CD 1 S’il est un sein bien aimant Dont l’honneur dispose, 1. Le Papillon et la fleur Dont le ferme dévouement La pauvre fleur disait au papillon céleste: N’ait rien de morose, Ne fuis pas!... Si toujours ce noble sein Vois comme nos destins sont différents, je reste. Bat pour un digne dessein, Tu t’en vas! J’en veux faire le coussin Où ton front se pose! Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes, Et loin d’eux! S’il est un rêve d’amour, Et nous nous ressemblons et l’on dit que nous sommes Parfumé de rose, Fleurs tous deux! Où l’on trouve chaque jour Quelque douce chose, Mais hélas, l’air t’emporte, et la terre m’enchaine. Un rêve que Dieu bénit, Sort cruel! Où l’âme à l’âme s’unit, Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine. Oh! j’en veux faire le nid Dans le ciel! Où ton coeur se pose!

Mais non, tu vas trop loin, parmi des fleurs sans nombre. Vous fuyez! 4. Dans les ruines d’une abbaye Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre. Seuls, tous deux, ravis, chantants, A mes pieds! Comme on s’aime; Comme on cueille le printemps Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t’en vas encore Que Dieu sème. Luire ailleurs! Quels rires étincelants Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore Dans ces ombres, Tout en pleurs! Jadis pleines de fronts blancs, Ah! pour que notre amour coule des jours fidèles. De coeurs sombres. Ô mon roi! Prends comme moi racine ou donne-moi des ailes On est tout frais mariés, Comme à toi! On s’envoie Les charmants cris variés De la joie! 2. Mai Frais échos mèlés Puis-que Mai tout en fleurs dans les prés nous réclame. Au vent qui frissonne. Viens, ne te lasse pas de mêler à ton âme Gaîté que le noir couvent La campagne, les bois, les ombrages charmants, Assaisonne. Les larges clairs de lune au bord des flots dormants: Le sentier qui finit où le chemin commence. Seuls, tous deux... Et l’air, et le printemps et l’horizon immense. On effeuilles des jasmins L’horizon que ce monde attache humble et joyeux, Sur la pierre. Comme une lèvre au bas de la robe des cieux. Où l’abbesse joint les mains, Viens, et que le regard des pudiques étoiles, En prière. Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles. On se cherche, on se poursuit, Que l’arbre pénétré de parfum et de chants. On sent croître Que le souffle embrasé de midi dans les champs; Ton aube, Amour, dans la nuit Et l’ombre et le soleil, et l’onde, et la verdure, Du vieux cloître. Et le rayonnement de toute la nature, Fassent épanouir, comme une double fleur, On s’en va se becquetant, La beauté sur ton front et l’amour dans ton coeur! On s’adôre, On s’embrasse à chaque instant, Puis encore, 3. Rêve d’amour Sous les piliers, les arceaux, S’il est un charmant gazon Et les marbres, Que le ciel arrose, C’est l’histoire des oiseaux Où naisse en toute saison Dans les arbres. Quelque fleur éclose, Où l’on cueille à pleine main Lys, chèvre-feuille et jasmin, J’en veux faire le chemin Où ton pied se pose!

1 5. Les Matelots Sachet toujours frais qui parfume Sur l’eau bleue et profonde, l’athmosphère d’un cher réduit, Nous allons voyageant. encensoir oublié qui fume Environnant le monde en secret à travers la nuit. D’un sillage d’argent. Des îles de la Sonde, Comment, amor incorruptible, De l’Inde au ciel brulé, T’exprimer avec vérité? Jusqu’au pòle gelé! Grain de musc, qui gîs invisible, Au fond de mon éternité? Nous pensons à la terre Que nous fuyons toujours. À la très chère, à la très-belle, A notre vieille mère, Qui remplit mon coeur de clarté, A nos jeunes amours. À l’ange, à l’idole immortelle, Mais la vague légère Salut en immortalité, Avec son doux refrain, Salut en immortalité! Endort notre chagrin!

Existence sublime, 8. Seule! Bercés par notre nid. Dans un baiser, l’onde au rivage Nous vivons sur l’abime, Dit ses douleurs: Au sein de l’infini, Pour consoler la fleur sauvage, Des flots rasant la cîme. L’aube a des pleurs; Dans le grand désert bleu Nous marchons avec Dieu! Le vent du soir conte sa plainte Aux vieux cyprès. La tourterelle au térébinthe 6. Lydia Ses longs regrets. Lydia sur tes roses joues Et sur ton col frais et si blanc, Aux flots dormants, quand tout repose, Roule étincelant Hors la douleur, L’or fluide que tu dénoues; La lune parle, et dit la cause De sa pâleur. Le jour qui luit est le meilleur, Oublions l’éternelle tombe. Ton dôme blanc, Sainte-Sophie, Laisse tes baisers de colombe Parle au ciel bleu, Chanter sur ta lèvre en fleur. Et, tout rêveur, le ciel confie Son rêve à Dieu. Un lys caché répand sans cesse Une odeur divine en ton sein; Arbre ou tombeau, colombe ou rose, Les délices comme un essaim Onde ou rocher, Sortent de toi, jeune déesse. Tout, ici-bas, a quelque chose Pour s’épancher: Je t’aime et meurs, ô mes amours. Mon âme en baisers m’est ravie! Moi, je suis seul, et rien au monde O Lydia, rends-moi la vie, Ne me répond, Que je puisse mourir, mourir toujours! Rien que ta voix morne et profonde, Sombre Hellespont!

7. Hymne À la très chère, à la très belle, 9. L’absent Qui remplit mon coeur de clarté, Sentiers où l’herbe sa balance, À l’ange, à l’idole immortelle, Vallons, côteaux, bois chevelus, Salut en immortalité, Pourquoi ce deuil et ce silence? Salut en immortalité! “Celui qui venait ne vient plus!”

Elle se répand dans ma vie, Pourquoi personne à ta fenêtre? Comme un air imprégné de Et pourquoi ton jardin sans fleurs? sel, Ô maison où donc est ton maître? Et dans mon âme inassouvie, “Je ne sais pas! il est ailleurs.” Verse le goût de l’Eternel.

2 Chien veille au logis! “Pourquoi faire? Saint livre où la voile La maison est vide à présent!” Qui flotte en tous lieux, Enfant qui pleures-tu? “Mon père!” Saint livre où l’étoile Femme, qui pleures-tu? “L’absent!” Qui rayonne aux yeux, Ne trace, ô mystère! Où donc est-il allé? “Dans l’ombre!” Qu’un nom solitaire, Flots qui gémissez sur l’écueil, Qu’un nom sur la terre, D’où venez-vous? “Du bagne sombre!” Qu’un nom dans les cieux! Et qu’apportez-vous? “Un cerceuil!”

11. La rançon 10. L’Aurore L’homme a, pour payer sa rançon L’aurore s’allume, Deux champs au tuf profond et riche, L’ombre épaisse fuit; Qu’il faut qu’il remue et défriche Le rêve et la brume Avec le fer de la raison Vont où va la nuit; Pour obtenir la moindre rose, Paupières et roses Pour extorquer quelques épis, S’ouvrent demi-closes; Des pleurs salés de son front gris, Du réveil des choses; Sans cesse il faut qu’il les arrose! On entend le bruit. L’un est l’Art et l’autre, l’Amour: Tout chante et murmure, Pour rendre le juge propice, Tout parle à la fois, Lorsque de la stricte justice Fumée et verdure, Paraitra le terrible jour, Les nids et les toits; Il faudra lui montrer des granges Le vent parle aux chênes, Pleines de moissons et de fleurs, L’eau parle aux fontaines; Dont les formes et les couleurs Toutes les haleines Gagnent le suffrage des Anges. Deviennent des voix!

Tout reprend son âme, 12. Chant d’automne L’enfant son hochet, Bientôt nous plongerons dans les froides ténêbres, Le foyer sa flamme, Adieu vive clarté de nos étés trop courts! Le luth son archet; J’entends déjà tomber, avec [un choc funèbre]1, Folie ou démence, Le bois retentissant sur le pavé des cours. Dans le monde immense, Chacun recommence Tout l’hiver va rentrer dans mon être: colère, Ce qu’il ébauchait. Haine, frissons, horreur, la beur dur et forcé, Et, comme le soleil dans son enfer polaire, Qu’on pense ou qu’on aime, Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé. Sans cesse agité, J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe; Vers un but suprème, L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. Tout vole emporte; Mon esprit est pareil à la tour qui succombe L’esquif cherche un môle, Sous les coups du bélier infatigable et lourd. L’abeille un vieux saule La boussole un pôle, Il me semble, bercé par ce choc monotone, Moi la vérité. Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part! Pour qui? c’était hier l’été; voici l’automne! Ô terre! ô merveilles Ce bruit mystérieux sonne comme un départ! Dont l’éclat joyeux Emplit nos oreilles, J’aime, de vos longs yeux, la lumière verdâtre. Éblouit nos yeux! Douce beauté! mais aujourd’hui tou m’est amer! Bords où meurt la vague, Et rien ni votre amour ni le boudoir, ni l’âtre, Bois qu’un souffle élague, Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer! De l’horizon vague Plis mystérieux! [Et pour tant aimez moi, tendre coeur! soyez mère, Même pour un ingrat, même pour un méchant; Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

3 Courte câche! La tombe attend; elle est a vide! Moi je n’aime plus rien. Ah! laissez moi, mon front posé sur vos genoux, Ni l’homme ni la femme, Goûter, en regrettant l’été blanc et torride, Ni mon corps, ni mon âme, De l’arrière saison le rayon jaune et doux!]1 Pas même mon vieux chien: Allez dire qu’on creuse 1. not set by Fauré Sous le pâle gazon Une fosse sans nom. Hélas! j’ai dans le coeur 13. Aubade Une tristesse affreuse! L’oiseau dans le buisson À salué l’aurore, Et d’un pâle rayon 15. Chanson du pêcheur (Lamento) L’horizon se colore, Ma belle amie est morte, Voici le frais matin! Je pleurerai toujours; Pour voir les fleurs à la lumière, Sous la tombe elle emporte S’ouvrir de toute part, Mon âme et mes amours. Entr’ouvre ta paupière, Dans le ciel, sans m’attendre, Ô vierge au doux regard! Elle s’en retourna; L’ange qui l’emmena La voix de ton amant Ne voulut pas me prendre. A dissipé ton rêve; Que mon sort es amer! Je vois ton rideau blanc Ah! sans amour s’en aller sur la mer! Qui tremble et se soulève, D’amour signal charmant! La blanche créature Descends sur ce tapis de mousse Est couchée au cercueil; La brise est tiède encor, Comme dans la nature Et la lumière est douce, Tout me paraît en deuil! Accours, ô mon tresor! La colombe oubliée Pleure et songe à l’absent; Mon âme pleure et sent 14. Tristesse Qu’elle est dépareillée. Avril est de retour, Que mon sort est amer! La première des roses, Ah! sans amour s’en aller sur la mer! De ses lèvres micloses, Rit au premier beau jour, Sur moi la nuit immense La terre bien heureuse Plane comme un linceul, S’ouvre et s’épanouit Je chante ma romance Tont aime, tout jouit, Que le ciel entend seul. Hélas! j’ai dans le coeur Une tristesse affreuse! Ah! comme elle était belle, Et combien je l’aimais! Les buveurs en gaité, Je n’aimerai jamais Dans leurs chansons vermeilles, Une femme autant qu’elle Célébrent sous les treilles Que mon sort est amer! Le vin et la beauté, Ah! sans amour s’en aller sur la mer! La musique joyeuse, S’en aller sur la mer! Avec leur rire clair, S’éparpille dans l’air. Hélas! j’ai dans le coeur 16. Barcarolle Une tristesse affreuse! Gondolier du Rialto Mon château c’est la lagune, En déshabillé blanc Mon jardin c’est le Lido. Les jeunes demoiselles Mon rideau le clair de lune. S’en vont sous les tonnelles Gondolier du grand canal, Au bras de leur galant, Pour fanal j’ai la croisée La Inne langoureuse Où s’allument tous les soirs, Argente leurs baisers Tes yeux noirs, mon épousée. Longuement appuyés, Ma gondole est aux heureux, Hélas! j’ai dans le coeur Deux à deux je la promène, Une tristesse affreuse! Et les vents légers et frais Sont discret sur mon domaine. J’ai passé dans les amours,

4 Plus de jours et de nuits folles, Reçois, mon bien céleste, Que Venise n’a d’ilots O ma beauté, Que ses flots n’ont de gondoles. Mon coeur, dont rien ne reste, L’amour ôté! 2 Duos pour deux sopranos

18. II Tarentelle 17. I Puisqu’ici-bas toute âme Aux cieux la lune monte et luit. Puisqu’ici-bas toute âme Il fait grand jour en plein minuit. Donne à quelqu’un Viens avec moi, me disait-elle Sa musique, sa flamme, Viens sur le sable grésillant Ou son parfum; Où saute et glisse en frétillant Puisqu’ici-bas chaque chose La tarentelle... Donne toujours Son épine ou sa rose Sus, les danseurs! En voila deux; A ses amours; Foule sur l’eau, foule autour d’eux; L’homme est bien fait, la fille est belle; Puisqu’avril donne aux chênes Mais gare à vous! Sans y penser, Un bruit charmant; C’est jeu d’amour que de danser Que la nuit donne aux peines La tarentelle... L’oubli dormant. Doux est le bruit du tambourin! Puisque l’air à la branche si j’étais fille de marin Donne l’oiseau; Et toi pêcheur, me disait-elle Que l’aube à la pervenche Toutes les nuits joyeusement Donne un peu d’eau; Nous danserions en nous aimant La tarentelle... Puisque, lorsqu’elle arrive S’y reposer, L’onde amère à la rive 19. Ici-bas! Donne un baiser; Ici-bas tous les lilas meurent, Tous les chants des oiseaux sont courts, Je te donne, à cette heure, Je rêve aux étés qui demeurent Penché sur toi, Toujours! La chose la meilleure Que j’ai en moi! Ici-bas les lèvres effleurent Sans rien laisser de leur velours, Reçois donc ma pensée, Je rêve aux baisers qui demeurent Triste d’ailleurs, Toujours! Qui, comme une rosée, T’arrive en pleurs! Ici-bas, tous les hommes pleurent Leurs amitiés ou leurs amours; Reçois mes voeux sans Je rêve aux couples qui demeurent nombre, Toujours! O mes amours! Reçois la flamme ou l’ombre 20. Au bord de l’eau De tous mes jours! S’asseoir tous deux au bord du flot qui passe, Le voir passer, Mes transports pleins d’ivresses, Tous deux s’il glisse un nuage en l’espace, Pur de soupçons, Le voir glisser, Et toutes les caresses De mes chansons! À l’horizon s’il fume un toit de chaume Le voir fumer, Mon esprit qui sans voile Aux alentours si quelque fleur embaume Vogue au hazard, S’en embaumer, Et qui n’a pour étoile Que ton regard! Entendre au pied du saule où l’eau murmure L’eau murmurer, Ma muse, que les heures Ne pas sentir tant que ce rêve dure Bercent rêvant Le temps durer. Qui, pleurant quand tu pleures, Pleure souvent!

5 Mais n’apportant de passion profonde Si tu veux savoir ma blonde, Qu’à s’adorer, Pourquoi sur terre, et sur l’onde Sans nul souci des querelles du monde La nuit tout s’anime et s’unit? Les ignorer; Je te le dirai ma blonde, C’est qu’il est une heure au monde Et seuls tous deux devant tout ce qui lasse Où, loin du jour, Sans se lasser, Veille l’amour! Sentir l’amour devant tout ce qui passe Ne point passer! Si tu veux savoir Sylvie, Pourquoi j’aime a la folie Tes yeux brillants et langoureux? 21. Sérénade Toscane Je te le dirai Sylvie, Ô toi que berce un rêve enchanteur, C’est que sans toi dans la vie Tu dors tranquille en ton lit solitaire, Tout pour mon coeur Éveillei-toi, regarde le chanteur, N’est que douleur! Esclave de tes yeux, dans la nui claire! Éveille-toi mon âme, ma pensée, Entends ma voix par la brise emportée: 24. Le Voyageur Entends ma voix chanter! Voyageur, où vas-tu, marchant Entends ma voix pleurer, dans la rosée! Dans l’or vibrant de la poussière? Sous ta fenêtre en vain ma voix expire. - Je m’en vais au soleil couchant, Et chaque nuit je redis mon martyre, Pour m’endormir dans la lumière. Sans autre abri que la voùle étoilée. Le vent brise ma voix et la nuit est glacée: Car j’ai vécu n’ayant qu’un Dieu, Mon chant s’éteint en un accent suprême, L’astre qui luit et qui féconde. Ma lèvre tremble en murmurant je t’aime. Et c’est dans son linceul de feu Je me peux plus chanter! Que je veux m’en aller du monde! Ah! daigne te montrer! daigne apparaitre! Si j’étais sûr que tu ne veux paraître - Voyageur, presse donc le pas: Je m’en irais, pour t’oublier, demander au sommeil L’astre, vers l’horizon, décline... De me bercer jusqu’au matin vermeil, - Que m’importe, j’irai plus bas De me bercer jusqu’à ne plus t’aimer! L’attendre au pied de la colline.

Et lui montrant mon coeur ouvert. 22. Après un rêve Saignant de son amour fidèle. Dans un sommeil que charmait ton image Je lui dirai: j’ai trop souffert: Je rêvais le bonheur, ardent mirage, Soleil! emporte-moi loin d’elle! Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore, Tu rayonnais comme un ciel éclairé par l’aurore; 25. Automne Tu m’appelais et je quittais la terre Automne au ciel brumeux, aux horizons navrants. Pour m’enfuir avec toi vers la lumière, Aux rapides couchants, aux aurores pâlies, Les cieux pour nous entr’ouvraient leurs nues, Je regarde couler, comme l’eau du torrent, Splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues, Tes jours faits de mélancolie.

Hélas! Hélas! triste réveil des songes Sur l’aile des regrets mes esprits emportés, Je t’appelle, ô nuit, rends moi tes mensonges, Comme s’il se pouvait que notre âge renaisse!- Parcourent, en rêvant, les coteaux enchantés, Reviens, reviens radieuse, Où jadis sourit ma jeunesse! Reviens ô nuit mystérieuse! Je sens, au clair soleil du souvenir vainqueur, Refleurir en bouquet les roses deliées, 23. Sylvie Et monter à mes yeux des larmes, qu’en mon coeur, Si tu veux savoir ma belle, Mes vingt ans avaient oubliées! Où s’envole à tire d’aile, L’oiseau qui chantait sur l’ormeau? Je te le dirai ma belle, Il vole vers qui l’appelle Vers celui-là Qui l’aimera!

6 CD 2 À vous l’on se croyait fidèle, Cruelle, Poèmes d’un jour Mais hélas! les plus longs amours Sont courts! 1. I Rencontre Et je dis en quittant vos charmes, J’étais triste et pensif quand je t’ai rencontrée, Sans larmes, Je sens moins aujourd’hui mon obstiné tourment; Presqu’au moment de mon aveu, Ô dis-moi, serais-tu la femme inespérée, Adieu! Et le rêve idéal poursuivi vainement? Ô, passante aux doux yeux, serais-tu donc l’amie Qui rendrait le bonheur au poète isolé, 4. Nell Et vas-tu rayonner sur mon âme affermie, Ta rose de pourpre à ton clair soleil, Comme le ciel natal sur un coeur d’exilé? Ô Juin. Étincelle enivrée, Ta tristesse sauvage, à la mienne pareille, Penche aussi vers moi ta coupe dorée: Aime à voir le soleil décliner sur la mer! Mon coeur à ta rose est pareil. Devant l’immensité ton extase s’éveille, Et le charme des soirs à ta belle âme est cher; Sous le mol abri de la feuille ombreuse Une mystérieuse et douce sympathie Monte un soupir de volupté: Déjà m’enchaîne à toi comme un vivant lien, Plus d’un ramier chante au bois écarté. Et mon âme frémit, par l’amour envahie, Ô mon coeur, sa plainte amoureuse. Et mon coeur te chérit sans te connaître bien! Que ta perle est douce au ciel enflammé. Étoile de la nuit pensive! 2. II Toujours Mais combien plus douce est la clarté vive Vous me demandez de ma taire, Qui rayonne en mon coeur, en mon coeur charmé! De fuir loin de vous pour jamais, Et de m’en aller, solitaire, La chantante mer. Le long du rivage, Sans me rappeler qui j’aimais! Taira son murmure éternel, Avant qu’en mon coeur, chère amour. Demandez plutôt aux étoiles Ô Nell, ne fleurisse plus ton image! De tomber dans l’immensité, À la nuit de perdre ses voiles, Au jour de perdre sa clarté, 5. Les Berceaux Le long du Quai, les grands vaisseaux, Demandez à la mer immense Que la houle incline en silence, De dessécher ses vastes flots, Ne prennent pas garde aux berceaux, Et, quand les vents sont en démence, Que la main des femmes balance. D’apaiser ses sombres sanglots! Mais viendra le jour des adieux, Mais n’espérez pas que mon âme Car il faut que les femmes pleurent, S’arrache à ses âpres douleurs Et que les hommes curieux Et se dépouille de sa flamme Tentent les horizons qui leurrent! Comme le printemps de ses fleurs! Et ce jour-là les grands vaisseaux, Fuyant le port qui diminue, 3. III Adieu Sentent leur masse retenue Comme tout meurt vite, la rose Par l’âme des lointains berceaux. Déclose, Et les frais manteaux diaprés Des prés; 6. Notre amour Les longs soupirs, les bienaimées, Notre amour est chose légère Fumées! Comme les parfums que le vent Prend aux cimes de la fougère On voit dans ce monde léger Pour qu’on les respire en rêvant. Changer, - Notre amour est chose légère! Plus vite que les flots des grèves, Nos rêves, Notre amour est chose charmante, Plus vite que le givre en fleurs, Comme les chansons du matin Nos coeurs! Où nul regret ne se lamente, Où vibre un espoir incertain. - Notre amour est chose charmante!

7 Notre amour est chose sacrée Lorsque geais et linottes Comme les mystères des bois Faisaient des fausses notes Où tressaille une âme ignorée, En récitant leurs chants Où les silences ont des voix. La Fée, avec constance, - Notre amour est chose Gourmandait d’importance sacrée! Ces élèves méchants.

Notre amour est chose infinie, Sa petite main nue, Comme les chemins des couchants D’un brin d’herbe menue Où la mer, aux cieux réunie, Cueilli dans les halliers, S’endort sous les soleils penchants. Pour stimuler leurs zèles, Fouettait sur leurs ailes Notre amour est chose éternelle Ces mauvais écoliers. Comme tout ce qu’un dieu vainqueur A touché du feu de son aile, Par un matin d’automne, Comme tout ce qui vient du coeur, Elle vient et s’étonne, - Notre amour est chose éternelle! De voir les bois déserts: Avec les hirondelles Ses amis infidèles 7. Le Secret Avaient foi dans les airs. Je veux que le matin l’ignore Le nom que j’ai dit à la nuit, Et tout l’hiver la Fée, Et qu’au vent de l’aube, sans bruit, D’herbe morte coiffée, Comme un larme il s’évapore. Et comptant les instants Sous les forêts immenses, Je veux que le jour le proclame Compose des romances L’amour qu’au matin j’ai Pour le prochain Printemps! caché, Et sur mon coeur ouvert penché Comme un grain d’encens il l’enflamme. 10. Aurore Des jardins de la nuit s’envolent les étoiles, Je veux que le couchant Abeilles d’or qu’attire un invisible miel, l’oublie Et l’aube, au loin tendant la candeur de ses toiles, Le secret que j’ai dit au jour, Trame de fils d’argent le manteau bleu du ciel. Et l’emporte avec mon amour, Aux plis de sa robe pâlie! Du jardin de mon coeur qu’un rêve lent enivre S’envolent mes désirs sur les pas du matin, Comme un essaim léger qu’à l’horizon de cuivre, 8. Chanson d’amour Appelle un chant plaintif, éternel et lointain. J’aime tes yeux, j’aime ton front, Ô ma rebelle, ô ma farouche, Ils volent à tes pieds, astres chassés des nues, J’aime tex yeux, j’aime ta bouche Exilés du ciel d’or où fleurit ta beauté Où mes baisers s’épuiseront. Et, cherchant jusqu’à toi des routes inconnues, Mêlent au jour naissant leur mourante clarté. J’aime ta voix, j’aime l’étrange Grâce de tout ce que tu dis, Ô ma rebelle, ô mon cher ange, 11. Fleur jetée Mon enfer et mon paradis! Emporte ma folie Au gré du vent, J’aime tout ce qui te fait belle, Fleur en chantant cueillie De tes pieds jusqu’à tes cheveux, Et jetée en rêvant, Ô toi vres qui montent mes voeux, - Emporte ma folie Ô ma farouche, ô ma rebelle! Au gré du vent:

Comme la fleur fauchée 9. La Fée aux chansons Périt l’amour: Il était une Fée La main qui t’a touchée D’herbe folle coiffée, Fuit ma main sans retour. Qui courait les buissons, - Comme la fleur fauchée Sans s’y laisser surprendre, Périt l’amour. En Avril, pour apprendre Aux oiseaux leurs chansons.

8 Que le vent qui te sèche 14. Nocturne O pauvre fleur, La nuit, sur le grand mystère, Tout à l’heure si fraîche Entr’ouvre ses écrins bleus: Et demain sans couleur, Autant de fleurs sur la terre, - Que le vent qui te sèche, Que d’étoiles dans les cieux! Sèche mon coeur! On voit ses ombres dormantes S’éclairer à tous moments, 12. Le pays des Rêves Autant par les fleurs charmantes Veux-tu qu’au beau pays des Rêves Que par les astres charmants. Nous allions la main dans la main? Plus loin que l’odeur des jasmins, Moi, ma nuit au sombre voile Plus haut que la plainte des grèves, N’a, pour charme et pour clarté, Veux-tu du beau pays des Rêves Qu’une fleur et qu’une étoile Tous les deux chercher le chemin? Mon amour et ta beauté!

J’ai taillé dans l’azur les toiles Du vaisseau qui nous portera, 15. Les Présents Et doucement nous conduira Si tu demandes quelque soir Jusqu’au verger d’or des étoiles. Le secret de mon coeur malade, J’ai taillé dans l’azur les toiles Je te dirai pour t’émouvoir, Du vaisseau qui nous conduira. Une très ancienne ballade!

Mais combien la terre est lointaine Si tu me parles de tourments, Que poursuivent ses blancs sillons! D’espérance désabusée, Au caprice des papillons J’irai te cueillir seulement Demandons la route incertaine: Des roses pleines de rosée! Ah! combien la terre est lointaine Où fleurissent nos visions! Si pareille à la fleur des morts, Qui fleurit dans l’exil des tombes, Vois-tu: le beau pays des Rêves Tu veux partager mes remords. Est trop haut pour les pas humains. Je t’apporterai des colombes! Respirons à deux les jasmins, Et chantons encor sur les grèves. Vois-tu: du beau pays des Rêves 16. Clair de Lune L’amour seul en sait les chemins. Votre âme est un paysage choisi Que vont charmants masques et bergamasques, Jouant du luth et dansant, et quasi 13. Les roses d’Ispahan Tristes sous leurs déguisements fantasques! Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse, Le jasmins de Mossoul, les fleurs de l’oranger, Tout en chantant sur le mode mineur Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce, L’amour vainqueur et la vie opportune. Ô blanche Leïlah! que ton souffle léger. Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur, Et leur chanson se mêle au clair de lune, Ta lèvre est de corail et ton rire léger Sonne mieux que l’eau vive et d’une voix plus douce. Au calme clair de lune triste et beau, Mieux que le vent joyeux qui berce l’oranger, Qui fait rêver, les oiseaux dans les arbres, Mieux que l’oiseau qui chante au bord d’un nid de mousse, Et sangloter d’extase les jets d’eau, Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres. Ô Leïlah! depuis que de leur vol léger Tous les baisers ont fui de ta lèvre si douce Il n’est plus de parfum dans le pâle oranger, 17. Larmes Ni de céleste arome aux roses dans leur mousse. Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre, Une larme tombe, puis une autre, Oh! que ton jeune amour ce papillon léger Toi, qui pleures-tu? ton doux pays, Revienne vers mon coeur d’une aile prompte et douce. Tes parents lointains, ta fiancée. Et qu’il parfume encor la fleur de l’oranger, Moi, mon existence dépensée Les roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse. En voeux trahis!

9 Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre, Ô Lumière! Une larme tombe, puis une autre, Sur mes lèvres, Seigneur, mettez la vérité Semons dans le mer ces pâles fleurs Salutaire, A notre sanglot qui se lamente Pour que celui qui doute, avec humilité Elle répondra par la tourmente Vous révère! Des flots hurleurs. Ne m’abandonnez pas, donnez-moi la douceur Nécessaire, [ Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre, Pour apaiser les maux, soulager la douleur, Une larme tombe, puis une autre. La misère! Le flux de la mer en est grossi Révèlez Vous à moi, Seigneur en qui je crois Et d’une salure plus épaisse, Et j’espère: Depuis si longtemps que notre espèce Pour Vous je veux souffrir et mourir sur la croix, Y pleure ainsi. ]1 Au calvaire!

Pleurons nos chagrins, chacun le nôtre, Une larme tombe, puis une autre, 20. II Noël Peut-être toi-même, ô triste mer, La nuit descend du haut des cieux, Mer au goût de larme âcre et salée, Le givre au toit suspend ses franges. Es-tu de la terre inconsolée Et, dans les airs, le vol des anges Le pleur amer! Éveille un bruit mystérieux.

1 not set by Fauré L’étoile qui guidait les mages, S’arrête enfin dans les nuages, Et fait briller un nimbe d’or 18. Au Cimetière Sur la chaumiére où Jésus dort. Heureux qui meurt ici, Ainsi que les oiseaux des champs! Alors, ouvrant ses yeux divins, Son corps, près des amis, L’enfant couché, dans l’humble crèche, Est mis dans l’herbe et dans les chants. De son berceau de paille fraîche, Il dort d’un bon sommeil vermeil, Sourit aux nobles pélérins. Sous le ciel radieux. Tous ceux qu’il a connus, venus, Eux, s’inclinant, lui disent: Sire, Lui font de longs adieux. Reçois l’encens, l’or et la myrrhe, Et laisse-nous, ô doux Jésus, À sa croix les parents pleurants, Baiser le bout de tes pieds nus. Restent a genouillés, Et ses os, sous les fleurs, de pleurs Comme eux, ô peuple, incline-toi, Sont doucement mouillés Imite leur pieux exemple, Chacun sur le bois noir, Car cette étable, c’est un temple, Peut voir s’il était jeune ou non, Et cet enfant sera ton roi! Et peut, avec de vrais regrets. L’appeler par son nom, 21. Spleen Combien plus malchanceux Il pleure dans mon coeur Sont ceux qui meurent à la mé, Comme il pleut sur la ville. Et sous le flot profond Quelle est cette langueur S’en vont loin du pays aimé! Qui pénètre mon coeur? Ah! pauvres! qui pour seul linceuls O bruit doux de la pluie, Ont les goëmons verts, Par terre et sur les toits! Où l’on roule inconnu, tout nu, Pour un coeur qui s’ennuie, Et les yeux grands ouverts! O le chant de la pluie!

Il pleure sans raison 2 Cantiques Dans mon coeur qui s’écoeure. Quoi! nulle trahison? 19. I En prière Mon deuil est sans raison. Si la voix d’un enfant peut monter jusqu’à Vous, Ô mon Père, C’est bien la pire peine, Écoutez de Jésus, devant Vous à genoux, De ne savoir pourquoi, La prière! Sans amour et sans haine, Si Vous m’avez choisi pour enseigner vos lois Mon coeur a tant de peine. Sur la terre, Je saurai Vous servir, auguste Roi des rois,

10 22. La Rose 5 Mélodies “de Venise” Je dirai la Rose aux plis gracieux. La Rosé est le souffle embaumé des Dieux, 25. I Mandoline Le plus cher souci des Muses divines! Les donneurs de sérénades Je dirai ta gloire, ô charme des yeux, Et les belles écouteuses Ô fleur de Kypris, reine des collines! Echangent des propos fades Sous les ramures chanteuses. Tu t’épanouis entre les beaux doigts De l’Aube écartant les ombres moroses; C’est Tircis et c’est Aminte, L’air bleu devient rose et rose les bois; Et c’est l’éternel Clitandre, La bouche et le sein des vierges sont roses! Et c’est Damis qui pour mainte Cruelle fait maint vers tendre. Heureuse la vierge aux bras arrondis Qui dans les halliers humides te cueille! Leurs courtes vestes de soie, Heureux le front jeune où tu resplendis! Leurs longues robes à queues, Heureus la coupe où nage ta feuille! Leur élégance, leur joie Et leurs molles ombres bleues, Ruisselante encor du flot paternel, Quand de la mer bleue Aphrodite éclose Tourbillonent dans l’extase Etincela nue aux clartés du ciel, D’une lune rose et grise, La terre jalouse enfanta la rose; Et la mandoline jase Et l’Olympe entier, d’amour transporté, Parmi les frissons de brise. Salua la fleur avec la Beauté!

26. II En sourdine 23. Chanson de Shylock Calmes dans le demi-jour Oh! les filles! Venez, les filles aux voix douces! Que les branches hautes font, C’est l’heure d’oublier l’orgueil et les vertus, Pénétrons bien notre amour Et nous regarderons éclore dans le mousses, De ce silence profond. La fleur des baisers défendus. Mêlons nos âmes, nos coeurs Les baisers défendus c’est Dieu qui les ordonne Et nos sens extasiés, Oh! les filles! Il fait le printemps pour les nids, Parmi les vagues langueurs Il fait votre beauté pour qu’elle nous soit bonne, Des pins et des arbousiers. Nos désirs pour qu’ils soient unis. Ferme tes yeux à demi, Oh! filles! Hors l’amour rien n’est bon sur la terre, Croise tes bras sur ton sein, Et depuis les soirs d’or jusqu’aux matin rosés Et de ton coeur endormi Les morts ne sont jaloux, dans leur paix solitaire, Chasse à jamais tout dessein. Que du murmure des baisers! Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux 24. Madrigal de Shylock Qui vient, à tes pieds, rider Celle que j’aime a de beauté Les ondes des gazons roux. Plus que Flore et plus que Pomone, Et je sais pour l’avoir chanté Et quand, solennel, le soir Que sa bouche est le soir d’automne, Des chênes noirs tombera Et son regard la nuit d’été. Voix de notre désespoir, Pour marraine elle eut Astarté, Le rossignol chantera. Pour patronne elle a la madone Car elle est belle autant que bonne Celle que j’aime! 27. III Green Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches Elle écoute, rit, et pardonne, Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous. N’écoutant que par charité: Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Elle écoute mais sa fierté Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux. N’écoute, ni moi ni personne Et rien encore n’a tenté J’arrive tout couvert encore de rosée Celle que j’aime! Que le vent du matin vient glacer à mon front. Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée Rêve des chers instants qui la délasseront.

11 Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête CD 3 Toute sonore encor de vos derniers baisers ; Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête, La bonne Chanson Et que je dorme un peu puisque vous reposez. 1. I Une Sainte en son auréole 28. IV À Clymnène Une Sainte en son auréole, Mystiques barcarolles, Une Châtelaine en sa tour, Romances sans paroles, Tout ce que contient la parole Chère, puisque tes yeux, Humaine de grâce et d’amour. Couleur des cieux, La note d’or que fait entendre Puisque ta voix, étrange Le cor dans les lointains des bois, Vision qui dérange Mariée à la fierté tendre Et trouble l’horizon Des nobles Dames d’autrefois; De ma raison, Avec cela le charme insigne Puisque l’arôme insigne D’un frais sourire triomphant De ta pâleur de cygne, Éclos dans les candeurs de cygne Et puisque la candeur Et des rougeurs de femme-enfant; De ton odeur, Des aspects nacrés, blancs et roses, Ah! puisque tout ton être, Un doux accord patricien: Musique qui pénètre, Je vois, j’entends toutes ces choses Nimbes d’anges défunts, Dans son nom Carlovingien. Tons et parfums,

Asur d’almes cadences, 2. II Puisque l’aube grandit En ces correspondances Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore, Induit mon coeur subtil, Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien Ainsi soit-il ! Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore, Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,

29. V C’est l’extase Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces, C’est l’extase langoureuse, Par toi conduit, ô main où tremblera ma main, C’est la fatigue amoureuse, Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses C’est tous les frissons des bois Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ; Parmi l’étreinte des brises, C’est vers les ramures grises Et comme, pour bercer les lenteurs de la route, Le choeur des petites voix. Je chanterai des airs ingénus, je me dis Qu’elle m’écoutera sans déplaisir sans doute ; O le frêle et frais murmure ! Et vraiment d’autre Paradis. Cela gazouille et susurre, Cela ressemble au cri doux Que l’herbe agitée expire... 3. III La Lune blanche luit dans les bois Tu dirais, sous l’eau qui vire, La lune blanche Le roulis sourd des cailloux. luit dans les bois De chaque branche Cette âme qui se lamente part une voix En cette plainte dormante sous la ramée. C’est la nôtre, n’est-ce pas ? O bien aimé[e].... La mienne, dis, et la tienne, Dont s’exhale l’humble antienne L’étang reflète, Par ce tiède soir, tout bas ? profond miroir, la silhouette du saule noir 30. Sérénade du Bourgeois gentilhomme où le vent pleure. Je languis nuit et jour, et ma peine est extrême Rêvons, c’est l’heure. Depuis qu’à vos rigeurs vos beaux yeux m’ont soumis; Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime, Hélas! que pourriez-vous faire à vos ennemis?

12 Un vaste et tendre 6. VI Avant que tu ne t’en ailles apaisement Avant que tu ne t’en ailles, semble descendre Pâle étoile du matin du firmament ,,Mille cailles que l’astre irise. Chantent dans le thym.`` C’est l’heure exquise! Tourne devers le poète Dont les yeux sont pleins d’amour; 4. IV J’allais par les chemins perfides ,,L’alouette J’allais par les chemins perfides, Monte au ciel avec le jour.`` Douloureusement incertain. Vos chères mains furent mes guides. Tourne ton regard que noie L’aurore dans son azur ; Si pâle à l’horizon lointain ,,Quelle joie Luisait un faible espoir d’aurore ; Parmi les champs de blé mûrs.`` Votre regard fut le matin. Puis fais luire ma pensée Nul bruit, sinon son pas sonore, Là-bas,--bien loin oh, bien loin! N’encourageait le voyageur. ,,La rosée Votre voix me dit: “Marche encore!” Gaîment brille sur le foin.``

Mon coeur craintif, mon sombre coeur Dans le doux rêve où s’agite Pleurait, seul, sur la triste voie ; Ma vie endormie encor... L’amour, délicieux vainqueur, ,,Vite, vite, Nous a réunis dans la joie. Car voici le soleil d’or.``

5. V J’ai presque peur, en vérité 7. VII Donc, ce sera par un clair jour d’été J’ai presque peur, en vérité Donc, ce sera par un clair jour d’été Tant je sens ma vie enlacée Le grand soleil, complice de ma joie, A la radieuse pensée Fera, parmi le satin et la soie, Qui m’a pris l’âme l’autre été, Plus belle encor votre chère beauté ;

Tant votre image, à jamais chère, Le ciel tout bleu, comme une haute tente, Habite en ce coeur Frissonnera somptueux à longs plis uniquement jaloux Sur nos deux fronts heureux qu’auront pâlis De vous aimer et de vous plaire ; L’émotion du bonheur et l’attente;

Et je tremble, pardonnez-moi Et quand le soir viendra, l’air sera doux D’aussi franchement vous le dire, Qui se jouera, caressant, dans vos voiles, A penser qu’un mot, un Et les regards paisibles des étoiles sourire Bienveillamment souriront aux époux. De vous est désormais ma loi,

Et qu’il vous suffirait d’un geste, 8. VIII N’est-ce pas? D’une parole ou d’un clin d’oeil, N’est-ce pas? nous irons gais et lents, dans la voie Pour mettre tout mon être en deuil Modeste que nous montre en souriant l’Espoir, De son illusion céleste. Peu soucieux qu’on nous ignore ou qu’on nous voie.

Mais plutôt je ne veux vous voir, [ N’est-ce pas? en dépit des sots et des méchants L’avenir dût-il m’être sombre Qui ne manqueront pas d’envier notre joie, Et fécond en peines sans nombre, Nous serons fiers parfois, et toujours indulgents. ]1 Qu’à travers un immense espoir, Isolés dans l’amour ainsi qu’en un bois noir, Plongé dans ce bonheur suprême Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible, De me dire encore et toujours, Seront deux rossignols qui chantent dans le soir. En dépit des mornes retours, Que je vous aime, que je t’aime ! [ Quant au monde, qu’il soit envers nous irascible Ou doux que nous feront ses gentes? Il peut bien, S’il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible, Unis par le plus fort et le plus cher lien; ]1

13 Sans nous préoccuper de ce que nous destine Allez vite, l’heure est si brève, Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas, Cueillir au jardin des aveux, Et la main dans la main, avec l’âme enfantine. Les coeurs qui se meurent du rêve De ceux qui s’aiment sans mélange, n’est-ce pas? De mourir parmi vos cheveux!

1 not set by Fauré. 12. Pleurs d’or Larmes aux fleurs suspendues, 9. IX L’hiver a cessé Larmes de sources perdues L’hiver a cessé : la lumière est tiède Aux mousses des rochers creux; Et danse, du sol au firmament clair. Il faut que le coeur le plus triste cède Larmes d’automne épandues, A l’immense joie éparse dans l’air. Larmes de cor entendues Dans les grands bois douloureux; J’ai depuis un an le printemps dans l’âme Et le vert retour du doux floréal, Larmes des cloches latines, Ainsi qu’une flamme entoure une flamme, Carmélites, Feuillantines... Met de l’idéal sur mon idéal. Voix des beffrois en ferveur;

Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne Larmes, chansons argentines L’immuable azur où rit mon amour Dans les vasques florentines La saison est belle et ma part est bonne Au fond des jardin rêveur; Et tous mes espoirs ont enfin leur tour. Larmes des nuits étoilées, Que vienne l’été ! que viennent encore Larmes [de]1 flûtes voilées L’automne et l’hiver ! Et chaque saison Au bleu du parc endormi; Me sera charmante, ô Toi que décore Cette fantaisie et cette raison ! Larmes aux grands cils perlées, Larmes d’amante coulées Jusqu’a l’âme de l’ami; 10. Le Parfum impérissable Quand la fleur du soleil, la rose de Lahor, Larmes d’extase, éplorement délicieux, De son âme odorante a rempli goutte à goutte, Tombez des nuits! Tombez des fleurs ! Tombez des yeux ! La fiole d’argile ou de cristal ou d’or, Sur le sable qui brûle on peut l’épandre toute. Et toi, mon coeur, sois le doux fleuve harmonieux, Qui, riche du trésor tari des urnes vides, Les fleuves et la mer inonderaient en vain Roule un grand rêve triste aux mers des soirs languides. Ce sanctuaire étroit qui la tint enfermée, Il garde en se brisant son arôme divin 1 not set by Fauré Et sa poussière heureuse en reste parfumée.

Puisque par la blessure ouverte de mon coeur 13. Melisande’s Song Tu t’écoules de même, ô céleste liqueur, Inexprimable amour qui m’enflammais pour elle! Qu’il lui soit pardonné que mon mal soit béni! 14. Prison Par de là l’heure humaine et le temps infini Le ciel est, par-dessus le toit, Mon coeur est embaumé d’une odeur immortelle! Si bleu, si calme! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. 11. Arpège L’âme d’une flûte soupire La cloche, dans le ciel qu’on voit, Au fond du parc mélodieux; Doucement tinte. Limpide est l’ombre où l’on respire Un oiseau sur l’arbre qu’on voit Ton poème silencieux, Chante sa plainte. Nuit de langueur, nuit de mensonge, Qui poses, d’un geste ondoyant, Mon Dieu, mon Dieu! la vie est là, Dans ta chevelure de songe Simple et tranquille. La lune, bijou d’Orient. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville. Sylva, Sylvie et Sylvanire, Belles au regard bleu changeant, L’étoile aux fontaines se mire. Allez par les sentiers d’argent,

14 Qu’as-tu fait, ô toi que voilà D’un souffle farouche Pleurant sans cesse, L’ouragan hurleur Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, Lui baisa la bouche De ta jeunesse? Et lui prit la fleur!

Dans l’océan sombre, 15. Soir Moins sombre déjà, Voici que les jardins de la nuit vont fleurir. Où le trois mâts sombre, Les lignes, les couleurs, les sons deviennent vagues; La fleur surnagea Vois! le dernier rayon agonise à tes bagues, Ma soeur, entends-tu pas quelque chose mourir? L’eau s’en est jouée, Dans ses noirs sillons; Mets sur mon front tes mains fraîches comme une eau pure, C’est une bouée Mets sur mes yeux tes mains douces comme des fleurs, Pour les papillons Et que mon âme où vit le goût secret des pleurs. Soit comme un lys fidèle et pâle à ta ceinture! Et l’embrun, la Houle Depuis cette nuit, C’est la pitié qui pose ainsi son doigt sur nous, Les brisants où croule Et tout ce que la terre a de soupirs qui montent, Un sauvage bruit, Il semble, qu’à mon coeur enivré, le racontent Tes yeux levés au ciel, si tristes et si doux! L’alcyon, la voile, L’hirondelle autour; Et l’ombre et l’étoile 16. Dans la forêt de Septembre Se meurent d’amour, Ramure aux rumeurs amollies, Troncs sonores que l’âge creuse, Et l’aurore éclose L’antique forêt douloureuse Sur le gouffre clair S’accorde à nos mélancolies. Pour la seule rose De toute la mer! Ô sapins agriffés au gouffre, Nids déserts aux branches brisées, Halliers brûlés, fleurs sans rosées, 18. Accompagnement Vous savez bien comme l’on souffre! Tremble argenté, tilleul, bouleau... La lune s’effeuille sur l’eau... Et lorsque l’homme, passant blême, Comme de longs cheveux peignés au vent du soir, Pleure dans le bois solitaire, L’odeur des nuits d’été parfume le lac noir; Des plaintes d’ombre et de mystère Le grand lac parfumé brille comme un miroir. L’accueillent en pleurant de même. Ma rame tombe et se relève, Bonne forêt! promesse ouverte Ma barque glisse dans le rêve. De l’exil que la vie implore, Ma barque glisse dans le ciel, Je viens d’un pas alerte encore Sur le lac immatériel... Dans ta profondeur encor verte. Mais d’un fin bouleau de la sente, En cadence les yeux fermés, Une feuille, un peu rousse, frôle Rame, ô mon coeur, ton indolence Ma tête et tremble à mon épaule; A larges coups lents et pâmés. C’est que la forêt vieillissante, Sachante l’hiver, où tout avorte, Là-bas la lune écoute, accoudée au côteau, Déjà proche en moi comme en elle, Le silence qu’exhale en glissant le bateau... Me fait l’aumône fraternelle Trois grands lys frais coupés meurent sur mon manteau. De sa première feuille morte! Vers tes lèvres, ô Nuit voluptueuse et pâle, Est-ce leur âme, est-ce mon âme qui s’exhale?

17. La Fleur qui va sur l’eau Cheveux des nuits d’argent peignés aux longs roseaux. Sur la mer voilée Comme la lune sur les eaux, D’un brouillard amer Comme la rame sur les flots, La Belle est allée, Mon âme s’effeuille en sanglots! La nuit, sur la mer!

Elle avait aux lèvres D’un air irrité, La Rose des Fièvres, La Rose Beauté!

15 19. Le plus doux Chemin Il n’est de fleuve attendu A mes pas le plus doux chemin Par ma soif qui s’y étanche Mène à la porte de ma belle, Que l’eau qui sourd et s’épanche Et, bien qu’elle me soit rebelle, De la source où tu as bu; J’y veux encor passer demain. La seule fleur qui m’attire Il est tout fleuri de jasmin Est celle où je trouverai Au temps de la saison nouvelle, Le souvenir empourpré Et, bien qu’elle me soit cruelle De ta bouche et de ton rire; J’y passe, des fleurs à la main. Et, sous la courbe des cieux, Pour toucher son coeur inhumain La mer pour moi n’est immense Je chante ma peine cruelle, Que parce qu’elle commence Et, bien qu’elle me soit rebelle, À la couleur de tes yeux. C’est pour moi le plus doux chemin.

23. Vocalise-étude 20. Le Ramier Avec son chant doux et plaintif, Ce ramier blanc te fait envie. S’il te plait l’avoir pour captif, J’irai te le chercher, Sylvie.

Mais là, près de toi, dans mon sein, Comme ce ramier mon coeur chante. S’il t’en plait faire le larcin, Il sera mieux à toi, méchante!

Pour qu’il soit tel qu’un ramier blanc, Le prisonnier que tu recèles, Sur mon coeur, oiselet tremblant, Pose tes mains comme deux ailes.

21. Le Don silencieux Je mettrai mes deux mains sur ma bouche, pour taire Ce que je voudrais tant vous dire, âme bien chère!

Je mettrai mes deux mains sur mes yeux, pour cacher Ce que je voudrais tant que pourtant vous cherchiez.

Je mettrai mes deux mains sur mon coeur, chère vie, Pour que vous ignoriez de quel coeur je vous prie!

Et puis je les mettrai doucement dans vos mains, Ces deux mains-ci qui meurent d’un fatigant chagrin!...

Elles iront à vous pleines de leur faiblesse, Toutes silencieuses et même sans caresse,

Lasses d’avoir porté tout le poids d’un secret Dont ma bouche et mes yeux et mon front parleraient.

22. Chanson Que me fait toue la terre Inutile où tu n’as pas En marchant marqué ton pas Dans le sable ou la poussière!

16 CD 4 Depuis que mon souffle a dit leur chanson, Depuis que ma voix les a créés, La Chanson d´Ève Quel silence heureux et profond Naît de leurs âmes allégées! 1. I Paradis C’est le premier matin du monde, Comme une fleur confuse exhalée de la nuit, 3. III Roses ardentes Au souffle nouveau qui se lève des ondes, Roses ardentes Un jardin bleu s’épanouit. Dans l’immobile nuit, C’est en vous que je chante Tout s’y confond encore et tout s’y mêle, Et que je suis. Frissons de feuilles, chants d’oiseaux, Glissements d’ailes, En vous, étincelles Sources qui sourdent, voix des airs, voix des eaux, A la cime des bois, Murmure immense, Que je suis éternelle Et qui pourtant est du silence. Et que je vois.

Ouvrant à la clarté ses doux et vagues yeux, Ô mer profonde, La jeune et divine Eve C’est en toi que mon sang S’est évillée de Dieu, Renaît vague blonde, Et le monde à ses pieds s’étends comme un beau rêve. En flot dansant.

Or, Dieu lui dit: “Va, fille humaine, Et c’est en toi, force suprême, Et donne à tous les êtres Soleil radieux, Que j’ai créés, une parole de tes lèvres, Que mon âme elle-même Un son pour les connaître”. Atteint son dieu!

Et Eve s’en alla, docile à son seigneur, En son bosquet de roses, 4. IV Comme Dieu rayonne Donnant à toutes choses Comme Dieu rayonne aujourd’hui, Une parole, un son de ses lèvres de fleur: Comme il exulte, comme il fleurit Parmi ces roses et ces fruits! Chose qui fuit, chose qui souffle, chose que vole... Comme il murmure en cette fontaine! [Cependant le jour passe, et vague, comme à l’aube, Ah! comme il chante en ces oiseaux... Au crépuscule, peu à peu, Qu’elle est suave son haleine L’Eden s’endort et se dérobe Dans l’odorant printemps nouveau! Dans le silence d’un songe bleu. Comme il se baigne dans la lumière La voix s’est tue, mais tout l’écoute encore, Avec amour, mon jeune dieu! Tout demure en l’attente, Toutes les choses de la terre Lorsqu’avec le lever de l’étoile du soir, ]1 Sont ses vêtements radieux. Eve chante.

1 not set by Fauré. 5. V L’aube blanche L’aube blanche dit à mon rêve: “Éveille-toi, le soleil luit”. 2. II Prima verba Mon âme écoute et je soulève Comme elle chante Un peu mes paupières vers lui. Dans ma voix L’âme longtemps murmurante Un rayon de lumière touche Des fontaines et des bois! La pâle fleur de mes yeux bleus; Air limpide du paradis, Une flamme éveille ma bouche, Avec tes grappes de rubis, Un souffle éveille mes cheveux. Avec tes gerbes du lumière, Avec tes roses et tes fruits, Et mon âme, comme une rose Quelle merveille en nous à cette heure! Tremblante, lente, tout le jour, Des paroles depuis des âges endormies, S’éveille à la beauté des choses, En des sons, en des fleurs Comme mon âme à leur amour. Sur mes lèvres enfin prennent vie.

17 6. VI Eau vivante 9. IX Crépuscule Que tu es simple et claire, Ce soir, à travers le bonheur, Eau vivante, Qui donc soupire, qu’est-ce qui pleure? Qui, du sein de la terre, Qu’est-ce qui vient palpiter sur mon coeur, Jaillis en ces bassins et chantes! Comme un oiseu blessé?

Ô fontaine divine et pure, [ Est-ce une plainte de la terre,]1 Les plantes aspirent Est-ce une voix future, Ta liquide clarté Une voix du passé? La biche et la colombe en toi se désaltèrent. J’écoute, jusqu’à la souffrance, Ce son dans le silence. Et tu descends par des pentes douces De fleurs et de mousses, Île d’oubli, ô Paradis! Vers l’ocean originel, Quel cri déchire, dans la nuit, Toi qui passes et vas, sans cesse, et jamais lasse Ta voix qui me berce? De la terre à la mer et de la mer au ciel... Quel cri traverse Ta ceinture de fleurs, Et ton beau voile d’allégresse? 7. VII Veilles-tu, ma senteur de soleil Veilles-tu, ma senteur de soleil, 1 not set by Fauré. Mon arôme d’abeilles blondes, Flottes-tu sur le monde, Mon doux parfum de miel? 10. X Ô mort, poussière d’étoiles Ô mort, poussière d’étoiles, La nuit, lorsque mes pas Lève-toi sous mes pas! Dans le silence rôdent, M’annonces-tu, senteur de mes lilas, Viens, ô douce vague qui brilles Et de mes roses chaudes? Dans les ténèbres; Emporte-moi dans ton néant Suis-je comme une grappe de fruits Cachés dans les feuilles, Viens, souffle sombre où je vacille, Et que rien ne décèle, Comme une flamme ivre de vent! Mais qu’on odore dans la nuit? C’est en toi que je veux m’éteindre, Sait-il à cette heure, M’éteindre et me dissoudre, Que j’entr’ouvre ma chevelure, Mort où mon âme aspire! Et qu’elle respire? [ Dieu fort qu’elle attend Le sent-il sur la terre? Avec des chants et des rires d’amour.]1

Sent-il que j’étends les bras Viens, brise-moi comme une fleur d’écume, Et que des lys de mes vallées, Une fleur de soleil à la cime Ma voix qu’il n’entend pas Des eaux, Est embaumée? [ Que la nuit effeuille, que l’ombre efface, Et que l’espace épanouit.]1

8. VIII Dans un parfum de roses blanches Et comme d’une amphore d’or Dans un parfum de roses blanches, Un vin de flamme et d’arome divin, elle est assise et songe; Epanche mon âme et l’ombre est belle comme s’il s’y mirait un ange... En ton abîme, pour qu’elle embaume L’ombre descend, le bosquet dort; La terre sombre et le souffle des morts. Entre les feuilles et les branches, Sur le paradis bleu s’ouvre un paradis d’or; 1 not set by Fauré.

[ Sur le rivage expire un dernier flot lointain.]1 Une voix qui chantait, tout à l’heure, murmure... Le jardin clos Un murmure s’exhale en haleine et s’éteint. 11. I Exaucement Dans le silence il tombe des pétales... Alors qu’en tes mains de lumière Tu poses ton front défaillant, 1 not set by Fauré. Que mon amour en ta prière Vienne comme un exaucement.

18 Alors que la parole expire Je me poserai sur ton coeur Sur ta lèvre qui tremble encor, Comme l’oiseau sur la mer, Et s’adoucit en un sourire Dans le repos de ses ailes lasses, De roses en des rayons d’or ; Et que berce le rythme éternel Des flots et de l’espace. Que ton âme calme et muette, Je me poserai sur ton coeur Fée endormie au jardin clos, Comme le printemps sur la mer. En sa douce volonté faite 15. V Dans la Nymphée Trouve la joie et le repos. Quoique tes yeux ne la voient pas, Sache, en ton âme, qu’elle est là, Comme autrefois divine et blanche. 12. II Quand tu plonges tes yeux dans mes yeux Sur ce bord reposent ses mains. Quand tu plonges tes yeux dans mes yeux, Sa tête est entre ces jasmins ; Je suis toute dans mes yeux. Là, ses pieds effleurent les branches.

Quand ta bouche dénoue ma bouche, Elle sommeille en ces rameaux. Mon amour n’est que ma bouche. Ses lèvres et ses yeux sont clos, Et sa bouche à peine respire.

Quand tu frôles mes cheveux, Parfois, la nuit, dans un éclair Je n’existe plus qu’en eux. Elle apparaît les yeux ouverts, Et l’éclair dans ses yeux se mire. Quand ta main effleure mes seins, J’y monte comme un feu soudain. Un bref éblouissement bleu La découvre en ses longs cheveux ; Est-ce moi que tu as choisie ? Elle s’éveille, elle se lève. Là est mon âme, là est ma vie. Et tout un jardin ébloui S’illumine au fond de la nuit, 13. III La messagère Dans le rapide éclair d’un rêve. Avril, et c’est le point du jour. Tes blondes soeurs qui te ressemblent, En ce moment, toutes ensembles 16. VI Dans la pénombre S’avancent vers toi, cher Amour. A quoi, dans ce matin d’avril, Si douce et d’ombre enveloppée, Tu te tiens dans un clos ombreux La chère enfant au coeur subtil De myrte et d’aubépine blanche ; Est-elle ainsi tout occupée ? La porte s’ouvre entre les branches ; Le chemin est mystérieux. Pensivement, d’un geste lent, En longue robe, en robe a queue, Elles, lentes, en longues robes, Sur le soleil au rouet blanc Une à une, main dans la main, A filer la laine bleue Franchissent le seuil indistinct Où de la nuit devient de l’aube. A sourire à son rêve encor, Avec ses yeux de fiancée, Celle qui s’approche d’abord, A tresser des feuillages d’or Regarde l’ombre, te découvre, Parmi les lys de sa pensée. Crie, et la fleur de ses yeux s’ouvre Splendide dans un rire d’or. 17. VII Il m’est cher, Amour, le bandeau Et, jusqu’à la dernière soeur Il m’est cher, Amour, le bandeau Toutes tremblent, tes lèvres touchent Qui me tient les paupières closes ; Leurs lèvres, l’éclair de ta bouche Il pèse comme un doux fardeau Eclate jusque dans leur coeur. De soleil sur de faibles roses.

Si j’avance, l’étrange chose ! 14. IV Je me poserai sur ton coeur Je parais marcher sur les eaux ; Je me poserai sur ton coeur Mes pieds trop lourds où je les pose, Comme le printemps sur la mer, S’enfoncent comme en des anneaux. Sur les plaines de la mer stérile Où nulle fleur ne peut croître, A ses souffles agiles, Que des fleurs de lumière.

19 Qui donc a délié dans l’ombre 20. II Reflets dans l’eau Le faix d’or de mes longs cheveux ? Etendue au seuil du bassin, Toute ceinte d’étreintes sombres, Dans l’eau plus froide que le sein Je plonge en des vagues de feu. Des vierges sages, J’ai reflété mon vague ennui, Mes lèvres où mon âme Mes yeux profonds couleur de nuit chante, Et mon visage. Toute d’extase et de baiser, S’ouvrent comme une fleur ardente Et dans ce miroir incertain Au-dessus d’un fleuve embrasé. J’ai vu de merveilleux matins... J’ai vu des choses Pâles comme des souvenirs, 18. VIII Inscription sur le sable Dans l’eau que ne saurait ternir Toute, avec ta robe et ses fleurs, Nul vent morose. Elle, ici, redevint poussière, Et son âme emportée ailleurs Alors - au fond du Passé bleu - Renaquit en chant de lumière. Mon corps mince n’était qu’un peu D’ombre mouvante ; Mais un léger lien fragile Sous les lauriers et les cyprès Dans la mort brisé doucement, J’aime la brise au souffle frais Encerclait ses tempes débiles Qui nous évente... D’impérissables diamants. J’aimais vos caresses de soeur, En signe d’elle, à cette place, Vos nuances, votre douceur, Seules, parmi le sable blond, Aube opportune ; Les pierres éternelles tracent Et votre pas souple et rythmé, Encor l’image de son front. Nymphes au rire parfumé, Au teint de lune ;

Mirages Et le galop des aegypans, Et la fontaine qui s’épand 19. I Cygne sur l’eau En larmes fades... Ma pensée est un cygne harmonieux et sage Par les bois secrets et divins Qui glisse lentement aux rivages d’ennui J’écoutais frissonner sans fin Sur les ondes sans fond du rêve, du mirage, L’hamadryade, De l’écho, du brouillard, de l’ombre, de la nuit. Ô cher Passé mystérieux Il glisse, roi hautain fendant un libre espace, Qui vous reflétez dans mes yeux Poursuit un reflet vain, précieux et changeant, Comme un nuage, Et les roseaux nombreux s’inclinent lorsqu’il passe, Il me serait plaisant et doux, Sombre et muet, au seuil d’une lune d’argent ; Passé, d’essayer avec vous Le long voyage !... Et des blancs nénuphars chaque corolle ronde Tour à tour a fleuri de désir ou d’espoir... Si je glisse, les eaux feront Mais plus avant toujours, sur la brume et sur l’onde, Un rond fluide... un autre rond... Vers l’inconnue fuyant glisse le cygne noir. Un autre à peine... Et puis le miroir enchanté Or j’ai dit : “Renoncez, beau cygne chimérique, Reprendra sa limpidité A ce voyage lent vers de troubles destins ; Froide et sereine. Nul miracle chinois, nulle étrange Amérique Ne vous accueilleront en des havres certains ; 21. III Jardin nocturne Les golfes embaumés, les îles immortelles Nocturne jardin tout empli de silence, Ont pour vous, cygne noir, des récifs périlleux ; Voici que la lune ouverte se balance Demeurez sur les lacs où se mirent, fidèles, En des voiles d’or fluides et légers ; Ces nuages, ces fleurs, ces astres et ces yeux.” Elle semble proche et cependant lointaine... Son visage rit au coeur de la fontaine Et l’ombre pâlit sous les noirs orangers.

20 Nul bruit, si ce n’est le faible bruit de l’onde L’Horizon Chimérique Fuyant goutte à goutte au bord des vasques rondes, Ou le bleu frisson d’une brise d’été, 24. I La Mer est infinie Furtive parmi des palmes invisibles... La Mer est infinie et mes rêves sont fous. Je sais, ô jardins, vos caresses sensibles La mer chante au soleil en battant les falaises Et votre languide et chaude volupté ! Et mes rêves légers ne se sentent plus d’aise De danser sur la mer comme des oiseaux soûls. Je sais votre paix délectable et morose, Vos parfums d’iris, de jasmins et de roses, Le vaste mouvement des vagues les emporte, Vos charmes troublés de désirs et d’ennui... La brise les agite et les roule en ses plis ; Ô jardin muet ! -- L’eau des vasques s’égoutte Jouant dans le sillage, ils feront une escorte Avec un bruit faible et magique... J’écoute Aux vaisseaux que mon coeur dans leur fuite a suivis. Ce baiser qui chante aux lèvres de la Nuit. Ivres d’air et de sel et brûlés par l’écume De la mer qui console et qui lave des pleurs 22. IV Danseuse Ils connaîtront le large et sa bonne amertume ; Soeur des Soeurs tisseuses de violettes, Les goélands perdus les prendront pour des leurs. Une ardente veille blémit tes joues... Danse ! Et que les rythmes aigus dénouent 25. II Je me suis embarqué Tes bandelettes. Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse Et roule bord sur bord et tangue et se balance. Vaste svelte, fresque mouvante et souple, Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ; Danse, danse, paumes vers nous tendues, Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences Pieds étroits fuyant, tels des ailes nues Plus belles que le rythme las des chants humains. Qu’Eros découple... A vivre parmi vous, hèlas ! avais-je une âme ? Sois la fleur multiple un peu balancée, Mes frères, j’ai souffert sur tous vos continents. Sois l’écharpe offerte au désir qui change, Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent Sois la lampe chaste, la flamme étrange, Pour me bercer, comme un enfant, au creux des lames. Sois la pensée ! Hors du port qui n’est plus qu’une image effacée, Danse, danse au chant de ma flûte creuse, Les larmes du départ ne brûlent plus mes yeux. Soeur des Soeurs divines.-- La moiteur glisse, Je ne me souviens pas de mes derniers adieux... Baiser vain, le long de ta hanche lisse... O ma peine, ma peine, où vous ai-je laissée? Vaine danseuse ! 26. III Diane, Séléné Diane, Séléné, lune de beau métal, 23. C’est la paix! Qui reflète vers nous, par ta face déserte, Pendant qu’ils étaient partis pour la guerre, Dans l’immortel ennui du calme sidéral, on ne dansait plus, on ne parlait guère, Le regret d’un soleil dont nous pleurons la perte. on ne chantait pas, O lune, je t’en veux de ta limpidité mes soeurs, c’est la paix! La guerre est finie, Injurieuse au trouble vain des pauvres âmes, Dans la paix bénie, Et mon coeur, toujours las et toujours agité, Courons au devant de nos chers soldats. Aspire vers la paix de ta nocturne flamme.

Et joyeusement, toutes, en cadence, 27. IV Vaisseaux, nous vous aurons aimés Nous irons vers eux en dansant la danse Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ; Qu’on danse chez nous. Le dernier de vous tous est parti sur la mer. Le couchant emporta tant de voiles ouvertes Nous les aimerons! La guerre est finie Que ce port et mon coeur sont à jamais déserts. Ils seront aimés, dans la paix bénie, Sitôt leur retour. La mer vous a rendus à votre destinée, pour avoir chassé la horde germaine Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas. Ils auront nos coeurs, -- au lieu de la haine Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ; Ils auront l’amour. Il vous faut des lointains que je ne connais pas

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre. Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d’effroi, Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère, Car j’ai de grands départs inassouvis en moi.

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