Magda, « la chienne » du Troisième Reich

Louis PETRIAC

À la mémoire de tous ceux qui n’avaient que le tort d’être différents ou de croire à autre chose !

L.P

… Tout ce qui paraît particulièrement invraisemblable est probablement vrai

Hilary MANTEL (G-B.)

AVANT PROPOS

Voici un peu plus de soixante-dix ans, soixante-douze très exactement, disparaissait l’un des personnages les plus controversés du XX ème siècle au terme d’une guerre impitoyable et de la disparition de plus de soixante millions d’êtres humains dont… 6 millions de Juifs ! Mais qui était-elle cette femme pulpeuse qui, à seize ans déjà, sans être d’une incroyable beauté, avec un regard implorant rendait tous les hommes fous de désir, en exerçant sur eux une fascination irrésistible ?... Sûrement une mante religieuse puisque, dans un pays gagné par la folie, elle aura trahi son père, renié son beau-père, tué six de ses enfants et dévoré on ne sait combien de mâles, motivée par la seule envie de briller en société et de devenir une déesse de la nation allemande. Un être vénéneux n’hésitant pas, non plus, à dénoncer ses meilleures amies pour satisfaire sa perversité. On dira d’elle un peu plus tard qu’elle voulait se convertir au judaïsme et apprendre l’hébreu en vue de s’installer en Palestine avec ce Victor qu’elle semble avoir aimé plus que tous les autres pourtant nombreux autour d’elle, et qu’elle avait signé un pacte avec le diable… Ce qui n’est peut-être pas tout à fait faux.

Ce long travail de recherche m’a incité à produire cet ouvrage, en travaillant sur des données sur lesquelles d’autres n’ont pu s’appuyer antérieurement, pressés d’évoquer, et on peut le comprendre, l’existence d’un personnage tel que celui de ! Une femme arriviste, fanatique, dont il conviendrait de reprendre ici le sens premier qu’avaient donné les Grecs au cynisme. Car Magda la cynique 1 était bien une chienne et un être d’une froideur absolue et sans empathie, aimant à se dépeindre, narcissisme oblige, sous les traits d’une mère modèle que le média allemand Bild Zeitung présentait voici quelques années comme « la sorcière nazie » et dont on demande encore aujourd’hui, au fil des découvertes, si nous savons vraiment tout à son propos.

Louis PETRIAC

1.

Née le 11 novembre 1901 à Berlin dans un appartement cossu de la Bülowstraße ou de la Katzerstraße2, Johanna Maria Magdalena Behrend, plus connue sous le nom de Magda Goebbels, a choisi

1 Du grec « kunikos » chien. 2 Une variante qui semble dépendre de circonstances encore inconnues et du géniteur reconnu, savoir Oskar Ritschel ou… Richard Friedländer ! Selon que l’on prenne en compte ou non les dernières affirmations et preuves publiées à ce sujet ! 1 de disparaître en mai 1945 en tuant ses six enfants. Elle prétendait que son souci était de préserver les siens des Russes et de sanctions, pour avoir si longtemps représenté un Troisième Reich dont la monstruosité interpelle toujours, et parce qu’elle ne voulait pas que ses enfants vivent dans un monde sans national-socialisme. Cela étant, qui était vraiment Magda Goebbels ? Et qu’était-elle capable de faire pour exister aux yeux du monde ?

Ce que l’on sait à son propos, tient à très peu de données, et surtout à ce que les historiens ayant travaillé sur le nazisme et sa propagande ont bien voulu en dire. D’autres éléments livrés au Schwäbische Illustrierte 3 de Stuttgart en 1952 par la mère de cette tueuse d’enfants, aident à mieux comprendre ce qu’a été l’enfance de Magda Goebbels dans la grande maison bourgeoise où avait travaillé Auguste Behrend, sa mère et où elle est née. En admettant que ces données n’aient pas fait l’objet d’exagérations ou de dissimulations quant à la naissance elle-même. Ce qui est moins sûr. Employée de maison d’une vingtaine d’années, d’extraction modeste, sa maman y travaillait déjà depuis l’âge de quatorze ans et Auguste, c’était son nom, n’était pas la dernière, non plus, à attirer le regard des hommes. Auguste… Ce prénom à déclinaison masculine4, était-ce d’ailleurs un signe ? Voire une volonté d’affirmer une identité et de s’opposer à l’autorité ? Ou de faire un pied de nez à la haute bourgeoisie qui l’employait ? Et a-t-il été difficile à cette femme de reconnaître qu’elle était enceinte de Magda ? Sans doute, et Auguste a longtemps attendu avant d’apporter un certain nombre de précisions au sujet de la venue au monde de sa fille. Mais, à qui aurait-elle pu dire qu’elle était enceinte, alors qu’elle n’était pas mariée et qu’être fille-mère était très mal vu de la société au début du siècle dernier ? Un autre sentiment prédomine, celui que cette maman ait pu être, plus qu’une dissimulatrice, une menteuse pathologique ! Parlant du portrait de sa fille dressée en 1952 pour ce même Schwäbische Illustrierte , Anja Klabunde laisse du reste supposer que ces révélations aient pu être corrigées. Il fallait, avait précisé cette dernière, réaliser le meilleur portrait possible de Magda Goebbels… malgré, bien entendu, toutes les vilénies que contient un dossier effroyablement lourd ! C’est aussi et surtout grâce à un journal qu’a tenu Magda dès son adolescence au couvent, que beaucoup de points ont pu être complétés 5.

Oskar Ritschel, le fils des patrons d’Auguste, ingénieur dans la Ruhr, un dandy cultivé, toujours impeccablement mis, dont un monocle à l’œil gauche faisait de lui un homme distingué, avait, en des temps difficiles de quoi se faire remarquer et tout ce qu’il fallait pour emporter les suffrages d’une jeune fille d’extraction modeste facilement tombé sous son charme. Encore que la naissance de la petite aurait pu être due à une autre des « pulsions amoureuses » de l’intéressée avant qu’Auguste ne prenne ses fonctions chez Oskar Ritschel ! Ou pendant ! Car, il n’est pas exclu que la mère de Magda, parallèlement à la liaison qu’elle entretenait avec le fils de ses patrons, ait éprouvé une « attirance » pour un autre homme de passage, un certain Richard Friedländer tout juste âgé de dix-neuf ans, et que ce dernier ait pu être à l’origine de cette grossesse. Cela peut expliquer qu’Oskar se soit abstenu de reconnaître l’enfant au moment de leur mariage. Aurait-il éprouvé quelques doutes sur le fait qu’il ait pu être le père de la fillette, contrairement à ce que l’on a souvent rapporté à propos de l’affaire lorsqu’il s’est agi de déterminer qui était le vrai père de la gamine, un « gosse » resté muet ? Une éventualité évoquée dans le journal de Magda en septembre 1914, en des termes certes un peu confus, de cette femme de chambre et de sa petite fille conçue avec un client de passage de l’hôtel où elle travaillait. Des propos repris dans un ouvrage fort instructif 6. Ce statut de fille-mère, Auguste s’empressera de le modifier en épousant en 1902 Oskar, uniquement en raison d’aspects sécuritaires. Certains vont jusqu’à dire qu’Auguste et Oskar se seraient même mariés avant la naissance de la petite Magda. Or, si Oskar était un homme aisé en 1901, le véritable père de l’enfant, Richard Friedländer 7 n’était toujours pas, lui, parvenu à s’appuyer sur un début de crédibilité. Et puis, fallait-il brusquer un homme

3 Ce que révèle la biographe Anja Klabunde dans une biographie consacrée à Magda Goebbels. 4 Certains retiennent cependant le prénom féminin d’Augusta. 5 Révélé par l’auteur Guirchovitch. 6 Meurtre sur la plage, Léonid Guirchovitch, 2014, éditions Verdier. 2 comme Oskar, issu de la haute bourgeoisie et susceptible de pouvoir offrir à toute la petite famille Behrend un certain standing, même s’il n’avait pas voulu reconnaître la fillette, alors que Friedländer qui n’avait pas vingt ans, n’était en mesure de ne s’enorgueillir que d’une seule chose, celle d’être juif ? Bien qu’étant descendant d’une famille, les Friedländer-Fuld qui avaient fait fortune dans le domaine du charbon ! Et, être juif, c’était déjà très mal vu au début du siècle dernier, autant en Allemagne qu’en Belgique ou autant qu’ailleurs ! En considérant que la famille d’Oskar Ritschel ait pu employer Auguste Behrend au moment de la naissance de la fillette, cette hypothèse trouve tout à fait sa place, l’autre étant que ce bouddhiste plein de compassion, ait pu vouloir finalement offrir quelque temps plus tard un statut social à l’employée de sa famille qu’il devait particulièrement trouver à son goût. Ce qu’il prouvera un peu plus encore au moment des épousailles de Magda et de Quandt en adoptant sa belle-fille, alors qu’il était toujours persuadé que la petite n’était pas de lui. La grossesse qu’Auguste lui avait dissimulée, de peur de perdre sa place et sûrement pour ne pas créer d’ennuis à ce gamin responsable de la chose, étaye cette dernière affirmation, car la mère de Magda Goebbels était une cocotte 8 et elle apparaît, dans l’ensemble des témoignages recueillis, sous les traits d’une « Dame aux camélias », profiteuse, désireuse de se mettre à l’abri. Ce que confirme sa volonté de divorcer d’un Richard Friedländer défait par les événements peu de temps après leur installation à Berlin en 1914. Ces choix sont ceux d’une mère qui aura toujours recherché le meilleur partenaire masculin possible pour elle sur l’instant, et qui « aura su » inculquer à Magda des notions que « le nazi féminin » exploitera sa vie durant. On devine toutes les conséquences que cela a pu avoir sur l’existence future de cette dernière et sur celle des malheureux amenés à croiser son chemin par la suite. En contribuant ainsi au façonnage d’un être froid appelé à devenir une redoutable perverse narcissique 9. A propos de ce lien de paternité tardif revendiqué par Richard Friedländer sur la fin de ses jours, que pourrait-on dire de plus à ce sujet, qui aiderait à comprendre les raisons pour lesquelles il aurait prétendu être le père de Magda ? Se sachant condamné à la déportation, aurait-il voulu compromettre sa fille adoptive devenue une nazie confirmée en révélant cette paternité, lui précisant qui elle était ? C’est possible. D’ailleurs, pour revenir à cette histoire de paternité, assumée ou pas, pour quelle autre raison que celle de ne plus vouloir être associée à un Juif, Magda aurait-elle accepté en 1908 de prendre le nom de Friedländer, avant de rejeter son père, puis en participant, involontairement et par le truchement de sa mère chez Schwäbische Illustrierte , à une affaire tenant plus du conte de fées que de la réalité ? Serait-ce parce que Richard Friedländer avait acquis ensuite un début de respectabilité en proposant à la famille Behrend de la suivre en Belgique, puis d’emménager à Bruxelles dans une résidence plus cossue en 1908 après son remariage avec Auguste ? Et donc à un moment où il entrait dans les plans de Maman Behrend ?

Les chiens ne faisant pas des chats, Magda se sera toujours efforcée sa vie durant, copiant sa mère, de ne conserver des liens qu’avec les puissants ou ceux ayant de l’influence ou des moyens matériels. Au détriment de tous les autres et des quelques pulsions sensuelles légitimes qu’elle ressentira ensuite pour les plus faibles, observant ensuite à leur égard un déni total, comme s’ils n’avaient jamais existé. C’est selon toute vraisemblance la raison qui explique qu’en 1920, au moment de son futur mariage avec le ventripotent Quandt, Magda ait éprouvé le besoin de demander une modification du registre des naissances ! Fallait-il abonder dans le sens d’une naissance soudain devenue légitime ? Peut-être. Plus sûrement en évitant de dire que juif, cela faisait tache sur un acte de naissance ! Ce qui a, semble-t-il, justifié les recherches opérées par l’historien Oliver Hilmes et ce permis de séjour démontrant bien la paternité de Richard Friedländer publié dans le média Bild Zeitung . Une thèse que soutient le bureau londonien du Jewish Chronicle .

7 Richard Friedländer reconnaîtra, bien plus tard, être le véritable père de Magda. 8 Une sorte de courtisane tantôt disponible, tantôt pas, que la famille de son futur époux Günther Quandt prenait pour une « Dame aux camélias ». 9 Un trait plus qu’une réelle pathologie, qui ne sera décryptée qu’à la fin du vingtième siècle par le docteur Marie-France Hirigoyen. Ce qui aura empêché bien des études réalisées depuis 1945 de prendre en considération un tel travers dont ont également souffert de grands leaders tels Staline, Gandhi ou… Hitler. La petite Magda Friedländer n’avait pas été reconnue dans sa personnalité propre et elle s’est donc donné l’illusion d’exister à travers les autres. 3 Ce choix de Friedländer de quitter l’Allemagne pour la Belgique peu de temps après la séparation d’Auguste et de Ritschel pour la rejoindre, ne manque pourtant pas d’étonner. Surtout de la part d’un homme que l’on estimait ne pas être le père de la fillette. Fait qui accréditerait la thèse défendue par Oliver Hilmes. Plus d’un demi-siècle après la disparition de la famille Goebbels dans le bunker nazi de Berlin, parlant de spéculation sur les origines paternelles de cette épouse dévouée (!!!) un média allemand Bild Zeitung est effectivement revenu sur cette affaire 10 , insistant sur le fait que la mère modèle 11 du Troisième Reich était bien la fille d’un Juif ! Diane Ducret dans son magnifique ouvrage consacré aux femmes de dictateurs publié en 2010 défendra cette thèse. Cependant, à propos de cette paternité de Ritschel et de Friedländer, beaucoup continuent encore à douter du nom du véritable père biologique de la fillette. En admettant cette paternité de Friedländer, que s’est-il donc passé pour que l’un des chantres de la famille aryenne idéale, puisse épouser en 1931 une femme, juive par descendance d’un père devenu bien encombrant ? Se serait-on rendu compte dans les années trente de quelque chose de dérangeant qui aurait incité les nazis à mettre au placard Richard Friedländer 12 ? Un placard d’où il sera tiré pour être finalement exterminé ! Car Friedländer, après avoir tout perdu à la fin des années vingt et être devenu caviste, voire garçon de café, et souvent en proie aux critiques de son épouse Auguste, avait été contraint de se reconvertir pour survivre. Avant d’être arrêté et déporté à Buchenwald pour avoir été « réfractaire au travail » et refusé un emploi en juin 1938. Et un Juif refusant du travail, ça n’était pas tolérable chez les nazis. Dans un rapport anonyme publié par l’historien allemand Guido Knopp, l’un de ses compagnons d’infortune survivant de Buchenwald, dira bien plus tard ce qui attendait les nouveaux venus, le plus souvent des médecins, des avocats, des commerçants ou des ouvriers d’un certain âge. « A leur arrivée dans le camp de concentration, ils passèrent sous une haie d’honneur de la pire espèce. Là encore, les SS les rouèrent à coups de poing et de pied. On les entassa dans une ancienne bergerie, où ils se retrouvèrent à cinq-cents. Ils n’avaient pas de place. Aucune table, aucune chaise, aucun lit n’avait été prévu pour eux. Ils devaient coucher la nuit à même le sol, ils ne pouvaient pas s’allonger, ils étaient beaucoup trop serrés pour cela. Au cours des premiers jours, les prisonniers n’eurent, ni la possibilité de se laver, ni celle de manger quoi que ce soit. Ils subirent en revanche des appels de plusieurs heures, des exercices militaires, des coups, la torture et la fustigation en public – il suffisait pour cela qu’un détenu soit surpris, par exemple, en train de fumer. Enfin, les prisonniers durent accomplir un travail d’esclaves dans les carrières et construire des routes, chaque jour de six heures à vingt heures, le dimanche jusqu’à seize heures. Lorsque nous nous rendions en colonnes à notre travail, nous avions parmi nous des hommes de soixante- cinq ans. Le SS, une canne à la main, nous poussait – ou plus exactement nous fouettait – vers notre nouveau lieu de travail, la terrible carrière. Là – alors que quatre-vingts pour cent d’entre nous n’avaient jamais accompli de travail manuel –, on nous chargeait sur les épaules des blocs de pierre d’un poids tel que, même des ouvriers aguerris avaient du mal à les porter. Certaines de ces pierres étaient si lourdes qu’il fallait les soulever à plusieurs pour les hisser sur les épaules d’un autre. Ensuite, ils devaient porter les blocs sur une chaussée située à environ mille-cinq-cents de là, elle aussi construite par les détenus. La chaussée montait en pente raide, et les sentinelles SS réparties sur le chemin nous harcelaient pour que nous avancions au pas de course. On nous donnait des coups de pied et des coups de crosse. Les vieux,

10 Dans son journal, Jpseph Goebbels avait écrit, en 1934, que sa femme avait découvert quelque chose de choquant sur son passé. Et ce ne pouvait être une recherche liée aux déclarations de Bella Fromm déjà publiées au moment de leur mariage en 1931. Etait-ce une référence à la découverte d’une liaison que sa mère avait eu avec Friedländer au début de l’année 1901 avant qu’elle épouse Oskar Rischel et qu’elle avait perçu toute jeune quand elle était encore au couvent ? 11 Le futur époux de Magda, le nazi , avait déjà mentionné dans son journal qu’une personne avait cru devoir alerter Magda sur le fait qu’il était lui-même juif, faisant référence à une lettre dans lequel il reconnaissait que son propre père en était un. Ce qui aurait été à mourir de rire si cela avait été le cas ! écrira-t-il. Il omettra cependant d’y rapporter que Friedländer, devenu son beau-père par alliance, lui aurait demandé une entrevue afin de plaider sa cause, mais sans qu’il accepte de le recevoir au Ministère de la Propagande. Une dernière précision qui a été apportée dernièrement par… l’un des petits-fils du père de Magda. Une demande qui sera, en revanche, suivie de la déportation à Buchenwald, sur ordre de… Joseph Goebbels. Un Goebbels qui a pu se souvenir de cet incident quand il a eu à « aryaniser » une propriété du Brandebourg, le château de Lanke, une demeure qui aurait appartenu aux industriels Friedländer-Fuld, des parents éloignés de Richard Friedländer, qui avaient fait fortune dans le charbon en Haute-Silésie et qu’ils avaient acquis de la famille royale prussienne. Elle deviendra la propriété des Goebbels en 1935, après l’arrivée des nazis au pouvoir. 12 En août 1934, dans son journal, Joseph Goebbels avait écrit que sa femme avait découvert quelque chose de choquant sur son passé. Et ce ne pouvait être une recherche liée aux déclarations de la journaliste Bella Fromm déjà publiées au moment de son mariage en décembre 1931. Etait-ce une référence à la découverte par Magda d’une liaison que sa mère avait eu avec Friedländer au début de l’année 1901 avant qu'elle ne rencontre Ritschel ? Ce qui accréditait les liens de paternité de Friedländer. 4 qui n’en pouvaient plus, étaient ceux qui souffraient le plus. Ensuite, à chaque fois, on retournait à la carrière au pas de course. Et le harcèlement reprenait ». Au mois d’octobre 1938, plus de cent détenus avaient déjà péri sous la torture. Les épidémies qui firent rage ensuite parmi les prisonniers exténués et mal nourris multiplièrent le nombre des morts. Friedländer ne survécut pas aux conditions de vie inhumaines qui régnaient. « Dégénérescence cardiaque suite à une pneumonie », telle fut la mention lapidaire portée sur son certificat de décès le 18 février 1939. Les sbires du régime l’avaient torturé à mort. Il n’avait qu’un peu plus de 57 ans et trouva son dernier repos dans une tombe anonyme du cimetière juif de Berlin-Weissensee.

Selon un observateur avisé, toutes ces attitudes intéressées de la mère de Magda pourraient trouver une autre justification et le fait que celle-ci aurait été jalouse de l’amour que Richard, le père présumé et son beau-père Oskar, offraient à sa fille Magda. Auguste, trop préoccupée par les aspects sécuritaires, avait- elle subi plus jeune, des manques affectifs importants qui auraient pu entraver son développement et l’empêcher, plus tard, de se comporter normalement avec sa fille ? Seconde question : aurait-elle mis au monde en novembre 1901 une enfant qu’elle ne désirait pas, une sorte de progéniture de la honte ? Ou plus simplement, parce que c’était un être égoïste désireuse de mener la grande vie sans avoir de charge de famille ? Dans un média, Diaz Villanueva, évoque une incapacité à prendre en charge les réels besoins humains de Magda, besoins assumés ensuite par Oskar Ritschel, Richard Friedländer et par des instituts éducatifs catholiques coûteux. Lorsqu’elle parle de la communion de Magda baptisée dans la religion catholique, Anja Klabunde évoque 13 cependant une volonté, celle qu’il y a eu d’enseigner à la gamine 14 les particularités des deux courants, catholique et juif, auxquels appartenaient les deux hommes dont sa mère avait été proche. Sûrement pour que la petite puisse ensuite choisir la religion à laquelle elle appartiendrait. C’est l’un des seuls points positifs relevés à mettre au crédit de cette « maman intéressée ». Trois ans après leur mariage de la fin de l’année 1901 ou du début de l’année 1902, les époux Ritschel choisiront néanmoins de divorcer, contraignant Magda à rejoindre quelque temps plus tard son prétendu « premier beau-père » Oskar à Cologne, avant que celui-ci parte vivre et travailler à Bruxelles, scolarisant par obligation sa « belle-fille » Magda à l’institut catholique Thild 15 . Hans-Otto Meissner 16 , le biographe de Magda, dira à propos de cette séparation d’Auguste, qu’Oskar avait trompé sa « Dame aux camélias » et que celle-ci, le cœur brisé, n’avait pas voulu lui pardonner son « extra », demandant inévitablement le divorce. Reconnaissant ses torts, le docteur Ritschel acceptera d’octroyer une pension à la jeune femme et de lui laisser la garde de la fillette, montrant qu’il était effectivement un galant homme, surtout s’il était convaincu en parfait cocu que la gamine n’était pas de lui. Cette scolarisation de Magda opérée dans le plus grand secret, sera effectuée sans qu’Auguste Behrend, qu’il venait de quitter, en soit informée. Oskar avait-il voulu subitement soustraire cette fillette qui n’était pas de lui à un entourage familial qu’il jugeait ne pas correspondre à ce qui était préférable pour l’enfant ? Sans doute n’avait-il pas complètement tort, en dépit du fait que cet institut Thild n’ait pas eu les qualités d’un très bon pensionnat ! Du moins était-ce l’avis de sa mère. A un point tel que, choquée par le misérabilisme des lieux, celle-ci décidera de confier l’enfant aux Ursulines de la Vierge Fidelis de Vilvoorde. Parce qu’à Thild, toutes les filles dormaient en effet dans une sorte de grand dortoir où se trouvaient des rangées de lits, sans aucune séparation entre eux. Et qu’en hiver, on y souffrait du froid et des courants d’air passant par les jointures de fenêtres en mauvais état. Ritschel trouvait-il la fillette trop difficile à élever pour l’avoir si vite confiée à une institution catholique comme Thild, alors que ses activités le poussaient à s’absenter de chez lui assez souvent ou était-il désireux, lui aussi, de rester libre sans se lier les mains à une gamine et une Magda qui semblait déjà avoir un « certain tempérament » ? Ce que confirme le biographe Hans-Otto Meissner quand il raconte comment la petite avait choisi de grandir entre deux pères, apprenant de très bonne heure l’art féminin d’évoluer entre deux hommes de caractère différent, un art qu’elle mettra à profit en véritable virtuose.

13 Page 18 d’un ouvrage consacré à Magda Goebbels. 14 On dira ce jour-là de Magda qu’elle avait ressemblé à « une jeune mariée » ! 15 Alors que Ritschel prétendait, lui, avoir scolarisé Magda aux Ursulines de Vilvoorde. 16 Hans-Otto Meissner était le fils de Otto Meissner, le secrétaire d’état et chef de Chancellerie de Paul von Hindenburg. Employé à des fonctions de représentation par les nazis en 1933, il sera acquitté par les Alliés en 1945. 5 On raconte à ce propos quel aura été le long voyage d’une gamine en train et son arrivée chez Ritschel en 1905 à Cologne, alors qu’on avait confié la petite de quatre ans à un contrôleur et qu’on lui avait mis autour du cou une pancarte pour qu’Oskar puisse l’identifier plus facilement à son arrivée en gare. Sans oublier cette bouteille de lait que la fillette n’aimait pas et qu’elle jettera par la fenêtre du compartiment, laissant supposer qu’elle en avait tiré profit. Donner l’impression et faire comme si… En route vers la Rhénanie, la petite n’imaginait probablement pas qu’elle serait amenée à partir un peu plus tard, en direction de la Belgique cette fois, et à s’adapter à une toute nouvelle institution religieuse. Cette relation entre Oskar et sa « présumée fille » attendra quelques années, avant que la gamine ne se rapproche vraiment de Ritschel et qu’un lien s’installe entre eux deux.

Laissée seule dans cet institut catholique bruxellois et privée de tout soutien affectif, la petite Magda a dû compenser dès l’âge de quatre ans un certain nombre de manques en se recroquevillant sur elle-même, faute de pouvoir demander de l’aide à un entourage peu disposé à l’aider. Oskar, son père présumé de l’époque, ne venait-il pas de la priver de repères alors qu’elle commençait à prendre des marques loin d’être les meilleures, ni celles susceptibles de convenir à une fillette de cet âge ? Dans un monde d’adultes qu’elle a semblé ne pas comprendre immédiatement, ce qui a été très vite important pour la gamine, a été de pouvoir avancer en s’appuyant sur ceux qui, aux responsabilités et où qu’elles se trouvent, disposaient d’une sorte de pouvoir. Une habitude qu’elle prendra par la suite régulièrement, elle aussi, afin de se « mettre à l’abri ».

2.

Richard Friedländer, le nouvel époux de la mère de Magda, était un très riche magnat opérant dans le domaine du cuir dont les affaires avaient rapidement prospéré 17 . Après qu’il eut enfin accepté une paternité qu’il donnait le sentiment de ne pas avoir voulu assumer, lui non plus, à la naissance de la fillette, si du moins il en avait été informé – ce qui n’est pas certain – l’enfant adoptera son patronyme. Très chaleureux, il lui apportera néanmoins très vite beaucoup de tendresse, sans imaginer que celle-ci refuserait d’intervenir vingt-cinq ans plus tard auprès des nazis et de son époux, alors qu’on le déportait à Buchenwald. A propos de ce changement de patronyme, subsiste une inconnue de taille soulevée par Hans-Otto Meissner et Erich Ebermeyer dans une biographie. Celle que la gamine s’appelait Magda Ritschel au moment du remariage de sa mère, alors que ce dernier ne l’avait pas reconnue à sa naissance. On prétend que Friedländer n’aurait surgi dans la vie de Magda qu’au moment du remariage en Belgique de sa mère, en 1908. Pourtant, une religieuse belge 18 , qui avait été son professeur lors de son arrivée aux Ursulines de Vilvoorde en 1906, se souvenait toujours à 85 ans s’être occupée de la petite Magda Friedländer ! Un témoignage important, semble-t-il sous-estimé par tous ceux désireux de faire de Oskar Ritschel « le vrai papa » au détriment du seul Richard Friedländer. Car pour que l’enfant ait porté le nom de ce dernier à son entrée au couvent belge, deux ans avant le remariage d’Auguste, c’est qu’il ne devait pas être étranger à la naissance de la gamine. Et cela tend à prouver qu’Auguste avait quitté Berlin pour la Belgique. Si cela n’avait pas été le cas, pour quelle raison aurait-elle laissé l’enfant à Vilvoorde, sans tenter de lui trouver un lieu d’accueil en Allemagne ?

A l’institution des Ursulines de la Vierge Fidelis de Vilvoorde, on disait d’une Magda âgée de cinq ans, qu’elle était agréable, et déjà très mûre, capable de jouer du piano et d’apprécier de visiter un musée en compagnie d’une enseignante. Parce qu’il fallait commencer à tromper son monde en flattant ceux qui détenaient le pouvoir, ne serait-ce qu’en leur donnant le sentiment de pouvoir éprouver quelque chose pour eux, tout en en respectant ce qu’ils étaient et leurs affinités. Ce comportement de la fillette lui vaudra d’être très vite remarquée et de se distinguer des autres petites pensionnaires. Il est probable que Magda soit restée plusieurs années dans cet institut catholique de Vilvoorde, et au moins jusqu’à sa communion, avant de trouver à gagner un autre institut situé près du nouveau domicile bruxellois d’Auguste et Richard Friedländer. Jusqu’à son départ de Bruxelles pour Berlin, en 1914.

17 On dit aussi que l’homme aurait été directeur d’hôtel, voire fourreur .

6 C’est dans cet autre institut que Magda aura l’occasion de poursuivre ensuite sa quête de savoir, seule, le soir, dans la cabine d’un grand dortoir, derrière les rideaux bordant son lit. A l’abri du regard des autres et en apprenant à imposer à son corps, des choses que le monde des bien-pensants estimait défendues. A plus forte raison au cours de ces années-là ! En étouffant ses cris, et, tout en restant aux portes de ce qu’elle estimait admissible, ayant le sentiment de s’embarquer pour des univers autrement plus épanouissants que ne l’était la triste existence à laquelle elle était confrontée depuis sa venue au monde. Un monde de véritable castration au sein d’un environnement où le mensonge était monnaie courante et où l’on faisait semblant, de peur de choquer des opinions trop souvent conventionnelles. Un monde où tout poussait à mentir et où l’intimidation des plus jeunes était un moyen de mieux les tenir en laisse. D’autant que la petite Magda était déjà en révolte. Du moins s’il faut en croire certains observateurs. Sans être vraiment malheureuse, pourquoi aurait-il fallu qu’elle réprouve ce qu’elle ressentait et qu’elle mette un terme à de tels besoins de liberté ? Qu’elle n’admette pas des penchants ne demandant qu’à être mieux cernés pour qu’elle comprenne ce qui était en elle et qui, à force d’être réprimés, l’amenaient à brûler de l’intérieur ? Surtout dans un monde monacal où l’on forçait justement les petites pensionnaires à se baigner à jeun dans une eau froide 19 , dès les premières heures de la journée, en leur refusant la possibilité d’enlever leur chemise de nuit, certainement afin d’éviter toute concupiscence et que les gamines s’amusent à faire des comparaisons hasardeuses entre elles. L’ex Auguste Friedländer racontera, toujours en 1952 à Schwäbische Illustrierte 20 comment elle s’était organisée afin de faire parvenir à sa fille quelques morceaux de chocolat, que celle-ci croquait avant d’entrer dans l’eau froide pour éviter de défaillir.

La jeune fille, ne se liant pas facilement à cause d’un manque évident d’empathie, venait de se découvrir une certaine sensualité à douze ou treize ans. « Elle était intelligente, active, douée et précoce ». C’est du moins ce que disaient d’elle ceux qui l’encadraient ! Bien qu’entre deux ave et trois pater , on n’eût pas forcément parlé de ressentis contraires à la bienséance, ni de masturbation 21 quand on reconnaissait avoir commis des péchés et, pire, d’en avoir tiré un sentiment de bien-être. Passionnée par « l’art d’avoir toujours raison », elle avait, dira-t-on, un goût pour Schopenhauer, glorifiant au passage, bien plus la volonté que la raison. Mais la raison, la gamine en était-elle déjà suffisamment pourvue, elle qui dévorait des quantités d’ouvrages afin d’obtenir des réponses à ses multiples interrogations ? Au détriment d’autres activités ? En tout cas, et la suite le prouvera, il fallait savoir se faire violence au nom d’une volonté clairement affichée, et écarter ce qui aurait pu être ou était gênant. Tout en se rapprochant de l’autorité en place et des responsables de l’institut catholique, ou des enseignantes. Cette dévotion face aux plus puissants, qui avaient forcément raison, et une haine à l’égard des plus faibles n’ayant qu’un seul tort, celui de l’être, ont, semble-t-il, trouvé un fondement au cours de ces années-là. L’ambassadeur de France en Allemagne nazie André François-Poncet, après avoir croisée Magda Goebbels à une reprise en 1932, reconnaîtra devant la journaliste Bella Fromm qu’il n’avait jamais vu chez une femme des yeux et un regard aussi froids ». C’est dire si la dame en question était loin de l’image chaleureuse qu’elle brûlait de donner d’elle en société en usant de tous ses charmes et en ayant recours sur la fin à la présence près d’elle des six enfants qu’elle avait mis au monde, plus pour des raisons de propagande orchestrée par son diablotin d’époux, que parce qu’elle avait envie d’avoir autour d’elle plusieurs enfants de lui ! Car, que n’aurait- elle pas fait au nom de la propagande nazie ? C’est d’ailleurs au sein de ce pensionnat des Ursulines que lui seront enseignés le maintien ou le contrôle de soi, ainsi que la façon de faire face aux peurs que l’on est censé éprouver face à la difficulté, Ne fallait-il pas apprendre à bien se tenir en société, sans appeler à l’aide à chaque instant ? Question d’orgueil.

Alors que le couple Friedländer vivait dans une maison flamande de la Hortensienallee d’une très coquette banlieue bruxelloise, la petite famille sera contrainte comme d’autres ressortissants allemands de quitter la Belgique à la fin de l’été 1914 dans des conditions pour le moins difficiles. Il fallait y voir là les conséquences d’une offensive allemande brutale en Belgique dès le début de la guerre. Le déferlement

19 Ce sera vrai à l’institut de Bruxelles. 20 Dans un opuscule intitulé : « Ma fille Magda Goebbels ». 21 Cela n’a jamais été évoqué jusqu’ici mais cela se réfère aux observations plus retenues formulées dans d’autres travaux. 7 d’un million de soldats allemands sera la cause, dès le début des hostilités, de pillages, d’incendies et de viols dont sera victime la population belge. Cette vague haineuse et anti-allemande dans le pays verra la famille Behrend regagner l’Allemagne, entassée au beau milieu d’exclus, et pendant plusieurs jours sur la fin de leur périple, dans un wagon à bestiaux 22 pareils à de vulgaires criminels. Un événement marquant profondément une adolescente qui n’avait alors que treize ans et qui sera un peu plus tard, selon toute vraisemblance, à l’origine de son mépris pour un « père » dont on avait mis sous séquestre la plupart des biens, et qui n’avait pas su trouver de quoi acquitter le prix de leurs billets de train. Elle qui avait longtemps accepté de lui sa complicité et sa tendresse, et qu’il lui enseigne l’hébreu. A Berlin, où ils occuperont quelque temps une pièce dans une villa de la Hollenstraße, sans pouvoir y préparer de vrai repas, la gamine sera confrontée à une véritable période de misère. Durant son existence, elle s’efforcera ensuite d’oublier le cauchemar vécu, ponctué de semaines et de semaines de disette. Passeront ainsi environ deux mois, qui verront Magda n’attendre qu’une seule chose, celle de pouvoir enfin gagner son nouvel établissement scolaire, afin d’échapper à un tel cadre.

C’est au Kolmorgensche Gymnasium 23 , d’un pensionnat de jeunes filles de la Keithstraße de Berlin où elle avait été admise, que Magda s’est une première fois liée d’amitié. Filles d’émigrés, Lisa et Dora Arlosoroff étaient des réfugiées ukrainiennes traversant comme elle une sorte de déracinement, alors que d’autres échanges n’avaient guère été privilégiés jusqu’alors par une adolescente dans les écoles qu’elle avait fréquentées. Lisa était, comme l’étaient Magda et les siens, confrontées à la misère et aux interminables files d’attente permettant aux plus déshérités de se procurer l’essentiel. Une profonde amitié unira les deux filles. Est-ce le fait de partager à Berlin une pièce dans cette villa qui a aidé Magda à admettre ce rapprochement ? C’est possible. Cela malgré l’obligation d’aller quémander des repas à la soupe populaire de la Croix Rouge et de faire la queue pendant des heures, pour tout simplement manger et se procurer un peu de pain, souvent un ensemble ressemblant à du seigle mélangé à une sorte de sciure particulièrement indigeste. Les fonds de Friedländer placés sous séquestre dans une banque bruxelloise, y resteront en grande partie, définitivement sans que l’on en connaisse les raisons exactes. Dans l’incapacité de retrouver la jouissance d’une grande partie de ces biens confisqués, ce sera aussi le début de la fin, Friedländer étant contraint, à trente ans passés, d’accepter des travaux peu glorifiants, toujours face à un antisémitisme croissant. Il sera par exemple caviste chez Mitropa en 1919. Une dégringolade aidée, par le divorce qu’Auguste, la mère de Magda, demandera au même moment, soucieuse de se préserver des malheurs risquant de toucher son petit univers, son époux Richard Friedländer étant devenu un être infréquentable ! Juste au moment de l’inscription de Magda à l’école de Goslar en basse-Saxe ! Ces échanges avec Lisa Arlosoroff auront lieu au sein d’un groupe de lycéens « Libération de Sion » où les deux jeunes filles avaient sûrement commencé à papillonner. Surtout Magda. Ils seront facilités par l’emménagement, en 1915, dans un nouvel appartement que les Friedländer avaient pu trouver après avoir récupéré une petite partie de leurs avoirs belges et situé à proximité de l’endroit où demeuraient les Arlosoroff. La fille d’Auguste y tombera alors amoureuse du frère aîné de Lisa, un jeune Russe juif d’extrême gauche Victor, que les jeunes filles surnommaient Vitaly 24 , un garçon de quinze ans baptisé par la suite du nom de Chaïm, acquis aux théories sionistes qui le verront œuvrer et militer en faveur de l’implantation d’une colonie juive en Palestine. Au nom de l’envie de parvenir à sauver l’impossible dans un monde où les siens se sentaient de plus en plus en danger. Victor représentait tant de choses pour une Magda habitée par ce souhait de se rapprocher des plus puissants ou de ceux projetant de le devenir. Et, s’il ne l’était toujours pas, il était déjà fort grâce à des convictions, sachant ce qu’il voulait et quelle route il se devait d’emprunter pour faire son chemin et se réaliser. C’était rassurant pour ceux qui le côtoyaient et qui s’appuyaient sur lui.

22 La biographe Anja Klabunde évoque l’absence de moyens pécuniaires pour justifier ce voyage entrepris en grande partie dans ces wagons à bestiaux, un déplacement pris en charge par les autorités allemandes. 23 Il ne serait pas impossible que la célèbre cinéaste Léni Riefenstahl ait fréquenté, un an plus tard, le même établissement de la Keithstraße que Magda. 24 Le diminutif russe de Victor. 8 Il serait presque amusant, après la rencontre de Magda et de Victor Arlosoroff, à un moment où le couple Friedländer n’avait pas encore volé en éclats, d’imaginer qu’on ait pu manger casher au sein de la petite maisonnée d’Auguste et de Richard. Cela en dit long sur la constance des sentiments éprouvés par la mère de Magda. Un bon exemple pour elle ! Cette rencontre, certains observateurs proches de Arlosoroff, ne la prennent toujours pas en considération, parce qu’elle n’aurait pas, d’après eux, été suffisamment démontrée.

Petit-fils de rabbin, Victor, en voulait aux Russes d’avoir opprimé les siens, et il avait été près de s’engager dès 1914 dans le conflit en qualité de combattant allemand volontaire. Pour se venger, et cela est surprenant, vingt ans avant l’arrivée des nazis aux responsabilités. Seulement la situation d’un jeune homme n’ayant pas réussi à obtenir la nationalité allemande était assez critique et sa famille avait failli être expulsée. Ce sera un tournant, car il emploiera dès lors son énergie à servir la cause du sionisme. Du haut de ses dix-sept ans, Victor attirait l’attention des jeunes filles et Magda n’était pas la dernière à avoir été troublée par son air volontaire ! Elle, qui savait à présent que son corps était sensible au plaisir et qui avouera plus tard 25 le nom d’un autre flirt du nom de Walter, un jeune étudiant plus âgé qu’elle ! Un garçon un peu hésitant dont elle attendait qu’il la brusque par une véritable attitude d’homme, pareillement à Victor quand il l’avait prise la toute première fois sans préambules. Romantique sans personnalité affirmée, loin de braver tous les interdits, et éprouvant des sentiments ne parvenant pas à réchauffer une jeune fille comme la demoiselle Friedländer, les deux jeunes gens n’échangeront que des mots doux et des poésies. Alors que Magda attendait visiblement autre chose d’un garçon n’osant pas aller jusqu’au bout de ses envies. Elle s’en persuadera dès que la bouche de Victor se posera sur la sienne, sans pour autant avoir pu donner sur l’instant un nom à ce qu’elle avait ressenti lors de leur premier accouplement. Juste après s’être blottie contre lui pour se rassurer, l’invitant à la prendre. Cette sensation de ne plus faire qu’un dans un échange, c’était... Il y avait l’haleine de ce garçon sentant si bon le tabac. Capable de jouer de grands airs au piano et appréciant la musique, il est vrai que c’était un très bon orateur et qu’il savait se faire remarquer en public à défaut d’être, au départ, un très bel homme. Une grosse bouche prometteuse et affectueuse, un visage mangé par de grosses lunettes, des cheveux frisés et un physique ingrat, avaient fait assez vite de Victor un homme que des événements subis transfigureront très vite. Ses indéniables facultés oratoires, plutôt un gage de réussite aux yeux d’une Magda fascinée, ont fait qu’elle a visiblement eu envie de lui dès leur rencontre. A cause, probablement aussi, de cet air belliqueux que le jeune homme savait cacher pendant l’amour. Elle ne tardera pas à devenir à ses côtés une amante brûlante et à profiter de leurs tendres apartés. Au risque d’être parfois surpris par leurs proches quand ils se réfugiaient dans la première pièce venue pour donner libre cours à leur passion. Surpris et qui sait peut-être condamnés, même si l’une des deux sœurs de la jeune fille, Lisa, comprenait ce coup de cœur entre son frère et elle. Mais que leur auraient-ils avoué ? Qu’ils s’aimaient ? Comme si on pouvait être sûr d’un sentiment tel que celui-là à quatorze ou quinze ans ? Et qu’elle, Magda, venait de découvrir un moyen infaillible auquel elle fera souvent appel, celui propre à chacune des séductrices lorsqu’il faut se lancer dans une conquête afin de tirer d’un rapport affectif une sorte de quintessence. Et puis, l’envie de parvenir sous les caresses à une sorte de fol exutoire, à un échange réciproque, était-ce condamnable ? Elle se refusait à le croire et à accepter d’entrer dans un processus synonyme d’étouffement. Tout autant qu’elle avait refusé de se sentir coupable plus jeune, quand elle se donnait du plaisir, seule le soir, derrière les rideaux de sa couchette au sein du couvent des Ursulines de Vilvoorde. L’étouffement, il en sera pourtant très vite question, sa mère Auguste n’appréciant pas les Arlosoroff. Du moins les tout premiers temps s’il faut en croire les commentaires repris sur le journal intime de la jeune fille, sa mère trouvant qu’ils avaient une mauvaise influence sur elle.

3.

25 Dans les toutes premières biographies consacrées à Magda par Hans-Otto Meissner dès 1961, Victor Arlosoroff n’était pas encore apparu comme l’un des personnages essentiels de l’existence de la demoiselle Friedländer. Il n’apparaîtra dans l’existence de la jeune fille qu’après le décès d’un condisciple de l’étudiant sioniste Max Flesch en 1967. Révélations dont s’est servi Anja Klabunde pour étoffer son document publié en 2006 chez Tallandier sans évoquer cependant ce Walter. 9

Si Magda l’avait toujours appelé Papa, Oskar sentait bien qu’une distance s’était installée entre eux deux tout au long de ces années. Répugnait-elle à évoquer quelque chose qui l’aurait tourmentée, ou à s’ouvrir à lui d’un poids, voire peut-être d’une divergence avec sa mère ? C’est vrai que conséquence de ses multiples activités, ils étaient longtemps restés sans se voir ! Et s’il n’y avait pas eu cette proposition de l’accueillir durant de courtes vacances scolaires, ils auraient sûrement encore dû attendre. Cependant, s’ils s’étaient plus trouvés que retrouvés, force était de reconnaître qu’il leur avait manqué à l’un et l’autre cette chaleur communicative propre à une fille et un père, adoptif ou pas. L’affaire avait d’ailleurs eu du mal à se conclure, Auguste craignant de confier l’adolescente à un homme dont elle semblait toujours se méfier. Malgré l’insistance de Magda d’entreprendre un tel voyage et son envie de découvrir un univers des élites qu’elle ne connaissait pas ! A tel point que, faute d’être parvenus à s’entendre, la gamine n’avait trouvé personne à son arrivée à la gare de Cologne, et qu’elle avait dû se débrouiller pour qu’un proche d’Oskar vienne l’y cueillir.

La mémoire d’Oskar s’alluma. Il revit un instant le visage poupon de la petite que sa mère avait voulu lui laisser et bouleversée à son arrivée en gare de Cologne, quelques années plus tôt. Il faut dire que ce grand panneau que son ingénieuse mère avait placé autour de son cou n’était pas une très bonne idée et qu’elle avait dû provoquer un début de révolte chez l’enfant. Marquée comme un bétail mené au foirail aurait pu l’être, la gamine n’avait pas dû échapper à l’attention de grand monde dans ce train et Oskar n’aurait jamais pu la rater ! Même dans cette immense gare ! L’homme d’affaires revit aussi le départ de la petite qu’il n’avait pu garder chez lui et qu’il avait dû placer quelques semaines plus tard en pension chez Thild, à un moment où il avait été contraint de quitter son domicile de Rhénanie. Elle était déjà secrète, repliée sur elle-même. Plusieurs années venaient de s’écouler qu’il n’avait pas vu passer et voilà qu’il accueillait à présent une vraie femme. La femme que cette gamine était devenue, susceptible de comprendre davantage de choses que cela n’avait été le cas jusqu’ici. Car ils avaient tant de choses à évoquer ensemble. Qu’est-ce qu’il avait regretté d’avoir dû se séparer d’Auguste, et ce vertige pour une autre femme à laquelle il n’avait pas su résister ! Est-ce que son épouse n’en n’avait pas rajouté au passage, désireuse de se venger avec ce divorce, parce qu’il n’avait pas voulu reconnaître la petite à sa naissance ? Combien de temps se l’était-il demandé, sans pourtant avoir regretté d’avoir ainsi tranché ? Mais puisqu’il savait ne pas être responsable de cette naissance, pour quelle raison aurait-il fallu qu’il accepte d’endosser une telle paternité ? S’il fallait en croire Auguste, la fillette n’en n’avait jamais rien su. Oskar était donc resté « le papa », un papa qui avait quitté leur domicile et plus un tuteur de circonstance régulièrement absent et occupé, qu’un véritable père. Ce qu’il était grandement temps de rattraper grâce à ce séjour en attendant, qui sait, de rattraper ensuite le reste.

Profiter de cette offre de son beau-père Oskar en vue de le rejoindre à Bad Godesberg où il demeurait depuis son retour de Belgique et où il exploitait une usine, Magda avait voulu y répondre. Et puisque son amoureux était de plus en plus occupé par son idée de départ pour la Palestine, pourquoi l’adolescente n’aurait-elle pas saisi une telle occasion ? Mettre un terme à leurs rencontres et laisser Victor s’envoler vers d’autres horizons après avoir perdu sa virginité et connu l’amour dans ses bras l’interpellait pourtant toujours autant. Fallait-il qu’elle renonce à son intention d’accompagner l’élu de son cœur en Palestine ? Plus qu’un caprice de jeune fille, c’était un véritable quitte ou double que de s’éloigner ainsi de lui même pour quelques semaines ! Au risque d’être malheureuse, maintenir au fond d’elle ce lien caché et ce que les deux jeunes gens avaient créé durant leur adolescence, cela ne faisait-il pas déjà partie du passé, malgré le ressenti de ces ondes de plaisir qui la traversaient quand elle pensait à lui ? Les questions à l’origine d’un changement radical de cap de l’intéressée resteront nombreuses. Lorsque ses relations se « nazifieront », et qu’elle se sera mise à rechercher d’autres définitions de ce que pouvait être une puissance conférant le pouvoir dont elle rêvait, Magda songera souvent à cette envie de Palestine. Encore toute habitée par sa liaison récente, la jeune fille aura chez « son père adoptif » la possibilité d’avoir une meilleure idée de ce que pouvait être le monde des affaires où Ritschel évoluait en qualité de créateur émérite. C’est du reste au terme de ce séjour chez lui que Magda a semblé trouver sa voie et choisi, dès lors, de se lancer à la conquête d’un monde fait de puissance ! Tout en découvrant 10 progressivement les élites et les nombreux contacts de l’entrepreneur, et en se donnant les moyens d’y accéder grâce à l’aide de celui-ci. Ce choix passant par une contribution d’Oskar à des études que l’adolescente se devait de faire, il prit aussitôt la décision de proposer à son ex-épouse de prendre en charge celles-ci. Puisque c’était le souhait de l’adolescente et qu’ils en avaient mesuré ensemble l’importance, il se devait d’intervenir sachant que les père et mère de Magda traversaient une mauvaise passe depuis leur départ de Belgique et leur installation à Berlin. Restait à savoir sous quelle forme Magda pourrait poursuivre ces études, après avoir brillamment réussi son Abitur 26 à l’âge de dix-huit ans. Refusant de rejoindre sa mère sur la nécessité de fréquenter obligatoirement l’université, ce qu’elle désirait elle, c’était d’accéder rapidement à des responsabilités au sein de ce monde entrepreneurial découvert chez son père adoptif à Bad Godesberg. Une envie la poussant à s’intéresser à tout à fait autre chose que la créativité, et plutôt aux hommes, sachant ce que le mot « pouvoir » dont certains étaient porteurs pouvait revêtir comme signification. Quelle que soit leur apparence, ce que la suite prouvera. Seulement, dans cette Allemagne livrée à elle-même, au terme d’un conflit semblable à celui dont elle était sortie diminuée en novembre 1918, après l’abdication du Kaiser Guillaume II, très peu d’établissements étaient en mesure de proposer de tels séminaires de formation. C’est donc au prestigieux collège Holzhausen Dames de Goslar, en basse-Saxe, que Magda choisira d’entrer. Une école de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie où l’ambiance de serviabilité et d’assouvissement était loin de convenir à une jeune fille révoltée, semblant prendre un malin plaisir à changer rapidement d’avis et de goût. D’autant que l’on y dispensait des formations de ménagère, qui ne constituaient pas l’objectif premier de Magda. Grâce à une aide de quelques trois-cents marks qu’Oskar Ritschel lui octroiera, elle s’y inscrira cependant, se pliant assez vite à une nouvelle existence. Cela n’avait-il pas déjà été le cas à Vilvoorde puis, ensuite, à Bruxelles chez les Ursulines ?

Alors qu’il se sentait toujours coupable de s’être un peu éloigné de l’adolescente, on aurait dit qu’Oskar avait éprouvé sur le tard une sorte de besoin d’apporter son aide à cette petite à laquelle il avait fini par s’attacher. D’une vivacité d’esprit rare pour une gamine de son âge, l’adolescente était devenue une interlocutrice évidente, et il était sur le point de nouer une relation constructive avec elle, que ce soudain intérêt pour le bouddhisme, sa passion à lui, amplifiait. Même si elle donnait le sentiment de savoir tout mettre en œuvre, quand il s’agissait de plaire ou d’arriver à ses fins, en étant assez incisive. « Je suis, avait-elle dit un jour à Oskar, une sorte de tuyau d’arrosage qui n’arrête pas de répandre autour d’elle une eau bienveillante. Du moins, tant que les gens ne me déçoivent pas ! » réflexion qui aurait dû interpeller le « père adoptif » de l’adolescente. Un autre jour, alors qu’ils étaient en villégiature quelque part et qu’ils se trouvaient tous les deux au bord d’une falaise abrupte après avoir gravi une pente escarpée, elle l’avait surpris avec un : « Tu vois papa, c’est comme pour la vie, lorsque je serai arrivée tout en haut, je voudrais pouvoir tomber et disparaître, car j’aurai fait tout ce que je voulais ! »

Issu d’une famille d’ingénieurs, celui qui passe encore pour son vrai père, Oskar était un homme inventif qui avait bénéficié à la fin du XIX ème siècle d’une éducation pacifique au sein d’une Allemagne plutôt offensive. Un homme ayant aussi une idée différente des autres sur bien des points. Et notamment sur les aspects relationnels que devaient entretenir les êtres humains, parfois source d’émotions contradictoires difficiles à maîtriser. Des aspects qui l’avait amené à être sensible au bouddhisme, un courant de pensée, devenant au passage adepte d’enseignements qu’il imaginait plus axés sur l’espoir que ne l’étaient nombre de dogmes religieux. S’était-il convaincu, au-delà du propre dharma 27 qu’il avait choisi de suivre, que la pratique de ces enseignements de Bouddha, tels qu’ils lui étaient apparus, ne pouvaient qu’être propices au développement d’un être sensible à la non-violence ? Et qu’il convenait de se laisser porter par une certaine bienveillance envers les autres ? Tous les autres, quels qu’ils soient ? Lui, que l’on avait plutôt considéré être, jusqu’alors, compassé et assez froid avait, probablement, dû y trouver un complément aux courants de pensée religieux traditionnels qui lui avaient été inculqués dans la religion catholique par une famille très collet monté. Une sorte de justification à la voie qu’il avait

26 L’équivalent du baccalauréat. 27 C’est une pratique des enseignements de Bouddha, considérée comme une « protection ». 11 choisie. Mais le bouddhisme, était-ce une religion, ou n’était-ce pas, plus exactement, un courant de pensée philosophique ou un mode comportemental envers autrui et envers soi-même ?

Oskar n’avait pas toujours le sentiment d’y parvenir à persuader une jeune fille, à présent en âge de mieux comprendre un tel mode comportemental. On aurait dit que toutes ces précisions l’ennuyaient et qu’elle n’aspirait qu’à s’en soustraire quand il en évoquait l’importance. En laissant apparaître de temps à autre un mouvement d’humeur contenu ou en avouant avoir subitement envie d’autre chose, ou d’avoir oublié un point débattu auparavant. Car, en termes de bouddhisme, Magda était surtout captivée par la réincarnation des êtres et bien moins par la malveillance ou la bienveillance d’une attitude comportementale, ou la découverte de cet être profond qui était en elle. La jeune fille, très loin du moindre ressenti, s’était-elle déjà mise en tête de parvenir, un jour, à distribuer froidement et sans état d’âme, les bons et les mauvais points afin de se venger de tous ceux dont elle ne conservait pas un excellent souvenir ? Ce qu’Oskar n’aurait pu envisager, alors qu’il essayait de la pousser à harmoniser son corps et son mental. Etait-ce parce que Magda était imperméable aux règles les plus élémentaires de compassion qu’elle ne comprenait pas l’importance que pouvaient avoir dans un cheminement spirituel les actes, bons ou mauvais, qu’un être commettait ? Ou, s’agissait-il d’autre chose ? Le besoin, qui sait, de reconnaissance jamais assouvi d’une gamine ? La conséquence d’une enfance peu épanouissante qui lui avait échappé à lui, Oskar ? Quelque chose qu’elle avait subi après son départ à lui de Berlin, quand il lui avait fallu divorcer de sa mère Auguste pour partir sur Cologne, laissant une gamine si petite entre les mains d’une femme, plus irresponsable que réellement mère de famille ? Une femme profondément égoïste, incapable de s’occuper d’une fillette entre deux distractions en ville ou de pardonner un seul écart en ne pensant qu’à elle. Il avait pu en juger au moment où ils s’étaient séparés, ayant le sentiment que la petite affichait parfois une sorte d’anxiété à l’idée de parvenir à être aimée pour ce qu’elle était. Restait cet homme qui avait enfin accepté de reconnaître son enfant, cet ancien commerçant 28 avec lequel Oskar avait pourtant noué d’excellentes relations et qui avait réussi, lui, à s’imposer toutes ces dernières années dans leur cercle familial. D’abord en Belgique puis à Berlin, et dont il arrivait à l’adolescente de parler, alors que lui, Oskar, avait dû y renoncer après avoir longtemps cru aux sentiments de son ex-femme à son égard. Que l’existence était donc cruelle ! Mais l’important n’était-ce pas qu’il puisse rattraper le temps perdu, pour que celle qui était devenue « leur gamine » à tous les deux, ne manque de rien. Sans qu’ils s’attardent, avec Magda, sur les sentiments qu’ils éprouvaient ou avaient éprouvé pour une femme ou une mère comme Auguste. Lorsqu’il avait évoqué devant l’adolescente l’un des points du bouddhisme et ce qu’il convenait de tirer d’une telle philosophie, Oskar avait été clair. Combien de fois s’était-il trouvé personnellement face à des envies et face au doute, ne sachant pas s’il obtiendrait les choses auxquelles il aspirait ? Jusqu’à ce qu’il ait la conviction que l’aspiration, c’était de visualiser ce que l’on avait envie de voir se réaliser. Et puisque l’envie présente de la jeunette était de pouvoir aller vers le meilleur, elle devait s’en donner les moyens en imaginant avoir été satisfaite, qu’elle l’ait été ou pas. Puis ensuite, en parvenant à maîtriser ce qu’elle ressentirait au plan des émotions. Les bonnes autant que les mauvaises.

Et des émotions, il y en eut. Rapidement, et dès qu’elle eût intégré le collège Holzhausen, alors qu’elle semblait heureuse au retour de Goslar de retrouver tous ses amis voisins et un garçon qu’elle n’avait pu oublier. Victor, n’avait-il pas mis le feu en elle en lui prenant une virginité qui ne demandait qu’à être cueillie comme on cueillerait d’éternelles promesses ? Pourtant, elle savait en se donnant à lui, que le garçon n’était pas fidèle et qu’elle rejoindrait vite le lot de toutes celles qu’il avait déjà conquises ! Car Victor était un prédateur, mais un prédateur auquel elle aurait tout pardonné parce qu’il avait le don de rendre folles celles qu’il avait entrepris de charmer ! Seulement ce dernier, reprochant à Magda son manque d’implication dans la cause sioniste qu’il défendait, avait d’autres plans. Notamment parce qu’il avait choisi de lier son destin à une blondinette un tantinet insignifiante du nom de Gerda, qu’il avait connue à Königsberg avant de rejoindre Berlin en 1914 ! Il aura très vite un enfant de cette fille, au risque de voir exploser leur couple alors qu’elle

28 Richard Friedländer, son cadet d’une quinzaine d’années, avait pu trouver à Berlin un emploi, mais le couple qu’il formait depuis une dizaine d’années était au bord du divorce. 12 n’attendait que ces premières vacances avant d’aller plus loin dans leur relation même s’il ne lui avait rien promis ! Ce qui aura le don de mettre Magda de fort mauvaise humeur. Du moins jusqu’à ce qu’elle se décide à repartir pour Goslar.

Cette déception a-t-elle contribué à l’origine, dans un train se dirigeant vers la basse-Saxe, à une rencontre qui bouleversera la vie de jeune fille de Magda, dont la candidature de pensionnaire avait été acceptée l’année précédente à Goslar, à l’internat du collège Holzhausen, un collège où elle n’aura, en conclusion, guère l’occasion de s’éterniser une année de plus ? Au grand désespoir d’une mère n’ayant pas compris un tel revirement alors qu’elle avait eu toutes les peines du monde à la convaincre de s’inscrire à l’université 29 ? D’autant qu’elle s’y était parfaitement acclimatée ! En étant, une fois de plus, remarquée pour ses qualités d’adaptation. Et surtout par les enseignants et le personnel administratif de l’endroit, sans néanmoins susciter de la part des autres élèves d’oppositions envieuses. Ne fallait-il pas, une fois encore, flatter le pouvoir ? Parfois en se privant au passage et habilement, sans froisser quiconque, de quelques relations amicales, stratégie oblige.

4.

Racontée dans la plupart des récits revenant sur une jeunesse atypique, cette rencontre de la jeune fille qu’était Magda dès son retour vers Goslar, et de ce multimillionnaire qu’était Günther Quandt, a probablement bouleversé beaucoup de choses. En provoquant des montées d’adrénaline chez un homme recourant à des regards circulaires de voyeur pris en faute, et ne sachant plus ce qu’était une jeune femme un brin tentatrice ! Tentatrice et culottée ! Ce dernier, qui aurait pu être son père au vu d’un âge déjà avancé, se montrera cependant chevaleresque durant le trajet. A priori , cette jeunette donnant le sentiment de savoir ce qu’elle voulait et paraissant très précoce, plaisait au quadragénaire. Sans doute le manque d’expérience d’une gamine délurée, allié à un culot pondéré, donnait-il à celui-ci l’envie de se repaître d’une fraîcheur tentante à bien des égards. Et cet homme élégamment vêtu, pomponné et parfumé, disert, n’incitait pas à la répulsion. Malgré un embonpoint, quelques kilos superflus et une calvitie lui donnant plus d’une quarantaine d’années, l’homme en veine de confidences aurait assez facilement captivé un auditoire tant il avait de choses à raconter. Lui ôtant l’envie de préparer le prochain conseil d’administration auquel il avait prévu d’assister, l’adolescente se serait presque reprochée de l’avoir distrait. Magda acceptera donc de le laisser parler, soucieuse de le flatter sans paraître intéressée et sans admiration superficielle. Après tout, puisque l’homme était désireux de jouer les matamores… Un épisode que l’auteur Tobie Nathan s’est plu à évoquer en des termes d’une rondeur savoureuse dans sa quête de vérité 30 sur Arlosoroff, parlant des petites fesses d’une adolescente accoudée à la fenêtre du couloir d’un wagon, petites fesses dont on devinait la joufflure et dont la jupe remontée laissait découvrir de longues jambes délicates. Paraissant être d’une excellente famille, elle n’était pas fardée, en dehors d’un peu de poudre a précisé Hans-Otto Meissner. Des chaussures impeccables, un col blanc immaculé, pas de bijoux. Dans des souvenirs qu’il ne publiera pas après-guerre, l’industriel reviendra également sur cette rencontre. « […] Je finis par réaliser que j’avais devant moi une apparition extraordinairement belle : yeux bleu- clair, une belle chevelure blonde, un visage bien découpé aux traits réguliers, une fine silhouette. Nous parlâmes du théâtre à Berlin, de voyages et de choses qui intéressaient une si jeune fille. Le temps passa en un éclair. Lorsqu’elle descendit à Goslar vers une heure du matin, je l’aidais, m’occupais de ses bagages et eus ainsi l’occasion d’apprendre discrètement son adresse. Dès mon arrivée à Kassel partait, la nuit même, une première lettre pour Goslar. Je lui disais que sur le chemin du retour, je m’arrêterai vers quinze heures à Goslar, pour présenter mes hommages à la directrice de la pension en me faisant passer pour un ami de son père, et que je lui serais très reconnaissant de me faire savoir par lettre ou télégramme, si elle souhaitait recevoir ma visite… »

29 Magda ne voulait pas entendre parler d’université et avait quasiment fait un caprice pour qu’on l’inscrive à Goslar. Sa rencontre avec le capitaine d’industrie Quandt la fera changer d’avis. 30 Qui a tué Arlozoroff, publié en 2010 chez Grasset. 13

Agé de trente-neuf ans et veuf, Günther, son aîné de vingt ans, était en 1920 l’un des hommes les plus riches d’Europe et il en était assurément conscient. Conscient et fier en des temps où quasiment aucun entrepreneur ne parvenait à tirer parti d’une conjoncture défaillante. L’Allemagne, leur Allemagne, n’était plus qu’un gigantesque champ de ruines après l’abdication du Kaiser Guillaume et l’arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates ! La société qu’il tenait de son père, spécialisée dans le textile, et qu’il avait réussi à faire prospérer, venait paradoxalement de gagner beaucoup d’argent pendant la dernière guerre en équipant d’uniformes les armées de ce même Kaiser. Suffisamment en tout cas, pour qu’il entrevoit ensuite le développement d’autres secteurs, diversification oblige et parce qu’il avait perdu un client important 31 qu’il mettra des années à retrouver. Habile en affaires et au développement d’opportunités dans des domaines diversifiés qui venaient de le voir créer un département énergie autour des batteries et des accumulateurs, Günther ne sera pas, de son côté, insensible au charme de ce « tendron » à la recherche, semblait-il, d’un appui. Mais sans qu’elle imagine qu’il ait pu avoir, si vite, d’autres projets en tête que ces quelques civilités. Il sera pourtant très vite question d’autre chose que de civilités sans que Günther Quandt, habitué au sens des affaires, ne perde son temps ! Se présentant comme un vieil oncle de la jeune fille, il se montrera vite assidu auprès d’elle, allant jusqu’à organiser des sorties auxquelles il conviera la principale du collège et l’ensemble des élèves de la classe. Après avoir séduit tout le collège Holzhausen, et s’y être quasiment présenté sous les traits d’un « tonton Providence » de Magda, ne fallait-il pas donner l’image rassurante d’un homme posé, soucieux des convenances ? Avant de convier la jeunette à deux ou trois promenades bucoliques dans les sous-bois environnants où le quadragénaire ne manquera pas de craquer. Avant de goûter au bouquet d’amour que promettait d’être cette jeune fille séduisante, obéissant à certaines convenances, l’homme ne voulait pas que l’on dise un jour qu’il avait abusé d’une adolescente en ayant été trop pressé ! Au risque de passer pour un mufle ! Ne lui avait-il pas promis qu’il lui offrirait tout ce qu’elle pouvait désirer ? Alors qu’elle ne voulait, elle, du haut de ses dix-neuf ans, que conquérir le monde ! Rien de plus ! Pris par ses multiples activités, Quandt avait, dès le décès prématuré d’une épouse, volontairement laissé de côté une vie affective et il ne fallut guère de temps à sa jeune conquête pour comprendre qu’elle avait réveillé bien des instincts chez l’homme et que son aîné avait envie d’elle. Ses maladroites tentatives de pelotage, lorsqu’ils furent seuls en rase campagne, trahissaient ses intentions, sans que celui-ci se hasarde cependant à franchir le pas et à la trousser comme l’aurait fait quelqu’un de séduit par des attitudes souvent provocantes. Et la très jeune Magda connaissait déjà toutes les gammes de la partition, sachant se montrer provocante quand il le fallait, attisant parfois le désir de ceux avec lesquels elle aimait jouer.

Il semble que la jeunette n’était pas étrangère à la brusque envie d’un industriel de plus en plus pressé de conclure. Le biographe Hans-Otto Meissner l’évoque dans son ouvrage, lorsqu’il précise que la jeune fille ne souhaitait plus vivre au sein d’un pensionnat ennuyeux comme Holzhausen à Goslar ! Et le fait que Günther lui ait soudain demandé de devenir son épouse arrivait au moment opportun. Peut-être imaginait-elle trouver, froidement, en faisant appel, déjà, à un recul propre à en étonner beaucoup, une place auprès de lui, assez proche de ce qu’elle avait vu prendre forme chez son père adoptif, Oskar à Bad Godesberg ? En devenant, par exemple, une hôtesse que l’on remarquerait et une femme brillante dont on s’arracherait la compagnie. Après tout, son début de formation ne lui permettait-il pas de parler trois langues et d’avoir de solides connaissances dans des domaines étendus ? Et puis, parader, jeune ou pas, aux côtés des plus puissants d’un monde dans lequel elle vivait, quels que soient leurs opinions ou leurs actes, n’était-ce pas tentant ? Il fallut néanmoins accepter de cet homme conquis qu’il puisse émettre quelques exigences, peu décidé à laisser entrer chez lui un quelconque laisser-aller. Ainsi que les réserves d’une famille déboussolée ne comprenant pas l’urgence d’une telle union, alors que la regrettée Toni, qu’ils avaient tous chérie, venait de disparaître quelques mois plus tôt. Une famille qui trouvait la demoiselle bien trop jeune, trop moderne et… trop sûre d’elle.

31 Günther Quandt attendra effectivement d’adhérer au NSDAP pour retrouver des commandes de l’Allemagne. Après s’être longtemps opposé à l’arrivée au pouvoir des nazis. 14 Aussi, admit-on, pour pouvoir convoler sans brusquer les Quandt, que la jeune fille se devait de laisser de côté un patronyme gênant, celui de Friedländer et qu’elle se devait d’embrasser la religion protestante afin d’être en parfaite osmose avec les convictions religieuses de la famille de l’industriel. Devinant quelles seraient les difficultés d’une telle union, la demoiselle avait déjà son plan, prête à se résigner à l’essentiel si les choses en valaient la peine ! Victor, faisait-il déjà partie à ce moment-là de ce que Magda devait oublier ? Assurément, et cela se confirmait au vu de ce que promettait d’être cette nouvelle relation ! Parce que ce ne pouvait être un leurre, malgré les réserves soudaines avancées par un Günther beaucoup moins disposé à tolérer n’importe quel comportement autour de lui ! Que ce soit au prix d’une envie de fraîcheur ou pas, alors qu’il avait déjà à la maison deux garçons issus de son premier mariage ! Etait-ce donc le prix à payer afin de pouvoir pénétrer le monde de l’entreprise auquel elle avait si souvent rêvé ? La jeune Magda ne pouvait que se poser la question.

Une fois connues les inclinations du capitaine d’industrie et les cartes redistribuées, leurs fiançailles organisées en grande pompe, les directives du quadragénaire acceptées, les uns et les autres se rapprochèrent. Les masques étaient-ils, d’un seul coup, tombés ? Sans doute ! Puisque Günther se disait amoureux, que la jeunette n’était pas indifférente au charme que pouvait avoir un compte en banque et au pouvoir que cela sous-entendait, à quoi cela aurait-il servi d’attendre davantage ? Il est vrai que Günther Quandt et Oskar Ritschel appartenaient au même monde, celui des affaires, et qu’ils n’étaient pas les derniers, en bourreaux de travail, à s’accorder de temps à autre un extra. Ne serait- ce que pour respirer et se donner un peu d’air. D’autant que les deux hommes ne demeuraient pas très loin l’un de l’autre à Bad Godesberg et qu’il n’avait guère fallu de temps à Ritschel pour être rassuré. Les langues avaient dû se délier et, si Oskar ne s’était pas montré au départ spécialement emballé par cette union qu’il jugeait prématurée, il n’avait pas tardé à reconnaître que puisqu’il s’était « fait » la mère de la jeune femme vingt ans plus tôt, il pouvait être facile d’admettre qu’un autre homme puisse éprouver un désir semblable. Surtout face à un tendron comme Magda devenue une fort jolie fille ! Sans qu’il sache si son futur gendre n’avait pas déjà procédé d’une façon analogue lors de son premier mariage ! Soucieux de s’attacher les faveurs de tous ceux ayant gardé, ne serait-ce qu’un soupçon d’influence sur une jeune femme qui l’avait littéralement hypnotisé, et de les décider à accepter ce qu’il lui proposait, Günther prendra sur lui d’installer habilement sa future belle-mère Auguste dans une droguerie qu’elle exploitera un temps 32 . Avant, la guerre venue, de se réfugier dans une névrose qui la rongeait depuis des années. Ne convenait-il pas de se faire apprécier d’une femme dont il avait perçu quel était l’intérêt pour l’argent, les biens matériels et les nantis ? Une femme que son nouvel allié Ritschel n’avait d’ailleurs pas dû lui présenter élégamment, décrivant probablement Auguste sous les traits d’une cocotte près de s’enflammer rapidement quand on savait y mettre le prix. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que belle maman avait été, elle aussi, et personne ne s’en étonnera, conquise par la puissance de l’amoureux transi de sa fille. Fichtre, une droguerie et de pleines bassines d’argent… Le gendre manquait de moins en moins d’intérêt ! Lui demander ce qu’elle pensait d’une telle alliance, est-ce que cela aurait été bien sérieux ? Ne jamais reproduire les schémas… En parfait adepte de la philosophie bouddhiste, Ritschel en était depuis longtemps convaincu ! Bien qu’ayant un temps rejeté cette idée d’union, ne connaissant pas Günther Quandt, n’y avait-il pas là une occasion à saisir que la petite ne devait pas laisser passer ? Sans penser un seul instant qu’il n’aurait pu s’agir que d’une passion soudaine et que... comme Auguste, quinze ans plus tôt, la jeunette mettrait les bouts, une fois lassée d’un homme trop âgé pour elle. Rester volontairement positif, Oskar ne l’avait-il pas déjà été quand il avait compris que Magda n’était pas sa fille ? Au point d’épouser cette femme pour laquelle il éprouvait sûrement quelque chose, et que les siens avaient employé chez eux en qualité de femme de chambre. Alors qu’il aurait tout à fait pu réagir différemment et la faire chasser dès la naissance de la petite. Positif, il devait donc l’être, une fois encore. Afin d’abandonner un patronyme de Friedländer aux connotations juives chagrinant la famille protestante de Günther Quandt dans un monde devenu de plus en plus antisémite au terme du premier conflit mondial en novembre 1918, Magda choisira donc de devenir Magdalena Ritschel. Officiellement.

32 A Berlin très exactement, sur le Borsigsteg. 15 A la grande satisfaction d’Oskar. Parce qu’il semblait déjà y avoir, d’un côté les bons patronymes et de l’autre, ceux commençant à être un peu lourds à porter.

De là à imaginer que ce « tripatouillage » patronymique ait pu être source chez la jeune fille d’un début d’antisémitisme, il n’y a qu’un pas. Il est possible que cela ait eu une influence sur le comportement futur de Magda à l’égard de son « premier papa » puisque celui-ci, arrêté et enfermé à Buchenwald, y mourra, sans que celle-ci n’intervienne en sa faveur afin de le tirer de là, imitant d’autres nazis ou sympathisants nazis soucieux d’aider des Juifs auxquels ils devaient quelque chose 33 . Magda, en voulait-elle à Friedländer de lui avoir imposé plus jeune une paternité, laquelle aurait pu être un frein à son ascension sociale chez les nazis ? Et ce dernier avait-il été chagriné par le fait qu’elle puisse avoir voulu changer de patronyme en 1920 avant son mariage avec Quandt ? Les questions que l’on se pose-t-on encore à propos de tout ce « bricolage patronymique » restent nombreuses. À coup sûr, jamais sa mère Auguste n’avait parlé de ce jeune garçon de dix-neuf ans dont le seul tort avait été d’éprouver un très vif coup de cœur pour elle en la croisant dans l’hôtel où elle était employée. Certains ont prétendu que Magda n’avait pas été informée de son arrestation. Une thèse à laquelle il est difficile de croire, d’autant qu’il a été démontré que, lors de son remariage en décembre 1931, elle avait été alerté par le fait que Friedländer était son père ! La presse s’en était faite l’écho ravie de souligner que chez les nazis, il puisse y avoir des dysfonctionnements. D’autres prétex-teront l’apparition d’un autre prénom, Max, précédant celui de Richard qui aurait pu égarer lors de recherches entreprises. Certes, il est également possible que l’adhésion de Magda à la cause nazie ait été facteur de l’éloignement d’un père déçu et révolté par un pareil choix, désireux de mettre de la distance avec sa fille dès la conclusion de ses premières amitiés nazies. Probablement aussi sans avoir pu réussir à se faire recevoir par Joseph Goebbels 34 pour obtenir de lui un peu de clémence. En admettant qu’on ait pu obtenir une quelconque clémence d’un monstre comme le nabot nazi dont le ressentiment envers les Juifs était de plus en plus évident au moment de l’entrée en guerre de l’Allemagne !

Felix Frankfurther 35 , un Juif allemand né à Berlin, qui devint plus tard britannique après avoir dû changer son patronyme pour celui de Franks, se souvient toutefois d’un épisode plus humain à propos de la demoiselle Friedländer. Y aurait-il eu, d’un côté, de bons juifs à l’image d’un Victor et d’une famille Frankfurther, et de l’autre, de moins bons auxquels auraient appartenu les Friedländer ? Un sauvetage dont on se demanderait aujourd’hui s’il n’a pas été l’un des seuls à mettre au crédit de ce personnage égocentrique qu’était Magda Goebbels ! Franks affirmera que ses grands-parents avaient réussi à obtenir un visa de sortie leur permettant de quitter l’Allemagne et que Magda n’aurait pas été étrangère à la démarche ! « Je savais que ça allait mal en Allemagne même si nous n’avions que 8 ou 9 ans ! dira-t-il. Pour que mon professeur à l’école primaire entre en classe avec son uniforme de SS, et nous oblige à faire le salut hitlérien c’est qu’il y avait quelque chose qui avait changé. Mon père et ma belle-mère avaient dû rester en Allemagne, mais, fin août, deux jours avant le début de la guerre, on leur a demandé de venir au siège de la Gestapo pour y retirer un visa de sortie qui leur a permis de fuir et de rejoindre mes deux sœurs expulsées quelques mois auparavant. Il y aurait eu une histoire remontant à la Première Guerre mondiale à laquelle Magda aurait été mêlée, quand il s’était agi pour mes beaux-parents de trouver un abri à une jeune femme contrainte de se réfugier en Belgique. Et il se pourrait que cette jeune femme ait été en 1914 Magda. Le jour précédent la Nuit de cristal , ils recevront un appel téléphonique anonyme avertissant mon père de ne pas rentrer à la maison ce soir-là, mais d’aller dans un endroit sûr. Ma mère m’a juré que c’était Magda Goebbels ». Sans doute, la mère du chimiste s’est-elle plu à imaginer que leur sauvetage familial pouvait être rattaché à cette histoire belge de 1914. Mais cette soudaine humanité ne collant pas avec ce que l’on a appris de l’épouse de Goebbels, on serait tenté de se demander si tout a pu être dit à propos de ce qui a été rapporté et si cela n’a pas été le corollaire à un quelconque échange ou à une manipulation.

33 Il est d’ailleurs admis que Goebbels, ait pu rassurer le cinéaste juif Fritz Lang 33 sur le fait que les nazis décidaient qui, parmi les Juifs, était ou n’était pas juif ! 34 Voir page… 4 de le rédaction Word. 35 Devenu célèbre en qualité de physicien chimiste. 16 5.

Le 4 janvier 1921 à Bad Godesberg, six mois après des fiançailles qui avaient donné l’impression de traîner en longueur, Günther Quandt fera donc d’une Magda, tout juste âgée de dix-neuf ans, sa nouvelle épouse. Une femme prête à épouser, plus un concept industriel et un capitaine d’industrie qu’un homme. Et plus qu’un homme, un entrepreneur ayant une force de travail et une puissance que celui-ci se plaisait à souligner à tout propos, puissance qui devait rassurer un être fragilisé par la perte d’une épouse, un accident marquant pour lui. Ses promesses de bien-être à la jeune fille en auraient flatté d’autres. N’était- ce pas le gage pour elle d’arriver à l’un des buts affichés quelques années plus tôt, lorsque son père Richard l’avait contrainte, plus jeune, à voyager dans ce wagon à bestiaux de Bruxelles vers Berlin, et qu’ils avaient ensuite longtemps « crevé » de faim dans ce quartier miséreux de la capitale allemande ? Robe de mariée en dentelle de Bruxelles, la jeunette a vécu, à défaut d’ivresse, des fiançailles « en grande pompe » qu’Oskar avait aidé à organiser. Aux côtés d’un Günther toujours aussi paternel qui n’entendait pas se laisser damer le pion, même par un tendron près de boire la coupe d’un mauvais vin jusqu’à la lie pour que ses rêves les plus fous se réalisent !

Seulement cette union du capitaine d’industrie et de la très jeune Magda a vite tourné au vinaigre. Dès un voyage de noces en Italie qui avait été, a-t-on dit, abrégé pour des raisons d’affaires, Günther ayant dû regagner très vite l’Allemagne. Une autre raison est avancée, pour le moins brutalement, apparaissant crûment dans un ouvrage de Tobie Nathan 36 . En effet, la demoiselle, que l’industriel pensait être encore une jeune fille au soir de leurs noces en Italie, n’en n’était plus une ! C’était une « fausse chaste » qui s’était jouée de sa virginité depuis longtemps ! Ainsi donc Günther avait-il été trompé par une créature capable de jouer les ingénues et les petites filles sages dans les trains, et de jouer aux tendrons n’ayant jamais connu le grand frisson ! Alors qu’elle avait déjà joué à des jeux défendus dès son plus jeune âge, elle avait eu du mal à reconnaître, face à un époux aux portes de la muflerie, les conséquences d’une envie qui l’avait vue céder au charisme d’un garçon en pleine force de l’âge ! Ce que n’était plus l’homme d’affaires auquel elle avait accepté de céder, aveuglée par ses rêves de puissance et de pouvoir ! Le quadragénaire, que la jeune mariée prenait déjà pour un autocrate, s’en voulait-il de s’être amouraché de ce bouquet de printemps qui l’avait provoqué dans un train avec sa petite jupette, et, au bout du compte, plus d’un bouquet de fleurs fanées que d’un réel bouquet de printemps ? Pour ce vieux matou au désir inassouvi depuis de trop longs mois, la situation était inacceptable ! Voilà qu’il se retrouvait en présence, non d’une jeunette délurée, mais d’une femme accomplie et, qui sait, peut-être même en présence d’un être en mesure de lui en apprendre sur bien des plans ! Et dire qu’il avait retardé cet instant de conquête définitive, l’assortissant d’une cour qui aurait sûrement comblé une rombière aux rondeurs évidentes, telle que l’était la directrice de l’école de Goslar, mais beaucoup moins Magda ! Quel jeu de dupes et quel désaveu ! L’orgueil de mâle de Papa Quandt a dû être touché ! Ses envies s’étaient-elles érodées durant leurs trop longues fiançailles et les multiples aménagements qu’il s’était efforcé d’obtenir de la jeune femme et de ses proches ? Et les deux « jeunes mariés » étaient- ils déjà à des années-lumière l’un de l’autre ? Il est vrai que depuis qu’il s’était aperçu avoir épousé une femme rompue aux vertiges de l’amour… et du désir, les deux époux ne partageaient plus grand-chose !

Il réussira cependant, quelques jours plus tard, à faire un enfant à son bouquet de fleurs fanées ! Le seul qu’aura le couple et qui se prénommera Harald. Harald vivra aux côtés des fils que Günther avait eus de son premier mariage, Helmuth et Herbert, et des trois autres enfants devenus orphelins à la suite du décès de leurs parents, des relations d’affaires de Günther que Magda avait voulu conserver à leurs côtés. Harald avec un H comme Helmuth et comme Herbert les deux beaux-fils de la jeune mariée… C’était pourtant un premier signe du destin ! Magda l’avait confessé sur son journal intime à la date du 1 er octobre de l’année 1913, choisissant de noter pour la postérité ce dont elle serait le témoin. Elle s’en était persuadée, son chiffre porte-bonheur serait le sept et elle aurait donc autant d’enfants, garçons comme filles. Contrairement à l’idée la plus répandue qui continue toujours à circuler à propos du choix de ce H, lié pour chacun des prénoms de ses enfants, à un H choisi à l’origine par hommage à l’un des plus grands poètes allemands : Heinrich Heine.

36 Qui a tué Arlozoroff ? publié chez Grasset en 2010. 17 Un choix contrariant le mythe qui voudrait que cette lettre H ait été choisie en lien avec le H de Hitler et la relation d’amour platonique qu’elle a vécue près du dictateur nazi à partir de 1931 dès leur première rencontre. Alors qu’en 1921, au moment de la naissance d’Harald, elle ignorait encore tout du dictateur, même si celui-ci avait commencé à faire parler de lui dans les brasseries à Munich. Certes, la vérité est pour le moins dérangeante car il se trouve que le poète Heine avait des ascendances juives mal vues des nazis, et qu’il a donc fallu qu’elle trouve un subterfuge justifiant ce choix. Mais cela démontre au passage quelles étaient les facultés d’adaptation de l’intéressée et une certaine propension à manipuler son entourage afin d’obtenir le meilleur de ceux que la chose concernait, et Joseph Goebbels les premiers.

Devenue assez rapidement une ménagère, sacrifiant sa jeunesse dès la naissance de son premier enfant, Magda s’est au bout du compte retrouvée frustrée par ce mariage de convenance et un Günther trop peu présent à leur domicile. Ce scénario ne pouvait convenir à une demoiselle qui, si elle paraissait souvent assez froide, avait néanmoins le sang chaud. Aurait-il fallu souffler sur la braise pour la faire rougir et la faire redémarrer au quart de tour ? Et avait-elle besoin de ces petites attentions qui donnent à ceux qui en bénéficient, le sentiment qu’ils existent ? En un mot comme en cent, Magda, capable de s’autosuffire, avait assurément besoin de sentir qu’on l’aimait et qu’on l’admirait, qu’on la désirait et qu’on brûlait de la cajoler. Elle avait également besoin qu’on en fasse un être exceptionnel capable de tenir un rôle, un vrai, et désireuse d’avoir, sans tarder, des petits du maître des lieux. Car, avoir une flopée d’enfants qui, en grande majorité, n’étaient pas d’elle et dont il convenait de surveiller l’éducation, c’était bien, mais cela n’avait rien d’enthousiasmant. Se retrouver d’un seul coup à la tête d’une grande maison bourgeoise peuplée d’un nombreux personnel cancanier, non plus. Etait-ce donc cela le pouvoir ? Etait-ce donc cela la puissance ? Et s’était-elle trompée en se jetant dans les bras de l’industriel qu’était Quandt ? Un homme ne vivant que pour sa société et les affaires, et aux yeux duquel rien d’autre n’avait d’importance ? Alors qu’elle avait failli suivre Victor le sioniste pour proposer des idées nouvelles à un vieux pays encore pétri de traditions dépassées ? Probablement. S’estimant avoir été roulé, il donnait le sentiment de se comporter en homme décidé à reprocher à l’adolescente ses errances passées. Sans se rendre compte que celle qu’il avait épousée s’était attendue à une toute autre union que la leur et à piloter au bras d’un responsable d’entreprise une réussite, la leur ! Quelle image de puissance aurait-elle donné là Magda ? Il y aurait eu de quoi satisfaire son ambition et ses envies, et tout ce qu’elle avait entrevu plus jeune à Bad Godesberg chez Oskar Ritschel. Hélas, il n’y aura chez un homme pointilleux à l’extrême, manquant visiblement d’humour et peu enclin à s’ouvrir à d’autres univers, ni cocktails, ni dîners à foison, et encore moins de soirées du type de celles qu’elle s’était attendue à trouver ! La raison en sera très vite trouvée : le maître de maison, sociable mais très introverti, n’aimait pas de telles manifestations et préférait régler ses affaires au bureau sans y ajouter des prolongations en soirée.

Attaché à la mémoire sa dernière épouse Tonie, trop vite disparue et décédée d’une grippe espagnole, le businessman n’a guère tardé à se rendre compte des multiples défauts de sa jeune protégée, celle qu’il n’avait vue qu’avec les yeux du désir avant leur escapade italienne et leurs noces ratées. Avait-il davantage recherché une seconde mère pour ses deux fils, Helmuth et Herbert et une parfaite maîtresse de maison ? Possible. Et l’enfant gâtée qu’était Magda n’avait-elle pas parfois à réfréner ses ardeurs dépensières, au point que Günther se devait d’aller jusqu’à pointer les listings des dépenses de son épouse en sa compagnie ? Le fossé ne pouvait donc que se creuser rapidement. N’était-ce pas légitime ? Il avait été trompé sur la marchandise et courtisé une demoiselle qui n’était pas vierge et, comble de l’histoire, celle-ci dépensait sans compter ! Même pour des choses n’en valant pas la peine ! Sortie des bras affectueux d’un garçon promis aux plus hautes destinées sionistes, cette femme sensuelle et ambitieuse, aux apparences souvent trompeuses car immature, a eu du mal à accepter cette nouvelle existence. D’autant qu’il était très difficile à Günther de satisfaire ses moindres attentes. Il en manquait beaucoup. Capable d’alterner les moments d’ivresse à d’autres, où pas la moindre attention ne faisait disparaître cette froideur propre au personnage, elle s’en voulait d’avoir accepté ce mauvais contrat. Alors qu’elle avait entrevu la possibilité

18 d’assister à de nombreuses fêtes organisées chez elle à Godesberg Hof en présence d’invités prestigieux, c’était un très mauvais calcul. Malgré la complicité d’Eléonore, dite Ello, la belle-sœur de Günther dont elle s’était attachée l’amitié, Magda eut longtemps beaucoup de mal à résister à un tel environnement et à une existence dans une cage dorée d’où il lui était difficile de s’extraire. Et en admettant qu’elle ait pu s’en extraire, où serait-elle allée ? Certainement pas chez une mère dont elle devinait déjà les reproches et qui aurait peut-être craint de perdre sa droguerie ? Supporter la comparaison avec un être effacé comme l’avait été cette épouse, restée une inconnue, était au-delà de ses forces ? Comment aurait-elle pu admettre autant de diktats que ceux qu’on lui imposait ? Du moins sans tenter d’obtenir en échange un peu de considération du maître de maison ? Que de questions ! Que d’épreuves ! Jusqu’où peut conduire l’ennui et un sentiment d’inutilité ? Et jusqu’où Magda était-elle prête à aller afin de retrouver tout ce qui continuait à vibrer en elle lorsqu’il lui arrivait d’imaginer Victor la pénétrant et lui donnant du plaisir, à l’inverse d’un pauvre » docteur Quandt qui n’y était jamais parvenu. Une fois couché à ses côtés, au terme d’une journée éprouvante d’un labeur incessant, il est vrai qu’il n’aspirait qu’à retrouver un peu d’énergie ? Peu disposée à n’être à ses côtés que pour remplir trop parcimonieusement un rôle d’hôtesse devant ses hôtes, un concours de circonstances l’amènera à revoir Victor, son premier et seul amour de jeunesse. Celui auquel elle pensait de plus en plus lorsqu’elle s’ennuyait dans une grande demeure où elle avait envisagé avoir un rôle différent de celui qu’on lui avait confié. Car, passées les deux premières années de leur union, il ne restait pas grand-chose de la courtoisie d’un homme. Lequel, après toutes leurs escapades dans les sous-bois et des promesses difficiles à oublier, devait estimer avoir été roulé par une sorte d’aventurière, désormais contrainte d’obéir à l’autorité d’un troisième père ! Un homme brûlant son énergie au travail et s’endormant épuisé, lorsqu’il leur arrivait d’aller ensemble, et beaucoup trop rarement, au spectacle en fin de journée ! Aurait-il donc fallu accepter de s’éteindre progressivement ? Pour une Magda décidée, le choix était déjà fait.

Ayant commencé à sonder la personnalité de son époux, il lui fallut peu de temps avant qu’elle se rende compte que Günther Quandt était un être excessivement orgueilleux et qu’il était soucieux de son image et de prétendues conventions. Surtout quand celles-ci ne le désavantageaient pas ! Face à quelqu’un n’acceptant pas de se donner en spectacle, elle s’évertua à trouver des éléments dont elle pourrait tirer parti et en mesure de le compromettre si toutefois il lui venait l’idée qu’ils puissent se séparer. Et elle les trouva, sans imaginer qu’elles lui seraient un jour utiles ! Sous la forme d’un paquet de lettres que cet imbécile avait conservées de femmes et de liens entretenus, visiblement au terme de liens avec des coquettes à la recherche d’un confortable édredon ! Et qui sait, d’échanges parfois renversants qui avaient probablement eu lieu dans le dos de sa précédente épouse ! Avant que ces maîtresses occasionnelles ne soient oubliées par un homme n’ayant pas assez de temps à consacrer à la bagatelle ! À lire quelques-unes de ces déclarations enflammées, il y aurait eu là de quoi mettre le feu aux principes d’une famille qui l’avait toujours rejetée. Pour le biographe Hans-Otto Meissner, s’ils avaient été rapportés, ces « écarts » d’un fils de famille établi comme l’était Günther auraient consi-dérablement choqué des gens qui ne faisaient pas preuve de la moindre modernité, voire alimenté les oppositions et les rivaux de l’entrepreneur. Sans oublier certaines des coquettes, désormais mariées et rangées.

6.

Plus trapu qu’il ne l’avait jamais été, Victor ne ressemblait plus à ce garçon qui l’avait prise dès qu’ils s’étaient rencontrés, possédant enfin un corps que Magda avait tenté de satisfaire lors de ses masturbations répétées d’adolescente privée d’affection, niée par une mère qui ne la désirait pas et l’absence régulière d’un père. Ce père, qu’elle avait pourtant fini par réinventer à la longue et qui lui avait tant manqué, aux côtés d’un second géniteur d’occasion dont sa mère venait une fois de plus de divorcer, se rendait-il à présent compte de ce qu’elle traversait ? Elle n’en n’était pas persuadée avec Oskar. Ces retrouvailles avec ce garçon et tous ceux qu’elle avait oubliés dans ce quartier toujours aussi miséreux, était-ce une bonne chose ? Alors que, plus seule que jamais, elle jouissait d’une existence dans

19 l’opulence, endossant chaque matin son manteau de fourrure sans véritablement en mesurer le prix ? Certainement pas plus que celui de retrouver l’endroit où étaient nés ses premiers espoirs, leurs espoirs, quatre ans seulement 37 après avoir enfin cru maîtriser un destin qui, jusque-là, n’avait guère été favorable à ses entreprises ! Au point qu’il lui fut difficile, après l’avoir retrouvé, de ne pas se cramponner à un garçon qu’elle aurait été prête à suivre au bout du monde quelques années plus tôt. Si du moins il le lui avait demandé. S’ils s’aimèrent à nouveau, comme au temps de leur adolescence, ils le firent cette fois-ci, sans se cacher, sans faux-semblants. Ces retrouvailles, leurs retrouvailles, n’était-ce pas s’accrocher à une bouée de sauvetage à un moment où le bateau tanguait dangereusement. Le plaisir, la jouissance de deux corps trop longtemps séparés !... Là, n’importe où, ici ou ailleurs, peu importe ! lui avait-elle lâché dans un souffle après l’avoir senti tout contre elle, en elle. Sans même qu’elle lui ait demandé comment il allait, pressée d’être enfin satisfaite par un homme à la hauteur de ses attentes ! Au-delà de leurs retrouvailles, c’est l’idée d’apprendre que Victor avait pu trouver une consolation supplémentaire dans les bras d’un nouvel amour qui la tétanisa. D’ailleurs, est-ce que parler davantage leur aurait servi à combler ce vide qui s’était installé en eux ? Puisqu’elle avait le sentiment de n’aller que mal et que le reste… Jamais autant, les parties de jambes en l’air ne furent aussi nombreuses qu’au cours des mois ayant suivi la naissance d’Harald. Car, si cette naissance avait comblé un père mangé par ses activités, elle n’avait pas provoqué chez la mère, de surcroît d’intérêt pour un nourrisson vite devenu un poids de plus. Etait-elle sur le point de reproduire ce qui lui avait tant fait défaut plus jeune ? Ou Magda avait-elle la tête ailleurs pensant à cet homme qu’elle venait de retrouver et dont elle sentait souvent la présence en elle ? Non, cette fois-ci, enfant ou pas, elle ne le laisserait pas s’échapper, se satisfaisant des rares attentions que lui prodiguait celui qu’elle avait épousé, la contraignant parfois à de nouvelles pratiques masturbatoires. Et puis, avoir le pouvoir sans en avoir le vertige, était-ce envisageable ? Elle se mit à penser à Günther. A quelques kilomètres de là, cet homme pourtant d’une gentillesse extrême au cours de leurs premières journées de fiançailles, devait déjà s’inquiéter de sa longue absence, si du moins il était rentré à leur domicile berlinois. Heureusement, son chauffeur l’avait attendue et elle en serait quitte, une fois de plus, à l’affronter et à subir un très long interrogatoire auquel elle avait désormais pris l’habitude de se soumettre. Etait-il donc devenu jaloux de ce que faisait « son bouquet de printemps » au cours des après-midi qu’elle gérait pourtant à sa guise ? Et n’importait-il pas qu’elle livre à un homme qu’elle commençait à haïr, une version acceptable de cette longue pérégrination qui l’avait vue se rendre dans son ancien quartier berlinois pour prendre enfin un peu de plaisir ? En prenant surtout la précaution, avant de le retrouver au dîner, de gommer l’odeur de tabac que son amant avait laissée sur elle ?

Victor, toujours préoccupé par ses projets d’implantation de colonie juive en Palestine, prendra hélas la décision de repartir un peu plus tard, laissant sur le quai d’une gare berlinoise une Magda désemparée. Lui aurait-il été impossible d’épouser une femme n’étant pas juive et de surcroît déjà mariée ? Même si elle lui faisait divinement bien l’amour et s’il était revenu, sentant qu’elle l’avait appelé de tout son être ? Ou avait-il à gérer maints autres problèmes qui auraient un jour risqué de les séparer ? Des questions restées sans réponse.... Elle aura du mal à se remettre de ce lâchage, avant de succomber aux appels du pied de son beau-fils Helmuth âgé de cinq ans de moins qu’elle. Beaucoup seront persuadés que cette trahison sera à l’origine des choix discutables d’une femme qui avait voulu se venger. En admettant néanmoins qu’il ne soit rien resté de ce qui l’avait irrémédiablement poussée vers un narcissisme évident. Ceux qui avaient fréquenté l’épouse délaissée reconnaissent que c’est entre 1924 et 1926 que Magda s’est réellement transformée, laissant place à quelqu’un d’autre. Progressivement. Un être entièrement différent de ce qu’elle avait été, même s’il paraît difficile de croire que l’on puisse changer à un tel point. On aurait dit que le nouvel éloignement de Victor avait précipité les choses. De la jeune femme encore enjouée venant de retrouver un amour d’enfance, elle devint d’un seul coup malheureuse, brutale, non sans qu’un certain cynisme apparaisse dans ses attitudes. Devenant soudain un être prenant sans donner, et s’accouplant de temps à autre au su et au vu de tous, n’importe où, suivant au besoin un inconnu. Afin de retrouver un semblant de sensations. Un monstre froid, pareil à une bête et pareil à une chienne, celle qu’elle était devenue, n’hésitant pas à satisfaire la moindre de ses attentes sexuelles afin de se venger de

37 Dans son journal intime, Magda prétendra avoir revu Victor en… 1922, un an après la naissance d’Harald et non en 1924 comme l’ont supposé nombre d’historiens. 20 ce capitaine d’industrie qu’elle ne comprenait plus, et qui avait fait d’elle un être décidé à s’accrocher à la moindre parcelle de plaisir. Cet homme qu’elle ne voyait plus avec les mêmes yeux qu’auparavant, n’était-il pas, lui aussi, en train de la tromper, évoquant trop souvent des objectifs qui n’étaient plus les siens ? Günther Quandt était-il devenu un vieil industriel insupportable que l’on accuserait forcément un jour d’avoir laissé mourir sa précédente épouse Tonie ? Le fils de Günther, Helmuth, attaché à sa mère disparue et que Magda avait réussi à séduire, s’en était déjà persuadé, lui qui n’était pas disposé à perdre celle qui avait pris sa place dans son cœur.

Le jeune homme présenté sous les traits d’un être doux, romantique, solitaire et délicat, assez précoce, s’est donc soudain trouvé face à une belle-mère disponible et l’autorité d’un père qu’il ne supportait plus. Dès son entrée dans l’adolescence, il a tendrement aimé sa jeune et jolie belle-mère et, comme l’a précisé Hans-Otto Meissner 38 , à presque vingt ans, il l’adorait avec toute l’ardeur de son âge, désirant être son protecteur. Ce qu’il sera longtemps, la dissuadant de quitter son père auprès duquel elle n’avait pas trouvé ce qu’elle recherchait. Il semblerait d’ailleurs que c’est aussi au cours de ces mêmes années qu’un lien étroit a fini par rapprocher Magda d’Helmuth. N’appréciait-elle pas chez son beau-fils et de plus en plus sa vitalité, son esprit acéré et une passion pour la musique et sûrement quelques autres petites choses, selon la biographe Anja Klabunde ? Un adolescent qu’il avait fallu éloigner afin qu’il retrouve le goût de ses études et qu’il oublie leurs apartés. Un voyage en Angleterre en vue d’apprendre l’anglais s’était imposé. S’il n’était pas mort d’une septicémie à la suite d’une opération de l’appendicite bâclée à Paris où il avait cru pouvoir se soigner au terme d’une escapade amoureuse de quelques jours, Magda aurait finalement pu trouver un nouveau compagnon de jeux sensuels. Belle maman et Helmuth auraient-ils commis le péché de chair durant ce voyage parisien ? Pendant que Papa Quandt était occupé à négocier quelque juteux contrat ? En parcourant certaines des précisions du journal intime de Magda, le doute ne subsiste pas longtemps ! Parlant dans son ouvrage d’enchantement pour la jeune femme et, malicieusement, d’une découverte de la ville lumière qu’était ce Paris des années folles, Anja Klabunde le laisse également supposer autour d’un Maurice Chevalier follement épris de Mistinguett et d’une Magda follement éprise de cet adolescent qui se consumait en secret depuis si longtemps. Profitant de leurs courtes retrouvailles, de spectacles et de la griserie de cette vie parisienne, il serait surprenant qu’Helmuth et sa jeune belle-mère n’aient pas mis à profit leurs journées de farniente en vue de s’adonner à quantité de plaisirs interdits. On devine lesquels. Et perdre son pucelage dans de telles conditions et une telle ivresse, quel jeune mâle aux portes de la maturité n’en n’aurait-il pas eu envie ? Conséquence de ces dernières années vécues aux côtés d’un multi millionnaire n’éprouvant plus de désir que pour les billets de banque et l’irrespect d’une clause de contrat, les différences entre les deux mariés. Elles étaient devenues significatives, Magda ne supportant plus sa situation d’épouse au sein d’un couple où elle s’estimait négligée et insatisfaite, ni une grande demeure où elle s’ennuyait, au beau milieu d’un personnel qu’elle supportait de moins en moins au fil des années. On aurait presque dit qu’ils avaient tous été chargés de la surveiller, afin de pouvoir rendre des comptes précis à Günther Quandt. Un époux auquel elle ne répondait plus lorsqu’elle était sommée de donner le détail de journées quand il lui arrivait de fuir leur demeure. Lors d’un voyage aux USA proposé par Günther en octobre, excitée à nouveau par les plaisirs de la chair, et une sexualité qu’elle avait due réfréner, privée des échanges auxquels elle avait dû mettre un terme depuis la disparition d’Helmuth Quandt 39 décédé en juillet, Magda se verra courtisée par un homme dont on continue assez souvent 40 de prétendre qu’il aurait été le neveu d’Herbert Hoover, le futur président des Etats-Unis élu en 1928. Ce n’est pas exact, si l’on se réfère à ce qu’a pu dire de la chose un certain Spencer Howard 41 en charge de la Bibliothèque d’Herbert Hoover et des documents rattachés à

38 Dans Magda Goebbels, compagne du diable, publié chez France-Empire en 1961. 39 Lors d’un séjour culturel parisien en compagnie de son beau-fils Helmuth, il est plus que probable que Magda se soit accordée une compensation affectueuse. Juste avant qu’atteint par une septicémie due à une appendicite mal soignée, celui-ci ne décède. 40 A l’exception de Tobie Nathan qui a préféré donner dans son ouvrage sur Arlosoroff le nom de Clyde Lowel-Baker à cet amoureux transi. 41 Précision apportée par Spencer Howard : Le Président Hoover n’avait qu’un neveu, le fils de sa sœur, Van Ness Hoover Leavitt qui a travaillé dans l’industrie de la radio et qui a épousé Dorothy Berry en 1928. Ils vivaient à Santa Monica, en Californie. Leavitt n'avait pas de relation étroite avec son oncle. Il semble peu probable qu'il ait eu l'occasion de rencontrer Madga Quandt en 1927. Nous n’avons aucune information qui confirme ou nie qu’il ait voyagé en Allemagne en 1930. Le président Hoover avait un fils nommé Herbert Charles 21 l’ancien président américain. Tout simplement parce qu’Herbert Hoover n’avait qu’un frère, Théodore Jesse père de trois filles, et qu’une sœur, Mary, et que cette dernière n’a eu qu’un fils du nom de Van Ness Hoover Leavitt né en 1907. Agé de vingt ans au moment de la visite de Magda et de Günther Quandt aux Etats-Unis, il est en effet peu probable que le jeune Van Ness soit ce fameux neveu auquel on aurait prêté une liaison avec la sulfureuse Frau Quandt. Et encore moins celui qui aurait causé plus tard un accident de voiture en Europe lors d’une demande en mariage ! La troublante et réfrigérante Magda n’a donc raté aucune possible entrée à la Maison Blanche ! Si du moins il soit envisageable qu’elle ait pu être approchée par l’un des convives du gros Günther au cours de ces soirées américaines ! Sauf… Sauf si on admet que ce prétendu neveu ait pu être le futur président lui- même, un homme âgé de 63 ans au moment des faits ou l’enfant naturel d’un proche du futur Président 42 , voire son fils ! Extrêmement bien toilettée en permanence, ils devaient être un certain nombre à s’interroger à propos d’une femme de vingt-six ans qui attirait l’attention de tous les mâles présents aux côtés d’un capitaine d’industrie foncièrement aveugle ou, allez savoir, un tantinet provocant ? Une femme qui aimait les vieux. Cet homme, toujours présenté comme le neveu du Président Hoover, demandera quelques mois plus tard à Magda de l’épouser, dès sa séparation effective, sans que celle-ci réponde néanmoins favorablement à sa proposition au terme d’une partie fine que deux êtres à la recherche de plaisir s’étaient accordés, faisant fi de toutes les conventions existantes. Encore que les conventions pour Frau Quandt… En cette fin d’année 1927, il est vrai que tout le monde était en feu, et que les Américains donnaient presque le sentiment d’avoir soudain découvert le capitalisme. Le marché de Wall Street était en pleine expansion, et les moins nantis n’étaient pas les derniers à se manifester, n’entendant pas rester au bord du chemin d’une prospérité leur tendant les mains. Combien seront-ils du reste ces chauffeurs de taxi ou ces livreurs à avoir investi l’ensemble de leurs économies en achetant des actions ? Ce qu’ils ne tarderont pas à regretter lorsque la bourse new-yorkaise s’effondrera, plongeant les économies mondiales dans une récession dramatique. Ce faux neveu richissime homme d’affaires, était prêt à ouvrir son carnet de chèques et ses coffres afin de se payer ce qu’il n’avait toujours pas songé à s’offrir. Et celle qu’il venait de rencontrer au cours d’un dîner d’affaires, lui avait tellement paru accessible, que l’éventualité d’une liaison avec l’épouse de l’un des magnats européens les plus en vue avait dû l’émoustiller. Pas très bon orateur, ne sachant pas faire d’assez grands gestes pour s’imposer aux yeux d’une pareille femme, l’homme n’avait hélas rien d’un Apollon ! Bien qu’il eût disposé, lui aussi, d’un épais matelas en dollars propre à rassurer des jeunes femmes comme Magda Quandt toujours à la recherche d’un homme capable, à la fois de lui donner du plaisir, et de satisfaire la moindre de ses envies. Venu jusqu’en Allemagne la relancer, leur aventure se terminera finalement par un accident de voiture dans lequel la jeune femme sera gravement blessée, puisqu’elle sera hospitalisée victime d’une commotion cérébrale. De multiples fractures la contraindront à garder le lit quelques semaines, sans continuer à faire des folies de son corps. Des retrouvailles dont on a dit qu’elles s’étaient achevées sur fond d’humiliation, un domaine dans lequel la jeune femme excellait de plus en plus lorsqu’elle avait à mettre un terme à une relation. Qu’il s’agisse de celle nouée avec un homme ou une femme. À propos de cette relation, Anja Klabunde laisse pourtant supposer que la future nazie avait fait un appel du pied à ce « faux neveu » puisqu’elle avait cru bon informer 43 celui-ci d’Allemagne de son divorce et de sa liberté retrouvée ! Ce qui montre une fois encore quel était l’état d’esprit d’une femme décidée à tout mettre en œuvre pour « perdre » ses prétendants. Si elle était décidée à mettre un terme aux avances de cet admirateur américain, la meilleure des choses à faire n’aurait-elle pas été, tout simplement, de ne pas y répondre. Elles auraient probablement cessé et qui sait, incité l’homme à ne pas entreprendre ce long déplacement en Allemagne pour la relancer.

Hoover. Même si le nom de son père était Herbert Clark Hoover, le fils était généralement connu comme Herbert Hoover, Jr. Et comme Hoover était président à cette époque, il aurait été une grande nouvelle si un fils ou un neveu lui avait rendu visite. Il est peu probable que le prétendant de Magda Quandt ait été lié au président Hoover. 42 Il est également admis que des passages du journal intime de Magda aient pu être effacés après coup qui évoquaient le futur Président lui- même. Ce qui est surprenant dans la mesure où l’on n’avait parlé que de liaison avec ce prétendu neveu ! 43 Tobie Nathan émet l’idée astucieuse que ce « Faux neveu d’Hoover » ait pu apprendre le divorce par voie de presse avant de se rendre en Allemagne... 22 Personne ne sera d’ailleurs en mesure d’affirmer que la fausse couche 44 de Magda survenue vraisemblablement au début de l’année 1928, n’ait pas été due à leur brève liaison du mois d’octobre. Surtout que Günther ne donnait pas le sentiment, au terme de la sixième année de leur union, d’avoir eu la moindre envie de rajouter un héritier à la maisonnée Quandt, ni d’avoir voulu suivre une remise à niveau dans le domaine sexuel, afin de plaire davantage à sa jeune maîtresse-femme !

Sans que cela ait vraiment été établi, on dit que c’est après la perte de son beau-fils et cette aventure américaine, qu’elle s’était décidée à retrouver, une fois de plus, son premier amour, Victor. Revenu en Allemagne afin d’envisager le rapatriement des quelques Juifs qu’il s’était promis d’arracher à leur triste condition, pour quelle raison n’en n’aurait-elle pas profité puisqu’elle n’avait pas oublié leurs étreintes passionnées ! Mais, de l’avis de sa mère, Auguste Behrend, l’amoureux transi de sa fille Magda, avait à l’époque d’autres traits que ceux du sioniste. Dans l’esprit de certains observateurs et historiens, cet homme était un étudiant et un étudiant issu d’un milieu aisé disposant de moyens conséquents. Un certain Ernst 45 dont on taira une identité moins importante aujourd’hui que n’en n’auraient eu, après-guerre, certaines révélations. Convié à une soirée en tant que fils de l’un des conseils de Günther, le jeune Ernst n’était pas homme à rester longtemps insensible à une épouse délaissée qui se serait enflammée en cette année 1928 à la première courant d’air ! Parfaitement rompu aux techniques de drague les plus banales il avait tout de suite vu, en la regardant danser et évoluer dans les bras de son ventripotent époux, que la jeune femme s’ennuyait et qu’elle n’attendait qu’une occasion pour le cocufier. Si ce n’était pas déjà fait. Bel homme, brun aux yeux gris, il avait beaucoup de charme et plein de nouvelles idées, il était toujours disponible, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Contrairement à Günther. Une différence amusante si toutefois le dossier n’avait pas été aussi grave compte tenu du profil des intéressés, c’est que Ernst aurait également été juif. Par son père, ce qui ne semblait pas avoir contrarié les émissaires de Quandt lorsqu’il s’était agi de trouver auprès de sa famille l’assistance dont l’époux de Magda avait besoin afin de mener ses affaires à bien. Le jeune homme était un amant parfait et attentif, seulement Magda commettra l’imprudence de manquer de discrétion. Notamment lors d’un voyage à Bad Godesberg, où les jeunes gens seront repérés par les détectives de Quandt, un homme à présent habitué aux écarts conjugaux de son épouse et décidé à enfin y mettre le holà. Face à une telle liaison, il était impossible que les parents du jeunot tardent à réagir. Aussi, le fiston sera-t-il éloigné de la pulpeuse Magda et expédié à l’étranger afin d’y poursuivre ses études 46 . Il le prendra fort mal s’accrochant à une femme ayant visiblement quantité de plans différents des siens et l’ayant « amusé » comme un chat aurait amusé une souris avant de l’estourbir d’un coup de patte. Il n’est pas impossible que, suivant cette femme de loin, il ait décidé de revenir à un moment où il n’était plus attendu. Juste histoire de s’assurer que la place était à nouveau libre, ce qu’elle n’était plus tout à fait. Cette liaison a-t-elle provoqué un début d’incendie chez les Quandt, au moment où Günther s’était mis en tête d’équiper la future armée allemande ? C’est tout à fait possible, car il était parfaitement envisageable que les interdits du traité de Versailles ne perdureraient plus très longtemps, pressés par les attentes de nombre de nationalistes et de factions nouvelles proches du pouvoir. Et il y avait là, de l’avis de l’entourage de l’industriel, un pactole qu’il ne fallait pas laisser filer ! Après le textile et les accumulateurs et avoir jeté les bases d’un nouveau domaine bâti autour de l’agro-alimentaire et de l’exploitation de la potasse, Günther Quandt voyait grand. A défaut d’avoir trouvé une parfaite petite épouse. Quandt et ses multiples affaires, cet industriel et affairiste américain qui allait devoir s’employer afin de trouver d’autres maîtresses susceptibles de partager sa couche et, dans une moindre mesure, Ernst, ce

44 D’autres parleront d’un avortement pratiqué dans la clandestinité aux Etats-Unis au début de l’année 1928 que Magda Quandt subira dans le plus grand secret. 45 Un des acteurs de la vie mouvementée de Magda Goebbels ex-Quandt qui se serait nommé Fritz, voire Friedrich, selon les multiples versions en présence. Le fils de l’ancien secrétaire d’état d’Hitler, le biographe Hans-Otto Meissner indiquera que ce défaut de précision est lié au fait que l’intéressé s’était marié après la guerre, qu’il avait trois enfants de cette union et qu’il aurait sans doute été dommageable que l’indiscrétion jette un effet négatif sur l’existence de l’homme qu’était cet étudiant. Avoir été l’amant de la sulfureuse nazie Magda Goebbels, dont on craignait qu’elle ne fût nymphomane, c’était un peu lourd à porter ! Surtout après-guerre. Et il y aurait eu là de quoi mettre en cause l’honorabilité d’un homme surtout coupable d’avoir éprouvé du désir pour un être aussi répugnant ! 46 Il est probable qu’il soit reparti pour l’étranger à la fin de son aventure et que cela l’ait dispensé des sanctions nazies. Un départ lui permettant également de devenir avocat au sortir du conflit sans se trouver compromis comme il aurait pu l’être. 23 jeune avocat en devenir… sans compter les autres, tous les autres ! Magda les avait tous épuisés, tentant d’obtenir d’eux une parcelle de ce pouvoir infime qu’ils possédaient à l’exclusion d’Ernst, pouvoir leur servant à asservir ceux qui dépendaient d’eux sans pouvoir leur résister ! Un pouvoir qu’elle s’était toujours jurée de capter, consciente qu’elle disposait en parfaite manipulatrice, outre cette séduction, de la plus grande des puissances que peut avoir un être. Seul manquait à une liste déjà conséquente un nom, celui d’un homme auquel elle continuait de penser quand elle redevenait disponible, Victor. Victor semblant lui reprocher de n’être qu’une « goy »47 et donc un être ne pouvant comprendre sa motivation à lui, lui qui cherchait à rassembler ses compatriotes juifs sur une terre d’asile, en Palestine. Peut-être animé de la volonté de les sauver, alors que se précisait un danger allumé par des nationalistes allemands pareils à ce tribun de brasserie qu’on avait dû emprisonner à Landsberg au terme d’une tentative de putsch avorté quelques années plus tôt. En tout cas, après huit années passées aux côtés d’un Günther Quandt devenu totalement indifférent à la chose, il lui fallait absolument trouver un amant. Afin de provoquer l’inévitable, tant une séparation s’imposait.

Une fois connu le rapport des détectives qu’il avait recrutés, lassé d’être cocufié de façon outrancière, Günther jettera sa jeune femme dehors. Non sans observer une réaction empreinte de colère, se rendant compte que celle qui portait son nom se comportait dorénavant comme une véritable traînée. Sans même prendre la peine de cacher aux yeux de tous ce qu’elle ressentait quand un mâle lui plaisait, sautant d’une couche à une autre ! A l’évidence, cette garce-là devait aimer les chauds lapins, surtout pour se comporter ainsi et sans en mesurer les conséquences ! Affrontements et humiliation, rien ne lui sera épargné, Quandt apprenant qu’il ne lui avait jamais prodigué le moindre plaisir ! Un traitement qu’il jugera inacceptable ! Aux accusations qu’elle avait, un temps, portées contre lui, lui reprochant de l’avoir délaissée pendant leur vie du couple, Magda préfèrera finalement, en parfaite intelligence, menacer de publier des lettres « scandaleuses » sur les liaisons hors mariage de son époux, qu’il avait imprudemment laissé trainer et qu’elle avait retrouvées dans l’une des résidences secondaires du businessman. Il lui avait tellement fallu de temps avant de mettre la main dessus ! Cela lui vaudra d’obtenir une rente que lui versera Günther tendant à prouver que la dame avait de la suite dans les idées ! S’il peut être pardonnable de nourrir des pulsions, il vaut toujours mieux prendre quelques précautions afin de les cacher à un monde moralisateur, ou à une rivale ! En complément d’un appartement et de la promesse d’hériter du cinquième de ses biens s’il décédait, elle obtiendra une pension de 4 000 marks par mois et un droit de garde pour leur fils Harald. Satisfait d’avoir pu trouver un tel arrangement, Günther l’invitera à dîner chez Horcher, l’un des meilleurs restaurants de Berlin, soucieux de la remercier de ne pas avoir révélé son passé sentimental et amoureux à la presse et donc, forcément, à ses concurrents.

Ce divorce passé, tout ira d’ailleurs de mieux en mieux entre les deux anciens époux. Deux êtres faits plus pour les relations amicales que pour ce qu’ils avaient longtemps cru possible. Lorsque les nazis seront introduits dans les affaires, Günther 48 , d’abord fermement opposé à l’idée de nouer des relations avec eux, proposera par la suite de l’argent à Joseph Goebbels à la fin 1931, après avoir appuyé les actions du nouveau couple auprès des patrons de Rhénanie et de Westphalie. Cette attitude lui vaudra d’être inquiété par les Alliés au moment de « la distribution des bons points », parce que suspecte au même titre que différentes autres contributions techniques. Celles ayant, par exemple, permises de fournir au Troisième Reich des équipements militaires destinés à ses missiles et à ses sous-marins. Il sera également démontré que l’empire Quandt avait eu recours dans certaines de ses entreprises à de la main d’œuvre juive prélevée, comme chez IG Farben, dans différents camps de concentration.

7.

47 Un être qui n’était pas une Juive et qui était étrangère à leurs coutumes. 48 Günther Quandt deviendra le 2.636.406 ème membre nazi adhérent au NSDAP en 1932. Le 20 Février 1933, il participera activement à une réunion secrète entre Hitler et les industriels, au cours de laquelle ceux-ci s’engageront à fournir une aide spéciale d’un montant de DM 3.000.000 pour la préparation et la propagande des élections législatives en Allemagne de Mars 1933. En 1936, il obtiendra le titre de Wehrwirtschaftsführer (champion de l’industrie de la défense du Reich). 24 A vingt-huit ans, que pouvait désirer Magda Quandt ? Elle qui reconnaissait traverser une vie fade et absurde et déprimer en s’ennuyant, mélancolique comme aurait pu s’ennuyer une ancienne star de cinéma d’Hollywood ? Surtout depuis sa récente sortie d’hôpital, où elle avait été admise après ce grotesque accident de voiture causé par un admirateur new-yorkais trop entreprenant, un homme que l’on présente toujours sous les traits du très riche « neveu du Président Hoover ». Trouver un peu plus de piment que lors d’une aventurette de quelques instants, vécue dans le renfoncement d’une porte cochère berlinoise ? Assurément, mais quelle femme, sensuelle ou pas, n’en n’aurait pas rêvé à moins de trente ans ? Alors que son existence n’avait été qu’une longue attente d’envies déçues et qu’Harald, le gamin qu’elle avait eu de Quandt, avait déjà huit ans ? Croiser un homme susceptible de faire d’elle, rapidement, une femme remarquée, capable d’adhérer à un projet captivant, et pas seulement une maîtresse propre à satisfaire les appétits de n’importe quel mâle aux idées passéistes, oui, elle en avait envie. Mais cela supposait aussi quelques exigences et qu’elle y côtoie ce pouvoir qu’elle lorgnait avidement ! N’avait-elle pas déjà ambitionné d’être au cœur des élites à God Badesberg lorsqu’elle avait épousé Günther, avant que cet idiot-là fasse, à l’entendre, tout un plat d’une virginité qu’elle n’avait pas su conserver en vue de leur mariage ? Quelle attitude ridicule et prétentieuse que celle de ce vieil homme replet, imbu de sa personne ! Aurait-il donc fallu qu’elle se sente coupable d’avoir eu envie, sans attendre, de quelqu’un d’autre dès l’adolescence ? Les élites… ? Mais qu’en restait-il au juste de ces élites, surtout en cette fin d’année marquée par la disparition du Président Stresemann, et au lendemain de la mort déjà annoncée d’une République de Weimar. Ainsi que d’une économie plus que jamais sous le joug américain ? Magda se prit un temps à regretter d’avoir décliné l’offre du « faux neveu du Président Hoover ». Alors que deux ans auparavant elle était encore en mesure de parader aux côtés d’un capitaine d’industrie, que lui restait-il à présent de ces quelques contacts et adresses qu’elle n’utilisait depuis plusieurs mois que pour se donner le sentiment d’exister, se rendant de cocktails en cocktails et se complaisant dans un luxe ostentatoire ? Pas grand- chose à vrai dire. Sensible au pouvoir, et plus à celui des idées qu’à celui de l’argent, ce dont on aurait pu douter depuis sa dernière union maritale, il semble que ce soit à sa sortie de l’hôpital que Magda ait entrepris de prendre davantage son destin en mains, convaincue que son existence ne pouvait se limiter qu’à ce qu’elle en avait fait, sa liberté retrouvée. Une liberté passée la plupart du temps au sein de boîtes à la mode où ses dérapages alcoolisés et ses excès l’avaient vite fait repérer. Participant à quantité d’activités associatives sans vraiment s’y investir totalement, elle s’y montrait toujours prête à rallier le dernier concept à la mode, voire à fréquenter les derniers endroits où il fallait être vu de tous ceux qui les animaient. Et à Berlin, en cette fin d’année 1929, la ville n’en manquait pas. Aisée et disposant d’un splendide appartement de sept pièces de quasiment trois cents mètres carrés au cœur de Berlin, face à la Chancellerie, elle savait disposer en cette fin d’année de tout ce qu’il fallait avoir pour se faire remarquer. Tout en admettant que celle qui était devenue « un fameux coup » pour certains des mâles qui la pistaient, puisse encore être une inconnue dans les hautes sphères berlinoises ! Inconnue, elle ne l’était plus tout à fait non plus pour la baronne Viktoria von Dirksen, une quinquagénaire qui n’était pas la dernière à avoir appris sa séparation d’un Quandt dont elle avait juré de se venger, parce qu’il s’était vivement opposé, quelques mois plus tôt, à des thèses nazies qu’elle soutenait. Elle était donc ravie que son ex-épouse ait choisi, elle, d’accepter sa prochaine invitation en vue d’assister à l’un de ces débats qu’elle projetait d’organiser, où seraient probablement évoqués quantité d’échanges entre ceux qui croyaient désormais en une nouvelle Allemagne et à de nouveaux concepts.

Issue de la haute bourgeoise allemande, son excellence la baronne Viktoria von Dirksen 49 , épouse d’un diplomate, et chargée de relations publiques, a très vite compris que ce mois de novembre allait être d’une importance capitale pour son pays. D’autant qu’au lendemain du « krach » de Wall Street 50 les investisseurs américains avaient commencé à rapatrier une partie de leurs avoirs déposés en Allemagne. Et, si elle se réjouissait de voir sombrer ce capitalisme moribond, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter des conséquences que cette nouvelle crise provoquerait, surtout dans un pays aux abois. A Berlin, certains de ceux qu’elle fréquentait dans les salons où elle avait organisé tous ces derniers temps quantité d’échanges, s’étaient effectivement mis à rechercher de quelle manière il allait leur falloir

49 Son fils Herbert deviendra avant-guerre l’ambassadeur nazi à Londres. 50 Le 24 octobre 1929, le marché s’effondrera, des valeurs phare perdant 40% en quelques heures. 25 s’organiser pour ne pas finir de perdre ce qu’ils avaient réussi à sauver ou à créer. Il n’était en effet pas rare qu’elle croise des personnalités en charge de responsabilités, tant politiques qu’industrielles le jeudi soir au Kaiserhof lors de ses soirées à thème. Voire dans sa propriété berlinoise du 11 Margarethenstraße où elle animait un club devenu célèbre sous le nom de « Nordische Ring 51 », où l’on s’efforçait de croire à tout à fait autre chose que ce que l’on avait connu jusque-là. Grâce à quelques fidèles comme la Princesse Reuss zur Lippe, fille du Prince Hohenlohe-Langenburg, une partisane de l’eugénisme 52 très attachée aux débats sur la race aryenne et grâce, aussi, au soutien d’Hans Günther, un homme réputé être fervent supporter des thèses nationalistes et désireux, en qualité d’anthropologue et de théoricien des races, de promouvoir cette race nordique.

Accepter une telle invitation de cette baronne, qu’elle n’avait jamais pu croiser jusque-là, n’était-ce justement pas pour Magda l’occasion de fréquenter d’autres gens proches de ce qu’elle n’avait fait qu’entrevoir chez Quandt et, qui sait, peut-être même découvrir un nouveau centre d’intérêt porté par quelqu’un de sensible à ses vues ? Quelqu’un à qui elle pourrait aussi arracher, patiemment, une parcelle de ce pouvoir que beaucoup ne savaient pas utiliser à bon escient ?

Parmi ceux susceptibles de remarquer la jeune femme avide de pouvoir et de nouveauté qu’était en cette fin d’automne 1929 l’ex-Frau Quandt, un certain Auwi 53 , ancien officier de la marine impériale allemande. A quarante-deux ans, Auguste Wilhelm von Hohenzollern était resté quelque temps à la recherche d’une cause susceptible de retenir son attention. Et ce très bel homme à la stature impressionnante, ne cachant plus ses amitiés nationalistes, ne manquait pas d’ascendant. Même s’il était homosexuel, ce qu’il avait pourtant réussi à cacher à son entourage, en dépit d’un comportement souvent très efféminé et une liaison compromettante. Sans doute grâce à une paternité, puisqu’il avait eu un fils né d’une union avortée. Sensible aux thèses défendues par les nazis, fils de l’empereur déchu Guillaume II, le prince n’était toujours pas membre d’un NSDAP 54 qu’il s’apprêtait à rejoindre. Nombre des hôtes de Viktoria von Dirksen, Auguste de Hohenzollern en tête, se réjouissaient de cette soudaine effervescence politico-financière qui ne pouvait être profitable qu’à un homme dont on commençait à parler, un dénommé Adolf Hitler qui ne laissait plus grand monde indifférent. Peut-être parce qu’il réussissait à influencer ses auditoires. A la tête d’une douzaine de députés depuis les élections du début 1928, ses apparitions en public étaient fort appréciées, et Viktoria la première, aurait bien voulu l’avoir à une des tables de son cercle fréquenté par une grande majorité de membres de la haute société berlinoise, qu’ils soient diplomates, industriels ou aristocrates. Une opération qui aurait été susceptible de constituer un excellent moyen de promouvoir la supériorité de la race nordique de ce cercle ! Faute de parvenir à le convaincre d’assister à leurs premiers échanges, Viktoria obtint du leader nazi qu’il délègue, auprès d’elle, l’un de ses bras droits, un certain Joseph Goebbels, élu député au Reichstag. Un homme que l’ex-Frau Quandt n’aurait pu que remarquer, ne serait-ce qu’à cause du ton avec lequel il plaidait la percée nazie et la façon avec laquelle il s’était dressé contre le plan Young en public. Un plan destiné, selon lui, à appauvrir davantage encore une Allemagne à bout de souffle depuis l’entrée en vigueur des obligations de réparation économique liées au Traité de Versailles. Cependant, le Gauleiter 55 de Berlin Goebbels, que l’on présentait déjà sous des traits de révolté et d’agitateur, dut se faire excuser à son tour auprès des convives du cercle, se promettant de répondre plus favorablement à une prochaine invitation. Ce qu’il finit par faire quelques mois plus tard.

Un autre personnage auquel semblait tenir la baronne von Dirksen fut présenté à Magda en la personne d’un contributeur nazi proche de l’ordre de Thulé 56 . Un ordre dont elle n’avait jamais entendu parler,

51 Traduisible par anneau nordique. 52 Sanctionnant une pureté de la race telle que la préconisait et à l’origine de la solution finale. 53 Le prince de Hohenzollern, manquera en 1934 de faire partie de ceux qu’Adolf Hitler avait décidé de scarifier durant une Nuit des longs couteaux et une purge entreprise dans les rangs de certains S.A homosexuels. Il ne sera épargné que parce qu’il avait du sang impérial dans les veines ! Considéré d’après le Spiegel comme une sorte de « mouton noir » chez les siens, il militera chez les nazis à partir de 1930 devenant chef de brigade au sein des SA et sera élu député en 1933. Devenu plus distant à partir de 1942 et s’opposant à Joseph Goebbels en des termes assez négatifs, il sera contraint de se réfugier aux Pays-Bas. 54 Parti national-socialiste des travailleurs allemands. 55 Equivalent à une sorte de préfet. 56 Thulé était une société secrète maçonnique munichoise créée par un certain Rudolf von Sebottendorf qui a inspiré nombre de dirigeants nazis. 26 mais que cet homme marqué par les ans, et attentif à ce qu’il se passait autour d’eux, voulut faire connaître à tous ceux ayant pris place à sa table. Comme s’il avait soudain voulu leur livrer les raisons pour lesquelles il avait aidé Viktoria à promouvoir ce Cercle Nordique que certains découvraient, et où l’on s’attachait à encourager la renaissance d’une race sur le point de permettre à l’Allemagne de redevenir la nation du Dieu mythologique qu’avait été Odin. « Le nom de l’ordre auquel j’appartiens vient, leur dira-t-il, de l’Ultima Thule romaine, la capitale d’une contrée mythique localisée dans le Grand Nord qui aurait abrité une race de surhommes. Ce que confirme les travaux d’une spécialiste de la question sur laquelle nous nous appuyons, une certaine dame Blavatsky pour ne pas la nommer. Les habitants de Thulé, ou Hyperboréens, nous nous en sommes certains, auraient été confrontés à une fonte des glaces à la fin de la période glaciaire et certains d’entre eux, auraient pu échapper à ce cataclysme ». Hans Günther en était convaincu, leurs origines remontaient donc à une terre où les Aryens seraient arrivés après la dernière ère glaciaire. Désormais empreints de la tradition magique de l’Asie centrale, ces êtres auraient effectivement trouvé à se réfugier dans les entrailles de la terre et dans des galeries creusées sous l’Himalaya, voire dans d’autres lieux mythiques inaccessibles. Longtemps qualifiés de surhommes avant leur long périple, ces maîtres inconnus se seraient hélas fourvoyés avec d’autres races, et la leur aurait régressé. En s’inspirant des données qu’ils avaient pu recueillir tout au long des dernières années, les nazis avaient déjà commencé à rebâtir ce qu’il en était resté. Seulement, ils devaient à présent s’efforcer de purifier ce qui pouvait l’être, en luttant contre une certaine dégénérescence. Cette reconstruction passait inévitablement par l’adoption d’un dogme différent reconnu par les dieux de la nature et par l’obligation d’aller vers une nouvelle foi germano-celtique située bien au-delà de celle qu’ils connaissaient. Une foi impliquant aussi un retour au gothique et de renoncer au christianisme en bâtissant une nouvelle religion. Mais après tout, Odin n’était-il pas au départ le Dieu de la mythologie nordique ? Et cela bien avant l’avènement du Christianisme ? Cette recherche de ce qu’étaient les Allemands, serait forcément le catalyseur d’un espoir ultime faisant du prochain millénaire, celui de l’homme aryen. Parce qu’ils étaient missionnés, conclut Hans Günther, en vue de créer « un nouveau royaume de lumière » sur terre et faire en sorte que les mythes nordiques redeviennent les fondements de cette religion nazie restant à promouvoir ! De ce svastika , un symbole aryen, les nazis avaient fini par faire leur emblème, retrouvant dans d’autres contrées un témoignage de populations expatriées du Grand Nord. L’orateur était désireux de persuader les convives de Viktoria, de la justesse des principes qu’ils avaient tous choisi de défendre. N’avaient-ils pas été, ces derniers mois, jusqu’à adopter le salut de l’ancien ordre de Thulé « Heil und sieg » pour en faire un « Sieg heil » censé saluer le nouveau messie qu’ils s’étaient tous choisis ? Malgré, avait-il ajouté, les quelques divergences opposant certains de leurs membres, la renaissance de cette race aryenne à laquelle leur ordre était attaché, verrait bientôt le national-socialisme prendre toute sa place, et pourquoi pas, sous la forme d’une nouvelle religion. Autour d’une race ayant dominé une partie du monde et de cette hérédité germanique, ce débat ne manquait pas d’intérêt. D’autant que beaucoup de ceux qui avaient fait l’effort de répondre à l’invitation de Viktoria en étaient convaincus, le teutonisme se devait à présent de remplacer le christianisme ! Mené d’une table à l’autre, il n’avait pas non plus échappé à Magda, puisqu’il avait également été question du fait que les Aryens étaient déjà nés deux fois et que cette renaissance supposait une notion de puissance infinie. Une précision qui l’avait interpellée. Surtout évoquée par un tel homme et un autre personnage absent de leurs échanges dont le nom, Adolf Hitler, était régulièrement revenu lors de la discussion tout au long des débats. Cet homme susceptible de devenir le messie de cette nouvelle cause, n’avait-il pas affirmé que le national-socialisme n’était rien d’autre qu’une application pratique de l’enseignement du Christ, soulignant qu’un messie se devait d’être dur et brutal s’il voulait sauver l’Allemagne ! Tout comme l’avait été le Christ quand il avait reproché aux Juifs de vouloir le faire mourir, alors que Lui détenait la Vérité de leur seul Dieu. La réincarnation avait donc un sens et Magda en était à présent convaincue après avoir écouté attentivement ce dignitaire nazi. Restait ce « Führer » ou messie que promettait d’incarner cet Adolf Hitler et à propos duquel il fallait désormais qu’elle en sache un peu plus. Surtout parce qu’elle émanait d’un homme trouvant qu’un seul trait de génie valait bien mieux qu’une longue existence sans valeur !

27 8.

Sensible aux recommandations d’Auwi, et enchantée par sa soirée chez Viktoria, le rassemblement du NSDAP auquel avait fini par se rendre Magda au Sportpalast de Berlin quelques mois plus tard, lui permit d’en savoir un peu plus sur ce parti nazi. Même après en être devenue, et sans attendre davantage, le 297442 ème membre. Pouvoir mesurer le poids qu’un parti politique avait, était un domaine qui l’avait jusqu’ici laissée complètement indifférente, et vers lequel Günther Quandt avait, depuis leur divorce, tenté de l’entraîner sans cependant attirer son attention. Bien qu’il y ait eu ces obsèques récompensant à Berlin les mérites d’un vulgaire homme de troupe 57 et une manifestation contre laquelle le capitaine d’industrie avait protesté ! Fallait-il donc que leur pays aille si mal pour arriver à faire d’un agresseur un héros ? Celui qu’elle avait déjà rencontré au cercle de la baronne von Dirksen en février précédent, sans pour autant s’extasier sur le personnage, s’y était exprimé, faisant cette fois-ci appel à la tribune à un certain talent de persuasion. Au point d’engendrer les vivas de quelques quinze ou vingt mille personnes venues acclamer, plus un véritable tribun qu’un banal orateur cherchant ses mots sur une feuille de papier. Devenu responsable de la propagande nazie au terme de responsabilités qui lui avaient été confiées au mois d’avril, après avoir fait agrandir le siège berlinois du Gau avant une ambitieuse campagne électorale 58 , ce Joseph Goebbels avait su trouver un certain nombre d’arguments auxquels elle avait été sensible. Et puisque von Hohenzollern lui avait souligné qu’on avait besoin de gens comme elle, appartenant à un certain standing social, pour quelle raison n’aurait-elle pas répondu à un tel appel ? Puisque le bien-être de l’Allemagne en dépendait ! Pourtant, les drapeaux et les fanions, les relents âcres de transpiration, les uniformes et les marches impressionnantes déclinées en chœur par des excités…, il n’y avait pas là et Anja Klabunde le souligne dans son ouvrage, une agitation propre à remuer le cœur d’une femme n’ayant visiblement pas la moindre envie de participer aux manifestations d’une société en totale décomposition. Même quand les choses en valaient la peine. Seulement, ce tribun, n’en valait-il pas la peine ? Squelettique, de petite taille, une tête effilée en forme d’obus, Goebbels n’avait, avec son visage blafard, rien en lui qui aurait pu séduire une femme telle que Magda Quandt. Rien. Du moins au premier abord. Surtout à cause de son manque évident d’élégance vestimentaire et d’un chapeau paraissant trop grand pour la tête d’un être, que certains se plaisaient à comparer à un têtard, à cause de la disproportion de son torse et de ses jambes. Rien, si ce n’est que c’était un orateur disposant d’un timbre de voix vibrant et chaleureux où l’on percevait une détermination sans faille et d’une élocution habile faisant appel à des réparties violentes éructées sans hésitation. Sachant trouver la formule la plus adaptée à l’instant où il se trouvait, passionné à l’extrême, l’homme n’avait pas uniquement du caractère, il s’emportait facilement. Surtout, lorsqu’il était contredit ou nié dans ses affirmations. Exalté, il fallait bien admettre que dans son domaine de prédilection, il donnait le sentiment de savoir s’exprimer. A l’évidence, les nazis avaient recruté là un oiseau rare décidé à faire en sorte que les Juifs s’effacent d’un monde qui n’était plus décidé à les tolérer. Lui, le premier. Parce qu’ils étaient coupables, selon lui, d’avoir manipulé la science et que le capitalisme n’était que le produit d’une organisation conspiratrice juive ! Force est de constater qu’il ne manquait pas d’idées ! « Nous serons bientôt en mesure de vous enseigner des prières athées »59 avait-il lâché un jour à son auditoire du haut d’une tribune, fier de sa trouvaille, l’index pointé vers ceux qu’il entreprenait de convaincre, ravi de l’influence grandissante qu’avaient les nazis sur les masses. Au risque de froisser tous ceux qu’il prenait souvent pour « de véritables canailles » et peu attachés à la grandeur de cette Allemagne qu’il s’était juré, lui, de servir envers et contre tout ! Magda pensa que la brutalité de cet homme de trente-trois ans au regard perçant, sachant jouer avec les émotions d’un public, avait de quoi interpeller 60 . Son mépris à l’égard des parasites, aussi. A coup sûr,

57 Horst Wessel décédé en février 1930 et qui deviendra une sorte de symbole. 58 Cette campagne permettra aux nazis d’envoyer au Reichstag 107 députés. 59 « Jetzt werden wir euch das Atheisen Beten beibringen » 60 Louis Lochner, un journaliste américain, chef du bureau berlinois de l’Associated Press, qui avait vu et entendu Goebbels en 1932, avait remarqué cette voix d’une qualité très percutante, tremblante d’émotion, les gestes passionnés de l’intéressé, une attitude générale semblant être celle d’un homme drapé de fanatisme et à un point tel que le temps n’avait aucune prise sur lui, tant qu’il n’avait pas terminé ce qu’il était venu livrer. C’était un showman sachant exactement ce qu’il faisait, donnant l’impression de faire l’amour à des gens hypnotisés par le ton qu’il employait. 28 c’était un cinglé à l’aura extraordinaire, une sorte de bête de scène aimant les joutes oratoires, et habile de ses mains. Des mains, longues et nerveuses, dont il donnait l’impression de ne savoir que faire quand il ne s’en servait pas pour appuyer une déclinaison ponctuée d’accusations haineuses. Un homme qui – elle l’apprendra de la bouche de Viktoria – avait le sentiment d’être toléré à l’université où il se sentait être un paria et un proscrit ! Non parce qu’il était moins intelligent que les autres, mais parce qu’il manquait d’argent, alors que les autres plongeaient généreusement leurs mains dans les poches de leur père. Pourtant elle se demandera longtemps comment cet étudiant, au départ assez simple, timide et romantique, avouant aimer Goethe et le romancier Wilhelm Raabe, avait pu se radicaliser de la sorte, reconnaissant avoir perdu la foi très jeune et déterminé depuis à purger l’Allemagne de ce qu’il considérait comme l’eczéma empoisonné d’un pays malade. Elle en était persuadée, ce talent-là n’attendrait guère avant de s’imposer. Si ce n’était pas déjà fait car les motivations de cet homme fascinant ne manquaient pas d’intérêt. Souffrant de carences l’ayant fragilisé, l’existence en avait fait un adolescent peu sûr de lui, habité par la seule idée de se venger. Etait- ce dû au fait que plus jeune, on l’avait qualifié d’être un mouchard arrogant, voire un prétentieux sachant toujours tout mieux que les autres ? Longtemps complexé par une jambe plus courte que l’autre à la suite d’une ostéomyélite, une maladie microbienne qui s’était attaquée à la moelle osseuse de l’une de ses jambes, cet infirme boiteux avait dû également lutter durant sa petite enfance contre une inflammation des poumons. Avant d’obtenir un doctorat en philosophie. Pour quelle raison le propagandiste nazi donnait-il le sentiment d’être aussi accessible ? Etait-ce dû au fait que Magda avait appris de ses relations, qu’il reconnaissait s’abêtir complètement au contact des représentantes du sexe faible ? Une façon de souligner quelles étaient les interrogations d’un homme se cherchant en permanence. Car, pour qu’un tel être fasciné par la beauté et avouant aimer les femmes mûres, puisse avancer de telles choses, alors qu’il donnait l’impression de ne rechercher que des compagnies féminines, c’était le signe d’une certaine fragilité. Peut-être celle d’un homme, pas forcément aussi faible que l’aurait été un être privé de biens matériels, mais, plus sûrement faible au plan caractériel. Ce qui traduisait, selon Viktoria, cette envie d’avoir voulu plus jeune, attenter à plusieurs reprises à ses jours.

Dans un numéro de Spiegel, parlant de Magda, cette enfant illégitime née des amours d’une employée de maison, Carlos Widmann dira que l’ex Frau Quandt avait admis trivialement « avoir pris feu » en croisant le regard hypnotisant du docteur dès ce premier meeting. Etait-ce lié au fait qu’elle avait envie d’un mâle susceptible de l’aider à oublier et Victor, et Ernst ou s’agissait-il de tout à fait autre chose ? Sa propre mère Auguste confirmera l’emportement de sa fille dans ses révélations au Schwäbische Illustrierte : « Magda était enflammée et transportée et elle avait cessé de l’écouter après les premières phrases, car elle ne s’intéressait qu’à la façon dont il parlait. Parce que cet homme qui, d’une seconde à l’autre, pouvait passer de l’emportement le plus virulent à la froideur absolue, s’était adressé à elle en tant que femme et non en tant que membre du NSDAP, il fallait qu’elle fasse sa connaissance, et qu’elle rencontre cet homme qui l’avait bouleversée ». A tel point que la jeune femme se procurera rapidement une édition de Der Angriff 61 , curieuse de décrypter davantage les objectifs nazis et de rencontrer cet autre meneur d’hommes que semblait être Adolf Hitler, qui n’avait pu lui être présenté au Cercle nordique et que l’on disait de santé précaire. N’était-ce pas finalement grâce à lui que Magda avait réussi à redonner un certain sens à son existence ? Sorte de brute aux manières élégantes à propos duquel on cancanait beaucoup, il ne pouvait manquer d’interpeller. Célibataire endurci d’une quarantaine d’années, hypocondriaque dans l’âme, d’une apparence quelconque que ses opposants prenaient, selon Viktoria, pour un obsessionnel compulsif, avait des traits qui n’avaient rien d’harmonieux. Surtout, disait-on, à cause de cette mèche de cheveux retombant régulièrement sur son front, et d’une moustache large d’à peine dix centimètres, faisant de lui un clown. Le chroniqueur américain Edgard Mowrer, n’était pas le dernier à le moquer disant que ses cheveux, son manteau en peluche, et des gestes empreints de facilité, en faisaient un dandy provincial qui avait plus l’air de ressembler au vendeur ambulant d’une entreprise de vêtements qu’à un terrible rebelle ! D’abord considéré comme l’illustration d’une plaisanterie, il était devenu un fléau et il se transformera un peu plus tard en dictateur. D’origine autrichienne, il s’était mis en tête de sacrifier sa vie personnelle

61 Der Angriff est le média du parti nazi et a été fondé par Joseph Goebbels en 1927. 29 afin de sauver l’Allemagne, faisant même de son pays adoptif une fiancée ! Une affirmation surprenante de la part d’un homme qui, tout comme Goebbels, était hostile aux juifs, tout en se plaisant à dissimuler son aversion. Ne disait-on pas également que l’intéressé, aujourd’hui reconnu pour avoir été un voyeur et un coprophage 62 , éprouvait une tendre inclinaison 63 pour une nièce, Geli, sur laquelle il veillait jalousement, montrant qu’il n’était donc pas aussi insensible que ça au charme féminin. Une lettre qu’il avait écrite en 1927 à une jeunette de Berchtesgaden, Maria Reiter, devenue « son tendre amour » après qu’elle eut assisté à l’une de ses démonstrations en public, le confirme. Malgré l’avis de quelques observateurs qui en avaient fait un homme que beaucoup de rombières 64 avaient à cœur de réconforter, c’était pour certains de ses autres détracteurs un sado masochiste ou un être effrayé par une quelconque dépendance affective. De l’avis d’un Goebbels aimant plaisanter à ce propos dans les cercles qu’il fréquentait, « si Hitler n’avait pas de chance avec les femmes c’est parce qu’il était trop mou avec elles et que les femmes n’aiment pas ; parce qu’elles doivent sentir que l’homme leur est supérieur ! »

9.

Cette puissance nazie que Magda s’est jurée de découvrir, l’a cependant contrainte à s’assujettir à un certain nombre d’obligations, notamment celle de mettre un terme à ses fréquentations juives. N’était-ce pas le prix à payer afin de satisfaire ses tout nouveaux projets relationnels et graviter dans un monde où tout était assorti d’antisémitisme et d’un certain pouvoir ? Ce pouvoir que la jeune femme brûlait justement, et de plus en plus, de domestiquer, en se lançant à l’assaut de ce tribun ? D’abord parce qu’elle aimait les hommes capables de se perdre dans des rêves inaccessibles, tout en imaginant que ceux-ci puissent un jour devenir réalité. Son amie d’enfance Lisa, Victor le sioniste, Ernst, son dernier amoureux étudiant en date, et ce père, Richard Friedländer, qui l’avait aimée à sa façon et devenu gênant, encombrant même... Depuis son union avec Quandt, il est vrai qu’elle ne l’avait pas revu. Toutes ces relations, il fallait les oublier définitivement, et mieux, faire comme si elles n’avaient jamais existé, de façon à ne pas jouer sur deux tableaux à la fois. D’autant que ses nouvelles relations du cercle avaient le vent en poupe et qu’il lui fallait trouver de nouveaux alliés susceptibles de lui être utiles. Bien sûr, il reste cette étoile de David, un pendentif que lui a offert Victor et qu’elle a égaré, mais...

Trouver une place au NSDAP auquel elle vient d’adhérer n’ira cependant pas sans mal. Non sans qu’on ait suggéré à Magda de lire deux ouvrages que tout adhérent au parti nazi se doit de connaître, à défaut de les dévorer. L’un, Mein Kampf d’Adolf Hitler, et l’autre, Le mythe du XX ème siècle d’Alfred Rosenberg paru au début de l’année, l’éclaireront sur ce que veulent ceux qu’elle vient d’approcher au Sportpalast. En plus de cette nouvelle religion évoquée chez Viktoria par ce représentant de l’ancien ordre de Thulé, et de nazis désireux de procéder, eux aussi, à une transfor-mation radicale de la société dont elle se sentait encore si lointaine... cette nouvelle idéologie bâtie autour de l’âme d’une race supérieure, comme cela paraissait enthousiasmant pour Magda ! Comment d’ailleurs cela ne le serait-il pas quand apparaissait une telle volonté de mettre un terme à une dictature de la médiocrité ? Si souvent évoqué lors de la soirée chez Viktoria von Dirksen et repris dans le logo nazi, ce svastika , elle l’avait déjà aperçu à maintes reprises dans des travaux développés chez les bouddhistes. Et cela ne pouvait l’inciter qu’à pénétrer ce qui ressemblait à une sorte de pouvoir sur les êtres. Au point que se souvenant des prévisions d’une tireuse de cartes rencontrée dans le quartier où vivait Victor, elle va vite se proposer d’aider bénévolement Hans Meinshausen à la diffusion de la propagande du parti afin de parfaire ce qu’elle a appris. Elle sera néanmoins dans l’impossibilité de parvenir à convaincre son « premier vrai faux père » Oskar Ritschel du lien de ce svastika avec le bouddhisme, et un homme d’avis,

62 Appréciant les matières fécales, une tare non avérée qui aurait été due à un trouble psychiatrique et des carences nutritionnelles. 63 Certains prétendront un peu plus tard que le dictateur nazi souffrait d’une neuro syphillis qui lui aurait interdit les rapports avec des femmes. A cause d’un mal contracté pendant la Première Guerre Mondiale quand il était au front, mal justifiant la présence d’un spécialiste des maladies vénériennes près de lui, le docteur Théo Morell. 64 Dont Hélène Bechstein, épouse d’un fabricant de pianos, pour laquelle il était devenu « Mein Wölfchen » (son petit loup) et qui lui avait offert une splendide Mercedes facilitant dès 1928 ses déplacements pendant les campagnes électorales. Elle proposera d’ailleurs à son Wölfchen d’épouser sa fille, sans que sa demande soit prise en considération par le dictateur. 30 lui, de ne pas confondre les enseignements de Bouddha avec les thèses nazies, ni ce symbole d’énergie solaire, avec celui synonyme de terreur illustré par ces croix gammées inversées ! Il en profitera afin de mettre en garde sa belle-fille sur le danger de ses nouvelles fréquentations, navré qu’elle fasse de tels rapprochements alors que, symbole parmi les symboles, les nazis n’ont pas hésité à orner leurs couvre- chefs d’une tête de mort ! Günther Quandt, que Magda voyait toujours, et devant lequel elle brandira les écrits d’un certain Gottfried Feder, un homme 65 disposant de solides connaissances économiques, ne sera pas moins dissuasif, s’opposant également à ces nouvelles fréquentations, au grand désappointement de l’intéressée.

L’endroit où on a invité Magda à servir au terme d’un court intermède chez Meinshausen, afin de promouvoir les actions nazies en cette fin d’année 1930 est, hélas, fréquenté, non par de petites gens dont elle aurait pu se sentir proche, mais par de petits employés travaillant dans des magasins d’alimentation ou par des concierges et des retraités. Ces gens que l’ex-Frau Quandt jugeait inintéressants, ne voyaient- ils en elle qu’une parvenue parfumée ne s’occupant de politique que par oisiveté ? Assurément, puisqu’ils reprocheront longtemps à leur chef de groupe d’avoir à leur égard un ton condescendant et de montrer un air supérieur en leur témoignant un certain mépris. Magda va donc se trouver obligée de rechercher un autre type de collaboration bénévole, et à se présenter au siège de la direction du Gau au 10 Hedemannstraße en vue d’y trouver un emploi plus à même de correspondre à ses désirs et compétences. Ne parlait-elle pas quasiment couramment trois langues et ne pourrait-on pas…? Meinshausen, l’adjoint à la propagande, ayant très bien compris à qui il avait à faire devant autant de détermination, le lui procurera. Seulement, en acceptant d’aider aux archives personnelles de son supérieur hiérarchique, où il semble y avoir le plus de besoins en ces temps troubles que traverse l’Allemagne en novembre 1930, Magda ne sait pas encore ce qui l’attend. Après s’être essayée à ces actions de promotion dans les rues de Berlin au sein de toute cette populace, force était de reconnaître qu’elle n’avait pas trouvé à l’antenne de Westend ce qu’elle attendait de ce bénévolat chez les nazis. Mais, ce qu’elle attendait, n’était-ce pas justement de croiser à nouveau le tribun qu’était ce Joseph Goebbels ?

En se rendant au Gau, elle n’est pas passée inaperçue ! Loin s’en faut ! En croisant dans l’entrée de l’immeuble de la Hedemannstraße celui qu’elle s’était mis en tête de rencontrer, le propagandiste nazi aux yeux de fouine, a pourtant dû baisser les siens devant l’insistance de son regard. Conquis par l’élégance de celle qu’il avait trop vite projeté de faire plier, il n’y est pas parvenu. L’imaginait-il, en créature soumise acceptant d’être traitée sans le moindre égard, avec, comme le dira Carlos Widmann dans un article de Der Spiegel 66 , ces yeux bleu surdimensionnés ? Sentant l’homme la détailler de bas en haut, et s’attarder sur la courbe de ses hanches, elle s’est même pénétrée d’un sentiment, celui qu’il lui fallait absolument cet homme ! Seulement, si elle est prête à abandonner de son temps et aider à une cause ayant retenu son attention, il n’entre cependant pas dans ses intentions de devenir une victime. Et, si ce boiteux a envie qu’il se passe quelque chose entre eux, il va lui falloir faire le beau ! Comme tous les autres, et ceux que Magda a « laissé opérer » fous de désir, s’arrangeant au passage, pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls au monde et elle sait comment s’y prendre quand il s’agit de faire craquer un homme. La dame Quandt est d’autant moins passée inaperçue qu’elle fera très vite partie du secrétariat du futur ministre. Cela lui vaudra d’être présentée à une dénommée Anka Stahlherm, que ce dernier lui a donné le sentiment de toujours observer, non sans une certaine envie 67 . Apparemment, si l’homme que connaît Viktoria, est un être complexé, c’est aussi un chaud lapin capable de se démultiplier et justement, cela tombe bien, parce qu’elle aime, elle, les hommes ne doutant de rien, sachant assurer. Ce solitaire, reclus, que l’on a été jusqu’à traiter de « Germain rétréci » a dû souffrir des moqueries de ses camarades quand il était adolescent, faute de pouvoir participer à leurs jeux à cause de la claudication dont il souffre. Mais si, pour Viktoria, c’est un écrivain de talent, c’est aussi, hélas, un être qui se fabrique beaucoup trop

65 Il sera l’un des premiers députés nazis élus au Reichstag en 1928. 66 Un article daté du 24 septembre 2001. 67 Goebbels proposera d’ailleurs au début des années quarante à son ancienne petite amie un emploi d’éditrice au sein d’un magazine de mode : Dame. Avant, par la suite, de la décharger brutalement de ses fonctions. Parce qu’elle lui avait rappelé le talent d’un certain… Heinrich Heine ! 31 d’ennemis, parfois même imaginaires, et qui, s’il s’estime être une victime de « la juiverie », sait aussi se présenter aux yeux des autres sous les traits d’un homme décidé à façonner désormais l’opinion publique. De l’avis de celle-ci, si l’antisémitisme d’Hitler avait prospéré au lendemain de la guerre 68 après la disparition d’une mère qu’il adorait, Joseph Goebbels a, quant à lui, dû subir un refus, celui de voir ses écrits et travaux de philosophe publiés. Dirigée par un intellectuel juif, la maison d’édition à laquelle il s’était adressé ne les avaient pas trouvés suffisamment aboutis. Et si un média, Le Berliner Tageblatt 69 , a accepté d’étudier sa candidature de journaliste en 1924, il n’y a jamais donné suite, estimant que les articles d’un débutant provincial n’étaient pas à privilégier rapport à d’autres. L’heure de la vengeance venue, ils le regretteront tous car le plus radical de tous les radicaux 70 , s’arrangera pour exclure les Juifs de la vie culturelle allemande, se vengeant de ceux qui lui avaient mené la vie dure.

La « sucrerie blonde », telle que la décrira Goebbels dans l’une des pages de son journal, promettait de devenir rapidement l’une des gourmandises préférées du nabot. Du moins s’il faut en croire l’affreux tribun d’Adolf Hitler, un libertin que l’on disait habité par le Malin, parce qu’il était né avec, en guise de pied, un sabot fendu, faisant de lui un inoubliable Méphistophélès. Alors que ses parents avaient failli faire de leur petit Juppche 71 un ecclésiastique ! Sans être aussi désarmante qu’elle l’était de son côté à l’âge de 15 ou 16 ans à un moment où on lui aurait donné le bon Dieu sans confession, Magda était une femme sachant devenir belle quand on la désirait voire provocante, ajoutant de la suggestion aux fantasmes masculins ! Et la provocation, Joseph Goebbels savait ce que cela sous-entendait, lui que l’on assimilait déjà à un « coureur de jupons invétéré », susceptible d’afficher en permanence un sourire enjôleur pour les besoins d’une propagande habile. « Je tourne autour des femmes comme un loup affamé, tout en restant timide comme un enfant », confiera-t-il un jour à son journal de bord dont on se demande toujours comment il pouvait être tenu à jour. Timide il le sera longtemps avant d’oser se lancer à un effeuillage en règle. Alors que l’ex-Frau Quandt n’attendait que ça. Anja Klabunde l’indique dans un ouvrage consacré à cette dernière, il s’était pourtant convaincu de ne plus en aimer désormais qu’une seule ! Une promesse qu’il aura du mal à tenir face à une femme partagée par ses multiples envies et aimant également les sucreries ! D’où qu’elles viennent ! Bien qu’elle eût connu le catéchisme par cœur, la future épouse du libertin n’était effectivement pas une nonne ! A plus forte raison douze ou treize ans après avoir découvert l’amour dans les bras de son premier amant juif et en avoir tiré un plaisir manifeste. Encore qu’elle devait trouver amusant de « faire tourner un tel homme en bourrique » ! Ce qu’elle choisira souvent de faire face à ce suppôt du diable, auquel on prêtait déjà tant de puissance.

Aussi, se rendant compte du désir qu’elle a su susciter, va-t-elle, dès lors, jouer une sorte de pantomime destinée à faire capituler celui-ci. Perverse, mais sans être au départ décidé à faire appel à sa technique habituelle, il semble que la séductrice qu’elle savait être, avait choisi de le « faire languir » avant d’accepter que leurs travaux d’approche aillent un peu plus loin. En oubliant, par exemple, de se rendre à leurs rendez-vous ou en évoquant un soudain besoin de le quitter, sans se justifier. Sans laisser de côté des tenues suggestives où il manquait toujours un bouton au mauvais endroit, ou des jupes fendues laissant deviner un galbe, voire les attaches d’un porte-jarretelles. Passées quelques semaines de tergiversations, les deux futurs amants, qui avaient passé trop de temps à s’exciter mutuellement, durent bien se faire à l’idée qu’ils avaient dépassé le stade de l’excitation. Chacun en était conscient autour d’eux, les anciennes « habituées » de Goebbels, les premières. Il sera donc un beau jour invité à un dîner de travail savamment improvisé dans le gigantesque appartement où vivait la jeune femme. Un endroit où, dans un cadre grandiose, à deux pas de la Chancellerie, tout n’était que profusion de luxe et affaire de goût, car l’hôtesse était sensible à l’expression d’une culture picturale et aimait montrer à ceux qu’elle invitait quelles étaient ses affinités. En dehors des parties fines, un domaine où elle était inégalable.

68 Et non à Vienne comme on l’a trop souvent dit, pour justifier d’avoir été exclu du monde de l’art. 69 Le Berliner Tageblatt était dirigé par des juifs. 70 Un aveu qu’il fera à Nuremberg en 1935, lors de l’adoption des lois raciales anti juives. 71 Diminutif affectueux de Joseph donné à Goebbels par ses parents. 32 Pendant quelques mois l’ex-Frau Quandt aura donc à se partager entre deux hommes, son luxueux appartement du centre de Berlin où elle retrouvait de temps à autre son amant juif, le jeune Ernst, et le repaire de Steglitz où demeurait le propagandiste. Mais deux hommes en même temps, n’était-ce pas une situation rêvée pour une nymphomane ?

10.

Magda, convenait-elle à Joseph Goebbels, cet homme complexé à la jambe traînante et aux longues poignées de main énergiques trop souvent baladeuses, réel pourfendeur de canailles devant l’Eternel ? Assurément, si l’on en croit les notes qui lui ont été données au terme de leurs premiers accouplements et portées sur un journal de bord où étaient consignées ses impressions de propagandiste. Bien avant que son « kilo de sucre préféré » ne rencontre celui qui allait rapidement devenir son époux mystique et que les premiers travers de Magda ne commencent à démolir un être déjà passablement limité au plan de l’ouverture d’esprit. Au nom d’un « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ». Tout en évoquant leurs échanges sexuels de février, Goebbels écrira qu’il avait apprécié ces petites sucreries et un ensemble de distractions que le docteur, réputé être lui aussi égocentrique, jaloux, et dominateur, commentera, en les numérotant dans son journal, comme n’importe quel obsédé ou voyeur se retrouvant dans l’incapacité d’extérioriser un ressenti. Sans se douter qu’en termes d’égocentrisme, il trouverait à qui parler avec cette femme au regard hypnotique et glacé qui n’avait rien à envier à celui de maints autres dignitaires nazis. Cette volonté de fer propre à une femme qu’il fallait surtout ne pas décevoir et sûre d’elle a été rapidement source de tensions. Il le confiera du reste à son indispensable journal : « c’est une enfant fabuleuse. Je dois seulement ne pas trop me laisser absorber… d’abord le parti, et ensuite Magda ! » Dans ce journal se succèderont toutes celles dont elle aura par la suite à se méfier, et ce sera très vite le cas puisqu’ils arriveront, sans attendre, à se chamailler à propos d’une certaine comtesse Hoyos que le libertin nazi trouvait « charmante ». Si la sucrerie blonde n’attendait que l’occasion de pouvoir fondre définitivement dans un même breuvage nazi, tout était de temps à autre sujet à divergences entre les deux « chauds lapins ». Au point de déclencher, entre deux trop fortes consommations de sucre, de véritables affrontements que Goebbels a consignés dès le 26 mars restant remarquablement concis, indiquant seulement : « Amour, dispute, amour ». Ce qui veut tout dire et justifie que la perverse Magda rende au « nouvel élu de son cœur » la bague de fiançailles qu’il avait cru devoir lui offrir pour sceller une entente, loin d’être au beau fixe en permanence. Ce sera le cas à plusieurs reprises après coup, malgré leurs week- ends dans le Schleswig-Holstein ou, quelques semaines plus tard, dans le Mecklenbourg. Magda n’avait pourtant rien d’une beauté sculpturale, propre à attirer l’attention de tous les hommes. Séduisante et, plus que séduisante, surtout envoûtante, restait ce regard insistant, parfois implorant, mais d’une froideur capable d’interpeller autour d’elle. Ce sera le cas d’André François-Poncet, ambassadeur de France en Allemagne nazie entre 1931 et 1938. Elle aurait indiscutablement gagné à laisser plus longs ses cheveux blond platine que l’on aurait pu croire décolorés. Parce qu’assortis à une sévère mise en plis, ils durcissaient des traits banals, nuisant à ce qui restait de son adolescence. Les documents conservés le démontrent. Si certains la trouvaient belle, malgré un visage d’androgyne et un nez assez imposant, on l’aurait plutôt imaginée capable de séduire une beauté comme il s’en est trouvées dans son cercle d’influence et, malheureusement aussi, dans l’entourage du docteur Goebbels, beautés qu’elle n’aura pas toutes réussi à écarter de la couche de son époux. Certes, ses nombreux chapeaux ou ses coiffes du meilleur goût, lui conféraient de l’allure, une certaine classe et de l’élégance, grâce à des vêtements d’excellente coupe et des toilettes qui ne devaient attendre qu’elle. Mais, pour le reste… Un examen attentif de la femme qu’était Magda Quandt au moment de son implication nazie amène à un autre constat : celui que cette redoutable séductrice avait perdu de son éclat dès la disparition de celui pour lequel elle éprouvait un désir plus fort que tout. Une fois Victor assassiné à Tel-Aviv en juin 1933, elle n’aura plus le rayonnement qu’elle avait eu jusqu’alors lorsqu’elle se faisait prendre, parfois sans discrétion, dans le renfoncement d’une porte cochère berlinoise.

Leurs étreintes répétées, entre deux disputes et séparations, auront évidemment des conséquences fâcheuses auprès de ceux que Magda continuait à voir, et notamment auprès d’un jeune Ernst se doutant,

33 que sa maîtresse lui cachait certaines choses, et que celle-ci avait choisi de se tourner vers d’autres distractions nocturnes. Lorsqu’il apprendra qu’elle s’était entichée de ce docteur nazi antisémite, ce qu’elle niera pourtant, Ernst réagira fort mal et ira jusqu’à la menacer d’une arme 72 . Sans que la balle qui lui était destinée ne l’atteigne, partant s’encastrer dans l’huisserie d’une porte. Saisi de cet incident, et très bien informé grâce aux services nazis, Goebbels blâmera sa future épouse, lui reprochant d’avoir eu un comportement ridicule. Cela sans oser lui avouer qu’amoureux d’elle, il aurait été navrant qu’il la perde, surtout tuée par la main d’un Juif ! Un fait que le nabot nazi a consigné dans son journal, notant le 12 avril 1931 un : « L’homme qu’elle aimait avant moi, l’a gravement blessée par balle 73 . Elle est complètement égarée et je crois que je vais la perdre ! » Pour le jeune Ernst, cette révolte sonnera le glas de ses vaines espérances. Parce qu’aux yeux de son ancienne maîtresse, il n’existait déjà plus, en supposant qu’il ait existé, ne serait-ce qu’un seul jour jusque-là. Les paroles de rupture seront blessantes, voire humiliantes, l’attitude de la dame Quandt aussi, peu conforme à celle qui aurait dû être celle « d’une dame ». Lui, Ernst, il l’aimait mais elle, face à un grand vide qu’elle s’efforçait de combler comme elle le pouvait, était-elle et a-t-elle été un seul jour en mesure d’aimer quelqu’un ? Et qu’aurait-il donc fallu à cet homme pour que Magda lui conserve un attachement ? Qu’il se comporte mal avec elle, usant et abusant d’une force masculine donnant aux intéressés un sentiment de grandeur ? Si Goebbels s’était montré très respectueux jusque-là des sentiments que la jeune femme pouvait avoir à l’égard de ce qu’était Ernst et de tous ces Juifs, c’était parce qu’il avait eu beaucoup de mal à oublier une certaine Anka Stahlherm, une jolie blonde que Magda avait déjà eu l’occasion de rencontrer lors d’un déplacement, avant de lui céder. Il n’est pas impossible non plus que les talents de manipulatrice de sa future épouse l’aient incitée à tisser au passage une couronne de lauriers à ses anciens amants et à ce Victor Arlosoroff. Dans le but de rabaisser le propagandiste et de le rendre jaloux, ce qu’un commentaire retrouvé sur le journal de Goebbels suggère : « Elle est parfois tellement dépourvue de cœur lorsqu’elle raconte son passé ! »

Les premières affaires de cœur de l’affreux docteur laissaient c’est vrai un peu à désirer. Qu’il se soit agi d’Elisabeth Gänsicke à la fin de l’année 1924, de Léna Klage qui soulagera l’un de ses premiers tourments d’adolescent mal dans sa peau, ou des suivantes, deux sœurs du nom de Liesl et Agnès. De Léna dont il embrassera fougueusement la poitrine, Goebbels dira justement un peu plus tard, non sans une poésie assez recherchée, « qu’elle avait su ce jour-là ce que c’était d’être une femme aimante ». Mais lorsqu’une enseignante dénommée Else Janke lui révèlera ses origines juives, il parlera de charmes anéantis et que « la course au bâtard devait prendre fin, parce qu’il ne pouvait lui être d’aucun secours ». Alors qu’ils entretenaient tous les deux une relation depuis plusieurs années, qu’il l’aimait plus qu’il n’aurait pu le penser, et que c’est cette même Else qui, lui ayant offert sous la forme d’un carnet de ressentis, le moyen de témoigner, est à l’origine de ces annotations retrouvées dernièrement par les historiens. Anka Stalherm avait, elle, étudié le droit et l’économie à l’Université de Fribourg avant que sa route ne croise celle du libertin nazi en mai 1918. Née dans une famille aisée de Recklinghausen, cette femme de trois ans son aînée avait, selon lui, une bouche passionnée extraordinaire et des cheveux bruns mêlés de blond tombant sur une nuque merveilleuse. Ils grandiront l’un près de l’autre, elle plus vite que lui, au point de former ensuite un couple, au grand désespoir de parents n’encourageant vraiment pas cette relation, alors qu’il était jeune étudiant sans le sou. Lorsque les deux jeunes gens se sépareront en 1920 et qu’Anka liera un temps son destin à celui d’un avocat, Georg Momm, Joseph prévoira, une fois encore, de mettre un terme à une existence insatisfaisante. Pourtant, en 1927, sept ans plus tard, la jeune femme tentera de renouer leur relation.

Dans son journal, le libertin nazi louera longtemps Magda pour les forces qu’elle lui communiquait. « L’amour ne m’entrave pas, dira-t-il, il m’anime. Magda n’est pas seulement belle, elle est bonne et intelligente. Je l’aime au-delà de toute mesure ». Il ajoutera, peu de temps après la naissance d’Helga, leur

72 Une réaction que certains observateurs prêtent à Victor Arlosoroff, le premier amant juif de Magda. Si l’on se réfère au journal intime de Magda, il n’est pas impossible que le sioniste soit également venu à son appartement lui demander des comptes. Parce qu’elle lui avait adressé une supplique écrite, l’invitant à cesser de lui écrire car elle allait se marier. 73 La future Frau Goebbels avait tout d’abord prétendu que Ernst l’avait blessée par balle, ce qui était faux puisque le projectile était allé se ficher dans l’huisserie d’une porte. 34 premier enfant, « Que Dieu me conserve cette femme, car je ne peux vivre sans elle. J’ai grandi avec elle ! » Son Führer, lui-même, était d’un avis identique au sien : « Une femme aussi intelligente que belle ne va pas vous entraver, elle va vous pousser en avant », dira- t-il un jour à son collaborateur attitré, sans lui révéler ce qu’il éprouvait lui aussi pour la jeune femme. Ce que l’ancien caporal autrichien avait en tête, c’était que le parti qu’il avait créé, puisse tirer un gain de prestige de la présence de cette femme près de l’un de ses collaborateurs attitrés. Et que la présence de cette enjôleuse lui permette également de mieux contrôler les actes de l’un de ses adjoints. Il reconnaîtra un jour, à cet égard, que c’était un jeu d’enfant de manipuler Goebbels ! Une attitude légitimée par le fait que ce dernier avait voulu, quatre ans plus tôt, s’acoquiner avec les frères Strasser pour le déloger de la tête du parti nazi et que depuis, il s’en méfiait. Comme il se méfiera de tous ceux qui le trahissaient ! Ces petites manipulations, Magda s’y prêtait volontiers, non sans enthousiasme, s’il faut en croire l’historienne Anne-Maria Sigmund 74 , car « éteindre » de temps à autre l’autre conjoint du trio infernal sur commande, était diablement motivant. Il semblerait d’ailleurs que la femme « aussi intelligente que belle » ait rapidement su sur quel pied danser, puisque certains historiens, parlant de sa première entrevue avec « le fiancé de l’Allemagne », l’ont vue rencontrer celui-ci dès le mois d’avril 1931 75 au Kaiserhof. Sans doute s’était-elle rendue compte que son futur époux ne bénéficiait pas d’une reconnaissance pleine et entière de « son chef » et qu’il lui fallait mieux s’entourer. Elle choisira d’y prendre le thé en compagnie de son fils Harald, travestissant pour l’occasion celui-ci en digne représentant des « Jeunesses hitlériennes » dans une tenue que lui aurait confectionné une mère attachée à approcher de plus près le symbole du pouvoir nazi. Sans que l’on puisse jurer qu’elle ait été pour quelque chose dans l’élaboration de cette tenue. Un salut nazi du gamin, le bras levé face au digne représentant d’une Allemagne décidée à se rebeller, la nouvelle secrétaire du propagandiste sera aussitôt priée de se joindre à la table de celui appelé à devenir le futur « Onkel Führer » de la famille Goebbels. Après avoir enterré sa nièce Geli, l’homme aux attitudes de voyeur admettra d’ailleurs quelques mois plus tard devant son chef d’Etat-major Otto Wagener, qu’il croyait en avoir fini avec le monde et les influences humaines. Evoquant les aspects surnaturels qui existaient et vivaient en lui et une sorte de divin, ainsi que des sentiments qu’il n’éprouvait plus depuis la disparition de celle-ci, et qui l’avaient assailli à nouveau non sans violence face à Magda, il admettra que l’ex Frau Quandt pourrait jouer un grand rôle dans sa vie, sans qu’il soit marié avec elle ! Ce que Otto Wagener rapportera 76 un peu plus tard à une femme, qui savait s’être livrée à une partition de tout premier ordre dès leur premier entretien d’avril. Ce contrepoids féminin aux bas instincts de ce qui restait d’un homme plutôt porté à de multiples réjouissances, nécessitait cependant que l’intéressée soit mariée, ce que finira par admettre plus tard son interlocutrice. Wagener le reconnaîtra après-guerre dans des cahiers, se rapportant à des faits remontant aux années trente, Goebbels vit dès l’automne suivant une opportunité à saisir, celle de s’attacher étroitement le soutien d’Hitler par un biais plus efficace, sans devenir l’un de ces célèbres cocus que l’histoire s’est plu à engendrer. Surtout que de ce côté-là, il ne risquait pas grand- chose, chacun s’en est persuadé. Pour Magda, ce fut l’occasion de s’engager dans un même parcours douloureux que celui de ce nouveau maître spirituel et messie, en étant prête à devenir « un personnage historique » de tout premier plan. D’autant qu’il avait exprimé le souhait, de l’avis de certains, « de la vouloir entière », tout en lui laissant entendre que sa sexualité ne devait pas le priver d’une part de sa puissance. « Toute entière… » Comment n’aurait-elle pas pu être touchée par une pareille suggestion ? Les mots l’avaient pénétré au plus profond de son être. Et cette expression des désirs d’un homme convenait parfaitement à Magda dans la mesure où elle se sentait proche de ses désirs comme elle l’avait toujours été de ceux qui éveillaient son attention avec les leurs. Certes, beaucoup l’avaient jusque-là déçue. Une question n’est pas loin d’émerger. Avait-elle eu peur d’être une nouvelle fois déçue par celui qui partageait sa couche, pour qu’elle entreprenne de se lancer à la fin de l’été 1931 à la conquête de ce Führer ? En dehors du fait qu’il avait une énorme force de persuasion ? Ou était-ce seulement parce qu’il y avait là une marche supplémentaire à gravir qui donnerait accès à un pouvoir incommensurable ? La dernière question contient la réponse.

74 Dans « les femmes du Troisième Reich » publié chez J-C Lattes. 75 D’autres biographes sont d’avis que cette rencontre ait eu lieu en septembre 1931, juste avant le suicide de Geli Raubal. 76 Sans que l’on puisse être certain des dates auxquelles seront rapportés lesdits événements, des incohérences chronographiques apparaissant dans les témoignages d’Otto Wagener. 35 Cet homme qui n’avait pas les manières des bandits de grand chemin que lui prêtaient ses détracteurs, s’était levé au Kaiserhof pour accueillir Magda, usant d’un baise-main qui avait vu chavirer celle-ci. Et il n’avait commencé à bavarder avec elle qu’après l’avoir longtemps dévisagée. Extrêmement galant, il avait attendu qu’elle ait pris place face à lui pour se rasseoir. Victime d’un charme que le ton de sa voix n’avait fait qu’amplifier, elle s’était aussitôt sentie fondre, car le ton de cet homme n’avait plus rien de commun avec celui qu’il employait face à la foule !

Au vu de ce que l’on sait, il apparaît que le mariage des Goebbels ait donc été dû à une manipulation savamment agencée, et même hâtée au cours de l’automne 1931. Alors qu’à l’examen d’autres témoignages, les deux amants n’avaient prévu de se marier qu’après l’arrivée au pouvoir des nazis et probablement pas avant la fin… 1932 ! Le fiancé de l’Allemagne, avait-il innocemment joué sur la vanité d’un « Juppche » qu’il avait déjà pu apprécier sous tous ses contours positifs et... négatifs ? Habilement proposé à un homme qui n’était pourtant visiblement pas fait pour souscrire un quelconque engagement marital se sachant dans l’impossibilité d’y être fidèle, il s’agissait donc de bien autre chose et de construire un attelage dont pourrait s’enorgueillir leur Allemagne, une Allemagne que le propagandiste ne refuserait pas de servir. Joseph y trouverait son compte, devenant au passage l’heureux père d’une floppée d’enfants que lui donnerait cette femme, Magda. Au terme de cet arrangement, « Monsieur Wolf 77 », en imaginant de temps à autre qu’il la pénétrait, aurait ainsi la possibilité de conserver les mains libres, se doutant bien qu’elle accepterait de se travestir en mère idéale, devenant de fait, par ricochet, une sorte de « Première Dame du Reich ». Un accessit flatteur s’il en est pour une femme qui avait, il l’avait perçu, un énorme besoin de reconnaissance.

En admettant que l’on n’ait toujours pas pris en compte 78 les gênes d’un certain Richard Friedländer, ce mariage d’une « moitié » d’aryenne, fervente nazie, avec son prétendu messie, pouvait-il être considéré comme une sorte d’union mystique ? Il l’était pourtant devenu, rejoignant certaines théories fumeuses et le fait qu’une groupie puisse céder au sein d’une secte à tous les caprices de son gourou. Et son gourou à elle, Magda l’avait choisi. N’était-il pas près de tout mettre en œuvre afin que vive cette grandeur de l’Allemagne à laquelle étaient attachés les protagonistes de leur « ménage à trois », qui restera pour la postérité une gigantesque escroquerie morale ? Car enfin, une telle union mystique, fruit de l’entente de deux pervers narcissiques avec un maniaco-dépressif, cela promettait ! Il n’est guère étonnant qu’autant de lubies aient pu voir le jour durant la quinzaine d’années qu’a duré ce Reich appelé à dominer le monde mille ans durant ! Beaucoup se demanderont quel était le réel sentiment d’un dictateur soucieux de garder autour de lui autant de femelles éprises de lui qu’il n’imaginait pas, de toute façon, pouvoir honorer ? Faute de dispositions sexuelles suffisantes ? On a parlé d’homme privé de l’une de ses deux testicules, voire d’impuissance liée à d’autres phénomènes ou même un syndrome syphilitique. Il est bien plus probable que, dans ses fantasmes païens et une volonté de renaissance aryenne, l’homme au fouet 79 se soit cru, en qualité de nouveau messie de cette Allemagne et de la nouvelle religion national-socialiste, investi d’une mission par le Très-Haut. Une mission justifiant que des géniteurs reconnus être des aryens et en mesure de pouvoir reproduire, puissent être désignés par lui pour engendrer une ribambelle de petits nazis dont il aurait forcément été « le tonton » faute de pouvoir les concevoir lui-même. Comme ce sera le cas chez les Goebbels, sans que d’autres sémillantes personnalités approchées soient intéressées à leur tour par un tel accouplement mystique et l’idée de concevoir à leur tour d’adorables petits nazis. Un principe qui sera après coup largement étendu et repris à de moins hauts niveaux avec le Lebensborn, selon une idée de l’ancien éleveur de poulets qu’était Heinrich Himmler ! Léni Riefenstahl, Siegrid von Laffert, Gertrud Deetz 80 , Inga Ley 81 , les actrices Imperio Argentina et même Lída Baarová, pour ne citer que les plus en vue, montrent que l’intéressé avait du goût et qu’il

77 Le diminutif qu’Hitler se plaisait à employer quand il signait les déclarations enflammées qu’il faisait aux femmes et surtout aux plus jeunes et lorsque, soucieux de rester discret, il se rendait chez son photographe préféré de Munich, un certain Heinrich Hoffmann. 78 Il est vraisemblable que ce ne soit qu’en 1934, trois ans plus tard, qu’ait été établie la véritable paternité de Magda Goebbels, revenant à… Richard Friedländer. 79 Certains historiens parlent plutôt de cravache. 80 Elle sera l’épouse de Robert Forster, Gauleiter de Dantzig, coupable d’avoir envoyé à la mort 16 000 Polonais. Livré après-guerre à ceux- ci, il sera exécuté en 1952. 36 appréciait la courtisanerie. A plus forte raison pour engendrer les magnifiques bébés dont le Reich avait grand besoin pour faire la guerre. Cela devait être « diablement » tentant pour Magda de se lancer, si jeune, à l’assaut de la pyramide hitlérienne, en bénéficiant de la bénédiction du pape nazi et en ayant deux hommes pour elle toute seule. Mais qu’aurait-elle pu faire d’autre qu’épouser Goebbels, puisqu’Otto Wagener lui avait révélé que leur pape ne voulait pas lui apprendre l’Evangile ? Soucieuse de ne pas perdre ce lien si étrange l’unissant à lui, conservait-elle un espoir infime de parvenir un jour à partager sa couche ? Probablement, surtout après avoir senti lors de leurs toutes premières entrevues le regard du dictateur sur elle, la fouillant à plusieurs reprises sous toutes les coutures ? Aurait-il eu des envies et se serait-il trouvé dans l’impossibilité de les satisfaire, déléguant ainsi auprès d’elle cet amant qui lui donnait du plaisir ? C’est sûrement ce qui l’avait amené, après avoir convaincu sa protégée qu’il n’était pas une affaire au lit, à lui proposer rapidement un tel marché, sachant qu’ils auraient, l’un et l’autre, plus à gagner en opérant de la sorte 82 ! Sans que, ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre, n’encombre leur univers mental et sans qu’il continue à prétexter une quelconque histoire de fiancés qui ne tenait pas debout ! Et cela d’autant moins que l’on prêtait plusieurs autres faiblesses à l’ancien caporal autrichien, un homme surtout reconnu être un voyeur patenté. Autant à l’égard de la réalisatrice Léni Riefenstahl qu’à l’égard d’une dénommée Sigrid von Laffert, l’une des plus belles femmes de la cour nazie de la fin des années trente. Une jeune baronesse d’une vingtaine d’années au corps magnifique et aux yeux clairs que lui avait présenté Viktoria von Dirksen, une tante éloignée de celle-ci, et qui aurait été jusqu’à faire des propositions intéressées 83 à ce fiancé de l’Allemagne, lors d’une invitation au Berghof de Berchtesgaden. Propositions intéressées que Erin Gun, dans un ouvrage sur l’amour d’Hitler et d’, replace dans le bunker au printemps 1945, ce qui paraît beaucoup moins vraisemblable. Pour Magda, accepter un tel challenge confié par un homme qui aurait tout pu lui demander, était doublement valorisant. Il lui conférait un rôle d’épouse mystique et quel rôle ! Promue au rang d’ escort- girl de la nation hitlérienne par un haut responsable lui trouvant « une innocente vivacité », elle allait ainsi avoir tout loisir de pouvoir exercer, d’un côté, une influence dans les hautes sphères du pouvoir. Et de l’autre, la possibilité de rester aux côtés d’un futur époux en mesure de satisfaire ses appétits de nymphomane patentée ! Malgré le fait que ce dernier puisse alterner phases d’excitation et périodes d’abattement comme n’importe quel être maniaco-dépressif 84 ! Beaucoup ont prétendu que son amour pour le dictateur nazi avait rendu la Frau Doktor Reichsminister aveugle, oubliant une chose essentielle à propos d’une femme surtout motivée par le pouvoir que détenait un homme qu’elle avait choisi de servir, celui qu’elle aurait pu être étrangère à un quelconque sentiment. Ce qui était le cas et qui explique beaucoup de choses. Notamment cette manipulation autour du prénom de ses futurs enfants dont la première lettre commencerait par la lettre H 85 . Un H, pas comme Heine, mais comme Hitler ! Quelle perspicacité que celle de cette femme ! Heine, avait-il fini par être cocu lui aussi ?

Mais rien ne sera aussi simple, car celle que l’agité moustachu de Linz veut « entière », a des exigences qu’elle n’entend en rien sacrifier sur l’autel en acceptant une pareille union. Mystique ou pas. Parce que Magda savait souvent ce qu’elle voulait et qu’elle était prête à tout pour l’obtenir. En août, soucieuse de défendre les droits des femmes, un thème opposant régulièrement les futurs époux Goebbels, la promise n’hésitera pas, pendant quelques semaines, à s’éloigner de la ligne du parti nazi, devenant injurieuse à l’égard de son amant délégué, roi de la propagande nazie. Perversion oblige ! Dans l’esprit de Magda, s’interdire de composer face à un homme qu’elle brûlait de vouloir d’abord mettre à terre avant de le ferrer davantage, n’aurait guère été envisageable ! Le ferrer, elle y parviendra néanmoins en lui faisant rapidement un enfant, ce qui conduira le couple à se présenter devant l’autel un peu plus rapidement que prévu, puisqu’une petite Helga naîtra début septembre 1932. Alors qu’à l’été

81 Elle épousera , le responsable du Front allemand du travail et se suicidera en 1943 sans avoir pu recevoir de ce Wolf qu’elle adorait une quelconque aide. 82 Sans pouvoir se référer à l’époque sur une quelconque avancée de travaux sur la psychologie, ils avaient compris que, pervers narcissiques tous les deux, leurs petites manipulations leur permettraient de jouir effrontément du pouvoir en profitant de leur ascendant sur les autres. 83 La cousine de Viktoria s’était, paraît-il, dévêtue et l’attendait au lit dans sa chambre ! 84 Un travers psychiatrique caractérisé par des phases d’excitation à l’origine d’initiatives hardies (Nuit de cristal) et de séduction et des périodes de profonde dépression susceptibles de conduire au suicide. Il y en aura quelques-unes chez un homme hypersensible décrit comme un être frustré, angoissé, anxieux et changeant fréquemment d’humeur dont le biographe Peter Longerich a fait un narcissique aux traits cependant dissemblables de ceux de son épouse. 85 Voir page 59. 37 1931, il n’était pas encore question d’une quelconque union, ni de pouponner sans autre délai pour donner un premier enfant au Reich nazi. Il aura vraisemblablement fallu attendre que l’esprit du gourou en chef ne s’éclaircisse et qu’il presse son bras droit d’accepter ce mariage, une fois la machine à bébés mise en route. Il n’est pas non plus impossible que lors de leur seconde entrevue du mois de septembre avec celui, qu’elle appellera par la suite « Onkel Führer », la future Frau Doktor Reichsminister ait été rassurée sur le devenir d’un tel marché. Sans que l’on sache pour autant ce que les deux complices pervers avaient pu exactement se dire, ni ce qui avait pu être conclu ! Bien avant la mise en œuvre du Lebensborn ! Un entretien sur lequel sont revenus bien des historiens, estimant dans leurs travaux que le Führer appelait trop souvent au téléphone l’ex-Frau Quandt et que cela mettait Goebbels dans un état d’agitation désespérée. « Son comportement n’est pas tout à fait digne de celui d’une dame » se lamentera le propagandiste dans son journal.

11.

Les oppositions du futur couple Goebbels ne sont plus une légende et ont trouvé confirmation dans une autre appréciation du libertin nazi figurant dans son journal de bord. Concise, elle éclaire sur leurs oppositions. Notamment quand il écrit à propos de l’une de leurs nombreuses divergences : « Tantôt bien, tantôt fâchée ». « L’être angoissé par excellence » était à mille lieux de deviner que son chef, « l’époux mystique de sa tendre moitié », souffrait des mêmes travers psychologiques que cette dernière et qu’il avait, lui-même, tombé une perverse narcissique ! Sans qu’il sache ce que tout cela recoupait faute d’être un adorateur des théories du juif Sigmund Freud et de quelques autres spécialistes devenus indésirables au pays nazi ! Ce qui n’était cependant pas que source d’avanies, parce que les amantes perverses narcissiques, malgré leur froideur relative et leur regard réfrigérant, sont encore plus brûlantes quand elles s’aperçoivent qu’on leur résiste !

Chaud et froid, froid et chaud… En dépit de querelles permanentes, le remariage de Magda, aura lieu le 19 décembre 1931 en présence de son premier fils Harald, à la ferme de Günther Quandt dans le Mecklembourg, et de celle… de son autre époux mystique, un certain Adolf Hitler pomponné pour la circonstance et donnant le bras à Auguste, la mère de la jeune femme. Des festivités auxquelles n’assistera pas l’autre « vrai faux papa » de Magda, Oskar Ritschel, et source d’échanges épistolaires entre l’adepte de la non-violence qu’était le père adoptif de la mariée et son nouveau « gendre ». Malgré le beau présent 86 de Viktoria von Dirksen aux mariés, il n’y aura donc pas au terme d’une période de fiançailles agitées et d’une véritable supercherie, de mariage en grande pompe susceptible de ressembler à ce qu’avait connu Magda onze ans plus tôt aux bras du massif Günther Quandt ! Un Günther qui sera soigneusement laissé dans l’ignorance de ce remariage ! Certes, elle aurait préféré se marier à Berlin, en ville plutôt qu’à la campagne, ce qui aurait davantage satisfait son désir de sensation. Et, sûrement aussi, même si cela n’a pas été avoué, son besoin de paraître. Nappe à croix gammée jetée sur l’autel de la cérémonie… le prêtre choisi pour officier n’était en rien un émissaire de l’église traditionnelle ! Obéissant, il avait plutôt dû accepter d’être complice de ce qui prêtait à être une véritable mascarade. Mais puisqu’il s’agissait de religion nationale-socialiste et que le nouveau messie assistait à la bénédiction ! Arriver à unir pour la forme un symbole païen comme cette croix gammée et quelques-unes des autres runes nazies, à un crucifix, symbole de la chrétienté, tenait du prodige. De l’avis d’un certain nombre d’observateurs, et au vu de quelques documents photographiques conservés de la cérémonie de Bad Godesberg, leur union n’avait d’ailleurs rien d’un acte épanouissant. Jane Thynne l’évoquera dans l’un de ses ouvrages 87 , la mariée était vêtue de noir, endeuillée comme si elle s’était rendue à un enterrement. Selon toute vraisemblance, celui de convictions antérieures. N’était- ce pas le prix à payer afin de finir de conquérir une toute nouvelle puissance au sortir de ce qu’elle avait vécu chez Quandt ?

86 Un portrait du Grand Frédéric II, original de l’époque Sans-Souci. 87 Les roses noires dont une traduction sera publiée par Jane Thyne chez J-Cl . Lattes. 38 Un prix assez élevé que Goebbels avait fixé, alertant sa future épouse sur le fait qu’elle aurait forcément à redouter quelques infidélités dues à sa vraie nature et risquant de troubler le parfait ordonnancement de leur couple ! Et aussi l’image qu’il avait prévu d’en donner alentour au nom d’une propagande voulant que la femme allemande soit une créature irréprochable ! A priori , et ce n’était un secret pour personne, le propagandiste reconnaissait être un libertin obsédé par le sexe et on aurait presque dit qu’il s’en flattait ! Fallait-il, déjà, être adepte de mœurs dissolues pour accepter une telle « union libre » ! Même au nom d’une prétendue puissance ambitionnant de dominer le monde et d’un prétendu amour éprouvé à l’égard du gourou en chef ! A défaut d’être suivi par un médecin lorsqu’il était sujet à des épisodes de soudaine excitation, notre Juppche avait dû se rendre compte qu’à certains moments de son activité, lorsqu’il était confronté à des « épisodes intenses de créativité », son besoin d’épanchement affectif rendait difficilement suffisant une seule amante et que, si Magda était « brûlante », elle ne l’était peut-être pas toujours suffisamment pour calmer l’eros qui était en lui. Du moins au bon moment. Etait-elle donc atteinte de cécité à moins de trente ans pour reconnaître qu’un homme pareil au sien, vivant trois fois plus intensément que les autres, ne pouvait être jugé selon les critères de la morale bourgeoise ? Ce qui montrait vers quel degré de compromission la future Frau Doktor était prête à aller pour accéder au pouvoir ! La perverse Magda acceptera donc les conditions tripartites édictées, convaincue en décembre 1931 de pouvoir, de son côté, continuer à se rouler dans la luxure avec ses amants de passage. Sans cesser d’éprouver de l’autre, ce qu’elle continuait à ressentir à l’égard de ce Führer au regard hypnotique qui la déshabillait ouvertement des yeux quand ils étaient face à face, conférant à cette « groupie » une sorte de pouvoir, celui qu’elle ressentait généralement quand elle se lançait à l’assaut d’un homme et qu’elle avait le sentiment de lui plaire. Comme elle plaisait à cet homme muni en permanence d’un fouet et dont elle ne parviendra pourtant jamais 88 à obtenir une érection exploitable, contrairement, semble-t-il, à sa rivale Eva Braun. Une question n’a cependant pas encore trouvé de réponse. Celle qui laisserait supposer que cette union mystique créée à l’automne 1931 ait pu jouer un rôle dans la disparition de la jeune Geli Raubal, la nièce du dictateur. Si du moins on était tenté de croire à son suicide et non à une disparition liée au fait que l’intéressée était enceinte, ce qui aurait pu gêner considérablement la cour nazie et le dictateur en chef. Au point que l’on se serait arrangé pour que ce geste de désespoir reste l’acte d’une désespérée et non la conséquence de tout à fait autre chose, et qu’on aurait pu organiser cette disparition au plus haut niveau du Reich. Cette disparition, Nerin Gun l’a évoquée dans un ouvrage revenant sur la relation qu’avait Adolf Hitler et Eva Braun 89 . Il paraît effectivement qu’avant d’user de l’arme qu’on aurait retrouvée près d’elle, la jeune Geli avait, selon une certaine Annie Winter 90 , téléphoné à quelqu’un et écrit plusieurs lettres restées introuvables après coup. Qui avait-elle eu au téléphone et qu’avait-elle écrit ? On ne le saura probablement jamais. On notera aussi que l’union mystique consommée en partie par deux des trois protagonistes le 19 décembre, le sera exactement trois mois, jour pour jour, après la disparition de la nièce du dictateur, retrouvée suicidée le 19 septembre. Dans la patrie des runes et croyances de toute sorte avait-on voulu donner davantage encore de signification à cette union tripartite ?

La vorace Magda a souvent été dépeinte durant son cheminement sous les traits d’une hôtesse cosmopolite, sachant faire ce qu’il fallait afin que ses nombreux invités ne manquent de rien. Elle prenait, disait-on, un certain plaisir à leur préparer ragoûts, jarrets de porc mêlés à de la choucroute, schnitzels et bratwurst, le tout arrosé de bière. Une parfaite escort-girl à la sauce nazie qu’avaient déniché là Joseph Goebbels et son chef ! à tel point que « Onkel Führer » prendra assez vite ses aises chez sa nouvelle protégée, s’invitant régulièrement à dîner dans le luxueux appartement de la nouvelle égérie nazie. Parce qu’il s’y sentait bien et qu’on avait tenté de l’empoisonner au Kaiserhof, alors que chez son épouse par défaut de la place de la Chancellerie, il savait ne rien risquer. N’appartenaient-ils pas l’un et l’autre à des êtres dominateurs supposant une réelle complicité ?

88 D’après un témoignage recueilli en 1968 par l’auteur Nerin Gun, la maîtresse du Führer et le fiancé de l’Allemagne avaient parfois des relations sexuelles, même si elles étaient très rares et Eva Braun avait recours à la contraception. 89 Publié chez Robert Laffont en 1968. 90 Elle était femme de ménage de l’appartement occupé et chargée de veiller sur la jeune Geli avec le concours d’un homme de main. 39 L’appartement de la Reichkanzlerplatz dans lequel s’était installé le couple Goebbels est donc vite devenu à partir de la fin de l’année 1931 le lieu de rencontre favori de l’autre époux de la tendre Magda, le dictateur nazi, et de quelques fonctionnaires du NSDAP. Même si « Onkel Führer », ne voyait au départ en cette épouse mystique qu’un objet de décoration, et non quelqu’un susceptible de s’immiscer dans des conversations strictement masculines. Avant de pouvoir viser plus haut, Magda a donc eu fort à faire afin d’obtenir le poste qu’elle convoitait dans le parti nazi, s’efforçant de trouver progressivement un public appréciant ses talents considérables. Et pas uniquement au lit, en dépit de l’appréciation délicate qu’Hermann Goering avait cru devoir formuler à son égard, la présentant devant Hitler comme « La Pompadour de Goebbels » tout en l’invitant à se méfier d’une telle créature. Une appréciation à la base du ressentiment montré par l’ex-Frau Quandt à l’égard du morphinomane nazi. Cette « Pompadour de Goebbels » aura d’ailleurs un véritable mur à faire tomber, Hitler pensant que la place des femmes, celle de « cette créature toute entière au Führer » comprise, était à la maison ! Les femmes devaient avoir un but biologique, celui d’être, non seulement irréprochables, mais aussi mères, un avis que partageait Goebbels, en fervent partisan du Kinder , Küche und Kirche 91 .

Après avoir apprécié, dès leur rencontre d’avril, les talents d’hypnotiseuse de l’intéressée, le Führer changera néanmoins d’avis allant jusqu’à privilégier des échanges quémandés par cette nouvelle Pompadour désormais acquise aux thèmes nazis, au détriment des apartés qu’il avait abandonnés à sa nièce Geli dont la disparition l’atteindra profondément ou, plus tard, d’Eva Braun qu’il finira par épouser avant de se donner la mort. Une Evchen 92 , rivale détestée, que Magda avait baptisé du sobriquet « d’idiote blonde » afin de sanctionner des relations loin d’être amicales entre la « blonde glaciale » et celle qui s’était jetée avec succès sur un « oncle Adi » à nouveau disponible, une fois Geli Raubal retrouvée morte à la mi-septembre 1931. Magda y parviendra grâce aux relations privilégiées qu’elle avait développées avec ce dictateur dont elle s’était entichée. Au détriment d’une Emmy Goering incapable de camper le rôle de « Première Dame du Reich » qui n’avait aucun des traits qui auraient pu le permettre 93 . Grande, blonde, grasse et plutôt ridicule, elle ne satisfaisait que les exigences d’Hermann, le gros bébé préféré des Goebbels et confident d’Hitler, créateur de la Gestapo. Parfois présentée comme une « charmante personne » compatissante, elle avait en outre en elle tout ce qu’il fallait pour déplaire à Magda. L’opposition de Goebbels pour Goering était connue. Celui que le propagandiste nazi surnommait « le gros lard » n’hésitera donc pas en juin 1931 à faire courir des bruits à son sujet. Bruits navrants que l’on aurait également prêtés à Viktoria von Dirksen et Auwi, des supporteurs de la première heure. « Je m’aperçois avec quelle rage on fait campagne contre moi, écrira-t-il dans son journal. On veut provoquer ma chute par tous les moyens ». La vérité est que, contrairement à Magda, devenue une socialiste fanatique nationale, et Eva Braun, « l’autre valet de chambre secret » du dictateur nazi, Emmy Goering n’avait pas de convictions politiques bien établies. C’était un être parfaitement en ligne, respectant scrupuleusement le rôle que les nazis voulaient assigner aux femmes dans la société et au sein d’un Reich millénaire qu’ils venaient de créer. Dans un journal 94 qu’elle fera porter à une relation en avril 1945, Eva, « l’idiote blonde », reviendra sur les relations difficiles la liant à Magda et qui perdureront longtemps. Surtout après que cette dernière eut tenté de lui faire lacer ses chaussures, prétextant souffrir de trop pour se baisser, et que la roublarde Eva eut fait appel à une domestique pour le faire ! Relations délicates empreintes de jalousie qu’ont confirmé tous ses proches après sa disparition dans le bunker. « Magda Goebbels est amoureuse du chancelier, écrira-t-elle, loin d’avoir discerné en 1939 la réalité de ce couple mystique créé dès 1931, avant qu’elle trouve une juste place dans ce sérail et parfois dans le lit de son Führer. Elle ne rate pas une occasion, affirmera-t-elle, de s’afficher à ses côtés. Son nabot de mari ne s’en émeut pas. C’est un coureur de jupons. Son pied-bot ne l’empêche nullement de courir la gueuse. Magda me snobe. Samedi, en présence du Führer, elle s’est vantée devant moi d’avoir appris un

91 Equivalent de Enfants, cuisine et église. 92 Le diminutif affectueux qu’avait donné à sa maîtresse le Führer. 93 Pourtant, lors de son mariage avec Hermann Goering, en avril 1935, Hitler promettra à Emmy d’en faire la « nouvelle Première Dame du Reich » à la place de son épouse mystique Magda, dont la fragilité psychique ne lui permettait plus de tenir un tel rôle ! 94 Ce journal réuni et mis en page par Alain Régus a été publié en 2012 aux éditions du Pierregord. 40 peu de français 95 … A sa grande stupéfaction, je me suis mise à parler comme une vraie Parisienne. Herr Hitler s’amusait beaucoup, autant de mes talents, que de la confusion de Magda… J’étais ravie, devant lui, de pouvoir clouer le bec à cette matrone aux grands airs, enceinte de son sixième enfant ». Cet aveu de jeune femme – Eva n’avait que 27 ans à l’époque des faits – montre que l’éternelle « secrétaire » du dictateur nazi, qui n’avait rien compris des objectifs de son Jules de circonstance et de ce qui se tramait sous ses yeux innocents, a souffert de cette attitude hautaine et du mépris à peine voilé que lui témoignait en permanence une Magda soucieuse de la diminuer en société en l’humiliant, s’aidant d’un ton condescendant et d’un air supérieur. Une attitude qu’elle soulignera lorsque, parlant d’un bouquet de fleurs qu’elle avait cru devoir lui envoyer pour la féliciter, celle-ci lui avait fait répondre par sa secrétaire ! Probablement histoire de ne pas se compromettre et de flatter la vanité de cette apprentie photographe à laquelle elle reprochait de lui ravir l’attention de son « Onkel Führer ». Il est également tout à fait possible que Magda, sentant cette opposition d’ « Evchen », ait voulu s’imposer face au comte Galeazzo Ciano 96 . Ce dandy désinvolte, lui aussi reconnu être un coureur de jupons invétéré, n’avait-il pas attiré l’attention de la jeunette à laquelle on avait interdit de rencontrer le diplomate et qui l’avait à maintes reprises pris en photo à la dérobée ! Au point de faire en sorte que la Frau Doktor Reichsminister se lance, elle aussi, dans une drague susceptible de lui ravir l’homme qui n’avait pas laissé indifférente « la photographe préférée d’Adolf Hitler ».

Des commentaires courent encore aujourd’hui au sujet de la relation qu’entretenait Magda avec Hitler. Certains sont convaincus, « l’idiote blonde » également, que Magda était « la muse d’Hitler ». Ce qui a pu être vrai au cours des premières années. Le trouble ressenti par la sulfureuse ex-dame Quandt à chacune des apparitions du dictateur nazi ajoute aux supputations les plus diverses ayant pu circuler à ce sujet. Son comportement de femelle prête à tout, aussi. Le ressenti des deux intéressés les aurait presque trahis. Surtout quand Magda, épongeant au Berghof le front de son dictateur préféré à l’aide de son mouchoir, s’asseyait l’instant d’après sur les mains de celui-ci, sans prêter attention à l’aspect équivoque d’une telle entreprise. Il était facile de comprendre que, s’il avait pu, et si Eva l’avait permis « Onkel Führer » l’aurait « sautée » séance tenante. Sans que sa « fiancée allemande » ose en prendre ombrage. En admettant néanmoins que cette liaison entre ces deux désaxés ait pu perdurer si elle s’était vraiment vérifiée, car deux pervers narcissiques amoureux l’un de l’autre, cela s’est rarement vu. Parce qu’un pervers narcissique ne peut être amoureux, son seul objectif étant d’infiltrer le monde de l’autre afin de tenter de se l’approprier. Comme Magda avait réussi à s’approprier le monde de son Juppche ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle était ravie d’avoir pu découvrir l’univers de son nouvel amant ! Sur l’Obersalzberg 97 , elle goûtera voluptueusement, selon l’historienne Anna-Maria Sigmund, l’agitation fiévreuse de la période de lutte d’une fin d’année 1932 captivante, aux côtés de celui qu’elle s’était promise de suivre au bout du monde ! Avant de s’embarquer pour Cythère en compagnie de quelqu’un d’autre ! S’il pénétrait parfois sa castratrice entre deux accouplements, dans le but de satisfaire davantage sa libido en se lançant à l’assaut d’autres passionarias, Goebbels savait pertinemment que le dictateur nazi, son maître, était le propriétaire de « sa chose » et qu’elle ne pourrait jamais être totalement à lui ! En admettant qu’il ait mal pris les quelques « gestes affectueux » de sa sirène pour leur chef, il devait donc se faire violence et contenir sa jalousie. Du moins quand cela lui était possible ! Joseph Goebbels, le manipulateur manipulé, confiera à l’automne de l’année 1931 à son fameux journal, commentant une invitation à dîner que Monsieur Wolf avait transmise à celle que le propagandiste épousera quelques semaines plus tard : « Magda, écrira-t-il, est un peu trop amicale avec lui et j’en souffre ». Une marque de dépit loin d’être la seule à être notée. Il est vrai que l’esprit tout entier de cette dernière était prisonnier d’une imagination torride ! Et, lorsque Goebbels s’accouplait à elle, il lui arrivait souvent de penser qu’il était seulement l’organe mais que la force et la volonté se trouvaient ailleurs ! C’est dire !

95 Et plus qu’un peu malgré les souvenirs qu’avait gardé Eva Braun de cette démonstration, car la Frau Doktor Reichsminister Goebbels avait passé toute son enfance en Belgique et elle en avait conservé une excellente pratique. 96 Le gendre de Benito Mussolini, d’abord responsable de la propagande du duce avant d’en être ministre des Affaires étrangères, qui avait quitté le pouvoir en février 1943, sera arrêté en décembre 1943 soupçonné de complot et assassiné au début de l’année 1944. 97 Avant que l’endroit ne soit ensuite baptisé du nom de Berghof. 41 Le journal chilien El Mercurio prétendait le 28 avril 2005 dans un article intitulé " Amores Fatales " qu’une dame de Berlin aurait laissé entendre en 1946 que Hitler avait eu un enfant de Magda Goebbels. Et que cet enfant né en 1935 porterait le nom d’Helmut ? Cette dame de Berlin, était-ce Madame Otto Meissner, l’épouse du secrétaire d’Etat du dictateur nazi et mère du biographe ? Certains ont effectivement confirmé que l’épouse du secrétaire d’Etat l’aurait déclaré en septembre 1945 à un média, Stars and Stripes. Mais cette thèse est néanmoins difficile à prendre en compte, tout autant que celle qui a tendu à faire du dictateur nazi l’heureux papa d’un petit Belge né pendant le premier conflit avant 1918. Il était d’ailleurs hors de question que l’on puisse s’imaginer que le dictateur nazi était le géniteur des petits du couple Goebbels. En dépit du fait que leur union mystique ait pu être le fruit d’un arrangement voulu par trois protagonistes soucieux de trouver un compromis. Pour certains observateurs, c’est cette combinaison de magnétisme et de répulsion qui aurait essentiellement détruit Magda, comme un être humain équilibré aurait pu l’être. A la seule condition que l’on admette que la Frau Doktor Reichsminister Goebbels, devenue rapidement une redoutable perverse narcissique, ait pu être équilibrée et qu’elle ait attendue d’être face à l’agitateur moustachu pour ne pas sombrer ! Selon un auteur, ces théories fumeuses à propos de la paternité d’un gamin du couple Goebbels avaient même valu à un nazi aux responsabilités d’avoir été jeté dans un camp de concentration.

Si Magda était capable de tout pour séduire un homme et se rendre indispensable, derrière une telle façade se débattait pourtant une femme un peu trop légère ne correspondant vraiment pas aux critères de la parfaite petite femme au foyer, fidèle à l’époux qu’elle s’était choisie, certes un peu forcée. Etait-ce parce qu’elle se sentait supérieure aux règles suivies par les femmes du peuple, était-ce parce qu’elle aimait la vie décadente, buvait de l’alcool, ou se parait de tenues luxueuses, ou qu’elle trompait effrontément son mari, lui rendant la pièce ? C’était pourtant la seule femme à laquelle le dictateur nazi parlait de politique, alors qu’il s’était lié à Eva Braun dès 1932 ! Une compagne certes bien plus secrétaire ou valet de chambre que réelle maîtresse. Au-delà du travers la singularisant, beaucoup reconnaissaient à l’inverse que la Frau Doktor Reichsminister était une femme brillante et il est à présent démontré que le travers commun qu’elle partageait avec son Führer, justifiait cette sorte de solidarité entre eux deux. Bella Fromm, une journaliste juive du Vossische Zeitung en poste à Berlin qui fuira l’Allemagne nazie en 1938, parle de sa rencontre avec elle le 16 décembre 1932, précisant que tout le monde se retournait sur cette Magda lorsque des festivités étaient organisées dans les endroits très chics. « Ce soir, au bal, elle était belle, dira-t-elle dans un article de presse. Aucun bijou, en dehors d’un collier de perles autour du cou, ses cheveux d’or naturels ne doivent rien à une quelconque pharmacologie. Je dirais qu’elle aussi, est réelle. Ses grands yeux, et un regard allant du bleu foncé au gris acier, rayonnent d’une détermination glaciale et d’une ambition démesurée. Si elle n’avait pas rencontré le riche Günther Quandt, elle serait aujourd’hui dans un Kibbutz en Palestine avec Victor, un fusil à l’épaule et à même d’évoquer un passage de l’Ancien Testament sans se tromper ». Parlant d’une femme qui, chez Quandt, avait du mal à apprécier la vie luxueuse qui s’offrait à elle et qui empoisonnait l’existence de son mari par ses continuels caprices, la journaliste avait déjà deviné à qui elle avait affaire. Malgré la présence d’une pointe d’admiration quant à son apparence, on mesure au ton acerbe employé que Magda était loin d’emporter tous les suffrages, et la presse ne ratait jamais une occasion de « la mettre en valeur » dans un papier ou un autre. Ce sera le cas jusqu’à ce que soient restreintes les libertés, une fois le Reichstag incendié, et que le boiteux nazi eut été tenté d’intervenir, faisant au passage rosser les chroniqueurs imprudents par ses hommes. D’autant que tout était mis en œuvre pour que les chroniqueurs aient suffisamment de grain à moudre. Une journaliste anglaise du Daily Mail qui s’était rendue à Heilingendamm afin d’y interviewer en juillet 1933 cette « Femme Allemande Idéale » trouvera face à elle une véritable émissaire de la nation nazie. Soucieuse d’une position qu’elle entendait conserver, la Frau Doktor racontera à la journaliste que les descriptions que l’on faisait en Angleterre à propos de la situation de la femme en Allemagne étaient grandement exagérées : « Les femmes Allemandes ont été exclues de trois professions : l’armée, le gouvernement et la magistrature. Ainsi, si une jeune Allemande a à choisir entre mariage ou carrière, elle sera toujours encouragée à se marier, car c’est ce qu’il y a de mieux pour une femme ! » Mais , si les Britanniques avaient su qu’il arrivait parfois à la « dure et maussade Magda » de se montrer récalcitrante au lit, ils n’en seraient pas revenus ! 42

Contrariée par des révélations inattendues ayant trait à son enfance, la Frau Doktor Reichsminister Goebbels aura à supporter au moment de son remariage des articles évoquant son père juif ! « Le petit chef nazi épouse une Juive » ira jusqu’à titrer une presse soucieuse de souligner une union que personne ne comprendra. Pas plus les parents de Magda, Auguste 98 ou Oskar Ritschel, que les nombreuses relations des deux mariés ! Cela ne pouvait manquer de faire tache dans le profil de celle que l’on a souvent présenté en tant que « Première Dame du Troisième Reich », alors qu’elle donnait pourtant l’impression de n’obéir qu’à des pulsions sexuelles au comble d’une nymphomanie patente. Cette affirmation du média montre que l’on prenait déjà Richard Freidländer, bien avant les dernières recherches de Oliver Hilmes, pour le réel père biologique de Magda, et que Ritschel n’était que le père adoptif. Car si cela n’avait pas été le cas, la fille d’Auguste n’aurait pas été considérée comme juive par le sang. Le fait que le dictateur ait choisi de récompenser son escort-girl favorite et épouse mystique de la croix d’honneur de la mère allemande ne change rien à l’affaire. Que l’on ait choisi ou pas de mettre l’éteignoir sur bien des aspects dérangeants. Une marque de reconnaissance à laquelle cette favorite en titre du dictateur nazi sera sensible, l’essentiel étant que l’on châtie, ce qui conduira les Goebbels à condamner le pauvre Friedländer en le déportant à Buchenwald. A tel point que l’on se demande si elle n’a pas non plus incité Magda à vouloir racheter la honte raciale de ses précédentes relations avec le sioniste Arlosoroff. Une thèse à laquelle s’est rangé Tobie Nathan dans son ouvrage sur l’assassinat de celui-ci.

12.

Peter Longerich le soulignera dans une biographie consacrée à Joseph Goebbels, il y avait là tous les ingrédients d’une liaison entre deux êtres à l’appétit sexuel vorace, le docteur faisant appel à une technique de séduction imparable rôdée dès l’âge de treize ans sur la belle-mère d’un ami, afin de « tomber » toutes celles qu’il désirait. Seulement, et la biographe Anja Klabunde s’est posée la question : était-il prêt à accepter l’autre facette de sa nouvelle bien-aimée, déjà responsable d’une vie ponctuée d’attitudes irréfléchies et de légèreté ? Critique à l’égard de celui qu’elle comptait dresser, Magda pensait que son époux était un être cynique, un véritable caméléon, le plus grand menteur que la terre ait connu. Un artiste de haute voltige capable de s’adapter à toutes les réalités, qu’elle n’hésitera pas à vilipender et à dévaloriser fréquemment, afin de conserver une sorte de mainmise sur lui. Même s’il lui arrivait de désirer, tout en le haïssant, celui qu’elle comparait à un banal agitateur de rue et dont l’ascendant sur les foules était manifeste. Une sauvagerie qu’elle appréciait, comme elle appréciait, dans leur puissance, les êtres parfois privés d’humanité auxquels elle ressemblait. Fallait-il donc admettre qu’un changement ait pu survenir dans les goûts et les couleurs ? Assurément par rapport à Günther Quandt, ce gentleman massif, a priori bien élevé, à la calvitie précoce, et aux regards de voyeur jetés çà et là sur une jeunette dans ce train vers Goslar, et ayant réussi durant un conflit à attirer à lui des millions ainsi qu’à séduire la gamine intéressée qu’elle était déjà du haut de ses dix-neuf ans ? Mais n’était-ce pas l’une des conséquences d’une union avec un homme qui, de l’avis de son ex- épouse, malgré ses millions, n’était pas une affaire au lit. Ou, aussi, la poursuite d’une lente dérive narcissique d’un être privé de réel miroir. Hanfstaengl 99 , l’un des premiers témoins de l’affaire, ne sera pas le dernier à dire que la vie de couple des Goebbels se passait bien, du moins au début. Avant que les attentes de la dame soient un peu plus conséquentes et ne provoquent quelques éclats de voix. Surtout une fois née la petite Helga. Dans son ouvrage, Anja Klabunde souligne à propos de ces attentes que Magda, autant assoiffée de pouvoir que son Joseph, a mal vécu les premières semaines des nazis au pouvoir. Le 2 février 1933, sortant de l’hôpital où elle avait été admise au comble d’une prétendue fragilité émotionnelle, elle constatera qu’aucune

98 La mère de Magda acceptera de donner le bras à Hitler le jour de la cérémonie ! 99 Avec son épouse Héléna interprétée à l’écran par Juliana Margulies dans « La naissance du mal », il campe un rôle de premier plan dans l’ascension du dictateur nazi dont il favorisera l’arrivée au pouvoir à la Chancellerie. Il quittera l’Allemagne en 1937, s’effaçant devant la volonté de son épouse d’être utile à Herr Hitler. Bien que ce film eût assez mal retranscrit les événements. 43 distinction ministérielle n’avait été prévue récompensant son époux. En dehors d’une mission de Commissaire à la radiodiffusion nazie ! Et cela alors qu’il pouvait s’attendre à décrocher un Ministère des Cultes et de l’Instruction Publique 100 ! C’était bien peu, alors qu’il n’avait pas compté ses heures pour que cette arrivée des nazis à la Chancellerie se passe dans les meilleures conditions possibles ! « Onkel Führer » avait vraiment exagéré, et pour l’épouse mystique, cela n’était pas du tout acceptable ! « Magda est très malheureuse, écrira dans son journal le nabot nazi. Parce que je ne progresse pas ». Oublié lors de la composition de son premier gouvernement par son mentor le 30 janvier, Goebbels ne brûlait pourtant qu’à une seule chose, celle de reprendre la main après avoir été oublié par son chef nazi, l’autre pervers de la bande des trois. Malgré un sérieux passage à vide puisque durant une vingtaine de jours, il oscillera entre dépression et courtes périodes d’activité intense. Il parviendra néanmoins à se distinguer en créant un véritable reportage visant à inclure à un commentaire énoncé à la radio les hourras et les bravos d’une foule enthousiaste imaginée de toute pièce. D’autres reprendront l’idée plus tard. Au nom d’une propagande savamment organisée, il fallait marquer les esprits et « l’oublié du 30 janvier » s’y emploiera en organisant une grande cérémonie marquant l’ouverture officielle de la nouvelle session du Reichstag. En conviant par exemple un dictateur nazi vêtu d’une redingote, Hindenburg et plusieurs généraux en habit de gala dans l’église de Potsdam où repose Frédéric-le-Grand. Ce que n’oubliera pas « Onkel Führer », comme si on avait voulu tester Goebbels avant de lui attribuer ce Ministère de l’information et de la Propagande du Reich. Au point d’inciter l’affreux boiteux à mettre les bouchées doubles et à trouver de nouvelles idées propres à favoriser les nazis. Ce sera le cas lors de cet incendie du Reichstag dû, soi-disant, à un Communiste. Il est en revanche peu probable que celui-ci ait été fomenté par Goebbels, que l’on présentait comme un vantard et qui ne se serait pas fait prier pour le revendiquer avec force s’il en avait été l’auteur. Le propagandiste contribuera ensuite, avec le gros Goering, à l’arrestation d’environ cinq-cents-mille opposants suivie d’une campagne de dénigrement contre les Juifs à laquelle ne réagira pas « la dure et maussade Magda ». Beaucoup se demanderaient ce qu’elle avait réellement éprouvé au cours de toutes ces années passées qui l’avaient vue faire du plat à la famille juive de son amie Lisa et à son frère Victor et accepter la tendresse d’un Richard Friedländer ? Mais de quel bois était donc faite cette diabolique femelle ? La réponse tient à ce qu’ont publié à ce propos l’ensemble des historiens lorsqu’ils ont eu à commenter une telle décision : « Le Führer veut qu’il en soit ainsi et Joseph doit obéir ! » avait-elle répondu aux nombreuses observations au comble d’un cynisme désarmant, ayant recours à un ton qu’on aurait pu prendre pour de la bêtise, mais cependant soigneusement calculé, comme le sont généralement les commentaires des manipulateurs. La sulfureuse Magda n’aura pas à attendre longtemps puisque, une fois Ministre de la Propagande, Goebbels héritera dès mars 1933, et aux frais du peuple allemand, du fabuleux Palais Léopold et d’une villa bâtie au milieu d’un magnifique parc, face à la Chancellerie. Elle obtiendra au passage verre, porcelaine, argent, verres et linge de table afin de pouvoir recevoir plusieurs centaines de personnes. Elle ne s’en privera pas et ce sera parfois la cause de violentes remontrances du nouvel homme de sa vie qui n’était pas toujours dispendieux. Malgré le salaire considérable d’un homme dû à des droits d’auteur conséquents provenant de la maison d’édition munichoise de Franz Eher 101 , des résidences secondaires, des véhicules, un bateau à moteur… On ne peut pas dire que le couple n’avait pas un certain train de vie. Ne disait-on pas que les extravagances des Goebbels ne connaissaient pas de limites et qu’ils n’en n’avaient jamais assez ?

Victor, le premier amant juif, sera terriblement affecté quand il apprendra que son ancienne petite amie Magda partageait désormais maritalement la couche du propagandiste nazi ! Alors qu’elle lui avait tout d’abord assuré que ce n’était pas le cas ! Bien qu’un contact par téléphone les ait vu échanger à nouveau, le sioniste ne reverra pas l’épouse de son nouvel ennemi Joseph Goebbels ; il sera assassiné sur une plage de Tel-Aviv quelques jours plus tard. Juste après avoir eu le temps, à l’aide d’une carte postale, de prévenir sa sœur Lisa du curieux chemin que venait de prendre leur ancienne relation amicale de 1914.

100 Celui-ci reviendra à un dénommé Bernhard Rust. 101 Une maison d’édition, l’un des rouages du NSDAP qui avait publié quelques années plus tôt Mein kampf et qui était dirigée par l’ancien responsable du caporal Hitler, un certain sergent Max Amann. 44 Censé devenir le premier président d’un état hébreu, Victor, l’intrépide premier amour, sera effectivement assassiné en présence de son épouse à Tel-Aviv le 16 juin 1933, dans un meurtre resté une énigme. Un assassinat dont on dit qu’il aurait été organisé par le roi de la propagande nazie. Celui-ci se serait-il méfié de l’ascendance qu’aurait pu avoir Victor sur la femme qu’il venait d’épouser et qui aurait très bien pu le quitter à la suite de l’un de ces coups-de-tête auxquels il avait été habitué 102 ? Et puis, le sioniste n’était-il pas en Allemagne au moment des premiers autodafés et des premières persécutions contre les Juifs ? A un moment où les relations conjugales des deux tourtereaux nazis commençaient à battre de l’aile ? Il est tout à fait possible qu’Arlosoroff, profitant de son passage en Allemagne, ait demandé une entrevue à Goebbels afin qu’il appuie son projet de transfert des avoirs juifs en Palestine. Sans que cette entrevue se soit trouvée confirmée. De nombreux observateurs imaginent que ce serait Magda qui serait à l’origine du meurtre commis à Tel-Aviv. Une théorie suggérée par une presse israélienne évoquant un Joseph Goebbels soucieux de dissimuler le fait que Victor ait pu être l’amant de Magda. D’où la présence à Tel-Aviv de deux agents nazis, Theo Korth et Heinz Grönda, auxquels un certain Erich Koch aurait demandé d’assassiner le sioniste, ancien représentant juif de sa mouvance à la Société des Nations. L’assassinat programmé par ce Koch aurait, dit-on, valu à ce dernier de décrocher de l’avancement au pays nazi puisque l’intéressé, devenu un temps Oberpräsident de Prusse Orientale deviendra par la suite Commissaire du Reich en Ukraine. Sans que cette thèse puisse néanmoins trouver un début de fondement. C’est du moins l’opinion qu’avait publié Jérémy Rosen sur son espace de communication « Temps d’Israël » après avoir lu un ouvrage de Colin Shindler, un historien du sionisme. Terrifiée par l’idée que Victor puisse se venger d’elle et de ses épousailles nazies, Magda avait, c’est vrai, un très bon mobile pour agir et faire en sorte que son ancien amoureux ne puisse plus la gêner. S’était-elle convaincue à son tour, comme son autre époux « le fiancé de l’Allemagne », que l’antisémitisme était la seule forme de pornographie qui pouvait être autorisée au sein du Troisième Reich ? Ce décès fera la une des médias aussitôt, et Magda l’apprendra en lisant un journal de confession juive, le Juddische Rundschau . Une page se tournait donc. Devenue nazie en novembre 1930, elle l’était encore davantage au fil des mois, ses plus bas instincts flattant désormais la puissance dans un pays ayant choisi une ligne de conduite à laquelle elle aurait pu s’opposer une dizaine d’années avant. Si du moins les choses en avaient valu la peine ! Ainsi Victor était-il mort comme tout ce qui l’avait rattachée à un passé à présent loin, très loin. Il a également été admis que les militants palestiniens de droite, opposés à tout accord avec les nazis, auraient pu en être responsables. Mais il y avait tant d’amères rivalités personnelles au sein de la gauche du mouvement sioniste, que cet assassinat aurait pu effectivement être imputable à des nationalistes arabes. Interrogée après le meurtre, la femme d’Arlosoroff a affirmé qu’elle avait entendu l’assassin parler le yiddish. Mais était-elle crédible cette Sima qui savait parfaitement se servir d’une arme à feu et dont le comportement après l’agression reste sujet à caution Entre Magda et Victor il s’était agi, c’est vrai, d’un amour et d’une passion brûlante, charnelle. Un lien qui aurait pu être jalousé par une autre femme. Cela a d’abord été, entre deux êtres que tout aurait pu opposer un lien fort avant qu’au début de l’année 1933, chacun de leur côté, ils aient donné l’impression d’avoir enfin trouvé un terrain d’expression différent. Au moment où en Palestine projetait de s’implanter une première colonie juive et peut-être aussi parce que la jeune lycéenne amoureuse que Victor avait croisé quinze ans plus tôt avait laissé place à une femme déterminée un tantinet diabolique et perverse manquant visiblement d’empathie et que de nouvelles prises de position rendait hermétique aux problèmes rencontrés par ces Juifs. Mais, ne fallait-il pas, une fois le camp choisi, donner l’impression à ceux que l’on supportait d’avoir fait un choix ne prêtant à aucune hésitation ?

13.

Après ses amours d’étudiant, Anka et Else, après Dora Hentschel, Tamara von Heede, Hannah Schneider, Johanna Polzin, Jutta Lehman, Anneliese Haegert, l’actrice Jenny Jugo, Erika Chelius, Elisabeth Gänsicke, Olly Förster, Charlotte Streve, Xénia von Engelhardt, l’amie peintre de Magda, Hella Koch, ainsi que la très belle Léni Riefenstahl – qui résistera à ses avances – le propagandiste nazi ne ralentira pas la cadence et il continuera à tourner autour de bien des proies en jupons, proies parfois

102 Aucun commentaire n’a été retrouvé sur le journal de bord de l’intéressé qui justifierait cette hypothèse. 45 volontaires. Même après avoir épousé en décembre 1931 « l’épouse mystique » de celui qu’il avait commis l’erreur de tromper en 1926 au tout début de leurs relations, Adolf Hitler. Faudrait-il y voir là les conséquences d’une nouvelle période d’excitation chez notre maniaco- dépressif ? Probablement. Il est vrai qu’être nommé Ministre de la Propagande après avoir autant ramé, c’était une sorte de consécration pour le Gauleiter de Berlin ! Une consécration qu’il était allé chercher dans la ville de Rheydt où il avait vu le jour au sein d’une famille modeste, non sans mépriser tous ceux qu’il avait retrouvés là-bas et qui l’avaient toujours battu un peu froid ! D’autant qu’en 1932, il y avait été vilipendé par des ouvriers ! Quelle excitation cela a-t-il dû être, après une jeunesse qu’il avait plus supportée que réellement vécue ? De l’avis du biographe Viktor Reimann, Goebbels était devenu une sorte de « jouisseur délicat »103 adorant mêler le travail aux plaisirs et aux aventures. Un homme désormais en mesure de mieux s’habiller et d’avoir recours aux soins d’une manucure, conscient aussi de souffrir d’une évidente dépendance sexuelle. « Mon éros est malade et chaque femme m’attire à mort ! » avait-il reconnu un jour, ce qui se vérifiera souvent. Et d’autant plus souvent qu’à chacune des périodes d’excitation succéderont de brûlantes tentatives de séduction. Après avoir croisé dans le hall du Kaiserhof la belle Léni Riefenstahl, Goebbels ira en 1933 jusqu’à supplier à genoux la célèbre réalisatrice du Triomphe de la volonté 104 de répondre à une envie pressante que la réfrigérante Frau Doktor Reichsminister n’avait pu éteindre. Ses longs cheveux flottant parfois sur ses épaules, reconnaissons que Léni avait tout ce qu’il fallait pour attirer l’attention, dont celle de l’ancien caporal autrichien, puisqu’il l’invitera aux festivités du Berghof sur l’Obersalzberg à l’été 1932. Avant de lui proposer un poste de directrice artistique, celui de la création cinématographique qu’elle refusera à l’idée de devoir travailler avec Goebbels. Il se dit que Juppche s’était tellement toqué de cette belle jeune femme qu’il s’était procuré une garçonnière afin de pouvoir la recevoir discrètement sans éveiller l’attention de son dictateur préféré. Mal à l’aise, Léni Riefenstahl a longtemps contesté avant sa disparition, devant force caméras, certains des faits rapportés par le propagandiste dans son journal situant 105 leurs premières rencontres de travail au moment de la prise du pouvoir par les nazis. On sait aujourd’hui que la célèbre réalisatrice n’était pas toujours la personne la plus proche de la vérité lorsqu’il était question de ses associations nazies. Elle avait plutôt tendance à exagérer et à dire « jamais » quand elle voulait dire que celles-ci n’avaient « pas souvent » existé. Chacun sait aussi quels étaient les talents de manipulateur de Goebbels, et il pourrait être possible qu’il ait volontairement cherché à tromper les observateurs en traficotant son journal, sachant qu’il avait été conçu pour être publié un jour. Même s’il ne l’était pas encore sur la fin de règne des nazis en avril 1945. Et puis, informé comme il l’était, il n’était pas impossible qu’il ait appris quelle était la consommation ordinaire de mâles que faisait la jeune réalisatrice assez sensuelle qu’était Léni. Les relations entre la belle Léni et Goebbels, faute de pouvoir être celles que le nabot nazi désirait, n’ont pas toujours été simples. Sans doute à cause de leurs exigences respectives. Autant celles d’une séductrice ayant à cœur de bien placer ceux travaillant déjà avec elle, et d’obtenir des conditions financières idéales lui permettant de pouvoir fonctionner, que celles d’un homme soucieux de contenir l’intéressée à défaut de pouvoir « l’étendre » sur un sofa. En 1936, Goebbels écrira dans son journal faisant appel à un style qui n’appartient qu’à lui, et teinté d’une misogynie extrême : « Mademoiselle Riefenstahl me fait des scènes d’hystérie. On ne peut pas travailler avec ces femmes sauvages et ces Schweinwerferin 106 ! A présent elle veut un demi-million de Reichsmark de plus pour son film… Je reste complètement froid, elle pleure. C’est la dernière arme des femmes. Mais cela ne marche plus avec moi. Il faut qu’elle travaille et qu’elle maintienne l’ordre. Elle n’est pas un homme, quoi ! ». Apparemment, et à lire ces commentaires, ces deux-là n’étaient pas faits pour s’entendre, en dépit de l’inclination du propagandiste pour les femmes de caractère et pour Léni.

103 Cf. Joseph Goebbels, Flammarion, 1973. 104 Nom de la production commandée par Adolf Hitler et mettant en scène l’arrivée des nazis au pouvoir. D’après Léni Riefenstahl, Joseph Goebbels était un ennemi personnel. Il se dressait contre tous ses projets et elle avait été contrainte de demander la protection d’Adolf Hitler. Ce que les historiens ne confirment pas, convaincus que Goebbels s’était ingénié à aider la cinéaste, afin d’obéir à Hitler. Lorsqu’il s’agira de couvrir les dépenses somptuaires d’un film, Goebbels s’interdira d’être mesquin. Et lorsqu’à Venise sera présenté le documentaire produit, la cinéaste et le propagandiste apparaîtront bras dessus bras dessous sur la terrasse de l’Hôtel Excelsior. Cela fera cancaner lorsqu’on évoquera ces ennemis plutôt devenus des frères ennemis ! 105 Léni Riefenstahl nie par exemple avoir fréquenté les nazis cette année-là. Alors qu’elle reconnaître dans ses mémoires publiées en 1987 à l’âge de… 85 ans, avoir reçu une invitation au mariage des Goebbels en décembre 1931. 106 Traduisible par « lumière ». 46

Parallèlement, il n’est d’ailleurs pas certain que les amours tumultueuses des deux époux Goebbels aient perduré au terme de leur première année d’union maritale. Malgré la venue au monde de la petite Helga en septembre 1932 et la naissance avortée d’un nouvel enfant valant une nouvelle fausse couche à Magda en décembre, suivie, cette fois-ci, d’une septicémie. Avait-on voulu remettre le couvert trop vite chez les Goebbels au terme d’une nouvelle chamaillerie et d’une réconciliation torride sur l’oreiller ? Ce n’est pas exclu. Il est vrai que la situation ne permettait guère aux deux nouveaux époux d’être ensemble durant cette période d’arrivée au pouvoir des nazis, et que la toute première grossesse avait été supportée difficilement. Et puis, il fallait encourager la férocité d’un Juppche affamé de pouvoir et excité à l’extrême, qui devait sentir que l’affaire se précisait à la Chancellerie après la défection d’un Brüning, que ses réussites comptées en qualité de chancelier mettaient en difficulté ! Parce qu’elles ne convainquaient désormais, ni le peuple, ni le vieux maréchal von Hindenbourg ! Une période contraignant le nabot à rechercher au-dehors de quoi soulager sa libido, probablement parce que les multiples divergences avec l’être aimé ne suffisaient plus à remettre d’aplomb un personnage déjà bancal. Goebbels avait pourtant le sentiment de donner le meilleur de sa personne, non sans un certain enthousiasme, mais on aurait dit qu’il n’en faisait jamais assez afin de satisfaire les nombreux caprices d’une épouse devenue de plus en plus critique ! Un enthousiasme sur lequel il s’appuiera quand, devenu un homme comptant dans l’univers nazi, il déclarera, décidé à faire taire ces critiques, « qu’il réfutait l’idée que la propagande soit quelque chose sans valeur car, nous ne serions pas devenus ministres si nous n’étions pas de grands artistes de la propagande ! » Et il ira jusqu’à regretter 107 que Magda défende parfois des points de vue réactionnaires ! Cela ne manque pas de sel dans la bouche du nabot nazi ! Sa tendre moitié n’avait pas toujours des idées analogues aux siennes. Elle ne manquera pas de le lui faire savoir au milieu de l’année 1933, après s’être intéressée à l’Office de la Mode, décidant d’en prendre la direction. Ce que refusait son mari qui l’y soustraira. Décidée à faire grève et à ne pas assister à une représentation publique où l’épouse mystique devait être vue en compagnie de son idole et de la cour nazie, elle contraindra « Onkel Führer » à la faire chercher et à la faire rapatrier à l’aide d’un avion. Attentive à son image publique d’épouse du Reich, la Frau Doktor Reichsminister s’exprimera à la radio. Dès le 14 mai 1933, jour de la fête des mères, brûlant d’incarner au sein du régime nazi une mère idéale. Devenue un personnage éminent, elle sera la destinataire de nombreuses lettres la poussant à tenir un secrétariat privé, signe de sa popularité. Bien qu’elle eût laissé entendre qu’elle était opposée au programme Lebensborn décidé par Himmler, rien ne semblait entamer ses résolutions et son souhait de peser dans la vie culturelle et sociale allemande. Ce que peut attester sa présence aux côtés de son époux mystique Adolf Hitler lors de l’ouverture des Jeux olympiques de Berlin de 1936. Celle d’une « personnalité du Reich » déjà mère de cinq enfants ! La Frau Doktor Reichsminister Goebbels accordait, c’est confirmé malgré les nombreux excès, une grande importance à son corps, acceptant d’aller régulièrement subir des soins chez Wei βer Hirsch, une clinique de Dresde. Parce qu’après les premières maternités, étaient survenus un certain nombre de troubles gastriques ou autres. Une situation à laquelle elle s’était accoutumée, même si avoir autant d’enfants en si peu de temps pouvait être éprouvant. Parallèlement à d’autres abus en tout genre auxquels elle se livrait. Abus qui ne manquaient pas de surprendre car, si son discours sur la famille idéale apparaissait louable, son comportement restait, lui, à l’opposé du « convenable ». Alors qu’on brûlait au début des années vingt d’en faire une parfaite petite ménagère, elle était surtout obsédée par le fait de pouvoir se hisser au sommet. Et devenir une sorte d’inspiratrice de son Führer signifiait aussi lui reconnaître une part de ce pouvoir qu’elle traquait depuis l’enfance. En se faisant remarquer au sein d’une collectivité où devenir une « mère poule, pondeuse émérite » était encouragé, récompensé et... recommandé ! Mais, accepter de se faire faire des enfants n’était-ce pas aussi un acte de pure propagande nazie et rien d’autre ? Et puisque les Goebbels devaient montrer l’exemple... Ne fallait-il pas remplir de citoyens aryens les territoires conquis à l’Est et plusieurs mesures incitatives furent dès lors décidées ? Les couples aryens ont d’ailleurs pu emprunter à l’Etat un millier de Reichsmark et, à la naissance de chaque enfant conçu, il leur était remis vingt-cinq pour cent de ce montant. Des milliers de femmes seront licenciées de la fonction publique dans les années trente afin que

107 Ce sera le cas en décembre 1935. 47 l’on puisse offrir leur emploi à des chômeurs. Et elles étaient fortement encouragées à ne pas perdre de poids ce qui aurait nui à leurs capacités de reproduction.

De l’avis de son conjoint, Magda, devenue insupportable à l’été 1934, se sentira longtemps coupable au terme d’une Nuit des longs couteaux dont elle avait assisté en juin à la mise en place à ses côtés et ceux du Führer, d’avoir fait partie de ceux ayant ordonné cette tuerie. Une tuerie qu’un certain Reinhard Heydrich avait programmée 108 et qui était, semble-t-il, à l’origine de l’élaboration de faux documents sonnant la déchéance d’Ernst Röhm. C’est du moins l’avis du biographe Toby Thacker dans un ouvrage consacré à Joseph Goebbels. En admettant qu’un tel être ait pu éprouver une quelconque culpabilité ou un quelconque sentiment et qui montre à nouveau quel était le talent de manipulatrice de la Frau Doktor Reichsminister. De cette période assez agitée au terme de laquelle la Reichswehr retrouvera une sorte de grandeur passée après avoir été menacée par les S.A. de Röhm, il reste des affrontements que le couple Goebbels aura du mal à contenir. Aidés sans doute par l’excitation d’un maniaco-dépressif face à la perversion d’une femme 109 . Au sommet de cette excitation, le docteur a-t-il été porté dès cet été-là, à avoir de plus en plus de maîtresses chez les actrices ? Une période due, non seulement, à la gestion de la disparition de l’encadrement S.A et d’Ernst Röhm au début de l’été, mais plus vraisemblablement à une autre information provenant de sa belle-mère Auguste Behrend et faisant de son épouse aryenne une « demi- juive » ? C’est probable d’autant que la présence confirmée de quantité de belles femmes, à l’image de Gerda Maurus, la concubine du réalisateur Fritz Lang et de certaines autres sémillantes artistes ait pu jouer sur l’éros du propagandiste. Celui-ci ira jusqu’à favoriser ces rencontres en appuyant la création d’un nouveau Cinécitta nazi devenant, au passage, « Le bouc de Babelsberg », du nom du quartier berlinois où s’étendra un gigantesque espace. Combien ont-elles été toutes ces femmes sur lesquelles le gauleiter de Berlin s’est jeté, même durant les premières années de son mariage ? Quelques-unes, s’il faut en croire la plupart des chercheurs ayant eu à plancher sur ses travers et ses rencontres de Babelsberg au sein du monde de la création cinématographique. Que ce soit avant ou après l’épisode Lída Baarová resté le plus connu ! Lorsqu’Himmler lui en fera le reproche, il s’étonnera qu’on ait accepté de l’introduire dans le cercle du dictateur nazi, alors qu’on savait quel était son mode de vie de libertin, celui d’un homme devenu alors « l’homme le plus haï d’Allemagne » auquel on ira jusqu’à reprocher d’être l’auteur de maintes agressions sexuelles au Ministère de la Propagande. Organisé, il s’efforçait, a-t-on reconnu, de recevoir ses conquêtes dans un appartement qu’il avait fait concevoir et destiné à abriter ses escapades de don Juan, allant, parfois même, jusqu’à les inviter à la maison où, lui et son épouse, occuperont à partir du début de l’année 1934 des chambres séparées. Sans que celle-ci ose longtemps réagir de peur de perdre sa proie !

Serait-ce l’attitude de plus en plus froide de « la dure et maussade Magda » qui avait incité son époux à accélérer la cadence ? Ou une première tentative de divorce qu’elle aurait programmée ? Il semble plus sérieusement que la chose soit à rattacher au fait que l’épouse mystique du gourou de la secte ne voyait plus aussi souvent qu’avant à l’automne 1934 « le fiancé de l’Allemagne », mâle dominateur s’il en est ! Une mesure due, selon certaines sources, à une volonté de l’agité moustachu de Linz d’interdire pendant quelques mois l’accès de la Chancellerie aux femmes et donc à sa favorite en titre ! Anna-Maria Sigmund raconte dans l’un de ses ouvrages, consacré aux Femmes du Troisième Reich, quels étaient alors les objectifs d’une certaine Henriette von Schirach 110 , laquelle aurait tout donné pour devenir, bien avant Magda, l’épouse mystique d’un gourou nazi qu’elle n’avait pourtant jamais voulu embrasser sur la bouche. Même après qu’elle y eut été invitée par l’intéressé ! Sans doute le mépris qu’elle éprouvait à

108 Au cours de laquelle sera ordonnée la mort d’une grande quantité de responsables des S.A comme Ernst Rohm et Heines et la mise au rancart de quelques autres personnalités de premier plan comme Auwi Hohenzollern et Ludecke. 109 Illustration de ce « chaud et froid » le cadeau que Magda adressera pour Noël 1934 à la veuve d’Ernst Röhm après avoir été témoin de son assassinat six mois auparavant. 110 Henriette, la fille d’Heinrich Hoffmann, le « photographe munichois de monsieur Wolf » épouse du nazi : Baldur von Schirach en charge des Jeunesses Hitlériennes, ne serait pas étrangère à cette mesure. Il était effectivement reproché à celle-ci d’avoir laissé courir des bruits infâmants. 48 l’égard d’Eva Braun, restée employée de son père Heinrich a-t-il joué un rôle important dans l’affaire. Un épisode que confirme l’historien François Delpla.

La Frau Doktor Reichsminister réussira cependant à se faire mettre enceinte et un garçon, l’enfant d’une énième réconciliation, tant attendu par le nabot nazi, verra le jour en octobre 1935. Pendant que son papa butinait la splendide Hela Strehl 111 , une journaliste du périodique féminin Elegante Welt . Ce troisième enfant né en 1935 portera le nom de l’un des fils de Günther, Helmut, pour lequel Magda avait éprouvé plus qu’un lien filial avant qu’il décède. Cette naissance, que l’on a un temps prêté à une liaison qu’elle aurait eu avec le dictateur, aura une conséquence sur l’attitude de Joseph à l’égard de sa femme qu’il remerciera longtemps de lui avoir enfin donné un fils ! Face à de très belles actrices pareilles à la Tchèque Lída Baarová, Imperio Argentina ou Gerda Maurus, il est probable que Magda ait eu beaucoup de mal à opposer à la beauté de celles-ci l’image qu’elle offrait. En manteau de renard ou sans. C’était d’autant plus rageant que la Frau Doktor Reichsminister Goebbels assistait à la quasi-intégralité des présentations cinématographiques ou des spectacles proposés dans les studios de l’UFA à Babelsberg 112 par son ministre de mari et qu’elle était souvent impuissante face à la plupart de ses tentatives de libertin ! Encore que certaines des actrices sur lesquelles avait flashé Joseph ne déplaisaient pas au dictateur nazi, l’autre époux mystique ! Comme la beauté de Buenos-Aires installée en Espagne, une certaine Magdaléna Nile del Rio. Séduit, Goebbels attendra la fin de son idylle avec la belle Lída avant de tenter de mettre le grappin sur cette « fille de rêve »113 , connue sous le nom d’Imperio Argentina et mariée à son réalisateur en titre. Une nouvelle passade susceptible de chagriner le mentor du propagandiste, car « Monsieur Wolf », l’ayant vue chanter en duo aux côtés de Carlos Gardel, aurait apprécié que l’actrice rende hommage à une certaine Lola Montes, maîtresse du roi Louis de Bavière. On dit qu’il aurait éprouvé pour cette comédienne une secrète inclination, alors que, paradoxalement, Imperio était bohémienne, et que cela était mal vu par les nazis, Magda 114 , n’ayant pas trouvé auprès du dictateur la place pleine et entière qu’elle avait longtemps attendue et promise par le gourou nazi au tout début de leurs relations. La belle Argentine s’esquivera cependant au lendemain de la Nuit de cristal , déçue d’avoir assisté à un massacre imputable à un homme qui, profitant d’un tournage, avait osé lui déclarer sa flamme.

14.

Nuque dégagée, oreilles délicates, peau diaphane et, pour couronner le tout, une robe blanche à manches courtes qu’elle portait fort bien… Selon les chroniqueurs de l’époque, l’actrice Anny Ondra n’avait pas laissé Juppche indifférent ! Loin de là ! Mari boxeur ou pas ! Taux d’adrénaline en hausse, il avait même eu très chaud lorsqu’elle était venue dîner à Schwanenwerder au début du mois de juin et qu’ils avaient tous regardé le combat opposant son époux Max Schmeling au noir américain Joe Louis. Ce qui avait considérablement énervé Magda, lui faisant regretter d’avoir organisé une telle soirée, car il était évident que cette imprudence aurait pu donner quelques idées déplacées à son libertin d’époux. Alors que la parenthèse Lída Baarová n’avait pas réellement débuté en cet été 1936, il est d’ailleurs facile d’imaginer quelle ambiance pouvait régner chez les Goebbels. Le fait qu’un : « Je n’ai plus de foyer quand elle est là » ait été annoté début mai sur son journal par le propagandiste peut en témoigner. Sans que l’on puisse cependant déterminer qui, en cette année olympique de tous les records, a vraiment commencé à tromper l’autre dans les grandes largeurs : Joseph en se lançant à l’assaut d’une nouvelle actrice ou d’une secrétaire, ou bien Magda avec Lüdecke ou quelqu’un d’autre.

Très abattue par les multiples infidélités de son époux, la « dure et maussade Magda Goebbels » se consolera effectivement de toutes ces initiatives dans les bras du dénommé Kurt Lüdecke, le fils du directeur d’une usine chimique disposant de moyens propres à permettre un certain train de vie. Un

111 A l’origine de la création d’un office de la mode dépendant du Ministère de la Propagande qui serait chargé de promouvoir la femme aryenne, Hela Strehl ne manquait pas d’arguments auxquels sera sensible Joseph Goebbels. 112 Considéré sous le Troisième Reich comme le nouveau Cinecitta européen. 113 La fille de mes rêves est le véritable nom d’un film revenant sur l’affaire et mettant en scène une certaine Pénélope Cruz. 114 Ce sera Hannah Schygulla qui interprétera le rôle de Magda à l’écran. 49 homme qu’elle avait connu lorsqu’elle était mariée à Günther Quandt, à une époque où Kurt avait envisagé d’en faire une collaboratrice et qu’il l’avait priée de l’aider à recueillir les fonds dont il avait besoin et destinés à un parti nazi en pleine construction à la fin des années vingt. Réputé être un joueur, le charmant Lüdecke, coureur de jupons s’il en est, était un aventurier. Seulement ses fréquentations le rendaient incriminable dans quantités de manœuvres et cela lui avait valu de connaître quelques menaces au moment de la Nuit des longs couteaux et de la disparition d’Ernst Röhm et de certains autres leaders S.A, auxquels on prêtait des intentions belliqueuses. Puisqu’au comble d’une nouvelle période d’excitation son époux volage était en mains, occupé par ses nombreuses actrices, pour quelle raison Magda n’en n’aurait-elle pas profité ! Surtout en cet été 1936 où l’Allemagne alignait aux Jeux de Berlin record sur record et où, polyglotte, toilettée et distinguée, elle attirait encore tous les regards, symbolisant cette nouvelle Allemagne ! Dans un rapport rédigé à l’attention des Alliés en 1937, à un moment où soucieux de régler ses comptes avec le régime National-Socialiste, il s’était réfugié aux Etats-Unis, Lüdecke reviendra, selon l’historien Guido Knopp, sur sa courte liaison avec la Frau Doktor Reichsminister. Il racontera comment ils avaient été surpris chez elle par l’époux volage de Magda, alors qu’elle lui tenait « amicalement » la main et qu’elle lui avait proposé de rester dîner avec eux deux, ce qu’il refusera pour éviter une soupe à la grimace. Cette revanche de l’ex Frau Quandt, arrivée aux oreilles d’un responsable nazi très attaché aux valeurs aryennes, un certain Alfred Rosenberg 115 , devenu, devant tant d’agissements, farouchement hostile aux Goebbels, vaudra à Magda d’être rappelée à l’ordre. L’Allemagne s’apprêtant à faire la une de la presse étrangère, le moment était mal choisi pour se lancer dans une chasse au mâle de substitution. Surtout au moment où les Goebbels étaient sur le point d’organiser à proximité du village olympique de Berlin une réception magique, à l’île des Paons devant le magnifique château gothique blanc de Pfaneninsel de Frédéric-Guillaume II, à deux pas de leur demeure de Schwanenwerder. Deux-mille-sept-cents invités dans un endroit majestueux, saumon, langouste, foie gras, pâté en croûte, caviar à foison et champagne, on avait voulu indiscutablement faire les choses en grand en clôture des Jeux ! On dira un peu plus tard qu’à l’île des Paons, Magda s’était comportée en astre rayonnant d’une soirée qui devait être inoubliable. D’autant qu’elle était déjà apparue au cours des jours précédents aux bras du prince héritier d’Italie, Humberto, du roi de Bulgarie et de quelques autres sommités du moment. Beaucoup reconnaîtront aussi que les quelques prostituées qu’on avait déguisées pour l’occasion en courtisanes de l’Ancien Régime, avaient été envoyées là pour semer la discorde ! Comme si l’Allemagne, fière de ses dernières batailles remportées sur le plan économique et des invités triés sur le volet, avaient voulu se lâcher, donnant une triste image de ce qu’était la patrie de Goëthe ! Devenue hargneuse à l’idée qu’on ait pu vouloir saboter une telle manifestation, la Frau Doktor Reichsminister se reprochera de n’avoir rien vu venir et de n’avoir pas su contenir de tels dérapages alcoolisés. A la grande satisfaction d’un certain Hermann Goering et d’une réception davantage « bon enfant » organisée au Ministère de l’Aviation que ce dernier proposera à deux mille personnes dès le lendemain à grand renfort de saucisses aryennes et de bière. Ces contrariétés, suivies par de nouveaux ennuis de santé, vaudront à l’épouse du propagandiste nazi, enceinte d’un troisième enfant, d’être hospitalisée après les Jeux dans sa clinique préférée de Dresde, la Wei βer Hirsch, afin d’y recevoir quelques soins. Juste avant de recevoir, fin octobre, l’un de ses nombreux admirateurs, le comte Ciano. Ne fallait-il pas trouver un peu de réconfort auprès de gens susceptibles de pallier aux absences remarquées d’un époux, en se rendant de temps à autre seule aux quelques invitations adressées au ministère ? L’endroit où vaquait un ministre déjà devenu « l’une des plus grandes crapules ayant trompé le peuple allemand », ce qu’elle prétendra un peu plus tard ? En tout cas, la Frau Doktor Reichsminister, plus décidée que jamais à faire plier son libertin d’époux, avait compris de quelle façon elle pourrait le presser, et comment elle devrait s’y prendre. Assurément motivé par le fait que son épouse Edda ait pu être entreprise par Goebbels 116 , le comte Ciano, ministre des Affaires étrangères de Benito Mussolini qui passait volontiers pour un don Juan – bien qu’il eût épousé sa fille Edda –, profitera de cette nouvelle réception pour faire la cour à Magda. A

115 L’auteur de plusieurs ouvrages dont « Le mythe du XXème siècle » publié en février 1930. 116 Il subsiste à ce propos une inconnue. Il se pourrait en effet que ce soit l’un des chauffeurs dudit Goebbels qui ait commis un écart alors que le propagandiste était en visite en Italie et que ce soit la dame d’honneur d’une princesse héritière qui ait eu à subir cet écart. 50 défaut d’avoir pu revoir la belle Siegrid von Laffert 117 ! N’était-ce pas pour le comte « un prêté pour un rendu » et aucun de ces deux hommes n’aurait songé à se plaindre d’une pareille situation. Amateur de dolce vita et de belles femmes, dédaigneux mais sans montrer quel était son désappointement quand il était déçu, immature, capricieux et avide de succès mondains, le comte, un homme intelligent et humain, dont on disait qu’il était sans cruauté 118 , présentait en outre toutes les qualités susceptibles de convenir à une créature perverse comme Magda à la recherche de liaisons agitées. Sa cape d’hermine sur les épaules, celle-ci ne cessera pas la soirée durant de l’observer, faisant appel à ce regard qu’on lui a connu et des yeux de crapaud mort d’amour. « Le comte Ciano, écrira Bella Fromm, avait sorti de sa poche un étui en or massif orné de pierres précieuses, cadeau d’Hermann Goering, afin d’offrir une cigarette turque à Magda. Elle était assise dans un coin de la pièce avec l’Italien, flirtant avec cet homme qui lui était tout dévoué ». Notons au passage que sa tendre épouse faisait tout l’inverse de ce que son ministre de mari prônait au pays aryen : elle fumait, teintait ses cheveux en blond platine, se maquillait, portait des toilettes mirobolantes et n’avait que dédain pour les rustres du parti nazi. Le chroniqueur aurait pu ajouter « et elle s’envoyait en l’air le plus souvent possible ». Ce n’aurait pas été une contre-vérité. Si l’on s’en tient aux concepts nazis en vigueur à l’époque, était-ce reconnaître que la Frau Doktor Reichsminister, parfois maquillée comme « une femelle orientale » était une pute ? Personne n’aurait osé l’affirmer à la cour de l’autre époux mystique de Magda, « le fiancé » de l’Allemagne ! Ce que l’on sait moins, c’est que cette « épouse mystique du Führer » se mettait en quatre afin de résister aux abus et aux conséquences de soirées se prolongeant fort tard ! Jamais en retard, elle observait toujours un rituel analogue : quarante-deux coups de brosse pour se peigner et deux minutes, pas une de plus, pour se brosser les dents ! Une cadence qu’elle ne soutenait qu’en prenant un comprimé ou deux de temps en temps, juste histoire de se calmer les nerfs entre deux coïts ou deux fellations ! Avait-elle besoin au moment de cette réception du comte Ciano de se sentir rassurée sur ses talents de séductrice ? Ou y avait-il du flottement dans les relations italo-nazies ? On l’a prétendu, évoquant une alliance qui contraindra cependant son « Onkel Führer » à attendre ce rapprochement avec Benito Mussolini rendu possible par l’entrée en guerre des troupes nazies en septembre 1939. Cette mission de représentation entreprise peu de temps après les Jeux et que le dictateur nazi avait demandé à l’épouse de son propagandiste attitré de conduire était donc essentielle et peu importait les moyens employés par la rusée Magda. Cette drague du comte Ciano en faisait partie, et cela lui vaudra d’être davantage dans les papiers d’« Onkel Führer » son pervers favori. Alors qu’elle l’était déjà après l’assassinat de celui régulièrement présenté comme son amant juif : Victor, un lien que l’ancien caporal autrichien et son Joseph avaient eu du mal à pardonner. Une disparition versée à son crédit par Tobie Nathan. Afin d’appuyer cette hypothèse, Certains ajouteront dans leurs constats que la gente dame avait voulu « offrir son Juif à Hitler ».

C’est à présent démontré, la romance du libertin nazi et de l’ancienne maîtresse de l’acteur français Charles Boyer, Lída Baarová, rencontrée au moment des Jeux de Berlin, puis revue aussitôt après ceux-ci, a duré près de deux ans. Au vu et au su de tous, y compris du pays natal de l’actrice, notamment pendant le congrès nazi de Nuremberg de l’automne et un court voyage en Grèce de l’épouse trompée. Il ne manquait, d’après le biographe Hans-Otto Meissner, qu’une goutte d’eau pour faire déborder le vase et provoquer la chute du libertin qu’était Goebbels et ce fut l’affaire Baarová qui y contribua. Peut-être aussi parce qu’après leur rencontre, troublé comme il l’était, il attendait de cette nouvelle relation un peu plus qu’une simple passade érotique ressemblant à toutes les autres. Pur hasard ou, qui sait, signe du destin, la très belle slave, vivant maritalement aux côtés du célèbre acteur Fröhlich avec lequel elle avait partagé l’affiche dans le film Barcarole sorti sur les écrans en 1935 demeurait, elle aussi, à Schwanenwerder, la riche banlieue berlinoise. A proximité donc du domicile des Goebbels ! Yeux noirs en amande, pommettes hautes, grain de peau magnifique, yeux très expressifs, Ludmila Babkova, surtout connue jusque-là sous le nom de Lída Baarová était d’une beauté rare. Une jeune femme rendant les hommes fous de désir et situé à l’opposé de ce qu’était Magda, la groupie du célèbre

117 La jeune baronnesse avait, pour beaucoup de mâles en rut dont Ciano, des seins délicieux, des jambes longues et une petite bouche ! 118 Sans cruauté mais un tantinet moqueur, surtout quand il affirmait à propos d’Hermann Goering que ce dernier ressemblait à quelque chose se situant entre chauffeur et cocotte d’opéra ! 51 triumvirat mystique ! Cette jolie brune sensuelle attirante, ce que confirment les photos prises d’elle, venait juste de fêter son vingt-et-unième anniversaire au moment de sa rencontre avec Goebbels. Et sans méchanceté aucune, avouons que, face à une Magda dont la taille s’était épaissie à la suite de ses dernières maternités, celle de la belle Tchécoslovaque retenait l’attention. A plus forte raison celle d’un chaud lapin comme Goebbels, le libertin nazi. Il avait été rapidement subjugué par les jambes magnifiques de la jeune actrice et par une prestation de comédienne déjà avertie dans L’heure de la tentation, un film de Paul Vegener qu’elle avait voulu visionner dans les studios de l’UFA, se rendant à une invitation du maître des lieux. Un second film Verräter , de Karl Ritter, confirmera tout le talent d’une beauté également douée pour les langues étrangères puisqu’elle s’exprimait, aussi facilement en allemand qu’en slave ! Fidèle à son habitude et sous le charme, Goebbels lui fera porter des fleurs, tout en lui promettant de faire appel à elle pour lui confier les plus beaux rôles. Sans évoquer la signification qu’il donnait, lui, aux termes « beaux rôles ». Une jeune femme ambitieuse face à un homme que les créatures affriolantes passionnaient, c’était un cocktail détonant et prometteur ! D’autant plus détonant que Monsieur Wolf, le dictateur nazi, premier séduit par l’actrice tchécoslovaque, n’avait pas hésité à révéler à la beauté slave qu’elle lui rappelait quelque chose de beau et de tragique auquel il avait été confronté dans son existence. Sans que Lída sache encore que l’agité de Linz avait voulu parler de sa nièce Geli Raubal, un être auquel il tenait énormément. Convaincue que l’industrie cinématographique allemande pouvait lui permettre de mieux employer ses multiples talents, Liduschka 119 s’était vite persuadée qu’il y avait là une occasion à saisir. Seulement, effrayée par la proposition du fiancé de l’Allemagne de faire d’elle une citoyenne allemande et, probablement aussi, une nouvelle épouse mystique semblable à celles dont il raffolait, l’affaire n’avait pas été plus loin, favorisant une autre rencontre avec un Joseph Goebbels toujours aux aguets. « Son intelligence et son charisme rendaient fascinant un homme qu’il suffisait d’écouter parler pour ressentir un frisson parcourir son échine dorsale ! Quand nous étions seuls dans une pièce et que je lui tournais le dos, je sentais son regard sur moi ! » révélera-t-elle leur liaison terminée, avouant qu’elle n’aimait pas Goebbels, même s’il était très gentil avec elle. C’est lors d’un congrès nazi auquel elle avait été invitée à l’automne à Nuremberg en compagnie d’artistes de tout premier plan, que Joseph manifesta une première fois sa fougue à l’intéressée et ce qu’il ressentait pour elle. Après l’avoir longuement questionnée, et l’ayant embrassée sans qu’elle le repousse, elle dut essuyer sur sa bouche les traces qu’avait laissé son rouge à lèvres. Il lui dit que si, pendant son discours, il ôtait sa montre-bracelet, ce serait pour lui faire savoir qu’il pensait à elle. Et que s’il s’essuyait de temps à autre les lèvres avec son mouchoir, ce serait un signe d’amour. Ce qu’il fit à la tribune, jetant à chaque fois des regards énamourés à une Lída qui avait pris place au premier rang. Sitôt leur lien noué, elle n’hésitera pas à accepter de le retrouver après coup chaque soir. D’abord, sans céder aux avances d’un homme qui lui avait confié n’avoir jamais éprouvé d’amour pour une femme comme elle. Puis acceptant ensuite de longues balades en voiture, avant de capituler à la mi-septembre. Ce que laisserait supposer une annotation portée sur le journal de bord du libertin à la date du 14 : « La vie est belle. Elle est combat, douleur et bonheur » La différence d’âge des deux tourtereaux, le fait que le propagandiste nazi soit marié, père de trois enfants et que l’épouse cocufiée attende un quatrième petit, ne changera rien à l’affaire. Pas plus, non plus, que Lída soit d’origine slave, et non la citoyenne aryenne auprès de laquelle tout bon nazi se devait en priorité de copuler en admettant que son épouse cocufiée le lui permette. Joseph qui ne partageait déjà plus grand-chose avec la sienne et qui ne s’affichait plus que très rarement avec elle, était, a-t-on dit, éperdument amoureux de l’actrice et leur idylle avait fini par être connue de la presse étrangère 120 . Au point que Goebbels en était arrivé à vouloir divorcer de Magda et à mettre un terme à ses fonctions auprès d’Hitler ! Le contrat d’une durée de sept ans proposé à l’actrice par la Métro Goldwyn Mayer, aurait certes pu changer la donne si elle avait choisi de partir aux Etats-Unis, tout comme Marlène Dietrich après son « Ange bleu ». Ce qu’elle refusera cependant de faire, regrettant ensuite amèrement cette décision jusqu’à sa mort.

119 Le diminutif affectueux que lui avait donné Goebbels. 120 En Allemagne, on avait coutume alors de dire, singeant jusqu’au patronyme même du premier cocu de l’histoire, l’acteur Fröhlich (traduction de joyeux) : « Ah comme je voudrais être joyeux au moins une fois ! » 52 L’affaire verra le propagandiste demander à l’automne 1938 un soutien au gros Hermann Goering afin qu’il intercède auprès d’un Hitler que l’affaire ennuyait. Surtout au moment où le dictateur nazi avait déjà en tête de soulever les Sudètes en Tchécoslovaquie ! Goebbels jouait-il sur le fait que l’ancien chef d’escadrille du premier conflit mondial ne semblait pas tenir « sa Pompadour » en très haute estime 121 et qu’il convenait de mettre un terme à son entreprise de séduction ? Et pourtant, les deux hommes n’entretenaient pas des relations d’une courtoisie extrême, le propagandiste n’appréciant pas le comportement du « gros bébé », lorsqu’il apparaissait en public revêtu de ses multiples distinctions d’ancien militaire, afin de se donner en spectacle.

15.

Les annotations de l’époux volage dans son journal témoignent encore aujourd’hui du long film provoqué par une idylle devenue, non seulement une liaison torride, mais aussi, une affaire d’Etat ponctuée de manifestations d’attachement, celles de deux êtres déboussolés. Manifestations provenant d’une midinette aux portes de la gloire qui n’a pas su gérer un début de carrière prometteur, et d’un homme qui n’avait visiblement pas su refuser à « son chef » d’épouser une femme appelée à devenir la perverse en chef de l’état nazi ! Alors qu’il n’était vraiment pas fait pour le mariage ! Tombée malade au terme d’un nouvel accès d’égocentrisme, Magda passera quelques semaines à la clinique Wei βer Hirsch à Dresde, juste après la naissance d’Hedwige le 5 mai 1938 ! Une précision chronographique démontrant que, malgré la présence quotidienne à ses côtés de son affriolante maîtresse tchécoslovaque et leurs parties fines régulières des deux dernières années, le libertin a assuré le couvert au domicile de la propagande nazie durant tout l’hiver de l’année 1937, donnant à sa tendre épouse narcissique et à son « Führer adoré » un quatrième « petit Goebbels » au pays du couple nazi idéal. Malgré certaines omissions ou précisions retirées du journal d’un responsable de propagande soucieux de témoigner, en laissant parfois supposer d’autres faits que ceux repris, cette longue période est marquée par ce qui semble avoir ressemblé à une sorte de « démission » d’un homme pourtant habitué à faire régner la terreur autour de lui. Un être auquel les femmes trouvaient une certaine séduction sans toutefois parvenir à en préciser les raisons.

Alors que son épouse semblait être sortie le 27 mai 1938 de Wei βer Hirsch, Goebbels évoquera dans ce journal un premier indice du désaccord qu’il avait avec elle. Une sorte de tournant de leur union, et une séparation semblant définitive au terme de la liaison qu’il entretenait depuis déjà la mi-septembre… 1936 et un secret d’Etat 122 qu’il avait fallu préserver durant de longs mois. Envers et contre tout ! « Je n’ai parlé à Magda, écrira-t-il, qu’avec le cœur dans la main. Était-ce vraiment nécessaire ? » Dormant mal, le cœur serré en proie à trop de soucis, Goebbels admettait le 8 juillet, qu’une période de calme relatif sur la scène politique ne devait pas être celui de préoccupations personnelles. « C’est la première fois depuis longtemps, à l’occasion d’une réception organisé par le Führer à la Maison Brune de Munich, à laquelle avaient été conviés des artistes, que je me suis montré en compagnie de Magda », concédant le lendemain en des termes contenus qu’il y avait probablement eu une partie de jambes en l’air à Schwanenwerder. Mais, si les deux êtres narcissiques semblaient heureux de s’être vus, tout n’était pas réglé entre eux. Incapable de trouver le sommeil, le libertin éprouvera pourtant beaucoup de mal à s’atteler à sa tâche la journée suivante, pensant sûrement à celle à laquelle il donnait désormais du plaisir régulièrement et qui le lui rendait bien.

Déchiré entre ce qui restait de son amour marital et le vif désir qu’il éprouvait à l’égard de la très belle Lída Baarová, Goebbels témoigne dans son journal traduit aujourd’hui encore par nombre d’observateurs

121 Une appréciation qui évoluera puisqu’au début du conflit, il arrivera à la dure et maussade Magda d’accepter de confier ses bambins aux Goering pour de courtes vacances. Malgré la réserve que lui inspirait… Emmy Goering ! 122 Ce secret n’en n’était, semble-t-il, plus un depuis longtemps, puisque le New York Daily News avait évoqué l’affaire révélant que Goebbels avait été giflé par Gustav Fröhlich, l’ami de Lída, dans un article publié aux États-Unis, à Londres et à Paris, précisant que six acteurs et actrices, amis de la jeune actrice et son mari, Gustav Froelich, avaient été arrêtés, voire chassés du Reich. Et qu’Hitler aurait été furieux du scandale public causé, déclarant que son ministre avait des raisons de craindre pour sa carrière. En apprenant la publication de l’article, le propagandiste nazi aurait eu une crise de nerfs ! Les correspondants de presse réunis à Berlin dans l’impossibilité de confirmer cette dépêche, les cercles allemands déclareront que l’histoire était sans fondement. 53 de ce ressenti et de l’agonie de son âme. Son amour pour les enfants que son épouse légitime lui avait donnés est pourtant réel. « Helga, l’aînée, a, selon lui, la douceur d’un fruit presque mûr, Hilde, d’une petite idiote, Helmut, d’un fainéant tenace venant d’apprendre à marcher. Quel bonheur d’avoir de tels enfants ! », reconnaîtra- t-il le 27 juillet dans son journal. Ces commentaires le montrent introverti et un brin égoïste, alors qu’à l’inverse Magda apparaîtrait dure et un tantinet sadique. Il avouera même à sa maîtresse que sa femme était « le diable ». L’était-elle ? Ce n’est pas impossible. Dans cette lutte contre son adversaire, « l’épouse mystique du Führer » n’en n’aurait-elle pas un peu profité, en parfaite perverse narcissique, pour renverser définitivement son époux au terme de plusieurs étapes ponctuées de chaud et de froid ? On dit qu’elle aurait menacé de divulguer des documents personnels propres à son époux afin de le discréditer, documents que l’adjoint de Goebbels, Karl Hanke se serait fait un plaisir de lui fournir grâce à la possibilité qui lui était offerte de recenser tout le courrier qui était adressé au ministère de la Propagande. Ce que la Frau Doktor avait déjà fait lorsqu’elle était mariée à Quandt afin de pouvoir obtenir « une sorte de pompon » au terme d’une séparation habilement programmée. Karl Hanke, fils d’un chauffeur de locomotive de Breslau avait été, dira-t-on, heurté par l’attitude d’un propagandiste auquel il reprochait de s’être mal conduit et d’avoir trahi l’idéal national-socialiste de la famille. Ce chevalier dans l’âme, offusqué, avait, sans attendre, donné le sentiment d’être près d’engager son honneur et sa vie pour que l’épouse cocufiée puisse réagir et trouver les appuis dont elle avait besoin pour le faire. Surtout au plus haut niveau, où personne n’aurait pris très au sérieux ses allégations ? Dans son désespoir, et c’est assez paradoxal, surtout compte tenu de la réserve qu’il lui inspirait, le seul homme auquel Goebbels sentait pouvoir faire confiance en ce début d’été 1938, était son secrétaire d’Etat Karl Hanke, qu’il prenait pour un garçon intelligent. Sans qu’il sache que ledit Hanke avait intercepté son courrier animé par un seul but, celui de lui voler son épouse et d’inviter la doucereuse et « larmoyante » Magda à partager sa couche. « Le garçon intelligent » ira plus loin, faisant conspuer Lída Baarová par toute une salle de cinéma lors d’une projection de film à laquelle elle s’était rendue, à l’aide de slogans du type « dehors la putain du ministre ! ». Il semble que personne n’ait été dupe des agissements de l’intéressé dont il s’avère 123 qu’il ne lorgnait pas seulement sur Magda, mais également sur le poste de ministre de la Propagande, sans tenir compte des liens de fidélité unissant son patron libertin au Führer. Etait-il conscient qu’il s’attaquait là à l’existence d’« un couple mystique » créé de toutes pièces par leur vénéré Führer ? Pas certain. Il semble aussi que les SS d’Heinrich Himmler n’aient pas été les derniers à mettre la main sur l’ensemble de la correspondance sulfureuse détournée ! C’est à cet adjoint intéressé que le ministre nazi confiera naïvement le 20 août à Potsdam qu’il avait apprécié de pouvoir se confier à quelqu’un tout en respirant un peu de fraîcheur. Goebbels cherchait alors à se changer les idées en entreprenant de longs voyages en voiture à ses côtés. Le 24, il téléphonera à Magda, sachant quelle évolution pouvait avoir sur elle toute cette histoire et une liaison qu’il s’était jusque-là efforcé de tenir secrète. Malgré l’impatience de la nymphette à laquelle il arrivait de faire les cent pas devant le ministère, faute de pouvoir y entrer ! Des rumeurs s’étaient en effet répandues pareilles à une traînée de poudre, et chacun sait ce que le propagandiste était près de faire afin de pouvoir rester aux côtés de la belle Lída.

Selon certaines sources 124 , ce serait l’amie de Magda, sa belle-sœur Ello Quandt qui aurait livré imprudemment à celle-ci ce qu’elle savait de la liaison de son mari. Un jour d’été de tous les dangers, alors qu’ils s’étaient tous retrouvés en famille à faire du canot sur l’étendue d’eau de leur propriété de Schwanenwerder, et qu’ils avaient invité l’actrice à se joindre à eux. Ello, était-elle persuadée que sa belle-sœur ne savait rien ? Il n’est pas non plus impossible que la Frau Doktor Reichsminister Goebbels, sachant déjà depuis quelque temps ce qu’il en était de cette liaison, ait alors joué aux andouilles, faisant mine d’être chagrinée comme une vieille maîtresse abandonnée aurait pu l’être. Une maîtresse de plus en plus manipulatrice, se trouvant flattée par l’intérêt que lui portait Karl Hanke, l’adjoint de son époux, qui fourbissait quantité d’armes destinées à faire plier l’époux libertin ! Evoqué d’une certaine façon par Hans-Otto Meissner, l’échange d’amabilités entre Lída et Magda, amène à une toute autre conclusion. Celle que Magda ait su comment il fallait s’y prendre afin d’arriver à se faire passer pour une victime et apitoyer autour d’elle. Il est peu probable qu’il y ait eu une véritable et

123 Viktor Reimann dans un ouvrage sur Goebbels publié chez Flammarion en 1973. 124 Le biographe Hans-Otto Meissner en parle dans son ouvrage sur « La compagne du diable » publié en 1961. 54 longue liaison entre Hanke et elle, plutôt une sorte de mise en scène habile organisée par cette dernière en vue d’obtenir du secrétaire d’Etat un soutien et qu’il se batte pour elle. Sans que celle-ci donne ensuite à son admirateur transi ce qu’il en attendait. Le comble d’une autre manipulation évidente ! Ce serait au cours d’un mois d’août torride à bien des égards, que « la doucereuse et fragile Magda » aurait donc appris son infortune. Après que son époux eut tenté de lui imposer un second « mariage pluriel à trois »125 qui, dans un premier temps, l’avait vue donner son consentement à la seule condition que Lída n’ait pas d’enfants de lui. Il paraît néanmoins difficile de croire qu’au terme d’une liaison qui durait déjà depuis deux ans, elle n’ait rien deviné, son époux rejoignant sa maîtresse chaque soir. Mais, puisque Magda tolérait les aventurettes de son don Juan de mari, du moins tant qu’elle n’était pas publiquement « snobée », pourquoi soudain a-t-elle changé de registre ? Sans doute à cause d’un bijou offert à sa maîtresse par le libertin et repéré au cours de cette journée de canotage, incitant la Frau Doktor Reichsminister à demander le divorce et à menacer de s’installer aussitôt en Suisse avec ses enfants. Au risque que l’autre époux mystique du couple ne réagisse pour défendre les intérêts de « la fiancée allemande » ! Reçue au Berghof Magda a laissé à beaucoup le souvenir d’une créature passablement agitée qui avait entrepris de demander des comptes à son autre époux. Résolue à exiger qu’il soit mis un terme à leur entente tripartite, elle avait même incité ce dernier à éloigner de la maison de Berchtesgaden son « clan habituel », et donc une Eva avec laquelle la Frau Doktor Reichsminister éprouvait quelques difficultés à s’entendre. L’instant était-il venu de faire céder définitivement son époux libertin ? l’épouse cocufiée a dû se le demander au moment de demander audience à son « Onkel Führer ». « La rusée Magda a pris son nabot de mari dans un filet d’où il ne sortira plus et où il s’étranglera lui- même », commentera un jour le Reichsführer SS Himmler, soucieux « d’avantager » son ami Goebbels et satisfait d’imaginer que cet incident puisse permettre une redistribution des cartes au pays nazi. Ce « rusée Magda », de l’autre manipulateur Himmler, a la particularité de montrer en quelle estime ce dernier tenait la Frau Doktor Reichsminister Goebbels, lui le sadique loin d’être considéré comme un naïf ! C’était aussi sans compter sur un nouveau revirement de l’épouse de son rival laquelle, après avoir été sensible à la cour d’un Hanke et à leurs longs périples à cheval, estimera quelques semaines plus tard que ce dernier avait pris une part trop grande à la séparation de son couple. Il est plus que probable que les précisions apportées au déroulement de l’affaire par le biographe Otto- Hans Meissner n’aient quelque peu exagéré la chose, compte tenu des liens amicaux qui unissaient Magda à sa belle-sœur. Et comme on a coutume de dire chez les policiers à propos d’indices prouvant une culpabilité, trop de preuves tuent la preuve ! Il ne fait aucun doute qu’en qualité de manipulatrice émérite, la Frau Doktor Reichsminister savait s’y prendre. On raconte même qu’elle avait déjà prévu, sept ans avant le drame du bunker, et au comble d’un égocentrisme criant, de sacrifier cinq de ses enfants à cette sordide histoire de fesses en les tuant avec elle ! Monstrueux !

À la suite de ces pressions, le Führer, craignant qu’un divorce ne ternisse l’image de « la famille allemande modèle » incarnée par le couple Goebbels, demandera impérativement à son ministre de rompre sa relation adultérine. Ce que Joseph fera, dépité, devenant davantage encore irascible, et précisant à « son chef » que les réactions de sa femme étaient celles d’une créature hystérique dont les nerfs étaient éprouvés par les dernières grossesses ! Alors qu’il était sur le point d’accéder à cette demande de divorce de Magda et d’opter pour un poste d’ambassadeur nazi à Tokyo au risque de fâcher son mentor ! A un moment où jamais les armées d’Hitler n’avaient autant fourbi leurs armes, cette histoire d’adultère chez les Goebbels agissait comme un traumatisme. Pour le dictateur nazi, il était hors de question que le couple de Joseph et Magda vole en éclats alors que se préparait un conflit armé ! Pivots de toute une propagande nazie bâtie autour de la famille allemande, cette amourette sur fond d’ingrédients tchécoslovaques tombait très mal, alors que l’ancien caporal autrichien envisageait d’annexer la patrie de la belle Lída !

Le journal du libertin aurait pu aider à jeter le doute sur la demande insistante formulée par Magda quant au départ de Lída Baarová, et que l’on sache comment celui-ci l’avait vécu. Mais, toute vérité

125 Le premier ayant été consenti en septembre 1931, sept ans plus tôt, avec… Adolf Hitler (deux hommes pour une femme) était cette fois-ci un peu plus risqué. 55 n’étant pas bonne à dire, on n’y trouvera aucune trace, ni sur l’affaire elle-même, ni sur les affaires extraconjugales explicitées ayant pu lui être reprochées. Les références d’un dévouement à la famille y abondent, montrant que l’ostrogoth n’était pas propagandiste pour rien ! Les termes tels que « Magda et les enfants se portent bien » peuvent inconsciemment avoir été jetés là au milieu d’autres expressions de cette volonté soudaine de vouloir mieux se comporter et de pensées moins innocentes. Il est clair qu’il y a eu des dissimulations lors de la rédaction du journal du « grand homme », parce qu’on n’y trouve pas la moindre référence à Lída, l’actrice sensuelle de vingt-trois ans, qui avait pourtant occupé deux années durant le devant de la scène et le derrière des corridors. Le Führer sera donc contraint de prendre le contrôle de la situation et d’ordonner au couple Goebbels d’apparaître en public, côte à côte, à l’occasion de la visite d’Etat du Hongrois Nikolaus Horthy, jouant une fois de plus les entremetteurs entre ses deux collaborateurs. À la fin de la visite d’Etat, privé de la possibilité de voir régulièrement ses enfants, Goebbels écrira le 27 dans son journal : « J’ai dû supporter mes nerfs. Je parle un peu avec Hanke. Je me suis ensuite plongé dans de la lecture, assez tard. L’après- midi du même jour, j’étais à Schwanenwerder, un après-midi triste et mélancolique. Les enfants me sont si chers. Dimanche 28, je serai à Lanke. Totalement détruit et déprimé, j’ai fait un tour en voiture, passant ensuite l’après-midi au ministère, seul. C’est un moment terrible, mais avec un peu de volonté... A suivi une longue conversation avec Hanke. Magda, était encore froide et impitoyable contre moi. Il doit y avoir quelqu’un qui agit derrière, pour l’inciter à adopter un tel comportement ! » Sans que l’on ait dans le fameux journal du nabot nazi d’autres compléments permettant de mieux comprendre ce qu’il avait découvert. Cette hypothèse du « quelqu’un » de Goebbels va l’inciter à ne pas appeler davantage Magda, tout en mentionnant, début septembre, une fois de plus ce bon vieux Hanke. A sa belle-mère Auguste, qui ne l’appréciait pourtant guère, tout en étant d’une courtoisie extrême, le gendre demandera de prendre soin de sa fille. Quatre jours plus tard, Goebbels écrira qu’il ne peut plus sortir de la petitesse de sa vie privée. Se sentait-il seul responsable de son échec conjugal ? Début septembre, au comble d’un nouvel acte dans le théâtre de Grand Guignol, il écrira, peu décidé à jamais lui pardonner : « Hier fut une journée difficile, une terrible humiliation… Elle est si dure et cruelle ! », Ayant perdu tout intérêt pour son travail, l’homme attendait-il de son épouse cocufiée qu’elle vole à son secours et qu’elle le dissuade d’attenter à ses jours ? Face à cette hyper-narcissique, le libertin nazi devait se demander s’il existait et si elle ne le manipulait pas en créature soucieuse de le rabaisser. En lui répondant que « ce suicide serait une bonne chose pour l’Allemagne », la diabolique et perverse Magda voulait montrer de quel bois elle était faite, face à son maniaco-dépressif d’époux ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle l’avait attaqué en se servant des enfants afin de l’atteindre, sachant ce qu’ils représentaient pour lui. Le Führer proposera aux Goebbels de passer à l’automne 1938 un contrat d’obligations morales paraphé par un avocat fixant, au terme d’une année, deux options. Ou leur couple se sera reformé, ou un divorce sera prononcé. Une hypothèse que voulait écarter l’agité moustachu qui avait déjà dû gérer, parallèlement à cette affaire, la liaison scandaleuse de son ministre des armées, von Blomberg qu’une ancienne prostituée avait réussi à attirer dans ses filets. Un partout, la balle au centre ! Les deux époux vivront donc séparément jusqu’à l’été 1939, le père ne visitant ses enfants à Schwanenwerder qu’après s’être assuré de l’absence de sa tendre moitié. Goebbels se montrera à nouveau réticent à l’idée de confier à son journal intime ce qu’il y avait tout d’abord consigné, pour le revoir ensuite. Le 11 octobre, il parlera longuement de son propre cas à un Hanke ayant prévu de faire un rapport de l’affaire au Führer à Godesberg dès le lendemain. Au terme d’une longue journée d’attente, se mélangeront dans sa tête des pensées et des projets divers, et Hanke avant de revenir de chez lui, prendra des décisions irrévocables, sachant qu’Hitler a interdit toute procédure de divorce. « Maintenant, il n’y a qu’un seul moyen de sortir de cette histoire, et je suis prêt à le suivre, écrira Goebbels, en restant évasif. Toute autre possibilité est exclue pour moi ». L’homme était visiblement plongé dans le doute, s’interrogeant sur son propre comportement et, qui sait, sur les fautes qu’il avait pu commettre. Cette évolution signifiait-elle que sa tendre épouse avait gagné ? Probablement, puisqu’il fut une fois encore question de suicide dans l’existence de Joseph Goebbels. Ou du moins de tentative. Durant l’après-midi du 14, notre propagandiste restera assis dans sa chambre à ruminer. Avant de se rendre à Bogensee – la maison du lac où il avait passé tant d’heures heureuses en compagnie de Lída. Cette fois-ci, ils ne seront pas ensemble. A présent l’un et l’autre à des années-lumière de tous les êtres humains, seuls et abandonnés – ce qu’il vivait mal – il confiera à son journal qu’il était fatigué du monde 56 et de la vie. Le 15, on notera au Bogensee une importante consommation d’alcool, et évidemment avant de se coucher l’ingestion d’une certaine quantité de pilules. Il dira ne s’être souvenu de rien et avoir dormi vingt-quatre heures d’affilée, se réveillant le 16 près de ceux veillant sur lui. Goebbels a-t-il tenté de faire croire à une tentative de suicide dans un style presque féminin, espérant déclencher une compassion de Magda ? Il n’est pas certain qu’il y soit parvenu et il avait du reste été prévenu quelques jours plus tôt par son adorable perverse qu’il n’en serait pas question. Recouché, il dormira jusqu’à l’après-midi du mardi suivant, anesthésié par l’effet de stupéfiants. « Je me sens mal, écrira-t-il le 19. Mon cœur semble parfois vouloir s’arrêter, mais je serre les dents, et dois résister. On ne fera pas de ma chute un spectacle ». Personne ne viendra afin de le sauver, et il « chutera » à Berlin, désespéré. Après la projection d’un film de Lída, Amours prussiennes , sans imaginer que ce serait le dernier film qu’elle tournerait au pays nazi et que celui-ci serait interdit, avant sa sortie sur les écrans, l’actrice étant sommée de quitter définitivement l’Allemagne. « Je ne pense pas que cela m’ait coûté, ni fait de la peine à le voir » écrira-t-il. Le lendemain, Goebbels aura une longue conversation au sujet de sa situation personnelle avec son collaborateur von Helldorf 126 . Après une balade en voiture, il s’excusera : « Helldorf m’a fait des révélations horribles, et j’ai été profondément bouleversé. Helldorf a été très gentil avec moi. J’ai au moins un ami dans mon malheur ». Mis brutalement au courant par ce dernier de la relation existant entre son bras droit Hanke et Magda, et que celle-ci s’était plainte de lui à Goering, de celui dont il se disait ami, il ne dira plus un mot. Le 20, Funk proposera d’aller immédiatement chez le Feldmarshal pour l’informer de l’évolution des choses, demandant à être accompagné par Helldorf, au courant de toute l’affaire. Certains prétendront que Hanke avait remis à celle qu’il convoitait la liste des dames qui avaient apaisé les appétits sexuels du libertin nazi et pas seulement à l’ancien éleveur de poulets Heinrich Himmler. Entre le spleen du libertin et la mise en scène organisée au profit de la dure et maussade Magda, qui devrait-on croire ? La cocue perverse la plus célèbre du Reich et les affirmations d’Ello Quandt, ou les nombreuses annotations portées sur son journal par le principal intéressé ? Difficile de savoir.

Broyée également par des enjeux politiques, et contrainte de repartir en Tchécoslovaquie le 15 octobre 1938 127 , une fois sa romance terminée, Lída y sera arrêtée après la guerre, afin de se justifier et, passée une courte peine d’emprisonnement, sa carrière en subira les conséquences. Privée de la possibilité de continuer à tourner, la sulfureuse Tchèque tentera, quelques mois plus tard, d’apitoyer Magda en lui adressant un plaidoyer écrit 128 , sans parvenir à l’émouvoir. Sa promesse de rester loin de son époux si elle l’autorisait à revoir l’Allemagne n’entraînera pas la moindre réponse d’une femme donnant le sentiment d’avoir été blessée par cette liaison illégitime et se sentant humiliée. Car ce qui importait à une Frau Doktor Reichsminister Goebbels tenant là enfin sa vengeance, n’était pas seulement de reconquérir la place qu’elle avait perdue auprès de son époux, mais surtout d’obtenir une revanche sur lui et de le voir souffrir. Tout en l’ayant isolé des quelques rares soutiens sur lesquels il aurait pu s’appuyer pour mieux surnager. De leur aventure, Lída reconnaîtra à la fin de sa vie, qu’elle s’était trouvée impliquée dans une histoire lourde et horriblement cruelle, et qu’elle l’a ensuite payée. Sans qu’elle se doute un seul instant qu’elle avait été victime de la perversion narcissique et de la capitulation de l’autre narcissique, maniaco- depressif qui l’avait longtemps entretenue.

16.

La fin de l’idylle de Joseph Goebbels et Lída Baarová a été décrite, là encore, par les nombreux observateurs et spécialistes du nazisme avec un souci, celui de faire une victime de Magda ! Alors que

126 Von Helldorf était l’un des collaborateurs de Joseph Goebbels, préfet de Berlin. Incriminé lors de l’attentat contre Hitler le 20 juillet 1944, il sera condamné et exécuté. 127 Il a été dit que l’actrice serait revenue en Allemagne en 1939 à la demande d’un metteur en scène, mais qu’elle aurait ensuite été définitivement bannie d’Allemagne ! 128 « Comment pouvez-vous être aussi dure, chère Madame, alors que vous êtes à nouveau heureuse ? Mon plus grand crime n’est pourtant que d’avoir aimé un homme qui, malheureusement, était à une autre femme. J’ai terriblement payé pour cela. Mais j’aime l’Allemagne plus que tout et n’ai pas mérité de souffrir autant. Il ne tient qu’à vous que je puisse revenir en Allemagne. Aussi je vous supplie d’être miséricordieuse et de m’autoriser à rentrer ». 57 beaucoup de choses prêteraient à croire qu’il était particulièrement ardu d’arbitrer un conflit mettant aux prises deux êtres narcissiques ! Repéré par le Führer, l’époux volage l’avait été doublement. Car, pour communiquer plus librement avec sa maîtresse Lída, il n’avait pas hésité à brancher sa ligne personnelle sur celle de son « ami Goering » pressentant que celle-ci ne faisait l’objet d’aucune surveillance. Ce n’était hélas pas le cas et les propos des amoureux seront très vite rapportés au dictateur nazi. Les hasards de la guerre et la destinée tragique du propagandiste priveront au passage l’histoire d’un témoignage, celui que l’époux volage s’apprêtait à publier à la fin de l’année 1938 chez son éditeur, l’ami du Führer, Max Amann. Il est plus que probable que celui-ci contenait une version intéressante de cette aventure et, qui sait, de la façon dont l’affaire s’était déroulée. Or, si cet ouvrage n’a pu voir le jour à un moment où le Troisième Reich n’était pas encore militairement engagé sur un quelconque front, c’est qu’il en aura été empêché, sans que l’on en connaisse cependant la vraie raison. Goebbels revenait-il sur cette union mystique, pan d’une action de propagande concertée ? That is the question ? Se sachant une fois de plus mis à l’index par « le chef », son mentor et maître, il est en revanche certain qu’il ait tenté de se distinguer et de s’amender en se promettant de participer à une action d’éclat, voire de la créer ! Ce sera le cas au lendemain de l’assassinat, à Paris, du conseiller nazi von Rath par un militant juif, Herschel Grynszpan, puisqu’il s’en suivra cette Nuit de cristal ! Il est vraisemblable qu’on ne saura jamais qui a eu l’idée de cette initiative. Viktor Reimann, auteur d’une biographie sur Goebbels et d’une étude détaillée des faits, pense cependant que c’est le dictateur nazi qui en serait l’auteur et que son collaborateur n’en n’aurait été que l’un des exécutants aux côtés de Reinhard Heydrich, le chef du S.D et de la Gestapo. Ce que confirmerait un certain Sepp Dietrich, le chauffeur et garde du corps d’Adolf Hitler.

Lors de cette Nuit de cristal de novembre 1938, Magda ne réagira pas. Pas plus qu’elle n’avait réagi lors de la déportation de son « vrai père » Richard Friedländer à Buchenwald. Et pas davantage qu’elle ne le fera après les lois de Nuremberg et la volonté affichée de son époux de mettre tout en œuvre afin de justifier une telle purge privant désormais les Juifs de la nationalité allemande. A Berlin, combien seront- ils à être déportés que la Frau Doktor Reichsminister Goebbels a connus ? Sans qu’elle se manifeste ! La destinée de ceux qu’elle avait côtoyés vingt ans plus tôt à Berlin avant de se lancer à la conquête des plus puissants, et de Victor l’homme qu’elle avait a priori profondément aimé, la laissait-elle à présent indifférente ? On peut le croire. Des productions cinématographiques lesquelles apparaissent, aujourd’hui encore, toujours aussi monstrueuses, à l’image de Le Juif Suß et Ich klage an 129 , véritable plaidoyer en faveur de l’euthanasie, pour ne citer qu’elles, donnent une idée de ce que Goebbels était près de faire afin de s’autoexonérer d’une quelconque responsabilité dans le génocide juif, et dans le fait qu’il avait choisi de préserver « la race pure » de ce qu’il considérait être des tares congénitales. En allant jusqu’à y prévoir une coopération de ses deux filles aînées, Helga et Hilde appelées à y tenir un rôle de figurantes ! Au beau milieu de toutes ces horreurs, il semblerait que l’ex Frau Quandt, un monstre parmi d’autres, avait découvert dans cette puissance nazie des ingrédients excitants, et puisque Victor était mort… il était écrit quelque part qu’il fallait faire table rase de ce que l’on pouvait ressentir. En admettant une fois encore qu’une perverse narcissique puisse ressentir quelque chose ! Ce qu’elle montrera à nouveau à l’été 1939, lorsqu’elle éconduira définitivement Karl Hanke. Un homme qu’elle trouvait trop simple et trop rigide, et n’ayant pas assez de charisme. Alors qu’elle lui avait fait longtemps croire qu’elle voulait partir avec lui et divorcer. Mais aurait-il fallu pour autant accepter une dégringolade dans l’échelle sociale loin de convenir à la manipulatrice en chef qu’elle était, et qui avait besoin de moyens matériels pour pouvoir continuer à se toiletter ! , l’architecte fétiche du Führer, reconnaîtra que son ami Hanke était bien trop jeune et maladroit pour se lancer dans une pareille aventure. Sans savoir, lui non plus, que celui-ci avait courtisé une perverse narcissique ! Au comble de cette puissance obtenue grâce au soutien de l’objet de ses tourments érotiques, il semble bien qu’entre l’automne 1938 et l’été 1939, la « dure et maussade Magda » ait choisi de donner successivement raison, tantôt au père de ses enfants, tantôt à son allié maladroit qui avait même été

129 Dont le titre français était : « Suis-je un assassin ! » 58 jusqu’à lui proposer de l’héberger à son domicile de Grünewald, à deux pas de Schwanenwerder. Quelle naïveté !

Une nouvelle réconciliation du couple avant l’entrée en Pologne des nazis sera prétexte à la naissance de leur sixième enfant, la petite Heidrun qui naîtra en octobre 1940. Magda qui s’était jurée à l’âge de treize ans d’avoir sept enfants, avait vu juste. Mais orgueilleuse comme elle l’était, il n’est pas impossible de croire que si elle avait pu détrôner Gerda Bormann, mère de dix enfants, elle ne s’en serait pas privée ! Cette réconciliation sera cependant brève, chacun reprenant ensuite ses bonnes habitudes, Magda se jetant au cou d’hommes peu célèbres disposés à se prêter à ses caprices de diva difficiles à satisfaire. Quand on la voit aux côtés de l’un des chauffeurs émérites des dignitaires nazis, 130 dans un document resté célèbre, on l’imagine tout à fait capable d’avoir « épongé » celui-ci. Très vite au fait d’une séduction vers laquelle sa précocité l’avait poussée dès son entrée dans l’adolescence, elle donnait le sentiment à tous ceux qu’elle approchait d’être probablement très sensible aux multiples attentions de la gent masculine. Au comble d’un égocentrisme criant, c’était surtout une créature capricieuse qu’une relation maritale faite, à la fois de dévotion à l’égard d’un autre homme et de ruptures régulières avec son époux, n’avait pas comblée. Même s’il est difficile de penser que l’on puisse réussir à contenter un être pervers de surcroît narcissique, réputé pour voler de relation en relation et incapable lui-même de fidélité. Que ressentait Magda au plus profond d’elle-même ? Assurément un grand vide, car ses unions maritales, tant avec Quandt qu’avec Goebbels n’obéissaient qu’aux règles du désir. Un désir éprouvé en dernier lieu, parallèlement et sans honte, parce que grâce à lui, elle parvenait à s’élever afin d’atteindre ce « Führer » au point d’en être devenue l’inspiratrice. Entre le catholicisme de son enfance, le judaïsme de son beau-père d’adoption Richard se révélant même être son géniteur, le sionisme de son premier amour Victor, le bouddhisme de son père de convenance Oskar et enfin l’idéologie nationale-socialiste de Joseph qui la verra aller jusqu’au suicide, le fanatisme et l’absolutisme auront finalement fait de cette bâtarde, au terme d’une existence extrême, une meurtrière de ses propres enfants. Quelqu’un attaché à se séparer de tous ceux qui devenaient gênants ! Une existence l’aura vue naître Behrend, être reconnue ensuite par Friedländer, légitimée par Ritschel afin d’être en mesure de devenir une Quandt et finir par être l’épouse du propagandiste Goebbels. Magda a, en résumé, trahi « son premier faux père », renié son père, et elle aura fini par épouser un homme de pouvoir aux antipodes idéologiques de son premier amour, assassinant six de ses sept enfants ! Si la farce s’était poursuivie après 1945, on imagine sans peine qu’elle aurait confié son petit Helmut aux Jeunesses Hitlériennes pour en faire un guerrier accompli, et, qui sait, demandé à ses filles Helga et Hilde de participer 131 aux libations du Lebensborn de tonton Heinrich 132 après avoir changé d’avis sur la question ! Histoire de donner un prolongement à une initiative qui avait vu certains de ses enfants apparaître dans les premiers rushes d’un film de propagande consacré à l’euthanasie. Quelle place accordait-elle à l’idéologie qu’elle avait découverte en rencontrant Goebbels, en regard des sensations, du pouvoir des passions amoureuses et des émotions dirigeant sa vie ? C’est difficile à dire. Ce qui est certain c’est qu’elle aimait le pouvoir ! Sous toutes ses formes ! Autant que d’autres nazis virulents pouvaient l’aimer !133 Epouse de Quandt, maîtresse du prétendu neveu du Président Hoover, amante de Victor Haïm Arlosoroff, épouse de Goebbels tout en étant successivement la maîtresse de Kurt Lübeke et de Karl Hanke l’adjoint de Goebbels, et de quelques autres, et surtout groupie d’Hitler qu’elle admirait et avec lequel elle aurait volontiers couché s’il avait pu et s’il ne s’était pas contenté d’en faire « son épouse mystique », ils auront été quelques-uns à succomber à cette véritable mante religieuse. Que l’on ait prêté ou pas à l’intéressée de prétendues ou brèves aventures ! Apprenant au fil des années à tolérer les

130 Un homme qui avait un don d’observation manifeste puisqu’il avait déclaré à propos de Magda que, lorsqu'elle était en présence de Hitler, on pouvait entendre les vibrations de ses ovaires. Un don qui ne lui sera cependant guère utile lorsqu’il sera poursuivi devant les tribunaux pour ses activités nazies en 1959. Kempka fera partie avec Otto Günsche de ceux qui seront chargés le 30 avril 1945 de sortir du bunker les cadavres du dictateur nazi et de celle qui était devenue son épouse la nuit précédente : Eva Braun puis de les brûler. Il sera marié jusqu’en 1943 à l’une des secrétaires d’Hitler : . 131 Bien qu’il eût été admis qu’elle était contre ce projet à sa création en 1935. 132 Heinrich Himmler, d’abord grand spécialiste de l’élevage de poulets en batterie avec l’attachante Marga (et non Magda), devenu avant un recyclage éloquent, responsable au sein de la Police du régime nazi ! 133 Albert Speer, l’une des pires fripouilles de la bande qui aura réussi à passer au travers des mailles du filet au procès de Nuremberg, avouera à un journaliste français après avoir été libéré, que « le pouvoir était une chose délicieuse et qu’il avait aimé ça ! » 59 incartades sexuelles multiples de Joseph, elle estimait qu’une fois vieux, il serait tout entier à elle et que cela aurait été une erreur de le quitter !

Hanfstaengel 134 , que l’on surnommait Putzi, réputé être un homme qui avait bien connu le couple Goebbels, et auquel il arrivait de distraire Hitler en jouant du Wagner au piano, dira se souvenir de Magda comme de « la recherche la plus attrayante qui ait été faite et d’une femme qu’il trouvait très anti-nazi ». Cela surprend, surtout de la part d’un homme lui non plus pas très heureux en ménage, qui s’occupait d’une partie des relations de la presse étrangère d’Adolf Hitler. D’autant que Magda reste considérée par la plupart des historiens et des observateurs comme une nazie de la première heure qui, en 1943, partageait encore la foi publique de son mari en une victoire finale. Pour Putzi auquel il arrivait de prendre également Goebbels pour « un nain doué satanique », il n’y avait pas d’amour de perdu entre ces deux êtres fous de plaisir.

17.

Peu de temps après l’entrée des troupes allemandes en France, Magda apprendra l’hospitalisation de son « premier vrai faux père » Oskar. Juste avant d’accoucher de sa dernière fille, la petite Heide. Dans sa biographie, Anja Klabunde revient sur ces instants qui la verront tenter de renouer le lien rompu après son engagement nazi. Avait-il réfléchi à la portée de sa réaction et à cette lettre de désapprobation qu’il avait cru devoir adresser à son nouveau gendre Goebbels au moment de leur mariage en décembre de l’année 1931 ? En tout cas, en juillet 1940, bluffé sans doute par le succès des armées allemandes en France, son ton avait changé et son hostilité envers les nazis avait laissé place à une sorte de bienveillance pour ceux que Magda avait rejoints. La façon dont Ritschel parlait des Juifs à ce moment-là pourrait aussi laisser supposer qu’il aurait été confronté personnellement à une évolution plus heurtée de ses nombreux contacts commerciaux. Avait-il eu peur, en parfait homme d’affaires, de perdre sur la fin d’importantes relations acquises à la cause nazie qui n’auraient pas supporté ses positions ? A moins que soucieux de partir en meilleurs termes, il ait décidé de faire un pas en direction de sa fille adoptive et de sa nouvelle famille. Cela n’est pas improbable non plus. Oskar Rischel n’assistera pas au carnage du bunker et il s’éteindra en avril 1941 juste avant le début de l’offensive nazie en Russie et la débâcle des armées du Reich. Il n’est cependant pas sûr qu’il aurait apprécié les derniers choix de « sa petite ».

Graves pénuries de charbon, de nourriture et de tabac… En mars 1942, l’Allemagne de Magda symbolisée par une volonté de mettre au pas tous les plus faibles, va commencer à décliner. Autant que ses initiatives de femme insatisfaite persuadée, dix ans auparavant, de pouvoir jouer un rôle dans cette Allemagne nazie-là. Tout en se consolant parfois dans les bras de quelque passant rendu fou de désir par une femme toujours tirée 135 à quatre épingles. Une femme, que des voilettes et chapeaux du meilleur goût coupaient du regard d’un monde choqué par l’attitude de quelqu’un se comportant, bien plus comme une chienne en chaleur, que comme une respectable mère de famille en charge de nombreux enfants. Mais, puisqu’il fallait désormais se cramponner à une sorte d’idée fixe, celle que cette Allemagne qu’elle représentait, s’en sorte, ne devait-elle pas, elle aussi, se fixer d’autres objectifs ? Leur Führer en était convaincu, il était impossible que les Bolchévistes puissent parvenir un jour à composer à l’ouest avec Churchill ou Roosevelt. C’est d’ailleurs cette façon de voir les choses qui avait également amené Magda à se rapprocher un an plus tôt d’un époux qu’elle pensait calmé dans sa course aux plaisirs et à la volupté. Cela n’a pas été le cas et il est probable que ses nouvelles responsabilités de communicant accrues au moment de l’assaut donné en Russie dès l’été 1941 aient joué une fois de plus un rôle évident chez le maniaco-dépressif qu’il était resté. Au point de hâter à nouveau un réel besoin de s’épancher et de se lancer à l’assaut de nouvelles conquêtes féminines.

134 Avec son épouse Héléna interprétée à l’écran par Juliana Margulies dans « La naissance du mal », il campe un rôle de premier plan dans l’ascension d’Adolf Hitler dont il favorisera l’arrivée au pouvoir à la Chancellerie. Il quittera l’Allemagne en 1937, s’effaçant devant la volonté de son épouse d’être utile à Herr Hitler. 135 Un terme qui pourrait avoir un double sens ici. 60 L’état de santé de Magda s’étant à nouveau dégradé après la naissance de la petite Heide, et ses enfants partis pour quelques vacances chez les Goering, seul dans la capitale allemande, le propagandiste se consolera vite dans les bras de l’ancienne épouse 136 d’Herbert Quandt, le beau-fils de Magda. Avant de tomber un peu plus tard dans les bras d’une nouvelle secrétaire. Peu décidée à subir de nouveaux dérapages et au fait d’une manipulation fonctionnant toujours parfaitement, la Frau Doktor Reichsminister n’hésitera pas à semer la zizanie dans l’agenda de rendez-vous de son très cher libertin d’époux. Se faisant passer pour une collaboratrice auprès de l’une de ses dernières conquêtes, elle donnera rendez-vous à celle-ci en pleine nuit lui indiquant qu’à tel endroit une voiture dépêchée par le ministre viendrait la prendre. Sans, bien entendu, que le véhicule ne se présente jamais après coup.

Dès mars 1942, et parallèlement à des troupes allemandes s’embourbant en Russie, Lübeck et Rostock seront bombardées par les Alliés, avant que ce soit au tour de Cologne. Cette année 1942 verra aussi, curieusement, le début de graves dissensions entre « Onkel Führer » et son escort-girl préférée. Il aurait été démontré que Magda n’appréciait pas cette solution finale 137 proposée par celui qui avait, bien plus l’air de ressembler au marchand de poulets en gros 138 qu’il avait été, qu’à un digne représentant de la nouvelle Allemagne ! L’un des seuls comportements louables d’une femme dont il était difficile de suivre les options appelées à varier radicalement d’un trimestre à l’autre ? La Frau Doktor Reichsminister se serait-elle rendue compte qu’on était en train de berner son peuple ? Un peuple qu’elle avait choisi de davantage soutenir à partir de ce printemps 1942. Sauf à croire qu’elle ait pu avoir en tête une nouvelle manipulation destinée à accroître sa représentativité et à profiter des plus naïfs. En donnant par exemple le sentiment d’être aux côtés de tous ceux qui souffraient. Alors qu’elle n’y a jamais été, ce que tend à démontrer ce qui est rapporté dans son ouvrage par la biographe Anja Klabunde et qui suit. Depuis le début du conflit fin 1939, Magda supervisait plus qu’elle ne les réglait, les problèmes soulevés par maintes personnes. La fille d’une ancienne de ses collègues de Holzhausen à Goslar, hélas juive, avait sollicité son aide afin qu’on lui évite un mauvais traitement. La pauvre femme recevra bien entendu une réponse négative du secrétariat de la Frau Doktor Reichsminister assortie d’un reproche, celui de ne pas avoir fait précéder son prénom de celui de Sarah, telle que le prévoyait la loi nazie. Ce qui a dû être à l’origine, et c’est vraiment consternant, d’une perte de temps de ce secrétariat. Inutile de préciser qu’elle sera arrêtée et déportée aussitôt à Auschwitz où elle succombera rapidement après avoir été forcée de jouer un temps du piano pour distraire les SS. La biographe le précise, la Frau Doktor n’était plus capable d’empathie à ce moment-là ! En supposant qu’elle ait pu en éprouver un seul jour, ce qui semble peu probable.

En ce début d’année 1943, passée la reddition de Paulus devant Stalingrad, et les cartes sur le point d’être redistribuées, il fallait admettre que Churchill et les Alliés avaient à présent l’objectif de forcer l’Allemagne à capituler sans conditions. Le dictateur nazi avait-il été induit en erreur par ses conseillers militaires, ce qu’on laissait un peu partout entendre après une très longue période où les prérogatives du nabot nazi s’étaient limitées à l’essentiel ? C’est peut-être pourquoi, Goebbels donnait le sentiment de vouloir se tourner vers une toute autre forme de persuasion des masses. Curieusement, et bien qu’elle eût habitué autour d’elle à de tels changements ceux qu’elle croisait, c’est au cours de ces dernières années de guerre que Magda se rapprocha à nouveau de celui qu’elle s’était pourtant habituée à détester et à brocarder. Peut-être aussi parce qu’elle avait à gérer une sorte d’effondrement psychique en liaison avec l’importante quantité d’actes négatifs qu’elle avait commis depuis son adolescence. Redevenu l’homme qu’il avait été au tout début de leur combat et qui lui plaisait tant, ce n’était guère étonnant ! Un homme rageur et déterminé obsédé par leur course au pouvoir à tous les deux et plus en phase avec ses propres ressentis ! Les deux époux Goebbels se trouveront du reste unis au Sportpalast de Berlin lorsque le libertin nazi, conscient lui aussi que le bateau chavirait, lancera en février 1943 un combat autour d’une guerre totale, implorant ceux qui étaient venus l’entendre, de lui apporter leur plein et entier soutien. Il confiera à son journal que la situation au front lui donnait de temps

136 On a prétendu que cette belle-fille de Magda se serait prénommée Ursula. Ce n’est pas exact dans la mesure où une Ursula Quandt, si elle a effectivement existé, n’a vu le jour qu’en… 1962 ! 137 Ce qui ne manque pas de surprendre après qu’elle eût laissé son père Richard Friedländer se faire arrêter et déporter à Buchenwald, quatre ans plus tôt. 138 Il s’agit d’Heinrich Himmler. 61 à autre de véritables angoisses et que le travail était devenu un cauchemar engourdissant le corps, l’âme et l’esprit. Mort de fatigue à l’approche de ce meeting, il n’arrivait plus à trouver le sommeil, sentant la partie décisive ! « Vous devez savoir, dira-t-il aux quelques Allemands pacifistes qui ne s’étaient pas encore engagés en faveur de la guerre et qui étaient venus l’entendre, qu’une défaite allemande signifierait la destruction de la civilisation occidentale aux mains des Juifs et des Communistes. Alors, maintenant, peuple, lève-toi, et toi, tempête, déchaîne-toi ! ». Aussi cynique que d’habitude, parlant de ceux qui étaient venus l’écouter, il déclarera à l’issue de la manifestation, que « s’il leur avait demandé de sauter sur leur chaise, ils l’auraient fait ! ». Et pour cause, car lorsque l’on brandit le spectre de la peur, on est souvent entendu. Le biographe Toby Thacker le dit dans le document conçu sur le nabot nazi qu’il a livré : Goebbels était prêt à faire face au peuple allemand, et à l’exhorter à poursuivre une lutte inégale. Parfois même en soulignant les vertus de ses propres actions et celles d’un couple loin d’être irréprochable ! Notamment quand il affirmait que répéter un mensonge cent, mille voire un million de fois permettait à la chose de devenir ensuite une vérité ! La Frau Doktor Reichsminister Goebbels, consciente que leur destinée était entre leurs mains, se montrera donc moins castratrice, choisissant de s’investir aux côtés de son époux. En août, les relations du couple infernal s’étant améliorées, elle donnait le sentiment de s’être décidée à jouer le rôle public que l’on attendait de celui d’une « mère idéale du Troisième Reich ». En acceptant, par exemple, dès la sortie d’une hospitalisation à Dresde, de prêter son concours chez Telefunken où l’on avait un besoin criant de main d’œuvre, les hommes ou ce qu’il en restait, étant partis au front. Aurait-elle été soudain soucieuse d’admettre cette implication des femmes dans le domaine de la production industrielle, au détriment des objectifs de natalité d’abord poursuivis ? Difficile à affirmer. Puisqu’on avait besoin d’infirmières, elle avait aussi proposé son aide à la Croix Rouge au terme d’une courte période de formation. Mais, son mauvais état de santé récurrent verra un refus lui être opposé. Sujette à des dépressions nerveuses, participer aux soins en acceptant de se déplacer beaucoup, avait été jugé trop fatigant ! Signe des temps, celle qui sera longtemps restée une rivale pour elle, Eva Braun, semblait être à l’inverse devenue avec le temps une femme splendide, que la maturité et les épreuves avaient rendue plus belle que toutes les autres femmes de la cour nazie. « Elle n’avait, dira , la secrétaire d’Hitler, plus rien d’un mannequin sorti d’une page de mode ». Légèrement fardée, elle était aussi devenue à présent, reconnaîtra Magda en grande spécialiste de la question, arrogante et tyrannique. Bien plus que capricieuse et soucieuse d’attirer l’attention sur elle.

Plus de restaurants ouverts, plus de pâtisseries et des épiceries s’en tenant à l’essentiel, plus de cirque, ni de théâtre et encore moins de concerts, une guerre totale venait d’être décrétée. Seulement le peuple était-il prêt à accepter longtemps toutes ces privations et les offensives des escadrilles britanniques placées sous l’autorité du commandant Harris pilonnant de plus en plus de villes allemandes ? Après Duisbourg le 14 mai et Dortmund le 25 mai, ce sera au tour d’Elberfeld le 25 juin puis de Hambourg le 28 juillet avant que Berlin, lui aussi, subisse un bombardement le 24 août. Pourtant l’un des chefs d’orchestre préférés du couple Goebbels, Wilhelm Furtwängler, s’il s’était montré choqué par le traitement que l’on faisait aux Juifs depuis novembre 1938 et cette insupportable « Nuit de cristal », n’était pas le dernier à accepter de coopérer avec les nazis. Il acceptera notamment de diriger l’orchestre philharmonique de Vienne dans une usine d’armement. On sait quel poids s’ajoutera à un ressenti déjà manifeste. L’armée du Reich avait capitulé devant Stalingrad un an auparavant et elle commençait à reculer à l’est. A l’ouest, ce n’était guère plus brillant surtout depuis juin 1944, et le débarquement en Normandie des Américains et des Canadiens venus prêter main forte aux Anglais et aux quelques résistants français ! Une véritable débandade. Point n’était besoin de comprendre que l’on était face à une toute nouvelle donne, que le propagandiste émérite du Troisième Reich trouvait difficile à soutenir. Même en faisant appel à des exhortations propres à décupler les énergies ! Et en tentant de convaincre l’autre époux mystique du trio infernal d’une fidélité qui ne souffrait plus aucune contestation. Le 20 juillet 1944, alors que le Führer était visé dans son repaire de la « Tannière du loup » à l’est du pays, l’attentat 139 auquel il échappera aura d’autres conséquences sur les derniers soubresauts d’un Reich

139 L’auteur de l’attentat, l’officier de la Wehrmacht Klaus von Stauffenberg, sera avec quelques autres, dont le général Beck pressenti pour succéder à Adolf Hitler aux plus hautes fonctions de l’état, aussitôt exécuté. 62 agonisant. Donnant une impression de fragilité et devenu d’un seul coup plus vieux, plus méfiant également, privé d’une ouïe parfaite, le dictateur nazi choisira de ne plus s’exprimer en public. L’attentat dont sera victime Goebbels le 19 septembre de cette année-là sur un pont menant à son domicile de Schwanenwerder du 8 Inselstra βe, montre parallèlement quels étaient les ressentis d’un peuple lassé par les privations. Pour qu’au comble d’une haine du couple Goebbels, on ait soudain décidé de s’en prendre à lui parce qu’avec son épouse, leurs deux comportements se situaient à l’inverse de ce qui aurait été exigé ! Chef de service dans une usine radio, un dénommé Kamerow paiera de sa vie le fait d’avoir voulu attenter au véhicule de celui-ci. Devenu une sorte de chef de guerre, celui d’un état nazi conquis par son engagement du Sportpalast de février 1943, ce qui a semblé important à Goebbels aura été de conserver l’estime de son Führer. Ce sera encore plus vrai après l’attentat du 20 juillet 1944 puisque grâce à sa rapidité d’intervention, il parviendra à échapper à une arrestation 140 et à prouver que l’attentat de la « Tannière du loup » avait échoué. Cela se démontre au fil des responsabilités qu’il aura occupé, le propagandiste nazi était dans l’incapacité de viser plus haut. Un manque de confiance en lui l’avait déjà vu accepter de quitter les Strasser en 1926 et de rejoindre un Hitler qu’il avait pourtant vilipendé quelque temps auparavant 141 décidé à le faire exclure du NSDAP. Cette insuffisance d’estime de soi, en fera une proie de choix pour son épouse perverse narcissique.

Vers la fin, contrairement à l’embellie de sa rivale Eva, Magda souffrait d’une névralgie faciale difficile à traiter. Elle se manifestait par de vives douleurs ressenties sur le côté du visage et semblables à des décharges électriques. Voire par la contraction douloureuse des muscles faciaux. Ce qui la contraindra à rester parfois alitée et à observer des épisodes d’hospitalisation à partir d’août 1944. Grands cernes autour des yeux, commissures et rides prononcées autour des lèvres… Anja Klabunde l’évoque dans son ouvrage, la Frau Doktor Reichsminister n’était plus, au moment des premiers revers nazis sur les champs de bataille russes, une femme en parfaite santé. S’ajoutaient à tout cela le fait qu’elle fumait énormément et une consommation d’alcool importante nuisant à un état psychologique de moins en moins brillant, et enfin les menaces d’une mère, Auguste, régulièrement prise d’une envie de se suicider. Epargnés par les événements, les Goebbels, n’avaient pourtant pas à se plaindre. Sans que le goût pour les parties de jambes en l’air de la Frau Doktor ne cesse au comble d’une nymphomanie la travaillant sûrement davantage, c’est un dénommé Werner Naumann 142 qui sera entrepris, profitant des engagements au plus haut niveau d’un Joseph Goebbels 143 auprès de son « chef ». Naumann officiant jusqu’alors en qualité de secrétaire d’Etat près de Goebbels, et succédant à Karl Hanke, aura très vite l’occasion de comprendre où il était tombé. Entre une femme décidée à prendre une revanche sur un époux qu’elle n’avait encore pu réussir à mettre à terre et un supérieur hiérarchique qui, au-delà de ses propres convictions, continuait à promouvoir les actions d’un dictateur nazi appelé d’avance à capituler. Surtout après la défaite de Stalingrad et la vive réaction russe de la fin d’année 1943. C’est parce que Werner Naumann 144 était marié et qu’il avait quatre enfants que cette liaison fut condamnée privant les deux protagonistes de donner libre cours à leur passion. Vraisemblablement à cause de l’écart d’âge entre eux deux ou, à cause, tout simplement, d’une tentative de Magda de s’attacher la bienveillance du jeune homme ! N’était-elle pas devenue depuis fort longtemps une victime et un être de plus en plus désireux qu’on la plaigne !

Le Rhin franchi par les troupes alliées à Remagen, la population allemande a-t-elle considéré, dès le début du printemps 1945, qu’il était inutile de poursuivre le combat, espérant des Américains, des Britanniques et des Français qu’ils les préserveraient des Russes dont les troupes avançaient à présent à une vitesse prodigieuse ? C’est probable. Dans un pays totalement désorganisé, cette troisième année de

140 Le commandant Remer, responsable de la garde sur Berlin, avait été chargé par les conjurés de l’arrestation de la plupart des dignitaires nazis dont Joseph Goebbels. 141 Quelques données sont relevées à propos des choix opérés par Goebbels dès son entrée au NSDAP. Données qui étonnent. Mais, il se peut qu’elles soient aussi dues au déchiffrage des commentaires retrouvés sur son journal de bord. Pourquoi en effet aurait-il écrit en nov. 1926 qu’il n’avait plus foi en Hitler alors qu’en avril précédent il lui déclarait une vraie flamme. 142 Werner Naumann succèdera d’ailleurs à Joseph Goebbels à la tête du Ministère de la Propagande, parallèlement à la nomination de ce dernier aux fonctions de Chancelier du Reich. 143 Les responsabilités de Goebbels s’accroîtront singulièrement à compter du 20 juillet 1944 et d’un attentat qu’il avait parfaitement couvert. 144 Naumann réussira à quitter le bunker et pilotera, quelques années plus tard, aux côtés de Harald, le fils de celle qu’il avait aimée, une usine du groupe Quandt. 63 pénurie était de surcroît mal supportée. A l’ouest, où l’on venait d’accueillir un million de réfugiés venus de l’est, cette pénétration des armées alliées n’était-ce pas paradoxalement une sorte de salut pour la population allemande ? Une population se rendant compte que ceux qui les dirigeaient étaient de plus en plus décidés à faire appel à la terreur, afin de rester au pouvoir. De l’avis du biographe Joachim Fest, ce seront un millier d’exécutions qui auront lieu dans le seul Berlin entre le 15 mars et le 15 avril, une cité détruite en son centre à hauteur de 70% ! Fin 1944, son épouse mystique aurait dit d’Hitler au cours de l’une de ses rebellions de perverse, soucieuse d’accuser régulièrement les autres autour d’elle : « Il n’écoute plus les voix de la raison. Ceux qui lui disent ce qu’il veut entendre, sont les seuls qu’il croit ». Un commentaire qui montre qu’elle était déjà convaincue qu’ils allaient tous y laisser leur peau. En janvier déjà, lorsqu’elle avait appris que les troupes russes se trouvaient à moins d’une centaine de kilomètres de Berlin, Magda s’était agitée à l’idée que les choses puissent s’achever de cette façon. Ce sera pire au moment des bombardements ayant eu raison d’une grande partie de Dresde quelques jours plus tard, entre le 13 et le 15 février, une ville où, très peu de temps auparavant, elle avait été une nouvelle fois soignée à la clinique Wei βer Hirsch, un établissement situé sur les hauteurs qu’elle fréquentait régulièrement, et qui a pu être épargnée par le déluge de feu. Le 27 janvier, après le mauvais dénouement de l’offensive menée dans les Ardennes contre les Alliés, devenu commissaire à la défense de Berlin et responsable de la Volksturm, Goebbels n’était plus maître des événements. Contraint de demander à Goering de faire jouer ses amitiés suédoises, il avait pourtant longtemps été convaincu que celui-ci était défaitiste sur l’issue de la guerre, mais à présent... D’autant que les unités russes venaient de singulièrement progresser en Silésie et qu’elles semblaient dorénavant marcher inexorablement sur Berlin et le nord de l’Allemagne. Persuadé que les Britanniques ne feraient rien aux siens, il avait vainement tenté d’exhorter Magda à partir à l’ouest, en compagnie de leurs enfants. Ce qu’elle refusera, ayant déjà en tête un autre scénario. Il est facile de deviner lequel.

Le 12 avril, alors que se précisait, et de plus en plus, une sorte d’hallali, et sans que l’on sache si leur Führer les accompagnait, une grande partie des dignitaires nazis assisteront à l’interprétation d’un Crépuscule des dieux de Richard Wagner donnée par ce qu’il restait de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Au terme duquel seront remises aux dignitaires nazis des capsules de cyanure. Un signe montrant quel état d’esprit régnait dans la cité berlinoise. Quelques jours plus tôt, le 19 mars, ordre avait été donné de détruire toutes les installations militaires relevant des transports, des communications, de l’industrie et des approvisionnements. Cet ordre de « terre brûlée » ne sera exécuté que très partiellement par des intervenants écœurés par la façon dont se comportait désormais leur Führer. Pourtant le décès du président américain Roosevelt le 12 avril, appris le lendemain 13, aurait dû autoriser de nouveaux espoirs. Lui mort, il n’était pas impossible que les ententes avec son second, le Vice-président Truman, varient et que de nouvelles conséquences en résultent ? Et puis, n’était-ce pas un signe ? Certains l’ont cru évoquant même un possible retournement de situation et le fait que les Goebbels auraient pu faire appel à la cartomancie pour établir un horoscope confirmant une telle éventualité. Avec une bien meilleure issue des combats se dessinant dans la seconde moitié du mois d’avril et la signature d’une paix intervenant au mois d’août. Avait-on eu, ce faisant, la volonté de redonner un peu de moral au dictateur nazi ? Ou Magda se souvenait-elle de cette Frau Kowalski qu’elle avait croisée vingt-cinq ans plus tôt dans le quartier miséreux où elle vivait alors à Berlin, qui lui avait prédit tant de bonnes choses, la voyant notamment devenir une « reine de la vie ». C’est possible car de l’avis d’Auguste, la maman de la Frau Doktor, l’astrologie avait toujours été l’un des hobbies de sa fille. Trois jours plus tard, conscient qu’une nouvelle page s’était tournée après le décès de Roosevelt, le propagandiste choisit de faire ses adieux à ses lecteurs en leur demandant dans l’hebdomadaire Das Reich , si, après une victoire alliée, « on pouvait seulement envisager de poursuivre une existence ». Passé la mi-avril, il n’y eut donc plus aucun quotidien d’informations d’imprimé dans la capitale du Reich et, dès le 16, plus de deux millions de Russes choisiront de se lancer à l’assaut de ce qu’il restait du Berlin de la courte splendeur hitlérienne.

18.

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Souffrant de sévères dépressions nerveuses reflétant son état psychologique et des attentes, la plupart du temps insatisfaites, Magda finira par accepter la décision de son époux de rester jusqu’à la fin de la guerre à Berlin en compagnie du Führer dans le bunker installé sous la Chancellerie du Troisième Reich. Un endroit où elle s’installera avec leurs six enfants le 22 avril 1945, désertant leur domicile au cours d’un fatidique dimanche s’il en est. Alors que le propagandiste nazi s’était efforcé trois jours auparavant et la veille de l’anniversaire de leur Führer, de diffuser sur les ondes un nouveau message destiné à ses concitoyens. Parlant de « puissances de la haine et de la destruction fondant sur Berlin », ce sera le dernier, les communiqués étant désormais diffusés aux Berlinois par haut-parleur. Un message dont on dira qu’il a été, avec celui du Sportpalast de février 1943, l’un des meilleurs de Goebbels.

Le samedi 21, la veille de leur installation dans le bunker, rien ne s’est effectivement passé comme prévu et une nouvelle étape a, semble-t-il, été franchie menant au néant. Une étape que la capitulation prévisible 145 du général Wenck censé désenclaver Berlin de l’étau russe et attendu impatiemment par le dictateur nazi, aura hâtée. Malgré les ordres et les humeurs d’un Führer qui avait tout misé sur ce dernier responsable et qui explosera de colère apprenant ce nouveau coup du sort. « En 1918, éructera un Goebbels toujours soucieux de résister et de tempérer les ressentis des uns et des autres, nous avons aidé les vainqueurs grâce à nos propres faiblesses. Cela ne se produira pas en 1945. Nous devons tous prendre conscience de cela. C’est la condition sine qua non de notre succès. Ce pourrait sembler fantastique aujourd’hui, mais l’heure de la victoire finale nous attend. Elle le sera avec des larmes et du sang, mais justifiera tous les sacrifices que nous avons faits ». Le médecin d’Hitler, le docteur Morell, désireux au cours de ce même samedi de calmer les appréhensions de son patient et de lui proposer une nouvelle injection, se trouvera à son tour face à une première opposition de celui-ci. Devenu méfiant à l’égard de ses propres fidèles, on aurait presque dit que le dictateur nazi le soupçonnait subitement de vouloir lui administrer de la morphine ou un sédatif. Craignait-il qu’on l’endorme et qu’on l’extraie de ce bunker où il était à présent en danger, afin de l’amener vers Berchtesgaden et son nid d’aigle ? Un site considérablement équipé et niché au milieu d’un relief a priori inaccessible aux blindés ? On pourrait effectivement se le demander. Menaçant de le faire fusiller, il le priera de regagner son cabinet, tout en hésitant à s’en remettre à un certain , appartenant à une équipe, celle de Heinrich Himmler et de ses SS dont il ne percevait plus les visées. Il ne lui faudra que trois jours de plus avant de mieux les saisir.

Magda se rend bien compte que ses enfants commencent à s’inquiéter. Le fait de devoir quitter ce dimanche après-midi 146 leur riche demeure de banlieue de Schwanenwerder en compagnie de leur père et de son aide de camp Günther Schwägermann a dû les perturber. Surtout les deux plus grandes, Helga et Hilde. Elle a eu beau leur dire que ce séjour dans le bunker ne serait que provisoire et qu’ils se devaient tous de prêter leur concours à « Onkel Führer », ses propos ne les ont pas rassurés. En partant de leur maison, sans emporter le moindre bagage, alors qu’ils étaient encore dans leur résidence du château de Lanke quelques jours plus tôt, tout en s’efforçant de ne rien laisser paraître, Magda se doute que cette fois-ci, les dés sont jetés. Et qu’il va peut-être falloir se faire à l’idée qu’ils ne s’en sortiront pas ! Ni eux deux, ni leurs six enfants ! De leur voiture, et ils en ont été les témoins, ce qu’il restait d’une ville où neuf années plus tôt, avaient été organisés des Jeux, faisait peine à voir. Des vitrines de magasins étaient en train de brûler et les flammes finissaient de dévorer ce qu’il subsistait de ceux-ci. Sous les tirs d’une artillerie semblant encore lointaine, une odeur âcre de brûlé flottait dans un air vicié ; des réverbères avaient été mis à terre et de l’eau jaillissait de gouttières arrachées à des façades d’immeubles. La Wilhelmstraße menant au bunker était vraiment dans un piteux état. En pénétrant dans le Führerbunker suivie de ses enfants, un temps gelée, la mémoire de Magda s’est remise à fonctionner. Parallèlement à ce qu’elle avait déjà endurée à Berlin trente ans plus tôt, lorsqu’elle était arrivée à Berlin dans ce wagon à bestiaux venant de Bruxelles, ils ne disposeront pour dormir que de très peu de couvertures sur des matelas jetés à même le sol faute de suffisamment de couchettes car il n’y

145 Prévisible au terme d’un jeu de dupes, cette capitulation sera effective le dimanche 29 avril. 146 Certains observateurs estiment que les enfants auraient gagné le bunker le jour anniversaire de leur « Onkel Führer », le 20 avril, et non le dimanche 22 comme indiqué par d’autres. 65 a pas assez de lits dans la pièce qui leur a été proposée. Une pièce que le docteur Morell occupait encore la veille. Cela étant, et il faut s’en convaincre, il n’y a pas de comparaison possible entre deux situations que tout oppose et elle doit se garder d’en faire. En 1914, à Berlin, on mourrait sans aucun espoir de s’en sortir alors qu’ils ont encore, de l’avis de Joseph, toutes les chances de repousser l’assaut des Russes. Du moins s’il faut en croire son dernier appel lancé sur les ondes... De ce campement réservé à des soldats et n’obéissant pas aux règles élémentaires d’hygiène, il conviendra donc, en attendant, de faire comme si on improvisait une sorte de jeu et de le présenter ainsi aux six gamins. Mais, le pourra-t-elle empêtrée dans des convictions de plus en plus morbides ? Certes, dans ce bunker, ils ne vont manquer de rien puisqu’une grande quantité de denrées, de vins et d’alcools y ont été entassés. Ils seront d’ailleurs les seuls à Berlin à pouvoir se restaurer car chaque Berlinois surpris à avoir recours à un réchaud électrique sera désormais passible de la peine de mort ! D’abord installé à la Chancellerie au cœur de Berlin dans l’immense bâtiment conçu au 77 de la Wilhelmstraße, leur Führer a dû se résoudre à se réfugier dans un bunker situé sous les jardins. Un abri qu’il s’est résolu à faire élaborer par Albert Speer et qui lui a été livré à la fin du mois de janvier. On y sent d’ailleurs l’odeur nauséabonde d’un ciment encore humide et, au milieu de déchets de toute sorte, celui du gazole et de la transpiration des hommes. L’atmosphère dans le bunker était macabre dira Berndt Freytag von Loringhoven, l’aspirant aide de camp du dictateur nazi. Les gens erraient dans les couloirs, attendant des nouvelles, plus celles liées à la fin d’un cauchemar que celles d’une victoire à laquelle plus personne ne croyait. Dans ce labyrinthe angoissant aux murs en béton brut, Magda ignore que va se jouer l’un des épilogues les plus dramatiques d’un pays qu’elle s’était pourtant juré de servir avant de se prendre les pieds dans une sorte de mysticisme où l’auront conduit ses travers de perverse. Car cet environnement n’a rien de rassurant ! Le couloir d’accès à la quinzaine de pièces de ce bunker a eu beau être revêtu d’un tapis rouge sur lequel ont pris place de part et d’autre deux rangées de chaises élégantes, les quelques ampoules nues vissées au plafond éclairent médiocrement des lieux où règne déjà une sorte de vision apocalyptique. Handicapée par des maux de tête à répétition, la seule chose positive que Magda ne doit pas perdre de vue, c’est que leur « Onkel Führer », s’il s’escrime à résister à un environnement pour le moins déstabilisant, est le premier à donner l’exemple. Il faut sauver l’Allemagne et opposer un démenti formel aux théories avancées par tous les oiseaux de mauvais augure pensant que le pays est aux portes de la capitulation. S’il lui arrive parfois d’en douter, des armes nouvelles devraient rapidement arriver dont ils pourraient se servir pour éloigner les Russes ! C’est ce que rabâche un époux décidé à ne rien laisser paraître. Puisqu’un V2 est parvenu à faire des dégâts en Angleterre le 27 mars, pour quelle raison refuserait-on de croire aux vertus de ces armes de la dernière chance sur lesquelles les nazis ont choisi de s’appuyer ?

Une fois arrivés dans le bunker, les questions des bambins n’ont pas tardé à fuser. Surtout celles du petit Helmut que sa mère a entrepris de rassurer. Le gamin, qui n’a que neuf ans, et qui n’avait jamais vu de semblable état-major enterré sous terre ne comprend pas. Tous ces débris jonchant un sol défoncé par endroits à cause des jets d’obus, et tous ces trous dans les toitures au dehors ! Leur père a eu beau leur assurer que dès l’assaut des Russes repoussé, malgré tous les impacts de ces Katyusha, on rebâtirait une ville encore plus belle, le garçonnet reste dubitatif. La seule chose qu’il trouve amusante, c’est que dans toutes ces galeries qu’ils viennent de découvrir, ils sont à présent au cœur de la guerre totale ! Heureusement que Blondie, la chienne de « Onkel Führer », a eu quatre petits à la fin du mois de mars et que les six enfants vont avoir de nouveaux compagnons de jeux en la personne de ces ravissants petits chiots. Sans compter qu’ils vont pouvoir récupérer certaines des petites choses qui ont été offertes à « Onkel Führer » pour son anniversaire la semaine passée, présents qu’il a choisi de laisser de côté. Berndt Freytag von Loringhoven, se souviendra longtemps avoir croisé les six enfants accompagnés de leur mère lorsqu’ils sont arrivés sous la Chancellerie. Ils étaient revêtus de leur manteau sombre car il faisait froid. « Je n’oublierai jamais cette expression de peur visible sur leurs petits visages pâles qui dépassaient de leur manteau, tandis qu’ils descendaient dans le bunker ». L’une des secrétaires du Führer, Traudl Junge dira qu’ils vivaient tous dans une sorte d’endroit peuplé de zombies où ils avaient tous, entre deux crises de nerfs, entrepris de rire et de chanter. Pour oublier ce qu’ils étaient devenus. En s’aidant des réserves d’alcool et en mangeant des petits pains au caviar. Une sorte de fièvre érotique 66 semblait s’être emparée des gens avec des femmes qui n’avaient plus de pudeur et qui ne cherchaient même plus à couvrir leurs parties intimes. Les hommes de troupe allaient jusqu’à racoler des femmes traquées dans la zone assiégée lesquelles, alléchées par des promesses de vivres, de café ou d’un mieux- être de quelques instants acceptaient de participer aux orgies du bunker.

19.

77 Wilhelmstraße, huit mètres sous la Chancellerie d’un Reich moribond… Une mère dépressive, pourtant extraordinairement calme quelques jours encore avant de tuer ses enfants, et un père dément au bord de la crise de nerfs, qu’aurait-il pu arriver de pire à ces bambins ce dimanche 22 avril 1945, tout ayant été soigneusement caché à ces six enfants ? Bien que l’on eût admis que Goebbels ait pu développer avec un aplomb choquant, dans un testament, l’idée que ceux-ci, s’ils avaient été assez vieux, auraient choisi et opté eux aussi pour la mort ! Lorsque son époux papillonnait à la fin des années trente et qu’elle l’avait menacé de divorcer, tentant de prendre son ami Adolf en otage, l’épouse perverse avait, de son côté, déjà programmé une telle éventualité. Estimait-elle que les enfants étaient à elle et rien qu’à elle, et qu’il lui fallait les soustraire sans attendre à un tel environnement ? Un raisonnement terrible que celui de cette créature égocentrique dénuée d’empathie et profondément amorale. De l’avis de ceux qui survivront au conflit, la Frau Doktor Reichsminister Goebbels ne montra d’ailleurs aucune peur de la mort durant ces terribles heures, privée du moindre ressenti. Fringante, elle avait même, de l’avis de ceux qu’elle croisait fréquemment dans le bunker, l’habitude de monter en escaladant l’escalier en colimaçon de l’endroit, en prenant la plupart du temps les marches, deux par deux 147 . Dans un ouvrage consacré à l’amour maudit d’Adolf Hitler et d’Eva Braun, Nerin Gun évoquera cette femme qu’était Magda, « une blonde, vivace, habillée comme pour le bal. Avec son mari et leurs six enfants, ils s’étaient entassés dans la chambre abandonnée la veille par un docteur Morell soudain congédié. Une femme devenue folle qui voulait donner une dernière preuve d’amour à ce Führer qu’elle avait tant aimé, autant qu’elle avait haï, dira-t-on après coup, son propre mari ». Tenait-elle cette force de caractère de cette dévotion à son « Onkel Führer », un homme auquel elle aura cru presque jusqu’à la fin, persuadée d’une possible issue leur permettant de pouvoir se tirer de ce mauvais pas ? En prenant la décision de mourir en famille, Magda se justifiera en affirmant qu’il était impensable que ses enfants puissent vivre dans un monde sans national-socialisme. En reprenant les théories développées par son époux dès février 1943, s’ils avaient été emprisonnés par les Russes, ils auraient couru un danger manifeste. Pourtant, s’ils avaient été capturés, les enfants n’auraient pas forcément été violés ni brutalisés ! Certes, il est tout à fait possible qu’on les aurait utilisés à des fins de propagande, mais toutes ces hypothèses ne tiennent absolument aucun compte du fait que leur sauvetage avait été rendu possible dès leur arrivée dans le bunker !

Soucieux de parvenir à une fin rapide et donnant des instructions pour que son corps soit ensuite brûlé, Adolf Hitler, de plus en plus déprimé, avait auparavant voulu tester le cyanure sur Blondie, sa chienne, alors que ses chiots étaient encore à téter leur mère. Certains historiens ont prétendu que cette décision avait été prise après avoir appris la mort de Benito Mussolini et de sa maîtresse Clara Petacci et qu’il ne souhaitait pas finir de la même façon. Ce n’est pas exact dans la mesure où la mort du leader italien est intervenue le 28 avril, à un moment où la décision de disparaître avait déjà été prise par Hitler puisqu’il venait de dicter ses dernières volontés à sa secrétaire Traudl Junge, et que les faits n’ont été connus dans le bunker qu’au cours du dimanche soir 29. Certains témoins sont revenus sur ce suicide, précisant de leur côté que les capsules de cyanure avaient été fournies par le Reichsführer Himmler et que le dictateur nazi redoutait sur la fin d’être livré aux Alliés par les siens. C’est cette crainte, liée au peu de confiance qu’il avait pour l’un de ses premiers fidèles venant de le trahir, qui serait à l’origine de son choix de tester ce cyanure sur sa chienne Blondie. Tout en faisant appel pour ce faire, non à Ludwig Stumpfegger, l’adjoint d’Heinrich Himmler mais à un certain . Pour être tout à fait sûr que le poison n’était pas, là non plus, un sédatif destiné à l’endormir. Image d’une barbarie nazie insoutenable, les Russes retrouveront par la suite dans une caisse

147 Ce sera l’avis de l’adjoint du chef d’état-major aux armées, Gehrardt Boldt. 67 une chienne et quatre petits tétant encore sous elle. Ils avaient été abattus à coups de revolver par Otto Gunsche, l’un des gardes du corps du dictateur nazi !

Dans un journal de bord déjà évoqué précédemment, Eva Braun, témoignera de ce qu’elle ressentait au cours de ces instants qui la verront suivre dans le mort celui qu’elle venait d’accepter d’épouser. Le 22 avril, parlant des enfants Goebbels, elle écrira à son amie Herta : « Excuse-moi si j’écris de façon aussi confuse, mais à côté, il y a les six enfants des Goebbels et ils sont diablement agités ! » Au beau milieu d’un tapage légitime, ils imitaient le crépitement des mitrailleuses et les explosions des grenades, jouant à la guerre dans le couloir du corridor du bunker. Dans une autre lettre, Eva reconnaîtra qu’elle s’était attachée à tous ces gamins et que ceux-ci le lui rendaient bien. Pour ces enfants désormais privés d’affection, celle que le Führer nomme affectueusement Mein Tschapperl 148 , était devenue Tante Eva et, chaque soir, pendant que leur mère ingurgitait d’incroyables quantités de cognac, c’est elle qui leur tenait compagnie ! « Adi, écrira-t-elle, aurait aimé mourir un 5 mai. Comme Napoléon. Mais nous devons nous hâter. Nous ne serons pas pris vivants par les Soviétiques, je vais mourir… J’ai trente-trois ans et je vais disparaître de la surface de la terre. Je sens la capsule de cyanure au fond de ma poche… Ce sera vers quinze heures ce lundi. Mon cœur se déchire en pensant à ces petits, ces six enfants. Je connais le sort que leur réserve leur mère. J’ai tenté, écrira-t-elle, plusieurs fois de convaincre Magda, mais sa décision est irrévocable… Etait-il vraiment nécessaire de les sacrifier ? Je suis heureuse, même si je sais que ce bonheur s’achèvera dans quelques heures… Il m’a épousée. Je m’appelle dorénavant Eva Hitler… Berlin est totalement encerclé, des unités soviétiques sont à moins de trois cents mètres de la Chancellerie… Les Russes violent et assassinent nos femmes. On raconte des choses horribles ici… Le Führer a essayé le cyanure sur elle 149 … Quel homme étrange ! Il n’a pourtant eu aucune réaction quand je l’ai mis au courant du terrible projet des Goebbels pour leurs enfants… »

Berlin sous le feu et la mitraille, se rendre aux Russes de Joukov était impensable pour le dictateur nazi. Vingt-quatre heures après qu’il se fut tué avec celle qu’il avait finalement épousée ce lundi 30 avril, les époux Goebbels se tueront, assassinant leurs six enfants. Dès le lendemain soir mardi 1 er mai. Depuis juillet 1943 et l’échec de la campagne russe, le propagandiste nazi avait confié au général Guderian que les Russes atteindraient maintenant Berlin et qu’ils devraient tous prendre des mesures afin que leurs femmes et leurs enfants ne tombent pas entre leurs mains. Depuis son appel à une guerre totale lancé au Sportpalast de Berlin, il en avait fait l’un des thèmes clé de sa propagande, en prenant le risque que beaucoup croient à ce qu’il avançait. Cela avait été, il le savait, la cause de tueries effroyables, des mères ayant tué leurs propres enfants avant de se donner la mort. Comme à Wildenhagen, Drenzig ou Demmin. Cette idée de sacrifice amènera Goebbels à écrire une lettre au premier des enfants de son épouse, Harald Quandt. « Je ne crois pas que nous nous reverrons, lui dira-t-il. Il n’est pas utile que nous restions en vie dans le but de continuer à influencer notre peuple. Vous pourriez donc être le seul en mesure de poursuivre notre tradition familiale, fier d’avoir une mère telle que la vôtre. Fier d’avoir appartenu à une famille qui, même dans le malheur, sera restée jusqu’à la fin fidèle au Führer et à la pureté d’une cause ». Sans aller jusqu’à faire de Magda une sainte, le message était touchant, mais cette épouse, ne venait- elle pas d’accepter de donner son accord à un dernier acte de propagande conçu par ses soins ? Alors qu’elle l’avait plutôt habitué dernièrement à refuser tout ce qu’il proposait. Cette lettre précèdera un message ultime de sa mère qu’Harald ne recevra qu’à la sortie d’un hôpital où il avait été admis blessé, après avoir longtemps été porté disparu 150 , avant d’être fait prisonnier par les Britanniques. « Mon cher fils, depuis six jours nous sommes ici dans le bunker du Führer, Papa, tes six frères et sœurs et moi pour mettre fin, de la seule façon honorable qui soit, à notre vie nationale-socialiste. Je ne sais si tu recevras cette lettre. Peut-être, le destin me permettra-t-il de t’envoyer mes dernières amitiés. Tu dois savoir que je suis restée ici contre la volonté de ton père qui, dimanche dernier, voulait aider le

148 Diminutif affectueux traduisible par « Ma petite chose ». 149 Eva Braun parlait, non d’elle-même, mais de la chienne Blondie qu’il a forcée à ingérer du cyanure pour s’assurer de la rapidité du poison. 150 Un état que cachera à sa mère quelques semaines Joseph Goebbels. 68 Führer à sortir d’ici. Tu connais ta mère, nous avons le même sang, pour moi il n’y avait aucun autre choix. C’est ici, avec tous, que notre magnifique idéal s’est forgé et c’est ici, aussi, que ma vie durant, j’ai connu tout ce qu’il y avait de plus beau, de plus admirable, de plus noble et de meilleur. La vie dans le monde qui vient après le Führer et le national-socialisme ne vaut plus la peine d’être, c’est pourquoi j’ai aussi pris mes enfants. Ils sont trop bien pour cette vie à venir et Dieu miséricordieux me comprendra, de leur donner moi-même la délivrance. Tu vas continuer à vivre et je ne formulerais qu’une seule requête. N’oublie jamais que tu es un Allemand. Ne fais jamais quoi que ce soit contre l’honneur et dans la vie, veille à ce que notre mort ne soit pas inutile. Les enfants sont fantastiques. Ils s’entraident sans aucun soutien dans ces conditions précaires. Bien qu’ils doivent dormir sur le sol, qu’ils ne puissent se laver, qu’ils n’aient pas à manger, jamais une plainte, jamais de pleurs. Des impacts ont secoués le bunker. Les plus grands protègent les plus petits et leur présence ici est, par la même, une bénédiction qui, de temps à autre, fait sourire le Führer. Hier soir le Führer a détaché sa décoration en or du parti et me l’a épinglée. Je suis fière et heureuse. Dieu, faites qu’il me reste assez de force pour accomplir le plus dur et ultime geste. Nous avons un but : fidélité jusqu’à la mort au Führer, que nous puissions terminer notre vie avec lui est une grâce du destin à laquelle jamais nous n’aurions pu penser. Harald, mon cher garçon, pour ta ligne de conduite, je te donne le meilleur de ce que la vie m’a appris : sois fidèle ! Fidèle à toi-même, fidèle aux hommes et fidèle à ton pays, partout et en tout lieu. Prendre un nouveau virage est difficile. Qui sait si je serai capable de remplir cette mission, mais je voudrais te donner encore tant d’amour et tant de force pour t’éviter l’affliction de notre perte. Sois fier de nous et essaie de garder de nous des souvenirs heureux et fiers. Tôt ou tard nous devons mourir et il n’y a rien de plus beau que de vivre peu, mais de vivre une vie pleine d’honneur et de courage que de vivre toute une vie dans la honte. Cette lettre doit sortir, la prendra. Elle volera encore ! Je t’embrasse avec l’amour le plus ardent, le plus profond et le plus maternel ! Mon cher fils, vis pour l’Allemagne ! »

Combien, autour d’elle, se sont-ils pourtant manifestés pour tenter de sauver les six enfants d’une mort que leur mère avait programmée avec la bénédiction de leur père ? Albert Speer et sa secrétaire Anne-Marie Kempf, Erich Kempka le chauffeur d’Hitler, son ancienne belle-sœur Ello. Hitler, lui-même, aurait proposé à Magda, avec l’aide de Speer, un avion pour qu’elle puisse emmener ses six enfants en Espagne, une solution qu’elle refusera ayant appris que celui qu’elle vénérait, avait décidé de mettre fin à ses jours dans le bunker et qu’il avait refusé l’idée de fuir, se rangeant à sa suggestion, mettant de la sorte en balance le destin de ses six enfants. Liesl Ostertag, la petite bonne d’une Eva à présent disparue qui n’a jamais été nazie de sa vie, et qui est originaire d’une campagne éloignée, avait proposé sur la fin à une Magda passablement imbibée et fumant cigarette sur cigarette de les cacher jusqu’à la fin de la tourmente. Sans que celle-ci accepte. La Flugkapitän 151 Hanna Reitsch, présente jusqu’au 29, avait les moyens de tenter de décoller son avion près du bunker et de fuir ce chaos en emmenant les enfants. Insistant, elle s’était déclarée prête à s’y prendre une vingtaine de fois s’il le fallait pour tenter de poser son zinc et soustraire les six innocents au sort peu enviable qui les attendait. L’aviatrice racontera un peu plus tard comment elle avait tenté de les occuper en leur enseignant pour les distraire une partie des chansons qu’elle connaissait, sans se référer aux craintes de l’aînée des enfants. Car, en dehors d’Helga, la plus grande, les plus petits n’avaient pas deviné ce qui se préparait. Il est établi que l’ancien époux de Magda, Günther Quandt en personne, était prêt à proposer qu’ils soient confiés à une pension en Suisse où ils n’auraient manqué de rien, sinon de leur mère, un être qui, a priori , dans l’état mental où elle se trouvait, n’était plus en mesure de s’en occuper convenablement. Est- il possible d’imaginer que ces six innocents, encore confrontés quelques jours auparavant à une vie apparemment insouciante et, jouant innocemment en compagnie de chats et de chiens dans une ferme loin de Berlin, aient pu ainsi être pris en otage par leurs parents ? Que Günther, qui avait un temps partagé l’existence de leur monstrueuse mère, ne soit pas parvenu à raisonner celle-ci, usant d’un reste d’autorité conservé sur elle, compte tenu de leur différence d’âge et du lien marital les ayant unis, ne manque pas de surprendre. Etait-ce une « chiffe molle » ? 152 , le médecin d’Himmler, devenu président de la Croix Rouge, et se trouvant fin avril dans le bunker nazi, insistera, lui aussi auprès du propagandiste nazi, sur la nécessité d’évacuer les six

151 Capitaine de l’armée de l’air. 152 En tant que médecin d’Heinrich Himmler Karl Gebhardt sera arrêté par les Alliés, jugé et condamné à mort. 69 enfants. Sans parvenir à un quelconque résultat positif ! Pourquoi n’ont-ils pas employé la force pour tenter de museler ses bas instincts de marâtre ?

Dans une confession faite à la secrétaire de celui pour lequel elle éprouvait un sentiment sans jamais avoir rien vécu de sublimal à ses côtés : Adolf Hitler, leur mère dira le jour de sa disparition, soucieuse de se consoler d’un tel dénouement, « Hier soir, le Führer a enlevé son insigne d’or du parti et l’a épinglé sur moi 153 . Comme pour me remercier de ma fidélité. Je suis fière et heureuse ».

20.

Déterminée à tenter de le faire renoncer à son envie de disparaître, Magda Goebbels s’était-elle sur la fin sentie abandonnée par celui qui, s’il avait toujours apprécié sa dévotion, n’avait jamais vraiment voulu d’elle, préférant la lier à son propagandiste attitré ? Ce qu’elle avait accepté à l’inverse de quelques autres gravitant autour de lui qui n’avaient pas voulu d’une telle union tripartite. Après tout, ne l’avait-il déjà pas sanctionnée à deux reprises lui interdisant un accès à la Chancellerie parce qu’elle avait osé au milieu des années trente s’en prendre à une Eva dont elle avait appris à tolérer la présence avec le temps ? Ainsi donc allait-elle être punie une troisième fois !

Bien qu’Hitler eût été visiblement excédé par tant d’insistance, Magda demanda à lui parler. Otto Günsche parvint à le convaincre de recevoir une femme dont le désespoir était flagrant. Très agitée, elle tenta une dernière fois de persuader son Führer de quitter Berlin pendant que son mari attendait devant la porte, mais il ne voulut plus l’écouter, rejetant même assez sèchement sa demande à bout de patience, la forçant à se retirer le visage baigné de larmes 154 . Cette décision qu’il avait prise ce lundi le 30 avril de mettre fin à ses jours, peu de temps avant que l’Allemagne ne capitule officiellement laissera une Frau Doktor inconsolable. Au point de l’amener à prendre la décision terrible qu’elle avait déjà en tête depuis longtemps, décision qu’elle avait régulièrement repoussée. Pénétrée cette fois-ci définitivement de l’idée que ses enfants ne pourraient vivre dans un monde sans national-socialisme, l’heure était semble-t-il venue. Visiblement en proie au délire, elle mettra à son tour fin à ses jours le lendemain juste après les avoir tués, se sanctionnant d’avoir cru aux lubies de l’homme qu’était Adolf Hitler qu’elle avait longtemps fait siennes !

Une version différente circule du reste à propos de cette prétendue admiration qu’elle éprouvait pour le dictateur nazi. Sur la fin, surtout après l’offensive russe vers Berlin, il lui était déjà arrivée de pester et de lui reprocher de n’entendre que ce qu’il voulait entendre, regrettant qu’il y ait autant de déchets sur les champs de bataille. La guerre, elle s’en doutait à présent, allait être perdue et allait falloir envisager le sacrifice de ses six enfants, éventualité qu’elle avait depuis longtemps en tête. Et puisqu’il fallait un responsable, ce ne pouvait être que cet homme qu’elle avait prodigieusement aimé et qui était sur le point de la décevoir comme tant d’autres hommes ! Capable d’alterner les phases de dépression par quelques éclairs de lucidité lui permettant de compter sur toutes ses facultés, il était d’ailleurs rare qu’on la retrouve au cours des derniers jours avec cette étincelle dans le regard qu’on lui avait connue jadis quand elle avait à séduire. Sur le point de sombrer dans une sorte de folie et un délire aux limites difficilement quantifiables, souvent aux côtés de celui qu’elle appelait « Onkel Führer » devant ses propres enfants, elle voyait bien que ce dernier était gagné par une sorte de résignation et, qu’atteint par une maladie dégénérative, il se tenait à présent voûté, les épaules tombantes, se déplaçant d’un pas lent. Il ne ressemblait plus à celui qu’elle avait rencontré la toute première fois en 1931 au Kaiserhof ou improvisant deux pas de danse en plaisantant sur la terrasse du Berghof de Berchtesgaden, peu avant l’entrée en guerre de l’Allemagne nazie.

153 Curieusement, les enquêteurs soviétiques la déposeront dans une boîte à cigares contenant, outre les fragments de crâne et un bridge ayant appartenu à Eva Braun. Sans que l’on comprenne le sens de cette manœuvre. Avaient-ils décroché cette distinction des restes à moitié consumés de Magda Goebbels avec le souci de conserver cette trouvaille dans cette boîte contenant d’autres vestiges ? L’interrogation demeurera. 154 En brusquant même, selon le biographe Joachim Fest, l’un des gardes du corps, Otto Gunsche, pour obtenir le droit de voir une dernière fois son Führer adoré ! 70 Le docteur Schenk qui avait examiné le leader nazi au début de l’année 1945 est plus sévère. « Il faisait pitié à voir, dira-t-il. Sa main gauche flasque s’agrippait à la table pour que l’on ne s’aperçoive sans doute pas que la maladie 155 avait progressé et qu’elle le rendait, a fortiori, imprévisible ». Tout le bras gauche, jusqu’à l’épaule, tremblait et donnait parfois l’impression d’un frémissement, tremblements qu’un reportage réalisé lors d’une ultime remise de médailles aux jeunes recrues du Volksturm avait permis de visionner. « Par moments, précisera Schenk, son bras frappait rythmiquement la table devant laquelle il s’était assis et sa jambe soumise également à des tremblements, contraignait Hitler à enlacer son mollet et son pied gauche à l’un des pieds de cette table ». Beaucoup sont revenus, depuis, sur cet état de santé. La vue du dictateur nazi était devenue tellement mauvaise qu’il fallait tout mettre devant lui en gros caractères afin qu’il puisse distinguer les messages. Un ancien président du Tribunal d’Etat dira du Führer à l’une de ses secrétaires, qu’il était en outre atteint de démence. Parce qu’il passait sans transition d’un état de dépression à un état d’excitation et vice-versa, obsédé par les idées de mort et de suicide. Pourtant, de l’avis de l’un de ses aides de camp, Freytag von Loringhoven, s’il était quelques jours avant la fin physiquement épuisé, il était encore mentalement infatigable. Les nombreux documents photographiques ayant réussi à être conservés montrent un Führer tout voûté et tout chiffonné, ne parvenant plus à contrôler sur la fin, qu’il ait été ou pas en présence de visiteurs, les flatulences dont il souffrait. Il semble bien que Schenk soit intervenu sur la fin auprès du dictateur, afin que celui-ci ne se rate pas. Tant en vue de l’utilisation de la capsule de cyanure que de celle de son arme à feu.

« Nous avons exigé des choses monstrueuses de la part du peuple allemand, dira à un moment donné la dure et maussade Magda à Ello, sa seule amie, traité d’autres nations avec une cruauté impitoyable 156 ... Pour cela, les vainqueurs exigeront leur pleine vengeance... nous ne pouvons pas leur laisser penser que nous sommes des lâches... Tout le monde a le droit de vivre. Je n’ai plus ce droit – nous l’avons perdu. Je dois me montrer responsable. J’ai appartenu au Troisième Reich et j’ai cru en Hitler et, assez longtemps en Joseph Goebbels... Si je restais en vie, je serais immédiatement arrêtée et interrogée sur Joseph en acceptant de révéler quel genre d’homme il était et ce qu’il s’est passé en coulisses... Toute personne respectable se détournerait de moi après coup avec dégoût... Il serait tout aussi impossible de faire l’inverse et de défendre ce qu’il a fait, de le justifier auprès de ses ennemis, de leur parler avec conviction. Cela irait contre ma conscience. Alors, voyez-vous, Ello 157 , il serait tout à fait impossible pour moi de continuer à vivre. Nous prendrons les enfants avec nous ; ils sont trop bons, trop aimables pour le monde qui nous attend. Dans les jours à venir Joseph sera considéré comme l’un des plus grands criminels allemands. Si ses enfants entendaient dire cela tous les jours, si on les tourmentait, en les méprisant et en les humiliant, ils devraient supporter le fardeau de ses péchés et une vengeance leur serait infligée 158 ... Tout cela est déjà arrivé. Vous vous souvenez de ce que je vous avais dit à un moment donné, franchement, à propos de ce que le Führer avait dit au Café Anast de Munich quand il a vu le petit garçon juif ? Vous vous en souvenez ? Qu’il voudrait l’écraser à plat comme une punaise sur un mur... Je ne pouvais pas croire ce que j’avais entendu ce jour-là et j’ai pensé que c’était juste de la provocation. Mais il le fera plus tard en déléguant cette horrible tâche à d’autres ». Un constat et des affirmations illustrant parfaitement ce que peut être une attaque de manipulateur pervers. Même à l’égard de ceux auxquels ils se disent éternellement liés !

155 Cette maladie de Parkinson dont souffrait le dictateur nazi est facilement visible sur les quelques documents tournés lors du siège russe devant Berlin en avril 1945. Lorsqu’il félicite notamment un gamin d’une quinzaine d’années pour avoir trouvé l’aplomb de s’opposer à un char russe. 156 Sans qu’elle ait le discernement de revenir sur la sienne, celle qui l’avait vu laisser des victimes condamnées ! 157 Ello, seule amie qui soit restée à Magda, était son ancienne belle-sœur. 158 Contrairement à ce que Magda Goebbels redoutait, elle n’aurait pas risqué grand-chose si elle avait été arrêtée par les Alliés. Tout au plus une peine d’emprisonnement car elle n’aurait pas été poursuivie pour crimes contre l’humanité. Elle aurait pu achever son existence aux côtés de ses six adorables enfants qui, eux non plus, n’auraient pas été inquiétés. Parce qu’ils étaient bien jeunes pour se retrouver impliqués dans les crimes de leur père. Comme l’ont du reste été quantité d’enfants nazis. Qu’il s’agisse des descendants d’Heinrich Himmler, de Rudolf Hess, d’Hermann Goering ou de quelques autres. Son attitude n’est donc la conséquence que celle d’un orgueil lié à l’humiliation de devoir se livrer, celui aussi d’une femme déjà en proie au délire depuis des années choisissant par des principes révoltants et un fanatisme imbécile qui voudraient que l’on ne trouve d’épanouissement qu’aux côtés de ceux qui détiennent le pouvoir et qui disposent ce faisant d’une sorte de puissance. 71 Véritables confirmations de leurs visées hégémoniques, les messages de Goering puis d’Himmler reçues au bunker au cours des derniers jours ont effectivement joué un rôle évident, finissant de rendre fou celui qui était encore le maître de l’Allemagne ! Il ne faudra guère de temps à Magda pour comprendre que l’orgueilleuse Emmy qui attendait impatiemment de devenir la Première Dame du Reich aux côtés du gros Hermann, allait devoir réviser ses prétentions. Car, ce dernier, destitué tout comme Heinrich Himmler, ne parviendra jamais à endosser l’habit du dirigeant qu’il s’attendait à devenir ! Pourtant le 29 avril Goebbels était apparemment toujours convaincu qu’il restait l’espoir d’un miracle pour que le bunker résiste face à l’Armée rouge. Albert Speer, l’architecte préféré du dictateur nazi, subira lui aussi les conséquences de ce mouvement de retrait des fidèles du Troisième Reich et, parti du bunker, il sera comme Himmler et Goering évincé de la dernière liste des responsables figurant sur le testament dicté à Traudel Junge. Etait-il soupçonné d’avoir incité à la désobéissance de son ordre de « terre brûlée » et d’être intervenu auprès de l’ensemble des Gauleiter pour que l’on ne détruise pas ce qui tenait encore debout. Rempli de la crainte de devoir à son tour mourir, Goebbels avait le dernier jour le visage couvert de taches rouges. Le petit nombre de fonctionnaires restants du ministère habitués à côtoyer un propagandiste nazi plus fringant malgré son pied bot, furent choqués de le voir dans un tel état de pâleur, hagard, les yeux injectés de sang. Etait-ce l’impact du testament que leur Führer avait laissé après sa mort ? Avant de disparaître, celui-ci venait effectivement de lui donner l’ordre, en cas d’effondrement de la défense de Berlin, de quitter le bunker et de participer en tant que membre dirigeant à un nouveau gouvernement qu’il avait nommé. Un ordre auquel il refusera catégoriquement d’obéir, évoquant des notions de respect de soi et de respect du peuple allemand ainsi que le ralliement de sa femme et de ses enfants à son refus exprimé de poursuivre la lutte. Goebbels rédigea en fin de journée une lettre à l’attention du commandant en chef des forces armées russes, où il fit part du suicide d’Hitler, précisant qu’il lui avait succédé, l’amiral Karl Dönitz ayant été nommé Président du Reich. Un document qu’il demanda à Hans Krebs, chef d’état-major général et ancien attaché militaire à Moscou, de transmettre tôt dans la matinée du 1 er mai au général de corps d’armée Tchouikov, commandant de la 8 ème armée cantonnée aux abords du bunker. Tchouikov entra aussitôt en contact avec le maréchal Joukov, commandant en chef de l’Armée rouge engagée dans la bataille de Berlin, lequel à son tour, en informa Staline. Ce dernier, estimant qu’un cessez-le-feu n’était pas envisageable, exigea la capitulation immédiate des forces allemandes. Quand Krebs 159 communiqua ce résultat à Joseph Goebbels le 1 er mai en milieu de journée, ce dernier, lui reprochant d’être responsable de l’échec des négociations, décida d’envoyer une nouvelle demande à Tchouikov. Laquelle revint à 17 heures 30 assortie d’un même refus.

Ce n’est seulement que le 1 er mai, en fin d’après-midi qu’il s’en prit aux généraux allemands, aux soldats et à la population civile dans le bunker. Propos cinglants auxquels le commentateur radio Hans Fritsche osa répliquer, contredisant Goebbels par un : « monsieur le Ministre, ce que vous dites est erroné. Bien qu’il y ait eu quelques traîtres ici et là, le dossier révèle que le peuple allemand a montré plus de bonne volonté que bien d’autres personnes de l’histoire ». Une contradiction sans précédent qui rendit Goebbels furieux. « Le peuple allemand ? répondit-il. Mais que pourrions-nous faire avec un peuple dont les hommes ne sont plus prêts à se battre quand leurs femmes sont violées ? Tous les plans du national- socialisme, tous ses rêves et objectifs étaient trop grands et trop nobles pour un tel peuple, trop lâche pour les réaliser. Dans l’est, ils fuient. Dans l’ouest, ils ont créé des obstacles pour leurs propres soldats et ils se félicitent de la présence de l’ennemi avec des drapeaux blancs. Le peuple allemand mérite le destin qui l’attend maintenant ». Puis, le propagandiste nazi, après avoir complété son journal de bord qu’il demanda à son adjoint Werner Naumann de mettre à l’abri 160 hors du bunker, eut alors une dernière réaction face à l’un des gardes du corps du d’Adolf Hitler, , chargé d’assurer les liaisons téléphoniques du bunker, un homme ne donnant pas le sentiment d’être une lumière : « eh bien, Misch, nous savions comment vivre. Et nous savons à présent comment mourir ».

159 A la fin des années trente, Krebs avait eu l’occasion d’être présenté à Staline lors d’une entrevue à Moscou et il conservait un excellent souvenir de leur entretien. L’intéressé se suicidera le 1 er mai. 160 Naumann, devenu Ministre de la Propagande le 30 avril aux côtés d’un Goebbels dernier chancelier du Reich, tentera d’emporter avec lui le journal de bord en quittant le bunker. On prétend qu’il aurait détruit les derniers feuillets en les brûlant. 72

Une fois les dernières tractations opérées par son époux face aux Russes, et après avoir palpé la petite boîte qu’elle avait dans la poche de sa jupe, Magda se décida. Depuis le mois dernier, elle savait que sept capsules de cyanure étaient prêtes à l’emploi dans sa poche, au cas où… A présent, il était temps de les utiliser. Sitôt qu’elle aurait aidé ses six enfants à disparaître, il lui resterait à prendre celui contenu dans la septième capsule. Soixante-douze ans après, les questions demeurent à propos d’un acte restant d’une barbarie insoutenable ! Il est démontré que la fille aînée des Goebbels, Helga, se rendant compte sur la fin du sort qu’on lui avait réservé, a lutté contre son ou contre ses assassins, se débattant afin de ne pas absorber le cyanure contenu dans la capsule que l’on s’était efforcé de placer dans sa bouche, voire la strychnine qu’on avait tenté de lui administrer. Les nombreuses ecchymoses retrouvées autour de la bouche de la jeune fille le démontrent. On a également parlé de mâchoire qui se serait déboîtée, montrant combien la jeunette s’est débattue avant de céder. Sans que l’on parvienne un jour à réellement savoir ce qui a pu se passer, les restes des enfants ayant été incinérés. L’adolescente était souvent présentée comme la petite préférée d’Adolf Hitler, une idée que rejette Kathe Hubner, la gouvernante des enfants. En dépit du fait que cette éventualité plaisait bien, selon elle, à des médias insistants. Sur les quelques images ayant succédé à celles de l’enfant batailleur qu’elle était jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans, on aperçoit une Helga devenue plus timide et sensible, plus intériorisée. Celle d’une gamine ayant compris beaucoup de choses et commençant à en mesurer la gravité. Je suis horrifiée, ajoutera Kathe, à la seule idée que cette petite jeune fille de presque treize ans, sentant le danger de la situation et la malhonnêteté de ceux qu’elle croisait dans le bunker, ainsi que la déloyauté de ses parents et des autres adultes, n’ait pu partager ses craintes, parce que son frère et ses sœurs étaient trop petits pour comprendre. La réaction de la plus jeune, la petite Heide, croisant Rochus Misch avant de mourir, le montre. Il était évident qu’il a dû y avoir des signes de désespoir chez Helga. Ne serait-ce que lorsque leur mère leur a proposé de tous revêtir ces chemises de nuit blanches avant qu’ils partent se coucher, ce qui était tout à fait nouveau. A côté de la demeure qu’elle occupait à Schwanenwerder, elle devait probablement avoir vu, fuyant devant l’armée russe, un grand nombre de femmes et d’enfants raconter des horreurs inimaginables. Horreurs contredisant totalement les fables contées par ses parents. Au point, dira-t-on, que l’adolescente se demandait sur la fin si les Russes n’allaient pas venir les assassiner dans leur propre maison. Dans son ouvrage consacré à Joseph Goebbels, le biographe Toby Thaker précise qu’en janvier 1945, son père avait parlé à sa fille aînée. Devenue paresseuse à l’école, Helga observait une sorte de laisser- aller. Le fait d’avoir perdu sa proche voisine à Schwanenwerder, la petite Régine Goldschmidt, avait-il déclenché chez elle un début d’interrogation ? C’est probable, sans qu’elle sache que c’était sa bien-aimée mère qui avait été à l’origine du départ de ses voisins juifs, permettant à ses parents d’avoir agrandi au passage leur demeure. « Aryanisation », « Guerre totale » ou « Solution finale », tous ces termes qu’elle entendait régulièrement prononcés par son père, n’avaient plus l’air à présent de termes insignifiants. Si sa petite copine et voisine Reggie avait ainsi disparu 161 , c’est qu’il s’était passé autre chose. Quelque chose qu’elle n’était pas arrivée à saisir et qu’on lui avait caché, qu’elle ne s’expliquait pas. Et continuer à vaquer à ses occupations et ses études sans se soucier de son avenir n’était plus possible pour l’élève qu’elle avait été jusque-là. Helga devinait que l’état de santé de sa mère s’aggravait autour de cette paralysie faciale due à l’excès de stress et, aussi, hélas, aux absorptions d’alcool et de tranquillisants. Incapable de savoir ce qu’elle avait décidé dans ce bunker, elle n’aura perçu le danger du mutisme de cette dernière que sur la fin. Trop tardivement, se retrouvant impuissante face à une mère tentant de lui faire avaler ce qu’elle avait fait préparer afin de la tuer. D’après les témoins en mesure d’apporter leur témoignage ou les quelques ouvrages laissés par des personnalités éminentes 162 , l’aînée des enfants Goebbels n’avait guère tardé à comprendre qu’on voulait tous les expédier à la mort, et elle pria à plusieurs reprises afin qu’on l’autorise sur la fin à quitter le bunker, en disant qu’elle ne voulait pas mourir. Sans hélas que cette mère, dont elle s’était

161 Régine Goldschmidt dite Reggie sera déportée et mourra à Auschwitz en 1944. 162 Voir la liste des documents sur lesquels s’appuie ce travail dans le chapitre Bibliographie. 73 progressivement éloignée, ne prenne en compte son souhait. Un roman évoque163 une rencontre de l’adolescente avec l’un des soldats chargés de veiller sur elle, qui lui aurait appris quel était le sort funeste qui l’attendait. L’employé aux liaisons téléphoniques du bunker, Rochus Misch, s’était, lui-même, rendu compte que la petite Helga avait compris. Le film La bunker tourné en 2004 par les acteurs Corinna Harfouch et Bruno Ganz, restitue parfaitement bien l’atmosphère de ces derniers jours et la petite comédienne campant le rôle d’Helga est convaincante. Surtout lorsqu’on la voit résister à l’obligation d’absorber la potion qu’a fait préparer sa mère. Un breuvage, de l’avis de ses autres sœurs, au goût éloigné de celui d’un jus de fruit. A ce propos, d’autres versions évoqueront un soporifique dilué dans le traditionnel chocolat que les enfants buvaient au goûter en compagnie de la secrétaire de leur « Onkel Führer », Traudel Junge. Dans l’une des versions relatant ce fait tragique, on dit que le 1 er mai, passé les 17 heures, Rochus Misch a pu voir Magda Goebbels, suivie de ses six enfants qu’elle avait peignés et qui avaient revêtu une chemise de nuit, entrer dans une chambre de l’abri au rez-de-chaussée. On les avait semble-t-il sournoisement invités à boire une tasse de chocolat. La petite Heide âgée seulement de 4 ans lui souriait et chantait : « Misch, Misch vous êtes un poisson ». Une fois libéré par les Alliés, Misch entendra longtemps la voix de la gamine dans son sommeil, passant quelques nuits cauchemardesques.

A propos de l’assassinat des six enfants, les versions sont aujourd’hui nombreuses que les historiens ont tenté de décrypter, tentant souvent de démêler le vrai du faux. Ce qui est certain, c’est que l’on ne sait toujours pas qui, finalement, a empoisonné les enfants, ni de quelle façon ils ont péri. Le biographe Joachim Fest, évoque une Magda tentant d’ingérer plusieurs gouttes d’acide cynanidrique 164 dans la bouche de chacun de ses enfants. Sans que celui-ci précise s’ils étaient conscients à ce moment-là. Certains parlent aussi de morphine utilisée afin de les endormir, avant que l’on ait fait appel aux capsules de cyanure, et d’autres enfin du traditionnel chocolat 165 qu’on leur préparait au goûter dans lequel aurait été versé un soporifique. C’est la thèse la plus vraisemblable. Encore qu’on aurait pu verser de la morphine dans le chocolat. Ce serait dans ce chocolat chaud que le docteur Helmut Kunz, aurait versé un somnifère destiné à endormir les six petits. Certains historiens le prendront par la suite pour un planton, alors que celui-ci, officiant en qualité de dentiste SS à l’extérieur du bunker, avait soigné une Magda souffrant d’un abcès dans la bouche. La marâtre avait donc confiance en lui au point de lui demander de l’aider dans cette horrible tâche. Helmut Kunz qui venait de perdre ses deux gamines lors d’un bombardement refusera cependant de l’aider à tuer les enfants à l’aide des capsules de cyanure préparées à l’avance. Une quinzaine d’années plus tard, il sera dit devant les tribunaux lors de poursuites engagées contre lui, qu’il avait voulu échapper au groupe chargé de cette basse besogne et qu’on aurait tenté de l’en dissuader, Magda l’ayant menacé de le dénoncer à son mari Joseph et de le faire tuer s’il s’y opposait. Il est évident que son refus d’être associé à une telle monstruosité, a dû contraindre la perverse marâtre à rechercher un autre volontaire prêt à accepter d’accomplir la chose. Certains ont même prétendu que le groupe avait dû ensuite faire appel à une pièce de monnaie pour décider qui devrait effectuer cette mission. Quelle barbarie ! Dans son ouvrage consacré à l’amour maudit d’Adolf Hitler et d’Eva Braun, Nerin Gun 166 parle, lui, de strychnine qui aurait été directement administrée à ses enfants par une femme devenue folle. Pour Nerin Gun et à l’issue de l’enquête réalisée, c’est Magda Goebbels qui avait en main la seringue de strychnine. La petite Heide se laissant faire mourra la première. « On doit vous vacciner avant de partir en voyage » dira-t-elle à Hedda et à Hilde en les piquant avec sa seringue et en allumant une autre cigarette tout en discutant tranquillement comme si de rien n’était avec ses autres enfants. Une cigarette avant de poursuivre le meurtre de ses six enfants ! Seule Helga, l’aînée, soupçonnera quelque chose, contraignant Ludwig Stumpfegger à lui immobiliser les mains derrière le dos. Inimaginable ! Il est à noter que dans un bunker où chacun s’attendait à mourir d’un instant à l’autre, aucun de ceux qui ont été les témoins de cet assassinat n’auront tenté en cette fin de journée du premier mai de désarmer

163 Meike Ziervogel. 164 A base même de cyanure. À dose létale, 0,2 mg par kg peuvent suffire à provoquer des spasmes musculaires ressentis d’abord à la tête et au cou passées 10 à 20 minutes, suivies par de fortes douleurs, des convulsions, un arrêt cardiaque, et la mort par asphyxie. 165 Avant qu’il choisisse de se donner la mort, le dictateur fou et sa maîtresse Eva Braun avaient pris pendant plusieurs jours ce chocolat avec les enfants Goebbels. 166 Publié en 1968 chez Robert Laffont. 74 cette mère monstrueuse, changée en démon, l’empêchant de détruire ses enfants innocents ? C’est même à se demander comment certains de ces rescapés qui se proclamaient des héros, ont-ils pu, pendant toutes leurs dernières années dormir une seule nuit en paix ?

Si le souvenir des événements du dénommé Rochus Misch 167 est fidèle à la réalité, il évoque aussi dans le bunker la présence de l’un des médecins personnels d’Hitler, un certain Ludwig Stumpfegger. Une présence donc confirmée par plusieurs de ceux qui ont pu témoigner après les faits. Il semble qu’il n’aurait émis aucune objection au principe d’aider à cette tuerie. Certains ont affirmé qu’il était ivre, mais sans que l’on sache s’il avait bu afin de trouver le courage d’acquitter une telle mission ! Apparemment, on lui prêtait une certaine expérience assez récente dans les empoisonnements au cyanure et sa préparation aurait été utilisée deux jours auparavant avec succès afin de tuer Blondie, la chienne bien- aimée d’Hitler. En 1959, bien des années plus tard, quand Kunz aura à répondre devant la justice de ce qu’on aurait pu lui reprocher, rien n’accréditera cette thèse, Stumpfegger n’étant plus là pour contredire qui que ce soit, puisqu’il avait trouvé la mort à son tour à la sortie du bunker au moment de l’arrivée des Russes.

Ce scénario s’oppose à une autre version faisant état de la présence d’un médecin de campagne, qui s’était abrité en compagnie d’autres Berlinois dans un bunker bondé. Ce médecin était, semble-t-il, un réfugié. Personne n’a su dans quelles conditions il avait pu se trouver là. On a prétendu qu’il aurait effectué la tâche redoutable, puis disparu de suite parmi la foule des étrangers. D’après les enregistrements de l’un des biographes de Magda, Hans Otto Meissner, que l’on ne peut rejeter, c’est peu probable. Parce qu’au moment de concevoir sa biographie publiée en 1961, de nombreux témoins survivants ayant connu ou croisé Magda et ses six enfants les derniers jours dans le bunker, étaient encore vivants et prêts à partager les souvenirs conservés de ce drame. « Je ne trouve pas concevable, dira-t-il, que tout réfugié ait pu envisager trouver un abri permanent dans un bunker d’Etat comme celui-là ou avoir été autorisé à y pénétrer. Peu connaissaient son existence sous la Chancellerie. Il subsiste donc de sérieuses interrogations à propos de ceux se trouvant aux côtés de Magda et quant au rôle du médecin que ce dernier aurait pu tenir dans l’infanticide des enfants Goebbels ». Lorsque l’on créa un mémorial pour l’holocauste, l’employé des télécommunications du bunker, Misch, tenta d’y associer les six enfants morts injustement, selon lui, ce qui lui sera refusé 168 .

Kathe Hubner avait souhaité, dans un ouvrage, se souvenir de ce qu’était la famille Goebbels et des ravissants enfants qu’elle a longtemps bordés. Sans comprendre ce qu’il a pu se passer dans la tête de cette femme devenue un monstre pour la postérité. Elle ne veut se souvenir que des effluves du parfum que l’intéressée employait, et avec laquelle elle s’était toujours bien entendue. Car chez les Goebbels, se souvient-elle, on priait avant de se mettre à table ! Après avoir tué ses six enfants, et avant de se donner la mort en s’empoisonnant, on prétend que Magda tentera de se calmer en faisant une réussite. D’autres diront que c’est son époux qui la tuera à l’aide de son revolver, alors qu’elle était sortie en sa compagnie du bunker toute tremblante, sûrement de honte, d’avoir pu commettre un tel acte. Ce serait, a-t-on dit aussi, grâce à ce qu’elle conservait du bouddhisme que Magda serait parvenue à gérer les émotions ressenties durant le froid assassinat de ses six enfants ! Si le corps de Goebbels a eu du mal à se consumer, celui de son épouse, en revanche, brûlera mieux. Faut-il y voir une sorte de signe en dehors du fait qu’un démon ne pouvait périr que par le feu ? L’aide de camp de Goebbels, Günther Schwägermann, chargé de les brûler, aurait, paraît-il, manqué d’essence pour entreprendre la crémation des deux corps. Venant après celle du dictateur nazi et d’Eva Braun, cela n’est pas impossible et cela pourrait justifier cette combustion difficile.

167 On a tout lieu de supposer que ces souvenirs se sont altérés lors d’un long emprisonnement dans les geôles soviétiques où Rochus Misch aurait été torturé pour ne pas vouloir préciser dans quelles conditions était mort Adolf Hitler le 30 avril 1945. Alors qu’interrogé par le journaliste Bernard Volcker, Misch prétendra lors de leur entretien qu’il avait quitté le bunker le 2 mai, au lendemain de la disparition de Joseph Goebbels, on se rend bien compte qu’il confond l’ensemble des locaux de la Chancellerie avec ceux du bunker où il a travaillé en avril 1945. Il prétend par exemple qu’il se rendait fréquemment dans les locaux de l’ancienne Chancellerie du Reich fin avril alors que ceux- ci étaient déjà dans un état de désolation avancé à la suite des bombardements de Berlin. 168 Les restes des enfants seront brûlés puis réduits en cendre avant d’être jetés par les Russes dans un affluent de l’Elbe. 75 Cet assassinat constituera une issue bien triste pour ces six bambins adorables, à l’inverse de leur mère froide et égocentrique laquelle, sur fond de sensualité dépravée était devenue, à l’âge de vingt-trois ans déjà, une chienne. N’oublions cependant pas une chose essentielle à propos de cette tuerie ! Capable de tuer ses progénitures sans le moindre état d’âme, Magda était devenue un animal aux plus bas instincts. Mais cela n’avait-il pas déjà été le cas lorsqu’il s’était agi de venir au secours de son père déporté dans un camp à Buchenwald sept ans auparavant ? Ce qu’elle s’abstiendra de faire en dépit des interrogations subsistant à propos de cette déportation. L’indulgence qu’elle avait à l’égard des actes qu’elle commettait et à propos de cette dévotion inquiétante étaient cachées en elle. Peu de gens peuvent comprendre une telle personnalité et cette fascination éprouvée envers des hommes plus âgés qu’elle qui sont entrés dans sa vie dès la fin de son adolescence. Si ce n’est le fait que, perverse narcissique, elle vivait à travers ses victimes, et que cette nymphomane parfaitement organisée, se devait d’assouvir ses plus bas instincts. On pourrait conclure, et un média espagnol s’y est efforcé, en disant que derrière chaque grand homme dans l’histoire se tient une grande femme. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que derrière les hommes les plus machiavéliques, se sont souvent cachées des femmes encore plus tordues. C’est le cas de Magda Goebbels, un être sans âme, vidé de l’intérieur dès sa plus tendre enfance par une mère castratrice.

DEVAIT-ON REFAIRE UN PORTRAIT DE MAGDA GOEBBELS ?

Nombreux sont ceux qui, consternés, se sont demandés, l’ancienne secrétaire de Joseph Goebbels Brunhilde Pomsel la première, ce qu’il avait bien pu se passer dans la tête d’une Magda qu’elle admettra cependant n’avoir jamais réussi à sonder. Et pourtant, n’était-ce pas la Frau Doktor Reichsminister qui avait déclaré en 1941 que la femme ne trouvait son bonheur que dans la maternité ! Une affirmation qui ne manque pas d’interpeller dans une pareille bouche ! « C’était inimaginable, dira Pomsel 169 , qu’elle ait pu tuer ses propres enfants et qu’elle n’ait pas accepté de les confier à ceux qui lui avaient proposé de les prendre en charge, alors que son mari voulait les épargner 170 ». Un chroniqueur dira dans un article publié par Bild Zeitung , que c’était l’acte d’une fanatique aveugle au sein d’une dictature inhumaine ! Mais, était-ce uniquement cela et pas une ultime tentative d’organiser, autour de cet assassinat, une énième action de propagande capable de survivre à la disparition du national-socialisme, en parfait accord avec son époux, pour que l’on se souvienne de leur sacrifice et de ce que pouvait être la foi en un idéal ?

On a parlé à ce sujet de réincarnation et de ce que Magda Goebbels avait fini par croire, fidèle à ce que lui avait enseigné son père adoptif Oskar, estimant que ses six enfants pourraient un jour se réincarner dans un monde meilleur. Sauf à imaginer que cette réincarnation ait pu être le prolongement de vies antérieures négatives pour ces enfants et donc génératrices d’un karma négatif, cette théorie ne tient pas. Chez les bouddhistes, le suicide est même considéré comme une action négative, sauf quand il existe une notion de sacrifice ou d’honneur. Une notion que l’on aurait du mal à cerner ici, car l’honneur de cette mère de famille apparaît discutable si l’on se réfère à ce qu’aura été sa vie de femme dépravée que Tobie Nathan 171 prenait également pour « une chienne ». Magda, avait-elle oublié en élève attentive de la chose, que si elle se réincarnait un jour au terme d’une telle disparition, elle encourrait le risque de ne plus pouvoir materner dans sa nouvelle vie ? Ou bien y aurait-il eu là une volonté, celle de tenter de manipuler ceux qui ne manqueraient pas de porter un jugement après coup sur ce qu’il s’était passé dans ce bunker maudit. Une manœuvre qu’un article dû à la journaliste berlinoise Bella Fromm paru à son propos en mai 1933, confirme. Puisqu’à propos de ces affinités avec le bouddhisme, Magda était intervenue avant la publication de celui-ci, un mépris à peine voilé à l’égard de Bella, soulignant à l’aide d’un style particulier caractérisé par une répétitivité voulue et une certaine distanciation, que la « Frau Reichsminister ne voulait pas qu’il soit rendu public le fait qu’elle s’intéressait au bouddhisme ».

169 Récemment décédée à l’âge de 106 ans ! 170 Un sentiment qui varie d’un témoin à l’autre. Il semble en conclusion plus vraisemblable de croire que les deux époux Goebbels avaient décidé de tuer leurs six enfants d’un commun accord. 171 Auteur de Qui a tué Arlozoroff ? publié en 2010 chez Grasset. 76 C’est d’autant plus compréhensible à l’examen des propos qu’elle a tenus sur la réincarnation, et des monstruosités nazies qu’elle a couvertes. Avait-elle entendu dire que le bouddhisme avait une certaine presse chez Hitler et surtout chez Himmler, le passionné de sciences occultes ? Ne dit-on pas à ce propos que Thubten Gyaso, le XIIIème Dalaï Lama, aurait fait procéder, en personne, à la traduction en tibétain de l’exemplaire de Mein Kampf qui lui avait été adressé ! Une hypothèse ne signifiant pas pour autant que les bouddhistes approuvaient les théories d’un agitateur s’identifiant à un nouveau messie, et n’apparaissant pas soucieux de maîtriser ses émotions ! Celui que l’on présente toujours comme le père de Magda, Oskar Ritschel, aurait-il été un mauvais enseignant ? Bien que son élève ait visiblement donné l’impression de ne rien avoir compris à ce que recoupe le bouddhisme ? Dans son ouvrage sur Magda, « L’approche d’une vie », parlant de cette philosophie, Anja Klabunde avait le sentiment que la demoiselle Friedländer n’avait pas étudié la chose en profondeur. C’est le moins que l’on puisse dire ! Il n’est d’ailleurs pas certain que Ritschel, décédé en 1941 après être resté éloigné quelques années d’une fille adoptive, aurait été d’un avis analogue au sien s’il l’avait vue choisir de sacrifier ses enfants en vue d’une réincarnation. Si l’on examine tous les poisons de base attachés à une parfaite gestion des émotions qui ont perturbé l’élégante Frau Doktor Reichsminister Goebbels, il n’y a effectivement rien là de ce qui lui faisait défaut ! Désir, attachement, colère, aversion, ignorance, indifférence, orgueil, jalousie… Si elle s’était attelée à transformer tous ces aspects négatifs en positif, nul doute qu’il lui aurait fallu plusieurs vies avant d’éponger ce qu’elle avait créé de négatif aux côtés du nabot nazi, et de l’autre époux mystique du trio infernal, et aux côtés de ses amants successifs ! Pour l’historien Guido Knopp, la hantise de cette meurtrière était surtout que les six enfants, s’ils étaient restés en vie, découvrent un jour les mensonges de leurs deux parents et les ruines d’une façade que ces derniers avaient voulu éclatante. La plupart de ceux ayant travaillé sur son profil ont dépeint une Magda devenue une virulente nazie. Un être pour lequel seul comptait dans sa démarche le fait d’arriver au pouvoir. Ce que tend du reste à prouver l’un des constats d’Hans-Otto Meissner quand celui-ci fait dire à l’intéressée, face à une mère s’inquiétant des portées de son remariage nazi avec Goebbels, que deux possibilités lui étaient offertes en 1931. Soit que le drapeau rouge flottant sur Berlin, le capitalisme disparaisse et qu’elle perde la pension que lui versait Quandt. Soit que le parti nazi arrivé au pouvoir, elle devienne l’une des « Premières Dames d’Allemagne ! » Depuis sa disparition, six livres évoquant son existence lui ont été consacrés ainsi que plusieurs films. Sans que l’on ait cherché à brosser un véritable portrait psychologique d’une femme s’avérant être une redoutable manipulatrice perverse narcissique. Un travers qui n’a jamais été constaté, ou pas assez 172 . Dans sa « Compagne du diable » publiée chez France-Empire en 1961, le biographe Hans-Otto Meissner a en effet dépeint une Magda sous les traits favorables d’une victime, passant sous silence la perversité de l’épouse mystique d’Adolf Hitler. Il est probable que les entretiens qu’il a eus avec Ello Quandt, la belle- sœur et amie, puis Auguste, la mère de l’intéressée, aient un peu pesé dans l’affaire. Parlant de sa séparation avec le jeune Ernst, le biographe concède néanmoins que Magda ait pu éprouver de la cruauté à son égard. Elle en éprouvera tout autant quand elle licenciera une employée, parce que celle-ci avait voulu mettre un terme à son existence. Quelle grandeur d’âme ! Meissner concèdera aussi une dégradation de sa délicatesse morale au moment de son remariage et le fait que l’intéressée n’était, ni une sentimentale, ni une tendre, détestant tout manque de maîtrise autour d’elle ! Certes, le biographe a été l’un des seuls à s’être penché après-guerre sur le profil de la tueuse du bunker et il ne disposait pas des éclaircissements apportés depuis sur les profils d’êtres pervers par nombre de spécialistes. Il n’a donc pu les rattacher à des clignotants qui, aujourd’hui, permettent d’avoir une toute autre idée du profil psychologique de l’intéressée. Car, narcissique, la Frau Doktor Reichsminister Goebbels l’a été. Mais on ne naît pas narcissique ni perverse sans que, durant l’enfance, l’on puisse observer plusieurs étapes. La première aura été caractérisée par une phase de construction et une Magda se sentant rejetée et humiliée. Placée dès son plus jeune âge au sein d’institutions religieuses, abandonnée, elle a dû apprendre à résister les premières années à un évident manque d’amour. Sans pouvoir y échapper. Un manque

172 Dans un article publié dans Le Monde le 29.09.2010, Pierre Assouline évoque cependant ce travers. 77 qu’elle s’est efforcée de compenser en partant à la découverte de son corps, et cause d’une certaine précocité. Une seconde étape a débuté avec la structuration d’un objet d’amour et sa rencontre avec Victor à partir de 1914. Elle n’avait que treize ans, mais elle connaissait déjà son corps et toute la gamme du plaisir, source de compensations affectives. A suivi une troisième période caractérisée par une sorte d’identification de l’objet d’amour, pendant laquelle elle a cherché à satisfaire sa quête de plaisir. Son aventure estudiantine avec Walter n’ayant guère été probante et son union avec Günther Quandt décevante, il lui a fallu rechercher d’autres liens et des partenaires à même de pouvoir satisfaire ses attentes. Il y en aura quelques-uns puisqu’il est admis qu’elle recherchait systématiquement le plaisir peu de temps après son divorce avec l’industriel, à la fin de l’année 1929. Une quatrième période, celle de la trahison, après qu’elle eut commencé à materner, l’a vu découvrir la longue liaison de son époux volage avec l’actrice Lída Baarová. D’où émergera une proposition de « ménage à trois » à laquelle elle ne donnera pas suite. Alors qu’elle aurait été près d’accepter une proposition similaire si elle avait été en présence de deux hommes pour satisfaire sa nymphomanie. Mais avec Hitler, cela n’a pas été dans le sens souhaité ! Sur la fin, son existence s’est terminée par une phase d’amputation de l’objet d’amour, notamment à partir de 1942. Au moment où il semble qu’elle ait soudain pris conscience des portées de la solution finale et d’un sacrifice toujours plus grand du peuple, choisissant par une sorte de déni de les tolérer, s’opposant également aux plus faibles. Devenue une spécialiste de l’humiliation (conflit avec Bella Fromm ou Eva Braun et quelques autres), sa perversité l’amènera à prévoir in fine , non seulement de se suicider mais aussi d’assassiner ses propres enfants, les sacrifiant à une vulgaire et ultime opération de propagande.

Par un sens grandiose de sa propre importance, absorbée par des fantaisies de succès liées à une captation du pouvoir, Magda Goebbels pensait être unique et voulait être admirée. Niée et ayant subi une blessure narcissique durant son enfance, cela peut partiellement expliquer qu’elle ait eu envie d’attenter à sa personne, au moment de la disparition d’un national-socialisme outrageusement vénéré. Sans reconnaître, même le dernier jour, dans sa lettre à son fils Harald, qu’elle avait pu se tromper en choisissant de soutenir un tel concept. A l’évidence, elle s’est donné l’illusion d’exister à travers ceux qu’elle prétendait avoir aimés. Fille de Richard Friedländer, qui ne l’aura pas reconnue à sa naissance, peut-être parce qu’il était effrayé à l’idée d’être père à l’âge de vingt ans, elle a également été peu importante aux yeux d’une mère, Auguste Behrend qui l’a régulièrement sacrifiée à d’autres impératifs lorsqu’elle était petite. Parce que la fillette entravait ses petits plaisirs de bourgeoise parvenue ! Les nombreux placements de l’enfant dès l’âge de cinq ans, tant chez les religieuses à Bruxelles puis Berlin, que chez son « vrai faux père adoptif » Oskar Ritschel, l’attestent. D’un caractère susceptible et introverti pour ne jamais révéler ce qu’elle ressentait, il est clair qu’elle a souffert, dès son plus jeune âge, d’une réelle absence de soutien de son environnement familial. Laissée souvent seule dans des instituts éducatifs, elle a dû se forger une certaine idée, hélas erronée, de ce que pouvait être l’existence. Ce n’est effectivement qu’à l’adolescence qu’elle a pu se rapprocher d’Oskar Ritschel, celui que l’on présente encore et à tort comme son vrai père. Une affirmation sujette à caution depuis les révélations de l’historien Oliver Hilmes publiées en 2016 et ce qu’on a pu déceler dans le journal intime de Magda retrouvé chez les Quandt 173 ! On y trouve d’ailleurs l’explication des prénoms choisis pour ses sept enfants commençant par un H, en hommage au poète juif Heinrich Heine et non par dévotion à… Adolf Hitler ! L’évolution de ce qu’elle aura traversé explique, si elle ne le justifie pas, ce trouble de personnalité narcissique à l’origine de nombreuses dérives comportementales.

173 Selon l’auteur russe Léonid Guichovitch, le journal de Magda est sorti dans les années quatre-vingt du coffre où il avait dormi, selon la volonté de sa famille, et probablement de ses petits-enfants nés de l’union d’Harald, le fils survivant de la meurtrière du bunker qu‘elle avait eu avec Günther Quandt. Ce journal intime n’a jamais été publié et la rédaction arrêtée, semble-t-il, au moment de la disparition de son premier amour en 1933, doit contenir bien des réponses au sujet de points restés des énigmes. Comme l’assassinat de Victor Haim Arlosoroff par exemple. 78 Quels autres éléments me poussent à ranger Magda Goebbels dans cette catégorie de tueuses perverses narcissiques ? Plusieurs constats et points sur lesquels il serait intéressant de revenir car, une telle capacité à souffler le chaud et le froid ne peut qu’interpeller ! L’historien Guido Knopp l’a d’ailleurs dépeinte comme une femme des extrêmes ! Ne dit-on pas à propos de perversion narcissique, que les proies sentimentales de ces pervers sont des êtres faibles, amenés à douter de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font ? Ce que n’étaient certes pas forcément Victor Arlosoroff, Günther Quandt, son fils Helmuth, le jeune Ernst, Joseph Goebbels ou ceux, nombreux, que cette mante religieuse avait entrepris de lever afin de satisfaire ses plaisirs. Bien que l’on eût relevé du côté du nabot nazi un certain nombre de tentatives de suicide faisant de cet homme un être en permanence angoissé et, c’est indiscutable, un être émotif. Certaines de ses réactions le démontrent. En 1920, alors qu’il n’arrivait plus à régler ses dépenses universitaires, il avait laissé des écrits où il explique pour quelle raison il avait pris la décision de se suicider. Quelque temps plus tard, l’intéressé éprouvera du mal à « digérer » le fait d’avoir perdu l’un de ses grands amours : Anka. Il est démontré que contraint le 15 octobre 1938, de mettre un terme à sa liaison avec l’actrice Lída Baarová, il avait à nouveau eu l’intention d’attenter à son existence puisqu’il avait ingurgité en quantité des tranquillisants. Ernst Hanfstaengl dit Putzi, l’un des premiers soutiens d’Adolf Hitler, dira s’être aperçu, dès 1933, des complexes de Goebbels, plus liés à ses origines modestes qu’à l’ostéomyélite handicapant l’une de ses jambes. Un état sur lequel le propagandiste revenait fréquemment, avouant qu’il n’était pas fort, mais que la nature, juste, lui avait donné en compensation un cerveau que peu avaient. Est-il donc possible d’envisager que, sous ses apparences de monstre au regard hypnotique, aurait pu se trouver un homme rarement sûr de lui, ayant eu en permanence besoin près de lui d’un « Führer » comme Adolf Hitler ou d’une maîtresse perverse qui l’aurait dressé, comme Magda avait entrepris de le faire ? S’il est démontré que Joseph Goebbels ait pu être un homme ayant développé un certain profil narcissique, c’était aussi un maniaco-dépressif, alternant les périodes d’excitation à d’autres, de profonde dépression. Et non, pour ce qui le concerne, un pervers narcissique. Cette propension à se réfugier dans la dépression, le maniaco-dépressif Goebbels l’a eue dès ses premières liaisons et ses premières difficultés à trouver du travail. Alors qu’il était lié à une certaine Else Janke, le futur propagandiste du Reich se décrivait telle « une épave sur le sable, malade à en crever. Par désespoir. Les jours d’ivresse étaient derrière lui ! ». De l’avis d’un certain nombre de psychiatres, l’existence d’un maniaco-dépressif est constellée de séparations, de divorces et se conclut souvent par une situation d’isolement et de grande solitude. L’excitation rend également amoureux, par une grande facilité des contacts d’approche et une certaine vivacité au plan de la répartie, aidant le maniaco-dépressif à multiplier ses approches amoureuses. L’épisode maniaque peut en outre survenir après un événement déclenchant identifiable. Il est probable que les difficultés matérielles des années d’étudiant – nous venons de le voir – et ensuite une situation de harcèlement perverse supportée aux côtés de Magda aient pu déclencher chez Joseph Goebbels de telles phases maniaco-dépressives. Au vu des éléments connus, les engagements contractés lors des élections législatives de septembre 1930 auront favorisé une certaine excitation du libertin nazi et une recherche affective comblée au départ par cette Magda. L’approche de l’arrivée au pouvoir des nazis en janvier 1933 favorisera un contact recherché auprès de la réalisatrice Léni Riefenstahl. La préparation des Jeux Olympiques et leur tenue, qu’il aura à superviser à partir de juin 1936, l’incitera à se lancer à la conquête de la jeune Lída Baarová. Il était alors à deux doigts de succomber à Anny Ondra. Si les traits d’un maniaco-dépressif sont souvent confondus avec ceux d’un pervers narcissique, il existe cependant quelques différences d’après les spécialistes. Ainsi, les travers de Joseph Goebbels montrent-ils une analogie avec ceux de son épouse Magda (égocentrisme, manque d’empathie et besoin de tout contrôler), mais il n’en reste pas moins que ceux-ci restaient limités dans le temps, alors que chez elle, ces travers étaient permanents. Pour l’historien Guido Knopp, la mort des Goebbels sera sur la fin génératrice d’une mise en scène pathétique pour que la fidélité de ces deux nazis envers leur Führer reste, pour la postérité, celle d’une volonté allant jusqu’à ce sacrifice et l’assassinat de six innocents. Propagande oblige ! Le besoin de revêtir leurs enfants d’un blanc immaculé en attachant aux cheveux des cinq fillettes, de jolis rubans blancs, comme si on avait voulu en faire les symboles d’une innocence puérile montre aussi un véritable souci de construction. En mettant en scène ce dernier scénario et la disparition entière de la famille, Joseph Goebbels aura été jusqu’au bout soucieux de se grandir aux yeux d’une épouse perverse 79 narcissique qui attendait toujours davantage de lui. Si elle était décidée depuis déjà longtemps à sacrifier ses enfants à cette fin peu glorieuse des nazis, elle n’avait sans doute pas songé à une telle représentation qui l’exonérait d’un comportement plus que discutable aux yeux de l’histoire.

Faute de précisions biographiques sur Victor Arlosoroff et Günther Quandt, rien ne permet de ranger ces deux derniers dans une catégorie d’êtres faibles, surtout compte tenu des réussites qui sont les leurs dans leur domaine. Encore que la disparition de sa première épouse, Tonie, ait laissé Günther Quandt désemparé quelques mois, faisant de lui temporairement un mets de choix pour une perverse narcissique. Du moins au moment de leur rencontre dans ce train vers Goslar en basse-Saxe, qu’il donnera vite le sentiment de regretter, reprenant les cartes en main. Il en est de même du jeune Helmuth, le fils de Günther, avec lequel la jeune femme aurait vécu une courte et grande passion avant qu’il disparaisse, vaincu par une septicémie. Très attaché à une mère décédée trop tôt, et donc longtemps démoralisé, il verra en Magda une belle-mère idéale, recours à un mal être flagrant dont elle saura profiter habilement. Certes, leur liaison n’est pas démontrée ; du moins pour le moment. Elle serait due à des cancans relevés auprès du personnel des Quandt ! S’agissant d’Arlosoroff, si aucun élément n’a pu être pris en considération, c’est qu’aucune recherche n’a été entreprise dans cette optique sur l’intéressé.

Il est admis que les pervers narcissiques manquent d’empathie pour leurs victimes et que ce sont des êtres égocentriques, et Magda n’échappe pas au lot par l’étendue de ce qui la caractérise, puisqu’elle ramenait régulièrement tout à elle ! Ce défaut d’empathie de l’intéressée a souvent été reconnu par les nombreux historiens et chroniqueurs s’étant intéressés à elle. Ainsi Anja Klabunde, lorsqu’elle évoque la petite enfance de l’intéressée en Belgique, parle de la réserve à son égard observée par ses camarades. Elle précisera que la gamine qu’était Magda, avait eu du mal à nouer des relations amicales au couvent aux Ursulines de Vilvoorde. Ce sera à nouveau le cas à Goslar au sein de l’école Holzhausen où les pensionnaires étaient d’une origine sociale très huppée. L’ensemble des documents et ouvrages consultés semblent unanimes sur un point, celui que cette perverse ne se liait pas. Pas plus lorsqu’elle fréquentera les autres épouses et relations des grands dignitaires nazis comme Emmy Goering, Annelies von Ribbentrop, Henriette von Schirach, Eva Braun, Gerda Bormann, Inge Ley ou quelques autres. Dans son ouvrage, Anja Klabunde raconte comment, déçue par la qualité du service d’une employée, une certaine Gerda qui pourtant l’admirait, elle l’a mise à la porte, contraignant celle-ci à attenter à ses jours. Sans qu’elle change ensuite d’avis. Décevoir un pervers narcissique est, c’est vrai, toujours risqué ! Que dire du véritable père de Magda, Richard Friedländer, que sa fille laissera mourir à Buchenwald ? Sans oublier un Victor qu’elle « aurait » (conditionnel) livré aux nazis pour qu’il soit tué sur une plage de Tel-Aviv ? Une éventualité que Tobie Nathan a retenu dans son ouvrage consacré à Arlosoroff. Que dire de la fille de cette ancienne camarade de Holzhausen, enceinte, que Magda aura laissé déporter sans intervenir ? Que dire également du premier amour de son fils Harald, qu’une mère surtout désireuse de faire valoir son autorité, jugeait sans intérêt en 1939 ? Et, pire que tout, que dire de ces six autres enfants qu’elle tuera dans le bunker maudit de Berlin en mai 1945 ? Pour le biographe Toby Thacker, Magda Goebbels était un être froid, calculateur et… répugnant.

Parlant à la troisième personne lorsqu’elle avait à se présenter à quelqu’un, la Frau Doktor Reichsminister avait souvent recours à un ton condescendant ! Combien de relations difficiles ont-elles été évoquées face à Eva Braun au début de leur relation ou face à la journaliste juive Bella Fromm, ou face aux bénévoles qu’elle a eu à diriger au sein de l’antenne berlinoise du parti nazi de Berlin-Westend, avant de travailler directement pour Goebbels. Sans oublier la plupart de celles ayant eu à la servir et qu’elle rabrouait en permanence quand elle ne les fichait pas à la porte, mécontente de leurs prestations. A propos de la réception à laquelle elle avait été conviée à l’ambassade d’Italie à la fin de l’année 1934, sa réaction illustre là encore quel était son total mépris des autres. Après que son époux se fut décommandé, on attendit longtemps la Frau Doktor Reichsminister, avant d’apprendre qu’elle avait finalement choisi d’aller se coucher, sans prendre la peine, ni de se signaler, ni de s’excuser. Son attitude assez hautaine et son mépris à peine voilé trahissent une femme éternellement insatisfaite n’hésitant pas à se dresser contre les plus faibles. N’avait-elle pas été curieusement jusqu’à se plaindre 80 d’être laissée sur la touche par son dernier époux, alors qu’elle était désireuse de s’impliquer dans son travail. Un travail, rappelons-le, fait de chasse aux Juifs et de persécutions diverses ! Il serait évidemment intéressant de se demander si c’était afin de satisfaire davantage encore son épouse Magda, qu’il a cru devoir multiplier les initiatives et… les cruautés à l’égard de ceux qui subissaient de honteuses agressions nazies ? Parce qu’elle disposait d’un soutien et non des moindres en la personne d’Adolf Hitler, l’autre pervers narcissique de ce trio infernal ? Le propagandiste, voulait-il que son épouse et son Führer le considèrent mieux ?

D’autres traits de Magda pourraient l’inciter à la ranger dans cette catégorie que sont les tueurs pervers narcissiques. Indiscutablement le fait que l’intéressée ait eu recours à la flatterie afin de séduire ceux dont elle avait besoin. Aussi bien en vue de parties de jambes en l’air que pour obtenir des passe-droits. Avant qu’elle ne rejette ses victimes après coup voire ce qu’ils représentaient ou les idées qu’ils défendaient. Cela n’excluait pas d’avoir recours au mensonge afin de s’attacher des faveurs. Comme face au comte Ciano ou à la manipulation face à Léni Riefenstahl. Confrontée dès sa petite enfance au domaine du mensonge, elle aura su y trouver sa place. Sachant à ce propos quelle était l’admiration que portait la jeune réalisatrice à son Führer adoré, elle n’hésitera pas à lui révéler que c’était parce qu’elle était amoureuse de ce dernier qu’elle avait demandé le divorce à Günther Quandt en 1929. Juste histoire de préciser à Léni la tombeuse, que Monsieur Wolf, l’agité de Linz, c’était chasse gardée. Alors que ce dernier n’est entré dans l’existence de Magda qu’en 1931, au Kaiserhof ! A un moment où elle était libre depuis vingt mois de ses mouvements, et où elle avait emménagé dans l’appartement berlinois de la Reichkanzlerplatz 174 . Divorcée de Quandt, elle fréquentera en effet dès la fin de l’année 1929 le salon de l’aristocrate son Excellence Viktoria von Dirksen à Berlin, où ses talents de manipulatrice feront merveille, puisqu’ils lui ouvriront fin 1930 les portes du siège du parti nazi de la Hedemannstraße où il est tout à fait possible qu’elle ait « embobiné » Hans Meinshausen, l’adjoint de Goebbels, en vue de pouvoir accéder directement au secrétariat du propagandiste. Parce qu’elle avait envie d’avoir une aventure avec ce dernier. Il se confirme que le fait d’avoir su flatter la vanité de ceux qui l’entouraient avant, parfois, de se retourner contre eux, a indiscutablement favorisé son ascension dans le Berlin des années trente. Cette flatterie, Magda Goebbels y aura également recours face à son Führer adoré. Lorsqu’elle avait à obtenir une faveur particulière comme ce sera le cas en 1938 lors de la liaison de son époux Joseph et de l’actrice tchèque Lída Baarová. Dans un ouvrage 175 où sont apparus bien des caractéristiques de ce qu’était la perversion narcissique, le docteur Hirrigoyen met l’accent sur le fait que les pervers sont, de temps à autre, amenés à faire un chantage ouvert face à leurs victimes. Dans le bunker, pour que son dentiste Kunz l’aide à tuer ses enfants, elle n’hésitera pas à le menacer de le faire tuer après l’avoir dénoncé à son époux Joseph Goebbels si celui-ci persistait à refuser. Lorsqu’elle sera désireuse d’obtenir le divorce de Günther Quandt, elle n’hésitera pas à menacer celui-ci de publier ses lettres sentimentales s’il n’accédait pas à sa demande. Stratagème qui lui permettra d’obtenir in fine cet appartement face à la Chancellerie et une pension alimentaire non négligeable. Une tactique à laquelle elle essaiera de faire à nouveau appel en 1938, face à la concurrence de l’actrice tchèque Lida Baarová. Il n’est pas certain qu’elle ne soit pas intervenue aux côtés de son époux et de « Onkel Führer » pour intimider Günther Quandt lorsqu’il s’est agi, en 1934, de récupérer la garde de son premier fils Harald né en 1921, en dissuadant son premier mari d’entreprendre une action juridique. Et comment expliquer son emprisonnement pendant quatre mois à compter du mois de mai 1933 pour des prétendus problèmes fiscaux ? Curieux non ? Si Quandt ne l’avait pas craint, il se serait interposé pour éviter ce carnage dans le bunker !

Il est aujourd’hui établi que les victimes des pervers narcissiques ont du mal à quitter celui ou celle les faisant souffrir. S’il était démontré que Victor ait pu être tué sur ordre de Goebbels et de… Magda, ce serait dire qu’il aurait payé cher son choix de s’installer en Palestine sans elle, choisissant de s’en séparer. Il en sera de même de Joseph Goebbels, que cette dernière aimait à voir souffrir, sachant qu’il était d’un tempérament jaloux et ombrageux. Au cours des premières années de leur union, elle aura aimé le faire attendre,

174 La place de la Chancellerie. 175 Le harcèlement moral, violence perverse au quotidien, Syros, 1998. 81 prenant un indicible plaisir à lui dissimuler des pans entiers de ses occupations et parties fines auxquelles elle continuait de s’adonner, parallèlement à leur liaison. Ce sera le cas avec Ernst et Victor, puis Lüdecke, Hanke et probablement quelques autres. Malgré son profil caractériel et force cheptel féminin autour de lui, Goebbels le premier, éprouvera bien du mal en 1938 à quitter cette Magda. Il est probable que sa « tendre épouse », feignant de plaider pour un divorce susceptible de mettre un terme aux humiliations endurées, ait tout mis en œuvre ensuite pour que son « Onkel Führer » intervienne, proposant aux deux belligérants de se réconcilier. Parce qu’il était hors de question que son Joseph puisse vivre aux côtés de l’actrice tchèque Lída Baarová !

Après s’être longtemps jetée dans les bras d’un amant sioniste et s’être donnée à Ernst, l’étudiant juif, Magda ne voudra plus entendre parler des Juifs, auxquels elle reprochait de gêner son ascension au sein des nazis. Elle avait pourtant organisé un cocufiage en règle, en 1929, afin de pouvoir quitter Quandt et discréditer l’image de l’industriel. Puis, en 1938, elle se dressera sur ses ergots se plaignant d’être, elle, trompée par Joseph Goebbels alors qu’elle s’affichait parallèlement en compagnie de Lüdecke, de Hanke et consorts. Il n’est pas certain à ce propos que le comte Ciano n’ait pas eu droit en Italie, lors d’un voyage mémorable ou durant une autre entrevue, à un cadeau ou une compensation affective offerte au passage par l’ escort-girl que savait être la Frau Doktor Reichsminister Goebbels. S’il est établi que le journal intime de Magda ait pu contenir des informations sur le futur Président Hoover susceptible d’expliquer ce qu’elle aurait vécu aux côtés d’un prétendu neveu, on ne comprend pas pourquoi ces commentaires ont été effacés par l’intéressée ! A moins qu’il n’y ait pas eu de neveu et que… L’attirance que ressentait celle-ci aussi bien pour Victor, que pour Günther Quandt ou Joseph Goebbels n’excluait pas la haine. A l’encontre de Victor parce qu’Arlosoroff était un Juif, à l’encontre de Quandt parce qu’outre maints défauts, il ne s’occupait pas suffisamment d’elle, et à l’encontre de Joseph Goebbels parce qu’elle avait le sentiment d’être « éteinte » par un homme qui, s’il était faible à certains égards, n’en n’était pas moins un être caractériel peu disposé à subir une seule attaque sans réagir vivement. Du moins quand il n’était pas confronté aux affres de la dépression. Et puis, n’était-ce pas doublement valorisant pour « la perverse Magda » de prendre le dessus sur un Joseph Goebbels maniaco- dépressif ! Cette haine sera génératrice d’une mise en doute des qualités et des compétences de ces derniers, alors qu’elle les avait encensées au départ ! D’autres critiques atteindront même son « Onkel Führer » puisqu’elle révélera au comte Ciano, le gendre de Mussolini, au moment de l’entrée en guerre des troupes allemandes que les soirées en compagnie d’Hitler étaient ennuyeuses, se plaignant de leur monotonie. Parce que c’était toujours lui qui parlait, répétant les mêmes choses. Il s’y ajoute les nombreuses critiques émises sur le dictateur devant sa belle-sœur Ello. Assurément, Magda Goebbels savait se plaindre, sachant se placer en victime pour qu’on la console. Le secrétaire d’Etat Karl Hanke fera longtemps partie de ses consolateurs avant d’être ensuite victime de sanctions. Cela vaudra du reste à ce dernier de perdre son secrétariat d’Etat et de devoir prendre au début des années quarante de nouvelles fonctions à Breslau, en Silésie.

C’est démontré, un pervers narcissique produit également un sentiment de malaise ou de non-liberté autour de lui. Le regard sans vie de Magda Goebbels en a du reste interpellé beaucoup. Un regard éteint semblable à ceux de quelques autres pervers nazis, parmi lesquels l’adjoint d’Himmler, l’antisémite Reinhard Heydrich assassiné en 1942 en Tchécoslovaquie. François-Poncet, l’ambassadeur de France en Allemagne jusqu’en 1938, reconnaîtra n’avoir jamais vu une femme avec une telle froideur dans le regard ! Cette femme au regard presque méprisant, « la dure et maussade Magda » dépeinte ainsi par la journaliste Bella Fromm, était incapable, selon Anja Klabunde, de créer une ambiance chaleureuse, ressemblant plus à un récipient vide absorbant l’ambiance régnante en la reflétant le mieux possible. Comme face à un miroir. Bella Fromm, n’a-t-elle pas écrit dans l’un de ses articles que l’intéressée « rayonnait d’une détermination glaciale ! » Dans le cadre de l’un de ses romans 176 , Jane Thynne, faisant référence à la Frau Reichsminister Goebbels, fera dire d’elle au terme de maintes recherches opérées sur le sujet, que c’était une femme qu’on avait le sentiment de ne jamais connaître, et quelqu’un avec lequel

176 Les roses noires publié en France chez J-Cl. Lattes. 82 on ne sympathisait pas facilement. Probablement à cause de cette froideur et du fait que lorsqu’elle rentrait dans une pièce, il n’était pas utile de mettre un glaçon dans son verre ! Son lien avec ce Führer que l’on présente également sous les traits d’un pervers narcissique, justifie nombre de choses ! Notamment sa relation avec une Magda qui lui ressemblait sur nombre de points. Ils n’auraient pu cependant vivre ensemble à cause de cette similitude comportementale. Quand deux pervers parviennent à le faire, c’est toujours, selon les spécialistes, le pervers narcissique le plus fort qui l’emporte sur l’autre. Il arrivait d’ailleurs comme à la fin de l’année 1935 qu’Adolf Hitler punisse la Frau Goebbels, notamment après les « méchantes critiques » formulées 177 à l’égard de sa maîtresse en titre, Eva. Malgré leur complicité, force est de reconnaître que les deux pervers étaient aussi bons comédiens l’un que l’autre. D’un avis régulièrement identique, un premier vrai désaccord interviendra cependant entre eux deux en 1942, au moment de l’adoption de « la solution finale ». Certes, on pourrait dire que Magda ne souffrait, ni de délire, ni de paranoïa. Tout en se demandant si le fait d’avoir appuyé l’idée du complot juif d’« Onkel Führer » et de son époux Joseph n’est pas à rattacher à de la paranoïa. Et la seule attitude de l’intéressée, plusieurs semaines avant l’assassinat des enfants, montre qu’on était déjà en construction délirante. Ce que confirme sa lettre à son fils aîné Harald Quandt évoquant son refus de recourir pour les six petits à une solution autre que la mort. En supprimant ses six enfants et ces « six H » censés représenter une dévotion à un homme auquel elle reprochera le 30 avril de vouloir en terminer, n’était-ce pas également une volonté de mettre un terme à cette même dévotion ? Et de mettre aussi définitivement un terme à leur union mystique contractée dès l’année 1931 et leur premier échange du Kaiserhof, celui-ci l’ayant déçue comme d’autres en renonçant le 30 avril 1945 à s’enfuir et à se battre contre les éléments ? D’autant que cette déception n’était pas la première susceptible de nourrir un tel acte. En effet, lors de son conflit conjugal, celui qui avait longtemps représenté pour elle l’exemple même ne s’était pas montré aussi chevaleresque à son égard qu’elle l’aurait souhaité, l’affaire l’ayant vu émettre un commentaire peu avenant à l’égard de cet époux mystique. Notamment quand elle avait regretté devant sa belle-sœur que l’homme qui n’avait été jadis qu’un simple caporal, le soit resté, et qu’il ne serait jamais plus !

Cette femme assoiffée par l’envie de paraître et de pouvoir qui aura été durant vingt-quatre heures 178 « la Première Dame du Troisième Reich », si l’on choisit de passer sous silence le rôle effacé de l’épouse de l’amiral Doenitz et la disgrâce des Goering, est un être semblant avoir traversé deux périodes durant son existence. L’une passée, enfant, à chercher un socle suffisamment fort lui permettant de rayonner puis, en toile de fond, ses retrouvailles et multiples séparations d’avec Victor Arlosoroff, l’être et l’amant magique qu’elle s’en voudra d’avoir « aimé » au point de se jeter sur lui afin de se repaître de ce qu’il était. Sans doute pour se donner l’illusion d’exister, pouvoir survivre et, qui sait, en allant jusqu’à participer à sa mise à mort, une thèse que n’écarte pas nombre d’observateurs, Tobie Nathan le premier, lorsqu’ils évoquent cet assassinat sur une plage de Tel-Aviv en 1933. La seconde, passée à supporter la disparition de ce socle, tout en essayant de compenser le manque ressenti et de devenir cette mère idéale, une autre façon de rayonner aux yeux du monde. Mais, sa vie durant, elle aura manqué de cohérence. Encore que la cohérence ne fasse pas partie du caractère d’une perverse narcissique. Le biographe Peter Longerich se demandait récemment si les humains pouvaient être plus pervers que les bêtes, en admettant que celles-ci le soient toutes ? Au vu de ce qui a pu être établi ici, il semble bien que oui. Hélas ! L’auteur

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177 Les faits remonteraient à l’année 1935. 178 Son époux Joseph Goebbels ayant été désigné par Adolf Hitler, et à la mort de ce dernier, comme son successeur à la tête de l’Allemagne aux côtés de l’Amiral Doenitz. 83 La violence perverse au quotidien, Marie-France HIRIGOYEN, 1998, Syros Les complices d’Hitler, Guido KNOPP, 1999, éditions Jacques Grancher Les derniers jours d’Hitler, Joachim FEST, 2003, éditions Perrin Les femmes du Troisième Reich, Anna-Maria SINGMUND, 2005, J-C Lattes Les tentatrices du diable, François DELPLA, 2005, L’Archipel Dans le bunker d’Hitler, Berndt FREYTAG VON LORINGHOVEN, 2006, éditions Perrin Magda Goebbels, Anja KLABUNDE, 2006, Taillandier (V.F) La vie mondaine sous le nazisme, Fabrice d’ALMEIDA, 2008, éditions Perrin Joseph Goebbels, vie et mort, Toby THACKER, 2009, Palgrave et McMillan Berlin 36, Alexandre NAJJAR, 2009, Plon Qui a tué Arlozoroff ?, Tobie NATHAN, 2010, Grasset Les femmes du dictateur, tomes 1 et 2, Diane DUCRET, 2010 et 2012, Aguilar (V.F) Le journal d’Eva Braun, Alain REGUS, 2012, éditions du Pierregord Les secrets du III ème Reich, François KERSAUDY, 2013, éditions Perrin Goebbels (Biographie), Peter LONGERICH, 2013, éditions Héloïse d’Ormesson (V.F) Eros en chemise brune. Tome 2 Hitler prédateur, Michel ANGEBERT, 2014, Camion noir Les femmes d’Hitler, Guido KNOPP, 2014, éditions Payot et rivages Dans les yeux d’Helga, Emma CRAIGIE, 2015, J’ai lu Les roses noires, Jane THYNNE, 2015, J-C Lattes Meurtre sur une plage, Léonid GUIRCHOVITCH, 2015, éditions Verdier (V.F) Hitler et les femmes, François DELPLA, 2016, Nouveau Monde éditions Le secret d’Eva Braun, journal 1929-1945, Nicolas de PAPE, Edilivre

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