BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 1

Page 1 - Sommaire

Page 2 - Editorial

Page 3 - Carnet d’adresses

Pages 4 à 9 - Bilan de la C.A.F.A.M. organisée par la SMHV en 2006.

Pages 10 à 16 - Les Champignons à Madagascar - Reportage de Patrick LAURENT

Pages 17 à 20 - Etude de l’évolution des caractères macroscopiques d’un Gymnopile méditer- ranéen : suberis.- HAIMED M., El-ASSFOURI A., OUAZZANI-TOUHAMI A., DOUIRA A. & LAURENT P.

Pages 21 à 25 - Etude d’un champignon médicinal : Ganoderma lucidum - HAIMED Mohamed, OUAZZANI-TOUHAMI Amina et DOUIRA Allal

Pages 26 à 33 - Etude de Omphalotus olearius (De Candolle : Fr.) Gillet, Basidiomycète ligni- cole des forêts du Nord Ouest du Maroc. Ali OUTCOUMIT Amina OUAZZANI TOUHAMI, Patrick LAURENT & Allal DOUIRA

Pages 34 à 37 - Contribution à l’étude de la fonge des collines calcaires haut-rhinoises - Daniel DOLL.

Pages 38 à 46 - La fonge de la tourbière du Frankenthal - Daniel DOLL

Directeur de publication : LAURENT Patrick Imprimé et édité par la S.M.H.V. à WISEMBACH 88520 - 26-28, route du Repas. Identifiant SIREN 445 397 060 © 2006 - SMHV - Tous droits réservés

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Pour son dixième anniversaire, la S.M.H.V. organisait du 12 au 14 mai 2006, dans la Loire, à Saint Jean la Vêtre, la Conférence des Associations et Fédérations Mycologiques (C.A.F.A.M.) dont vous trouverez le compte-rendu dans les pages de ce bulletins. L’année 2005 fut une année d’étude mycologique dans des contrées lointaines. Un second voyage d’études mycologiques a été réalisé courant mars sur l’île de Madagascar. Les inventaires ont été poursuivis sur les aulnaies et tourbières remar- quables des hautes-Vosges. Le programme devrait être clôturé cette année et le document d’analyse rendu au conseil général au début 2007. Nous nous apprêtons à recevoir nos amis marocains de l’université de Kénitra au Maroc, en septembre. Afin de leur rendre hommage, nous avons ac- cepté de publier trois de leurs articles dans notre bulletin annuel. Mes disponibilités du moment, qui j’espère ne seront que passagères, m’obligent à orienter la S.M.H.V. vers des missions scientifiques et environne- mentales, et moins sur la vulgarisation. Un long travail de description des espèces exotiques tropicales est en cours, avec à l’appui des photographies et exsiccata. Cette année qui s’annonce très pluvieuse dans l’Est de la France, sera certainement un gage pour une bon cru mycologique à l’automne.

Patrick Laurent. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 3 S.M.H.V. Siège à LA BOURGONCE 88470 NOUVEAU Adresse postale 26-28 route du Repas 88520 WISEMBACH Tel/Fax : 03.29.57.39.13. * SITE INTERNET EN Adresse E-mail : [email protected] PREPARATION http://perso.cegetel.net/laurent/mycosmhv http:/perso.cegetel.net/laurent/ http://perso.wanadoo.fr/laurent/mycosmhv mycosmhv Composition du Bureau : Président : Patrick LAURENT 26-28 Route du Repas Carnet d’adresses 88520 WISEMBACH - Tel/Fax : 03.29.57.39.13 - 06.88.98.79.81. Adresse E-mail : [email protected] Secrétaire : LAURENT Catherine, 26 route du Repas S.M.H.V. 88520 WISEMBACH - Tel. : 03.29.57.39.13. Port. : 06.25.29.06.72 Trésorier : Roland SZEKELY, 25 route de Sadey - 88520 LA CROIX AUX MINES Tel. : 03.29.57.72.29.- [email protected] Assesseur : VALENCE Bernard 21 rue d’Algésiras - 88100 St-DIE Tel. : 03.29.55.01.10 - [email protected] Responsable Site Internert : Philippe BINEAU - philippe. [email protected] VARNIER Gilles Liste des membres : 16 rue Jean Barnier - 51200 EPERNAY - BAUMGART Patrice [email protected] 9, chemin des Echalandes—88160 LE THILLOT [email protected] VOIRY Hubert 7, boulevard Jamagne—88400 GERARDMER CHARPENTIER Claude & Rosa 03.29.63.40.44 27, place Clémenceau - 88210 SENONES [email protected] 03.29.57.60.38. WEIDMANN André EHRHARD Marcel 12, rue Jean Bonnaire—88100 SAINT DIE 5 1ère impasse rue de la Madeleine 03.29.50.24.41 88100 ST-DIE [email protected] 03.29.56.38.73.

Adresses utiles ENCLOS Lucien 16 rue des Pommiers - 67130 LA BROQUE Nos partenaires en 2005 : [email protected]

LAURENT Patrick - Président Conseil Général des Vosges 26 Route du Repas «Chalet Wisemrêve» 88520 WISEMBACH 03.29.57.39.13. 06.88.98.79.81. Conservatoire des sites lorrains (CSL) [email protected] Conservatoire des sites alsaciens (CSA) LAURENT Catherine - Secrétaire même adresse. Parc Naturel Régional des Ballons des Vos- ges (PNRBV) MERVELET Henri 8 Rue des Déportés Appt. 73 Résidence “Les Saules” 88580 SAULCY SUR MEURTHE Notre bulletin est adressé à la S.M.F. à Paris, ainsi qu’aux 03.29.51.90.13. sociétés mycologiques suivantes : SO.MY.LA. à Mont de Marsan MICHEL Marc Soc. Myc. du Territoire de Belfort 12 route de Saulcy - 88100 SAINT DIE Soc. Myc. du Haut-Rhin 03.29.55.21.16. Soc. Myc. de Strasbourg Soc. Hist. Nat. du Pays de Montbéliard PASQUET Michèle 10 rue du haut d’Anould - Soc. Myc. du Pays de Montbéliard 88100 SAINT DIE—03.29.56.31.62 Soc. Myc. & Bot. de la région Chambérienne [email protected] Soc. Myc. de l’Ouest de la France Soc. Myc. du Nord de la France PERNIN Claude Soc. Lorraine de Mycologie NANCY 220 Rue de la Chauciotte - Soc. Myc. Rémoise 88470 LA BOURGONCE 03.29.58.31.98. Soc. Myc. Le Locle (Suisse) PIERREL Pierre Fédération Mycologique de l’Est 11 La Rue - 88100 TAINTRUX Université de Kénitra (Maroc) 03.29.50.95.28.

SZEKELY Roland - Trésorier 25 route de Sadey - 88520 LA CROIX AUX MINES 03.29.57.72.29. [email protected] SZEKELY Anne-Marie - Réviseur aux comptes 6 Rue de la Citadelle - 94230 CACHAN

VALENCE Bernard - Assesseur 21 Rue d’Algésiras - 88100 SAINT-DIE 03.29.55.01.10. [email protected] BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 4 C.A.F.A.M.

Conférence Annuelle des Fédérations et Associations Mycologiques organisée par la S.M.H.V. à Saint Jean-la-Vêtre, les 12,13 et 14 mai 2006

Du vendredi 12 mai au dimanche 14 mai 2006 s’est tenue à Saint Jean La Vêtre ( Loire) dans le massif du Forez, la Confé- rence Annuelle des Fédérations et Associations Mycologiques. Le but de ces journées est de se retrouver entre mycologues fran- çais qui représentent les fédérations et les associations mycologi- ques, et de traiter ensemble les questions à l’ordre du jour. L’organisation matérielle a été prise en charge par la SMHV re- présentée par Patrick Laurent et son épouse qui s’acquittèrent de cette lourde tâche de façon parfaite et appréciée de tous les par- ticipants. Patrick Laurent dans son mot de bienvenue rappelle que la SMHV fête ses 10 années d’existence et invite tous les participants à faire en sorte que ces journées se déroulent dans un climat de convivialité et qu’après les propos parfois virulents et tendus échangés entre représentants des Fédérations et de la SMF ces derniers mois sur le forum de la coordination nationale, on reparte sur des bases plus sereines et constructives. Après présentation de tous les participants, et approbation de l’ordre du jour, la Conférence est ouverte.

Rangée du haut de gauche à droite Jean-Pierre Augst (SMS-FME) - René Pacaud ( SMLR) - Alain Favre (FMBDS)- Jean Louis Raffaghello(FAMM)–Philippe Saviuc (FMBDS) - Patrick Laurent (SMHV) - Jacques Melot (SMF) - René Chalange (SMF) - Nicolas Van Vooren (FMBDS)- Pierre- Arthur Moreau (Obs. Myco.) – Jean Rovéa (JEC) - Georges Fannechère (SML). Rangée du bas de gauche à droite Robert Cazenave - Jean Claude Maire (FAMM) - Elsa Mazet (FMBDS) – Henri Noguère - Espérance Bidaud (Présidente de la FMBDS) - Yvette Bellanger (SMB) – Gilles Mabon (CAMO) - Daniel Lacombe (SMP) - Régis Courtecuisse (Président de la SMF) BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 5

Vendredi 13 mai après-midi

Calendrier des manifestations 2006-2007 et autres (élaboration en commun)

2006 : 18-23 septembre journées de Saint-Agrève 2006 : FMBDS du 21 septembre au 24 à ST JEAN DE SIXT 2006 : Chaise Dieu groupe Sigolénois du 21 au 24 septembre 2006 : SMF Belgique HERBEUMONT du 24 au 30 Septembre 2006 : JEC (Journées Européennes du cortinaire) Jean ROVEA 8 au 13 octobre Allemagne (HOMBURG) 2006 : BELLEME du 5 au 8 octobre 2006 : SMS à STORCKENSOHN (Haut Rhin) du 9 au 14 octobre 2006 : LOZERE du 11 au 15 octobre JOURNEES MYCOLOGIQUES DE MENDE 2006 : FAMM du 29 octobre au 4 novembre 2006 : CEMM au Portugal du 5 au 11 novembre ………………………………………………. 2007 : JEC du 9 au 15 septembre SUEDE (Mora) 2007 : FMBDS FAMM du 18 au 23 septembre a Lamoura (JURA) 2007 : BELLEME du 28 septembre au 1er octobre 2007 : PERIGORD ST GENIES du 27 au 29 octobre 2007 : POITOU du 29 octobre au 3 novembre ………………………………………………. 2008 : JEC St Claude – Jura (à confirmer) 2008 : FAMM CEMM FONT ROMEU 1ère semaine d’octobre

Interventions de la Société Mycologique du Périgord auprès des scolaires

Daniel Lacombe ( SMP) présente « Comment faire découvrir le monde mystérieux des champignons aux enfants ? ». C’est une tradition à la Société Mycologique du Périgord de s’intéresser aux enfants. En effet, Pierre Aignan, secrétaire de 1968 à 1986 est l’auteur des « Mycomecs », bande dessinée qui peut s’adresser aux enfants notamment. Depuis 2 ans un certain nombre d’actions auprès des scolaires ont été entreprises avec pour objectifs : - d’initier les enfants au monde mystérieux des champignons - leur parler des dangers, des risques de confusion - leur faire utiliser un certain vocabulaire - leur parler de protection des champignons • Visites d’expositions de champignons laissées en place pour les scolaires le lundi avec des tours de table et des explications. • Sorties suivies d’explications en classe (classement des espèces, initiation au vocabulaire, réalisé avec classes de CM2, CP et grande section maternelle et des enfants de centre aéré. • Journées d’étude des champignons dans une école des sciences • Diaporamas sur les champignons Selon Régis Courtecuisse il paraît intéressant de savoir quel impact a sur les parents ce type d’action. Dans les villes on rencontre généralement moins d’intérêt de la part des enseignants que dans les campagnes. Mais ce qui est primordial est l’implication de l’enseignant dans la préparation de l’activité de sensibilisation au monde des champignons.

Les nouveautés taxinomiques et nomenclatures pour la fonge française

Régis Courtecuisse (SMF) présente les nouveautés ou modifications issues du dépouillement des publications pour l’année 2005. Les détails seront donnés dans le compte rendu complet de la CAFAM 2006.

Inventaire national

R. Courtecuisse (SMF), après un rappel historique, fait le point sur l’état des lieux, la diffusion et l’utilisation des don- nées. Le référentiel national comporte environ 14 000 fiches (sur un potentiel estimé à 30 000) regroupées dans 45 fichiers Word (42Mo en volume). Cela représente environ 15 000 heures de travail. Selon Régis le taux d’erreurs dans les données fournies peut être évalué à 25%. En terme de référentiel on est encore très loin d’un consensus au niveau européen.

Inventaires - Prestations - Frais engagés par les membres

Patrick LAURENT (SMHV) attire l’attention des participants sur le fait que lors des inventaires, les bénévoles que nous BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 6

sommes, avons à faire à des interlocuteurs tels que des cabinets d’expertises agissant moyennant forte rétribution pour le compte d’organismes publics tels l’ONF, ministère de l’environnement etc.) ces données une fois transmises ne nous appartiennent plus et peuvent être utilisées sans que l’on soit rétribué en retour. Régis souligne que c’est une erreur traditionnelle de la part des associations mycologiques que d’offrir un service gratuitement, en particulier pour les inventaires demandés par les institutions. Il ne faut plus le faire sans contre par- tie et il convient donc d’appliquer une tarification. Un accord cadre national entre la SMF et L’ONF est à la signature et les associations sollicitées par les ONF en ré- gions pourront s’y référer pour négocier les contributions financières lors de réalisation de prestations d’inventaire. • Dans le même ordre d’idée, J.P. Augst souhaite que suite aux demandes de plus en plus nombreuses de presta- tions (sorties guidées, identification pour exposition conférences etc., émanant d’organismes ou d’associations, soit mise en place une tarification de base cohérente au niveau national afin de réduire les disparités que l’on pourrait constater. • En ce qui concerne les frais engagés par des membres effectuant des prestations pour le compte de leur associa- tion, il existe une procédure fiscale « d’abandon de facture » assimilable à un don et qui permet de déduire les frais engagés à hauteur de 66% lors de la déclaration fiscale annuelle 2006. Cette déduction s’applique également aux cotisations dans certaines conditions. Les services fiscaux « s’intéressant » de plus en plus aux comptes des associations ces dernières doivent prévoir dans leur budget prévisionnel de l’année N-1, les frais de déplacement pouvant donner lieu à abandon de facture pour l’année N. Bien entendu cela peut accroître la charge de nos trésoriers. Régis rappelle que l’argent perçu en particulier celui des inventaires est destiné aux sociétés et non aux intervenants. L’indemnisation de ces derniers se fait au niveau de l’association. En tout état de cause il faut que les conditions d’indemnisations des acteurs soient clairement définies.

Journée Nationale du Champignon octobre 2007

Sur proposition d’Elsa Mazet ( FMBDS) la journée nationale du champignon se tiendra le 1er week-end d’octobre 2007. Elle pilotera un groupe de travail chargé de proposer une plaquette nationale dont les modalités de diffusion seront à préciser. Objectif : faire connaître les Sociétés mycologiques et leurs activités et actions et sensibiliser le public sur les ques- tions de réglementation. Contenu : y insérer une charte du cueilleur, et rappeler quelques règles de bienséance. Par ailleurs, chaque association disposerait d’un cadre libre pour y annoter ses coordonnées et pourrait y joindre un feuillet y rajoutant des informations locales Diffusion : expositions, sorties, filières commerciales, etc.… Moyens : Plan de communication national (institutions, presse écrite, radios, télévision) à mettre en œuvre et à dé- cliner au niveau régional. Manifestations à prévoir (expositions, sorties, conférences…) Jean Pierre Chevrolet m’a chargé de faire savoir qu’il participerait à ce groupe de travail.

Samedi 14 mai

Point sur un projet de confédération nationale.

Après les échanges tumultueux et parfois très violents sur le forum envers certaines personnes (notre Président Jean Pierre Chevrolet en a été une des victimes…) au sujet de la création éventuelle d'une confédération, les esprits se sont fort heureusement calmés et l'ambiance est redevenue sereine. Sans entrer dans les détails qui seront donnés dans le CR final, la mise en place d'une confédération ne semble plus être à l'ordre du jour et les représentants de la SMF présents on fait preuve d'ouverture en proposant l’élargisse- ment du Conseil d’administration de la SMF à 2 représentants des fédérations: - Jean Claude Maire (également membre de la SMS) représentera la FAMM à la demande de son Président. - Espérance Bidaud Présidente de la FMBDS intégrera le CA de la SMF pour l'instant à titre personnel en attendant d'être mandatée officiellement par son conseil d’administration. Régis s’engage à ce que ça change mais il faut procéder par étapes en tenant compte des personnalités et faire pro- gressivement changer les choses

Pour Régis Courtecuisse nous poursuivons tous le même but visant à une représentativité forte de la mycologie fran- çaise. En fait la discussion actuelle tourne autour des moyens imaginés pour atteindre ce but. Pour la SMF la percep- tion des pouvoirs publics est celle du travail collectif effectué depuis des années par les mycologues. René Chalange secrétaire de la SMF reconnaît un problème de communication interne : si tout avait été dit claire- ment on aurait évité certaines polémiques. la SMF a essayé d’éclaircir les choses, la plupart ont Internet mais ceux BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 7

qui ne l’ont pas sont frustrés du manque d’informations. J-C Maire fait remarquer que la communication devrait être une des tâches des membres du CA Robert Cazenave signale q’au niveau communication beaucoup d’associations ne sont pas présentes à la CAFAM. Il faut donc trouver un moyen de faire redescendre les infos. La lettre de la SMF est une opportunité. Le Président de la SMF s’engage à diffuser la prochaine lettre non seulement à tous les membres de la SMF mais également à toutes les associations mycologiques qui ne sont pas membre de la SMF. Depuis que nous nous réunissons il y a des actions positives, même si quelques conflits ont eu lieu, nous avancerons ensemble pour les projets en cours et les projets futurs. Les actions suivantes peuvent être mises à l’actif de la CA- FAM :

- création du forum - règlement du ramassage des champignons (arrêtés etc.) - réseau mycotoxicologie - présentation du comité des noms de champignons français - liste des nouveautés taxinomiques - projet aulnaies exposé régulièrement à la CAFAM - harmonisation des dates des principales manifestations - relais informations RENECOFOR - table ronde discussion projets en cours - qualité de commercialisation de champignons vendus - mise en commun de nos expériences - projet d’organisation de la journée nationale du champignon - réalisation du réseau mycoltoxicoogique - se connaître et échanger - lieu de relations humaines privilégiées et ouvertes à toutes discussions

Le fonctionnement du forum de la coordination nationale sera mieux régulé par son modérateur Jacques Melot. Un coordonnateur de la discussion sera désigné pour chaque thème abordé.

Projet MYCOGLOB

Nicolas Van Vooren (FMBDS) rappelle l’historique de Mycoglob (voir CR 2005) qui est « un projet ambitieux ayant pour objet la mise à disposition auprès de la communauté mycologique d’une base de données intégrant toutes les informations possibles (taxinomie, nomenclature, bibliographie, informatique, herbier, illustrations, etc.…) sur tous les champignons recensés sur Terre. Sa vocation est de donc de pouvoir réunir en un point un maximum de données mycologiques, données qui sont aujourd’hui réparties dans différentes sources : livres, périodiques, bases de don- nées privées ou publiques, etc. » Régis relève que depuis le début de l’idée il n’y a pas eu de progression. L’approche professionnelle de Nicolas est intéressante mais avec un écueil, acceptons-nous la réalisation de ce projet dont les enjeux financiers sont très im- portants ? Il est convenu de solliciter des aides pour rentrer des données sous un format à définir en respectant un protocole. En ce qui concerne le financement il faut monter un dossier collectif s’appuyant sur le document du CR CAFAM 2005. La Conférence mandate la SMF pour s’occuper de ce dossier. Réponse après le CA de la SMF du l7 juin.

Les noms français des champignons

Jean Rovéa (JEC) coordonnateur, présente le Comité des Noms Français créé en 1999 qui est composé de 10 per- sonnes. On avance lentement mais sûrement. Les liste de noms relatives aux Amanites, Agarics, Bolets, Chanterelles, Clitocybe, Collybies, Coprins, Lactaires, Polypores peut être consultées sur le site de la SMF: http://www.mycofrance. org rubrique « Comité des noms français » La CAFAM mandate le CNF pour proposer l’édition sous l’égide de la CAFAM d’une première liste avec double entrée français latin. Espérance Bidaud propose que la FMBDS se charge de l’impression pour une diffusion en automne. Ce projet sera cité dans la prochaine lettre de la SMF à destination de toutes les associations mycologiques. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 8

Liste rouge nationale et contrats d’inventaires

Régis COURTECUISSE effectue un rappel sur les listes rouges Une liste rouge est un document visant à présenter les espèces vivantes dont l’existence ou la survie sont compromi- ses par les activités humaines ou par toute autre menace Les listes rouges n’ont pas de valeur réglementaire. La liste rouge nationale des espèces menacées en France est en cours d’élaboration et s’appuie sur les listes rouges régionales existantes. Utilisation des listes rouges dans les contrats d’inventaires locaux Travaux commandés : Corse herbier mycologique et mise en place d’une base de données des champignons corses et constitution archives. Devis de 4000 euros (déplacements, recherche des données et rémunération étudiants qui rentrent les données) Au niveau européen une liste de 50 espèces donne lieu à l’établissement d’une cartographie. Régis utilise les infor- mations relatives à leur répartition présentes dans l’inventaire national. Il complète certaines informations avec les présents à la CAFAM. Pierre Arthur Moreau présente la méthode utilisée dans sa thèse et permettant lors d’inventaires à partir des courbes « espèces présentes/temps » d’estimer par extrapolation le nombre d’espèces théoriquement recensables sur un site donné. Il constate que sur de nombreux inventaires le nombre d’espèces nouvelles trouvées se stabilise à partir de 5 visites. La période d’inventaire conseillée est de 3 ans.

Exemple d’activité, d’une association mycologique

Par Patrick LAURENT (SMHV) présente le déroulement de la démarche et les documents à réaliser dans le cadre des inventaires sur des aulnaies et tourbières remarquables des Vosges. 6 sites remarquables, privés ou communaux sont subventionnés par le Conseil Général des Vosges auxquels il convient d’ajouter des sites non subventionnés • Tourbière du Lispach à La Bresse • Chaume primaire du Tanet-Gazon du Faing (RN - RI) • Tourbière du Machais (RI) • Tourbière du Frankenthal et Missheimle (RN) • Tourbière du Forlet • Tourbière du Beillard • Cas particulier de l’aulnaie du Ried d’Ohnenheim-Elsenheim (Commune Illhaeusern)

Accès aux massifs forestiers :

Espérance BIDAUD lit un texte issu de la revue 60 millions de consommateurs de mars 2006 : « LES CHASSEURS CHASSENT LES NON CHASSEURS » Par arrêté préfectoral du 12 Septembre 2005, l’accès aux forêts publiques de Senonches et Montécot (Eure-et-Loir) a été « réglementé » pour la majorité des citoyens, mais pas pour les chasseurs. L’accès aux massifs forestiers publics est interdit les lundis, vendredis et samedis depuis le mois de septembre jusqu’au 31 mars. Seuls les chasseurs ont le droit d’accès aux forêts publiques pendant cette période. Sous prétexte de sécurité les ramasseurs de champignons, les promeneurs, les cyclistes, les cavaliers… sont privés d’un droit naturel, celui de l’accès au domaine public. La sé- curité pour le préfet, c’est d’éloigner non pas les porteurs d’armes, mais les victimes potentielles. Quant à l’Office Na- tional des forêts (ONF), il a cédé au lobby de la chasse, qui a exigé l’exclusivité de l’accès à la forêt en contrepartie des droits payés. La situation est identique dans l’Orne ou dans l’Eure. Le mouvement s’étend discrètement, et l’éga- lité des droits au domaine public se restreint, d’autant qu’il n’y a quasiment pas de réaction face à cette iniquité. Signé Albert Hude/ 28 la Puisaye » C Maire signale que tous les textes relatifs au libre accès aux espaces boisés ou non ont été listés et discutés dans l'ouvrage : Le droit de la randonnée pédestre de Patrick Le Louarn édité avec le soutien de la Fédération de randon- née pédestre et de Gaz de France par les Editions Victoire, 38 Rue Croix-des-petits-champs, 75001 Paris. En vue de voir comment l’on peut réagir, Régis COURTECUISSE indique qu’il va solliciter un conseil auprès du juriste spécialisé en Droit et Environnement de l’Université Lille 2.

Observatoire Mycologique ( hors CAFAM)

Assemblée générale de l'observatoire mycologique rapport moral et financier. L’ordre du jour : Le point sur le programme RENECOFOR et renouvellement du bureau. Pierre-Arthur MOREAU, président démissionnaire est remplacé par Gilles MABON. Composition du CA : Régis COURTECUISSE, Olivier DAILLANT, Patrick LAURENT, Pierre-Arthur MOREAU et Gilles MA- BON.

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Dimanche 15 mai

Liste nationale des champignons commercialisables - réunions avec la DGCCRF

René CHALANGE secrétaire de la SMF retrace l’historique des 3 réunions ( 28/11-23-1-27-3) auxquelles a participé Mme Muckensturm DGCCRF, Mme Tenailleau pour la Santé et pour la mycologie MM. Chalange, Fombeur , Saviuc et Laurent. La contribution des mycologues a été demandée afin de proposer une liste nationale des champignons commerciali- sables qui serait intégrée dans un décret en préparation. Après de nombreux échanges sur le forum de la coordina- tion, une liste restrictive s’appuyant sur les critères : espèces toxiques, espèces toxiques aléatoires, espèces présen- tant des confusions possibles, espèces menacées a été élaborée. Mais lors de la dernière réunion Mme Muckensturm a fait savoir que la liste retenue est très limitative. Elle ajoute que les marchés internationaux sont ouverts et il sem- ble exclu qu’un champignon autorisé à la vente en Italie par exemple ne puisse être vendu en France. Les légitimes préoccupations de préservation d’une majorité de mycologues ne doivent pas aller à l’encontre du droit. J P Augst suggère de proposer 2 listes: une minimaliste (à privilégier) et une liste élargie.

Problèmes à résoudre : -réalité du contrôle des champignons et compétence des personnels, aussi bien au niveau de la filière commerciale qu’à celui des agents de la DGCCRF. - proposition de réaliser une plaquette d’information - qui finance ? -contrôle par des mycologues ? Comment habiliter quelqu’un et quelle compétence peut-on attendre ou exiger? Quelle responsabilité ? - filière de la transformation difficile à suivre - protection de l’environnement : on n’en tient pas compte dans les réglementations de vente des champignons il faudrait un arbitrage impliquant 3 Ministères… Prochaine réunion le 19 juin.

Réseau Mycotoxicologie

Les médecins sont capables de diagnostiquer une intoxication sans même connaître le champignon responsable. Les mycologues sont capables de connaître les champignons toxiques mais les deux infos n’arrivent pas à la même per- sonne du service La FMBDS a demandé un correspondant. Sur 44 sociétés 35 ont répondu et font remonter les informations. 9 fiches ont été envoyées par le centre anti-poison de Strasbourg où une très bonne synergie existe depuis de lon- gues années entre le Dr Flesch du CAP de Strasbourg et la S.M.S. Georges Fannechère signale des cas d’intoxications par des morilles en 2005. Philippe SAVIUC présente les statistiques 2005 qui seront diffusées avec le CR détaillé. 129 fiches ont été établies pour 190 cas signalés. Mais la validation mycologique de l’espèce est rare. A noter que le mycologue qui détermine une espèce postérieurement à une intoxication n’engage pas sa responsabilité. A signaler la confirmation de la toxicité de Entoloma vernum. Pierre Arthur Moreau relève qu’une détermination un peu trop hâtive avec une relative certitude peut plomber pen- dant des années une espèce, niveau de probabilité à définir.

Bilan de la CAFAM 2006

Pour conclure il a été démontré lors de cette CAFAM que les mycologues de France pouvaient travailler ensemble, tenir des débats francs avec une ouverture d’esprit et la volonté d’avancer ensemble pour la mycologie française. Tous ont apprécié la sérénité des débats et la convivialité.

Fédérations et Associations participantes :

CAMO : Coordination des associations Mycologiques de l’Ouest FAMM : Fédération des Associations Mycologiques Méditerranéennes FME : Fédération Mycologique de l’Est FMBDS : Fédération Mycologique et Botanique de Dauphiné Savoie JEC : Journées Européennes du Cortinaire SMB : Société Mycologique du Béarn SMHV: Société Mycologique des hautes Vosges SML: Société Mycologique du Limousin SMLR : Société Mycologique de la Roche sur Yon SMP : Société Mycologique du Périgord Observatoire Mycologique

CR Rédigé par J-P AUGST représentant la FME. Le CR complet est disponible à la SMHV (Sous format papier ou fichier Word.) BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 10 Les champignons à Madagascar Le massif des Tsingy de Bahamara, situé à l’ouest de Mada- gascar, recèle une fonge endémique malgache intéressante.

Outre l’extrême richesse de la fonge dans les des Corticiaceae laisse parfois perplexe le randonneur parcs naturels de l’île rouge, on trouve des champi- même averti, tout autant que les énormes Polypora- gnons, dont la plupart sont comestibles, aux abords des ceae qui ne mettent que quelques jours pour atteindre villes, dans les forêts de substitution telles que les bois plus de 50 cm de diamètre comme nous avons pu le de pins californiens ou les bois d’eucalyptus austra- vérifier. liens ; mais aussi sur certains sites particuliers, comme Néanmoins nous avons pu trouver des champi- les plantations de palmiers à huile ou encore celles de gnons même dans les milieux les plus arides, dans le girofliers. La côte Est plus arrosée est à l’évidence plus parc de l’Isalo ou comme ici, dans les calcaires acérés riche que la côte Ouest ou encore le Sud de l’île. et surchauffés des Tsingy de Bahamara. Dans ces forêts tropicales, tel le parc d’Andasibe Il est possible d’acheter et donc de consommer ou celui de Ranomafana situé plus au sud, la démesure des olatra (champignon en malgache), dont certains d’ailleurs sont sujets à l’exportation, en petits nom- bres pour l’instant et c’est tant mieux pour la biodi- versité. A Tana même, la capitale, on trouve surtout des Chanterelles ou des Russules, de novembre à mars. A cette époque de l’année, il n’est pas rare de trouver, le long des routes, des femmes ou des enfants proposer des Chanterelles (Cantarellus platyphyllus var. bojeriensis) récoltées sous les Tapias (Uapaca bojery) ces arbres aux allures de chênes verts ont de touts petits fruits, que les malgaches ne consomment qu’une fois tombés à terre. Les cueillir sur l’arbre est un fadhi, comprenez un Tabou ! En revanche ils sem- blent qu’ils connaissent bien ces chanterelles et qu’ils les consomment sans modération. Madagascar Corticiaceae compte plusieurs grandes forêts de Tapias, dont trois BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 11

Cantharellus congolensis assez fréquente sous Eucalyptus Cantharellus corallinus discrète, également sous Eucalyptus

Cantharellus eucalyptorum exclusive des Eucalyptus Cantharellus platyphyllus var. bojeriensis vient sous les Tapias que nous avons visitées. La première située à une tren- Russule endémique de Madagascar Russula madecas- taine de kilomètres au sud-est de Tana, la seconde à 30 cense. C’est une Russule aussi savoureuse que notre km. au Sud-Ouest d’Ambositra et enfin la dernière, Palomet (Russula virescens), que l’on trouve à ache- dans un joli décor de grès se dresse dans le parc de l’I- ter déjà préparée. Elle est présentée dans des bassines, salo. ce qui laisse supposer une certaine quantité, dans des assiettes, simplement sur des nattes sur les étales ou à On récolte d’autres Chanterelles en abondance même le sol. Le revêtement du chapeau est épluché sous les Eucalyptus : Cantharellus eucalyptorum, avec soin, le pied est coupé et parfois épluché lui aus- Cantharellus corallinus ou encore Cantharellus congo- si. Ainsi on pourrait, à première vue, croire qu’il s’a- lensis. Si les deux premières sont délicieuses, prépa- git de champignons blanchâtres avec des reflets viola- rées comme chez nous à la crème ou accompagnant un cé sur le pied. Or ce sont des champignons à teintes bon steak de zébu, voire même en omelette, la dernière à la chair granuleuse et de couleur noire peu enga- geante, est quant à elle peu savoureuse. Ces aliments peu nutritifs ne font pas l’objet de cueillettes intensives comme dans certaines régions de France, ils sont ra- massés et consommés ça et là, sans trop de pression pour ces espèces. En revanche la déforestation, la pro- duction de charbon de bois et surtout la culture sur brû- lis, sont un véritable problème pour la conservation de leurs biotopes.

La Russule la plus courante que l’on trouve à consommer et d’ailleurs la seule que j’ai pu voir sur les marchés ou en vente sur le bords des routes, c’est une Russula madecascense, sous Pins et Eucalyptus BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 12 ble de récolter que des Coprins très proches microsco- piquement et macroscopiquement de Coprinus moles- lilacines, violacées ou encore rosâtres, à marge striée tus. Nous n’avons obtenu aucune description, même cannelée surtout avec l’âge. Nous avons pu trouver succincte du champignon recherché et qui ferait le ré- cette espèce à plusieurs reprises dans des forêts de gal de certains. Nous n’avons en conséquence aucune substitutions, surtout sous les Eucalyptus et unique- idée de l’espèce en question ou même du genre dont il ment dans la région des hauts plateaux dans la partie s’agit. centrale de l’île. Mais ne nous y trompons pas, le rapport des Sur les déchets de feuilles et de fleurs des giro- malgaches avec les champignons n’est pas inné. La fliers qui ont été distillés pour fournir arômes et huiles méfiance, la méconnaissance, les tabous sont autant essentielles, on peut récolter à la bonne saison, l’au- de facteurs pour plonger les autochtones dans l’igno- tomne de l’hémisphère sud, un très bon comestible rance de leur fonge, cette richesse insoupçonnée. Volvalriella volvacea. Nous n’avons pas trouvé de cultures à proprement parlé de ce champignon qui est Outre les quelques espèces comestibles, mes en revanche largement cultivé en Asie notamment. deux séjours à Madagascar, le premier en février Certains autochtones le consomment localement, mais 2005 et le second en mars de cette année, nous ont ré-

Le parc semi aride de l’Isalo, dans la partie Sud de Madagascar, abrite de nombreuses oasis cachées au fond des gorges de grès ocre, On découvre en avant plan, la savane ainsi qu’une forêt de Tapias (Uapaca bojery). la méfiance des champignons toxiques est souvent plus vélé la grande diversité des espèces présentes sur ce forte que l’envie de découvrir un nouveau met, peu mini continent à la dérive. L’endémisme est de mise nourrissant de surcroît. A l’évidence le peuple malga- pour bon nombres d’espèces de la flore et la faune, che n’est pas un peuple franchement mycophage. c’est vraisemblablement vrai aussi en ce qui concerne la fonge. En revanche j’y ai rencontré quelques in- Malgré nos deux tentatives pour trouver un contournables présents sur notre continent européen champignons poussant sur les inflorescences des pal- qui fréquentent résineux ou feuillus, comme la trop miers à huile (Elaeis guineensis) stockées en tas et en célèbre Amanite phalloïde, l’Amanite rougissante ou voie de décomposition à l’air libre, nos recherches sont une espèce moins commune comme le Lactaire cou- restées vaines. Il s’agit d’une espèce qui serait large- leur de foie Lactarius hepaticus sous les pins. Mais ment consommée par les malgaches de la région située celui qui m’a le plus surpris de rencontrer, c’est Ento- entre Andasibe et Tamatave, où se trouvent justement loma incanum. Je venais juste de dire à mon épouse, de larges plantations de palmiers à huile. Ces palmiers après avoir vu plusieurs couleurs sur les champi- étant reconnus pour leur capacité à concentrer en gnons, qu’il me manquait un vert. Et bien ce fut fait le grande quantité le carbone, il doit s’agir d’une espèce pas d’après. Je l’ai récolté délicatement dans le parc qui aime ce composé organique. Il ne nous a été possi- national d’Andasibe Mantadia, sous l’œil avisé d’un BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 13 pignons, ils s’empresseront alors de vous aider. Dans la région de Fenerive sur la côte Est, il m’est arrivé de me présenter comme chercheur de champignons. Ce fut un empressement des enfants et des femmes à me cueillir tous les champignons qui se présentaient à leur portée. A mon grand désespoir, ceux-ci étaient détériorés, compressés, leur pied coupé, « inphotographiables ». Il me fallu alors mieux expli- quer le but de ma visite et le lendemain je fus convié à un rendez-vous des plus touchant. Le chef du vil- lage me révéla alors qu’il connaissait un endroit où il avait vu un énorme champignon, mais qu’il fallait alors le suivre pendant un heure environ avant de pouvoir le découvrir. Je rêvais déjà de Boletus colos- sus ! Bien que ce ne fusse pas ce dernier qui m’atten- lémurien Propithecus diadema. Les puristes me diront dait, j’étais des plus heureux d’avoir à photographier qu’une analyse en biologie moléculaire me révélera un des plus gros champignons qu’il me fut donné de qu’il ne s’agit pas de la même espèce. Et pourtant, à 10 voire jusqu’à ce jour. Un majestueux Polypore trônait 000 kilomètres de la pelouse calcaire du Bollenberg en en maître dans une maigre végétation non loin d’une Alsace où j’ai l’habitude de le récolter, il diffuse la plantation d’arachides, haut de ses 45 cm pour un dia- même forte odeur d’urine de souris, son vert spécifique mètre de 70 cm. Les enfants qui nous avaient accom- n’est en rien altéré, ses lames sont caractéristiques et le pagnés, paraissaient exprimer le même sentiment de microscope à mon retour en France me révéla égale- joie que celui qui m’envahissait. Mais c’est finale- ment une microscopie identique. Et c’est le cas pour ment au retour au village, que je fus le plus ému. En d’autres espèces. effet, pendant mon périple en bordure de rivière pour aller voir le monstre fongique, les enfants et les fem- mes restés au village avaient cette fois marqué délica- tement chaque place à champignon par une petit ba- guette de bambou. Je pu alors en toute quiétude et avec toujours une multitude d’admirateurs autour de moi, m’en donner à cœur joie pour photographier d’innombrables champignons qui m’étaient inconnus et nouveau pour la science.

Entoloma incanum, récolté à Madagascar, avec ses couleurs et surtout son odeur caractéristique d’urine de souris.

Quant au très commun Phallus impudicus il se révèle sous des apparats inhabituels, entièrement vêtu d’une longue jupe en dentelle d’un jaune d’or éclatant, répondant au simple nom de Phallus multicolor ou avec une jupe blanc de neige comme le Phallus indu- siatus qui attire également les mouches afin d’assurer la dissémination de ses spores. Plus fin et plus effilé que le Phallus des chiens, se dissimulant à la base des bambous, Mutinus bambusinus se dresse quelque fois pour notre plus grande curiosité.

Les malgaches sont des gens charmants, possé- dant peu, mais sachant donner beaucoup. Leur joie de vivre et leur sourire nous invitent à nouer le contact. Révélez leur que vous êtes naturaliste et fada de cham- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 14 Quant aux guides des parcs nationaux, la grande majorité gérés par l’ANGAP, c’est à croire qu’ils n’ont jamais vu les champignons qui les entourent. Ils sont pourtant légions dans les forêts primaires et se- condaires tropicales. Les Hygrocybes comme à leur habitude arborent des couleurs vives et se montrent ça et là, seuls, car c’est souvent en exemplaire unique qu’on récolte les espèces dans les différents biotopes. Malgré leurs couleurs vives, ils ne semblent pas avoir attiré l’attention de ces guides autochtones. C’est donc bien comme dans notre bonne vieille Europe, les champignons passent bien après les animaux ou les Phallus multicolor végétaux. Sous les tropiques, au Nord comme en Guadeloupe et en Martinique, ou au Sud à Madagas-

car, dans les forêts chaudes et humides, il est très rare Phallus indusiatus de voir une multitude de champignons d’une même espèce. Les spécimens sont isolés, parfois unique dans leur biotope. La grande majorité sont des sapro- trophes, chargés de décomposer l’importante matière organique tombée au sol. Les mycorhiziens sont beaucoup moins nombreux, à croire que les végétaux qui bénéficient de conditions climatiques plus que fa- vorables, se passent plus volontiers de l’aide des champignons. J’ai parlé plus haut d’un champignon gigantesque, et j’ai eu l’occasion d’en voir d’autres par la suite, mais la grande majorité des espèces sont petites, afin certainement de mieux pouvoir résister à la dessiccation.

Il n’était pas rare non plus, que je déballe mon matériel photographique dans un endroit alors que je me croyais seul et de me relever avec une bande de bambins faisant la ronde autour de moi. Certains avaient même quelques champignons dans de rares sa- chets en plastique afin de me les offrir ou de tenter de me les vendre, quand ils n’étaient pas présentés dans une assiette avec leur substrat comme ces Psathyrelles tenues par une gamine si attendrissante (P.15). Chacun étant toujours prêt à m’indiquer le ou les endroits où ils les avaient dénichés ; ce qui est loin d’être le cas chez nous, même parfois entre mycologues.

Errant le long des chemins de latérite d’un rouge flamboyant, j’ai pu croiser de nombreux chars à Zébu, comme ici sous les Baobabs de la région de Morondava sous lesquels se dissimulaient quelques Clavaires violettes à mi-chemin entre les lacs débor- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 15

dant et l’herbe de la berme. C’est en fouillant les excré- ments secs de ces bovins que j’ai pu récolter une espèce étrange à plusieurs sporophores provenant d’un sclérote gris-noir très coriace. Les chapeaux sans lames sont blancs très cotonneux.

On peut même trouver des champignons dans des milieux xériques, grâce à des insectes. Après avoir re- cherché en vain des Termitomyces l’an dernier et cette année, j’ai pu néanmoins découvrir et observer à plu- sieurs reprises, de magnifiques Podaxis pistillaris sur diverses termitières dans le Sud, entre l’Isalo et Tuléar. Là encore, ces champignons ne semblent pas avoir été remarqués plus que cela par les habitants de cette ré- gion où même par les guides locaux, à qui je les ai présentés.

La littérature concernant les champignons de Madagascar est encore maigre. Les plus récentes pu- blications effectuées par des Mycologues français, sont celles de Bart BUYCK, Guillaume EYSSAR- TIER & Bernard DUHEM. Quelques anciennes pu- blications peuvent aider à identifier les espèces, no- tamment celle de Roger HEIM sur les Lactario- russulés, celle de G. METROD sur les Mycènes et celle de H. ROMAGNESI sur les Rhodophylles, pour ne citer que les principales auxquelles j’ai pu avoir accès. On peut également s’aider des diverses publi- cations étrangères, comme PEGLER qui a beaucoup écrit sur les champignons tropicaux, ou en puisant Podaxis pistillaris sur une termitière au sud vers Tuléar dans les différents articles sur les champignons afri- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 16

cains, même s’ils ne sont pas légion. J’ai pu réaliser des milliers de clichés in situ, ramener des centai- nes d’exsiccata. Autant dire qu’il reste du pain sur la planche et des années de travail pour tenter de mettre un nom aux espèces déjà décrites et donc connues et nommer les espèces nouvelles. Outre ce travail colossal qui reste à venir, nous gardons en mémoire non seulement une belle épopée mycolo- gique qui fut passionnante à plus d’un titre, mais également et je dirais surtout, le souvenir d’une aventure humaine extraordinaire ! Patrick LAURENT Toutes les photos sont certifiées : © LAURENT P. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 17

Etude de l’évolution des caractères macroscopiques d’un Gymnopile méditerranéen : Gymnopilus suberis (Maire) Singer.

HAIMED M., El-ASSFOURI A., OUAZZANI-TOUHAMI A. et DOUIRA A. Laboratoire de Botanique et de Protection des Plantes, UFR de Mycologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, BP. 133, Kénitra, Maroc. LAURENT P. Société mycologique des Hautes Vosges—26, 28, route du Repas 88520 Wisembach France

[email protected]

Résumé : Au Maroc un suivi in situ et au laboratoire du développement des sporophores Gymnopilus sube- ris (R. mre.) Sing. a été réalisé dans la subéraie de la Mamora . L’évolution des caractères macroscopiques sont présentés accompagnés de plusieurs photographies. L’habitat, les conditions biotiques et abiotiques, la systématique de ce taxon ont été discutées.

Mots clés : Maroc, basidiomycètes, cortinariacées, Gymnopilus suberis, taxon, systématique.

Study of the evolution of the macroscopic characters of Mediterranean Gymnopile: Gymnopilus suberis (Maire) Singer.

Summary: in Morocco a follow-up in situ and in the laboratory of the development of carpophores Gymno- pilus suberis (R. mre.) Sing. was realized in the Mamora. The evolution of the macroscopic characters are presented accompanied several photos. The environment, the conditions bioticks and abioticks, the system- atic of this taxon were discussed.

Key words : Morocco, Basidiomycétes, , Gymnopilus suberis, taxon, systematic.

Introduction

Un Gymnopile Méditerranéen peu connu ( Noguére, 2002) : Gymnopilus suberis (R. Maire) Singer 1949 (paru 1951), Lilloa 22 : 561.

Description originale : Pholiota suberis R. Maire n. sp. (B.S.M.F., 44, p.45, Pl. IV, fig. 1-6, 1928) (Malençon & Bertault, 1970.)

Ce champignon a été rencontré et décrit par Malençon dans la forêt de la Mamora prés de Rabat où il est assez commun. Gymnopilus suberis est une espèce méridionale connue jusqu’ici en Afrique du Nord et en Catalogne (Kuhner § Romagnesi, 1984)

Il appartient la Classe des Basidiomycètes, Ordre des Cortinariales et la Famille des Cortinariacées (Courtecuisse § Duhem, 2000).

Position in classification: Cortinariaceae, , Agaricomycetidae, Basidiomycetes, , Fungi (Kirk et al., 2005)

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Gymnopilus suberis est lignicole.

Dans cette étude, on a pu suivre pendant six mois sur arbre dépérissant de Quercus suber le développement de ce champignon. Un suivi similaire a été réalisé au laboratoire par Outcoumit en 2004. Ainsi, en se basant sur le mode de vie du champignon, tous les caractères difficiles à observer sont mis en évidence (Outcoumit, 2004).

Matériel et méthodes

Dans les environs de la faculté des Sciences de Kénitra au milieu de la subéraie de la Mamora, on a pu repé- rer sur un tronc dépérissant de Quercus suber des champignons dorés (photo 1). A la base du tronc dressé, un fragment du bois mort a été trouvé sur lequel se développaient de jeunes sporophores.

Le fragment a été ramené au laboratoire pour un suivi et les autres sporophores sur le tronc ont été suivi pen- dant six mois. Au cours de cette période des spécimens étaient prélevés et des observations macroscopiques et microscopiques ont été faites. Des photos ont été prises ainsi que des microphotographies.

L’observation a commencé le 25/12/2004 et s’est achevée le 30/05/2005. La sécheresse a dominé cette période. La zone a connu cependant de fortes pluies pendant 3 jours à la fin de février.

Résultats et discussion

• Suivi au laboratoire : Il a duré 3 jours et nous a permis d’observer notamment l’aspect cortinaire et fugace de l’anneau chez de jeunes sporophores (photos 2 et 3). Le chapeau hémisphérique, qui passe de 15mm à 25mm présente des mèches brunâtres avec une croûte centrale. Le pied central est de 30 mm à 35 mm d’hauteur (photos 4 et 5). Il est blanchâtre au début, il le reste au dessus de l’anneau puis devient jaune brunâtre au des- sous. Les lames sont légèrement décurrentes. Elles deviennent jaunes brunâtres avec l’âge.

• Suivi in situ :

Deux générations ont été observées. La première a disparu le 03/03/2005 et la seconde a disparu le 29/05/2005.

Ce suivi nous a permis de compléter les observations faites au laboratoire.

Des sporophores apparaissent en touffes, à un niveau plus élevé des sporophores isolés.

Le chapeau de 60 à 110 mm est hémisphérique à étalé avec marge très ondulée avec l’âge, il est brun roux et largement squameux-apprimé. Il devient attaqué par un complexe fongique, qui tend à le rendre verdâtre et finit par le faire disparaître. (photos 6, 7, 8, 9 et 10)

Le stipe d’un diamètre de 17 à 20 mm et d’une hauteur de 70 à 80 mm est égal, généralement arqué, fistuleux devient comme ventru avec l’âge et sillonné de fissures longitudinales avec un changement de couleur qui vire vers le brun vineux chez les sujets très âgés . La base bulbeuse au départ développe un cordon mycélien en forme de suçoir (photos 11 et 12).

La chair piléique est plus claire que celle du stipe qui est jaune brune .

La sporée est fauve rouillée. Les spores sont ellipsoïdes (9 x 4µm) jaunâtres retenant le bleu coton, la partie apicale de la spore est arrondie tandis que la base présente un apicule. (photo 2)

Elles ont une paroi épaisse et sont échinulées. L’importance de cette échinulation varie d’un spécimen à l’autre et parfois on n’observe qu’une fine ornementation qui disparaît parfois après un certain temps de la préparation microscopique dans le bleu du Coton. (Outcoumit et al., 2004)

On peut aussi noter la présence de chélocystides ventrues.

Les spécimens récoltés ont pu garder leur silhouette même après déshydratation. L’exsiccatum est parfait.

La détermination de ce taxon lignicole n’était pas chose facile, des confusions étaient possibles. Il fallait pren- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 19

dre en considérations plusieurs critères : champignon lié au chêne liège (Quercus suber) (Maire, 1928 : 45 ; Malençon & Bertault, 1970 ; Robich, 1989 ; les sporophores étudiés semblent écarter la confusion avec Dryo- phila aurivella (sur Abies pinsapo vivant) en plus des dimensions des carpophores et avec Armillaria tabes- cens par notamment la forme et la taille plus grande des spores (Malençon § Bertault, 1970). Il se distingue de G. spectabilis par un anneau membraneux (Houdou, 2002). Un autre volet autre que la taxonomie : c’est de comprendre la répartition spatiale du champignon, pourquoi les carpohores sont-ils isolés dans une génération (à une hauteur plus importante) et en touffes dans la suivante et au même endroit du sporophore isolé précé- dent ? Pourquoi le mycélium tend-il à migrer vers le haut de l’arbre : Est ce pour chercher l’humidité ou pour échapper à l’action destructrice de l’homme ? (photo 13).

Conclusion

Les champignons sont si fugaces, si polymorphes qu’avec eux il faut se contenter de reconnaître nos incertitu- des (Becker, 1996). Cette phrase illustre les difficultés rencontrées dans la distinction entre les espèces et par conséquent les difficultés de la systématique des champignons. Les caractères macroscopiques peuvent changer au cours de la vie du champignon. Connaître ces changements, c’est éliminer en partie les incertitudes. Il ne faut pas omettre aussi de comprendre le comportement de certains champignons, car cela aidera à la protection de notre environnement.

Références Bibliographiques

Becker G., 1996. Champignons. Grund, 319p.

Courtecuisse R. et Duhem B., 2000. Guide des champignons de France et d’Europe. Delachaux et Niestlé S. A. Lausane (Switzerlande), Paris, 409 p.

Houdou G., 2002. Guide des champignons milieu par milieu. Editions Belin, France, 287p

Kirk P.M., Cannon P.F. § David J.C.(eds.), 2005. Ainsworth and bisby’s Dictionnary of Fungi, 9th Edition. CABI Publishing-online Bookschop,624p.

Kuhner K. § Romagnési H., 1984. Flore Analytique des champignons supérieurs (Agarics, Bolets, Chanterel- les), Première édition, quatrième tirage. Masson. Paris, New York, Milan, Mexico, Sao Paulo, 556.

Maire R., 1928. Diagnoses de champignons inédits de l’Afrique du Nord. Bull. Soc. Mycol., France, 44 : 37- 56 + pl. 1 à 5.

Malençon G. & Bertault R., 1970. Flore des champignons supérieurs du Maroc, tome 1. Trav. Inst. Scient. Chérifien et Faculté des Sciences de Rabat, Série Botanique et Biologie Végétale n°32, 601 p. + 1 carte + 29 pl. en couleurs

Noguére H., 2002. Un gymnopile méditerranéen peu connu : Gymnopilus suberis (R. Maire) Singer. Bull. FAMM, N. S., 21 : 3-6.

Outcomit A. , 2004. Contribution à l’étude des Basidiomycètes de la Mamora occidentale (Maroc), D.E.S.A., Université IBN TOFAIL, Faculté des Sciences Kénitra. 117p.

Outcomit A. Yamni K , Ouazzani Touhami A & Douira A, 2004. Suivi au laboratoire du développement des carpohores de Gymnopilus suberis (Maire) Singer. sur des fragments de bois de Quercus suber L. Bulletin de l’institut Scientifique, section de Sciences DE la Vie, 2004, n° 26.

Robich G., 1989. Alcuni interessanti gymnopilus. Rev. d. Mic., 32 (5-6) : 251-263.

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1.Champignons en touffe sur quercus suber dépérissant. 2 .Microphotographie des spores colorées avec bleu coton. 4 3. Sporophores avec restes de cortine et chapeau hémisphérique. 4. Chapeaux jeunes brunâtres avec mèches. 5. Pied blanchâtre au dessus de l’anneau et brunâtre en dessous pour sujet plus âgé. 6. Sporophores murs. 7. Sporophore isolé (vu de dessus) 8. Sporophore isolé (vu de dessous) 9. Sporophore très âgé en biotope 10. Aspect du chapeau attaqué par le complexe fongique. 11. Pied obèse avec suçoir. 12. Pied avec fissures longitudinales. 4 13. Arbre dépérissant avec sporophore isolé (a) et en touffe (b)

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ETUDE D’UN CHAMPIGNON MEDICINAL : Ganoderma lucidum

HAIMED Mohamed, OUAZZANI-TOUHAMI Amina et DOUIRA Allal Laboratoire de Botanique et de Protection des Plantes, UFR de Mycologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, BP. 133, Kénitra, Maroc. [email protected]

Introduction

La mycothérapie ou soins par les champignons est une des branches essentielles de la phyto- thérapie extrême-orientale, et les anciens avaient une haute estime pour les vertus alimentaires et mé- dicinales des champignons ; grecs, romains, asiatiques l'utilisaient en cuisine et en médecine, les cha- manes sibériens ou de l'Amérique précolombienne utilisaient les pouvoirs hallucinogènes des cham- pignons à des fins divinatoires.( Alain Tardif, 2000). , l'Occident n'a conservé de l'univers des cham- pignons que les caractères culinaires de certaines espèces et le pouvoir mortel ou rituel de certaines autres.

Les espèces de champignons médicinaux sont environ une trentaine d'espèces dont quelques unes sont exploitées par l'industrie qui en tire des extraits et réalise un chiffre d'affaire de plus d'un milliard de dollars par an. (anonyme, 2005) Au Japon et en Chine, la mycothérapie a gardé ses lettres de noblesse, et on peut compter sur de nombreux remèdes, souvent de longue vie. Citons par exemple Cordyceps sinensis, qui était réser- vé au Dalaï Lama, ou encore le tricholome Matsutake, très réputé au Japon et inconnu en Occident, enfin le ganoderme luisant, que l'on trouve aussi en Europe, et qui possède des propriétés immuno- stimulantes très puissantes au point qu'il a été testé en Californie chez des malades du SIDA !!! (Alain Tardif, 2000)

Connu comme reishi ou mannentake en Japonais et Ling Zhi en Chinois, le champignon Ga- noderma lucidum jouit, depuis plus de 2 000 ans, d'une renommée peu commune en Asie. Il en est fait mention dans le plus vieil écrit de la pharmacopée chinoise (l'herbier classique de Seng Nong - publié en 56 avant notre ère) et on croit que les Asiatiques le connaissaient depuis des siècles, voire des millénaires avant cette date. Ganoderma lucidum est reconnu pour ses propriétés médicinales. Reishi est souvent associé à la santé et à la récupération, à la longévité, à la sagesse, et au bonheur.

Ganoderma lucidum (Leyss.) Karst a été trouvé sur chêne vert à Azrou et déterminé par Ma- lençon en Novembre 1950 ( spécimen exposé à l’institut Scientifique à Rabat). Pour la première fois au Maroc, dans notre étude, une description détaillée de ce Basidio- mycète de la famille des Ganodermatacées a été réalisée. Notre étude s’achèvera par un aperçu sur les extraits de ce champignon et des indications thérapeutiques ainsi que des recommandations concernant une éventuelle culture au Maroc.

Matériel et méthodes.

Les carpophores des champignons Basidiomycètes apparaissent juste après les pluies abon- dantes. Des prospections sont réalisées après chaque période favorable dans les forêts du plateau central marocain. Avant la récolte et pour avoir plus de détails concernant le champignon et son biotope, les basidiocarpes sont photographiés, certains détails sont notés tel que le substrat par exemple. Ensuite, les basidiocarpes sont ramenés au laboratoire pour études macroscopique et microscopique. Dans la mesure du possible, des individus à différents stades de développement sont récoltés. Au laboratoire, les espèces sont décrites et identifiées en utilisant des clés de détermination (Courtecuisse & Duhem, 2000 ; Romagnesi, 1995 ; Slézec, 1995 ) Plusieurs éléments du carpophore sont notés à savoir le chapeau (forme, marge, surface, taille, stades : jeune ou mûr), l’hyménophore (densité, forme, insertion, l’arête et la couleur des la- mes,…), le pied (insertion au chapeau, consistance, aspect, taille, forme, couleur, ornementations, présence ou non d’anneau et de volve) et la chair (épaisseur, couleur, consistance, odeur et saveur). Ce volet macroscopique est achevé par la réalisation de dessins du champignon sous différents as- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 22

pects : entier et en coupes. La forme des spores, leurs ornementations, la présence ou l’absence de pores germinatifs sont égale- ment notées. Un dessin de ces spores accompagnera les dessins macroscopiques. Certaines réactifs chimiques ont été utilisés tel que le bleu coton pour faciliter l’ob- servation des ornementations des spores.

Résultats et discussion.

Ganoderma lucidum (Curtis) P. Karst., Revue mycol., Toulouse 3(9): 17 (1881) Basionyme : Boletus lucidus Curtis 1781 Position in classification: Ganodermataceae, Polyporales, Agaricomycetidae, Basidiomycetes, Basidiomycota (Index Fungo- rum, CABI Bioscience Databases) Nom(s) commun(s) : reishi. Nom(s) anglais : reishi. Nom(s) chinois : Ling Chih, Ling Zhi. Nom(s) japonais : reishi, mannentake. (Anonyme b, 2005)

Description personnelle :

Macroscopie : On l’a rencontré sur le chêne vert à Oulmes, en printemps ,au bas des troncs. (Le 22.04.2004). C'est un champignon en forme de coquille, le diamètre de son chapeau peut atteindre 15 cm. Il est brillant, comme laqué d'où son nom de polypore luisant. Sa couleur varie du pourpre au rouge vineux, la marge (pourtour du chapeau) est jaune vif ou blanche. (fig. 1)

La cuticule est légèrement molle à l’état jeune mais coriace à l’état adulte. Le pied est souvent tortueux, il est cylindrique (diamètre = 1,5 cm) mais irrégulier, parfois très court. Il est épais, de même consistance que le chapeau. Il est excentrique rarement central.

L’hyménophore est formé par des tubes blanchâtres virant au brun. Ils sont fins et s’achèvent par des petits pores circulaires. Chez l’adulte on trouve 4 pores /mm.

La chair est spongieuse à subéreuse, colorée de blanchâtre, puis des zones brunâtres à brun cannelle. (fig. 2)

La chair piléique et du pied noircissent à l’ammoniaque et brunissent à Naoh.

Microscopie : Les spores ellipsoïdes à ovoïdes sont très ornementées, 7- 13 x 6-8 μm (fig. 3 et 4). L’observation des tubes a montré l’existence de plusieurs poils stériles. (fig. 5)

Ganoderma lucidum et la Mycothérapie.

Ce champignon est d'aspect très frappant, adulte il est très dur. Le Guide des champignons milieu par milieu le déclare sans intérêt et à rejeter (Houdou, 2002). Peut être pour la comestibilité le champignon est sans valeur mais pour l’usage médicinal, il a ses lettres de noblesse en médecine orientale et classique occidentale.

Principes actifs : les études que nous avons consultées égrènent simplement la litanie habi- tuelle des polysaccharides, triterpènes et Cie et évoquent une protéine Ling zhi-8 sur laquelle on ne donne en général aucun détail.

Propriétés : les propriétés du Ganoderma lucidum sont les plus étendues qui comprennent une activité anti-inflammatoire, anti-tumorale, anti-hypertensive, une action régulatrice du glucose ainsi qu'une immuno stimulation ou plutôt une immuno-modulation efficace dans toutes les maladies BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 23 infectieuses et virales. Il est également utilisé en Chine dans le cas d'hépatites. (Anonyme, 2005) On pense notamment que les polysaccharides et les triterpènes (hydrocarbures aroma- tiques) qu'il renferme jouent un rôle important dans son activité pharmacologique.

Dans un article plus récent, Brandt et Piraino (2000) ont identifié une nouvelle classe des drogues antivirales des champignons. Antiviraux d'autres champignons ont été identifiés précédemment : lentinane du Shiitake, Lentinula edodes, (Sarkar et autres, 1993) ; PSP de Turkey Tail, Trametes versicolor et ganaderiol-F, ganoderic acid-ß, lucidumol de Ganoderma lucidum. Un certain nombre d'antiviraux extraits des champignons a montré son efficacité en empêchant la multiplication du VIH. (Suzuki, 1989 ; Nanba, 1992 ; Kim et autres, 1994 ; Collins Et Ng, 1997 ; Ghoneum, 1998 ; Hattori, 1997). Deux essais cliniques menés par des chercheurs asiatiques ont donné des résultats posi- tifs au chapitre des maladies coronariennes (103 sujets, en 1979) et de l'hypertension (54 sujets, en 1996) (Chandler Frank (Ed.), 2000).

En 2003, une étude démontrait que le reishi inhibait, in vitro, la prolifération des cellules de cancers du sein et de la prostate chez les humains (Sliva D., 2003). La même année, les résultats d'un essai sans placebo mené auprès de 34 sujets souffrant de divers cancers à un stade avancé indiquaient que la prise de reishi stimulait les défenses naturelles de l'organisme (augmentation des taux d'inter- leukine et d'interféron) (Gao Y, Zhou S, Jiang W, Huang M, Dai X., 2003) . On a émis l'hypothèse que cet effet serait attribuable à l'action anti-oxydante du champignon. Les résultats de deux essais préliminaires récents (2004) menés sur un total de 28 sujets en bonne santé indiquent que la prise de reishi augmente l'activité anti-oxydante dans l'organisme des sujets traités (Wachtel-Galor S, Tomlin- son B, Benzie IF., 2004) (Wachtel-Galor S, Szeto YT, Tomlinson B, Benzie IF., 2004)

Agrégation plaquettaire. Les résultats d'un essai sans placebo mené en 1990 auprès de 15 sujets normaux et de 33 patients souffrant d'athérosclérose indiquent que le reishi peut réduire l'agrégation plaquettaire (Tao J, Feng KY., 1990). On ne peut conclure en donnant un tableau des principaux champignons médicinaux avec propriétés thérapeutiques et en montrant la place qu’occupe Ganoderma lucidum au sein de ses semblables :

Ab Aa Cs Fv Gf Gl He Hm Io Le Pc Po Pu Tv Anti-inflammatoire * *

Anti-tumoral * * * * * * * * * *

Anti-viral * * * * * *

HTA * * * *

Circulation * * *

Cholesterol * * * *

Diabete *

Stimul. immunitaire * * * * * * *

Tonique du Rein *

Tonique du Foie * * *

Tonique nerveux *

Sexualité *

Poumons * * * *

Adaptogène (stress) * *

BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 24

Tableau des indications ( Stamets, P. 1999.) Ab = Agaricus blazei Aa = Auricularia auricula Cs = Cordyceps sinensis Fv = Flammulina velutipes Gf = Grifola frondosa Gl = Ganoderma lucidum He = Hericium erinaceus Hm = Hypsizygus marmoreus ou tessulatusIo = Inonotus obliquus Le = Lentinus edodes (Shitake) Po = Pleurotus ostreatus Pu = Polyporus umbellatus Tv = Trameles versicolor

Conclusion Il faut mettre en évidence la richesse fongique du Maroc : un volet ignoré, celui des champignons médicinaux, dont le marché asiatique est grand consommateur ; l’exportation du Matsutake vers le Japon par le Maroc (Baillot, 2000) ouvre une porte à ce commerce po- tentiel. Pourquoi ne pas penser à des investissements des Japonais dans ce sens ?

Références Bibliographiques

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1 5

2 3 4

1. Sporophore dans son biotope (Chapeau : face dessus) ; 2. Dessin d’une coupe longitudinale du sporophore ; 3. Dessin des spores (x 400) ; 4. Spore ornementée (x 1000) ; 5. Poils stériles. (x 400). BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 26

Etude de Omphalotus olearius (De Candolle : Fr.) Gillet, Basidiomycète lignicole des forêts du Nord Ouest du Maroc.

Ali OUTCOUMIT 1 Amina OUAZZANI TOUHAMI 1, Patrick LAURENT 2 & Allal DOUIRA 1

1. Laboratoire de Botanique et de Protection des Plantes, UFR de Mycologie, Faculté des Sciences, Université Ibn To- faïl, 14000 Kénitra, Maroc. e-mail : [email protected]

2. Société Mycologique des Hautes–Vosges, 26-28 route du Repas, 88520 Wisembach, France.

Résumé.

Omphalotus olearius (Fr. ex D. C.) R. Maire est une espèce lignicole qui vit en parasite ou en saprophyte sur les troncs et les racines d’arbres ordinairement à feuilles, ou sur les souches de ces arbres. Elle est très ré- pandue dans les forêts du Nord ouest du Maroc.

Dans cette étude, nous avons décrit, illustré les principaux critères d’identification des spécimens col- lectés dans les forêts du Nord ouest du Maroc et discuté la position systématique de ce taxon qui demeure ac- tuellement incertaine, ainsi que son importance.

Mots clés : Maroc, forêt du Nord Ouest, Omphalotus olearius, position systématique.

Survey of Omphalotus olearius (De Candolle: Fr.) Gillet, lignicole Basidiomycete of the Northwest for- ests of Morocco.

Abstract.

Omphalotus olearius (Fr. ex D.C) R. Maire is lignicole specie that lives in parasite or in saprophyte on the trunks and the roots of trees customarily to leaves, or on the stumps of these trees. It is much spilled in the Northwest forests of Morocco.

In this survey, we described, illustrated the main criteria’s of identification of the specimens collected in the Northwest forests of Morocco and debated the systematic position of this taxon that stays currently un- certain, as well as its importance.

Key words : Morocco, Northwest forest, Omphalotus olearius, systematic position

Omphalotus olearius © LAURENT P. Récolte sur Olivier dans le sud de France. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 27

1 –Introduction.

Parmi les espèces appartenant au genre Omphalotus (Fayod, 1889) (Etymologie : Omphalotus, de om- phalôtos = ombiliqué = à chapeau déprimé) figure Omphalotus olearius (Fr. ex D. C.) R. Maire. Cette espèce lignicole qui vit en parasite ou en saprophyte sur les troncs et les racines d’arbres ordinairement à feuilles, ou sur les souches de ces arbres. (Kühner & Romagnési, 1984) est très répandue dans les forêts du Nord ouest du Maroc. Cependant, la position systématique de ce taxon demeure incertaine. En effet, non seulement elle est déplacée sans cesse d’un genre à l’autre, mais, également, on lui change même de famille. Pour certains (Courtecuisse & Duhem, 2000), cette espèce appartient à la famille Omphalotaceae, pour d’autre elle est clas- sée dans la famille Paxillaceae (Anonyme a, Database), ordre Boletales.

Omphalotus olearius (Fayod, 1889) et Omphalotus illudens (Schweinitz: Fr.) Bresinski & Besl, (1979), deux espèces différentes (Morandell & al., 2004), sont parfois considérées comme un seul taxon (Omphalotus olearius) ou encore comme un taxon (O. olearius) et une varieté O. (olearius var. illudens) (Ortega & Esteve- Rav., 2000).

O. olearius a été rencontrée en novembre et décembre dans différentes régions du Maroc : Haut Atlas et le Rif (Maire & Werner, 1937, Malençon & Bertault, 1975). Elle s’attaque à plusieurs plantes hô- tes provoquant la pourriture blanche des racines. Parmi les hôtes d’Omphalotus olearius : Olea europaea L., Acacia cyanophilla, Chamaerops humilis, Cistus sp., Eucalyptus diversicolor, Juniperus phoenicia, Lavandula stoechas, Myoporum, Phyllyrea angustifolia, Pinus, Prunus, Quercus suber... (Malençon. & Bertault, 1975).

Dans cette étude, nous avons décrit et illustré par des photos et des schémas les critères d’identification des spécimens récoltés au Maroc et discuté la position systématique très controversée de Omphalotus olearius.

2 –Matériel et méthodes.

En se basant sur l’étendu de la répartition géographique d’Omphalotus olearius, sur sa très large gamme de plantes hôtes et surtout sur sa position systématique encore incertaine (Malençon & Bertault, 1975), des in- vestigations et prospections ont été réalisées dans différentes zones nord ouest du Maroc (forêt de la Mamora, sables de Mehdia, régions de Ouezzane et de Chefchaouenne) et sur les types d’arbres à priori considérés comme hôtes de ce champignon

Pour chaque récolte, on a noté les coordonnées géographiques, les conditions climatiques, la plante hôte et la date d’apparition des carpophores. Les caractères morphologiques des échantillons récoltés sont notés sur place. Des photos sont prises également in situ.

Au laboratoire, l’étude est complétée par les observations microscopiques des différentes parties des spo- rophores. Le montage des coupes microscopiques a été réalisé dans l’eau, le bleu coton, l’ammoniaque, le rouge congo et l’eau iodée.

L’amyloïdité des spores est testée par l’action de l’eau iodée sur des spores de la sporée.

Des microphotographies des principaux critères microscopiques ont été également réalisées. Ainsi, des photos de spores, de l’hyménium et des hyphes ont été prises sous microscope.

Les critères d’identification des échantillons collectés des arbres et souches hôtes des stations de différen- tes situations géographiques ont été comparés.

O. olearius est également comparé avec d’autres Basidiomycètes : Armillariella tabascens et Cantharel- lus cibarius, espèces qui peuvent être confondues.

3 –Résultats et discussion.

3 1- Présentation du domaine d’étude

Le domaine d’étude est situé au Nord-Ouest du Maroc. (entre 34°et 36° de latitude et 4° et 6° de longi- tude). Ce domaine, qui compte parmi les plus humides du Maroc, se caractérise par une pluviométrie impor- tante et subit l’influence de l’océan atlantique et de la méditerranée. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 28

Les stations explorées sont La forêt de la Mamora, les dunes de Mehdia, Ouezzane et la région de Chefchaouenne (localité Bni Hmed). Quercus suber caractérise la forêt de la Mamora (30 à 250 m d’altitude en moyenne). Acacia cyanophylla, Juniperus phoenicea et Phyllaria angustifolia sont les espèces dominantes dans les zones sableuses de Mehdia (altitude, environ 70 m) à l’ouest de Kénitra (Nafaa, 2002). L’olivier abonde dans la région submontagnarde de Ouezzane (350 à 650 m d’altitude) (Pujos, 1978). L’olivier cultivé se rencontre dans la localité Bni Hmed (472 m) situé prés de Chefchaouenne, région montagnarde (Anomyme b, 2005).

Nos investigations nous ont permis de récolter Omphalotus olearius (D. C. : Fr.) sur Olea europaea L. à Ouazzane et à Chefchaouene et également sur des souches et des arbres vivants d’Acacia cyanophylla à Ké- nitra.

Ces récoltes ont été effectuées en automne et en hiver, entre 2003 et 2005.

3 2 –Description.

Omlphalotus olearius (D. C. : Fr.) est une espèce lignicole, saprophyte ou parasite. Elle se développe en plaine comme en montagne et se caractérise par une silhouette clitocyboïde, pleurotoïde à omphaloïde. Les sporophores de cette espèce se développent en solitaires ou en touffe, ces derniers sont généralement soudés par les bases de leurs pieds. Les carpophores se développent sur les troncs des arbres, sur les racines plus ou moins enfouies et sur les souches d’arbres à feuilles (Acacia cyanophylla et Olea europeae).

Sur les échantillons frais, l’odeur est mycélienne douce, odeur qui n’est guère perceptible que quelques heures après la récolte.

Le chapeau (12,5 cm) (Fig. 1) est charnu, circulaire, hémisphérique ou asymétrique et réniforme. La couleur du chapeau peut être jaunâtre, jaune orangé à orangé briqueté, ou orangé foncé et sombre au disque. Le chapeau est non hygrophane. La surface est mate, brillante, glabre, ou finement peignée-soyeuse. Dans ce cas, les petites mèches sombres sont fines et apprimées (Fig. 2). Le centre du chapeau devient vite ombiliqué. La cuticule est adnée en temps sec. Elle est constituée d’hyphes (5 µm) couchées et filiformes.

La marge (Fig. 1 et 2) est circulaire, droite, longuement retroussée, régulière ou lobée fine et fissile, mais elle est non striée.

La chair (6 mm) (Fig. 2) est ferme, amère, jaune ou orangée, fibreuse et élastique dans le chapeau et dans le pied, sauf sous la cuticule, où elle parait finement grenue. Elle s’amincit progressivement vers les bords.

L’hyménophore (Fig. 2) est constitué de lames (8 mm) de couleur jaunâtre dorée, orangée - jaune sa- fran ou jaune orangé. Les lames sont inégales, minces et moyennement serrées. Les plus longues lames sont largement décurrentes par un filet qui se prolonge jusqu'à un cm sur le stipe. Les lames peuvent être parfois fourchues. L’arrête des lames est jaune plus foncée.

Le stipe (Fig. 1 et 2) (10 x 2 cm) est cylindrique, central à sublatéral. Il est égal et atténué à sa base. Le pied est concolore au chapeau ou légèrement plus clair, et rouillé à sa base. Le stipe est plein et fibreux. Chez les jeunes individus, le pied est recouvert de poils fins de couleur noirâtre. La chair du stipe est jaune et fi- breuse

La sporée est d’abord jaune, puis devient blanche à banc crème.

L’hyménium est constitué de basides (Fig. 3 a) (30 x 6 µm) claviformes à cylindracées. Les basides sont menues de quatre petits stérigmates. Elles sont bouclées à la base et riches en guttules verdâtres. Les cystides sont absentes.

Les spores (Fig. 3 b) (5 – 7,5 x 3,75 – 6,25 µm) sont hyalines, congophiles, non amyloïdes, et non dex- trinoïdes (aucune réaction à l’iode). D’après le coefficient Q (= longueur / largeur), 68 % des spores sont glo- buleuses à largement elliptiques (Q compris entre 1 et 1, 67, résultats obtenues à partir de 25 spores). En pre- nant en compte de l’aspect et du contour des spores, ces dernières apparaissent ovoïdes à elliptiques. Elles sont BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 29 menues d’un pore germinatif et peuvent être légèrement aplaties dans une de leur face Omphalotus olearius est une espèce qui émet une phosphorescence observable dans l’obscurité. On a essayé d’observer cette luminescence en déposant des spécimens à l’intérieur d’une caisse en carton et dans l’obscurité, mais sans résultats même la nuit. D’après Malençon & Bertault (1975), la phosphorescence des arêtes des lames n’est observable que chez les sujets en bonne végétation. Cette bioluminescence est due à une réaction biochimique intracellulaire qui se produit entre certaines substances contenues dans l’ensemble des cellules de l’hyménophore et même au niveau des spores. Lors de cette réaction qui consiste en l’oxydation d’une substance appelée la luciférine par une enzyme la luciférase, il y’a dégagement de l’énergie sous forme de lumière froide (Schoot, 2002).

3. 3 -Discussion

Actuellement, la position systématique de Omphalotus olearius reste controversée. En effet, concer- nant la place que doit occuper cette espèce dans la taxinomie des mycètes, les avis des auteurs divergent beau- coup. Les nombreux synonymes (Polymyces phosphoreus Battara, (1755) = Clitocybe illudens (Schweinitz: Fr.) Saccardo (1887). = Pleurotus olearius Gillet (1874) = Omphalotus olearius (D. C.) Singer 1946 = Clito- cybe olearia Maire (1915) = O. olearius (De Candolle: Fr.) Gillet, ss auct. = O. olearius var. illudens (Schweinitz) A. Ortega & Esteve-Rav. (2000). Nom vernaculaire : Clitocybe trompeur. Nom scientifique : Omphalotus olearius (De Candolle : Fr.). Basionyme : Agaricus illudens Schweinitz, (1822) confirment la dif- ficulté que pose cette espèce pour la situer systématiquement.

En effet, sans cesse, O. olearius est déplacé d’un genre à l’autre. Parmi ces genres, on cite à titre d’exemple Polymyces (1755) ; Pleurotus Gillet, 1874 ; Flammula Quélet, (1888) ; Dryophila Quelet, (1888) ; Clitocybe R. Maire, (1916) ; Armillarriella Singer, (1943) ; Pleurotus Patouillard (1886) etc.

La distinction des éventuelles variétés de cette espèce est également incertaine. Cette ambiguïté taxino- mique a été signalée par Malençon et Bertault en 1975. Ces auteurs ont mis le point notamment sur les diffé- rences qui ont opposé Konrad & Maublanc d’une part, et Kauffman d’autre part. Selon Konrad & Maublanc, O. olearius est synonyme de Clitocybe illudens (Schwein) Sacc. d’Amérique du Nord. Mais, Kauffman, en se basant sur la teinte plus foncé des carpophores, sur la dimension plus petite des spores (4 – 5 µm) et l’exten- sion très septentrionale de l’espèce aux Etats Unies d’Amérique a contesté cette synonymie.

D’après toujours Malençon & Bertault (1975), en Europe (ou du moins en France), on tend à considé- rer les spécimens croissant en dehors des limites de l’olivier comme O. illudens et les spécimens du domaine méditerranéen comme O. olearius. En effet, selon Heim (1957), cette espèce comporte deux formes distinctes, l’une identique au Pleurotus illudens de l’Amérique du nord est unicolore et propre aux feuillus et aux pins, l’autre, le vrai Pleurotus phosphoreus, plus épais, à lames jaunes, à chapeau moins vivement orangé, plus brun, à luminescence plus forte, à pied noirâtre à la base croissant sur oliviers dans la région méditerranéenne. Les pigments des deux formes et leur répartition différent.

Kühner & Romagnesi (1984), ont signalé que O. olearius est considéré comme espèce se développant ordinairement sur les arbres à feuilles et sur l’olivier. Elle présente un chapeau orangé vif puis brun orangé et fortement ombiliqué ; des lames décurrentes orangées ou jaune d’or et des spores subglobuleuses (7 x 4,5 - 6,5 µm). Les échantillons récoltés sur Acacia cyanophylla à Kénitra (Fig. 2) et sur Olea europea dans la région de Chefchaouenne correspondent bien à cette description. Mais Kühner & Romagnesi (1984) ont supposé que la description qu’ils ont donné pourrait correspondre à deux espèces différentes qui se distinguent par leur cou- leur, leur habitat, et leur répartition géographique. L’une est à peu prés unicolore et se rencontre sur feuillus divers, c’est Clitocybe illudens (Schw.) Sacc.. L’autre espèce, O. olearia (Fr. ex D. C.), qui ne semble pousser que sur l’olivier au sud de la France, présente un chapeau brun fauve et un stipe souvent plus foncé que les la- mes qui sont de couleur jaune orangé.

La comparaison réalisée en France par Schott (2002) entre la répartition géographique et les caractères macroscopiques des deux taxons (O. olearius, O. illudens) et espèces affines montrent que la distinction est basée essentiellement sur l’écologie et la coloration du chapeau. O. olearius, espèce méridionale, se dévelop- pant sur souches ou racines enfouies d'olivier ou de Quercus ilex, présente un chapeau orangé - jaunâtre à brun rouge. O. illudens, septentrional, se développe sur souches de feuillus et présente un chapeau orangé - brillant. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 30

Récemment, encore, Ortega & Esteve-Rav. (2000) ont considéré, sur la base d'abondantes récoltes fai- tes en Andalousie, que, même si, les caractères distinctifs permettent effectivement de dégager deux taxons bien reconnaissables macroscopiquement grâce à la couleur des basidiocarpes et à la réaction différente à la potasse, et microscopiquement grâce au pigment des hyphes de l'épicutis, le pigment des hyphes est plus in- crustant chez O. olearius que chez O. illudens. Ces différences ne sont pas cependant suffisantes pour considé- rer les taxons comme spécifiquement distincts. Ainsi, les deux auteurs proposent de placer O. illudens au rang variétal de O. olearius en recombinant O. illudens sous la forme Omphalotus olearius var. illudens (Schwein.).

L’analyse de l’ADN, effectuée sur trente deux collections d’espèces du genre Omphalotus, originaires de différentes régions géographiques (Europe, Amérique du Nord, Amérique centrale, Mexique, Australie et Japon) ont montré que le genre Omphalotus peut être subdivisé en deux grandes clades. Le premier est consti- tuée de O. illudens et O. mexicanus et le second renferme O. olearius, O. olivascens, O. japonicus, O. nidifor- mis et O. subilludens (Morandell & al, 2004). Ces données semblent écarter systématiquement les deux taxons : O. olearius et O. illudens qui ne peuvent donc pas être considérés ni comme synonyme, ni comme va- riétés de la même espèce.

Selon Konrad, cité par Loquin (1955), les données statistiques concernant des ordres du règne animal ou végétal où la taxinomie est beaucoup plus stable que dans le domaine de la mycologie, la moyenne des es- pèces dans un genre moyen est bien inférieur à six et le pourcentage de genres monospécifiques est de l’ordre de vingt pour cent. La restriction d’espèces dans un genre déterminé et la multiplication des genres sont comme le souligne Loquin (1955) précieuses car elles vont permettre d’aboutir à une stabilité de la nomencla- ture. En effet, dans un genre restreint, les risques d’homonymie et de confusions entre espèces seront dimi- nués. Les résultats de la biologie moléculaire dans le cas d’Omphalotus tendent au contraire à amplifier d’a- vantage le nombre d’espèces en se basant essentiellement sur leur origine géographique.

A noter que pour ces divergences, nous avons pu récolter sur le même arbre d’Acacia cyanophylla dans la Mamora des sporophores plus étalés et jaunâtres, et à deux ans d’intervalle, des spécimens plus orangés et à silhouette plutôt clitocyboïde à pleurotoïde (Fig. 4). L’hypothèse que sur le même arbre d’Acacia, et pratique- ment sur la même position sur le tronc et également sur les racines enfouies du même arbre, deux espèces dif- férentes font leur apparition en 2003 et 2005 semble non justifiable.

Si, l’on se réfère à nos récoltes (fig. 4), on a pu récolter sur l’olivier à Ouezzane des échantillons clito- cyboïdes et plutôt jaunâtre et à Chefchaouene des spécimens clitocyboïdes, pleurotoïdes à omphaloïdes de couleur jaune orangé à orangé roussâtre. Les spécimens de Ouezzane ressemblent morphologiquement aux échantillons récoltés à Kénitra en 2003 et les échantillons de Chefchaouenne semblent se rapprocher des spéci- mens récoltés à Kénitra en 2005. Ces observations montrent que sur des plantes hôtes identiques ou différentes et dans des localités également identiques ou différentes, l’espèce peut présenter des analogies morphologi- ques comme elle peut varier. Même sur l’olivier l’espèce peut changer de coloration et de port.

Concernant les dimensions des spores, même si, elles sont en général homogènes, il arrive que des es- pèces peuvent avoir des spores de dimensions variables. On a pu constater ces variations au sein de la même espèce et même pour la même récolte. Citons à titre d’exemple, les variations des dimensions des spores ob- servées chez Agrocybe argerita. En effet, chez cette espèce, les spores ordinairement mesurent en moyenne (9 – 12 x 6 -7 µm), mais, ces dimensions peuvent atteindre 17,5 x 7,5 (Outcoumit, 2004). D’ailleurs, les di- mensions sporales sont bien loins de définir le type de spore. Il faut surtout exprimer la forme, car des spores de même dimension peuvent avoir des contours différents (Josserand, 1952).

O. olearius peut être confondu avec d’autres espèces. Ainsi, elle présente une similitude avec Cantha- rellus cibarius Fries : Fries, espèce comestible estimée qui se rencontre également dans les forêts du Nord Ouest du Maroc. Cette espèce qui n’a pas de lames mais des replis se développe à terre, et présente des carpo- phores plutôt de couleur beige jaunâtre. Sur le terrain, on peut assimiler les jeunes basidiocarpes d’O olearius qui se développent sur les racines enfouies à des carpophores de Cantharellus cibarius et la confusion est grande pour les spécimens desséchés.

Omphalotus olearius peut également être confondu avec Armillariella tabescens (Scop. Ex Fr.) Emel BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 31

1921. En effet, les deux espèces se rencontrent sur les forêts du nord – ouest du Maroc, et peuvent parfois se développer sur une même plante hôte : Quercus. suber L.. Elles présentent toutes les deux des spores blanches. Mais, Armillariella tabascens, espèce comestible, se caractérise par une coloration jaunâtre lavée par places et ne présente pas les mêmes tonalités de couleur observées chez Omphalotus olearius. Le chapeau d’A. tabas- cens présente un mamelon central avec des squames brunes et des lames moins décurrentes.

Omphalotus olearius n’a jamais été récolté sur Quercus. suber (Mamora) et sur Juniperus phoenicea (dunes sableuses de Mehdia) comme l’ont annoncé Malençon & Bertault (1975) Elle a été retrouvée sur ces deux localités seulement sur Acacia cyanophylla. De même, cette espèce semble ne plus être aussi abondante comme c’était le cas avant. En effet, du moins d’après nos investigations, le nombre de récoltes et également le nombre de plantes hôtes ont nettement réduit et ne correspondent plus aux observations de Malençon & Bertault (1975).

En France, Omphalotus olearius est considérée comme espèce menacée (Categorie 5) (Sugny, 2004) Une étude plus approfondie dans d’autres localités permettra de mettre en exergue l’état de l’abondance ac- tuelle de cette espèce au Maroc.

Omphalotus olearius est en même temps décomposeur et phytopathogène. Elle provoque la pourridié blanche des racines d’un grand nombre de plantes hôtes. Cette polyphagie qui concerne également les essen- ces forestières complique la protection des arbres fruitiers, cas de l’olivier. Lorsque l’espèce est saprophyte, elle contribue à la décomposition de la matière organique et contribue à la réalisation des cycles biologiques des nutriéléments.

Les espèces du genre Omphalotus contiennent les illudines M et S. Actuellement, des essais cliniques ont montré l’activité antitumorale de ces substances naturelles toxiques, notamment de l’illudine S. (Thomas G. & al., 1996). En effet, l’irofulvène (HMAF = hydroxyméthylacylfulvène, MGI 114) est un analogue semi - synthétique dérivé de l'illudine S. L’irofulvène se lie de manière covalente à l'ADN et induit une action cyto- toxique des cellules cancéreuses. Cette activité cytotoxique semble être particulièrement intéressante dans la chimiothérapie du cancer de l’ovaire, de la prostate et du pancréas (Morandell & al., 2004).

O. olearius est également une espèce vénéneuse pour l’homme (Kühner & Romagnési, 1984), la toxi- cité de cette espèce est due à la présence dans ses basidiocarpes des illudines. Ces toxines, non thermolabiles entraînent un syndrome de type résinoïdien. Ce syndrome se caractérise par des troubles gastro-intestinaux sé- vères, accompagnés de vertiges, de quelques désordres nerveux et des troubles cardiaques (bradycardie, hypo- tension) ou neurosensoriels (myosis, agitation, confusion) (Courtecuisse & Duheme, 2000).

4 – Conclusion

Pour nos récoltes au Maroc et également d’après les travaux de Malençon & Bertault (1975), on a constaté que O. olaearius présente des variations morphologiques des carpophores. Mais, ces variations sont – elles suffisantes pour scinder ce taxons en deux espèces différentes ? D’autres espèces de Basidiomycètes peu- vent présenter également des variations similaires ou même plus prononcées. Mais, ces espèces ne sont pas pour autant subdivisées en espèces différentes. Les exemples ne font pas défaut. D’ailleurs, les mycologues sont presque unanimes sur la variation des critères d’identification des mycètes.

Le Maroc est plus méridionale que l’Europe, et dans la même localité et sur le même arbre hôte on a récolté des spécimens de couleurs différentes. De même, on a pu avoir au niveau des récoltes du nord maro- cain des spécimens semblables ou différents de ceux récoltés dans des stations situées plus au sud.

Peut être également, les représentants de ce genre au Maroc peuvent présenter des critères particuliers aux conditions qui règnent dans ce pays du sud de la méditerranée.

L’essentiel du problème nous semble-t-il réside dans la limite qui permet de définir une espèce déter- minée.

L’hypothèse de deux espèces différentes semble très incertaine et on pourrait peut être admettre l’idée de variétés. L’appellation d’illudens (de illusions qui veut dire trompeur) ne confirme–t-elle pas cette hypo- thèse ? BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 32

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Deux photos © LAURENT P., de récoltes françaises de Omphalotus illudens A gauche récolte sur chêne A droite récolte du châtaignier BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 34 Contribution à l’étude de la fonge des collines calcaires haut- rhinoises.

Daniel DOLL Introduction

Dans le Haut-Rhin, les collines sous-vosgiennes s’individualisent dans une série de panneaux faillés, fortement dénivelés, qui portent encore les sédiments dont était coiffé le massif ancien lors de la cassure. De- puis le Grasberg de Bergheim au nord jusqu’au Bollenberg, les substrats calcaires confèrent au milieu l’essen- tiel de sa singularité écologique. Les roches dures qui s’échauffent rapidement au soleil et les sols peu épais qui les surmontent retiennent mal l’eau, déjà limitée par l’écran vosgien et génèrent l’installation de groupe- ments végétaux originaux, pelouses du xerobrometum sur rendzine, broussailles à épineux et reliques forestiè- res sur sol brun peu évolué.

A première vue, les fortes contraintes climatiques et édaphiques, inhérentes aux collines calcaires, pa- raissent rédhibitoires pour la poussée des champignons. Et pourtant on peut récolter dans ces milieux non seu- lement un éventail très diversifié de basidiomes, mais aussi de grandes raretés.

1. Les champignons des collines calcaires : caractères généraux et état des recherches.

Le cortège des champignons associés aux collines calcaires est d’une grande originalité et contraste vi- vement avec celui des forêts acidophiles limitrophes. Ces milieux chauds et secs hébergent bon nombre d’espèces à tendance méridionale, voire même médi- terranéenne, parfois uniques dans le nord de la France. Le comportement des champignons s’inspire d’ailleurs largement de celui du Midi : peu de fructifications au printemps et en été, à l’exception de poussées ponctuel- les après un gros orage, mais une arrière-saison extrêmement riche, du moins jusqu’aux premières grandes ge- lées. Comme sur les collines de la Drôme ou dans les Préalpes niçoises, il n’est pas rare de récolter cortinaires, Tricholomes et Lyophyllum au Bollenberg ou à Sigolsheim au mois de décembre ! Par ailleurs, à cause du fonctionnement hydrique particulier des sols calcimorphes, la poussée des saprophytes et des mycorhiziques est décalée par rapport à celle des parcelles acidophiles voisines.

Les fluctuations saisonnières se doublent parfois d’alternances annuelles ; il existe sur le Piémont, comme ailleurs, des années à champignons et des an- nées « sans ». Plus surprenant, certaines collines peu- vent « donner » alors qu’au même moment d’autres, distantes de quelques kilomètres à peine font « l’impasse ». Ainsi en 2005 le Mont de Sigolsheim était achalandé comme rarement, alors que le Flori- mont et surtout le Bollenberg ont beaucoup déçu. Plus qu’ailleurs, les champignons de ces milieux sont tributaires de l’eau atmosphérique, y compris celle qui tombe tôt en saison, et les couloirs d’orages de l’été sont passés cette année par la vallée de la Weis. Entoloma carneogriseum

Le caractère aléatoire des fructifications avec, pour certaines espèces, des hiatus de plusieurs décen- nies, ne facilite pas l’effort d’inventaire. Contrairement aux autres sciences de la nature, la mycologie souffre de bien des retards et les nombreux problèmes de nomenclature ajoutent à la difficulté. Elle est encore en pleine construction et dans le seul département du Haut-Rhin la liste des champignons inventoriés s’enrichit chaque année d’une centaine d’espèces nouvelles pour dépasser aujourd’hui le seuil des 4000 taxons.

BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 35 Devant l’ampleur de la tâche, il n’est pas étonnant qu’il n’existe à ce jour aucune étude de fond sur les champignons des collines calcaires haut-rhinoises . D’ailleurs même les publications partielles afférentes à ces milieux originaux ne sont pas légion (voir bibliographie en annexe). Pendant longtemps, les incursions myco- logiques étaient ponctuelles et sans objectif d’inventaire. Depuis quelques années, la situation évolue un peu plus favorablement devant l’intérêt grandissant que suscitent ces milieux et la promesse de découvrir des rare- tés fongiques, mais les prospections relèvent toujours d’initiatives individuelles.

Les champignons du Bollenberg, grâce aux travaux pionniers de P. Hertzog et aux nombreuses herbori- sations du mycologue bâlois, M. Wilhelm, sont certainement les mieux connus. Au nord de Colmar, P. Lau- rent a effectué plusieurs campagnes de recensement sur les pelouses de Sigolsheim et du Grasberg. Nous avons, pour notre part, établi ces dix dernières années une bonne centaine de relevés, sans négliger aucune col- line, mais avec une prédilection pour les milieux forestiers du Bickenberg, qui a l’immense privilège d’être doté d’une surface boisée suffisamment étendue et d’héberger quelques hêtraies calcicoles.

2. Les champignons des collines calcaires : aperçu par grands biotopes.

A terme, il serait fort utile de classer les champignons des collines par écotopes, en distinguant par exemple les prairies xéro-thermophiles des enclaves mésophiles, les hêtraies du Céphalanthero-Fagenion des chênaies à Quercus pubescens et la fruticée xérophile des versants chauds des ourlets en ubac. En attendant, nous devons nous contenter d’un aperçu par grands milieux, pelouse, forêt de feuillus et pinède.

Tulostoma brumale associé à Entoloma incanum, du système fongique « Tulostomo-Entolomotetea »

Les pelouses les plus étendues et les plus intéressantes se localisent incontestablement au Bollenberg, à la fois à mi-pente (le xerobrometum) et sur le versant sommital (le mesobrometum). Elles abritent des genres variés parmi lesquels Dermoloma, Entoloma, Lepiota, Melanoleuca, Hygrocybe ou Clitocybe qui fournissent chacun des espèces fort inhabituelles sous nos latitudes. Alors que pour J.P. Maurice, la clé de voûte du sys- tème fongique des pelouses calcaires sèches de Lorraine est Entoloma incanum, associé à Tulostoma brumale, au point de créer le « Tulostomo-Entolomotetea Maurice & Richard 2001 », il ne semble pas que ces deux es- pèces bien que présentes sur le Bollenberg y jouent le même rôle emblématique. Peut-être faut-il attribuer la discrétion de l’Entolome à odeur de souris à une influence continentale plus marquée dans ce milieu. Clito- cybe glareosa et Clitocybe senilis, fidèles chaque année à leur station, sont nettement plus représentatifs. Ils sont pourtant franchement rares ailleurs dans la région. Entoloma carneogriseum et Entoloma sodale n’existent en Alsace qu’au Bollenberg, la station la plus proche de Pleurotus eryngii se situe dans le département du Jura et celle de la ravissante Floccularia luteovirens en Haute-Saône . Quant à Gymnopilus flavus, il ne figure sur aucun relevé d’inventaire, pas plus en Alsace qu’en Franche-Comté.

Une partie des espèces du Bollenberg se retrouve également au Strangenberg, sur le Mont de Sigols- heim et, à un degré moindre, au Zinnkoepfle et au Grasberg. Le Bickenberg fournit aussi quelques espèces de valeur, dont Clitocybe pseudobbata, la seule station, à notre connaissance, de la France de l’Est. A noter enfin, en marge, l’originalité des prés calcaires à hygrophores de Thannwiller près de Wintzfelden.

BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 36 Les champignons des feuillus calcaires sont d’une toute autre facture. Les forêts sommitales du Bollen- berg, de Sigolsheim, du Bickenberg et plus généralement du bassin d’Osenbach-Wintzfelden hébergent un éventail très diversifié de cortinaires rares parmi lesquels des « pieds-bots » de toute beauté. A ce jour, près de quatre-vingts espèces, variétés et formes de ce genre difficile ont pu être identifiées par P. Hertzog. C’est aussi le milieu de prédilection des gros hygrophores, Hygrophorus persoonii, Hygrophorus chrysodon et le très convoité Hygrophorus russula. A Sigolsheim fructifie Hygrophorus roseodiscoideus, un thermophile méridio- nal, connu des fourrés méditerranéens, mais inédit dans la France du Nord-Est.

Les russules du calcaire prospèrent plus tôt en saison. Russula flavoviridis, Russula decipiens var. ver- miculata et Russula fragilis var. gilva, toutes du Bickenberg, ne poussent nulle part ailleurs en Alsace. Dans ces forêts thermophiles, les somptueux bolets toxiques du calcaires ne sont pas en reste. Boletus satanas et Bo- letus radicans nous gratifient certaines années de poussées spectaculaires. Boletus lupinus pousse à Kient- zheim, au Florimont et dans les forêts d’Osenbach et Boletus legaliae est soupçonné au Schlossrain, à deux pas du Bickenberg. Les chênes pubescents hébergent également toute une gamme de lactaires, de tricholomes, de Lyophylum noircissants et même les très rares Leucoagaricus fuligineodiffractus au Zinnkoepflé et Clitocybe alexandri au Bollenberg, sa seule station dans la région.

La pinède calcaire fonctionne un peu à part. Au Grasberg, au Bollenberg, au Bickenberg, à Si- golsheim et à Wintzfelden, il manque bon nombre d’espèces mycorhiziques du pin sylvestre, à com- mencer par tous les champignons acidophiles. En revanche, comme l’écrit P. Hertzog, « les espèces calciphiles colonisent par tapis ou cercles impres- sionnants le vide laissé par leurs congénères. » C’est le cas des tricholomes, T. fracticum, T. pessunda- tum, T. terreum, T. myomyces et même le peu com- mun Tricholoma gausapatum à Sigolsheim. Les bo- lets visqueux sont légion, Suillus granulatus, S. col- linitus et S. luteus, les hygrophores bien représentés, H. latitabundus, H. agathosmus, H. hypothejus et Tricholoma pessundatum même H. gliocyclus, plutôt discret ailleurs en Al- sace. Sans être abondants, les cortinaires se défen- dent bien dans ces milieux, à l’instar de C. dionysae et les russules, R. sanguinaria, R. fuscorubra et R. torulo- sa, sont fidèles à leur station.

La pinède héberge aussi son lot de raretés comme Clitocybe lituus, Inocybe grammopodia ou Galerina rubiginosa à Bergheim. Quant à Lactarius vinosus, un sanguin poudré de blanc, et que nous n’avons trouvé en Alsace qu’au Bollenberg et à Wintzfelden, il souligne à merveille l’orientation thermophile de ces pinèdes.

Conclusion

Les milieux calcaires des collines sous-vosgiennes haut-rhinoises abritent de véritables joyaux fongi- ques. Certains champignons peuvent être considérés comme des avant-postes occidentaux d’espèces des pe- louses steppiques d’Europe Centrale. Mais en réalité, ils s’inscrivent bien davantage, par leur tendance xéro- thermophile, dans des groupements botaniques d’associations méditerranéennes. Cependant, faute de bras et de compétences, l’inventaire des espèces de ces biotopes exceptionnels est loin d’être achevé et leur intégra- tion dans des mycoenoses n’en est qu’à ses balbutiements. S’il est possible d’établir des relevés partiels à courte échéance, il faut savoir raison garder et accepter de se projeter au mieux à moyen terme pour un inven- taire plus exhaustif et une compréhension globale des interactions des champignons avec leur milieu.

En attendant, l’urgence est de porter au plus vite une attention particulière aux biotopes des collines cal- caires, car la fonge n’y est qu’en sursis. Les champignons, comme les plantes, les insectes ou les oiseaux, ont besoin d’une surface minimale pour se reproduire et survivre. Or, le grignotage incessant de ces milieux relic- tuels par la vigne, comme à Sigolsheim où la forêt est confinée sur une étroite crête rocheuse de quelques mè- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 37

tres de largeur, risque de nous priver à court terme de joyaux uniques. L’intense piétinement de la pelouse et de la forêt sommitale du Bollenberg, est tout aussi préjudiciable à la fonge. Quant au surpâturage du Bicken- berg, il ne nuit pas seulement à Orchis pallens, mais à toute une troupe de Cuphophyllus, d’Hygrocybe, et de Dermoloma. Pour assurer la survie des espèces, il faut non seulement renforcer les arrêtés de protection exis- tants, mais envisager le plus rapidement possible une politique de reconquête de terres, notamment en se réap- propriant les parcelles anthropisées en bordure et en les renaturant.

Annexe : bibliographie succincte

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D’autres monographies d’espèces sont parues dans les revues mycologiques de la région et il faut encore rajou- ter les comptes rendus de sorties sur le terrain. A noter que B. Crozes, qui s’est chargé du recensement des champi- gnons d’Alsace, n’a pas encore dépouillé tous les bulletins de la Société d’Histoire Naturelle de Colmar. On peut égale- ment consulter avec profit les inventaires généraux suivants :

- Crozes (B.), Les champignons d’Alsace… et plus particulièrement du Haut-Rhin, Bulletin spécial SMHR, 2003, 74 pages et mises au point annuelles parues dans les revues mycologiques alsaciennes (SMHR et SMS) - Dangien (B.), « Sur la distribution géographique des champignons dans le nord-est de la France », in Bulletin de la Société Mycologique des Hautes-Vosges, n° 4, 1999, p. 32 à 35, avec bibliographie complémentaire. - Kriegelsteiner (G.), Verbreitungsatlas der Grosspilze Deutschlands, E. Ulmer, Band 1, 1991, 600 pages, Band 2, 1993, 596 pages. L’Alsace est incluse dans ce recensement. - Laurent (P.), « Liste rouge des champignons d’Alsace », in Les listes rouges de la nature menacée en Alsace, ODONAT, 2003, p. 277 à 335.

On peut se référer enfin à des publications externes à la région, notamment à propos des pelouses calcaires :

- Corriol (G.), « Notes mycologiques sur les pelouses sèches calcicoles », in Bulletin de la Société Mycologique Dauphiné-Savoie, n° 160, 2001, P. 13 à 31. - Maurice (J.P.), « Pelouses calcaires sèches : enfer et désert pour les champignons ? », in Bulletin de la Société Mycologique des Hautes-Vosges, n° 6, 2001, p. 50 à 52 avec compléments de P. Laurent p. 53. - Richard (B.), Les mycocoenoses des pelouses calcicoles du Barrois lorrain. Analyses inventoriale, patrimoniale et conservatoire. Thèse de Pharmacie, 2000, 77 pages. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 38 LA FONGE DE LA TOURBIERE DU FRANKENTHAL

Daniel DOLL

INTRODUCTION

Une tourbière est un milieu saturé en eau, colonisé par une végétation particulière à base de sphaigne, qui se développe sur un sol peu perméable. La matière organique, ou tourbe, provient de l’accumulation, sur une longue période, de résidus végétaux dans un environnement humide. Ses origines sont variées, mais dans les Hautes-Vosges, les glaciers ont leur part de responsabilité, car ils ont laissé, après leur fonte, des topogra- phies caractéristiques en cuvettes favorables au développement de lacs qui, en se comblant au fil des millénai- res, ont abouti à des tourbières. Celle du Frankenthal, dans la haute vallée de la Petite Fecht, est à la fois typique de ces biotopes post- glaciaires et plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Si la végétation de la tourbière est bien connue de- puis des décennies et protégée en conséquence, il n’en va pas de même de la fonge qui n’en est encore au- jourd’hui qu’au stade de l’identification. Les champignons jouent pourtant un rôle capital dans la tourbière et forment des mycocœnoses bien constituées. Certaines espèces sont même d’une grande rareté à l’échelle de l’Alsace, de la France ou de l’Europe et contribuent à valoriser scientifiquement un des plus beaux sites des Vosges.

I. LE SITE DU FRANKENTHAL : UN CIRQUE GLACIAIRE A HAUTE VALEUR PATRIMO- NIALE

Délimité au nord par la chaume des Trois-Fours, à l’ouest par le Falimont et au sud par le Hohneck, le cirque du Frankenthal est le plus alpestre des amphithéâtres vosgiens. La tourbière qui occupe le fond à 1030 mètres d’altitude est constituée d’un lac d’ombilic entouré par un radeau flottant périodiquement remanié par les coulées d’avalanches.

BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 39 A. La dynamique de la tourbière

Les tourbières sont des entités complexes et évolutives qui ne rentrent pas facilement dans des grilles de classification. Celle du Frankenthal ne déroge pas à cette règle, bien au contraire. A première vue, elle devrait s’insérer dans le vaste complexe des tourbières topogènes, car elle reste par- tiellement alimentée par l’accumulation d’eau dans le cirque de surcreusement glaciaire qu’elle recouvre et égalise sous de grandes épaisseurs de tourbe. Grâce à ces nappes branlantes, formées de plaques de sphaignes, elle comble peu à peu le plan d’eau de l’Etang Noir, aujourd’hui réduit à un simple trou d’eau de quelques di- zaines de mètres carrés, alors qu’il occupait probablement jadis une surface proche d’un hectare et demi. On peut tout de même la qualifier pour quelques temps encore, en suivant la terminologie retenue par Y. Sell et alii, de tourbière haute topogène avec branloire et eau libre. Elle n’est pas loin de répondre aussi aux critères d’une tourbière ombrogène et donc à alimentation at- mosphérique. La pluie et la neige sont maximales à deux pas de la crête principale et les précipitations oc- cultes, rosées et brouillards, jouent également un rôle considérable. Il n’est d’ailleurs pas anormal qu’une tour- bière topogène avancée évolue en tourbière ombrogène… A y regarder de plus près, le Frankenthal est en réalité une tourbière double, c’est-à-dire composée de deux entités distinctes séparées par une moraine de retrait submergée, à peine décelable dans le paysage : le lac d’ombilic entouré de ses radeaux flottants au fond, le bombement ombrotrophe du côté de la moraine fron- tale. Selon G. Lemée, cette petite moraine secondaire aurait très bien pu suffire à générer une évolution nette- ment différente entre les deux unités. Cette différence se retrouve d’ailleurs dans les groupements végétaux.

Potamogeton natans Exobasidium karstenii sur feuille d’endromède

B. Phytosociologie de la tourbière.

En apparence protégé par la crête, le Frankenthal subit en réalité des conditions climatiques rudes avec étés frais, hivers froids, enneigement fort long et couloir de circulation éolienne dans l’axe du col du Falimont. La ventilation hivernale, d’une extrême violence, accumule la neige en épais névés qui déterminent des zones froides et humides. Ce biotope est favorable à l’installation d’associations végétales spécialisées qui partici- pent à l’originalité du site. La végétation de la partie ouest, donc du fond, est celle des milieux aquatiques et des premiers stades de la tourbière. Autour de la surface en eau libre à potamots nageants et lentilles d’eau, les botanistes distinguent successivement l’association du Caricetum rostratae à carex à ampoule, trèfle d’eau et linaigrette gracile, l’as- sociation du Caricetum fuscae à laîche noire, laîche en étoile, laîche blanchâtre et violette des marais et l’asso- ciation du Sphagnetum medii. A l’arrière plan, la mégaphorbiée du Falimont, à trolle et aconit napel, encadre de très près, la végétation turficole, alors que vers la moraine submergée s’est développé un groupement suf- frutescent à base de saule. Dans le bassin oriental, plus vaste et entièrement comblé, les sphaignes forment un tapis continu. La tourbière bombée du Sphagnetum medii présente toutefois des variantes mouillées à sèches suivant la micro- topographie. Dans les zones détrempées, le tapis dense de sphaignes abrite le rossolis, qui déploie ses rosettes BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 40 de feuilles à tentacules, et la canneberge, reconnaissable en automne à ses grosses baies rouges. Sur les buttes plus sèches, les sphaignes sont concurrencées par quelques Hypnacées et Polytrichum commune. Un groupe- ment herbacé et à ligneux buissonnants, dans lequel dominent les airelles, s’étend du côté de la Martinswand, alors qu’en face le bouleau pubescent s’est installé par bouquets, signe que l’évolution de la tourbière arrive à son terme à cet endroit. Même si la flore souffre, selon P. Waechter, d’une certaine pauvreté qu’il attribue aux vicissitudes du régime hydrologique, plusieurs taxons remarquables méritent une attention particulière. Scheuchzeria palus- tris, Eriophorum gracile, Drosera rotundifolia ou encore Carex limosa bénéficient même d’une protection na- tionale.

C. Un habitat prioritaire à l’échelle européenne

L’intérêt scientifique du Frankenthal est reconnu de- puis longtemps. Dès le 16ème siècle, les botanistes arpentent le site pour y étudier les associations végé- tales. Au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, il constitue un lieu d’excursions privilégié pour les J. B. Mougeot, F. Kirschleger et autres E. Issler. De- vant l’insistance des scientifiques, le cirque glaciaire finit par bénéficier d’un arrêté préfectoral de protec- tion de la flore le 11 janvier 1962. La tourbière fait même partie des milieux reconnus d’intérêt commu- nautaire par la Directive européenne « Habitats » du 21 mai 1992 et elle est incluse dans le site « Natura Drosera rotundifolia 2000 » des Hautes-Vosges.

Son environnement grandiose a fortement contribué aussi à la création de la réserve naturelle du Fran- kenthal-Missheimlé qui est entrée en vigueur par décret ministériel le 19 octobre 1995 et qui est gérée depuis lors par le Parc naturel régional des Ballons des Vosges. Un des objectifs fondamentaux de la réserve est de pérenniser le bon fonctionnement des écosystèmes tourbeux et d’assurer une gestion conservatoire des espèces rares, menacées ou relictuelles quelles qu’elles soient. Or parmi elles figurent également bon nombre de champignons, totalement ignorés dans le plan de ges- tion de la réserve (2001-2005), faute de connaissances suffisantes sur le sujet. La campagne d’inventaire de la fonge des tourbières (2005-2007), lancée par le Parc et confiée à P. Laurent de la Société Mycologique des Hautes-Vosges, inclut le Frankenthal. Nous nous chargeons personnellement de la mener à bien sur ce site re- marquable afin que les champignons puissent être pris en compte, au même titre que le flore ou la faune dans les prochains plans de gestion de la réserve. Avant même le démarrage du recensement officiel, grâce aux nombreuses herborisations réalisées sur le site, il nous est déjà possible de livrer un canevas grossier des my- cocœnoses de la tourbière. L’enquête finale complètera utilement ces premières observations.

II. ANALYSE MYCOCŒNOLOGIQUE DE LA TOURBIERE

Contrairement au proche Rothried, réputé pour la relative stabilité des poussées fongiques, la tourbière du Frankenthal est beaucoup plus capricieuse et alterne grandes disettes et spectaculaires pics de fructification, mais toujours dans un laps de temps relativement court. Il ne faut pas perdre de vue que les conditions climati- ques ne permettent généralement qu’une première apparition des champignons dans la deuxième quinzaine de juillet et que la saison automnale est bien souvent interrompue dès les premiers jours d’octobre par la gelée ou les chutes de neige. Entre 1998 et 2005, une bonne vingtaine de prospections sur le site nous a permis de mettre en valeur trois groupements d’espèces partageant régulièrement le même milieu de vie.

A. La symbiose mycorhizienne dans la bétulaie

Alors que les airelles des buttes asséchées et les quelques saules de la moraine de retrait semblent se BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 41 complaire sans champignon, la petite bétulaie des marges méridionales de la tourbière bombée entretient une fonge abondante et relativement variée composée à la fois d’espèces sphagnicoles, à l’instar de Tephrocybe palustris ou de la rare Omphalina oniscus, et de nombreuses espèces ectomycorhiziques associées au bouleau pubescent. Parmi les genres inféodés à cet arbre et né- cessaires à sa survie figurent les lactaires. Lacta- rius vietus, au lait séchant en perles gris-vert sur les lames, est le plus régulier, suivi de Lactarius glyciosmus, qui exhale une forte odeur de coco, et Lactarius tabidus, le lactaire dépérissant. En l’absence de conifères, Lactarius helvus est plus rare dans la tourbière et Lactarius theiogalus bien davantage encore : son revêtement est d’un brun soutenu, pas loin de celui de Lactarius sphagneti, mais il sent la punaise et le virage du lait est im- médiat. P. Hertzog, qui l’a examiné, signale une ornementation sporale réticulée et la présence d’épicutis celluleux. Les russules prospèrent également à l’om- Lactarius vietus bre des bouleaux. En l’absence de sporée, Russu- la sphagnophila, extrêmement polymorphe, est bien difficile à distinguer de Russula nitida et de sa variété heterosperma, toutes deux sur le site. Les émétiques ne sont représentées que par Rus- sula betularum, les Atropurpurinae par Russula aquosa, quant à Russula claroflava, elle éclaire la tourbière par sa couleur jaune dorée souvent as- sez tôt en saison. Les cortinaires ne sont pas en reste. Corti- narius palustris est surabondant et il partage cer- taines années son milieu avec son proche parent à lames jaunes, Cortinarius sphagnogenus. La fructification de Cortinarius diasemospermus, un champignon de la stirpe des Atropusilli, est ex- ceptionnelle. Dans les Alpes, l’espèce a la répu- Cortinarius palustris tation de croître dans les Salix herbacea de l’é- tage subalpin.

Les Leccinum, sans être nombreux, mycorhizent eux-aussi les bouleaux de la tourbière. Mais Lecci- num holopus, Leccinum molle, Leccinum variicolor et Leccinum brunneogriseolum var. pubescentium ne sont jamais présents en même temps sur la tourbière. Quant aux inocybes, ils ne sont pas légion. Au cours des pros- pections, nous avons pu trouver Inocybe lanuginosa, Inocybe umbrina et Inocybe proximella, sans véritable- ment comprendre quel était leur statut trophique réel, pas plus d’ailleurs que celui de Rickenella fibula, des mycènes (M. galopus, M. leucogala, M. viscosa), de Laccaria affinis ou d’Entoloma cetratum, alias « l’œil de Moscou ». J. Favre, le pionnier des études mycologiques en tourbière, cité par P.A. Moreau, avait déjà signalé il y a plus de cinquante ans la présence d’espèces simplement acidophiles, indifférentes à l’humidité et même à l’hôte, dans ces milieux spécifiques. Enfin, pour l’anecdote, nous pouvons évoquer la fructification de Marasmius bulliardii, un saprophyte colonisateur des feuilles de bouleau, qui s’est aventuré dans la tourbière en plein cœur de la canicule 2003.

B. Les saprotrophes de la tourbière bombée ouverte

Le saprotrophisme, ou plus précisément le bryotrophisme dans le cas des mousses et des sphaignes, désigne le mode de nutrition à partir de la matière organique morte et bien souvent, par extension, tout cham- pignon sans activité mycorhizique démontrée. Il est possible, comme le suggère P.A. Moreau, que les plantes BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 42 possédant un système racinaire au contact direct de l’eau soient dépourvues de mycorhizes. Leurs racines ré- cupèrent directement les nutriments par un système de poils absorbants qui assurent le rôle d’échange habi- tuellement rempli par le champignon. Comme les champignons sont peu favorisés par le substrat à la fois satu- ré en eau, pauvre en éléments nutritifs et en oxygène dissous et riche en composés peu assimilables, force est de constater que les espèces présentes ne sont pas très nombreuses. La relative pauvreté fongique de la tourbière bombée du Frankenthal ne surprend donc guère. Galerina paludosa et Galerina mairei sont assez régulières en saison ; la première, banale dans les Vosges, se détermine macroscopiquement par son stipe guirlandé, la seconde, plus brun-orangé, se caractérise par son mamelon en bouclier presque hyalin à l’état imbu. Ces galères, auxquelles on peut rajouter G. sphagnorum, occasionnelle- ment présente sur le site, décomposent les sphaignes éteintes et pourraient même accélérer leur mort par la sé- crétion de toxines. Si cette action était confirmée, on devrait alors les qualifier de bryotophes-nécrotrophes. Pour l’instant, le seul basidiomycète réellement reconnu comme parasite violent des sphaignes et pro- bablement unique organisme capable de les consommer et de les détruire en l’absence de parasites et de préda- teurs, c’est Tephrocybe palustris. Les études de P.A. Moreau, qui corroborent celles de S.A. Redhead, mon- trent que le champignon introduit un blanchissement irréversible des rameaux et de la tige en-dessous du point de fixation des carpophores. Il est loin d’être rare sur la tourbière bombée du Frankenthal. Certaines an- nées, sans raison apparente, les fructifications se dénombrent par milliers. Ce phénomène concerne également G. paludosa ou de G. mairei du reste. Mais ce sont les poussées spectaculaires des espèces spatulées qui surprennent le plus. Geoglossum cookeianum méritait sans conteste le titre de champignon de l’année 2003. Au cours de l’été, des quantités considérables de massues noirâtres, un peu comme si elles avaient été semées, avaient obscurci la tourbière. L’ascoma est souvent confondu avec celui de Geoglossum sphagnicola, sous le prétexte un peu léger qu’il pousse dans la sphaigne, alors que Geoglossum cookeianum a la réputation d’être plutôt sabulicole. Sa tête et son stipe parfaitement lisses l’écartent de son cousin Trichoglossum hirsutum, beaucoup plus rare sous nos la- titudes. Clavaria sphagnicola est elle reconnaissable à la base jaune de son stipe et pousse plutôt en automne. Elle a amplement prospéré dans la tourbière début octobre 2004 et fin septembre 2005, mais elle n’existe ail- leurs en Alsace qu’à Storckensohn. Son statut trophique, comme celui du géoglosse, restent, là encore, à préci- ser.

Tephrocybe palustris Champignon parasite des sphai- gnes.

C. La flore fongique d’affinité boréale du lac-ombilic

En périphérie immédiate de l’Etang Noir, sur les flottants et les tremblants inondés, croît une flore fon- gique particulière. Les poussées sont peu fréquentes, souvent anarchiques et décalées par rapport au reste de la tourbière. Mais quelle récompense en période de fructification ! Le rouge vif des Hygrocybe coccineocrenata égaye la marge méridionale du lac. Il s’agit de la variété sphagnophila (Bon) qui ressemble, à s’y méprendre, à BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 43

Hygrocybe turunda var. sphagnophila des Suisses, ce dernier ayant des écailles un peu plus pâles et une cou- leur tirant davantage vers l’orange. 2004 et 2005 ont été des années fastes pour l’espèce qui ne figurait sur au- cun relevé précédent. Deux autres espèces caractérisent les bas-marais à Scheuchzeria et Carex limosa : Ento- loma sphagnorum, qui a choisi de se réfugier au pied d’une petite élévation de terrain et Sarcoleotia turficola, un ascomycète à stipe issu de la base des parties vivantes des sphaignes. Les radeaux hébergent également quelques espèces sphagnicoles ubiquistes, déjà recensées sur la tour- bière bombée, tels T. palustris, G. paludosa, G. tibiicystis. Ils se déploient plutôt à l’ouest du lac, parfois en compagnie des hypholomes, H. udum et H. elongatum, sauf là où s’est installée la plus spectaculaire et la plus originale des espèces de la tourbière boisée, Armillariella ectypa. Par sa rareté, cette espèce mérite, avec quelques unes de ses congénères, un traitement monographique à part.

III. PRESENTATION SUCCINCTE DE QUELQUES ESPECES EMBLEMATIQUES DE LA TOURBIERE

Que l’on en juge : Armillariella ectypa figure, dans la Convention de Berne, dans la catégorie des « espèces prioritaires dont la population est à surveiller au niveau européen ». Sarcoleotia turficola est une es- pèce rare à très rare associée exclusivement à un écosystème jugé prioritaire par la Directive européenne « Habitats ». Quant à Entoloma sphagnorum, il n’a, comme les espèces précédentes, encore jamais été signalé nulle part ailleurs en Alsace et il apparaît sur la très sélective liste rouge des champignons de Suisse ; en Fran- che-Comté, il a été intégré à la catégorie des espèces potentiellement éteintes avant que D. Sugny ne la re-

Entoloma sphagnorum Armillaria ectypa trouve dans la tourbière du Grand Rossely au pied du Ballon de Servance au début du mois de septembre 2003, un an à peine avant notre découverte.

A. Armillariella ectypa, une espèce originale

A notre connaissance, en dehors du Frankenthal, seules trois tourbières vosgiennes hébergent Armilla- riella ectypa, le Machais, Lispach et Retournemer. Quel que soit le lieu, l’espèce s’épanouit toujours dans des conditions stationnelles strictement identiques, à savoir les bords de tremblants à deux pas du lac central. A Lispach, nous avons même pu identifier, avec l’aide de P. Hertzog, la variété cespitosa (inédit), car la touffe, d’une dizaine d’exemplaires, donnait l’impression de partir d’un même pied. Au Frankenthal, les sporophores sont tantôt individuels, tantôt subcespiteux. Ils exhalent parfois une odeur bien agréable, mais plutôt difficile à fixer, de fruit, d’agrume acidulé, d’amande amère ou d’anis. Le chapeau est d’une taille respectable - 5 à 6 cm de diamètre - ce qui est exceptionnel pour un champignon de tourbière ouverte. D’abord convexe, puis vite plat et enfin légèrement déprimé, il garde une marge flexueuse qui peut être faiblement striée ou carrément cannelée. La pellicule qui le recouvre, translucide et détachable, contribue à le caractériser. Sa couleur varie du jaunâtre pâle au brun-beige imbu et il est recouvert de mèches sombres au centre qui s’étiolent vers la marge. Les lames, ocre- pâle à reflets rosés, sont modérément décur- BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 44 rentes et le stipe, qui peut aller jusqu’à 10 cm sur certains exemplaires, est fibrillo-strié et un peu clavé. Nous n’avons jamais pu repérer les rhizomorphes noirs enfouis dans l’horizon tourbeux. C’est pourtant à cause de ces rhizomorphes caractéristiques du genre Armillariella et de l’absence de relation avec les sphaignes vivantes que l’on considère ce champignon comme une espèce extravagante. Selon P.A. Moreau, il mérite de figurer dans une catégorie à part. Sarcoleotia turficola présente lui aussi son lot d’originalités.

B. Sarcoleotia turficola, un ascomycète spectaculaire

L’espèce détonne d’abord par ses couleurs inhabituelles ; la surface fertile de la sarcoléotie des sphai- gnes est verdâtre à olivâtre plus ou moins foncé et contraste avec un stipe lilas-vineux à rosâtre. Comme elle pousse en troupe de plusieurs dizaines d’individus le plus souvent agglomérés, elle ne passe pas inaperçue dans la tourbière. Elle surprend ensuite par la forme de ses ascomas, des sortes de grands clous d’un autre âge à tige cabossée profondément enfoncée dans le terreau humide. A vrai dire, l’hymenium, de 2 cm de diamètre en moyenne, est d’abord convexe, puis plus aplati et enfin quasiment cérébriforme et le stipe, long de 3 à 6 cm est très apointi et présente de nombreuses aspérités. Elle étonne enfin par sa consistance gélatineuse un peu comparable à celle de Pseudohydnum gelatinosum. Hors d’Alsace, Sarcoleotia turficola a été signalée par le mycologue bâlois M. Wilhelm à Lispach et, toujours dans les Vosges lorraines, P. Hertzog et le Groupe Mycologique Vosgien l’ont trouvé à Martimpré près de Gérardmer. J.M. Moingeon l’a récoltée à Frasne dans le Doubs où elle est régulièrement observable depuis le ponton de la tourbière vivante. Elle est signalée également dans plusieurs stations des Alpes du Nord, en France comme en Suisse, toujours dans des endroits très acides et mouillés. Entoloma sphagnorum s’accommode également fort bien des sols sursaturés en eau, mais il n’est pas aussi strictement inféodé au premier stade des tourbières.

C. Entoloma sphagnorum, une jolie leptonia

L’espèce fait partie du groupe des sphagni-humicoles, c’est-à-dire des champignons qui se développent à partir des sphaignes mortes mêlées aux racines (interface acrotelm-catotelm). Jusqu’à présent, elle s’est ma- nifestée à deux reprises au Frankenthal au cours de l’été 2004 et elle a été déterminée par P. Hertzog qui la connaissait de l’Hermitage Saint-Joseph dans les Vosges. Si l’on rajoute la découverte de D. Sugny au Ballon de Servance, le massif vosgien peut désormais s’enorgueillir de trois stations de ce champignon rare qui n’existe, à en croire G. Krieglsteiner, ni en Forêt-Noire, ni en Suisse septentrionale. Il présente un chapeau un peu ombiliqué, brun-chaud à brun-cuivré, de 1,5 à 2 cm de diamètre, strié par transparence et plus sombre au centre sur quelques millimètres. Au goût, il laisse une légère amertume. Le stipe est gris-pâle, élancé et plus ou moins creux, en tous cas cloisonné longitudinalement. Les lames sont ad- nées-uncinées, beige à reflets ocre-jaunâtres, très jolis en contraste avec la couleur du chapeau. L’arrête des lames est fimbrillée et concolore, sauf sur un des quatre exemplaires qui présente des traces sombres. En fait, ce sont les cheilocystides à pigment intracellulaire brunâtre qui sont parfois visibles macroscopiquement. Quant aux dimensions sporales, elles gravitent dans une fourchette assez large de 10 à 13 microns dans le sens de la longueur sur 7 à 9 microns en largeur.

Leccinum roseofractum Sarcoleotia turficola — Photo F Sarraillon BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 45 D’autres entolomes sont censés pousser dans les bas-fonds à sphaignes enrichis de laîches, mais au Frankenthal ils restent encore à découvrir.

CONCLUSION

Au Frankenthal, site prestigieux des Vosges alsaciennes, les buttes de sphaignes de la tourbière bom- bée et les radeaux et tremblants de la zone plus active accueillent des espèces saprophytes d’affinité boréale. Mise à part Armillariella ectypa, de taille respectable, les champignons possèdent tous un petit chapeau non charnu et un pied grêle et allongé pour pouvoir dépasser les tiges de sphaignes à croissance continue. Dans la bétulaie, la mycorhize permet aux espèces comme Lactarius vietus, Russula aquosa ou Cortinarius palustris de résister à l’assèchement et de récupérer divers corps organiques. Mais, comme le rappelle O. Manneville, cer- tains mycorhiziens sont indifférents à l’hôte pourvu qu’il y ait des sphaignes et d’autres suivent leur hôte, qu’il y ait ou non des sphaignes. Dans tous les cas, l’irrégularité de l’apparition des sporophores rend leur observa- tion aléatoire et de nombreuses études sont encore nécessaires pour affiner nos premières observations sur la tourbière. En attendant de mieux connaître les micocœnoses et le statut trophique des champignons du Franken- thal, il est important de préserver le milieu coûte que coûte. Les textes existent désormais et la tourbière sem- ble bien protégée dans le cadre de la réserve naturelle. Mais entre la théorie et les moyens que l’on se donne pour son application il reste plus que des nuances. Si le problème du surpâturage est aujourd’hui résolu , rien n’est vraiment fait pour dissuader sérieusement les hordes de promeneurs à venir piétiner la tourbière dès l’ap- parition des beaux jours. Y remédier est la première des urgences, il en va de l’avenir de la fonge et de la flore du Frankenthal.

Remerciements : Ils vont à P. Hertzog pour ses conseils avisés et la détermination des espèces criti- ques. Illustrations : Photos © LAURENT P. sauf mention contraire.

Le Frankenthal avec en arrière plan, le col du Falimont qui conduit sur les crêtes vosgiennes. BULLETIN SMHV N° 11 - Les Champignons Š 46

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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PETIT LEXIQUE des termes non expliqués dans le texte (par ordre d’apparition)

- biotope : aire géographique bien délimitée caractérisée par des conditions écologiques particulières (sol, cli- mat…) servant de support aux organismes qui constituent la biocénose. - mycocœnose : groupement d’espèces fongiques caractéristiques d’un type de milieu particulier. - tourbière haute : tourbière bombée. - éolien : adjectif dérivée d’ Eole, dieu du vent - mégaphorbiée : formation végétale constituée de hautes herbes et qui occupe les pentes et ravins humides des montagnes tempérées. - suffrutescent : se dit d’une espèce végétale ayant la caractéristique d’un sous-arbrisseau. - ectomycorhize : mycorhize dans laquelle les hyphes fongiques ne pénètrent pas dans les cellules de l’hôte chlorophyllien. - trophique : relatif à la nutrition d’une espèce. - epicutis : = suprapellis, zone la plus externe du revêtement d’un champignon. - hyalin : presque transparent. - imbu : gorgé d’eau. - carpophore : = sporophore, appareil portant les cellules reproductives des champignons et sur lequel sont produites les spores. - ascoma : = ascocarpe, sporophore des ascomycètes. - sabulicole : qui pousse dans le sable. - rhizomorphes : agglomérat de filaments mycéliens imitant les racines. - interface acrotelm-catotelm : structure horizontale de la matière dans une tourbière (sphaignes mortes et raci- nes) ; acrotelm : au-dessus, structure verticale (sphaignes dressées vivantes ou fraîchement mortes) ; catotelm : en-dessous, pas de structure distincte (tourbe), d’après P.A.M., op. cit. p. 82. - unciné : (lames) avec une dent de décurrence. - fimbrillé : finement découpé. - cheilocystides : cystides marginales.

La canneberge