Revue archéologique du Centre de la France
Tome 51 | 2012 Varia
La production de terres cuites architecturales en Gaule et dans l’Occident romain, à la lumière de l’exemple de la Lyonnaise et des cités du nord-est de l’Aquitaine : un artisanat rural de caractère domanial ? The production of architectural terrra-cotta in Gaul and the Western Roman Empire, revealed by the example from Lyon and the “cities” of North-East Aquitaine: rural craft with a local character?
Alain Ferdière
Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/racf/1809 ISSN : 1951-6207
Éditeur Fédération pour l’édition de la Revue archéologique du centre de la France (FERACF)
Édition imprimée Pagination : 17-187 ISSN : 0220-6617
Référence électronique Alain Ferdière, « La production de terres cuites architecturales en Gaule et dans l’Occident romain, à la lumière de l’exemple de la Lyonnaise et des cités du nord-est de l’Aquitaine : un artisanat rural de caractère domanial ? », Revue archéologique du Centre de la France [En ligne], Tome 51 | 2012, mis en ligne le 28 janvier 2013, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/racf/1809
Les contenus de la Revue archéologique du centre de la France sont disponibles selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Revue archéologique du centre de la France, Tome 51, 2012 : 17-187.
Alain FERDIÈRE* avec la collaboration de Fabrice CHARLIER** ______La production de terres cuites ar- chitecturales en Gaule et dans l’Occident romain, à la lumière de l’exemple de la Lyonnaise et des ci- tés du nord-est de l’Aquitaine : un ar- tisanat rural de caractère domanial ?
PRODUCTION OF ARCHITECTURAL TERRRA- COTTA IN GAUL AND THE WESTERN ROMAN EM- PIRE, REVEALED BY THE EXAMPLE FROM LYON AND THE “CITIES” OF NORTH-EAST AQUITAINE: RURAL CRAFT WITH A LOCAL CHARACTER?
Mots-clés : Aquitaine, ateliers, briques, domaine/fundus, domini, estampilles, inscriptions, Gaules, graf- fi ti, Lyonnaise, militaire, production, terres cuites architecturales, tuiles.
Keywords: Aquitaine, workshops, bricks, domain/fundus, domini, stamps, inscriptions, Gauls, graffi ti, Lyonnaise, militairy, production, architectural terra-cotta, tiles.
Résumé : La question posée est celle du caractère domanial de la production de terres cuites architec- turales (dont tuiles, briques…) à l’époque romaine : à partir de l’examen de la question à l’échelle du Monde romain au moins occidental et notamment des Gaules, l’auteur réalise un inventaire des ateliers pour la province de Lyonnaise et les cités nord-orientales de celle d’Aquitaine, en vue de cette démonstration. Les conséquences économiques et sociales de ce constat sont examinées.
Abstract: The question asked is about the local character of architectural terra-cotta (tiles, bricks...) in the Roman period: from the examination of the question on a Roman 'world' scale, at least the western parts and particularly of Gaul, the author produces an inventory of workshops for the province of Lyon and the cities North-west of the province of Aquitaine. The economic and social consequences are examined.
______* Professeur émérite d’archéologie, Laboratoire Archéologie et Territoires, UMR CITERES, Tours ; [email protected] ** Docteur en Archéologie : voir notamment sa thèse : CHARLIER 2011 ; pour notamment la bibliographie et les ateliers de TCA. 18 RACF 51, 2012
2. ÉTUDE DE CAS POUR LES TROIS GAULES : INTRODUCTION LA PROVINCE DE LYONNAISE ET LES 1. LA PRODUCTION DE TERRES CUITES SIX CITÉS DU NORD ET DE L’EST DE ARCHITECTURALES : LA SITUATION L’AQUITAINE DANS L’ENSEMBLE DES GAULES 2.1. Les sources ET DANS LE MONDE ROMAIN 2.2. Les ateliers de production de TCA 1.1. Les sources 2.3. Les estampilles sur TCA 1.1.1. Les textes 2.4. Les produits et leur usage : de quelques 1.1.2. Les inscriptions lapidaires spécifi cités 1.1.3. L’épigraphie de l’instrumentum 2.5. La diffusion des produits : les transports 1.1.4. Et les autres sources : conclusion 2.6. La mise en œuvre des TCA 1.2. La production de TCA 2.7. La chronologie 1.2.1. L’implantation des ateliers CONCLUSION : la terre cuite architecturale en 1.2.2. Les structures et équipements Gaule centrale, une production essentiellement des ateliers de production domaniale 1.2.3. Production mixte ■ BIBLIOGRAPHIE 1.3. Le statut des ateliers 1.4. Les travailleurs et protagonistes Annexe 1. Inventaire des ateliers de TCA pour 1.5. Et les produits la Lyonnaise et les cités du nord et de l’est de 1.6. Les estampilles l’Aquitaine 1.7. Les estampilles militaires et leurs ateliers Annexe 2. Corpus des estampilles sur TCA pour 1.8. Le transport la Lyonnaise et les cités de l’Est et du Nord de 1.9. La consommation : la mise en œuvre l’Aquitaine et les lieux d’utilisation Annexe 3. Liste alphabétique des ateliers de pro- 1.10. Évolution de la TCA en Gaule, de La Tène duction de TCA (hors Lyonnaise et cités du N fi nale au Moyen Âge et de l’E de l’Aquitaine) mentionnés ou évoqués 1.10.1. La Tène fi nale et la période républi- dans le texte : reste des provinces gauloises et caine (IIe-Ier s. av. n. è.) germaniques, ainsi que des provinces alpines, 1.10.2. Le Haut-Empire et autres provinces romaines d’Occident et de 1.10.3. L’Antiquité tardive l’Empire romain 1.10.4. Le Haut Moyen Âge Annexe 4. Estampilles sur TCA hors des cités de 1.10.5. Et ensuite… Lyonnaise et du N et E de l’Aquitaine
On ne doit s’attendre ici à rien de révolutionnaire depuis des décennies, que la majorité de ces ateliers concernant l’économie de la Gaule : considérer que se situent en milieu rural. On examinera d’ailleurs la production de terres cuites architecturales1 est, à la ici, infra, l’historiographie et la bibliographie du su- période romaine – et notamment en Gaule –, essen- jet, pour l’Occident romain en général et l’Italie en tiellement de caractère rural et sans doute assez étroi- particulier. tement lié au système domanial n’est pas nouveau Il est à noter que, contrairement aux usages des ar- en soi : on sait bien, par déjà de nombreux auteurs chéologues et historiens de l’art de l’Antiquité médi- terranéenne, qui réservent le terme de “ terres cuites architecturales ” à des éléments décorés tels que par 1. Abrégée ensuite “ TCA ” exemple les plaques Campana, le vocable TCA est La production de terres cuites architecturales en Gaule et dans l’Occident romain... 19
ici usité selon l’usage des archéologues français œu- nord-orientales de celle d’Aquitaine4 (Ann. 1), com- vrant en Gaule et en France médiévale. Il inclut donc, plété, pour la même aire géographique, par l’inven- en premier lieu, les tuiles (tegulae et imbrices, ainsi taire des estampilles sur TCA (Ann. 2). qu’antéfi xes), mais aussi les briques et autres élé- Il pourrait dès lors paraître comme un postulat ou- ments destinés à la construction des bains (carreaux tré et déplacé de s’appuyer ici sur les exemples plus de pilettes, tubuli, claveaux, etc.), les tuyaux…, aux- documentés par d’autres données que strictement quels s’ajoutent parfois, sur certains ateliers, des pe- archéologiques, telles que Rome même, ou des pro- sons de métier à tisser, qui quant à eux ne sont certes vinces différentes, notamment orientales. Cependant, pas des terres cuites “ architecturales ”. on peut sans doute admettre que l’intégration dans Mais le propos est surtout, très délibérément, l’Empire romain a, à l’évidence, établi une certaine d’avancer à partir de ce constat, quelques hypothèses, homogénéisation dans l’organisation socio-éco- déjà évoquées à la marge dans certains de mes travaux nomique de la production, ne serait-ce qu’au plan antérieurs concernant l’artisanat (voir bibliographie juridique, lissage qui doit au moins en partie avoir infra). Ces propositions ne seront certes pas non plus gommé les différences et disparités, économiques et complètement nouvelles, mais on tentera d’entrer un culturelles. Cette diversité de développement et de peu plus dans le détail, au-delà de ce constat pour culture reste cependant évidente, entre provinces, quasi l’ensemble du monde romain, notamment des et y compris entre celles de la partie occidentale de conséquences que cela induit sur le fonctionnement l’Empire. économique et social des cités de Gaule interne, en Je m’emploierai ici, dans un premier temps particulier en termes de construction et d’édilité. Pour (chap. 1), à montrer que ce modèle est bien présent ce faire, on appuiera l’argumentaire sur un exemple, dans le monde romain occidental – et notamment en une étude de cas concrète, des realia de terrain, des Italie –, voire au-delà, avant donc d’en examiner avec “ preuves ” tangibles et évaluables, quantitativement plus de détails l’application à une aire géographique et qualitativement, essentiellement de nature archéo- spécifi que (province de Lyonnaise et cités du nord et logique, à l’échelle d’une vaste aire des Gaules cou- de l’est de l’Aquitaine : chap. 2), prise ici à titre vrant plus d’une province. On peut d’ailleurs consta- d’étude de cas5. ter que la production de terres cuites architecturales, comme celle de chaux et les carrières, participe de 1. LA PRODUCTION DE TERRES CUITES ARCHITEC- manière patente à la “ romanisation ” des pratiques TURALES : LA SITUATION DANS L’ENSEMBLE DES de construction, dans le choix des matériaux vers la GAULES ET DANS LE MONDE ROMAIN “ pétrifi cation ” et l’architecture en dur, dans les Trois Gaules, notamment à partir du début de la période impériale. Prenons donc d’abord le dossier dans sa globalité, à Il est clair, cependant, que, faute de documents travers le monde romain et plus particulièrement oc- textuels ou épigraphiques pour l’essentiel de ces cidental. Avant de se confronter au corpus mobilisé provinces des Gaules et des Germanies, notre docu- ici pour le propos et concernant une vaste région mentation reste ici essentiellement d’ordre archéo- centrale des Gaules, il est en effet nécessaire d’ob- logique2, ouvrant à des interprétations alors souvent server l’état de l’art, de faire le point sur la question délicates et ambiguës. Les données étayant les hy- en cause, pour le reste des provinces gauloises, puis pothèses de travail soutenues ici ne peuvent dès lors l’ensemble de l’Empire romain, notamment occi- qu’être ténues et indirectes. On s’appuiera donc en dental, mais sans forcément s’y cantonner. l’occurrence sur un corpus d’ateliers de production de TCA aussi exhaustif que possible3 concernant l’ensemble de la province de Lyonnaise et les cités 4. À savoir, du nord-ouest au sud-ouest de la province, six ci- tés : d’ouest en est, Pictons, Lémovices, Bituriges, Arvernes, Vellaves et Gabales. 2. À l’exception toutefois des estampilles sur tuiles ou briques, 5. La bibliographie a volontairement été très développée, afi n relativement rares dans l’aire étudiée plus en détail (cf. Ann. 2). de tendre à une certaine exhaustivité sur le sujet dans le monde 3. Extrait à l’origine de celui élaboré pour la préparation d’une romain, et dépassant donc parfois les stricts besoins de référen- communication au Congrès CRAFTS de Zurich en 2007 (voir cement des points abordés : j’ai jugé utile qu’elle puisse ainsi FERDIÈRE 2008b ; cf. 2006/07 et 2008a) – ainsi que le récent servir de base documentaire en tant que telle ; un complément a ouvrage sur la Lyonnaise (FERDIÈRE 2011) – et assez largement été notamment effectué à partir de la bibliographie des RCRF : mis à jour et complété depuis, pour la présente étude. http://www.rgzm.de/anadecom/newhome.htm/ 20 RACF 51, 2012
1.1. Les sources la Gaule Cisalpine), on contruit des murs de clô- ture en briques cuites (lateres coctiles). En préalable, on ne peut faire l’économie d’exa- Un peu plus tard, dans la 2e moitié du Ier s. de n. è., miner la nature de la documentation, les différents le naturaliste Pline l’Ancien mentionne quant à lui types de sources mobilisables quant à la question la brique “ mammatis ” (à mamelons), pour les murs abordée, ne serait-ce que pour déceler les effets de des bains, les imbrices de toiture (HN, XXXV, 159), sources, les effets pervers, de leur présence, voire et, ailleurs, les tegulae pavonaceae (en écaille, en de leur absence, comme de leur poids respectif. Plus “ queue de paon ”, mais en fait en pierre), en Gaule sans doute que dans le grand secteur géographique Belgique (HN, XXXVI, 159). ensuite traité en étude de cas (Chap. 2), la question Plus tard, pour la toute fi n du IIIe s., l’Édit du abordée ici est, à travers le reste du monde romain, Maximum de Dioclétien6 donne quelques indica- documenté par des sources diverses et non seule- tions : ment archéologiques. - salaire journalier des ouvriers briquetiers (VII, 1, 15-16 ; cf. CHARLIER 1999 : 167) : “ lateris crudis ad laterculos diurnam mercedem, in lateribus quattuor 1.1.1. Les textes pedum (b)inum, ita ut ipse sibi inpensam praep[a]ret, pasto ” ( = pour des briques crues destinées à être cuites, Les sources textuelles antiques sont cependant comme salaire journalier par lot de quatre briques de particulièrement rares au sujet des TCA et de leur deux pieds, à condition que l’ouvrier prépare lui-même production. la terre, avec nourriture), et : item lateris ex luto diur- Dès le début du IIe s. av. n. è, Caton donne ce- nam mercedem, in lateribus numero octo, ita ut ipse sibi pendant des indications non sans intérêt quant à la inpensam praeparet, pasto (= de même pour des briques mise en œuvre de “ tegulae ” (sans doute incluant de boues, comme salaire journalier par lot de 8 briques, les imbrices) pour la construction d’une villa en à condition que l’ouvrier prépare lui-même la terre, avec dur (de Agr., XVII (14), 3-5) : le bon prix est alors nourriture) (trad. F. Charlier) ; de deux sesterces pour la production d’une tuile, - et par ailleurs prix des tegulae (ERIM et REY- si l’on fournit le nécessaire (argile, combustible, NOLDS 1973 : copie d’Aphrodisias, colonne III, four pour la cuisson, sans doute), et moitié prix chap. 16, ll. 1, 2 et 18, ll. 11-13 : “ De Fictilibus ”, pour celles cassées, auxquelles il manque un 19 à 28)7 : “ 20, tegula cum imbrice, prix inconnu ; 21, quart (et en revanche le double pour les “ conli- laterem bipedaneum (brique de 2 pieds), id. ; 22-23, lat. ciares ” et le quadruple pour les “ vallus ”, tuiles pudalem, lat. rutundum, 4 deniers ; 19, 21-23, tubulum particulières pour l’écoulement des eaux) ; pour (divers), 6 et 12 deniers, selon ”. la construction d’une ferme en adobe, le prix de La mention de l’enceinte de brique de Toulouse la tuile est, curieusement, ramené à un sesterce et par Ausone, au IVe s., est certes plus anecdotique demi. Il ajoute (ibid., CXLIV (135), 1) que l’on (Ausone, Ordo…, XVIII, Tolosa, v. 2). doit acheter de bonnes tuiles à Vénafre (en Cam- Quant aux textes législatifs, il est intéressant pour panie) et que, si la toiture de la villa prend l’eau, le propos développé ici de noter la mention par le il faut vite remplacer les tuiles (ibid., CLXIV Digeste (VIII, 3, 6) de la fabrication de tuiles par (155), 2). les propriétaires de villa eux-mêmes (cf. JULLIAN On peut ensuite citer Vitruve, au Ier s. av. n. è., 1920/26, 2 ; n. 327, p. 608 ; MEES 2002 : 411) ; “ te- évoquant pour la construction les bonnes tuiles gulae ad villam aedifi candam ”. Des tuileries à l’inté- bien cuites (Arch., II, 8, 18-19), celle des bains, rieur de domaines sont par ailleurs mentionnés (Ja- avec les carreaux de pilettes de suspensura et les volenus, Dig., 33, 7, 25, 1 ; cf. RICO 2000) : “ quidam, tubuli (ibid., V, 10, 2-3), ou encore les carreaux cum in fundo fi glinas haberet, fi gulorum opera, maiore en pavage (ibid., VII, 1, 7). Il détaille par ailleurs parte anni, ad opus rusticum utebatur ” ; ou encore la les différents modules de tuiles (ibid., II, 3 ; et vente des tuiles produites dans une villa à d’autres, cf. V, 10), mais son chapitre sur la brique (ibid., 2, 3) concerne la brique crue. 6. Texte en fait connu par plusieurs documents épigraphiques – et Son quasi contemporain l’agronome Varron qui à ce titre aurait donc dû fi gurer ici au paragraphe suivant –, (RR, 1, 2, 22) indique quant à lui que les Saserna mais que j’ai jugé plus opportun de citer en tant que document tirent bénéfi ce de glaisières (carrières d’argile) de textuel, compte tenu de son caractère particulier. leurs domaines (cf. RICO 2000) ; il ajoute (ibid., 1, 7. À comparer avec le prix donné par Caton presque cinq siècles 14, 4) que dans l’ager Gallicus (sans doute alors plus tôt : voir supra. La production de terres cuites architecturales en Gaule et dans l’Occident romain... 21
voisines (Digeste (Paul), 8, 6 ; cf. RICO 2000) ; voir tion S. Dardaine et M.-D. Watton, loc. cit.). La rai- aussi : Digeste, 18.01.65 (MEES 2002 : 410). son de ce règlement limitant la surface des ateliers On ne dispose malheureusement pas, en Occi- de tuiliers urbains n’est apparemment pas surtout de dent, de la documentation écrite et notamment ju- sécurité, malgré S. Dardaine et M.-D. Watton (loc. ridique qu’offrent les papyri, pour l’Égypte (cf. par cit.). Cette utilisation d’un nombre de tuiles comme ex. DREXHAGE 1994)8, que je n’ai pas cru utile de mesure de surface d’un édifi ce est par ailleurs re- détailler ici. marquable (cf. MANACORDA 1993) : on retrouve la même chose dans la Loi de Tarente (Lex municipii Tarentini = CIL, I2, 590 ; cf. MANACORDA, loc. cit.), 1.1.2. Les inscriptions lapidaires selon laquelle, pour être décurion, il faut avoir une maison “ d’au moins 1500 tegulae ”. [NB : ici à l’exception d’une part des graffi ti, traités à la suite En outre, on ne doit pas, ici non plus, oublier – hors (§ 1.1.3), et des estampilles, examinées par ailleurs plus bas de l’épigraphie sur pierre – les papyri égyptiens qui (§ 1.6, et 1.7 pour celles militaires) ; l’Édit du Maximum, en- mentionnent parfois des ateliers de tuiliers-brique- semble de documents en fait épigraphiques, est déjà cité plus tiers, avec des comptes (supra ; DREXHAGE 1994 ; haut (§ 1.1.1), comme texte] cf. BRANDL et FEDERHOFER 2010 : 60-61). Très rares sont les documents épigraphiques sur pierre documentant la question. On peut citer la 1.1.3. L’épigraphie de l’instrumentum stèle funéraire d’un contrôleur (custos) des tuileries de la XXIIe légion à Mayence (Musée de Mayence ; Il s’agit essentiellement d’inscriptions en cursive, AE, 1941, 107 ; cf. BRANDL et FEDERHOFER 2010 : 64, tracées à cru sur des TCA, documents principale- Fig. 69). En outre, un producteur de tuiles, Gaius ment issus des ateliers eux-mêmes et correspondant Longinius Speratus, connu par au moins deux sites pour une bonne part à des comptes de tuilerie-bri- avec estampilles GLSP, est le dédicant d’une ins- quetterie. Ils apportent de précieuses informations cription de Grossbottwar, vers 200 ap. J.-C. (CIL, sur de nombreuses questions traitées par la suite et XIII, 6458 ; cf. BRANDL et FEDERHOFER 2010 : 69 et on les examinera donc ici avec un certain détail. Fa- Fig. 76). brice Charlier (2004 ; cf. aussi HÜBNER 1885 : XLIV- Un document exceptionnel est cependant l’ins- XLV ; RIESE 1914 : 449-450 ; VOLLMER 1915 ; MAL- cription d’Osuna (Andalousie, Espagne), pour la LON 1952 : 63-65 ; FLÜGEL et SCHMIDTS 2000/01 ; Colonia Iulia Genetiva, en Bétique, dite “ loi d’Ur- BRANDL et FEDERHOFER 2010 : 48-54 et 56-63) en a so ” (CIL, II, Suppl., 5439 ; TSIOLIS 1997 ; cf. DAR- notamment produit un inventaire très complet, ana- DAINE et WATTON 1986 : 349 ; cf. RICO 1993 ; 1999 ; lysé en détail, dont je ne donne ici que quelques ex- cf. RIBBOCONE 1941 : 126, no 1042 ; MEES 2002 : traits. Il s’agit donc, en principe, toujours de graffi ti 411) : chap. LXXVI (Lex Ursoniensis 76 = Lex Co- avant cuisson, prouvant ainsi qu’ils ont été tracés loniae Genetivae) : “ fi glinas teglarias maiores tegula- sur les ateliers mêmes. rum CCC tegulariumque in oppido colonia Iulia ne quis Sans reprendre ici la totalité de l’inventaire de habeto. Qui habuerit ita aedifi cium isque locus publicus F. Charlier (2004 : 92-102 : pour la France seule)9, coloniae Iuliae esto, eiusque aedifi cii quicumque in co- on peut donc citer les exemples les plus suggestifs, lonia genetiva Iulia iure dicundo praerit, sino dolomalo en Gaule (ordre alphabétique des lieux de décou- eam pecuniam in publicum redigito ” = “ que personne verte), hors de la région examinée en étude de cas ne possède d’“ ateliers ” de potiers supérieurs à 300 (Chap. 2), mais incluant en outre ici quelques exem- tuiles et des tuileries au chef-lieu de la colonie julienne. plaires non signalés par F. Charlier et surtout d’autres Si quelqu’un a un tel édifi ce, que ce lieu devienne public issus de régions des Gaules et des Germanies (et à la colonie julienne, que tout magistrat à qui il appartient provinces alpines) hors du territoire métropoli- de dire le droit dans la colonie Genetiva Iulia fasse ren- tain. Cet inventaire sommaire comprend notamment trer loyalement cet argent dans le trésor public ” (traduc- des comptes d’enfournement avec dates calendaires (bonne saison pour les cuissons) (BLOCH 1947 : 329- 330 ; SPITZLBERGER 1968 ; NEUMANN 1973 ; FRÈRE et 8. On peut citer le contrat pour la production de poterie d’Oxy- TOMLIN 1993 ; CHARLIER 1999 ; 2004 ; cf. CHARLIER rhyncos, P.Oxy.50.3595-3597 (cf. AUBERT 2005a ; voir aussi : COCKLE 1981 ; MEES 2002) ; pour une tuilerie, à Arsinoé, du VIe s. de n. è., voir aussi : PREISIGKE 1944 : no 01.05175 ; cf. MEES 9. Avec aussi quelques graffi ti sans doute après cuisson, sans 2002 : 393). rapport avec notre propos. 22 RACF 51, 2012
2011 : 728-730 ; BRANDL et FEDERHOFER 2010 : loc. tuile (il ne s’agit pas d’un compte) : “ Victor[is cit.), surtout pour des ateliers légionnaires (et voir of(fi cina) cur(ante)] / Paridiani (servo) Erymo […] ” ; d’autres exemples infra, hors Gaules). on note la présence d’un esclave de Paridianus, Aachen/Aix-la-Chapelle (Allemagne), Germa- au nom d’origine grecque (SPEIDEL 1996). nie Inférieure : plusieurs graffi ti, dont avec indica- Mariaweiller (Rhénanie, Allemagne), Germa- tion d’un conducteur de fournée (“ Victorinus duc- nie : graffi to sur tuile : “ (ante diem) XVI K(alendas) tor ”) (RUEGER 1987 ; CHARLIER 2004 : 80, tabl. VII, Iunias / Hristo n(umero) LXI ” = “ le 16e jour avant les no 16 ; BRANDL et FEDERHOFER 2010 : 48 et Fig. 49). calendes de juin, Hristo, nombre : 61 ” (ZANGEMEIS- Baden-Baden (Bade-Württemberg, Alle- TER 1879 ; CHARLIER 2004 : 78). magne), Germanie Supérieure (rive droite du Mayence (Allemagne, Germanie Supé- Rhin) : un graffi to sur tuile, avec date de sep- rieure) : compte avec date (KÖRBER 1905 : 56, tembre, pour 500 tuiles (WIEGELS 1977 ; CHARLIER no 78 : CHARLIER 2004 : 79). 2004 : 79). Meschenich (Allemagne, Germanie Infé- Bonn (Rhénanie, Allemagne), Germanie Infé- rieure) : graffi ti avec date (LEHNER 1901 : 234 ; rieure : graffi to sur tuile (ZANGEMEISTER 1879). CHARLIER 2004 : 79, tabl. V, no 15). Cajarc “ Carrade ” (Lot), atelier de tuilier du Mirebeau-sur-Bèze (Côte-d’Or), dans les Quercy (Cadurques, Aquitaine) : graffi to (PAUC thermes extra muros du camp légionnaire (cité 1982 : 83-84). des Lingons) : graffi to sur une brique : Secun- Cologne-Marenburg (Rhénanie, Allemagne), dus CCCXXVI / Arunti / ]..eus / ].enus / ].us / ]s (LE Germanie Inférieure : avec date (HANEL 1998b : BOHEC 1995 : 314-315, no 9 (lecture différente : 408 ; CHARLIER 2004 : 80, tabl. VI, no 5). IVCVNDVS CCCXXVI / MVNTI / IIVVI / IVYVI / IIVI Elsdorf (Hambach 127, près de Cologne, Al- / HH) ; CHARLIER 2004 : 93, no 21.2). lemagne), Germanie Inférieure : dans une villa, Montenach (Moselle), cité des Trévires, pro- graffi to sur tegula : “ A M S IIIIIIII / M A S IIIIIIII ” vince de Belgique : de l’atelier de tuilier d’une (GAITZSCH 2002 : 116 et Fig. 94). villa : “ cum Anaillo dies[… / cum tertio dies I / inbri- Erlach (CH), Germanie Supérieure ; graffi ti de cis dies III / inbricem baiolandam mortari VI dies comptage avant cuisson : col. 1 : “ MAT(E)RNVS / III / tegul(a)e in campo Rassure dies I / laterc(u) MACCIVS / GRATVS ; col. 2 : “ POSSESS[...] / DI- li dies I ” = “ travaillé avec Anaillus … jours, avec ROGIS /GRATI / SERVUS [… ?] / MASSO[… ?] / FE- Tertuius un jour, trois journées à transporter des tuiles CIT[…]/ ” (FREI-STOLBA 1980 ; cf. CHARLIER 1999 : creuses (imbrices), six fournées d’argile dans un pétrin 176 sq.). (mortari) trois jours, un jour à transporter des tuiles Holdeurn/Holdoorn (PB) : plusieurs graffi ti, plates (tegulae) dans le champ (campo) de Rassura, sur un site militaire : a) pour 1 tuile et 1 brique : pour les briques, un jour ” (trad. d’après F. Charlier) 20 juin et 1er juin (BRAMBACH 1867 : 28; HOLWER- (NB : P. Wuilleumier (loc. cit. ligne suivante) lit DA et BRAAT 1946 : Pl. XXXIV, no 2 ; CHARLIER “ [P]atercli = (du champ) de Parterclus ” à la der- 1999 : 177 ; 2004 : 80, no 2 ; cf. 2011 : Fig. 6.3) ; nière ligne) (CLÉMENT 1927 ; WUILLEUMIER 1963 : b) “ Kal(endis) Iun(i)is / Quartus / laterclos / n(umero) 210-211, no 533 ; Civilisation… 1983 : 313-315 ; CCXIII ” = “ le jour des calendes de juin, Quartus a fait MARICHAL 1988 : 18 ; CHARLIER 1999 : 173-174 ; 214 briques ” (BRAMBACH 1867 : 28, no 114 ; HO- 2004 : 96, no 57.1 ; GAMBS 2007 ; BRANDL et FE- LWERDA et BRAAT 1946 : 133 ; cf. OXÉ 1925 ; MARI- DERHOFER 2010 : 62, Fig. 67) ; cette inscription CHAL 1988 : 18 ; LAUBENHEIMER et LE NY 1999 : 21 ; a été rapprochée de l’un des comptes de travail CHARLIER 1999 : 177 ; 2004 : 78) ; c) et d) nombre des ateliers de sigillée de La Graufesenque (MA- produit (dont 516), pour juin et juillet (BRAMBACH RICHAL 1988 : 18). 1867 : 28, no 111 et 113 ; CHARLIER 2004 : 79). Nice-Nicaia (près de –) (Alpes-Maritimes), Hummetroth (Odenwaldkreis, Allemagne), province des Alpae Maritimae, capitale de cité : Germanie Supérieure (rive droite du Rhin) : “ Stra- graffi ti sur TCA : “ CXX / ET RASI XX ” = “ (mou- tura tertia, laterc(u)li capit(u)lares n(umero) CC- lées : ) 120 et ébarbées : 20 ” (trad. F. Charlier : CLXXV ” = “ Trois rangées de tuiles, pour 375 tuiles cf. infra Aquilée, pour “ rasi ”) (CIL, V, 8110, “ de tête ” [faîtières ?] ” (BRAMBACH 1867 : no 1397 ; 450 ; CHARLIER 1999 : 181). CHARLIER 2004 : 87, tabl. IX, no 2 ; BRANDL et Optevoz (Isère), agglomération des Allo- FEDERHOFER 2010 : 48, Fig. 50). broges, Narbonnaise : graffi ti de 5 lignes (compte Josenmatt, près Wettswil (ZU, CH), Germanie de tuilier) sur une tuile, découverte hors stratigra- Supérieure : sur un atelier de tuilier, graffi ti sur phie (BERTRANDY et al. 2010 : 264, Fig. 273). La production de terres cuites architecturales en Gaule et dans l’Occident romain... 23