mais l'ennemi s'accroche aux pentes des grands cols, renforcé par des troupes fascistes italiennes et par des corps allemands des• tinés à protéger les arrières du front de Florence.

Le 5 septembre 1944, toutes les Alpes du Nord françaises sont confiées au colonel Valette d'Osia, qui regroupe tous les bataillons F.F.I. dans la 1 ère division alpine renforcée par des divisions marocaines. L'hiver approche et si la guérilla continue en haute-montagne, il ne faut pas compter en déloger l'ennemi avant le printemps. Force est donc d'attendre et de se préparer à lafuture offensive en réorganisant une armée alpine à partir de la confusion et de la pauvreté généra• les. Le lieutenant-colonel de Galbert (Mathieu dans la clandestinité) prend la tê• te de la 1ère demi-brigade F.F.I. de Savoie ; il organise d'abord la fusion des éléments AS. et F.T.P. dans quatre bataillons : Godard en Haute-Savoie, Lorin ou Lacroix en Tarentaise, Duplan ou Santucci en Maurienne, Héritier (de Chambéry et de Maurienne), réduits bientôt à trois par la fusion des deux der• niers. Très rapidement ces corps prennent les dénominations traditionnelles des bataillons chasseurs : le 6 novembre 1944 le 27é B.C.A. est reconstitué à Annecy sous le commandement du chef de bataillon Godard, quelques jours après le 13é réapparaît à Chambéry avec le commandant Héritier, enfin en janvier 1945, l'ancien bataillon Bulle reprend les écussons du valeureux 7è B.C.A. sous la direction du commandant de Buttet.

18 Fin novembre, la 1ère D.I.A. était devenue la 27è Division Alpine. «Cette division sera formée par utilisation en priorité des formations F.F.I. qui consti• tuent actuellement la 1ère division alpine. Malgré toutes les difficultés qui s'amoncellent sur sa route, grâce à son travail et à sa volonté deservir, grâce aux souffrances et au courage de ses hommes mal équipés, mais qui ont tenu, la Division alpine a conquis son droit de cité. Elle entend bien, reprenant les belles traditions d'autrefois, ne rien perdre de ses traditions F.F.I. sur lesquelles je vous demande de veiller jalousement et elle apporte à sa devancière son qualificatif d'alpin que la vieille 27è n'avait jamais pu avoir. Chacun a le droit d'être fier de ce résultat. La 1ère division alpine est morte, mais vive'la 27è Division Alpine ! Travaillons tous pour qu'elle soit le plus vite possible la meilleure et la plus allante des divisions françaises», écrit alors le général Valette d'Osia. Dans la foulée de cette réorganisation, la 1 ère demi-brigade devient la 5è (comme dans le passé), ce qui amène le lieutenant-colonel de Galbert à affirmer : «La transfor• mation de nos formations F.F.I. en unités régulières répond aux vœux de la plu• part de nos cadres et de nos volontaires... Nous avons l'honneur de porter de nouveau des écussons qui représentent pour chaque corps un passé riche de gloire et de sacrifices, il nous appartient d'être fidèle à ce passé...»

En mars, en dépit de la neige, du froid et de lafaiblesse des équipements et de l'instruction, l'offensive est décidée, tout comme l'unité de commandement sur tout le front des Alpes avec la création du détachement d'armée des Alpes sous la responsabilité du général Doyen rappelé en activité, relevant directement de l'état major général et non pl us du général de Lattre.' Du 17 mars au 29 avril, dans la neige et le brouillard, la 5è demi-brigade de Savoie attaque en Tarentaise, pendant que la 6è du Dauphiné (avec les 6è, lié et 15è B.C.A.) attaque en Maurienne. Tout autour du Petit-Saint-Bernard (au Roc Noir, au Rocde Bellefa• ce, à la Redoute Ruinée) et tout autour du Mont-Cenis (à la Turra, au Mont- Froid, au Petit-Mont-Cenis), les combats font rage. A la différence de ce qui se passe dans les Alpes du Sud, l'ennemi résiste ici vigoureusement. Cependant, dès le 26 avril, par des cols secondaires, les chasseurs alpins français réussis• sent à déboucher dans le Val de Suse et dans le V^l d'Aoste. Lorsque l'armistice est signé à Caserte le 29 avril, non seulement toutes les Alpes françaises sont libérées, mais nos chasseurs sont aux portes d'Ivrée et ont dépassé Bussoleno sur la route de Turin. Ils restent sur leur position en Val d'Aoste jusqu'à la fin juin, la France se résignant alors à respecter les accords interalliés qui laissaient l'Italie aux seuls anglo-américains.

-M VEC LA PAIX, les Alpes pouvaient bénéficier de la réconcilation franco- yJM italienne. Les chasseurs n'ont plus l'ennemi «héréditaire» sur la frontière, ^•qu'elle soit du Rhin ou des Alpes. Les souffrances subies lors des deux derniers conflits mondiaux avaient révélé leur valeur et l'efficacité de leur entraî• nement. Les temps avaient changé, l'ennemi aussi. Mais la méthode était bon• ne. Raison de plus pour la conserver. Dissoute en 1946, la 27è D.l.A. est donc reconstituée en 1951 et participera aux opérations d'Algérie, en Grande Kaby- lie, de 1955 à 1962. De nouveau disloquée, elle renaît le 1er août 1976 et, depuis cette date, la Savoie héberge toujours la 5è demi-brigade formée des 7è (Bourg-Saint-Maurice), 13è (Chambéry et Modane) et 27è B.C.A. (Annecy) : avec d'autres missions, avec d'autres soucis, l'arme des chasseurs alpins de• meure toujours nouvelle, toujours identique à elle-même.

Colonel Jean POCHARD

19 BIBLIOGRAPHIE

Je remercie IVI. André PALLUEL-GUILLARD et le Père Lucien CHAVOUTIER qui m'ont aidé à écrire cette histoire.

I - Sources et ouvrages anciens. Duc d'AUMALE, Les zouaves et les chasseurs à pied, Paris 1885 ; G. BARATIERI, La défense des Alpes par l'Italie, Paris 1883 ; Dr A. BESSON, Quatre mois aux chasseurs alpins. La défense de notre frontière du Sud- Est, Bourges 1894 ; Cl. BORSON, Etudes sur la frontière du Sud-Est, Paris 1870 ; J. BREGEAULT Les chasseurs alpins. Annuaire du C.A.F. 1898 ; M. de BUTTET Les Alpins, Thonon 1894 ; E. CAMAU, La guerre dans les Alpes, 1890 ; Les troupes italiennes. Annuaire du CAP 1894 ; Les troupes françaises de montagne. Annuaire du C.A.F. 1893 ; Lt DUNOD, Des éclaireurs de montagne, Paris 1 892 ; cap. FLOCON, La Tarentaise, Paris 1895 ; Lt-col. GAMBIEZ, L'• me militaire, Grenoble 1884 ; Lt HENRY, Nos Alpins en campagne, Paris 1906 ; J. LEMERCIER, Notice sur les chasseurs alpins. Annuaire du C.A.F. 1895 ; P. et V MARGUERITE, Le poste des neiges, roman, Paris 1899 ; Lt-col. PAQUIÉ, Marches en pays de montagnes, Paris 1887 ; P. de PARDEILLAN, Nos troupes alpines, Paris 1898 (Le monde moderne) ; Lt-col. PERRIN, Topographie et défen• se des Alpes françaises, Perigueux 1894 ; Lt RICHARD, Les chasseurs à pied, Limoges 1891 ; Dr RIGAL, Etudes sur le recrutement et l'examen des hommes du 12è B.C., Paris 1882 ; TEZIER et H. SECOND, Nos Alpins, <3renoble 1898. On verra aussi ARDOUIN-DUMAZET L'alpinisme et la défense nationale (m Société des alpinistes dauphinois 1897) et Le président de la République dans les Alpes (Annuaire du C.A.F. 1897).

II - Ouvrages plus récents et commentaires historiques. L. de la BASTIE, Sous la tenue bleue du 27è B.C.A., Lyon 1951 : Le 27è B. C.A., Alger 1960 ; J BOELL, Eclaireurs-skieurs au combat, 1940-1945, Grenoble1946;GénéralP. BORDEAUX, A travers les Alpes militaires, Grenoble 1928 ; Lt-col. DELCROS et collaborateurs. Historique du 7è B.C.A., Paris 1953 ; La 27è Division Alpine, 116 p., sans date, Grenoble ; Général DOYEN, La campa• gne du détachement d'armée des Alpes, printemps 1945, Grenoble 1948 ; chanoine FEJOZ, Une page d'histoire écrite en lettres de sang, Chambéry 1973 ; capitaine LESTIEN, Le 13è B.C.A., Chambéry 1944 ; Lt-col. MAZAUD, Les diables bleus du 27è B.C.A. dans la campagne de France, Annecy 1942 ; C. MICHELET, Combats sur les Alpes, Thonon 1947 ; Capitaine POLLET et Cl. BEL, Historique des 7è et 47è B.C.A., Paris 1953 ; Historique du 13è B.C.A., Chambéry 1920 ; Storia délie truppe alpine, 1872-1972, curata da Emilie FAL- DELLA, Milan 1972 ; R. TOUCHON et J. DREVET Trois Noëls Alpins, Grenoble 1939. La Revue d'Histoire Militaire a publié aussi un numéro spécial sur les chas• seurs (Paris 1942), ainsi que la Revue historique de l'armée, (Paris 1966).

20 haut en bas : Ix» insigiiw des ly, -j' cl