Download Full Article in PDF Format
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
51 NOTES NOTES CHASSE AU CARIBOU EN TERRE DE BAFFIN: , , UN REGARD SUR LES PRATIQUES CYNEGETIQUES DES IGLULINGMIUT Vladimir RANDA* Résumé Summary Le caribou (Rangifer tarandus) représente pour ce groupe Caribou hunting in Baffin Island: reflections upon inuit de /'Arctique oriental canadien le gibier terrestre le plus lglulingmiut hunting practices. important. Après une éclipse pendant la première moitié du The caribou (Rangifer tarandus) is the main land game of XX' siècle dont les causes ne sont pas tout à fait élucidées, il this Canadian Eastern Arctic Inuit group. After an as-yet little est de nouveau abondant et activement pourchassé. L'intro understood near disappearance in the jirst half of the XX'h cen duction, au tournant de ce siècle, d'armes à feu modernes a tury, it has recently re-appeared and is keenly sought for. The modifié les méthodes de chasse tant sur le plan social que introduction of repeating firearms at the tum of the century has technique. De collectives, elles sont devenues individuelles, et modified hunting methods, on a social as well as technical Level. les nouveaux moyens de locomotion permettent de poursuivre Former/y collective, the chase is now an individual endeavour l'animal, en toute saison, avec une grande efficacité. and modem means of transport allow hunters to pur.sue their Cependant, des mécanismes d'autorégulation ont jusqu'à pré prey efficient/y ail year round. However, mechanisms of auto sent empêché des prélèvements excessifs. regulation have to this day prevented over-predation. Mots clés Key Words Arctique oriental canadien, Inuit, lglulingmiut, Chasse, Canadian Eastern Arctic, Inuit, lglulingmiut, Hunting, Caribou. Caribou. Pour la plupart des groupes inuit de l'Arctique cana Le présent article vise à donner un aperçu de la maniè dien, le caribou tuktu (Rangifer tarandus) représente depuis re dont un groupe d'Inuit canadiens du nord de la baie toujours le gibier terrestre le plus important. d'Hudson, les lglulingmiut<IJ, pratique aujourd'hui la chas Paradoxalement, peu d'informations détaillées ont été se au caribou, en traçant un lien avec les méthodes publiées sur sa chasse : à lépoque où les premiers ethno anciennes. En complément, sont décrites et analysées les graphes commençaient à s'intéresser aux techniques cyné attitudes manifestées à l'égard de cet animal. gétiques des Inuit, les méthodes traditionnelles venaient en grande partie d'être abandonnées au profit de celles fon dées sur l'utilisation des fusils modernes. Or, comme cha Repères historiques cun sait, les ethnologues enquêtant dans les sociétés "exo Regroupés depuis une quarantaine d'années dans les tiques" sont en règle générale réticents à intégrer les armes villages d'Iglulik (lgloolik) et Sanirajaq (Hall Beach) dans à feu dans leur champ d'investigation, en raison de leur le nord du bassin Foxe (fig. 1), les lglulingmiut consti caractère allogène. tuaient auparavant de petites bandes semi-nomades121 qui se * CNRS-1.ACJTO, 44, rue de /'Amiral Mouchez, 75014 Paris, France. (1) Les matériaux utilisés pour écrire cet article ont été recueillis entre 1988 et 1995 au cours de plusieurs séjours dans des campements d'été dans le nord du bassin Foxe (Baffin, Melville). <2> Les estimations de la population considérée comme "iglulingmiut" à proprement parler se situent, entre le début du XIXe siècle et les années 20 de ce siècle, entre 150 et un peu plus de 200 personnes. ANTHROPOZOOLOGICA. 1996. N° 23 52 Lancaster Sound BAFFIN BAY Krmg1qlugtw1,ilr. (Cl)dc River) Qikiqtaaluk 0 BAFFIN ISLAND Kf.7.iand / V eBray!. • Salliit \\eG\a <::> n fun' c:? ~ Siuraq c;J ~ ~ {J\j (fem 1.) Rowky Island Gulf -=-rg/u/ik /. PfogiqqoU; ( } North ~~.~~,'~": c{ (Pinger Point) V of (~ ~Spicerl. Boothia To.si11J0q • Stinirujaq .•,,,, ~c) (Hall Beach) Q ~uth Spicer 1. Amittuq lluiliq C. Jermain (MELVILLE PENINSULA) FOXE C. Wilson Pt. Elisabeth BASIN Fig. 1 : Territoires traditionnels des Iglulingmiut (nord du bassin Foxe, détroit Fury et Hecla). consacraient intensivement, suivant les cycles écologiques, rent la visite des explorateurs britanniques Parry et Lyon à à la poursuite de divers mammifères terrestres (caribou, la recherche du Passage du Nord-Ouest (1822-23). A partir bœuf musqué, ours polaire) et marins (morse, divers du milieu du siècle dernier, ils entretenaient des relations phoques et cétacés), dans une moindre mesure des oiseaux. sporadiques, principalement par l'intermédiaire de leurs Plus importante que la chasse aux oiseaux, la pêche, voisins situés au sud (Aivilingmiut) et au nord notamment aux salmonidés, apportait un complément (Tununirrniut), avec les baleiniers venus par dizaines en apprécié à leur alimentation. quête de la baleine du Groenland. Après l'arrêt définitif de Les premiers contacts directs connus avec le monde la chasse à la baleine en 1915, pendant deux décennies occidental remontent au début du XIX• siècle où ils reçu- environ, les contacts avec les Blancs se résumèrent pour ANTHROPOZOOLOG/CA. 1996. N° 2J 53 l'essentiel à des visites régulières aux rares postes de traite, greater distance than from twelve to twenty yards. " (Lyon, tous situés à l'extérieur de leur territoire. Le christianisme 1824: 328). (catholicisme, anglicanisme) fut introduit dans la région Cependant, ses connaissances du comportement du par des convertis autochtones auxquels ont succédé, caribou permettait au chasseur de pratiquer avec succès quelques années plus tard, les missionnaires. Les premières l'art difficile de la chasse qui combinait deux méthodes, conversions se produisirent au début des années 20 mais le !'approche et !'affût : chamanisme en tant que système dominant de représenta "Two deer were seen on the northern land, and tions et de pratiques ne s'effaça qu'à la veille de la Seconde Toolemak accompanied Dunn in chase of them : one Guerre mondiale. was killed by the latter, as he informed me, in conse La population actuelle compte environ 900 personnes, quence of the old man's lying behind a stone, and à 95 % d'origine inuit. La plupart des emplois salariés sont imitating the peculiar bellow of the se animais, until it fournis par la municipalité, le gouvernement territorial et was Led by its curiosity to corne within a short gun deux centres commerciaux, mais la chasse et la pêche res shot. " (Lyon, op. cit. : 241 ). tent très importantes tant du point de vue économique que culturel. On retiendra de ce témoignage le recours au leurre vocal - le chasseur imite la voix du caribou -, stratagème Le caribou dans la culture des Inuit du de toute évidence non dépourvu d'intérêt même pour celui bassin Foxe qui chassait avec une arme à feu peu performante. Tous les témoignages s'accordent pour souligner la Pour contourner l'inconvénient que représentait la grande importance du caribou pour les lglulingmiut. faible portée de son arc, le chasseur devait impérativement "Caribou hunting is the favourite occupation of the Iglulik réduire au minimum la distance qui le séparait du gibier. Il Eskimos", écrit Mathiassen (1928 : 53), en ajoutant: tirait profit de la faible vue du caribou ainsi que de sa gran " ... the se Eskimos are extremely clever caribou hunters, de curiosité. La première étape prenait la forme d'une trained in it as they are from childhood." (op. cit. : 55). approche somme toute classique, avec l'utilisation du Le caribou était poursuivi toute l'année avec, toutefois, camouflage. Parvenu à une distance suffisante, le chasseur un point culminant pendant les mois d'été et en début se mettait à !' affOt et appelait !'animal : d'automne où il est le plus facile à capturer et où sa chair "When feeding [caribou] on Level ground, an est la plus savoureuse et sa peau de meilleure qualité. Eskimaux makes no attempt to approach him, but should a few rocks be near, the wary hunter feels Méthodes de chasse traditionnelles secure of his prey. Behind one of these he cautiously Avant la généralisation, à !'aube de ce siècle, des creeps, and having laid himself very close, with his armes à feu à répétition, les Iglulingmiut pratiquaient, à bow and arrow before him, imitates the bellow of the l'instar d'autres groupes inuit, plusieurs méthodes indivi deer when calling to each other. Sometimes, for more duelles et collectives de chasse au caribou. Nous disposons, complete deception, the hunter wears his deer-skin grâce au capitaine Lyon, d'informations d'autant plus pré coat and hood so drawn over his head, as to cieuses - quoique non entièrement exemptes d'affirmations resemble, in a great mesure, the unsuspecting ani contradictoires - qu'elles reposent, pour une part, sur ses mais he is enticing. Though the bellow proves a propres observations. D'où l'intérêt de publier ici de larges considerable attraction, yet if a man has great extraits de son récit. · patience, he may do without it, and may be equally Moins spectaculaire et moins productive que les certain that his prey will ultimately corne to examine chasses collectives, la chasse individuelle n'était pas négli him;" (Lyon, 1824 : 336). gée pour autant, bien au contraire, elle était conduite, comme le rappelle Birket-Smith (1929: 107) à propos des Lyon ne précise pas si l'imitation vocale était efficace Inuit dits "Caribou", en toute occasion. L'arme utilisée en toute saison et à l'égard des animaux de toutes les était !'arc (pisiksi) dont tous les observateurs soulignent les classes d'âge et de sexe ou si elle s'adressait au contraire à faibles performances : "The bow [ ... ] rare/y used at a une catégorie particulièreC3>. <3> Par exemple, le mâle en période du rut (pratique courante au moment du brame du cerf et de l'orignal en Europe, en Sibérie et en Amérique du nord), ou bien la femelle à la recherche d'un faon égaré. ANTHROPOWOl..OGICA. 1996. N° 23 54 La seconde méthode nécessitait la coopération de En ce qui concerne le Nunavik (Québec arctique).