Revue d’Alsace

138 | 2012 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/alsace/1606 DOI : 10.4000/alsace.1606 ISSN : 2260-2941

Éditeur Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie d'Alsace

Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2012 ISSN : 0181-0448

Référence électronique Revue d’Alsace, 138 | 2012 [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2015, consulté le 15 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/alsace/1606 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.1606

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SOMMAIRE

Importance de l’historiographie régionale, variété des centres d’intérêts de la recherche Gabrielle Claerr-Stamm et François Igersheim

Transmettre des secrets en temps de guerre L’importance des cedulae inclusae pendant les guerres de Bourgogne (1468-1477) Bastian Walter

Le prieuré clunisen de Thierenbach (12e - 18e siècles) et son pèlerinage Élisabeth Clementz

La paroisse Saint-Louis de administrée par les chanoines réguliers lorrains Cédric Andriot

Recherches sur le Magistrat du Rhin René Descombes

Faire connaître Liszt en son temps : Alfred et Marie Jaëll, « passeurs » oubliés À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Liszt Marie-Laure Ingelaere

Le voyage de Maximilien, empereur du Mexique, vers le Mexique en 1864, vu par le peintre Henri Zuber François Pétry

Le marché de l’art à Strasbourg pendant le Reichsland Anne-Doris Meyer

L’essor de l’enseignement secondaire des filles en Alsace (1871-1918) Eric Ettwiller

Le choc d’« Avant l’Oubli » de Philippe Avril et Gisèle Rapp-Meichler (1986, 1988) Mémoire et historiographie de l’incorporation de force François Igersheim

Recherches allemandes récentes sur l’histoire médiévale de l’Alsace : un aperçu sur la période 1990 à 2012 Thomas Zotz

Les historiens anglophones et l’Alsace : une fascination durable Alison Carrol

La vie démocratique et l'opinion de l'Alsace

Les élections présidentielles et législatives du printemps 2012 en Alsace Richard Kleinschmager

L'atelier de l'historien

Chronique des Archives 2010-2011 Jean-Luc Eichenlaub

Le Pays d’art et d’histoire de la région de Guebwiller Cécile Modanese

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Comptes rendus

Sources et ouvrages de référence

Encyclopédie des mystiques rhénans d’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception édition française par Marie-Anne Vannier, Paris, Éditions du Cerf, 2011, 1 279 p. Francis Rapp

Hundsnurscher (Franz), Die Investiturprotokolle der Diözese Konstanz aus dem 16. Jahrhundert 2 vol., Stuttgart, 2008 Louis Schlaefli

Kraus (Dagmar), Die Investiturprotokolle der Diözese Konstanz aus dem 16. Jahrhundert, Teil III: Einführung, Verzeichnisse, Register Stuttgart, 2010. Louis Schlaefli

Les périodes de l'histoire

Moyen Age

Wilsdorf (Christian), L’Alsace, des Mérovingiens à Léon IX. Articles et études Strasbourg, Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est, 2011, Collection « Recherches et documents », 82), 405 p. Benoît-Michel Tock

Weber (Karl), Die Formierung des Elsass im Regnum Francorum. Adel, Kirche und Königtum am Oberrhein in merowingischer und frühkarolingischer Zeit Ostfildern, Thorbecke, 2011 (Archäologie und Geschichte. Freiburger Forschungen zum ersten Jahrtausend im Südwestdeutschland, 19), IX-262 p. et un CD-Rom. Benoît-Michel Tock

Hammes (Barbara), Ritterlicher Fürst und Ritterschaft. Konkurrierende Vergegenwärtigung ritterlich-höfischer Tradition im Umkreis südwestdeutscher Fürstenhöfe 1350-1450 Stuttgart, Kohlhammer, 2011, ISBN 978-3-17-021796-6. Georges Bischoff

XVIIIe - XIXe siècle

Muller (Claude), « Vive l’empereur ! » L’Alsace napoléonienne 1800-1815 I.D. L’Édition 2012 Gabrielle Claerr-Stamm

Lutterbeck (Klaus-Gert), Politische Ideengeschichte als Geschichte administrativer Praxis. Konzeptionen von Gemeinwesen im Verwaltungshandeln der Stadt Strassburg 1800-1914 Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 2011, 470 p. François Igersheim

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XXe siècle, Guerre mondiale, époque contemporaine

Hurter (Eric), Hurter Do Bentzinger, 2011 Eric Ettwiller

Vonau (Jean-Laurent), Le Gauleiter Wagner. Le bourreau de l’Alsace La Nuée Bleue, Strasbourg, 2011, 256 p. Alfred Wahl

Grandhomme (Jean-Noël), Les Malgré Nous de la Kriegsmarine Éditions La Nuée Bleue, 431 p. Claude Muller

Baty (Régis), Tambov camp soviétique (1942-1946). Les archives soviétiques parlent Strasbourg, 2011, 256 p. Claude Muller

Pfeiffer (Thomas), Alsace le retour du loup. Un siècle après son éradication, il revient, faut-il en avoir peur ? Strasbourg, La Nuée Bleue, 2011, 189 p. (préface Georges Bischoff) Philippe Jéhin

Les lieux et les hommes

Hennequin-Lecomte (Laure), Le patriciat strasbourgeois (1789-1830). Destins croisés et voix intimes Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, 397 p. Claude Muller

Klimm (Peter), Grenzgänger. Pfälzisch-französische Lebensläufe, Mannheim Wellhöfer-Verlag, 2011, 158 p. Rainer Riemenschneider

Burcklen (Didier), Saint-Dizier (Pierre-Roland), Vitoux (Marie-Claire), Des hommes et des tours Éditions Place Stanislas, 2010, 108 p. Raymond Woessner

Braeuner (Gabriel), Colmar. L’esprit d’une ville Éditions du Belvedère, 2011, 205 p. Claude Muller

Tuffery-Andrieu (Jeanne-Marie) (dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise en Alsace et en Lorraine du XIXe au XXIe siècle Presses Universitaires de Rennes, collection « Pour une histoire du travail », 2010, 182 p. Marie-Claire Vitoux

Burg (Peter), Saar-Franzose, Peter/Pierre Lorson SJ. Paulinus.de [Trèves], 2011, 294 p. François Igersheim

Froville (Daniel), Pierre Bockel, l’aumônier de la liberté La Nuée Bleue, mai 2012, 320 p. François Igersheim

Weber (Reinhold), Steinbach (Peter), Wehling (Hans-Georg), (hrsg), Baden- Wurtembergische Erinnerungs-Orte Kohlhammer Stuttgart 2012, 615 p., 510 illustrations François Igersheim

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Vlossak (Elizabeth), Marianne or Germania? Nationalizing Women in Alsace, 1870-1946 Oxford, Oxford University Press, 2010, 330 p. Eric Ettwiller

Wirrmann (Benoît), Maurice Moerlen. Une vie à l´orgue Jérôme Do Bentzinger, [ISBN 9782849602799], préface musicale de Jean-Pierre Leguay (Brève II) Daniel Maurer

Raimbault (Jérôme), Schwarz (Franck), La Vallée de Munster, Haut‑Rhin Patrimoine d’Alsace, no14, Éditions Lieux Dits, 2011 Gérard Leser

Arts et techniques

Jacqué (Bernard), Papiers peints, l’histoire des motifs aux XVIIIe et XIXe siècles Éd. Vial, 2010, 214 p. Anne-Doris Meyer

Bonz (Tobias), Michelon (Éliane), Jean Gaspard Weiss, Autobiographie - Lebens- und Reichsbericht eines Musikers aus dem 18. Jahrhundert Edition bilingue publiée en collaboration avec les Archives de Mulhouse et Antichi Strumenti - Beeskow : Ortus Musikverlag, 2012, VIII, 150 p. Geneviève Honegger

Bleikasten (Aimée), Staiber (Maryse), (dir.), Arp en ses ateliers d’art et d’écriture Strasbourg, Édition des Musées de Strasbourg, Association Jean-Hans Arp, 2011 Hervé Doucet

Klein (Richard), Le Corbusier. Le Palais des congrès de Strasbourg. Nouveau programme, dernier projet Paris, Picard, 2011, 160 p. Anne-Marie Châtelet

Gourbin (Patrice), Les Monuments historiques de 1940 à 1959. Administration, architecture, urbanisme Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 286 p. Nicolas Lefort

Glanes

Lavater (Hans Rudolf), « Lignea Aetas. Der Bieler Dekan Jakob Funcklin und die Anfänge der „Holzsparkunst“ (1555-1576) » In : Ulrich Gäbler, Martin Sallmann & Hans Schneider, éd., Schweizer Kirchengeschichte - neu reflektiert. Festschrift für Rudolf Dellsperger zum 65. Geburtstag (Basler & Berner Studien zur historischen & systematischen Theologie, 73), 2011, 63-145 Bernhard

Trésors d’archéologie Ouvrage collectif, Édité par le Musée historique de Mulhouse et le Conseil Consultatif du Patrimoine Mulhousien, 2011 Gabrielle Claerr-Stamm

Befort (Paul-André), Gastebois (Fernand), Henri Loux, l’artiste de l’âme alsacienne Éditions « A propos de », 2011 Gabrielle Claerr-Stamm

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Fischer (Marie-Thérèse) (dir.), Bressy (Robert), Carmona (Christophe), Keller (Francis), illustrateurs, Cette histoire qui fait l’Alsace Éditions du Signe,(fasc. 1 à 8), 2011-2012 François Uberfill

Bassang (Fabienne), Les cœurs en Alsace La tour Blanche- Presses du Belvédère, 2010 Gabrielle Claerr-Stamm

Bassang (Fabienne), Il était une fois… DMC Réédition de modèles au point de croix, Éditions DMC, Mulhouse, 2011, 140 p. + Bassang (Fabienne), Mon agenda personnel. Broderies et Découvertes, Éditions DMC, Mulhouse, 2011, 164 p. Marianne Engel

Trendel (Guy), L’Alsace de Denis Bauquier Éditions du Belvédère, 2011 Gabrielle Claerr-Stamm

Kriegel (Arthur), La vie est un cadeau Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2011, 200 p. François Igersheim

Cahiers de l’Association de Prospective Rhénane 2011, fasc. 1, 2 et 3 François Uberfill

Fluck (Pierre), avec le concours de Jean-Marc Lesage, Mulhouse, trésors d’usines Le Verger, 2011 Gabrielle Claerr-Stamm

Fischbach (Bernard), Heckendorn (André), Mulhouse de A à Z Alan Sutton, 2011 Gabrielle Claerr-Stamm

Herbrecht (Antoine), Dornach, des origines à la Révolution Française Publié par Association Dornach @venir et mémoire Gabrielle Claerr-Stamm

Delrieu (Fabien), dir., Vestiges de voyages. 100 000 ans de circulation des hommes en Alsace Préface de Charles Buttner président du PAIR, Éditions Actes Sud/PAIR, 2011 Gabrielle Claerr-Stamm

Wagner (Vincent), Seiter (Roger), Un été en enfer, Steegmann (Robert), Encart Éditions du Signe, Eckbolsheim, 2011 Alfred Wahl

Thalmann (Hugues-Emmanuel), Munster et sa vallée, tome II Collection « Mémoire en Images », Éd. Alan Sutton, 2011 Gérard Leser

Schwartz (Franck), Des usines au fil de la Fecht, le patrimoine industriel de la vallée de Munster Collection « Parcours du patrimoine », Éditions Lieux Dits, 2008 Gérard Leser

Raimbault (Jérôme), Une architecture pour l’estive, les marcairies de la vallée de Munster, Haut-Rhin Collection « parcours du patrimoine », Éditions Lieux Dits, 2010 Gérard Leser

Forthoffer (Joël), Les ateliers ferroviaires de Bischheim, 1939-1948 Collection Mémoire en images, Saint-Cyr-sur-Loire, Éditions Alan Sutton, 2011, 96 p. Nicolas Stoskopf

Neuwiller-les-Saverne, au fil des temps… Collectif « le Patrimoine » Neuwiller, Éditions de Provence, Forcalquier, 2011 Frédéric Kurtz

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Les Actes du Cresat no9 Juin 2012, 82 pages Frédéric Kurtz

In memoriam

Roger Lehni (1936-2011) ou une histoire de l’Inventaire François Pétry

La Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

Relations transfrontalières

Chez nos voisins d’Outre-Rhin François Igersheim

Journée du réseau des Sociétés d’Histoire du Rhin Supérieur Lucelle samedi 16 juin 2012

Publications de la Fédération

Dictionnaire historique des Institutions de l’Alsace, le cahier D

Cinquième fascicule de la collection Alsace Histoire Les systèmes monétaires d’Alsace depuis le Moyen Âge jusqu’en 1870

Les publications des sociétés d'histoire et d'archéologie

Publications des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace (année 2011) Gabrielle Claerr-Stamm

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Importance de l’historiographie régionale, variété des centres d’intérêts de la recherche

Gabrielle Claerr-Stamm et François Igersheim

1 Dans son numéro 133 de 2007, la Revue d’Alsace avait fait le point sur l’état actuel de l’histoire régionale en France et en Allemagne. C’est à un nouvel examen de la vitalité de l’historiographie de l’Alsace qu’elle se livre dans le présent annuaire. Les évaluateurs ont beau faire la fine bouche et inviter aux dépassements, elle reste vivante et les travaux des historiens étrangers, voisins ou lointains, doivent encourager étudiants, enseignants et historiens de l’Alsace à persévérer et continuer d’assurer son rayonnement, comme s’y emploient la Revue d’Alsace et la Fédération et les Sociétés d’histoire.

2 Impressionnant, le tableau que nous donne Thomas Zotz sur la recherche allemande en histoire médiévale de l’Alsace. Elle est marquée par la coopération franco-allemande. Le vif saisit le mort : la Landesgeschichte de l’Alsace est histoire de l’Allemagne et aussi histoire de France, comme de plus en plus l’histoire de l’Allemagne et celle de la France sont histoire de l’Europe : cette préoccupation est constamment affirmée. Passionnant l’examen auquel se livre Allison Carrol sur l’historiographie contemporaine de l’Alsace produite par les historiens anglophones, américains et britanniques. Leur approche, basée sur des hypothèses de départ, fait de l’Alsace, le champ d’une étude de cas pour une hypothèse qu’il s’agit de vérifier, en histoire politique, sociale, culturelle, psychosociologique. Importante aussi, l’analyse des points de vue – celui des administrateurs de Paris ou de Berlin –, celui des différents groupes et partis alsaciens et la préoccupation de ne pas faire l’impasse sur l’Alsacien moyen, si difficile à cerner, et dont le Foreign Office a fait, fort vite, un Hans Im Schnockeloch.

3 Mais l’Alsace s’est toujours insérée dans un ensemble plus vaste. À la fin du XIVe siècle Strasbourg entretient son réseau d’agents de renseignements et d’informations avec Bâle et les villes de la Confédération. C’est Ulrich d’Eguisheim qui fait don de Thierenbach aux Clunisiens. La paroisse française de Saint-Louis de Strasbourg est aussi aux ordres du saint Esprit. Le préfet Merlet, chargé du Magistrat du Rhin par Napoléon

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fait connaître les bienfaits d’une administration unifiée de ce fleuve que transformeront les XIXe et XXe siècles.

4 Voici encore un signe de la variété des champs et de la vitalité de la recherche en histoire de l’Alsace. La naissance du marché de l’art strasbourgeois à la fin du XIXe siècle nous donne une clé de la Renaissance alsacienne, de ses ressorts financiers et institutionnels dans un ensemble politique qui n’est pas aspiré par le seul Paris, avec ses écoles et ses grands corps. Dans l’œuvre du fils d’industriels mulhousiens, Zuber, élève de l’école navale avant d’entamer une carrière de peintre paysagiste, on avait relevé déjà le passage en Corée. On y ajoutera le reportage d’actualité avec la relation de l’expédition au Mexique. Le bicentenaire de la naissance de Liszt nous amène à l’histoire de la musique avec une évocation de la diffusion de son œuvre par la pianiste Marie Jaëll. Novatrice, la première étude consacrée à la fondation de l’enseignement secondaire des filles en Alsace : ainsi s’ouvre la recherche en histoire contemporaine des femmes et du genre dans l’historiographie alsacienne, après avoir été abordée par l’historiographie anglo-saxonne (et l’historiographie médiévale).

5 L’histoire du temps présent s’écrit aussi dans le document audio-visuel, source devenue incontournable de l’histoire de l’Alsace contemporaine. Comme en témoigne l’entreprise d’« Avant l’oubli », qui a marqué la décennie 80, temps de mémoire qui précède le lieu du Mémorial.

6 Avec l’analyse des élections de 2012 nous abordons l’histoire immédiate avec cette alternance française qui concerne aussi l’Alsace sans la bouleverser.

AUTEURS

GABRIELLE CLAERR-STAMM Présidente de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace

FRANÇOIS IGERSHEIM Rédacteur en chef de la Revue d’Alsace

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Transmettre des secrets en temps de guerre L’importance des cedulae inclusae pendant les guerres de Bourgogne (1468-1477)1 Transmitting war time secrets. The importance of cedulae insclusae during the Wars of Burgundy (1468-1477) In Kriegszeiten Geheimnisse übermitteln. Die Bedeutung der cedulae inclusae in den Burgundischen Kriegen (1468 - 1477)

Bastian Walter Traduction : Olivier Richard

1 « Un homme digne de foi venant de Lorraine a dit en secret qu’il savait pour sûr que le duc de Bourgogne s’apprêtait à entrer avec une grande armée afin d’aider monseigneur le comte palatin dans l’évêché de Cologne »2. C’est par ces mots que commence une petite feuille attachée à une lettre que les conseillers de Strasbourg écrivirent à la fin du mois de juillet 1474 à leurs envoyés se trouvant alors à Bâle. Les conseillers expliquent ensuite avec force détails ce que contient le rapport de ce Lorrain. À ce propos, ils demandent instamment à leurs représentants de ne transmettre les informations qu’ils leur fournissent seulement aux personnes qu’ils considèrent comme importantes. Cette petite feuille conduit directement au cœur de cet article : en effet, en particulier en temps de guerre, où les messagers pouvaient redouter plus qu’à d’autres moments d’être attaqués, il était particulièrement important pour des partenaires désirant se passer des informations que celles-ci parviennent exclusivement aux personnes qu’ils voulaient3.

2 C’est pourquoi, très tôt, on mit au point de nombreuses techniques et mesures pour dissimuler l’identité de l’expéditeur ainsi qu’empêcher que des lecteurs non désirés n’accèdent à des informations secrètes4. Cela allait de l’utilisation d’abréviations ou de langages codés jusqu’à l’emploi de langues secrètes5. Dans les pages qui suivent, il sera cependant question d’une autre technique intéressante pour protéger les informations, que l’on peut étudier à partir des correspondances entre Strasbourg, Bâle et Berne,

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trois villes alliées contre le duc de Bourgogne. En effet, si je n’ai trouvé dans ces lettres rédigées entre 1468 et 1477 aucune trace de langage codé ni de langue secrète6, en revanche pratiquement toutes les informations concernant, par exemple, les espions de ces villes, ou qui furent acquises par des voies détournées7, ne figurent pas dans la correspondance « officielle », mais dans les cedulae inclusae ou cedulae insertae8, c’est-à- dire de petites feuilles volantes insérées dans des lettres, comme celle qui a été présentée en introduction. Leurs différentes fonctions n’ont pas vraiment été étudiées par les spécialistes de la correspondance, sauf pour la correspondance princière – et encore pas de façon approfondie. En particulier, leur rôle dans la communication (épistolaire) inter-urbaine n’a pas fait l’objet d’études. Aussi vais-je d’abord étudier leur contexte d’utilisation ainsi que leur traitement et leur archivage, puis leur format et leur mode de transmission. Il sera alors temps de s’intéresser aux différentes fonctions des cedulae inclusae, qui vont de l’influence suggestive jusqu’à la dissimulation d’identité et au divertissement. Après une conclusion qui résumera les résultats de l’enquête, on trouvera en annexe la transcription d’une cedula inclusa du capitaine strasbourgeois Peter Schott aux membres du Conseil de sa ville ainsi que d’une lettre envoyée par Berne à Strasbourg en juin 1476 et des deux cedulae qui l’accompagnent.

Les cedulae inclusae

Usages, traitement et archivage

3 Jusqu’à aujourd’hui, les spécialistes présentent quatre types d’usage des cedulae, qui ne s’excluent d’ailleurs pas les uns les autres9. Tout d’abord, les expéditeurs de ces documents indiquent souvent avoir reçu, peu de temps avant d’avoir fini de rédiger la lettre, des informations qu’ils voulaient absolument communiquer à leur correspondant et qui n’ont trouvé leur place que dans la cedula inclusa10. Le contenu informatif de ces feuilles rappelle ce qu’on trouve dans des placards ou des journaux ; c’est pourquoi elles ont été étudiées dans la perspective d’une histoire de la communication proche du journalisme11. Ainsi, au contraire de la plupart des cedulae considérées ici, celles qui ont ce caractère de placard ou de journal comportent, par exemple, une date de rédaction12. Quant aux autres fonctions, elles sont directement liées au sujet qui nous occupe ici : d’une part, les cedulae servaient très souvent à séparer les informations personnelles des contenus officiels des lettres13. D’autre part, c’est par elles que les partenaires se transmettaient les informations les plus importantes, les plus confidentielles et secrètes, qu’ils donnaient leur sentiment sur des questions politiques et qu’ils se livraient à des réflexions tactiques14. On comprend ainsi que le faible nombre de cedulae conservées s’explique par leur nature même.

4 Les usages particuliers des cedulae se reflètent dans le fait qu’aucune date n’y figure ; tout au plus trouve-t-on dans certaines d’entre elles qu’elles ont été rédigées le même jour que la lettre elle-même (« datum ut in littera »15 ou « datum ut supra »16). Elles ne comportent pas non plus de signature, ni de nom d’expéditeur ou de destinataire, encore moins de sceau, si bien qu’aujourd’hui encore on ne peut identifier leur expéditeur que si elles restent jointes aux lettres elles-mêmes17. Or, comme les informations fournies par les cedulae étaient essentielles pour les activités diplomatiques et militaires des villes et de leurs alliés, les chancelleries urbaines s’efforçaient de toujours les classer avec les lettres auxquelles elles se rapportaient.

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Elles y parvenaient grâce à certaines techniques de gestion des informations. On rencontre trois d’entre elles dans les fonds d’archives que j’ai dépouillés.

5 La première technique consistait pour l’employé de la chancellerie qui réceptionnait la lettre et la cedula à écrire le nom de l’expéditeur de la lettre sur la cedula18, ainsi que dans certains cas la date exacte à laquelle les deux pièces étaient arrivées19. La deuxième technique était tout autre : en effet, si l’on part du principe que les cedulae étaient juste insérées dans les lettres et non pas reliées à elles d’une manière ou d’une autre, on peut s’étonner de trouver des lettres auxquelles une cedulae fut attachée au moyen d’une ficelle20. Il s’agit dans ces cas très vraisemblablement de l’œuvre d’un employé de la chancellerie, qui permettait ainsi qu’on retrouve plus facilement les deux pièces. Enfin la troisième possibilité de classement et d’archivage de la part des chancelleries consistait à recopier aussi bien la lettre que la cedula qui s’y rapportait, pour la conserver durablement, soit comme feuilles indépendantes, soit dans des volumes de correspondances21.

6 Ces trois techniques montrent clairement que les autorités urbaines se préoccupaient grandement du classement et de l’archivage des cedulae, sûrement parce que leur contenu était très important. Mais dans la pratique, par quels moyens ces feuilles étaient-elles transmises ? C’est à cette question ainsi qu’au format particulier de ces écrits que je vais me consacrer maintenant.

Transmission et format

7 Une lettre du conseil de Strasbourg à son envoyé Konrad Riffe, qui séjournait en octobre 1475 à Lucerne pour y participer au nom de sa ville à une assemblée des alliés confédérés et du Rhin supérieur, apporte un renseignement sur la façon dont les cedulae étaient réellement transmises22. Les conseillers strasbourgeois expliquent à leur représentant qu’ils ont écrit une lettre à leurs confédérés présents à Lucerne, qu’ils la lui envoient pour qu’il puisse la leur donner. Ils indiquent également avoir « inséré une feuille » (« ein zedel … gestecket »), dans laquelle ils lui racontent les dernières informations sur la guerre dans le duché de Lorraine. Ils demandent à Riffe d’ôter cette feuille de la lettre, et, après l’avoir lu, de l’y remettre aussitôt. Riffe est alors chargé de communiquer les informations aux personnes qu’il pense être concernées.

8 La présence de ce document est un hasard de la conservation, mais elle prouve que les cedulae étaient bien insérées par leurs auteurs dans les lettres pliées et scellées 23. Ce constat est confirmé par l’absence totale, dans le corpus étudié, de trous ou d’autres traces montrant que les cedulae auraient été fixées aux lettres, de quelque manière que ce soit24. Au contraire, le fait que lorsque cedula et lettre sont attachées, cela est toujours fait au même endroit, en bas à droite de la lettre, suggère plutôt que c’était fait par la chancellerie après réception de l’ensemble. D’ailleurs, la chancellerie de Strasbourg utilisait des ficelles très similaires et dont les extrémités étaient toujours fermées par un nœud, comme pour les cedulae. De plus, celles-ci sont pliées d’une façon particulière, qui n’est possible qu’avec du papier – or pratiquement toutes les cedulae sont en papier, alors que la plupart des lettres sont en parchemin. Cela constitue un autre indice laissant penser qu’à l’origine, lettre et cedula n’étaient pas attachées.

9 Comme l’a montré l’exemple de la lettre des conseillers strasbourgeois à leur envoyé Riffe, le petit format des cedulae permettait à leur destinataire de les faire passer, peu de temps après leur réception, aux personnes que leur contenu pouvait intéresser25.

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D’un autre côté, ces dernières, ou le messager qui apportait la lettre, pouvaient en cas de danger facilement enlever la cedula, la cacher ou la détruire, sans endommager ni le sceau ni le pli de la lettre elle-même. Qu’une telle situation puisse survenir, qui plus est en temps de guerre c’est ce que prouve une cedula, qu’on ne peut malheureusement comme souvent pas relier à une lettre précise26. Cependant, son contenu laisse supposer qu’elle devait être jointe à une lettre que les capitaines de la ville de Strasbourg écrivirent au conseil de la ville de leur camp devant Blamont, en Franche‑Comté, peu de temps après la mort du capitaine bernois Nikolaus von Diesbach, début août 147527. Les auteurs y racontent que les combattants souffraient alors beaucoup de la faim et que la conquête de Blamont était imminente. Comme le terrain autour de Blamont était très accidenté, ils demandaient au conseil de leur faire parvenir immédiatement un certain canon avec un maître-artilleur, pour accélérer la prise du château et de la ville de Blamont. À la suite de cette lettre, les capitaines donnaient une liste détaillée des armes, équipements et munitions dont ils avaient besoin28. C’est là que la fonction particulière de la cedula se révèle : on s’imagine aisément que les souhaits précis et détaillés des capitaines n’étaient destinés qu’aux conseillers et qu’ils auraient intéressé au plus haut point leurs adversaires politiques.

10 Deux cedulae attachées à une lettre que Berne envoya à son alliée Strasbourg au début juin 1476 témoignent également du caractère confidentiel de ces petites feuilles29. Dans la lettre elle-même, les conseillers bernois prient instamment leurs homologues strasbourgeois de les aider à dégager la ville de Morat du siège qu’elle subit de la part du duc de Bourgogne ; ils s’y prononcent clairement contre la politique de ce dernier, et expriment leur espoir que la bonne coopération entre les deux villes se poursuive. Dans les cedulae, leurs propos gagnent en précision ; dans la première, ils expliquent que lors d’une assemblée, le duc de Lorraine leur aurait promis de les soutenir militairement30. Aussi prient-ils les Strasbourgeois de bien vouloir rappeler le duc à sa promesse. La deuxième cedula montre clairement que les informations fournies n’étaient destinées qu’aux seuls Strasbourgeois. D’après son contenu, les conseillers bernois auraient autorisé leurs mercenaires dans l’Obersiebenthal à rechercher partout leurs ennemis et à les tuer. Si le duc de Bourgogne avait pu lire cette cedula, cela lui aurait donné un avantage tactique et militaire certain. Cet exemple invite à s’intéresser plus avant aux fonctions des cedulae.

Les fonctions des cedulae inclusae

Influence suggestive et persuasion

11 En effet, les cedulae permettaient à leurs rédacteurs d’influencer leurs partenaires politiques par la suggestion, et les villes étudiées ici savaient utiliser cette fonction à des fins précises. Les mots d’introduction de certaines cedulae le montrent bien. Ainsi lorsque les Bernois indiquent dans un message à Strasbourg que dans l’heure suivant la réception du courrier ils auraient appris d’un « bon ami » que le roi de France songeait à intervenir dans les opérations militaires31, ou lorsque les Bâlois racontent aux Strasbourgeois qu’ils auraient, juste auparavant, appris de la part de personnes qu’ils ne nomment pas que des troupes bourguignonnes se trouveraient juste devant Rheinfelden32, la communication de tels renseignements dans des cedulae correspond à une intention précise. Le phénomène de l’influence suggestive s’observe particulièrement bien dans les situations où les villes veulent absolument convaincre

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leurs alliés, amis ou collègues de faire une chose précise, en particulier les pousser à une action commune. Les cedulae issues du Conseil ou de la chancellerie de Berne sont ici singulièrement intéressantes, peut-être parce que Berne joua un rôle essentiel dans le ralliement des autres Confédérés à la guerre contre le duc de Bourgogne et à une coalition avec l’Autriche, la France et les villes d’Empire du Rhin supérieur. D’autre part, Berne était à l’instar de Strasbourg et Bâle un pôle de renseignement important, où affluaient chaque jour plusieurs informations sur l’ennemi. Les autorités bernoises prenaient prétexte de cela – et considéraient sans doute cela comme un devoir – pour fournir quotidiennement des renseignements à leurs alliés, ce qui renforçait la cohésion entre les membres de la coalition. Cet aspect est très présent dans une cedula inclusa insérée dans une lettre envoyée par les conseillers de Berne à Strasbourg peu de temps avant la bataille de Morat à la fin juin 147633. Dans la lettre elle-même, les Bernois se contentaient de remercier les Strasbourgeois pour leur dernier courrier et annonçaient qu’ils se lanceraient de toutes leurs forces contre Charles le Téméraire. Ils finissaient en exprimant leur espoir qu’avec l’aide de Dieu, ils remporteraient la victoire. Dans la cedula en revanche, ils entraient dans des détails reposant sur des informations collectées par un de leurs espions : le duc de Bourgogne aurait passé en revue ses 60 000 soldats avant de se rendre dans un lieu situé dans la montagne, à une lieue environ de son ancien camp. Il aurait avec lui deux gros canons ainsi qu’une centaine de pièces d’artillerie plus petites, très vieilles cependant. De plus, Charles aurait été malade, son teint serait d’ailleurs toujours très maladif, et l’étroite coopération entre la coalition des Confédérés et des villes du Rhin supérieur avec le roi de France l’inquiéterait. À la fin de cette cedula, les Bernois s’adressaient avec insistance à leurs correspondants en les qualifiant de « fidèles et fraternels amis ». Ils continuaient en déclarant ne pas savoir quand Charles comptait exactement lever le camp, ni quelle serait sa première destination. Ils le leur diraient cependant dès que possible et enverraient chaque jour leurs espions en mission pour voir comment l’attaquer avec l’aide de leurs alliés. Les Strasbourgeois devaient savoir, écrivaient-ils encore, que les troupes bourguignonnes avaient très peur d’eux et que lors d’une assemblée des Confédérés qui se tiendrait ces jours-là, on ferait tout pour que la campagne contre le Téméraire se poursuive. D’autre part, on avait appris que le roi de France augmentait ses capacités militaires. Les Bernois terminaient en ajoutant qu’ils communiqueraient nuit et jour toute information supplémentaire à leurs « très chers et fraternels amis de cœur » (liebsten brüderlich Hertzfrünnden). On le voit déjà au choix du vocabulaire de la cedula : ces courriers pouvaient bien mieux que les lettres officielles pousser leurs destinataires à agir d’une certaine façon34. Les informations qu’ils contenaient, comme, ici, l’armement ou le lieu où se trouvaient le duc de Bourgogne et ses alliés, étaient très précieuses pour l’action militaire des coalisés. Elles leur permettaient de planifier l’itinéraire de leurs troupes et de mettre en place une défense contre l’artillerie ennemie. En outre, des termes comme « amitié » ou « fraternité », que les Bernois employaient certainement à dessein, renforçaient la solidarité entre les contingents des villes de la Confédération et du Rhin supérieur35.

L’utilisation de l’anonymat

12 On a déjà vu que les cedulae ne comportaient ni indications d’expéditeur ou de destinataire, ni sceau, ni date. Cette façon de rendre les informations anonymes et de les dissimuler aux lecteurs indésirables créait, plus que la correspondance officielle,

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cohésion et confiance entre les partenaires. En effet, par leur intermédiaire, l’expéditeur confiait au destinataire une partie de son savoir, et donc de son pouvoir. Les lettres officielles font souvent référence à la cedula qui leur est jointe. Ainsi, les conseillers bernois écrivent une lettre à Strasbourg au début juin 1476. Ils y annoncent à la dernière ligne que les Strasbourgeois pourront lire dans la cedula jointe un récit du déroulement des opérations militaires36. Effectivement, on trouve ce récit après la lettre elle-même dans le livre de missives bernois, et il contient bien les informations annoncées.

13 L’importance du contenu des cedulae explique sans doute que les destinataires confirmaient leur réception, comme le prouve une autre lettre de Berne, également envoyée début juin 1476 à Fribourg (Suisse). Les Bernois indiquent avoir bien reçu le dernier courrier des Fribourgeois, contenant de nombreuses informations militaires, et les en remercient37.

14 Comme on l’a vu, les cedulae posent parfois de grands problèmes à leurs lecteurs actuels, dans la mesure où il arrive souvent qu’on ne puisse pas savoir à quelle lettre une cedula donnée était jointe, d’autant qu’une grande partie d’entre elles était écrite par un autre scribe que la lettre elle-même. Ainsi, lorsque les autorités strasbourgeoises écrivent à la Toussaint 1474 une lettre à leurs capitaines qui se trouvaient à Héricourt, en route vers la première bataille contre le duc de Bourgogne, elles insérèrent deux cedulae dans ce courrier38. Or les trois pièces furent écrites par trois scribes différents. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’avant d’être expédiée, une lettre devait en général passer devant plusieurs commissions du conseil39. Mais il est également possible qu’il s’agisse là d’un moyen volontaire de la part des auteurs de garder leur anonymat, d’autant que les renseignements transmis étaient souvent hautement confidentiels. En effet, on constate que l’utilisation de scribes différents correspond très souvent aux cedulae contenant des informations qui avaient été préalablement recueillies par des espions à la solde de la ville. En outre, les occurrences de termes appartenant au champ lexical du secret (geheim, Geheimnis) sont particulièrement nombreuses dans les cedulae écrites par un autre scribe que la lettre à laquelle elles sont jointes. C’est le cas dans l’exemple suivant, dont il a déjà été question dans l’introduction. Depuis la fin juillet 1474, Charles le Téméraire assiégeait la ville de Neuss, dans la vallée inférieure du Rhin40. Au même moment se tenait à Bâle une assemblée de la coalition des Confédérés et de seigneurs et villes du Rhin supérieur, à laquelle participèrent le duc d’Autriche, des envoyés des comtes de Wurtemberg, des représentants des villes d’Empire de l’Oberrhein ainsi que des évêques de Strasbourg et Bâle. C’est dans ce contexte que les conseillers de Strasbourg envoyèrent le 24 juillet 1474 une lettre à leurs délégués Peter Schott et Hans Völtsche41. Ils y écrivaient qu’un grand nombre de nouvelles était parvenu à Strasbourg ce matin-là. Les délégués étaient chargés de les communiquer là où cela leur semblait utile. La lettre fait référence à une cedula inclusa, qui y est toujours attachée aujourd’hui, et qui fut écrite par un autre scribe. Les autorités strasbourgeoises y indiquent qu’un informateur crédible venant du duché de Lorraine aurait parlé en secret aux conseillers42. Il leur aurait confié que le duc Charles le Téméraire s’apprêtait à porter assistance au comte palatin dans l’archevêché de Cologne avec une troupe nombreuse. En échange, il comptait que le comte palatin l’aiderait militairement à reconquérir les territoires qui lui avaient été autrefois confiés en gage dans le Rhin supérieur.

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La volonté de divertir : les cedulae inclusae comme précurseurs des journaux et des placards ?

15 Il a été jusqu’à présent presque uniquement question de cedulae rédigées en temps de guerre. Tournons-nous maintenant vers des courriers du même type, mais écrits en temps de paix. En effet, les cedulae inclusae n’étaient pas expédiées seulement pendant des conflits, même si leur présence y est alors accrue – ce qui accrédite la thèse selon laquelle les partenaires se servaient d’elles lorsqu’ils avaient à communiquer des informations particulièrement confidentielles ou secrètes, ce qui est spécialement le cas de nouvelles touchant à la politique extérieure ou à l’action militaire. Du coup, à l’inverse, les cedulae écrites en temps de paix contenaient-elles seulement des informations insignifiantes ?

16 Il saute aux yeux que les rédacteurs des cedulae écrites en période de paix racontent plus souvent qu’en guerre des événements qui semblent n’avoir aucune cohérence entre eux43. Dans une cedula jointe à une lettre que les conseillers de Berne écrivirent à Strasbourg et Bâle à la mi‑octobre 1473, c’est-à-dire un an avant que la guerre contre la Bourgogne n’éclate, ils décrivent un incident survenu aux environs de Feldkirch44. Des troupes autrichiennes auraient prévu de traverser le Rhin à un gué, et auraient envoyé un de leurs fantassins en éclaireur pour évaluer la profondeur de l’eau. Ce dernier aurait perdu pied après quelques pas, et un capitaine se serait précipité à cheval pour lui venir en aide. Mais il aurait alors chuté et succombé à ses blessures. Une autre cedula est tout aussi curieuse : l’auteur anonyme y raconte en termes forts un violent orage, à la suite duquel une église, dans un lieu qui n’est pas précisé, aurait été complètement détruite après avoir pris feu. La grande croix aurait été sauvée, mais le manteau d’une statue du saint patron de l’église, fixée au jubé, aurait intégralement brûlé45.

17 Ce genre de descriptions ressemble beaucoup à celles qu’on trouve, plus tard, dans les « occasionnels » (Neue Zeitungen), ces feuilles volantes relatant des nouvelles, et les placards, et peut-être pensait-on dès leur rédaction qu’elles seraient communiquées à un cercle de destinataires assez large. Pourtant, à mon avis, si on regarde bien, elles avaient également bien le rôle d’affermir la relation entre les partenaires de la correspondance. En effet, si on se rappelle que les destinataires étaient priés d’envoyer à leur tour des nouvelles, on voit bien que l’échange de telles futilités servait aussi à garder le contact, ce qui consolidait la solidarité et la confiance entre les partenaires. En même temps, ces courriers montrent le grand intérêt du public urbain de la région étudiée pour les nouvelles46.

Conclusion

18 Le type documentaire de la cedula que nous avons présenté fournissait aux groupes dirigeants des villes une technique efficace pour communiquer des informations importantes. Il leur permettait de dissimuler leur identité et de protéger la confidentialité des nouvelles qu’ils transmettaient, comme le montre l’absence de sceaux ou de signatures dans les cedulae. De plus, le fait qu’elles étaient souvent écrites par une autre main que les lettres elles‑mêmes contribuait aussi à garder leur anonymat. Simplement insérées dans les courriers, sans être fixées, elles pouvaient en cas de besoin être détruites. Cette mesure était particulièrement importante en temps de guerre : c’est pourquoi la majorité des cedulae étudiées ici a été produite dans le

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contexte du conflit armé entre les villes du Rhin supérieur et la coalition autour du duc de Bourgogne. Les techniques de gestion de l’information présentées ici suggèrent en outre que les contemporains déjà considéraient que vu leur importance, il importait d’archiver les informations communiquées dans les cedulae47. Cela souligne le rôle qui incombait aux chancelleries pour transformer l’information en savoir, qui lui-même, en ouvrant des possibilités d’action politique, créait du pouvoir48.

19 Les cedulae permettaient également aux autorités urbaines de créer un espace de communication plus large et plus cohérent, car elles renforçaient beaucoup la confiance entre les alliés. Au-delà, c’est le caractère de l’information comme monnaie d’échange qui apparaît clairement : en diffusant volontairement des informations et des nouvelles, les expéditeurs acquéraient, pour ainsi dire, de la confiance auprès des destinataires. Cela était garanti par le rappel insistant, dans presque toutes les cedulae, que les informations communiquées étaient particulièrement sensibles, qu’elles avaient été acquises par des voies secrètes, qu’elles étaient confidentielles, et adressées exclusivement à eux, leurs destinataires. Leurs rédacteurs intimaient à ces derniers de les traiter avec précaution, et leur demandaient, de leur côté, des nouvelles, ce qui montre la réciprocité de l’échange. De plus, les cedulae permettaient à leurs rédacteurs de persuader leurs partenaires de la justesse de leurs vues et de leurs vœux, en pratiquant l’influence suggestive. Les informations, souvent présentées comme « secrètes », qui étaient transmises dans les cedulae, revêtaient une importance capitale pour élaborer une politique extérieure commune. Elles apparaissent ainsi d’une certaine manière comme la « base d’une identité collective »49 qui faisait de l’ensemble des personnes qui partageaient leurs secrets un groupe. On le voit : les cedulae inclusae revêtent une signification considérable, dont bien des aspects restent à éclairer.

ANNEXES

Annexe 1

a) Transcription d’une cedula inclusa jointe à une lettre du capitaine des troupes de Strasbourg devant Blamont, Peter Schott50, très vraisemblablement rédigée autour du 7 août 1475 (AMS AA 274, fol. 82). Les desiderata très détaillés du capitaine permettent d’avoir un regard très ample sur la logistique militaire de Strasbourg juste avant la prise de la ville et de la forteresse de Blamont en Franche-Comté. De plus, la mention de la désertion récente d’un certain Jakob Blumenau révèle les problèmes de discipline auxquels les troupes strasbourgeoises étaient confrontées. Un procès fut d’ailleurs intenté à Blumenau après la fin de la campagne en Franche- Comté, mais on ne sait rien de son issue51. „Lieben herren, nach dem wir disen brieff geschriben habenn, ist botschafft komen von Burentrut52, das unser ewig gott gebotten het uber her Niclaus von Tiesbach53, dem gott gnedig sin wölle. Des wir alle schedlich manglen und entberen müssen, harumb, liebe herren, wer vnser flissige bitt an uwer wysheit, dwil die meynung ist, das sloß und stat

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Blamont zuo erobern, daz do gescheen muoß mit grosser affenture von eym gebirge zuo dem andren, uns zuo schicken in yle Meister Wernhers busse mit irem zuo gehore, wann wir in hoffnung sint, ir das nutz und ere entpfahen. Darumb, das die dinge dester ee zuo ende bracht werden, und schickent uns LX ysener steyn vnd XL stein und so vil Bulfers darzuo gehören. Wir schickent uch den cleynen Bulferwagen, begerent den mit XVII zentner Bulfers zuo dem obgenanten uns wider zuo schicken, zweyhundert klötze zuo den slangen, VIc klötze zuo hackenbussen54, funfftzig steyn zum cleynen steinbussen, 4.000 pfyl, die halben mit den hocken, zunndbulfer, zunndtholtz, VIc ysen zuo karrichpferden und XLVIIIc nagel darzuo55 und XXX gl[...] und waßliechter56. Ouch wollent uns schicken III wagen mit steynen zuo der grossen Bussen57 und XXX streit exe58. Liebe herren, wir sint underricht, das Jacob Bluomenauw in eym vigent geschrey on unser aller wissen von uns geryten ist vnd sin knecht by uns blyben, der dar noch wider zuo uns komen vnd darumb wöllet uns zuo verstan geben, was wir uns darin halten sollent mit dem knechten synethalben. Sollent wir zuo [indéchiffrable] dann wir verstan, das er sich selbs heim zu uch fügen wölle.“

Annexe 2 b) Transcription d’une lettre adressée le 10 juin 1476 par la ville de Berne à son alliée Strasbourg (1 : AMS AA 288, fol. 37), dans laquelle elle l’appelle à l’aider à délivrer Morat. Les Bernois y joignirent deux cedulae inclusae dont la première (2 : AMS AA 288, fol. 38) contient la prière adressée aux conseillers de Strasbourg de rappeler au duc de Lorraine qu’il avait promis aux Confédérés de les aider, et de le pousser à agir. La seconde cedula (3 : AMS AA 288, fol. 36) contient des détails intéressants sur la tactique employée par les Bernois contre le duc de Bourgogne. Ils avaient ainsi autorisé certains mercenaires à s’en prendre à l’ennemi bourguignon. En outre, ils rapportent aux Strasbourgeois la nouvelle, parvenue à Berne juste avant minuit, de la prise de Vevey, sur le lac Léman, par des troupes confédérées.

Lettre (AMS AA 288, fol. 37)

[1] Unser gutwillig frunntlich dienst und was wir truwen, eren und guotes vermugent zuo vor. Frommen, fursichtig, wis, besunder, bruderlich, lieb frund und getruwen puntgenossen! Wir habent uwer lieb vor zuom dickenmal durch unser schrifften zuo erkennen geben, in zuo Rustung willens und furnemens der Burgundisch herzog wider unß, unser erplich land, all unser zuogewantten und gemeyn tutsch Nacion dahargewesen und noch sye und daby hoch und treffentlich gemant und ankertt gebetten und erfordert, gerust und gewarnet ze sind, uns uff unser witer verkunden, das wir ouch bis har uff den Rechten ernst gespart und verhalten habent, mit aller uwer macht zuo zeziehend, mit denn sollich unser ergangen schrifften witter beuelet hand. Also verkunden wir uwer bruderlichen liebe gewarlich gewißlich und by glouben unser eren, das uff gester, Sunnentag der hochen dryualttikeit zuo mittag zit, unser statt Murten und die unsern darinn mit starcker und aller Burgundischer macht berantt und darnach schnell desselben tage gantz belägert und jetz uff funffhundert zelten und hutten daruor uffgericht worden sind, in semlicher maß, das si noch wir keinerlei bottschafft zesamen haben mögentt. Darum gantz nott und geburlichen ist, den unsern zuo rettung und gemeyner tuttscher Nacion zuo guot, dem vermelten Herzogen und siner macht Ritterlichen und manlichen zebegegnen als wir ouch des mit aller unser macht gerüst sind. Und das sollichs dester treffenklicher und fruchtbarer beschehen

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möge, so bitten wir und begeren wir aber wie vormalen und manen uwer bruderlichen lieb und fruntschafft in crafft uwer und unser versigleten punden, so hoch und vast wir das jemer thuon sollen oder mogentt, uch angendes mit gantzer vollkomner macht und so sterckest das imer sin mag, zuo erheben und zuo uns und unser statt ane allen verzug zuo zeziehen, verderplichen undergang unser landen und biderber lutten helffen zuo wenden. Desglich habentt wir ouch all ander unser eydgenossen, zuogewantten und pundgenossen, von fursten, herren, stetten und lendren gemantt und erfordrett. Das welle uwer bruderlichen fruntschafft, so hoch als es zebewegen ist, bedencken und har inn kein uffzug haben, denn es gewarlich keine bitt mit mer erwarten kan noch mag. So wellent wir mit des ewigen gottes uwer und andrer unser eygenossen, zuogewanten und puntgnossen hilff mit Ritterlichen und mannlichen gegentreten, kurz enttschafft machen, uns allen gemeynen unsern hauppttvyend abzeladen und sollichs umb uwer bruderlichen lieb, wo sich das begippt ungespart unsers libs und guotz zuo ewigen zitten mit gantzem willen verdienen. Datum uff mentag nach Trinitatis anno LXXVI. Schultheis und Ratt zuo Bern.

Cedula 1 (AMS AA 288, fol. 38)

[2] Ouch, lieben getruwen und brüderlich frúnd, als unns dann unnser gnediger herr, Hertzog Reinhard von Lothringen, uff den den letzt gehaltnen tag zuo Lutzern zuo gesagt hatt, ob man sin beger, unns mit hundert Spiessen zuo hilff komen, bedunckt unns, wöllt uch sölichs geuallen, in das zuo manen und uns das verkunden, damitt er ouch angends sich haruff zuo unns an verziechen mitt den selben fuoge und getruwelichen huolff handeln. Doch sollen ir uff in nitt verhallten, es wer dann, das er geswornm, mitt uch die mitt yl zuo ziechen werden wegfertig sin wölt. Was uch darin bedunckt zuo nutz und er geraten sin, mogen ir thuon. Datum ylends eadem die qua supra.

Cedula 2 (AMS AA 288, fol. 36)

[3] Getruwen brüderlichen frund, wir haben ettlichen unnsern knechten vor dem Sibental und andern gegonnen und erloubt, unnser viend zuo beschädigen, also haben unns die selben hinnach in der zwölfften stund zuo mitternacht geschriben und den loblichen sig, so inen got verliehen hatt, verkundt, wie si dann die stett Vifis59 und zem Turm mitt den slossen darin ritterlichen und mitt manlichen angriffen, erobert, genomen, verbrent und was werhafftig darinn funden ist, ertöt haben. Solich unns fröud, wir wussen uch nitt ander behertzigen, dann uns darvonn wir uch es ouch verkunden. Datum ut in littera.

NOTES

1. Je tiens à remercier Olivier Richard (Mulhouse) pour la traduction de cet article, ainsi que le Professeur Valentin Groebner et le Dr. Michael Jucker (tous deux de Lucerne), le Professeur Martin Kintzinger et Nils Bock (tous deux de Münster) ainsi que le Dr. Klara Hübner (Fribourg [Suisse]) pour les nombreuses discussions qu’ils ont eues avec moi, sans lesquelles il n’aurait pas pris cette forme. Ce texte est la version remaniée d’un article à paraître en anglais en 2013 dans

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les Utrecht Studies in Medieval Literacy et est issu d’un chapitre de ma thèse de doctorat intitulée Informationen, Wissen und Macht. Akteure und Techniken städtischer Außenpolitik : Bern, Straßburg und Basel im Kontext der Burgunderkriege (1468-1477), Stuttgart, Franz Steiner (Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, Beiheft 218), 2012. 2. Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg (AMS) AA 269, fol. 4 : « Ein glouplich man uß dem lande von Lothringen hat geseit in einer geheim, Er wisse fúr war, das der Hertzoge von Borgondye mit einer grossen maht sol mymem herrn dem Pfaltzgräfen zü willen komen in die Stifft von Cölne! » 3. Sur les messagers urbains des villes de l’Oberrhein et de la Confédération à la fin du Moyen Âge, cf. HÜBNER (Klara), Im Dienste ihrer Stadt. Boten- und Nachrichtenorganisationen in den schweizerisch-oberdeutschen Städten des späten Mittelalters, Ostfildern, Thorbecke (Mittelalter- Forschungen, 30), 2012. 4. La correspondance urbaine fait l’objet d’une attention soutenue depuis quelques années, cf. l’ouvrage fondamental de JUCKER (Michael), Gesandte, Schreiber, Akten. Politische Kommunikation auf eidgenössischen Tagsatzungen im Spätmittelalter, Chronos, Zürich, 2004 ; ID., « Vertrauen, Symbolik, Reziprozität, Das Korrespondenzwesen eidgenössischer Städte als kommunikative Praxis », Zeitschrift für historische Forschung 34, 2007, p. 189-213 ; ID., « Trust and Mistrust in Letters. Late Medieval diplomacy and its Communicational Practices » dans : MOSTERT (Marco), SCHULTE (Petra) et VAN RENSWOUDE (Irene) dir., Strategies of Writing. Studies on Text and Trust in de Middle Ages (Utrecht Studies in Medieval Literacy 13), Turnhout, Brepols, 2008, p. 213‑236. Sur les chancelleries urbaines de quelques villes de la Confédération, voir ZAHND (Urs-Martin), « Studium und Kanzlei. Der Bildungsweg von Stadt- und Ratsschreibern in eidgenössischen Städten des ausgehenden Mittelalters », dans : SCHWINGES (Rainer C.) dir., Gelehrte im Reich. Zur Sozial- und Wirkungsgeschichte akademischer Eliten des 14. bis 16. Jahrhunderts (Zeitschrift für Historische Forschung Beihefte 18), Berlin 1996, p. 453‑476 ; JUCKER (Michael), « Vom klerikalen Teilzeitangestellten zum gnädigen Kanzler. Aspekte der spätmittelalterlichen Bildungswege der Stadtschreiber in der Eidgenossenschaft », Traverse 27 , 2002, p. 45‑54 ainsi que WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit., p. 198-244, fournissent également quelques renseignements sur les chancelleires des villes confédérées. 5. Sur les langues secrètes, voir WESTFALL THOMPSON, James et PADOVER, Saul K., Secret Diplomacy. Espionage and Cryptography 1500-1815, New York, 1963 ; on trouve une bibliographie sélective pour les travaux jusqu’à 2003 dans SHELDON, R. M. dir., Espionage in the Ancient World. An Annotated Bibliography of Books and Articles in Western Languages, London 2003, p. 160‑170. 6. Sur ce point, cf. ZEILINGER (Gabriel), Lebensformen im Krieg, Eine Alltags- und Kulturgeschichte des süddeutschen Städtekriegs 1449/50 (Vierteljahrsschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte Beihefte 196), Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2007, p. 121‑129 ; für die oberitalienischen Städte BULLARD, Melissa Meriam, « Secrecy, Diplomacy and Language in the Renaissance », dans : RANG (Brita) et al. dir., Das Geheimnis am Beginn der europäischen Moderne, Frankfurt a. M., Klostermann, 2002, p. 77‑97. 7. Sur l’espionnage et l’acquisition d’informations des trois villes étudiées, voir WALTER (Bastian), « Spionage am Oberrhein und im Elsass im Kontext der Burgunderkriege (1468-1477) », dans : ZOTZ (Thomas ) et al. dir., Neuere Forschungen zur Geschichte des Elsass im Mittelalter (Forschungen zur oberrheinischen Landesgeschichte), Freiburg i.B. et Munich, 2012 ; ID., « Bons amis et agents secrets. Les réseaux de communication informels entre alliés », dans : BUCHHOLZER (Laurence) et RICHARD (Olivier) dir., Ligues urbaines et espace à la fin du Moyen Âge, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2012, p. 179‑200 ; ID., « Von städtischer Spionage und der Bitte, Briefe zu zerreißen : Alternative Kommunikationsnetze von Städten während der Burgunderkriege », Diskurs 2, 2008, p. 156‑168 et ID., « Urban Espionage and Counterespionage during the Burgundian Wars (1468-1477) », Journal of Medieval Military History 9, 2011, Boydell Press, Woodbridge, p. 132‑145.

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8. Jusqu’à présent, les spécialistes de l’histoire de la correspondance n’ont étudié que les cedulae inclusae princières, et non pas urbaines. 9. Sur les cedulae inclusae princières, voir HOLZPAFL (Julian), Kanzleikorrespondenz des späten Mittelters in Bayern: Schriftlichkeit, Sprache und politische Rhetorik (Schriftenreihe zur bayerischen Landesgeschichte 159), München, Beck, 2008, p. 273-280. Il indique que les cedulae étaient caractéristiques de la correspondance princière (p. 273). 10. STEINHAUSEN (Georg), Geschichte des deutschen Briefes. Zur Kulturgeschichte des deutschen Volkes, Dublin et Zürich 1968, p. 33 sq. 11. « Einer publizistisch verstandene Kommunikationsgeschichte », selon les mots de HOLZAPFL, Kanzleikorrespondenz, op. cit., p. 277. 12. Cf. par exemple la Cedula dans Archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg (AMS) AA 267, fol. 2 (4 juillet 1473). 13. TEUSCHER (Simon), « Bernische Privatbriefe aus der Zeit um 1500. Überlegungen zu ihren zeitgenössischen Funktionen und zu Möglichkeiten ihrer historischen Auswertung », dans : LUTZ (Eckart Conrad) dir., Mittelalterliche Literatur im Lebenszusammenhang. Ergebnisse des Troisième Cycle Romand 1994, Freiburg 1997, p. 374 ; STEINHAUSEN, Geschichte des Briefes, op. cit., p. 33 sq. 14. HOLZAPFEL, Kanzleikorrespondenz, op. cit., p. 277 sqq, insiste aussi sur cette fonction de conservation du secret des cedulae. 15. OCHSENBEIN, Urkunden, op. cit., p. 92, Missive no125 (cedula jointe à une lettre de Berne pour Ulm, 2 avril 1476) ou cedula d’une lettre, sans doute envoyée par Bâle à Strasbourg (AMS AA 261, fol. 73). 16. Staatsarchiv Bern, Deutsche Missiven C (StABe Dt. Miss. C), fol. 323 (Cedula posterior dans une lettre de Berne à ses capitaines au front devant Héricourt le 7 novembre 1474) ou cedula d’une lettre de Bâle à Strasbourg (AMS AA 269, fol. 32 (lettre), fol. 21 (cedula). 17. HOLZAPFL, Kanzleikorrespondenz, p. 276. 18. Par exemple dans AMS AA 265, fol. 6. Il s’agit d’une cedula qui était à l’origine jointe à une lettre du comte palatin du Rhin, comme l’indique l’annotation « Pfaltzgraf » inscrite par l’employé de la chancellerie au-dessus de la cedula. Des comparaisons d’écriture permettent d’affirmer que la main est bien celle d’un Strasbourgeois ; on la retrouve sur de nombreux actes conservés aux archives de la ville. Autre exemple dans AMS AA 266, fol. 58, qui est une cedula jointe à une lettre de la ville de Mulhouse à Strasbourg : la même main que dans l’exemple précédent y a inscrit l’annotation « Mülhusen ». 19. Par exemple dans AMS AA 276, fol. 25 (vers 1475). Un employé de la chancellerie strasbourgeoise nota les mots suivants : Diser zedel kam vigilia Thome Apostele (cette feuille arriva la veille de la Saint-Thomas l’apôtre). La même personne écrit sur une autre cedula qu’elle est arrivée à Esto Michi 75. 20. Quelques exemples parmi beaucoup d’autres : AMS AA 286, fol. 5 ; AA 269, fol. 13 (lettre) ; fol. 11 (Cedula 1) et fol. 12 (Cedula 2). 21. Un exemple suffira ici : AMS AA 286, fol. 13. Il s’agit d’une lettre de Soleure à Bâle, accompagnée d’une cedula inclusa du capitaine de Neuchâtel. Bâle les fit suivre toutes les deux à Strasbourg, qui les fit copier et archiver toutes deux par sa chancellerie. 22. AMS AA 271, fol. 9 (20 octobre 1475). 23. Sur le hasard de la conservation documentaire, cf. ESCH (Arnold), « Überlieferungschance und Überlieferungszufall als methodisches Problem des Historikers », Historische Zeitschrift 240, 1985, p. 529‑570. 24. À l’inverse, Holzapfl a trouvé des « traces de fixation » dans les cedulae (princières) qu’il a étudiées (HOLZAPFL, Kanzleikorrespondenz, op. cit., p. 275). 25. Mais cela concernait en grande partie les cedulae dont le contenu n’était pas particulièrement confidentiel ou secret (voir sur ce point HOLZAPFL, Kanzleikorrespondenz, op. cit., p. 279). 26. AMS AA 274, fol. 82r (voir en annexe).

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27. C’est ce que suggère la première information contenue dans cette cedula : une « botschafft » (ambassade) venant de Porrentruy aurait rapporté la mort de Diesbach (ibidem). Sur le rôle de Diesbach avant et pendant les guerres de Bourgogne, voir WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit., p. 34‑50 ; ID., « Kontore, Kriege, Königshof. Der Aufstieg der Berner Familie von Diesbach im 15. Jahrhundert im Hinblick auf städtische Außenpolitik », dans : JÖRG (Christian) et JUCKER (Michael) dir., Politisches Wissen, Spezialisierung und Professionalisierung: Träger und Foren städtischer Außenpolitik während des späten Mittelalters und der Frühen Neuzeit (Trierer Beiträge zu den historischen Kulturwissenschaften 1), Wiesbaden, Oldenbourg, 2010, p. 161‑191. 28. D’après cette liste, ils avaient besoin en tout de 60 boulets de fer, 50 boulets normaux et de la quantité de poudre correspondante. Pour transporter cela, on leur apporterait le petit chariot de poudre. En outre, il leur faudrait absolument 17 autres quintaux de poudre, 200 projectiles pour les couleuvrines et 600 pour les arquebuses, 50 pierres pour les catapultes, 4 000 flèches, de la poudre et des allumettes, 600 clous de fer pour ferrer les chevaux de trait, 1 850 autres clous, ainsi que des bougies. Enfin, les commandants demandaient également trois chariots remplis de boulets pour le gros canon et 30 haches de combat (AMS AA 274, fol. 82r). 29. AMS AA 288, fol. 37 (Lettre du 10 juin 1476) vom 10. Juni 1476), fol. 36 (cedula 1) et 38 (cedula 2) ; voir en annexe. 30. Sur la politique menée par le duc de Lorraine pendant les guerres de Bourgogne, consulter WITTE (Heinrich), « Zur Geschichte der Burgunderkriege. Das Kriegsjahr 1475. Verwicklungen in Lothringen », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 10, 1895, p. 78‑112 ; 202 ‑266 ; ID., « Lothringen und Burgund », Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde, 2, 1890, p. 1‑100 et 3, 1891, p. 232‑293 ; ID., « Lothringen und Burgund », Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde 3, 1891, p. 232‑293. 31. AMS AA 266, fol. 34 (Cedula inclusa jointe à une lettre des Bernois à Strasbourg, de novembre 1474). 32. AMS AA 266, fol. 39 (Cedula inclusa jointe à une lettre de Bâle à Strasbourg d’avril 1473). 33. StABe Dt. Miss. C, fol. 891 sq. 34. Sur ce point : HOLZAPFL, Kanzleikorrespondenz, op. cit., p. 278 sq. ; WALTER, « Städtische Spionage », op. cit. ; ID., « Bons amis » ; ID., « Spionage am Oberrhein », op. cit. 35. Sur le discours de la fraternité chez les confédérés, en particulier en temps de guerre, JUCKER (Michael), « Und willst Du nicht mein Bruder sein, so … – Freundschaft als politisches Medium in Bündnissen und Korrespondenzen der Eidgenossenschaft (1291-1501) », dans : OSCHEMA, (Klaus) dir., Freundschaft oder amitié? Ein politisch-soziales Konzept der Vormoderne im zwischensprachlichen Vergleich (15.‑17. Jahrhundert) (Zeitschrift für Historische Forschung Beihefte 40), Berlin, 2007, p. 159‑190 ; SCHMID (Regula), « Liebe Brüder: Empfangsrituale und politische Sprache in der spätmittelalterlichen Eidgenossenschaft », dans : JOHANEK (Peter) et LAMPEN (Angelika) dir., Adventus. Studien zum herrscherlichen Einzug in die Stadt, Köln, Böhlau (Städteforschung, A 75), 2009, p. 85‑111. 36. StABe Dt. Miss. C, fol. 891. 37. StABe Dt. Miss. C, fol. 896. 38. AMS AA 269, fol. 8 (Brief), fol. 7 (Cedula 1) et fol. 6 (Cedula 2). 39. Sur ce point, cf. WALTER, Informationen, Macht und Wissen, op. cit., 178 sqq. 40. Sur le siège de Neuss, voir METZDORF (Jens), « Bedrängnis, Angst und große Mühsal : Die Belagerung von Neuss durch Karl den Kühnen 1474/75 », dans : WAGENER (Olaf) et LAß (Heiko) dir., « ...wurfen hin in steine - grôze und niht kleine... » : Belagerungen und Belagerungsanlagen im Mittelalter (Beihefte zur Mediaevistik 7), Frankfurt a. M. 2006, p. 167‑188 ; CAUCHIES (Jean Marie), « Charles le Hardi à Neuss (1474/75) », Pays bourguignons et terres d’Empire, 1996, p. 105‑116 ; GILLIAM (Helmut), « Der Neusser Krieg. Wendepunkt der europäischen Geschichte », dans : Neuss, Burgund und das Reich, Neuss, 1975, p. 201‑254. 41. AMS AA 269, fol. 5.

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42. AMS AA 269, fol. 4. 43. HOLZAPFL, Kanzleikorrespondenz, p. 279 sq. 44. StABe Dt. Miss. C, fol. 111f. (14 octobre 1473). 45. AMS AA 276, fol. 21r. 46. Sur ce qui a été appelé la « multiplicatio » des villes, voir SIEBER-LEHMANN (Claudius), Spätmittelalterlicher Nationalismus. Die Burgunderkriege am Oberrhein und in der Eidgenossenschaft, Vandenhoeck & Ruprecht (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, 116), Göttingen, 1995, p. 358 sq. ; BAUER (Martin), Die „gemain sag“ im späteren Mittelalter, Erlangen, 1981. 47. Sur les « techniques de la gestion de l’information », cf. WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit., p. 170‑183. 48. Sur cette question, voir WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit., p. 149-180. 49. HAHN (Alois), « Geheim », dans : ENGEL (Gisela), RANG (Brita) et al. dir., Das Geheimnis am Beginn der europäischen Moderne, Frankfurt a. M., Klostermann, 2002, p. 21‑43, en particulier p. 26 sqq. ; sur la théorie du secret voir ASSMANN (Aleida) et al. dir., Geheimnis und Öffentlichkeit (Archäologie der literarischen Kommunikation V. Schleier und Schwelle 1), München, 1997 ; sur le secret postal voir BOHN (Cornelia), « Ins Feuer damit: Soziologie des Briefgeheimnisses », dans : ID. et. al. dir., Geheimnis und Öffentlichkeit, München, 1997, p. 41‑51 ; BULLARD, « Secrecy », op. cit. ; DOERING-MANTEUFFEL (Sabine), « Informationsstrategien: Propaganda, Geheimhaltung, Nachrichtennetze. Einleitung », dans : WERKSTETTER (Christine) et. al. dir., Kommunikation und Medien in der Frühen Neuzeit, München, 2005, p. 359‑365. Michael Jucker parvient à des résultats comparables quant à la communication „officielle“ des confédérés, sans toutefois prendre en considération les cedulae inclusae, cf. JUCKER (Michael), « Geheimnis und Geheimpolitik. Methodische und kommunikative Aspekte zur Diplomatie des Mittelalters », dans : JÖRG (Christian) et JUCKER (Michael) dir., Spezialisierung und Professionalisierung. Träger und Foren städtischer Außenpolitik während des späten Mittelalters und der frühen Neuzeit (Trierer Beiträge zu den historischen Kulturwissenschaften 1), Wiesbaden, Oldenbourg, 2010, p. 66‑69 ; ID., « Secrets and Politics. Methodological Aspects of the Late Medieval Diplomatic Communication », Micrologus 14 (2006), p. 276 sqq. 50. Sur Peter Schott, l’ammeister le plus important de la période des guerres de Bourgogne, voir MATHIS (Marcel), « Un grand Ammeister strasbourgeois du XVe siècle, Pierre Schott (1427-1504) », Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg 20, 1990, p. 15‑35 ; WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit. p. 82‑99. 51. Cf. là-dessus WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit., p. 174 sqq. 52. C’est-à-dire Porrentruy, où se trouvait la résidence de l’évêque de Bâle. 53. Nikolaus von Diesbach était l’un des défenseurs les plus importants de la guerre contre le duc de Bourgogne, et il commandait les troupes bernoises pendant la campagne en Franche‑Comté. Il mourut le 7 août dans la résidence de l’évêque de Bâle à Porrentruy. Voir à son propos STETTLER (Karl), Ritter Nikolaus von Diesbach. Schultheiß von Bern 1430-1475, Bern 1924 ; WALTER, Informationen, Wissen und Macht, op. cit., p. 34-54 ; ID, « Kontore, Kriege, Königshof », op. cit. 54. Arquebuses. 55. Il s’agit ici très probablement de fers à cheval spéciaux pour les chevaux de trait, avec les clous qui servent à les fixer. 56. Peut-être des torches ou des sortes particulières de chandelles. 57. Il s’agit ici peut-être du « Strauss », le plus gros canon des Strasbourgeois. 58. Haches de combat. 59. C’est-à-dire Vevey, située sur la rive nord du lac Léman.

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RÉSUMÉS

Le recours aux cedulae inclusae dont il est question dans l’article représente une technique efficace pour communiquer des informations. Grâce à elles, l’expéditeur restait anonyme et les informations demeuraient inconnues de ceux à qui elles n’étaient pas destinées, ce qui était particulièrement recommandé en temps de guerre. Avec elles, les dirigeants des villes ont été en mesure d’établir des réseaux de communications étendus et de renforcer la cohésion et la confiance de leurs alliés. Les informations marquées « Secret » communiquées par les Cedulae assuraient la coordination de politiques extérieures communes. Pour ceux qui en étaient parties prenantes, l’information confidentielle a constitué un lien et renforcé l’identité collective de groupe.

The Zedulae inclusae provided the municipal leadership with an efficient technique to impart important information to the recipients of their messages and enabled them to conceal themselves as senders and to protect the information provided from unwanted readers, which was very important during times of war. With the aid of the Zedulae, the municipal councils were able to create and establish an extended space of communication in which the cohesion between and the trust among the allies was tremendously strengthened. The information imparted in the Zedulae, frequently coded as “secret”, was particularly important for the coordination of a common foreign policy. As such, they acted, as it were, as a basis for collective identity and defined the people sharing the secret as a group.

Die in diesem Beitrag vorgestellten Cedulae inclusae boten den städtischen Führungsgruppen eine effiziente Technik, um den Empfängern ihrer Nachrichten wichtige Informationen mitzuteilen. Mit ihrer Hilfe waren sie in der Lage, sich als Absender zu verschleiern und die gegebenen Nachrichten vor einem unerwünschten Leserkreis zu schützen, was vor allem in Kriegszeiten besonders notwendig war. Mithilfe der Cedulae waren die städtischen Führungsgruppen zudem in der Lage, einen erweiterten Kommunikationsraum zu schaffen und diesen zu etablieren, in dem die Kohäsion zwischen und das Vertrauen unter den Bündnispartnern ungemein gestärkt wurde. Die sehr häufig als „geheim“ kodierten Informationen, die in Cedulae mitgeteilt wurden, waren für die Koordination einer gemeinsamen Außenpolitik besonders wichtig. So erscheinen sie gewissermaßen als Basis von kollektiver Identität und charakterisieren die Personen, die das Geheimnis teilen, als Gruppe.

AUTEURS

BASTIAN WALTER Wissenschaftlicher Mitarbeiter an der Abteilung für Mittelalterliche Geschichte, Historischen Seminar der Westfälischen Wilhelms-Universität Münster

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Le prieuré clunisen de Thierenbach (12e - 18e siècles) et son pèlerinage The Cluny priory of Thierenbach (from the 12th to the18th century century) and its pilgrimage Das Priorat der Kluniazenser von Thierenbach (12. - 18. Jh.) und seine Wallfahrt

Élisabeth Clementz

1 Le 11 septembre 910, Guillaume, duc d’Aquitaine et comte de Mâcon, donne son domaine de chasse, situé à Cluny dans le Mâconnais, pour qu’y soit fondé un couvent bénédictin. Deux siècles plus tard, ce monastère se trouve à la tête de plus de mille établissements, dont la majeure partie est située en France1. C’est la première fois dans l’histoire du Moyen Âge occidental que des couvents se fédèrent pour former une congrégation. Si le semis d’établissements clunisiens est dense en France, il n’en va pas de même en Allemagne, où seules les contrées périphériques sont atteintes2. En Alsace, les prieurés d’obédience clunisienne se trouvent tous dans le Sud de la région : Froidefontaine, Feldbach, Altkirch, Biesheim et Enschingen, qui sont des dépendances de Sankt-Alban de Bâle, Saint-Pierre de Colmar, dépendance de Payerne (canton de Vaud) - et Thierenbach.

L’épineuse question de la fondation de Thierenbach

2 Dans son ouvrage sur les Clunisiens dans le Rhin supérieur, Florian Lamke étudie de façon détaillée le processus de fondation des prieurés clunisiens de Froidefontaine, d’Altkirch, de Feldbach et de Sankt-Alban de Bâle3. Il tente également d’apporter un éclairage nouveau sur la difficile question des relations de Seltz avec Cluny à la fin du 10e et au 11 e siècle4. Pour Thierenbach, par contre, il mentionne uniquement que le prieuré a été fondé dans des circonstances inconnues, probablement vers 1130, et que les sources ne nous apprennent rien sur ses origines5. Il est exact que les archives de Thierenbach ont brûlé au moins à deux reprises : lors de la Guerre des Paysans en 1525, et une seconde fois en 1643, lors de l’incendie du monastère du Saint-Mont, où les religieux s’étaient repliés pendant la Guerre de Trente Ans6. C’est ce qui explique que le

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fonds du prieuré aux Archives Départementales de Colmar ne concerne pratiquement que l’époque moderne, de même que les sources relatives à Thierenbach aux Archives municipales de Soultz. Pourtant, malgré l’ampleur des pertes, l’historien dispose aujourd’hui de cinq documents du second quart du 12e siècle qui évoquent la fondation du prieuré de Thierenbach. Tous ont été édités au 18e siècle, et Auguste Gasser les a republiés sans aucune critique7. Il se contente de citer une lettre de Dom Calmet dans laquelle ce dernier se prononce pour l’authenticité de la charte de fondation8. Or ces documents qui évoquent les débuts du prieuré de Thierenbach sont des faux, qui ne sont conservés que sous forme de copies9. Les plus anciennes remontent au 15e siècle : il est donc difficile de juger de l’époque à laquelle ces faux ont été fabriqués. Une étude détaillée de ces documents permet néanmoins de formuler certaines hypothèses. Mais avant de les analyser, il convient de présenter l’environnement politique dans lequel naît le prieuré de Thierenbach. Dès l’origine et jusqu’en 1881, Thierenbach est au ban de Soultz. Ce ban est immense : il va jusqu’au sommet du Grand Ballon et incluait autrefois Wuenheim, Rimbach-Zell et la plus grande partie de Jungholtz10. Soultz faisait partie de l’Obermundat, qui dépendait de l’évêque de Bâle au spirituel, mais qui appartenait à l’évêque de Strasbourg au temporel. Les Habsbourg en ont eu l’avouerie jusqu’en 1269. Ils ont également un domaine (predium) à Thierenbach ; ils le cèdent à l’évêque de Strasbourg en 1201, et à cette occasion on apprend qu’il y a dans ce domaine une « maison » (domus), sans autres précisions11. D’autre part, depuis 1118, les comtes d’Eguisheim ont, en fief de l’évêché de Strasbourg, une cour domaniale à Soultz12. Thierenbach naît donc à un point de contact de trois seigneuries importantes. Une analyse critique des cinq documents concernant la fondation du prieuré de Thierenbach permet-elle d’entrevoir le rôle joué par ces seigneurs ?

3 Le premier document a été édité par Grandidier d’après la chronique de Matern Berler13. Il se présente comme une charte de fondation, par laquelle un nommé Ulrich, cité sans patronyme et sans titre, confie l’église Notre-Dame de Thierenbach, qu’il a bâtie, à Cluny et à son abbé Pierre, en stipulant que les frères et les sœurs de Thierenbach auront la libre élection de leur prieur. Ce détail suffit à lui seul à rendre la charte suspecte, car le principe de fonctionnement de l’ordre de Cluny, dès cette époque, est que c’est l’abbé de Cluny qui désigne les prieurs de toutes les maisons de l’ordre. Cette charte ne porte pas de date, mais Pierre le Vénérable est abbé de Cluny de 1122 à 1157. À cette époque, le seul Ulrich susceptible d’avoir fondé ce prieuré est le comte Ulrich d’Eguisheim, attesté de 1118 à 1143, et fondateur, par ailleurs, de l’abbaye cistercienne de Pairis14. C’est lui qui tenait en fief de l’évêque une cour domaniale à Soultz, sur laquelle on n’a aucun détail, mais dont Thierenbach pourrait théoriquement avoir fait partie.

4 La deuxième charte, qui est datée de 1135, est hautement suspecte, bien que ni Wentzcke ni Steinacker ne soient allés jusqu’à la déclarer fausse15. Selon elle, les paroissiens de Soultz donnent à Thierenbach, en l’honneur de la Vierge, une portion de leur communal – le futur Propstwald – avec l’accord de leur seigneur, l’évêque de Strasbourg, et du landgrave Werner von Hasenburg16. Qu’une commune dispose de son communal en 1135 n’est déjà pas très vraisemblable. D’autre part, Werner von Hasenburg n’a jamais existé. Admettons cependant que Hasenburg soit une faute de copie pour Habsburg. Or un Werner von Habsburg est attesté de 1129/1130 à 116717, et en tant qu’avoué de l’Obermundat, il a effectivement son mot à dire sur ce qui se passe à Soultz. Autour du berceau de Thierenbach, il y aurait donc les principaux seigneurs de

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la région : les Eguisheim, les Habsbourg et l’évêque de Strasbourg. Mais ces seigneurs sont en situation de concurrence, et on ne voit pas trop pourquoi les uns soutiendraient une fondation de l’autre.

5 Le troisième document est une lettre de Pierre le Vénérable au curé de Soultz et à ses paroissiens, datée de 114218 : pour les remercier d’avoir fondé Thierenbach et de l’avoir soumis à Cluny, il les fait bénéficier de toutes les prières qui se font dans tout l’ordre de Cluny. Mais il prescrit aussi que Thierenbach restera toujours soumis à celui-ci. Nous avons ici un nouveau candidat au titre de fondateur de Thierenbach, mais c’est de loin le plus improbable : on n’a jamais vu, au 12e siècle, une paroisse fonder un couvent. Cette lettre ne peut être que fausse, et d’ailleurs l’éditeur de la correspondance de Pierre le Vénérable ne l’a pas retenue19.

6 Les deux derniers documents font la paire : la paroisse de Soultz, en 113820, et celle de Rouffach, en 1142, font vœu d’aller chaque année en procession à Thierenbach. Le vœu de Rouffach est daté de 1142, sous l’évêque Gebhard, qui est mort en 114121, ce qui suffirait à disqualifier la charte ; mais surtout, de tels vœux collectifs ne sont attestés nulle part au 12e siècle.

7 Bref, aucun de ces cinq documents ne nous apporte de certitude sur les origines du prieuré de Thierenbach. Ils ne semblent d’ailleurs pas avoir été fabriqués à la même date ni pour le même motif : la « charte de fondation » semble avoir pour but d’assurer aux moines la libre élection de leur prieur ; elle est donc dirigée contre la centralisation clunisienne. La lettre de Pierre le Vénérable affirme au contraire les droits de Cluny – tout en soulignant fortement les liens entre Thierenbach et Soultz. Quant aux deux vœux de Soultz et de Rouffach, ils visent à donner aux processions de ces deux paroisses plus d’ancienneté et par conséquent de légitimité, peut-être à une époque où elles commençaient tout juste à devenir habituelles.

8 Or, après ces cinq documents hautement suspects, il n’est plus question de Thierenbach pendant plus d’un siècle, de sorte que les premières mentions sûres du prieuré remontent aux années 1230-1240. Une note, que Dom Charvin place entre le 14 mai 1234 et le 10 mai 1237, évoque les maisons tenues par l’abbé de Luxeuil (?), dont Thierenbach22. Cette mention laconique ne nous permet pas de préciser quelles étaient les relations entre Luxeuil et le prieuré clunisien de Thierenbach. Un peu plus tard, [vers 1241-1245], Friedrich, fils aîné du comte Ulrich de Ferrette et ancien prieur d’Altkirch, a été envoyé en pénitence à Cluny23. Il s’en échappe et se présente à Vilmarszell (aujourd’hui Sankt‑Ulrich-im-Schwarzwald) en disant que le Grand Prieur de Cluny, où il n’y a pas d’abbé de 1241 à 1245, lui a conféré ce prieuré et celui de Thierenbach. Invité à présenter un titre écrit, il se rend chez un orfèvre de Fribourg pour se faire faire un faux sceau de Cluny, mais l’orfèvre le dénonce24.

9 La note de 1234 et cette ténébreuse histoire sont les premières mentions historiques sûres du prieuré de Thierenbach. Cela ne veut pas dire pour autant que Thierenbach ne remonte qu’à cette époque. En effet, au milieu du 13e siècle, il y a longtemps que l’ordre de Cluny est entré en décadence25. Par ailleurs, il y a au moins deux raisons de croire que Thierenbach remonte bien à la première moitié du 12e siècle, comme le suggèrent les cinq documents évoqués ci-dessus.

10 La première est la comparaison avec les autres fondations clunisiennes dans la région. La plus ancienne est Sankt-Alban de Bâle, fondée en 1083 par l’évêque Bourcard de Fénis et soumise à l’abbaye de Cluny entre 1088 et 109526. De Sankt-Alban dépendent en Haute-Alsace les prévôtés d’Enschingen, fondée peu après 114727, et de Biesheim, citée à

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la même époque28. Peu de temps après la fondation de Sankt-Alban, en 1105, la veuve et les fils du comte Thierry de Montbéliard donnent à Cluny une cour à Froidefontaine, dans laquelle il y avait probablement une église. Néanmoins on ignore à quelle date précise des moines clunisiens s’y sont établis29. Toujours en 1105, un des fils du même comte Thierry de Montbéliard, Frédéric de Ferrette30, donne à Cluny la collégiale d’Altkirch, pour en faire un prieuré clunisien. La présence et l’accord des cinq chanoines séculiers d’Altkirch et de leur prévôt sont mentionnés dans l’acte, de même que le prétexte du transfert à Cluny : mettre fin à la simonie dont se seraient rendus coupables les chanoines31. En 1144, ce même comte Frédéric fonde un couvent de moniales à Feldbach et le soumet à Cluny32. Le cinquième prieuré clunisien fondé dans la région est Thierenbach. Il n’y en aura pas d’autres en Alsace. Or la fondation des quatre premiers, abstraction faite des sous-prieurés d’Enschingen et de Biesheim, se place entre 1095 et 1144. Celle de Thierenbach peut raisonnablement se chercher dans la même fourchette.

11 Deuxième argument : dans la prétendue charte de fondation, le fondateur Ulrich donne l’église de Thierenbach à Cluny « avec l’accord des frères et sœurs » de la maison, et ce seront « les frères et les soeurs » qui éliront le prieur. Cette formulation prouve que Thierenbach était un monastère double, avec une communauté de moines et une de moniales. Il ne l’est pas resté longtemps, puisqu’à partir du milieu du 13e siècle, quand on commence à avoir quelques précisions sur la maison, on n’y trouve plus de religieuses33.

12 Or un monastère double n’est rien d’exceptionnel. En Alsace, c’est notamment le cas de Marbach, d’Oelenberg, de Goldbach, d’Altorf et de Seltz. Mais dans chacun de ces cas, il y a assez rapidement eu un « divorce » : les sœurs de Marbach sont parties pour Schwartzenthann avant 114934, celles d’Oelenberg à Wattwiller en 127335, celles de Seltz à Mirmelberg au plus tard au 13e siècle36. À Altorf, les sœurs ont disparu avant 125137 ; à Goldbach, au 13e siècle, il ne reste plus qu’elles38. Aucun de ces exemples n’est bien documenté, mais si l’on considère aussi ceux d’autres régions, on constate que la grande époque des couvents doubles est le 12e siècle, mais qu’ils ne sont jamais durables. Dès le début du 13e siècle, ils ne sont plus à la mode, et plus on avance dans le temps, plus ils sont mal vus. Ce n’est pas un hasard si, au courant du 13e siècle, ils disparaissent par la suppression d’une de leur composante ou par son transfert en un autre lieu. Le plus souvent, ce sont les femmes qui sont déplacées. Par la suite, les couvents d’hommes ou de femmes issus de ces séparations mènent une existence indépendante39. L’existence d’une communauté de sœurs à Thierenbach parle donc en faveur d’une fondation au plus tard de la première moitié du 12e siècle. On objectera que les sœurs de Thierenbach ne sont connues que par un faux. Mais un faussaire n’a aucun intérêt à introduire dans le document qu’il fabrique un détail sans rapport avec son propos, ne correspondant plus à la réalité, et de surcroît mal vu à son époque. Il n’a donc pu emprunter la mention de sœurs qu’à un document authentique.

13 Admettons donc une fondation du second quart du 12e siècle. Reste une question essentielle : qui est le fondateur ? Un faux nous suggère Ulrich d’Eguisheim, mais le fait que les Habsbourg ont eu un domaine et une « maison » à Thierenbach jusqu’en 1201 parle en leur faveur. Il serait important de savoir qui était l’avoué de Thierenbach, car le plus souvent le fondateur réservait l’avouerie à ses descendants. Mais sur ce point aussi, nous manquons de sources. Toutefois, si l’on considère les autres maisons clunisiennes de la région, on observe que leurs fondateurs connus sont tous d’origine

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romane : l’évêque Bourcard est de Fénis, au bord du lac de Bienne, et les comtes de Ferrette sont issus de ceux de Montbéliard. Or Ulrich d’Eguisheim est en fait le fils d’une Eguisheim et d’un comte de Vaudémont, en Lorraine40. Lui aussi est donc d’origine romane ; c’est un argument en sa faveur, mais ce n’est pas une preuve. Après tout, les Hohenstaufen eux-mêmes sont allés chercher des moines romans, à Conques, pour leur fondation de Sélestat.

14 Nous pouvons également nous interroger sur les motivations du fondateur de Thierenbach. Ont-elles été identiques à celles du fondateur des prieurés de Feldbach et d’Altkirch ? En créant ces deux prieurés, Frédéric Ier s’était assuré un lieu de sépulture pour lui et ses descendants, un lieu dans lequel serait célébrée la memoria familiale. En effet, en 1105, le père de Frédéric Ier, Thierry Ier, meurt. Il avait accordé toute son attention à l’abbaye de Saint-Mihiel en Lorraine, qui était devenue le monastère où la famille se faisait enterrer. Or, comme Frédéric a hérité des biens situés autour d’Amance, de Ferrette et d’Altkirch, le centre religieux de la famille ne lui est plus accessible. C’est son frère Renaud Ier de Bar-Mousson qui a hérité de l’avouerie sur Saint-Mihiel. Il est donc probable que la refondation d’Altkirch, peu de temps après la mort de son père, témoigne du souci de Frédéric d’assurer à la nouvelle branche de la famille un lieu de sépulture, qui sera transféré plus tard à Feldbach41. Dans l’hypothèse où Ulrich d’Eguisheim serait le fondateur de Thierenbach, a-t-il lui aussi essayé de créer un monastère dans lequel se célébrerait la memoria de la famille ? Le fait que la branche fondée par Ulrich s’éteint avec lui et la perte de l’obituaire de Thierenbach pourraient expliquer qu’on dispose de peu de renseignements à ce sujet. Néanmoins les Eguisheim disposaient d’un Hauskloster à Sainte-Croix-en-Plaine et d’un autre à Oelenberg, fondé par la mère d’Ulrich42. Ulrich lui-même a fondé l’abbaye cistercienne de Pairis43. Comme par ailleurs les fouilles archéologiques réalisées en 1983 n’ont pas mis au jour de pierre tumulaire antérieure au 14e siècle44, la piste de la memoria familiale pour Thierenbach n’apporte pas non plus de certitudes quant au fondateur. Il reste théoriquement une autre voie : celle de l’étude du cercle des donateurs, qui a permis à Lamke de préciser à quel moment Sankt-Alban est rattaché à Cluny45. Malheureusement, pour Thierenbach, cette voie est sans issue, car les sources ne nous livrent aucun renseignement sur les donateurs de l’époque médiévale.

15 Revenons à la charte de 1201, par laquelle les Habsbourg cèdent à l’évêque, par échange, leur « domaine de Thierenbach, sur lequel est bâtie une maison »46. La charte ne dit pas de quelle sorte de maison il s’agit. Une maison paysanne serait trop insignifiante pour être mentionnée dans ce contexte. Le prieuré, qui est aussi une maison, n’aurait sans doute pas été désigné ainsi. Reste l’hypothèse d’un château, car les châteaux aussi sont souvent désignés comme domus ou comme hus. On ne sait rien sur un château à Thierenbach, mais une description du prieuré au début du 18e siècle cite « un colombier autour duquel il y avoit de profonds fossés »47 – ce qui est tout à fait anormal pour un colombier ; on peut donc se demander s’il n’occupe pas l’emplacement d’un ancien château ; mais cela supposerait que ces fossés entourent une surface beaucoup plus grande que celle du colombier ; or, on ne peut malheureusement pas en être sûr, car ils ne se voient sur aucun plan.

16 Mais il y a encore un autre château à proximité de Thierenbach, celui de Jungholtz. Dans son étude à ce sujet, Bernhard Metz estime que Jungholtz a été d’abord un château et ensuite seulement un village, et donc que la première mention des chevaliers de Jungholtz en 1220 est aussi celle de leur château48. Ne pourrait-on supposer qu’il existe

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déjà une vingtaine d’années auparavant, sous l’appellation de « maison de Thierenbach » ? Mais comment un château passé en 1201 des Habsbourg à l’évêque serait-il tenu, peu après, par les chevaliers de Jungholtz ? Car ceux-ci, à leurs débuts, ne semblent liés ni aux uns, ni à l’autre. Ce sont des ministériaux des comtes de Ferrette – lesquels sont les héritiers d’Ulrich d’Eguisheim49. Nous n’avons aucun texte dans lequel les Jungholtz apparaissent en rapport avec Thierenbach, mais on voit mal comment ils auraient pu bâtir un château si près du prieuré sans l’aval de son avoué. Au total, l’origine du château reste aussi obscure que celle du prieuré et ne permet pas de trancher la question du fondateur. Néanmoins, parmi les candidats en présence, Ulrich d’Eguisheim apparaît, en l’état actuel des connaissances et avec toutes les réserves qui s’imposent, comme le moins improbable.

Le prieuré clunisien au Moyen Âge

17 À partir des années 1230 et jusqu’au 16e siècle, notre principale source de renseignements sur Thierenbach sont les procès-verbaux de visites de l’ordre de Cluny50. Cluny est un ordre centralisé, avec un chapitre général, des visiteurs et des définiteurs, c’est-à-dire une commission qui prend des décisions à partir des rapports que lui font les visiteurs. Régulièrement, des visiteurs vont inspecter chaque prieuré de l’ordre. Mais en fait, ils ne viennent pas jusqu’à Thierenbach51 ; ils convoquent le prieur, qui leur fait son rapport, et on a parfois l’impression qu’il leur raconte ce qu’il veut, et que les visiteurs ne sont pas dupes. Ils écrivent par exemple : « le prieur de Thierenbach dit que sa maison a 90 livres de dettes, mais sinon tout est en bon état »52. Sur la base du rapport des définiteurs, le chapitre ordonne au prieur de rembourser les dettes, et par la suite on constate que l’endettement a augmenté53. Les excuses alléguées par le prieur pour justifier l’état des finances du couvent sont nombreuses : les guerres, les mauvaises récoltes, la réfection de la toiture. Il lui arrive également d’incriminer la gestion de son prédécesseur. Ces arguments ne sont sans doute pas faux, mais le vrai problème, c’est que tout l’ordre de Cluny est en crise, il n’attire plus guère de donations, le recrutement a baissé en quantité et en qualité, parce que le monachisme bénédictin ne correspond plus à l’idéal religieux de l’époque gothique ; les donations et les recrues de valeur vont à d’autres ordres, mendiants ou hospitaliers, par exemple, qui correspondent mieux aux attentes de leurs contemporains, de sorte que la majorité des maisons bénédictines, et surtout de petits prieurés comme Thierenbach, sont dépourvus de réserves financières ; à la moindre dépense imprévue, elles sont obligées de recourir à l’emprunt. Or aux 13e et 14e siècles, on ne trouve pas à emprunter à moins de 10 %. Dans ces conditions, le service de la dette a vite fait de devenir écrasant.

18 À Thierenbach, le problème est aggravé par le fait que les moines envoyés par Cluny sont le plus souvent des francophones, qui restent étrangers au milieu alsacien. Le premier prieur dont on connaisse le prénom, en 1284 et peut-être jusqu’en 1312, s’appelle Guy54. Vers 1304, le moine Renaud de Bouclans qui cause du scandale à Thierenbach est un Franc-Comtois55. Au 14e siècle, les noms des quatre prieurs qui apparaissent dans les archives sont Bourcart de Diesse56, Pierre de Vendlincourt57, Hugues de Porrentruy58 et Hugues Milet 59. En 1429, Pierre de Brétigny exerce cette fonction à Thierenbach60. Vers 1500, le prieur s’appelle Richard von Geissenberg61, c’est- à-dire de Chèvremont (Territoire de Belfort)62.

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19 Il n’est pas difficile d’imaginer que pour un moine francophone, être envoyé dans un tout petit prieuré perdu dans un pays étranger dont il ne connaît pas la langue et les coutumes n’est pas vraiment une promotion. Thierenbach n’est pas un cas isolé : il y a en Alsace toute une série de maisons religieuses peuplées de religieux majoritairement francophones. C’est le cas d’Altkirch, de Saint-Pierre de Colmar, qui dépend de Payerne (canton de Vaud), de Saint-Valentin de Rouffach, dont la maison-mère est près de Metz, de Sainte-Foy de Sélestat, filiale de Conques, des Antonins d’Issenheim, qui relèvent de l’abbaye de Saint-Antoine-en-Viennois. Il est difficile d’évaluer combien de leurs religieux se sont sentis perdus dans un monde inconnu, combien au contraire ont apprécié la large autonomie dont ils jouissaient, très loin de leur maison-mère et très peu contrôlés comme ils l’étaient.

20 L’examen des visites de Thierenbach fait apparaître que dès la 2e moitié du 13e siècle, Thierenbach est un tout petit établissement. Entre 1270 et 1356, seuls un prieur et un moine sont régulièrement cités lors des inspections effectuées par Cluny. À titre de comparaison, il y a à Altkirch en 1312 six moines et un prieur, à Feldbach, 24 moniales, deux moines et un prieur63. Bien entendu, Thierenbach a certainement été fondé pour un effectif supérieur, et le fait qu’il n’y ait plus que deux moines est déjà le résultat d’une décadence. Au milieu du 15e siècle, l’assise temporelle de Thierenbach est toujours aussi modeste. D’après le Liber Marcarum, dans ses deux versions datées l’une vers 1380, l’autre de 1441, le revenu imposable de Thierenbach se monte à 10 marcs d’argent, alors qu’il est de 15 pour le sous-prieuré clunisien de Biesheim, de 40 pour Froidefontaine et de 80 pour Feldbach, Altkirch et Sankt-Alban, et que celui de Murbach est évalué à 30064.

21 Les rapports de Cluny montrent d’ailleurs qu’il y a des moments où tout va franchement mal à Thierenbach : en 1297, par exemple, le visiteur de l’ordre constate que la messe n’a pas été célébrée depuis dix ans65. Deux ans plus tard, en 1299, il est question d’un moine qui n’a pas été ordonné prêtre à cause de son ignorance, et les définiteurs de Cluny estiment qu’il faut le remplacer par un moine-prêtre66. Nous retrouvons également dans ces rapports des personnages hauts en couleurs qui ont défrayé la chronique. En 1282, un convers « allemand » usurpe le prieuré67. Quelques années plus tard, deux moines scandaleux sèment le trouble. Tout d’abord en 1304, un certain frère Jordan harcèle ses confrères dans leurs lits – ce qui est en contradiction avec le nombre de moines cités lors des inspections68 – et un jeune homme de la maison échappe de justesse à ses ardeurs69. De 1304 à 1306, on retrouve à Thierenbach un autre moine scandaleux, Renaud de Bouclans, déjà chassé de Saint-Morand d’Altkirch en 1298. Il est accusé de faux et du vol de trois calices en argent et de deux chapes en soie, dont il dissipe le prix dans les mauvais lieux de Besançon. Les définiteurs le condamnent à la prison perpétuelle, mais nous ne savons pas si leur sentence a été exécutée70.

22 En 1304, les visites de Cluny précisent que Thierenbach est administré par un chevalier, dont le nom n’est pas indiqué. Il est chargé d’éponger les dettes du couvent, qui se montent à 300 livres de petits tournois71. Or, en 1300, l’abbaye de Murbach avait confié tous ses biens aux chevaliers vom Hus à charge d’apurer ses dettes72. Quelques années plus tard, les Hus étaient devenus riches et les dettes de Murbach n’avaient guère diminué, de sorte que les moines avaient mis fin à l’expérience. Serait-ce aussi un Hus qui a proposé ses services pour remettre Thierenbach à flot ? En tout cas, le résultat ici a été moins décevant, puisqu’en 1312 l’endettement est tombé à 90 livres73.

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23 Les sources ne nous livrent que peu de renseignements sur l’histoire spirituelle du prieuré jusqu’au début du 16e siècle. Un missel provenant de Thierenbach et datant du 14e siècle est conservé à la Bibliothèque municipale de Colmar. Une main du 15e siècle a rajouté la mention suivante : liber sanctissime virginis Marie in Dierenbach74. En 1506, les prévôts (!) de Thierenbach et d’Enschingen, Richard Geissemberg et Jacob Früge, celui de Saint-Marc, Vyt von Asch, le noble Jacob Waldner et trois particuliers de Soultz et de Wattwiller fondent une confrérie Saint-Jacques dans le prieuré de Thierenbach. Les statuts de la confrérie sont conservés75. Ils précisent, entre autres, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait le pèlerinage de Saint-Jacques pour en devenir membre76. Jacob Waldner semble avoir eu une dévotion particulière pour son saint patron, car en 1512, il part probablement en pèlerinage à Compostelle. En effet, une lettre de recommandation datée de 1512 pour quatre gentilshommes allemands en route pour Saint-Jacques, adressée a los virtuosos señores los corregidores alcaydes y otros officiales del Rey y Reyna nostros señores, est conservée dans les archives de la famille Waldner 77. Les statuts de la confrérie nous révèlent encore que le droit d’entrée se monte à une livre de cire, que le futur adhérent donnera en l’honneur de la Vierge, de saint Jacques et de tous les saints. Le droit de retrait se paie également d’une livre de cire, de même que certains manquements78. Au Moyen Âge, la cire est indispensable pour le luminaire dans les églises. Elle coûte cher, et représente sans doute le poste le plus lourd parmi les frais de fonctionnement. Dans son ouvrage sur la lumière et les luminaires en Occident, Catherine Vincent insiste sur le fait que la cire n’est pas une source de lumière à la portée de toutes les bourses et qu’en dehors des sanctuaires, il n’était pas courant de voir la flamme claire d’une bougie de cire trouer l’obscurité79. La préoccupation du luminaire d’église fut à ce point centrale dans l’activité de certaines confréries qu’elle leur laissa son nom dans plusieurs régions80. C’est le cas en Alsace, où le mot kertze (cierge) peut désigner une confrérie. Celle de Thierenbach était dirigée, entre autres, par un kertzenmeister81, « un maître des cierges ». D’après l’acte de fondation de la confrérie Saint-Jacques de Thierenbach, les membres s’engagent également à payer un lustre82. Comme toutes les autres confréries, celle de Thierenbach prévoit un certain nombre de dispositions pour les confrères morts : quatre prêtres célébreront leur enterrement avec une messe des morts chantée, des vigiles et trois messes basses. Chaque prêtre de la confrérie dira une messe des morts pour le défunt ; les laïcs, eux, seront tenus de prier pour lui 15 Pater et autant d’Ave Maria83. La memoria des morts de la confrérie sera célébrée chaque année le lundi de Pentecôte par quatre messes célébrées par quatre prêtres84.

Le pèlerinage

24 Thierenbach n’est pas seulement un prieuré clunisien, c’est aussi un pèlerinage. Au 18e siècle, les moines de Thierenbach ne connaissaient pas grand’chose de l’histoire de leur maison, puisque leurs archives avaient brûlé, mais cela ne les empêchait pas d’affirmer que le pèlerinage remontait au Haut Moyen Âge85. Tous les livrets de pèlerinage publiés au 19e, et même au 20e siècle, reprennent cette affirmation, certains n’hésitant pas à remonter jusqu’à 730. Qu’en est-il réellement ?

25 Pour essayer de répondre à cette question, il nous faut une fois de plus élargir notre champ de vision et nous interroger sur la naissance de l’ensemble des pèlerinages. Le pèlerinage tient une place considérable dans la vie chrétienne en Occident au Moyen

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Âge. Avant 1300, le pèlerin se rend surtout dans les grands centres de pèlerinage comme Rome, Saint-Jacques de Compostelle et Jérusalem. Après 1300, une foule de pèlerinages locaux apparaissent dans notre région et ailleurs. La première caractéristique de ces pèlerinages est leur multiplication ininterrompue. Avant 1300, il y en a une demi-douzaine dans le diocèse de Strasbourg86. Dans la partie alsacienne de l’ancien diocèse de Bâle, auquel appartient Thierenbach, quatre pèlerinages existent probablement avant cette date87. Mais, à partir de 1300, les mentions de pèlerinages dont auparavant aucune source n’avait parlé se multiplient soudain. Francis Rapp en dénombre 34 nouveaux jusqu’à la Réforme et rien que dans le diocèse de Strasbourg88. Dans la partie alsacienne de l’ancien diocèse de Bâle, 27 nouveaux pèlerinages apparaissent alors89. Autre évolution significative : sur les six pèlerinages observés du 9e au 13e siècle dans le diocèse de Strasbourg, cinq s’étaient fixés sur des tombeaux. Sur les 34 pèlerinages mentionnés pour la première fois entre 1351 et 1525, trois seulement se sont constitués sur une tombe. 18 de ces 34 pèlerinages sont dédiés à la Vierge, deux à sa mère, sainte Anne, un au Christ douloureux, huit à des saints guérisseurs. On observe une évolution similaire dans la partie alsacienne de l’ancien diocèse de Bâle : 27 nouveaux pèlerinages apparaissent à partir de 1300, dont 15 sont dédiés à la Vierge90. À la lumière de ces éléments, l’existence d’un pèlerinage à la Vierge de Thierenbach avant les 14e/15e siècles apparaît donc comme hautement improbable.

26 Il n’existe pas non plus d’insignes du pèlerinage de Thierenbach ou de mentions de ces derniers, alors que l’on trouve des insignes du pèlerinage de Saint-Thiébaut de Thann jusqu’à Hambourg91.

27 Nous disposons néanmoins d’un élément concret qui nous permet d’avancer une hypothèse pour la naissance du pèlerinage. En faisant un sondage dans l’église, Pierre Brunel a constaté qu’elle a été fortement agrandie au 15e siècle. Le rapport de fouilles précise que la nef seule avait alors 35 m de long sur 10 à 15 m de large, ce qui en fait un bâtiment aux proportions respectables92.

28 L’essor du pèlerinage date donc très probablement du 15e siècle, car sinon on ne comprendrait pas pourquoi il aurait fallu agrandir dans de telles proportions une église non paroissiale, desservie par deux moines seulement. Par ailleurs, les rapports de visite de Cluny montrent que, des années 1270 aux années 1330, le prieuré est chroniquement endetté93. Cela ne serait probablement pas le cas s’il avait bénéficié des profits généralement substantiels d’un pèlerinage. De surcroît, la statue vénérée par les pèlerins dans le sanctuaire est datée du 15e siècle94. Tous ces éléments forment un puissant faisceau de convergences et plaident en faveur d’un pèlerinage démarrant au 15e siècle95. Quelques années plus tard, nous trouvons la première mention sûre de processions se rendant à Thierenbach : en 1532, la paroisse de Rouffach dépense plus de cinq livres à cette occasion96. Lors de l’inspection de 1625, l’un des témoins interrogés indique que beaucoup de processions y viennent dans la semaine de Pentecôte. Il y en a également le lendemain de l’Ascension, où viennent les habitants de Rumershein, Balgau, Wittenheim, Sausheim, Fessenheim, Ruelisheim et d’une vingtaine de localités de la Hardt. Le rapport d’inspection de 1625 indique aussi que le pèlerinage est toujours très fréquenté et que certains pèlerins apportent des béquilles97. Curieusement, un des témoins précise que cela fait trente ans qu’il n’a pas entendu parler de miracle, ce qui semble indiquer qu’il y en a eu au 16e siècle, mais leur récit n’est pas conservé98.

29 Après la guerre de Trente Ans, un rapport indique que « les bastiments sont tout renversés, les terres tellement en ruines que les revenus ne sont plus que de 130 lb., et

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la dévotion du peuple presque esteinte »99. Il faut attendre les années 1670 pour qu’un nouveau miracle vienne redonner de l’élan au pèlerinage, qui avait déjà de gros problèmes financiers avant la guerre de Trente Ans. Fait rare, le procès-verbal de ce miracle est conservé. Grâce à lui, nous connaissons les détails de l’événement. Le miraculé est un nommé Georg Dieterle, qui avait été novice chez les Capucins de Soultz, mais qui était devenu fou, ce qui l’avait obligé à quitter l’ordre. Il avait alors mené une vie errante, puisqu’on lui avait mis les fers aux pieds près du pont de Dornach, et aux mains à Bennwihr. Il avait également été détenu à Ribeauvillé dans le cabanon des fous, et conduit à deux reprises à Moyenmoutier en Lorraine. D’après son témoignage, Dieterle aurait aimé se rendre à Thierenbach, ses pensées étaient toujours à cet endroit et il croyait voir Thierenbach devant lui100. Il vint à Thierenbach, et c’est dans l’église, devant l’image miraculeuse de la Pietà, qu’il recouvra la raison et éprouva le désir d’être délivré des chaînes qu’il portait aux mains. Puis, il sortit de l’église, il demanda un morceau de pain aux enfants ; tout en le mangeant au soleil, il appuya avec la main sur la serrure, et, quoiqu’il l’eut à peine touchée, la serrure s’ouvrit instantanément. De peur qu’on ne lui remette les menottes, il les jeta dans le puits. Il ajoute que depuis ce moment, il a gardé toute sa raison101. Pour vérifier ses dires, la commission d’enquête procéda à la vidange du puits et, alors qu’il restait environ un mètre d’eau au fond, on vit les chaînes intactes et les deux serrures qui flottaient sur l’eau102.

30 Au cours de sa déposition, Georg Dieterle cite encore deux autres lieux de pèlerinage de la région : Mariastein, où il a accroché la chaîne qui lui entravait les pieds et dont il a été débarrassé miraculeusement, et Kientzheim, où il a perdu les fers qu’il avait aux pieds. Il raconte également qu’il a recouvré la raison progressivement : tout d’abord à Moyenmoutier, puis sa santé mentale s’est encore améliorée à Kientzheim et à Thierenbach103. Georg Dieterle semble être un miraculé en quatre temps.

31 Finalement, au terme d’une longue enquête et conformément aux règles du Concile de Trente, l’évêché reconnaît formellement le fait et permet de faire exécuter un tableau représentant ce miracle. Sur ce tableau, aujourd’hui le plus ancien de la basilique, est représentée l’église gothique de Thierenbach, qui a précédé le sanctuaire baroque de Peter Thumb. On peut également y voir une chaire extérieure (cf. illustration).

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Ill. 1 : Ex-voto offert par la ville de Soultz après la guérison de Georg Dieterle.

Sur le cadre : Under deinen Schutz Unnd Schirm Fliehen wir O Heilige Gottes Gebährerin Unser Gebett Verachte Nicht in Unseren Nöthen. Die Statt Sultz Anno 1680 18 Octobris. Photo M. Alexandre.

32 À la fin du 17e siècle, un autre miracle aurait eu lieu à Thierenbach. Il concerne dom Antoine Devillers, envoyé à Thierenbach « comme estant ailleurs inutile a cause d’un défaut de voix depuis dix ans et autres incommodités assés considerables, dont il plut au Seigneur l’en délivrer par l’intercession de la Mere de misericorde, patronne dudit Thierenbach »104. Les miracles se poursuivent tout au long du 18e siècle, comme en témoigne la description des ex-voto accrochés dans le sanctuaire : « les uns nous représentent des personnes qui se noyent dans les eaux et [sont] délivrées miraculeusement par le secours de la mère de Dieu, d’autres des enfants morts-nés et qui sont ressuscités et après ont été baptisés et vescu longtemps après cette faveur que la Sainte Vierge leur avoit obtenu ; c’est ce qui est arrivé à l’enfant du jardinier de Monsieur le Comte de Rose[n] en 1718. Il fut apporté mort et desja tout noir a Thirbach, mit devant l’image de la Sainte Vierge ou il reçut la vie, fut baptisé et a vescu deux ans apres. [Les autres tableaux] nous représentent des personnes ou brisées par leur chute du haut de la maison ou de quelque grand arbre, ou accablées sous de gros bois et deslivrées miraculeusement au moment [où] elles se sont recommandées a Notre Dame de Thirbach105 ». Cette description nous montre que la Vierge de Thierenbach est le recours universel, celle à laquelle on fait appel lors de tous les coups durs de l’existence. Elle nous révèle également que Thierenbach était un sanctuaire à répit, un lieu où les enfants morts ressuscitaient pour pouvoir être baptisés et enterrés en terre chrétienne. Ces sanctuaires à répit étaient particulièrement répandus dans l’Ouest de l’Europe. La chapelle mariale d’Oberbüren près de Soleure avait une renommée internationale dans ce domaine. Lors des fouilles réalisées dans les années 1990, sont apparus les restes des squelettes de 250 petits enfants, parmi lesquels de très petits

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foetus106. Les fouilles réalisées à Thierenbach en 1983 n’ont pas livré de squelettes d’enfant ou de foetus, mais elles ont mis au jour des ex-voto, en forme l’un de cœur, un autre d’anneau et un troisième de crapaud. Généralement, le crapaud est le symbole de la matrice féminine. Cet ex-voto a très probablement été déposé à Thierenbach par une femme malade de l’utérus ou qui espérait une grossesse ou un accouchement sans problèmes107. Parmi les nombreux champs d’intervention de la Vierge, on relève la délivrance des prisonniers. Sur les images de Marienthal, la Vierge est représentée avec un prisonnier. Dans le livre des miracles de la Vierge de Kientzheim, 10 % des 187 miracles répertoriés concernent la délivrance de captifs et 6 % la guérison de fous108. À Strasbourg, les miracles de la Vierge de la cathédrale commencent également par la libération d’un prisonnier109.

33 À Thierenbach, le miracle qui avait délivré Georg Dieterle de sa folie dans les années 1670, et qui a conduit à la refondation du pèlerinage, peut être assimilé à la délivrance d’un prisonnier, puisque, comme tous les fous, Dieterle était enchaîné. À partir de cet événement, le pèlerinage prospère tout au long du 18e siècle. Une lettre de 1768 évoque « plus de deux mille tableaux de vœux » offerts à la Vierge de Thierenbach 110. Dom Antoine Devillers, prieur en 1720, raconte que lors des processions des villes et villages environnants, il pouvait arriver qu’une véritable marée humaine formée de 5 à 6 000 personnes le même jour se retrouve à Thierenbach, où trois prêtres étaient journellement occupés à confesser et instruire le peuple111. Pour accueillir ces nombreux pèlerins, le chapitre général de Cluny décida de démolir l’ancien sanctuaire, trop petit et vétuste.

L’église de Thierenbach

34 Mais avant d’évoquer le sanctuaire actuel construit par Peter Thumb, évoquons ceux qui l’ont précédé, dont on peut se faire une idée grâce aux renseignements glanés dans les archives et lors des fouilles de 1983. Ces dernières n’ont trouvé aucune trace certaine d’une église antérieure au 12e siècle112. Les fragments de sculpture romane insérés dans le mur Sud de l’église actuelle proviennent probablement de l’ancien couvent113. En 1300, d’après les visites de l’ordre, des travaux sont faits à l’église de Thierenbach pour un montant de 80 livres114. Le sanctuaire suivant, qui est très probablement celui du 15e siècle, est relativement bien connu grâce aux découvertes pendant la campagne de fouilles et aux descriptions qu’en ont faites les religieux au 18e siècle au moment de sa démolition. L’intérieur de l’église était mit tromen belegt aber nit vertäffelt115, plafonné, avec des poutres apparentes. L’abbé de Cluny Odilon, qui avait initié la célébration du Jour des morts, était représenté au fond de la chapelle avec ses successeurs. À ses pieds, on pouvait voir « de pauvres âmes du purgatoire qui imploraient leurs suffrages »116. Au-dessus était peinte l’Assomption de la Vierge. Il s’agit là d’une iconographie peu ordinaire. L’image miraculeuse se trouvait alors sur le maître-autel, avec celles de saint Benoît et de sainte Marguerite – il s’agit sans doute des statues qui sont dans la nef à l’heure actuelle. On ne sait rien du retable créé pour l’autel principal vers 1513, à une époque où la production de retables battait son plein117. Le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle qu’avaient fait Jacob Waldner, le fondateur de la confrérie, et son fermier était également représenté dans l’église, de même que saint Jacques prêchant au peuple et faisant des miracles. Près de la sacristie, il y avait un petit escalier dans la muraille pour monter au dortoir, configuration

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classique dans les églises monastiques. Le cimetière autour de l’église était entouré d’un mur118. Mais, comme il était normal et fréquent à cette époque, on pouvait également se faire enterrer à l’intérieur de l’église. Les fouilles de 1983 ont mis au jour la pierre tumulaire d’un membre de la famille de Hungerstein, datée du 14e siècle, et celle d’un noble de Schauenburg, d’une famille qui possédait la seigneurie de Jungholtz depuis le 15e siècle119. Actuellement ces dalles sont exposées sur la face externe du bas-côté sud. Les fouilles ont encore révélé l’existence d’un caveau souterrain de plan rectangulaire, voûté en berceau120. Il était destiné à recevoir, face au portail d’entrée, les corps des séculiers jugés suffisamment dignes ou importants pour pouvoir reposer dans l’église. Les moines, eux, reposent face au maître-autel et au chœur. Ces deux caveaux, dont l’emplacement est marqué dans le dallage actuel de la nef principale, sont cités dans les archives avec la mention suivante : « l’un et l’autre se bouche dans la terre par de grosses briques, afin que l’odeur ne puisse point se répandre dans l’église »121. Il s’agit là d’un problème classique dans les églises à cette époque : on se plaint parfois que des gens se sentent mal à cause des odeurs dégagées par les corps en putréfaction122.

Ill. 2 : Bas-relief roman provenant des anciens bâtiments conventuels.

Photo de l’auteur.

35 L’acte de fondation de la confrérie, en 1506, mentionne l’autel de Sainte-Marguerite, dont elle assume l’ornementation. Aujourd’hui encore, une statue de sainte Marguerite est exposée dans la nef de la basilique. C’est sans doute devant cet autel que se trouvait le caveau collectif de la confrérie, dans lequel les confrères pouvaient se faire enterrer. Mais comme il n’avait que « la largeur de trois pierres tombales »123, il faut croire que tous ne cherchaient pas à profiter de ce privilège.

36 D’après un rapport fait par les autorités épiscopales en 1625, l’état de cette église et des bâtiments laisse à désirer. Les termes employés par le visiteur envoyé par l’évêque de Bâle sont éloquents : « En ouvrant l’église, nous avons été saisis par la puanteur et les émanations qui en provenaient. Tout sentait le moisi »124. L’état des autres bâtiments n’est guère plus reluisant : « le clocheton du couvent penche comme s’il voulait s’effondrer », un autre bâtiment est décrit comme un antre infect, eine verwüst

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Spelunca125. Il n’est donc nullement étonnant qu’un demi-siècle plus tard, après la guerre de Trente Ans, tout soit à reconstruire.

37 Après la guerre de Trente Ans, le prieuré de Thierenbach est confié à des administrateurs126. Les religieux de Cluny y reviennent en 1692/1697 et s’attaquent à la réédification des bâtiments conventuels dans des conditions plus que difficiles : « la face du côté de l’Orient [= façade d’entrée] fut entierement bastye dans un an par le soin et les peines de deux religieux, nonobstant les travers et très grandes contradictions qu’ils eurent à soutenir. On auroit dit que l’enfer estoit deschainé pour renverser leur entreprise, car quelques jours avant que l’on devoit mettre la ramure [la charpente], il commencea a pleuvoir avec tant de force pendant trois semaines, il s’y éleva un ouragan si violent que toutes les murailles, humectées par les pluies continuelles que les vents impétueux poussoient contre, que le jour de St. Odon toutes les grandes murailles tombèrent, de sorte que ce ne fut plus qu’un tas de bois et de pierres »127. Courageusement, les moines se remettent au travail, et en 1717 les bâtiments conventuels sont achevés et accueillent neuf religieux. Cette même année, on pose la première pierre de la nouvelle église, qui est achevée six ans plus tard. Le chronogramme, encore visible aujourd’hui au fronton de l’église, indique la date de 1723128. Le maître d’œuvre est un homme aujourd’hui célèbre : Peter Thumb, originaire du Bregenzerwald, dans le Vorarlberg129. Il est alors au début de sa carrière, qui sera brillante. Il sera, entre autres, l’architecte d’Ebersmünster et de Birnau, au bord du lac de Constance. Le contrat qu’il passe en 1719 avec les religieux de Thierenbach est en allemand, et il est dit qu’il a été traduit en français pour que les religieux le comprennent. Mais la légende des plans qui l’accompagnent est en français. Il semblerait donc que ces plans, qui sont datés de 1714 et de 1716, aient été remis à Thumb par les moines, donc qu’ici il n’ait été qu’un exécutant, l’entrepreneur mais non l’architecte. Les religieux lui promettent 6 500 livres tournois, et aussi de le loger et de le nourrir, lui et son cheval, aussi souvent qu’il viendra à Thierenbach – ce qui implique qu’il n’était pas constamment sur place. À ses ouvriers, les moines promettent de fournir tous les outils (sauf les marteaux et les truelles), deux lits (pas plus !) et un emplacement pour faire la cuisine, mais ils devront construire leur four eux-mêmes130.

38 C’est une église-halle que Peter Thumb érige à Thierenbach, c’est-à-dire que les collatéraux sont aussi élevés que la nef principale, ce qui permet de couvrir l’ensemble d’une seule toiture. C’est là un parti que les maîtres du Vorarlberg n’ont que rarement adopté, et qu’on ne rencontre guère dans la région du Rhin supérieur, et notamment en Alsace. En revanche, en Franche-Comté, on construit des églises de ce type depuis le 17e siècle. Or ce sont des clunisiens francs-comtois qui ont repris possession de Thierenbach en 1692. Ces éléments expliquent l’originalité du parti. La construction d’un clocher était également prévue d’après les plans conservés131. On sait même qu’en 1733, le prieur de Thierenbach obtient du Magistrat de Soultz l’autorisation d’ouvrir une carrière au lieu-dit Erlenbach pour bâtir le clocher132. Les pierres sont effectivement voiturées à Thierenbach, mais le clocher n’est pas édifié, en raison des difficultés financières du couvent – et malgré l’esprit d’abnégation d’un prieur (1765-1771), qui avait calculé que si lui et tous les religieux s’abstenaient de boire leur pot de vin quotidien, on pourrait économiser le prix d’un petit clocheton en bois en un peu plus de neuf mois. Mais cette idée ne plut nullement aux religieux, si bien que le prieur, « pour le bien de la paix », préféra résilier le marché qu’il avait déjà passé pour son clocheton133. Il faudra attendre 1932 pour que la basilique soit dotée d’un clocher.

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L’école du prieuré

39 Dans ce prieuré rénové, les religieux tiennent également une école, qui semble avoir été florissante au 18e siècle. D’après les livres de comptes, c’est dès leur retour à la fin du 17e siècle que les religieux accueillent des élèves : en 1693, ils touchent 18 livres pour la pension du fils de maître Bachelard134. Que leur enseigne-t-on ? Evidemment les apprentissages de base, lire et écrire135, mais au fil du temps, les pensionnaires de Thierenbach bénéficient d’un enseignement plus complet. En 1730, la langue française, l’arithmétique et le chant d’Église sont enseignés par un frère convers136. En 1746, il y a à Thierenbach « trois ou quatre jeunes allemans pensionnaires qu’on forme aux belles lettres et à la langue française »137. L’allusion à l’enseignement du français à Thierenbach mérite d’être relevée. En effet, à cette époque, « l’enseignement élémentaire est exclusivement dispensé en allemand dans les villages : pas un mot de français n’est prononcé en classe un siècle encore après le rattachement de l’Alsace à la France. En 1789 encore, l’allemand est seul enseigné dans sept écoles rurales sur dix en Haute Alsace. Seules des petites villes comme Thann, Guebwiller et Kaysersberg abritent des écoles françaises »138. À Soultz, il faut attendre 1794 pour voir apparaître un instituteur pour la langue française139. Les religieux de Thierenbach, qui maîtrisent parfaitement le français, car ils sont en partie originaires de Franche-Comté, sont donc bien placés pour enseigner leur langue maternelle. Il ne faut donc pas s’étonner si leur école draine de nombreux élèves des villages et même des villes alentours : Soultz, Guebwiller, Issenheim, Ungersheim, Rouffach, Wattwiller, Wittenheim, etc. – mais aussi du Sundgau : Habsheim, Dietwiller et Waltenheim, et même de plus loin. Il y a plusieurs élèves originaires du Doubs140. L’examen de la carte (ill. 3) révèle que la quasi-totalité des élèves du prieuré dont les sources révèlent l’origine géographique se recrute au Sud de Thierenbach, dans l’aire d’influence de Cluny. Pour la majeure partie d’entre eux, la distance entre le domicile familial et Thierenbach n’excède pas une soixantaine de kilomètres. Il y a néanmoins des exceptions : à deux reprises, on relève dans les comptes la mention « de deux escoliers du Comté », sans précisions supplémentaires, d’un autre originaire de Dole et d’un élève de Sancey dans le Doubs141.

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Ill. 3 : Origine des élèves de l’école de Thierenbach

Cartographie Jean-Marie Holderbach.

40 Ce qui mérite également d’être relevé dans l’enseignement dispensé à Thierenbach, c’est l’arithmétique. En effet, d’après l’enquête rétrospective de l’an IX, qui concerne la quasi-totalité des 52 communes de la plaine de Haute-Alsace, le calcul ou l’arithmétique sont enseignés dans moins de 10 % des écoles142. Avec le français et l’arithmétique, Thierenbach propose donc un programme d’études bien plus développé que les écoles communales à l’époque.

41 Malgré leur proximité géographique, les relations entre les religieux qui enseignent à Thierenbach et le maître d’école de Soultz semblent n’avoir été nullement concurrentielles, mais plutôt amicales. En effet, à plusieurs reprises, on trouve mention dans le livre des dépenses d’une somme de 1 livre 13 sous donnée au maître d’école de Soultz parce qu’il est venu souhaiter la bonne année aux religieux de Thierenbach143.

42 La durée de résidence des élèves au prieuré est extrêmement variable, de trois semaines à deux ans. Les rares indications que nous possédons au sujet des élèves semblent indiquer des origines sociales très variées. Il y a d’une part le fils du prévôt de Wattwiller, le fils du notaire Reichstetter de Guebwiller, et celui de M. de Landenberg, noble de Soultz, et d’autre part un petit garçon de la verrerie, probablement de la Glashütte au-dessus de Rimbach144.

43 Pour régler leurs frais de pension, les élèves peuvent payer en argent ou en nature. En 1725, l’un d’entre eux verse 40 mesures de froment pour son séjour et les frais de scolarité à Thierenbach145. Lorsque la situation financière de l’élève est trop délicate, il arrive même aux religieux de lui faire grâce des frais d’hébergement. Un état de 1711 cite « deux petits écoliers dont l’un paye pension et l’autre est nourri par charité »146.

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44 L’école du prieuré accueille aussi des adultes, qui peuvent être des laïcs, mais le plus souvent il s’agit de religieux147. En effet, en 1750, le prieuré de Thierenbach est désigné comme maison de noviciat148. On peut donc supposer que le prieuré dispense également un enseignement réservé aux novices. Cette hypothèse est conforme à l’Assemblée de l’Ordre de 1600, où il fut décidé que « les abbayes et prieurés conventuels étaient tenus d’avoir un maître de grammaire chargé de la formation intellectuelle des jeunes religieux »149.

45 L’exemple du prieuré clunisien de Thierenbach permet de mettre en lumière le rôle des religieux de cet ordre dans l’enseignement à l’époque moderne. Ils partageaient cette vaste tâche avec d’autres ordres, comme les Augustins et les Jésuites150.

46 L’école du prieuré fonctionne jusqu’à la Révolution, qui entraîne également la fin du prieuré bénédictin – mais non celle du pèlerinage, qui continue à être fréquenté même pendant la Révolution –. En effet, en 1794, on trouve 28 livres d’offrandes dans le tronc de l’église, un peu plus l’année suivante151. En 1797, la communauté de Wattwiller se rend en procession à Thierenbach, sans croix ni bannières. Ce faisant, elle brave l’interdiction des autorités révolutionnaires, qui avaient défendu les processions le 9 novembre 1791. L’ex-voto offert par les habitants de Wattwiller à cette occasion rappelle que par leur démarche, ils espéraient obtenir de la Vierge de Thierenbach qu’elle les protège ainsi que leur bétail152. Ce tableau est encore visible aujourd’hui dans la basilique153.

Conclusion

47 En conclusion, il faut souligner que l’histoire de Thierenbach est à la fois celle d’un prieuré clunisien et celle d’un pèlerinage marial. Il faut d’ailleurs noter que les trois plus grands pèlerinages actuels en Alsace, Sainte-Odile, Marienthal et Thierenbach, remontent tous à un monastère. Pèlerinage et prieuré sont liés, mais leur histoire obéit à des rythmes différents et leur destinée n’est pas la même. Celle du prieuré n’est pas originale : il est fondé au 12e siècle, il est en décadence dès le 13e et, en simplifiant, jusqu’au 17e siècle ; il connaît au 18e un modeste renouveau, auquel la Révolution met définitivement fin154. On pourrait résumer dans les mêmes termes l’histoire de bien d’autres maisons bénédictines en Alsace.

48 L’histoire du pèlerinage débute beaucoup plus tard, sans doute au 15e siècle. D’après le peu qu’on en sait, il connaît tout de suite un certain succès, qui semble se maintenir au 16e siècle. Les guerres du 17e siècle l’affectent évidemment, mais il redémarre dès les années 1670 et se maintient jusqu’à nos jours, à peine interrompu par la Révolution et nullement freiné par la disparition du prieuré. Au contraire, c’est aux 19e et 20e siècles qu’il devient le plus grand pèlerinage marial de Haute-Alsace.

49 Le simple fait que Thierenbach s’est hissé au premier rang, donc qu’il a surclassé d’autres pèlerinages, montre qu’il y a entre eux une concurrence objective, qui conduit chacun à faire en quelque sorte sa publicité. Dans ce contexte, un argument souvent mis en avant – même si ce n’est sûrement pas celui auquel les pèlerins sont le plus sensibles – est l’histoire : plus un pèlerinage est ancien, plus il est légitime et vénérable. D’où la tentation de faire remonter Thierenbach à l’an 900 ou même 730155, bien entendu sans l’ombre d’une preuve, ni même d’un indice. La réalité semble plus modeste. Le pèlerinage de Thierenbach n’apparaît dans les sources que plus d’un siècle

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après celui de Marienthal. Par ailleurs, tout indique que Thierenbach n’était qu’un petit pèlerinage, au rayonnement étroitement régional. Aucune comparaison avec Saint- Thiébaut de Thann, qui, au Moyen Âge, attirait de nombreux pèlerins de tout le nord de l’Europe. Mais le pèlerinage de Thann a disparu depuis longtemps, alors que celui de Thierenbach est toujours vivace. Comment expliquer ce succès ? À première vue, Thierenbach n’avait guère d’atouts : un très modeste prieuré à l’écart des grands axes, desservi par une poignée de moines, dont la majorité, francophone, parlait sans doute mal la langue de la population. En revanche, son site en lisière de la forêt, voire dans les bois, était sans doute un avantage. En effet, en 1503, l’évêque de Bâle demande aux curés de son diocèse de lui signaler les nouveaux pèlerinages qui apparaissent spontanément, « comme on sait, en des lieux retirés dans les montagnes et les forêts » 156. C’est donc dans des sites comme celui de Thierenbach que les hommes de la fin du Moyen Âge recherchaient volontiers le sacré. Mais ensuite, qu’est-ce qui a permis à ce pèlerinage de résister aux guerres du 17e siècle, à la Révolution et à la crise actuelle de l’Église catholique ? Même si le rôle de certaines personnalités est important – peut- être Dom Devillers autour de 1700, en tout cas le curé Beyer de 1912 à 1950 – il faut bien avouer que les ressorts décisifs de l’essor du pèlerinage de Thierenbach nous échappent encore.

BIBLIOGRAPHIE

CHARVIN : CHARVIN (Dom Gaston), Statuts, chapitres généraux et visites de l’Ordre de Cluny, 9 vol., 1965-1982.

GASSER, Thierenbach : GASSER (Auguste), Le pèlerinage de Thierenbach, Thann, 1925 (tiré-à-part de la Revue d’Alsace 69, 1922, p. 49-69, p. 89-104, p. 290-321, p. 351-366, p. 433-448, de la Revue d’Alsace 70, 1923, p. 17-32, p. 119-138 et de la Revue d’Alsace 71, 1924, p. 114-133, p. 247-255, p. 304-336, p. 424-443, p. 502-524).

GILOMEN, St. Alban : GILOMEN (Hans-Jörg), Die Grundherrschaft des Basler Cluniazenser- Priorates St. Alban im Mittelalter, Basel, 1977.

LAMKE, Cluniacenser : LAMKE (Florian), Cluniacenser am Oberrhein. Konfliktlösungen und adlige Gruppenbildung in der Zeit des Investiturstreits (Forschungen zur Oberrheinischen Landesgeschichte 54), Freiburg-München, 2009.

LEGL : LEGL (Frank), Studien zur Geschichte der Grafen von Dagsburg-Egisheim (Veröffentlichungen der Kommission für saarländische Landesgeschichte & Volksforschung, 31), 1998.

TROUILLAT : TROUILLAT (Jules), éd., Monuments de l’histoire de l’ancien évêché de Bâle, 5 vol. 1852-67.

WILSDORF, Ferrette : WILSDORF (Christian), Histoire des comtes de Ferrette (1105-1324), Riedisheim, 1991.

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ANNEXES

Sigles et titres abrégés

AAEB : Archives de l’ancien évêché de Bâle à Porrentruy ADHR : Archives départementales du Haut-Rhin AM : Archives municipales StAB : Staatsarchiv des Kantons Basel-Stadt

Remerciements

Je remercie M. Alexandre et le père Koehler, ancien recteur de Thierenbach, pour la mise à disposition de la photo de l’ex-voto de 1680, M. Pierre Brunel pour ses informations sur les fouilles, Jean-Marie Holderbach pour la carte des origines des élèves du prieuré et Bernhard Metz pour sa relecture critique du manuscrit.

NOTES

1. PACAUT (Marcel), Les ordres monastiques et religieux au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 85. WOLLASCH (Joachim), Cluny – « Licht der Welt », 1ère édition 1996, 2e édition 2001, p. 19‑29. 2. PACAUT, Ordres monastiques (n. 1), p. 81. 3. LAMKE, Cluniacenser, p. 273-389. 4. LAMKE, Cluniacenser, p. 391-416. 5. LAMKE, Cluniacenser, p. 367. 6. ADHR 6H D/2 (18e s.) : « … il ne se trouve … aucun papier ny tiltre ancien, ayant esté esgarés ou perdu ou brulés, surtout quand St Mont fut brulé ». Le Saint-Mont est au-dessus de Remiremont. 7. GASSER, Thierenbach, p. 21-28. On trouvera la référence de ces documents ci-dessous, n. 9, 13, 15, 18, 20 et 21. WENTZCKE (Paul), Regesten der Bischöfe von Straßburg, I, 1908, no453 & 476, avait déjà mis en garde contre deux d’entre eux, mais Gasser n’en a tenu aucun compte. Depuis, le premier à avoir porté un regard critique sur les origines de Thierenbach est METZ (Bernhard), « Jungholtz au Moyen Âge », Les Amis du Vieux Soultz, 76-77, 2000, p. 63‑77, ici p. 65 n. 17. Il n’a malheureusement pas été suivi par † MATHIS (Marcel) et BORNERT (René), « Prieuré Notre-Dame de Thierenbach », in : BORNERT (René), Les monastères d’Alsace, IV, 2010, p. 250-282, qui, en ce qui concerne les origines, en sont restés à Gasser. 8. GASSER, Thierenbach, p. 30-31. 9. ADHR 6H D3 : copie du 15e siècle, au verso du fo 205 d’un missel incunable de Cluny, du texte de 1135 et de la lettre de Pierre le Vénérable. GASSER, Thierenbach, p. 25, la date à tort du 14e siècle. ADHR 6H D2 et AM Soultz GG 1/4, GG 2/1, GG 4/15-16 : copies et traductions du 18e siècle de ces mêmes sources et des voeux de Soultz et Rouffach. ADHR 3G évêché de Strasbourg 58/22/1A : copie du 16e siècle d’une mauvaise traduction du 15e siècle d’une version interpolée, mais sans date, de la charte de 1135 et de la « charte de fondation » publiée par Grandidier (ci-dessous, n. 13), ici datée de 1138. 10. METZ, Jungholtz (n. 7), p. 63-65. 11. WIEGAND (Wilhelm), éd., Urkundenbuch der Stadt Strassburg, I, 1879, p. 114 no139.

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12. SCHOEPFLIN (Johann Daniel), éd., Alsatia … Diplomatica, I, 1772, p. 193 no244 ; WENTZCKE, Regesten (n. 7), I, no401. 13. GRANDIDIER (Philippe-André), Histoire ecclésiastique, militaire, civile et littéraire de la province d’Alsace, 1787, II, p. 280 no620 ; aussi in : WÜRDTWEIN (Stephan Alexander), éd., Nova Subsidia Diplomatica, VII, 1786, p. 73 no27 ; rééd. in GASSER, Thierenbach, p. 21-22. La chronique de Berler a brûlé en 1870. – Mauvaise traduction allemande du 15e siècle d’une version interpolée de la même charte, ici datée de 1138 : ADHR 3G évêché de Strasbourg 58/22/1A (copie du 16e siècle). 14. LEGL, p. 75-76 et index sous Ulrich. MATHIS et BORNERT (n. 7), p. 251, voient en Ulrich le fondateur religieux, supérieur de la communauté. 15. GRANDIDIER, Alsace (n. 13), II, p. 289 no632, d’après un cartulaire de Cluny et un parchemin fixé sur l’autel Notre-Dame de Thierenbach ; aussi in : WÜRDTWEIN, Nova Subsidia (n. 13) VII, p. 95 no35 ; rééd. in : GASSER, Thierenbach, p. 25. WENTZCKE, Regesten (n. 7), I, no453 (« ob echt? ») ; STEINACKER (Harald), Regesta Habsburgica, I, 1905, no43 (« etwas auffällig »). Mauvaise traduction du 15e siècle d’une version interpolée, mais sans date, de la même charte : ADHR 3G évêché de Strasbourg 58/22/1A (copie du 16e siècle). 16. Hasenburg est le nom allemand d’Asuel, château et village de l’Ajoie, siège d’une famille baroniale, sur laquelle cf. TROUILLAT (index) et PRONGUE (Jean-Paul), « Les seigneurs d’Asuel, un lignage ajoulot au Moyen Âge », in : Actes de la société jurassienne d’émulation, 1996, p. 229‑290. Les Asuel n’ont jamais été landgraves et aucun d’eux ne se prénomme Werner. 17. STEINACKER (Harald), Regesta Habsburgica, I, 1905, no38-39, 69-70. NUSS (Philippe), Les regestes des comtes de Habsbourg en Alsace avant 1273, 2005, p. 110 no61 ; p. 112 no63, p. 133 no83b. – Le premier à avoir estimé qu’il fallait comprendre Habsburg plutôt que Hasenburg est Grandidier. À sa manière habituelle, il rectifie tacitement ce qu’il considère comme une erreur et imprime lantgravio de Habensburg. Mais la leçon Hasenburg est attestée par toutes les copies antérieures (ci-dessus, n. 9). 18. MARTENE (Edmond) et DURAND (Ursinus), Thesaurus novus anecdotorum I, 1717 (rééd. New- York, 1968), c. 395 ; rééd. in : GASSER, Thierenbach, p. 26-27. Mauvaise traduction du 15e siècle dans ADHR 3G évêché de Strasbourg 58/22/1A (copie du 16e siècle). 19. CONSTABLE (Giles), The letters of Peter the Venerable, 2 vol., Cambridge Massachusetts, 1967. 20. MARTENE et DURAND (n. 18), Thesaurus, I, c. 390 ; rééd. in : GASSER, Thierenbach, p. 25‑26. 21. WALTER (Theobald), éd., Urkundenbuch der Pfarrei Rufach, 1900, p. 2, no3 ; rééd. in : GASSER, Thierenbach, p. 27‑28. WENTZCKE, Regesten (n. 7), I, no476. L’impossibilité de la date n’a pas échappé à Grandidier, qui l’a éditée in : WÜRDTWEIN, Nova Subsidia (n. 13), VII, p. 114 no43. Il a résolu le problème à sa manière habituelle – en « corrigeant » cette date en 1139 ; MATHIS et BORNERT (n. 7), p. 278, s’y sont laissés prendre. 22. CHARVIN, I, p. 197. Memoriale de domibus quas tenet abbas de Luxiaco, videlicet Tyrebauc, Chauz et Oenne. Charvin identifie Luxiacum à Luxeuil, dont le nom latin est normalement Luxovium. Mais je n’ai pas trouvé de localisation plus plausible, Luxé et Lussac (Charente), qui ont en commun le nom latin de Lussiacum, n’étant que des prieurés. 23. Sur lui, cf. WILSDORF, Ferrette, p. 107 et p. 144‑146. 24. BRUEL (Alexandre), BERNARD (Auguste), Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, VI (1211-1300), Paris, 1903, p. 369‑370, no4 870. Merci à M. Wilsdorf, qui m’a signalé cette source. 25. WOLLASCH, Cluny (n. 1), p. 317-331. 26. LAMKE, Cluniacenser, p. 354-365. 27. LAMKE, Cluniacenser, p. 362. WALTER (Theobald), « Die Propstei Enschingen », dans : Jahrbuch für Geschichte, Sprache & Literatur in Elsaß-Lothringen 28, 1912, p. 33-81. 28. LAMKE, Cluniacenser, p. 355. GILOMEN (Hans-Jörg), St. Alban, p. 53 & passim. 29. LAMKE, Cluniacenser, p. 368-374. Il existe quatre documents relatant la fondation, dont deux au moins sont des faux. 30. Sur ce personnage, voir WILSDORF, Ferrette, p. 29-51.

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31. LAMKE, Cluniacenser, p. 374-379. 32. WILSDORF, Ferrette, p. 41-43. LAMKE, Cluniacenser, p. 379. 33. Il n’y a aucune mention d’un couvent de femmes dans les rapports de visites (CHARVIN). En 1386, « Nesa de Thierbach, nonne de Rheinthal » (couvent de Cisterciennes à Müllheim/Brisgau), porte plainte contre Elsin Friburger et son mari devant le tribunal de Soultz pour une rente impayée, constituée il y a plus de 16 ans : TROUILLAT, IV, p. 793 (régeste). Que Nese possède une rente à Soultz rend très probable qu’elle ait été originaire de Thierenbach, mais il n’est pas dit qu’elle y ait été religieuse. 34. PARISSE (Michel), « Le prieuré de Schwarzenthann : Histoire et archéologie », dans : WEIS (Béatrice) et alii, Le codex Guta-Sintram, Strasbourg, 1983, p. 31-40, ici p. 37. GILOMEN-SCHENKEL (Elsanne), « Quellenkritische Anmerkungen zum Guta-Sintram Codex von 1154 und zum Marbacher Nekrolog von 1241 », Helvetia Sacra IV/2, p. 47-51. 35. TROUILLAT, III, p. 673 (1273) ; STINTZI (Paul), Oelenberg. 900 Jahre Geschichte der Abtei 1046-1954 (Alsatia monastica 4), Westmalle, 1962, p. 9 ; MATHIS (Marcel), « Les prieurés monastiques et canoniaux d’Alsace », dans : Archives de l’Église d’Alsace 49, 1991, p. 181 ; KREBS (Manfred), « Die Nekrologfragmente des Chorherrenstiftes Oelenberg », dans : Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 92, 1940, p. 248. 36. MATHIS et BORNERT (n. 7), p. 95-104. PFLEGER (Luzian), « Das ehemalige Frauenkloster Mirmelberg bei Selz » dans : Straßburger Diözesanblatt 20, 1901, p. 419‑424. 37. Als. Dipl. (n. 12), I, p. 405 no543, date corrigée in : Regesten der Bischöfe von Strassburg II, 1928, no1 372. 38. DUBLED (Henri), « Note sur les chanoines réguliers de Goldbach », dans : Revue du Moyen Âge latin 8/1, 1952, p. 305-322. 39. GILOMEN-SCHENKEL (Elsanne), « Doppelklöster im Südwesten des Reiches », dans : PARISSE (Michel), ELM (Kaspar) (éd.), Doppelklöster und andere Formen der Symbiose männlicher und weiblicher Religiosen im Mittelalter (Berliner Historische Studien 18), 1992, p. 115-133, ici p. 117. 40. LEGL, Studien, p. 74-76. 41. LAMKE, Cluniacenser, p. 386-387. WILSDORF, Ferrette, p. 51 : lui-même sera enterré chez les Augustins d’Oelenberg. 42. LEGL, Studien, p. 62 et 197. 43. LEGL, Studien, p. 75 et p. 561-562. 44. BRUNEL (Pierre), « Thierenbach : un pèlerinage millénaire à la lumière de l’archéologie », dans : Annuaire de la société d’Histoire des régions de Thann-Guebwiller, 26, 1985-1987, p. 133‑136, ici 133. 45. LAMKE, Cluniacenser, p. 361. 46. allodium de Theirynbach, in quo edificata est domus (n. 11). 47. ADHR 6H D2. 48. METZ, Jungholtz (n. 7), p. 66-67. 49. TROUILLAT, I, p. 528 n° 354 (1233) ; Als. Dipl. (n. 12), I, p. 402 no537 = TROUILLAT, I, p. 582 no401 (1249), qui indique toutefois qu’un fief que Conrad von Jungholtz tient des Ferrette lui vient de sa mère. – Sur les Ferrette comme héritiers d’Ulrich d’Eguisheim, voir LEGL, p. 76, et WILSDORF, Ferrette, p. 59-60. 50. CHARVIN, I-IX. 51. CHARVIN, II, p. 149 : die sabbati sequenti, visitamus priorem de Tirembech, apud Novum Castrum, ubi venit ad nos (1300 III 19). 52. CHARVIN, II, p. 324 : domus est obligata in nonaginta libris, sicut dixit prior. Cetera sunt in bono statu (1312). 53. CHARVIN, II, p. 501 : domus de Tirenbat est in centum libris turonensium obligata (1323).

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54. TROUILLAT, II, p. 390 et 402, n° 297 et 309. Sceau de Guido prior de Thierenbach : StAB S. Clara U 75 (1303 VI 10) et StAB Leonhard U 196 (1312 V 31). Il n’est pas exclu qu’il s’agisse de deux prieurs homonymes. 55. CHARVIN, II, p. 220. Bouclans est à 16 km à l’Est de Besançon. 56. TROUILLAT, IV, p. 664 (1355). Diesse à 10 km au Sud-Ouest de Bienne. 57. GÖLLER (Emil), Repertorium Germanicum I, Berlin, 1916, p. 125. Vendlincourt à 7 km au Nord- Est de Porrentruy. 58. Repert. Germ. (n. 57) I, p. 62 (1381) ; TROUILLAT, III, p. 530 no255 (1390). Il était économe de Sankt Alban en 1375 (GILOMEN, St. Alban, p. 380). 59. Bibliothèque nationale & universitaire de Strasbourg, Ms. 1769/1 f° 72r : bruder Hug Milet, probst zu Thierenbach (1399). 60. StAB, Sankt Leonhard U 706. Il y a une localité du nom de Brétigney à 13 km au Sud-Ouest de Montbéliard. 61. Arch. Dép. Bas-Rhin 140J 40 (1499 VIII 1). Chèvremont à 5 km à l’Est de Belfort. 62. GILOMEN, St. Alban, p. 293, p. 323, p. 375 : prieur de Thierenbach jusqu’en 1526, il quitte ensuite ce lieu mit win und hußrath pour Sankt-Alban, où il devient prieur ; chassé par la Réforme en 1529, il se replie d’abord à Biesheim, puis à Enschingen. 63. CHARVIN, II, p. 324. 64. CLOUZOT (Etienne), Pouillés des provinces de Besançon, de Tarentaise et de Vienne, Paris, 1940, p. 172 (Thierenbach et Murbach), p. 174 (Biesheim), p. 181 (Altkirch), p. 182 (Feldbach et Froidefontaine), p. 202 (Sankt-Alban). 65. CHARVIN, II, p. 114 : item, quia, ut asseritur, missam non celebravit idem prior decennium est elapsum … (1297 V 5). 66. CHARVIN, II, p. 136 : quia in domo de Tirembac est unus monachus non sacerdos, qui propter ignorantiam et illiteraturam non potest ordinari; illo remoto, remittatur ibi, loco illius, unus monachus sacerdos ; et quod prior dicte domus ad exhonerationem debitorum studiose et efficaciter intendat (1299 IV 10). 67. CHARVIN, II, p. 415 : … allemanus conversus domum de Tirembal, Basiliensis diocesis, per violentiam detineat occupatam nec velit in alique obedire … (1282 IV 19). 68. Il y avait peut-être des non-moines à Thierenbach. 69. CHARVIN, II, p. 205. 70. CHARVIN, II, p. 220 : est ibi monachus, Regnaldus de Bouclans nomine, qui irreligiose et indecenter discurrit per patriam, quasi girovagus huc et illuc, et specialiter per Bisuncium, transferando se sepe et sepius, in vituperium Ordinis, ad loca diffamata, prout nobis per priorem Vallis Cluse monstrari fecit archiepiscopus dicti loci, et quod nisi esset ob reverenciam Ordinis, ipsum capi fecisset, et retrudi in carcerem. Ibid. p. 248. Quia in domo de Thierenbach est quidam monachus, Renaudus de Bouclans nomine, qui furatus est tres calices argenteos et duas capas sericas, anno isto, abusus est etiam litteris apostolicis, et ille, privilegio Ordinis, quod vocatur non absque dolore cordis, est falsarius publicus, meritricator (!) manifestus, domino Abbati inobediens et Ordini, et multis aliis criminibus diffamatus ; diffiniunt diffinitores quod capiatur per camerarium, et mittatur apud Cluniacum perpetuo carceri mancipandus. 71. CHARVIN, II, p. 218 : domus de Thierembach regitur per quemdam militem qui, infra certum terminum, debet dictam domum reddere immunem ab omni honere debitorum, prout est actum inter dominum Abbatem et ipsum ; et recepit dictam domum dictus miles in trecentis libris parvorum turonensium obligatam, de quibus solvit medietatem et plus, prout dicit prior dicte domus, et residuum debitorum atterminatur, ita quod dicte domui de cetero predictum debitum non nocebit. 72. ADHR 10H 152/3, éd. TROUILLAT, II, p. 697-699 no528. GATRIO (André), Die Abtei Murbach im Elsaß, I, Strasbourg, 1895, p. 398-401. 73. Voir n. 52. 74. BM Colmar, Ms 400 fo 143v. ADHR 158J 351-352.

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75. ADHR 158J 351-352. Les particuliers sont Conrad Schumacher, de Soultz, Anton Bub et Mathis Radner, tous deux de Wattwiller. 76. ADHR 158J 351-352 : […] er were zu sant Jacob gesin oder nit […]. 77. ADHR 158J 355 : Los presentes portadores son quatro gentileshombres alemanes que por su devocion van a Santiago […]. 78. ADHR 158J 351-352 : Were ouch sach das uber kurz oder lang yemant zu der bruderschafft willen gewunne […] und dorin begert, er sye frow oder man die der eren sint, den oder die sol man dorin entpfohen […] so sol yeglichs der bruderschafft geben ein pfund wachs, sollichs Gott dem allmechtigen siner wirdigen lieben Mutter Maria, dem lieben heiligen sant Jacob und allen heiligen zu lob und eren […] und ob yemant wider uß der bruderschafft wölt, sol ein pfund wachs zu abzug geben. 79. VINCENT (Catherine), Fiat Lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse du 13e au 16 e siècle (Histoire religieuse de la France 24), Paris, 2004, p. 48 et p. 71-73. 80. VINCENT, Fiat Lux, p. 390. 81. ADHR 158J 351-352. 82. ADHR 158J 351-352 : Item so ist geordnet … das wir machen sollen einen luchter. 83. ADHR 158J 351-352 : Wenn auch einer under uns […] mit thod abgat […] so sollen wir in […] mit vier priestern bestatten mit einem gesungen selampt und vigilien und dry gesprochen messen […] und die priester so inn der bruderschafft sint sol yeglicher der selen nach sprechen ein selmeß unnd ein ley funffzehen Pater Noster und sovil Ave Maria betten. 84. ADHR 158J 351-352 : […] so begeren wir […] das alle jor uff den pfingst mentag ein jorgezit gehalten solle werden mit vier priestern und sollent zwey empter eins von der zit, das ander von den selen gesungen unnd die andern zwo messen gelesen in Unser Lieben Frauen Kirche zu Thierenbach. 85. ADHR 6H D2 : « Pour ce qui est du petit oratoire ou reposoit l’image de la Très Sainte Vierge, l’on dit que ce fut en l’an 900 qu’il fut fait et qu’il estoit desja fort fréquenté quand on basty le prieuré ». 86. RAPP (Francis), « Les pèlerinages dans la vie religieuse de l’Occident médiéval aux 14 e et 15e siècles », dans : Les pèlerinages de l’antiquité biblique et classique à l’Occident médiéval, 1973, p. 117-160. La 2e partie de l’article porte le titre : Les pèlerinages multipliés, l’exemple du diocèse de Strasbourg. 87. CLEMENTZ (Elisabeth), « Die Nahwallfahrten im elsässischen Teil der Diözese Basel », dans : HERBERS (Claus) et RÜCKERT (Peter) (éd.), Pilgerheilige und ihre Memoria (Jakobus-Studien 19), Tübingen, 2012, p. 109-127, ici p. 113-114. 88. RAPP, Pèlerinages (n. 86), p. 141‑143. 89. CLEMENTZ, Nahwallfahrten (n. 87), p. 114 et s. 90. CLEMENTZ, Nahwallfahrten (n. 87), p. 114 et s. 91. BIERY (René), « Les enseignes de pèlerinage de St. Thiébaud », dans : Annuaire de la Société d’Histoire des régions de Thann-Guebwiller, 1, 1948-1950, p. 15-18. RÖPCKE (Andreas), « St. Theobald und die Wallfahrt nach Thann im Spätmittelalter », dans : HERBERS et RÜCKERT, Pilgerheilige (n. 87), p. 129-143 et tout particulièrement p. 139. Il existait aussi des insignes pour le pèlerinage de Dusenbach : ADHR E 2722 V, 1484, Ausgaben zum Bau, fo 15r : 1 gulden geben umb ein form zu Unser Frowen zeichen im Thussenbach. 10 1/2 ß geben dem munch her Diebolt vir bli, Unser Frowen zeychen zu giessen, und vir sin arbeit. 92. BRUNEL, Thierenbach (n. 44), p. 134. 93. GILOMEN, St Alban, p. 83, publie le montant de l’endettement de neuf prieurés clunisiens dans le dernier tiers du 13e siècle. 94. Région Alsace/Service de l’Inventaire et du Patrimoine, dossier de Jungholtz 5. – Depuis quand Thierenbach est-il dédié à la Vierge ? Dès l’origine, selon tous ses historiens, puisque la « charte de fondation » et les autres sources « du 12e s. » (voir n. 13, 15, 20-21) l’indiquent. Mais comme rien ne prouve que ces faux soient antérieurs au 15e siècle, le premier indice est le sceau

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du prieur Guido, qui le figure en prière aux pieds d’une Vierge à l’Enfant en buste : StAB St. Clara U 75 (1303). Néanmoins, rien ne donne à penser qu’il y ait eu un changement de vocable. 95. MATHIS et BORNERT (n. 7), p. 252, à la suite de GASSER (n. 7), p. 14, font remonter l’existence du pèlerinage au 12e siècle. Leur seul argument sont les indulgences que le pape Alexandre II aurait accordées à Thierenbach. Là aussi, le document qui nous est parvenu (AM Soultz GG 2/1, 17e siècle, éd. GASSER, p. 28) est plus que suspect. Par exemple, il ne précise pas de quel pape Alexandre il s’agit. Comme ces indulgences auraient été confirmées par Alexandre III et qu’Alexandre I a vécu au 2e siècle, il ne peut s’agir que d’Alexandre II (1061-73) ; c’est pourquoi Gasser, imitant en cela Grandidier (n. 17 et 21), qu’il admirait tant, « rectifie » la source qu’il édite en imprimant « Alexander Papa II ». Or PAULUS (Nikolaus), Geschichte des Ablasses im Mittelalter, I, Paderborn, 1922, p. 147-153, a montré que la plupart des indulgences du 11e siècle étaient fausses ; Alexandre II, en particulier, n’en a accordé qu’une dont l’authenticité soit assurée – à la cathédrale de Lucques, dont il a été évêque ! MATHIS & BORNERT, p. 252 et 271, invoquent aussi les fouilles de 1983 (n. 44) en faveur de l’existence d’un lieu de culte antérieur à l’église du 12e siècle. Mais les indices trouvés par Pierre Brunel (que je remercie de ses précisions) sont uniquement des moellons en réemploi, dont l’aspect rappelle ceux d’Ottmarsheim. On ne saurait fonder sur ce seul critère une datation tant soit peu précise. D’ailleurs, à supposer même que ces moellons aient bien été du 11e siècle, il resterait à prouver qu’ils ont été récupérés sur place et qu’ils proviennent bien d’une église. Par ailleurs, GASSER, Thierenbach, p. 36-37 cite également des procès-verbaux de visite de Cluny pour les années 1294, 1412 et 1505, non édités par CHARVIN. 96. WALTER, Pfarrei Rufach (n. 21), p. 133 no126 : vertzert uff dem crutzgang gen Dierenbach. 97. AAEB A 94/95/1, pièce 8 (1625 VII 29) : … die Wallfahrt sey noch in Schwung, viele leuth gehen noch dahin … Etliche bringen krùckhen. 98. Ibidem. 99. ADHR 6H D2. 100. ADHR 6H D1-3 : Ungefehr vor 9 Jahren, als er in seinem Noficiat bey den Vätteren Capuciner gewesen zue Sultz seye er etwas kleinmütig worden und wegen seiner Verruckung aus dem Orden gemüeßt. Zue Dornach an der Bruckhen erstlichen an den Füessen angeschmiedet worden, von welchem er miraculos erledigt worden, und selbe kötte [kette] beÿ Unser Lieben Frauen im Stein auffgehenckt seÿe, die handtschelle aber sey ihm zu Benweyer angeschmiedet worden. Er seye eine zeitlang im Tollstublin zu Rapoltschweyer, theils zue Benweyler angeschmidet gewesen und zweymahl nach Meyenmünster in Lotringen geführt worden. Es seye ihm alle Zeit gewesen, wan er nur uff Thürbach könnte, seine Gedankhen seyen allezeit dahin gestanden, und vermeint er sehe Thürbach vor ime. 101. Ibid. : Er seye gantz allein dahin gangen und in der kirch vor dem Vesperbildt sein Verstand bekommen, die litanÿ und Salve gesungen und gebetten ; in den gedanckhen, er zu Kientzheimb von den fußbanden erlediget worden, war ime dan ietzo, dass an den Händen geholffen würde, er wider arbeithen khönnte ; darüber hinaus gangen, von den kindern ein stuckh Brot begehrt, in der Sonne geessen und in sein Gedankhen von der rechten Handt mit dem Ysen auf das linke Schloss getruckht und wenig angerührt, seye dass schloss gleich auffgangen, und auf gleiche weiss auch das andere. Hab aus Forcht, man ime die Schellen wider anlegen möchte, die Schloss und Band in den Brunnen geworfen, habe auch seither seinen verstandt behalten […]. 102. Ibid. : Der Brunnen zue Thurbach [wurde] ausgeschöpfft, die Band und Schlösser [sind] gesucht worden. Als nun beinahe noch halb mannshoch wasser, und zwar mit dem Schöpff Eymer, wegen grossen Stein und Höltzer, nicht auf den grund kommen können, da war wunder das in dem Schöpffer zu oberst uffm wasser das unversehrte bandt und entlich die beede schlösslin auch, so verschlossen wahren gefunden und auffgehalten worden. 103. Ibid. : Zu Meymünster habe der Verstand etwas angefangen, zue Kientzheimb aber von den fueßschellen, wie zue Thürbach von den handtschellen erlediget worden, sich auch der verstandt vermehrt, und allezeit sein gemüeth auff Thürbach gemuetet […].

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104. ADHR 6H D 2. 105. ADHR 6H D 2/2. 106. GUTSCHER (Daniel), « Oberbüren », dans DUPEUX (Cécile), JEZLER (Peter), WIRTH (Jean) (dir.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, Paris, 2001, p. 252, no103. 107. BRUNEL (Pierre), LESER (Gérard), « Découverte d’ex-votos en fer en forme de crapaud à la basilique de Thierenbach (Haut-Rhin) », dans : Cahiers Alsaciens d’Archéologie d’Art et d’Histoire 39, 1996, p. 81‑87. 108. BUCHINGER (Bernardin), Miracul Buch, Darin bey hundert und etlich achtzig herrliche Wunderzeichen begriffen, die sich bey unser lieben Frawen Walfahrt zu Kienßheim im Elsaß in St. Regulae Kirchen daselbst vor Zeiten zugetragen, Porrentruy, 1662. 109. RAPP (Francis), « La cathédrale de Strasbourg, sanctuaire de pèlerinage ? », dans : Bulletin de la cathédrale de Strasbourg, 24, 2000, p. 131-138, ici p. 132. 110. AAEB A 94/95. 111. ADHR 6H D 1-3. 112. BRUNEL, Thierenbach (n. 44), p. 134-135 ; voir ci-dessus, n. 95. 113. GASSER, Thierenbach, p. 201. 114. CHARVIN, II, p. 149. 115. AAEB A 94/95/1, pièce 8. 116. ADHR 6H D 2. 117. AM Soultz GG 2/1, éd. GASSER, Thierenbach, p. 29 : Anno 1513 obiit Othilia Stehelerin, quae dedit ad structuram tabulae maioris altaris 5 libras … A.D. 1513, obiit … Petrus Schmucker, civis de Sultz, qui obtulit … 10 florenos, qui venerunt ad picturam tabulae maioris altaris. 118. ADHR 6H D 2. 119. BRUNEL, Thierenbach (n. 44), p. 133. Sur les seigneurs de Jungholtz, voir METZ, Jungholtz (n. 7). 120. BRUNEL, Thierenbach (n. 44), p. 133. 121. ADHR 6H D 2. 122. DERWEIN (Herbert), Geschichte des christlichen Friedhofs, Frankfurt am Main, 1931, p. 67‑68. Un exemple alsacien du début du 18e siècle : « mais il arriva contre espérance qu’ils [les corps] n’étoient pas bien consommés, et répandirent un peu de mauvaise odeur dans la chapelle [des Antonins à Strasbourg], que quelques dames délicates ne purent pas soutenir », AM Strasbourg, RP 165. 123. ADHR 158J 351-352 : […] ist dryer sargstein wyt. 124. AAEB A 94/95, pièce 8 : […] bei Eröffnung der Kirch [kam] uns solcher Geschmackh, Dunst und Dampf entgegen, das wir uns darob verwundert. Nuchtelet alles. 125. Ibidem : das Kloster Türmlein neiget sich, als wollte es umfallen. 126. AAEB A 94/95, pièce 31 : « Sur la fin du siècle passé, Thierenbach, par le ravage causé par les guerres dont cette province a été si longtemps le théâtre, avoit tombé dans un tel état de ruine qu’il n’y avoit qu’un ou deux religieux du St Mont, qui en qualité d’administrateur en faisait la desserte » (1768 III 23). 127. ADHR 6H D 2. 128. Vas aDMIrabILe opVs eXCeLsI. 129. ADHR 6H B 1 : contrat passé en 1719 par Dom Estienne Reinauld, prieur, et Dom Pierre Louis, procureur à Thierenbach, avec Meister Peter Thom, baw- und werckenmeister vom Bregentzer Waldt und Bezau gebürtig. Bezau est à l’Est de Dornbirn. 130. ADHR 6H B 1. 131. ADHR 6H B. 132. ADHR 6H D 2 : « En 1733, … Dom Etienne Regnauld a obtenu permission du Magistrat de Sultz de faire ouvrir une carrière au lieu-dit Erlebach pour bâtir un clocher ; il a fait la dépense d’environ 100 écus pour la faire ouvrir, et en tirer les pierres qui se voyent devant la neuve ménagerie [l’actuelle Ferme des Moines]. »

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133. GASSER, Thierenbach, p. 128-129. 134. ADHR 6H E 1-2. 135. ADHR 6H E 1-2 : « Antoni Charbonnier, à qui l’on a enseigné à lire et à écrire », est demeuré un mois à Thierenbach en janvier 1701. 136. ADHR 6H E 1-2. 137. ADHR 6H E 3. 138. BOEHLER (Jean-Michel), Une société rurale en milieu rhénan. La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), 2, Strasbourg, 1994, p. 1 879. 139. GASSER (Auguste), « La ville et le bailliage de Soultz », Revue d’Alsace 49, 1899, p. 70‑72. 140. ADHR 6H E 1-2. 141. ADHR 6H E 1-2. Dans plus de la moitié des cas, nous n’avons aucune indication quant au lieu de résidence des élèves. Sancey : nom de 3 localités à 16 km à l’Ouest/Nord-Ouest de Maîche. 142. BOEHLER, Paysannerie, II, p. 1874. 143. ADHR 6H E 1-2. 144. ADHR 6H E 1-2. 145. ADHR 6H E 3. 146. ADHR 6H E 3. 147. ADHR 6H E 1-2 : en août 1703, Monsieur Mauris est cité. Apparaissent encore dans les comptes frère Hugue, frère Ferdinand et frère Jacquinot, de Dole. 148. CHARVIN, IX, p. 32. 149. CHARVIN, VII, p. 3. 150. MULLER (Claude), « L’expansion de l’ordre de Saint-Augustin en Alsace au 18e siècle », Archives de l’Église d’Alsace, 43, 1984, p. 194‑197. 151. GASSER, Thierenbach, p. 181. 152. SCHLUND (Bertrand), « L’ex-voto de 1797 et la procession votive de Wattwiller à Thierenbach », Annuaire de la Société d’Histoire des régions de Thann-Guebwiller, 16, 1985-1987, p. 139-149. 153. Il porte l’inscription : Diese Taffel hat die Gemeind von Wattwiller versproche (sic) Zu Ehren der Heiligen Mutter Gottes, da mit Sieh unsre fürbitt Erhört und von der sucht uns und das Viech Gesund Erhaltet. 154. MULLER (Claude), « Les Clunisiens de Thierenbach en 1790 », dans Annuaire de la Société d’Histoire des régions de Thann-Guebwiller 16, 1985‑1987, p. 137‑138. 155. Panneau historique dans l’église de Thierenbach. ADHR 6H D 3 (18 e s.), « Mémoire pour la fondation du monastère de Thierbach. Il doit son origine a une image miraculeuse de la très sainte Vierge, qui au huitième siècle estoit deja honoré par un concours de fidelles dans une chapelle dependante de la ville de Soultz ». 156. CLEMENTZ, Nahwallfahrten (n. 87), p. 115.

RÉSUMÉS

Si le semis d’établissements clunisiens est dense en France, il n’en va pas de même en Allemagne, où seules les contrées périphériques sont atteintes. Thierenbach est l’un de ces prieurés fondés dans le Sud de l’Alsace, au départ comme couvent double. Malgré l’existence de cinq documents – tous faux – concernant les origines de Thierenbach, la fondation du prieuré suscite encore

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aujourd’hui de nombreuses questions. Elle se situe vraisemblablement dans la première moitié du 12e siècle et Ulrich de (Vaudémont-) Eguisheim apparaît comme le fondateur le moins improbable. Dès le début du 14e siècle, Thierenbach n’abrite plus que deux moines et est endetté. Thierenbach est aujourd’hui le plus grand pèlerinage marial du Sud de l’Alsace. Ce pèlerinage date très probablement du 15e siècle, car c’est à ce moment que l’église a été très fortement agrandie. L’église actuelle a été érigée en 1723 par Peter Thumb, l’architecte d’Ebersmünster et de Birnau, au bord du lac de Constance. Tout au long du 18e siècle, les religieux de Thierenbach tiennent également une école.

The Cluny priory network is denser in France than in Germany where only the peripheral regions are concerned. Thierenbach is one of the priories founded in the south of Alsace, initially as a “double convent” for both monks and nuns. In spite of the existence of five –fake– documents about the origin of Thierenbach, the foundation of the priory is still an open question, probably taking place in the first half of the 12th century, Ulrich de Vaudémont-Eguisheim being presumably the most likely founder. In the early 14th century only two monks were present in this almost bankrupt monastery. Today Thierenbach is the most important pilgrimage in the south of Alsace, probably dating back to the 15th century, a time when the church was seriously enlarged. The present church was built by Peter Thumb, the architect of the churches of Ebersmunster and of Birnau (near Lake Constance) in 1723. In the 18th century the priests were also in charge of a school.

So zahlreich die cluniacensischen Gründungen in Frankreich, so selten sind sie in Deutschland, wo der Orden nur Randgebiete erreicht hat, wie z. B. das südliche Elsaß. Zu seinen oberelsässischen Prioraten gehört auch Thierenbach, dessen Anfänge weitgehend ungeklärt bleiben, denn die fünf Dokumente, die man dazu hat, sind allesamt Fälschungen. Immerhin ist seine Gründung wohl in die erste Hälfte des 12. Jhs. zu datieren. Unter den möglichen Stiftern kommt der vor Ort begüterte Graf Ulrich von (Vaudémont- Egisheim wohl noch am ehesten in Frage. Spätestens Anfang des 14. Jhs. kämpft Thierenbach mit den Schulden und beherbergt nur noch zwei Mönche. Heute ist Thierenbach als die größte Marienwallfahrt im Oberelsaß bekannt. Diese Wallfahrt geht sehr wahrscheinlich auf das 15. Jh. zurück, denn damals wurde die Kirche stark vergrößert. Die heutige Kirche wurde 1723 von Peter Thumb errichtet, dem späteren Baumeister von Ebersmünster und von Birnau. Während dem ganzen 18. Jh. unterhielten die Thierenbacher Mönche auch eine Schule.

INDEX

Index géographique : Thierenbach

AUTEUR

ÉLISABETH CLEMENTZ Maître de conférences d’histoire de l’Alsace à l’Université de Strasbourg

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La paroisse Saint-Louis de Strasbourg administrée par les chanoines réguliers lorrains The Saint-Louis parish in the hands of canons regular of Lorraine Die Straßburger Pfarrei Saint-Louis unter der Verwaltung von Regular- Chorherrn aus Lothringen

Cédric Andriot

Introduction

1 Avec la capitulation de Strasbourg de 1681, le temps était venu pour Louis XIV de proposer une réorganisation religieuse de l’Alsace. Face aux questions posées par le renforcement de la minorité protestante dans un royaume fondé sur l’appartenance catholique1, il avait été décidé, en 1684, de tenter une réunion religieuse2. Martin de Ratabon, devenu vicaire général auprès de l’évêque, commença alors, au mois d’octobre, « une grande mission à l’échelle de la ville »3. Organisée par le jésuite Jean Dez4, recteur du nouveau séminaire depuis 16835, la mission s’était soldée par un échec dû à une incompréhension réciproque. Méprisés par des protestants strasbourgeois qu’ils avaient sous-estimés, et désavoués par Rome qui n’appréciait pas leurs innovations hasardeuses, Dez et Ratabon durent abandonner leur projet dès 1685. L’échec fut tel qu’il a pu jouer dans la décision prise par Louis XIV de révoquer l’Edit de Nantes l’année suivante6. Désormais, il n’était plus question de négocier avec les luthériens mais de lancer une reconquête catholique. Pour accompagner cette offensive, Martin de Ratabon décida, en janvier 1685, d’une nouvelle organisation de la vie paroissiale alsacienne. C’est dans ce contexte que fut fondée la paroisse Saint-Louis qui devait être confiée aux chanoines réguliers lorrains, de la congrégation de Notre- Sauveur7.

2 Que venaient faire en Alsace des religieux peu connus restés jusque-là comme confinés sur le sol lorrain ? Même si aucun document ne permet d’en avoir la certitude, il semble

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que cette nouvelle implantation prenait place dans une stratégie globale de la congrégation de Notre-Sauveur. En effet, durant une vingtaine d’années, le supérieur général Jean Etienne (1667-1685) avait cherché en vain à incorporer des abbayes franc- comtoises, pour promouvoir l’esprit tridentin dans les terres de contact entre le monde catholique et le monde protestant. Déçue par ces échecs, la congrégation, dirigée par le supérieur général Philippe George8 (1685-1691), cessa de rechercher le rapprochement avec des abbayes prestigieuses. Ce général rigoureux et intransigeant, qui était craint plutôt qu’aimé, décida d’investir dans un concept novateur : la création de maisons de taille réduite, pour des missions pastorales dans un cadre paroissial. Le petit séminaire de Dommartin-les-Ville-sur-Illon9, créé par deux prêtres10, venait d’être repris par la congrégation en 168511, lorsque Philippe George s’engagea délibérément en faveur d’une implantation similaire à Strasbourg12, en 1686. Dans les deux cas, on prévoyait un faible nombre de religieux13 devant se charger de prédication, de catéchisme voire de controverse pour Strasbourg. Plus souple pour les chanoines réguliers, plus facile à entretenir et plus rassurante pour les autorités locales, ce type de maison pouvait être créé sans rencontrer beaucoup d’obstacles ; mais, en contrepartie, il était à craindre qu’elles ne parviennent que difficilement à s’assumer seules. Par ailleurs, par de telles créations, Philippe George orientait la congrégation dans une voie qui n’était pas sans rappeler l’expérience des compagnies de prêtres séculiers.

3 C’était donc là une expérience nouvelle, tant pour la monarchie française qui pariait sur le succès de la réorganisation paroissiale de Strasbourg, que pour la congrégation de Notre-Sauveur, qui montrait sa volonté de s’impliquer plus clairement dans le siècle. Pour appréhender les résultats de cette double initiative, on dispose de nombreuses sources restées jusqu’ici peu exploitées14. Les dossiers des Archives Départementales du Bas‑Rhin ne contiennent que trois cartons sur la paroisse Saint‑Louis ; les plus intéressants d’entre eux étant consacrés à la confrérie du Saint‑Sacrement érigée en cette paroisse. C’est donc surtout aux archives de la Communauté Urbaine de Strasbourg que l’on trouve de nombreux documents (correspondance, rapports, expertises) relatifs à cette paroisse et notamment à ses problèmes temporels récurrents. Ces sources doivent être complétées par plusieurs manuscrits de la bibliothèque municipale de Nancy15, et par les dossiers conservés aux Archives Départementales de Nancy, qui renferment les archives du généralat de la congrégation. C’est principalement à partir de ces quatre sources que nous pouvons tenter de comprendre quelle fut la place de cette maison implantée ex-nihilo dans un environnement méconnu, à travers les circonstances de sa fondation, les expériences pastorales qui y furent menées, les difficultés qu’elle rencontra et son déclin dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Les débuts de la paroisse Saint-Louis

4 Le projet de réorganisation paroissial de Strasbourg impliquait la création de trois nouvelles paroisses16, grâce au soutien financier du roi de France. Cette perspective retint l’attention du supérieur général Philippe George17, soucieux de rediriger la congrégation de Notre-Sauveur vers la vie pastorale. Il s’adressa spontanément en 1686 au célèbre confesseur du roi, François de la Chaise (1624-1709), lequel lui indiqua qu’il fallait en référer à Martin de Ratabon18, responsable de l’organisation de ces nouvelles paroisses19. Or, les trois paroisses étaient déjà attribuées20, et l’église Saint-Thomas, que

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convoitait le supérieur général, était reservée aux protestants, en dédommagement de leur éviction de la cathédrale. Philippe George arrivait trop tard ; cependant il dut faire bonne impression puisque Martin de Ratabon décida de donner une nouvelle paroisse aux chanoines réguliers21, laquelle devait être érigée pour accueillir les catholiques qui venaient de perdre Saint-Thomas. Il s’agissait de l’ancienne église des carmes22 toute proche, que Louis XIV avait fait reconstruire23. Le soutien actif de Martin de Ratabon se doubla de l’aide apportée par la compagnie de Jésus. Le recteur des jésuites strasbourgeois, Jean Dez, chargé par Versailles d’organiser le rétablissement du culte catholique à Strasbourg, promit de soutenir la cause des chanoines réguliers24. Dez offrait son aide avec d’autant plus de bonne grâce que la congrégation de Notre- Sauveur, en obtenant l’administration de cette paroisse quelque peu excentrée, ne menaçait pas les intérêts de la compagnie de Jésus25. Enfin, pour que le projet prenne corps, le vicaire général usa de toute son influence auprès du roi, de son ministre Louvois, et de son intendant d’Alsace, pour trouver un bâtiment susceptible d’accueillir les chanoines réguliers.

5 La congrégation de Notre-Sauveur, qui n’était jusque-là que spectatrice, intervint en mai 1687 pour accélérer les évènements. Philippe George se décida alors à députer l’abbé de Saint-Pierremont, Achille-François Massu26, « pour savoir ce que l’on demandoit de nous, en quel tems il falloit se rendre à Strasbourg, voir la maison que l’on nous destinoit et qui étoit à vendre »27. Malgré ce désir de s’intégrer dans le processus décisionnel, il était clair que les choses se faisaient sans la participation de la congrégation de Notre-Sauveur. Massu put d’ailleurs conclure que « ce premier voyage fut assés inutil, on ne convint de rien, et l’on nous assura cependant que l’on nous avertiroit, lorsqu’il seroit tems de nous rendre sur les lieux »28. Clairement dépassée par les évènements, la congrégation ne pouvait que suivre à distance les préparatifs qui se faisaient pour elle à Strasbourg. L’intendant Lagrange obtint pour les chanoines réguliers de Notre-Sauveur, de manière peu conventionnelle, deux maisons voisines devant servir de sacristie et de logement. Il leur avait déjà cédé une écurie contiguë à l’église dont la propriété était revendiquée par la ville. Puis, sans autorisation municipale, fut pratiquée une ouverture en 1687 sur ce bâtiment afin d’y aménager une sacristie. Mais le passage ainsi créé donnait également sur « une autre maison y contigue appartenante alors aux héritiers du Sr Schrag, lesquels de concert avec le Magistrat firent dresser un procès verbal et emportèrent leurs plaintes à M. l’Intendant ». L’intendant Lagrange visita alors les lieux, et « s’appercevant de l’utilité, dont la maison des héritiers Schrag pouvoit être aux dits religieux pour s’y loger à côté de l’église, fit des propositions d’achat aux héritiers de Schrag ». C’est ainsi que la maison put être acquise29, malgré les réactions du Magistrat de Strasbourg, qui n’appréciait guère la manière cavalière dont l’intendant avait usé en confisquant l’écurie municipale. La Ville se plaignit à Louvois « de ce procédé violent », puis céda finalement l’écurie destinée à être transformée en sacristie, à la condition « que l’on ne demanderoit plus rien autre chose pour l’usage de l’église de St Louis »30. Tout ceci se déroula en l’absence des chanoines réguliers, à qui l’on demanda seulement de régler la moitié du prix d’acquisition de la maison31.

6 Ce ne fut qu’après l’achat de la maison que vint à Strasbourg le général Philippe George, accompagné de Massu, pour régler les formalités liées à l’acquisition32. Le général, conscient du poids déterminant des élites laïques et ecclésiastiques qui avaient jusque- là conduit cette implantation, en profita pour visiter « Mr le marquis de Charmilli,

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gouverneur de la place, et présentement maréchal de France, et ensuite chés Mrs les abbés de Ratabon, et de Cartigny, grand vicaires de Strasbourg »33. Les négociations n’étaient pas terminées, car il fallait encore doter la maison de revenus suffisants pour l’entretien de six religieux34. La première communauté put ainsi être constituée en décembre 168735. Enfin, en 1688, Louvois permettait aux chanoines de Notre-Sauveur strasbourgeois « d’établir un cimetière près du rempart de la ville à la communication droite de la citadelle »36.

L’église paroissiale Saint-Louis de Strasbourg (état en 2006)

7 D’abord assez passifs dans la mise en place de leur maison strasbourgeoise, les chanoines réguliers lorrains étaient désormais en mesure de participer activement au mouvement de reconquête catholique alsacien. Mais avaient-ils été choisis pour leur réputation, ou faute d’autre candidat sérieux ? Le projet pastoral mené par la congrégation de Notre‑Sauveur à Strasbourg montre en tout cas une constante volonté d’agir en conformité avec les objectifs de la politique religieuse royale.

Une pastorale au service d’un roi

8 La pastorale des chanoines de Notre-Sauveur prenait place dans un cadre liturgique soigneusement agencé. La décoration des nouvelles églises de Strasbourg, financée par Louis XIV37, était au service d’un projet de diffusion de la culture classique française. Le même entrepreneur français38 fut chargé d’œuvrer dans deux de ces églises. Cet ancien entrepreneur militaire ne fit pas preuve d’une grande originalité, puisque le cahier des charges pour Saint‑Louis se limitait à lui prescrire la réalisation de trois retables « conformément et de mesme manière que ceux des capucins de cette ville »39. Ces églises standardisées, dont la restauration et la réception des travaux étaient confiées

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aux autorités militaires40, accompagnaient et prolongeaient l’annexion politique de la ville. C’est pourquoi les chanoines réguliers de Strasbourg furent, dès leur installation, déçus par la médiocrité de la décoration de leur nouvelle église. Habitués à répandre l’esprit du concile de Trente parmi les peuples en construisant de somptueux édifices majestueusement agencés, les chanoines de Notre‑Sauveur ne comprirent pas la parcimonie du roi et de ses agents41. Ils voulurent compenser la simplicité des lieux par la magnificence de la cérémonie de bénédiction de l’église, organisée « avec une pompe que l’on n’avoit pas encore vus jusques alors à Strasbourg »42.

L’église Saint-Louis et la Petite France (état en 2006)

9 Soucieux de travailler sur le long terme, les chanoines de Notre-Sauveur mettaient généralement l’accent sur l’encadrement des fidèles à travers la mise en place de confréries. Copiant une formule qui fonctionnait à Lunéville dès la fin du XVIIe siècle, les chanoines réguliers instituèrent une confrérie du Saint-sacrement particulièrement active à Strasbourg. La confrérie aurait été érigée dès la fondation de la maison en 168743 ; d’ailleurs on mit en place, dès cette année, « tous les jeudy un peu avant la nuit la bénédiction du très Saint-Sacrement » qui attirait, au début du XVIIIe siècle, « une grande foule de peuple dans cette église »44. La confrérie s’est sans doute organisée pour structurer ce culte hebdomadaire. Signes de leur importance, les membres de la confrérie du Saint‑Sacrement de Strasbourg tenaient de volumineux recueils manuscrits45, et firent publier, avec les chanoines réguliers, des Heures de la confrairie du Très Saint-Sacrement érigée dans la paroisse de Saint-Louis, imprimées à Strasbourg en 170846, et rééditées en 1759. L’instauration d’une confrérie du Saint-Sacrement, qui approfondissait le dogme de la présence réelle, se justifiait d’autant plus que cette ville était en majorité protestante47. Mais la proximité de la religion luthérienne n’expliquait pas à elle seule cette entreprise de diffusion d’une piété christocentrique. La confrérie, en prétextant « réparer ces opprobes » et « affronts » que le dogme de la présence

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réelle subissait de la part des protestants, permettait l’émergence d’une société dévote idéale. Sous la direction du supérieur de la paroisse48, la communauté des confrères49 s’engageait, en échange d’indulgences, à assister à un certain nombre de cérémonies et de processions, notamment en cas de maladie ou de décès d’un autre confrère50. Il était également recommandé aux confrères d’assister aux vêpres pour agrémenter l’office canonial de leurs chants, unissant ainsi « leurs voix à la voix de l’église »51. On insistait particulièrement sur la pénitence nécessaire à une bonne communion52. Il leur fallait également effectuer la prière du matin et du soir53. Un tel programme de vie chrétienne pouvait sembler pesant, mais, réalistes, les chanoines réguliers précisaient bien que l’assistance aux cérémonies était facultative54.

10 Reste à savoir si le succès représenté par cette confrérie traduisait une emprise sur un petit groupe d’élites dévotes convaincues, ou si les chanoines réguliers étaient capables de développer une prédication de conquête susceptible de faire progresser la foi catholique en terre protestante. Louis XIV attendait peut-être de ces religieux francophones un travail en faveur de la langue et de la culture française ; mais il fallait surtout s’adresser aux germanophones afin de lutter contre le protestantisme. Dans sa lettre du 22 mars 1687, Martin de Ratabon avait déjà exigé que les religieux qui seraient envoyés à Strasbourg soient « bons prédicateurs et controversistes, gens d’exemple, et trois au moins sachant la langue allemande »55, puisqu’ils devaient desservir des paroissiens qui, d’après Alexandre d’Hangest, « presque tous n’entendoient point d’autre » langue que l’allemand56. Pour répondre à cette demande, on envoya deux chanoines réguliers à Dilingen pour apprendre l’allemand57. Ce furent les pères Claude- François Duval et Jean-Baptiste d’Assule, qui y étudièrent à partir d’octobre 1688, et ce durant plusieurs années58, mais sans grands résultats59. Les chanoines réguliers de Strasbourg durent recourir jusqu’à la fin du XVIIe siècle à des personnes extérieures à la congrégation pour la prédication en langue allemande60, personne n’en étant capable dans la congrégation61. La présence de ces auxiliaires était indispensable puisque les chanoines réguliers avaient mis en place deux services journaliers, un en français, et l’autre en allemand : « on dit celle des allemands à sept heures et demie, pendant laqu’elle on leur faisoit le prône en leur langue » alors que « la grande [messe], avec le prône en françois se disoit à neuf heures et demy »62. Ils furent constants à servir les Français d’Alsace jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, puisqu’on disait encore d’eux en 1784 : « Ils prêchent en langue françoise dans leur église, ce qui est fort rare dans toutes les autres [de Strasbourg] »63.

11 Les résultats furent mitigés. Les fidèles de Saint-Louis étaient, avant tout, des Français installés en Alsace suite à la conquête. On peut douter du soin accordé par les chanoines réguliers à la controverse, aucune conversion de protestant n’étant attestée. Fondée prétendument dans le but de confondre les luthériens64, la confrérie du Saint- Sacrement instituée par les chanoines réguliers de Strasbourg s’adressait plus certainement à un public de catholiques dévots désirant fortifier leur foi65. Certes, le nombre de ces derniers augmenta considérablement dans les années qui suivirent l’annexion66, ce qui assurait aux religieux lorrains un certain public fidèle. En 1754, on estimait à 3 000 le nombre de communiants de cette paroisse67. Parmi eux, beaucoup étaient des Français de basse condition, en faveur desquels les chanoines réguliers adaptèrent leur pastorale, puisqu’ils organisaient « une messe de grand matin p[ou]r les artisans, et p[ou]r les domestiques »68. S’ils réussirent auprès des français de modeste extraction installés après l’annexion, la prédication des chanoines réguliers de

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Strasbourg ne toucha que peu la bourgeoisie alsacienne germanophone, montrant par- là les limites de cette pastorale inaboutie.

12 L’implantation des chanoines à Strasbourg aurait pu servir d’exemple pour d’autres créations de maisons régulières. On vit les habitants de Jonvelle69 faire, vers 1690, une requête au roi dans laquelle ils demandaient que les chanoines réguliers instruisent leurs enfants « comme ils font tout nouvellement à Strasbourg »70. À la même époque, à la fin des années 168071, les chanoines réguliers obtinrent la paroisse de Fort-Louis72, mais leur présence n’y fut qu’éphémère73. Et, en 1712, le cardinal de Rohan manifesta au supérieur général son intérêt « pour les chanoines réguliers de Saint-Louis qui travaillent à Strasbourg »74. Pourtant, au lieu de servir d’exemple, l’implantation alsacienne des chanoines réguliers lorrains se maintint avec peine, sans gloire et dans la gêne continuelle.

Difficultés financières

13 Mal préparés, connaissant peu l’allemand, et peu sensibles dans l’ensemble à l’esprit de controverse, les chanoines réguliers de Strasbourg ne pouvaient espérer convertir les protestants de la ville, et ce d’autant plus que les problèmes financiers apparurent rapidement dans cette maison qui resta une des plus démunies de la congrégation de Notre-Sauveur. Au service d’une population modeste75, cette paroisse était dépourvue de fabrique susceptible de permettre la fourniture et l’entretien des bâtiments et de la sacristie. La maison de Strasbourg convoita régulièrement les revenus d’anciennes collégiales et abbayes alsaciennes pour constituer un fonds permettant de ne pas dépendre exclusivement des subsides royaux. En 1692 notamment, les chanoines réguliers de Strasbourg avaient obtenu du roi et de l’évêque l’union76 de la collégiale de Surbourg, alors en pleine décadence77. L’affaire, pourtant bien engagée, ne put aboutir78. Un demi‑siècle plus tard, en 1754, les chanoines de Saint-Louis demandaient que soit prélevée sur une abbaye une rente de 4 000 livres, qui selon eux aurait suffi à leur entretien ainsi qu’aux réparations les plus urgentes79.

14 Les revenus propres manquaient, car la « paroisse royale » dépendait exclusivement des subventions du Trésor, y compris en cas de grosses réparations. Celles-ci étaient rarement acquittées à temps, ce qui entraînait une lente mais inexorable dégradation du patrimoine immobilier. En 1705, le roi avait dû accorder 350 livres pour des réparations, puis 4 000 livres en 1714, 1 000 livres en 172780, une somme indéterminée en 174081, 8 000 livres en 1756 pour diverses réparations et acquisitions de mobilier liturgique82. Une dernière aide fut accordée en 1772 après la destruction, cette même année, du clocher de l’église par la foudre. La tribune d’orgue qui surmontait l’entrée menaçait de s’effondrer, ayant également été victime de l’orage. Des réparations furent entreprises en urgence pour la somme de 18 000 livres, mais elles ne purent suffire à remettre en état une église si vétuste. Inchangés depuis plus d’un siècle, des éléments du décor avaient piteuse allure. Le tambour de la porte était, selon le suffragant, « dans un état aussi indécent que ruineux, ressemblant plutôt à une entrée de grange, que d’une église »83. Le prieur Claude Antoine Valentin, prieur de Strasbourg à partir de 1774, désirait que de nouveaux travaux d’urgence soient entrepris pour sécuriser la tribune, mais pensait également en profiter pour renouveler l’orgue passé de mode datant du début du XVIIIe siècle84. Il prétendait que l’instrument de musique était irrécupérable depuis qu’il avait été frappé par la foudre, son buffet ne pouvant être

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démonté « sans être brisé par sa vétusté ». Les religieux, se disant incapables d’assumer les réparations de l’église, la firent visiter par le suffragant en 1775, qui constata le mauvais état de l’édifice. Les dégradations s’accrurent, au point que le suffragant prononça l’interdit en août 1781, considérant que la tribune qui surplombait la porte d’entrée menaçait de s’effondrer sur les fidèles. La situation semblait bloquée. En 1783, le Conseil Souverain d’Alsace estima que « cette paroisse n’a ni revenu ni fabrique, et un foible casuel employé au luminaire. On ne peut rechercher aucun décimateur puisqu’aucun n’y a contribué depuis l’érection de la paroisse. Sa Majesté a été chargée seule des réparations »85. Ainsi la paroisse, étroitement dépendante de la monarchie, n’avait pas constitué de patrimoine et se voyait incapable de faire face aux dépenses nécessaires à la remise en état de l’église.

15 Les difficultés temporelles de la paroisse Saint-Louis sont apparues dès sa fondation ; mais elles devinrent insurmontables dans les dernières années de l’Ancien Régime. Une telle situation n’est pas apparue en un jour, et résulte de l’abandon progressif de la paroisse Saint‑Louis, négligée tant par la monarchie que la congrégation depuis le milieu du siècle. Car plus personne n’était disposé à remettre en état une maison dont l’utilité n’était plus aussi évidente qu’un siècle plus tôt.

Déclin de la paroisse de Strasbourg dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

16 La paroisse de Strasbourg, handicapée par l’insuffisance de la fondation, devint au cours du siècle une des maisons les plus marginales de la congrégation de Notre- Sauveur86. Isolés, désargentés, peu soutenus par le pouvoir et par leurs confrères lorrains, ses occupants ont vu leur place au sein de la congrégation se dégrader du milieu du siècle jusqu’à la Révolution. Avant même que ne soit instituée la commission des réguliers, la maison de Strasbourg se sentait déjà abandonnée. Son prieur Jean‑Baptiste Etienne se plaignait du manque de suivi de la part de ses supérieurs en 1765, à une époque où Hyacinthe Pillerel était supérieur général (1753‑1768), conseillé par le procureur général Joseph de Saintignon87. Il écrivait alors au procureur de la maison de Nancy cette lettre, qui traduisait le malaise ambiant dans la maison de Strasbourg : « Nous espérons que M. de Saint Ignon viendra faire icy la visite, présentez-lui mes très humbles respects, et dites-lui que sa présence est nécessaire icy. Nous allons grand train, notre luminaire sera bientôt fondu, sy on n’y met ordre. Nos supérieurs majeurs connoissent bien peu leurs sujets. C’est un malheur qui fera périr infailliblement notre congrégation dans peu. Ecrivez-moy »88.

17 Dans ce climat de doute, se réunissait la commission des réguliers à partir de 1766. La maison n’était pas visée puisque son statut de paroisse lui permettait d’éviter le sort des maisons conventuelles peu peuplées. Elle n’en était pas moins menacée, car la controverse n’avait plus le vent en poupe. En précisant à la commission des réguliers le rôle de cette paroisse en 1767, le général Pillerel écrivait simplement qu’elle servait à la desserte d’une cure « allemande et françoise »89, s’éloignant ainsi de tout objectif de conquête. Signe de cette renonciation, le territoire couvert par cette paroisse était toujours essentiellement peuplé de protestants, qui s’y trouvaient, en 1791, au nombre de 7 200 contre seulement 2 700 catholiques90. Ces derniers étaient relativement peu nombreux, mais constituaient une active minorité très pratiquante. Preuve de la

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vitalité de cette communauté catholique, le suffragant recommandait en 1775 d’ajouter un quatrième confessionnal91. Cet apparent succès doit être toutefois nuancé par une diminution de l’influence de la confrérie du Saint-Sacrement qui encadrait les fidèles de la paroisse Saint‑Louis. Le nombre de ses membres, recrutés dans toute la ville parmi les éléments de langue française, avait pu atteindre 300 à 400 personnes. Or, ils n’étaient plus que 160 confrères en 175392. Un livret de prières, édité en 1768 à l’intention des confrères, ne rencontra pas son public. Diminution de la pratique ou évolution des attentes des fidèles ? Il apparaît en tout cas que les paroissiens de Saint- Louis n’étaient plus assez nombreux ni assez riches pour fournir un casuel susceptible de suppléer aux insuffisances des subventions royales.

18 Cette situation de déclin, associée au désengagement royal, mettait la paroisse en péril. Depuis 1781, l’église qui menaçait ruine se trouvait frappée d’interdit, et la décision de lancer les réparations se faisait attendre, faute de savoir qui devait les payer. L’intendant d’Alsace de la Galaizière estimait le montant des travaux à 26 758 livres, et proposait qu’une fois ces travaux réalisés par ordre du roi, l’entretien de l’église soit confié à la ville. Malgré ces projets, en 1783, aucune aide n’était parvenue à la maison de Strasbourg, ce qui conduisit les chanoines de Saint‑Louis à consulter le prêteur royal Conrad Alexandre Gérard, lequel confirma « que les dépenses à faire devoient être à la charge du roi ». Mais les temps étaient peu propices pour solliciter l’aide de la monarchie, elle-même confrontée à une grave crise financière. Le ministre de la guerre, le maréchal de Ségur, ne voulait accorder aucun subside et était prêt, si aucune solution n’était trouvée localement, à supprimer la paroisse. Ne voulant se substituer à la monarchie dans le paiement des réparations, la ville de Strasbourg refusait d’envisager une subvention à la charge de ses bourgeois « fort apauvris ». La ville acceptait donc l’idée de la fermeture définitive de l’église et d’un nouveau découpage paroissial impliquant le transfert de l’église paroissiale à Sainte-Madeleine, « afin qu’il y ait au moins une paroisse dans cette partie de la rive droite de l’Ill »93.

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La paroisse Saint-Louis de Strasbourg, le clocher actuel (état en 2006)

19 La maison de Strasbourg avait de bonnes raisons de se sentir abandonnée, par la Ville, par le roi, et par la congrégation. Mais le supérieur de la maison, Valentin, n’entendait pas accepter si facilement la liquidation de sa paroisse. Depuis que l’interdit avait été prononcé en 1781, l’église ne servait plus au culte. Valentin en dressait ce tableau dont l’exagération était à la hauteur de l’exaspération de ce supérieur qui assistait, impuissant, à la dégradation d’une église qu’il était maintenant question de supprimer : « une flèche menace d’ensevelir sous ses ruines une trentaine de maisons du voisinage, des tribunes périclitantes, une orgue vieille et totalement brisée par la foudre, ainsi que toute la charpente, le tout n’étant soutenu que par des pilliers qui sont affaissés de près de 8 pouces, et qui n’offrent aux yeux des spectateurs qu’un danger effrayant pour le citoien, une porte d’entrée ressemblante à une porte de prison, une chaire, des confessionnaux d’un bois vermoulu, des vitres fracassées, des fonds baptismaux que l’on peut dire indécens, un pavé aussi incommode que malpropre ».

20 Un mémoire favorable à la congrégation louait sans réserves le travail effectué par les chanoines réguliers et blâmait la Ville de ne vouloir aider une église indispensable à la vie paroissiale catholique alors qu’elle « feroit moins de difficulté, on donneroit du moins quelques secours [à une église luthérienne], l’église de Ste Aurélie en est la preuve ». En réponse, plusieurs solutions furent envisagées ; il fut une nouvelle fois question d’un prélèvement à effectuer sur les fourrages ou sur quelques maisons religieuses contemplatives alsaciennes dont un mémoire disait qu’elles n’avaient « civilement et politiquement parlant, aucune fonction utile ». Dans le même temps, la polémique enflait en raison de la fermeture prolongée de l’église due à l’inertie royale, ce qui mettait en péril le statu quo confessionnel. Un mémoire adressé au maréchal de Ségur le 29 janvier 1786 lui suggérait d’autoriser les chanoines réguliers à se servir d’une église luthérienne toute proche en attendant que soient engagés des travaux, et

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lui rappelait qu’il « s’agit icy de l’affaire et des intérêts du roy même, non des alsatiens », l’état de l’église étant devenu un sujet de « scandale par sa durée, pour les habitants de la ville, catholiques, luthériens, pour la province, pour tous les étrangers même de la frontière qui en sont tous les jours stupéfaits ». Le mois suivant, Valentin écrivait de nouveau au maréchal de Ségur pour dire ses confrères « menacés par la chute d’une église ». Finalement, le roi accorda en 1786 la somme de 24 000 livres à prendre sur les fonds des loteries. Mais l’état déplorable des finances royales ne permettait aux chanoines réguliers de n’en bénéficier qu’à raison de 6 000 livres par an, « à commencer en 1794, à la charge de justifier de l’emploi ». Exigeant, Valentin estimait que les 24 000 livres accordées suffisaient à peine au financement des travaux les plus urgents ; selon lui, plus de 20 000 livres étaient encore nécessaires, notamment pour l’orgue et les ornements94.

21 Malgré le soutien des intendants, le maintien de la paroisse Saint-Louis de Strasbourg a été très délicat. En raison d’une fondation insuffisante, le nombre de religieux que la paroisse pouvait entretenir ne cessa de s’éroder jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Prévue initialement pour huit religieux, la maison de Strasbourg n’en accueillait que sept en 176895 et en 1772 96. Une vingtaine d’années plus tard, en 1790, il n’y avait plus que quatre chanoines de Notre-Sauveur en Alsace97.

Conclusion

22 La paroisse Saint-Louis de Strasbourg n’a pas été, loin s’en faut, une réussite dont la congrégation de Notre-Sauveur eut pu s’enorgueillir. Il n’était pas inutile d’assurer une présence de la congrégation en Alsace, mais celle-ci répondait à des objectifs royaux, donc extérieurs, et datés de la fin du XVIIe siècle, donc rapidement dépassés. Implantés au cœur d’un quartier protestant, les chanoines réguliers strasbourgeois ne pouvaient que se sentir enclavés et démunis de perspectives d’avenir dans cette ville. La paroisse Saint‑Louis ne fut jamais un modèle pour la congrégation, qui la délaissa progressivement. Non germanophones pour la plupart, les chanoines lorrains se firent remarquer pour être les seuls de la ville à prêcher en français, et se contentèrent d’attirer dans leur sanctuaire des nouveaux arrivants venus de France.

23 Malgré tout, la petite communauté des chanoines réguliers de Strasbourg restait soudée et déterminée dans l’isolement et les épreuves. Lorsque vint la Révolution, ils adressèrent au Comité Ecclésiastique une lettre révélant leurs sentiments : ils disaient accepter de prêter le serment, à l’imitation de leur évêque ; mais à la condition qu’il ne s’étende pas « aux objets qui concernent essentiellement la religion et l’autorité spirituelle ». Intransigeants, les religieux de Strasbourg se révélaient proches de l’état d’esprit des réfractaires, puisqu’ils concluaient leur lettre en affirmant que : « nous sommes prêts à souffrir, plutôt que de trahir notre ministère »98. Cette détermination ne put empêcher la dispersion. Vendue à la Révolution, l’église disparut dans un incendie en 1805, au moment où elle allait être rachetée pour y rétablir le culte. Le mobilier disparut complètement et l’emplacement fut occupé par un magasin de tabac99. Le bâtiment actuel, reconstruit entièrement au début des années 1820, n’a donc plus rien à voir avec l’église du XVIIe siècle ; quant au presbytère, il a également bien changé puisque la construction actuelle date de l’annexion allemande. Les vestiges de la maison du XVIIe siècle, encore mentionnés par Fries en 1863, n’existeraient donc plus.

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24 La paroisse Saint-Louis occupe ainsi une place paradoxale dans l’histoire de Strasbourg. Au cœur du quartier touristique de la Petite France, elle est oubliée des visiteurs comme des historiens qui lui préfèrent des édifices au passé plus prestigieux. Cet oubli est-il mérité ? L’expérience originale menée par ces chanoines réguliers venus de Lorraine n’a peut‑être pas donné de grands fruits ; mais elle est révélatrice d’une politique de reconquête religieuse voulue par Louis XIV. Durant plus d’un siècle, les chanoines de Notre-Sauveur ont animé la vie paroissiale de deux à trois mille fidèles francophones, par la promotion d’une société chrétienne idéale symbolisée par l’institution de la confrérie du Saint-Sacrement. Il y aurait encore beaucoup à chercher et à dire à propos de cette confrérie par une étude plus approfondie des volumineux registres conservés aux archives départementales du Bas‑Rhin. Aussi peut-on espérer que la place des chanoines réguliers lorrains en Alsace soit désormais mieux estimée, et ce malgré l’irréductible maigreur des vestiges archéologiques subsistants.

ANNEXES

Abréviations

AD : Archives Départementales (du Bas-Rhin) AMS : Archives Municipales de Strasbourg (Archives de la Communauté Urbaine de Strasbourg) AN : Archives Nationales BM Nancy : Bibliothèque Municipale de Nancy BNUS : Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg

NOTES

1. Le roi se voulait lieutenant de Dieu sur terre et la croyance commune en une même religion garantissait l’unité du royaume. 2. CHATELLIER (L.), Les catholiques rhénans et la révocation de l’Édit de Nantes, in Annales de l’Est, Numéro spécial, 2003, p. 91. 3. CHATELLIER (L.), ibid., p. 94. 4. L’homme avait également de l’influence. Il fut confesseur du dauphin. Il servit aussi bien le roi que sa congrégation, et fut l’auteur de plusieurs ouvrages. 5. Il devait prendre en main le collège royal en 1685. 6. CHATELLIER (L.), art. cit., p. 99. 7. Congrégation fondée en 1622 par saint Pierre Fourier pour réformer les chanoines réguliers de Lorraine.

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8. Philippe George, né en 1621, n’avait fait profession qu’en 1643, soit trois ans après la mort de Pierre Fourier ; c’était le premier supérieur général à ne pas avoir connu l’instituteur de la congrégation de Notre-Sauveur. Après avoir été plusieurs fois prieur de diverses maisons, Philippe George devint procureur général. C’est sous ce titre qu’il fit avancer le procès de béatification de Pierre Fourier. À partir de 1676, il fut assistant du général, et le resta jusqu’à son élection au généralat en 1685. 9. Ecart de la commune de Ville-sur-Illon (Vosges). 10. Ce petit séminaire avait été fondé en 1664 par Nicolas Boban, curé du lieu, et Antoine Guyot, ancien aumônier de Charles IV. Incapables d’y maintenir longtemps des professeurs, ces prêtres confièrent à la congrégation de Notre-Sauveur la direction de l’établissement le 27 septembre 1684. CHAPELIER (C.), Le séminaire de Dommartin-lès-Ville, Saint-Dié, Humbert, 1890, p. 14. 11. Les négociations avaient commencé peu avant la mort du supérieur général Jean Etienne. À cette époque, d’Hangest affirme que « à raison du grand âge et des infirmités de son prédécesseur [Jean Etienne], c’étoit lui [Philippe George] qui avoit gouverné sous son nom la cong[régation] ». C’est donc Philippe George qui peut être retenu comme le principal responsable de l’implantation de Dommartin, comme plus tard de celle de Strasbourg. D’HANGEST (A.), Histoire générale du bienheureux P. Fourier (1754-1764), BM Nancy, ms 509-515 (366-367), tome II, p. 196‑197. 12. Il s’agissait bien d’une véritable maison, et non uniquement d’une paroisse, car le supérieur n’était pas institué par l’évêque mais était nommé par le général et pouvait être révoqué à tout moment. 13. La maison de Strasbourg était prévue pour accueillir six chanoines. Ils s’en tinrent à cet objectif ; en 1715, ce nombre n’était pas dépassé. Il augmenta un peu par la suite ; en 1743, ils y étaient au nombre de sept (AD 54 : H 1624), et c’était toujours le cas en 1768 (AN : 4 AP 81). À Dommartin, l’acte d’union de 1684 prévoyait l’entretien de trois religieux. Leur nombre était le même en juin 1730 (AD 54 : H 1623), en 1768 (AN : 4 AP 81), et en 1790 (AN : D XIX/11). 14. La bibliographie est très sommaire concernant la paroisse Saint‑Louis ; il faut citer essentiellement les travaux de Louis Châtellier qui replacent les débuts de la paroisse dans son contexte. 15. Notamment les mémoires du général Achille-François Massu (1692-1707) et les manuscrits du chanoine régulier Alexandre d’Hangest, historien de la congrégation dont les travaux, rédigés au milieu du XVIIIe siècle, sont restés inédits et parcellaires, une partie conséquente ayant été égarée. 16. RAPP (F.), dir., Le diocèse de Strasbourg, Paris, Beauchesne, 1982, p. 129. 17. Contrairement à l’hypothèse séduisante de Jules Rogie, Philippe George n’était pas natif de Morville‑sur‑Nied. ROGIE (J.), Histoire du B. Pierre Fourier, Verdun, Laurent, 1887-1888, tome III, p. 481-482. Cette supposition aurait certes donné une explication commode à ce dessein d’implantation strasbourgeoise. Les Annales de Saint-Bénin confirment que George, dont le nom n’était pas à consonance alsacienne, était originaire du Pays-Haut, soit de la région de Longwy (Annales du collège de Saint-Bénin dans la cité d’Aoste, BM Nancy, ms 532 (62), p. 12). Il faut donc bien lire Marville dans la Meuse et non pas Morville‑sur‑Nied. 18. Martin de Ratabon était fils d’un surintendant du roi. Il était connu de la cour depuis l’assemblée du clergé de 1682. 19. D’HANGEST (A.), Mémoires sur l’histoire du Bienheureux P. Fourier et de ses deux congrégations, BM Nancy, ms 503-505 (362), tome III, p. 98. 20. L’une d’entre elles devait revenir à l’ordre de Saint-Jean, la seconde à l’ordre de Saint- Antoine, et la troisième était destinée à un prêtre séculier. Ibid., tome III, p. 99. 21. Elle fut attribuée aux chanoines réguliers en mars 1687. Ibid., tome III, p. 99. 22. Avant leur venue, le lieu avait servi d’hôpital depuis 1311, sous le nom d’hôpital Sainte-Barbe. Vers 1475, l’hôpital avait été transféré rue Sainte-Barbe, et les locaux vides avaient été occupés

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par les carmes, appelés Frauen Brüder, lesquels étaient alors installés hors de la ville, près de la porte de l’hôpital. Les carmes ayant été chassés de leur nouvelle maison par les réformés protestants vers 1526, les lieux avaient servi depuis de magasin de suif et de charbon. Lettre du 25 septembre 1783, AMS : AA 2581. 23. La date de la reconstruction du XVIIe siècle, non connue, se situe en 1682 et 1687. 24. Le 13 juin 1687, il promettait au général qu’il pouvait compter sur « sa maison, et tout ce qui peut dépendre de sa co[mmun]auté », bien qu’il ait précisé le 9 mai « qu’il n’a eu de part à n[o]tre nouvel établissement à Strasbourg ». D’HANGEST (A.), Mémoires, op. cit., t. III, p. 100. 25. Le séminaire régi par Jean Dez et le collège qu’il dirigeait depuis 1685 ne pouvaient être concurrencés par cette modeste paroisse dans laquelle il n’était pas question d’enseigner dans les premiers temps. 26. Il partit avec l’abbé Henri-Charles Le Bègue de Domèvre-sur-Vezouze, et le prieur Charles de Maury de Toul. 27. MASSU (A.-F.), Mémoires du général Achille-François Massu de Fleury de la congrégation de Notre- Sauveur (1672-1705), BM Nancy, ms 2155 (1467), p. 87. 28. Ibid., p. 87. 29. Ratabon disait en juillet 1687 que cette maison était « une des plus belles de la ville ». Elle fut d’abord proposée pour 9 000 livres. Ratabon demanda à Louvois une participation de l’État aux frais liés à l’acquisition, et le roi s’engagea à en payer la moitié. L’intendant obtint que le prix soit finalement réduit à 8 000 livres. D’HANGEST (A.), Mémoires, op. cit., tome III, p. 100 et suivantes ; et AMS : AA 2581. 30. Mémoire de 1783, AMS : AA 2581. 31. La congrégation dut acquitter la moitié de la somme, soit 4 000 livres, qui furent réparties entre toutes les maisons et paroisses de Notre-Sauveur. Ainsi, le général George demanda le 24 octobre 1687 au prieur de Verdun « de faire paier avant le premier septembre prochain : – au Père Manchette, prieur et curé de Boncourt, 40 francs ; – au Père Baulieu, curé de Dannevoux, 50 francs, à quoi nous avons taxé lesdits curés pour le paiement d’une plus grande somme empruntée et emploiée à l’achapt d’une maison à Strasbourg » (AD 55 : 13 H 6). Les maisons qui n’avaient pas de liquidités durent emprunter afin de contribuer à l’effort de la congrégation pour acquérir cette maison. D’HANGEST (A.), Histoire générale, op. cit., tome II, p. 223. 32. MASSU (A.-F.), op. cit., p. 88. 33. Ibid., p. 90. 34. En mars 1687, Ratabon dit avoir obtenu du roi une pension de 1 500 livres destinée à l’entretien des religieux. D’HANGEST (A.), Mémoires, op. cit., tome III, p. 99. La pension payée par le roi passa rapidement à 2 050 livres et était encore fixée à ce niveau en 1754. Elle était financée par le don gratuit, comme les autres pensions des curés royaux d’Alsace (lettre de R. de Paulmy du 12 avril 1754, AMS : AA 2581). 35. MASSU (A.-F.), op. cit., p. 90. 36. Lettre du 25 septembre 1783, AMS : AA 2581. 37. Louis XIV fit 29 000 livres de dons en 1687 pour aménager ces nouvelles églises strasbourgeoises. 38. Il s’agissait de l’entrepreneur des fortifications Saint-André, chargé de restaurer l’église Saint‑Etienne, qui était précédemment à l’abandon, et celle des carmes appelée à devenir église Saint‑Louis. 39. CHATELLIER (L.), Reconstruction et contre-réforme. Le rétablissement du mobilier des églises catholiques à Strasbourg sous Louis XIV, in Revue d’Alsace, tome 104, 1966-1974, p. 56. 40. Ibid., p. 57. 41. MASSU (A.-F.), op. cit., p. 89. 42. Ibid., p. 90. 43. STINTZI (P.), Histoire de l’Eglise catholique en Alsace, Paris, Alsatia, 1947, p. 149.

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44. MASSU (A.-F.), op. cit., p. 91. 45. Sont actuellement conservés un registre comprenant, entre autres, inventaires, délibérations et donations pour la période 1748-1787 (AD 67 : H 1345) et un livre de recettes de la même confrérie couvrant la période 1765-1790 (AD 67 : H 1346). 46. Un exemplaire est conservé à Strasbourg (BNUS, M. 106.232). 47. L’édition de 1759, refondue, insistait particulièrement sur la présence réelle, ce qui montre une affirmation de l’esprit de controverse, moins sensible dans l’édition de 1708. FROESCHLE- CHOPARD (M.-H.), La dévotion du Saint-Sacrement. Livres et confréries, in DOMPNIER B. et VISMARA P. (dir.), Confréries et dévotions dans la catholicité moderne (mi XVe - début XIXe siècle), Rome, Ecole Française de Rome, 2008, p. 90. 48. « Pour estre receu il faut s’adresser à monsieur le supéieur de St Louis, qui sera directeur spirituel de la confrairie, ou à autre à sa place, qui proposera le postulant aux officiers principaux de ladite confrairie ». Heures de la confrairie du Très Saint Sacrement érigée dans la paroisse de Saint- Louis, Strasbourg, Schmouck, 1708, p. 2. 49. Les membres de cette société d’élite qui ne parvenaient pas à adopter de bonnes mœurs en faisant « quelque injustice ou mauvais traitement à son prochain, ou pour donner quelque scandale » étaient radiés de la liste des confrères. Ibid., p. 21. 50. Ibid., préface, et p. 17-20. 51. Ibid., p. 225. 52. Ibid., p. 85-87 et 113-115. 53. Ibid., p. 256-258. 54. Les confrères ne se joignaient aux processions conduisant le Saint-Sacrement aux malades que « sans s’incommoder ny déranger leurs affaires », Ibid., p. 17-18. 55. D’HANGEST (A.), Histoire générale, op. cit., tome II, p. 214-215. 56. Ibid., tome II, p. 218. 57. Alexandre D’HANGEST disait qu’au moment de l’installation à Strasbourg, en 1687, personne, dans la congrégation, ne pouvait parler allemand, d’où le recours à l’abbé de Marbach qui envoya deux religieux germanophones pour la prédication et la confession. Ibid., tome II, p. 218. 58. Ils y étaient toujours en novembre 1689. À cette date, la congrégation dut mobiliser la somme importante de 3047 francs pour payer leurs frais. D’HANGEST (A.), Mémoires, op. cit., tome III, p. 102 et 107. 59. En 1691, Jean-Baptiste d’Assule mourut dans la pension où il logeait à Dilingen. Quant à Claude-François Duval, il revint d’Allemagne en sachant bien l’allemand, mais pas assez pour pouvoir le parler en chaire. La congrégation renonça alors à ce type de formation d’individus déjà âgés pour attendre le recrutement de novices germanophones. D’HANGEST (A.), Histoire générale, op. cit., tome II, p. 231. 60. À la fin du XVIIe siècle, il fallut demander à l’abbaye alsacienne de Murbach un religieux qui fut « donné pendant 14 ou 15 ans […] pour desservir les Allemands de notre paroisse de Strasbourg ». MASSU (A.-F.), op. cit., p. 148. 61. D’Hangest note que les premiers chanoines de Notre-Sauveur germanophones capables d’être employés dans cette maison ne furent recrutés qu’à partir de l’extrême fin du XVIIe siècle. Il s’agissait de Fraie qui fit profession en 1699, de Kikler en 1700, et de Damville en 1701. Ibid., p. 231. 62. Ibid., p. 91. 63. Mémoire de 1784, AMS : AA 2581. 64. « Depuis que l’erreur et l’impiété se sont soulevez contre cet auguste mystère [du Saint- Sacrement], l’Eglise a jugé à propos de soutenir la foy chancelante des uns, et de confondre les égarements des autres […] afin que les premiers ne devinssent ny infidèles ny incrédules, et que les autres, comme dit le Concile de Trente, confus et confondus à la veüe du culte que nous luy rendons rentrassent dans les justes voyes, dont ils se sont si injustement écratez ». Heures de la

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confrairie du Très Sainct Sacrement. Erigée dans la paroisse de Saint-Louis, par authorité de S.A. Monseigneur le Prince de Rohan, évêque et prince de Strasbourg […], Strasbourg, Schmouck, 1708, p. 134-135. 65. L’essentiel du propos des Heures de la confrairie du Très Sainct Sacrement concernait la manière dont la communauté des fidèles devait s’organiser. Les protestants ne sont cités que de manière anecdotique. Les chanoines réguliers étaient donc sur la défensive, en cherchant à encadrer la société dévote, afin d’éviter que les catholiques nouvellement arrivés à Strasbourg ne se mélangent aux protestants et n’adoptent leurs options spirituelles. 66. Strasbourg comptait 6 000 catholiques en 1697, contre 2 400 en 1686. CHATELLIER (L.), Reconstruction et contre-réforme. Le rétablissement du mobilier des églises catholiques à Strasbourg sous Louis XIV, in Revue d’Alsace, tome 104, 1966-1974. 67. AMS : AA 2581. 68. MASSU (A.-F.), op. cit., p. 91. 69. Ville située en Franche-Comté, à proximité immédiate des frontières actuelles de la Lorraine et de la Champagne ; les localités vosgiennes de Monthureux-sur-Saône et de Les Thons sont voisines de Jonvelle. 70. D’HANGEST (A.), Mémoires, op. cit., tome III, p. 95. 71. Le chanoine régulier Clément Sébastien avait été envoyé en mission à Fort-Louis en janvier 1689. Puis, en mai de la même année, Ratabon demandait que Nicolas Votelet y soit envoyé. Ibid., tome III, p. 103. 72. Fort-Louis, en Alsace, est une ville fortifiée dont la construction fut décidée en 1686 pour compléter la ceinture de fer entourant le royaume de France. La première pierre fut posée par Vauban en 1687. 73. Le premier gouverneur, qui semblait apprécier les chanoines réguliers, est décédé rapidement, suivi de près, en août 1689, par Nicolas Votelet qui avait été envoyé dans la place forte. Ces évènements inattendus ont pu jouer pour précipiter l’échec de cette implantation. Les chanoines réguliers ont pourtant continué à s’investir dans cette place forte, puisqu’en 1690, il était encore question d’eux, Sébastien Clément étant curé et Henri Trompette étant directeur de l’hôpital. D’HANGEST (A.), Mémoires, op. cit., tome III, p. 106. Mais ils abandonnèrent ensuite la place, puisqu’il n’est plus question d’eux par la suite. On sait notamment que Trompette passa dans la cure du Tholy (Vosges) dès 1691. 74. Lettre du cardinal de Rohan au général Legagneur, 13 juillet 1712. AD 54 : H 1498. 75. L’intendant de la Galazière disait en 1781 que « la plus part des paroissiens aisés [de cette paroisse] sont luthériens, que les catholiques au contraire sont presque tous des artisans pauvres ». Lettre de l’intendant d’Alsace de la Galaizière au ministre de la guerre, 19 septembre 1781, AMS : AA 2581. 76. Lettre au président et conseillers de la régence de l’évêché de Strasbourg, 1692. AD 67 : G 1514. 77. Il n’était pas question de réformer cette collégiale séculière qui n’avait alors plus que deux membres. Il s’agissait de la supprimer, d’unir les revenus à la maison de Strasbourg, et d’obliger les chanoines réguliers lorrains à desservir Surbourg qui de collégiale serait devenue simple paroisse après la mort du chanoine séculier Jean George Henry Giettlin. 78. La collégiale de Surbourg fut finalement transférée à Haguenau. 79. AMS : AA 2581. 80. Il s’agissait de réparations dont le détail ne nous est pas parvenu. L’argent fut prélevé sur la caisse des fourrages. 81. Une inondation avait alors « fait enfoncer le pavé de l’église ». L’aide fut accordée par « monsieur de Broux, alors intendant, [qui] envoia le jour de Noël même des ouvriers pour réparer le dégât que les eaux avoient causées ». Lettre de la Galaizière du 19 septembre 1781, AMS : AA 2581.

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82. Il s’agissait principalement de travaux à réaliser à l’église et dans la sacristie. Un premier devis établi en 1750 estimait que les travaux à réaliser coûteraient la somme impressionnante de 24 000 livres. Ce devis n’a probablement pas été accepté par les représentants du roi puisqu’un second devis de 1753 proposait d’affecter 5 500 livres aux réparations urgentes de l’église, et 1 300 livres aux fournitures de l’église. Finalement, le roi octroya 8 000 livres en 1756, à prélever en huit annuités sur l’abbaye de Marbach. Les religieux dépensèrent 9 992 livres au total, ayant décidé de fournir la sacristie au-delà de ce qui était prévu. La maison de Strasbourg employa une partie considérable de cet argent pour orner l’église dans la grande tradition de la liturgie post- tridentine. 2 496 livres étaient dépensées pour les ornements, 105 livres servirent à « rafraîchir le grand crucifix », 354 livres furent versées à un orfèvre pour un calice, et 24 livres permirent d’acheter des burettes. Au final, plus d’un tiers de la somme allouée par le roi fut ainsi mise au service de la magnificence du culte. AMS : AA 2581. 83. AMS : AA 2581. 84. Le chanoine de Notre-Sauveur Pierre-Martin de l’Orme, frère adjuteur et facteur d’orgues, travailla sur l’orgue de Saint-Louis de Strasbourg à partir de 1714. Il avait précédemment reconstruit l’orgue de l’abbaye de Saint-Pierremont de 1700 à 1702, puis construit l’orgue de l’abbaye de Chaumousey de 1711 à 1714. 85. Mémoire des avocats du conseil souverain d’Alsace Kieffer, Reichstetter et Dubois, 22 octobre 1783. AMS : AA 2581. 86. En 1768, pour toute la congrégation, seulement 6 religieux provenaient du diocèse de Strasbourg, et 5 du diocèse de Bâle, ce qui confirme la médiocre intégration de la maison de Strasbourg dans son environnement. 87. Ce dernier devint supérieur général en 1772. 88. AD 54 : H 1624. 89. AN : 4 AP 81, p. 192. 90. AN : D XIX/73. 91. AMS : AA 2581. 92. GASS (J.), La confrérie du Saint-Sacrement à Saint-Louis de Strasbourg, in Revue Catholique d’Alsace, 1928, p. 648. 93. AMS : AA 2581. 94. AMS : AA 2581. 95. AN : 4 AP 81, p. 6. 96. AN : G 96. 97. AN : D XIX/11. 98. AN : D XIX/73. 99. Il ne reste de l’église du XVIIe siècle que les fondations. FRIES, « Églises de Sainte-Madeleine, de Saint-Louis et de Sainte-Catherine à Strasbourg », in Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace, 1863.

RÉSUMÉS

Avec l’époque moderne, le temps était venu pour les congrégations religieuses de redéfinir leurs fonctions. Certaines, comme la congrégation lorraine de Notre-Sauveur, décidèrent de s’orienter vers la pastorale. Or la ville de Strasbourg, devenue française à la fin du XVIIe siècle, offrait un

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champ d’expérimentation nouveau pour ces religieux déterminés à faire progresser leur foi au- delà de la dorsale catholique, en cette terre de mission qu’était l’Alsace protestante. Toutefois, le bilan ne fut pas à la hauteur des attentes de la monarchie et des espérances des religieux : une fois passé l’enthousiasme des premières années, la paroisse Saint-Louis de Strasbourg se limita à entretenir la foi des catholiques francophones. Privée de moyens, elle déclina au XVIIIe siècle et disparut sans bruit avec la Révolution, non sans avoir marqué durant plus d’un siècle la vie religieuse strasbourgeoise.

In the 17th century time had come for religious congregations to redefine their function. Some, like the “Our Holy Saviour” congregation of Lorraine decided to favor pastoral care. The city of Strasbourg which had become French in the 17th century offered a new field of experimentation to clerics who had determined to promote their catholic faith in protestant Alsace. However, the result turned out to be less successful than expected by the king and the religious congregations. After an initial period of enthusiasm, the Saint-Louis parish in Strasbourg had to put up with ministering to the French speaking parishioners. As it was later deprived of financial resources, it slowly and quietly died out with the French Revolution, having, nevertheless, played a decisive religious role for over 100 years in Strasbourg.

Die Moderne zwingt die religiösen Kongregationen, ihre Bestimmung neu zu definieren. Die „Congrégation Lorraine de Notre Saveur“ entscheidet sich, wie einige andere auch, sich der Seelsorge zu widmen. Es war die Zeit (Ende des XVII, Jh), in der Straßburg französisch geworden war. Was lag für diese entschlossenen Geistlichen näher als zu glauben, das protestantische Elsaß sei für sie ein neuartiges Experimentierfeld, wo sie jenseits ihres katholischen Hinterlandes ihren Glauben verbreiten könnten. Die Bilanz war allerdings mager. Sie entsprach weder dem, was die Monarchie erwartet hatte, noch dem, was die Geistlichen sich erhofft hatten. Nach der Begeisterung der ersten Jahre, beschränkte sich die Pfarrei Saint-Louis auf den Seelsorgedienst für die frankophonen Katholiken. Im XVIII. Jh. wurden die Mittel immer weniger und parallel dazu die Aktivität der Pfarrei immer kleiner. Bei Ausbruch der Revolution verschwand die Kongregation schließlich ganz und ohne Aufhebens. Trotzdem muß betont werden. Mehr als ein Jahrhundert hatte sie großen Einfluß auf das religiöse Leben Straßburgs.

AUTEUR

CÉDRIC ANDRIOT Docteur en histoire, Université de Nancy

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Recherches sur le Magistrat du Rhin Researches on the Magistrat du Rhin Forschungen über den „Magistrat du Rhin“ (1808-1815)

René Descombes

Introduction

1 Après les victoires de Bonaparte en Italie, la Paix de Lunéville (1801), confirmant celle de Campoformio (1797), attribuait à la France la rive gauche du Rhin, de la frontière helvétique jusqu’à la frontière néerlandaise.

2 La France, devenue principale puissance rhénane, pour peu de temps il est vrai, négociant avec l’Empire et les princes allemands de la rive droite du fleuve, mit en application les déclarations de la fameuse résolution du Conseil exécutif provisoire de la Convention du 16 novembre 1792. Elle est reprise dans la « Convention de l’octroi de la navigation du Rhin », signée le 15 août 1804, intéressant la réglementation et la perception en commun de péages plus ou moins uniformisés sur le fleuve, ainsi que l’entretien des chemins de halage et du chenal de navigation.

3 C’est dans le cadre de la Convention de l’octroi du Rhin qu’une commission siégeant à Strasbourg sous le nom de « Magistrat du Rhin » fut créée par la France par décret impérial du 27 octobre 1808 : elle était chargée « de l’examen et de la décision sur toutes questions relatives à la conservation de la rive gauche du Rhin depuis Huningue jusqu’à la frontière de Hollande, et de la rive droite à Kehl, Cassel et autres territoires appartenant à l’Empire français ».

4 C’est aussi dans le cadre du « Magistrat du Rhin » que furent entrepris les pourparlers avec les services badois, en vue de mettre au point un programme coordonné de protection contre les crues du Rhin ; c’est en effet dès 1812 que le colonel badois Johann Gottfried Tulla (1770-1828) présente son projet de rectification ou « correction » du Rhin, qu’il précisa ensuite dans deux mémoires de 1822 et 1825.

5 Cette commission, dont l’action fut étendue en 1813 à l’ensemble des deux rives du fleuve depuis Huningue jusqu’à Wesel, fonctionna de 1809 à 1814, et peut être

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considérée comme l’ancêtre directe de la « Commission Centrale pour la navigation du Rhin », création du Congrès de Vienne.

6 C’est à peu près tout ce que l’on sait du « Magistrat du Rhin », lorsque l’on consulte les ouvrages intéressant la navigation et la liberté de navigation sur le Rhin1.

7 Mon propos n’est pas de présenter une « Histoire du Magistrat du Rhin », qui serait sans doute trop lacunaire, compte tenu du peu de documentation à laquelle j’ai eu accès ; je me bornerai donc simplement à ces « Recherches sur le Magistrat du Rhin », dans un cadre limité.

8 Cette absence de documents, explique en partie le fait que nombre d’auteurs qui ont traité du Rhin, de la navigation rhénane ou de la liberté de la navigation fluviale, ne mentionnent pas et ignorent le Magistrat du Rhin2.

Les antécédents

9 Les puissances riveraines se sont de tous temps préoccupées de « libérer » de ses contraintes la navigation sur le Rhin en particulier, dans leur propre intérêt, et en vue d’établir de meilleures relations commerciales.

10 Chaque souverain local percevait des taxes sur les transports fluviaux ; de nombreux péages entravaient la navigation ; Cologne, Mayence et Strasbourg jouissaient du « droit d’étape » ; les monopoles de navigation accordés aux corporations de bateliers étaient abusifs.

11 Cet état de choses était parfaitement insupportable.

12 Les Traités de Munster en Westphalie (1648) sont à l’origine de la longue et difficile conquête de la liberté de la navigation fluviale, notamment sur le Rhin3.

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Le Pont du Rhin dit « Pont Napoléon », 1808-1816 avec l’arc de Triomphe en rive française

In : Strasbourg illustré - un panorama pittoresque historique et statistique de Strasbourg et de ses environs, par Frédéric Piton, Strasbourg : Piton F., 1855, 1 pl. p. 20 ; NBI 1. Photo BNU.

13 Les recommandations de l’art. 85 du Traité de Munster : « Que dorénavant le trafic et le transit soient libres aux habitants de l’une ou l’autre rive du Rhin et des provinces adjacentes, surtout que la navigation du Rhin soit libre et qu’il ne soit permis à aucune des parties d’empêcher, de retenir, arrêter ni molester sous quelque prétexte que ce soit, les bateaux … » restèrent lettre morte pendant longtemps encore.

14 Cette notion de liberté de la navigation fluviale est cependant mentionnée dans toute une série de traités : Traité de Ryswick (1697), Traité de Bade (1714), ainsi que dans la résolution du Conseil exécutif provisoire de la Convention (1792) : « Le cours des fleuves est la propriété commune et inaliénable de toutes les contrées arrosées par ses eaux » et « une nation ne saurait empêcher les peuples voisins qui bordent les rivages supérieurs de jouir des mêmes avantages qu’elle-même ». De même, le Traité de la Haye (1795), le Traité de Campoformio (1797), le Traité de Lunéville (1801) : ce n’étaient que vœux plus ou moins pieux !

15 François Henri Hennenberg (1716-1796) est nommé « Commissaire du Roi pour la navigation du Rhin » en 1772, fonction qu’il exerça jusqu’en 1792, en résidence à Strasbourg. Les attributions de ce diplomate sont comparables à ce que seront celles du « Magistrat du Rhin ». François Henri Hennenberg recevait ses instructions diplomatiques du Secrétaire d’État des Affaires extérieures de Louis XVI, Charles Gravier de Vergennes (1717‑1787), en fonction jusqu’à sa mort en 1787. Les affaires rhénanes furent au centre de ses préoccupations, assurant la présence française sur le Rhin pendant cette période4.

16 Le 15 août 1804 enfin fut signée à Paris la Convention de l’octroi de navigation du Rhin, un règlement de 132 articles. La base en est le principe énoncé à l’art. 2 ; à la vérité, l’axe du thalweg du fleuve formait la limite entre la France et l’Allemagne, mais le Rhin

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devait toujours être considéré sous le rapport de la navigation et du commerce, comme un fleuve commun entre les deux Empires. Cette Convention, écrit Ed. Engelhardt, est le premier code moderne de législation internationale des fleuves, l’acte auquel le Congrès de Vienne a emprunté dans la suite la plupart des maximes générales que le droit contemporain a consacrées … Elle marque l’époque florissante de la navigation rhénane, elle eut surtout le mérite de réaliser cet état de communauté encore indéfinie qui inaugurait l’arrêté républicain de 1792 … Une direction générale permanente, revêtue d’un mandat collectif dans la personne de son unique titulaire, remplaça les différentes autorités locales.

17 Le principe de liberté ne tarda pas à être appliqué à d’autres fleuves européens. En ce sens stipulèrent le Traité de Tilsit (1807) pour la Vistule ; la Convention d’Elbing pour plusieurs cours d’eau ; la Convention de 1810 qui suivit la Paix de Friedrichshamm pour différentes rivières coulant entre la Russie et la Suède ; le Traité de 1811 relatif à l’Elbe. Mais tout cela ne concernait que les riverains.

18 Un décret du 14 novembre 1807, pris dans le cadre de la Convention de l’Octroi du Rhin, réglemente l’entretien et la surveillance des digues du Rhin « sur l’étendue du cours de ce fleuve dans l’empire français ». Il fixe les caractéristiques des endiguements et les servitudes des propriétaires riverains. C’est ce même décret qui crée le corps des « gardes-digues » et qui détermine leurs fonctions, leurs responsabilités et leurs obligations.

19 On peut encore rappeler, à ce sujet, non plus parmi les antécédents du Magistrat du Rhin, mais parmi ses « successeurs », postérieurement également à la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin, les « Inspecteurs du Rhin », créés par la Convention révisée de Mannheim du 17 octobre 1868, art. 41 et 42, dont les attributions théoriques sont analogues à ce que seront celles du Magistrat du Rhin : veiller à la liberté de la navigation, et s’assurer que la voie d’eau est bien entretenue5.

20 En 1810, Napoléon retoucha l’œuvre de 1804 : il l’amoindrit, il ferma la navigation du Rhin à l’amont de Nimègue, et à partir de ce point jusqu’aux sources, il la réserva aux bâtiments français. En 1813 les événements de Hollande et l’établissement d’une administration fluviale basée sur les principes qui prévalaient au XVIIIe siècle, ajoutèrent aux difficultés de tout genre. De là l’affirmation de principe qui est contenu dans l’art. 5 du Traité de Paris du 30 mai 1814.

Le Magistrat du Rhin

21 C’est alors que dans le cadre des dispositions de la Convention de l’octroi de navigation du Rhin, fut institué le « Magistrat du Rhin », par un décret en date du 27 octobre 1808.

22 Les 16 articles de ce décret, reproduit en Annexe 1, et auxquels il faut nécessairement se reporter, nous font connaître les attributions officielles du Magistrat du Rhin. Elles sont étendues.

23 Sans vouloir paraphraser ce texte, disons que toutes les affaires du Rhin, tous les projets techniques dressés par les ingénieurs des ponts et chaussées, tous les contentieux divers occasionnés par les travaux du Rhin, doivent être soumis au Magistrat du Rhin ; les négociations avec les autorités de la rive droite du Rhin sont également de son ressort.

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24 On peut supposer que les ingénieurs du Service ordinaire des ponts et chaussées (le « Service spécial des travaux du Rhin » ne sera créé que bien plus tard, en 1827), n’ont pas vu d’un œil bienveillant l’institution de ce Magistrat du Rhin, qui leur était imposé, et auquel ils étaient en quelque sorte subordonnés.

25 Le Magistrat du Rhin, « parachuté » par l’Administration centrale parisienne, nouvel échelon administratif, n’a pas été très bien accueilli à Strasbourg, et on peut le comprendre.

26 Les récriminations du premier Président du Magistrat du Rhin, Jean François Merlet, semblent ainsi s’expliquer en partie.

Jean François Merlet, Président du Magistrat du Rhin

27 On relève dans l’Annuaire du Bas-Rhin de 1810, la composition du Magistrat du Rhin (décret du 19 mars 1809) : • M. Merlet, Maître des requêtes, Baron d’Empire, Président ; • MM. Lafond et Duval de Beaulieu, Auditeurs au Conseil d’État, Membres de la Commission. • M. Morel, Greffier (plans, devis, titres de propriété…) ; • M. Dutuyau, Secrétaire ; • M. Wambourg, Interprète.

28 La personnalité de Jean-François Merlet a été étudiée par Roger Lévêque, auquel nous empruntons ce qui suit6. En fait, tout ce que l’on sait sur le Magistrat du Rhin passe par Jean‑François Merlet.

Portrait de Jean François Merlet (1761-1830)

Conservé au Château du Pont‑de‑Varenne (Maine-et-Loire).

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Jean-François Merlet : un révolutionnaire de l’Ouest

29 Jean-François-Honoré Merlet est né à Martigné-Briand, près de Doué, en Maine-et- Loire, le 26 septembre 1761. Il fait son droit à Angers et se fixe comme avocat à Saumur. Il adopte très vite les idées révolutionnaires. Il rédige en 1789 les cahiers de doléances du Tiers État de sa circonscription. Il est major de la garde nationale (juillet 1789), conseiller municipal de Saumur, procureur-syndic du district (juin 1790). Il crée à Saumur la « Société des Amis de la Constitution », affiliée au Club des Jacobins de Paris. Il est élu député à l’Assemblée Législative en septembre 1791. Il fut même un temps Président de cette Assemblée (août 1792). Devenu suspect sous la Terreur, il se réfugie à Saumur chez des amis. Après le 9 thermidor (27 juillet 1794), il reprit ses activités d’avocat à Saumur. Il est élu conseiller général de Maine-et-Loire le 1er juin 1800. C’est alors qu’il est nommé préfet de la Vendée (décembre 1800), où il exercera ses fonctions pendant huit ans. Jean-François Merlet a le grand mérite d’avoir été l’artisan principal de la « pacification » de la Vendée. Le transfert de la préfecture de la Vendée de Fontenay à La-Roche-sur-Yon (1804), devenu « Napoléon-Ville », au prix de difficultés sans nombre, reste l’un de ses titres de gloire. Il est cependant destitué par Napoléon, en même temps que l’ingénieur-en-chef qui dirige les travaux, mécontent de la lenteur des travaux de réalisation du nouveau chef-lieu du département, lors de sa visite à La- Roche-sur-Yon le 8 août 1808. Son successeur sera Prosper de Barante, qui sera préfet jusqu’en 1813. Merlet refuse sa nomination comme préfet de Maine-et-Loire à Angers, puis de la Roër à Aix-la-Chapelle en février 1809. C’est alors qu’il accepte la présidence du « Magistrat du Rhin » à Strasbourg (mars 1809), qu’il exercera jusqu’en 1812. Conseiller d’État aux Cent-Jours, à compter de 1815, Jean-François Merlet se retire dans le canton où il est né. Il meurt le 16 décembre 1830 à Louresse-Roche-Ménier, dans sa propriété du château de Pont-de-Varenne (Maine-et-Loire). Il était commandeur de la Légion d’Honneur (An XII), maître des requêtes au Conseil d’État (1806). Marié à Marie Madeleine Clément (1764‑1828), Jean-François Merlet eut trois enfants : Marie Eugénie (1785‑1876), Caroline (1794‑1890) et Jean-Jacques (1796‑1851). La personnalité riche de Jean François Merlet, son humanité, en ont fait l’homme clef de la pacification de la Vendée. Son séjour à Strasbourg, qui se présentait comme une promotion, a inauguré une longue période de déboires. Privé, à son arrivé en poste, des avantages diplomatiques qu’on lui avait fait miroiter, il a démissionné lorsqu’il comprit que sa situation ne s’améliorerait pas. Il a ensuite espéré en vain que l’Empereur ou ses amis haut placés lui retrouveraient de l’emploi. L’immense crédit dont il jouissait en Vendée lui a permis de nourrir encore cet espoir sous la Première Restauration. Bouleversé par les changements de régime, il a malgré tout accepté sous les Cent Jours de répondre à l’invitation de son ami Carnot, et de rejoindre au Ministère de l’Intérieur l’équipe qui préparait les élections de mai. Waterloo lui a fait perdre toute illusion. Il est rentré chez lui, à Doué-la-Fontaine, poursuivi par ses créanciers que rien ne retenait plus, et seule la générosité de son gendre l’a sauvé de la misère7.

30 Jean-François Merlet, nommé sur le Rhin

31 La date d’entrée en exercice du Magistrat du Rhin a été fixée au 1er janvier 1809 ; la composition de la Commission n’est précisée qu’un peu plus tard, par le décret du 19 mars 1809.

32 Jean-François Merlet est tout d’abord très enthousiaste de cette nomination. Ces fonctions lui plaisent ; un traitement « considérable », peu de responsabilités, une

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résidence agréable à Strasbourg … ainsi qu’il l’annonce à son épouse, les 17 et 20 mars 1809 (annexe 2). Cependant dès le 8 avril, il déchante : ses attributions seraient réduites, ses émoluments également réduits de moitié, des difficultés d’installation à Strasbourg semblent se profiler … (Lettre du 8 avril à son épouse - annexe 2).

33 Jean-François Merlet se résout à rejoindre son poste et arrive à Strasbourg le 23 avril 1809, où il rencontre effectivement certaines difficultés à se loger et à installer son service. Voilà douze jours que nous sommes rendus à Strasbourg, écrit Jean-François Merlet au ministre de l’Intérieur, le 3 juin 1809 ; après en avoir passé deux à l’auberge, nous avons été établis par billet de logement chez un particulier qui nous a accueillis avec complaisance ; mais que notre présence gêne beaucoup : nous avons fait toutes les démarches imaginables pour louer à quelque prix que ce soit, même provisoirement, le local le plus médiocre, et nous n’avons pu y parvenir… Pour un appartement de huit pièces, on nous demande 2 400 F. par mois ; pour un rez-de- chaussée obscur et un premier étage de cinq pièces, on nous demande 6 000 F. par année.8

34 Le traitement annuel de Jean-François Merlet est de 48 000 F. ; il est prévu que le Magistrat du Rhin sera logé dans des bâtiments appartenant à l’État ou dans tous autres dont le loyer sera aux frais de l’administration publique. Le Maire de la ville, poursuit Jean-François Merlet, auquel nous nous sommes adressé, (c’est alors Louis-François de Wangen de Geroldseck, maire de Strasbourg de 1806 à 1810), nous a manifesté d’abord de l’empressement et de la bonne volonté, mais tout s’est réduit à des billets de logement, comme si nous eussions été des militaires passagers. On ne nous présente d’autres ressources que l’acquisition d’une maison, et Votre Excellence sait si nous pouvons personnellement en acquérir une, dans la position où nous sommes.9

35 Mais Jean-François Merlet se plaint surtout de sa situation ; il pensait sans doute qu’il serait reçu à Strasbourg avec tous les égards dus à un représentant de l’État, ayant rang de diplomate. Or ce n’est pas le cas. « Cependant la Commission est installée, écrit-il ; déjà elle est chargée de l’examen de plusieurs affaires, et elle n’a même pas un bouge pour y former ses archives et y établir un seul bureau. Je ne dirai pas à Votre Excellence combien il est humiliant d’être sur le pavé, dans une grande ville où la moindre branche d’administration occupe de vastes hôtels ; je lui dirai que nous n’avons pas même gîte ». Et il poursuit, toujours avec la même amertume, en épiloguant sur les problèmes matériels et sur la résidence de Strasbourg, qui manifestement ne lui plait guère.10

36 Jean-François Merlet parlait-il allemand ? Sans doute pas. Cela pourrait être l’un des motifs pour lesquels il s’adapte difficilement à cette ville. Ce ne sont que jérémiades et lamentations ! Je ne crois pas que l’intention de Sa Majesté, je ne crois pas que l’intention de Votre Excellence, aient été de nous réduire à l’état pitoyable où nous sommes, état proche de la dégradation ; partout ailleurs, je pense que l’on se fut empressé de nous accueillir, et je ne puis concevoir quel mauvais génie nous repousse, à moins que certaines personnes ne nous regardent comme des gens incommodes, nous cependant qui ne devons nous occuper que d’objets absolument étrangers à l’administration ordinaire, et dont l’arrivée modeste n’a annoncé aucune prétention. Il vous appartint, Monseigneur, de faire cesser l’embarras où nous sommes, soit en prescrivant qu’on nous loge d’une manière quelconque, soit en nous autorisant à fixer notre résidence ailleurs, au moins provisoirement.11

37 Jean-François reviendra à différentes reprises, comme un leitmotiv, sur son idée de transférer le siège du Magistrat du Rhin ailleurs, soit à Paris ! Quoiqu’il en soit, Jean-

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François Merlet entreprend son premier voyage d’inspection sur le Rhin, qui le mène de Strasbourg jusqu’aux frontières des Pays‑Bas, et il fait son rapport à sa hiérarchie (juin 1809). Je joins ici, écrit-il, le rapport de cette première tournée faite avec rapidité, mais où néanmoins nous avons pris assez de connaissance des localités pour pouvoir nous diriger avec plus d’assurance dans les circonstances qui pourront se présenter. Je ne dois pas dissimuler à Votre Excellence que les inondations extraordinaires de l’hiver dernier, ont presque détruit, ou au moins dégradé les ouvrages défensifs du Rhin dans beaucoup de parties, et que les fonds accordés pour le budget de 1809 sont bien loin de suffire à réparer les ravages qui ont eu lieu. Je désire que Votre Excellence voie dans notre début une première preuve que nous voulons remplir notre mission avec zèle.12

38 En effet, en 1809, le Rhin, surtout dans sa partie inférieure, en Hollande notamment, causa beaucoup de dégâts. Au mois de janvier 1809, les environs de Clèves éprouvèrent une affreuse inondation ; les digues les plus fortes ne purent s’opposer à l’impétuosité du fleuve. Le mal fut très grand ; dans une seule campagne, il fut réparé d’après les ordres de l’empereur : plus de 500 000 fr. furent dépensés dans le Département de la Roër13. Nous sommes revenus à Strasbourg, poursuit Jean-François Merlet, sans avoir pu nous procurer de logement pendant notre absence ; c’est ce qui nous a déterminé à louer une maison de campagne, distante de la ville d’environ une lieue. Nous comptons y résider pendant l’été malgré les inconvénients qui doivent en résulter ; espérant que d’ici à quelques mois les difficultés que nous avons éprouvées pourront s’aplanir.14

39 Dans son rapport annoncé, en date du 3 juin 1809, Jean-François Merlet s’intéresse naturellement aux travaux du Rhin, mais présente également des vues générales sur le fleuve et son administration, qui ne sont peut-être pas de sa compétence. De nombreux problèmes se posent au Magistrat du Rhin.

40 Il relate sa visite au Bac de Drusenheim. Quant à l’ouvrage dit « Kohlgiessen », (ou Kohlengiessen, un bras du Rhin, près de Dalhunden), il juge, et il n’est pas le seul, qu’il a un caractère offensif, en contradiction avec les dispositions de l’art. 16 du décret du 27 octobre 1808, qui a contraint la Régence de Bade à construire des éperons qui ont rejeté le fleuve sur la rive gauche ; d’où le projet de construction du barrage du Wildengiesen ! Dans le Département du Mont-Tonnerre, le Rhin à val d’Oppenheim, menace des maisons, un village et la route de Mayence : il propose de déplacer le tracé de cette route à mi-côte. La route de Coblence à Bingen est en mauvais état, et sa réfection s’impose. Dans le département de la Roër, Jean-François Merlet s’intéresse aux « oseraies » qui ont été plantées sur la rive droite du fleuve, de préférence aux fascines, et qui ont résisté aux dernières inondations, alors que sur la rive gauche, des digues ont été emportées, des champs ensablés, des habitations détruites.

41 Jean-François Merlet, en bon administrateur, s’élève contre l’exécution de travaux par anticipation, c’est-à-dire avant l’ouverture des fonds du budget ; une pratique abusive qui doit cesser. Il s’étonne aussi que, dans les Départements de Rhin-et-Moselle et dans le Roër, ce soit toujours les mêmes entrepreneurs qui sont adjudicataires des travaux du Rhin ; il ne semble pas y avoir de mise en concurrence. Cependant la compétence des ingénieurs, M. Brigny à Strasbourg, Fournet à Coblence, et l’inspecteur divisionnaire Six (Mayence), n’est pas mise en cause. Puis le président du Magistrat du Rhin aborde la question des limites frontalières. On sait que la délimitation par le thalweg est très

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fluctuante ; des îles peuplées changent ainsi de patrie ; des ouvrages dispendieux sont réalisés de part et d’autre, une véritable guerre des digues et contre-digues. Pour éviter ces inconvénients, écrit Jean-François Merlet, la France seule devrait posséder les deux rives du fleuve ; son commerce, son système de douanes l’exigent. L’examen de cet objet, ajoute-t-il, peut paraître étranger aux missions de la Commission !15

42 Sur sa lancée, Jean-François Merlet critique les dispositions de la Convention de l’octroi de navigation du Rhin (1803), quant à la cession d’une partie des droits et péages de la rive droite au Prince Primat (Mayence), qui n’est pas possessionné sur cette rive, « la plus importante et la plus onéreuse des dispositions de la Convention de l’octroi ». Il s’étend assez longuement à ce sujet. Il ajoute que la police de la navigation du Rhin, devrait appartenir à la seule Commission, le Magistrat du Rhin. Jean-François Merlet est cependant bien conscient que ces observations excèdent ses attributions. En effet, à réception du rapport de Jean-François Merlet, le Ministre de l’intérieur, M. Crétet, dès le 28 juin 1809, s’adresse en ces termes au président du Magistrat du Rhin : Vous traitez d’abord les objets qui sont de la compétence du Magistrat, c’est-à-dire les travaux qui intéressent la rive gauche et la rive droite du Rhin, et tout ce que vous avez constaté lors de la tournée que vous avez faite. Je vois avec satisfaction que votre attention a été portée sur une infinité de points dans l’intérêt de tous les départements riverains … Quant à la seconde partie de votre rapport qui comporte des objets dont le Magistrat du Rhin n’a point à s’occuper directement, elle est une nouvelle preuve de votre zèle. Je prendrai en considération plusieurs de vos réflexions ; mais je ne suis point appelé moi-même à juger la question de la réunion dans une seule main des deux rives du Rhin, et des produits de l’octroi. D’ailleurs, pour apprécier à cet égard la position du Prince Primat, le Magistrat manquait des notions suffisantes sur les faits qui ont précédé la Convention de l’octroi du Rhin.16

43 Malgré ce rappel à l’ordre, Jean-François Merlet revient l’année suivante sur l’organisation du Magistrat du Rhin, et notamment sur la résidence à Mayence de l’inspecteur divisionnaire des Ponts et Chaussées, M. Six (dans une note en date du 14 août 1810). Cette résidence, éloignée de près de 50 lieues de Strasbourg semble le gêner, et constituer un obstacle à l’expédition prompte des affaires ; il voudrait la ramener à Strasbourg.

44 Il estime encore que la Commission dans son état actuel, est incomplète, et qu’elle n’obtiendra aucun résultat tant : qu’elle n’embrassera pas les travaux des deux rives … Il me parait indispensable même, d’engager les États de la rive droite à adjoindre des commissaires à la Commission française. À certaines époques cette commission mi-partie se réunirait, concernant les travaux des deux rives qui se feraient sur les mêmes bases, sur des données admises en commun. Voilà le seul moyen de faire cesser tous sujets de plainte de part et d’autre.17

45 Cette Commission mi-partie serait très utile également pour résoudre les problèmes de limite frontalière.

46 Il dit avoir eu des contacts avec les Grands Duchés de Bade et de Berg, les Duchés de Nassau et de Darmstadt, qui seraient très favorables à leur participation au Magistrat du Rhin, sous la forme de trois commissaires. Cette idée fera son chemin, pour aboutir en 1813. Mais en dehors de la réorganisation du Magistrat du Rhin, ce qui préoccupe le plus Jean-François Merlet, c’est son souhait de quitter Strasbourg. Dans une longue requête en date du 22 août 1810 adressée au Ministre de l’intérieur, M. de Montalivet, il

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développe tous les avantages qu’il aurait à transférer le siège du Magistrat du Rhin à Paris, notamment pour la rapidité et de l’efficacité des rapports entre le magistrat et l’administration centrale pour l’instruction et l’approbation des projets de travaux du Rhin. Mais aussi dans son intérêt personnel ! Si aucune suite ne semble avoir été donnée à ces propositions, Jean-François Merlet reçoit le titre de Baron d’Empire, par lettres patentes en date du 9 septembre 181018. Cette promotion, qui apparaît comme une pression pour le convaincre de demeurer à Strasbourg, ne le satisfait pas, et on le voit « traîner les pieds » dans son service à Strasbourg. Force est de constater qu’il ne fait plus rien19. Le ministre de l’intérieur, le Comte de Montalivet, adresse alors son rapport à l’Empereur : Merlet, qui remplit les fonctions de Président du Magistrat depuis l’origine, a supplié plusieurs fois Votre Majesté de daigner lui accorder quelqu’autre emploi. Merlet demandant et espérant être appelé incessamment à d’autres fonctions, ne porte peut-être plus dans celles qui lui sont confiées toute l’assiduité et le zèle qu’elles réclament20.

47 Le 30 mars 1812, il est mis fin à ses fonctions de président de la Commission du Magistrat du Rhin.

48 Jean-François Merlet quitte alors Strasbourg, où il n’a jamais fait venir son épouse ; il expédie ses archives, c’est-à-dire les archives du Magistrat du Rhin ou une partie de celles-ci, en Vendée ! (voir annexe 2). Lui-même s’installe à Paris, où il restera jusqu’en 1815, attendant un poste que Napoléon n’eut pas le loisir de lui offrir. Il n’a plus exercé de fonctions officielles, malgré toutes ses démarches. Il fut bien proposé par M. de Montalivet en 1812, pour une « Mission d’inspection des dépôts de mendicité » avec M. Portal, mais cette proposition n’aboutit pas, pour les deux intéressés : elle fut confiée à MM. Las Casas et Belleville21.

Strasbourg sous l’Empire et ses « affaires »

49 La vie à Strasbourg sous l’Empire était-elle donc, aux yeux de Jean-François Merlet, si désagréable ?

50 On ne peut pas dire, en ce début de siècle, que Strasbourg soit une ville pimpante. Si les places, la Place d’Armes, celle de la Cathédrale, de Saint‑Thomas, de Saint‑Etienne, du Marché-aux-herbes, … sont relativement dégagées, les rues sont étroites, mal pavées, humides et sombres avec l’avancée des maisons riveraines, leur rigole centrale tout à fait insalubre. Les bâtiments ont souffert de dix ans d’émeutes et de vandalisme. La Cathédrale, l’Hôtel-de-Ville, les hôtels des nobles abandonnés par leurs propriétaires partis en exil, les maisons particulières, offrent un spectacle assez pitoyable. Il en est de même des églises, transformées pendant un certain temps en magasins à fourrage ou en porcherie. La cinquantaine de ponts, pour la plupart en charpente bois, sont mal entretenus.

51 Le « Théâtre Français » de la Place Broglie, avait été détruit par un incendie le 20 mai 1800 ; à son emplacement on avait entrepris la construction du « Grand Théâtre », qui ne sera achevée qu’en 1821. En attendant, on convertit l’ancienne église Saint‑Etienne en salle de théâtre, ouverte en 1806. Et puis il y a la « Salle des Drapiers », ou « Théâtre allemand », où l’on présente essentiellement des spectacles en langue allemande.

52 Il ne semble pas qu’il y ait beaucoup d’occasions de se divertir et se distraire, si ce ne sont les nombreuses parades aux accents des musiques militaires. Il restait donc

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beaucoup à faire aux édiles pour rendre à Strasbourg un aspect convenable pour une vie agréable. Et puis une véritable crise du logement sévit à Strasbourg, une ville de 55 000 habitants. La présence d’une garnison importante, 6 000 hommes en temps de paix, plus 200 gendarmes, soit 12 % de la population, pose de sérieux problèmes. Lorsque les casernes sont pleines, et qu’il s’agit de loger 2 000 hommes de troupe de passage (ainsi en 1805), où les loger ? On réquisitionne partout les appartements, la moindre chambre. Les habitants n’apprécient guère cette intrusion dans leur vie privée ; et l’indemnité procurée par les billets de logement est dérisoire. Les réquisitions des artisans et du matériel n’arrangent rien. Les récriminations des Strasbourgeois engendrent un climat de contestations évidemment préjudiciable à un séjour agréable en ville.

53 Jean-François Merlet subit cet état de choses à son détriment. Il rencontre à Strasbourg le même genre de problèmes qu’il connut lorsqu’il était préfet de La Roche-sur-Yon, le nouveau chef-lieu de la Vendée, en pleine construction. Jean‑François Merlet est seul à Strasbourg, son épouse est restée en Vendée. Si l’on trouve dans ses rapports et ses lettres à sa hiérarchie, ainsi qu’à son épouse, que ses plaintes sont un peu lassantes, elles sont sans doute en partie justifiées22.

L’affaire Kastner

54 Le rapport d’activité de Jean-François Merlet, en qualité de président du Magistrat du Rhin, peut être complété par la liste des documents des « archives Merlet », qu’il a emportées à son départ de Strasbourg, en 1812 (aux A. D. de Vendée – annexe 2). Mais il existe au château de Pont-de-Varenne, d’après Roger Lévêque, une masse considérable d’archives, qui n’ont pas été inventoriées ni dépouillées, et qui pourraient préciser ces activités du Magistrat du Rhin à Strasbourg.

55 Jean-François Merlet eut à connaître, entre autres, « l’affaire Kastner », qui fit suffisamment de bruit à Strasbourg à l’époque, pour qu’on la détaille un peu.

56 Joseph Kastner est né à Molsheim en 1772. Elève de l’école militaire (1786-1789), géographe à l’État-major (1792), chargé de relever les gorges de Kaiserslautern. Adjoint aux adjudants généraux (1793), il construit les ouvrages de campagne de l’avant-garde de Desaix. Blessé au bras le 12 messidor An II. Il est alors nommé Ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées, le 29 nivôse An II, et affecté à l’arrondissement de Landau. Il est Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées pour les pays entre Rhin et Moselle (9 fructidor An II), il dirige les travaux de Mannheim et de Mayence pendant les sièges. Ingénieur en Chef du Mont-Tonnerre et de la Sarre (1er prairial An VI)23 Joseph Kastner, installé Ingénieur en Chef du Département du Bas Rhin à Strasbourg, au printemps 1802, faisait « jaser » depuis 1806, au moins ! Il abusait, murmurait-on, de la confiance du Préfet, pour « dominer et s’enrichir ! » Depuis Laumond, paraît-il, depuis Shée certainement. En ce qui concerne le préfet Jean Laumond, Préfet de 1800 à 1802, ça n’est guère vraisemblable, car Joseph Kastner n’est resté que quatre mois en service en même temps que ce Préfet. Jean Frédéric Hermann était alors Maire de Strasbourg (1800-1805), et n’était pas en très bons termes avec Joseph Kastner!

57 Henri Shée, Préfet du Bas Rhin de 1802 à 1810, accablé d’infirmités, finalement « alité les trois quarts de l’année », se donnait l’illusion de l’autorité en soutenant son entourage : entêté mais non autoritaire. On parlait ainsi d’un « triumvirat », si l’on peut dire, « Kastner-Forest-Wangen », qui « administrait » le département au nom du Préfet

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Shée, mais surtout Joseph Kastner. Forest était le Secrétaire Général de la préfecture, et Louis François de Wangen de Geroldseck fut Maire de Strasbourg de 1806 à 1810.

58 Kastner aurait accepté des « remises » de la part des entrepreneurs de travaux publics, notamment lors de la construction du Théâtre, et de la reconstruction du pont du Rhin. Officiellement il s’agissait de couvrir des frais administratifs. Fort de ses alliances avec les de Turckheim et les Franck, fort de la confiance d’Emmanuel Crétet, Directeur Général des Ponts et Chaussées jusqu’en 1806, Joseph Kastner aurait pu continuer impunément ses petites opérations, s’il n’était entré en conflit avec son subordonné, Robin de Betting, Ingénieur des Ponts et Chaussées, un rival en ambition de carrière, qui s’intéressait à la contrebande comme on le verra, et dépensait beaucoup. Joseph Kastner avait bien essayé de lui briser les reins en le dénonçant, ou plus exactement en transmettant au Directeur Général des Ponts et Chaussées, les dénonciations du conducteur Wissandt en septembre 1807. À la première intrigue, lui avait répondu sèchement Montalivet, alors Directeur général des Ponts et Chaussées, je vous enverrai aux Alpes ou aux Pyrénées, où de grands travaux suffiront pour occuper toutes les facultés de votre imagination … Soyez tout franchement ingénieur … ; il y a assez de gloire à acquérir dans cette profession …24

59 Un an plus tard l’achèvement du Pont du Rhin et les travaux du Kohlengiessen avaient semblé ressusciter les bonnes intentions du Directeur Général des Ponts et Chaussées : rappelons que le comte de Montalivet est originaire de Neunkirch-les-Sarreguemines (1766) ; il fut ministre de l’Intérieur (1809) et Pair de France. Le grand mérite, la grande réussite de Joseph Kastner fut en effet la reconstruction du Pont du Rhin. Détruit en 1792, un moment rétabli par Moreau en l’An IV, de nouveau détruit en l’An V, le Pont du Rhin faisait cruellement défaut au commerce strasbourgeois, en remplacement du pont de bateaux, insuffisant. La reconstruction du pont fixe devait durer de 1804 à 1808, et engloutir 600 000 frs. : un bel ouvrage, 400 m de long, une chaussée de 12 m de large, bordée de trottoirs, ouvert à la circulation le 15 mai 180825. Cependant peu de temps après, commence à Strasbourg une enquête, diligentée par M. Bruyère, Secrétaire du Conseil général des Ponts et Chaussées, qui porte sur toute la gestion de Joseph Kastner, notamment sur le prix des transports pour les travaux du Pont de Kehl. Joseph Kastner, suspendu à titre provisoire le 1er janvier 1809, s’était rendu à Paris, avait demandé à être entendu par une commission spéciale. En effet une commission du Conseil d’État l’entendait le 5 avril 1809. Un décret impérial du 23 avril 1810 le suspendait définitivement de toutes ses fonctions. C’est Joseph Liard qui pendra la suite. Le mois suivant, Forest est éliminé ; en septembre, c’est au tour du maire de Strasbourg, de Wangen ! Ainsi disparaît le « triumvirat » mis en cause ! Joseph Kastner fit imprimer au lendemain de sa disgrâce, un mémoire justificatif très détaillé26. Bien sûr, c’est le point de vue de l’intéressé, mais il nous donne des informations sur le déroulement de cette affaire, qui ne sont sans doute pas toutes sujettes à caution. On apprend ainsi que Joseph Kastner, qui avait demandé le soutien du Magistrat du Rhin en la personne de Jean-François Merlet, s’était bien fourvoyé : le Président du Magistrat du Rhin, reprenant les dénonciations de Robin de Betting et les conclusions de M. Bruyère, fait un rapport accablant pour Joseph Kastner ! Celui-ci disparaît peu après de la scène strasbourgeoise.

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Une affaire de famille : le scandale Robin !

60 L’ingénieur des Ponts et Chaussées Casimir Robin de Betting, l’accusateur de Joseph Kastner n’était pas lui-même irréprochable. Fernand l’Huillier rapporte27 : La saisie d’une « bernoise » verte au soir du 30 oct. 1808, par des préposés des douanes de la Wantzenau, conduit à découvrir que Robin, l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées de l’Arrondissement de Strasbourg, participait depuis plusieurs années à une entreprise de contrebande qui s’alimentait à Hanau ou à Bischofsheim en marchandises apportées de Francfort. Une société de porteurs assurait le transport par « filtration » jusqu’à la Wantzenau, où Madame Robin se rendait une ou deux fois par semaine, ramenant par exemple en un voyage 138 kg de mousselines, percales, toiles de coton et linons … Robin entretenait des relations suivies avec certaines maisons de commerce strasbourgeoises. Lesquelles ? La mention de plusieurs lettres de change semble découvrir Mermet et Prost, mais encore ?

61 Félix Ponteil28 précise que Robin était le cousin par alliance de l’ingénieur en Chef Kastner ! : « Ayant mangé sa fortune, pressé de besoins d’argent, entretenant des filles, il voit dans ce trafic illicite une ressource inespérée. Dans la berline se trouvaient sa femme, ses enfants et leur précepteur. L’enquête révèle que les porteurs avaient 12 % sur le montant des bénéfices, le receveur de la Wantzenau 6 frs par balle pour frais de dépôt. L’enquête apprit aussi que les chevaux et la voiture appartenaient au général Mallye, officier réformé, un parent de Robin, et qui logeait chez lui. Robin fut arrêté ; la commission de la fraude examina son cas ; elle ne jugea pas les preuves suffisantes. Robin bénéficia du doute et fut simplement muté ».

62 Ainsi s’expliquent les termes discrets de sa notice nécrologique29 : « Au mois de février 1808, il quitta subitement les travaux de restauration du château de Saverne … pour se rendre en Westphalie … »

63 On apprend qu’à Hesse-Cassel, près du roi Jérôme Bonaparte, il entreprend une étude sur la possibilité d’un canal de Paris à Varsovie, en passant par Magdebourg et Berlin. Robin fournit les cartes, les plans et dessins à l’appui du projet de cette grande voie de navigation utopique.

64 En 1824, à la retraite, Robin de Betting, infatigable, présente son « Grand projet de canalisation pour la jonction de l’Océan à la Mer Noire, par la réunion de la Seine au Rhin de Paris à Strasbourg, et du Rhin au Danube, en traversant les Etats de Bade, de Wurtemberg, de Bavière, de Strasbourg à Ulm, communiquant avec l’Autriche, la Hongrie, la Serbie, la Bulgarie, la Valachie, la Moldavie, la Russie et la Turquie ». Ce tracé comprenait ainsi le Canal de la Sarre au Rhin présenté par Robin de Betting en 1802.

65 Il faut dire que l’affaire Robin de Betting, deux fois scandaleuse, par les personnalités qui y étaient impliquées, et par le jugement manifestement trop clément, fit aussi grand bruit à Strasbourg.

Projets et travaux

Le projet de canal Genève-Rhin

66 On se souvient que Napoléon était un fervent adepte des canaux. « Les canaux sont les premiers besoins de la République », disait-il. Et encore : « Ce n’est point de palais ni de bâtiments que l’Empire a besoin, mais de canaux et de rivières navigables »30.

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67 C’est dans le cadre d’un traité défensif d’une durée de cinquante ans signé entre l’Empire et la Confédération helvétique, ratifié le 27 septembre 1803, que l’on trouve les dispositions suivantes (art. 11) : Pour faciliter les relations commerciales des deux puissances, on conviendra des mesures nécessaires pour établir une communication par eau depuis le lac de Genève jusqu’au Rhin, et depuis Genève jusqu’à la partie du Rhône qui est navigable. Les travaux pour cet effet seront entrepris à la même époque.

68 Il semble que vers 1810 on reparla de la liaison Genève-Rhin, sans doute dans le cadre des missions du Magistrat du Rhin. La chute de l’Empire mit fin à ces projets ; la Confédération helvétique décida le 12 août 1817 de considérer le traité comme rompu31.

Extrait de la carte de Cassini, montrant l’état du Rhin au droit de Strasbourg, au temps du « Magistrat du Rhin », avant les travaux de correction du fleuve.

La délimitation de la frontière rhénane

69 Jean François Merlet eut à connaître également, entre autres, des problèmes intéressant la question de la délimitation de la frontière sur le Rhin, et de la fermeture successive des bras latéraux toutes les fois que cela pouvait se faire sans danger pour la navigation. C’est sur les bases posées par le Magistrat du Rhin qu’a pu être réalisée, grâce à l’entente commune des États de Bavière et de Bade, la belle rectification de Lauterbourg à Mannheim.

70 Rappelons aussi que, dès 1769, les Etats riverains avaient résolu de procéder à une délimitation générale dont les bases furent tracées par le sieur François-Bernardin Noblat (1714‑1792), « Commissaire des guerres, Commissaire pour le règlement des limites sur les frontières d’Alsace », dit « le petit intendant », nommé par Louis XV. Mais les opérations nécessitées par la « limite Noblat », car elle a conservé le nom du

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commissaire nommé par le roi de France, étaient si compliquées qu’elles n’étaient pas encore arrivées à leur terme en 1790, soit une trentaine d’années après leur début sur le terrain : il n’y avait pas moins de 1 280 alignements polygonaux dans la triangulation de Noblat ! Pendant les dix années qui suivirent, la France et les États de la rive droite, eurent d’autres préoccupations. En 1801, lors du Traité de Lunéville, art. 6, on crut avoir trouvé une solution, en stipulant que le Thalweg serait à la fois limite de souveraineté et limite de propriété. Les difficultés qu’engendrait ce principe étaient plus nombreuses que jamais, ainsi dans la délimitation de parcelles au milieu des îles et des atterrissements de la frontière. Le Magistrat du Rhin eut alors la mission délicate de résoudre les problèmes qui se posaient, et de concilier les intérêts en litige ; c’est cette tâche accomplie avec une consciencieuse droiture, parfois mêlée d’un peu d’arbitraire auquel on était habitué sur les deux rives, que vinrent interrompre les Traités de Paris.

Le personnel de la Commission

Un collaborateur effacé : le baron du Val de Beaulieu

71 Parmi les collaborateurs de Jean-François Merlet, signalons le cas particulier de Dieudonné du Val de Beaulieu (1786‑1844). Citoyen belge, né à Mons, il est nommé auditeur au Conseil d’État en 1806, âgé d’à peine vingt ans, alors que la Belgique faisait partie de la France. Il fut chargé par Napoléon de diverses missions sous l’Empire. De retour dans son pays après le retour à l’indépendance de la Belgique, le comte du Val de Beaulieu fut entre autres membre du Conseil National (1831), ministre plénipotentiaire à Berlin, et Sénateur (1832-1844). Son rôle au Magistrat du Rhin à Strasbourg semble des plus discrets.

Le successeur : le baron de Fréville, président du Magistrat du Rhin

72 Après la démission de Jean-François Merlet (1812), le baron de Fréville fut Président du Magistrat du Rhin, du moins pendant un certain temps.

73 Jean Baptiste Maximilien Villot de Fréville (1773-1847), fut nommé au Tribunat en 1801. Partisan de la proclamation de l’Empire, il est Conseiller d’État (1808), fait chevalier de la Légion d’Honneur (1808), puis baron de l’Empire (1809), Maître des Requêtes en Service ordinaire (1810), Préfet de Jemappes à Mons (1810), Intendant de la province de Valencia (Espagne), Préfet de la Meurthe (1812), et du Vaucluse (1813). Il poursuivit sa carrière au Conseil d’État sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.

74 En 1824 il est Secrétaire général du Conseil supérieur et du bureau du commerce et des colonies.

Fréville et le droit d’étape strasbourgeois

75 Parmi les affaires qu’eut à connaître le baron de Fréville pendant sa présidence du Magistrat du Rhin, figure la question importante du « droit d’étape » sur le Rhin, dont bénéficiaient encore les ports de Cologne, Mayence et Strasbourg. Ainsi à Strasbourg, ce « Stapelrecht » ou « Ueberschlag » exigeait que tout marchand/batelier étranger passant par Strasbourg, devait débarquer et mettre en vente sa marchandise pendant trois jours. Cette obligation, appelée droit d’entrepôt, droit de relâche ou droit d’étape, remontait à un privilège accordé en 1414 par l’empereur Sigismond, assurait la sécurité des marchandises, facilitait la perception de taxes au profit de la Ville, et permettait le

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contrôle de la batellerie. Les princes de la rive droite demandaient la suppression du droit d’étape. La Diète de Ratisbonne la réclama au nom de l’Empire en 1802. Cologne et Mayence protestèrent. Jean Bon Saint‑André, préfet du Département du Mont- Tonnerre (1802-1813), défendit leurs privilèges : Quelle que soit, dit-il, l’origine du droit d’étape, qu’il ait été ou non établi par la violence dans des temps féodaux, il existe et il est propriété de la nation française, et son gouvernement, au lieu d’en rechercher péniblement la généalogie, n’a d’autre question à discuter que celle de la convenance actuelle de ce droit avec sa situation politique et commerciale. Or sous ce double rapport, on peut assurer que son abolition serait funeste. Le Commerce de Mayence a raison d’observer qu’elle tournerait au profit de la rive droite au détriment de la rive gauche.

76 Le droit d’étape fut alors maintenu.

77 Rappelons que la Convention de l’octroi du Rhin, fut signée le 15 août 1804 entre l’Empereur des français et les princes allemands de la rive droite du fleuve. Tous les anciens péages, de Bâle jusqu’à la frontière de Hollande, au nombre de 33, furent supprimés, et remplacés par 12 bureaux d’octroi, 6 sur chaque rive. Tout ressortissait à une « Direction Générale ». Les associations de bateliers (Schiffergilde) subsistent, ainsi que le droit d’étape, bien que Francfort, Dusseldorf, les princes de la rive droite, et même les ports de la rive gauche, Coblence, Metz, continuèrent à protester contre le maintien de la relâche forcée à Mayence et à Cologne, qui occasionnait des frais, des avaries et des retards. Dès 1807 le maintien du droit d’étape fut fortement combattu auprès du gouvernement par les corps constitués, le Conseil général du Commerce en particulier. Le baron de Fréville, alors Président du Magistrat du Rhin, se prononça lors de sa tournée de 1812, pour la liberté complète de la navigation sur le Rhin32. La Chambre de Commerce de Cologne cependant défendit âprement ses privilèges. La question était pendante au moment de la chute de l’Empire. Il faudra attendre 1831 et la Convention de Mayence, pour que soit enfin supprimé le droit d’étape sur le Rhin.

Conclusion

78 Une des idées de Jean-François Merlet se concrétise dès la fin de l’Empire : Napoléon passe le 29 avril 1813 une Convention avec les Etats de Bade, Berg, Hesse et Nassau dans le but d’établir entre tous les travaux faits et à faire pour diriger le cours du Rhin et protéger ses rives, un accord qui prévienne d’un côté toute négligence, et de l’autre toute opération nuisible à l’utilité commune.

79 Chaque État s’engage par l’art. 5 de cette Convention, à faire exécuter sur ses rives les plans arrêtés et approuvés par une commission comprenant les ingénieurs des États riverains et dont les études étaient suivies à titre consultatif par des propriétaires riverains. Ces dispositions seront intégralement reprises lors de la création de la Commission Centrale pour la navigation du Rhin (Congrès de Vienne - 1815).

80 Dans une lettre datée de Paris le 24 novembre 1813 adressée à son épouse, Jean- François Merlet rapporte qu’il a vu l’Empereur, qui lui a adressé la parole et lui a demandé : Êtes-vous encore Président de la Commission du Rhin ? – Non, Sire, lui ai-je répondu. Votre Majesté doit se rappeler même que cette présidence est supprimée. Il a eu l’air de ne pas s’en souvenir. Je n’ai rien pu ajouter…33

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81 Le Magistrat du Rhin avait-il été supprimé avant la chute de l’Empire (11 avril 1814, première abdication de Napoléon à Fontainebleau) ? On ne sait trop que penser à ce sujet. On sait cependant que le baron de Fréville est nommé préfet de la Meurthe dès le 15 décembre 1813 ; il est en fonctions jusqu’au 2 mai 1814. Après la dissolution du « Magistrat du Rhin », à la chute de l’Empire, trois années plus tard (1817), furent instituées la « Commission de reconnaissance de la frontière », en application du Traité de Paris (1815), puis une « Commission mixte » pour la rectification du cours du Rhin, entre la France et le Grand Duché de Bade. La plupart des bornes Noblat avaient disparu ! On établit une nouvelle triangulation, ne présentant que 120 alignements. Ces opérations durèrent 22 ans, et seront sanctionnées par la Convention du 5 avril 1840. Il y aurait sans doute encore beaucoup de choses à découvrir et à préciser sur le Magistrat du Rhin.

82 En conclusion de cette approche, citons les paroles de M. Coumes, Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées chargé du « Service des Travaux du Rhin », créé en 1827 à Strasbourg, parlant du Magistrat du Rhin : Cette institution, qui fonctionna de 1809 à 1814, produisit d’excellents résultats, surtout relativement à l’entente entre les administrations des deux rives. C’est ainsi que l’idée de la belle rectification du Rhin, de Lauterbourg à Mannheim, put arriver à une maturité suffisante pour servir de base à une Convention avec les États de Bavière et de Bade, aussitôt après que cette partie du fleuve fut soustraite à notre domination, et que dans la partie de notre littoral actuel, il avait été question de plusieurs redressements embrassant d’assez vastes étendues pour garantir les localités les plus exposées34.

83 Je remercie mon collègue Roger Lévêque, Ingénieur Divisionnaire honoraire des Travaux Publics de l’État, Docteur es Lettres, qui a orienté mes recherches sur Jean‑François Merlet.

ANNEXES

Annexe 1

27 octobre 1808 – Décret impérial portant création de neuf auditeurs près la direction générale des ponts-et-chaussées, et d’une commission sous le nom de Magistrat du Rhin

Titre Ier – Auditeurs auprès de la direction générale des ponts et chaussées. … Titre II – Etablissement d’une commission pour les travaux du Rhin. 11. Il sera établi à Strasbourg une commission centrale qui portera le nom de magistrat du Rhin, composée d’un maître des requêtes, président, et de deux auditeurs pris dans

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notre Conseil d’État, chargés de l’examen et de la décision de toutes les questions relatives à la conservation de la rive gauche du Rhin, depuis Huningue jusqu’à la frontière du royaume de Hollande, et de la conservation de la rive droite du même fleuve à Kehl, Cassel et autres territoires appartenant à l’empire. 12. Les projets de digues, épis et autres travaux, continueront d’être rédigés par les ingénieurs des ponts et chaussées ; ils seront soumis par ces derniers au Magistrat du Rhin, qui seul, correspondra avec le conseiller d’État, directeur général des ponts et chaussées ; et dans des cas pressés, le magistrat fera commencer les travaux de réparation sans retard. 13. Avant d’arrêter les projets, le magistrat du Rhin pourra se transporter sur les lieux, entendre les ingénieurs et les inspecteurs divisionnaires des ponts et chaussées ; il entendra pareillement les maires des communes et ceux des propriétaires riverains des fleuves qui s’adresseront à lui. 14. Il se concertera, toutes les fois que la chose sera nécessaire, avec les administrateurs et officiers des princes et souverains, possessionnés sur la rive droite, tant à raison des travaux à faire sur la rive gauche que ceux faits ou à faire sur la rive droite. 15. A cet effet, le ministre des relations extérieures accréditera le président du magistrat pour qu’il puisse correspondre avec les Etats souverains de la rive droite. 16. Le magistrat prendra pour base universelle des projets que les travaux faits ou à faire sur les deux rives ne doivent être que défensifs, et que leur direction doit être telle qu’elle ne puisse jamais nuire à la rive opposée. 17. Les projets arrêtés par le magistrat seront adressés par son président, à notre ministre de l’intérieur, pour nous être soumis. 18. Les projets définitivement arrêtés, seront exécutés par les ingénieurs des ponts et chaussées, sous la surveillance du magistrat. 19. Lorsque le magistrat n’aura pu demeurer d’accord avec les États de la rive droite, il nous sera fait un rapport sur les difficultés par notre ministre de l’intérieur. Le président pourra même correspondre avec notre ministre des relations extérieures. 20. Le magistrat connaîtra du contentieux qui pourrait naître, relativement à l’établissement des contributions locales de la propriété des terrains délaissés par le fleuve ; de la propriété, possession et affermage des digues, et des indemnités des quantités de fascines et autres bois nécessaires aux travaux, des lieux où les bois sont pris, soit qu’ils dépendent de nos forêts, de celles des communes ou des particuliers ; des époques aux quelles les exploitations devront être faites, et des indemnités dues à raison desdites exploitations. Ces indemnités seront réglées sur des rapports d’experts nommés par les parties, sur ceux des ingénieurs nommés par le magistrat. En cas de partage, le magistrat nommera des tiers-experts, il décidera les questions de cette espèce qui lui seront soumises par les préfets, les communes et les particuliers. Les arrêtés seront exécutés par la provision, sauf le recours à notre Conseil d’État ; notre ministre de l’intérieur pourra, dans certains cas, suspendre l’exécution provisoire. 21. Le magistrat siégera à Strasbourg ; néanmoins, il se transportera chaque année, au mois de mai, pour tenir des sessions dans les villes de Maïence, Cologne et Wesel. La

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tenue de ces sessions est ainsi fixée : du 1er au 15 mai, à Maïence ; du 20 mai au 5 juin, à Cologne ; du 10 au 25 juin à Wesel. 22. Il y aura, auprès du magistrat, un greffier qui tiendra les plans, devis, titres de propriétés, etc. 23. Dans les cas où, par absence ou maladie, le magistrat ne serait pas complet, il appellera un membre du conseil de préfecture. 24. Le président du Magistrat rendra compte au ministre de l’intérieur, et lui adressera tous les trois mois le résumé de ses opérations. 25. Le Magistrat entrera en exercice au 1er janvier 1809. 26. Notre ministre de l’intérieur nous fera un rapport sur le traitement des commissaires et sur la fixation des frais de bureau.

Annexe 2

Archives Départementales de la Vendée

Archives personnelles Jean François Merlet - Extrait du répertoire recherche-archives.vendee.fr/archives/fonds/FRAD085_1Num110

Merlet, Président du Magistrat du Rhin 1 Num 110 art. 19 - Papiers Merlet. Affaire Kastner, ingénieur en chef du Bas-Rhin, accusé de prévarication lors de la construction du théâtre de Strasbourg et du pont de Kehl (1806‑1810) ; Grand quai proposé à travers la ville de Strasbourg, le long du canal Napoléon, rapport de l’ingénieur Kastner à l’Empereur sur un vœu de la municipalité, impr., s.l. 2 janvier 1806, 7 p. et 2 planches imprimées et aquarellées ; enquête menée par Merlet, interrogatoires ; correspondance de Merlet avec Kastner et [Maret] duc de Bassano, secrétaire d’État, minute du rapport de Merlet. Instauration d’un péage unique sur le Rhin dans le département des Bouches du Rhin (1810-1811) ; détail des frais de mission de Merlet à Bois-le-Duc (Pays-Bas), Cologne, Mannheim (Allemagne). Enquête sur les péages de l’Arrondissement de Nimègue (Pays-Bas). Rapport de Merlet au Comte Molé, Directeur général des Ponts et Chaussées, et minute de son projet repris par le décret impérial du 21 décembre 1810. Correspondance du Préfet des Bouches du Rhin Frémin de Beaumont, sur son application. Port de Cologne et octroi du Rhin (1810), rapport, réclamation de la Chambre de Commerce de Cologne relative aux droits de passage sur le Pont volant de cette ville. Navigation et péage sur le Rhin à Strasbourg (1811-1812), rapports de la Chambre de Commerce de Strasbourg, correspondance. Affaire des digues de Vieux Brisach, et de l’extraction de sables et graviers contestée par la Régence du Grand Duché de Bade (1811). Note de Merlet, réponse du Ministre de l’Intérieur Montalivet (1806‑1812).

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Annexe 3

Lettres de Jean-François Merlet à son épouse

Extraites de Thierry Heckmann, Napoléon et la Paix - Deux préfets de la Vendée : Jean- François Merlet - Prosper de Barante, La Roche-sur-Yon, 2004, p. 113 ; 159-160. Paris, le 17 mars 1809 Je viens d’apprendre à l’instant, et je t’informe de suite, ma chère amie, que je ne suis plus préfet de la Roër ni d’ailleurs. Son Excellence Mgr le ministre secrétaire d’État m’annonce que Sa Majesté l’Empereur vient de me nommer ce soir président du Magistrat du Rhin. Ce Magistrat du Rhin est une commission qui exerce ses pouvoirs depuis la Suisse jusqu’en Hollande, sur la rive gauche du Rhin et sur la rive droite possédée par les princes d’Allemagne. Je suis le ministre de l’Empereur de France, accrédité avec le caractère diplomatique et le titre d’Excellence dans cette partie. J’aurai sous mes ordres deux auditeurs qui composeront avec moi le Magistrat. La résidence de la commission sera dans la ville de Strasbourg. Pour moi, je voyagerai souvent en Allemagne, avec la faculté de venir souvent à Paris. Je ne connais pas encore mon traitement, mais d’après ce que m’a dit ce matin le ministre secrétaire d’État, il doit être considérable sans être tenu en France à une grande représentation, ce qui m’accommode le mieux. Lorsque j’irai en Allemagne, j’aurai des frais extraordinaires. Tout ce que je sais, c’est que l’Empereur a eu l’intention de me traiter le plus favorablement possible et de me récompenser, s’étant exprimé hier au conseil des ministres de la manière la plus flatteuse pour moi. Tu viendras donc habiter la belle et grande ville de Strasbourg, au lieu de celle d’Aix-la- Chapelle. Je n’ai plus, Dieu merci, de responsabilités, mais une grande et honorable surveillance, et surtout une mission de confiance. Comme je ne fais que d’apprendre ma nomination, je ne puis entrer dans de plus grands détails, ni te dire pour aujourd’hui combien de temps je resterai à Paris […] Je suis content cette fois, mon amie. Je crois que je touche enfin à la tranquillité et à la fortune. Je regrette sincèrement mon pays, mais j’ai l’espérance de le [re-]voir un jour avec beaucoup d’aisance. Paris, le 20 mars 1809 Plus je vais, plus je vois que ma place sera superbe. Le ministre des relations extérieures m’a encore fait espérer aujourd’hui qu’il allait déterminer l’Empereur à me donner le titre de ministre plénipotentiaire de première classe, ce qui me vaudrait 15.000 f de plus. Dans quelques jours je t’en dirai plus, parce que j’en saurai davantage. Paris, le 8 avril 1809 Je ne tarderai pas à me mettre en route pour Strasbourg, si mes instructions étaient toutes prêtes, mais il faut encore quelques jours pour les terminer. Et puis, Strasbourg est tellement encombré de troupes et par la Maison de l’Empereur, que le maire de cette ville m’a écrit qu’il ne savait pas où me loger, même provisoirement, jusqu’à ce que le grand quartier général soit parti. Je dois te dire aussi que, depuis hier, j’éprouve une grande inquiétude sur mon sort. Ce n’est qu’à toi seule que j’écris cela. Mon traitement, celui de la commission, n’était pas fixé définitivement : on m’avait seulement communiqué un projet de décret qui allait

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être soumis à l’Empereur, et ce projet, en me donnant des appointements superbes, assurait à jamais ma fortune, au point que je n’avais plus le désir d’être fixé à Paris. Hier, on m’apprit qu’un ministre se proposait d’attaquer ce projet er de faire diminuer mon traitement de plus de la moitié ! D’autres ministres sont bien dans l’intention de s’y opposer, mais je n’entrevois pas moins que j’éprouverai une grande perte. Ma place excitait trop de jalousie. Il faut encore que le sort cette fois me devienne contraire ! Tu penses bien, ma chère amis, que je vais me remuer ! Mais je t’avoue que j’éprouve un nouveau chagrin bien grand. Ne parle de cela à qui que ce soit, car faut-il encore faire bonne mine contre le mauvais jeu ! Quoiqu’il en soit, aussitôt que je serai rendu à ma nouvelle destination, je m’occuperai des moyens de me loger de manière à ce que tu puisses venir me rejoindre bientôt, et là, nous vivrons fort retirés si on ne me donne pas les moyens de vivre avec quelque éclat. Je t’assure que, sans mes dettes et le sort de mes fils, je prendrai bien vite mon parti ! J’irai à Strasbourg, parce que l’honneur me le commande. Mais une fois la machine organisée, c’est-à-dire avant six mois, je donnerai ma démission et me retirerai pour toujours des affaires publiques. Je rentrerai à ma campagne d’où je ne sortirai de ma vie ! Ne t’afflige pas cependant ! Ma place me fera toujours vivre, et puis tout n’est pas désespéré. Le 10 décembre 1813 J’ai quelquefois regretté ma préfecture d’Aix-la-Chapelle, mais aujourd’hui je me félicite de ne pas y être, car ce superbe pays est dans un bien mauvais état. Les Prussiens viennent d’y faire des incursions, les habitants sont fort mal disposés pour les Français, et le préfet court des risques dans son chef-lieu ! Il est donc possible que ce soit un bienfait de la Providence. Le 9 janvier 1814 C’est peut-être un coup de la Providence qui m’a détourné de la préfecture de la Roër et qui m’a fait quitter Strasbourg. Aujourd’hui, il ne peut y avoir que les plus grands désagréments dans ces deux places. Tout est en confusion dans la Roër, et Strasbourg est à peu près cerné. L’ennemi a passé le Rhin sur plusieurs points, et nos troupes sont retirées à Saverne.

NOTES

1. Par exemple : AILLERET (Jean-Claude), « La liberté de navigation (sur le Rhin) », in : Une histoire du Rhin, Editions Ramsay, Paris, 1981, p. 375‑383. 2. Citons parmi ces ouvrages, à titre d’exemple : MISCHLICH (Robert), « Le régime international de la navigation du Rhin », Connaissance du Rhin, Strasbourg, 1966, p. 13‑33 ; ENGELHARDT (Edouard), Histoire du droit fluvial conventionnel – Paris, 1889, 110 p. ; HAELLING (Gaston), Directeur du Port Autonome de Strasbourg, Le Rhin politique, économique et commercial, Eyrolles, 1930, 306 p. (« Le Rhin conventionnel », p. 53‑73) ; HAELLING (Gaston), « Le Rhin sous la Révolution et l’Empire », dans Deux siècles d’Alsace française, Le Roux Edit., Strasbourg, 1948, p. 277‑290 ; Dans son gros ouvrage, La vie à Strasbourg sous le Consulat et l’Empire (507 p., 1977), Zoltan Harsany écrit : « Notons pour mémoire un service curieusement rattaché à l’armée (?), le « Magistrat du Rhin », dont l’existence n’est relevée qu’en 1810. Par décret du 7 oct. 1808, il avait été créé et établi à Strasbourg une Commission centrale qui porta le nom de « Magistrat du Rhin », composée d’un Président, maître des requêtes (Merlet, puis le baron de Fréville) et de deux auditeurs au Conseil

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d’État (Lafond et Duval) … Un greffier (Morel) devait garder les plans, devis, titres de propriété, etc… » (p. 394). 3. DESCOMBES (René), « La liberté de la navigation sur le Rhin », in : Bulletin de la Société des Amis du Musée régional du Rhin et de la navigation, 2000, 12, p. 61-68. 4. REUSSNER (Jean), Un diplomate strasbourgeois et jurisconsulte du roi au siècle des lumières : François Henri Hennenberg, (1716‑1796), un exemplaire dactylographié aux Archives Municipales de Strasbourg, 170 p., l’auteur indique qu’il consacrera un ouvrage séparé au rôle de F. H. Hennenberg en qualité de « Commissaire du roi pour la navigation du Rhin ». GROSJEAN (Georges), La politique rhénane de Vergennes, Les Belles Lettres, Paris, 1925, 242 p. 5. « Un Inspecteur du Rhin - Lettre de Raymond Poitrat », Bulletin de la Société des Amis du Musée régional du Rhin et de la navigation, 1999-11, p. 107. M. Poitrat fut le dernier Inspecteur du Rhin, en fonction de 1945 à 1952. 6. LEVEQUE (Roger), Jean-François Merlet (1761-1830) Avocat, député, préfet et baron d’Empire. Un curieux personnage - Éléments de biographie, 1999, 155 p., dact. déposé aux Archives Départementales de Vendée, à La Roche-sur-Yon. Roger Lévêque, ingénieur divisionnaire des TP en retraite a été le premier chercheur à s’intéresser au rôle de Merlet dans la Commission du Magistrat du Rhin. Il a exploité aux AD de la Vendée, mais aussi au château de Pont-de-Varenne, les importants fonds privés de papiers que Merlet avait emporté, et m’a très amicalement autorisé à les reproduire dans le présent article, qui se veut une introduction à une recherche ultérieure plus exhaustive que pourront entreprendre étudiants ou chercheurs confirmés. La découverte des papiers Merlet du château de Pont-de-Varenne a eu lieu après la numérisation et la mise en ligne des papiers Merlet conservés aux Archives départementales de la Vendée, par les soins de M. Thierry Heckmann, directeur des Archives départementales de la Vendée. recherche- archives.vendee.fr/archives/fonds/FRAD085_1Num110. Nous en reproduisons quelques extraits publiés par M. Heckmann. Voir aussi : HECKMANN (Thierry), Napoléon et la Paix - Deux préfets de la Vendée : Jean-François Merlet et Prosper de Barante, Société d’émulation de Vendée, 2004, 60 p. de texte et 160 pièces justificatives inédites. 7. HECKMANN (Thierry), op. cit. 8. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 9. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 10. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 11. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 12. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 13. CHAMPION (Maurice), Les inondations en France depuis le VIème siècle jusqu’à nos jours, Paris Dunod, 1865, vol. 5, p. 85. À noter que Maurice Champion mentionne le « Magistrat du Rhin », p. 83‑85. 14. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 15. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 16. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 17. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 18. A. N. 149 mi/2. 19. A. N. Lettre du Comte Molé, directeur des Ponts et Chaussées, au Ministre de l’intérieur, le comte de Montalivet, en date du 24 mars 1812. 20. A. N. F/14/2147. Rapport en date du 27 mars 1812. Le Comte Jean Pierre Bachasson de Montalivet (1766-1823), né à Sarreguemines, ancien militaire, préfet, fut Directeur général des ponts et chaussées (1805-1809) et le dernier Ministre de l’Intérieur de Napoléon, jusqu’à l’abdication de Fontainebleau (1809-1814). Voir les Cahiers sarregueminois, nov. 1969, Articles de H. Nominé et Jh. Rohr, p. 307-325. 21. Cahiers sarregueminois, art. cit., p. 317.

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22. HARSANY (Zoltan), La vie à Strasbourg sous le Consulat et l’Empire, Les Dernières Nouvelles de Strasbourg/Istra, 1977. 23. Les renseignements biographiques intéressant Joseph Kastner se trouvent dans son dossier d’ingénieur. (A. N. F/14 2250/1 - 46 pièces) ; dans sa notice de Conseiller municipal (A. N. F/1B1 Bas-Rhin/24) et dans un dossier du fonds Masson (Bibliothèque Thiers, no268). 24. A.N. F14 2250/1. Travaux publics. Personnel des Ponts et Chaussées. 25. L’HUILLIER (Fernand), Recherches sur l’Alsace napoléonienne, Istra, Strasbourg, 1947, p. 265‑266. 26. Mémoire justificatif du sieur Joseph Kastner, Ingénieur en Chef de 1ère classe du corps impérial des Ponts et Chaussées, 29 p. (1810) – BNUS M. 32.818. 27. L’HUILLIER (Fernand), op. cit. n. 9, p. 341‑342. 28. PONTEIL (Félix), « La contrebande sur le Rhin, au temps du premier Empire », Revue historique, 1935, p. 257‑286. 29. Notice nécrologique de Casimir Robin de Betting (1768‑1834), Annuaire de la Moselle, année 1835, p. 106‑110. Casimir Robin de Betting est l’auteur du « Projet d’un canal de jonction de la Sarre au Rhin ; ou suite du projet de jonction du Rhône au Rhin » publié à Strasbourg, 15 brumaire An XI, 6 nov. 1802. On doit aussi à Robin de Betting le projet du « Canal des salines » (1806). Cf. DESCOMBES (René), La Sarre au fil de l’eau, Sarrebourg, 1982, p. 74-80. 30. DESCOMBES (René), « Napoléon privatise les canaux », Fluvial, no40, sept.-oct. 1989, p. 42‑43. 31. PELET (Paul-Louis), Le canal d’Entreroches - Histoire d’une idée, Lausanne, 1946, p. 263‑264. 32. SAGNAC (Philippe), Le Rhin français pendant la Révolution et l’Empire, Alcan, Paris, 1917, p. 279‑282. 33. Papiers Merlet, Roger Levêque, op. cit. 34. M. Coumes – « Notice sur les travaux du Rhin » - Extrait de la Description du Département du Bas-Rhin, publiée par le Conseil Général, sous les auspices de M. Migneret, Préfet, Strasbourg, 1860.

RÉSUMÉS

Le Magistrat du Rhin, une institution de Napoléon Ier, siégeant à Strasbourg, a été créé par le décret du 27 octobre 1808 : il était « chargé de l’examen et de la décision de toutes les questions relatives à la conservation de la rive gauche du Rhin, depuis Huningue jusqu’à la frontière du royaume de Hollande ». Jean François Merlet, ancien Préfet de la Vendée, fut président du Magistrat du Rhin de 1809 à 1812. Rentrant en Vendée, il embarqua les archives du Magistrat du Rhin, dont on devait longtemps perdre la trace… Ces « Recherches sur le Magistrat du Rhin », basées en partie sur ces archives retrouvées, permettent d’avoir une vue d’ensemble sur cette institution, qui fonctionna de 1809 jusqu’à la chute du Premier Empire (1814), et « produisit d’excellents résultats, surtout relativement à l’entente entre les administrations des deux rives » (M. Coumes). On suivra avec intérêt les avatars du Président Merlet, qui n’a vraiment pas été à son aise à Strasbourg, mais qui, prenant à cœur ses attributions, poursuivit sa tâche avec zèle et compétence sans relâche, prenant ainsi part aux « affaires » du Strasbourg impérial. Ce « Magistrat du Rhin » est l’ancêtre direct de la « Commission Centrale pour la Navigation du Rhin », une création du congrès de Vienne (1815).

This institution –founded under Napoleon I– was based in Strasbourg, following the 27th October 1808 decree. It was “in charge of managing any decision concerning the left bank of the Rhine,

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from Huningue to the border of the Dutch kingdom”. Jean François Merlet, a former prefect of la Vendée, was appointed president of this commission for a three year period (1809-1812) As he returned to la Vendée he took with him the archives of this commission whose trace was lost for many years. The research into this commission, based on the rediscovered archives offers an excellent insight into an institution that was active from 1809 to the fall of the 1st Empire (1814) and “brought about outstanding results, mainly the entente between the administrations on both sides” (M. Coumes). It is extremely interesting to study the successive stages of the career of President Merlet who had felt rather uncomfortable in Strasbourg, but, who had taken his mission seriously and done his job with diligence and unremitting competence, thus playing his role in the imperial Strasbourg life. This commission is the actual forerunner of the “Central Commission for the Rhine Navigation” that was created by the Vienna Congress (1815).

Der „Magistrat du Rhin“ wurde von Napoleon I. durch Dekret vom 27. September 1808 ins Leben gerufen und hatte ihren Sitz in Strasbourg. Ihre Aufgabe war: „Alle Fragen, die die Erhaltung des linken Rheinufers berührten, von Huningue bis zur Grenze des Königreichs Holland, zu prüfen und die nötigen Entscheidungen zu treffen“. Präsident der „Magistrat du Rhin“ war von 1809 - 1812 Jean François Merlet, der frühere Präfekt der Vendée. Lange Zeit glaubte man, die Archive des Magistrats du Rhin seien verloren. Sie fanden sich schließlich in der Vendée, Merlet hatte sie bei seiner Rückkehr mitgenommen. Diese Forschungen bedienen sich zum Teil der wiedergefundenen Archive und geben Einblick in die gesamte Institution, die von 1809 – bis zum Fall des Ersten Kaiserreichs (1814) im Amt war und „sehr gute Arbeit geleistet hat. Das trifft ganz besonders für all das zu, was mit der Zusammenarbeit der Verwaltungen auf den zwei Ufern zu tun hatte“ (M. Coumes). Besonders Interesse dürften all die Mißgeschicke des Präsidenten Merlet finden. Er fühlte sich in Strasbourg alles andere als wohl, nahm aber seine Amtsbefugnisse sehr ernst, erledigte seine Aufgaben mit großem Eifer und mit Sachkenntnis und nahm zwangsläufig teil an den „Affären“ des kaiserlichen Strasbourg. Der „Magistrat du Rhin“ ist der direkte Vorläufer der Zentralkommission für die Rheinschifffahrt, einer Einrichtung des Wiener Kongresses (1815).

AUTEUR

RENÉ DESCOMBES Ingénieur. Chef d’arrondissement honoraire du Service de la Navigation de Strasbourg

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Faire connaître Liszt en son temps : Alfred et Marie Jaëll, « passeurs » oubliés À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Liszt Popularizing Liszt in his time: Alfred and Marie Jaëll, forgotten initiators Sie machten Liszt zu seinen Lebzeiten bekannt: Alfred und Marie Jaëll

Marie-Laure Ingelaere

1 La personnalité fascinante de Franz Liszt (1811-1886) a attiré dans son sillage des légions de pianistes qui sont venus de toute l’Europe et même d’Amérique, pour suivre son enseignement du piano, unique en son genre1. Les pianistes Alfred Jaëll (1832-1882) et Marie Jaëll-Trautmann (1846-1925) ont travaillé avec le Maître, à des périodes différentes de leur vie et il s’avère que leur rencontre avec lui a eu un impact essentiel sur leur carrière commune et leur évolution musicale. Mais de son coté, Liszt ne leur serait-il pas quelque peu redevable ?

2 Alfred Jaëll (1832-1882) était un adolescent de treize ans quand il a été présenté à Liszt pour la première fois, à l’occasion d’un concert en 1845 à Stuttgart2. Après son retour d’Amérique en 1852, le jeune pianiste est parmi les premiers à jouer ses œuvres. Lorsqu’il interprète avec succès le premier concerto pour piano du Maître, en janvier 1855, la critique fait remarquer que l’œuvre n’existait encore qu’à l’état de manuscrit3. Ce premier concerto était au programme du concert du 6 décembre 1855 que Liszt avait été invité à donner à Berlin par Julius Stern, directeur du Conservatoire. Quand Liszt en relate le déroulement à Marie de Hohenlohe-Schillingsfürst, dans une lettre datée du 7 décembre, il ne manque pas de mentionner la présence d’Alfred Jaëll parmi les « artistes étrangers » présents4.

3 Liszt qui appréciait beaucoup Alfred Jaëll, lui dédicace avec reconnaissance la partition enfin imprimée de ce concerto dont Alfred avait fait un « cheval de bataille » : « À Alfred Jaëll, en témoignage amical de la vaillance à faire valoir des compositions mal famées telles que ce Concerto, de son très affectueusement dévoué, F. Liszt, Weymar, 30 avril 18575 ». C’est d’ailleurs Alfred qui en donne la première audition publique à

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Paris le 17 mai 1857, peu de temps après cette dédicace6. À partir de 1879, Alfred laisse, semble-t-il, à son épouse ce concerto qui sera l’une des œuvres favorites de son répertoire : elle la donne encore en 1895 à Paris7.

4 L’engagement d’Alfred pour la musique de Liszt était de notoriété publique et il lui attirait parfois des jugements sans appel comme celui du critique de la Revue des deux mondes, en 1860, à propos du concert donné par Hans Bulow venu jouer à Paris « les divagations de M. Liszt, son beau père, et faire de la propagande en faveur de la musique de l’avenir. Notre siège est fait, et M. Hans de Bulow n’a pas assez d’initiative dans l’esprit ni assez de puissance affective pour faire un grand nombre de prosélytes à une détestable cause. Nous en dirons à peu près autant de M. Alfred Jaëll, pianiste de vrai talent, mais élève de M. Liszt, qui lui a imposé le lourd fardeau d’exécuter ses œuvres […] Lorsque M. Jaëll a voulu exécuter avec M. Hans de Bulow une de ces divagations à quatre mains que M. Liszt intitule les Préludes symphoniques, tout le monde s’est levé, après trente ou quarante mesures et a déserté la salle8 ».

5 Ensemble, Alfred et Marie Jaëll seront aussi les hérauts du Concerto pathétique pour deux pianos de Liszt.

6 Quant à Marie Jaëll-Trautmann, pianiste de réputation européenne née à Steinseltz, dans le nord de l’Alsace, dont l’attachement à ses origines était bien connu, elle s’était fait très tôt remarquer comme interprète de Liszt. Un critique écrit déjà en 1872 qu’elle « excelle dans l’interprétation de la musique de Liszt qui réclame souvent des contrastes…9 » et cette réputation ne la quittera plus. « La musique de Liszt qu’elle affectionne par-dessus tout autre, est rendue par elle avec la puissance, la netteté, le brillant et la délicatesse qu’elle comporte », selon le critique du concert donné par le couple Jaëll le 2 avril 1873 à Paris10. En 1885 encore, l’Album du Gaulois qui publie Sphinx, l’une des compositions de la pianiste, affirme que « Liszt est son maître et son modèle11 ». Marie Jaëll ne cessera jamais d’interpréter la musique de Liszt et Camille Saint‑Saëns, son maître de composition, l’affirme : « il n’y a qu’une personne au monde qui sache jouer Liszt : c’est Marie Jaëll12 ». Il n’est donc pas étonnant qu’on retrouve souvent sous ses doigts les Etudes de concert 1-3, les Années de pèlerinages, la Grande Tarentelle, l’une ou l’autre des Valses de Méphisto…

Marie Jaëll compositrice et Franz Liszt

7 Liszt aura une grande influence sur Marie Jaëll même si elle proclame sa volonté de faire œuvre originale13. Liszt soutient la publication de ses premières compositions. « Sous forme de Valses et Ländler, Madame Jaëll a composé un collier de fines perles musicales… Si Leuckard avait la maladresse de ne pas s’en emparer vite, je trouverais aisément un autre éditeur convenable…14 » écrit Liszt à Alfred Jaëll en 1876. Lorsqu’il invite Marie en 1884, après la disparition d’Alfred, il lui précise : « Ne manquer pas d’apporter à la Hofgaertnerei la partition et les parties d’orchestre de votre Concerto, œuvre maîtresse et géniale »… tout en lui avouant la ligne suivante ne pas avoir trouvé le moyen de mettre l’œuvre au « programme excessivement surchargé de la prochaine Tonkuenstlerversammlung du 23 au 28 mai 1884 à Weimar. D’Albert joue son Concerto ; Brassin le sien ; de même Siloti… Cette fois, le beau sexe ne sera pas en évidence…15 ». Le destin en décidera autrement : Marie Jaëll devra au décès soudain du pianiste belge Louis Brassin (1840-1884) de pouvoir interpréter son deuxième Concerto en ut mineur dédié à Eugène d’Albert qu’elle venait de créer un mois plus tôt devant la Société

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nationale à Paris. Remarquons que c’est la seule œuvre d’une compositrice exécutée lors de cette rencontre16. Et quand Liszt, en 1885, compose pour le piano la troisième Valse de Méphisto qu’il dédie à Marie Jaëll, il laisse à celle-ci le soin de la terminer. Marie connaissait très bien cette difficulté de Liszt pour terminer une œuvre et elle tente de la comprendre : « Peut-être ces fins, qui s’imposaient à Liszt, lui laissaient quelquefois le regret de ne pouvoir en faire d’autres, comme pour cette valse qu’il me demanda de terminer parce qu’après avoir longtemps cherché il lui semblait que je trouverais mieux que lui17 ».

8 Liszt est aussi redevable au couple Jaëll de l’arrangement pour deux pianos de sa Fantaisie de Don Juan. Alfred Jaëll lui est reconnaissant de sa confiance et écrit en 1876 : « Nous nous occupons de l’arrangement à deux pianos de la plus belle et plus spirituelle fantaisie qui ait jamais été écrite, et vous pensez bien avec quel bonheur ! Nous vous devons encore mille remerciements d’avoir bien voulu nous trouver dignes d’une tâche si élevée !… Veuillez aussi avoir la bonté de me faire savoir […] à quelle adresse je pourrais vous envoyer une première esquisse du Don Juan18 ».

Marie Jaëll âgée de 38 ans (1884)

« Très chère Ossiana, Quoique dans mon très restreint logis de la « Hofgärtnerei » les photographies soient exclues – à l’exception d’un Daguerrotype de la princesse de Wittgenstein… – votre photographie que vous m’avez amicalement envoyé [sic] a sa place choisie. Venez la voir bientôt. F . Liszt. Weimar, 30 avril 188419 »

La méthode pianistique de Marie Jaëll et Franz Liszt

9 Liszt est aussi l’ami qui aide Marie Jaëll à surmonter la perte de son mari Alfred décédé en février 1882. Marie le rencontre en juillet 1882 à Zurich après une longue interruption de leurs relations. En effet, elle ne l’avait plus revu depuis juillet 1870 lors

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de la dernière incursion du couple en Allemagne, à l’occasion d’une réception donnée en l’honneur de Liszt au cours de laquelle Alfred Jaëll avait joué Mazeppa avec le compositeur20. Marie Jaëll, alsacienne « française », intransigeante quand il s’agissait de patriotisme, avait décidé de ne plus aller dans le pays qui avait vaincu la France et annexé l’Alsace.

10 C’est donc pour répondre à l’invitation amicale de Liszt qu’elle se décide, en 1883, à retourner enfin en Allemagne21. Invitée à Weimar, elle y séjourne à trois reprises entre 1883 et 1885 en dépit du malaise que suscitent chez elle son dilemme culturel entre Alsace et Allemagne et les pesanteurs de la vie mondaine qui y régnaient. Les intrigues courtisanes lui pesaient énormément22. Il fallait donc qu’elle soit vraiment motivée pour rester.

11 Le souvenir vivace du jeu de Liszt entendu en 1868, hantait sa mémoire : « Quand, en 1868, à Rome, j’ai entendu pour la première fois Liszt, toutes mes facultés auditives semblaient se transformer dès qu’il commençait à jouer : cette transformation si inattendue m’a frappée plus que son jeu lui-même. Il semblait qu’atteinte jusque-là de myopie musicale, j’avais tout à coup découvert qu’il existe une perspective dans l’audition des sons […] Evidemment le jeu de Liszt avait agi sur mon esprit de manière à lui communiquer des facultés qu’il n’avait jamais eues […] C’est précisément la prodigieuse dissociation des doigts de Liszt, intimement reliée à la transcendante cérébralité de son jeu, qui a provoqué le perfectionnement momentané de ma mémoire, et par conséquent de ma pensée musicale…23 ».

12 Comment sa perception avait-elle pu être transformée à ce point ? Seul un séjour d’une certaine durée qui lui offrait l’occasion de côtoyer plus longuement Liszt et de travailler avec lui, pouvait lui permettre enfin d’observer à loisir sa manière de composer et sa manière d’être au piano. En 1896, elle écrira : « Liszt était à la fois un musicien de génie et un virtuose de génie… Au problème matériel des mouvements réalisés sur le clavier, correspondait un problème cérébral que nul n’a pu réaliser après lui… Il faut bien reconnaître que pendant l’exécution d’une œuvre, les agencements de notes se combinent dans le cerveau de l’exécutant comme les agencements de chiffres se combinent dans le cerveau du calculateur… Il ne suffit donc pas d’envisager dans l’étude des œuvres de Liszt la nécessité de mouvoir dix doigts avec une adresse de combinaisons extraordinaires, mais celle de communiquer aux fonctions cérébrales une adresse de combinaisons bien supérieure à celle des doigts. Sans cette fusion du mécanisme fonctionnel et intellectuel, l’œuvre interprétée sera fatalement défigurée… 24 ».

13 L’instinct de l’artiste est donc une alliance indéfectible entre l’élan de l’inspiration musicale et le mécanisme instrumental qui en découle intimement ; une sorte de raisonnement inconscient. L’adéquation de l’œuvre interprétée et de la pensée se fait d’elle-même : Liszt en est la vivante démonstration. Pour la musicienne, il faut donc prendre conscience de cette adéquation. Pour ce faire, elle prend alors un chemin qui lui est propre et qui ne s’impose pas à tous les musiciens de l’époque. Elle étudie les lois physiologiques qui régissent ces mouvements pour donner peu à peu de plus en plus d’importance aux représentations mentales25. En conséquence, elle propose de substituer à l’exercice empirique un travail conscient fondé sur la connaissance scientifique des organes humains et du cerveau par lequel passe toute réalisation artistique. C’est une démarche « physiologique » tout à fait nouvelle à son époque

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même si d’autres musiciens, en Allemagne et en Angleterre, travaillaient et se situaient aussi dans cette perspective nouvelle26.

14 Elle pense ainsi atteindre son premier but explicite de transmettre l’esprit lisztien : « Ce n’est pas ce que je réalise qui me passionne… c’est de sentir que j’ai découvert en moi l’esprit lisztien et qu’il pourra se transmettre aux générations futures27 ». Elle n’est pas la seule pianiste à proposer une pédagogie inspirée de l’art du clavier de Liszt28. De nombreux disciples du maître ont tenté de communiquer leur approche du piano telle qu’elle leur a été inspirée par leur travail avec Liszt mais Marie Jaëll s’en distingue parce qu’elle n’en reste pas à une simple méthode d’enseignement mais développe une nouvelle conception du rôle de l’interprète : être la musique comme l’était Liszt.

15 Cette démarche l’entraîne plus loin qu’elle ne le pensait à l’origine : c’est du perfectionnement de l’organisme humain qu’il s’agit maintenant pour elle. Elle annonce clairement l’évolution de son orientation dans la préface de l’ouvrage qu’elle fait paraître en 1910 – Un nouvel état de conscience. La coloration des sensations tactiles : « Je dois l’avouer, j’attribue à la solution du problème de l’harmonie du toucher un tout autre but que celui de l’éducation musicale […] on agit non seulement avec efficacité sur la musicalité de la pensée, mais aussi sur le développement de l’intelligence […] j’ai prêté à l’harmonie du toucher une mission éducatrice spéciale : celle de fournir des éléments nouveaux à l’éducation du cerveau… » dans la perspective d’atteindre, selon elle, la vérité ou la beauté, but suprême de l’art. Car pour elle, « notre cerveau est producteur de beauté, parce que c’est sa fonction…29 ».

16 Que de chemin parcouru depuis la préface de La Musique et la psychophysiologie publiée en 1896 : « Il règne dans l’étude du piano, une ignorance absolue du caractère essentiellement esthétique du mécanisme. Se familiariser avec les phénomènes de l’expressivité musicale en analysant, par une observation raisonnée, les mouvements par lesquels elle se transmet au clavier, est une idée neuve […] Nous […] affirmons dès à présent, qu’en principe, la réalisation de la beauté esthétique exige chez l’exécutant un état physiologique spécial, considéré comme un privilège exclusif de certains organismes dont Paganini et Liszt sont restés les représentants exceptionnellement supérieurs. Si […] la science expérimentale peut aider les musiciens à définir cet état physiologique des exécutants privilégiés, on ne se bornera plus à enseigner le mécanisme de l’exécution30 ce seront les fonctions organiques des exécutants aptes à produire une exécution supérieure qui serviront de bases à l’enseignement31 ».

17 Pour Marie Jaëll, Liszt pianiste est le prototype même du grand artiste. La meilleure manière de transmettre « l’esprit des œuvres de Liszt » est de les interpréter en les fécondant par sa propre interprétation. « C’est ainsi que Liszt a voulu son art. Sa plus haute tendance était de suggérer une autre création à travers la sienne ; il ambitionnait une communion ultra intense avec ses interprètes […] L’interprète devait se sentir libre comme s’il transmettait sa propre pensée. C’est là l’innovation principale renfermée dans les œuvres de Liszt […] L’épanouissement de sa propre pensée ne lui apparaissait que dans le rayonnement communiqué à une pensée conjointe32 ». Voici la clé de l’expérience déterminante de 1868 à Rome. Christian Corre, auteur d’un ouvrage récent, ne va-t-il pas jusqu’à évoquer chez Marie Jaëll « le long itinéraire qui part du toucher pour aboutir à la conscience de soi et du monde33 ».

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Deux cycles d’« audition des œuvres originales pour piano de Liszt » (1891 & 1892)

18 Marie Jaëll va, par ailleurs, créer l’évènement qui lui permettra de tenter d’une autre manière encore, de transmettre l’esprit des œuvres de Liszt : « Mme Marie Jaëll a terminé, vendredi 18 mars, ses auditions des œuvres originales pour piano de Liszt. En six séances, elle a fait entendre près de cent morceaux de dimensions diverses et de caractères variés, Etudes, Années de pèlerinage, Harmonies poétiques, Consolations, etc. Mme Jaëll a dit34 également une sonate et un grand solo de concert. Pour interpréter une telle quantité d’œuvres, dont la plupart offrent, pour la masse des exécutants, une difficulté presque insurmontable, il ne fallait rien moins que le prodigieux talent de Mme Jaëll…35 ». C’est en ces termes que H. Barbedette, critique du Ménestrel, relate la série de six concerts donnés par Marie Jaëll les vendredis 8 et 22 janvier, 5 et 19 février, 4 et 18 mars 1892, salle Pleyel à Paris. Ce faisant, elle reprenait, avec quelques modifications mineures de son programme, la série de six concerts qu’elle avait expérimentés l’année précédente, les vendredis 15, 22, 29 mai et 5, 12, 19 juin 1891 chez elle, devant un public plus restreint.

19 Dès le premier concert, le critique avait bien compris l’intention de la pianiste : « Mme Marie Jaëll a donné, salle Pleyel, son premier concert consacré aux œuvres de Liszt. Il ne s’agit pas du Liszt connu et inimitable des transcriptions, ni du virtuose extraordinaire […] Il s’agit là du Liszt intime, oublieux des ovations bruyantes, se racontant lui-même les évolutions de sa pensée et les émotions de son cœur d’artiste. C’est là un Liszt digne plus vrai et plus digne d’être admiré. Mme Jaëll était tout indiquée pour être l’interprète d’un pareil maître36 ».

Programme rédigé par Marie Jaëll pour le cycle des six concerts dédiés à Liszt en 1892

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20 Elle accorde une telle importance à ces auditions qu’elle rédige elle-même les textes explicatifs des œuvres qu’elle veut faire comprendre et aimer d’un public qui demeurait le plus souvent très réservé devant les nouvelles orientations esthétiques de la musique à cette époque37. Barbenette reflète bien les réticences de l’opinion publique envers la musique de Liszt quand, après avoir assisté aux six concerts donnés par Marie Jaëll, il persiste à écrire : « elle n’a pu réussir à modifier notre opinion sur Liszt ; nous voyons toujours en lui un improvisateur de génie, aux envolées souvent grandioses ; mais il s’abandonne trop à sa fantaisie pour être compté pour un vrai maître. Sa musique en général ne restera pas38 ». Nous lui laissons la responsabilité de ce jugement sans appel : deux cents ans après la naissance de Liszt, quelle ne serait pas la surprise de notre critique de constater que le temps n’est pas allé dans son sens !

21 Il faut tout de même nuancer car de son coté, Amédée Boutarel, autre critique du Ménestrel, semble, lui, conquis lorsqu’il conclut son compte rendu du concert du 24 février 1892 que Marie Jaëll consacre à des œuvres diverses et variées de Liszt, avec la collaboration de Louis Diemer et Mme Colonne, salle Erard à Paris : « En somme, succès complet pour Liszt et pour ses brillants interprètes39 ».

22 Et, force est de constater que le cycle des six concerts donnés en 1892 a marqué une étape essentielle dans la réception de la musique pour piano de Liszt dans les milieux musicaux. En 1901, Amédée Boutarel en rappelle l’importance et reprend en les citant les commentaires écrits par Marie Jaëll, à l’occasion de la Soirée Liszt donné par le pianiste Edouard Risler, lui aussi d’origine alsacienne : « Depuis que Mme Marie Jaëll a fait entendre, en janvier, février, mars 1892, salle Pleyel, tout l’œuvre original pour piano de Liszt, jamais les grandes compositions du maître n’ont trouvé un interprète aussi pénétré de leur haute signification que M. Risler40 ». Même s’il n’y a aucune allusion explicite aux concerts de 1892, n’est-il pas significatif qu’en 1902, soit dédié « à Madame Marie Jaëll », un long article au titre évocateur : L’« âme du piano » et le génie dévoué de Franz Liszt, signé par Raymond Bouyer, critique d’art du Ménestrel 41. Les concerts de 1892 sont encore évoqués en 1911, dans le même journal, lorsqu’il est rappelé que la deuxième Valse de Méphisto « a souvent été exécutée par Mme Marie Jaëll, notamment au concert donné le 18 mars 1892, salle Pleyel42 », lors du dernier concert de la série.

23 Marie Jaëll se trouvait presque toujours associée aux manifestations en l’honneur de Liszt. Fidèle à elle-même, le 3 mars 1895, elle participe avec les pianistes Louis Diemer, Raoul Pugno et l’Orchestre des concerts Lamoureux, au concert donné à Paris « au profit de la souscription pour le monument qui doit être élevé à Weimar, à la mémoire de Liszt43 ». Elle y est l’interprète du Concerto en mi bémol de Liszt au programme à côté d’œuvres de Bach, de Saint-Saëns et de Grieg. Liszt figurera toujours à son répertoire lors des derniers concerts qu’elle donne en 1905, à Paris, Colmar et Strasbourg44.

24 Liszt a donc occupé une place particulièrement importante dans le répertoire du couple Jaëll et a eu une influence déterminante dans le déroulement de leur carrière. Il a aussi été l’inspirateur de la démarche pédagogique de Marie Jaëll. Située par rapport à un tel arrière‑plan, la vision de la musicienne ne pouvait être qu’ambitieuse. À l’image de ce que la pensée de Liszt a suscité en elle, sa quête a été un cheminement personnel pour atteindre un « nouvel état de conscience »45 favorable à l’expression de la musique qui habite le musicien.

25 En 1886, paraît dans deux numéros successifs du principal périodique musical parisien Le Ménestrel, un article dont le titre peut paraître étonnant de la part de celle qui

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prônait une démarche scientifique : Le divin dans la musique46. Mais, Marie Jaëll ne nous livre-t-elle pas là une clé pour la comprendre quand elle écrit en conclusion : « Le grand artiste est, par toute son organisation […] un type parfait dans lequel le mécanisme humain atteint la plénitude de ses jeux ; mais cet être parfait, qui est forcément un être créateur, ne réalisera sa force créatrice qu’après avoir fait concorder ses aspirations artistiques individuelles avec les principes primordiaux de son art ; […] car, à vrai dire, la vérité consiste à semer l’art ; le chêne est dans le gland, l’épi est dans le grain de blé ; donnant en quelque sorte, le germe de l’art à chacun, chacun, selon ses moyens, le fera pousser, fleurir, fructifier. L’art doit être vrai, mais il doit être libre ; ce n’est qu’en réunissant ces deux conditions qu’il sera divin ». Comme l’était Liszt à ses yeux.

NOTES

1. Bertrand Ott, Liszt et la pédagogie du piano. Essai sur l’art du clavier selon Liszt. Nouvelle éd. revue et corrigée. Paris, CPA, 2008. Voir en particulier, la première partie. 2. A. Marmontel, Les virtuoses contemporains, Paris, Au Ménestrel, Heugel, 1882, p. 184. Le Ménestrel, 5 mars 1882. 3. Neue Zeitschrift für Musik, 1856, 4 janvier, 8 février. RGM 1856, 20 janvier, 3 février, 24 février, 23 mars, 4 juillet. 4. Pauline Franz Lizst, Lettres à la princesse Marie de Hohenhole-Schillingsfürst née de Sayn- Wittgenstein. Pauline Pocknell, Malou Haine, Nicolas Dufetel (éds.) Paris, Vrin, 2011, p. 120-122. (MusicologieS). 5. BNU Strasbourg, Fonds Jaëll : MRS Jaëll 56,2. Abrégé par la suite : BNUS, Fonds Jaëll. 6. RGM 1875, 7 novembre, 21 novembre. Cf. aussi : BNUS, Fonds Jaëll : MRS Jaëll 315,1 7. BNUS, Fonds Jaëll : Press-Book MRS Jaëll 21. 8. Les concerts de la saison. Revue des deux Mondes, 27, 1860, p. 701‑702. 9. RGM, 1872, 26 mai. Concert du 22 mai 1872. 10. RGM 1873, 6 avril. 11. Album du Gaulois, Prime, 1885, p. 2. 12. Hélène Kiener, Marie Jaëll, Problèmes d’esthétique et de pédagogie musicales, Paris, Flammarion, 1952, p. 66. Abrégé par la suite : H.K. 13. Marie Jaëll écrit dans son Journal, le 13 juillet 1893 qu’elle voulait Le Paradis – l’une de ses œuvres – « translucide, simple, se renouvelant sans cesse par des idées neuves… Ce qui me tourmente, c’est de discerner si ce que j’écris m’appartient ou dérive des autres ? » 14. J. Chantavoine, Lettres inédites de Liszt à Alfred et Marie Jaëll. Revue internationale de musique, 1952, 12, p.35 : Lettre à Alfred Jaëll, Weimar, 22 juin 1876. 15. J. Chantavoine, Lettres inédites…, p. 41. 16. NZM, 1884, 20 juin, p. 285. 17. M. Jaëll, Commentaire pour le 6e concert des œuvres originales pour piano de Liszt, 19 juin 1891, p. 28-29. BNUS, Fonds Jaëll : MRS.Jaëll.18,5. 18. Lettre d’Alfred Jaëll à Liszt du 9 janvier 1876. Selon les catalogues de Raabe et Searle, La Fantaisie de Don Juan de Liszt composée en 1841 a été publiée à Berlin en 1843 puis en 1875 ; la version pour 2 pianos a été publiée en 1877 à Berlin (Schlesinger). D’après la correspondance avec les Jaëll, la date de composition inconnue jusqu’alors, se situe en 1876.

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19. J. Chantavoine, Lettres inédites…, p. 42. Ossiane, surnom que Liszt utilise dans la correspondance des années 1882 et suivantes, est le titre du poème symphonique composé par Marie Jaëll créé à Paris en 1879 (RGM, 1879, 18 mai). 20. Réception du 3 juillet 1870 : RGM, 1870, 10 juillet ; NZM, 1870, 8 juillet, 15 juillet. 21. Les statistiques des concerts relevés dans la RGM et le NZM montrent qu’aucun concert n’est plus donné en Allemagne après 1870. 22. H.K. p 60 : « Pour rester ici, quelle force, quelle persévérance il faut ! C’est l’amour du progrès poussé à sa limite. » 23. M. Jaëll, Les rythmes du regard et la dissociation des doigts, Paris, Fischbacher, 1906, p. 3‑6. 24. M. Jaëll, La musique et la psychophysiologie. Paris, Alcan, 1896, p. 103-104. 25. H.K., p. 158s. 26. Elisabeth Caland (1862-1929), professeur de piano en Allemagne, vient travailler avec Marie Jaëll en 1896-1897, à Paris. Elle participe à ses expériences. En 1897, elle fait paraître sa propre méthode : Die Deppesche Lehre des Klavierspiels, Magdeburg, Ebner, 1897, 156 p. 27. H.K., p. 64. 28. Cf. B. Ott. Liszt et la pédagogie du piano. Essai sur l’art du clavier selon Liszt. Paris : CPA, 2008. 29. H.K., p. 98. 30. Au sens de : mécanisme traditionnel de l’exécution. 31. M. Jaëll, La musique et la psychophysiologie, Paris, Alcan, 1896, p. 3‑4. 32. M. Jaëll, La musique et la psychophysiologie, Paris, Alcan, 1896, p. 105. 33. Chr. Corre, Écritures de la musique. Paris, PUF, 1996, p. 194. 34. A dit = a interprété. Expression héritée de l’époque romantique. 35. Le Ménestrel, 1892, 27 mars, p. 101. 36. Le Ménestrel, 1892, 1er janvier, p. 21. 37. Programme des concerts donnés par Marie Jaëll, Œuvres originales pour piano de Liszt… 1891, Paris, Chaix, 1891, 32 p., BNUS fonds Jaëll : MRS Jaëll 18. – Audition des œuvres originales pour piano de Liszt… Salle Pleyel, 1892, Paris, Chaix, 1892, [40] p. : MRS Jaëll 19. 38. Le Ménestrel, 1892, 27 mars, p. 101. 39. Le Ménestrel, 1892, 3 mars, p. 72. 40. Le Ménestrel, 1901, 12 mai, p. 152. 41. Le Ménestrel, 1902, 14 septembre, p. 271-292 ; 21 septembre, p. 299-300. 42. Le Ménestrel, 1911, 22 avril, p. 126. 43. Le monde artistique, 1895, p. 116. 44. BNUS, Fonds Jaëll : Press-Book MRS Jaëll 20. 45. C’est le titre de l’un de ses ouvrages paru en 1910. 46. M. Jaëll, Le divin dans la musique, Le Ménestrel, 1886, 10 octobre, p. 361-362 ; 7 novembre, p. 391-393.

RÉSUMÉS

La carrière des pianistes Alfred et Marie Jaëll a été largement influencée par Franz Liszt dont ils ont été les disciples d’une manière ou d’une autre. Mais Liszt leur est aussi redevable. Le virtuose Alfred Jaëll (1832-1882) a mis les œuvres de Liszt très tôt à son répertoire, dès les années 1855 et a contribué de plus à diffuser sa musique par le biais des « paraphrases » qu’il composait. Marie

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Jaëll-Trautmann (1846-1925), son épouse, s’imposera toute sa vie comme interprète incontestée de Liszt. Le cycle de six concerts qu’elle consacre en 1892 à Paris aux œuvres pour piano connues de Liszt marque son temps. L’étude des relations entre Liszt et Marie Jaëll éclaire la personnalité de cette dernière en tant que virtuose et compositrice et aussi en tant qu’initiatrice d’une nouvelle méthode pianistique basée sur une approche scientifique.

The career of these two pianists has been widely influenced by Franz Liszt, their –somehow or other– master. But Franz Liszt was also indebted to them. A. Jaëll (1832-1882), a piano virtuoso added Liszt’s works as early as 1855 to his repertoire and contriuted to the composer’s popularity with his “paraphrases”. His wife, Marie Jaëll-Trautmann (1846-1925) was to be a lifelong undisputed interpreter of Liszt’s works. The series of 6 piano performances of Liszt’s most famous compositions in 1892 was to be a musical event. The study of the relations between Liszt and M. Jaëll shed new light on her personality as a virtuoso and a composer, but also as the inventor of a new teaching method based on a strictly scientific approach.

Die Pianisten Alfred und Marie Jaëll sind Franz Liszts Schüler, und er ist es auch, dem sie ihren Ruf verdanken. Aber die Beziehung war nicht einseitig. Auch Liszt schuldet ihnen Dank. Der Virtuose Alfred Jaëll (1832 - 1882) hat Lists Werke schon sehr früh, seit 1855, in sein Repertoire aufgenommen. Darüber hinaus waren es „Paraphrasen” eigener Komposition, die geholfen haben, Liszts Musik bekannt zu machen. Marie Jaëll-Trautmann (1846 - 1925), seine Gemahlin, war zeit ihres Lebens die unbestrittene Interpretin von Liszt. Der Zyklus von 6 Konzerten, den sie 1892 in Paris den Werken von Liszt widmete, war das musikalische Ereignis, das die damalige Zeit geprägt hat. Die Erforschung der Beziehungen zwischen Liszt und Marie Jaëll bringt Licht in die Persönlichkeit letzterer als Virtuosin und auch Komponistin aber auch als Erfinderin einer neuer Methode des Pianounterrichts die auf wissenschaftlichen Erkenntnissen aufbaut.

AUTEUR

MARIE-LAURE INGELAERE Présidente de l’association Marie Jaëll – Alsace (Strasbourg)

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Le voyage de Maximilien, empereur du Mexique, vers le Mexique en 1864, vu par le peintre Henri Zuber Maximilian, emperor of Mexico, and his trip to Mexico in 1864, as seen by the painter Henri Zuber Kaiser Maximilians Reise nach Mexiko (1864) gesehen vom Maler Heinrich Zuber

François Pétry

1 Plusieurs peintres alsaciens ont, à un moment de leur carrière, pratiqué la peinture historique. Une majorité d’artistes ont donné surtout dans la reconstitution historique : l’un des plus prolifiques a été Léo Schnug (1878‑1933) qui a fait place un peu à l’Antiquité et bien davantage au Moyen Âge, à la Renaissance et aux guerres napoléoniennes. On rappellera notamment son grand tableau de l’entrée de l’empereur Sigismond à Strasbourg en 1414 (au Musée historique de Strasbourg) ou les décors muraux du Haut-Koenigsbourg ; parfois même, cet artiste n’hésitait pas à combiner les époques mêlant, principalement, sur des dessins de soldats en ligne ou en groupe – et pour le plaisir –, des guerriers médiévaux à des soldats révolutionnaires, sinon plus contemporains… On se souvient aussi de sa fascination particulière pour les guerres napoléoniennes, lorsqu’il traite de la retraite de Russie, ou du thème de deux grenadiers1, etc. On n’oubliera pas Joseph Sattler (1867‑1931) et certains de ses travaux réalisés dans le contexte du Groupe de Saint-Léonard (comme la Guerre des paysans de 1525) ou encore sa magistrale reconstitution du monde des Widertäufer de Münster.

2 Dans divers pays, et en France particulièrement, l’épopée napoléonienne avait inspiré des « peintres d’histoire » : il y a, d’une part, ceux qui ont peint les événements de l’Empire (par ex., couronnement impérial, batailles), à l’époque même où ils se déroulaient ou peu après ; ultérieurement, surtout après 1840, la peinture historique (de reconstitution) s’est toujours beaucoup tournée vers des événements napoléoniens (voir par ex. Meissonnier). Au moment de la guerre de 1870-71, et dans le cas de la seule Alsace, s’il y a eu, certes, des dessins faits en direct (par Touchemolin par ex.), ce sont les photographes, plus que les peintres, qui se sont mis en évidence ; d’ailleurs, une

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partie des dessins et lithographies, publiés par les artistes peu après, s’inspirait même directement des photos faites par les Winter, Baudelaire, Saglio et Peter…2. L’un des derniers artistes d’Alsace à faire une assez grande place à la peinture d’histoire a été Robert Heitz (1895‑1984)3.

3 Les définitions des catégories de peintures comme peinture d’histoire, peinture de guerre ou encore peinture de batailles ne sont pas extrêmement rigoureuses, puisque les peintres qui se sont livrés à des restitutions de scènes antiques – éventuellement vieilles de millénaires ou même mythiques – ou encore médiévales, sont en quelque sorte logés à la même enseigne que ceux qui ont rendu compte, de façon immédiate, de l’actualité d’événements historiques ou de batailles auxquels ils ont assisté (et qu’ils ont éventuellement croqués) ou sur lesquels ils ont bénéficié de relations de participants ou témoins directs. Certains de ces peintres « de l’actualité » étaient en quelque sorte, selon une expression récente, embedded, soit embarqués dans le convoi même des armées : si ce système d’embarquement concernant des journalistes et photographes (pour mieux contrôler leurs productions) n’a été théorisé que récemment (en 2003, par les Américains au moment de la guerre en Irak), il est vieux comme le monde…

4 À des peintres intéressants en lien avec l’Alsace, qui ont été des peintres de l’actualité d’événements, comme Benjamin Zix (1772-1811)4 et Gustave Doré (1832‑1883)5, – qui, à la fin du XVIIIe siècle ou au XIXe siècle, ont donc fourni des vues de faits ou de bataille quasiment au moment où elles avaient lieu –, il convient maintenant d’ajouter Henri Zuber (1844‑1909). Zix accompagnait les troupes sur des champs de bataille et Doré disposait de témoins en quelque sorte immédiats d’événements de l’histoire. Une petite découverte récente montre que Zuber a été, apparemment, le seul artiste ayant rendu compte par le dessin du voyage maritime qui conduisit, en 1864, Maximilien de Habsbourg, devenu empereur du Mexique, d’Europe au Mexique : il était un témoin de premier plan, puisqu’il se trouvait dans le navire d’escorte français qui accompagnait le bateau impérial.

Maximilien, empereur du Mexique

5 Maximilien, archiduc d’Autriche, devenu empereur du Mexique, est une figure tragique bien connue de l’histoire du XIXe siècle. Les conditions de son accession au trône d’empereur du Mexique et, en particulier, les manœuvres de puissances européennes, Napoléon III en tête, pour faire pièce aux États-Unis d’Amérique, s’entredéchirant dans la Guerre de Sécession, ont été longuement étudiées par les historiens. Maximilien, jeune frère de François-Joseph, empereur d’Autriche-Hongrie, avait éprouvé déjà bien des mécomptes en tant que vice-roi du Royaume de Lombardie-Vénétie depuis 1857, perdant notamment la Lombardie en 1859. Au préalable, même dans le cadre de ses fonctions de vice-roi, il avait pris déjà des distances avec le pouvoir, choisissant de développer la marine de guerre autrichienne, préférant des voyages et s’investissant dans la construction du château de Miramar, à quelques kilomètres au nord de Trieste.

6 L’Empire français avait soutenu le roi de Sardaigne, Victor‑Emmanuel II, et combattu à ses côtés en Italie contre l’Autriche et ainsi largement contribué à la perte par celle-ci de la Lombardie. Malgré les tensions et les guerres, des liens étaient maintenus entre grandes puissances. Français, Anglais, Espagnols et Belges s’étaient engagés dans une hasardeuse expédition au Mexique : hors les Français, ces alliés de circonstance contre le gouvernement de Benito Juarez s’étaient retirés du Mexique dès 1862. Napoléon III,

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seul, tentait de contrôler le jeu mexicain d’abord en occupant le pays, en multipliant les manœuvres et en encourageant la création d’un Empire. Les conservateurs mexicains en conflit avec Benito Juarez, président de la République du Mexique, firent le choix de l’archiduc Maximilien, choix qui convenait bien aux Européens : à Napoléon, car il aurait été convaincu de contribuer à la nomination d’un parent (Maximilien passait pour être le fils du duc de Reichstadt), aux Belges, car Maximilien avait épousé Charlotte, fille de Léopold, roi des Belges, à François-Joseph enfin, car son frère, bien plus populaire que lui, constituait une menace pour son trône… Il y eut de multiples tractations et même une Convention préparée au château de Miramar, validée ultérieurement à Paris. Les conservateurs mexicains trompèrent Maximilien sur les attentes du peuple mexicain et, malgré des mises en garde de son entourage, Maximilien accepta la couronne du Mexique en octobre 1863. Napoléon multiplia les promesses de soutien et s’engagea financièrement aux côtés de Maximilien. Celui-ci dut même, à la demande de François-Joseph, renoncer définitivement à ses droits à la couronne d’Autriche.

7 Ce qui frappa beaucoup les contemporains fut la fin dramatique de cette expérience mexicaine. Le corps expéditionnaire français avec Bazaine se retira en 1866, sous la pression des États-Unis où la Guerre de Sécession avait pris fin. La situation de Maximilien et de son camp empira rapidement : Charlotte, devenue l’Impératrice Carlota, courut en Europe à la recherche d’aides et de secours lorsque la situation s’aggrava. Si avant le départ pour le Mexique, Napoléon III et Eugénie avaient reçu Maximilien et son épouse avec de grandes démonstrations d’amitié, cette fois-ci, Carlota trouva porte close à Paris. Le Pape qui avait été très attentionné, lors d’une visite à Rome, au début du voyage de Maximilien et Charlotte vers le Mexique, assura qu’il ne souhaitait pas se mêler de questions temporelles. L’impératrice eut même une crise de paranoïa à la sortie de l’entrevue avec le Pape et sombra progressivement dans la folie. L’exécution de Maximilien en juin 1867, à Queretaro, eut un très grand retentissement. Manet, s’en inspirant, en fit des tableaux fameux (parmi les seuls intégralement conservés, une version à Boston et une seconde à Mannheim).

Le voyage maritime de Miramar/Trieste à Veracruz : une relation littéraire due à la comtesse Kollonitz

8 Maximilien avait organisé une partie de sa vie autour du château de Miramar à quelques kilomètres au nord de Trieste. Ayant accepté la couronne impériale du Mexique, il lui fallut bien entendu abandonner ce château et l’Europe. Le voyage maritime qui mena Maximilien et Charlotte au Mexique est connu par des évocations dans des Mémoires de personnages qui furent des proches de Maximilien, mais ces informations sont généralement assez lapidaires, il y est davantage question de réunions techniques, de programme de gouvernement et de préparatifs politiques. Il existe cependant sur ce voyage une relation littéraire qui fut rédigée par la comtesse Kollonitz, dame de la cour d’Autriche, qui faisait partie de la suite de l’impératrice Charlotte. L’ouvrage de Paula Kollonitz, Eine Reise nach Mexico im Jahre 1864 / « Un Voyage vers le Mexique au cours de l’année 1864 », connut un succès extraordinaire, il devait être traduit aussitôt dans de nombreuses langues… à l’exclusion du français6.

9 Cet ouvrage est un journal de voyage retraçant les diverses étapes du voyage maritime de façon détaillée et sur un mode assez enlevé (au départ, la situation était certes un

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peu compliquée, mais rien n’était encore tragique) : on assiste ainsi à la scène des adieux au château de Miramar, au départ de la « Novara », navire en quelque sorte amiral de Maximilien, flanqué d’un bateau français, la frégate « La Thémis », puis au passage devant Trieste. Quittant en principe définitivement l’Europe, Maximilien et Charlotte font des visites de courtoisie prolongées à Rome : au lieu de voguer vers Gibraltar en quittant l’Adriatique, la petite flottille contourne donc la botte italienne, traverse le détroit de Messine et remonte vers Civitavecchia, où elle fait escale. Le séjour se prolonge à Rome, il est marqué par de multiples réceptions. Le pape se montre affable : après avoir reçu en audience le couple en partance, il leur rend, à son tour, visite dans leur palais… Le voyage reprend : par le détroit de Bonifacio, Maximilien va rejoindre l’Espagne ; après avoir longé la côté d’Alicante, un nouvel arrêt est marqué à Gibraltar, où a lieu une réception et où l’entourage impérial trouve le temps d’assister à une course… Avant la grande traversée, escale est faite à Funchal, sur l’île portugaise de Madère, à laquelle les Habsbourg manifestent un attachement particulier (l’impératrice Elisabeth y a séjourné). Quelques problèmes surgissent au moment de la traversée (la frégate autrichienne manque de charbon…), puis de nouvelles étapes ont lieu dans les Caraïbes, à la Martinique et à la Jamaïque, marquées chaque fois par des réceptions. L’arrivée se fait à Veracruz dans une ambiance singulière. Au lieu de repartir aussitôt comme prévu, la comtesse Paula von Kollonitz, comme les autres membres de la cour d’Autriche, qui ont assuré l’accompagnement, sont amenés (quasiment contraints) à demeurer encore quelque temps au Mexique.

10 Malgré le succès international de son journal de voyage, Paula Gräfin Kollonitz (Paula Comtesse Kollonitz) reste peu connue : il ne semble pas qu’une étude soit consacrée à la personne de Paula Kollonitz. On s’est intéressé à elle en tant qu’écrivain femme, au contenu de son ouvrage, mais il ne semble pas que l’on se soit intéressé particulièrement à sa biographie. Née en 1830, elle devait décéder en 1890. Elle serait d’ancienne noblesse croate, mais on ne sait dans quelles conditions elle a été intégrée dans la cour d’Autriche (oesterreichischer Hofsstaat) : elle apparaît liée à la comtesse Zichy-Metternich, dont le mari est le responsable de la suite de Maximilien lui-même. Tous trois figurent dans la suite de Maximilien et de Charlotte lorsque le couple impérial entreprend le voyage transatlantique de Trieste au Mexique. Le comte de Zichy, son épouse, comme la comtesse Kollonitz assurent l’accompagnement jusqu’au Mexique et reviennent en Europe peu avant la fin de l’année 1864.

11 La comtesse Kollonitz semble avoir tenu un rang élevé dans la hiérarchie du Hofsstaat et apparaît dans l’entourage de Charlotte, devenue l’impératrice Carlota, comme la dame de cour la plus proche de celle‑ci avec le Obersthofmeister (forme de lord chamberlain) : au moment d’une escapade dans les ruines de Rome, ce sont les seules personnes qui accompagnent Carlota. Cette dernière avait une haute conscience de sa fonction, elle était très fière de son propre lignage de noblesse (issue de lignées royales ou impériale, ainsi des Orléans ou encore des Habsbourg, comptant comme son mari, Maximilien, Charles Quint parmi ses aïeux) : elle prit modèle sur les règles de cour de l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles et, au quotidien, elle se serait montrée particulièrement vigilante sur l’étiquette.

12 À travers son ouvrage, Paula Kollonitz apparaît comme une personne de très bonne culture, vive, curieuse, écrivant fort bien et de façon bien plaisante. Plus âgée de dix ans que l’impératrice, elle manifeste un attachement à son endroit, le souci même de

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celle-ci, qui ne semble pas seulement lié à sa propre fonction auprès de Carlota, transparaît parfois dans son journal.

13 La suite autrichienne affectée plus particulièrement à l’impératrice pour le voyage aurait dû revenir en Autriche dès le moment où le couple impérial posait le pied sur le sol mexicain à Veracruz. Or, le degré d’impréparation au Mexique était total, les conservateurs mexicains avaient donné à Maximilien un grand nombre d’assurances qui se révélèrent pour le moins inexactes : les dames mexicaines prévues pour constituer la suite impériale sur le sol mexicain n’étaient pas à Veracruz, de plus la fièvre jaune sévissait dans cette ville… La cour d’Autriche resta donc en fonction auprès de Carlota au Mexique bien plus longtemps que prévu. Paula Kollonitz assista ainsi à l’arrivée à Mexico de Maximilien et y vécut les premiers temps de l’installation. Elle fut un témoin essentiel de cette première période, une excellente observatrice du pays et de ses mœurs, elle saisit fort bien la complexité de la situation (attitude fort peu coopérative des Français, animosité et mauvais coups parfois de Bazaine, chef du corps d’expédition, hostilité du haut-clergé local, etc.). Paula Kollonitz ne repartit de Mexico que cinq mois après l’arrivée à Veracruz : son bateau, où le confort fut bien moindre qu’à l’aller, n’accosta à Saint-Nazaire que le 15 décembre 18647. Dans l’ouvrage de Paula Kollonitz, le voyage aller comprend quelque soixante-dix pages, le seul séjour au Mexique plus de cent cinquante et le voyage de retour, une vingtaine.

Le surgissement d’Henri Zuber : une relation dessinée unique du voyage de Maximilien

14 Bien que des études anciennes et une monographie récente lui aient été consacrées, Henri Zuber8 reste un peintre encore relativement méconnu, à tort, car il se révèle fort intéressant. Son grand-père est le fondateur de la manufacture fameuse de papiers- peints de Rixheim en Haute-Alsace. Né en 1844, Henri Zuber fit d’abord sa scolarité en Suisse alémanique, puis on le retrouve à Strasbourg et, ensuite, apparemment, à Paris (préparation de Navale ?). Il semble avoir dessiné très tôt. Au tout début des années 60, il est à Brest où il fait la connaissance du peintre de marine Etienne Mayer, dont il suit des cours pendant deux ans. Henri Zuber acquiert, là, un incontestable métier (bon apprentissage de peintre de marine), ce qui s’observe ensuite dans le détail du dessin des bateaux ou des ambiances portuaires. À Brest, il fait principalement ses études à l’École Navale dont il sort en bon rang (14e sur 66) et il sert, à sa sortie, comme aspirant de marine sur le « Montebello ». Peu après, au début de 1864, il est attaché à la frégate « La Thémis » qui est précisément le bateau d’escorte que l’empereur Napoléon III va mettre à la disposition de Maximilien Ier du Mexique pour le voyage de Trieste au Mexique. C’est au cours de cette mission qu’Henri Zuber, à peine âgé de 20 ans, réalise une importante série de dessins qui rendent compte de ce voyage maritime – de ses diverses escales notamment – vers le Mexique.

15 Concernant ce voyage effectué par Henri Zuber, les informations publiées jusqu’ici sur ce voyage sont brèves. On sait ainsi, par un tableau biographique affiché sur le site de l’Association Henri Zuber, que lors du voyage de la « Thémis », Henri Zuber réalise de « premiers croquis et esquisses d’Italie ». Également qu’il « illustre son journal de bord de nombreux croquis, esquisses et caricatures » (mais cette dernière information semble valable surtout pour le voyage suivant qui le mène en Extrême-Orient). Henri Zuber écrit de longues lettres à sa mère notamment (toujours pendant le voyage

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en Extrême-Orient). Si des lettres similaires existent pour le voyage vers le Mexique, elles pourraient constituer une source supplémentaire fort intéressante. Il est vraisemblable que d’autres sources, portant sur ce premier voyage maritime important, sont encore à exploiter.

16 Un ensemble de dessins du voyage d’Henri Zuber à bord de la « Thémis » a refait surface chez un marchand strasbourgeois9. Il comprend 27 feuilles (et 28 dessins). Ces feuilles étaient détachées d’un carnet à dessin au moins ; il n’est pas exclu qu’il y ait eu un second calepin (vraisemblablement existe-t-il encore d’autres dessins – et calepins? – chez des descendants d’Henri Zuber. Les dimensions de ces dessins sont en général de 16,8 x 26,2 cm ; trois dessins sont sur des papiers plus blancs (nos1, 6 et 27, ce dernier étant un peu raccourci). Les dessins sont majoritairement faits au crayon à papier, avec des appoints de crayons de couleurs parfois très discrets, rarement plus soutenus. Dans quelques cas, Zuber a rajouté des rehauts blancs, par exemple à la gouache (ces rehauts ont souvent viré). L’ordre de ces dessins, au moment de la découverte, était peu cohérent : l’Italie alternait avec les Caraïbes, puis on revenait à Venise ou Trieste. Un dessin seulement est signé (no3 de l’ordre reconstitué, voir Description) et seuls deux dessins sont datés (nos1 et 27). Les titres permettaient de retrouver un certain ordre géographique, mais 9 dessins n’étaient pas intitulés, dont l’un des dessins majeurs, consacré au départ de Miramar ! (no6 de la Description). Le nom de Zuber puis l’identification du château de Miramar ont ensuite éclairé tout l’ensemble : un ordre à peu près logique a pu être établi, mais l’éclaircissement majeur est venu de la lecture du journal de voyage de la comtesse Kollonitz.

17 Les premiers dessins (nos1 à 5) sont en quelque sorte antérieurs à la prise de plume de Paula Kollonitz. La frégate « La Thémis » se trouve en février 1864 dans la rade de Villefranche-sur-Mer qui est le port d’attache principal de la marine impériale, c’est de là que cette frégate prend la mer pour rejoindre Trieste. La frégate traverse le détroit de Messine et remonte vers le golfe de Trieste. Elle fait visiblement escale à Venise qui est à peine à 100 miles marins de Trieste pendant que Maximilien effectuait encore ses préparatifs dans son château de Miramar près de Trieste. Les dessins d’Henri Zuber documentent le voyage de la « Thémis » depuis le départ de Villefranche. À une vue de Villefranche, succède une vue de volcan en pleine mer (que Zuber intitule, à tort, le Mont Etna, alors qu’il s’agit certainement du Stromboli dans les îles éoliennes ou Lipari). Au moment de l’escale (probablement de plusieurs jours) à Venise, Henri Zuber visite la ville et fait plusieurs dessins. À partir de l’arrivée à Miramar, les deux témoignages, celui de la comtesse Kollonitz et celui d’Henri Zuber marchent en quelque sorte en parallèle et les deux contributions vont constituer comme les deux voix d’une même partition.

18 Il est possible que la comtesse Kollonitz n’ait pas prêté grande attention au jeune officier de marine français, le seul officier français qu’elle cite est le commandant Morier. Cependant, Henri Zuber étant certainement germanophone, il a très probablement été conduit à jouer un rôle dans les contacts entre la « Thémis » et la « Novara » ; peut-être même était-il une forme d’officier de liaison entre le commandant Morier qui commandait la « Thémis » (et était bien connu de Paula Kollonitz) et le commandement de la « Novara », sinon même avec la suite impériale ? Si un assez grand nombre de personnes ont pu se trouver quelquefois dans le cortège impérial (à Funchal, à la Martinique notamment), des représentants de la « Thémis » – donc Henri Zuber – étaient certainement très présents lorsqu’une partie de cette suite débarque à la

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Martinique, terre française, à l’occasion de réceptions et d’une excursion à l’intérieur des terres. Mais la place d’Henri Zuber était principalement à bord de la « Thémis » qui naviguait aux côtés de la « Novara » : à diverses reprises, d’après ses dessins, Zuber représente ainsi la « Novara » vue certainement depuis le pont de la Thémis, ainsi au départ de Miramar ou à l’escale de Gibraltar, ou encore voguant au milieu des îles éoliennes.

19 À partir du départ de Miramar-Trieste, les dessins de Zuber et le texte de l’ouvrage de la comtesse Kollonitz sont en quelque sorte en résonnance permanente, cette concordance est soulignée dans les légendes détaillées de la Description. La petite flottille contourne le sud de l’Italie, passe par le détroit de Messine et va faire escale à Civitavecchia. Paula Kollonitz rend compte de façon assez détaillée de la partie audiences et réceptions officielles qui marquent, à Rome, le départ de Maximilien pour le Mexique ; elle visite aussi le Colisée, les ruines du Forum romain. De son côté, Henri Zuber avait dessiné le passage de la « Novara » devant les îles Lipari et croqué quelques vues de la Campagne romaine et, à Rome, le Colisée et le Forum… La flottille reprend la mer au bout de quelques jours, passe par le détroit de Bonifacio selon les indications de Paula Kollonitz, puis longe la côte orientale de l’Espagne avant de faire escale à Gibraltar : Zuber représente la côte d’Alicante (deux dessins), puis la « Novara » à l’ancre à Gibraltar. Avant la grande traversée de l’Atlantique, une halte est encore marquée à Funchal, capitale de l’île portugaise de Madère, île bien connue des Habsbourg : Zuber montre l’approche de l’île (deux vues dont une vue générale de Funchal), puis il décrit deux villas, entourées de végétation tropicale, l’une en particulier est bien inscrite dans le paysage montagneux ; pour sa part, la comtesse Kollonitz narre assez longuement une visite à Funchal où deux villas sont visitées et s’extasie sur le foisonnement de la végétation.

20 La traversée n’est, pour le moment, connue que par l’ouvrage de la comtesse : elle parle des difficultés de la navigation dans la zone des alizés, du ralentissement (le bateau se trouva encalminé dans le « pot-au-noir ») et, en conséquence, des fortes difficultés de la « Novara », bloquée par l’absence des vents et surtout par l’insuffisance des réserves de charbon à bord. Il se joue ensuite un épisode assez singulier : la « Thémis », plus grande et bien mieux pourvue en réserves de charbon, va être contrainte de remorquer la « Novara » jusqu’aux approches des Antilles… Cet épisode, semblant porter atteinte aux fiertés nationales respectives, est donc mal vécu des deux côtés : les Autrichiens et Mexicains à bord de la « Novara » voient le navire impérial assez peu glorieusement tracté par un bateau étranger… ; les Français, contraints de réaliser ce remorquage, sont furieux, car leur bateau est une frégate de guerre et non un vulgaire remorqueur…

21 Une fois les vents retrouvés, la « Thémis » a pris un peu d’avance pour faire préparer, à Fort-de-France, des réserves de charbon destinées à la « Novara ». Avec une vue d’une petite installation technique probablement en bord de mer, nous retrouvons Zuber dessinant à la Martinique ; il figure également deux vues de la forêt vierge, ces dernières correspondant à la description d’une excursion dans la jungle martiniquaise que fait la comtesse Kollonitz. Avant l’arrivée à Veracruz, une dernière escale a lieu encore en Jamaïque, à Port-Royal dont témoignent la comtesse et le dessinateur. L’arrivée à Veracruz marque pour la « Thémis » – et Zuber – la fin de la mission d’escorte. Il y a lieu de reconnaître une rue de Veracruz dans l’avant-dernier dessin de Zuber ; la comtesse a laissé une vision assez sombre de cette ville, installée dans un marécage, où règnent des odeurs fétides et où sévit la fièvre jaune. Les chemins des

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deux témoins de ce voyage se séparent : la suite de l’Impératrice qui relevait toujours de la cour d’Autriche aurait dû s’arrêter également à Veracruz et revenir en Europe, mais ce ne fut pas le cas ; en contrepartie, la « Thémis » repartit et elle fit encore, selon un dernier dessin de Zuber, escale assez longuement à la Martinique où elle se trouve encore en juillet 1864. La comtesse, revenue en Autriche, prendra le temps de mettre au net son journal de voyage, de trouver un éditeur et sa Reise nach Mexico im Jahre 1864 va paraître bien avant l’exécution de Maximilien, le retentissement de l’ouvrage est tel qu’une seconde édition étoffée de peu et au tirage certainement bien plus important (c’est habituellement celle-ci que l’on trouve) est tirée par l’éditeur viennois ; puis l’ouvrage est traduit en diverses langues. En contrepartie, les dessins de Zuber devaient tomber dans un oubli quasi-total.

Une autre révélation à l’actif de Zuber : la Corée

22 On ne peut manquer d’évoquer, au moins brièvement encore, la carrière d’Henri Zuber au-delà de ce voyage vers le Mexique. Dans les années immédiates qui suivirent, il poursuivit dans un premier temps – pendant quelque trois ans encore – sa carrière d’officier de marine. Il est affecté à la corvette « Le Primauguet » et va passer près de trois ans en mer, principalement en Extrême-Orient. Par le tableau biographique du site consacré au peintre Henri Zuber, on apprend que « Le Primauguet » rejoint l’escadre de Chine et du Japon non sans connaître quelques aventures. La corvette contourne le Cap de Bonne Espérance, et, là, le vaisseau s’échoue, elle fait escale à l’île Maurice, puis rejoint la Mer de Chine : Zuber découvre alors le Japon, la Chine et, enfin, la Corée où il débarque à Kang Hua. Ultérieurement, il revient en France par Java, Sydney et la Nouvelle Calédonie.

23 Dans la continuité du voyage vers le Mexique, Zuber établit une relation de voyage par le dessin. Il représenta les paysages vus au moment du voyage aller (Cap-Vert, Bonne- Espérance, île Maurice, Saïgon). Il multiplia les dessins en Chine et au Japon10. À la différence de ses voisins, la Corée était toujours restée en dehors du processus colonial et elle était restée en dehors des circuits et donc des récits de voyages occidentaux. Des tentatives de christianisation avaient eu lieu à partir de l’extrême fin du XVIIIe siècle (des Coréens convertis à l’extérieur du pays, y étaient revenus comme missionnaires) ; des amorces de missions européennes furent créées au XIXe siècle mais plusieurs vagues de persécution limitèrent l’expansion chrétienne. Une nouvelle et importante persécution de catholiques en Corée (où des missionnaires français et aussi quelques milliers de chrétiens coréens avaient été massacrés) entraîna, en 1866, une expédition punitive menée par des bâtiments de la marine française présente en Mer de Chine : la corvette « Le Primauguet », sur laquelle servait Henri Zuber fut en première ligne. C’est au cours de cette mission menée principalement en septembre-octobre 1866 que le contre-amiral Roze, commandant des forces navales des mers de Chine et, pour l’occasion, à bord du « Primauguet », fit enlever les fameux manuscrits coréens…

24 Henri Zuber, une nouvelle fois, se trouva donc aux premières loges : il participa au relevé hydrographique des côtes de Corée, procéda au relevé du plan de mouillage de l’île Boisée, qui serait appelée actuellement « île Zuber », et dessina une carte de Corée11. Mais surtout, à côté de ces relevés techniques, il fit également d’autres dessins, montrant paysages et monuments. Il fut ainsi le premier peintre européen à

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représenter des paysages du « royaume ermite », la Corée, qui était restée obstinément fermé jusque-là.

25 Le hasard des affectations, d’abord sur la frégate « La Thémis », puis sur la corvette « Le Primauguet » fit qu’Henri Zuber, qui était déjà un excellent dessinateur avec un bon bagage d’apprenti « peintre de marine », ramena de ses expéditions des témoignages historiques essentiels. Au retour d’Extrême-Orient – il avait à peine 24 ans – il acquiert la conviction qu’il ne pouvait vivre que comme artiste et en convainquit ses parents. Zuber abandonna la carrière d’officier de marine et entra alors, en 1868, dans l’atelier parisien de Gleyre, que Monet et d’autres, qui furent l’avant-garde des années 1870, venaient de quitter en claquant la porte. Les travaux ultérieurs de Zuber ne furent plus novateurs, ils sont caractérisés notamment par la marque de la tradition de Barbizon. Henri Zuber multiplia les paysages de l’Ile de France, de Côte d’Azur ou d’Alsace ; il revint en Italie, séjourna en Hollande, et en Angleterre. Il se passionna singulièrement pour les jardins de Versailles…

Description des dessins d’Henri Zuber et corrélation avec le texte de Paula Kollonitz

26 L’ordre des dessins a été reconstitué. Il suit le récit du journal de voyage de la comtesse Kollonitz à partir du départ de Miramar-Trieste. Le titre original est en italique ; ST indique qu’Henri Zuber a laissé ce dessin sans titre ; un titre en romain et en gras, simplement descriptif, est donné par l’auteur à titre d’identification.

27 L’ouvrage de la Comtesse Paula Kollonitz, Eine Reise nach Mexico im Jahre 1864, 2de édition allemande révisée, Vienne 1867, est cité simplement par Reise. Une traduction de divers passages, souvent éclairants pour les dessins, est proposée ici dans quelques légendes.

28 1. Villefranche 12 février 1864. La baie de Villefranche est le port d’attache principal de la marine de guerre du Second Empire. En février 1864, Henri Zuber se trouvait à Villefranche, certainement comme « aspirant » sur « La Thémis » : il a réalisé ce dessin peu avant le départ pour Trieste. Vue assez classique de la baie (reprise en carte postale) avec une grande demeure de bord de mer au premier plan.

29 1bis. Esquisse de figure de femme, au dos du dessin précédent.

30 2. Le Mont Etna. La frégate « La Thémis » traversa sûrement le détroit de Messine (il s’agit de la voie habituelle pour contourner l’Italie et gagner le nord de la mer Adriatique). Dans le cas de ce dessin, il apparaît que Zuber a confondu le Stromboli et l’Etna (l’artiste a d’ailleurs hésité, puisque l’on peut lire St[romboli] sous le E de l’Etna : l’Etna mentionné sur le dessin est davantage à l’intérieur des terres et non pas dans la mer comme représenté ici. Au moment du second passage du détroit de la « Thémis » en tant que navire d’escorte de la « Novara » de Maximilien du Mexique, le passage se fit à nouveau par ce détroit, au plus près du Stromboli : la description brève de Paula Kollonitz correspond également à cette vue dessinée antérieurement. V. Reise p. 11 : « Le Stromboli s’élève en forme de cône au-dessus de la mer, toute l’île est une montagne crachant le feu… ».

31 3. Venise - Piazetta San Marco. Seul dessin signé de cette série, en bas, vers la droite, H. Zuber. La frégate de guerre « Thémis » ne pouvait entrer dans le port de Venise qu’avec l’agrément de l’Autriche, Venise étant restée sous contrôle autrichien jusqu’en 1866 (bataille de Sadowa). Ayant la mission d’accompagner jusqu’au Mexique Maximilien,

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empereur du Mexique et frère de l’Empereur d’Autriche-Hongrie, François-Joseph, la « Thémis » a donc fait une halte à Venise pendant que Maximilien s’affairait à ses préparatifs de départ à Trieste-Miramar. Henri Zuber a ainsi eu l’opportunité de visiter la ville et d’y faire plusieurs dessins, il y reviendra plus longuement encore une dizaine d’années plus tard.

32 4. S.T. Vue de Venise : Canale dei Greci et église San Giorgio dei Greci.

33 5. Venise. Le Grand Canal. près du palais Cavalli. Vue depuis le Ponte de l’Accademia, le Palazzo Cavalli-Franchetti occupe toute la partie gauche du dessin.

34 6. S.T. Vue montrant l’embarquement de la suite de Maximilien devant le château de Miramar, le 14 avril 1864. Voir la description qu’en fait la comtesse Kollonitz, dans Reise, p. 2-5 : « Aujourd’hui, régnait une grande animation dans et autour de Miramar, qui habituellement est silencieuse et solitaire comme un château de conte de fées s’élevant au-dessus des flots bleus de l’Adriatique… Lorsqu’après tout ceci [longs préliminaires de départ], nous entrâmes à la suite du couple impérial dans la cour de Miramar, une grande foule s’était rassemblée dans l’espace étroit… Une barque joliment décorée avec un baldaquin de velours rouge brodé d’or nous attendait. »

35 En tant que marin, Henri Zuber se montre particulièrement attentif aux bateaux, drapeaux et pavillons : la barque est décorée de plusieurs drapeaux mexicains, d’autres drapeaux ornent encore d’autres bateaux et flottent sur les toitures de Miramar. « Ensuite, poursuit la comtesse Paula Kollonitz, les canons des deux frégates « Bellona » [frégate autrichienne venue saluer le départ de Maximilien qui avait été le commandant en chef de la marine autrichienne, au développement de laquelle il avait beaucoup contribué] et « Thémis », qui se déployaient devant nous dans un grand gala de pavillons et une beauté imposante, se mirent à tonner… La « Novara » fut gagnée et escaladée… La frégate française « Themis » (Commandant Morier), que l’Empereur Napoléon avait désignée pour notre escorte nous suivit… Nous nous mîmes en route pour Trieste … ».

36 Depuis le pont de la « Thémis », où il se trouvait, Henri Zuber a dessiné cette scène particulièrement importante. Il représente la fumée dégagée par les coups de canons qui viennent d’être tirés par la « Bellona », la plus grande frégate de la marine autrichienne : cette frégate, qui n’est qu’esquissée ici, se trouvait entre la « Novara » et la « Thémis ».

37 7. Trieste. Vue du port et de la ville de Trieste. Comme toujours dans ces vues de Zuber, le port et la ville sont dessinés avec une grande finesse. Après l’exécution de Queretaro, en 1867, le corps de Maximilien, d’abord enseveli au Mexique (cf. photos de François Aubert) fut ramené à nouveau à bord de la même « Novara » à Trieste et présenté à Miramar avant d’être transféré dans la crypte des Capucins de Vienne. Maximilien fut d’ailleurs réintégré, post mortem, dans ses droits à la Couronne autrichienne pour pouvoir être enterré dans la crypte impériale…

38 8. Détroit de Messine - Pellaro. La petite flotille de Maximilien vient de contourner le sud de l’Italie et vogue en direction de Civitavecchia, port qui doit permettre à la suite impériale de gagner Rome par chemin de fer. Reise, p. 9 : « Dans la nuit du 16 au 17, nous contournâmes le sud de l’Italie… ». Zuber montre, ici, le passage près du Cap Pellaro.

39 9. Lipari Basiluzza Panarea Salina. Voir Reise, p. 11-12 : « Nous n’avions pas encore perdu la Sicile des yeux que déjà les îles Lipari s’étendirent devant nous… Les autres îles

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lipariennes sont dispersées alentour et ne sont également que des pitons rocheux … ». La « Thémis » précède ici la « Novara » et Henri Zuber, installé à la poupe, dessine la « Novara », passant devant les îlots rocheux des Lipari.

40 10. Aqueduc romain. Rome. Voir Reise, p. 13-14 : « Le 18 avril nous enveloppa d’un brouillard impénétrable… Soudain et de façon inattendue, nous avions atteint Civita- Vecchia … ». Après les coups de tonnerre des canons et les cris de l’accueil, le cortège impérial se mit en route pour Rome à travers la campagne romaine. « Enfin nous nous trouvâmes assis dans les coupés du train spécial qui devait nous mener à Rome… ». Durant les réceptions multiples de Rome, où se trouvait aussi une partie de l’équipage de la « Thémis », Henri Zuber disposa de temps et put réaliser divers dessins de Rome et environs.

41 11. Rome. La vue n’a rien de romain au sens monumental, il s’agit d’un paysage idyllique des environs de Rome.

42 12. Le Colysée. Rome. Ce dessin du Colisée, apparemment dans une ambiance de soir, peut être mis en parallèle avec la description encore plus romanesque de la comtesse Kollonitz, bien que l’on ne sache pas si la visite de ce monument par le dessinateur et par la dame de cour eut lieu le même soir. Voir Reise p. 15 : « … vers 11 heures du soir, nous nous rendîmes au Coliseo. Sous les rayons de lune, tout était clair et beau lorsque nous arrivâmes sur place ; la première impression était saisissante, mais bientôt un brouillard épais s’installa autour de ces vestiges gigantesques de la grandeur romaine, de l’hybris romaine, et lorsque nous eûmes monté toutes les marches, un voile nous enleva le point de vue que nous cherchions. Le vertige me saisit… ».

43 13. Arc de Sept(ime) Sév(ère)et temp(le) de Jup(iter)… Rome. Vue du Forum Romanum. Voir Reise p. 21 : « Après que le pape nous eût quittés, l’Impératrice effectua en ma compagnie et en celle du grand maître de la Maison, une visite rapide vers les emplacements les plus célèbres, vers les temples, les arcs-de-triomphes, les colonnes et les fontaines… ».

44 14. Côte d’Espagne près Alicante. Au moment de ce voyage à travers la Méditerranée occidentale, la comtesse Paula Kollonitz a été moins attentive aux paysages entrevus : elle dit quelques mots de la Corse (détroit de Bonifacio), puis signale surtout le caractère plus agité de la mer lors de la traversée du Golfe de Lyon, Voir Reise p. 24 : « dans la nuit du 22 au 23, un vent fort s’éleva qui grossit considérablement en cours de journée, forma les premières vagues plus grandes et mit le bateau en fort mouvement… l’eau se précipita dans les cabines et magasins… Un brouillard épais nous cacha la vue des Baléares et de la côte espagnole… ». La comtesse eut assez souvent, au cours de ce voyage, des soucis avec l’eau qui arrivait jusque dans sa cabine (celle-ci se trouvait au pied d’un escalier, qui donnait apparemment directement sur le pont supérieur de la « Novara ».). Apparemment, Henri Zuber, quant à lui, se tenait, déjà par obligation, plus souvent sur le pont de la « Thémis », et a pu ainsi admirer et dessiner la côte espagnole près d’Alicante.

45 15. S.T. Apparemment autre vue du secteur côtier d’Alicante.

46 16. Gibraltar. Au premier plan, un peu à droite et à quelque distance du port principal, la « Novara » battant pavillon mexicain. La comtesse parle assez longuement de l’étape faite à Gibraltar, où la flottille arriva le 24 avril, voir Reise, p. 25 : « Le port était surchargé de bateaux, nous avions jeté l’ancre au loin… Nous avions tant de choses à voir… Le point de vue était magnifiquement beau et grandiose. Le rocher

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s’élève verticalement à une hauteur appréciable, prenant une forme et une grandeur impressionnantes… La ville de Gibraltar s’étend largement au pied du rocher et l’escalade jusqu’à une faible hauteur ». Il y eut, pour la suite impériale, visite (y compris des galeries de circulation dans le rocher), réceptions et même l’organisation de courses. Henri Zuber eut tout le temps de parfaire sa vue du port et du rocher.

47 17. S.T. Très probablement vue de l’île de Madère, dernière étape avant la grande traversée de l’Atlantique.

48 18. S.T. Vue générale de Funchal, de loin, depuis la mer. Maximilien connaissait Madère : sa première fiancée, Maria Amalia du Brésil, était allée à Madère pour se rétablir d’une tuberculose et y était décédée en 1853. Au moment de son voyage en Amérique du Sud, Maximilien s’était arrêté déjà à Madère.

49 19. Funchal. Henri Zuber manifeste, à Funchal, un intérêt particulier pour de petites villas et singulièrement aussi pour la végétation tropicale. S’agirait-il ici de la Villa Davis où l’Impératrice Elisabeth (Sissi) avait séjourné ? La comtesse Kollonitz a relaté une excursion sur l’île, Voir Reise p. 36-37 : « Nous nous rendîmes immédiatement à la Villa Davis… La villa est installée … dans une mer de fleurs. Jamais, je ne vis des roses aussi magnifiques ! Et des verbénacées, des pétunias, des pélargoniums, des héliotropes montant haut, deux fois plus haut que chez nous. À côté se dressaient, bien soignés, les arbres les plus rares : magnolias, araucarias, mimosas… ». L’intérêt tout particulier de Maximilien pour la flore est bien connu : en tant qu’archiduc, il avait fait notamment un voyage en Amérique du Sud où les observations botaniques, entre autres, avaient été multipliées. La publication se fit, lorsqu’il était déjà depuis deux ans au Mexique : voir Heinrich Wawra, Ritter von Fernsee, Botanische Ergebnisse der Reise seiner Majestät des Kaisers von Mexico Maximilian I, Vienne, Karl Gerold’Sohn, 1866.

50 20. Funchal à Madère. Depuis les hauteurs de Funchal. Une équipée d’une partie de la suite eut lieu sur les hauteurs, voir Reise p. 36, 40 : « L’île est constituée d’innombrables montagnes et gorges ». Il est possible que Zuber ait représenté ici la Villa Gordon, sur le haut de Funchal, qui fut visitée au moment de l’excursion.

51 21. Fort de France. La Martinique fut atteinte le 16 mai. La suite de Maximilien fut accueillie par le gouverneur et sa femme. Probablement à l’écart de ce groupe, Henri Zuber dessina un petit morceau de paysage comprenant une installation technique en place au bord de la mer ou sur un fleuve.

52 22. S.T. Paysage de la jungle de la Martinique. La suite de l’Empereur Maximilien, certainement entourée d’officiers (y compris de marine) français puisque l’Empereur se trouvait en territoire français, effectua une excursion à l’intérieur de l’île. Voir Reise p. 55‑56 : « Vers deux heures, nous entreprîmes de faire une partie de montagne vers le Piton de Vauquelin, une montagne pointue, en forme de pain de sucre ». La comtesse Kollonitz décrit ensuite une grande quantité d’arbres et de plantes exotiques. Puis le groupe, avec lequel l’Impératrice tint à rester, s’engagea plus avant dans la forêt primitive, voir Reise p. 57 : « … bientôt le chemin, se perdit dans les profondeurs impénétrables de la forêt vierge ; ils descendirent alors dans le lit d’un torrent de montagne et, sautant de rocher en rocher, poursuivirent leur voyage de découverte dans une température de serre. Pas un souffle de vent ne rafraîchit jamais l’atmosphère, des plantes grimpantes entourent les arbres, des orchidées d’un rouge étincelant les recouvrent… ».

53 23. S.T. Autre aspect du foisonnement végétal de la forêt vierge de la Martinique.

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54 24. Port Royal à la Jamaïque. Vue partielle de la rade de Port-Royal (aujourd’hui cette ancienne capitale de l’île n’est plus qu’une partie de Kingston qui s’est développée largement dans une baie voisine). Le dessin pourrait montrer la barque qui ramène un pilote local à bord de la « Novara », voir Reise, p. 61.

55 25. S.T. Ce dessin représente très vraisemblablement la Governor’s House de Kingston / Jamaïque. La suite de l’Empereur Maximilien fut accueillie par le gouverneur militaire, le général Ashmore et le gouverneur civil, Mr. Eyre, dans la résidence du général. Voir Reise, p. 72.

56 26. S.T. Certainement vue d’une rue de Veracruz. La mission d’escorte du voyage impérial de la « Thémis » prit fin au moment de l’arrivée, le 28 mai 1864, à Veracruz. L’accueil du couple impérial fut glacial et les autorités françaises (troupes d’occupation sur le sol mexicain) se montrèrent, d’après le témoignage de la comtesse Paula Kollonitz, grossières et mal embouchées : Bazaine, commandant en chef du corps expéditionnaire, « n’avait pas eu le temps » de venir de Mexico pour accueillir l’Empereur, le représentant militaire à Veracruz reprocha vivement à la flottille impériale d’avoir jeté l’ancre hors du secteur que lui‑même contrôlait… Les services de la cour d’Autriche que Vienne avait mis à la disposition du couple impérial auraient dû s’arrêter là et repartir dès que Maximilien mettait le pied sur le sol mexicain, mais comme l’écrit la comtesse Kollonitz, voir Reise, p. 72 : « Des dames mexicaines devaient prendre ici notre relais, mais nous regardâmes autour de nous, en vain … ». Ainsi la cour d’Autriche continua d’assurer les fonctions de la suite impériale, ce qui permit à la comtesse Kollonitz d’évoquer encore les péripéties et les misères des débuts de Maximilien au Mexique. Quant à la frégate française, elle, reprit peu après la mer.

57 27. Francilia. F(ort) de France. Juillet 1864. Portrait d’une belle Martiniquaise, Francilia, qu’Henri Zuber dessina lorsque sur le chemin du retour, la « Thémis » ayant fait halte certainement à la Martinique au port de Fort-de-France. Francilia existe aujourd’hui encore comme nom de famille en Martinique.

Fig. 1 : Dessin no3, Venise - Piazetta San Marco

Seul dessin signé de la série.

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Fig. 2 : Dessin no6 S.T.

L’embarquement de la suite de Maximilien, le 14 avril 1864. Vu depuis la « Thémis ». Foule devant le château de Miramar assistant à l’embarquement : Maximilien est installé sur la barque décorée, vers la gauche ; il se dirige vers la « Novara » au centre ; canonnade de départ, la « Bellona »(à peine esquissée) est cachée par la fumée dégagée par les tirs de canons. Zuber voit cette scène depuis le pont de la « Thémis ».

Fig. 3 : Dessin no9 : Lipari Basiluzza Panarea Salina. Lipari Basiluzza Panarea Salina.

Henri Zuber, installé à la poupe, dessine la « Novara » (de face), passant devant les îlots rocheux des Lipari.

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Fig. 4 : Dessin no12 : Le Colysée

Rome. Le Colisée, dans une ambiance nocturne.

Fig. 5 : Dessin no15 : S.T. Côte d’Espagne (dessin aux crayons de couleurs)

Apparemment, secteur côtier d’Alicante.

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Fig. 6 : Dessin no16 : Gibraltar

Au premier plan, un peu à droite et à quelque distance du port principal, la « Novara » battant pavillon mexicain.

Fig. 7 : Dessin no18 : S.T.

Vue générale de Funchal, de loin, depuis la mer.

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Fig. 8 : Dessin no21. Fort de France. (Martinique)

Fut atteinte le 16 mai. À l’écart du groupe officiel, Zuber a dessiné une installation technique en place au bord de la mer ou sur un fleuve.

Fig. 9 : Dessins no22 : S.T.

Paysages foisonnants de la jungle de la Martinique.

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Fig. 10 : Dessins no23 : S.T.

Paysages foisonnants de la jungle de la Martinique.

Fig. 11 : Dessin no26. S.T.

Certainement vue d’une rue de Veracruz. La mission d’escorte du voyage impérial de la « Thémis » prit fin ici, au moment de l’arrivée, le 28 mai 1864.

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NOTES

1. Il s’agit certainement d’illustrations du poème de Heinrich Heine, Die beiden Grenadiere, mis en musique ultérieurement (Lied de Schumann), qui parlait beaucoup aux âmes romantiques : on imagine fort bien ce poème récité, avec les trémolos d’usage, par Schnug ou les frères Matthis… 2. Les albums de photographies des effets du bombardement de Strasbourg ont été multipliés, certaines séries de photos étant faites à la demande de l’armée allemande. Baudelaire, Saglio et Peter ont été eux-mêmes les éditeurs de 1870, Siège et bombardements de Strasbourg, dessins de Touchemolin (d’après les photos des éditeurs), texte de Paul Ristelhuber ; ailleurs, E. Schweitzer s’est inspiré de photos de Winter ou encore des trois autres photographes cités. Dans le cas de l’armée allemande, divers Armeemaler ou Schlachtenmaler comme Theodor Rocholl, Wilhelm Camphausen, etc. étaient engagés pour accompagner les corps d’armée en 1870, d’autres, comme Feodor Dietz, sont venus au cours de la guerre ; il y avait également quelque sept photographes appointés dont une partie a « travaillé » principalement en Alsace (Karl Schwier, Paul Sinner notamment). 3. S’inspirant de peintres de la Renaissance italienne ou encore de Rubens, Heitz a représenté des scènes de bataille (par ex., batailles ayant eu lieu en Alsace : Strasbourg en 357, Hausbergen 1262, Saverne 1525). Il a nourri un intérêt particulier pour l’Antiquité historique ou mythique, s’intéressant aux paysages, mais également aux personnages. Voir Pétry François, « Thèmes antiques dans l’œuvre peint de Robert Heitz (1895-1984) », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, Mélanges offerts à Robert Will, 1989, tome XXXII, p. 17‑47. 4. À propos de Benjamin Zix, voir, en dernier lieu, la notice biographique due à Albert Châtelet, NDBA, no41, 2003, p. 4 393‑4 394. Cet artiste passa une partie de sa vie au contact de l’armée : il fut volontaire en septembre 1792 et resta sous les drapeaux jusqu’en 1800 (à partir de 1798, il était attaché comme dessinateur au général de Schauenbourg). Ultérieurement, entre 1806 et 1808, il suivit la Grande Armée en Allemagne notamment : il a multiplié des vues de passage du Rhin, de bivouacs et il a vu bon nombre de sites de batailles ; divers dessins sont certainement pris sur le vif, ainsi près de Lützen, etc. : sa vue des affrontements de bataille d’Iéna à laquelle il n’a pas assisté, repose cependant sur des témoignages. 5. Gustave Doré a créé une œuvre protéiforme, on ne retiendra ici que quelques exemples de ses contributions. Au moment des tensions avec la Russie qui débouchèrent sur la Guerre de Crimée, il s’en prit à la Russie par une forme de bande-dessinée charge, l’extraordinaire Histoire de la Sainte Russie, ouvrage rempli d’inventions débridées et étonnantes ; lors de la guerre que Napoléon III mène, aux côtés de Victor-Emmanuel, contre les Autrichiens en Italie du Nord, il produisit trente et une gravures de batailles (dix sur double page) pour le Supplément du Journal pour Tous, no218 à 232 paru du 4 juin au 10 septembre 1859. Doré fournit aussi au Monde illustré quelques gravures sur bois de très grand format – 70 sur 90 cm (image seule 47,5 x 68,5 cm) – qui parurent en « Suppléments ». Sur la gravure du Monde illustré du 2 juillet 1859, qui, près d’un mois après les combats, montre la bataille de Magenta, le « mode opératoire » de Doré est précisé : (Dessin) Exécuté par M. Doré, d’après les documents envoyés par M. Durand‑Brager. Doré n’était donc pas sur place, mais disposait de vues faites sur place par un ou des dessinateurs commissionnés. 6. Paula (Gräfin) Kollonitz, Eine Reise nach Mexiko im Jahre 1864, Vienne, Carl Gerold, 1867, 244 p. La première édition de 1867 (faible tirage ?) semble avoir été épuisée très rapidement et une seconde édition révisée et augmentée de quelque trois pages (au tirage certainement bien plus important) parut également au cours de la même année 1867, encore avant l’exécution de Maximilien. On ne s’explique pas l’absence d’une traduction française de cet ouvrage, sinon par un désintérêt aussi fort que soudain pour cet épisode et le Mexique où la France avait cependant

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été très impliquée. Dès l’arrivée à Veracruz, les Français n’y sont pas toujours favorablement présentés, loin de là (morgue, coteries et cabales, double-jeu). Peut-être y avait-il un manque de curiosité pour des ouvrages paraissant en allemand, mais aussi le souci d’un éditeur éventuel de ne pas déplaire à Napoléon III ? On signalera les traductions : The Court of Mexico par J. E. Ollivant, Londres, Saunders Otley, 1868, 308 p. ou Un viaggio al Messico par la Marchesa Dondi-Dall’Orologio, Florence, Presso Pietro Ducci, 1868 ou encore De eerste Dagen Van Het Mexicaansche Keizerrijk 1867 par H. C. Rogge (date de parution non établie, reprint récent). La traduction en espagnol est nettement plus récente, Un viaje a México en 1864 (traduit depuis la version italienne par Neftali Bertran), Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1984. Une partie de ces ouvrages est lisible sous Google books. Cette période de l’histoire européenne et mexicaine continue de passionner : des auteurs récents, comme l’Américaine C. M. Mayo ou le poète mexicain Fernando del Paso ont consacré divers travaux à Maximilien et à son époque. Le Ve Séminaire international de l’Association des historiens sur la Réforme, l’Intervention française et le Second Empire (ARISI) a tenu colloque en novembre 2008 à Paris avec comme thème « L’intervention française au Mexique : Impacts culturels et scientifiques dans les deux pays » (Paris, 27 et 28 novembre 2008 Amphithéâtre Louis Liard, en Sorbonne). L’intérêt pour Maximilien et notamment pour son exécution semblent ne cesser de croître (voir aussi l’intérêt montré pour les photos de François Aubert et autres). Au moment de contacts par correspondance avec des spécialistes mexicains, à propos de cette série de dessins de Zuber, le meilleur accueil m’a été fait. Je voudrais exprimer ma reconnaissance particulière à Mme la Prof. Patricia Galeana, également au Dr. Konrad Ratz qui a écrit de nombreux ouvrages sur Maximilien, par exemple, Ein Kaiser unterwegs, die Reisen Maximilians von Mexiko 1864 - 1867 nach Presseberichten und Privatbriefen, Tepexicuapan, Amparo Gómez, 2007, ou « Vor Sehnsucht nach dir vergehend », der private Briefwechsel zwischen Maximilian von Mexiko und seiner Frau Charlotte, Vienne-Munich, Amalthea, 2000 ; Konrad Ratz a sous presse chez Conacultura, Mexico, un nouvel ouvrage, Los viajes de Maximiliano en México. 7. Dans le bref résumé placé en tête du Xe et dernier chapitre de son ouvrage, p. 201, la comtesse Kollonitz assure, apparemment soulagée : Alles hat ein Ende, auch eine Reise nach Mexico. 8. Pour la bibliographie d’Henri Zuber, voir l’ouvrage d’Henri Blech, Henri Zuber, De Pékin à Paris, Itinéraire d’une passion, SOMOGY, Paris, 2009. Également le site internet « Henri Zuber peintre » : on y trouve les quinze Lettres publiées par l’Association Henri Zuber entre 1999 et 2005 qui sont souvent fort intéressantes (informations de sources inédites, assez nombreuses œuvres reproduites). 9. Cet ensemble de dessins, sans identification autre que l’attribution à Zuber, m’a été signalé par Guillaume Dégé, professeur d’illustration à l’École des Arts décoratifs de Strasbourg, auquel j’exprime ma sincère reconnaissance. Des marchands aussi s’étaient intéressés à ce lot de dessins, mais l’ensemble leur apparaissait peu intelligible. D’après le marchand vendeur, ils proviendraient d’une famille (apparemment parisienne) ayant déjà vendu précédemment divers tableaux d’Henri Zuber. 10. Les Lettres 6, 7 et 8 (respectivement des 6 novembre 2001, du 7 mai 2002 et du 8 novembre 2002) du site d’Henri Zuber sont plus particulièrement dévolues au voyage effectué sur la corvette « Le Primauguet » : on y trouvera de nombreuses vues (principalement des dessins et aquarelles) consacrées aux diverses étapes, mais aussi à de nombreuses villes de Chine et du Japon (vues de remparts, de temples et d’autres monuments insignes) ; il s’y trouve aussi de délicieuses scènes de la vie quotidienne (scènes de rue, métiers, bains). Notons qu’un autre artiste ayant des liens avec l’Alsace, Félix Régamey, sillonnera le Japon avec le collectionneur Emile Guimet, en 1876, en rapportant des dessins, photographies, mais aussi d’importantes collections. 11. Voir de Zuber lui-même, « Une expédition en Corée, 1866 » dans Le Tour du monde illustré, 1873, t. XXV, p. 401 et suiv. À signaler également, l’intérêt des Coréens pour les travaux de

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Zuber : article paru dans « Culture coréenne no78 », Printemps/Été 2009, Centre Culturel Coréen Av. d’Iéna Paris et, toujours en 2009, Connaissance par les Îles, Relations Coréennes de La Pérouse à Zuber, Éd. Jaimimages.

RÉSUMÉS

Pratiquant le dessin dès son jeune âge et formé de plus, à partir de l’âge de 18 ans, par un peintre de marine, le peintre Henri Zuber (1844-1909) vient occuper une place tout à fait singulière parmi les peintres d’histoire de l’actualité directe. Aspirant de vaisseau, il s’est trouvé sur la frégate « La Thémis » qui fut désignée par Napoléon III pour assurer l’escorte, depuis Trieste jusqu’à Veracruz, de Maximilien, archiduc d’Autriche devenu empereur du Mexique. Un ensemble de 27 dessins, récemment découverts, montre que Zuber a fourni un témoignage exceptionnel – unique en ce qui concerne l’illustration dessinée – de ce voyage maritime du couple impérial vers le Mexique. À bord de la « Novara », bateau impérial de Maximilien, il y a un autre témoin essentiel, Paula Gräfin Kollonitz : cette comtesse, dame de cour de l’impératrice Carlotta, tient de son côté un journal du voyage. Les deux témoignages, celui, littéraire, de la comtesse autrichienne, et le témoignage par le dessin d’Henri Zuber se complètent superbement et constituent une extraordinaire relation à deux voix

A gifted drawer since his childhood, having been trained at 18 by a naval painter, Henri Zuber takes a very original place among painters of current events. He was a midshipman on board of “la Thémis” the frigate Napoleon III had assigned to escort, from Trieste to Veracruz, the archduke Maximilian, now emperor of Mexico. The set of 27 drawings, recently discovered, shows that Zuber was an exceptionnal witness and with his drawings one can say unique, of the imperial couple’s trip to Mexico. On board of the “Novara”, Maximilian’s ship, another important witness, the countess Paula Kollonitz, lady-in-waiting of the Empress Carlota, keeps a diary of that trip. Both accounts, one written by the austrian countess and the other sketched by Henri Zuber, complement each other and thus both combined, produce an extraordinary report of that expedition.

Der Maler Heinrich Zuber (1844 - 1909) gibt sich schon im frühen Alter der Kunst des Zeichnens hin und wird außerdem ab seinem 18. Lebensjahr von einem Maler der Marine ausgebildet. Er ist ein einzigartiger Maler der aktuellen Zeitgeschichte und mit seinen Kollegen nur schwer vergleichbar. Napoleon III. hat bestimmt, daß die Fregatte „La Themis“ den Erzherzog Maximilian, der Kaiser von Mexiko geworden war, zu eskortieren. Heinrich Zuber ist Offiziersanwärter und ist an Bord dieser Fregatte. Vor kurzem wurde eine Sammlung von 27 Zeichnungen aufgefunden. Sie zeigen, Zuber hat mit ihnen einen außergewöhnlichen Bericht dieser Seereise des Kaiserpaares nach Mexiko erstellt. An Bord der „Novara“, dem Schiff des Kaisers Maximilians, befindet sich ein weiterer bedeutsamer Zeuge, Paula Gräfin Kollonitz. Diese Gräfin ist Hofdame von Carlotta, der Gattin des Kaisers, und führt ihrerseits ein Reisejournal. Die zwei Augenzeugenberichte, der literarische der österreichischen Gräfin und der gezeichnete von Heinrich Zuber ergänzen sich prächtig und ergeben einen außerordentlichen zweistimmigen Reisebericht.

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AUTEUR

FRANÇOIS PÉTRY Conservateur en chef honoraire du patrimoine

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Le marché de l’art à Strasbourg pendant le Reichsland The art market during the Reichsland period Straßburger Kunstmarkt (1871-1914)

Anne-Doris Meyer

1 Au XIXe siècle, le marché de l’art français est d’abord parisien1. La capitale concentre en effet les institutions de légitimation artistique (Académie des beaux-arts, salons et principaux musées), les centres de formations (École des beaux-arts, ateliers officiels et cours privés), attire les jeunes artistes en quête de reconnaissance et consacre les carrières officielles. Les trajectoires non officielles, les mouvements artistiques marginaux, se développent également à partir de Paris, quand bien même par la suite les artistes partent essaimer de nouveaux territoires. On sait aussi que les grands collectionneurs d’art contemporain, s’ils ne vivaient pas tous à Paris, y effectuaient leurs principaux achats. L’histoire de ce marché parisien et de sa structuration est connue et bien étudiée ; il en va tout autrement des marchés provinciaux. Fonctions de la proximité géographique et des liens entretenus ou non avec la capitale, de la présence d’un ou plusieurs collectionneurs influents, du dynamisme de quelques entrepreneurs locaux, d’un intérêt des édiles pour la chose artistique, et surtout du dynamisme des Sociétés d’amis des arts, les pratiques et les situations sont très diverses.

2 Dans l’Allemagne de la première moitié du XIXe siècle, seul Munich est capable, en ce domaine, de rivaliser avec Paris2. Comme en France, mais souvent avec une décennie d’avance, ce sont les sociétés d’amis ou Kunstvereine qui ont contribué à décloisonner la situation, en organisant les premières expositions d’art contemporain. Dans la seconde moitié du siècle, le marché berlinois, en pleine expansion, concurrence puis dépasse le marché munichois. Mais la situation allemande, forcément différente du fait de l’absence de centralisme étatique, est complexe : des centres artistiques se développent dans les capitales régionales, qui peuvent devenir rapidement attractifs.

3 Nous avons tenté de dresser un état des lieux du marché strasbourgeois de l’art contemporain tel qu’il s’est développé entre 1871 et le début des années 1910. Le choix

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du cadre chronologique n’allait pas de soi : la Société des amis des arts de Strasbourg a ouvert la voie au commerce de l’art dès le début des années 1830 et en a conservé longtemps le monopole ; le cas est fréquent, en Allemagne comme en France. « Il faut en convenir, Strasbourg n’est pas une ville d’art ; la plupart des artistes que notre cité a vus naître nous ont quittés pour chercher un milieu plus favorable, et quand notre Société n’a pas d’exposition, ce n’est guère que derrière les vitrines de nos marchands d’estampes qu’il nous est donné de voir quelque tableau qui nous fasse plaisir3 » écrit le président des Amis des arts en 1883. C’est pourtant précisément en 1883 que cette exclusivité est remise en cause et qu’une exposition permanente, organisée par un Kunstverein de création vieille-allemande, s’installe à Strasbourg. S’il nous a semblé utile de rappeler le fonctionnement et les modalités de ce marché de l’art primitif, nous l’avons analysé dans son dernier état seulement ; c’est bien le moment où les anciennes structures traditionnelles cèdent la place à de nouvelles formes d’organisations commerciales, soit les années 1880, qui nous intéresse ici.

4 Si nous avons choisi de nous concentrer sur le marché de l’art contemporain, c’est d’abord que les sources en sont plus facilement et plus largement accessibles : les catalogues d’expositions, les critiques publiées par les journaux locaux, les comptes- rendus des associations d’amateurs ou d’artistes, en délimitent un cadre suffisamment précis pour pouvoir le circonscrire. Il en va autrement du marché de l’art ancien, dont les réseaux et les circuits sont beaucoup plus lâches, plus dépendants aussi d’une relation individuelle entre le collectionneur et son marchand, et ont laissé moins de traces. Toutefois, notre connaissance des stratégies économiques développées par les premiers marchands strasbourgeois reste malgré tout très fragmentaire : nous n’en reconstituons ici que la réception, et non la genèse. Que sait-on des contrats qui liaient artistes et marchands, de la fluctuation des cotes, d’éventuelles commandes directement passées du marchand à l’artiste ? La connaissance du comportement des acheteurs, par ailleurs, nous fait cruellement défaut. Que peut-on dire aujourd’hui de la pratique certainement répandue dans la bourgeoisie, qui consistait à pousser la porte de l’atelier et à commander son portrait ou celui de ses enfants ? Notre propos, moins ambitieux, répond à des interrogations plus simples : où, quand et comment pouvait- on, dans la capitale du Reichsland, voir et acheter de l’art contemporain, et à quelles types d’œuvres avait-on accès ? Comment passe-t-on d’un marché animé par des Sociétés d’amis, à un marché moderne, structuré par l’offre et la demande ?

Le temps des sociétés d’amis (1871-1898)

La Société des amis des arts de Strasbourg

5 Fondée en 1832 par une poignée d’amateurs, la Société des amis des arts de Strasbourg s’inscrit dans une dynamique qui voit les créations de ce type se multiplier en France à partir des années 1830 : ainsi, à Marseille en 1831, à Rouen en 1834, ou encore à Lyon et à Nantes en 18364. La doyenne des Sociétés d’amis française est parisienne5 : toutefois, comme le souligne Léon Lagrange dans la grande étude qu’il leur consacre en 1861, « le véritable théâtre des Sociétés d’amis des arts, c’est la province6 ».

6 L’objectif des Sociétés d’amis est d’encourager et de développer le goût des arts, en organisant régulièrement des expositions d’œuvres d’artistes contemporains. En s’occupant ainsi exclusivement d’art vivant, ces sociétés se distinguent des sociétés

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d’histoire ou d’archéologie, dont le propos concerne d’abord les temps anciens7. On ne peut les considérer comme des sociétés savantes : elles ne constituent pas de bibliothèques et, en dehors de la publication des catalogues, ne se signalent par aucune entreprise d’édition ou de recherche. Elles sont d’abord, écrit Raymonde Moulin, « des clubs de fréquentation pour gens de bonne compagnie. Les relations inter-personnelles qui s’instaurent à l’intérieur des associations l’emportent, dans les esprits, sur la relation que chacun des adhérents est supposé entretenir avec l’art8 ». La vocation commerciale des Sociétés d’amis est d’abord envisagée sous une forme philanthropique : « il s’agit, comme le précisent les statuts des Sociétés des amis des arts, de « propager le goût de l’art » et d’encourager les artistes en les aidant « dans le placement de leurs œuvres9 ». Mais c’est donc bien par l’appropriation, bien plus que par l’étude des œuvres, que les Sociétés d’amis se proposent d’atteindre leurs objectifs. Leur développement correspond bien à l’esprit du temps : la moyenne bourgeoisie, économiquement prospère, est en quête des prérogatives culturelles auparavant réservées aux classes supérieures. Mais où acheter de l’art contemporain en province, lorsque la capitale concentre l’essentiel de l’offre ? En se situant en tant qu’intermédiaires, les Sociétés d’amis vont offrir à ce public provincial le cadre adéquat pour l’acquisition de tableaux. En organisant chaque année une exposition de tableaux à vendre, la Société des amis des arts de Strasbourg génère ainsi un premier marché de l’art contemporain dans la ville.

7 La Société des amis des arts de Strasbourg10 connaît des débuts difficiles. Dès la première année, les bonnes volontés s’émoussent : « il suffit, en effet, d’une fois ou deux pour connaître le nombre encore restreint des ouvrages exposés, les revues furent bientôt parcourues, et par suite les points de réunion, vers lesquels n’attira bientôt plus l’attrait de productions nouvelles, furent tout aussitôt désertés11 ». Mais Strasbourg n’est pas seul dans son cas et certaines Sociétés allemandes voisines rencontrent des difficultés identiques. Les comités dirigeants décident alors de rassembler toutes ces Sociétés au sein d’une fédération : l’Association rhénane pour l’encouragement des beaux-arts. Plutôt que d’œuvrer isolément, les Sociétés regroupent ainsi leurs forces et organisent chaque année une exposition commune, itinérante, dans chacune des villes adhérentes. À sa création, en 1837, l’association rhénane fédère les villes de Mayence, Karlsruhe, Darmstadt, Mannheim et Strasbourg. Fribourg en Brisgau et Stuttgart la rejoignent en 184612. En 1866, les villes allemandes choisissent d’organiser désormais des lieux d’exposition permanents, qui recevront successivement les envois des villes membres. La Société strasbourgeoise, qui ne dispose pas de locaux adéquats, se saisit du prétexte pour quitter le groupe rhénan. Depuis plusieurs années déjà, la Société strasbourgeoise se montrait mécontente de sa participation à la fédération rhénane. Les peintres français, trouvant peu de visibilité au sein d’une exposition majoritairement allemande, avaient tendance à dédaigner les expositions rhénanes. Dans les années 1840 déjà, la presse parisienne se faisait l’écho de cette situation : « le salon de Strasbourg est resté, selon l’habitude, livré à l’influence presque exclusive des peintres allemands13 », lit-on par exemple dans L’Artiste en 1841. Dans les années 1860, ces propos critiques s’amplifient et gagnent la presse locale. La grande étude sur les Sociétés d’amis, publiée par Léon Lagrange dans la Gazette des beaux-arts en 1861, n’épargne pas la Société strasbourgeoise : « l’excentricité d’allure qui caractérise la Société des amis des arts de Strasbourg a pour cause un fait anormal qu’il est temps de signaler. Dès 1836 elle abdiquait sa nationalité en se fondant dans l’Association rhénane14. » Les comptes-rendus des assemblées générales montrent que les membres

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du comité avaient connaissance de ces critiques et étaient conscients du préjudice d’image et de réputation qu’elles leur portaient. À partir de 1867, les Amis des arts organisent donc seuls leur exposition annuelle, auxquels les peintres français participent à nouveau de façon très majoritaires.

8 L’annexion de 1871 met un terme provisoire aux activités des Amis des arts. Ce n’est qu’en 1874 que la Société réussit à organiser sa première manifestation d’après-guerre. Mais l’émigration a entraîné une chute des adhésions, provoquant ainsi des difficultés financières15. Il faut réduire la fréquence des manifestations ; bisannuelles d’abord, elles redeviennent un temps annuelles, et seront finalement triennales, « la seule formule qui fût en rapport avec les ressources modestes de la Société16 », écrit Hugo Haug. Malgré cela, les Amis des arts acquièrent pendant la période du Reichsland une visibilité nouvelle et augmentent leur légitimité artistique, maintenant ancienne et reconnue, d’une légitimité politique. Son activité ne varie pas, non plus que la nature des expositions, toujours majoritairement composées de tableaux français. Mais le contexte en fait logiquement évoluer la représentation : mettre l’art français à l’honneur dans la ville allemande devient un geste politique ; quand bien même il ne le serait pas ouvertement, il sera facilement perçu comme tel. La Société des amis des arts ne devient pas francophile, mais prolonge en fait un discours qu’elle portait depuis 1837 et son adhésion à l’Association rhénane. Dans ce cadre, et les comptes-rendus des assemblées générales en témoignent, le comité de la Société s’était toujours posé en défenseur de l’art français face à l’art allemand ; l’émulation fraternelle, sur laquelle reposait le principe même de l’Association rhénane, avait souvent cédée le pas aux propos nationalistes. Lors de la première assemblée générale d’après-guerre, le président Émile Lichtenberger laisse clairement entendre que le rôle des Amis des arts prend désormais une dimension supplémentaire, tant vis-à-vis du public que vis-à-vis des artistes alsaciens. Vis-à-vis de ces derniers surtout, l’exposition doit être exemplaire : « c’est sans parti pris, avec une conviction entière, pure de tout alliage, que nous prétendons que nos artistes obéissent, dans le présent comme dans le passé, à l’influence française plutôt qu’à l’influence allemande17 », écrit-il.

Salons, artistes et amateurs

9 Le salon des Amis des arts est un évènement artistique d’importance à Strasbourg, toujours souligné et relayé par la presse, et ce d’autant plus que la ville a longtemps été privée de son musée de peinture. Jusqu’en 1889, les expositions des Amis des arts sont, avec le salon permanent du Strassburger Kunstverein qui ouvre ses portes en 1883, l’unique possibilité offerte aux Strasbourgeois de fréquenter les beaux-arts. Pour composer ces expositions, le comité des Amis des arts sollicite les artistes, via les journaux spécialisés ou par l’intermédiaire d’un marchand parisien. Les œuvres envoyées sont réceptionnées puis accrochées par le comité. La Société strasbourgeoise peut compter sur l’aide de la municipalité, qui met à sa disposition une salle : les salons de l’hôtel de ville, rue Brûlée, puis les salons du rez-de-chaussée du château des Rohan, où se déroulent toutes les manifestations à partir de 190118. Chaque exposition rassemble en moyenne 300 tableaux ; la sculpture, qui voyage difficilement, est toujours très faiblement représentée et il faut attendre 1901 pour voir apparaître les arts décoratifs. Aucun jury ne préside à l’admission des œuvres, et la Société ne délivre aucun prix à l’issue du salon. Amateurs et peintres de profession s’y côtoient : cet accrochage indistinct est souvent critiqué par la presse locale. En 1884, un chroniqueur

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du Journal d’Alsace estime que la Société est cette fois allée trop loin et demande qu’on place désormais « les œuvres médiocres dans une salle à part19 ». Les Amis des arts ne sélectionnent donc pas les œuvres qu’ils exposent et ce sont les artistes, en fonction de ce qu’ils connaissent du comportement des acheteurs et de la fréquentation du salon, qui choisissent d’y participer et décident de leur envoi.

Exposition de 1901 au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg, Palais des Rohan

De droite à gauche, Alfred Ritleng, Adolphe Seyboth, Paul Reiber, Camille Binder, Hugo Haug. On reconnaît plusieurs tableaux de , en particulier le portait du maire de Strasbourg, Otto Back, actuellement au MAMCS. Copie en réduction de la statue de Frédéric II actuellement Unter den Linden à Berlin. Photo Mathieu Bertola, Musées de Strasbourg.

10 Dans les années 1875-1890, les tableaux exposés à Strasbourg sont d’abord des petits et moyens formats, qui représentent des scènes anecdotiques, des natures mortes, mais surtout des paysages. Pourtant très conventionnelles dans la forme, ces œuvres se situent à l’écart des critères académiques officiels qui sont définis par le sujet traité, et non d’abord par la manière. La théorie classique des beaux-arts, impose en effet une hiérarchie stricte, qui, si elle s’assouplit tout au long du XIXe siècle, façonne toujours les esprits et conditionne le jugement artistique. La peinture d’histoire, qui met en scène la fable (la mythologie) ou la religion, est considérée comme l’art majeur ou le « grand genre ». Le portrait, la nature morte et le paysage, à l’origine confondus dans le « genre » sans distinction, sont peu à peu devenus eux-mêmes des genres à part entière. Le « genre », au XIXe siècle, se caractérise alors par des représentations de la vie quotidienne, familières, souvent aimables et heureuses, favorisant le pittoresque et le sentimental : « L’indiscret », « Une agréable rencontre » ou encore « Toilette du matin » sont des titres exemplaires des sujets traités ; en 1882, le secrétaire des Amis des arts loue par exemple dans son rapport un tableau de Corbineau20, qui représente « deux ravissantes jeunes filles s’adonnant à cœur joie à une aubade improvisée21 ». Les paysages sont également très abondants : avec le « genre » ils constituent à eux-seuls la

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presque totalité des expositions strasbourgeoises. Familiers, aimables et fourmillant d’anecdotes, ces représentations de paysage se rapprochent beaucoup des scènes de genre précédemment décrites.

11 À la difficulté de définir ces tableaux par leur sujet, s’ajoute l’impossibilité d’en qualifier précisément le style, sauf à employer le terme plutôt fourre-tout d’éclectisme. Ces petits maîtres qui pratiquent une peinture que l’on qualifie aujourd’hui de « bourgeoise » sont d’abord les produits d’un système académique et sortent quasiment tous d’un moule identique. Ceux qui arrivent à se faire un nom signalent dans les catalogues les prix obtenus aux différents salons auxquels ils ont participé ; d’autres mentionnent l’atelier parisien dont ils sont issus : les distinctions, les décorations ou les noms de professeurs célèbres (Cogniet, Cabanel ou Bouguereau22), jouent un rôle important de légitimation, orientent les acheteurs dans leurs choix, peut-être même le détermine lorsque ceux-ci ne s’y connaissent absolument pas. La plupart de ces petits maîtres de la peinture bourgeoise sont aujourd’hui complètement oubliés. Mais cet art, écrit Raymonde Moulin, « n’a pas plu sans avoir ses raisons de plaire23 ». Il constitue le fonds de commerce des expositions provinciales et la clientèle des Sociétés d’amis le plébiscite longtemps.

12 Les artistes parisiens ne négligent jamais ces salons provinciaux, qui leur assurent des revenus complémentaires non négligeables. Comme le précise Nicolas Buchaniec, « contrairement à l’artiste débutant qui cherche la reconnaissance ou à l’amateur qui se satisfait de voir son tableau côtoyer celui de l’artiste confirmé, le salonnard se préoccupe du profit qu’il peut tirer de son envoi. La dimension pécuniaire prévaut sur toutes autres considérations. Les salons de province sont un marché complémentaire et providentiel qui ne se situe pas en marge du marché parisien24. » Cette situation est pour beaucoup dans la mauvaise presse parisienne qui éreinte souvent les expositions d’Amis des arts : les artistes y envoient ce qui se vend, s’attachant d’abord à contenter le goût d’un public bourgeois, plus porté à refuser qu’à accepter les expériences artistiques novatrices. La presse locale est bien plus louangeuse, et le public également, qui se presse en nombre à l’exposition.

13 Les journaux n’insistent toutefois pas sur l’aspect commercial de la manifestation et la fréquence ou l’intensité des achats est rarement mentionnée, en tous les cas pas avant les années 1900. L’exposition strasbourgeoise de 188525 rassemble 287 œuvres dont 260 sont à vendre : 57 % d’entre elles valent moins de 500 francs26, et 23 % entre 500 et 1 000 francs. Les 20 % restant sont des œuvres qui dépassent les 1 000 francs, la plus chère coûtant 7 000 francs. Ces proportions sont relativement identiques à celles que donne Raymonde Moulin pour l’exposition de 1887 de la Société des amis des arts de Bordeaux. Les prix provinciaux, dit-elle, sont nettement plus bas que ceux pratiqués sur le marché parisien. Il est rare de trouver à Strasbourg des œuvres d’un prix très élevé : les artistes réservent en général ce type d’envoi aux villes balnéaires. Strasbourg se situe donc dans la moyenne des prix proposés dans un contexte français, mais en revanche, les résultats y sont bien moindres qu’ailleurs. Toujours pour ces mêmes années 1885-1887, Raymonde Moulin indique que « le produit moyen des ventes se situe entre 30 et 40 000 francs dans les cas d’un salon annuel ou biennal27 » ; à Strasbourg, durant cette même période, il ne dépasse pas 20 000 francs, et ceci parce que le nombre des tableaux achetés y est plus faible qu’ailleurs, et non pas parce qu’ils y sont vendus moins chers.

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14 Or, ces chiffres étaient connus des artistes : « nous ne pouvons malheureusement pas compter sur le concours de grands maîtres, nos ressources limitées ne nous permettent pas de solliciter d’eux leurs œuvres, car si l’artiste tient à ce que son talent rayonne au loin, il songe aussi dans notre siècle pratique au pain du lendemain et désire savoir du comité si son œuvre peut trouver preneur28 », s’excuse le secrétaire des Amis des arts en 1887, prenant acte du faible niveau artistique de l’exposition de l’année passée. D’où l’intérêt du comité de diffuser largement les résultats des années fastes : en 1879, le produit des acquisitions dépasse exceptionnellement 25 000 francs, « chiffre qui ne manquera pas d’être apprécié par messieurs les artistes29 ». De même, on espère que le succès de l’exposition de 1891, au cours de laquelle 70 œuvres ont été achetées, va « attirer la sympathie des artistes et nous assurer par cela tous leur concours30 ».

15 Les comptes-rendus des assemblées générales précisent toujours la valeur des transactions réalisées, qu’il s’agisse des particuliers, des acheteurs institutionnels ou de la Société elle-même qui est, on le verra, le principal client des expositions qu’elle organise. Le nombre des achats de particuliers varie selon les années : en 1876, seuls 3 tableaux ont été acquis. Assez rapidement, ce nombre évolue à la hausse, se stabilisant autour de 20 : 18 tableaux en 1883, 22 en 1884, 20 en 1885. Par la suite, seul le montant global de la vente est indiqué : en 1895, les particuliers ont acheté pour 17 000 marks, en 1898 pour 9 000 et en 1908 pour 5 00031. Les Amis des arts de Strasbourg sont conscients de la situation, d’autant qu’ils peuvent comparer ces chiffres à ceux atteints par les salons mulhousiens : « la Société de Mulhouse dispose de fonds très considérables, ce qui évidemment est d’un très grand attrait pour les artistes, sans compter les chances des acquisitions faites par des amateurs généreux32 » dit en 1880 le secrétaire Gerval ; « la rareté des grands fortunes [à Strasbourg] ne nous fournit pas les moyens de suivre l’exemple de Mulhouse qui réussit à attirer à ses expositions des œuvres signées de noms connus du monde entier33 », souligne une nouvelle fois en 1887 le président Émile Salomon. Il ne faut pas voir dans cette référence mulhousienne une simple rivalité de voisinage : le salon mulhousien, où la pratique du mécénat public est importante, jouit alors d’une excellente réputation et attire les plus grands noms : c’est à Mulhouse, écrit Raymonde Moulin, qu’un salon atteint le chiffre de vente record de 107 000 francs en 188634. La publicité des achats n’est donc pas profitable aux Strasbourgeois ; une succession de résultats médiocres ou moyens ne décourage pas les artistes mais les incite en revanche à envoyer des œuvres peu chères qui, espèrent-ils, se vendront facilement.

16 Nous ne savons malheureusement rien de ces amateurs, ni leur nom ni les titres et les auteurs des œuvres qu’ils ont plébiscités. Pour la plupart, il s’agit sans doute d’un achat unique, destiné à embellir un intérieur. D’autres se sont peut-être pris au jeu et ont développé une pratique de collectionneur. Mais les collectionneurs d’art contemporain ne sont pas légion en province. En revanche, les collections d’art ancien abondent. Mais, issues des milieux érudits, souvent aussi des milieux ecclésiastiques, encouragées par l’action des sociétés savantes, ces collections se constituent alors dans des milieux assez différents de ceux impliqués dans les Sociétés d’amis. Toutefois, comme les tableaux dont il est question ici se sont dévalués rapidement et n’ont, pour la plupart, pas été jugés dignes des honneurs de l’histoire de l’art, il se peut fort bien que des collections aient été dispersées ou démantelées sans laisser de traces visibles.

17 En 1902, la Société expose les collections de son président d’Alfred Ritleng35 dont l’analyse, note René Metz, « donne une note très juste du mélange éclectique qui

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constituait l’époque36. » Sa composition nous est également connue par le catalogue de la vente après décès, qui se déroule au château des Rohan du 14 au 18 mai 190637. Constituée en grande partie d’œuvres et d’objets d’art décoratifs anciens, on y trouve par ailleurs des œuvres contemporaines, notamment un bel ensemble de tableaux alsaciens représentatif des années 1890-1900 (Seebach, Schneider, Spindler, Blumer, Krafft38, etc.), dont on verra qu’ils n’étaient pas particulièrement avantagés par les expositions des Amis des arts39. Président des Amis des arts à plusieurs reprises entre 1889 et 1903, collectionneur notoire, Alfred Ritleng a très certainement effectué l’une ou l’autre acquisition aux expositions de la Société. Or, son catalogue de vente, en 1906, ne mentionne aucun des artistes habitués du salon strasbourgeois. Un lot non détaillé (no1043), s’intitule toutefois « collection de tableaux de maître divers du XIXe siècle » : serait-ce là l’indice que ces tableaux avaient déjà perdu tout attrait ?

18 En 1889, faute de moyens, la Société ne peut organiser son exposition traditionnelle. Elle choisit alors de rassembler à l’Aubette des œuvres appartenant à des particuliers, et propose ainsi sa première exposition rétrospective40. Des collectionneurs renommés, qui ne sont pas forcément sociétaires, y participent : des œuvres issues des collections Hugueny41, Straub42 ou Ritleng sont ainsi présentées au public. Ces grands ensembles, où l’on a privilégié l’art ancien, voisinent avec des ensembles de moindre importance. Jules Sengenwald, Léon Ungemach et Auguste Ehrardt43, exposent chacun une dizaine de tableaux modernes, œuvres de peintres habitués des expositions strasbourgeoises, qu’ils soient Allemands, comme Waldenbourg44, Français, comme Frappa ou Moreau de Tours45, ou d’origine alsacienne, comme Schützenberger ou Jundt46. Tous trois industriels et engagés dans une carrière commerciale, exerçant des activités publiques philanthropiques, parfois des responsabilités politiques, issus de familles ancrées dans la bourgeoisie locale, Jules Sengenwald, Léon Ungemach et Auguste Ehrardt sont très représentatifs de la clientèle traditionnelle des Sociétés d’amis. Ils exercent alors (ou le feront par la suite) des responsabilités au sein du comité mais leur biographie n’indique jamais qu’ils sont considérés comme des collectionneurs à l’instar d’un Ritleng ou d’un Muller-Simonis. Ces trois exemples nous paraissent significatifs du comportement de bien des acheteurs.

La tombola et les acheteurs institutionnels

19 C’est cependant la Société elle-même qui est le principal acheteur des expositions qu’elle organise. À la fin de chaque manifestation, le comité achète en effet un certain nombre d’œuvres, qui vont constituer les lots d’une tombola dont le tirage au sort se déroule généralement lors de l’assemblée générale annuelle. « Dans la majorité des cas, les Sociétés des amis des arts sont des sociétés d’actionnaires, note Raymonde Moulin. […] L’inégalité du statut entre les adhérents est lié à l’apport financier : c’est le nombre d’actions dont ils sont détenteurs qui distingue les membres fondateurs ou titulaires des membres souscripteurs47 ». À Strasbourg, l’adhésion procure automatiquement trois actions au nouveau sociétaire, mais celui-ci peut en acheter autant qu’il le souhaite, et dans certains cas, la souscription est ouverte aux non sociétaires. À titre d’exemple, en 1876, en plus des actions possédées par les actionnaires, 111 actions ont été vendues à des particuliers (non forcément sociétaires, mais la distinction n’est pas précisée) pendant la durée de l’exposition et 30 acquises, cette fois uniquement par des sociétaires, le jour même du tirage de la loterie, qui, peu fournie cette année-là, comportait 14 lots48. « Le principal souci du comité était tout naturellement

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d’augmenter l’importance des achats qu’il pouvait faire aux expositions ; car de la valeur de ces achats dépendait le succès des expositions organisées dans une ville, et les achats faits à Strasbourg étaient notoirement inférieurs à ceux d’autres villes de même importance49 », écrit Hugo Haug en 1932, dans le livre qu’il consacre au centenaire de la Société. La tombola représente en fait une part importante dans le succès des Sociétés d’amis. Bien souvent, et c’est le cas à Strasbourg, les achats de la Société dépassent, en chiffre et en nombre, les acquisitions des particuliers. Mais cette prééminence de la tombola a des conséquences importantes sur la nature même de l’exposition, comme le constate très bien et dès 1859 le président de la Société strasbourgeoise : « le succès d’une exposition dépend souvent de la manière dont les acquisitions ont été effectuées antérieurement : si les choix n’ont porté que sur des œuvres d’un prix modique, les auteurs de compositions importantes se découragent et s’abstiennent ; si, au contraire, ces derniers ont été l’objet d’une prévoyance trop exclusive, le tirage au sort qui se fait à l’assemblée générale, comprenant moins de lots, ne peut favoriser qu’un plus petit nombre de porteurs d’actions, et ce sont alors ceux-ci dont la ferveur peut s’attiédir50 ».

20 Le cercle vicieux dont les Sociétés d’amis sont tributaires est ici précisément décrit. Les ressources de la Société strasbourgeoise dépendent des cotisations des adhérents. Ceux-ci retirent de leur adhésion un bénéfice social et culturel mais sont également attirés par la possibilité de « gagner » un tableau. Lorsque la tombola est peu fournie, et les chances de gain réduites, le nombre des adhérents baisse assez rapidement ; c’est d’autant plus le cas à Strasbourg qu’à partir de 1874, les salons, et par conséquent la tombola, ne sont plus annuels. La Société a donc tout intérêt à présenter chaque année une corbeille suffisamment garnie et attractive ; pour ce faire, elle achète beaucoup, en moyenne une vingtaine d’œuvres par exposition, mais son choix se porte avant tout sur des pièces peu onéreuses. Or, s’il est difficile de connaître le comportement des amateurs, et d’anticiper les acquisitions des particuliers, les choix des Sociétés d’amis sont connus des artistes : à Strasbourg, où la tombola est privilégiée, les envois s’adapteront en conséquence. De là ce reproche fait aux Sociétés d’amis « de ne favoriser que l’art au petit pied en n’achetant que des tableaux à bas prix, et d’abaisser par là le niveau de la valeur artistique des expositions51 » écrit le secrétaire Jean-Michel Blanck en 1867. Une tombola peu fournie décourage les adhésions ; mais une tombola étoffée grève rapidement le budget de la Société : après l’exposition de 1891, le comité distribue 43 tableaux52 ; l’année suivante, il doit renoncer, faute de moyens, à l’organisation de l’exposition annuelle.

21 La présence des acheteurs institutionnels et le dynamisme des musées locaux sont évidemment des données que les artistes prennent en compte, et qui peut déterminer la nature de leur envoi. Au début des années 1830, Strasbourg possède bien un musée de peinture. Cependant, parcimonieusement enrichies, ne bénéficiant d’aucun local adéquat, les collections ne sont pas accessibles au public et la municipalité n’assure leur entretien qu’à contrecœur53. Cette situation, connue des artistes, ne les incitait pas à envoyer à Strasbourg des œuvres majeures. La situation mettra du temps à se normaliser et c’est seulement en 1869 que le musée de peinture ouvre ses portes, dans le bâtiment de l’Aubette : « Réjouissons-nous donc, messieurs : les beaux-arts vont aussi avoir leur palais dans notre cité54 », écrit le président des Amis des arts en 1870. Les Sociétés d’amis ont en effet tout intérêt à ce qu’un musée existe dans leur ville. Contrairement à Paris, où les peintres vivants sont cantonnés dix années durant au musée du Luxembourg, considéré comme l’antichambre du Louvre, les musées de

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province accueillent indifféremment les vivants et les morts. Toutefois, pour y entrer, les œuvres contemporaines doivent correspondre aux règles académiques. Plébiscité par les amateurs, le « genre » n’intéresse pas les musées, dont les acquisitions s’effectuent dans le respect des légitimités académiques. Or on sait que c’est justement la « grande peinture » qui fait défaut à Strasbourg, n’y trouvant pas d’acheteurs. Les Amis des arts espèrent donc que la présence d’un musée infléchira cette tendance et rehaussera le niveau artistique de leurs expositions. La guerre de 1870‑1871, durant laquelle le musée de Strasbourg est entièrement détruit, ne permettra pas de vérifier cette hypothèse.

22 Lors de l’assemblée générale du 16 janvier 1876, le président Émile Lichtenberger informe les sociétaires que l’administration municipale a l’intention d’utiliser « une partie notable des intérêts que doit rapporter le capital de l’indemnité de près d’un demi-million accordée à la Ville, pour les collections du musée municipal ». Il espère alors que les expositions des Amis des arts deviendront « une occasion favorable pour faire ses acquisitions55 ». Entre 1876 et 1878, la Ville achète en effet une dizaine de toiles, essentiellement des œuvres alsaciennes, pour une somme de 33 000 francs56. Dès lors la Société décide d’informer les artistes qu’elle sollicite de la bonne disposition des autorités municipales57. Pour autant, la fréquence des acquisitions municipales est variable ; celles-ci dépendent étroitement de la qualité des œuvres proposées, ce dont le comité est toujours très conscient : « c’est que les tableaux dignes d’un musée sont toujours rares, surtout quand une exposition n’a pas lieu dans un grand centre, et on ne peut qu’approuver l’administration municipale », explique le président en 1889, justifiant ainsi l’absence d’achats municipaux lors de l’exposition précédente.

23 C’est une fois encore Mulhouse qui est la grande rivale de la Société strasbourgeoise en ce domaine : « si les artistes ne comptent pas sur Strasbourg pour y envoyer, comme à la capitale industrielle du Haut‑Rhin, de grandes œuvres dont ils sont toujours certains de trouver le placement, ils y envoient pourtant des toiles de moindre envergure dans lesquelles les qualités saillantes de l’école actuelle percent autant que dans les premières58 », se rassure le secrétaire Auguste Ehrardt en 1891. La Société des arts de Mulhouse, émanation de la Société industrielle, s’est créée dans le but explicite d’encourager le mécénat public et de permettre un accroissement rapide et efficace des collections contemporaines du musée municipal. Comme souvent, cette situation bénéficie aussi au marché privé. À Mulhouse, les grands noms de la peinture officielle sont d’emblée présents ; mais également les jeunes peintres qui ouvrent des voies nouvelles (comme Monet, Renoir ou Pissaro59, exposés à Mulhouse en 1889) et qui eux attirent plutôt une clientèle de collectionneurs.

24 Par la suite, le comité des Amis des arts fera comprendre aux adhérents qu’il est aussi temps pour Strasbourg de se consacrer au mécénat public. On privilégiera les manifestations plus ambitieuses de façon à y attirer les acheteurs institutionnels60. Mais privilégier le mécénat public, et donc aussi l’acquisition par la Société, sur ses propres fonds, de tableaux ensuite offerts au musée municipal, équivaut à négliger le rôle de la tombola, ce qui, semble-t-il, ne va pas sans heurts : « C’est une lutte d’influence très vive entre l’ancienne manière et nos tendances d’activité qui ne veulent pas entrer dans les têtes des anciens meneurs de la Société. Samedi nous aurons une lutte très vive sur la question d’une acquisition à faire pour la collection de la Société incorporée au musée de la Ville. Les vieux ne veulent absolument pas marcher dans ce sens, voyant comme unique but de la Société la loterie triennale et le désir de gagner un tableau »61,

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lit-on en 1907 dans la correspondance privée d’Hugo Haug, alors secrétaire de la Société.

L’éphémère rivalité du Strassburger Kunstverein

25 « Dans notre ville la divergence des goûts et des tendances n’a pas permis de créer une direction unique pour l’encouragement des beaux-arts62 », se plaint le président des Amis des arts en 1888. Il existe en effet à Strasbourg et depuis 1883 une autre Société d’amis : le Strassburger Kunstverein. Le rapport annuel de l’année 188563 résume l’historique de cette fondation : les expositions organisées par les Amis des arts, dont on souligne la présence durable, n’ont lieu que tous les deux ans et cela ne suffit pas à satisfaire les exigences d’une ville comme Strasbourg, qui doit de plus reconstituer son musée. Il serait par ailleurs souhaitable, note le rapporteur, que les deux sociétés fusionnent un jour. En attendant cet objectif, la direction du Kunstverein se propose d’organiser une exposition permanente. Dans ses Souvenirs alsaciens, Lujo Brentano64 est plus disert. Après avoir évoqué l’adhésion des Amis des arts à la Fédération rhénane pour l’encouragement des beaux-arts de 1837 à 1866, il regrette que la Société strasbourgeoise n’ait pas, après 1871, accepté de renouer ces liens anciens ; d’après lui, le comité aurait au contraire tout fait pour décourager l’adhésion des vieux- allemands65. C’est donc pour répondre aux souhaits de certains immigrés vieux- allemands de s’investir dans l’action culturelle qu’un Kunstverein est créé, à l’initiative du professeur Michaelis66. Dès l’origine, il rassemble essentiellement des professeurs d’université et des membres de la haute fonction publique, répondant ainsi à l’isolement volontaire des Amis des arts par un autre cloisonnement tout aussi étanche.

26 Le Strassburger Kunstverein n’organise pas un salon temporaire mais propose une exposition permanente, selon le modèle déjà éprouvé par beaucoup de villes allemandes. Inaugurée dans les salons de l’hôtel de ville le 7 octobre 1883, la première exposition se déplace ensuite dans l’ancienne gare, qui devient le local permanent de l’association. « D’après ce qui nous revient, écrit le chroniqueur du Journal d’Alsace, on a voulu que pour le commencement l’exposition permanente fut brillante et comportât presque autant de numéros que s’il s’agissait d’un « salon » temporaire. Plus tard, par la force des choses, le nombre de toiles sera plus restreint ; on n’admettra du reste que les bons tableaux67 ». La première exposition se veut exemplaire et représentative de la grande peinture académique allemande68. Ce sont des œuvres de musées et non pas des tableaux à acheter. Mais il s’agira de garder cap : après avoir souhaité au nom des Amis des arts la bienvenue à cette concurrence « toute pacifique » Adolphe Seyboth précise : « nous souhaitons également à la nouvelle Société d’être moins envahie que la nôtre par des clairs de lune, des paysages alpestres, de tableaux à horloge, etc.69 »

27 La recherche du prestige prend le pas ici sur l’aspect commercial, et c’est donc d’abord sur le terrain symbolique qu’une rivalité se noue entre les Amis des arts et le Strassburger Kunstverein. Pourtant, note le Journal d’Alsace « on voit […] que l’action principale du Kunstverein ne fera pas de concurrence à notre Société des amis des arts. Celle-ci continuera à travailler au développement des beaux-arts en Alsace et à organiser ses expositions bisannuelles. Le Strassburger Kunstverein, de son côté, fournira à la population en général et aux artistes en particulier, l’occasion de voir de temps à autre l’une ou l’autre grande toile de l’École allemande70 ». Les chiffres de fréquentation du Kunstverein sont importants, mais comme il s’agit d’une comptabilité à l’année, on ne

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peut réellement les comparer à ceux donnés par les Amis des arts, qui concernent des manifestations qui ne durent qu’un mois. Mais en 1888, le président Jules Sengenwald constate qu’avec ses moyens puissants et ses soutiens financiers de poids, le Kunstverein « a recueilli les sympathies exclusives d’une grande partie de la population71 ». L’exposition permanente du Strassburger Kunstverein se tient de 1883 à 1890 dans l’ancienne gare, puis se déplace à cette date dans l’ancienne halle couverte de la rue de la Haute-Montée. Mais ce n’est là encore qu’une installation temporaire ; après la démolition de ces derniers locaux, le Kunstverein peine à en trouver de nouveaux. Ce sera la raison invoquée pour la dissolution de l’association, signalée le 18 mars 1900 dans le Journal d’Alsace.

28 Les artistes exposés durant les 17 années d’existence du Strassburger Kunstverein sont, en très grande majorité, des Allemands de Munich, de Düsseldorf ou de Berlin. Durant les premières années, les seuls étrangers sont Suisses ou Italiens, mais les peintres français y participent par la suite, dans une proportion tout aussi faible que les peintres allemands aux expositions des Amis des arts. Plusieurs artistes alsaciens-lorrains y exposent dès 1883, et ce nombre ne cessera de croître, tout en n’étant jamais aussi important qu’aux Amis des arts, où ils étaient d’ailleurs minoritaires également. Ces artistes locaux sont en général issus de l’immigration vieille-allemande. Il en va certainement plus d’une stratégie économique que d’une sélection a priori du comité du Kunstverein, qui aurait eu tout intérêt à se fédérer une clientèle indigène. Plusieurs artistes participent indifféremment aux expositions du Kunstverein comme à celles des Amis des arts : c’est par exemple le cas d’Antonia Boubong, mais aussi d’Eugène Schneider.

29 Issu du milieu strasbourgeois vieil-allemand, le Strassburger Kunstverein est considérée comme une entreprise immigrée tout au long de son existence. Le Journal d’Alsace, d’ailleurs, en chronique les manifestations dans sa partie allemande et n’y consacre dans sa partie française que quelques courtes lignes. On ne sait rien des particuliers qui se portent acquéreurs des toiles ou des objets d’art exposés. Durant l’année 1889 par exemple, le local du Kunstverein a vu passer plus de 400 tableaux, aquarelles ou dessins, 10 sculptures et une soixantaine d’objets d’art décoratifs : 70 œuvres en tout on été achetées par des particuliers, pour un montant de 6 533 marks, mais parmi cet ensemble ne figurent qu’une dizaine de tableaux. Peut-on dire que, plutôt que de concurrencer directement les Amis des arts, le Strassburger Kunstverein a développé un nouveau marché, en s’attirant une clientèle vieille-allemande ? Le clivage est souvent relevé, même si toujours à demi-mots, dans les comptes-rendus des Amis des arts : « il existe donc à Strasbourg deux Sociétés à tendances différentes qui, l’une et l’autre, ne répondent pas au goût d’une partie de notre population, et devant lesquelles se pose le problème de trouver un terrain qui leur permit de joindre leurs efforts pour donner à la culture des beaux-arts une impulsion dont nos industries d’art seraient les premières à profiter72 », déplore le président des Amis des arts lors de l’assemblée générale du 15 janvier 1888. La scission entre Vieux-Allemands et Alsaciens de souche est-elle aussi évidente que les Amis des arts aiment à le laisser entendre ? Nous manquons hélas de données pour analyser plus précisément cette situation.

30 Le Strassburger Kunstverein dote chaque année une tombola, généralement composée d’une dizaine de tableaux, qu’accompagnent des dessins, des aquarelles et des objets d’art décoratif. Chaque loterie comporte donc entre 30 et 40 lots, comme aux Amis des arts, mais ils sont de valeurs plus inégales et le tout représente un ensemble bien moins

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homogène. Les artistes locaux n’y sont représentés qu’à de très rares occasions, ce qui n’a pas dû les encourager à participer aux manifestations du Strassburger Kunstverein. Le montant global des acquisitions des Amis des arts pour leur tombola est en général bien plus élevé que celui du Strassburger Kunstverein. En 1889, celui-ci propose une tombola qui rassemble 34 lots (8 tableaux et 26 objets d’art) d’une valeur totale de 1 833 marks. En 1891, la tombola des Amis des arts totalise 43 tableaux, aquarelles et pastels, d’une valeur totale de 7 692 marks. Mais la somme affectée à ces achats résulte d’un cumul de deux ou trois exercices annuels, alors que le Strassburger Kunstverein organise sa tombola tous les ans.

Le décloisonnement du marché (1898-1914)

Le temps des artistes

31 Dans les années 1830, au moment de la grande vague de création des Sociétés d’amis, les artistes étaient nombreux à y participer, voire, comme à Strasbourg, à en être les initiateurs73. Ces Sociétés représentaient alors pour les artistes un investissement très positif, social d’abord, mais avec d’importantes conséquences économiques. Mais dans les dernières décennies du XIXe siècle, ces tutelles traditionnelles sont progressivement remises en cause et les Sociétés d’amis commencent à perdre leur influence.

32 En Alsace, le milieu artistique local s’était clairsemé après 1871 puis lentement reconstitué. Ce n’est qu’à partir des années 1890 qu’on observe une dynamique nouvelle. Cette recrudescence de l’activité artistique est par exemple visible dans les livres d’adresses publiés par la ville de Strasbourg74 : la liste des peintres, très stable jusque dans les années 1880, comporte une dizaine de noms. Certains peintres mentionnés là participent depuis longtemps aux expositions des Amis des arts, comme Antonia Boubong ou Marie Boquentin. Dans les années 1890, la liste s’étoffe : y apparaissent les noms de ceux qui vont jouer un rôle fondateur dans le cadre du groupe de Saint-Léonard, ainsi que ceux qui formeront par la suite le groupe des peintres dits de Saint-Nicolas ; apparaissent également nombre de peintres d’origine vieille- allemande, et parmi eux ceux qui, à partir de sa création en 1892 travaillent à l’École des arts décoratifs. Cette recrudescence de la vie artistique ne pouvait pas aller sans conséquence sur le marché de l’art : la concurrence augmentant, les artistes se cherchent de nouveaux débouchés ; les deux Sociétés d’amis strasbourgeoises ne pourront plus longtemps satisfaire les exigences des artistes, ni celles d’un public de plus en plus sollicité par cette vie artistique nouvelle.

33 L’initiative première revient aux artistes. Le positionnement francophile des Amis des arts, discret mais constamment revendiqué, a paradoxalement représenté pour eux un frein, alors même qu’ils sont nombreux à partager la même sensibilité. En concentrant son action sur la peinture française et en invitant d’abord des peintres parisiens, les Amis des arts ne réservaient pas aux artistes alsaciens un traitement particulier : leur production était exposée au sein d’un ensemble très vaste et très disparate, qui les empêchait d’exister réellement. Cette situation n’est pas, semble-t-il, particulière à l’Alsace : « aussi paradoxale que puisse paraître, à première vue, l’hypothèse, écrit Raymonde Moulin, il semble bien que les expositions organisées par les Sociétés des amis des arts n’aient pas mis en valeur les singularités régionales, ni dans leur aspect traditionnel, ni dans leur dimension subversive. Au contraire, par leur souci de montrer

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à la province ce qui était apprécié à Paris, par leur respect des institutions nationales et officielles de légitimation, elles ont contribué à dissimuler au regard des contemporains ce qui subsistait, ici et là, de vigoureux et d’original parmi les artistes de province (…) » 75.

34 En 1896, les Amis des arts font savoir aux artistes locaux leur souhait d’organiser une manifestation rassemblant leurs œuvres. Mais ceux-ci, faisant de Gustave Stoskopf leur porte-parole, refusent d’y participer et annoncent qu’ils entendent organiser leur propre exposition. Placés devant le fait accompli, et ne souhaitant pas envenimer des relations déjà compliquées, les Amis des arts choisissent de prêter leur concours aux artistes. Ceux-ci veulent assumer la direction des opérations et posent leurs conditions : l’admission sera validée par un comité d’artistes, qui exclura d’emblée tout prétendant qui n’aurait pas déjà participé à un salon parisien, munichois ou berlinois. Seuls les professionnels sont donc admis, et les femmes, par exemple, ne sont pas reçues. L’exposition rassemblera un nombre restreint d’œuvres, et les artistes eux- mêmes s’occuperont du placement et de l’accrochage. On voit comment cette organisation s’oppose, presque point par point, aux expositions organisées par les Amis des arts, où nul jury ne préside aux admissions, où amateurs et professionnels voisinent sans distinction, et qui comptent parfois plus de 400 œuvres, accrochées pêle-mêle et sans réelle visibilité. La maîtrise de la présentation et de l’accrochage devient pour les artistes un impératif esthétique, mais aussi économique : ce sera également l’un des arguments mis en avant dans la création de la Maison d’art alsacienne.

35 « Strasbourg-Novembre »76 est la première manifestation qui présente ensemble les artistes qui gravitent autour de Charles Spindler et du cercle de Saint-Léonard. Le jeune groupe avait besoin d’un espace d’exposition consacré à lui seul, et c’est par son dynamisme et sa cohésion qu’il a su s’imposer aux Amis des arts. Le 11 novembre 1897, une lettre d’Alfred Ritleng publiée dans les colonnes du Journal d’Alsace révèle pourtant que les tensions sont vives : le président des Amis des arts s’insurge contre ces artistes qui se prétendent « inventeurs du premier salon alsacien77 » et rappelle les efforts constants de la Société strasbourgeoise en ce domaine, comptabilisant même le nombre d’acquisitions réalisées pour la tombola. Mais Alfred Ritleng n’évoque pas le problème de la visibilité ni celui de la sélection des œuvres, éludant ainsi l’un des problèmes majeurs soulevés par les artistes : les expositions des Amis des arts ne servent ni leurs intérêts artistiques, ni leurs intérêts économiques, et leur font une concurrence jugée déloyale. Lors de l’assemblée générale de 1900, Alfred Ritleng prend acte d’une situation nouvelle, évoquant de façon un peu embarrassée « l’ardeur extrême et l’esprit d’entreprise infiniment favorable de ces jeunes artistes [qui] semblent vouloir et pouvoir se permettre de se passer de tout patronage78 ».

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Charles Spindler, affiche pour l’exposition des artistes alsaciens-lorrains au château des Rohan, 1903

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36 En 1903, les artistes réitèrent l’expérience79 : c’est un nouveau succès80. La Revue alsacienne illustrée, à laquelle beaucoup d’entre eux participent, publie un article qui en tire le bilan : « nous apprenons d’abord que les artistes, quand ils sont livrés à eux- mêmes et qu’ils sont libres d’organiser les choses comme ils l’entendent, n’offrent au public que des œuvres dignes de lui être présentées. Nous ne trouvons pas, en effet, au château, de ces œuvres inférieures qui ne manquent, presque jamais, d’apparaître dans les expositions dues à l’initiative d’amateurs plus soucieux d’élargir la part de leurs préférences personnelles que de distinguer le véritable mérite. Les artistes ont et doivent avoir le respect de leur art et c’est ce respect d’eux-mêmes qui les empêche de se commettre en mauvaise compagnie et les force de faire un choix sévère. Or, c’est là, précisément, ce qui est arrivé ici : les artistes strasbourgeois, organisés en société provisoire, ont constitué un jury qui a présidé au choix et au placement des œuvres soumises à un examen. […] Les expositions organisées par les artistes sont supérieures à celles organisées par des mécènes plus ou moins autorisés81 ». Entre les lignes, il s’agit évidemment d’une critique en règle des expositions de la Société des amis des arts. La réponse ne tarde pas : en 1904, pour la première fois, les Amis des arts organisent un salon dont ils excluent « tous les amateurs et les élèves82 ».

37 L’initiative des artistes alsaciens, replacée dans un contexte européen, n’a rien de particulier mais s’inscrit au contraire dans l’air du temps. Partout, les artistes s’organisent, forment des associations, élaborent des stratégies économiques qui court- circuitent les tutelles du mécénat traditionnelles au profit du système marchand. De nouveaux impératifs économiques, une concurrence toujours plus ouverte, l’accroissement des échanges et de la circulation des marchandises, les obligent en fait

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à se repositionner. Auparavant acteurs passifs d’un système essentiellement régit par la commande, ils vont désormais se situer du côté de l’offre. Suscitées par les conditions économiques nouvelles, ces sociétés d’artistes peuvent être considérées comme une phase de transition entre la période des académies et la loi du marché83. Tous ces mouvements ont en commun un intérêt croissant pour les arts décoratifs, et la volonté de remettre en cause les cloisonnements étanches qui jusque-là séparaient les beaux- arts de l’artisanat, ou plutôt des « arts industriels », tels qu’on les définissait à l’époque. Or, si les arts décoratifs ouvrent aux artistes un nouveau champ d’expérimentation artistique, ils élargissent également le marché, attirent de nouvelles clientèles et sont, peut-être plus que les tableaux de chevalet, susceptibles d’intéresser les marchands.

38 Dans ses mémoires, Charles Spindler dit combien le bouillonnement intellectuel et artistique de l’Allemagne de la fin du XIXe siècle l’a impressionné. Sa visite à la Mathildenhöhe de Darmstadt84, en compagnie de Gustave Stoskopf est « une révélation pour nous tous85 », écrit-il. Plus tard, en 1905, lorsqu’il sera question de créer la Maison d’art alsacienne, il pense un temps à regrouper des ateliers à Strasbourg : « c’eut été une création dans le genre des Vereinigten Werkstätten de Munich 86 ». Ouverts aux expériences allemandes, participant aux expositions internationales aux côtés des artistes d’outre-Rhin87, les Alsaciens ont dû regarder avec un égal intérêt la création puis le développement de l’École de Nancy, géographiquement très proche.

39 En 1904, à l’initiative de Gustave Stoskopf, déjà à l’origine de la sécession de 1897, la plupart des artistes locaux rejoignent le Verband der Kunstfreunde in den Ländern am Rhein. À la différence des sociétés évoquées jusqu’à présent, ce Verband fédère essentiellement des associations d’artistes, regroupées en fonction de leur origine géographique, et organise des expositions itinérantes qui jusque-là ne concernaient que les villes d’outre-Rhin. En 1905, pour la première fois, la tournée annuelle intègre une section alsacienne-lorraine qui compte treize artistes, et fait étape à Strasbourg88. Fait notable, le Verband accorde une large place aux arts décoratifs.

40 Les Amis des arts trouvent ici matière à double critique : leur sensibilité francophile est heurtée par l’adhésion d’artistes alsaciens (de surcroît habitués de leurs expositions) à une association aussi officiellement allemande ; mais leur sensibilité régionaliste, cette fois, s’insurge contre cette assimilation « rhénane » dans laquelle les particularismes alsaciens semblent se fondre. Ce débat occupe un temps les colonnes de la presse locale, mais il est frappant de constater qu’il ne concerne que les théoriciens89, et non les artistes eux-mêmes. Ceux-ci se défendent en mettant en avant l’argument économique : pendant de longues années, écrit le peintre Lucien Blumer, le champ d’activité artistique est resté aux mains de la Société des amis des arts. S’étant peu intéressée aux artistes locaux alors même que c’était son devoir, il apparaît logique que ceux-ci s’en détournent. L’exposition de 1905, affirme-t-il, répond à un but commercial et artistique, non à une volonté politique de mise sous tutelle des artistes, qui n’ont fait là que saisir une opportunité90.

41 Cette nouvelle génération d’artistes, qui se présente au public à partir de la fin des années 1890, se joue du clivage traditionnel, que perpétue en revanche le comité des Amis des arts : les deux expositions de 1907 et 1908, par exemple, respectivement consacrée à l’art français contemporain et aux productions de l’École de Nancy, excluent de façon volontaire toute participation des artistes locaux. Ce n’est pas servir le public alsacien, déjà « trop enclin à trouver indifféremment beau tout ce qui vient de France91 », constate amèrement Charles Spindler. De plus, et assez maladroitement, la

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Société se pose en donneuse de leçon : l’exposition de 1907 est présentée aux artistes alsaciens comme l’occasion de comprendre, « mieux que par des discours, à quelles sources ils devront renouveler leur inspiration et à quelle école ils pourront perfectionner leur talent92. » Mais les sympathies francophiles, que cultivent bien des artistes alsaciens, ne les empêcheront pas de diffuser de plus en plus largement leur production sur le marché allemand, ni de considérer avec attention et intérêt les expériences nouvelles qui s’y développent. Certainement très conscients de l’aspect politique de la situation, et peu dupes de la façon dont on les accueille au sein du Verband93, ils apparaissent de plus en plus organisés et décidés. L’un des objectifs de l’Union des artistes strasbourgeois, fondée en avril 1905, sera d’ailleurs d’encourager les envois des artistes alsaciens-lorrains aux expositions qui se tiennent hors du Reichsland94.

Salons d’art et marchands d’art

42 Les historiographes de la vie artistique alsacienne, comme Robert Heitz ou René Metz, se sont d’abord intéressés à la formation des groupes d’artistes et à leur évolution artistique. Les noms des marchands qui les ont accompagnés (Bader-Nottin, Grombach), ne sont mentionnés qu’en passant, pour avoir ouvert leurs locaux aux nombreuses expositions qui se sont succédées à Strasbourg à partir de 1899. Il est regrettable que l’action de ces deux marchands apparaisse, aujourd’hui encore, tellement en retrait. Avaient-ils leur mot à dire dans le choix des artistes, liaient-ils certains d’entre eux par des traités d’exclusivité, possédaient-ils des correspondants réguliers dans d’autres villes, allemandes ou françaises ? Les renseignements dont nous disposons restent malheureusement très fragmentaires. Les catalogues d’exposition ne mentionnent aucun prix, les articles des journaux non plus, qui traitent ces manifestations sous l’aspect artistique et négligent le point de vue commercial, comme ils le faisaient d’ailleurs déjà du temps des expositions des Sociétés d’amis. Si les documents concernant la réception des premiers salons d’art strasbourgeois ne manquent pas, les sources nous font défaut qui permettraient d’analyser réellement les stratégies commerciales et les objectifs précis des marchands qui les ont accueillis en leurs murs95.

43 Jusqu’en 1888, les livres d’adresses publiés par la ville de Strasbourg ne mentionnent qu’une catégorie concernant le marché de l’art : celle des « antiquaires » ; cinq magasins sont par exemple répertoriés en 1874. Longtemps stable, cette liste commence à s’étoffer dans l’édition de 1884, pour atteindre une vingtaine de noms dans celle de 1913. Même spécialisés dans l’art ancien, ces marchands pouvaient certainement et de temps à autre proposer à leur clientèle des œuvres contemporaines. Il en va de même des libraires, qui pratiquent souvent le commerce des estampes. La peintre Antonia Boubong, par exemple, expose régulièrement ses œuvres dans la devanture du libraire Heinrich96.

44 À partir de l’édition de 1888, les livres d’adresses répertorient des « marchands d’art », dont quelques-uns figurent aussi dans la rubrique des antiquaires ou dans celles des libraires. Mais l’apparition de cette catégorie ne signale pas forcément la création de commerces nouveaux, et encore moins de commerces spécialisés dans l’art contemporain : la maison Edel-Büchel97, dont René Metz indique qu’elle « donnait le ton à Strasbourg98 » bien avant les années 1870, était jusqu’alors référencée dans la

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catégorie « Marchand de tapisseries ». C’est aussi le cas de la maison Fietta99, qui propose des tableaux originaux, des estampes, des photographies, mais aussi un service d’encadrement, du matériel de peinture, de la papeterie, de la maroquinerie, des « vues des châteaux et des ruines vosgiennes », et enfin, des cartes, des plans et des guides ; ou des établissements Schöttle et Dortail100, dont l’annonce publicitaire met en avant la vente de meuble et la décoration intérieure. Dans cet ensemble, ce sont les marchands de mobilier, mais aussi de porcelaines ou de bibelots qui dominent.

45 La constitution de cette nouvelle catégorie est symptomatique d’une ville en pleine expansion économique ; la visibilité nouvelle des marchands de meubles qu’on peut également qualifier « d’ensemblier », doit certainement être mise en relation avec l’évolution du chantier de la Neustadt et l’installation progressive des habitants dans ce nouveau quartier. Cette liste ne cesse de se développer et compte 26 noms dans l’édition de 1913 ; mais on constate aussi une plus large porosité entre les dénominations et la propension de certaines maisons à se faire répertorier dans les trois catégories intéressant le marché de l’art, soit les antiquaires, les libraires et enfin les marchands d’art.

46 Paradoxalement, la maison Bader-Nottin, qui recevra pendant quatre ans le premier « salon d’art » strasbourgeois n’apparaît pas dans la catégorie « marchand d’art », mais reste d’abord cantonnée dans la liste répertoriant les professionnels de l’ameublement et de la décoration intérieure : « Porzellanwaarengesch. » en 1898, la maison donne de ses activités une définition plus large dans le livre d’adresses de 1900 : « Porzellan –, Kristall –, Kunst u. Luxuswaaren », mais n’apparaît pas encore aux côtés des autres marchands d’art. « La Revue alsacienne illustrée a ouvert dans une salle spéciale que la maison Bader-Nottin, 23, rue de la Nuée Bleue, a mise à sa disposition, une exposition permanente d’œuvres de peintres et de sculpteurs alsaciens ou fixés en Alsace101 », signale la Revue en octobre 1899. C’est là encore une étape transitoire, mais qui marque une nette évolution : administré par les artistes eux-mêmes, et placé sous l’égide de la Revue alsacienne illustrée, le salon d’art se déroule dans un local commercial dont l’accès est gratuit et ouvert à tous. L’organisation des expositions, notamment la sélection des œuvres, est confiée à Gustave Stoskopf.

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Affiche du salon d’art de la Revue alsacienne illustrée chez Bader-Nottin

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47 Le 19 avril 1900, le Journal d’Alsace salue l’ouverture du lieu : aux expositions des Amis des arts, il y a plus de peintres « étrangers » que d’Alsaciens ; au Kunstverein, on présentait exclusivement l’art allemand. Il y avait donc un réel problème de visibilité : le salon d’art de la Revue alsacienne illustrée allait maintenant rendre possible les expositions d’artistes indigènes, écrit le chroniqueur. De même, la Strassburger Post exprime son contentement et considère la création de ce salon comme un « signe des temps102 », et l’indice du développement de la vie artistique strasbourgeoise.

48 La toute première exposition est consacrée à l’œuvre de Seebach ; la deuxième, collective rassemble les travaux des professeurs de l’École des arts décoratifs, la troisième regroupe des femmes peintres, dont beaucoup sont issues de l’atelier strasbourgeois de Seebach. Six expositions sont ainsi organisées en 1900 : le salon d’art de la Revue alsacienne illustrée propose ainsi dès la première année un panorama très complet de la création alsacienne contemporaine, qui rassemble toutes les tendances et surtout, permet aux différents groupes en train de se constituer de se rencontrer et de confronter leurs productions. « Les expositions dans le local de la Revue alsacienne illustrée ont été d’une importance capitale pour la future organisation des artistes alsaciens-lorrains, puisque c’est à elle que les artistes strasbourgeois durent d’entrer en rapport les uns avec les autres, surtout les artistes appartenant à l’École des arts décoratifs, qui entrèrent en relation avec le groupe de la Revue alsacienne illustrée »103, lit-on dans le compte-rendu de l’assemblé générale de l’Union des artistes strasbourgeois.

49 Le rythme des expositions est soutenu : Louis Schützenberger à l’automne 1901, Joseph Sattler en janvier 1902, Henri Beeke en février 1902, Charles Spindler (avec les meubles créés pour l’exposition internationale de Turin) en juin 1902 ; mais la majorité d’entre elles ne sont pas monographiques et rassemblent les « artistes indigènes », comme les nomme simplement la Revue. À la fin de l’année 1902, un court entrefilet signale un recentrage : « nous nous proposons, dans l’avenir, de varier le plus possible nos différentes expositions ; mais dans l’intérêt des exposants comme du public, nous avons résolu de ne plus admettre que des œuvres de réelles valeur et de combattre le

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dilettantisme de mauvais aloi qui tend à s’implanter dans toutes les expositions d’art. Les œuvres d’artistes de profession seront seules reçues désormais au salon d’art de la Revue. Le soin des expositions est confié à Gustave Stoskopf.104 » Une nouvelle fois apparaissent les deux exigences de la professionnalisation et de la sélection, exigences qui sont désormais défendue autant par les marchands que par les artistes.

50 Parallèlement, mais, semble-t-il, indépendamment du salon d’art, certains artistes se lient directement à la maison Bader : « mes premiers essais [de marqueterie] exposés à Strasbourg à l’exposition de 1898 organisée par les artistes alsaciens, la première de ce genre, avaient été remarqués par un monsieur Bader qui venait d’ouvrir un magasin d’objets d’art dans la rue de la Nuée-Bleue. Il me lia par un traité à sa maison […]105 » note Charles Spindler dans ses mémoires. En 1901, l’exposition des Amis des arts accorde assez exceptionnellement une place importante aux arts décoratifs, et, pour la première fois, signale aussi les marchands strasbourgeois chez qui on trouvera les artistes exposés : la maison Bader-Nottin rassemble à elle seule plus de la moitié des exposants (entre autre August Camissar, Désiré Christian et fils, Elchinger et fils), dont tous ne sont pas Alsaciens-Lorrains ; elle possède l’exclusivité sur les productions de Charles Spindler, mais aussi sur les vases de la société bavaroise Bauer, Rosenthal et Cie106. La maison Siegfried possède elle l’exclusivité sur les productions de la Société anonyme des verriers réunis de Vallerysthal et de Portieux107, ainsi que sur les grès Utzschneider : les arts décoratifs ont désormais complètement investi le système marchand108.

51 Au même moment, un autre salon d’art est ouvert rue Saint-Nicolas, dans la galerie de l’antiquaire Hippolyte Grombach. Le groupe de peintre qui va y exposer prend immédiatement le nom du lieu (les peintres « dits de Saint-Nicolas »), avant de devenir officiellement et sous l’égide d’Eugène Schneider, l’association des peintres alsaciens (Verband Elsässischer Künstler). Ce salon se poursuivra lorsque l’antiquaire se déplacera en 1910 rue du Jeu-des-Enfants. Désormais Strasbourg compte deux galeries permanentes pour la gestion et l’organisation desquelles marchands et artistes sont étroitement associés. La vie artistique locale s’organise alors nouvellement : les Amis des arts, après la disparition du Strassburger Kunstverein en 1900, organisent désormais de plus en plus d’expositions rétrospectives et non commerciales109, laissant ce circuit marchand naissant s’approprier la production contemporaine locale. Le système de la tombola est maintenu, mais celle-ci est dotée par des achats fréquents et réguliers aux deux salons d’art, dont les manifestations sont régulièrement signalées dans les Chroniques d’Alsace-Lorraine, mais aussi dans les quotidiens locaux. Cette tombola volontairement « régionalisée » convient aux sociétaires et satisfait les artistes, qui ne sont dès lors plus à la merci des expositions « françaises », maintenant devenues triennales110.

La Maison d’art alsacienne

52 Le 19 avril 1905, réunis en assemblée constituante, les artistes habitués du salon d’art Bader-Nottin fondent l’Union des artistes strasbourgeois (Verband Strassburger Künstler)111, qui entend favoriser le développement de l’art industriel et faciliter la diffusion des œuvres locales en dehors des frontières alsaciennes. Menée par Charles Spindler et Gustave Stoskopf, l’association regroupe la plupart des artistes qui gravitent dans la mouvance du groupe de Saint-Léonard. Il est certain qu’une concurrence, dès lors, existe entre le groupe « dits de Saint-Nicolas » et celui nouvellement créé de

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l’Union des artistes strasbourgeois : mais les deux sociétés exposeront souvent de concert ; ces deux groupes ne reflètent pas réellement des esthétiques opposées, ni même des objectifs artistiques clairement définis, mais témoignent plutôt de la vitalité artistique strasbourgeoise dans les premières années du XXe siècle, et de la volonté des artistes d’acquérir une visibilité maximale. « Le mouvement de Saint-Léonard, écrit Robert Heitz, avait compris la nécessité de grouper les artistes en vue d’expositions représentatives. L’expérience amena les participants à consolider la solidarité éphémère en créant des associations. Ces associations n’ont jamais prétendu imposer à leurs adhérents une doctrine artistique précise ; c’est un peu au gré des amitiés personnelles qu’elles recrutaient leurs membres112 ».

53 Toujours en 1905, une autre association se créée, où l’on retrouve les mêmes artistes, mais aussi des mécènes et des amateurs d’art : la Société pour le développement des beaux-arts et des arts industriels en Alsace-Lorraine, qui se propose de créer une galerie d’art, au 6, rue Brûlée, sous le nom de Maison d’art alsacienne. Le prospectus113 qui présente cette initiative est très explicite : « cette société n’est pas une institution à tendances purement idéales ; elle constitue, au contraire, un groupement de volontés décidées à agir par elle-même, capables d’imprimer une direction, d’accepter des responsabilités et voulant, en un mot, faire des affaires114 ». C’est certainement la première fois que les artistes expriment aussi clairement leur volonté de s’inscrire sans complexe dans une démarche économique. « On sait combien il est souvent difficile aux artistes de se mettre directement en rapport avec les amateurs, et combien peu les grandes expositions elles-mêmes donnent l’occasion d’apprécier à leur juste valeur les productions d’art pur. Dans les salons, le public est généralement effrayé par le nombre trop considérable d’œuvres qui lui sont offertes, qui sont de valeur bien inégale et qui se nuisent souvent les unes aux autres. On a pensé qu’il serait plus avantageux de présenter moins de tableaux à la fois. » L’expression d’ « art pur », qui qualifie encore les tableaux de chevalet, montre que malgré une nette volonté de remettre en question l’ancienne distinction entre les arts mineurs et majeurs, l’association perpétue malgré tout une pensée plutôt traditionnelle. Néanmoins, ce langage est très révélateur de la place nouvelle que tiennent désormais les arts décoratifs dans la production artistique, mais aussi de l’opportunité économique qu’ils représentent. Le prospectus insiste par ailleurs sur les prix, qui seront aussi réduits que possible, placés aux côtés des œuvres et des objets, et « non établis d’après l’amateur ». La commission prélevée par la Maison d’art sera minime et uniquement destinée à couvrir les frais de gestion : « il s’agit d’une sorte de syndicat qui s’efforcera de mettre au meilleur marché possible et dans la plus large acception du mot, l’art à la disposition de tous115 ». Placée sous la gérance de Gustave Stoskopf et de Théodore Knorr, la direction artistique de la Maison d’art alsacienne est dès l’origine confiée à l’Union des artistes strasbourgeois, instaurant ainsi un partenariat qui offre désormais aux artistes fédérés autour de Gustave Stoskopf et Charles Spindler un lieu d’exposition permanent. L’initiative est très appréciée. La Strassburger Post se félicite de l’ouverture d’un tel lieu, dont la capitale du Reichsland, estime le chroniqueur, avait été longtemps privée116. L’inauguration de la Maison d’art alsacienne se déroule le 10 décembre 1905, en présence du Statthalter Hermann von Hohenlohe-Langenbourg et du secrétaire d’État Max von Schraut117.

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Salle d’exposition de la Maison d’art alsacienne

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54 C’est au sculpteur Ringel d’Illzach qu’est consacrée la première exposition. Comme auparavant chez Bader-Nottin, le comité artistique alterne expositions monographiques (Henri Beecke, Albert Schultz, Lucien Blumer) et expositions collectives. En juin 1906, la Maison d’art accueille notamment le Künstlerbund de Karlsruhe. En décembre 1906, le Journal d’Alsace rend compte de travaux réalisés en vue de l’agrandissement des locaux. Ce « bulletin de victoire », titre de l’entrefilet, que signe D’Gelly, est très louangeur : la Maison d’art alsacienne est devenue « le salon que tous les étrangers de distinction de passage à Strasbourg visitent de préférence, parce qu’ils y trouvent ce qu’ils chercheraient en vain ailleurs : toute l’Alsace et rien que l’Alsace en ses multiples manifestations artistiques118 ».

55 La Maison d’art alsacienne prend la succession du salon de la Revue alsacienne illustrée dont les dernières expositions sont signalées en 1904. Dans le même temps, le salon d’art d’Hippolyte Grombach poursuit ses activités, mais les artistes rassemblés autour d’Émile Schneider ne sont pas pour autant exclus des cimaises de la Maison d’art. Les artistes alsaciens possèdent désormais un lieu d’exposition et de vente ; s’il s’agit de « faire des affaires », comme le soulignait le prospectus, la Maison d’art reste toutefois une galerie à part, où les artistes sont maîtres chez eux, et moins soumis à l’influence grandissante des marchands. C’est semble‑t‑il essentiellement grâce au succès des marqueteries de Charles Spindler que l’entreprise a pu se maintenir : « je suis et j’ai toujours été le banquier de la Maison d’art…119 », a-t-il précisé. La Maison d’art alsacienne prend néanmoins rang aux côtés des autres marchands d’art dont la liste, donnée chaque année par les livres d’adresses, ne cesse d’augmenter, et devient l’un des fournisseurs très officiels de la tombola des Amis des arts. La période du Reichsland aura donc vu le marché de l’art strasbourgeois se structurer progressivement, en un cheminement qu’on peut qualifier de classique : un passage de relais des Sociétés d’amis aux Sociétés d’artistes, une liaison de plus en plus grande de celles-ci avec le

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système marchand, et enfin, le développement de la galerie commerciale privée et la multiplication des lieux d’exposition.

NOTES

1. Sur le marché de l’art en France, Raymonde MOULIN, L’artiste, l’institution et le marché, Flammarion, Paris, 2009, et Gérard MONNIER, L’art et ses institutions en France, Gallimard, Paris, 1995. 2. Sur le marché de l’art en Allemagne, Alexandre KOSTKA, « Les mutations du marché de l’art en Allemagne », Revue d’Allemagne et des Pays de langue allemande, 2010, 42-3, p. 319‑352. 3. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte rendu de l’assemblée générale du 4 février 1883, Fischbach, Strasbourg, p. 4. 4. Il n’existe pas de synthèse récente sur les Sociétés d’amis. Mais les études monographiques sont nombreuses : voir par exemple Dominique DUSSOL, Art et bourgeoisie, la Société des amis des arts de Bordeaux (1851-1939), Le Festin, Bordeaux, 1997 ; Laurent HOUSSAIS et Marion LAGRANGE (dir.), Marché(s) de l’art en province 1870-1914, Les Cahiers du Centre François-Georges Pariset, no8, Presses universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 2010 ; Nicolas BUCHANIEC, Salons de province, Les expositions artistiques dans le nord de la France (1870-1914), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010. 5. Voir Udolfo VAN DE SANDT (dir.), La Société des amis des arts (1789-1798), École nationale supérieure des beaux-arts, Paris, 2006. 6. Léon LAGRANGE, « Des Sociétés d’amis des arts en France », Gazette des Beaux-Arts, 1861, X, p. 32. 7. Les expositions rétrospectives existent, mais sont l’exception. À Strasbourg, elle sont d’abord organisées par défaut, lorsque les ressources financières de la Société ne permettent pas d’assumer les charges d’une exposition de peinture moderne. Mais elles sont parfois l’occasion de présenter la collection privée d’un sociétaire. 8. Raymonde MOULIN, « Les bourgeois amis des arts. Les expositions des beaux-arts en province, 1885-1887 », Revue française de sociologie, 17, 1976, p. 388. 9. Ibid., p. 389. 10. Sur l’histoire de la Société, voir René METZ, La Société des amis des arts de Strasbourg : son rôle dans la culture artistique en Alsace de 1832 à 1972, Imprimerie strasbourgeoise, Strasbourg, 1974. Les archives de la Société sont déposées aux Archives de la Ville et de la Communauté urbaine de Strasbourg sous la cote 126Z. 11. Émile DETROYES, « Notice sur la Société des amis des arts de Strasbourg », Congrès scientifique de France, dixième session tenue à Strasbourg en septembre et octobre 1842, Mémoires, tome II, p. 615. 12. Voir Anne-Doris MEYER, « Les Amis des arts de Strasbourg et l’Association rhénane pour l’encouragement des beaux-arts », dans Isabelle JANSEN et Friederike KITSCHEN (dir.), Dialog und Differenzen, 1789-1870 Deutsch-französische Kunstbeziehungen, Centre allemand d’histoire de l’art, Passagen/Passages, Band 34, Deutscher Kunstverlag, Berlin-Munich, 2010, p. 397‑407. 13. « Exposition dans les départements - Strasbourg », L’Artiste, 1841 p. 241. 14. LAGRANGE 1861 op. cit., t. X, p. 104.

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15. L’encaissement des cotisations est repris en 1873 mais le nombre de sociétaires, de 460 avant la guerre, était tombé à 230 à cette date : Hugo HAUG, La Société des amis des arts de Strasbourg, 1832-1932, Société des amis des arts, Strasbourg, 1932, p. 45. 16. Ibid., p. 51. 17. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 16 janvier 1876, Hubert et Haberer, Strasbourg, 1876, p. 8. 18. À l’exception des deux expositions rétrospectives de 1889 et de 1895, qui se tiennent l’une à l’Aubette et l’autre à la maison Kammerzell. 19. Journal d’Alsace, 14 mai 1884. 20. Charles Auguste Corbineau (1835-1901), élève d’Ernest Hébert, expose régulièrement au Salon parisien à partir de 1863. 21. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 29 janvier, Hubert et Haberer, Strasbourg, 1882, p. 12. 22. Léon Cogniet (1794-1880), Alexandre Cabanel (1823-1889), William Bougereau (1825-1905), peintres reconnus, ont enseigné à l’École des beaux-arts de Paris et formé de nombreux artistes. 23. MOULIN 1976 op. cit., p. 409. 24. BUCHANIEC 2010 op. cit., p. 118. 25. Société des amis des arts de Strasbourg, Catalogue de l’exposition d’œuvres d’artistes vivants, Hubert et Haberer, Strasbourg, 1885. 26. La comptabilité des Amis des arts est en francs jusqu’en 1888 et en marks après cette date ; sur les catalogues, le prix de tous les tableaux est en francs jusqu’en 1888, y compris les œuvres des artistes locaux ou des artistes allemands. Après 1889, le prix de celles-ci est indiqué en marks, alors que le prix des tableaux envoyés de France reste en francs (même lorsqu’il s’agit d’œuvres d’artistes alsaciens-lorrains qui y sont temporairement installés). 27. MOULIN 1976 op. cit., p. 404. 28. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 16 janvier 1887, Fischbach, Strasbourg, 1887, p. 7. 29. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 18 janvier 1880, Hubert et Haberer, Strasbourg, 1880, p. 12. 30. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 21 février 1892, Fischbach, Strasbourg, 1892, p. 4. 31. Seule une étude prenant en compte la fluctuation du cours des deux monnaies tout au long de cette période rendrait possible une analyse fine de ces résultats. 32. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 18 janvier 1880, Huber et Haberer, Strasbourg, 1898, p. 13. 33. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 16 janvier 1887 op. cit., p. 4. 34. MOULIN 1976 op. cit., p. 405. 35. Société des amis des arts de Strasbourg, Exposition de la collection de monsieur A. Ritleng, président de la Société, éditeur inconnu, Strasbourg, 1902. Sur Alfred Ritleng (1828-1905), notaire et collectionneur strasbourgeois, voir Ferdinand DOLLINGER, « Nécrologie d’Alfred Ritleng », Revue Alsacienne illustrée, 1905, VII, p. 17-19. 36. René METZ, Les peintres alsaciens de 1870 à 1914, thèse inédite, Université des sciences humaines de Strasbourg, 1971, 3 volumes, p. 284 (note 236). 37. Voir Robert FORRER, « Les antiquités, les tableaux et les objets d’art de la collection Alfred Ritleng à Strasbourg », Revue Alsacienne illustrée, Strasbourg, 1906. 38. Pour la biographie des artistes alsaciens cités, voir Alice BAUER et Jeanine CARPENTIER, Répertoire des artistes d’Alsace des dix-neuvième et vingtième siècles, Oberlin, Strasbourg, 1984-1988 ainsi que François LOTZ, Artistes peintres alsaciens de jadis et de naguère, Printek, Kaysersberg, 1987.

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39. Alfred Ritleng prête ces tableaux à plusieurs reprises, en 1894 à l’exposition des artistes strasbourgeois dans l’ancien palais de la Délégation, ou encore en 1895, dans le cadre des manifestations artistiques organisées par la municipalité à l’occasion de la grande exposition industrielle et artisanale de 1895. 40. Société des amis des arts de Strasbourg, Peintures à l’huile, aquarelles, miniatures, marbres, bronzes, dessins et gravures appartenant à des particuliers, septembre-octobre 1889, Fischbach, Strasbourg, 1889. 41. Sur cette collection voir le Catalogue des tableaux anciens provenant de la collection de M. le professeur Hugueny, éditeur inconnu, Strasbourg, 1896. 42. Le chanoine Alexandre Straub (1825-1891), président de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace à partir de 1874. 43. Jules Sengenwald (1809-1891), négociant et président de la chambre de commerce de Strasbourg de 1848 à sa mort ; Léon Ungemach (1844-1928), industriel strasbourgeois ; Auguste Ehrardt, brasseur à Schiltigheim. 44. Alfred von Waldenbourg, né en 1847, paysagiste allemand. 45. José Frappa (1854-1904), expose régulièrement au Salon parisien à partir de 1876 ; Georges Moreau de Tours (1848-1901) est un élève de Cabanel. 46. Ce sont ces artistes alsaciens de la génération née aux alentours des années 1830 que la Société a le plus exposé. L’arrivée sur la scène artistique de la nouvelle génération, en 1898, correspond, on le verra, au décloisonnement du marché et à la perte d’influence de la Société. 47. MOULIN 1976 op. cit. n. 8, p. 386. 48. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 16 janvier 1876, op. cit. 49. HAUG 1932 op. cit. n. 15, p. 40. 50. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 9 janvier 1869, Berger-Levrault, Strasbourg, 1869, p. 2. 51. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 27 janvier 1867, Silbermann, Strasbourg, 1867, p. 6. 52. Voir la liste dans le procès-verbal de l’assemblée générale du 19 juillet 1891. Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg : 126Z4. 53. Créé par l’arrêté consulaire de 1801, ce musée s’augmente essentiellement d’envois de l’État. Voir Véronique MEUNIER, Le Musée des Beaux-Arts à Strasbourg 1803-1870, Mémoire de maîtrise, Strasbourg 2, 1989 ; Dominique JACQUOT (dir.), Le Musée des Beaux-Arts de Strasbourg, cinq siècles de peinture, Musées de Strasbourg, Strasbourg, 2006. 54. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 9 janvier 1870, Berger-Levrault, Strasbourg, 1870, p. xx19. 55. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 16 janvier 1876 op. cit., p. 5. 56. HAUG 1932 op. cit. n. 15, p. 48. 57. Procès-verbal de la séance du comité de la Société des amis des arts du 11 février 1878. Archives municipales de la ville et de la communauté de Strasbourg : 126Z4. 58. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 1er février 1891, Imprimerie alsacienne, Strasbourg, 1891, p. 7. 59. Voir le Catalogue. Exposition de la Société des arts de Mulhouse, avril 1899, Veuve Bader et Cie, Mulhouse, 1899. 60. Les expositions de 1907 et 1912, toutes deux consacrées à l’art contemporain français, et l’exposition de 1908, qui présente les dernières création de l’École de Nancy, par exemple. À l’exposition de 1907 la Ville acquiert entre autre le moulage du Penseur, de Rodin ; en 1912, de Rodin toujours, un buste de Gustave Mahler. La Société acquiert également plusieurs tableaux qu’elle place ensuite en dépôt au musée municipal. La Société des arts de Mulhouse réalise

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également des acquisitions lors de ces deux expositions, sorte de consécration pour les Strasbourgeois. 61. Lettre de Hugo Haug à son frère Henri Albert, datée Strasbourg, 4 avril 1907. Archives municipales de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg : 81Z41. 62. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 15 janvier 1888, Fischbach, Strasbourg. 63. Srassburger Kunstverein, Jahres Bericht des Kunst-vereins Strassburg pro 1883/1884, Du Mont- Schaunberg, Strasbourg, 1884. 64. Lujo BRENTANO, Elsässer Erinnerungen, Erich Reiss, Berlin, 1917, au chapitre V. Lujo Brentano (1844-1931), enseigne l’économie politique à l’Université impériale de Strasbourg de 1882 à 1887. 65. Un système de double cooptation est effectivement mis en place à partir de 1871. La Société a su se garder « indemne de toute intrusion étrangère », écrit Hugo Haug : HAUG 1932 op. cit., p. 50. 66. Adolf Michaelis (1853-1910), professeur d’archéologie classique à l’Université impériale de Strasbourg à partir de 1872. 67. Journal d’Alsace, 6 octobre 1883. 68. Voir la liste des œuvres exposées dans le Journal d’Alsace, 7 octobre 1883. 69. Journal d’Alsace, 13 mai 1883. 70. Journal d’Alsace, 6 octobre 1883. 71. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 15 janvier 1888, Fischbach, Strasbourg, 1888, p. 4. 72. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 15 janvier 1888 op. cit., p. 5. 73. Charles-Auguste Schuler (1804-1809), dessinateur et graveur, est l’un des fondateurs de la Société strasbourgeoise. À la même époque, plusieurs artistes allemands se sont investis dans la Fédération rhénane pour l’encouragement des beaux-arts. 74. Les livres d’adresses ( Adressbuch der Stadt Strassburg für…) sont publiés par Bensheimer (Strasbourg et Mannheim) en 1874, 1878 et 1880, puis par Heinrich et Schmitter (Strasbourg) en 1882 et par Heinrich seul à partir de 1884. 75. MOULIN 1976 op. cit. n. 8, p. 402. 76. Voir Anne-Doris MEYER, « Le premier Salon des peintres alsaciens : l’exposition « Strasbourg- Novembre », Cahiers d’art, d’archéologie et d’histoire d’Alsace, Strasbourg, 2010, p. 151‑161. 77. Journal d’Alsace, 11 novembre 1897. 78. Société des amis des arts de Strasbourg, Compte-rendu de l’assemblée générale du 2 mars 1900, Fischbach, Strasbourg, 1900, p. 4. 79. Illustrierter Katalog der Ausstellung veranstaltet von dem Strassburger Künstlern, mai 1903, Fischbach, Strasbourg, 1903. Voir la critique de l’exposition dans Les Affiches des 2 et 9 mai 1903 (supplément du Journal d’Alsace et de Lorraine). 80. L’exposition reçoit plus de 10 000 visiteurs et une soixantaine d’œuvres sont acquises, par des particuliers mais aussi par la municipalité. METZ 1971 op. cit. n. 10, p. 113. 81. Jean RAPIN, « L’exposition des artistes de Strasbourg », Revue alsacienne illustrée, 1903, V, p. 97. 82. METZ 1971 op. cit. n. 10, p. 284 n. 236. 83. Jean-Paul BOUILLON, « Sociétés d’artistes et institutions officielles dans la seconde moitié du XIXe siècle », Romantismes, 1986, 54, p. 90. 84. Nom de la colonie d’artistes réunissant architectes, peintres et sculpteurs, fondée en octobre 1899 à Darmstadt par le grand-duc Ernst Ludwig. 85. Charles SPINDLER, L’âge d’or d’un artiste en Alsace, mémoires inédits 1889-1914, Place Stanislas, Nancy, 2009, p. 179. 86. Ibid., p. 219. Les Vereinigte Werkstätten für Kunst und Handwerk (Ateliers réunis pour l’art et l’artisanat) sont fondés en 1898 à Munich et rassemblent architectes, peintres, sculpteurs et ornemanistes.

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87. Aux exposition universelle de Paris en 1900, de Saint-Louis (USA) en 1904, aux expositions internationales de Turin en 1902 et de Dresde en 1906. Sur ce contexte voir Christine PELTRE, « Charles Spindler et le cercle de Saint-Léonard. Régionalisme et modernité », dans Bernadette SCHNITZLER (dir.), Strasbourg 1900, naissance d’une capitale, Musées de Strasbourg et Somogy, Paris et Strasbourg, 2000, p. 92-97. 88. Wanderausstellung des Verbandes der Kunstfreunde in den Ländern am Rhein, Strasbourg, 1905. 89. Voir par exemple , « À propos de l’exposition des artistes rhénans à Strasbourg », Revue alsacienne illustrée, 1905, VII, p. 49-51 et la réponse à cet article par l’historien d’art français André Girodié, publiée dans Le Messager d’Alsace-Lorraine (Paris), du 13 mai 1905. 90. Lucien BLUMER, « Exposition d’art français à Strasbourg », Le Journal d’Alsace et de Lorraine, 12 mars 1907. 91. Lettre de Charles Spindler à la Société des amis des arts de Strasbourg, datée « février 1908 ». Archives de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg : 126Z69. 92. Formulaire d’adhésion envoyé aux artistes. Le document est signé Léonce Bénédite et Auguste Rodin, mais il a été rédigé par le comité de la Société. Archives de la Ville et de la Communauté urbaine de Strasbourg : 126Z8. 93. Dans son discours d’inauguration, le Statthalter se félicite notamment que « le temps [soit] passé, où les artistes alsaciens-lorrains [allaient] chercher, de préférence, leurs inspirations à Paris. » Cité par Le Messager d’Alsace-Lorraine du 25 mars 1906. 94. Journal d’Alsace, 23 avril 1905. 95. Voir par exemple René METZ 1971, op. cit. n. 10 ; le numéro spécial de Saisons d’Alsace, 1973, 47, intitulé Artistes d’Alsace : étapes de l’art alsacien, XIXe et XXe siècles, peintres, sculpteurs, graveurs ; Robert HEITZ, La Peinture en Alsace, 1050-1950, Dernières Nouvelles d’Alsace et Librairie Istra, Strasbourg, 1975. C’est certainement l’article de Théodore KNORR, « Die Malerei und Bildhauerei im Elsass in der Zeit von 1871-1918 », dans Das Reichsland Elsass-Lothringen 1871-1918, Selbstverlag des Elsass-Lothringen Instituts, Francfort sur Main, 1934, p. 265‑304, qui propose le meilleur aperçu sur ce contexte économique en pleine évolution. 96. Une telle exposition est par exemple signalée par le Journal d’Alsace, 26 novembre 1904. 97. Rue du Dôme puis après 1899 rue du Temple Neuf. 98. METZ 1971 op. cit. n. 10, p. 119. 99. 14, rue du Dôme. 100. Au coin de la rue du Dôme et de la rue Brulée. 101. Chronique d’alsace-Lorraine, no1, p. 1, supplément de la Revue alsacienne illustrée, 1899, II. 102. « Ein « Zeichen der Zeit » ist das Gedeihen des Kunstsalons Bader-Nottin ». Strassburger Post, 22 avril 1900. 103. Cité par le Journal d’Alsace et de Lorraine, 18 juillet 1908. 104. Chronique d’alsace-Lorraine no1, p. 1, supplément de la Revue alsacienne illustrée, 1902, IV. 105. SPINDLER 2009 op. cit., p. 121. 106. Société fondée en 1897 à Kronach, en Bavière. 107. Société fondée en 1872 dans le département des Vosges. 108. Sur la production des arts décoratifs à cette époque, voir PELTRE 2000, op. cit. 109. Voir les catalogues suivants : Exposition rétrospective d’objets d’art et de curiosité relatifs à l’Alsace, Strasbourg, 1893 ; Exposition de la collection de M. Alfred Ritleng, Strasbourg, 1902 ; Catalogue de l’exposition d’armes, uniformes et documents militaires, Strasbourg, 1903 ; Exposition alsacienne de portraits anciens, Fischbach, Strasbourg, 1910 ; Ferdinand DOLLINGER, Exposition d’œuvres de Benjamin Zix à l’occasion du centenaire de sa mort, Strasbourg, 1911. 110. René Metz note d’ailleurs qu’aux expositions de 1901 et 1904, les peintres alsaciens étaient plus nombreux qu’à l’accoutumée : METZ 1971 op. cit. n. 10, p. 16. 111. Journal d’Alsace, 23 avril 1905. 112. HEITZ 1975 op. cit., p. 70.

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113. Reproduit dans « La maison d’art alsacienne », la Revue alsacienne illustrée, 1906, VIII, p. 28-35. 114. Ibid., p. 30. 115. Ibid., p. 35. 116. « Das elsässische Kusnthaus in Strassburg », Strassburger Post, 11 décembre 1905 (no1 321). 117. Journal d’Alsace et de Lorraine, 10 décembre 1905. 118. W. D’GELLY, « Bulletin de victoire », Journal d’Alsace, 11 décembre 1906. 119. SPINDLER 2009 op. cit., p. 221. Les mémoires de Charles Spindler ont été rédigées entre 1925 et 1930.

RÉSUMÉS

Strasbourg, ville de la province française, ne connaît, jusqu’à 1871, comme ces autres villes qu’un marché de l’art local, animé par les réseaux de sociabilité d’une Société des Amis des Arts. Après l’annexion, la Société reprend ses activités vers 1874, en organisant des expositions annuelles, où la Société est le premier client d’œuvres destinée à la redistribution par lots de tombola. Ce « modèle économique » de la Société, qui privilégie « l’art français » n’est plus adapté à l’essor de la ville qui croît et se modernise à partir des années 1890. Le nombre de jeunes artistes locaux a fortement augmenté ; ils se connaissent, se regroupent. Ils réclament des expositions spécifiques et rejettent la tutelle de la Société des Amis des Arts. La première exposition du groupe des artistes alsaciens a lieu en 1897. En même temps, créés par un certain nombre de décorateurs et fabricants de meubles, des « salons d’art » ouvrent à Strasbourg. Le plus important, patronné par la Revue Alsacienne illustrée, ouvre dans la maison Bader-Nottin, rue de la Nuée Bleue. Un autre salon d’art ouvre chez Grombach rue Saint-Nicolas. Les artistes liés à ces salons, quelquefois par « traités » fondent ce qu’on appellera des cercles, Saint-Léonard, chez Bader-Nottin, Saint- Nicolas chez Grombach. Elles recouvrent le plus souvent des associations (Verbände). En 1905, s’ouvre rue Brûlée la maison d’art alsacienne, qui prend la suite de la galerie de la Revue Alsacienne illustrée qui entend promouvoir, avec « les arts industriels » les intérêts économiques des artistes. Le nombre de marchands d’art strasbourgeois ne cesse d’augmenter. La période du Reichsland a vu un marché de l’art strasbourgeois se structurer économiquement, et les Sociétés d’artistes prendre le relais des Sociétés d’Amis.

Before 1871, as a typical province place, Strasbourg, like other cities, only had a local art market in the hands of the notabilities of the Society of the Friends of Art. After the annexion, in 1874, the Society resumed its activities, organizing annual exhibits where the Society was the actual buyer, then redistributing them as raffle prizes. This “economic model” of the Society favouring “French art” was no longer adapted to the growth of modernising cities after 1890. The number of young artists, both friends and collaborators, grew tremendously. They called for specialised exhibits, rejecting the patronage of the Society. The first show with the group of Alsatian artists took place in 1897. At the same time a certain number of decorators and furniture designers opened “art shows”, the most important one, sponsored by the Revue Alsacienne Illustrée, in the Bader-Nottin gallery, in the Nuée Bleue street, or in the Grombach gallery, in the Saint-Nicolas street. All the artists involved in this movement, sometimes ruled by a contract, founded what came to be called “circles”, Saint Leonard at Bader-Nottin’s, Saint Nicolas at Grombach’s, mainly in the shape of associations (Verbände, in German). In 1905 the Alsatian Art House –the successor

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of the Illustrated Alsatian Journal gallery– was inaugurated in the Rue Brûlée, promoting the economic interests of artists, along with the notion of “industrial art”. The number of art dealers was permanently increasing and during that period the art market in Strasbourg was taking shape economically, and the Society of Artists was to replace the Sociey of the Friends of Art.

Bis 1871 ist Straßburg eine französische Provinzstadt. Wie in die anderen Provinzstädte ist auch sein Kunstmarkt nur ein lokales. Akteure sind die Mitglieder des Vereins der Kunstfreunde. Nach der Angliederung an das Deutsche Reich wird der Verein gegen 1874 wieder aktiv und veranstaltet im Jahreszyklus Ausstellungen. Bester Käufer von Kunstwerken ist die Gesellschaft selbst. Die Werke erwirbt sie, um sie in Tombolas über Lose verteilen zu können. Die Stadt schwingt sich ab 1890 auf, modernisiert sich und glaubt an ihre neue Bestimmung. Die Kunstfreunde verstehen, ihr „Wirtschaftsmodell“, das die „französische Kunst“ bevorzugt, paßt nicht mehr zu dieser Stadt. Die Zahl der jungen lokalen Künstler wird immer größer. Sie kennen einander und schließen sich zusammen. Sie fordern spezielle Ausstellungen, weigern sich aber, sich weiterhin von dem Verein der Kunstfreunde bevormunden zu lassen. Die erste Ausstellung dieser Gruppe elsässischer Künstler findet im Jahre 1897 statt. Etwa zur gleichen Zeit eröffnen in Straßburg mehrere Dekorationsmaler und Möbelfabrikanten „Kunstsalons“. Der bedeutendste steht unter dem Patronat der Elsässischen Illustrierten Rundschau und befindet sich in den Räumen des Hauses Bader-Nottin in der Blauwolkenstrasse. Ein anderer wird bei Grombach in der Sankt-Nikolausstraße eröffnet. Die Künstler stehen bei diesen Salons mitunter unter Vertrag, schließen sich zusammen und gründen Vereinigungen, die man Kreise nennt. Ihre Namen: Sankt Leonhard bei Bader-Nottin, Sankt Nikolaus bei Grombach. Im Jahre 1905 eröffnet in der Brandgasse das Elsässische Haus der Kunst, Nachfolger der Galerie der Elsässischen Illustrierten Rundschau. Diese hat vor, zusammen mit den Kunstgewerben die wirtschaftlichen Interessen der Künstler zu fördern. Es gibt immer mehr Kunsthändler in der Rheinmetropole. Der Straßburger Kunsthandel hat sich in der Zeit des Reichslandes neue wirtschaftliche Strukturen gegeben, und die Verbände der Künstler treten die Nachfolge der Kunstfreunde an.

AUTEUR

ANNE-DORIS MEYER Docteur en histoire de l’art

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L’essor de l’enseignement secondaire des filles en Alsace (1871-1918) The rise of secondary teaching in girl schools in Alsace (1871-1918) Etablierung des Höhere Mädchenschulwesens in Elsass (1871-1914)

Eric Ettwiller

1 « A-t-on besoin de plus de femmes instruites en Alsace-Lorraine ? » Cette question est posée le 23 février 1888 devant la Délégation régionale à Strasbourg, alors que le gouvernement projette une augmentation des dépenses consacrées aux höhere Mädchenschulen1. L’orateur n’est autre qu’un des grands défenseurs de la cause française en Alsace annexée, le chanoine Winterer (1832-1911). Il s’empresse de répondre lui- même que les femmes « ne paraissent même pas faites pour devoir être instruites » ! Figure éminente du catholicisme social, Winterer prend la défense des écoles primaires contre les écoles des familles aisées : « Si ces familles veulent de nouveaux établissements, nous n’avons rien contre, à condition qu’elles s’en occupent elles- mêmes et ne fassent pas peser les coûts sur les contribuables ! » Le sous-secrétaire d’État von Puttkamer (1831-1906) conteste cette vision binaire de la société alsacienne. Pour lui, les höhere Mädchenschulen consacrent l’essor d’une vaste classe moyenne, en droit d’attendre pour ses filles « une formation qui va au-delà de l’école primaire »… un enseignement secondaire ? Cela reste à préciser. Le maire de Strasbourg Back (1834-1917), lui-aussi membre de la Délégation, intervient pour réclamer l’élaboration d’une définition précise des höhere Mädchenschulen. Son expérience de Président de Basse-Alsace l’a confronté à la très grande hétérogénéité de ces établissements. Back soutient le projet gouvernemental mais plaide pour le développement d’« écoles moyennes », dans l’enseignement masculin comme féminin : « Nous sommes sur une mauvaise voie lorsque nous dirigeons vers les écoles secondaires d’innombrables enfants qui n’y sont pas à leur place […]. Ils représentent au final une entrave au développement de l’école secondaire ». En dépit des talents rhétoriques de Winterer, la Délégation vote l’augmentation du budget consacré aux höhere Mädchenschulen.

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2 Le débat du 23 février 1888 présente un double intérêt. Il marque un tournant majeur dans l’histoire de l’enseignement secondaire des filles en Alsace, en même temps qu’il en dégage tous les enjeux. Il s’agit tout d’abord de donner une définition précise à des höhere Mädchenschulen qui cherchent leur place dans un système éducatif complexe. Cette place est d’autant plus difficile à trouver en Alsace que la catégorie des höhere Mädchenschulen a été imposée brutalement suite à l’annexion. Ces dernières sont toutefois moins souvent des établissements nouvellement créés que des institutions héritées de l’époque française, laïques ou ecclésiastiques, publiques ou privées, subventionnées ou non. Leurs relations avec le gouvernement, mais aussi avec les municipalités, connaissent d’importantes évolutions entre 1871 et 1918, qui vont dans le sens d’une homogénéisation.

3 La question de la mise en place et de la nature des höhere Mädchenschulen pose obligatoirement une deuxième question, celle de la population concernée. Haute bourgeoisie ou vaste classe moyenne, familles vieilles-allemandes ou autochtones, communauté protestante ou catholique ? Là aussi, les choses évoluent au cours de la période, chez les élèves, mais aussi chez les enseignantes. Leur importance est déterminante dans notre étude de la fabrication des élites féminines alsaciennes.

4 Enfin, des questions centrales concernant la construction identitaire des Alsaciennes sont soulevées. Il y a naturellement la discussion sur la place des femmes dans une société en mutation. Il y a surtout, sous-jacente, la question nationale. Le débat qui oppose Winterer d’un côté, von Puttkamer et Back de l’autre, c’est l’Alsace traditionnelle des notables autochtones, francophiles, face à l’Alsace moderne des fonctionnaires vieux-allemands, soucieux de l’intégration du Reichsland au reste de l’empire. C’est aussi la lutte d’influence entre l’Église catholique et un État façonné par le protestantisme libéral. L’opposition confessionnelle renforce l’opposition nationale, même si les lignes de fracture ne sont pas toujours exactement superposables.

La mise en place d’un enseignement secondaire des filles en Alsace

La création d’écoles supérieures de filles sur le modèle allemand

5 Töchterschule, höhere Töchterschule, höhere Mädchenschule sont les trois vocables utilisés pour désigner un établissement d’enseignement secondaire des filles dans l’Alsace annexée. Une des traductions françaises admises est « école supérieure de filles ». C’est l’appellation que nous emploierons. Les écoles supérieures de filles apparaissent en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle2. À partir du début du XIXe siècle, une vague spontanée de fondations recouvre les États allemands3. Les municipalités mettent à disposition de la bourgeoisie des externats capables de procurer aux filles une instruction dépassant celle de l’école primaire. Les écoles supérieures de filles sont considérées comme le pendant féminin des « écoles supérieures de garçons » (höhere Knabenschulen) que sont les lycées (Gymnasien) et les collèges (Realschulen). Elles se caractérisent toutefois par une très grande hétérogénéité. Dans les années 1860, les directeurs des écoles supérieures de filles de Rhénanie réfléchissent à l’élaboration de normes communes. Des revues professionnelles sont créées, mais, au moment de la fondation du deuxième Reich, il n’existe toujours aucune définition précise.

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6 La situation de l’enseignement secondaire des filles en Alsace n’en est pas moins déroutante pour les fonctionnaires allemands qui s’installent dans la province. Cet enseignement n’existe pas à proprement parler. En 1853, un décret d’application de la loi Falloux (1850) assimile toutes les écoles de filles au système primaire, supprimant la législation antérieure4. L’enseignement secondaire des filles réapparaît en France en 1867, sous l’impulsion du ministre de l’instruction publique Victor Duruy (1811‑1894). Il n’est pas dispensé par des établissements, mais sous la forme de « cours ». De nombreuses difficultés empêchent cependant leur développement5. En 1870, seules quatre villes alsaciennes sont pourvues de « cours d’enseignement secondaire pour les jeunes filles » : Wissembourg pour le Bas‑Rhin6, Munster, Guebwiller, et Mulhouse pour le Haut‑Rhin. L’annexion met un terme à ces expériences, sauf à Mulhouse, où les « cours » avaient plus ou moins pris la forme d’une école7 (un comité de notables se charge d’administrer l’établissement jusqu’à sa fermeture en 1896). D’autres établissements attirent, depuis le début du XIXe siècle, les filles de la bourgeoisie alsacienne : les pensionnats de religieuses et les multiples institutions laïques.

7 Ces deux types d’établissements ne conviennent pas aux fonctionnaires et aux officiers allemands (souvent protestants) installés en Alsace. Ils ne paraissent s’élever au-dessus de l’enseignement primaire que par le soin qui y est porté à l’apprentissage du français8. Le 16 février 1872, le président supérieur pour l’Alsace-Lorraine (Oberpräsident für Elsaß-Lothringen) von Möller (1814‑1880) dénonce ces écoles supérieures de filles à la mode alsacienne : « Les établissements de ce type qui existent aujourd’hui sont naturellement tous organisés dans le sens et l’esprit français. La langue française n’est pas simplement prédominante mais règne de manière absolument exclusive. Dans de nombreuses écoles, on inflige même des peines financières et des punitions déshonorantes à qui parle l’allemand ! […] Le culte de l’idole France empêche la prise en considération de tout ce qui étranger et interdit l’observation objective des autres peuples. […] La fille d’un fonctionnaire allemand ne doit surtout pas être abandonnée à cette monstruosité. Pour autant qu’on puisse être charmé par l’étalage superficiel d’expressions françaises, une famille sérieuse s’aperçoit rapidement de la vacuité de cet exercice »9.

8 Une politique de fermeture équivaudrait cependant à jeter les filles de la bourgeoisie alsacienne dans les bras des pensionnats d’Outre-Vosges. La solution préconisée par von Möller consiste en la fondation d’écoles supérieures de filles sur le modèle allemand dans les principales villes du Reichsland. Il ne s’agit pas de créer des écoles ex nihilo, mais, autant que possible, de réformer des institutions déjà existantes. Les écoles supérieures de filles subventionnées par l’État (fonds du Reichsland) doivent notamment recevoir le concours des enseignants allemands installés dans les lycées et les collèges. La chancellerie impériale approuve. Le 20 mars 1872, von Möller peut donc charger les présidents de districts (Bezirkspräsidenten) de lui communiquer les noms des établissements qui pourraient correspondre aux objectifs et qui seraient prêts à souscrire aux différentes conditions posées. En Basse-Alsace, les efforts paraissent devoir se concentrer sur les cercles (Kreise) de Strasbourg-ville, Wissembourg et Saverne10. Deux institutions du cercle de Sélestat pourraient rejoindre le dispositif. Dans les cercles d’Erstein, de Haguenau, Molsheim et Strasbourg-campagne, aucun besoin d’école supérieure de filles sur le modèle allemand ne se fait sentir, soit que les filles de la bourgeoisie partent dans des pensionnats à Strasbourg ou à Nancy, soit qu’elles disposent déjà d’écoles supérieures de filles à la mode alsacienne. En Haute-

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Alsace, « le besoin et l’occasion de fonder des écoles supérieures de filles dans le sens allemand n’existent que dans les villes de Colmar, Mulhouse, Guebwiller et Thann. À Ribeauvillé, il y a un très bon pensionnat allemand qui accueille des externes. À Sainte- Marie-aux-Mines et à Altkirch, la population autochtone est encore trop indifférente – pour ne pas dire plus – et les immigrés trop peu nombreux pour qu’on puisse actuellement y réaliser des tentatives »11.

Le financement par l’État (Reichsland d’Alsace-Lorraine) et les communes

9 Dès 1872, les premières subventions annuelles de l’État sont octroyées. En février 1873, les écoles supérieures de filles qui en bénéficient se trouvent à Strasbourg, Saverne et Wissembourg en Basse-Alsace et à Colmar, Guebwiller, Mulhouse et Thann en Haute- Alsace. On a pu s’appuyer sur des établissements existants à Strasbourg, Wissembourg, Colmar, Guebwiller, mais de nouvelles écoles supérieures de filles ont dû, malgré le projet initial, être créées à Mulhouse, Thann et Saverne. Dans les deux derniers cas, elles voient le jour sur l’initiative de comités regroupant des pères de familles vieux- allemands. Dans le cas mulhousien, il s’agit d’une fondation communale : comme les institutions déjà existantes refusaient d’accueillir les filles immigrées, l’inspecteur scolaire Voigt a entamé des négociations avec la municipalité pour obtenir la transformation des classes spéciales de filles de l’école primaire. La première école supérieure municipale de filles du Reichsland peut ouvrir ses portes dès l’automne 1872.

10 Le nombre d’établissements alsaciens subventionnés par l’État ne se limite pas à sept pour toute la période. Dès 1873, deux écoles supérieures de filles, créées ex nihilo sur l’initiative de pères de familles allemands ou germanophiles, rejoignent les rangs à Haguenau et Sainte-Marie-aux-Mines. En 1874, une subvention est consentie pour la transformation de la classe spéciale de filles de l’école primaire de Bouxwiller en une école supérieure de filles. En 1878, un onzième établissement, créé ex nihilo à Ribeauvillé, peut bénéficier du soutien financier de l’État12. En 1888, trois établissements se rajoutent à la liste (Bischwiller, Barr, Wasselonne). En 1892, l’État décide d’apporter son soutien à l’école supérieure de filles créée la même année à Sélestat par un comité de familles protestantes. À partir de 1893, l’école supérieure de filles d’Altkirch, fondée trois ans plus tôt, bénéficie d’une subvention régulière13. À partir de 1898, la commune de Munster peut compter sur une subvention régulière pour son école supérieure de filles, née un an plus tôt de la transformation des classes spéciales de filles de l’école primaire. Enfin, en 1909, l’État décide d’octroyer une subvention à l’école supérieure de filles que la commune de Sarre-Union vient de fonder. Elle est la dix-huitième et dernière école supérieure de filles en Alsace à bénéficier d’une aide annuelle de l’État.

11 À côté de l’État, un second acteur institutionnel joue un rôle essentiel : les communes. Toute la période est traversée par un mouvement de municipalisation des écoles supérieures de filles subventionnées par l’État : Sainte-Marie-aux-Mines (1873), Strasbourg (1875), Saverne (1876), Wissembourg (1887), Bischwiller (1890), Guebwiller (1895), Altkirch (1899), Wasselonne (1901), Barr (1903), Haguenau (1903), Colmar (1903), Sélestat (1907), Thann (1909). On trouve aussi des écoles supérieures de filles créées par les municipalités : Mulhouse (1872), Bouxwiller (1874), Munster (1897), Sarre-Union

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(1909). Le caractère municipal d’une école supérieure de filles donne aux enseignant(e)s le statut de fonctionnaires de l’État payés par les communes, ce qui leur permet de bénéficier d’une échelle de salaires avec progression régulière, puis d’une pension de retraite. La municipalité exerce son autorité sur l’établissement via un conseil de surveillance (Kuratorium ou Aufsichtsrat). Il s’occupe du fonctionnement de l’établissement : budget, bourses, recrutement du personnel enseignant…

12 La municipalisation d’une école supérieure de filles témoigne d’une prise de conscience de la part des notables d’une ville. Cette décision poursuit toujours un même objectif : assurer la pérennité d’une institution considérée comme utile. Cette pérennité peut être menacée par la difficulté de recruter du personnel pour un établissement privé, voire par une menace de fermeture en raison de problèmes financiers. Le confort des parents et du personnel enseignant est en jeu ! En 1903, les autorités colmariennes considèrent la municipalisation de l’école Kuntz comme un « devoir social » vis-à-vis de la jeunesse de la ville… mais aussi des enseignantes, très inquiètes pour leurs vieux jours. Bien souvent, les écoles supérieures de filles reçoivent déjà une subvention communale avant la municipalisation. L’école supérieure de filles laïque de Ribeauvillé touche une subvention communale sur toute la durée de son existence sans jamais entrer dans le giron de la commune. Naturellement, les municipalités investissent davantage dans une école municipale que dans une école privée. À Mulhouse, dans les années 1880 et 1890, la commune dépense entre six et huit fois plus que l’État pour son école supérieure de filles. Pour l’année scolaire 1913, elle octroie plus de 56 000 Mark, quand l’État maintient les 4 000 Mark fixés quarante-et-un ans plus tôt !

13 À la fin de la période, les écoles supérieures municipales de filles des principales villes investissent des constructions de prestige, conçues spécialement pour les recevoir. Le bâtiment le plus connu ouvre ses portes à Strasbourg en 1902, dans la rue des Pontonniers (actuel lycée des Pontonniers). Ce monument de l’historicisme s’inscrit dans une perspective donnant sur le palais impérial (fig. 1). Il permet à l’établissement municipal de quitter le vénérable hôtel des dames d’Andlau (8 rue des Écrivains), qui a vu défiler des générations de jeunes Strasbourgeoises depuis 1875. Les deux autres grandes villes alsaciennes ne sont pas en reste au niveau architectural. À partir de 1909, deux constructions majestueuses sortent de terre à Mulhouse et Colmar (actuels lycées Montaigne et Schongauer). Leurs inaugurations respectives ont lieu le 19 mai et le 4 juin 1912. Le style néo-classique, la forme en équerre, le retrait par rapport à la route et jusqu’à la tourelle fichée sur le bâtiment d’angle en font de véritables sœurs jumelles (fig. 2 et fig. 3). L’école supérieure de filles de Mulhouse occupait déjà auparavant un bâtiment de prestige, construit pour elle en 1879, qui a représenté pour la ville l’ouverture d’une nouvelle phase de constructions scolaires14. Enfin, il convient de ne pas oublier la construction entreprise par la commune de Guebwiller entre 1893 et 1895 (fig. 4). Le bâtiment ne se distingue pas par son originalité, mais il s’agit d’un cas unique en-dehors des trois grandes villes alsaciennes. La plupart des écoles supérieures de filles d’Alsace occupe des locaux inadaptés. Elles héritent souvent du bâtiment désaffecté d’une ancienne école de garçons, comme à Ribeauvillé.

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Fig. 1 : L’école supérieure municipale de filles de Strasbourg, dans son nouveau bâtiment de la rue des Pontonniers, inauguré en 1902

De nombreuses cartes postales exploitent la silhouette originale de cette construction de prestige. Devenu Lycée de jeunes filles après 1918, il s’agit de l’actuel Lycée International des Pontonniers. Coll. part.

Fig. 2 : L’école supérieure municipale de filles de Mulhouse, dans son nouveau bâtiment de la rue de Metz, inauguré en 1912

Le bâtiment d’angle, au premier plan avec son clocheton, cache une seconde aile qui donne à cet immense ensemble une configuration en équerre. Devenu Lycée de jeunes filles après 1918, il s’agit de l’actuel Lycée Michel de Montaigne. Coll. part.

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Fig. 3 : L’école supérieure municipale de filles de Colmar, dans son nouveau bâtiment de la rue Voltaire, inauguré en 1912

Malgré des variantes importantes, on remarque la même configuration et la même inspiration néoclassique qu’à Mulhouse (fig. 2). Devenu Lycée de jeunes filles après 1918, puis Lycée Camille Sée, il s’agit de l’actuel Lycée Martin Schongauer. Coll. part.

Fig. 4 : L’école supérieure municipale de filles de Guebwiller au début du XXe siècle

La construction de ce nouveau bâtiment au début des années 1890, financée par la commune, donne lieu à la municipalisation de l’établissement une fois les travaux achevés, en 1895. Après 1918, le bâtiment abrite l’école primaire supérieure de jeunes filles, puis une école maternelle, jusqu’à l’installation du Conseil des Prud’hommes en 1983. AM Guebwiller 8Fi22.

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Les écoles supérieures de filles privées non-subventionnées

14 Il existe également des écoles supérieures de filles privées non-subventionnées. Elles sont tenues par des sœurs-enseignantes, des chanoinesses protestantes ou des laïques. Les congrégations catholiques dominent le paysage de l’enseignement privé. La Divine Providence de Ribeauvillé est la plus puissante, avec six établissements (Strasbourg, Haguenau, Colmar, Mulhouse, Ribeauvillé, Rouffach)15. Celui de Strasbourg côtoie les écoles supérieures de filles de la Doctrine Chrétienne et des augustines de Notre-Dame. Le pensionnat du couvent Notre-Dame à Molsheim, celui des bénédictines de Rosheim et les pensionnats successifs de l’Adoration Perpétuelle à Bellemagny (fig. 5), Saint- Louis puis Lutterbach sont également considérés comme des écoles supérieures de filles. En exceptant les changements de localité et la réouverture de l’école supérieure de filles de Mulhouse en 1882 après sept ans de fermeture (fig. 6), on ne compte aucune école supérieure de filles catholique créée après 1871. Les congrégations dont les maisons-mères sont situées en France doivent, quant à elles, fermer leurs établissements alsaciens (sœurs du Sacré-Cœur à Kientzheim, sœurs de Portieux à Lutterbach).

Fig. 5 : Le couvent des sœurs de l’Adoration Perpétuelle à Bellemagny, sur une carte postale du début du XXe siècle

Il abrite jusqu’en 1897 une école supérieure de filles. Les prospectus de l’établissement mettent en avant ce cadre champêtre pour séduire les parents, en pleine période de l’hygiénisme. Néanmoins, la commune de Bellemagny s’avère rapidement être trop enclavée pour permettre à l’établissement de se développer, ce qui entraîne son transfert à Saint-Louis. Coll. part.

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Fig. 6 : Une autre école supérieure de filles catholique, celle des sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé à Mulhouse, rue de la Sinne, actuelle École Jeanne d’Arc

Là-aussi, l’établissement, rouvert en 1882, présente un cadre naturel verdoyant autour d’un bâtiment spacieux, au cœur de « la ville aux cent cheminées ». De quoi rassurer les parents, après la fermeture de l’école en 1875 pour motif – officiel – de locaux inadéquats ! Coll. part.

15 Des institutions laïques disparaissent également. Dès 1872, le Petit-Château de Beblenheim voit le départ de l’institution de Mlle Vérenet (1808-1890) et de Jean Macé (1815-1894) pour Monthiers (Aisne). On assiste à la fermeture de plusieurs institutions strasbourgeoises dans les années 1870 (Knoderer, Ostermann, Schæntzlen). En 1876, les sœurs Meinhold ferment leur pensionnat à Ribeauvillé : avec la réduction du français, les jeunes Allemandes qui venaient apprendre cette langue s’en vont ! Un an plus tôt, Mme Boissière quittait Mulhouse pour la France… mais en transmettant son institution à l’une de ses enseignantes, Mlle Becker.

16 En effet, de nombreux établissements laïques se maintiennent sans entrer dans le dispositif de germanisation accélérée qui donne droit aux subventions de l’État. Certaines de ces écoles supérieures de filles à la mode alsacienne disparaissent dans les années 1880 et 1890. L’ancrage dans la notabilité locale garantit la bienveillance des municipalités, qui mettent parfois des locaux à disposition, comme pour l’école de Mlle Fackler à Sélestat. Si celle-ci ferme quand même ses portes en 1892, d’autres écoles supérieures de filles nées avant 1871 parviennent à durer bien plus longtemps : l’école Guth/Blattner à Mulhouse jusqu’en 1913, l’école Prud’homme/Müller à Dorlisheim jusqu’en 1915, les écoles Mury-Werner/Limberg et Union des familles « Enseignement » à Strasbourg jusqu’en 1918. Cette dernière école est administrée par le conseil de surveillance d’une association de parents fondée en 1827. L’école supérieure de filles Union des familles « Enseignement » présente une autre particularité : ses statuts de 1881 la définissent comme « protestante »… terme qui disparaît dans les statuts de 1890. En fait, nombre d’institutions privées laïques ont un caractère confessionnel nettement affirmé.

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17 À Strasbourg, l’école supérieure de filles du Bon Pasteur, ouverte quelques mois seulement après l’annexion, présente la voie originale d’un établissement congréganiste protestant. Tenu par des religieuses protestantes, les diaconesses, il est profondément marqué par la figure de sa première directrice, Mlle Berger (1836-1906). Son pensionnat lui garantit un rayonnement sur toute la région. En 1893, un second établissement des diaconesses naît à quelques rues de distance, de la transformation d’une école moyenne de filles (Mittelschule für Mädchen). On l’appellera école Bœgner, après le décès de son premier directeur, le pasteur Charles Frédéric Bœgner (1829-1896) (fig. 7).

Fig. 7 : L’école supérieure de filles Bœgner, 5 quai Finkwiller à Strasbourg, vers 1900

Cet établissement privé protestant se trouve sous la direction des diaconesses. Coll. part.

18 D’autres écoles supérieures de filles privées, laïques celles-ci, naissent, comme le Bon Pasteur et l’école Bœgner, après 1871. Beaucoup gagnent tôt ou tard les faveurs de l’État et s’engagent sur la voie royale de la municipalisation. Nous les avons déjà présentées16. Certains établissements empruntent un autre chemin, de leur plein gré ou par la force des choses. En 1877, un comité d’industriels mulhousiens fonde l’école supérieure de filles Dollfus17, qui disparaît dans la tourmente de la Première Guerre mondiale. La même année, à Strasbourg, Mlle Saigey crée une école supérieure de filles qui existe jusqu’à la fin de la période du Reichsland. Trois autres établissements voient le jour à Strasbourg dans les années 1880, et feront preuve de la même longévité (Lindner, Schmutz, Kœbig). Cette décennie faste pour la capitale du Reichsland avait été ouverte par la fondation d’une « école supérieure de filles alsacienne », mais l’établissement disparaît dès 1888. D’autres fondations d’époque allemande connaissent ailleurs le même sort (Wasselonne à deux reprises, La Broque).

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Un bilan géographique et quantitatif

19 L’analyse typologique et chronologique des établissements de l’enseignement secondaire des filles en Alsace appelle un éclairage géographique et quantitatif. Nous nous reportons pour cela à un article du directeur de l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse, consacré à la situation des écoles supérieures de filles du Reichsland en 189718. Il recense vingt-huit établissements en Basse-Alsace contre quinze seulement pour la Haute-Alsace. L’avance de la Basse-Alsace s’explique par la situation particulière de Strasbourg, qui concentre quinze des vingt-huit écoles supérieures de filles du district (Bezirk) ! L’importance des écoles supérieures de filles dans la capitale alsacienne s’explique par l’héritage de la période française19, mais aussi par l’arrivée massive de Vieux-Allemands. La répartition entre les établissements des sœurs- enseignantes et les autres apparaît différente selon le district. En Basse-Alsace, les différentes congrégations catholiques tiennent six établissements (trois à Strasbourg) sur vingt-huit. En Haute-Alsace, elles dirigent le tiers des écoles supérieures de filles ! Cependant, les écoles supérieures de filles alsaciennes ont des tailles très variables : autour de 500 élèves pour les plus grandes contre une vingtaine pour les plus petites ! Il semble donc judicieux de raisonner en nombre d’élèves. En 1897, les établissements catholiques en Alsace accueillent 1 834 élèves contre 3 978 pour les autres. Pour obtenir le nombre des élèves fréquentant des établissements laïques, il faut soustraire les 795 élèves du Bon Pasteur et de l’école Bœgner. On arrive au total suivant : 1 834 élèves pour l’enseignement confessionnel catholique, 795 pour l’enseignement confessionnel protestant et 3 183 pour l’enseignement laïque. C’est donc ce dernier qui domine en Alsace au tournant du siècle, même si l’enseignement confessionnel reste très puissant. En outre, enseignement laïque (au sens de ce qui n’appartient pas à un ordre religieux) ne signifie pas ici laïcité ! La religion est dans l’école, enseignée séparément aux catholiques, aux protestantes et aux juives. Les écoles supérieures de filles laïques présentent à cet égard des visages très différents. Si les écoles supérieures municipales de filles garantissent la neutralité confessionnelle, le vécu des élèves presque toutes protestantes de l’école privée laïque Schmutz à Strasbourg, n’est sans doute pas très différent de celui des élèves des diaconesses du Bon Pasteur.

L’institutionnalisation de l’enseignement secondaire des filles

20 Si l’enseignement secondaire des filles existe en Allemagne avant le deuxième Reich, c’est néanmoins à cette époque qu’il est institutionnalisé, tandis que lycées et collèges de jeunes filles naissent Outre-Vosges (loi Camille Sée, 1880). En 1872, alors que les premières subventions de l’État sont distribuées en Alsace-Lorraine, une conférence se tient à Weimar pour définir les normes de standardisation des écoles supérieures de filles. Le temps est à l’affirmation du féminisme… avec plus ou moins de succès selon les États de l’empire. Le grand-duché de Bade est en avance. La Prusse suit d’assez loin. Elle commence par instaurer en 1874 un examen spécifique pour les enseignantes des écoles supérieures de filles. L’institutionnalisation a lieu en 1894, sur la base d’un cursus de neuf années, mais c’est bien en 1908 qu’intervient la réforme la plus importante. Elle intègre les écoles supérieures de filles au système secondaire, en réorganisant leur fonctionnement et en changeant leur nom20. L’école supérieure de filles devient un Mädchenlyzeum, avec un cursus de dix années (six à seize ans). L’école normale supérieure (höheres Lehrerinnenseminar), qui prépare à l’examen d’enseignante des

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écoles supérieures de filles et qu’on trouve comme structure annexe des plus grandes d’entre elles, devient un Oberlyzeum, avec un cursus de quatre années. Plusieurs de ces écoles normales supérieures ont été fondées en Alsace depuis le milieu des années 1870, toutes rattachées à des écoles supérieures de filles.

21 À l’heure de la réforme prussienne de 1908, la situation institutionnelle des écoles supérieures de filles alsaciennes est encore très floue. Le 12 février 1873, deux ans après l’instauration de l’obligation scolaire (six à treize ans pour les filles), Guillaume Ier édicte une loi qui établit la surveillance des autorités de l’État sur tous les établissements d’enseignement du Reichsland. Les modalités d’application sont précisées le 10 juillet 1873 par un décret du chancelier d’empire. Contrairement aux écoles supérieures de garçons, appartenant à l’enseignement secondaire et relevant directement de la présidence supérieure, les écoles supérieures de filles sont rattachées à l’enseignement primaire et soumises à la surveillance des présidences de district et des inspecteurs scolaires de cercle (Kreisschulinspektoren). Le contrôle de l’administration s’exerce aussi bien sur les établissements subventionnés que sur les établissements privés. Le chemin vers le système secondaire s’ouvre avec le décret du 16 novembre 1887, qui place les écoles supérieures de filles sous la surveillance directe de l’Oberschulrat21. Les inspecteurs scolaires de cercles s’occupent des petites écoles supérieures de filles, quand les plus grandes sont inspectées par des conseillers techniques de l’Oberschulrat, comme Hans Luthmer (1851‑1935), ancien directeur de l’école supérieure de filles de Strasbourg, à partir de 1906. Ces derniers inspectent cependant, de plus en plus souvent, aussi les petits établissements (Luthmer est à La Broque en 1906 et en 1908). Le maintien de l’appartenance nominale à la catégorie de l’enseignement primaire semble de peu d’importance : unies sous une même autorité, les écoles supérieures de filles peuvent désormais être standardisées22. Cependant, aucun règlement ne leur donne encore de définition précise. Les établissements qui entrent dans cette catégorie sont sélectionnés de manière empirique. Parmi les critères, il y a la formation du personnel enseignant. Le premier règlement d’examen pour les enseignantes et les directrices des écoles supérieures de filles est établi en Alsace-Lorraine 1876. Vingt‑deux ans plus tard, on crée un examen pour les Oberlehrerinnen, afin de suivre le modèle prussien23. À cette époque, la plupart des enseignantes des écoles supérieures de filles alsaciennes sont munies du diplôme spécifique à ces établissements, même si les écoles congréganistes demeurent moins bien loties. Les sœurs-enseignantes ont cependant au moins réussi l’examen d’institutrice, auquel les religieuses de la Divine Providence se préparent à l’École normale primaire de leur ordre à Ribeauvillé24. La congrégation de l’Adoration Perpétuelle, pourtant consacrée à l’enseignement secondaire, envoie longtemps ses religieuses à l’École normale primaire de Sélestat, fondée en 1872 pour créer un pendant catholique à l’École normale primaire protestante de Strasbourg. Mais à l’époque de la construction du nouveau bâtiment en 1913 (fig. 8), les sœurs de l’Adoration Perpétuelle préfèrent depuis une décennie les écoles normales supérieures de Mulhouse ou de Colmar.

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Fig. 8 : Au centre de la carte postale, le nouveau bâtiment de l’École normale primaire catholique de Sélestat, édifié en 1913

Il ne faut pas confondre cette institution avec les écoles normales supérieures, de dimensions plus modestes, créées comme annexes de certaines écoles supérieures de filles. Néanmoins, de simples institutrices ont également enseigné dans les écoles supérieures de filles, parfois formées à Sélestat. Coll. part.

22 Il faut dire que le contexte national a changé très rapidement. Lorsque la Prusse réorganise ses écoles supérieures de filles en 1908, le Reichsland doit se mettre au diapason25. Or la plupart des écoles supérieures de filles alsaciennes se trouve bien loin des normes prussiennes. Leur adoption immédiate paraît inenvisageable. Pour la rentrée 1912, on commence par ajouter une quatrième classe aux écoles normales supérieures. Comme en Prusse, les écoles normales supérieures sont rattachées aux principales écoles supérieures de filles de la région, publiques comme privées. On en compte six en 1912, de création plus ou moins ancienne (école municipale, Bon Pasteur et Notre-Dame à Strasbourg, école municipale et Divine Providence à Colmar, école municipale à Mulhouse).

23 En juin 1913, la Prusse reconnaît à nouveau le diplôme d’enseignante délivré par les écoles normales supérieures d’Alsace-Lorraine… mais pas les certificats de fin de scolarité délivrés par les écoles supérieures de filles ! La plupart d’entre elles ne répond pas aux exigences concernant le personnel enseignant26. L’institutionnalisation des écoles supérieures de filles du Reichsland n’intervient que par le décret du 10 mars 1915. Organisées sur le modèle prussien d’un cursus à dix niveaux, elles sont enfin reconnues comme appartenant au système secondaire ! Une solution a été trouvée pour les nombreuses petites écoles supérieures de filles, incapables de s’adapter aux nouvelles exigences. Elles sont désormais des gehobene Mädchenschulen… et sont rattachées elles-aussi au système secondaire.

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Sociologie du personnel enseignant et des élèves

Les directeurs

24 Même si les inspections s’intensifient à partir des années 1880, l’administration ne peut exercer qu’un contrôle relativement léger. Il est donc important pour les autorités scolaires de savoir les écoles supérieures de filles alsaciennes entre des mains sûres. Les grandes écoles supérieures municipales de filles de Strasbourg et de Mulhouse sont dirigées pendant toute la période par des Vieux-Allemands, protestants et catholiques. Leurs origines sociales peuvent être très différentes. Aucune femme n’est placée à la tête de ces deux établissements, les autorités voulant des personnes dotées d’une formation universitaire… dont les femmes ne peuvent pas encore bénéficier ! Lors de la municipalisation de l’institution strasbourgeoise de Mlle Schottky (1875), celle-ci (toute Vieille-Allemande qu’elle est !) se voit remplacée par Friedrich August Fischer, Oberlehrer et directeur d’internat au lycée de Colmar depuis 1872. Dans les autres écoles supérieures de filles alsaciennes, les hommes qui sont directeurs à plein temps sont rares. Dans les écoles subventionnées ou municipales, les cas se concentrent au début et à la fin de la période (Haguenau, Sainte-Marie-aux-Mines, Colmar). Chez les diaconesses à Strasbourg, le Dr. Johannes Nieden s’impose de manière plus durable.

25 La plupart du temps, quand la direction est exercée par un homme, c’est au titre d’une activité secondaire. Leur fonction principale est celle de directeur ou d’enseignant d’école normale, de lycée, de collège ou d’autres types d’établissements. Il s’agit alors d’écoles supérieures de filles municipales ou privées, contrôlées par des associations de parents. Deux écoles supérieures de filles ont aussi été dirigées par des pasteurs à un moment de leur histoire (école Bœgner à Strasbourg, Bischheim).

Les enseignants en général

26 En règle générale, les hommes qui enseignent dans les écoles supérieures de filles le font eux-aussi au titre d’une activité secondaire. Depuis 1872, le gouvernement encourage cette pratique. L’enjeu est d’abord d’ordre national. Il s’agit de permettre aux Vieux-Allemands, qui ont fondu sur les lycées et les collèges alsaciens à partir 1871, d’exercer une sorte de contrôle officieux sur une myriade d’institutions privées plus ou moins réfractaires au changement. Une majorité d’écoles supérieures de filles les accueille pour l’enseignement d’une ou deux matières, quelques heures par semaine, à l’instar des curés, pasteurs et rabbins. On a systématiquement recours à des professeurs de lycée ou d’école normale pour l’enseignement dans les écoles normales supérieures, même si les enseignantes prennent plus de place au fur et à mesure des années !

27 Là encore, les écoles supérieures municipales de filles de Strasbourg et de Mulhouse se distinguent dans le paysage alsacien. Jusqu’en 1912, les deux établissements sont les seuls à disposer de leur propre personnel enseignant masculin (si l’on excepte le directeur Nieden chez les diaconesses). En 1897, sept hommes travaillent dans l’établissement strasbourgeois au titre de leur activité principale, pour dix femmes. À Mulhouse, le rapport est de onze pour quatorze27. Les directeurs sont inclus dans le nombre, car ils assurent quelques heures d’enseignement. D’une manière générale, tout directeur ou toute directrice d’une école supérieure de filles dispense également des cours. Nous pouvons constater que même dans les écoles supérieures municipales de

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filles de Mulhouse et de Strasbourg, les hommes sont en légère infériorité numérique. Ils enseignent surtout dans les classes les plus élevées, les enseignantes s’occupant davantage des petites classes, même si l’apparition des Oberlehrerinnen vient perturber ce schéma. Comme les directeurs, ces enseignants sont pour beaucoup des Vieux- Allemands. Nous pouvons le voir à l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse en 1882, dont le corps enseignant est alors composé de onze hommes et onze femmes. Chez les hommes, il y a cinq Badois (dont le directeur), quatre Prussiens et deux Alsaciens28. Les femmes présentent quant à elles des origines très locales : les Vieilles- Allemandes ne sont que deux. En 1912, l’école supérieure municipale de filles de Colmar recrute à son tour un enseignant à plein temps… pour dix-huit enseignantes (directrice incluse)29 !

Les directrices

28 L’établissement colmarien porte ici la marque de sa longue existence en tant qu’institution privée. Ce type d’école supérieure de filles se caractérise par une direction et un personnel féminins, si l’on excepte la collaboration d’enseignants venant de l’extérieur, que nous venons d’évoquer. Ce modèle est largement dominant en Alsace. Les établissements catholiques l’appliquent tous, durant l’ensemble de la période. Les établissements laïques réussissent globalement à conserver des directions féminines, malgré les pressions qui peuvent être exercées sur eux, par l’État ou par les municipalités. À Guebwiller, le conseil municipal se demande en 1913 s’il ne faudrait pas remplacer Mlle Thomann par un homme, plus « énergique »… mais décide finalement de privilégier le choix d’une femme, qui conviendrait mieux au « psychisme » des filles !

29 Avant la municipalisation de son école (1895), Mlle Thomann en était la propriétaire. Beaucoup d’autres directrices bénéficient de cet avantage (certaines jusqu’à la fin de la période). On les trouve dans de nombreuses villes, mais c’est à Strasbourg qu’elles sont les plus nombreuses. Gardons‑nous cependant de confondre la propriété de l’établissement et celle des locaux ! À Colmar, Mlle Armbruster loue à la commune le bâtiment de l’ancien hôtel de ville à partir de 1878. Dans quelques institutions, les directrices sont employées par des associations de parents d’élèves, comme c’est le cas à l’école Dollfus à Mulhouse, ou encore à Haguenau jusqu’en 1903. L’association haguenovienne privilégie cependant les directions masculines.

30 Enfin, pour compléter une typologie dont on a pu saisir toute la complexité, il faut signaler la présence de femmes à la tête de certaines écoles supérieures de filles qui ont toujours été municipales. C’est le cas à Bouxwiller et à Sarre-Union. À Sainte-Marie- aux-Mines, où l’école devient municipale dans la foulée de sa création, on recherche également une femme pour remplacer le premier directeur, un Westphalien qui avait eu du mal à s’adapter à la situation particulière de l’Alsace annexée.

31 Mais l’enseignante choisie pour lui succéder vient elle aussi de Vieille-Allemagne. Son cas est loin d’être isolé. Elles sont nombreuses à se rendre en Alsace pour répondre à l’appel d’une municipalité ou d’une association de parents d’élèves. En 1880, la municipalité de Bouxwiller confie la direction de son école supérieure de filles à une Vieille-Allemande qui connaît déjà les réalités alsaciennes, Mlle Gertrud Schottky. Elle est la sœur de Mlle Auguste Schottky, la fondatrice de l’institution strasbourgeoise érigée en école supérieure municipale de filles en 1875. Cette dernière représente une

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deuxième catégorie de directrices vieilles-allemandes, celles venues en Alsace pour fonder un établissement. On les retrouve surtout à Strasbourg. Il existe une troisième catégorie de directrices vieilles-allemandes, celles des filles d’immigrés, arrivées en Alsace avec leurs parents ou nées dans la région. À Altkirch, la fondatrice de l’école supérieure de filles a pour père le trésorier du Kreis Hagmaier. Des filles d’inspecteurs de cercle sont également représentées (Thann, Sélestat). Mlle Lippert, fille d’un professeur d’école normale, dirige successivement l’école supérieure de filles de Ribeauvillé (1909-1913) et de Barr (1913-1918). Une quatrième catégorie de directrices vieilles-allemandes se dessine enfin, plus inattendue. Il s’agit des religieuses, à la tête des institutions catholiques. Les sœurs de la Divine Providence, congrégation la plus présente sur le terrain de l’enseignement secondaire des filles, n’en compte qu’une seule (Mulhouse). Chez les sœurs de l’Adoration Perpétuelle, la situation est très différente. À partir de la fin de 1887, toutes les directrices du pensionnat de Saint-Louis sont originaires de Vieille-Allemagne. L’une d’elles a aussi dirigé durant deux années le pensionnat de Bellemagny. L’école supérieure de filles de la Doctrine Chrétienne à Strasbourg a connu deux directions vieilles-allemandes, interrompues par une direction luxembourgeoise. Une Palatine et une Rhénane ont dirigé successivement pendant quelques années le pensionnat de Molsheim. Malheureusement, nous ignorons tout de celui de Rosheim30. Quant à l’école supérieure de filles des augustines de Notre- Dame à Strasbourg, elle est restée entre des mains autochtones.

32 Le maintien des Alsaciennes à des postes de direction ne concerne pas seulement les établissements congréganistes. Alors que les directeurs sont presque tous des Vieux- Allemands, l’origine des directrices apparaît beaucoup plus mélangée. Subventionnés ou non, les établissements nés à l’époque française se maintiennent plus ou moins bien, avec des Alsaciennes qui restent à leur tête. Elles sont souvent natives de la commune où elles ont fondé leur institution. Plusieurs les transmettent à d’autres Alsaciennes. Après une municipalisation, ces fondatrices ou leurs repreneuses restent directrices (Colmar, Guebwiller, Wissembourg). Les directions alsaciennes ne sont pas uniquement un héritage de l’époque française. À Bouxwiller, on confie la direction de la nouvelle école supérieure de filles à une native de la commune. Une autre Bouxwilleroise dirigera l’institution à la fin de la période. Mlle Kuntz, une native de Sundhoffen, a elle- aussi connu la direction de cet établissement, après avoir présidé aux destinées de celui de Wasselonne et avant de réaliser l’essentiel de sa carrière à l’école supérieure de filles de Colmar (1895-1917). Ce choix n’est pas un hasard : son père (un inspecteur scolaire !) a élu domicile à Colmar quelques années plus tôt.

33 Il est d’autant plus important pour les directrices de se rapprocher de leurs familles qu’elles sont célibataires (parfois veuves). En Allemagne, c’est la règle pour les enseignantes et les directrices. À Ribeauvillé, lorsque Mlle G’sell épouse en 1907 un enseignant du collège de la ville, elle doit renoncer à la direction de son école supérieure de filles. Des liens familiaux forts éloignent la solitude. Souvent, les directrices s’entourent de sœurs elles-aussi enseignantes. On en trouve parfois quatre dans un même établissement (Kuntz à Colmar, Zimmerlich à Thann) !

Les enseignantes en général

34 Notre constat de la dualité des origines nationales des directrices est valable pour l’ensemble des enseignantes. En 1897, elles représentent pour toute l’Alsace 217 laïques et 114 religieuses31. Près de trois quarts des laïques exercent en Basse-Alsace, tandis que

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les religieuses se répartissent plus ou moins à égalité entre les deux districts alsaciens. Le recensement compte encore 35 enseignantes actives dans les écoles supérieures de filles au titre d’une activité secondaire.

35 Les enseignantes des écoles supérieures de filles laïques sont très souvent natives du Reichsland… mais les parents de nombre d’entre elles sont des Vieux-Allemands ! La majorité de ces enseignantes laïques est constituée de citadines. Les filles de fonctionnaires, de militaires, d’employés et d’avocats et les filles d’enseignants ou d’inspecteurs scolaires représentent les deux groupes les plus importants. Les protestantes sont surreprésentées relativement à leur part dans la population alsacienne.

36 Les origines nationales des sœurs-enseignantes varient en fonction de la congrégation. Il y a beaucoup de Vieilles-Allemandes chez les sœurs de l’Adoration Perpétuelle. Très peu chez les sœurs de la Divine Providence, presqu’exclusivement d’origine alsacienne. Si certaines viennent des villes, beaucoup sont nées à la campagne. Les familles de paysans ou de vignerons fournissent le plus gros contingent des sœurs enseignantes. Les filles d’artisans et les filles d’instituteurs apparaissent comme deux groupes bien représentés.

37 Naturellement, les conditions de vie des enseignantes apparaissent radicalement différentes selon qu’elles sont laïques ou religieuses (pour les secondes, fig. 9). Elles peuvent aussi grandement varier à l’intérieur même du groupe des laïques, selon la qualification ou selon l’établissement d’exercice. À côté des enseignantes diplômées pour les écoles supérieures de filles, dont les directrices et les Oberlehrerinnen forment l’élite, on trouve des enseignantes de travaux manuels, des enseignantes de dessin, des enseignantes de gymnastique… et des enseignantes de maternelle, quand l’établissement dispose d’une structure annexe de ce type. Au début de la période, beaucoup d’enseignantes ne sont pourvues que du diplôme pour les écoles primaires, notamment dans les institutions catholiques. Assurer l’installation d’un personnel dûment diplômé constitue une des tâches principales des autorités scolaires. Beaucoup d’enseignantes parviennent également au poste de directrice sans posséder le diplôme spécifique.

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Fig. 9 : Une procession des élèves du pensionnat des sœurs de la Divine Providence de Ribeauvillé à Ribeauvillé, en 1900, vraisemblablement pour la Fête-Dieu

Il s’agit d’une démonstration de force de l’établissement. Toutes les élèves sont vêtues d’une robe blanche – exigée pour le trousseau – et coiffées d’un chapeau blanc décoré d’une sorte de couronne de fleurs blanches. Des religieuses sont mêlées aux élèves. Coll. R. Fuhrmann.

38 Les enseignantes des écoles supérieures de filles connaissent des situations salariales différentes selon les établissements qui les emploient. Leur point commun est qu’elles gagnent moins que les hommes. Les enseignantes des institutions les plus petites sont les moins bien loties. Comme elles accueillent un nombre réduit d’élèves, les revenus de l’écolage ne permettent le versement que de salaires très modiques. En conséquence, ces établissements ont du mal à recruter et souffrent d’un important roulement du personnel. En 1904, une enseignante en fin de carrière à l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse gagne 1 200 Mark de plus que son homologue à Bouxwiller ! Suite à la réévaluation des salaires intervenue cette même année pour les enseignantes du primaire, celles-ci gagnent autant ou davantage que les enseignantes de certaines écoles supérieures de filles… et elles bénéficient du logement gratuit ! Enfin, les enseignantes n’ont droit à des pensions de retraite que dans les écoles supérieures de filles municipalisées.

Les élèves

39 Les municipalisations montrent que les écoles supérieures de filles laïques ont été adoptées par la population, qu’elle soit vieille-allemande ou de souche alsacienne. Le creuset voulu en 1872 par von Möller prend donc réellement forme, au fur et à mesure que l’acceptation du régime allemand grandit. Dans les premières années de l’annexion, le côtoiement entre filles d’autochtones et d’immigrés a parfois du mal à se réaliser. La

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directrice de l’école supérieure de filles de Thann s’en plaint amèrement en novembre 1872 : « Le 23 du mois dernier, une petite Alsacienne de six ans, fille de la veuve d’un ingénieur vivant à Thann, a été amenée à l’école. Ma joie devant ce progrès fut grande, mais malheureusement de courte durée ! En effet, la petite a été retirée de l’école allemande au bout de quelques jours à peine. Bientôt, la mère vint me déclarer le départ de sa fille en me faisant part de ses vifs regrets. Elle dit que la petite souffrait trop du rejet, du mépris et des moqueries de ses anciennes camarades de jeu. Elle‑même, la mère, serait « méprisée de toute la ville pour avoir envoyé son enfant dans une école prussienne et protestante » »32… L’école supérieure de filles de Saverne, elle-aussi fondée par la communauté vieille-allemande, majoritairement protestante, se trouve confrontée au même problème dans ses premières années d’existence. On avait pourtant consenti à appeler une directrice catholique dans le but d’attirer la bourgeoisie savernoise ! Les choses se passent différemment dans les grandes villes. 79 % des jeunes filles qui fréquentent l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse en 1873 sont des Alsaciennes33. En 1878, Mlle Armbruster accueille à Colmar 142 filles de parents alsaciens et 58 d’employés immigrés34. À l’école supérieure municipale de filles de Strasbourg, les Vieilles-Allemandes constituent dans les années 1870 la grande majorité des élèves, mais les Alsaciennes sont néanmoins présentes. Avec le temps, les statistiques concernant l’origine nationale se font plus rares. On sait cependant que l’école Lindner à Strasbourg reste fréquentée très majoritairement par des Vieilles-Allemandes jusqu’à la fin de la période du Reichsland. Les écoles supérieures de filles des sœurs-enseignantes, de par leur recrutement confessionnel, accueillent logiquement une majorité d’autochtones. Les Vieilles-Allemandes n’en sont pas exclues pour autant. On trouve des pensionnaires venant d’Outre-Rhin (pensionnat de Lutterbach), et naturellement aussi des filles des familles immigrées. À l’école normale supérieure attachée à l’école supérieure de filles des sœurs de la Divine Providence à Colmar, plusieurs filles d’inspecteurs scolaires vieux‑allemands apparaissent ! Enfin, si les diaconesses de Strasbourg semblent naturellement enclines à accueillir des filles de fonctionnaires immigrés majoritairement protestants, les Alsaciennes apparaissent nettement majoritaires, comme le montre une liste de 187435.

40 On remarque grâce à la même liste que l’établissement protestant accueille quelques rares jeunes filles catholiques. À l’inverse, on trouve souvent des protestantes, plus rarement des juives, dans les institutions catholiques, parfois dans une proportion relativement importante. L’étude de la confession des élèves est naturellement plus intéressante pour les écoles supérieures de filles laïques. Les statistiques confessionnelles établies par chaque établissement à partir de la fin des années 1880 nous apprennent que presque toutes les écoles supérieures de filles laïques sont fréquentées par une majorité protestante et des minorités catholique et juive. De rares écoles supérieures de filles accueillent une majorité catholique et des minorités protestante et juive relativement bien représentées. Enfin, l’école Blattner à Mulhouse apparaît comme un cas particulier, avec très peu d’écarts entre les trois groupes confessionnels : 49 catholiques, 49 protestantes et 47 juives fréquentent l’institution en 1896 ! Il est intéressant d’observer des évolutions au cours de la période du Reichsland. Ainsi, l’école supérieure de filles d’Altkirch, essentiellement protestante et juive jusqu’à la municipalisation, reçoit soudainement une nette majorité d’élèves catholiques. À l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse, les protestantes, qui prédominent depuis la fondation de l’établissement, se font dépasser par les catholiques à la fin des années 1910 (idem à Sélestat, mais seulement en 1917). À l’inverse, à l’école supérieure

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municipale de filles de Colmar, les années 1900 voient le renforcement de la prédominance protestante. L’examen des chiffres de l’ensemble des établissements à l’échelle régionale montre le caractère essentiellement protestant des écoles supérieures de filles laïques. En 1897, elles accueillent 1 258 protestantes, 269 catholiques et 251 juives en Basse-Alsace et 753 protestantes, 430 catholiques et 222 juives en Haute-Alsace. Le plébiscite des catholiques pour l’enseignement confessionnel (qui accueille les trois quarts des élèves catholiques de Basse-Alsace !) explique en grande partie la faiblesse de la fréquentation catholique dans les écoles supérieures de filles laïques.

41 Vieilles-Allemandes ou Alsaciennes, catholiques ou protestantes, ce qui réunit ces jeunes filles est la relative aisance de leurs familles (voir les vêtements, fig. 9). Les écoles supérieures de filles sont les écoles de la bourgeoisie. C’est là que les futures épouses et mères des élites (masculines) régionales doivent acquérir les connaissances qui leur permettront de tenir leur rang. Il n’existe pas de programme unifié en Alsace- Lorraine avant 1915, mais les programmes des différents établissements se rejoignent de plus en plus à partir des années 1880. L’enseignement est essentiellement littéraire, fondé sur trois langues (allemand, français, anglais). On trouve naturellement l’histoire et la géographie, auxquelles on confère une fonction patriotique. Les mathématiques ne sont pas négligées, pas plus que les sciences naturelles ou la physique-chimie (fig. 10). L’apprentissage des travaux manuels, l’exercice du chant et du dessin et le développement harmonieux du corps grâce à la gymnastique (fig. 11), associés à une solide éducation religieuse, doivent achever de former des femmes accomplies.

Fig. 10 : un cours de physique à l’école supérieure municipale de filles de Colmar au début des années 1910

L’enseignant actionne une machine de Wimshurst, l’élève une machine de Winter. AM Colmar, fonds iconographique, « Lycée Camille Sée », détail de la photographie.

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Fig. 11 : cours de gymnastique à l’école supérieure municipale de filles de Colmar au début des années 1910

Il s’agit d’un exercice de maintien. L’exercice individuel apparaît aussi important que la discipline du groupe, disposé en rangées bien ordonnées. AM Colmar, fonds iconographique, « Lycée C. Sée ».

42 Pour accéder à cette formation, il faut payer l’écolage, unique source de revenu pour les écoles privées non-subventionnées. Les niveaux de l’écolage connaissent des écarts importants suivant les établissements. En 1903, il évolue dans les écoles municipales de Strasbourg et Colmar entre 80 et 100 Mark/an ; dans celle de Mulhouse entre 70 et 110 ; chez les diaconesses à Strasbourg entre 60 et 14036. Pour l’inscription dans les écoles normales supérieures attachées à ces établissements, il faut compter 120 Mark à Mulhouse et 150 dans les autres cas. Les écoles supérieures de filles des petites villes affichent des écolages beaucoup moins élevés (entre 36 et 60 Mark). C’est aussi le cas chez les sœurs de la Divine Providence à Mulhouse (entre 35 et 75 Mark). À l’inverse, on trouve dans cette même ville deux écoles supérieures de filles très onéreuses, l’école Blattner (entre 168 et 196 Mark) et surtout l’école Dollfus (entre 160 et 400 Mark).

43 Naturellement, les origines sociales des élèves varient en fonction de la hauteur de l’écolage, qui s’adapte aux conditions locales. Dans les petites villes, on trouve des filles de petits notables, de commerçants, d’artisans. À Mulhouse, la haute bourgeoisie choisit l’école Dollfus. L’école municipale accueille ici aussi les filles de la petite bourgeoisie et de la classe moyenne : en 1873, 28 % de pères artisans, 21 % de fonctionnaires de l’État ou municipaux, 21 % de commerçants et négociants, 13 % d’employés de commerce, 13 % de rentiers et autres, 4 % de chimistes, dessinateurs et mécaniciens. La période du Reichsland est bien celle d’une démocratisation de l’enseignement secondaire des filles en Alsace. Les bourses octroyées dans les écoles supérieures municipales de filles participent de ce mouvement.

44 Enfin, il convient d’évoquer la présence d’élèves inattendus dans les écoles supérieures de filles : les jeunes garçons ! On les trouve dans quelques établissements, afin qu’ils y

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acquièrent les bases du français avant d’entrer dans les petites classes du lycée. Pour les fils de la bourgeoisie de Mulhouse, c’est parfois l’apprentissage de l’allemand qui est recherché par ce biais : en 1909, Jean Brunschwig (7 ans) fréquente l’école Dollfus car il « ne maîtrise pas assez l’allemand pour pouvoir entrer en huitième au lycée »37. Plusieurs fils de fabricants passent leurs premières années scolaires aux côtés de leurs sœurs dans cette institution élitiste.

L’enseignement secondaire des filles face aux débats nationaux et locaux

Émancipation féminine et enseignement secondaire

45 Dans le sens inverse, on trouve des filles autorisées à s’inscrire dans les écoles supérieures de garçons à partir de l’automne 190638, comme dans le grand-duché de Bade. Elles sont 104 en Alsace-Lorraine en 1908 et déjà 172 trois ans plus tard, dont 129 pour la seule Alsace39 ! Elles fréquentent essentiellement les lycées (Altkirch, Colmar, Guebwiller, Mulhouse, Strasbourg, Wissembourg, Saverne). Il s’agit pour ces jeunes filles de préparer le baccalauréat, un objectif étranger aux écoles supérieures de filles. Encore faut-il que l’accès à l’université soit autorisé ! L’université de Strasbourg décide en 1899 de s’ouvrir aux auditrices libres… suite à une demande adressée par les deux dirigeantes du Verein Elsaß-Lothringer Lehrerinnen, dont l’une est Mlle Lindner, figure tutélaire de l’école supérieure de filles du même nom à Strasbourg40. En 1909, au terme de plusieurs années de revendications, les femmes obtiennent le droit de s’inscrire comme étudiantes à part entière à l’Université de Strasbourg.

46 Mais comment faire avant 1906 pour obtenir le baccalauréat ? En 1903, le Verein für Frauenbildung in Elsaß-Lothringen propose une réponse. L’association strasbourgeoise organise des cours de lycée pour les filles (Mädchen-Realgymnasialkurse), sur un modèle inauguré à Karlsruhe et répandu depuis dans toute l’Allemagne. Le comité directeur de l’association, présidé par Mme Curtius41, confie l’organisation de l’enseignement à un directeur d’Oberrealschule en retraite. En 1905, seize jeunes filles se répartissent en deux classes42. Les premières élèves doivent passer le baccalauréat en 1907. Les hautes autorités scolaires regardent l’entreprise avec circonspection. Elles se méfient d’« une sorte de compétition à l’éducation »43. Le Statthalter von Hohenlohe-Langenburg (1832-1913) accorde quand même une subvention dès 190444. L’autorisation donnée aux filles deux ans plus tard de fréquenter les écoles supérieures de garçons vide l’entreprise de son sens et les élèves prises en charge par l’association gagnent le lycée45.

47 Les écoles supérieures de filles ne peuvent pas ignorer longtemps cette aspiration grandissante à gagner les bancs de l’université. En 1909, un an après sa grande réforme de l’enseignement secondaire féminin, la Prusse permet aux enseignantes des écoles supérieures de filles, désormais Mädchenlyzeen, d’accéder aux études supérieures. L’Alsace-Lorraine suit le mouvement en 1910 : après l’obtention de son diplôme et deux années d’activité dans une école supérieure de filles, une enseignante peut s’inscrire à l’université46.

48 L’émancipation féminine ne passe pas seulement par l’accès à l’enseignement supérieur. Elle se joue également sur le terrain des conditions de travail. L’Elsaß- lothringische Zweigverein für das höhere Mädchenschulwesen agit en ce sens (niveau de

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salaires, matériel d’enseignement, formation continue). D’autres associations mobilisent également : Allgemeiner deutscher Lehrerinnenverein, Elsaß-lothringischer Frauenverband47… Plusieurs enseignantes des écoles supérieures de filles adhèrent également à l’Elsaß-Lothringer Lehrerinnenheim. L’association est fondée en 1891 dans le but de créer à Strasbourg un foyer destiné à l’accueil et à l’assistance des enseignantes actives ou diplômées dans le Reichsland48.

49 L’émancipation féminine demeure cependant limitée à l’époque du Reichsland, même dans les écoles supérieures de filles. Celles-ci offrent certes aux enseignantes une voie d’accomplissement professionnel, mais avec des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues masculins et avec l’interdiction de poursuivre leur activité en cas de mariage. Elles permettent aux élèves de devenir enseignantes (via les écoles normales supérieures), et même d’accéder par ce biais à l’université à partir de 1910, mais la société leur assigne le rôle de façonner de bonnes mères de familles. Les établissements se conforment à cette demande. En 1912, le directeur de l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse développe les thèmes du féminisme bourgeois dans son discours d’inauguration du nouveau bâtiment49. Il insiste sur la préparation des jeunes filles à la « véritable liberté », fondée sur le « sens de la communauté » dans le cadre des « communautés de vie morale » (famille, commune, État, Église). Quelques voix s’élèvent toutefois pour défendre les écoles supérieures de filles comme un moyen d’insertion professionnelle, à l’instar du directeur de l’école supérieure de filles laïque de Ribeauvillé en 190850 : « Le fait qu’au moins un tiers de l’ensemble des filles de notre patrie ne se dirige pas vers le métier naturel de femme au foyer et de mère a donné naissance au grand mouvement féministe de notre époque. Le féminisme sain […] entend procurer une vie accomplie à toutes les filles qui, pour une raison ou une autre, ne viennent pas au métier de femme au foyer. En effet, une vie sans un travail contribuant au bien de toute l’humanité n’apporte que langueur et dépérissement du corps et de l’âme ».

Les écoles supérieures de filles et la question alsacienne

50 L’enjeu n’est pas seulement social mais également national. Dans une province annexée contre la volonté de ses habitants, le nouveau pouvoir doit impérativement contrôler la formation des nouvelles générations. L’enseignement secondaire des filles ne peut pas faire exception. En 1874, l’inspecteur scolaire du cercle de Saverne souligne son importance dans le projet d’intégration de l’Alsace à l’empire : « Il est extrêmement important que les futures femmes des milieux instruits, qui, comme on sait, dirigent les hommes en politique de bien des manières, bénéficient d’une instruction et d’une éducation reposant sur des principes allemands »51 ! Dès 1872, le président supérieur von Möller veut des écoles supérieures de filles alsaciennes qui soient les vecteurs du patriotisme allemand, à l’instar des écoles supérieures de filles du reste de l’empire52. Cela passe naturellement par l’enseignement de l’allemand, mais aussi de l’histoire et de la géographie. Les écoles supérieures de filles s’équipent en cartes de l’empire… et en portraits de l’empereur ! En 1873, le président de Haute-Alsace en offre un à la directrice de l’école supérieure de filles de Thann.

51 Nous connaissons déjà la situation délicate de cet établissement, confronté à un boycott de la bourgeoisie autochtone53. Une hostilité similaire entoure la fondation de l’école supérieure de filles d’Altkirch, pourtant près de vingt ans après l’annexion. Le clergé

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catholique manque de peu de faire échouer sa municipalisation. Les tensions s’atténuent mais ne disparaissent pas pour autant. En 1908, le directeur de l’établissement considère l’encadrement extrascolaire des jeunes filles par le Vaterländische Frauenverein comme très approprié pour « dépasser les différences de milieu social, d’origine nationale et de confession »54.

52 D’une manière générale, le clergé catholique est un farouche opposant aux écoles supérieures de filles laïques. Il faut dire que le Kulturkampf marque de son empreinte les premières années de l’annexion. Les autorités se méfient particulièrement des écoles supérieures de filles catholiques. Jusqu’à la fin de la période du Reichsland, les journaux nationalistes dénoncent les écoles supérieures de filles alsaciennes comme des foyers de subversion patriotique, et les pensionnats de religieuses ne sont pas les seuls établissements visés. Les rapports des autorités ou des dénonciateurs anonymes s’inquiètent des sympathies françaises de certaines directrices. Le maintien du français comme langue de communication dans quelques (rares) institutions paraît suspect. Le Bon Pasteur fait partie de ces établissements. Dirigé de 1871 à 1906 par une Strasbourgeoise parlant à peine l’allemand55, il est désigné par son nom français jusqu’à la Première Guerre mondiale ! La relative tolérance des autorités scolaires du Reichsland sera sévèrement critiquée dans l’Allemagne d’après 191856. En réalité, ce sont bien souvent les parents vieux-allemands qui insistent pour qu’un soin particulier soit porté à l’apprentissage du français. Le professeur Knapp (1842-1926), de l’Université de Strasbourg, envoie sa fille Elly (1881-1952) à l’école supérieure de filles Lindner, où les langues sont particulièrement soignées. Par la suite, Elly Knapp doit lutter pour participer à un cours de vacances pour étrangers à l’université de Grenoble, car on refuse de la reconnaître comme étrangère en raison de sa bonne prononciation57.

Conclusion

53 L’entretien de la langue française dans les écoles supérieures de filles n’empêche pas les élèves de faire bonne figure au cours de la Première Guerre mondiale. Même la congrégation des sœurs de la Divine Providence, qui se verra décerner après 1918 un brevet de fidélité à la France, participe à la mobilisation des esprits. Les élèves du pensionnat de Ribeauvillé sont ainsi emmenées en promenade pour exprimer publiquement leur foi en la victoire allemande par des « chants patriotiques »58. Plusieurs écoles supérieures de filles sont affaiblies par le conflit. Faute de pouvoir se conformer aux exigences du décret de 1915, elles tombent alors dans la nouvelle catégorie des gehobene Mädchenschulen. Dans certaines localités, la guerre entraîne même leur fermeture. Au retour de l’Alsace à la France, la plupart des anciennes écoles supérieures municipales de filles sont destinées à devenir des écoles primaires supérieures. Les écoles supérieures municipales de filles de Strasbourg, Colmar et Mulhouse deviennent des lycées de jeunes filles, celles de Haguenau et Saverne des collèges de jeunes filles. Les élèves sont désormais préparées au baccalauréat. D’autres modifications interviennent, notamment l’introduction des études surveillées. De leur côté, les institutions privées « continuent à fonctionner comme par le passé »59. De l’œuvre des Allemands pour l’enseignement secondaire des filles en Alsace, on ne veut retenir alors que l’héritage architectural laissé dans les grandes villes. On dénigre le caractère hybride d’« un enseignement qui tenait à la fois de l’enseignement primaire supérieur et de l’enseignement secondaire »60. N’expliquait-on pas aux Alsaciens à

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l’époque du Reichsland que l’éducation des filles de la bourgeoisie était catastrophique avant 1871 ? Il n’en reste pas moins que la France trouve dans l’Alsace reconquise un véritable système d’enseignement secondaire, qui avait certes ses défauts, mais qui a su gagner l’adhésion des populations jusque dans les petites villes de la province.

NOTES

1. Verhandlungen des Landesausschusses von Elsaß-Lothringen. XV. Session. Januar-April 1888, tome 2, Strasbourg, 1888, p. 178-189. 2. KÄTHNER Martina et KLEINAU Elke, « Höhere Töchterschulen um 1800 », KLEINAU Elke, OPITZ Claudia (dir.), Geschichte der Mädchen- und Frauenbildung, tome 1, Francfort/Main, New York, 1996, p. 393‑408. 3. BÄUMER Gertrud, « Das Mädchenschulwesen im Deutschen Reich », LEXIS Wilhelm (dir.), Das Unterrichtswesen im Deutschen Reich, tome 2, Berlin, 1904, p. 237‑426, p. 269‑270. 4. ROGERS Rebecca, Les bourgeoises au pensionnat : l’éducation féminine au XIXe siècle, Rennes, 2007, p. 163. 5. MAYEUR Françoise, L’éducation des filles en France au XIXe siècle, Paris, 1979, p. 117 et p. 121. 6. SCHVIND Muriel, L’éducation des demoiselles de la bourgeoisie : l’exemple du Bas-Rhin (1800-1870), mémoire de maîtrise, Université des Sciences Humaines de Strasbourg, Faculté des Sciences historiques, 1996, p. 81‑85. 7. MAYEUR Françoise, op. cit., p. 126, note 8. 8. LUTHMER Hans, « Höhere Mädchenschulen », Wiss. Institut des Elsaß-Lothringer im Reich an der Universität Frankfurt, Das Reichsland Elsaß-Lothringen 1871-1918, tome 2, partie 2, Berlin, 1937, p. 165‑178, p. 165. 9. ABR 34 AL 1242, le président supérieur à la chancellerie impériale, 16.02.1872. 10. ABR 34 AL 1242, le président de Basse-Alsace au président supérieur, 03.07.1872. 11. ABR 34 AL 1242, le président de Haute-Alsace au président supérieur, 31.05.1872. 12. ETTWILLER Eric, « L’école supérieure de filles non-confessionnelle de Ribeauvillé », La Revue historique de Ribeauvillé et environs, 2010, p. 14-40. 13. ETTWILLER Eric, « L’école supérieure de filles d’Altkirch (1890-1916) », Annuaire de la Société d’Histoire du Sundgau, 2011, p. 75‑92, et 2012, p. 127‑152. 14. OBERLE Raymond, Le patrimoine scolaire de Mulhouse, Andolsheim, 2002, p. 133‑134. 15. Un septième établissement existait à Guebwiller, fermé définitivement en 1875. 16. Voir « La création d’écoles supérieures de filles sur le modèle allemand ». 17. En hommage à l’un des membres du comité, Auguste Dollfus (1832-1911). 18. FISCHER Max, « Das höhere Mädchenschulwesen im Reichsland Elsaß-Lothringen », Zeitschrift für weibliche Bildung, 1897, p. 558‑601. 19. SCHVIND Muriel, op. cit. 20. EHRICH Karin, « Stationen der Mädchenschulreform. Ein Ländervergleich », ibid., p. 129‑148. 21. Le Ministère pour l’Alsace-Lorraine, qui remplace en 1879 la Présidence supérieure, crée en 1882 un conseil supérieur de l’instruction publique, l’Oberschulrat für Elsaß-Lothringen. Oberschulrat est également le titre des hauts fonctionnaires de cette administration. 22. FISCHER Max, op. cit., p. 558‑562. 23. BÄUMER Gertrud, op. cit., p. 413.

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24. IGERSHEIM François, « Entre contestations et accommodements (1850-1960). La présence des sœurs congrégationistes dans l’enseignement public en Alsace », Revue des Sciences Religieuses, 86/ I, 2012, p. 51‑69. 25. LUTHMER Hans, op. cit., p. 174. 26. LUTHMER Hans, op. cit., p. 176. 27. FISCHER Max, op. cit. (tableau). 28. ABR 34 AL 1268, notices individuelles en pièces jointes au rapport de l’Oberschulrat Berlage, 15.02.1882. 29. Jahresbericht de l’année scolaire 1912/13. 30. Les dossiers de cette institution sont malheureusement restés introuvables dans les archives administratives. 31. FISCHER Max, op. cit., (tableau). 32. ABR 34AL1242, Mlle Frommel au président de Haute-Alsace, 08.11.1872 (citation de la mère en français). 33. Ville de Mulhouse, Das Unterrichtswesen in der Stadt Mühlhausen, Mulhouse, 1898, p. 92. 34. AM Colmar 30 5A4/1, compte-rendu de la séance du conseil municipal du 02.03.1878 (en français). 35. AM Strasbourg 2MW640, la directrice du Bon Pasteur à l’administrateur municipal Back, 10.12.1874. 36. ABR 34 AL 1273, le directeur de l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse à l’ Oberschulrat, 17.11.1903 (pièce jointe). 37. ABR 34 AL 1304, la directrice de l’école Dollfus à l’Oberschulrat, 17.07.1909. 38. LUTHMER Hans, op. cit., p. 176. 39. Statistisches Jahrbuch für Elsaß-Lothringen, 1912, p. 235. Les protestantes sont les plus nombreuses. 40. ABR 103 AL 146, Mlles Lindner et Rommel au recteur et au sénat de l’université de Strasbourg, 15.06.1899. 41. L’épouse de Friedrich Curtius (1851-1933), haut fonctionnaire prussien, nommé en 1903 président du consistoire supérieur et du directoire de l’Eglise de la confession d’Augsbourg d’Alsace-Lorraine. 42. Jahresbericht de l’année scolaire 1905/06. 43. ABR 27 AL 761, l’Oberschulrat à un conseiller intime, 20.10.1904. 44. ABR 27 AL 761, Mme Curtius au Statthalter, 30.11.1904. 45. Voir en complément VLOSSAK Elizabeth, Marianne or Germania ? Nationalizing Women in Alsace, 1870-1946, Oxford, New York, 2010, p. 62‑63. 46. LUTHMER Hans, op. cit., p. 176. 47. Sur les associations féminines en Alsace, voir VLOSSAK Elizabeth, op. cit., p. 91‑133. 48. La première présidente de l’association est M me Burguburu, la mère de Pierre Burguburu (1869-1933), figure importante du parti catholique alsacien dans les années 1900 et 1910. 49. Jahresbericht de l’année scolaire 1911/12. 50. AM Ribeauvillé 10/O/3, M. Tschæche au conseil municipal de Ribeauvillé, juin 1908. 51. ABR 34 AL 1318, l’inspecteur scolaire du cercle de Saverne au directeur du cercle, 26.10.1874. 52. PUST Hans-Christian, „Vaterländische Erziehung” für „Höhere Mädchen“. Soziale Herkunft und politische Erziehung von Schülerinnen an höheren Mädchenschulen in Schleswig-Holstein, 1861-1918, Osnabrück, 2004. 53. Voir « Les élèves ». 54. ABR 34 AL 1285, M. Seelisch à l’Oberschulrat, 07.10.1908. 55. WOYTT Gustave, « Kultur- und Sprachpolitik in Elsaß-Lothringen während der Reichslandzeit (1871-1918). Dokumente und Erinnerungen », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 1991, p. 389‑402, p. 393.

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56. BERGER Martin, Die Ursachen des Zusammenbruches des Deutschtums in Elsaß-Lothringen, Fribourg, 1919. 57. WOYTT Gustave, op. cit., p. 393. En 1908, Elly Knapp épouse à Strasbourg Théodore Heuss (1884-1963), qui sera le premier président de la République fédérale d’Allemagne. 58. ABR 105 AL 2547, la directrice du pensionnat de Ribeauvillé à l’Oberschulrat, 26.08.1915. 59. DELAHACHE Georges, Les débuts de l’administration française en Alsace et en Lorraine, Paris, 1921, p. 131‑134. 60. ABR W 1045/63, discours du recteur Pfister au lycée de jeunes filles de Strasbourg, 11.07.1931. Je remercie Monsieur le Professeur Igersheim d’avoir porté cette source à ma connaissance.

RÉSUMÉS

En Alsace, l’enseignement secondaire des filles est un article d’importation allemand ! Au lendemain de l’annexion, la nouvelle administration comprend que l’intégration du pays à l’empire allemand doit passer par les femmes de la bourgeoisie. Elle intervient pour mettre en place des écoles supérieures de filles (höhere Mädchenschulen) sur le modèle allemand, en subventionnant nombre d’établissements laïques et en surveillant l’ensemble des établissements. Cependant, le cadre institutionnel reste relativement flou jusqu’en 1915. Le corps enseignant est hétérogène, tant sur le plan des origines nationales, confessionnelles et sociales que sur celui des conditions de vie et de travail. Les écoles supérieures de filles réunissent les filles de la bourgeoisie vieille-allemande comme alsacienne. Temples du féminisme bourgeois, elles ont du mal à s’adapter aux mutations de la société. Le bilan semble plus positif sur le plan national. En effet, il apparaît que les écoles supérieures de filles ont dépassé les tensions du début de la période du Reichsland et constituent un vecteur d’intégration à l’Allemagne.

In Alsace, girls’ secondary education is a German imported article! After the annexation, the new administration understands that the integration of the country into the German empire has to go through the women. It intervenes to set up höhere Mädchenschulen in accordance with the German model, subsidizing a lot of non-religious schools and watching on whole schools. However, the institutional environment is still relatively blurred until 1915. The teaching profession is heterogeneous, regarding as the national, religious and social origins as the conditions of life and work. The höhere Mädchenschulen gather the German immigrated bourgeoisie’s daughters and the Alsatian bourgeoisie’s daughters. Temples of the bourgeois feminism, they work hard to adapt themselves to the transformations of the society. The results are more positive concerning the national integration. It appears in fact that the höhere Mädchenschulen overcame the tensions of the beginning of the Reichsland’s period and build up a vector of the integration into Germany.

Das höhere Mädchenschulwesen ist im Elsass ein deutscher Importartikel! Die neue Verwaltung versteht nach der Annexion, dass der Zusammenschluss des Landes mit dem deutschen Reich durch die Frauen des Bürgertums gehen muss. Sie wirkt um höhere Mädchenschulen im deutschen Sinn zu schaffen, indem sie manche nichtkonfessionelle Anstalten subventioniert und alle Anstalten beaufsichtigt. Der institutionelle Rahmen bleibt jedoch ziemlich unklar bis 1915. Der Lehrerstand ist verschiedenartig, sowie auf den nationalen, konfessionellen und sozialen Standpunkten als auf den Lebens- und Arbeitsbedingungen. Die höheren Mädchenschulen fassen die Töchter der altdeutschen sowie der elsässischen Bürgertum zusammen. Als Tempeln des

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bürgerlichen Feminismus, haben sie Schwierigkeiten in die Verwandlungen der Gesellschaft sich einzufügen. Die Bilanz scheint positiver auf der nationalen Ebene. Es scheint nämlich, dass die höhere Mädchenschulen die Gespanntheit des Anfangs der Reichslandzeit überwunden haben und ein Vektor des Zusammenschlusses mit Deutschland bilden.

AUTEUR

ERIC ETTWILLER Agrégé d’histoire

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Le choc d’« Avant l’Oubli » de Philippe Avril et Gisèle Rapp- Meichler (1986, 1988) Mémoire et historiographie de l’incorporation de force The shock caused by “Avant l’oubli” by P. Avril and G. Rapp-Meichler (1986, 1988). Memories and historiography of forced drafting Der Schock: „Avant l’oubli“ von Philippe Avril und Gisèle Rapp-Meichler (1986, 1988). Erinnerung und Historiographie der Zwangsrekrutierten

François Igersheim

Introduction

1 En novembre 1986, l’Alsace redécouvre le drame des Malgré-Nous, objet du film et des entretiens de « L’Alsace, prise de guerre »1 passé sur FR3 Alsace2. Nous réunirons ces deux volets de l’entreprise sous le titre « Avant l’Oubli », titre du catalogue de l’exposition de 1988. Films et enquête restituée dans cette exposition itinérante aux procédés novateurs s’avèrent être une œuvre historiographique de première importance portant sur cet épisode capital de l’histoire de l’Alsace du XXe siècle : l’incorporation de force dans l’armée allemande.

Témoignages

2 Voici deux extraits des entretiens les plus prenants de ce film, celui de Joseph Zaessinger, cultivateur à Luemschwiller (Sundgau), né en 1915, incorporé de force en 1943, puis celui de Charly Kuntz de Strasbourg (né en 1926) incorporé de force en 1944. Comme la plupart des entretiens, ils se déroulent en alsacien. Le script des entretiens a été établi par Gisèle Rapp‑Meichler, Marie-Michèle Cattelan et Philippe Avril (ADRECCAL)3. Nous le restituons tels qu’ils ont été retranscrit4.

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3 Zaessinger mobilisé en 1939 dans l’armée française est revenu de captivité à l’automne 1940 et découvre que l’Alsace est désormais annexée.

Joseph Zaessinger

Zaessinger - Mer han s’erst Wella wiessa wia sei dess Blettla drait Un de Schwendel ham’r scho gsah ka. Blogt se m’r scho gse, dann i ha net a mol ke zentner me ka wo ni üs d’gfangeschaft ku be, anno 40. Un wo m’er heim ku be, do i heim ku dr 20 augst, esch, han m’r scho a SA ka, mr han unsra Ortsgruppenleiter, NSDAP, HJ. Awer an Hitlerjugendfiarar ha mr ka, awer weja Hitlerjugend A jeder hat si gschamt fer dri d’sgeh un hat net welle. Net ? A jeda hat doch z’erst welle wessa was do los esch .. No essch awer allewil der Maire ku. … Das dengs esch schon gloffa… häsch gmaint s’ loïft scho hunderet Johr boll, so esch des dengs ganga. On a voulu savoir d’abord ce qu’il en retournait, parce qu’on voyait bien que tout cela était truqué, car nous étions déjà prévenus. En 40, quand je suis revenu de captivité je ne pesais même pas 50 kilos, et à peine étais-je de retour, au 20 août, nous avions déjà la SA, un Ortsgruppenleiter de la NSDAP, une Hitlerjugend. Enfin, nous avions un chef Hitlerjugend, mais très peu de Hitlerjugend. Chacun de nous aurait eu honte d’y adhérer, et nous voulions savoir ce qu’il en retournait… Mais le maire nous relançait toujours… tout cela marchait comme sur des roulettes, on aurait cru qu’ils avaient été là depuis 100 ans5.

4 Zaessinger évoque la période d’avant 1942. Z. – Mr han als Karte gspielt, ganza nacht met da nochbr zamma, … M’r sen a mol do bim nochbr gse, no ha m’r gspielt bis a 3 de morga un s’esch noch ku schneha en dr nacht. Dr andre Tag ha m’r gsa ka as Trett sen bis as Fanster em Schnee, no ha m’r gwesst as mr weder beobachta worda sen. Un sunst da hesch gwesst ka,as du müash brav se, net. …

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On jouait souvent aux cartes, toute la nuit, avec les voisins. Nous étions là, un soir chez le voisin et avons joué jusqu’à 3 heures du matin et il a neigé pendant la nuit. Et le lendemain, nous avons vu les pas dans la neige qui allaient jusqu’à la fenêtre, et nous avons donc su que nous étions surveillés. Nous avions été avertis : il fallait filer doux, sinon…

5 Question – Han’r d’radio g’hoert ? Z. – M’r han kenn ka, m’r han doch gwesst, mr han gwest wu radio ka han em versteckta Awer das het niama deffa … do het niama deffa reda. Wo Dengs gse esch met Stalingrad, han i einer atroffa ka, no maint’r, er han der Anglander glost : bi Stalingrad get’s weder schiaf fer sa. Ja das esch a Frait gse fer uns, das ech a Frait gse… M’r han net trürt. …

6 Q. Écoutiez vous la radio ? Z. Nous, nous n’en avions pas, mais nous savions qui avait une radio cachée. Mais nous n’avions pas le droit de le dire… Quand il y a eu Stalingrad, nous en avons rencontré un qui nous a dit qu’il avait entendu l’Anglais, et que cela allait mal pour eux à Stalingrad. Mais nous nous en réjouissons, cela ne nous rendait pas tristes.

7 Zaessinger est incorporé de force en février 1943. Ja er [ ich] ha zwe Kamerade ka, einer esch vu Saint-Louis gse, no sen’se a mol ku, das esch em mai anno 41, er glaib net as’s 42 esch gse, no han se gsait ka. : wenn da wet, wenn’s a mol gfarlig wert, geh’mr ab in d’Schwitz. Wo m’r izoga wora sein, sen’s 14ner, 15, 16, 17, 18 un ninzähner, han se wella na met n’ander… J’avais deux camarades, l’un était de Saint-Louis, qui sont venus me voir, cela devait être en 41, je ne crois pas que cela était en 42, et ils m’ont dit : si tu veux, si cela devient dangereux, nous partons en Suisse. Quand nous avons été incorporés, la classe 14, 15, 16, 17, 18 et 19, nos avons …

8 Question – Was han’r deno gmacht ? Z. – No, m’r hatte ni sotta ge stella, un no ha m’r gsait ka, mer gehn net, m’r sen franzesche Soldata gse. Un s’esch des dengs güat gse bis d’Affara ku esch met Ballersdorf. Zal esch ku vum Frittig uf dr Samstig un vum Samstig uf dr Sundig han m’r wella abgeh, un deno ha m’r nemma kenne. Deno esch d’granza versterkt worra un alles. No sen m’r halt do blewa. Un am 15 han sie zamma gholt, die wu net unterschrewa han, am 15 han si ne s’zamma gholt un am 16 ha m’r g’lande en Schirmeck drowa…

9 Q. – Qu’avez-vous fait ? Z. – Nous aurions dû nous présenter, mais nous avons dit, nous n’y allons pas, nous avons été soldats français. Et tout cela s’est bien passé, jusqu’à cette affaire de Ballersdorf. Elle s’est passée du vendredi au samedi et nous avions décidé de partir dans la nuit du samedi au dimanche. Mais là, la frontière avait été renforcée. Et nous avons donc dû rester. Et le 15, ils nous ont cherché, tous ceux qui n’avaient pas signé, et le 16 nous avons atterri à Schirmeck. Z. – Am a schena Tag hät’s a mol g’heissa.. no se m’r gmustert wura… Gmustert ! 6 mann ha mi nis abzoga ka un 4 mann met karabiner, met gladena karabiner nawani’s,… das het drno soldata ga… Ha, ha, ha… des hät drno d’zuakunftig Wehrmacht ga. S’esch noc zum lacha gse wenn se als das Dengs nogluagt han… Et un beau jour on nous a dit : vous passez au conseil de révision. Révision ? 6 types ont dû se déshabiller avec à leurs côtés 4 types avec des carabines chargées … Ha, Ha, Ha, voilà les gars qui devaient faire la future Wehrmacht, c’est à pouffer de rire, quand on y pense maintenant. … Un am Samsztig morje (27 mars) am fenfa esch’s scho los ganga. M’r sen da d’erste gse wu fort sen, han se jedesmol 50 g’nu, un se bi dr Mairie dura,… un nochhar an d’gare vu Schirmeck … Et le samedi matin (27 mars), à 5 heures, c’est parti. Nous avons été les premiers à partir, par groupes de 50. On allait d’abord à la mairie, puis à la gare de Schirmeck.

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Am fenfta April se m’r vereidigt worda. No, sen se awer schlauï gse. Dana besch nia ahne ku gse. No han se a Zug Schwowa ahna gstellt, uns en d’medla un hende dran a Zug Schwowa, net . Jetz wu m’r dert gstanda sen, un hatta sette schwöra, hat’s a Gwetter ga, Dunner un Blitz und gragnt, m’r sen do gstanda. Wenn m’r Elsässer allei gse wara, hat’sch gar nix g’hert, net… no est des Dengs guät gse, was ha mr welle, a jedeer hät gsait « wenn se numme dr Teifel dat hole »… Le 5 avril, nous avons dû prêter serment. Mais ils étaient malins. Ceux-là on n’arrivait pas à les rouler. Ils ont placé un rang de Schwowe, nous au milieu et derrière encore un rang de Schwowe. Voilà que nous étions en rangs et que nous aurions dû prêter serment, mais il y a eu un orage avec du tonnerre et des éclairs. S’il n’y avait eu que nous, les Alsaciens, on aurait rien entendu, mais comme … Mais que pouvait‑on faire ? et chacun de dire, que le diable les emporte.

10 À ce témoignage du cultivateur du Sundgau, répond celui d’un jeune Strasbourgeois, issu des classes populaires de la ville, Charly Kuntz, qui a 14 ans lorsque les Allemands annexent l’Alsace et la Lorraine (en 1940).

Charly Kuntz

11 Il est d’abord enrôlé dans la Hitlerjugend. Unn dann, hät sie d’Hitlerjugend do ufgemacht, Un dess as a Spiel fer i gse. Wenn m’r well s’nähma als Elsässer Als jungi Büawa, esch dess a Spiel fer i gse, Denn mr hät kurzi Hosa gräjt, mr hät a Riam gräit, un a Dolich Un no esch mr ewa en denna Veraan nin ganga Ich weiss’s net dia wu allizamma dren se gsen,un senn viel, viel drinne gsen, ob do einer ebs politisch gedenkt het oder net, m’r hann bloss gsähn dass m’r Soldateles hann derrfa spiela… Un so hann m’r gspielt, un am Midaas häts a grosse Kochgschirr voll ze esse gehn, Un Brot, un morjes häts wieter ebs zu essa gan, un dess haät uns immer wieter interessiert. As esch’s essa gsen… m’r hann Schue gräit, wie d’ailleurs en därre zit rar worre sen, will m’r Punkte han gebrücht, zalamols fer alles zammezegräie,

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Em Winter häsch lange Hosse graït, un e Sportsfreckele graït, Un no hann’sa di mol gfroït, ob d’wet Musik spiele, Do hät eina kenne Musik lehre spiele, D’r andere hät Motorrad lehre fahre, d’r andr hät Flieger gelehrnt Et alors ils ont ouvert la boutique « Hitlerjugend ». Cela a été un jeu pour eux. Pour nous Alsaciens, pour nous gamins, cela a été un jeu pour eux. Car on nous donnait des culottes courtes, et un ceinturon et un poignard et nous sommes allés dans cette association. Je ne sais pas ce que pensaient tous ceux qui y sont allés, mais il y en beaucoup, qui y étaient quelles que soient leurs opinions politiques. On a seulement vu qu’on pouvait jouer aux soldats, et à midi on nous apportait une grande marmite et du pain, et le matin nous avions de nouveau de quoi manger, et voilà qui nous intéressait beaucoup, de pouvoir manger, et on nous a donné aussi des souliers, qui étaient devenus à cette époque fort rares et que nous ne pouvions avoir que contre des points de rationnement. Et en hiver on nous donnait des pantalons. Et un jour on nous a demandé si quelqu’un voulait entrer dans une musique. Celui qui voulait apprenait la musique et un autre apprenait à faire de la moto et un troisième à piloter avions ou planeurs.

12 Q. – Un was hann ehr g’macht CK. – Ich hab Musik gspielt… No benn ich ens Conservatoire kumme Awer, m’r als Büawa, wo en d’r Krutenau gebora sen, un am Rhin gewohnt hann, Das m’r ens Conservatoire a mol komme, dess hesch so nie traume lohn… Hit wo ich sechzigjohr alt ben, wenn i denk drewer noch, Denk i dass die ganz güati Lockvoejel se gsen, die hann uns ganz guet werwetscht zalemols, Ohne das m’rs gemerickt hann… Viellicht unsri Eltere hanns gemerickt. Awer unsri Eltere ? Hann’se angst ket, en unseri Jugend, dass m’r ebs verzähle awer ohne bes ze meine ?

13 Q. – Et vous qu’avez-vous fait ? CK. – Moi je suis allé au Conservatoire. Mais nous autres gamins, nés à la Krutenau, qui habitions le port du Rhin, pouvoir aller au conservatoire, nous n’aurions même pas pu en rêver. Aujourd’hui que j’ai 60 ans, quand j’y pense, je crois qu’ils ont été des bateleurs efficaces et qu’ils nous ont bien roulés sans qu’on s’en aperçoive. Nos parents s’en sont peut-être aperçus, mais nos parents ? Avaient-ils peur que leurs enfants racontent des choses, sans penser à mal ?

14 … CK. – De besch doch an meh Freiheit gewehnt gse, un ewer einmol besch do erigs drenna gse, un hasch du des alles gemerickt, wia du doch a freier Mensch besch gsen : do kenn ebs net stemme ! Un das hann dann viel uf einmol g’funde, das m’r do verwetscht sen wora, wia wenn do Reclam masch hitt,un laasch en a Zitung Un gesch ahna un uffeinmol wenn heschs un köift hesch oder dort besch, Sejsch, oh verdeckel, jetz hann si mi verwetscht. On était quand même habitués à plus de libertés, et d’un seul coup, on était embringué là, et tu te disais, parce que tu avais été libre : là il y a quelque chose qui ne colle pas. Nous avons été nombreux à découvrir d’un seul coup, que nous avions été roulés comme par une publicité qu’on lit dans les journaux et qu’on y a été et qu’on a acheté et qu’on se dit : « zut, ils m’ont eu ».

15 En 1944, Charly Kuntz est incorporé de force. CK. – M’r hann a Zettel kräit as m’r uns en dia Kasern melde solla, un no se m’r ewa en dia Kasern, en d’Teifelskasern [Manteuffelskaserne]… un no esch do a Musterung kumme, m’r sen im Hof gstande, sen nuff komma, un sen an d’Wand gstellt worra Un no sen se vorna dran durich geloffa un hann se gsaït : SS, SS ! Wenn einer schwarzi Hoore hät kät, hann se gsaït : nich arisch, esch er awäk kumme, Un wenn einer klein esch ksen. Wenn er blund und klein esch gsen, esch noch gange…

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… un no besch nävetsnuss kumme, besch untersucht worra. Das untersüacha dess isch so schnell ganga das de « Ah… » un zack besch schon drenna gsen. On a reçu un papier comme quoi on devait aller à la caserne et nous y sommes donc allés, à la caserne du diable, et il y a eu un conseil de révision. Nous étions dans la cour, puis on nous a fait monter, nous avons été placés contre un mur et ils ont marché tout le long de la file et répétaient au fur et à mesure : SS, SS ! Quand il y en avait un qui avait des cheveux noirs, ils disaient : non-aryen et on le renvoyait, ou quand il y en a un qui était petit. Mais quand il était blond et petit, cela allait encore. Et on nous faisait passer dans une chambrée à côté et on nous examinait. Cet examen allait très vite. On disait A et déjà on était incorporé.

16 Charly Kuntz est incorporé dans la division SS Das Reich et assiste au massacre de Tulle. Il est fait prisonnier par les Américains en Normandie. Il confie le mot d’ordre des incorporés « Malgré-Nous ». Des esh a wort gse vum Elsässer : Mach di üssm Staub, hann m’r gsaït, oder vu de Schwowa, denn, wenn sie di gsän hann, hann sie ebs ket fer di… No häsch di üssm Staub gemacht, häsch di … Was hesch welle mache.. häsch gar nix kenne mache. Von uns hät niamand nix kenna mache… sie sen allein grosse meister gsen. Voilà le mot d’ordre des Alsaciens. Ne te fais pas remarquer ! Car dès que les Schwowe nous apercevaient, ils avaient quelque chose à nous faire faire. Il fallait donc ne pas se faire voir. Que devait-on faire ? On ne pouvait rien faire. Aucun de nous n’a pu rien faire. Ils étaient les seuls maîtres.

17 Ces savoureux et… douloureux témoignages sont extraits des deux premiers film du triptyque télévisé « L’Alsace, prise de guerre » diffusé les 1er, 11 et 16 novembre 1986 sur FR3 Alsace. Le film marque le point d’orgue d’une rencontre de l’Alsace des années 80 avec la question et la population des « Malgré-Nous », les incorporés (et incorporées) de force dans l’armée ou les organisations paramilitaires de l’armée allemande.

Le lancement du projet

18 Philippe Avril, géologue d’origine normande qui avait fait ses études à Strasbourg, se passionne pour la vie culturelle effervescente des années 1970 de l’Alsace. Il devient en 1981 (et le restera jusqu’en 1983), délégué pour l’information et l’audiovisuel de l’Agence Culturelle et Technique de l’Alsace, l’un des organismes chargé de la réalisation pratique des différents programmes prévus dans la charte culturelle signée entre l’État et la Région Alsace. Il menait cette activité de front avec celle de l’ADRECCAL (Atelier pour le développement de recherches et de créations cinématographiques en Alsace) qu’il avait fondé. Il est alors en relations avec Armand Peter, éditeur libre (bf. Éditions) très sensibilisé à cette question et qui mène sur une radio libre des entretiens témoignages avec des « Malgré-Nous ». Est‑ce le projet d’un film sur « les Nuits de Fastov » épisode des souvenirs de Malgré-Nous d’André Weckmann, qui le conduira à son projet ?6

19 Toujours est-il qu’en 1983, Philippe Avril et la documentariste Gisèle Rapp-Meichler se lancent dans l’opération que nous conviendrons d’appeler « Avant l’oubli ». La première phase est évidemment celle de la « préfiguration », ou présentation des projets et réunion des financements. Elle s’étend de juillet 1983 à juillet 1984. Le projet obtiendra le soutien de la Direction du Développement culturel du Ministère de la Culture, (dont le chargé de mission alsacien, Gilbert Estève est également conseiller régional d’Alsace) et de la Direction Régionale des Affaires culturelles (Alsace), de la Direction régionale des Affaires culturelles d’Alsace, du Crédit Mutuel d’Alsace, de la FNAC Strasbourg,

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Colmar et Mulhouse, alors dirigée par Francis Bueb. Elle ne peut évidemment pas contourner les associations d’anciens Malgré-Nous, les Associations Départementales des Évadés et Incorporés de Force (ADEIF). Pourtant leur projet ne peut qu’être fort différent de celui des associations, qui viennent seulement d’obtenir des gouvernements allemands et français, l’indemnisation des « Malgré-Nous » (accord de mars 1981)7. Il s’agit celui d’une redécouverte issue des questions de la deuxième génération, celui des enfants des « Malgré‑Nous », produits des trente années de l’après-guerre alsacienne, de son école et de sa vie sociale et culturelle.

Un nœud traumatique

20 Le programme de cette entreprise est défini dans l’ouvrage que publient Philippe Avril et Gisèle Rapp-Meichler titré « Avant l’oubli » (bf. éditions, 1988). Depuis plus de quarante ans, l’Alsace et les Alsaciens vivent de façon individuelle et collective avec la marque des années de guerre. C’est là une histoire encore vivante, toujours latente. … De la mémoire de cette période éprouvante et troublée, le point de cristallisation est incontestablement celui de l’incorporation de force dans l’armée allemande. C’est à partir de ce noyau dur, au travers de ce point sensible et névralgique que bien des choses se sont depuis articulées. Césure majeure de l’histoire alsacienne de ce siècle, phénomène massif dont les contrecoups furent cruels, réalité humaine profondément ancrée dans une région frontière… : l’erreur serait d’en faire l’impasse, d’autant plus que l’incorporation de force a eu pour conséquence directe l’apparition dans l’immédiat après- guerre d’un nœud traumatique prégnant, qui est manifestement révélateur quand il s’agit, pour eux de comprendre ce qui structure l’Alsace actuelle [des années 1980]. Ce fut notre propos. Il nous a fallu pour entreprendre cette réinscription éviter plusieurs ornières et affirmer des options claires. S’apitoyer une fois de plus sur le sort malheureux d’une province frontalière, sombrer dans le pathos ou rajouter un nouveau chapitre au système de valorisation du « milieu Malgré-Nous », ressasser des « vieilles histoires », tout cela nous fut indifférent. Pas davantage, nous ne nous sommes intéressés à cette génération avec cette sorte de respect condescendant réservé d’habitude aux espèces en voie de disparition. … Sans objet non plus, pour donner prise au débat et à la réflexion : la réintroduction ou la réinstruction d’un procès, avec son cortège de jugements, de plaidoyers et d’accusations. Mais il n’en reste pas moins que sortir des alternatives traître/héros, victime/coupable, resté/parti (qui n’auraient au demeurant servi qu’à rebloquer les choses) ne signifie pas pour autant opérer un nivellement des attitudes, escamoter la complexité des situations vécues par les uns et les autres, renoncer à l’examen des évolutions politiques. Comment avons-nous procédé ? Arriver à donner corps à une mémoire collective, c’était d’abord savoir que l’on traitait le sujet à distance dans le temps avec ce que cela suppose comme reconstructions. C’était parvenir à l’aborder pleinement par le récit des témoins, en le questionnant dans la parole ordinaire de la masse des acteurs qui précisément est constitutive de la mémoire populaire.

Les témoins : sources capitales

21 Le cœur de la recherche réside dans les entretiens. La majorité d’entre eux est menée en alsacien, langue maternelle des personnes rencontrées. Les spécialistes du cinéma et de la télévision, Philippe Avril et Gisèle Rapp-Meichler savaient-ils quel serait le choc du spectateur auditeur devant des visages en gros plans, racontant en termes simples leur histoire, des « histoires de vie » en se fondant sur ce que les expressions, des

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regards, des cris du cœur, des confidences peuvent apporter de présence humaine : force du réel et impact émotionnel ?

22 Lorsque commence en juillet 1984 la phase de documentation, l’entreprise se déroule parallèlement à celle que lance le Secrétariat aux Anciens combattants et le titulaire de ce portefeuille ministériel, le député mosellan Jean Laurain. Les accords franco- allemands d’indemnisation des Malgré‑Nous de mars 1981 viennent seulement de se concrétiser8. À la demande du président Mitterrand qui souhaitait donner une solennité particulière au 40e anniversaire de la Libération « de la plus grande partie du territoire national », Jean Laurain confie à l’institution chargée de la liquidation de l’indemnisation, la Fondation franco-allemande, présidée par Marcel Uttenweiller, Directeur des Services de l’Office national des Anciens combattants de la Moselle et à l’universitaire de Metz, Alfred Wahl, le soin de monter une exposition « Les Alsaciens et Mosellans durant la guerre de 1939-1945 ». Elle sera présentée à l’Aubette à Strasbourg en novembre et décembre 19849. Ces deux partenaires se joignent donc aux promoteurs de l’entreprise d’Avant l’oubli.

23 De juillet 1984 à juin 1985, Avril et Rapp-Meichler vont mener plus de 200 heures d’entretiens filmés. S’y ajoutent 60 heures de recherches d’archives audiovisuelles, menées de juillet à décembre 1985. S’en suit alors le montage des 3 volets de 50 minutes du film L’Alsace prise de guerre.

Le film « L’Alsace, prise de guerre »

24 Le film relate le déroulement de la guerre en Alsace, avec un commentaire et un texte général assorti d’images d’archives que rythment les entretiens des témoins. Un certain nombre de procédés désormais communs sont utilisés. L’absence de films sur le camp de Schirmeck est compensé par un travelling avant sur une photo de Schirmeck de plus de 20 secondes, qui donne l’impression d’être un film d’actualités. Mais l’essentiel réside dans les entretiens des témoins. Leur choix se veut représentatif de la diversité de la population des Malgré-Nous. Sont choisis un couple d’instituteurs, Helène (née en 1918) et Joseph Fortmann (né en 1916) incorporé de force, le restaurateur strasbourgeois Charles Kuntz, classe 1926, incorporé de force dans la Waffen SS (division Das Reich), l’ouvrier municipal strasbourgeois Alphonse Schuster (classe 1922), le cultivateur Joseph Zaessinger de Luemschwiller (né en 1915), la cheminote Yvonne Calmelet (née en 1923), Luftwaffenhelferin, le chef d’entreprise colmarien Jean Muller (1920), le viticulteur René Sihler de Pfaffenheim (1923) le coiffeur René Kapps (1925), et Louise Moritz, épouse d’un Malgré-Nous qui n’était pas revenu, mais qui ne pouvait s’empêcher d’espérer encore. Les témoignages sont découpés en courtes séquences, et se répondent les uns aux autres.

25 Les auteurs, Philippe Avril et Gisèle Rapp-Meichler savent bien que toutes les mémoires sont individuelles, mais ils font le pari que cette confrontation produira une histoire collective.

26 Incontestablement les films ont frappé l’opinion publique, et ont suscité un courrier plus important dans la génération née après la guerre, à laquelle appartenaient les auteurs, plus que dans celle qui avait vécu ces évènements. Nombre de correspondants (ou critiques) insistent sur le caractère inexportable des films de l’autre côté des Vosges, du fait de l’emploi de l’alsacien dans les entretiens10 !!! Ils étaient suivis d’un

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débat d’historiens animé par les journalistes Jean-Paul Haas et Jean‑Jacques Schaettel, parmi lesquels Alfred Wahl et Eugène Riedweg (qui venait de soutenir une thèse sur l’Alsace pendant la guerre11).

27 Les enquêtes font l’objet d’une mise en forme et prennent place dans une exposition qui prend le nom d’« Avant l’oubli ». Y sont projetés sur les 10 bornes vidéo, 19 films de 22 témoins, soit 7 heures d’entretiens filmés. Le procédé était alors innovant. L’exposition est ouverte à Mulhouse le 28 mai 1988. Sur les bornes vidéos, défilent en boucle les témoignages de 23 « Malgré‑Nous ». Puis l’exposition est transférée à Strasbourg, le 5 octobre, où elle sera prolongée jusqu’au 15 novembre 1988. Puis elle gagne Freyming-Merlebach en Moselle, jusqu’au 11 décembre, Metz, Colmar, enfin Luxembourg puis Paris.

Le devenir d’un « monument historiographique » de l’Alsace contemporaine

28 Que sont devenus les matériaux de cette entreprise ? L’ensemble des matériaux écrits, oraux et visuels collectés au cours de l’opération ont fait l’objet d’un dépôt public au Centre d’Études et de Documentation de la Fondation Entente Franco-allemande, l’essentiel étant constitué des entretiens filmés et de la documentation audio-visuelle. Leur conservation pérenne semble avoir été assurée. Une centaine de copies du film « L’Alsace, prise de guerre » auraient été remises au Centre régional de Documentation pédagogique de Strasbourg, pour intégration et utilisation dans les classes, en particulier les classes de Langue et Culture régionale d’Alsace12. Elles étaient accompagnées d’un cahier pédagogique ronéoté. Y a-t-il vraiment eu 100 copies du film ? Le CRDP en prêtait à la fin des années 1980 et 1990 et un certain nombre d’enseignants ont pu en faire des copies pour les utiliser dans leurs classes, cours ou séminaires. S’il les ont transférées sur DVD, elles restent des copies privées. Aujourd’hui, le film ne figure plus dans la vidéothèque du CRDP de Strasbourg. Pour le reste, l’Institut National de l’Audiovisuel, propriétaire exclusif des droits, n’a jamais procédé à la reproduction sur DVD de ce film, alors que FR3 Alsace a diffusé et vendu nombre d’autres films sur la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’avec Arte, la copie du best-seller « Les deux Mathilde ».

29 Il est vrai qu’ils sont en alsacien (sous-titrés en français). Dans la première moitié de la décennie 1990, les trois quarts des étudiants d’un séminaire d’histoire de l’Alsace, où étaient diffusés les films, riaient encore spontanément et immédiatement, aux « witze » des témoins. Dix ans plus tard, ils n’était plus qu’une petite minorité. Bien entendu, ce témoignage n’a pas de valeur scientifique, car il ne s’agit que d’un sondage. Par contre, on relève à chaque projection, la même émotion dans l’auditoire.

Conclusion : historiographie contemporaine

30 Cette entreprise ne resta pas sans lendemains. La Fondation Entente Franco-allemande, présidée par le successeur de Marcel Uttenweiller, André Bord, ancien ministre des Anciens combattants, lança en 1993 le projet d’un « Mémorial d’Alsace-Moselle ». En 1999, le secrétariat aux Anciens combattants, encore un Lorrain, Masseret, reprit l’idée et en confie la préfiguration scientifique à Alfred Wahl, réalisateur de l’exposition de 1984.

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De nombreuses difficultés émaillent l’histoire de cette réalisation muséographique, qu’une analyse plus complète mettrait au jour.

31 Par contre, l’analyse de l’œuvre « Avant l’oubli », qui l’a précédé de 20 ans, est plus aisée.

32 La formule selon laquelle l’histoire est d’abord l’histoire réelle des hommes (et femmes) vaut pour cette réalisation. La critique des sources s’y impose autant que pour d’autres supports ; l’écriture cinématographique (montage, cadrages etc.) doit être décryptée et elle fait partie des techniques que doivent maîtriser les historiens et si possible le public.

33 L’œuvre « Avant l’oubli » comprenant les films et les témoignages constitue une œuvre historiographique de première importance, répondant aux intentions des deux historiens cinéastes Philippe Avril et Gisèle Rapp‑Meichler, qui s’étaient fixés de comprendre et d’expliquer : « cette césure majeure de l’histoire alsacienne de ce siècle. Césure majeure de l’histoire alsacienne de ce siècle, phénomène massif dont les contrecoups furent cruels, réalité humaine profondément ancrée dans une région frontière… : l’erreur serait d’en faire l’impasse, d’autant plus que l’incorporation de force a eu pour conséquence directe l’apparition dans l’immédiat après-guerre d’un nœud traumatique prégnant, qui est manifestement révélateur quand il s’agit, pour eux de comprendre ce qui structure l’Alsace actuelle13 ».

NOTES

1. Nous remercions M. Philippe Avril qui a mis à notre disposition les archives dont il disposait encore sur la réalisation de cette œuvre. 2. Les 1 er, 11 et 16 novembre 1986. Au cours du colloque de Karlsruhe de l’Oberrheinische Arbeitsgemeinschaft d’octobre 2006, nous avons présenté des entretiens extraits du film pour témoigner de l’opinion des jeunes Alsaciens de la période de la guerre incorporés de force dans leur majorité. 3. Volume « Script » des Archives de M. Philippe Avril. 4. C’est le journaliste Jean-Jacques Schaettel, alors associé à l’entreprise, et dont la voix est reconnaissable qui mène la plupart des entretiens. 5. Trad. de l’auteur. 6. Antoine Wicker, « Philippe Avril, une longue écoute… » Dernières Nouvelles d’Alsace, 20 octobre 1988. 7. Historique de la Fondation Entente Franco-allemande par Madame Kempf. Mémoire en ligne.www.fefa.fr, taper « historique » dans la fenêtre de recherche. (le 21/6/2012). 8. Ibidem. 9. Alfred Wahl, Les Alsaciens-Lorrains dans la deuxième guerre mondiale (1939-1945). Catalogue de l’exposition. Strasbourg 1984. 10. Préoccupation présente aussi dans la problématique énoncée par Eugène Riedweg, qui insiste sur le décalage entre mémoire nationale et mémoire régionale. S’ajoutant aux barrières linguistiques entre générations, elle est inhérente à l’histoire de l’Alsace. 11. Dont il publiera une partie sous le titre « Les Malgré-Nous : histoire de l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande », Mulhouse, Éditions du Rhin, 1995.

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12. Catalogue de l’exposition « Avant l’oubli ». Cf. le « Pressbook », obligeamment communiqué par Ph. Avril. 13. Catalogue cit. On ne peut s’empêcher de souhaiter qu’ils soient rediffusés.

RÉSUMÉS

Les associations de « Malgré-Nous » obtiennent par un accord franco-allemand du 31 mars 1981, l’indemnisation des « incorporés de force alsaciens et mosellans », qui sera effectivement appliquée en 1984. Des initiatives sont prises au début des années 80, par de jeunes historiens, journalistes et documentaristes alsaciens qui ont pour but de mettre en lumière ce drame, « nœud traumatique prégnant », qui marque l’opinion alsacienne de la fin du XXe siècle. Parmi eux celle de Philippe Avril et Gisèle Rapp‑Meichler. À partir de 1983, ils montent le projet qui prendra le nom « Avant l’oubli ». Ils réunissent plus de 200 heures d’entretien filmés, auxquels s’ajoutent 60 heures d’images d’actualité. Le tout est monté dans 3 épisodes de 30 et 40 minutes d’un film intitulé « Alsace, prise de guerre », diffusé en novembre 1986. Le film fait une impression profonde dans la population alsacienne : les générations d’après-guerre découvrent le drame des « Malgré-Nous ». Les entretiens sont pour la majorité menés en alsacien, sous-titré français, et à cette époque-là, la majorité de la population alsacienne comprend suffisamment l’alsacien pour être saisi par l’émotion des récits simples des témoins. Cette projection est suivie en 1988, d’une série d’expositions, à Mulhouse, Strasbourg, Forbach, Metz, Colmar. Même si des questions de droits d’auteurs, a définitivement cantonnée l’œuvre dans les archives de l’Institut national français de l’audiovisuel (INA) d’où il n’est jamais ressorti ce qui est regrettable, l’opération « Avant l’oubli » est un précurseur de l’entreprise du Mémorial de Schirmeck, lancé en 1993 et en 1999.

Thanks to a Franco-German agreement (31 March 1981, that came into force in 1984) the “Malgré‑Nous” (“forced draft” resisters) Alsace and Moselle associations received compensation. Initiatives were undertaken in the early 80s by young Alsatian historians, journalists and documentary makers so as to popularize this tragedy, an “essential trauma” which had profoundly marked the late 20th century Alsatian public opinion. In particular, the contribution of P. Avril and G. Rapp-Meichler who, in 1983, planned a project that was to be called “Before oblivion”. Over 200 hours of interviews were recorded, added to 60 hours of current events pictures, edited in 30- to 40-minute serials named “Alsace, a war loot” and shown in November 1986. The film produced a strong impression on the Alsatian population: post-war generations could discover the tragedy of the “Malgré‑Nous”. Most of the interviews were conducted in Alsatian, with French subtitles, at a time when most viewers understood Alsatian well enough to be deeply moved by the unsophisticatd stories told by the witnesses. In 1988 this film was followed by a series of exhibits in Mulhouse, Strasbourg, Forbach, Metz and Colmar. Even though, for copyright reasons, it is no longer available to the public, being an exclusive product of the Institut national français de l’audiovisuel (INA), which is highly regrettable, the “Before oblivion” operation was a foreruuner of the “Mémorial (museum) de Schirmeck” project which was launched in 1993 and completed in 1999.

Im französisch-deutschen Vertrag vom 31. März 1981 erlangen die Vereinigungen der „Malgré- Nous“ (= wider unseren Willen“) die Entschädigungszahlungen der Zwangsrekrutierten aus dem

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Elsaß und aus dem Département Moselle. Ausgezahlt werden sie im Jahre 1984. Ende des XX. Jahrhundert bedrückt ein „prägnanter traumatischer Klotz die Brust der Elsässer und Lothringer“ so sehr, daß das öffentliche Denken des Landes darunter leidet. Anfang der achtziger Jahre machen sich junge elsässische Historiker, Journalisten und Dokumentaristen an eine große Arbeit. Ziel des Unternehmens ist, Licht in diese Tragödie zu bringen. Zu der Gruppe gehören auch Philippe Avril und Gisèle Rapp-Meichler. Sie beginnen 1983 das, was unter der Bezeichnung „Avant l’oubli“ bekannt werden sollte. Das sind mehr als 200 Interviews, alle in Filmen festgehalten, und weitere 60 Stunden aktueller Aufzeichnungen. Das Ganze ist zusammengestellt in einem Film. Er erhält den Titel „Das Elsaß unter der Last des Krieges“, hat drei Teile von je 30 bis 40 Minuten und wird im November 1986 das erste Mal gezeigt. Der Film hinterläßt in der elsässischen Bevölkerung tiefe Spuren: die Nachkriegsgenerationen entdecken die Tragödie der „Malgré-Nous“. Die Autoren lassen die Betroffenen fast durchgängig elsässisch reden und geben den Aufzeichnungen französische Untertitel. Die Mehrheit der Elsässer versteht den Dialekt wenigstens so gut, daß sie sich von den einfachen Berichten ergreifen lassen kann. 1988, nach der Projektion der Filme, gibt es zu dem Thema in Mulhouse, Strasbourg, Forbach, Metz, Colmar Ausstellungen. Heute und wohl für immer ist das Werk wegen Fragen des Autorenrechts in den Archiven des Nationalen Französischen Audiovisuellen Instituts verschwunden. Auch wenn es diese noch nie verlassen durfte, was wir sehr bedauern, ist das Unternehmen „Avant l’oubli“ ein Vorläufer des Memorials von Schirmeck, das 1993 und 1999 errichtet worden ist.

AUTEUR

FRANÇOIS IGERSHEIM Professeur émérite, Université de Strasbourg

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Recherches allemandes récentes sur l’histoire médiévale de l’Alsace : un aperçu sur la période 1990 à 2012 Recent German research in mediaeval history of Alsace: an insight into the 1990-2012 period Neuere deutsche Forschungen zur mittelalterlichen Geschichte des Elsass. Ein Überblick über den Zeitraum 1990 bis 2012

Thomas Zotz

Remarque préliminaire

1 En 1991, au début de la période examinée ici, a paru une réédition de l’ouvrage Geschichte des Elsass de Heinrich Büttner, publié en 19391. Ce livre qui date du milieu des années 1930, est l’œuvre d’un historien relevant de l’Institut historique de l’Université de Fribourg-en-Brisgau et du cercle du professeur Theodor Mayer et représente le seul ouvrage de synthèse sur l’histoire médiévale de l’Alsace, ou plus exactement jusqu’à l’an mil, dû à un historien allemand. Même s’il ne s’agit certes pas d’un produit récent de la recherche historique allemande, il n’est pas dénué de sens de le prendre comme point de départ de notre examen, car les dates de parution de ses éditions, 1939 et 1991, embrassent un demi-siècle de relations franco-allemandes et plus particulièrement germano-alsaciennes, dont la nature a fortement varié tout au long des épisodes successifs de la période : l’annexion de fait de l’Alsace à l’Allemagne de 1940 à 19442, une après-guerre qui reste marquée par elle jusqu’au traité de l’Élysée de 19633 puis les vingt années qui s’ensuivent jusqu’à la mutation de la carte de l’Europe en 19904.

2 On se demandera à quel point ces phases de l’histoire politique contemporaine ont pesé sur les préoccupations de l’historiographie allemande de l’Alsace5.

3 Nous élargirons donc les bornes chronologiques de notre examen. Il se portera aussi, au moins brièvement, sur la période écoulée depuis 1945, puis nous nous interrogerons sur

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les directions nouvelles qu’a prises la recherche allemande sur l’Alsace depuis les années 1960 qui sont marquées par le rapprochement franco-allemand, pour mettre en relief ses orientations dans la période qui s’étend à partir des années 1990, tournant de l’histoire allemande, jusqu’à nos jours6. En conclusion nous replacerons la recherche allemande sur l’histoire de l’Alsace dans le cadre général des initiatives de coopération franco-allemande.

4 Pour cantonner notre recherche dans des limites raisonnables, notre examen n’inclura que les monographies ; les articles de revues ou d’ouvrages collectifs ne seront pris en compte qu’exceptionnellement. Par « recherche allemande », on entendra ici prioritairement les travaux initiés dans les Universités allemandes, y compris par des chercheurs étrangers. Seront cités les ouvrages publiés, mais aussi des travaux qui ont fait l’objet de soutenances, mais n’ont pas encore été publiés. Ceux qui seront retenus ici relèvent de la discipline historique au sens étroit du terme, même si les frontières qui la séparent de l’archéologie, la linguistique et de la littérature, ainsi que de l’histoire de l’art apparaissent bien poreuses. L’histoire du droit ne sera pas oubliée. Enfin, si l’Alsace est au centre de cet examen, nous prendrons en compte les recherches qui portent sur un espace plus vaste et procèdent à une analyse comparatiste. L’espace du Rhin supérieur devra donc faire l’objet d’une attention particulière7.

5 D’entrée de jeu, nous relevons à quel point l’histoire médiévale de l’Alsace est imbriquée dans les évolutions plus larges.

La recherche allemande sur l’Alsace médiévale de 1945 jusqu’à 1990

6 Deux ouvrages relevant du domaine qui nous intéresse ici datent du milieu de la décennie 60, dans le sillage immédiat du traité franco-allemand de l’Élysée de 1963. Dans la préface de son livre Studien zur elsässischen Siedlungsgeschichte, paru en 1967, le toponymiste Fritz Langenbeck, né à Strasbourg et travaillant à Bühl (Bade), écrit : « Aujourd’hui, à l’époque du rapprochement et de la réconciliation franco-allemande, où tant de ponts matériels et spirituels sont lancés par dessus le Rhin, il ne devrait pas être difficile, tout en respectant les frontières existantes, de se tendre la main pour un travail en commun. On devrait le faire sans complexes et sans préjugés, tout en tenant compte des orientations scientifiques encore parfois opposées que l’on adopte pour écrire l’histoire alsacienne ; elles doivent être elles aussi l’objet d’un travail commun »8.

7 L’année suivante, l’historien colmarien Lucien Sittler fait le point dans un rapport d’ensemble sur l’historiographie de l’Alsace de 1945 à 1965 : « La naissance de l’Alsace, son repeuplement, les noms des villages, toute la toponymie et la formation de la région, ont été pris comme objets d’étude par toute une série d’historiens. Mais les choses sont fort compliquées et il est difficile de clarifier tous les points. De plus, dans le temps, les antagonismes franco-allemands ont été trop mis en avant dans ces domaines aussi, et il est difficile de se prononcer objectivement. Aujourd’hui, alors qu’il n’existe plus du côté allemand d’efforts pour reconquérir l’Alsace française, la situation est devenue plus simple. Allemands et Français peuvent, sans préjugés, débattre sur un plan scientifique des résultats atteints par la recherche, même s’ils ne sont pas toujours du même avis. L’objectivité n’est-elle pas requise du chercheur sérieux ? »9.

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8 Des deux côtés, l’on évoque les problèmes qui ont leur origine dans le passé, mais également le rapprochement en cours. La mutation des relations franco-allemandes inscrite dans l’initiative politique de 1963, et qui se poursuit dans son sillage, s’étend aussi aux préoccupations de la recherche historique allemande sur l’Alsace médiévale. Il est vrai qu’il n’y a eu que fort peu de publications allemandes dans cette période. On relève l’étude de Hildburg Brauer-Gramm sur Pierre de Hagenbach, avec une préface de Hermann Heimpel10, et le groupe de travail constitué autour de Gerd Tellenbach de l’Institut historique de Fribourg-en-Brisgau suscite la recherche de Josef Fleckenstein sur Fulrad de Saint Denis et l’activité qu’il déploie à partir de l’Alsace dans l’Allemagne du Sud-Ouest11, ainsi que celle de Franz Vollmer sur les Etichonides12. Hertha Borchers, une élève de Heinrich Büttner inclut aussi l’Alsace dans sa thèse de Marburg de 1952, qui porte sur l’histoire des relations commerciales et des communications dans le Rhin moyen et supérieur13.

9 Ainsi depuis le milieu des années soixante le nombre des publications allemandes portant sur l’histoire médiévale de l’Alsace augmente, qu’il s’agisse de monographies spécifiques ou de chapitres d’ouvrages portant sur le Rhin supérieur. Outre l’ouvrage sur l’histoire du peuplement de l’Alsace de Fritz Langenbeck, déjà cité, la thèse d’histoire du droit de l’Université de Munster (Westphalie) de Gerhard Wunder, sur le territoire de la ville de Strasbourg14, mérite une attention particulière, car cette recherche a été élargie dans le cadre d’un doctorat de la Faculté des lettres et Sciences humaines de Université de Strasbourg15, sous la direction de Philippe Dollinger, un bel exemple de coopération historiographique franco-allemande dans les débuts de cette période de détente des relations entre les deux pays.

10 L’examen de la liste des thèses soutenues sous la direction de Gerd Tellenbach pendant son activité à l’Université de Fribourg-en-Brisgau témoigne aussi de cette mutation16. L’Alsace n’y apparaît que dans les années soixante, avec l’ouvrage de Hans-Martin Pillin sur les domaines de l’Évêché de Strasbourg sur la rive droite du Rhin (1965)17, et celui de Eugen Hillenbrand sur Nicolas de Strasbourg (1966)18. L’attention portée à l’Alsace ne diminue pas avec le médiéviste Otto Herding, qui exerce à Fribourg de 1965 à 1977 ; l’humaniste de Sélestat Jacques Wimpheling en est l’objet particulier. Herding publie, seul ou avec son élève, Dieter Mertens, nombre de ses œuvres, de même que sa correspondance19. La thèse d’habilitation de Mertens, soutenue à Fribourg-en-Brisgau en 1977, a été consacrée à l’Alsace à l’époque de l’Empereur Maximilien20.

11 Contributions à l’historiographie de l’Alsace encore, l’étude de Michael Borgolte sur le pouvoir comtal en Alsace de l’époque mérovingienne à l’époque ottonienne21 et de Gerhard Rösch sur les actes des évêques de Strasbourg22, ainsi que la thèse de Helga Mosbacher, soutenue à Berlin sous la direction de Herbert Helbig, sur la ministérialité et la bourgeoisie de Strasbourg (1969)23, la thèse soutenue à Mayence par Peter Müller sous la direction d’Alois Gerlich, sur l’histoire des seigneurs de Fleckenstein, cette dynastie de ministériaux du Nord de l’Alsace de l’époque des Staufen24, ainsi que la grande étude (avec publication de textes) d’Alexander Patschovsky sur les béguines de Strasbourg au début du XIVe siècle25.

12 Mais outre les Œuvres choisies de Jakob Wimpheling, déjà citées, d’autres sources médiévales d’histoire de l’Alsace ont fait l’objet dans les années 70 et 80 d’éditions scientifiques. Anton Doll, reprenant des travaux préparatoires de Karl Glöckner a publié les Traditiones de l’abbaye de Wissembourg26 remontant au Moyen Âge central et Christoph Dette en a publié les polyptiques de la même époque27. Wilfried Hartmann a

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publié un des traités polémiques de Manegold de Lautenbach28 de l’époque de la querelle des Investitures, et Erich Kleinschmidt les « Histoires mémorables » de Rodolphe de Sélestat29, ainsi que des œuvres inédites d’historiographie dominicaine de l’Alsace médiévale30. Enfin, la grande édition des Sources médiévales de l’histoire des Ligues urbaines de l’Allemagne du Sud due à Konrad Ruser, qui concerne de manière non négligeable les villes de l’Alsace, mérite l’attention31.

13 Mais si l’on élargit un peu la perspective et que l’on porte le regard sur les études sur le Rhin supérieur, où l’Alsace est prise en compte de façon importante, l’on doit relever toute une série de thèses des années soixante, mais surtout des années soixante-dix et quatre-vingts. Sur l’époque ottonienne, deux thèses de Fribourg, l’une de Hagen Keller sur l’abbaye d’Einsiedeln (1962)32 sous la direction de Gerd Tellenbach, l’autre de Thomas Zotz sur le Brisgau du Xe et du début du XIe siècle (1972)33 sous la direction de Joseph Fleckenstein. Deux autres thèses dirigées par Hagen Keller concernent également l’Alsace : celle de Marita Blattmann sur les statuts de Fribourg à l’époque des Zähringen (1988)34 et de Jürgen Treffeisen sur les petites villes du Brisgau, Neuenburg, Kenzingen et Endingen (1988)35.

14 Portant tout particulièrement sur le XIIIe siècle, la thèse soutenue à Giessen sous la direction de Hans Patze par Thomas Martin (1971) sur la politique urbaine de Rodolphe de Habsbourg, consacrée en grande partie à l’Alsace36, et la thèse soutenue à Munich par Isabel Grübel sur les Ordres mendiants et les béguines à Strasbourg et Bâle (1987)37, ainsi que sous la direction d’Otto Herding à Fribourg, celle de Hans Frese, qui retrace l’histoire d’une dynastie nobiliaire qui a son origine en Alsace, celle des seigneurs de Schoenau, du XIIIe au XVe siècle (1973)38. La thèse de Volker Rödel, soutenue à Mayence sous la direction d’Alois Gierlich, est consacrée à la petite noblesse du Rhin moyen et supérieur de la fin du Moyen Âge et donc aussi à celle de l’Alsace (1977)39. À citer encore la thèse soutenue à Heidelberg sous la direction de Peter Classen par Christoph Bühler sur les seigneurs de Geroldseck et leur seigneurie, qui porte également sur l’Alsace40. Sur la période située à la fin du Moyen Âge et au débuts des Temps modernes, on relève la thèse fribourgeoise de Klaus H. Lauterbach, sous la direction d’Erich Hassinger sur le « Révolutionnaire du Rhin supérieur » (1985)41, et l’étude de Knut Schulz sur les compagnons artisans et ouvriers du Rhin supérieur et d’Allemagne du Sud (1985) qui s’étend du XIVe au XVII e siècle42. Enfin, il faut citer la grande étude de Hermann Heimpel sur la famille Vener de Gmünd et Strasbourg au Moyen Âge43.

Recherches historiques allemandes sur l’Alsace au Moyen Âge de 1990 à nos jours

15 Pour un examen plus détaillé de la recherche des deux dernières décennies, il est nécessaire, par rapport à la phase antérieure, et compte tenu de l’activité considérablement accrue des chercheurs allemands de s’imposer un classement chronologique et thématique plus rigoureux.

16 Et comme le rapport d’études consacrées à l’Alsace ou celles consacrées au Rhin supérieur modifié au profit de l’Alsace par comparaison avec la période antérieure, on renoncera à les analyser les unes après les autres, et on les reprendra en compte dans l’examen global.

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De l’époque mérovingienne jusqu’au début des temps modernes

17 Sur l’Alsace de la période mérovingienne et carolingienne, nous disposons de deux ouvrages d’ampleur inégale. En 2003, Nicole Hammer a publié un bon aperçu sur les fondations monastiques des ducs étichonides en Alsace44, et en 2011 a paru la thèse de Karl Weber soutenue à Fribourg sous la direction de Thomas Zotz, sur la formation de l’Alsace dans le royaume des Francs45. En combinant recherches sur les personnes et sur les territoires, Weber a donné un tableau détaillé sur les structures du développement et l’évolution de l’Alsace depuis l’antiquité jusqu’à l’époque mérovingienne et sur l’agencement de ses territoires, où sont passées en revue les familles nobles, en premier lieu les Etichonides dans leurs rapports avec les monastères, puis le rôle des Carolingiens dans l’intégration de l’Alsace à l’Empire franc.

18 En outre, Weber a joint à l’ouvrage un CD sur lequel figure un commentaire des « Regesta Alsatiae aevi Merovingici et Karolini 496-918 » d’Albert Bruckner de 1949, précieux pour la recherche historique.

19 Mais l’Alsace des Empereurs Saliens a elle aussi fait l’objet de l’attention de la recherche allemande récente. La thèse soutenue à Fribourg sous la direction de Thomas Zotz, par Hans-Peter Sütterle nous donne un tableau d’ensemble sur les rapports des Saliens avec l’Alsace46. Il n’y a pas que les rois, leur itinéraire et leurs actes qui retiennent l’attention, ceux de la noblesse et de l’Eglise d’Alsace et leurs rapports avec les rois le font aussi. Franz Legl, dans sa thèse de Sarrebruck soutenue sous la direction d’Eduard Hlawitschka, centrée sur la période salienne mais s’étendant sur les XIIe et XIIIe siècles, a fait un examen approfondi de l’histoire des comtes de Dabo-Eguisheim, généalogie, histoire politique et possessions47. Pour la période de la querelle des Investitures dans le Rhin supérieur et tout particulièrement en Alsace, il faut relever deux thèses de Fribourg soutenues sous la direction de Thomas Zotz : Florian Lamke a consacré la sienne à l’implantation et à l’œuvre de Cluny sur les deux rives du Rhin, en se focalisant sur les deux prieurés de la rive droite de Saint-Ulrich et de Sölden (Brisgau)48. Les conflits et regroupements nobiliaires tels qu’ils se reflètent dans l’historiographie monastique ont particulièrement retenu son attention. La thèse de Tobie Walther traite des évêques de Strasbourg, Werner II, Thiebald et Otto, et de leurs adversaires dans le conflit des papes et des empereurs saliens49. Walther analyse les écrits des auteurs grégoriens plus en vue, appartenant au parti des papes, tels que Berthold de Reichenau et Bernold de Constance/Sankt-Blasien et leur applique la formule « polémiques et réconciliations », ainsi que les sources de l’abbaye réformatrice d’Hirsau. Pour la période de l’évêque Otto, issu de la maison des Staufen, sont étudiés les conflits alsaciens, tels que le meurtre du comte Othon VI d’Eguisheim (1099) tout comme les tentatives de rapprochement entre partis ennemis, ainsi, la fondation du Chapitre régulier de Marbach qu’il interprète comme gage de paix.

20 On sait que l’Alsace revêt une haute importance pour la dynastie des Staufen. On ne sera donc pas surpris de voir l’histoire de la période et de la région aux XIIe et début du XIIIe faire l’objet d’une recherche attentive et qui ne se dément pas dans les deux dernières décennies, de la part des historiens allemands. Les recherches d’Eduard Hlawitschka aboutissent à des résultats nouveaux en établissant que Hildegarde de Sélestat descendait de la maison royale de Bourgogne50. Daniel Ziemann a avancé tout récemment la thèse selon laquelle la dynastie des Staufen aurait été alsacienne51. Eduard Hlawitschka le conteste52. Dans sa thèse de Sarrebruck sous la

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direction de Reinhard Schneider, Thomas Seiler a analysé la politique territoriale des Staufen en Alsace, de la fin du XIe siècle jusqu’à la mort de Henri VI53. Il prend le contre- pied de la doctrine dominante jusqu’alors : c’est en Basse-Alsace que les Staufen ont pu établir leur domination territoriale, mais en Haute-Alsace, leurs efforts n’ont de ce point de vue guère été couronnés de succès avant la fin du XIIe siècle. Dans sa thèse d’habilitation sur l’historiographie impériale des Staufen et la doctrine scolastique issue du Chapitre augustin de Marbach, Volkard Huth analyse les composantes de la vie intellectuelle de l’Alsace de la période des Staufen54. Sont étudiés le rôle d’Otto de Freising et de la culture savante à la cour des Staufen, avec ses ancrages régionaux, particulièrement à Haguenau, mais aussi à Marbach, comme foyer des transferts culturels à l’échelle de l’Europe, au Moyen Âge central. Cette culture se reflète aussi dans l’Hystoria Constantinopolitana de Gunther de Pairis, qui relate dans cette œuvre en prose, la part prise par son abbé Martin à la Quatrième Croisade et au transfert des reliques de Constantinople vers le monastère de Pairis. C’est à Peter Orth que nous devons cette nouvelle édition critique de cette œuvre conçue dans l’Alsace de la période des Staufen55.

21 L’historiographie de l’Alsace du XIIIe siècle a été enrichie d’une contribution importante avec la thèse de Fribourg, de Eva-Maria Butz56 sous la direction de Thomas Zotz, qui étudie une seigneurie noble entre Empire et région. L’étude est centrée sur les comtes de Fribourg, successeurs dans le Brisgau des ducs de Zähringen. Cette dynastie entretient des relations étroites avec l’Alsace ; plusieurs de ses membres qui ont pris place dans le Chapitre de Strasbourg, et les comtes de Fribourg ont été également impliqués dans les conflits politico-militaires de l’Alsace comme ceux de la guerre de Hausbergen en 1262. La dynastie de Lichtenberg a joué un rôle important dans l’histoire de l’Alsace des XIIe au XV e siècle. Friedrich Battenberg, avec la collaboration de Bernhard Metz a publié des regestes des archives des Lichtenberg57.

22 Citons ici une thèse d’histoire du droit, soutenue à Fribourg sous la direction de Karin Nehlsen-van Stryk, et consacrée aux paix territoriales (Landfrieden) en Alsace à la fin du Moyen Âge. Matthias Fahrner y analyse les principes et la réalité de ces pactes interterritoriaux des débuts de leurs extension au XIIIe siècle à leur fin au XVe siècle58. L’ouvrage passe en revue l’apparition et le développement des paix territoriales, leurs principes juridiques et leurs effets dans le Rhin supérieur. Royauté, seigneurs et villes sont les acteurs de ces pactes de sécurité. La publication des Actes des Ligues urbaines de l’Allemagne du Sud poursuivie par Konrad Ruser a inclus les alliances et pactes de paix territoriale de 1381 à 138959.

23 Enfin, il faut citer par ordre chronologique, une série de travaux sur l’histoire d’Alsace et du Rhin supérieur du XVe siècle. Les incursions des Armagnacs en Alsace dans les années 40 du XVe siècle et le pamphlet latin qui les dénonce font l’objet de l’analyse du philologue Thomas Haye60 et Thomas Zotz a étudié les ravages de la guerre provoqués en Alsace par les Armagnacs61. La période de la mise en gage des seigneuries de l’Autriche antérieure a fait l’objet d’une étude de Werner Paravicini dans son article sur le mariage de Pierre de Hagenbach (1474) comme miroir de la culture chevaleresque des cours de Bourgogne et de l’empire62. Datant de la fin du XVe siècle, un relevé des possessions de l’abbaye de Wissembourg, le Codex Berwartstein, est publié par Wolfgang Schulz, comme contribution à l’histoire du sud du Palatinat63. La recherche a ainsi accès à l’histoire des propriétés de l’abbaye pendant les XIVe et XV e siècle. Deux études récentes ont porté sur Sébastien Brant comme historien et publiciste. Antje Foresta

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dans sa thèse soutenue à Fribourg sous la direction de Dieter Mertens étudie le traité d’histoire de Brant, De origine et conversatione bonorum regum Hierosolymae cum exhortatione eiusdem recuperandae, datant de 1495 ou 1518, le replace dans le cadre des débats contemporains sur la paix européenne et la guerre avec l’Empire ottoman et restitue les représentations politiques et conceptions historiographiques de l’humaniste strasbourgeois64. L’efficacité de l’œuvre du publiciste est illustrée par ses deux pamphlets imprimés après le Reichstag de Worms de 1495, où Brant dénonce le mépris qu’affichent haute et basse noblesse à l’égard du droit et de la justice au détriment des paysans et des bourgeois et de la sécurité de la période. Vera Sack (Bibliothèque universitaire de Fribourg) a analysé et publié ces deux textes rédigés en latin et en allemand avec un commentaire65. Mentionnons encore la thèse soutenue à Tübingen par Dieter Speck sous la direction de Franz Quarthal, sur les États de l’Autriche antérieure des XVe et XVI e siècle avec pour capitale administrative Ensisheim66. C’est une performance remarquable que la nouvelle édition critique du « Oberrheinischen Revolutionär », par Klaus H. Lauterbach67. Près de 25 ans après la parution de sa thèse, nous disposons à présent d’un texte exemplaire de cet important et énigmatique traité en faveur de la réforme datant de l’époque de Maximilien. Mystère aussi que la question de l’auteur anonyme du traité. Lautenbach y voit le secrétaire de l’Empereur Mathias Wurm de Geudertheim68, et Volkhard Huth le juriste strasbourgeois Jacob Merswin69.

24 Concluons notre examen avec deux contributions de synthèse portant sur l’Alsace au Moyen Âge, données dans le cadre d’un cycle de conférences sur l’histoire de l’Alsace données par l’université de Mannheim en 1998. Franz Staab y décrit l’histoire de l’Alsace de l’antiquité tardive et le haut Moyen Âge70, et Christina Reinle le Moyen Âge71.

Recherche d’histoire sociale et économique

25 En histoire rurale, Werner Rösener a présenté dans sa thèse d’habilitation soutenue à Göttingen, le résultat de ses recherches sur le développement de la seigneurie foncière ecclésiastique du Sud-Ouest de l’Allemagne au haut Moyen Âge et au Moyen Âge72. S’intéressant à la seigneurie foncière de l’abbaye de Wissembourg du IXe au XIIe siècle, ainsi qu’à l’abbaye de Marmoutier du IXe au XIe siècle, il analyse dans une seconde étape les mutations de la seigneurie foncière du XIIe au XIV e siècle partir du cas de Marmoutier. Se reportant aussi aux études d’histoire rurale alsacienne d’Henri Dubled datant des années soixante du XXe siècle, Werner Rösener décrit la décadence des grands domaines et leur morcellement en petites tenures et le rachat des corvées en argent.

26 L’exploitation minière vosgienne fait l’objet de la thèse, soutenue à Tübingen, sous la direction de Sönke Lorenz, par Bernd Breyvogel sur les mines d’argent et la frappe monétaire dans le sud de la Rhénanie supérieure73. Si ce travail est centré d’abord sur le développement des seigneuries territoriales de la rive droite du Rhin (ducs de Zähringen, évêques de Bâle, comtes de Fribourg, Habsbourg), il prend en compte également à partir des sources archivistiques les mines des districts miniers alsaciens de Thann/Masevaux, et, plus au nord, du val de Lièpvre ainsi que la production des ateliers monétaires de Ferrette, Thann, Colmar, Ribeauvillé et Strasbourg. Breyvogel

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traite longuement du Rappenmünzbund conclu en 1387 comme union monétaire du Rhin supérieur, avec la participation active des villes alsaciennes.

27 La grande thèse de Gerd Mentgen sur les juifs d’Alsace au Moyen Âge, soutenue à Trèves sous la direction d’Alfred Haverkamp est devenue du fait de son importance un ouvrage de référence74. Après avoir exposé l’histoire de l’implantation des juifs en Alsace, Mentgen décrit les courants migratoires de la population juive dans le sud de l’Allemagne, où l’Alsace prend sa place. Il analyse ensuite les communautés juives de Strasbourg et des villes de la Décapole, le l’insertion des juifs dans les seigneuries territoriales, avant de dégager les mobiles et formes de l’antijudaïsme dans les vagues de persécution, particulièrement à l’époque de la peste noire. Enfin, Mentgen analyse le rôle des juifs dans la vie économique alsacienne, y compris dans l’économie viticole.

28 On aborde là l’histoire urbaine. En premier lieu, il faut citer la thèse d’habilitation soutenue à Mannheim, de Sabine von Heusinger, portant sur les corporations au Moyen Âge, à partir du cas de l’histoire économique et sociale de la ville de Strasbourg75. Von Heusinger décrit dans ses chapitres la constitution des corporations, avant de passer aux mutations des XIVe et XVe siècles, marqués par les conflits entre noblesse et bourgeoisie. Les chapitres suivants sont consacrés à la mobilité sociale de la bourgeoisie des corporations, à la mobilité professionnelle entre corporations ou à l’appartenance simultanée à plusieurs corporations. Le choix d’analyser séparément les quatre composantes qui recouvrent l’institution de la corporation, la corporation professionnelle, la confrérie, la corporation politique et militaire, s’est avéré fort heureux. Se basant sur un fichier prosopographique personnel immense, en mesure de faire ressortir une importante mobilité sociale et économique des membres des corporations, von Heusinger démontre que les corporations médiévales forment des groupes sociaux fort dynamiques.

Recherches sur l’histoire des villes

29 Avec l’histoire des corporations de Strasbourg, ville la plus importante de la province, nous avons déjà abordé le champ de l’histoire sociale urbaine. Mais l’Alsace médiévale recèle un grand nombre de villes et la densité du réseau urbain du sud du Rhin supérieur a continué de susciter de nouvelles recherches d’histoire médiévale allemande dans les deux dernières décennies, qu’elles se concentrent sur l’Alsace seule ou se préoccupent de comparaisons suprarégionales.

30 Restons à Strasbourg. Avec sa thèse, soutenue à Trèves, sous la direction de Alfred Haverkamp, portant sur son histoire pendant le XIIIe et la première partie du XIV e siècle, Yuko Egawa apporte une contribution importante76. À partir de la thématique de la seigneurie, de la communauté, de la commune, Yuko Egawa décrit dans sa première partie l’évolution communale jusqu’à la fin du Bellum Waltherianum (1263), puis elle analyse le pouvoir des conseils, la commune et les conflits intraurbains jusqu’au Schwörbrief de 1349, qui donne naissance au régime des métiers. Dans le même domaine on doit citer encore deux petites études sur la ville de Strasbourg au XIIIe et au XIVe siècle. Karl Weber s’interroge sur les rapports entre la cour épiscopale et la ville dans la période qui va de la bataille de Hausbergen jusqu’à la mort de Konrad III de Lichtenberg en 129977. Bettina Fürderer examine la politique d’alliances de Strasbourg dans la deuxième moitié du XIVe siècle et y a relevé la permanence pendant des décennies de l’alliance avec Bâle et Fribourg78. Autre trait caractéristique de

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l’histoire et de la culture strasbourgeoise, l’importance accordée à l’historiographie, que démontrent les chroniqueurs Fritsche Closener und Jacob Twinger von Königshofen. Historiographie humaniste et chroniques bourgeoises du Strasbourg des XVIe et XVII e siècle sont étudiées par Norbert Warken, dans une thèse d’histoire littéraire, soutenue à Sarrebruck sous la direction de Wolfgang Haubrichs ; il analyse fonction et réception de l’historiographie urbaine dans la période du XIIIe jusqu’au début des Temps modernes79. Fribourg et Bâle ont été citées parmi les villes du Rhin supérieur ; la thèse de Mathias Kälble, soutenue à Fribourg sous la direction de Thomas Zotz, s’inscrit dans cette perspective plus large80. Il y étudie les rapports entre une commune et son seigneur de l’époque des Zähringen et jusqu’à l’époque des comtes de Fribourg et y évoque les rapports avec les villes alsaciennes. Les réseaux de communication entre villes du Rhin supérieur forment également l’objet de l’étude de Sigrid Schmitt81, qui articule une analyse de réseaux sociaux avec les rapports institutionnels que sont les échanges d’ambassadeurs et de messagers. La thèse de Bastian Walter, soutenue à Munster (Westphalie) sous la direction de Martin Kintzinger porte également sur les échanges d’informations entre villes, principalement en temps de crise82. Walter étudie les contacts établis entre Berne, Strasbourg et Bâle au moment des guerres entre la Bourgogne et la Confédération (1474-1477), ceux des ambassadeurs des villes comme acteurs officiels et détenteurs de l’information, mais aussi les contacts informels et secrets, ainsi que les moyens de se procurer des informations, auxquelles on a souvent recours pour la propagande dans une période si tumultueuse pour le Rhin supérieur. La thèse de Maximilian Gloor, soutenue à Heidelberg sous la direction de Bernd Schneidmüller porte sur plusieurs villes du Rhin supérieur, à savoir Bâle et Strasbourg, mais aussi Augsbourg. Elle procède à un examen comparatif de l’action politique à la fin du Moyen Âge83. Centrée sur le Rhin supérieur et ses nombreuses petites villes, la thèse d’habilitation soutenue à Kiel par Gabriel Zeilinger analyse les rapports entre seigneurie et communes et les processus d’urbanisation et d’urbanité qui en procèdent84. Dans la période longue allant des XIIe au XIVe siècle, outre celle des Staufen, les autorités qui promeuvent l’urbanisation de la province sont celles de l’évêque de Strasbourg et des Habsbourg, ainsi qu’à un moindre degré celle des Ribeaupierre. La thèse de Fribourg, soutenue sous la direction de Thomas Zotz par Christopher Schmidberger, étudie la place et la fonction des rapports personnels dans le Colmar des XIIIe et XIVe siècles85. Les conflits entre groupes dirigeants de la ville lui en fournissent la matière, à l’époque de l’Interrègne, puis dans la première moitié du XIVe siècle, pendant la période des deux rois (1314-1347) quand se formèrent plusieurs sociétés et leurs poêles dans la ville. Citons enfin une série de thèses d’histoire du droit soutenues à Mayence, qui portent sur l’organisation judiciaire, la procédure et la jurisprudence de la ville de Mulhouse. Marcus Faridi86 et Ulrich Stange87 analysent les procès-verbaux des procès judiciaires des années 1438 à 1443 et Elke Herbsthofer étudie l’organisation judiciaire de la ville au XVe siècle88.

Recherches sur l’histoire de l’Église, des ordres religieux et des chapitres

31 L’histoire de l’église de Strasbourg s’est trouvée enrichie par l’importante contribution que Peter Weiss a apporté avec sa thèse sur les premières chartes scellées89, soutenue à Constance sous la direction de Helmut Maurer ; il en va de même de celle de Dorothea M. Schaller-Hauber, soutenue à Tübingen sous la direction de Immo Eberl, portant sur

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la querelle épiscopale de 1393/1394 et le droit du chapitre à élire l’évêque90. Dans sa thèse de Fribourg, soutenue sous la direction de Hubert Mordek, Peter Conradin von Planta a étudié les relations des chevaliers de l’Ordre Teutonique et de l’Ordre de Saint Jean avec la royauté et la noblesse alsacienne pendant le XIIIe siècle91. Il s’est particulièrement attaché aux effets de l’avouerie royale des Staufen et de Rodolphe de Habsbourg sur l’Ordre Teutonique, objet prioritaire de son attention, mais aussi à l’appui décisif de la petite noblesse locale. La proposopographie des Ordres Teutoniques et de Saint Jean constitue une aide utile pour la recherche. Les Ordres mendiants qui apparaissent également au XIIIe siècle font l’objet de la thèse de Andreas Rüther92 sur les couvents de Strasbourg et d’Alsace, soutenue à Berlin sous la direction de Kaspar Elm. L’étude se consacre aux établissements des Franciscains, Dominicains, Ermites de Saint Augustin et Carmes, ainsi qu’aux Sachets et aux Guillelmites à Strasbourg et à leur expansion dans les campagnes voisines. Rüther décrit le développement des couvents jusqu’au XVe siècle et évalue leur importance locale, leurs relations avec les Conseils et la bourgeoisie, leurs conflits avec le clergé séculier, la place des femmes dans leur ministère, et les conséquences des aspirations à la réforme.

32 Les religieuses font l’objet de deux grandes études récentes. Sigrid Schmitt se consacre dans sa thèse d’habilitation de Mayence aux rapports entre religieuses et monde laïc du Strasbourg de la fin du Moyen Âge93. Son étude replace d’abord les chanoinesses, moniales et béguines dans leur environnement. Ce faisant elle reconstitue la structure sociale des couvents de femmes et la position des religieuses dans les réseaux sociaux urbains et tout particulièrement les mouvements réformateurs ; des études de cas constituent un apport concret et vivant pour la description du monde des religieuses. Puis Schmitt s’efforce de systématiser ce tableau en confrontant autonomie personnelle et contraintes extérieures. Leurs droits et obligations, imposées par leur ordre, par la ville, mais aussi par les familles sont bien mis en relief ; le résultat de cette enquête est que la ville de la fin du Moyen Âge donne à la femme un espace de liberté personnelle non négligeable. La seconde étude portant sur les religieuses de la fin du Moyen Âge alsacien est due à Sabine Klapp qui a soutenu sa thèse sous la direction de Sigrid Schmitt à Trèves. Elle étudie la fonction abbatiale dans les chapitres de femmes de la Basse-Alsace du XIVe au XVIe siècle94, Andlau, Hohenbourg, Niedermunster, Saint- Étienne de Strasbourg. Elle s’est efforcée dans un premier temps d’établir l’histoire et les structures de ces institutions religieuses, puis, et c’est l’objet principal de son travail de mettre en relief de façon plus nette, position, fonction, et liberté d’action des abbesses. Ce travail s’insère donc dans la recherche entreprise depuis longtemps sur l’histoire des chapitres dans l’ancien Empire menée par la Germania Sacra.

La recherche allemande sur l’Alsace et la coopération franco-allemande

33 Ce tableau de la recherche allemande sur l’Alsace médiévale a mis en relief l’importance accrue qu’elle a pris depuis les années soixante du XXe siècle et puis à nouveau depuis 1990. Si l’on compare les deux périodes, l’on voit que dans la période postérieure à 1990 les recherches portant sur l’Alsace ont fortement augmenté par rapport à celles portant sur le Rhin supérieur. On peut, pour la période des années soixante, établir un lien entre le rapprochement franco-allemand, et des mutations dans le débat scientifique franco-allemand sur l’Alsace médiévale. Reste à savoir si les

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mutations politiques intervenues en Europe dans les années 1990 ont encouragé la recherche allemande sur l’Alsace. Quoi qu’il en soit, l’intérêt des médiévistes allemands pour l’histoire de l’Alsace est remarquablement grand et divers jusqu’à nos jours.

34 On relèvera pour conclure, que la recherche allemande sur l’Alsace et le Rhin supérieur s’enracine dans une coopération franco-allemande renforcée. L’ouvrage d’histoire et d’histoire de l’architecture en plusieurs volumes « Die Burgen des Elsass » de Thomas Biller et Bernhard Metz en est un témoignage éclatant95. Cette coopération franco-allemande s’exprime aussi dans le Pfälzer Burgenlexikon96 édité par l’Institut für pfälzische Geschichte und Volkskunde ainsi que dans la recherche pilotée par Monika Escher et Frank G. Hirschmann de l’Université de Trèves en coopération avec Bernhard Metz qui a entrepris une étude comparative sur les villes et les tissus urbains de l’Ouest de l’Empire et de la France de l’Est97.

35 Enfin, une série impressionnante de rencontres internationales se sont succédées à partir du milieu des années 1990 du XXe siècle. En 1996, l’Arbeitsgemeinschaft für geschichtliche Landeskunde am Oberrhein a organisé une journée à Durlach consacrée aux fondations de villes dues aux Staufen dans le Rhin Supérieur98. En 1999 à l’invitation de Franz Staab, on tient une journée à Landau et Seltz sur l’impératrice Adelaïde et l’abbaye de Seltz99. En 2002, c’est au tour de Georges Bischoff et Benoît‑Michel Tock de réunir une journée à Strasbourg et Eguisheim sur le Pape Léon IX100 et la même année, se tient celle organisée par Ursula Huggle et Thomas Zotz à Neuenburg-am-Rhein avec pour sujet : Burgen, Märkte, kleine Städte. Mittelalterliche Herrschaftsbildung am südlichen Oberrhein101. En 2006, ils tiennent à Neuenburg, une nouvelle journée avec pour thème « Krieg, Krisen und Katastrophen am Oberrhein vom Mittelalter bis zur Frühen Neuzeit102 » puis en 2010, les troisièmes journées d’études de Neuenburg, organisées par Ursula Huggle et Thomas Zotz, auxquels se joint Heinz Krieg se déroulent sur le thème Kloster und Stadt am südlichen Oberrhein im späten Mittelalter und in der frühen Neuzeit103. Autres exemples de cette coopération, la journée d’études d’histoire de l’art organisée en 2004 par Peter Kurmann et Thomas Zotz sur l’île de la Reichenau sous l’égide de l’Arbeitskreis de Constance, et consacrée au Rhin supérieur dans la période de la fin du Moyen Âge104. Ou encore le congrès de Mulhouse de la Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public organisé par Odile Kammerer en 2006 et consacré au rôle et à l’importance de l’espace au Moyen Âge, dont une session se déroula à Fribourg, bel exemple de coopération transfrontalière dans le Rhin supérieur105. En 2007, se tient à Strasbourg le colloque franco-germano-suisse organisé par Laurence Buchholzer‑Remy et Olivier Richard sur le thème « Ligues urbaines et espace à la fin du moyen âge/Städtebünde und Raum im Spätmittelalter »106. En 2009, le département de Landesgeschichte de l’Institut historique de l’université de Fribourg, l’Institut historique de l’Université technique de Dortmund et l’Alemannisches Institut de Fribourg ont organisé une journée à Saint-Ulrich sur « les châteaux forts du Brisgau, une comparaison supra-régionale107». Le Historischer Verein von Mittelbaden et la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace ont tenu en mai 2011 à Offenbourg un colloque consacré à « l’Histoire de la rive gauche et droit du Rhin » au Moyen Âge et aux Temps modernes108. En mars 2012, le colloque de Strasbourg organisé par Georges Bischoff, « Strasbourg, le Rhin, la liberté 1262-2012 » marquait le 650e anniversaire de la bataille de Hausbergen.

36 Enfin méritent encore d’être mentionnés nombre de journées d’études ou colloques ouverts aux doctorants, qui ont pour thème l’histoire du Rhin supérieur. À Mulhouse,

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organisé par Olivier Richard, à Fribourg en 2009 par Sabine von Heusinger, Sigrid Schmitt et Thomas Zotz, à Strasbourg en 2010, par Laurence Buchholzer‑Remy et Benoît‑Michel Tock. Les actes du colloque de Fribourg de 2009 paraissent en 2012 dans la série Forschungen zur oberrheinischen Landesgeschichte109.

37 Il faut souhaiter que l’avenir voie ces activités se maintenir au même niveau d’entrain et d’intérêt scientifique110.

NOTES

1. BÜTTNER (Heinrich), Geschichte des Elsass I. Politische Geschichte des Landes von der Landnahmezeit bis zum Tode Ottos III. und Ausgewählte Beiträge zur Geschichte des Elsass im Früh- und Hochmittelalter, nouvelle éd. dirigée par ENDEMANNN (Traute), Sigmaringen, 1991. Sur Heinrich Büttner, voir PETERSOHN (Jürgen) (dir.), Der Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte 1951‑2001, Stuttgart, 2001, p. 81‑89 ; FREUND (Wolfgang), Volk, Reich und Westgrenze. Deutschtumswissenschaften und Politik in der Pfalz, im Saarland und im annektierten Lothringen 1925-1945, Sarrebruck 2006, p. 319 sqq. 2. Voir KETTENACKER (Lothar), Nationalsozialistische Volkstumspolitik im Elsass, Stuttgart, 1973 ; VOGLER (Bernard), « La tragédie de la seconde guerre mondiale », in : Nouvelle histoire d’Alsace. Une région au cœur de l’Europe, Toulouse, 2003, p. 257‑267. 3. DEFRANCE (Corine) / PFEIL (Ulrich), Eine Nachkriegsgeschichte in Europa 1945 bis 1963, Darmstadt, WBG (Deutsch-Französische Geschichte, vol. 10), 2011 ; trad. française par Jochen Grube, Entre guerre froide et intégration européenne Reconstruction et rapprochement 1945-1963, Lille-Villeneuve d’Asq, Presses du Septentrion (Histoire Franco-allemande, vol. 10), 2012. 4. MIARD-DELACROIX (Hélène), Im Zeichen der europäischen Einigung 1963 bis in die Gegenwart, Darmstadt, WBG (Deutsch-Französische Geschichte, vol. 11), 2011, trad. par Birgit Lamerz- Beckschäfer de MIARD-DELACROIX (Hélène), Le défi européen de 1963 à nos jours, Lille-Villeneuve d’Asq, Presses du Septentrion (Histoire franco-allemande, vol. 11), 2011. 5. Vgl. SCHULZE (Winfried), Deutsche Geschichtswissenschaft nach 1945, Munich, 1989 ; NAGEL (Anne), Im Schatten des Dritten Reichs. Mittelalterforschung in der Bundesrepublik Deutschland 1945– 1970, Göttingen, 2005 ; MORAW (Peter), « Kontinuität und Wandel. Bemerkungen zur deutschen und deutschsprachigen Mediävistik 1945–1970/75 », in : MORAW (Peter) / SCHIEFFER (Rudolf), Die deutschsprachige Mediävistik im 20. Jahrhundert, Ostfildern, 2005, p. 103-138 ; JOHANEK (Peter), « Zu neuen Ufern? Beobachtungen eines Zeitgenossen zur deutschen Mediävistik von 1975 bis heute », ibidem, p. 139‑174. 6. Ont été consultés les bulletins synthétiques suivants portant sur la recherche allemande ainsi que française sur l’histoire de l’Alsace depuis le milieu du XXe siècle : SITTLER (Lucien), « Sammelberichte, Landschaftlicher Teil : Elsass 1945–1965 », Blätter für deutsche Landesgeschichte 104, 1968, p. 571-672 ; ID., « Sammelberichte, Landschaftlicher Teil: Elsass », Blätter für deutsche Landesgeschichte 109, 1973, p. 551‑623 ; BAECHLER (Christian), FUCHS (Josef), RAPP (Francis), SITTLER (Lucien), VOGLER (Bernard), « Sammelberichte, Landschaftlicher Teil: Elsass 1970-1980 », Blätter für deutsche Landesgeschichte 120, 1984, p. 690‑759 ; OHLER (Norbert), « Auswahlbibliographie zur Landeskunde des Elsass, vornehmlich zur Geschichte », Alemannisches Jahrbuch 1987/88, 1991, p. 427-462 ; ID., « Alsatica », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 133, 1985, p. 363-380 ; 135, 1987, p. 432-437 ; 143, 1995, p. 495-507 ; 149, 200, p. 495-523 ; Revue d’Alsace

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126, 2000 (Un bilan : deux siècles d’histoire d’Alsace) en particulier WILSDORF (Christian), « Haut Moyen Âge et temps féodaux » (p. 21-33) ; BISCHOFF (Georges), « L’automne du Moyen Âge, printemps de l’Alsace moderne ? » (p. 35-44) ; KAMMERER (Odile), REITEL (Bernard), VITOUX (Marie‑Claire) avec la contribution de METZ (Bernhard), « Les villes et leur histoire » (p. 203-212). 7. Sur l’appellation « Oberrhein » voir ZOTZ (Thomas), « Der Oberrhein : Raumbegriff und Aspekte der territorialen und politischen Geschichte im Spätmittelalter », in : LORENZ (Sönke), ZOTZ (Thomas) (dir.), Spätmittelalter am Oberrhein. Alltag, Handwerk und Handel 1350‑1525, Stuttgart, 2001, p. 13-23 ; KRIEG (Heinz), « Zur Geschichte des Begriffs ‚Historische Landschaft’ und der Landschaftsbezeichnung ‚Oberrhein’ », in : KURMANN (Peter), ZOTZ (Thomas) (dir.), Historische Landschaft - Kunstlandschaft? Der Oberrhein im späten Mittelalter, Ostfildern , 2008, p. 31-64. 8. « Heute, in der Zeit der französisch-deutschen Annäherung und Verständigung, da so viele neue materielle und geistige Brücken über den Rhein geschlagen werden, sollte es nicht schwer sein, die bestehenden Grenzen zu achten und über sie hinweg sich die Hand zu gemeinsamer Arbeit zu reichen. Man sollte dies auf beiden Seiten unbefangen und unvoreingenommen tun können, auch ohne die z. T. noch entgegengesetzten wissenschaftlichen Anschauungen über die elsässische Geschichtsentwicklung zu verwischen; aber sie sollen Gegenstände der gemeinsamen Arbeit sein ». LANGENBECK (Fritz), Studien zur elsässischen Siedlungsgeschichte. Vom Weiterleben der vorgermanischen Toponymie im deutschsprachigen Elsass, 2 vol., Bühl, 1967, citation dans vol. 1, p. 8. Sur Langenbeck, voir l’évocation par KLEIBER (Wolfgang), ONOMA 16, 1971, p. 236-238. Mes remerciements à mon collègue Albrecht Greule, Ratisbonne, pour ses aimables indications. 9. « Das Werden des Elsaß, die neue Besiedlung, die Dorfnamen, die ganze Toponymie und die Gestaltung des Landes haben eine Reihe von Historikern auf den Plan gerufen. Die Verhältnisse liegen allerdings sehr kompliziert, und es ist schwer, in allen Punkten Klarheit zu schaffen. Dabei ist früher oft der Gegensatz Frankreich-Deutschland, auch in diesen Dingen, zu sehr in den Vordergrund geschoben worden, so daß eine objektive Wertung schwierig war. Heute, da von deutscher Seite aus keine Bestrebungen mehr im Gange sind, das französische Elsaß zurückzugewinnen, sind die Probleme vielfach vereinfacht. Deutsche und Franzosen können ohne Voreingenommenheit, sich nur rein wissenschaftlich auf die gewonnenen Erkenntnisse stützend, über die Dinge diskutieren, auch wenn sie nicht immer derselben Meinung sind. Objektive Sachlichkeit ist ja für einen ernsten Forscher Voraussetzung ». SITTLER (Lucien), « Elsass 1945-1965 », Blätter für deutsche Landesgeschichte 104, 1968, p. 571-672, la citation p. 589. 10. BRAUER-GRAMM (Hildburg), Der Landvogt Peter von Hagenbach. Die burgundische Herrschaft am Oberrhein 1469–1474, Göttingen, 1957. 11. FLECKENSTEIN (Josef), Fulrad von Saint-Denis und der fränkische Ausgriff in den süddeutschen Raum, in : TELLENBACH (Gerd), Studien und Vorarbeiten zur Geschichte des großfränkischen und frühdeutschen Adels, Fribourg-en-Brisgau, 1957, p. 9-39. 12. VOLLMER (Franz), Die Etichonen. Ein Beitrag zur Frage der Kontinuität früher Adelsfamilien, in : TELLENBACH (Gerd), Studien und Vorarbeiten zur Geschichte des großfränkischen und frühdeutschen Adels, Fribourg-en-Brisgau, 1957, p. 137-184. 13. BORCHERS (Hertha), Untersuchungen zur Handels- und Verkehrsgeschichte am Mittel- und Oberrhein bis zum Ende des 12. Jahrhunderts, thèse, université de Marbourg, 1952. 14. WUNDER (Gerhard) Das Straßburger Gebiet. Ein Beitrag zur rechtlichen und politischen Geschichte des gesamten städtischen Territoriums vom 10. bis zum 20. Jahrhundert, Berlin, 1965. 15. WUNDER (Gerhard), Das Straßburger Landgebiet. Territorialgeschichte der einzelnen Teile des städtischen Herrschaftsbereiches vom 13. bis zum 18. Jahrhundert, Berlin, 1967. 16. Voir HILLENBRAND (Eugen), « Verzeichnis der bei Gerd Tellenbach gefertigten Dissertationen », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 122, 1974, p. 344-347. 17. PILLIN (Hans-Martin), Die rechtsrheinischen Herrschaftsgebiete des Hochstifts Straßburg im Spätmittelalter, Fribourg-en-Brisgau, 1966.

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18. HILLENBRAND (Eugen), Nikolaus von Straßburg. Religiöse Bewegung und dominikanische Theologie im 14. Jahrhundert, Fribourg-en-Brisgau, 1968. 19. Jakob Wimpfelings Adolescentia, éd. par HERDING (Otto) et WORSTBROCK (Franz‑Josef), Munich, 1965 ; Jakob Wimpfeling / Beatus Rhenanus, Das Leben des Johann Geiler von Kaysersberg, éd. par HERDING (Otto) et MERTENS (Dieter), Munich, 1970 ; Jakob Wimpfeling Briefwechsel, éd. par HERDING (Otto) et MERTENS (Dieter), vol. , Munich, 1970, et vol. 2, Munich, 1990. 20. MERTENS (Dieter), Reich und Elsass zur Zeit Maximilians I. Untersuchungen zur Ideen- und Landesgeschichte im Südwesten des Reiches am Ausgang des Mittelalters, Thèse d’habilitation de Fribourg-en-Brisgau, 1977. L’ouvrage n’a pas été imprimé, mais peut être lu (et téléchargé) sur le site de la Bibliothèque universitaire de Fribourg-en-Brisgau, http://www.freidok.uni-freiburg.de. 21. BORGOLTE (Michael), « Die Geschichte der Grafengewalt im Elsass von Dagobert I. bis Otto dem Großen », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 131, 1983, p. 3-54. 22. RÖSCH (Gerhard), « Studien zu Kanzlei und Urkundenwesen der Bischöfe von Straßburg (1082/84-1162) », Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung 85, 1977, p. 285-315. 23. MOSBACHER (Helga), « Kammerhandwerk, Ministerialität und Bürgertum in Straßburg », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 119, 1971, p. 33-173. 24. MÜLLER (Peter), Die Herren von Fleckenstein im späten Mittelalter. Untersuchungen zur Geschichte eines Adelsgeschlechts im pfälzisch-elsässischen Grenzgebiet, Stuttgart, 1990. 25. PATSCHOVSKY (Alexander), « Straßburger Beginenverfolgungen im 14. Jahrhundert », Deutsches Archiv 30, 1974, p. 56-198. 26. Traditiones Wizenburgenses. Die Urkunden des Klosters Weißenburg 661-864, éd. par DOLL (Anton), Darmstadt, 1979. 27. Liber Possessionum Wizenburgensis, éd. par DETTE (Christoph), Mayence, 1987. 28. Manegold von Lautenbach, Liber contra Wolfelmum, Ed. par Wilfried Hartmann (MGH Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters 8), Weimar, 1972. 29. Rudolf von Schlettstadt, Historiae memorabiles. Zur Dominikanerliteratur und Kulturgeschichte des 13. Jahrhunderts, éd. par KLEINSCHMIT (Erich), Cologne 1974. 30. KLEINSCHMIDT (Erich), « Die Colmarer Dominikaner-Geschichtsschreibung im 13. und 14. Jahrhundert. neue Handschriftenfunde und Forschungen zur Überlieferungsgeschichte », Deutsches Archiv 28, 1972, p. 371-496. 31. Die Urkunden und Akten der oberdeutschen Städtebünde vom 13. Jahrhundert bis 1549, éd. par RUSER (Konrad), vol. 1 : Vom 13. Jahrhundert bis 1347, Göttingen, 1979 ; vol. 2 : Städte- und Landfriedensbündnisse von 1347 bis 1380, Göttingen, 1988. 32. KELLER (Hagen), Kloster Einsiedeln im ottonischen Schwaben, Fribourg-en-Brisgau, 1964. 33. ZOTZ (Thomas), Der Breisgau und das alemannische Herzogtum. Zur Verfassungs- und Besitzgeschichte im 10. und beginnenden 11. Jahrhundert, Sigmaringen, 1974. 34. BLATTMANN (Marita), Die Freiburger Stadtrechte zur Zeit der Zähringer. Rekonstruktion der verlorenen Urkunden und Aufzeichnungen des 12. und 13. Jahrhunderts, 2 vol., Freiburg, 1991. 35. TREFFEISEN (Jürgen), Die Breisgaukleinstädte Neuenburg, Kenzingen und Endingen in ihren Beziehungen zu Klöstern, Orden und kirchlichen Institutionen während des Mittelalters, Fribourg/ Munich,1991. 36. MARTIN (Thomas), Die Städtepolitik Rudolfs von Habsburg, Göttingen, 1976. 37. GRÜBEL (Isabel), Bettelorden und Frauenfrömmigkeit im 13. Jahrhundert. Das Verhältnis der Mendikanten und Beginen am Beispiel Straßburg und Basel, Munich, 1987. 38. FRESE (Werner H.), Die Herren von Schönau. Ein Beitrag zur Geschichte des oberrheinischen Adels, Fribourg / Munich, 1975. 39. RÖDEL (Volker), Reichslehenswesen, Ministerialität, Burgmannschaft und Niederadel. Studien zur Rechts- und Sozialgeschichte des Adels in den Mittel- und Oberrheinlanden, Darmstadt/Marburg, 1977.

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40. BÜHLER (Christoph), Die Herrschaft Geroldseck. Studien zu ihrer Entstehung, ihrer Zusammensetzung und zur Familiengeschichte der Geroldsecker im Mittelalter, Stuttgart, 1981. 41. LAUTERBACH (Klaus H.), Geschichtsverständnis, Zeitdidaxe und Reformgedanke an der Wende zum sechzehnten Jahrhundert. Das oberrheinische „Buch der hundert capiteln“ im Kontext des spätmittelalterlichen Reformbiblizismus, Fribourg/Munich, 1985. 42. SCHULZ (Knut), Handwerksgesellen und Lohnarbeiter. Untersuchungen zur oberrheinischen und oberdeutschen Stadtgeschichte des 14. bis 17. Jahrhunderts, Sigmaringen, 1985. 43. HEIMPEL (Hermann), Die Vener von Gmünd und Straßburg 1162-1447, 3 vol., Göttingen, 1982. 44. HAMMER (Nicole), Die Klostergründungen der Etichonen im Elsass, Marburg, 2003. 45. WEBER (Karl), Die Formierung des Elsass im Regnum Francorum. Adel, Kirche und Königtum am Oberrhein in merowingischer und frühkarolingischer Zeit, Ostfildern, 2011. 46. SÜTTERLE (Hans-Peter), Die Salier und das Elsass. Studien zu den Herrschaftsverhältnissen und zu den politischen Kräften in einer „Randregion“ des Reiches (1002-1125), Francfort-sur-le-Main, 2009. 47. LEGL (Frank), Studien zur Geschichte der Grafen von Dagsburg-Egisheim, Sarrebruck, 1998. 48. LAMKE (Florian), Cluniacenser am Oberrhein. Konfliktlösungen und adlige Gruppenbildung in der Zeit des Investiturstreits, Fribourg / Munich, 2009. 49. WALTHER (Tobie), Zwischen Polemik und Rekonziliation. Die Bischöfe von Straßburg und ihre Gegner in der Zeit des Investiturstreits bis 1100, thèse, université de Fribourg-en-Brisgau, 2012. 50. HLAWITSCHKA (Eduard), Zu den Grundlagen der staufischen Stellung im Elsass: Die Herkunft Hildegards von Schlettstadt, Munich, 1991. 51. ZIEMANN (Daniel), « Die Staufer - Ein elsässisches Adelsgeschlecht? », in : SEIBERT (Hubert), DENDORFER (Jürgen), Grafen, Herzöge, Könige. Der Aufstieg der frühen Staufer und das Reich (1079-1152), Ostfildern, 2005, p. 99-133. 52. HLAWITSCHKA (Eduard), « Die Staufer: kein schwäbisches, sondern ein elsässisches Adelsgeschlecht? », Zeitschrift für württembergische Geschichte 66, 2007, p. 63-80. 53. SEILER (Thomas), Die frühstaufische Territorialpolitik im Elsass, Hambourg, 1995. 54. HUTH (Volkhard), Staufische ›Reichshistoriographie‹ und scholastische Intellektualität. Das elsässische Augustinerchorherrenstift Marbach im Spannungsfeld von regionaler Überlieferung und universalem Horizont, Ostfildern, 2004. 55. Gunther von Paris, Hystoria Constantinopolitana. Untersuchungen und kritische Ausgabe, éd. par ORTH (Peter), Hildesheim/Zurich, 1994. 56. BUTZ (Eva-Maria), Adlige Herrschaft im Spannungsfeld von Reich und Region. Die Grafen von Freiburg im 13. Jahrhundert, 2 vol., Fribourg-en-Brisgau, 2002. 57. BATTENBERG (Friedrich), METZ (Bernhard), Lichtenberger Urkunden. Regesten zu den Urkundenbeständen und Kopiaren des Archivs der Grafen und Herren von Lichtenberg in Darmstadt, Karlsruhe, Munich, Speyer, Straßburg, Stuttgart und Ludwigsburg, 5 vol., Darmstadt, 1994-1996. Signalons ici également la thèse dirigée par Peter Blickle à l’université de Berne, WEBER (Peter Karl), Lichtenberg. Eine elsässische Herrschaft auf dem Weg zum Territorialstaat. Soziale Kosten politischer Innovationen, Heidelberg, 1993. 58. FAHRNER (Matthias), Der Landfrieden im Elsass. Recht und Realität einer interterritorialen Friedensordnung im späten Mittelalter, Marburg, 2007. 59. Die Urkunden und Akten der oberdeutschen Städtebünde, éd. par RUSER (Konrad), vol. 3: Städte- und Landfriedensbündnisse von 1381 bis 1389, Göttingen, 2005. 60. HAYE (Thomas), « Die Armagnaken, das Elsass, der Heidelberger Hof und die Apathie des Reiches - eine unbekannte lateinische Invektive des Jahres 1444 », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 153, 2005, p. 241-274. 61. ZOTZ (Thomas), « Die Armagnakeneinfälle im Elsass. Kriegsnöte und Kriegsalltag im späten Mittelalter », Das Markgräflerland 2/2007, p. 172-191. 62. PARAVICINI (Werner), « Hagenbachs Hochzeit. Ritterlich-höfische Kultur zwischen Burgund und dem Reich im 15. Jahrhundert », in : KRIMM (Konrad), BRÜNING (Rainer) (dir.), Zwischen

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Habsburg und Burgund. Der Oberrhein als europäische Landschaft im 15. Jahrhundert, Ostfildern, 2003, p. 13-60. 63. Der Codex Berwartstein des Klosters Weißenburg im Elsass (1319) 1343-1489, éd. par SCHULTZ (Wolfgang), Neustadt an der Weinstraße, 2008. 64. FORESTA (Antje), Sebastian Brant als Historiker. Zur Perzeption des Reichs und der Christenheit im Schatten der Osmanischen Expansion, thèse, université de Fribourg-en-Brisgau, 2004, http:/ www.freidok.uni-freiburg.de. 65. SACK (Vera), Sebastian Brant als politischer Publizist. Zwei Flugblatt-Satiren aus den Folgejahren des sogenannten Reformreichstags von 1495, Fribourg-en-Brisgau, 1997. 66. SPECK (Dieter), Die vorderösterreichischen Landstände. Entstehung, Entwicklung und Ausbildung bis 1595/1602, 2 vol., Fribourg/Wurtzbourg, 1994. 67. Der Oberrheinische Revolutionär. Das buchli der hundert capiteln mit xxxx statuten, éd. par LAUTERBACH (Klaus H.), Hanovre (MGH, Staatsschriften des späteren Mittelalters, 7), 2009. 68. LAUTERBACH (Klaus H.), « Der „Oberrheinische Revolutionär“ und Mathias von Geudertheim. Neue Untersuchungen zur Verfasserfrage », Deutsches Archiv 45, 1989, p. 109-172. 69. HUTH (Volkhard), « Der ‚Oberrheinische Revolutionär’. Freigelegte Lebensspuren und Wirkungsfelder eines „theokratischen Terroristen“ im Umfeld Kaiser Maximilians I. », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 157, 2009, p. 79-100. Réponse de LAUTERBACH (Klaus H.), « Der Oberrheinische Revolutionär und Jakob Merswin. Einige Anmerkungen zur neuesten Verfasserthese », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 160, 2012, p. 183-223. 70. STAAB (Franz), « Das Elsass in der Spätantike und im Frühen Mittelalter (4.‑10. Jahrhundert) », in : ERBE (Michael) (dir.), Das Elsass. Historische Landschaft im Wandel der Zeiten, Stuttgart, 2002, p. 29-40. 71. REINLE (Christine), « Das Elsass im hohen und späten Mittelalter (10. – 15. Jahrhundert) », ibidem, p. 41-60. 72. RÖSENER (Werner), Grundherrschaft im Wandel. Untersuchungen zur Entwicklung geistlicher Grundherrschaften im südwestdeutschen Raum vom 9. bis 14. Jahrhundert, Göttingen, 1991. 73. BREYVOGEL (Bernd), Silberbergbau und Silbermünzprägung am südlichen Oberrhein im Mittelalter, Leinfelden-Echterdingen, 2003. 74. MENTGEN (Gerd), Studien zur Geschichte der Juden im mittelalterlichen Elsass, Hannover, 1995. 75. HEUSINGER (Sabine von), Die Zunft im Mittelalter. Zur Verflechtung von Politik, Wirtschaft und Gesellschaft in Straßburg, Stuttgart, 2009. 76. EGAWA (Yuko), Stadtherrschaft und Gemeinde in Straßburg vom Beginn des 13. Jahrhunderts bis zum Schwarzen Tod (1349), Trèves, 2007. 77. WEBER (Karl), « Eine Stadt und ihr Bischofshof. Straßburg im 13. Jahrhundert bis in die Zeit Bischof Konrads III. von Lichtenberg (1273-1299) », in : ZOTZ (Thomas) (dir.), Fürstenhöfe und ihre Außenwelt. Aspekte gesellschaftlicher und kultureller Identität im deutschen Spätmittelalter, Wurtzbourg, 2004, p. 131-160. 78. FÜRDERER (Bettina), « Die Bündnispolitik der Stadt Straßburg in der zweiten Hälfte des 14. Jahrhunderts », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins 153, 2005, p. 277-292. 79. WARKEN (Norbert), Mittelalterliche Geschichtsschreibung in Straßburg. Studien zu ihrer Funktion und Rezeption bis zur frühen Neuzeit, Sarrebruck, 1995. 80. KÄLBLE (Mathias), Zwischen Herrschaft und bürgerlicher Freiheit. Stadtgemeinde und städtische Führungsgruppen in Freiburg im Breisgau im 12. und 13. Jahrhundert, Fribourg-en-Brisgau 2001. 81. SCHMITT (Sigrid), « Städtische Gesellschaft und zwischenstädtische Kommunikation am Oberrhein. Netzwerke und Institutionen », in : KURMANN (Peter), ZOTZ (Thomas) (dir.), Historische Landschaft - Kunstlandschaft? Der Oberrhein im späten Mittelalter, Ostfildern, 2008, p. 275-306. 82. WALTER (Bastian), Information, Wissen und Macht. Akteure und Techniken städtischer Außenpolitik: Bern, Straßburg und Basel im Kontext der Burgunderkriege (1468-1477), Stuttgart, 2012.

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83. GLOOR (Maximilian), Politisches Handeln im spätmittelalterlichen Augsburg, Basel und Straßburg, Heidelberg, 2010. 84. ZEILINGER (Gabriel), Verhandelte Stadt. Herrschaft und Gemeinde in der frühen Urbanisierung des Oberelsass vom 12. bis 14. Jahrhundert, Thèse d’habilitation, université de Kiel 2012. 85. SCHMIDBERGER (Christopher), Städtische Führungsgruppen im Konflikt. Zur Struktur und Funktion persönlicher Beziehungen in Colmar im 13. und 14. Jahrhundert, thèse, université de Fribourg-en- Brisgau, 2012. 86. FARIDI (Marcus), Die Gerichtsprotokolle des Stadtgerichts zu Mülhausen im Elsass aus den Jahren 1438–1443, 1450–1458, thèse de droit, université de Mayence, 1994. 87. STANGE (Ulrich), Die Aufzeichnungen über die Verhandlungen des Stadtgerichts der Stadt Mülhausen im Elsass (1438-1443 und 1450-1458), Aalen, 1996. 88. HERBSTHOFER (Elke), Die Gerichtsverfassung des Stadtgerichts von Mülhausen im Elsass im fünfzehnten Jahrhundert, thèse de droit, université de Mayence, 1996. 89. WEISS (Peter), Frühe Siegelurkunden in Schwaben (10.-12. Jahrhundert), Marburg-an-der -Lahn, 1997. 90. SCHALLER-HAUBER (Dorothea M.), Der Straßburger Bistumsstreit. Ein Beispiel zum Bischofswahlrecht des Domkapitels im Spätmittelalter, Ostfildern, 2011. 91. PLANTA (Peter Conradin von), Deutscher Orden und Königtum im Elsass des 13. Jahrhunderts. Unter Berücksichtigung der Johanniter, Francfort-sur-le-Main, 1997. 92. RÜTHER (Andreas), Bettelorden in Stadt und Land. Die Straßburger Mendikantenkonvente und das Elsass im Spätmittelalter, Berlin, 1997. 93. SCHMITT (Sigrid), Geistliche Frauen und städtische Welt. Kanonissen – Nonnen – Beginen und ihre Umwelt am Beispiel der Stadt Straßburg im Spätmittelalter, thèse d’habilitation, université de Mayence, 2001. 94. KLAPP (Sabine), Umkämpft, verhandelt, normiert - Das Äbtissinnenamt in den unterelsässischen Frauenstiften vom 14. bis 16. Jahrhundert, thèse, université de Trèves, 2009. 95. BILLER (Thomas), METZ (Bernhard), Der frühe gotische Burgenbau im Elsass (1250-1300), Munich, 1995; ID., Der spätromanische Burgenbau im Elsass (1200-1250), Munich/Berlin, 2007. 96. KEDDIGKEIT (Jürgen) et al. (dir.), Pfälzer Burgenlexikon, 4 vol., Kaiserslautern, 1999‑2005. 97. ESCHER (Monika), HIRSCHMANN (Frank G.), Die urbanen Zentren des hohen und späteren Mittelalters. Vergleichende Untersuchungen zu Städten und Städtelandschaften im Westen des Reiches und in Ostfrankreich, 3 vol., Trèves, 2005. 98. REINHARD (Eugen) / RÜCKERT (Peter), Staufische Stadtgründungen am Oberrhein, Sigmaringen, 1998. 99. STAAB (Franz) †, UNGER (Thorsten), Kaiser Adelheid und ihre Klostergründung in Selz, Spire, 2005. 100. BISCHOFF (Georges), TOCK (Benoît-Michel), Léon IX et son temps, Turnhout, 2002. 101. Das Markgräflerland 2/2003. 102. Das Markgräflerland 2/2007. 103. Das Markgräflerland 2/2011. 104. KURMANN (Peter), ZOTZ (Thomas) (dir.), Historische Landschaft – Kunstlandschaft? Der Oberrhein im späten Mittelalter, Ostfildern, 2008. 105. Construction de l’espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, Paris, 2007. 106. BUCHHOLZER (Laurence), RICHARD (Olivier) (dir.), Ligues urbaines et espace à la fin du Moyen Âge/Städtebünde und Raum im Spätmittelalter, Strasbourg, 2012. 107. BECK (Erik), BUTZ (Eva-Maria), STROTZ (Martin), ZETTLER (Alfons), ZOTZ (Thomas) (dir.), Burgen im Breisgau. Aspekte von Burg und Herrschaft im überregionalen Vergleich, Ostfildern, 2012. 108. Voir BRAEUNER (Gabriel), « Colloque d’histoire transfrontalière », Revue d’Alsace 137, 2011, p. 609-612.

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109. BUCHHOLZER-REMY (Laurence), HEUSINGER (Sabine von), HIRBODIAN (Sigrid), RICHARD (Olivier), ZOTZ (Thomas), Neue Forschungen zur elsässischen Geschichte im Mittelalter, Fribourg/ Munich, 2012. 110. Traduction du tapuscrit original allemand remis à la Revue d’Alsace par François Igersheim, avec la coopération de Bernhard Metz et Olivier Richard. Sauf autres indications, la référence à Diss. Phil. a été traduite par « thèse ».

RÉSUMÉS

La réédition en 1991 de l’ouvrage de Heinrich Büttner, Geschichte des Elsass, datant de 1939, marque l’une certaine manière le début de la période historiographique dont il est ici question. En même temps, elle fait porter le regard sur l’époque d’avant 1945, dont les épreuves ont pesé durablement sur la relation germano-française et en particulier germano-alsacienne. Celles-ci se reflètent notamment dans les hésitations de la part des médiévistes allemands de l’immédiat après-guerre à se consacrer à l’histoire de l’Alsace. Cependant, à partir des années 1960, à la suite de la réconciliation franco-allemande, les recherches allemandes sur l’Alsace se sont nettement accrues, pour connaître dans les deux dernières décennies un véritable apogée, autant dans le domaine de l’histoire générale qu’en histoire sociale et économique, en histoire urbaine comme ecclésiastique. Cela va de pair avec une intense coopération franco-allemande, qui s’exprime dans des projets de recherche et lors de rencontres scientifiques.

The new edition of Heinrich Büttner’s History of Alsace (1939) in 1991 marks in her own way the beginning of the historiographical period treated here. Together, the work draws our attention to the years before 1945 who stressed the German-French relationship, specifically in view of Alsace for some time. One can see that German scholars after the second world war were reserved in working on the medieval history of Alsace. Since the sexties the German research on Alsace increased, obviously in the wake of German-French reconciliation. There is really a boom of such research in the last two decades, as well in the general history as in social and economic history, in urban and ecclesiastical history. It involves an intensive German-Alsatian cooperation both in research work and in meetings.

Die Neuedition von Heinrich Büttners „Geschichte des Elsass“ von 1939 im Jahre 1991 markiert auf eigene Weise den Beginn des hier behandelten historiographischen Zeitraums. Sie lenkt zugleich den Blick auf die Zeit vor 1945, die das deutsch-französische und speziell deutsch- elsässische Verhältnis dauerhaft belastete. Dies spiegelt sich auch in der deutlichen Zurückhaltung der deutschen Mediävistik nach dem Zweiten Weltkrieg, sich mit der Geschichte des Elsass zu beschäftigen; seit Mitte der 60er Jahre im Gefolge der deutsch-französischen Aussöhnung wuchs die deutsche Elsass-Forschung deutlich an, um dann in den beiden letzten Jahrzehnten eine ausgesprochene Blütezeit zu erleben, sowohl auf dem Gebiet der allgemeinen Geschichte als auch in der Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, der Stadt- oder Kirchengeschichte. Damit einher geht eine intensive deutsch-elsässische Kooperation in Forschungsprojekten und bei Tagungen.

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AUTEUR

THOMAS ZOTZ Professeur émérite, Université de Fribourg

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Les historiens anglophones et l’Alsace : une fascination durable1 English-speaking historians and Alsace: a long-lived fascination Die englischsprachigen Historiker und das Elsaß: eine andauernde Faszination

Alison Carrol

1 En 1929, Mildred S. Wertheimer, représentant du Foreign Policy Association présentait un rapport intitulé « Alsace-Lorraine: A Border Problem » : Les évènements de 1918 ont stupéfié la France. Après 1871, les Français ont considéré l’Alsace-Lorraine comme un « symbole sacré de l’unité nationale » ; deux provinces arrachées de la patrie et annexées à l’Allemagne, l’ennemi héréditaire. Depuis 1918, pourtant, ils sont arrivés à l’impression, d’avoir acquis un enfant changé. Non seulement les Alsaciens parlent une langue étrangère, mais ils ont aussi suivi un chemin séparé sous l’annexion allemande.

2 Après avoir décrit les problèmes provoqués par la réintégration de l’Alsace, elle continuait : Les Alsaciens sont un peuple notoirement toujours insatisfait. Ils ont des bonnes raisons pour avoir des doléances contre la France ; mais sans doute, leurs plaintes contre l’Allemagne étaient aussi légitimes. Néanmoins, il y a de la vérité dans le vers ancien « Hans im Schnokeloch. »2

3 Le ministère des Affaires étrangères britannique a lu et gardé le rapport de Wertheimer, car il accorde une attention particulière à l’Alsace et sa région pendant la première moitié du XXe siècle. À cause de sa position sur la frontière franco-allemande, les diplomates britanniques ont traité l’Alsace comme une des régions les plus importantes en Europe. Guidé par ses préoccupations relatives à la paix européenne et à la bonne entente entre la France et l’Allemagne, le ministère des Affaires étrangères à Londres s’intéressait surtout à la question de la loyauté nationale. Pendant le Vingtième siècle, la position difficile que l’Alsace occupait en France et en Allemagne l’a amené à la même conclusion que Wertheimer : l’Alsace est une région importante avec une histoire unique, mais les Alsaciens eux-mêmes sont des « Hans-im-Schnokeloch », c’est-à-dire des inconstants et mécontents permanents.

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4 Les historiens anglophones ont partagé l’intérêt des diplomates britanniques. Cet intérêt n’est guère étonnant compte tenu de l’histoire ; entre 1871 et 1945, la région frontalière a été sujette à quatre changements du régime national entre la France et l’Allemagne (1871, 1918, 1940 et 1944-1945). Le paradoxe apparent d’une région qui, au début de la Troisième République se trouvait au cœur du patriotisme français, mais où la majorité de la population parlait un dialecte germanique et où les coutumes locales semblaient être plus « allemandes » que « françaises », suscite l’intérêt des chercheurs anglophones. En conséquence, il y a là aujourd’hui un champ fertile des études sur l’Alsace aux XIXe et XXe siècles, et les ouvrages récents ont examiné diverses questions touchant la vie politique, religieuse et sociale.

5 Cet article présente un bilan de cette recherche et resitue l’attention durable des chercheurs anglophones dans une série de questionnements politiques et théoriques contemporains. Premièrement, la recherche anglo-saxonne s’intéresse depuis les années 60 à l’Alsace comme l’une des régions françaises et l’étudient pour analyser les rapports entre les changements et évolutions sur le plan national et ses répercussions sur le plan local. En second lieu, les chercheurs anglophones se tournent vers l’Alsace pour étudier la construction des identités nationales et pour tenter de comprendre comment l’attachement national apparaît et se développe à l’échelle régionale. Troisièmement, les historiens s’intéressent aux changements de régime national de l’Alsace entre 1871 et 1945 pour étudier dans une perspective comparatiste le nationalisme et la construction des nations. Enfin, avec l’émergence des « border studies », champ actif des sciences sociales et humaines, les historiens se tournent vers l’Alsace, région frontalière, pour examiner les moments de conflit et de contact au cours desquels les populations frontalières définissent leurs identités nationales. Dans cette perspective, l’Alsace devient un « laboratoire » de la nation, où les apports français et allemands se croisent. En liaison avec les « border studies » il y a un mouvement plus large parmi les historiens en Angleterre et aux États‑Unis pour dépasser l’historiographie nationale et écrire l’histoire dans une perspective « transnationale ». En appliquant ces approches à l’Alsace, les chercheurs étudient les évolutions des hommes et des idées d’outre-Rhin et d’outre-Vosges, et leur réception dans la région alsacienne.

6 Ainsi, ces études anglophones parviennent à des conclusions importantes qui retiennent l’attention du monde académique, en démontrent la centralité de l’Alsace dans l’histoire française, l’histoire allemande, et l’histoire européenne. Pourtant, en réintégrant l’histoire alsacienne dans un cadre plus large, les historiens anglophones risquent d’adopter pour l’Alsace l’approche vue du centre des administrateurs parisiens ou berlinois, dont le centre d’intérêt est dominé par la question de la cohésion nationale et celle des moyens d’intégrer les Alsaciens dans la nation. Et, qui pis est, parfois ils risquent retomber dans l’ornière du stéréotype sur l’Alsacien inconstant.

Les régions de la France

7 Un certain nombre d’études régionales de l’Alsace des deux dernières décennies ont éclairé sa vie religieuse et politique et abouti à des résultats importants. En ce qui concerne la vie religieuse, Between France and Germany, l’étude de Vicki Caron sur les juifs alsaciens et lorrains pendant la période de l’annexion allemande souligne la diversité des attitudes dans la communauté juive de la région3. Caron examine

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différents éléments de ce groupe, ceux qui ont quitté la région après 1871 et ceux qui sont restés. En ce qui concerne les émigrants, elle suggère qu’il faut distinguer entre les élites juives, dont l’option en 1871-1872 était motivée par le patriotisme français, et les juifs d’origine modeste, dont l’émigration après 1871 s’oriente souvent vers les États‑Unis, à motivation économique et plutôt par les sentiments antiallemands que par le patriotisme français. De plus, il faut distinguer les deux groupes du nombre important de juifs alsaciens qui ont choisi de rester en Alsace. D’après Caron, entre 1871 et 1914, ceux-ci s’accommodent progressivement de l’Allemagne, encouragés entre autres par l’affaire Dreyfus, qui révèle l’antisémitisme latent en France. Ainsi, Caron s’interroge sur l’idée que les juifs alsaciens représentent un bloc homogène, uni par le patriotisme français. Néanmoins, elle indique que l’évolution vers le patriotisme français des juifs restés en Alsace commence dès le début de la Grande Guerre. La politique de germanisation poursuivie par l’État allemand à partir de 1914 a provoqué les sentiments antiallemands, tandis que le dénouement heureux de l’affaire Dreyfus avait renforcé l’idée que l’antisémitisme français n’était que temporaire. Au cœur de cette étude, la question est celle de l’interprétation de l’identité nationale de la communauté juive. Caron suggère que les patriotes juifs de la bourgeoisie ou du monde industriel sont les premiers à partir parce qu’ils se sentent davantage liés au régime français ; autrement dit, du fait de leur milieu social, ils étaient mieux intégrés dans la nationalité française. Leurs coreligionnaires de la campagne par contre, sont restés sur place, parce qu’ils n’ont pas les fonds nécessaires pour partir, mais aussi parce qu’ils se sentent moins impliqués dans la nationalité dominante, soit française, soit allemande. Ainsi, la communauté juive n’est pas, contrairement à un mythe répandu, francophile de façon homogène. Mais en fin de compte les juifs alsaciens ont adhéré au patriotisme français qui s’est révélé le plus adapté au nationalisme libéral auquel les juifs adhèrent avant tout. La question centrale de ce livre intéressant est celle de l’éveil de la conscience nationale.

8 Les liens entre l’identité nationale et l’identité religieuse constituent aussi le thème central de Gods of the City, livre récent de Anthony J. Steinhoff, qui étudie la communauté protestante de Strasbourg pendant l’annexion allemande4. Son étude examine l’évolution de ce groupe et sa structure religieuse pendant la période de changement social, culturel, politique et urbain entre 1870 et 1914. Il identifie les défis que l’urbanisation pose à l’Église protestante, tout en soulignant les opportunités que les nouvelles conditions offrent pour revitaliser la vie religieuse. Il soutient que l’émergence des grandes villes n’a pas signifié la fin de la vie religieuse en Europe ; au contraire, il suggère que l’Église a gardé son importance et que la population strasbourgeoise a continué de se marier, de confirmer ses enfants et d’enterrer ses morts à l’église. De plus, la communauté protestante de Strasbourg est parvenue à exploiter les conditions de la vie moderne pour changer ses structures religieuses ; en 1914 le protestantisme compte moins qu’en 1871 sur les structures de l’Eglise elle‑même, et possède par contre des associations protestantes et une presse vivante. Steinhoff relativise l’hypothèse selon laquelle l’urbanisation du XIXe siècle a favorisé la sécularisation et suggère que l’Église protestante s’est transformée et s’est adaptée aux nouvelles conditions dans les grandes villes.

9 Se fondant sur les archives de l’église protestante strasbourgeoise, The Gods of the City est riche d’informations. Il est très complet sur l’histoire organisationnelle de l’Eglise et inclut, par exemple, des informations sur la durée des fonctions des pasteurs

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protestants, leurs postes, leurs remplacements, etc. Pendant la période étudiée, le clergé protestant s’est graduellement professionnalisé, et Steinhoff fait du bon travail en décrivant comment les pasteurs se sont adaptés aux conditions de la fin du XIXe siècle. Il est convaincant lorsqu’il démontre que l’urbanisation n’a pas entraîné la fin de l’église protestante strasbourgeoise. Il suggère au contraire que le clergé protestant s’est montré capable de maîtriser les problèmes que la modernité lui a soumis, et, de plus, des pasteurs sont devenus des figures déterminantes dans la vie urbaine de Strasbourg.

10 La thèse selon lequel l’urbanisation n’entraîne pas forcément la sécularisation n’est pas neuve ; Hugh McLeod et d’autres sont parvenus aux mêmes conclusions5. Pourtant, le livre de Steinhoff représente une étude de cas de la vie protestante à Strasbourg sous l’annexion allemande, particulièrement approfondie. Il montre bien les particularités de la grande ville bas-rhinoise, et éclaire les relations entre la communauté alsacienne et la communauté allemande dans l’Église protestante. Dans une partie particulièrement intéressante, il décrit comment le protestantisme a changé l’architecture de la ville par la construction de nouvelles églises. Steinhoff situe ses conclusions dans l’historiographie de l’Empire allemand et de la religion européenne ; son livre analyse de façon fort approfondie les bases régionales et religieuses du nationalisme allemand et la coexistence des éléments sacrés et laïcs dans les grandes villes européennes. Pourtant, son analyse de Strasbourg aurait bénéficié de la prise en compte de l’ensemble de l’historiographie alsacienne, et par exemple, de la thèse de Catherine Storne‑Sengel sur les protestants alsaciens après 1918. De plus, une comparaison des différences dans les attitudes de la communauté protestante strasbourgeoise et celles de leurs coreligionnaires à la campagne, comme celle qu’a tenté Vicki Caron pour la communauté juive, aurait pu établir si on peut généraliser les caractéristiques des protestants strasbourgeois ou si elles sont spécifiques, et aurait mis en relief les relations entre la ville et la campagne. Enfin, Steinhoff décrit la communauté protestante à partir du point de vue pastoral, et une analyse des idées et des expériences des protestants laïcs nous aurait donné une histoire plus complète.

11 Ensemble, les études de Caron et Steinhoff ont éclairé la complexité de la vie religieuse en Alsace après 1871.

12 Les historiens de la politique ont partagé leur intérêt pour la vie régionale, et ils se sont demandés comment elle révèle les expériences diverses du destin de l’Alsace. Si les études religieuses ont tendance à se concentrer sur la période de l’annexion allemande, les historiens politiques anglo-saxons préfèrent prendre comme sujet la période d’après le retour à la France en 1918, quand les bouleversements du transfert de régime ont provoqué la création de nouveaux partis, et quand la politique du gouvernement français a contribué à l’apparition d’un malaise qui a dominé la vie régionale de l’entre- deux-guerres. Une des premières études de la vie politique après 1918 a été l’analyse de l’autonomisme par Philip Bankwitz6. Bankwitz étudie les cinq figures principales du mouvement autonomiste ; Joseph Rossé, Marcel Sturmel, Hermann Bickler, Jean-Pierre Mourer et Friedrich Spieser. Ce livre présente une analyse intéressante sur les chefs autonomistes et souligne l’échec ultime de l’autonomisme alsacien après 1918. Le livre repose sur la presse parce que les archives du ministère de l’Intérieur étaient encore fermées quand Bankwitz a écrit son livre. Ceci a pour résultat que le récit proposé au lecteur est celui des journalistes et non pas celui des hommes politiques concernés eux- mêmes. De plus, l’action des chefs autonomistes est assez déconnectée de l’évolution

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politique d’ensemble, et du contexte socio-économique alsacien de l’entre-deux guerres.

13 Samuel Goodfellow par contre a bénéficié de l’ouverture des archives. Il examine le fascisme alsacien dans Between the Swastika and the Cross of Lorraine, son livre de 19997. Quelques thèmes mis en relief par Bankwitz sont également évidents dans le livre de Goodfellow, tels que le rôle de l’argent allemand dans le mouvement autonomiste et l’importance de l’autonomisme en Alsace ; cependant le sujet de son livre porte sur un mouvement bien déterminé : le fascisme. Goodfellow distingue les deux décennies qui ont suivi le retour à la France ; pendant les années vingt, le mouvement mobilise les frustrations régionales des classes moyennes supérieures et s’inspire, pour l’essentiel, du fascisme italien. Dans les années trente, le fascisme alsacien se radicalise et s’élargit ses bases populaires aux classes moyennes inférieures et aux paysans. Après 1936, le mouvement alsacien devient plus fragmentaire quand quelques groupes nazis se rapprochent du troisième Reich et que les membres des autres groupes s’unissent dans le plus grand mouvement fasciste français, le Parti Social Français (PSF). Goodfellow explique que le mouvement alsacien est provoqué par les menaces apparentes sur les privilèges régionaux, tels que l’élection du Cartel des Gauches en 1924, ou la formation du Front Populaire en 1934. D’après Goodfellow, la combinaison des espoirs frustrés de la population alsacienne et du conflit des identités et des cultures dans la région frontalière a contribué à l’émergence du fascisme en Alsace.

14 Goodfellow définit le fascisme comme un type de politique autoritaire, hiérarchisé et militarisé, qui subordonne l’individu à l’État, la race, la nation ou la communauté. Cette définition large lui permet de souligner la variété des fascismes de l’entre-deux-guerres en Alsace, et il étudie les partis dominants, tels que l’UPR (Union Populaire Républicaine d’Alsace) catholique à côté du Bauernbund et des Croix-de-Feu. Goodfellow suggère que des éléments fascistes sont communs aux partis alsaciens de la droite, et il maintient catégoriquement que le fascisme n’est pas de gauche. Dans un chapitre intéressant sur l’histoire du parti communiste alsacien et des partis fondés à sa suite par ses chefs Charles Hueber et Jean-Pierre Mourer, il démontre que l’évolution politique de Hueber et Mourer est due au fait qu’ils ont donné la priorité absolue aux intérêts de la région plutôt qu’aux intérêts du prolétariat, et pas parce qu’ils sont comme des beefsteaks (brun à l’extérieur, rouge à l’intérieur)8. Cette analyse est sa réponse à l’argument selon laquelle le fascisme tire ses origines de la gauche de l’éventail politique9. Between the Swastika and the Cross of Lorraine montre la portée du mouvement fasciste alsacien, tout en démontrant les bases régionales de la politique fasciste. Et c’est à l’analyse du fascisme qu’il apporte sa contribution la plus importante. Il discute la thèse selon laquelle il n’y a pas eu de fascisme français et démontre l’existence du fascisme régional. Pourtant, sa définition large du fascisme minimise les différences entre des mouvements biens distincts, tels que l’UPR, l’Action Française et les Croix-de-Feu, et exagère les relations entre l’extrême-droite et le conservatisme conventionnel. Sa conclusion selon laquelle le fascisme a dominé la vie politique alsacienne aurait été plus convaincante s’il avait pris en compte aussi la SFIO ou le parti radical, représentants de la gauche et du centre.

15 Néanmoins, les études de Bankwitz et de Goodfellow témoignent de la valeur des études de la vie politique alsacienne. À bien des égards, ma thèse doctorale sur le socialisme alsacien a suivi cette tradition : l’histoire régionale d’un parti politique10. Je me suis intéressée aux différents aspects du socialisme populaire, et l’Alsace a paru un cas

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intéressant. Après l’émergence des mouvements socialistes alsaciens du XIXe siècle, une section du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) s’est formée en Alsace sous l’annexion allemande. En 1919, les membres du SPD alsacien ont voté l’adhésion à la SFIO française. Les tensions produites par ce transfert m’ont intéressée, et j’ai voulu étudier comment le parti a négocié le changement de régime national. L’étude a mis en relief les interactions du régionalisme, du patriotisme et de l’internationalisme socialiste, et elle a aussi tenté de mettre en relief les différents aspects de la politique socialiste. Comment les socialistes alsaciens promeuvent le dialecte alsacien ou même la langue allemande11 ? Je me suis, ce faisant, engagée dans le débat qui est un des plus vifs et plus persistants parmi les historiens anglophones de la France, celui qui porte sur l’intégration des régions françaises dans la nation française et la construction des identités nationales, ou pour paraphraser Eugen Weber, sur la réponse à la question : « comment les paysans sont-ils devenus des citoyens français »12 ?

Les identités nationales

16 Depuis la parution du Fin des Terroirs d’Eugen Weber en 1979, les chercheurs anglophones ont tenté analyser les moyens par lesquels les valeurs de la communauté nationale se sont diffusées en France. Leur objectif, d’après Laird Boswell, est de réfléchir sur le caractère ambigu, fluide et contesté de l’identité nationale dans une nation stable13. Ce mouvement intellectuel a produit des études importantes sur la Bretagne, les Pyrénées, le monde flamand, mais l’Alsace reste la région française la plus étudiée par les historiens anglo-saxons14. Rebecca McCoy a publié une série d’articles qui contestent les idées de Weber sur l’identité et comment elle est créée15. McCoy conteste la suggestion de Weber selon laquelle l’identité nationale française est un produit du centre parisien, et soutient les résultats de Caroline Ford, qui suggère qu’en Bretagne, l’identité se crée par une interaction complexe entre la politique nationale et l’expérience locale.

17 McCoy utilise Sainte-Marie-aux-Mines comme étude de cas pour tenter de comprendre comment les identités se créent, se sont percues et se sont renégociées. D’après McCoy, la confessionnalité et le milieu social déterminent les identités des habitants de Sainte- Marie-aux-Mines. Les deux composantes de l’identité se combinent ; les identités religieuses se préservent par les écoles confessionnelles, tandis que les identités sociales s’affirment par le travail à l’usine ou l’atelier. McCoy distingue les différentes façons de comprendre l’identité française dans une seule communauté, et suggère que l’identité nationale n’est pas un concept absolu, mais une façon d’inclure qui résulte de l’interaction entre les affiliations locales et confessionnelles. De cette façon, Sainte‑Marie-aux-Mines devient une étude de cas pour comprendre comment les identités nationales et confessionnelles se combinent.

18 Dans ses articles sur l’Alsace, Laird Boswell prend des exemples dans les moments de crise de l’histoire de la région pour éclairer les contradictions de la citoyenneté française. Dans deux articles importants, il examine les commissions de triage qui ont suivi la Première Guerre mondiale, et la réception des réfugiés alsaciens et mosellans dans le sud-ouest de la France après l’évacuation de la région en 193916. D’après Boswell, le premier exemple démontre l’importance de l’ethnicité dans la citoyenneté française, car les commissions ont expulsé des Alsaciens d’origine allemande aux côtés de ceux qui ont montré des sentiments pro-allemands. De plus, les cartes d’identité ont

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étiqueté la population comme citoyens de classe A à D, une classification basée sur l’ethnicité. Le deuxième exemple révèle aussi l’importance de l’ethnicité, de la langue et de la culture dans la façon de comprendre l’identité française. À leur arrivée dans le Sud-Ouest, les réfugiés alsaciens ont dû rouvrir des églises dans les villages où la religion organisée avait disparu, et des écoles séparées où l’enseignement religieux et la langue allemande conservaient leur place dans les salles de classe. De cette façon, les réfugiés se sont marqués comme « différents ». Cette histoire montre que la réintégration de l’Alsace dans la France n’était pas accomplie en 1939, mais elle illustre aussi les difficultés de statut que la « province perdue » a revêtu au sein de la nation française après 1918. Alors que la plupart des politiciens alsaciens ont imité Fustel de Coulanges en insistant sur le fait que l’Alsace était française par la volonté de ses habitants, les Français avaient produit une littérature abondante qui voulait démontrer que l’Alsace était française par sa géographie, son ethnicité et sa culture. Boswell conclut que la place de l’Alsace dans la France ne peut être comprise que par référence aux thèses qui la présentent comme française par ethnicité, culture et volonté. Boswell se réfère aux controverses sur l’apparente contradiction entre les conceptions françaises et allemandes de la citoyenneté, d’après lesquelles la citoyenneté en France se fonde sur l’adhésion volontaire à la nation française, tandis que celle de l’Allemagne est basée sur la culture, la langue et l’ethnicité. Boswell souligne l’existence des deux conceptions tant en Alsace qu’en France.

19 Dans les travaux de Boswell, les Alsaciens eux-mêmes s’expriment autant que les préfets et administrateurs. Boswell met en lumière la formation de l’attachement national en Alsace : ainsi pour les Alsaciens faire partie de la communauté régionale n’était pas forcement équivalent de faire partie de la communauté nationale. La pratique de la langue allemande était compatible avec le patriotisme français et les particularismes locaux alsaciens n’empêchent pas la région de faire partie de la nation française ; par contre l’attachement au Heimat ne porte pas forcément à aimer la patrie. Ses articles éclairent les attitudes des Alsaciens de l’entre-deux-guerres, et on attend son livre sur le XXe siècle17.

20 Les historiens anglophones de l’Allemagne partagent cet intérêt porté à la construction des nations modernes et à l’émergence des identités nationales. Celia Applegate et Alon Confino, entre autres, ont tenté de repérer les racines locales du nationalisme allemand18. Detmar Klein prend l’exemple de l’Alsace pour contribuer à ce débat. Dans sa thèse doctorale, Klein décrit la formation de l’identité alsacienne pendant l’annexion allemande en centrant son étude sur l’histoire culturelle, le folklore, la propagande nationaliste. Il a publié un article sur les apparitions mariales du village de Kruth en 187219. Klein examine le récit des apparitions de la Vierge Marie de Kruth après la défaite de la France lors de la guerre de 1870-1871, et la manière dont les autorités allemandes ont traité la question. Klein suggère que les apparitions à Kruth se sont distinguées des autres apparitions de la période. La Vierge n’y est pas apparue seulement comme Immaculée ou Mater Dolorosa, mais aussi comme guerrière. Car les quatre jeunes filles de Kruth ont relaté avoir vu la Vierge avec une épée qu’elle brandissait contre les soldats prussiens. D’après Klein, ces apparitions sont comme un signe de la crise qui a suivi la guerre de 1870-1871, le Kulturkampf entre catholiques et autorités berlinoises, et la résistance alsacienne contre les conquérants prussiens. Ainsi, à Kruth, les apparitions ont renforcé l’identité catholique dans la défaite. Pour

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Klein, l’Alsace démontre que les identités religieuses et nationales s’articulent dans la conscience alsacienne à la fin du XIXe siècle.

21 Ces études aboutissent à des conclusions importantes ; elles témoignent de la variété d’expériences des régions françaises et montrent que les populations régionales comprennent les problèmes nationaux en termes locaux. Pourtant, cette littérature soulève une question. Est-il possible de généraliser des études de cas telles que celles effectuées sur l’Alsace ? Car la région a des particularités linguistiques et culturelles et a vécu une expérience historique qui est unique parmi les régions françaises. C’est ainsi que ses particularités linguistiques et culturelles et son expérience des autorités française et allemande offrent aux chercheurs la possibilité d’étudier le processus de construction des nations et l’émergence des identités nationales dans une perspective comparatiste. Avec l’Alsace comme étude de cas, les historiens peuvent procéder à une comparaison des politiques françaises et allemandes dans une seule région.

La construction des nations dans une perspective comparatiste

22 Dans Scholarship and Nation Building, John A. Craig examine les deux universités strasbourgeoises de 1870 à 1939 pour vérifier leur rôle dans la construction des nations20. L’université allemande fondée en 1872 et l’université française, fondé en 1919 ont pour mission d’exposer la culture savante pour rallier la population alsacienne à la cause nationale ; soit allemande, soit française. Craig suggère que ni l’institution allemande ni la française n’ont réussi dans cette tâche, mais elles ont quand même produit des diplômés alsaciens qui ont facilité l’intégration nationale par leur entrée dans le marché du travail. Craig a produit un livre intéressant ; il appréhende les universités à partir de la perspective de leurs professeurs, et il montre leurs similarités car les professeurs des deux nations se sentent isolés dans la région, et les deux groupes critiquent leurs gouvernements pour avoir failli à leur fournir les ressources nécessaires à la réalisation de la mission nationale. Il analyse aussi les étudiants. Après avoir observé les milieux sociaux des étudiants alsaciens, il conclut que les deux universités ont attiré leurs étudiants alsaciens issus majoritairement la de bourgeoisie régionale. En ce qui concerne l’opinion politique des étudiants, Craig relève l’existence d’un mouvement francophile allant de pair avec une adaptation graduelle des étudiants alsaciens à la population étudiante allemande avant 1914, et la fragmentation de la population étudiante alsacienne après 1918 quand malaise et autonomisme ont polarisé la vie politique en Alsace. Ainsi, l’étude d’une institution éclaire la structure sociale de la région, et Craig conclut que les gouvernements allemands et français ont surestimé l’importance de l’université de Strasbourg comme outil nationaliste.

23 Stephen Harp étudie également l’enseignement en Alsace dans Learning to be Loyal, une histoire comparative des écoles primaires alsaciennes entre 1850 et 194021. Il s’attache à étudier la manière dont la France et l’Allemagne tentent d’utiliser les écoles primaires pour créer une communauté nationale imaginée. Il soutient qu’il y a plus de similarités que de différences entre les politiques d’enseignement de la France et l’Allemagne ; les deux gouvernements insistent sur l’importance de la langue, de l’histoire et de la géographie pour présenter l’Alsace et la nation (française ou allemande) aux élèves alsaciens. Aussi bien la France que l’Allemagne ont dû concéder un degré d’autonomie régionale pour assurer le succès de leur politique, et l’Alsace a gardé sa position unique

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dans chaque nation. Comme la plupart des études comparatives, ce livre se concentre plus sur la période de l’annexion allemande que sur la période française, et l’analyse de la politique française est moins détaillée, quoique bien décrite. La première conclusion de son étude est que les Allemands n’ont pas imposé une politique trop rigoureuse de germanisation ; ils respectent l’existence des localités francophones et ont permis aux instituteurs francophones de garder leurs postes. De plus, quand ils ont recruté des instituteurs, les autorités allemandes ont essayé de recruter des instituteurs alsaciens ou lorrains. Selon Harp, ce n’est pas 1871, mais 1918 qui a marqué la rupture décisive. Après le retour de l’Alsace à la France, les autorités françaises ont procédé à une épuration des instituteurs et administrateurs allemands : ils ont introduit des instituteurs de l’Intérieur et lancé un programme qui visait à éliminer la langue et la culture allemandes. Le deuxième résultat majeur de l’étude est l’apport qu’il opère dans la controverse sur l’apparente contradiction entre les conceptions françaises et allemandes de la citoyenneté. Harp suggère que cette contradiction ne recouvre pas la réalité en Alsace, où la politique de l’enseignement révèle des similarités entre politiques allemandes et françaises. En montrant que les Français peuvent être aussi xénophobes que leurs voisins, il ouvre un débat important dans l’histoire contemporaine de l’Europe. Pourtant, son étude ne reflète guère l’expérience propre de la population alsacienne, parce que les sources qu’il a consultées l’amènent à reproduire les idées et attitudes des administrateurs plus que celles des élèves alsaciens scolarisés.

24 David Harvey prend pour centre d’intérêt la masse de la population alsacienne dans son livre Constructing Class and Nationality22. Il s’intéresse aux réponses des ouvriers à la politique alsacienne des administrateurs français et allemands entre 1830 et 1945, et discute donc des identités collectives et la manière dont elles se créent. Son questionnement porte sur la manière dont apparaissent des identités collectives, pourquoi elles attirent des individus, et comment les acteurs sociaux concilient des aspects différents de leurs identités. Il conteste que les identités collectives soient fixes et que les identités nationales s’opposent aux identités de classe. Il présente ces identités comme des « créations discursives » ; leur signification est continuellement en mouvement. Des consciences distinctes de classe et de nationalité ont existé en Alsace aux XIXe et XXe siècles ; donc les ouvriers ont eu de nombreuses options qu’ils ont pu combiner pour satisfaire leurs buts personnels et collectifs.

25 Harvey adopte une approche chronologique et tente de démontrer que cinq discours identitaires se succèdent l’un après l’autre. Le premier, celui du républicanisme français, a lié le sentiment national à l’égalité sociale et encouragé les ouvriers alsaciens à demander les droits de citoyenneté français. Ce républicanisme est remplacé, après 1848, par le deuxième discours, celui du paternalisme, qui a permis la persistance d’une identité française même après l’annexion de 1871. Le paternalisme a disparu après 1890, quand l’expiration de la loi antisocialiste et l’intervention de l’État allemand ont permis l’émergence du troisième discours, celui du socialisme international, qui a dominé les vies des ouvriers. Le socialisme attire les ouvriers parce qu’il leur promet l’unité de la société et est un moyen de transcender la rivalité franco- allemande. La Première Guerre mondiale entraîne la fin du socialisme international. Émerge alors dans les années 1920, le quatrième discours, où les ouvriers alsaciens recourent à l’autonomisme en réponse à la politique du gouvernement français. Le discours final, situé par Harvey dans les années 1930, est une synthèse de l’internationalisme socialiste et du républicanisme français qui émerge en réponse aux

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nazis d’outre-Rhin. Ce discours n’a pas trouvé d’enracinement en dehors de la classe ouvrière. L’expérience de l’annexion nazie après 1940 a provoqué des changements décisifs après la Libération de 1944-1945, et, à partir du début de la Quatrième République, cette synthèse est devenue l’identité collective dominante de tous les Alsaciens. La coopération européenne contemporaine représente, donc, le désir durable des ouvriers alsaciens.

26 Constructing Class est un livre fascinant, mais il me semble qu’il présente une simplification excessive de la réalité. Il est possible (même probable) qu’une prise en compte des autres classes sociales ou de l’Alsace rurale, aurait abouti à des résultats différents. De plus, Harvey utilise le mot « fickle » (inconstant) pour décrire la mentalité de la population alsacienne. Ce mot, qui reprend le stéréotype de « Hans im Schnokeloch » où l’Alsacien est fluctuant et incertain n’aide pas à la compréhension historique en prenant pour prémisse qu’il faut avoir une identité nationale bien déterminée.

27 Marianne ou Germania ? d’Elizabeth Vlossak prend comme sujet les Alsaciennes et la manière dont elles ont vécu les changements de régime national et ont participé aux nationalismes allemand et français entre 1870 et 194623. Elle examine une variété d’aspects de la vie féminine, y compris l’école primaire, la presse, le mouvement féministe, la Grande Guerre, la vie politique et l’identité, et elle les traite d’une façon chronologique. Certain thèmes sont communs à tous les chapitres : les rôles des Alsaciennes dans les projets nationalistes allemands et français, celui des mythes nationalistes d’après lesquels les Alsaciennes sont des gardiens de la culture française ou allemande, et la participation féminine aux projets de commémoration. Elle met l’activité locale au centre de son analyse, et le livre replace à juste titre les Alsaciennes dont l’histoire prend pour source principale les journaux féminins et les mémoires de femmes, à côté des nationalistes françaises et allemandes qui tentaient de les mobiliser pour en faire de bonnes patriotes françaises ou allemandes en Alsace.

28 Cette étude est intéressante et bien écrite. De plus, elle consacre une partie importante à la description de l’histoire alsacienne avec un tableau complet et nuancé de la vie quotidienne et des expériences féminines. Vlossak critique l’idée reçue selon laquelle les Alsaciennes sont restées les gardiennes de la culture française sous l’annexion allemande et elle révèle la complexité des façons par lesquelles les Alsaciennes réagissent aux deux régimes, français et allemands. Le livre apporte aussi une contribution considérable aux travaux sur l’histoire des femmes, de la citoyenneté, du nationalisme, et de la formation des identités en Europe contemporaine. Par exemple, Vlossak décrit en détail comment la position légale des Alsaciennes a changé après le retour à la France en 1918 pour démontrer les liens entre la citoyenneté et le sexe dans la Troisième République française. Dans un exemple frappant, elle montre qu’après 1918, une Alsacienne ne pouvait plus gérer son compte bancaire sans l’assentiment de son mari, même si elle l’avait ouvert et administré elle-même auparavant. Dans son analyse de la citoyenneté, Vlossak soutient les idées de Stephen Harp, Laird Boswell et d’autres qui suggèrent que l’ethnicité est un aspect important de la citoyenneté française, et que les conceptions de la citoyenneté en France et en Allemagne ne sont pas si différentes qu’on le croit. De plus, elle apporte une contribution aux débats sur la construction des identités nationales, en soulignant l’interaction complexe des aspects distincts des identités, y compris le milieu, la confession, la géographie et le sexe. Pourtant, bien qu’elle prenne comme sujet les relations entre sexe et nationalisme, elle ne prend pas en compte les hommes alsaciens, dont l’expérience est elle aussi

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conditionnée par leur sexe. Voilà qui aurait peut-être dépassé les limites de ce livre. Mais se demander comment les identités masculines se sont formées et ont été contestées, et analyser l’interaction entre les identités masculines et féminines aurait éclairé davantage les relations entre identités de sexe et de nationalité.

29 Les bases populaires de l’identité constituent le sujet de Christopher Fischer, dans son livre Alsace to the Alsatians, qui traite l’émergence, l’évolution et les variétés du régionalisme en Alsace, et les contradictions inhérentes au mot d’ordre « l’Alsace aux Alsaciens ! »24. La fonction du régionalisme est une question clé du livre, et Fischer suggère que le mouvement régionaliste a permis aux Alsaciens de négocier leur place dans la nation, soit allemande, soit française. Il décrit les moments distincts où le régionalisme a servi à intégrer la région dans la nation, et, au contraire, où les régionalistes ont utilisé le régionalisme pour résister aux politiques nationales en Alsace. Ainsi après 1890, les écrivains et les artistes alsaciens ont tenté de faire revivre la culture régionale ou de rappeler à la population alsacienne leurs liens avec la France ; après l’affaire de Saverne et le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le régionalisme a permis l’unification d’une communauté fragmentée ; et puis après 1918, le régionalisme a tenté de protéger les particularités linguistiques et culturelles de l’Alsace avant d’unir ses groupes distincts avec la revendication des Heimatrechte après 1925. Selon Fischer, le mouvement régionaliste est à la fois un mouvement contre la politique assimilatrice de l’Allemagne ou de la France et une assertion positive de la culture propre de l’Alsace.

30 Fischer examine les significations du régionalisme et sa réception parmi la population, mais faute des sources disponibles, il se concentre plus sur les artistes, écrivains et politiciens qui ont dirigé le mouvement régionaliste alsacien que sur ses bases populaires. Fort développé sur l’histoire culturelle, avec des chapitres sur les monuments, tels que le Haut‑Koenigsbourg, ou encore sur la mémoire historique, le livre est intéressant. Son analyse du régionalisme lui permet d’éclairer les divisions qui ont résulté des réponses distinctes aux régimes allemands et français, et il souligne qu’il faut comprendre le régionalisme alsacien comme « évolution permanente » et toujours contesté. Selon Fischer, il n’y a jamais eu une seule identité régionale alsacienne, et les régionalistes francophiles, germanophiles ou séparatistes ont chacun des conceptions différentes du régionalisme alsacien et de la réponse à la question de savoir si l’Alsace devait être assimilée à la France ou l’Allemagne, ou si elle devait servir de pont culturel entre les deux. Du fait de ces divisions, les régionalistes n’ont pas obtenu des autorités françaises ou allemandes les concessions qu’ils revendiquaient. Mais Fischer indique que le régionalisme a été quand même au cœur de l’identité alsacienne. Au sens large, il a permis l’unification d’une société divisée et le régionalisme a permis la diffusion d’une conscience de l’identité régionale. Cette fonction a eu une importance particulière en Alsace, où à cause des changements de régime national, l’attachement régional n’était pas forcément lié à l’attachement à la nation. Pourtant, le livre soulève des questions. D’abord, il se concentre sur le période entre 1890-1929, et il néglige de ce fait le mouvement protestataire des années 1870, et les groupes séparatistes-autonomistes des années 1930, deux groupes dont la contribution au mouvement régionaliste a été importante. De plus, le livre aurait gagné à analyser plus substantiellement l’interaction des régionalistes alsaciens avec les gouvernements berlinois et parisiens ; on aurait peut-être pu répondre à la question de

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savoir si les revendications alsaciennes ont influencé les conceptions de la citoyenneté des gouvernements centraux.

31 Ces études comparatives de la politique allemande et française en Alsace témoignent des résultats appréciables de l’histoire comparatiste. Ces études ont aussi inspiré le dernier courant historiographique dont les histoires anglophones de l’Alsace s’inspirent les « border studies » et l’histoire transnationale.

Les frontières, les régions frontalières et l’histoire transnationale

32 Une préoccupation‑clé de l’historiographie des régions frontalières et relations transnationales est de dépasser les limites de l’état-nation. Ainsi, la région frontalière devient une catégorie d’analyse historique, comme la classe sociale ou le sexe. La thèse doctorale (non publiée) de Thomas Williams adopte cette approche originelle, et utilise la région frontalière pour traiter de questions plus larges. Williams examine les projets de commémoration du gouvernement national-socialiste et des autorités français en Alsace et en pays de Bade entre 1940 et 194925. Il suit la démarche d’Alfred Wahl qui a étudié les deux côtés de la frontière, et souligne l’importance de l’histoire et de la commémoration dans les projets alsaciens du gouvernement nazi entre 1940 et 1945, et des autorités françaises entre 1945 et 1949. Chaque régime a mobilisé l’histoire des changements de la frontière pour justifier sa politique ; les nazis essaient rejeter la notion de « Rhin frontière naturelle » tandis que les Français y recourent. Il souligne aussi que les façons de comprendre la région et la Heimat ont changé et évolué pendant les années quarante. Son livre à venir se concentrera uniquement sur l’Alsace, pour approfondir le concept nazi de frontière, et il entraînera nécessairement une étude en langue anglaise de l’annexion de 1940-1945. Son étude tentera également une approche transnationale en replaçant l’Alsace dans un cadre plus vaste.

33 L’historiographie « transnationale » vise à surmonter les frontières nationales, en étudiant d’un côté les réseaux internationaux et de l’autre les groupes dont la loyauté semble s’ancrer à une échelle infra-nationale, par exemple dans la région ou dans la localité. Dans cette perspective, il semble particulièrement adapté à appréhender le cas de l’Alsace, et la région sera, sans doute, objet d’études de ce type pendant les années à venir.

Conclusion

34 Quel est l’avenir de l’historiographie anglophone de l’Alsace ? Tout laisse à penser que l’intérêt des chercheurs anglophones ne diminuera pas. Il est probable que la recherche future continuera à situer l’Alsace au cœur des problématiques plus larges : la cohésion de la France, le rôle des régions frontalières dans l’Europe contemporaine, ou le mouvement des gens, des biens et des idées dans le monde connecté du XIXe, XXe et même XXIe siècles. Mais il reste essentiel que ces études ne perdent pas les Alsaciens de vue. Les Alsaciens ont vécu, et vivent au cœur de l’Europe de l’Ouest, et, depuis le XIXe siècle se sont trouvés au centre de développements plus larges. Au XIXe siècle ils sont les objets du nationalisme français et allemand. Au XXe siècle l’Alsace constitue un but de guerre (et un champ de bataille), et après 1945 un des berceaux du projet européen.

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De ce fait, il est normal que les ouvrages d’histoire de l’Alsace tiennent compte de ces évolutions et relient l’Alsace aux questions générales. Pourtant, si les développements extra-régionaux prennent le pas sur l’expérience des habitants de la région, l’Alsace sera un objet de la recherche historique, comme elle a été l’objet des politiques et programmes développés à Berlin, Paris ou ailleurs. L’Alsace et les Alsaciens doivent être, par contre, des acteurs de leur histoire, et l’essentiel pour les futures études anglophones de l’Alsace c’est de veiller à ce que les Alsaciens soient au centre de leur analyse.

NOTES

1. Alison Carrol ([email protected]) est Lecturer in European History à Brunel University, Londres. Elle rédige actuellement un ouvrage sur le retour de l’Alsace à la France après 1918. (Department of Politics and History, Brunel University, Uxbridge, UB8 3PH, Grande Bretagne). 2. WERTHEIMER (Mildred S.), « L’Alsace-Lorraine: A Border Problem », Foreign Policy Association Information Service, 5 (1929). 3. CARON (Vicki), Between France and Germany. The Jews of Alsace-Lorraine (1871-1918), Stanford, Stanford University Press, 1988. 4. STEINHOFF (Anthony J.), The Gods of the City. Protestantism and Religious Culture in Strasbourg, 1870-1914, Leiden, Brill, 2008. CR RA 2011. 5. MCLEOD (Hugh), Secularization in Western Europe, 1848-1914, New York, St. Martin’s Press, 2000. 6. BANKWITZ (Philip Charles Farnell), Alsatian Autonomist Leaders, 1919-1949, Kansas, The Regents Press of Kansas, 1978, traduit pour Saisons d’Alsace, 71, 1980. 7. GOODFELLOW (Samuel H.), Between the Swastika and the Cross of Lorraine. Fascisms in Interwar Alsace, DeKalb, Northern Illinois University Press, 1999. 8. GOODFELLOW (Samuel Huston), ‘From Communism to Nazism: The Transformation of Alsatian Communists’, Journal of Contemporary History, vol. 27, 1992, p. 231‑258. 9. STERNHELL (Zeev), Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France, Paris, Éditions du Seuil, 1983. 10. CARROL (Alison), The SFIO and National Integration. Regional Socialism and National Identity in Interwar Alsace (Ph.D. Diss. non publiée), University of Exeter, 2008). 11. CARROL (Alison), « Socialism and National Identity in Alsace from Reichsland to République, 1890-1919 », European History Quarterly, 40 (2010), p. 57‑78 ; CARROL (Alison), « Regional Republicans. The Alsatian Socialists and the Politics of Primary Schooling in Alsace, 1918-1939 », French Historical Studies 34 (2011), p. 299‑325 ; CARROL (Alison), « The SFIO and the Return of Alsace to France », in Brian Sudlow (dir.), National Identities in France, New Jersey, Transaction, 2012, p. 47‑64. 12. WEBER (Eugen), Peasants into Frenchmen. The Modernization of Rural France, Stanford, Stanford University Press, 1976. 13. BOSWELL (Laird), « Rethinking the Nation at the Periphery », French Politics, Culture and Society 17 (2009), p. 111‑126, p. 120. 14. Le livre à venir de Philip WHALEN et Patrick YOUNG, (dir.), Place and Locality in Modern France, contient cinq chapitres sur quinze consacrés à l’Alsace ou à l’Alsace-Moselle. Sur la Bretagne, FORD (Caroline), Creating the Nation in Provincial France. Religion and Political Identity in Brittany,

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Princeton, Princeton University Press, 1993 ; sur le monde flamand, BAYCROFT (Timothy), Culture, Identity and Nationalism. French Flanders in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Woodbridge, Boydell and Brewer, 2004 ; sur les Pyrenées, SAHLINS (Peter), Boundaries. The Making of France and Spain in the Pyrenees, Berkeley, University of California Press, 1989. 15. MCCOY (Rebecca), « Alsatians into Frenchmen: The Construction of National Identities at Sainte-Marie-aux-Mines, 1815-1848 », French History, 12 (1998), p. 429‑451 ; MCCOY (Rebecca), « The Société Populaire at Sainte-Marie-aux-Mines: Local Culture and National Identity in an Alsatian Community during the French Revolution », European History Quarterly, 27 (1997), p. 435‑474. 16. BOSWELL (Laird), « From Liberation to Purge Trials in the ‘Mythic Provinces’; Recasting French Identities in Alsace and Lorraine, 1918-1920 », French Historical Studies, 23 (2000), p. 129‑162 ; BOSWELL (Laird), « Franco-Alsatian Conflict and the Crisis of National Sentiment during the Phoney War », Journal of Modern History, 71 (1999), p. 552‑584. 17. BOSWELL (Laird), Forging France along the Rhine: Cultural Conflict and National Identity in Alsace- Lorraine. À paraître. 18. APPLEGATE (Celia), A Nation of Provincials. The German Idea of Heimat, Berkeley, University of California Press, 1990 ; CONFINO (Alon), The Nation as a Local Metaphor. Württemburg, Imperial Germany and National Memory, 1871-1918, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1997. 19. KLEIN (Detmar), « Battleground of Cultures: ‘Politics of Identities’ and the National Question in Alsace under German Imperial Rule (1870-1914) », (Ph. D. Diss, non publiée), University of London, 2004) ; KLEIN (D.), « The Virgin with the Sword: Marian Apparitions, Religion and National Identity in Alsace in the 1870s », French History, 21 (no. 4: December 2007). 20. CRAIG (John A.), Scholarship and Nation Building. The Universities of Strasbourg and Alsatian Society, 1870-1939, Chicago, 1984. 21. HARP (Stephen), Learning to be Loyal. Primary Schooling as Nation Building in Alsace and Lorraine, 1850-1940 DeKalb, Northern Illinois University Press, 1998. 22. HARVEY (David Allen), Constructing Class and Nationality in Alsace, 1830-1945 DeKalb, Northern Illinois University Press, 2001. 23. VLOSSAK (Elizabeth), Marianne or Germania? Nationalising Women in Alsace, 1870-1946, Oxford, Oxford University Press, 2010. 24. FISCHER (Christopher J.), Alsace to the Alsatians? Visions and Divisions of Alsatian Regionalism, 1870-1939, New York & Oxford, Berghahn, 2010. 25. WILLIAMS (Thomas Morgan), Remaking the Franco-German Borderlands. Historical Claims and Commemorative Practices in the Upper Rhine, 1940-1949, (D. Phil. Diss., non publiée), University of Oxford, 2010).

RÉSUMÉS

L’Alsace est la région française la plus étudiée par les historiens anglophones. Cet article situe l’attention durable des chercheurs anglo-saxons dans une série de questions politiques et théoriques contemporaines : débats sur le régionalisme et la diversité de la France, questions de la construction des nations modernes et des identités nationales, discussions sur le rôle des frontières, et des régions frontalières dans l’Europe contemporaine et un mouvement intellectuel plus large qui vise à écrire l’histoire française de la perspective ‘transnationale.’ Cette

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historiographie anglophone a produit des résultats significatifs, notamment, il a montré la centralité de l’Alsace dans l’histoire nationale et européenne. Pourtant, en réintégrant l’histoire alsacienne dans les questions générales, les chercheurs anglo-saxons risquent adopter l’approche des administrateurs parisiens ou berlinois vis-à-vis de l’Alsace.

Alsace is the French region most frequently studied by English-speaking historians. This contribution examines the constant interest shown by Anglo-Saxon historians studying contemporary political and theoretical questions, such as debating regionalism and French diversity, the making of modern nations and national identitites, the role played by frontiers and by borderline regions in contemporary Europe and a more general trend aiming at writing French history in a “transnational” perpective. This English speaking historiography has achieved quite satisfactory results, among others by stressing the pivotal place of Alsace in national and European history. Yet, by placing the history of Alsace in a more general context, Anglo-saxon historians risk following the approach of the Alsace question adopted by Paris or Berlin administrations.

Das Elsass stellt die Region Frankreichs dar, welche die englischsprachigen Historiker am meisten erforscht haben. Dieser Artikel zeigt, welche zeitgenössischen politischen und theoretischen Thematiken des öfteren von den Wissenschaftlern aufgegriffen wurden: die Diskussion um den Regionalismus und die Diversität in Frankreich, die Entstehung der modernen Nationen und die Errichtung der nationalen Identitäten, Diskussion um die Rolle der Grenzen und der Grenzregionen im heutigen Europa, und ein intellektuelle Trend, die eine „übernationale“ Geschichtsschreibung anpeilt. Diese englischsprachige Historiographie hat bedeutsame Ergebnisse verbucht, u.a. dadurch dass sie die zentrale Rolle, die das Elsass in der nationalen und europäischen Geschichte gespielt ha, gezeigt hat. Dadurch aber dass die Geschichte des Elsass in die allgemeine Geschichte mit einbezogen wird, laufen die englischsprachigen Forscher Gefahr, den Standpunkt der Pariser oder Berliner Verwaltung dem Elsass gegenüber einzunehmen.

AUTEUR

ALISON CARROL Lecturer in European History à Brunel University, Londres

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La vie démocratique et l'opinion de l'Alsace

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Les élections présidentielles et législatives du printemps 2012 en Alsace The 2012 presidential and general elections in Alsace Die Ergebnisse der Wahlen zum Präsidenten und zur Nationalversammlung vom Frühjahr 2012 im Elsaß

Richard Kleinschmager

1 Les élections du printemps 2012 ont marqué une rupture dans l’histoire politique de la Ve République en provoquant une nouvelle alternance politique de la droite à la gauche à la tête de l’État. Cette alternance présidentielle a été confortée par une majorité absolue obtenue par le Parti Socialiste à l’Assemblée Nationale. Ce même parti majoritaire au Sénat, majoritaire dans vingt et une régions sur vingt-deux, majoritaire dans soixante départements, s’est retrouvé à l’issue de ces élections de 2012 dans une situation de contrôle de la vie politique comparable à celle du parti gaulliste au début de la Ve République.

2 François Hollande l’a emporté le 6 mai 2012 avec 51,68 % des voix, vingt‑quatre ans après la seconde victoire de François Mitterrand le 8 mai 1988. Ce dernier l’avait alors emporté avec 54 % des voix devant Jacques Chirac. À cette date, l’Alsace avait donné une courte majorité au candidat des droites avec 50,9 % des suffrages exprimés. Le 6 mai 2012 par contre, la région a nettement plébiscité, le candidat des droites, Nicolas Sarkozy, en lui accordant pas moins de 63 % des suffrages. En 1981 lors de la première élection d’un candidat de gauche à la présidence, l’Alsace s’était également distinguée par le maintien d’un fort ancrage à droite, Valéry Giscard l’emportant en Alsace avec 66 % des suffrages. L’élection présidentielle de 2012 possède beaucoup de similarités avec celle de 1981 en Alsace. Dans les deux cas, l’Alsace s’est retrouvée nettement à rebours de l’évolution nationale tant au niveau des élections présidentielles que législatives. Valéry Giscard d’Estaing avait obtenu 62,9 % des suffrages au deuxième tour. Nicolas Sarkozy a totalisé 63,4 % de ceux-ci. En 1981, la droite obtenait onze députés sur treize contre deux députés à la gauche, Jean-Marie

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Bockel à Mulhouse et Jean Oehler à Strasbourg. En 2012, la droite totalise treize représentants à l’Assemblée Nationale sur quinze et la gauche est représentée par deux députés.

3 Ces élections du printemps 2012 ont commencé très tôt avec notamment une longue séquence d’élections primaires. Elles ont eu un contexte très particulier : une crise économique mondiale bousculant les grands équilibres macro-économiques avec l’Europe placée directement sous le feu des menaces, avec une crise majeure en Grèce. Lors de la campagne présidentielle, les caractéristiques du dispositif électoral présidentiel de la Ve République générant une opposition frontale de deux camps rassemblés autour de deux hommes au second tour ont été exacerbées au cours de cette élection. Les élections législatives des 10 et 17 juin se sont placées dans le souffle de l’élection présidentielle. Lors de ces deux consultations, l’Alsace a confirmé la permanence de la singularité de son positionnement politique par rapport au vote national.

Une campagne présidentielle longue et âpre

Les arrière-plans politiques

4 L’élection présidentielle de 2007 avait consacré la victoire de Nicolas Sarkozy, victoire accentuée en Alsace où il avait totalisé 65 % des suffrages contre 53 % au niveau national. La région était au soir du 6 mai 2007, la région la plus sarkozyste du pays. Ce résultat effaçait à certains égards pour les droites classiques, les relatifs déboires des précédentes élections présidentielles de 1995 et de 2002 où le candidat du Front National, Jean-Marie Le Pen s’était imposé en tête au premier tour dans la région devançant Jacques Chirac. Les législatives de juin 2007 ont confirmé cette « déferlante bleue » avec pas moins de onze élus UMP au premier tour sur seize circonscriptions et au final, un seul élu socialiste en la personne d’Armand Jung dans la 1ère circonscription du Bas‑Rhin. À l’occasion des élections de 2007, l’Alsace est redevenue un bastion de la droite classique rassemblant au sein de l’UMP, les deux composantes centriste et gaulliste de la vie politique régionale. La période qui a suivi s’est inscrite en décalage avec la victoire de Nicolas Sarkozy avec notamment une suite d’échec aux élections intermédiaires.

5 La vague des réformes impulsées par l’Élysée conjuguée avec la nouvelle donne économique moins favorable consécutive à la crise dite des subprimes à l’automne 2008 ont généré très vite un climat moins favorable à la majorité présidentielle et législative fraîchement élue. Les élections municipales de 2008 ont consacré une « vague rose » qui s’est notamment exprimée en Alsace par la défaite de la « majorité alsacienne » à Strasbourg où Roland Ries l’a emporté sur le tandem des sortants Fabienne Keller - Robert Grossmann au bénéfice d’une alliance PS-Verts. Mulhouse par contre, passait électoralement à droite par la courte victoire de Jean-Marie Bockel, ancien maire PS depuis 1989, transfuge du PS vers le sarkozisme et fondateur de la Gauche Moderne, à l’aile gauche de la majorité présidentielle. Il ne l’emportait qu’avec 168 voix d’avance sur son adversaire du PS, Pierre Freyburger. Les élections régionales de 2010 ont conforté la progression de la gauche sur les terrains locaux avec la confirmation d’un quasi monopole au niveau de la France entière, à la seule exception de l’Alsace ainsi placée dans une position de bastion régional de la droite présidentielle. L’octroi d’un

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poste de ministre des collectivités locales en novembre 2010 à Philippe Richert qui avait conduit la bataille pour la conservation à droite de l’Alsace et l’avait emporté, consacrait la reconnaissance de cette position singulière. La victoire finale de l’UMP à ces élections régionales alsaciennes ne saurait faire oublier que celle-ci fut acquise dans des conditions plus difficiles que dans de précédentes élections. « Le paysage politique n’a pas été bouleversé par cette élection régionale et l’institution régionale reste aux mains de la majorité de droite et de centre-droit qui la contrôle depuis les premières élections régionales. Jamais toutefois, avant cette élection, elle n’a dû autant se battre pour conserver sa prééminence dans un contexte national, il est vrai particulièrement peu favorable » écrivions‑nous à l’issue du scrutin1.

6 À l’issue du premier tour, en effet l’addition des voix des gauches, des écologistes et d’une fraction des voix du Modem donnait un léger avantage de quelque 7 000 voix à l’opposition régionale et permettait d’envisager qu’elle l’emporte. Il est vrai toutefois que le repli de la droite par rapport à de précédents scrutins régionaux était faible et qu’un ardent appel à la mobilisation et une campagne de terrain appuyée, notamment dans les fiefs ruraux de la « majorité alsacienne » conduite par Philippe Richert, suffirent à mobiliser l’électorat de droite contre un possible renversement de situation. À l’issue de cette élection, Philippe Richert pouvait sans coup férir être élu président de la seule région de droite, et succéder à André Reichardt qui avait assuré l’intérim à la présidence de la Région après le décès d’Adrien Zeller, le 22 août 2009. La majorité régionale sortait indemne voire confortée de cet épisode électoral, et même si les résultats électoraux du premier tour traduisaient un repli, elle paraissait renforcée par une victoire de deuxième tour nette, Philipe Richert l’emportant avec 46,2 % des voix devant la liste PS-Verts et ses 39,3 % des voix, le FN restant stable d’un tour à l’autre avec 14,2 % des suffrages. Les élections cantonales de 2011 n’ont pas touché à la domination de la majorité alsacienne sur les deux départements, même si celle-ci a perdu au total cinq sièges dans le Bas‑Rhin où deux indépendants et cinq opposants socialistes et Verts ont été élus. À l’inverse, dans le Haut‑Rhin, elle a été confortée par le gain d’un siège2.

7 Peu perçue et peu commentée en Alsace parce que la région n’avait aucun siège à pouvoir, le véritable choc de la baisse d’influence de la majorité présidentielle a été le basculement à gauche du Sénat consécutivement aux élections sénatoriales du 25 septembre 2011. Lors de ce renouvellement triennal, 71 890 grands électeurs ont désigné 170 sénateurs et donné pour la première fois de l’histoire de la Ve République, une courte majorité à la gauche, permettant le remplacement à la présidence de Gérard Larcher sénateur des Yvelines, par Jean‑Pierre Bel, sénateur socialiste de l’Ariège depuis 1998.

8 Beaucoup d’éléments de l’évolution politique récente ont pu concourir à prédire l’échec possible du président sortant en 2012. En Alsace toutefois, la résistance des droites au deuxième tour des élections régionales laissait entrevoir que lors d’un scrutin décisif des résistances à la tendance nationale verraient le jour en Alsace.

Les arrière-plans économiques et sociaux

9 Depuis les débuts de la Ve République, aucune élection n’a eu en arrière-plan une situation économique de la gravité de celle qui s’est installée depuis 2008 et qui a fait entrer en récession la majorité des pays industrialisés. La plupart des analystes se sont

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accordés pour considérer qu’il s’agissait de la pire crise économique depuis 1929. Elle a notamment conduit à un ralentissement du commerce international et à une hausse du chômage. L’Alsace longtemps épargnée par le chômage a connu une expansion spectaculaire de celui-ci. Situé à 4,8 % en 2001, le taux de chômage a atteint 8,5 % au quatrième semestre 2011, ce qui laisse toutefois la région dans le lot des régions françaises les moins touchées, loin derrière Le Languedoc-Roussillon (13,1 %) ou le Nord-Pas-de-Calais (12,7 %) mais devant la Bretagne (8 %) ou l’Île-de-France (8,4 %). Le taux moyen de chômage n’atteignait que 4,9 % dans le Bade-Wurtemberg et 5,2 % dans le Regierungsbezirk Karlsruhe et 4,6 % dans la Region Südlicher Oberrhein en 2011. Grâce à ce dynamisme relativement supérieur des économies allemande et suisse, une partie de l’emploi régional a été sauvegardée par le maintien du travail frontalier dont l’importance – un actif sur douze – en particulier au Nord et au Sud de la région tempère les effets de la crise. Sur la dernière période à proximité immédiate des élections sur le dernier trimestre 2011, une légère reprise du chômage qui avait culminé à 10 % à l’automne 2010 puis était redescendu à 9 % à l’été 2011, s’est manifesté sur la France entière.

10 L’Alsace continue de figurer parmi les premières régions au niveau du PIB par emploi et parmi les régions françaises les plus riches au niveau des revenus des ménages avec des écarts de revenus entre ménages plus faibles qu’en moyenne nationale et avec une part prépondérante des salaires dans la formation des revenus. La décennie écoulée a toutefois été marquée par la poursuite de la déconstruction du tissu industriel régional au bénéfice des emplois dans le secteur tertiaire. Si la région reste la 2e région la plus industrialisée du pays, avec une valeur ajoutée brute par habitant de l’industrie qui représente en 2009, 17,5 % de la valeur ajoutée brute au niveau alsacien contre 12,5 % au niveau national3, le nombre d’ouvriers dont la plus grande partie est employée dans l’industrie ne cesse de décroître. Si les retraités constituent la catégorie socio- professionnelle la plus importante dans la région (360 000 soit 23,9 % du total alsacien), les ouvriers restent les actifs en fonction les plus nombreux (265 000 soit 17,6 %) talonnés par les employés (248 000 soit 16,5 %). Pour mémoire, les agriculteurs qui ne sont plus qu’un peu plus de 7 000 actifs dans la région ne représentent plus que 0,5 % des actifs4.

11 Comme d’autres régions industrielles européennes, l’Alsace est entrée dans un processus de tertiarisation de ses activités qui laissent dans les marges non urbanisées de la plaine ainsi que dans les vallées vosgiennes des zones de moindre développement de même que ce processus engendre des zones péri-urbaines d’étalement des villes qui se différencient par la structuration géographique et sociologique des espaces urbains centraux. C’est le cas en particulier autour de Strasbourg mais aussi de Mulhouse et Colmar. Ces évolutions accompagnent les évolutions de la distribution des votes en complexifiant l’ancienne différenciation des votes villes/campagnes.

La campagne électorale

12 La campagne de cette élection présidentielles 2012 comme les précédentes a commencé très en amont du vote au point que l’année 2011 tout entière est apparue à bien des égards comme une préparation de l’élection. Du côté de la majorité UMP en place, l’intensité de la préparation a paru moindre dans la mesure où Nicolas Sarkozy, président sortant a déclaré tardivement sa candidature le 17 février 2012. Cette

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déclaration tardive dont avait également fait usage François Mitterrand qui s’était déclaré candidat le 22 mars en 1988 ou Jacques Chirac lors d’un voyage en Avignon le 11 février 2002 est dans l’ordre des contraintes qui s’imposent à un président en fonction qui se doit de maintenir le plus longtemps possible une présence pleine et entière à la tête de l’État. Aucun observateur ne pouvait toutefois douter de la candidature de Nicolas Sarkozy dont nombre d’actions procédait bien en amont de l’annonce, d’une démarche de candidat à sa propre succession.

13 La primaire socialiste de cette élection présidentielle appelée « primaire citoyenne » a sans conteste été un des moments marquants de la campagne électorale. En novembre 2006 Ségolène Royal l’avait emporté au niveau national avec 61 % des voix contre 21 % à Dominique Strauss-Kahn et 19 % à Laurent Fabius. En Alsace, dans le Bas‑Rhin, elle n’avait totalisé que 54 % des 1 277 votants contre 31 % à Strauss-Kahn et 14 % à Laurent Fabius tandis que dans le Haut‑Rhin ces mêmes candidats obtenaient respectivement 55 %, 24 % et 20 % des 661 votants. Cette élection primaire de 2006 était restée réservée aux seuls membres du PS tandis que la primaire de 2011 a véritablement fait figure d’innovation en fonctionnant comme une primaire « ouverte » à l’ensemble des électeurs. Cette élection sur le mode des primaires américaines organisée en deux tours les 9 et 6 octobre 2011, a enregistré pas moins de 3 millions de votants sur la France entière alors que seulement 179 412 personnes avaient concouru à désigner la candidate socialiste en 2006.

14 En Alsace, en 2012, 41 495 personnes ont participé à la primaire socialiste moyennant un euro de participation aux frais de l’élection et la signature d’une charte d’adhésion aux valeurs de la gauche. Dans son commentaire du premier tour le journaliste Claude Keiflin5 soulignait que les résultats ne se différenciaient guère des résultats nationaux avec une première place pour François Hollande (37 % des suffrages) devant Martine Aubry (34 %) et Arnaud Montebourg (15 %) tandis que Manuel Valls (6 %), Ségolène Royal (6 %) et Jean-Michel Baylet (0,5 %) se plaçaient très en retrait. François Hollande a davantage conquis d’électeurs en milieu rural et péri-urbain tandis que Martine Aubry est arrivée en tête à Strasbourg avec 36,5 % des suffrages devant François Hollande (34,4 %). Ce premier tour a été l’occasion d’un partage entre les leaders socialistes strasbourgeois, avec d’une part les « aubrystes » emmenés par Catherine Trautmann, Jean et Serge Oehler, Alain Fontanel et les « hollandais » autour de Roland Ries, Jacques Bigot, Armand Jung ainsi que Mathieu Cahn et Raphaël Nisand. Le deuxième tour n’a pas infirmé les résultats du premier tour. François Hollande est arrivé nettement en tête avec un score de 53 % des voix sur l’ensemble de l’Alsace contre 47 % à Martine Aubry, le Haut‑Rhin se révélant comme au premier tour plus « hollandais » (54,5 % des voix) que le Bas‑Rhin (52 %). Si les résultats alsaciens se sont différenciés des résultats nationaux, c’est par un léger surcroît de vote pour Martine Aubry par rapport à son résultat national, dans le Bas‑Rhin surtout. Au niveau national, elle a totalisé 1 233 899 suffrages soit 43,4 % des suffrages exprimés alors qu’en Alsace elle a recueilli 20 707 votes soit 47 % de ceux-ci. Si l’Alsace n’a pas rallié de manière aussi marquée François Hollande que les départements de la France centrale et du Sud-Ouest, elle est restée dans une adhésion effective mais modérée au vainqueur de cette élection. Cette dernière s’est avérée un puissant levier pour légitimer la candidature de François Hollande aux yeux de l’opinion publique, souder sa formation pour la campagne présidentielle et effacer les effets désastreux sur l’image du PS de l’affaire Strauss‑Kahn, l’ex-candidat présumé vainqueur de la primaire et de l’élection

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présidentielle. Nul doute que cette « primaire citoyenne » du PS n’ait marqué la scène politique et constitué le fait le plus marquant de cette campagne 2012. Elle a introduit une nouvelle dimension démocratique à la constitution de l’offre politique. Il serait étonnant que hors le cas d’un président sortant comme cela a été le cas de Nicolas Sarkozy en 2012, les grandes formations ne s’en inspirent à l’avenir.

15 Les écologistes de leur côté ont eux aussi organisé une élection primaire pour la désignation de leur candidat et ce, dès le mois de juin 2011. N’étaient autorisés à participer à cette élection que les adhérents du parti « Europe Écologie-les Verts » ainsi que les « coopérateurs » sympathisants non adhérents, moyennant une participation financière de 10 €. Pratiquée sur internet ou par voie postale, le vote mobilisa une trentaine de milliers d’électeurs qui ont eu à choisir entre quatre candidats, Nicolas Hulot, animateur de télévision, Eva Joly, ancienne juge d’instruction, deux figures médiatiques, ainsi que le président de l’Observatoire du nucléaire, Stéphane Lhomme et un élu écologiste alsacien, Henri Stoll, maire de Kaysersberg et membre du Conseil Général du Haut‑Rhin qui s’était présenté en revendiquant de représenter la « base » des électeurs écologistes ne se reconnaissant pas dans « l’écologie spectacle ». Ces primaires, ont conduit à la désignation d’Eva Joly avec 58 % des voix contre 41 % à Nicolas Hulot au deuxième tour le 12 juillet 2011. Au premier tour, le maire de Kaysersberg Henri Stoll était arrivé en troisième position avec 1 269 voix sur 25 274 suffrages exprimés soit 5 % des suffrages.

16 Au Front National, la désignation de Marine Le Pen à la tête du parti lors du congrès de Tours des 15 et 16 janvier 2011 a de facto désigné le candidat du Front National à l’élection présidentielle. Après le vote de 17 127 adhérents sur 22 403 inscrits, Marine Le Pen a succédé sans coup férir à son père Jean-Marie Le Pen en obtenant 68 % des suffrages contre 32 % à son concurrent Bruno Gollnisch.

17 Quant au président du Mouvement démocrate (Modem), François Bayrou, c’est le 7 décembre 2011 qu’il a annoncé sa troisième candidature à l’élection présidentielle à la Maison de la Chimie de Paris.

18 Co-président du Front de gauche avec Martine Billard, Jean‑Luc Mélenchon qui s’est déclaré candidat dès janvier 2011, a obtenu le soutien du Parti de gauche, de Gauche Unitaire et de la Fédération pour une alternative sociale et écologique. En juin 2011 le Parti communiste a appuyé sa candidature après consultations internes.

19 Au final, ce sont dix candidats qui ont été admis à candidater à l’élection présidentielle, Nathalie Arthaud pour Lutte Ouvrière, Philippe Poutou pour le Nouveau Parti anticapitaliste auparavant représenté par Olivier Besancenot, Nicolas Dupont‑Aignan pour Debout la République et Jacques Cheminade pour Solidarité et Progrès s’ajoutant aux candidats déjà évoqués.

20 Par ailleurs, la campagne a connu un calendrier usuel, avec une intensification de celle- ci à partir de la déclaration de candidature officielle de Nicolas Sarkozy le 17 février 2012 dans le journal de 20 h conduit par Laurence Ferrari sur TF1. Les candidats ont pour la plupart fait un ou plusieurs passages en Alsace avec une relative parcimonie sauf pour Nicolas Sarkozy. François Hollande a participé le 19 novembre 2011 à Strasbourg au congrès des jeunes socialistes et à une discussion avec le philosophe Peter Sloterdijk à l’Opéra dans le cadre des Rencontres de Strasbourg le 16 mars 2012 après une visite du quartier de la Meinau. Le 6 mars 2012, François Bayrou est venu plaider dans un meeting au Palais de la Musique et des Congrès pour une « refondation de l’Europe » qu’il trouve aujourd’hui

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« désenchantée ». Le 14 mars 2012, les écologistes avec notamment Daniel Cohn‑Bendit, José Bové, Antoine Waechter et Sandra Bélier au Palais des Fêtes de Strasbourg ont soutenu la candidate Eva Joly qui a indiqué qu’elle irait jusqu’au bout de sa candidature malgré les mauvais sondages. Nicolas Sarkozy a visité le chantier de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg le 8 novembre 2011 et a échangé avec des étudiants de l’Institut d’Études Politiques, de l’École de Management et de sciences économiques de l’Université de Strasbourg. Dès avant l’annonce de sa candidature, dans ses habits de chef de l’État, Nicolas Sarkozy avait visité le 10 janvier 2012 les services du centre hospitalier de Mulhouse, adressant ses vœux à « la France solidaire » et le 9 février s’était rendu à Fessenheim où il avait notamment dénoncé le projet de François Hollande de fermeture de la centrale consécutivement à l’accord passé entre le PS et EE-LV le 15 novembre 2011. En fin de campagne, il a tenu meeting au Wacken de Strasbourg le 22 mars 2012 sous le slogan « La France forte dans une Europe forte ». Dans un discours introductif, le ministre et président de la Région Philippe Richert avait décliné l’un des thèmes alsaciens majeurs de la campagne régionale de l’UMP contre le PS, l’opposition aux menaces contre le Concordat du projet de François Hollande d’introduire la laïcité dans la Constitution. Et ce malgré les mises au point du candidat Hollande, qui avait précisé dès le 13 février la formulation de sa 43e proposition introduisant la loi de séparation de 1905 dans la Constitution, avec l’ajout : « sous réserve des règles particulières applicables en Alsace-Moselle », et du sénateur- maire socialiste de Strasbourg, Roland Ries, qui affirmait le 11 février dans le Monde, appartenir à « la très grande majorité des Alsaciens et Mosellans, d’obédiences religieuses diverses, laïques et même athées, qui soutiennent le régime concordataire ». Cette réunion publique marquait la reprise de la campagne après une courte suspension. L’assassinat de quatre personnes devant l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse qui faisait suite à celui de trois parachutistes par le même auteur, Mohamed Merah au nom d’un islamisme radical proche d’Al-Qaida, avait suspendu la campagne des principaux candidats. Ce fut le seul événement véritablement inattendu de cette campagne. Il s’est révélé traumatisant pour l’ensemble du pays sans qu’on puisse considérer qu’il ait eu un impact direct sur la campagne, tant les principaux candidats se sont abstenus d’exploiter cet événement tragique.

21 Cette campagne a connu la poursuite avérée du développement de l’usage d’internet et des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, en particulier dans les plus jeunes générations d’électeurs sans qu’il soit possible de mesurer avec précision leur impact. Dans le même temps, les supports médiatiques régionaux traditionnels, ont poursuivi leur travail d’information sur les candidats et la campagne, qu’il s’agisse des deux supports de presse, les Dernières Nouvelles d’Alsace et L’Alsace qui appartiennent désormais au même groupe économique contrôlé par le Crédit Mutuel ou les télévisions FR3 et Alsace 20 ainsi que les radios, en particulier France Bleue Alsace. On a vu aussi apparaître de nouveaux organes sur internet comme Rue 89 Strasbourg et fleurir des blogs comme celui du journaliste Claude Keiflin après le départ de celui-ci de son quotidien.

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Le premier tour des présidentielles : en Alsace, Sarkozy confirmé, Le Pen renforcé

22 Si la France entière donne un léger avantage au premier tour à François Hollande (28,6 % des suffrages exprimés), l’Alsace marque son ancrage à droite en plaçant Nicolas Sarkozy (32,9 % des suffrages en Alsace contre 27,2 % en France entière) et Marine Le Pen (22,1 % contre 17,9 %) devant le candidat du PS (19,3 %). Nicolas Sarkozy fait nettement la course en tête dans la région même si son score se réduit de trois points de pourcentage par rapport à 2007. Le second enseignement marquant de ce scrutin est la reconquête par Marine Le Pen de l’électorat du Front National. Avec 22,1 % en Alsace, elle fait oublier les 13,6 % de son père en 2007 et permet au parti qu’elle préside de cousiner avec les scores historiques du vieux leader, les 21,8 % de 1988, les 25,4 %, de 1995, et les 23,4 % de 2002. Avec ses 19,3 % des suffrages, François Hollande cède 13,6 points de pourcentage au président sortant et ne devance François Bayrou que de 7,6 points. Jean-Luc Mélenchon n’échappe pas à cette décote alsacienne de la gauche à ce premier tour de la présidentielle. Il ne totalise que 7,3 % des suffrages en Alsace contre 11,1 % au niveau national. Les autres candidats sont dans une forte proximité de leurs résultats nationaux, même si Eva Joly (2,7 % en Alsace contre 2,2 % France entière), Nicolas Dupont‑Aignan (1,9 % contre 1,8 %), Nathalie Arthaud (0,6 % contre 0,58 %) et Jacques Cheminade (0,3 % contre 0,2 %) font très légèrement mieux dans la région. Seul Philippe Poutou parmi les candidats minoritaires échappe à la règle avec 1,09 % en Alsace contre 1,11 % au niveau national.

Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. François Hollande

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Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. Nicolas Sarkozy

23 La carte nationale de ce premier tour oppose schématiquement une France de l’Ouest plutôt à gauche à une France de l’Est plutôt à droite. Dans cette dernière, l’Alsace fait figure de bastion. Aucune région n’atteint une somme des voix Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy aussi importante que en Alsace. Ils totalisent 62 % des suffrages dans la région contre 45 % au niveau national. Dans quatre autres régions seulement, la Corse (55,9 %), Provence-Alpes-Côte d’Azur (54,9 %), Champagne‑Ardennes (52,4 %) et Picardie (50,1 %), la somme des voix des deux principaux candidats de droite dépasse les 50 % des suffrages. Une des caractéristiques géographiques majeures de cette élection est le fait que le Front National ait diffusé son influence sur l’ensemble du territoire avec une impressionnante augmentation de 68 % du nombre de suffrages exprimés en sa faveur par rapport à 2007 soit 6,4 millions d’électeurs au lieu de 3,8 millions. Par ses percées dans l’Ouest et le monde rural en général, son vote s’homogénéise géographiquement. Cette évolution est telle que l’Alsace qui a mis en tête Jean-Marie Le Pen aux premiers tours des présidentielles de 1995 et 2002, n’apparaît plus comme la région la plus acquise au FN. Avec 22,9 % des voix sur l’ensemble de la région, elle est devancée par la Picardie (25,0 %), le Languedoc- Roussillon (24,8 %), la Corse (24,4 %), Provence-Alpes-Côte d’Azur (23,9 %), la Lorraine (23,7 %) et le Nord-Pas-de-Calais (23,3 %). Le mouvement de balance au sein de l’électorat de droite alsacien vers Nicolas Sarkozy en 2007 ne s’est pas réellement démenti en faveur de la fille de Jean-Marie Le Pen. Les 32,9 % des suffrages acquis en 2012 par le président sortant font de très loin de l’Alsace, sa première région devant l’Île-de-France (31,7 %), La Bretagne (31,7 %), la Corse (31,4 %) l’Aquitaine (31 %) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (31 %). L’écart est marqué avec la Lorraine voisine qui d’une courte tête a donné l’avantage à François Hollande (25,5 %) sur Nicolas Sarkozy (25,4 %). François Bayrou quant à lui, a comme Nicolas Sarkozy, fait de l’Alsace sa première région métropolitaine avec 11,7 % alors que l’Outre-Mer lui a accordé des

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résultats exceptionnellement favorables avec 21,4 % des suffrages. Il réalise entre Vosges et Rhin un score très proche de celui des Pays de la Loire (11,6 %) et de la Bretagne (11,4 %).

24 L’importance de la droite dans le vote alsacien entraîne mécaniquement une adhésion limitée à la gauche. Il n’y a qu’en Alsace que la somme des voix des deux principaux candidats de gauche, François Hollande et Jean‑Luc Mélenchon les place avec 26,6 %, en dessous de la barre des 30 %. La moitié des régions accorde au seul candidat du PS un pourcentage de voix supérieur à la somme des pourcentages de ce candidat et de celui du Front de Gauche en Alsace. Par ailleurs, c’est en Alsace que François Hollande avec 19,3 % des suffrages exprimés et Jean‑Luc Mélenchon avec 7,3 % de ceux-ci réalisent chacun leur plus médiocre score des 22 régions métropolitaines. À l’opposé, quelle que soit la modestie du score obtenu (2,74 %), Eva Joly réalise en Alsace son troisième meilleur score régional, derrière la Bretagne (2,95 %) et Rhône-Alpes (2,86 %) mais devant l’Île‑de‑France (2,70 %).

25 La cartographie des résultats des principaux candidats fait ressortir les permanences et les singularités en 2012 de leur implantation géographique intra-régionale. Conçue à l’échelle cantonale, cette cartographie réalisée par Jean‑Philippe Droux dans le cadre de l’Atelier de cartographie, organe du CRESAT de l’Université de Haute-Alsace dirigé par Nicolas Stoskopf6 souligne la variété des zones d’influence des principales forces politiques avec quelques grands traits généraux comme le surcroît d’influence de la gauche dans les grandes zones urbaines régionales alors que les cantons de la ruralité privilégient nettement le vote à droite.

26 La carte du vote pour Nicolas Sarkozy au premier tour corrobore la tradition des scores majeurs de la droite aux extrémités méridionales et septentrionales de la région où les rivalités entre centrisme et gaullisme ont longtemps animé les joutes électorales. Dans ces deux zones, la rivalité a souvent tourné au bénéfice des gaullistes dont les figures de François Grussenmeyer, député de Wissembourg de 1958 à 1993 ou Pierre Weisenhorn, député d’Altkirch de 1971 à 1988 ont été emblématiques. Les cantons de Wissembourg, Lauterbourg et Seltz au nord, ceux de Hirsingue, Ferrette, Huningue et Sierentz au sud ont enregistré des résultats qui voisinent les 40 % des suffrages pour Nicolas Sarkozy. Au cœur du Sundgau, le canton de Ferrette avec 44,4 % des suffrages donne son meilleur score cantonal au président sortant devant celui de Lauterbourg avec 42 %. La carte fait également ressortir une vaste couronne péri-strasbourgeoise prenant en écharpe la ville de Strasbourg, de Brumath à Obernai, zone des villages de lotissement et de l’habitat pavillonnaire greffés sur de vieux cœurs de village et maillée par un réseau dense de petites villes. Dans cette couronne, le canton de Truchtersheim où Nicolas Sarkozy a obtenu 41,3 % des suffrages fait figure de leader de ce vote. Les caractéristiques socio-économiques soulignent l’embourgeoisement de ce canton devenu l’un des plus riches de la région puisque l’ISF y est payé par 12 % des foyers contre 3 % en moyenne régionale. Au-delà de ce canton, tous les autres, Brumath, Hochfelden, Wasselonne, Mundolsheim, Geispolsheim, Obernai, Rosheim et dans une moindre mesure Molsheim et Erstein participent de ce phénomène difficile à identifier mais de plus en plus marquant de la « périurbanisation » qui déstructure les anciens rapports ville-campagne. Dans ces zones , ni vraie ville, ni vraie campagne où vivent 30 à 40 % de la population française, majoritairement des classes moyennes, s’inventent de nouveaux modes de vie dominés par l’habitat pavillonnaire, l’importance quotidienne des transports pour les trajets domicile-travail, une sociabilité singulière de

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lotissement qui n’est pas sans résonnances autarciques et corrélativement une certaine distance vis à vis des formes traditionnelles de la vie villageoise, y compris sur le plan politique. Certains auteurs y ont repéré les croissances nouvelles des votes extrémistes de droite comme de gauche, le pavillon apparaissant comme lieu de refuge et de repli devant les menaces extérieures. Ce schéma ne correspond pas à la situation alsacienne et en particulier péri-strasbourgeoise : ces zones sont résolument sarkozystes et non lepénistes. Si on prend les deux zones contigües du canton 6 de Strasbourg Hautepierre-Cronenbourg et du canton de Mundolsheim, on observe que Nicolas Sarkozy obtient 19,3 % des suffrages dans le premier et 38,1 % dans le second soit pas loin du simple au double. À l’inverse François Hollande obtient 41,1 % des voix dans le premier et 19,4 % dans le second, du simple au double également. L’hétérogénéité socio-économique et urbanistique des deux cantons est extrême et souligne ce qui pourrait apparaître comme une opposition frontale des zones de banlieues et des zones péri-urbaines. Cette géographie politique semble singulière mais rejoint les constats anciens du déplacement à droite des électeurs des zones d’habitation individuelle avec accession à la propriété de ménages venant des villes, attirés par ces zones encore accessibles du point de vue du prix de l’immobilier. Dans l’Alsace centrale, le canton de Kaysersberg offre son meilleur score haut‑rhinois (37,04 %) à Nicolas Sarkozy avec des communes viticoles qui dépassent les 40 % comme Zellenberg (46,9 %), Niedermorschwihr (44,7 %), Bennwihr (42,2 %), Katzenthal (41,4 %) ou Riquewihr (41,3 %). Par contraste, les zones de moindre vote en faveur de Nicolas Sarkozy sont celles des villes de Mulhouse et Strasbourg. Au sein de celles-ci le niveau socio-économique est discriminant. Quartier nord-ouest à Strasbourg, canton sud de Mulhouse sont des zones de richesse où le vote sarkozyste est majoré. La géographie du vote sarkozyste de 2012 rappelle les concentrations traditionnelles aux extrémités nord et sud de la région, du vote en faveur des droites parlementaires et fait ressortir plus nettement que lors d’autres scrutins une adhésion majorée dans les zones péri-urbaines strasbourgeoises.

27 Le vote en faveur de Marine Le Pen est aujourd’hui illustré par des évolutions que fait ressortir la carte que nous avions publiée consécutivement aux élections présidentielles de 1988. Si aux origines, l’implantation est strictement mulhousienne et strasbourgeoise, dès 1988 « la cartographie du vote lepéniste fait assez nettement apparaître plusieurs zones de concentration d’un vote rural : dans le Bas-Rhin, le vignoble de Dambach-la-Ville à Obernai, une vaste zone intermédiaire au nord-ouest de l’agglomération strasbourgeoise, du début de la vallée de la Bruche aux Basses-Vosges près de Niederbronn, et enfin une troisième zone, l’Alsace Bossue… Dans le Haut‑Rhin, une accentuation radioconcentrique de vote autour de Mulhouse est clairement perceptible avec un prolongement jusqu’à Saint‑Louis et la frontière helvétique à l’est, et vers la vallée de Saint-Amarin à travers les cantons très industriels de Cernay et de Thann, à l’ouest » écrivions-nous7. À première vue, les zones du plus fort pourcentage de voix lepénistes de 2012 paraissent davantage caractériser les périphéries de la région, comme si les centres urbains de Strasbourg et Mulhouse les avaient aujourd’hui refoulées. Au tournant du siècle, le canton 10 de Strasbourg Neuhof-Stockfeld et le canton nord de Mulhouse étaient emblématiques de l’implantation du FN dans des zones urbaines peuplées de grands ensembles et de populations touchées par le chômage avec des taux d’ouvriers élevés. Aujourd’hui en 2012, le vote lepéniste dessine deux bandeaux transversaux, au nord, de Sarre‑Union à Bischwiller, au sud, en diagonale de Neuf-Brisach à Dannemarie, et dispose de points d’appui en fonds de

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vallées vosgiennes, les cantons de Schirmeck et Saales, celui de Sainte-Marie-aux Mines, celui de Saint-Amarin. Les trois cantons du plus fort vote sont en 2012 ceux de Sarre-Union (31,9 %), Niederbronn‑les‑Bains (30,8 %) et Drulingen (30,45 %) presque à égalité avec celui de Sarre‑Union (30,43 %). Dans le Haut‑Rhin, seul le canton de Saint‑Amarin (30,2 %) dépasse les 30 % de voix en faveur de Marine Le Pen. Les différences avec 1988 tiennent surtout à l’atténuation de l’influence dans le vignoble bas‑rhinois et à son accentuation dans la Haute-Vallée de la Bruche. En 1995 le canton de Barr apportait 26,4 % de ses suffrages à Jean-Marie Le Pen et celui d’Obernai 29,2 %. Ils ont voté respectivement à 20,4 % et 23,4 % en faveur de Marine Le Pen en 2012. En 1995 encore, les pourcentages de vote les plus élevés en faveur de Jean-Marie Le Pen étaient enregistrés dans les cantons de Niederbronn‑les‑Bains (32,4 %), Bischwiller (32,4 %), Bouxwiller (32,2 %), Sarre‑Union (32 %), la Petite-Pierre (31,2 %) mais le record absolu du vote lepéniste appartenait au canton 10 de Strasbourg (Neuhof-Stockfeld) avec 33,8 % des suffrages exprimés. Pas moins de la moitié des cantons strasbourgeois Cronenbourg-Hautepierre (27,1 %), Meinau (20,5 %), Neudorf (21,6 %), Koenigshoffen- Elsau (27,4 %), et Neuhof‑Stockfeld (33,8 %) avaient voté à plus de 20 % en faveur du leader du FN. La véritable différence avec cette période réside sans nul doute dans cette progressive érosion du vote FN dans ces zones urbaines. En 2012, le canton 10 Neuhof- Stockfeld reste le canton du plus fort vote lepéniste strasbourgeois mais avec 19,9 % seulement et dans les autres cantons de Neudorf (13,2 %), Cronenbourg-Hautepierre (13,2 %) Koenigshoffen-Elsau (16,7 %) et Meinau (13,1 %), les scores de marine Le Pen sont très en deça de ceux de son père à l’époque, ce qui n’est pas le cas des cantons lepénistes du nord de la région. En 1995, la somme des voix lepenistes des dix cantons strasbourgeois étaient de 21 657 votes soit 16,6 % des 130 548 suffrages bas‑rhinois pour Jean-Marie Le Pen. En 2012, ces mêmes cantons ont enregistré 12 635 voix pour Marine Le Pen soit 10,2 % des 124 264 suffrages du département pour la nouvelle présidente du FN. Sur la ville de Mulhouse, les résultats de Marine dans le fief lepéniste du canton nord ont connu une érosion similaire à celle enregistrée à Strasbourg : avec 20,5 % des suffrages elle dépasse le médiocre résultat de son père en 2007 (16,4 %) mais reste éloignée des résultats de 2002 (24,7 %) et de ceux des années fastes, 1988 (29,9 %) et surtout 1995 (32,3 %).

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Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. Marine Le Pen

28 Par ailleurs, le vote du bloc des cantons ruraux lepénistes du nord de la région se distingue toutefois de celui des cantons lepénistes des fonds de vallées vosgiennes en 2012. De Sarre‑Union à Bischwiller, tous les cantons enregistrent des scores à la fois élevés pour Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen et dans aucun d’entre eux cette dernière ne devance le président sortant. Dans ces cantons très marqués à droite, nombre d’électeurs expriment avec une certaine permanence une adhésion au vote lepéniste, dans un contexte de fort enracinement global à droite. Au contraire, dans les quatre cantons de fonds de vallées vosgiennes, tous marqués par des déstructurations industrielles importantes sans relais significatifs dans des activités de service et la présence de certaines formes de paupérisation, le vote pour Marine Le Pen l’emporte constamment et nettement en pourcentage sur celui pour Nicolas Sarkozy. Dans le même temps, François Hollande et Jean‑Luc Mélenchon y réalisent des scores relativement élevés, très supérieurs à ceux des cantons lepénistes du nord de la région. François Hollande obtient 22 % des votes à Schirmeck, 19,9 % à Saales et 21,1 % à Sainte- Marie-aux-Mines tandis que son score tombe à 10,7 % à Seltz, 11,7 % à Sarre-Union ou 11,9 % à Drulingen.

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Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. François Bayrou

Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. Eva Joly

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Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. Jean-Luc Mélenchon

29 Ces élections de 2012 amorcent une certaine recomposition géographique du vote lepéniste en Alsace. Sa présence s’atténue dans les zones urbains centrales et confirme son implantation dans les zones périphériques de la région, qu’il s’incarne comme une radicalisation de l’enracinement idéologique à droite comme dans les cantons du nord- ouest de la région ou qu’il s’inscrive dans des cantons de déprise économique et sociale marquée, comme les cantons des fonds de vallées vosgiennes.

30 Le vote en faveur de François Bayrou en 2012 a été marqué par un net retrait de son influence puisque dans le Bas‑Rhin, son électorat est passé de 131 484 suffrages en 2007 à 69 940 en 2012, et dans le Haut‑Rhin de 82 855 suffrages à 46 175 soit une baisse de près de moitié, légèrement plus marquée dans le Bas‑Rhin (- 48 %) que dans le Haut‑Rhin (- 44,3 %). La carte de ce vote en 2012 souligne globalement une meilleure implantation dans le nord et le centre de la région que dans le sud. Dans le nord son influence s’est réduite en zone strasbourgeoise – 24 382 suffrages en 2007, 11 096 en 2012 dans la ville de Strasbourg – mais reste plus marquée dans les cantons au nord‑ouest de Strasbourg, de Wissembourg (13,4 % en 2012) à Rosheim (13,8 %), à l’exclusion des cantons d’Alsace Bossue (canton de Sarre‑Union, 10,8 %). Une deuxième zone d’influence est constituée autour du vignoble bas‑rhinois et une troisième autour du vignoble haut‑rhinois, de Ribeauvillé à Wintzenheim. Dans le reste du Haut‑Rhin, l’influence de Bayrou s’accentue sur Dannemarie (13 %) et Altkirch (13,3 %). Sur Mulhouse, le canton de Mulhouse-Sud (11,7 %) ressort avec un score légèrement supérieur à celui des autres cantons mulhousiens de même qu’à Strasbourg, les cantons bourgeois du centre, quartier des XV-Orangerie (12 %) et Robertsau (12,3 %) en particulier. Avec des nuances, la géographie du vote Bayrou a accentué ses proximités avec le vote Sarkozy par rapport à d’autres scrutins où la différence nord-sud dans le vote centriste était plus marquée. Les zones de moindre influence sont

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particulièrement similaires. Peut-être faut-il y voir l’effet d’estompage du clivage centriste/gaulliste depuis la création de l’UMP par Jacques Chirac en novembre 2002.

31 Le vote écologiste pour Eva Joly dessine une carte qui est singulière, en particulier par rapport au vote socialiste pour François Hollande avec lequel EE-LV a signé un accord électoral en novembre 2011. La caractéristique du vote écologiste en Alsace est de détenir des points d’appui dans des zones où l’implantation de la gauche comme de la droite peut être forte. C’est ainsi que fortement implantés sur Strasbourg (4,2 % des suffrages contre 2,7% en moyenne régionale), les écologistes sont particulièrement présents dans les cantons de la Gare (7,3 %), du Centre-Ville (5,3 %) et de l’Esplanade- Krutenau (5,3 %) où le PS est électoralement influent mais aussi dans des cantons de forte implantation de la droite comme ceux de la Robertsau (3,6 %) ou du Conseil des XV-Orangerie (5 %). De même sur Mulhouse (2,6 % en moyenne), Eva Joly réalise ses meilleurs scores dans le canton de Mulhouse-Sud (2,7 %) plutôt résidentiel à l’opposé du canton Nord (1,9 %). La véritable caractéristique d’implantation du vote écologiste réside dans la majoration de son influence dans une vaste zone centrale, à cheval sur les deux départements, du canton de Barr (3,4 %) à celui de Guebwiller (3,2 %), le long du piémont et dans les vallées vosgiennes de Villé (canton 4,3 %), Lapoutroie (4,9 %) et Munster (3,6 %). On retrouve également un point d’appui de ce vote au sud dans le Sundgau, à un degré moindre il est vrai. Cette géographie du vote écologiste rend compte d’une diffusion de cette sensibilité en zone rurale dense de manière relativement constante et contredit en Alsace l’idée d’un vote qui serait surtout celui de bourgeois-bohèmes urbains dénommés bobos.

32 Le vote pour François Hollande rejoint les caractéristiques géographiques usuelles du vote de gauche en Alsace en 2012. Les plus forts scores sont remarquablement concentrés sur les villes, Strasbourg (32,1 % des suffrages au 1er tour contre 19,3 % en moyenne régionale) et Mulhouse (30,8 %) où le socialisme a une présence ancienne et constante, mais aussi, dans une moindre mesure, sur Colmar (24 %). Dans le cas de Strasbourg, cette présence est diffuse sur l’ensemble de la ville avec un surcroît de voix dans les cantons de Hautepierre-Cronenbourg (41,1 %), Gare (34,7 %) et Esplanade- Krutenau (34,2 %). Schiltigheim se rattache par son score (30,7 %) aux cantons intra- strasbourgeois contrairement à Illkirch-Graffenstaden au sud (23,6 %). À Mulhouse, François Hollande majore le pourcentage de ses voix dans les cantons Nord (36 %) et Ouest (33,2 %) par opposition au canton Est (26,3 %) et Sud (21,4 %). Une vaste zone de cantons avec des pourcentages légèrement supérieurs à la moyenne régionale du vote s’étend d’Ensisheim à Guebwiller, Masevaux et Habsheim, englobant le fief de toujours, le Bassin Potassique. On retrouve un arc de même intensité de vote dans le sud du Bas‑Rhin, de Mundolsheim à Schirmeck jusqu’à Sélestat. L’influence est nettement inférieure dans les zones de l’extrême nord et de l’extrême sud de la région. François Hollande n’enregistre à Sarre‑Union que 11,7 % des suffrages et 9 % à Ferrette.

33 La carte du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon (7,3 % des suffrages en moyenne régionale) frappe essentiellement par ses proximités avec celle de François Hollande. Tout au plus note-t-on quelques accentuations du vote dans les cantons de Guebwiller et Cernay au Sud mais aussi de Sainte-Marie-aux Mines et Lapoutroie ainsi que sur le canton Nord de Mulhouse. À Strasbourg, il majore ses scores sur les cantons de Hautepierre-Cronenbourg (12,8 %), Gare-Finckwiller (15,2 %) et Esplanade-Krutenau (13,8 %). Au nord de Strasbourg les votes sont très faibles, un peu moins faibles sur le canton de Saverne (6,7 %) ou comme François Hollande, le résultat en sa faveur est

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légèrement supérieur à celui des cantons environnants. Par la géographie, le vote pour Mélenchon s’inscrit clairement dans les zones d’influence de la gauche.

34 La carte de l’abstention reste dans l’ensemble plutôt difficile à interpréter d’un point de vue politologique. À première vue, elle est davantage concentrée dans les trois villes les plus importantes de la région, en particulier sur Strasbourg (23,8 % d’abstention contre 20,3 % en moyenne régionale) et Mulhouse (30,1 %). À Strasbourg, elle est plus élevée dans le quartier du Neuhof (29 %), là où le vote lepéniste a reculé. Mais elle est diffuse dans de larges zones qui correspondent aussi dans le nord aux zones d’influence de ce même vote frontiste et dans le sud à la vaste zone d’influence de la gauche au nord de Mulhouse. Elle est de manière très contrastée très faible dans le canton de Seltz (17 %) et élevée dans celui de Wissembourg (22 %). Un contraste similaire existe entre le canton de Ferrette (17,3 %) et celui de Huningue (22,3 %). La forte ouverture de Wissembourg et Huningue vers les régions étrangères voisines suffit-elle à expliquer cette élévation du taux d’abstention ? On peut observer que le taux d’abstention alsacien (20,3 %) est plus élevé à cette élection présidentielle 2012 qu’en moyenne nationale (19,6 %). Il est fréquent que ce soit le cas à d’autres élections et l’Alsace a une certaine réputation d’abstentionnisme : même abstention qu’au niveau national aux législatives de 2007 (44,1 %) mais 40 % aux législatives de 2002 contre 35,6 % au niveau national par exemple. Mais ceci n’a pas été vrai aux élections présidentielles. Le taux alsacien a longtemps été plus faible qu’au niveau national : 14,3 % contre 15,8 % en 1974, 14,6 % contre 18,9 % en 1981, 26,1 % contre 28,4 % en 2002. En 2007 pour la première fois, la tendance s’est inversée. Le taux d’abstention alsacien à cette présidentielle est devenu plus important qu’au niveau national : 17 % contre 15,2 %. Cette tendance s’est confirmée à cette élection de 2012, sans que toutefois l’écart s’accentue.

35 Le premier tour de cette élection présidentielle 2012 n’a pas infirmé les scores obtenus par Nicolas Sarkozy qui n’a enregistré qu’un léger tassement de trois points de pourcentage en 2012 par rapport à 2007. Par ailleurs, alors que François Hollande fait deux points de plus que Ségolène Royal en 2007 qui devançait alors Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen se place nettement devant le candidat du PS. Elle retrouve ce socle de près de 200 000 électeurs frontistes alsaciens, en l’occurrence 219 251 voix, plus que ce que son père avait enregistré en 1995 (218 648 voix) et en 2002 (192 584 voix). Jacques Fortier a résumé les leçons de ce premier tour dans la formule-titre de son analyse « Sarkozy résiste, Le Pen se renforce »8. La chute de François Bayrou qui a perdu 98 223 suffrages de 2007 à 2012 en Alsace est une autre des données d’évolution marquantes de ce premier tour 2012 dans la région.

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Elections présidentielles 2012 en Alsace. 1er tour. Abstention

Le deuxième tour des présidentielles : l’Alsace à contre-courant

36 La campagne de deuxième tour s’établit dans les règles d’un duel désormais classique entre la droite et la gauche fédérées autour des deux candidats arrivés en tête au premier tour. Cette campagne a été marquée par peu d’événements régionaux, même si les militants de chacun des partis ont été à la tâche pour convaincre localement les électeurs. Comme à l’accoutumée, une grande partie de la campagne s’est déroulée par médias interposés, la télévision en particulier avec son point d’orgue, le débat télévisé entre les deux candidats. Nicolas Sarkozy en souhaitait plusieurs sur des thématiques différentes. François Hollande n’en a concédé qu’un seul. Il a eu lieu le 2 mai 2012. Comme pour le premier tour, et bien que cela reste difficile à estimer, une partie de la bataille médiatique s’est déroulée sur la toile, sur les sites des formations politiques mais surtout sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter désormais partie prenante des jeux d’influences interindividuelles au même titre que le bouche à oreille. Plusieurs observateurs ont relevé que les électeurs indécis font encore leur choix à la lecture des documents électoraux dont la loi impose la distribution par voie postale à chaque électeur inscrit. D’un point de vue politique, les consignes de vote des candidats non retenus du premier tour n’ont été surprenantes que de la part de François Bayrou qui a préconisé de voter François Hollande, déroutant ainsi la part de son électorat qui penche à droite. Quant à Marine Le Pen, elle n’a donné aucune consigne de vote mais a indiqué qu’elle voterait blanc au deuxième tour des présidentielles et « bleu marine » aux législatives.

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37 Au deuxième tour des élections présidentielles de 2012, l’Alsace a largement confirmé son choix de 2007. Nicolas Sarkozy a totalisé 605 538 voix en sa faveur soit 63,4 % des suffrages et gagné 279 225 voix d’un tour à l’autre. L’Alsace s’est ainsi positionnée, et de loin, comme la région la plus sarkozyste de France. Au niveau national, il n’a obtenu que 48,4 % des voix soit un écart de quinze points de pourcentage avec son score alsacien. Il a pratiquement stabilisé son résultat de 2007 en Alsace où il avait totalisé 641 324 voix représentant 65,5 % des suffrages exprimés. Huit régions métropolitaines ont donné l’avantage à Nicolas Sarkozy, outre l’Alsace, les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (57,6 %), Corse (55,9 %), Champagne-Ardennes (54,1 %), Rhône-Alpes (52 %), Lorraine (51,1 %), Franche-Comté (51 %) et Centre (50,6 %). Ce résultat confirme l’ancrage de la région à droite dans cette proportion de deux tiers des voix que nous avons relevé depuis longtemps comme une relative constante électorale de la région.

38 François Hollande obtient au 2e tour en Alsace 36,6 % des suffrages soit 349 615 voix contre 191 282 au premier tour. Ce faisant, il dépasse nettement les quelques 308 030 voix obtenues par les candidats clairement identifiés à gauche au premier tour et a donc glané des voix dans la faible augmentation de la participation d’un tour à l’autre, mais aussi, selon toute probabilité, parmi les électeurs de François Bayrou qui auront répondu à l’appel de leur leader à voter François Hollande.

Elections présidentielles 2012 en Alsace. 2nd tour. Bulletins blancs et nuls

39 Un des aspects singuliers de ce deuxième tour est la proportion des votes blancs et nuls. Ceux-ci sont passés de 19 825 au premier tour à 60 599 au deuxième tour représentant 4,8 % des votants contre 1,9 % au premier tour. Au deuxième tour de 2007, la proportion des blancs et nuls par rapport aux votants n’était pas négligeable mais n’avait été que de 3,6 % des votants. Ce surcroît tient certainement pour une bonne part à la consigne de vote dans ce sens de Marine Le Pen, ce que confirme la carte de

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ces votes blancs et nuls qui recoupent pour une large part les zones de concentration du vote lepéniste du premier tour dans les zones périphériques de la région, en particulier au nord et à la limite vosgienne ouest de la région, du canton de Schirmeck à celui de Dannemarie.

40 La carte des votes de deuxième tour par canton confirme pour l’essentiel les tendances structurelles du vote pour François Hollande et Nicolas Sarkozy du premier tour, avec des nuances toutefois. Dans le cas de François Hollande, la concentration de scores élevés dans l’ensemble de la ville de Strasbourg mais aussi dans les cantons de Bischheim, Schiltigheim et Illkirch-Graffenstaden qui constituent à ce deuxième tour un ensemble électoralement homogène avec les autres cantons de la ville, a été confirmée. Une variation par rapport au premier tour est la forte accentuation des votes en sa faveur dans les cantons vosgiens de Schirmeck, Saales et Sainte-Marie-aux- Mines qui avaient notamment des scores élevés pour Marine Le Pen au premier tour. Quant à la carte du vote Sarkozy majoritaire dans la région au deuxième tour, on observe que la zone périurbaine strasbourgeoise de forte implantation du vote en sa faveur au premier tour s’inscrit dans des classes de vote de niveau inférieur, sauf sur Rosheim et Wasselonne. Par contre, le niveau du vote Sarkozy se renforce dans les cantons de Bischwiller et Haguenau ainsi que dans l’Outre-Forêt, dans ceux de Woerth et de Soultz-sous-Forêt. L’accentuation du vote en faveur de Nicolas Sarkozy est également remarquable dans les cantons de l’Alsace Bossue, Sarre-Union et la Petite- Pierre en particulier.

41 L’Alsace a confirmé de très nette manière la permanence de son ancrage à droite au cours de ces élections présidentielles 2012. Nicolas Sarkozy n’a enregistré qu’un léger retrait de la position électorale qu’il avait acquise en 2007. Le déclin du vote en faveur de François Bayrou a certainement permis à Nicolas Sarkozy de conserver ses positions. Cela n’a toutefois pas suffi à empêcher le retour du Front National dans ses positions d’avant 2007, c’est à dire en Alsace à un niveau nettement plus élevé qu’au niveau moyen national. Quant à la gauche, si elle ne sort pas puissamment renforcée dans la région, elle consolide fortement son influence dans les trois centres urbains de la région qui sont ses bastions, Strasbourg en particulier. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’Alsace est à certains égards, dans une situation comparable à une région allemande conservatrice comme la Bavière dont la capitale Munich est traditionnellement dominée par une majorité de centre-gauche comprenant aujourd’hui le SPD, les Verts et la Rosa Liste.

Des élections législatives dans l’ombre projetée de la présidentielle

42 Les élections législatives de 2012 ont paru subir plus que les précédentes les effets de l’inversion du calendrier électoral proposée par Lionel Jospin et adopté par 300 voix contre 245 par l’assemblée nationale en décembre 2000. Elles n’ont que faiblement mobilisée l’opinion publique. La disparition de la scène publique de Nicolas Sarkozy après sa défaite a paru semer le trouble dans son propre camp où la rivalité entre Jean‑François Copé, secrétaire général de l’UMP et François Fillon, dernier Premier Ministre de Nicolas Sarkozy, a très vite ébranlé la cohésion de l’ancienne majorité. Dans le même temps, François Hollande, dès sa nomination, a constitué un gouvernement avec à sa tête l’ancien maire de Nantes, Jean‑Marc Ayrault, pour gérer la transition

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jusqu’aux élections législatives décisives en vue d’accompagner, d’une majorité appropriée la politique promise par le président nouvellement élu. Dans ce gouvernement, aucun ministre alsacien n’a été appelé à siéger.

Un important redécoupage électoral en préalable

43 La campagne législative proprement dite a été précédée par un redécoupage des circonscriptions électorales qui a été conduit en 2010 par Alain Marleix, ancien secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités locales, prédécesseur de Philippe Richert dans ce poste. Le programme de ce redécoupage était, outre de corriger les effets des évolutions démographiques locales pour conserver une jauge électorale proche de 100 000 inscrits par circonscription, de diminuer le nombre de députés afin de permettre la création de onze députés représentants des Français de l’étranger tout en conservant le même nombre total de 577 députés. Ceci explique notamment que le nombre de députés de l’Alsace soit passé de 16 à 15, la baisse impactant le département du Haut‑Rhin qui a perdu une circonscription, celle de Saint- Louis-Huningue. Ceci a conduit à la constitution d’une vaste circonscription de Huningue à Dannemarie incluant en son centre les cantons d’Altkirch, Hirsingue et Ferrette (3e circonscription), ce qui avait suscité les protestations véhémentes de Jean Ueberschlag, ancien maire de Saint-Louis, député de la circonscription supprimée, un proche de Jacques Chirac. Une autre modification importante a été la constitution de la 4e circonscription du Haut‑Rhin sur la base d’un regroupement transversal de cantons du Rhin aux Vosges regroupant des cantons de l’ancienne 7e circonscription, Ensisheim, Soultz et Cernay et des cantons de l’ancienne 3e circonscription du Haut‑Rhin, Saint‑Amarin, Thann et Masevaux, le canton de Guebwiller étant rattaché à la très vaste 2e circonscription du Haut‑Rhin étendue de Sainte‑Marie‑aux‑Mines à Guebwiller. La 5e circonscription de Mulhouse a été constituée des cantons Ouest, Est et Sud de la ville auxquels a été rattaché celui de Habsheim tandis que la 6e circonscription d’Illzach se présente désormais comme une vaste circonscription en clé à molette enserrant l’agglomération de Mulhouse et comprenant outre le canton d’Illzach, ceux de Wittenheim au nord et de Sierentz au sud.

44 Sur le Bas-Rhin, les ciseaux du découpeur de circonscription ont travaillé à la marge de certaines d’entre elles. À la 1ère circonscription du Bas‑Rhin a été rajoutée la partie sud du canton de Hautepierre-Cronenbourg, le reste du canton 6 étant rattaché à la circonscription 4, circonscription péri-urbaine de l’ouest strasbourgeois. À la 2e circonscription du Bas‑Rhin très urbaine du sud strasbourgeois a été rattaché le canton d’Illkirch-Graffenstaden tandis que la 5e circonscription de Sélestat échange avec celle de Molsheim (6e) le canton de Villé contre celui d’Obernai. D’autres reconfigurations concernent des fractions d’anciennes circonscriptions avec parfois des situations complexes comme la 9e circonscription du Bas‑Rhin, celle de Haguenau qui inclut cinq communes du canton de Bischwiller ou dans la 3e circonscription de Bas‑Rhin, Strasbourg-Schiltigheim à laquelle ont été rattachées les communes de Reichstett et Souffelweyersheim appartenant à des cantons dépendant de la 4e circonscription du Bas-Rhin. Ces redécoupages ne pouvaient bouleverser le paysage alsacien mais ils ont sans conteste eu certains effets électoraux, notamment dans le cas de la 3e circonscription du Bas‑Rhin.

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Une campagne sans relief

45 La campagne du premier tour des élections législatives s’est révélée singulièrement morne par comparaison à l’élection présidentielle dont l’intensité sur la fin a été exceptionnelle comme c’est fréquemment le cas dans des élections d’alternance. Le découragement attaché à la défaite, l’amorce de rivalités pour le contrôle de l’UMP entre François Fillon et Jean-François Copé, à l’opposé, la crainte de ne pas trouver une majorité parlementaire susceptible d’appuyer la mise en œuvre des projets de François Hollande ont marqué une campagne dont la population et les médias ont semblé se désintéresser. Sur le terrain toutefois, les ambitions de conquête des circonscriptions ont suscité une campagne où dans une région comme l’Alsace, compte tenu du rapport de force globalement favorable à l’UMP et ses proches, les rivalités de personne se sont aiguisées au sein de la droite.

46 L’affrontement dans la 1ere circonscription du Haut‑Rhin entre le maire de Colmar, Gilbert Meyer et le député sortant Éric Straumann, investi par l’UMP, la lutte entre le maire de Haguenau, Claude Sturni et le maire de Bischwiller, Nicole Thomas investie par l’UMP, ont été particulièrement symboliques de ces rivalités internes à la droite parlementaire apparues dans nombre de circonscriptions d’autant que quatre sortants avaient décidé de ne pas se représenter, en l’occurrence Jean Ueberschlag, élu de 1986 à 2012 de la précédente 4e circonscription du Haut‑Rhin (Saint‑Louis-Huningue) Alain Ferry, député de la 6e circonscription du Bas‑Rhin (Molsheim‑Villé) de 1993 à 2012, Émile Blessig député de la 7e circonscription du Bas‑Rhin de 1986 à 2012 et Yves Bur, député de la 4e circonscription du Bas‑Rhin de 1995 à 2012, tous élus du premier tour en 2007. Dans le cas de ce dernier, on relèvera l’intelligence avec laquelle il a su imposer Sophie Rohfritsch, maire de Lampertheim et vice-présidente du Conseil Régional pour lui succéder, en évitant un parachutage élyséen qui n’aurait pas manqué de se manifester ou des candidatures locales qu’il ne souhaitait pas voir se présenter. Il a attendu quelques jours avant l’échéance des déclarations de candidature pour annoncer sa décision de ne pas se représenter et soutenir celle qui avait été sollicitée pour être sa suppléante, lui-même devenant suppléant de la nouvelle candidate.

Un premier tour avec moins d’élus qu’en 2007

47 Le premier tour de ces législatives qui ont eu lieu le 10 juin 2012 par un temps mitigé, ont donné lieu à une participation modeste de 54,6 %, plus faible en Alsace que la participation au niveau national de 57,4 %. Qu’en Alsace, une région qui a voté aussi fortement en faveur de Sarkozy, la déception ait pu conduire à un certain désintérêt pour cette élection législative est d’évidence. On peut toutefois noter que les électeurs alsaciens ont, de manière répétée, tendance à davantage participer aux élections présidentielles qu’aux élections législatives. C’est un trait qu’ils partagent avec l’ensemble du pays. Mais, par ailleurs, ils ont eu longtemps tendance à moins participer aux élections législatives. En 2007, la participation régionale aux législatives s’est établie à 55,9 % équivalente à la participation nationale alors qu’en 2002 (60 % en Alsace contre 64 % en France entière), en 1997 (67,4 % contre 68 %) et en 1993 (67,8 % contre 68,2 %) la participation alsacienne s’est constamment maintenue à un niveau plus faible qu’au niveau national. L’élection législative de 2012 confirme la tendance régionale de

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longue durée alors que les élections législatives de 2007 ont fait figure d’exception par l’intensité de la participation des électeurs alsaciens aux élections législatives.

48 Les résultats du premier tour des législatives n’ont pas été marqués par un bouleversement du paysage politique mais plutôt par un effet de souffle de la présidentielle sur l’élection législative, effet relativement important au niveau national, modeste à l’échelle alsacienne. Le PS a capitalisé 29,3 % des suffrages exprimés à l’échelle nationale contre 16,9 % en Alsace où l’UMP est arrivé largement en tête avec 35,2 % des voix contre 27,2 % au niveau national. Dans la région, le Front National a précédé le PS avec 17,4 % des voix alors qu’il s’est limité à 13,7 % des voix sur la France entière. L’UMP a devancé nettement les autres formations en Alsace mais moins nettement qu’en 2007. Onze députés UMP ou proches ont été élus dès le premier tour en 2007. Seuls trois l’ont été en 2012. Il s’agit de Frédéric Reiss dans la 8e circonscription du Bas‑Rhin (53,6 % en 2012 contre 65,9 % en 2007), de Jean‑Luc Reitzer dans la 3e circonscription du Haut‑Rhin (54,8 % contre 63,8 %), de Laurent Furst dans la 6e circonscription de Bas‑Rhin avec 51,7 % alors qu’Alain Ferry avait obtenu 67,4 % des suffrages en 2007. L’élection de ce dernier, maire de la principale ville de la circonscription, Molsheim, adoubé par son prédécesseur Alain Ferry, a été particulièrement brillante. Il est exceptionnel qu’une première candidature à la députation se traduise par une victoire au premier tour. Par ailleurs, ce n’est que dans la circonscription d’Illzach (5e du Haut‑Rhin) que le Front National a pu imposer une triangulaire grâce au 25,2 % des voix obtenus par Martine Binder. Les écologistes ont été présents dans trois duels avec les candidats de la majorité alsacienne et les socialistes dans sept affrontements droite/gauche. Pour le PS, Armand Jung a été le seul à obtenir avec 41,2 % des suffrages, une nette avance sur sa concurrente de l’UMP, Anne Hulné (28 %). Deux circonscriptions ont paru condenser les possibilités d’augmenter les chances du PS. À Mulhouse, Pierre Freyburger du PS (33,8 %) a talonné en deuxième position la députée sortante UMP, Arlette Grosskost (39,9 %). C’est sur Strasbourg qu’ont paru se concentrer les chances du PS d’emporter un deuxième siège dans la région. Dans la circonscription de Strasbourg 2 regroupant les cantons sud de la ville auxquels a été adjoint par la grâce du redécoupage, le canton d’Illkirch- Graffenstaden, Philippe Bies, adjoint au maire de Strasbourg a devancé le député sortant Jean‑Philippe Maurer avec 37,6 % des suffrages exprimés contre 34 % à son adversaire. Dans les autres circonscriptions, la victoire de la majorité alsacienne, a paru acquise dès le premier tour. Une des singularités de ce premier tour a été la 7e circonscription du Bas‑Rhin où les deux candidats arrivés en tête ont été, d’une part, Thierry Carbiener, centriste, conseiller général, ancien maire de Saverne de 2001 à 2008 qui a totalisé 20,5 % des voix et d’autre part, Patrick Hetzel avec 31,4 % des voix. Ce dernier, professeur des Universités, ancien directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche, originaire de Sarre‑Union, venait tout juste de bénéficier du désistement du député-maire de Saverne, Émile Blessig qui avait tardivement annoncé qu’il renonçait à briguer un quatrième mandat le 30 mars 2012 alors même qu’il avait déjà été investi par l’UMP.

49 Au final, ce premier tour des législatives du printemps 2012 a confirmé avec mesure des tendances observées tant aux municipales de 2008 qu’aux régionales de 2010 et aux cantonales de 2011 : des progressions modestes mais réelles de l’audience des socialistes et des verts, en particulier dans les principaux centres urbains, même si

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l’Alsace est restée très majoritairement ancrée à droite dans les espaces péri-urbains et ruraux surtout.

Un deuxième tour de confirmation de l’ancrage majoritaire à droite et de la progression du PS

50 Le dimanche 17 juin 2012, jour partagé entre pluie le matin et soleil l’après-midi, les électeurs alsaciens ont reconduit une très nette majorité de droite dont l’UMP est le maître d’œuvre dans la représentation de la région à l’Assemblée nationale même si la gauche a élargi son assise strasbourgeoise. Tout en soulignant que « seulement un électeur alsacien sur deux avait voté », Yolande Baldenweck résumait la situation en titrant son analyse : « la droite retrouve des couleurs mais la gauche double son score » 9. Philippe Bies a en effet conquis la 2e circonscription du Bas‑Rhin permettant au PS de doubler le nombre de ses députés en Alsace. Il n’en reste pas moins que sur les quinze députés alsaciens de 2012, treize se rattachent à la majorité alsacienne. Dans la Lorraine voisine, ce même soir la gauche l’a emporté sur la droite avec onze sièges de députés contre dix. Le contraste est encore plus marqué avec le niveau national où le PS et ses alliés se sont imposés avec 314 sièges contre 229 à l’UMP et ses alliés, les Verts obtenant 17 sièges, le Front de gauche 10 sièges, le FN deux sièges, l’extrême-droite un siège, le Modem deux sièges et deux sièges étant attribués à des candidats divers centre.

51 En Alsace, au final de ce deuxième tour, dans le Haut‑Rhin tous les candidats sortants ont été réélus et la droite a opéré le grand chelem. Dans ce département, trois députés, Jean-Louis Christ (63,5 % des suffrages exprimés), Michel Sordi (63 %) et Eric Straumann ont été élus avec plus de 60 % des voix. Arlette Grosskost a réussi à l’emporter nettement dans la 5e circonscription du Haut‑Rhin, celle de Mulhouse en arrivant en tête dans le canton de Habsheim (64 %) et celui de Mulhouse Sud (57,9 %). Dans la triangulaire de la 6e circonscription du Haut‑Rhin, celle d’Illzach, Francis Hillmeyer candidat du centre mais qui avait rallié Nicolas Sarkozy dans la précédente mandature, l’a emporté avec 44,1 % des suffrages devant la candidate socialiste Malika Schmidlin- Ben M’Barek (32,6 %) qui a précédé la candidate du Front National, Martine Binder (23,3 %), seule rescapée lepéniste du premier tour.

52 Dans le Bas-Rhin, les résultats ont fait apparaître un renouvellement marqué de la représentation parlementaire et un net rajeunissement de celle-ci. Quatre nouveaux députés sur neuf ont été élus dont un, Laurent Furst, dès le premier tour. À cela s’ajoute que cette représentation comportera désormais une femme en la personne de Sophie Rohfritsch qui prend la suite d’Yves Bur devenu son suppléant dans la 4e circonscription du Bas‑Rhin où elle a obtenu pas moins de 65 % des voix face à la représentante du PS Nadine Soccio. Dans la circonscription de Saverne, Patrick Hetzel a réussi sans coup férir à être élu après une campagne éclair avec pas moins de 57,2 % des voix et près de 5 000 voix d’avance face à Thierry Carbiener, ancien maire de Saverne et conseiller général. C’est la première fois sur cette circonscription, depuis la défaite d’André Westphal en 1974 vaincu par Adrien Zeller, qu’un candidat originaire de Sarre- Union l’a emporté sur un candidat de Saverne. Quant à Claude Sturni, il a permis pour la première fois qu’un maire de Haguenau soit également le député de la circonscription en l’emportant sur Nicole Thomas, maire de Bischwiller qui avait pourtant bénéficié de l’investiture officielle de l’UMP. Deux députés sortants de l’agglomération strasbourgeoise ont par ailleurs été réélus. Le PS Armand Jung a

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obtenu une victoire large et attendue dans la 1ère circonscription du Bas-Rhin avec 66,6 % des suffrages. André Schneider pour l’UMP l’a emporté plus difficilement avec 673 voix d’avance seulement sur 33 947 suffrages exprimés devant la candidate d’Europe Écologie-Les Verts, Andrée Buchmann, figure historique de l’écologie alsacienne. Dans un autre contexte, Antoine Herth de la Majorité Alsacienne l’a emporté sans difficultés face au candidat écologiste Daniel Ehret avec 67,8 % des voix. Le seul véritable changement politique de cette élection législative est le gain de la 2e circonscription du Bas-Rhin par Philippe Bies au détriment du député sortant UMP Jean-Philippe Maurer dont c’était le premier mandat. Le candidat du PS, vice-président de la CUS en charge de la rénovation urbaine, président de CUS Habitat et d’Habitation moderne, a disposé d’une nette victoire avec 52,2 % des suffrages dépassant son adversaire de 1 618 voix. Ce sont les cantons strasbourgeois qui lui ont permis de l’emporter avec un score particulièrement élevé dans le canton Esplanade-Krutenau (61,6 %) alors qu’il a été devancé par le député sortant sur le canton d’Illkirch- Graffenstaden. Jean-Philippe Maurer a totalisé 54,8 % des voix dans ce canton qui avait déjà donné une majorité de voix à Nicolas Sarkozy alors que la ville d’Illkirch- Graffenstaden avait réélu avec 70 % des voix en 2008, son maire socialiste, Jacques Bigot, devenu la même année, président de la CUS.

Pour conclure

53 Au final ces élections législatives auront permis un certain renouvellement et rajeunissement de la représentation parlementaire dans le Bas‑Rhin et le gain d’un siège pour le PS sur son fief de Strasbourg. Les grands équilibres politiques de la région dont le fort ancrage à droite reste marqué, n’ont pas été modifiés. Les législatives confirment toutefois une certaine érosion des positions de l’UMP clairement perceptible au premier tour de ces législatives. Cette évolution avait déjà été remarquée au premier tour des élections régionales de 2010 alors qu’à ces élections présidentielles de 2012, le recul de Nicolas Sarkozy par rapport à 2007 a été particulièrement faible par comparaison avec le reste du pays. Dans le même temps, le Front National a reconquis avec Marine Le Pen une audience qu’il avait perdue en 2007 mais qu’il n’a pu confirmer aux législatives.

NOTES

1. KLEINSCHMAGER (Richard), « Les élections régionales de 2010 », in Revue d’Alsace, no136, 2010, p. 356. 2. KLEINSCHMAGER (Richard), « Les élections cantonales du printemps 2011 », in Revue d’Alsace, no137, 2011, p. 413‑426. 3. INSEE, Produits intérieurs bruts régionaux de 1990 à 2009, et Valeurs ajoutées régionales, de 1990 à 2009, site INSEE, 2010. 4. INSEE, RP 2008 exploitations complémentaires.

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5. KEIFLIN (C.) « L’Alsace s’aligne sur le vote national », in Dernières Nouvelles d’Alsace, 11 octobre 2011. 6. CRESAT (Centre de recherche sur les Économies, les Sociétés, les Arts et les Techniques), Université de Haute Alsace, Campus Fonderie. Les présentes cartes seront publiées dans l’Atlas historique d’Alsace dirigé par Odile Kammerer. 7. KLEINSCHMAGER (Richard), « Le vote lepéniste alsacien du printemps 1988 », in Hérodote, no50-51, p. 22‑37, 1988. 8. FORTIER (Jacques), « Sarkozy résiste, Le Pen se renforce », in Dernières Nouvelles d’Alsace, 23 avril 2012. 9. BALDENWECK (Yolande), « La droite retrouve des couleurs, mais la gauche double son score », in L’Alsace, 18 juin 2012.

RÉSUMÉS

Les élections présidentielles et législatives du printemps de 2012 ont confirmé l’ancrage à droite de l’Alsace, à contre-courant du changement national de majorité. Aux élections présidentielles, Nicolas Sarkozy a confirmé sa première place de 2007 dans la région et Marine Le Pen a reconquis l’influence perdue à l’élection présidentielle précédente par son père. François Hollande a stabilisé la présence du PS tandis que François Bayrou a perdu une part significative de son électorat. Aux élections législatives, dans le souffle de la victoire présidentielle de François Hollande, le PS a obtenu un deuxième député sur les quinze députés de la région dont l’écrasante majorité se rattachent à l’UMP. Le PS consolide ses positions dans les principales villes, en particulier Strasbourg qui compte désormais deux députés se réclamant de la nouvelle majorité présidentielle socialiste. Ces élections ont marqué un certain renouvellement de génération dans la représentation parlementaire du Bas‑Rhin dont cinq députés sur neuf se sont fait élire pour la première fois contrairement au Haut‑Rhin dont tous les députés élus sont des sortants.

Both elections have confirmed the right-wing rooting of Alsace, contrary to the national trend’s change of majority. The presidential elections have confirmed Nicolas Sarkozy’s 2007 leadership in Alsace and Marine Le Pen has reconquered the influence her father had lost in the preceding ballot, while François Bayrou has lost a significant part of his electorate. As for the general elections, in the wake of François Hollande’s victory, the Socialist Party gained a second MP out of the 15 in Alsace, most of whom are affiliated to the UMP. The Socialist Party has gained strength in the main cities, particularly in Strasbourg where two Socialist MPs have been elected. The electoral results have renewed the parliamentary representation generationally: in the Bas- Rhin 5 MPS out of 9 have been given their first mandates, while in the Haut-Rhin all MPs have been re-elected.

Die politische Rechte bleibt im Elsaß gut verankert. Sowohl die Wahlen des Präsidenten als auch die Wahlen zum Parlament im Frühjahr 2012 haben dies wiederum bestätigt. Im Gegensatz zum übrigen Frankreich gab es hier keinen Wechsel der Mehrheit. In den Wahlen des Präsidenten hat Nicolas Sarkozy seinen ersten Platz, den er 2007 errungen hat, in Elsaß verteidigt. Und Marine Le Pen hat die Stimmen zurückgewonnen, die ihr Vater bei den vorhergehenden Wahlen verloren hat. François Hollande hat die Vertretung der PS stabilisiert. Von François Bayrou dagegen hat

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sich ein bedeutender Teil seiner Wähler abgewandt. In den Parlamentswahlen hat die PS von dem Aufwind des Sieges von François Hollande in den Präsidentenwahlen profitiert. Sie kann nun zwei statt bisher einen der fünfzehn elsässischen Abgeordneten ins Parlament schicken. Doch es bleibt dabei, deren überwältigende Mehrheit gehört weiterhin der UMP an. Die PS festigte ihre Position in den größeren Städten, vor allem in Strasbourg. Dort zählt die neue sozialistische Mehrheit des Präsidenten künftig zwei Abgeordnete. Diese Wahlen haben auch in anderer Hinsicht eine Erneuerung gebracht. Sie haben die Vertretung des Département Bas‑Rhin verjüngt. Fünf von dessen neun Vertretern wurden zum ersten Mal gewählt. Anders im Département Haut-Rhin. Dort waren alle gewählten Abgeordneten auch schon bisher Volksvertreter.

AUTEUR

RICHARD KLEINSCHMAGER Professeur de Géographie, Université de Strasbourg

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L'atelier de l'historien

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Chronique des Archives 2010-2011

Jean-Luc Eichenlaub

1 La Chronique des Archives rendant compte des activités 2009 est parue dans la Revue d’Alsace no136, 2010, p. 391‑397. Le lecteur a pu avoir un aperçu des activités des Archives départementales (Bas‑Rhin, Haut‑Rhin, Territoire de Belfort) et des archives municipales de Belfort, Colmar, Erstein, Guebwiller, Illkirch, Illzach, Ingersheim, Mulhouse, Munster, Saint-Louis, Turckheim, Strasbourg.

2 Il n’y a pas eu de Chronique des Archives complète dans la Revue d’Alsace n o137, 2011, mais une page consacrée à l’activité du service des archives de la Région Alsace en 2010 (p. 499). L’article d’Anne-Doris Meyer « Ressources alsatiques sur Internet » (p. 501-538) n’oublie par les archives départementales (p. 504-505).

3 Cette présente chronique prend en compte les éléments réunis pour l’activité des années 2010 et 2011 (sauf pour la Région Alsace où, comme indiqué ci-dessus, il a déjà été rendu compte de l’activité 2010).

4 Je remercie vivement tous ceux qui ont bien voulu rendre compte de leurs activités pour les lecteurs de la Revue d’Alsace.

Bas-Rhin

Archives départementales du Bas-Rhin, 5-7 rue Fischart - 67000 Strasbourg

Vie du service

5 Le classement des fonds de l’Enregistrement (1790-1969) a été achevé au printemps 2011.

6 Les Archives départementales ont intégralement indexé, pour faciliter les recherches, les 30 000 dossiers produits par les Renseignements généraux entre 1940 et 1960, ainsi que les dossiers de pupilles de l’État avant 1900.

7 Un nouveau professeur du service éducatif a pris ses fonctions en 2010. Deux dossiers pédagogiques ont été élaborés : « Des hommes et des loups » sur la Guerre de Trente

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Ans et « L’écrin et le joyau » sur l’abbaye de Koenigsbrück, de sa fondation à la Révolution. Le service éducatif a accueilli 575 élèves en 2010 et 665 en 2011.

Chiffres clés

8 10 314 communications de documents en 2010 ; 12644 en 2011.

9 19 kml d’archives administratives contemporaines ont été détruites réglementairement en 2010 (17 kml en 2011).

Site Internet

10 Les internautes peuvent consulter gratuitement sur la base Adeloch, depuis juillet 2010, l’ensemble des registres paroissiaux et de l’état civil jusqu’à 1902. Le service comptabilise près de 2 000 connexions par jour.

11 La mise en ligne de listes nominatives de population du XIXe siècle, base de données appelée Ellenbach, constitue la seconde importante réalisation des Archives. La base comptabilise déjà quelques 230 connexions par jour.

12 Les Archives départementales travaillent enfin à la totale refonte de leur site Internet en 2012.

Expositions et manifestations

13 Les Archives ont prêté 173 pièces de la collection Tomi Ungerer pour l’exposition « Tomi Ungerer, Gedanken bleiben frei » au Mémorial d’Osthofen en Allemagne (mai- août 2010).

14 Environ 60 témoins de la mobilisation de la jeunesse durant l’annexion de fait ont été enregistrés. Le témoignage des anciens prisonniers du camp de Tambov et des camps soviétiques assimilés a été privilégié. L’exposition « Que s’est-il passé au camp de Tambov 1943-1945 ? », présentée au Mémorial d’Alsace-Lorraine, en 2010-2011, en a présenté des extraits et proposé à la vente un DVD de témoignages.

15 Une exposition commémorative autour du centenaire de la loi constitutionnelle pour l’Alsace-Lorraine, promulguée le 31 mai 1911, a été présentée en mai 2011 au Palais du Rhin à Strasbourg. Cette exposition a également été déclinée sous forme de dossier pédagogique, accessible sur le site Internet des Archives départementales. L’exposition est présentée du 17 janvier au 11 mars 2012 au Mémorial d’Alsace-Lorraine.

16 Trois lectures d’archives ont été proposées dans le cadre des « 67 h du 67 » en octobre 2011, au cœur même des magasins de conservation. Les extraits de documents, en latin, allemand et français, lus par des acteurs professionnels, portés par le son du violoncelle ou du piano, et soutenus par un éclairage insolite, ont su captiver le public.

17 Enfin le déménagement définitif des Archives départementales devrait intervenir en 2012, la réouverture étant prévue en janvier 2013.

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Erstein, 1 place de l’Hôtel de Ville - 67150 Erstein

Nouveaux locaux

18 Depuis juin 2010 les Archives municipales d’Erstein sont établies dans leurs nouveaux locaux au 2 quai du Sable et sont ouvertes au public tous les mercredis de 13 h 30 à 17 h 00 et du lundi au vendredi sur rendez-vous.

19 Outre l’aménagement de magasins d’une capacité de conservation de 540 ml, le service est doté d’une salle de lecture de 5 postes en simultané, dont un équipé d’un lecteur reproducteur de microfilms et d’un accès internet.

Quelques chiffres

20 Accroissement annuel de 10 ml d’archives contemporaines (archives administratives) en 2011, dans le même temps 180 demandes de recherches ont été traitées pour 407 documents communiqués.

Archives entrées par voie extraordinaire

21 Monsieur Eric Mayer-Schaller, Consul Honoraire de Malte et descendant d’une lignée de photographes établis à Erstein et Benfeld, a fait don d’un fonds d’atelier photographique. Ce fonds exceptionnel, couvrant la période 1870 à 1984, est essentiellement constitué de négatifs monochromes sur plaques de verre et sur films souples (plans films et bandes) ainsi que d’épreuves sur papier. Le traitement de ce fonds va s’échelonner sur plusieurs années, la numérisation des plaques de verre est envisagée à moyen terme.

Haguenau, 9 rue du Maréchal Foch - BP 40261 - 67504 Haguenau

Activité 2010

22 Le récolement exhaustif, pièce par pièce, du fonds dit « Neue Registratur » (1900-1939) a été poursuivi et achevé. Les vingt dernières liasses, NR 522 à NR 537b, ont été décousues.

23 L’estampillage et la cotation ont été effectués pour les liasses NR 38s à NR 58a, soit 16 764 documents. Le reconditionnement de ces liasses sera effectué ultérieurement.

24 Les 156 chercheurs différents représentent 439 séances pour 916 heures de recherches, soit une moyenne de 2 h 05 par séance ou 5 h 52 par chercheur.

25 945 documents ont été communiqués (par document, il faut comprendre liasses, registres, journaux).

26 L’exposition « Les Fêtes commémoratives de la Libération, de 1945 à 1950 » présentée du 10 au 25 mars 2010 a attiré 541 visiteurs.

27 Les Archives municipales ont également collaboré à l’exposition « Georges Migot, musicien, compositeur… poète et peintre », du 14 mai au 6 juin 2010, en partenariat avec le Musée Historique, la Médiathèque et l’École Municipale de Musique et Danse.

28 La participation à la Nuit des Musées du 15 mai 2010 s’est effectuée sur le thème « les « PLUS » des Archives Municipales de Haguenau ». Ont ainsi été présentés au public le

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plus vieux document, le plus grand parchemin, le plus gros registre, le plus grand sceau et bien d’autres encore. Une centaine de personnes a fréquenté cette soirée.

29 Le nettoyage de l’intégralité des magasins ainsi que le dépoussiérage systématique de toutes les boîtes d’archives a été effectué en 2010. À noter également l’installation de 120 ml de rayonnages supplémentaires, ce qui porte la capacité à 1 151,90 ml.

Activité 2011

30 L’estampillage et la cotation ont été effectués pour les liasses NR 58b à NR 68c, soit 11 612 documents. Le reconditionnement de ces liasses sera effectué ultérieurement.

31 Les 164 chercheurs différents représentent 404 séances pour 854 heures de recherches, soit une moyenne de 2 h 07 par séance ou 5 h 12 par chercheur.

32 902 documents ont été communiqués (par document, il faut comprendre liasses, registres, journaux).

33 L’entrée du fonds d’auteur de Conrad Winter (enseignant et poète haguenovien) a donné lieu à une exposition « Hommage à Conrad Winter, poète engagé » du 4 novembre 2011 au 8 janvier 2012.

34 La participation à la Nuit des Musées du 14 mai 2011 a permis de médiatiser le nouvel espace dédié spécifiquement aux microfilms et de le présenter à environ 150 personnes.

35 120 ml de rayonnages supplémentaires ont été installés, ce qui porte la capacité à 1 271,90 ml.

36 Deux stagiaires ont été accueillis, en juin et en décembre, chacun pour une durée d’une semaine, pour des stages de découverte de la profession.

Archives de la Ville et de la Communauté urbaine de Strasbourg, 32 route du Rhin - 67070 Strasbourg

Année 2010

37 Les Archives ont connu en 2010 une forte fréquentation : 1 974 lecteurs, 7 405 visiteurs pour les expositions, 1 617 scolaires accueillis par le service éducatif, 429 personnes ont visité le bâtiment (groupes) et 458 visiteurs ont été accueillis lors des journées du patrimoine. 17 855 documents furent communiqués et 1 102 recherches par correspondance réalisées.

38 Parmi les 244 mètres d’entrée, il faut signaler la collecte des registres de tous les cimetières strasbourgeois (début XIXe siècle- années 1950) qui ont été numérisés dans la foulée.

39 Un effort particulier a été consenti pour le traitement des archives d’architecture et d’urbanisme : saisie et indexation sur la base de données de tous les dossiers de la Police du Bâtiment, des plans d’architecture du XIXe siècle (ex série A), reprise des bordereaux du service architecture-urbanisme afin de compléter les descriptions, trop sommaires. Tous les dossiers de personnel ont également été intégrés, pour faciliter les recherches par patronyme.

40 Plusieurs instruments de recherches ont été réalisés : guide des archives hospitalières, archives de la bibliothèque, archives du Dr Brill (service d’information nazi, période 1940-1944), fonds du gouvernement militaire de Strasbourg, partie Révolution-Empire,

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197 Z fonds Crombach (plans d’architecte), 206 Z archives du CNAHES, 207 Z fonds de la manufacture des tabacs.

41 Deux expositions ont été organisées : « Attention travaux » consacrée à la Grande Percée s’est inscrite dans la célébration des 100 ans du Stockfeld, pilotée par la direction de l’urbanisme et l’exposition « Strasbourg brûle‑t‑il » organisée avec le concours des Archives de Bâle s’inscrivait dans un parcours en partenariat avec le Musée historique et à la médiathèque.

Année 2011

42 L’année a été marquée par un fort volume d’entrées : 630 mètres de documents. En archives privées, il faut signaler une importante collecte d’images : photographies d’autobus de la CTS, cartes postales.

43 1 884 lecteurs ont fréquenté la salle de lecture (15 791 documents communiqués), 1 568 élèves ont été reçus par le service éducatif, 3 658 visiteurs ont visité les expositions, 578 le bâtiment. Les Archives ont également accueilli trois séminaires de recherches en histoire des universités de Strasbourg, Trèves et Heidelberg et assuré des séances de présentation à destination des instituts d’histoire de l’art, du design et de l’école d’architecture.

44 Le traitement de l’énorme arriéré d’affiches a été achevé soit 11 148 documents en tout. L’inventaire des plans antérieurs à 1789 de la Ville de Strasbourg intra muros (674 plans, à compter du XVIe siècle) est terminé, ils sont tous restaurés, conditionnés sous mylar et numérisés. L’inventaire des plans modernes, ex-série B, a été réalisé sous forme de base de données. Grâce à une stagiaire allemande médiéviste, la révision de l’inventaire de la série III a été entrepris. Il est réalisé aux deux tiers.

45 En ce qui concerne les fonds privés, il faut signaler l’inventaire des bois à imprimer du fonds Paul Heitz, un don de M. Georges Foessel et le fonds de la société générale de navigation et entrepôt « Le Rhin ».

46 Les deux expositions ont porté sur l’architecture néo-classique et les entrées royales

Haut-Rhin

Archives départementales du Haut-Rhin, Cité administrative Bat. M - 68026 Colmar Cedex

47 Avec le classement de la sous-série 1Q la totalité des archives publiques modernes (1800-1870) est désormais munie de répertoires. Les travaux ont par ailleurs porté sur plusieurs fonds privés, comme les archives de la paroisse Saint-Martin de Colmar et les archives de l’Université Populaire de Mulhouse et de la Fédération des Universités Populaires.

48 Le service éducatif – avec à sa tête un nouvel enseignant – a accueilli 700 élèves en 2010 et 694 en 2011.

49 Pour ce qui concerne la communication d’archives sur place, 22 853 articles ont été communiqués en 2010 et 16 819 en 2011. La communication à distance, la consultation de l’état civil de la période 1793-1892 en ligne, principalement, est en place depuis l’été 2010 : 10 millions de pages ont été consultées en 2010, plus de 16 millions en 2011.

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50 Les Archives départementales du Haut-Rhin ont travaillé avec CORDIAL au Guide des fonds patrimoniaux d’Alsace dont la nouvelle version est en ligne depuis 2011. La liste des ouvrages récents de la bibliothèque des archives est accessible sur Calice 68 et bientôt sur Alsatica.

Colmar, 2 place de la Mairie - 68000 Colmar

Année 2010

Inventaires - Instruments de travail

51 LICHTLE (Francis), Répertoire des concessions de débits de boissons sous le Second Empire 1852-1871, 39 pages. LICHTLE (Francis), Listes des passeports délivrés par la ville de Colmar du 25 juin 1792 au 7 juin 1794 et du 26 août 1798 au 31 octobre 1800, 481 pages.

Versements administratifs

52 30 versements soit 62 mètres linéaires.

Restauration

53 Reliure de 25 registres d’état civil. Restauration de 2000 feuillets divers.

Communications

54 Nombre annuel de lecteurs : 1 300.

55 Communications de documents : 1 760.

56 Communication de documents scientifiques : 828.

57 Communication de documents administratifs : 236.

58 Communication de plans : 556.

59 Communication de photos : 99.

Année 2011

Inventaires - Instruments de travail

60 LICHTLE (Francis), Répertoire des engagements militaires volontaires déclarés en mairie du 6 mars 1818 au 12 août 1870, 456 pages. Tome 1 : répertoire chronologique. Tome 2 : répertoire alphabétique. LICHTLE (Francis), Inventaire des registres des audiences de police de la ville de Colmar 1704-1789, 472 pages. LICHTLE (Francis), Répertoire des concessions de débits de boissons sous le Reichsland 1871-1913, 103 pages.

Versements administratifs

61 22 versements soit 71 mètres linéaires.

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Restauration

62 Reliure de 17 registres d’état civil. Restauration de 1 560 feuillets divers.

Communications

63 Nombre annuel de lecteurs : 1 338. Communication de documents : 2 054. Communication de documents scientifiques : 1 137. Communication de documents administratifs : 206. Communication de plans : 705. Communication de photos : 6.

Locaux

64 Aménagement d’un nouveau magasin d’une capacité de 259 mètres linéaires.

Guebwiller, 73 rue de la République - 68503 Guebwiller

Accroissements

65 Le Service des Archives Municipales a réceptionné près de 93,25 mètres linéaires d’archives dont le détail suit :

Désignation des articles Métrage Dates extrêmes

Archives modernes : 1,40 Registres des actes de naissance 0,10 1909-1910 Registres des actes de mariage et décès 0,10 1934-1935 Service population 1,20 1ère moitié XXe

Archives contemporaines : 87,05 Service état civil, population 9,70 1941-2010 Service urbanisme 18,90 1892-2008 Service technique 5,10 1880-2010 Service des finances et marché 21,85 1966-2011 Service sport et enseignement 21,80 1946-2010 Service culturel 9,70 1948-2008

Archives privées : 4,80 CCAS 4,30 Partitions manuscrites de Charles Kienzl 0,50 XIXe

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Instruments de recherche

66 Les fonds suivants ont fait l’objet d’un classement et de la rédaction d’un inventaire avec le logiciel Avenio :

Dates Désignation des articles Nature de l’inventaire Métrage extrêmes

Archives modernes :

Série M : Edifices communaux, monuments et Répertoire numérique 6,35 1791-1995 établissements publics (67 p.)

Archives contemporaines : Bordereau de Service des ressources humaines 8,00 1917-2010 versement (17 p.)

Recherches

67 Master II professionnel Jardins historiques, patrimoine et paysage : Étude pour la revalorisation du Parc de la Marseillaise à Guebwiller (Pamela DAVILA, Thierry DERELLE, Mona OULAMI, École Nationale Supérieure d’Architecture, Versailles).

Illzach, Mairie - BP 09 - 68311 Illzach

Collecte et éliminations

68 Entre 2010 et 2011, 83,90 ml ont été versés par les services de la mairie ; 36 ml en 2010 et 47,90 ml en 2011.

69 Sur les deux années 76 ml de documents d’archives ont été proposés à l’élimination conformément aux textes en vigueur, 45 ml en 2010 et 31 ml en 2011.

Traitement

70 Les archives de la ville d’Illzach n’ont accueilli aucun stagiaire au cours de ces deux années. 3,10 ml d’archives modernes ont été classés et inventoriés en 2010.

Reliure et restauration

71 Les registres d’état civil et des délibérations ont été réglementairement reliés au cours de ces deux années.

72 Ces tâches ont été accomplies en complément du travail courant de communication de documents d’archives aux agents de la mairie, ou de recherche pour des particuliers ou des entreprises. Au cours de ces deux années, il y a eu 64 inscriptions de lecteurs extérieurs venus sur place pour consulter des documents.

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Ingersheim, Mairie - 42 rue de la République - 68040 Ingersheim

73 En 2010 et 2011, la série M a été récolée. Des archives de la paroisse ont été classées.

Munster, Hôtel de Ville - Place du Marché - 68140 Munster

74 Plusieurs recherches ponctuelles ont eu lieu, par exemple, sur le travail des enfants au XIXe siècle et sur les cahiers de doléances de 1789, effectuées par un professeur du collège, pour des travaux pédagogiques ; dans le fonds photographique des Archives, pour l’exposition photo d’Eschbach au Val de novembre 2011 ; pour alimenter des articles dans l’Annuaire de la Société d’histoire : le ski dans la vallée de 1930 à 1960, la chronique de Martin Jaeger de Munster : 1804-1837.

75 Le patrimoine bâti a été mis en valeur par une visite guidée de l’église protestante lors d’une journée du patrimoine 2010.

76 Le patrimoine artistique : tableaux du peintre Robi Wetzel, ont été présentés, lors d’une exposition en 2011 et la sculpture contemporaine « Daphnée » installée dans un parc de la ville, a été présentée aux Munstériens par son auteur, lors d’une journée du patrimoine en 2011.

77 Les archives de la ville n’ont pas de site Internet propre, il existe un « décrochage » archives sur le site de la ville de Munster.

Saint-Louis, Mairie - BP 90 - 68300 Saint-Louis

Activités pour les années 2010 et 2011

78 Durant ces deux années : • 96 ml d’archives ont été versées ; • 245 ml d’archives ont été traitées et saisies dans Avenio ; • 75 ml d’archives ont été éliminées ; • environ 35 000 photos (format numérique) ont enrichi la photothèque.

Actions de valorisation

79 Outre les actions ponctuelles (Journées Européennes du Patrimoine, Fête des communes, rencontres avec les élèves, conférences, expositions), le service Archives a étroitement collaboré à la rédaction d’un ouvrage intitulé « Saint-Louis, la métamorphose d’une ville » paru en 2011. Au travers de plus de 150 pages richement illustrées, ce livre retrace l’évolution de Saint-Louis de 1989 à nos jours.

80 « Saint-Louis, la métamorphose d’une ville » est disponible sur simple demande auprès du service des Archives municipales.

Turckheim, 25 rue du Conseil - 68230 Turckheim

81 Au cours des années 2010 et 2011 aucune action particulière n’a été entreprise par les archives municipales. L’effort a porté sur la collecte de documents auprès des familles.

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82 Quelques documents intéressants ont été trouvés. Deux chroniques concernant la première guerre mondiale ont fait l’objet d’une publication de la Société Wickram « Turckheim - Trois-Epis dans la tourmente 1914-1918 ».

Région Alsace (Service des Archives)

83 Accroissement de 85 mètres linéaires en 2011. Un effort important a été fait dans le domaine des éliminations (123 mètres linéaires éliminés).

84 Le service a participé à la rédaction d’une instruction de tri et de conservation des archives régionales sous l’égide du Service interministériel des Archives de France. L’instruction est terminée depuis septembre 2011, elle est en attente de validation définitive.

85 Une double page « Les archives régionales sur le Net » a été publiée dans La Lettre des archivistes, publication de l’Association des archivistes français (no99, avril-novembre 2011, p. 10‑11). Les sites Internet de trois services d’archives régionales y sont présentés (Alsace, Nord-Pas-de-Calais et Pays-de-la-Loire).

86 Les Archives régionales sont référencées depuis mai 2011 sur le portail de recherche « Alsatica ». Elles figurent également depuis juin 2011 dans le « Guide des fonds patrimoniaux en Alsace » publié sur le site de l’association CORDIAL (Association de coopération régionale pour la documentation et l’information en Alsace).

87 En novembre 2011, le service a reçu en don un petit fonds d’archives provenant de la famille Renouard de Bussières d’Ottrott. Ce fonds n’est pas encore inventorié.

Territoire de Belfort

Archives départementales du Territoire de Belfort, 4 Rue de l’Ancien Théâtre - 90000 Belfort

88 L’année 2010 a encore été marquée par l’entrée d’importants fonds industriels privés avec les tuileries Clavey de Foussemagne et les tissages Erhart de Rougemont le Château.

89 Environs 20 000 plaques de verre photographiques des photographes professionnels Drouin ayant eu leur activité à Belfort entre 1895 et 1948 ont été données par un descendant de la famille.

90 Deux expositions ont été organisées dans le hall du Conseil général : • « Un Territoire de Défense » présentait l’histoire et l’impact de la présence des militaires dans le territoire de Belfort du Moyen Âge à nos jours ; • « 130 ans d’action sociale » retraçait l’histoire progressive de l’action du Conseil général en matière d’accompagnement social des habitants du Territoire de Belfort depuis 1881.

91 2010 a aussi été la première année pleine d’activité du site Internet des Archives départementales www.archives.cg90.fr ; la fréquentation a été très satisfaisante avec plus de 40 000 visiteurs qui ont consulté 10 millions de pages.

92 En 2011 deux entrées importantes de fonds privées sont à signalées, le fonds Oudard, père et fils, architectes œuvrant dans le département essentiellement, tant dans le secteur privé que pour l’office HLM entre 1927 et 1996 ; et le fonds de l’association

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Trans-Europe TGV qui a milité depuis 1996 pour l’ouverture de la ligne TGV Rhin- Rhône.

93 Il n’y a pas eu d’exposition cette année.

Belfort (Archives municipales et communautaires), Hôtel de Ville - Place d’Armes - 90020 Belfort

94 Entrées: 135 ml en 2010 et 2011, la Direction générale est particulièrement représentée ainsi que la Direction des Musées.

95 Les séries F et L ont été classées et répertoriées ainsi que les collections de microfilms, documents audiovisuels et sur support numérique.

96 Les permis de construire conservés depuis le début du XXe siècle font l’objet d’un travail de reconditionnement et de classement, permettant de valoriser au plan archivistique le patrimoine belfortain.

97 Le service des archives a participé à la préparation de deux colloques en 2010 et 2011 :

98 La république sort ses griffes : origine et modernité des valeurs républicaines, Actes parus sous la forme d’un ouvrage « Tous républicains » chez Armand Colin en 2011 ;

99 Strasbourg-Belfort, 1870-1871 : de la guerre à la paix, organisé en commun avec la Ville de Strasbourg. Actes à paraître en 2012.

100 Les archives ont également contribué à la création d’un espace Bartholdi à la citadelle de Belfort.

AUTEUR

JEAN-LUC EICHENLAUB Directeur des Archives départementales du Haut-Rhin

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Le Pays d’art et d’histoire de la région de Guebwiller

Cécile Modanese

Un « Pays d’art et d’histoire »

1 L’Alsace compte deux « Pays d’Art et d’Histoire », la région de Guebwiller, le Val d’Argent, et une « ville d’art et d’Histoire », Mulhouse. Cette appellation (ou label) est délivrée par le ministère de la Culture aux collectivités territoriales qui consentent à contracter avec lui dans le but de développer une politique culturelle et touristique active et coordonnée, centrée sur la mise en valeur de l’architecture, du patrimoine et du cadre de vie. Cette aide n’est pas seulement financière, en particulier pour la mise en place d’un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine, mais aussi programmatique, et se traduit par le texte de la convention qui énumère les objectifs du pays, mais aussi par les indications données pour la rédaction et la réalisation du projet scientifique et culturel qui fixe les grands axes et moments de l’animation du pays. Enfin, le « Pays d’art et d’histoire » dispose de la visibilité médiatique que lui accorde l’appellation et des liens qu’il a avec d’autres territoires labelisés : il bénéficie de leur expérience, communiquée au cours de nombreux stages et séminaires et lui apporte la sienne.

2 La cheville ouvrière du « Pays d’art et d’histoire » est « l’animateur de l’architecture et du patrimoine ». Il est en charge des nombreuses missions qui incombent au « Pays d’art et d’histoire ». Historien, pédagogue, commissaire d’exposition, graphiste, guide, communiquant, chef de projet, fédérateur, l’animateur du patrimoine prend tour à tour les habits de diverses fonctions et de personnages. Ces rôles endossés jour après jour renouvellent sans cesse ce métier pour le rendre bien plus qu’attachant !

3 Nous avons demandé à Cecile Roth-Modanese, auteur d’une maîtrise d’histoire sur « la conservation des ruines de châteaux-forts au XIXe siècle en Alsace (v. Revue d’Alsace 2007), animatrice du patrimoine du « Pays d’art et d’histoire de Guebwiller » de nous présenter ce « Pays d’art et d’histoire » et de décrire son travail. Ce faisant elle décline les différents éléments du « projet » de ce territoire attachant.

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Présentation du territoire du Pays d’art et d’histoire de la région de Guebwiller

4 Organisé autour de trois principales vallées : la vallée de la Lauch (Guebwiller), le val de Rimbach (aux pieds du Grand Ballon) et la vallée noble (Soultzmatt), le développement de la région de Guebwiller se fait sous le contrôle presque entier de deux grandes puissances ecclésiastiques : la Principauté de Murbach et l’Évêché de Strasbourg, possédant le Haut‑Mundat. À cette domination succède celle des grands industriels textiles après la Révolution Française. La désindustrialisation apparaissant après la Deuxième Guerre mondiale incite à une reconversion économique autour des services mais aussi du tourisme. Le label « Pays d’art et d’histoire » s’inscrit dans une volonté de développement d’un tourisme de qualité.

5 Très tôt l’homme a été attiré par ce territoire. Il a progressivement asséché la plaine, zone anciennement humide, pour y permettre les cultures céréalières.

6 Des fouilles archéologiques réalisées courant de l’été 2009 ont mis en évidence sur le ban communal de Soultz un bâtiment attribué au Néolithique ancien (5300-4900 av. J.- C.).

7 Cette découverte archéologique faite à Soultz est d’une importance considérable, puisque la région de Guebwiller a participé à la première révolution de l’histoire : la révolution du néolithique qui inclut une première sédentarisation de l’homme, jusque- là nomade, ainsi que le début de l’agriculture.

8 Différents habitats romains ont été identifiés par les historiens du XIXe siècle. Ils sont globalement situés en plaine (Issenheim, Hartmannswiller).

9 Les vallées ne sont occupées que plus tardivement. Le « Florival » est l’autre nom de la vallée de la Lauch. Le terme, signifiant la vallée des fleurs, est employé pour la première fois au IXe siècle par un moine poète de l’abbaye de Murbach. Jusqu’au VIIIe siècle, ce val est uniquement peuplé d’ermites. Fondés au VIIIe siècle, les monastères de Murbach et Lautenbach (devenu chapitre au XIIe siècle) lui donnent ensuite progressivement vie et activités.

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Brochure générale : « Laissez-vous conter le pays de Guebwiller »

2007, page de garde Pays d’art et d’histoire de la Région de Guebwiller.

10 L’histoire médiévale de la région de Guebwiller s’écrit presque entièrement sous l’autorité des institutions religieuses, notamment de la puissante abbaye de Murbach, la plus importante et la plus prestigieuse d’Alsace. C’est elle qui fonde la ville de Guebwiller au XIIIe siècle.

11 En 1249, l’évêque de Strasbourg fonde celle de Soultz. Avec le titre de ville, Soultz obtient sa juridiction propre, un bourgmestre (le maire), … Les villes se protègent ensuite avec un rempart, à l’intérieur duquel le tissu urbain se développe.

12 La vigne est cultivée sur les collines sous-vosgiennes des environs de Guebwiller à partir du Moyen Âge sous l’impulsion de l’abbaye de Murbach. Elle est source de prospérité et cette économie perdure jusqu’à nos jours. Cette activité a marqué le paysage et le patrimoine, par le façonnage du piémont et la construction de belles demeures vigneronnes.

13 Suite à la Révolution Française et à la vente comme biens nationaux des différentes propriétés ecclésiastiques, des bâtiments deviennent disponibles pour accueillir l’industrie textile naissante. La première industrie, une indiennerie (impression sur tissu) s’implante dans le château du prince-abbé de Murbach, nommé le château de la Neuenbourg. Plus d’une vingtaine d’établissements textiles s’installent dans le Florival au XIXe siècle, faisant de Guebwiller la deuxième ville industrielle d’Alsace après Mulhouse.

14 Cette épopée industrielle, conditionnée par la présence de facteurs favorables, démographiques fonciers et hydrographiques a marqué le territoire du Pays d’art et d’histoire.

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15 Les bâtiments industriels ont adopté, selon les époques, différentes formes architecturales influencées par le volume des machines, l’organisation des flux au sein de l’industrie, et les sources d’énergie et ses transmissions. Cette période a complètement modifié l’aspect du territoire, par la construction d’usines, de logements ouvriers, et de la voie ferrée.

16 Ce passé pluriséculaire a laissé d’importantes traces, tant bâties que paysagères sur notre territoire.

17 Le territoire de la région de Guebwiller comprend 52 monuments classés ou inscrits en tant que Monument Historique, deux sites classés (loi de 1930). À ces bâtiments dotés de cette reconnaissance officielle, s’ajoutent de nombreux autres sites remarquables.

18 L’objectif du Pays d’art et d’histoire est de valoriser l’ensemble de ces sites, par des actions de popularisation destinées aux habitants et aux touristes, aux jeunes et aux adultes, aux spécialistes, mais aussi au grand public.

19 Pour l’ensemble de la politique de valorisation, le patrimoine est considéré dans son acception la plus large. Aux traditionnels châteaux forts et églises médiévales s’ajoute l’architecture industrielle et rurale, mais aussi le patrimoine dit « immatériel », plus difficilement perceptible car moins immédiatement visible. Il embrasse les expressions vivantes, les traditions ou savoir-faire que les communautés ont reçues de leurs ancêtres et transmettent à leurs descendants, souvent oralement.

Les actions de sensibilisation au patrimoine

20 L’objectif du label Pays d’art et d’histoire est de faire connaître les richesses du territoire au plus grand nombre et d’y sensibiliser les habitants.

Les expositions

21 Ainsi, des expositions voient le jour chaque année, abordant des thématiques variées et innovantes : « Au fil de l’industrie textile, un patrimoine insoupçonné », « Parcs et jardins de la région de Guebwiller, la culture d’un patrimoine florissant », « Laissez- vous conter la vie au Néolithique », et à venir « Laissez-vous transporter à travers les siècles ».

22 Ces expositions, essentiellement fréquentées par le public local attirent plus d’un millier de personnes chaque année. Leur succès est grandissant, cet événement automnal devenant un rendez-vous pour les habitants du territoire et même au-delà.

23 Ces expositions sont précédées de recherches, et sont accompagnées de cycles de visites sur le terrain, de conférences de spécialistes, d’ateliers pédagogiques et artistiques, et de publication d’un livret d’exposition et de livrets pour enfant.

24 Véritables temps forts pour l’animation du patrimoine, elles déclinent la thématique de l’année et de la programmation du Pays d’art et d’histoire.

25 Les thématiques sont définies par rapport aux actualités patrimoniales et culturelles, ou dans l’objectif d’approfondir les connaissances par rapport à un sujet particulier. Des partenariats sont alors établis avec des structures et associations sur lesquelles peut s’appuyer le Pays d’art et d’histoire, tels le Service Régional de l’Inventaire, le Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan, le Musée Théodore Deck et des Pays du Florival.

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26 Les associations locales, et notamment les sociétés d’histoire sont sollicitées de façon plus étroite. Certaines sont liées à la Communauté de Communes, porteuse du label « Pays d’art et d’histoire » par convention. Ce conventionnement impliquant un partenariat actif, la participation aux réunions de l’association ou la mise en place d’activités. La première convention a ainsi été signée en 2008 avec l’association Pro Hugstein. Elle a permis la mise en oeuvre d’un chantier de jeunes bénévoles, dont l’objectif était de libérer le château de sa végétation, en appui du travail réalisé par les services techniques des communes propriétaires, Buhl et Guebwiller. Ce chantier s’est tenu depuis trois ans au château du Hugstein. Plus qu’une opération technique de débroussaillage pure, il s’agit essentiellement de sensibiliser ces lycéens au patrimoine qui les entoure et de faire d’eux des ambassadeurs de sa sauvegarde.

Visites thématiques

27 Les actions de sensibilisation sont aussi destinées au public adulte. Un programme spécifique leur est dédié. Une visite thématique gratuite est ainsi proposée depuis maintenant 5 ans, tous les troisième samedi du mois, hors période estivale. Par leur thème et par leur date, ces visites sont essentiellement destinées au public local désireux de découvrir autrement ou avec plus de précisions son patrimoine. Elles donnent lieu à des recherches préalables réalisées par le service Pays d’art et d’histoire. Lors du programme 2011/2012, ont ainsi été proposés les sujets suivants : « D’un Retable à l’autre », « Le protestantisme dans la région de Guebwiller », « Les ex-votos de Thierenbach », « Soultz et Wuenheim vigneronnes », etc. Ces visites remportent de plus en plus de succès avec une moyenne d’une cinquantaine de personnes à chaque visite sur l’année 2012.

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Affiche : « Laissez-vous conter le pays de Guebwiller »

2008, 40 x 60 cm.

Ateliers didactiques

28 À ces visites thématiques, s’ajoutent des activités plus atypiques, comme par exemple des ateliers destinés aux adultes, sur le thème de la Construction au Moyen Âge. Les visiteurs sont ainsi amenés à expérimenter, grâce notamment à la manipulation de plusieurs maquettes. Ces outils particulièrement didactiques ont pour la plupart été réalisés par des artisans, suivant une commande spécifique du Pays d’art et d’histoire.

29 Les visites contées, visites en vélo, randonnées, rallye du patrimoine sont autant de moyen de susciter l’intérêt de tous.

Journées nationales

30 Le Pays d’art et d’histoire participe bien évidemment aux grands événements nationaux, comme les Rendez-vous aux Jardins, le premier week-end de juin ou les Journées du Patrimoine, le troisième week-end de septembre. Pour cette dernière manifestation, une politique de coordination des associations est menée activement. Un programme est édité au niveau local, recensant l’ensemble des manifestations proposées par les associations locales. Un circuit en bus, sur une thématique transversale relie différentes manifestations sur le territoire. Il est organisé depuis deux ans. En 2010, il a ainsi été proposé de découvrir le patrimoine lié aux Princes- abbés de Murbach, tandis qu’en 2011, le sujet portait sur les possessions des Évêques de Strasbourg sur le territoire du Pays d’art et d’histoire.

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Un développement touristique de qualité

31 La Communauté de Communes de la Région de Guebwiller est dotée depuis 2005 de ce qu’on appelle désormais « la compétence tourisme », c’est à dire la mission déléguée par chacune des communes de la communauté de développer le potentiel de développement touristique. Outre la création d’un office de tourisme intercommunal, la création du Pays d’art et d’histoire est étroitement liée à cette compétence.

32 Certaines missions, fixées par la convention avec le Ministère de la Culture, expriment d’ailleurs ce souci.

Circuits patrimoniaux et guides

33 La limite entre les actions de sensibilisation des habitants et celles de développement touristique est floue. Des actions telles que la mise en place d’audioguides et de circuits de découvertes concernent ainsi ces deux types de publics.

34 Les circuits de découverte, quadrillant l’ensemble du territoire de la Communauté de Communes labellisé « Pays d’art et d’histoire », se déclinent à travers des approches géographiques, par commune (circuit du Vieux-Soutz, du Vieux-Guebwiller, de Hartmannswiller, de Jungholtz, etc.) ou par des approches thématiques (circuits des châteaux-forts, circuit des légendes, circuit du patrimoine vigneron, etc.). Ils s’appuient sur deux types de support : un document papier, et des panonceaux sur sites, établis selon une charte graphique respectant l’intégration de l’information dans une zone urbaine et historique.

Audioguides de nouvelle génération

35 La mise en place d’audioguides de nouvelle génération est testée en 2012. Le Pays d’art et d’histoire a ainsi conçu et enregistré les pistes des nouveaux audioguides, proposant un commentaire des édifices romans du territoire : la célèbre abbaye de Murbach, mais aussi la collégiale de Lautenbach, l’église Saint-Léger de Guebwiller, les clochers de Merxheim et Soultzmatt ainsi que les ruines du couvent du Schwartzenthann. Ces documents téléchargeables gratuitement sur internet, sont aussi accessibles à l’aide d’un smartphone. Elles sont aussi enregistrées sur des lecteurs MP4 (Ipod), disponibles en location à l’office de tourisme afin de permettre aux personnes non équipées d’accéder aux commentaires. Ces documents d’audioguidage sont réalisés avec l’aide du centre audiovisuel des Dominicains de Haute-Alsace, qui est doté d’un studio d’enregistrement professionnel.

36 Aux guides sur les monuments, doivent s’ajouter des guides spécifiques comme celui sur le patrimoine vigneron. Ce sujet concerne un grand nombre de communes du territoire. L’objectif de ces guides est de proposer au visiteurs et touristes plusieurs visites, et de les inciter à prolonger leur séjour dans la région.

La formation des guides-conférenciers

37 La convention Pays d’art et d’histoire prévoit la formation des guides exerçant sur le territoire labéllisé. Agréés par la Direction Régionale des Affaires Culturelles jusqu’en 2012, les guides-conférenciers doivent désormais avoir suivi un cursus universitaire. Néanmoins, afin de coller à l’histoire locale et aux spécificités du territoire, le Pays

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d’art et d’histoire de la région de Guebwiller continue de proposer des journées de formation continue.

38 La présence de guides-conférenciers professionnels, ayant bénéficié d’une solide formation et amoureux du territoire est une condition sine qua non de la transmission d’une image attractive du territoire.

Page de garde et carte du nouvel audioguide du Pays d’Art et d’histoire, paru en juillet 2012.

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Page de garde et carte du nouvel audioguide du Pays d’Art et d’histoire, paru en juillet 2012.

La présence d’un service éducatif

39 Le Pays d’art et d’histoire est doté d’un service éducatif, prévu dans la convention Pays d’art et d’histoire signée avec le Ministère de la Culture, et qui a été mis en place de façon prioritaire.

Les ateliers pédagogiques du temps scolaire

40 Le premier axe développé a été la création d’ateliers pédagogiques à destination des écoles primaires de la région de Guebwiller.

41 Les thématiques ont été définies en concertation avec les enseignants, et en lien avec les programmes scolaires. Partant de cinq thèmes la première année, le Pays d’art et d’histoire propose aujourd’hui onze thèmes d’ateliers pour les écoles primaires, et a élaboré un thème d’atelier spécialement conçu pour les écoles maternelles, ainsi que des séances pour collèges et lycées.

42 Conçus au départ à destination des établissements du territoire exclusivement ces interventions se font maintenant quelle que soit l’implantation des établissements scolaires.

Les périodes extrascolaires

43 Le service éducatif tend actuellement à étendre son activité aux périodes extrascolaires. Il en adapte du coup ses formules. Ainsi, diverses activités ont vu le jour, comme par exemple, le « rallye du patrimoine ». Depuis 4 ans, les jeunes de 12 à 15 ans parcourent ainsi le territoire sur toute une semaine, de site patrimonial en musée, à la

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poursuite d’indices leur permettant de résoudre une grande énigme qui leur est soumise au départ.

Le Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine

44 Le Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) est une institution clé des « Villes et Pays d’art et d’histoire». Elle regroupe des lieux d’exposition, mais aussi des lieux d’animation et de travail. Enfin, il fédère à de maintes occasions d’autres équipements collectifs mobilisés dans l’action et les programmes du Pays d’art et d’histoire : archives, musées, médiathèques, communes et les associations parties prenantes. Donnés à l’occasion de l’élaboration de la convention et dans le cadre de son exécution, les conseils du ministère de la Culture, qui portent sur l’immobilier, les équipements et les contenus sont précieux.

45 Les recommandations évoquent ainsi la présence d’un espace d’exposition permanente de 150 m2 minimum, d’une salle d’exposition temporaire, d’un centre de documentation, d’une salle pédagogique et d’un espace de rencontres, type salle de conférences.

46 Le Pays d’art et d’histoire de Guebwiller ne possède pas à ce jour de CIAP et l’équipe du « Pays d’art et d’histoire » travaille à sa mise en place et notamment à la rédaction d’un projet scientifique et culturel. Ce document donne lieu à de nombreux va-et-vient entre l’animateur de l’architecture et du patrimoine, chargé de le rédiger, le comité de pilotage, la DRAC Alsace et le Ministère de la Culture.

47 Ce projet retranscrit le contexte géographique, touristique, patrimonial et culturel du territoire concerné par l’appellation « Pays d’art et d’histoire ». Il précise également le projet d’aménagement du lieu. Le contenu scientifique y est détaillé en mentionnant les sources et la bibliographie existante.

48 Ce document s’enrichit à chaque avancée du projet, intégrant ainsi, progressivement, le contenu historique, le choix du lieu, la politique des publics adoptée, le scénario d’exposition, etc.

49 À ce jour, le corps du Projet scientifique et culturel est achevé, et ne sera complété que par des précisions d’ordre pratique. Le contenu historique est, par exemple, achevé. Le scénario d’exposition, retraçant les grandes unités d’exposition et leurs articulations est lui aussi en cours de finalisation.

50 L’exposition permanente sera dotée d’outils facilitant la compréhension des contenus historiques. L’iconographie classique illustrera le propos, mais elle sera complétée par des maquettes tactiles, des cartes dynamiques, des reconstitutions, etc. Des contacts ont d’ores et déjà été pris avec les lycées techniques et professionnels afin de concevoir ces outils en partenariat avec ces filières, dans un souci de sensibilisation des jeunes adultes dans le cadre de leur formation.

51 Le tissu culturel de la Communauté de Communes de la Région de Guebwiller est particulièrement riche grâce à la présence de nombreuses institutions et associations culturelles. Un travail d’étude de l’environnement culturel est réalisé en amont de la conception du CIAP afin d’éviter les redondances thématiques.

52 Diverses expositions temporaires complètent et animent le lieu au cours de l’année.

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Un approfondissement de la connaissance du territoire

53 Le Pays d’art et d’histoire enrichit progressivement la connaissance du territoire. La confection des différentes expositions, la création de circuits urbains, ou la rédaction des brochures thématiques, nécessitent des recherches bibliographiques et d’archives. Deux bases de données sont progressivement alimentées.

La base de données « documentaire »

54 La Base de données « documentaire », réalisée en 2010, recense plus de 14 000 notices, sur la bibliographie et l’iconographie concernant le territoire. Elles précisent le lieu de conservation des documents.

55 Le Pays d’art et d’histoire regroupe d’ailleurs de nombreux ouvrages et copies d’articles, à disposition des guides-conférenciers, et de tous ceux qui expriment le souhait de les consulter.

La base « patrimoine »

56 La deuxième base de données recense les édifices du territoire. Conçue avec le service d’informations géographiques et cartographiques dont dispose la Communauté de Communes, plus exhaustive que les études d’ores et déjà réalisées, la base « Patrimoine » a pour objectif de regrouper les informations sur les différents bâtiments ou sites. La base comporte 25 champs, choisis de façon à s’approcher de ceux du Service de l’Inventaire du Patrimoine de la Région Alsace, afin de faciliter le travail en partenariat. Les édifices sont géolocalisés au fur et à mesure.

57 La réalisation de cette base de données est un travail pluriannuel.

58 La base sera consultable par formulaire de recherche, et sera tout d’abord un outil de travail pour le Service Patrimoine du Pays d’art et d’histoire.

59 Les acquis irremplaçables de l’Inventaire et les études entreprises

60 Ces bases de données seront mises en ligne, progressivement et consultables dans le futur Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine.

61 En relation avec le Service de l’Inventaire du Patrimoine de la Région Alsace depuis l’obtention du label, le partenariat se prolonge encore aujourd’hui. Le territoire a largement bénéficié d’études menées par l’Inventaire. La première, menée au début de l’existence de ce service, a été publiée dans « Canton de Guebwiller : Inventaire topographique / Inventaire général des Monuments et des Richesses artistiques de la France », 1972, et concerne plus particulièrement le canton de Guebwiller.

62 Cette publication, complétée par les dossiers conservés au Service de l’Inventaire du Patrimoine de la Région Alsace, est une source d’information essentielle.

63 Le Service de l’Inventaire du Patrimoine de la Région Alsace lance à partir de l’été 2012 une campagne d’inventaire sur le patrimoine industriel et rural. Ce travail permettra au Pays d’art et d’histoire d’approfondir sa connaissance du territoire et de poursuivre les actions de valorisation.

64 Les associations locales et sociétés d’histoire publient régulièrement des articles. Accompagnées de quelques études universitaires sur des thématiques précises, elles

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permettent au service de compléter les connaissances historiques et patrimoniales du territoire, et d’en poursuivre la valorisation.

AUTEUR

CÉCILE MODANESE Animatrice du Pays d’art et d’histoire de la région de Guebwiller

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Comptes rendus

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Comptes rendus

Sources et ouvrages de référence

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Encyclopédie des mystiques rhénans d’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception édition française par Marie-Anne Vannier, Paris, Éditions du Cerf, 2011, 1 279 p.

Francis Rapp

RÉFÉRENCE

Vannier (Marie-Anne), Euler (Walter), Reinhard (Klaus), Schwaetzer (Harald), (dir.), Encyclopédie des mystiques rhénans d’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception, édition française par Marie-Anne Vannier, Paris, Éditions du Cerf, 2011, 1 279 p., 2011

1 Dans l’histoire religieuse de l’Alsace une place importante doit être faite à la mystique spéculative appelée généralement rhénane. Elle a fleuri dans nos monastères et nos béguinages où les maîtres spirituels les plus féconds et les plus écoutés ont enseigné. Cette forme de la réflexion chrétienne sur les relations de l’homme avec Dieu n’a pour ainsi dire jamais été perdue de vue et elle garde de nos jours une réelle actualité, dont témoignent les nombreux ouvrages qui lui sont consacrés. Afin de faciliter les recherches de ceux qui s’intéressent à ce courant doctrinal – et, assurément, il s’en trouve chez nous – Marie-Anne Vannier vient de les pourvoir d’un excellent outil de travail. Son Encyclopédie des mystiques rhénans, dont les œuvres marquent, dit-elle à juste titre, « l’apogée de la théologie mystique de l’Église d’Occident », comprend, outre les auteurs du XIVe siècle, Nicolas de Cues qui à certains égards fut au XVe siècle et leur héritier et leur continuateur. La tâche était lourde, aussi Marie‑Anne Vannier voulut- elle constituer pour l’accomplir une équipe dont les chercheurs réunis sous sa direction à l’Université de Metz forment le noyau, mais auxquels il s’avéra nécessaire d’agréger beaucoup d’autres connaisseurs de la théologie et de la philosophie médiévales. Elle réussit à en rassembler 77 – et ce n’est pas son moindre mérite – auxquels il fallut joindre une quinzaine de traducteurs car les auteurs des 320 entrées contenues dans un

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volume de 1 279 pages ne sont pas tous francophones : on compte dans leurs rangs des Italiens, des Anglais, des Américains, des Allemands, des Suisses et des Autrichiens. L’ouvrage dont nous rendons compte ici est la version française d’une entreprise franco-germanique. Le Cusanus Institut de Trèves a participé très activement à sa réalisation; son directeur actuel, le professeur Euler, et son directeur émérite, le professeur Reinhardt, en ont, avec Marie-Anne Vannier, assuré la direction.

2 La matière de cet imposant ouvrage n’est pas seulement abondante, elle est aussi complexe ; il faut donc l’étudier de points de vue divers. Sont présentées, bien sûr, les personnalités marquantes de la mystique rhénane – les Strasbourgeois Tauler et Merswin figurent en bonne place dans cette galerie de portraits. Ne sont oubliés ni les monastères – Unterlinden en particulier – ni les béguinages où vivaient les auditrices attentives de ces maîtres. Le milieu intellectuel dans lequel s’est développé ce mysticisme spéculatif est bien représenté, d’Albert le Grand à Guillaume d’Ockham en passant par Thomas d’Aquin et Bonaventure. Les entrées consacrées à tous ceux dont les mystiques rhénans sont de quelque manière les héritiers sont nombreuses, on y trouve aussi bien Aristote que Platon, Martianus Capella que Proclus, Denys l’Aréopagite et Maxime le Confesseur. Le lecteur peut découvrir ce que nous ont laissé les auteurs mystiques de deux façons, soit par leurs œuvres elles-mêmes – les Entretiens spirituels de Maître Eckhart, les sermons de Tauler, les Neuf rochers de Merswin ou le Concordantia catholica de Nicolas de Cues entre autres –, soit par le biais des raisonnements que Maître Eckhart ou Nicolas de Cues ont construits pour résoudre des problèmes philosophiques et théologiques tels que l’apophatisme, la coïncidence des opposés ou la naissance de Dieu dans l’âme. Enfin l’Encyclopédie nous permet de mesurer l’influence exercée par le mysticisme rhénan : celle-ci a traversé les siècles puisque nous rencontrons là, à côté de Heidegger et de Marie de la Trinité, Jean-Paul de Dadelsen, après Luther, Spener, Hegel et Schelling, pour ne citer qu’eux. Par le truchement de l’école de spiritualité flamande de la devotio moderna, l’art lui-même n’est pas resté tout à fait étranger à la pensée des mystiques : le cas de Memling, Van Eyck et Van der Weyden tendrait à le prouver.

3 Il va sans dire – et mieux en le disant – que chaque entrée est pourvue d’une bibliographie des sources et des études. Au début de l’ouvrage, une vingtaine de pages contiennent les références aux éditions et traductions des œuvres de Maître Eckhart, Tauler, Suso et Nicolas de Cues.

4 Pour rendre l’Encyclopédie plus accessible, a été publiée une Anthologie des mystiques rhénans, qui sera suivie de celle de Nicolas de Cues ainsi que d’un volume d’iconographie.

5 De la richesse d’un ouvrage qu’un excellent connaisseur Bernard Mc Gieser qualifie d’unique, ces quelques lignes ne donnent qu’une image imparfaite. Remercions très sincèrement Marie-Anne Vannier et l’équipe de ses collaborateurs de nous l’avoir donné.

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Hundsnurscher (Franz), Die Investiturprotokolle der Diözese Konstanz aus dem 16. Jahrhundert 2 vol., Stuttgart, 2008

Louis Schlaefli

RÉFÉRENCE

Hundsnurscher (Franz), Die Investiturprotokolle der Diözese Konstanz aus dem 16. Jahrhundert, 2 vol., Stuttgart, 2008

1 Directeur et véritable organisateur des Archives de l’Archevêché de Fribourg-en- Brisgau (1967-1998), Franz Hundsnurscher a encore pu procéder – avant son décès le 18.11.2007 – à la correction des épreuves de l’œuvre magistrale dont il est ici question, mais ne l’a pas vue achevée.

2 Par chance, les protocoles de 1453 à 1623 de l’ancien diocèse de Constance, relatifs aux investitures à des bénéfices ecclésiastiques, sont conservés auxdites Archives. Alors que ceux du XVe siècle avaient déjà été édités par Manfred Krebs entre 1938 et 1954 dans le Freiburger Diözesan-Archiv, il s’agit ici de l’exploitation méthodique – par un homme du métier – des 9 volumes du siècle de la Réforme (1518-1599).

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Kraus (Dagmar), Die Investiturprotokolle der Diözese Konstanz aus dem 16. Jahrhundert, Teil III: Einführung, Verzeichnisse, Register Stuttgart, 2010.

Louis Schlaefli

RÉFÉRENCE

Kraus (Dagmar), Die Investiturprotokolle der Diözese Konstanz aus dem 16. Jahrhundert, Teil III: Einführung, Verzeichnisse, Register, Stuttgart, 2010

1 Le travail magistral du Dr Dagmar Kraus, historienne et collaboratrice de la « Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg » ne fournit pas seulement les index (de lieux et de personnes) indispensables à l’exploitation des deux volumes précédents, mais constitue une œuvre en soi de par l’étude des manuscrits exploités et de leurs « scripteurs », par un Patrozinienverzeichnis intéressant… Bref, il constitue le modèle de ce que l’on attend d’un pareil instrument, réalisé avec la rigueur allemande.

2 Les données, sous forme de régestes, concernent environ 1 900 paroisses, classées par ordre alphabétique ; celles-ci relèvent aujourd’hui des diocèses de Fribourg, Rottenburg, Bâle et Coire. N’y figurent évidemment pas celles de l’Ortenau qui faisaient partie du diocèse de Strasbourg.

3 Néanmoins, le lecteur pourra y glaner diverses données relatives à l’Alsace. Nous y avons relevé celles relatives à :

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4 des collateurs originaires du diocèse de Strasbourg : Guillaume de Honsthin, évêque de Strasbourg (1534) (p. 898) ; Thomas de Rineck, chanoine et chantre du Grand Chapitre (1524) (p. 223) ; Wolfgang, comte de Solms, chanoine et chantre du Grand Chapitre (1544) (p. 223) ; l’abbesse d’Andlau (p. 226, 228) ; l’abbesse de Saint-Etienne à Strasbourg, collatrice à Munzingen, où elle favorise les prêtres alsaciens (p. 616) ; l’abbé d’Ettenheimmünster (p. 15, 104, 228, 760, 821, 822) ; l’abbé de Schuttern (p. 15, 44, 406) ; Jakob Zind von Kenzingen, bailli de Soultz, collateur de la chapellenie dite « Zunden Pfrundt » à Kentzingen (1549-1554) (p. 479) ; Élisabeth Streusss(in), épouse de mag. Symon Linder, demeurant à Strasbourg (1586) (p. 279) ; Wilhelm Böcklin von Böcklinsau (1547) (p. 313).

5 des collateurs du diocèse de Bâle : les nobles de Flaxlanden, collateurs de la « Haffnerin Pfrundt » à Freiburg (1524-1585) (p. 304) ; l’abbé de Lucelle (1519) (p. 353) ; Jacob Reich de Reichenstein, Vogt und Pfandherr in Pfirt (1523-1524) (p. 462) ; les Kempff d’Angreth, collateurs d’une prébende à la cathédrale de Fribourg (1525-1552) (p. 279) ;

6 des prêtres séculiers originaires du diocèse de Strasbourg : BURCKART Marcus, altarista dans le dioc. de Strasbourg, permute pour la chapelle de la Vierge à Freiburg 1521-1555 + (p. 290) ; DESCHLER Jodocus, de Dachstein, curé d’Endingen 1592 - (1598 ?) (p. 228) ; GAISFELDER Gregorius, de Surbourg, curé de Forchheim 1592‑(1599 ?) (p. 268) ; curé de Hecklingen 1599- … (p. 400) ; GESSLER Johannes, curé de Hecklingen 1598-1599 (p. 399) ; GRAF(F) Johannes, « de Stainbach », curé de Feldberg 1527-1536 (p. 260) ; HASFURTER Theobaldus, chap. autel S. Marie-Mad. à Neuenburg 1555-… (p. 633) ; HEROLT Jacobus, chap. autel S. Antoine à Horb 1582- (1584) (p. 444) ; HEROLT Michael, vicaire perpétuel à Überlingen 1527, résigne (p. 918) ; HUEBLIN Andreas, chap. « alt. S. Martini in mon. BMV » Freiburg 1568-1569, résigne (p. 297) ; KURTZ Wolfgang (de Thann), pléban et chap. à Neuenburg 1550- … (p. 633) ; MENHARD Martinus, cler. Argent. dioc., chap. alt. Corporis Christi, Freiburg 1576- … (p. 277) ; MERSCHWIN Ludovicus, curé à Munzingen 1519-1523, résigne (p. 616) ; NACHT[I]GALL Othmar, humaniste, juriste et musicien, recteur à Munzingen 1523- … (p. 616) ; OFFNER Ludovicus, clericus Argent, chap. alt. S. Ant. Freiburg 1519-1527 … (p. 273) ; WURMSER Nicolaus, attesté comme doyen de Saint-Thomas de 1510 à 1536, doyen de la collégiale de Waldkirch 1527- (1536 +) (p. 990) ;

7 des prêtres séculiers alsaciens originaires du diocèse de Bâle : HESS Theobaldus, chap. autel S. Osswald Freiburg 1548-1562 (p. 304-305) ; METZGER Waltherus, « de Kuensen » (Kientzheim ?), chap. alt. BMV Breisach 1521- … (p. 116) ;

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NICOLAUS Jacobus, de Colmar, chap. 11 000 Vierges à Ehingen 1555- … (p. 198) ; OUGLIN Theobaldus, chap. alt. S. Osswald Freiburg 1538-1548 + (p. 304) ; PIPER Nicolaus, pléban à Gündlingen 1534-1545, résigne (p. 369) ; SCHOENAU Heinricus, vic. gén. dioc. Bâle, chap. cath. Freiburg 1523-1525, résigne (p. 306) ; WELLENBERG Conrad, de Pfirt, chap. alt. S. Ant. à Engen … -1527, démis (p. 231) ;

8 des prêtres réguliers d’Alsace : HUBER Sebastianus, O. Cist, curé de Brettental en 1522 (p. 120), REYNOT Andreas, O.S.B., de Colmar, chap. alt. S. Nicolas Wolfenweiler (1535) (p. 1 062).

9 Cette liste, relativement courte, confirme l’opinion de M. Francis Rapp : les Souabes vont plus facilement exercer en Alsace que les Alsaciens de l’autre côté du Rhin.

10 des lettres de recommandation accordées à des malades (épileptiques, …), pèlerins, …, pour : Jean Walther, boulanger de Sélestat, affecté de la danse de Saint-Guy (1520) (p. 1085) ; Bernard Schnider, de Strasbourg, épileptique (« morbo caduco grauato ») (1520) (p. 1 085) ; Jean Zuckerbonlin, de Wissembourg, épileptique (1521) (p. 1 086) ; Jacques Koch, de Strasbourg, épileptique (1522) (p. 1 986) ; Georges Lang « de Hagnow » (Haguenau ?), syphillitique (« morbo gallico infecto ») (1522) (p. 1 086) ; Bernard Schurgis « de Trieß, qui morbo S. Vale(n)tini et Cornelii infectus », s’est rendu à Rouffach (en pèlerinage) (1522) (p. 1 087) ; Pierre Stor, de Guebwiller, qui souffre d’un calcul (1524) (p. 1 090) ; Benoît Hetzel, prêtre de Mittelwihr, qui souffre d’une infection de la main gauche qui l’empêche de célébrer la messe (1524) (p. 1 090).

11 des documents relatifs à Saint-Valentin à Rouffach (1519-1523) (p. 793).

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Moyen Age

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Wilsdorf (Christian), L’Alsace, des Mérovingiens à Léon IX. Articles et études Strasbourg, Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est, 2011, Collection « Recherches et documents », 82), 405 p.

Benoît-Michel Tock

RÉFÉRENCE

Wilsdorf (Christian), L’Alsace, des Mérovingiens à Léon IX. Articles et études, Strasbourg, Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est, 2011, Collection « Recherches et documents », 82), 405 p.

1 Qui, en Alsace, ne connaît Christian Wilsdorf ? Directeur des Archives départementales du Haut-Rhin durant près de 40 ans (1952‑1991), il a déployé un zèle infatigable pour la valorisation et l’étude des archives dont il avait la garde, et plus largement pour l’histoire et la culture alsaciennes. Savant aussi remarquable que modeste, il a publié de nombreux travaux consacrés à l’histoire de l’Alsace au Haut Moyen Âge. Des travaux qui restent essentiels, mais qui étaient dispersés dans de nombreuses revues ou publications érudites. La Société Savante d’Alsace a eu l’excellente idée de réunir treize d’entre eux, et d’y joindre trois travaux inédits, en un livre d’un très grand intérêt.

2 L’ouvrage commence par une étude inédite sur le blason d’Alsace tel qu’il figure sur les plaques minéralogiques. Ce blason dérive de celui du landgraviat de Haute-Alsace des Habsbourg, lui-même dérivé de celui du landgraviat de Basse-Alsace des comte de Werden : beau symbole d’unité ! Dans L’Alsace et les Nibelungen (1960), à partir d’un épisode des Nibelungen et surtout du Waltharius, C. W. confirme que le toponyme de Tronia correspond bien à Kirchheim ; le nom a ensuite été réinterprété en « Troie ». Un autre texte inédit fait le point sur le Mur païen : ce dernier est mentionné comme fortification du VIIIe au Xe siècle et a sans doute été construit au IVe et restauré au VIIe siècle. Mais des fouilles à grande échelle seraient nécessaires pour conforter ces

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conclusions. Une brève étude de 1996 permet à C. W. de démontrer que le toponyme Aungehiseshaim cité dans un acte de 768 correspond à Ingersheim. L’article suivant réunit trois travaux publiés de 1955 à 1960 et destinés à mettre en valeur une vie de saint Florent découverte et éditée par Barth, mais plus utile pour l’histoire de l’Alsace au XIIe siècle (elle a été écrite vers 1170-1180) que pour l’Alsace mérovingienne. En 1993 c’est à sainte Adelphe que C. W. a consacré une étude, à partir d’une Vita écrite aux Xe- XIe siècle et éditée par G. Philippart et donc elle aussi plus pertinente pour l’étude de l’époque où elle a été écrite que pour l’époque mérovingienne. Les Gesta Karoli de Notker de Saint-Gall parlent à plusieurs reprises de l’Alsace, en particulier à propos d’un vin de Sigolsheim, ce qui a permis en 1997 à l’auteur de retracer l’histoire de son village. Il est aussi possible de réunir les quelques actions connues de personnages du IXe siècle : Godefroy, abbé de Munster sous le règne de Louis le Pieux (1957) et Haito, évêque de Bâle et abbé de la Reichenau à la même époque (1975).

3 Vient ensuite la longue et dense étude publiée en 1975 aussi sur le cartulaire perdu de l’abbaye de Honau, dans laquelle C. W. montre que cette abbaye, fondée par des moines irlandais à l’initiative du duc d’Alsace Adalbert, père du futur fondateur de Murbach Eberhard, avait établi un recueil de copies de plus d’un millier d’actes, ce qui illustre la richesse du patrimoine de ce monastère peu connu. En 1978 et 1980, C. W. consacrait deux études au château du Haut-Eguisheim, mentionné pour la première fois pour l’année 1002, tandis qu’en 1972 il avait relevé les plus anciens textes relatifs à Niedermunster. Suit un autre texte inédit : l’édition (et la traduction par Christine de Joux-Bischoff) d’un récit relatif à l’histoire de la sainte croix de Niedermunster. Si l’histoire elle-même de cette sainte croix est peu crédible, le personnage du donateur, Hugues, est historiquement attesté : il s’agit d’Hugues le Peureux, comte de Tours, mentionné de 811 à 837 et possessionné dans la région ; la croix elle-même fut restaurée en 1197 et enrichie de reliques. En 1963, C. W. s’intéressait aux premiers siècles de l’histoire du prieuré de Liepvre, dépendant de l’abbaye de Saint‑Denis. L’avant-dernier article de ce recueil est le compte-rendu consacré en l’an 2000 au livre de Frank Legl sur les comtes d’Eguisheim. Et le dernier, l’édition, la traduction et le commentaire de la « Paix des Alsaciens », texte dont C. W. défend l’authenticité et qui est un des plus anciens textes de Paix de Dieu dans le monde germanique.

4 On l’aura constaté, C. W. a abordé bien des sujets, mais toujours avec cette prédilection pour l’Alsace et le Haut Moyen Âge. On peut en tout cas se réjouir de cette publication, qui va donner un accès plus commode, en particulier hors de la région, aux travaux de ce grand historien.

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Weber (Karl), Die Formierung des Elsass im Regnum Francorum. Adel, Kirche und Königtum am Oberrhein in merowingischer und frühkarolingischer Zeit Ostfildern, Thorbecke, 2011 (Archäologie und Geschichte. Freiburger Forschungen zum ersten Jahrtausend im Südwestdeutschland, 19), IX-262 p. et un CD-Rom.

Benoît-Michel Tock

RÉFÉRENCE

Weber (Karl), Die Formierung des Elsass im Regnum Francorum. Adel, Kirche und Königtum am Oberrhein in merowingischer und frühkarolingischer Zeit, Ostfildern, Thorbecke, 2011 (Archäologie und Geschichte. Freiburger Forschungen zum ersten Jahrtausend im Südwestdeutschland, 19), IX-262 p. et un CD-Rom.

1 K. W. a soutenu en 2005 à l’université de Fribourg-en-Brisgau, sous la direction de Th. Zotz, une thèse consacrée aux débuts de l’histoire d’Alsace, aux époques mérovingienne et carolingienne, et c’est cette thèse qui est publiée aujourd’hui. L’auteur rappelle les origines de l’Alsace, divisée en deux cités, celle des Triboques et celle des Rauriques, mais dès les années 260 l’affaiblissement de l’Empire romain entraîne l’immigration d’éléments germaniques auxquels les Romains ont donné, à la fin du IIIe siècle, le nom d’Alamanni, tandis que la région, l’Alemania, s’étend alors sur la rive droite du Rhin sans limite claire. Progressivement la cité des Triboques devient la civitas Argentinensium et est rattachée à la province de Germanie Première (capitale : Mayence), celle des Rauriques devient la civitas Basiliensium, rattachée à celle de Séquanie (Besançon). La germanisation de la langue populaire survient aux VIe-VIIe

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siècles au nord de la région, au début du VIIIe au sud. Malgré leur organisation très forte, les Alamans, qui dominèrent un temps une région allant de Troyes à Passau, furent défaits par les Francs, qui s’installèrent durablement dans la région. Le nom même d’Alemania disparut. Quant à celui d’« Alsace », il pourrait dériver du nom celte de l’Ill, mais désigne plutôt les Alesaciones, ceux (parmi les Alamans) qui habitent au loin. Le passage sous l’autorité franque n’entraîne d’ailleurs pas vraiment d’unité alsacienne, dans la mesure où la proximité avec le pouvoir royal reste beaucoup plus forte dans le nord que dans le sud ; le pagus Alesacionum désigne d’ailleurs surtout la région autour de Strasbourg. De toute manière dès 561 l’Alsace était de nouveau divisée, le nord allant à l’Austrasie, le sud à la Bourgogne, et la création sous Dagobert Ier d’un évêché de Bâle avec l’appui du monachisme colombanien renforçait cette division.

2 L’aristocratie régionale se montra extrêmement active aux VIIe-VIIIe siècle en matière de fondations monastiques. Et c’est à ces fondations et en particulier à la grande famille étichonide que K. W. consacre une très large attention. Adalrich, fonctionnaire royal de haut niveau, originaire de Bourgogne, perdit ses attaches bourguignonnes après le meurtre de Childéric II en 675. Lui-même, ses enfants et ses petits-enfants fondèrent Hohenbourg, Ebersheim, Saint-Étienne de Strasbourg, Honau, Murbach… Les Étichonides portaient le titre ducal, mais il est anachronique de parler de « duché » d’Alsace : celle-ci reste un pagus, soumis cependant à l’autorité d’un duc. La troisième génération des Étichonides, en particulier avec le comte Eberhard, marqua un net rapprochement avec les Pippinides, devenus entretemps la grande puissance du monde franc L’Alsace, il est vrai, était devenue un enjeu important dans une politique franque à nouveau expansionniste, bien décidée à réduire les autonomies alémanique et bavaroise. Le duc Liutfrid tenta vainement de s’opposer à cette mainmise pippinide, mais y perdit son titre ducal et son pouvoir.

3 Le récit que donne K. W. de tous ces événements est clair et bien documenté. L’auteur connaît parfaitement toutes les sources, toute la bibliographie au sujet de l’histoire de l’Alsace. En annexe à son ouvrage, on trouvera d’ailleurs une liste commentée de toutes les chartes et de toutes les formules reprises par Bruckner dans ses Regesta Alsatiae. Le choix de publier cette liste sur CD-Rom est un peu étonnant, alors même qu’il s’agit là d’un support en perte de vitesse, mais peu importe finalement : on dispose grâce à ce travail d’une sorte de mise à jour des Regesta, et c’est là l’essentiel. En revanche, l’auteur n’atteint pas tout à fait son objectif, qui était de faire l’histoire, non d’une région, mais de la représentation qu’on en avait. Il est resté trop prisonnier d’une tradition d’histoire basée sur les textes ; il a aussi trop peu réussi à s’ouvrir à des travaux français d’histoire du Haut Moyen Âge : les noms de Régine Le Jan ou de Philippe Depreux, par exemple, sont trop peu présents dans la bibliographie.

4 Il n’en reste pas moins qu’on dispose grâce à K. W. d’un beau panorama de l’Alsace jusqu’au règne de Charlemagne : qu’il en soit remercié.

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Hammes (Barbara), Ritterlicher Fürst und Ritterschaft. Konkurrierende Vergegenwärtigung ritterlich-höfischer Tradition im Umkreis südwestdeutscher Fürstenhöfe 1350-1450 Stuttgart, Kohlhammer, 2011, ISBN 978-3-17-021796-6.

Georges Bischoff

RÉFÉRENCE

Hammes (Barbara), Ritterlicher Fürst und Ritterschaft. Konkurrierende Vergegenwärtigung ritterlich-höfischer Tradition im Umkreis südwestdeutscher Fürstenhöfe 1350-1450, Stuttgart, Kohlhammer, 2011, ISBN 978-3-17-021796-6.

1 Publiée sous l’égide de la Kommission für geschichtliche Landeskunde du Bade- Wurtemberg, l’ouvrage de Madame Hammes s’inscrit dans un courant historiographique particulièrement riche, centré sur la culture chevaleresque et la curialité, autrement dit, l’ensemble des relations d’échanges, de création, de déférence produites par le prince et son entourage. Une historiographie dont la figure de proue est Werner Paravicini.

2 Ici, la question porte plus précisément sur une période qui passerait plutôt pour le creux de la vague, entre l’apogée de la chevalerie « classique », vers 1300 et ses derniers feux, dans la seconde moitié du XVe siècle : Cette parenthèse s’inscrit entre la Manessische Handschrift, ce fabuleux recueil de textes et de miniatures à la gloire des Minnesänger et la fondation de l’ordre de la Toison d’Or par Philippe le Bon en 1430. La

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question centrale est celle de la survivance (survival) ou de la renaissance (revival) des traditions qui sont censées définir cette élite guerrière elle-même identifiée à la noblesse dans toute son étendue, du souverain au plus petit hobereau. En filigrane, on retrouve évidemment le thème de la reproduction tel qu’il a été martelé par Bourdieu et les siens. L’espace retenu correspond au sud-ouest de l’Allemagne, de part et d’autre de la Forêt-Noire et sur le Rhin, un ensemble tout à la fois hétérogène et cohérent, puisqu’il est un puzzle de territoires de nature très différente, en même temps qu’un écosystème nobiliaire (le terme Adelslandschaft employé par l’auteur suggère une notion de communauté, ou, plutôt, de reconnaissance mutuelle des membres de la noblesse). On y repère trois pôles, qu’on peut considérer comme des cours princières, celui du comte palatin, qui se focalise sur Heidelberg, celui du comte de Wurtemberg (qui s’étend à Montbéliard au cours de la période) et celui du margrave de Bade. Les interstices et les intervalles n’apparaissent pas comme des vides, mais s’inscrivent dans d’autres réseaux, notamment ceux des villes.

3 À l’instar de nombreuses dissertations d’outre-Rhin, l’ouvrage est construit comme un dossier à tiroirs.

4 Le premier volet est un état des lieux de ce qui constitue cette identité, plus spécialement sur les signes extérieurs de celle-ci. Il s’agit d’abord d’objets qui servent à affirmer ce statut : argenterie, joyaux, vêtement, équipement guerrier, de parade ou de chasse, tissus et tapisseries, reliques etc. La question posée ici est celle des supports matériels d’une Errinerungskultur qu’on pourrait interpréter comme un imaginaire mémoriel.

5 Ensuite, la mise en œuvre de ce dernier à travers des événements programmés, comme les tournois, la chasse, les fêtes, les réceptions, les réminiscences de la croisade, avec, à la clé, le rôle dévolu à ces manifestations.

6 Enfin, la production de mémoire par les monuments, au sens large – les monnaies, les sceaux sont, en effet, d’excellents indices de continuité ou de nouveauté –, la mise en image et en lignage par le biais de la généalogie. On frôle la thématique, mille fois ressassée, de la « communication » ou de la propagande.

7 Cette revue de détail est le préalable d’une démonstration fondée sur la comparaison des trois cours étudiées, en se focalisant, cette fois, sur leur mouvance. C’est ici qu’on mesure le rôle joué par le milieu nobiliaire et que l’auteur propose une typologie, qu’on retrouve dans sa conclusion : la relative précocité du Palatinat, bien que le règne du roi Robert n’ait pas été décisif dans l’avènement d’une cour « royale », la relative médiocrité – et le retard – du margrave qui règne à Baden-Baden, et le caractère hybride du comté de Wurtemberg.

8 De fait, on assiste à des situations très différentes selon les cas : Heidelberg est le centre de gravité de toute une région, tandis que les secteurs situés en amont, sur le Rhin et le Neckar, font plutôt figure de zones de basse pression. Ces conditions expliquent l’importance – voire l’émergence – de sociétés nobles, qui peuvent se substituer au prince pour promouvoir un « climat » de cour. Leur corollaire existe dans le champ politique.

9 Reste à savoir si le prince confronté à une telle concurrence est à même d’exercer son « leadership » : les stratégies mises en œuvre par les trois « princes » peuvent-elles se résumer à la formule pédagogique, selon laquelle le margrave exploite l’hostilité de la noblesse à l’encontre des villes, tandis que le comte cultive fédère les siens d’une même

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appartenance souabe et que l’électeur palatin s’impose par seule puissance ? La chevalerie du premier doit être lue en creux, celle du troisième, en relief, comme le meneur du jeu.

10 La dernière partie de l’exposé revient sur l’identité chevaleresque, qui se cristallise au tournant du XIVe et du XVe siècle dans le sens d’une héroïsation. On en retient l’idée d’une transition, qu’il faudrait peut-être étayer en faisant apparaître des générations successives au cours de cette période, somme toute, assez longue, qui va de 1350 à 1450.

11 La qualité de la recherche menée par Mme Hammes mérite d’être soulignée. La construction de l’imaginaire des trois dynasties étudiées bénéficie d’un beau corpus. Il est vrai qu’elle a été balisée par de nombreux travaux dont le modèle est fourni, entre autres, par Jean‑Marie Moeglin. Pourrait-on appliquer la même grille à la vassalité de ces princes ? La sigillographie permettrait sans doute des statistiques intéressantes (p. ex. par la multiplication des cimiers, par les légendes mentionnant les titres, etc.), et la prosopographie mériterait d’être davantage sollicitée (elle l’est, en partie, pour reconstituer les entourages princiers). On pourra se demander si l’auteur n’a pas privilégié quelque cas bien délimités au détriment de ce qui fait la substance même de la chevalerie : des appartenances multiples et des réseaux plus complexes que ceux qu’elle met en évidence. En effet, à ces principautés si clairement discernables s’ajoutent d’autres lieux et d’autres moments au cours desquels s’affirme la chevalerie. Ainsi, quid des princes de l’Église – au premier rang duquel se trouvent les évêques de Strasbourg, de Spire, de Bâle ou de Constance, et quid des cours nomades ? La noblesse urbaine n’est pas toujours en guerre contre les métiers au pouvoir dans les villes : elle peut s’y exprimer plus souvent qu’à son tour (l’exemple de Strasbourg est, sur ce plan, très révélateur, au moins jusqu’à la guerre de Dachstein, qui pourrait être réinterprétée dans ce sens). Enfin, quelle échelle adopter ? La région examinée par Mme Hammes est à la fois trop grande et trop petite – et elle en a parfaitement conscience. Existe-t-il des noblesses locales, régionales ? Y a-t-il une chevalerie autochtone – ce qui est loin d’être sûr ? L’articulation de ces deux concepts est au cœur du problème. Dans ces pays d’entre deux, où la Bourgogne est si proche, où les Habsbourg sont instables, et où la dynastie des Luxembourg ouvre bien d’autres horizons, la culture chevaleresque s’observe aux dimensions de l’Europe.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

XVIIIe - XIXe siècle

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Muller (Claude), « Vive l’empereur ! » L’Alsace napoléonienne 1800-1815 I.D. L’Édition 2012

Gabrielle Claerr-Stamm

RÉFÉRENCE

Muller (Claude), « Vive l’empereur ! » L’Alsace napoléonienne 1800-1815, I.D. L’Édition 2012.

1 Après L’Alsace au XVIIIe siècle, puis L’Alsace et la Révolution, Claude Muller nous entraîne, tout naturellement, au cœur de l’Alsace napoléonienne, suivant le plan désormais classique en trois parties qu’il affectionne : la gloire de l’aigle, l’union du trône et de l’autel et la prospérité économique avec le bémol que représente la double invasion de 1814 puis 1815.

2 Napoléon Bonaparte (puis Napoléon Ier), est venu plusieurs fois en Alsace et surtout, voire presqu’exclusivement à Strasbourg (1797, 1805 séjour pour lequel on restaurera l’ancien palais épiscopal des Rohan, 1806, 1809 en avril et en octobre). Après cette date, ses déplacements, tous dictés pour rejoindre ses troupes en Allemagne emprunteront la nouvelle voie militaire de Metz à Mayence. Seule Marie Louis, accompagnée par la sœur de l’Empereur, fera encore escale à Strasbourg en mars 1810.

3 Les rouages du pouvoir vont se mettre en place, avec, entre autres, les préfets Félix Desportes (1802) puis plus tard Adrien de Lezay-Marnésia (remplaçant Henri Shée) en 1810. La police est confiée à Charles Popp, fondateur de la loge de la Concorde à Strasbourg. Plusieurs autres loges maçonniques voient le jour : la Vraie Fraternité à Strasbourg, la Triple Union à l’Orient de Wissembourg, la Concorde à Colmar, la Parfaite Harmonie à Mulhouse. « Ceux qui disposent du pouvoir tant politique

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qu’économique se retrouvent à la fois institutionnellement, à visage ouvert, et souterrainement dans les loges ».

4 Particularité de l’Alsace : « aucune autre province… ne semble avoir fourni autant de hauts gradés à l’armée napoléonienne » ; ils sont au moins 65 ! Kellermann, Lefebvre, Rapp… sans oublier quelque 50 000 enrôlés volontaires et plus de 2,5 millions de conscrits alsaciens ! Des cérémonies solennelles pour commémorer la date de couronnement de l’empereur sont instaurées, et l’on célébrera le même jour des mariages de soldats et de jeunes filles !

5 Côté religion, l’évêque Jean Pierre Saurine en poste à partir de juin 1802, jusqu’à sa mort en 1813, est un fidèle de l’Empereur, mais conservera une grande liberté de pensée. Sa mission n’est pas facile : la reconstitution du clergé, la nécessité d’en finir avec l’antagonisme entre les prêtres réfractaires et constitutionnels, l’entente des curés catholiques et des pasteurs protestants pour l’usage de l’église mixte (sans compter l’importance de la mixité religieuse avec de nombreux juifs, anabaptistes…).

6 Côté économie, « le peuple est content, les trésors enlevés à l’ennemi l’enrichissent, les métiers, les sciences, les arts sont dans un état florissant… » proclame Jean-Frédéric Aufschlager, professeur au Gymnase de Strasbourg. L’affirmation vaut surtout pour Strasbourg, le destin des paysans est plus médiocre, frisant même la crise. La météo exécrable certaine année oblige à acheter les céréales hors de l’Alsace. « Entre mythe et réalité, la prospérité agricole alsacienne sous l’Empire fait débat ». Les manufactures se développent, mais la crise de 1810-1812 provoque l’effondrement du commerce et de l’industrie et fait flamber le chômage.

7 La fin du règne, avec la première invasion de l’Alsace, la première Restauration, puis la seconde invasion, vont bouleverser la vie en Alsace. La mort de l’Empereur est un choc ! La province a connu un grand bouleversement en dix ans, elle a vécu une assimilation en douceur, elle a développé ses relations commerciales avec toute l’Europe. Brassant les hommes, l’armée a joué un indéniable rôle d’intégration.

8 Saluons un ouvrage passionnant à lire, complété par la publication des mémoires de Mathias Ostermann de 1799 à 1815, par une chronologie de l’Alsace, des biographies et les sources bibliographiques.

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Lutterbeck (Klaus-Gert), Politische Ideengeschichte als Geschichte administrativer Praxis. Konzeptionen von Gemeinwesen im Verwaltungshandeln der Stadt Strassburg 1800-1914 Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 2011, 470 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

Lutterbeck (Klaus-Gert), Politische Ideengeschichte als Geschichte administrativer Praxis. Konzeptionen von Gemeinwesen im Verwaltungshandeln der Stadt Strassburg 1800-1914. Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 2011, 470 p.

1 Cette thèse d’habilitation (2008) en science politique du professeur de Greifswald Klaus- Peter Lutterbeck sur un sujet qui suscite curiosité et intérêt peut surprendre le lecteur historien. L’auteur a bien multiplié les précautions : il ne faut pas appréhender cet ouvrage comme un récit primaire d’histoire administrative qui aurait la prétention d’informer le spécialiste sur les points de détail (p. 30). Pourtant, il les oublie lorsqu’arrivé au bout de son étude, il écrit : « l’histoire locale de Strasbourg dispose avec le présent travail d’une histoire lacunaire certes mais continue de l’administration de la ville de 1800 à 1914 ». (p. 420). Voire !

2 Partons des intentions de l’auteur. Il s’agit de mettre en relief les idées politiques qui s’expriment dans la pratique (praxis !)de l’administration municipale strasbourgeoise de 1800 à 1914. Soit ! Mais que recouvre ce terme polysémique ? L’auteur délimite son

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champ : la pratique administrative recouvre la « police », entendue comme mission de sécurité, de salubrité et de bienfaisance publique (Sicherheits und Wohlfahrtspolizei) d’une municipalité, définie comme communauté (Gemeinwesen). Lutterbeck parcourt donc la bibliographie relative à la municipalité de Strasbourg tout au long du XIXe siècle. Car s’il se fonde sur une série de mémoires imprimés rédigés par les maires ou les services de la mairie, l’ouvrage, à ses risques et périls, repose sur l’historiographie existante. L’étude relève par moments du bulletin bibliographique. L’auteur a-t-il choisi Strasbourg à cause de l’abondance de la littérature de seconde main ? L’analyse du reflet historiographique de l’action des municipalités et des maires pendant le XIXe siècle n’est pas inintéressante, mais il faut être un fort bon connaisseur de l’histoire municipale et de son historiographie pour la mener à bien de façon absolument convaincante.

3 Au moins l’étude est-elle utile par les synthèses opérées ? Venons‑en à la période allemande, où l’auteur est visiblement plus à l’aise. Il fait le point sur la longue historiographie consacrée à l’essor urbain de Strasbourg, avec la construction de la Neustadt, la révision du nord-est du plan Conrath par Ott, la grande percée et le Stockfeld, la politique d’assistance de Strasbourg, l’office municipal de placement et l’assurance municipale de chômage, l’intervention municipale dans l’économie et les sociétés d’économie mixte : au total une étude et une exposition complète et bienvenue en particulier sur la politique municipale développée par Schwander (et ses adjoints ou collègues, Dominicus, Cossmann, Blaum, Leoni). À plusieurs reprises, l’auteur resitue l’essor urbain de Strasbourg dans le sillage des progrès de l’administration municipale allemande et en cite le symbole, l’Oberbürgermeister de Francfort-sur-le-Main, Adickes.

4 Est-ce pour satisfaire aux exigences de sa discipline que Lutterbeck estime devoir prouver que « cette pratique administrative » doit tout à « l’identité de la ville et à la continuité des politiques que l’on y a développées » (p. 28) ? En outre, il veut apporter une contribution nouvelle à l’histoire des sciences politiques en dégageant, dans l’étude de cas de Strasbourg, des idées politiques partant exclusivement de la pratique (praxis) administrative ? N’est-ce pas délimiter de façon un peu factice les champs respectifs de l’État et des municipalités et des conceptions qui au fil des temps président à leurs interventions ? Car Lutterbeck part du principe qu’elles ne sont pas déterminées par l’État (national – français ou allemand –), mais par la pratique de la municipalité de Strasbourg dans sa continuité historique (Strassburger Verwaltungsverfassung, p. 25, p. 414). C’est, on en a bien peur, une argumentation circulaire. La définition in extremis de « types d’administrateurs », caractérisés pour le premier par l’adhésion à une société de classes et au primat de l’économie de marché et du laisser faire (Kentzinger), pour le second tout aussi libéral, mais paternaliste et prônant le recours à une intervention correctrice (Schutzenberger), le troisième, plus autoritaire et paternaliste mais interventionniste (Coulaux), le quatrième contestant le primat de la lutte de classes et développant l’idée d’une municipalité intégratrice (Schwander) ne vient qu’à la conclusion. Pour que cette comparaison prenne tout son envol, l’on voit bien qu’il faudrait recourir à la traditionnelle histoire des idées et des partis politiques. Que la pratique administrative de la ville de Strasbourg ait été déterminée par le cadre matériel et humain de la ville elle-même, habitat, voirie, eaux, habitants, cela va de soi. C’est le cas de toutes les villes. Admettons encore que ce cadre matériel contribue à définir les traits d’une « Verwaltungsverfassung », concept qui n’évacue pas le risque de l’anhistoricité, même si l’auteur concède que les compétences municipales ont considérablement étendu leur champ pendant la période tant en France qu’en

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Allemagne. Que l’évolution des conceptions des idées politiques sur l’intervention des villes dans leur champ administratif ne doive rien aux pouvoirs des États nationaux, au développement des idées politiques dans le cadre politique national, le bon et utile exposé sur les « politiques municipales » strasbourgeoises du Reichsland que nous donne Lutterbeck, ne le démontre guère, et bien plutôt le contraire.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

XXe siècle, Guerre mondiale, époque contemporaine

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Hurter (Eric), Hurter Do Bentzinger, 2011

Eric Ettwiller

RÉFÉRENCE

Hurter (Eric), Hurter, Do Bentzinger, 2011

1 Il faut aborder l’autobiographie du Docteur Eric Hurter par la quatrième de couverture. L’auteur y explique le choix de son titre. Pas de « mémoires », ni de « souvenirs », mais son seul patronyme, sans prénom. Nulle prétention mal placée chez ce narrateur emprunt de simplicité et de modestie. Plutôt qu’un titre à rallonge, Hurter choisit son nom de famille comme l’écho des voix du passé. À la lecture de l’autobiographie, on comprend toute la pertinence de ce positionnement. Il ne pouvait en être autrement pour cet homme d’action et de caractère, dont la vie a été rythmée par l’interpellation de « Hurter » dans les situations les plus diverses, et sur tous les tons. Agir – et réagir – plutôt que de subir, tel est le leitmotiv de l’autobiographie de cet Alsacien amené à traverser le siècle de tous les traumatismes pour sa région. S’il quitte sa terre natale à plusieurs reprises pour des séjours plus ou moins longs et lointains, Hurter ne coupe jamais les fils qui le relient à l’Alsace et y revient toujours. Histoire d’un Alsacien, son autobiographie est donc une source pour l’histoire de l’Alsace au XXe siècle. Elle se compose de trois périodes : la jeunesse (1913‑1939), la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui (1945-2011). Ces périodes sont traversées par trois grands thèmes : la famille, la médecine et l’engagement politique.

2 Le thème de la famille se rattache essentiellement à la période de la jeunesse, pour s’effacer ensuite, moins par pudeur que par l’aspect secondaire qu’elle a représenté pour cet homme engagé, au point qu’on ne connaît pas le prénom de sa femme, épousée à Remiremont en 1939. Par contre, la présentation du cercle familial d’origine est faite en bonne et due forme : heureusement, car elle ne manque pas d’intérêt. Hurter naît en 1913 à Obernai d’un de ces nombreux couples mixtes germano-alsaciens qui se forment dans le Reichsland. Les sentiments du père resteront toujours profondément allemands, même s’il obtient la nationalité française pour rester en Alsace. Le grand-père maternel

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est quant à lui francophile au point de préférer les vins du Roussillon à ceux du terroir local ! Malgré ce contexte familial compliqué, l’enfance d’Hurter paraît moins marquée par l’antagonisme national que par la volonté de son père d’en faire un dentiste comme lui. La puissance de l’autorité paternelle telle qu’elle existait à l’époque est très bien rendue, dans les différents aspects de l’existence de l’enfant. Plus tard, quand Hurter fait le choix de poursuivre les études de médecine auxquelles il aspire et de tourner le dos au destin tracé par son père, les cordons de la bourse lui sont coupés. Il commence alors une existence d’étudiant sans domicile fixe dans le Strasbourg du début des années 1930.

3 Apparaît alors le deuxième thème de l’autobiographie, la médecine. Le Docteur Hurter se spécialise en chirurgie orthopédique, même s’il sera souvent amené à effectuer des opérations de chirurgie générale, voire à exercer comme médecin généraliste. Nous suivons avec lui l’évolution du métier, tant sur le plan des connaissances que des pratiques. Les lieux d’exercice d’Hurter sont des plus variés, du Maroc – pendant son service militaire en 1936 et 1937 – au Liban – où l’engagement humanitaire conduit le jeune retraité au début des années 1980. C’est cependant à Strasbourg qu’il fait progresser dans les années 1950 et 1960 l’orthopédie infantile, une discipline négligée par la médecine française de l’époque. Ses initiatives se heurtent au Conseil de l’ordre des médecins, un des grands ennemis de son existence. Le contentieux date de la guerre, lorsque le Conseil de l’ordre a mis à plusieurs reprises des bâtons administratifs dans les roues du jeune chirurgien alsacien exerçant sans papiers en règle en zone occupée.

4 Comme pour toute une génération de ses compatriotes, la période de la Seconde Guerre mondiale est celle qui a le plus profondément marqué Hurter. Ces quelques années occupent l’essentiel du récit de sa vie, qui en compte pourtant quatre-vingt-dix-huit jusqu’à aujourd’hui. Elles ouvrent le troisième grand thème de l’autobiographie, celui de l’engagement politique. Mobilisé en août 1939, Hurter subit la « drôle de guerre » et la défaite française avec un puissant sentiment de frustration et de mépris pour le commandement de l’armée. Il décrit une Alsace annexée où le « progermanisme » se répand largement et bruyamment parmi la population. Le fils d’Allemand est francophile et s’aliène le directeur de l’hôpital de la ville d’Alsace centrale – mal camouflée derrière son « S. » – où il exerce. Il se sent très vite menacé et quitte clandestinement la région fin 1940 pour soutenir sa thèse à Nancy, là-aussi dans la clandestinité. Après plusieurs mois difficiles passés à Remiremont, il obtient un poste de médecin à Nolay, en Côte-d’Or, où l’Alsacien est suspecté d’accointances avec la Gestapo, avant que ses talents de médecin ne dissipent la méfiance de la population. À partir de juillet 1942, il occupe un poste de chirurgien à l’hôpital de Salins-les-Bains, dans le Jura. En 1943, il entre « petit à petit » dans la Résistance et devient « chirurgien du maquis du Jura ». Il participe aux combats de la Libération avec les FFI, remontant jusqu’au front des Vosges, avant d’intégrer les rangs de la 1ère Armée, qu’il suit jusqu’à Innsbruck. Lui-même présente ainsi son engagement dans la Résistance : « Moi, par exemple, qui n’ai jamais fait de politique, d’une part j’étais simplement contre les injustices et, d’autre part, je voulais rentrer dans une Alsace française ». Deux raisons qui fondent son hostilité au deuxième et principal ennemi de son existence : le nazisme… et ses auxiliaires français. Sa sympathie pour Staline dans son combat contre Hitler et l’engagement des communistes dans la Résistance exercent sur lui une influence de longue durée, puisque c’est par le biais des « milieux communistes » qu’il se rend au Liban en 1980. Mais cette sympathie vaut également à Hurter, incroyant

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depuis son adolescence, une complication de ses relations avec le « monde religieux », troisième et dernier grand ennemi de notre auteur, et son adhésion à la franc- maçonnerie. On peut regretter le manque d’introspection d’Hurter quant à ses engagements, mais cela correspond au personnage, pétri par l’action.

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Vonau (Jean-Laurent), Le Gauleiter Wagner. Le bourreau de l’Alsace La Nuée Bleue, Strasbourg, 2011, 256 p.

Alfred Wahl

RÉFÉRENCE

Vonau (Jean-Laurent), Le Gauleiter Wagner. Le bourreau de l’Alsace, La Nuée Bleue, Strasbourg, 2011, 256 p.

1 Déjà auteur d’études sur les problèmes de l’immédiat après-guerre en Alsace, Jean- Laurent Vonau présente ici une courte synthèse de l’histoire de la région durant la guerre. Tout au long du récit, l’empreinte du juriste est présente. On retrouve aussi toutes les structures du système, toutes les mesures, une histoire complète de la nazification au final. Le développement mériterait parfois un autre titre qui serait l’Alsace durant le nazisme, mais Wagner est néanmoins suffisamment présent. Quoiqu’il en soit, le grand public disposera désormais d’une synthèse précise résumant les innombrables écrits dispersés et toujours répétés. Ce livre fera ainsi gagner un temps considérable.

2 Il reste qu’il appelle plusieurs observations. On en retiendra trois : d’abord l’historiographie allemande compte aujourd’hui de nombreux travaux sur les cadres intermédiaires, dont les Gauleiter, dont on débusque les origines, la formation, la montée au sein du régime, la sociologie en somme. Comme il s’agit d’une biographie, on attendait davantage de données sur Wagner. Une comparaison s’imposait avec ses collègues pour savoir si l’exercice de son pouvoir avait un caractère qui différait par rapport à ses collègues du Reich et pas seulement Bürckel ou Simon, ou s’il a pu tirer mieux son épingle du jeu dans la lutte bien connue avec les organes centraux. Et sa vie privée ? Etait-il différent de ses collègues ? Et les beuveries organisées aux Trois Epis en l’honneur des grands dignitaires du régime de passage ?

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3 Deuxième remarque : à propos de l’Université (p. 101), il y a un développement sur l’exercice du pouvoir sous le régime nazi. L’auteur aurait pu profiter pour proposer une approche d’ensemble de l’exercice du pouvoir par Wagner. Ce qui l’aurait conduit à faire référence à l’explication nouvelle depuis la fin des années 1970 du caractère fonctionnaliste du régime, explication initiée par Martin Broszat et complétée par Mommsen où Hitler apparaît désormais comme un chef d’État très singulier par sa « gestion » chaotique du pouvoir (la polycratie). On aurait aimé que l’action de Wagner soit étudiée à l’aune de ce savoir, plus tellement nouveau au demeurant. Cela impliquait une recherche systématique sur le cheminement des décisions dans beaucoup de domaines où il se heurta à la concurrence ou à l’opposition des multiples instances compétentes : Himmler pour le Struthof, Lammers, chef de l’une des trois (!) chancelleries de Hitler et non ministre de l’Intérieur, car Wilhelm Frick, le vrai titulaire de ce poste batailla, lui aussi, sans arrêt contre les Gauleiter dont Wagner pour faire prévaloir une législation uniforme dans le Reich. Il est vrai que cela supposait de consulter des archives hors du Gau Oberrhein.

4 Troisième remarque : quelques observations de détail : Ernst passait jusqu’à présent pour avoir été tenu à l’écart par le Gauleiter. Jean-Laurent Vonau dit le contraire, mais ne le démontre pas. À souligner au moins une négligence : celle de qualifier les internés de Schirmeck de déportés et le camp lui-même de camp de concentration. De même, comment conclure que le verdict du procès était « pleinement conforme à l’opinion publique alsacienne » ? Comme si celle-ci était unanime ! Dans ce cas, comment expliquer que les autorités de la Libération aient pu songer à transférer dans le Sud- ouest les populations de plusieurs communes du Bas-Rhin ?

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Grandhomme (Jean-Noël), Les Malgré Nous de la Kriegsmarine Éditions La Nuée Bleue, 431 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

Grandhomme (Jean-Noël), Les Malgré Nous de la Kriegsmarine, Éditions La Nuée Bleue, 431 p.

1 Travailleur acharné, Jean-Noël Grandhomme explore, méthodiquement et scrupuleusement depuis une quinzaine d’années, l’histoire de l’Alsace pendant les deux guerres mondiales. À intervalles réguliers paraissent des ouvrages (Sur les pentes du Golgotha, Boches ou tricolores…), apportant leur lot d’informations inédites sur ces deux périodes forcément tragiques pour la région. Son dernier opus évoque les Malgré Nous de la Kriegsmarine, ce qui comble un manque historiographique évident comme le signale fort justement François Cochet dans son avant-propos.

2 L’auteur s’appuie grosso modo sur deux sources principales de documentation. D’une part les archives, terreau naturel de l’historien. D’autre part des témoignages oraux, à partir de réponses à un questionnaire identique soumis aux intéressés. Le croisement de ces deux sources, à la fois va-et-vient et dialectique, constitue l’intérêt de l’ouvrage, outre son apport documentaire. La froide rigueur désincarnée des archives se trouve constamment enrichie par des propos recueillis qui donnent corps et chair, si l’on peut dire, au récit général. Le tout est sous-tendu par un style concis, ce qui rend agréable la lecture du texte.

3 Reprenons la liste des témoignages oraux cités et publiés p. 413 à 416. Une constatation : deux personnalités connues, Henri Goetschy, ancien président du Conseil général du Haut‑Rhin, et Pierre Karli, professeur de renom. Mais aussi huit docteurs en médecine (neuf si on ajoute Henri Goetschy), et neuf ecclésiastiques (huit curés catholiques et un pasteur protestant). Faut-il y voir là, en l’absence des autres

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professions indiquées, l’émergence d’un groupe social cultivé et intelligent qui, appréhendant l’inévitable incorporation de force, tend à l’adoucir par tous les moyens, y compris par le choix de l’eau salée ? Pour autant, être marin pendant la guerre ne constitue pas une sinécure, à lire les aventures des uns et des autres.

4 Les limites de cet ouvrage, dont l’auteur ne peut-être tenu pour responsable, sont l’insuffisance des sources allemandes et les indispensables données statistiques. Il faudra attendre l’ouverture officielle des archives pour étayer le tout, voire aussi pour confirmer ou infirmer une tradition orale tenace qui veut que l’Outre-Forêt détienne le pompon, sans jeu de mots, en matière de record d’engagés dans la Kriegsmarine.

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Baty (Régis), Tambov camp soviétique (1942-1946). Les archives soviétiques parlent Strasbourg, 2011, 256 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

Baty (Régis), Tambov camp soviétique (1942-1946). Les archives soviétiques parlent, Strasbourg, 2011, 256 p.

1 Encore un livre sur Rada-Tambov ? Que dire de plus après Les nuits de Fastov d’André Weckmann et les dizaines de témoignages paraissant, tel un flot impétueux témoin d’une blessure que seule une mort peut cicatriser ? Peut-on en effet (sur)vivre lorsque l’on a été victime d’un triple terrorisme, le premier d’extrême-droite qui vous oblige à porter l’uniforme de l’ennemi, le deuxième d’extrême-gauche qui vous emprisonne et pour finir le troisième, un terrorisme intellectuel, subi au retour, qui vous dénie la souffrance subie ? Oui, encore un livre, mais enfin un livre d’histoire et non plus de mémoire.

2 Ayant travaillé un certain temps aux Archives Départementales du Haut‑Rhin et surtout parcouru et traduit des archives russes soigneusement amassées par Jean-Luc Eichenlaub – omis dans les remerciements –, Régis Baty présente et exploite un fonds inédit qu’il a contribué à classer et inventorier. Comme il se doit, ce matériau nouveau apporte son lot de trouvailles et de renseignements neufs, renouvelant la perception de Rada-Tambov, camp 188, non pas hors-norme, mais tout à fait conforme aux autres laguers soviétiques de l’époque.

3 Disons-le sans ambages. Cet ouvrage, qui contribue curieusement à démythifier l’endroit, va devenir incontestablement la référence essentielle pour qui s’intéresse au sujet. On y trouvera des informations précieuses sur les effectifs, les personnalités, le

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travail, les évasions et les mesures tendant à les enrayer, l’origine sociale des prisonniers. L’auteur envisage encore d’autres suites consacrées à la mortalité, l’alimentation, les dossiers personnels et une grammaire, autant de parties présentes dans sa thèse d’histoire contemporaine présentée en 2009 sur la valeur documentaire des archives soviétiques concernant les Français internés en URSS entre 1940 et 1945.

4 Signalons toutefois l’absence de chiffres définitifs sur cette tragédie, l’auteur ne pouvant être tenu pour responsable de cette lacune. Il lui faudra patienter quelques mois avant l’ouverture légale des archives. Pour l’heure, les estimations entrevues tendent à réduire le nombre de pertes humaines avancées jusqu’à présent. Des estimations confirmées ou infirmées à l’issue des nécessaires prochaines investigations ?

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Pfeiffer (Thomas), Alsace le retour du loup. Un siècle après son éradication, il revient, faut-il en avoir peur ? Strasbourg, La Nuée Bleue, 2011, 189 p. (préface Georges Bischoff)

Philippe Jéhin

RÉFÉRENCE

Pfeiffer (Thomas), Alsace le retour du loup. Un siècle après son éradication, il revient, faut-il en avoir peur ? Strasbourg, La Nuée Bleue, 2011, 189 p. (préface Georges Bischoff).

1 Passionné par le loup depuis l’enfance, Thomas Pfeiffer publie de façon très opportune un ouvrage consacré à son animal favori, à l’heure où il réapparaît dans le massif vosgien après une absence d’un siècle. En effet, en juillet 2011, un loup est photographié au col du Bonhomme. À la fin de l’hiver 2012, un second spécimen hanterait les Hautes Vosges. Le loup est donc bien de retour dans le massif, révélant sa présence alternativement sur le versant alsacien et lorrain.

2 Ce livre est le résultat d’un travail de recherche historique, mais aussi d’une passion d’un homme engagé en faveur de la protection du loup, au point que la réponse au sous-titre transparaît dès les premières lignes du prologue, l’auteur se qualifiant « d’ambassadeur du loup ». Pour comprendre ce fauve, Thomas Pfeiffer a erré sur ses traces dans le parc du Gévaudan (Massif Central), dans les Alpes1, puis dans les archives alsaciennes, avant peut-être de le rencontrer au détour d’un bois dans les Vosges ou de la plaine d’Alsace.

3 L’étude de Thomas Pfeiffer s’inscrit dans le cadre de l’histoire de l’environnement, et plus particulièrement l’histoire de la faune lancée en 1984 par le médiéviste Robert

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Delort2. De tous les représentants de la faune de nos latitudes, le loup est certainement l’animal sauvage le plus évoqué dans les archives. Le loup n’a pas la royauté de l’ours3, la ruse proverbiale du renard ou la discrétion du lynx, son rôle de charognard en a fait le symbole des périodes troublées et sa voracité le parangon de la cruauté. Pourtant, l’auteur entend bien réhabiliter ce prédateur : « Pourquoi la France s’est-elle distinguée par une haine aussi terrible contre cet animal noble, courageux et endurant, organisé socialement en clan ? » écrit-il (p. 186).

4 L’ouvrage s’article en quatre parties fort distinctes, agrémentées d’un cahier central de photos en couleurs de Vincent Munier. Dans les deux premiers chapitres assez brefs, Thomas Pfeiffer s’interroge sur les conditions du retour de ce prédateur dans la région, puis il apporte d’utiles précisions sur la vie et les mœurs du loup. Les deux parties suivantes paraissent bien plus consistantes, elles forment le cœur de l’ouvrage, le résultat des recherches de l’historien. L’histoire de la présence du loup en Alsace reprend les faits présentés en 2006 dans la Revue d’Alsace4 (p. 175‑203) dont il faudra se référer pour trouver une bibliographie qui fait malheureusement défaut dans le présent ouvrage. Les nombreuses mentions du loup en Alsace sont présentées de façon chronologique. On peut regretter que cet important corpus ne fasse pas l’objet d’une analyse plus fine à travers une typologie des cas, des agressions, des attaques, ou une cartographie avec les densités de loups au fil des siècles. Il semblerait en effet que le loup soit davantage présent dans la plaine que dans la montagne. S’il hante la forêt de la Hardt et le Sundgau ou l’Alsace Bossue, il paraît moins répandu dans les Hautes Vosges. Cette fréquence est-elle effective ou reflète-t-elle la disparité des sources ? La dernière partie évoque les symboles et l’imaginaire lié au loup dans la mentalité occidentale. Ysengrin, le loup ridiculisé par Renart, s’est mué en fauve cruel, l’incarnation du mal sous toutes ses formes, dans les contes, les légendes et les affaires de sorcellerie. Pourtant, le loup imprègne toute la société et les paysages : il se retrouve abondamment dans l’héraldique et dans la toponymie alsacienne.

5 L’étude de Thomas Pfeiffer apporte donc un élément important dans le débat sur le retour du loup dans la région. Son point de vue s’oppose catégoriquement à la thèse du « méchant loup » de Jean-Marc Moriceau5. Thomas Pfeiffer soutient en effet que le loup est un animal craintif et inoffensif pour l’homme ; il ne serait qu’un « bouc émissaire », expression récurrente et même inconsciemment paradoxale quand on songe à ses proies comme la chèvre. La démonstration de Thomas Pfeiffer souffre cependant d’une grande faiblesse : l’auteur apporte de multiples exemples qui contredisent sa thèse, sans qu’il juge nécessaire de le souligner. Les archives alsaciennes ne signaleraient aucune attaque gratuite de loup sain (p. 182). Pourtant, des contre-exemples émaillent le récit (p. 82 à 87), comme à Hohrod où « un loup s’attaque à un jeune berger et arrache la tête d’une femme » en 1640, à Jebsheim où « beaucoup de personnes ont été mordues et dévorées par des loups en 1679 »… Et de conclure « si les loups étaient aussi dangereux pour les hommes qu’on s’est complu à le prétendre depuis si longtemps, pourquoi aucun seigneur n’a pris la décision d’organiser de vastes battues systématiques, destinées à éradiquer l’animal ? » (p. 183). Or, il se trouve que des traques aux loups sont organisées aux XVIIe et XVIIIe siècles dans la forêt de l’Ill par la ville de Sélestat en accord avec la chancellerie de Ribeaupierre à la suite des attaques de troupeaux6. Depuis le Moyen Âge, les autorités ont lutté contre la prolifération des loups, soit par des battues qui s’intensifient au début du XIXe siècle7, soit par la délivrance de primes, soit par l’usage du poison au XIXe siècle8. En 1780, la seigneurie de Ribeaupierre décide même la construction d’une cabane pour protéger du froid ses chasseurs de loups dans la vallée de Sainte-Marie-

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aux-Mines9. Globalement, les attaques de loups touchent principalement les troupeaux, les agressions d’êtres humains demeurent exceptionnelles en Alsace. Si l’homme cherche à éradiquer le loup, c’est surtout pour lutter contre la menace qu’il représente pour le bétail.

6 En dépit de ces quelques contradictions, l’étude de Thomas Pfeiffer illustre le renversement d’image du loup dans la société contemporaine, désormais coupée de ses racines rurales et agricoles.

NOTES

1. PFEIFFER (Thomas), Sur les traces des brûleurs de loups, l’homme et le loup en Dauphiné, Paris, L’Harmattan, 2009, 206 p. 2. DELORT (Robert), Les Animaux ont aussi une histoire, Paris, Le Seuil, 1984, 391 p. 3. PASTOUREAU (Michel), L’ours, histoire d’un roi déchu, Paris, Le seuil, 2007, 419 p. 4. PFEIFFER (Thomas), « Le loup en Alsace : de mémoire d’homme », Revue d’Alsace, no132, 2006, p. 175-203. 5. MORICEAU (Jean-Marc), Histoire du méchant loup. 3 000 attaques sur l’homme en France (XVe- XXe siècle), Paris, Fayard, 2007, 623 p., L’Homme contre le loup, une guerre de deux mille ans, Paris, Fayard, 2011, 479 p. 6. A.D.H.R. E 1170 7. Battues et primes aux loups début XIXe siècle dans le Haut-Rhin, A.D.H.R. 7 M 22-25. 8. JEHIN (Philippe), « La chasse aux loups dans le Sundgau au début du XIXe siècle », Annuaire de la Société d’histoire du Sundgau, no17, 2006, p. 329‑338. 9. A.D.H.R. E 693.

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

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Hennequin-Lecomte (Laure), Le patriciat strasbourgeois (1789-1830). Destins croisés et voix intimes Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, 397 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

Hennequin-Lecomte (Laure), Le patriciat strasbourgeois (1789-1830). Destins croisés et voix intimes, Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, 397 p.

1 Il existe en Alsace, au sein de pléthore de fonds, deux gisements historiques de première importance, tout à la fois en masse documentaire et en qualité d’information. Il s’agit bien évidemment des fonds de Turckheim et surtout de Dietrich, familles luthériennes d’une envergure dépassant la région. Faut-il encore rappeler au lecteur averti l’intérêt de ces centaines de lettres fourmillant d’informations politiques, industrielles, commerciales, amicales et familiales ? C’est surtout la surabondance de ce matériau qui a laissé longtemps pantois et désemparé tout(e) historien(ne), cherchant à exploiter au mieux ces trésors, afin d’en présenter une synthèse aboutie.

2 À la suite d’Hélène Georger-Vogt, qui a passé une vie de labeur à décrypter et saisir le fonds de Dietrich remplissant à elle seule quelques rayonnages d’une bibliothèque alsatique digne de ce nom, de Jules Keller qui s’est plutôt intéressé aux de Turckheim, de Michel Hau et de Guy Richard, éminents spécialistes des notables industriels, Laure Hennequin-Lecomte s’est donc, elle aussi, plongée dans cette caverne d’Ali Baba, en fait antre de Clio. Son ouvrage propose, prioritairement, d’étudier les réseaux d’influence du patriciat strasbourgeois, thème dans l’air du temps historiographique.

3 On est d’emblée sensible à l’écriture raffinée (féminine ?) de l’auteure et agréablement surpris par quelques belles trouvailles conceptuelles – le temps et l’espace épistolaires, les affinités électives, les vies parallèles –. La place donnée à la littérature, la

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correspondance et la critique littéraire nous introduit remarquablement dans le monde des femmes cultivées qui vivent aux côtés d’hommes qui gèrent leurs affaires et s’adonnent à la politique. Laure Hennequin-Lecomte insiste surtout sur la cohésion sociale de ce groupe, à juste titre semble-t-il.

4 La lecture originale et finalement très personnelle de ces fonds, qualité évidemment et non pas défaut, constitue tout à la fois l’intérêt et la limite de cet ouvrage. À force d’insister sur la cohésion – réelle – de ce groupe, qu’en est-il des ruptures ? Rappelons que les deux enfants de l’emblématique Frédéric de Dietrich et de Sybille Ochs, lui luthérien et elle calviniste, sont catholiques, ce qui provoque l’ire de Jean de Dietrich, le père de Frédéric – « Il a peine à s’accoutumer à les savoir catholiques », dit Schwendt –. Un choix s’expliquant par le fait que, sous l’Ancien Régime, il faut être catholique pour s’élever socialement. Quel est l’impact d’une telle décision ?

5 Après l’anicroche confessionnelle, insistons sur la rupture chronologique. Ancien Régime, Révolution girondine puis montagnarde, Consulat, Empire, Restauration se succèdent à un rythme effréné et imposent à chacun(e) une adaptation constante à la nouvelle donne politique. L’empereur a-t-il d’abord été adulé, avant d’être haï ? Toutes ces évolutions apparaissent dans les deux fonds exploités. Pourquoi ne pas y avoir été sensible ?

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Klimm (Peter), Grenzgänger. Pfälzisch-französische Lebensläufe, Mannheim Wellhöfer-Verlag, 2011, 158 p.

Rainer Riemenschneider

RÉFÉRENCE

Klimm (Peter), Grenzgänger. Pfälzisch-französische Lebensläufe, Mannheim, Wellhöfer- Verlag, 2011, 158 p.

1 Nous devons à Peter Klimm, historien chevronné des relations franco-allemandes et originaire de Speyer, un beau recueil de récits de vie ressuscitant dix personnalités, palatines ou françaises, qui ont vécu entre le XVIIe et le XXe siècle. Les plus connues d’entre eux – en France tout au moins – ouvrent et ferment le recueil : la princesse palatine Charlotte Elisabeth (1652-1722), belle-sœur de Louis XIV ; le baron d’Holbach (1723-1789), philosophe des Lumières d’un côté, et Michel Bréal (1832-1915), linguiste distingué en son temps qui avait beaucoup réfléchi et publié sur le bilinguisme, de l’autre. Il faut déjà avoir un solide bagage historique pour les connaître. Mais qui se souvient de Johann Christian Mannlich, de Georg Friedrich Dentzel, Friedrich Christian Laukhard, Karl August Malchus, Paul Camille von Denis, Jakob Hartmann, Joseph Savoye ?

2 C’est le mérite de Peter Klimm que de les avoir tirées de l’oubli car toutes ces personnes ont joué un rôle certain, voire considérable, en France et en Allemagne. Nées soit en Allemagne, soit en France, elles ont toutes connues un itinéraire transfrontalier – d’où le titre du livre, Grenzgänger. Deux d’entre eux, au moins, ont joué un rôle politique lié à l’Alsace. Dentzel (1755-1828) fut élu député du Bas-Rhin à la Convention en 1792, proche des Jacobins ; Savoye (1802-1869) fut représentant du Haut-Rhin à l’Assemblée Nationale de 1849 où il siégea sur les bancs de la Montagne1.

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3 Pourquoi les avoir tirées de l’oubli ? Peter Klimm s’en explique de manière convaincante. Ses dix « héros » ont contribué de façon notable à façonner le passé de nos deux pays. Ils ont valeur d’exemple par leur biographies transnationales, préparant ainsi les conditions d’échange et de dialogues entre les cultures française et allemande, échange que nous sommes habitué à vivre de nos jours comme allant presque de soi. Itinéraires surprenants, surtout à l’époque cruciale de l’Ancien Régime finissant, les années turbulentes de la Révolution française et le XIXe siècle tourmenté. L’époque des grandes ruptures, qui bouleversa les structures et les conditions sociales comme on ne l’avait jamais vu auparavant, a favorisé des carrières insolites, permettant à des hommes d’origine modeste d’accéder à des fonctions très élevées, parfois proches du pouvoir. C’était le cas de plus d’un des protagonistes du livre.

4 Peter Klimm permet au lecteur de suivre de près, par des détails parfois pittoresques ou cocasses, ces trajectoires fascinantes. Le lecteur averti s’aperçoit bien vite que l’auteur a maîtrisé une vaste documentation scientifique solide et récente. S’appuyant sur les meilleurs travaux des historiens de nos deux pays, il redresse plus d’un stéréotype (concernant par exemple la princesse palatine qui fut longtemps regardée avec condescendance par les Français). Il raconte avec brio, ayant le sens de la formule, et n’est jamais fastidieux. C’est une performance remarquable qui révèle un vrai talent d’écrivain. Peter Klimm fait dans ce livre élégant œuvre de vulgarisateur au meilleur sens du terme, mettant les résultats de la recherche, souvent inaccessible ou difficile à lire, à la portée de tout lecteur intéressé par les relations franco-allemandes. Son livre est un bel exemple de vulgarisation historique qui a une brillante tradition culturelle et pédagogique en France, comme nous l’a rappelé Christian Amalvi dans sa grande thèse2.

5 Nul doute que les Grenzgänger méritent une publication en français, peut-être complétée par une bibliographie choisie, pour permettre au lecteur qui veut en savoir plus d’aller plus loin dans les traces de ces dix personnages évoqués ici de manière si vivante et compétente.

NOTES

1. Pour les Alsaciens, il est utile de consulter aussi le Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne, en 49 fasc., publié à partir de 1995 par la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace. 2. Amalvi (Christian), L’histoire pour tous : la vulgarisation historique en France, d’Augustin Thierry à Ernest Lavisse (1814-1914), thèse d’État, Montpellier, 1992.

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Burcklen (Didier), Saint-Dizier (Pierre-Roland), Vitoux (Marie- Claire), Des hommes et des tours Éditions Place Stanislas, 2010, 108 p.

Raymond Woessner

RÉFÉRENCE

Burcklen (Didier), Saint-Dizier (Pierre-Roland), Vitoux (Marie-Claire), Des hommes et des tours, Éditions Place Stanislas, 2010, 108 p.

1 Placé sous l’égide du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien, l’ouvrage consacré au quartier des Coteaux est une production hybride, à la fois grand public et issue de la réflexion universitaire. Cette approche était un pari aussi risqué que celui de la construction de la ZUP de Mulhouse, mais les trois auteurs ont mené leur barque à bon port, en partie grâce au fonds que constitue l’excellent mémoire de maîtrise de Didier Burcklen, soutenu il y a quelques années à l’Université de Haute-Alsace.

2 Nous voici donc plongés dans l’aventure des bâtisseurs des Trente Glorieuses puis des désillusions qui ont suivi. D’abord perçues comme la solution au problème du logement urbain, les ZUP deviennent rapidement des repoussoirs, bien au-delà de ce qu’elles méritent. Ainsi, une forme urbaine nouvelle, « un écrin de béton dans un bloc de verdure » (on aurait préféré lire « un bloc de béton dans un écrin de verdure »…) sert de catalyseur des espérances puis des frustrations de la société en général. Une fois étayés par de nombreuses citations de diverses époques, ces préjugés sont fortement nuancés. Marcel Lods, le concepteur du quartier, n’était pas un démiurge gavé de fonctionnalisme. Dès le début, il avait prévenu les élus mulhousiens d’une prise de risque, d’une malfaçon possible à une échelle amplifiée, et qui resterait là pour des dizaines d’années. Ses doutes l’avaient conduit à revoir son plan-masse qui, initialement, aurait dû être un clone de celui de la ZUP de Meaux. Et ceux qui affirment que les architectes devraient habiter dans les horreurs qu’ils construisent peuvent être

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rassurés : Marcel Lods a bel et bien vécu dans un grand ensemble à Marly-le-Roi. Le livre accorde une belle place aux témoignages des habitants, parfois de toujours, heureux de vivre ou de travailler aux Coteaux ; l’air, la lumière, le parc, la vue sur les Vosges et la Forêt-Noire, les appartements de belle taille, la proximité des services publics et marchands, autant d’arguments qui auraient ravi Le Corbusier !

3 La chronologie rythme l’ouvrage avec les débuts enthousiastes et la frénésie des chantiers (18 000 habitants et 3 679 logements en quinze ans), le doute dès la fin des années 1960 lorsqu’il faut renoncer à la troisième tour de Plein-Ciel faute d’acquéreurs, « l’insécurité » expliquée par un élu au début des années 1980, puis la destruction d’une barre, le renouveau avec le désenclavement par le tramway et le projet récent du cabinet Michelin. Ce dernier n’hésite pas à proposer une nouvelle tour au beau milieu des espaces verts, à densifier le quartier avec de petits immeubles et à ramener une rue à l’intérieur du quartier. Une vraie rue, alors que Marcel Lods avait tracé un contournement et qu’il aurait voulu rabattre tous les accès automobiles dans des tunnels menant à des garages souterrains en impasse.

4 L’ouvrage met en place les théories et les besoins de l’époque qui ont présidé à la construction des ZUP. Ainsi, l’urgence et la nécessité ont rencontré les promoteurs d’un monde idéalisé, celui de la Charte d’Athènes. On réalise alors que Mulhouse a jeté par- dessus bord sa tradition de socialisme municipal, née avec la croissance industrielle au XIXe siècle. La Ville est entrée d’un bloc dans des programmes nationaux, avec des financements de l’État et des équipes d’architectes-urbanistes connus dans le pays. Une photo montre un aréopage de technocrates entourant Pierre Sudreau, le ministre de la construction, commentant la maquette de la future ZUP avec, dans son dos, une vénérable cité-jardin de Dornach. Fatalité ? Que pouvait encore faire la Ville ? Son industrie était vieillie, la vétusté et même l’insalubrité avaient gagné les logements de la zone centrale… Pourtant, l’idée d’être encore et toujours un modèle restait prégnante. La Journée mulhousienne de l’urbanisme du 12 mai 1959 avait été un événement énorme. Les Coteaux comptaient parmi les dix premières ZUP de France. Un laboratoire pour le futur se mettait en place.

5 On trouvera de nombreuses précisions importantes pour les amateurs d’histoire, voire d’archéologie, comme pour les habitants de la ZUP et d’ailleurs. Voici Marcel Lods qui photographie le site du futur chantier en avion. Le revoilà qui sue sang et eau sur son projet de quatre dalles en béton au-dessus des garages, prémices de jardins babyloniens qui ont totalement échoué. Et ce site de collines, a priori apanage de quartiers résidentiels alors que les ZUP sont usuellement établies sur des terrains plats ! La description de la vie associative, creuset pour la population si diverse par son origine et sa culture, n’est pas en reste. Dieu réside également aux Coteaux, de préférence dans des baraques. Les nombreuses photos de barres et de tours, présentées en une symphonie des quatre saisons, sont répétitives, mais chaque habitant sera sans doute heureux d’y voir son immeuble. Une pointe de nostalgie perce car « désormais c’est le temps du chacun chez soi ».

6 Le regret concerne la rareté des statistiques. Le recensement n’arrive qu’à la page 87, et encore ne s’agit-il que de celui de 1975. On aurait aussi voulu voir vivre la population à travers les chiffres, l’évolution de son nombre total, sa ventilation en diverses catégories, la décroissance du nombre d’habitants par logement, de la taille des familles, ou encore les lieux de naissance des habitants. Suivre une nation(alité) à la trace aurait été très révélateur pour l’histoire locale, comme l’ouvrage le fait d’ailleurs

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de manière impressionniste pour les Indochinois. Au passage sont livrés quelques indicateurs qui montrent que les Coteaux ne sont de loin pas le quartier le plus problématique de Mulhouse.

7 Au final, avec cet ouvrage, la ZUP des Coteaux est réhabilitée. On peut désormais y voir autre chose que des artefacts, comprendre un dessein et une nécessité, bref donner de l’épaisseur historique à un quartier qui en manquait. L’École de Mulhouse n’a pas failli à sa mission. Et chaque lecteur pourra se demander jusqu’à quel point le cadre architectural fonctionnaliste est responsable ou non d’un mal-être social.

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Braeuner (Gabriel), Colmar. L’esprit d’une ville Éditions du Belvedère, 2011, 205 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

Braeuner (Gabriel), Colmar. L’esprit d’une ville, Éditions du Belvedère, 2011, 205 p.

1 Pendant plusieurs années, Gabriel Braeuner a régulièrement délivré un billet sur un aspect historique de Colmar dans un quotidien régional. L’exercice nécessite une recherche constante de sujets, pas toujours de première main, suffisamment variés pour ne pas engendrer de répétitions, suffisamment ciblés pour intéresser un lecteur peu familier de Clio. Comme le veut le genre, il faut éviter un texte longuet, écrire de façon concise et nerveuse, soutenir l’attention afin d’éviter le fatal décrochage. Est-il nécessaire de préciser que l’auteur excelle dans ce genre littéraire, avec une plume tout livétienne ?

2 Le temps aidant s’empilent de nombreux textes, appelés à s’évanouir en même temps que l’on se débarrasse du journal. Surgit l’idée de regrouper les billets et de les mettre en valeur par l’ajout d’une iconographie qui les sublime, à moins que ce ne soit les textes qui mettent en valeur les images. Le tout devient un luxueux alsatique, dû au talent d’Emmanuel Vandelle, le dynamique éditeur du Belvedère.

3 On aura donc compris qu’il ne s’agit pas là d’une histoire de Colmar stricto sensu, synthèse d’envergure faisant couler dans le temps long permanences et ruptures. Cela n’empêche l’existence d’un bon livre qui, s’il ne se lit pas d’un trait, se déguste soir après soir, billet après billet, sans modération, au gré d’une humeur vagabonde.

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Tuffery-Andrieu (Jeanne-Marie) (dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise en Alsace et en Lorraine du XIXe au XXIe siècle Presses Universitaires de Rennes, collection « Pour une histoire du travail », 2010, 182 p.

Marie-Claire Vitoux

RÉFÉRENCE

Tuffery-Andrieu (Jeanne-Marie) (dir.), La responsabilité sociale de l’entreprise en Alsace et en Lorraine du XIXe au XXIe siècle, Presses Universitaires de Rennes, collection « Pour une histoire du travail », 2010, 182 p.

1 Immense question, brûlante d’actualité, que celle de la responsabilité sociale de l’entreprise ! Economistes (comme Milton Friedmann qui a insisté sur son coût), juristes (créateurs d’outils permettant de mesure pénalement la responsabilité de l’entreprise), sociologues de la relation de travail, théologiens, historiens, tous se sont emparés de ce concept de nature fondamentalement pluridisciplinaire. C’est cette caractéristique que les organisateurs du colloque strasbourgeois ont respecté en organisant, début février 2010, un colloque international et pluridisciplinaire qui a permis de revisiter ce concept par de multiples approches inscrites dans ce haut-lieu du capitalisme dit rhénan que fut et qu’est peut-être encore l’Alsace-Lorraine.

2 La première partie des actes du colloque intitulée « un concept pluridisciplinaire » regroupe les communications de juristes (Norbert Olszak ; F. Géa, R. de Quenaudon) et d’économistes (Cl. Diebolt ; J. Thépot) qui permettent de proposer différentes définitions du terme : ce chapitre se termine sur une perspective européenne bienvenue (Mme M. Schmitt). La seconde partie s’attache à cerner « une pratique

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industrielle en Alsace et en Lorraine ». P. Vallin et Mme A. Bamberg permettent d’enraciner la spécificité alsacienne et lorraine dans une approche religieuse en réfléchissant tous deux à la doctrine sociale de l’Église catholique, tandis que le point de vue protestant est traité par F. Dermange. Après ces trois mises au clair, les études de cas sont développées : les verreries des Vosges du Nord (Mme V. Brumm), le modèle social de Baccarat (M. Schamber), l’industrie faïencière de Sarreguemines (P. Hamman), le combat des industriels alsaciens contre le travail des enfants (N. Stoskopf) et la Société industrielle de Mulhouse confrontée à l’annexion allemande (Mme F. Ott).

3 L’intérêt de l’ouvrage, s’il est à chercher d’abord dans la qualité de toutes les communications, réside d’abord dans sa cohérence : en effet, le risque était de voir rassemblées des contributions hétéroclites, parce que juxtaposant sans les faire dialoguer les approches pluridisciplinaires. C’est le mérite des organisateurs du colloque, sous la direction de Mme Tuffery‑Andrieu, professeur de droit social à l’université de Strasbourg, d’avoir construit une mise en dialogue des différentes spécialités. L’ouvrage fait donc progresser non seulement nos connaissances de spécialistes mais aussi notre savoir-faire transdisciplinaire.

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Burg (Peter), Saar-Franzose, Peter/ Pierre Lorson SJ. Paulinus.de [Trèves], 2011, 294 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

Burg (Peter), Saar-Franzose, Peter/Pierre Lorson SJ., Paulinus.de [Trèves], 2011, 294 p.

1 Personnalité en vue de la résidence des jésuites de Strasbourg depuis 1934, Pierre Lorson, mort en 1954, est encore connu aujourd’hui pour sa biographie de Mgr Charles Ruch, parue en 1949. Il a fait l’objet de notices biographiques dans le Dictionnaire de la France religieuse (1987, Blatz reprenant une notice de l’EA 1984) et dans le NDBA (RP. Bonfils, archiviste de la Province de France SJ 1995). Son ouvrage autobiographique et la présente biographie apportent des compléments bienvenus. Né à Differten près de Saarlouis (Sarre) en 1894, Lorson descend d’une famille de mineurs. L’histoire de ce pays est marquée par l’expérience de la frontière. La Sarre relève du diocèse de Trèves, qui avait pour évêque l’influent Mgr Korum, Alsacien. Est-ce à cette influence que le curé de Differten, comme beaucoup de curés d’Alsace, de Moselle, de Suisse, envoie le jeune garçon doué, qui veut être missionnaire en Chine à l’école apostolique d’Amiens, refugiée par l’effet des lois françaises à Thieu (Belgique) ? Il y apprend le français, qu’il maîtrisera parfaitement. Alors que ce petit séminaire recrute pour toutes les congrégations missionnaires ce sont les Jésuites que le Sarrois choisit de rejoindre. Il fait son noviciat à Antoing (Belgique) puis en 1916 est incorporé dans l’armée allemande et sert au front sur le Chemin des Dames. Fait prisonnier en juin 1918, il brûle ses papiers et se fait passer pour Alsacien-Lorrain. Il est envoyé dans un camp d’Alsaciens-Lorrains (Saint-Just - Saint-Rambert), où il rencontre un confrère jésuite, mais mosellan. Tous deux décident de s’engager dans l’armée française, ce qu’ils font dès octobre 1918. Lorson fait 5 mois de service dans la marine à Toulon et est démobilisé. Il reprend le cursus de la formation de jésuite (Florennes, Canterbury, Vals près le Puy), enseigne au collège de Lille, puis, naturalisé français en 1926, est nommé

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en 1934 à la résidence jésuite de Strasbourg (située au 1 boulevard d’Anvers). Il va y mener jusqu’à sa mort une activité de prédicateur, en particulier à la cathédrale de Strasbourg, de conférencier et de publiciste, donnant des articles d’analyste politique et religieux et de critique littéraire, en particulier au périodique jésuite, Les Études. Il mène à bien des traductions littéraires de l’allemand (Romano Guardini) et des essais sur les auteurs (Guardini, Gertrud von Le Fort, Langässer). Il publie également des essais, dont une vive critique du racisme nazi, sous le pseudonyme de Louis Valdor. Appelé sous les drapeaux, il est aumônier militaire d’une unité de la ligne Maginot, qui se replie dans la débâcle et est encerclée dans les Vosges à la fin de juin 1940. Avec l’accord de ses chefs, il quitte l’unité pour ne pas être fait prisonnier et retourne à Strasbourg puis à Ribeauvillé chez les Sœurs, enfin à Paris. Il passe alors en zone libre et assume les fonctions de professeur de théologie au grand séminaire du diocèse de Fréjus, dont l’évêque est l’ancien professeur de Strasbourg, Mgr Gaudel. Après la Libération, il revient à Strasbourg, où il reprend ses fonctions à la résidence jésuite, mais s’intéresse de près aux affaires sarroises, et en particulier à l’Université franco- allemande de Sarrebrück, où il est en relations avec le recteur Angelloz. C’est un partisan de l’annexion de la Sarre à la France, se distinguant sur ce point de Joseph Hofmann, le ministre président de la Sarre, qui fait campagne pour un statut européen de la Sarre et sera désavoué par référendum. En Alsace, Lorson fait campagne pour le maintien du statut religieux et scolaire spécifique de l’Alsace, s’exprimant en particulier dans deux ouvrages, une monographie consacrée aux Sœurs de Ribeauvillé (1946) et la biographie de Mgr Ruch (1949). Avec la création du Conseil de l’Europe, Lorson prend vivement parti pour l’unité européenne, multipliant articles et ouvrages, dont l’un préfacé par Robert Schuman, qui l’exposeront aux attaques des critiques de « l’Europe vaticane ». Il participe également aux campagnes de Pax Christi, qui veut promouvoir la paix et la réconciliation franco-allemande. Il prend part à l’entreprise de « Documents », la revue franco-allemande du jésuite P. du Rivau et de Joseph Rovan. Il meurt en 1954.

2 En 2002, une association « Peter Lorson » se constitue en Sarre, qui souhaite faire connaître la personne et l’œuvre du jésuite à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa disparition, et confie au professeur d’histoire moderne sarrois de l’Université de Munster en Westphalie, Peter Burg, la rédaction d’une biographie. Le groupe pilote fait la découverte aux archives de la Compagnie de Jésus à Vanves, d’une autobiographie de Lorson, rédigée en français. Elle est traduite en allemand et publiée comme la présente biographie, avec le concours de la Fondation chrétienne-démocrate de Sarre (Union Stiftung), en 2004, sous le nom, René Baltus, Pater Lorson, Grenzländer, Domprediger, Europäer, 1897-1954. Le pseudonyme Baltus, nom de sa grand-mère, et titre d’un livre de René Bazin, Baltus le Lorrain, est fréquemment utilisé par Lorson. Le texte français de ces mémoires, « Franco-Sarrois, histoire d’une vie » commencées en 1943 à Fréjus et s’arrêtant en juin 1945, et où Lorson n’a pas rédigé le chapitre sur son activité à Strasbourg depuis 1934, est publié sur le site de l’auteur du présent ouvrage, Peter Burg www.peter-burg.de (9/6/2012) et mériterait sans doute une édition moins confidentielle et plus pérenne.

3 Trop linéaire, la biographie de Burg, introduite par un résumé de la vie de Lorson, suit de près l’autobiographie jusqu’en 1945. Et en général, elle se cantonne trop exclusivement à l’analyse résumée des publications de l’auteur, au fil de leurs parutions énumérées en annexe par une bibliographie développée. Elle ne relève pas la question

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que soulève la parution pendant la guerre, et sous son propre nom, de « l’Avenir mystérieux des âmes et du monde » (1941) et de « la Révolution des Cœurs » (1942), lieu d’édition Colmar/Paris. Elle ne tente pas d’analyser le rôle et l’influence de la résidence jésuite de Strasbourg où est nommé Lorson quelque temps après le renvoi du P. Riedinger. On aurait aimé avoir une analyse plus fouillée des analyses du P. Lorson sur le racisme nazi, en relations avec celles de ses confrères belge le P. Charles et lyonnais le P. Chaillet. Elle donne bien un aperçu sur les opinions mitigées que ses confrères de la résidence, les Pères jésuites aumôniers et prédicateurs de l’après- guerre, Bernard et Minéry, ont de lui, mais n’en donne pas les raisons de fond. Très centrée sur la Sarre, où l’on situe les lecteurs de l’ouvrage, elle se défend trop de mettre en valeur un « Saar-Franzose » (quasiment un traitre !), et on ne voit pas assez les liens et les différences de la politique que défend Lorson et celle de Johannes Hoffmann. Pourtant Burg s’est intéressé de près à l’action du ministre-président sarrois. Il en va de même pour tous les mouvements et réseaux s’occupant de réconciliation franco- allemande de cette dure après-guerre. Que dire de l’ouvrage de Burg ? La personnalité du jésuite strasbourgeois méritait une biographie et il faut lui être reconnaissant de l’avoir tentée. Mais elle n’épuise pas le sujet.

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Froville (Daniel), Pierre Bockel, l’aumônier de la liberté La Nuée Bleue, mai 2012, 320 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

Froville (Daniel), Pierre Bockel, l’aumônier de la liberté, La Nuée Bleue, mai 2012, 320 p.

1 « Une biographie aussi documentée qu’inspirée », nous annonce la quatrième de couverture de l’éditeur, qui a nécessairement une bonne opinion d’un auteur qu’il publie. Peut-on le croire ? Pas toujours, ou presque jamais, serait tenté de répondre.

2 Nous partagerons cependant, pour cet ouvrage, la bonne opinion de l’éditeur.

3 Daniel Froville, originaire de Normandie, n’a pas connu le Père Bockel comme étudiant. Ce cadre de banque n’est pas un historien professionnel, et c’est sans doute pour répondre à ses interrogations religieuses qu’il a été en contact avec Pierre Bockel pour une série d’entretiens et dans les dernières années de sa vie. Il a depuis mené plusieurs recherches de front, portant sur la Brigade Alsace-Lorraine, sur André Malraux. Un premier ouvrage titré De la Brigade Alsace-Lorraine à la cathédrale de Strasbourg devait paraître en octobre 2011 aux Editions Place Stanislas, mais a disparu dans le naufrage de cette maison.

4 Voilà qu’il nous donne un Pierre Bockel, l’aumônier de la liberté.

5 Bien entendu, la Nuée Bleue témoigne ici aussi de son hostilité de règle (sauf exceptions) à un minimum d’appareil scientifique. Pourtant, une lecture attentive nous permet de reconstituer l’itinéraire de sa recherche : les archives Pierre Bockel auprès de la famille Bockel à Thann, les Archives de l’archevêché de Strasbourg, les archives du séminaire des Carmes à Paris, la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, et aux ABR, le fonds de la Brigade Alsace-Lorraine constitué lors de l’enquête de Léon Mercadet et enrichi par Bernard Metz et l’Amicale de la Brigade. Enfin, toute une série d’entretiens

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qui sont mentionnés dans des remerciements. Ouvrage par conséquent « bien documenté ».

6 De plus, l’écriture est agréable et l’intérêt du lecteur ne se dément jamais. Sans doute est-ce dû à l’évidente sympathie qu’il éprouve pour son personnage et qu’il arrive à faire partager.

7 La période de la guerre occupe un petit tiers de l’ouvrage (de la p. 13 à 113). Elle commence par la jeunesse du futur aumônier. On reste un peu sur sa faim. Est-il possible que Pierre Bockel soit resté aussi imperméable à la politique dans laquelle baignait son père, en particulier au moment du Front Populaire, et qui a nécessairement entraîné des contacts avec les extrémistes thannois, Dungler ou de Saint-Amarin, Kibler ? Le récit de l’engagement de Pierre Bockel dans la Résistance, qui bifurque souvent dans une histoire de la Brigade Alsace-Lorraine, désormais bien établie, est cependant utile par les précisions chronologiques qu’il apporte sur les contacts de Bockel lui-même. Par contre, l’épisode, souvent relaté, du contact entre Bockel et Bidault daté du 4 janvier 1944 aurait mérité d’être mieux explicité. Comment a-t-il pu rencontrer le président du CNR ? Qui l’avait mandaté ? Peut-être aurait-il dû être plus complet dans les citations de sources, puisqu’il les connaît, s’y réfère et leur rend justice dans ses publications antérieures.

8 Le véritable apport de l’ouvrage réside dans l’évocation de l’après‑guerre. Pourtant, la carrière active de Pierre Bockel, comme aumônier de lycée, des étudiants et comme archiprêtre de la cathédrale, n’occupe que quarante pages (p. 115 à 155). Elle est cependant précieuse par le récit et par le nombre de noms connus qui interviennent dans ces pages : elles reconstituent une trame qui était peu visible. On voit aussi la présence qu’assure et l’influence qu’exerce ce qu’on peut appeler un « notable » de l’Église d’Alsace, aux amis si divers dans tous les camps politiques, dans les rangs de la majorité au pouvoir inévitablement, du fait du gaullisme dominant, mais aussi du fait de l’importance des amitiés résistantes de ceux que nous appellerons en bloc « les amis de Témoignage Chrétien ». Sans doute aurait-on dû évoquer aussi l’initiative prise avec l’accord de Fonlupt-Espéraber, en décembre 1944 encore, par Bockel, l’abbé Louis Kammerer et Maître Moser de prendre contact avec le tout nouveau MRP [Francisque Gay, Bidault] pour « négocier le rattachement de nos anciens partis alsaciens au MRP, d’inspiration chrétienne et immédiatement issu de la Résistance… ». (L’enfant du rire, p. 79-80). On appréciera l’importance qu’accorde l’auteur à la revue Bible et Terre Sainte. Les liens entre Mgr Bockel et Mgr Elchinger, deux dignitaires marqués par leur expérience de « réfugiés » sont mis en relief.

9 L’analyse des livres de Pierre Bockel, qui ressort ici d’abord comme écrivain et artiste, constitue l’un des attraits de l’ouvrage de Froville. Le mémorialiste, de l’Enfant du rire et du Temps de naître occupe une place importante. Les citations sont souvent éclairantes, même s’il y a des redites. On regrette une fois de plus que n’en soit pas données les références. Bien sûr, le choix des citations nous restitue l’image et les positions d’un homme bon, généreux, amical, jusqu’à la naïveté. Dirons-nous d’un Franciscain ? Les propos amicaux des jeunes étudiants, ses amis, qui le sont restés tout au long de sa vie et de la leur, sont de ce point de vue éclairants, même s’ils sont souvent prononcés lors de cérémonies de commémoration ou dans des nécrologies. Du tableau précieux que l’auteur consacre aux amis de Bockel, émerge la figure de Malraux, et deux chapitres sont en fait consacrés quasi exclusivement à ce héros. Entouré de ses paladins, devenus ses amis, comme dans la clairière de Durestal, ou dialoguant avec son chapelain.

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10 Car le fil conducteur de cet ouvrage, c’est la mémoire entretenue d’une grande épopée, celle de la Résistance et de grandes amitiés, dont celle d’André Malraux avec Pierre Bockel. Grandes amitiés ? On voit sans peine que c’est aussi une œuvre d’écrivain que nous donne Froville, sur des écrivains, des héros positifs, des héros littéraires. Œuvre imparfaite, certes, mais fort intéressante, fort attachante et par le tableau restitué d’une époque, sans doute importante pour l’historiographie.

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Weber (Reinhold), Steinbach (Peter), Wehling (Hans-Georg), (hrsg), Baden-Wurtembergische Erinnerungs- Orte Kohlhammer Stuttgart 2012, 615 p., 510 illustrations

François Igersheim

RÉFÉRENCE

Weber (Reinhold), Steinbach (Peter), Wehling (Hans-Georg), (hrsg), Baden- Wurtembergische Erinnerungs-Orte, Kohlhammer Stuttgart 2012, 615 p., 510 illustrations.

1 Le Bade-Wurtemberg a fêté ses soixante ans le 25 avril 2012. Le Sudweststaat, formé des Länder Baden, Wurtemberg-Hohenzollern, et Wurtemberg-Baden, réunis par le référendum du 9 décembre 1951, est proclamé Land de la République fédérale d’Allemagne, lors de la séance de la Constituante le 25 avril 1952, à Stuttgart. Elle prendra le nom de Bade-Wurtemberg le 11 novembre 1953, avec la ratification de sa Constitution.

2 La Zentrale fur politische Bildung du Bade-Wurtemberg a voulu célébrer cet événement en demandant à trois historiens, Reinhold Weber (U. de Tubingen), Peter Steinbach (U. de Mannheim) et Hans-Georg Wehling (U. de Tübingen) de coordonner un ouvrage qui, en se fondant sur le « concept des lieux de mémoire, se veut innovateur et moderne » pour l’histoire régionale. Ils se rattachent directement aux conceptions de Pierre Nora, les lieux de mémoire étant à la fois des lieux matériels, mais aussi des représentations symboliques, points de cristallisation de la mémoire collective. Ils se réfèrent aussi aux « Erinnerungsorte » allemands (2001, 2005), qu’ont coordonné Etienne François et Hagen Schulze, qui ont ouvert la voie à des séries : « Erinnerungsorte der DDR » (2009), les « Erinerungsorte der Antike » (2006, 2010), « …des Christentums » (2010), « Ostmitteleuropa »

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(2011). Les « Lieux de mémoire » français se revendiquaient comme lieux de mémoire nationaux. Une des critiques adressées aux « Erinnerungsorte » allemands étaient de se référer à l’histoire prusso-allemande et de ne pas tenir compte de la diversité régionale allemande.

3 Les auteurs des lieux de mémoire badois et wurtembergeois ont donc estimé qu’il était temps de « fédéraliser » aussi les lieux de mémoire allemands. Les entreprises précédentes ont montré la voie : les Erinnerungsorte de la RDA ont témoigné de la diversité des cadres de référence de la mémoire allemande, tout comme pour les Länder, l’ouvrage d’Alois Schmid et de Katherina Weigand, Schauplätze der Geschichte in Bayern (2003) et pour le Bade-Wurtemberg, les « Wegmarken sudwestdeutscher Geschichte » (2004). Dans le choix des « lieux de mémoire » bado-wurtembergeois, les auteurs ont dégagé trois ensembles de références mémorielles qui se rattachent à autant d’historiographies régionales. Ils remontent aux trois États du début du XIXe siècle : le Bade, le Wurtemberg, la principauté de Hohenzollern ainsi qu’au Saint-Empire.

4 Mais lieu, événement, institution doivent dépasser dans leur signification le seul cadre de l’État concerné. Ainsi la Constitution badoise de 1818, signal et moment pour tout le libéralisme allemand, dépasse le seul cadre du grand‑duché de Bade. La déportation des juifs badois vers le camp de Gurs le 22 octobre 1940 convoque la mémoire de toutes les déportations de juifs d’Allemagne du Sud. Centré sur les XIXe et XX e siècles, on ne pouvait cependant pas faire l’impasse sur les références mémorielles que suscitent les dynasties des Zähringen ou des Staufen. Ainsi le choix des lieux de mémoire du Bade- Wurtemberg reflète une analyse des références mémorielles de ce jeune État fédéral et propose une exposition des traditions dont il hérite et que s’approprient des citoyens qui ne sont plus seulement des Badois, des Wurtembergeois.

5 Après un exposé didactique sur les armoiries, les hymnes et les frontières des anciens territoires que l’on réunit, l’on évoque les territoires : Fribourg et l’Autriche antérieure, Weingarten et la Haute-Souabe, le seul soulèvement paysan particulariste contre l’annexion au nouveau royaume du Wurtemberg crée par Napoléon (Bad Mergentheim, 1809), le berceau de la dynastie des Hohenzollern, Sigmaringen, et foyer du catholicisme sud-allemand avec ses grandes abbayes bénédictines, la principauté médiatisée de Hohenlohe (Langenburg), enfin la chapelle funéraire palladienne de la reine Catherine à Rotenberg, faubourg de Stuttgart. L’évolution constitutionnelle est évoquée avec la Landschaftshaus de Pforzheim ou poêle des États du margraviat, et les évolutions constitutionnelles prennent comme théâtre Karlsruhe ou fut octroyée la Constitution ou Charte badoise de 1818, et où siège la cour constitutionnelle de la République fédérale. Mémoires des démocrates wurtembergeois avec la rencontre de trois Rois (mages) de Stuttgart le 6 janvier qui remonte aux années 1860 et évoque la vitalité de la démocratie wurtembergeoise des Hausmann et des Heuss, bien minoritaire dans l’Empire wilhelmien, mais si influente pour la démocratie alsacienne du Pays d’Empire. La révolution de 1848 est évoquée avec les grandes manifestations d’Offenbourg et Rastatt, où participent de nombreux Alsaciens. Évocation du républicanisme des levées de boucliers, bien minoritaires eux aussi dans l’Allemagne de 1848 et 1849 qui rêve d’Empire, avec Messkirch et le sud de la Forêt-Noire, où la bourgeoisie républicaine défaite par la Prusse se rallie au libéralisme anticlérical et où le clergé organisé dans ses diocèses de Fribourg (Bade) et de Rottenburg (Wurtemberg), mobilise la population contre elle, dans ce Kulturkampf, qui a marqué la culture politique et les comportements électoraux jusqu’à la période contemporaine. La

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forteresse de Hohenasperg, proche de Stuttgart où ont été incarcérés tant de militants libéraux, démocrates, et catholiques jusqu’en 1945, rappelle que l’oppression politique fait partie aussi de l’histoire régionale. La mémoire du développement de pays plus tardivement industrialisés, est associée à Loerrach et aux Trois-Frontières. Les « vallées » automobiles et électriques sont évoquées avec les entrepreneurs, Daimler, Benz, et Bosch. Mannheim y prend place pas seulement comme l’ancienne plus grande ville industrielle de l’Allemagne du Sud-Est, mais comme foyer rayonnant – y compris sur l’Alsace – de la social-démocratie badoise et allemande. L’on aborde l’histoire de la population et son dynamisme : émigration des Souabes vers le Banat, les Balkans, l’Ukraine et la Russie au XVIIIe siècle, vers les États-Unis au XIXe siècle, puis à partir de 1945 immigration des réfugiés d’Europe de l’Est, des travailleurs d’Europe du Sud (Italie, Grèce, Espagne, Turquie) qui comme « Gastarbeiter » ont permis le « miracle économique ». Plus que pour tout autre Land d’Allemagne, les liens avec la France ont été importants pour ces États allemands, à présent réunis dans le Bade-Wurtemberg. Le choix du lieu « pont de Kehl », sur un fleuve aux rives partagées est celui d’une porte et d’une relation plus que celui d’une frontière et d’une barrière : elles ouvrent sur la France, en passant par Strasbourg. Pas loin de Strasbourg, la ville d’eaux de Baden- Baden, qui à accueilli tant de « vacanciers et curistes » des deux bords du Rhin puis les Quartiers généraux de la ZFO et des FFA, avant d’être aujourd’hui aussi un haut lieu des arts et le QG des chaînes radio et TV SWR (alors que curieusement la chaîne franco- allemande Arte qui y a débuté n’est pas citée). Le rôle de la France dans l’après-guerre est également évoqué dans la contribution sur Bebenhausen, ce faubourg de Tübingen où le Land Wurtemberg-Hohenzollern de la zone française a réuni son Parlement.

6 Mais la vitalité culturelle ne date pas d’hier. Les Églises jouent un rôle déterminant pour la vie intellectuelle. Ainsi des chapitres, collèges et séminaires devenus protestants du Wurtemberg, qui forment des pasteurs, des poètes, des philosophes, orthodoxes ou piétistes proches de la dissidence ou cadres rigoureux de la société locale par l’intermédiaire des convents protestants des municipalités, à qui incombe aussi le devoir social de l’assistance. L’impératrice Augusta avait fondé la Vaterländische Frauenverein, association conservatrice d’infirmières de guerre – elle est présente aussi en Alsace –. Elle avait suivi l’exemple de la Badische Frauenverein fondée quelques années auparavant par sa propre fille, la grande-duchesse Louise de Bade. Cette association ne se manifeste guère pour l’émancipation féminine, mais n’en obtient pas moins l’accès des filles à l’enseignement secondaire et universitaire. Fondée de la fin du Moyen Âge à nos jours, cette région est celle au monde qui a concentré le plus grand nombre d’universités. Le patrimoine monumental ne pouvait évidemment en être absent : l’accent est mis sur les réalisations architecturales d’avant-garde. L’évocation des tragiques évènements de la première moitié du XXe siècle est présente par celle des lieux où les extrêmes assassinent Erzberger, où les nazis détruisent les foyers de la population badoise juive, déportent les dirigeants socialistes et démocratiques en 1933, suscitant la résistance. Celle de l’Église évangélique confessante qui voit le jour lors de la rencontre des évêques et pasteurs d’Allemagne à la cathédrale d’Ulm d’avril 1934 avec un manifeste dénonçant le régime nazi comme régime illégitime de violence et d’injustice avant que le manifeste du synode de Barmen de mai 1934 en définisse clairement la doctrine. Ou encore, dans une population majoritairement envoûtée, la vocation des tyrannicides, dont le Wurtembergeois Elser, auteur de l’attentat de Munich du 8 novembre 1939.

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7 Ce sont des lieux matériels qui évoquent le relèvement d’après 1945 : Bebenhausen comme lieu de rédaction d’une constitution, Stuttgart comme lieu du discours du secrétaire d’État américain Byrnes proclamant la volonté des États-Unis de laisser l’Allemagne se relever, alors que les chartes des populations expulsées maintenaient vivant l’espoir de la réunification allemande. Au coté du musée au monument littéraire national qu’est le musée Schiller de Marbach, prennent place les différents lieux d’émission des médias d’Allemagne du Sud-Ouest symbolisés par la première « tour de télévision » de Stuttgart, alors que les rives du lac de Constance évoquent tout au long du Rhin supérieur, la vigne et sa civilisation qui marquent les régions des deux rives rhénanes. Avec Wyhl et sa lutte anti-nucléaire, nous sommes en présence du berceau de la prise de conscience environnementale où, devant la levée de boucliers générale, regroupant population locale, militants allemands et français d’Alsace, la République fédérale a renoncé à l’implantation d’une centrale nucléaire. Ce n’est pas seulement un incontournable hommage au nouveau gouvernement issu du suffrage universel badois et wurtembergeois et au mouvement « vert », dont le président signe la préface de l’ouvrage, mais sans doute aussi un extraordinaire témoignage de la validité des frontières dans l’histoire des mentalités. Déjà le nuage de Tchernobyl s’était arrêté au Rhin ; voilà qu’a présent sur les bords du Rhin français, l’on manifeste pour conserver une vieille centrale nucléaire. Est-ce aussi un signe de vitalité démocratique qui permet d’évoquer un lieu de la mémoire tragique de la deuxième moitié du XXe siècle, celui de la prison de Stammheim et du procès des terroristes de la Brigade Armée Rouge qui s’y déroula, avant le suicide de ses principaux inculpés ?

8 On mesure à ces choix l’ampleur du travail des coordinateurs, de leur groupe de pilotage et celui des historiens qui y ont été associés et ont été attelés à la rédaction des notices. On mesure enfin l’importance que le Land, le gouvernement et ses services de l’information attachent à ce travail d’approfondissement et d’élucidation des racines de la vie collective et de leur affichage. Elles supposent à l’évidence un consensus qui se fonde d’abord sur l’acceptation de la visibilité des différences et de leur coexistence. Il n’est pas sûr que toutes les collectivités publiques puissent aujourd’hui entreprendre et mener à bien une telle œuvre, si d’aventure elles en admettaient l’intérêt et l’importance. L’abondance des notices qui ne se valent pas toutes aplanit sans doute les arêtes, freine les indispensables hiérarchies des références mémorielles et historiques. Ce qui frappe le plus c’est l’absence de références à la vie quotidienne et à son évolution (consommation, aux genres de vie, loisirs etc.) à ce qui donne une expérience commune à toute une population. Ne font-elles pas partie de la mémoire « civique » ? Les choix des lieux de mémoire du présent livre est fortement centré sur une historiographie comme toute « classique », et met en place une mémoire de professeurs ? Nous préparera-t-on un deuxième tome ? Tel qu’il est, le présent ouvrage est riche de contenus et son iconographie – indispensable – est impressionnante. Il fera certainement l’objet d’éditions plus populaires et de mises en ligne abondantes. À côté des index des lieux, des personnes, un index d’institutions aurait été souhaitable. Mais voilà qui met à la disposition du lecteur une information fort riche et passionnante sur l’histoire de notre voisin qui est pour une partie non négligeable également la nôtre.

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Vlossak (Elizabeth), Marianne or Germania? Nationalizing Women in Alsace, 1870-1946 Oxford, Oxford University Press, 2010, 330 p.

Eric Ettwiller

RÉFÉRENCE

Vlossak (Elizabeth), Marianne or Germania? Nationalizing Women in Alsace, 1870-1946, Oxford, Oxford University Press, 2010, 330 p.

1 Marianne ou Germania, Marianne et Germania. Les deux allégories représentent le versant féminin de la « question alsacienne ». Des générations de femmes vivant entre Vosges et Rhin furent confrontées à ces deux modèles (auxquels on ajouterait volontiers celui d’Odile ?). Alternativement, elles furent sommées de correspondre à l’un ou à l’autre. Comment les Alsaciennes ont-elles répondu à ces injonctions ? Il revient à Elizabeth Vlossak le grand mérite de poser enfin cette question, en descenant du monde éthéré des représentations nationales pour explorer celui des femmes de chair et de sang, dans une thèse soutenue à l’Université de Cambridge en 2003 – The Nationalisation of Women in Alsace, 1871‑1940 – et publiée en 2010, avec extension du sujet et actualisation de la bibliographie. La pertinence de la démarche, qui croise gender studies et border studies, se trouve bien expliquée dans une longue introduction, très riche en références bibliographiques. L’ouvrage se divise ensuite en six chapitres, qui suivent un plan à la fois chronologique et thématique. Les trois premiers chapitres sont consacrés à la période du Reichsland, les deux suivants à la réintégration des Alsaciennes par la France, le sixième et dernier aux femmes face à la nazification de l’Alsace et à l’octroi du droit de vote dans l’immédiat après-guerre. On comprend d’emblée qu’en 297 pages de texte, Elizabeth Vlossak entend surtout donner une vision d’ensemble, mais celle-ci se conjugue avec des études pointues sur des aspects précis de la question.

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2 Ainsi, dans le chapitre 1, après une présentation plutôt sommaire de l’enseignement primaire des filles, l’auteur gagne en précision sur un sujet récemment apparu dans l’historiographie alsacienne, l’enseignement secondaire des filles. Les höhere Töchterschulen reçoivent toute l’importance qu’elles méritent, même si les conditions de leur installation ne sont pas évoquées, pas plus que leur statut particulier ou encore leur grande hétérogénéité en terme de taille, d’encadrement et de public. Aussi, Elizabeth Vlossak conclut-elle un peu rapidement (p. 60) : « En fait, la plupart des écoles secondaires de filles étaient fréquentées par les filles soit des élites françaises [francophones], soit des élites allemandes. Rarement par les deux ensemble ». On regrettera donc que les archives ne viennent pas davantage compléter les sources imprimées. D’autant plus qu’Elizabeth Vlossak sait manier les archives avec dextérité – au sujet des Realgymnasialkurse ou des femmes à l’Université de Strasbourg. Les acteurs ne sont pas oubliés. On le remarque aussi dans l’étude des enseignantes et de leur vie associative, même si les religieuses sont trop vite écartées, l’auteur se rangeant à l’historiographie officielle des congrégations. À l’école, Elizabeth Vlossak associe la presse, pour nous livrer une analyse tout à fait inédite des journaux féminins de la région. Libéraux ou cléricaux, pro-allemands ou particularistes alsaciens, les différents titres se caractérisent par une vision globalement traditionnelle du rôle de la femme dans la société. Seule l’Elsass-Lothringische Frauen-Zeitung, lancée en 1912, défend les positions féministes.

3 Cette situation reflète bien le paysage des mouvements de femmes dans l’Alsace du Reichsland, qu’Elizabeth Vlossak peint à traits fins dans le chapitre 2. Elle commence par l’association patriotique par excellence, le Vaterländische Frauenverein. Nous pouvons suivre avec grand intérêt l’histoire de sa section strasbourgeoise. L’auteur se plaint de l’absence de sources – imprimées – sur les autres sections alsaciennes : aux chercheurs locaux d’explorer les fonds d’archives ! À côté du Vaterländische Frauenverein, il y a aussi le Deutsch-Evangelischer Frauenbund et surtout le Katholischer Frauenbund . Elizabeth Vlossak met en avant les positions émancipatrices développées par certaines figures du catholicisme alsacien (Müller-Simonis, Wetterlé), mais qui restent cependant prisonnières de conceptions traditionnelles. De leur côté, les ouvrières socialistes placent les intérêts de classe avant tout et fondent des mouvements féminins à l’écart d’un féminisme trop lié aux intérêts de la classe moyenne. Ce féminisme s’implante en Alsace avec l’Elsass-Lothringischer Frauenverband, un rassemblement d’associations réunies en 1911 par Febronie Rommel. L’auteur retrace le parcours de cette enseignante justement sortie de l’oubli, qui a réussi à associer Alsaciennes originaires et immigrées allemandes. Pas suffisamment : l’Elsass-Lothringischer Frauenverband reste une organisation majoritairement protestante dans une région où domine le catholicisme.

4 L’étude des associations constitue la grande force de l’ouvrage, mais elle devient une faiblesse pour saisir le vécu des Alsaciennes dans le chapitre 3, consacré à la Première Guerre mondiale. En effet, Elizabeth Vlossak démontre l’échec des associations à mobiliser les Alsaciennes dans l’effort de guerre – mais l’échec vaut pour l’ensemble de l’Allemagne. L’auteur se dirige alors vers une autre source, le journal d’Elisabeth-Esther Levy. L’analyse de ce témoignage ne manque pas d’intérêt, mais le fondement d’une argumentation sur cette source unique présente un évident problème de représentativité. On s’intéressera davantage aux difficiles conditions de vie des

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ouvrières, transférées avec leurs machines en Vieille-Allemagne pour être mises à disposition de l’industrie d’armement, ou restées dans la région.

5 Le chapitre 4 nous fait quitter le Reichsland. Il traite de la réintégration des Alsaciennes par la France à partir de 1918, dans un intense effort de francisation. On observe plusieurs associations organiser des cours de français pour adultes. Les femmes sont particulièrement présentes, tant dans l’organisation qu’au sein du public, mais, comme dans les mouvements féminins d’avant 1918, ce sont surtout les femmes de la classe moyenne qui sont attirées. Elizabeth Vlossak se lance ensuite dans une présentation des différents moyens mis en œuvre pour répandre le français, au point qu’elle semble parfois gagner le domaine de l’histoire linguistique de l’Alsace et quitter l’histoire des femmes. Heureusement, jamais pour très longtemps. Ainsi, nous apprenons que dès le printemps 1919, une tournée de conférences sur « La femme française » est organisée à travers la région. Pour répandre la culture française auprès du public germanophone, des articles français sont traduits en allemand pour leur permettre une large diffusion. Là-encore, certains exemples concernent particulièrement les femmes. Pour mieux comprendre l’état d’esprit qui entoure cette réintégration des Alsaciennes, Elizabeth Vlossak décide de clore ce chapitre en revisitant le thème classique de l’Alsacienne dans la propagande française à l’époque de la Première Guerre mondiale, centrant son analyse sur deux pièces de théâtre. Nous voilà revenus dans le domaine de l’allégorie, plus près de Marianne que de Germania… encore que l’auteur conclut en évoquant un aspect peu étudié, celui de la figure de l’Alsacienne dans la propagande allemande.

6 C’est moins la question culturelle que la question juridique qui se trouve au cœur du chapitre 5, consacré aux aspects spécifiquement féminins du « malaise alsacien » de l’Entre-deux-guerres. Les premières frustrations apparaissent avec les commissions de triage, les Alsaciennes ayant épousé des Allemands ne pouvant prétendre à la nationalité française. Le code électoral français représente une autre source de frustration, quand les Allemandes votent à partir 1919. Enfin, les Alsaciennes perdent des droits en repassant sous le régime du Code Civil. Cependant, ce « malaise féminin » ne provoque pas un ralliement massif aux associations les plus engagées sur le terrain des droits des femmes, trop élitistes, trop parisiennes, trop francophones et pas assez catholiques. Les associations féminines catholiques recueillent quant à elles un franc succès en Alsace, où elles montent au créneau en 1924 pour s’opposer à la sécularisation. Le catholicisme attire aussi les ouvrières alsaciennes, qui adhèrent à des syndicats chrétiens, quand d’autres ouvrières fondent des syndicats socialistes. Elizabeth Vlossak achève son tour d’horizon des organisations féminines par les mouvements de jeunesse. Naturellement, cette focalisation de l’auteur sur la vie associative laisse dans l’ombre de nombreux domaines de la vie des Alsaciennes, notamment le domaine de l’éducation secondaire, qui connaît à l’époque des réformes importantes. Si Elizabeth Vlossak explore le domaine politique, c’est uniquement sous l’angle de l’autonomisme et du séparatisme, pour conclure, après un examen rapide, à la faiblesse de la présence des femmes dans ces mouvements.

7 Enfin, le chapitre 6 reprend des éléments déjà connus de l’historiographie alsacienne, comme l’embrigadement dans le Bund Deutscher Mädel ou la conscription dans le Reichsarbeitsdienst et le Kriegshilfdienst. Non obligatoire pour les femmes mariées, la NS- Frauenschaft, organisation des femmes nazies, compte relativement peu de membres en Alsace. Autre instrument de la nazification qui s’abat sur le pays, la presse. L’auteur

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livre une analyse détaillée de l’évolution du journal féminin de Mulhouse, La Ménagère redevenue Mülhauser Frauen-Zeitung – son titre d’avant 1918. Pour saisir la diversité du vécu des Alsaciennes sous le pouvoir nazi, Elizabeth Vlossak évoque naturellement aussi leur présence dans la Résistance. Là-encore, on trouve des faits connus, comme les activités du groupe des Guides de France, les Pur-Sang. De même, l’épuration ne bénéficie pas d’un examen en profondeur, même si on retiendra l’analyse du décalage chronologique entre les occurrences de tontes de femmes en Alsace et dans le reste de la France. Enfin, l’auteur conclut le chapitre par l’octroi du droit de vote aux Françaises et par son exercice en Alsace dans l’immédiat après-guerre. Le chapitre perd en cohérence mais gagne en intérêt, car l’étude de l’apprentissage des élections par les Alsaciennes est inédite.

8 Au final, le livre d’Elizabeth Vlossak apparaît comme une publication de première importance dans l’historiographie régionale. Il contribue à inaugurer le champ de l’histoire des femmes dans l’Alsace contemporaine. L’auteur a ouvert des voies nouvelles qui ne demandent qu’à être explorées, afin qu’on puisse adosser des publications scientifiques aux livres de souvenirs et autres biographies qui demeurent des sources essentielles – mais pas exclusives. À côté du livre sur les personnalités de Marthe et Mathilde – oubli malheureux dans la bibliographie d’Elizabeth Vlossak –, il y a désormais Marianne or Germania !

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Wirrmann (Benoît), Maurice Moerlen. Une vie à l´orgue Jérôme Do Bentzinger, [ISBN 9782849602799], préface musicale de Jean- Pierre Leguay (Brève II)

Daniel Maurer

RÉFÉRENCE

Wirrmann (Benoît), Maurice Moerlen. Une vie à l´orgue, Jérôme Do Bentzinger, [ISBN 9782849602799], préface musicale de Jean-Pierre Leguay (Brève II)

1 Benoît Wirrmann travaille au Pôle d’excellence Alsatiques à la Bibliothèque nationale et universitaire à Strasbourg. Chercheur dans le domaine de l’histoire de la musique et de l’Alsace, il unit ses deux passions pour retracer de façon originale la carrière de Maurice Moerlen, grande figure de l’orgue en Alsace avec 70 ans passés au service de cet instrument, dont 30 comme titulaire de la Cathédrale de Strasbourg (1971 à 2002). Son parcours a particulièrement intéressé l’auteur pour l’ouverture de cette biographie vers de nombreux domaines, et son lien avec des grands noms du monde musical comme Alfred Cortot, Albert Schweitzer, Maurice Duruflé, Gaston Litaize, Michel Chapuis ou Jean-Pierre Leguay. Après avoir évoqué ses années de formation, Benoît Wirrmann nous parle de son activité de concertiste international, d’organiste liturgique, de maître de chapelle, de pédagogue (Conservatoire de Colmar, Conservatoire de Mulhouse, Académie d´orgue de St-Dié, stages), des nombreux musiciens qu’il a formés – dont plusieurs sont professionnels de renom –, de ses nombreux enregistrements discographiques et des émissions auxquelles il a participé. Maurice Moerlen a également été administrateur de la Fédération Francophone des Amis de l’Orgue et on lui doit, en tant qu’expert reconnu, la restauration ou la construction d’un certain nombre d’instruments qu’il a par ailleurs inaugurés.

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2 Le livre de Benoît Wirrmann retrace la carrière d’un musicien complet et accompli, le tout agrémenté de photos, de reproduction d’affiches, de détails techniques sur plusieurs orgues, et d’un tableau chronologique complet de sa carrière.

3 Il faut signaler toutefois quelques omissions, comme dans l’évocation de ses origines familiales (qui par ailleurs fourmille de détails) et de ses débuts dans la musique : n’aurait-il pas été utile de préciser, page 12, le nom « d’un cousin de son père », organiste au Temple St-Etienne de Mulhouse, déjà à l’origine de sa fascination pour l’orgue, Jules Moerlen ? De même, page 13, la « fille d’un cousin de son père », professeur de piano au Conservatoire de Mulhouse, qui a initié ses premiers débuts au clavier mériterait aussi d’être nommée : Marthe Moerlen.

4 Les citations d’écrits des musiciens côtoyés sont intéressantes et corroborent la quintessence de ces contacts. Mais il aurait été encore plus intéressant de pouvoir les lire plus nombreuses tirées du « live » plutôt que du « livre », apportant ainsi une touche encore plus personnelle.

5 En tout cas, le style se veut vivant et non académique, accessible à tous.

6 Et, cerise sur le gâteau, en guise de préface, « Brève II », une partition pour orgue inédite de Jean-Pierre Leguay, compositeur, co-titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris et dédiée à son ami Maurice Moerlen qui en renforce l’originalité !

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Raimbault (Jérôme), Schwarz (Franck), La Vallée de Munster, Haut‑Rhin Patrimoine d’Alsace, no14, Éditions Lieux Dits, 2011

Gérard Leser

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Raimbault (Jérôme), Schwarz (Franck), La Vallée de Munster, Haut‑Rhin, Patrimoine d’Alsace, no14, Éditions Lieux Dits, 2011

1 Enfin l’ouvrage de référence sur l’histoire et le patrimoine de la vallée de Munster ! Résultat de plusieurs années d’enquêtes sur le terrain, ainsi que de recherches en bibliothèque, en 128 pages il propose un inventaire raisonné du patrimoine architectural, artistique et culturel des seize communes du canton de Munster. Après une puissante introduction remémorant les principaux chapitres comme les lignes de force qui font l’histoire originale de la vallée de Munster jusqu’à nos jours, les auteurs qui connaissent leur sujet « sur le bout des pieds », proposent une sélection de photos de grande qualité réalisées pour l’essentiel par Christophe Hamm, avec des commentaires fouillés et très documentés. Bien des choses ont disparu après la Révolution et la terrible rupture de la Première Guerre mondiale qui a dévasté les communes derrière Munster (à l’exception de Mittlach), Munster elle-même ayant été détruite à 85 % à cause de la proximité du front ; mais ce qui est toujours présent et visible est du plus grand intérêt et mérite d’être conservé dans les meilleures conditions possibles ! C’est un ouvrage indispensable à mettre entre toutes les mains, car il s’adresse autant à l’habitant du Mìnschtertàl qu’au visiteur et au touriste épris d’histoire, de traditions et de paysages grandioses. Ce beau livre dont la couverture met tout de suite dans l’ambiance, et qui est une invitation à la découverte, a pu être publié avec le soutien de la Communauté de Communes de la Vallée de Munster.

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Comptes rendus

Arts et techniques

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Jacqué (Bernard), Papiers peints, l’histoire des motifs aux XVIIIe et XIXe siècles Éd. Vial, 2010, 214 p.

Anne-Doris Meyer

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Jacqué (Bernard), Papiers peints, l’histoire des motifs aux XVIIIe et XIXe siècles, Éd. Vial, 2010, 214 p.

1 Ce beau livre à toutes les apparences du livre d’images et ce sont pas les illustrations, qui composent le gros de l’ouvrage, que le lecteur est d’abord attiré. Mais il ne faut pas s’y tromper : Bernard Jacqué, spécialiste des arts industriels, aujourd’hui conservateur honoraire du musée du Papier peint de Rixheim dont il a été le fondateur en 1981, nous propose aussi dans une introduction très documentée un intéressant panorama de l’histoire européenne du papier peint, du XVIIIe au XXe siècle. « Trop foisonnante, cette histoire ne saurait être contée », précise-t-il ; son propos aborde toutefois le cœur de la question : par qui et comment sont dessinés les papiers peints, quelles sont les sources où dessinateurs et industriels puisent leur inspiration, et comment ces différents motifs évoluent-ils dans le temps ?

2 L’introduction évoque d’abord les aspects techniques, évidemment liés à la fabrication du papier peint, mais aussi à son esthétique : le dessinateur doit avoir été formé à la fleur et à l’ornement, mais aussi à la géométrie, afin de maîtriser la « mise au rapport » du motif, pratiquer la technique de la « touche plate » en matière d’imposition des couleurs, et enfin travailler dans un souci d’économie, en gardant toujours présent à l’esprit la nécessité de réduire au maximum les coûts de fabrication. « Notre industrie comme les autres a ses exigences quant à la manière de traiter les dessins », précise par exemple un manufacturier. Salaires, répartitions des tâches et fonctionnements des manufactures sont également évoqués. Bernard Jacqué s’intéresse aussi à la clientèle et

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montre comment les manufacturiers, en fonction de techniques plus ou moins élaborées, s’adaptaient à toutes les classes sociales et à toutes les bourses. Les papiers peints de luxe étaient ainsi toujours imprimés « à la planche » dans certaines manufactures du début du XXe siècle, alors que d’autres, s’adressant à une clientèle moins fortunée, travaillaient exclusivement à la machine depuis longtemps.

3 La typologie des motifs qui composent la somme des illustrations est ensuite détaillée : Bernard Jacqué a choisi de s’attarder sur trois d’entre eux : l’ornement architectural, le textile et la fleur. Les planches, qui présentent des papiers peints issus des collections du musée de Rixheim, sont réparties en chapitres qui illustrent ce propos par l’exemple. Les notices qui les accompagnent donnent les informations principales : le titre, la manufacture, la date, le dessinateur, la technique, les dimensions du document, les dimensions du rapport, l’origine, ainsi qu’un commentaire… qui parfois nous laisse sur notre faim, tant certains documents présentés sont étonnants. Ainsi, ce papier peint à motif de draperie répétitive, fabriqué par la manufacture parisienne Dufour en 1808 (p. 82), ces lambris de papier peint à motif de mousquetaires, d’origine française et des années 1840 (p. 200), ou encore l’étrange papier peint répétitif à motif de locomotive (p. 205), toujours des années 1840, qui représente le train de Saint-Germain, premier chemin de fer français, en service à partir de 1837 !

4 L’ouvrage présente une bibliographie en fin de volume : on la complétera utilement par la lecture des notes de l’introduction ; les notices accompagnant les planches comportent également des indications bibliographiques récentes. Ce livre est ainsi agréable à feuilleter, même pour qui ignore tout des papiers peints et de leur évolution ; l’introduction offre au néophyte une vision très claire du sujet ; et la précision des notices permettra certainement aux chercheurs d’approfondir des questions plus pointues.

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Bonz (Tobias), Michelon (Éliane), Jean Gaspard Weiss, Autobiographie - Lebens- und Reichsbericht eines Musikers aus dem 18. Jahrhundert Edition bilingue publiée en collaboration avec les Archives de Mulhouse et Antichi Strumenti - Beeskow : Ortus Musikverlag, 2012, VIII, 150 p.

Geneviève Honegger

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Bonz (Tobias), Michelon (Éliane), Jean Gaspard Weiss, Autobiographie - Lebens- und Reichsbericht eines Musikers aus dem 18. Jahrhundert - édition bilingue publiée en collaboration avec les Archives de Mulhouse et Antichi Strumenti - Beeskow : Ortus Musikverlag, 2012, VIII, 150 p.

1 Jean Gaspard Weiss (Mulhouse 1739-1815), flûtiste virtuose et compositeur, a laissé une autobiographie rédigée en allemand dont le manuscrit est conservé aux Archives municipales de Mulhouse, accompagné d’une traduction française réalisée en 1925 par Madeleine Bretegnier-Desaulles, descendante de l’artiste. Si celui-ci est totalement oublié de nos jours, sa réputation a été grande comme l’attestent les témoignages de ses contemporains, vantant non seulement sa maîtrise technique mais sa sonorité, « la plus pure et la plus naturelle qui soit » (Chr. Fr. Schubart). « Ce qui lui importe, dit encore W. Cramer, c’est un beau phrasé chantant ». On ne peut qu’admirer l’itinéraire de ce fils de cordonnier qui, en égard à ses dons, reçoit quelques leçons à Bâle et à Berne, surpasse rapidement ses professeurs et, muni de ce modeste bagage, suit avec opiniâtreté une vocation irrésistible. À 18 ans, il se fixe à Genève où il vit de leçons et a l’opportunité de rencontrer un jeune aristocrate anglais, lord Abingdon, qui devient

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son élève et son protecteur. Grâce à lui, il va pouvoir parcourir l’Italie, non sans faire auparavant un séjour à la cour de Mannheim, où il se perfectionne auprès de J. B. Wendling, le flûtiste renommé originaire de Ribeauvillé. Weiss découvre ensuite avec émerveillement la vie musicale de la péninsule, se lie avec Grétry à Rome et s’initie à l’écriture auprès de son maître G. B. Casali. De retour à Genève, il a de nombreux élèves mais, encouragé par lord Abingdon et pour des raisons sentimentales, se décide à tenter sa chance à Londres. Il s’arrête au passage à Paris où son talent lui ouvre les portes des salons. La chance fait qu’il y rencontre Johann Christian Bach et Carl Friedrich Abel, fondateurs de célèbres concerts, qu’il retrouvera à Londres. De 1767 à 1783, Weiss va s’imposer dans cette ville comme le plus prestigieux des flûtistes. Epris de liberté, il refuse le poste de première flûte à l’Opéra mais est accueilli par l’aristocratie. Il épouse la fille d’un basson réputé, joue avec les meilleurs instrumentistes, devient un maître recherché et compose de nombreuses œuvres de musique de chambre. En 1783, il décide de revenir dans sa ville natale avec femme et enfants après avoir amassé un joli pécule. Son autobiographie, écrite vers 1785, ne fait pas état de sa nouvelle orientation, où les responsabilités publiques et son activité au sein des entreprises Schlumberger et Dollfus prennent le pas sur la musique.

2 Homme modeste, d’une grande sensibilité, Weiss ne cherche pas à se mettre en valeur mais plutôt à faire partager ses impressions. Particulièrement vivants sont les récits de ses voyages. En ce siècle des lumières où les artistes sillonnent l’Europe, ses déplacements sont l’occasion de rencontres cosmopolites. On glane par ailleurs dans ces pages nombre de renseignements précieux sur la vie quotidienne d’un musicien. Le texte est préfacé et annoté par Tobias Bonz avec une grande rigueur musicologique, cependant qu’Éliane Michelon replace l’artiste dans le contexte local. Généalogies, index, catalogue des œuvres musicales, portraits du flûtiste complètent cette publication très soignée qui enrichit le patrimoine régional.

3 Parallèlement, l’ensemble à géométrie variable Antichi Strumenti a enregistré sous le label de Stradivarius (STR 33916) un disque qui réunit un florilège attrayant d’œuvres de musique de chambre. François Nicolet ressuscite la pureté de la flûte du compositeur, entouré par Laura Toffetti (violon), Claudia Monti (alto), Tobias Bonz (violoncelle), Francis Jacob (clavecin). L’éventail très varié des partitions permet de découvrir le talent plein de fraîcheur d’un musicien qui mérite de sortir de l’ombre.

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Bleikasten (Aimée), Staiber (Maryse), (dir.), Arp en ses ateliers d’art et d’écriture Strasbourg, Édition des Musées de Strasbourg, Association Jean-Hans Arp, 2011

Hervé Doucet

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Bleikasten (Aimée), Staiber (Maryse), (dir.), Arp en ses ateliers d’art et d’écriture, Strasbourg, Édition des Musées de Strasbourg, Association Jean-Hans Arp, 2011

1 L’exposition Art is Arp qui s’est tenue au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg entre les mois d’octobre 2008 et février 2009 a suscité plusieurs publications. À côté du catalogue de l’exposition et de la réédition de l’ouvrage intitulé L’Aubette ou la couleur dans l’architecture : une œuvre de Hans Arp, Sophie Taeuber-Arp ; Théo van Doesburg, le livre Arp en ses ateliers d’art et d’écriture, fait partie de ces publications qui ont contribué à mieux faire connaître l’œuvre et la personnalité de l’un des artistes alsaciens contemporains les plus intéressants. Ce dernier ouvrage est en fait la publication des actes d’un colloque qui s’est déroulé en marge de l’exposition, en janvier 2009.

2 Le livre rassemble les contributions signées d’historiens d’art, historiens, philosophes, germanistes qui portent des regards croisés sur l’œuvre d’Arp, qu’elle soit littéraire ou plastique, pour brosser le portrait d’un artiste protéiforme, d’une personnalité sensible.

3 L’ouvrage est construit en cinq parties. La première, « Arp en son pays », rassemble les textes d’introduction au colloque. La deuxième partie, « le travail d’écriture », réunit les communications centrées sur les écrits de Hans Arp. Plusieurs directions y sont privilégiées qui mettent en avant les talents littéraires d’Arp. Certains textes sont abordés en tant qu’éléments de la théorie artistique développée par Arp. Le jeu de

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correspondances entre production littéraire et production plastique est particulièrement éclairant. C’est sur ce dernier axe que se concentre le texte d’Aimée Bleikasten intitulé « Palimpsestes, écritures et réécritures ». Aimée Bleikasten montre qu’Arp avait recours à des façons de travailler identiques pour certaines de ses œuvres littéraires et ses œuvres plastiques. Elle repère par exemple la réutilisation d’un même vers dans plusieurs textes d’Arp ou des versions différentes d’un même texte selon des publications successives. Tout au long de sa vie, Arp reprend son œuvre pour la transformer. Cette méthode de travail est comparée à celle utilisée par Arp pour son collage intitulé Duo-Dessin déchiré aux éléments de Sophie Taeuber et de Jean Arp (1947). À partir du dessin déchiré qu’il avait réalisé avec son épouse en 1939, Arp donna naissance à une nouvelle œuvre en 1947.

4 La troisième partie, « Fable d’atelier », porte le titre d’un texte publié paru pour la première fois en 1955 en langue allemande. Ce texte, Wekstattfabeln, est d’ailleurs reproduit ici dans sa langue d’origine puis, pour la première fois, dans une traduction française. Les textes des communications regroupées ici entendent donner des clefs de compréhension de la production arpienne. C’est bien dans ce but que Maryse Staiber, quant à elle, insiste sur les trois évènements traumatisants de la vie d’Hans Arp : la guerre, la mort de Sophie Taeuber en 1943 et l’infarctus dont il a été victime en 1953.

5 « Les ateliers d’art », la quatrième partie de l’ouvrage, se concentre avant tout sur la production plastique d’Arp tout comme la dernière partie intitulée « Travail en commun ». Ici sont évoqués notamment les liens qu’entretenaient Arp et Tristan Tzara ou les grands chantiers décoratifs exécutés à Strasbourg – dont l’Aubette, bien sûr – avec Sophie Taeuber et Théo van Doesbourg. Ces deux dernières parties abordent des questions déjà bien connues des historiens d’art. C’est surtout à leur lecture que l’on regrette, bien entendu, le faible nombre d’illustrations par ailleurs reproduites dans des cahiers séparés des textes eux-mêmes. Lorsqu’un ouvrage est consacré à un artiste, il est dommage que ses œuvres ne soient pas directement mises en relation avec les textes qui les commentent. Cela participe de l’aridité de la publication.

6 Dans de nombreux textes rassemblés ici revient l’idée que la production de Jean-Hans Arp ne peut pas être véritablement comprise si l’on ne considère pas les principaux évènements de sa vie qui l’ont profondément marqué. Si le souvenir de son épouse est partout présent, ses rencontres avec d’autres artistes européens sont également essentielles. À deux reprises dans l’ouvrage est reproduite une très intéressante citation d’Arp qui définit, en 1944, l’art concret – mouvement qu’il fonda en 1930 avec Théo van Doesbourg – : « Nous ne voulons pas copier la nature (…) Nous voulons produire comme une plante qui produit un fruit et ne pas reproduire. Nous voulons produire directement et non par le truchement. Comme il n’y a pas la moindre trace d’abstraction dans cet art, nous le nommons art concret. » L’étude des textes élaborés par Arp permet donc de comprendre sa propre production dans le domaine des arts plastiques. Daniel Payot et Georges Bloess évoquent tous deux l’idée de l’anonymat de l’artiste défendue par Arp. Pour lui, l’exaltation de l’individu fait courir le risque du conflit. Bloess y voit par exemple la raison de l’abandon des majuscules dans les textes de langue allemande écrits par Arp. Ce détail typographique, tout comme, d’une manière plus large, les conséquences psychologiques du premier conflit mondial sur l’idéal des artistes de la première moitié du XXe siècle – et sur leur production –, peut être rapproché du Bauhaus et de la personnalité éminente qui en est à l’origine : Walter Gropius. L’œuvre d’Arp a souvent été rapprochée du mouvement De Stijl – son amitié

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avec Theo Van Doesburg témoigne, bien sûr, d’une véritable connivence – avec lequel il partageait cette quête d’un art objectif, s’adressant à tous. Il semble toutefois qu’une autre piste puisse être explorée : celle d’un parallèle entre Arp et Gropius. Tous deux furent pareillement traumatisés par la Première Guerre mondiale. De nombreux auteurs ont montré que ce traumatisme est sans doute à l’origine de la volonté de Gropius de former, au sein de l’école qu’il entendait créer, une communauté d’artistes dont les œuvres étaient censées contribuer à la transformation profonde de la société contemporaine. C’est cet ambitieux objectif que partageait Jean-Hans Arp, artiste alsacien d’envergure internationale que cette publication permet de mieux comprendre.

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Klein (Richard), Le Corbusier. Le Palais des congrès de Strasbourg. Nouveau programme, dernier projet Paris, Picard, 2011, 160 p.

Anne-Marie Châtelet

RÉFÉRENCE

Klein (Richard), Le Corbusier. Le Palais des congrès de Strasbourg. Nouveau programme, dernier projet, Paris, Picard, 2011, 160 p.

1 Les étapes de sa vie, l’histoire de ses projets, la glose de ses textes n’en finissent pas d’occuper les esprits ; articles et ouvrages sur Le Corbusier voient chaque année le jour sans que leur flot ne paraisse se tarir. Corne d’abondance, la Fondation encourage les chercheurs. Rien que pour la seule année 2011, elle a recensé 29 publications. Parmi celles-ci figure un livre touchant à l’histoire de Strasbourg : une monographie du Palais des congrès conçu entre 1961 et 1965 par Le Corbusier à la demande du maire de l’époque, Pierre Pflimlin. Le bâtiment ne put être construit, mais de nombreux dessins en ont été publiés. Il est mentionné par plusieurs historiens et admiré pour son plan alliant des formes organiques à une grille structurelle régulière. Cependant, il n’avait pas fait l’objet jusqu’ici d’une étude approfondie, sinon de deux mémoires, l’un fait à l’Université sous la direction de Jean‑Luc Pinol1 et l’autre à l’École d’architecture de Strasbourg sous la direction de Danièle Pauly2. Richard Klein, qui succéda à cette dernière en 2007, a fait de cet édifice méconnu le sujet du mémoire de son habilitation. C’est ce texte qui vient d’être publié.

2 À la fin de l’année 1960, la Ville de Strasbourg esquissa le programme d’un palais des congrès et prit comme modèle celui de Liège inauguré peu auparavant. En décembre 1961, Pflimlin, après avoir envisagé un concours international, se décida à prendre contact avec Le Corbusier qui, en avril 1962, vint à Strasbourg. En décembre de la même année, l’architecte proposa un avant-projet et, en juillet 1963, remit un jeu complet de

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plans ainsi qu’une belle maquette en bois démontable, aujourd’hui propriété des Musées de Strasbourg, sur laquelle chaque type d’activité était identifié par une couleur. Dans la foulée, des techniciens furent choisis pour préciser les aspects acoustique, scénique et signalétique du palais, et ses plans d’exécution furent dressés. Début juillet 1965, les derniers dessins étaient envoyés à la municipalité, mais, au même moment, celle-ci renonça à construire ce bâtiment qu’elle ne pouvait financer. Le 27 août 1965, Le Corbusier s’éteignit, laissant certains penser que son décès était à l’origine de l’abandon du projet.

3 R. Klein fait une chronique largement illustrée de cette « rencontre entre le maire d’une métropole en développement, un programme du moment et un architecte célèbre » (p. 18). Il en retrace avec précision les étapes, détaille les rencontres et les acteurs, s’appuyant sur les documents conservés aux archives municipales de Strasbourg et à la Fondation Le Corbusier. Il referme cette histoire par un chapitre consacré au projet réalisé en lieu et place de ce qu’avait dessiné Le Corbusier : le Palais de la musique et des congrès conçu puis construit, entre 1971 et 1975, par les architectes municipaux, François Sauer et Paul Ziegler. Comme l’indique le sous-titre du livre, « Nouveau programme, dernier projet », il s’attarde sur le programme. Il montre l’intérêt du Corbusier pour les « tréteaux nus » qui le conduisit à envoyer à Germain Muller, adjoint de Pflimlin, des plans d’un « théâtre spontané » espérant séduire le poète et chansonnier. Il évoque le développement contemporain des « maisons de la culture » qui fit évoluer le projet vers une « Maison des congrès et de la culture ». Il expose les recherches faites en vue de la polyvalence des salles, la participation de l’acousticien José Bernhardt, celle de Jacques Poliéri pour l’animation lumineuse… Mais il est frappant de voir que de la première esquisse au projet achevé, la forme demeure. Le Corbusier impose d’emblée des solutions architecturales et plastiques formulées pour le Visual Art Center de Cambridge. Aussi, arrivé au terme de ce récit, aimerait-on voir évaluer l’impact de ce « nouveau programme » dans la conception. Le projet du Palais des Congrès de Strasbourg ne s’explique-t-il pas plus par l’expression architecturale de Le Corbusier que par la nature de cette commande ? Ne pourrait-on pas même penser que l’indifférence de l’architecte à son égard a été l’une des raisons de l’échec de ce projet ?

NOTES

1. Blanchard (Christine), La mise en place d’un équipement culturel : le Palais de la Musique et des congrès de Strasbourg, Université de Strasbourg, 1991, 98 p. (non mentionné par R. Klein). 2. Claude, Nadine et Losa, J.-M., Le palais des congrès de Strasbourg, École d’architecture de Strasbourg, 1977, 158 p.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 355

Gourbin (Patrice), Les Monuments historiques de 1940 à 1959. Administration, architecture, urbanisme Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 286 p.

Nicolas Lefort

RÉFÉRENCE

Gourbin (Patrice), Les Monuments historiques de 1940 à 1959. Administration, architecture, urbanisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 286 p.

1 L’histoire du service français des Monuments historiques est en cours d’écriture. La thèse récente d’Arlette Auduc sur Le service des Monuments historiques de 1830 à 1940 (à paraître en 2008) et l’ouvrage de Xavier Laurent sur la Grandeur et misère du patrimoine d’André Malraux à Jacques Duhamel (1959-1973) (paru en 2003) ont posé les premiers jalons. La thèse de Patrice Gourbin vient compléter utilement ces travaux pour la période allant de la défaite de 1940 à la création du ministère des Affaires culturelles en 1959.

2 La période considérée possède une certaine unité : la politique des hommes nommés par le régime de Vichy n’est pas fondamentalement remise en cause par leurs successeurs à la Libération, et il faut attendre 1959 et le tournant Malraux pour voir une nouvelle génération leur succéder.

3 Par ailleurs, les périodes de l’Occupation et de la Reconstruction constituent deux moments-clés dans l’histoire du service des Monuments historiques, le premier par l’ampleur de la réflexion et de l’évolution administrative, et le second par celle des interventions concrètes.

4 En 1940, l’architecture est encore perçue comme un vecteur de domination et d’expansion. Par conséquent, l’État doit y jouer un rôle important et posséder un grand

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service d’architecture capable de servir de modèle, d’encourager la création, et de contrôler la construction. Nommé à la direction des Beaux-Arts en juillet 1940, l’historien de l’architecture Louis Hautecoeur entreprend immédiatement de constituer une direction de l’Architecture regroupant les services des Bâtiments civils et Palais nationaux d’une part, et celui des Monuments historiques d’autre part. Afin de pouvoir contrôler l’ensemble des bâtiments de l’État sur le terrain, la direction de l’Architecture crée des agences locales d’architecture, les agences des Bâtiments de France (décrets de 1946), qui s’inspirent largement de l’organisation alsacienne-lorraine de la période du Reichsland. Les architectes chefs d’agence sont fonctionnaires et sont chargés de l’entretien des bâtiments classés. Cette grande réforme est complétée en 1948 par la création des premières conservations régionales des Bâtiments de France, désormais en charge de l’élaboration des programmes de travaux. Ainsi, agences et conservations des Bâtiments de France réduisent les pouvoirs discutés des architectes en chef des Monuments historiques.

5 L’invasion allemande de 1940, puis les bombardements alliés et les combats de la Libération causent d’importantes destructions urbaines. Les services de la Reconstruction sont complètement réorganisés et se rapprochent de ceux en charge de l’Urbanisme. Dans un premier temps, architectes en chef des Monuments historiques et urbanistes partagent la même doctrine conservatrice et la même préoccupation pour les centres anciens qu’il faut assainir et moderniser tout en conservant leur aspect. Les Monuments historiques restaurent les façades, tandis que les services de la Reconstruction se chargent des intérieurs. Mais à partir de 1950, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme encourage les nouvelles formes architecturales (barres et tours) et une nouvelle organisation urbaine (fin des « îlots »). Le seul outil du service des Monuments historiques pour contrôler la reconstruction des centres anciens est la loi du 25 février 1943 sur les « abords » qui se révèle alors notoirement insuffisante. La direction de l’Architecture espérait que les monuments serviraient de modèles aux reconstructeurs. Dans la réalité, le fossé se creuse entre patrimoine et architecture contemporaine.

6 Les mesures de protection connaissent une expansion quantitative, mais non qualitative. Le nombre de monuments classés et inscrits augmente fortement durant la période. Cette augmentation est le fait d’une volonté du service des Monuments historiques de protéger et d’intervenir sur le plus grand nombre d’édifices possible. D’un point de vue qualitatif, les nouvelles protections sont plus souvent dictées par leurs conséquences financières que par l’intérêt réel des édifices. En outre, le service des Monuments historiques hésite à étendre son champ d’intervention à de nouveaux patrimoines : les édifices du XIXe et XX e siècles, le patrimoine industriel et les monuments folkloriques sont encore laissés de côté. Par ailleurs, le service se montre réticent à l’idée d’un « classement régional » et s’oppose à celle des « listes de priorités » malgré la pénurie des crédits. À la Libération, le service entend limiter le nombre des monuments commémoratifs et en contrôler la construction. Seuls les sites d’Oradour-sur-Glane, de Natzwiller-Struthof et les plages du débarquement de Normandie sont protégés au titre des Monuments historiques.

7 Le service des Monuments historiques cherche également à mieux connaître les monuments. En 1944, il lance le Recensement des monuments anciens, qui devait aboutir à la constitution d’un « casier archéologique », et encourage l’élaboration de

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plans archéologiques de villes, mais la lenteur du travail les rend inutiles dans l’optique de la reconstruction.

8 Le déclenchement du deuxième conflit mondial pose des problèmes d’une ampleur sans précédent au service des Monuments historiques. Dès 1935, le service prépare les mesures de « défense passive » : les vitraux sont déposés, les parties sculptées les plus intéressantes sont protégées par des sacs de sable, des mesures sont prises contre l’incendie, et les objets et œuvres d’art sont évacués. La « drôle de guerre » constitue une chance pour le service, en lui laissant le temps de mener à bien toutes ces opérations, qui ne sont toutefois que partielles et sélectives. Le souvenir de la « barbarie allemande » est encore bien vivant en 1939, mais les destructions volontaires de monuments sont réduites, en partie grâce à l’action du service allemand de protection des monuments : le Kunstschutz. À la Libération, les alliés se dotent eux aussi d’un tel service. Toutefois, de nombreux édifices souffrent des réquisitions. Après les combats, les difficultés sont multiples. Les dommages de guerre sont pris en charge par le seul service des Monuments historiques (loi du 12 juillet 1941) mais l’argent manque.

9 Les architectes en chef des Monuments historiques n’hésitent pas à reconstruire les monuments à partir de presque rien : pour eux, l’architecture est un art reproductible à partir du moment où il existe une documentation suffisante. Les travaux de reconstruction sont l’occasion d’« améliorer » les monuments d’un point de vue esthétique, technique ou archéologique. Le souci d’authenticité n’est pas toujours respecté par les architectes en chef qui profitent parfois de l’occasion pour reconstituer un état idéal ou antérieur. Certains éléments sont simplifiés afin de faire des économies. Le choix des matériaux est déterminé par leur solidité, car les restaurations doivent être les plus durables possible. Pour les vitraux, le service encourage la création contemporaine pour remplacer ceux du XIXe siècle jugés de mauvais goût. Enfin, le service s’inquiète de la réception de la reconstruction par l’opinion et organise expositions et conférences, utilise les médias (films, campagnes de presse) pour faire connaître son action.

10 Le dernier aspect développé par l’auteur est celui de la « vie » dans les monuments. Le meilleur moyen de conserver un monument est de lui trouver une utilité sociale. Une préoccupation majeure du service des Monuments historiques est par conséquent de trouver une utilisation convenable aux monuments. Dans la mesure du possible, le service évite l’utilisation des monuments comme hôpitaux ou comme usines et privilégie les affectations culturelles (lieux de rencontres, de festivals), mais les choix du service sont toujours pragmatiques. Il s’attache également à mettre en valeur les monuments, en organisant leur visite, en créant les premiers sons et lumières (1952) qui connaissent un certain succès.

11 Ainsi, le mérite de la thèse de Patrice Gourbin est d’avoir montré que les Monuments historiques ne forment pas un champ clos, isolé de l’architecture contemporaine, mais participent activement à la modernité. Ils constituent des objets politiques et sont une image de leur temps. Enfin, il convient de souligner la richesse de l’illustration, composée de nombreuses photographies et dessins, dont la plupart sont de l’auteur.

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Comptes rendus

Glanes

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Lavater (Hans Rudolf), « Lignea Aetas. Der Bieler Dekan Jakob Funcklin und die Anfänge der „Holzsparkunst“ (1555-1576) » In : Ulrich Gäbler, Martin Sallmann & Hans Schneider, éd., Schweizer Kirchengeschichte - neu reflektiert. Festschrift für Rudolf Dellsperger zum 65. Geburtstag (Basler & Berner Studien zur historischen & systematischen Theologie, 73), 2011, 63-145

Bernhard Metz

RÉFÉRENCE

Lavater (Hans Rudolf), « Lignea Aetas. Der Bieler Dekan Jakob Funcklin und die Anfänge der „Holzsparkunst“ (1555-1576) », in : Ulrich Gäbler, Martin Sallmann & Hans Schneider, éd., Schweizer Kirchengeschichte - neu reflektiert. Festschrift für Rudolf Dellsperger zum 65. Geburtstag (Basler & Berner Studien zur historischen & systematischen Theologie, 73), 2011, 63-145

1 Vers le milieu du XVIe siècle, sous l’effet d’une raréfaction du bois (réelle ou prétendue, l’auteur en discute), on s’efforce d’améliorer le rendement calorique des poêles de chauffage et des fourneaux de cuisine, en combinant à l’occasion les deux appareils. F. J. Fuchs (« Recherches techniques au XVIe siècle. De quelques essais de réduction de consommation de bois à Strasbourg », in : Uwe Bestmann et al., éd., Hochfinanz, Wirtschaftsräume, Innovation, Festgabe für Wolfgang v. Stromer, 1987, III, 1099-1114) a pointé le rôle de Strasbourgeois dans ces tentatives. Lavater, reprenant le sujet de façon très approfondie, souligne la place qui revient à des protestants de Constance réfugiés en Suisse après la conquête de la ville par les Habsburg en 1548 : Zwick, l’« inventeur », et Funklin, qui se fait le propagandiste et le commis-voyageur de son système. Ils en viennent à s’associer à leur concurrent Friedrich Frommer, un menuisier de Strasbourg

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qui, selon certaines sources, les aurait même précédé dans cette voie. Ensemble, Zwick et Frommer obtiennent de diverses puissances des brevets pour leur invention, qui n’a cependant pas le succès espéré. Lavater évoque aussi des tentatives postérieures, dont celle des Strasbourgeois Michael Kogmann et Jeremias Neuner vers 1570 (au sujet du premier, voir aussi B. Metz, « Glanes sur les poêles et les poêliers dans les sources écrites alsaciennes », in : A. Richard & J.‑J. Schwien, dir., Archéologie du poêle en céramique du haut Moyen Âge à l’époque moderne (Revue archéol. de l’Est, Suppléments, 15), 2000, 175-192). Il montre également qu’une brochure sur la Holtz[ersparungs]kunst publiée à Mulhouse en 1557 et rééditée en 1563 et 1564 (elle ne montre que des figures techniques ; le texte correspondant, dû à Michel Schütz dit Toxites, est perdu) présente les modèles de poêles et de fourneaux diffusés par Zwick et Frommer. Concluons que, malgré la prépondérance de la Konstanzer connexion, l’Alsace a sa part dans la conception laborieuse de cet important progrès technique. L’auteur fait preuve d’une érudition stupéfiante et se montre aussi à l’aise dans l’évocation d’un milieu d’humanistes protestants que dans la présentation des aspects techniques de leur invention.

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Trésors d’archéologie Ouvrage collectif, Édité par le Musée historique de Mulhouse et le Conseil Consultatif du Patrimoine Mulhousien, 2011

Gabrielle Claerr-Stamm

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RÉFÉRENCE

Trésors d’archéologie, Ouvrage collectif, Édité par le Musée historique de Mulhouse et le Conseil Consultatif du Patrimoine Mulhousien, 2011

1 L’ouvrage, avec un Avant-propos d’Yves Coppens et une introduction de Christian Jeunesse s’articule autour de trois parties : « Nos ancêtres révélés par l’archéologie », « L’archéologie à Mulhouse et en sud-Alsace » et « Pour mieux comprendre l’archéologie ». Le livre paraît pour accompagner la réouverture (enfin, après vingt ans d’absence) de la salle d’Archéologie qui expose à nouveau les riches découvertes dans le sud de l’Alsace, d’une manière originale, en remontant le temps.

2 La première partie du livre retrace après un rappel historique pour mieux situer la période concernée, les grandes lignes des découvertes archéologiques, avec références à l’Alsace et au sud de la région en fonction des sites fouillés… Le texte est accompagné d’encarts évoquant des fouilles proches de Mulhouse et de photos et plans de très grande qualité.

3 La deuxième partie est centrée sur les découvertes faites sur le ban de Mulhouse et dans le Sundgau. Elle rend hommage aux précurseurs du milieu du XIXe siècle ; elle évoque l’évolution du Musée historique de Mulhouse au fil des décennies, ses conservateurs et les archéologues qui ont œuvré dans la région.

4 Enfin on appréciera dans la dernière partie des explications précises et claires sur la législation des fouilles, mais aussi la description d’expériences pour réaliser des poteries, des chaussures…

5 L’ouvrage s’achève par une bibliographie bien documentée et un glossaire. On regrettera l’absence d’un index des noms de lieux.

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Befort (Paul-André), Gastebois (Fernand), Henri Loux, l’artiste de l’âme alsacienne Éditions « A propos de », 2011

Gabrielle Claerr-Stamm

RÉFÉRENCE

Befort (Paul-André), Gastebois (Fernand), Henri Loux, l’artiste de l’âme alsacienne, Éditions « A propos de », 2011

1 Qui n’a pas un jour mangé dans des assiettes du service « Obernai » ? Mais qui connaît son artiste Henri Loux ?

2 Préfacé par Marc Grodwohl, l’ouvrage est né de la main de deux amis qui, s’ils n’ont pas connu personnellement l’artiste trop tôt disparu, sont des proches de sa famille et surtout de grands collectionneurs de ses dessins, tableaux, esquisses…

3 L’ouvrage présente d’abord le contexte historique, l’Alsace-Lorraine annexée, les cercles artistiques qui se créent au tournant du siècle, avant de parcourir la biographie du peintre né en 1873 à Auenheim, un petit village au nord de la plaine d’Alsace, sur la Moder. Deux ans plus tard, son père est nommé directeur d’école à Sessenheim. Manifestant des dons sérieux pour le dessin, Henri suivra des cours à la Kunstgewerbeschule, puis à l’Akademie der bildenden Kunst à Munich. En 1897, il est de retour à Sessenheim, mais son village « n’a jamais, du vivant de ce dernier, reconnu ou adopté Loux. Le fils de l’instituteur est considéré comme un artiste par les paysans, un personnage bohème ne sachant travailler de ses bras, dessinant par agrément. Pourtant c’est à partir de ses contemporains villageois qu’il bâtit son œuvre ». Pour l’Exposition universelle de 1900, les visiteurs de la Maison Kamerzell reconstituée à Paris, reçoivent un livret de 32 pages sur les vins et coteaux d’Alsace illustrés de 17 dessins d’Henri Loux. C’est lui également qui a peint l’affiche.

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4 À la mort de son père en 1901, il s’installe avec sa mère à Strasbourg et participe et expose avec des groupes artistiques de la ville. La faïencerie de Sarreguemines cherche de nouveaux motifs et s’adresse à Charles Spindler. Trop occupé celui-ci prend l’avis de Gustave Stosskopf qui propose la candidature d’Henri Loux. Début 1903, Henri Loux séjourne à Sarreguemines et réalisent ses premiers dessins pour des assiettes. 1904-1905, il recherche de nouveaux motifs de dessins et vagabonde « à travers l’Alsace riante, pluvieuse ou enneigée ». C’est une frénésie dans le travail. Mais début 1906, il est pris de malaise et obligé de restreindre ses activités. Il décède le 19 janvier 1907 à l’âge de 33 ans et 11 mois. Un mois plus tard ses amis organisent une exposition de 163 de ses œuvres et publient pour la fête de la Pentecôte une « Loux-Mappe ». La dernière partie du livre est consacrée à l’œuvre d’Henri Loux, ses nombreuses représentations de costumes de femmes du Kochersberg et du pays de Hanau, ses illustrations de contes et légendes d’Alsace, des sites, des châteaux, des églises, des décors pour des menus et des affiches et bien sûr les villages alsaciens que la Faïencerie de Sarreguemines va diffuser sur ses assiettes pendant des décennies. Quant au service de table « Obernai » deux versions s’opposent concernant son appellation. Les dessins proposés par Henri Loux pour les décalcomanies de Sarreguemines auraient formé un décor mural de l’hôtel « Saint-Jacques » d’Obernai. Certaines clients auraient aimé aussi voir ces décors dans leurs assiettes. Pour d’autres, le propriétaire et gérant du restaurant « À la Cloche » d’Obernai aurait sollicité la réalisation de décors de vaisselle de table à partir de dessins de Loux qu’il connaissait. Toujours est-il que la conception de ce service a été lancée à Obernai et qu’il eut un succès immédiat.

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Fischer (Marie-Thérèse) (dir.), Bressy (Robert), Carmona (Christophe), Keller (Francis), illustrateurs, Cette histoire qui fait l’Alsace Éditions du Signe,(fasc. 1 à 8), 2011-2012

François Uberfill

RÉFÉRENCE

Fischer (Marie-Thérèse) (dir.), Bressy (Robert), Carmona (Christophe), Keller (Francis), illustrateurs, Cette histoire qui fait l’Alsace, (fasc. 1 à 8), Éditions du Signe, 2011-2012

1 Marie-Thérèse Fischer s’est lancée voici cinq ans dans une vaste entreprise : mettre l’histoire d’Alsace en BD. Elle a découpé son récit en 12 fascicules : L’Alsace préhistorique, suivie de trois fascicules pour la Moyen Âge ; l’un est consacré à « l’âge d’or » ; le passage de la souveraineté germanique au Royaume de France fait l’objet de deux volumes. Les trois derniers à paraître auront pour objet « l’Alsace des Romantiques (1816-1871) », « l’Alsace du Reichsland (1871-1918) » ; « Croire en la paix » clôturera la collection.

2 Le récit est bien mené, les dialogues alertes, l’enchaînement des thèmes logique. L’histoire religieuse dont elle est devenue une spécialiste est particulièrement soignée. Les dessinateurs Christophe Carmona, Francis Keller et Robert Bressy nous donnent des images fort classiques, jamais agressives, ni vulgaires, comme tant d’autres BD. On regrettera la disparition en juillet 2011 de Francis Keller dont la mise en couleur par bleus était particulièrement appréciée.

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3 Mais Marie-Thérèse Fischer sait faire œuvre de pédagogue et le fait bien. Les paysages urbains renvoient toujours à de vrais paysages (Strasbourg, Rosheim, Obernai, Barr) ; ils sont recensés à la fin de chaque volume ; le lecteur se familiarise ainsi avec les grands monuments du patrimoine alsacien, églises, portes, maisons anciennes, façades remarquables, qui sont elles aussi répertoriées en fin d’ouvrage. Enfin, l’auteur propose des circuits pédestres ou à vélo, une invitation à « se promener dans le temps ».

4 Le pari de M. T. Fischer est réussi. On recommandera aux Centres de Documentation des Collèges et des Lycées d’acquérir la collection. Elle constitue pour la jeune génération une heureuse initiation à l’histoire d’Alsace. Avant de piocher sur les autres rayons.

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Bassang (Fabienne), Les cœurs en Alsace La tour Blanche- Presses du Belvédère, 2010

Gabrielle Claerr-Stamm

RÉFÉRENCE

Bassang (Fabienne), Les cœurs en Alsace, La tour Blanche- Presses du Belvédère, 2010

1 L’ouvrage évoque le cœur dans toutes les matières imaginables et dans toutes les circonstances. L’auteur rend également hommage à quelques artistes illustrant cette thématique, tous domiciliés dans le Bas-Rhin !

2 Le cœur est omniprésent dans la tradition populaire, sculpté au dos des chaises alsaciennes, formant des moules en terre cuite, gravé dans les springerle, tressé en Gleckshaempfele, brodé sur les supports les plus variés, peint sur les Goettelbriefe ou découpé en papier. Il orne les maisons anciennes, découpé dans les volets, dessiné sur le colombage, en graffiti sur les murs… On le retrouve jusque dans les arts de la cuisine en pains d’épices, en Bredle, en brioches ou dans le domaine religieux, entourant le Leichentext d’une croix, sur les feuillets de sainte Agathe, les images de dévotion du Sacré-Cœur de Jésus ou de la Vierge…

3 Georges Klein disait « les hommes s’expriment par des symboles qui véhiculent leur pensée et la rendent accessibles à tous ». Le plus parfait symbole n’est-il pas le cœur ?

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Bassang (Fabienne), Il était une fois… DMC Réédition de modèles au point de croix, Éditions DMC, Mulhouse, 2011, 140 p. + Bassang (Fabienne), Mon agenda personnel. Broderies et Découvertes, Éditions DMC, Mulhouse, 2011, 164 p.

Marianne Engel

RÉFÉRENCE

Bassang (Fabienne), Il était une fois… DMC. Réédition de modèles au point de croix, Éditions DMC, Mulhouse, 2011, 140 p. + Bassang (Fabienne), Mon agenda personnel. Broderies et Découvertes, Éditions DMC, Mulhouse, 2011, 164 p.

1 Au sein de l’entreprise DMC existait dès les années 1880 une maison d’édition. Il s’agissait alors d’inciter la brodeuse à utiliser les différents fils DMC tout en la guidant dans le choix de ses modèles. Les deux livres de Fabienne Bassang, les premiers d’une série témoignent de l’ambition de DMC de relancer cette activité d’édition, stoppée en 1980 lors de la fermeture des ateliers graphiques de l’entreprise.

2 Le titre du premier ouvrage, sans ambiguïtés laisse augurer un conte de fées et en cela il est d’une parfaite honnêteté. Le récit débute par la réédition intégrale d’un petit fascicule célébrant l’histoire de DMC, déjà magnifiée par l’entreprise elle-même à l’occasion de son pseudo-bicentenaire en 1946 : car c’est bien au passé mythique que l’on se réfère, celui des origines de l’industrie des toiles peintes à Mulhouse en 1746 et non à la véritable création de l’entreprise en 1800. À cette réédition s’ajoute la réédition d’un album de broderies au point de croix publié en 1885, devenu certes quasi introuvable.

3 Ces rééditions sont complétées par quelques faits contemporains marquants dans la chronologie de l’entreprise, par une synthèse des éléments biographiques connus sur Thérèse de Dillmont et par une présentation rapide des principaux produits que l’entreprise commercialise aujourd’hui. Les éclairages et les témoignages que livre

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Hubert Hoerth, en charge du musée DMC lorsque celui-ci se trouvait sur le site de l’entreprise ne sont dépourvus d’intérêt et émaillent une histoire déjà connue d’anecdotes originales. Les photographies, souvent inédites ponctuent agréablement un texte très personnel.

4 Thérèse de Dillmont en son temps avait pour mission de faire vendre les produits DMC par le biais d’éditions de modèles. La formule est reprise, mais le message publicitaire se fait aujourd’hui plus tapageur, moins élégant. Le souci du marketing n’est jamais loin : invitation aux stages de broderies, adresse de la boutique sur internet, éloge des produits, recommandation de ne jamais se trouver en manque de l’une des 465 couleurs de coton mouliné en font un ouvrage dans lequel le message publicitaire l’emporte sur l’analyse historique et dans lequel l’éloge panégyrique de l’entreprise le dispute à l’hagiographie de ses dirigeants. La notion de patrimoine y prend la forme que l’on souhaite lui faire prendre et l’histoire économique ou sociale se borne à quelques énoncés factuels, certes vérifiés mais utilisés pour exalter les vertus de l’entreprise.

5 Livres d’histoires plus que livres d’histoire, c’est à la mémoire des lecteurs et lectrices, acheteurs et acheteuses potentiels des fils DMC que l’auteur fait appel : à travers le charme désuet des broderies d’autrefois, replacées dans un contexte d’histoire anecdotique, c’est à sa propre histoire personnelle, familiale que la brodeuse – et non l’historien est renvoyé, non pour instruire mais pour continuer à vendre les produits DMC. Les nostalgiques d’un temps passé, marqué par le goût du travail bien fait y trouveront leur compte mais l’histoire de l’entreprise DMC reste à écrire.

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Trendel (Guy), L’Alsace de Denis Bauquier Éditions du Belvédère, 2011

Gabrielle Claerr-Stamm

RÉFÉRENCE

Trendel (Guy), L’Alsace de Denis Bauquier, Éditions du Belvédère, 2011

1 Après « La Franche-Comté » Denis Bauquier publie un choix de peintures consacrées à l’Alsace, accompagnées de textes de Guy Trendel. De l’hiver à l’automne, chaque saison inspire l’artiste. « Toutes ces scènes, toutes ces images saisies en un instant réveillent l’âme enfantine qui sommeille en chacun de nous… C’est une Alsace de rêve qui est là, sous nos yeux, une Alsace qui ne demande qu’à se révéler et qui enchantera tout un chacun en tournant tout simplement les pages de cette œuvre de maître ».

2 Denis Bauquier, est né en Franche-Comté mais a longtemps habité le Sundgau. Il a participé à de nombreuses expositions. Illustrateur de cartes postales, calendriers, livres, ses toiles ont également été sélectionnées par l’UNICEF et l’UNESCO.

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Kriegel (Arthur), La vie est un cadeau Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2011, 200 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

Kriegel Arthur, La vie est un cadeau, Éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2011, 200 p.

1 On parcourra sans ennui ces quelques pages d’un rhumatologue parisien, qui se dit « Français, Juif, médecin, humaniste ». Né à Strasbourg en 1923, il y a fait ses études, au Lycée Kléber-Saint-Jean, puis Palais, jusqu’à ce que l’exode le propulse dans le sud- ouest à Toulouse, puis à Lyon, où il fait des études de médecine, puis s’installe à Paris après la Libération. Il participe à la Résistance, où son frère aîné, Maurice Kriegel- Valrimont, futur député communiste, est l’un des dirigeants de Libération-Sud, et adhère aux organisations des étudiants communistes. Il y fait la connaissance de sa seconde femme, Annie Becker, qu’il épouse en 1955, et qui prend le nom d’Annie Kriegel. Cette historienne qui a ouvert la recherche historique sur le parti communiste sera le pôle de sa vie, et c’est à elle, éditorialiste du Figaro, co-fondatrice de la revue Commentaire, qu’il doit d’être « un inconnu environné de gens célèbres », contemporains et collègues de sa femme, mais aussi enfants de ses frères, et les siens propres. On relèvera les lignes qu’il consacre au dernier voyage de travail de sa femme, en Tchéquie et en Slovaquie, sur les pas d’Eugen Fried, l’homme de Moscou auprès de Thorez, dont elle préparait la biographie. Arthur Kriegel n’a jamais coupé les liens avec sa ville natale, où sa mère et un de des frères étaient revenus s’installer.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 372

Cahiers de l’Association de Prospective Rhénane 2011, fasc. 1, 2 et 3

François Uberfill

RÉFÉRENCE

Cahiers de l’Association de Prospective Rhénane, 2011, fasc. 1, 2 et 3

1 En 2009-2011, l’Association de Prospective Rhénane (APR) a mené une double recherche, d’une part à propos de la périurbanisation en Alsace, d’autre part à propos de la relation territoire-université, toujours en Alsace. Ces travaux s’inscrivent dans le programme des PREDAT (Pôles régionaux d’échanges et d’aménagement du territoire) qui est relayé par la Direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL).

2 En 2011, l’APR a publié trois cahiers dans la collection des Cahiers de l’Association de Prospective Rhénane.

3 Le premier, La périurbanisation en Alsace : étapes de réflexion et d’analyse (209 p.), est constitué des apports d’Henri Nonn et de Raymond Woessner. Comment une petite région (1,5 % du territoire métropolitain), densément peuplée (3 % de la population nationale), composée de terroirs historiquement différenciés, affronte-t-elle la standardisation de la production de l’espace périurbain ? Faut-il lutter contre l’étalement urbain ? L’organiser ? L’encourager ? Et avec quelles formes de gouvernance ? Ce volume a pour ambition de faire un point à travers une récapitulation des évolutions. De nombreuses approches statistiques, des informations analytiques et synthétiques, des mises en problématiques proposent un panorama d’une situation où la tension entre étalement urbain et retour à la ville compacte se décline à de multiples échelles. Cela donne un volume dense, très documenté, fruit de la réflexion de nombreuses années.

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4 Le volume II est d’une autre nature : ce sont les actes du colloque qui s’est déroulé à la MISHA à Strasbourg, le 22 novembre 2010, intitulé Périurbanisation, Durabilité et Créativité (168 p.). Le colloque se structure en trois grands axes : « périurbanisation et mobilité », coordonné par Philippe Hamann ; « la nature de la nature », avec des contributions de Raymond Woessner, Élodie Piquette, Niels Martin et Brice Martin ; enfin, « périurbanisation et gouvernance », de Maurice Blanc. La synthèse et les conclusions sont rédigées par Henri Nonn qui rappelle les spécificités de l’Alsace : son appartenance rhénane, les trames régionales qui multiplient les « milieux », le rôle non exclusif de la domination métropolitaine, une certaine précocité dans plusieurs champs du « développement durable », enfin son rôle de région frontière.

5 Le volume III, L’impact territorial des universités de l’Alsace (80 p.) décrit comment l’université génère une richesse économique et culturelle considérable pour le territoire qui l’accueille. Une université en croissance, c’est aussi un territoire en croissance, autant par des effets directs que par les effets induits. La présentation des « universités » dans leur territoire montre l’hétérogénéité et la complémentarité des acteurs qui composent le système académique complet. La dimension transfrontalière, autant par la contiguïté avec l’Allemagne et la Suisse qu’au sein des métropoles permet d’acquérir une taille à travers une gouvernance multiniveaux.

6 Ces trois publications permettent de faire le point avec une impressionnante brochette d’enseignants et chercheurs sur le débat en cours relatif à la périurbanisation, à l’heure actuelle très décriée par les professionnels et les spécialistes de l’aménagement du territoire, alors qu’il s’agit d’une réalité partagée par la plupart de nos contemporains.

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Fluck (Pierre), avec le concours de Jean-Marc Lesage, Mulhouse, trésors d’usines Le Verger, 2011

Gabrielle Claerr-Stamm

RÉFÉRENCE

Fluck (Pierre), avec le concours de Jean-Marc Lesage, Mulhouse, trésors d’usines, Le Verger, 2011

1 Pierre Fluck, avec plus de 400 publications dont une vingtaine de livres est devenu, sans conteste, le spécialiste de l’histoire industrielle de Mulhouse et des vestiges de son patrimoine.

2 Dans son introduction, l’auteur donne le mode d’emploi de son livre : « chacune des pages des différents chapitres de ce livre est composée de deux grands espaces, auxquels se juxtapose une colonne plus étroite dans laquelle viennent se loger les légendes des illustrations et les notes. Le haut de page contient l’exposé courant, le développement de notre sujet, le récit invitant au voyage et pilotant le lecteur. Le bas de page, sur fond coloré, se veut plus précis, soucieux du détail : il renferme en quelque sorte les « fiches techniques pédagogiques » consacrées à un certain nombre de sites choisis… ». On l’aura compris, l’ouvrage est dense, se lit à différents niveaux et est encore enrichi par une illustration judicieuse tirée des archives et mise en parallèle avec de nombreuses photos actuelles.

3 L’ouvrage se présente en 7 chapitres qui parcourent les siècles et un épilogue, avec une prolongation par Jean-Marie Lesage sur l’architecture industrielle, réservoir de richesses. Avec « Le silence des manufactures » on découvre la naissance de l’industrie, au sein de la ville médiévale. Les premiers manufacturiers s’installent dans les hôtels particuliers de la noblesse, les moins fortunés construisent des ateliers dans le jardin de

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leur maison. Par des plans, des photos, des dessins d’archives, l’auteur nous convie à leur découverte dans les rues de la ville. À la charnière XVIIIe/XIXe siècle, c’est l’éclosion « hors les murs », une ceinture d’usines entoure la vieille ville. Au nord, entre le Dollergraben et le Steinbächlein, les usines textiles trouvent l’eau, calcaire ou pure selon le besoin, et les prés pour étendre leur production au soleil. Au sud, naissent des usines mais aussi les jardins de l’industrie, dans le Nouveau Quartier et les fronts de Canal, les structures institutionnelles et les résidences des patrons. Un chapitre est consacré au Steinbächlein, canal usinier qui va concentrer l’implantation de nombreuses usines avec le site de la « Mer rouge ». L’auteur met l’accent sur toutes les destructions de ce patrimoine industriel. Les faubourgs virent s’implanter la « cohorte des petites industries indésirables », fonderies, constructions mécaniques, chimie, valorisation des déchets d’animaux, brasseries, tuileries… Le tracé du canal de décharge de l’Ill libéra des risques d’inondations de vastes espaces au nord de Mulhouse : les filatures qui ont besoin de beaucoup de surfaces s’y construisent. Peu à peu c’est toute la Cité qui est cernée d’usines. La période de l’Annexion voit la construction de grandes usines en briques rouges dont les arêtes des sheds dessinent autant de petites vagues. Avec le XXe siècle, l’auteur aborde les constructions en béton armé.

4 « Cet héritage industriel, lorsqu’on change le regard qu’on y porte, se transmute en patrimoine qui s’édifie telle une formidable construction… c’est tout cela qui fait que Mulhouse est différente des autres villes ».

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Fischbach (Bernard), Heckendorn (André), Mulhouse de A à Z Alan Sutton, 2011

Gabrielle Claerr-Stamm

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Fischbach (Bernard), Heckendorn (André), Mulhouse de A à Z, Alan Sutton, 2011

1 De nombreux ouvrages scientifiques ont paru sur Mulhouse et son histoire, sous la plume de grands historiens. « Mulhouse de A à Z » ne saurait rivaliser avec eux mais propose, d’une manière attrayante, dans un style journalistique, des flash sur le passé de la ville. Nulle note de bas de pages, ni de références en dehors d’une bibliographie générale en fin de livre et du renvoi au site Internet du Conseil Consultatif du Patrimoine Mulhouse et de celui de la Société d’Histoire et de Géographie de Mulhouse. Ce livre doit beaucoup aux publications de ces deux associations.

2 Le choix des entrées est varié : thèmes historiques, géographiques, scientifiques, histoire des familles, urbanisme, légendes, jusqu’à des données toutes récentes comme « Label » ou « tram-train ». L’illustration est agréable, mais le montage laisse beaucoup de demi pages blanches, voire des pages entières et la taille de certaines photos est mal choisie. Quant aux textes, les auteurs se sont heurtés à la difficulté de résumer en une à deux pages des sujets qui ont fait l’objet d’ouvrages de plusieurs centaines de pages ! D’où un raccourci dans l’Histoire, des manques et des imprécisions.

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Herbrecht (Antoine), Dornach, des origines à la Révolution Française Publié par Association Dornach @venir et mémoire

Gabrielle Claerr-Stamm

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Herbrecht (Antoine), Dornach, des origines à la Révolution Française, Publié par Association Dornach @venir et mémoire

1 Antoine Herbrecht, né à Dornach en 1924, ancien directeur du Service de Topographie de la Ville de Mulhouse, est devenu depuis sa retraite un historien passionné que s’attache à faire revivre le passé de Dornach avant son rattachement à Mulhouse en juin 1914. Il livre ici le fruit de près de 30 ans de recherches dans les archives.

2 L’auteur « y étudie dans un même élan les traits sociaux des groupes constitués par les nobles et les ecclésiastiques et les cultures politiques qui les ont animés. Il a parfaitement saisi le mouvement, esquissé au cours de la première moitié du XVIIIe siècle vers l’industrialisation qui allait faire la fortune de Mulhouse » écrit dans sa préface, Éliane Michelon, Directeur des Archives de la Ville de Mulhouse.

3 En huit chapitres, l’histoire de Dornach se déroule depuis les traces des premiers habitants jusqu’à la Révolution française, avec en parallèle l’histoire de la famille Zu Rhein seigneur du village depuis 1438 et dont le plus illustre d’entre eux, Jean‑Sébastien Ier (1535-1587). Autre rencontre capitale pour l’histoire de Dornach, celle de Jean-Henri Dollfus en 1756. C’est le début de l’aventure textile le long du Steinbaechlein où s’installent les usines tandis que les prés sont loués pour blanchir les draps. En 1789, à la Révolution, Dornach devient française tandis que sa voisine Mulhouse demeure alliée de la Suisse.

4 Le style est très agréable à lire, les chapitres illustrés avec soin. Un index des personnes et des lieux facilitent la recherche.

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Delrieu (Fabien), dir., Vestiges de voyages. 100 000 ans de circulation des hommes en Alsace Préface de Charles Buttner président du PAIR, Éditions Actes Sud/PAIR, 2011

Gabrielle Claerr-Stamm

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Delrieu (Fabien), dir., Vestiges de voyages. 100 000 ans de circulation des hommes en Alsace, préface de Charles Buttner président du PAIR, Éditions Actes Sud/PAIR, 2011

1 Ce livre est publié à l’occasion d’une exposition itinérante en 2011 et 2012 au Musée historique de Haguenau, au Musée historique de Mulhouse et au Musée archéologique de Strasbourg. Il invite à voyager dans le temps tout en présentant des découvertes thématiques portant sur l’organisation sociale, l’environnement, l’urbanisme, l’artisanat, le commerce ou l’alimentation des hommes qui se sont établis en Alsace, au cours des siècles.

2 Le plan est classique et suit un ordre chronologique depuis le paléolithique jusqu’au XXe siècle. Pour chaque période, les auteurs ont retenu des objets, des cartes mettant en lumière un déplacement de populations, l’apport d’une autre civilisation. Au paléolithique, Jean Detrey et Thomas Hauck ont retenu le thème de la chasse et des outils de pierre taillée, Christophe Croutsch, pour le néolithique évoque l’agriculture et une tombe campaniforme. L’âge du bronze rédigé par Thierry Logel s’illustre par l’économie du métal et les sites en hauteur, sites que l’on retrouve sous l’âge du fer, avec Michaël Landolt et Muriel Roth-Zehner. Le culte de Mercure et le commerce du verre a retenu l’attention de Pascal Flotté à l’époque gallo-romaine. Franck Abert retrace les grandes migrations de l’époque mérovingienne. Pour le Moyen Âge et à l’époque moderne, Jacky Koch, Maxime Werlé et Maurice Seiller évoquent le commerce du vin, le port de Strasbourg et l’auberge du Corbeau. Strasbourg qu’on retrouve au XXe

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siècle tout comme les mines de potasse et les pratiques alimentaires du soldat allemand dans les tranchées, par Philippe Kuchler et Michaël Landolt.

3 On notera la qualité des cartes qui illustrent les propos, les encarts bien choisis, les dessins mettant en scène les personnages et leurs outils.

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Wagner (Vincent), Seiter (Roger), Un été en enfer, Steegmann (Robert), Encart Éditions du Signe, Eckbolsheim, 2011

Alfred Wahl

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Wagner (Vincent), Seiter (Roger), Un été en enfer, Steegmann (Robert), Encart, Éditions du Signe, Eckbolsheim, 2011

1 L’ouvrage comporte deux parties distinctes. La première est une BD qui raconte le séjour de vacances (1942) d’un jeune strasbourgeois chez son oncle et sa tante qui exploitent une ferme proche du camp de concentration de Natzweiller-le Struthof. La seconde partie résume le fonctionnement du système concentrationnaire nazi et plus particulièrement du Struthof ; elle est rédigée par Robert Steegmann, l’auteur de publications sur le camp.

2 La BD retrace le voyage de Raymond et de son père à Rothau, puis au Struthof et quelques péripéties du séjour du premier près du camp. L’histoire est pleine de clichés conventionnels. Tous les personnages sont caricaturés. Cependant, il y a aussi un gardien plus humain mais qui ne peut pas le montrer car le système ne le permet pas.

3 Si l’historien n’a pas vocation pour juger du talent du dessinateur, il lui appartient de relever les erreurs manifestes du récit. Il n’y a pas de deuxième enfant comme il est dit page 3. Plus sérieusement, l’auteur du texte de la BD ne connaît pas la chronologie de l’histoire de la région. Conduisant son fils au Struthof, début septembre 1939, il ne pouvait pas, à la même date, le mettre dans le train de l’évacuation pour la Dordogne et ce pour trois ans. Et comment aurait-il alors pu se trouver à Strasbourg en 1942 ? Même invraisemblance dans le flash-back des pages 20 à 22.

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4 Écrite pour un public d’adulte (il vaudrait mieux le dire), la présentation du système concentrationnaire est excellente, dense et précise. L’incorporation de force est décrétée le 25 août et non en juin 1942.

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Thalmann (Hugues-Emmanuel), Munster et sa vallée, tome II Collection « Mémoire en Images », Éd. Alan Sutton, 2011

Gérard Leser

RÉFÉRENCE

Thalmann (Hugues-Emmanuel), Munster et sa vallée, tome II, collection « Mémoire en Images », Éd. Alan Sutton, 2011

1 Cet ouvrage de 128 pages, essentiellement composé de photos anciennes prêtées par des collectionneurs locaux, fait suite au tome I déjà consacré à la vallée de Munster. Il raconte en images la vie des habitants des communes de la vallée ainsi que de quelques fermes, entre 1900 et 1955 environ. Après une courte introduction, l’auteur s’applique à commenter les différentes photos qui sont autant d’instantanés des façons de vivre d’autrefois, et qui représentent pour la plupart des mondes disparus, soit détruits par les guerres ou de par l’évolution des techniques et de la vie sociale. Certaines illustrations sont remarquables de par leur originalité, ou rareté, car issues pour la plupart d’albums de famille ou de sources privées. Les différentes époques sont plus ou moins mélangées ou juxtaposées, ce qui donne un aspect très convivial mais un peu touffu. Quelques erreurs éparses sont à relever, et certains commentaires auraient pu être approfondis. Dans l’ensemble c’est un ouvrage qui apporte un éclairage intéressant sur l’histoire contemporaine de la vallée.

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Schwartz (Franck), Des usines au fil de la Fecht, le patrimoine industriel de la vallée de Munster Collection « Parcours du patrimoine », Éditions Lieux Dits, 2008

Gérard Leser

RÉFÉRENCE

Schwartz (Franck), Des usines au fil de la Fecht, le patrimoine industriel de la vallée de Munster, collection « Parcours du patrimoine », Éditions Lieux Dits, 2008

1 Cet ouvrage remarquablement bien illustré avec des photos anciennes mais aussi avec des photos actuelles, est issu d’une longue enquête de terrain judicieusement complétée par des recherches historiques. Après une introduction historique et technique solide, les différentes communes du canton de Munster sont passées en revue avec leurs sites industriels appartenant soit au passé soit encore en activité. L’auteur fait un inventaire précis du patrimoine industriel de la vallée et apporte de nouveaux éclairages très documentés sur un certain nombre de bâtiment ou de sites qui sont aujourd’hui en bout de parcours, ou en train de disparaître. Ce petit livre agréable à lire, destiné au grand public, est d’une grande richesse d’information et est un guide indispensable pour toute personne qui souhaite connaître et l’histoire industrielle de la vallée de Munster et le patrimoine encore existant.

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Raimbault (Jérôme), Une architecture pour l’estive, les marcairies de la vallée de Munster, Haut-Rhin Collection « parcours du patrimoine », Éditions Lieux Dits, 2010

Gérard Leser

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RÉFÉRENCE

Raimbault (Jérôme), Une architecture pour l’estive, les marcairies de la vallée de Munster, Haut-Rhin, collection « parcours du patrimoine », Éditions Lieux Dits, 2010

1 La vallée de Munster se caractérise par son patrimoine et son passé industriel mais aussi et tout autant par son activité pastorale, avec l’estive, les granges de montagnes et les marcairies d’altitude. Sur ce plan elle fait partie de l’écosystème culturel alpin. Pendant des siècles l’activité pastorale a été la seule source de revenus des habitants de la vallée, et leur a permis de vivre. Après une introduction historique rappelant les grandes lignes de l’histoire des paysans de montagnes de la vallée et de leurs fermes, l’auteur qui a une très bonne connaissance du terrain pour l’avoir parcouru pendant deux à trois années, étudie de manière novatrice divers types de marcairies d’altitudes, en passant en revue architecture, habitat, modes de vie, production, et les divers aspects de l’économie montagnarde. C’est un bonheur que de le suivre dans ses réflexions et pérégrinations, qui relient de manière vivante paysages et activité humaine. Quatre itinéraires qui sont autant d’invitations à la promenade et à la découverte des Hautes Vosges, version vallée de Munster, apportent une conclusion « pédestre » à ce guide passionné et passionnant. À mettre entre les mains des randonneurs et amoureux de la vallée de Munster.

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Forthoffer (Joël), Les ateliers ferroviaires de Bischheim, 1939-1948 Collection Mémoire en images, Saint-Cyr-sur-Loire, Éditions Alan Sutton, 2011, 96 p.

Nicolas Stoskopf

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Forthoffer (Joël), Les ateliers ferroviaires de Bischheim, 1939-1948, collection Mémoire en images, Saint-Cyr-sur-Loire, Éditions Alan Sutton, 2011, 96 p.

1 Joël Forthoffer présente un fonds de photographies prises – en réalité entre l’été ou l’automne 1940 et 1948 – par un dessinateur employé aux ateliers de Bischheim. Comme le veut la collection, le texte est réduit à très peu de choses, quelques introductions de chapitres et des légendes. Mais, ce qui est plus ennuyeux, c’est que les images elles- mêmes apportent très peu d’informations. Pour des raisons que l’on devine aisément, rien n’est montré du travail dans les ateliers : on ne voit que les manifestations officielles, des concerts, des appels, des discours, des défilés, de la propagande. À la Libération, on pénètre enfin dans les ateliers et on voit des locomotives en réparation. Les emblèmes changent, les banquets se font plus nombreux, mais le fond reste le même : concerts, discours, cérémonies officielles… La publication de ces documents est un acquis, mais elle ne fait qu’effleurer l’histoire de l’entreprise pendant la guerre.

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Neuwiller-les-Saverne, au fil des temps… Collectif « le Patrimoine » Neuwiller, Éditions de Provence, Forcalquier, 2011

Frédéric Kurtz

RÉFÉRENCE

Neuwiller-les-Saverne, au fil des temps… Collectif « le Patrimoine » Neuwiller, Éditions de Provence, Forcalquier, 2011

1 Faites une recherche sur Neuwiller-les-Saverne sur le catalogue de la BNUS et vous aurez 102 réponses ! Pourtant la lecture de l’éditorial de cet ouvrage sur l’histoire de Neuwiller, dû à Jeannette Boulay nous donne l’envie irrépréssible d’y aller voir de près, pour savoir si ce qu’elle dit est bien vrai, tant elle sait décrire en quelques phrases un village (une ville ?) à nul autre pareil. Mais à peine feuilletées les pages de l’ouvrage, qu’on est saisi par la qualité d’une maquette, qui met en valeur une iconographie somptueuse. Les textes sont à l’avenant, où Jeannette et Pierre Boulay ont à nouveau mis du leur. Mais ils ne sont pas les seuls. Citons également parmi d’autres, le pasteur Frantz, Robert Bittendiebel, François Uberfill, Iris Gutfried, Isabelle Gerber. Car il ne s’agit pas d’une œuvre individuelle, qui n’aurait sans doute pas réussi à réunir une aussi abondante iconographie, mais d’un travail collectif sur l’histoire de Neuwiller, entrepris par l’association Patrimoine, qui a déjà plusieurs publications à son actif. L’on parcourt l’ouvrage, passant de la description de l’histoire médiévale et moderne, avec ses églises et chapitres, à la Révolution et à l’Empire, avec une mise au point bienvenue sur le Neuwillerois le plus illustre, le Maréchal Clarke, due à René Reiss, au XIXe siècle et à nos jours. Là aussi, on va croiser Mérimée, qui sauve l’église et son successeur, le Strasbourgeois Boeswillwald, qui supervise le chantier de la restauration. Mais, on ne s’y occupe pas que des anciens monuments. En 1860, la municipalité remplace les 12 points d’eau à ciel ouvert qui desservent la ville à partir de deux sources canalisées mais qui servaient aussi d’égout, par des pompes Perreaux, et Neuwiller dispose aussi

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d’une maison de bains chauds, prolongeant vraisemblablement le service d’une (ou plusieurs) étuves médiévales. On relève dans une notice sur la population au XIXe siècle, que les aires matrimoniales des populations catholiques et protestantes de la localité ne se recoupent pas. Mais y a-t-il eu des mariages « mixtes » ? Les vies des paroisses des cultes semblent pourtant bien actives et se reflètent dans les belles galeries de photos collectées auprès des habitants et publiées en fin de volume, mais qui sont hélas dépourvues de légendes. Et il y aurait tant d’autres notices et images à relever ! Une histoire de village qui sort de l’ordinaire (le livre et le village) !

2 On peut se procurer l’ouvrage sur http://patrimoine-neuwiller.fr/resources/Bon-de- commande.png

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Les Actes du Cresat no9 Juin 2012, 82 pages

Frédéric Kurtz

RÉFÉRENCE

Les Actes du Cresat no9, juin 2012, 82 pages

1 Le petit annuaire du Centre de Recherches sur les Economies, les Sociétés, les Arts et Techniques de l’Université de Haute Alsace nous donne cette année dans le « compte- rendu des séminaires », outre une communication sur le parcours scientifique d’Olivier Thévenin, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’UHA, une information sur « le portail international archivistique francophone www.piaf- archives.org, un portail institutionnel et professionnel des archivistes, une communication intéressante par le professeur Hartmann sur l’évolution des recensements des conscrits et les problèmes qu’ils soulèvent dans leur interprétation et leur utilisation pour l’histoire des populations et l’histoire économique en général compte tenu de l’hétérogénéité des pratiques nationales. Les résumés de trois Masters nous sont présentés. Le Master de Benjamin Houard nous présente une étude fort passionnante et d’actualité sur la politique à l’égard de l’Islam, très active et déployée très tôt par la municipalité de Mulhouse et qui s’est heurtée assez vite à la fragmentation d’une population musulmane aux origines diverses. Une caractéristique : la Ville n’a guère profité des possibilités que lui donnait le droit local. Nul doute que ce Master sera étudié attentivement. Le Master de Clément Wisniewski sur « la nationalisation des MDPA au lendemain de la Première guerre mondiale » veut compléter l’ouvrage de Françoise Berthelot-Dieterich sur la naissance des MDPA (1997), fondé sur les procès-verbaux parlementaires. Pour éclairer les motivations des députés, Wisniewski reprend les sources d’archives et recense l’ensemble des intérêts privés qui veulent s’approprier les mines alors gérées par le séquestre et son administrateur le sénateur Paul-Albert Helmer. Mis au point laborieusement par le gouvernement de Bloc National, le projet de cession des lots du séquestre à des groupes privés est dénoncé à la Chambre et mis en échec en 1923. L’État doit se résoudre à l’exploitation directe. Enfin

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le Master d’Anne-Laure Nyari fait le bilan de l’articulation entre le Musée des confluences (ancien Museum d’histoire naturelle) de Lyon et, liée à ses expositions, une programmation de spectacle vivant, qui en faisant sauter les frontières entre institutions et genres doit assurer ou maintenir la visibilité du public sur l’institution programmatrice, le musée. L’annuaire 2012 nous fait enfin connaître les rapports sur les contrats de recherche, dont ceux portant sur « Mulhouse, gare centrale » piloté par Nicolas Stoskopf, et ceux qu’a animés Pierre Fluck sur les mines de l’Altenberg (avec une frise chronologique qui témoigne d’une activité qui s’étend du 9e au 15e siècle.

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In memoriam

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Roger Lehni (1936-2011) ou une histoire de l’Inventaire

François Pétry

1 Roger Lehni est décédé le 30 octobre 2011, à l’âge de 75 ans. Il était né à Mulhouse en 1936. Sa mère était Alsacienne, mais, du point de vue du caractère et dans sa façon de fonctionner, Roger Lehni apparaissait surtout marqué par l’ascendance suisse de son père1. Il a été marié à Nadine Léonet et de cette union est née une fille. Par un engagement fort dans son activité professionnelle, Lehni s’est acquis des mérites durables : à titre institutionnel à la DRAC – Direction régionale des affaires culturelles –, il a eu en charge l’Inventaire des richesses artistiques de l’Alsace pendant quelque 37 ans. Ayant exercé des fonctions dans le domaine de l’archéologie notamment, parallèlement à Roger Lehni, le témoignage que je fournirai est en quelque sorte collatéral, de l’intérieur aussi de la « maison » et forcément quelque peu subjectif.

2 L’histoire professionnelle de Roger Lehni reste entièrement liée à l’Inventaire, mais, il convient de le préciser d’entrée, son action ne s’est pas cantonnée à la région Alsace, elle eut également une portée nationale et même, quelquefois internationale.

3 Au milieu des années 1960, l’inventaire des richesses artistiques n’est pas une chose tout à fait nouvelle en Alsace : il y avait déjà eu divers essais depuis Schoepflin et Silbermann, jusqu’aux travaux de Kraus ou Wolff notamment, certains étant même fort réussis pour leur temps2. L’ouvrage, Strassburg und seine Bauten paru à Strasbourg, chez Trübner, en 1894, à l’initiative de l’Architekten- und Ingenieur-Verein für Elsass-Lothringen, avec ses 686 pages et ses 655 plans et figures pouvait également, par son ouverture sur

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les bâtiments historiques (Cathédrale, etc.) et les réalisations les plus modernes, constituer un modèle intéressant. Mais, le parti général de l’Inventaire des richesses artistiques de la France n’a pas été au départ une ouverture sur la modernité urbaine ou sur l’industrie.

4 L’Inventaire a été d’abord le souci d’historiens de l’art. On ne peut manquer de souligner le rôle considérable du Prof. Louis Grodecki, de l’Institut d’Histoire de l’Art de l’Université de Strasbourg, qui éprouvait un vif intérêt pour ces questions et travaillait avec André Chastel sur ce sujet depuis 1960. Louis Grodecki a été, avec André Chastel, l’un des deux fondateurs de l’Inventaire en France. Avec Chastel, il a contribué à la mise au point de premières fiches qui étaient destinées aux enquêtes. Chastel devait, plus que Grodecki, s’engager ensuite dans le fonctionnement et la marche de l’Inventaire, préparant des documents pour le IVe Plan, etc. Louis Grodecki avait orienté certains de ses étudiants vers des analyses de catégories d’édifices, ainsi les églises gothiques d’ordres mendiants (Roland Recht), les églises du XVIIIe siècle (Roger Lehni) ; il devait initier aussi une enquête, alors fort neuve, sur l’art 1900 à Strasbourg. C’est lui qui a formé une partie des premiers chercheurs de l’Inventaire en Alsace.

5 Pour amorcer l’Inventaire des richesses artistiques, plusieurs régions-tests devaient être d’abord retenues : Grodecki est certainement à l’origine du choix de l’Alsace parmi ces régions (il y avait aussi la Bretagne et la Bourgogne). Roger Lehni avait été longtemps un élève de Grodecki, il figurait parmi les quelques diadoques de celui-ci, en attente d’une charge d’enseignement à l’Université. Il finit cependant par passer un concours d’enseignement (CAPES) et s’apprêtait à rejoindre un poste d’enseignement du secondaire, lorsqu’il a été mis devant un choix : il a rappelé, à diverses reprises, qu’on lui a laissé 24 heures pour se décider à s’engager dans l’aventure de l’Inventaire dont les perspectives n’étaient pas dessinées. Il fit, en 1964, le choix de ce métier où tout était à créer.

6 Roger Lehni entreprit alors de constituer, autour de lui, une équipe. Parmi les équipiers des premières années, on peut citer – sans être exhaustif – , des chercheurs, frais émoulus de l’Université, comme Marie‑Philipe Scheurer, Brigitte Parent, Klaus Nohlen ou des photographes comme Christiane Wild-Block d’abord, puis Jean-Claude Stamm, Jean Erfurth, Bernard Couturier ; certains ont effectué toute leur carrière aux côtés de Roger Lehni. Quelques conservateurs et photographes partirent d’Alsace et certains exercèrent des responsabilités d’importance. Il y eut aussi des relèves, un étoffement de l’équipe, ainsi avec Gilbert Poinsot, puis quasiment à une petite génération d’intervalle avec les premiers, avec Alain Hauss, Jean Menninger et bien d’autres plus récemment encore.

7 À tous, Roger Lehni a su faire partager sa passion et son engagement. Au cours des premières années, le jeune groupe de l’Inventaire donnait même l’image d’une forme de phalanstère travaillant dans l’enthousiasme, sans compter les heures sur le terrain. Selon des témoignages, les jours d’été (période principale d’enregistrement sur le terrain) pouvaient, avec Roger Lehni, être sans fin. Même si R. Lehni a assuré plus tard avoir voulu faire ce métier « non pas pour faire des découvertes » mais « pour servir » – ce qui fut exact –, il est vrai qu’il y eut beaucoup de découvertes dans des sacristies, dans des combles d’édifices publics et qu’elles furent bien stimulantes. On peut rappeler que, dans bien des secteurs, des figures bien connues des sociétés savantes d’Alsace avaient réalisé à la demande de R. Lehni des formes d’inventaire préalable, remplissant des fiches en nombre et alimentant ainsi le secrétariat régional en

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informations, également qu’une partie de ces érudits (Robert Will et Pierre Schmitt) ont participé activement à la Commission régionale d’Inventaire. Dans certains secteurs, le Service régional d’Inventaire d’Alsace (SRIA) a bénéficié de concours notables, qu’il s’agisse ici d’Antoine Gardner, ailleurs d’Alphonse Wollbrett ou de Henri Heitz ou encore du Dr Krieg, d’Anne‑Marie Hickel et de l’abbé Stehlé… et de bien d’autres.

8 L’objectif ultime, le Graal, proposé par Roger Lehni à son équipe était la couverture de l’Alsace en 2000, soit à échéance d’une bonne trentaine d’années, ce qui relevait d’une utopie totale. Toute une communication, externe et interne, tournait autour de cet objectif. Lehni avait certainement en tête une planification assez générale sur toute cette période. À ma connaissance, une planification sur deux ans était affirmée ; ainsi des agents du Service de l’Inventaire savaient-ils ce qu’ils auraient à faire dans un terme assez lointain, mais ils ressentaient aussi la nécessité d’achever tel travail avant de passer, par exemple, au canton suivant qui leur était affecté. On ne peut nier que ce programme quasi-sacralisé mettait une certaine pression sur les chercheurs.

9 Réaliser des opérations systématiques et cohérentes de couverture du terrain (architecture, sculpture ou peinture, description des objets domestiques, etc.) supposait la création et la mise à disposition des chercheurs d’outils méthodologiques. Des opérations-tests eurent lieu pour les analyses d’habitat, ou spécifiquement pour la sculpture : ainsi, furent retenus le canton de Carhaix en Bretagne et celui de Sombernon en Bourgogne ; l’Alsace fut aussi une terre d’expérimentation. L’équipe de Roger Lehni traita la commune d’Ottmarsheim (en raison de l’intérêt majeur de l’église) et une rue de Strasbourg (rue de l’Épine), ces études-tests furent publiées.

10 On ne peut manquer d’évoquer, ici, le rôle de la « Centrale » (au départ, la « Commission nationale chargée de préparer l’établissement de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France »), dont Roger Delarozière avait été nommé Secrétaire général en 1964. R. Delarozière3 a fait partie des quelques grands administrateurs, anciennement coloniaux, qui ont permis à un ministère neuf, comme l’était celui de la Culture, sans structure et sans fonds de doctrine, de se donner du corps. C’est lui qui suscita et valida les documents de travail. De nombreux ouvrages de référence furent mis au point pour les domaines cités plus haut ; ces ouvrages (Vocabulaires, méthodologie descriptive, Dictionnaire de l’Architecture) connurent parfois plusieurs formes jusqu’aux versions définitives du milieu des années 1970. Une collaboratrice de Roger Delarozière, Marie-Thérèse Baudry, eut, à ses côtés, un rôle important dans la mise en forme éditoriale et la publication de ces ouvrages. Les avancées de l’Inventaire en Alsace furent, bien entendu mises à profit. Il y eut aussi, fort tôt, un intérêt pour le codage, pour les premières formes de l’informatique, domaine où Jean‑Claude Gardin, archéologue, qui avait mené l’enregistrement systématique d’opérations de prospections archéologiques en Bactriane, joua un rôle : le SRIA se mit un temps aux fiches perforées. De premières opérations photogrammétriques furent réalisées, l’un des objets d’étude fut la Cathédrale de Strasbourg, et, bien sûr, l’Inventaire d’Alsace fut associé.

11 Les diverses équipes missionnées dans les cantons étaient ainsi bien armées dans le domaine de l’analyse et de la doctrine. Roger Lehni a mené la barque de l’Inventaire d’Alsace avec intelligence et habileté. En ce qui concerne le choix des secteurs d’étude, il prit clairement le parti de laisser d’abord les grandes villes de côté4. La priorité a été donnée à quelques cantons d’entrée de vallée (Thann, Saverne, Guebwiller) : ces

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cantons présentaient à la fois des grands monuments (St-Thiébaut à Thann, châteaux et églises de Saverne, grandes églises de Guebwiller) et une diversité d’autres monuments importants et intéressants à documenter. Lehni devait ainsi nouer des contacts avec de grands élus (Schielé, Zeller, Haby). Très vite, des contacts ont donc pris forme avec les conseils généraux des deux départements, puis, à partir de sa création en 1973, avec le Conseil régional d’Alsace. Dans le choix des études de cantons, le SRIA a pratiqué systématiquement une alternance équilibrée des départements. Les publications étaient un des temps forts de l’activité de l’Inventaire. Avec raison, Roger Lehni a toujours porté une attention « maniaque » aux publications, suivant de façon tatillonne le travail rédactionnel, gérant le choix des maisons d’édition, se montrant sourcilleux sur la mise en page. Le résultat est là : les publications de l’Inventaire portent la marque durable de la qualité.

12 Une bonne communication était ensuite développée, avec en premier lieu les ouvrages produits par l’Inventaire, mais aussi par le biais d’expositions comprenant des photographies, relevés, etc. Ces expositions ont été multipliées dans les cantons, dans les grandes villes (avec au moins une présentation à Paris) jusque dans les années 1980. R. Lehni a fort bien communiqué également par le biais de tableaux et cartes, ces dernières montraient la progression de la couverture du territoire. J.‑Ph. Meyer a rendu excellemment compte de la réalité du travail effectué, on se référera à son travail paru précédemment dans la Revue d’Alsace5 : évolution des méthodes d’enregistrement, types de publications, schémas montrant les types et formes de couverture par les publications. Les premiers ouvrages (relevant de l’Inventaire fondamental) apparaissent irremplaçables, mais on n’imagine plus de telles réalisations, ne serait-ce qu’en raison de l’évolution du droit de l’image, etc. Avec ses publications, ses résultats cartographiés, R. Lehni a gagné durablement le concours des collectivités. Deux associations successives, présidées par un élu, ont ainsi collecté des financements issus des collectivités, qui venaient largement abonder les moyens fournis par l’État.

13 On rappellera également l’ouverture de Roger Lehni sur ce qui s’était fait et se faisait toujours au-delà des frontières (particulièrement en Allemagne et en Suisse), ce qui le distinguait certainement d’un bon nombre de ses collègues nationaux. Après une quinzaine d’années d’expérience et un bilan déjà remarquable, également en raison de contacts entretenus précisément avec des voisins allemands (comme Hans Jakob Wörner) et suisses du monde de l’Inventaire, R. Lehni était armé pour organiser un colloque sur l’Inventaire qui allait faire date. En 1980 (année déclarée en France comme étant du Patrimoine), ce colloque sur les Inventaires des biens culturels en Europe eut lieu principalement au Bischenberg du 27 au 30 octobre, sous la présidence d’André Chastel. Ce colloque a réuni, pour la première fois, un assez grand nombre de pays (représentants de la plupart des pays européens, ainsi que quelques participants extra-européens, d’Afrique et d’Amérique) et a permis d’examiner les formes des inventaires des divers pays européens et ainsi de multiplier les échanges. Lehni fut bien entendu la cheville ouvrière des Actes de ce colloque : cet ouvrage6 parut en 1984 (sous forme de Cahiers de l’Inventaire No spécial).

14 En 1992, dans une continuité certaine de ce premier colloque, un nouveau colloque fut organisé à Nantes, cette fois-ci, par le Conseil de l’Europe et le Ministère français de l’Éducation nationale et de la Culture : ce nouveau colloque eut pour suite une Recommandation du Comité des ministres aux États membres relative à la coordination des méthodes et des systèmes de documentation en matière de monuments historiques

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et d’édifices du patrimoine architectural, cette Recommandation fut publiée par le Conseil de l’Europe en décembre 2001.

15 S’il a joué d’évidence un rôle majeur dans les commissions spécifiques à l’Inventaire, régionales et éventuellement nationales, il a eu également un rôle très apprécié dans les commissions régionales des monuments historiques, où ses avis toujours très solides et motivés étaient pris en compte. Il a fait partie aussi de comités de sociétés savantes et a trouvé, parfois, le temps de publier des travaux plus personnels, qui n’étaient pas en relation directe avec les dépouillements en cours de l’Inventaire. Trois centres d’intérêt importants ont particulièrement sollicité son attention : l’église d’Ebersmunster, dans la continuité de ses recherches avec Grodecki, le Haut- Koenigsbourg et surtout la Cathédrale, qu’il connaissait excellemment et à laquelle il a consacré quelques articles majeurs. S’il a publié des petits ouvrages et des articles importants, notamment sur ces derniers sujets, la mobilisation que nécessitait le Service ne lui a pas laissé le temps de s’y consacrer autant qu’il l’aurait souhaité.

16 Ceux qui ont travaillé avec Roger Lehni ou ceux qui lui ont rendu visite se souviennent des rencontres qui avaient lieu dans l’un des bureaux qu’il a occupés au Palais du Rhin : un premier bureau – au rez-de-chaussée – auquel on accédait après filtrage par deux secrétaires (dont longtemps Catherine Marco) était constitué d’une pièce toute en longueur, enfumée aussi, car un temps, Lehni fumait beaucoup. Là, les discussions, toujours techniques et concrètes, avaient lieu sous un tableau de Jo Downing ; ultérieurement, dans son bureau de l’étage, il avait accroché des œuvres de Godwin Hoffmann ou d’Annie Greiner et il affirmait ainsi toujours son goût pour l’art abstrait. Lehni a ainsi été l’un des rares en DRAC, à montrer son intérêt et son soutien pour l’art contemporain. Il s’intéressait également à la musique, à la littérature7.

17 On ne peut manquer d’évoquer la situation singulière de l’Inventaire dans l’administration plus large de la DRAC. Par rapport aux autres services de l’État en région (Équipement, Agriculture, etc.) qui étaient clairement sous le contrôle des Préfets de région notamment, les divers services des DRACS présentaient la particularité d’être des services dits « extérieurs » de l’État, en d’autres termes ils dépendaient directement des bureaux et services centraux du Ministère. Ceux-ci approuvaient la programmation scientifique, délivraient les crédits que les chefs de service en région recevaient longtemps sur des comptes spécifiques. Il existait cependant, notamment dans les quelques grandes préfectures de l’Est de la France (Metz, Strasbourg par ex.), un conseiller culturel auprès du Préfet. Ce conseiller culturel (attaché au Cabinet du Préfet) suivait les questions de Théâtre, d’Opéra, etc. avant que des conseillers spécifiques n’apparaissent aussi dans les DRAC. De tous les services culturels en région, le service des Monuments historiques (un temps Conservation Régionale des Bâtiments de France, puis Conservation régionale des Monuments historiques) a eu, d’abord et longtemps, le plus de visibilité (par l’importance des travaux et les coûts engagés) et attirait donc davantage l’attention du Préfet et de ses services. En d’autres termes, dans les années 60, au moment de la création de l’Inventaire, et jusqu’au début des années 70, l’Inventaire comme les deux Directions régionales des Antiquités (préhistoriques et historiques) disposaient d’une certaine autonomie et rendaient compte surtout aux bureaux centraux. Au vu du développement de l’activité de ces services (Inventaire comme Archéologie), qui se signalaient par une multiplication d’opérations de terrain, par des contacts répétés avec des représentants de collectivités, les Préfets avaient des retours. Pour mieux

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harmoniser ces fonctionnements assez divers, des directeurs régionaux (Dracs), chefs de l’ensemble des services de la DRAC, ont donc été mis en place, en 1969, d’abord à titre d’opérations-tests dans cinq régions, dont l’Alsace ; la généralisation de cette mesure ne s’est effectuée sur l’ensemble du territoire national qu’en 1977. La définition des fonctions des Dracs devait évoluer également, leurs attributions pouvaient même varier selon les Préfets.

18 À la DRAC Alsace, les choses se sont d’abord plutôt bien passées, particulièrement avec Jean Dumas, premier directeur des affaires culturelles ou avec Gilbert Monteil qui devait lui succéder. On ne peut occulter le fait qu’ultérieurement des difficultés surgirent, à certains moments, entre tel Drac et certains des services patrimoniaux qui représentaient, dans la DRAC, des « poids lourds », du point de vue de certains, trop autonomes. Il y eut, après les années tranquilles, bénéfiques pour les services, telle guerre picrocholine entre un Drac et un conservateur des Monuments qui se conclut, après inspections générales réciproques, etc., par le départ d’Alsace des deux. Un Drac suivant, peut-être en mal d’autorité, ne trouvait apparemment pas la situation de services patrimoniaux et les liens noués par ceux-ci avec les Collectivités et quelques grands élus conformes à son sens du fonctionnement de l’autorité. Peut-être en raison d’un mode de fonctionnement antérieur8, des formes de correspondants furent alors privilégiés dans ces services. Un conflit prolongé, entre ce Drac et Roger Lehni notamment, marqua ces années-là. Ce type de situation ne facilitait pas un fonctionnement serein de service et fut certainement bien éprouvant pour Lehni.

19 Roger Lehni disposait de solides soutiens à Paris, comme dans l’ensemble des services de l’Inventaire. Il fut, les dernières années, appelé plus souvent à Paris, participait à des groupes de réflexion, mais il resta fidèlement attaché à son poste en région. Parfois pour des administrateurs en Centrale, ce type d’attachement apparaît peu compréhensible : si pour eux, en Centrale, le maintien dans les services est la règle dominante, en contrepartie, dans les services extérieurs (devenus « déconcentrés »), la mobilité leur apparaît plus que recommandée. La spécificité de l’Alsace9, la double culture que nécessite le passé de la province surprennent. L’ouverture qui peut exister avec les pays voisins, ainsi des échanges répétés avec l’Allemagne et la Suisse ne sont pas toujours bien compris.

20 Au cours de ses dernières années d’activité professionnelle, Roger Lehni connut aussi fâcheusement quelques soucis de santé. Mais, malgré quelques vents mauvais, il a pu tenir le cap. D’une certaine manière, il a réussi, au-delà d’une espérance raisonnable, à mener à bien l’essentiel de son projet initial, ayant couvert avec son équipe, au moment de son départ quelque 90% du territoire alsacien.

21 Roger Lehni a tenu un rôle tout à fait éminent dans la fabrication du patrimoine et il en a eu conscience. Au cours de sa retraite, les soucis de santé n’ont pas ménagé Roger Lehni. L’âge venant et la maladie l’ont probablement empêché de produire le grand ouvrage que certains attendaient de lui sur la Cathédrale de Strasbourg. L’âge aussi l’avait rendu sage : dans un discours, au moment de la remise des Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire où ses collaborateurs avaient fourni bien des contributions et où quelques-uns, cependant, n’avaient pas tenu les délais et pu achever leur projet, il s’amusait un peu de cette situation, et citait Erasme parlant de la déraison de ces savants qui, pour écrire des ouvrages, « ne cessent de se torturer ». Peut-on ou faut-il déplorer l’absence du Lehni sur la Cathédrale ? Non, car il a publié un

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bon nombre de contributions de haut niveau sur la Cathédrale et surtout il a construit beaucoup de cathédrales par ailleurs.

NOTES

1. À titre d’illustration, on rappellera un petit épisode : Jean Dumas, en charge de la direction régionale (l’Alsace a fait partie, à partir de 1969, des quelques régions, où les missions de directeur régional des affaires culturelles ont été testées), avait fait savoir à deux de ses collaborateurs, dont Roger Lehni, au tout début des années 70, qu’il entreprendrait des démarches pour leur obtenir une décoration : à sa grande surprise, il avait essuyé deux refus, Lehni justifiant son opposition à toute décoration en faisant valoir son ascendance suisse… 2. En dernier lieu, tous ces essais ont été listés dans le travail documentaire fort intéressant pour la connaissance de l’histoire de l’Inventaire publié par Jean‑Philippe Meyer, « Le Service de l’Inventaire du Patrimoine culturel et sa documentation », Revue d’Alsace, no134, 2008, 389‑417. 3. Roger Delarozière devait passer quasiment du pays bamiléké à la Culture. Après avoir structuré solidement l’Inventaire, il fit un « tour extérieur », comme Drac en PACA, et revint ensuite en Centrale pour organiser avec la même efficacité un second département de ce ministère, l’archéologie : il transforma le maigre Bureau des fouilles en un Service de l’Archéologie (ultérieurement Sous-Direction, comme l’Inventaire ou les Monuments) et posa, là- aussi des bases solides et durables. 4. Ce choix était, à la fois scientifique, priorité étant donnée au départ à tous les monuments et objets intéressant l’histoire de l’art (l’intérêt était quasi-inexistant à ce moment-là pour le patrimoine industriel) et d’une certaine manière politique, avec l’idée de couvrir un maximum de cantons et de susciter ainsi l’intérêt des grandes collectivités. Du fait des destructions multipliées, à la fin des années 60 et au cours des années 70, dans les secteurs urbains, par exemple à Strasbourg, une petite cellule de veille et d’enregistrement fonctionnait avec Brigitte Parent. 5. Article cité, voir note 2. 6. Actes du colloque sur les inventaires des biens culturels en Europe, Centre d’études du Bischenberg, Obernai-Bischoffsheim (Bas-Rhin), 27-30 octobre 1980. Paris, Nouvelles Editions Latines, 1984, 539 p. 7. Sur certains de ses centres d’intérêt, voir Benoît Jordan (ancien de l’Inventaire encore avec R. Lehni), « In memoriam : Roger Lehni (1936-2011) », Bulletin fédéral, no122, décembre 2011, p. 4. 8. Un hebdomadaire satirique national devait signaler, au moment de la nomination de ce Drac qui venait de Berlin, qu’il avait relevé antérieurement du Renseignement : ceci ne fut pas démenti. 9. On peut évoquer la surprise d’un sous-directeur de Ministère – excellent administrateur au demeurant – venant pour la première fois en DRAC Alsace et s’étonnant devant l’architecture de la Place de la République et de secteurs de la Neustadt : « Mais, on se croirait à Berlin, ou à Budapest ! ».

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AUTEUR

FRANÇOIS PÉTRY Conservateur en chef honoraire du patrimoine

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La Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

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La Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

Relations transfrontalières

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Chez nos voisins d’Outre-Rhin

François Igersheim

Le tome 160 – 2012 de la Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins

Articles

Walter Berschin Eine unter dem Namen des Venantius Fortunatus auf der Reichenau 1-11 Rolf Schmidt überlieferte Explanatio fidei der Karolingerzeit

Sancte Blasi, qui peregrinus his locis, sicut et ego, esse cognosceris. Zu Findan Klaus Gereon von Rheinau, der Vita Findani und der Übertragung der Blasiusreliquien 13-32 Beuckers in die Albzelle von St. Blasien

Reges Salici. Anmerkungen zur Historiographie und zur jüngsten Adolf Laufs 33-48 Salierausstellung in Speyer

Die Geschäfte des Grafen Eberhard von Nellenburg. Zur Ausstattung des Hans-Dieter Klosters Allerheiligen in Schaffhausen und zu Herkunft und Umfeld 49-104 Lehman seiner Stifter

Konflikt – Kompensation – Kooperation. Zähringer und Staufer in Thomas Zotz 105-129 Region und Reich

Simon Maria Erzählte Geschichte der Welt – Geschichte der erzählten Welt. 131-164 Hassemer Narrativität und Diegese der Straßburger Twinger-Chronik

Thorsten Das Heidelberger Franziskanerkloster als Grablege der Pfalzgrafen bei 165-182 Huthwelker Rhein und ihres Hofes

Klaus H. Der Oberrheinische Revolutionär und Jakob Merswin. Einige 183-223 Lauterbach Anmerkungen zur neuesten Verfasserthese

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Helmut Die Herren von Aschhausen zu Merchingen. Eine wenig bekannte 225-251 Neumaier Reichsritterfamilie im Bauland

Maximilian Größer und berühmter als Aeneas: Johann Casimir. Zwei Gamer Gelegenheitsgedichte des Frankenthaler Apothekers Henric Mirou von 253-274 Jörg 1592 an den kurpfälzischen Hof Diefenbacher

Die Stadt ein Dorf. Zum Hausbuch der beiden Colmarer Schuhmacher Fabian Brändle 275-289 Mathias Lauberer, Vater und Sohn

Kurt Der Reichsritterkanton Kraichgau. Grundlinien seines Bestands und 291-338 Andermann seiner Verfassung

Der Bologneser Miniaturist Raimondo Manzini und die frühe Ulrike Seeger Ausstattungsgeschichte von Schloss Rastatt. Ein Beitrag zur Kunst im 339-370 Dienst militärischer Verbindungen

Die Korrespondenz Voltaires mit Kurfürst Carl Theodor und anderen Jörg Kreutz 371-410 Repräsentanten des kurpfälzischen Hofes

Eine ehrenvolle aber fürchterliche Aufgabe. Freiherr Johann von Türckheim Joachim Brüser als Straßburger Abgeordneter auf der Nationalversammlung 1789 in 411-435 Versailles

Eine steile Beamtenkarriere im Übergang der Kurpfalz an Baden: Patrick Friedrich Wilhelm Beck, Administrationsschaffner zu Kreuznach und 437-492 Heinstein rheinpfälzischer Generallandeskommissariatsrat zu Mannheim

Matthias Die aus Urkunden und Akten gekelterten Weine sind Schlaftrunke. Alexander Steinbach Uwe Cartellieri (1867-1955) als Karlsruher Archivar in seinen Tagebüchern 493-559 Dathe und Erinnerungen

Christopher Unterstützung, Solidarität, politisches Erbe. Der Schwabe Matthias 561-599 Dowe Erzberger und die Badische Zentrumspartei

Raum und Leben: Überlegungen zum Verhältnis von Biographik und Philipp Gassert Landesgeschichte aus Anlass des Abschlusses der „Badischen 601-614 Biographien”

Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins de l’année 2011

1 Conforme à une règle désormais établie, la Revue d’Alsace 2011 a publié la table de la ZGO 2011 (p. 600-603). Nous en parcourrons ici les articles, pour porter à la connaissance du lecteur les articles qui peuvent intéresser l’historiographie alsatique.

2 Le R.P. Bornert nous donne d’entrée de jeu un long tableau sur les rapports des monastères bénédictins et cisterciens d’Alsace avec les cultures dominantes et la langue

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populaire : Zweierlei Kultur und Zweisprachigkeit in den elsässischen Benediktiner- und Zisterzienserklöstern vom Frühmittelalter bis zur Neuzeit, p. 1-63.

3 Il part du point de vue qu’il lui paraissait difficile de placer un volume Alsace, tel quel, dans la série d’études entreprises par l’Académie bénédictine allemande dans la Germania benedictina. Pas plus qu’on aurait pu l’intégrer dans une Gallia monastica, « série » française qui, il est vrai, n’a pas dépassé son premier volume. Mais il a désormais résolu le problème avec son « Alsatia Monastica ». Les Monastères d’Alsace, sept volumes Editions du Signe, Strasbourg, 2009-2011, (CR Claude Muller, RA 2011, p. 545).

4 Cette position initiale le conduit à examiner les 13 siècles de monachisme bénédictin et cistercien en Alsace en s’interrogeant sur ses rapports avec la culture dominante, celle des pouvoirs, et la langue populaire. Bien sûr, les monastères des rois mérovingiens et empereurs carolingiens et ottoniens, essentiellement Wissembourg et Murbach, ont joué leur rôle dans la « renaissance carolingienne » alliant le latin et la langue populaire franque ou alémanique. Par contre, avec Seltz, Cluny prend la mesure du peu d’influence d’une impératrice et ne parviendra pas à prendre racine en Alsace du Nord et se borne à une zone d’influence dans le Sud de l’Alsace (Altkirch, Feldbach, Thierenbach). La réforme passera par Hirsau. Au XIIe siècle se posent les rapports entre la langue romane des abbés clunisiens et le parler alémanique (idioma…illius regionis, lingua patriae) des monastères clunisiens. Les abbayes cisterciennes se placent par principe sous la protection des empereurs ou rois. Le latin est la langue du culte, l’alémanique la langue de la communication. Mais les liaisons avec une maison mère bourguignonne et les débats du chapitre général y assurent la présence du français (Lucelle, Pairis, Baumgarten). D’autant qu’avec l’essor des études universitaires, Paris s’impose comme étape des études de l’élite monastique et des futurs abbés. La réforme bénédictine promue par l’Union de Bursfeld, (à partir du milieu du XVe siècle) connaît un succès mitigé en Alsace. Tout comme l’abbaye de Bursfeld elle-même, un certain nombre d’abbayes sont sécularisées (Wissembourg) et leurs abbés se convertissent au protestantisme (Honcourt). Les évêques de Strasbourg jouent un rôle plus important, encourageant l’adhésion (Jean de Manderscheid) ou l’interdisant purement et simplement (Léopold de Habsbourg) et la remplaçant par une « congrégation bénédictine de Strasbourg » qui s’étend aussi à la rive droite – l’Ortenau, faisant alors partie du diocèse de Strasbourg (Schwarzach, Gengenbach, Schuttern, Ettenheimmunster)– ; ces monastères sont très marqués par la spiritualité d’Ignace de Loyola et par les jésuites. Les Habsbourg, évêques de Strasbourg, étant aussi archiducs d’Autriche antérieure, étendent cette politique aux abbayes du diocèse de Bâle. La monarchie française, obligée de respecter le concordat germanique doit consentir à l’élection des abbés et renoncer à sa volonté de désigner entre trois candidats, mais elle interdit le vote de non-régnicoles et exerce toute son influence sur les suffrages ; Charles Colbert passe à la postérité avec son mot « le Saint-Esprit est aux ordres du Roi » lors des élections de l’abbé de Munster. En 1683, Dom Mabillon avait entrepris son « Iter germanicum » et visité nombre d’abbayes bénédictines alsaciennes, leurs bibliothèques et leurs archives ; il s’étonne de tomber dans des communautés parlant l’allemand. « Les moines allemands, écrit-il, expriment leur piété dans la splendeur des églises baroques, la musique instrumentale et chorale ». On n’est pas obligé de croire Grandidier pour qui les bénédictins ne s’occupaient que de leurs tables et de leurs caves, toujours est-il que c’est aux mauristes, Dom Thuillier et Dom Ruinart, que le cardinal de Rohan s’adresse pour une nouvelle rédaction du Rituale Argentinense du diocèse de Strasbourg, et c’est au jeune archiviste des évêques-princes de Strasbourg –

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Grandidier – que l’on fait appel pour l’histoire de la province d’Alsace, dans le cadre des chantiers historiographiques que, de moins en moins nombreux cependant, les mauristes ouvrent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Dans le diocèse de Bâle, après un intermède d’adhésion à la congrégation de Weingarten ou de Souabe (1646-1656), Munster au Val Saint-Grégoire élit un abbé issu de Saint-Germain-des-Près et adhère à la congrégation lorraine de saint Vanne. Quant à Murbach, son destin est déterminé par la politique française. Ayant refusé en 1718 les conditions d’adhésion qui lui étaient fixées par la congrégation de Strasbourg, elle sera en fin de compte sécularisée en 1759. L’influence française est encore plus nette chez les cisterciens. Bien qu’en 1624, le chapitre général de Cîteaux ait réorganisé l’ordre et intégré les abbayes alsaciennes dans une province d’Alsace-Suisse de la Congrégation cistercienne de Haute-Allemagne, les cisterciens alsaciens participeront à l’essor de la contre-réforme et du baroque comme leurs confrères du Brisgau ou de Suisse. Là encore, la France fait élire des abbés formés en France. Régnicoles, les abbés de Neubourg, Pairis, Lucelle siègent comme abbates exteriores dans les chapitres généraux de Cîteaux, alors que les abbés lorrains pourtant encore étrangers, siègent comme abbates Galliae. Lorsque intervient la Révolution, la vie monastique semblait un fleuve tranquille et rayonnait dans la pastorale paroissiale et l’animation des pèlerinages. Elle s’effondra d’un seul coup. À Lucelle, sur les 38 moines, 14 prennent le chemin de l’émigration, 13 prêtent le serment à la Constitution. Nombre de moines émigrés, quelque fois rattrapés par la sécularisation dans l’Empire germanique, reviennent en Alsace sous le Consulat et l’Empire. Désormais, l’histoire des congrégations alsaciennes fait partie de l’histoire religieuse de France, marquée par les refondations post-révolutionnaires. Bien sûr, les conflits nationaux laissent leur trace sur cette histoire comme en témoigne l’Oelenberg, cette Trappe alsacienne fondée en 1825. Le développement des congrégations religieuses féminines appartient lui aussi à un chapitre tout neuf de l’histoire religieuse, de l’histoire sociale et culturelle, de l’histoire des femmes. En ce qui concerne les ordres anciens, on peut conclure par cette formule de l’auteur : « les vocations religieuses alsaciennes trouvent un milieu plus favorable à l’idéal qu’elles poursuivent dans les communautés françaises que dans le cadre très réglé des grandes abbayes allemandes ». Témoignage autant qu’opinion d’historien ? C’est donc une fresque très vaste que brosse le R.P. Bornert, et qu’il n’a sans doute pas voulu rallonger. Eut-il gagné à approfondir les notions de cultures (Zweierlei Kultur) ou de bilinguisme (Zweisprachigkeit) ? S’agit-il seulement, de l’influence qu’exerce le pouvoir fondateur ou protecteur ? S’agit-il de multilinguisme : latin ? allemand ? français ? Dans cet Empire « multi-national » qu’est le Saint-Empire, qui compte d’ailleurs des territoires de langue vernaculaire française, les monastères bénédictins alsaciens sont-ils exceptionnels ? S’agit-il donc aussi de la culture et de la nationalité d’une historiographie marquée par les deux derniers siècles, thème abordé par les dernières pages ? Tous ces pistes contribuent à enrichir un article qui reprend les thèmes abordés dans l’irremplaçable « Monastères d’Alsace » du P. Bornert.

5 Dans le survey qu’il fait des développements récents de la recherche sur la maison paysanne et le village, Werner Rösener, Bauernhaus und Dorfentwicklung im Hochmittelalter. Beobachtungen zu ländlichen Innovationen im südwestdeutschen Raum p. 65‑99, fait un point d’étape important, qui vaut aussi pour l’Alsace, (mais accroit notre regret qu’il n’y ait pas encore de travail analogue pour notre région). Relevons les résultats auxquels parvient l’archéologie et l’analyse des sources écrites (urbaires, terriers, coutumiers). L’architecture des maisons est dominée par la maison à pans de

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bois. On assiste au haut Moyen Âge, dans le Sud Ouest de l’Empire germanique à la transition technologique qui va de la maison à poteaux plantés (Pfostenhaus) à celle des poteaux sur soubassement de pierre (Ständerhaus), qui permet la construction par étages et avec la charpente, l’aménagement d’un comble. Les bâtiments peuvent désormais être accolés et contigus, ce qui encourage la concentration de l’habitat villageois. La thèse admise jusqu’alors selon laquelle le village groupé (Haufendorf) remontait à l’antiquité germanique est une construction des historiens du XIXe siècle. La structuration du village se situe au haut Moyen Âge, produit des déterminations géographiques, économiques et de l’organisation des pouvoirs. La phase de transition permet de déterminer des types bien définis avec des maisons à habitation exclusive à soubassements et granges à poteaux plantés, ou encore bloc regroupant habitation (à cheminée) séparée par un mur de l’étable, le tout dominé par un grenier à foin. La multiplicité des techniques et des types caractérise l’architecture rurale, alors que l’architecture urbaine vise sans cesse à la simplification et l’uniformité de ses types architecturaux. Il semble bien que la maison à soubassements ne se soit développée que tardivement dans les villes (XIIe-XIIIe siècle) ; mais à la fin du XIIIe, sa technique est maîtrisée et désormais commune. La maison à pans de bois sur plusieurs étages y prend le pas sur la maison de pierre, qui sert souvent de rez-de-chaussée pour les étages à pans de bois. Mobilisées par le développement des villes, les techniques, élaborées à partir d’un bagage rural ancien, ont alors pu revenir dans les villages et s’y s’étendre. Ce résultat de la recherche archéologique est relayé par l’étude des sources écrites, par exemple du terrier de Tennenbach avec ses inventaires des « granges » cisterciennes, distinguant les maisons des granges, étables, fours à pain, pressoirs, moulins. Les terriers d’Adelhausen, ceux de Sankt-Blasien etc… donnent également des informations précieuses sur la morphologie des villages et de la maison paysanne. Est frappante la taille de plus en plus importante des granges céréalières (horrea) comme bâtiments spécifiques, dues au développement de l’assolement triennal et de la production céréalière, alors même que la construction d’étages permet l’utilisation des greniers pour les céréales. Elle entraîne aussi le développement de l’équipement en moulins, partout où l’aménagement des cours d’eau le permet. L’emploi de plus en plus répandu de ces techniques de construction se reflète dans les coutumiers locaux. Quand il veut construire ou reconstruire sa maison, le paysan a droit à 4 poteaux de maison et à 4 poutres de toit, prévoit tel coutumier. Il est membre de la communauté dès que sont dressées les 4 poteaux verticaux, avec ses devoirs et ses droits, arrête tel autre coutumier. Il peut certes déménager sa maison, considérée comme un bien meuble, mais ne doit pas toucher aux soubassements de pierre. Les progrès économiques conduisent à une densification du village, avec ses maisons paysannes, où ressortent deux types caractéristiques de toute la zone du Sud Ouest de l’Empire : la maison-cour à 3 cotés (Dreiseitenhof) où le pignon de la maison d’habitation donne sur un alignement de rue respecté, et ses deux autres cotés, occupés par les étables et greniers, ou encore la maison-bloc à deux cotés (Hakenhof) où la maison d’habitation à pignon sur la rue se poursuit par les étables et les greniers et est séparée de la maison voisine par une cour.

6 Joachim Dahlhaus Der Adler im Schild. Unbeachtete Urkunden des rheinischen Pfalzgrafen Konrad und anderer deutscher Fürsten (1160-1215) p. 101‑130, décrit une série de chartes avec leurs sceaux données par les comtes palatins du Rhin aux abbayes cisterciennes de Maulbronn et de Clairvaux.

7 Wolfgang Schmid Reliquienjagd am Oberrhein. Karl IV. Erwirbt Heiltum für den Prager Dom p. 131-209, nous décrit le « pillage des reliques », en particuliers alsaciennes opéré par

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Charles IV de Luxembourg au cours des années 1354-1355. Au cours d’un voyage de six mois en Allemagne du Sud, en Alsace et en Rhénanie, Charles IV s’est fait remettre toute une série de reliques destinées à sa cathédrale de Prague. Parmi elles, une côte et une mâchoire de saint Florent à Niederhaslach, le bras de sainte Odile à Sainte-Odile, des restes de saint Lazare le ressuscité à Andlau, d’Urbain et Sixte à Erstein, de Serge et Bacchus à Wissembourg, etc. Cette « razzia » a été décrite par Mathias de Neuenburg et Twinger de Koenigshoven, mais aussi par nombre de chroniques des églises et abbayes concernées ainsi que par une correspondance avec le chapitre de la cathédrale de Prague et les inventaires.

8 L’analyse montre qu’il s’agit pour Charles IV d’une véritable tournée politique dans l’ouest de l’Empire destinée à y renforcer son pouvoir, avant la promulgation à Metz de la Bulle d’Or (1356). Le choix des reliques n’est pas neutre ; Charles IV (bien renseigné) choisit à chaque fois des reliques conservées par des abbayes immédiates fondées par les Empereurs ses prédécesseurs ou données par ceux-ci ; Charles IV rattache ainsi son pouvoir à ceux-ci et aux saints que les Empereurs fondateurs ou donateurs ont vénéré. Le partage des reliques, (car l’empereur se fait ouvrir les sarcophages ou reliquaires et n’en prend qu’une partie) et l’octroi de diplômes impériaux aux abbayes donatrices en confirme l’authenticité. Elle tranche parfois une contestation, ainsi sur celles de saint Florent, entre le chapitre Saint Thomas et celui de Haslach. Il s’agit d’un marché « gagnant-gagnant » : la relique contre un diplôme d’authenticité. Accompagné d’une suite nombreuse d’évêques et d’abbés, il assure aussi au passage la succession d’évêques ses partisans, à Strasbourg celle de Berthold de Buchegg par Jean de Lichtenberg, représentant impérial en Alsace. Enfin, Charles IV, empereur et roi de Bohème, renforce le prestige de sa nouvelle capitale, Prague, promue tout récemment archevêché, siège d’une université (1348) et où l’on vient de commencer à reconstruire la cathédrale Saint Guy et Wenceslas, à présent richement dotée en reliques, venues de tout l’Empire.

9 On connaît la thèse de Sabine Klapp, ne serait-ce que par ses positions qu’elle a publiées dans la RA 2011 (Les abbesses des chapitres de chanoinesses d’Alsace du XIVe au XVIe siècle). À la ZGO, elle donne un article sur les comptes des abbesses du couvent de Sainte-Claire- aux-Ondes de Strasbourg (Die Äbtissinnenrechnungen“ des Klosters St. Klara auf dem Werth. Alltag und Festtag einer geistlichen Frauengemeinschaft Strassburgs am Ausgang des Mittelalters p. 211‑248). Les Clarisses fondent deux couvents à Strasbourg, dont en 1299, le couvent de Sainte-Claire-aux-Ondes, qui sera sécularisé en 1524. Les abbesses ont tenu de 1481 à 1499 puis de 1506 à 1509 une série pratiquement continue de comptes, dont Hanauer s’est servi en partie pour établir ses séries de prix. Rédigés en allemand (Frühneuhochdeutsch) ou en latin (à l’attention du récollet Père confesseur du couvent), les comptes s’étendent sur environ 25 pages par année. Ils sont l’œuvre de deux abbesses, une Strasbourgeoise, Odilia Dopplerin, et une sœur venue de Fribourg et devenue abbesse, Magdalena Steimerin, dont l’écriture paraît plus aisée. La capacité juridique des abbesses n’est pas admise intégralement, ne serait-ce que parce que la clôture impose le recours à un régisseur (Schaffner) dont les comptes retracent principalement les entrées (cens, fermages) et mouvements (achats et ventes, remises d’espèces à l’abbesse). Les comptes sont contrôlés tous les ans par un « Pfleger » désigné par le Magistrat, souvent un ancien Stett ou Ammeister, dont le visa contribuait à valider les contrats passés par l’abbesse. Ces comptes annuels sont précédés d’un court résumé des évènements de l’année. Sabine Klapp en fait une source pour une description précieuse de la vie quotidienne des sœurs, décrivant le fil des jours, jours

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ordinaires et jours de fête. Mais l’alimentation des sœurs, leur état de santé et la qualité des soins dispensés retiennent également l’attention de l’auteur.

10 On signalera encore l’article de Sönke Lorenz, (Der Aufbau der via antiqua an der Freiburger Artistenfakultät durch Tübinger Skotisten in den Jahren nach 1486, p. 249-284), qui retrace les conflits philosophiques européens tels qu’ils se reflètent dans le choix des professeurs au cours de la seconde vague de fondations d’universités de l’Empire, parmi lesquelles Bâle et Fribourg (1460), toutes deux importantes pour la formation des Strasbourgeois (qui ne veulent pas d’université). Ainsi que l’article de Franciska Schaudeck, (Die Geschichte des Buchbestands der jungen Freiburger Universität (1460-1500) sur la constitution de la bibliothèque de cette jeune Université. On se reportera à la RA 2011 et à la ZGO 2011 pour les autres contributions de l’Annuaire.

AUTEUR

FRANÇOIS IGERSHEIM Professeur émérite, Université de Strasbourg

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Journée du réseau des Sociétés d’Histoire du Rhin Supérieur Lucelle samedi 16 juin 2012 Tagung des Netzwerks oberrheinische Geschichtsvereine

1 La Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, en collaboration avec la “Gesellschaft für Regionale Kulturgeschichte Baselland”, le “Landesverein Badische Heimat”, l’“ Historischer Verein der Pfalz” et le Museum am Burghof/Musée des trois Pays Lörrach, a invité les sociétés d’histoire d’Alsace, du Palatinat, du Pays de Bade et du nord-ouest de la Suisse, le 16 juin dernier, pour une réunion constitutive du Réseau des Sociétés d’histoire du Rhin Supérieur. Cette rencontre était organisée dans le cadre du projet INTERREG « Musée des Trois Pays- Réseau trinational pour l’Histoire et la Culture ».

2 Cinquante-six délégués des sociétés d’histoire française, allemande et suisse se sont retrouvés à Lucelle, dans le Sundgau, aux confins de l’Alsace et du canton du Jura en Suisse, sur le site de l’ancienne abbaye cistercienne. La matinée de travail s’est tenue dans la salle de conférence du Centre européen de rencontres, dirigé par le chanoine Charles Diss.

3 Ont participé à cette rencontre, les sociétés d’histoire fédérées suivantes, venant d’Alsace : la Société d’histoire des Hôpitaux Civils de Colmar, la Société d’histoire du Sundgau, l’Association S’Lindeblätt du Haut Florival, Société d’histoire de Bartenheim et environs, la société d’histoire les Amis de Riedisheim, le Cercle de Recherche historique de Ribeauvillé, la Société d’histoire de Huningue-Village‑Neuf et environs, les Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, la Société d’histoire de Reichshoffen, la société d’histoire de Mutzig et environs, auxquelles se sont joints les Amis de Schoelcher à Fessenheim et l’association des Musées d’Alsace.

4 Les sociétés allemandes étaient représentées par Hebelbund Lörrach, Badische Heimat Regionalgruppe Lahr, Historischer Verein Kehl, Geschichtsverein Vorderes Kandertal Eimeldingen, Geschichtsverein Landkreis Tuttlingen, Museumsverein Lörrach, Badische Heimat e. V. Freiburg, Historischer Verein der Pfalz Speyer, Verein für Geschichte und Naturgeschichte der Baar, Verein für Heimatgeschichte Weil am Rhein, Alemanisches Institut Freiburg,

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Kulturhaus Todtnau e. V., Geschichts- und Kulturverein Neuenburg et Historischer Verein für Mittelbaden Offenburg.

5 Du nord-ouest de la Suisse étaient venues les sociétés suivantes : Gesellschaft für Regionale Kulturgeschichte Baselland, Elsass-Freunde Basel, Historische und Antiquarische Gesellschaft/Verein Basler Geschichte et Gesellschaft für Regionale Kulturgeschichte Baselland Liestal.

6 Plus de 10 000 personnes intéressées par l’Histoire sont membres de sociétés d’histoire. Il existe au total plus de 200 sociétés en Alsace, Pays de Bade, Palatinat et nord-ouest de la Suisse, mais seule l’Alsace a une fédération qui regroupe la plupart des sociétés d’histoire de son territoire. Le but de cette journée était la création d’un vaste réseau transfrontalier pour l’ensemble du Rhin Supérieur, ouvert à toutes les sociétés d’histoire. Des bases avaient déjà été jetées lors de journées régionales tenues à Lörrach en 2003, Liestal en 2005, Oberrotweil/Marckolsheim en 2008.

7 Il revint aux présidents des sociétés qui invitaient, l’honneur de l’allocution d’accueil, Gabrielle Claerr Stamm au nom de la Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, M. Dominik Wunderlin au nom de la Gesellschaft für Regionale Kulturgeschichte Baselland, en l’absence du Dr Sven von Ungern-Sternberg retenu à Karlsruhe, c’est M. Karl-Heinz Harter qui s’exprima au nom du Landesverein Badische-Heimat et enfin, le Dr Werner Transier pour l’ Historischer Verein der Pfalz.

8 La partie administrative et les débats furent menés par M. Markus Moehring, directeur du Musée am Burghof de Lörrach, iniateur et porteur du projet Interreg « Musée des Trois Pays- réseau trinational pour l’Histoire et la Culture » avec les traductions en français de Mme Caroline Buffet. Au terme des présentations, on évoqua les buts du réseau et de ses modalités de fonctionnement : • une Assemblée générale des sociétés d’histoire tous les deux ans ; • une Newsletter tous les 4 mois diffusées par courriel ; • les travaux de secrétariat et de gestion du fichier des adresses confiés au Musée des Trois Pays à Lörrach.

9 Après plusieurs prises de parole de l’assemblée, on procéda à l’élection d’un bureau de coordination trinational pour une durée de deux ans.

10 Ont été élus : • Pour la France : Gabrielle Claerr Stamm (suppléant Gabriel Braeuner) • Pour l’Allemagne : Karl-Heinz Harter (suppléant Werner Transier) • Pour la Suisse : Dominik Wunderlin (suppléant André Salvisberg)

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Le bureau élu pour deux ans

De gauche à droite : Werner Transier, André Salvisberg, Karl Hans Harter, Gabrielle Claerr Stamm, Gabriel Braeuner, Dominik Wunderlin et Markus Moehring.

11 La matinée s’acheva par un repas typiquement sundgauvien de carpes frites pris sous les voûtes séculaires de l’abbaye.

12 L’après-midi, plus récréative, fut consacrée à l’histoire des cisterciens et de l’abbaye de Lucelle. Le professeur Claude Muller, directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace de l’Université de Strasbourg évoqua le thème « Le rêve cistercien : silence, obéissance, opulence » et Gabrielle Claerr Stamm, auteur de deux ouvrages sur l’abbaye, rappela par un montage vidéo, l’histoire de Lucelle et ses riches heures au XVIIIe siècle au temps de l’abbatiat de Nicolas Delfis.

13 Enfin en deux groupes, les participants découvrirent les vestiges de l’abbaye, guidés en allemand par le chanoine Charles Diss, et, en français, par Gabrielle Claerr Stamm.

14 Toutes informations et correspondances sont à envoyer à :

15 Museum am Burghof (qui deviendra Musée des Trois Pays cet automne) Baslerstrasse 143 - D 79540 Lörrach Tél. +49 (0)7621 919370 Fax +49 (0)7621 91933720 Courriel : [email protected] - www.museum-loerrach.de

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La Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

Publications de la Fédération

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Dictionnaire historique des Institutions de l’Alsace, le cahier D

1 Le volume D du Dictionnaire des Institutions de l’Alsace devrait paraître en septembre 2012. Avec ce volume, s’est approfondie notre réflexion et la recherche sur le droit applicable en Alsace au fil des siècles.

2 Au fur et à mesure qu’avançait notre travail, au fur et à mesure que se renforçait notre maîtrise des instruments de travail et des méthodes, notre ambition est restée intacte : celle de rendre compte du passé de l’Alsace, de tout son passé, c’est à dire de son passé germanique et de son passé français, avec tout ce que cela signifiait comme ouverture aux bibliographies françaises et allemandes.

3 L’Alsace médiévale est située dans l’aire relevant du droit germanique. Son « droit » revêt donc les caractères reconnus de ce/ces droits, droits coutumiers, non-écrits, communautaires et locaux. Cependant, on ne connait ces traits du droit de l’Alsace que par des sources écrites, par des codifications effectuées à un moment ou à un autre, reprises et publiées par la recherche historique.

4 Les sources du droit de l’Alsace comme celles de l’Europe médiévale se distinguent par leur origine : lois, capitulaires, canons, constitutions et paix impériales, statuts et règlements des villes, coutumes codifiées par les seigneurs et les localités, jurisprudence. En général ces textes accumulent ensemble et en un apparent désordre des dispositions sur l’organisation des pouvoirs, en premier lieu judiciaires, de procédure, de droit pénal, de droit civil. Les codifications sont pour une bonne part l’œuvre de juristes ayant eu dans les Universités ou sur les bancs des tribunaux une

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formation juridique, dont la base est le droit romain. La création de la Cour de justice impériale (1495) marque une étape essentielle. En Alsace, sa succession est assurée par le conseil Souverain (1657). Avec la Révolution et l’Empire, le droit de l’Alsace est celui de la grande nation et l’Alsace ne se distingue plus que par la jurisprudence de la Cour d’appel de Colmar.

5 L’histoire de l’histoire du droit de l’Alsace ne peut être séparée de celle de l’histoire proprement dite et on se reportera largement à l’historiographie de l’Alsace.

6 Si on se limite au champ bien délimité de la discipline de l’histoire du droit, on peut citer le professeur et prêteur royal Ulrich Obrecht, qui dans ses Prodromes s’est contenté d’évoquer les sources, et plus substantiellement les professeurs à la Faculté de Droit Johannes Schilter et à son disciple Scherz, qui ont procédé aux premières éditions de sources, portant entre autres sur la lex alamanorum, et sur les Statuts de la ville de Strasbourg. Les magistrats de la Cour de Colmar font un apport remarquable à la discipline avec les traités d’histoire générale de Véron-Réville et les études plus ciblées de Bonvalot (Coutume de Ferrette, de Rosemont, etc). Dans la collecte et le commentaire des coutumes, on trouve les avocats Raspieler et les membres de la famille Chauffour et l’abbé Hanauer, collaborateurs avec le percepteur Stoffel de Jacob Grimm avec ses Weistümer. Comme historien du droit des campagnes, il convient encore de citer Charles Schmidt. Il est le contemporain des grandes entreprises de publications de sources de droit urbain de l’Université allemande de Strasbourg : l’Urkundenbuch der Stadt Strassburg, qui publie les six statuts de la ville (avec un tour de force : la reconstitution d’un code civil strasbourgeois d’après le Sixième statut de Strasbourg, par Alois Schulte). Les Archives municipales des villes ne sont pas en reste : l’archiviste Brucker publie les règlements de police de la ville de Strasbourg, relayé par le professeur Eheberg (alors chercheur à Strasbourg). L’entreprise des Oberrheinische Stadtrechte aboutit à la publication des statuts et règlements de la ville de Séléstat (1902) puis après la guerre de 1914, à celle de Colmar ( Finsterwalder 1938). Les archivistes médiévistes, F.-J. Himly et Ch. Wilsdorf reprennent le relais après la deuxième guerre mondiale, mais sans pouvoir se lancer dans des entreprises aussi ambitieuses. Dans son « Intendance », Georges Livet se montre un historien du droit aux exposés indispensables. L’historien du droit Roland Ganghofer n’a pas publié l’ouvrage qu’il avait annoncé sur les coutumes de l’Alsace ni livré la synthèse qu’on pouvait attendre après les quelques articles remarqués qu’il en avait tirés. Avec l’official de l’évéché de Strasbourg et historien de l’officialité, René Levresse, il avait fait le point sur la réception du droit romain en Alsace. Autre historien du droit de l’Alsace, Marcel Thomann a lui aussi produit des articles et réuni le fichier du présent Dictionnaire, qui en constitue la base. Là encore il faudrait citer tous les historiens.

7 Les auteurs qui participent à ce qui est une œuvre collective, savent que le champ de l’histoire du droit de l’Alsace reste largement inexploré et que le travail auquel ils sont attelés ouvre les pistes d’une recherche à reprendre et à approfondir.

8 Le DHIA est en vente à la Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace.

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Cinquième fascicule de la collection Alsace Histoire Les systèmes monétaires d’Alsace depuis le Moyen Âge jusqu’en 1870

1 La Commission Alsace-Histoire de la Fédération fait paraître un nouveau fascicule de la série, consacré aux systèmes monétaires d’Alsace depuis le Moyen Âge jusqu’en 1870 »

2 Prenant place dans une collection de « guides pratiques », l’ouvrage a été conçu comme un manuel à l’usage d’un public aussi large que possible : • C’est un outil de recherche où l’on trouve des références et des tableaux d’évaluation. Un glossaire et un index permettent de retrouver rapidement les termes spécialisés en français et en allemand ; • C’est un manuel technique où les méthodes de fabrication sont expliquées à partir de textes contemporains ; • C’est un guide aussi complet que possible où sont référencés les différents types monétaires, les ateliers, mais aussi les monnaies étrangères ayant circulé en Alsace ; • C’est un travail fondé sur l’étude de la réglementation : les recès, les lois, les décrets, les règlements les plus importants sont analysés.

3 Ce livre est également une réflexion sur l’usage de la monnaie. On y explique comment, jusqu’à la Révolution et l’introduction du franc, coexistaient une monnaie réelle (les pièces en métal précieux) et les monnaies de compte (Rappen, livre, Kreuzer…). Il s’agit bien là de se mettre dans l’esprit des époques successives et de comprendre comment

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les anciens comptaient. C’est pourquoi une étude est consacrée aux méthodes de calcul, avec des jetons, avec des fractions.

4 À la fin de l’ouvrage, un chapitre intitulé « La monnaie, signe du pouvoir » montre comment les monétaires ont utilisé les frappes comme support de propagande : ni les titulatures, ni les légendes monétaires, ni les images n’ont été laissées au hasard.

5 De très nombreuses images commentées permettent au lecteur de suivre plus aisément la démarche.

6 Depuis la fin du XIXe siècle aucune synthèse n’avait été faite sur ce sujet. Nous espérons que ce livre comblera ce vide et sera très utile à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Alsace.

7 Ce fascicule est en vente à la Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace.

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La Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

Les publications des sociétés d'histoire et d'archéologie

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Publications des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace (année 2011)

Gabrielle Claerr-Stamm

Bas-Rhin

Société d’histoire de l’Alsace Bossue

Bulletin no63 - 2011

1 B. ZIMMERMANN, Une prison à Petersbach ; R. BRODT, La vieille école de Gungwiller ; J.‑L. WILBERT, Henri Menges et les légendes de nos villages ; R. BRODT, Vieilles maisons paysannes à Hirschland.

Bulletin no64 - 2011

2 F. MATTY, Poésie : S’Lexicon ! J. EHRHARDT-LEIMBACH, Lina Claus « Maître couturière » ; E. HERTZOG, Mémoires d’un « Malgré-nous » ; C. MULLER, Le Schwabenhof.

3 Contact : 3 place de l’Ecole - 67430 Dehlingen.

Société d’histoire et d’archéologie de Dambach, Barr, Obernai

Bulletin no45 - 2011

4 Jean‑Michel BOEHLER, Liminaire. Parler de soi : l’ego-histoire, un gibier pour l’historien ; Claude MULLER, Du vécu à l’histoire : la chronique barroise de Jacques Frey ; Marie‑Anne HICKEL, De part et d’autre du Champ du Feu : La région de Barr et ses contacts avec le Ban de la Roche ; Jean‑Marie GYSS, Le rempart et les portes de Boersch : Quelques aspects historiques ; Gérard OHRESSER, Obernai sous l’occupation telle que je l’ai vécue ; Dominique LERCH, L’itinéraire, la pensée et l’action d’Édouard

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Coeurdevey, directeur de l’école normale d’Obernai de 1928 à 1946 ; Séverine SCHMUTZ‑FOESSER, Des hommes au service d’une ville, Obernai, sous le Premier Empire ; Michel ROHMER, François Rohmer, un artiste complet ; Jean‑Michel BOEHLER, Ils ont une histoire : les noms de ferme ou hofname dans l’Alsace rurale d’autrefois ; Yvette BECK‑HARTWEG, Johannes Metz, un serrurier à Dambach à la fin du XVIIIe siècle ; Patrick FOURNIAL, État des fermages payés sur les biens de l’abbaye d’Andlau à Mittelbergheim - essai de datation d’un parchemin du XIVe ou XVe siècle.

5 Contact : Hôtel de Ville, Barr - BP 21 - 67141 Barr Cedex.

Société d’histoire et d’archéologie de Brumath et des Environs

Bulletin no39 - décembre 2011

6 Jean-Claude GOEPP, Louis GANTER, Une découverte rarissime à Brumath : un masque de théâtre ; Jean-Claude GOEPP, Louis GANTER, Sébastien FRANTZ, À propos de nos dernières découvertes de mobilier archéologique… Franck ABERT, Pascal RIETH, Les tertres funéraires de la forêt de Brumath ; Fabrice REUTENAUER, Des vestiges du système défensif médiéval et moderne de Brumath à la Cour du Château ; Felix FLEISCHER, Céline LEPROVOST, Christian PETER, La fouille archéologique de la zone nord de la future Plateforme Départementale d’Activité de Brumath ; Jean‑Claude OBERLÉ, Wilhelm II von Mittelhausen, homme de confiance des Lichtenberg ; Jean‑Claude OBERLÉ, Une grange cistercienne : des biens de l’abbaye de Neubourg ; Charles MULLER, Le « Waldstraessel » une histoire mouvementée ; Elisabeth BERNHARD, L’église protestante de Vendenheim ; François RITTER, L’abat- voix de la chaire de l’église protestante de Vendenheim ; Jean‑Philippe NICOLLE, Michèle GROSS, Leblond de Brumath, Un patronyme aux origines curieuses ; La rédaction, Objets, photos, réminiscences… précieux témoins de l’histoire ; Nos membres nous écrivent ; Michel ORTH, La matelote alsacienne, son histoire ; Michel ORTH, Ma recette à moi : Matelote de poissons au Riesling.

7 Contact : 72 rue du Général Duport - 67170 Brumath - brumath.shabe.free.fr.

Société des Amis de la Cathédrale de Strasbourg

Bulletin XXIX, Strasbourg, 2010

8 L. CHATELET-LANGE, Un monument au Temps, architecture et humanisme à l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg ; J.‑P. MEYER, La Synagogue, l’Église, Salomon et le Christ, le dialogue strasbourgeois du Cantique des Cantiques et les sculptures du portail sud ; J.‑S. SAUVÉ, L’apport du dessin d’architecture dans la chronologie de la tour de la cathédrale de Strasbourg ; B. JORDAN, Les comptes de la Camera Ecclesie Argentinensis pour l’année 1481-1482 ; E. CORNU, Le vitrail de la Psychomachie (vers 1310), résurgence d’un thème à la cathédrale de Strasbourg ; Y. GALLET, Le dessin 21 de l’Œuvre Notre-Dame : un projet de chevet pour la cathédrale de Strasbourg ? J. LOUIS, A propos de Wölflin de Rouffach, la sculpture en Basse-Alsace dans la première moitié du XIVe siècle ; D. BORLÉE, Les restaurations de la galerie de l’ascension et du beffroi de la cathédrale de Strasbourg, un décor sculpté maintes fois retaillé ; A. VILLES, Les débuts de la nef de la cathédrale de Strasbourg, nouvelles

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données ; Cl. KELHETTER, Les usages à la cathédrale avant l’installation de l’électricité ; B. XIBAUT, La propriété des biens mobiliers de la cathédrale ; M. MOSZBERGER, Une sépulture insolite dans la cathédrale, celle du Préfet Lézay-Marnésia ; J.‑P. LINGELSER, Les vantaux du portail central de la cathédrale, leur histoire et leur iconographie.

9 Mélanges : L. SCHLAEFLI, Culte œcuménique à la cathédrale de Strasbourg le 7 juillet 1940 ; Chr. ROEDERER, Allocution concernant « La grâce d’une cathédrale » ; Cl. KELHETTER, Une curiosité élucidée dans les parties hautes de la nef de la cathédrale ; B. JORDAN, Une maquette de l’horloge astronomique envoyé au Vatican.

10 Bibliographie 2008-2010 ; Nécrologie : O. TAROZZI, hommage au Chanoine Jean Ringue (1922-2009).

11 Contact : 6 rue du Maroquin - 67000 Strasbourg.

L’ESSOR - ACCS

Bulletin no229 - mars 2011 - 82e année : Les grenouilles : une espèce en voie de disparition ?

12 Jean-François LEBOUBE, L’ermite de plaine ; Jean MELLINGER, Barembach, 1904, pénurie de schnaps à l’auberge Wiedemann ; Léone CHIPON, Les carnets de Jean- Baptiste : 2e partie ; André LEDIG, Les grenouilles ; Marie-Thérèse DESCHAZEAUX, La sortie de juin ; Henri OBERGFELL, Les Malgré-Nous ; Pierre HUTT, In memoriam Ruth Bury ; Simone JUND-ROCHEL, Hommage à Mademoiselle Bury ; Pierre HUTT, La gazette.

Bulletin no230 - juin 2011 - 82e année : Heiligenberg - canal de dérivation alimentant une ancienne scierie

13 Pierre IDOUX, La ferme de Belfays ; Lucien FUCHSLOCK, Souvenirs de l’usine Steinheil- Dieterlen à Rothau ; Henri OBERGFELL, Malgré-Nous ; Théo TRAUTMANN, Observations naturalistes autour de Muhlbach-sur-Bruche (XI) ; Pierre HUTT, Salle des Fêtes « La Rothaine » ; Pierre HUTT, En parcourant la Gazette : « Journal de Molsheim ».

Bulletin no231 - septembre 2011 - 82e année : Les vieux Vosgiens étaient-ils vraiment ainsi

14 Josette BRUNISSEN, Murmure du passé ; † Jacques GRASSET, annoté par Marie-Thérèse FISCHER, Habitants des Vosges ; Henri OBERGFELL, Malgré-Nous ; Gustave KOCH, Jean Frédéric Oberlin ; Marie-Thérèse DESCHAZEAUX VOEGELE, Compte-rendu de la sortie du 18 juin 2011 ; Marie-Thérèse FISCHER, Instituteur dans les années trente ; Pierre HUTT, En parcourant la gazette ; Marie-Thérèse DESCHAZEAUX VOEGELE, Hier et aujourd’hui.

Bulletin no232 - décembre 2011 - 82e année : Carrière de la Bergerie à Hersbach

15 Jean-Benoît MORO, Historique de la société Wenger et Petit ; Florent HOLWECK, Malgré‑Nous ; Louise CHIPON, L’église de Saint‑Stail interdite ; Théo TRAUTMANN, Observations naturalistes ; Pierre HUTT, Souvenir de Charles-Conservé Oberlin ; Henri OBERGFELL, De l’intérêt de bien connaître une langue ; Francis TISLER, La page de patois ; Pierre HUTT, En parcourant la gazette.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 422

16 Contact : ESSOR - ACCS - 67 rue de l’Église - BP 50032 - 67131 Schirmeck.

Cercle généalogique d’Alsace

Bulletin no173, mars 2011

17 Sources et recherches : B. NICOLAS, Alsaciens présents sur les bâtiments de la Royale pour les années 1870, 1878, 1879 et 1880. Rôle d’équipage (VII) ; Ch. WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et de quelques autres sources du XVIe siècle (II) ; Articles : D. CLAUSS, L’Alsacien Johannes Clauss et la Badoise Franziska Hofer. Leur mariage à Önsbach ou les heureux hasards de la recherche généalogique. Autres alsaciens dans la commune d’Önsbach d’après le livre des familles ; M. ROUSSEL, L’ascendance de Jean Baptiste Weckerlin, musicologue (1821‑1910) ; G. HEIL, À propos des Marx d’Eckwersheim, patriciens de Strasbourg ; R. SCHNEIDER, Recherches sur Johann Jacob Hutt de Heiligenstein (1735-1802) ; G. DIRHEIMER, Les ancêtres alsaciens du chimiste, médecin et académicien Charles Adolphe Wurtz (1817-1884) ; Notes de lecture : Fr. BIJON, Alsaciens décédés à Sceaux (Hauts-de-Seine) entre 1870-1909 ; Fr. SAUPÉ, À propos des Savoyards de Nancy-sur-Cluses immigrés en Alsace ; Alsaciens hors d’Alsace : Manche, Meurthe-et-Moselle, Nièvre, Haute‑Vienne, Allemagne (Hesse) ; Courrier des lecteurs : L. ADONETH, La sage-femme de Sélestat manque-t-elle de sagesse ? Compléments d’articles antérieurs ; La page d’écriture : nomination du pasteur Jung de Dossenheim-sur-Zinsel et Dettwiller par le Comte de Rosen, 1740.

Bulletin no174, juin 2011

18 Sources et recherches : Ch. WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (III) ; Articles : Fr. SAUPÉ, Alsaciens morts ou mortellement blessés à la bataille d’Eylau (7 et 8 février 1807) ; G. DIRHEIMER, Les ancêtres alsaciens du chimiste Charles Frédéric Oppermann (1805-1872) ; Notes de lecture : Alsaciens hors Alsace : Aisne, Côte d’Or, Dordogne, Nord, Vosges. J. M. WALDISBERG, Alsaciens à Forst, Bade, 1700-1900 ; J. M. WALDISBERG, Alsaciens à Gersweiler et Ottenhausen en Sarre ; J. M. WALDISBERG, Alsaciens à Beaumarais, Niederlimberg, Picard, St. Barbara et Wallerfangen en Sarre ; Alsaciens relevés dans le registre réformé d’Elmstein (Palatinat) ; Retour d’un Alsacien prisonnier en Sibérie depuis 1812 ; P. GILZINGER, Familles émigrées en Russie ; J. MIGNOT, Immigration picarde en Alsace après la guerre de Trente Ans ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs ; La page d’écriture : un mariage d’anciens anabaptistes à Strasbourg, 1567.

Bulletin no175, septembre 2011

19 Sources et recherches : Ch. WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (IV) ; Articles : Ch. WOLFF, Mariages et baptêmes de l’Église française de Strasbourg, 1560-1561 ; J. L. CALBAT, Quelques Messins en Alsace, 1566-1632 ; G. STOPKA, Die Nachkommen des Schweizers Peter Wenger aus Guggisberg im Elsass ; V. MULLER, Les ancêtres alsaciens de J. K. Rowling, l’auteur de Harry Potter ; Notes de lecture : Alsaciens hors d’Alsace : Aisne ; J. M. WALDISBERG, Alsaciens à Kippenheim, Bade ; L’écrivain Charles Maurras

Revue d’Alsace, 138 | 2012 423

descendant d’Alsaciens ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs ; La page d’écriture ; Deux Alsaciens morts foudroyés près de Bâle, 1865.

Bulletin no176, décembre 2011

20 Sources et recherches : M. RUHIER, Marins alsaciens de la Royale à Rochefort ; Chr. WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (V) ; Article : V. MULLER, Les ancêtres alsaciens d’Eugène Kalt (1861-1941), médecin, inventeur ; Notes de lecture : Alsaciens hors d’Alsace : Charente- Maritime, Suisse ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs ; Liste- éclair : Mme Goltzené-Schroeter ; La page d’écriture : Lettre de Joseph Kern, de Lancaster, Ohio, à son père, Michel Kern, de Kesseldorf, 10 mars 1844.

Krautergersheim, Livre des familles 1705-1910

21 Deux tomes, par Hubert FRIESS. Prix emporté : 40 € ; franco : 49,10 € ; prix membres : 36 € ; franco membres : 45,10 €. À commander auprès de Mme Chantal Ulmer, 4 rue des Prunelles, 67560 Rosheim.

Uhrwiller, Les familles protestantes de 1685-1792

22 Par Marc RUCH et Richard SCHMIDT. Parution : 2011. 812 fiches, reconstitution des familles de 1685 à 1792 (registres paroissiaux et notariat), 217 pages. Prix de vente : public emporté : 18,20 €, public franco : 22,80 €, membres emporté : 16,40 €, membres franco : 21,00 €. À commander au secrétariat du CGA.

Grendelbruch, État civil. Mariages 1793-1910

23 Par Chantal ULMER. Prix public emporté 25,00 € ; franco : 31,30 €. Prix membres emporté : 22,50 €, franco : 28,80 €. À commander chez Mme Chantal Ulmer, 4 rue des Prunelles, 67560 Rosheim, [email protected], chèque à l’ordre du CGA section du Mont-Ste-Odile.

Niederhausbergen, Livre des familles - XVIIe siècle-1902

24 Relevés et travaux de Jean-Paul KAMINSKE et Eric RUFFLER. 596 fiches, 197 pages. Prix emporté : 17,10 € ; prix franco : 21,70 €. Tarif membres emporté : 15,40 € ; tarif membres franco : 20,00 €. À commander au secrétariat du CGA.

Hoerdt, EC Mariages 1793-1910

25 1 687 actes, 276 p. Auteurs : Marie-Paule TRAUTMANN et Colette SCHMITT. Prix public emporté : 21,30 €, franco ; 26,20 €. Prix membre emporté : 19,20 € ; franco : 24,10 €. À commander au secrétariat.

Wangen, EC Mariages 1793-1911

26 603 actes, 111 p. Auteur : Jean-Paul ZORES. Prix public emporté : 12,50 € ; franco : 16,50 €. Prix membre emporté : 11,30 € ; franco : 15,30 €. À commander au secrétariat.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 424

Les familles de Krautwiller (RPp et EC) de 1630 à 1900

27 530 fiches familiales, 160 p., par Michèle GROSS. Prix public emporté : 15,10 € ; franco : 19,10 €. Prix membre emporté : 13,60 € ; franco : 17,60 €. À commander au secrétariat.

Rosteig, Les familles de 1650 à 1911, RPp, RPc et EC

28 Par Richard SCHMIDT, 1347 fiches familiales, 350 p. Prix public emporté : 25,30 € ; franco : 30,20 €. Prix membre emporté : 22,80 € ; franco : 27,70 €. À commander au secrétariat.

29 Contact : 41 rue Schweighaeuser - 67000 Strasbourg - [email protected].

Les Amis des Hôpitaux universitaires de Strasbourg

Histoire & Patrimoine hospitalier, Mémoire de la Médecine à Strasbourg no24 - 2011

30 É. ROEGEL, Une étape de l’histoire des « Amis des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg » qui vit son quinzième anniversaire, et se dote de son quatrième président, É. GROSSHANS, Mon histoire de la Petite dermatologie ; E. WOLF, Où est passé le Spital Kreuz ? D. DURAND DE BOUSINGEN, Paul Bonatz : Quand le concepteur des Hospices civils menace la stabilité du gouvernement allemand… R. MATZEN, Poésie. Le merveilleux Mailied (Chant de Mai) du jeune Goethe ; L. F. HOLLENDER (†), J. ROETHINGER, Adolf Gusserow. Professeur d’obstétrique et de gynécologie à la Faculté de médecine de la Reichuniversität de Strasbourg de 1872 à 1876 ; L. F. HOLLENDER (†), J. ROETHINGER, Herrman Fehling. Professeur d’obstétrique et de gynécologie à la Kaiser Wilhelms Universität de Strasbourg de 1901 à 1919 ; R. STEIMLÉ, Jean-Alexandre Barré et sa « maison » ; E. WOLF, La dynastie des Creutzenacher. Une filiation de chirurgiens, originaire de Saint-Avold (Moselle) à l’œuvre à Strasbourg au XVIIe siècle ; D. DURAND DE BOUSINGEN, Le grand bâtiment de l’Hôpital, plans des premier et deuxième étages en 1849 ; G. SCHOSSIG, À propos de notre couverture. La place de l’Hôpital.

31 Contact : Professeur Daniel Christmann - 1 place de l’Hôpital - BP 426 - 67091 Strasbourg Cedex.

Association des Amis de la maison du Kochersberg

Kochersbari no63 - été 2011

32 Vie de l’association ; A. LORENTZ, Paul Sonnendrücker (1921-2011), Une vie consacrée à nos langues (alsacienne, française et allemande), au théâtre… et au Kochersberg ; Th. TRAUTMANN, Les peintures murales dans le chœur de l’église de Pfulgriesheim ; Mgr J.‑M. SPEICH, Pourquoi mon ancêtre paternel Hans Speich se trouve-t-il à Willgottheim en 1532 ? A. WECKMANN, À propos de la messe en alsacien ; R. JULOT, Poème alsacien : ’s Friejohr (printemps 1919) ; I. FOREAU, Au feu ! J. WURTZ, De la vigne au vin.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 425

Kochersbari - no64 - hiver 2011

33 Claude KEIFLIN, Freddy Bohr, exploitant agricole à Gimbrett, champion du monde de labour en 2001 ; Joseph SONNENDRUCKER, Juillet 1931 : une délégation de personnalités de Strasbourg-Campagne a visité la capitale ; Isabelle FOREAU, En attendant la venue du Chrischtkindel ; Jean‑Claude OBERLÉ, Albert Mosbach : de Wingersheim à Tambov ; Jean- Marie SPEICH, Walter Speich: Treffpunkt im Unendlichen ; Claude MULLER, Mgr Jean‑Pierre Saurine et Thiébaut Lienhart (1802-1813) ; Bernard JOST, Albert LORENTZ, La guillotine à Hohatzenheim, l’affaire Nicolas Blaise (en réalité Nicolas Blaess), 1793-1794 ; Joseph SONNENDRUCKER, Alphonse Grasser de Dingsheim, lauréat du prix de la fondation Jungbluth en 1931 ; Sylvie BUCHER, Albert LORENTZ, Sur les traces de Martin, valet de ferme à Offenheim.

34 Contact : 4 place du Marché - 67370 Truchtersheim.

Le Parc de la maison alsacienne

Cahier no12, 2011

35 H. BRONNER, J.‑Cl. KUHN, La vie quotidienne au 18 rue de la Montagne à Mittelbergheim ; R. STROH, Growe – Fossés ; J.-Cl. KUHN, Quelques recettes anciennes ; J.-Cl. KUHN, Maisons anciennes disparues ou sauvées cette année.

Cahier no12, 2011

36 H. BRONNER, J.‑Cl. KUHN, La vie quotidienne au 18 rue de la Montagne à Mittelbergheim ; R. STROH, Growe – Fossés ; J.-Cl. KUHN, Quelques recettes anciennes ; J.-Cl. KUHN, Maisons anciennes disparues ou sauvées cette année.

37 Contact : 34 rue Courbée - 67116 Reichstett - http://parc.alsace.free.fr.

Société pour la conservation des Monuments historiques d’Alsace

Cahiers alsaciens d’archéologie d’art et d’histoire - noLIV

38 Raphaël ANGEVIN, La Paléolithique supérieur en Alsace : un état de la question ; Anthony DENAIRE, Strasbourg-Koenigshoffen « rue des Capucins II-3F » : une nouvelle fosse de la culture de Roessen en Basse-Alsace ; Philippe LEFRANC, Gersende ALIX, Rose-Marie ARBOGAST, Madeleine CHÂTELET, Inhumations et dépôt du Néolithique récent à Marlenheim « In der Hofstatt » (Bas-Rhin) ; Clément FÉLIU, Bertrand BONAVENTURE, L’oppidum de la Heidenstadt et le seuil de Saverne à la fin de l’âge du Fer ; Jean‑Marie LE MINOR, Michel MATT, Patrick KOEHLER, Autour du duc Eticho, père de sainte Odile. Notes archéologiques sur quelques éléments conservés au Mont Sainte‑Odile ; Boris DOTTORI, Elbersforst (commune de Balbronn, Bas‑Rhin). Histoire et archéologie d’un village aux périodes médiévale et moderne (XIIe-XVIIIe siècles) ; Véronique UMBRECHT, Le théâtre de Strasbourg, esquisse d’une longue gestation ; Katharina THEIL, Le chanoine Alexandre Straub (1825-1891). Un collectionneur passionné et ses projets : le renouveau de l’art sacré et la fondation de musées à Strasbourg ; André HECK, L’Observatoire astronomique de l’Académie de Strasbourg (XIXe siècle) ; Jean‑Pierre BECK, La forêt verte et le mont aux roses - Alfred Rosenberg et le retable d’Issenheim ; Luc ADONETH, Châtenois, des archives à la mise en valeur du

Revue d’Alsace, 138 | 2012 426

patrimoine : la mobilisation de tout un village ; Benoît JORDAN, Eugène Braun, orfèvre et électrotechnicien strasbourgeois ; Clémence ALBERTONI et alii, Mesures de protection au titre des Monuments historiques, année 2011 ; Christophe BOTTINEAU, Chronique des chantiers des Monuments historiques du Bas-Rhin : année 2010-2011 ; Richard DUPLAT, Chronique des chantiers des Monuments historiques du Haut‑Rhin : année 2010-2011.

39 Contact : 2 place du Château - 67000 Strasbourg - www.monuments-alsace.com.

Société d’histoire de Mutzig et Environs

Annuaire 2010 - tome XXXIII

40 Cl. MULLER, Septembre à Mutzig, le rendez-vous annuel de Constantin de Rohan ; V. MARTINEZ, L’atelier monétaire de Molsheim sous Léopold Guillaume d’Autriche (1631-1632) ; A. ROLLING, Les pensionnés de l’État du XIXe siècle ; A. ROLLING, Un passé révolu : la manufacture d’armes de Mutzig ; F. SCHERRER, Enveloppes éditées par la brasserie ; A. SCHMITT, La région de Molsheim-Mutzig à l’époque du Reichsland (1871-1914).

41 Contact : 4 rue de Hermorsheim - 67190 Mutzig.

Association pour la conservation du Patrimoine religieux en Alsace

Rencontres & Patrimoine - no11 - printemps 2011

42 P. GOETZ, Une conférence au Fec : Le patrimoine culturel et religieux en Alsace : se battre pour sauver l’âme des choses (suite et fin) ; B. JORDAN, Lu pour vous ; B. JORDAN, Notre site Internet.

Rencontres & Patrimoine - no12 - automne 2011

43 B. SCHLUND, Une église… Une chapelle ! Lieu de culte, mais quoi d’autre ?

44 Contact : Pierre Goetz - 23 place de l’Esplanade - 67000 Strasbourg.

Société d’histoire de La Poste et de France Telecom en Alsace

Diligence d’Alsace no84 - 2011/1. Quarantième anniversaire du Musée de la Communication en Alsace

45 Un château et son histoire ; Sa restauration ; L’inauguration ; 40 ans d’expositions ; Un bilan ; Quelques chiffres.

46 Contact : 5 rue des Clarisses - 67000 Strasbourg.

Société d’histoire et d’archéologie de Reichshoffen et environs

Annuaire no31 - avril 2011

47 J. SALESSE, Voyage en Alsace de Gilbert Romme et du prince Stroganoff en 1787 ; J.‑P. NOÉ, Un curé réfractaire de Gundershoffen sous la Révolution ; J. ROLL, Restauration de l’horloge « Schwilgué » de Reichshoffen ; E. POMMOIS, « Schwilgué » et

Revue d’Alsace, 138 | 2012 427

l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg ; M. SCHAMPION, Rétrospective 2009-2010 au château du Schoeneck ; P. PRÉVOST‑BOURÉ, J.‑Cl. GÉROLD, V. WAMBST, Une archéologie active ; A. DORIATH, Projet de ligne de chemin de fer de Kaiserslautern à Niederbronn ; J. SALESSE, Les pierres de corvée de Sturzelbronn ; B. SCHMITT, Le « grand panorama de Reichshoffen » à Paris en 1881 ; 25e anniversaire de la SHARE, De la Royauté à la République ; E. POMMOIS, La sortie annuelle de la SHARE (Obermodern, Saverne, Marmoutier) ; F. PHILIPPS, Souvenir de la « drôle » de guerre à Reichshoffen.

48 Contact : 5 rue des Chevreuils - 67110 Reichshoffen.

Société savante d’Alsace

Collection « Recherches et documents » tome 81-2010. Lettres d’Hugo Haug à Henri Albert (1904-1914) - Anne-Doris Meyer

49 Spectacles et manifestations culturelles ; Le théâtre ; Les arts plastiques et le réseau francophile ; Musique et critères nationaux ; Une « exposition internationale » à Nancy ; Deux expositions officielles en Allemagne ; Associations estudiantines, les jeunes et les Anciens ; La jeunesse et l’enseignement du français ; Le Souvenir français et le monument du Geisberg ; Un canal latéral pour le Rhin.

L’Alsace des Mérovingiens à Léon IX - Christian Wilsdorf

50 Que nous raconte le blason des nouvelles plaques d’immatriculation ? L’Alsace et les Nibelungen ; Le Mur païen dans les textes anciens. Données nouvelles pour la solution d’une vieille énigme ; L’apparition d’un nom de lieu : Ingersheim entre dans l’histoire ; Saint Florent dans l’histoire. Les étapes d’une formation de sa légende ; Saint Adelphe de Metz et le pèlerinage de Neuwiller-lès-Saverne (IXe - XIIe siècles) ; Notker le Bègue et l’Alsace ; Godefroy, abbé de Munster, et Roderic, comte de Rhétie ; L’évêque Haito, reconstructeur de la cathédrale de Bâle. Deux textes retrouvés ; Le Monasterium Scottorum de Honau et la famille des ducs d’Alsace au VIII e siècle. Vestiges d’un cartulaire perdu ; Le château de Haut-Éguisheim ; Les constructions de Niedermunster antérieures au VIIe siècle. Données fournies par les textes ; Comment la Sainte Croix parvint à Niedermunster (Alsace). Édition critique et commentaire d’un texte retrouvé ; Les destinées du prieuré de Lièpvre jusqu’à l’an 1000 ; Autour d’un millénaire. Un grand livre sur les comtes d’Éguisheim et de Dabo ; Léon IX et la « Paix de Dieu des Alsaciens ». Commentaire, datation, texte latin et traduction d’une Constitution oubliée.

51 Contact : Palais Universitaire - 9 place de l’Université - 67084 Strasbourg Cedex.

Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et Environs

Pays d’Alsace - Cahier no234, 2011/I

52 St. XAYSONGKHAM, La musique à la cour des cardinaux de Rohan ; B. VOGLER, Un rapport de police sur le canton de Bouxwiller en 1854. Extrait du manuscrit 593 conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg ; H. HEITZ, Promenade historico-archéologique : À Saverne, le long du canal de la Marne au Rhin, deuxième partie ; G. IMBS, Un document des éclaireurs unionistes de Saverne, Le Livre

Revue d’Alsace, 138 | 2012 428

d’Or du Haberacker ; N. KAPPES, La Deuxième Guerre mondiale en Alsace Bossue, L’évacuation de la commune d’Oermingen à Bersac (Haute-Vienne) ; J.‑L. WILBERT, Hommage au général Compagnon (1916-1910), l’un des libérateurs de l’Alsace.

Pays d’Alsace - Cahier no235, 2011/II

53 J.‑M. RUDRAUF, À la fois résidence seigneuriale privée et cimetière fortifié à usage public : le château de Hochfelden (première partie) ; H. HEITZ, Les projets pour un « pavillon des bains » par Robert de Cotte pour le cardinal Gaston de Rohan (1704-1748) ; J.‑L. WILBERT, À propos du rattachement de l’enclave Bouquenom- Sarrewerden à la France ; A. KIEFER, J.‑M. LANG, Un exemple de corvées et de résistance des paysans en 1768 : la réparation de la route de Drulingen à Mettig ; Th. PETER, La valorisation des ressources du sol et du sous-sol dans le canton de Marmoutier au XIXe siècle ; B. VOGLER, Un rapport de police sur le canton de Bouxwiller en 1854. Extrait du manuscrit 593 conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (deuxième partie) ; Témoignage : R. HUFSCHMITT, Une journée mémorable.

Pays d’Alsace - no236, III-2011

54 J.-M. RUDRAUF, À la fois résidence seigneuriale privée et cimetière fortifié à usage public : le château de Hochfelden (deuxième partie) ; A. KIEFER, J.-M. LANG, Les corporations de métiers dans le Comté de Sarrewerden aux XVIIe et XVIII e siècles ; H. HEITZ, Document savernois : Prothocollum contractuum der Stadt Elsaß Zaberen ; R. RATINEAU (†), J.‑L. WILBERT, Les vœux de Drulingen et des villages environnants en 1793 (première partie) ; B. VOGLER, Un rapport de police sur le canton de Bouxwiller en 1854. Extrait du manuscrit 593 conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (troisième partie) ; H. HEITZ, Topographie historique de Saverne, la place du Général-de-Gaulle de 1851 à 1871 ; Cl. MULLER, Politique traditionnelle ou politique confessionnelle ? Deux élections (Saverne et Drulingen) pour le Conseil général en 1906.

Pays d’Alsace - no237, IV-2011

55 L. LORETTE, C. MEYER, V. SCHMIDT, Archéologues en herbe. Le passé, dépassé ? J.‑Cl. WEINLING, L’armorial des Hanau-Lichtenberg dans la Chronique de Bernard Hertzog ; A. KIEFER, Un « Gaden » du cimetière fortifié de Dossenheim-sur-Zinsel ; A. KIEFER, J.‑M. LANG, Les corporations de métiers dans le Comté de Sarrewerden aux XVIIe et XVIII e siècles (deuxième partie) ; H. HEITZ, En 1831, le Haut-Barr perd définitivement sa fonction militaire ; R. RATINEAU (†), J.‑L. WILBERT, Les vœux de Drulingen et des villages environnants en 1793 (deuxième partie) ; H. HEITZ, Pour étudier les rues de Saverne et leur histoire (première partie) ; P. VONAU, Le Savernois libéré. Vie et mort du dernier journal savernois (1944-1947).

56 Contact : Parc du château - BP 90042 - 67701 Saverne Cedex - www.shase.org.

Les Amis de la Bibliothèque de Sélestat

Annuaire 2011

57 Hubert MEYER, Les amis de la bibliothèque humaniste de Sélestat (1951-2011) soixante années au service du patrimoine sélestadien et particulièrement de la Bibliothèque

Revue d’Alsace, 138 | 2012 429

Humaniste ; Raymond MULLER, La Bibliothèque de Beatus Rhenanus inscrite au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO ; Emmanuelle JEANNIN, Extraits du dossier présenté à l’UNESCO ; Émeline CONSTANS, Beatus Rhenanus (1485-1547) face aux dangers de l’éloquence : un lecteur humaniste du Dialogue des Orateurs de Tacite ; James HIRSTEIN, Beatus Rhenanus et la pensée plastique (1ère partie) ; Le coup d’éclat des Sélestadiens à Herrlisheim en 1448 ; Jean PONS, Le choc des croyances religieuses autrefois à Colmar ; Charles MUNIER, Beatus Rhenanus et Janus Pannonius ; Laurent NAAS, Un événement universitaire exceptionnel à la Bibliothèque Humaniste : la soutenance de thèse de Sandrine de Raguenel sur les lettres de Paul Voltz à Beatus Rhenanus (18 avril 2011) : Luc ADONETH, La famille Flach. De l’église Saint-Georges de Sélestat à Albert Schweitzer ; Patrice DURR, Sélestat et le cinéma : des origines à 1914 ; Gabriel BRAEUNER, Marie-Joseph Bopp, ce Sélestadien devenu célèbre… à Colmar ! ; Hubert MEYER, Robert Guidat (1919-2011) ; Paul SAUTER, Visages humains et têtes d’animaux. Sculptures à l’église romane de Sainte-Foy à Sélestat ; Jean-Luc LIENARD, Les bas-reliefs de 1891 ; Paul SAUTER, À la gloire de l’Empereur ; Paul SAUTER, Un sculpteur à Sélestat : Armand Gachon ; Gabriel BRAEUNER, Sélestat à l’époque wilhelminienne ; Pierre WALTER, Marcel Catala au début du XXe siècle ; Jean‑Paul AUBE, Le dernier château lorrain de Saint-Hippolyte XVIIIe‑XIXe siècles ; Laurent NAAS, La Société sélestadienne des Lettres, Sciences et Arts (1919-1939). Contribution à l’étude de la sociabilité culturelle de Sélestat dans l’entre-deux-guerres ; Joseph LOGEL, l’achat du grand Sterpois ; Jean-Marie Joseph, Crime crapuleux à Sélestat ; Hubert MEYER, 55e anniversaire de la pose de la première pierre et 50e anniversaire de l’inauguration de l’hôpital de Sélestat ; François HEIM, Humanisme et éducation ; Claude MULLER, La croix et le scapulaire. Au pays de Saint Dominique à Sélestat au XVIIIe siècle ; Jean- Claude KLINGER, Prospections préhistoriques en Centre-Alsace ; Jean HURSTEL, Les élections législatives de mai 1924 ; Anaïs STOECKLE, Bibliographie sélestadienne.

58 Contact : Bibliothèque Humaniste - 1, rue de la Bibliothèque - 67600 Sélestat.

Société d’histoire et d’archéologie de Molsheim et Environs

Annuaire 2011

59 Christine MULLER, Deux dessins inédits de Karl Weysser autour de l’hôpital de Rosheim ; Louis SCHLAEFLI, Trésors disparus de la bibliothèque de la chartreuse de Molsheim ; Louis SCHLAEFLI, Note sur les anciens vitraux de l’église des Jésuites de Molsheim ; Ariane MENSGER, Neues zum Glasgemäldezyklus der Kartause von Molsheim. Louis Schlaefli, p. 33-34 : traduction de l’article ; Ariane MENSGER, Entwurf und Ausführung. Zur Entstehung zweier Glasgemälde von Bartholomäus Lingg aus Straßburg. Louis Schlaefli, p. 45-46 : traduction de l’article ; François VOISIN, Chantal VOISIN‑WÜNSCHENDORFF, La saga d’une famille alsacienne… Les Wünschendorff, de Wissembourg à Rosheim ; Dany SCHITTER, Grégory OSWALD, Souvenirs d’un enfant de Molsheim : Jean‑Paul Schaeffer (1928-2010) ; Raymond KELLER, Nouvelles du « chantier des bénévoles » de la chartreuse de Molsheim. Activités 2009 et 2010.

60 Contact : 4 cour des chartreux - 67120 Molsheim.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 430

Société d’histoire de Mutzig et Environs

Annuaire 2011 - tome XXXIV

61 Claude MULLER, De Gaston de Rohan à Armand de Rohan ; Vincent MARTINEZ, La numismatique sous Georges Gustave de Veldenz, Seigneur du Ban de la Roche ; Andrée ROLLING, Les pensionnés de l’État du XIXe siècle ; Émilie ESCHBACH, Élections ; Auguste SCHMITT, La région de Molsheim-Mutzig à l’époque du Reichsland (1871-1914) ; Francis BOURGAULT, Nos activités au fil des saisons.

62 Contact : 4 rue de Hermolsheim - 67190 Mutzig.

Société des Amis du Musée régional du Rhin et de la Navigation

Bulletin 2011 - no23

63 Michel SPITZ, Une porte de la Mer du Nord à la Méditerranée - Le Corbusier et l’écluse de Kembs-Niffer (1960‑1962) ; Hans PELZER, L’histoire de la dernière péniche tractée sarroise, l’Anna-Leonie ; Bernard LE SUEUR, La création d’une chambre professionnelle pour les artisans bateliers ; Roland COUSANDIER, La propulsion électrique des navires, son contexte technologique ; Les Zurichois à Strasbourg : une histoire d’amour ! Roland SEITEL, Cinquante ans de ma vie sur le Rhin ; Jean-Marc BRONNER , Le Rhin, des potentialités à développer pour l’avifaune ? Henri PFISTER, Histoire de l’Armement « Le Rhin » avec la participation de Marie-Hélène David et de Maria Walter (suite et fin).

64 Contact : à bord du Strasbourg - rue du Général Picquart - 67000 Strasbourg.

Société d’histoire du Val de Villé

Annuaire 2011 - no36

65 Fr. DIETRICH, J.‑M. GÉRARDIN, G. GEIGER, Le patois de chez nous ! J.‑M. GÉRARDIN, Une poésie originale : Les Ménnonites du Val de Villé ; Ch. DIRWIMMER, Les « chemins du patrimoine » de Fouchy et de Saint-Martin-Breitenbach-Maisongoutte ; Ch. DIRWIMMER, L’hiver 1956 ; Ch. DIRWIMMER, G. GEIGER, 60 ans après… 1951 dans la presse ; M.‑Th. NATTA, Ma guerre ; G. BISCHOFF, L’abbaye de Honcourt et ses archives à la fin du XXe siècle : pour une archéologie de la mémoire ; Ch. DIRWIMMER, C’est loin l’Amérique ? J.‑Ph. DUSSOURD, L. ADONETH, Les bains de Châtenois : le Badbronn (1/2).

66 Contact : Mairie de Villé - 67220 Villé.

Fédération du Club Vosgien

Les Vosges - 1/2011

67 M.‑L. WITT, La société historique littéraire du CV (1ère partie) ; P. HILT, Le lancement de disques enflammés à Offwiller ; J.‑R. ZIMMERMANN, Les châteaux de Ribeauvillé et l’Alsace à la charnière des XIe et XII e siècles ; J.‑L. PFEFFER, Le Club Vosgien et le mouvement jeunes en Europe ; J. M. PARMENT, Une randonnée urbaine à la découverte de Belfort ; L. PETIOT, Sources et résurgences dans la région de Bourbonne (2e partie) ; G. MOSSER, Europa Compostella 2010.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 431

Les Vosges - 2/2011

68 G. MEYER, Colmar et son environnement privilégié ; E. STRAUMANN, Le Club Vosgien ou « la pensée en mouvement » ; J. KLINKERT, Colmar est alsacienne, française et européenne ! G. BRAEUNER, Colmar, l’extraordinaire richesse de son patrimoine historique ; M.‑H. SIBERLIN, Le musée Unterlinden de Colmar, un lieu unique, des collections prestigieuses ; Fr. LICHTLÉ, Le Champ de Mars et quelques monuments colmariens ; R. JACQUES, E. FRIEH, De part et d’autre du Rhin, les deux Brisach ; J.‑L. VEZIEN, Colmar et les vins d’Alsace ; J.‑M. PARMENT, Concours photos « Fermeture des paysages » : règlement ; Les activités du Club Vosgien.

Les Vosges - 3/2011

69 L. NIELSEN, L’eau et les sentiers, thème des Eurorandos 2011 ; J.‑M. PARMENT, L’eau, élément de patrimoine et d’identité ; Les manifestations Eurorand’eau du 22 mai ; CV de la Bresse, Le tour du Lac de la Lande ; J.‑M. GEHIN, À la source de la Moselle, randonnée sur le Drumont ; J.‑P. WAGNER, Autour des sources de l’Ill ; B. BIONDI, La Plaine et les Deux Sarre ; R. DENNER, Sur le sentier de l’Ill ; J. BURCKEL, Une étape du Sentier de la Moder ; J. SIMON, Autour de Niederbronn ; A. LEMBLÉ, Forêts, eaux et pierres du côté de Lembach ; D. VOUIN, F. THORR, La formation GRP 2011, J. BURCKEL, Rapport moral année 2010 ; Fr. LUNG, Nos sentiers, un but ou un moyen ?

Les Vosges - 4/2011

70 Bernard BECKER, Les 400 ans de Porcelette (première partie) ; Gérard FORCHE, La réserve forestière intégrale transfrontalière Adelsberg – Lutzelhadt ; Jean‑Robert ZIMMERMANN, L’abbaye cistercienne de Lucelle ; Jean-Marc PARMENT, Randonnée et marché de Noël au pays de Thann ; Marie-Louise WITT, La société historique, littéraire et scientifique du Club Vosgien, suite et fin.

71 Contact : 16 rue Sainte Hélène - 67000 Strasbourg.

Haut-Rhin

Société d’histoire et de généalogie de Bennwihr

Bulletin no11 - novembre 2011

72 Devoir de mémoire : parcours militaire des classes 1932-1952 à 1942-1962 de Bennwihr sur fond de « Guerre d’Algérie »

73 S. CLUZEL, « La guerre d’Algérie » ; A. et E. BRUNNER, Avant-propos ; A. et E. BRUNNER, Témoignages des soldats ayant servi en Afrique du Nord et autres lieux ; S. CLUZEL, Paquebots et avions utilisés durant le conflit algérien ; Extraits du « livret militaire individuel » ; M. et V. FUCHS, Extraits des « cahiers d’instruction » ; Certificats de bonne conduite ; Décorations et insignes ; Le Père-Cent ; Dernières classes ayant fêté leur conscription.

74 Contact : 4 rue du Stade - 68360 Bennwihr.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 432

Société d’histoire de Bruebach

Bulletin no7 - 2010/2011

75 1825-1826, une année épouvantable : la variole sévit ; Martha Duell, née Jund, honorée en Caroline du Nord (USA) ; Bruebach vers 1926 ; Les maires François Joseph Erhart et Jean Thiebaut Zuber ; P. KARLEN, Liste des maires, adjoints et conseillers ; Vieilles maisons ; Connaissez-vous votre village ? Connaissez-vous les villages des environs ? Une belle photo centenaire.

76 Contact : 27 rue de Flaxlanden - 68440 Bruebach.

Châteaux forts et villes fortifiées d’Alsace

Chapelles d’Alsace : cantons du Haut-Rhin - bulletin 2010

77 Canton d’Altkirch : Illfurth, Jettingen, Luemschwiller ; Canton de Cernay : Burnhaupt-le-Bas, Steinbach, Uffholtz, Wittelsheim ; Canton de Colmar : Sainte-Croix- en-Plaine ; Canton d’Ensisheim : Ensisheim, Fessenheim, Reguisheim ; Canton de Ferrette : Oltingue ; Canton de Guebwiller : Guebwiller, Murbach, Schweighouse ; Canton de Habsheim : Habsheim ; Canton de Hirsingue : Ueberstrass ; Canton de Huningue : Hagenthal-le-Bas ; Canton d’Illzach : Ruelisheim ; Canton de Kaysersberg : Ammerschwihr, Kaysersberg, Kientzheim, Niedermorschwihr, Sigolsheim ; Canton de Lapoutroie : Freland, Labaroche, Lapoutroie, Le Bonhomme, Orbey ; Canton de Masevaux : Masevaux, Sentheim, Rimbach-près-Masevaux ; Canton de Mulhouse : Brunstatt, Galfingue, Morschwiller-le-Bas, Mulhouse ; Canton de Munster : Soultzbach-les-Bains, Stosswihr, Wihr-au-Val ; Canton de Neuf-Brisach : Balgau, Heiteren, Obersaasheim ; Canton de Ribeauvillé : Illhaeusern, Ribeauvillé, Saint- Hippolyte ; Canton de Rouffach : Pfaffenheim, Soultzmatt ; Canton de Saint-Amarin : Kruth, Moosch, Oderen, Saint-Amarin ; Canton de Sainte-Marie-aux-Mines : Liepvre, Sainte-Croix-aux-Mines, Sainte-Marie-aux-Mines ; Canton de Sierentz : Bartenheim, Kappelen, Sierentz, Steinbrunn-le-Bas ; Canton de Soultz : Issenheim, Jungholtz, Soultz ; Canton de Thann : Guewenheim, Rammersmatt ; Canton de Wintzenheim : Eguisheim ; Canton de Wittenheim : Reiningue.

78 Contact : www.chateauxforts-alsace.org.

Société d’Histoire et d’Archéologie de Colmar

Mémoire colmarienne no121 - mars 2011

79 Fr. LICHTLÉ, Bâle au secours de Colmar en 1770… ou les déboires de Jean Georges Trutzel ; R. HUEBER, La Californie de jadis, la Californie nouvelle : un dyptique américain d’Auguste Bartholdi ; Ph. JÉHIN, Le général Rapp et le blocus continental.

Mémoire colmarienne no122 - juin 2011

80 Fr. LICHTLÉ, Le monument Voulminot au cimetière du Ladhof ; G. BRAEUNER, Il y a soixante ans : la mort de Hansi ; Fr. LICHTLÉ, L’éruption du volcan islandais « Laki » et ses répercussions dans la région colmarienne en 1783-1784 ; Echos de nos sorties :

Revue d’Alsace, 138 | 2012 433

S. PLOUIN, Exposition « Les Celtes » à Völklingen et le parc archéologique de Bliesbruck (30 avril 2011).

Mémoire colmarienne no123 - septembre 2011

81 J.-M. SCHMITT, Notes bibliographiques ; Fr. LICHTLÉ, Quand deux religieuses des Catherinettes font le mur en 1545 ; Fr. LICHTLÉ, L’occupation autrichienne à Colmar de 1815 à 1818 ; Ph. JÉHIN, L’amiral Bruat et la discipline militaire.

Mémoire colmarienne no124 - décembre 2011

82 Fr. LICHTLÉ, Colmar, ville de garnison ; B. JORDAN, Georges Graff, orfèvre ; Fr. GOERIG- HERGOTT, Exposition : Sous les Tilleuls, les modernes, de Monet à Soulages.

83 Contact : Archives municipales - 1 place de la Mairie - 68000 Colmar.

Société d’Histoire d’Eschentzwiller et de Zimmersheim

Bulletin no17, décembre 2011 - Les traditions de Noël en Alsace

84 M. et Chr. VOEGTLIN : Les origines de Noël, L’Avent, Saint-Nicolas, Le Christikindla, Hans Trapp, L’homme de Noël, Le Sante Claus néerlando-américain, L’arbre de Noël - son histoire, Symbolique et décor de l’arbre de Noël, La veillée de Noël, La crèche, les 12 jours s’kleina Johr, Saint-Sylvestre, Nouvel An, Coutumes épiphaniques, Les pâtisseries, Bibliographie.

85 Contact : [email protected] - 9 rue Bonbonnière 68440 Eschentzwiller.

Société d’histoire du Haut-Florival

Métiers du bois et de la forêt (tome 2). Numéro spécial de la revue S’Lindeblätt

86 Tharcise MEYER, Holzwerter : balade linguistique à travers les mots du bois ; Richard LEDERMANN, Autour du bois ; Michel WAGNER, Des arbres remarquables dans le Haut-Florival ; Georges GERRER, La forêt, du panorama au travail ; Jean BADER, La scierie Scherrer, la menuiserie Noël, la scierie Neyer à Buhl ; Maurice RISSER, La scierie Risser de Sengern ; Hubert MARTIN, Une lignée de charpentiers au Remspach : les Huen ; Maurice KECH, Mémoires du charpentier Emile Werlen ; Colette EZCURA, La magie du bois ; Michel WAGNER, Le fabricant de schlittes ; Maurice KECH, D’r neï Kiefergsell ; Jean-Jacques PFEFFER, Les pics ouvriers du bois.

87 Société d’histoire du Haut-Florival - BP 10 – 68610 Lautenbach - www.slindeblatt.com.

Société d’histoire et du musée du Florival

Urbès, un village alsacien pendant la guerre 1914-1918

88 Un ouvrage sur la guerre de 1914-1918 vue par un enfant : Texte de Joseph Bohler, publié par Georges Barth et annoté par Philippe Legin. 36 p., ill. h.-T.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 434

Mémoires du Florival - 2011

89 Philippe LEGIN, La Société d’Histoire en 2010 et projets pour 2011 ; Charles BOURCART, L’Oberlinger et ses vestiges antiques ; Catherine RIQUIER-MUNSCH, Une dominicaine de Guebwiller sous la Révolution ; Georges BARTH, La croix de Mission à Guebwiller ; N., L’effondrement du mur du Hugstein en 1852, texte présenté par Philippe Legin ; Roger MULLER, Nicolas Riggenbach, pionnier guebwillerois du rail ; Daniel HERING, L’abbé Sauter (1846-1943) et Casimir de Rathsamhausen ; Jean-Claude HECKTSWEILER, Histoire d’une carabine ; Philippe LEGIN, Une fête à Guebwiller en 1933 ; Anonyme, Juin 1940, texte présenté par Philippe Legin.

90 Contact : Société d’Histoire et du musée du Florival - Musée Théodore-Deck et des Pays du Florival - 2 rue du 4 Février - 68500 Guebwiller - [email protected].

Société d’histoire de la Hardt et du Ried

Annuaire 2011

91 P. BIELLMANN, Biesheim-Oedenburg 2010 : un aspect méthodologique ou de la pertinence d’une prospection superficielle par rapport à la fouille ; P. BIELLMANN, D. HERZOG, Un important site gallo-romain à Niederhergheim, L. SCHLAEFLI, Notes sur les baillis de Marckolsheim ; P. MARCK, La venue des Savoyards à Marckolsheim aux XVIIe et XVIII e siècles ; J.‑Ph. STRAUEL, 1724 : abornement entre Grussenheim et Marckolsheim ; Cl. MULLER, Du fleuve à la frontière du Rhin à la fin du XVIIIe siècle ; P. MARCK, Le dernier bourreau de Marckolsheim ; E. BERINGER, François-Joseph Schelcher, augustin à Colmar, oncle de Victor Schoelcher, et la Révolution à Fessenheim ; O. CONRAD, Les crues du Rhin. Une lutte incessante et longtemps vaine au dix-neuvième siècle (1801-1852) ; F. BAUMANN, Les constructions publiques de l’architecte Charles Théodore Kuhlmann (1827-1840) ; P. MARCK, Quelques cas d’émigration d’habitants de Marckolsheim au XIXe siècle ; J.‑M. LALEVEE, Jules Thurmann : une figure oubliée de Neuf-Brisach ? F. NAILI, Henri Baldensperger ; un missionnaire alsacien et le « vivre ensemble » en Palestine autonome ; P. MARCK, La cause des décès à Marckolsheim en 1877 ; V. GROSS, La vie mouvementée de Philippe Henri Walther de Muttersholtz ; N. LOMBARD, « S’Riedbahnel » ou l’introuvable unité du canton de Marckolsheim (1909-1954) ; Cl. MULLER, La croix au village. Le catholicisme à Heidolsheim au XXe siècle ; A. BRUNSPERGER, Widensolen. Souvenirs d’enfance. Il y a soixante dix ans ; J. SCHAPPLER, Souvenirs de guerre ; J. ARMSPACH, Une tranche d’histoire de Logelheim. Un jeu devenu discipline ; J.‑Ph. STRAUEL, Le « Geisastalala » du ghetto de Grussenheim.

92 Contact : 32 rue de la Krutenau - 68180 Horbourg-Wihr.

Cercle d’Histoire de Hégenheim

Bulletin no15 - 2011

93 Ch. SANCHEZ, In memoriam Alain Wojcik (1948-2011) ; S. HAENEL-ERHARDT, En mémoire de Marguerite Muller-Walter (1909-2011) ; R. EVRARD, Les camps scouts scolaires de Hégenheim (1949-1951) ; V. VAN ASSCHE-HOFF, La Deuxième Guerre mondiale en Alsace et dans nos villages ; J. & R. NARGUES, Les boulangers à

Revue d’Alsace, 138 | 2012 435

Hégenheim ; Ch. SANCHEZ, Inauguration de l’oratoire du cimetière israélite de Hégenheim en 1908 ; H. FRANK, Ma vie jusqu’à 15 ans racontée à mes enfants (1ère partie) ; B. LANZ-FOLTZER, Coutumes et croyances d’antan ; S. HAENEL-ERHARDT, Hégenheim il y a cent ans à travers l’état Civil et les délibérations du conseil municipal ; H. NAAS-MISSLIN, Hégenheim 2010 : Chronique d’une année. Les évènements d’aujourd’hui… seront l’histoire de demain ; J. WIEDMER-BAUMANN, Folgensbourg il y a cent ans à travers l’état civil et quelques délibérations du conseil municipal ; B. MULLE, Folgensbourg mi Heimatsdorf ; G. MUNCH, Les possessions de l’abbaye de Lucelle autour de Saint-Apollinaire à Folgensbourg et Michelbach-le-Haut ; H. HOFF, L’école avec Jean Schoerlin de Neuwiller ; Th. LITZLER, Friajohr.

94 Contact : 20 rue des Vignes - 68220 Hégenheim.

Société d’Histoire et de Culture d’Ingersheim

Chroniques d’Ingersheim no12 - avril 2011 - Spiritains d’Ingersheim

95 La saga des Schwindenhammer ; Ignace Schwindenhammer ; Jérôme Schwindenhammer ; Eugène Schwindenhammer ; Edouard Schwindenhammer ; Caroline et Marguerite Schwindenhammer ; Klein, Simonis et Eschbach, les cousins des Schwindenhammer ; Jean-Alphonse Eschbach, Jean-Baptiste Frey, Charles et Lucien Frey, neveux de Jean-Baptiste Frey, Camille Laagel, Léon Fuhrmann, Alfred Muller, François Berxell ; Alfred Raedersdorff ; Alfred Zippert ; Ecole des missions de Blotzheim.

96 Contact : 27 rue du Père Jean-Baptiste Frey - 68040 Ingersheim.

Les Amis de la seigneurie de Landser (Lasela)

Landser et ses maires de 1800 à 2011

97 À l’occasion de son 30e anniversaire, LASELA publie un fascicule de 54 pages consacré à l’histoire des maires de la commune de Landser, de 1800 à 2011, préfacé par le Dr Lorrain, maire honoraire et avec une postface du maire actuel, Daniel Adrian.

98 Sont évoqués tour à tour : François Antoine Rothéa, François Joseph Lochmann, François Joseph Ristelhueber, Jean-Baptiste Wendling, Charles Rossée, Jacques Wendling, Philippe Antoine Redot, Joseph Wagner, Jean-François Weingartner, Adolphe Ruell, Jean-Baptiste Kalt, Joseph Acklin, François Joseph Ostertag, Pierre Billig, pour le XIXe siècle.

99 Au XXe siècle, nous trouvons Alphonse Fischesser, Auguste Stutz, Joseph Mosser, Alphonse Mutterer, Eugène Muller, Prosper Kuentz, Lucien Schnebelen, et au XXIe siècle, Dr Jean-Louis Lorrain et Daniel Adrian.

100 Contact : 16 rue Acklin - 68440 Landser.

Société d’histoire de la Vallée de Masevaux

Patrimoine Doller no21 - 2011

101 Première partie : compléments sur l’incorporation de force : I. L’incorporation de force dans la vallée : J.-M. EHRET, D. WILLME, Bourbach-le-Bas ; A. BOHRER, Burnhaupt- le-Haut, J.‑M. EHRET, Dolleren ; D. WILLME, Guewenheim ; P. ACKERMANN, J.-M. EHRET,

Revue d’Alsace, 138 | 2012 436

Kirchberg ; R. LIMACHER, Lauw ; R. LIMACHER, Masevaux ; R. LIMACHER, Mortzwiller ; M. BISSLER, Sentheim ; P. ACKERMANN, J.-M. EHRET, Wegscheid ; II. Autres situations : Malgré‑nous domiciliés ailleurs, réfractaires… ; J. LAUTER, Bourbach-le-Bas ; S. LERCH, Bourbach-le-Haut ; A. BOHRER, Burnhaupt-le-Haut ; D. WILLME, Guewenheim ; R. LIMACHER, Masevaux ; D. FLUHR, Soppe-le-Haut ; Deuxième Partie : Articles divers : M. HAAN, La préhistoire dans la vallée : vestiges probables et interprétations possibles (I) ; A. DEYBER, Le berger communal de Soppe-le-Bas ; J.‑Fr. REITZER, Quand la paroisse de Masevaux louait les bancs de l’église ; R. LIMACHER, Masevaux au XVIIIe siècle ; J. LAUTER, À propos de la culture du chanvre à Bourbach-le-Bas ; D. FLUHR, Monseigneur Landelin Winterer, enfant de Soppe-le-Haut ; P. KOENIG, Les Américains à Lauw pendant la Première Guerre mondiale ; J. LAUTER, L’odyssée du soldat Adolphe Bihler (1892-1965) ; D. WILLMÉ, Monseigneur Joseph Fady, évêque « Père Blanc » ; D. WILLMÉ, 112 ans au service d’autrui : le corps des sapeurs-pompiers de Guewenheim ; R. LIMACHER, Ephémérides 2008 et 2009.

102 Contact : 1 rue du B.M. XI - 68290 Dolleren.

Conseil consultatif du Patrimoine mulhousien

Trésors d’archéologie

103 En collaboration avec le Musée historique de Mulhouse. Avant-propos d’Yves Coppens et introduction de Christian Jeunesse.

104 Première partie : nos ancêtres révélés par l’archéologie. R. ANGEVIN, Le Paléolithique ; Ch. JEUNESSE, Le Néolithique ; M. ROTH-ZEHNER, Le premier âge du Fer ; M. ROTH- ZEHNER, Le second âge du Fer ; A. HEIDINGER et J.-J. WOLF, L’Antiquité ; J. SCHWEITZER, Le Haut Moyen Âge.

105 Deuxième partie : L’archéologie à Mulhouse et en sud-Alsace. J.‑J. WOLF, La carte archéologique de Mulhouse ; J. DELAINE, L’archéologie à la naissance du Musée Historique ; B. SCHNITZLER, 150 ans de recherches archéologiques dans la région de Mulhouse.

106 Troisième partie : Pour mieux comprendre l’archéologie. J.-J. WOLF, Terroirs et paysages du Sud-Alsace ; B. BAKAJ et M. ROTH-ZEHNER, L’archéologie : une activité réglementée ; Ch. VOEGTLIN et A. HEIDINGER, L’archéologie expérimentale ; Les acteurs de l’archéologie ; Glossaire, bibliographie et notes ; Echelle chronologique.

107 Contact : 4 rue des Archives - 68100 Mulhouse.

Société d’Histoire et de Géographie de Mulhouse

Annuaire Historique de Mulhouse, 2011. Tome 22 : Enseigner à Mulhouse

108 Etudes et documents : B. SCHNITZLER et J. DELAINE, Petite histoire de l’archéologie au Musée historique de Mulhouse ; J. SCHWEITZER, Trésors d’archéologie au Musée historique ; A. HECKENDORN, Trésors d’archéologie : une publication pour saluer la réouverture de la salle d’archéologie du Musée historique ; J. M. KOCH, Madeleine en vanité ou la grâce e(s)t l’invisible ; B. RISACHER, Jungholtz, une filiale méconnue de la SACM de Mulhouse (1920-1978) ; Y. FREY, Une anticolonialiste pendant la guerre d’Algérie ; Ch. TROER, Topographie du site des Coteaux. Conférences : R. WOESSNER,

Revue d’Alsace, 138 | 2012 437

L’université de Haute-Alsace dans la tourmente des recompositions territoriales ; B. JACQUÉ, L’enseignement technique à Mulhouse au XIXe siècle ; M.‑Cl. VITOUX, Quelle(s) école(s) pour les ouvriers mulhousiens au XIXe siècle ? O. RICHARD, Villes et écoles dans le Rhin supérieur à la fin du Moyen Âge ; Dr J. ESCHBACH, Enseignement en Alsace 1940-1945. Lieux et images : Y. FREY, Daniel Girardet et le bâtiment « Ecran » ; D. BOURGEOIS, Un aspect de la vie estudiantine : le ritus depositionis à travers une illustration. Boite à outils pour l’historien : N. SCHRECK et J. ZICKLER, Au début était Napoléon : tableaux, caricatures et vues sur verre pour appareils à projection utilisés dans l’enseignement de l’histoire dans les écoles normales et les écoles d’Alsace à la fin du Reichsland ; D. BOURGEOIS, « Entre amis… » manifestations des liens d’amitié aux XVIe et XVII e siècles ; M.‑Cl. VITOUX, Numérisation des mémoires de Karl Hack ; D. BOURGEOIS, Numérisation des Bulletins/annuaires de ma SHGM ; A. HERBRECHT, Une chronique oubliée. Vie culturelle : M.-Cl. VITOUX, Chronique de l’Université ; E. MICHELON, Chronique mulhousienne ; A. LEMAITRE, Vie musicale à Mulhouse. Bibliographie mulhousienne. Comptes-rendus.

109 Contact : www.shgm.fr - 80 rue du Manège - 68100 Mulhouse.

Cercle de Recherche historique de Ribeauvillé et Environs

110 La Revue historique de Ribeauvillé et Environs - no19 - annuaire 2011 - numéro spécial : Carola, la saga d’un patrimoine alsacien

111 Le pourquoi et le comment de l’eau à Carola ; Déjà sous les Celtes et les Romains ; Carola sous le règne des Ribeaupierre… et après ; La glorieuse époque du thermalisme ; Carola, l’eau de table ; Et la piscine dans tout cela ? Les tribulations du casino ; Vers un renouveau du thermalisme : la balnéothérapie ; Annexe ; Bibliographie et sources.

112 Contact : 1 cour du Grand Bailli - 68150 Ribeauvillé.

Société d’Histoire « Les Amis de Riedisheim »

Bulletin no39 - septembre 2011

113 G. MEYER, Il y a 40 ans (1ère partie)… 1971 ; Courrier des lecteurs ; G. CLAERR STAMM, Histoire des rues de Riedisheim (8e partie) « La rue d’Alsace » ; R. MULLER (†), Journal de guerre de l’abbé François Deyber ; R. MULLER (†), Prêtres et religieux originaires ou ayant œuvré à Riedisheim, internés par les nazis ; G. MEYER, À l’occasion d’une restauration - Les vitraux de l’église Notre-Dame. Historique des maisons, F. X. Zettler de München, Ott Frères de Strasbourg ; E. DECKER (†), « Adieu Lycée de Mulhouse » ; E. DECKER (†), « La légende de Mulhouse » ; M. SCHERRER, Le 20e anniversaire de la Lustige Klique ; D. WEIRTZ, M. JORDAN-NITSCH, Quelques nouvelles de Schertz, G. CLAERR STAMM, Mois de mars animé au consulat de Hongrie à Riedisheim ; G. MEYER, À la découverte du patrimoine avec l’école Bartholdi.

114 Contact : 8 rue Jeanne d’Arc 68400 Riedisheim.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 438

Société d’histoire de Rixheim

Bulletin no26 - 2010-2011

115 Ch. THOMA, Les années de guerre d’un Libérateur Jean Thoma (1939-1947) ; Ch. THOMA, 70e anniversaire de l’évacuation de Rixheim (1940-2010) ; R. ZERR, Ch. THOMA, Roger Zerr, un alsacien dans la tourmente (1940-1945) 2e partie ; Rixheim hier, Rixheim aujourd’hui ; J. P. BLATZ, La reconstruction de l’église Saint-Léger de Rixheim au XVIIIe siècle.

116 Contact : 28 rue Zuber - 68170 Rixheim.

La Société d’Histoire et d’Archéologie du Canton de Rouffach

Annuaire no5 - mars 2011

117 R. SIRY, R. BAEREL, La société d’histoire et d’archéologie du canton de Rouffach, une année d’activité ; J.‑J. FELDER, Les découvertes archéologiques à Hattstatt ; R. SIRY, R. KIPPELEN, L’univers de la Schwartzenthann ; R. BRUN, Maires de Soultzmatt – Wintzfelden ; Fr. BOEGLY, Maires de la Ville de Rouffach (1790-1940) ; R. BRUN, Au sujet de la Tuilerie de Thanvillé ; R. BAEREL, Le bornage du ban de Rouffach ; P. LICHTLÉ, De Rouffach en Amérique ; Fr. BOEGLY, Georges Valentin Weingand ; Cl. MULLER, Du voile à la liberté ; M.‑O. LICHTLÉ, Petit historique du couvent Saint Marc ; L. ROESCH, L’eau à Gueberschwihr.

118 Contact : 6 bis place de la République - 68250 Rouffach.

Société d’histoire de Saint-Louis

Les Amis du patrimoine. Annuaire 2011

119 Histoire : P.-B. MUNCH, Le Dr Marcel Hurst, maire de 1935 à 40 et 1945 à 57 ; G. GISSY, Huit conseillers municipaux emprisonnés en 1944 ; P.-B. MUNCH, Charles Knoepflé, maire de 1957 à 1965 ; P. SIMON, Délibérations du conseil municipal il y a 100 ans ; C. MEDER, L’arbre d’Amérique refait surface ; A. MISLIN, La maison Erhard, ancienne mairie ; C. MEDER, La zone neutre, histoire d’un passeport. Biographies : A. MISLIN, À la mémoire d’André Germann ; C. MEDER, Albert Haas ; P. SIMON, Eugène Toussaint, sous-préfet de Saint-Louis. Économie : D. WITTMER, Le nouveau marché de Saint-Louis. Mémoires : A. MISLIN, Les cartes postales ludoviciennes ; J. STRAUMANN, Bourgfelden, mémoire d’un appariteur ; P. LEVY, SODEC, survol industriel depuis 1950 ; J. GROLL, Neuwilditsch de Johann Schoerlin. Associations : A. ALBIENTZ, Il était une fois le FC Saint-Louis ; A. ALBIENTZ, Il était une fois le FC Neuweg ; A. ALBIENTZ, La fusion FC Saint-Louis-FC Neuweg ; C. MEDER, Le nouveau chemin de croix à l’église Notre-Dame ; C. MEDER, Patrimoine disparu : le restaurant Au Raisin. La cité : S. NIOBÉ, 30 ans de jumelage Saint-Louis-Lectoure ; D. WITTMER et S. CHOQUET, Rétrospective ludovicienne 2010 ; Poème : J. GROLL, Dezamber.

120 Contact : 8 place Sainte-Barbe - 68300 Saint-Louis.

Revue d’Alsace, 138 | 2012 439

Les Amis de Soultz

Bulletin no88 - octobre 2011

121 R. MULLER, Chronique : D’r Bàchgràwa-Maire ; R. MULLER, Schangi l’artiste-sculpteur du Bàchgràwa ; E. ROUBY, Quand les alsaciens changeaient de nationalité ; E. ROUBY, « Indésirables » ; B. RISACHER, Drame à la Belchenhütte.

122 Contact : 7A rue de Mortzwiller - 68780 Sentheim.

Société d’histoire du Sundgau

Le Sundgau par ses plus belles gravures. Gabrielle Claerr Stamm et Paul-Bernard Munch

123 La Société d’Histoire du Sundgau fête ses 80 ans en 2011. Afin de marquer cet événement, elle a cherché une manière originale de présenter son territoire. Elle offre à ses lecteurs à la fois un livre d’images et un ouvrage d’Histoire. Mais un livre d’images différent, entièrement composé de gravures réalisées sur deux siècles, du milieu du XVIIe au milieu du XIX e siècle et qui soit aussi véritablement une publication au caractère historique, car chaque œuvre est accompagnée d’un texte contemporain des gravures et complété par des données récentes.

124 L’ouvrage présente les biographies des artistes qui ont réalisé les gravures et lithographies sélectionnées et rappelle, en préface, les fondamentaux de l’évolution de la gravure.

125 Ont été sélectionnées des gravures et lithographies représentant Altkirch, Blotzheim, Brunstatt, Carspach, Ensisheim, Eschentzwiller, Ferrette, Fislis, Hagenthal-le-Bas, Heidwiller, Hirtzbach, Hundsbach, Huningue, Landser, Landskron, Liebenstein, Lucelle, Morimont, Oberlarg, Notre Dame d’Oelenberg, Ottmarsheim, Rixheim, Saint- Apollinaire, Saint-Louis, Winkel et Wittersdorf.

126 Contact : www.sundgau-histoire.asso.fr - BP 27, 68400 Riedisheim. 25 € + 5 € (port).

Société d’histoire « Les Amis de Thann »

Annales des Franciscains du couvent de Thann au XVIIIe siècle (1701-1742) paru en 2001 (446 p.), suivi du deuxième volume, de 1742 à 1784, paru en 2010 (528 p.).

127 Du frère Malachias TSCHAMSER, Transcription et traduction de Christine HEIDER, Marc DROUOT, André ROHMER, François ROSENBLATT et Léonard ZURLINDEN (plus Ruth TORRENT et Paul BISCHOFF pour le deuxième volume).

128 La Chronique de Thann rapporte de très nombreux faits survenus à Thann, au couvent des Franciscains, dans l’Ordre, dans la Regio, et même dans bien des contrées de l’Europe et du monde depuis 1182 jusqu’à 1784. Dans cette œuvre l’amoncellement des informations est désordonné du fait même de la trame chronologique. Ainsi on retrouve pêle-mêle, certains thèmes privilégiés comme : La vie de l’Ordre des Franciscains, de l’Eglise, les tensions liées à la Réforme ; L’histoire des nations, de leurs gouvernants, les faits des batailles et des guerres ; Les incendies et cataclysmes naturels, inondations, éruptions volcaniques, tremblements de terre… ; Les épidémies, épizooties et les famines ; Les faits divers

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sensationnels, naissances de monstres, faits de sorcellerie, phénomènes célestes ; La vie courante à Thann et dans les environs ; Les nombreuses listes de notabilités, de clercs, de bangards ; Le climat, les récoltes et les vendanges.

129 Au regard de la transcription du texte allemand (et parfois latin) les auteurs publient une traduction en français, pour tous les textes concernant l’histoire de Thann, de l’Alsace ou qui concerne l’Ordre des Franciscains. Un index des noms de personnes et des lieux permet une recherche rapide.

Thann, 850 ans d’histoire et de culture, par André ROHMER

130 L’ouvrage présente de manière attrayante et illustrée, une histoire de la ville de Thann largement revisitée. Parmi les thèmes abordés : la ville sous les comtes de Ferrette (château), puis sous les Habsbourg (Pierre de Hagenbach), la Collégiale et son pèlerinage à saint Thiébaut, Thann au fil des siècles et les principaux bâtiments civils et religieux, le vignoble du Rangen, les écoles, la Révolution, les industries chimiques, le chemin de fer, les guerres mondiales et la Résistance, la ville actuelle, pour ne citer que quelques uns des thèmes abordés.

131 Contact : 13, rue Steinacker - 68800 Thann.

Société d’histoire et d’archéologie de Wickram Turckheim

Turckheim Trois-Epis - Dans la tourmente 1914-1918

132 G. SCHWARTZ, Repères chronologiques ; D. ROESS, 1914-1918 Turckheim Ville de Front ; Fl. EDEL, Délibérations du Conseil Municipal du 1/08/1914 au 14/02/1920 ; Al. EDEL, Chronique viticole Léon Arnold ; J. M. WAGNER, Chronique de la guerre du 28/06/1914 au 6/12/1915 ; E. J. SATTLER, Chronique de la guerre du 01/08/1914 au 25/06/1919 ; E. SCHLUSSEL, Le tramway Turckheim - Trois-Epis ; Fr. LICHTLÉ, Les Trois-Epis - durant la guerre 1914-1918 ; Père E. COLLET, Histoire du pélerinage des Trois-Epis du 31/07/1914 au 12/11/1918 ; Archives municipales : Les affiches de propagande.

Annuaire no37 - « Les pierres qui nous parlent » - Les bornes banales, les emblèmes de métier, les puits, de Turckheim, Walbach et Zimmerbach.

133 Publication en hommage à Roger Ehrsam (†). Groupe de rcherche : Roland CINOTI, Florent EDEL, Roger EHRSAM, Arthur GUTH, Jean HOHAUS, Jean-Louis FUCHS et Paul MEYER. Comité de rédaction : Bernard KUENTZ, Benoît SCHLUSSEL et Gérard SCHWARTZ.

134 Les bornes banales : La constitution des propriétés rurales au haut Moyen Âge ; L’identification de la propriété par le bornage ; Les rapports historiques de Turckheim avec l’abbaye de Munster et la seigneurie du Hohlandsberg ; La toponymie ; La cartographie ; Photos des bornes et des histoires de voisinage ; Les corporations : Les corporations à Turckheim ; Photos et emblèmes des métiers et des enseignes des auberges ; L’eau : Les sources, les affluents de la Fecht à Turckheim, le Stadtbächlein ; L’eau potable ; Photos des puits et fontaines et leurs implantations ; Les lavoirs ; Glossaire ; Bibliographie.

135 Contact : Hôtel de Ville - 68230 Turckheim.

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Association « Rencontres transvosgiennes »

Rencontres transvosgiennes no1 - 2011

136 Actes de la XIXe journée d’études transvosgiennes (le Donon, 24 octobre 2009) : P.‑M. DAVID, Le Chazeté ou Chastel de Taintrux. La redécouverte d’un site archéologique ? G. BANDERIER, La découverte et l’interprétation des vestiges du Donon par les Bénédictins de Moyenmoutier ; J.‑Cl. FOMBARON, Autour des combats du Petit Donon (20-21 août 1914), un site entre Histoire et légende épique ; Actes de la XXe journée d’études transvosgiennes (Remiremont, 23 octobre 2010) : P. HEILI, Présentation ; G. BANDERIER, Les abbayes du massif vosgien face à la Guerre de Trente Ans ; D. TOMASINI, Le château du Wildenstein pendant la Guerre de Trente Ans ; J.‑A. MORIZOT, La guerre de 1870 dans l’arrondissement de Remiremont ; H. ORTHOLAN, Les forts de Haute-Moselle.

137 Contact : [email protected].

Hors Alsace

Souvenance anabaptiste – mennonitisches gedächtnis

Bulletin no30, 2011

138 Fr. SCHWINDT, Les assemblées anabaptistes-mennonites de la Meuse XIXe - XXe siècles ; E. HEGE, L’Association Fraternelle Mennonite, Un regard en arrière sur les commencements de l’œuvre ; Fr. NAAS, Les Assemblées anabaptistes-mennonites de la Haute Vallée de la Bruche (1708-1870) ; R. BAECHER, Les anabaptistes dans la vallée de Guewiller et au vallon du Rimbach ; J.‑Fr. LORENTZ, La retraite (de Russie) à 37 ans ; J.‑Cl. KOFFEL, Les anabaptistes de Hoff ; J.‑Cl. KOFFEL, Les anabaptistes des moulins de Sarrebourg ; J.‑Cl. KOFFEL, Le moulin de Hesse ; R. BAECHER, Une réunion anabaptiste dans « l’église de la forêt » en 1571.

139 Contact : 4 Grande Rue - 70400 Couthenans - [email protected].

Société philomatique vosgienne

Mémoire des Vosges - no22 - année 2011 - Différents & désaccords

140 Th. CHOSEROT, Les villages à l’épreuve des conflits. Robache, Marzelay, la Pêcherie, le Villé, près de Saint-Dié en lutte pour une identité ; Cl. MARCHAL, Du rite à la rixe : quand le rachat de la mariée tourne mal à Granges-Jussarupt, 1593 ; D. PARMENTIER, Prévenir et réprimer les conflits d’usages. Les droits forestiers dans la vallée de Straiture (XVe - XVIe siècles) ; R. REVERT, M.‑H. SAINT‑DIZIER, Les démêlés fiscaux des faïenciers dans la Lorraine d’avant 1789. Quand la disparité des droits des manufacturiers attisaient les querelles ; M.‑H. SAINT‑DIZIER, Le bras de fer entre les communautés et le maître des forges Joseph Colombier en l’an 2. Misère ou menées contre-révolutionnaires ? Fr. FERRY, D’une justice éducative à une justice répressive. Ou les « dérives » de la fonction du juge de paix ; J.‑Cl. FOMBARON, R. REVERT, Une altercation d’unijambistes sur saladier. Essai de lecture d’une faïence de Rambervilliers du début du XIXe ; J.‑Cl. FOMBARON, Les conflits liés à la perception des taxes indirectes

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dans les Vosges sous la restauration ; P. COLIN, Scènes de la vie quotidienne dans la région de Saint-Dié, avant le milieu du XXe siècle ; R. BASTIEN, Petit patrimoine à Nayemont-les-Fosses et à Sainte Marguerite ; J.‑Cl. FOMBARON, Paléographie : dans les registres de la justice de paix révolutionnaire de Saint-Dié. Une affaire liée au flottage sur la Fave.

Mémoire des Vosges - no23 - année 2011 - Transports & déplacements

141 J.‑P. LAGADEC, Les obstacles aux transports de marchandises et de personnes sur la Moselle aux XVIIIe et XIXe siècles ; J.‑P. ROTHIOT, La longue marche des Vosgiens de Mayence à la Vendée, juillet-août 1793 ; J.‑Cl. FOMBARON, R. REVERT, À propos de quelques factures de la faïencerie de Saint-Clément liées au transport ; J.‑Cl. FOMBARON, La transportation volontaire à Cayenne de repris de justice des Vosges (1852-1858) ; A. PEROZ, Les voies de communication stratégiques dans le département des Vosges avant la Première Guerre mondiale ; Y. BIDAULT, Le transport postal durant l’occupation allemande des Vosges lors de la guerre de 1870-1871 ; M.‑H. SAINT‑DIZIER, La question des percées de la chaîne des Vosges. Au XIXe siècle, un tunnel ferroviaire sous la Schlucht était-il une énormité ? Th. CHOSEROT, De Nayemont-les-Fosses à Saint‑Dié en passant par Schriesheim. Un témoignage de passages et d’une déportation (1942-1945) ; P. COLIN, R. BASTIEN, Petit patrimoine à Coinches.

142 Contact : Local des associations - allée Georges Trimouille - BP 231 - 88106 Saint-Dié- des-Vosges Cedex.

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