HORS - SÉRIE 2013

Une publication de la Région HORS - SÉRIE de Bruxelles-Capitale 2013

LE PATRIMOINE ÉCRIT LE PATRIMOINE ÉCRIT NOTRE HISTOIRE LE PATRIMOINE ÉCRIT NOTRE HISTOIRE

Une publication de la Région de Bruxelles-Capitale BRUXELLESPATRIMOINES

25 €

ISBN : 978-2-930457-93-2

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BRUXELLES MODERNEET CONTEMPORAINE LE XXE SIÈCLE

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Bruxelles, une capitale en mouvement ?  ANS D’ARCHITECTURE ET D’URBANISME

SVEN STERKEN Docteur en histoire de l'architecture LUCA School of Arts/KUL Faculté d’Architecture

« Becoming modern in Brussels became a i on la compare avec Rotter - permanent situation: an endless repetition of dam, Cologne ou Anvers, la capitale belge a relativement demolition, of building fever, of tearing down peu souffert des dégâts de la SecondeS Guerre mondiale. Plutôt que and pouring . An endless repetition of de se consacrer à reconstruire l’infras- urban decay here, renovation there: the city is tructure, les autorités ont donc pu por- continuously dying, but always in different places, ter leur effort sur l’adaptation de la ville à l’émergence de l’État-providence. so that it may also be continuously reembellished, Pour autant, Bruxelles change profon- renewed, restored. Brussels, in short, is a verb. »* dément à cette époque. La transforma- tion du centre-ville égale en ampleur la Rudi Laermans, 1999. reconstruction qui suivit le bombarde- ment par Louis XIV, 300 ans auparavant. Tandis que les acteurs publics sont sur- tout motivés par le prestige de Bruxelles comme capitale nationale et internatio- nale, le secteur privé se soucie d’abord de ses propres intérêts économiques. Deux ambitions qui se réalisent au détriment des habitants, dont la voix ne se fera entendre qu’à un stade tardif.

LE DÉVELOPPEMENT D’UNE CAPITALE DE SERVICES

Après la guerre, à Bruxelles, la prio - rité absolue va à l’achèvement de la liaison souterraine Nord-Midi. Le pro- Banque Bruxelles Lambert, avenue Marnix 24, Bruxelles, jet traîne depuis près d’un demi-siècle. arch. G. Brunschaft (SOM), C’est grâce à l’aide du plan Marshall 1959-1960 (M. Vanhulst, 2012 qu’il voit le bout du tunnel en 1952. Les © MRBC).

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Fig. 1 Centre administrative de l’État, Bruxelles. Brochure de présentation, 1989 (© MRBC)

immeubles de bureaux qui longent le la modernisation de l’administration comme le «carrefour de l’Occident®». Les tracé ferroviaire incarnent les piliers de du pays. Véritable ville dans la ville, efforts portent leurs fruits®: en 1957, le l’État-providence®: sécurité sociale, cré- couvrant 400.000 m², la Cité possédait Traité de fait de Bruxelles le siège dit à bon marché, transport et commu- notamment le plus grand restaurant de la CEE et d’Euratom, et dix ans plus nication. Non loin de la gare du Midi se d’entreprise du pays (20.000 repas par tard, l’installation de l’OTAN confirme dresse par exemple la Tour des Pensions jour). Elle disposait aussi de son propre la stature internationale de la capitale. (Yvan Blomme, René Aers, Paul Ramon, accès à la liaison Nord-Midi, la gare de Bien que l’ ne soit pas exploitée Marcel Lambrichs, Jean Van Doosse - Bruxelles-Congrès (fig. 1). Fidèles à leur dans le développement urbanistique laere avec Abraham Lipski, 1962-1967). habitude, cependant, les développe - de Bruxelles, l’événement joue un rôle Ses 150 mètres de haut en font un des ments politiques prennent l’architec- déterminant dans la transformation complexes de bureaux les plus hauts ture de vitesse®: la fédéralisation de la d’une ville provinciale et industrielle du pays, et même le plus haut d’Europe Belgique rend la CAE superflue. Fina- en centre national et international d’af- jusqu’en 1972. À côté de la gare Centrale, lement, en 1983, on construit tout de faires et de services. on trouve le Sabena Air Terminus, des- même la tour de bureaux qui domine siné par Maxime Brunfaut (1949-1952), le site, mais c’est surtout pour échap - Dans l’après-guerre, la pensée des urba- qui réalise aussi le nouveau termi - per aux demandes de dédommagement nistes s’inspire largement du principe nal aéroportuaire de Zaventem. Désor- des entrepreneurs. Paradoxalement, la moderniste de la séparation des fonc- mais, les voyageurs peuvent enregis - tour en question sera la première à être tions. Habitat, travail, circulation et loi- trer leurs bagages au cœur de la ville, rénovée à l’occasion de la réaffectation sirs ont besoin d’espaces propres, déli- avant de gagner l’aéroport par un train du site. mités par des zones de verdure. Le Plan spécial en 20 minutes à peine. Unique régional pour l’agglomération bruxel- en Europe ! Le bâtiment Télex de Léon Dans les années 1950, il règne un climat loise («®Plan satellite») du Groupe Alpha Stynen, avec son énigmatique façade en politique tumultueux®: guerre scolaire, (1955) s’inscrit entièrement dans ce¶e panneaux de béton préfabriqué, inau- question royale, grèves des charbon - orientation®: il prévoit autour de la capi- gure la nouvelle société de la commu- nages… Si le gouvernement belge s’obs- tale une ceinture verte comprenant dix nication. Plus loin, la Cité administra- tine à organiser la première exposition villes satellites1. Bien que son impact tive de l’État (CAE), du Groupe Alpha, universelle de l’après-guerre malgré ces soit modeste, l’idée de la séparation des d’Hugo Van Kuyck et de Marcel Lam - conditions, c’est pour assurer ses ambi- fonctions se retrouve dans la suite de brichs (1958-1983), devait couronner tions européennes®: Bruxelles se profile l’évolution de Bruxelles®: le vieux centre

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Fig. 3 Masterplan quartier Nord, Groupe Structures, 1969. Dessin de présentation dans une brochure éditée à l’occasion de l’élaboration du projet.

Fig. 2 Centre International Rogier, place Rogier, Saint-Josse-ten- Noode, arch. J. Cuisinier et S. Lebrun, 1958. Ancienne carte postale (coll. Belfius Banque © ARB-MRBC).

fig. 4 Bâtiment RVS, rue d’Arlon et rue de la Loi, Bruxelles, arch. Kraaijvanger et Ch. Van Nueten, 1958-1964, (Technique des Travaux, janvier-février 1963, p. 11).

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BRUXELLES ET L’EXPO 58

’exposition universelle de 1958 a marqué le passage de Sans liaison claire avec le centre-ville, le site de l’Expo fai- la parcimonie et de la sobriété de l’après-guerre à un sait figure d’île autonome de modernité idéalisée. Contrai- avenir fait tout entier de confort et de consommation. rement à d’autres expositions universelles à Bruxelles, dont L La certitude collective que la science et la technique celles de 1880 et 1897 dans l’actuel parc du Cinquantenaire, ne pourraient être que bénéfi ques à l’humanité transparais- et celle de 1910 sur le plateau du Solbosch, l’Expo 58 n’a pas sait également dans les pavillons. L’usage abondant d’acier, de conduit à une urbanisation de ses environs. Le choix du site béton et de verre traduisait une quête de transparence et de était d’ailleurs essentiellement pragmatique®: il était resté non dynamisme. Bien que modérément apprécié de la presse spé- bâti après l’exposition universelle de 1935, et en 1958, il ne cialisée, ce style «Expo®» eut néanmoins une grande infl uence restait plus aucune autre option sur le territoire entièrement sur les goûts en général. Après l’Expo 58, en effet, on vit se urbanisé de Bruxelles-Ville. Tout comme en 1935, le terrain fut multiplier les toits plats, les grandes baies vitrées et les pein- remis dans son état initial. Les vestiges qui ont subsisté (l’Ato- tures murales abstraites. mium, la Flèche du Génie civil et le pavillon américain) résu- ment joliment les fascinations de l’époque®: la science, la tech- Dans la section belge, le Pavillon de l’Urbanisme donnait nique, l’Amérique. des informations sur la politique publique progressiste dans ces secteurs. Dans la plus pure tradition moderniste, l’urba- La fonction événementielle du plateau du Heysel n’a en fait nisme y était présenté comme une discipline rationnelle, pas varié depuis l’Expo 58®: tout le monde s’y rend occasion- visant à apporter des solutions et axée sur la sécurité, l’hy- nellement pour Batibouw, le Salon de l’Auto ou l’un ou l’autre giène et la beauté. La maquette de la Cité Modèle (Braem, match de football. Le pragmatisme économique y a manifes- Groupe Structures, Panis, Van Doosselaer et al.) en offrait tement triomphé de la planifi cation stratégique du territoire. un pi¶ oresque aperçu®: c’était une cité autonome, ordonnan- L’Expo 58 n’a donc pas servi de levier à la poursuite de l’urba- cée de manière strictement orthogonale, d’une capacité de nisation de l’agglomération. Son importance réside davantage 5000 habitants, avec ses propres écoles, un petit centre com- dans la légitimation que l’événement off rait à la transforma- mercial et même une église (fi g. 1). Ce¶ e vision de la ville ne tion «indispensable®» de Bruxelles en un grand centre de ser- s’est toutefois jamais vraiment concrétisée. Il faut dire que la vices. Trois ans à peine après l’ouverture de la jonction Nord- maque¶ e n’était qu’une solution de secours®; au départ, la cité Midi, la ville fut à nouveau en proie à une thérapie de choc, aurait dû héberger le personnel de l’Expo, mais le projet ne ce¶ e fois pour accueillir une circulation automobile explo- démarra qu’à un moment où l’événement était déjà un loin- sive. La Petite Ceinture fut transformée de fond en comble®: un tain souvenir. Les équipements restèrent le¶ re morte, trans- tunnel fut creusé sous chaque grand carrefour, tandis qu’un formant la Cité Modèle en une cité-dortoir monofonction- viaduc ‘temporaire’ (il ne fut démoli qu’en 1983) fut chargé nelle typique. On pouvait en revanche vivre une autre vision de convoyer la circulation par-dessus le canal (fi g. 2). Dans le de la ville à l’échelle réelle dans la «Belgique Joyeuse®». Ce centre, on avait même prévu une miniceinture autour de l’Îlot panaché des styles constructifs belges représentait en quelque sacré, avec des parkings souterrains aux carrefours. Le parking sorte une ville idéale. Répondant à l’association nostalgique 58, les parkings sous le Mont des Arts, la place Saint-Jean et entre patrimoine historique et un passé jovial et sans souci, le centre Monnaie témoignent aujourd’hui encore de ce plan ce¶ e vision trouva une application dans l’Îlot sacré (le quar- insensé qui, fort heureusement, ne s’est jamais matérialisé. tier autour de la Grand-Place) qui, en sa qualité d’enclave tou- ristique, fut détaché de la dynamique de modernisation dans le centre-ville.

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Fig. 1 Maquette de la Cité Modèle du Heysel, présentée à l’Expo 58 (© AAM).

Fig. 2 Travaux de la Petite Ceinture, boulevard du Jardin botanique, Bruxelles (© Régie des Bâtiments).

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devient le pôle touristique et concentre de logements pour 12.000 habitants, belge (René Stapels, 1966-1967). C’est les services, tandis que la majorité des 370.000 m² d’espaces commerciaux... aussi là que Brodzki érige l’immeuble autres fonctions urbaines se retrouvent Le pivot de l’opération sera le World de bureaux «®Gulliver I®» pour la société à la périphérie. Trade Center, un nœud du commerce informatique SwiÈ (1981). Il collabore mondial, un complexe de 8 tours de ensuite avec son homologue espagnol La tertiarisation s’amorce avec la tour bureaux sur l’exemple des centres du Ricardo Bofill pour dessiner le «®Gulli- PS de Hugo Van Kuyck (1956-1957), sur même nom qu’on trouve à New York ver II®» (1986-1989). Ce dernier met la le boulevard Botanique. Ce premier et à Tokyo ( fig. 3). Après l’annulation technique des éléments de façade pré- exemple de façade rideau en Belgique du projet d’échangeur routier au profit fabriqués et répétitifs au service d’un marque visuellement la fin du boule- d’un ‘ring’ entourant Bruxelles, la crise langage néoclassique. Car c’est bien vard Léopold II, récemment aménagé. À pétrolière de 1973 dégonfle les ambi - un temple qu’on construit, un temple l’autre extrémité de l’artère, la Basilique tions. Des administrations en profitent monumental à la gloire de l’économie Nationale, consacrée peu de temps pour louer des bureaux au World Trade libérale. auparavant, semble tout à coup sortie Center. Quant aux milliers de riverains d’une autre époque. Le Centre Interna- expropriés, ils doivent a¶endre quatre Avec le Berlaymont (Lucien De Vestel, tional Rogier s’élève à mi-chemin. Il est ans avant de pouvoir emménager dans 1967) et le Charlemagne (Jacques Cuisi- mieux connu sous le nom de tour Mar- un logement de substitution, un appar- nier, 1967), le quartier Léopold devient tini (Jacques Cuisinier, 1957) ( fig. 2) . tement dans les blocs soigneusement une zone monofonctionnelle, consa- Par sa diversité fonctionnelle (maga- alignés de la chaussée d’Anvers et de crée aux bureaux. Aujourd’hui, le quar- sins, bureaux, théâtre, gare de bus), une l’avenue de l’Héliport (Maxime Brun- tier illustre toutes les tendances qui ont implantation équilibrée et une expres- faut, Georges Pepermans, 1974-1978). marqué la construction de bureaux ces sivité architecturale indéniable, le Le démembrement social du quartier cinquante dernières années. Il souligne Centre signale avec force la fin des bou- est désormais complet. C’est seulement aussi à quel point le cycle de vie de ces levards centraux et la limite de la ville. à la fin des années 1980 que le quar- édifices s’est raccourci. Alors que l’im- Au sommet de la tour, l’étoile Mercedes tier Nord connaîtra un nouvel élan. posant siège de l’ex-Euratom, rue Bel- entretient un dialogue aérien avec les Son changement de nom en Espace liard (J. Hendrickx, 1955-1960), rappe- emblèmes de l’hôtel Sheraton (Groupe Nord ne suffit pas à faire oublier que le lait encore l’architecture monumentale Structures, 1969) et de l’Hilton (Henri quartier fut victime d’une spéculation de la fin des années trente, le bâtiment Montois, 1962), témoins d’une métro- impitoyable, d’un urbanisme bureau- RVS (entre temps transformé), à l’angle pole qui aime à allier mondanités et cratique et d’une architecture stérile de la rue d’Arlon et de la rue de la Loi affaires. privilégiant les bureaux. (Herman Kraaijvanger avec Charles Van Nueten, 1958-1964), arbore une Tandis que l’horizon bruxellois se méta- Faute d’une politique d’implantation façade rideau dont la sobriété est réso- morphose rapidement, les communes précise, le secteur tertiaire se répand lument moderniste (fig. 4). Dans le mènent à leur tour une politique d’amé- sur toute la ville dans les années 1960. bâtiment Foncolin (1959), André Jacq- nagement pragmatique, en réponse aux La petite ceinture et les artères d’accès main parvient à maximiser l’exploita- initiatives des autorités ou des investis- comme l’avenue Louise sont particu - tion de la surface au sol en plaçant la seurs privés. Sous l’impulsion de son lièrement prisées. Ces sites occupés, les structure porteuse à l’extérieur. Le bâti- échevin des travaux publics, Paul Van entreprises se tournent vers la périphé- ment, démoli à la fin des années 1990, den Boeynants, par exemple, Bruxelles rie, où elles érigent, sur le modèle du cor- cède la place à un nouvel édifice, signé… confie la construction de son centre porate campus américain, de prestigieux du même architecte. Le principe de la administratif du boulevard Anspach au ensembles de bureaux, au milieu de la façade porteuse en éléments préfabri- promoteur Charly De Pauw. Les projets verdure, à l’écart des encombrements qués est aussi à la base de la réalisation du ministère des Travaux publics, qui et des problèmes de parking. Aux labo- architecturale marquante du quartier, le songe à un gigantesque échangeur rou- ratoires Solvay de Neder-over-Heem- siège de l’ex-Banque Bruxelles-Lambert tier au nord du pentagone, où se croi - beek (1965), Henri Montois aborde cet (1959-1962). Le cabinet américain SOM seraient l’E40 et l’E19, constituent l’oc- idéal dans la meilleure tradition fonc- y apporte la preuve éclatante que les casion parfaite pour remplacer le vieux tionnaliste. Une collaboration unique méthodes de construction industrielles quartier ouvrier par un tout nouveau avec les deux architectes les plus origi- et la dignité classique sont parfaitement centre d’affaires. Le plan directeur éla- naux de leur génération, Renaat Braem conciliables (voir fig. p. 186). La volonté boré à cet effet (Groupe Structures, et André Jacqmain (le siège de Glaver- d’expérimentation technique et plas- 1967) reçoit bientôt le surnom de «®Plan bel en 1967) donne naissance au pres- tique des années 1960 s’exprime sans ®». Il prévoit la construc - tige raffiné propre qui sied à un acteur doute le mieux dans la structure en poly- tion de dizaines de gratte-ciels où tra- de l’économie mondiale. D’autres ester de la façade du siège du parti des vailleront plus de 100.000 personnes. grandes entreprises belges y installent démocrates-chrétiens francophones, Aujourd’hui encore, les chiffres laissent leurs quartiers généraux®: la cimenterie rue des Deux Églises (Paul Ramon et bouche bée®: 680.000 m² de bureaux, CBR (Constantin Brodzki, Marcel Lam- René Aerts, 1965). Quant à la transition 550.000 m² de parking, 400.000 m² brichs, 1967-1970) et l’assureur Royale au postmodernisme, elle apparaît clai-

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rement dans la filiale bruxelloise de la bâti sur le terrain, et un intérieur qui se du Peterbos (fig. 7) et le square Albert Morgan Guaranty Trust (Atelier d’archi- déploie comme un paysage habité, libre I à Anderlecht, le Homborchveld à tecture de Genval, 1974). interprétation du langage des formes ou le quartier des Constellations L’intérêt croissant de l’époque pour moderniste. Les maisons Everaert à Woluwe-St-Lambert. Les subventions le contexte historique et architectu - (1953-1954) et Bedoret (1957-1958), à publiques font rêver les bourgmestres, ral se manifeste dans l’approche du Uccle, en sont de bons exemples (fig. 5). souvent présidents de la société de loge- Group Planning. Celui-ci intègre le La classe moyenne aussi, en pleine ment locale. À Evere, Willy van der Concert Noble (un bâtiment du XIX e expansion, peut désormais trouver à Meeren construit par exemple un bloc siècle signé Henry Beyaert) dans un se loger en périphérie grâce à la loi De de logements pour la société Ieder zijn nouvel ensemble de bureaux plein de Taeye (1948), qui facilite l’accès à la pro- Huis, dans le cadre d’un ambitieux plan références au légendaire palais Stoclet priété des ménages à revenu modeste général confié à Le Corbusier en per - de l’avenue de Tervueren. Autre icône en offrant des primes et des crédits à sonne4. Un seul bloc sera finalement hypermoderne, l’immeuble de bureaux taux réduit2. Il en résulte un vague de réalisé par Gaston Brunfaut, auquel Van Brussimmo de Samyn & Partners (1991) construction dans la région bruxel - der Meeren ajoutera encore quelques fonde son rayonnement architectural loise. Le «®bel-étage®» connaît ses heures logements pour personnes âgées. Défi- sur des composantes structurelles et de gloire®: une maison à deux façades, nitivement inachevés, ces nouveaux techniques. Enfin, en vingt ans, la pas- avec garage au niveau inférieur et lieux quartiers n’incarnent aucunement ce serelle pour piétons qui franchit la rue de vie aux étages. Dans certaines rues, qu’on appelait les «®prolongements du Belliard est devenue, avec le célèbre le bel-étage domine presque exclusi - logis®», des équipements collectifs qui groupe sculpté de Jean-Paul Laenen, vement®: avenue du Pérou (Bruxelles, devaient donner naissance à des quar- un repère familier pour de nombreux extension Sud), rue Heideken (Gansho- tiers résidentiels autonomes. On en automobilistes. Souvent, les complexes ren) et rue Dubois (Molenbeek-Saint- reste au stade des enclaves monofonc- de bureaux n’ont pas le temps de s’ins- Jean). On en trouve un exemple particu- tionnelles éloignées du centre-ville. crire dans la mémoire collective. La lier dans la maison Moureau à Laeken démolition en 2011 de tout un pan du (fig. 6) (1951). Willy Van Der Meeren, un Sur le marché du logement privé, square Frère Orban, notamment un des architectes majeurs de son époque le «®flat®» fait son apparition. On en bâtiment d’Henri Montois (1986), rap- avec Dupuis, contourne les contraintes trouve des exemples évocateurs dans pelle que les immeubles de bureaux du budget et de l’espace par une utili - les flamboyants immeubles d’appar- sont aujourd’hui devenus des biens sation rationnelle des surfaces, le mobi- tements de Jacques Cuisinier, ainsi de consommation d’une durée de vie lier intégré et une circulation soigneu- que dans les tours Brusilia de Schaer- toujours plus courte. La relation entre sement étudiée. beek (1966-1971) (fig. 8) et le Royal occupant, maître d’ouvrage et archi- Building (1962) à Forest 5. Si Cuisi- tecte disparaît au profit d’un lien pure- Non contente de créer un chaos urba- nier était plus que quiconque au ser- ment économique entre promoteur et nistique, la loi De Taeye exerce un autre vice des promoteurs bruxellois, il a concepteur. La facilité d’utilisation et la effet regre¶able®: elle renforce la petite su, dans ses meilleures années, dépas- maîtrise des coûts deviennent les pre- échelle du secteur belge du bâtiment, ser avec panache les contraintes com- miers critères de conception. ce qui freine la recherche en matière merciales. À La Magnanerie (1957- de préfabrication et d’industrialisa - 1961), toujours à Forest, il réalise tion. Les coûts de la construction res - une petite ville dans la ville, comp - L’HABITAT FUIT LA VILLE tent donc relativement élevés. En guise tant non moins de 255 logements (des d’alternative, les architectes formés au studios simples aux appartements Le secteur tertiaire imposant sa main- modernisme avancent les principes de luxe pour occupants avec person- mise sur le centre, la qualité de vie s’y de la Charte d’Athènes, la charte des nel de maison à demeure), des maga- dégrade rapidement. L’exode amorcé Congrès Internationaux d’Architecture sins et même un garage avec sa pompe à la fin du XIX e siècle s’accélère. À la Moderne (CIAM). Sur le plan de l’habi- à essence. Plus près du centre, bon périphérie, on lotit à tour de bras, en tat, leur idéal est fait de blocs de loge - nombre de maisons bourgeoises du particulier dans des communes vertes ments, de conception industrielle, avec XIXe situées sur les axes de pénétra - comme Uccle, Woluwe-Saint-Lambert et des espaces verts communs. Initiale - tion cèdent la place à des résidences Woluwe-Saint-Pierre. Le vieux rêve de ment, ces idées pénètrent la construc- couvrant plusieurs parcelles. L’habi- l’habitat libéré trouve son expression la tion de logements sociaux grâce à la loi tat se densifie derrière un nouveau plus originelle dans l’œuvre de Jacques Brunfaut (1949)3. Les autorités se char- profil de façade, horizontal. Deux Dupuis. Comme ses contemporains gent d’aménager les voiries et les raccor- illustrations®: la Brussels Residence de La Cambre, il s’efforce de réconci - dements publics lors de la construction (René Stapels, 1956) et la résidence lier l’universalisme de l’architecture de complexes de logements sociaux. Vincennes (Baucher, Blondel et Fili - moderne avec la spécificité du site, de Cela permet d’occuper et de relier de ponne, 1962-1965) de l’avenue Louise. l’endroit et de l’habitant. Ce souci se grands terrains bon marché à la péri - Des architectes se spécialisent dans traduit par une façade fermée côté rue, phérie de la ville. Outre la Cité Modèle le genre, comme Sta Jasinski (rési - une implantation réfléchie du volume de Laeken, on retiendra aussi la Cité dence Le Forestier à Ixelles, Val du Roi

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Fig. 5 Maison Bedoret, arch. J. Dupuis, 1957. Intérieur, (Fonds Dupuis, Archives et Bibliothèque d’Architecture ULB © Valérie Dartevelle).

Fig. 7 Le Peterbos, Anderlecht. Photo aérienne (1974) (© archive Alexandre Laurent www.alexandrelaurent.be).

Fig. 8 Résidence Brusilia, Schaerbeek, arch. J. Cuisinier, 1967. Vue à partir de l’avenue Fig. 6 L. Bertrand, (M. Vanhulst, 2012 Habitation Moureau, avenue © MRBC). A. Bayet 11, Laeken, arch. W. Van Der Meeren, 1951 (La Maison, 1953, n°12, p. 381).

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à Bruxelles extension Sud) ou Josse Franssen (Résidence des Nations à Bruxelles extension Sud, Résidence Europa à Schaerbeek). Nombreux sont aussi les propriétaires individuels qui se lancent dans de petites promo- tions sur leur terrain à bâtir. L’œuvre Fig. 9 de Paul-Émile Vincent en compte Église Notre-Dame de Stockel, une dizaine d’exemples. Une fois Woluwe-Saint-Pierre, arch. accepté majoritairement, le flat s’est Aerts et Ramon, 1957-1967 aussi banalisé, en particulier dans (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). les barres d’appartements Etrimo et Amelinckx le long du boulevard Mettewie (Molenbeek-Saint-Jean), au quartier des Pêcheries à Auderghem ou encore à Anderlecht-Neerpede.

NOUVELLES FONCTIONS EN PÉRIPHÉRIE Fig. 10 Avec les développements résiden - Le Poséidon, avenue des tiels arrivent également les équipe - Vaillants 2. Woluwe-Saint- ments dédiés à l’enseignement, les loi- Lambert, arch I. Isgour, 1959- sirs, la culture et la consommation. À 1961. Intérieur du bassin (A. de la fin des années 1960, la messe heb - Ville de Goyet © MRBC). domadaire fait encore partie inté - grante de la vie familiale. Aussi dote- t-on les nouveaux quartiers d’églises souvent construites avec un impor - tant soutien financier de la commu- nauté locale. L’église Notre-Dame de Stockel (fig. 9), à Woluwe-Saint- tir des années 1970. Les seules excep- ger, grand spécialiste de ces procédés. Pierre (René Aerts, Paul Ramon, 1957- tions sont l’église Sainte-Anne de Jean Avec l’augmentation de la population 1967), exprime parfaitement la place Cosse, à Koekelberg (1991), et l’église et une démocratisation rapide de l’en- du catholicisme dans la société de Saint-Roch, dans le quartier Nord seignement, l’infrastructure scolaire l’époque®: le gigantesque hall de verre (Marc Vanden Bossche, 1994). en place montre bientôt ses limites. et de béton devait former le centre à La préfabrication et la standardisation la fois spatial et spirituel du quartier. La semaine de cinq jours développe font ainsi leur apparition. Un exemple Par contraste, l’église Notre-Dame les loisirs. Les cinémas Mirano et Mari- typique®: l’Institut des Arts et Métiers de Blankedelle d’Auderghem (Albert gnan, le boulodrome Crosby du bou- de la Ville de Bruxelles. Ce¶e construc- Debaeke, Pierre Pinsard, 1963-1970), levard de l’Impératrice occupent une tion prête à l’emploi du type français entourée d’une enceinte, représente place éminente dans les sorties vespé- Chaville se compose d’une structure en plutôt un îlot d’introspection. Le tra- rales. De même, la nouvelle infrastruc- acier léger entourée de façades rideaux vail raffiné de la lumière et le souci ture sportive publique s’adresse en en aluminium et verre émaillé. Cinq du détail font de ce¶e salle d’église en priorité aux familles. C’est ainsi que mois ont suffi pour réaliser l’assem - béton un des derniers chefs-d’œuvre naissent les grandes piscines telles blage. À Woluwe-Saint-Pierre, le col - de la construction d’églises monu- que Poséidon (fig. 10) de Woluwe- lège Saint-Joseph illustre bien l’explo- mentales dans la région bruxelloise. Saint-Lambert (Isia Isgour, 1959-1961) sion du nombre d’élèves. Ils sont une Quant à l’esprit postconciliaire, il ou Longchamp d’Uccle (Charles De vingtaine en 1956®; deux ans plus tard, souffle sur Notre-Dame du Perpétuel Meutter, Jean Koning, 1965-1967). leur nombre grimpe à 783. Le bâti- Secours à Watermael-Boitsfort (Marc La technique des traverses en bois ment à peine construit (René Aerts Dessauvage, 1965-1969). Accueillant lamellé-collé et des toits-coques en et Paul Ramon, 1958) doit être forte - et intime, l’édifice se dresse au milieu béton à double courbure (paraboloïde ment agrandi dès 1963. Les riverains de son environnement, fréquenté hyperbolique) donne l’impression connaissent bien la «®tour®» de six par les mouvements de jeunesse et de nager à ciel ouvert. Dans le deu - étages du collège (fig. 11). Si construire les associations de quartier. On ne xième cas, les architectes font appel au coûte cher, les écoles sont aussi gênées construit presque plus d’églises à par- célèbre ingénieur français René Sar- par le manque de place. Par exemple,

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Fig. 11 Fig. 12 Collège Saint-Joseph, Siège et quartier général boulevard de la Woluwe 18-20, du groupe GB, avenue des Woluwe-Saint-Pierre, arch. Olympiades 12, Evere, Groupe Aerts & Ramon, 1958. Tour avec Structures (collection Sven les classes (M. Vanhulst, 2012 Sterken © groupe Structures). © MRBC).

à l’école Peter Pan, dans la commune L’augmentation du nombre d’étudiants (fig. 12) de l’avenue Léopold III à Evere densément peuplée de Saint-Gilles, est un symptôme de la nouvelle pros- (Groupe Structures, 1973). Le disque plat Léon Stynen et Paul De Meyer ména - périté belge, à l’instar de l’accroisse - possède un parking souterrain public, gent de grands balcons intérieurs en ment du pouvoir d’achat. Le concept des tandis que son toit sert de parvis au guise d’espaces de jeu supplémentaires. galeries commerçantes couvertes, né au siège tout proche de l’ex-groupe GB. Enfin, l’expansion de l’enseignement siècle précédent, trouve un deuxième Dans le secteur extrêmement concur- supérieur, alimentée par la scission souffle®: il permet en effet d’échapper rentiel qu’est la grande distribution, une des facultés francophones et néerlan- à un trafic automobile toujours plus image reconnaissable est primordiale. dophones, déclenche de grandes cam- intense. La galerie Ravenstein (Paul et C’est la raison pour laquelle un même pagnes de construction aux abords de Alexis Dumont, 1954-1958), la galerie architecte, Albert Nottebaert, réalise la ville. Un nouveau campus voit le Louise (Émile Goffay, 1951) et la gale - successivement les magasins gastrono- jour pour l’ULB sur les anciens terrains rie a¶enante de la Porte Louise (Jacques miques Rob, dont le plus connu est celui du Solbosch, qui abritèrent l’Exposi - Cuisinier, 1963) en sont les meilleures du boulevard de la Woluwe. Ses façades tion universelle de 1910. On y trouve illustrations. On sait moins qu’à la originales en panneaux de béton moulé la panoplie des méthodes de construc- construction de ce¶e dernière, un cloître donnent un bel écrin à la culture de la tion de l’époque®: béton préfabriqué de voisin, avec son jardin, fut remplacé par qualité alimentaire. Enfin, la construc- l’imposant Institut de Physique (Pierre un bâtiment neuf, doté d’une cour inté- tion du Woluwe Shopping Center (1968) Guilissen, 1959-1965), toit-coque du rieure carrelée sur le toit de la galerie. inaugure l’ère de la consommation de grand auditoire (Marcel Van Goethem, Mais un autre phénomène ne tarde pas masse à Bruxelles. Les répercussions 1956), structure en acier de l’Insti - à s’imposer, une vraie révolution pour sur les petits détaillants de la ville ne se tut d’Éducation Physique (Robert Put- les familles®: le supermarché. Impor - feront pas a¶endre. temans, 1962). Le Centre de calcul tée d’Amérique, l’idée du «self-service» (CERAU, 1969-1970) incarne quant à trouve sa première incarnation au Del- lui la tendance aux façades plus plas - haize de la place Flagey (1957). Elle va ASSAINISSEMENT tiques de la fin des années 1960. De son progressivement prendre la place des DU CENTRE URBAIN côté, la VUB s’installe dans la partie petits commerces. La voiture se générali- nord du vieux terrain d’exercice mili- sant, le supermarché devient hypermar- La loi de lu¶e contre les taudis (1953) taire à E¶erbeek. Les éléments princi- ché et s’installe sur les artères de péné- aide les autorités locales à remplacer paux sont le rectorat de Renaat Braem tration. Il offre un assortiment complet les quartiers insalubres par des loge- (1971-1976) et la maison d’étudiants de produits et services. Ce¶e symbiose ments sociaux. À Bruxelles, la Ville (actuellement menacée de démolition) de la grande distribution et de la mobi- lance dans les années 1950 une vaste de Willy Van Der Meeren (1971-73). lité se concrétise avec éclat dans le GB action d’élimination des taudis 6.

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Fig. 13 Concours d’idées pour la place du Jeu de Balle, projet sélectionné, arch. R. Courtois, 1972, organisé par Tekhné (Habiter, 1962, p. 57).

L’initiative vise surtout les situa - Disciples modèles des CIAM, tous les 54.000 en 1970. De 1960 à 1974, 15.000 tions de misère sociale et hygiénique candidats remplacent le tissu exis - emplois disparaissent dans le centre. des Marolles et des quartiers situés à tant par des blocs isolés, construits Ce recul démographique va de pair l’ouest des boulevards centraux. Son en hauteur. Difficilement intégrables avec une baisse sensible du revenu fil conducteur est le «®Plan directeur dans le tissu urbain environnant, ces moyen, donc de l’impôt des personnes pour le Pentagone®» du bureau Tekhné immeubles, on le sait aujourd’hui, et des recettes communales. Des (1955-1962), qui entend améliorer posent aussi de gros problèmes de chancres apparaissent sous l’effet de l’accessibilité, la qualité de vie et la qualité technique. En effet, pour faire la spéculation, de la concurrence avec densité de l’habitat dans le centre. face à la hausse des salaires et du coût les centres commerciaux et de l’aban- Le plan prévoit un système de sept des matériaux, les autorités se ser - don des espaces publics. La dégéné - «voies de pénétration» donnant accès vent du logement social comme labo- rescence du centre-ville est accentuée à un ring intérieur autour du centre ratoire pour expérimenter la préfa - par une politique partiale en faveur de historique, avec des parkings aux brication et l’industrialisation. La l’automobile, le laissez-faire des admi- carrefours. Si le plan tente de préser- productivité prend le pas sur la qua - nistrations locales et l’absence d’un ver l’Îlot Sacré, il considère comme lité de l’architecture, de la construc- cadre législatif solide. La littérature insalubres les trois quarts du reste tion et de l’urbanisme. L’évolution de donne même un nom au phénomène®: du centre-ville. Le tissu historique l’habitat vers le produit industriel de «®bruxellisation®». Le terme désigne est donc systématiquement remplacé grande série culmine dans le «bloc une «®modernisation de la structure par des barres de logements collec - carton®» de Gaston Brunfaut à Molen- urbaine sans vision d’ensemble, sans tifs, strictement alignées, comme on beek Saint-Jean (1964-1967)®: les cloi- souci des bâtiments existants, sans en trouve rue Haute (Charles Van sons en plâtre entre les appartements prise en compte des riverains ni des Nueten, 1954-1963), rue des Potiers sont si minces que les occupants ont expropriés, et sans recherche de qua- (Groupe Structures, 1959-1962), au l’impression de vivre ensemble8. lité architecturale®»9. Rempart des Moines (Groupe Struc- tures, 1961-1964) et rue de la Querelle Bien qu’ils croient sincèrement à la (Baudon, De Brigode, Balérieux, Van- redistribution démocratique de la LA VILLE AUX CENT dendaele, 1963-1975). Le consensus prospérité, les décideurs et concep - COMITÉS D’ACTION des décideurs et des architectes res - teurs de l’époque aggravent la désin- sort clairement du concours d’idées tégration sociale et économique du Étonnamment, il faut a¶endre la fin des organisé par la Ville de Bruxelles centre-ville. En 1900, Bruxelles-Ville années 1960 pour voir une réaction à pour réhabiliter le quartier de la comptait encore 155.000 habitants. ce¶e évolution. Sur fond de mai 68, les place du Jeu de Balle (1962) 7 (fig. 13). Ils ne sont plus que 84.000 en 1947 et gens prennent conscience qu’ils ont leur

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Fig. 14 mot à dire dans l’organisation du cadre Journées d’étude de l’Ordre de vie. La ville devient un symbole de la des architectes au Sablon lutte politique. Alimenté par des pen- en 1970, (PUTTEMANS, R., seurs marxistes comme Henri Lefebvre L’Architecture moderne en (Le Droit à la ville, 1968) et Manuel Cas- Belgique, Bruxelles, Vokaer, tells (Luttes urbaines, 1972), le mouve- 1975, p. 246). ment contestataire plaide pour plus de logements en ville, moins de voi - tures et une participation du citoyen à la planification centrale. Des dizaines de comités d’action se lancent dans la bataille. Le plus connu est l’ARAU (Ate- lier de Recherche et d’Action Urbaines). L’ARAU gagne de l’influence grâce à Fig. 15 des actions soigneusement mises en Cité de l’Amitié, Carré des scène et à une stratégie de contre-pro- Herbes sauvages, Woluwe- jets®: des alternatives aux développe - Saint-Pierre, bureau AUSIA, ments contestés, mises au point en 1969-1974 (M. Vanhulst, 2012 liaison étroite avec l’école d’architecture © MRBC). de La Cambre10. Avec le slogan «®La ville est l’œuvre collective de tous les habi- tants®: tous ont le droit de décider de leur cadre de vie®» (Charte urbaine, 1970), le groupe s’oppose activement aux plans de démolition de trois îlots de maisons dans le quartier populaire des Marolles, en vue de l’extension du Palais de Jus- tice. Les actions qui suivent recueillent une couverture médiatique telle que les pouvoirs publics finissent par renoncer aux expropriations. L’épisode passe à la postérité sous le nom de «®Bataille de la nouveau poids aux revendications des simple coup d’œil à la légende (avec Marolle®». En 1971, cependant, les diffi- habitants. L’évolution du Plan régio - ses 64 catégories d’affectation des sols) cultés de mise en œuvre du Projet pilote nal pour Bruxelles souligne clairement révèle cependant la faiblesse du docu- pour la Marolle sont source de désen- ce changement de cap. L’assainisse - ment®: plutôt que de traduire une vision, chantement®: simples en apparence, les ment «®dur®» du tissu urbain sur le long le plan entend surtout apporter la sécu- principes «®organiques®» de participa- terme, typique des PPA des années 1960, rité juridique aux propriétaires et aux tion, de réduction d’échelle et d’impli- fait place à une approche à base d’ajus- investisseurs. Ce qui est révolutionnaire, cation se révèlent gros consommateurs tements, de petites interventions sur en revanche, c’est que les grands pro - d’investissement humain et matériel11. l’existant, dont on attend des effets à jets devront désormais s’accompagner Simultanément, le spectre de la gentri- court terme, et auxquelles on ne peut d’une enquête publique et recueillir fication fait sa première apparition®: des déroger que moyennant une procédure l’avis d’une commission de concertation quartiers populaires rénovés sont colo- préétablie. Une première proposition regroupant divers acteurs de la société. nisés par les hauts revenus. du Groupe Alpha (1965-1970), encore pénétrée de la volonté planificatrice du Le mouvement de contestation de mai Le mouvement participatif bénéficie modernisme, est rejetée sous la pression 68 ne met pas seulement les décideurs, aussi de soutiens politiques. En 1971, de dizaines de comités d’action. Ensuite, mais aussi les architectes et les urbanistes la fédéralisation de la Belgique donne le Conseil de l’Agglomération fait établir devant leurs responsabilités sociales naissance au Conseil de l’Aggloméra- un plan échantillon pour répertorier les et politiques. On leur reproche de ser- tion bruxelloise. Celle-ci réunit les 19 a¶entes des communes, des promoteurs vir exclusivement les intérêts de l’élite, communes. L’assemblée se compose et des groupes d’action. Après une lon- autrement dit d’être des instruments de d’élus locaux —®un changement cultu- gue enquête publique (1976-1979), le pouvoir et d’oppression. La remise en rel fondamental®: jusqu’alors, les grands Plan régional est finalement adopté en question de l’autorité de l’architecte vient projets de la capitale étaient imposés 1979. Le plan enterre définitivement également de l’extérieur. L’architecte ita- par des ministres nationaux sans guère l’esprit de l’Expo 58®: il cherche priori- lien Giancarlo di Carlo, par exemple, très de liens (électoraux ou autres) avec la tairement à protéger l’existant, tentant influent chez nous, appelle ses confrères capitale. La création d’un organe poli- d’endiguer la prolifération des bureaux à délaisser les projets de l’élite pour choi- tique à fort ancrage local donne un et des infrastructures automobiles. Un sir le camp des «®sans pouvoir®». Le doute

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et le pessimisme quant au statut de l’ar- ticulier, est conçue pour permettre aux Mais dans le cadre du projet pilote chitecte et de son métier apparaissent moins-valides de vivre en autonomie. des Marolles, on parvient à sauver un aussi dans l’ouvrage de Geert Bekaerts, La Sans slogans tapageurs, une vraie démo- ensemble disparate de 26 maisons rue Construction en Belgique (1970)12. Ce pre- cratisation de l’architecture se fait jour. aux Laines. Une étude a en effet éta - mier inventaire de l’architecture d’après- bli leur valeur historico-architecturale guerre en Belgique sonne comme un ainsi que la possibilité de les adapter requiem pour le mouvement moderniste QUE FAIRE DE L’EXISTANT ? aux exigences de l’habitat moderne14. dans notre pays. Le périodique La Mai- son cesse de paraître en 1968. La SBUAM Durant les années 1960, on réalise aussi Le regain d’intérêt pour l’héritage de (Société belge des urbanistes et archi- que le milieu bâti revêt une grande pierre a aussi son revers®: prises de tectes modernistes) met fin à ses tra - importance sociale et culturelle en remords après l’échec de la moderni- vaux trois ans plus tard. La crise de l’ar- tant que mémoire collective et fac - sation dans le Bruxelles d’après-guerre, chitecture belge est consommée. Les teur d’identité. La démolition fréné - les autorités imposent presque sys - journées d’étude du Conseil national de tique entraîne un sentiment d’amnésie tématiquement aux promoteurs de l’Ordre des Architectes, en 1971, reflè- et d’aliénation. Aussi l’adaptation pru- conserver les vieilles façades. On trouve tent bien la confusion et l’incertitude qui dente du patrimoine aux besoins d’au- dans la capitale des dizaines d’exemples règnent®: à l’instigation de Lucien Kroll, jourd’hui est-elle à la base de la Charte de ce façadisme®: l’hôtel Continental des workshops intitulés Société en conflit de Venise (1964), le manifeste de la de la place de Brouckère (Marcel Lam- sont organisés au Sablon sous un chapi- protection des monuments. Parallè - brichs, 1962), le Park Atrium derrière teau (fig. 14). Philosophes, anthropolo- lement à ces principes théoriques, le la gare Centrale (Stapels & Michaux, gues, sociologues, habitants y débattent contexte économique (crise pétrolière) 1994)… La méfiance vis-à-vis de l’ar - comme s’il fallait reme¶re les architectes et l’émergence de la conscience écolo- chitecture contemporaine trouve son en contact avec la réalité quotidienne. gique dans les années 1970 vont aussi point culminant dans l’extension du Kroll lui-même croit que l’architecte est dans le sens de la préservation de l’exis- musée des Beaux-Arts au Mont des Arts là pour servir. Il place ce rôle au centre de tant13. Les premiers exemples bruxel- (Olivier Bastin avec Leo Beeck, 1973- son travail. En 1965 par exemple, il réa- lois en sont la rénovation du quartier 1984)15. L’idée de démolir de vieux édi- lise à Auderghem un ensemble de quinze du Béguinage, la transformation des fices aux façades classiques à l’angle logements en laissant délibérément l’ar- Halles Saint-Géry en lieu d’exposition, de la place Royale et du Mont des Arts chitecture à l’arrière-plan®: le langage des ou encore la conversion de la place pour construire une entrée sculptu- formes et l’utilisation des matériaux gar- du Jeu de Balle en complexe de loge - rale en béton apparent suscite une dent une grande sobriété, tandis que ments et de commerces. Au Conseil de telle levée de boucliers que Bastin doit l’ouvrage s’inscrit parfaitement dans les l’Agglomération, la Commission fran- se résoudre à installer tout son musée dimensions des villas environnantes. À çaise de la Culture lance une campagne sous terre. Ironiquement, les bâtiments la Mémé, le complexe de logements que dont le slogan proclame «®Ne jetez plus, ainsi sauvés seront détruits peu après, Kroll conçoit par la suite pour les étu- réutilisez®! Il y a 1001 manières d’uti - trop vétustes, et aujourd’hui, plus per- diants en médecine du nouveau cam- liser nos bâtiments anciens®» (fig. 16). sonne ne se formalise de l’ostentatoire pus de l’UCL à Woluwe-Saint-Lambert, Les serres du Botanique par exemple cube en verre du Mont des Arts (A2RC, la «®participation®» débouche sur un deviennent un centre culturel (Ate - 2009), qui forme la nouvelle entrée du ensemble très hétérogène en termes de lier 20, 1975), les halles de Schaerbeek centre de congrès souterrain. formes et de fonctions, avec des apparte- une salle de concert (Cooparch, 1973- ments, des chambres, des logements col- 1990), les magasins Waucquez de Horta En réaction à la prétendue faillite de lectifs, un bureau de poste, une cantine et le musée de la Bande dessinée (Pierre l’avant-garde moderniste, des archi- une crèche. D’apparence volontairement Van Assche, 1984-1989). En 1975, l’an- tectes reviennent délibérément au inachevée, le bâtiment fait de Kroll une née européenne du patrimoine archi- passé et à la tradition. Le mouvement figure de proue internationale du mou- tectural adopte le leitmotiv «®Un ave - prend le nom de «®postmodernisme®» vement participatif. Rares sont les autres nir pour notre passé®». La publication après la publication de The Language architectes belges renommés à l’étran- de Urgentie-inventaris van het bouwkun- of Postmodern architecture (1977), par ger. Une exception cependant®: le groupe dig erfgoed (Sint-Lukasarchief, 1979) ou Charles Jencks. Le langage architec- AUSIA (dont le seul nom est déjà tout les expositions Bruxelles, construire et tural postmoderniste s’articule sur un programme®: Architectes, Urbanistes, reconstruire, architecture et aménagement des éléments archétypiques comme Sociologues, Ingénieurs Associés). Aux urbain 1780-1980 (1982), sont autant de le pilier, l’arc, le pignon, la galerie, la Venelles (1975-1977) et à la Cité de l’Amitié contributions importantes à la noto - rue et la place. Il fait une large place (1973-1978) ( fig. 15), deux ensembles réa- riété publique du patrimoine de la capi- au contexte historique et ambiant. lisés à Woluwe-Saint-Pierre, les membres tale. À ce¶e époque, il y a longtemps que À Bruxelles, Maurice Culot est un du groupe cultivent une diversité for- les Grandes halles centrales de Suys ont important représentant de l’architec- melle et typologique fondée sur une été démolies pour construire le parking ture postmoderniste. Son interpré - volonté de diversité sociale et de qualité 58, que la Maison du Peuple de Horta tation présente un côté très idéolo - urbanistique. La Cité de l’Amitié, en par- a fait place à un immeuble de bureaux. gique. Dans la Déclaration de Bruxelles

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LA SAGA DU CARREFOUR DE L’EUROPE

e carrefour de l’Europe est ce¶ e parcelle triangulaire à redents néo-Renaissance tentaient tant bien que mal d’évo- face à la gare Centrale, restée non bâtie après l’achè- quer ceux, plus anciens, qui bordaient la parcelle. Le parking vement de la jonction Nord-Midi en a¶ endant la réa- souterrain (de 8 niveaux®!) fut surmonté d’un «®square®» avec, L lisation d’un projet d’échangeur routier. C’est devenu en son milieu –®comble de l’ironie®– une statue de Don Qui- un lieu symbolique dans l’histoire urbanistique bruxelloise cho¶ e. À l’issue d’un nouveau concours, ce¶ e fois pour l’amé- en raison des nombreuses, mais vaines tentatives faites pour nagement de l’espace public sur et autour du carrefour de conférer à l’endroit un rôle en rapport avec son appellation. l’Europe, l’administration communale opta en 1997 pour un Pratiquement tous les paradigmes architecturaux y ont été projet de l’architecte français Alain Sarfati. Ce dernier voulait passés en revue ces cinquante dernières années.1 Après l’aban- réaliser, par de doubles alignements d’arbres entre la Biblio- don de l’idée d’un échangeur routier, la Ville donna le terrain thèque royale et la Banque nationale, des espèces de ramblas en concession à un consortium autour de Charly De Pauw. Les méditerranéennes, tandis qu’un anneau d’or en suspension 25 premières années, il paierait une redevance emphytéotique était censé donner plus de stature à l’espace ouvert devant la symbolique, ce qui devait lui perme¶ re de réunir les capitaux gare. Il fallut a¶ endre dix ans avant le début des travaux, et le nécessaires pour y construire des logements en 1984. Le PPA projet ne fut fi nalement réalisé que dans une version considé- correspondant suscita quelque émoi, car il ne prévoyait qu’un rablement édulcorée. L’intervention actuelle est toutefois plus grand parking avec une «®esplanade®». En 1970, sous la pres- que simplement décorative, puisqu’elle interdit toute circula- sion de l’opinion publique, la Ville de Bruxelles organisa un tion automobile devant l’entrée principale de la gare. Le tou- concours d’idées en vue d’une aff ectation plus mixte, après riste fraîchement débarqué ne risque donc plus sa vie lors de quoi elle chargea le Groupe Planning de faire une synthèse son premier contact avec la capitale de l’Europe. des meilleures propositions. En réaction, l’ARAU publia son «®alternative esthétique®» (1976), entièrement selon le para- digme préindustriel qui était entre-temps devenu le style maison du mouvement. (fig. 1) Aucune de ces actions n’eut NOTES la moindre suite. Devant l’imminence de l’échéance du bail 1. Il existe déjà bon nombre de de 25 ans, le carrefour de l’Europe fi t à nouveau l’objet d’un publications sur le carre- concours en 1983, avec cette fois un accent sur la fonction four de l’Europe. Par ordre résidentielle. Le lauréat, Georges Baines, proposait un îlot chronologique : Environnement fermé, mixte et traversable dans la plus pure tradition hauss- 11/1970 ; VLAEMINCK, S., « Het mannienne, tandis que dans son projet, Jo Crepain s’évertuait Europakruipunt te Brussel. à relier les grandes constructions bordant la jonction Nord- Een eindeloze ‘place de misère’? », A+, 42, 10/1977, p. 13- Midi avec les chapelets de constructions plus modestes entou- 20; VERPOEST, L., « Tussen rant la Grand-Place. La proposition la plus étonnante fut celle Noordstation en Zuidstation, du collectif «®Hoogpoort®»; s’inspirant clairement des idées tussen bovenstad en beneden- de Rem Koolhaas, Stephane Beel, Xaveer De Geyter, Willem- stad: de architectuur van een Jan Neutelings et Arjen Karsenberg proposèrent de conser- kruispunt », Monumenten & ver la vacuité du site en tant que «®qualité métropolitaine®» et Landschappen, 1989-2, p. 4-28; LOEKX, A., « 20 jaar ontwer- de compenser la perte de surface rentable par la construction pen voor het Europakruispunt d’une tour. Ce¶ e proposition était une pure provocation, car te Brussel. Overzicht en elle réunissait pour ainsi dire tous les traumatismes et tabous kritiek », Monumenten & Lands- bruxellois de l’époque (fi g. 2). Bien qu’il y ait eu ce¶ e fois bel et chappen, 1989-2, p. 29-49. Mais bien matière à réfl échir, ce concours n’eut pas davantage d’im- aussi A+, n°127 (1994) ; Bruxelles pact sur l’aff ectation du site. Ce qui fut fi nalement construit vu par ses habitants, p. 61-67; DE MEULDER, B., « The constituait non seulement une parodie de la proposition de Carrefour de l’Europe. Recent 1976 de l’ARAU, mais bafouait aussi purement et simplement Architectural Designs in the le PPA. Parce qu’en termes juridiques, des «®chambres d’hô- Rear View Mirror », Vacant City, tel®» pouvaient être assimilées à des «®logements®», le «®renfor- p. 84-100; SCHOONBRODT, cement de la fonction résidentielle®» prescrit déboucha sur la R. « Le Carrefour de l’Europe », construction de quatre hôtels internationaux dont les pignons Vouloir et dire la ville, p. 233- 253.

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Fig. 1

Carrefour de l’Europe, “alternative esthétique”, ARAU, 1976 (© AAM).

Fig. 2

Projet de concours pour le Carrefour de l’Europe, arch. Stéphane Beel, Xaveer De Geyter, Willem Jan Neutelings 1983 (©Team Hoogpoort).

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Fig. 16 Poster « Ne jetez plus, réutilisez! ». Campagne de sensibilisation menée par la Commission française de la Culture de l’Agglomération de Bruxelles, 1983 (© AAM).

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Fig. 17 (1978), par exemple, Culot et ses parti- Bâtiment d’angle, rue de sans tiennent la Charte d’Athènes (et Laeken et rue du Pont Neuf, par extension tout l’urbanisme moder- Bruxelles, arch. Tagliaventi & niste) pour coresponsable des inéga- Associati. Bâtiment réalisé lités sociales de l’impérialisme capi- dans le cadre du concours taliste. Les auteurs plaident en faveur Reconstruction de la Ville d’une revalorisation de la ville préin- Européenne, 1990-1995 (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). dustrielle, métaphore des valeurs dis- parues®: tradition, artisanat, harmo- nie sociale et identité collective. Culot ouvre la voie à une influente alliance entre l’ARAU, les Archives d’Architec- ture Moderne (AAM), la Fondation pour l’Architecture et La Cambre, qui diffuse la pensée postmoderniste à Bruxelles par des actions, des études et des expositions, sans oublier l’en- seignement. Dans leur ambition com- mune, la «®reconstruction de la ville européenne®», ces acteurs subissent l’influence des théoriciens français de l’architecture, Philippe Panerai et Jean Castex. Dans Formes urbaines: De l’îlot à la barre (1977), ceux-ci attribuent la faillite de l’urbanisme moderniste au refus de prendre en compte les carac- téristiques typologiques et morpho- logiques de la ville traditionnelle. Ils appellent de leurs vœux un retour de l’art urbain: créer la ville à partir des 1985), sur une audacieuse confronta- UN CADRE DE PLANIFICATION parcelles, des rues, des blocs de mai- tion avec un monument chargé d’his- RÉGIONALE PROPRE sons, des façades, des galeries et des toire, il implose en un éclectisme for- lignes de vue. Ces idées trouvent une maliste, fastueux à l’excès, dans le siège La création de la Région de Bruxelles- concrétisation dans le concours inter- de la Kredietbank, avenue du Port (Ate- Capitale en 1989 revêt une grande national que les AAM organisent en lier d’art urbain avec Michel Jaspers, importance dans l’évolution qui nous 1989 avec AG, assureur et promoteur 1992). L’atrium de l’hôtel Radisson SAS occupe®: les régions prennent en main immobilier, en vue de la reconstruc- (Atelier d’art urbain, 1988-1990) entre- leur propre développement territo - tion de la rue de Laeken ( fig. 17). Pour tient un dialogue entre références au rial. L’élaboration d’un cadre de plani- illustrer l’actualité des principes urba- palais Stoclet et à l’Art Déco et les ves- fication propre est une étape majeure. nistiques traditionnels, le promoteur tiges des remparts bruxellois du XIII e On définit deux types de plans®: les AG démolit sa tour de la rue de Laeken siècle. Ce¶e cacophonie architecturale plans de développement et les plans et la remplace par un ensemble plus trouve un triste point d’orgue dans le d’affectation, à la fois au niveau régio- «®respectable®». L’avantage est double®: bâtiment Marquis, voisin de la cathé - na l et au niveau communa l17. Si les pre- une image positive pour l’entreprise drale des Saints-Michel-et-Gudule (Ate- miers sont de nature politique et stra- et deux fois plus de mètres carrés de lier d’architecture de Genval, 1985- tégique, les deuxièmes régissent dans bureaux qu’auparavant16. 1989). Bricolage de contreforts et d’arcs les faits la destination des zones spé- gothiques, l’ouvrage montre comment cifiques du territoire. Le Plan régional L’idée de «®reconstruire la ville euro - l’essence du postmodernisme, à savoir de développement (PRD) de 1995, qui péenne®» semble avant tout vouloir la redécouverte de la ville en tant qu’ex- tente d’inverser les tendances néga- remédier aux erreurs imputées à l’ur- pression spatiale de processus sociaux tives en termes de logement, de qua - banisme moderniste. Cette intention et historiques, peut dégénérer en un lité de vie et de mobilité, est actualisé louable devient cependant un instru- formalisme dépourvu de sens. Pour - dès 2002. Il définit quatorze «®zones- ment acceptable entre les mains de l’es- tant, avec les bâtiments jumeaux de la leviers®», des sites stratégiques pour tablishment bruxellois, qui cherche à Stephanie Area (1983-1989) (fig. 18), le lesquels on met au point un ‘schéma imposer ses revendications territoriales même bureau d’architectes avait prouvé directeur’ chargé de concilier au dans la capitale. Si le postmodernisme qu’il était capable de donner une mieux les intentions et les attentes critique débouche encore, dans la réno- réponse moderne à un environnement des acteurs publics et privés concer - vation du théâtre de la Monnaie (A2RC, doté d’une forte identité historique. nés18. Mais la multiplicité des acteurs

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Fig. 18 Stephanie Area, place Stéphanie, Bruxelles, Atelier d’Architecture de Genval, 1983-1989. Bâtiments d’angle (© AAM).

et des niveaux de décision dans le ritorial (2008), un centre d’étude mul- Samyn, Jaspers & Eyers, 2001-2005). contexte bruxellois ne facilite pas, tidisciplinaire chargé d’identifier les Après de longs palabres, la hauteur c’est peu dire, la rédaction de ce docu- tendances et les mouvements de la est limitée à 109 mètres au lieu des ment de vision. Il faut donc a¶endre dynamique urbaine20. 154 mètres prévus initialement, mais 2006 pour assister à la signature d’un la surface de bureaux autorisée reste protocole acceptable pour le schéma Cela dit, un nouveau cadre de planifi- intacte. C’est primordial pour le pro- directeur du quartier européen. Il cation ne débouche pas automatique - moteur, et aussi pour la commune de arrive aussi que différentes instances ment sur une nouvelle culture de la Saint-Josse®: plus la surface de bureaux se fassent de l’ombre®: l’administration planification. Anecdote aussi connue est grande, plus la tour rapporte de fédérale vend à un promoteur privé que significative, le «®syndrome du taxes. tout le site de l’ex-Cité administrative balcon®» caractérise le début des années de l’État, juste au moment où le gou - 1990®: toutes les tours visibles depuis Souvent, la vision régionale doit aussi vernement bruxellois finalisait un le balcon de l’Hôtel de Ville devront affronter l’autonomie et l’agenda plan directeur pour mieux diversifier être étêtées. Cette croisade populiste individuel des 19 «®baronnies®» bruxel- et intégrer le complexe. S’en suit une se trompe de cible®: le problème des loises. Le réaménagement de la place partie de bras de fer entre la Région, tours bruxelloises se situe moins dans Flagey l’illustre bien. En 2003, la la ville et l’investisseur. Les bâtiments leur hauteur que dans leur caractère Région lance un appel d’offres inter- resteront inoccupés durant plusieurs monofonctionnel. Paradoxalement, national. Une des propositions par - années19 . Le plan de développement c’est la tour Martini, pourtant le plus vient à concilier intelligemment les en est à sa troisième révision. Cette urbain des complexes de bureaux par différentes dimensions de ce nœud fois, signe des temps, c’est à la dura - la mixité des fonctions, qui en est la urbain complexe (eau, patrimoine, bilité que va la priorité. L’adminis- première victime. Le scénario de la culture et mobilité) (Latz & Partner, tration dispose aussi d’un ambitieux Maison du Peuple de Victor Horta se D+A International, 2003). Mais l’ad- Plan pour le développement interna- répète®: spéculation agressive, délabre- ministration communale d’Ixelles tional de Bruxelles, qui doit renfor - ment programmé, polémique… Les refuse de délivrer le permis d’urba - cer le rayonnement économique et actions de conservation intervien - nisme, parce qu’il ne sera plus pos - culturel de la capitale. Pour donner nent trop tard®: on démolit et on rem- sible de se garer sur la place. Blocages, des bases solides à ce plan, la Région a place par un immeuble de bureaux concertation intensive, compromis… créé l’Agence de Développement Ter- monofonctionnel (arch. Philippe C’est seulement en 2008 que la nou -

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velle place est inaugurée (fig. 19). Le succès actuel de la place Flagey prouve qu’un concours basé sur un programme bien étudié et sur une ambition claire peut ouvrir à l’es - pace public des perspectives insoup- çonnées. On peut citer deux autres exemples de «®missions impossibles®»®: la place Rogier et le rond-point Schu- man. Dans les deux cas, Xaveer de Geyter a réussi à donner une identité visuelle et spatiale claire à ces nœuds de circulation critiques. À cause de la fragmentation de la politique de l’ur- banisme à Bruxelles, le rond-point Schuman ne fait pas partie du projet «Loi®», qui a pour but de renforcer la fonction bureau dans le quartier tout en rompant avec son caractère mono- fonctionnel. Il faut pour cela doubler les superficies existantes. En d’autres termes®: construire plus grand et plus haut. Le lauréat du concours inter - national de 2008, l’architecte fran - çais Christian de Portzamparc, pro - pose de réaliser cette augmentation d’échelle en définissant un nou - vel alignement reculé, pour faire naître à terme un profil de rue plus large. Le scénario, qui s’inscrit dans le cycle ininterrompu de démoli - tion et construction que connaît le quartier, nécessite cependant une direction forte et une détermination durable, des qualités dont l’adminis- tration bruxelloise n’a pas toujours fait preuve.

Chargées de formuler les règles et les intentions, les diverses autorités com- pétentes doivent aussi donner le bon exemple. Leur patrimoine immobi- lier fait d’elles un important acteur de l’aménagement spatial. Dans ce¶e Fig. 19 perspective, en 2009, un maître d’ou- Aménagements de la place vrage pour la Région bruxelloise est Flagey par Latz & Partner chargé d’accompagner les commandi- (M. Vanhulst, 2012 © MRBC). taires (publics et autres) dans le déve- loppement et le suivi de leurs projets21. On note à cet égard que le gouverne - ment bruxellois et son homologue fla- mand occupent des bâtiments his - toriques réaffectés22. Un exemple de gestion durable du patrimoine archi- tectural®? Ou des acteurs échaudés par l’architecture moderne®? Pour leurs administrations, les autorités régio- nales sont moins sélectives. L’auto -

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Fig. 20 Projet du quartier général de l’OTAN, Evere, Groupe Structures, 1966 (La Technique des Travaux, 1968, nr 5, p. 155).

rité flamande, par exemple, loue des tion du nouveau siège (Assar/ L’HEURE DE L’ARCHITECTURE ? dizaines de milliers de mètres carrés SOM, 2005-…) appelé à remplacer de bureaux anonymes dans le quartier les locaux «®temporaires®» (Groupe Parallèlement au cadre de planifica - Nord. Les institutions européennes de Structures, 1966) n’est pas mis à pro- tion relativement technique que nous Bruxelles se comportent de la même fit pour lancer le débat sur les rela - avons esquissé, la Région a aussi mis manière. Malgré leur poids et leur tions entre l’institution (4.000 per - au point des instruments concrets nombre, elles n’orientent pas le mar- sonnes®!) et la ville. L’OTAN restera pour appuyer la rénovation urbaine à ché immobilier. Il pourrait pourtant un corps étranger menant une exis- un niveau plus local. C’est surtout à cet en être autrement. L’étude A Vision tence anonyme à la périphérie de la échelon que les résultats de vingt ans for Brussels (2007) du Berlage Instituut ville (fig. 20). Dernier grand acteur de politique régionale se manifestent. néerlandais, par exemple, propose public, la compagnie ferroviaire Qui ne connaît les contrats de quar - un modèle décentralisé, dans lequel nationale SNCB exerce sur le déve - tier, une approche intégrée d’un quar- les institutions européennes consti- loppement territorial de la capitale tier spécifique sur le court terme, asso- tueront des pôles directeurs et struc- un impact que l’on ne peut sous-esti- ciant architecture et espace public pour turants pour la future croissance de mer. Certains de ses sites désaffec - amorcer une dynamique économique l’agglomération bruxelloise23. L’étude tés forment les dernières réserves et sociale®?24 à cet égard, une des pre - dénonce la concentration eurocra - foncières de la Région. Quant aux mières réalisations est le hall des sports tique au quartier Léopold. Elle plaide gares de la capitale, elles représen - du Rempart des Moines (Pierre Blon- aussi pour que l’architecture serve à tent des emplacements très convoi - del, 1994). Il est aussi intéressant de donner un ancrage visuel et spatial à tés sur le marché des bureaux. Les noter que ces initiatives ne font pas tou- une entité politique difficile à appré- plans extrêmement ambitieux de la jours appel aux valeurs sûres®: elles don- hender. SNCB pour la gare du Midi (à l’inten- nent leur chance aux jeunes bureaux tion de laquelle l’architecte français d’architectes. En 2005 par exemple, le Si la présence européenne à Jean Nouvel a encore récemment jeune collectif Matador a conçu deux Bruxelles suscite de vifs débats, si dessiné un bâtiment mégalomane en remarquables immeubles d’angle pour le bâtiment du Parlement Européen forme de V) et l’incapacité des auto - la rue Dupont (Schaerbeek), dans le n’est guère apprécié du public (CBR, rités locales à lutter contre une spé - cadre d’une stratégie visant à endiguer Bontinck et al., 1985-1992), le site de culation destructrice dans le quar - l’abandon programmé de l’îlot de mai- l’OTAN, à Evere, ne rencontre quant tier font craindre que la débâcle du sons concerné. Le parc Reine-Verte est à lui, aucune réaction. Malheureuse- quartier Nord d’il y a 40 ans n’ait pas inauguré dans la même commune en ment, le concours pour la construc - servi de leçon. 2007. Dessiné par Philippe Serck et Erik

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Dhondt, l’enchaînement de pièces exté- rieures compense l’important dénivelé entre la rue des Palais et la rue Verte. Quant au Skatepark Ursulines (L’Es - caut, 2006) (fig. 21), il illustre com - ment l’appropriation informelle condi- tionne pour une large part le succès des places et parcs publics. Cet endroit oublié, au-dessus de la sortie du tun - nel Nord-Midi, a toujours été un lieu de rencontre pour les jeunes de la capi- tale. À Saint-Gilles, le même souci de répondre aux besoins de groupes spé- cifiques préside à l’ouverture de Métal (Agwa, 2009), un garage transformé où les enfants peuvent faire leurs devoirs ou du sport après l’école, tandis que la Maison des Femmes (Zed & Gigogne, 2010) de Schaerbeek s’adresse aux asso- ciations féminines. Enfin, dans le cadre du contrat de quartier «®Tanneurs®», le Palais du Vin (XIXe) devient un centre d’entreprises favorisant l’emploi des moins qualifiés. Fig. 21

La production architecturale récente Skatepark Ursulines, Bruxelles (© L’Escaut Olivier Bastin). se distingue également par un grand nombre d’institutions culturelles. On peut y voir un effet secondaire de Fig. 22 Bruxelles 2000, Capitale européenne Léopold Village, rue Belliard. de la culture, mais le phénomène s’ex- Bruxelles, arch. Pierrre plique aussi par la volonté des Régions Blondel, Laurent Ney, 2010 de se profiler dans la capitale. Le Konin- (A. de Ville de Goyet © MRBC). klijke Vlaamse Schouwburg se voit doté d’une salle supplémentaire (A2RC, 2006), et le Beursschouwburg connaît un make-over controversé (B-Archi- tecten, 2002). La Communauté fran - çaise investit massivement dans le nou- veau bâtiment du Théâtre National sur le boulevard Adolphe Max (L’Escaut/ Architectes Associés/Atelier Gicogne, 1999-2004), tandis que la Région de Bruxelles-Capitale s’offre un centre artistique dans l’ancienne brasserie Wiel’s (Art & Build, 2007®; projet initial Adrien Blomme, 1930). La jeunesse se retrouve au théâtre Bronks (Martine de Maeseneer, 2009).

Autre thème récent dans le débat architectural®: la durabilité. Un pre - mier inventaire des projets représen- tatifs est dressé en 2009 sous l’impul- sion de Bruxelles Environnement 25. Parallèlement aux inévitables mai- sons passives, on s’aperçoit que le contexte spéculatif du marché des

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NOTES bureaux n’interdit pas les initiatives de visions, donc trop de plans, qui * LAERMANS R., “Downtown notables. À Schaerbeek par exemple, ne voient presque jamais le jour avec Brussels: A portrait”, in : DE les Architectes Associés construisent cohérence. Ajoutons qu’aux yeux de MEYER, D & VERSLUYS K., en 2009 Aeropolis II , le plus grand bien des décideurs, la capitale reste (eds.), The urban condition. bâtiment passif de Belgique pour l’enjeu symbolique des divisions Space, community and self in l’époque. Des immeubles de bureaux idéologiques ou communautaires. Le the contemporary metropolis, des années 1950 et 1960 ont été adap- moment n’est-il pas venu de prendre 010 Publishers, Rotterdam, 1999, p. 303. Traduction libre tés avec succès aux normes modernes Bruxelles au sérieux®? De comprendre : “La modernisation devient e de performance énergétique et de qu’en ce début de XXI siècle, la ville une situation permanente à confort. Le meilleur exemple en est la est devenue le centre d’une région Bruxelles: une répétition sans rénovation du bâtiment Télex de Léon métropolitaine multiculturelle qui va fin de démolitions, de fièvre Stynen par Crepain Binst Architecten bien au-delà des 19 communes®? Ceux constructive, de craquements (2010). Ce serait cependant une erreur qui nient les effets de cette dyna - sourds et de flots de béton. Une répétition sans fin de que de réduire l’aspect durabilité de mique sur le développement écono - déclin urbain d’un côté et de l’architecture à un répertoire de carac- mique, l’aménagement du territoire rénovation de l’autre : la ville est téristiques techniques. La façon dont ou les flux de la mobilité se voilent continuellement mourante mais le bâtiment renforce le tissu urbain la face. L’exposition Bruxelles 2040, toujours à un endroit différent, par l’interaction de ses fonctions, de organisée en 2012 à BOZAR, montre de telle façon qu’elle est aussi son échelle et de ses programmes est cependant les signes d’un change - continuellement réappropriée, rénovée et restaurée. En bref, sans doute encore plus importante. Le ment de cap®: en préparation au Plan Bruxelles est un verbe. » complexe Royale-Brialmont de Saint- régional de développement durable, 1. Sur le plan Alpha, voir Groupe Josse (Architectes Associés, 2005) par trois bureaux d’architectes esquissent Alpha, Bruxelles – Brussel – Brüs- exemple intègre efficacement les loge- un scénario de développement à long sel (Bruxelles, 1958) et BURE, V., ments, les bureaux et les espaces com- terme pour l’agglomération bruxel- « Dochtersteden rond Brussel », merciaux dans un ensemble architec- loise26. Fait nouveau®: le domaine de Wonen, 10/1957, p. 161-164. Pour tural unique. À Molenbeek-Saint-Jean, l’étude prend pour frontières les ter- la liste des plans bruxellois de le projet Sainte-Marie (Orts & Ballé - minus du futur Réseau Express Régio- l’après-guerre, voir LAGROU, E., « L‘Europe à Bruxelles en 1958. riaux, 2010) combine sur une parcelle nal. D’autres changements d’orienta- Début d’une période agitée de coin des logements sociaux et des tion inaugurent une nouvelle priorité en matière d’urbanisme », in bureaux. Le résultat donne une nou- pour la configuration topographique DUMONT, P., (éd.), Bruxelles, velle allure à la place voisine. Une (eau, relief, paysage) ou donnent à 175 ans d’une capitale, Mardaga, ancienne brasserie de la même com- des infrastructures de ligne exis - Liège, 2005, p. 29-58. Pour une mune a aussi été transformée en tantes et futures (réseau GEN, Canal) bonne mise en contexte, voir RYCKEWAERT, M., Building the appartements-ateliers (L’Escaut & Ate- le rôle d’épine dorsale d’un dévelop - Economic Backbone of the Bel- lier Gigogne, 2010). La forme remar- pement plus décentralisé de l’agglo- gian Welfare State. Infrastruc- quable de cet héritage industriel caché mération. Toutes les parties semblent ture, Planning and Architecture et le nouveau passage semi-public convaincues que les interventions 1945-1973, Rotterdam, 010, 2010, entre les deux rues adjacentes appor - architecturales peuvent apporter des p. 176-213. tent une bouffée d’oxygène au quar - remèdes dans un contexte de polari - 2. Sur la loi De Taeye, voir tier. À une autre échelle, on trouve le sation sociale croissante. Devant ce¶e THEUNIS, K., « De Wet De complexe mixte hôtel-appartements confiance en soi retrouvée et un sen- Taeye. De individuele woning als bouwsteen van de wel- timent partagé d’urgence et de néces- Léopold Village (Pierre Blondel, Lau- vaartstaat », in AERMAETE, T., rent Ney, 2010), qui contraste vive - sité, les scénaristes de Bruxelles 2040 VAN HERCK, K., (éd.), Wonen in ment avec le caractère monofonction- semblent reprendre le fil du moder - Welvaart, De Singel/Centrum nel du quartier européen (fig. 22). nisme sans le côté moralisateur des Vlaamse Architectuur Archie- années 1920 ni le pragmatisme dog - ven, Antwerpen, 2006, p. 67-77. matique de l’après-guerre. Peut-être 3. Sur la loi Brunfaut, voir CONCLUSION : LES SIGNES allons-nous voir naître enfin un cli- DE MEULDER, B., et al., Huiszoeking. Een kijkboek mat qui perme¶ra d’étudier sereine- D’UN CHANGEMENT DE CAP ? sociale woningbouw, Brussel, ment le potentiel d’avenir du patri - 1996, p. 46-48. En vingt ans d’existence, la Région moine d’après-guerre®? Un climat où 4. Sur « Ieder zijn Huis », de Bruxelles-Capitale a investi énor- l’architecture contemporaine pourra voir VERDONCK, A., et al., mément d’énergie dans les plans et la contribuer à façonner l’identité col - « Constructief vernuft en so- vision de la future utilisation de l’es- lective du Bruxelles de demain®? ciale fijnzinnigheid in een kleur- pace à Bruxelles. Le résultat net est rijk ontwerp », in DUMONT, pourtant maigre. Sans doute est-ce P., (éd.), L’architecture depuis la Seconde Guerre mondiale, un problème de qualité plus que de Bruxelles, 2008, p. 25-157. quantité®: il y a trop d’autorités, trop 5. Sur Cuisinier, voir CROP,

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P.-A., Residentiële hoogbouw in « The Invisible Museum of Mo- bibliothèque européenne, un Bruxelles, 175 ans d’une capi- Brussel van architect Jacques dern Art: The Peak of Modes- nœud de transport à l’échelle tale, Mardaga, Liège, 2005. Cuisinier. Een onderzoek naar ty ? », Vacant City, Bruxelles, européenne, de vastes projets AVERMAETE, T. & VAN drie ‘landmarks’ in zijn œuvre, 2000, p. 100-106 ; DEMEY, T., de logements, etc. Implanté de HERCK, K. (éd.), Wonen in thèse non publiée de licence en Bruxelles, Chronique d’une façon plus ou moins symétrique Welvaart, Antwerpen, 2006 sciences des arts, VUB, 2007. capitale en chantier, II, Legrain, par rapport au Canal, cet axe so- Bruxelles, 1991, p. 292-313. Voir cial et spatial peut même deve- BEKAERT G., STRAUVEN F., La 6. Sur la loi de Lutte contre Construction en Belgique 1945- les taudis de 1953, voir aussi A+ n°88 (1985) pour les nir l’épine dorsale d’une nouvelle reportages et la polémique. configuration urbanistique. Voir 1970, Confédération nationale de HEYNS, M., « De krotwoning la Construction, Bruxelles, 1970. als ‘sociaal probleem nr. 1’ », in 16. Pour une analyse critique, Brussels – A Manifesto. Towards AERMAETE, T., VAN HERCK, voir MATTU, R., « Stedenbouw, the Capital of Europe, Rotter- BERCKMANS, C., BERNARD, K., (éd.), Wonen in Welvaart, architectuur, investering », A+, dam, NAI Publishers, 2007. P., Bruxelles ‘50-’60, Aparté, De Singel/Centrum Vlaamse 109, p. 28-39. 24. Pour une situation et Bruxelles, 2007. Architectuur Archieven, An- 17. Sur le cadre de planification une première évaluation des BILLEN, C., DUVOSQUEL, twerpen, 2006, p. 147-165. de la Région de Bruxelles-Ca- contrats de quartier, voir J.-M., Bruxelles, Fonds Merca- 7. Voir « Brussel in zijn ver- pitale, voir PÉRILLEUX, B., « La COHEN, M., PLISSART, M.-F., tor, Antwerpen, 2000. nieuwingstijd », Wonen, 12/1963. Planification et l’aménagement Brussels on our Doorstep. CLAISSE, J., KNOPS, L. 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Sur l’ARAU, voir le numéro général à la police fédérale. Brussels’ Mont des Arts trois équipes : 51N4E, l’AUC thématique de Wonen/TABK, Le sort de la zone du côté du Reconsidered, NAI Publishers, et Bureau Bas Smets ; groupe n°s15-16, 1975 ; Quinze années Treurenberg n’est pas encore Rotterdam, 2000. Studio 012 (Bernardo Secchi d’action urbaine, ou Bruxelles clair. Pour l’état de la situation, Paola Viganò), IDEA Consult DEJEMEPPE, P., PÉRILLEUX, B. vu par ses habitants, Bruxelles, voir le site internet de BRAL et Karbon ; KCAP Architects & (éd.), Bruxelles 2040, Région de 1984 ; SCHOONBROODT, R., (Brusselse Raad voor het Leef- Planners. Les propositions ont Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 2012. Vouloir et dire la ville. Qua- milieu) : http://bralvzw.be été regroupées par la Région rante années de participation DELIGNE, C., JAUMAIN, S., 20. Agence de développement de Bruxelles-Capitale dans une citoyenne à Bruxelles, AAM, L’Expo 58. 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DEMEY, T., Des gratte-ciel 13. Ce revirement de la culture Benoit, 1905), adapté à sa 50 jaar architectuur Brussel, dans Bruxelles. La tentation architecturale apparaît dans nouvelle fonction au milieu des Centre d’Étude, de Recherche de la ville verticale, Badeaux, des périodiques comme A+. années 90 par Willy Verstraete. et d’Action en Architecture Bruxelles, 2008. Voir par exemple n°56/57 Le parlement bruxellois se (CERAA), Bruxelles, 1989. DESSOUROUX, C. (éd.), Espaces (1979) : « Réutilisation du réunit dans l’ancien Hôtel de Straten en Stenen. Brussel: partagés, Espaces disputés, milieu bâti » ; n°85 (1984) : Limminghe, qui abritait depuis stadsgroei 1780-1980, Catalo- Direction Études et planification « Behoud van het Brussels plus d’un siècle le gouverne- gue de l’exposition du même de la Région Bruxelles-Capitale, patrimonium » ; n°94/95 (1987) : ment provincial du Brabant. nom, Générale de Banque/ Bruxelles, 2008. L’édifice a été transformé par « Interventies in historische Sint-Lukasarchief, 1982. DUMONT, P. (réd.), L’architec- A2RC entre 1995 et 1997. landschappen en gebouwen ». Un siècle d’architecture et d’ur- ture depuis la Seconde Guerre 14. Voir « De Wolstraat of de be- 23. Des bâtiments et places banisme 1900-2000, Mardaga, mondiale, Région de Bruxelles- dreiging van een elysisch woonka- qui donnent à l’Europe unie ses Liège, 2000. Capitale, Bruxelles, 2008. différentes dimensions sont der », A+, n°19, 1975, p. 15-19. SCHOONBRODT, R., Vouloir et présentés en neuf endroits Bruxelles [dans] 20 ans, dire la ville. Quarante années de 15. Sur la saga du musée des stratégiques de la capitale : une Agence de développement participation citoyenne à Bruxelles, Beaux-Arts, voir LAGAE, J., université européenne, une territorial, Bruxelles, 2009. AAM éditions, Bruxelles, 2007.

-PB 006--BAT.indd 209 2/05/13 10:25 COMITÉ DE RÉDACTION GRAPHISME IMAGE DE COUVERTURE Jean-Marc Basyn, Stéphane Demeter, supersimple.be Vue nocturne sur Bruxelles à partir de l’avenue Paula Dumont, Ode Goossens, Isabelle Leroy, Louise (M. Vanhulst, 2012 © MRBC) Muriel Muret, Cecilia Paredes et Brigitte IMPRESSION Vander Brugghen avec la collaboration de Dereume Printing Pascale Ingelaere et Anne-Sophie Walazyc pour LISTE DES ABRÉVIATIONS le cabinet de Charles Picqué, Ministre-Président REMERCIEMENTS ACPASB - Archives du Centre Public d’Aide chargé des Monuments et Sites. Sociale de Bruxelles Philippe Charlier, Julie Coppens, Alice Gerard AAM – Archives d’Architecture Moderne et Alfred de Ville de Goyet (Centre de Docu- AGR – Archives générales du Royaume SECRÉTARIAT mentation de l’Aménagement du Territoire et du Cindy De Brandt et Linda Evens ARB – Académie royale de Belgique Logement), Marcel Vanhulst (Direction Communi- AVB – Archives de la Ville de Bruxelles cation Externe). COORDINATION DE PRODUCTION DMS – Direction des Monuments et Sites Koen de Visscher KBR – Bibliothèque royale de Belgique ÉDITEUR RESPONSABLE KIK-IRPA – Institut royal du Patrimoine Artistique RÉDACTION Arlette Verkruyssen, Directeur général (Bruxelles) Françoise Aubry ,Claire Billen, Paulo Charruadas, de l’Administration de l’Aménagement du Terri- MRAH – Musées royaux d’Art et d’Histoire Odile De Bruyn, Quentin Demeure, Stéphane toire et du Logement de la Région de Bruxelles- (Bruxelles) Demeter, Michel de Waha, Daniel Geerinck, Capitale – Direction des Monuments et Sites, MRBC – Ministère de la Région de Bruxelles- Eric Hennaut Catherine Leclercq, Christophe CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles Capitale – Centre de Documentation de Loir, Marc Meganck, Benoit Mihaïl, Philippe Les articles sont publiés sous la responsabilité l’Administration du Territoire et du Logement Sosnowska, Sven Sterken, Christophe Vachaudez, de leur auteur. Tout droit de reproduction, MVB – Musée de le Ville de Bruxelles – Maison du Roi Linda Van Santvoort, Patrick Viaene, traduction et adaptation réservé. SIWE – Steunpunt industrieel en wetenschappelijk erfgoed TRADUCTION SRAB – Société royale d’Archéologie de Bruxelles CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES VIOE – Vlaams Instituut voor het Onroerend Erfgoed Gitracom Malgré tout le soin apporté à la recherche des ayants droit, les éventuels bénéficiaires ISSN RELECTURE n’ayant pas été contactés sont priés de se 2034-578X Elisabeth Cluzel, Michèle Herla manifester auprès de la Direction des Monuments et le comité de rédaction. et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale. Dit tijdschrift verschijnt ook in het Nederlands onder de titel « Erfgoed Brussel ».

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