Dossier 20 ans après : La VRAIE histoire de l’attentat contre le Rainbow Warrior Incompétence, bureaucratie et avarice sont les vraies raisons d’un scandale qui retentit dans le monde en 1985 par Alex W. du PREL

E 10 JUILLET 1985, la DGSE (Direc- tion générale de la sécurité extérieure- les Lservices secrets français) coulait le navire écologiste Rainbow Warrior dans le port d’Auckland à l’aide de deux bombes magné- tiques, attentat qui tua un photographe portugais. Vingt années plus tard, après des centaines d’ar- ticles, de livres - et de désinformations - consa- crée à l’évènement, il est temps de faire un bilan final de cette affaire dans laquelle la Polynésie française est très impliquée. L’organisation internationale , créée en 1971 par des écologistes canadiens, des objecteurs de conscience américains et des paci- fistes de toutes nationalités, base son existence sur une légitimité écologique, abstraite et supra- nationale, alors que la légitimité des Etats est ba- sée sur des lois précises dans des contextes natio- naux. Que ces deux conceptions portent à conflit est certain. L’affaire “Rainbow Warrior” est l’un En août 1985, puis en mars 1986, la Nouvelle- Politique débile, opération bâclée de ces conflits. Zélande émit des mandats d’arrêt internationaux contre trois autres officiers français, Gérald An- Débile sur le plan politique car c’était bien du Ainsi, le 7 juillet 1985, le Rainbow Warrior, na- driès, Roland Verge et Jean-Michel Bartelo, na- terrorisme d’Etat, contestable dans sa concep- vire amiral de Greenpeace arriva à Auckland et geurs de combat de la base d’Aspretto en Corse, tion, l’opération contre le Rainbow Warrior aura s’amarra au quai Marsden. Dans la nuit du 10 accusés d’avoir transporté les engins explosifs de été d’un bout à l’autre un modèle de préparation juillet 1985, peu avant minuit, deux engins haute- Nouméa en Nouvelle-Zélande à bord de l’Ouvéa, bâclée, d’organisation approximative avec des ment explosifs qui avaient été attachés à la coque un voilier loué à Nouméa. effectifs pléthoriques conçus par de vrais ama- du Rainbow Warrior détonnèrent à quelques mi- teurs qui devaient se prendre pour des “pros”. Ce nutes d’intervalle. La force de l’explosion fut tel- A la suite d’articles de presse parus en et qui est souvent la norme dans le monde des ser- le qu’un trou de trois mètres de large fut ouvert à l’étranger mettant en cause les services secrets, vices secrets qui attire des personnes dangereuse- dans la salle des machines sous la ligne de flottai- le Président Mitterrand demande le 8 août à Lau- ment immatures et autres casses cou qui ne gran- son. Le navire coula en quelques minutes. Plus rent Fabius, Premier ministre à l’époque, une en- dissent jamais. Cette opération « Satanic », alias tôt, environ 30 personnes avaient célébré à bord quête qu’il confia à Bernard Tricot. Le 25 août, « Oxygène » était aussi une extension de la vo- un anniversaire et au moment de l’explosion, 12 celui-ci présenta un rapport qui “tricotait” un scé- lonté politique de continuer d’effectuer des essais personnes, capitaine compris, étaient encore à nario qui mettait hors de cause le gouvernement nucléaires dans le Pacifique malgré l’hostilité de bord. Onze d’entre eux parvinrent à atteindre le français et la DGSE, dont le seul objectif, décla- la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et des “mé- quai. , membre d’équipage et rait-il, aurait été « l’infiltration de Greenpeace ». chants écologistes” de Greenpeace qui mettaient photographe officiel fut tué par la seconde explo- De révélations en démentis, la crise politique cul- « en danger la souveraineté, l’indépendance et la sion alors qu’il tentait de récupérer de l’équipe- mina le 20 septembre 1985 lorsque le ministre de grandeur de la France ». ment photographique dans sa cabine. L’affaire a la Défense Charles Hernu fut contraint de démis- Analysons en détail les stupidités commises été immédiatement traité comme une enquête sionner, le patron de la DGSE, l’amiral Pierre La- lors de ce terrible fiasco : pour homicide sous la direction du détective prin- coste étant limogé le même jour. Deux jours plus Selon diverses sources, l’idée aurait germé fin cipal Allan Galbraith. C’est ainsi qu’allait com- tard, le Premier ministre Laurent Fabius, dans 1984 ou début 1985 au quartier général du Centre mencer une des enquêtes les plus vastes que la une déclaration inattendue et spectaculaire à l’hô- d’expérimentation du Pacifique (CEP) à Pirae, Nouvelle-Zélande aie jamais connue. La décou- tel Matignon, révéla « la vérité cruelle : Ce sont Tahiti, où le COMSUP, le vice amiral Hugues, verte d’un Zodiac en caoutchouc abandonné avec des agents de la DGSE qui ont coulé le Rainbow s’inquiétait auprès du DIRCEN(Directeur du un moteur hors bord et la vue d’un mobile home Warrior, ils ont agi sur ordre » et que ces faits centre des essais nucléaires), l’amiral Fages, de la bleu et blanc conduisit la Police à interroger un avaient été cachés à M. Tricot. nouvelle campagne contre les essais nucléaires à couple francophone deux jours plus tard, puis à Condamnés le 22 novembre 1985 par la justice Moruroa annoncée par Greenpeace. Certaine- les arrêter le 15 juillet.. Le Rainbow Warrior pré- de Nouvelle-Zélande à 10 et 7 années de prison ment voulait-on éviter un nouveau remue-ména- parait alors une campagne de protestation contre ferme chacun, les faux époux Turenge furent ge médiatique comme celui qui eut lieu lors de la les essais nucléaires français dans les Tuamotu. confiés en juillet 1986 à la France pour être trans- « campagne de tirs » de 1973. Avisé, Charles L’enquête de la police néo-zélandaise conduit à férés sur l’atoll d’ en Polynésie française ; Hernu interrogea l’amiral Lacoste sur les possibi- l’arrestation et l’inculpation, le 19 juillet 1985, ceci en échange de l’engagement de l’Etat fran- lités d’une opération de sabotage du Rainbow des “faux époux Turenge”, le capitaine Domi- çais de les garder sur cette île en résidence sur- Warrior. Le ministre de la Défense avait été im- nique Prieur et le commandant Alain Mafart, tous veillée pendant trois années. pressionné par une précédente mission réussie du deux agents de la DGSE. SDECE en octobre 1980 : une petite équipe du

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“service Action” avait réussi à couler le Dat- rins dans ces moments difficiles, on ne peut Assawari, navire amiral de la flottille libyenne Le yacht Ouvéa loué que s’étonner de leur comportement si peu en plein milieu du port de Gênes. Aussi les à Nouméa. discret par la suite. En effet, une fois passé ordres donnés à l’amiral Lacoste furent-ils les formalités avec la police du port, nos clairs : « il faut envoyer le Rainbow Warrior par agents très secrets devinrent exubérants et le fond ». L’amiral Lacoste prit tout de même flambeurs et se mirent à draguer tout ce qui ses précautions et se fit reconfirmer l’ordre par portait une jupe dans les bars, cafés et res- le chef d’état-major particulier du président de taurants des différents petits ports du North la République, le général Saulnier. Island. Parmi l’une de leurs conquêtes figu- L’opération fut supervisée au cabinet d’Hernu rait même l’épouse d’un officier de police par les colonels Heinrich et Fresnel du bureau du port de Whangarei, une dame coiffeuse. des affaires réservées. A Matignon, le chargé de Certainement le plus formidable consom- mission de Fabius auprès de la DGSE était le mateur de dames kiwi fut le Dr Xavier Ma- préfet Zilberzahn. A la “Piscine” (QG de la niguet, agent civil “freelance” de la mission. DGSE), le chef du service Action (SA) était le Selon un journaliste australien, les enquê- colonel Lesquer. L’auteur du plan fut le chef du teurs découvrirent qu’il réussit à coucher bureau des opérations, le lieutenant-colonel Fa- avec huit femmes différentes en l’espace de bron, qui effectua personnellement des recon- sept jours. Flambant sans compter, le capi- naissances à Auckland. taine de l’Ouvéa louait les plus luxueuses voitures, logeait dans les meilleurs hôtels L’équipe opérationnelle était constituée de 12 pour chasser la gent féminine, sa grande pas- personnes. Les effectifs étaient si dispropor- sion. Il manqua d’ailleurs de se faire “flin- tionnés que des sous-officiers étaient persuadés guer” sur l’île du Sud lorsqu’il séduisit qu’il s’agissait d’un exercice. Quant aux offi- l’épouse d’un chasseur d’opossum ; il dut ciers, choqués par une riposte sans mesure avec s’enfuir par la fenêtre après que le mari fut la menace, ils renvoyèrent le plan à la hiérar- rentré à l’improviste, lequel tira des coups chie pour confirmation de l’objectif. L’ordre de feu sur le séducteur en fuite. Coureur de d’opération fut alors signé par l’amiral Lacoste, jupons incorrigible, il trouva à l’hôtel Shera- et le financement des “frais de mission”(1,2 mil- voiture pour bien reconnaître les sites qui servi- ton d’Auckland une compagne moins d’une heu- lion de FF de 1985) débloqué par Matignon sur ront de lieux de rendez-vous de l’équipage de le re après son arrivée. Une autre dame, conquise les fameux “fonds spéciaux”. yacht Ouvéa et du couple “Turenge”. Sa mission dans un bar, fut si excitée qu’elle emmena Mani- terminée, elle prit l’avion pour Tahiti où, lors du guet à l’hôtel Regent et paya même la note de la Espionne lesbienne colloque sur les récifs coralliens à Tahiti et à chambre. Le lendemain, la cousine de celle-ci ac- Moorea, elle se fit remarquer par son ignorance cepta à son tour de subir avec plaisir les mêmes A cette époque les services secrets français sur le sujet et un comportement étrange. honneurs par le docteur français. Si la réputation n’avaient pas d’agent “résident” en Nouvelle-Zé- mondiale de la DGSE prit un sévère coup dans lande bien que ce pays et son gouvernement tra- Les “yachtsmen” chassent la femme cette affaire, par contre depuis, chez les Kiwis, la vailliste (socialiste) était l’opposant le plus réputation du « French lover » vit sa cote grim- acharné contre les essais nucléaires de Moruroa L’équipe chargée de livrer les explosifs avait per. et Fangataufa, éléments clé de la défense françai- loué à Nouméa le yacht Ouvéa, un sloop de 12 se. Le dernier “honorable correspondant” avait mètres. Elle se composait de trois militaires de “Charlots” aux antipodes dû quitter le pays quelques années auparavant carrière, l’adjudant-chef Verges (Velche), les ad- après la faillite de son entreprise de conserves de judants Andriès (Audrenc) et Bartolo (Barthelo) Comme les agents français ne passaient pas in- pâte d’huîtres. La DGSE envoya donc un agent et d’un civil, le Dr Maniguet, lequel avait organi- aperçus - c’est le moins que l’on puisse dire - en avril et mai 1985 afin d’effectuer la reconnais- sé la “croisière” par le biais d’une agence de leurs traces furent par la suite faciles à remonter sance des lieux et infiltrer Greenpeace. Le choix voyage de la rue du Ranelagh à . Dès le dé- pour les enquêteurs, tant elles étaient larges et de cet agent fut judicieux : comme les militants but, Châtelain, le directeur de Nouméa Yacht leurs comportements voyants gravés dans les de Greenpeace Nouvelle-Zélande étaient essen- Charter, “sentait” que quelque chose ne tournait mémoires. Dans un restaurant de Whangarei, tiellement des femmes célibataires, ceci impli- pas rond. Au moment de l’appareillage de son l’équipe signa même le livre d’or de l’établisse- quait qu’inévitablement il y aurait des lesbiennes yacht avec les barbouzes à bord, il déclarait à son ment, Raymond Velche avec un croquis de plon- dans le groupe. Suivant cette voisin : « L’Ouvéa, on ne le rever- geur et un cryptique « Peut-être y a-t-il autre cho- logique, l’agent choisi fut le ra plus ! » se en N.-Z. » lieutenant Christine Cabon, Rarement un groupe de “yachts- Mais les agents les plus lamentables de cette alias Frédérique Bonlieu, men” se fera autant remarquer. équipe ont certainement été les “Turenge”, le lesbienne avouée, une “spé- D’abord, faire de la plaisance sur commandant Alain Mafart (alias Alain Turenge) cificité” qu’elle dévoila ces côtes venteuses de et le capitaine Dominique même à l’anthropologue la Nouvelle-Zélande Prieur (alias Sophie Turenge). Bengt Danielsson, auteur du en plein hiver austral Supposé être en lune de miel, livre anti-nucléaire “Muru- est bien étrange et du le couple se fera remarquer roa mon amour”, qu’elle vi- genre masochiste. En- partout car Mme Turenge “fai- sita lors de son passage à Ta- suite, les braves bar- sait toujours la gueule” et par- hiti. Ceci et une lettre de re- bouzes se trompèrent ce que leur comportement commandation lui permit de baie en faisant leur entre eux étant glacial, tout d’être acceptée au sein du entrée en Nouvelle- comme envers les autres, une groupe écologiste d’Auck- Zélande, risquant leur attitude très peu en phase avec land où, malgré une mauvai- voilier et se mettant en leur rôle de nouveaux mariés. se humeur constante, elle se exergue vis-à-vis des Dès le départ, les deux espions mit en ménage avec une services d’immigra- étaient déjà handicapés par une journaliste écologiste d’un tion néo-zélandais. Le Dr Maniguet : huit grossière erreur dans la prépa- quotidien local. Elle loua Christine Cabon : utiliser la fi- Bien qu’on doit admi- conquêtes féminines ration de leurs faux passeports aussi à plusieurs reprises une lière lesbienne pour s’infiltrer. rer leurs talents de ma- en sept jours. suisses : bien que supposés

16 Juillet 2005 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 171 Dossier

être “délivrés” à des an- comportement était tellement bi- nées différentes, les nu- zarre qu’ils se firent remarquer à méros des deux passe- tous les moments cruciaux de leur ports se suivaient mission, à tel point que le numéro presque, 3024838 et de la plaque d’immatriculation de 3024840, mais ce ne fut leur caravane fut constamment re- qu’une erreur mineure levé par des témoins. face aux autres bourdes. La reconnaissance du terrain était tellement bâclée que des ren- Structure rigide dez-vous furent ratés. A cause de cette mauvaise préparation, même L’armée (dont fait par- le plongeur plastiqueur du Rain- tie la DGSE, aujourd’hui bow Warrior dut faire un détour, nommée DGE) était une se débarrasser de son hors-bord et administration de fonc- ainsi se faire repérer. tionnaires régie par des fonctionnaires. Un mon- Pour 130 dollars de plus de de carrières où seul le diplôme prime, car seule Après l’attentat contre le Rain- preuve de capacité ac- bow Warrior, alors que tous les ceptée par les textes ad- autres agents de la DGSE avaient ministratifs. Le capitaine Alain Mafart et , les faux “époux Turenge” : réussi à quitter la Nouvelle -Zélan- Prieur fut donc choisie « des crasseux » dira le président Mitterrand. (Toutes photos : Arch. TPM) de sans être pris, les “Turenge” eu- pour son agrégation d’an- rent ainsi reconstituer en moins d’une heure deux rent le comportement le plus in- glais. Le fait qu’elle parlait à peine la langue (elle semaines d’itinéraires, donc toutes les étapes des croyable et impardonnable : au lieu d’abandon- dut même mettre des écouteurs lors du procès Turenge, même apprendre les numéros de télé- ner leur caravane sur le parking de l’aéroport et afin d’écouter le traducteur pour comprendre les phone appelés depuis les hôtels… dont celui de quitter immédiatement le pays par le prochain débats !) n’avait donc aucune importance puis- la DGSE ! C’est ce qui leur permit de vite re- vol, ces espions se présentèrent au bureau de la qu’elle avait le diplôme requis. Un Français monter la filière et faire la connexion avec la compagnie de location de leur véhicule pour ré- ayant grandi et vécu en Nouvelle-Zélande, qui DGSE et l’Ouvéa, et nullement par une hypothé- cupérer un trop perçu de… 130 dollars NZ (80 parlerait donc comme les Kiwis et se fonderait tique trahison ou grâce à l’aide des services se- euros !!!). Comme des témoins avaient déjà don- ainsi dans la population comme un autochtone crets anglais comme on a par la suite tenté de le né le numéro d’immatriculation du camping-car car intime avec leurs us et mœurs, ne pourrait pas faire croire. à la police en effervescence depuis l’explosion, être choisi pour cette mission par un tel système l’agence de location avait été avisée de la re- car il n’aurait pas les diplômes français exigés Pis encore, les “époux Turenge” étaient aussi cherche des Turenge depuis la veille. Voyant les par l’administration ! La DGSE était donc piégée des agents “grappilleurs” et mesquins. La police Turenge arriver, la jeune fille de l’agence réussit par son propre carcan régulatoire. La connaissan- découvrit avec amusement que certaines des fac- à appeler la police et faire patienter les espions, ce acquise par la vie et le hasard, l’hors de l’ordi- tures avaient été falsifiées : un zéro rajouté à une en prétextant que le directeur arrivait pour leur naire et l’exceptionnel n’y ont pas de place note d’hôtel de 35 dollars devenait 350 dollars ; rendre les 130 dollars, pendant les 20 minutes né- puisque ces connaissances et atouts indispen- chaque petit profit était recherché pour nos mi- cessaires aux forces de police pour arriver et cof- sables pour un travail discret à l’étranger ne peu- nables OSS ! Ce n’est donc pas uniquement la frer le couple. C’est bien cette tentative mesqui- vent s’exprimer par un quelconque diplôme fran- bureaucratie tatillonne qui aura trahi Mafart et ne de récupérer 80 euros qui permit la capture çais, seules valeurs reconnues par l’armée. Parmi Prieur, mais surtout l’avarice et la bêtise. des Turenge et qui coûta par la suite à la France les participants à la mission “Oxygène” seuls Leur parcours ressemble d’ailleurs à une vraie des dizaines de millions d’euros, ainsi qu’une at- Mafart (qui parle avec un accent américain), Ma- comédie digne des films de Laurel et Hardy. Leur teinte terrible à son image. niguet et certainement Cabon, bien qu’elle pré- tendait le contraire, parlaient un anglais correct acquis après des années de vie à l’étranger. Pour les autres, leur anglais donnait à rire s’il n’était carrément incompréhensible.

Pas de confiance

Pis encore, les petits rond-de-cuir du service comptabilité de la DGSE ne semblaient alors ne pas faire confiance aux agents secrets qu’ils ex- pédiaient à l’autre bout du monde. Incroyable mais vrai, pour justifier leurs frais, les James Bond et autre Mata Hari de la “Piscine” devaient rapporter de leurs missions factures, reçus et autres justificatifs des dépenses. Même les plon- geurs de l’Ouvéa exigeaient partout des reçus pour leurs achats, acte bien incohérent avec leur rôle de plaisanciers supposés être en vacances. Cette mesquine et minable paperasse fut ce qui confondit de suite les “Turenge” : lors de leur première arrestation, la police néo-zélandaise re- trouvant dans le camping-car loué par le couple un paquet de reçus détaillant toutes leurs dé- penses effectuées en Nouvelle-Zélande. Avec les dates et localités de ces talons, les enquêteurs pu-

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La bêtise ne s’arrêta pas là question qui est si sensible en Nouvelle- Zélande ». L’incident fut révélé par des Lors des interrogatoires, Dominique documents du ministère de la Justice kiwi, Prieur s’effondra et se mit à pleurer. Le “déclassifiés” après 15 ans, conformément couple ne se rendit même pas compte à l’Acte officiel d’information de N-Z. qu’à un moment on avait introduit dans la cellule de détention un “mouton”, à sa- Echec = récompense voir un policier comprenant le français. Il put entendre des brides de leur conver- Pour libérer les “Turenge”, le gouverne- sation : ment français négocia par trois fois. En Mafart à Prieur : « Sois comme une échange de la promesse de les garder trois montagne ! Ne bouge pas d’un pouce ! » ans en résidence surveillée à Hao, la Fran- Prieur à Mafart : « Si on nous envoie en ce accepta de : prison, est-ce qu’ils paieront toujours nos - faire des excuses formelles et non qua- salaires et pensions à Paris ? ». On voit lifiées pour l’attaque contre le Rainbow quelles étaient les préoccupations patrio- Warrior dans le port d’Auckland en 1985, tiques de nos “James Bond” ! - payer à la Nlle-Zélande la somme de 7 La Nouvelle-Zélande est un Etat de La “Piscine”, QG de la DGSE à Paris en 1985 millions de dollars US en compensation droit. Comme la police n’avait toujours des dommages subits ; pas d’évidence solide - et qu’elle n’avait surtout rurent devant la cour d’Auckland pour les pre- - ne pas s’opposer à l’importation de beurre pas de réponse de Suisse quant à l’authenticité mières auditions après avoir plaidé non coupable néo-zélandais vers le Royaume Uni en 1987 et des passeports (c’était le week-end) -, elle dut re- aux accusations d’incendie criminel, de complot 1988 ; lâcher les Turenge au bout de 24 heures et les di- en vue d’incendie, et meurtre. Récemment res- - verser 2 millions de dollars US à la famille du rigea vers un motel d’où ils avaient une totale li- tauré, le vieux bâtiment de la Haute Court photographe tué dans l’explosion ; berté de circuler. Cette fois-ci encore, au lieu de d’Auckland a été choisi pour le procès. Face à - payer 9 millions de dollars US au Fonds disparaître dans la nature, ils restèrent plus de 36 une assemblée de journalistes venus du monde d’amitié avec la Nouvelle-Zélande ; heures dans leur chambre d’hôtel d’où ils appelè- entier, Mafart et Prieur modifièrent subitement - payer 6 millions de dollars à Greenpeace. rent la DGSE à Paris (!), Alain Mafart partant leur façon de plaider. Stupéfaits, l’assistance les - ne pas s’opposer aux accords entre la NIle-Zé- uniquement acheter de nouveaux billets d’avion écouta finalement plaider coupable d’incendie lande et la CEE concernant l’importation de dans une agence de voyage et prenant contact criminel et d’homicide involontaire. Le procès viande de mouton, d’agneau et de cabris. avec un avocat. du siècle, que l’on croyait devoir durer des mois En plus le gouvernement de Paris accepta, sans Puis le télex d’Interpol arriva de Berne. In- et coûter des milliers de dollars, était terminé en faire de difficulté, de payer à la société Nouméa croyable : les passeports étaient des vulgaires une demi-heure. L’avocat général expliqua au Yacht Charter 105.000 euros pour le voilier Ou- faux, même pas des “vrais-faux”. La police re- président de la cour que l’accusation était prête à véa sabordé en mer. tourna à l’hôtel cueillir les Turenge pour les accepter une condamnation pour homicide invo- écrouer. lontaire, étant donné qu’il n’était pas prouvé que Les bourdes et comportements de Mafart et Mafart et Prieur étaient personnellement respon- Prieur ne méritaient pas de récompenses. Pour- Le lendemain 16 juillet, le tribunal inculpa les sable de la pose des bombes, ni qu’ils avaient vo- tant les guignols des services secrets de cette af- deux espions et décréta qu’ils seraient libres en lontairement voulu blesser ou tuer. Le 22 no- faire sortirent plutôt très bien lotis de ce fiasco. échange d’une caution de 2000 dollars (1200€) vembre, Mafart et Prieur comparurent à nouveau Touchant leurs soldes indexées (barème de l’am- chacun. Ils n’avaient pas l’argent et sur interven- devant la haute cour d’Auckland et furent bassade de France) pendant leur emprisonne- tion de leur avocat, le tribunal revint sur la déci- condamnés à 10 ans de prison pour homicide in- ment en Nouvelle-Zélande, dès leur transfert sur sion du bail. Incroyable mais vrai, ils se retrou- volontaire et 7 ans pour incendie criminel. En la base militaire de l’atoll de Hao Mafart et vaient libres une seconde fois, normalement jus- rendant son verdict, le juge Davison donna clai- Prieur verront celles-ci multipliées par 2,05 qu’au procès prévu le 27 juillet. Mais la police rement son avis sur la possibilité d’une expulsion (comme tous les militaires en poste sur les était consternée par la décision de justice et déci- rapide : « Ceux qui viennent dans ce pays et com- “sites” dans l’archipel des Tuamotu), salaires da de vite trouver un nouveau chef d’inculpa- mettent des activités terroristes ne peuvent espé- exonérés d’IRPP auxquels se rajoutent les mul- tion : importation en Nouvelle-Zélande d’objets rer avoir de petites vacances et retourner chez tiples primes octroyées à ces postes. acquis par des moyens frauduleux (les faux pas- eux en héros ». Pourtant, tel sera le cas… seports). Là encore, entre-temps les Turenge ne Sous-marin nucléaire utilisé profitèrent pas de l’occasion pour s’échapper et Vins fins pour prisonniers leur troisième arrestation, pour de bon, eut lieu Le sort du voilier Ouvéa et la manière dont tard dans la soirée dans les bureaux de leur avo- En mars 2001, le quotidien He- l’équipage est rentré en France sont longtemps cat à Auckland. rald révéla qu’en 1985 le ministre de Affaires restés un mystère. Quelques désinformations ou étrangères Roland Dumas et un député français inventions avançaient cette théorie de la fin de Deux fois libérés, les agents secrets n’avaient (Charles Pasqua ?) avaient tenté de faire parvenir l’Ouvéa : « La DGSE n’avait aucun moyen de pas une seule fois tenté de s’enfuir, de quitter le une caisse de vins fins de Bordeaux et une bou- prévenir l’équipage de l’Ouvéa - chargé de pays par une autre voie que l’avion régulier. Au- teille du meilleur cognac aux prisonniers Alain convoyer les explosifs jusqu’en Nouvelle-Zélan- cun plan alternatif n’avait été prévu, aucune Mafart et Dominique Prieur, quelques semaines de - pour les empêcher de revenir en Nouvelle- “maison sûre” n’avait été préparée, aucun réseau après leur emprisonnement. Une mini bataille di- Calédonie. Le bateau n’avait pas de radio proté- de secours n’avait été organisé. Rien ! De l’ama- plomatique avait éclaté à ce sujet, les fonction- gée à bord. Un Breguet-Atlantique les aurait re- teurisme de A à Z. Le président Mitterrand ne s’y naires des prisons de Nouvelle-Zélande ayant re- pérés et un ancien du service prêta son yacht afin trompa pas et déclara : « Deux agents qui sont fusé de faire suivre les cadeaux de Noël envoyés de recueillir l’équipage après le sabordage du ba- pris et qui téléphonent au ministre de la Défense. de Paris. M.Dumas protesta en janvier 1986 par teau ». Des espions qui signent un livre d’or. Quels la voie de l’ambassade de la Nouvelle-Zélande à Une dépêche de l’AFP du 26/11/91, non si- crasseux ! » (Attali, in “Verbatim”.) Paris et reçut une réponse laconique l’informant gnée, avançait que le 23 juillet, l’Ouvéa arrivait à que l’on ne donnerait pas de traitement spécial au Papeete, d’où les agents prirent l’avion pour Pa- Condamnation couple prisonnier : « Les boissons alcoolisées ris par l’une des liaisons hebdomadaires du CO- sont strictement prohibées dans des prisons de la TAM [vol militaire en DC-8) ». Tout à fait im- Le lundi 4 novembre 1985, le colonel Alain Nouvelle-Zélande (...) nos autorités ne peuvent possible car l’Ouvéa avait quitté l’île de Norfolk Mafart et le capitaine Dominique Prieur compa- se permettre de faire une exception dans une le 15 juillet et aurait ainsi dû voguer contre les

18 Juillet 2005 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 171 Dossier alizés et parcourir 5000 kilomètres en huit jours, parfaitement impossible pour n’importe quel voilier ! Par contre, la date du 23 juillet de l’AFP se combine parfaitement avec une autre théorie dif- fusée par les médias anglo-saxons, mais aussi par l’organisation Greenpeace : le sous-marin d’attaque nucléaire Rubis, en « visite de présen- ce » dans le Pacifique Sud (cas unique pour un sous-marin nucléaire français !) fit escale à Nou- méa pour y déposer le ministre Charles Hernu à bord. Le Rubis quitta la Nouvelle-Calédonie le 5 juillet, attendit au large de l’île Norfolk. Le 16, il se dirigea vers une balise radio émettrice déclen- chée par l’Ouvéa (truffé d’antennes) au nord de l’île de Norfolk, fit monter à bord les membres de l’équipage qui sabordèrent le voilier en ou- vrant les vannes, puis prit la route directe vers Tahiti où il arriva le 22 juillet. Après son arrivée fortement médiatisée à Papeete, le capitaine du Rubis fit des déclarations étonnantes face à la presse et aux caméras de RFO (alors FR 3) télé- Le sous-marin nucléaire Rubis arrivant à Papeete avec les poseurs de vision (nous citons de mémoire) : bombes à bord ; « Une mission très secrète ! » « Oui, nous faisons un voyage de présence dans le Pacifique… mais aussi quelques autres heureux de quitter la Nouvelle-Zélande » confia Quoi qu’il en soit, la vie s’écoulait paisible- missions. » l’un des participants à ce vol mémorable. Vers ment sur l’atoll où le commandant Mafart partait Reporter de FR 3 : « Quel genre de mission ? » 14 heures, alors que le Gardian passait à 8000 faire de grandes virées en planche à voile, pas- Capitaine du Rubis : « Des missions secrètes... mètres à la verticale de Tahiti, le champagne sant même quelques fois la nuit sur un des motu très secrètes ! » (Rires). coulait à flot dans la cabine. Vers 16 heures l’ap- du lagon. Soleil, cocotiers et lagon valaient assu- Mon Dieu, que les marins peuvent parfois être pareil se posait sur la piste de Hao où Mafart et rément bien mieux que les geôles néo-zélan- bavards ! Prieur étaient accueillis par le lieutenant colonel daises. Alain Mafart fut aussitôt promu “adjoint Le lendemain, comme annoncé par l’AFP, Belli, commandant de la base. Après une prise de terre” et Dominique Prieur “officier adjoint au l’équipage de l’Ouvéa prenait l’avion de Tahiti carburant, le Gardian de la 12S quittait Hao pour commandant de la base”. Le mari de Dominique vers Paris. Tahiti avec à son bord Gaston Flosse. Mission Prieur, alors capitaine du génie commandant les Destination Club Hao accomplie. sapeurs-pompiers de la caserne de la rue du Vieux Colombier à Paris, fut muté à Hao en étant Après avoir passé moins d’un an dans les Atoll secret et... shopping à Tahiti promu commandant de la base. En avril 1996, on geôles néo-zélandaises, Dominique Prieur et apprenait que c’est Jacques Chirac en personne Alain Mafart, arrivèrent le 22 juillet 1986 sur L’arrivée des deux agents à Hao suscita, com- qui avait suggéré en 1986 à Dominique Prieur de leur lieu français de détention, l’atoll de Hao. me on s’en doute, un vif intérêt des journalistes tomber enceinte afin de pouvoir quitter l’atoll de Le mercredi 23 juillet à 2h30 (heure locale), un et surtout des photographes qui espéraient Hao. Selon Le Canard Enchaîné, elle resta néan- avion P3 Orion “turboprop” de la Royal New prendre des clichés des deux « détenus » de Hao. moins désespérément infertile malgré la présen- Zealand Air Force (RNZAF) décolla de Welling- L’armée, scrupuleuse du secret, mit en place un ce sur l’île de son époux et plusieurs célèbres gy- ton en direction du territoire français de Wallis dispositif impressionnant destiné à protéger nécologues de Paris durent alors faire le déplace- avec à son bord Mafart et Prieur. De son côté, le Alain Mafart et Dominique Prieur. Les photos ment vers l’atoll auprès de Mme Prieur. 22 juillet (heure de Tahiti, un jour en retard sur furent interdites sur le site militaire et même les Mafart mit à profit son séjour pour préparer Wallis et Auckland, ligne de changement de date appelés durent laisser leurs appareils photos sa- l’Ecole de Guerre, quant à Dominique Prieur, oblige), un jet Gardian, version militaire du Fal- gement dans leur housse. Par ailleurs la popula- elle n’avait pas à se plaindre non plus de son sé- con Dassault, de l’escadrille 12S décolla dans la tion civile fit, elle aussi, l’objet de contrôles, plus jour sur l’atoll, puisque outre son (léger) travail nuit de l’aéroport de Tahiti Faa’a pour une desti- discrets toutefois mais tout aussi efficaces de la et ses loisirs, elle partait assez fréquemment et nation « inconnue ». En fait, l’appareil, avec à part des services de la sécurité militaire et tous dans la discrétion la plus absolue à Tahiti, en in- son bord Gaston Flosse alors sous-secrétaire les vols d’Air Tahiti pour Hao furent sévèrement fraction patente avec l’engagement fait par la d’Etat au Pacifique Sud, faisait aussi route vers contrôlés pour éviter l’intrusion sur le site de France devant l’ONU. Le cérémonial de ces Wallis où il se posa vers 9 heures du matin, une journalistes ou de curieux. Il est vrai que les pho- voyages était immuable : Dominique Prieur était heure avant l’arrivée de l’appareil de la RNZAF. tos des deux agents se seraient alors négociées transportée depuis Hao (en Gardian la plupart du Les faux époux Turenge furent accueillis à une petite fortune. Le secrétaire général de temps) et à son arrivée à Tahiti-Faa’a l’attendait l’aéroport de Hihifo par Gaston Flosse (qui me- l’ONU par lequel l’accord entre la France et la une voiture avec chauffeur. Perruque vissée sur nait là une mission demandée par le Premier mi- Nouvelle-Zélande était intervenu, avait demandé la tête, lunettes noires sur le nez, elle s’engouf- nistre Jacques Chirac), mais aussi par le préfet et obtenu du gouvernement l’engagement qu’au- frait dans la voiture puis prenait ses quartiers au Clauzel, directeur de cabinet du ministre de la cune publicité, interview ou commentaire ne se- laorana Villa, l’hôtel militaire pour gradés de Pu- Défense. Les poignées de mains et les embras- rait fait autour de la vie des faux époux Turenge. naauia. Ses sorties en ville étaient étroitement sades furent filmées par un cameraman amateur Ainsi, Hao avait soudain supplanté Moruroa en surveillées par les agents de la sécurité militaire, qui fut immédiatement arrêté par les gendarmes devenant le nouvel « atoll du grand secret ». mais aucun incident n’a jamais émaillé ces esca- de Wallis qui lui saisirent son matériel. Seul appareil photo habilité sur le site, celui du pades. Une seule fois, dans un magasin de vête- Alors que l’avion kiwi décollait vers son pays, photographe de l’armée qui, un an après l’arrivée ments du centre Vaima, elle fut reconnue, ce qui le Gardian, terminait ses pleins et quittait Wallis des deux agents, effectua des prises de vues lui fit quitter prestement la boutique avant l’arri- pour un vol sans escale jusqu’à l’atoll de Hao. d’une cérémonie de passation de commande- vée de la presse locale. Le soir même elle rega- L’on apprendra que le vol s’est effectué sans pro- ment. Ces clichés - sur lesquels apparaissait Do- gnait Hao... blèmes et que l’ambiance à bord du Gardian était minique Prieur - trompèrent la vigilance des au- des plus détendue. « Prieur et Mafart n’étaient torités militaires et furent remis aux quotidiens Aucun des deux agents ne termina ses trois an- pas particulièrement affectés, mais visiblement de Papeete afin d’illustrer cette manifestation. nées de séjour à Hao, comme promis par la Fran-

Juillet 2005 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 171 19 Dossier ce devant l’ONU. Le 11 décembre 1987, un sommes recherchés, nous serons attendus à certain Serge Quillan, menuisier de profes- l’aéroport. (…) Donc, nous ne pouvons courir sion, embarquait à Tahiti à bord du vol UTA le risque d’être ennuyés pour une banale gri- UT 508 en direction de Paris. M. Quillian, vèlerie, que les policiers mettraient à profit en réalité Alain Mafart, quittait la Polynésie pour nous retenir et nous faire rater l’avion. Et au grand dam des Néo-Zélandais avec un de toute manière, s’ils nous attendent déjà chez autre vrai-faux passeport, après un séjour de notre loueur, ils sont aussi à l’aéroport. » 17 mois seulement sur l’atoll. Des raisons Mais comment pouvait-il y avoir une grivèle- de santé étaient alors invoquées pour justi- rie puisque la location du camping-car était fier son « rapatriement sanitaire » mais elles prépayée et encore valide pendant deux jours ? s’avérèrent fausses et la France fut encore Ils auraient donc pu le garer n’importe où et fi- condamnée. En mai 1988, Dominique ler. Prieur, enfin enceinte, partit à son tour vers « L’arrivée à l’agence de location se passe Paris, par avion spécial dans un grand tam- bien. Une jeune femme commence à traiter ai- tam médiatique, juste à la veille des élec- mablement notre dossier. Mais au bout de tions présidentielles, ultime mais vain effort Les deux bouquins des espions minables. quelques instants, elle se fige et quitte soudaine- pour promouvoir le candidat Jacques Chi- ment sa place en bredouillant quelques mots. rac. Elle est restée en tout 22 mois sur l’atoll, et Madame “Turenge”, bouquin dans lequel l’ex Elle s’éclipse dans un bureau et revient, pâle pas toujours, puisqu’elle fut plusieurs fois aper- capitaine Prieur, promue commandant depuis et comme un linge, s’occuper tant bien que mal de çue en train de faire son “shopping” à Tahiti. A aidée par un journaliste, racontait “sa vérité”. nous (…) Le numéro du camping-car a bien été l’hôtel militaire “Iaorana Villa” de Tahiti, réser- Plus intéressantes étaient ses interviews. A Fran- noté et fourni à la police. Le suspense ne dure vé aux gradés, on donna même discrètement le ce-Inter, la Mata Hari nationale déclarait : pas : quelques minutes après, crissement de sobriquet de “suite Prieur” au bungalow que cet- « C’était difficile. Nous n’avions pas l’expérien- pneus, claquements de portières, un petit groupe te dame utilisait. Le non respect de la parole don- ce d’utiliser des passeports étrangers... » , On se de policiers, en civil et en uniforme, envahit en née par les autorités françaises eut, là encore, un demande où peut se trouver cette difficulté. Pis trombe l’agence. » certain effet médiatique en Nouvelle-Zélande. La encore, interviewée pour le journal télévisé de solitude pesant tout de même, Dominique Prieur France 2, elle donna plus de détails sur la “diffi- Pourtant les Turenge sont bien allés à l’agence accueillait avec joie son mari Joël, capitaine des culté” de sa mission: « C’était une opération pour récupérer la caution de 130 dollars NZ et, sapeurs-pompiers muté à Hao où il arriva le 23 dans un pays lointain. donc difficile ». Pitié ! comme le spécifie très clairement les rapports de août 1986. Quel triste spectacle que cette femme trop bana- police, ils attendirent pendant plus de 20 mi- le, fade, sans éclat ni panache, tentant de justifier nutes, et non « quelques minutes ». Minable ! A Et après ? l’injustifiable sur le banc d’un parc parisien. Ça, cause de cela la France à été la risée du monde et un agent secret ? En effet, ignares que nous a été obligée de payer des dizaines de millions de Le Rainbow Warrior fut renfloué le 21 août sommes, nous croyions que les agents secrets du dollars, à la Nouvelle-Zélande comme à Green- 1985. Après expertise, Greenpeace dut se ré- monde entier avaient deux grands impératifs, peace. D’ailleurs, rien que pour obtenir le trans- soudre à saborder le navire, les dégâts étant trop règles immuables de cette ancienne profession : fert de Mafart et Prieur vers l’atoll de Hao, la importants pour être réparés. Il fut coulé dans la 1) Ne pas se faire prendre. France a payé 50 millions FF (un milliard de baie de Matauri Bay, au nord d’Auckland, où un 2) Et surtout savoir se taire. Après avoir misé- francs Pacifique), comme Mafart l’écrit lui- mémorial fut érigé. C’est dorénavant une desti- rablement failli à la première règle, Madame même. nation touristique prisée de Nouvelle-Zélande. Prieur venait donc de violer aussi médiocrement Ni gratitude, ni sens du devoir Le capitaine Prieur fut par la suite “planquée” la seconde. Dans son livre, elle explique en détail au service statistique du ministère de la Défense comment elle savait très bien que leur camping- Y a-t-il eu par la suite la moindre gratitude de la à Paris et le colonel Mafart entra à l’Ecole de car avait été repéré et le numéro noté à Auckland. part cet “OSS” raté envers ceux qui l’ont sorti Guerre. En 1989, le commandant Mafart fut pro- Malgré cela, elle a quand même été à l’agence de des geôles néo-zélandaises ? Hélas non, bien au mu lieutenant-colonel, mais aussi chevalier dans location attendre une demi-heure pour tenter de contraire, comme il l’écrit lui-même dans son l’ordre national du Mérite en mai 1991, puis pro- récupérer les 130 dollars NZ et ainsi se faire bouquin : Môssieur s’indigne lorsqu’on lui de- mu colonel en 1994. En juillet 1993, le colonel prendre !!! Ça, hélas, elle ne l’explique pas ! mande de travailler à Hao (sa solde y est pourtant Louis-Pierre Dillais, commandant de l’opération multipliée par 2,05) car il ne veut faire que de la “Satanic - Oxygène”, fut nommé chef du bureau En mai 1999, ce fut au tour d’Alain Mafart de voile et de la plongée. Ensuite, après avoir quitté des affaires dites “réservées” au ministère de la publier un bouquin sur son désastreux rôle dans avant l’heure Hao sous prétexte de « séquelles de Défense. le plus grand fiasco de l’histoire de l’espionnage problèmes de santé d’adolescent » et après qu’un L’affaire du Rainbow Warrior resurgit briève- français. (“Carnets secrets d’un nageur de com- médecin désigné par la Nouvelle-Zélande ment dans l’actualité en novembre 1991 lors de bat”, par Alain Mafart. Albin Michel, Paris, constate sa pleine forme, il « reste pantois » que l’arrestation par la police helvétique de Gérald 1999.) Dans une des pages, il répond à notre dos- le Premier ministre Michel Rocard ose lui de- Andriès, l’un des nageurs de combat de l’Ouvéa. sier : « nous n’avions pas à conserver les fa- mander de retourner sur l’atoll afin de respecter Lors de la conclusion des accords de compensa- meuses P.J. (pièces justificatives) qui sont le far- l’accord signé par la France… et refuse net. Là tion, le gouvernement français avait tout simple- deau bureaucratique des opérations usuelles. encore, la France devra payer des compensations ment oublié d’exiger de la Nouvelle-Zélande la Donc, quand nous avons été arrêtés, la police à cause de cet homme qui n’accepte pas ses res- levée des mandats d’arrêts internationaux. n’a rien découvert sur nous, si ce n’est un porte- ponsabilités : « L’Etat porte dans l’affaire du Le 18 avril 1995, lors de l’émission « Foreign feuille bien garni, qui ne sera saisi que lorsque Rainbow Warrior des responsabilités écrasantes. Correspondant » diffusée sur la chaîne nationale nous serons inculpés. » Mensonge puisque c’est Il est hors de question que je serve de victime ex- australienne ABC, le directeur du contre-espion- grâce à ces notes de frais que la police néo-zélan- piatoire ». Aussi, plonger et bronzer dans nos nage français (la DST) de l’époque, Yves Bon- daise (c’est dans le rapport de police) a de suite atolls bleus des Tuamotu était pour lui une puni- net, interviewé par Justin Murphy, précisait que réussi à reconstituer l’itinéraire des “Turenge”. tion insupportable ! (Quelle “promotion” pour l’ordre de la mission contre le Rainbow Warrior Et s’ils avaient eu un « portefeuille bien garni » notre tourisme !) avait été donné par le président François Mitter- comme M. Mafart le prétend, comment se fait-il Enfin, pour couronner le tout, Mafart explique rand en personne... qu’ils n’ont pas pu poster la caution de 2000 dol- tout fièrement dans son livre comment il obtint, lars N.Z. et disparaître ? contre l’avis du gouvernement, sa promotion au Une semaine après la publication du premier Second mensonge : « Nous pensions abandon- grade de colonel grâce à une exploitation ta- dossier de TPM en mai 1995, la presse métropo- ner le camping-car. Mais à la réflexion, cette dé- tillonne des textes, alors que Rocard avait tenté litaine s’extasiait sur le livre “Agent secrète” de cision pourrait se révéler néfaste : si nous de lui expliquer : « Comprenez qu’on peut diffi-

20 Juillet 2005 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 171 Dossier cilement opposer des dispositions des “faux époux Turenge”. Le procès administratives aux intérêts de l’Etat avait été filmé pendant deux se- ». Et pour couronner notre indigna- maines, mais aucune image n’avait tion, le colonel nouvellement promu été rendue publique. Le 13 mai, Ma- nous raconte fièrement comment en fart et Prieur déposèrent un recours en 1994, à l’âge de 43 ans seulement, il appel de cette décision de justice, on prit sa retraite. Ce qui était, certes, les comprend : la triste et minable vé- un soulagement pour « le bras secret rité sera exposée. Selon l’avocat de la de la France » qui se débarrassa là chaîne TVNZ, les “Turenge” ont re- d’un nul qui avait amplement dé- noncé à un quelconque droit de res- montré la justesse de cette qualifica- treinte dans cette affaire en publiant tion, mais ce qui était moins réjouis- chacun un livre sur le sujet et que les sant pour le contribuable qui va de- films sont un « enregistrement public voir lui payer une belle rente à vie. d’un événement important de l’histoi- Certainement une longue vie de re- re de la Nouvelle-Zélande ». pos et de plaisir car, soudainement et Une enquête miraculeusement en très bonne san- d’Alex W. du PREL té, le Mafart se balade depuis en avec divers correspondants kayak « des glaces de l’Arctique au de Tahiti-Pacifique , dont D.H. soleil de l’hémisphère Sud » car il est devenu, affirme-t-il, un « écologiste Sources : J.-M. Caraclec’h, L’Ex- authentique ». Peut-être va-t-il bien- press 27/11/1993 ; Insight Rainbow tôt rejoindre l’organisation Green- Warrior”, Sunday Times, 1986, peace ? Londres; J. Chesneaux “Transpaci- fiques”, La découverte, Paris 1987; C. Lecomte “Coulez le Rainbow War- Enfin, début mai 2005, Alain Ma- rior”, Messidor, Paris 1985; DAT, «’La fart et Dominique Prieur déposaient à Dépêche de Tahiti”; M. King, “Death Wellington un référé en justice de- of the Rainbow Warrior”, Auckland mandant à interdire la chaîne pu- 1986; “Nouvelles de Tahiti”; docu- blique Television New Zealand ments Greenpeace; J. Derogy & J.M. (TVNZ) de diffuser des extraits des Pontaut, “L’Express” 16/9/85, Caron, films tournés lors des interrogatoires “Fri Alert”, Dunedin 1974, Mémorial et du procès des agents français car Calédonien, Nouméa 1994, Dyson, cela « porte atteinte à leur vie pri- “Sink the Rainbow Warrior »’, Auck- land 1986, New Zealand Herald, vée ». Dans un jugement du 7 mai Monument sous-marin et terrestre à la mémoire de l’attentat 4/7/86 ; documents Greenpeace, ar- TVNZ fut autorisée par la Haute contre le Rainbow Warrior dans la baie de Matauri : c’est devenu chives TPM et de nombreux, nom- Cour à diffuser des images du procès une attraction touristique majeure de Nouvelle-Zélande. breux interviews. Les décisions juridiques Internationales de l’affaire

’AFFAIRE du Rainbow Warrior donna lieu à un différend entre tant de celle-ci. La Nouvelle-Zélande a exposé que l’indemnité ne de- la France et la Nouvelle-Zélande. Suite à l’abandon par la vrait pas être de moins de 9 millions de dollars US, la France qu’elle LFrance de sa déclaration de juridiction obligatoire en 1974, ne devrait pas dépasser 4 millions de dollars US. J’estime que le gou- l’affaire ne fut pas traitée par la Cour internationale de justice. Les vernement français devrait verser au gouvernement néo-zélandais deux parties firent appel au Secrétaire général des Nations Unies une somme de 7 millions de dollars US en réparation de l’ensemble (alors Javier Pérez de Cuéllar) en lui demandant de rendre un règle- des préjudices subis par la Nouvelle-Zélande. ment obligatoire pour les deux parties, ce qu’il fit en juillet 1986. 3. Les deux agents des services français : C’est sur ce point que La décision accorda une double réparation à la Nouvelle-Zélande : les deux Gouvernements ont à l’évidence rencontré les plus grandes d’abord, une satisfaction sous la forme d’excuses officielles de la difficultés dans leurs tentatives d’aboutir sur une base bilatérale à une France, ensuite, une réparation de 7 millions de dollars US de dom- solution négociée d’ensemble, avant de prendre la décision de me mages et intérêts. Le 9 juillet, trois accords sous forme d’échanges de soumettre l’affaire. lettres sont signés pour régler le problème. Conformément à ces ac- Le gouvernement français demande le retour immédiat des deux of- cords, les deux agents français furent transférés sur l’atoll de Hao (Po- ficiers. Il souligne que leur emprisonnement en Nouvelle-Zélande est lynésie française) avec interdiction de revenir en métropole pour 3 injustifié, compte tenu en particulier du fait qu’ils ont agi sur ordre de ans. Mais en décembre 1987, le commandant Mafart est rapatrié pour l’autorité militaire et que la France est prête à présenter des excuses « danger de mort » sur sa personne, suivi en mai 1988 du capitaine à la Nouvelle-Zélande et à lui verser une indemnité pour le dommage Prieur, pour raisons personnelles et médicales. La Nouvelle-Zélande subi. La Nouvelle-Zélande estime, quant à elle, que la destruction du porte alors l’affaire devant un tribunal arbitral. « Rainbow Warrior » constitue non seulement une méconnaissance du droit international, mais encore une infraction grave au droit néo- Le jugement du Secrétaire général des Nations Unies zélandais pour laquelle les deux officiers ont été condamnés à une de juillet 1986 peine de longue durée par un tribunal néo-zélandais. La partie néo- zélandaise expose que leur retour à la liberté porterait atteinte à l’inté- « Ma décision est la suivante : grité du système judiciaire néo-zélandais. Au cours des négociations 1. Excuses : la Nouvelle-Zélande demande des excuses : la Fran- bilatérales avec la France, la Nouvelle-Zélande était prête à explorer ce est prête à les présenter. J’estime que le Premier ministre français les conditions dans lesquelles les prisonniers auraient pu accomplir devrait présenter au Premier ministre néo-zélandais des excuses for- leur peine hors de Nouvelle-Zélande. Mais il était, et reste essentiel en melles et sans réserve pour l’attentat commis en méconnaissance du ce qui concerne la Nouvelle-Zélande, qu’il n’y ait pas de libération, droit international le 10 juillet 1985 contre le « Rainbow Warrior » par que tout transfert se fasse vers un lieu de détention et qu’il puisse être des agents des services français. vérifié qu’il en est bien ainsi. La France répond sur ce point qu’il n’exis- 2. Indemnisation : La Nouvelle-Zélande demande une indemnisa- te aucune base en droit international ou en droit français permettant tion pour le préjudice subi par elle et la France est prête à verser une aux deux officiers d’exécuter en France même une partie de la certaine indemnité. Toutefois les deux Parties divergent sur le mon- condamnation prononcée à leur encontre en Nouvelle-Zélande et

Juillet 2005 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 171 21 Dossier qu’ils ne sauraient faire l’objet de nou- Le Tribunal arbitral à la majorité velles poursuites pénales après leur - déclare que la République française transfert aux autorités françaises. Sur ne s’est pas rendue coupable d’une vio- ce point, et afin de remplir mon mandat lation de ses obligations envers la Nou- de manière appropriée, je dois trouver velle-Zélande en rapatriant le comman- une solution concernant les deux offi- dant Mafart de l’île de Hao le 13 dé- ciers qui respecte et réconcilie ces dis- cembre 1987 ; positions divergentes. - déclare que la République française s’est rendue coupable d’une violation Ma décision est la suivante : substantielle de ses obligations envers la Le gouvernement néo-zélandais de- Nouvelle-Zélande en manquant d’ordon- vrait transférer le commandant Alain ner le retour du commandant Mafart à Mafart et le capitaine Dominique Prieur l’île de Hao à partir du 12 février 1988 ; aux autorités militaires françaises. Im- - déclare que la République française médiatement après, le commandant s’est rendue coupable d’une violation Mafart et le capitaine Prieur de- substantielle de ses obligations en- vraient être transférés sur une ins- vers la Nouvelle-Zélande en ne fai- tallation militaire française sur une sant pas effort de bonne foi pour obte- île isolée, hors d’Europe, pour une nir, le 5 mai 1988, le consentement de période de trois ans. la Nouvelle-Zélande au départ du ca- Il devrait leur être interdit de quit- pitaine Prieur de l’île de Hao ; ter l’île sous quelque motif que ce - déclare qu’en conséquence la Ré- soit, sauf accord entre les deux publique française s’est rendue cou- gouvernements. Leurs contacts pable d’une violation substantielle de pendant leur affectation sur l’île de- ses obligations envers la Nouvelle- vraient se limiter au personnel mili- Zélande en manquant d’ordonner le taire ou assimilé et à leurs proches retour du Capitaine Prieur de l’île de (parents et amis). Tout contact Hao les 5 et 6 mai 1988 ; avec la presse ou les autres - déclare que la République françai- moyens de communication par se s’est rendue coupable d’une viola- oral, par écrit ou de toute autres tion substantielle et continue de ses manières devrait leur être interdit. obligations envers la Nouvelle-Zélan- Ces conditions devraient être stric- de en manquant d’ordonner le retour tement respectées et les mesures du capitaine Prieur à l’île de Hao ; appropriées devraient être prises - à la majorité déclare que les obli- pour en assurer l’application gations de la République française conformément aux règles de la Carricatures anti-françaises publiées en sept. 1985 en N- Z. exigeant la présence du commandant discipline militaire. Mafart et du capitaine Prieur sur l’île Le gouvernement français de- de Hao ont pris fin le 22 juillet 1989 ; vrait transmettre tous les trois mois au gouvernement néo-zélandais et - en conséquence déclare qu’il ne peut être fait droit aux demandes, au Secrétaire général des Nations Unies, par la voie diplomatique, de déclaration et d’ordre, de la Nouvelle-Zélande, tendant à obtenir le toutes informations concernant la situation du commandant Mafart et du retour commandant Mafart et du capitaine Prieur sur l’île de Hao ; capitaine Prieur au regard des dispositions des précédents para- - déclare que la condamnation de la République française à raison des graphes, en vue de permettre à ce gouvernement de s’assurer que ces violations de ses obligations envers la Nouvelle-Zélande, rendue pu- dispositions sont exécutées. blique par la décision du tribunal, constitue, en ces circonstances, une Si le gouvernement néo-zélandais le demande, une visite de l’installa- satisfaction appropriée pour les dommages légaux et moraux causés à tion militaire en cause pourrait, par commun accord entre les deux gou- la Nouvelle-Zélande ; vernements, être effectué par un tiers agréé. - à la lumière des décisions qui précèdent, recommande que les gou- Je me suis renseigné sur les installations militaires existant hors d’Eu- vernements de la République française et de la Nouvelle-Zélande rope. Sur la base de ces renseignements, j’estime que le transfert du constituent un fonds destiné à promouvoir d’étroites et amicales rela- commandant Mafart et du capitaine Prieur sur l’installation militaire fran- tions entre les citoyens des deux pays, et que le gouvernement de la çaise se trouvant sur l’île isolée de Hao en Polynésie française facilite- République française remette à ce fonds une contribution initiale équi- rait au mieux la mise en œuvre des conditions énumérées aux para- valente à 2 millions de dollars US. graphes a) à d) ci-dessus. J’estime que telle devrait être leur destination Fait en anglais et en français à New York, le 30 avril 1990. immédiatement après leur transfert. Sir Kenneth Keith, Arbitre, ajoute une opinion séparée à la décision : 4 - Questions commerciales : le gouvernement néo-zélandais a sou- tenu que les questions commerciales ont fait leur entrée dans l’affaire à Apports juridiques : la suite d’actions françaises prises ou envisagées. Le gouvernement Classification des faits illicites : on distingue le fait illicite instantané français le nie, mais il a indiqué qu’il est prêt à prendre certains engage- (sabordage du Rainbow Warrior) du fait illicite continu (le non-retour des ments relatifs au commerce demandés par la Nouvelle-Zélande. C’est deux agents français à l’île d’Hao). pourquoi, j’estime que la France : Mise en œuvre de la responsabilité internationale (formes de la Ne devrait pas s’opposer à la poursuite des importations de beurre réparation) : néo-zélandais au Royaume-uni en 1987 et en 1988 aux niveaux propo- la réparation d’un préjudice immatériel (moral) peut être tout aussi bien sés par la Commission des Communautés Européennes, dès lors que une compensation (financière) qu’une satisfaction (morale). En l’espè- ceux-ci ne dépassent pas ceux figurant dans le document COM(88) de ce, le Secrétaire général accorde à la Nouvelle-Zélande une double ré- 1983, c’est-à-dire 77.000 tonnes en 1987 et 75.000 en 1988 ; paration, à la fois une compensation financière et une satisfaction sous ne devrait pas prendre de mesures qui pourraient porter atteinte à la forme d’excuses officielles. Par ailleurs, la satisfaction d’un préjudice l’exécution de l’accord entre la Nouvelle-Zélande et la Communauté juridique (moral) peut prendre diverses formes, en l’espèce, la condam- économique européenne sur le commerce des viandes de mouton, nation de la France constitue « une satisfaction appropriée pour les d’agneau et de chèvre, entré en vigueur le 20 octobre 1980. (…) dommages légaux et moraux causés à la Nouvelle-Zélande » (senten- ce arbitrale) : « la constatation de l’illicéité du fait par un tribunal interna- Nouvelle Zélande c/ France : tional compétent peut constituer en elle-même une forme appropriée de arbitrage international du 30 avril 1990 satisfaction » (projet de la CDI, art.10-3).

Sentence du Tribunal composé de : Eduardo Jiménez de Arechaga, Source : Le droit international public, P-M Dupuy, Dalloz. président, Sir Kenneth Keith, Prof. Jean-Denis Bredin, membres.

22 Juillet 2005 - TAHITI-PACIFIQUE magazine - n° 171