Catholique FRANCE FRANCE FRANCE Catholique 81ème année - Hebdomadaire n°2960 - 21 janvier 2005 www.france-catholique.fr 3,50 € ISSN 0015-9506 Après le Tsunami Retrouver le courage de vivre reportage auprès des Frères de St-Jean en Inde BREVES
été mis en examen le 12 janvier pour à la charge d’archevêque de Rouen – FRANCE "mise en danger de la vie d’autrui" dans Mgr Hubert Herbreteau (né en 1948), le cadre de l’enquête sur le défaut de jusqu’à présent vicaire épiscopal de POLITIQUE : Le Président de la Répu- protection contre l’amiante. Luçon. blique a ouvert le 12 janvier ses consul- Le ministre de la Justice, Dominique Per- tations sur l’organisation du référendum ben, a demandé le 12 janvier l’ouverture sur la Constitution européenne. Dans sa d’une enquête préliminaire après des MONDE conférence de presse du 13 janvier, le propos tenus par Jean-Marie Le Pen nouveau président de l’UMP, Nicolas dans Rivarol sur l’occupation allemande ASIE : Le moratoire sur la dette entériné Sarkozy, a réaffirmé son "oui" à cette et le drame d’Oradour-sur-Glane. le 12 janvier par le Club de Paris en Constitution et son refus de l’adhésion SOCIETE : Trente ans après le vote de la faveur des pays dévastés par le raz-de- de la Turquie pour laquelle il préconise loi du 17 janvier 1975 autorisant l’inter- marée de décembre dernier, concerne "un partenariat privilégié". Le président ruption volontaire de grossesse, les as- trois pays : l’Indonésie, le Sri Lanka et les de l’UMP a également souhaité que le sociations proches du planning familial Seychelles. 7 milliards de dollars d’aide candidat du parti à l’élection présiden- ont manifesté le 15 janvier à Paris pour ont été promis par les différents dona- tielle de 2007 soit désigné démocrati- soutenir cette loi, tandis que les asso- teurs. La France a proposé le 15 janvier quement ciations anti-avortement devaient ma- que l’île de la Réunion devienne le siège Réunis à Paris le 16 janvier, les Verts ont nifester le 23 janvier, également à Paris. du pôle d’alerte des catastrophes natu- élu un nouveau secrétaire national, PRESSE : La juge d’instruction de relles dans l’océan indien. Yann Wehrling, un Alsacien de 33 ans. Nanterre escortée de six policiers a ef- PROCHE-ORIENT : Au lendemain de la ECONOMIE : Selon l’INSEE, les prix à la fectué le 13 janvier une perquisition confirmation par la Knesset de son nou- consommation ont augmenté de 2% en dans les locaux du Point et de L’Equipe à veau gouvernement de coalition avec les France au cours des 12 derniers mois ; la recherche d’indiscrétions dans l’af- travaillistes, Ariel Sharon a félicité, le 11 mais la progression de l’indice du coût faire de dopage des cyclistes de l’équipe janvier, Mahmoud Abbas pour son élec- de la construction qui sert de base à la Cofidis. tion à la tête de l’Autorité palestinienne; révision des loyers a été de l’ordre de TRANSPORTS : L’Airbus A380 a été pré- une rencontre au sommet devrait avoir 5%. senté le 18 janvier à Blagnac (Hte Ga- lieu sous quinzaine ; mais les "rebelles" Le groupe chinois AS Watson a annoncé ronne) à 5 000 invités venus de toute du Likoud menacent de renverser le le 14 janvier avoir trouvé un accord avec l’Europe, dont quatre chefs d’Etat et de gouvernement israélien si le projet d’é- le groupe français de distribution de gouvernement. vacuation de Gaza n’est pas soumis à parfums Marionnaud pour le rachat de La société des autoroutes du nord et de référendum, tandis que le Hamas a an- la totalité de son capital, ce qui fera de l’est de la France a ouvert le 13 janvier noncé le 12 janvier son intention de ne lui le premier distributeur mondial de un tronçon de l’A29 entre Amiens et pas déposer les armes ; les violences se ces produits. Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime), sont donc poursuivies et les pourparlers SOCIAL : Semaine sociale chargée : pos- soit 58 kms ; à l’automne, le grand ont été interrompus le 14 janvier. tiers, cheminots, électriciens et gaziers, contournement du Bassin parisien par le EUROPE : Les députés européens ont chirurgiens, psychiatres, enseignants et nord s’achèvera avec la mise en service approuvé le 13 janvier à Strasbourg une fonctionnaires ont fait grève ou mani- des 125 kms de l’A28 entre Rouen et résolution offrant à l’Ukraine une pers- festé les 18, 19 et 20 janvier. Alençon. Par ailleurs, un nouveau tron- pective d’adhésion à l’Union européenne. Nicole Ameline, ministre de la Parité et çon de l’autoroute A87, entre les essarts RUSSIE : Vladimir Poutine est confronté de l’Egalité professionnelle, a dévoilé le et La Roche-sur-Yon (20 kms), a été mis depuis le 14 janvier à une vague sans 13 janvier les grandes lignes de la future en service le 14 janvier. précédent de protestations contre la loi sur l’égalité salariale qui imposera SANTE : La Direction générale de la réforme des retraites. aux entreprises la réalisation de l’égalité Santé a fait part le 11 janvier de son ESPACE : La sonde européenne Huygens des rémunérations entre hommes et inquiétude à propos de l‘apparition dans a entamé le 14 janvier, sept ans après femmes. le Nord-Est et en Ile-de-France d’une avoir quitté la terre, sa descente vers Quelques semaines après l’intervention nouvelle drogue, "la cristalline", mélan- Titan, le plus gros satellite de Saturne, et de l’évêque de Soissons, Mgr Herriot, en ge de cocaïne et d’atropine. envoyé le jour même ses premières don- faveur des salariés de Wolber (groupe ENVIRONNEMENT : La Commission de nées enregistrées. Michelin), le cardinal Panafieu, arche- Bruxelles a dénoncé le 12 janvier les né- SPORT AUTOMOBILE : Après la dispari- vêque de Marseille, a pris la défense, gligences de la France en matière d’en- tion le 10 janvier du motard espagnol dans une déclaration du 12 janvier, des vironnement susceptibles de nuire "aux José Manuel Perez, la caravane du Paris- salariés menacés par les plans sociaux. efforts déployés pour préserver la faune Dakar a été de nouveau endeuillée le JUSTICE : La Cour d’appel de Paris s’est et la flore d’Europe" ; cela pourrait lendemain par la mort du motard italien, penchée le 11 janvier sur un nouveau entraîner pour la France de lourdes Fabrizio Meoni, qui participait pour la délit, la privation de soins, en poursui- amendes. Le ministre de l’Ecologie, 13ème fois à l’épreuve ; deux autres vant trois mères d’origine roumaine, in- Serge Pelletier, a annoncé le 13 janvier motards parmi les suiveurs et une fil- terpellées pour avoir mendié dans les la réintroduction de cinq ours dans les lette sénégalaise ont également trouvé rues de Paris avec leurs enfants ; l’arrêt Pyrénées en 2005. la mort le 13 janvier. L’épreuve a été sera rendu le 15 février. EGLISE : Le Pape a nommé évêque remportée par deux Français (auto et Les deux universités de Paris-VI et Paris- d’Agen – siège vacant à la suite du moto) le 16 janvier. VII et l’Institut de physique du globe ont transfert de Mgr Jean-Charles Descubes J.L.
2 FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 SOMMAIRE EDITORIAL ACTUALITÉ
4 PROCHE ORIENT Un Etat palestinien dès 2005 ? Yves La Marck 5 EDUCATION Impossible réforme ? La mémoire Alice Tulle 6 SOCIETE Des remèdes qui tuent ? des A.T. camps REPORTAGE de la mort 8 INDE Après le Tsunami oixante ans après la libération d’Auschwitz et des autres camps avec les Frères de Saint-Jean d’extermination, la plaie est toujours béante au flanc de l’his- à Pondichéry toire européenne. Le témoignage de quelques centaines de Alain Bories survivants - tel qu’il s’est exprimé à l’hôtel de Ville de Paris, 17 KTO 12 heures pour les sinistrés samedi dernier - ne saurait être simplement reçu sur le mode Alain Bories d’une commémoration ordinaire. La transgression morale sans Smesure qui s’est produite dans ces années terribles doit être méditée par ESPRIT toutes les générations comme l’épreuve suprême où se comprend le déni d’humanité. Sans aucun doute, pour accomplir une telle entreprise crimi- 18 MEMOIRE Le grand secret nelle, il fallait des responsables d’une rare Robert Masson perversité. Ceux-ci n’en faisaient pas moins partie de notre commune condition humaine. 20 LECTURES 3ème dimanche du temps ordinaire On a reproché au Hitler incarné par Bruno Père Michel Gitton Ganz, dans le film La Chute, d’être trop 21 ECCLESIA Semaine de l’Unité humain. Mais Hitler n’était pas un extra- 30e anniversaire de l’IVG terrestre. Ce qu’il y avait de monstrueux en Zenit lui n’échappait pas aux possibilités maléfiques de l’homme. Par ailleurs il faut MAGAZINE aussi se persuader que l’ensemble des res- ponsables et des exécutants de la Shoa 19 PAC Emplois en milieu chrétien étaient des personnages tout à fait communs, dont les vertus privées servaient à l’organi- Thomas Grimaux par Gérard LECLERC 24 HISTOIRE Les communautés nouvelles sation rationnelle de l’horrible machine René Coste meurtrière. Annah Arrendt avait fait scandale, au moment du procès Eichmann, HISTOIRE Geneviève de Gaulle 26 en parlant de la banalité du mal. Il ne s’agissait nullement pour cette philo- Michel Emmanuel / Frédérique Neau-Dufour sophe d’exonérer les responsables, encore moins de dévaloriser la portée 31 EXPOSITIONS Bernard Chardon du Crime. En analysant le système totalitaire, Hannah Arendt mesurait Ariane Grenon combien des milliers de personnes ordinaires pouvaient, sans cris de 32 EXPOSITIONS Les icônes de la Mère de Dieu conscience, se vouer à leurs tâches monstrueuses. Un livre récent nous Alain Solari en apporte une nouvelle fois la preuve. Leon Goldensohn, comme psy- 34 THEATRE Shakespeare à Paris chiatre américain, entendit longuement tous les accusés et les témoins (non moins criminels) du procès de Nuremberg. Ces entretiens, aujour- Pierre François d’hui publiés, montrent avec quel détachement Rudolf Höss, comman- 35 CINEMA Entre adultes consentants dant du camp d’Auschwitz, fait le récit de l’organisation qui permit la mise Marie-Christine d’André à mort de centaines de milliers de déportés transportés par les sinistres 36 TELEVISION Votre début de soirée trains venus de toute l’Europe. (1) Marie-Christine d’André L’aveu précis, circonstancié, pulvérise toutes les objections révision- 38 BLOC-NOTES Vie associative et d’Eglise nistes ou négationnistes. Höss a scrupuleusement exécuté les ordres de Brigitte Pondaven Hitler et de Himmler, perfectionnant le dispositif des chambres à gaz. Il livre tout à son interlocuteur sans broncher. “Jusqu’à la capitulation de l’Allemagne, j’ai cru devoir exécuter les ordres correctement et avoir agi Photo de couverture : comme il fallait”. Honnête père de famille, père de cinq enfants, Höss n’a © Alain Bories pas hésité à envoyer à la mort des dizaines de milliers d’enfants juifs. Le système nazi aboli, le commandant d’Auschwitz sort un peu de son Consulter régulièrement notre site internet brouillard idéologique. Il admet que la pendaison qui l’attend est méri- tée. Mais l’extrême sécheresse de son propos nous interroge sur son www.france-catholique.fr incroyable schizophrénie morale... Prenons garde, le nihilisme nazi peut ou participer à notre forum internet encore obscurément frapper, en excusant d’autres transgressions accom- c’est aussi nous aider. plies sous d’autres signes. I
(1) Leon Goldensohn, Les entretiens de Nuremberg, Flammarion.
FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 3 ACTUALITE PALESTINE Un Etat palestinien dès 2005 ? L’élection de Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne ouvre une nouvelle opportunité pour la création d’un Etat palestinien. L’état de grâce devrait durer quelques mois. par Yves LA MARCK es élections du 9 janvier demande des Américains. La se sont déroulées à la sécurité n’était que le secteur le satisfaction générale et plus voyant. Selon les catégories ont donné la victoire au de Max Weber, la Palestine L candidat officiel de passe d’un régime charisma- l’OLP, Mahmoud Abbas (Abu tique à un régime rationnel ou Mazen), avec une majorité de bureaucratique. Un travail 62% des suffrages. Les territoi- énorme de reconstruction des res palestiniens ont aussi connu institutions est à faire, et pas des élections municipales et de- seulement ni d’abord au sens vraient procéder dans six mois physique ou matériel. à l’élection d’un Conseil légis- Mahmoud Abbas est l’hom- latif. Bref des institutions se me qui convient pour cette mettent en place. La ligne poli- phase. Il n’était pas pensable tique de Mahmoud Abbas a été que l’on passe directement claire et bien comprise. En ce d’Arafat à Marwan Barghouti, le sens, cette élection a offert un héros de l’Intifada emprisonné tant est d’avoir, de part et d’au- palestinien ne veut devenir le choix réel au peuple. Même si par les Israéliens. Il reste que le tre, une direction. L’élection du bouc émissaire d’un fiasco sur les organisations opposées aux premier travaille sous la sur- 9 janvier a débarrassé les esprits Gaza. Abbas, grâce à Sharon, a accords d’Oslo (le Hamas et le veillance du second, devenu la de nombreux clichés. L’avenir plusieurs mois devant lui pour Djihâd mais aussi d’autres grou- conscience du peuple. La démo- est ouvert. se préparer à un gouvernement pes nationalistes) n’ont pas pris cratie s’est exprimée dans Le premier ministre israé- responsable à Gaza . Pour les part au vote, elles ont laissé l’élection mais le second incarne lien a, lui aussi, son plan. Ariel mêmes raisons, l’Egypte est faire. Elles n’ont pas contesté plus sûrement "la Palestine Sharon a entrepris une longue sortie de sa réserve pour appor- le résultat et ont participé aux démocratique". Mahmoud Ab- marche vers la reconnaissance ter son soutien à Mahmoud Ab- autres scrutins. Pour le moment, bas est le chemin au sens de "la des Palestiniens. Il pourrait bas. Puissance occupante de la elles donnent sa chance à la feuille de route" imposée par la s’avérer aussi un "passeur" vers Bande de Gaza de 1948 à 1967, lutte politique non armée. communauté internationale un nouvel état des relations. En elle mesure l’enjeu d’une éva- Chacun en effet a intérêt à pour parvenir au but, mais ce dépit d’une faible majorité, il cuation israélienne de cet im- une remise en ordre de la but ne peut être que la recon- prend, comme Mahmoud Ab- mense camp de réfugiés. maison OLP. On ne peut pas dire naissance pleine et entière du bas, un risque politique calculé. Moubarak est donc prêt à rent- que Mahmoud Abbas succède droit du peuple palestinien à un Lui aussi a arrêté une ligne : rer dans le jeu. à Yasser Arafat. Quoique son Etat souverain dont Barghouti l’évacuation de la Bande de Au total les parties locales fidèle lieutenant, il en est l’an- est le dépositaire, une fois Gaza. Les élections palesti- ont d’évidents intérêts en com- tithèse. Quatre mois ont suffi Arafat disparu. niennes y ont été particulière- mun au moins temporairement. l’an dernier pour le prouver : la Les Israéliens savent que ment disputées. Le plan israélien Loin d’attendre toujours des durée pendant laquelle il oc- cette perspective est la seule est pour beaucoup dans la pressions extérieures et l’inter- cupa le poste de premier minis- tenable au bout du tunnel. Ils réserve observée par le Hamas vention des Etats-Unis, il tre nouvellement créé à la doivent l’apprivoiser. L’impor- par rapport à Abbas. Aucun semble que cette fois l’initia- tive vienne du terrain, comme Mahmoud Abbas est le chemin pour Oslo dont Mahmoud Abbas fut l’instigateur. A quand un ( au sens de “la feuille de route” Oslo II ? I
4 FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 ACTUALITE EDUCATION Impossible réforme ? Après tant d’autres ministres, François Fillon vient de présenter son projet de réforme de l’Education nationale : défis inchangés, obstacles permanents qu’il faut tenter cette fois de surmonter. par Alice TULLE andidats bacheliers (Claude Allègre) alors que les qui s’expriment dans diplomates patients recompo- un français rudimen- sent peu à peu le paysage uni- taire, abîmes d’igno- versitaire malgré les résistances C rance dans diverses syndicales. matières, malaise des ensei- François Fillon fait partie gnants, violences : dans l’en- des réformateurs doux. Il seignement, le malaise est n’annonce pas de révolution, évident et tous sont touchés : il n’a pas provoqué les orga- élèves, professeurs, parents. nisations syndicales ni publié Les statistiques tempèrent son mépris pour le corps le pessimisme ambiant tout en professoral. Ce qui ne frappe soulignant l’ampleur des tâches pas d’insignifiance le projet de à accomplir. Le Haut conseil de loi qu’il a présenté au conseil l’évaluation de l’école affirme des ministres le 12 janvier et que 10 à 15% des élèves com- qui sera discuté au Parlement défavorisés. Ainsi formulé, le les jeunes à trouver un emploi. prennent difficilement les en février. plan Fillon fait référence à Plus largement, ce plan met en textes écrits. On estime que Aux données statistiques l’"obligation de résultats" (et application les impératifs mis 15% des élèves d’une même sur l’échec scolaire, François non plus seulement de "mo- en forme au niveau européen génération achèvent leur scola- Fillon oppose des objectifs chif- yens") qui va être progressive- lors de la conférence de Lis- rité sans avoir obtenu le moin- frés : agir de telle sorte que ment imposée à l’administration bonne et qui visent notamment dre diplôme. L’échec scolaire 100% des jeunes disposent française. au développement d’une "Eu- affecte principalement les en- d’une qualification au sortir de Les objectifs quantitatifs rope de la connaissance" capa- fants des milieux défavorisés l’école, porter 80% d’une classe sont équilibrés par les soucis ble de faire face, comme le qui inscriront leur vie sociale et d’âge au niveau du baccalau- qualitatifs. La qualité de l’en- rappelle François Fillon, aux professionnelle dans le proces- réat (c’était déjà l’objectif de seignement s’appuiera sur un "enjeux de la mondialisation". sus d’exclusion. Lionel Jospin en 1989), obtenir socle commun de connaissan- Telles sont les intentions Discutables et discutées au que la moitié d’une classe d’âge ces constitué par cinq discipli- exprimées. Elles ne conviennent fil de la récurrente querelle sur soit diplômée de l’enseigne- nes : français, mathématiques, pas du tout aux principaux le "niveau" d’éducation, ces ment supérieur. culture humaniste et scienti- syndicats d’enseignants : cer- indications chiffrées permet- D’autres objectifs permet- fique, une langue vivante et tains dénoncent une réforme tent de mesurer ce qu’on ap- tent d’affiner le plan : François l’informatique... trop soumise à la loi du marché, pelle les "défis" qui ne sont Fillon veut que 20% des élèves Ainsi formulé, le plan Fillon tous s’insurgent contre le manifestement pas relevés apprennent l’allemand, que se présente comme une réponse manque de moyens financiers malgré la surabondance de 10% des lycéens optent pour pragmatique aux besoins de et humains. Ils réclament donc plans de réforme de droite et une langue ancienne, que 20% l’économie et comme une solu- le retrait du projet de loi.
de gauche. des filles suivent les filières tion adaptée au problème de La manifestation du 20
Pour une bonne partie de scientifiques et que 20% des l’emploi. Il est clairement indi- janvier a marqué le début de l’opinion, la différence entre les bacheliers viennent de milieux qué que l’école doit préparer l’épreuve de force. I plans tient surtout au carac- ( tère du ministre qui les pré- Les objectifs quantitatifs sont sente. Ceux qui tentent de passer en force échouent équilibrés par des objectifs qualitatifs
FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 5 ACTUALITE PHARMACIE Des remèdes qui tuent ? Les affaires de médicaments aux effets incontrôlés et parfois dangereux se sont multipliées depuis quelques semaines. Exceptions plus ou moins normales ou signe d’une large dérive ? par Alice TULLE ’est à croire que nous Nul ne sait si les autorités sani- sommes tombés dans taires américaines ont été pré- le piège du système venues, ou si leurs services ont qui produit aussi ses commis une erreur. Toujours C propres agents de est-il que le médicament va destruction : de même que l’hô- subir, aux Etats-Unis, de nou- pital provoque des maladies veaux examens. spécifiques, certains médica- Si le cas était isolé, on pour- ments conduisent droit à la rait assez facilement se rassu- tombe et la pilule du bonheur rer. Mais d’autres produits sont pousse au suicide ! mis en cause , notamment un La fabrication industrielle anti-inflammatoire qui serait de médicaments et la médica- dangereux pour le cœur et un lisation exacerbée sont-elles à médicament contre le choles- ce point mortifères ? Il faut se térol… garder de toute exagération : Ces inquiétantes affaires ce n’est pas en refusant de voir étaient prévisibles – et prévues. un médecin qu’on évitera les En France, un avertissement maladies. très net avait été lancé dans Le Mais il est vrai que certains Figaro du 26 septembre 2002 pression, l'urgence vont inciter à franchir la ligne blanche ". produits fabriqués par l’indus- par un professeur de médecine à minimiser voire à masquer la Cette ligne a été franchie trie pharmaceutique ont, sur à l’hôpital Lariboisière : Jean- mauvaise nouvelle : certains dans quelques cas, trop impres- certains personnes, des consé- François Bergmann. Celui-ci industriels ont montré leur évi- sionnants pour qu’on ne décide quences fâcheuses et peuvent montrait que l’industrie du mé- dente mauvaise volonté pour pas d’arrêter net cette fuite en provoquer la mort du patient. dicament doit obtenir le maxi- fournir leurs données de phar- avant. Publiée l’année dernière, Le cas le plus connu est celui de mum de rentabilité dans le macovigilance, d'autres ont une directive européenne oblige la "pilule du bonheur", le Pro- minimum de temps. Les firmes tardé à communiquer des résul- déjà les firmes à communiquer zac, massivement prescrit et ont donc intérêt à grossir pour tats cliniques négatifs, d'aut- aux autorités sanitaires la tota- consommé dans les pays occi- produire des quantités massives res enfin modifient le mode lité des résultats des essais de dentaux. Le 1er janvier 2005, le afin de répondre à une de- d'analyse des essais thérapeu- médicaments auxquels elles British Medical journal révélait mande croissante… qu’elles tiques pour rendre les résultats procèdent. que cet antidépresseur provo- n’hésitent pas à susciter par plus flatteurs. Jusqu'à présent De plus, les grands labora- quait chez certains de l’exci- diverses techniques publici- la règle qui consiste à fournir toires pharmaceutiques anglo- tabilité, des paniques, des taires. De plus ces firmes inven- aux autorités de santé la tota- saxons, européens et japonais réactions agressives et des sui- tent de nouveaux médicaments lité des données disponibles a se sont engagés à informer cides. Or ces phénomènes très chers dont l’efficacité n’est été globalement appliquée, complètement leurs patients avaient été observés dès 1987 pas toujours prouvée. mais on peut avoir peur que (par le biais d’Internet) des ob- par la firme américaine qui Et le professeur Bergmann l'actuelle fuite en avant du servations faites pendant les produit le célèbre médicament. d’ajouter : "Le gigantisme, la géant l'incite un jour prochain essais et des conclusions qui leur ont été données. Si le cas était isolé, on pourrait assez Encore faudrait-il que mé- decins et patients se montrent ( facilement se rassurer également plus prudents. I
6 FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 DOSSIER INDE Après le Tsunami Comment reprend
A propos du Tsunami qui a frappé l’Asie du Sud-Est, aucun de nos lecteurs ne manque d’informations à la télévision, la radio et dans les grands médias écrits. Nous-mêmes à France Catholique avons reçu par internet plusieurs témoignages de première main. Nous avons choisi de publier celui de nos amis de Pondichéry, bien que l’Inde ne soit pas le pays le plus affecté. Seule une bande de 100 m de large a été touchée, dans certaines régions bien particulières surtout du golfe du Bengale, et de manière très variable. Le reste du pays garde des infrastructures intactes. Mais Pondichéry est l’ancien comptoir resté cher au cœur des Français, et quelques catholiques y mènent une action exemplaire et digne d’être soutenue, parce que le es frères de St Jean sont à Pondichéry gouvernement de l’Inde est réticent à depuis un peu plus de 7 ans, à la demande accepter l’aide publique internationale et de Mgr Michael Augustine, archevêque du diocèse de Pondichéry. Sa première de- qu’une aide privée y sera donc mande était que nous puissions être à particulièrement efficace. proximité de l’université de Pondichéry, L pour être en quelque sorte chapelains de la petite communauté d’étudiants chrétiens, et aussi pour pouvoir être proches de tous les étu- diants, musulmans ou hindous, qui passent entre deux et quatre ans dans cette université. Sa seconde intention était que nous puissions Toutes les photos de ce dossier sont participer au dialogue inter-religieux et aussi que nous soyons présents aux religieux du diocèse sous celles d’un petit village côtier très forme d’une aide spirituelle, ainsi qu’à ses prêtres pauvre : Chinnakalapet. et, en dernier lieu, que nous puissions démarrer une
8 FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 DOSSIER Un reportage auprès des frères de Saint-Jean re une vie normale ?
présence auprès de cette ville nouvelle, qui s’ap- essentiellement, et que tous les missionnaires pelle Auroville ; celle-ci est dans la mouvance d’un étrangers étaient menacés, implicitement ou expli- ashram hindou créé par Sri Aurobindo et qui, ac- citement, d’expulsion. tuellement, est essentiellement utilisé par des Nous ne sommes encore actuellement que cinq Occidentaux. Là-dessus, nous avons été amenés à Le dimanche frères étrangers, et quatre jeunes Indiens, postu- démarrer, il y a cinq ans, un centre d’accueil pour lants ou novices. C’est un prieuré qui, d’une cer- sidéens en phase terminale. Le sida devient une 26 décembre, taine façon, attire beaucoup, soit à cause de la pré- plaie croissante en Inde et, à l’époque, personne ne fête de la sence des sidéens, soit à cause de cette présence semblait encore s’en soucier suffisamment pour des étudiants, qui est pleine de vie ; mais malgré qu’il y ait des lieux d’accueil pour ces sidéens. Nous Sainte-Famille, cette activité apostolique prenante, il reste très avons confié ce centre aux sœurs de Saint-Joseph contemplatif. de Cluny qui y travaillent avec nous. tout était Parmi nos activités, il y a aussi une présence Notre présence en Inde s’est faite très cachée calme... auprès des sœurs de Mère Teresa, les Missionnaires au début, étant donné les conditions politiques et de la Charité, non seulement en Inde - et particu- religieuses, puisque l’Eglise, au moment de notre lièrement à Calcutta - mais un peu partout dans le arrivée, était persécutée de façon violente, au nord monde puisqu’elles nous demandent de façon
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régulière de les aider à travers des prédications moment-là en train de visiter nos patients sidéens dans les divers pays où elles se trouvent. Et peut- dans l’hospice de Shanti Bavan à côté de chez être le fait de vivre nous-mêmes dans ce milieu nous. Et puis un petit peu avant 9 heures du matin, indien nous aide effectivement à les comprendre une sœur m’a dit : "Beaucoup de monde remonte mieux, et donc à mieux les aider. Notre présence ici la rue (la petite route qui vient de la plage vers souhaite rester discrète. De fait, nous avons eu il y chez nous). Ils disent que la mer monte". Puis elle a quelques mois des lettres anonymes déposées me dit en passant : "Il paraît qu’il y a eu ce matin contre nous nous accusant d’actions d’évangélisa- un petit tremblement de terre à Madras : on a tion : il a fallu expliquer de façon précise ce qu’é- senti". Et donc instinctivement j’ai tout de suite taient nos activités pour que les choses se calment. Des divisions pensé à une lame de fond. J’ai pris aussitôt une Le diocèse de Pondichéry est un diocèse très mobylette pour descendre, à reflux, de toute cette vaste au niveau géographique et très riche au ni- de castes masse qui montait, avec les vaches, avec tout ce veau culturel. La présence française y a été impor- qu’ils essayaient de sauver, c’est-à-dire très peu de tante pendant de longues années et aussi une pré- qui restent chose en dehors des quelques animaux. J’ai croisé sence chrétienne qui reste plus importante que très fortes, un frère qui avait eu le même réflexe quelques dans beaucoup d’autres régions de l’Inde. Mais minutes avant moi et qui m’a dit : "Non, je ne vois l’Eglise a du mal à y trouver son unité, en raison y compris rien de spécial" et qui s’apprêtait à remonter en essentiellement des divisions de castes qui restent disant : "Ce doit être une fausse peur, une panique" très fortes dans le sud, y compris dans le sud chré- dans le sud puisque chez nous la mer n’avait pas traversé la tien. route côtière, alors qu’à d’autres endroits près de C’est un diocèse pauvre ; la population chré- chrétien Pondichéry elle l’avait traversée avec violence. Je tienne est essentiellement agricole. Notre présence lui ai dit : "Je vais quand même voir", il m’a suivi et auprès des prêtres et des religieux est forte mais nous sommes arrivés au bord de la mer qui était auprès des laïcs – et je pense surtout aux non- très, très haute et qui avait déjà dévasté des villa- chrétiens – elle doit rester très discrète ; lorsque se ges. Nous avons tout de suite repéré plusieurs per- présente le cas d’une conversion possible, et donc sonnes qui étaient déjà mortes. d’un baptême possible, nous veillons toujours à ce Nous avions à ce moment une messe à célébrer, que le candidat ou la candidate soit orienté vers la messe dominicale, et le P. Marianus s’est proposé une paroisse locale plutôt que vers nous. de remonter pour que je reste voir s’il y avait des Le dimanche 26 décembre, fête de la Sainte- secours à apporter. Effectivement, au bout de Famille, tout était calme. J’étais moi-même à ce quelques minutes, je suis tombé sur une femme qui était encore vivante mais très assom- La caste des pêcheurs, la plus touchée mée par la violence de l’eau ; j’ai commencé à la secourir et puis, à ce Avant-hier 3 janvier, c’était le premier jour sans fort tremblement de terre. On a en effet moment, il y une nouvelle vague qui enregistré dans la région Andaman/Nicobar/Sumatra – après le séisme cataclysmique de force 9 est arrivée. Les pêcheurs ont paniqué – 14 forts séismes (force supérieure à 6) dont un majeur (supérieur à 7). Près de 80 séismes en et l’ont soulevée avec violence pour la tout alors que, jusqu’au 25, c’était le calme plat. C’est donc une terrifiante danse de St Guy à sortir de là et à ce moment-là elle est laquelle se sont livrés les fonds marins et les îles bordant le golfe du Bengale à l’est ; à tel morte, dans les bras d’un des endroit, le fond a monté de 15 mètres, ailleurs une île s’est déplacée vers l’est de 10 mètres, etc. pêcheurs. De l’Inde, seul le premier tremblement de terre a été ressenti, de façon très légère ; puis, deux les autres frères sont arrivés et heures plus tard, le tsunami. nous avons fait un tour rapide dans le D’un point à l’autre de la côte, les vagues se sont présentées de façon extrêmement différente ; à village pour voir s’il y avait des gens à un kilomètre de distance, tel village est rasé, tel autre n’a rien. Cela dépend de la morphologie aider. L’un des frères a trouvé une des fonds d’une part et, d’autre part, du phénomène ondulatoire lui-même avec ses femme qui avait besoin d’être emme- harmoniques, sa résonance, etc. Seule l’expérience permet de connaître les endroits sûrs et les née à l’hôpital ; nous avons appelé autres ; et dans le golfe du Bengale, il n’y avait pas de véritable expérience. notre ambulance. Nous avons vite Dans l’ensemble, le gouvernement de Pondichéry a agi très vite et efficacement auprès de la compris qu’il fallait aider de deux majorité des victimes. Mais Pondichéry n’est qu’une enclave dans le Tamil Nadu ; le façons différentes : d’une part le villa- gouvernement de cet Etat (qui aurait volontiers accepté l’aide étrangère) a été très efficace dans certains districts, moins dans d’autres, surtout les plus sévèrement touchés. ge - qui était devenu désert – et d’au- La caste qui a terriblement souffert est celle des pêcheurs ; tsunami, en japonais, signifie " vague tre part tous ces gens qui erraient de port " : effectivement, si la ville a été protégée par une digue de 6 km construite du temps du autour de nous, sur le campus de l’u- chevalier Desaix, le port de pêche de Pondichéry a été balayé, 70 bateaux ont rompu leurs niversité ou sur la route côtière ; nous amarres et se retrouvent pêle-mêle en amont sur la rivière, jetés sur les berges et fracassés les avons mobilisé les frères, les sœurs de uns contre les autres. En outre, la plupart des bateaux tirés sur les plages sont bons à brûler ; il y l’hospice, les sœurs clarisses qui sont a 3000 bateaux à construire et Lionel Mallard, un Français installé à Pondichéry depuis près de 8 proches de nous et même les patients ans, collabore avec les autorités pour faire face. Il est en train de leur construire le prototype qui étaient valides pour cuire des sacs d’un modèle en contreplaqué. et des sacs de riz avec tout ce qu’ils Alain BORIES pouvaient trouver pour faire au moins
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Avec quoi reconstruire ? une petite sauce potable. Une heure après, nous main dans une fosse commune creusée au bulldo- avons commencé à faire le tour avec l’ambulance zer. Images de détresse de femmes qui voulaient de tous les petits campements qui se créaient, pour sauter dans la fosse pour suivre leur enfant. La mer distribuer la nourriture, apporter un minimum de a rejeté petit à petit ses morts. Moments de très confort et essayer de rassembler les réfugiés ; à ce grande communion mais aussi moments où on moment-là personne, au niveau de l’administra- sentait une telle peur, alimentée par des nouvelles tion, n’était encore présent. Et nous les avons donc alarmantes qu’une autre vague allait arriver, tant en partie rassemblés à l’ashram. Il y a eu et si bien que même les gens du village qui n’a- Plusieurs connaissaient précédemment celui-ci vaient pas été touchés ont commencé à refluer de façon négative comme un lieu pour les sidéens, un grand vers nous. et donc refusaient d’y venir. Il est beau de voir que Pendant ces premiers jours et ceux qui ont ces 300 personnes qui sont restées trois jours à moment de suivi, nous avons non seulement pris l’initiative camper chez nous se sont retrouvées nourries par d’organiser des kits de survie pour les villageois les des femmes sidéennes, et ont même accepté de grâce et plus proches de nous mais nous avons aussi envoyé cuisiner avec elles ; cela a sûrement créé quelque des équipes à travers tous les villages, le long de la chose d’important chez les sidéens et chez ces d’unité, unité côte en remontant vers le nord pour essayer de villageois qui, jusqu’à présent, les avaient rejetés au qui n’a faire l’état des besoins des familles affectées. Des point de nous interdire d’enterrer nos morts étudiants de l’université ont coopéré de façon sidéens à proximité du village. Ils l’avaient interdit d’ailleurs pas merveilleuse – c’était la période des vacances. avec violence puisqu’ils avaient essayé une fois de Nous avons dû aider entre 3500 et 4000 familles, mettre notre ambulance à la mer : il avait fallu tenu très en leur fournissant tout ce qui était nécessaire appeler la police pour régler la question et ramener pour leur survie immédiate : le seau, la couverture, la paix. Ce sont ces mêmes villageois qui sont res- longtemps l’assiette, le verre, les ustensiles de cuisine, le tés chez nous et ont survécu, si je puis dire, en par- savon, etc. Au début nous allions le soir faire les tie grâce à ces sidéens. distributions : c’était moins risqué et plus facile A travers cette détresse, il y a eu des moments pour éviter des mouvements de foules, qui devien- de très grande communion. Dans notre propre vil- nent très vite violentes quand il s’agit de distribu- lage, il y a eu quatorze morts enterrés dès le lende- tion. C’est aussi le soir, en général, que nous allions
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chercher sur les routes ceux qui ne faisaient partie LE TEMOIGNAGE D’ALAIN ET MYRA BORIES* d’aucun campement. C’était touchant de voir ces Nous étions en route pour le prieuré de St-Jean, dimanche à 9 heures du matin, personnes, souvent âgées, qui manifestement quand nous avons vu des foules affolées traverser la route : des femmes trempées venaient des villages de pêche – ils ont un accent d’eau boueuse, des enfants perdus, des hommes qui se tenaient la tête à deux différent en tamoul – qui attendaient la nuit, hébé- mains… J’ai d’abord cru à une bagarre de village, puis nous avons compris qu’il tés, au bord de la route. Il fallait les couvrir et c’é- s’agissait d’un tsunami. Un km plus loin, la vague avait traversé la route ; un fort tait vraiment cette expérience du Christ : "J’étais nu mur de limite de propriété avait volé en éclats, des blocs de parpaings de cent et vous m’avez vêtu" ; souvent nous emmenions kilos étaient dispersés sur une cinquantaine de mètres. dans ces sorties des étudiants, parfois hindous, qui Des pêcheurs nous ont fait signe de nous arrêter pour évacuer une jeune fille vivaient avec nous cette communion. Très vite, blessée. Nous sommes descendus de voiture et avons attendu le retour du chauffeur parti avec la blessée. De nombreuses mères étaient en pleine crise de nous nous sommes mieux organisés en passant par désespoir à cause de la mort de leurs enfants. Des survivants refluaient en les chefs de panchayat (chefs de village) en désordre vers l’intérieur des terres. Le campus de l’université était ouvert, les essayant de faire avec eux l’état des lieux. Des amis gens s’y engouffraient avec vaches et enfants. nous y aidaient, des étudiants qui partaient par Nous avons vu une femme à moitié noyée que sa famille essayait de faire boire, équipes dans tous ces villages. Moi-même, j’ai eu elle se remettait doucement. Des enfants perdus appelaient en vain, et la l’occasion de faire des distributions avec frère Jean circulation se faisait de plus en plus dense sur cette route côtière. Stanislas, au sud de Pondichéry, dans une ville qui Une amie du prieuré est passée en mobylette, nous lui avons confié notre ami s’appelle Cuddalore, très affectée, et d’aller ensuite Lakshmi et, au retour de notre chauffeur, nous sommes repartis. La messe avait à plusieurs reprises dans d’autres villages : toujours commencé ; au moment où nous entrions dans la chapelle, le prêtre lisait : la même vision de désolation vraiment impression- "Joseph prit l’enfant et sa mère et s’enfuit en Egypte". C’était exactement le ton nante, des huttes déplacées sur 300 ou 400 m, des de cette terrible fête de la Sainte Famille. La messe fut très brève, sans chants car toute la chorale était en bord de mer en train de sortir de la boue les blessés et murs éclatés… Dans un village, la mer a même les morts. ouvert la côte en sorte que ce qui était sec avant Les frères nous ont dit que le plus urgent était le manque de couvertures ; nous est maintenant un bras de mer de plus de 100 m. en avons acheté une trentaine que nous leur avons portées, et nous avons Visages de désolation. J’ai parlé avec un jeune père convenu que nous reviendrions vers 17 h avec un taxi de provisions. A un de famille qui passe la semaine à travailler à Ma- endroit, la route côtière était barrée par des manifestants, très remontés contre dras et qui était rentré pour passer le week-end de leurs politiciens : en effet, les autorités de Pondichéry se sont vite bougées alors Noël dans sa famille. Il n’arrivait pas à se pardonner que celles du Tamil Nadou ont 1000 km de côte à secourir. Mon taxi est resté parce qu’en rentrant, fatigué, il a demandé le len- bloqué une vingtaine de minutes et le ton était vif entre ceux qui bloquaient et demain de Noël à ses deux petites filles qui les autres. Comme souvent en Inde, la densité humaine était ahurissante. La jouaient dans la maison de sortir pour qu’il puisse police est enfin arrivée et nous avons pu avancer : au moment de franchir enfin dormir ; elles sont allées jouer sur la plage et c’est à le barrage, mon chauffeur a dit aux manifestants ce qu’il pensait du fait de bloquer les gens en train d’acheminer des secours ! La remarque a déplu et nous ce moment-là que la vague est arrivée et qu’elles nous sommes fait chahuter, puis la police nous a dégagés et nous avons filé. ont disparu. Des histoires comme ça, nous en avons Beaucoup de monde partout, des badauds par milliers. entendu à maintes reprises. Les secours sont maintenant bien organisés sur le Territoire de Pondichéry en ce Le père Marianus a coordonné de façon admi- qui concerne la nourriture et l’ensevelissement ; sur la route côtière, on croise rable toute cette action humanitaire, commandant des tracteurs agricoles équipés d’une lame de bulldozer : ce sont eux qui camion sur camion de fournitures à Madras, orga- creusent les fosses communes. Beaucoup de cadavres sont enterrés pêle-mêle, nisant la distribution tout le long de la côte, prati- Chrétiens, Hindous et Musulmans unis dans la mort. Comme des familles entières quement nuit et jour ; il a vraiment mené de main ont été supprimées, il y a des groupes de cadavres que personne ne réclame. de maître cette opération, cette première étape. Nous sommes allés hier soir, tous les trois, dans le village de pêcheurs situé tout Nous avons été témoins pendant cette première de suite au nord de la distillerie. Nous avons demandé au chef du conseil de semaine après la catastrophe, de générosités village quels sont ses besoins : il nous a dit qu’il n’avait pas besoin d’argent ni de nourriture, mais qu’il acceptait les dons en nature (ustensiles de cuisine, extraordinaires, l’obole de la veuve qui donne ce vêtements), à distribuer de façon aussi publique et transparente que possible. dont elle a besoin pour aider des plus pauvres. Des Les frères de St Jean étendent progressivement leur action (ils ont distribué 800 personnes venaient apporter leurs habits, de la nattes hier) et ils vont entreprendre une évaluation des besoins en remontant la nourriture, un peu d’argent, quelque fois très peu, côte vers le nord : des tas de villages n’ont rien ! Nous allons acheter dans mais avec une telle compassion ! D’autres télépho- l’immédiat 1500 assiettes en acier, et autant de gobelets et de savons, et il est naient pour demander comment aider, et vraiment question que Myra parte en taxi avec un frère pour se rendre compte et des gens de toute caste et de toute origine. Il y a eu coordonner les premières urgences. un grand moment de grâce et d’unité, unité qui n’a A Vélangani, le grand centre de pèlerinage du sud de l’Inde, la foule était en train d’ailleurs pas tenu très longtemps puisqu’on s’est de se purifier pour le bain rituel avant la grand-messe quand la vague a frappé : vite rendu compte qu’il y avait souvent de grandes le P. Dussaigne, notre curé, estime à un millier le nombre de disparus ; ceux-ci ne divisions au sein des villages : certains étaient sont comptabilisés nulle part car ils sont originaires de toute la région. Le fait de participer, malgré notre indignité, au sacrifice de la messe est un puissant secours pêcheurs, d’autres salariés journaliers et, bien que pour l’âme : celle-ci a bien besoin de nourriture et de force en ces jours où " un tous aient été affectés par le même désastre, de est pris, l’autre laissé ", et on ignore pourquoi. I réelles tensions nous demandaient d’être très attentifs à ne pas favoriser l’un ou l’autre. * couple de Français travaillant à Pondichéry. Dix jours après le tsunami, pas loin de chez
12 FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 DOSSIER nous, près de la route côtière, pouvons rien faire un pêcheur est mort et son sans eux. Si on veut corps a été porté à travers un vraiment aller jus- village de caste plus élevée ; qu’au bout de ce qui les villageois se sont bagarrés a été commencé - pour empêcher le convoi mor- Dieu ne peut pas tuaire de passer, ils ont tué permettre un tel deux pêcheurs. La grâce d’u- appauvrissement et nité, de miséricorde et de une telle manifesta- compassion n’a pas duré tion de charité fra- éternellement : la mémoire ternelle sans nous humaine est courte. demander d’aller jus- Vient maintenant une qu’au bout - il nous phase plus délicate – et pour faut à présent porter cela, nous allons utiliser des ces familles jusqu’au travailleurs sociaux – qui point où elles retro- consiste à repérer les familles uveront toute leur vraiment très touchées, pour dignité, peut-être pouvoir les aider de façon plus même une plus ponctuelle ; il faut aussi orga- grande dignité que niser autant qu’on le peut la celle qu’elles avaient phase de reconstruction, bien avant la tragédie. que celle-ci soit prévue par le Dernier détail gouvernement. Mais on sent technique : va se bien que ce n’est pas inutile présenter assez vite de les pousser à nettoyer, les le problème de l’eau pousser à construire, il faut potable puisque tous les pousser à reprendre une les puits ont été pol- vie un peu normale, ce qui ne lués par la mer, l’eau sera pas le cas tant qu’ils est saumâtre. Il va n’auront pas leurs outils de falloir très rapide- travail ; cela prendra six mois ment trouver une au minimum. Six mois pen- solution. dant lesquels il faudra trouver Je voulais un moyen pour les stimuler, aussi mentionner au-delà de la catastrophe une remarque de naturelle, au-delà des souf- notre évêque qui frances terribles que cela a Le sourire de la vie qui reprend. montre combien la impliquées dans un très grand grâce de Dieu est nombre de familles. présente à travers cette épreuve puisque quand le L’évêque nous a confirmé que, pour Pondichéry, tsunami est arrivé, étant donné que la saison de on compte 730 morts. Ce fut l’occasion d’un très Noël est une saison de vacances, les écoles et l’uni- grand témoignage, non seulement humanitaire versité ont pu être utilisées immédiatement comme mais personnel, et une présence de l’église auprès Il faut les lieux d’accueil, ce qui a permis à beaucoup de trou- des villages qui sont pratiquement totalement hin- ver un lieu de sécurité pendant ces premiers jours. dous. C’est impressionnant de voir que beaucoup pousser à Bien sûr si le tsunami était arrivé en pleine nuit, en de cœurs se sont ouverts, depuis les pêcheurs qui saison normale, la catastrophe aurait été encore disaient de façon très simple : "Vous les chrétiens, reprendre une plus terrible mais Dieu a permis que beaucoup vous êtes venus sans aucune distinction de caste" vie normale soient épargnés de cette façon-là. Après le tsuna- jusqu’au chef de la police qui disait : "Vous étiez là mi, la mer est restée rouge très longtemps, ayant avant nous" et cela de façon très humble. charrié des tonnes d’argile arrachée au sol et on ne Peut-être cela a-t-il aussi donné à ces villageois peut pas ne pas penser à cette deuxième trompette une nouvelle espérance si nous arrivons à diversifier de l’Apocalypse "une énorme masse embrasée, leurs activités, ce qui leur permettra d’avoir une vie comme une montagne, fut projetée dans la mer, et plus équilibrée, moins dépendante de la mer. le tiers de la mer devient du sang : il périt ainsi le Cet événement a aussi été l’occasion d’une tiers des créatures vivant dans la mer et le tiers des grande solidarité de tous les bienfaiteurs qui se navires fut détruit… " I sont spontanément manifestés et sur lesquels, de toute évidence, nous comptons toujours : nous ne
FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 13 DOSSIER INDE propos recueillis Un village par Alain BORIES de pêcheurs qui ont tout perdu En une minute, ce fut la panique. Je les ai aidés à Au village de Chinnakalapet, nous retrouver leurs enfants ; des parents se deman- avons rencontré Mme Bealah Rajkumar, daient où leurs enfants étaient passés, je les ai 58 ans, qui s’est mise au service des aidés à retrouver leur famille. Pendant trois heures, j’ai fait ça, puis je suis montée chez les frères et j’ai Frères et qui, parce qu’elle ne fait aidé à la cuisine, à préparer des repas. partie d’aucun groupe local, a sans doute pu mieux observer et aider.
I Vous n’êtes pas d’une famille de pêcheurs ?
Non. Je vis ici, j’ai ma maison où je vis seule, au milieu des pêcheurs. J’ai perdu mon mari, docteur en médecine, il y a cinq ans.
I Pourquoi ici ?
Eh bien, mon mari était fonc- tionnaire. Il était sur le point de prendre sa retraite ; nous vou- lions faire quelque chose pour les pauvres. Nos I Il y a eu beaucoup de maisons détruites ? deux filles étaient installées, alors notre intention Oui. 300 maisons. Ce n’étaient pas de grosses était de commencer quelque chose. Mais il s’en est Ce n’était maisons, mais les gens avaient tout là-dedans : fallu d’un mois. Il devait prendre sa retraite en juin, télévisions, réfrigérateurs… Dans l’ensemble, les et je l’ai perdu le 30 avril. Après quoi il ne m’était pas de gens n’étaient pas pauvres. Ils gagnaient bien leur plus possible de commencer quelque chose seule grosses vie en pêchant. Il y aussi quelques autres familles, ailleurs. Et je suis venue ici. J’attendais juste qu’une une trentaine, qui ne sont pas des pêcheurs. Ils occasion se présente. maisons, appartiennent à une autre caste. Ce sont des tra- vailleurs manuels. I Et cette occasion, ce fut le tsunami. mais les gens avaient Ce jour-là, j’étais devant ma maison, et j’ai vu le I Ce sont des aborigènes ? tsunami de mes propres yeux. L’eau est venue, puis tout dedans elle s’est retirée. Les gens hurlaient, ils ne retrou- Non, ils sont même de plus haute caste que les vaient pas leurs enfants, ils couraient en tous sens. pêcheurs. Mais nous les traitons tous de la même
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Mme Bealah Rajkumar © A. BORIES façon. Ils appartiennent au même village, nous les Il y a eu quatorze morts. On les a tous récupé- secourons ensemble même si chaque groupe vit de rés. C’est le gouvernement qui s’en est occupé : son côté, et ne se mélange pas à d’autres castes. tous ont été enterrés dans une fosse commune. Et les familles qui ont eu des morts ont reçu 100 000 roupies (2 000 euros). I Après ça, vous êtes montée à l’Arul ashram, et vous avez donné un coup de main pour la cuisine. I Quelle a été la réaction des gens face à tout ça ? On préparait la nourriture à l’ashram, puis on la Soudain distribuait ; il fallait s’organiser car nous sommes à Une panique épouvantable. Comme un seul l’écart de la ville principale et comme la route avait des bruits homme ils sont montés à l’Arul ashram et à l’uni- été submergée, il ne pouvait rien nous parvenir de insensés versité. Tout le monde bivouaquait dans le campus. l’extérieur. Donc c’est l’Arul ashram qui a fait le Et puis les gens voulaient redescendre chez eux, principal travail : fournir de la nourriture et des se mettaient pour récupérer leurs affaires, fouiller leurs décomb- vêtements, des couvertures, des draps, etc. res. Mais soudain des bruits insensés se mettaient à Maintenant quinze jours ont passé et, depuis la à courir courir. Il a bien fallu trois ou quatre jours pour que semaine dernière, on s’occupe surtout des abris ça se calme. Brusquement, des gens criaient : "Les provisoires. Chaque famille a désormais une vagues reviennent ! Fuyez !" C’était horrible, ces cahute : le gouvernement a fait du très bon travail. trois ou quatre jours de panique ; personne ne pou- L’Arul ashram les a énormément aidés, et puis d’au- vait les encadrer, ils n’étaient pas capables d’écou- tres organismes ont contribué à leur façon : le ter qui que ce soit. Aujourd’hui encore, il y a une Rotary de Pondichéry est intervenu tout de suite certaine incertitude ; il y a des tas de rumeurs qui avec des couvertures et tout ce qu’il fallait et beau- circulent : "Le 26, ça va recommencer". Deux se- coup d’enthousiasme. Et puis de nombreux particu- maines après, la peur est toujours là. Un jour, c’est liers s’y sont mis ; ainsi tout le monde a pu recevoir le gouvernement qui a donné l’alerte : il a fallu nourriture et abri presque tout de suite. évacuer. Deux jours plus tard seulement, les gens ont commencé à revenir au village.
I Et les corps ? I Il y a eu beaucoup d’entraide ?
FRANCECatholique N°2960 21 JANVIER 2005 15 DOSSIER
L’unité que j’ai vue, c’est inouï. Ils bateau, ni filets, ni maison. Et puis il y a étaient tous ensemble. Tout ce qui est arri- toujours la peur. Et c’est ça le plus grave. vé du dehors comme aide, ils ont veillé à ce Donc ils ne pêchent pas. Il y avait 18 que chaque famille en profite. Je suis vrai- bateaux, des grosses barques en polyester, ment heureuse d’avoir vu ça. Ils sont et puis des catimarons. Toute la flotte est ensemble. Les pêcheurs étaient vraiment anéantie, et les filets ont disparu. On essaie unis, et puis ces 80 autres familles, qui ne d’obtenir de l’aide du gouvernement pour sont pas des familles de pêcheurs, aussi. Le racheter ce qui permettrait de réparer ou moindre objet reçu par les pêcheurs, ceux- de remplacer le minimum pour retourner ci ont tenu à en faire profiter aussi toutes en mer. les autres familles.