Politique Et Religion Au Sénégal
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Université catholique de Louvain Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication Commission Doctorale du Domaines des Sciences Politiques et Sociales Académie universitaire Louvain Politique et religion au Sénégal Création et évolution du dispositif impérial : du discours de Jules Ferry le 28 juillet 1885 à l’élection présidentielle du 26 février 2012. Sébastiano D’Angelo Thèse présentée le 2 septembre 2013 en vue de l’obtention du grade de docteur en sciences politiques et sociales de l’Université catholique de Louvain Membres du jury : Jean-Émile Charlier (UCL-Mons), promoteur de thèse Hamidou Nacuzon Sall (UCAD), co-promoteur de thèse Sarah Croché (UPJV), membre du comité d’accompagnement Charlotte Pezeril (FUSL), membre du comité d’accompagnement Brigitte Frelat-Kahn (UPJV) Fabienne Leloup (UCL-Mons) Vincent Legrand (UCL), Président 2 Remerciements En premier lieu je souhaite remercier mes deux promoteurs de thèse, Jean-Émile Charlier pour le temps qu’il m’a consacré et pour ses conseils avisés qui ont guidé la construction de cette recherche, et Hamidou Nacuzon Sall qui m’a accueilli à la FASTEF et qui m’a judicieusement guidé lors de mes observations au Sénégal. Mes remerciements s’adressent également à Sarah Croché et Charlotte Pezeril, pour leur aide, leur soutien et pour leurs remarques constructives qui m’ont permis d’avancer plus sereinement dans mon travail. J’exprime aussi toute ma gratitude aux chercheurs sénégalais qui ont accepté de répondre à mes questions. Je pense en particulier à Babacar Samb, Alioune Badara Diop, Amadou Sarr Diop et Mamadou Diouf. Toutes ces interviews ont été très enrichissantes. Je n’oublie pas tous ceux qui m’ont soutenu dans les moments de doute, ma famille, et en particulier ma mère, ainsi que mes amis (Davide, Souleymane, Adriano, Kader, Lionel, et tous les autres). Merci aussi, à Sandrine Delhaye pour sa bonne humeur contagieuse et surtout son professionnalisme exemplaire, à David Urban et à Miguel Souto Lopez, mes collègues et amis. Il me serait impossible de terminer ces remerciements sans témoigner de mon affectueuse admiration et du profond respect que j’ai pour mes grands-parents. Par les quelques lignes qui suivent, je tiens à leur rendre hommage. « Ultime notizie della notte. Una grave sciagura si è verificata in Belgio nel distretto minerario di Charleroi. Per cause non ancora note una esplosione ha sconvolto uno dei livelli della miniera di Marcinelle. Il numero delle vitiime è assai elevato » (Ignazio Buttita, Lu Trenu di lu suli) 3 Introduction Présentation globale de la thèse Inscrite dans la Constitution, la laïcité du Sénégal n’a jamais cessé d’être rappelée dans les discours et documents officiels de l’autorité politique. Et pourtant, depuis des siècles, l’islam a trouvé dans ces terres à la fois un ancrage populaire indéniable, mais également un des hauts lieux de son expansion sur le continent africain. Dans la société sénégalaise contemporaine, l’islam a acquis une visibilité spectaculaire et s’affiche désormais sans aucun complexe. Par tous, l’islam s’expose et partout il s’impose. Depuis leur enfance, la plupart des Sénégalais sont plongés dans la religiosité de leur société. Dans les régions les plus islamisées, dès le petit matin, le chant du muezzin s’envole de la mosquée et rappelle à tous l’imminence de la prière rituelle. Chaque année, les pèlerinages des millions de croyants dans les lieux saints attirent. Entassés dans des taxis-brousse décorés à l’effigie d’un noble marabout ou arborant des devises et inscriptions religieuses, les fidèles venus de tout le pays et de l’étranger viennent se recueillir et témoigner de leur foi lors du grand Magal1 de Touba ou du Gamou2 de Tivaouane. Sur les marchés de Dakar, dans les commerces et les petites boutiques au coin des rues se vendent chapelets, portraits des fondateurs des ordres mystiques, des wali, exemplaires du Coran, poèmes en arabe dédiés à la gloire d’Allah et de son prophète, etc. Les plus jeunes des talibés maîtrisant quelques sourates sont invités à exhiber leur savoir en récitant à haute voix les saintes écritures, faisant ainsi la fierté des parents, familles et amis. Les chants nocturnes et récitations des poèmes de Cheikh Ahmadou Bamba sont désormais monnaie courante. Lors du mois sacré du ramadan, les corps et les âmes des fidèles zélés sont tout entiers immergés dans la pratique de la foi. Le jeûne quotidien ainsi que les prières semblent partagés par toute la population. Bref, l’effervescence de l’islam populaire y est incontestable. La religion musulmane était connue en Afrique de l’Ouest dès le XIe siècle, mais durant toute la période précoloniale, l’islam était l’apanage d’une élite religieuse. En pays wolof et au Fouta-Toro, les clercs musulmans faisaient souvent partie des conseillers de la couronne. Cependant, l’islam et la politique n’ont pas toujours cheminé ensemble. Entre le XVIIe et le 1 Le Magal est une fête religieuse célébrée chaque année à Touba. Il commémore l’exil forcé du fondateur de la confrérie au Gabon en 1895. 2 Le Gamou est une fête religieuse célébrée chaque année à Tivaouane et dans les autres villes de la Tijaniya. Il célèbre la naissance du prophète Mohamed. 4 XVIIIe siècle, des religieux se sont dressés contre les despotes des royaumes précoloniaux. Leurs révoltes ont eu pour effet de modifier l’image du marabout. Le conseiller religieux de la cour est rapidement devenu le symbole de la résistance à la tyrannie des rois et le protecteur de la masse populaire. Ainsi, c’est suite aux « guerres des marabouts » des XVIIe et des XVIIIe siècles que la religion musulmane a fait tache d’huile et que les conversions se sont multipliées au Sénégal. Au début de la période coloniale (1850 - 1870), les rapports entre les gouverneurs et les marabouts sont restés ambivalents. Poursuivant leurs objectifs économiques, les Français n’ont pas hésité à soutenir certains clans maraboutiques dans leurs luttes contre l’aristocratie traditionnelle pour ensuite les abandonner à leur sort. Quand le processus de colonisation territoriale a été achevé, vers la fin du XIXe siècle, les marabouts et les Français ont commencé à dialoguer puis à évaluer les bénéfices qu’ils pourraient tirer de relations plus soutenues. Certes, dans les deux camps, la méfiance était toujours de mise, mais les marabouts et les Français ont rapidement pris conscience des bienfaits, tant politiques qu’économiques, qu’ils pourraient retirer d’une collaboration plus étroite. Pour Donal Cruise O’Brien, cette période de rapprochement entre l’administration coloniale et les leaders religieux a fondé le contrat social sénégalais : « […] les marabouts font bénéficier le gouvernement de la loyauté de leurs disciples, […] Le gouvernement récompense alors les marabouts sous diverses formes de parrainage officiel […] (O’Brien, 1992:9). La thèse défendue est que le rapprochement entre l’administration coloniale et les leaders religieux est un effet d’un dispositif, entendu au sens de Foucault (2001b:299), qui a été activé suite à la défaite de la France face à la Prusse en 1870. La fonction stratégique de ce « dispositif impérial » était de constituer un empire colonial cohérent et stable politiquement afin de pouvoir faire face à une situation d’urgence. La thèse veut montrer que jusqu’au début du XXe siècle, les marabouts étaient perçus comme la plus grande menace aux yeux des Français pour la stabilité de la colonie du Sénégal. En accord avec la fonction stratégique du dispositif impérial, les administrateurs coloniaux ont dans un premier temps surveillé les marabouts afin de prévenir toute forme de perturbation. Cette surveillance a donné lieu à des recherches sur les communautés maraboutiques qui ont conduit à relativiser les dangers de l’islam confrérique. En définitive, à l’heure de la guerre de 1914-1918, les marabouts se sont révélés être des alliés précieux pour la France. En ce sens, la thèse veut montrer que le rapprochement qui s’est opéré entre l’autorité politique et les leaders religieux peut être 5 considéré comme un effet du « dispositif impérial ». Finalement, au Sénégal ce « dispositif impérial » a donné lieu à un mode d’organisation politique dont les marabouts ont été partie prenante. Après avoir défini l’objet des recherches, le texte suit l’évolution du « dispositif impérial ». La thèse propose donc une analyse socio-historique des rapports entre l’autorité politique (coloniale et post-coloniale) et les leaders religieux depuis les années 1920 jusqu’à l’élection présidentielle du 26 février 2012. Elle teste l’hypothèse selon laquelle il y a eu, au cours de cette période, deux moments où le mode d’organisation politique du Sénégal a été remis en question. Le premier fait suite à l’indépendance et plus précisément au plan de développement économique et social de Mamadou Dia. Le second est consécutif à la crise économique des années 1980-1990 et à la contestation, par une partie des disciples mourides, du ndigël politique3. En conséquence, la thèse analyse pourquoi ces remises en cause du mode d’organisation politique sont apparues et comment le « dispositif impérial » a été remobilisé afin d’y répondre. Cette thèse comprend huit chapitres. Le premier décrit l’apparition des premières confréries soufies et l’islamisation du Sénégal. Dans un premier temps, il propose une synthèse de la première phase d’expansion de la religion musulmane depuis l’avènement du prophète Mahomet jusqu’à la fin du règne des califes « bien guidés » aux alentours de l’an 661. Ensuite, il s’interroge sur l’ascétisme musulman et l’origine du soufisme. Enfin, il présente les principales confréries soufies du Sénégal. Le second chapitre analyse la formation et la dislocation des empires et royaumes précoloniaux. Une attention particulière est apportée aux royaumes wolof, du Fouta-Toro et du Sine-Saloum qui forment la base territoriale de la République du Sénégal.