Conférence « l’eSport est-il un sport comme les autres ? »

Compte-Rendu Mercredi 14 juin 2017 17h30 - 19h30 / MAIF Social Club -

L’eSport ou sport électronique connaît depuis une dizaine d’années un développement exponentiel dans le monde entier. Phénomène culturel à l’origine, branche de l’industrie du jeu vidéo (seconde industrie culturelle en France, derrière le livre), il constitue un phénomène de société et un marché économique extrêmement dynamique, notamment dans les pays émergents. Au point que les compétitions d’eSport remplissent aujourd’hui des stades entiers, que les droits de retransmission se négocient à plusieurs dizaines de millions d’euros et que les stars de la discipline sont presque aussi populaires que les champions sportifs.

Surtout, le potentiel de développement de l’e-sport semble extrêmement important, tant du point de vue économique et médiatique qu’au niveau de la pratique. 36% des Français s'intéressent régulièrement à l’eSport, soit plus de 7,5 millions d'individus, selon une étude menée par le groupe Webedia. D’après un récent rapport parlementaire, il y aurait environ 850 000 joueurs occasionnels de jeux vidéo compétitifs en France, dont 398 000 joueurs réguliers. Ce qui classerait le e-sport au 9e rang des fédérations unisport françaises, juste derrière le rugby et le golf.

Encore faudrait-il que le e-sport soit reconnu comme un sport. Car les débats sont nombreux sur la qualification de cette discipline. Est-ce une activité culturelle ? Récréative ? Sportive ? Pour ses détracteurs, le peu de dépense physique qu’il implique semble lui fermer la porte de la qualification sportive. D’autant plus que les sociétés européennes sont de plus en plus sédentaires, comme les résultats du projet européen PASS mené par notre Think tank Sport et Citoyenneté le soulignent. L’activité en France est d’ailleurs toujours considérée insuffisante par rapport aux recommandations, quand le temps moyen passé devant des écrans est au-delà de 3h par jour, en dehors du temps travail ou du temps scolaire Pour ses partisans, cela n’est pas un argument tenable au vu d’autres disciplines sportives basées davantage sur l’habileté (tir, tir à l’arc), qui, elles, sont considérées comme des sports depuis toujours.

Au-delà de ses questions fondamentales sur la nature même de l’eSport, le débat est vif sur la place que les institutions publiques et sportives doivent accorder à cette discipline. Le mouvement sportif (et en premier lieu le Comité International Olympique) est dans l’obligation de constamment se réinventer, afin de coller aux aspirations des nouvelles générations et de répondre aux attentes de ses partenaires et annonceurs. L’entrée au programme olympique de nouvelles disciplines comme le skateboard ou le surf aurait été impensable il y a encore une dizaine d’années. Elles seront pourtant à l’agenda olympique dès les Jeux de Tokyo 2020.

Enjeux économiques, enjeux sociétaux, enjeux diplomatiques… que dit l’eSport de nos sociétés (plus connectées, plus intelligentes, plus sédentaires) ? Doit-on se préparer à remettre à Paris en 2024 les 1ères médailles d’or virtuelles ? Est-ce souhaitable d’un point de vue sociétal ? Les gamers le souhaitent-ils vraiment ? Le CIO s’appropriera-t-il cette discipline au risque de remettre en cause sa définition du sport ? Aura-t-il seulement le choix, alors que l’appétit des géants de l’industrie est de plus en plus fort, que le eSport connaît ses plus forts taux de croissance dans les pays émergents (donc de nouveaux champs de développement potentiels) et que certains pays tels le Royaume-Uni ont déjà annoncé leur souhait de mettre en place des Jeux Olympiques de l’e-sport ? Assistera-t-on demain à l’émergence d’e-Games, concurrents directs de nos « vieux » Jeux Olympiques ?

• Géraldine Pons, Journaliste Eurosport et ambassadrice du Think tank Sport et Citoyenneté

• Stéphane Tisserand, Responsable des relations institutionnelles du groupe MAIF

• Julian Jappert, Directeur du Think tank Sport et Citoyenneté

• Nicolas Besombes, Docteur en Sciences du Sport, auteur de sa thèse sur l’eSport.

• Baptiste Branget, Coach d’une équipe professionnelle, Préparateur mental sportif.

• Matthieu Dallon, Responsable de la stratégie eSport chez Webedia

• Pierre-Emmanuel Davin, Directeur Général de Nielsen Sports

• Thierry Granturco, Avocat spécialisé dans le droit du sport, membre de Sport et Citoyenneté

• Olivier Morin, Présentateur du Canal Esport Club, Président et fondateur de JKTV Productions

• Patrick Assyag, Cardiologue, Président de l’association de Cardiologie d’Ile de France

Stéphane Tisserand commence par accueillir les intervenants ainsi que les auditeurs présents au MAIF Social Club, est un espace dédié aux pratiques innovantes, qui héberge également des expositions. La MAIF porte un intérêt particulier au sport, notamment parce qu’il permet de véhiculer des valeurs citoyennes et éducatives, et qu’il est générateur de confiance, thème de l’émission courte produite par la MAIF « Confiance en tête ». La MAIF est d’ailleurs engagée dans le sport depuis 20 ans, et développe un partenariat avec l’UNSS. Le groupe s’intéresse à l’eSport car il suscite des interrogations pour eux, et ils peuvent avoir des difficultés à l’associer aux sports traditionnels.

Julian Jappert prend ensuite la parole, et présente les réflexions du Think tank Sport et Citoyenneté. La réflexion sur l’eSport vient notamment de l’interrogation posée par le mouvement olympique et notamment le comité d’organisation des JOP 2024. L’objectif n’est donc pas de répondre aujourd’hui à la question « l’eSport est-il un sport comme les autres ? » mais plutôt de lancer une série de débats et de pistes de réflexions, et de pouvoir au moins dans un premier temps, les présenter aux acteurs du mouvement sportif et aux décideurs politiques. L’idée de cet évènement est également d’envisager le phénomène eSportif sous un angle plus sociétal, un peu moins orienté « business » ou marketing que ce qui a pu se faire ailleurs. Il encourage la libre expression des parties prenantes, sans jugement, et encourage les personnes présentes dans l’assistance à réagir à la suite de la table ronde.

Les présentations de Nicolas Besombes et Pierre-Emmanuel Davin sont notamment assorties d’une présentation powerpoint que vous pouvez retrouver ici

Nicolas Besombes : [Héberger les PP sur le site pour mettre un lien]

Pierre-Emmanuel Davin : [Héberger les PP sur le site pour mettre un lien]

Nicolas Besombes est chargé de présenter le sujet de l’eSport, et notamment les prismes de comparaisons qui peuvent permettre une comparaison avec les sports dits « traditionnels ». Les critères qu’il se propose d’exposer lui viennent de la sociologie du sport. Tout d’abord l’eSport, ne concerne pas que les jeux vidéo sportifs, ou les jeux vidéo amenant à une mobilité des corps des pratiquants (« Exergames », contraction d’« exercise » et de « game » sur des supports de type Wii, Kinect ou Move). L’eSport se définit donc par l’affrontement codifié de joueurs par écrans interposés lors de compétitions de jeux vidéo qui peuvent se dérouler en ligne, ou hors-ligne (en présentiel). Les différents jeux pourraient se comparer à différentes disciplines comme on retrouve plusieurs disciplines différentes au sein de l’athlétisme par exemple.

Il s’agit en premier lieu de définir le sport. Un critère qui revient souvent, pour tout le monde, est celui de la dépense énergétique nécessaire à la pratique. Or on remarque que des disciplines présentes aux Jeux Olympiques, qui constituent la plus haute reconnaissance institutionnelle pour une activité physique et sportive, ont des dépenses énergétiques très variables, il suffit par exemple de comparer le marathon au golf ou au tir à l’arc. Ainsi, la sociologie du sport détermine quatre critères qui font consensus auprès des chercheurs du monde universitaire :

• Le premier de ces critères est celui de la pertinence motrice. Il s’agit de savoir si la motricité va influer sur le résultat de la compétition entre deux individus. C’est ce qui permet par exemple de distinguer les échecs de la pétanque. On peut considérer qu’aux échecs, si quelqu’un s’occupe de bouger les pions sur les directives de quelqu’un d’autre, cela n’influera pas le résultat final de l’affrontement. On ne peut pas affirmer la même chose de la pétanque. Nicolas Besombes fait notamment le parallèle avec le baby-foot et l’eSport : dans les deux cas l’affrontement se fait sur un terrain symbolique, la table de babyfoot ou le terrain virtuel, l’enjeu pour l’adversaire est de décoder non pas le corps de l’athlète mais bien sa projection, que ce soit les petits footballeurs ou l’avatar virtuel. Enfin les deux se passent en simultané, ce ne sont pas des jeux « au tour par tour ».

• En second lieu vient la compétition. C’est ce qui peut apparaître comme le plus important lorsqu’on évoque l’eSport. On le définira comme un affrontement entre deux joueurs. Cela permet par exemple de différencier la course à pied d‘une course de 5000m officielle. L’eSport adopte donc le modèle d’organisation de compétitions propre au sport. De même manière qu’il existe des saisons de kayak, de football ou de ski, il existe des saisons esportives, en fonction des jeux. Ces saisons sont ponctuées de temps « morts », de périodes sans compétitions qui correspondent généralement à l’équilibrage annuel du jeu (les développeurs le repensent pour le rendre plus attractif). Les temps forts correspondent aux tournois qualificatifs et aux championnats, qui mènent à des finales nationales et internationales.

• Ensuite, le troisième critère de définition du sport est la codification. Dans le sport, il s’agit des règlements du football, du basketball, etc. Ces règlements sont explicités, téléchargeables sur les sites des fédérations et uniformisés au niveau international. Cela permet par exemple de différencier le basket sur playground du championnat du monde FIBA. Le basket sur playground va être codifié de règles locales, implicites et malléables selon le terrain ou la configuration de la partie. Dans l’eSport, on retrouve

une double codification : le première est implicite, ce sont les règles définies par les développeurs du jeu, qui peuvent être modifiés via notamment des patch ou des hotfix1. C’est ce qui va cadrer toutes les possibilités offertes par le jeu. Cependant lorsqu’un affrontement compétitif a lieu entre des joueurs, un phénomène de triche va avoir tendance à apparaître. Pour lutter contre cela, les organisateurs de compétitions sont obligés de mettre en place des règlements explicites qui vont, entre autres, déterminer les conditions de participation, les conditions d'éligibilité, les conditions de victoire, les formats des rencontres, les comportements autorisés ou proscrits, le rôle des arbitres, le répertoire des sanctions dont peuvent user les arbitres, etc. Sur la codification on remarque donc que le modèle de l’eSport a été calqué sur celui des sports traditionnels.

• Enfin, le quatrième critère qui fait qu’un sport en est un, c’est l’institutionnalisation, et la reconnaissance par les autorités publiques. En France, c’est le ministère des Sports qui décide si une activité est un sport ou non. C’est ce qui va faire la différence par exemple entre les championnats du monde de plongeon depuis une falaise, organisés par Redbull et qui ne sont pas reconnus par la Fédération Française de Natation et les championnats du monde ou Jeux Olympiques sur les plongeoirs de 10m et qui sont là reconnus par la Fédération internationale de natation. Qu’en est-il de l’eSport ? On pourrait dire que l’on a historiquement deux types d’institutionnalisation. Une première qu’on pourrait qualifier d'associative. Elle correspond soit à l'eSport amateur, avec une faible médiatisation et des compétitions organisées par les communautés de joueurs soit à l’eSport compétitif, avec des associations spécialisées dans l'eSport qui organisent des compétitions. Et puis un deuxième type d'institutionnalisation qu’on pourrait qualifier de privée, qui se rapproche de ce que fait Redbull, avec une forte médiatisation, qui correspondrait plutôt au circuit majeur professionnel. On observe depuis quelques temps à travers le monde que des autorités publiques vont se mobiliser et venir chapeauter l’organisation historique de l’eSport et légiférer sur son cas. C’est l’exemple par exemple de la Kespa en Corée du Sud, qui dépend du ministère des sports de la culture et du tourisme. En France, la discipline est perçue comme une activité commerciale et non comme un sport, ce qui explique que les compétitions de jeux vidéo ne soient reconnues que par le ministère des finances.

Si dans les milieux sportifs, on entend parfois l’idée que l’eSport pourrait remplacer un jour le sport, cela rappelle un peu les craintes, dans les années 1970, de voir les sports de glisse ou les sports de pleine nature remplacer les sports « traditionnels ». Aujourd’hui, ces disciplines deviennent peu à peu olympiques. Il serait risqué aujourd’hui de prédire un avenir olympique à l’eSport, mais dans tous les cas il n’est pas là pour remplacer le sport C’est uniquement une extension du dispositif existant, qui offre de nouvelles disponibilités et répond à une demande existante dans notre société.

Pierre-Emmanuel Davin présente quant à lui des données chiffrées à propos du phénomène eSportif. Il présente la période actuelle comme une période charnière pour l’eSport car bien qu’il ait connu une croissance rapide au cours des dernières années, c’est en ce moment que les acteurs s’interrogent sur le fait de savoir comment le marché va se cristalliser, comment aborder les consommateurs, quels vont être les impacts de l’eSport sur la société ? L’eSport fait actuellement partie des dix grandes tendances à l’international, au même titre que les investissements en provenance de Chine ou du Moyen-Orient dans le sport. Pierre-Emmanuel Davin choisit d’aborder le thème de l’eSport à travers différents angles, qui seront illustrés à travers une enquête d’opinion réalisée par Nielsen Sports en Décembre 2016. Pour cette étude, a été interrogé un échantillon représentatif des français de 16 à 49 ans, sur le thème du sport ou de l’eSport.

1 Un patch, ou hotfix est un correctif, une section de code que l'on ajoute à un logiciel (en l’occurrence le jeu vidéo), pour y apporter des modifications : correction d'un bug par exemple voire modification du jeu en lui-même.

Il s’agit d’abord de quantifier ce phénomène par le biais des consommateurs :

- 29,5% soit près d'un tiers des Français interrogés ont répondu être « très » ou « intéressés » par l'eSport ; soit 8,3 millions de personnes. 2,8 millions de personnes se déclarent être « Fan », soit 10% de l'échantillon interrogé. 55% de ces mêmes fans consomment du sport sur leur mobile.

- Le phénomène est assez récent ou en tous cas il est en accélération, puisque 28% de ces fans ont commencé à suivre l'eSport au cours des 12 derniers mois.

On remarque également qu’il y a différents types de partenaires de l’eSport, d’acteurs du secteur économique :

- On retrouve notamment les constructeurs de matériel informatique, LDLC, Acer, Logitech etc. ;

- Ensuite il y a des partenaires qui ne sont pas nécessairement endémiques mais qui ont été précurseurs et qui ont poursuivi ou pas leur investissement en tant que marque dans l’eSport ;

- Et finalement, des partenaires et acteurs plus récents comme la FDJ, le PMU, Gillette, des marques comme Orange, Procter&Gamble mais aussi des médias comme Facebook et Twitter. Des clubs de football comme Besiktas, Wolfsburg, le Paris Saint-Germain se sont associés au sujet. Le fan d'eSport est aussi une cible pour ces acteurs.

Ensuite il s’agit de savoir qui est le fan d’eSport :

- Plutôt un homme, à 67%. Contre 73% pour les fans de Sport.

- Il y a intérêt mais il y a aussi pratique. Sans surprise, le fan d'eSport est aussi un joueur, puisque 90%, déclare nouer également.

- 87% des fans d'eSport s'intéressent au sport. C'est significativement plus important que les autres populations témoins testées : 65% pour les Millenials (gens âgés de 16 à 34 ans) et 60% pour le grand public.

- Les fans d'eSport sont beaucoup plus joueurs de jeux vidéo que les autres populations, puisque 34% d’entre eux jouent plus de 6h par jour aux jeux vidéo.

- Les fans d'eSport disent pratiquer régulièrement un sport à 47%, à peu près équivalent aux Millenials (50%) et au grand public (49%).

- Les anti-eSport qui se déclarent « pas du tout intéressés » par l’eSport représentent 42% du grand public. Ce pourcentage descend à 29% quand on l’échantillon est intéressé par le sport.

Deux aspects qui différencient l’eSport du sport :

- Le premier est l'institutionnalisation, via une reconnaissance par le ministère des Sports et l’établissement d’une fédération.

- Deuxième sujet, le streaming. Aujourd'hui la façon dont est produit, diffusé et consommé le contenu eSport est différent du sport, car il utilise notamment des plateformes comme Twitch et des chaînes de streaming. Cela redéfinit le rôle des diffuseurs et des streamers, qui vont devenir des influenceurs, des journalistes, des présentateurs, des animateurs, etc.

Il sera ici rendu compte de ces échanges par thématique, en tentant de retranscrire les éventuelles passerelles effectuées entre les différents sujets aussi fidèlement que possible.

Première angle de comparaison avec le sport abordé, la dimension physique est notamment ce qui cristallise le plus les opinions des plus réfractaires.

Pour Baptiste Branget, l’eSport présente une dimension physique non négligeable bien que ce ne soit pas forcément celle qui est la plus remarquée, notamment parce qu’elle a moins d’impact sur des compétitions de moindre niveau. Mais l’endurance, la nécessité de conserver une concentration maximale pendant plusieurs heures sont des compétences indispensables à l’arsenal de l’eSportif de haut niveau. De plus, l’organisation des journées et du calendrier des cyber-athlètes ressemble fortement à celui des sportifs de haut-niveau. On va intensifier les entraînements à l’approche d’une échéance, se rassembler en « Gaming House », sur le modèle du « bootcamp » américain ou bien des rassemblements à Clairefontaine de l’équipe de France, afin de renforcer la cohésion de groupe. Les esportifs effectuent également un travail tactique très important, avec un travail sur la vidéo. Il y a également une hygiène de vie à respecter, notamment sur le rythme du sommeil et de l’alimentation, afin de prévenir des blessures qui peuvent apparaître au dos, aux mains et aux poignets notamment.

Matthieu Dallon, tient à compléter ce propos en insistant sur l’importance de l’acuité visuelle, de la capacité de réflexe mais notamment de la performance mentale et cérébrale dans les qualités nécessaires à un joueur de haut niveau.

Thierry Granturco explique qu’il est à l’heure très compliqué de faire un réel rapprochement entre eSport et Sport, au point qu’on parle aujourd’hui de « compétitions de jeux vidéo ». Les textes sont très clairs et stipulent que « le sport est une activité physique qui vise à renforcer la condition physique ». La définition n’est pas concordante, car l’eSport, selon les discours qu’il a pu entendre, se retrancherait principalement derrière la dextérité. Or en France, le sport est également associé à des politiques publiques qui associent activité physique et santé, ainsi il lui paraît compliqué d’intégrer l’eSport à cette catégorie.

Nicolas Besombes considère qu’il lui paraît compliqué de définir le sport sur cette seule base. Il prend pour exemple des compétitions handisport qui ne visent pas à renforcer la condition physique des pratiquants, comme par exemple les compétitions de sarbacane. De plus, il considère qu’il y a un besoin d’encadrer la pratique esportive, afin de lutter contre des pratiques irrationnelles. Sur la reconnaissance institutionnelle, Nicolas Besombes fait le parallèle avec d’autres disciplines comme le surf où les avis des pratiquants divergent : certains militent pour une reconnaissance au moins étatique du phénomène quand d’autres ont la volonté de le conserver comme une pratique autonome, indépendante, autogérée. Le CIO se retrouve forcément aux prises avec les évolutions de société et des questions de développement économique, et la question d’une reconnaissance olympique se pose.

Pierre-Emmanuel Davin déclare qu’on retrouve dans l’eSport des principes communs aux sports : on parle de compétitions avec des gens qui s’entraînent. On est également dans une logique de professionnalisation. Il est intéressant d’abord de poser la question de savoir quel est l’enjeu de la reconnaissance de l’eSport en tant que sport.

Thierry Granturco précise les dernières lois qui encadrent l’eSport, ou les compétitions et joueurs professionnels de jeux vidéo. La loi pour une république numérique d’octobre 2016 donne un statut aux joueurs professionnels d’eSport. Ils peuvent aujourd’hui bénéficier de CDD atypiques, qui peuvent dépasser les limites de 18 mois et sont renouvelables plus de 2 fois. Cette loi permet également de distinguer les compétitions d’eSport des jeux d’argent auxquels elle était assimilée auparavant. Elle permet également de clarifier les relations entre les organisateurs de compétitions et les joueurs, qui étaient aussi tendancieuses au regard du droit social. La pratique est donc réglementée, même s’il n’y a rien de comparable aux sports traditionnels. Pour ce qui est de la comparaison, Thierry Granturco précise qu’en l’état actuel des choses les textes ne permettent pas une intégration de l’eSport au Code du Sport.

Matthieu Dallon considère que ce ne sont pas les textes qui définissent l’évolution de la société, mais plutôt le contraire. L’eSport est avant tout une réalité. Le véritable enjeu est de pouvoir bénéficier de dispositifs solides en matière fiscale, sociale, etc. Ce sont des dispositifs qui permettent au sport français d’exister au niveau mondial, et ces questions doivent se poser pour l’eSport français.

Baptiste Branget explique que la reconnaissance de l’eSport comme un sport serait bénéfique et les joueurs y sont sensibles, notamment pour la reconnaissance sociale et culturelle qu’elle pourrait leur apporter.

Géraldine Pons, donnant la parole à Matthieu Dallon, affirme que l’eSport draine énormément d’argent. Ce dernier répond qu’en réalité, l’eSport reste une petite économie. On l’estime entre 500 millions et 1 milliard de dollars, sur une industrie du jeu vidéo estimée à 100 milliards, soit environ 1% de l’économie du jeu vidéo. Le sport business serait quant à lui évalué à 500 milliards de dollars.

Olivier Morin explique l’intérêt de Canal + pour l’eSport. Le fait que des grands groupes audiovisuels s’intéressent à l’eSport annonce selon lui que le phénomène est là pour durer. Il indique qu’il existe un vrai dilemme sur le langage à utiliser dans le cadre de l’émission Canal eSport Club, car les journalistes sont là pour amener des clés de compréhension et vulgariser au maximum le phénomène pour le grand public, et en même temps amener de la densité et de la complexité pour les membres de chaque communauté eSportive. Le groupe Canal + s’intéresse évidemment à la diffusion d’évènements eSportifs. La vraie complexité est qu’il y a énormément de compétitions, que tout est encore tellement à faire et à construire que c’est difficile de savoir sur quel événement se positionner. Cela demande aussi des investissements, et les marques ne sont pas toutes prêtes à se positionner sur un marché qu’elles comprennent mal.

Julian Jappert évoque la situation de la sédentarité en Europe, qui est aujourd’hui un facteur de mortalité important. Il questionne la pratique de l’eSport là-dessus.

Matthieu Dallon partage le constat, et mais selon lui le problème est pris sous un angle qui stigmatise l’eSport au nom de tous les nouveaux usages de la société. L’eSport se fait également le vecteur de nouvelles pratiques, il permet à travers les nouveaux usages technologiques de pouvoir développer de nouvelles compétences physiques et sociales et il convient de valoriser cela plutôt que de tirer un trait dessus sous prétexte qu’elles ne provoquent qu’une dépense calorique limitée.

Nicolas Besombes abonde en ce sens et considère que la pratique sportive en elle-même est bénéfique car elle est encadrée et qu’elle fait l’objet de politiques publiques en la matière. Une pratique eSportive encadrée pourrait présenter de nombreux aspects bénéfiques.

Le Professeur Patrick Assyag intervient et présente les dangers de la sédentarité constatés par la Fédération Française de Cardiologie. Une enquête récente a montré que 50% des jeunes n’atteignaient pas les 60 minutes d’activité physique régulière quotidienne, et qu’ils passaient 3h par jour devant les écrans, voire 6h le week-end. Le défi est de proposer quelque chose d’attractif qui puisse plaire aux jeunes et qui puisse leur permettre d’atteindre ces 60 minutes d’activité physique quotidienne. L’idée d’encadrer la pratique esportive par des activités physiques associées est une piste à étudier.

Sur la question de savoir pourquoi l’industrie du jeu vidéo ne s’est pas greffée à celle de l’eSport ?

Selon Matthieu Dallon, c’est ce qui est en train de se passer. Il cite pour exemples le rachat de sociétés organisatrices de compétitions comme la MLG aux Etats-Unis par Activision Blizzard2. Des sociétés comme Ubisoft ou Riot Games3 se structurent autour de l’eSport. Les structures sportives traditionnelles se sont également emparées du phénomène. Pour le jeu FIFA par exemple, l’interlocuteur n’est plus Electronic Arts mais la Fifa directement. L’attribution des droits de retransmission de League of Legends aux Etats-Unis a été faite à RAMTech qui est la propriété de la ligue de la MLB, la ligue de baseball américaine, pour le développement du marketing autour du jeu. Les plateformes de diffusion comme Twitch et Youtube sont également des leviers énormes pour le développement de l’eSport et cela a été très vite intégré par les éditeurs.

Sur la stratégie de certaines disciplines qui ont été reconnues comme des sports, comme les échecs ou l’aéroglisse

Selon Thierry Granturco, cela résulte d’une longue stratégie, et il ne doute pas que l’eSport parviendra un jour aux mêmes résultats, au vu des enjeux économiques en jeu.

Sur le lien possible entre eSport et activité physique, sur le modèle proposé par l’ONG Diambars, Diambars Arena, proche du principe de Pokémon Go.

Nicolas Besombes évoque le volet éducatif de l’eSport de façon prospective. A quoi ressemblera l’eSport demain ? Les « exergames » sont de plus en plus utilisés, par exemple au sein des cours d’EPS où il y a une réelle injonction à utiliser les outils numériques. Idem pour un public sénior, avec des compétitions de bowling sur console Wii. Les jeux vidéo peuvent augmenter les capacités physiques, notamment au niveau des articulations pour des personnes âgées très sédentaires en maison de retraite. Des jeunes les accompagnent, ce qui crée un lien intergénérationnel intéressant. L’eSport peut développer des compétences physiques, cognitives et sociales. Enfin, que dire de la réalité augmentée, qui va révolutionner notre quotidien et dont le potentiel en termes de pratiques sportives et éducatives est immense ?

Sur l’eSport amateur et l’encadrement de la pratique

Nicolas Besombes considère en effet cet enjeu comme crucial, notamment d’un point de vue associatif, mais il indique que le marché est pour l’heure avant tout économique. Il fait le parallèle avec les politiques publiques mises en œuvre pour promouvoir le sport pour tous en France. Pourquoi ne pas imaginer demain une association d’esport qui encadrerait la pratique des jeunes de sa communauté ?

2 Editeur de Starcraft 2, Overwatch, Heroes of the Storm 3 Editeur de League of Legends

Julian Jappert remercie l’ensemble des intervenants et des présents pour ces débats riches et très enrichissants. Il approuve l’idée de trouver des applications et des solutions qui mêleraient l’eSport et le jeu vidéo pour créer de nouveaux outils cognitifs, et envisage d’ores et déjà un deuxième temps à cette question, probablement au cours du mois de Février 2018. Il encourage également l’eSport à investir la question de la sédentarité et pourquoi pas les youtubeurs et influenceurs à s’en emparer également et annonce que le Think tank Sport et Citoyenneté continuera à travailler sur la question.

- Si l’eSport n’est pas reconnu comme un sport en France, cela tiendrait à la définition du sport qui met l’accent sur l’activité physique, elle-même intimement liée aux politiques publiques sportives. Les acteurs du monde eSportif estime que la reconnaissance de l’eSport comme un sport fera évoluer les textes de loi.

- La reconnaisse institutionnelle de l’eSport permettrait éventuellement d’introduire un encadrement de la pratique et donc d’y associer des éléments positifs.

- Si l’eSport connaît en ce moment une croissance très forte, il n’en reste pas moins une petite économie en comparaison à l’industrie du jeu vidéo ou du sport traditionnel. De plus, les marques non endémiques peinent toujours à appréhender ce phénomène.

- Si la dépense énergétique est incomparable avec l’athlétisme par exemple, on retrouve de nombreux éléments communs avec les sports traditionnels. Notamment dans la préparation des compétitions, l’aspect mental ou de concentration.

- L’eSport s’est construit à la fois sur un mouvement « associatif », communautaire et plutôt amateur et sur l’organisation de grosses compétitions organisées par des sociétés privées.

- « L’e-Sport : une véritable discipline sportive ? », Reinhart, Marville & Torre, écrit par Virginie Molho et Jean-Baptiste Guillot

- « Génération eSport », Dossier L’Equipe Explore, écrit par Fabien Mulot

- « L’eSport c’est du sport ? Réponse en 4 idées reçues », écrit par Paul Arrivé, L’Equipe

- La Loi pour une république numérique du 7 Octobre 2016, Décrets du 9 mai 2017 relatifs à l’organisation des compétitions de jeux vidéo et au statut des joueurs professionnels

- L’eSport : tout sauf un sport, par Pierre-Xavier Chomiac de Sas CONFÉRENCE « L’E-SPORT EST-IL UN SPORT COMME UN AUTRE ? » Nicolas BESOMBES Sport et Citoyenneté Docteur en Sciences du Sport, Université Paris Descartes 14 juin 2017 Chercheur postdoctoral, INSEP

DES PISTES INTRODUCTIVES DE RÉFLEXION À LA QUESTION : L’E-SPORT EST-IL UN SPORT COMME UN AUTRE ? DÉFINIR L’E-SPORT

Des confusions…

2 AFFRONTEMENT CODIFIÉ DE JOUEURS PAR ÉCRAN(S) INTERPOSÉ(S) LORS DE COMPÉTITIONS ONLINE OU OFFLINE DE JEUX VIDÉO

3 De nombreuses Street Trackmania Fighter disciplines et FIFA

COURSE jeux e-sportifs NBA 2K AUTOMOBILE Super Smash Bros

Rocket SIMULATIONS VERSUS League SPORTIVES FIGHTING

Starcraft Hearthstone REAL TIME TRADING CARD STRATEGY (RTS) E-SPORT GAMES (TCG) World Of Krosmaga Tanks

League of MULTIPLAYER Counter FIRST PERSON Legends ONLINE BATTLE Strike SHOOTER (FPS) ARENA (MOBA) Defense of the Call of Duty Ancients DANSE

Smite Overwatch

Heroes of Just Dance the Storm

4 QU’EST-CE QU’UN SPORT ?

Le cas de la dépense énergétique

Les 4 critères de définition du sport PERTINENCE MOTRICE

SPORT

1. PERTINENCE MOTRICE

7 PERTINENCE MOTRICE PERTINENCE MOTRICE

La victoire ne dépend pas de La victoire dépend de l’expertise motrice du joueur l’expertise motrice du joueur E-sport et J E U X V I D É O pertinence MOTRICITÉ MOTRICITÉ DÉTERMINANTE motrice NON DÉTERMINANTE DANS LE RÉSULTAT • Shoot Them Up (R-Type) • Jeux de plateaux virtuels (Échecs) • Platformers (Mario) • Jeux de réflexion (Candy Crush) • Simulations sportives (FIFA 17) • Simulations de vie (The Sims) • Versus Fighting ( V) • Jeux en Point & Click (Monkey Island) • FPS (Counter-Strike : Global-Offensive) • TCG/CCG (Hearthstone) • RTS (Starcraft II) • Stratégie au tour par tour (Civilisations)… • MOBA (DotA 2) • Exergames (Just Dance)…

E-SPORT SPEEDRUN

PvP PvE

9 Les 4 critères de définition

PERTINENCE du sport COMPÉTITION MOTRICE

SPORT

2. COMPÉTITION

10 COMPÉTITION COMPÉTITION

Pas d’opposition Opposition objective E-sport et compétition S A I S O N E - SPORTIVE

T E M P S « MORTS » T E M P S « FORTS »

Pré-saison : Période sans compétitions Tournois qualificatifs

Équilibrage annuel du jeu Événements majeurs

Sortie d’une nouvelle version du jeu Finales nationales et internationales

SUSPENSE & SPECTACULARIT É

12 Les 4 critères de définition

PERTINENCE du sport COMPÉTITION MOTRICE

SPORT

CODIFICATION 3. CODIFICATION

13 CODIFICATION CODIFICATION

Règles implicites et personnalisées Règles explicites et standardisées E-sport et codification DOUBLE CODIFICATION DE L’E - SPORT

Règles IMPLICITES Règles EXPLICITES du logiciel de la compétition définies par les développeurs établies par les organisateurs

Tout ce que le programme Contraintes et possibilités accepte est permis dans et hors du jeu

Cadre d’affrontement identique Opposition équilibrée

15 Les 4 critères de définition

PERTINENCE du sport COMPÉTITION MOTRICE

SPORT

INSTITUTION CODIFICATION 4. FÉDÉRALE INSTITUTION FÉDÉRALE

16 INSTITUTION FÉDÉRALE INSTITUTION FÉDÉRALE

Pas de reconnaissance par les autorités fédérales Reconnaissance par les autorités fédérales Institutionnalisation privée Institutionnalisation publique E-sport et INSTITUTIONNALISATIONAUTORIT ÉS PUBLIQUES institutions ASSOCIATIVE PRIV É E

Faible médiatisation Forte médiatisation

Compétitions amateur & semi-pro Compétitions professionnelles

Circuits régionaux et nationaux Circuits internationaux majeurs

COMMUNAUTÉ ASSOCIATION SOCIÉTÉS PRIVÉES ÉDITEURS

• Lyon e-sport (Lyon e-sport) • ESL (MTG) • LCS & WCS LoL (Riot) • Kayane Sessions (Kayane) • GA (FuturoLan) • ESWC (Oxent/Webedia) • (Capcom) • Born 2 Fight (YUZU clan) • Stunfest (3 Hit Combo) • EVO (Shoryuken) • WCS Starcraft II (Blizzard) • FH tournament (Finish • Republic of Fighters (RoF) • DH (Malorian) • The International DotA 2 Him)… • PolyLAN (PolyLAN) • Kumite ()… (Valve)…

18 E-sport et AUTORIT ÉS PUBLIQUES autorités publiques LEGISLATION des COMPÉTITIONS & JOUEURS

RECONNU NON RECONNU comme un sport comme un sport

Organes traditionnels du sport Autres ministères (Ministère des Sports ou CNO) (Ministère des Finances)

19 INVESTISSEMENT FINANCIER ET SYMBOLIQUE DIFFÉRENTES FORMES DE RECONNAISSANCE PAR LE MILIEU SPORTIF

20 CONCLUSION

REQUIERT UNE ACTIVITÉ EXPERTISE COMPÉTITIVE MOTRICE

E-SPORT

CODIFICATION INSTITUTIONS IMPLICITE ET ASSOCIATIVESASSOCIATIVE EXPLICITE ETOR PRIV PRIVATEÉES INSTITUTION

AUTORITÉS PUBLIQUES

21 DES PISTES INTRODUCTIVES DE RÉFLEXION À LA QUESTION : Nicolas BESOMBES Docteur en Sciences du Sport, L’E-SPORT EST-IL UN SPORT COMME UN AUTRE ? Université Paris Descartes Chercheur postdoctoral, INSEP

@NicoBesombes Nicolas Besombes [email protected]

MERCI !

CONFÉRENCE SPORT ET CITOYENNETÉ MAIF Social Club 14 juin 2017 Copyright © 2017 The Nielsen Company (US), LLC. Confidential and proprietary. Do not distribute.

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