■ ■■■■■■ Le Mécano de la «General» Un film de

LYCÉENS AU CINÉMA ■ ■■■■■■

Sommaire

2 GÉNÉRIQUE / SYNOPSIS

3 ÉDITORIAL 4 LE RÉALISATEUR 6 LA LIGNE DE VIE DU FILM 7 PERSONNAGES ET ACTEURS PRINCIPAUX 8 DÉCOUPAGE SÉQUENTIEL LYCÉENS AU CINÉMA 9 ANALYSE DU RÉCIT 10 ANALYSE D’UNE SÉQUENCE 14 ORIENTATIONS 16 CLÉS POUR DES MOMENTS CLÉS 17 EXPLORATIONS 18 LE LANGAGE DU FILM 20 L’AFFICHE / LA CRITIQUE 21 BIBLIOGRAPHIE 22 AUTOUR DU FILM 2

■ GÉNÉRIQUE ■ SYNOPSIS

Etats-Unis, 1926 1861, Géorgie. La guerre de Sécession commence. Johnnie Gray, mécanicien, a deux amours : Titre original : The General Annabelle Lee et sa locomotive, la « General ». À l’exemple du frère de la jeune fille et sur la suggestion de celle-ci, Johnnie se précipite au bureau de recrutement quand les combats Réalisation : Buster Keaton et Clyde Bruckman. Scénario et intertitres : Buster Keaton et Clyde s’approchent. Mais on juge, sans le lui dire, qu’il sera plus utile au Sud en gardant son métier. Bruckman, d’après le livre de William Pittinger, The Great Locomotive Chase Convaincue que Johnnie n’a même pas tenté de s’enrôler, Annabelle jure qu’elle ne le reverra qu’une Adaptation : Al Boasberg et Charles Smith. fois l’uniforme revêtu…

Photographie : J. Devereux Jennings, Bert Haines. Costumes et maquillage : J.K. Pitcairn, Fred Un an plus tard, des espions nordistes volent la « General », et Johnnie se lance à leur poursuite aux C. Ryle, Bernie Hubbel. Directeur technique et décors : Fred Gabourie. Effets lumineux : commandes d’une autre locomotive volée. Il ignore la présence d’Annabelle dans le train des espions. Denver Harmon. Chef mécanicien : Fred Wrihght. Effets spéciaux : Jack Little. Montage : Venant à bout d’obstacles divers, il entre dans les lignes nordistes puis se réfugie dans une maison. J. Sherman Kell, Hary Barnes, Buster Keaton. Musique et bruitage (réalisés après 1928) : Konrad Caché sous une table, il assiste à une réunion de l’état-major ennemi et découvre qu’Annabelle est Elfers leur prisonnière. La nuit, en uniforme nordiste, il emmène la jeune prisonnière, persuadée qu’il n’est venu que pour la sauver, et récupère sa « General ». Les Nordistes se lancent alors à sa poursuite en Interprétation : Johnnie (ou Johnny ou Johny) Gray Buster Keaton Annabelle (ou Annabel ou sens inverse, dans un second train. Malgré les maladresses d’Annabelle, Johnnie prend de l’avance, Mary) Lee Marion Mack Capitaine Anderson (espion) Glen Cavender General nordiste Thatcher change d’uniforme pour échapper aux balles sudistes et informe l’état-major de son camp de la Jim Farley Général sudiste Frederick Vroom Le père d’Annabelle Charles Smith Le frère stratégie ennemie. Ayant fait chuter ses poursuivants sur un pont qu’il a enflammé, Johnnie participe d’Annabelle Frank Barnes Trois officiers nordistes Joe Keaton, Mike Donlin et Tom Nawn à la contre-attaque sudiste et met à mal, accidentellement, l’armée nordiste. Il est engagé comme Le recruteur Frank Agney lieutenant, conquérant définitivement le cœur d’Annabelle.

Production : Buster Keaton Productions Inc., pour United Artists-Joseph M. Schenck. Distribution : United Artists Corporation. Format : 1/1, 33 Durée actuelle : 1h 15 Distribution : Les Grands Films Classiques Sortie à New York : 18 décembre 1926 Sortie à Paris : 11 mars 1927

Les dossiers pédagogiques et les fiches-élèves de l'opération lycéens au cinéma Dossier Le Mécano de la « General » © BIFI Bibliothèque du film (BIFI) ont été édités par la Bibliothèque du film (BIFI) avec le soutien du Ministère de Auteur : Joël Magny 100, rue du Faubourg Saint-Antoine - 75012 PARIS la culture et de la communication (Centre national de la cinématographie). Maquette : Public Image Factory Iconographie : photogrammes, Les Grands Films Classiques, Tél : 01 53 02 22 30 - Fax : 01 53 02 22 39 Rédacteur en chef : Frédéric Strauss. réalisés par Sylvie Pliskin./ Portraits de Buster Keaton (couverture et p.4) D.R. Site Internet : www.bifi.fr 3

■ ÉDITORIAL Le film d’un poète géomètre

« J’étais plus fier de ce film que de tous ceux que j’avais jamais réalisés ». Des années après sa réalisation, en 1926, critiques et public confirmeront ce jugement de Keaton sur ce qui est non seulement un de ses chefs-d’œuvre, mais un sommet de l’art muet et du cinéma tout court. Le Mécano de la « General » révéla un véritable « auteur », une personnalité dont la seule présence à l’écran suffisait à imposer un univers poétique original et puissant, et dont l’œil derrière la caméra définissait un espace à la géométrie impitoyable mais jamais desséchante.

On admire d’abord, dans Le Mécano de la « General », l’étonnante rigueur d’une construction parfaitement symétrique, un va-et-vient ferroviaire dont l’ampleur n’a d’égale que l’élégance. Pour Keaton, comme pour l’un de ses plus grands admirateurs, Maurice Schérer, alias Éric Rohmer, le cinéma est avant tout « art de l’espace », inscription du corps de Johnnie Gray (Buster Keaton) dans un réseau de lignes figuratives, horizontales ou verticales, et de trajectoires invisibles dessinées par le mouvement incessant du personnage.

Ce qui fait la réussite et la modernité du Mécano de la « General », c’est que cette géométrie dans l’espace repose sur la faculté du cinéma de donner à voir le « grain » même de la

Deux locomotives pour dessiner des lignes dans l’espace. réalité. Mis en scène dans un parfait respect de l’authenticité historique, comme de la réalité immédiate – ni trucages, ni « transparences », ni cascadeurs – Le Mécano de la « General » tire sa force d’un univers burlesque qui confine parfois au fantastique reposant sur un réalisme physique absolu.

Joël Magny 4

■ LE RÉALISATEUR Keaton ou l’art de l’espace

Keaton n’est pas seulement un personnage Joseph M. Schenck, et, en à peine plus d’un an, va devenir une gloire du ciné- ma burlesque. Son succès, aux côtés de Fatty, est tel que son salaire passe de 40 burlesque, mais un metteur en scène jouant à 500 dollars par semaine entre avril 1917 et fin 1918 et qu’il décline alors des aussi bien de son visage, de son corps, propositions de Jack Warner et William Fox à 1000 dollars. Dès leur premier film, The Butcher Boy, on est frappé par la complémentarité efficace du couple que de l’espace. Buster-Fatty. Elle ne repose pas seulement sur l’opposition entre gros et maigre, mais entre l’exubérance et l’économie de mouvements, la lourdeur du Joseph et Myra Keaton, > Le « casse-cou » corps et les prouesses athlétiques, le sale et le propre, la réaction irréfléchie et la réflexion implicite. Après sept mois sur le front français (sans jamais livrer acteurs dans des tournées Le jeune Francis participe au numéro de ses parents (« Les Trois Keaton ») bataille), Buster poursuit sa collaboration avec Arbuckle jusqu’au début de de spectacles ambulants dès l’âge de trois ans. Selon la légende, c’est Harry Houdini qui, voyant l’en- 1920 (soit une quinzaine de films). (« The Mohawk Indian fant se relever prestement après une chute spectaculaire dans un escalier, s’écria : Medecine Show ») « My, what a buster ! », ce qui peut revêtir des significations diverses : « Quel aux côtés du prestidigitateur dos ! », « Quel casse-cou ! » ou « Quel gros malin ! » ! En 1899, les Trois Keaton > Rival de Chaplin ! Harry Houdini, donnèrent abandonnent les tournées itinérantes pour le « vaudeville » (spectacle de Lorsque Arbuckle passe en 1920 sous contrat avec Adolph Zukor, Joseph naissance le 4 octobre 1895 à music-hall mêlant divers genres) et connaissent un vif succès. Keaton raconte- Schenck crée le Studio Keaton dans d’anciens studios de Chaplin à , Joseph Francis Keaton, ra plus tard : « Notre numéro gagna la réputation d’être le plus violent du music-hall. pour y produire les films de Keaton seul. Film de prestige inspiré d’un succès dit Buster, dans les coulisses […] Pop [Joe Keaton] commença par me porter en scène et me laisser tomber sur le de Broadway, The Saphead (Ce crétin de Malec2) crée le personnage de riche oisif plancher. Ensuite, il se mit à essuyer le sol avec moi comme balai. Comme je ne mani- d’un théâtre, à Piqua (Kansas), amoureux et timide qu’on retrouvera dans des films de la maturité (La Croisière festais aucun signe de mécontentement, il prit l’habitude de me lancer d’un bout à pendant la représentation. du Navigator). Le succès grandissant de Keaton auprès du public américain et l’autre de la scène, puis au fond des coulisses, pour finir par me balancer dans la fosse mondial en fait un des principaux rivaux de Chaplin. La vingtaine de films de d’orchestre, où j’atterrissais dans la grosse caisse». Cette violence vaut au spectacle deux bobines que Schenck produits seul puis, à partir de 1921, avec Keaton, de nombreuses interdictions à la suite d’interventions de ligues de protection constituent une des périodes les plus inventives et les plus libres de Keaton. de l’enfance. Mais cet apprentissage forme l’athlète et l’acrobate que sera Dès cette époque, Keaton démontre qu’il n’est pas seulement un personnage Keaton dans tous ses grands films, forge son endurance et lui apprend les ver- burlesque, comme beaucoup de ceux qui sont issus de chez (Billy tus comiques de l’impassibilité face à l’adversité. Bevan, Chester Conklin, Ben Turpin…). Il a un univers au même titre que Harry Langdon, Harold Loydd, W.C Fields, Laurel et Hardy et, bien sûr, > L’apprentissage avec Fatty Arbuckle Charlie Chaplin. Il est aussi un « metteur en scène », jouant aussi bien d’un L’alcoolisme de Joe aidant, le trio ne trouve plus que des engagements visage apparemment impassible mais d’une grande plasticité, d’un corps qui secondaires à New York, puis se sépare. À vingt et un ans, Keaton rencontre sait jouer de l’immobilité et de la vitesse et, surtout, utiliser l’espace, que ce soit l’homme qui va non seulement changer son destin, mais lui apprendre tout du celui de la fiction (le double trajet inversé du Mécano de la « General ») ou celui cinéma et de sa technique, le comique et réalisateur accompli qu’est Roscoe du cinéma : le cadre cinématographique fait partie de la poétique keatonienne Arbuckle1, jusque-là principale vedette, après Chaplin, chez Mack Sennett sous comme du gag, qui se pose et se résout fréquemment par déplacement dans le nom de Fatty. Keaton entre ainsi à la Comique Film Corp. que vient de fonder l’espace (tout particulièrement dans La Maison démontable).

1. La carrière de Roscoe « Fatty » Arbuckle, né en 1881, s’interrompra brutalement en 1921. Accusé injustement de viol et de meurtre sur la personne d’une jeune actrice, il est poursuivi par les ligues de vertu et, quoique acquitté, il ne retrouvera du travail que sous pseudonyme, puis dans des bandes parlantes médiocres, pour mourir oublié en 1933. 2. Le personnage de Buster a connu un grand nombre d’appellations en France comme en Europe, selon les distributeurs. Outre « Buster », les plus répandues furent « Malec », « Frigo », « Elmer » (surtout à la fin de sa carrière), « Fregoli » (en Italie), « Pamplinas » (en Espagne)... 5

En 1923, comme les autres comiques, Keaton et Joseph Schenck changent de Filmographie (Films de long métrage produits par la MGM dont politique : les courts métrages coûtent trop cher pour ce qu’ils peuvent rap- Keaton n’assure plus la production ni la réalisation) porter. Produits par MGM (qui succède à Metro Pictures en 1924) puis United Keaton acteur, 1928 : (L’Opérateur). Artists Corp., les dix longs métrages réalisés de 1923 à 1928, entre Les Trois âges 1929 : Spite mariage (Le Figurant). et Steamboat Bill Jr, dont Le Mécano de la « General », constituent une série de réalisateur et producteur 1930 : Free and Easy (Le Metteur en scène) ; Doughboys (Buster s’en va-t-en guerre). sommets dans l’œuvre de Keaton et du cinéma burlesque, et sont - à quelques (Coréalisateur : Eddie Cline. 1931 : Films avec Jimmy Durante : Parlor, Bedroom and Bath exceptions près, comme Le Mécano de la « General », nous le verrons - de très Coproducteur : J. M. Schenck) gros succès. Ils rapportent à peu près autant que ceux d’Harold Lloyd (jusqu’à (Buster se marie) ; Sidewalks of New York (Buster millionnaire) 1932-33 : Films avec Jimmy Durante : The Pationate Plumber 2 000 000 de dollars), mais moins que ceux de Chaplin. « Entre le début et le 1920-1923 The Round-up ; (Malec champion de tir) ; The (Le Plombier amoureux) ; Speak Easily (Le Professeur) ; What ! milieu des années vingt, le salaire de Keaton passa de 1000 à 2000 dollars par semai- Saphead (Ce crétin de Malec); One Week (La Maison No Beer ? (Le Roi de la bière). ne, plus 25% sur les bénéfices » (M. Denis). démontable); Convict 13 (Malec champion de golf); 1934-37 : Seize courts métrages produits par Educational. The Scarecrow (L’Épouvantail); Neighbours (Voisins-voisines); Keaton collabore parfois au scénario. The Haunted House (Malec chez les fantômes); Hard Luck (La 1939-41 : Dix films produits par la Columbia. > Ce crétin de Malec ! Guigne de Malec); The Goat (L’Insaisissable); The Playhouse En 1928, Buster Keaton commet, selon ses propres termes, « la plus gran- (Frigo Fregoli); The Boat (Frigo, capitaine au long cours); The de erreur de sa vie ». Sur les conseils de Joseph Schenck et malgré les avertis- Paleface (Malec chez les Indiens); Cops (Frigo déménageur); Participations diverses notables My Wife’s Relations (Les Parents de ma femme); Screen sements de Chaplin ou Lloyd, Keaton renonce à ses propres Studios pour la Snapshots ; The Blacksmith (Malec forgeron); The Frozen 1950 : Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule), de Billy tutelle de la MGM. Plus question de travailler selon les méthodes héritées de North (Frigo esquimau); Day Dreams (Grandeur et décadence); Wilder. Sennett ou d’Arbuckle, dans l’improvisation comme pour le fignolage de ses (Frigo à l’Electric hôtel); 1951 : Limelight (Les Feux de la rampe), films. Après The Cameraman, où il dispose encore de ses anciens collaborateurs, (Malec aéronoaute);The Love Nest (Le Nid d’amour ou Frigo et de Charlie Chaplin. c’est le règne du studio, des commandes imposées, d’une mise en scène la baleine). 1957 : The Buster Keaton Story (L’Homme qui n’a jamais ri), contrainte et impersonnelle. Les premiers films (comme Free and Essai) demeu- de Sidney Sheldon (conseiller technique) rent marqués de la personnalité de Keaton, conservent quelques caractères kea- 1962 : It’s a Mad, Mad, Mad, Mad World toniens qui parsèmeront encore de rares productions. Le passage du burlesque Longs métrages (Un monde fou, fou, fou), de Stanley Kramer. 1964 : Film (Film), d’Alan Schneider à la comédie ne correspond pas aux dons de Keaton et le parlant n’arrange rien. (Coproduits et réalisés par Keaton, pour la MGM) (et Samuel Beckett). En 1932-33, il est pratiquement le faire-valoir d’une médiocre vedette du 1965 : The Railroader (L’Homme du rail,), music-hall, Jimmy Durante. 1923 : Three Ages (Les Trois âges, coréal : E. Cline) ; Our de Julian Biggs. Dès lors, il doit accepter toutes sortes de prestations où il n’est plus que Hospitality (Les Lois de l’hospitalité, coréal. Blystone). 1966 : A Funny Thing Happened on the Way to the Forum l’ombre de lui-même. Dépressions, cures de désintoxication, divorce, exils se 1924 : Sherlock, Jr (Sherlock Junior, détective); The Navigator (Le Forum en folie), (La Croisière du Navigator). succèdent. En 1937, la MGM l’emploi pour 100 dollars par semaine, entre de Richard Lester. 1925 : Seven Chances (Les Fiancées en folie); Go West (Ma autres comme conseiller du comique Red Skelton. Entre 1947 et 1953, il par- 1967 : Due Marines e un generale vache et moi). (War Italian Style), de Luigi Scattini. court l’Europe avec le cirque Médrano. En 1957, il est conseiller de sa propre 1926 : Battling Buttler (Le Dernier round). autobiographie (The Buster Keaton Story), interprétée par Donald O’Connor. (Coproduits et souvent réalisés par Keaton, pour United Presque totalement oublié, écrasé par la gloire de Chaplin, qui l’invite cepen- Artists) : dant à partager à ses côtés une scène mémorable de Limelight en 1951, Keaton 1926 : The General (Le Mécano de la “ General ”, coréal. : ne retrouve l’attention de la profession, en recevant un Oscar spécial, qu’en Clyde Bruckman). 1959. Puis, les cinéphiles, critiques et historiens du monde entier le redécou- 1927 : College (Sportif par amour, réal. : James W. Horne). 1928 : Steamboat Bill, Jr (Cadet d’eau douce, réal. : Charles F. vrent grâce à divers hommages et rétrospectives, à la Cinémathèque française Reisner). (1962), au Festival de Venise (1968), au National Film Theatre (1968)... Il meurt en 1966. 6

■ LA LIGNE DE VIE DU FILM Un burlesque « authentique » Puisant son inspiration dans la réalité historique, Keaton la met en scène avec les moyens du cinéma de grand spectacle : un cocktail étonnant.

Le Mécano de la « General » présente deux caractéristiques rares pour un De très nombreuses scènes sont tournées en décors réels (aucune « transpa- Du burlesque à grand spectacle. film burlesque, son « authenticité » et son budget. En effet, le sujet repose sur rence »), y compris certains intérieurs comme le bureau de recrutement. Les un épisode de la guerre de Sécession connu sous le nom de raid Andrews. En rues de la ville de Marietta sont reconstruites selon les illustrations du livre de avril 1862, une vingtaine de militaires de l’Union, déguisés en paisibles Pittinger ; les scènes de la guerre civile copiées de photos d’époque de citoyens, s’infiltrèrent dans les lignes de l’armée confédérée sous la direction de Matthew Brady. Sans atteindre sans doute les 3000 figurants annoncés par la James J. Andrews, et s’emparèrent, à Marietta (Géorgie), d’une locomotive, la publicité, ces scènes coûtent 400 dollars l’heure. « General ». Il la ramenèrent vers le Nord en détruisant les voies, brûlant les ponts et coupant les lignes télégraphiques, mais furent rejoints et arrêtés par Ne trouvant pas de pont utilisable pour la chute de la « Texas », Keaton fit deux mécaniciens sudistes peu avant leur but. Neuf d’entre eux furent pendus, construire, brûler et reconstruire à plusieurs reprises celui du film sur la rivière les autres emprisonnés. L’un de ceux-ci, William Pittinger, a raconté l’exploit Culp Creek, ainsi qu’un barrage pour rehausser le niveau des eaux. Filmé par tragique dès 1863 dans un livre, The Great Locomotive Chase. six caméras, le crash de la « Texas » est considéré comme la prise de vue unique la plus chère de toute l’histoire du cinéma muet : 42 000 $ de l’époque, soit > Ne pas froisser les sensibilités près de 2 000 000 dollars d’aujourd’hui… Si l’on ajoute les dédommagements pour les incendies de récoltes ou de forêt dus aux étincelles venues des loco- C’est Clyde Bruckman, coscénariste et gagman de nombreux films de motives, le coût total du Mécano de la « General » s’éleva à 750 000 dollars, Keaton depuis 1921, qui lui propose ce sujet dont les potentialités - course- contre 385 000 pour La Croisière du Navigator et 367 000 pour Ma vache et moi. poursuite, exploit physique, mise en jeu des lois de la mécanique et de la phy- sique qui passionnent Keaton - le séduisent. Le film est dis- > En attendant la revanche Filmé par six caméras, le crash tribué par United Artists mais coproduit en indépendants par Keaton et son vieux complice, Joseph M. Schenck. Le récit de Le film fut accueilli à New York par une critique majoritairement négati- de la « Texas » est considéré comme Pittinger est raconté du point de vue des Nordistes, et les ve : un film trop long et tiède, d’un narcissisme irritant, le moins drôle de la prise de vue unique la plus chère Sudistes présentés comme les « méchants », ce que, selon Keaton, incapable de tenir la distance du long métrage et de passer du rire au Keaton, le public américain ne saurait accepter. Le héros sera drame… Le Mécano, dont son auteur était particulièrement fier, quitta l’affiche de toute l’histoire du cinéma muet. donc le poursuivant sudiste spolié et solitaire. du Capitole au bout d’une semaine (au lieu de deux ou trois habituellement), La même logique – ne pas froisser les sensibilités encore vives malgré un public abondant mais désappointé. Il ne rapporta, aux USA, que – conduit à respecter scrupuleusement l’authenticité de l’arrière-fond sur 475 000 dollars environ, contre 680 000 pour La Croisière du Navigator, lequel se greffe un burlesque qui peut être jugé déplacé. Lorsque Keaton 600 000 pour Ma vache et moi et 775 000 pour Le Dernier round. Pour son film retrouve la véritable « General » et demande à la louer, l’autorisation lui est suivant, Keaton limitera ses ambitions à un sujet plus simple que résument bien d’ailleurs refusée sous la pression des descendants du raid Andrews, lorsqu’ils ses titres américain et français : College (Sportif par amour). apprennent qu’il s’agit d’une comédie. Un petit réseau de chemin de fer dans Mais Le Mécano de la « General » aura sa revanche. À la fin des années 50, c’est l’ fournit heureusement deux locomotives utilisées lors de la Guerre de avec ce film que débutera la redécouverte de l’œuvre et du génie de Keaton, y Sécession. Une troisième sera remodelée pour devenir la « Texas ». compris aux États-Unis. 7

■ PERSONNAGES ET ACTEURS PRINCIPAUX manœuvre qui permet à Johnnie de placer Annabelle, enfermée dans le sac à chaussures, à l’endroit précis où elle pourra ôter la goupille qui relie deux wagons. On oublie que la jeune femme fait preuve d’une Une femme vaut-elle habileté égale et a assimilé le plan de Johnnie avec une rapidité confondante dans un univers qui est loin d’être le sien. une bonne locomotive ? Pour interpréter Annabelle, Keaton voulait une jeune femme à la cheve- Face à des catastrophes en chaîne, le couple d’amoureux du film de Keaton donne l’image d’un accord lure longue et bouclée, ce qui moins parfait que singulier. n’était guère de mode en 1926. C’est le maquilleur de la star Norma Talmadge – épouse de « General » est indispensable aussi bien pour > JOHNNIE GRAY > ANNABELLE LEE Joseph Schenck et belle-sœur de entrer dans la famille Lee que pour servir la C’est l’un des avatars du héros keatonien, et il en Objet des assiduités de Johnnie Gray, elle est Keaton – qui suggéra une jeune Confédération, et non l’inverse. reprend les caractéristiques générales : une éner- d’abord plus une idée, un fantasme, voire un fan- femme de vingt et un ans, ancienne Le Mécano de la « General » est un des rares films gie et une ingéniosité inattendues se déploient tôme, qu’une réalité : il ne la voit pas lorsqu’il Bathing Beauty chez Mack Sennett, où Keaton est sur le point de perdre son contrôle devant une situation de crise, amenant Keaton à passe devant elle en allant lui faire sa cour. Marion Mack, qui avait peu joué devant la naïveté de sa compagne – mais la tenta- aller jusqu’au bout d’un projet qui devient d’au- Annabelle est une image, une photo collée dans le mais venait d’être la vedette de The tion de l’étrangler se change en baiser. Pourtant, tant plus obsessionnel que s’y greffe la conquête poste de pilotage de la « General ». Plus tard, sous Carnival Girl, de Cullen Tate. Elle l’attitude d’Annabelle est proche de celle de d’une femme. la table de l’état-major nordiste, c’est encore avait entre-temps coupé ses che- Johnnie. Elle ne cherche qu’à bien faire, ne se Mais Johnnie diffère, par exemple, des héros des comme une image qu’elle apparaît, à travers le veux mais se présenta à l’audition révolte pas devant les coups et fait preuve d’une Lois de l’hospitalité, de La Croisière du Navigator, du cadre arrondi d’une brûlure de cigare dans une avec une perruque avant de les lais- rapidité d’adaptation digne de son « héros ». On Dernier round ou de Steamboat Bill Jr., trois dan- nappe. ser repousser. Après Le Mécano, admire l’ingéniosité et la précision de la dies gâtés par l’argent, dénués au départ de toute Dans l’imaginaire des héros keatoniens, Marion Mack abandonnera prati- aptitude physique et déjà désabusés. Ce n’est pas Annabelle occupe la même place par rapport à la quement le cinéma pour le vaude- non plus le jeune homme pauvre et désœuvré de « General » que l’héroïne de Ma vache et moi par ville. Ma vache et moi, puisque Johnnie a un travail utile rapport à la vache Brown Eyes. Une femme vaut qui l’intègre dans la société, même s’il aspire à bien une vache, vaut-elle une locomotive ? Dans En dehors de Buster Keaton et épouser une jeune femme d’un milieu social supé- la tradition pionnière de l’Ouest, en tout cas, elle Marion Mack, la plupart des acteurs rieur. C’est encore moins l’intellectuel de College, ne vaut pas un fusil. Ici également, Annabelle ne du Mécano de la « General » sont qui ne devient sportif que par amour. Ses relations vaut pas tout à fait la « General », malgré l’inter- peu connus. Signalons que le rôle avec Annabelle et la « General » en font un per- titre qui les présente : « Il avait deux amours dans du capitaine Anderson, chef des sonnage singulier dans la mythologie keatonienne. la vie : sa locomotive et… » Dans la trilogie tra- espions nordistes, est interprété par vail-amour-patrie, Annabelle n’est pas la dernière, Glen Cavender, un héros de la mais pas non plus la première : c’est parce qu’elle guerre hispano-américaine, titulai- le lui demande que Johnnie part s’engager mais re de la Légion d’honneur françai- c’est pour rattraper sa « General » qu’il se lance à se. C’est en outre Joe Keaton, père la poursuite des pirates nordistes. Si Annabelle le de Buster, qui joue l’un des officiers pousse à s’intégrer aux normes sociales, la nordistes. 8

■ DÉCOUPAGE SÉQUENTIEL

C) « Calme et repos rafraîchissants » > 22. Johnnie sabote les rails d’un aiguillage et Sud-Nord, Nord-Sud > 12. Johnnie se retrouve en territoire ennemi rejoint la « General » malgré les manœuvres et se réfugie dans une maison où il doit vite se d’Annabelle aux commandes (53’). L’aventure de Johnnie Gray accumule les péripéties, les tours cacher sous une table. Il assiste à une réunion > 23. Tandis que les Nordistes tentent en vain de l’état-major nordiste et découvre et les détours, mais ce voyage très désorganisé est cependant de réparer l’aiguillage, Johnnie met le feu au qu’Annabelle est leur prisonnière (34’). pont de la Rock River (55’). > 13. La nuit, en uniforme nordiste, il s’enfuit structuré par un aller et retour qui fait passer le mécano des >24.Voyant un soldat nordiste aux com- avec elle sous l’orage. « C’est très courageux d’avoir Sudistes aux Nordistes et des Nordistes aux Sudistes, mandes de la « General », une sentinelle risqué ta vie et d’être venu en territoire ennemi sudiste tire. Johnnie change d’uniforme (57’). en changeant simplement d’uniforme. uniquement pour me sauver », lui dit-elle (37’). >14.Le matin, avec l’aide de la jeune femme, >25.Un cheminot répare l’aiguillage (58’). A) Prologue : pas d’uniforme pour Johnnie à bagages dans lequel Annabelle est montée cachée dans un sac, il décroche la rame et > 26.Arrivé au quartier général du Sud, >1. Printemps 1861. En gare de Marietta (13’). saute dans sa « General » (41’). Johnnie avertit le général en chef. Les troupes (Georgie), Johnnie Gray, bichonne sa locomo- >6. Johnnie se lance seul à la poursuite de sa se mettent en marche. Johnnie trouve un sabre tive, la « General » (2’). « General ». À Kingstone, les wagons sur les- D) La poursuite infernale, le retour et se précipite (60’). quels montent les soldats se détachent et il >2. Pour faire sa cour à Annabelle, il lui >15.Anderson et ses hommes se lancent à sa >27.La « Texas » s’élance sur le pont de la repart seul sur une locomotive (14’). offre sa photo devant sa « General ». Devant poursuite avec la locomotive « Texas » (43’). Rock River, qui s’effondre… (61’). l’approche des combats de la Guerre de >7. Les pirates nordistes renoncent à > 16. Johnnie détruit les lignes télégraphiques Sécession, Annabelle demande à Johnnie s’il contre-attaquer, jugeant les poursuivants et sort Annabelle de son sac, puis ils s’arrêtent E) Conclusion : une femme, n’envisage pas de s’engager (5’). « très supérieurs en nombre » (18’). pour ramasser du bois. Annabelle tend une une « General » et un lieutenant… >3. Il court pour être le premier au bureau >8. Johnnie récupère un canon, mais ses corde entre deux sapins. Ce stratagème ridicu- de recrutement, mais on le juge plus utile au tentatives pour tirer sur le train ennemi le aux yeux de Johnnie retarde considérable- > 28. La bataille fait rage. Johnnie se débar- Sud comme conducteur de train. Convaincue échouent (21’). ment la « Texas » (46’). rasse accidentellement d’un tireur ennemi et par son père et son frère que Johnnie n’a rien fait sauter un barrage par un tir de canon man- >9. Les Nordistes décrochent un wagon. >17.Johnnie jette sur la voie des caisses que tenté, Annabelle lui déclare qu’elle ne le rever- qué (65’). ra pas sans uniforme (10’). Johnnie le fait dévier vers une voie de gara- les Nordistes doivent ramasser une à une (47’). ge, mais le retrouve devant lui. Les poutres > 18. Johnnie assomme une deuxième fois un > 29.Alors qu’on fête « les héros du jour », jetées sur la voie font dérailler le wagon et Johnnie se réfugie sur sa locomotive, où il B) La poursuite infernale, l’aller général nordiste resté dans la locomotive (48’). Johnnie les élimine ensuite avec dextérité retrouve le général assommé, qu’il amène pri- > 19. En faisant le plein d’eau, Johnnie arrose >4. Un an plus tard, dans un camp de (26’). sonnier devant le général en chef (68’). l’Union au nord de Chattanooga, le capitaine copieusement sa compagne, puis la « Texas » >10.Il pousse hors d’un pont un wagon en >30.Celui-ci lui fait ôter son uniforme usur- Anderson projette de voler un train au cœur et les généraux (50’). feu abandonné par les Nordistes (25’). des lignes ennemies, saboter les voies, détrui- >20. Johnnie décroche le wagon de la pé, mais il lui donne aussitôt une veste de lieu- re les ponts et couper le télégraphe (11’). > 11. Tout à ses occupations, Johnnie ne se « General » où des poursuivants sont montés tenant (70’). >5. À Marietta, Annabelle prend le train de rend pas compte qu’il traverse la ligne de (51’). > 31. Loin des regards, Johnnie trouve la Johnnie pour rejoindre son père, blessé. Lors front, tandis que les pirates découvrent qu’il > 21. La « Texas », qui recule après avoir bonne position sur la bielle de sa « General » de l’arrêt à Big Shanty, Anderson et ses était seul à les poursuivre (29’). poussé le wagon sur une voie de garage, heur- pour embrasser Annabelle tout en saluant hommes volent la « General » et son fourgon te le convoi des généraux (52’). « ses » soldats (71’). 9

■ ANALYSE DU RÉCIT sens inverse, avec les mêmes épi- sodes : ravitaillement en bois et en eau (provoquant des arrosages inat- tendus), destruction d’une cloison d’un wagon envoyé ensuite difficile- Symétrie réversible ment sur une voie de garage, jet de poutres ou caisses sur la voie ferrée, aiguillages trafiqués, etc… A un sujet historique, Keaton impose les lois de l’efficacité Ce parallélisme rigoureux, qui burlesque, et c’est son personnage de mécano qui détermine pourrait passer pour académique, a des effets pervers. On a reproché au la structure dramatique du film : la conduite du récit est tout film, à sa sortie, dans un réflexe aussi déterminée que celle de la « General ». outragé, de mêler le burlesque aux atrocités réelles de la Guerre civile. On n’a guère parlé d’un autre aspect Le passage au long métrage a posé problème à la plupart des burlesques. Les > Les lois de la dynamique du film, bien plus dérangeant une films de une ou deux bobines (10’ à 20’ maximum) se satisfaisaient du dévelop- Les modifications que Keaton apporte à l’histoire sont significatives. En bonne soixantaine d’années après les pement d’une action simple ou de la juxtaposition de deux ou trois actions, la choisissant de faire du poursuivant le héros, Keaton est fidèle à sa thématique faits : la réversibilité des situations. permanence du héros suffisant à en assurer la cohésion. Une très large impro- volontariste : qu’il s’agisse de Malec, Frigo ou Johnnie Gray, l’énergie mise en En décidant de donner le beau rôle visation pouvait s’y déployer à son aise. Il est plus difficile de retrouver cette jeu ne peut être que positive. On suit un personnage qui veut récupérer son aux Sudistes - et il est vrai que les cohésion si une vingtaine d’actions - ou de sketches - se succèdent : un mini- « bien », non ceux qui ont volé une locomotive et fuient, fût-ce pour une généraux nordistes ne sont pas mum de structuration dramatique et d’enchaînements sont indispensables. En « bonne » cause. gâtés ! -, Keaton ne prend pas parti. outre, l’élévation du coût d’un film burlesque, du simple fait de sa longueur, Ensuite, le poursuivant, sur lequel se focalise le récit, ne peut être qu’unique. Le Sudiste Johnnie est d’abord le plus encore dans le cas du Mécano de la « General » et de sa mise en scène oné- La structure dramatique ou cinématographique d’un film burlesque épouse le poursuivant fort de son droit, puis reuse, oblige à la rédaction d’un scénario qui permette d’établir un budget. trajet du personnage central ou celui-ci se dilue dans un ensemble qui fait évo- il « vole » une locomotive – certes, luer le film vers la comédie, la psychologie ou le drame. sa « General »… Selon les circons- > Un classicisme parfait Keaton développe en outre la saga du raid Andrews en lui donnant une suite tances, les pirates comme Johnnie inversée. Là où les Nordistes avaient échoué tragiquement, Johnnie Gray récupère revêtent l’uniforme de l’Union ou Si, pour son premier long métrage, Les Trois Ages, Keaton a tourné la diffi- des forces : une « fiancée », des informations stratégiques et sa « General » ! des Confédérés, sans le moindre état culté en entrecroisant, à la manière de Griffith dans Intolérance, trois histoires et Le scénario obéit aux lois de la dynamique qu’apprécie Keaton : une fois qu’un d’âme. À la fin, ce n’est plus un trois époques, Le Mécano de la « General » présente une structuration globale mobile a achevé sa trajectoire et atteint l’obstacle, il rebondit en sens inverse retournement, mais un changement d’une parfaite rigueur : deux grands mouvements symétriques se succèdent dans pour revenir à son point de départ. de veste (et de galons) qui fait du un classicisme apparemment parfait. Keaton reprendra cette construction si mécanicien un soldat, de l’amoureux satisfaisante pour l’esprit dans son film suivant, College (Sportif par amour), où éconduit un homme comblé… cette organisation du récit devient un peu trop voyante. > Aller et retour Marietta Keaton ne délivre pas de message Lorsque Clyde Bruckman propose à Keaton le récit de William Pittinger Selon le découpage séquentiel qui précède, Le Mécano de la « General » paraît politique, mais sa vision des divi- (cf. « La Ligne de vie du film »), le fait que ce récit s’organise totalement sur une proposer une division en cinq actes, comme dans le théâtre classique. Mais la sions susceptibles de justifier une course-poursuite a tout pour séduire un burlesque tel que Keaton. Son person- structure dramatique d’un film burlesque, particulièrement de Keaton, ne pré- guerre est ici nettement percep- nage est avant tout dynamique, un être en mouvement. Ce mouvement est fré- existe jamais au personnage et à son mouvement et ne saurait se conformer qu’en tible. Ajoutons au scepticisme kea- quemment relayé par des véhicules divers, cycles divers, automobiles, bateaux apparence à des catégories préexistantes. Le prologue, la conclusion et la pause tonien le fonctionnement méca- (La Croisière du Navigator), trains déjà (Les Lois de l’hospitalité)… L’originalité tient centrale (A, C et E) n’occupent qu’une faible place (10 à 12’), contre deux longs nique comme dramatique de la au fait que le sujet pourrait se ramener à un pur mouvement et pratiquement un développements (19’ et 20’)… Plus évidente apparaît la parfaite symétrie entre « General » : elle pète le feu aussi seul véhicule. ces deux grandes parties (B et D), où les trains effectuent les mêmes trajets en bien pour le Nord que pour le Sud ! 10

■ ANALYSE D’UNE SÉQUENCE Le canon farceur A bord d’une locomotive « empruntée », Johnnie s’est lancé à la poursuite des pirates nordistes qui ont volé sa « General » et sont convaincus d’être pris en chasse par une armée… Où Buster Keaton déploie son art du comique dans l’espace, sa maîtrise de la géométrie du gag.

> 1 > 2 > 3 > 4 >5 Juché sur le toit de sa locomotive Dans le fourgon encore accroché à Ce petit plan-séquence permet de Plus long, ce plan-séquence permet Ce plan rappelle de nouveau la pré- (la « Texas »), Johnnie Gray obser- la « General », les Nordistes s’acti- suivre « en direct » la progression de suivre en continuité toutes les sence du danger : les Nordistes, en ve le train qu’il poursuit. vent. Un soldat a percé un trou de Johnnie, de la locomotive et du opérations de chargement du plus grand nombre que précédem- Parfaitement raide, le corps penché dans la cloison arrière, permettant tender vers le wagon plate-forme canon puis de sa mise à feu, jus- ment, passent du tender de la en avant, formant une ligne oblique de voir ce qui se passe chez les qui porte le canon, dans un train en qu’au départ de Johnnie vers l’avant « General » vers le toit du fourgon. avec l’horizontale du train (et du poursuivants. Ce plan, qui inaugure marche rigoureusement suivi en (gauche du cadre). Ses hésitations Dans la mesure où on les sait cadre), il occupe une position typi- le second axe de prise de vue – celui travelling latéral par la caméra (axe quant à la quantité de poudre armés, on devine leur intention de quement keatonienne : un équi- du train, perpendiculaire au précé- du plan 1). Il donne à voir la per- nécessaire, ses remords, le petit repousser le poursuivant par la vio- libre sur le point de se rompre sous dent – rappelle que l’action de formance de Keaton et tout oppose ajout de dernière seconde indi- lence des armes. Tout au long de la l’élan du personnage, mais ferme- Johnnie Gray n’est pas purement sa frêle silhouette longiligne aux quent bien qu’il mime ici une séquence, la situation dramatique ment maintenu. En même temps, esthétique mais vitale. En même masses constituées par le tender et « compétence » qui n’est pas la se mêle à la comédie burlesque, ce plan ne vaut pas seulement par sa temps, cette ouverture, cadre dans le canon – plutôt une « bombarde » sienne et que son évaluation de la comme dans l’ensemble du film. composition plastique : il indique le cadre, écran dans l’écran, signale – choisi pour l’ampleur de ses distance de tir (plan 1) ne détermi- clairement l’intention de Johnnie la présence du cinéma : malgré les formes. Nous découvrons seule- ne en rien la mesure de l’explosif. de calculer, à partir de la distance enjeux dramatiques, ce que nous ment maintenant que Johnnie a qui le sépare de sa cible, le réglage allons voir est de l'ordre – heureu- embarqué ce canon (vu dans son du tir. sement ! – de la fiction. hangar uniquement) et, par consé- quent, ses intentions et son calcul. 11

>6 >7 >8 >9 >10 Toujours en plan général suivant le Dans l’habitacle de la locomotive, Johnnie, si l’on peut dire, repart En effet, on retrouve Johnnie Excepté le changement du paysage mouvement du train, ce plan Johnnie, concentré sur la conduite au charbon. Ce plan-séquence auprès du canon, dans un plan qui qui défile en arrière-plan, on retrou- montre le tir et la trajectoire du de la machine, constate l’atterrissa- reprend pratiquement le plan 3 et rompt avec la vision latérale anté- ve le cadre du plan 4. Les mêmes boulet de canon, matérialisé par la ge du boulet… Notons, ici encore, la progression vers le wagon plate- rieure. La caméra est placée sur le opérations de chargement et mise fumée, aboutissant à quelques la précision du cadrage, fondé sur la forme. Un peu plus rapide, il per- tender. Une grande profondeur de à feu du canon se reproduisent, mètres de son origine, quelque part coprésence des deux éléments dra- met de saisir la détermination de champ nous permet de voir, à l’ar- mais avec une variante : Johnnie a, vers la locomotive. Ce plan est matique sans rien de superflu ; Johnnie qui ne se pose pas de pro- rière-plan, une explosion, tandis semble-t-il, tiré les conséquences de caractéristique de la volonté de Johnnie et le boulet. Il jette un blèmes psychologiques ou méta- que Johnnie s’affaire. Il se penche, son échec et révisé ses calculs. clarté de Keaton cinéaste : le spec- regard incrédule vers l’arrière – est- physiques quant à l’échec du pre- étonné, vers la gueule du canon, Grossièrement du moins, puisque tateur doit pouvoir saisir exacte- ce bien le boulet tiré par son canon ? mier tir : la solution est purement interroge le ciel puis aperçoit la au lieu de la parcimonie antérieure ment et dans l’instant ce qui se – comme il le fera un peu plus tard physique. fumée... Nous comprenons, à retar- et après avoir envisagé une grosse passe. Il doit aussi pouvoir consta- devant le wagon fantôme. Dans dement, qu’il s’agit de « l’inoffensif poignée de poudre, il met cette fois ter que ce qu’il voit a été réellement l’immédiat, il se débarrasse d’une jouet » expulsé de la locomotive. le baril entier dans la gueule du accompli. Notons que si Johnnie charge inutile et dangereuse Petit gag à l’intérieur du gag géné- canon. Comme toujours, Keaton s’est trompé dans ses calculs, comme d’un jouet, la faisant rouler ral mais nullement gratuit, puisqu’il conçoit le second temps du gag Keaton, lui, a dû mesurer exacte- vers l’extérieur. Trêve d’interroga- nous permet de visualiser l’explo- comme un calque du premier mou- ment le tir, même raté, du canon ! tion, ce qui est, est ! sion d’un boulet que nous retrouve- vement, jouant sur la répétition, rons au dernier plan. mais avec une variante capitale. 12

>10 bis >11 >12 >13 >14 (Suite du plan-séquence) Le retour Ce qui semblait un simple gag de Le cadre s’élargit de façon à filmer Le retour à l’axe en profondeur des Comme pour le plan 11, Keaton de Johnnie vers la locomotive obéit diversion enchâssé dans le gag plus le tender et Johnnie en amorce à plans 2 et 9 permet d’augmenter resserre le cadre afin que le specta- au même principe. Tandis que le vaste du canon entraîne un rebon- gauche et le canon à droite, confir- encore la sensation du danger, teur puisse saisir le détail de la spectateur spécule sur les effets de dissement de celui-ci. Keaton mant que ce dernier vise bien le puisque la caméra épouse la ligne situation nouvelle : dès la fin du ce qui précède – l’explosion, qu’on abandonne le plan-séquence précé- mécano et la locomotive et permet- de tir du canon visant précisément plan 13, le pied de Johnnie s’est pris imagine cette fois gigantesque, ne dent pour un cadre plus serré, per- tant au spectateur d’apprécier la Johnnie et que nous voyons en pre- dans une chaîne, arrêtant sa fuite. risque-t-elle pas de détruire le mettant de voir nettement que le faible distance qui sépare le canon mier plan la mèche se consumer… Variation du gag du crochet du plan convoi de Johnnie ? –, Keaton pro- crochet du wagon plate-forme s’est de sa cible. La situation repose une Ce plan renvoie également à néant 11, ce plan augmente la tension pose une nouvelle variation : le placé sous l’essieu avant, provo- fois de plus sur une logique méca- la réaction de panique irrationnelle dramatique et notre inquiétude pied de Johnnie se prend un quant des sauts à chaque traverse, nique provoquée par la maladresse du plan 12 : ce n’est que par un pour Johnnie – même s’il se débar- moment dans le crochet qui relie la soulignés par un boulet qui tombe de Johnnie. Mais elle échappe à son acte physique de déplacement que rasse rapidement de la chaîne – et plate-forme du canon au tender. dès la fin du plan précédent. Ces contrôle matériel, et le recours à la Johnnie peut s’en sortir, ce qu’il permet le passage au plan suivant. Une fois le pied dégagé, la séquen- coups provoquent l’abaissement logique est inutile. La réaction de amorce en grimpant sur le tender ce semble reprendre son cours progressif du fût du canon. Le gag Johnnie est donc de l’ordre ration- pour, on le suppose, se rendre vers « normal »… change de nature : ce n’est plus la nel : il apostrophe le canon de la l’avant du train… puissance du tir qui est en jeu, mais voix et du geste, le classant sa direction… momentanément dans l’ordre du vivant. 13

>15 >16 >17 >18 >18 bis Ce plan opère un changement d’axe Arme au poing, les « pirates » s’ins- Pour la dernière fois de la séquen- Reprise du cadre du plan 16. Le (Suite du précédent). Le boulet à 180° en même temps qu’un tallent à l’arrière du fourgon de la ce, on retrouve l’axe du plan 1 et le convoi nordiste est visible au fond explose à l’arrière du convoi nordis- important changement d’échelle. « General ». On comprend que déplacement de la caméra parallèle- de l’espace, une seconde courbe de te. Le rire répond à la tension dra- Le canon, toujours menaçant, appa- Johnnie va se trouver pris entre ment au train. Johnnie Gray s’ins- la voie l’amenant vers la droite. Le matique et à la disparition quasi raît minuscule à l’arrière-plan, deux tirs potentiels : celui des talle sur le tablier de la « Texas » et canon arrive juste derrière la magique d’un danger devenu déri- comme la frêle silhouette de Nordistes, celui du canon… C’est se penche pour jeter un regard en « Texas » de Johnnie et tire enfin soire. Mais il se prolonge par le fait Johnnie grimpant sur le tender. le premier cadre fixe de la séquen- direction du canon menaçant. La son boulet au moment où canon, que le spectateur, reconstituant Cette faiblesse est renforcée par la ce, la caméra étant cette fois à l’ex- situation est au sommet de sa ten- « Texas » et « General » (dont on mentalement le mécanisme du gag, position de la caméra à l’avant de ce térieur du train et immobile. Il pré- sion dramatique, puisque nous voit la fumée) sont dans le même en découvre la logique rigoureuse : dernier, insistant sur la distance pare le cadre de plan 18 et surtout savons que Johnnie se place ainsi axe, au centre de l’écran. Le résul- un simple déplacement des mobiles qu’il lui reste à parcourir pour se l’idée de courbe, nécessaire à la sous le tir potentiel des Nordistes, tat paraît inéluctable au spectateur dans l’espace résout la situation, protéger. Dans une situation de plus résolution finale, le wagon amor- mêlé au ridicule du héros qui tour- qui n’a pas eu le temps de percevoir indépendamment des efforts anté- en plus désespérée, Johnnie réagit, çant un mouvement vers la gauche ne le dos à des agresseurs dont il que la « Texas » amorçait un mou- rieurs de Johnnie. Se mêle alors au comme au plan 12, par un geste alors que les voies étaient jusqu’ici oublie de tenir compte. vement vers la gauche, suivant la rire l’admiration pour l’ingéniosité irrationnel, jetant en direction de parfaitement rectilignes. courbe des rails empruntée par la du metteur en scène venu au son « adversaire » une pièce de bois « General » au plan 16 et sortant secours de sa créature. Le monde a qui ne risque ni de le convaincre ni ainsi de la ligne de mire du canon. sa propre logique, parfois halluci- d’en dévier la trajectoire. nante. 14

■ ORIENTATIONS Sens de la mise en scène, sens du film Mise en mouvements La réussite du Mécano de la « General » tient au fait que ce film, à travers des décors démesurés, des mouvements constants et une énergie décuplée, porte le projet keatonien au maximum de son intensité. Johnnie, immobile dans la course. LES LOIS DE LA 1> Le mouvement comique Logique du déplacement GRAVITÉ COMIQUE Du Mécano de la « General », on conserve, plus encore que de tout autre C’est par un déplacement dans l’espace que Johnnie résout chaque situation pro- film de Keaton (Cops, Les Fiancées en folie ou College), le sentiment d’un mouve- blématique, elle-même issue d’un décalage essentiellement spatial. La structure SELON KEATON ment ininterrompu. Comme tous les héros keatoniens, Johnnie Gray ne vit générale du film relève de cette logique : c’est parce qu’on a volé sa « General » que de mouvement. Toute situation statique lui est fatale. C’est lorsqu’il est que Johnnie se lance dans cette immense course-poursuite et afin de la ramener 1> Le mouvement est l’état assis sur un canapé chez Annabelle que l’on annonce l’approche des combats (ainsi qu’Annabelle) à son point de départ. La plupart des situations auxquelles il naturel de Johnnie Gray (séq. 2), qui va entraîner la rupture avec la jeune femme... C’est évidemment est confronté – séquence du canon (cf. « Analyse d’une séquence »), du « wagon lors d’un arrêt, à Big Shanty, qu’on lui vole sa « General » (séq. 5), etc. fantôme » – partent d’une mauvaise situation dans l’espace et/ou se résolvent par 2> L’espace le met en péril L’état naturel de l’être keatonien est le mouvement. L’homme Keaton lui- un déplacement dans l’espace, volontaire (la « femme dans le sac ») ou acciden- même, d’abord : sa formation – cf. pages 4 et 5 – en a fait un athlète accom- tel (le canon). Telle est également la solution de la scène finale : pour concilier le pli. Il effectuait lui-même toutes les prouesses physiques de son personnage. fait d’embrasser Annabelle, d’être assis sur la bielle de la « General » et le salut Son adaptation à l’univers 3> Ici, la totalité du film est réalisée sans aucun trucage, sans « transparences »1 : militaire, il suffit d’un simple déplacement des corps. qui l’entoure n’exclut pas le la caméra est placée sur un véhicule spécialement aménagé suivant en parallè- cauchemar, ni le rire le le trajet du train, ou sur le train même. Cela est particulièrement sensible dans les plans où Johnnie fend du bois sur le tender tandis qu’on voit passer 2> L’espace centrifuge derrière lui les armées sudiste puis nordiste (séq. 11). On peut y voir une rai- Johnnie ne cesse de parcourir avec agilité et habileté des espaces démesu- son morale, fréquemment énoncée par Keaton lui-même : « Ne pas tricher avec rés, tire parti du décor – train, campagne, forêt –, de sa construction et de sa le spectateur ». Principe moral mais tout autant esthétique : le caractère extra- géométrie dans toutes ses dimensions. La caméra privilégie deux de ces dimen- ordinaire de certains gags ou de certaines prouesses de Keaton doit une grande sions : elle accompagne latéralement le mouvement des trains, en soulignant part de sa force à sa crédibilité. Le morcellement ou l’artifice du montage, et l’horizontalité, ou, installée sur le train même, elle filme en profondeur les plus encore le moindre soupçon de trucage, font perdre irrémédiablement la rails, les wagons, le train des poursuivants ou des poursuivis, accentuant le sen- confiance du spectateur et l’efficacité de la scène. timent de la réalité du danger. « La signification psychologique du geste [de Keaton] compte beaucoup moins que le Une comparaison s’impose ici entre la stylistique de Chaplin et celle de comique se dégageant de la façon même dont le mouvement s’inscrit dans l’espace de Keaton. Charlot apparaît volontiers en pied, au centre de l’écran. Le plan l’écran », écrivait Maurice Schérer, alias Éric Rohmer, dans un article2 qui réaf- « d’ensemble » définit l’espace (et les objets) que le « petit homme » est sus- firmait avec force « la valeur expressive des rapports de dimensions ou de déplace- ceptible de parcourir à l’aide de son corps prolongé de sa célèbre badine. Une ment des lignes à l’intérieur de la surface de l’écran » (par opposition au montage fois épuisé ce que contient matériellement (objets) et dramatiquement (gags) privilégié par les esthéticiens depuis les années 20). cette portion d’espace, une autre est mise en œuvre par le plan suivant3.

1. Procédé qui permet de tourner une scène en studio, le paysage étant projeté sur un écran. 2. « Le Cinéma, art de l’espace », La Revue du cinéma, n°14, juin 1948, repris in Le Goût de la beauté, éd. Cahiers du cinéma/éd. de l’étoile, 1984 et éd. Flammarion, 1989. 3. Voir mon article sur « l’Espace chaplinesque », in Charlie Chaplin, Joël Magny (dir.), éd. Cahiers du cinéma, 1987. Voir également le remarquable ouvrage de Francis Bordat, Chaplin cinéaste, éd. du Cerf, coll. « 7ème Art », 1998 (chapitre 4, « La scénographie »). 15

En ce sens, s’opposent un espace chaplinesque centripète et un espace centri- relève, en bien des moments, du cauchemar. Le rire naît parfois de la peur du fuge keatonien4. À la différence du corps chaplinesque, le corps keatonien n’oc- chaos : lorsque les deux locomotives pourchassant la « General » sont sur le cupe pas nécessairement le centre de l’image, au contraire : tout vise à l’en point de la percuter avant de poursuivre leur course sur une voie parallèle et expulser. Il peut être une silhouette minuscule perdue dans l’immensité, mena- inclinée (séq. 15), ou lorsque Johnnie en vient à soupçonner que l’univers a cée d’engloutissement par la multiplicité des êtres et des choses (armées, sudis- basculé dans l’absurde et défie toute logique (le « wagon fantôme »). Ce qui te aussi bien que nordiste) ou affronté à un monde surdimensionné : trains et est d’ailleurs le cas dans le phénomène de la guerre lui-même. L’obsession de lignes ferroviaires. la logique et du calcul qui sous-tend l’action de Johnnie n’a d’égal que son angoisse de sentir l’univers lui échapper, comme sa « General » et son Annabelle. 3> Le physique et la physique L’optimisme apparent du happy end est contrebalancé Keaton prolonge à sa manière le comique de mouvement purement phy- par ce sentiment de la précarité et de la réversibilité sique de l’école de Mack Sennett. Comme celle d’Howard Hawks (Rio Bravo, de toute chose, à commencer par celle du costume, Hatari !…), sa mise en scène se fonde sur le physique, par opposition au men- des armées et des situations militaires ou sentimen- tal : la réflexion ou les états d’âme de Johnnie Gray nous sont rarement don- tales. Plus Johnnie Gray semble rationnel, plus ils nés d’emblée, sinon lorsque Annabelle vient de le rejeter (séq. 3) ou quand le paraît dévoiler la duplicité terrifiante de la raison, général lui demande de rendre son uniforme (séq. 30). Au contraire, c’est après tout particulièrement lorsque la logique mécanique coup que nous percevons le cheminement de la pensée de Johnnie, tout parti- rejoint celle du cauchemar (le « wagon fantôme », culièrement lorsqu’il fait décrocher la rame du train de la « General » par encore). Pour géométrique et rigoureuse qu’elle soit, Annabelle (séq. 14). Dans certains cas, la séquence du « wagon fantôme » la mise en scène de Keaton n’y échappe point : quel- (séq. 9, cf. « Clés pour des moments clés »), c’est l’inverse qui se produit : la le logique, sinon celle de la subjectivité ou de la fic- pensée de Johnnie est en retard sur les événements. tion, justifie que les deux parcours de Johnnie et de sa Car au physique proprement dit s’ajoutent les lois de la physique. Les êtres locomotive épousent les mêmes directions, de la keatoniens sont d’abord de purs mobiles, caractérisés par leur masse et leur gauche vers la droite du cadre, contre tout sens com- énergie, définissant leur trajectoire et leur vitesse. Les locomotives décuplent mun ? ici la masse et l’énergie du personnage de Keaton. Situations et gags se fondent fréquemment sur ces deux éléments. Il faut sans cesse se ravitailler en eau ou Un être apparemment suradapté à l’univers en bois pour maintenir l’énergie. C’est évidemment la masse de la locomotive via la technique : « Texas » qui est à l’origine de la scène capitale du film (séq. 27). Le général Johnnie Gray et nordiste n’est pas stupide5, il fait simplement sa « General ». une erreur d’estimation : le pont est plus brûlé qu’il ne croit et ne supporte pas le poids de la À la différence du corps chaplinesque, locomotive ! C’est au contraire un calcul précis le corps keatonien n’occupe pas des forces et des lois de la pesanteur qui permet à Johnnie, coincé sur le tablier de la locomotive nécessairement le centre de l’image, une poutre dans les bras, de se débarrasser au contraire : tout vise à l’en expulser. d’une seconde qui obstrue la voie en jetant la première sur l’extrémité de la seconde (séq. 9).

Le cauchemar mécanisé L’action de Johnnie Gray, et de Keaton en général, mène à une apparente sur- adaptation de l’être à l’univers via la technique. Le plan final suggère cette adé- quation totale entre les éléments contradictoires. Pourtant, l’univers keatonien

4. Il s’agit bien de l’espace : Charlot est tout aussi bien un personnage centrifuge que Keaton. 5. Ce que laisse supposer une traduction erronée longtemps colportée et commentée du sous-titre : « Si j’ordonne que ce pont résiste, il doit résister ». 16

■ CLÉS POUR DES MOMENTS CLÉS La logique du cauchemar La précision de la mise en scène n’est pas seulement une jubilation du regard dans le film de Keaton : c’est aussi à la création d’un espace mental, intérieur, qu’elle préside. > La femme est dans le sac > Le wagon fantôme Avec l’aide d’Annabelle, Johnnie reprend sa « General » Encore à l’avant de la locomotive après la séquence du canon, Johnnie aux Nordistes. Dans cette séquence, le comique vient à la fois Gray découvre immédiatement un nouveau danger : les Nordistes ont détaché de la perfection de l’opération et de ce qu’elle révèle après le fourgon de la « General », qui gêne sa progression. Fort habilement, il pro- coup du fonctionnement mental de Johnnie, le spectateur fite d’un aiguillage pour pousser le wagon vers une voie de garage et poursuit ignorant la stratégie expliquée à Annabelle. Premier temps du sa route. Lorsqu’un second aiguillage ramène le wagon sur la voie principale, gag, il emmène celle-ci dans un grand sac et se mêle à la foule le fait de filmer la scène en un seul plan, en profondeur de champ, nous permet des soldats qui chargent le convoi. La scène tire une part de sa de constater que Johnnie, trop absorbé à alimenter le foyer, ne voit rien de la force de son aspect documentaire : plans d’ensemble, nom- manœuvre. Le gag vient de la réaction de Johnnie. Nous le voyons en plan rap- breux militaires, opération de routine (il s’agit d’un convoi de proché constater avec effarement la présence inattendue du fourgon de nou- ravitaillement)… A chaque plan, on n’identifie Johnnie Gray veau devant le train. Son visage et ses yeux fermés reflètent sa concentration : qu’avec retard (par la forme du sac) tant il se fond dans l’en- il cherche en vain à reconstituer des faits dont il ignore les causes. La profon- semble et la régularité de sa mécanique. Ceci, jusqu’au deur de champ, cette fois en sens inverse, nous permet de constater avec lui la moment où il dépasse le fourgon où chacun dépose sacs ou réalité dans son irréductible absurdité : il s’agit bien du même wagon, puisqu’il Un calcul dont la mise en scène caisses et se fait rappeler à l’ordre par un officier. Il opère alors un changement n’est plus derrière le convoi… souligne la perfection. de cap caractéristique des trajectoires keatoniennes, pivotant d’un quart de Lorsque les Nordistes jettent des poutres sur les rails, cette variante de la situa- tour. Nous imaginons qu’il échoue puis, second temps du gag, par un change- tion antérieure (un jet de vapeur intempestif dans l’habitacle) accapare de nou- ment d’angle à 90° également, la caméra nous révèle que Johnnie s’est arrêté veau l’attention de Johnnie et l’empêche de voir le fourgon dérailler sur une des très précisément entre deux wagons et que sa position permet à Annabelle de poutres et quitter la voie. Nouveau regard, nouvel étonnement, nouvelle fer- sortir le bras et d’enlever le taquet qui relie la rame à la « General ». Le chan- meture des yeux… L’identité du cadrage, soulignée par le cadre dans le cadre gement brutal d’angle oppose deux plans en profondeur. À l’enfilade des rails formé par la fenêtre, renforce le senti- jusqu’à la forêt lointaine, répond le plan entre les voitures avec, au fond, le ment de répétition. Mais cette fois, la général. Cette manière de filmer renforce la précision géométrique et ryth- fermeture des yeux reflète moins la mique du calcul de Johnnie : « Nous sommes stupéfaits par tout ce que la perfection concentration que le désir de sortir de de pendule de ce mouvement, son enchaîné et son coulé, suppose de détermination et de ce cauchemar, ce que confirme le der- calcul, puisque Keaton savait à l’avance combien de temps l’officier mettrait à se nier plan rapproché de Johnnie qui rendre compte de son changement de direction, combien de temps il mettrait à l’inter- jette subrepticement un regard soup- peller… » (Jean-Patrick Lebel). Cette perfection du calcul est renforcée par les çonneux sur l’environnement. Il ne deux bévues de Johnnie qui entourent la scène : il perd une chaussure et la constate plus seulement le dérèglement retrouve difficilement parmi les autres ; la situation du sac dans le fourgon fait de l’univers, il soupçonne ce dernier, qu’Annabelle supporte le choc brutal de la suite du chargement… non sans angoisse, d’irrationalité… 17

■ EXPLORATIONS Keaton, à travers les changements d’uniforme de Johnnie Gray comme des pirates nordistes, ne tranche en faveur d’aucun parti. Est-il pour autant neutre face à la guerre ? Sa description apparem- ment impartiale et distante – à l’opposé de nom- breux comiques qui ne cachent pas leur pacifisme, La mécanique du Mécano à commencer par le Chaplin de Charlot soldat ou du Dictateur – n’exclut pas un jugement catégo- Comme un jeu de meccano, Le Mécano est un assemblage de « pièces » et de rouages rique : s’interroger simplement sur les moyens et cinématographiques que l’on peut démonter pour en comprendre le fonctionnement. les raisons qui font de lui un lieutenant et à quoi se réduit son activité de soldat… > Le héros keatonien Repérer certains d’entre eux et réfléchir sur ce qu’ils apportent en imaginant les mêmes Le personnage de Keaton lui-même > Le calcul du gag séquences traitées dans un découpage classique. peut faire l’objet d’une étude particuliè- Selon Keaton, « une bonne scène comique com- re, compte tenu des connaissances préa- porte souvent plus de calculs mathématiques qu’un lables des élèves (Chaplin, Laurel et > Keaton soldat ouvrage de mécanique ». Réfléchir aux deux aspects Hardy, Harry Langdon, Harold Lloyd, possibles de cette remarque. D’une part, les gags Jerry Lewis, Pee Wee, Woody Allen…). À sa sortie, Le Mécano de la « General » s’est ou situations fondées sur des calculs précis et des Des comparaisons peuvent mettre en vu reprocher de mêler les horreurs de la guerre principes mécaniques, d’autre part la manière évidence les caractéristiques du héros avec des situations burlesques. Depuis, le cinéma dont le héros lui-même, Johnnie Gray, utilise ses keatonien. À la différence de Charlot, il est allé beaucoup plus loin dans le mélange des connaissances des lois de la mécanique et de la se définit peu par son costume, limité à genres et des tons, avec M*A*S*H* (1970) de physique, et comment il compte également sur le quelques détails (dont le petit chapeau Robert Altman, par exemple. Au-delà du bur- comportement mécanique des humains, enfants plat), et susceptible de nombreuses lesque, quelle image de la guerre – et tout parti- (séq. 2) ou militaires (séq. 20, séq. 14)… variations. En conducteur de locomotive culièrement de la Guerre de Sécession – donne ou en soldat sudiste ou nordiste, il reste lui-même. Il est également difficilement réductible aujourd’hui le film ? On pourra constater l’aspect à un statut social (cf. page 7 sur son personnage). Sa définition est avant tout physique : visa- « documentaire » du film, sa description des mou- ge apparemment impassible mais très variable, silhouette mince et athlétique, déplacements, vements militaires (retraite des Sudistes et pro- La maladresse, un gag rare. courses, virages inattendus à pleine vitesse, exploits sportifs… On peut faire préciser ces gression des Nordistes, séq. 11), des incidents dus caractéristiques à l’aide de la plupart des séquences du Mécano de la « General ». à la guerre (rupture d’un pont ou d’un barrage, Il faut y ajouter l’intelligence pragmatique : l’habileté, la rapidité de réaction et d’analyse de séq. 27 et 28), des batailles, dans les sous-bois ou la situation, l’estimation des lois de la physique, etc., qui le distinguent de la plupart des en terrain découvert (séq. 28)… Des morts par comiques. Keaton n’est que rarement maladroit, sinon hors du domaine de sa compétence. balles aux noyés, en passant par la lame de sabre Répertorier ces séquences de maladresse et leur relation à l’expérience supposée du person- qui se plante dans le dos du tireur (séq. 28), nage : au sortir de chez Annabelle, dans l’usage d’un canon ou d’un sabre… Keaton ne cache rien des atrocités réelles en arriè- re-fond de l’anecdote dont il s’inspire. Si les Nordistes ne sont pas gâtés, des généraux > Un espace véritablement parcouru copieusement arrosés (séq. 19) aux soldats inca- « L’espace de l’aventure keatonienne est un espace véritablement parcouru », écrit Michel pables de décoincer un aiguillage saboté qu’un Denis (cf. page 21 la bibliographie). Si cela renvoie au fait que Keaton effectue réellement cheminot vient réparer d’un seul coup de masse les exploits de Johnnie Gray, ce principe régit également la mise en scène keatonienne, à tra- (séq. 25), sans oublier celui qui commande à vers l’usage des plans d’ensemble, des plans-séquences et de la profondeur de champ. la « Texas » de traverser le pont en flammes, 18

■ LE LANGAGE DU FILM Bonne mesure et démesure Qu’il chorégraphie ses rigoureuses acrobaties, règle la structure d’un gag à double détente ou mette en scène le désir, Keaton sait toujours trouver la distance juste, le dosage exact.

Dès 1910 et surtout durant et après la Grande Guerre, Buster Keaton vient indirectement, via Fatty, de l’école Sennett, ses courses Le burlesque les Américains développent le burlesque. Mack Sennett, poursuites retrouvant la frénésie de la Keystone. Ses acrobaties sont bien plus fondateur de la Keystone, véritable « usine à gags », rigoureuses et géométriques que celles de Lloyd, sa difficile maîtrise de la situa- Le burlesque n’est pas seulement une affaire de ton et de reconnaît sa dette : « Ce sont les Français qui ont inventé le tion et ses difficultés à séduire les femmes l’éloignent définitivement de genre – une catégorie à l’intérieur du genre comique – slapstick, et je les ai imités ». Le gag prend le pas sur l’in- Chaplin, mais ses réactions retardées (par la réflexion) le rapprochent de Laurel mais un moment particulièrement riche de l’histoire du trigue, réduite à l’anecdote, voire à une simple situation. et Hardy. S’il partage un certain sens de l’absurde et une relative panique cinéma. Le burlesque est né dès 1895 avec Le Jardinier et Sennett développe un burlesque physique, volontiers devant le beau sexe avec le somnambulique Harry Langdon, il est bien loin de le petit espiègle (dit L’Arroseur arrosé), un des films présen- ravageur, au rythme effréné, acceptant l’absurde, où les cet enfant attardé, lourdeau, lunaire, hésitant et maladroit… tés au Salon Indien, rapidement suivi d’autres bandes, gags s’enchaînent en cascade pour déboucher sur une telles que Bataille de femmes ou Charcuterie mécanique. apothéose de désordre, destruction d’un décor ou bataille de tartes à la crème, quand ce n’est pas les deux À partir de 1906, on Le gag keatonien à la fois. Il garnit ses films d’une peut parler d’une école Le gag est loin d’être propre au cinéma. Le premier gag de l’histoire du ciné- escouade de policiers (les Keystone française burlesque. Les réactions retardées par ma (Arroseur et arrosé) est inspiré de bandes dessinées largement antérieures à Cops) et de pompiers, qui se mêlent André Heuzé, chez son invention (Herman Vigel, 1807, et Christophe, 1899). Les spécialistes le la réflexion rapprochent Keaton parfois à des défilés ou des incendies Pathé, avec Dix femmes font remonter au music-hall anglais et au vaudeville américain. Le verbe to gag réels, et d’une théorie de baigneuses pour un mari (prélude de Laurel et Hardy. désignait le fait d’improviser une partie de texte pour cacher un trou de mémoi- pulpeuses et peu vêtues, les Bathing aux Fiancées en folie), re, avant d’être un « effet ou jeu de scène comique soigneusement préparé et introduit Beauties. Inventeur du métier de gag- fait de la « course poursuite » le motif principal de cette dans un sketch de music-hall, une pièce de théâtre, etc. » (dictionnaire Oxford). Le man, grand découvreur de talents, Sennett se compose école, qui invente bientôt le héros burlesque, acteur-per- gag n’est pas la simple copie d’un effet de réel suscitant le rire mais qu’on pour- une troupe où l’on trouve Mabel Normand, le gros sonnage qui revient de film en film, par séries : Boireau, rait observer tel quel dans la vie quotidienne : l’homme qui glisse sur une peau Fatty, le long et maigre Al St. John (Picratt en France), Onésime, Rigadin, Zigoto, Calino, Robinet, Cunégonde, de banane fait rire, certes. Ce n’est pas encore un gag, mais un simple effet, le le « bigleux » Ben Turpin… C’est aussi lui qui lance Rosalie ou Mme 100 kg, les enfants Bébé et Bout-de- patatras. Le gag implique une élaboration consciente, même si le spectateur ne Chaplin au cinéma. Zan, ou le chien Moustache… Chez Gaumont, Jean perçoit cette élaboration qu’avec retard. En outre, cet effet est introduit dans Durand développe un comique joyeusement anarchique. une intrigue, même minimale comme dans les films de la Keystone, qui a sa Chez Pathé, Max Linder impose un personnage de gent- À côté de nombreux imitateurs, Sennett a pour principal logique dramatique propre et dont il perturbe un temps le déroulement prévi- leman parisien tiré à quatre épingles et un comique qui rival Hal Roach, qui crée son propre style. À la frénésie sible. Ce détour qui fonde le gag crée une tension (contradiction de deux séries s’éloigne des chutes, grimaces et coups de pied au derriè- de la Keystone, il oppose un comique plus dosé, où l’ex- de faits) jusqu’à la chute, pas nécessairement physique, résolution logique mais re en tirant le burlesque vers la comédie de mœurs. plosion de violence est sans cesse retardée (slow burn), inattendue de la contradiction. dont les meilleurs représentants sont le couple Laurel et Hardy et le jeune homme aux lunettes d’écaille plongé Encore interchangeable dans l’école de Mack Sennett, le gag devient vite une dans des aventures acrobatiques, Harold Lloyd. signature pour les plus fortes personnalités. Il y a un gag (visuel ou verbal) selon 19

Chaplin, Fatty, Lloyd, Langdon, W.C. Fields, les frères Marx, Jerry Lewis, de ramener également celle qu’il aime. Lorsque, Jacques Tati, Pierre Étaix, Coluche, De Funès, etc. Le gag keatonien1 type est dans la séquence de la femme dans le sac (séq. 14), dit à double détente ou double retournement : la chute est rarement la bonne la caméra enferme Johnnie, Annabelle et le sac dans et une seconde chute vient annuler la première tout en réalisant l’intention ini- le cadre vertical borné par les deux wagons, c’est le tiale. Outre les situations analysées par ailleurs dans ces pages, citons l’autre premier moment où le couple est en parfaite har- gag du canon (séq. 28) : voulant remplacer les canonniers défaillants, Johnnie monie et connivence. Gray tire trop violemment la corde du canon dont le fût se met à la verticale (premier temps). Il s’éloigne craignant que le boulet ne lui retombe dessus On notera la discrète connotation sexuelle du ciga- (second temps et première chute : échec). Mais le tir atteint un barrage dont re et surtout du taquet que la jeune fille brandit plus les eaux emportent de nombreux adversaires : troisième temps, seconde chute tard naïvement mais fièrement. C’est par cette opé- et réalisation retardée de l’intention première. La spécificité du gag keatonien ration de mise en scène que Keaton introduit une tient aussi au fait que cette structure à double détente se retrouve dans la struc- notion de désir qu’il se refuse à indiquer par des ture générale du film : lors du trajet de retour, Johnnie Gray rencontre les mimiques à la maniè- mêmes obstacle qu’à l’aller, mais ils tournent à son avantage. re de Chaplin, Lloyd, L’œil de Keaton (en parfois Langdon et haut) sur une actrice (Marion Mack, en bas). surtout, plus tard, Quand Johnnie retrouve Le cadre dans le cadre Groucho, Chico et Annabelle, c’est dans Harpo Marx. le cadre du cinéma. Keaton aime placer l’un ou l’autre de ses personnages dans un cadre qui redouble celui de l’écran. Dans Le Mécano de la « General », Johnnie Gray apparaît dès la première séquence dans le cadre formé par la fenêtre latérale de la « General ». Les Nordistes seront souvent aperçus à travers des cloisons dont une partie ou la totalité a été enlevée. Ces figures récurrentes sont loin d’être gratuites si on les met en relation avec d’autres éléments du film. Annabelle nous est présentée en premier lieu dans un médaillon, auquel répond la photo de Johnnie et de sa « General », offerte à la jeune fille : le cadre dans le cadre désigne ici le désir de Johnnie, la projection de la vision qu’il se fait d’Annabelle et de l’image qu’il voudrait donner de lui-même (et de sa locomotive). De même, lorsque l’image d’Annabelle apparaît après celle de l’œil de Johnnie dans le trou pratiqué dans la nappe par un cigare (séq. 12), au désir de récupé- rer la « General » vient s’ajouter pour Johnnie celui, désormais indissociable,

1. Voir les ouvrages de Jean-Patrick Lebel et Jean-Pierre Coursodon, voir « Réflexion sur le gag », par Francis Bordat, in Cinéma, le genre comique, Francis Ramirez et Christian Rolot dir., Centre d’Études du XXe siècle, Université Paul Valéry (Montpellier III), 1997. 20

■ L’AFFICHE ■ LA CRITIQUE Locomotion La perfection des origines sans émotion Au fil du temps, le film de Keaton enchante la presse comme un paradis... perdu du cinéma. Un réseau de pistes pour se mettre sur les rails de la « General » : mais > CINÉMA 6O où est l’aiguilleur ? Keaton a le goût des immensités, des panoramas, des horizons marins, des paysages grandioses. Non point pour y jouer de la « contre-plongée », mais au contraire, semble-t-il, avec la volonté d’y fondre en quelque Frappe d’abord, dans cette affiche, sa symétrie centrée sur l’avant sorte son personnage, d’intégrer plus totalement l’action au milieu naturel. Tels ces larges panoramiques de la locomotive, particulièrement renforcée par les semelles de en leitmotiv qui, dans Le Mécano, suivent en plans généraux le convoi à travers le paysage. Keaton de part et d’autre de la chaudière, comme deux petits Jean-Marc Leuwen, Cinéma 60, n° 49, août-septembre 1960 nuages. Sont ainsi suggérés aussi bien la construction du film que ses accessoires essentiels : la locomotive, les rails, la fumée… Cette symétrie n’est pourtant qu’un leurre : le centre de la loco est > LE CRAPOUILLOT légèrement décalé vers la droite, pour permettre la présence des Le sujet des films de Keaton pourrait, presque toujours, être traité dans une teinte des plus sombres. Le jambes de la jeune femme et le déploiement des volants de sa robe. Mécano de la « General » […] mêle une action burlesque au tragique. Combats, morts, blessés. Quel Les nuages de fumée ne sont pas rigoureusement identiques, les tact pour ne pas choquer et mêler l’humour à de telles visions ? […] Dans Le Mécano de la « General têtes des personnages non équilibrées, la chevelure de la jeune femme débordant la », le héros, […] amoureux d’une jolie fille, est aussi passionné – à sa manière – d’une locomotive dont il est le mécanicien. Cette éva- droite du cadre, avec en écho la rame du train qui, elle aussi, sort du champ délimi- sion des êtres, cette parenté avec des animaux et des choses est bien curieuse et prend une signification si vaste qu’un très grand espoir té par le montant droit du cadre. nous est permis au sujet des films à venir de Keaton. De cette fausse symétrie résulte une notion d’équilibre précaire, sans cesse remis en Judith Érèbe, août 1927 question, que traduit également la position du couple à cheval sur la locomotive. Buster y tient sa bien-aimée sur ses genoux dans une situation qui ne correspond pas > ARTS à un moment précis du film mais en évoque plusieurs. La vitesse que suggère l’en- semble donne à cette situation physique une connotation de déséquilibre constant Keaton donne ainsi de l’homme une image forte et digne, d’un pessimisme un peu hautain, et qui n’est jamais dégradé par les rires. et de tension. On y sent comme un courant tragique, et les scènes de bataille, d’une beauté et d’une violence étonnantes, prouvent suffisamment qu’il La féminité du personnage de la jeune femme est marquée par ses chevilles gainées ne s’agit point d’un paradoxe. C’est du burlesque janséniste, et que la mélancolie stimule. Nulle vulgarité, un sens prodigieux de la de bas noirs (qu’on n’aperçoit qu’à grand peine dans le film) opposée à une abon- vérité, une sorte d’élégance retenue, un certain respect de soi, et du goût pour les paysages profonds, Le Mécano de la « General » dante chevelure blonde qui est la seule tache de couleur d’une affiche traitée en témoigne de la grandeur, de l’intégrité et de la précision d’un langage cinématographique que la littérature n’allait pas tarder à dégrader. tonalités sombres, du moins « sérieuses ». Gilles Martain, 3 juillet 1962 Le regard de Keaton est nettement mis en évidence : regard attentif, concentré, sans émotion amoureuse apparente, manifestant plutôt une crainte et une angoisse, > CAHIERS DU CINÉMA face au regard confiant et énamouré de la jeune femme. L’attitude des deux amou- Tous les éléments des meilleurs films de Buster Keaton sont subordonnés à une perfection technique mathématique et géométrique qui reux est pour le moins contradictoire… a dû enchanter René Clair, et fait penser aux obsessions et fantaisies mathématiques d’Edgar Poe. Les deux parties symétriques du Le costume de Buster, plus proche de l’uniforme sudiste que de celui du conducteur Mécano de la « General » et tout ce qui en découle sont un exemple de ce bonheur de proportions et de formes. de la « General », ajoute à cette ambiguïté qui a pu jouer sur le spectateur quant au André Martin, Cahiers du cinéma n°86, août 1958 « motif » du film : film d’amour, d’aventures ferroviaires, de guerre ? Qu’est-ce donc que ce ou cette « General » ? 21

> Sur Le Mécano de la « General » Bibliographie Claude Miller, Fiche filmogra- phique (n° 410), Téléciné, n° 107, octobre-novembre 1962. > Livres sur Buster Keaton Richard J. Anobile, Buster Keaton’s Buster Keaton (avec la collaboration de Charles Samuel), Mémoires. Splastick The General, présenté par Raymond > LE FIGARO LITTÉRAIRE (My Wonderful World of Splastick, 1960), Librairie L’Atalante, 1984; Seuil Rohauer, Avon Books, Darien (« Point-Virgule », n° V49), 1987. House Books, 1975. « Ce qui était en 1926 reconstitution d’une ancienne époque, celle de la Guerre de Jean-Patrick Lebel, Buster Keaton, Éditions Universitaires, 1964. Le Mécano de la « General », décou- Sécession, semble appartenir aujourd’hui à cette époque elle-même, comme si le film Jean-Pierre Coursodon, Keaton et Co, Séghers, 1964. page intégral, L’Avant-Scène du ciné- avait véritablement été tourné dans l’Amérique de 1861-1865, la photographie ayant Marcel Oms, Buster Keaton, « Premier plan », n° 31, SERDOC, Lyon, 1964. ma, n°155, février 1975. pris une coloration qui, sans la dater avec précision, la situe loin de nous dans un âge Rudi Blesh, Keaton, The Macmillan Compagny, New York, 1966 (rééd. Hubert Arnault, Fiche filmogra- quasi légendaire déjà, bien qu’historique. Les admirables paysages que traverse la loco- « paperback », Colliers Books, 1966 (biographie en anglais). phique, Image et son, n° 185, juin motive de Buster Keaton, tout en étant et en demeurant d’un réalisme exact, sont plus David Robinson, Buster Keaton, Secker and Warburg, 1966 (en anglais) ; tra- 1965. encore chargés de poésie à notre regard d’aujourd’hui, la patine y matérialisant en duction française in Image et son, n° 234, décembre 1969. Éric Rohmer, Positif, n° 400, juin quelque sorte l’éloignement dans le temps. » Michel Denis, Buster Keaton, Avant-Scène du cinéma, coll. « L’Anthologie du 1994. Claude Mauriac, 30 juin 1962 cinéma », tome VII, n° 62, mars-avril 1971. Jean-Pierre Coursodon, Buster Keaton, Séghers, 1973; éd. Atlas-L’Herminier, > POSITIF 1986. Rien de corrosif ici. Pas de critique de la société établie, mais, sous le respect et les égards Robert Benayoun, Le Regard de Buster Keaton, Herscher, 1982 ; Ramsay- qu’on lui témoigne, celle-ci ne laisse pas moins apparaître ses contradictions. La croyan- Poche-Cinéma, 1987. ce du héros en la pureté d’un idéal chevaleresque se heurte à la dureté constitutive du Olivier Mongin, Buster Keaton l’étoile filante, Hachette, 1995. monde des choses et des hommes. Pourtant, nulle trace de la folie et de l’amertume de Marion Meade, Buster Keaton : Cut to the Chase, HarperCollins, New York, Don Quichotte. On songe plutôt à Perceval. En ces temps lointains, déjà, j’y songeais. 1995 (biographie en anglais). Éric Rohmer, Positif n°400, juin 1994 > Numéros spéciaux de revues et articles généraux sur Keaton Cahiers du cinéma, n° 86, août 1958; n°130, avril 1962 ; n°393, mars 1997. Téléciné, n° 107, octobre-novembre 1962 (« Le retour de B.K. », par Claude Miller). Cinéma 66, n°105, avril 1966 (dossier par Pierre Philippe et Pierre Billard). Positif, n°77-78, juillet 1966 (textes de Robert Benayoun). Cinématographe, n° 14, août-septembre 1975 (« Keaton algébrique » par Jean- Jacques Bernard). La Revue du cinéma/Image et son, n°347, février 1980 (« Discours sur le cinéma dans quelques films de B.K. » par Jacques Valot).

> Sur le burlesque Peter Král, Le Burlesque ou Morale de la tarte à la crème, Stock, 1984. Peter Král, Les Burlesques ou Parade des somnambules, Stock, 1986 (chapitre « BusterK., géomètre »). James Agee, Sur le cinéma, chapitre « La Grande époque du burlesque » (1949), Cahiers du cinéma, 1991 (1ère édition en anglais, 1958). 22

■ AUTOUR DU FILM Le train de l’histoire Le Mécano de la « General » est un des fleurons de la longue histoire qui lie le cinéma et le chemin de fer. C’est aussi un film important sur le thème de la Guerre de Sécession, souvent représenté par les cinéastes américains.

Express de Cecil B. DeMille (1939), la construction de la laire évident : le rapide Los Angeles-Chicago, percutant ligne transcontinentale entre l’Atlantique et le Pacifique à 200 km à l’heure la gare de Chicago (Transamerica « L’effet-Ciotat » est perturbée par tout ce qui s’oppose au progrès : riche Express, Arthur Hiller, 1976), démultiplie l’effet-Ciotat. propriétaire terrien, saboteur, vrais ou faux Indiens… Mais aussi parce que la fiction se nourrit des déraille- Le chemin de fer a d’emblée à voir avec le cinématographe, puisque Lié au pouvoir industriel, le train est ainsi fréquemment ments du récit, de tout ce qui ne suit pas un itinéraire L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat fait partie des tous premiers convoité. D’abord pour préétabli. La folie guette les films Lumière tournés en 1895. ce qu’il convoie. On ne conducteurs de trains, comme compte plus les vols de la fiction se nourrit des déraillements le Sisyphe de La Roue d’Abel Le train démontre immédiatement sa « photogénie », permettant à Louis chargements d’or ou de du récit, de tout ce qui ne suit pas Gance (1923), symphonie Lumière, en un plan unique, de donner à voir, par la simple disposition des billets (Voleurs de train de fantastique de bielles, de rails wagons en diagonale et en profondeur, toute l’échelle des plans, du plan d’en- Burt Kennedy, 1973, Le un itinéraire préétabli. et de pistons. Le train lui- semble au gros plan. Selon la légende, il introduit également la peur au ciné- Cerveau de Gérard Oury, même s’autonomise et laisse ma, puisque certains des spectateurs du Salon Indien se seraient levés de 1969). Bien plus prosaïquement, Doris Day, dans Train, les humains désemparés (Runaway Train, Andreï frayeur, imaginant que le train allait traverser l’écran et pénétrer dans la salle… amour et crustacés (Richard Quine, 1959) fait saisir le train Kontchalovski, 1985 ; La Vallée des géants, Felix Feist, Image de la modernité, ce train annonce tout à fait fortuitement la transfor- qui n’achemine pas assez rapidement les crustacés dont 1952)… Le train, en tout cas, est fréquemment associé à mation qu’apportera quelques années plus tard le découpage classique : il elle fait commerce… En temps de guerre, on cherche à des situations troubles, qu’il s’agisse des pulsions irrai- implique le spectateur dans l’espace du film au lieu de le laisser contempler de s’approprier les trains pour eux-mêmes : il s’agit d’affai- sonnées des héros de La Bête humaine (Jean Renoir, 1938) l’extérieur un plan-tableau, comme dans Le Déjeuner de bébé (toujours de 1895), blir l’ennemi et de disposer de moyens de transport et de ou de Désirs humains (Fritz Lang, 1954), tous deux inspi- par exemple. Notons que c’est encore un train qui sert de motif au film ravitaillement, comme dans Le Mécano. L’anecdote initia- rés du roman de Zola, ou de celui de Trains étroitement d’Edwin S. Porter, L’Attaque du Grand Rapide (1903), à la fois premier le du raid Andrews a d’ailleurs été portée à l’écran trente surveillés (Jiri Menzel, 1966), où les troubles sexuels du et premier film de gangster, célèbre par le plan du hors-la-loi qui tire en direc- ans plus tard sur un mode sérieux dans une production héros débouchent sur la destruction d’un train de muni- tion du spectateur… Disney (L’Infernale poursuite, de Francis D. Lyon). Le tions allemand. Le train est également une métaphore obligée du cinéma, puisque le paysage Train, de John Frankenheimer (1964), est réquisitionné à défile à travers les vitres de voitures comme dans la salle de projection. la fin de la Seconde Guerre mondiale pour emmener en L’étroitesse de l’espace du train n’exige pas seulement des D’autant plus que, comme le remarque Michel Chion, ces paysages sont sou- Allemagne des œuvres d’art. Mais la Résistance veille, prouesses de prise de vue et d’éclairage, mais engendre la vent des projections faites pendant le tournage derrière des voyageurs immo- comme dans La Bataille du rail de René Clément (1945), promiscuité. Sordide, même si elle donne lieu à un moment biles dans un studio de cinéma (transparences). où les cheminots, entre autres, sabotent les convois alle- d’illusion romantique (Le Train, Pierre Granier-Deferre, mands. 1973), elle préside aux rencontres et affrontements de Dans le cinéma des premiers temps et surtout le western, le chemin de fer sym- Dans ces trois films, le déraillement est une sorte de figu- quelques échantillons d’humanité, du Train de nuit de bolise le progrès. Dans Le Cheval de fer de John Ford (1924), comme dans Pacific re imposée du film ferroviaire. Pour son aspect spectacu- Kawalerowicz, au Train des suicidés d’Edmond T. Gréville... 23

Sudiste Ben Cameron, se fait acclamer par les Nordistes, avant de fonder le Ku-Klux-Klan pour protéger le Sud d’une domination Le cinéma noire… La phrase que se remémore le Sudiste O’Meara (Rod Steiger) dans Le Jugement des flèches, de Samuel Fuller (1957) éclai- re l’attitude du cinéma hollywoodien dans sa majorité : « La reddi- s’en va en Guerre tion de Lee n’a pas été la mort du Sud, mais la naissance des États-Unis ». Mais la blessure fut si longue à cicatriser que Buster Keaton consi- dérait toujours en 1965 que dans sa version du récit de William de Sécession Pittinger (L’Infernale poursuite, de Francis D. Lyon, 1956), Disney s’était trompé : « Il a commis l’erreur de raconter l’histoire du point de Si les trains s’identifient à ce point au cinéma, c’est que La Guerre de Sécession, que les Américains appellent sim- vue nordiste. Et on peut toujours peindre les Nordistes comme les scélérats tous deux sont vecteurs de désir. Pour le pire parfois, plement la « Guerre civile », a déchiré les États-Unis de d’une histoire, mais c’est impossible pour les Sudistes ». comme le couple masculin de L’Inconnu du Nord-Express 1861 à 1865. (Alfred Hitchcock, 1951), pour le meilleur, après bien des frissons (La Mort aux trousses, Hitchcock, 1959)… Contrairement à une idée reçue en France, l’abolition de l’esclava- Explicitée par l’image (dernier plan de La Mort aux ge n’est pas la cause unique de la « sécession », même si elle en fut trousses) ou masquée et sublimée sous l’exotisme et les toi- un symptôme essentiel. Les disparités économiques, sociales et cul- lettes et l’élégance de Marlène Dietrich (Shanghai- turelles entre le Nord, commerçant et industriel, et le Sud, conser- Express, Josef von Sternberg, 1932), la sexualité emplit vateur et terrien, sont bien plus essentielles. La guerre civile se aussi bien les salles obscures que les compartiments de caractérise, au moins jusqu’à la nomination du général Grant par train les plus vieillots, de celui des collégiens de Zéro de Lincoln en mars 1864 – le raid Andrews a lieu en 1862 –, par la conduite (Jean Vigo, 1933) à celui des prostituées de La supériorité du commandement sudiste, l’importance des liaisons Maison Tellier (Le Plaisir, Max Ophuls, 1951). ferroviaires et télégraphiques, la volonté de détruire les moyens de communication de l’ennemi, toutes choses dont Le Mécano de la « General » rend compte de façon très juste.

Bibliographie La révolte des États du Sud n’est pas considérée comme anti-amé- Noël Burch, La Lucarne du siècle, Nathan Université, ricaine : elle exprime au contraire le courage du Sudiste de se 1990. battre pour sa liberté individuelle d’opinion, son droit de se gou- Raymond Bellour, Le Western, « 10/18 », UGE, 1966 ; verner lui-même, face à l’État fédéral. Le triomphe de l’Union, coll. « Tel », Gallimard, 1993. soldé par l’assassinat de Lincoln quelques jours après la reddition Michel Cieutat, Les Grands thèmes du cinéma américain, du général Lee à Appomattox, permet la réconciliation sur le fait tome II, coll. « 7e Art », Cerf, 1991. que l’Amérique perdure, unifiée. Hollywood, pas plus que le Nord, Michel Chion, article « Train », Dictionnaire des person- ne peut s’aliéner commercialement le Sud. Dans Autant en emporte Bibliographie nages du cinéma, Gilles Horvilleur dir., Bordas, 1988. le vent (Victor Fleming, 1939), la destruction d’Atlanta par les Patrick Brion, Le Cinéma de guerre, Éditions de la Martinière, 1996. troupes nordistes, entre autres, est donnée comme un acte de bar- Michel Cieutat, Les Grands thèmes du cinéma américain, tome II, barie et les Nordistes en général comme des êtres manquant singu- coll. « 7e Art », Cerf, 1991. lièrement de noblesse. Le conflit Nord-Sud, dans Naissance d’une Claude Fohlen, article « Guerre de Sécession », nation (D. W. Griffith, 1915), est d’abord le déchirement de deux Encyclopædia Universalis, tome 20. familles autrefois amies. En portant secours à un ennemi blessé, le Hélène Puiseux, Les Figures de la guerre, Gallimard, 1997.