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LE DYNAMISME DU DEVENIR CHEZ ROGER MARTIN DU GARD By

LE DYNAMISME DU DEVENIR CHEZ ROGER MARTIN DU GARD By

LE DYNAMISME DU DEVENIR CHEZ ROGER MARTIN DU GARD

by

Ronald Oldham

A Theais submitted in Partial Fulfilment of

The Requirements for the Degree of

Master of Arts

in the Department

of

French

The University of British Columbia

April, 1947 1

AVANT-PROPOS

Je voudrais. exprimer a Monsieur 0. 0. Evans,, chef du . departement,Aerangais a l.'Universite'-de la Colombie Britannique,.ma . reconnaissance et mes. remerciments sinceres pour son encouragement et pour ses conseils savants pendant la.preparation de cet essai..

R.O. 2

n Ce qui paraitra le plus vieux, c'est ce qui dJabord*.aura.,paru; leiplus,;moderne, Chaque complaisance^ chaque, affectation est la . promesse d'une ride."

Andre" Gide ABSTRACT

of

LE DYNAMISME DU DEVENIR CHEZ ROGER MARTIN DU GARD

by

Ronald Oldham 1

This thesis is neither a philosophical essay nor a study of the theory of evolution. Its title, Le dyriamiame du devenir chez Roger

Martin du Gard, is chosen to indicate that the concept of change, of the flow of things, has profoundly influenced the novelist of the twentieth century. He wants to be free from temporal limits and from sharply defined contours in order to express the continuity he feels in the world about him. The serial novel, or roman-fleuve, is an admirable vehicle for such an expression.

The genre is skilfully used by Roger Martin du Gard in his masterpiece Les Thibault. From volume to volume the reader has the sensa• tion of continuous movement and change, the panorama is always new, as though a river is carrying him downstream. The figure of a river which flows incessantly epitomizes the roman-fleuve.

In this essay the writer has attempted to trace the various concepts of time' and duration from Plato to the present day. Consideration has been given to Heraclitus, Spinoza, the cult of the eternal and the unchangeable in the Classical period, Leibniz and the theory of continuity, and finally the investigation of the question of duration as postulated by

Bergson. Since life, virile and pulsating, is intrinsic in the modern novel the writer believes that Bergson's conception of dynamism has influenced contemporary literature more than is generally accepted.

It is however true that the rhythm of movement is often broken.

This is inevitable. The reader of James Joyce, for example, has. a telescopic view of the past and the present because Joyce handles time as an aspect of local colour. Indeed it may be local colour. And similarly in Martin du Gard there are often long intervals in duration in juxtaposition with brief moments, where the rhythm is destroyed temporarily and the effect of discontinuity is intentionally evident.

The pulse of life may become weak and it may grow strong, but it never '. ceases to beat. It is just this continual and incessant change from tranquillity to disquietude that is reflected in the ambient milieu of

Roger Martin du Gard.

In this essay three aspects of the milieu of Les Thibault are studied. These include the family, medicine and politics. The scientific vocabulary, the sustained use of dialogue throughout whole chapters, and the many interior monologues to express the subconscious thoughts of the characters _ all these help to fix the ambience and to intensify it under the light of veracity. Not only does Martin du Gard observe, he interprets and develops with logic and clarity the phenomena of human behaviour. And this essay is concerned with the milieu of Les Thibault to show the evolution and the dynamism of the characters who frequent it.

One chapter is assigned to the ethics of Roger Martin du Gard.

He bears the mark of Andre* Gide's philosophy of fervour and disponibilite'. not to mention his philanthropy and idealism. The author of this essay rejects the view that this idealism is a thinly disguised form of obscurantism. Rather, he has tried to show that the philosophy of

Martin du Gard is one of hope, that if one will only seek, he will be rewarded to find that life is a source of inexhaustible possibilities. .

It is felt that the bibliography is comprehensive in that it includes the works of Roger Martin du Gard, translations in English and German of Lea Thibault and numerous articles from Parisian reviews.

Grateful acknowledgement is made to Dr. D. 0. Evans, Head of the Department of French, for reading the MS and for his valuable help in suggesting reference material.

R.O. April, 1947 University of B.C. 5

Introduction

Dans un recueil d'essais j?ntitule Pleins Pouvoirs, Jean

Giraudoux presents une consideration qui, a nos yeux, appara£t bien

convenable comme note d'introduction a cet essai et, de plus, d'une

application ge'ne'rale. Giraudoux a dit que nous vivons a une epoque ou

l'ecrivain n'a plus le loisir de choisir son sujet : que c'est plutot

le sujet, - aujourdlfaui,, qui le choisit.

Dans; cet ouvrage nous avons essaye* de traiter deux themes

principaux : 1'inquietude de la dure*e dans la litterature contemporaine,

surtout dans le roman-fleuve duXXe. sieele, et d'autre part quelques

aspects de la peinture du milieu dans 1'oeuvre de Roger Martin du Gard,

principalement les Ihibault. En meme temps il faut avouer que la

beauts, la dignity et la profondeur de pens£e de cet auteur Eremite

nous semblent plus, importantes et plus fructueuses que nous, ne 1'avions

' d'abord suppose, et ce n'est pas entierement par hasard que nous avons

permis aux aspects philosophiques de son oeuvre de nous eloigner

quelque peu du sujet lequel nous a aussi choisis.

L'influence morale de Gide sur 1'oeuvre de Roger Martin du

Gard est incontestable. Ainsi a-t-il ete necessaire d'introduire. dans

cet-essai, plus que le .germs. embryonnaire de la-pensee: gidienne pour que

1'on. comprenne mieux la base et 1'evolution de la pensee du romanoier

des Thibault. Neanmoins, il serait mal a propoa de suggerer que

Martin du Gard n'est pas un individualiste. En admettant 1'influence k formative de. Gide il lui reate une since'rite' et un enthousiasme fort personnels. .

Dans son opposition au de"sordre de 1'esprit et dans-son deBir de vouloir tout mettre en question Martin du Gard suit la grande tradition, des ecrivains francais. Chez lui on trouve des qualite"s que le lecteur cultive' tient danB la. plus, haute estime : la moderation, la tolerance, la lucidity etquelque chose, de fort repandu dans la litteVature d'aujourd'hui 11 idealismeAucune e"tude de Roger Martin du Gard ne serait.complete sans mettre au jour la foi et 1'optimisms qu'il repose en 1'humanity.

R.O. 5

CHAPITRE I

LA DUREE.

La question du temps, a pris. une importance de premier ordre dans la pensee philosophique et dans la litterature contemporainee.

Le bruit qu'a fait la th^orie devolution de Charles Darwin dans ,

1 'Origine des especes .( 1859 )» la. pensee d' dans son

Evolution creatrice (1907 ), et les theories relativistesd'Einstein nous ont accoutumes a l'idee. d'un temps eiastique ou malleable. II exists, neanmoins, d'aucuns qui se plaisent a croire que .le passe avec son culte du fixe, ses traditions, et.sa —staphysique est demode, qu'en effet il. faut denigrer tout ce qui vient d'un age>anterieur.

Aujourd'hui. les sciences et les arts paraissent etre penetree d'un dynamisme lequel est, surtout dans la litterature contemporaine, fort repandu.

Nous voyons. apparaitre, par exemple, le roman-fleuve a

1'instar des Thibault de Roger Martin du Gard. On ne peut contempler cette. oeuvre, d'un seul coup d'oeil.. L'envergure en est si grande, la dimension temporelle si etendue que les contours sont loin d'etre nets.

Les poetes memes ont les yeux tournes vers ce flux universel. 6

Un d'entre- eux a ecrit : ." Je die que tout. 1'univers n'est qu'une machine a marquer le temps.".(1) II semble qu'une ancienne conception de stability ait c£de* la place a une nouvelle conception dynamique.

II sera done, utile d,'examiner,.la philosophie..de I'antiquite pour euivre le mouvement jusqu'a. nos jours de l'idee de la temporalite.

Platon ( 427-547 A.C. ) pose la doctrine que la realite"

( ou l'etre ) se compose d'Ide*es. Lee choses du monde, que le phllosophe appelle phenomenes, sont pour, lui .des images:, des copies infe'rieures des Ide'es ^ternelles. et immuables. Pour illustrer cette doctrine Platon invents le mythe de la caverne.(2) II represents des prisonniers dans une caverne enchain^s des leur enfance.

Lorsqu'un grand-feu au-dessus, d'eux. et derriere eux projette quelques ombres sur la muraille en face, les prisonniers croient que les ombres sont des realit^s. C'est la, pour Platon, 1'image de notre connaissance du monde; sensible.

La base du Platonisme est une faeon de peneer par concepts, e'est-a-dire par id^es. generales ou abstraites. Le concept.selon

Platon est, aussi une verity universelle. Son concept de 1'immortalite* est inte'reesant. Chaque homme. tend, toujours.a se- perpe"tuer. autant

(1) Claudel, P. Art poe'tique. p. J4.

(2) Platon. R^publique. VII,.514. ( Les citations de. Platon-dans

cet ouvrage sont prises de la traduction anglaise de

Jowett.) 7

que possible et une fores, divine le pousse vers 1*objet--.de son amour.

L'ame est quelque,.chose de superieur au corps de 1 'homme. " Quand l'ame. et le. corps marchent de compagnie, la nature ordonne a l'un d'obeir en esclave, et 1'autre de dominer et de commander. Ne te parait-il pas que ce qui est divin est seul capable de commander en maitre ?n(l)

Et, de plus,, l'ame est une force, une cause qui. se meut toujours et qui meut le corps. En d*autres termes, la presence perp^tuelle de l'ame se; montre. par la perpetuity-meme de son effet : le mouvement. " Tout ce que nous apprenons n'est que reminiscence, car il faut de toute necessite que nous ayonsappris dans un autre temps.les choses que nous nous rappelons dans celui-ci, et cela serait. impossible dans le cas ou notre ame n'aurait pas existe avant de revetir cette forme,, humaine;." (2)

Le mouvement eternel suppose done une ame eternelle. n "S'il. y a... quelque. chose d'immortel et d'imperissable, mon cher cebes, notre ame est de cette nature."(j) Et l'ame, d'apres PIaton, n?est pas (seulement en rapport avec. la verite et avec le mouvement, elle est aussi en rapport avec le bien :Mes amis, il est juste de

(1) . Platon. Phedon. XXVIII. p., 78.

(2) Ouvrage cite. XVIII. p. 54.

(5) Ouvrage cite. LVI. p. 162. 8 penaer.que, ai l'ame est immortelle, elle demande qu'on la cultive, qu'on en prenne soin, non seulement pour ce temps que nous, appelons la vie., mais aussi pour le temps qui la suit, o'est-aj-dire. 1 'eternite*

...B(l) C'est la. l'idee de la temporality de Platon : le temps est

1 'image mouvante de 1'Eternite". (2)

Suivant Platon le concept du Bien contient quelque.chose de semblable a celui de 1' immortalite*. Pour lui le Bien est un des supremes my s teres del 'univers. II y voit une unite" dans laquelle le tout du temps et de 1'existence se melent harmonieusement.' C'est a. la fois la verite* de toutes choses et la lumiere dans laquelle elles se sont repandues.

"... the eyes, when a person directs, them towards objects on which the light of day. is no. longer ..shining ...... see dimly, and are nearly blind. But when they are directed towards objects on which the sun shines they see clearly and then is sight in them."(5)

En d'autres. termes Platon. dit.qu'on ne s'apercoit de la verite* que si elle est lllumine'e par le Bien. Cette idee du Bien est la cause de toutes choses, la puissance au moyen de laquelle elles deviennent. C'est une raison universelle toute. libre des. attaches d'une. personnalite* humaine.

(1) Ouvrage cite. LVII. p.. 16J.

(2) Platon. Timee. XIV. p. J4l.

(5) Platon. Re*publique. VI. 508. Pour Platon ce concept .du Bien est la realite ne'ceasalre.

II eat. evident que pour, lui la ve'rite' la plus certaine et la plus ne"ce8saire est 1'universal.

" Let this be one of our rules and principles,,— that God. is not the.Author of all things, but .of good only.- It is impossible that

God. should ever be willing to change ; being, as is supposed, the fairest and best that is conceivable, every God remains absolutely and forever in his own,form."(1)

A ce but. Platon cherche sans cesse a. rStSrer toute science et toute opinion. II s'accords avec son maitre Socrate que la vraie science ri'est possible que sous la forme de concepts ou de Veritas univ.erselles. II s1 ensuit que les objets de la vraie science ne sont pas les choses en-flux,, en mouvement, du monde sensible. II reste des ob jets en dehors-de nos sens, immuablesi et. kernels. . Ce. n'est pas dire cependant que le monde du mouvement soit necessairement illusoire.

Mais il consists en phenomenes dont la realite*. est plus, basse, infeVieure ; des choses qui sont de pauvres imitations, des Idees.

En somme, la philosophie de Platon se resout en. un dualisme.

D'une. part- il envisage un monde .toujours en train de devenir, charge* de mouvement, de sens, et qui jouit d'une realite* tout a fait inf.e'- rieure. D?autre part il.voit un,monde d'Idees qui sont eternellea, universelles. et supremement replies,. Comme Heraclite il croit.que

(1) Platon. Rgpublique. II. 580-581. 19 tous lea objets-de la perception de, nos. sens,,existent en un.etat d'eVoulement incessant. Ainsi,. dit-il, on ne peut.pr^ciser une ve*rite". abaolue a I'egard de ce mouvement, qui a. la facon d'un fleuve coule sans cease.

-Passons de Platon. a Spinoza. ( 16J2-1677 )* chez. qui. nous trouverons une similitude de pense*e a l'egard de la question de la temporality.. D'apres Spinoza, l1 eternite* est l'etreaeme. "... The existence of a thing, as an eternal truth, is conceived to. be the same as its essence, and therefore cannot be explained by duration or time, although duration, can, be conceived as wanting beginning and end."(l)

Selon Spinoza 1'etre de l'ame, c'est la penseV. Agir, c'est penser.(2) II n'y a d'action veritable que dans les idees qui sont

conformes a 1'essence de l'ame ou par consequent qui r^sultent necessairement de cette essence,.

(1) Spinoza. Ethique. Ie part., def. viii. p.2. ( Traduction anglaise de Boyle ). (2) Ouvrage cite. lie part., prop, xxx et seq. p.62. 11

C'est ici que Spinoza a'eloigns de Platon. Suivant Spinoza il est vrai de dire que. tout est necessaire,. que tout a sa place marquee, sa raison d'etre. II repousse la liberte' dans 1'homme et en Dieu, il nie le motif du bien et de l'ordre, en ne reconnaissant quiun seul principe d'action — 1'essence des choses ; et quelque direction qu'elles prennent cette direction est legitime parce qu'elle est raisonnable et necessaire. Par suite de cette croyance, le bon ou 1'utile, n'est pas quelque chose, d'exterieur vers lequel nous nous portons parce qu'il est desirable. .Ce qui est bon pour nous,.c'est notre etre, et le desir est le d^veloppement necessaire de notre essence.(1) En outre,, la vertu est la force d'acquerir ce qui est utile ; au fond elle n'est autre chose que 1'effort de l'ame pour perseverer dans son etre.(2)

En nous identifiant. a. la ne'cessite' dternelle qui fait, deliver de Dieu toutes choses, nous comprenons toutes. choses,. d'apres Spinoza, par ce qui en est 1'essence, c'es.t-a-dlre par Dieu. Dieu est le supreme intelligible et il rend tout intelligible. II est done le.supreme Bien.(5) Et c'est seulement par l'amour que nous rendons a. Dieu que nous pouvons nous eiever au-dessus de la durde

(1) Ouvrage cite. IVe. part. prop, xxxi, p. 161.

(2) Ouvrage cite. IVe part. &6f. viii, prop. xxii,. p. 157 •

(j) Ouvrage cite. IVe part. prop, xxviii, p. 159. 12

et jouir d'une vie e"ternelle : res sub specie, aeternitatia; ooncipere.

Spinoza der"lnit la dure"e comme ,1a continuation indefinie de l'exiatence. " I call it indefinite because it cannot be determined by the nature itself of the existing thing nor of the efficient cause.." (.1,).

Autre part Spinoza, dit que.la dur.ee de notre corps, depend de l'ordre commun de la nature et 1'ensemble des choses. Et quant a. notre ame, en tant qu'elle enveloppe 1'essence du corps sous le caractere de l'e'ternite', elle est e'ternelle et cette existence e'ternelle ne peut .se mesurer par. le temps ni s.'e'tendre=dans la duree.(2) .. C'est la. en effet que l'on .est conscient du rapprochement des idees du temporel chez Platon et chez Spinoza. Au rests il suit

Aristote ; et sa pense'e nous illumine l'ssth^tique du classicisms francais.

Le point de vue classique a. l'dgard du temps et du mouve- ment est bien exprime- en anglais par : " Even though

time be real, to realize the unimportance of time is the gate of wisdom... A truer image of the world is obtained by picturing things as entering into the stream of time from an eternal world outside."(2)

(1) Ouvrage cite*. He part. prop, xxx et seq. p. 62.

(2) Russell, B. Mysticism and Logic, pp. 7^-75. 1?

Au XVIIe^siecle on repose sa foi dans l'immutabilite" des choses, dans

1 'universalite' de l'etre meme. Surtout chez les poetes classiques, par exemple, cette idee du fixe est inhe"rente. Les personnages de Racine et de Corneille sont presque surhumains : leur vie se transmet a. la posterity car ils manquent des attributs de l'espace et du temps, leur origine est dans 1'histoire, la legende ou la fable ancienne. Andro- maque et Iphige*nle sont des etres reels sur la scene, mais ils n'ont jamais ve\su : ce sont des personnages fabuleux. En outre, l'auteur classique souvent se sert des creations poetiques de Virgile, d'Homere et d'Euripide parce qu'il refuse, en grande partie, de s'interesser a des personnages ple"beiens. Racine dans ses Prefaces est soigneux de signaler que ses personnages doivent leur origine soit a. la legende soit a. 1'histoire des Grecs et des Romains.,.. et on cherchera en vain dans une oeuvre classique des details du temps ou du decor particuliers.

Bref, le poete ne se soucie pas d'un milieu temporel.

n Miserable ! et je vis ? et je soutiens la vue

De ce aacre soleil dont je suis descendue ?

J'ai pour aleul le pere et le maitre des Dieux

Le ciel, tout l'univers est plein de mes a'ieux." (l)

Le but de l'auteur tragique est de nous montrer la vie a la fois seVieuse et r^elle. Non seulement le he"ros classique est d'habitude

(1) Racine. Phedre. IV. vi, vv. 127J-1276. Ik

un prince, un roi ou un homme de sang.noble, il est agite" par de grandee passions et il lutte contre des emotions qui le poussent vers une destinee. La tragedie shakspearienne, par exemple, est vraiment un tableau de la souffrance humaine ; et elle inspire la pitie". Dans

Hamlet le he"ros. veut se venger de son beau-pere, mais il perd sa resolution dans le reve. II devient si empetre' aux rets du doute et de l'introspeotion qu'il he peut plus agir. D'une maniere semblable

Macbeth est noble et courageux, mais son ambition le ronge sans ceese et

le pousse a devenir meurtrier. Le heros se rend compte de 1'inutility

de son existence et tombe enfin en le plus grand desespoir.

It is a tale Told by an idiot, full of sound and fury

Signifying nothing..." (1)

Dans 1'oeuvre des dramaturges classiques. francais on est

egalement preocoupe des emotions humaines. Ce n'est pas a. l'homme mais a l'humanite que l'auteur s'interesse. Et il met en relief

1'universalite du conflit entre l'amour et le devoir. Corneille dans

le Cid permet a. son heroine de montrer la grandeur de son ame en s'eievant,

par un effort de la volonte, au-dessus de ses passions pour accomplir son

devoir. Chimene est eprise du Cid mais elle doit resoudre le conflit moral entre 1'honneur de son pere et ses propres emotions. Elle doit

choisir entre le coeur et le cerveau : la donnee est certes classique.

(1) Shakspeare. Macbeth. V. v. vv. 27-28. 15

Et cette lutte morale, comme chez Shakspeare, depasse le temporel.

L'auteur classique sait que certaines passions troublent l'homme, depuis

l'origine du temps. C'est pourquoi on ne se eoucie pas du nom ou de

la race des personnages. On peint l'homme de tous les pays et de tous

les temps.

Dans Phedre, par exemple, Racine nous,montre une belle-mere

qui persecute, son beau-fils parce qu'il a repousse l'idee de l'inceste.

Dans Iphigenie il s'agit des angoisses d'un pere qui a sacrifie' a. son

ambition sa fille aime"e. DanB:Andromaque. 1 'action se deVoule autour

d'une jeune fille abandonnee par. son fiance et qui. le fait tuer par un

rival. Racine s'est efforce de communiquer les plus nobles et les plus

tragiques emotions humaines. Et tandis que ses personnages ont des

bout caracteristiques physiques ils representent par-dessus 1'eternel dans A 11homme.

n L'Eternel est son nom. Le monde est son ouvrage ;

II entend les soupirs de 1'humble qu'on outrage,

Juge tous les mortels avec d'egales lois,

Et du haut de son trone interroge les rois." ^

Esther, vv. 1052-55.

„.*->

Un critique francais a ecrit s " Demeurer ; eviter tout

changement qui risquerait de detruire un equilibre miraculeux : c'est le

souhait de l'age classique... A Versailles le visiteur a 1'impression

que les eaux elles-memes ne s'ecoulent pas ; on lee capte, on les force 16

a nouveau, on les relance vers le ciel s comme si,on voulait les faire servir eternellement.n(l), L1epoque classique fit-le culte.de

1'immuable non seulement dans la litterature mais aussi dans la philosophie. La question de 1 'oecumenicite' de la foi occupe une position de premier ordre dans la morale classique.. Josiah: Royce, dans son livre Nature, Man, and the Moral Order, exprime la. conception temporalle de ce probleme. II dit que l'on recherche dans le temps

1'expression de sa.volonte. Cherchez,.dit-il, et vous trouverez. Et l'acte de la trouvaille n'est pas seulement un evenement dans le temps.

C'est plutot une experience eternelle de toute recherche. Chaque lutte, chaque larme, chaque misers et chaque apercu de la verite de Dieu — tout n'est pas -une suite d'incidents, separes. Ge sont tous des evene- ments dans la vie qui menent, en depit des insucces temporels, a. 1'eternel, a. Dieu. Et en presence, de Dieu, et grace a Son accomplissement, on atteint le but de la vie, qui est la plenitude de vie.(2)

Cette metaphysique explique toute l'esthetique du classicisme.

L'appel de 1'oeuvre de Pascal, surtout les Pensees ( 1670 ), est indisputablement eternel. Pascal pose que la nature humaine est fondamentalement faible. Mais il s'efforce de convaincre les indifferents de la necessite d'une croyance religieuse et il reussit, au moyen de son inspiration artistique, a depasser le dogme. Pascal pos8edait une

(1) Hazard, P. La Crise de la conscience europeenne ( 1680-1715 ). vol. I.

, x • pp. 5-A. \2) Royce, J. Nature, Man, and the Moral Order, p. 150. 17

connaiseance merveilleuse de la nature humaine. Son oeuvre dure, par- dessus credo ou secte : c'est un temoignage de la quete e'ternelle de l'homme pour le divin. Pascal, comme.bien d'autres moralistee de son epoque, repose sa foi dans 1'immuabillte de Dieu. Pascal et Spinoza sont done d'accord : l'ame est eternelle et son existence ne peut se mesurer par le temps ni s'e"tendre dans la durde.

C'est la une philosophie de l'etre opposee a la philosophie du devenir. Josiah Royce exprime d'une facon fort nette ce contraste :

". Nature, not as it grows but as it eternally is, was that which constituted the outer order known to the XVIIth century. Events had little concern to a doctrine like Spinoza's... But for our XlXth century it is just the change, the flow, the growth of things, that is the most interesting feature of the universe."(1) Au XIXe siecle la preoccupation de la question du temps et d'un continu.dans le temps est devenu de plus en plus etendui Toute 1'oeuvre d'Henri Bergson ( 1859-1941 ) et l'Origine des especes de Charles Darwin soulignent cette id4e d'un continu, d|une evolution. Mais, pour mieux comprendre cet aspect du temps, il nous faut rebrousser chemin et revenir encore une foia a. l'antiquite.

C'est le philosophe grec, Heraclite d'Ephese ( c.540-475 A.C. ), qui fut le fondateur de la philosophie du devenir ( de 1'evolutionnisme ).

(1) Royce, J. The Spirit of Modern Philosophy• p. 274. 18

II est en outre en un sens le fondateur de la metaphyBique. II nie la theorie de l'etre mais accepte celle de 1. .'units' de la nature. Heraclite

se sert du mot logos ou la raison lorsqu'il essaye d'expliquer l'ordre

esthetique de l'univers. Dans, le processus cosmique il apercoit

quelque chose de plus qu'une conception physique. II y voit une

raison analogue a la puissance de 1'esprit de l'homme. Est-ce que cette

raison, ce logos que precise Heraclite, possede une qualite consciente

ou intelligente ? II ne l'explique pas. Mais le logos est certes de

ce monde, une relation dont l'ordre et la re"gularite dans le mouvement

sont un re"8ultat.

Suivant Heraclite, la vraie science, consiste a. eomprendre cette

harmonie de l'ordre du changement. II modifie son d^ni de la the*orie

de l'etre en disant que la realite propre est fluids. " Tout s'ecoule

et tout fuit, rien ne demeure ; dans, le meme fleuve ce sont toujourB

d'autres eaux qui vous baignent j vous ne vous plongerez pas deux fois

dans les memes eaux."(1) Cette conception du continu des choses, d'un

temps qui ressemble a un fleuve toujours en marche est vraiment celle

de 1'evolutionni8te.

II faut quitter Heraclite et passer a Leibniz. ( 1646-1716 ).

Chez lui la conception de 1'activity universelle est admirablement

de'veloppe'e. II est intyressant-de remarquer qu'il s'.efforce, comme

l'a fait Aristote, de rendre 1'activity et la vie aux etres particuliers.

(l) Robin, L. La Penaee grecque. p. 91• 19

Leibniz croit en un dynamisme qui est au fond de l'univers.

En outre, il essaye de marquer l'origine veritable de la force. La force active, dit Leibniz, eat un pouvoir moyen entre la poasibilite* et

1'action reelle ; ce pouvoir enveloppe 1'effort et 8e determine sans cesse de lui^meme a 1'action. Pour demontrer la realite de la force

Leibniz noua invite a. regarder un poids suspendu a l'extremite d'une corde. Voila la force vraiment active.

Leibniz ne trouve pas dans le mecanisme de Descartes une explication suffisante. pour interpreter les relations.intimes dee phenomenes. - Le mecanisme tend a. poatuler des loia suivant des

experiences scientifiques. Leibniz pretend qu'il faut penetrer au- dessous.de-la surface du mouvement physique pour comprendre les causes.(1)

La force de Leibniz se compose d'un grand nombred'unites, petite atomes de substance. Chacun de ces atonies est une monade. Le nombre des monades dans l'univers n'est paa determine : il y en a une

infinite. Et c'est ici que Leibniz s'approche d'Aristote en ce qu'il

pretend que les monades ont une individualite" propre, et qu'elles sont

en meme temps des realites vivantes.

Lor8que Leibniz, constate que. les monades sont parfaitement

distinctes on se demande si son monde ne se compose que de la variete.

II pretend que non. Entre une chose et une autre il existe une serie

continue j la variete des choses ramene ainsi a une harmonie univer-

(1) Russell, B. A Critical Exposition of the Philosophy of Leibniz. pp. 16-17. 20 sella.(1) Et puisque les monades sont infinies il n'y a de vide ni dans l'espace ni dans le temps. n It is one of my greatest maxims, and among the most completely verified, that nature never makes leaps : which

I call the law of Continuity... A leap, a hiatus, a vacuum, and rest, are condemned by the same law."(2)

L'espace, selon Leibniz, est quelque chose de purement relatif, comme le temps. C'est un ordre de coexistences, comme le temps est un ordre de successions.

n It cannot be said that a certain duration is eternal ; but that things which.continue always are eternal by always gaining new extension. Whatever exists of time and duration, being successive, periahes continually ; and how can a thing exist eternally which ( to speak exactly ) doe8 never exist at all ? For how can a thing exist whereof no part does ever exist ?• Nothing of time does ever exist, but instant8 ; and an instant ie not even itself a part of time."(5)

On peut eclaircir la loi de continuite" de Leibniz.au moyen d'un exemple. Loraqu'on marche on n'est pas toujours conscient de son mouvement continu. Mais dans l'acte de mettre le pied en avant il y a une succession de positions intermediaires. Le vide n'existe pas.

(1) Leibniz. Nouveaux Eaaais. G. V. 115, p. 250. Plusieurs extraits d'une traduction anglaise de Langley se trouvent dans 1'ouvrage cite* de Russell.

(2) Ouvrage cite*. G. VII. 402, p. 257.

(5) Ouvrage cite*. G. V. 455 et G. II. 182, p. 222. 21

Ainsi, en consequence du nombre infini des monades le vide n'existe pas

dans la nature : elle.est pleine. Alors, bien que ces unites de la

force soient distinctes et individuelles, elles se relient et deviennent

semblables grace a la loi de continuity universelle.

Un autre terme nouveau de Leibniz, est 1'app^tition. II

l'explique comme un de*sir naturel du mouvement et du progres qui se

retrouve partout. Partout existe la vie, et la matiere est.un ensemble

de forces qui ne sont pas encore parvenues a. la conscience d'elles-memes.

Autrement dit, le fond de la realite* suivant Leibniz est un dynamisms

universel. ." Dynamics is to a great extent the foundation of my system

for we then learn the difference between truths. whoBe necessity is brute

and geometric, and truths which have their source in fitness and final

causes."(1)

II y a done une infinite de creatures, d'etres vivants,

d'animaux, d'ameB dans chaque parcelle de matiere. Chacune peut etre

concue, dit Leibniz, comme un jardin plein de plantes et comme un e*tang

plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de

1'animal, chaque goutte de sea humeurs, est encore un tel jardin, est un

tel e"tang. Rien d'inculte, de sterile, de mort dans l'univers.

Leibniz introduit dans le mecanisme philosophique une sponta-

n^ite vibrante. Non seulement le temps se succede, le scema de l'univer

est calcule* et etabli par Dieu. II croit que tout change dans la nature

(1) Ouvrage cite. G. III. 645. 22

male au fond des changements il doit etre une raison. L'experience,

sans la raison, ne fournit que des liaisons ou associations comme celles qui servant de guide aux animaux. L'homme seul, d'apres Leibniz, possede une faculte superieure : la raison. Et la raison e8t irmSe :

B Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, nisi ipse

intellectua."

L'Evolution creatrice d'Henri Bergson reprend et elargit

la conception leibnizienne de la continuity et du dynamisme. L'oeuvre

de Bergson se concerne en grande partie du temps et de la duree. Pour

ne pas confondre lea nuances de ce mot il faut le derinir. " Le temps

peut exprimer tout ensemble, ou une duree limite*e ou une dure*e il limit e"e,

mais il n'entre pas dans le mot aussi pre"ci8ement que dans duree, d'une

part l'idee d'un espace compriB entre un commencement et une fin, de

1'autre celle d'une continuity persistante, d'une euite ininterrompue.n(l)

Bergson lui-meme donne cette interpretation : " Real duration is that in

which each form flows out of previous forms while adding to them

(1) Dictionnaire Larousse du XXe siecle. 25

something new...B(l) Et du meme livre : n Evolution implies a real persistance of the past in the present, a duration which is, as it were, a hyphen, a connecting link."(2) Enfin, un philosophe anglais exprime'^dure'e par rapport a. l'etre : • To existe means to endure.

Duration is the stuff out of which conscious existence is made j for a conscious being to exist is to change, and to change, is to endure."(5)

Examinons, maintenant, la conception bergsonienne de la dure*e. Sa doctrine principale est le dynamisme. Le monde est vibrant, palpitant, " un flux indivisible ".(4) L'evolution done, d'apres

Bergson, est une duree, un continu. II s'ensuit qu'il conge'die toute ide*e d'un vide. Par contre, ce quelque chose de vivant qui. se manifesto aumonde nous fait, aller au-devant de la.vie. La philosophie, selon

Bergson, doit eViter de contempler des theories-generales. de l'univers or et, par opposition, s'effftcer de re*soudre les problemes particuliers et individuels de la vie. " En designant la philosophie de Bergson il faut sous-entendre qu'elle est essentiellement individuelle, qu'elle se place, des ses debuts, en dehors de la lignee traditionnelle de8

(1) Bergson, H. Evolution creatrlce. p. ( Traduction anglaise de Mitchell : la bibliotheque de 1'University de la Oolombie Britannique ne possede pas 1'oeuvre de Bergson dans 1'original.)

(2) Ouvrage cit6. pp. 25-24..

(5) Cunningham, G. W. " Bergson'a Conception of Duration." Philosophical Review.

(4) Maire, G. Henri Bergson. p. 15. 24

8ystemes.n(l) II n1aime pas parler de nos etats de conscience, par

exemple, comme le a fait la psychologic classique ; il marque de

preference " le progres, de la naissance a. la mort, qui constitue notre

dure"e personnelle ".(2)

Bergson oppose a la duree physique une duree intelligible.

Bergson, voulant rendre compte de la vie et faisant consister la vie

dans un incessant devenir, a voulu, en meme temps, rendre ce devenir

directement accessible a. 1'esprit.(5) L'esprit est une partie du mouvement meme de la vie, superieur a. la matiere, mais a la foi8

infe"rieur a. 1'intuition. Suivant Bergson, les puissances de 1'esprit

sont limitees et ce n'est qu'au moyen de l'intuition que l'on puisse

apercevoir les Veritas fondamentales. C'est la. que Bergson embraaae

le mysticisme. n La psychologie de Bergson est en effet suspendue

a. une comparaison troublante, celle de la se"rie de nos etats de conscience

a. un grand fleuve dont les affluents incessamment croiaaent, encore que

leur denombrement echappe a 1'insuffiaance de noa moyens d'obaerver.

L'infini a 8a part dans la doctrine^de Bergson."(4)

La duree bergsonienne n'a rien de commun avec la vie exte"-

rieure d'un individu. La vie exteVieure est seulement un espace vaste

(1) Ouvrage cite. p. 11.

(2) Ouvrage cite*, p. 15.

(5) Dauriac, L. n Le Mouvement bergsonien." Revue philosophique.

(4) Ouvrage citS. f

25

et indefini, et il a horreur d'une telle conception. C'est dans la vie inteVieure ou se trouve la vraie dure"e. Pour eclaircir cette idee

Bergson use d'une analogic. Lorsqu'on,regarde le cadran d'une horloge on se borne a. compter les oscillations dupendule et le lent mouvement de 1'aiguille ( des simultaneite's ), et quant au passe" il ne reste plus : "... en dehors de nous il n'y a jamais qu'une seule oscillation du pendule, un lien d'espace sans duree et c'est en nous seulement qu'il y a succession sans espace et, par consequent, duree i veritable ".(l) Dans, la vie inte*rieure un processus d'organisation a lieu au moyen duquel le passe est toujours present et en meme temps entame l'avenir. II s'ensuit done que la dure"e et la vie sont synonymes puisque toutes les deux dependent. 1'une de. 1'autre. < " Cette idee de duree, une et primordiale, de temps-substance, nous est familiere. La duree c'est.1'etoffe des choses, c'est cette meme realite mouvante^et changeante ; la duree, c'est l'etre."(2)

II est evident que la notion moderne de l'ecoulement perpetuel des choses doit son origine a la philosophie de 1'antiquite.

"Les Anciens ; les chers Anciens : admirables modeles.N(5) Entre les anciens et les modernes ont eu lieu la naissance et 1'epanouissement de l'idee d'une mobilite universelle. Et les vues retrospectives que nous avons jetees sur les philosophes du passe et sur la question du

(1) Maire, G. Henri Bergson. pp. 14-15.

(2) True, G. " Le Bergsonismeet le mouvement." Revue hebdomadaire.

(5) Hazard, P. La Crise de la Conscience europeenne. vol. I. p. J8. t

.26

temps ont revele* l'influence profonde de cette mobilite sur Bergson.

De la meme fagon nous sommes obliges d'admettre l'influence de

Bergson sur la pens^e contemporaine.

Le dynamisme aujourd'hui se repand partout. Les developpe- ments mecaniques d'un age scientifique, le culte de la machine, la manie de la vitesse a la fois sur la terre et dans l'air "" tout nous accoutume a, croire a l'e"phemere, au changement et au progres. L'esprit d'invention, de decouverte, de renouvellement sont des attributs du

XXe siecle. En outre, les conditions sociales et economiques d'aujourd'hui nous forcent a nous rendre compte de 1'instability mondiale. B The old order changeth...n est une sentence caracte*ris- tique de nos jours.

La litteYature contemporaine reflete ces tendances. Elle se detourae de l'universel et de 1'Eternel pour se situer dans la contingence. " Beaucoup de romans contemporaine frappent d'abord par un souci d'adaptation e"troite aux conditions urbaines et inter- nationales de la vie d'aujourd'hui ; tout emmelee a des questions 27

d'automobiles, de banquea, de sports ; toute bruyante de T. S. F., de olaksons, de sirenes ; rythme'e par le cinema. .."(1)

Aujourd'hui l'attention du romancier est tourne"e vers le devenir.(2) L'homme moderne sent la society tout autour de lui se diriger vers un ideal me'canique, se transformer en une immense machine dont lui-meme n'est qu'un petit rouage. Martin du Gard est fort conscient de cette tendance. Jacques Thibault, apres sa reforme du peni tender de Crouy, exprime au cours d'une vi site chez lui la meme ide"e : n pardonner, ou bien au contraire exalter son ressentiment ; accepter, s'agreger, etre un rouage parmi d'autres rouages..."(5)

Chez Martin du Gard un flux d' e've'nementa nous entraine, dont les uns sont de la nature de faits divers, dont certains sont pittoresques a souhait et d'autres encore charge's d'illustrer des v^rite's cour antes de la vie.

La vie est intrinseque au roman moderne. Le lecteur y rencontre " un tohu-bohu d'images qui dansent et caracolent, un monde fantasmagorique, pergu en coup de vent, bos sue* par la vitesse... Une serie d'instantanes papillotants et saccades."(4) La fluidite et la

justesse du dialogue, la penetration dans le subconscient pour de*couvrir

(1) Marbo, C. " Les nouvelles tendances du roman francais."

Revue politique et litteraire.

(2) Berge, A. "La Voix des Jeunes.". I. Revue des Deux Mondes.

(5) Les Thibault : La belle Saison. i. p. 17. (4) Cor, R. " Marcel Proust et la jeune litterature." Mercure de France. 28 • le coure de conscience freudien.tendent a traduire la continuity de

1'etre humain, a relier par une sorts,de, chains d'inconscient les aspects divers de la-personnalite'. (l) Avec une audace qui etonne chez un Francais, dit Ramon Fernandez, Martin du Gard s'abandonne au dialogue, lui confie la marche du roman et laisse le temps s'^couler en paroles.(2)

Ce n'est pas seulement chez Roger Martin du Gard que 1'agitation est saillante. On e'en apercoit chez Marcel Proust, James Joyce, Andre

Gide et bien d'autres romanciers contemporaine. Chez Proust, selon le critique Jean Peres, " la marche progressive du temps dans la rememora- tion des annees perdues sous-tend un processus de decomposition dont la luxuriance images fait penser aux splendeurs automnales ".(5) he dynamisms de Proust se-revels dans sa conception de l'amour. L'amour proustien est a. peine le desir de la femme que nous aimons. " C'est plutot, a. traver8 elle, la fuite des etres... Il repugne a la fixite", a. la possession definitive, qui semble eliminer tout mystere. , II s'acharne a. poursuivre un pas fantome, qui sans cesse s'eloigne."(4)

L'oeuvre de Proust semble respirer la moiteur et la chaleur de la vie.

" Nostalgique et grand Proust, paysagiste merveilleux de la vie

(1) Cremieux, B. "La Mort du pere." Nouvelle revue francaise.

(2) Fernandez, R. n Les Thibault." Nouvelle revue francaise.

(5) Peres, J. " Le reve de la veille dans certaines parties de 1'oeuvre de Proust." Revue bleue.

(4) Peyre, H. Hommes et oeuvres du XXe siecle. p. 159. 29

interieure, qui frissonne de toutes les pulsations de la vie."(1)

Dans 1'oeuvre de Gide la conception dynamique apparait partout.

". Dans la nature, rien ne peut. s'isoler ni s'arreter : tout continue.!1 (2)

Gide en effet condamne la tranquillity dans laquelle 1.'action s'e'touffe t

"... plus l'etre est faible, plus il r^pugne a. 1-' Strange, au change- ment ; car la plus legere ide*e nouvelle, la plus petite modification, de regime ne*cessite de lui... un effort d'adaptation qu'il ne va peut-etre pas fournir ".(j)

James Joyce, dans, son oeuvre celebre Ulysse, est conscient de la valeur du temps puisque tous, les evenements, toutes les actions du heros se de"roulent dans, une seule jounce. A travers les pages d'Ulysse le lecteur recoit une vue a la fois retrospective et telescopique du passe et du present. Bien entendu, les unites, classiques sont detruites.

Joyce, comme Proust, manie le temps d'une fagon semblable a la couleur locale.(4) En un sens le temps est la couleur locale, car il p^netre en entier 1'atmosphere du roman. Parallelement, Martin du Gard fait d^rouler devant nos yeux une suite d'evenements diapres dans la journee

(1) Cor, R. " Marcel Proust et la jeune litterature."

Mercure de.Franoe.

(2) Gide, A. Pretextes. p. 45.

(5) Ouvrage cite. p. 55.

(A) Lewis, W. Time and Western Man, pp. 84-86. jo d'un medecin.(1)

Chez les romanciers modernes le rythme.est- souvent interrompu par d'assez longs intervalles, donnant 1'effet d'une suite de temps forts et de temps faibias, une sorte de mouvement discontinu. Mais l'auteur habile s'efforce de maintenir une seried'episodes dont chacun resonne dans 1'Episode^suivant.(2) Grace a. l'art du romanoier les

episodes durent dans notre.souvenir. " La duree d'un roman, tout aussi fictive que l'espace theatral, est determines par la maniere dont il

a'in8crit dans notre memoire."(5)

Non seulement le roman moderne s'est situe dans la duree, il

s'e8t libere de contours de*finia. II est dsvenu une chose fluids dans

laquelle l'auteur se remand de livre en livre jusqu'a. ce qu'il ait attaint une dizaine de volumes. • L*oeuvre d'art, au lieu de nous

apparaitre comme un objet parfaitement defini aux contours, nets, que

l'admirateur peut contempler d'un seul coup d'oeil, est composes

deaormaie... sur le modele d'un fl stive.."(4) Voila la nouvelle "

tendance du roman. Et par suite on le distingue par le nom convenable

de roman-fleuve ou roman-cycle. II en existe aujourd'hui de bona

(1) Les Thibault : La Consultation. (2) Fernandez, R. "Les Thibault." Nouvelle revue francaise.

(5) Ouvrage cite.

(4) Berge, A. " La Voix des Jeunee." Revue des Deux Mondee ( Ie part.) 51

examples y compri s la Chronique dee,Pasquier de Georges Duhamel, Jean

Christophe de Remain Roiland, A la Recherche du Temps perdu de Marcel

Proust et les Thibault de Roger Martin du Gard.

\ L'envergure du roman a suivre comprend deux ou trois decades et permet aux personnages d'evoluer dans une variety de milieux. Roger

Martin, du Gard est a la.fois un chroniqueur et un historien. Au moyen de ses milieux diapres il nous represente la complexite de la society moderne et les gens qui 1'.habitant. Dans sa grande oeuvre il sera interessant de suivre le deroulement des personnages des deux families — des Fontanin et.des Thibault, et de tracer la lignee de son

" double arbre genealogique n.(l) On se demande. comment Roger Martin du Gard resout le problems de la representation du milieu. " Sera-ce la famille ou la camaraderie, sera-ce dans la famille l'entreprise interessant plus d'une generation, ou la proprietaire, ou les affinites du sang ; sera-ce dans le campagnonnage, la vocation, la rencontre fortuite servant a creer des affections qui creuseront les thalwegs du courant ?"(2) Le maniement par Roger Martin du Gard de son milieu revele a la fois sa puissance litteraire creatrice et sa faculte observatrice.

(1) Ouvrage cite. I.

(2) Baldensperger, F. La litterature franqaise entre les deux guerres ( 1919-1959 ). p. 115. 52

CHAPITRE II

QUELQUES ASPECTS DU MILIEU CHEZ ROGER MARTIN DU GARD.

( 1 ) Le milieu de la famille

Avant que lui fut de'ce'rne' le prix Nobel de Litterature, le 11 novembre 1957* Roger Martin du Gard etait peu connu en France.. A part son chef-d'oeuvre Les Thibault, dont 1'ensemble comprend huit parties, il s'interessait a. ecrire des pieces theatrales.dues, en grande partie

a. 1'encouragement,.de: Jean.Schlumberger et de Gaston Gallimard de la

Nouvelle revue francaise. Ces pieces ou farces paysannes comprennent

Le Testament du Pere Leleu ( 1920 ), La Gonfle ( 1928 ), et Le Taciturne

( 19J2 ). Des son premier roman Devenir1 ( 1909 ), nous sommes conscients de sa preoccupation de l'idee d'un devenir humain, car les sous-titres

Vouloir!, Realiser?, Vivre... tenden. ,t a. nous presenter un certain continu dans la vie du personnage principal. II est possible, voire vraisemblable, de regarder cet ouvrage de jeunesse comme le germe embryonnaire des

Thibault. Plus tard il a ecrit Jean Barois (1915 ), une sorte de roman documentaire base sur 1'affaire Dreyfus. Entre 1950 et 1951 il a interrompu

la serie dee. 55

Thibault pour donner au public un recueil de croquis villageois sous le titre de La Confidence afrlcaine. Fait inteVessant, il a detruit dans.la meme aoinee un,.roman acheve" intitule LlAppareillage, destine a appartenir aux Thibault j l'auteur sentit qu'il faisait fausse route.

II parait done que 1'oeuvre de Martin du Gard. n'est pas fe'eonde.. En meme temps elle est ecrite avec un. soin scrupuleux.

Dans son,premier roman. un des personnages ( Bernard Grosdidier ) poss unprincipe. litteraire que Martin du Gard s'est toujours ef force" de soutenir : " La litteVature, faitesren si vous voulez ; mais, pour

Dieu! n'en par.lez pas... En tout cas, ,n'.en parlez jamais, avant d'en avoir fait, d'en avoir fait de la bonne, et..lbngtemps*."(!)

Martin du Gard n'a jamais,mendie 1'approbation du public ou des critiques litteraires. II. n'a pas fait de tournees de conferences, ni en France ni outre mer ; il netante: pas d'expliquer ou d'annoncer son oeuvre, il ne reclame-pas contre.eeux qui.,.ne le comprennent pas ou qui l'ignorent. II. prefere demeurer.dans, unedemi-retraite tranquillement a la campagne avec sa.femme et sa fille, tournant le dos a. tous les gena qui voudraient pene"trar curieusement. dans sa vie.

9 Refractaire a. la publicity,n(2) 8olitaire,.indifferent aux applau-

(1) Martin du Gard,. Roger.. Devenir! l6e ed., p. J5.

(2) Brodin, P. Lea Ecrivaina francais de I'entre-deux-guerres. p. 175. 54

dissements. du monde. li.tte'raire— voila un aspect du naturel de Roger

Martin du Gard. Un critique 1'a decrit ainsi : " Un idealiste gras,

avec des yeux de femme, des mains de pre'lat, un ventAde proprie"taire,

une bouche d'amoureux... De l'irreel flotte autour de lui.n(l)

Dans DevenirI le romancier nous a. donne un portrait de lui-meme un

peu caricatural sans. doute. etcertes severe, mais a. la fois descriptif

et frappant. C'est Bernard Grosdidier qui parle, un jeune homme de

vingt-deux.ans qui aspire a Ecrire un grand roman : " Le Gros etait

laid, d'une laideur ridicule mais sympathique. II e"tait grand, large

d'^paules, et ventru... Les cheveux Etaient bruns, rejet^s en arriere j

deux.pinceaux,de moustache parsemee soulignaient le dessin de la levre

superieure, tandis que la levre inferieure, charnue, s'abondonnait mollement j le menton se. fondait en deux plis de. graisse.•"(_).

Roger Martin du Gard naquit a. Neuilly-rsur-Seine, pres PariB,

en 1881. II passa sa jeunesse a l'Ecole Fenelon et aux lycees....

Condoroet et Janson de Sailly. A l'age de vingt-deux ans il s'inscri-

vit a. l'Ecole des Chartss comme etudiant des archives et de la paleo•

graphies A la fin de ses trois ans avant d'etre diplome comme

chartiste-pal^ographe il ecrivit une these sur 1'Abbaye de Jumieges,

une ^glise consacre'e en 106j en presence de Guillaume. le Conque"rant.

(1) Martin-Chauffier, L. L'extrait est pris d'un croquis de Martin

du. Gard dans la Nouvelle revue francaiBe.

(2) Martin du Gard, R. Devenir'. pp. 17-18. 55

Dans cette oeuvre le caractere erudit de l'auteur se.manifeste.(1). II depouilla. bien des.documents .contemporaine, hlstoriques a. la recherche des faits. verifiables. Dans aa mef iance de tout, element apocryphe dans son ouvrage, il. s'acharnai.t a. reconstituer I'histoire de 1'Edifice d 'une maniere, minutieuse et eoigneuse,. . Nous, verrons plus, -tard a quel degrS cette exactitude de travail, ee reproduira dans les Thibault.

Pendant, les annexe avant la guerre de 1914 Martin, du Gard rendit bien des. visites chez son ancien professeur a. l'Ecole Fenelon, le pretre Marcel Hebert. lis a,'entretenaient.-aur. une: variety de . sujets y compris les problemes religieux et politiques-de 1'e*poque, la guerre et la paix, le socialisme. et d'autres aujets associe's. On a

wis pretendu avec^vraisemblance entiere que le roman Jean Baroia est un developpement de ces discussions, intimes. (2)

Sans, penetrer a ce moment, dans, la philosophie de Roger Martin du Gard il. parait qu'il. a trouve. chez. Tolstoi.,. Dostoievsky, et Zola un crddo bien seduisant. En depit de son opinion que. Devenir1 etait

n un mauvais roman de jeunesae "(5) on y trouve une sincerity scrupu- leuse a. la fois dans la description du. decor et danB les portraits des personnages. Martin du Gard ne se borne pas a nous presenter des details suggeres ; il s'efforce, et reussit a. frapper nos sens par une

(1) Brodin, P. Les. Ecrivaina, francais.. • pp. If6-~?J.

(2) Rics, H.C. Roger.Martin- du Gard and the World of the Thibaulta.

(5) Lalou, R. " Roger Martin du Gard." Revue de Paris. 56 realite" et une nudite natural!stes. II appelle un chat un chat sans euphemismes, periphrases ou suggestions legerementvoiiees... Voioi, par exemple, un extrait de sa Confidence africaine: "... des

souvenirs que j'ai de 1'adipeuse Amalia de quarante ans, tronant a la

caisse au milieu de sa marmaille j ou bien, bafrant sabouillie.de figues au miel ; ou bien, laissant couler hors de son caraco son

imposante:mamelle, pour, c^der au caprice de son dernier-ne, un crapaud

joufflu qui avait presque attaint ses deux .ans sans, etre sevre', qui mangeait deja a table avec nous, et qui, le. repas termini, se hissait

goulument sur les genoux de sa mere pour teter quelques gorgees de

vieux. lait, en guise de dessert."(1) Peut-etre est-il un peu brutal.

II chasse les begueuleries dans, son desir de reproduire aussi exacte- ment que possible la verite" de la vie, c'est-a-dire le realisms.

Ecrire sans mesures conventionnelles, sans digues ! Laisser

s'epandre la force vive de 1'Artiste createur ! Fabriquer ties etres,

largement, sans.compter ! Et, par 1'accumulation desordonnee des

faits, par la richesse spontanee des details, reorder la. Vie !"(2)

Voile, le but d'Andre Mazerelles. Et voila le but de Roger Martin du

Gard.

Ce n'est pas par hasard que cette apostrophe est declamee

par Andre Mazerelles. II represente plus que. l'on ne le croit-

(1) Martin du Gard, R. Confidence, africaine. pp. 110-11.

(2) Martin du Gard, R. Devenir! p. 189> 57 l'auteur lui-meme. ,.- Ses aspirations litteraires, son inquietude, sa lutte perpetuelle contre les injustices de la vie — ne sont-elles pas toutes ..les,. ideas de Roger Martin, du Gard ?

En outre, on voit en Andre.Mazerellea un representajit sincere: de l'ecole naturalists.. Un critique a constate que, pour

Martin du Gard, La Guerre.. et la Paix, de Tolstoi. fut 1 '.enchantement de

A sa vingtiem© annee et, de plus : " II a re;u de Tolstoi un precieux encouragement..... 1 'analyse patiente et nuancee des caracteres aussi bien..qu'une. absence.de prejuges,.. chez, 1!observateur, et la volonte d'explorer toutea.lea anfractuositeadu.reel."(l)

Une autre influence, sur 1'oeuvre de Roger Martin du Gard est la guerre de, 1914-1918. II fut mobilise en 1914 et servit sous les drapeaux pour quatre anness.dans, un corps,de transport.

Avant 1914 ilnla publie que,les pieces deja. mentionnees, ses deux romans et quelques ecrits sans distinction particulars. Mais durant, lss annees de aon aervice militaire, sinon plus tot, il. a du concevoir 1'idee d'un grand, roman. en.maintes.parties dont l'envergure environnerait deux ou trois decades et dont le sujet serait Involution des membras d'une familie.

II eat vraisemblable qu'il passait au crible, de temps en temps, des idees a 1'egard du sujet et du decor de son oeuvre de l'avenir. II est. significatif. en outre qu'il a fait parattre le

(1) Lalou, R. " Roger Martin du Gard." Revue de Paris. 58

premier ouvrage de la eerie en 1922, date assez, diatante de sa reforms

pour permettre a. ses. idees de se figer dans.son imagination.

Chose frappante, la guerre meme. nepourvoit pas le deoor

principal de son oeuvre. C'est plutot le bouleversement-de la socie'te'

par la guerre auquel il s'interesse. A travers les. pages de

L'Ete 1914 Roger Martin du Gard peint les etres humaina. accables par

les forces destructives, d'une-guerre qui. s'approche parce qu'ila

redoutent d.'attaquer et'en consequence de resoudre les problemes

moraux qui les troublent.

Dans ce decor il met en relief ceux qui esperent une securite

paisible a 11 encontre des hommes qui s.'acharnent a eveiller l'humanite

de sa lethargie. ™ Martin du Gard, je le definirais un homme.qui

s'efforce patiemment: et amoureusement a. sortir de lui -meme.... Pour lui

. rien n'est tout a fait pensable avant d'etre tout a fait perceptible ;

sa creation est un atterrissage qui 1*installs definitivement dans ce

que les.aviateurs appellent si. justement le decor."(1)

Martin du. Gard. temoigne beaucoup d'affection pour 1'etude du

milieu de la famille et de l'heredite. Dans la premiere partie dea

Thibault.11auteur nous presente lea deux families des Thibault et des

Fontanin dans une lumiere tout a fait domestique. On entame Le Cahier

gris par le chavirement du foyer paternel des Thibault a. la suite de la

disparition de Jacques, le file cadet, ..avec Daniel de Fontanin.

(l) Fernandez, R. "Les Thibault." Nouvelle revue francaise 59

M. Thibault, en grande colere, decide de tenir un conseil de fami He pour se renaeigner aur les entr.eprises ,clandestines de son-file a. la fois a. l'ecole et chez son camarade. II aime a jouer le role, de maitre de la famille. " M. Thibault, assis a. son bureau, semblait presider un tribunal..... II jouiBsait de aentir. 1.'approbation de son entourage, et lee mots qu'il trouvait pour peindre son inquietude lui remuaient le coeur,."(l)

M. Thibault, vice--pr.e8ident de la Ligue morale de Puericul- ture, catholique loyal qui s'occupe de Bonnes Oeuvres, se plait neanmoins a. rdgler 8a famille selon une, discipline severe. En revanche,

M. Fontanin est un vert-galant dont la faiblesse morale est compensee dans une certaine mesure par son charme inne et, des manierea avenantes.

Voici done les deux,chefs de.famille et Roger Martin du, Gard.a deiiberement choisi.ee decor pour y realieer le developpement moral et social de leurs descendants....

L'honneur de la famille et la responsabilite du pere enyers ses enfants est une idee fixe de M. Thibault. n Ai-je besoin de vous dire, Madame, que nulmieux que. moine peut comprendre votre inquie• tude ? Comme je le disais... on ne peut songer a ces pauvres enfants sans avoir le coeur serre*"(2.) Et plus tard,. mourant, d'un oedeme penible, aa voix coupee d'une. quinte, il possede assez de force, pour

(1) Les Thibault : Le Cahler grls. pp. 42-45.

(2) Ouvrage cite. p. 47. 40 balbutier a Antoine son theme favori : "... ei l'on admet que la famille doit- rester la cellule: premiere du tissu social, ne faut-il .paB.,. qu'elle. constitue cette aristocratic pleb^ienne... ou dor^navant se

recrutent les Elites ? La famille, la famille... R^ponds .: ne sommes- nous pas le pivot sur lequel.tourne l'Etat bourgeois: d'aujourd'hui ?"(1)

Mais, chose etrange, en depitde. l'ideallsme de M. Thibault a. l'^gardde 1' heureux etat familial., il apprise 1 'individual! ame .de chacun de ses fils pour etablir une sorte de pouvoir.despotique sur tout le menage. En-train de. censurer Antoine pour sa ciemence envers

Jacques il le critique ainsi s " Toi, tu as une facheuse.tendance a

l'indivi dualisms I... Tu changeras sans doute... i quand tu auras vieilli,

quand tu auras, toi aussi, fonde une famille." (2)

II faut admettre en meme temps .que M. Thibault est si

preoccupe de ses affaires qu'il. oublie ou neglige de conseiller son fils

cadet, age de quatorze ans, sur maints problemes ,de son adolescence.

II est. eminemment evident que, Jacques a besoin.de sympathie patemelle i

en revanche 11 ne recoit de son.pere qu'une.indifference froide.

" Papa ne m'a jamais pris au serieux. Papa est bon, tu sals... mais toujours BOS.oeuvres, ses commissions, ses discours ; toujours la

religion."(j) Et par suits du manque d'interet-paternel Jacques n'a autre ressort que de s'enfermer dans une sorte de forteresse idealiste :

(1) Les Thibault t La Sorellina. pp. 4J-44.

(2) Ouvrage cite. p. 4?.

(5) Lea Thibault : Le Oahier gris. p. 148. 41

" Je sui8 seul. dans un univers hostile, mon pere bien-aime ne me comprend.pas."(1)

La melaneolie d'un jeune homme61ev6 dans une atmosphere privde d'harmonieet de concorde va certes.aboutir a un esprit de revolte,-surtout si le. jeune homme, tel Jacques, se pique de son inddpendance. n Assez de persecutions !" dit-il a Daniel, " Au revoir !

Quand nous aurons montre, par des. actes, ce que nous sommes, et qu'on n'a pas besoin d'eux, tu verras.comme ils nous respecteront !"(2)

II est interessant de remarquer combien Jacques: change d'idees a. l'egard de la vie familiale. Suivant une. absence de trois annees en

Suisse il a l!occasion.de rendre visite a son frere, Antoine. La rencontre est particulierement penible.car Antoine est devenu riche et il habits un appar.tement luxueux, de fait 1 'ancien salon du foyer patemel. Antoine est vraiment a son aise, complaisant, dans cette atmosphere-d'eiegance discrete. Mais pour Jacques, en revanche,

1'ensemble n'est qu'un symbole de. la convoitise de gens plus habiles

qu'autrui. Les penatss. ns representent maintenant qu'une habitude de bien vivre et un desir insatiable de posseder. " La vanite du pere," dit Jacques, " la vanite aristocratique du bourgeois !... Ca devient pour eux un.merlte personnel 1 Un merits qui leur cree des droits

8ociaux I"(J)

(1) Ouvrage cite. p. 92.

(2) Ouvrage cite. p. 116.

(5) Les Thibault t L'Ete 1914. i. p. l6l. 42

Par opposition, Martin du Gard se montre capable d'eprouver et de suggerer les plus tendres sentiments domestiques. La scene des aveux de Jenny de Fontanin a. sa mere est a la fois charmante dans son intimite et son pathe'tique.

Jenny s'est eprise de Jacques, mais. en de"pit du reconfort de sa mere elle se ressent d'etre la vie time d'un amour de'sespere'et fatal et elle pleure comme une madeleine. Martin du Gard traduit fidelement

1'atmosphere remplie d'emotion. "... Jenny sanglotai.t de plus en plus fort, oar chaque parole de sa mere la dechirait davantage.i Et longtemps. les deux femmes resterent ainsi, debout, etroitement embrasse'es dansr 1'ombre. ; 1'enfant blottissant sa douleur dans lss bras matemels ; la mere, psalmodiant ses consolations cruel les, et les yeux grands ouverts d'effroi. t car., avec sa prescience coutumiere, elle voyait se deployer devant Jenny 1'ineluctable destinee, a. laquelle ses craintea, ni sa-/tendresse, ni ses prieres, ne pourraient plus arracher. son enfant.n(l)

Et maintenant promenons nos regards sur Oscar Thibault.

C'est lui, le progeniteur des Thibault, qui represente l'ordre et la stabilite de la.famille bourgeoise. C'est lui qui condamne si amerement ISB velleites litteraires de son fils cadet et par opposition trouve en Antoine le reconfort d'un equilibre et d'un jugement bien mesures. Apres la mort de M. Thibault, lore de lJeioge du.defunt, un

(1) Les Thibault : La belle Saison. ii. p. 126. 45

des orateurs prononce un discours pane*gyrique de cette maniere : " A quelles sources Oscar. Thibault-puisait-H done cet equilibre sans ddfalliance, cet optimisms serein, cette confiance en lui-meme qui se jouait des obstacles et lui assurait la reussite des plus difficiles entrepriaea ?"(!)

Mais Antoine, apres avoir lu les paperasses du d^ce'de, se montre. franchement aceptique, voirs ironique, au sujet de cet eloge.

Selon lui, son pere n'avait pas una intelligence avertie et clair- voyante : au contraire, il portait des oeilleres et il traversalt le monds " sans en rien voir d1autre que ce qui bordait l'etroit sentier qu'il avait choisi ".(2)

En effet on peut dire, que M. Thibault avait completement renonce" a se chercher luir-meme, a interpreter librement, a decouvrir, a connaitre... Son attitude envers Jacques, demontre sans ambages ses traits myopes.et desabuses. Oscar Thibault,. a. l'avis d'Antoine, resssmble aux gens assieges qui ont peur de tout — peur de la pensee et peur de Involution sociale. Car sans.doute, M. Thibault avait peur de 1'instabilite d'une vie menacee d'esprits insurgents et de

1'inquietude, de 1 ^avenir. Bref, il s.'eioigne de la vie. Dans le

journal du defunt, Antoine rencontre une phrase empruntee a. Buffon

dont M. Thibault se aervit comme une sorte de point de repere moral :

(1) Les Thibault : La Mort du pere. p. 224.

(2) Ouvrage cite. p. 228. 44

B Content de son etat, il ne veut etre que comme il a toujours ete, ne vivre que comme il a v^cu : se suffisant a. lui-meme, il n'a qu'un faible besoin des autres..."(1)

Dans 1'evolution sociale de la famille Martin du Gard est

soigneux de peindre la dissemblance des caracterietiques entre Jacques et Antoine. A mesure qu'ils vieillissent cette divergence devient de plus en plus remarquable. n II ( Jacques ) pensa tout a. coup a

son aine. II le vit satisfait et applique. Energie, soit j mais

intelligence ?... Une intelligence qui s'etait construit une philosophie

sur la seule notion d'activite, et qui s'en contentait ,!.... Moi, je ne

suis pas comme toi, nullement ln(2) Aucun d'eux ne ressemble a

l'autre, ni au pere. " Sans doute les caracteres.de chacun de nous

sont en premiere ligne transmis ; mais leur variete est si grande qu'il

e8t bien dangereux de fonder notre psychologie dominante et notre ligne

de vie sur une nevrose de choix..".(5)

Martin du. Gard ne commet pae cette erreur. II s'accorderait

sans doute avec la pensee de M. Andre Berge :B Le temperament de

chacun est un facteur que l'on ne peut guere pretendre eiiminer

entierement ; mais que chacun tache de savoir lui-meme la-part de son

temperament dans ses convictions et ne prenne pas pour un argument un

(1) Ouvrage. cite. p. 178.

<2) Lea Thlliault : La belle Saison. i. p. 18.

(5) Baldensperger, F. L'Avant-guerre dans la litterature frangaise. p.125. 45

desir de sa Beneibilite. II faut toujours, a notre avis, chercher a

redresser sa pensee au milieu des deviations sans nombre auxquelles

elle est sans cease exposes."(l)

Mai8 ce n'eat paa dire que les temperamenta restent en

opposition. La camaraderie qui existe entre Jacques et Daniel est

fondee sur une entente completement mutuelle et nourrie par le meme

ddsir de se depetrer de 1'etrecissement spirituel de leur milieu.

" Je n'oublierai jamais ces moments, trop rares, heias, et trop courts,

ou nous sommes entierement 1'un a 1'autre. Tu es mon seul amour !

Je n'en aurai jamais d'autre, car mille souvenirs passionnes de toi m'assailliraient auasitot."(2)

Jacques, et Daniel representent les jeune8 hommes blesses

par le rude contact de la vie, qui revent de a'enfermer et de 8e

retirer en eux-msmss.(j) Tous les deux ont ceci de commun : ils

s'estiment meconnus chez eux et par la societe, et en consequence leur

fugue ne vient pas du simple desir de voir des pays etrangera mais

plutot, en s'evadant, ils eaperent trouver une mesure d'equilibre ,

interieur.(4) " Tout quitter, d'un coup : ce serait merveilleux !

Chambrea quittees ! Merveilles de depart !"(5) C'est Jacques qui

(1) Berge, A. " La Voix des Jeunes." IV. Revue des Deux Mondes.

(2) Les Thibault i Le Oahier gria. p. 89.

(5) True, G. " Portraits d'Ecrivaina." Revue politique et litteraire.

.(4) Ouvrage cite.

(5) Lss Thibault : La belle Saison. i. p. 20. 46 rompt toutes relations avec son pere a cause de sa serenite* et de sa certitude injustifie"es et de son defaut de vouloir se contenter de resultats arbitraires.

Martin du Gard p^netre au-dessous de la superficie des caracteres du pere et du fils pour, reveler le developpement de leur brouille. M. Thibault se plait trop volontiers a croire que le mecontentement de Jacques chez lui et a. l'Ecole est une pose. En outre, il est entierement aveugle a B l'elan d1expansion de jeunesse ",

(1) a son ardeur de vie, de l'essor des sens: et du corps. " On vibrait, on revait des poetes, on aimait sans oser la regarder sa voisine ou la soeur de son ami, on subissait le corps sans savoir qu'on le devait bientot asaervir par l'exercice et 1'hygiene."(2) Au gre* de M. Thibault 1'immoderation, la violence, le bouillonnement animal de son fils — tout est.quelque chose d'inexplicable et de dangereux. II est necessaire, croft-il, d'employer de forts remedes pour assujettir le recalcitrant :. " — est-ce qu'il ne serait.pas souhaitable pour l'amendement de ces vauriens, qu'on nous les ramenat menottes aux poignets, entre deux gendarmes ? Ne fut-ce que pour leur rappeler qu'il y a encore dans notre malheureux pays un semblant de justice pour soutenir l'autorite" paternelle

(1) Berge, A. " La Voix des Jeunes." IV. Revue des Deux Mondea.

(2) True, G. " Portraits d'Ecrivains." Revue politique et litteraire.

(5) Lea Thibault : Le Cahier gris. p. 52. 47

Jacques en. revanche s'attaque sans cesse aux barrieres indestruc.tibles de la tradition et de 1'ordre etablL. II livre

bataille contre tout ce qui cherche a. mettre des bornes a ses essors de pense'es,. a 1!expression poetique de sa sensibilite, a. 1'agitation de la tempete -confinde dans son ame.. " L'inquietude est presque toujours l'etat affectif qui accompagne les combats ds la penaee contre ellermeme, les. tentations de marche en avant vers. les. regions encore inexplorables. La lutte des generations,, la lutte surtout contre la tradition me semble inseparable du sentiment de l'angoiesej car il faut renoncer, pour l'entreprendre a tout soutisn, a la certitude.meme de la stability du sol sur lequel on marche."(1) Voila le conflit humain interieur entre Jacques, et son pere, qui se deroule .plus., tard dans un conflit entre, Jacques.et la societe, dont Roger Martin du Gard se sert comme une sorte de tremplin pour se lancer dans le recit des

Thibault.

(1) Berge, A. " La Voix des Jeunes." IV. Revue des Deux Mondes 48

(2) Le milieu scientifique

II eat digne de remarque que chez Roger Martin du Gard on

est conscient a plusieurs reprises d'un lien avec les ecrivains russes

et avec Ibsen. II cherche diligemment a de*couvrir les sentiments,

les emotions, les elans caches et mysterieux de ses personnages pour

etaler devant nos yeux la verite nue. Bref, c'est un naturalisms meie de realisms qu'il emploie dans son desir de peindre la vie comme

elle est. " On est pousse, peu a peu, a appeler naturalisms 1;'effort

du poete et du philosophe pour essayer sur les faits sociaux ce que

le naturaliste essaie sur les faits zo'ologiquss.."(l) Autrement dit,

c'est une methode de travail empruntee directement a. la science.

" L'ecole naturalists affirme que l'art est 1'expression de la vie sous

tous les modes et a tous ses degree, et que son but unique est de

produire la nature... de puissance et d'intensite.n(2)

Mais non seulement Martin du Gard fait des observations, il

intsrprete et developpe d'une maniere intelligible ce qu'il a vu.

(1) Hugo, V. Preface de La Legende des Siecles. 1859.

(2) Martin©, P. Le naturalisms francais. p. 4. 49

". Chez Martin du Gard 1'observation eat a. la base et la. theorie ou reflexion intelligible fieurit tout en, haut." (:1) II. possede certes

1e temperament frangais, c'est-a-dire un temperament qui.visea la

clarte. II est vrai. qu'il nous, presente,. dans La Mort du pereT les balbutiements indistincts d'un moribond, mais il. est.preoccupy a. la

fois de.f aire participer, le romanr.:a-,:la ...vier..'quo.tldienna;,e.t.^a-'...Bon,.4eeor.

" II ne se juxtapose a. elle.( la vie ) comme une creation fictive qui n'a aucun lien avec.ce que. l'on voit quand on ouvrs les yeux."(2)

Comme .>Marcel,*Eroust:et.James. Joyce, Martin du,.Gard, se: plait a se pencher. sur la .vie> interieure .pour..examiner,le. subeonscient...

C'est. la, que le romancier psychologique* au moyen.d'.une: analyse .savante, trouve les causes des:actions humaines.individuelles. "Le. roman contemporain tend avant;?tout..a. .traduire la continuite de 1'etre humain, a. relier par une .chaine dtinconscient. les .aspects .divers desa personnalite."(J) Les.psychologues d'aujourd'hui pretendent qu'11. existe chez l'etre le plus mediocre l'etoffe d'un drame. II y a, bien entendu, des romanciers qui n poussent la psychologic a. ses limites les plus .exasperees et deairent surprendre non la ligne generale d'un caraetere bien equilibre et logique, mais les incoherences et. les.

(1) Marbo, C. n Les nouvelles tendances du roman frangais." Revue politique et litteraire.

(2) . Ouvrage.cite.

(5) Cremieux, B. Compte-rendu.de La Mort du pere. Nouvelle, revue frangaise. 50

soubresauts des natures tourmenteesB .(l)

D'autre part, aelon Andre" Berge, " c'est aujourd'hui le genre

psychologique qui en litteYature reste le plus traditionnel et le moins re"volte" ".(2) La nouvelle science de :1a psychologie a de*couvert

chez tous une richesse plus grande que n'en temoigne l'apparence, et

le romancier moderne tel.que Gide, Proust ou Martin du Gard s'applique a l'atteindre. n Chez Gide les idees sont toujours incarcerees en

quelques personnages et les;personnages sont mus par les idees ; chez

Proust, et chez d'autres, les personnages sont mus par leurs sensations

quasi, scientifiques."(j)

On est conscient de plus en plus que l'esprit psychologique

du romancier moderne manifeste un gout prononce pour la medecine et

pour les individus a. tendances morbides. B Selon la doctrine naturalists ces observations, de la vie prennent souvent place, dans

le roman, autour.d'un personnage forme, par la. medecine ou les sciences

nature11es..."(4) Chez Martin du_Gard, par exemple, on s'^tonne de

la multiplicite* de scenes pathologiques ( maladie de Jenny, operation

(1) Marbo, C. n Les nouvelles tendances du roman frangais."

Revue, politique et litteraire.

(2) Berge, A. B La Voix des Jeunes." II. Revue des Deux Mondee.

(j) Ouvrage cite.

(4) Rousseaux, A. Littdrature du XXe sieele. vol.i, p.. 74. 51

de Deaette, mort de Noemie.,.mort du pere Thibault... d'une fagon

generale toute La Consultation )...(l) II est Evident que Martin du

Gard s'interesse non. seulement aux cas oliniques, soit les plus

complique's, mais aussi aux morts violantes de ses personnages. Dans

cette derniere cate"gorie citonsla mort de M. Thibault a. la suite d'un

oedeme penible et ehronique, M. de Fontanin qui. se suicide par un coup

de revolver, Meynestrel tue dans une caase d'avion, et Jacques si

aeverement brule" dans le meme accident qu'il meurt sous peu, et enfin

Antoine ype'rite' au'front d'Ouest.

, Pourquoi Martin du Gard multiplie-t-il de telles " scenes

macabres " ? Bien entendu la mort elle-meme ne sert a. rien, excepte

qu'elle marque la fin d'une-carriers. Mais dans les eVenementa qui

se terminent par la mort Martin du Gard se sert de la nouvelle science

de la psychologie pour decouvrir les penaeea aubconacientes du

moribond. n La psychologie litteraire utilise avec prudence: l.'apport

de la psychologie,m^dicale a. intentions curatives et a demonstrations

experimentalea.n(2) Et dans l'approche de la mort un homme,est autre

chose qu'un malade : il se sent prea de Dieu et parle directement et

franchement. a Dieu. n Dans la mort et meme en ses approches resident

des forces cachees, des ide*es secretes, une grace qui n'est pas dans

la vie. Comme. les amants quand ils commenoent a aimer, comme les

poetee dans le temps ou ils chantent, lea maladea se sentent plus pres

(1) Cremieux, B. Compte-rendu de La Mort du pere. Nouvelle revue frangaiae.

(2) Berge, A. " La Voix dea Jeune8.n II. Revue des Deux Mondes. 52 de leur ame..n(l) Martin du Gard est conscient de ceci et vise a capturer les pensees. cachees de see personnages. Et c'est pourquoi, dans son maniement des malades et des moribonds, " ses observations de la vie prennent souvent place... autour d'un personnage forme" par la medecine ".(2)

Chez Martin du Gard c'est Antoine qui est a la fois un me"decin celebre etun model e de 1'human! te".. Les episodes auxquels

Antoine participe et les circonstancea d'ordre reel ou ideal dont

Martin du Gard Be sert pour nous montrer Involution d'Antoine sont dans une certaine mesure des points de depart ou des tournants.

Antoine nous est montre* aux prises avec le mal physique.et modele en meme temps, par son metier.(J) D'une part Martin du. Gard disseque psychologiquement l.'esprit de M. Thibault pour nous montrer-son intransigeance et sa peur de la mort. D'autre part il penetre dans la vie anterieure d'Antoine pour decouvrir lea aspects diapres de. son. caractere et son entrainement scientifique. Dana une seule journee

Antoine donne a. un grand nombre de malades des rendezvous m^dicaux et rencontre bien d'autres dans sa clinique. Selon un critique, "• ... pour justifier La Conaultation- on peut dire que Roger Martin du Gard

(1) Souday, P. Proust.* Valery. Gide. p. 74.

(2) Rousseaux, A. Lltte"rature du XXe Biecle. i, p. 75.

(5) Cremieux, B. Compte-rendu de La Mort du pere. Nouvelle revue francaise. 55 a voulu resserrer en une journ^e 1'image synthetique de la vie me'dicale d'Antoine ".(1)

Martin du Gard salt psindre le decor, scientifique. Citons quelques scenes auxquelles le relent de pharmacie.semble accompagner

Antoine.. et pe"netre 1'atmosphere meme. Lorsqu'Antoine fait a M.

Thibault sa visits quotidienne le petit cabinet de toilette du malade ressemble a un veritable laboratoire scientifique "... sur l'etagere, sur la table, des fiolea,. des recipients de porcelains, des paquets de coton. Voyons le bocal, se dit Antoine. O'est ce que je pensais : les reins travaillent peu ; on verra a. l'analyse. Et la morphine, ou en est-on ? II ouvrit la boite d'ampoules dont il avait secretement maquille les etiquettes pour que le malade n'eut aucun soupcon. TroiB centigrammes en vingt-quatre heures.... Ah, voila le verre gradue..."(2)

Et plus tard nous.assistons.a. l'examen medical d'un enfant.

Roger Martin du. Gard est dans son. element lor.squ'il decrit le diagnos• tic d'Antoine : " Deux secondes il resta immobile, comme s'il sere- cueillait.; son regard aouciex parcourut diatraitement, depuis: les palettes des omoplattes.-jusqu'a la cambrure ombree des reins, ce rabls dur et muscle qui s'etalait devant lui. Puis>. posant sa paume sur la nuque tiede qui fiechit un peu, il appuya deux doigts investigateurs

(1) Ouvrage.cite..

(2) LeB Thibault : La -Consultation, p. 26. 54

sur la colonne verte'brale,. et, s'efforcant de; maintenir egale sa pression, comptant 1'un apres 1'autre .des noeuds dorsaux, il descendit lentement le long chapelet. osseux.n(l) Voila 1'observation scientifique minutieuse.

Dans le choix d'un vocabulaire. technique Martin du Gard se montre un.savant. Et il. faut se rappeler que ce vocabulaire aide a re"aliser son milieu scientifique. ". Antoine refleohissait. La . tuberculosa, cette fois, a'etait declaree : elle attaquait 1'e"difice en ses fondations, elle rongeait de"ja profondement la colonne vertebrale... L'etat .general., malgre l.'apparence, e"tait inquie"tant.

Tout 1'appareil ganglionnaire etait tumifie"." (2) La clarte" de ce langage reflete a. la foia 1'eaprit acientifique d'Antoine et le realisms, de Martin du Gard. En .meme temps il, fait parler Antoine sur le ton de quel qu'un qui, depuis .longtemps, est familiarise' avec la verite. Antoine se rend, compte que la maladie, de son pere! est incurable, que les resultats de son analyse des symptomes du moribond n'offrent aucun espoir. " L'operation de cet hiver, 1'ablation du rein droit, n'a servi. qu'a une chose : a ce qu'on ne puisee plus s'illusionner sur la nature de..la tumeur. L'autre rein sVestiinfecte" preBque aussitot. Mais le mal a prisun.aspect different, s'est

(1) Ouvrage cite", p.. 69.

(2) Ouvrage cite", p. 75. 55 generalise*.. • Cela nous aide a tromper le malade. II ne se doute de

rien, il ne soupconne pas qu'il est perdu."(1)

II est interessant de remarquer qu'Antoine, en de*pit.de son

adresse medicale, est souvent quelque peu, impe'tueux. Martin du Gard

est soigneux de souligner 1'interet d'Antoine dans son metier, mais il

dit en effet que 1'immoderation est quelque chose que l'on doit eViter.

C'est le docteur. Philip, patron d'Antoine, qui donne It ses proteges des

conseils mod^re's et sageB : " Voyez-vous, Therivier, , quand un malade en

est a cet etat-la, il n'y a plus a son chevet que deux forces en lutte :

la nature et la maladie. Le m^decin arrive et tape au hasard. Pile

ou face. S'il atteint le mal. c'est face. Mais s'il atteint la

nature, c'est pile,, et ls client est moriturus. Alors, a mon age, on

est prudent, on s'applique a ne pas. taper fort.".(2)

Et plus tard Antoine lui-meme, apres avoir, pretendu qu'un

certain cas d'otite aigu'e est dSaeepSrS, recoit du Patron une

re"primande : " Ne soyez pas si affirmatif, Thibault, car... en tant que me"declni ce malheur eux H^quet doit en effet savoir. qu'il n'y a rien a

esperer. Mais en tant que pere... Voyez-vous, plus l'heure est grave,

plus, on joue a. cache-cache avec soi-meme."(J) Le docteur Philip est un maitre recherche", par ses Aleves et tenu dans la plus grande estime par

(1) Ouvrage cite. p. 105.

(2) Ouvrage cite. p. -4.5.

(5) Ouvrage cite. p. 50. 56

a©8 confreres. II repre"sente tous eeux qui ha'ia'Bent; la mediocrite, qui possedent une intelligence.Bans petitesse et sans aprete dont la

seneibilite epand une sorte de chaleur parmi 1*humanity.

Et sans doute le docteur Philip, a. son. insu, a exerce* une

grande, influence.sur la vie d1Antoine et sur sa facon de penser; Age

de trente-deux ans et possedant une faculte de travail a peu pres

inepuisable Antoine se sent etre aU debut d'une carriere prometteuse.

Grace au bon exemple de son patron il lui a emprunte une methode de

travail scientifique, selon Antoine quelque chose de plus important.

II envisage un avenir B pareil a. celui, des plus grands maitres B

auquel il pourra se libe"rer de la paralysie affaissante d'une clientele

pour, se ddvouer entierement a. la recherche scientifique. Grace a

1'heritage paternel tout devient possible, il peut 8'assurer de

1'avenir. en re"flechisBant eur le passe : .". L'hopital>. la clientele,

n'etaient, a. ses yeux, qu'un.exercice. Ce qui comptait, c'etait aes

recherchesper8onnelles.de pathologie,.infantile... II n'eut plus, qu'une

pensde : consacrer sa fortune a. acceierer son ascension profession-

nelle.n(l)

Des. sa jeunesse la medecine n'a pae cesse d'exercer sur lui

une attraction singuliere. II voit en la science, medicale B l'abou-

ti8aement de tout 1'effort intellectuel, le plus clair profit de vingt

sieclee de tatonnements dans toutes les voies de la connaisaance (2)

(1) Les. Thibault ; L'Ete 1914. vol.i, p. 157.

(2) Les Thibault : La Consultation, p. 202. 57

En somme, la medecine pour lui est le plus riche domaine ouvert au genie de. 1'homme... Oar Antoine est un, realistsII reve certes, il se plait a. 8.'analyser, il a des ambitions.-- mais. par-dsssus tout il veut voir la fructification des reves en quelque chose de materiel, en des de'couver.tes, par exemple,. qui .ame'lioreront les souff ranees, physiques, de. l'humanite. C'est elle, l'humanite, dont il est epris.

Dans un de ces rares moments.de recueillement il se dit qu'il n'aurait jamais, consent! a s'enfermer: dans un laboratoire, a limiter ses observations au champ, du. microscope : il. aimait ce, corps a. corps perpetuel du m^decin avec la multiforme realite.(1)

Non.seulement Martin du Gard tente d'embrasser la complex!te de la vie interieure, ilexpose la vie priv^e d'une maniere souvent desagreable. II n'he*site pas a deceler des scenes, de. douleur ou a d^crire avec une candeur frappante le. corps humain. Durant la maladie aigue.de. M. Thibault les. crises ..commencent; a se. succeder presque sans - A treve. La.... bouf fissure., du moribond.. causes par l.'.empoisonnement a distorque tous les traits et a. rendu a.peine reconnaissable le visage du vieillard. Apres une suite de convulsions, d'une violence croissante,-Antoine decide de soulager son pere au moyen d'un bain tiede. Aide de Jacques il enleve la chemise au malade, mettant a nu le corps en entier. " II etait enorme,. flaeque, blanchatre j il donnait 1 '.impression d'etre a la fois boursoufie et tree maigre. Les

(1) Ouvrage cite. p. 202. 58 mains pendaient comme des gants de boxe au bout des bras Bquelettiques.

Les jambes.demesurement longues,: 8emblaient des os velus* Une plaque de crin gris: s'etalait entre. les mamslles ;. une autre dissimulait a demile sexe.B(l) Voila la vie privee mise a jour au regard fixe du passant. •

Depuis.,1914, dit Paul Nizan, toute vie est publique. n Les personnages des Thibault...... cessent d'etre des. personnes privees parce. que leur inventeur a saisi que le temps: du prive. est fini.

Personne n'e"chappe plus au monde ; la vie privee. a cesse d'y etre

possible, a meme titre que.la pensee privee.B(2) En meme temps Roger

Martin du Gard ne cede a aucun etonnement devant les e'trangetes ou lss

horreurs du reel.. 0'est,pourquoi,,.. selon un.critique, il se plait a

d^celer dans une intimite* presqus choquante le corps humain, tout en

laissant paraitre que cela.est„moins.mon8trueux que naturel.(j)

A plusieurs reprises dans .lemaniement de son decor scienti•

fique Martin du Gard exprime lea sentiments d!un personnageaumoyen

du monologue interieur. C'est une m^thode d'investigation dans le

subconscient qui presents au lecteur le..cours de la conscience sans

ehercher a. lui dbnner une autre unite que celle du hasard.(4) Mais

(1) Lss Thibault : La Mort du pere. pp. 68-69.

(2) Nizan, P. B Roger Martin du Gard." Nouvelle revue frangaise.

(-5) Rousseaux, A. Litterature duXXe. sieele.. 1. pp. 86-88.

(4) Berge, A. B La Voix. des Jeunes.11 II; Revue des Deux Monde a. 59

non seulement nous rencontrons les pense'es inte"rieures, cette

projection psychologique nous accords des sensations et des impressions

du dehors, de l'atmosphere meme d'une, scene. A ce propos regardons

1'operation, de Dedette dont l'action se passe dans une chambre a coucher

chez M. Jules.. Un. triporteur de llvraison. a renverse la jeune fille,

laissant une trainee sombre depuis. la hanche jusqu'au genou. Toute la

jambs., souiliee de sang, para£t d^formee et sans doute fractur^e. II

n'y a pas. assez de temps pour, envoyer ehercher une voitured'ambulance,

a part la resistance de, la menagere. Par consequent^ Antoine se

decide d'emblee a construire une salle d'operation.

Durant toute la scene Antoine ne parle guere a personne mais

le lecteur est spectateur de chaque, detail que Martin.du Gard desire

etendre devant ses yeux. n Voyons,„ se dit-il, comme, s'il cherchait a.

derober quelques secondes: La: boite des instruments, bon ! Le

bistouri, les pinces. La boite de gaz, le coton, ca va ! .Alcool.

Cafeine. Teinture.d'iode. Et caetera. Tout y est. Commencons."(1) „

Et il est interessant.de remarquer.comment vont et viennent

les pensees d'Antoine .comme les vagues en mouvement autour d'un ecueil

rocheux.: " Bien, se dit-il. Ma sonde-? La voila. Dans le canal

de.Hunter. La ligature classique ; tout va bien. Zim ! Encore

un eclair. Celui-la. n'a pas du tomber loin. Sur le Louvre. Ou

(1) Les Thibault : La belle Saison. i. p. 126. 60

bien sur ces ' messieurs,de Saint-Roch ', peut-etre..."(1) Chose frappante, Antoine. est en train d'opdrer Dddette a. ce moment meme.

Comme Martin du Gard fait jaillir avec une spontaneity ainguliere la reality la plus profonde et la plus sincere !

Passons maintenant a la derniere partie des Thibault.

Antoine, mobilise au service medical au debut de-la guerre de 1914-

1918, recoit une nomination comme organisateur d'un service de gazes.

Au cours d'une enquete dans lea postes de secours sur les precautions contre les gaz, il a la deveine de rencontrer l'yperite et en absorbs une aBsez grande quantite. Ayant coutume, de temps a. autre, de rendre visits au docteur Philip, Antoine,. accable par le malheur, lui demande d'exprimer une opinion a lMgard dea. lesions produitea par le gaz.

" Votre avis, Patron ? Et aoudain, sur ce visage dont il avait, en dix annees de collaboration, appris a dechiffrer lea moindres nuances, dana les petits yeux grie, clignotants derriere le lorgnon, il surprit

l'aveu involontaire : une, intense pitie. Oe fut comme un verdict t

A quoi bon ? disaient ce visage,. ce regard."(2)

Mais Antoine, conscient qu'il eat condamne et que aa maladie

se trainera quelques mois, ne perd pas. son zele professionnel. Chez

Martin du Gard les savants, les chirurgiens, meme les praticiens generaux

ont de hautss visess. La.science n'a. pas de place.pour eeux qui

(1) Ouvrage cite. p. 128.

(2) Les Thibault : Epilogue, p. 200. 61 prennent le .temps comme il vient, qui. sont facilement satisfaits d'eux- memes. Antoine, note dans son Journal 1'influence, dangereuss a. son metier des me"decins militaires due a leur habitude d'obeir, de " limiter au nombre de leurs galons la liberty de leur .diagnostic.".(1) Patron, d'une maniere semblable, condamne la mediocrite : "... Quand j'.ai 6tS charg^ de mes premieres inspections j'ai trouve des praticiens notoires..

. A la tete de grands services chirurgicaux, dss chefs.ignarss, qui- avaient l'air de n'avoir jamais opere qus dss panaris... st qui ampu- taient a. tort st a travers... (2)

Suivant Martin du Gard, la science a de graves responsabilites et dans son milieu scientifique il nous presente des personnages qui ne se contentent jamais d.'inf eriorite mais qui .travaillent dans la pleine mesure, de leurs moyens>pour se perfect!onner. Bref, Roger Martin du

Gard repose sa foi dans la Science.

(1) . Ouvrage cite. p. 25J.

(2) Ouvrage cite. p. 190. 62

( 5 ) Le milieu politique

L'dte 1914 fut un temps de. chaos. Martin du Gard. saiait

de'libe'rement cette epoque de grands, bouleversements politiques pour nous montrer la lutte physique et spirituelle.de Jacques et de ses amis revolutionnair.es pour repousser. la menace tenebreuse de la guerre.

Le lecteur voit se ddrouler devant ses yeux le jeu international de

1'economie, les. machinations, dea politiques, des diplomates et des

pouvoirB responsables. qui.s'occupant en.grande, partie d.'ambitions

territoriales. . D'autre part il reste des chefs d'Etats qui ae

sentent lancee vers.un holocausts.politique, en ddpit de leurs efforts

pour a'equilibrer, se ressaisir. Nous sommes. conscients del'existence

d'un pouvoir invincible et obscur qui pousse 1'humanity au-devant d'un

destin.

Aux yeux du lecteur 1'epoque de 1'ete 1914 bouillonne de

haine et de revolte comme. le font bien entendu tous les moments de

rupture. Et Martin du Gard.depeint des personnages qui 8'apercoiyent

des tendancea belliqueuses de presque tous les pays europeens, tout, en

s'acharnant a. avertir le. monde du danger de sa complaisance. C'est

1'opinion de Martin du Gard/que l'on peut s'echapper a la fatalite* d'un 65

fleau mondial..tel que la.guerre seulement en se, reveillant a temps.

Et il preciBS sa croyance que le seul homme qui compte dans un univers

commands' par l'assaut du destin. est celui qui lui dit non. (1)

Les trois volumes, de L'Ete 1914 occupent une p^riode de six

semaines ( 28 juin-10 aout ), da l'sssassinat de l'archiduc Ferdinand a la retraite des troupes francaises en Alsace. . Alors cs n'est pas par hasard que. le romancier introduit dans son milieu les revolutionnaires

de Geneve, de Bruxelles et de Paris, et nous invite a. suivre. leurs

debats politiques, qui souvent se perdent, pour que nous nous, rendions

compte de 1'agitation politique en Europe aux mois qui prec^derent la

guerre.

En depouillant biendee documents historiques, selon la

m^thode de travail apprise pendant son apprentissage a l'Ecole des

Chartes, Martin du Gard met enordre ses faits d'une telle maniere que

nous ne manquonB.pas d'etre frapp^e par. 1'exactitude des details

nombreux et minutieux de son decor,. Les portraits de Poincare* et de

Clemenceau, l'assassinat de Jaures, les efforts pacifistes du president

Wilson — tout est decrit avec bonne foi .; et nous pouvons applaudir ou

sourire amerement selon, notre gre. Mais avant tout, ce qui concerne

Martin du Gard c'sst la lachete" etl1egoisms des etres humains qui

permettenta la guerre de se dechainer. C'est la le eoua-entendu,

1'arriere-pensee philosophiquo de toutes lss discussions politiques de

cette. partie dea Thibault.

(1) Nizan, P. Compte-rendu de L'Ete 191V Nouvelle revue francaias. 64

A travera les pages de.L'Ete' 1914 Martin, du Gard rdussit a. tracer la croissance des partis politiquea et des sectes revolution- naires en France et de meme en Europe. Nous? abordons le premier volume par le tableau des membres d'un cercle politique, plutot un groups de jeunea re'volutionnaires, reunis.a Geneve j pour chef ile ont unf ana tique, Meynestrel, autrement nommd " Pilote ".. Le leader et sea ses. apotres sont preaque aana reaaources. car la plupart dVentre eux, ouvriera spe'cialistes venus. de differents coins du monde, n'ont jamais eu de travail fixe. Leur rendez-vous est le " Local " ou la n Parlote. .", une sorte de club ou les membres s'assemblent pour discuter lea pronostics et les nouvelles politiques, et duquel le chef dirige les.activ.iteV desr apotrea hora de Geneve.

Nous retrouvons Jacques dana.ce milieu aprea.une absence de quatre.ans.de Paris. Sa misere lepouaae a collaborera. de8 journaux et a des revues pour gagner de quoi vivre. II habite un logis pauvre.

Mai8 lui et ses amis revolutionnairss ae sentent spontanement a. liaise dans leur milieu, car tous ont ceci de commune ils ont une native sensibility a l'injustice et ile.revent de construire sur des bases solidea une nouvelle society, une fraternity humaine universelle.

C'est peut-etre une Utopie. Mais au fond ce quiattache les jeunes revoltys a leur idyal c'est le fait qu'il-leur offre un motif exaltant de vivre. lis sont tous unis dans le meme dysir d'yviter la guerre a. tout prix, de chercher: par des moyens paisibles une solution du probleme du militarisme et de 1'agression des Etats-majors. Peut-etre 65 la solution est-elle, une greve generale qui forcera les pouvoirs responsablss a r.ebrousssr chemin dans leur marche vers la: catastrophe imminsnts. Certes il est Evident que l'on doit agir, et Martin du

Gard salt bien que l'on peut .a^echapper a la fatalite d'un fleau mondial seulement en se r^veillant a temps de la lethargie assoupissante d'une fausse security.

Le contrasts entre. Jacques dans ce milieu de socialisms militant et Antoine;confortablement installe a Paris est bien.frappant.

Au cours de ses affaires Jacques a 1'occasion .de rendre visite a son frers qu'il n'a pas vu depuis quatre annees, et la rencontre aboutit a. une.harangue politique. Dans.la scene qui se passe Antoine..croit que le danger, de guerre est surestime : il regimbe devant. 1'argumentation de Jacques qui, dans l'snssmble, lui, paralt faible et mal ordonnee,.

Antoine,- bien entendu, salt bien qu'il n'est pas le type qui ss leve volontiers,pour,intervenir dans, lss evenements politiques j il a fait installer a. la maison patsrnelle des laboratoires et des services medicaux qui vont lui permettre d'organiser. en grand ses recherches scientifiques st lui aider, a concentrer ses efforts sur son ascension profsssionnelle. II. s'est accoutume a. re*soudre des problemes precis, limites, n qui sont de mon ressort, st dont souvent depend l'avenir d'une. vie humaine... "(l) Dans see propres termes il a• " autre chose a faire qu'a tater le.pouls de 1'Europe ".(2) En deplt de la. ferveur

(1) Les Thibault : L'Ete 1914. i. p. 188.

(2) Ouvrage cite. p. 188. 66

de son frere cadet, Antoine se plait, a attdnuer la possibilite de realisation d'un. conflit mondial, car selon.sa^propre opinion et grace dans une certaine.mesure a. son entrainement scientifique, il reste .des choses dans la vie qui. sont incapables d'etre resolues par des etres humains. L'histoire, pour lui, marque un rythme inevitable, ou alternent le mal et. le bien. n Et meme si les dangers que tu annonces sont reels, nous n'y pouvons rien. Absolument rien. Ni toi, ni moi, ni personne... n(l)

Pourtant.il faut penetrer, plus loin au-dessous de la super- ficie du, caractere,d'Antoine. II. n'a jamais eu.ni le temps, nil'envie de s'interesser a. la politique. Et, en outre, la discipline scienti• fique, dans, le sens etymologique du.mot, l.'a habitue a penser que dans le monde aocial comme dan8 la vie organique tout est probleme, et probleme difficile. II dit en effet a Jacques que dans une breve vie d'homme, on eat: oblige de 8'occuper. utilement dans son modeste rayon de la meilleure tache possible au lieu de speculer et de conspirer a dee cataclysmes dont le bienfait est probiematique.(2)

Martin du Gard croit.que.la recherche de la verite, soit en medecine, soit en politique, exige 1'application, 1'etude et- la competence, et, de meme,. que le talent s'effrite lorsqu'onessaie de

s'interesaer. a. tout. Aux yeux d'Antoine. la politique est un champ

(1) Ouvrage cite. p. 189.

(2) Ouvrage cite. p. 258. 67 d'activite Stranger au sien j a. sa reserve de s'y meler s'ajoute une naturelle repugnance. Par suite de bien des. scandales il sat persuade ds plus qu'une sorte d'immoralite suints naturellement de l'exereice du pouvoir. (1) C'est la. principalement 1'explication de son refus.de suivre attentivement la marche des affaires publiques.

C'est ici que Jacques est diametralement oppose a. Antoine.

Jacques s'est fermement convaincu que nous sommss tous responsables de nous reneeigner autant que.possible sur le8 evenements et lee problemes politiques actuels. Jacques n'est pas un revolutionnaire au.Bens qu'il veut voir tout.renver8e par la violence. Selon lui .le nouvel ordre aocial qu'il espere. voir s.'instaurer se. r.ealisera seulement par .suite de moyens paisibles,. principalement par persuaaion..

II ne ..volt rien d'absurde a. concevoir une revolution lente, " patiemment menee par des espritst. dss hommes formes, a. l'ecoleds 1 'humanisme* ayant eu le temps de murir leur doctrine, d'etablir un plan d'action progressivs ,.-".(2.)..

Martin du Gard est. soigneux de soulignsr. le danger de

1'immoderation,.de 1'action effrenee. C'est Jacques, au cours d'un entretien avec " Pilote ", qui ee met en devoir d'avertir son chsf contre la revolution-sanguinaire: 11 II faut qu'un- grand revolutionnaire reu8aiase a vaincre 8ans massacrer — par 1'esprit — - et toutes vos

(1) Roz, F. Compte-rendu de L'Ete 1914. Revue politique et litteraire.

(2) Les Thibault : L'Ete 1914. i. p. 92. 68

conceptions de revolution, aeront, changees."(1) Martin du Gard s'oppose franchement a une theorie.de renouvellement social, qui flatte nos instincts lss plus bas, lss. plus, anciens ou les plus profondement enfouis dans 1'homme. D'apres. Jacques, " exalter, la violence et la haine pour instaurer leregne de la,justice et de la fraternite, c'est un non-sens : c'est trahir, des le depart, cette justice et cette fraternity que nous voulons.faire.rdgner sur le monde ".(2)

Voila. l'idee fixe de Jacques, l'idee qu'il ne cesse jamais de. proclamer : que l'on doit s'apprster avant tout a. instaurer et a nourrir 1'amelioration social© du peuple au lieu d'applaudir " ce sacrd militarisme prussien qui pousse toute 1'Europe a s'armer juaqu'aux dents ".(3)

A pluaieurs reprises, au "Local,", rendez-vous des revolu- tionnairea.a. Geneve, le lecteur e"coute des arguments,qui favorisent l'emploi de la violence, pour de"raciner 1 'ordre etabli, arguments dont

1'ingeniosite roublarde indique une: fausse conception de la justice.

A ce proposun des confreres d'Antoine soutient, a l'egard de la guerre, qu'elle est necessaire, " qu'une, bonne saignee estperiodiquement exigee a. 1 'hygiene du monde ". (4) Un tel argument* suppose, que la

(1) Ouvrage cite. p. 91.

(2) Ouvrage cite. p. 99.

(?) Ouvrage cite. p. 171.

(4) Lea Thibault : L'Ete 1914. ii. p. 181. 69 guerre empeche la civilisation de sombrer dans la decadence. Martin du Gard a nettement horreur d'une telle theorie. II n'est pas indigne de lui attribuer les paroles du docteur Philip qui y r^plique ainsi 2 n La bassesse, pour moi, c'est justement de ce*der a la cruaute" et a la haine."(l)

Plus tard, au cours d'une conference a Bruxelles, Martin du

Gard permet a Jacques d'exprimer ses propres sentiments avec. une nettete sans ambages.. Par opposition aux. belliqueux qui s'acharnent i a faire de la propagande au sujet du besoin d'amonceler fieVreueement des armements pour prot^ger la paix, Jacques introduit dans la reunion une note de pensee raisonnable. II condamne amerement les gens assoupis qui negligent criminellementd'exercer leur propre intelligence, qui se laissent mener aveugiement.a la guerre meurtriere parce qu'ils refusent de se reveiller, de penser, d'agir. Et Jacques, termine son discours avec cette question.: " Notre devoir,.mes amis ? II est simple, il est clair ! Un seul objectif — la paix ! Union par- dessus toutes nos querell.es de partis ! Union dans la resistance 1

Union dans le refus .'."(2)

Martin du Gard sait bien que les gens ordinaires sont dss victimes d'ignorance due a. leur lethargie. spirituelle, qu'ils ne voient rien que le bout du nez, " le pauvre troupeau qu'on voudrait sauver

(1) Ouvrage cite. p. 181.

(2) Les Thibault : L'Ete 1914. iii. p. 58. 70

malgre" lui n.(l) Mais il rSphte & pluaieurs reprises sa croyance a

1"evitabilite d'un grand conflit international ; il ne ceese jamais d'emoustiller lea accables, les ecoeures,. qui manquent d'espoirv Et c'est Jacques qui repre"sente le mieux peut-etre cet esprit de foi. dane

1'humanity. Au moment meme que les troupes francaises et allemandes s'apprstent a s'entre-egorger, l'idealisme.de Jacques: se manifests.

II vise a empecher les troupes de slentre-tuer en les surv.olant en avion pour e"parpiller sur le champ de bataille des milliers de manifestos pacifistes. II. espere que.son action paralysera le commandement allemand et francaie, qu'elle rdussira la fraternisation des combattants j mais elle eat destinee a. faillir.

Le projet eat certejextravagant. — en effet la vraiaemblance de la re"ali8ation d'un plan pacifiate .base.aur, la fraternisation des armeea ennemiea est bien entendu saugrenue. Mais ce qui est yminemment clair, cleat la. sincerity de Jacques, son assurance inebran- lable dans le pouvoir de la propagande, son acceptation de se sacrifier volontairement a une cause humaine. Bref, Jacques rypand 1'snthou- siasme : " Ah, Pilots, imaginez 1'effet de ces manifeatea ! Quel appel a la ryvolte I... Quel effet ?... Refua d'obeiseancs... Dsmo- ralisationdes chefs... Et.quel exemple I Quelle force de propaganda!

Cet avion magique... Ce messager de paix..."(2) Et Martin du. Gard

(1) Ouvrage cite. p. 80.

(2) Ouvrage cite. pp. J10-11. 71 salt bien que la. since'rite' et 1 'enthousiasms' peuvent etre des armes plus puissantes que.les engine de guerre dans la lutte pour instaurer le nouvel ordre social ou regne la paix.

L'enthousiasms de Jacques ressemble.de pres a la ferveur d'Andre" Gide. Dans un de ces romans, Nourritures Terrestres, public apres un voyage, dans l'Afrique du Nord en.1897, Gide invite le lecteur a. renoncer a. la civilisation, a. sMvader et, de plus, a.,s'efforcer de ehercher le naturel.. Gide refuse net, et proclame son refus, de s'snraciner. A ses yeux mieux vaut le depaysement que le repos, ennemi del'action.

En outre il. est clairque comme-Martin.du Gard, Gide croit que chacun d'entre nous est.destine s..jouer.un role individuel,dans la vie, que nous devons nous sacrifier a. un id^al. Le Prome'thee mal enchaie* ( 1899 ) est un. tableau-brode sur ce theme de la destine*e A humaine : les personnages de. Gide s'adonnent a realiser leurs; espoira et leurs reves, a user leurs ressourcss.. dans .1 'action intsllsctuslle.

Gide 8'accords avec Nietzsche que Ma plus belle vie... eat de murir pour la mort, dans le combat

D'une telle maniere active Jacques Thibault s'efforce d'accomplir sa raison de vivre, son ideal, son desir ine*branlable ds lutter avec toute sa force contre 1 *inhumanite: de l'homme. Jacques

Thibault sent une grande sympathie envers l'humanite' en depit de

1'influence abaissante des irresponsables et des ego'fstes, et malgre' les maux infliges par une civilisation devouee a. la reussits materielle. Le culte de 1'invention scientifique, la fausse suprematie 72 de la machine est une dee causes principales du malheur humain d'aujourd'hui. A ce propos, Georges. Duhamsl livre bataille sans cesse contre la.mecanisation.de la civilisation. Dans L'Humaniste et l!Automate (1955 ••)• Duhamsl a ecrit cette phrase : " La contagion de la machine, est le plus grand pe"ril du monde futur.n II detests les inventions, mecaniques de notre Epoque. parce qu'elles suppriment en. grande me sure 1'individuality et, e"galement important peut-etre, la personnalite de l'homme. De meme que Duhamel attaque la. tendance moderne de subjuguer la vie. esthetique..de l'homme a. la vie industrielle il repand, neanmoins, a travers les pages de son oeuvre, une chaude sympathie humaine.

Gomme. Martin du Gard, 1'auteur des Pasquier tache de eom• prendre la nature humaine. et. de: resoudre les causes de sa souffranee.

La chaleur de la comprehension de.Duhamel. est eminemment evidente dans

La Possession du.Monds ( 1919 ). Dans cet,ouvrage, dont le decor tempore! se passe pendant la.periode-de bouleversement suivant.la guerre de 1914-18,.on cherche le bonheur, et on le trouve en.accordant aux etres qui.1'entourent.la sympathie fraternelle. Voila bref la

" possession, du monde

Martin du Gard, lui aussi, voit au dela des defeetuosites de l'humanite. Dans le personnagede Jacques Thibault l'auteur exprime. son ideal!sme social tel que l'ont exprime Georges Duhamel,

Andre Gide et d'autres romanciers contemporains.

Le paradoxe du. caraetere de Jacques est bien clairi Ha'issant la violence, ayant horreur de presque tous les heroismes, il veut bien 75 neanmoins risquer sa vie pour lutter, pour militer contre 1 'inevita- bilite de la guerre, et contre le culte de la force brutale qui cherche a. resoudre les problemes sociaux et politiques de notre ere* Voila l'apport philosophique de. Martin du Gard a. la solution du politique d'aujourd'hui. Son milieu politique est quelque peu charge* et tendu : la tragedie est imminente ; mais. avant tout, ce.qui reste acquis apres

1'etude. dea.troiB volumes de.L'Ete 1914 c'est la beaute* et la force.de eon idealieme, aa foi invincible dans 1'avenir, dans la capacity de

1'humanite.de faconner un " brave new world 74

CHAPITRE III

LA MORALE DE ROGER MARTIN DU GARD

Chez Martin du Gard on eat conscient avant tout de 1*impor• tance des questions morales;. Au moyen d'admirables analyses des personnages- et des actions il nous presente sa philosophie de la vie, tout en e"vitant avec soin de formuler des jugements,.definitifs. - Ce sont lea actions de8 etrea humaine, apres tout, auxquelles le romancier s'intereaae principalement et dans leurs. actions lis rencontrent des problemes, des obstacles, dont ils ont besoin pour se reconnaJtre et

8'affirmer.

Martin du Gard, disciple d'Andre" Gide, a subi 1'influence de la pense"e gidienne comme Gide lui-meme a subi 1'influence de Montaigne et de Goethe.(1) La sensation,de la vie chez Gide et chez Martin du

Gard apparaJt comme n le terme d'une longue suite d'efforta n(2) ;

(1) Gabory, G. Andre" Gide. p. 40.

(2) Fernandez, R. Andre" Gide. p. 227. 75 tous les deux croient qu'on ne peut atteindre cette sensation qu'apres beaucoup de gene et d'effort.

Le probleme de 1'inquietude, morale, par exemple, occupe une position de premier ordre dans,1'oeuvre de Martin du Gard. Cette incertitude, de^eunesse est a la fois une maladie morale et une espece d'enthousiasme. Jacques et Daniel se de*cident a voyager pour e*chapper a l.'inertiemelancoliquedu foyer, car le depaysement leur offre .un

remede, parmi .d'autres, contre le vide de leur existence. " Le bisn-

etre n'engendre que. 1'inertie ; la gene est le principe du mouvement."(1)

Cette gene, cette force qui nous pousse au-devant de la vie est exacte- ment semblable a.la ferveur d'Andrd. Gide. " Nathaniel, je veux

t'apprendre la ferveur.... Ne demeure pas aupres de ce qui te ressemble ;

ns demeure jamais."(2)

A ce propos il est interessant de remarquer le rapprochement

de. sentiments, chez Roger Martin du Gard.. Jacques, avant son depart

pour Berlin et au cours de.ses affaires politiques, a 1'occasion de

revoir.Jenny de Fontanin., Elle lui dit que parmi ses camarades.il

est toujours heureux, tout a. fait, lui-meme. Mais a Paris, ajoute-t-

elle, il semble quelque peu depayse*. Et Jacques rdpond : " Je suis

de'payse' partout. . Je suis n4 iSp&yaS. J'ai toujours ete" dSpayaS."(j)

(1) Renan, E. Dialogues.

(2) Gide, A. Les Nourritures Terrestres. p. 48.

(?) Les Thibault : L'Ete .1914. ii. p. 247. 76

En outre il est soigneux pendant la breve envergure de sa vie de ne jamais se fixer.

Cependant c'est Antoine qui represente peut-etre le mieux cette philosophie du devenirv La vie pour lui est un chemin nettement trace', une ligne droite qui mane infailliblement quelque. part. Pour changer la. me*taphore, c'est un " large espace decouvert ou, les gens actif8 n'ont qu'a s'elancer avec, entrain (1) une sorte de"champ de manoeuvre merveilleusement disponible ".(2) Voila. le mot d'Andre*

Gide : disponibilite, un e*tat de preparation active qui nous permet de combattre la quietude-et de rechercher la verite.

Martin du Gard condamne,la torpeur, la paresse spirituelle de ceux qui ne bravent pas les problemes de la vie. " Maudite soit l'epoque ou.le troupeau.des aveugles est sous la conduits, d'uns, poignes de fous J"(3) Maintes foiB dans lss discussions entre Jacques st

Antoine, et autre part, il avance cette opinion s Lorsqu'on se desinteresse de tout ce qui es passe, autourde soi on devient un terrain d'ensemencement incomparable pour la propagandejn'importe laquelle. Et Martin du Gard, avec une fine, adressej met en relief les deux freres : d'uns part Antoine, si preoccupe de son metier qu'il n'a pas le temps de reBOudre des problemes moraux .-.} d'autre part Jacques,

(1) Les Thibault : La Consultation, pp. 200-01.

(2) Ouvrage cite. p..201.

(5) Lea Thibault : L'Ete 1914. ii. p. 256. 77 qui a'sfforce sans cease de reVeiller les indifferents, les paresseux, de leur torpeur. A l'approche de la guerre de 1914-18 c'est Jacques qui a'acharne a. avertir les Francais des. dangers, d'un 6t&t de fauese

securiteV d'une complaisance qui a.'eat repandue.manifestement partout.

II. apostrophe ainsi Antoine et ses confrerea J " Ah, si. seulement votre imagination sortait une seconde de sa torpeur, vous vou8 leve- riez tous, toi le premier ! pour fairs quelque chose, pour lutter, pendant, qu'il en est encore temps."(I) .

A travers les pages des Thibault on dprouve que Martin du

Gard est surtout conscient de la vitesse.de la vie moderne. Chez lui

on.se plait a. a'analyser pour expliquer aa conduite. On. est pousse

par une,force dont on ignore la cause ; bref, on ne salt pas ou /on va.

" Je me fais 1'effet d'un navire rapide qui suivrait hardiment aa route

et dont le pilots n'aurait jamaia eu de bouasole.n(2) Martin du Gard

sxprime, franchement ce point de vue .de.. 1!incertitude moderne, cette

recherche de bases solides sur lesquelles on puisse fonder une

phi1o8ophie de 1a vie.

C'est Antoine, par exemple, qui ne trouve de reponse

satiefaiaante a aon inquietude ni dana lss doctrinss du passe, ni dans

lea philoaophss d'aujourd.'hui, ni. en lui-meme. ". Je vois nettement, "

dit-il, " toutes lea regies auxquelles je nepeux paa souacrire, mais je

(1) Les Thibault t L'Ete 1914. i. p. 187.

(2) Les Thibault : La Consultation, p. 194. 78 n'en vols aucune a laquelle je pourrais, nie. soumettre."(1) II y a du reste chez Antoine une certaine, mesure de confiance dans les lois naturalise a. 11encontre des lois morales : " II n'y a de loi que les lois naturelles...... Mais, ces pretendues lois morales, qu'est-ce que c'est ? Un faisoeau d'habitudes implantees ennous depuis dee siecles

... Rien de plus..."(2)

Martin du Gard se rend compte de. 1 'oecumenicite' de toute la question de valeurs morales^du besoin qu'a. l'homme -de croire. soit en

la raison soit en quelque chose de divin, en Dieu. Rien n'est plus

contraire au temperament de Roger Martin du Gard que de porter jugement

sur l'humanite. II nous montre.des etres fatalement condamnes, l'entre-

choc de tout ce qui vit, le phenomene universel du conflit humain.

Mais selon lui le choix est quelque chose de personnel, et il dit en

effet .que chaque personne doit r^soudre ses propres problemes. B On

doit, on ne doit pas, le bien, le mal, pour moi cs ne sont quo dss mots..."(5)

A nos yeux, ce qui est important chez le romancier c'est la

sincerity. Les personnages de Roger Martin du~Gard cherchent sans

ceese de bonne _foi a. demeler sur quels principes ss regie leur vie

quotidienne. Et 1'on ne peut, sortirdu chaos et se liberer des.,

entraves de 1'incertitude que par l'affranchissement de la puissance

(1) Ouvrage cite. p. 194.

(2) Ouvrage. cite. p. 185.

(5) Ouvrage cite. p. 186. 79 innee de la ferveur et de la sincerity. n Tout depend de la quality du regard. Voir clair... S1observer de cet oeil libre, lucide, desinteresse'.. ."(1) Andre* Gide a. contribue, dans, son roman Mourriturea

Terrestres, a. cette question de la sincerity une pensee presque identique t " Que 1'importance soit dans ton regard, et non dans la chose,regardee»n

C'est ici que Martin du.Gard subit 1'influence de la philosophie gidienne. II croit profondement que-la sincerite ne vaut- rien a moins qu'elle ne se lie a 1'action. Peut-etre les aventures de

Jacques et de Daniel sont-sllss saugrenues, mais tous les deux ressentent un de"sir brulant. d'agir sans jamais en craindre les: risquss. lis ont ls meme penchant vera la liberte* et la revolte, un n enivrant gout de vivre que; chaque journee vyoue, soulevait en eux. ".(2) L'ardeur,

la volonte d'aller. aurdevant. de la vie, 1'action-meme — voila un moyen r de combattre la maladie morale de notre epoque. Et chose significative,

Martin du Gard.n'est pas certain que.ce moyen reussisse. C'est simplement une expression dssafoi dans l'humanite, une reponse affirmative a. 1'oppose de la negation;morale des pessimistes, des cyniquss et des desssperes.

Antoine, semblable a bien des combattants de la guerre de

1914-1918, est accabie par la futility de la lutte. II se rememore

(1) Ouvrage cite. p. 187.

(2) Les Thibault r Le Cahier grls.- p. 112. 80 quelquee- reflexions ecrites dans.son- Journal- pendant les premiers mois. de la guerrei n Je me complaisais a ne plus considerer les hommes, et moi-meme, que comme de grands insectes, armes pour le combat,

1'agression et la defense, la conquste, 1'entremangement..."(l) II se plaisait a. penser a 1'univers comme .a ..un ensemble de forces aveugles qui s'equilibrent par la destruction des moins resistants, ou un champ de carnage ou s'entre-devorent les etree. Mais au fur et a mesure que la guerre.s'acheve, Antoine devient de plus en plus conscient d'un but divin,dans le chaos mondial et il tourne le dos a son ancien desespoir : " Le pessimisms mortel ou j'avais. sombre aurait du m'avertir que ca mene a. des bas-fonds ou I'air n'est plus respirable."(2) Antoine bref represente eeux qui depuis.longtemps n'ont vu ni le bien ni le mal dans, 1 'univers mais. qui,, par-suite, d'un fieau. tel que la guerre,

reussissent a trouver,.dans; 1 fespoir une mesure de tranquillite.

Martin du Gard,. on ne peut, le nier, est un idealists. Et il est vraisemblable de suggersr que son idealisme est un sureroit du peasimieme ou au moins.du doute de sa jeunesse. Seulement apres un tel apprentissage ssrait-il possible de peindre si. fidelement. un personnage a la recherche d'une reaolution de ses questions, de ses esperances et de ses craintes. Tantot peaaimi8te, tantot optimiate,

Antoine ne sait comment resoudre 1'enigme de la vie dont-tout homme

(1) . Lea Thibault : Epilogue, p. 281.

(2) Ouvrage cite. p. 282. 81 est conscient. " Vers quelle fin notre espece s'achemine-t-elle ?

Disparaitra-t-elle a son tour, comme ont disparu les-trilobites, lss

scorpions, grants, et tant d'espsces nageantes ou rampantes dont nous

savons 1'existence •.?... Ou bien l'humanite aura-t-elle la chance.de se maintenir, a travers tous les chaos... st a evoluer longtemps encore ?"

(1) Autrement dit, est-ce qu'il est un plan cosmique, un Dieu qui entend les appals et les interrogations ds 1'homme. ?

A cette question Martin du. Gard ne.r^pend. pas d^finitivement.

Mais, on sent dans son oeuvre la croyance a 1'existence d'une puissance

divine. Citons, par exemple, les sentiments religieux de Mme de

Fontanin lorsqu'elle se trouve assise au lit de mort de son mari. Ells

est d'abord remplie de remords. Mais.peu a peu,son chagrin disparait,

elle sent s'etablir une harmonie. interieure avec les Forces universsllss

qui devient pour elle: un reconfort constant.et indispensable. B Ells

cherchait.a reconnaitre la necessite. superieure et secrete, la loi du

Plan divin ; et elle sentit qu'elle approchait enfin des regions

sereines de cette Paix dans Is renoncement et la resignation, qui est

le terme de toute souffranee..."(2) Voila certes1'expression d'un

idealisms religieux.

Dans la premiere partie des Thibault Daniel de Fontanin, en

train d'ecrire a Jacques, expose une conception de 1'Ideal qui a

(1) Les Thibault : Epilogue, p. 298.

(2) Les Thibault t L'Ete 1914. i. p. 256. 82 beaucoup de commun avec eelle de Mme de Fontanin. L'Ideal pour lui n'est pas.incompatible avec la nature humaine. Selon ses propres mots c'est " meler du grand, aux plus humbles choses. tsrrestres j. c'est faire grand tout ce qu'on a fait ; c'est le developpement complet de

tout ce que le Souffle Createur a mis en nous comme facultea divinss ".

(1)

Par opposition a cette conception idealists il y a chez

Martin du Gard un avertissement contre les dangers du culte du materia-

1 isms qui tend pernicieussment a. rendre un homme complaisant, indifferent

aux problemes d'autrui. " L'empoisonnement par 1'argent,"(2) surtout

par 1 'argent herite ou 1'argent qu?on n'a pas gagne', est un malheur car

on est souvent tente d'attribuer a. see propres merites le succes qu'a

achete la. puissance financiere.

Aplusieurs repriaea Jacques refuse de demander a Antoins sa

part ds 1 'heritage paternel. Mais il est clair qu'ilj^renonce seule•

ment parce qu'il eat trop fier pour se soumettre a des questions

personnelles a. propos de ses propres finances. II est vrai, tout de

meme, que le dugout de Jacques a. 1'egard de toute la question du pe"cule

familial n'est pas une pose. Jacques avant tout veut rester libre

dee engagements d'une..vie .aaauree.- De 1'autre cote* c'est Antoine,

apres avoir e*te" ype'rite' et durant ses debate: moraux, qui se rend compte

(1) Lea Thibault : Le Gahier gris. p. 9J.

(2) Lea Thibault : Epilogue, p. 91. 85 que le confort, le luxe du bien-etre, ne sont pas necsssairsment indiepensables pour mieux organiser une carriers. II admet qu'au lieu de stimuler. le travail, B toutes ces facilitee mat^rielles ne faisaient que le paralyser I"(l) II sereprimande; sans remords :

"... Un profitsur, voila ce que je m'appretais a devenir !"(2) Martin du Gard voit dans, une vie de luxe le.danger non seulement de l'^touffo• ment de 1'esprit mais aussi.du de"sir de dominer autrui. Et c'est la. certejyune fausse security.

II convient de dire que Martin du Gard sedegage de toute philosophie materialists. II s'ef force de. nous, reve'ler les malheur a qui attendent les etres terrestres qui. s.'occupent aveuglement de,leurs metiers sans, autre pensee que le maniement roublard ds leurs pe*cules.

Un tel homme, au gre du romancier, est sans vrai talent et sans lumiere.

Ce n'est en. somms qu'un homme pe*tri de terre, un createur mediocre.qui a perdu sa. dignite* et sa noblesse. Et lorsque la dignite de l'homme est compromise.par, n'importe. quel, moyen.vulgaire il, s'est prostitue' ine*luctablement. "... II faut. qu'une organisation nouvelle et toute diffe*rente de.la socie'te' permette a. l'homme, non plus seulement de subsistsr, mais de vivre I II faut rendre a l'individu, non. seulement sa part materielle des benefices du travail,, mais cette part de liberty, de loisir, de bien-etre, sans laquelle il ne peut pas. se deVelopper

(1) Ouvrage .cite"., p. 90.

(2) Ouvrage cite. p. 91. 84 dans sa dignite d'homme..."(1)

Martin.du Gard volt clairement las.tares de 1'humanite, mais

elles sont, en grande partie, la consequence des conditions de=vie, de

la society actuelle. II faut lutter sans cease contre la tentation

d'embrasser le pessimisms j il faut regarder ,au dela dea dyfauta ..de

l'etrehumain,pour voir quelque chose de grand, de noble, de beau meme,. .

n... II y a, il doit y avoir, en l'homme, une sinoerite, une indestruc•

tible aspiration vera, la grandeur... Et il faut souffler patiemment sur

cette petite braise enfouie dans. les.cendrea, pour qu'elle s'attise...

pour qu'elle-flambs, peut-etre. un jour."(2)

C'est ici que. Martin .du Gard s.'approchs du mysticisme.

Aujourd'hui, selon un critique, " nous voyons religion, litterature et

art, mysticisme.et vie terrestre, cohabiter etrangement, ae meler,

composer une aorte de symphonie ou 1 'ame cherche sa realisation la plus

parfaits ".(j) Le mysticisme, il. convient.de le dire,, est un moyen

d'ychapper a la. realite du monde, a 1'emprise de la sociyty .; c'est,

en d'autres termes, unrdysir de satisfaire la soif de l'absolu dont

aujourd'hui bien. des hommes:sentent le.besoin.

En un sens le pasteur Gregory represents le christianisme de

Roger Martin du Gard. C'est un homme qui s'efforce dese degager de

(1) Les Thibault : L'Ety 1914. ii. p. 22J.

(2) Ouvrage, city. pp. 224-25.

(3) Berge, A. n La Voix des Jeunee.11 III. Revue des Deux Mondes. 85 tous liens terrestres, d'avancer en meme temps, comme au cours d'un pelerinage, a.de plus, hautss regions. Le calme et la paix qui rayonnent de sa, presence indiquent a. la fois une harmonie interieure et une croyance inebranlable, a 1*omnipotence de Dieu. "Tout-puissant I

Souffle animateur! Tu. domiciles partout, dans chaque moindre petit morceau de tes Creatures... Toi seul es 1'Infini Sagesse, et ce que tu fais de nous est fait eelon la loi."(l)

Martin du Gard possede le vrai esprit religieux.et il salt depeindre des personnages dont la confiance. en Dieu est totals, intran- sigeante. Dieu est pour eux la grande Force du Bien : " L'Eternel est notre.Lumiere, 1'Eternel est notrs Jois : de quo! done aurais-je crainte..?"(2) Et,. en outre, l'auteur des Thibault exprime^ fidelement la soumission et, 1'humility del'homme.qui. se croit en presence de

Dieu. " Prosterne devant Vous, Seigneur, Dieu de BonteV Pere de

MiseYicorde, je viens Vous demander la derniere de toutes les graces...

Possz sur moi Votre regard, comme un pardon ! In te, Domine, commendo !"(?)

Pour Martin du Gard la conception d'un.vide, d'un n^ant, succe'dant a la mort est repugnante. Dans cette vie on souffre, certe?»

(1) Les Thibault : Le Cahier gris. p. 81.

(2) , Ouvrage. cite.. . p. 79.

(5) Les Thibault : La Mort du pere. p. J8. 86 dee -.petite a ses:,.desinegalites,..des injustices du monde. Mais, d'apree lui, la vie.est quelque-chose, d'ephemere et de fragile et dans la mort on aborde le durable et 1'eternel, la paix et la justice. Autrement dit, la mort est une. espece de perspective radieuse, de vrai epanouisse- ment de la vie. " Mourir, c'est renaitre ! Mourir, c'est ressusciter a. la Vie Nouvelle, dans la.Connaissance total e, dans, la Beatitude...

La mort... n'est pas seulement,la recompense du soir apres la journee de labeur : c'est un essor dans la lumiere, dans une aube eternelle '"(1)

Voila assurement un.beau langage. Et voila, de plus, le christianisme parfaitement exprime.

Autre part c'est Mme de Pontanin qui. rsposs sa foi dans. Is re"confort indispensable de. Dieu. Assise auprea de, son mari a la

clinique.: d'Antoine, elle contemple a, travers 868=larmes ce, qui .res.te. de Jerome, ce qui:reste du seul, amour de. sa vie. Accablee ds doulsur elle s'efforce, en fermant les. yeux, de retrouver une mesure de calme religieux, et elle, y reussit. " De nouveau, elle sentait s'e'tablir cette communion avec les Forces universelles, qui e*tait devenue pour elle un.constant, un indispensable reoonfort. -Elle cherchait... a. recon- naitre la Necessity, superieure et secrete, la loi du Plan divin ; et elle sentit qu'elle approchait enfin. des regions sereines..... ds cette Paix dans le renoncement et la resignation, qui est le terme de toute

8©uffrance..."(2) Certeson ne peut nier. que le christianisme. n'occupe

(1) Ouvrage cite. p. J5. (2) Les Thibault : L'Ete* 1914. i. pp. 255-56. 87 line position de premier ordre dans la morale.de Roger Martin du Gard.

Et la sincerity de sa croyance est peut-etre sa earacteriatique la plus

8aillante.

La philosophie.de Martin du.Gard est une philosophie d'espoir.

-Malgre* les malheure, lea souffranees, les douleurs, les deconvenues de la.vie on doit de toute. sa force s'acharner a garder sa.foi en soi-, meme, a. ne jamais cesser d'eeperer. Martin du Gard a plusieurs reprises affirms que la vie est une source inepuisable de possibilitea : " Rien n'est jamais perdu... Tout est toujours possible..."(1) Et au lieu de se lamenter sur les imperfections du monde, comme. s'il etait inutile de combattre les forces, du mal, Martin du Gard nous invite a. braver la vie et a. agir sans douter une seule journee du triomphe de l'amour, de la justice et.de la ve*rity.

Voila l:'idea.li8me de Roger.Martin.du Gard:. Toujours conscient des faiblessea de. 1'humanity, tolerant a.: l'ygard de aes dyfauts, il noua auggere ce conaeil : apprendre a se maitriser, car la maJtriae de. soi est la clef a. la liberty. Dans la repugnance de Roger Martin du Gard, non seulement e. rysoudre lea probleme a de la conduits humaine mais aussi a. portsr jugsmsnt sur 1'humanity, meme, repose peut-etre pour bien des lecteura la quality la plus attrayante de sa morale.

(1) Les Thibault : L'Ete 1914. ii. p. 78. 88

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TABLE DES MATIERES.

Page

Avant-Propoe... 1

Introduction... ?

Chapitre premier.

La duree : etude du mouvement et de la temporalite de Platon jusqu'a nos jours.

Platon... 6 Spinoza... 10 L'epoque classique... 12 Heraclite... 17 Leibniz... 18 Bergson... 22 Le roman-flsuve d'aujourd'hui... 26

Chapitre II.

Quelques aspects du milieu chez Roger Martin du Gard.

Le milieu de la famille... 32 Le milieu scientifique... 46 Le milieu politique... -62

Chapitre III.

La morale de Roger Martin du Gard... 74

Bibliographie... 88

Table des matieres. 97