Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Master Histoire et audiovisuel CRH/Isor

Mémoire de Master 2

Construction médiatique et réception d’un artiste des Balkans dans les médias français (1981-2012)

Andrea Perugini Octobre 2014 Sous la direction de Mr Sebastien Le Pajolec et Mme Myriam Tsikounas Emir Kusturica : Construction médiatique et réception d'un artiste des Balkans dans les médias français (1981-2012) Remerciements Je tenais avant toute chose a remercier Sebastien Le Pajolec pour ses conseils, son expérience et son soutien, Quentin Dusser et Emir Bouzouita pour leur amitié, et Sanja Arsenic qui, la premiere, m'a fait découvrir l'œuvre et l'univers de ce cinéaste. Aussi ne puis-je oublier les bienfaits de la présence de Noemi Naudi pour son énergie et sa bonne humeur tres communicative. Un grand merci également a tous les documentalistes, archivistes et techniciens de l'Inatheque, de la Cinématheque française et du Chat Noir pour leur aide précieuse. Sommaire :

– Avant-propos : 1

– Introduction : 3

– Premiere Partie : Le temps de la reconnaissance : 18

– Deuxieme Partie : Le temps de la polémique : 72

– Troisieme Partie : Le temps des identités : 105

– Conclusion : 145

– Bibliographie : 151

– Annexes : 161

– Table des matieres : 191 Avant-propos

« Je suis Slave. Dans mes contradictions, dans ma volonte de voir le monde en noir et blanc, dans mon humour, dans mes brusques changements d'humeur, mais aussi dans ma comprehension de l'histoire. Je suis ne a la frontiere extremement penible entre l'Est et l'Ouest, et je garde en memoire les battements de cœur de mes parents » Emir Kusturica

Je ne sais par ou commencer pour aborder les motivations qui m'ont poussé a mener cette étude. Je me rappelle avoir été envouté par la scene finale duTemps des Gitans orchestrée autour d'Ederlezi, hymne d'un peuple, bande originale de la souffrance d'une terre. Je me rappelle de cet onirisme, d'un cinéma qui ne se contentait pas d'un genre, et donc, de lui-meme, mais de ce que la vie pouvait offrir sur la durée : des joies, des larmes, du tragique et du comique entremelés par ce tempérament balkanique ou l'exubérance des émotions est une culture en soi.

Ayant moi-meme vécu la-bas, je demeure sensible a cette vision qui peut nous etre proposée dans le cinéma de Kusturica. Par ailleurs, l'œuvre de cet artiste s'est vue bouleversée a un moment ou l'histoire était en marche, sa terre natale étant devenue le théatre de guerres fratricides sous l'étendard hypocrite de vieilles velléités et d'intérets meurtriers.

Si Emir Kusturica se demande dans son autobiographie « Ou suis-je dans cette histoire ? », notre démarche commence par un questionnement identique. Entre l'histoire des Balkans, celle des médias, celle du cinéma, celle des nombreux contextes médiatiques et des constructionset imaginaires qu'ils ont pu engendrer, ou est Emir Kusturica dans ces Histoires ?

Ce mémoire entend dresser un éventail complet des réflexions et des concepts relatifsaux nombreuses questions qui se posent lorsqu'il s'agit d'étudier la réception et la construction médiatique d'un artiste. Aussi, il s'agit d'apprécier le cadre des nombreux contextes de médiatisation, différents mais inextricables par la force des choses, par la force de l'histoire. Du reste, nous entendons établir des bases méthodologiques garantes de la rigueur d'une étude jamais réalisée auparavant sur cet artiste. Des lors, nous pourrons, par l'analyse des nombreuses sources qui sont a notre disposition, comprendre l'importance et la réception des œuvres d'un cinéaste quia marqué le cinéma, sa région, ainsi qu'un moment trouble de l'histoire de l'Europe de la fin du XXe siecle et du début de XXIe.

1 INTRODUCTION

2 Une stature imposante, une chevelure abondante et grasse, un cigare fin au bout des levres : tout cinéphile reconnaitra Emir Kusturica sur un cliché. Il en va de meme pour ses films : la présence des gitans, du folklore balkanique (stéréotypé ?), du kitsch, une symbolique des animaux et des hommages rendus aux grands noms du cinéma (tels que Jean Vigo ou Fellini). La «patte» Kusturica est reconnaissable et s'est installée durablement sur les écrans. Il est, des lors, naturel d'admettre une certaine particularité a ce personnage, a son cinéma. Nous pouvons sans risque aborder l'intéret d'une étude le concernant par le biais de cette particularité visible. Pourtant, un objet d'étude, aussi singulier soit-il, n'est souvent qu'une passerelle vers un monde de représentations complexes aux ramifications profondes. De quoi Emir Kusturica est-il réellement le prétexte ?

Une œuvre est un processus Étant un artiste actif et reconnu depuis le début des années 1980, il est avant tout prétexte a un regard sur ses œuvres. Si ces dernieres font déja l'objet d'une étude a part entiere dans les écoles de cinéma, notre étude porte moins sur son art que sur la façon dont il a été reçu. Ce regard, que l'on peut appeler « réception », doit etre compris dans toute sa complexité. En effet, une œuvre ne contient pas en elle-meme les qualités intrinseques justifiant sa diffusion et sa reconnaissance. Elle se définit avant tout dans la relation qu'elle entretient avec « avec un collectif humain donne 1». Ce collectif humain est constitué de l'artiste, bien sur, mais également de nombreux agents et acteurs sociaux faisant d'une œuvre, non pas seulement un processus créatif, mais un processus social2. Derriere une œuvre se cachent des industries culturelles qui s'averent, surtout dans le cadre du cinéma, indispensables a la production puisqu'elles détiennent les capitaux nécessairesau financement des projets. La simple désignation « d'industrie » implique des contraintes d'ordre économique et financier qu'il est indispensable, pour le chercheur, de cerner et d'en établir les conséquences sur la nature de l'œuvre produite. Aussi, les œuvres d'un artiste doivent, selon le contexte de la discipline artistique, s'attacher a certains modeles, rassurant sur le potentiel de déclaration et la solvabilité d'une production culturelle. Du reste, il est possible d'apprécier le degré d'impact des contraintes ou « directives3 » des industries culturelles sur les volontés initiales du réalisateur. De cette maniere, nous pouvons de façon méthodologique appréhender l'œuvre comme une interaction et un jeu de pouvoir entre plusieurs acteurs sociaux (dans ce cas, entre le créateur et l'instance qui la finance).

1 ESQUENAZI Jean-Pierre : Sociologie des œuvres. De la production a l'interpretation (page 5) 2 Ibid « Premiere conclusion : l'oeuvre comme processus social » (page 27) 3 Ibid (page 56) . Elles sont un cadre ou l'artiste peut exercer sa créativité dans les frontieres acceptables de l'institution

3 À la production s'ajoute l'étape de distribution qui « déclare » l'œuvre dans l'espace public. L'objet culturel devient effectivement « œuvre » lorsqu'il est diffusé et sujet au regard, a l'évaluation et a l'interprétation. Par conséquent, nous admettons que la distribution contient ses propres stratégies et ses logiques internes de fonctionnement pour que l'objet culturel qu'elle est censée diffuser soit candidat a la réception. Il est donc intéressant d'apprécier dans quelle mesure les instances de distribution mettent en place des stratégies pour préfigurer une certaine réception voulue. Ainsi, nous avons un autre agent social dans ce « collectif humain » puisqu'il agirait sur les modalités de réception4 de l'œuvre. Tous ces mécanismes, faisant de l'œuvre un processus social, influent directement sur la réception. Cette réception est, bien sur, assurée par le public, consommateur du produit culturel. Mais entre l'œuvre et le public se glisse un acteur interprétatif assurant et préfigurant le relais : les médias. Pour toute œuvre destinée a etre diffusée et déclarée dans l'espace public précede toutun processus ou cette derniere sera sujette a l'évaluation, la critique, la promotion (cachée ou avouée), le débat... En somme, les instances médiatiques remplissent le role de médiateur et d'évaluateurde l'objet culturel. Leur role est capital dans le processus de circulation puisqu'ils sont généralement les garants des deux composantes préfigurant le succes public d'une œuvre : la reconnaissance et la légitimation. La reconnaissance se résumerait au simple fait de reconnaitre et d'afficher le produit culturel comme œuvre. La légitimation5 quant a elle, est un processus qualitatif et critique pouvant préfigurer (ou non) le succes commercial. Elle peut s'exprimer via une large palette évaluative ainsi que par le biais de procédés de scénarisation ancrant l'œuvre dans un contexte de représentations,de codes et d'imaginaires préexistant.

La figure de l'artiste : une construction mediatique Bien entendu, toute réception critique d'une œuvre se fait rarement sans la réception critique de celui qui en a la paternité, son créateur. Ainsi, il est possible d'admettre que tout artiste dont les productions sont relayées de maniere constante a travers les médias pendant une longue période est potentiellement sujet a un processus de construction médiatique évoluant parallelement avec sa carriere6. En un sens, l'artiste devient un personnage qui peut éclipser son œuvre ou en tout cas en

4 Par réception nous entendons tous processus évaluatifs et interprétatifs qui font suite a la « déclaration » de cette derniere dans le champ public. 5 Voir a cet égard PEQUIGNOT Bruno, Sociologie des arts : domaines et approches, et son chapitre sur la légitimation d'une œuvre ou d'un artiste (p. 71-75.) 6 MOULIN Raymonde, L’Artiste, l’institution et le marche, Paris, Flammarion, 1992, Champs/Flammarion, 1997. Dans cet ouvrage l'auteure amorce une contextualisation des carrieres artistiques. En somme, elle replace la carriere de l'artiste dans une interaction avec les facteurs esthétiques, économiques et institutionnels qui déterminent la-dite contextualisation. C'est dans cette contextualisation que se situent tous les acteurs intervenants dans la construction des réputations. (page 336)

4 parasiter les significations. Pour aborder la construction médiatique de ce personnage, il s'agit d'établir au préalable son statut public. Dans un premier temps, le statut public d'Emir Kusturica serait classé avant tout dans la catégorie « artiste ». Rien qu'en évoquant ce statut, nous avons d'ores et déja tout un imaginaire, des codes, des représentations, des stéréotypes et, sans aucun doute, des procédés de scénarisation médiatique qui engloberaient cette notion. Mais dans ce cadre, notre sujet nous interpelle par la profusion de ses spécialisations puisque, s'il est principalement cinéaste, il est aussi musicien, acteur, architecte, écrivain etc... Ajoutons a cela le fait qu'il soit étranger, en particulier yougoslave. Toutes ces particularités puisées pele-mele recentreraient l'optique du chercheur autour d'une étude demeurant au croisement des représentations historiques, sociales et médiatiques que ces notions impliquent. L'étude de la réception critique de ce personnage et de sa construction médiatique en devient donc intéressante par la complexité et la richesse de son statut public. À ce statut polymorphe répondrait des cadres médiatiques et énonciatifs en adéquation. Ainsi, Emir Kusturica serait-il médiatisé différemment selon ses activités respectives. Nous évoquions un peu plus haut la particularité de son cinéma reconnaissable a plusieurs égards. Il n'est pas de notre ressort de disserter sur l'esthétique de son cinéma et dans quelle mesure celui-ci serait innovant ou pas. Cependant, il est important d'analyser quels imaginaires nous sont renvoyés par les critiques qui s'occupent de ces questions. Par conséquent, le deuxieme pan important qui accentuerait l'intéret d'une étude sur Emir Kusturica résiderait dans les composantes et symboles de son univers cinématographique qui ont pu etre retranscrit dans la construction médiatique de son personnage. En somme, l'intéret principal d'une étude le concernant résiderait dans la maniere dont les médias français (presse, radio et télévision) ont pu retranscrire l'identité complexe, le statut public polymorphe ainsi que le travail de cet artiste.

Pourquoi en France et dans les medias français ? La raison pour laquelle le choix s'est porté sur les médias français ne tient pas uniquement d'une commodité. Bien évidemment, réduire le corpus a des éléments provenant uniquement des médias français est une chose nécessaire lorsqu'il s'agit de ne pas se disperser et d'établir un cadre. Pourtant, il est important d'éclairer les raisons et l'importance d'une étude de ce personnage dans ces derniers. En effet, Emir Kusturica entretient une relation particuliere avec la France, et donc, avec ses médias. Nous commencerons tout d'abord par rappeler qu'il fut le lauréat, et cela a deux reprises, du plus prestigieux prix international récompensant un réalisateur : la Palme d'or. Si ce prix est international, il est d'une importance toute particuliere en France. Il collabora avec Envoye special

5 sur France 2 en 1996 par la réalisation d'un moyen métrage : 7 jours dans la vie d'un oiseau. Du reste, il aime a collaborer en tant qu'acteur avec nombre de réalisateurs français comme Patrice Leconte, Augustin Legrand, Christian Carion ou encore Olivier Horlait. Nous comptons bon nombre de sources ou il est invité a s'exprimer sur un plateau de télévision français. Ajoutons a cela le fait que la plupart de ses films a partir de 1992 ont été en partie produit par la France (a comprendre une production ou une co- production française). Enfin, nous pouvons toujours rappeler qu'il séjourne en Normandie et qu'il a appris a parler français, comme nous pouvons le constater sur quelques sources prises au hasard (a la fin de notre période).

L'interet historique d'une telle etude : Pour ce qui est de l'intéret historique, a proprement parler, de cette étude nous évoquerons plusieurs pistes intéressantes. En premier lieu, il s'agirait de voir en quoi la construction médiatique et la réception d'Emir Kusturica et de ses activités ferait partie d'une certaine tradition de la construction médiatique des artistes en général. Bien évidemment, l'étude sera d'autantplus intéressante si nous voyons en quoi ce réalisateur et l'identité complexe qui le caractérise apporterait des éléments nouveaux dans ce champ précis et le placerait de maniere singuliere dansune historiographie préexistante. Cette singularité peut se supputer des a présent puisque notre sujet s'établit dansune chronologie précise. En effet, notre étude s'étale sur pratiquement trente ans. Du point de vue du contexte médiatique, cela représente une difficulté a ajouter dans le sens ou nos analyses et notre maniere d'appréhender les sources devront s'attacher a comprendre les changements importants relatifs aux contextes médiatiques en vigueur. En somme, a l'évolution d'un personnage s'ajoute l'appréciation au préalable d'une évolution d'un contexte médiatique. Mais c'est un contexte historique d'autant plus dramatique qui nous ferait la promesse ontologique de la spécificité de notre sujet. Et pour cause, la médiatisation de ce réalisateur adu évoluer dans un contexte de guerre d'une extreme violence. Rappelons-nous que de 1989 a 1995 a eu lieu la guerre d'ex-Yougoslavie et que celle-ci fut également un sujet important dans deux films qu'Emir Kusturica a réalisé (Underground et La Vie est un miracle). Si cette guerre s'arreta en 1995 par les accords de Dayton, les troubles dans la région ne cesserent guere (la guerre du Kosovo en 1999, les heurts suivant l'indépendance du Kosovo en 2008 etc...). Du reste, nous savons, qu'Emir Kusturica a fait part de ses points de vues et de ses engagements sur ces sujets délicats. Son actualité et sa carriere de réalisateur étant étroitement liées avec le conflit, l'intéret historique résiderait donc également dans un croisement d'une étude de la construction médiatique d'un artiste provenant d'un pays en pleine guerre et de la scénarisation de cette derniere dans les médias.

6 Finalement, nous pouvons ici délimiter notre sujet dans sa chronologie et justifier ce choix. Le début de notre période se situe lors de la médiatisation et de la sortie de son premier film. En effet, l'entrée médiatique d'Emir Kusturica s'est faite par ce biais, il s'agit donc de prendre l'année 1983 (meme si le film est sorti en 1981 dans d'autres pays) comme point de départ. Il est cependant moins aisé de décider de maniere objective d'une borne finale. En effet, le principal intéresséest toujours vivant, actif dans plusieurs domaines et ne compte pas arreter les activités qui l'ont principalement médiatisé (a savoir, etre avant tout un cinéaste). Aussi, nous devons tenir compte de l'époque ou nous menons notre étude. Ainsi, le choix de la borne chronologique qui cloturera notre période se fait par une sorte de dépit méthodologique : aujourd'hui. Cet « aujourd'hui » se doit tout de meme d'etre détaillé. Si le dernier film en date est Maradona en 2008, nous avons fait le choix d'aller au dela et de prendre en compte les occasions de médiatisation en dehors du cadre d'un relai d'information concernant ses films. Nous pouvons citer comme borne finale une polémique suite a la sortie du film d'Angelina Jolie : Au pays du sang et du miel (fin 2011, début 2012), ou Kusturica critiquait vivement la vision, selon lui, biaisée de l'histoire de la guerre de Bosnie-Herzégovine qu'avait la réalisatrice. Si ce dernier événement ne concerne pas exclusivement notre sujet d'étude, il est intéressant d'identifier selon quelles modalités, le réalisateur peut se faire médiatiser a la fin de notre période. Sans donner de réponses précises, nous pouvons déja remarquer que ce n'est pas uniquement pour ses films. C'est dans l'imbrication de ces contextes que demeure aussi bien l'intéret que la difficulté de notre travail.

Considerant tous les acteurs sociaux en jeu (dans le processus de circulation et de reception des œuvres) et les contextes de mediatisation s’imbriquant dans notre periode, dans quelle mesure peut-on apprecier la reception des productions et de la personnalite d'Emir Kusturica, et comment cette reception a t-elle prefigure une construction mediatique de ce dernier ?

Pour espérer trouver des réponses aux croisements des représentations historiques, sociales et médiatiques des termes de notre étude, il est indispensable de dresser un corpus avec rigueur. La segmentation de ce dernier est un premier travail structurant nos analyses a venir puisqu'il permet d'établir et de séparer des cadres de réception ayant chacun leurs propres modalitéset fonctionnement.

Constituer un corpus : des cadres enonciatifs pluriels La premiere partie du corpus concernera les sources écrites. Ces sources écrites seront

7 principalement issues de la presse (généraliste et spécialisée). Les autres sources écrites serontdes sources a caractere « littéraire », c'est a dire des témoignages, biographies (ou autobiographies), romans etc, rentrant dans le cadre d'un ouvrage. D'autres sources écrites seraient susceptibles d'etre analyser telles que les fiches techniques des films d'Emir Kusturica pouvant nous renseigner sur le ou les distributeurs et, par extension, sur la façon dont ces derniers auraient fait la promotion du film ; cet élément pourrait etre intéressant quant a l'étude de la réception des productionsdu réalisateur. Pour ce qui est des sources écrites dites « journalistiques », il s'agira avant tout de séparer dans deux sous-corpus différents les sources appartenant a la presse généraliste et celles apparaissant dans les périodiques et autres revues spécialisées. Il est nécessaire d'établir cette séparation puisque ces deux presses s'adresseraient a priori a des publics différents, ou plutot a deux « espaces de réception » différents. Le corpus, dans ses structures doit tenir compte de ce constat pour ensuite analyser les réelles différences de prérogatives. Pour définir les « espaces de réception » nous pouvons dans un premier temps expliciter la dichotomie que nous amorçons entre ces deux types de presse. Les journalistes écrivant un article dans la presse généraliste ne sont d'une part, pas forcément des critiques de cinéma en tant que tel. En effet, un film de Kusturica ou une actualité le concernant n'est pas toujours prétexte a une analyse forcément cinématographique. Quand bien meme le journaliste serait critique de cinéma et ferait une critique de cinéma a proprement parler, il est clair que nous pouvons partir du postulat que le journaliste sait qu'il ne s'adresse pas a un lectorat spécialisé et connaisseur ; son article est destiné a un public prétendu profane. De plus, nous voyons que la pressegénéraliste (principalement des quotidiens) est la pour relayer une nouveauté dans des formats « brefs », ou en tout cas plus court que dans le cadre d'une revue spécialisée. En effet, cette derniere peut se permettre de publier un article sur le cinéma d'Emir Kusturica sans avoir le prétexte d'une actualité ou d'une nouveauté a relayer. Le choix de la presse généraliste se justifie tout simplement par le fait qu'elle est la plus diffusée, la plus lue, et qu'elle est le plus souvent « leader » d'opinion. Ainsi le contenu des articles entre ces deux types de presse s'en trouve-t-il, par nature, sujet a etre différent par la forme, le fond et le lecteur visé.

Pour la constitution du corpus des sources écrites, nous nous baserons principalement sur le catalogue collectif des bibliotheques et archives de cinéma via son moteur de recherche « ciné- ressources ». Tout d'abord, nous avons répertoriés tous les documents dont Emir Kusturica est l'auteur (a savoir 2 dossiers d'archives, 1 articles de périodiques, 1 ouvrage et 7 vidéo) et tous les documents dont il est le sujet (2 dossiers d'archives, 7 articles de périodiques, 17 ouvrages, 2 photos

8 numérisées et 1 dossier de photos). Ensuite, nous apercevons des dossiers pour chaque film dans lesquels Emir Kusturica est lié. Ciné-ressources nous propose 20 dossiers (donc 20 films différents). Chaque dossier est sujet a avoir des dossiers d'archives, des affiches, des revues de presse numérisées, des ouvrages, des dossiers de photos et des vidéos. C'est ici, devant l'étendue des sources, que le chercheur doit opérer un choix simple mais important pour la pertinence et la commodité de sa recherche. Ainsi, pour les dossiers composés autour des films, sera-t-il constitué un corpus principal prenant exclusivement les films dont Emir Kusturica est l'auteur et le réalisateur ; en d'autres termes, ou il est le personnage mis en lumiere et ou, théoriquement, nous trouverons le plus de matiere a analyser. Par conséquent, notre corpus principal sera constitué des revues de presse et des articles de périodiques concernant : Te souviens-tu de Dolly-Bell (1981), Papa est en voyage d'affaires (1985), Le temps des Gitans (1988), (1993), Underground (1995), Chat noir chat blanc (1998), Super 8 Stories (2001), La Vie est un miracle (2004), Promets-moi (2007), Maradona (2008). Les résultats concernant les articles paraissant dans les revues spécialisées devront etre recoupés avec ceux que nous obtenons avec un autre moteur de recherche. Calindex.eu est un site web et une base de données de revues francophones de cinéma, qui couvre la période 1928 ace jour. Pour chaque revue ou magazine il y a un index complet des articles (la plus petite notule y figure, avec son titre et son auteur, ce qui implique un épluchage page par page de toutes les parutions) et la couverture de référence pour le numéro concerné. Pour un résultat complet, il suffit d'entrer le nom d'Emir Kusturica dans l'index principal pour voir tous les articles de revues spécialisées référencées dans le moteur de recherche. Ainsi, nous avons un résultats de 94 articles allant de 1981 a 2011 (soit toute la période), le plus souvent agrémenté du sujet concerné par l'article (la plupart du temps, le nom d'un des films de Kusturica). Du reste, nous voyons l'importance d'un outil tel que Calindex puisque ciné-ressources ne nous donnait pas d'articles de revues spécialisées avant 1985. Pour l'échantillonnage des sources que Calindex nous propose, nous avons décidé de suivre la meme méthode qu'avec ciné-ressources, a savoir : constituer un corpus d'articles autour des films (puisque ce sont les moments de médiatisation les plus importants de notre personnage). Apres avoir répertorié tous les articles des films dont il est le réalisateur, nous avons, en tout et pour (y compris avec les sources de ciné-ressources) un total de 89 articles sujets a l'analyse

Les sources audiovisuelles devront etre, elles aussi, divisées en familles d'émissions pouvant potentiellement représenter, comme dans le cas des sources écrites, des espaces de réception différents. En d'autres termes, la chaine, le type d'émission, l'heure a laquelle elle est diffusée, la

9 nature de l'information relayée sont autant de variantes importantes pouvant, des le départ, donner au chercheur des informations quant au(x) public(s) potentiel(s) a qui la source serait destinée. Du reste, chaque type de programmation aurait sa "formule" propre concernant une certaine mise en scene de l'information7 a savoir : le reportage, l'entretien, la breve illustrée d'images commentées, ou encore des extraits de films. Certaines programmations peuvent, bien évidemment, représenter dans leurs contenus un mélange hybride de ces "formules". Cependant, nous voyons se dégager, apres un visionnage exhaustif de quelques sources prises au hasard, des types d'émissions qui, pour la commodité de la recherche et les objectifs du chercheur, pourraient représenter des sous-corpus et par la meme occasion, des espaces de réception différents. Ces sous-corpus seront donc des familles d'émissions, a savoir : Les journaux télévisés (sujet concernant l'actualité d'Emir Kusturica),les magazines spécialisés (émissions concernant uniquement le cinéma), les émissions culturelles,de débat et autres (exemple : Le cercle de minuit, Ce soir ou jamais, etc...). Pour accéder aux archives (au sens large du terme) de la télévision française concernant notre période (1981-2012), l'INA nous offre un outil de recherche complet nous permettant de puiser dans les fonds et bases documentaires de l'Inatheque de France. Il existe 5 bases documentaires : les archives INA TV, recensant les programmes produits ou coproduits par les chaines de télévision publiques depuis 1949 a nos jours, le dépot légal des chaines de télévision hertziennes (depuis 1995) qui propose des notices descriptives des programmes diffusés par les 7 chaines hertziennes (a savoir TF1, FR2/F2, FR3,F3, La 5eme/F5, Canal Plus, M6, Arte). Nous y trouvons également le dépot légal des chaines du cable et du satellite (depuis 2002), ainsi qu'un fond spécial dédié aux clips musicaux (depuis 1995) et un autre aux publicités (depuis 1968).En l'occurrence nous utiliseront les deux premieres bases documentaires citées car les bornes chronologiques de notre sujet sont a cheval entre les Archives INA TV et le dépot légal. Nous devons donc ouvrir une recherche similaire dans les deux bases de données de façon parallele. En commençant par la base "Archives INA TV", il suffit d'inscrire la valeur "Kusturica" en choisissant comme "champ" de recherche l' "index textes". Ce choix nous apportera le plus gros résultat de sources le concernant puisqu'il implique toutes les sources comprenant dans leurs descripteurs le terme "Kusturica". Avec la base du dépot légal, la méthode reste la meme, mise a part une dénomination différente de certains champs (a savoir, l' "index texte" correspond a "index général" dans le dépot légal). Nous obtenons ainsi dans la base Archives INA TV (avant 1995) 46 sources et 473 pour le dépot légal (donc 519 sources en tout est pour tout). Nous notons cependant qu'il n'y a

7 Voir en particulier le chapitre 3 in. JOST François : Comprendre la television et ses programmes, Armand Colin, 2010 (2eme édition). L'auteur insiste sur « la promesse du genre » de chaque type d'émission et les ambigüités liées a ces contraintes de programmation.

10 pas de sources antérieures a 1985, ce qui paraitrait problématique puisque la médiatisation télévisuelle de Kusturica commencerait, selon l'hyperbase qu'a partir de 1985, alors qu'il réalisa son premier film en 1981 et fut couvert par les médias. Ce vide s'explique par le fait que les bases documentaires que nous avons choisi ne traitent que les éditions nationales, et il est possible, sur la base du site de l'INA réservé aux professionnels (INA MediaPro) de retrouver quelque sources avant 1985 provenant d'édition régionale (FR3). Il s'agira d'ajouter au moins une source pour ne pas induire un vide de médiatisation télévisuelle avant 1985. Toujours est-il que 519 éléments a analyser représente un travail gigantesque, pouvant y compris brouiller les pistes de réflexion du chercheur. Il s'agit donc de peaufiner les résultats, tout en justifiant la démarche, pour arriver au bout du compte avec un corpus réduit mais non moins représentatif de la médiatisation/réceptionde l'actualité et des œuvres d'Emir Kusturica. Ainsi, en parcourant quelques sources, nous remarquons que Kusturica ne parait pas forcément au générique de l'émission, c'est a dire qu'il n'estni participant, ni rédacteur, ni réalisateur de la production a analyser. L'hyperbase nous donne comme champ de recherche une maniere de filtrer les sources ou Kusturica apparaitrait dans le générique: ce champ s'appelle "générique (patronyme)" ou "générique". Il suffit de placer ce champ dans la rubrique "valeur" pour effectuer une nouvelle recherche concernant les sources ou apparaitrait Kusturica en tant que participant, rédacteur ou bien réalisateur. De cette maniere, nous nous assurons d'avoir de la matiere a analyser et évinçons par la meme occasion de trop courts passages vidéo qu'il ne serait pas judicieux de prendre en compte puisqu'ils ne feraient qu'alourdir le corpus. Pour s'assurer qu'aucune "breve" ne soit présente, nous pouvons rajouter ce champ dans la rubrique des valeurs et préciser dans la recherche informatique le dénominateur « SAUF » pour exclure, si ce n'était pas déja fait, toutes les breves qui gonfleraient les résultats. C'est avec ce processus etce cheminement de recherche que nous passons, pour les sources Archives INA TV avant 1995 de 46 sources a 10 sources et pour le dépot légal de 473 sources a 163 sources. Le total des sources apres ce filtrage équivaut a 173 sources susceptibles de faire partie du corpus.

En ce qui concerne le corpus relatif aux productions radiophoniques, nous avons effectué exactement la meme recherche que pour les sources vidéos, a savoir : nous avons recherché tous les descripteurs contenant Emir Kusturica (dans la base Archives et le dépot légal), puis nous avons réduit les résultats en rajoutant le filtre « générique » pour disposer uniquement des sources ou Kusturica serait présent dans ce dernier. Des lors, nous nous assurons d'avoir matiere a analyser. Nous arrivons ainsi au nombre de 50 sources radiophoniques.

11 Interroger le corpus Mediacorpus est un outil de recherche essentiel lorsqu'il s'agit de constituer un corpus et, en particulier, lorsqu'il s'agit d'établir les questions principales que pose un corpus. Si nous devions définir cet outil de maniere simple, nous pourrions parler d'une sorte d'hyperbase personnalisable et s'adaptant aux intuitions et aux cahiers des charges du chercheur. Naturellement, il s'agit dans notre cas précis de transférer le corpus des sources audiovisuelles (173 sources) afin de les classer a notre guise et, par extension, de définir un corpus principal qui sera sujet a une méthode d'analyse et d'autres corpus secondaires et complémentaires que nous utiliserons de maniere différente. Cependant, il est nécessaire d'établir a l'aide de mediacorpus un graphique pouvant nous donner une idée générale de la médiatisation globale (c'est a dire sur toute notre période) d'Emir Kusturica. Notre corpus de 173 sources, ayant été remanié via l'hyperbase pour réduire le champ de réflexion et d'analyse a un échantillon révélateur, il s'agirait dans un premier temps de transférer toutesles sources audiovisuelles concernant Emir Kusturica (figurant ou non dans le générique). Ainsi, en exportant les 519 sources dans lesquelles Kusturica apparait dans les descripteurs, nous avons, a l'aide de l'outil graphique calculé par mediacorpus une représentation visuelle de la médiatisation générale de notre sujet.

Illustration 1: Mediatisation generale par annee (1985-2012)

Illustration 2: Mediatisation par type d'emission (1985-2012) – corpus reduit

12 Nous pouvons d'ores et déja apprécier la pertinence de notre démarche quanta l'échantillonnage réalisé dans l'hyperbase pour arriver a 173 sources en comparant le graphique représentant la médiatisation générale par année et celui ou nous avons la médiatisation par type d'émission (sources venant de notre corpus réduit). Nous constatons rapidement que les pics de médiatisation sont les memes, a savoir les années 1995, 1998, 2004, 2005 et le conglomérat allant de 2007 a 2009. La premiere question qui se pose a nous serait de savoir a quoi correspondent ces années ou il y a des pics de médiatisation. Si cette question représentera une partie importante du travail d'analyse, nous pouvons déja donner quelques indices généraux aidant a la compréhension visuelle de ces graphiques. L'année 1995 correspond a la sortie du film Underground et a l'obtention pour ce dernier d'une deuxieme palme d'or durant le festival de Cannes de la meme année. Si le pic parait plus important que les autres, c'est aussi pour d'autres raisons : rappelons que le film traite de la vision que le réalisateur a de l'histoire de la Yougoslavie (de la seconde guerre mondiale jusqu'a la guerre d'ex-Yougoslavie) et qu'a ce moment, la médiatisation de la guerre de Yougoslavie (et en particulier l'épisode de la guerre de Bosnie) était sujet a une médiatisation tres importante et a un engagement médiatisé de plusieurs personnalités. En a résulté une vive polémique ou certains intellectuels français, comme Alain Finkielkraut, firent part de leur mécontentement vis-a-vis du film et des propos cinématographique et historique du réalisateur. L'année 1998 illustre la sortie de Chat noir chat blanc, comédie plus légere que d'habitude ou Kusturica signe son retour sur la scene cinématographique (puisqu'il annonça qu'il désirait se retirer du cinéma apres Underground et la vive polémique qui suivit). L'année 2004 représente la sortie de son film La Vie est un miracle, en compétition officielle au festival de Cannes et l'année 2005 correspond, quant a elle, ala médiatisation de Kusturica en tant que président du jury de festival de Cannes de la meme année. Enfin, le conglomérat 2007-2009 représente la présentation en compétition dePromets-moi au festival de Cannes 2007, ainsi que la sortie en salle de ce dernier et du documentaire Maradona. Avançons l'hypothese que ce conglomérat d'année a vu les heurts précédantetsuivant l'indépendance du Kosovo. Indépendance médiatisée et ou l'on a pu voir le réalisateur ades rassemblements protestant contre cette indépendance. Revenons a notre corpus de 173 sources. Comme nous l'avons expliqué dans l'état des sources audiovisuelles, il est tres important pour nous de pouvoir déterminer a quels types d'émissions, quelles formules, nous avons affaire. Malheureusement, si l'hyperbase nous donne un choix de filtrage concernant les types de programmation, elle n'est parfois pas totalement adaptée aux attentes du chercheur. C'est ainsi que mediacorpus nous offre la possibilité de personnaliser les descripteurs afin de préciser les genres (parfois hybrides) dans lesquels Emir Kusturica apparaitrait.

13 En ayant parcouru tous le corpus, nous avons pu personnaliser tous les descripteurs des genres constituant potentiellement des espaces de réception différents. Ainsi avons-nous les sources comportant un débat, une rencontre ou un entretien dans lesquels Kusturica s'exprimerait. Nous avons la diffusion et les rediffusions de ses films, ou de ceux dans lesquels il n'apparait qu'en tant qu'acteur. Nous avons également le genre des émissions culturelles fondées essentiellement sur le cinéma et la musique (puisqu'il est aussi musicien). Le genre du journal télévisé ne représente pas, comme les autres, des formules hybrides qui pourraient rendre l'appréciation des sources ambivalentes. Justifions, cependant, la dénomination de la derniere catégorie« tranche horaire, reportage, autre » ou sont classées certaines sources ne pouvant figurer dans aucune autre catégorie. Ainsi, par tranche horaire nous définissons toute émission ayant, par exemple, une rubrique cinéma (comme la matinale de Canal +), ou encore un talk-show ou Kusturica viendrait jouer un morceau en tant que simple interlude musical (« Vivement Dimanche » sur France 2) etc... Nous avons décidé de mettre les reportages le concernant puisqu'ils rentrent dans le cadre d'émission hebdomadaire n'ayant pas de public prédestiné puisque les sujets de reportages et d'investigation sont vastes et polymorphes. Le graphique relatif aux types d'émissions et qui a été réalisé graceala personnalisation des descripteurs nous donne une idée visuelle de l'évolution de la figure médiatique du réalisateur. Il s'agira de voir durant quelles années le réalisateur apparait dans un type d'émission plus qu'un autre, d'en dégager les raisons. En ce qui concerne les sources radiophoniques, nous avons établi un graphique représentant la médiatisation générale d'Emir Kusturica. Nous pouvons dans un premier temps comparer ce dernier avec celui de la médiatisation générale télévisée. Nous notons des pics de médiatisation similaire, a savoir les années 1995, 1998, 2004, et le conglomérat allant de 2007 a 2009. Cependant nous notons une différence : l'année 2005 est sous-représentée par rapport a la médiatisation télévisée. Du reste, nous notons un grand nombre d'occurrences pour l'année 2011, contrairement a la télévision ou l'année 2011 ne ressort pas particulierement : il s'agira de voir pourquoi il en est ainsi. Finalement, nous pourrions dans un dernier temps nous demander s'il est possible d'envisager une meme présence médiatique du réalisateur sur ces deux médias, ou bien de comparerles procédés médiatiques relatifs a ces derniers.

14 Illustration 3: Mediatisation generale du realisateur a la radio

Si Emir Kusturica motive et nomme notre étude, nous en apprendrons autant, sinon davantage, sur les dispositifs médiatiques qui entourent la réception de ses œuvres et la construction de son personnage.

Segmenter une vie mediatique En ayant interrogé le corpus de cette maniere, nous distinguons clairement et visuellement que la vie médiatique d'Emir Kusturica n'est pas uniforme. Le début d'une carriere artistique et l'entrée en régime médiatique est toujours une étape singuliere. Pourquoi et de quelle maniere un jeune cinéaste yougoslave a-t-il vu ses œuvres sujettes a la réception critique en France ? Comment et par qui ont-elles été légitimé ? Pour apprécier ces processus, il est indispensable de visualiser au préalable les environnements artistiques et institutionnels dans lequel l'artiste et les nombreux acteurs sociaux ont interagi. En retraçant un itinéraire précis des œuvres, les processusde reconnaissance et de légitimation pourront etre disséqués et révéleront les premiers procédés de scénarisation installant aussi bien les œuvres que le cinéaste lui-meme dans le paysage audiovisuel français. Le pic de médiatisation que nous voyons poindre dans nos graphiques illustre une étape importante dans la vie du cinéaste. En pleine guerre d'ex-Yougoslavie, Emir Kusturica décide de proposer sa vision d'un pays agonisant et se déchirant dans d'atroces convulsions. Il y recueille a cette occasion une deuxieme Palme d'or. Mais a la consécration vient se greffer une polémique devenant un croisement ou des contextes médiatiques et artistiques rejoignent une guerre trouble et dramatique. Bien évidemment, nous proposerons un rapide coup d'œil des raisons circonstancielles d'une telle polémique. Nous en apprendrons d'autant plus sur l'histoire d'un pays qui, dans son déchirement, préfigurera le ton des prochaines œuvres d'Emir Kusturica et la construction de son personnage médiatique. Mais au-dela de cette histoire, il s'agira de comprendre les modalités de

15 fonctionnement de toute polémique. Comment prend-elle forme ? Par le biais de quelles structures médiatiques s'exprime-t-elle ? Voit-on des survivances de cette polémique, et comment influe-t-elle sur d'autres temporalités ? Inutile d'entretenir un mystere de mauvais aloi : nous constatons clairement que le cinéaste a « survécu » médiatiquement a la polémique. Des lors, il est important de comprendre comment se consolide une valeur sure du 7e art. Aussi, en connaissant le statut public protéiforme d'Emir Kusturica, nous pouvons aborder la dispersion d'un statut artistique allant de paire avec une installation durable dans le paysage audiovisuel français. Pour autant, toute dispersion cherche une cohérence pour inscrire de maniere efficace un artiste dans les consciences collectives. Quelle est- elle ? Aussi, cet artiste est devenu le représentant d'une région qui a connu des bouleversements conséquents pendant toute la période étudiée. Est-ce que ces changements politiqueset institutionnels s'exprimeraient dans l'identité du cinéaste ? Par le biais de quels procédés ? Il se pourrait que dans cette identité s'entrecroise aussi bien un attachement a un folklore qu'un universalisme proné par le biais d'une certaine idée de la culture. Il s'agirait de comprendre, finalement, comment Emir Kusturica et sa médiatisation constituent un point d'ancrage a la dispersion de tant de contextes, de tant de codes et représentations. Dans quelle mesure serait-il donc une résolution authentique et relayée par les médias ?

16 PREMIÈRE PARTIE Le temps de la reconnaissance

17 Le temps de la reconnaissance (1981-1994)

Chapitre I - Visibilité et circulation de l’œuvre

A°) Itinéraire(s) d'un film d'auteur yougoslave

1- D'une cinématographie a un cinéaste : Kusturica enfant du cinéma yougoslave

Pour appréhender la circulation des œuvres d'Emir Kusturica, il importe, avant tout, de définir le contexte socio-culturel dans lequel elles ont été conçues. C'est pourquoi nous proposons une analyse historique du milieu créatif yougoslave de la seconde moitié du XXe siecle (aussi bien d'un point de vue institutionnel, politique, juridique et esthétique), en nous penchant particulierement sur le cinéma. Ainsi, le joug qu'a pu exercer l'État, la libéralisation progressive, la nature des financements, la naissance de courants cinématographiques et les échanges extra- nationaux sont-ils autant de variables historiques qui ont constitué un terrain favorable a la production des films d'Emir Kusturica, il est indispensable de prendre en compte ces conditions d'apparition des premiers longs métrages du cinéaste pour apprécier leurs circulations. La vie politique de l'ancienne fédération yougoslave a été dominée par un systeme a parti unique. Par conséquent, ce dernier controlait généralement la diffusion des idées par le biais deses sections nationales (Serbe, Croate, Slovene, etc...) faisant partie de la Ligue des communistes yougoslaves. Ces conditions octroient a l'appareil d'État un controle scrupuleux des institutions médiatiques telles que la presse, la radio, la télévision, ou encore l'éducation publique, les musées et les manifestations sportives. Mais selon Predrag Dragojevic, historien de l'art et enseignant a la faculté des Lettres de l'Université de Belgrade, le rare domaine qui ait échappé a ce controle fut justement l'essor des mouvements socio-culturels et artistiques8, pendant les années 1970 et tout particulierement apres la mort de Tito durant les années 1980. Le systeme médiatique de l'époque étant un monde clos, la libre expression se manifestait a travers le milieu artistique. L'art a donc été le principal catalyseur et « hébergeur » de la critique sociale, et est devenu, a la fin des années 1980 une véritable arme politique alors que les antagonismes socio-politiques et économiques s'approfondissaient. Malgré cela, les tentatives individuelles d'intellectuels ou d'artistes de critiquer

8 Cf : Entretien Dragogevic Predag, Jovanovic Goran. « Les mouvements socioculturels et artistiques dans la Fédération yougoslave, et les changements politiques des années quatre-vingt ». In: Autres Temps. Cahiers d'ethique sociale et politique. N°48, 1995.[citation de pages p. 77-78]

18 publiquement le pouvoir se voyaient condamnées rapidement et étaient qualifiées d'actes subversifs, et ceci jusqu'au début des années 1990. En effet, la censure, sous-couvert de standards esthétiques et d'attaques personnelles envers les auteurs et artistes, empechait toute distribution et diffusion lorsqu'une œuvre proposait ou mettait en scene une vision politique allant a l'encontre des principes et des intérets matériels du parti. Mais la mort de Tito changea la donne. En effet, avec la disparition de ce leader charismatique, représentant a lui seul l'unité yougoslave, la censure s'est quelque peu relachée. Les ouvrages représentant un potentiel de critique sociale n'étaient plus interdit stricto sensu. La censure préférait inciter a la création d’œuvres combattant la subversion et autres idées peu conformes a la « ligne rouge ». Il serait précipité de voir en cela une tentative de rétablissement de la libertéde parole derriere une rhétorique communiste. En effet, les premiers successeurs de Tito voyaient l'Art et son utilisation uniquement comme un moyen de lutte politique. Finalement, le but était simplement d'anéantir l'adversaire de l'idéologie, la production artistique remplaçant la pratiquede la censure. Mais cette stratégie eut un effet inverse pourrait-on dire ; puisque l'image, la personnalité et le role de Tito devinrent les cibles d'allusions négatives dans les productions artistiques, ces dernieres recueillant, au fil du temps, de plus en plus de soutien dans l'opinion publique9. Ce processus aboutit, vers 1989 et 1990, a un rejet définitif de l'héritage communiste. C'est a travers ce climat socio-culturel qu'il faut aborder l'industrie cinématographique yougoslave et apprécier la place particuliere qu'elle occupe vis-a-vis de ce pouvoir. En effet, le cinéma occupe une place importante dans le paysage culturel de la Yougoslavie titiste. Des la fin de la Seconde guerre mondiale, le Maréchal a eu pour objectif de créer une véritable industrie nationale du cinéma. Slavica, le premier film yougoslave réalisé en 1947 par Vjekoslav Afric, rend hommage, dans la pure lignée du cinéma soviétique, au combat des partisans. Dans la foulée, la meme année, Tito chapeaute la création des studios Avala Film dans la banlieue de Belgrade : « les seconds en Europe apres Cinecitta », indique Mila Turajlic10. Cette cité du cinéma, construite par de jeunes volontaires, a pour ambition de créer un Hollywood de l'Est. La majeure partiedes productions fait l'éloge de l'héroïsme des partisans lors de la Seconde guerre mondiale. D'ailleurs, la profusion de ce type de productions est telle qu'elles deviennent un genre spécifique de la cinématographie yougoslave, lequel participe activement a la légitimation du systeme politique en vigueur par le biais de la culture et du divertissement. Apres le schisme de 1948, et l'expulsion de la Yougoslavie titiste du Kominform, le retrait et le bannissement des productions a la gloire de Staline ouvrent les portes aux co-productions

9 Ibid. 10 Sur cette question, se reporter a son documentaire Cinema Komunisto (2010, 101 minutes). Elle y dresse avec clarté l'histoire de l'industrie cinématographique yougoslave et son essor durant la Yougoslavie titiste.

19 internationales et a l'arrivée d'Hollywood pour combler ce vide. Si cette arrivée américaine n’a pas donné lieu a une libéralisation immédiate de la réalisation cinématographique ni non plus des médias, elle a quand meme contribué a ouvrir les salles yougoslaves aux grandes productions de « l'autre bord ». À la fin des années 1950 et au début de la décennie suivante, on voit meme l'implantation de la Warner Pathé News en Yougoslavie (rachat de la société effectué par Warner en 1958 a la Associated British Picture Corporation). L'effervescence cinématographique se traduit institutionnellement, mais aussi par le biais de l’événementiel avec la création du festival du filmde Pula, qui a lieu dans une ancienne arene romaine sur la cote adriatique (en actuelle Croatie). Sous le parrainage attentif d'un Tito cinéphile (il distille ses commentaires et ses appréciations au jury) le festival devient une étape importante pour toute production cinématographique yougoslave. Aussi, il devient un lieu de mondanité puisque les plus grandes vedettes de l'époque étant de passage pour le festival furent personnellement invités a séjourner sur l'ile de Brioni (Brijuni), résidence d'été du Maréchal : Orson Welles et Yul Brinner, au casting de La Bataille de Neretva (1969), un film culte, ou encore Richard Burton, a qui Tito propose de jouer son propre role dans Sujetska (1973). Sans oublier Alain Delon, Omar Sharif, Anthony Quinn… Cependant, il serait précipité de croire l'industrie cinématographique yougoslave engagée dans un processus de libéralisation de grande ampleur. Tout d'abord, la «libéralisation» doit etre appréhendée sur deux plans : la liberté d'expression artistique (opinion et traitement d'un theme proposé par une œuvre) et la nature des financements pour réaliser cette œuvre. En ce qui concerne les financements, plusieurs informations témoignent d'un développement et d'une histoire complexes du régime financier régissant la production cinématographique. Commençons par la soudaine décision du pouvoir de retirer les subventions étatiques au cinéma au début des années 1950 : cette mesure pourrait paraitre libérale et peu en phase avec les mesures traditionnelles d'un état socialiste ; en réalité elle fut loin de recueillir un soutien inconditionnel de la partdes professionnels concernés et serait plus due au climat économique de l'époque, et des nécessités budgétaires qui en découlent. Cependant, selon Jasmina Papa11, et si l'on adopte une dialectique bourdieusienne, cette mesure a inauguré l'institution du cinéma comme champ culturel puisque les agents ont du mobiliser différemment les atouts et ressources pour interagir et produiredes œuvres12 ; les réalisateurs ayant désormais un role clef dans ce processus. Le tournant institutionnel le plus important allant dans le sens d'une libéralisation protéiforme (tant sur la liberté des sujets illustrés, des traitements esthétiques et de l'ouverture aux

11 PAPA Jasmina, « Le groupe de Prague : le cinéma en tant que production culturelle non-nationaliste dans la Yougoslavie des années 1980 », Balkanologie, Vol IV. N°1, Septembre 2000 [En ligne], mis en ligne le 29 juillet 2010. URL : http://balkanologie.revues.org/776. Consulté le 25 mars 2014. 12 BOURDIEU Pierre, Les Regles de l'art : genese et structure du champ litteraire, Seuil, 1992, 480 p.

20 capitaux étrangers) résiderait certainement en 1962. Cette année-la, Tito décide de mettre a la tete des studio Avala Film un certain Ratko Drazevic. Personnage trouble et atypique, cet ancien partisan, play-boy invétéré, clamant avoir tué 2000 hommes et avoir couché avec autant de femmes se retrouve avec des directives émanant du pouvoir central : sa mission est de faire en sorte de ramener au pays des co-productions internationales et, par la meme occasion, des dollars américains. Venant de la redoutable, et redoutée police secrete, UDBA, Ratko Drazevic suivait a la lettre les consignes du camarade Josip Broz. En effet, ce dernier, et le gouvernement central qu'il dirigeait, avaient compris l'intéret d'une diversification des activités d'Avala Film. En plus d'etre un grand studio central de la production yougoslave, Avala Film pouvait également devenir, grace a ces co-productions, une société au travers de laquelle l’État pourrait remplir ses caisses de devises internationales. Les directives du Maréchal au camarade Drazevic consistaient a inciter les grosses productions étrangeres a réaliser des co-productions sur place ; avec un intéret spécial pour Hollywood, considérant l'implantation durable de son industrie dans le paysage culturel de l'époque et la puissance de sa devise (le dollar américain). L'Europe, en particulier l'Italie et la France, n'étaient pas en reste non plus comme le témoigne le film Fruits Amers de Jacqueline Audry en 1967, coproduction franco-italo-yougoslave. Il s'agit d'une « libéralisation paradoxale » car d'un coté l'activité cinématographique s'ouvre a l'étranger et a ses capitaux, en se substituant aux subventions étatiques, mais de l'autre coté cette mesure « libérale » est décidée par un gouvernement centralisé qui l'impose aux professionnels du cinéma. Si l'expression artistique se libere, les moyens de productions concrétisant cette liberté incarne un genre hybride, propre a la Yougoslavie, ou la mainmise du pouvoir définit le champ de la production en dictant la marche a suivre. En relatant la situation du cinéma yougoslave nous avons dévoilé le contexte institutionnel, financier et artistique qui a vu par la suite émerger Emir Kusturica et dans le cadre duquel ont été élaborées et diffusées ses premieres réalisations. Comme nous l'avons précisé plus haut, les années 1960 constituent un tournant et une ouverture aux coproductions étrangeres. Cette libéralisation entraine également un renouveau du cinéma yougoslave en permettant la production de films d'auteurs qui désirent participer aux sélections des grands festivals internationaux (Venise, Cannes, Berlin...). Ce mouvement, appelé « Nouveau cinéma » ou plus communément « Vague Noire 13», vit une explosion de productions critiques. La réaction a ses productions fut essentiellement politique, provoquant ainsi l'exil ou l'emprisonnement des cinéastes dissidents. Cependant, la constitution de 1974, donnant davantage d'autonomie aux républiques, et donc, a leurs indépendances culturelles,

13 Le terme Vague Noire est utilisé pour la premiere fois en 1969 par le critique Vladimir Jovicic dans le périodique Borba

21 affaiblit la censure, d'autant que le champ cinématographique yougoslave s'était consolidé, permettant aux expérimentations esthétiques de continuer. Les années 1980 représentent tres certainement l'aboutissement de ce processus de libéralisation et d'ouverture. Période de crise économique et de récession14, la réalisation représentait néanmoins une part importante de de la production culturelle ; ceci signifiant que les financements provenaient de sources de plus en plus variées, allant des républiques jusqu'a, plus tard, des coopérations étrangeres15. C'est la nouvelle souplesse de ce systeme qui aida les réalisateurs du groupe de Prague, dont faisait partie Kusturica, a obtenir des financements pour les films qu’ils souhaitaient réaliser. Ce groupe de Prague est composé de six jeunes et prometteurs cinéastes (Rajko Grlić, Srđan Karanović, Emir Kusturica, Goran Marković, Goran Paskaljević, et Lordan Zafranović), ayant la particularité d'avoir effectué leur formation a la FAMU de Prague, école de cinéma réputée et ayant porté au pinacle les cinéastes de la nouvelle vague tchécoslovaque comme Milos Forman ou Jiri Menzel, qui enseigna d'ailleurs la réalisation a Emir Kusturica. Décidés a produire leurs premiers longs métrages en Yougoslavie, les membres du groupe de Prague avaient tiré les leçons de la répression de la Vague Noire et s'employerent a davantage user de subtilité lorsqu'il s'agissait de faire une critique sociale et politique (Dusan Makavejev16 les qualifiant d'ailleurs de « réalisateurs émasculés »). C'est dans ce climat qu'Emir Kusturica, 26 ans a peine, réalise son premier long- métrage, Te souviens-tu de Dolly Bell, entre 1980 et 1981.

2 – De Sarajevo a Paris, en passant par Venise

Pour ce premier long-métrage, l'auteur bénéficie du contexte évoqué précédemment. Depuis la constitution de 1974, le fait de monter un organisme de production, comme initiative individuelle, était encouragé17, et de nombreuses maisons de productions ont commencé a se développer. Ainsi six maisons de productions apparaissent-elles au générique de son premier film : Kinema Sarajevo, RO forum, SIZ za kinematografiju SR i BiH, Sutjeska Film, Union Film, et la télévision sarajévienne (TV Sarajevo). Lorsque l'on s'intéresse de plus pres a l'activité deces sociétés, on remarque que leurs essors respectifs ne commencent qu'a partir des années 1960 (pour les plus anciennes), ou bien des années 1980. Ce simple constat chronologique de leurs activités 14 MAGAS Branka, The Destruction of Yugoslavia, London : Verso, 1993. 390 pages 15 PAPA Jasmina, Loc. cit. 16 TURKOVIC Hrvoje, Filmska opredjeljenja, Zagreb : Cekade Turković, 1985, p. 28. 17 ABIRACHED Robert, MARCOLLES Louis, NATTIEZ Jean-Jacques, « L'art dans les pays socialistes » in Encyclopedia Universalis

22 nous prouve, parallelement a l'historique que nous avons dressé auparavant, qu'Emir Kusturica est tributaire de ce contexte socio-culturel. De plus, on remarque pour deux des organismes de production qui contiennent dans leurs noms une spécificité locale (Kinema Sarajevo ouTV Sarajevo) que leurs activités décollent a partir de 1975 a raison, en moyenne, d'un film par an chacun18 (en tant que producteurs). Nous pouvons rapprocher cette accélération d'activité a l'événement constitutionnel de 1974 donnant plus d'autonomie (y compris dans le domaine de la culture donc) aux républiques constituant la Yougoslavie. Ainsi, Emir Kusturica et les conditions de productions de son premier long-métrage Te souviens-tu de Dolly Bell seraient-ils le pur produit de ce contexte et illustreraient-ils la situation de l'industrie cinématographique yougoslave de l'époque. Maintenant que l'on a vu les différentes conditions qui devaient etre réunies afin de financer et produire un film, continuons notre exposé de maniere linéaire et demandons-nous quelle serait la prochaine étape institutionnelle dans la circulation d'une œuvre a peine achevée ? Rappelons-nous que nous sommes en Yougoslavie et que, malgré la libéralisation de façade, il y a toujoursun controle en fin de chaine de tous les produits culturels destinés a etre distribué publiquement. Ceci dit, depuis le tournant de 1974, les artistes ont surtout du traiter avec leurs propres républiques plutot que les agences fédérales qui décernaient, auparavant, leur accord (ou non) quant a la conformité d'une œuvre prétendant a devenir publique. En effet, depuis la fin des années 1970, les productions culturelles étaient jugées selon leur potentiel de soutien ou de menace envers leur république. En somme, une réalisation pouvait etre interdite ou, tout du moins condamnée, selon qu'elle portait atteinte a son « appartenance ethnique » ou a son héritage culturel et traditionnel19. Dans le cas du premier film d'Emir Kusturica, nous avons peu d'informations sur des blocages qu'il y aurait pu avoir. Une premiere réponse résiderait tout simplement dans le fait que nous savons que le film fut tourné en 1980 et fut présenté aussi promptement l'année d'apres dansle cadre d'un festival international du cinéma. Si pressions il y a eu, elles n'ont pas été si efficaces au vu de la chronologie qui s'est imposée de fait. Cependant, nous pouvons, par le témoignage du principal intéressé20, préciser que certains personnages haut-placés dans laNomenklatura des institutions audiovisuelles voyaient ce film d'un mauvais œil. En effet, Kusturica précise qu'a l'époque ou le film devait rentrer en phase de réalisation (préalablement crédité et financé par les maisons de productions citées précédemment), il yeut certaines réticences et tentatives de blocage... y compris par des acteurs dirigeant ces organismes et ayant déja accordés les financements nécessaires a la réalisation : 18 Nous reprenons ici les informations fournies par le site internet International Movie Data Base (Imdb). 19 DEVIC Ana, « Ethnonatinoalism, Politics and the Intelectuals : the case of Yougoslavia », International Journal of Politics, Culture and Society 11 (3) 1998 20 Dans son autobiographie « Ou suis-je dans cette histoire » Kusturica évoque quelques anecdotes sur les conditions de production et de circulation de ses films. pp.217-218

23 Étant un fidele membre du parti de Tito, Hamza Baksic (directeur de la television de Sarajevo) n'approuvait pas le projet de Dolly Bell. Cependant, comme la television de Sarajevo etait coproducteur du film, il ne pouvait en bloquer le tournage. Quand le film fut termine, il essaya d'en empecher sa sortie. Il envoya un telegramme d'interdiction a Vesna Dugonjic, la redactrice en chef de Tele-Sarajevo, dans lequel, en bon disciple de Tito, il n'interdisait pas formellement la projection dans la salle de cinema Tesla, mais soulignait que l'affaire n'etait pas recommandee. Contre ce genre de personnage, le film fut sauve par sa poesie et par l'autorite de Rato Dugonjic, une eminence grise communiste en Bosnie, pere de Vesna Dugonjic21.

Malgré ce genre d'actes isolés, le film a non seulement bénéficié d'une distribution dans son pays d'origine mais a également été sélectionné pour le festival international du film de Venise : la Mostra. La aussi, il est nécessaire de préciser comment un film bosnien arrive en compétition dans le cadre d'un festival international. En effet, l'héritage du systeme autogestionnaire trouve son équivalence dans le milieu de l'industrie cinématographique yougoslave. Ainsi, si les boites de productions commençaient-elles, depuis la fin des années 1970, a etre plus ou moins indépendantes, elles étaient toujours rassemblées autour d'un organisme étatique et controlé. Dans le cadre de la distribution, cet organisme était Jugoslavija Film. Grace a l'entretien que Thierry Lenouvel22, distributeur du premier film de Kusturica en France, nous a accordé, nous sommes a meme d'expliquer comment ce film, auréolé d'une récompense prestigieuse (Lion d'or de la premiere œuvre a cette meme Mostra et prix de la critique FIPRESCI), a pu arriver dans les salles obscures françaises. Thierry Lenouvel visitait les festivals internationaux pour le compte des Films du sémaphore, dirigée par Alain Nouailles et exploitant une salle de cinéma a Nimes. C'est ainsi qu'il fit la rencontre de Lepa Bukavac, représentante de Jugoslavija Film et vendeuse des droits aux exploitants. La Yougoslavie déléguait la vente des droits a cet organisme étatique, lequel discutait, par le biais de vendeurs (comme Lepa Bukavac), avec les exploitants étrangers. Thierry Lenouvel revient donc aux Films du sémaphore avec la premiere copie d'un film d'Emir Kusturica entre les mains, décidé a l'exploiter sur le territoire français. Cependant, on observe un décalage entre la présentation du film a Venise en 1981 et sa sortie en France en 1983. Selon Thierry Lenouvel ce délai de deux ans s'explique par le fait que c'était « complique de trouver le bon moment, de decider des exploitants... On faisait ça de maniere artisanale... Venise a l'epoque n'etait pas mediatisee comme aujourd'hui. On n'etait pas dans une logique qui suit la mediatisation d'un film pour vite en profiter... Il a fallu tout preparer en France, sensibiliser les exploitants, c'etait aussi dependant de la tresorerie de la societe... donc deux ans

21 KUSTURICA Emir, Ou suis-je dans cette histoire, JCLattes, Paris, 2011 pp.217 22 Cf. la retranscription de l'interview en annexe.

24 vous savez, c'est pas beaucoup.23 » Meme primé d'une récompense prestigieuse, Dolly Bell reste avant tout soumis aux contraintes et a l'emploi du temps flottant des distributeurs français. Le film n'a pas bénéficié d'une campagne de publicité importante. Une seule affiche fut conçue pour l'occasion, accompagnée de quelques clichés pour la presse (Pariscope et L'Officiel des spectacles) et de bandes 16mm (l'une avec l'image et l'autre avec le son) au cas ou une chaine de télévisionsouhaiterait projeter un extrait pour illustrer un sujet promotionnel sur le film. Enfin, quelques projections pour la presse et le bouche a oreille completent l'inventaire des outils d'une stratégie de communication et de promotion assez basique et rudimentaire. Force est de constater le peu de visibilité médiatique du film, notre corpus et la maniere dont il a été conçu en sont témoins. Et pour cause, de mémoire, le distributeur nous précise qu'il n'y a eu qu'une dizaine de copies pour toute la France. Du reste, le total des entrées de Dolly Bell ne dépassa guere les 5000 spectateurs.

3 – Genese et épilogue d'une Palme...

Quatre ans apres sa récompense a Venise, le cinéaste revient avec un deuxieme long métrage : Papa est en voyage d'affaires, traitant de la douloureuse année 1948 et du schisme Tito/Staline, ayant entrainé une véritable paranoïa anti-stalinienne jusqu'a envoyer en camp de travail quiconque avait des réserves par rapport a la nouvelle politique adoptée. La toile de fond historique laisse place au regard innocent (mais loin d'etre naïf) d'un enfant. Pour la circulation de ce film, la donne change sensiblement ; il s'agit ici de voir les permanences avec la carriere de Dolly Bell, et les évolutions que suggere la distribution de Papa est en voyage d'affaires. Il faut d'abord préciser quelques éléments concernant le processus de production dela seconde réalisation du cinéaste. Emir Kusturica, scénario en main, soumet son projet a Sutjeska Film, entreprise de production puissante a l'activité prolifique et ayant déja été créditée comme producteur pour Dolly Bell. Sutjeska tire son nom de la bataille du meme nom qui a eu lieu en 1943, et du film de « partisans » le plus cher de l'histoire, véritable légende du cinéma communiste. Ainsi, Sutjeska analyse-t-elle le scénario du jeune réalisateur consacré a un moment trouble de l'histoire de la Yougoslavie. Le script est loin de faire l'unanimité au sein du Conseil artistique 24. En effet, le sujet est a l'évidence beaucoup trop sensible, et le traitement scénaristique que propose l'auteur confine, on l'imagine dans leur esprit, a l'hérésie. Le nombre incalculable de propositions de

23 Ibid. 24 « Rapport de la réunion de travail du Conseil artistique Sutjeska Film, tenue le 1er février 1983 dans ses locaux, a Jagomir » . Ce rapport a été reproduit dans Ou suis-je dans cette histoire pp. 232-241

25 changements, et les motivations dogmatiques exprimées pour les justifier (parfois jusqu'a l'absurde), rappellent que malgré une apparente libéralisation, certains organes yougoslaves pouvaient encore, dans les années 1980, freiner l'élaboration d'une création artistique pour des motifs idéologiques. Les sirenes de Belgrade ont tenté un temps le cinéaste. En effet, la capitale représentait a ce moment dans l'imaginaire collectif des artistes et intellectuels un carrefour d'expression artistique beaucoup plus libre et moins soumis a l'apathie culturelle de certaines institutions sarajeviennes. Malgré tout, Kusturica, certainement grace aux relations et aux pressions tacites de son ami Cvijetin Mijatovic25, décida de rester a Sarajevo, la situation s'étant rapidement débloquée. C'est ainsi que Papa est en voyage d'affaires fut produit par Centar Film et Forum Sarajevo. Pour ce qui est de la distribution a proprement parler, le processus fut assez similaire. Le film fut sélectionné en compétition pour un festival international, cette fois-ci ce fut Cannes. En revanche la distribution française ne fut pas assurée par l'équipe qui avait pris en charge celle de la réalisation précédente. Thierry Lenouvel précise, dans l'entretien qu'il nous a accordé, qu'il fut bien contacté, en mai 1985, pendant le festival de Cannes, par la meme vendeuse de Jugoslavija Film, Lepa Bukavac, pour lui proposer le nouveau film de Kusturica. Cependant, confortée par le statut d'un jeune réalisateur prometteur, récompensé en 1981, la vendeuse demandait une avance26 a laquelle les Films du sémaphore, en difficulté financiere apres l'échec de leur derniere production, ne pouvaient répondre positivement. On connait la suite de l'histoire : une Palme d'or et la visibilité internationale qui l'accompagne. En recevant sa récompense, Emir Kusturica déclara a un journaliste du Journal du dimanche : « Mon film a beneficie d'une distribution remarquable. On en a tire douze copies », ce qui était alors exceptionnel en Yougoslavie. Les modalités de distribution du cinéma de Kusturica vont etre donc bouleversées par ce prix comme en témoignent non seulement le nombre de pays ayant acheté les droits d'exploitation de Papa est en voyage d'affaires, mais aussi les nominations obtenues par son long métrage. En effet, un an apres, en 1986, le film est sélectionné pour l'Oscar du meilleur film étranger et pour le Golden Globe de la meme catégorie. Ce changement d'échelle dans la circulation de l'œuvre primée est confirmée par l'examen des sorties en VHS et DVD27 s'échelonnant sur plusieurs années en raison de l'évolution des supports vidéos. La carriere du film en salles connait également d'autres vies, comme l'atteste le rachat des droits de distribution en France par les Films sans Frontieres en 1992, obtenu aupres de Jugoslavija Film. Cette société française, spécialisée dans la distribution et la promotion de films d'auteurs venant de tous les coins du globe a exceptionnellement décidé en 2005 de ressortir le film en salle a Paris. Pendant 20 ans, une meme œuvre fit partie du paysage

25 Président de la Yougoslavie de 1980 a 1981. 26 Cf. entretien en annexe. 27 Toutes les sorties VHS et DVD sont répertoriées en annexe.

26 culturel mondial sous des formes diverses. La circulation d'une œuvre se retrouve donc bouleversée par une récompense aussi prestigieuse qu'une Palme. Elle devient pérenne et s'adapte durablement sous forme d'une réactualisation, elle meme rendue possible par l'intermédialité28 ou la diffusion sur différents supports (VHS, DVD, rétrospective ou réédition pour les salles, ou encore diffusion et rediffusions télévisées).

4 – Installation durable, circulation mondiale et incidence sur l'artiste : la place de la France

Un tel bouleversement des modalités de circulation et de la temporalité d'une œuvre ne peut qu'aider a préfigurer la suite des événements. En effet, le film suivant de Kusturica, Le Temps des Gitans, pressenti pour avoir la Palme d'or au festival de Cannes 1989 mais y ayant finalement obtenu le prix de la mise en scene, suit a quelques détails pres le meme destin que son prédécesseur. La principale nouveauté réside dans le fait que le film soit une co-production européenne ou l'on retrouve la Grande-Bretagne (avec Lowndes Productions Limited et Smart Egg Pictures) et l'Italie (avec P.L.B. Film) alliées a la Yougoslavie (Forum Sarajevo, Ljubavny Film et la Télévision de Sarajevo). La co-production internationale pour un film d'auteur n'est pas anodine, elle est révélatrice d'une visibilité plus grande et annonciatrice d'une circulation a l'échelle mondiale. Du reste, lorsque des producteurs étrangers décident de rentrer dans un processus de financement pour un film d'auteur, qui plus est lorsqu'il s'agit d'un cinéaste venant d'un « petit pays », le réalisateur en question devient alors une valeur sure, un faiseur potentiel de succes. Finalement, la circulation de son film précédent lui a octroyé une « cote » préfigurant et facilitant l'engagement d'organisme financier d'origine hétéroclite. Cela se voit également avec l'arrivée massive et géographiquement variée des distributeurs. Nous en comptons au total 16 provenant respectivement de France, Nouvelle-Zélande, Canada, États-Unis, Japon, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, ou encore la Russie. Comme pour le film précédent, nous constatons de nombreuses éditions VHS et DVD ainsi que des re- sorties en salles (deux pour la France en 2004 et 2007, ainsi que pour l'Allemagne en 1998). Le film sort pour la premiere fois sur cinq continents dans une temporalité plus ou moins concise (entre 1989 et 1991). La circulation est internationale et massive a tout point de vue. Ceci étant dit, il est important de comprendre le role de la France dans ce contexte particulier de circulation. À partir de quel point de vue, de quel élément significatif et exclusif la France représenterait une étape unique pour l’œuvre de Kusturica ? Des éléments de réponse se

28 En 2011, le scénario fait l'objet d'une piece de théatre jouée a Belgrade a l'Atelje 212

27 trouvent bien évidemment dans la place qu'occupe désormais ce jeune réalisateur au sein du festival international se déroulant en France, et l'un des plus renommés au monde : Cannes. Mais nous pouvons également constater la création de projets uniques, propres a l'industrie culturelle française. En effet, Le Temps des Gitans, et sa musique composée par Goran Bregovic, fera l'objet d'une adaptation a l'Opéra Bastille en Juin 2007. L'opéra sera d'ailleurs mis en scene par le réalisateur lui- meme. Ce film bénéficie, et ce uniquement en France, d'une adaptation pluri-artistique ou l’œuvre devient facteur d'intermédialité. Pour clore notre propos concernant la circulation des premieres œuvres d'Emir Kusturica, nous pouvons nous intéresser a l'incidence que cette derniere peut avoir sur le réalisateur. En 1985, le jury cannois qui décerna la Palme d'or était présidé par Milos Forman, ancien éleve de la FAMU et ayant prit fait et cause pour le cinéma de son homologue yougoslave. Par ailleurs, Forman proposa a Kusturica de le remplacer a son poste d'enseignant a la réalisation a la Columbia University a New-York. Juste apres le tournage du Temps des Gitans en 198829, le cinéaste et sa famille déciderent de s'installer aux États-Unis pour que le réalisateur « palmé » exerce son nouveau role de professeur. Arrivé a destination, le cinéaste yougoslave décide de réaliser un projet en langue anglaise, tourné aux États-Unis, avec des vedettes américaines et une production américaine et française : Arizona Dream30. En somme, nous constatons que la circulation des œuvres de l'artiste influe sur son parcours géographique. Cette relocalisation a son incidence sur la nature des productions qui rassemblent des acteurs appartenant au vedettariat international. Cette nouvelle donne apporte donc une nouvelle visibilité et un potentiel inédit pour la circulation des œuvres.

B°) De la visibilité : premiere approche des droits d'entrées en régime médiatique

1 – Des débuts timides

Ce chapitre aura pour principal but d'analyser de maniere inductive la visibilité d'Emir Kusturica dans les médias. En d'autres termes, nous partirons de cas isolés (a savoir notre corpus représentatif) pour que notre raisonnement, par les récurrences constatées, nous ouvre sur des syntheses et des hypotheses plus générale. Avant de définir de maniere plus détaillée la visibilité, nous pouvons la qualifier, grace a nos outils qui nous ont aidé a constituer le corpus, de présence et de récurrence. Ainsi, ce premier propos s'attachera a une lecture purement visuelle et chiffrée de

29 Il terminera d'ailleurs le montage a New-York 30 Réalisé en 1992, le film a germé d'un scénario de David Atkins, alors éleve du cinéaste a la Columbia University

28 notre corpus ; la méthode de filtrage faisant foi comme preuve statistique attestant et servant nos conclusions. La période représentant le début d'une activité professionnelle d'un artiste n'estpas forcément sujette a la médiatisation. Qu'en est-il en France du cinéaste Emir Kusturica ? Quelle capital de visibilité pour ses débuts peut on déduire en scrutant les données de notre corpus. Rappelons-nous : son premier film, lauréat a Venise, n'a été présent dans les salles françaises qu'en 1983, soit deux ans apres la temporalité du festival l'ayant consacré. Jetons un coup d'oeil a notre corpus. Tout d'abord, consacrons-nous aux sources télévisées. Nous n'avons aucune source antérieure a 1983, date ou une édition régionale (FR3 Grand-Est) fit un court sujet lors de son journal du soir pour présenter le long-métrage. La rareté des occurrences est manifeste, d'autant plus que cette source déroge a notre méthode de filtrage : en effet, pour obtenir cette source (la seule de la télévision pour son premier film), nous avons du faire une recherche simple (pouvant nous apporter le plus de résultats) sans aucun autre outil pour filtrer. Si le film est présent sur la scene culturelle française (puisqu'il est joué dans des salles) il est quasiment inexistant dans l'univers télévisuel. Qu'en est-il de la radio ? Le filtrage des sources est la aussi révélateur du status médiatique d'Emir Kusturica au début de la période. Tout d'abord, notre méthode de filtrage ne présente pasde source antérieure a 1985 et donc a la sortie de Papa est en voyage d'affaires ou le cinéaste serait un intervenant dans une source. Si nous nous essayons également a un comparatif du nombre de source servant a illustrer le découpage de notre sujet nous remarquons la sous-représentation manifeste de la premiere (1981- 1995) qui ne représente que deux sources. L'année 1995 relative a sa deuxieme Palme et a la sortie d'Underground traduit un pic de médiatisation certain mais reste en deça du poids que représenterait la troisieme et derniere partie décidée par notre découpage chronologique. Ainsi, ce vide sur la premiere période d'activité et de présence artistique en France, que l'on pourrait penser comme un frein a l'appréciation du sujet, n'en est pas moins un témoin justifiant un point essentiel pour amorcer une étude sur les débuts d'une médiatisation : la rareté des apparences d'Emir Kusturica dans le paysage radiophonique et télévisuel français. Ce constat impose au chercheur d'apprécier le peu de sources pour la période dans ce contexte de rareté. Nous nous sommes donc vu obligé de rajouter, la aussi, une source, et donc de déroger a notre rigueur de recherche. Cette démarche a pour principale raison notre volonté de vouloir illustrer les débuts de la médiatisation du cinéaste en trouvant la premiere source, dans l'ordre chronologique, ou il serait mentionné. Avant meme de l'analyser, le vide laissé par notre méthodologie répond a une des questions que pose notre corpus, a savoir les apparitions de Kusturica sur le médium radiophonique pour sa premiere année d'activité sont inexistantes sinon rarissimes.

29 La presse est en revanche plus fournie. En effet, l'échantillon de la presse généraliste pour ce film est composé de 13 articles sur 13 pages s'échelonnant entre le 1er mars 1983 et le 9 octobre 1985 comme nous le montre la fiche technique de la revue de presse sur ciné-ressources. Nous voyons se dessiner deux conglomérats d'articles. Le premier ratisse tout le mois de mars de l'année 1983 : date de la sortie du film dans les salles françaises, deux ans apres sa sortie en Yougoslavie et l'obtention du Lion d'or de la Premiere œuvre a la Mostra de Venise en 1981. Onze Articles en tout et pour tout. Le deuxieme conglomérat représente le mois d'octobre de l'année 1985 : date dela sortie en salles du deuxieme long métrage Papa est en voyage d'affaires, auréolé a Cannes au mois de mai de la meme année par une Palme d'or. Les deux articles sont donc des critiques postérieures a la sortie du film et représentent, au premier abord, une maniere de faire découvrir le premier film de l'auteur. À cet égard, nous devrons etre attentif puisque la visibilité a, d'ores et déja, des modalités différentes dans ce conglomérat, dans le sens ou l'on veut présenter un « ancien » film, tout en utilisant le prétexte du nouveau pour (re)découvrir l'auteur. Nous les rejetons ainsi de l'analyse visuelle quant a la visibilité des débuts de sa carriere puisque la temporalité définit le cadre de la visibilité, pas le produit isolé qui, comme on le voit, circule dans le temps. En ce qui concerne la presse spécialisée, il est impossible de définir des conglomérats de période avec précision. En effet, comme nous l'avons expliqué dans la méthodologie relative a la constitution du corpus, la presse spécialisée n'a pas besoin d'un événement pour faire une critique d'un film de Kusturica. Aussi, nous voyons apparaitre des articles qui sont de plusieurs années postérieurs a la sortie du film en salles. Parfois, les articles ne sont pas qu'une critique d'un film mais proposent des analyses d'un style ou d'éléments représentatifs et récurrents dans le cinéma de Kusturica. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire de considérer les apports que la presse spécialisée peut apporter mais également de tenir compte du fait que le contexte de médiatisation est moins discernable et palpable. C'est pour ces raisons et ces difficultés de temporalité que la presse spécialisée représente un maigre apport pour aborder la visibilité de l'auteur a ses débuts. Ceci étant dit, nous constatons des détails de forme qui pourraient nous apporterdes éléments de réponses complémentaires sur le manque de visibilité d'Emir Kusturica, y compris lorsqu'il est mentionné. Nous réaliserons cela avec la dichotomie précédemment expliquée entre presse spécialisée et presse généraliste. Dans le cas de la presse généraliste, nous notons certains détails révélateurs sur l'orthographe du film et de son auteur retranscrit dans le panel d'articles disponibles dans notre sélection. Certaines erreurs pourraient en effet paraitre grossieres comme par exemple le titre meme de l'article de Vie Ouvriere du 7 mars 1983 titrant pour l'occasion « Te souviens-tu de Baby Bell ». Telerama31 n'échappe pas non plus a la regle en titrant « Te souviens-tu

31 Edition du 23/03/1983

30 de Dolly Belle ». L'orthographe du nom du réalisateur est également écorchée a plusieurs reprises comme dans le Telerama du 9 octobre 1985 (« Emir Kusturika ») ou encore son prénom, comme dans Le Monde32 (« Emil Kusturica »). Il serait, sans aucun doute, précipité d'avoir a proposer face a cela une analyse péremptoire de ces erreurs. Néanmoins, nous pouvons admettre l'hypothese que ces ''coquilles'' peuvent etre révélatrices du peu de visibilité du jeune cinéaste. En d'autres termes, ces erreurs sont l'avatar d'un stade de médiatisation encore embryonnaire ne s'encombrant que trop peu de la justesse méticuleuse de l'information culturelle a relayer. La presse spécialisée, de son coté, ne fait aucune erreur sur le nom du film comme sur celui du cinéaste. De plus, on remarque dans le Image et son n° 382 (pp24,25) une note sur le coin de la page : « Prononcer Koustouritsa ». Cette note est importante dans le sens ou l'organe de presse spécialisé tient a relayer une information précise sur l'auteur et sur la façon dont le récepteur doit enregistrer et, par extension, relayer l'information lui-meme. On note cependant quelques erreurs et fautes d’orthographe sur les noms des acteurs... Meme si la notice des films, dans la presse spécialisée est beaucoup plus fournie et précise que dans la presse généraliste. Ces petits détails nous aiguillent déja sur la façon dont nous devons appréhender les sources et comprendre le postulat que peut avoir chaque organe de presse face a une information relative a un bien culturel. Ces spécificités sont d'autant plus perceptibles et manifestes dans cette période de visibilité embryonnaire.

2 – L'entrée en régime médiatique : la Palme d'or comme droit d'entrée

Comme nous l'avons expliqué plus haut, le début de notre période est peu, sinon pas du tout représentée dans notre corpus. Des débuts de médiatisation timides ne sont pas les facteurs d'une visibilité. Par « visibilité » nous entendons nous fonder sur les écrits de Nathalie Heinich33 qui la désigne comme cette qualité sociale, spécifique au régime médiatique, qu’un individu se voit conférer et reconnaitre par la reproduction et la diffusion massive de sa propre image et de son nom. Ainsi, explique-t-elle, « ce n’est pas la vedette qui est a l’origine de la multiplication de ses images (car a l’origine, il n’y a qu’une personne dotee de certains talents), mais ce sont ses images qui en font une vedette34 ». Comment, visuellement et méthodiquement, pouvons-nous décider d'un moment clé qui fait entrer Kusturica dans un contexte de visibilité, au sens ou l'entend Nathalie Heinich ? La aussi, il n'est pas encore nécessaire de rentrer dans l'analyse de contenu, puisque notre

32 Édition du 12/03/1983. 33 HEINICH Nathalie, De la visibilite, excellence et singularite en regime mediatique, Paris, Gallimard, NRF, 2012, 593 pages 34 Page 21 du meme ouvrage

31 corpus et sa méthodologie préalablement détaillée nous donne des indications visuelles qui témoignent de ce processus. Prenons appui sur les schémas représentant le poids numéraire etla récurrence par années des produits médiatiques traitant de Kusturica.

Illustration 4: Schema n°1 : Recurrence des sources a la television par annee Comme nous le constatons, nous voyons que notre corpus prend une importance numéraire a partir de l'année 1985. Cette donnée comprend toutes les sources, comme expliquée dansla méthodologie, ou Kusturica serait intervenant, ou le cinéaste serait donc visible, parla reproductibilité et la diffusion de son image, de ses œuvres, de ses messages. Cette année 1985 représente bien sur le festival de Cannes 1985 et l'obtention inattendue de la Palme d'or pour Papa est en voyage d'affaires. Cependant, nous constatons deux temporalités dans le festival de Cannes : il y a la période de la compétition, puis il y a ensuite l'annonce du vainqueur et la sortie française en salles quelque mois apres l'obtention de la récompense. Comme nous le voyons sur le graphique, la visibilité est un phénomene relativement « soudain », il explose une année (pour retomber l'année d'apres) et réapparaitre selon la déclaration35 d'une nouvelle œuvre dans les périodes a venir. Mais cette année 1985 doit etre disséquée précisément de maniere a ce que nous puissions analyser les réelles conditions et raisons de l'explosion de la visibilité de l'auteur. Est-ce uniquement par le biais de son film ? Est-ce par le fait que le film soit entré dans la compétition cannoise ? Ou est-ce uniquement la Palme d'or qui est médiatisée, le film ne constituant qu'un supplémentaun événement rassemblant comme une fin en soi les conditions d'une médiatisation automatiqueet massive ? Analysons ici les changements s'opérant entre les deux temporalités. Il est important de préciser avant toute chose que les revues de presse relatives au premier film de Kusturica ne présentent aucune donnée photographique pouvant donner un premier élément visuel au récepteur pour identifier l'artiste en question. Qu'en est-il de ces données visuelles pour la médiatisation de Papa est en voyage d'affaires ? Tout d'abord, la médiatisation massive de l'œuvre

35 Au sens ou l'entend Jean-Pierre Esquenazi

32 et du cinéaste donne au corpus relatif a ce film une toute autre teneur. Que cela soit aux vues du nombre d'articles proposés, ou bien de la forme. Il s'agit de voir aussi ce détail de la forme, dans sa longueur, sa typographie, le visuel en quelque sorte. Nous notons des articles beaucoup plus longs et fournis, la sélection du festival et l'obtention de la Palme aidant. Mais le détail visuel qui est sans aucun doute le plus important résiderait dans l'ajout de photographies. Si la plupart des articles contenant des photos reprennent des clichés du film triés sur le volet, nous notons également les premieres photos d'Emir Kusturica dans la presse comme par exemple dans le Liberation du 16 octobre ou l'on retrouve également un entretien avec le réalisateur, ou encore L'Express du 18 octobre. En somme, nous avons a faire au premier contact visuel que peut avoir le public français avec l'artiste. En plus des portraits photographiés du cinéaste, certains articles scénarisent en mettant en scene le physique du réalisateur. France-Soir a cet égard introduit son article par cette description : « Le jeune realisateur yougoslave Emir Kusturica, taille impressionnante et carrure a la John Wayne, semble avoir toujours ete fait pour les grandes rencontres. ». Le Matin du 16 octobre ouvre son papier dans la meme veine en écrivant « Un faux air de rocker... » . Voila autant d'exemples que nous pouvons utiliser pour appuyer le constat d'une nouvelle tournure que prend la médiatisation d'Emir Kusturica, une nouvelle composante évidente qui donne enfin au public français une donnée visuelle du cinéaste. À cet égard, nous pouvons amorcer une dichotomie temporelle dans la médiatisation, dans le sens ou nous voyons apparaitre les photos et clichés uniquement dans le deuxieme conglomérat, c'est-a-dire apres l'obtention de la Palme d'or. Les entretiens mettant en scene le réalisateur n'arrivent qu'apres l'obtention de cette récompense également. Ainsi, le capital de visibilité qu'obtient le réalisateur ne se fait-il pas directement parle biais de son film, mais par le biais de la récompense qu'a reçue ce dernier. Par conséquent, il y a un « transfert de capital de visibilité » de la Palme d'or a un film ; ce dernier ne pouvant pas, dans ce cas la, créer son propre capital de maniere indépendante et uniquement basé sur le produit culturel qu'il est censé représenté. Finalement, la Palme, en plus d'etre le catalyseur d'une évolution des procédés médiatiques visuels, pourrait également etre a l'origine d'un changement dans le discours. En effet, rappelons- nous que Kusturica n'a meme pas pris la peine de rester pour attendre le verdict lui décernant la récompense. Ce geste anodin et, peut-etre, innocent du cinéaste a été l'objet d'un nouveau procédé de scénarisation quant au caractere, a la personnalité, et le rapport qu'entretient l'artiste avec son travail36. À cet égard, nous pouvons nous intéresser au médium télévisuel et ajouter qu'il est le premier, dans la temporalité de notre corpus, a apporter une donnée visuelle du réalisateur.

36 Nous prendrons le temps d'analyser ce procédé plus tard dans la partie dédiée aux procédés de scénarisation.

33 Cependant elle est quelque peu problématique. Les sources antérieures aux interviews faites lors de la promotion du film en raison de sa sortie au mois d'octobre 1985 dans les salles françaises peuvent brouiller les pistes du récepteur. En effet, les sources dont nous disposons sont principalement les images retranscrivant la cérémonie de remise des prix dans le cadre du palmares du festival. Le brouillage des pistes réside dans le fait que la personne qui va recevoir le prix n'est pas Kusturica mais son assistant (comme nous l'avons mentionné plus haut). Aussi, les commentaires qui nous sont proposés ne mentionnent meme pas cet état de fait. Ainsi, Kusturica inaugure-t-il sa médiatisation audiovisuelle par un brouillage des pistes de reconnaissance visuelle. Il faut attendre trois jours apres l'annonce de la distinction cannoise pour voir enfin des images de Kusturica a la télévision. Dans le MINI journal37, le téléspectateur français obtient la premiere donnée visuelle du personnage au travers d'un portrait. D'ailleurs, ce n'est pasune coïncidence si la séquence commence sur des images de son assistant recevant la Palme avec un commentaire précisant d'emblée qu'Emir Kusturica n'était pas la et que le personnage que l'on avu dans de nombreux sujets de journaux télévisés voulant retransmettre l'événement pouvait brouiller les pistes quant a la reconnaissance. Le commentaire précise que l'on a tres peu d'informations sur lui et ajoute de façon tres révélatrice :« aussi la taille de l'unique photo d'Emir Kusturica occupe-t- elle dans les journaux d'aujourd'hui une place inversement proportionnelle aux commentaires possibles ». Le médium télévisé lui-meme nous aiguille vers cette lacune en ce qui concerne la diversité des données visuelles dont les médias disposent a ce moment précis de la médiatisation. Ce manque de données visuelles est en quelque sorte un apport dans la mesure ou il provoque la curiosité médiatique autour d'un artiste largement médiatisé pour la distinction que son œuvrea recueillie mais qui est difficilement identifiable... Si les images sont rares, elles gagnent en visibilité dans le sens ou les memes seront relayées dans la plupart des organes médiatiques... ceci avant de disposer de nouvelles données.

3 - Quelles sont les modalités des droits d'entrée selon les médias ?

Nous avons constaté que le véritable droit d'entrée38 n'était pas uniquement lié ala médiatisation du film mais davantage aux liens intrinseques entre la récompense d'un festival et le capital de visibilité39. Ainsi, le festival de Cannes serait-il une entreprise médiatique produisant au

37 Cf source : Portrait Emir KUSTURICA / MINI JOURNAL / 21/05/1985 / 00:01:28 38 Au sens ou l'entend Pierre Bourdieu dans sa théorie des champs. 39 HEINICH Nathalie, De la visibilite, excellence et singularite en regime mediatique, Paris, Gallimard, NRF, 2012, 593 pages

34 travers de l'événementiel un capital de visibilité dispensé par des récompenses. Pour simplifier autour d'une phrase illustrative nous pourrions dire que « médiatiquement, ce n'est pas le film qui a reçu une Palme, c'est la Palme qui a choisi un film ». Ceci étant dit, il serait intéressant de comprendre les modalités de chaque média pour traduire cette visibilité. En effet, nous avons vu pour la presse que cette visibilité passait par la forme : longueur et multiplication des articles, mais que la donnée essentielle qui paracheverait ce processus de visibilité résidait dans l'ajout de photographie de l’œuvre, mais surtout du réalisateur. Finalement, si l’œuvre était médiatisée avant l'obtention de la Palme, cette derniere récompense inaugura une médiatisation de celui qui en a la paternité, autrement dit le cinéaste. Ainsi, émettons- nous l'hypothese que la visibilité d'un artiste a lieu quand la médiatisation change de focale : de l’œuvre, l'attention serait alors portée sur le créateur. Qu'en est-il de la radio et de la télévision, comment ce droit d'entrée et l'obtention de cette visibilité s'expriment-ils ? – Medium radiophonique : L'actualité concernant l'obtention de la Palme d'or pour Papa est en voyage d'affaires s’exprime de maniere simple dans notre corpus radiophonique : elle nous offre notre premiere source et, par la meme occasion, la premiere intervention d'Emir Kusturica sur les ondes françaises. Cette donnée apporte donc un premier cadre d'appréciation du contexte médiatique dans lequel apparait le cinéaste. En effet, nous pouvons imaginer que le réalisateur se fait invité pour parler de son film et (surtout) de sa Palme. Aussi, la radio française a attendu que le film auréolé sorte prochainement sur les écrans (octobre 1985) alors que nous pouvons voir une certaine représentation médiatique dans la presse et a la télévision durant la période du festival etson Palmares (au moins de mai 1985). Ainsi, la Palme et la sortie du film représenteraient-elles le droit d'entrée du cinéaste sur les ondes françaises en tant que participant. Aussi, et pour illustrer nos propos, nous pouvons citer la maniere dont le journaliste en charge de l'interview introduit le sujet : « 32 ans, Palme d'or au festival de Cannes 1985, Palme d'or inattendue, Papa est en voyage d'affaires sort mercredi. » Le ton est donné, au dela de l'interview et de l'échange certainement informatif qui suit, le présentateur place des l'introduction de l'émission le présent sujet sous les augures de la promotion d'un produit culturel attendu : un lauréat de la Palme d'or. D'ailleurs, ce n'est pas le titre du film qui se place en tete du discours, c'est son titre honorifique qui l'annonce. Cette Palme serait donc la raison de sa venue et de l'invitation. Un coup d’œil sur la hiérarchisation des questions nous appuie ce constat. En effet, la premiere question du journaliste concerne le nouveau travail « fatiguant » de Kusturica autour de la promotion de son film aux quatre coins du monde : « Vous venez d'avoir la Palme d'or {...} et donc vous etes un homme fatigue bien que tres

35 jeune ». Le journaliste décidera également de clore l'interview par une question relative a sa Palme d'or : « Est-ce que la Palme vous donne plus de force en Yougoslavie ? ». Cette source étant la premiere, nous sommes légitimement en droit de constater que son droit d'entrée sur les ondes françaises est tres étroitement lié a l'obtention de sa Palme et a la sortie (le lendemain de la diffusion de l'émission) de son film sur les écrans français.

– La television : informer... Sur la douzaine de sources que nous avons recensées entre 1983 et la fin de l'année 1985, huit d'entre elles appartiennent au genre du journal télévisé. En ce début de médiatisation du jeune cinéaste, la plupart des sources audiovisuelles dont nous disposons sont donc particulierement orientées vers une nécessité d'informer le téléspectateur sur la sortie des films de ce réalisateur. Intéressons nous, en premier lieu, a la temporalité de la médiatisation de ce dernier. En regardant la façon dont les sources nous sont présentées, nous voyons qu'il n'y en a aucune relative a la sortie du film Te-souviens tu de Dolly Bell ?, du moins, dans le cadre d'une diffusion nationale. En effet, la seule source que l'hyperbase nous propose provient d'une édition régionale « Alsace Soir/Grand Est » contenant un court extrait du film concordant, on l'imagine a sa sortie dans une salle de la région. La presse, au contraire, a bien plus relayé, en termes quantitatifs, le premier film de Kusturica que la télévision. Aussi, nous voyons que la premiere source audiovisuelle venant d'une édition nationale date du 20 mai 1985, jour qui a vu consacré Emir Kusturica a Cannes avec l'attribution de la Palme d'or pour Papa est en voyage d'affaires. Ainsi nous admettons l'hypothese que, face a une information culturelle relatant la sortie d'un film réalisé par un auteur inconnu et étranger, la télévision ne trouvera de raison de médiatiser cet événement qu'a la condition qu'une autre information de taille puisse l'accompagner. En d'autres termes, ce n'est pas le film de Kusturica qui a été médiatisé mais, la encore, davantage l'annonce du palmares et la Palme d'or du festival de Cannes 1985. L'analyse des sources audiovisuelles confirme notre hypothese quant a cette modalité de médiatisation. En effet, la vedette de l'information n'est pas le film ayant gagné la Palme, c'est le palmares et la Palme en tant que tels qui sont célébrés et mis au premier plan. Bien évidemment, l'auteur et la trame du film sont mentionnés, mais ce sont les délibérations et la « surprise » du palmares qui représentent la réelle information. Comme exemple nous pouvons prendre une sujet de journal télévisé du soir d'Antenne 240 qui retranscrit les images de l'annonce de la Palme. Dans cet extrait le nom du film vainqueur est cité mais le nom du réalisateur n'est meme pas mentionné.Si cet oubli n'est pas forcément représentatif, puisque c'est une des rares sources de la périodene mentionnant pas le nom du réalisateur, elle est éloquente sur le fait que c'est le festival qui est 40 Voir source : Cannes / JA2 derniere / 20/05/1985 / 00:01:35

36 médiatisé avant l'œuvre. Aussi, nous ajouterons qu'aucun commentaire n'a fait état du fait que le personnage montant sur la scene pour recevoir le prix n'est pas Emir Kusturica mais son assistant (le cinéaste étant déja reparti en Bosnie a l'heure qu'il était). Ceci peut induire enerreurle téléspectateur. Du reste, si les journalistes savaient cela, on peut supposer que leur choix de ne pas préciser que ce n'était pas le réalisateur du film que l'on voyait a l'image, montre bien la moindre importance que ce dernier représente face a la simple annonce de la Palme d'or. Ainsi, meme dans le relais d'une information culturelle relative a un film, la télévision ne choisit-elle pas de relayer l'objet culturel en tant que tel mais les répercussions événementielles que ce dernier a suscité dans un festival international, un cadre certainement plus propice a la médiatisation. Ajoutons a cela que nous ne trouvons qu'une interview41 datant du 23 mai avant la période concordant avec la sortie en salles du film sur les écrans français. Ceci nous permet de voir comment la télévision met en scene l'objet culturel lorsqu'il est sur le point de s'offrir au public. Quelles sont les modalités de médiatisation lorsque le prétexte d'un festival international n'est plus d'actualité ? – ...et promouvoir ? Ainsi Emir Kusturica revient-il dans un second contexte médiatique : celui de la sortie de son film. Si le premier conglomérat s'est restreint, comme nous venons de le montrer, a une présentation du film et de son auteur sous les feux de la croisette, il s'agit ici de comprendre les nouvelles modalités que la télévision met en œuvre pour un contexte de médiatisation différent. Deux sources dont la diffusion est nationale nous sont présentées. La premiere est un sujet de journal télévisé42 qui nous propose deux extraits du film et un bref entretien avec le réalisateur sur l'exiguïté des genres cinématographiques. Intéressons-nous dans un premier temps aux extraits proposés. Il ne s'agit pas de disserter sur les morceaux choisis et sur l'esthétique des séquences mais sur qui a choisi ces extraits et comment le processus de circulation de ces extraits s'est déroulé.

En effet, ce ne sont pas les médias qui choisissent les passages du film qui seront présentés, ce sont les distributeurs : instance culturelle qui détient les droits d'une œuvre pour sa diffusion dans un espace précis (la France) et pour un temps précis (a cette époque, les droitsétaient communément négociés sur une période de 7 ans43). Ainsi, ce que les médias présentent aux téléspectateurs résulte d'un choix amorcé par une instance de distribution ayant, des intérets économiques. En effet, l'instance de distribution, en achetant les droits, se doit d'amortir et de rentabiliser cet investissement par une bonne campagne de promotion se faisant principalement via les médias. De la sélection des photographies destinées a la presse jusqu'au choix des extraits que la

41 Cf source : Plateau Emir KUSTURICA et Dizzy GILLESPIE / IT1 13H / 23/05/1985 / 00:14:17 42 Cf source : « papa est en voyage d'affaires » interview Emir KUSTURICA / IT1 13H / 16/10/1986 / 00:03:15 43 Se référer a cet égard a l'interview de Thierry Lenouvel en annexe. Le premier distributeur de Kusturica nous aiguille sur la maniere dont les films de l'auteur étaient distribués a l'époque.

37 télévision présentera, le premier contact qu'a le téléspectateur avec l'œuvre du cinéaste se fait par le biais, et sous l'impulsion, d'un distributeur voulant vendre un produit. Nous sommes donc logiquement dans une dialectique marchande et donc, de promotion. Cependant, ce constat parait problématique dans le sens ou la promotion pour les œuvres cinématographiques est prohibée par le CSA. En effet, en plus des boissons alcoolisées, des produits du tabac et de ses dérivés, le cinéma est un des rares secteurs interdit de publicités. Si le cinéma comme pratique culturelle peut faire l'objet d'une incitation publicitaire, cette derniere ne doit cependant pas parler d'un film particulier. En ce sens, nous devons comprendre comment la législation et les codes instaurés par le CSA peuvent etre détournés. Voila ce que le CSA indique concernant la publicité clandestine :

L’article 9 du decret du 27 mars 1992 modifie qualifie de publicite clandestine « la presentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activites d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette presentation est faite dans un but publicitaire ». C'est une pratique repandue et regulierement sanctionnee par le CSA. En cas de non-respect par le diffuseur de la reglementation existante, le Conseil a la possibilite d’engager une procedure de sanction qui peut notamment deboucher sur une sanction financiere. Toute reference dans des emissions a des biens ou des services n’est pas pour autant exclue, des lors qu’elle revet un caractere d’information. Une publicite est qualifiee de clandestine lorsque sont presentes des biens, services ou autres marques, en dehors des ecrans publicitaires, et ce dans un « but publicitaire », c’est-a-dire dans le but non pas d’informer, mais de promouvoir. Le Conseil n’a pas a apporter la preuve que la promotion s’est faite contre remuneration ni de maniere intentionnelle. Il lui revient d’apprecier au cas par cas les differentes pratiques decelees sur les antennes, et eventuellement d'intervenir lorsqu’une de celles-ci lui apparaît litigieuse.

Comme nous le voyons, la réglementation telle qu'elle est écrite nous apprend deux choses. D'une part, la publicité clandestine, c'est a dire camouflée par la promesse d'une information, est une pratique répandue. D'autre part, le cadre consistant a évaluer s'il y a promotion clandestine ou pas est laissé a la subjectivité de l'appréciation du CSA, et donc, par extension du chercheur. L'analyse de la deuxieme source pourrait etre révélatrice a cet égard. C'est un plateau d'une émission de divertissement animée par Christophe Dechavanne sur Antenne 2 : C'est encore mieux l'apres midi. Cette émission est, ce qu'on pourrait appelé, une émission généraliste, tombant dans la catégorie des tranches horaires, nous proposant un divertissement ponctué de plusieurs thématiques et chroniques. Nous sommes dans ce cas précis dans la tranche horaire de l'émission concernant la culture et le cinéma. Pour l'occasion, non seulement le cinéaste a été invité mais également l'un des protagonistes du film : l'acteur Miki Manojlović. Nous sommes le 17 octobre 1985 et le film vient a peine de sortir sur les écrans français le jour précédent. La source commence directement sur un fond inaugurant la rubrique tranche horaire de l'émission représentant la photo d'un cinéma en noir et blanc sur laquelle est apposé le mot « cinema » relevé de maniere distincte. La séquence qui suit est un montage destiné a présenter le film. Elle débute par les images de l'annonce de la Palme d'or du festival de Cannes. S'en suit plusieurs clichés du film triés sur le volet pour enfin laisser place a

38 un fond noir sur lequel le symbole de la Palme d'or est clairement mis en valeur et illustré par, dans un premier temps le fait que cette Palme ait été décernée a l'unanimité, et ensuite par les propos de Milos Forman pour expliquer le choix du jury : « le choix du cœur ». La séquence se termine encore sur un fond noir ou l'on voit écrit distinctement la date de sortie du film. Cette séquence précede, ou plutot, inaugure l’entretien qui aura lieu sur le plateau.

Nous avons clairement affaire a une séquence promotionnelle. D'une part, il n'y a pas eu un extrait de film qui aurait pu illustrer les propos du journaliste ou des participants. Ici, on tient a ce que l'interview qui arrive soit une illustration de la séquence promotionnelle. La seule réelle information sur ce produit culturel réside dans sa date de sortie, et donc dans une optique de promotion du film et d'incitation a aller le « consommer » dans les salles de cinéma. D'ailleurs, le montage et les choix initiés dans l'extrait montre bien que l'on parle moins du film que du fait qu'il ait gagné la Palme d'or. Nous sommes clairement dans une logique de promotion d'un bien culturel et, par extension, dans un domaine interdit par les réglementations du CSA. L'interview elle-meme est révélatrice. Apres une question tres rapide sur la trame de l'histoire du film et les conditions de sa réalisation, le journaliste entend rappeler encore une fois les répercussions de cette palme, en Yougoslavie, sur le cinéaste lui meme et sur la production yougoslave en général. Les deux dernieres questions de Christophe Dechavanne sont peut-etre les plus éloquentes. Lorsqu'il demande a Emir Kusturica « comment pensez-vous que ce film peut-etre perçu en France ? » et «Vous n'avez pas peur que certaines choses que vous voulez faire passer dans ce film ne soit pas

39 prises pour argent comptant et que les gens passent a cote ? », l'auteur répond qu'il a peur et qu'il invite les spectateurs a se faire une idée en venant voir le film. Du reste, il ajoute que le public français a un avantage dans le sens ou ce film ressemble aux anciens films français. L'interview se finit donc sur un rappel clair : les intervenants se sont déplacés pour inciter les téléspectateurs français a aller voir le film. Nous avons donc affaire a un contexte médiatique de promotion : le distributeur français prend soin de mettre en place un dispositif de communication et de promotion dans lequel le médium télévisuel a une place centrale et exclusive.

4 – Quelle pérennité pour cette visibilité ? Réactualisation durable du capital et début d'une starification.

Pour clore ce chapitre, il nous semble nécessaire de voir comment ce nouveau capital de visibilité s'est trouvé réactivé par la suite et, par conséquent, dans quelle mesure nous pouvons réellement parler d'une installation pérenne du réalisateur dans ce premier découpage chronologique. En effet, cette premiere segmentation temporelle couvre tout de meme quatorze années d'activités pour le cinéaste ; la Palme a été obtenue a partir de la quatrieme seulement. Qu'en est-il des dix années qui suivent jusqu'a la consécration d'Underground ? Revenons au graphique précédemment présenté. Nous voyons qu'il faut attendre l'année 1989 pour revoir des sources dépassant la dizaine d’occurrences ; nous notons la meme chose pour l'année 1993.

Que représentent ces années dans l'actualité du réalisateur ? 1989 est rythmée par la sortie du Temps des Gitans, ainsi que sa sélection dans la compétition du festival de Cannes de la meme année. Comment et selon quelles modalités de médiatisation le capital de visibilité du réalisateurse réactualise pour l'occasion ? La presse nous donne d'ores et déja des données visuelles intéressantes. Comme nous l'avons mentionné plus haut, la Palme inaugure une nouvelle visibilité pour le réalisateur dans le sens ou,

40 non seulement son œuvre, mais surtout son visage se retrouve affiché, médiatisé et laissé a l'appréciation du récepteur. Comparons cette nouvelle modalité de visibilité entre Le Temps des Gitans et son prédécesseur dans la presse généraliste. Nous voyons que dans notre sélection pour Papa est en voyage d'affaires (36 articles), 50 % des articles présentent des photos et sur ces 50%, uniquement 11% utilisent le visage du réalisateur. Pour ce qui est du Temps des Gitans, nous avons 70% des articles utilisant des photos, et sur ces 70% nous avons pour pres d'un tiers des cas (28% environ), des articles préférant utiliser des portraits du cinéaste plus que des clichés du film. Sans avoir gagner la Palme d'or, nous constatons, aussi bien quantitativement que qualitativement, une augmentation sensible du capital de visibilité. Aussi, la hausse la plus pertinente quant a notre propos résiderait sans aucun doute dans le choix d'illustrer l'article d'un film avec un cliché du réalisateur. Voit-on ici le début d'une starification ? Il est encore trop tot pour l'affirmer, cependant, cet état de fait affiche clairement une nouvelle modalité de visibilité : le réalisateur et l'image qu'il véhicule par son portrait devient bientot aussi importante que le produit culturel qu'il a réalisé. Un article conforte cette hypothese : Liberation44, pendant la période de la sortie en salles du film, a décidé de consacrer quatre pages au réalisateur et a son film, comprenant pas moins de six photos, dont cinq d'entre elles représentent le réalisateur et non le film en question. Aussi, on remarque que ce dossier spécial est composé de deux articles. Le premier, écrit par Gérard Lefort représentela premiere demie page et est consacré au film. Le deuxieme s'étend sur tout le reste et constitue un reportage de Marie Colmant avec des photos de Jean-Christian Bourcart sur le séjour en France de Kusturica. Ainsi, en pleine période de la sortie en salles du film, la place qu'occupe la critique de ce dernier dans ce numéro de Liberation est-elle dérisoire par rapport au reportage sur la vie et les faits et gestes du cinéaste a Paris. Sans rentrer dans les détails et les propos du reportage45, nous voyons par la simple structure quantitative, narrative et photographique du dossier qu'Emir Kusturica bénéficie d'un capital de visibilité différent, témoignant d'une installation durable et d'un débutde starification. Les autres médias ne sont pas en reste. Jetons un coup d’œil a notre corpus de sources télévisuelles. Parmi les nombreuses sources faisant partie de type d'émissions « prévisible » comme le journal télévisé ou encore des émissions spécialisées dans le cinéma, nous avons une émission qui émerge par sa particularité : Lunettes noires pour nuits blanches. Nous le répétons, il ne s'agit pas dans cette partie de faire de l'analyse de contenus et de propos qui seront diffusés, mais plus une appréciation sémiologique des cadres et des modalités de médiatisation et de leur potentiel de visibilité. Quelle est donc cette émission ? Diffusée entre 1988 et 1990, l'émission fut un concept

44 Numéro du 15/11/1989 45 Cf Le prochain chapitre traitera de ce contenu quant au procédé de scénarisation

41 pensé et présenté chaque semaine le samedi soir tard dans la nuit par Thierry Ardisson. Succes d'audimat, elle est aussi instigatrice d'un nouveau type d'émissions reprenant les principes du « talk- show » dans un univers et un ton provocateurs. Le principe de l'émission est fondé sur le renouveau de l'entretien avec des invités par des interviews-concept. Les invités sont principalement des personnalités, c'est-a-dire détenant un capital de visibilité ou leur passage dans l'émission est justifié par une actualité les concernant. On parle volontiers de stars, de membres du showbiz. Ainsi, le simple fait de voir Emir Kusturica invité dans une telle émission est clairement un signe que l'ona affaire a une célébrité, une personnalité détenant un capital de visibilité en fonction d'une actualité qui lui est propre. Notre raisonnement nous amene donc a conclure que, certes, le cinéaste est invité dans l'émission en raison de sa visibilité grandissante et d'une actualité justificative ; cependant c'est l'émission dans sa structure et sa nature qui le définie comme une personnalité médiatique aux yeux du public.

42 Chapitre II - Enjeux et teneurs des discours critiques

A°) Evolution du discours critique.

1 - Cannes et les médias : deux institutions productrices de valeurs

Pour commencer ce second chapitre, nous avons pensé judicieux d'appréhender le poids que pouvait avoir un festival de renommée international comme Cannes sur la teneur des discours médiatiques. En somme, il s'agit de comprendre l'importance d'un événement et le transfert de son capital de visibilité sur une œuvre, et ceci dans la mesure ou il pourrait influencer la réception de cette derniere au sein des instances médiatiques. Ce choix se justifie tout simplement par le fait que nous ayons expliqué plus haut que la Palme d'or remportée en 1985 inaugurait le droit d'entrée du cinéaste dans les médias. Si nous en sommes resté a une évaluation des structures et du potentiel de visibilité, il s'agit ici de voir comment elle se traduit dans le contenu. Ainsi, si le festival et sa récompense ont inauguré une visibilité, dans quelle mesure peuvent-ils initier un discours ? Lors de l'obtention d'une Palme d'or, la presse ne manque pas de donner son avis sur l'expertise et les choix du jury d'un festival, en particulier lorsque ce dernier est cannois. Il s'agit de voir la teneur des critiques quant a la palme décernée a Papa est en voyage d'affaires. En somme, nous pouvons relever la façon dont la presse généraliste approuve ou conteste la décision du jury. Telerama46 nous le présente en ces termes : « Emir Kusturica, jeune cineaste de 30 ans a obtenu avec ce film la Palme d'or a Cannes 85 et c'est justice ». Le Pariscope du meme jour laisse entendre que certains critiques « a la peau de pachyderme {qui} contestent la Palme d'Or qui lui a ete decernee a Cannes, cette annee ». Nous pouvons voir cet avis uniquement dans un article, celui de La Revue des Deux Mondes du mois de décembre de la meme année : « le film etant maintenant presente au public, comment ne pas dire notre immense deception et ne pas etre stupefait pas la decision « unanime » du jury de cette annee 1985 ? ». Cependant, il s'agit du seul article et contestant la décision cannoise dans notre corpus. Nous pouvons d'abord déduire de l'analyse de ces sources qu'une Palme offre un espace d'expression pour l'approbation ou le rejet d'un film. Ensuite, cette question de l'approbation se fait, non pas dans l'analyse des composantes du film primé, mais davantage dans une querelle de subjectivités. En effet, ce qui est médiatisé principalement, ce n'est pas le film, c'est le jury et sa décision. Le film n'étant finalement qu'un prétexte, la presse généraliste s'illustre également dans la médiatisation d'uneguerre du gout. Ainsi, l'espace de

46 Voir l'édition du 16 octobre.

43 l'approbation d'un film, devient-il en réalité un cadre pour que le média, conscient deses prérogatives, s'auto-célebre comme instance de légitimation a travers les jugements qu'il diffuse.

Pour valider cette hypothese, nous pouvons questionner la réception critique du Temps des Gitans, lui aussi sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes en 1989 ; ayant obtenu, non la Palme d'or mais le Prix de la mise en scene. Le Quotidien de Paris47 consacre une double page au film avec cliché a l'appui, l'article débute de cette maniere: Chef d’œuvre, monument, œuvre capitale, prodige d'emotion et de sensibilite : allez-y, piochez dans ce vocabulaire que presse et publicite ont contribue a devaluer, additionnez et malaxez le tout, et vous aurez une petite idee, vague, imparfaite de ce qu'il faut penser du « Temps des Gitans ». On ne va pas epiloguer sans fin sur le palmares cannois d'il y a 6 mois ; mais en ne donnant qu'un gentil accessit, le Prix de la mise en scene, alors que son film dominait de cent coudees la competition, Wim Wenders et ses jures ont perdu une belle occasion de se montrer brillant et equitables.

La aussi, nous voyons la tendance de la presse a exprimer son ressenti sur la décision cannoise. Cependant, si l'auteur prétend qu'il ne veut pas épiloguer sur cette derniere, c'est parce qu'il en fait tout simplement l'accroche de son article. Par accroche nous évoquons la hiérarchisation des informations. Par conséquent, nous voyons qu'avant meme de rentrer dans l'analysedes composantes du film, la presse fait le choix d'avertir son lectorat sur ce qu'elle pense du palmares. Cette auto-célébration du média, dans sa volonté de mettre en avant sa subjectivité, peut parfois dépasser l'événement cannois, au point de rendre les choix du jury secondaires. À cet égard, le Figaro magazine48 donne matiere a réfléchir et introduit sa critique de cette maniere:

À Cannes, cette annee, nous avons ete unanimes a decerner le prix Rossellini (cree a l'instigation des heritiers physiques et spirituels du cineaste, pour souligner le caractere humaniste et universel d'une œuvre exceptionnelle, situee dans la continuite de Rossellini) : le choix d'Emir Kusturica s'imposait naturellement, tant son dernier film Le Temps des Gitans (par ailleurs prix de la mise en scene du Festival) nous bouleversa par son originalite, sa force, sa generosite.

Notons tout d'abord la hiérarchisation implicite des cadres de l'approbation. L'article commence et consacre son accroche a l'attribution du prix Rossellini qui fait, sous la plume de l'auteur, passer le festival de Cannes et son Prix de la mise en scene pour une parenthese, une annexe a l'ombre de ce prix. Mais qui est le « nous » dans cet article ? L'auteur n'est autre que Daniel Toscan du Plantier, éminent producteur, directeur de Gaumont, et d'Unifrance, il est une célébrité du monde cinématographique, au point de se faire parodier par les Inconnus dans de nombreux sketchs rentrés aujourd'hui dans la culture populaire. Mais revenons ace« nous » ambigu. Par l'utilisation de ce pronom, l'auteur veut parler bien évidemment d'un jury fait de

47 Édition du 15 novembre 1989 48 Edition du 18 novembre 1989

44 journalistes et de critiques de cinéma, réunis a l'occasion de la Semaine internationale de la Critique. Mais ce « nous » renvoie plus généralement aux critiques et aux journalistes comme institution, comme producteurs d'appréciations et de valeurs. Ainsi, nous voyons clairement une autocélébration du média en tant qu'institution critique, concurrente du jury cannois. Cette volonté de se placer comme institution productrice de valeur s'étend également a la télévision. En effet,la Cinq, lors de son journal de 20 heure présenté par Guillaume Durand le 17 Mai 1989 49, propose son palmares subjectif alors que le festival n'est pas encore terminé. Ainsi, Bernard Briançon, Luc Evrard et Valérie Broquisse, présents sur la croisette, annoncent-ils l'attribution des prix et devancent par anticipation le festival qu'il sont censés couvrir : Le Temps des Gitans remporte la Palme d'or. Du reste, la suite du Palmares reprend la dénomination des prix du festival, a savoir les prix d'interprétations masculins et féminins, le prix spécial du Jury, etc... Nous voyons ici clairement une mise en scene tendant a présenter le(s) média(s) en tant qu'instance légitimea concurrencer les choix d'un éminent jury de professionnels du cinéma.

2 - Quand la critique dépasse le film : l'expertise culturelle comme alibi

D'ores et déja, nous voyons une tendance des instances médiatiques a dépasser l'information. Lorsqu'une expertise culturelle fait partie de la chronologie d'un festival, elle s'engage dans un processus d'auto-célébration dans le cadre d'une concurrence avec l'instance productrice de valeur qu'est le festival. Aussi, il s'agirait de voir si les médias, dans leurs médiations d'une information culturelle, vont au-dela de leur expertise culturelle. En d'autres termes, dans quelle mesure la critique d'un film peut etre une couverture, un prétexte a médiatiser une thématique différente ? Faisons ici du cas par cas pour chaque film afin de comprendre dans quelle situation un film serait un alibi.

a°) Te souviens-tu de Dolly Bell et Papa est en voyage d'affaires : L'historicité du cinéma de Kusturica prétexte a une politisation de l'expertise culturelle.

– Une nature du media tendant vers la politisation du culturel En premier lieu, il s'agit de rappeler que l'intrigue des deux premiers films de Kusturica a lieu dans un contexte politique et historique particulier. Le premier long métrage se déroule pendant les années 1960 a Sarajevo, l'époque est retranscrite sous le theme de l'occidentalisation de la

49 Cette source ne fait pas partie de notre corpus principal puisque Kusturica n’apparait pas au générique. Il nous a cependant semblé capital de l'ajouter puisqu'elle illustre parfaitement notre propos.

45 jeunesse, entre musique rock, coca-cola et jeans. Le second film s'accorde avec une toile de fond historique ayant un potentiel dramatique plus prononcé dans le sens ou le cinéaste met en scene l'envoi forcé d'un « faux » dissident politique en camp de travail50. Nous allons ici nous intéresser a cette toile de fond historique pour comprendre comment les organes de presse généraliste la traite dans la médiatisation du cinéaste et de ses œuvres. Précisons d'emblée que nous illustrons principalement notre propos avec la partie de notre corpus relative a Papa est en voyage d'affaires, puisqu'il a été le plus médiatisé et qu'il met en scene, comme nous l'avons dit, un contexte historique beaucoup plus trouble. Cependant, nous pouvons déja apercevoir la tendance a la politisation en faisant une comparaison des presses généralistes et spécialisées quant a la placeque le contexte historique prend dans leurs articles en ce qui concerne la médiatisation de Te souviens-tu de Dolly Bell ?.

En effet nous notons d'ores et déja une plus large médiatisation dans les journaux orientés politiquement a gauche. Mis a part les articles de Pariscope et du Canard enchaîne, la quasi totalité des articles du premier conglomérat (a savoir les articles correspondant a la sortie du film dans les salles françaises en 1983) proviennent de journaux ouvertement ancrés a gauche. Ce détail est important et se doit d'etre explicité. En effet, face a ce constat, nous voyons s'offrir a nous plusieurs hypotheses sur la sur-représentation du film dans des journaux orientés a gauche plutot que dans ceux de droite. Est-ce que la presse de gauche propose indubitablement une médiatisation plus large des cinéastes indépendants, étrangers faisant des films dits « d'auteurs » ? En d'autres termes, est-ce que l'offre relative a l'expertise culturelle de ces journaux tient au fait qu'ils soient justement orientés de cette maniere et, de ce fait, soit plus dense ou plus spécialisée que l'offre dans les journaux de droite ? Cette question tres certainement intéressante pour l'analyse de cette revue de presse risquerait néanmoins de nous perdre dans un sujet trop vaste qui tiendrait a définir la place qu'a l'information culturelle selon la sensibilité politique des organes de presse. Il n'estpas nécessaire d'aller jusque la pour comprendre, d'une autre maniere certes, les autres tenants et aboutissants pouvant expliciter cet état de faits. En effet, détail important, le film se déroule durant les années 1960 en Yougoslavie, pays communiste (on s'applique a parler de socialisme yougoslave, d'auto-gestion, de Titisme dans certains cas). Si le contexte politico historique n'est qu'une toile de fond a l'œuvre, elle peut etre le prétexte pour certains journaux proches de l'idéologie en vigueur dans le temps représenté par le film, pour en parler. En somme, l'hypothese que nous avançons sur la sur-représentation de cette production dans les journaux de gauche consiste a penser que le contexte retranscrit est une des variantes non négligeables quant a la médiatisation d'un long 50 Ces camps de travail etaient designes sous le nom de « logor » dont un des plus connus etait celui de « Goli Otok ». La plupart se trouvaient dans la province du Montenegro. C'est d'ailleurs ce dernier qui est choisi par le realisateur dans Papa est en voyage d'affaires.

46 métrage.

Bien évidemment, le film a été récompensé par un prix prestigieux a Venise et scelle, de cette maniere, son droit d'entrée dans le champ artistique et critique51. Par conséquent, nous ne pouvons pas faire reposer les raisons de la médiatisation du film uniquement sur le détail de l'époque narrée dans l'œuvre. Il constitue cependant une bonne accroche pour des journaux orientés afin que leurs informations relatives a des produits culturels soient également proches de leurs choix éditoriaux et/ou politiques. La presse spécialisée, quant a elle, ne passe pas son temps a insister de façon « politisée » sur la toile de fond historique, sociale et politique du film. En effet, si elle replace, parfois avec acuité le film dans un contexte historique elle ne s'attarde pas la dessus pour fonder sa critique et son analyse. Le Cinematographe nous éclaire bien a ce sujet en précisant que : « la fresque sociale sert parfois seulement de toile de fond a une aventure individuelle teintee d'ironie ». La comparaison ainsi établie entre les deux types de presse, il s'agit maintenant de s'intéresser a cette tendance de la politisation de l'expertise culturelle dans le cadre dela médiatisation et de la réception critique de Papa est en voyage d'affaires.

L'énorme majorité des articles fait, comme pour le premier film, un focus majoritaire sur la trame politico-historique du film. En effet, Papa est en voyage d'affaires se déroule entre l'été 1950 et l'été 1952. Le point de départ du film réside dans la publication dans la presse d'une caricature de Marx travaillant devant l'effigie de Staline. Ce fameux dessin fut publié en 1950 dans le journal yougoslave Politika. Le point d'orgue de cette réalisation se rattache au match de football Union Soviétique-Yougoslavie que cette derniere a remporté de trois buts a un, ce qui était considéré comme une victoire de Tito sur Staline. Du reste, le début du film nous montre clairement que nous nous trouvons dans le contexte du « schisme » qui a vu la Yougoslavie et Tito se faire ''excommunier'' par l'URSS et Staline. Si le réalisateur précise que la trame historique est pour lui secondaire, la médiatisation en décide autrement et fait passer le film comme un long métrage « historique » ou l'époque tient le premier role. Le choix des journaux de faire prédominer le contexte dans le compte-rendu critique résulte de plusieurs facteurs.

Tout d'abord, la presse que l'on appelle généraliste traite principalement des sujets a caractere politique et/ou social. Meme si les articles concernant le film de Kusturica se trouvent regroupés dans la catégorie "culture", ce type de presse est plus enclin a s'attarder sur la trame politico-historique qu'une presse spécialisée qui pourrait décortiquer uniquement l'esthétique dece film et a ce quoi elle renvoie. Naturellement, nous ne pouvons segmenter ces deux types de presse

51 Voir a cet egard Pierre BourdieuLes Regles de l'art : genese et structure du champ litteraire, Paris, Seuil, 1992, 480 p.

47 uniquement sur ce constat puisque, d'une part, la presse généraliste s'autorise a renvoyer le style du réalisateur aux styles de Menzel ou de Fellini etc... et d'autre part, la presse spécialisée consacre un article d'un historien de formation qui a choisi le theme de l'historicité du cinéma de Kusturica. La différence résiderait plus dans le traitement. Cependant, l'hypothese que nous émettons résiderait davantage dans une politisation de l'expertise culturelle (au sens de la médiation) des journaux en accord avec leur ligne politique éditoriale. En d'autres termes, nous allons tenter de voir dans quelle mesure le "détail" de l'époque dans laquelle se déroule la trame du film serait un prétexte pourdes journaux de la presse généraliste a réaffirmer, y compris dans leurs pages culturelles, leur affiliation politique, leur vision de l'histoire. S'il y a politisation de la réception d'une production artistique, meme pour un détail comme celui-la, il y a un nouvel élément dans la construction médiatique de son créateur. Il serait important maintenant de voir comment les journaux appartenant clairement a une ligne politique, de gauche ou de droite, décrivent le film et en particulier la trame politico- historique qui voit le pere du héros envoyé de force et arbitrairement dans un camp de travail.

– Le pretexte du contexte pour les journaux de droite

Prenons comme premier exemple un journal de droite comme Le Figaro ou un périodique comme Le Point datant respectivement du 13 mai 1985 et du 20 mai 1985. Pour Le Figaro, l'article se veut court et concis mais insiste néanmoins sur la trame politico historique. « Nous sommes en Yougoslavie a l'heure ou le stalinisme exerce ses ravages. Il y a a Sarajevo deux ou trois communistes qui s'emploient a denoncer ceux qui pensent mal, c'est-a-dire le reste de la population. L'affaire est vue par les yeux d'un bambin {...} uniquement obstine a perpetuer le bonheur familial qui ne puise pas sa source dan l'ideologie du “parti“. » Ceci constitue plus de la moitié de l'article du Figaro qui accorde, en termes de longueur, une grande partie au contexte historique et politique. On voit clairement un procédé de scénarisation qui vise a rendre l'époquedu film comme un moment noir de l'histoire de la Yougoslavie. D'ailleurs, le terme de "stalinisme" peut paraitre maladroit. Si la Yougoslavie Titiste adoptait a cette époque les memes méthodes (et encore, ce sujet prete a un débat) que l'ennemi Soviétique, il faudrait expliciter quelque peu ce terme en vue de ne pas brouiller la compréhension historique. Mais nous pensons que le terme n'est la que pour accentuer la perception dramatique qui renvoie aux représentations concernant les emprisonnements arbitraires et expéditifs et les proces staliniens. Aussi, lorsque Le Figaro explique que tout le reste de la population pense mal, il ne se fonde pas sur le film mais sur une interprétation de l'histoire. En effet, la trame du film repose, comme nous l'avons dit, sur un quiproquo, une histoire de jalousie ou le pere est moins menacé par ses idées prétendues déviantes (il est d'ailleurs présenté dans le film comme un bon communiste, juste un peu maladroit) que par la vengeance d'une maitresse et d'un

48 homme jaloux. Ainsi, nous avons la un procédé de scénarisation qui veut nous présenter la toile de fond du film comme un combat entre une sorte de bureaucratie zélée et réduite contre toute une population oppressée par la peur d'etre dénoncée. En somme, l'article façonne presque une dichotomie hollywoodienne de box-office entre un "bon" et un "méchant". Du reste, Le Figaro titre l'article par le terme « Insolences ». Serait-ce celle d'un réalisateur dissident, déviant de l'idéologie du pays auquel il appartient ? L'article se clot par une référence a l'artiste : « Emir Kusturica a bien du talent, et bien du culot ». Si nous ne pouvons pas réellement conclure sur l'anticommunisme militant dans la construction médiatique et la réception de ce réalisateur par cette petite phrase, nous pouvons néanmoins prendre le témoignage du principal intéressé. En effet, Emir Kusturica déclare : « Si j'avais su, a l'epoque, qu'avec ce film on m'utiliserait comme reference anticommuniste, je ne l'aurais jamais fait. Ceux qui m'ont attribue la Palme en 1985 n'eprouvent certainement pas les memes sentiments aujourd'hui, quand ils voient quelle creature politique je suis devenu : je crois qu'ils seraient capables de me demander de leur rendre la Palme52. » Ainsi, le réalisateur par ce témoignage permet-il de nous aiguiller sur la réception de son film a cette époque et de mieux comprendre l'intertextualité et la nature des articles comme celui du Figaro. Pour renforcer notre hypothese nous pouvons également prendre l'exemple du magazine hebdomadaire Le Point. Celui- ci, dans sa rubrique "Festival de Cannes" titre « Yougoslavie : l'accusateur a 6 ans ». Le titre lui meme nous donne un avant-gout de ce qui va suivre. En effet, tout l'article est plus un réquisitoire sur l'époque traduite dans le film qu'une critique du film a proprement parler. On ne mentionne le réalisateur qu'une seule fois et ceci, pour le faire rentrer dans une perspective historique d'artistes et autres écrivains dénonçant au meme moment ou bien quelque peu avant lui la sombre thématique des abus du régime titiste en Yougoslavie a cette époque la. L'auteur parle meme d'un "esprit du temps" a cet égard. Nous aurions pu nous arreter la dans notre analyse si nous n'avions pas remarqué le nom de l'auteur : Kosta Christitch. En effet, ce journaliste, a l'époque grand reporter au Point est également un essayiste spécialiste des Balkans et ayant publié par la suite de nombreux ouvrages. Si ces derniers sont reconnus et ont été médiatisés, ils sont également porteurs d'une certaine vision de l'histoire et d'un parti pris qui peut etre discuté. Ce n'est pas disperser notre recherche que de trouver des sources annexes pour apprendre sur celui qui écrirait sur une production de Kusturica. Au contraire, nous pouvons mieux comprendre la "réception orientée" de son film dans un organe précis. Ainsi nous voyons que l'auteur a, entre autres, publié un ouvrage intitulé Les Faux freres; mirages et realites yougoslaves. Cet ouvrage a pour cheval de bataille tous les mythes et les idées reçues sur l'idéalisation de la Yougoslavie sous le régime titiste. L'auteur s'emploie a déconstruire ces idées reçues et a insister sur les cadavres que Tito aurait dans son

52 Emir Kusturica, Ou suis-je dans cette histoire ?, JC Lattes, 2011, p.387

49 placard.

C'est sur cette métaphore quelque peu osée mais récapitulative de l'entreprise du journaliste que nous pouvons conclure en rajoutant, en dernier lieu, que Le Point donne la parole a un spécialiste des Balkans, conscient de sa vision de l'histoire. Et c'est par cette vision de l'histoire, résolument opposée a Tito, que Le Point peut faire transparaitre une politisation de sa critique cinématographique et faire de l'artiste, par le biais de la réception journalistique, un réalisateur désireux de montrer les abus en régime communiste titiste.

– À gauche : la politisation dans l'intertextualite

Maintenant, il s'agit de voir comment les journaux ayant une ligne politique éditoriale clairement de gauche retranscrivent ce contexte politico-historique. Ceci pour avant tout renforcer notre hypothese sur la politisation de leur expertise culturelle (au sens de réception et médiation des objets culturels) et pour voir comment se met en place une dialectique de réception selon les différentes presses généralistes. Nous prendrons a cet égard l'exemple deL'Humanite, journal officiellement communiste et répondant a une ligne politique claire et assumée. Notre corpus est composé des articles du 14 mai, du 16 octobre et du 18 octobre. Des le début, l'article donne au film une couleur tres légere : « c'est une gentille comedie qui represente la Yougoslavie a Cannes cette annee... ». 'Humanite ne veut pas faire de ce film un drame, comme pourrait le faire d'autres. On insiste sur le fait que ce cinéma et dans la lignée d'un « cinema concret qui sait regarder avec chaleur comment a vecu et comment vit un peuple ». Le titre du film, qui fait couler beaucoup d'encre dans les autres journaux ne fait l'objet que d'une métaphore discrete et pleine de non-dits, que le lecteur pourrait avoir du mal a comprendre. En effet, la phrase "Quant au voyage d'affaires du pere, il s'est fait entre deux hommes en manteaux sombres" est censée ramener au fait que la trame du film reste l'emprisonnement arbitraire d'un pere de famille sans histoire pour avoir osé critiquer une caricature de Marx et de Staline... En d'autres termes, la trame du film dénonce l'absurdité de certaines pratiques du régime titiste, en particulier sur la liberté d'expression. La filiation du journal a une ligne politique communiste pourrait sans doute expliquer la volonté de ne pas axer tout l'article sur un réquisitoire de ce qu'il y a pu avoir comme abus durant le régime titiste (comme le fait Le Point). Ainsi, juste apres l'énonciation du contexte politico-historique, L'Humanite s'empresse d'ajouter que "...si la notation politique est presente, elle n'est pas essentielle". Si le réalisateur lui meme s'emploie a préciser ce fait, on peut difficilement croire que L'Humanite a adopté ce choix éditorial pour les memes raisons. Voyons l'évolution du discours de L'Humanite dans le deuxieme conglomérat. Nous constatons deux articles a deux jours d'intervalles : le premier date du 16 octobre et l'autre du 18 octobre. En termes de longueur, on note

50 deux articles beaucoup plus fournis que le premier. Ceci étant du au regain de médiatisation du film apres sa Palme et a l'occasion de sa projection sur les écrans français. Si l'article du 16 octobre n'omet pas le fait que le pere fut incarcéré, il ne dit pas qu'il est envoyé en camp de travail. De plus, l'article introduit la trame en précisant que « Tout le film est vu a travers les souvenirs d'un petit garçon qui a presque l'age de la Yougoslavie socialiste. Autant dire qu'il n'y a, qu'il ne peut y avoir dans cette vision, aucune leçon d'histoire, aucun dogmatisme. ». Finalement, selon L'Humanite, la vision de l'histoire qu'a le réalisateur est volontairement subjective et donc, biaisée. Du reste, l'article s'empresse de préciser que l'on « retrouve le beau-frere delateur, deux ans plus tard, a la table familiale ». L'article insiste donc sur le happy end et évite de ce fait le sujet grave qu'aurait pu constituer la trame politico-historique. Finalement, en omettant de faire un focus important sur cette derniere, comme ont pu le faire les journaux plutot orientés a droite, L'Humanite amorce également une politisation de son expertise culturelle puisque c'est le journal qui est le plus concerné par cette trame politico-historique. qui en parle le moins. Ainsi, cette politisation se trouve-t-elle dans l'intertextualité des articles, dans les non-dits, les omissions, et les justifications de ses choix éditoriaux.

b°) Le Temps des gitans : une vitrine pour un peuple

Pour son troisieme film, Emir Kusturica n'a pas opté pour une véritable toile de fond historique. Le Temps des gitans dresse le portrait d'un peuple filmé de maniere contemporaine et n'offre pas aux médias matiere a disserter sur une époque ou encore a politiser une expertise culturelle. Cependant, on remarque une certaine tendance a omettre la trame du film pour mettre en avant la culture tzigane. Mieux encore, certains articles voient le film comme une simple fenetre sur un peuple encore méconnu. Citons par exemple Le Quotidien de Paris53 qui, dans ses deux pages spéciales consacrées au film, offre plus d'un tiers de la double page pour faire un précis sur les gitans, leur histoire, leur provenance, la place du mysticisme et de la femme dans cette culture trop peu connue. Ces informations ne sont aucunement distillées au fur et a mesure de la critique du film, elles constituent un article détaché du reste de la critique par une séparation graphique. Les Gitans, au-dela de leur implication dans le film, constituent un sujet a part entiere, ne s'encombrant pas d'une expertise culturelle. Mais Pariscope54 nous offre peut-etre le choix éditorial le plus intéressant. Le ton est clairement donné par le titre et par la personne en charge d'écrire l'article. « Souffrance, mystere et magie du peuple Rom » par.... Tony Gatlif. En effet, ce réalisateur reconnu,

53 Édition du 15 novembre 1989 soit durant sa sortie dans les salles françaises. 54 Édition du 15 novembre 1989.

51 il aborde a partir de 1981 le theme qu'il approfondira de film en film : les Roms du monde entier, dont il devient a bien des égards le chantre, séduit par une « communauté en mouvement » et par un univers sonore et musical d'une tres grande richesse et d'une grande diversité. D'ailleurs, apres la signature bien visible du journaliste de circonstance, le journal nous offre un petit précis sur l'auteur en question : « Gitan authentique, realisateur des « princes » et « pleure pas, my love »...

Gitan authentique ? Étonnant de le préciser (avec une police sensiblement plus grande que l'article lui-meme) lorsque meme l'auteur en question, né de mere tzigane et d'un pere kabyle, préfere se définir comme méditerranéen. Nous pouvons voir ici une volonté de légitimation.En effet, le réalisateur d'origine tzigane fait l'éloge du film de son confrere cinéaste et s'adresse, directement a lui a la seconde personne du singulier en précisant que Kusturica a« su non seulement decrire la souffrance du peuple Rom mais aussi son mystere et sa magie ». La tentation de la presse, par le biais de la critique d'un film, réside certainement dans une forme de promotion culturelle d'une communauté, d'un folklore, de stéréotypes (positives ou négatives). La parole donnée a un « représentant » circonstanciel de cette derniere confirme ce constat.

Pour ce qui est du médium télévisuel, nous pouvons aussi apercevoir cette tendance a utiliser les codes et représentations folkloriques que l'univers gitan peut véhiculer. Lors de la période du festival, le 20H de TF155 ouvre son sujet relatif au cinéma sur des images de fete tzigane improvisée sur la croisette. On reconnait a l'image la jeune actrice du film dansant entre les cuivres des musiciens. La journaliste introduit en voix-off le sujet par ces mots : « les cuivres et les danses des gitans pour feter le succes du film d'Emir Kusturica ». Si la suite du reportage traite bien de la trame du film et du portrait que fait le cinéaste d'une certaine culture, il est important de comprendre que le folklore et l'exubérance tzigane ont été choisis ici comme accroche visuelle, sonore et discursive pour le sujet. En outre, le sujet est ponctué par une interview du cinéaste qui, tel que le montage nous le donne a voir, ne parle pas de son film mais uniquement de la valeur de « liberté » que véhicule l'imaginaire entourant ce peuple : « je pense que tout le monde, un jour, reve d'etre gitan. De fuir toutes les obligations de la vie quotidienne (…) etre gitan c'est etre nulle part, echapper a tout ». Le réalisateur, lui aussi, appréhende la place qu'occupe le stéréotype des gens du voyage dans l'imaginaire collectif occidental.

B°) Installation des procédés de scénarisation : le début de la construction d'un personnage médiatique.

55 Journal télévisé du 17 mai 1989.

52 1 – Parcours, références et influences a°) Te souviens-tu de Prague et de Fellini ?

Déja, pour son premier film, les médias veulent situer Kusturica sur plusieurs points d'ancrage. On note en premier lieu un souci particulier et général pour inscrire Te souviens-tu de Dolly Bell ? dans une tradition cinématographique. En effet, étant le premier film de l'auteur, on imagine aisément que les critiques doivent situer dans une certaine perspective esthétique et/ou historique la production en question. Fellini et son « néoréalisme » tres personnel, qui est une inspiration certaine pour Emir Kusturica, est évoqué. Le Telerama du 23 mars 1983 sous-titre meme «Amarcord yougoslave»56. Le journal Liberation, le 14 mars 1983, utilise le meme procédé et fait aussi référence a un film de Fellini lorsqu'il sous-titre « Emir Kusturica dresse un tableau amuse des Vitelloni bosniaques »57. Nous ne pouvons pas faire de simplification en prétendant que Fellini est un réalisateur appartenant au néoréalisme italien. Cependant, la presse (généraliste ici) fait référence a une période ou les films de Fellini restaient encore fideles a la thématique néoréaliste : a savoir la description du petit peuple italien, des marginaux et de la vie de misere. Néanmoins il s'en écartait en grande partie par le regard poétique, mélancolique et onirique que ses films pouvaient retranscrire.

La presse spécialisée fait elle aussi ce rapprochement. Cependant, nous voyons apparaitre une différence de traitement significatif, incombant a la nature « spécialisée » de l'organe de presse. En effet, lorsque la presse spécialisée fait référence a d'anciens cinéastes ou courants cinématographiques, elle ne s'arrete pas a la simple évocation d'un nom qui ferait rentrer instantanément le cinéaste dans une tradition et une perspective historiques de son esthétique ou des sujets qu'il aborde. Prenons comme exemple la meme référence : celle a Fellini. L'article paru dans

58 Image et son nous explicite cet état de fait : lorsqu'on cite les références, le journaliste nous explique que l'humour du réalisateur peut faire penser « aussi aux premiers Fellini : Les Feux du music-hall et Le Sheik blanc pour la mythologie de la sous-culture populaire ». La presse spécialisée ne se contente pas, comme nous le voyons, de prononcer a qui voudra bien entendre des références a des réalisateurs plus connus, mais s'efforce d'expliquer en quoi certains aspects précis du film peuvent ramener le cinéphile a faire un rapprochement. D'ailleurs, le journaliste s'empresse d'ajouter que « ces references ont valeur purement indicative car Kusturica evoque plus le patronage de Vigo et de Renoir, et son talent est en tout cas profondement original ». Qu'en est-il de

56 Telerama fait ici référence au chef d’œuvre réalisé par Federico Fellini en 1973. 57 La aussi nous avons une référence au Vitelloni (ou les Inutiles) mis en scene par Federico Fellini en 1953. 58 Image et son, n°382, p. 24-25.

53 son parcours et des références qui s'attacheraient a celui-ci ? L'autre référence revenant avec récurrence se rapporte a certains cinéastes tcheques ou d'origine tcheque comme Milos Forman. Le Telerama du 9 octobre 1985 sous-titre L'As de pique59. Le meme magazine, deux ans plus tot, rapporte que le style du cinéaste se rapproche de Au feu les pompiers60 de Milos Forman. Le Pariscope du 23 mars 1983 parle meme du héros (Dino) comme étant le frere du héros de L'As de pique. On cite également Jiri Menzel, autre cinéaste tcheque dont Kusturica fut l'éleve a la FAMU de Prague. C'est d'ailleurs sous cet angle précis, celui du parcours du jeune cinéaste quece réalisateur est cité. On rentre désormais dans une autre famille de procédés qui touchent plus au réalisateur qu'au film lui-meme.

La presse spécialisée retrace elle aussi le parcours du jeune cinéaste ; la aussi, le traitement parait différent en raison de sa nature spécialisée. En effet, on note un apport de la presse spécialisée quant a la référence a Forman. Le nom du réalisateur tcheque n'est pas suggéré comme une finen soi, mais tend a donner au cinéphile les outils pour amorcer un rapprochement : « il {Kusturica} pratique un humour a la fois caustique et tendre qui peut faire songer a celui de Forman ». Pour renforcer notre hypothese concernant la destination de la presse spécialisée a un espace de réception fait de cinéphiles nous releverons ce bout de paragraphe du critique François CuelpourLe Cinematographe61 lorsqu'il écrit :

« Emir Kusturica retrouve et depasse l'ambiance des films tcheques de Milos Forman, cette sorte de grotesque documentaire melant dans une etonnante ambiguïte le slave et le socialiste, le desœuvrement et le stakhanovisme. Forman restait sur les points de frictions entre les vieux et les jeunes, les musiciens et les danseurs, les hommes et les femmes. La mise en scene, faussement candide, reportait sur chaque sequence tout l'energie accumulee par les precedentes. Emir Kusturica jeune realisateur yougoslave de vingt-sept ans soulage, lui, constamment son film avec un scenario classique. »

Nous voyons bien ici le souci d'expliciter avec précision toutes les références faites a telou tel cinéaste. D'ailleurs, ce n'est peut-etre pas une coïncidence si la presse spécialisée se rapporte beaucoup moins a des genres et des styles cinématographiques mais davantage a des cinéastes, ceci certainement pour guider avec plus de précision le lecteur cinéphile dans l'analyse d'un film.

b°) Papa est en voyage d'affaires : au-dela des références, une comparaison d'égal a égal

Il s'agit maintenant de voir comment les procédés de scénarisation relatifs a son parcours et ses influences ont évolués pour son deuxieme film. Nous relevons donc ceux que nous avons pu voir dans la revue de presse précédente quant a la construction médiatique de l'auteur et de ses œuvres. Établir en somme les premieres permanences qui suivent le cinéaste. Nous commençons a

59 Film de Milos Forman sorti en 1964. 60 Produit en 1967. 61 Le Cinematographe, n°88, p. 52.

54 cet égard a relever les références a son parcours, ses études a Prague et une influence de Forman dans son travail comme dans Le Figaro du 16 octobre. On remarque cependant que la référence aux cinéastes tcheques comme Forman ou encore Jiri Menzel (dont il fut l'éleve) sont moins fréquentes que lors de la médiatisation de son premier film. Le réalisateur, surement « confirmé » par ce deuxieme long-métrage ne fait plus l'objet d'un rappel quasi constant de ses études. La référencea Fellini s'invite également, comme dans la premiere revue de presse, dans le style du réalisateur. Mais cette fois-ci, on parle moins d'une influence, d'un hommage rendu a ce cinéma italien des années 1950, mais plus d'une patte qui appartient désormais au cinéaste. Le quotidien Liberation du 16 octobre commence a l'évoquer a sa maniere, en ne faisant plus passer la démarche esthétique du réalisateur comme l'hommage d'un jeune artiste en devenir mais comme un style qui colle a toute les époques et « a tous les cineastes des pays qui se battraient avec le fantome mal liquide de leurs annees cinquante. » D'ailleurs, certains journalistes s'essayent meme a comparer le talent du jeune réalisateur a ce celui d'un Fellini. Nous citons a cet égard Patrick Grainville et son article dans le VSD du 17 octobre ou il avoue a propos du film que « seul l'intimisme magique d'Amarcord de Fellini (lui) avait laisse une telle impression de sortilege et de quotidiennete. ». Nous avons pour le deuxieme film de Kusturica un changement de valeur quant aux comparaisons possibles. En effet, le cinéaste, désormais confirmé, est traité d'égal a égal avec ses influences et les auteurs quiles représentent.

2 – Jeunesse et talent a°) Un premier film « prometteur »

Comme nous l'avons dit plus haut, la presse a cité le parcours d'étude cinématographiquedu réalisateur que l'on peut lire dans le Liberation du 14 mars 1983, ou encore dans le Pariscope du 23 mars 1983. Si les journaux voient une certaine utilité a citer son parcours c'est en grande partie du au fait que Te souviens-tu de Dolly Bell soit son premier film et que le réalisateur soit particulierement jeune. Sa jeunesse, elle, en devient un qualificatif honorable et tres récurrent dans notre corpus. Citons a cet égard le Pariscope qui note le talent « qui ne peut que murir- de ce cineaste de 28 ans », le Telerama du 9 octobre 1985 « et il s'ameliorera en effet le jeune Kusturica » et celui du 12 mars 1983 « jeune cineaste de 28 ans » ou encore Liberation qui nous donne sans doute l'article le plus fourni sur le sujet en précisant la jeunesse du réalisateur et que son film est « extremement prometteur ». Ce qui permet a ces journaux d'insister sur la jeunesse du

55 réalisateur c'est aussi son accomplissement, dans le sens ou son premier film a reçu un premier prix tres prestigieux, qu'est le Lion d'Or de la Mostra de Venise. Autour de ce constat, c'est tout l'imaginaire du jeune talent venu d'ailleurs qui surgit. On ne fait pas encore de Kusturica un enfant prodige, certes, mais l'on insiste sur le fait que tout cela soit, comme le dit Liberation « prometteur ».

La presse spécialisée retranscrit elle aussi de façon constante la jeunesse du réalisateur. Jeune cinema62 est éloquent a cet égard : « Au festival de Venise 1981, la projection d'un premier film realise par un tout jeune Yougoslave s'achevait dans un delire du public ravi par ce qu'il venait de voir. Le jury emboîtait le pas pour attribuer a Emir Kusturica le Lion d'or pour la premiere œuvre. » La presse spécialisée comme la presse généraliste annonce le début tonitruant de la carriere d'un jeune réalisateur qui pouvait difficilement espérer mieux pour deux premiers films (Lion d'or pour le premier et Palme d'or pour le second). Le périodique Cinema63 de 1985, (a l'occasion de la ressortie dans quelques salles parisiennes de Te souviens-tu de Dolly Bell ? pendant la sortie en salle de Papa est en voyage d'affaires fraichement auréolé de la Palme), fait a cet égard l'étalage reluisant des récompenses du cinéaste et termine ceci par cette phrase :« C'est beaucoup, a 30 ans, en deux films. Trop ? » La presse généraliste, elle non plus, ne peut s'empecher de noter la jeunesse du réalisateur et de présenter cela comme la genese d'un cinéaste talentueux. D'un prodige ? La presse généraliste ne se cache pas de cet outil de scénarisation médiatique pourson deuxieme film.

b°) Papa auréolé : la naissance d'un prodige?

Nous avons vu dans la revue de presse précédente (celle concernant te-souviens tu de Dolly Bell?) que le cinéaste était souvent présenté comme jeune, prometteur. Qu'en est-il deux apres ? Est- il toujours considéré comme jeune ? Quelles sont les modalités de son appartenance a l'imaginaire du jeune artiste ? Comment sa « jeunesse » a-t-elle évoluée dans le discours médiatique ? Par quels nouveaux procédés ? En effet, la presse retranscrit d'une maniere quasi constante la jeunesse du réalisateur. Néanmoins, cette fois-ci, la presse ne mise plus sur lui comme étant un artiste en devenir, prometteur et capable de réaliser par la suite de grandes œuvres ; il est désormais confirmé, un jeune artiste qui vient de faire ses preuves en quelques sortes. La Palme d'or aidant, son droit d'entrée s'en trouve renforcé, et ceci par un des prix les plus prestigieux qu'un réalisateur puisse obtenir. On note souvent un rappel de sa récompense pour son premier film, ceci dans une dialectique tenant a replacer la jeunesse du réalisateur dans un procédé de scénarisation faisantde

62 Cf source : Jeune cinema, n° 150, p. 38. 63 Cinema, n°323, p. 4.

56 son parcours une sorte de « success story ». Le Point commence d'ailleurs son article par : « À 30 ans, Emir Kusturica nous donne un chef d'œuvre de deux heures et demi». Le terme est lancé, et le journaliste Patrick Besson [qui a des attaches familiales serbes], auteur de l'article, de rajouter : « Kusturica s'affirme cette fois-ci comme un artiste solide, reflechi, puissant, pour qui le cinema passe avant les idees et la vie avant le cinema. Il sait aussi nous emouvoir aux larmes, mais ça c'est de naissance. » C'est tres certainement L'Humanite qui nous donne par son titre, un des exemples les plus probants quant a la volonté de replacer la jeunesse de l'auteur dans la qualité de l'œuvre par ces deux mots : « L'enfant prodige ». La terminologie employée ici est d'une importance capitale. Non seulement elle renvoie a un imaginaire particulier qui est celui du « wunderkind », jeune se démarquant de son talent et a qui tout réussi ; mais elle contient une fin en soi dans la mesure ou le chercheur doit apprécier la pérennité de ce qualificatif dans les périodes qui seront étudiées parla suite. À ce stade la, le cinéaste rentre dans une sphere qualificative incombant aux grands artistes qui se sont vus découvert tot et ont été célébrés pour leurs œuvres, mais également pour la précocité de leur talent. Plus généralement, le cinéaste s'impose désormais comme un artiste reconnu et n'ayant plus besoin de faire ses preuves. En somme, il rentre par la dans le cercle des réalisateurs et artistes reconnus mondialement et ceci se fait largement ressentir dans l'évolution des procédés de scénarisation se rapportant a sa jeunesse et a son talent.

c°) Une jeunesse rattachée a l'œuvre : un procédé qui fait du créateur le sujet de sa création

Le paragraphe explicatif précédent s'attachait a cerner les procédés concernant la jeunesse du réalisateur. Nous avons vu que cette focalisation et le procédé qui en découlait constituaient un élément probant quant a la construction médiatique de son personnage et donc, que ceci amenait a détacher l'auteur de son œuvre. Cependant, nous prenons le choix d'apporter a cette sous-partie dédiée au theme de la jeunesse en prenant une sorte de contre-pied méthodologique au propos, mais qui, selon nous, devient d'autant plus pertinent. Ainsi, nous allons nous intéresser a la maniere dont la retranscription de la jeunesse du réalisateur a pu amener la presse a supposer d'autres éléments constitutifs de sa personnalité et de son passé. L'échantillon concerné est celui relatif a la revuede presse concernant Te souviens-tu de Dolly Bell ? En effet, nous voyons a certains moments une confusion entre l'œuvre et l'auteur. Finalement, si les journaux se sont efforcés de parlerde Kusturica comme étant l'homme derriere la caméra, certains procédés tentent de le faire basculerde l'autre coté. Prenons comme exemple le plus probant le Pariscope du 23 mars 1983 qui, juste apres avoir évoqué avec détail la trame, enchaine par « C'est ce qui est arrive au realisateur de ce film drole, amer, resolument autobiographique ». Cette confusion entre l'œuvre et son créateur est une

57 thématique récurrente, en particulier dans la philosophie de l'art, l'Esthétique etc... commele

64 déplore Jerome Savonarole : « Chaque peintre se peint en fait lui meme, comme on aime a le dire.

65 Dans la mesure ou il est peintre, il peint sa propre idee ». S'il est intéressant de voir une certaine perspective historique a ce procédé, il n'est pas de notre ressort, ni de celui de cette analyse d'aller plus loin dans ce domaine de la philosophie et de l'histoire de l'art. Cependant, si la presse généraliste comme le Telerama du 9 mars 1983, le Pariscope du 23 mars 1983 ou encore le Liberation du 14 mars 1983 s'efforce de rapprocher l'histoire personnelle du réalisateur avec celle du héros du film, c'est qu'elle pourrait représenter une information de plus (certainement supposée) sur l'auteur, sur son passé. En somme, les médias mettent en scene l'auteur dans son propre film pour y trouver, sans aucun doute, un intéret biographique, un témoignage... Comme si le cinéaste s'était confié a eux sans l'intermédiaire d'une interview ou d'un entretien, mais uniquement parle biais d'un procédé de scénarisation journalistique. Notre hypothese quant a l'utilisationdece procédé réside dans le fait qu'avant la médiatisation a Cannes pour son deuxieme film, Emir Kusturica n'a pas eu l'occasion de se voir interviewer par les médias français. En définitive, l'utilisation de ce procédé de scénarisation est tres certainement due au fait que les médias n'avaient pas de matiere a relayer provenant d'entretiens ou de témoignages réels. Ce procédé s'explique donc par le stade encore naissant de la médiatisation du réalisateur. d°) Les modalités du génie

Lorsqu'un jeune réalisateur inconnu remporte pour son premier film un lion d'or, pour son deuxieme une Palme d'or et pour son troisieme film le prix de la mise en scene et le prix Rossellini, les nombreux récepteurs de son œuvre sont en droit de se poser des questions sur la nature exceptionnelle de son talent. La notion de génie est intéressante a cet égard. Si l'imaginaire collectif a longtemps nourri des explications hagiographiques, les sciences sociales ont mis du temps pour se détacher des récits téléologiques faisant du génie un phénomene circonscrit et non un processus. Les cas de Mozart ou encore de Beethoven nous offrent des études intéressantes dans le sens ou nous disposons d'un regard sur ce qui a amené ses personnalités a etre considérée commedes génies. En somme, des études prenant en compte l'environnement social, institutionnel ou encore économique qui fut a meme d'enraciner le mot « génie » dans l'imaginaire que l'on a sur certains artistes. Norbert Elias66 ou encore Tia Denora67 nous expliquent que la haute société viennoise et en

64 Predicateur italien (1452-1498) 65 Cité par Hans BELTING in Image et Culte. Une histoire de l'art avant l'epoque de l'art. Trad. FR. Muller, 790 p. 66 ELIAS Norbert, Mozart. Sociologie d'un genie, Paris, Seuil, 1994. 244 p. 67 DENORA Tia. « Beethoven et l'invention du génie ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 110, décembre 1995. Musique et musiciens. {pp. 36-45.}

58 particulier l'aristocratie de cette ville fut le principal adjuvant a l'instauration d'un tel terme pour désigner le talent de ces artistes. Aussi, sans s'encombrer de trop d'analyses concernant la valeur esthétique de leurs œuvres, ces auteurs expliquent finalement que cette aristocratie est productrice de valeur.

Dans le contexte ou Emir Kusturica évolue, nous pouvons affirmer, sans prendre trop de risques, que l'institution productrice de valeur est assurément incarnée par les médias. Ainsi il s'agirait de voir a quel moment les médias utilisent ce terme et, surtout, de comprendre le processus qui permet a l'institution productrice de valeur de l'introduire en toute légitimité. Notre postulat de départ consiste a dire que dans tous processus, il y a des étapes. Quelles sont-elles ?

Pour Emir Kusturica, la premiere serait de l'ordre de la ''surprise''. Si les médias sont en majorité d'accord sur l'obtention de sa Palme d'or on note cependant une petite tendance a présenter l'obtention de cette récompense dans un certain registre de l’« inattendu ». Les Échos introduisent leur article de cette maniere en précisant qu' « A Cannes, ce fut vraiment la surprise. Ce « petit film » projete {...} ». Le Quotidien de Paris du 16 octobre en fait meme le titre de son article : « La surprise et la Palme de Cannes ». Ainsi, nous avons la une trace d'un procédé de scénarisation se réjouissant qu'un « petit pays » avec un « petit film » (un outsider en somme) ait gagné une récompense aussi prestigieuse. Nous relevons également l'entete duQuotidien de Paris (16 octobre) : « Avec son premier film Te souviens-tu de Dolly Bell ? il obtient un Lion d'or en 1981. Avec le second Papa est en voyage d'affaires aujourd'hui sur les ecrans, il decroche la Palme d'or 1985, la gloire de Emir Kusturica, jeune cineaste yougoslave, naît au moment ou meurt Orson Welles. » Les journaux veulent faire de cette récompense l'avatar du début de la gloire de ce jeune artiste rentrant dans la sphere des grands personnages du 7e Art (comme la référence a Orson Welles nous le montre bien). Mais c'est pour son troisieme film que les médias vont réellement commencer a utiliser le terme de « génie ». Ainsi, Le Quotidien de Paris68 lors du festival de Cannes 1989 admet qu' « on ne resiste pas a son charme et a son genie ». L’Évenement du jeudi69 utilise aussi ce terme lorsqu'il dit que « le genie du cineaste c'est d'avoir compris {...} ». La télévision nous offre également ce procédé se rapportant au génie. Prenons comme exemple l'émission de Thierry Ardisson Lunettes noires pour Nuits blanches, précédemment citée comme cadre producteur d'une certaine idée du vedettariat. Apres avoir parlé du film de Kusturica (Le Temps des Gitans), apres avoir évoqué son parcours, des nombreuses récompenses dans un laps de temps restreint et de ses nouveaux projets, le journaliste et créateur de l'émission, apres avoir demandé son age, finit l'interview sur cette question : « Tu crois que tu es un genie ? ».

68 Édition du 17 mai 1989. 69 Édition du 16 novembre 1989.

59 On comprend ici que les médias sont créateurs de la valeur « génie » incombant a un artiste. Pour autant, les modalités d'utilisation de ce terme ne se font pas sans un certain processus qui s'établit dans le temps. Pour notre sujet d'étude, nous avons vu que le terme génie a été précédé des qualificatifs de « prometteur » pour son premier film, lui meme évoluant pour son deuxieme dans le registre de la « surprise ». Son troisieme, qualifié pour certain de « prodigieux » entre autres termes dithyrambiques, n'a pu qu'ouvrir la voie a l'utilisation du terme génie pour celui qui en a la paternité. Le terme génie ne prend pas, a notre sens, sa valeur dans le cadre de son film en 1989, mais plus dans le cheminement réceptif « sans fautes » qui l'a amené jusque la. En d'autres termes, c'est davantage l'imaginaire entourant son parcours qui justifie l'utilisation de ce terme, que la qualité ponctuelle du Temps des Gitans.

3 – Un artiste avant-tout yougoslave a°) Les références au cinéma yougoslave dans la médiatisation du premier film.

Déja, lors de la médiatisation de son premier film, nous voyons apparaitre le nom de Slobodan Sijan et son film « Qui chante la-bas » (Ko to tamo peva70 en serbo-croate) dans La Vie Ouvriere (7 mars 1983), Le Pariscope (23 mars 1983), Revolution (25 mars 1983) ou encore Liberation (14 mars 1983). Certains articles ne s'en tiennent pas uniquement a vouloir faire un rapprochement entre ces deux films mais parlent délibérément d'un nouveau cinéma yougoslave a part entiere, reconnaissable en somme. La Vie Ouvriere mentionne a cet égard qu'« Emir Kusturica s'inscrit dans cette lignee » (en parlant des derniers films yougoslaves en date). Telerama (9 mars 1983) rapproche les deux films pour parler d'un « renouveau certain dans le cinema yougoslave ». Revolution (25 mars 1983), dans la meme veine, parle de ce film comme étant « une bonne occasion de decouvrir le cinema yougoslave dans ce qu'il a actuellement de meilleur ». Ainsi, plus que l'ancrage du film et donc de son auteur dans une lignée et un mouvement cinématographique, ce procédé de scénarisation mis en place par la presse traduit-il une volonté explicite de vouloirse référer au cinéaste comme un artiste, avant tout, yougoslave. Si ceci pourrait paraitre comme un détail, la construction médiatique de l'artiste et les imaginaires l'entourant s'en trouvent bouleversés puisque désormais, l'imaginaire que l'on a d'une région géographique particuliere (La Yougoslavie et les Balkans) rentre inéluctablement en ligne de compte lorsque l'on cite et visualise Emir Kusturica.

70 Sorti en 1980.

60 b°) Papa est en voyage d'affaires : Une appartenance nationale qui va au-dela des simples références cinématographiques.

En ce qui concerne les revues de presse relative a Papa est en voyage d'affaires, nous avons la aussi quelques références. L'Humanite du 14 mai nous rappelle Qui chante la-bas de Slobodan Sijan. Cependant, nous notons un changement important dans la maniere dont Kusturica est impliqué face au cinéma de Sijan. En effet, lors de la médiatisation de Te souviens-tu de Dolly Bell ? on montrait un jeune Kusturica admiratif presque, ou au moins inspiré par l'œuvre du cinéaste. Désormais, on le traite d'égal a égal, comme nous le prouve L'Humanite du 16 octobre lorsqu'il précise que « Kusturica peut meme etre, avec Slobodan Sijan, considere comme le chef de file du renouveau d'un cinema fonde sur le realisme et sur l'acteur ». Cependant, la grande nouveauté de ce procédé qui consiste a inscrire l'auteur dans une tradition et une perspective historiques de ses œuvres et de son style réside dans la combinaison avec un autre procédé déja utilisé auparavant. Rappelons-nous que l'origine du cinéaste est citée dans la quasi-totalitédes articles. C'est un auteur, certes, mais un auteur yougoslave, qui s'inscrit dans un cinéma yougoslave. La nouveauté, donc, réside dans la maniere dont les médias expliquent le « ton » particulier qu'adopte le réalisateur, et ceci en le reliant, non pas a une tradition cinématographique mais tout simplement a son appartenance nationale. Éclaircissons ce propos par quelques citations rencontrées ci et la dans l'échantillon. L'article de Telerama paru le 16 octobre nous parle de cette particularité quant au tempérament qu'ont les « cineastes de l'Est, d'evoquer des situations sinistres en n'en montrant que les aspects touchants ou risibles ». Serait-ce une référence au stéréotype de l'humour slave ? Le Monde du 17 octobre nous aiguille encore davantage dans cette direction lorsqu'il affirme qu' « Emir Kusturica se definit comme le cineaste du sud-est de l'Europe. Ce qui correspond a la position geographique et politique de la Yougoslavie et a une exceptionnelle disposition culturelle. {...}le temperament slave se matine d'exuberance latine. Avec sa tendresse et son amertume melee, son sens aigu de la caricature et de la chaleur humaine, ses ruptures de ton {...} ». Cet article est d'ailleurs la suite d'un article exclusif de Danilo Kis, écrivain yougoslave, traduit pour l'occasion. L'écrivain en profite pour parler du contexte politico-historique, en qualité, on l'imagine, de témoin de l'époque de son pays. La démarche du journal Le Monde est significative puisque l'organe de presse admet, par cette collaboration, qu'un compatriote du réalisateur serait sans doute un atout pour relayer la production de ce dernier. Ceci devient dans notre analyse l'exemple le plus probant quant a la volonté des médias pour parler de Kusturica comme étant un Yougoslave, sa nationalité influant son travail et l'image que les médiateurs ont de lui. Du reste, en appelant un écrivain

61 yougoslave au lieu d'un critique de cinéma reconnu comme tel, Le Monde pourrait paraitre davantage intéressé par son appartenance nationale que par son œuvre.

Le média télévisuel n'échappe pas a la regle. En effet, une source nous est tres révélatrice de cette tendance a vouloir médiatiser le pays par le biais de l'auteur et vice-versa. Dans le Mini

71 Journal de TF1 du 21 mai 1985 (programme destiné a la jeunesse), l'information de départ relate la Palme d'or du festival de Cannes 1985. Mais cette information de base comme prétexte a la médiatisation, va mener, non seulement a un portrait (comme le nom de la source l'indique) du cinéaste ayant remporté la Palme, mais également a un reportage sur la Yougoslavie.Cette séquence-reportage est, en terme de durée, la séquence la plus longue de la source. Finalement, on en serait presque amené a en déduire que la Palme d'or et Emir Kusturica n'ont été que des illustrations secondaires pour le principal objet médiatisé qui est ici la Yougoslavie. En effet, sans transition aucune, le journaliste va expliquer au jeune téléspectateur ou se trouve ce pays, combien d'habitants la composent, qui a été son chef emblématique, et dans quelles situations économiques, diplomatiques, géopolitiques et sociales se trouvent désormais cette république fédérale.

c°) La voix de la Yougoslavie

Pour ce qui est du médium radiophonique, nous relevons, la aussi, la volonté de situer Kusturica comme un artiste avant tout yougoslave. Sa provenance, si elle est informative, fait donc également office de procédé de scénarisation dans le sens ou elle renvoie a des imaginaires et a des codes de représentations. On voit dans l'interview de notre source pour 1985 que le journaliste profite de la venue de Kusturica pour parler de la situation yougoslave actuelle comme si la seule provenance de l'artiste était suffisante pour légitimer l'expertise. Bien sur, cela se fait par le biais de questions relatives au tissu historique du film (les années 50, le schisme Tito/Staline et les emprisonnements abusifs dans des camps de travaux forcés). Cependant, le réalisateur se fait inviter pour parler de la situation politique actuelle, comme si il était un expert politique et économique. À partir de la, nous voyons qu'il devient une sorte de porte parole de circonstance des affaires yougoslaves ; ceci étant du, tres certainement, a la rareté des informations relatives au pays en question. Ainsi, l'interview de Kusturica, dans une émission destinée a l'actualité cinématographique (MicroFilms) devient-elle le prétexte a un condensé de médiatisation pour la Yougoslavie toute entiere, a savoir : un précis historique, la situation actuelle, le cas particulier des musulmans a Sarajevo « en ces temps d'extremisation d'un islam devenant plus fondamentaliste » (selon les termes du journaliste). Finalement, en plus de son film, de sa Palme, le cinéaste est uniquement

71 Cf source : Portrait Emir KUSTURICA / MINI JOURNAL / 21/05/1985 / 00:01:28

62 invité parce qu'il est Yougoslave. Pour appuyer notre propos, nous relevons le choix des interludes sonores choisis par les producteurs de l'émission MicroFilms en 1985. En effet, l'interview, qui dure environ 40 minutes est entrecoupée d'intermedes musicaux a l'accordéon. Sans etre spécialiste, nous reconnaissons instantanément le folklore musical des Balkans. Aussi, cet intermede pourrait etre une référence au morceau joué a l'accordéon par le frere du protagoniste du film, mais il n'en est rien : l'intermede a été choisi par les producteurs pour coller a un univers, a fortiori a une région géographique particuliere faisant appel a un imaginaire, a un folklore, a des stéréotypes.

La deuxieme et derniere source relative au découpage de cette période illustre également cet état de fait. Effectivement, nous nous retrouvons au festival de Cannes 1992, année qui voit Arizona Dream sortir sur les écrans français. L'émission est un duplex ou l'on retrouve Jean Luc Hees qui invite Spike Lee et Emir Kusturica (cette fois ci le nom de famille est correctement prononcé) pour la partie magazine en fin d'émission. Ces deux personnalités ne sont pas invitées en premier lieu pour parler cinéma mais davantage pour promouvoir l'association « Cinema et Liberte ». Du reste, Spike Lee en vient a parler d'un événement qui défraya la chronique : le passage a tabac de Rodney King et les émeutes de Los Angeles qui suivirent l'acquittement des policiers responsables. Kusturica prend ensuite la parole a la suite d'une question de Jean-Luc Hees voulant savoir si un rapprochement entre ce qui se passe a Los Angeles et ce qui se passe a Sarajevo est possible. Kusturica y va de son ressenti et de ses convictions face a cette guerre de Yougoslavie qui commence, en cette année 1992, a prendre des proportions dramatiques. Pas un mot sur son film pendant la grande majorité de l'interview : Kusturica est avant tout invité pour donner son avis sur le conflit Yougoslave.

En étant la voix de la Yougoslavie, Emir Kusturica (et sa médiatisation) amorce un tournant qui se révélera, on s'en doute, significatif quant a la construction de son personnage. En effet, bien avant les combats qui éclateront la Yougoslavie, les médias montrent d'ores et déja leur penchant a médiatiser tout un pays et sa situation via le « prétexte » d'un artiste et de ses oeuvres

4 - Début d'une « starification » paradoxale et son évolution a court terme

Aborder le phénomene de la starification n'est pas une chose aisée. D'une part, c'est un phénomene récent, d'autre part il doit se jumeler avec l'histoire du vedettariat en général, ainsi qu'a l'histoire des médias. Finalement, le vedettariat artistique, tel que nous le voyons évoluer

63 aujourd'hui, prendrait ses racines au XIXe siecle, particulierement a la fin de ce siecle. Sarah Bernhardt représente a bien des égards, sinon la premiere, la genese symbolique de ce processus éminemment culturel. Le développement de l'industrie cinématographique et Hollywood, les mouvements musicaux Pop-Rock, l'ere des nouveaux médias et la « peoplisation » : le XXe siecle constitue, pour sa part, un champ d'étude aussi vaste dans les exemples qu'étriqué dans le temps lorsqu'il s'agit d'aborder cette question du vedettariat. Les médias et les technologies de communication ayant évolué, nous sommes en droitde nous demander en quoi Emir Kusturica, en ces années 1980,1990, représente ou non un avatar de la starification des artistes de cette époque ? Comme nous l'avons dit, les médias sont une institution productrice de valeurs. Si nous avons orienté la majeure partie de notre propos autour de l'expertise culturelle ainsi qu'autour des nombreux procédés de scénarisation, nous remarquons a la fin de notre période un débutde starification. Qu'entendons-nous par starification ? Pour etre synthétique, nous proposons de définir ce phénomene par la place laissée, dans toute production médiatique relative a un artiste, a des éléments informatifs ne relevant que peu, ou aucunement, de son travail, de ses productions. Ajoutons a cela une autre condition, ceci afin de ne pas greffer des procédés de scénarisation qui tomberaient malencontreusement dans cette définition : les médias relayent une information relative a la vie privée de l'artiste, ou du moins, habillent une information relevant d'une activité publique, pour la faire passer comme une donnée de la vie privée. À cet égard, nous proposons un exemple probant. Emir Kusturica est un guitariste et un bassiste aguerri. Membre du maintenant célebre Emir Kusturica and the No-Smoking Orchestra (issu de Zabranjeno Pusenje), le cinéaste a connu une carriere de musicien parallelement a sa carriere de cinéaste. À partir de 1986, il rejoint donc ce groupe sarajevien extremement populaire et connu en Yougoslavie pour des tournées qui rencontreront beaucoup de succes. Pour autant les médias préferent se cantonner a l'expression d'un hobby, d'une activité personnelle appartenant a la vie privée. La presse relate ouvertement dans de nombreux articles cette « activité annexe » comme nous le montre Le Quotidien de Paris du 15 novembre lorsqu'il termine son article par « Aujourd'hui Kusturica vit au Etats-Unis : il a enseigne le cinema a la Columbia et n'est pas presse de rentrer en Yougoslavie. Il n'y a rien de definitif dans ses projets, il parle d'un crime et chatiment.{...}, de reprendre son projet d'apres Andric ; il continue a pratiquer le foot, et a jouer de la musique, quand il est en Yougoslavie, dans son groupe – façon Clash. » On remarque ici plusieurs indices. Le premier serait la place de ces informations dans l'article : en effet, on suppute que ce paragraphe ne contient pas d'information capitale pour la compréhension de la substance de l'article, traitant davantage du film. Ensuite, l'enchainement des données implique certainement la

64 volonté du journaliste d'énumérer des renseignements pour que le lecteur ait une connaissance plus complete et totalisante du cinéaste. Ensuite, la hiérarchisation des renseignements : la musique arrive derriere le fait qu'il pratique le football, en amateur. Cet article exprime par conséquent la volonté du médium a placer une activité, que l'on qualifierait a bien des égardscomme professionnelle, dans le domaine de l'amateurisme ; ceci pour les besoins relatifs a l'ajout de données privées et, donc, a la starification. La télévision nous offre peut-etre le meilleur exemple. L'émission de Thierry Ardisson que nous avons citée plus haut illustre bien cet état de fait. D'emblée, le cadre de l'émission assimile Kusturica a une certaine idée du vedettariat. La premiere partie de l'interview est consacrée au film et a son activité de réalisateur professionnel. Cette partie dure 3 minutes. Ensuite, apres un extrait promotionnel de son film qui s’apprete a sortir dans les salles françaises, la deuxieme partie de l'interview est principalement consacrée a des sujets relevant davantage de sa vie privée ; en somme, des bonus pour qui compte considérer ce cinéaste comme une personnalité médiatique détachée de son activité principale. Mais ce qui nous prouve définitivement, au dela du cadre conceptuel de l'émission, qu'il s'agit bien la d'une production médiatique offrant une visibilité « starificatrice », c'est la durée de la deuxieme partie de l'interview, sensiblement plus étendue que la premiere : 5 minutes. Thierry Ardisson, juste apres l'extrait, lui pose des questions concernant son passé de footballeur semi-professionnel a Sarajevo durant sa jeunesse. Ensuite, il embraye sans transition aucune sur son activité de musicien « et tu faisais du Rock aussi ? ». La question n'est pas de savoir si il es toujours guitariste dans Zabranjeno Pusenje mais davantage d'appuyer une autre information relative a sa vie privée, a toutes les composantes qui apporteraient substance au personnage médiatique, a la vedette. Que cela soit dans la place de cette question dans la dichotomie de l'interview, dans le fait que le journaliste utilise l'imparfait, ou encore dans le « et » introduisant la question, plaçant ce hobby au meme niveau que son ancienne activité sportive : tout concorde a dire que le médium s'efforce a banaliser et a transformer (pour l'heure) la véritable carriere musicale de l'artiste en un élément de sa vie privée. La radio n'est pas en reste et offre également de son coté une preuve de volonté de starification. Comme nous l'avons expliqué plus haut, Emir Kusturica se fait inviter au coté de Spike Lee sur un duplex présenté par Jean-Luc Hees72. Apres que le cinéaste est intervenu en tant que membre « star » d'une association, l'animateur décide de conclure l'interview sur une note promotionnelle en expliquant que Kusturica, vivant aux États-Unis, nous revient avec un film en anglais. Il omet completement la trame du film et, apres avoir discuté des conditions de productions

72 Cf. notre source représentant l'année 1992 dans notre corpus radiophonique.

65 que permet l'industrie américaine, enchaine sur le casting fourni de stars. Johnny Deep, Jerry Lewis, Faye Dunaway, Lili Taylor et Vincent Gallo pour ne citer qu'eux : le film ne se fait pas promouvoir pour sa trame, son « pitch » en quelque sorte, mais uniquement par le biais de sa distribution. Ainsi s'amorce un questionnement sur le début d'une installation permanente de la figure de l'artiste comme star a part entiere dans le paysage médiatique français. Aussi pouvons-nous suggérer l'association de son statut avec celui du vedettariat international (a l'image de la distribution de son film). Cette starification s'amorce principalement au moment de la sortie en salle du Temps des Gitans et, a fortiori, au moment ou les dispositifs promotionnels et critiques sont clairement visibles. Pour illustrer de maniere concrete cette starification nous allons prendre un média qui ne se prete pas d'emblée a la starification autant que la télévision : la presse d'opinion. Le journal Liberation, on le remarque au fil de notre chronologie, nous propose un bon nombre de source, la plupart contenant des critiques tres positives, pour ne pas dire dithyrambiques, des films du cinéaste. Cependant, un certain article du journal révele un procédé nouveau, presque étonnant lorsqu'il s'agit d'un journal d'opinion. L'édition du 15 novembre, nous propose un dossier de quatre pages sous la rubrique « cinéma ». Le dossier est composé d'un article traitant du film et d'un reportage écrit et photographié. Si l'information principale consiste en une critique du film, elle n'en occupe pas la place qu'on pourrait pensé. En effet, sur ces quatre pages, la critique ne prend qu'un peu plus de la moitié d'une page, laissant le reste au reportage. Mais de quoi traite ce reportage ? Agrémenté de photo, il est titré « Emir Kusturica est en voyage d'affaires » et nous présente le séjour de Kusturica en France dans ce qu'il a de plus quotidien. Avec le style rythmé et parfois familier que l'on connait a certains journalistes de Liberation, le quotidien n'hésite pas a faire un portrait «people» du cinéaste. Son arrivée a Roissy, sa détention par les douaniers français (cequi n'échappe pas au journal qui apporte son sens de l'humour au cocasse de la situation), son flegme et sa fatigue blasée avant l'interview de Thierry Ardisson (également mentionnée et détournée),son physique (« Il a change. Un petit peu. Maigri. Coupe ses cheveux. »), ou encore des photos de lui dans un bistrot parisien ou bien dans la demeure d'un de ses amis artiste dans le Vexin normand, rien n'échappe au quotidien qui, pour le coup, s'adonne a un exercice paparazzi qui pourrait dérouter. La seule explication qui nous viendrait a l'esprit face a ce format que l'on connaît peu a un journal d'opinion serait sans aucun doute due au statut de l'artiste en question et de ses œuvres. Finalement, s'adonner a un exercice aussi people (on pourrait penser a Paris Match ou bien VSD) pour un journal d'opinion se légitime par le statut « d'auteur », de cinéaste renommé dans le sérail du bon gout et de la critique cinématographique de haut vol. En somme, si la presse est productrice de valeur par sa réception critique, le cinéaste devient lui aussi, grace a son capital artistique, un

66 vecteur de légitimation d'un format qui n'incombe pas de fait a ce genre de journal. Afin d'apporter une perspective a ce processus de starification nous pouvons appréhender comment les « spécialistes » réagissent a la reconnaissance, a la nouvelle visibilité accrue d'un auteur étranger. Le 20 mai 1985, quelques minutes apres la cérémonie, Richard Tripault annonce

73 dans son édition du Soir 3 la remise de la Palme d'or. Nous avons affaire a un duplex mettant en scene les commentaires d'Henri Chapier qui est l'un des critiques de cinéma incontournable de la télévision française a cette époque la. Le présentateur entend, avant le duplex avec Chapier, montrer quelques extraits du film. La séquence promotionnelle terminée, le journaliste introduit le duplex qui va suivre par une question mettant un point d'orgue sur le fait que tous les critiques se soient trompés et que « le jury a reserve une belle surprise ». Henri Chapier approuve mais continue son propos en disant que Kusturica n'est pas un inconnu pour « nous autres, disons, les specialistes » puisqu'il l'avait découvert déja en 1981 a Venise. On notera sa façon personnelle et phonétiquement accentuée a vouloir prononcer comme il se doit (et de le faire comprendre par son intonation) le nom du réalisateur. On comprend clairement que Chapier se détermine, comme la presse spécialisée, en opposition avec les médias généralistes. Finalement, ce qui pourrait n'etre qu'une petite querelle de vanité entre journalistes spécialisés et médias généralistes tendant a une pluslarge audience, traduit en réalité un procédé de médiatisation tres important. En effet, si les journalistes ''spécialistes'' ressentent le besoin de mentionner qu'ils avaient découvert Kusturica bien avant la médiatisation de sa Palme, c'est une maniere de vouloir s'approprier une sorte d'exclusivité officieuse et purement dialectique de l'œuvre et du réalisateur. Comme si, en leur qualitéde spécialistes et de premiers ''découvreurs'' de l'œuvre du réalisateur, doit leur incomber a eux seulsla pertinence de l'expertise culturelle concernant un artiste rentré dans un cadre de médiatisation plus vaste qu'auparavant. Ce procédé est intéressant dans le sens ou nous voyons que cette Palme d'or, préfigure de nouvelles modalités de médiatisation, ou en tout cas, un nouveau statut médiatiqueet une nouvelle visibilité médiatique pour l'auteur. Désormais, Kusturica n'est plus juste un sujet de conversation et d'évaluation pour des spécialistes mais une figure médiatique et télévisuelle destinée a une réception élargie.

73 Cf Source : Palmares du festival de Cannes : extrait de Papa est en voyage d'affaires, Soir 3, 3, 20 mai 1985.

67 OUVERTURE Le début de la réception d'une attitude couplée à un positionnement politico-artistique Les prémices de la complexification d'un personnage médiatique

Pour aussi bien clore qu'ouvrir cette partie, nous proposons l'analyse d'un procédé qui, si il apparait de maniere discrete dans ce premier découpage temporel, anticipe l'évolution protéiforme d'un cinéaste se faisant médiatiser pour plus que son cinéma. Le festival de Cannes 1985, qui l'a primé par la récompense supreme, a été le théatre d'un brouillage de visibilité. En effet, quelque jour avant l'annonce du palmares, le jeune cinéaste était reparti en Yougoslavie pour, dit-il, aider un ami a réparer sa chaudiere. Par conséquent, lors de la remise de la Palme, celui qui avait la paternité du film acclamé n'était meme pas présent pour recevoir la récompense. Le prétexte de son absence n'est pas passé inaperçu aupres des médias qui ont relayé a l'unisson l'attitude quelque peu oséede ce jeune réalisateur. Éclaircissons ce propos par des citations trouvées ça et la. Le Matin du 16 octobre 1985 nous propose peut-etre l'article le plus intéressant puisqu'il cite Kusturica comme ressemblant « a ces pionniers d'autrefois, insensibles aux pressions et aux honneurs mais obsede par un art qu'il a vu evoluer en meme temps que lui ». Le meme quotidien insiste sur le fait qu'il ne soit pas resté a Cannes lors de l'annonce de sa récompense puisqu'il était « convaincu que le sort du cinema se jouait ailleurs, sur un plateau, derriere une camera, dans la solitude au moins ». Le focus sur le tempérament du cinéaste continue en faisant de lui quelqu'un de peu a l'aise dans la promotion et les fastes qu'oblige le métier : « il en serre encore le poings ». Ce procédé de scénarisation est tres important dans le cadre d'une étude des imaginaires entourant l'artiste. En effet, nous voyons la un exemple significatif de l'idéal de l'artiste libre, ne cédant pas aux paillettes et aux pressions. Aussi, il s'agirait de voir comment le principal intéressé navigue et use de ce trait de caractere dans sa médiatisation, du moins celle ou il est directement impliquée par un entretien. Liberation (16 octobre) dédie une double page et l'entretien le plus long du corpus relatif a Papa est en voyage d'affaires qu'il titre de cette maniere « Entretien avec Kusturica, cineaste entete ». L'artiste déclare des le début de l'entretien :« il n'est pas beaucoup dans ma nature de communiquer. J'ai compris a present que je suis en train de faire la partie la plus epuisante de mon travail de metteur en scene ». Tous ces exemples sont révélateurs d'un attrait des médias pour retranscrire l'imaginaire de l'artiste libre et enteté. Notre hypothese s'étendrait donc également au fait que le réalisateur lui-meme est au courant de cet imaginaire sur lequel il joue. À cette attitude vient se coupler des déclarations au positionnement politico-artistique intéressante. La réputation du festival de Cannes suggere des films en compétition ayant été sélectionnés

68 pour des qualités s'alignant sur un cinéma d'auteur grand-public. Il est intéressant de voir icide quelle maniere Kusturica, avec son film primé, s'inscrit dans cette logique de cinéma d'auteur et comment le médium radiophonique retranscrit cet état de fait. Dans notre premiere source, nous notons qu'il s'inscrit lui-meme dans un cinéma d'auteur. La maniere avec laquelle il entreprend cette démarche est indirecte. En effet, il commence par expliquer au journaliste qu'il est contre le cinéma de genre qu'il associe au cinéma industriel et aux super-productions hollywoodiennes. En plus du diktat du film industriel qui menacerait dangereusement les petites chances qu'il reste au cinéma d'etre toujours un « Art », Emir Kusturica poursuit sa mise en garde en expliquant que toutes les nouvelles vagues en Europe ce sont éteintes si bien que les films artistiques sont rares et les grands cinéastes trop vieux et mourant petit a petit (Orson Welles est mort le jour ou l'interview est réalisée). Par ce constat alarmiste, le cinéaste entend amorcer une dichotomie claire et prononcée entre une industrie du box-office écrasant le cinéma artistique et indépendant. Il ne s'agit pas icide disserter sur le bien-fondé de ce constat mais davantage de prendre en compte cechoix sémiologique du cinéaste. Ce choix consiste a établir le postulat d'un combat d'un David contre un Goliath surpuissant. Bien évidemment, l'exposé de Kusturica donne comme principale conclusion au récepteur une idée qui n'a meme pas été énoncée clairement : Emir Kusturica est un artiste réalisant un cinéma d'auteur5. Cette conclusion s'entend dans l'intertextualité du discours, puisque si le cinéaste tend a dénoncer un cinéma de genre qu'il n'aime pas, qu'il associe a une industrie particuliere (Hollywood) et qu'il vient sur un plateau pour parler et promouvoir son film primé a l'occasion du plus grand festival international de cinéma (du 7e art dira-t-on), c'est pour s'affirmer comme artiste et auteur. Cette dichotomie que l'on pourrait presque qualifier de « marxisme artistique » s'exprime également lors de la sortie de son troisieme long-métrage en1989. Cependant, ce n'est plus le cinéaste qui doit directement s'exprimer sur cette idée, ce sont les médias qui relayent sa vision du cinéma, son schéma opposant deux mondes artistiques, deux conceptions du 7e art. Ainsi peut-on lire dans Le Quotidien de Paris74 : « Et le cineaste transpose son sujet au plan du cinema : une societe qui ne croit plus au cinema, a l'imaginaire, a la puissance d'un certain cinema non infeode aux modeles narratifs hollywoodiens, c'est une societe qui perd son ame. ». Le journaliste d'un quotidien qui n'a pas de ligne politique clairement définie a gauche75, reprend en quelque sorte une dialectique marxiste, faisant de l'industrie culturelle actuelle et de ses enjeux un bouillon propice a une lutte entre deux entités, deux classes, deux idées du cinéma... On est en droit d’émettre l'hypothese que la personnalité et les idées clairement énoncées auparavant par l'artiste ont une incidence sur la façon dont certains journalistes définissent la place des films de Kusturica

74 Édition du 15 novembre 1989. 75 Ce quotidien aujourd'hui disparu, fondé par Philippe Tesson en 1974, proposait une ligne éditoriale polémiste mais diverse, rassemblant des journalistes axés aussi bien a droite que des journalistes plus a gauche.

69 dans le paysage cinématographique actuel, ceci d'un point de vue économique et culturel. Notre hypothese consiste finalement a voir en ces deux procédés (le mythe de l'artiste libre et peu enclin aux paillettes, et celui concernant la dichotomie des deux idées du cinéma) des données qui, si elles apparaissent peu liées lors de cette période, seront constitutives de l'image que l'on aura du cinéaste plus tard. Aussi, voit-on s’échafauder, plus qu'une attitude, maisun positionnement politico-artistique se couplant a une esthétique particuliere. L'objet des deux prochaines parties consistera, en partie, a comprendre l'installation de ce personnage artistique alternatif, un peu punk, un peu reveur, un peu marxiste, un peu anarchiste, un peu nationaliste, un peu violent, un peu attendrissant. En somme, la complexification d'un statut médiatique.

70 DEUXIÈME PARTIE Le temps de la polémique

71 Le temps de la polémique

Polémique (n. f ) : du grec « πολεμικός » polemikos, « qui concerne la guerre », « disposé a la guerre », désigne une discussion, un débat, une controverse qui traduit de façonviolente, passionnée, des opinions contraires sous toutes especes de sujet.

Underground, considéré par beaucoup comme le grand-œuvre du cinéaste a été présenté en compétition officielle au festival de Cannes 1995. Il y remporta d'ailleurs la Palme d'or, faisant d'Emir Kusturica, un des trois réalisateurs (a l'époque) de l'histoire du cinéma ayant bénéficié de cette double distinction. Ce film retrace 50 ans de l'histoire de la Yougoslavie. De l'invasion allemande jusqu'au démantelement sanglant que l'on a connu dans les années 90, tout y passe,y compris la période titiste et la mort de ce dernier. Quelque temps apres l'annonce du palmares couronnant le film, certains journalistes et intellectuels français contesterent vivement la décision du jury et/ou la vision du cinéaste, a l'instar d'Alain Finkielkraut qui, sans avoir vu le film, initia la polémique. Apres des réponses allant dans le sens contraire de ces analyses, la polémique gonfla, partageant dans les médias les pro-Underground aux anti-Underground en fonction des affinités idéologiques de chacun et de l'actualité brulante des Balkans.

Que reprochait-on a Emir Kusturica ? De façon générale c'était son refus de vouloir traiter des questions de la guerre d'ex-Yougoslavie avec le prisme convenu et en vigueur établi par la médiatisation du conflit. Son refus de diaboliser les Serbes, par exemple, comme étant l'unique source du conflit, lui a attiré les foudres de certains journalistes et penseurs qui y ont vu une sorte de négationnisme des crimes et de complaisance avec le régime de Milosevic. Plus spécifiquement, la polémique a été rythmée par certains détails. Le choix des archives au début du film constituait l'un des griefs : le cinéaste a choisi trois archives montrant l'arrivée des nazis en Yougoslavie. La premiere nous proposait Maribor (Slovénie) accueillant les Allemands comme de réels libérateurs, la deuxieme montrait Zagreb également en liesse. La troisieme quant a elle, était tournée dans le centre de Belgrade, vidé, purgé de ses citoyens qui ne se sont pas déplacés pour voir le spectaclede l'invasion et de l'occupation Allemande. Du reste, le financement du film a fait enfler la polémique puisque la célebre Ciby2000, société de production française, dirigée par Jean-François Fonlupt et appartenant au groupe Bouygues, aurait, selon les médias, contrevenu a la loi en vigueur pendant un embargo. En effet, le film aurait été financé de 2% a 5% par la télévision serbe, jugée responsable, selon les observateurs de l'ONU, d'avoir attisé la haine des Serbes envers les autres peuples et composantes de l'ex-Yougoslavie. Notre entretien avec le célebre producteur nous éclairera sur les

72 réelles conditions de production.

Ici nous analyserons les modalités de fonctionnement d'une polémique. Que cela soit le contexte - aussi complexe soit-il - dans lequel elle prend forme, dans ses structures d'expressions médiatiques, son contenu ou encore sa survivance dans d'autres temporalités, le battage médiatique ayant entouré le sacre cannois et la sortie en salle sera disséqué avec soin et rigueur.

Chapitre III - Un contexte nourrissant la polémique : la guerre d'ex-Yougoslavie

À la maniere d'une mise en abime linguistique, la polémique Underground a pris ses racines dans un contexte de guerre : celle de l'ex-Yougoslavie. Avant d'appréhender la polémique dans son déroulement, il est indispensable de faire un précis sur cette guerre en particulier et son théatre bosniaque (le plus sanglant), ainsi que sur sa médiatisation dans les médias français.

A°) Le déroulement de la guerre

1 - La Slovénie

État fragilisé par une crise économique et par des sursauts nationalistes et sécessionnistes dans les républiques qui la composent, la Yougoslavie devient entre 1989 et 1991 une nation qui couve un véritable tremblement de terre. Il est délicat de définir un réel casus belli, cependant nous savons a quel moment les premiers tirs furent échangés. À la suite de la déclaration d'indépendance de la Slovénie le 25 juin 1991, le gouvernement fédéral, mené par Ante Markovic, envoiedes douaniers et des gardes-frontieres accompagnés de petits détachements de l'armée pour rétablirun controle sur les postes-frontieres slovenes qui retenaient depuis quelques mois tous les revenus douaniers. Ces frontieres représentent un enjeu considérable en ces temps de crise économique76 puisque c'est par la Slovénie que rentrent la plupart des marchandises venues de l'Europe occidentale. Pour certains spécialistes comme Paul Garde, cet envoi de l'armée est une« agression commise contre un peuple pacifique ». Pour d'autres, les colonnes de la JNA composées uniquement de jeunes recrues inexpérimentées avançaient en position de repos et non de combat. Les autorités slovenes, averties a temps, firent ériger des barricades d'ou l'on ouvrit le feu : 40 soldats fédéraux périrent tandis que seulement 6 a 18 morts furent a déplorer du coté slovene.Les

76 GARDE Paul Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard,‎ 12 janvier 2000, 482 p.

73 opérations se poursuivirent pendant pres de deux semaines, faisant des dégats modérés et peude pertes. L'armée fédérale s'en retrouve fortement déstabilisée par, d'une part le fiasco organiséde cette campagne considérée comme un « entrainement », d'autre part par l’hémorragie causée par la fuite des soldats de nationalité slovene vers la république fraichement indépendante ainsi quela confiscation de nombreux matériels militaires restés en Slovénie. Enfin et surtout, la déclaration d'indépendance de la Croatie, qui emboite le pas de la Slovénie le meme jour, prend au dépourvu une armée fragilisée.

2 - La Croatie

Parler de dépourvu serait presque trop naïf vu les bouleversements constitutionnels et leurs conséquences qui ont agité la république de Croatie. En effet, depuis 1989 et les changements occasionnés par la chute des régimes communistes dans l'est de l'Europe, la Yougoslavie autorise le pluripartisme. Cette libéralisation de façade n'a été possible qu'avec la poussée des mouvances Franjo Tuđman nationalistes déja présentes et renforcées au sein de la ligue communiste yougoslave. C'est ainsi qu'est créé le HDZ77 (Hrvatska Demokratska Zajednica), parti politique croate clairement axé vers l'autonomie, si ce n'est l'indépendance, avec a sa tete le futur premier président de la République de Croatie : Franjo Tuđman. En avril 1990, pendant la tenue des premieres élections libres, le HDZ remporte la majorité des suffrages et compose son gouvernement avec les communistes réformés du parti social-démocrate de Croatie. Deux mois apres, le 30 mai 1990, le nouveau parlement croate tient sa premiere session. Le président Tuđman annonce la rédaction d'une nouvelle constitution (ratifiée a la fin de l'année) et des changements économiques, politiques et sociaux qui suivront en conséquence. La minorité serbe s'inquiete pour ses droits dans ce nouvel État a majorité croate, en particulier dans la région de la Krajina ou cette minorité représente a certains endroits une majorité. Le statutdes Serbes passe de « composante de la nation » a « minorité ». Cette décision alimente l'extrémisme des Serbes de Croatie car elle semble renier les droits qui leur avaient été accordés par la précédente constitution socialiste. Malgré le fait que la nouvelle constitution stipule que les Serbes auront les meme Slobodan Milosević

77 Union démocratique croate

74 droits et devoirs que les Croates, un remaniement important des personnalités a la tete d'institutions clés a lieu et rejette certains haut-placés a cause de leur appartenance nationale etdeleur surreprésentation. Aussi, de nombreux fonctionnaires de polices (une des professions exercées traditionnellement par les Serbes) se retrouvent remplacer en raison de leur nationalité. La peur de se retrouver citoyen de seconde zone trouve également écho avec l'hostilité instrumentalisée par la propagande des nouveaux pouvoirs en place. La propagande serbe n'apaise pas non plus les consciences puisqu'elle pousse les Serbes de Krajina a se déclarer autonome. Cette demande d'autonomie, qui pourrait se voir justifier par la prédominance d'une ethnie dans une géographie restreinte, est clairement sujette au rattachement a la « Grande-Serbie », vision pan-serbe que les nationalistes serbes dont Slobodan Milosević sont proches. Cette propagande « Grande-Serbie » se confronte avec la vision (a l'historicité dérangeante) de Tuđman qui veut redessiner les frontieres intérieures de la Croatie en disant que « tout le peuple croate doit etre compris dans les frontieres historiques et naturelle de la Croatie78 ». Cette déclaration fait inévitablement écho al’État indépendant de Croatie des Ustase79 s'étant étendu en Bosnie actuelle aux frontieres d'une Serbie sous occupation allemande et ayant été a l'origine d'un génocide de pres de 390 000 serbes, 19 800 juifs80 (et ce nombre ne tient pas compte des déportations dans les camps allemands) et autres dizaines de milliers de tziganes. Le combat parait inévitable et les tensions inter-ethniques débouchent sur les premiers échanges de tirs entre la minorité serbe s'attaquant aux forces de police croate. La minorité serbe soutenue et, certains leaders diront plus tard instrumentalisée par Milosević, s'organise en mouvements sécessionnistes. Face a cela, la Yougoslavie (si on peut encore parler de Yougoslavie) n'arrive pas a dépasser les paralysies constitutionnelles qui l'amenent meme a ne pas avoir de chef d’État et de commandant en chef pendant un moment. La mort de la Yougoslavie est programmée et offre inévitablement un cadre a une escalade de la violence. Apres un référendum organisé le 19 mai 1991 pour l'indépendance de la Croatie et son boycott de la part de la minorité serbe, la JNA commence des opérations d'envergure en Croatie81. Elle controle un peu moins d'un tiers du territoire croate (les zones ou les Serbes sont majoritaires principalement). L'embargo est décidé par la communauté internationale mais cela touche davantage les Croates (qui feront recours a la contrebande pour s'armer) que la JNA qui, malgré la vétusté de certaines pieces d'artillerie, chars de combat et avions de chasse, garde un arsenal considérable. C'est principalement pour cette raison que, meme si guerre il y a eu, il n'y a jamais eu de déclaration formelle puisque, d'une part Tuđman ne pensait pas vaincre une telle armée sans l'aide internationale motivée par

78 Hrvatski Tjednik 29 novembre 1989. 79 Franciser sous le terme « Oustachis » 80 HILBERG Raoul, La Destruction des Juifs d'Europe, éd. Gallimard, 2006, t. II, p. 1317 et 1331 81 GARDE Paul, Vie et mort de la Yougoslavie ; Paris, Fayard, 1992 ; 2eme éd., Paris, Fayard, 2000, 482 pages

75 certaines informations pour le moins biaisée, et d'autre part, parce que la Yougoslavie ne pouvait déclarer la guerre a une composante de son pays (a savoir la république autonome de Croatie). L'un des premiers massacres notables et crimes de guerre sera celui de Vukovar ou pres de 250 blessés d'un hopital périront dans un assassinat méthodique perpétré par des milices serbes et autorisé par certains haut gradés de la JNA. La commission Badinter est mise en place par le Conseil des ministres de la CEE pour mettre fin a l'escalade de violence. L'ONU impose un cessez- le-feu début 1992, mais ce dernier ne sera que partiellement respecté et entrainera l'implication au sol de forces onusiennes chargées de faire respecter les mesures prises par la communauté internationale. L'année 1993 est marquée par une reprise des hostilités et s'illustre par les avancées croates acculant les Serbes dans leurs retranchements. Avec le début de la guerre de Bosnie, le conflit devient de plus en plus trouble mais tend a une résolution en faveur de la République de Croatie. Si Tuđman s'entend d'abord dans une alliance avec les Bosniaques venant récemment de déclarer eux aussi leur indépendance vis-a-vis de la Yougoslavie, il s'accorde secretement avec Slobodan Milosević pour un futur partage de la Bosnie au profit des deux nations belligérantes. La fin du conflit entre Croate et JNA/Serbes de Croatie se démarquera par l'opération tempete 82 « Oluja » qui verra le déplacement en moins de 3 jours de pres de 200 000 civils serbes. Ce nettoyage ethnique sera également entaché de crimes de guerre qui verront la mort de 214 civils selon les autorités croates a 1 200 selon les associations de victimes serbes.

3 - Le théatre bosniaque

Le théatre bosniaque est a tout point de vue le plus sanglant. Ce paroxysme de violence s'explique via plusieurs facteurs. D'une part, la Bosnie se trouve au centre la Yougoslavie, prise en tenaille entre les deux grandes puissances yougoslaves, a savoir la Serbie et la Croatie. Du reste, dans la guerre de nationalités qui a vu se diluer l'état yougoslave dans des conflits identitaires, la Bosnie représente une hétérogénéité géopolitique, culturelle et ethnique. Si cette hétérogénéitéfut citée comme un espoir par certains, elle fut aussi la cause malheureuse des crimes et des velléités territoriales exprimées par les deux puissances attenantes. C'est ainsi que la province autonome de Bosnie, qui ne désirait pas participer a cette guerre sous l’étendard de l'armée yougoslave, déclara elle aussi son indépendance officiellement (par le biais du parlement de Bosnie et apres référendum) le 5 avril 1992. Si elle pense s'engager uniquement dans un Alija Izetbegovic 82 Ordonnée par Franjo Tuđman et perpetrée par les forces croates du 4 au 7 aout 1995.

76 combat contre l'armée fédérale yougoslave, supplantée rapidement par les milices serbes, elle doit aussi faire face aux Croates de Bosnie faisant sécession officiellement le 6 juillet 1992 et déclarant officieusement la guerre. Ainsi, les sécessionnistes bosniaques, mené par Alija Izetbegovic organisent, autant que faire se peut, une armée hétéroclite composée d'anciens professionnels de la JNA, de civils dévoués ala cause de l'indépendance, ainsi que de mafieux et membres de la pegre de Sarajevo etde moudjahidin venant principalement d'Afrique du nord et du Moyen-Orient. La Bosnie n'est donc plus seulement le théatre d'un conflit opposant un état central avec des provinces séparatistes mais dérive tres rapidement dans une opposition entre ethnies, et par extension entre milices irrégulieres ayant parfois le soutien des autorités centrales. L'importante part des Serbes, principalement au nord et a l'est de la Bosnie crée sa propre entité : la République serbe de Bosnie. Sous la présidence d'un certain Radovan Karadzic, elle entend également déclarer son indépendance face au régime bosniaque qui voit émerger a sa tete le président Alija Izetbegovic. Le conflit connait tres rapidement une escalade des hostilités marquées par une violence inouïe, que l'on pouvait croire comme révolue. Plus de trois années de combat vont suivre, de 1992 a 1995. L'armée des Serbes de Bosnie, commandée par Ratko Mladic, s'empare progressivement des principales villes a l'ouest de la Bosnie, (hors Sarajevo) ou les villes sont peuplées en partie par les Serbes afin de pratiquer des méthodes d'épuration ethniques contre la population bosniaque musulmane. Les efforts de la communauté internationale sont sans aucun résultat. Le plan de cantonalisation du territoire, tenant compte des différences ethniques et proposé par les diplomates José Cutilheiro et Peter Carington est finalement rejeté par Izetbegovic ainsi qu'en 1993 le plan Vance-Owen. Malgré l'envoi de plus de 38 000 soldats de l'ONU, 167 hommes de la FORPRONU sont tués et la force armée internationale se voit devant un échec cuisant, n'ayant pas les mandats et autorisations nécessaires pour faire respecter la paix et les cessez-le-feu. D'importants massacres et épurations ethniques ont eu lieu de chaque coté des belligérants. Les plus efficaces ont tres certainement été mené par les milices serbes83 qui ont réussi a éclipser dans les médias internationaux, les crimes perpétrés par les autres parties. La guerre de Bosnie se termine donc dans le sang et donne lieu aux accords de Dayton. Ces derniers mettent fin d'une part, au conflit opposant les forces bosniaques aux forces serbes et, d'autre part, au conflit opposant les forces bosniaques aux forces croates qui ont tenté avec l'accord

83 À l'image de celui de Srebrenica en juillet 1995 (8000 morts et disparus environ).

77 de Tuđman84 de rattacher la Herzeg-Bosna85 a l'État croate. Cet accord entérine l'indépendance bosniaque dans une partition en deux entités ethniquement homogenes.

B°) Des racines troubles : ébauche chronologique d'une arborescence de la haine

1 - La naissance d'une idée, l'accomplissement d'un état par la guerre

L'analyse de cette polémique doit inévitablement contenir au préalable, une préface explicative du conflit. Elle doit également faire un éventail des causes d'une guerre qui s'inscrit dans une chronologie trouble et profonde. En effet, les principales raisons de cette polémique touche a l'historicité d'Emir Kusturica et sa volonté d'expliquer, selon son point de vue, l'histoire de la Yougoslavie. Il est tres délicat d'exposer ici un précis, tant la rigueur requise devrait s'échelonner sur des ouvrages entiers. Néanmoins, nous pouvons traiter des arguments que le cinéaste a voulu exprimer dans son film qui a défrayé la chronique. Commençons par rappeler tres brievement le statut de la Yougoslavie. A l'opposé de l'état-nation, la Yougoslavie est avant tout une « idée » qui a germé au XIXe siecle dans certains cercles d'intellectuels, tant Serbes que Croates. Cette idée d'alliance de peuples doit se comprendre dans un contexte ou les Balkans sont sujet a la domination ou a des velléités territoriales exprimées par les puissances et empires attenants. L'alliance de ces peuples qui, en ce contexte de dominations extérieures, trouvaient davantage de point communs dans leurs cultures respectives que de dissensions, fait naitre dans un premier temps le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovenes. Rebaptisé par la suite Royaume de Yougoslavie, cet état voit naitre une dictature royaliste réprimant d'ores et déja les volontés autonomistes des Macédoniens et Croates (principalement) ainsi que la montée du communisme. Pendant la seconde guerre mondiale, (période que Kusturica va porter a l'écran dans son film et qui provoquera une partie des réactions de cette polémique), la Yougoslavie se voit démantelée. Les Italiens prennent le sud de la Slovénie avec Ljubljana, la Dalmatie, le Monténégro ainsi que le

84 Le président croate et le président serbe Slobodan Milosević se sont d'ailleurs rencontrés a Karađorđevo en Voïvodine des le 30 mars 1991. L'accord secret du meme nom de cette localité était motivé, selon le proche conseiller de Tuđman a ce moment la et présent lors de la rencontre, par le partage de la Bosnie entre les entités serbes et croates. 85 Les leaders de l'union démocratique croate en Bosnie (notamment Mate Boban) publient en 12 novembre 1991 déja un document déclarant que « Les Croates de Bosnie-Herzégovine doivent s'atteler a une politique décisive et active dans le but de réaliser notre reve vieux de plusieurs siecles : un État croate commun ».

78 Kosovo et l'ouest de la Macédoine. Les Allemands s'emparent du nord de la Slovénie. L'État indépendant de Croatie (NDH) qui inclut la Bosnie et la Sirmie est créé et, libre, devient un allié de l'Allemagne Nazi. La Serbie sous occupation Allemande est ramenée a ses frontieres d'avant 1912, amputée du Kosovo et de la Voïvodine annexée par la Hongrie. En Croatie, les Allemands offrent d'abord le pouvoir a Maček, chef du Parti paysan, majoritaire. Ce dernier, membre du gouvernement en exil décline la proposition, mais rentre néanmoins en Croatie et reconnait le nouvel "État indépendant" désormais aux mains d'Ante Pavelič, chef du parti d'extreme-droite des oustachis. La hiérarchie catholique, avec l'archeveque de Zagreb Mgr Stepinac a la meme attitude de collaboration active. Ces ralliements s'expliquent par le fait que la Yougoslavie représentait pour la plupart des Croates un état oppresseur et que l'indépendance de la Croatie répondait a leurs vœux86. Cependant, derriere cette « circonstance atténuante », l'État oustachi commence a soumettre les Serbes a un génocide planifié plus d'un semestre avant que les nazis aient décidé d'appliquer la « solution finale » aux juifs d'Europe. On distingue aussi que le génocide oustachi se distinguait par des méthodes exceptionnellement bestiales et primitives87 a l'opposé de la toute aussi terrifiante industrialisation du crime préférée par les nazis. Dans cette entreprise, les oustachis parviennent meme a attirer habillement certains musulmans des couches inférieures de la société bosniaque avant qu'elle soit elle-meme atteinte par les conséquences du crime. Au total, on estime 550 000 Serbes, 20 000 Croates, 90 000 Bosniaques (Musulmans), 60 000 Juifs, 50 000 Monténégrins ainsi que 30 000 Slovenes victimes du régime oustachi88.

2 - Tito, ou comment diluer les ethnies et les frontieres dans l'identité yougoslave

À la fin de la guerre, les résistants communistes menés par Josip Broz dit Tito, préférés aux monarchistes Tchetniks serbes de Draza Mihajlovic par Winston Churchill, liberent Belgrade le 20 Octobre 1944 et infligent aux Allemands leurs dernieres défaites (dernier combat en Europe de la Seconde Guerre mondiale) le 14 et 15 Mai 1945 a la bataille de Poljana. La Yougoslavie est reformée sous le nom de République fédérative socialiste de Yougoslavie (SFRJ) avec le camarade Tito a sa tete. Cette refonte du pays s'inaugure dans un nouvel équilibre entre ses composantes. Dans un premier temps, Tito s'appuie d'abord sur les Serbes qui sont traditionnellement les plus

86 GARDE Paul, Vie et mort de la Yougoslavie ; Paris, Fayard, 1992 ; 2eme éd., Paris, Fayard, 2000, 482 p. 87 Ibid : Page 75 – 76 : Paul Garde mentionne d'ailleurs le fait que ces souvenirs traumatisants sont souvent la principale explication des comportements « actuels » (a savoir la guerre d'ex-Yougoslavie) 88 Cette estimation a été faite dans a la fin des années 1980 par un historien serbe Bogoljub Kocovic et un historien croate Vladimir Serjavic dans le cadre de leur ouvrage commun : Gubici stanovnistva Jugoslavije u drugom svjetskom ratu.

79 unionistes des Yougoslaves, face aux tendances autonomistes des Slovenes et des Croates. L'influence des Serbes culmine avec la nouvelle Constitution de 1963 qui voit les musulmans, auparavant apparentés comme Serbes ou Croates comme composante de la nation. La nouvelle Constitution crée également le poste de vice-président fédéral au profit d' Aleksandar Rankovic, Serbe tres en vue, également chef des services secrets. Il devient ainsi le n°2 du régime et semble a tous l’héritier d'un Tito vieillissant. Mais au cours de l’été de 1966, les non-Serbes de la direction de la Ligue des communistes le privent de sa charge de chef des services secrets et de sa fonction de vice-président. Une réelle politique de brassage et de décentralisation industrielle voit le jour mais commence a éveiller les sentiments nationaux. En 1971, la politique « titoïste » opere un revirement de souveraineté en donnant aux républiques davantage de prérogatives, laissant l'état fédéralases fonctions régaliennes89. Désormais, les nominations se faisaient localement. En 1974, la Serbie se retrouve divisée par un découpage méthodique de la Voïvodine et du Kosovo comme provinces autonomes. Ce découpage, qui pour les historiens est une volonté d'affaiblir la prédominance des Serbes (aussi bien démographiquement qu'institutionnellement), sera énormément instrumentalisée par les nationalistes, en particulier Milosevic qui annulera cette « inéquité » et rétablira la Serbie dans ses frontieres administratives d'avant 1974 en 1989. Il y a donc un processus d'étatisation des Républiques qui disposent désormais de leurs propres « services de défense ». Le milieu des années 1970 inaugure d'ores et déja une situation d'égalité précaire qui, en voulant taire les nationalismes, ne fait finalement que les exacerber tout en leur donnant les moyens d'agir par la suite.

3 - Des réveils adaptés aux haines qui sommeillaient

Tito décede en 1980. La fédération étant déja vidée de ses prérogatives au profitdes républiques et ce depuis les constitutions successives que l'on a mentionnée auparavant, c'est au tour du parti, garant de l'idéologie, de subir la meme évolution, puisque la multiplication de l'autonomie des états va aussi multiplier les futurs partis et les courants d'idée qui s'immisceront dans le parti unique90. La société yougoslave et ses appareils politiques connaissent des 1981 une crise quinefera qu'amener la guerre des années 1990. A cet égard, les apparatchiks du Parti, se calqueront idéologiquement aux courants de pensées nationalistes pour conserver leurs privileges et leurs

89 FELICE Micheline, « Le sentiment national dans la Yougoslavie de Tito. » In: L'Homme et la societe, N. 109, 1993. Sciences sociales et travail. pp. 3-18. 90 KOSANIC Zoran, « Aux origines du conflit yougoslave : 1980-1992 », Balkanologie, Vol. III, n°2 / Décembre 2004 [En ligne], mis en ligne le 20 janvier 2010. URL : http://balkanologie.revues.org/543. Consulté le 30 juin 2014.

80 statuts91. Ajoutons a cela la décrédibilisation de l'idéologie socialiste qui s'appuyait sur la révélation des tares du régime mis en place par Tito. Cette libéralisation de façade n'était en fait qu'une mise en valeur de l'ethnocentrisme, relayé non seulement par les médias (désormais régionalistes, aux mains des républiques) mais endossé également par les nouvelles personnalités politiques clés au sein des républiques et du parti. Les populations, au travers de ce revirement du discours pour expliquer la crise et les situations d'échec dans laquelle se trouvait la Yougoslavie, vont s'en prendre moins a des ennemis invisibles agrégés aux structures de cet état mourant qu'aux autres nations de l'espace yougoslave. Des lors, les républiques se retournent les unes contre les autres. Enfin, sous couvert d'implanter la démocratie, les élections pluripartites n'ont en fait que pérennisé l'ancienne nomenklatura qui s'est reconvertie dans le mensonge politique, la glorification des passés et l'appel a la haine.

C°) Un traitement médiatique particulier : la violence en prime-time.

1 - Antécédents médiatiques: une évolution du traitement de la violence

La guerre d'ex-Yougoslavie et en particulier son théatre bosniaque a fait l'objet d'une couverture médiatique singuliere, se distinguant par sa scénarisation et sa monstration dela violence92. Mais pour comprendre réellement cette singularité, qui sera dénoncée par le cinéaste et qui plongera l'opinion et les médias dans l'incompréhension alimentant la polémique, il faut s'exercer a une perspective historique des traitements médiatiques entourant les guerres. Pour ce qui est de la retransmission par image de la violence de guerre a la télévision, il faut attendre la guerre du Viet-Nam et certaines séquences devenues célebres montrant des villages entiers brulés sous le napalm et provoquant la mort ou l'exil de populations. La guerre d'Algérie, antérieure a celle-ci93 pose plus de probleme puisqu'une censure pese lourdement sur la diffusion d'image prouvant la violence de cette guerre. Selon Benjamin Stora, historien spécialiste du Maghreb, « le transistor fera vivre la guerre d'Algerie au quotidien avec peu d'images », mais « la

91 L'étude récente de Jović (Dejan), Jugoslavija - Država koja je odumrla. Uspon, kriza i pad četrvte Jugoslavije (Yougoslavie – l'État qui s'est désagrégé. Ascension, crise et chute de la quatrieme Yougoslavie), Beograd : Samizdat B 92, 2003, qui met l'accent sur l'aspect idéologique sincere de la société yougoslave et de son élite, mérite cependant toute notre attention tant du point vue méthodologique que de son approche novatrice de la crise yougoslave. 92 À cet égard, voir l'ouvrage de CHARAUDEAU Patrick, La television et la guerre. Deformation ou construction de la realite ? Le conflit en Bosnie (1990-1994), Bruxelles, INA-De Boeck Université. (Coll. « Médias-Recherches ») L'auteur insiste particulierement sur cette terminologie de « monstration » de la violence de guerre en introduction 93 Nous prenons ces deux guerres et leurs traitements médiatiques comme premiers référents puisqu'elles sont le cœur d'un ouvrage de référence de STORA Benjamin : Imaginaires de guerre.

81 television inventera la guerre du Viet-Nam »94. Inévitablement, on se pose les questions relatives aux roles qu'ont les médias dans la couverture d'une guerre : comment ces derniers rendent-ils la guerre visible (ou non) ? Comment produisent-ils des images ou des imaginaires distordus ? Comment influencent-ils l’opinion par la représentation de la violence ? La guerre du Golfe, qui est tres rapprochée de celle de Yougoslavie par sa proximité dans le temps, inaugure une rupture dans la conception de l'information traitant d'une guerre. L'armée américaine se devait de controler l'information par des pools, briefant les journalistes sur ce qui les attendait. Aussi, c'est la premiere fois que l'on a parlé d'attaques chirurgicales, faisant de cette guerre une guerre sans mort apparente, (alors que la réalité était loin d'etre aussi ''propre''). Dansce mensonge scénarisé, les médias ont inconsciemment joué le jeu d'une propagande del'armée américaine visant a faire passer cette guerre pour « juste », au nom de la communauté internationale et du « droit »95 . Ainsi, la guerre de Bosnie, s'inscrit déja dans un contexte de retransmission médiatique trouble, sujette a une tendance a la désinformation, a la scénarisation : en somme, a l'ébauche d'un récit distordant la réalité.

2 - La guerre en Bosnie : scénarisation et construction du réel ?

La médiatisation de la guerre de Bosnie représente a bien des égards un objet d'étude intéressant tant dans l'exacerbation de la construction d'un réel facilement identifiable et décryptable que dans des modalités nouvelles. Tout d'abord, la guerre d'ex-Yougoslavie prend ses racines, comme nous l'avons démontré plus haut, dans une histoire trouble menant inexorablement a son démantelement. Pour autant, les médias ont nourri un mythe de l'accidentel, de quelque chose qu'on ne pouvait pas prévoir. Aussi ont-ils arboré l'image d'un agresseur contre une victime démunie (roles respectivement tenus par les Serbes d'un coté et les Bosniaques musulmans de l'autre) pour asseoir finalement une conduite éditoriale simplificatrice menant a la diabolisation de l'Autre96. Cette couverture médiatique qui a d'ailleurs mis la violence de la guerre a l'image et ce, chaque soir pendant pres de trois années dans le cadre de journaux télévisés s'expliquent via plusieurs facteurs.

94 STORA Benjamin, Imaginaires de guerre. Les images dans les guerres d’Algerie et du Viet-nam. Paris, Éd. La Découverte, coll. Essais, 2004, rééd., 258 p. 95 Les ouvrages de Marc Ferro L'information en uniforme et de Dominique Wolton War Game sont éloquents a cet égard 96 CHARAUDEAU Patrick, La television et la guerre. Deformation ou construction de la realite? Le conflit en Bosnie (1990-1994). L'auteur explique dans le premier chapitre de son ouvrage « La télévision et l'autre-étranger » que les figures médiatiques de l’Autre, dans sa construction diabolisée, empechent toute approche raisonnée sur les origines des conflits, les enchainements causaux et l’irrémédiable face auquel la réaction ne peut que s’imposer, par la force armée, la diplomatie ou l’action humanitaire

82 Tout d'abord la nature meme du média télévisuel d'information. Les avancées technologiquesdes années 1990 quant a la retransmission rapide d'image, ainsi que les formats courts et concis des journaux télévisés ne laissent d'emblée pas énormément de place a l'analyse posée et réfléchie. L'information télévisuelle doit en outre se définir dans une position paradoxale, tiraillée entrela nécessité d'etre « solvable » et le besoin d'etre « juste ». A cette raison tenant plus de la nature du média s'agrege une explication circonstancielle propre a l'Europe et au contexte institutionnel et politique de construction européenne. Rappelons-nous qu'en 1992, l'Europe est en proie a un débat autour du traité de Maastricht. La France, tete de proue de cette construction n'a pourtant pas l'assurance d'un « OUI » majoritaire dans l'optique du référendum voulu par François Mitterrand. Une allocution du président sur Antenne 2 le 1er Juillet 1992 est éloquente : « l'Union europeenne rend toute guerre impossible entre ceux qui la constituent, et comment ne pas songer a cela au moment ou se reveillent a l'est de l'Europe tant de rivalites sanglantes, de haines ancestrales. D'un cote l'Europe qui s'unit, de l'autre celle qui se dechire dans d'atroces convulsions ». C'est a ce moment précis que la violence des images commence a s'implanter durablement dans le traitement médiatique du conflit yougoslave. On peut donc raisonnablement apporter cetteraison circonstancielle comme influant sur les mentalités journalistiques et sur l'opinion. Enfin, certaines révélations cyniques nous laissent pantois, presque désemparé. Citons Bernard Kouchner qui dans son ouvrage autobiographique Les Guerriers de la paix97, avoue par le biais d'un entretien avec Alija Izetbegovic que les camps serbes n'étaient finalement pas des camps d'exterminations. Sans minimiser les conditions terribles dans lesquels les internés devaient vivre, ils justifient ce « petit » mensonge98 qui a été utilisé dans une campagne publicitaire de Médecins du monde, par la réponse d'Izetbegovic disant : « Oui, l'affirmation etait fausse. Il n'y avait pas de camp d'extermination quelle que fut l'horreur des lieux. Je pensais que mes revelations pourraient precipiter les bombardements ». Aussi, les déclarations de James Harff, directeur de Ruder Finn, appuient cette déformation de la réalité dans les médias. Ce dernier a déclaré travailler, moyennant rétribution, pour la Croatie, la Bosnie et l'opposition kosovare. Sa mission consistait a promouvoir la cause de ses clients en faisant circuler des informations compromettantes sur les Serbes, sans se préoccuper nécessairement de leur véracité. En choisissant soigneusement ses cibles : parlementaires, presse, groupes de pression, James Harff se félicite dans un entretien teinté d'un cynisme pour le moins répugnant que son coup de maitre a été de renverser l'opinion des associations juives américainesa priori hostiles aux Croates et aux musulmans bosniaques marqués respectivement par le passé 97 KOUCHNER Bernard, Les Guerriers de la paix. Du Kosovo a l'Irak ; Grasset, 2004, 475 p. 98 Rappelons l'utilisation de cette « donnée erronée » dans des campagnes publicitaires massives de Médecins du monde alliant une image de ces camps avec un mirador d'Auschwitz. Le résultat de cet alliage est, on s'en doute, sujet a l'assimilation d'une partie des belligérants et, a fortiori d'un peuple, avec les nazis et les génocidaires de la seconde guerre mondiale.

83 fasciste de l'état Oustachis et par les écrits islamistes du leader musulman99.

3 - À la violence d'une guerre répond la violence d'un engagement.

La monstration de tant de violence, qui a caractérisé cette médiatisation, a également eu ses conséquences. En effet, parallelement a l'information continue qui arrivait de Bosnie, des cadres d'expression mettant en scene les analyses et les réactions de certaines personnalités intellectuelles et médiatiques se sont développés. Ainsi, la télévision (principalement) s'attachait a supposer la réception de ses propres sujets et a la médiatiser tout autant que les ''faits''. L'engagement mis en scene fut porté a l'écran par le biais des discours de personnalités telles que Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy ou encore André Glucksmann, et faisant partie (pour les deux derniers cités)du courant des nouveaux philosophes. Cet engagement était avant tout une réponse a la violence de la guerre et s'est, y compris, traduit dans la production culturelle comme l'atteste le film Bosna! écrit, réalisé et interprété par Bernard-Henri Lévy100. La présence de ces intellectuels se traduisait aussi bien dans le cadre de journaux télévisés que dans des émissions culturelles (comme Bouillon de Culture), des émissions politiques (L'Heure de verite101) ou encore des émissions de débats comme Le Cercle de minuit102. La visibilité médiatique pour leurs discours dépassait donc un cadre dédié. Ces discours étaient caractérisés par une véhémence, sinon une violence de l'engagement utilisant une rhétorique binaire pour parler du conflit. Ces intellectuels n'étaient pas forcément habilités a réellement décrypter les causes et les méandres historiques sous-jacentes. Pour autant, en leur qualité d'intellectuels et donc d'autorité morale, ces « experts » de circonstances ont mené une croisade médiatique et politique pour influer sur les décisions diplomatiques françaises, en particulier concernant la possibilité d'un bombardement sur la Serbie. Ils en sont allé jusqu'a créer une liste politique pour se présenter aux élections européennes de 1994 sous le nom de « la liste Sarajevo » ayant pour but principal d'accélérer un processus militaire en faveur de la Bosnie. L'argumentaire majoritairement utilisé se référait a l'inhumaine violence des massacres perpétrés,

99 Ces révélations sont contenues dans l'ouvrage polémique et « politiquement incorrect » de Jacques Merlino Les verites yougoslaves ne sont pas toutes bonnes a dire. A cette époque rédacteur en chef adjoint de la rédaction de France 2, l'auteur couvre le début du conflit ainsi que la conférence de Geneve organisée par l'ONU pour un traité de paix en 1993. Il menera ainsi une enquete de plus d'un an qui le conduira aux États-Unis (d'ou la rencontre avec James Harf) ainsi qu'aupres de Simone Weil qui, elle aussi, a décidé de quitter une commission d'enquete suite a ses réserves concernant la partialité de cette derniere. Cet ouvrage fut mal reçu de la part de ses confreres journalistes qui voyait dans cette investigation une maniere de dédouaner les crimes commis par les Serbes. Rappelons que notre intention n'est nullement comparable. 100 La réalisation est également signée Alain Ferrari (1994) 101 Bernard-Henri Lévy est invité le 15 mai 1994 a l'occasion de la sortie de son film Bosna ! 102 À cet égard nous notons l'émission intitulée « Spécial Bosnie » datant du 28 février 1996.

84 selon eux, exclusivement par les Serbes, « ces massacreurs qui ont des couteaux103 » (comme le dit André Glucksmann), et pronait une violence légitime de l'armée pour les arreter. Les arguments pour recourir a la guerre se limitaient a ce devoir moral et humain et également a une considération démocratique puisqu'ils affirmaient que l'intervention armée était le désir des peuples européens. Il est donc important de mentionner cette implication visible et la teneur des discours de ces intellectuels éminemment médiatiques puisqu'ils seront les meme a créer la polémique eta alimenter sa visibilité dans les nombreux médias qui l'hébergeront.

Ainsi, on comprend dans cette contextualisation la direction éditoriale que va prendre ce conflit aux yeux du monde, en particulier en France. Dans l'utilisation d'un imaginaire relatif a la seconde guerre mondiale, dans le mythe de l'accidentel, ou encore dans l'évocation des codes du roman populaire faisant «des gentils » et «des méchants » absolus104, la médiatisation de la Yougoslavie dans sa chute sanglante fait déja la promesse d'une polémique.

La polémique entourant le film d'Emir Kusturica ne peut s'analyser et se comprendre que dans le sens ou elle occupe une place médiatique en adéquation avec un contexte, un discours, et une réception particuliere. Fort de cette perspective historique et médiatique que nous venons d'établir dans toute cette premiere sous-partie, nous pouvons a présent aborder la polémique dans sa structure, son déroulement, son contenu et sa circulation.

103 C'est de cette maniere que le philosophe parle des Serbes dans le journal télévisé de France 3 le 16 mai 1994 104 Ces procédés de scénarisation sont rigoureusement analysés dans l'ouvrage précédemment cité dePatrick Charaudeau. En effet, le journal télévisé est pris et analysé comme objet produisant un contenu sémio-discrusif, avec ses codes, ses imaginaires et ses représentations.

85 Chapitre IV – La construction d'une polémique : analyse des contenus et des structures d'expression médiatique.

A°) Les vecteurs structurels de la discorde

1 - D'une rubrique, l'autre.

Comment fait-on une polémique ? Il faut tout d'abord un contexte propice et nous venons de le décrire. Il faut également un objet qui catalyse le débat et les expressions divergentes : un film. Il faut aussi que cet objet soit sujet a une exposition médiatique hors du commun : une Palme d'or. On a déja pu voir, dans la premiere partie de notre étude, que les deux institutions productrices de valeurs que sont le festival de Cannes et les médias peuvent entrer en opposition. La premiere officialise la qualité d'un film, la deuxieme, ne se contentant pas juste de relayer l'information, officialise également la qualité de la décision du jury en question (c'est ce qu'on apu voir pour Le Temps des Gitans par exemple). Pour autant, on ne voit pas naitre de réelle polémique a chaque fois que les opinions sur la remise d'une récompense prestigieuse divergent entre ces deux institutions... On ne le voit pas du moment que l'article traitant de la décision d'un jury reste dans la rubrique ''cinéma''. Pour Underground, la polémique s'est illustrée au-dela des « cases » et rubriques d'informations auxquelles le film était destiné. Le Nouvel observateur nous offre peut-etre l'exemple le plus probant a cet égard105. L'hebdomadaire consacre trois pages sur « L'affaire Kusturica106 » et met en exergue un en-tete qui dérouterait un cinéphile attendant un simple article critique sur une œuvre : « Underground est-il pro-serbe ? Kusturica roule-t-il pour Milosevic ? Oui, ont repondu certains intellectuels français avant meme d'avoir vu le film. A l'ecran, ce n'est pas evident. Enquete sur un scandale un peu trop vite annonce. » L'amorce est éloquente. L'hebdomadaire annonce clairement que le dossier est placé sous les augures d'une « enquete » concernant un phénomene médiatique. Sans rentrer clairement dans le contenu de l'écrit on remarque que le dossier de trois pages laisse un encadré vertical prenant le quart d'une page et est, pour le coup, uniquement dédié au film. Mais cet encadré, contenu dans le dossier traitant de la polémique serait davantage un précis pour mieux comprendre les tenants et aboutissants du phénomene médiatique qui,lui, conserve sa place de choix dans l'examen quantitatif de l'hebdomadaire. D'ailleurs, cet encadré est écrit par un autre journaliste qui ne peut que laisser ses initiales : « A.R ». Ainsi, on comprend déja

105Edition du 26/10/1995 106C'est d'ailleurs le titre de ce dossier consacré a la polémique entourant le film

86 visuellement et quantitativement la place que prend la polémique par rapport a l'objet cinématographique catalysant la discorde. Au fond, une polémique s'affirme comme telle lorsqu'elle consacre davantage d'espace médiatique a l'expression des divergences de points de vue, aux digressions sur des informations annexes au film qu'a l'analyse et au relai d'une information strictement basée sur le film et sa qualité en tant que produit culturel.

2 - La nature et les enjeux d'une vitrine médiatique

C'est probablement Le Monde qui nous offre l'illustration concrete de ce basculement de rubrique, et ce a deux égards. Tout d'abord, la polémique a pris ses racines dans les tribunes du célebre quotidien. Ensuite, le journaliste de circonstance Alain Finkielkraut décide de réagira chaud107 sur le film qu'il n'a pas vu, en se basant sur les dires du cinéaste dans d'autres périodiques et a des époques différentes. Le contenu de sa harangue n'est pas le sujet de cette sous-partie ; cependant, la place que lui offre le quotidien nous en dit long sur l'amorce d'une polémique et ses conditions structurelles. En effet, l'article, comme pour le Nouvel Observateur, ne se situe aucunement dans la partie « Culture » logiquement dédiée a l'analyse d'un film, mais dans une tribune « horizons-débat ». Ainsi, Le Monde déclare, par l'essence meme de la place qu'il consacre a un article « relatif » au film, que ce dernier se devait d'etre relayé sous les augures d'un débat melant ainsi l'artistique au politique. Bien évidement, ceci est loin d'etre une surprise lorsqu'il s'agit de la presse quotidienne nationale. Rappelons-nous la premiere partie de notre étude concernant les modalités de médiatisation incombant a chaque média : nous avons vu que sous couvert d'analyse culturelle, la presse quotidienne tendait la plupart du temps a replacer une œuvre de cinéma dans une perspective historique et dans un contexte socio-politique, au point d'éclipser l'œuvre pour ne parler finalement que du contexte politique qu'elle met en image. Ici on retrouve sensiblement la meme chose a un détail, ou plutot, une structure pres. En donnant la parole, non pas a un journaliste, mais a une personnalité intellectuelle et médiatique ayant été tres présente en qualité d'analyste et d'expert108 de circonstance pendant toute la médiatisation du conflit, le journal offre d'emblée des conditions propices au développement d'une polémique politique. Aussi voit-on la signature distincte et agrémentée d'un précis sur l'auteur en question : « Alain Finkielkraut est philosophe et directeur de la revue « Le Messager européen ». » Dans une période de médiatisation intensive d'un conflit caractérisée par une monstration

107 En effet, l'intellectuel français réagi le 2 juin 1995, soit 3 jours a peine apres l'annonce du palmares. Le film n'était visionnable qu'a Cannes a ce moment la. 108 À l'instar de Bernard-Henri Lévy ou d'André Glucksmann.

87 accrue de la violence et également par un engagement vif et politique de la part de certaines personnalités intellectuelles éminemment médiatiques, ce basculement de rubrique amorcé parle célebre quotidien fais la promesse sémiologique de créer et nourrir un possible scandale.Le rubriquage, et l'ajout de contenu dans un certain contexte médiatique représentent une base structurelle pour échafauder une polémique. Mais comme une polémique sous-tend une réponse, nous voyons aussi se construire un véritable feuilleton médiatique. Ce feuilleton suit la temporalité du processus de circulation du film. La non plus nous n'allons pas disserter sur le contenu stricto sensu des articles et tribunes qui ont nourri la polémique mais davantage sur leurs cadres d'expression, leurs vitrines médiatiques, comme le résume le titre. Nous distinguons donc une temporalité qui, suivant celle du film, se divise en deux périodes. La premiere correspond a son sacre cannois (de la fin du mois de mai a milieu juin 1995) et la deuxieme a la sortie en salle et en France du film (fin du mois d'octobre 1995). Bien évidemment, notre méthodologie n'a relevé aucun article sortant de cette temporalité. On s'en doutait, la presse a besoin d'une actualité légitimant l'amorce ou la relance de la polémique. Ainsi, a cette tribune virulente d'Alain Finkielkraut se succede une réponse non moins virulente de Serge Regourd109. Journaliste spécialisé dans le cinéma ? Pas tout a fait. Il est avant tout professeur de droit a l’Université de Toulouse. Sa spécialisation sur la question de l'exception culturelle française et sa cinéphilie en on fait un interlocuteur ponctuel lorsqu'il s'agissait de parler de l'exception culturelle française, en particulier par le biais du cinéma. Ainsi, la polémique suit ses préceptes officieux qui veut que toute personne s'exprimant sur le film de Kusturica ne soit, d'une part pas un journaliste spécialisé et habilité par sa fonction traditionnelle et routiniere, et d'autre part que cette personne le fasse dans une rubrique, un espace d'expression, une vitrine médiatique propice et désignée : la « tribune » en est un exemple flagrant.

3 - L'intermédialité comme engrais et révélateur d'une polémique

Dernier constat qui pourrait nous apporter une autre caractéristique du développement d'une polémique : c'est la capacité d'une vitrine médiatique a se projeter au-dela de son espace désigné par le journal. Ainsi, les tribunes se répondraient par médium interposé et se nourriraient chacune dans une optique d'intermédialité. Prenons comme exemple l'émission Le Cercle de Minuit, diffusée quotidiennement aux alentours de minuit sur France 2 de 1992 a 1999. L'émission en question 110 est

109Réponse de Serge Regourd parue dans Le Monde du 9 juin 1995 110Cf source : Le Cercle de minuit {l'actualité du cinéma}/France 2 – 19/10/1995 (01H23m10sec)

88 présentée par Laure Adler et se trouve dans la temporalité de la sortie en salle sur les écrans.Les invités et intervenants ne sont autres que Kusturica accompagné d'un des acteurs principaux Miki Manojlovic et de Goran Bregovic qui signe encore une fois la musique d'un de ses films apres celle du Temps des Gitans et d'Arizona Dream. Sont aussi présents des journalistes et intellectuels ayant été au centre du battage médiatique entourant le film comme Serge Regourd, précédemment cité. D'ailleurs, apres une analyse relativement dithyrambique sur la qualité scénaristique et visuelle du film, Laure Adler embraye tres rapidement sur les accusations que l'ont fait au cinéaste et qui sont au cœur de la polémique. Sur ce, Alexandre Adler, directeur du Courrier International et Serge Regourd y vont de leurs ressentis. La réponse de ce dernier a Alain Finkielkraut est évidemment mentionnée et nourrit le débat ainsi que les attaques de Michel Polac qui, lui aussi s'était engagé aupres des intellectuels français durant le conflit. Par conséquent, le medium télévisuel catalyse différents médias et spécialistes pour médiatiser la polémique. Le« Cercle » est ainsi composé du principal intéressé et de son entourage artistique, d'un directeur et journaliste d'un hebdomadaire éminemment politique, d'un intellectuel ayant été un des protagoniste de la polémique (Serge Regourd) et d'un spécialiste du cinéma (Serge Grunberg), écrivant, non seulement aux Cahiers du Cinema mais qui est également l'auteur d'un livre portant essentiellement sur Underground. Il y a donc relation d'intermédialité et la télévision, certainement par sa nature totalisante, retranscrit structurellement les ramifications et les vitrines médiatiques qu'impose une polémique. D'ailleurs, cette émission fut également le sujet d'un article de Guy Chapouillié dans la revue Regards, ou l'auteur annonce, selon lui, une certaine partialité de Laure Adler qui, devant le déferlement de soutien des personnalités présentes sur le plateau a Emir Kusturica, veut comme elle le dit « se faire l'avocat du diable » en dénonçant Emir Kusturica en adoptant les accusations de ses détracteurs. La temporalité directe de cette polémique trouve une fin relative avec un dernier échange durant la sortie du film en salle. Le Monde dédie une tribune a Kusturica (1 page sur les 5 pages consacrées au « dossier » Underground). Le cinéaste titre ironiquement « Mon imposture111 ». Alain Finkielkraut décide de clore le débat quatre jours plus tard... mais dans un autre journal 112 : Libération. Ainsi, la polémique s'illustre-t-elle par l'intermédialité ou, selon les besoins, les droits de réponses peuvent se faire également par journaux interposés.

111 Tribune contenue dans la rubrique « horizons-débat », en page 13 de l'édition du 26 octobre 1995. 112 Page 7 de l'édition du journal Libération datant du 30 octobre 1995.

89 4 - La mise au pas de la presse spécialisée.

Nous voyons clairement qu'une polémique est un produit purement médiatique, qu'elle ne peut survivre qu'en nourrissant des cadres dédiés a son expression. Aussi a-t-on vu le basculement de rubrique qui a permis de créer de façon structurelle la polémique, a savoir d'une rubrique « culture/cinéma » le film de Kusturica a alimenter les rubriques de débat, de rebonds etc... Cependant, et selon notre analyse en premiere partie de cette tendance qu'avait la presse quotidienne, naturellement politisée, a offrir un produit culturel avec un minimum de perspective socio-politique, nous ne pouvons pas nous étonner completement de ce revirement. Du reste, rappelons-nous, dans notre premiere partie, que la presse spécialisée, elle, ne s'encombrait pas de ces prétextes qui parent une information culturelle d'une tendance politique. Qu'enest-il maintenant ? Est-ce que la presse spécialisée, conformément a ses prérogatives naturelles, resterait dans l'analyse stricte du film, de sa qualité artistique ? Est-il possible de ne pas mentionner cette polémique ? Regardons notre corpus concernant cet organe de presse. Thierry Jousse, dans les Cahiers du cinéma, ouvre son article de cette maniere : Emir Kusturica aura simultanement reçu une palme d'or et declenche une vive polemique qui risque de se prolonger encore un certains temps {…} ses detracteurs qui, pour certains d'entre eux, n'ont pas daigne attendre d'avoir vu le film pour decocher leurs fleches, et ont fondes leur argumentation sur les seuls propos du cineaste parus dans les Cahiers du mois dernier. Le debat fut lance dans Le Monde par Alain Finkielkraut, tandis que Bernard-Henri Levy lui emboîtait le pas dans Le Point {…}.113 L'amorce est éloquente. La presse spécialisée, non seulement, commence son article relatif au film en relatant la polémique, mais elle donne également un précis du déroulement de cette derniere avant meme de rentrer dans l'analyse du film. Quelques mois plus tard, l'amorce demeure la meme : « En mai dernier, certains intellectuels ont attaques Emir Kusturica et son film au nom de l'ideologie : Underground serait, paraît-il, pro-serbe114 ». Dans le meme numéro, un long dossier, sous la plume d'Antoine de Baecque, lui est consacré. Historien agrégé, spécialisé dans l'audiovisuel et le cinéma, il deviendra d'ailleurs quelque mois apres l'article en question, le rédacteur en chef des Cahiers de 1996 a 1998. Voici comment débute l'en-tete de son dossier : « Au- dela des polemiques cannoises, Emir Kusturica impose avec Underground, une puissante vision de l'histoire de son pays en forme de fable ». L'entrée en matiere se veut claire, elle veut dépasser la polémique. Pourtant, meme pour se tenir a pareille ligne éditoriale, l'historien se retrouve obligé de la mentionner pour la dépasser. En somme, la polémique, par son aura, influe sur les prérogatives

113Cf : Cahiers du cinema, n°493 « Kusturica sur terre ». (L'article est contemporain du moment du palmares) 114Cf Cahiers du cinéma, n°496. (Article contemporain de la sortie en salles)

90 naturelles de la presse spécialisée a rendre compte d'un film exclusivement par le biais de sa qualité artistique. On en viendrait presque, aux vues de toute l'analyse des structures favorisant une polémique médiatique, a proposer en conclusion une métaphore ''biologique''. Une polémique, comme produit médiatique annexe au produit culturel, serait une sorte de« parasite » a l'information. Comme tous virus ou parasite, ce produit artificiel aurait besoin d'hotes différents pour survivre, de rubriques qui comme des corps sains, donneraient au parasite la possibilité de survivre et de s'étendre... et ce jusqu'a un corps que l'on pensait immuniser par ces considérations : la presse spécialisées et les périodiques. Au gré des facteurs contextuels et d'intermédialité favorisant l'expansion de la polémique, elle ira jusqu'a remodeler, l'espace d'un instant, l'ADN d'un espace médiatique qui, voulant dépasser la polémique, devait forcément la nommer, la mentionner et l'expliquer ne serait-ce que brievement.

B°) Scénariser une polémique : analyse du contenu et mise en perspective des imaginaires.

1 - Définir un espace géographique pour la polémique : la place de la France et ses processus de légitimation médiatique.

Pourquoi la polémique est-elle née en France ? Pourquoi n'aurait-elle pu naitre qu'en France ? Et comment la France a légitimé sa capacité a « héberger » une polémique ? Plusieurs raisons circonstancielles sont a établir dans cette optique. Bien sur, il va de soi que le fait que le festival de Cannes soit un festival français (meme si international) apporte son lot de justification nécessaire a pouvoir polémiquer sur la décision de son jury. Pourtant, les griefs exprimés allaient bien au-dela : en témoigne l'attaque faite au réalisateur directement et a sa vision de l'histoire et du conflit yougoslave. Comment raisonnablement attaquer les points de vue de quelqu'un qui, originaire de la bas et s'étant déja spécialisé dans l'histoire de son pays (comme pour Papa est en voyage d'affaires), apparait d'emblée comme davantage apte a traiter de ces questions. Par quels procédés l'institution médiatique va pouvoir appuyer son point de vue et égaler la légitimité du réalisateur ? D'une part, il y a cette légitimité nationale qu'il faut dépasser, qu'il faut annihiler de maniere discursive et structurelle. Il faut trouver un natif pour contrer Kusturica idéologiquement dirait-on. C'est ce que fait Stanko Cerovic, journaliste a RFI et monténégrin, responsable de la section serbo- croate de RFI. Il affirme : « Le film raconte de façon faussee l'histoire de la Yougoslavie. Kusturica nous presente deux

91 heros typiquement belgradois tels que les ont imagines les ecrivains nationalistes : ivrognes, bagarreurs, grandes gueules, mais au fond courageux et purs. Ils sont entoures de traitres et de minables qui detournent l'argent du Parti. Et, comme par hasard, ce sont des Musulmans... Surtout il choisit de montrer des documents sur l'accueil chaleureux des nazis en Slovenie et en Croatie. C'est son droit. Mais alors pourquoi ne montre-t-il pas des archives de la guerre en cours ? Pourquoi montrer des casques bleus corrompus sinon pour nous faire croire, avec Milosevic, que c'est l'etranger qui tire les ficelles de cette guerre ? » Ces propos sont repris a plusieurs reprises comme dans Le Nouvel observateur115 ou encore dans Liberation116. À chaque fois, le médium concerné précise qui est Stanko Cerovic eten particulier qu'il est monténégrin. Est-ce une premiere façon de légitimer les discours incriminant Kusturica, a savoir, en demandant l'avis d'une personnalité médiatique mais ayant des racines et des origines yougoslaves ? Nous avançons l'hypothese que c'est le cas. D'ailleurs, en complément de ce processus de légitimation nationale, identitaire et culturelle, s'ajoute un procédé similaire, voulant donner la parole a des personnes natives. C'est ainsi que des journaux comme Le Monde ou encore Liberation ont demandé a leur correspondant ou bien ont mandatés spécialement des envoyés spéciaux pour rendre compte de la réception bosniaque du film, mais pas n'importe ou : dans les quartiers de Sarajevo que Kusturica fréquentait. C'est ainsi que les journaux titres : « A Sarajevo, les copains sont amers : ses anciens amis n'ont pas de mots assez durs pour juger le cineaste117 » ou encore : « A Sarajevo, les souvenirs amers des anciens amis d'un enfant de la rue 118 ». On imagine bien ce qui va ressortir des articles. Dans les deux cas, les journalistes Rémy Ourdan et Jean Hatzfeld s'emploient a réaliser un micro trottoir pour recueillir les blames et les récriminations déçues des « anciens » amis du cinéaste. Le pathos est au rendez-vous comme on peut l'imaginer lorsque de vieux amis doivent virtuellement ostraciser un individu devenu star et ayant, selon eux, pris le parti des bourreaux qui les tuent et les bombardent inlassablement depuis 1992. Ce procédé médiatique est, a notre sens, une illustration révélatrice des procédés de scénarisation qui visent a légitimer des points de vue par rapport a d'autres. Et quel meilleur moyen que d'utiliser exactement la meme légitimité dont bénéficie le réalisateur, c'est a dire une appartenance nationale et culturelle donnant crédit au propos que l'on veut tenir.

115 Édition du 26 octobre 1995. 116 Édition du 25 octobre 1995. 117 Paru dans le Liberation du 25 octobre 1995. qui consacre, pour l'occasion, plusieurs pages au film, a la controverse et au cinéaste. 118 Le Monde du 26 octobre 1995 nous offre lui aussi un dossier de pres de 5 pages, consacrées au cinéaste eta Underground, dispersées dans son édition

92 2 - Un protagoniste français : Ciby2000 au cœur de la polémique

Mais si on ne se cantonne qu'a ce procédé de scénarisation, on ne comprend toujours pas pourquoi la France a autant épilogué sur ce film. Il y a Cannes bien évidement, et son jury présidé par Jeanne Moreau, une française. Il y a aussi l'engagement d'intellectuels français comme nous l'avons précisé dans notre longue introduction de contextualisation de la période. Mais il y a aussi, et surtout, un protagoniste français dans cette affaire : la société de production Ciby2000. Créée en 1990 par Francis Bouygues, elle est réputée pour avoir produit une partie des films d'auteurs et indépendants les plus primés de l'époque. Et pour cause, en seulement 8 années d'existence, elle engrangera pas moins de 4 Palmes d'or, 2 Césars et 3 Oscars, sans compter d'autres Lion d'argent, BAFTA, Golden Globes etc... Son directeur, Jean-François Fonlupt, ancien banquier d'affaires, auquel Francis Bouygues a confié la direction de cette nouvelle société de production, s'est lui aussi retrouvé au centre de la polémique. En effet, Ciby2000 a produit Underground et plus tard, Chat noir chat blanc. Notre entretien avec le célebre producteur119 nous apporte de nombreuses précisions sur les conditions de production, les choix optés par cette société, ainsi que sur la réception critique et médiatique du film. Tout d'abord, quelle était la ligne éditoriale d'une telle entreprise ? En effet, Kusturica est représenté dans le catalogue de cette société aux cotés d'Almodovar, David Lynch, Jane Campion, Mike Leigh, Abbas Kiarostami, Robert Altman et Wim Wenders. Autant dire, le panthéon du cinéma d'auteur de ces dernieres décennies. Que voulait représenter Ciby2000 dans le paysage audiovisuel international ? Monsieur Fonlupt nous répond que la premiere volonté de la société était de« s'entourer de gens de talents {…} leur faire raconter des histoires qui soient universelles mais a partir de base locales. Quand Kusturica raconte dans ''Underground'' la manipulation de l'homme par l'homme, c'est un theme universel, mais il l'inscrit dans une realite qu'il connait bien et qui est celle dans laquelle il avait vecu pendant un certain nombre d'annees ». Pour autant, l'interviewé nous apporte une précision sur les intentions structurelles dirait-t-on, quant a la création d'une telle société de production. En effet, rappelons- nous que le groupe Bouygues possede TF1, premiere chaine de télévision française et qu'une chaine de cette envergure doit inévitablement acquérir une visibilité et un poids sur l'audiovisuel international et ce par le biais du cinéma. C'est ainsi que M. Fonlupt nous résume l'intention et les motivations de Martin Bouygues, et ce avant qu'il ne parte a la retraite, de créer une telle société : « ''Avoir des pipelines c'est bien, mais le petrole c'est encore mieux'', c'etait sa façon de me dire que TF1 c'etait un tuyau mais que par contre les contenus, c'est-a-dire les programmes ou que ça soit des films, c'etait encore plus important. C'est comme ça que se sont constitues les grands groupes

119Cf L'intégralité de l'entretien (pres d'une heure) est disponible sur le CD joint a notre travail

93 audiovisuels aux Etats-Unis. Son idee etait celle-la {…} comme ça on pourra alimenter TF1 et d'autres ». On comprend mieux les enjeux industriels et économiques qui incombent a un tel projet. Revenons au contenu de notre corpus. Les médias, pour légitimer encore plus l'ancrage national de cette polémique ont décidé de mettre a nu les conditions de production d'Underground, et en particulier, son financement. Les médias s'emparent de cette « exclusivité » et mentionne la société de production et les, soit-disant, ambiguïtés d'un financement illicite. En effet,la Yougoslavie restreinte, a ce moment, est placée sous embargo international, interdisant ainsi a toutes entreprises de commercer avec elle. C'est ainsi que Le Monde, dans son édition du 26 octobre 1995, assurant pour la sortie en salles du film un long dossier éparpillé sur 5 pages, consacre toute une page a un article portant justement sur « La production d' « Underground » et ses zones d'ombre120 ». La journaliste Florence Hartmann expose avec zele et exhaustivité toutes les résolutions européennes interdisant « la fourniture de services financiers ou non financiers ayant pour objet ou effet de promouvoir directement ou indirectement, l'economie des Republiques de Serbie et du Montenegro ». Elle affirme que Ciby2000 a contrevenu a ses lois et paye d'ailleurs cette faute impardonnable. « ''Vous etes la Gestapo !'' assene-t-on a Paris, au siege de Bouygues- Ciby2000, principal producteur du film, lorsqu'on demande des details sur le financement d'''Underground''. Le montage precis du budget (60 millions de Francs) est garde comme un secret d'Etat. » Voila pour l'imaginaire de l'enquete a scandale. Maintenant, notre entretien avec Jean- François Fonlupt nous apporte quelques nuances. En effet, le scénario, prévoyait bien sur que l'énorme majorité de l'histoire se déroule a Belgrade. Certaines scenes tournées en extérieur et devant représenter la capitale yougoslave, ne pouvaient tout simplement pas etre réalisées dans les studios a Prague ou « la quasi-integralite du film a ete tourne ». Aussi, Prague et ses studios représentaient comme le dit le producteur, « le meilleur compromis qualite/prix ». Ainsi, apres une « fugue » du réalisateur, parti sans dire mot jusqu'a Budapest et sans en informer personne, M. Fonlupt nous affirme que lui et le cinéaste s'étaient longuement entretenus sur la nécessité visuelle, artistique, et, mettons, logique et pragmatique, de tourner les scenes montrant les rues de Belgrade et son zoo... a Belgrade. « Il me dit : ''La seule solution, c'est qu'on tourne a Belgrade'' ». Des économies substantielles en quelque sorte. Pour s'assurer de ne pas contrevenir aux restrictions soumettant les industries françaises a l'embargo prononcé par la communauté européenne, M. Fonlupt a, dit-il, « explique tout ça au Quai d'Orsay, et ils nous ont donne leur accord121 ». Quant au financement, il affirme et persiste, « c'etait des conneries tout ça, tout ce qui est insignifiant ne merite meme pas qu'on le releve ». Malgré ça, notre interlocuteur nous affirme que

120 Il s'agit en l’occurrence du titre de l'article en question 121 Dans l'entretien, Monsieur Fonlupt nous donne aussi beaucoup de précisions sur les problemes de frontieres qui ont accablés la production du film. Pas moins de 6 refus ont retardé l'arrivée des camions transportant tout le matériel.

94 pendant la projection au festival de Cannes, un danger pesait réellement sur leurs vies : « Emir et moi, on a reçu des menaces de mort, c'est pour vous dire a quel point ces gens la etaient des tares. La maison d'Emir etait gardee 24h/24 par la police et ma maison aussi. C'est la raison pour laquelle pour la montee des marches{...}j'ai dit a Emir : ''toi et moi, on est menace de mort, alors si ils veulent nous tuer, le plus beau truc a faire c'est sur la croisette a Cannes juste avant la projection, de toute façon ces gens la, ils menacent mais ne mettent jamais a execution''. Il me repond ''ne croit pas cela, ils peuvent le faire''' {…} c'est pour ça qu'on avait fait le depart du cortege a pied depuis le Majestic122 jusqu'aux marches. J'avais fait venir de la-bas {…} l'orchestre qui joue dans le film... On est arrive sur les marches precedes par la fanfare, ça avait fait un effet bœuf, les gens comprenaient pas, en realite c'etait un petit pied de nez aux gens qui avaient fait ces menaces de mort. » Comme nous pouvons le constater, et, a en croire le témoignage du producteur, la polémique née du regard d'un artiste contenu dans une fiction, a rapidement basculé dans un combat politique bien réel. En somme, l'implication d'un protagoniste français a parachevé cet exercice de légitimation des instances médiatiques françaises pour alimenter la visibilité et la durée de vie de la polémique. Aussi notre hypothese consisterait a supposer que si la production n'avait pas été française, les financements « occultes » n'auraient pas eu autant de place dans le discours des médias.

3 - ''Un génie, mais un salaud'' : concéder pour mieux attaquer

Les structures favorisant une polémique ne sont qu'un cadre au discours et a la portée des propos médiatiques tenus. Quels procédés de scénarisation vont nourrir ce scandale ? Comment une personnalité, que l'on a vu portée au pinacle par des discours médiatiques dithyrambiques dansla premiere période étudiée, va se retrouver au centre d'un revirement d'appréciation. Les modalités d'un tel basculement sont, parfois, toutes aussi subtiles que brutales. Comme nous l'avons vu, la médiatisation du film doit s'appréhender dans le contexte d'une médiatisation singuliere du conflit yougoslave. Cette médiatisation, dont l'on a traitée plus haut, nous offre par sa scénarisation affichée et sa rhétorique binaire un ciment solide pour l'attaque politique. En ayant clairement désigné des agresseurs et des agressés absolus, les instances médiatiques se retrouvent inévitablement dans l'obligation d'attaquer tout contempteur a cette vision manichéenne. Le probleme c'est que le contempteur en question est 1 - yougoslave et apte a proposer sa vision de l'histoire, 2 – un artiste faisant une fiction et n'ayant, selon ses dires, aucune prétention de décryptage politique 3 – un double lauréat d'une des plus prestigieuses récompenses. Finalement, l'instance médiatique doit composer avec cette identité artistique et la relier

122 Célebre hotel de la croisette

95 d'une certaine maniere au politique. Cela peut commencer par les titres et les amorces des produits médiatiques. En ce qui concerne la presse généraliste, certains titres sont éloquent comme celuidu Monde123 qui, en une et pour résumer son dossier de 5 pages concernant le film et le cinéaste, annonce : « Un cineaste inventif et conteste » . Le titre veut créer un équilibre de sens : on concede un talent, on conteste la vision. C'est sur cet équilibre didactique, sur ce paradoxe d'intention, que va se construire le reproche que l'on fait au cinéaste. Finalement, avec la légitimité d'une telle récompense (Palme d'or), l'instance médiatique se doit d'opérer l'amputation des considérations esthétiques et purement artistique, a celle qui font l'air du temps, des mentalités et des réalités socio- politiques : vieux débat, donc. Pourtant, sans trop s'aventurer dans ce débat, qui a touché nombre de personnalités artistiques a de nombreux moments et contextes différents, nous pouvons déceler dans la stratégie sémantique des médias que pour mieux attaquer une telle personnalité, il faut lui concéder quelque chose. C'est dans ce fair-play rhétorique de façade que va pouvoir réellement s'émanciperles critiques virulentes qui ont été faites a Emir Kusturica et a sa vision de l'histoire dans son film. Le Monde du meme jour décide donc de titrer un des articles du dossier : Le genie d'Emir Kusturica se confronte a la realite yougoslave. Infomatin un jour apres le sacre du film124 titre pour sa part : Cannes couronne le genie et les ambiguïtes du dernier des Yougoslaves. Le Canard enchaîne125 joue également sur l'intermédialité précédemment évoquée en inaugurant son article de cette maniere : Certes, comme le dit « Le Point » (27/5), le film d'Emir Kusturica « Underground », qui vient de remporter la Palme d'or a Cannes, est peut-etre « un extraordinaire maelström d'images baroques, violentes, fulgurantes, truculentes, toujours inattendues, toujours sublimes, dont le souffle et la puissance sont la marque d'un authentique génie », ouf ! Mais il n'empeche que les recentes declarations du « genie » a propos de la guerre qui ravage son pays, l'ex-Yougoslavie, laissent perplexe. Les autres médias ne sont pas en reste. La radio, qui nous offre de longs entretiens et conférences de presse éloquentes, joue également sur cet effet de balancier. Jean Luc Hesse, dans son émission Synergie126 pendant la sortie du film en salle, annonce l'entretien qui va suivre de cette maniere : « Ce film qui va sortir demain est un tres tres beau film, j'ai mes reserves, mais c'est un beau film ». Le meme journaliste, sur France Inter, le lendemain127, invite Jacques Julliard, journaliste et essayiste s'étant lui aussi engagé médiatiquement lors du conflit et lui donne la

123 Édition du 26 octobre 1995. La temporalité correspond a la sortie dans les salles françaises du film. Cette édition abrite d'ailleurs la réponse du cinéaste intitulée « Mon Imposture » 124 Édition du 29 mai 1995. 125 Édition du 31 mai 1995 soit trois jours apres l'annonce de la récompense 126 Émission du 24 octobre 1995. 127Dans le cadre du journal : Cf source Inter Treize-Quatorze /25 octobre 1995.

96 parole : « Ecoutez, moi j'ai vu le film et je viens d'entendre Kusturica, j'ai une conclusion : c'est un grand cineaste et un tres pietre politique » . On voit la récurrence du terme « génie » et autre qualificatif extremement positif, concernant ses talents d'artistes dans tout le corpus relatif a ce film. Il est d'ailleurs davantage présent quantitativement dans ce dernier que dans le corpus traitant de son précédent Temps des Gitans qui a vu émerger pour la premiere fois ce qualificatif « supreme ». Ainsi, on peut émettre l'hypothese que cette stratégie rhétorique participe a un imaginaire entourant l'image de l'artiste : celui de la dissidence et du politiquement incorrect. De Baudelaire a Gainsbourg en passant par Céline, l'artiste, ses œuvres et son génie se retrouvent confrontés, dans les dispositifs de réception, a des controverses. Qu'elles soient liées aux sujets abordés par l'artiste, au style de vie de l'intéressé, oua des penchants pour des pensées honteuses en désaccord avec la norme et la loi, l'espace de réception des produits artistiques ne peut décidément pas statuer sur la question : peut-on détacher l'homme de l'œuvre ? À cet égard, Bernard-Henri Lévy, dans son « bloc-note » que lui consacre l'hebdomadaire Le Point, use de cette analogie. Que l'on couronne un tel film n'a, j'y insiste, rien, en soi, de scandaleux. Et l'histoire de la litterature est pleine d'ecrivains antisemites, fascistes, staliniens qui n'en etaient pas moins, aussi, de tres grands artistes. La seule question est de savoir : 1) si le jury de Cannes, Nadine Gordimer et Jeanne Moreau en tete, savait qu'en couronnant cet homme, il se trouvait dans la situation d'un jury qui, en 1938, aurait couronne, mettons, Celine ; 2) si Kusturica est reellement, au cinema, ce que Celine etait a la litterature – c'est a dire un immense artiste dont une sorte de grace conjurait, dans les œuvres memes, le poids des « opinions ». J'en doute. Mais reponse en septembre – quand il sera possible, enfin, de juger sur pieces.

4 - L'imaginaire de la Seconde guerre mondiale : une mise en abyme de circonstance

Le dernier procédé de scénarisation que nous relevons tient a la fois d'une tradition rhétorique et culturelle et d'une circonstance. Comme nous le voyons avec ce dernier passage choisi écrit par Bernard-Henri Lévy dans le bloc note que Le Point lui consacre, un parallele évident est établi avec la période trouble de la seconde guerre mondiale et celle contemporaine dela polémique. L'utilisation de cette période, aux codes et imaginaires évocateurs, s'expliquent par plusieurs facteurs. Tout d'abord, un facteur de circonstance et de contexte artistique pourrait-on dire. En effet, Kusturica ouvre son film sur la période de la seconde guerre mondiale, en particulier avec l'utilisation d'archives d'époque. L'évocation de ce choix artistique peut certainement influer dans la balance, pourtant, apres lecture et analyse de certains articles (comme celui de Bernard-Henri

97 Lévy), l'utilisation de la seconde guerre mondiale et du climat des années 1930-40dépasse largement le contenu de l'œuvre, pour en fait ne pas du tout y faire allusion. Pour quelle raison ? Pourquoi utiliser un champ lexical et des références a la seconde guerre mondiale dans une information relative a un produit culturel ? La premiere raison tient du contexte de médiatisation. En effet, comme nous l'avons expliqué, la médiatisation du conflit yougoslave (inextricablement liée a la polémique) promettait dans sa construction du réel des bases solides pour qu'un scandale se fasse. Comme le dit Michael Palmer, en parlant de certains tropismes des journalistes, ces derniers (tropismes) s'ajoutent aux dangers traditionnels poses par des sources biaisees, maniant la retention de l'information, la propagande et la desinformation128. Aussi ajoute-t-il, que les médias occidentaux a public international ne doivent jamais présumer de l'état des connaissances de leur public, et que les agences de presse et autre correspondants sur place doivent s'efforcer de trouver des échos universels a leurs informations – les drames et l’interet humain129- et garder a l'esprit the bigger picture, autant dire des paralleles avec d'autres sujets, ou bien d'autres imaginaires, pour transmettre une information sensationnelle, dans un temps concis. Des lors, il y a construction du réel, ou du moins scénarisation de ce dernier en utilisant des systemes de représentations préexistant dans les mentalités des récepteurs. Prenons comme exemple, et ceci afin de parachever notre démonstration, l'image princeps de cette guerre de Bosnie, c'est-a-dire l'image qui est restée dans toutes les consciences et résumerait a elle seule, par sa visibilité et sa circulation massive, toutesles informations relatives au conflit. Nous voulons bien évidemment parler du célebre reportage d' ITN - décliné en clichés photographiques dans le monde entier et dans la majorité des médias - des camps de prisonniers serbes, ou plutot, des « camps de concentration ». L'image d'un jeune homme completement décharné derriere des barbelés, reprise aussi bien dans le Times que dans l'immense majorité des quotidien français, rappelle a tous ce conflit et les atrocités perpétrées et relayéespar les instances médiatiques. La photo issue du reportage, recadrée et emblématisée par les rédactions, a été choisie parce qu'elle représentait un potentiel énorme de vecteur d'émotions. En effet,elle assemble des éléments visuels, ancrés dans la mémoire collective et dans les représentations emblématiques de l'horreur, évoquant bien évidemment les camps nazis130. Avec les composantes visuelles de la nudité, de la maigreur, et des barbelés, nous avons des 1992 un paradigme de

128 « Agences de presse : urgence et concurrence ». In : Mots, juin 1996, N°47. Les médias dans le conflit yougoslave. p. 73-88. 129 Ibid. 130 PEDON Eric, WALTER Jacques. « Les variations du regard sur les ''camps de concentration'' en Bosnie. Analyse des usages de la photographie dans un échantillon de journaux français », Mots, juin 1996, n°47. Les médias dans le conflits yougoslave. p. 23-45.

98 l'horreur131 et du génocide qui va emprunter a l'histoire de la seconde guerre mondiale et des crimes nazis pour parler de la Bosnie et des camps serbes. Cette photo sera également utilisée dans une campagne publicitaire médiatico-humaniste par Médecins du monde, représentée parBernard Kouchner. La campagne, qui a été placardé sur les murs de Paris et d'autres villes, donnait a voir une affiche ou le corps de ce jeune homme décharné derriere les barbelés rejoignait la photo d'un mirador d'Auschwitz. Aussi, le texte agrémentant l'affiche est plus qu'éloquent : « Un camp ou l'on purifie les ethnies, ça ne vous rappelle rien ? ». L'analogie se confirme donc par ce choix éditorial, meme illustré par un bien pietre montage/trucage ; le tour est joué et ancre toutes informations de cette guerre dans une systémique d'appréciation forcément reliée a la seconde guerre mondiale,ses imaginaires, ses codes et ses représentations. A partir de ce moment, toutes les évocations de « camps d'extermination » de « charniers » etc, participaient a confondre la contemporanéité des événements avec le contexte de la seconde guerre mondiale et des crimes contre l'humanitéet génocides ayant sévis dans les états totalitaires. Notre hypothese consisterait donc a dire que la polémique Underground et les principaux articles l'ayant nourrie participeraient a cette confusion de contexte, d'époques, d'imaginaires. Pour appuyer cette intuition, nous avons utilisé un outil informatique de textométrie (ou lexicométrie). Il nous fallait un corpus : nous avons décidé de prendre l'article d'Alain Finkielkraut qui a engagé la polémique, la réponse de Serge Regourd, le bloc note de Bernard-Henri Lévy, la réponse d'Emir Kusturica et la deuxieme et derniere attaque d'Alain Finkielkraut. En tout 5 articles, se répartissant sur les deux périodes de la polémique (récompense fin mai et sortie en salle en octobre) et donnant la parole au principal intéressé, a ses contempteurs, a ses défendeurs. Ainsi, nous verrons que si l'évocation a l'imaginaire de la seconde guerre mondiale et au totalitarisme peut etre un outil rhétorique pour les contempteurs, il pourrait etre aussi utilisé par l'intéressé en question et ses défendeurs. Dans le corpus analysé par notre logiciel, apres structuration et encodage nécessaire, nous voyons que les mots les plus récurrents sont, on s'en doute : 'Kusturica' (29 occurrences), 'Bosnie' (12 occurrences) et Finkielkraut (11occurences)132. Pourtant en quatrieme position se trouve le mot 'propagande' (11 occurrences également). Notre logiciel propose, de situer le mot choisi dans sa contextualisation lexicale et sémantique comme « pivot ». C'est-a-dire que nous pouvons voir dans chaque cas de figure le sens de ce qui est a gauche du mot ('contexte gauche ') ou bien a droite ('contexte droit') ; en somme, comment le mot ''propagande'' se situe dans la construction d'une phrase et donc, d'une idée. Ainsi, le mot propagande est suivi pour sa troisieme

131 Ibid 132 Cf annexe : nous exposons toute la méthodologie et le processus informatique que nous avons utilisé pour réaliser cette « basse de donnée » lexicale. Aussi, nous parlons de mots significatifs... bien évidemment, les mots comme ''de'', ''la'', ''le'' etc... comporte le plus d’occurrence.

99 utilisation (contexte droit) du mot « nazi », pour sa sixieme et septieme des mots « Reich éternel » et « d'Allemagne », pour sa huitieme de « envahisseur133 », et la neuvieme de « Kurt Waldheim134 ». Sur pres de la moitié des utilisations de ce concept, des termes contextualisant l'imaginaire de la seconde guerre mondiale (en dehors des termes se rapportant aux partisans et donc a la trame du film) sont présents et appuient les contextes entourant ce mot. Nous pouvons, pour confirmer ce constat, nous intéresser aux noms propres utilisés. Nous rejetterons tous les noms propres étant contemporains de la polémique et étant sur-représentés pour certains a savoir : 'Kusturica', 'Finkielkraut', 'Milosevic', 'Bernard-Henri Lévy', 'Jeanne Moreau' et 'Nadine Gordimer'. Il nous reste un total de 8 noms propres, a savoir 'Wagner', 'Waldheim', 'Jdanov', 'Staline', 'Tito', 'Céline', 'Fellini', et 'Mazowiecki'. Sur ces 8 noms propres restants, 6 appartiennent a l'imaginaire et a la temporalité de la seconde guerre mondiale (Pour Wagner, c'est clairement parce qu'il est le compositeur préféré d'Hitler) et a l'imaginaire du totalitarisme (soviétique également). Nous voyons clairement, visuellement et sémantiquement, que la tournure de la polémique s'impregne, a l'instar du traitement médiatique de l'information de la guerre de Bosnie,d'un imaginaire relatif a la seconde guerre mondiale.

C °) Les survivances d'une polémique : un impact sur le long terme ?

La médiatisation d'Emir Kusturica trouve clairement son pic durant cette année 1995. Avec cette profusion de sources et les passions que la polémique a déclenché, dans quelle mesure peut-on apprécier l'impact d'un tel battage sur le long terme ? Cet événement pourrait-il devenir constitutif de la construction médiatique de l'artiste ? Pour ce faire, nous devons impérativement voyager dans la troisieme période de notre corpus et déceler les évocations faites a cet événement.

1 - L'Emir contre-attaque : les modalités lexicales d'un retour

Emir Kusturica a été absent pendant pres de trois ans apres Underground. Comment son retour s'est-il organisé ? La réception médiatique de cette réapparition tient tout d'abord a un

133 En référence a l'envahisseur allemand pendant la seconde guerre mondiale 134 Ancien secrétaire général de l'ONU et président fédéral de la république d'Autriche, il fut entaché pardes révélations sur son passé nazi, en particulier dans les opérations et les crimes de guerres en ex-Yougoslavie. La connotation est donc de circonstance.

100 lexique, a un cadre sémantique qui appuie cet état de fait. La sortie de son nouveau long-métrage Chat noir chat blanc en 1998 constitue une occasion pour analyser les modalités propres au come- back d'un artiste qui s'est arreté a une polémique virulente. Le Nouvel Observateur135 est peut-etre le plus frappant puisqu'il consacre deux pages a ce nouveau film et titre : « Apres le coup de blues d' ''Underground'', Kusturica reprend du poil de la bete ». L'accroche visuelle du titre veut attirer le regard sur le précédent médiatique. La polémique n'a d'ailleurs pas besoin d'etre citée clairement, elle est meme sujette a la métaphore. On en vient a penser que cette ellipse temporelle de trois années n'a pas suffit a effacer dans la mémoire collective la bataille médiatique ayant entouré Underground. L'expression « du poil de la bete » s'avere, on s'en doute bien, de circonstance puisque le titre du film s'y prete. Pourtant, l'expression veut clairement dire que nous retrouvons quelqu'un qui se remet d'un choc. Comme si ces trois années relevaient davantage de la convalescence que d'une pause naturelle. Aussi, pour expliquer comment l'idée du scénario est née, Le Nouvel Observateur n'hésite pas a introduire le paragraphe relatif a cette thématique par : « Genese d'une resurrection ». Un nouveau départ certes, mais d'un artiste qui revient d'entre les morts ! La polémique l'aurait donc tué ? Les procédés de scénarisation autour du retour sont donc bien présents et inextricablement liés a Underground. Nous voyons que le film n'a meme pas besoin d'etre cité ; pis, il se cacherait parfois dans l'intertextualité. En témoigne Le Monde du 1er octobre qui sous-titre pour l'occasion : « Chat noir, chat blanc. Kusturica quitte l'epopee politique et revient a la comedie ». On se doute bien que Le Monde rappelle son dernier film qui, selon le célebre quotidien, instigateur de la polémique, n'était qu'une épopée politique. Pour finir, nous notons que le réalisateur lui-meme entend voguer sur ce retour qui apparait comme une renaissance, sinon, un revirement. La Croix, a cet égard, utilise dans son titre et son accroche visuelle les propos du cinéaste qui déclare : « Avec ''Chat noir, chat blanc'', je reviens a une vision artistique du monde »136. Le cinéaste aurait-il opté pour ce choix de communication destiné a initier un retour apaisé ? C'est l'hypothese que nous mettons en avant.

2 - Alain ''m'a tuer''. Avantage Kusturica ?

Faisons un petit retour en arriere. A la suite de la polémique, Emir Kusturica s'est senti meurtri que son film ait été considéré comme de la propagande faisant l'éloge des bourreauxde

135 Numéro du 24 septembre 1998. 136Il s'agit du titre de l'article et entretien que lui consacre La Croix, datant du mercredi 30 septembre 1998.

101 l'époque ; et ce jusqu'au point de vouloir arreter le cinéma. C'est en tout cas cette raison qui fut mise en avant par le protagoniste lui-meme. Notre entretien avec Jean-François Fonlupt nous apporte néanmoins une version différente. Cette déclaration de cessation d'activité fut, selonnotre interlocuteur, motivée par un peu plus que des considérations d'un artiste vexé. En effet, rappelons- nous que des menaces de mort ont planés sur la tete du producteur et du cinéaste pendant la période du festival. Voici ce que nous explique M. Fonlupt : « Je vous donne l'explication de tout ça. Juste apres Cannes, un soir Emir m'appelle a la maison et me dit ''ecoute Jean-François, demain je vais annoncer que j'arrete le cinema... Alors tu fermes ta gueule, parce qu'en realite c'est pour faire tomber la pression par rapport aux menaces de mort qui pese a la foi sur moi et sur toi un peu moins maintenant mais a partir du moment ou je declare arreter le cinema, y'a plus aucun interet de me tuer''{...} donc il fait son annonce, effectivement des journalistes m'appelle, et je dis qu'on a eu une conversation et que la mort dans l'ame, j'ai ete oblige de me resoudre au fait qu'il arretait ». Au-dela de ce petit 'scoop' révélé par notre enquete, c'est la premiere fois que nous avons une preuve de l'implication de l'auteur lui-meme dans la construction de son personnage médiatique et dans sa capacité a controler sa médiatisation et les effets escomptés par une de ses déclarations. En effet, mise a part la nécessité d'une telle démarche, de survie dirait-on, c'est tout un imaginaire de victimisation qui pourrait s’échafauder. Quelles ont été les réactions face a cette déclaration ? Regardons a cet effet le corpus de Chat noir, chat blanc. Dans La Croix137, l'entretien avec le cinéaste constitue la majorité de l'article et s'ouvre de cette maniere : « Apres les violentes polemiques que votre film Underground a suscitees, vous aviez annonce votre abandon definitif de la realisation... Emir Kusturica : ''Je le pensais vraiment. Je peux etre tres vulnerable, et cette polemique m'a reellement abattu. Surtout cette etrange attaque d'Alain Finkielkraut dans les colonnes du Monde. Une attaque digne du Moyen Âge, sous une forme moderne ; une sorte d'extension de mon film qui parlait de manipulation, avec ce philosophe ecrivant sur mon travail sans l'avoir vu.'' ». Le cinéaste aurait été victime d'une espece d'inquisition en quelque sorte... L'événement du Jeudi nous offre un procédé similaire. L'entretien aborde lameme interrogation : « Edj : Pourquoi avoir declare, apres Underground, que vous arretiez definitivement le cinema ? E.K : Parce qu'un philosophe m'a tue. Alain Finkielkraut n'avait pas vu mon film, mais, en le flinguant, il s'est etrangement integre a l'histoire que le film raconte. » Nous avons clairement affaire a un procédé voulant faire du cinéaste une victime absolue de l'agression médiatique dont il a fait les frais. Comment cette victimisation est-elle perçue par les médias ? A vrai dire, plutot légitimement. Liberation138 nous offre peut-etre le plus bel exemple sous

137 Ibid. 138 30 septembre 1998.

102 la plume d'Olivier Séguret qui, en relatant la volonté passée du cinéaste voulant arreter le cinéma, se rassure : « comment a-t-on pu prendre au serieux la menace de cet ogre de la pellicule, qui declarait vouloir abandonner le cinema suite aux manœuvres improbes d'un penseur manque ? » L'attaque a Finkielkraut est acerbe. Pourtant le journaliste semble oublier que Liberation a offert au ''penseur manqué'' en question l'occasion d'enfoncer son clou encore une fois sur le film incriminé et, surtout sur son cinéaste pour cloturer la polémique. Le recul a-t-il donc donné un avantage a Kusturica ? Le retour de ce dernier avec une comédie plus légere qu'a l'habitude, couplée a son entreprise de victimisation devant une polémique injuste, a-t-il joué en sa faveur ? C'est l'hypothese que nous avançons. De fait, la plupart des médias, y compris ceux qui ont nourris cette « polemique plutot stupide en forme d'anatheme politique 139» donnent, avec le recul, raison, sinon avantage a Emir Kusturica. Pour finir, nous pouvons apporter une nuance a l'argumentaire du cinéaste en forme de victimisation. En effet, s'il utilise ce procédé pour la presse, il usera finalement d'un brin d'humour en forme de revanche pour expliquer son retour sur la scene cinématographique a la télévision française. En septembre 1997, France 2 réalise dans le cadre de son 20h, un reportage sur les lieux de tournage du prochain Chat noir, chat blanc sur les rives du Danube. Apres une question sur la place qu'occupe la culture et l'univers gitan dans la création du réalisateur, la journaliste embraye rapidement en demandant pourquoi le cinéaste est revenu sur sa décision d'arreter le cinéma apresla réception houleuse d'Underground. Sur ce, Emir Kusturica, nonchalant et esquissant un début de sourire goguenard et malicieux, répond sans ambages : « J'ai change d'avis en voyant les dommages que Bernard-Henri Levy pouvait causer au monde du cinema140. Je me suis dit : ''tu dois y retourner, tu ne peux pas laisser faire ça'' ». Est-ce que la télévision, peut-etre par sa vertu divertissante, par sa recherche de sensationnalisme, était le média par excellence pour ironiser sur les motivations qui ont amené le réalisateur a revenir sur le devant de la scene cinématographique ? Probablement. Pour autant, le réalisateur est conscient et s'efforce de maitriser les modalités de sa médiatisation et que chaque média, chaque temporalité, sont sujets a apporter une autre pierre dans la construction d'un personnage, une construction dont il entend prendre part.

139 C'est de cette maniere que Les Echos du 1er Octobre 1998 qualifie cette polémique. 140 Kusturica faisait référence au film Le Jour et la Nuit, réalisé en 1997 par Bernard-Henri Lévy, immense échec commercial et critique, considéré par certains critiques comme ''le plus mauvais film de tout les temps''.

103 TROISIÈME PARTIE Le temps des identités

104 Le temps des identités

Apres avoir consacré toute une partie a l'événement phare, du moins le pic de médiatisation de cet artiste concernant uniquement un film et une seule année, il nous fallait composer notre troisieme et dernier propos avec une temporalité élargie et une profusion de source pouvant dérouter le chercheur. Et pour cause, c'est presque vingt ans (de 1995 a aujourd'hui) que nous tentons de réunir sous les auspices d'un soucis de cohérence analytique. Partons du début. Emir Kusturica, nous l'avons vu, a essuyé une vive et virulente polémique en temps de guerre le poussant a arreter le cinéma, décision sur laquelle il revient trois ans plus tard a l'occasion de la sortie de son nouveau long métrage Chat noir, chat blanc a l'automne 1998. La capacité de survie a cette polémique, a cette cabale médiatique, serait peut-etre une des premieres composantes pour assurer l'installation durable d'un artiste devenant également une « valeur sure ». Pour appuyer cette hypothese, nous pouvons dire que, si une polémique peut etre qualitativement néfaste a un artiste, elle est quantitativement bénéfique a la visibilité. Les survivances de cette polémique, montrent d'ailleurs que les médias supputent que cette derniere était encore présente dans les esprits de chacun, meme trois ans apres les événements. La Palme d'or de 1995 représente la derniere grande distinction que le réalisateur a obtenue. Peut-on parler de déclin apres cette consécration supreme ? Si oui, comment l'artiste pallie a cette ''fatalité'' ? Quelles sont les modalités de l'installation durable d'une valeur sure du monde culturel ? Comment évoluent ses activités, ses identités, comment s'entrecoupent-elles ? Comment une personnalité s'émancipe-t-elle d'une activité principale ? Quels en sont les cadres de réception et la nature de leurs contenus ? Nous tenterons de répondre a toutes ces questions.

Chapitre V - Dispersion du statut artistique

Comme nous avons pu le voir pour la polémique Underground, Emir Kusturica n'a pas fait uniquement partie des cases 'culture' qui lui incombaient naturellement, étant donnée son activitéde réalisateur. La réception de son œuvre, de son personnage, de ses dires, ont été les objets d'un basculement de rubrique. Est-ce que ce basculement s'affirme par une ponctualité due a la polémique ? Ou bien, initie-t-il une nouvelle maniere de parler du cinéaste, a savoir par le biais de prismes différents, de cadres médiatiques énonciatifs pluriels ? L'activité protéiforme de cet artiste pourrait certainement donner les justifications nécessaires a cette maniere d'offrir une visibilité aux modalités nouvelles.

105 A°) Le constat d'une activité prolifique

1 - Le musicien (enfin?) aguerri

Musicien, Emir Kusturica l'a toujours été. Professionnel ? Depuis longtemps aussi, mais les médias ont dans leur immense majorité décidé, pendant tout le premier découpage de notre corpus, de reléguer cette activité a un hobby. Cette maniere de considérer cette activité ''sérieuse'' comme un passe-temps d'apparence participait, selon nous, a un procédé de starification, voulant parfois rehausser des éléments relatifs a la vie intime et personnelle du cinéaste au meme niveau qu'une information concernant son activité premiere de réalisateur. En témoignait notre analyse sémantique qui a vu cette activité constamment mentionnée au coté de sa pratique du football en amateur. Pour résumer grossierement, on peut dire que les médias voulaient moins parler des tournées chevronnées du No Smoking Orchestra que du fait que le dimanche apres midi, le cinéaste aimait bien taper dans le ballon et plaquer deux ou trois accords de guitare avec des copains d'enfance. Qu'en est-il de cette activité ''annexe'' dans cette nouvelle période ? Est-elle enfin considérée comme une activité artistique a part entiere ? Nous allons tenter de répondre a cette question en analysant simplement les cadres de réception. En 1999, Kusturica est en tournée mondiale avec son groupe. Il partage d'ailleurs l'affiche du festival des Transmusicales de Rennes au mois de décembre. Une telle actualité ne peut décidément plus s'aborder sous le prisme unique du hobby. La dispersion de son activité artistique dans la musique et sa visibilité dans un grand festival français de musique impose de fait aux médias de revoir le cadre dédié au relai de l'information. C'est ainsi que nous avons notre premiere source exclusivement dédiée a son activité de musicien141, cette fois-ci, professionnel. Le titre proposé par l'hyperbase de l'INA est d'ailleurs clair et précis : « transmusicales de Rennes ». Le descripteur ne mentionne pas « cinéma », « film » ou d'autres termes rattachant fatalement le cinéaste a l'activité qui l'a rendu célebre. Il y a donc basculement de rubrique, mais cette fois-ci, Kusturica passe de la rubrique ''cinéma'', a une rubrique clairement identifiée ''musique''. Le 29 mai 2000, la tendance s'accentue. Le Soir 3 propose un sujet tout simplement intitulé « Emir Kusturica en concert ». La dispersion de son statut est clairement énoncée. De plus, l'interview du frontman et chanteur Nele Karajlic nous donne une donnée intéressante. Il évoque la mauvaise orientation de Kusturica en assurant : « Il a fait une grosse erreur dans sa vie quand il a

141Cf source datant du 03/12/1999 a l'occasion du journal de midi de France 2 (MIDI 2)

106 commence a faire des films. Je crois qu'il ferait mieux d'arreter. Il pourrait etre un autre Carlos Santana {rires}. ». L'ironie est de rigueur, certes, mais nous avons tout de meme la parole donnée a des propos qui vont a l'encontre de son activité de réalisateur pour porter au pinacle son activitéde musicien. Si Kusturica a toujours et légitimement été un musicien professionnel, il n'a été étiqueté comme tel qu'a ce moment précis par les instances médiatiques. La légitimation d'une activité perçue comme la dispersion d'un statut artistique passe donc avant tout par la case d'information qui lui est dédiée.

2 - Evolution du personnage dans une dispersion protéiforme

Emir Kusturica ne s'arrete pas a la musique. L'évolution de son statut artistiqueet médiatique s'étoffe d'année en année. Commençons par celui, déja acquis de« voix de la Yougoslavie ». En effet, nous avons vu des la premiere période de notre corpus que, en médiatisant l'actualité cinématographique du cinéaste, les médias en profitaient parfois pour faire quelques précis politiques, culturels (au sens large), historiques etc... En somme, des composantesqui n'avaient souvent rien a voir avec le film en question mais qui s'inscrivaient dans une logique de ''bonne occasion'' pour parler d'un pays qui était peu médiatisé en tant que tel. Aussi a-t-on vu que ces ''occasions'' élargissaient les prérogatives naturelles du réalisateur qui devenait un interlocuteur privilégié pour parler aussi bien politique, histoire, actualité. Pourtant, notre période amorce, dans les cadres de l'information, une nouveauté assez révélatrice du statut qu'a acquis l'artiste, désormais figure médiatique incontournable lorsqu'il s'agit d'aborder la région dont il provient. Faisons un petit rappel d'un événement important dans l'histoire des Balkans. Le 5 octobre 2000, une révolte massive et populaire a lieu a Belgrade en vue de renverser définitivement le pouvoir de Slobodan Milosevic et instaurer une démocratie de fait. L'événement est médiatiséde façon, elle aussi, massive et occupe meme toute une édition spéciale du journal de 20 heures de France 2. Le lendemain de ce soulevement, Béatrice Schönberg annonce142, sans transition apres un reportage sur le soulevement en question, « Et en direct de Normandie, l'un des citoyens yougoslaves a la renommee internationale, Emir Kusturica bonsoir, tout d'abord, quel message voulez-vous envoyer au peuple serbe et a son nouveau president elu143 ? ». Un tel événement éminemment politique, n'aurait pu réellement etre traité avec une personnalité appartenant

142Journal de 20 heures de France 2 le 06/10/2000 143La présentatrice fait référence a Vojislav Kostunica, désigné par l'opposition

107 exclusivement au monde du cinéma. Kusturica appartient désormais a l'imaginaire collectif lorsqu'il s'agit d'aborder quelle question que ce soit concernant les Balkans. Pourtant il y a une nouveauté dans cette façon dont les médias français ont décidé de désigner de maniere officieuse le cinéaste comme ambassadeur médiatique de Serbie. La vitrine qu'on lui propose pour s'exprimer n'a meme plus besoin de s'encombrer des cases « cultures » qui incombaient naturellement au cinéaste. Mieux encore, nous avons affaire a un duplex, prouvant tres certainement l'urgence de recueillir a chaud les réactions d'un interlocuteur de choix pour commenter cet événement politique. La dispersion du statut est encore une fois illustrée de maniere éloquente par ce nouveau cadre de médiatisation qu'est le duplex. Cinéaste, musicien, analyste politique de circonstance, l'énumération des nombreuses facettes médiatiques d'Emir Kusturica ne s'arrete pas la. En 2004, a l'occasion du tournage et de la sortie de son nouveau long métrage La Vie est un miracle, le cinéaste décide de créer de toute piece un village qui servira de décor a son film. En fédérant de nombreux ouvriers et spécialistes de la construction, le cinéaste crée ex-nihilo tout un village en bois et une voie ferrée, ou l'on peut encore humé la nostalgie d'une certaine Yougoslavie, maintenant éteinte depuis de nombreuses années. En allant a l'encontre du principe d'éphémérité du décor, Emir Kusturica a en réalité le projet d'ériger un véritable lieu de vie et deculture : Küstendorf. En alliant son nom au suffixe allemand signifiant ''village'', il décide de dédier ce lieu a un festival annuel qui se présentera comme un lieu promouvant un cinéma d'auteur de jeunes et prometteurs réalisateurs, une scene musicale anti-commerciale, ainsi qu'une place forte de l'alter- mondialisme et du développement durable. La premiere édition du festival a lieu en 2005 et voit Emir Kusturica consacré, cette fois-ci, comme architecte en recevant le prix Philippe Rotthier, récompensant ainsi le cinéaste et musicien qui a reproduit l'architecture originelle de son pays comme facteur de pacification, source de réconfort et élan pour l'économie touristique de la région. La presse ne tarde pas a s'emparer de cette nouvelle information et ce des la période du festival de Cannes 2004 qui voit son film La Vie est un miracle en compétition officielle. Le Nouvel Observateur titre tout simplement « Pour son nouveau film... Kusturica a construit un village ». ''Pour son nouveau film...'' est d'une police largement plus petite que le reste du titre qui voit le nom du réalisateur et le mot ''village'' agrémenté d'une majuscule systématique. L'en-tete nous conforte sur le fait que le sujet de l'article n'est pas le film en tant que tel, mais davantage la démarche du cinéaste de construire un village : « Une folie. Depuis pres d'un an, dans les montagnes serbes, a 250 kilometres de Belgrade, Emir Kusturica batit un village dont il est le maire, l'entrepreneur, le musicien et surtout le cineaste. Avec ''La Vie est un miracle'', presente a Cannes, il concourt pour une... troisieme Palme d'or ». L'accroche est clairement dédiée a la ''folie'' d'avoir construit un

108 village. Et pour cause, l'article n'est pas écrit par un critique de cinéma resté a Paris pour visionner tranquillement le film et composer une critique, mais par Pascal Mérigeau, envoyé spécial sur les lieux du chantier. D'ailleurs l'article ne fait que mentionner le fait que ce village soit le décor naturel du film. Les trois pages du dossier sont essentiellement consacrées au chantier, aux motivations du cinéaste/architecte/''dictateur'' de ce nouveau lieu de vie, et des nombreuses futures fonctionnalités dont il sera doté. Pour la critique du film en question, il faut feuilleter l'hebdomadaire pour arriver a la partie Tele Obs Cinema et découvrir la critique qui ne fait pas plus d'une demi page. L'information annexe, a savoir le chantier qui a permis le décor du nouveau film, non seulement se sert de l'actualité du film, mais supplante quantitativement et qualitativement l'information strictement cinématographique et critique. Est-ce que le Nouvel Observateur voulait de cette maniere davantage médiatiser l'architecte et la dispersion d'un statut qu'essentiellement le cinéaste ? C'est probable. En tout cas, on en vient a penser que Kusturica est devenue une figure artistique installée et qu'il est nécessaire, pour la logique commerciale d'un média, de diversifier l'offre que l'on propose de cette figure installée. En d'autres termes, on recherche davantage l'exclusivité d'une activité hors du commun que l'étalage systématique et attendu d'une critique de film. Au fur et a mesure, le statut de cet artiste connait une évolution protéiforme. On le verra meme médiatisé en tant qu'écrivain en 2011 pour la sortie de son autobiographie Ou suis-je dans cette histoire ?144. En somme, Emir Kusturica devient un artiste implanté de façon durable dans le paysage audiovisuel français en partie grace a la dispersion de son statut qui lui permet d'apporter les justifications nécessaires a une médiatisation quasi-continue. Bien évidemment il y a des pics de médiatisation comme nous pouvons le constater en 2004, 2005 ou encore en 2008.

mediatisation generale par annee

Pourtant, et ce depuis la polémique Underground, on constate dans l'évolution des

144Parue au édition JC Lattes et traduit du serbe.

109 récurrences de médiatisation pour notre troisieme découpage, la formation de conglomérats qui sont tres certainement les résidus visuels de la dispersion de ce statut artistique et public protéiforme.

3 - Et le cinéma dans tout ça ?

Avec cette profusion d'activité et la myriade d'occasions de se faire médiatiser pour telle ou telle activité autrefois annexe a l'information, on en vient a se demander ou est passée l'activité premiere de cet artiste. Nous allons voir que le cinéma, activité maitresse de cette personnalité, se trouvera également au cœur d'un processus de dispersion ou plutot, d'une polyvalence affichée dans un meme secteur artistique. En effet, Emir Kusturica devient acteur, un acteur essentiellement français. Naturalisé a la fin des années 90, le cinéaste réside principalement en France et entend bien poursuivre sa carriere en étroite collaboration avec l'industrie cinématographique de son nouveau pays d'adoption. Les spectateurs avertis ont déja pu faire l’expérience de son jeu dans Le Temps des Gitans, Arizona Dream ou encore Underground ou le réalisateur faisait des apparitions discretes comme personnage secondaire. Cette mise en abyme de circonstance en forme de clin d'œil que l'on nomme ''caméo'' est une pratique que l'on découvre chez Alfred Hitchcock ou encore Quentin Tarantino dans le culte et palmé Pulp Fiction, ou encore dans son premier long métrage Reservoir Dogs. C'est en 2000 que la nouvelle carriere d'acteur du cinéaste débute en France avec La Veuve de Saint-Pierre de Patrice Leconte. Il partage l'affiche des trois roles principaux aux cotés de Daniel Auteuil et de Juliette Binoche. La sortie du film fait d'ailleurs l'objet d'un sujet de l'édition nationale du journal de France 3145. Apres l'explication du synopsis, la voix-off de la journaliste releve avec intéret le role du cinéaste en expliquant que « on {le} decouvre pour la premiere fois derriere la camera ». ''Pour la premiere fois'' pourrait paraitre quelque peu péremptoire, pourtant il est vrai que le cinéaste ne s'emploie pas juste a ''dépanner'' un collegue ou faire un simple clin d'oeil : il devient véritablement un acteur de premier plan en partageant l'affiche avec deux des figures d'acteurs les plus installées du cinéma français. En 2009, apres quelques petits roles Affiche de ''La Veuve de Affiche de ''L'Affaire Saint-Pierre'' peu remarqués dans des courts métrages Farewell'' 145 19/20 : Edition nationale du 16/04/2000

110 (principalement), on redécouvre le cinéaste au coté de Guillaume Canet dans L'Affaire Farewell. Sans réellement rentrer dans l'analyse du film, on voit d'ores et déja, et ce grace aux affiches destinées a promouvoir le film, que l'acteur-réalisateur partage visuellement le cadre a parts égales avec les autres acteurs. Ce procédé visuel tend a légitimer cette autre dispersion du statut artistique. Contrairement a Quentin Tarantino que nous avons cité un peu plus haut, Emir Kusturica et son activité d'acteur, bénéficie d'un processus de légitimation passant avant tout par lesprocédés promotionnels des objets culturels. On en vient par extension a se demander si le nom de ce réalisateur, de cette figure artistique incontournable ne serait pas aussi un argument ''marketing'', un ''label'' de qualité pour promouvoir un film ou tout autre produit culturel. On relevera Nicostratos le pelican d'Olivier Horlait en 2011 et Au bonheur des ogres en 2012 de Nicolas Bary. Par soucis de rigueur méthodologique et de clarté, nous ne pouvons pas aller au-dela de ce constat puisque nous avons décidé de ne pas incorporer les sources médiatiques relatives a ces œuvres dans nos analyses de contenu. Néanmoins, nous voyons s'offrir a nous plusieurs éléments de compréhension : 1 – En n'étant acteur que pour des cinéastes français, Emir Kusturica entend tres certainement privilégier un espace de réception auquel il décide d'appartenir en priorité 2 – les cinéastes français etles producteurs ont tres certainement compris l'atout d'un tel nom dans leur distribution, 3 – ses apparitions réactualisent a chaque fois le capital de visibilité d'un cinéaste qui espace de plus en plus les sorties de ses long-métrages. Serait-ce un besoin de rester sur le devant de la scene ? En plus d'estampiller certains films français par sa présence et la valeur ajoutée que peut représenter son nom, Emir Kusturica va connaitre un épisode important dans sa vie de cinéaste. Cannes et lui, « c'est une histoire d'amour depuis 20 ans »146. C'est tout naturellement que le célebre rendez-vous du 7eme art lui propose d'etre le président du jury en 2005 pour sa cinquante-huitieme édition qui décernera les récompenses les plus convoitées du cinéma d'auteur. Cette dispersion ''cinéaste – président du jury'', concourt avant tout dans l'installation du cinéaste comme valeur sure dans le monde du cinéma. L'événement ne passera pas inaperçu et fera d'ailleurs l'objetde nombreuses breves, sujets et reportages au sein de l'information télévisuelle. On comprend l'importance de cet événement dans la vie artistique du cinéaste. Il se traduit d'ailleurs visuellement sur notre graphique précédent par le pic de médiatisation le plus important de notre troisieme découpage. Pourtant, l'importance médiatique de cette annonce se révélerait dans son intermédialité. En effet, parallelement a cette information, Emir Kusturica va etre l'objet d'un procédé rare et prouvant la visibilité et l'importance d'une personnalité dans les médias : il aura sa marionnette au Guignols de l'info sur Canal Plus. Sa marionnette sera essentiellement utilisée pendant la période du

146 C'est de cette maniere que l'émission ''Comme au cinéma'' sur France 2 clot son sujet concernant Emir Kusturica comme président du futur festival de Cannes 2005 le 19/04/2005

111 festival et sous le prisme exclusif de sa qualité de ''président du jury''. Les procédés de scénarisation et les imaginaires que la marionnette véhicule ne sont pas ici l'objet de notre propos et seront disséqués plus tard. Cependant, le constat de la création de cette marionnette pendantcette temporalité particuliere, appuie l'importance médiatique de cet événement. Il prouverait également que cette ''consécration artistique'' était peut-etre la derniere pierre a apposer dans l'installation durable de la figure de cet artiste dans l'imaginaire collectif. Finalement, on en viendrait a dire que si la nomination comme président du jury est une consécration artistique, la consécration médiatique serait tres certainement d'avoir sa marionnette aux Guignols. Le 7eme art devient, dans ses propres frontieres, matiere a la dispersion artistique. De cinéaste, Emir Kusturica a élargi ses prérogatives jusqu'a etre considéré comme un acteur apart entiere et un président de jury. Rappelons qu'il est aussi producteur puisqu'il gere sa société de production ''Rasta International'' basée a Belgrade, et qu'il fut aussi réalisateur de publicité pendant les années 90 pour le compte de la Banque populaire, de Paco Rabanne, ou encore des cigarettes suisses ''Parisiennes''. Bref, la polyvalence de ses activités qu'il s'emploie a démontrer dans sa discipline reine participe a une réactualisation durable de son capital de visibilité et ce, de maniere quasi-continue jusqu'a la fin de notre période.

B°) Les conséquences de la dispersion artistique

Tant de dispersion ne passe donc pas inaperçue. A l'impact direct que cette dispersion a sur les cases et le rubriquage de l'information s'ajoutent les conséquences dans les contenus médiatiques. Elles doivent bien évidemment s'analyser en terme de discours et de procédés de scénarisation. Quels procédés cette dispersion va-t-elle initier ? Comment vont cohabiter le Kusturica musicien, le Kusturica architecte/maire, le Kusturica écrivain etc... dans les discours et les représentations que l'on a de son personnage ?

1 - Les enjeux d'un transfert du capital de visibilité

Nous l'avons vu, les nombreuses activités médiatisées de l'artiste appartiennent a des univers artistiques différents. Dans ces univers, le cinéaste est rarement seul et doit composer avec les forces vives et créatrices qui l'entourent. L'exemple le plus flagrant serait sans aucun doute le groupe de musique auquel il appartient. En effet, le No smoking Orchestra met en valeur nombres de musiciens se partageant la scene et est menés par l’infatigable Nele Karajlic. Quelle sera la

112 propension respective des membres a etre médiatisés ? Le relai d'information concernant l'activité de musicien du célebre cinéaste au sein du groupe profiterait-elle a part égale a ce dernier et aux membres du groupe ? Analysons l'actualité de ce groupe : elle se divise clairement en deux ''occasions'' pourrait-on dire. Premierement, il y a bien sur l'actualité des concerts ou de la sortie d'album (souvent allant de paire chronologiquement parlant). Deuxiemement, Emir Kusturica a décidé pendant leur tournée mondiale de 2000 de réaliser un documentaire sur le groupe a l'aide d'une petite caméra Super 8147. En alliant images d'archive, prises de vue 'live' d'un concert échevelé, images 'back-stage' et entretiens des membres en mettant en exergue l'histoire récenteet dramatique des Balkans, le documentaire Super8 Stories d'Emir Kusturica sort en 2001 dans les salles françaises. Analysons rapidement la revue de presse qui traite de ce film dans notre corpus. Commençons par Le Point148 qui propose une synthese assez révélatrice de la teneur des informations des articles courts concernant le film : Quand il ne tourne pas des films genialement inventifs, Emir Kusturica s'adonne a des prestations musicales avec son groupe, le No smoking Orchestra, qui exerce ses talents dans un punk tsigane aussi improbable qu'energique. Ce documentaire consacre aux concerts de l'orchestre hysterique et a la personnalite de ses musiciens ne se contente pas du cahier des charges promotionnel mais propose, en creux, une poignee de meditations desabusees sur l'ex-Yougoslavie. On le voit bien, si on médiatise bien sur un ''film d'Emir Kusturica'', l'étalage du synopsis offre inévitablement une vitrine précieuse pour un groupe qui bénéficiait peu ouproude médiatisation en France mis a part certains médias spécialisés. Ici, le cinéaste offre clairement son capital de visibilité dans le cadre d'une information ''grand public'' et d'un potentiel de réception élargi. En melant le produit culturel de son activité de cinéaste a son activité de musicien, il multiplie le potentiel de médiatisation dont le groupe peut bénéficier. Voyons les modalités de ce transfert de capital de visibilité dans l'information télévisuelle. Bizarrement, nous n'avons aucune source concordant temporellement avec la sortie du film. Nous avons, au contraire une bonne concentration de source pendant l'année 2000. Cette année 2000 correspond a la tournée mondiale du groupe qui s'est, pour l'occasion, produit sur de nombreuses scenes françaises. La plupart des sources sont des reportages de journaux télévisésd'édition nationale. Nous voyons également une source appartenant a l'émission Vivement Dimanche, programme grand public animé par Michel Drucker. Cette source nous propose la prestation ''live'' du groupe a l'initiative de la production dans le cadre de l'invitation faite a Richard Bohringer. Bien évidemment, Michel Drucker introduit le sujet en parlant essentiellement de Kusturica pour enfin nommer le groupe en question et ajouter : « c'est une belle surprise que nous fait Emir Kusturica de

147 Célebre format cinématographique 8mm lancé par Kodak en 1965 pour le film amateur 148 Edition du 5 octobre 2001

113 venir jouer avec ses copains ». Il y a clairement un transfert de visibilité amorcé du cinéaste vers le groupe. Si apres le live Emir Kusturica et Nele Karajlic, le frontman du groupe, sont invités sur le célebre canapé rouge, l'entretien dérive rapidement vers l'activité du réalisateur et ses prochains projets. Ainsi, le transfert du capital de visibilité serait a double tranchant : une promotion exclusive et autrefois inaccessible pour ce groupe, mais une mise en valeur quasi systématique du cinéaste, et ce, parfois completement détaché de son activité de musicien. Dans l'information, nous voyons a peu de choses pres le meme procédé. Le reportage de France 2, pour son édition de midi concernant le concert du groupe au transmusicales de Rennes, s'ouvre directement sur des images de la prestation 'live'. Mais les plans choisis sont constamment des plans serrés sur Emir Kusturica. L'accroche énonciative s'allie tres bien avec l'image : « Emir Kusturica a retrouve le groupe avec lequel il jouait il y a 12 ans »149. La focalisation est clairement assumée. Quelques mois plus tard, France 3 et France 2 décident de médiatiser le groupeen consacrant également des reportages sur le No Smoking. Pourtant, on est étonné par les titres des sources : ''Emir Kusturica en concert'' pour le Soir 3 et ''Portrait KUSTURICA'' pour le 20 heures de France 2150. Dans le contenu, le cinéaste centre la majorité du discours sur lui. Bien évidemment, le groupe est a l'image, mais toujours en arriere plan. Il y a bien une explication de leur style musical punk-tsigane qu'ils appellent le « Unza Unza », mais toujours expliqué par Kusturica, se portant aux yeux des médias comme l'unique dépositaire de cette musique. Aussi, les seuls musiciens qui obtiennent quelques secondes de médiatisation sont le chanteur Nele Karjlic et le batteur. Mais pour le chanteur et frontman, les discours rapportés sont encore une fois centrés sur le cinéaste en parlant avec ironie de sa ''vocation ratée'', ou encore de la place qu'il occupe au sein du groupe dans l'ombre gigantesque du réalisateur. Si le batteur est médiatisé... c'est tout simplement parce qu'il est le filsde Kusturica. Stribor, de son prénom, assure la batterie depuis quelques temps déja, et France 2 d'ajouter : « le clan Kusturica est en force ». Du coté de France 3 on note exactement la meme chose. On donne la parole a Stribor Kusturica pour qu'il parle de la jeunesse de son pere : « Papa quant il etait jeune, il etait pas punk, mais il coupait les cheveux des hippies{rires} ». Bref, on voit bien que le transfert de capital de visibilité offre, certes, une vitrine promotionnelle nouvelle pour un groupe, mais toujours sous les augures et a l'ombre d'une personnalité. La logique de visibilité, si elle se transfere et circule, prend toujours racine dans le nom et le capital préexistant du cinéaste qui en profite aussi pour rester visible de maniere continue. En somme, sa polyvalence de façade assoit son statut de réalisateur aux yeux du grand public puisqu'on en revient toujours a parler de ses films.

149 Cf source : ''Transmusicales Rennes'' 03/12/1999 150 Les deux sujets sont diffusés le 19/05/2000 pendant la tournée du groupe

114 Peut-on parler de ''Nébuleuse Kusturica'' ? Assurément. Mais dans cette nébuleuse se distingue clairement une super nova comme centre gravitationnel accaparant la lumiere.

2 - A la dispersion répond une cohérence visuelle et lexicale : l'installation des logotypes comme premier point de repere

La dispersion du statut artistique est manifeste et s'exprime dans de multiples domaines. Elle répond également a une dispersion des cadres dédiés au relai d'informations concernantles nombreuses activités de l'artiste. Aussi, la ''dispersion'' artistique pourrait apparaitre de maniere dépréciative et faire passer l'activité du cinéaste de ''prolifique'' a ''prolixe''. Finalement, pour rendre compte de maniere positive de cette dispersion, l'artiste, ainsi que les médias, ont du appuyer une certaine cohérence. Comment Emir Kusturica et les médias s'en sont-ils pris pour rendre quasiment naturel cet éparpillement protéiforme ? En reprenant notre métaphore de la nébuleuse, dans quelle mesure peut on parler d'un univers qui incomberait a l'artiste et rendrait, de facto, cohérent le morcellement de son activité ? Le procédé le plus judicieux pour commencer a comprendre la cohésion d'une personnalité dispersée c'est de s'intéresser d'emblée a des éléments visuels : les logotypes. Par logotypes nous entendons tout objet ou attribut qui pourrait remplacer la dite personnalité dans des procédés d'identification. Pour dire les choses plus simplement, un cliché d'une chevelure blonde généreuse et bouclée et des lunettes de soleil a la monture large et blanche suffirait a identifier, dansla conscience collective de toute personne avertie, le personnage de Michel Polnareff. Comme nous le voyons ici avec la pochette d'une compilation de l'artiste, la simple évocation visuelle a ses logotypes permet l'identification. En somme, le logotype concentrerait l'essence visuelle d'une personnalité artistique et médiatique dans des détails, des attributs évocateurs pouvant vivre détachés de la personnalité. Bien évidemment, les structures et les choix de communications des industries artistiques Pochette de l'album de (dans ce cas précis la maison de disque qui s'occupe de Polnareff) - ainsi Michel Polnareff ''La Compilation'' sorti en 1991 que les artistes eux-memes - sont bien conscients du potentiel de réception de ces logotypes lorsqu'il s'agit de promouvoir des artistes déja installés. Une question d'image en somme. Dans quelle mesure peut-on donc trouver des logotypes a Emir Kusturica ? Etant une figure installée durablement dans le paysage artistique et médiatique, a quels attributs pourraient se résumer l'essence de son identité visuelle ? Dans la presse, lorsque les articles sont agrémentés de

115 photos, c'est tres souvent pour illustrer une scene du film en question. Pourtant nous voyons également des portraits de l'artiste, des plans souvent resserrés sur son visage ou le cinéaste arbore constamment... un cigare151. La récurrence de cet objet se voit également dans la plupart des entretiens que l'on a du cinéaste a la télévision. En 1998, pour son grand retour au cinéma et pour la sortie prochaine de Chat noir chat blanc, on voit Emir Kusturica s'entretenir devant la caméra du 20 heures de France 2152 avec un cigare a la main... un cigare éteint. On en viendrait presque a penser que le cinéaste a délibérément voulu etre présenté a l'écran avec ce cigare. Aussi, l'endroit de l'entretien est d'une exiguïté prononcée et pourrait apparaitre étonnante. En effet, le cinéaste est assis en équilibre de maniere a pouvoir rentrer dans cet endroit truffé de bibelots folkloriques et de vases dorés ressemblant a ces récipients d'encens que le Pope utilise pour bénir la foule. Onse doute bien que l'endroit a été choisi avec soin pour son décor et non son confort. Onpeut raisonnablement émettre l'hypothese que l'artiste, aussi bien que les médias, est conscientdu potentiel de réception de ces logotypes folkloriques et qu'il garde délibérément son cigare, pourtant éteint, entre les doigts pendant toute la durée de l'interview par soucis d'identification, par soucis d'image. La télévision nous appuie ce constat dans le sujet du Soir 3153 portant sur Emir Kusturica en concert. Le sujet s'ouvre directement sur Emir Kusturica descendant du ''Tour bus'' : « Guitare, cigare et lunettes noires, voici Emir Kusturica dans le role du realisateur-rockeur ». L'accroche du sujet est résolument tournée sur les logotypes du cinéaste, comme s'ils suffisaient a introduireun personnage connu et reconnu. Meme la presse, lorsqu'elle manque de cliché, propose dans ses articles une réception des logotypes du cinéaste comme le fait le Nouvel Observateur du 13 mai 2004154 lorsqu'il écrit : « {...}du matin au soir il a toujours a la bouche un cigare, eteint le plus souvent ». Mais pour réellement s'assurer de l'impact durable d'un tel logotype, il nous fallait une source annexe prouvant de maniere absolue l'importance de ce logotype dans l'image que l'on se fait du réalisateur. Nous le voyons tous simplement faire la couverture de Cigares, spirits & co Magazines en Février-Mars 2008. L'image est éloquente et se passe d'explication. Une rapide recherche ''Google Images'' suffit a se conforter dans l'idée que cet objet participe de façon assumée a l'identification de l'artiste. A ces logotypes, nous voulons rajouter d'autres éléments La couverture du magazine en question 151 Le dossier du Nouvel Observateur du 24 septembre 1998 152 Cf source : JA2 20h ; 28/09/1998 153 Cf source du 29/05/2000 154 Dossier concernant La Vie est un miracle ainsi que le village que le cinéaste a construit

116 visuels d'ordre lexical. En somme, des mots spécialement dédiés au cinéaste. Nous voyons a cet effet l'installation, dans cette troisieme période, de néologismes pour le moins surprenants. Pour la temporalité de Chat noir chat blanc, le Figaro155 titre tout simplement son article « Kusturiland ». La journaliste ouvre d'ailleurs de cette maniere son article : « Connaissez-vous un pays ou les cochons depecent les Trabant ? Ou les oies executent des ballets savants ? Ou les maries volent et les morts ressuscitent ? C'est le monde surrealiste et delirant d'Emir Kusturica, que l'on retrouve avec le plus grand bonheur dans Chat noir chat blanc ». L'accroche et le titre de l'article veulent participer a l'élaboration d'un monde qui est propre au cinéaste. Aussi, le néologisme ''Kusturiland'' apparait comme un logotype lexical résumant a lui seul l'univers que l'on attend du cinéaste. Pour La Vie est un miracle en 2004, Le Point utilise exactement le meme procédé en annonçant : « Bienvenue dans Kusturicaland, pays tonitruant et suicidaire 156». Le journal La Croix s'adonne au meme exercice linguistique puisqu'il convient « {…} qu'il soit impossible d'anticiper les pirouettes kusturiciennes ». Le patronyme devient clairement objet d'identification et de création linguistique pour résumer en un mot des attributs épars propre a l'univers d'un artiste. Enfin, dans cette appropriation du nom de l'artiste vient se greffer une sorte de familiarité, comme se l'autorise Telerama encore une fois en 2004 lorsqu'il affirme : « La demesure n'ecrase pas ''La vie est un miracle'', en depit de quelques boursouflures sans lesquelles ''Kustu'' ne serait plus lui-meme ». L'artiste bénéficie d'un diminutif familier désormais. Et il est d'ailleurs extremement utilisé dans le langage de ceux qui le connaissent et consacrent une activité a l'artiste. En témoigne tout simplement le site le plus visité concernant Kusturica, véritable mine d'information créée par Mathieu Dhennin157, et s'intitulant tout simplement « kustu.com ». Finalement, la figure d'Emir Kusturica est si bien implantée dans le paysage audiovisuel et médiatique français que son image et son nom sont utilisés, détournés, et constituent une matiere d'appropriation linguistique voulant résumer un monde qui lui est propre. De ce fait, a la dispersion artistique répond la permanence d'une image par des logotypes et des procédés lexicaux liant ces activités a un certain univers cohérent. Intéressons-nous des a présent a cet univers si caractéristique qui réunirait les éléments disparates d'une identité complexe au sein d'un meme paradigme singulier et propre a l'artiste.

155 La critique est signée François Maupin dans Le Figaro du 30 septembre 1998. 156 Édition du 13 mai 2004. 157 Il est d'ailleurs l'auteur de Le lexique subjectif d'Emir Kusturica. Cf Bibliographie.

117 3 - Un univers comme solution a la dispersion : un choix assumé aussi bien par l'artiste que par les médias. a°) Sur scene comme sur un plateau : une musique a l'image de son cinéma. Comme nous l'avons vu, la dispersion du statut artistique d'Emir Kusturica s'illustre particulierement par son activité de musicien. Comment les médias et l'artiste lui-meme ont pu légitimer cette dispersion ? Par quels procédés fut-elle expliquée ? La presse relative a l'actualité cinématographique de l'artiste mentionne son activité de maniere assez évocatrice. L'Express158, dans son dossier de quatre pages consacré a la sortie prochaine de Chat noir chat blanc destine tout de meme la moitié d'une page a son activité de musicien par un encadré intitulé : « Tout pour la musique ». Il explique d'ailleurs cet attrait naturel du cinéaste pour la musique en commençant son papier par « Le cinema, la musique et Kusturica ne font qu'un. ''Un film, dit il, s'apparente davantage a une partition ou a un spectacle de cirque'' ». Le média, clairement conscient de la dispersion cherche tout simplement a parler d'une résolution naturelle. Finalement, la dispersion n'est qu'une façade et trouve une résolution authentique dans la personnalité du réalisateur : ''ils ne font qu'un''. Aussi légitime-t-il cette résolution par les propos du cinéaste qui amorce une analogie assumée entre ses deux activités. La télévision est a bien des égards le média le plus intéressant lorsqu'il s'agit de rapprocher les deux pratiques artistiques au sein d'un meme paradigme, d'un meme univers. Dans le sujet de France 2 portant sur la prestation du groupe aux Transmusicales de Rennes159, Emir Kusturica lui- meme rapproche naturellement ses deux activités en déclarant « La musique est quelque chose que je ressens quand je fais un film ». La dispersion se rattache donc a l'activité reine de l'artiste. Mais c'est clairement le média qui amorce sémantiquement l'identification d'un univers, d'un tempérament artistique puisqu'il conclu que« avec le No Smoking, Emir Kusturica arrive a prolonger sur scene l'ambiance de ses films ». La dispersion comme premiere donnée est automatiquement annihilée, sinon au moins atténuée, par la cohésion d'un univers artistique qu'on entend mettre en avant. Ce procédé devient une récurrence dans toutes les sources traitant de son activité de musicien. Le Soir 3 du 29 mai 2000160 décrit les prestations scéniques de cette maniere : « Sur scene il reproduit l'univers delirant de ses films, le No smoking a d'ailleurs compose la musique de ''Chat noir chat blanc'' ». Ainsi, si la musique est « pour lui une maniere de s'exprimer autrement »161, elle n'en

158 Édition de l'hebdomadaire datant du 1er octobre 1998. 159 Cf source MIDI 2 ''Transmusicales de Rennes'' 3 décembre 1999. 160 Cf source : ''Emir Kusturica en concert'' 161 Cf source MIDI 2 ''Transmusicales de Rennes'' 3 décembre 1999.

118 demeure pas moins assujettie a un univers la rapprochant inexorablement de son activité de cinéaste. Il y a manifestement une recherche de cohérence derriere cette façade de dispersion, une cohérence permise par un univers estampillé ''Kusturica'' et dont il est l'unique dépositaire. Mais dans cette recherche de cohérence, qui est un choix clairement assumé aussi bien par les médias que par l'artiste lui-meme, nous pouvons émettre l'hypothese d'un effet escompté. En effet, ce procédé participerait selon nous a un effet promotionnel. ''En recréant le meme univers sur scene que dans ses films'', nous pouvons comprendre dans l'intertextualité d'une telle démarche et d'un tel discours que ''si vous avez aimé les films, vous aimerez aussi sa musique (et vice versa)''. La cohérence recherchée pourrait donc etre un choix promotionnel, un argument marketing. b°) Une vie aussi baroque que son cinéma : le ''cirque Kusturica'' Finalement, on en vient a penser que peu importe l'activité pour laquelle cet artiste est médiatisé, elle sera toujours conforme a un univers rassemblant la dispersion dans un paradigme d'imaginaires, de codes et de représentations cohérents. A force de véhiculer un tel univers, onen vient a penser qu'il est indispensable pour identifier l'artiste. On pourrait se demander aussi dans quelle mesure l'identification de cet univers dépasserait la frontiere de l'activité artistique. En effet, comme la notion théatrale du ''quatrieme mur'', les barrieres seraient franchies et l'artiste et son œuvre ne formeraient qu'un. Comment résumer l'univers d'Emir Kusturica ? Certaines sources nous donnent quelques pistes intéressantes. Ainsi, en 1997, sur les lieux de tournages de Chat noir chat blanc, film a l'aide duquel l'artiste renoue avec la culture tsigane, un reportage de France 2162 décide comme accroche de rappeler cet univers propre au cinéaste : « On est deja dans l'univers d'Emir Kusturica : les verres sont opaques, la biere toujours tiede, mais la musique et les rires donnent une grace singuliere a la misere ». Les plans choisis pour illustrer ces propos montrent les rives du Danube qui accueillent des fanfares, une sorte de cirque improvisés et des campements ou les gens boivent, dansent et mangent du poisson grillés. A la suite de cette séquence, nous retrouvons le cinéaste qui déclare « je me suis toujours sentis proche des Gitans{...} je n'accepte pas les regles ». Le montage et l'enchainement de séquences montre déja une tendance du média a vouloir rapprocher l'univers mis en scene sur le plateau du tournage avec le tempérament du réalisateur. Nous remarquons d'ailleurs ce procédé dans la continuité durant tout notre corpus. En 2004, a l'occasion de la sortie de La Vie est un miracle, le journal Le Monde tente aussi un résumé de l'univers en écrivant : « De ce Romeo et Juliette dans les Balkans, Kusturica fait l'un de ses plus beaux films. Kitsch, baroque, extravagant, avec fanfares et ripailles, coups de pistolet tires en l'air

162 Cf source JA2 20H 4 septembre 1997.

119 en plein bastringue, danses des ventres imbibes d'alcool sur les tables de festin, tintamarres de tubas, bustes fracasses et trains miniatures, liesses ou s'etreignent et s'epient Gitans et contrebandiers. Les braves gens a l'affut du moindre flonflon cotoient les canailles et les charognards, qui sniffent de la coke a meme les rails du cheval a vapeur. Tout l'arsenal de l'auteur du ''Temps des Gitans'' est la : euphorie jusqu'a la surexcitation, reves teintes de surnaturel, bordel zoologique, plaintes et bacchanales sublimees par l'accordeon, chariot d’hopital transformee en folle luge de scenic-railway. » Le journal travestit ici la critique de film en faisant un étalage des spécificités du cinéma de Kusturica, de son ''arsenal''. Les Gitans n'ont aucune place dans le film en question mais sont tout de meme cités comme s'ils en faisaient partie intégrante. Ainsi le cinéaste véhicule un imaginaire baroque singulier et ceci indifféremment du produit culturel mis en valeur. L'installation durable de son personnage et donc de son univers concourt a la réactualisation systématique du capital de visibilité de toute son œuvre, comme on le voit avec la référence faite au Temps des Gitans. Mais les sources qui représentent a tout point de vue l'expression la plus éloquente de cet univers sont sans aucun doute celles ou sa marionnette est mise en scene dans les sketches des Guignols de l'info. Comme nous l'avons expliqué auparavant, Emir Kusturica a eu sa marionnette durant l'année 2005, en concordance avec la temporalité du festival de Cannes ou il fut présidentdu jury. Le nombre de récurrence montre l'importante médiatisation de ce nouveau statut. Comment les Guignols ont-ils mis en scene la marionnette d'Emir Kusturica ? En connaissant l'aspect résolument satirique et caricatural de l'émission, comment l'artiste est-il apparu sous les traits de son avatar stéréotypés ? Le sketch, récurent tout au long du festival163, montrait le journaliste cinéma de la chaine Canal Plus Laurent Weil tenter d'interview Emir Kusturica dans toutes sortes de circonstances, en vain. En effet, a chaque fois, surgissait de nulle part un orchestre tsigane qui couvrait par sa musique le son de l'interview... Aussi voyait-on des poules voler en laissant sur leur passage des plumes recouvrant la fanfare, ainsi que le journaliste et le cinéaste. La musique qui couvre les déclarations inaudibles du cinéaste est par ailleurs tres ressemblante a la musique que joue Kusturica avec son groupe : une fanfare de cuivre agrémentée par une rythmique a la guitare électrique, le tout sur fond de rythme punk. Que doit-on voir par cet étalage de stéréotypes ? Qu'est- ce qu'une marionnette des Guignols sinon un avatar médiatique simplifié et caricatural d'une identité ? En effet, ce programme et sa scénarisation n'est nullement dans la recherche d'une ''autre vérité'' concernant un personnage ; au contraire, il est davantage dans la cristallisation de composantes permettant une identification rapide. Le personnage ainsi simplifié et caricaturé est censé parler au spectateur par ses logotypes. Un Guignol est, dans ses attributs, un condensé de la construction médiatique d'une personnalité. De plus, Emir Kusturica n'a pas besoin de s'exprimer :

163 On note a peu pres 4 sketches différents mais mettant en scene le meme principe de comique de répétition.

120 l’exubérance gitane balkanique qui l'entoure rempli avec brio cette mission.

Emir devant l'entree du festival Emir sur la croisette Emir au bar pour une fete a la cloture du festival Nous avons ici un exemple probant de la pérennité d'une image et d'un univers absolument indissociables. Est-ce un procédé utilisé uniquement par les médias ? Pas nécessairement. En effet, le cinéaste use aussi de ce procédé tendant a faire coïncider sa vie avec son œuvre et ce des la sortie de Chat noir chat blanc. Dans le sujet qui lui est consacré le 28 septembre 1998164, Emir Kusturica l'affirme : « Je suis convaincu que mes films, comme ma vie, sont une version moderne du cirque ». En somme, comment ne pas admettre a cet artiste cette confusion qu'il fait entre sa propre vie et ses œuvres. La mise en abyme de sa vie personnelle et médiatique avait déja été initiée parla polémique Underground. Rappelons-nous que le cinéaste avait lui-meme été interloqué par le fait que ce proces d'intention initié par Finkielkraut faisait inévitablement écho a la trame du film incriminé. En effet, ce dernier faisait une métaphore de la cave de Platon et naviguait entre les themes de la propagande et de la manipulation de l'homme par l'homme. La construction de son village « a son image » participe également a cette confusion. Küstendorf, « monde reve d'Emir Kusturica165 » nous prouve cette démarche assumée de faire aussi de sa vie, une œuvre sujette a la médiatisation.

c°) Le début d'une lassitude ? Avec un univers estampillé aussi représentatif et attendu, on en vient a se demander s'il ne créerait pas, apres tant d'années, un début de lassitude. Finalement, en étant l'unique dépositaire d'une culture, d'une région, de ses mythes et des imaginaires qu'elle renverrait dans la conscience collective du récepteur français, est-ce que Emir Kusturica pourrait catalyser sur lui une certaine lassitude de la part de la critique. Il y a-t-il, en somme, un revers a l'installation d'un univers indissociable d'un artiste ? Ce grief apparait sensiblement des 2004 avec la sortie de La Vie est un miracle. Si le film est

164 Cf source JA2 20H 28 septembre 1998. 165 C'est ainsi qu'un reportage (et une interview du cinéaste) qualifie ce village sur TV5 Monde le 13 avril 2011.

121 généralement salué et apparait comme un potentiel palmé, les journalistes et critiques commencent déja a pointer du doigt une certaine répétition, parfois dans un contexte positif, parfois dépréciatif. En témoignent, d'une part, les néologismes créés par l'instance critique et que nous avons analyséun peu plus haut dans notre propos concernant la cohérence visuelle et lexicale incombant a l'artiste. Le Journal du dimanche166 affirme pour ce film que « des les premieres images on reconnaît son style » mais qu'il « distille quelques longueurs et une mecanique parfois attendue dans les echappees baroques ». Avant la lassitude, vient l'anticipation. Les Inrockuptibles posent directement la question au réalisateur dans un entretien avec Serge Kaganski. « Votre cinema est fonde sur le plein, voire le trop-plein. Il faut etre en forme pour le voir et, on imagine, pour le faire. En vieillissant, n'eprouvez-vous pas parfois une certaine fatigue, une difficulte naturelle a ne pas pouvoir soutenir une telle debauche d'energie ? E.K : C'est vrai que parfois je fatigue. Mais ma nature est contradictoire. {…} Et les idees ça n'arrete pas chez moi. D'un autre cote je me dis qu'il ne faut pas que les gens se lassent de moi. Et je m'interroge : ''Est-ce que ce vieux punk de 50 balais qui veut surprendre les gens ne devient-il pas un peu chiant a la longue ? »

Le cinéaste aurait-il lui aussi conscience de ce danger ? En tout cas, ce début de répétition est mis en avant, comme en témoigne Telerama167 qui écrit : « On lui fait remarquer {a Kusturica}, justement, que son style a ete souvent imite – a commencer par lui meme, genereux en autocitations. Comment eviter qu'il ne devienne un cliche ? » En devenant une référence singuliere, risque-t-on irrémédiablement la répétition ? Probablement, puisque le style installé devient désormais un ''cliché''. C'est particulierementen 2007 a l'occasion de la sortie de Promets-moi que la critique va accuser le coup et clairement mettre la répétition et le cliché a l'honneur. Le Figaroscope168 le note ainsi : « Kusturica fait du Kusturica. Un peu trop peut-etre. Il a tendance a forcer la note et a s'erailler la voix. Crier n'est pas chanter {...} ». La critique devient de plus en plus acerbe et se divise au sein d'un meme journal. On connait la tendance propre a Telerama de diviser un papier au gré des avis partagés de sa rédaction. Pour le 'contre', les journalistes mécontents n'ont pas leurs langues dans leurs poches et s'expriment ainsi sur la récurrence de l'univers baroque dans le cinéma de Kusturica : « Bref, la prodigalite est une fois de plus au rendez-vous. Mais d'exuberante, elle est devenue tapageuse. Le tintamarre permanent de ce ''guignol's band'' en masque mal le manque d'inspiration 169». Ce constat de la répétition devient une récurrence et sa réception critique devient elle-meme sujet a médiatisation !

166 Édition du 9 mai 2004. 167 Édition du 13 mai 2004. 168 30 janvier 2008. 169 Édition du 30 janvier 2008.

122 En effet, Eric Libiot, consacre dans l'Express170, un papier positif assumé et s'exclame « ''Promets- moi'', qui porte en bandouliere le plaisir du recit, a souffert d'etre un film genereux et deconnant. Le discours critique a tendance a rayer ces mots-la de son vocabulaire. Je propose une grande campagne de rehabilitation {...} ». Finalement, meme dans ce cadre ''d'échec'' critique, le film de Kusturica couvre une large réception et la réception critique devient elle-meme sujette a la réception critique. C'est donc une conséquence indirecte de la dispersion de son statut. Puisque, si a cette dispersion répond un univers et que cet univers s'installe durablement, alors il en devient lassant pour certain et l'artiste devient, selon la critique, sujet au ''cliché'' et a l'autocitation. d°) La folie slave : L'Emir des passions d'un peuple fantasmé Tout cet univers, aussi imaginatif soit-il, prend néanmoins racine dans une culture et une région bien réelle. L'ex-Yougoslavie, les Balkans de maniere plus générale, sont le paradigme dominant des codes et représentations de son cinéma et des imaginaires qu'il véhicule.En retournant la focale de notre analyse concernant les logotypes de l'artiste, on pourrait tres bien se demander si le cinéaste, en étant l'unique – sinon l'un des rares - dépositaire d'une culture (aux yeux des médias bien évidemment), ne deviendrait pas lui, ainsi que son univers cinématographiqueet artistique, un logotype de cette région. Au fond, est-ce qu'un film d'Emir Kusturica et sa réception médiatique, suffirait a contenir tout ce que les Balkans représentent dans l'imaginaire collectif français ? Certaines sources pourraient nous appuyer cette hypothese. Pour la sortie de La Vie est un miracle, certains titres sont parfois déroutants. France Soir171 consacre un entretien a cette occasion et appose un nom de rubrique pour le moins singulier devant le titre de l'article : « SLAVE ». Aussi, l'entretien est précédé par une introduction qui en dit long sur le statut d'Emir Kusturica : « Son cinema, exuberant, poetique, illimite, parle pour lui : cet homme, qui porte sur ses solides epaules les Balkans a lui tout seul, est un geant {...} ». A lui tout seul ? Force est de constater que c'est le cas médiatiquement. Il y a surtout un mot qui vient avec récurrence dans les articles et la plupart des titres traitant de ce film : c'est le theme de la folie. Mais cette folie est constamment rattachée a une appartenance culturelle et géographique dirait-on : ''slave''. Le Figaroscope nous le confirme en expliquant que «la tourmente des evenements emporte les personnages avec une folie slave ». Le Nouvel observateur du 13 mai l'affirme lui aussi dans le titre de son dossier, c'est « Une folie », tout simplement. Le Journal du dimanche172 use du meme procédé puisqu'il estime qu' « on retrouve

170 Édition du 31 janvier 2008. 171 Édition du 14 mai 2004. 172 Édition du 16 mai 2004.

123 dans ce film exuberant et romantique, qui puise dans le drame et surtout la comedie, toute la folie slave et la poesie de ce realisateur hors norme, furieusement talentueux ». On est donc en droit de se demander si, en étant a lui seul le logotype d'un pays et d'une culture, dans quelle mesure la réception de ses films influerait sur la réception d'un peuple ? Voila une question intéressante mais dont la résolution apparait tres incertaine. Pourtant, nous pouvons d'ores et déja donner un élément de réponse qui a retenu notre attention. Pour la sortie de Promets-moi, France 3 dans son édition du 19/20173 consacre un sujet au film. Apres une rapide explication de la trame sur des images du film, la rédaction a décidé de compiler les impressions de spectateurs sortant de la salle. L'un d'entre eux, bonhomie affichée déclare avec le sourire : « C'est un pays de cingles la Serbie. Mais ils presentent cette folie la avec une telle fureur ». Dans un tel cadre dédié a l'information (a savoir le cadre culturel), on sourirait de concert avec le badaud interviewé. Pourtant, ce stéréotype, a savoir ''tous les Serbes sont des ''cinglés'', montre bien l'impact que peut avoir l'univers de Kusturica sur la représentation que l'on peut se faire de la totalité d'un peuple. Nous dirions meme qu'il ne fait que réactualiser, de maniere positive certes, un stéréotype déja bien ancré dans les imaginaires et représentations. Au vu de la médiatisation des peuples constitutifs de la Yougoslavie pendant les années 1990, on en viendrait presque a se réjouir de voir ces stéréotypes utilisés a des fins plutot positives... Mais force est de constater que le procédé reste le meme et qu'il cache un probleme persistant dans le relais de certains imaginaires dans l'information. Notre mémoire n'a malheureusement pas vocation a traiter de ces questions.

173 Diffusé le 26 mai 2007.

124 Chapitre VI - Des identités et des identifications.

Emir Kusturica est une figure durablement installée dans le paysage médiatique et audiovisuel français. Comme certaines personnalités, il bénéficie d'une couverture médiatique allant souvent au-dela de ses œuvres. Aussi, nous voyons une évolution protéiforme de son identité artistique a travers aussi bien les contenus de l'information que les cadres qui lui sont dédiés. Mais Emir Kusturica c'est avant tout une ''provenance'' en accord avec un univers créatif. Cette provenance est aussi sujette a la médiatisation comme nous l'avons vu. En étant une figure installée, cette provenance devient donc un sujet d'information a part entiere. A cette provenance se jumelle une identité politique qui évolue elle aussi également. Loin d'etre négligeable (comme nous avons pu le voir des le temps de la polémique Underground), elle offre matiere a informer et a débattre sur les choix de cet artiste qui, par la dispersion de son statut, offre de multiples occasions pour une construction complexe de son personnage. Ici nous nous intéresserons au dernier mais indispensable pan de la construction de cet artiste, a savoir : celui des identités, de leurs évolutions et de leurs réceptions. Par réception nous entendons nous intéresser a, non seulement l'impact, duchoix identitaire amorcé par l'artiste en question, mais aussi aux ramifications et aux ''identifications'' qu'initient les médias en parallele ou a contre-courant des intentions de l'artiste.

A°) Evolution d'une identité nationale et culturelle

1 – Français... de production.

Emir Kusturica est devenu français depuis la fin des années 1990 comme nous l'avons précisé auparavant. Au-dela des papiers, c'est un pays d'adoption pour lui et sa famille. En effet, ses enfants ont vécus sur le territoire et sa fille Dunja a poursuivi des études dans des institutions scolaires françaises174. Cinéaste bénéficiant d'une visibilité internationale, il a pourtant privilégié en priorité ses relations avec la France et ses industries culturelles et médiatiques. Emir Kusturica le dit a de nombreuses reprises d'ailleurs : pour lui, la France est un des derniers pays pouvant aider l'art et le cinéma d'auteur a survivre. C'est particulierement pendant la présidence du jury cannois, qu'il occupe en 2005, qu'Emir Kusturica répetera devant les caméras ce constat : « A Cannes on a la chance de voir des films d'auteur. C'est un lieu mythique qui sauvera le cinema non commercial

174 Elle parle d'ailleurs parfaitement français comme nous pouvons le constater dans le documentaire de Marie- Christine Malbert intitulé Tendre barbare et diffusé en 2005 sur Arte dans le cadre d'une soirée ''Théma''.

125 d'une disparition definitive.175 ». Ce n'est pas une surprise lorsque l'on voit la contribution des sociétés de production françaises dans son cinéma. Déja, avec l'interview de Thierry Lenouvel, nous avons vu la genese de ce rapport privilégié qu'il allait nourrir avec l’hexagone. Mais c'est particulierement avec Ciby2000, ce véritable monstre a succes créé par Bouygues que nous voyons l'importance des industries culturelles françaises dans les processus de production et de circulation des œuvres du cinéaste. Chat noir chat blanc était d'ailleurs un des derniers films co-produit par la défunte Ciby2000. Au générique des producteurs nous trouvons également... France 2 cinéma. L'apport d'une chainede télévision grand public française suppute d'ores et déja son lot de justification dans la couverture médiatique dont a bénéficié ce film. Aussi pour la distribution, c'est MK2 productions que nous voyons comme désigné a la circulation de l'oeuvre dans les salles obscures françaises. Pour La Vie est un miracle, la France est également a l'honneur puisque le célebre Alain Sarde176 ainsi que Canal Plus et sa structure StudioCanal sont les principaux producteurs aux cotés de Kusturica et de sa jeune structure Rasta international. Nous retrouvons également le StudioCanal en 2007 pour Promets-moi ainsi que Fidélité Films, elle aussi, une société de production française. En somme, les films de Kusturica sont des films dont le financement est, dans une immense majorité, français. Pourtant, on est étonné de voir que le caractere français d'Emir Kusturica, aussi bien danssa nationalité que dans le financement de ses productions est peu, sinon quasiment jamais mis en avant par les médias. Le réalisateur est toujours ''Yougoslave'', ''Bosniaque'', ''Bosno-serbe'', ''Serbo- Monténégrain'', ''Serbe''... jamais réellement Français. Aussi, la communication autour de ses films est résolument tournée vers le folklore qu'il véhicule, cette culture si représentative des Balkans,de leur fureur et de leur exubérance. Pourquoi les médias français, parfois contributeurs a part entiere dans la production des films de cet artiste français, omettent de maniere systématique dele mentionner ? Notre hypothese se rattacherait a la tradition de la défense d'une certaine exception culturelle. En effet, comme nous l'avons vu avec les propos que tient le cinéaste vis-a-vis de la France et de son festival de cinéma le plus médiatisé, l'industrie culturelle française, ainsi que les pouvoirs publics entendent, ou en tout cas concourent, a la survie et a l'essor d'un cinéma de qualité. Comme l'a dit Jean-François Fonlupt, ce qui intéressait la société de production Ciby2000, c'était de s'entourer de réalisateurs talentueux, venant chacun d'une certaine partie du monde mais racontant des histoires qui, si elles étaient ancrées dans un contexte historique et géographique singulier, pouvaient relater des problemes universels et parler a tous. L'exception culturelle française

175 Propos contenu dans une interview réalisée dans un sujet relatif a sa prise de fonction dans le 20 heures de France 2 le 10 mai 2005 (Cf sources). 176 Sa société de production Les Films Alain Sarde est un des principaux producteurs.

126 s’accommoderait donc d'un statut d'accueil des cinéastes et artistes internationaux reconnaissables par leur appartenance culturelle et géographique. Il est vrai que pour Emir Kusturica, son univers est si représentatif que cela va sans dire. Mais c'est justement dans la conservation de ce statut médiatique uniquement balkanique que nous voyons un procédé révélateur de cette exception culturelle. En effet, si la nationalité française d'Emir Kusturica peut expliquer les liens privilégiés qu'il a avec les industries culturelles hexagonales, les médias eux s'intéressent davantagea l'exception culturelle qu'il représente dans ses spécificités folkloriques. Donc Emir Kusturica est français, certes, mais de production. Aux yeux des médias, et dans une optique de promotion de l'exception culturelle, il reste et restera balkanique. Ainsi, l'exception culturelle française ne s'exprime pas nécessairement dans le caractere français de l'art qu'elle est censée promouvoir, mais dans sa capacité a héberger un cinéma d'auteur de qualité. La scénarisation qui entoure ce ''refuge'' de la derniere chance pour un art d'auteur mourant et son exposition médiatique en est une preuve indiscutable.

2 – Citoyen du monde ? : Les racines d'un déraciné. a°) Vagabondage Le cinéaste a été un témoin privilégié des nombreux bouleversements qui ont agité l'espace balkanique. Depuis sa naissance dans un pays communiste, le schisme opéré entre Tito et Staline en 1958, la libéralisation, la dislocation du pays dans d'atroces convulsions, les heurts du Kosovo et les bombardements qu'a connu la Serbie : bref, la vie politique de sa région natale a été aussi bien sujette a la médiatisation qu'a une inspiration indiscutable dans le cadre de son cinéma. Nous avons vu des Papa est en voyage d'affaires et la polémique Underground comment Emir Kusturica essayait de se situer face a ces péripéties qui dépasseraient tout etre humain. Ayant été Yougoslave, comment Kusturica se considere-t-il lui meme dans cette troisieme période ? Comment les médias situent une appartenance nationale difficile a définir en ces temps ou son pays a changé pas moins de trois fois de nom ? Notre analyse commence en 1998 a la sortie de son film Chat noir chat blanc. Film mettant les Gitans a l'honneur, la thématique ne manque pas de provoquer les rapprochements avec son Temps des Gitans de 1989. A peine trois ans apres les événements tragiques qui ont vu la mort d'un pays que l'on appelle désormais l'ex-Yougoslavie, de quelle maniere les médias vont-ils identifier le cinéaste ? L'Humanite177 nous donne un élément de réponse pour le moins évocateur. En effet, dans

177 Édition du 30 septembre 1998.

127 sa double page qu'il consacre a la sortie du film et a un entretien avec le réalisateur, le journal titre tout simplement : « Kusturica n'est pas ne gitan mais il l'est devenu ». Nous avions déja pu remarquer auparavant l'analogie que faisait le réalisateur entre sa philosophie de vie et les éléments constitutifs de la culture tsigane. Pourtant, l'analogie va nettement plus loin dans ce découpage temporel. En effet, certaines questions de l'entretien sont résolument tournées vers le bouleversement de son appartenance nationale. A la question « Pourriez-vous dire que vous etes un nomade ? », le cinéaste répond tout simplement qu'il est né et a vécu a Sarajevo, qu'il tourne a Belgrade, que sa mere vit au Monténégro et que sa famille vit a Paris : « Je ne suis pas ne gitan, je le suis devenu ». Le cinéaste use lui meme de cette nouvelle appartenance identitaire. L'Express navigue également sur cette nouvelle appartenance en introduisant l'en-tete de son dossier178 par « Aussi vagabond que les Roms{...} ». En somme, en étant né dans une famille musulmane athée de Sarajevo, en ayant refusé de faire partie de la nouvelle Bosnie d'apres-guerre, en ayantété Yougoslave jusqu'a ce que cette appartenance n'ait plus de réalité politico-juridique, en étant français etc... le réalisateur, ainsi que les médias ont du mal a rendre compte simplement de la réalité de cette région... C'est peut-etre pour cette raison que l'on préfere le qualifier tout simplement de gitan. Finalement, cette difficulté a rendre compte du bouleversement des identités du cinéaste peut se confondre avec la difficulté que les médias ont eu a rendre des complexes réalités yougoslaves... En somme, dire qu'il est gitan devient plus facile pour ne pas se mélanger les pinceaux. Pour Kusturica, on peut raisonnablement émettre l'hypothese d'une identité métaphorique qu'il a délibérément choisit pour pallier a la perte de reperes identitaires.

b°) Entre idéalisme et nostalgie : un lieu a son image On s'en doute bien, cette analogie prononcée avec le peuple gitan était surtout de circonstance pour la sortie et la promotion du film de 1998. Emir Kusturica est peut-etre devenu Gitan, comme il le dit, mais cette appartenance n'a eu qu'un temps. En 2004, il revient comme nous le savons avec La Vie est un miracle, se situant en 1992 au début de la guerre de Bosnie dans un cadre bucolique. Ce cadre perché dans les montagnes de la Mokra Gora a été le lieu d'un retourau source de ce qu'était la Yougoslavie selon le réalisateur. Dans ce Roméo et Juliette des Balkans 179, Luka, jeune ingénieur (et ingénu) serbe, veut rouvrir une ligne de chemin de fer ralliant la Serbie a la Bosnie pour relancer le tourisme de la région. Cette initiative qui, au pire moment, révele l'idéalisme de l'ingénu, fait écho selon nous a une actualité qui a ponctué cette année 2004. En effet,

178 L'Express s'était d'ailleurs déplacé jusqu'au Monténégro pour l'avant-premiere du film. L'hebdomadaire publie son compte-rendu le 1er octobre 1998. 179 C'est un titre récurrent que l'on voit dans le La Croix du 14 mai 2004 ou encore dans Le Journal du dimanche daté du 9 mai 2004.

128 a ce moment, nous voyons en Serbie et dans les autres anciennes républiques qui composaient la fédération yougoslave, un regain de nostalgie pour ce défunt pays. Ce que l'onaappelé « yougostalgie » ou encore « yougonostalgie » a pris un véritable essor de la part, aussi bien de particuliers (comme la construction en Serbie par un particulier d'un parc d'attraction glorifiant ce passé) que d'entreprise nationale. En effet, la Zeleznice Srbije180, a décidé en cette meme année 2004 de remettre en service le « Train bleu » du maréchal Tito qui sillonnait auparavant les rails des six républiques. Véritable « Yougo express », on est en droit d'amorcer un rapprochement avec l'un des éléments constitutifs de la trame du film. Ce sentiment de nostalgie (en vogue?) s'intensifie lorsque l'on voit les propos du réalisateur concernant le village qu'il a fait batir pour ce film et qui hébergera son festival. Ce « monde reve d'Emir Kusturica » est diffusé par les journaux qui rapportent les propos du réalisateur : « ''J'avais une ville {Sarajevo}, elle m'a ete enlevee, j'en construis une autre... C'est une utopie, c'est ce qui me plaît {...}' ». Le cinéaste exprime clairement son utopie, celle de recréer un lieu qui lui a été enlevé, une utopie identitaire et nostalgique.

c°) L'enracinement : conservatisme et nationalisme ? Un patrimoine identitaire revendiqué Kusturica a beau dire en 2004 dans un entretien avec Les Inrockuptibles qu'il est « {...}un citoyen du monde qui vit a moitie en Serbie, a moitie en France 181», son appartenance nationale commence petit a petit a se cristalliser de maniere concrete. Au vagabondage tsigane s'oppose au fur et a mesure une volonté d'enracinement initié par la construction de ce village. Pour comprendre cet enracinement et la réception de ce dernier nous allons déroger a notre méthodologie pour incorporer une source selon nous tres révélatrice d'une réception ''médiatique'' mais aussi constitutive d'une réception de masse. Nous voulons bien évidemment parler de la page Wikipédia de l'artiste.En effet, plateforme privilégiée pour appréhender aussi bien une personnalité qu'un fait historique, cette encyclopédie collaborative est tres certainement la plus visitée au monde. Pour la page française qui concerne Emir Kusturica, nous avons des statistiques de visites au jour le jour. Malheureusement, nous n'avons pas de chiffre parlant du total des visites. Par contre, nous savons que la page a été créée en décembre 2007 et qu'elle est toujours active. En prenant un mois au hasard, un mois peu représentatif de la médiatisation du cinéaste ou l'artiste était tres peu médiatisé (tres certainement du au manque d'actualité d'un nouveau film) comme le mois de mars 2012, nous voyons que sa page française a tout de meme était visionnée 13 921 fois. C'est assez conséquent pour une période ''creuse''. Ainsi, nous avons une preuve de la portée massive que peut avoir un article de Wikipédia. Si nous nous intéressons a cet article c'est moins pour son contenu informatif que pour sa structure.

180 Compagnie Serbe des chemins de fer, équivalent de la SNCF. 181 Entretien paru dans l'édition du 12 mai 2004.

129 En effet, apres une rapide présentation de l'artiste en 3 lignes, le premier ''chapitre'' de sa biographie s'intitule tout simplement « identite et religion ». Que nous dit Wikipédia ? Surtout, que dit Wikipédia a n'importe quel internaute désirant savoir davantage sur cet artiste complexe ? Ici nous allons délibérément reproduire un ''copier-coller'' pour ne pas dénaturer le potentiel de l'article sur le récepteur :

Identite et religion[modifier | modifier le code] Emir Kusturica naît le 24 novembre 1954 a Sarajevo, en République fédérale socialiste de Yougoslavie. Le New York Times l'interroge au debut de la guerre en Bosnie sur son identite et il repond : « Je suis un exemple vivant du melange et de la conversion des Serbes en Bosnie. Mes grands-parents vivaient dans l’est de l’Herzégovine. Ils etaient tres pauvres. Il y avait trois freres au sein de la famille. L’un etait chretien orthodoxe. Les deux autres se sont convertis a l’islam pour survivre. »5. La famille du cineaste est representative de la pluralite ethnique de la Yougoslavie dont l'effritement la marginalise plus tard : les ancetres d'Emir Kusturica sont des Serbes orthodoxes installes en Bosnie. La plupart des Serbes de Bosnie sont convertis a l'islam depuis la conquete ottomane des Balkans6. Neanmoins, le realisateur n'est pas integre, dans son enfance, aux coutumes musulmanes de la region6. Il est par ailleurs tenu a l'ecart de tout culte religieux, son pere etant non-croyant et communiste6. Ce dernier est egalement un ancien resistant a l'Allemagne nazie, integre aux troupes armees, civiles et partisanes titistes, majoritairement serbes orthodoxes6. Le jour de Đurđevdan (la Saint-Georges) en 2005, Emir Kusturica est baptise a l’Église orthodoxe serbe sous le nom de Nemanja Kusturica (Немања Кустурица) dans le monastere de Savina, pres de Herceg Novi, au Monténégro3. Ses detracteurs analysent ce geste comme une trahison de son passe musulman et une negation de ses racines, ce a quoi il repond : « Mon pere etait athee tout en se definissant comme serbe. D'accord, nous avons peut-etre ete musulmans pendant 250 ans, mais nous etions orthodoxes avant cela, tout en restant serbes. »7.

D'ores et déja, la hiérarchisation des informations concernant cet artiste dans un article destiné, on l'imagine, au plus grand nombre, est tres éloquente. En effet, vu que l'article a été composé et modifié tout au long de la fin de notre période, on en vient a supputer l'impact important qu'a l'identification identitaire dans la conscience de chacun dans cette temporalité. Article principalement écrit par des contributeurs dirions-nous ''lambda'', nous avons aussi un élément de réponse concernant la réception des productions médiatiques sur le public. L'identification identitaire du réalisateur est, apparemment, tres importante a leurs yeux aux vues de cette place de choix. L'article met en exergue l'identification progressive du réalisateur comme Serbe-Orthodoxe et ceci comme une résultante historique et naturelle de sa provenance. Bien évidement, l'historicité

130 de ce point de vue peut etre remis en cause comme nous le voyons (''trahison du passé musulman''). Pourtant cet état de fait peut se sentir progressivement dans notre corpus. Des 2004, nous avons les prémices de l'enracinement national et religieux que le réalisateur mettra de plus en plus en avant. Dans un entretien rapporté par France Soir le 14 mai 2004182, il répond a la question « Vous vous disiez apatride... » de cette maniere : « Cette idee me seduisait mais je sais que c'est faux. Je suis serbe, français, europeen de cœur. Je suis un europeen sans haine. ». Dans Le Journal du dimanche, cette meme question taraude les journalistes a laquelle il répond : « J'ai un passeport serbe et un français. {…} J'ai toujours ete chretien orthodoxe, mais une partie de ma famille est musulmane, convertie a l'islam il y a deux generations. Tout cela n'a pas d'importance. Nous sommes tous pareils. Mais peu de gens pensent de cette façon ». Dans cette démarche de renouer avec les ''racines orthodoxes'' et le passé serbe, le cinéaste ne trouve pas réellement les graces de la presse. Depuis 2008 et son dernier film, Kusturica s'est majoritairement fait médiatiser pour des faits se rattachant au politique et a ses projets architecturaux et culturels comme sa volonté de reconstruire une ville a l'image de ce qu'était Visegrad dans le chef d'œuvre du prix Nobel de littérature Ivo Andric en 1961 intitulé : Le Pont sur la Drina. Pourtant, cette initiative alliant culture histoire et grands-travaux est qualifiée selon Le Monde de « Folie aux relents nationalistes signee Emir Kusturica183 » . En touchant a l’extrémité de notre période, nous voyons l'enracinement national et culturel que le réalisateur met en avant, et la façon dont ce dernier est reçu par les instances médiatiques. Mais ce choix identitaire est relié inextricablement a une histoire, des idéologies et une conscience politique qu'il s'agit maintenant de comprendre.

B°) Identité(s) politiques

1 – Les Balkans : '' Non, je n'ai pas changé ''

L'identité politique qu'Emir Kusturica a mise en avant ainsi que la réception decette derniere dans les médias connait une évolution intéressante pendant toute la fin de notre période. Mis a part Maradona, tous les films du cinéaste, ainsi que ses activités disparates, sont liés aux Balkans. On connaissait le gout de l'artiste pour mettre en exergue une certaine conception de l'histoire, de la politique, des mentalités et des idéologies. On a pu rendre compte de l'impact

182 Jour de la sortie du film. 183 C'est le titre d'un article disponible également sur le site du Monde est qui apparait en tete de liste lorsque nous tapons simplement le nom du réalisateur. Il fait partie, dans le cadre de notre méthodologie, a une source annexe.

131 médiatique que cela pouvait avoir comme en témoigne la polémique de 1995. Comment le cinéaste voit-il les Balkans désormais ? Comment tous les bouleversements (qui n'ont pas cessé depuis 1995) ont-ils influé sur la vision politique que Kusturica avait a proposer ? Comment a-t-elle été reçue ? Nous avons vu dans la partie relative aux survivances de la polémique que les médias ont accueilli avec enthousiasme la reconversion de façade du réalisateur qui« quittait l'epopee politique » pour revenir a une comédie truculente et burlesque avec Chat noir chat blanc. Pourtant en 2004, le cinéaste fait son retour avec La Vie est un miracle et propose une histoire d'amour sur fond de guerre de Bosnie – plus précisément au commencement de celle-ci, en 1992. Le sujet pourrait, on s'en doute, susciter la méfiance des instances qui ont initié et nourri la polémique Underground. A cet égard nous notons des entretiens posant clairement la question du ''regard'' de l'auteur dans ce film, en particulier concernant la guerre qu'il met inévitablement a l'image. Commençons par Le Figaro qui titre pour l'occasion184 : « Kusturica, ''assez stupide pour rester idealiste'' ». Le titre annonce d'ores et déja que la teneur de l'entretien, que la substantifique moelle du message, est axée sur ''l'idéalisme'', a savoir une conception naïve mais fortement politique d'une situation donnée. Les premieres questions de l'entretien nous confortent dans cette optique. En effet, apres une question lui demandant pourquoi, neuf ans apres Underground, il revient encore une fois avec un contexte de guerre ainsi qu'une question lui demandant pourquoi il était revenu sur sa décision d'arreter le cinéma apres la polémique, Emmanuele Frois185 s'intéresse a l'opinion intime de l'artiste en lui posant cette question : « Votre regard sur la guerre a-t-il change depuis ? ». La réponse d'Emir Kusturica est sans appel est ne peut souffrir d'ambiguïté interprétative : « Il n'a pas bouge d'un iota. La guerre de Bosnie n'aurait jamais du avoir lieu. Tout a commence avec les elections democratiques, lorsque les gens ont vote pour des representants nationalistes. La guerre a eclate en avril 1992. Peu de temps apres, toujours en 1992, David Owen, l'envoye des Nations Unis, cree un plan de paix. Tout le monde etait d'accord pour le signer. Mais lorsque Izetbegovic est revenu a Sarajevo, l'ambassadeur des Etats-Unis lui a demande de ne pas le faire. Grace a cette guerre, - comme d'ailleurs durant toutes les guerres -, de nombreuses personnes se sont enrichies. Certains ont manipule les politiques pour importer a bas prix drogue, cigarettes, alcool, essence. Ceux qui s'y opposaient etaient assassines, comme le maire dans mon film. » Le cinéaste est catégorique, cohérent et en parfait accord avec ses propos passés, il n'a pas bouge d'un iota. Pourtant on est étonné de ne pas remarquer de prime abord une effervescence journalistique pouvant initier une nouvelle polémique. Surtout que dans ce condensé, on retrouve tous ce qui a déclenché l'ire fulgurante de certains intellectuels, a savoir : une volonté de montrer les

184 Édition du 14 mai 2004. 185 Les propos sont recueillis par cette journaliste.

132 torts d'Izetbegovic, que la guerre est affaire d'intérets, que les Américains ont leur part de responsabilité et qu'elle a donné un cadre propice pour les malfrats et mafieux en tout genre de s'enrichir sur les denrées visées par l'embargo. Pourtant, certains journaux qui ont meme abrité la polémique l'entendent d'une autre oreille. Comme Le Point186 qui titre pour sa critique du film : « Kusturica, Apres le chaos... Le realisateur bosniaque ose l'apaisement ». Etonnant de mentionner que Kusturica est bosniaque tant il a répété ne pas pouvoir faire partie de la nation bosniaque d’aujourd’hui et ayant des papiers Serbes (Ou Serbo-Monténégrain, la séparation des deux a été entérinée cette meme année) ainsi que Français. Est-ce Le Point qui tente l'apaisement davantage que le réalisateur ? Ce sentiment est renforcé a la lecture de l'article : « Le conflit yougoslave s'est acheve voila bientot dix ans. Le temps pour Kusturica de prendre du recul, de la hauteur ».Nous n'avons pourtant pas d'entretien avec lui qui pourrait appuyer cette ''nouvelle'' maniere de regarder le conflit. Dans cette démarche sémantique nous pouvons émettre l'hypothese d'une stratégie d'opinion de le part de l'hebdomadaire. En effet, le quotidien affirme que Kusturica a pris du recul et s'en réjouit. Pourtant, sa vision n'a pas changé. En omettant la persistance de son point de vue et en lui pretant une facette ''apaisée'' l'hebdomadaire tente en réalité de rester cohérent. En effet, notre hypothese serait que l'hebdomadaire est conscient d'avoir abrité la polémique et d'avoir mis en exergue un certain parti187. Comme nous l'avons vu dans la partie relative aux survivances de la polémique, nous avons constaté que la vision d'Emir Kusturica était davantage acceptée par les médias et ce jusqu'a décrédibiliser nommémentles intellectuels l'ayant initié. Le Point serait-il conscient de cette évolution de la réception critique ? C'est l'hypothese que nous avançons, mais pour etre cohérent, l'hebdomadaire ne pouvait pas invalider le choix éditorial pour lequel il avait opté en 1995. Pour pallier a ce paradoxe,( a ce retournement de veste diraient certains), il suffisait juste de faire dire au cinéaste ce qu'il ne pensait clairement pas. Pourtant certains journaux n'ont pas peur de la contradiction. Le Monde, instigateur de la polémique, adhérerait désormais a la vision de Kusturica... En effet, dans des entretiens et de longs articles dithyrambiques, célébrant aussi bien le fond, la forme et la vision du cinéaste dans ce film concourant pour une troisieme Palme d'or, le célebre quotidien donne la parole a Emir Kusturica deux fois en moins d'une semaine (et ce uniquement dans notre corpus). Le 12 mai 2004, soit deux jours avant la sortie en salle du film, Philippe Piazzo demande a l'auteur : « Les Serbes... les Bosniaques... Vous evoquiez deja cette dechirure dans Underground. Qu'est-ce qui a change depuis ce film realise il y a presque dix ans ? ». Et le cinéaste de répondre : « Pour moi rien. D'un point de

186 Édition du 13 mai 2004. 187 Cf le bloc-notes de Bernard Herni-Lévy en 1995.

133 vue politique j'ai toujours le meme regard : ce qui m'interesse c'est l'humanite, pas les ideologies ». L'article est uniquement dédié aux propos du cinéaste sans aucun commentaire... mis a partun encadré qui trone au milieu de la page qui lui est dédiée et qui propose avec une police sensiblement plus grande : « EMIR KUSTURICA : L'humour est son arme ». Aucun retour sur sa ''vision qui n'a pas changé''. Le Monde assumerait-il cette démarche qui consisterait a ne pas attaquer ce point de vue ? Pis encore. Quatre jours plus tard188, apres un entretien avec le cinéaste, le journaliste Jean- Luc Douin (ayant également recueilli les propos du cinéaste) écrit : « Ces ivresses, ce realisme magique, ce gout pour l'hypnose et la levitation ne sont pas tours de passe-passe d'un prestidigitateur porte sur le tape-a-l'oeil, mais l'expression visuelle de l'un des derniers grands cineastes humanistes qui entend, non sans ironie et derision, proner une utopie ». Le journaliste est aussi dithyrambique qu'en phase avec les propos du réalisateur qui veut se présenter comme tel. Ce qui interpelle le regard, c'est particulierement le mot ''tape-a-l'oeil'' faisant clairement référence a la phrase d'Alain Finkielkraut lorsqu'il définissait le cinéma de Kusturica comme une propagande pro- serbe servile et tape-a-l'oeil. La figure de style n'est pas la par hasard. Comment expliquer cette nouvelle maniere d'exposer l'avis du cinéaste ? Pourquoi un tel revirement de la réception critique alors que, comme le cinéaste le dit, sa vision de l'histoire n'a pas changé ? Nous avons plusieurs éléments de réponse a proposer. Dans le cadre du Monde, on pourrait penser que le journal n'avait pas de ligne éditoriale a respecter puisque d'une part, Alain Finkielkraut n'est pas un ''journaliste'' du quotidien et que d'autre part, un journal est libre de changer son regard dix ans apres les événements. Soit. Mais on est en droit de contester l'orientation éditoriale soi-disant ''neutre'' dans le sens ou la rédaction du journal savait 1 – que l'auteur de la harangue en question était une personnalité extremement médiatisée au moment du conflit (une réception donc, potentiellement massive) 2 – qu'il n'a pas pu voir le film et que son jugement pourrait facilement etre remis en question. Le journal a, malgré tout, décidé de le publier. Aussi, comme nous l'avons vu, la vision de Kusturica a été médiatiquement davantage acceptée trois ans apres les événements et nous constatons une tendance a décrédibiliserles instigateurs des griefs de 1995. Nous émettons l'hypothese que la presse entend s'adapter a cet ''apaisement''. Finalement, on en vient a penser que l'apaisement vient moins de la vision du cinéaste que d'un contexte médiatique qui a pu prendre du recul. Cette tendance n'est pourtant pas systématique. En effet, si l'immense majorité de notre corpus propose des articles et entretiens célébrant le regard ''humaniste'' et dépassionné du cinéaste dans le cadre de ce film, nous notons tout de meme un article qui ne veut pas s'y fier. Liberation189

188 Édition du 16 mai 2004. 189 Édition du 15 mai 2004 : rubrique « Séléction officielle ».

134 propose en titre : « Emir Kusturica cree le malaise avec un film delirant mais ideologiquement douteux ». Le quotidien irait donc a rebours des entretiens (le cinéaste met un point d'orgue a rester en dehors des idéologies) et de la réception critique générale autour du film. Aussi voit-onun procédé de scénarisation que nous retrouvons dans la période d'Underground lorsqu'il s'agissait de conceder pour mieux attaquer : « on sort du film de Kusturica avec la tres nette et detestable impression de s'etre fait gruger. La faute a ce putain de talent {...} ». Avec cette veine assumée de faire de Kusturica un génie maléfique, le journal peut expliquer ce ''malaise'' : « Kusturica ne cesse de distiller messages vaseux et positions douteuses : ''La Vie...'' cherche par tous les moyens a faire passer l'idee d'une irresponsabilite generale, d'un kif-kif unanime entre Serbes, Bosniaques et Croates. ». Finalement, Liberation entend mettre en lumiere la volonté du cinéaste de ne pas se conformer (une fois n'est pas coutume) au traitement médiatique fortement manichéen dont la guerre a bénéficié en France. Liberation est donc peut-etre le seul journal a rester ''fidele'' a sa ligne éditoriale d’antan. Pour le quotidien, la guerre de Yougoslavie est essentiellement et exclusivement un conflit a imputer aux Serbes (ni le gouvernement fédéral, ni Milosevic et ses sbires mais bien les Serbes – comme il est écrit- comme entité politique responsable). C'est a partir de ce moment qu'Emir Kusturica s'exprime progressivement en tant que défenseur des Serbes, de leur culture, leur nation. Des 2004, un entretien avec Les Inrockuptibles190 nous appuie ce constat : « L'ideologie, c'est ce qui fait que la nation serbe a ete vue comme la pire du monde alors qu'ils ont subi, avec les musulmans de Bosnie, le plus grand nombre de morts. Les Serbes n'ont pas envahi la Bosnie, ils y vivaient depuis des centaines d'annees. Je ne suis pas en train de nier les crimes des Serbes envers les Bosniaques, je dis juste que cette histoire a ete distordue et simplifiee par les medias occidentaux a cause d'un complexe de culpabilite. »

En 2008, cette position s'illustre dans le cadre d'un événement majeur de l'information politique de l'année. La déclaration d'indépendance unilatérale du Kosovo par les autoritésdu Pristina en février, tres rapidement reconnue par les États-Unis, La France et le Royaume-Uni (entre autres), provoque un rassemblement massif qui dégénere, par le biais de certains groupes, dans des attaques violentes contre les ambassades de certains pays occidentaux. Les médias s'empressent de relayer les événements en montrant des images d'un meeting organisé devant le Parlement serbea Belgrade. Les deux personnalités montrées a l'écran et se prononçant contre cette indépendance devant pres de 150 000 personnes ne sont autres que Vojislav Kostunica, premier ministre ''nationaliste'' et Emir Kusturica. Les médias ne manquent pas de le souligner et accole sans transition, juste apres cette séquence, les heurts dont ont été responsables des groupes de hooligans 190 Édition du 12 mai 2004 au moment de la compétition cannoise.

135 nationalistes et galvanisés. Kusturica, par cette présence et ses propos tenus devant l'assemblée, ainsi que par le montage réalisé par les instances médiatiques est désormais considéré de maniere sémio-discursive comme un nationaliste serbe.

2 – De l'alter-culture, de l'alter-mondialisme et du conservatisme ? Küstendorf comme un condensé d'identités paradoxales a°) Un marxisme artistique affiché et célébré L'identité politique d'Emir Kusturica ne peut pas se résumer a cet enracinement national. Rappelons-nous qu'il n'est pas un homme d'état mais avant tout un artiste pronant une certaine vision artistique comme on a pu le voir dans l'opposition qu'il entendait mettre a l'honneur entre un certain cinéma d'auteur et les blockbusters hollywoodiens. Mais cette vision artistique n'est qu'une ramification d'une identité artistique et politique complexe. L'exemple qui résumerait peut-etre parfaitement la complexité de son identité politique serait le village qu'il a fait construire « a son image » : Küstendorf. Des le début de notre corpus, nous avons pu apprécier la démarche artistique du cinéasteque l'on a qualifié de ''marxiste'' tant il s'employait a diviser de maniere absolue deux types de cinéma. Qu'en est-il dans notre dernier découpage ? Des 2004, le réalisateur n'en démord pas et s'étend dans cette vision marxiste de maniere encore plus prononcée comme nous le montre son entretien réalisé par Les Inrockuptibles191 : « Aujourd'hui la planete est en feu {…} Et Hollywood n'a toujours pas enregistre cet incendie. La distraction selon Hollywood c'est aussi de l'ideologie, de la propagande {...} ». D'ailleurs juste apres cette harangue, le journaliste conduisant l'entretien lui demande « Vous ne vous interessez pas aux nouvelles technologies de l'image ? », ce a quoi le cinéaste répond en substance que non et qu'il est « tres marxiste sur ce sujet ». Mais c'est a partir de 2008, et le succes de son festival, qu'Emir Kusturica verra son village se faire médiatiser. Ce que l'on a quitté a l'état de chantier chimérique en 2004 est devenu bien réel et catalyse un certain public averti. La premiere source audiovisuelle qui nous propose un reportage sur ce lieu apparait dans un magazine spécialisé« cinéma », a savoir Dimanche 2 Cinema192 pour illustrer de la sortie de Promets-moi. Voici ce que dit la voix-off pour introduire les lieux : « C'est Küstendorf, au milieu des montagnes serbes {…} c'est presque comme a Cannes : les tapis rouges sont des paves, les grands palaces des petites auberges, et le president danse en guitare et treillis ».

191 Édition du 12 mai 2004. 192 Cf source 10 février 2008.

136 Apres quelques propos du cinéaste recueillis sur son caractere paroxysmique, son énergie débordante et ses utopies, les journalistes annoncent la ''couleur'' du festival en précisant : « Et le festival est une de ses utopies. La-bas on peut jouer du violon sur le dos, voir des films d'etudiants, et une retrospective du celebre cineaste russe Nikita Mikhalkov ». Son festival entend glorifier les auteurs et laisser de coté tout ce qui entoure le cinéma, a savoir la partie commerciale : « cette idee que les films deviennent moins important que les sponsors ». Le reportage se clot sur une séquence aussi ironique que révélatrice de l'image politico- artistique que l'événement entend véhiculer : l'enterrement tres solennel de bobines d'un blockbusters, en l’occurrence Die Hard 4 (sorti la meme année). Nous voyons se présenter a nous une procession funéraire orthodoxe mettant en scene les proches du cinéaste et lui meme dans une cérémonie liturgique qui entend laver les pechers de Bruce Willis : « une mise en scene surrealiste ou l'humour sert un propos politique, un procede devenu une griffe du realisateur »193. Bref, tout est a l'image de l'artiste, aussi bien dans le cadre bucolique, les installations atypiques, et cette alter- culture célébrée, aux antipodes des canons commerciaux hollywoodiens et, disons le, consuméristes.

b°) Conservatisme culturel : une vitrine culturelle de bon aloi pour les journaux de droite ? Le Figaro magazine194 nous offre également son reportage sur Küstendorf pour promouvoir de maniere détournée le nouveau film du cinéaste. L'article s'intitule d'ailleurs « Kusturica en son emirat », et a choisi pour accroche la cérémonie funéraire de Die Hard 4. A cet égard, la rédactrice Veronika Dorman précise que c'est Emir Kusturica « qui est a l'origine de cette facetie marquant le debut en fanfare du premier Festival de films et de musique de Küstendorf (''le village des arts a la Kusturica''). Son festival, son reve. ''Ecouter mes reves me sauve'' aime-t-il souvent repeter. Parfois, il les accomplit. Ici, il lui a donne le visage d'un village. ». Nous voyons clairement une confusion qui associe de maniere quasi absolue le village a l'artiste, confusion assumée aussi bien par les instances médiatiques que par le cinéaste. Mais dans cette médiatisation qui est contemporaine ala sortie en salle de Promets-moi, le cinéaste va assumer une autre confusion : celle de son film, de son festival, et de son positionnement personnel face aux valeurs. Voyons ce que le Figaro nous rapporte : « Cet endroit et ce festival sont comme mon film Promets-moi, que j'ai tourne justement dans la region : un ultime combat en faveur d'un certain cinema, d'une 193 C'est de cette maniere que le journaliste commente les images de la procession funéraire. 194 Édition du 26 janvier 2008.

137 certaine conception de la vie et de la mort, un plaidoyer pour nos traditions qui, seules, nous permettent de nous definir comme des etres humains et non comme des consommateurs de produits, fussent-ils culturels. Ici, comme dans mes longs-metrages, je cherche a preserver ce monde que j'aime et qui disparaît au profit d'une pseudo- democratie planetaire sans foi ni loi. Sans foi car le nouveau paganisme a pour devise ''In dollar we trust''. Sans loi car l'Amerique peut bombarder la Serbie, l'Afghanistan ou l'Irak sans autorisation ni reprimande de l'ONU, et un region d'un pays souverain reclamer son independance avec le soutien des grandes puissances : je veux parler du Kosovo qui, separe de la Serbie, pourrait voir un nouveau nettoyage ethnique, culturel et religieux se derouler, tout comme il pourrait permettre a l'Amerique d'occuper la region. Ce qui se passe au Kosovo releve de la metaphysique : il y a plus de six cents ans, on s'est battu la pour empecher l'Orient d'envahir l'Occident ; demain on s'y battra peut-etre pour empecher l'Ouest materialiste d'envahir l'Est traditionnel. »

Les propos mis ici en exergue sont clairement axés sur un retour a des valeurs traditionnelles (cela fait écho a la trame du film qu'il entend promouvoir), un rejet aussi bien de la politique que de la culture américaine, et une revendication souverainiste. Ces propos que l'on qualifierait de tres ''conservateurs'' sont aussi en rapport avec son film qui, dans une presse affiliée a un autre courant politique que Le Figaro, est beaucoup moins dithyrambique a l'égard de la production en question. Les Inrockuptibles jugent la nouvelle facette politique de Kusturica ainsi : « Kusturica prone un retour aux valeurs traditionnelles qui camoufle mal, derriere sa pseudo-anarchie formelle, ses tendances reactionnaires. ». Comme nous l'avons dit, ce film a été, dans notre corpus, le plus mal accueilli par la critique. Pourtant nous constatons dans notre échantillon, une surreprésentation du Figaro qui, auparavant n'était pas le plus prolifique lorsqu'il s'agissait de relayer des informations relatives au réalisateur. En effet, nous voyons pas moins de 5 articles de la famille Figaro (magazine compris) qui traite du dernier film de Kusturica et ce de maniere complaisante et enthousiaste. Ce revirement s'explique, selon nous, par cette nouvelle identité politique, conservatrice et traditionnelle que le cinéaste s'emploie a arborer. Si celle-ci est considérée comme un comportement réactionnaire pour des journaux axés davantage a gauche, elle offre a une presse traditionnellement de droite l'occasion de médiatiser un cinéaste pour le rayonnement culturel qu'il apporterait a certaines identifications politiques. Bien évidemment, Le Figaro ne parle pas de l'aspect résolument anti-capitaliste et de développement durable que le village et festival porte au pinacle au sein meme des infrastructures et des produits proposés aux visiteurs et festivaliers, il préfere se concentrer sur les propos souverainistes et sur l'appel au retour des valeurs traditionnelles. c°) Alter-culture et alter-mondialisme Pour traiter ce point, nous proposons d'utiliser une source annexe a notre méthodologie mais

138 résumant parfaitement, selon nous, l'identité politique d'Emir Kusturica via son village. En 2011, a l'occasion de la sortie de son autobiographie Ou suis-je dans cette histoire ? , le cinéaste, architecte, maire et désormais écrivain est l'invité du journal de TV5 Monde195. Cette invitation se déroule en trois parties. La premiere s'articule autour d'un entretien consacré au livre avec un étalage promotionnel de moments qui ont ponctué la vie du cinéaste. Emir Kusturica s'exprime durant toute cette partie en français. La deuxieme partie est un reportage uniquement consacré a Küstendorf. Tout d'abord, le fait de proposer un reportage sur son festival pour illustrer une invitation a l'occasion de la sortie d'une autobiographie est révélateur. Selon nous elle participe aune information qui veut sonder l'intimité d'un personnage comme peut le faire l'étalage de certains détails de la vie du cinéaste. Invitation clairement axée sur la promotion d'un produit culturel, le reportage participerait a une bande-annonce détournée du livre. Que nous dit le reportage ? Apres une rapide introduction des lieux, la voix-off introduit Gael Garcia Bernal et, « le film qu'il presente donne le ton : Revolucion ! ». Au-dela du transfert du capital de visibilité, l'accroche a été principalement choisie pour le titre du film et ce a quoi il référait dans les mentalités. « Cinema alternatif et musique non commerciale : l'autre passion d'Emir Kusturica. Les tanzaniens d'Africa Ngoma, Andre Williams veteran du Blues Punk : bref, a Mecavnik196 on est a des kilometres de la culture dominante ». L'alter-culture est mise en avant et caractériserait l'offre artistique du festival... ainsi que l'identité politique d'Emir Kusturica ? Par la suite, le reportage donne la parole a Abbas Kiarostami et Nikita Mikhalkov, les deux invités d'honneur de cette premiere édition du festival. Pour le réalisateur iranien, le sujet a décidé de rapporter des propos évocateurs que ce dernier tient en compagnie de Kusturica devantune assemblée de spectateurs : « Tu sais que tu es plus populaire que moi en Iran ? On peut trouver tes films plus facilement... au marche noir bien sur. » Et Emir Kusturica de rajouter en riant : « On a rien d'autre que le marche noir, nous les petits pays ». Cette façon de représenter ''les petits pays'' peut nous rappeler la teneur des discours d'antan des non-alignés et aujourd'hui d'une certaine conception de l'alter-mondialisme. Ainsi, en mettant en exergue une alter-culture représentée par des ''petits pays'', on offre une vitrine médiatique a une conception culturelle de l'alter-mondialisme. D'ailleurs, la séquence d'apres s'ouvre sur ces termes : « Küstendorf, c'est un peu l'utopie de Kusturica le ''non-aligne'' ». A cette conception se mélange ce marxisme artistique dont nous avons parlé et dont les propos de Nikita Mikhalkov nous offre un exemple probant : « Le veritable enjeu est de savoir ce que nous avons a opposer au cinema americain. ». Cette dialectique devient le leitmotiv de ce festival et des grands artistes qui l'animent. Apres cet entretien avec le réalisateur

195 L'émission est diffusée le 13 avril 2011 et est disponible librement sur le net sous ce nom : Emir Kusturica : invité du journal de TV5 Monde, 13 avril 2011. 196 C'est le véritable nom du village dans lequel Kusturica a créé son festival.

139 russe, le reportage propose sans transition un plan d'une photographie de Che Guevara tronant au dessus d'une cheminée entourée d'icones orthodoxes et lie de maniere assumée le marxisme artistique a un produit proposé par Kusturica : « Et d'ailleurs, pas de ''Coca-Cola'' a Küstendorf mais du ''Bio-Revolution'' : un jus de fruit produit sur place. Dans le monde reve d'Emir Kusturica, meme les details ont un sens ». Le jumelage du visage de Kusturica avec celui du Che est tres évocateur mais peut dérouter. En effet, on peut etre déconcerté par l'imbrication de tant de notions allant d'une conception de l'art a un positionnement politique global, tout cela abrité sous le chapiteau d'un festival ou le développement durable est une structure en soi. Pourtant, cet étalage participe selon nous a donner une ''couleur'' a un événement artistique en accord avecune personnalité qui en a la paternité.

Plan rapproche illustrant les propos de la voix-off et cloturant le reportage Ainsi, ce ''monde revé'' confond naturellement une alter-culture, avec une conception de l'alter-mondialisme, ainsi qu'une conception d'une ''alter-consommation''. À la fin de ce reportage, les questions du journaliste nous appuie littéralement cette confusion assumée : « Alors Emir Kusturica,{...} une alter-culture, c'est possible ? ». Aussi, apres la réponse du cinéaste le présentateur décide d'amorcer le meme procédé que l'on a vu dans le reportage, a savoir relier cette alter-culture a l'alter-mondialisme : « Alors l'environnement, l'ecologie bien sur, une autre culture, l'alter-mondialisme du point de vue politique : la Serbie a ete bombardee en 1999 par l'Otan. Aujourd'hui l'Alliance Atlantique, vous le savez, bombarde la Libye. Vous etes contre ce qu'on appelle ''le droit d'ingerence humanitaire'' Emir Kusturica, pourquoi ? ». Cette question pour le moins décousue et en forme de ''pot-pourri'' nous conforte dans cette volonté de retranscrire la complexité de l'identité politique d'Emir Kusturica. Une identité ou une conception artistique etun positionnement politique s'emmelent et trouvent, derriere leurs dispersions de façade, une résolution authentique dans un univers porté a l'image. En somme, Kusturica est un peu révolutionnaire, un

140 peu écolo, un peu artiste alternatif, un peu souverainiste ; mais comme dans la dispersion de son statut artistique, son identité politique trouve une cohésion dans l'univers qu'est Küstendorf.

3 – Les nouvelles modalités de la rébellion.

Maintenant que la complexe identité d'Emir Kusturica a été établie structurellement, nous entendons nous intéresser a un pan particulier de cette derniere. En effet, nous avons été interpellé par le dernier plan du reportage de TV5 Monde qui est, selon nous, un plan recherchant une certaine pertinence pour ''résumer'' le personnage. En effet, le choix d'avoir identifié son visage avec celui de Che Guevara (et vice-versa) nous apporte déja un paradigme : celui de la rébellion. Figure emblématique de la lutte anti-capitaliste, le célebre cliché d'Alberto Korda a pourtant fait l'objet d'une réutilisation consumériste comme nous pouvons le voir aussi bien sur des tee-shirts, des cigarettes, des briquets et autres... Derriere le paradoxe ironique de cette réutilisation, nous comprenons sans trop de probleme que le message vendu dans l'utilisation commerciale de ce ''logotype'' est assurément celui de la rébellion. La révolte serait donc un produit qui se consomme. Le cinéaste en serait pleinement conscient en associant son image a celui du Commandante. Du reste, si les instances médiatiques choisissent de relayer cette association d'images (comme nous le voyons dans le dernier plan du reportage) c'est que cette association trouve une certaine cohérence et illustrerait le message distillé. Dans le cas du Che, la rébellion est un argument de vente... peut-on imputer la meme recherche commerciale a l'image qu'entend véhiculer Kusturica (de paire avec les médias) ? Son dernier long-métrage, sorti en 2008 et présenté pour la 61eme édition du festivalde Cannes, est un documentaire portant sur le légendaire et mythique joueur de foot Diego Maradona. Son parcours footballistique est bien évidemment mis en évidence ainsi que sa vie privée jumelant son rapport avec la famille et sa dépendance a la cocaïne contre laquelle il s'est battu pendant de nombreuses années. Mais au-dela d'une biographie en images, nous voyons clairement la volonté du réalisateur d'afficher l'engagement politique de Maradona. Comment résumer cet engagement ? Le journaliste Franck Berteau nous offre certainement un joli condensé lorsqu'il écrit : « L’amour du peuple, une figure christique du sauveur, le sens de l’engagement politique, Diego Maradona possede tous les atouts du revolutionnaire, comme le Che Guevara tatoue sur son bras. Il n’hesite d’ailleurs pas a s’exprimer en faveur de la gauche et de l’extreme gauche latino-americaine. En 2005, il s’affiche aux cotes du president venezuelien Hugo Chavez et du president bolivien Evo Morales au sommet des Ameriques ou il arbore un tee-shirt « stop Bush ». Sur la scene nationale, il a ete un ami proche du president Carlos Menem et a soutenu la candidature de Kristina

141 Kirchner en 2007. Dans un pays ou le football est si incontournable qu’il prend une dimension politique, la legende Maradona n’aurait pas ete complete sans sa touche de romantisme revolutionnaire.197 » Un penchant qu'on pourrait qualifier de pan-américain se traduisant par un souverainisme affiché contre le joug des Etats-Unis, homme du peuple protecteur des petites-gens affichant son admiration pour les figures célébrées et controversées (a l'image de Castro qu'il a également tatoué sur sa jambe) de la révolte... Intuitivement, nous ne sommes pas si étonnés de voir un cinéaste comme Kusturica mettre a l'honneur cette vision politique du Pibe de Oro. Doit-on voir dans le choix de la personnalité de Maradona une volonté d'identification du cinéaste ? Avant-meme de nous intéresser a la réception médiatique de cette hypothese nous pouvons des maintenant apporter un élément de réponse contenu dans les attributs promotionnels du film. En effet, le titredu documentaire est pour le moins évocateur. Ce n'est pas seulement ''Maradona'' mais Maradona par Kusturica. Le réalisateur est donc simultanément associé au contenu du documentaire et ce, davantage en tant que participant qu'en tant que simple réalisateur. D'ailleurs, le contenu du film l'illustre parfaitement puisque ce n'est pas le réalisateur qui tient la caméra : il est le ''journaliste'' de circonstance conduisant les interviews et est exposé autant que Maradona a l'image. Le titre du film offre donc une visibilité a son auteur, a un regard. On ne va pas voir une simple biographie de Maradona mais bien le regard de Kusturica sur le célebre joueur. L'affiche du film contient visuellement l'intentionnalité du titre puisque d'une part, le réalisateur est présent a l'image, comme L'affiche du film ''Maradona un argument promotionnel en soi, et d'autre part, si le visage de par Kusturica'' Maradona rempli bien sur la majorité de l'image, elle reste en terme de perspective au second plan, derriere le cinéaste. Comment la presse considere-t-elle le sujet du nouveau film de Kusturica et son traitement ? Le transfert du capital de visibilité est extremement mis en lumiere et longuement explicité. Le Nouvel Observateur198 nous offre une accroche révélatrice : « Le ''par Kusturica'' du titre a son importance. Plutot qu'un documentaire sur Maradona, c'est un autoportrait en miroir que nous propose le cineaste. Ou, plus precisement, un film de fan qui veut nous prouver a quel point il est proche de son idole. Selon le realisateur serbo-punk, le lutin argentin est ''le Sex Pistols des footballers''{...} ». Deux choses sont a retenir ici. Tout d'abord, l’accueil critique instaure de fait une confusion assumée des deux personnalités et sondent la démarche du cinéaste plus quele

197 Propos repris du site http://largentinedekirchner.wordpress.com/2010/11/18/maradona-le-footballeur- revolutionnaire/ 198 Édition du 25 mai 2008.

142 contenu du film. Deuxiemement, on retrouve un sobriquet assez intéressant qui est contenu dans cette association de Serbe et de punk. Est-ce que ''serbo'' renverrait moins a une appartenance nationale et davantage a une identité politique ? On est droit d'émettre cette hypothese tant la complexité de son affiliation peut inciter a des constructions linguistiques douteuses. Les Inrockuptibles sont peut-etre l'exemple le plus sévere : « Emir et Diego partagent la meme vulgate gauchisante selon laquelle tout est de la faute des Americains et des Anglais, tous les politiciens sont pourris et vive Castro, le Che et Chavez. Politiquement, ce film est tout simplement pitoyable, et la politique merite mieux que ce sloganisme demagogique ». Le réalisateur est clairement attaqué sur deux fronts dans notre revue de presse. Le premier est un grief portant sur la forme : Kusturica propose, derriere le prétexte que représente Maradona, une autocélébration de sonpropre personnage et de son identité de rebelle. Comme le dit tres bien le Madame Figaro 199 : « Kusturica se reconnaît dans le joueur : ils sont tous deux, selon lui, des rock and rollers, des princes, des artistes vivant au-dessus de la melee ». Le deuxieme reproche se loge davantage dans la couleur politique des idées célébrées par le cinéaste. Ce ''gauchisme'' révolutionnaire, anti-américainet souverainiste représente pour certains un manifeste de mauvais gout. Le meme Madame Figaro l'explique d'ailleurs a sa maniere : « Ajoutez une haine commune envers Bush, l'Amerique, l'ONU et l'imperialisme (ces gens sont pourtant riches){...} ». Doit-on forcément etre pauvre pour proner un engagement révolutionnaire ? Apparemment oui selon la journaliste Elisabeth Quin. En fin de compte, on assiste a une certaine incompréhension liée a un agacement. Est-ce le statut installé du cinéaste s'auto-célébrant par une nébuleuse de référence a des personnages rebelles comme le Che ou Maradona ? Est-ce véritablement ''la vulgate gauchisante'' qui, aux yeux des médias, est de mauvais gout et paradoxale quand on a un patrimoine qui ne le permettrait pas ? La réponse trouve certainement écho aux griefs portés par les instances médiatiques. Mais la principale réponse que nous tirons de cette analyse, c'est que désormais, Kusturica est critiqué uniquement dans son engagement politique et son affiliation flottante. Le produit culturel et sa qualité formelle sont absolument éclipsés derriere la construction médiatique du personnage qui catalyse, bien au- dela de son film, les reproches ou les admirations. La dispersion de son statut s'exprime donc de maniere singuliere dans sa volonté de se présenter en tant que rebelle puisque sa vie a dépassé irrévocablement son œuvre. Pour le meilleur ou pour le pire ? En tout cas, l'artiste, et c'est notre hypothese, en est clairement conscient et lie sa production et son comportement dans la construction d'une vitrine médiatique d'une nouvelle modalité de la rébellion, de la protestation contre un certain ordre établi... Et tout ce paradigme de la rébellion trouve en Emir Kusturica une image, une incarnation que les médias ne peuvent et ne veulent aucunement omettre.

199 Édition du 31 mai 2008.

143 CONCLUSION

144 Emir Kusturica et les medias français : une histoire longue et tumultueuse.

L'arrivée de ce cinéaste yougoslave et son début de médiatisation en Francesont extremement révélateurs d'une industrie cinématographique française se destinant a découvrireta héberger une certaine idée du cinéma. Notre hypothese s'étend également aux médias quiparticipent a cette tradition. Récapitulons notre démonstration au gré des nombreuses périodes étudiées.

– Le coup de foudre d'une Palme d'or (1985) Les prémices de la médiatisation de celui qui est, aujourd'hui l'un des artistes des Balkans le plus célebre du monde, ont été initiés dans un cadre particulier : celui d'une récompense prestigieuse. Derriere la qualité visuelle d'une œuvre se cachent des entreprises de légitimation ayant leurs propres capitaux de visibilité, leurs modalités discursives, leurs logiques de concurrences etc. Pour un jeune artiste des Balkans, qui plus est faisant un cinéma d'auteur, l'entrée en régime médiatique nécessite une justification : une Palme d'or par exemple. Des lors, nous comprenons tout les mécanismes qui incombent a un festival comme celui de Cannes et qui font de cet événement une entreprise productrice de valeurs, aussi bien artistique que médiatique. La Palme d'or transfere son propre capital de visibilité a un film qui peut a cette occasion détenir son droit d'entrée dans les médias. Le produit culturel ainsi mis en valeur peut également etre au centre d'une logique de concurrence entre les deux entreprises productrices de valeurs. Aussi, ce droit d'entrée se décline de façon singuliere selon les nombreuses instances qui, apres analyses, révelentleurs penchants respectifs pour relayer une information culturelle. Que cela soit dans une politisation affichée ou cachée dans l'intertextualité pour la presse généraliste, ou alors dans un spectaclequi cache mal ses pendants promotionnels pour la télévision.

– Le debut d'une starification : lune de miel mediatique et critique (1989-1995) En parallele a une activité prolifique, l'artiste désormais implanté réactualise sa visibilité jusqu'a provoquer une scénarisation particuliere entourant son actualité. En effet, l’installation durable d’une référence pour le cinéma d’auteur se traduit par une myriade de récompenses : un Lion d’or pour son premier film, une Palme d’or pour le second, un prix de la mise en scene pour son célebre Temps des Gitans et un Ours d’argent pour Arizona Dream. Le cinéaste ne rate aucune récompense, a tel point que son ascension parait irrésistible. Cette ascension n’arrive pas sans une certaine « starification » qui fait de l’auteur une célébrité a part entiere. En marge du star-system, il n’en demeure pas moins médiatisé et se voit associer, a l’image de la distribution d’Arizona Dream, au vedettariat international. Les récurrences des références utilisées, les données de la vie privéeet

145 les occasions de médiatisation dépassant l'actualité d'un produit culturel sont autant de procédures révélatrices.

– L'epreuve d'une polemique (1995) La polémique catalyse le drame d’une guerre, l’acclamation d’un film ainsi que sa dénonciation. Ici, la grande histoire rejoint celle du cinéma, celle des médias ainsi qu’une histoire plus personnelle. Nous avons vu qu'une polémique est un pur produit médiatique se révélant aussi bien par un basculement de rubrique propice a son développement qu'a sa survie dans des conditions d'intermédialité. Comme nous l'avons exposé par une métaphore biologique : une polémique, comme produit médiatique annexe au produit culturel, serait une sorte de« parasite » a l'information. Comme tous virus ou parasite, ce produit artificiel aurait besoin d'hotes différents pour survivre, de rubriques qui comme des corps sains, donneraient au parasite la possibilité de survivre et de s'étendre... et ce jusqu'a un corps que l'on pensait immuniser par ces considérations : la presse spécialisée et les périodiques. Au gré des facteurs contextuels et d'intermédialité favorisant l'expansion de la polémique, elle ira jusqu'a remodeler l'ADN d'un espace médiatique qui, voulant dépasser la polémique, devait forcément la nommer, la mentionner et l'expliquer ne serait-ce que brievement. Est-ce qu'une polémique serait finalement le revers inévitable d'une consécration ? Serait- elle une étape obligatoire a tout artiste installé ? N'allons pas jusqu'a proposer des perspectives historiques péremptoires. Pourtant, force est de constater que certains artistes largement médiatisés en ont fait les frais, et ce dans des périodes et des contextes différents. En effet, si une polémiquese nourrit dans l'intermédialité et dans une explosion des cadres dédiés a l'information, elle est avant tout le fruit d'un mélange de contextes médiatiques ralliant, dans notre cas, l'actualité brulante d'une guerre extremement affichée par sa violence a celle concernant un produit culturel autant célébré que conspué.

– La reconciliation (1998-2007) Apres cette échauffourée médiatique arrive, ce que l'on appelle communément,''une traversée du désert''. Derriere la scénarisation romancée, aussi bien par l'artiste que les médias, d'un abandon factice se cachent en réalité des stratégies de communication pour un retour sousde meilleures augures. L'apaisement d'une relation tumultueuse trouve écho la aussi avec de nombreux procédés de scénarisation et fait émerger a nouveau une figure artistique désormais incontournable. Incontournable pas seulement par le talent et la qualité formelle des produits qui sont proposés et sujets a la réception critique, mais déja par la capacité de survie d'un artiste a une polémique. Des

146 lors, la moindre activité devient propice a un relais, a une promotion et a la critique. Pourtant on est étonné de constater qu'une telle dispersion artistique ne provoque pas de questionnement. Au contraire, l'établissement d'un univers propre a l'artiste rassemble les éléments disparates de ses activités dans un paradigme folklorique ou l'exubérance et les atmospheres atypiques proposent une cohérence de fait.

– Attraction/repulsion (2008-aujourd'hui) À l’identité artistique se superposent également l’identité ethnique et culturelle. Né Yougoslave, dans une famille musulmane athée et communiste, le Sarajévien est pourtant devenu Serbe et s’est converti a l’orthodoxie. Ces actes, qui pour certains trahissent son passé musulman, participent a la construction d’une nouvelle identité aux services de sa vision subjectivede l’histoire. N’oublions pas non plus qu’il est devenu Français. Français de production surtout et rarement cité comme tel pour conserver le folklore de son appartenance aux Balkans. Cette derniere apparait comme un argument de vente et de promotion, non seulement de ses films mais d'une exception culturelle française, qui s'érige comme le dernier bastion protégeant le cinéma d'auteur. Finalement, l’identité complexe et parfois décriée de cet artiste devient révélatrice d’une époque atypique. Respecté ou critiqué dans sa vision de l'espace ex-yougoslave, Kusturica n’en demeure pas moins un interlocuteur privilégié par les médias lorsqu’il s’agit d’aborder les Balkans et leurs complexités. En somme, a un parcours artistique se juxtapose un parcours identitaire. Pour parachever notre exercice de compréhension d’un personnage a la construction et a la réception protéiforme et dispersée, nous avons établi également un précis sur l’identité politiquede Kusturica. Nous ne parlons pas ici d’une affiliation quelconque a un parti ou bien a une cause ponctuelle. Nous avons préféré nous intéresser a son engagement culturel. Chantre de la culture alternative et non-commerciale, il consacre son festival et son village comme lieu d’expression privilégié pour le cinéma de jeunes auteurs en quete de reconnaissance et pour des musiciens sortant des logiques commerciales inféodées aux majors du disque. Son engagement culturel prend des formes de marxisme artistique ou il aime a opposer l’avachissement d’une culture de masse a la liberté créative indépendante. Mais dans son cas, culture alternative rime également avec une certaine idée de l’alter mondialisme, puisqu’il s’associe, aussi bien dans ses idées qu’a l’écran, avec des personnalités comme Maradona, Nikita Mikhalkov ou Manu Chao. Les nouvelles modalités de la rébellion, de cette protestation made in Kusturica agacent et catalysent une certaine lassitude que la critique peut avoir vis-a-vis d'un univers alliant l'onirisme créatif a la réalité politique d'un engagement. Artiste sans frontieres, il n’en demeure pas moins quelqu’un d’attaché aux traditions, a une

147 certaine histoire et a un folklore qu’il aime tant représenter a l’image. Par conséquent, deux variables qui pourraient s’avérer contradictoires (universaliste et attaché a une région) trouvent en Emir Kusturica une résolution naturelle et révélatrice d’un personnage aussi baroque que son cinéma. Sa personne et ses identités complexes illustreraient peut-etre le dépassement des systemes de représentations classiques qui voulaient opposer une vision alter mondialiste a une vision culturellement conservatrice. Il est en ce sens une démonstration post-moderne unique et, peut-etre bien, annonciatrice du bouleversement des systemes de valeurs sociopolitiques et culturels et de leurs réceptions médiatiques.

Comment anticiper la place de notre sujet dans l'histoire ?

Il est périlleux de proposer une vérité absolue tant par la proximité des événements que nous avons eu a analyser que par le fait que l'artiste soit toujours actif. Pourtant, une anecdote éclaire son statut. Comme nous l'avons vu en 2005, Emir Kusturica est massivement médiatisé pour sa prise de fonction en tant que président du jury cannois. À ce moment apparait un type de sujet que nous n'avons auparavant jamais vu : la rétrospective. En l'espace de deux a trois minutes, le medium télévisuel s'adonne a cet exercice atypique participant, selon nous, a une installation aussi durable que respectée de l'artiste. Une source du 20 heures de France 2200 nous propose donc un portrait retraçant la vie médiatique du cinéaste agrémenté de séquences mélangeant ses films a son activité de musicien. En conclusion de cette rétrospective décousue, le sujet nous offre une séquence qui appuie le postulat sous-jacent a ce reportage. On découvre Emir Kusturica et Francis Ford Coppola se rencontrant a Cannes. La journaliste insiste sur cette rencontre et ralentit de fait le rythme du montage qui a fait défiler la vie médiatique de Kusturica en moins de 2 Nous voyons Kusturica admirateur et Coppola, de son cote, apparaît blase et legerement impressionne minutes. Elle introduit la neutre a la vue de celui qu'il considere comme un fan ''lambda'' séquence en précisant que : « le cineaste americain ignore qui il est » et laisse la conversation se dérouler entre les deux artistes, sans commentaire aucun. Apres ce qui nous apparait comme une certaine condescendance dépassionnée de la part du

200Cf source 10 mai 2005 : « Emir Kusturica président du festival de Cannes »

148 cinéaste américain, la journaliste analyse et propose cette conclusion : « Une rencontre a l'image des rapports entre les États-Unis et le monde, dit-il. Celui qu'un jour, un journaliste americain qualifiait d'inconnu venu de nulle part, prend sa mission au serieux ». S'en suit une célébration du festival de Cannes comme le dernier défenseur des valeurs artistiques du cinéma non-commercial. Que retirons-nous de cette source ? A priori, nous avons eu affaire a un portrait sous la forme d'une rétrospective artistique. Mais la deuxieme partie de ce portrait constitue clairement une apologie de la tradition culturelle française. La monstration d'un artiste durablement installé et célébré trouve une scénarisation paradoxale dans cet entretien avec le cinéaste américain qui arrive a faire passer Kusturica, malgré tout, comme un outsider inconnu. Notre hypothese consiste a dire qu'en critiquant finalement ''l'ignorance'' de ce monstre sacré du cinéma hollywoodien, le sujet veut avant tout, dans l'intertextualité, célébrer la tradition de l'exception culturelle française. En témoigne la parole donnée au réalisateur pour qu'il encense Cannes et la France. La seule certitude que nous avons concernant la place qu'aura le réalisateur dans une prochaine historiographie sera donc cette incarnation de l'exception culturelle. En demeurant aussi bien dans son folklore, que dans son statut paradoxal de figure installée mais en marge, la réception et la construction médiatique d'Emir Kusturica est une expression significative de cette défense de l'exception culturelle française et de sa célébration.

149 BIBLIOGRAPHIE

150 A. Histoire Culturelle

Dans notre démarche de présenter une bibliographie en entonnoir, allant des cadres lesplus généraux et élargis au plus concis et spécialisés, l'histoire culturelle représente le premier ensemble de documentation nous aiguillant sur l'histoire des idées, des institutions et des acteurs culturels. Aussi, cette histoire nous a-t-elle permis de concevoir une certaine perspective historique pour notre sujet en découvrant les changements de contextes culturels qui ont amené a celui que nous avons étudié, a savoir la médiatisation d'un artiste étranger, la circulation et la réception de ces œuvres dans les médias français depuis les années 1980 jusqu'a aujourd'hui.

COHEN Evelyne, GOETSCHEL Pascale, MARTIN Laurent, ORY Pascal Dix ans d'histoire culturelle, Presses de l'Enssib, coll. papiers, 2011, 314 pages

CRUBELLIER Maurice, Histoire culturelle de la France (XIXe-XXe siecles), (1974), Paris, Armand Colin, 1978

ORY Pascal, L'histoire culturelle, Paris, PUF, 2004

RIOUX Jean-Pierre & SIRINELLI Jean-François, Histoire culturelle de la France, Paris, Seuil, 1997 et 1998 - La Culture de masse en France, de la Belle Époque a aujourd'hui, (2002), Paris, Hachette, 2006

RIOUX Jean-Pierre, «Un domaine et un regard», in J.-P. RIOUX & J.-F. SIRINELLI (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997

B. Sociologie de l'art

Ce domaine d'étude représente la deuxieme strate importante dans la mise au point etle rétrécissement de notre focale. En effet, cette discipline nous donne de nombreux outils et exemples pour comprendre de quelle maniere fonctionne ce monde d'acteurs sociaux ou l'œuvre est en réalité une somme d'interactions entre ces derniers plus qu'un objet en soi. Aussi, nous nous intéressons a la notion bourdieusienne de « champs » et aux représentations médiatiques et les imaginaires entourant l'art et les créateurs.

BOURDIEU Pierre, Les Regles de l'art : genese et structure du champ litteraire, Seuil, 1992, Premiere partie : Trois états du champ (p. 85 a 290)

PEQUIGNOT Bruno, Sociologie des arts : domaines et approches, Armand Colin, 2009, 124 pages

PEQUIGNOT Bruno, La Question des œuvres en sociologie des arts et de la culture, Coll. Logiques

151 Sociales Série Sociologie des arts L'Harmattan 2007

SEGRE Gabriel, Le Culte Presley, PUF, coll. Sociologie d'aujourd'hui, 2003, 302 pages

JEUDY Henri-Pierre, Le Mythe de la vie d'artiste, Circé, 2011, 157 pages

ESQUENAZI Jean-Pierre Sociologie des œuvres : de la production a l'interpretation, Armand Colin, Coll. U, 2007, 227 pages

ESQUENAZI Jean-Pierre Godard et la societe française des annees 60, Armand Colin, Paris, 2004

DEFLAUX Fanchon "La construction des représentations de l'art et des artistes non occidentaux dans la presse a la suite d'une exposition d'art contemporain", in Culture & Musees, n°3, 2004. p. 45-68.

C. Histoire, anthropologie et sociologie des médias

Le domaine des sciences sociales se rapportant a l'étude des médias représente certainement le plus important de la documentation et se doit d'etre apprécié dans la singularité des domaines tout en amorçant des rapprochements interdisciplinaires. Les ouvrages traitant de l'histoire des médias nous permettent avant toute chose de replacer chacune des sources que nous avons traitées dans leurs contextes respectifs. Aussi, cette histoire nous a été d'une aide précieuse pour discernerles permanences que nous avons rencontrées dans la réception critique d'œuvre ou dans la construction médiatique d'une personnalité. L'anthropologie et la sociologie des médias quant a elles recentrent les réflexions autour de question cruciales, a savoir le roles des instances médiatiques dans le relais d'une information relative a un produit culturel, les stratégies de promotion avouées ou cachées, etc... Du reste, nous avons appréhendé les spécificités de chaque média dans le dispositif général de la médiatisation d'une œuvre et de son créateur, ainsi que toute construction incombant a la nature de l'instance qui les médiatise.

1°) Ouvrages generaux

BARBIER Frédérique, BERTHO-LAVENIR Catherine Histoire des medias de Diderot a Internet ; Paris, Armand Colin, 1996, 398 pages

ALBERT Pierre et TUDESQ André-Jean, Histoire de la radiotelevision ; PUF, Paris, 1995,

BALLE Francis, Medias et societes, Montchrestien, 2007 [1973],

BROCHAND Christian, Histoire generale de la radiotelevision, Tome 3 ; la Documentation française, 1994,

152 DEHEE Yannick (dir.), Dictionnaire de la television française, INA, Nouveau Monde éditions, 2007,

D'ALMEIDA Fabrice, DELPORTE Christian Histoire des medias en France de la Grande Guerre a nos jours ; Flammarion, 2003,

HOOG Emmanuel, La Tele – une histoire en direct ; Découverte Gallimard, Paris, 2010, 127p.

JEANNENEY Jean-Noël, Une histoire des medias. Des origines a nos jours ; Paris, 1996

JEANNENEY Jean-Noël (dir.), L’Écho du siecle. Dictionnaire historique de la radio et de la television en France ; Hachette littératures, Arte éditions, La Cinquieme édition, 1999,

JOST François Comprendre la television et ses programmes (2eme edition), Amand Colin, 2009 {2005}, Paris, 126 pages

JOST François Introduction a l'analyse de la television, Paris, Ellipses, 2007 {1999}

BOURDIEU Pierre Sur la television, suivi de L'emprise du journalisme ; Paris, Raisons d'Agir, 39eme édition, {1996}, 2008, 96 pages

CHAMPAGNE Patrick "La loi des grands nombres. Mesure de l'audience et représentation politique du public" Actes de la recherche en sciences sociales, 101-102, mars 1994, p. 10-22

CORNU Daniel Éthique de l’information, Paris, PUF, coll. "Que sais-je?", 1997. 127 pages

DELEUZE Gilles " À propos des nouveaux philosophes et d'un probleme plus général", in Minuit {Supplément}, N°24, 1978, pp 131-137

ESQUENAZI Jean-Pierre, L'Écriture de l'actualite : pour une sociologie du discours mediatique ; Paris, PUG, 2002, 183 pages

TISSERON Serge « Images et croyances », Les Cahiers de mediologie, n°8, 2e semestre 1999, p. 33-47.

2°)Representations mediatiques/imaginaires

LE GUERN Philippe (dir.) Les Cultes mediatiques : culture fan et œuvres cultes, PUR, coll. le sens social, 2002, 378 pages

MACE Éric, Les Imaginaires mediatiques : une sociologie postcritique des medias, Éditions Amsterdam, Paris, 2006, 168 pages

MAIGRET Éric / MACE Éric, Penser les mediacultures : nouvelles pratiques et nouvelles approches de la representation du monde, Armand Colin, INA, Paris, 2005, 186 pages

153 DUCCINI Hélene, La Television et ses mises en scene ; Nathan, Paris, 1998,

HEINICH Nathalie, De la visibilite, excellence et singularite en regime mediatique, Paris, Gallimard, NRF, 2012, 593 pages

D. La question de la réception

La réception est un sujet d'étude complexe. En effet, si elle pose des bases méthodologiques entendant apprécier la façon dont un événement ou un objet est reçu, elle se divise, selon les auteurs en de nombreuses approches dialectiques, parfois en opposition. Aussi, la réception est double dans la mesure ou nous devons apprécier, en partant de l'œuvre, la réception critique et évaluative au regard des médias, mais également la réception de cette réception médiatique chez le téléspectateur, auditeurs ou lecteur. Ainsi, la réception que nous avons étudié réside en un schéma complexe d'interactions entre plusieurs instances et acteurs sociaux modelant la représentation d'une œuvre et de son créateur.

CHARPENTIER Isabelle, (sous la direction de.), Comment sont reçues les œuvres? Actualites des recherches en sociologie de la reception et des publics, Creaphis, 2006,

MARIETTE Audrey, “La réception par la critique d'un premier long métrage : La consécration unanime des " Ressources Humaines"?“ in L'Acces a la vie d'artiste, sous la direction de Gerard Mauger, éditions du croquant, Paris, 2006, 253 pages

BRUNE François, "Les medias pensent comme moi!", Fragments du discours anonyme, L'Harmattan, Paris, 1996, Collection L'homme et la société, 217 pages

SEGUR Céline, Les Recherches sur les telespectateurs, trajectoires academiques, Hermes science, Paris, 2010, Collection Commuication, Médiation, et Construits Sociaux, 200 pages

DAYAN Daniel "Les mysteres de la réception", in Le Debat, n°71, 1992, pp. 146-162

KATZ Elihu "À propos des médias et de leurs effets", in Gilles Coutlee et Lucien Sfez (dir.), Technologie et symboliques de la communication, actes du colloque de Cerisy (juin 1988), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1990.

KATZ Elihu et LAZARSFELD Paul Influence personnelle : ce que les gens font des medias, Paris, Armand Colin, 2008

GOETSCHEL Pascale, JOST François, TSIKOUNAS Myriam (dir.) Lire, voir, entendre : La reception des objets mediatiques ; publications de la Sorbonne, Paris, 2010, 400 pages

154 BERTRAND G., DE GOURNAY C., MERCIER P.-A., De l'audience a la reception, CNET/INA/CNRS, Paris, 1990

DURAND Jacques "Segmentation des audiences", in Communications et langages, 94 ; pp. 73-80, 1992

QUERE Louis "Faut il abandonner l'étude de la réception?" in Reseaux, 79, 1994

E. Histoire et sociologie du cinéma

La documentation relative a l'histoire et la sociologie du cinéma est utile a plusieurs égards. En premier lieu, une meilleure appréciation de l'histoire du cinéma nous a aidé a mieux comprendre les références évoquées par les critiques de cinéma dans le cadre d'une réception critique d'une œuvre. Aussi, la place du réalisateur et de son cinéma dans cette derniere est déja un sujet de réflexion qu'il s'agissait de comprendre meme si l'aspect ''esthétique'' que notre sujet présupposait n'était pas primordial a l'analyse. La sociologie du cinéma, quant a elle, nous a été d'une grande aide pour comprendre les dispositifs de cette « industrie culturelle », de ces directives, de son fonctionnement en France, ou a l'étranger. Du reste, cette sociologie s'attache a des objets d'études comme la réception cinématographique qui représente un pan non négligeable de la problématisation de notre sujet.

1°) Ouvrages generaux sur l'histoire du cinema

BAECQUE Antoine de, La Cinephilie, Invention d'un regard. Histoire d'une Culture, 1944-1968 ; Paris, Hachette littératures, coll. Pluriel, 2005

BANDA Daniel et MOURE José, Le Cinema : naissance d'un art. 1895-1920 ; Paris, Flammarion, Champs, 2008, 534 pages

BANDA Daniel et MOURE José, Le Cinema : l'art d'une civilisation. 1920-1960, Paris, Flammarion, Champs, 2011, 487 pages

GUY Jean-Michel, La Culture cinematographique des français, La documentation française, 2000, 350 pages

LEVERATTO Jean-Marc "Histoire du cinéma et expertise culturelle", in Fabrice Montebello et Jean marc Leveratto (coord. par), Politix, vol.16, n°61, 2003, p.18)

LO DUCA Giuseppe Maria, Histoire du cinema ; Presses Universitaires de France, collection Que sais-je, (n°81), Paris, 1942

155 JEANNE René et FORD Charles ; Histoire illustree du cinema ; Éditions Marabout, Paris, 1966

LONJON Bernard, Émile Reynaud, le veritable inventeur du cinema, Éditions du Roure, Paris, 2007

MORIN Edgar, Le cinema ou l'Homme imaginaire ; Gothier, Paris, 1965

NOEL Benoit, L'Histoire du cinema couleur ; Press'communication, Paris, 1995

SADOUL Georges, Histoire generale du cinema (Tome 1 a Tome 6) ; Editions Denoël, Paris, 1975

LOURCELLES Jacques, Dictionnaire du cinema ; Les films, coll. Bouquins, Paris, 1992

DELEUZE Gilles,, L'Image-mouvement et l'Image-temps ; Editions de Minuit, Paris, 1985

VIRMAUX Alain et VIRMAUX Odette Dictionnaire du cinema mondial ; éditions du Rocher, Paris, 1994

2°) Ouvrages sur le cinema des Balkans

TASIC Zoran et PASSEK Jean-Loup (dir.) Le Cinema yougoslave ; Centre Georges Pompidou, coll. "Cinéma Pluriel", Paris, 1986, 208 pages

IORDANOVA Dina, Cinema of Flames - Balkan Film, Culture and the Media ; BFI Publishing, London, 2001

3°) Sociologie du cinema

BOURDIEU Pierre « Mais qui a créé les créateurs ? », in. Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984 (p. 207- 221)

DARRE Yann Une histoire sociale du cinema français, éd. La découverte, 2000

ESQUENAZI Jean-Pierre, « L’auteur, un cri de révolte » in Politique des auteurs et theories du cinema (dir.) Jean-Pierre Esquenazi, L’Harmattan 2002 (p. 67 a 94)

MAGNYJoël, « 1953-1968 : De la « mise en scene » a la « politique des auteurs » in Histoire des theories du cinema, CINÉMACTION, 1991 (pp. 86 a 90)

MARY Philippe, La Nouvelle Vague et le cinema d’auteur, Paris, Seuil, 2006

SORLIN Pierre, Sociologie du cinema, Paris, Aubier, 1977

SORLIN Pierre, « Quelqu’un a qui parler » in Politique des auteurs et theories du cinema (dir.) Jean-Pierre Esquenazi, L’Harmattan, 2002, (pp. 137 a 163)

4°) Sociologie des publics

BOURDIEU Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, éd. de Minuit, 1979 (p. 29 a 69)

156 DONNAT Olivier (dir.) Regards croises sur les pratiques culturelles, La Documentation française, 2003

ESQUENAZI Jean-Pierre, Sociologie des publics, Paris, La découverte, 2003

ETHIS Emmanuel, Sociologie du cinema et de ses publics, Armand Colin, La collection universitaire de poche, Paris, 2005, 2009 (2eme édition), 127 pages

HEINICH Nathalie, « Aux origines de la cinéphilie : les étapes de la perception esthétique » in Politique des auteurs et theories du cinema (dir.) Jean-Pierre Esquenazi, L’Harmattan, 2002 (p. 9 a 38)

F. Histoire de la Yougoslavie

Dans la mesure ou nous nous attachons a étudier la réception d'un artiste yougoslave et de ses œuvres, il est indispensable d'avoir une connaissance précise quant a la localité géographique dont il est issu. Aussi, son pays natal et l'histoire qui l'a construit et l'a détruit est un élément constitutifdu cinéma de Kusturica et de son personnage médiatique. Rappelons-nous qu'au moment ou le cinéaste tourne, l'histoire est en marche. La guerre d'ex-Yougoslavie bouleverse l'œuvre du réalisateur et les constructions médiatiques. Du reste, nous savons que Kusturica a sa vision particuliere de l'histoire des Balkans. Il s'agissait donc de prendre en compte le contexte historique de l'époque que nous avons étudié mais également des époques qui sont retranscrites dans certains films (comme Dolly- Bell, Papa est en voyage d'affaires ou encore Underground ). Au-dela de données historiques, c'est l'appréciation d'un contexte médiatique tres particulier quia été entremelé avec celui de la médiatisation d'un artiste : la médiatisation massive d'une guerre dans les années 90.

1°)Histoire generale

GARDE Paul, Vie et mort de la Yougoslavie ; Paris, Fayard, 1992 ; 2eme éd., Paris, Fayard, 2000, 480 pages

IVIC Pavle, SAMARDZIC Nikola, YELEN Anne, MAURER Pierre, DESPOT Slobodan De l'imprecision a la falsification : analyses de "Vie et mort de la Yougoslavie de Paul Garde ; Lausanne, L'Age d'Homme, 1992

KRULIC Joseph Histoire de la Yougoslavie, de 1945 a nos jours ; Paris, Complexe, 1993, 251 pages

LAZITCH Branko, Tito et la revolution yougoslave ; Paris, Fasquelle, 1957, 279 pages

157 TOMIC Yves, La Serbie, du prince Milos a Milosevic ; Bruxelles, P. Lang, 2004, 165 pages

TOMIC Yves (sous la dir.), GERVEREAU Laurent, De l'unification a l'eclatement de l'espace yougoslave, un siecle d'histoire ; Nanterre, BDIC, 1998, 320 pages

2°)Ouvrages sur la crise yougoslave

MUDRY Thierry, Guerres de religions dans les Balkans ; Paris, Ellipses, 2004, 288 pages

GIANSILY Jean-Antoine, L'Union europeenne et la crise yougoslave ; Paris, Denoel "Illusions et réalités", 1999, 206 pages

ULLMAN Richard Henry, The World and Yugoslavia's Wars ; Council on Foreign Relations, 1996 - 230 pages

3°)Ouvrages sur la Bosnie

CUVALO Ante, Historical Dictionary of Bosnia and Herzegovina ; Scarecrow Press, Lanham, 385 pages

MUDRY Thierry, Histoire de la Bosnie-Herzegovine : faits et controverses ; Ellipses, Paris, 1999, 431 pages

G. Ouvrages consacrés à Emir Kusturica

Si les ouvrages concernant Emir Kusturica doivent principalement etre pris en considération en tant que sources, il n'empeche qu'ils représentent a de nombreux égard une source d'informations non négligeables dans notre démarche de cerner le personnage, son activité prolifique ainsi que son attitude face au cinéma, a la musique, a l'histoire, au média etc... Du reste, certains auteurs sont, comme Jean-Max Méjean ou Matthieu Dhennin, des spécialistes de son cinéma, ou bien, des personnalités l'ayant cotoyé de pres dans des périodes particulieres, comme Serge Grunberg lorsde la polémique d'Underground. L'autobiographie du cinéaste reste aussi intéressante et précieuse quant aux informations et événements qui pouvaient nous échapper dans les sources

BERTELLINI Giorgio, Emir Kusturica ; Il Castoro,1996, Italie, réédité et augmenté en 2011

SAULE Peggy, Le Baroquisme d'Emir Kusturica; These, Editions universitaires européennes, 2010, 244 pages

TEODOROVIC Dragan Zeko, Emir Kusturica & ; DR Studio, Belgrade, 2007

158 MEJEAN Jean-Max, Emir Kusturica ; Gremese, Paris, 2007

DHENNIN Matthieu, Le Lexique subjectif d'Emir Kusturica ; L'Age d'Homme, Lausanne, 2006

IORDANOVA Dina, Emir Kusturica ; BFI Publishing, London, 2002

KUSTURICA Emir, Ou suis-je dans cette histoire ; JC Lattes, Paris, 2011, 425 pages

GOCIC Goran, The Cinema of Emir Kusturica - Notes from Underground ; Wallflower press, London, 2001

VECCHI Paolo, Emir Kusturica ; Gremese, Collection i grandi del cinema, Italie, 1999

GRUNBERG Serge, Il etait une fois... Underground ; Les cahiers du cinéma, Paris, 1995

BOUINEAU Jean-Marc, Le Petit livre d'Emir Kusturica ; Spartorange, Paris, 1993

H. Sites et bases de données consultés – www.kustu.com – www.persee.fr – www.imdb.com – www.cairn.info/ – www.balkanologie.revues.org/

159 ANNEXES

160 I°) SOURCES Corpus Principal A°) Sources écrites

1) Sources journalistiques (revues de presse) : -Presse généraliste

Te souviens-tu de Dolly Bell? (Sjecas li se Dolly Bell?) Période allant du 01/03/1983 au 09/10/1985 13 articles sur 13 pages Liste des articles : – Le Canard enchainé du 16/03/1983 : p.1 – L' Humanité-dimanche du 01/03/1983 : p.1 – Libération du 14/03/1983 : p.1 – Le Monde du 12/03/1983 : p.1 – Le Nouvel observateur (Paris) du 18/03/1983 : p.1 – Le Point (Paris. 1972) du 14/10/1983 : p.1 – Révolution du 25/03/1983 : p.1 – Télérama du 09/03/1983 : p.1 – Télérama du 12/03/1983 : p.1 – Télérama du 09/10/1985 : p.1 – Une semaine de Paris, Pariscope du 09/03/1983 : p.1 – Une semaine de Paris, Pariscope du 23/03/1983 : p.1 – La Vie ouvriere (Paris. 1909) du 07/03/1983 : p.1

Papa est en voyage d'affaires (Otac na sluzbenom putu) Période allant du 13/05/1985 au 06/12/2007 36 articles sur 43 pages Liste des articles : – Le Canard enchainé du 16/10/1985 : p.1 – La Croix du 21/05/1985 : p.1 – Les Echos (Paris. 1928) du 17/10/1985 : p.1 – L' Evénement du jeudi (Paris) du 17/10/1985 : p.1 – L' Express (Paris) du 18/10/1985 : p.1, p.2 – Le Figaro (Paris. 1854) du 13/05/1985 : p.1 – Le Figaro (Paris. 1854) du 16/10/1985 : p.1 – Le Figaro magazine (Paris. 1978) du 19/10/1985 : p.1 – Le Figaro magazine (Paris. 1978) du 26/10/1985 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 13/05/1985 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 14/05/1985 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 17/10/1985 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 18/10/1985 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 14/05/1985 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 16/10/1985 : p.1 – L' Humanité-dimanche du 18/10/1985 : p.1 – International Herald tribune du 27/11/1985 : p.1, p.2 – Libération du 14/05/1985 : p.1

161 – Libération du 16/10/1985 : p.1, p.2 – Le Matin du 13/05/1985 : p.1, p.2 – Le Matin du 16/10/1985 : p.1, p.2 – Le Monde du 14/05/1985 : p.1 – Le Monde du 17/10/1985 : p.1, p.2 – Le Nouvel observateur (Paris) du 25/11/1985 : p.1 – Le Nouvel observateur (Paris) du 06/12/2007 : p.1 – La Nouvelle République du Centre-Ouest du 18/10/1985 : p.1 – Le Point (Paris. 1972) du 20/05/1985 : p.1 – Le Point (Paris. 1972) du 14/10/1985 : p.1 – Le Point (Paris. 1972) du 21/10/1985 : p.1 – Le Quotidien de Paris du 13/05/1985 : p.1 – Le Quotidien de Paris du 16/10/1985 : p.1 – Le Quotidien de Paris du 21/10/1985 : p.1 – Revue des deux mondes du 01/12/1985 : p.1 – Télérama du 16/10/1985 : p.1 – Une semaine de Paris, Pariscope du 16/10/1985 : p.1, p.2 – VSD du 17/10/1985 : p.1

Le temps des Gitans (Dom za vesanje)

Allant du 01/05/1989 au 15/07/2004 26 articles sur 31 pages Liste des articles : – Le Canard enchainé du 15/11/1989 : p.1 – Les Echos (Paris. 1928) du 15/11/1989 : p.1 – Les Echos (Paris. 1928) du 15/07/2004 : p.1 – L' Evénement du jeudi (Paris) du 25/05/1989 : p.1 – L' Evénement du jeudi (Paris) du 16/11/1989 : p.1 – Le Figaro (Paris. 1854) du 17/05/1989 : p.1 – Le Figaro magazine (Paris. 1978) du 18/11/1989 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 17/05/1989 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 15/11/1989 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 16/11/1989 : p.1 – Globe du 01/05/1989 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 17/11/1989 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 18/11/1989 : p.1 – Libération du 15/11/1989 : p.1, p.2, p.3, p.4 – Libération du 17/11/1989 : p.1 – Le Monde du 17/11/1989 : p.1 – Le Monde du 18/11/1989 : p.1 – Le Nouvel observateur (Paris) du 16/11/1989 : p.1, p.2 – Le Nouvel observateur (Paris) du 02/09/1993 : p.1 – Le Point (Paris. 1972) du 20/11/1989 : p.1 – Le Quotidien de Paris du 17/05/1989 : p.1 – Le Quotidien de Paris du 15/11/1989 : p.1, p.2 – Le Quotidien de Paris du 17/11/1989 : p.1 – Révolution du 17/11/1989 : p.1

162 – Une semaine de Paris, Pariscope du 15/11/1989 : p.1 – La Vie ouvriere (Paris. 1909) du 19/06/1989 : p.1

Arizona Dream

Allant du 11/12/1991 au 08/04/1993 16 articles sur 27 pages Liste des articles :7 a Paris du 06/01/1993 : p.1, p.2, p.3 - – Le Canard enchainé du 06/01/1993 : p.1 – La Croix du 07/01/1993 : p.1, p.2 – Les Echos (Paris. 1928) du 06/01/1993 : p.1 - – L' Evénement du jeudi (Paris) du 07/01/1993 : p.1, p.2 - – L' Express (Paris) du 24/12/1992 : p.1, p.2, p.3 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 07/01/1993 : p.1 - – Le Figaro magazine (Paris. 1978) du 02/01/1993 : p.1 - – France-soir (Paris. 1944) du 11/01/1993 : p.1 - – Les Lettres françaises (Paris. 1942) du 29/01/1993 : p.1, p.2 - – Libération du 11/12/1991 : p.1, p.2, p.3, p.4, p.5 - – Le Monde du 06/01/1993 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 31/12/1992 : p.1 - – Télérama du 06/01/1993 : p.1 - – La Tribune Desfossés du 06/01/1993 : p.1

Underground Allant du 24/05/1995 au 26/10/1995 18 articles sur 29 pages Liste des articles : – Le Canard enchainé du 31/05/1995 : p.1 – L' Evénement du jeudi (Paris) du 19/10/1995 : p.1, p.2, p.3 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 27/05/1995 : p.1 – Le Figaro (Paris. 1854) du 24/10/1995 : p.1 – Le Figaro (Paris. 1854) du 25/10/1995 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 29/05/1995 : p.1 – France-soir (Paris. 1944) du 31/05/1995 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 27/05/1995 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 29/05/1995 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 25/10/1995 : p.1, p.2 – InfoMatin du 24/05/1995 : p.1 – InfoMatin du 29/05/1995 : p.1 - – Le Journal du dimanche du 22/10/1995 : p.1 – Libération du 25/10/1995 : p.1, p.2, p.3 – Le Monde du 28/05/1995 : p.1 – Le Monde du 26/10/1995 : p.1, p.2, p.3, p.4, p.5 – Le Nouvel observateur (Paris) du 26/10/1995 : p.1, p.2, p.3 – La Tribune Desfossés du 25/10/1995 : p.1

Chat noir chat blanc 12/09/1998 au 04/10/1998 16 articles sur 26 pages Liste des articles :

163 – Le Canard enchainé du 01/10/1998 : p.1 – La Croix du 30/09/1998 : p.1 – Les Echos (Paris. 1928) du 01/10/1998 : p.1 - – L' Evénement du jeudi (Paris) du 24/09/1998 : p.1, p.2, p.3 - – L' Express (Paris) du 01/10/1998 : p.1, p.2, p.3, p.4 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 30/09/1998 : p.1, p.2, p.3 - – L' Humanité (Paris) du 12/09/1998 : p.1 - – L' Humanité (Paris) du 30/09/1998 : p.1, p.2 - – Les Inrockuptibles du 30/09/1998 : p.1, p.2 - – Le Journal du dimanche du 04/10/1998 : p.1 - – Libération du 30/09/1998 : p.1 - – Le Monde du 01/10/1998 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 24/09/1998 : p.1, p.2 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 01/10/1998 : p.1 - – Le Progres (Lyon) du 30/09/1998 : p.1 - – Télérama du 30/09/1998 : p.1

Super 8 stories 05/10/2001 au 13/10/2001 14 articles sur 15 pages : – Le Canard enchainé du 10/10/2001 : p.1 - – L' Express (Paris) du 11/10/2001 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 10/10/2001 : p.1 - – Le Figaroscope du 10/10/2001 : p.1 - – L' Humanité (Paris) du 10/10/2001 : p.1 - – L' Humanité (Paris) du 13/10/2001 : p.1, p.2 - – Les Inrockuptibles du 09/10/2001 : p.1 - – Libération du 10/10/2001 : p.1 - – Le Monde du 10/10/2001 : p.1 - – Le Monde du 10/10/2001 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 11/10/2001 : p.1 - – Le Point (Paris. 1972) du 05/10/2001 : p.1 - – Télérama du 10/10/2001 : p.1 - – La Tribune Desfossés du 10/10/2001 : p.1

All the invisible children Pas de revue de presse numérisée par ciné-ressources

La Vie est un miracle (Zivot je cudo) 09/05/2004 au 16/05/2004 27 articles sur 41 pages Liste des articles : – Le Canard enchainé du 12/05/2004 : p.1 - – La Croix du 14/05/2004 : p.1 - – L' Express (Paris) du 10/05/2004 : p.1, p.2 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 12/05/2004 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 13/05/2004 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 14/05/2004 : p.1, p.2, p.3

164 – Le Figaroscope du 12/05/2004 : p.1, p.2 - – France-soir (Paris. 1944) du 14/05/2004 : p.1 - – L' Humanité (Paris) du 14/05/2004 : p.1, p.2 - – Les Inrockuptibles du 12/05/2004 : p.1, p.2, p.3, p.4, p.5 - – Le Journal du dimanche du 09/05/2004 : p.1, p.2 - – Le Journal du dimanche du 16/05/2004 : p.1 - – Libération du 14/05/2004 : p.1 - – Libération du 15/05/2004 : p.1 - – Marianne du 10/05/2004 : p.1 - – Le Monde du 12/05/2004 : p.1 - – Le Monde du 12/05/2004 : p.1 - – Le Monde du 16/05/2004 : p.1 - – Le Monde du 16/05/2004 : p.1, p.2 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 13/05/2004 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 13/05/2004 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 13/05/2004 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 13/05/2004 : p.1, p.2, p.3 - – Le Point (Paris. 1972) du 13/05/2004 : p.1, p.2 - – Télérama du 13/05/2004 : p.1 - – Télérama du 13/05/2004 : p.1 - – La Tribune Desfossés du 14/05/2004 : p.1

Promets-moi (Zavet) 26/05/2007 au 31/01/2008 22 articles sur 23 pages Liste des articles : – Le Canard enchainé du 30/01/2008 : p.1 - – La Croix du 30/01/2008 : p.1 - – Les Echos (Paris. 1928) du 31/01/2008 : p.1 - – L' Express (Paris) du 31/01/2008 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 26/05/2007 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 28/05/2007 : p.1 – Le Figaro (Paris. 1854) du 30/01/2008 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 30/01/2008 : p.1 - – Le Figaro magazine (Paris. 1978) du 26/01/2008 : p.1, p.2 - – Le Figaroscope du 30/01/2008 : p.1 - – L' Humanité (Paris) du 30/01/2008 : p.1 - – Les Inrockuptibles du 29/01/2008 : p.1 - – Le Journal du dimanche du 27/05/2007 : p.1 - – Libération du 28/05/2007 : p.1 - – Libération du 30/01/2008 : p.1 - – Marianne du 26/01/2008 : p.1 - – Le Monde du 30/01/2008 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 31/01/2008 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 31/01/2008 : p.1 - – Le Point (Paris. 1972) du 31/01/2008 : p.1 - – Télérama du 30/01/2008 : p.1 - – La Tribune Desfossés du 30/01/2008 : p.1

165 Maradona 21/05/2008 au 31/05/2008 18 articles sur 18 pages Liste des articles : – La Croix du 28/05/2008 : p.1 - – Le Figaro (Paris. 1854) du 28/05/2008 : p.1 - – Le Figaro madame du 31/05/2008 : p.1 – Le Figaro magazine (Paris. 1978) du 31/05/2008 : p.1 - – Le Figaroscope du 28/05/2008 : p.1 - – France-soir (Paris. 1944) du 29/05/2008 : p.1 - – L' Humanité (Paris) du 21/05/2008 : p.1 – L' Humanité (Paris) du 28/05/2008 : p.1 - – L' Humanité-dimanche du 29/05/2008 : p.1 - – Les Inrockuptibles du 27/05/2008 : p.1 - – Le Journal du dimanche du 25/05/2008 : p.1 – Libération du 28/05/2008 : p.1 - – Le Monde du 22/05/2008 : p.1 - – Le Monde du 28/05/2008 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 29/05/2008 : p.1 - – Le Nouvel observateur (Paris) du 29/05/2008 : p.1 - – Le Point (Paris. 1972) du 29/05/2008 : p.1 – Télérama du 28/05/2008 : p.1

2) Sources journalistiques ''Presse spécialisée'' : Te souviens-tu de Dolly Bell (1981) Calindex : -Cinématographe n° 71 page 55, festival [10/1981] Venise -Cinématographe n° 88 page 52, critique, article sur un film [04/1983] Auteur : CUEL François -Cinéma n° 292 page 38, critique, article sur un film [04/1983] Auteur : HAUSTRATE Gaston -Cinéma n° 323 page 4, critique, article sur un film [02/10/1985] Auteur : REVAULT d'ALLONES Fabrice -Image et Son - La Revue du Cinéma n° 382 page 24, critique, article sur un film [04/1983] Auteur : MARTIN Marcel -Image et Son - La Revue du Cinéma n° Saison 83 page 180, fiche Saison cinématographique [10/1983] Auteur : COLPART GILLES -Jeune Cinéma n° 138 page 7, festival [11/1981] -Jeune Cinéma n° 150 page 38, critique, article sur un film [04/1983] Auteur :NAVE Bernard -Positif n° 247 page 59, festival [10/1981] Pula -Positif n° 267 page 75, de A a Z [05/1983] Auteur : GILI Jean A.

Cinéressources : - Emir Kusturica ou l'achevement d'un genre héroïque / Michel Cadé, in : Les cahiers de la cinématheque n°46-47, Mars 1987

Papa est en voyage d'affaires (1985) Calindex : -L'Avant-Scene Cinéma n° 342 page 90, festival [07/1985] Cannes -L'Avant-Scene Cinéma n° 447 page 6, découpage ou film raconté [12/1995] Auteur : MINOT Alain

166 -Cinématographe n° 111 page 2, festival [06/1985] Cannes -Cinéma n° 318 page 11, festival [06/1985] Auteur : NACACHE Jaqueline, -Cinéma n° 325 page 5, critique, article sur un film [16/10/1985] Auteur : MANCEAU Jean-Louis -Cinéma n° 386 page 15, autre [04/02/1987] Auteur : BARBRY François-Régis -Image et Son - La Revue du Cinéma n° 407 page 38, critique, article sur un film [07/1985] Auteur : GRELIER Robert -Image et Son - La Revue du Cinéma n° 409 page 23, critique, article sur un film [10/1985] Auteur : GRELIER Robert -Image et Son - La Revue du Cinéma n° Saison 86 page 87, fiche Saison cinématographique [10/1986] Auteur : BASSAN Raphaël -Jeune Cinéma n° 168 page 20, critique, article sur un film [07/1985] Auteur : CAMY Gérard -Positif n° 293-294 page 100, festival [07/1985] Auteur : AMENGUAL Barthélemy -Positif n° 296 page 15, critique, article sur un film [10/1985] Auteur : DEROBERT Eric -Positif n° H.S. mai 2007 page 90, critique, article sur un film [05/2007] Auteur : DEROBERT Eric -Positif n° H.S. mai 2007 page 90, entretien [05/2007] Auteur : CODELLI Lorenzo KUSTURICA Emir

Cinéressources : - Emir Kusturica ou l'achevement d'un genre héroïque / Michel Cadé, in : Les cahiers de la cinématheque n°46-47, Mars 1987 - Papa est en voyage d'affaires, d'Emir Kusturica / Michel Chion, in : Cahiers du cinéma n°373, juin 1985 - Un reve éveillé / Marc Chevrie , in : Cahiers du cinéma n°376 , octobre 1985 Le temps des gitans (1989) Calindex : -L'Avant-Scene Cinéma n° 383-384 page 174, festival [07/1989] Auteur : PINEL Vincent -Cinéma n° 458 page 17, critique, article sur un film [06/1989] Auteur : PETILLAT Gérard -Cinéma n° 460 page 8, critique, article sur un film [10/1989] Auteur : PETILLAT Gérard -Image et Son - La Revue du Cinéma n° 451 page 26, festival [07/1989] Auteur : GAUTHIER Guy -Image et Son - La Revue du Cinéma n° 454 page 25, critique, article sur un film [11/1989] Auteur : GAUTHIER Guy -Image et Son - La Revue du Cinéma n° Saison 89 page 99, fiche Saison cinématographique [02/1990] Auteur : ROTH-BETTONI Didier -Jeune Cinéma n° 196 page 19, festival [07/1989] -Jeune Cinéma n° 310-311 page 112, dvd [Été 2007] Auteur : MEJEAN Jean-Max -Positif n° 341-342 page 84, festival [07/1989] Auteur : PARANAGUA Paulo Antonio -Positif n° 345 page 2, critique, article sur un film [11/1989] Auteur : GILI Jean A. -Positif n° 565 page 84, dvd [03/2008] Auteur : CIEUTAT Michel

Cinéressources : – Emir Kusturica / Iannis Katsahnias, in : Cahiers du cinéma n°421 , juin 1989 - – Entre ciel et terre / Iannis Katsahnias, in : Cahiers du cinéma n°425 , novembre 1989Freaks, Freaks... / Iannis Katsahnias, in : Cahiers du cinéma n°425, novembre 1989

Arizona Dream (1992) Calindex : -Cinéma n° 493 page 3, autre [01/09/1992] Auteur : LAGANE Christophe KUSTURICA Emir -Cinéma n° 501 page 1, autre [04/01/1993] Auteur : LAGANE Christophe -Image et Son - La Revue du Cinéma n° MdC 2 page 54, critique, article sur un film [01/1993] Auteur : BENOLIEL Bernard

167 -Image et Son - La Revue du Cinéma n° Saison 93 page 40, fiche Saison cinématographique [02/1994] Auteur : ROTH-BETTONI Didier -Jeune Cinéma n° 219 page 40, breve [01/1993] Auteur : PIAZZO Phillippe -Positif n° 383 page 16, critique, article sur un film [01/1993] Auteur : DE BRUYN Olivier -Positif n° 383 page 18, critique, article sur un film [01/1993] Auteur : BOURGUIGNON Thomas -Positif n° 383 page 20, entretien [01/1993] Auteur : CIMENT Michel -Positif n° 588 page 69, autre [02/2010] Cinq cinéastes européens face au désert américain

Cinéressources : - Les enchainés / Charles Tesson, in : Cahiers du cinéma n°528 Supplément, octobre 1998 - Entretien avec Emir kusturica / Thierry Jousse Vincent Ostria, in : Cahiers du cinéma n°455-456, mai 1992 - Kusturica en voyage d'affaires / Joël Magny, in ; Cahiers du cinéma n°463, janvier 1993 Underground (1995) Calindex : -L'Avant-Scene Cinéma n° 444 page 82, festival [07/1995] -L'Avant-Scene Cinéma n° 447 page 80, autre [12/1995] Polémique "Underground" -Cinéma n° 562 page 9, breve [16/10/1995] Auteur : CONTET Elisabeth -Image et Son - La Revue du Cinéma n° Saison 95 page 285, fiche Saison cinématographique [01/1996] Auteur : DARRIGOL Jean -Jeune Cinéma n° 234 page 27, critique, article sur un film [11/1995] Auteur : KIEFFER Anne -Positif n° 413-414 page 103, festival [07/1995] Auteur : VASSE Claire -Positif n° 417 page 15, critique, article sur un film [11/1995] Auteur : GARBARZ Franck -Positif n° 417 page 22, entretien [11/1995] Auteur : CIMENT Michel KUSTURICA Emir

Cinéressources : - La chance du cinéma / serge Toubiana, in : Cahiers du cinéma n°496, novembre 1995 - Comment Kusturica déplaça les montagnes / Serge Grünberg, in Cahiers du cinéma n°492, juin 1995 - Dans les entrailles du communisme / Antoine de Baecque, in Cahiers du cinéma n°496 , novembre 1995 – Kusturica sur terre / Thierry Jousse, in Cahiers du cinéma n°493, juillet/aout 1995 – Monsieur K. a Prague / Vincent Ostria, in Cahiers du cinéma n° 481, juin 1994 - Propos de Emir Kusturica / Thierry Jousse : serge Grünberg, in : Cahiers du cinéma n°492, juin 1995 – Souvenir de bord / Emir Kusturica, in : Cahiers du cinéma n°496, novembre 1995

Chat noir, Chat blanc (1998) Calindex : -Jeune Cinéma n° 252 page 19, festival [11/1998] -Positif n° 452 page 17, critique, article sur un film [10/1998] Auteur : ROUYER Philippe -Positif n° 452 page 19, entretien [10/1998] Auteur : CIMENT Michel KUSTURICA Emir cinéma n°529, novembre 1998 Cinéressources : – Les dangers du trafic / Thierry Lounas, in : Cahiers du cinéma n°528, octobre 1998 – - De la difficulté d'etre un personnage de cinéma / Jacques Ranciere, in : Cahiers du cinéma Super 8 Stories (2001) Calindex : -Positif n° 489 page 62, de A a Z [11/2001] Auteur : NIOGRET Hubert

168 Cinéressources : – Super 8 stories / Vincent Malausa, in : Cahiers du cinéma n °561, octobre 2001

La Vie est un miracle (2004) Calindex : -Jeune Cinéma n° 289 page 52, critique, article sur un film [05/2004] Auteur : GUERIN Nadine -Positif n° 519 page 15, critique, article sur un film [05/2004] Auteur : ROLLET Sylvie -Positif n° 519 page 19, entretien [05/2004] Auteurs :CIMENT Michel, GARBARZ Franck KUSTURICA Emir

Cinéressources : -Kusturica !!! / Raphaelle Travert, in : Synopsis n°31, mai-juin 2004 )Kusturica et son arche / Mia Hansen-Love, in : Cahiers du cinéma n°590, mai 2004

Promets-moi (2008) Calindex : -Jeune Cinéma n° 314 page 66, critique, article sur un film [12/2007] Auteur : MEJEAN Jean-Max -Positif n° 557-558 page 94, festival [07/2007] Auteur : TOBIN Yann -Positif n° 564 page 42, critique, article sur un film [02/2008] Auteur : GILI Jean A. -Zeuxis n° 32 page 28, festival [05/2007] Cannes

Cinéressources : -Promets-moi / Axel Zeppenfeld, in : Cahiers du cinéma n°631, février 2008

Maradona (2008) Calindex : -L'Avant-Scene Cinéma n° 570 page 106, critique, article sur un film [03/2008] Auteur : GUTMAN Pierre-Simon -Jeune Cinéma n° 317-318 page 128, critique, article sur un film [07/2008] Auteur : NAVE Bernard -Positif n° 569-570 page 133, de A a Z [07/2008] Auteur : EISENREICH Pierre Cinéressources : - Maradona par Kusturica / Jean Philippe Tessé, in : Cahiers du cinéma n°635, juin 2008 (Total : 89 articles)

3) Sources Littéraires et autres :

SAULE Peggy : Le baroquisme d'Emir Kusturica; These, Editions universitaires européennes, 2010, 244 pages MEJEAN Jean-Max, Emir Kusturica ; Gremese, Paris, 2007 DHENNIN Matthieu, Le lexique subjectif d'Emir Kusturica ; L'Age d'Homme, Lausanne, 2006 KUSTURICA Emir, Ou suis-je dans cette histoire ; JC Lattes, Paris, 2011, 425 pages GRUNBERG Serge, Il etait une fois... Underground ; Les cahiers du cinéma, Paris, 1995 BOUINEAU Jean-Marc, Le petit livre d'Emir Kusturica ; Spartorange, Paris, 1993

B°) Sources télévisuelles :

169

170 171 172 C°) Sources radiophoniques

173 II°) INFORMATIONS SUR LES FILMS D'EMIR KUSTURICA

1°) Te souviens-tu de Dolly Bell? (source : Kustu.com / Imdb / Interview Thierry Lenouvel) Réalisateur : Emir Kusturica Titre original : Sjecas li se Doli Bel? Sortie : 1981 Langue de la version originale : Bosnien Durée : 1H45 Musique : Zoran Simjanovic, Adriano Celentano, Dragan Jokic, Dzemal Novakovic Script : Abdulah sidran, Emir Kusturica Photo : Vilko Filac Récompense : Lion d'or de la premiere œuvre a la Mostra de Venise en 1981. Prix de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique (FIPRESCI) a la Mostra de Venise, 1981. Prix de la critique du festival du film international de Sao Paulo, 1982. Synopsis : Les années soixante a Sarajevo. Dino, jeune adolescent des mornes banlieues, égaye sa vie un peu grise par des soirées au cinéma qui dévoile un Occident plein de tentations, des séances d'hypnotismes dans son pigeonnier, et la musique, le rock qui lui fait oublier tout le reste. C'est alors qu'apparait Dolly Bell, pulpeuse strip-teaseuse qui lui fait connaitre ses premiers et plus profonds émois.

DVD, VHS langues sous- Pays Format langues audio Achat en ligne Description titres Italie VHS PAL bosnien italien interview Royaume- amazon.co.u DVD Z2 PAL bosnien 2.0 anglais d'Emir Uni k Kusturica bosnien 2.0, Russie DVD Z5 PAL russe Amazon.com russe 2.0 Serbie DVD Z0 PAL bosnien 2.0 - yu4you.com DVD Z0 bosnien 2.0 USA anglais Amazon.com NTSC & 5.1

174 2°) Papa est en voyage d'affaires (source kustu.com)

Réalisateur Emir Kusturica Otac na službenom putu (Отац на службеном Titre original путу) Titre de travail Maladies d'enfants Yougoslavie : 20 janvier 1985 Sortie France : 16 octobre 1985 VO serbo-croate Durée 1h45 Musique Zoran Simjanović Script Abdulah Sidran, Emir Kusturica Photo Vilko Filać

Récompenses : Palme d'Or a l'unanimité du Festival de Cannes 1985 Prix de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique au Festival de Cannes 1985 En 1986, le film fut sélectionné pour l'Oscar du meilleur film étranger, ainsi que pour le Golden Globe du meilleur film étranger.

Synopsis :La rupture de Tito avec Staline en 1948 a marqué non seulement le début d'une période confuse mais aussi tres dangereuse pour beaucoup de noyaux durs du communisme yougoslave. Une remarque négligente au sujet d'une bande dessinée dans un journal est suffisante pour que Mesha soit dénoncé par son beau frere et rejoigne beaucoup d'autres en prison. Sa famille est alors forcée de faire face a la situation et d'attendre sa libération. L'histoire est vue du point de vue de son fils Malik, qui croit la version de sa mere : « papa est en voyage d'affaires »… DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne Allemagne VHS PAL serbo-croate allemand Bosnie-DVD Z2serbo-croate - Herzégovine PAL 2.0 DVD Z0serbo-croate Corée du Sud coréen NTSC 2.0 serbo-croate DVD Z2 Amazon.f Interview France 2.0, françaisfrançais PAL r plus de détails 2.0 Amazon.f France VHS PAL serbo-croate français r DVD Z2 Hongrie hongrois 2.0 - PAL Italie VHS PAL serbo-croate italien Italie DVD Z2 serbo-croate italien DVD Z2serbo-croate amazon.c interview Royaume-Uni anglais PAL 5.1 o.uk d'Emir Kusturica DVD Z5serbo-croate amazon.c Russie russe PAL 2.0, russe 2.0 om Serbie VHS PAL serbo-croate - yu4you.c

175 om DVD Z2serbo-croate yu4you.c Serbie - PAL 2.0 om DVD Z2serbo-croate Slovénie slovene PAL 2.0 Amazon.c USA VHS NTSC serbo-croate anglais om DVD Z0serbo-croate USA anglais Amazon.com NTSC 2.0 & 5.1

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3°) Le Temps des gitans (source : kustu.com)

Réalisateur Emir Kusturica Dom za vesanje - littéralement : La maison Titre original des pendaisons Sortie 1989 (France) VO rrom Durée 2h15 (version cinéma), 5h (Version longue) Musique Goran Bregović Script Gordan Mihić, Emir Kusturica Photo Vilko Filać

Récompenses : Prix de la mise en scene (meilleur réalisateur) auFestival de Cannes 1989 Meilleur film étranger au Guldbagge Awards de Suede, 1991 Synopsis : Perhan est un Rom. Fils naturel d'un soldat et d'une tzigane, il est élevé ainsi que sa soeur handicapée, par sa grand-mere dans un bidonville de Skopje en Macédoine. La vie de famille s'organise autour d'un accordéon, d'un dindon et d'un fiston déluré. Perhan tombe amoureux dela fille de la voisine et décide de gagner beaucoup d'argent pour obtenir le droit de l'épouser. Il rentre dans le clan d'Ahmed et mene une existence faite de “bricolages” et de magouilles. Perhan est désormais prisonnier d'un monde dont il ne veut pas. Du moins lui reste-t-il l'amour, celui qu'il possede en lui. Sa destinée parait toute tracée, dramatique car sans espoir de rédemption, mais Perhan s'accroche a la vie par pure fierté. Il tombera de tres haut, le reve européen est loin et demeure inaccessible. Les Gitans sont condamnés a souffrir et a errer, mais dans la dignité… DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne France VHS PAL rrom français Amazon.fr rrom 2.0 remasterisé, Edition France DVD Z2 français Amazon.fr rrom 1.0, remasterisée français 1.0 rrom 2.0 Edition remasterisé, collector 2 France DVD Z2 français Amazon.fr rrom 1.0, DVD français 1.0 plus de détails Version Grece DVD Z2 Rrom 2.0 Grec longue plus de détails Serbie VHS PAL rrom - yu4you.com Serbie DVD Z0 PAL rrom - yu4you.com Slovénie DVD Z2 PAL rrom 4.0 slovene Montage alternatif (2h22) :

177 plus de détails Version rrom 5.1, russe Russie DVD Z5 PAL russe Amazon.com longue (5h) 5.1 plus de détails USA VHS NTSC rrom anglais amazon.com

178 4°) Arizona Dream (source : kustu.com) Réalisateur Emir Kusturica The Arrowtooth Waltz - littéralement : La Titre original valse du turbot Titres de travail Arizona Eskimo, American dreamers Sortie 1993 (France) VO anglais Durée 2h20 Musique Goran Bregovic, Iggy Pop Script David Atkins, Emir Kusturica Photo Vilko Filać

Récompenses : Ours d'Argent (Prix Spécial du Jury) au Festival du Film International de Berlin, 1993 Prix du public au Festival du film de Varsovie 1994

Synopsis : Apres la mort tragique de ses parents dans un accident de voiture, Axel Blackmar a tourné le dos a son passé. Trois ans plus tard, installé a New York, il a trouvé son équilibre et travaille pour le département de la Peche et de la Chasse. Mais son oncle Léo le rappelle dans sa ville natale, en Arizona. La, Axel va devenir le jouet des reves de deux femmes qui ont vécu un passé terrible, de ceux de son oncle et peut-etre des siens… DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne anglais 2.0, Allemagne DVD Z2 PAL allemand 2.0, allemand Amazon.de espagnol 2.0 anglais 2.0, français, coffret 4 Belgique DVD Z2 PAL Amazon.fr français 2.0 néerlandais films1) anglais, France laserdisc français français édition anglais 2.0, collector France DVD Z2 PAL français Amazon.fr français 2.0 double DVD plus de détails anglais 2.0, France DVD Z2 PAL français Amazon.fr édition simple français 2.0 anglais 2.0, Coffret 2 films France DVD Z2 PAL français Amazon.fr français 2.0 2) France HD DVD anglais 4.0, français, Amazon.fr sortie le 21 français 4.0, anglais, mai 2007 allemand 2.0 allemand, dannois, norvégien, suedois,

179 finnois, hollandais Pré-bande annonce, Bande annonce, making-of, anglais 2.0 dts, français, scene inédite français 2.0 japonais, France Blu-Ray Amazon.fr (suivie du dts, espagnol portugais, plan-séquence 2.0 dts espagnol final), interview de Claudie Ossart et Johnny Depp anglais 2.0, Hongrie DVD Z2 PAL hongrois hongrois 2.0 anglais 2.0, Italie DVD Z2 PAL italien Amazon.it édition simple italien 2.0 édition collector anglais 2.0, Italie DVD Z2 PAL italien (inclut le plan- italien 2.0 séquence final) Anglais DTS, inclus un Italie Blu-ray italien Amazon.it italien DTS booklet Royaume- DVD Z2 PAL anglais 2.0 - Amazon.co.uk Uni Serbie VHS PAL anglais serbe yu4you.com USA DVD Z1 PAL anglais - Amazon.com video USA anglais - Amazon.com download3)

180 5°) Underground (source : kustu.com)

Réalisateur Emir Kusturica Titre original Podzemlje, Bila jednom jedna zemlja Sortie octobre 1995 (France) VO serbe 2h45 (version cinéma), 5h40 (version longue Durée TV), 7h (version “superintégrale”1)) Musique Goran Bregović Script Dusan Kovačević Photo Vilko Filać Box office 500.000 (France), 1.000.000 (Europe)

Récompenses : Palme d'or au Festival de Cannes 1995 / Meilleur film étranger au Prix Lumieres 1996 Synopsis : 1941. Belgrade. Marko, petit cadre communiste fait entrer son ami Blacky au Parti. Mais les allemands envahissent la Yougoslavie et les deux comperes partageront leur temps entre des actes de résistance et de tres fructueux trafics. Ils partageront aussi la belle Natalja, une actrice que “protege” un officier nazi. Au plus fort du conflit, Marko s'arrangera pour enfermer Blacky et son clan dans le sous-sol d'une maison de Belgrade. Ainsi pourra-t-il garder Natalja pour lui seul. Et en 1945, il cachera volontairement aux gens du sous-sol qui fabriquent des armes pour la Résistance que le pays a été libéré. Il continuera de les exploiter ainsi pendant des décennies, pour sonplus grand profit. Mais un jour, les esclaves sortiront du sous-sol et retrouveront leur pays dévasté par la guerre civile… DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne Amérique DVD Z1 & 4 serbe 2.0 espagnol Amazon.com - Latine NTSC Australie DVD Z4 PAL serbe anglais - - allemand, Allemagne DVD Z2 PAL allemand Amazon.de - serbe Amazon.fr français 5.1,français, Belgique DVD Z2 PAL (coffret 4Plus de détails serbe 5.1 néerlandais films2)) coffret français 5.1,français, Belgique DVD Z2 PAL “Palmes d'or” serbe 5.1 néerlandais 7 films 3) Coffret 3 français 5.1 & DVD avec France DVD Z2 PAL dts, serbe 5.1français Amazon.fr livret 48 & dts pages. Plus de détails version longue France VHS SECAM français - épuisé (5h40) : Plus de détails italien 5.1, Italie DVD Z2 PAL italien amazon.it Double DVD serbe 5.1

181 Royaume- VHS PAL serbe anglais Amazon.co.uk- Uni Russie DVD Z5 PAL serbe, russe russe Amazon.com Serbie VHS PAL serbe - yu4you.com - Serbie DVD Z0 PAL serbe anglais yu4you.com - Slovénie DVD Z2 PAL serbe slovene - - DVD Z1 USA serbe anglais Amazon.com NTSC

182 6°) Chat noir chat blanc Réalisateur Emir Kusturica Titre original Crna Macka Beli Makor Titre de travail Acrobatic Music Sortie 1998 (France) VO rrom & serbe Durée 2h10 Musique Black cat white cat orchestra Script Gordan Mihić & Emir Kusturica Photo Thierry Arbogast, Michel Amathieu 694.251 (France), 2.695.431 (Europe), Box office 68.633 (USA)

Récompense : Lion d'argent du meilleur réalisateur a la Mostra de Venise, 1998 Synopsis : Matko le gitan, qui vit au bord du Danube de petits trafics avec les Russes, a besoin d'argent pour réaliser un coup important. Il demande a Grga Pitic, parrain de la communaute gitane et vieil ami de la famille, de le financer. Grga accepte, mais Matko n'est pas a la hauteur et se fait doubler par le dangereux Dadan. Pour solder sa dette, Dadan lui propose de marier son fils Zare a Bubamara, sa minuscule soeur cadette. Mais Zane en aime une autre, la blonde Ida. Le mariage a lieu. La mariee profite d'un moment d'inattention et s'enfuit… langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne rrom 5.1, Allemagne DVD Z2 PAL allemand Amazon.de allemand 5.1 anglais, Australie DVD Z4 PAL rrom 5.1 français, Amazon.co.uk néerlandais rrom 5.1, français, coffret 4 Belgique DVD Z2 PAL Amazon.fr français 5.1 néerlandais films1) rrom 5.1, français, France DVD Z2 PAL Amazon.fr plus de détails français 5.1 néerlandais France VHS SECAM rrom français Amazon.fr rrom 5.1, Hongrie DVD Z2 PAL hongrois hongrois 5.1 DVD Z2 Japon rrom 5.1 japonais NTSC polonais, Pologne DVD Z2 PAL rrom 5.1 anglais Royaume- DVD Z2 PAL rrom 2.0 anglais Amazon.co.uk Uni Serbie VHS PAL rrom yu4you.com Slovénie DVD Z2 PAL rrom 5.1 slovene USA VHS NTSC rrom anglais Amazon.com

183 184 7°) Super8 Stories Réalisateur Emir Kusturica Titre original Super 8 Priče Sortie en France 2001 VO serbe, anglais Durée 1h30 Musique No Smoking Orchestra Photo Michel Amathieu Box office 20.085 (France), 59.745 (Europe)

Récompense : Plaque d'argent du meilleur film documentaire au Festival international du Film de Chicago, 2001

Synopsis : Documentaire sur le groupe No Smoking Orchestra pendant leur tournée mondiale de 2000

DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne serbe 2.0, Argentine DVD Z4 PAL espagnol plus de détails Portugais DVD Z0 anglais, Chine serbe 5.1 NTSC chinois français, France DVD Z2 PAL serbe 2.0 Amazon.fr plus de détails anglais Italie DVD Z2 PAL serbe 2.0 italiens Amazon.it

185 8°) La Vie est un miracle Réalisateur Emir Kusturica Titre original Život Je Cudo, Живот је чудо Titre de Gladno Srce, Hungry Heart, Love Story, travail When life was a miracle Sortie 14 mai 2004 (France) VO serbe 2h32 (version cinéma), 5h (version longue Durée TV) Emir Kusturica & Dejan Sparavalo, Musique interprétée par le No Smoking Orchestra Ranko Bozić et Emir Kusturica, d'apres une Script idée de Gordan Mihić Photo Michel Amathieu Box office 536.000 (France), 1.129.900 (Europe)

Récompenses : Prix de l'Éducation Nationale au Festival de Cannes 2004 / Prix du public au Festival de Film de Melbourne, 2004 / César du meilleur film de l'Union Européenne, 2005/ Golden Globe du meilleur film européen, 2005 / Prix du meilleur film des Balkans, festival de Sofia, 2005

Synopsis : Quoi de mieux pour le village qu'une ligne de chemin de fer touristique ? Et quoi de pire pour le tourisme que la guerre ? Tout a la construction de la ligne de chemin de fer, Luka ferme les yeux sur la guerre. Il est surtout préoccupé par cet ane qui bloque le train. Mais lorsque sa femme le quitte pour un musicien et Milos, son fils, est appelé sous les drapeaux, sa vie se met a ressembler a un champ de bataille. Les combats débutent sans crier gare et Luka se retrouve au cœur d'un champ de bataille des plus authentiques. Pour couronner le tout, Milos est fait prisonnier. C'est alors qu'il rencontre l'amour en la personne de Sabaha, une infirmiere musulmane. Mais Sabaha est chez Luka pour lui servir d'otage, et doit etre échangée s'il veut récupérer son fils.

DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne Australie DVD Z4 PAL serbe 5.1 anglais Amazon.com making of serbe 5.1, Allemagne DVD Z2 PAL allemand Amazon.de allemand 5.1 serbe 5.1, français, Edition double Belgique DVD Z2 PAL français 5.1 néerlandais DVD serbe 5.1, français, coffret 4 Belgique DVD Z2 PAL Amazon.fr français 5.1 néerlandais films1) Plurilingue, Castellano, Espagne DVD Z2 PAL castillan Amazon.es Serbio, Español France DVD Z2 PAL serbe 5.1, français Amazon.fr Double DVD

186 français 5.1 Plus de détails serbe 5.1, Coffret 2 films France DVD Z2 PAL français Amazon.fr français 5.1 2) serbe 5.1, Italie DVD Z2 PAL italien Amazon.it italien Royaume- DVD Z2 PAL serbe 5.1 anglais Amazon.co.uk Uni Russie DVD Z2 PAL serbe, russe russe

187 9°) Promets-moi Titre original Zavet, Завет Titre de Le vœu travail Novembre 2007 (Russie), 30 janvier 2008 Sortie (France) VO serbe Durée 2h06 Musique Stribor Kusturica Ranko Bozić & Emir Kusturica, d'apres une Script histoire de Rade Marković Photo Milorad Glusica Box office 120.000 (France)

Synopsis : Au sommet d’une colline isolée au fond de la campagne serbe vivent Tsane, son grand- pere et leur vache Cvetka. Avec leur voisine l’institutrice, ce sont les seuls habitants du village. Un jour, le grand-pere de Tsane lui annonce qu’il va bientot mourir et lui fait promettre qu’il franchira les trois collines pour rejoindre la ville la plus proche et vendre Cvetka au marché. Avec l’argent récolté, il devra acheter une icone et un souvenir. Enfin, il lui faudra trouver une épouse. Arrivé en ville, Tsane n’a aucune difficulté a exaucer les premiers vœux de son grand-pere. Mais comment faire pour trouver une fiancée et la convaincre de le suivre au village avant que son grand-pere ne disparaisse ? DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne serbe 5.1, allemand, Sortie le Allemagne DVD Z2 PAL français 5.1, Amazon.de français 19/09/08 allemand 5.1 Plurilingue, Castellano, Castillan, Sortie le Espagne DVD Z2 PAL Catalán, Amazon.es Catalan 04/03/09 Croata, Serbio, Español Sortie le France DVD Z2 PAL serbe 5.1 français Amazon.fr 02/09/08 Serbe 5.1, Sortie le Italie DVD Z2 PAL Italien Amazon.it Italien 23/07/10

188 189 10°) Maradona par Kusturica Réalisateur Emir Kusturica Titre complet Maradona par Kusturica Titre de travail N'oublie pas Fiorito Sortie 28 mai 2008 (Festival de Cannes) VO Anglais, Espagnol Durée 1h30 Musique Stribor Kusturica, Manu Chao Photo Rodrigo Pulpeiro Vega Box-office 42.000 (France)

Récompense : Premier prix au Festival international du film de sport de Kazan (République du Tatarstan, Russie), 2009 Synopsis : Documentaire sur le joueur de football argentin Diego Maradona. Emir Kusturica célebre dans ce film l’incroyable histoire de Diego Maradona : héros sportif, Dieu vivant du football, artiste de génie, champion du peuple, idole déchue et modele pour des générations du monde entier. De Buenos Aires a Naples - en passant par Cuba - Emir Kusturica retrace la vie de cet homme hors du commun, de ses humbles débuts a sa notoriété mondiale, de sa fulgurante ascension au déclinle plus profond. Un documentaire unique sur “le joueur du siecle”, filmé par son plus grand fan. DVD, VHS langues sous-Achat en Pays Format langues audio Description titres ligne Sortie le anglais 5.1, France DVD Z2 PAL français Amazon.fr 02/12/08 2.0 Plus de détails anglais 5.1, Accompagné Italie DVD Z2 PAL italiens Amazon.it italien 2.0 d'un livre

190 TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos : 1

Introduction : 3

Première Partie : Le temps de la reconnaissance : 18 Chapitre I - Visibilité et circulation de l’œuvre : 18 A°) Itinéraire(s) d'un film d'auteur yougoslave : 18 1- D'une cinématographie a un cinéaste : Kusturica enfant du cinéma yougoslave : 18 2 – De Sarajevo a Paris, en passant par Venise : 22 3 – Genese et épilogue d'une Palme... : 25 4 – Installation durable, circulation mondiale et incidence sur l'artiste : la place de la France : 27

B°) De la visibilité : premiere approche des droits d'entrées en régime médiatique : 28 1 – Des débuts timides : 28 2 – L'entrée en régime médiatique : la Palme d'or comme droit d'entrée : 31 3 - Quelles sont les modalités des droits d'entrée selon les médias ? : 34 4 – Quelle pérennité pour cette visibilité ? Réactualisation durable du capital et début d'une starification. : 40

Chapitre II - Enjeux et teneurs des discours critiques : 43

A°) Evolution du discours critique : 43 1 - Cannes et les médias : deux institutions productrices de valeurs : 43 2 - Quand la critique dépasse le film : l'expertise culturelle comme alibi : 45 a°) Te souviens-tu de Dolly Bell et Papa est en voyage d'affaires : 45 L'historicité du cinéma de Kusturica prétexte a une politisation de l'expertise culturelle. 45 b°) Le Temps des gitans : une vitrine pour un peuple : 51

B°) Installation des procédés de scénarisation : le début de la construction d'un personnage médiatique. : 52 1 – Parcours, références et influences : 53 a°) Te souviens-tu de Prague et de Fellini ? : 53

b°) Papa est en voyage d'affaires : au dela des références, une comparaison d'égal a égal : 54 2 – Jeunesse et talent : 55 a°) Un premier film « prometteur » : 55 b°) Papa auréolé : la naissance d'un prodige? : 56 c°) Une jeunesse rattachée a l'œuvre : un procédé qui fait du créateur le sujet de sa création : 57 d°) Les modalités du génie : 58 3 – Un artiste avant-tout yougoslave: 60 a°) Les références au cinéma yougoslave dans la médiatisation du premier film. : 60

191 b°) Papa est en voyage d'affaires : Une appartenance nationale qui va au-dela des simples références cinématographiques. : 61 c°) La voix de la Yougoslavie : 62 4 - Début d'une « starification » paradoxale et son évolution a court terme : 63 OUVERTURE : 68

Deuxième Partie : Le temps de la polémique : 72 Chapitre III - Un contexte nourrissant la polémique : la guerre d'ex-Yougoslavie : 73 A°) Le déroulement de la guerre : 73 1 - La Slovénie : 73 2 - La Croatie : 74 3 - Le théatre bosniaque : 76 B°) Des racines troubles : ébauche chronologique d'une arborescence de la haine : 78 1 - La naissance d'une idée, l'accomplissement d'un état par la guerre : 78 2 - Tito, ou comment diluer les ethnies et les frontieres dans l'identité yougoslave : 79 3 - Des réveils adaptés aux haines qui sommeillaient : 80 C°) Un traitement médiatique particulier : la violence en prime-time. : 81 1 - Antécédents médiatiques: une évolution du traitement de la violence : 81 2 - La guerre en Bosnie : scénarisation et construction du réel ? : 82 3 - A la violence d'une guerre répond la violence d'un engagement. : 84

Chapitre IV – La construction d'une polémique : analyse des contenus et des structures d'expression médiatique. : 86 A°) Les vecteurs structurels de la discorde : 86 1 - D'une rubrique, l'autre. : 86 2 - La nature et les enjeux d'une vitrine médiatique : 87 3 - L'intermédialité comme engrais et révélateur d'une polémique : 88 4 - La mise au pas de la presse spécialisée. : 90

B°) Scénariser une polémique : analyse du contenu et mise en perspective des imaginaires. : 91 1 - Définir un espace géographique pour la polémique : la place de la France et ses processus de légitimation médiatique. : 91 2 - Un protagoniste français : Ciby2000 au cœur de la polémique : 93 3 - ''Un génie, mais un salaud'' : concéder pour mieux attaquer : 95 4 - L'imaginaire de la Seconde guerre mondiale : une mise en abyme de circonstance : 97

C°) Les survivances d'une polémique : un impact sur le long terme ? : 100 1 - L'Emir contre-attaque : les modalités lexicales d'un retour : 100 2 - Alain ''m'a tuer''. Avantage Kusturica ? : 101

Troisième Partie : Le temps des identités : 105 Chapitre V - Dispersion du statut artistique : 105 A°) Le constat d'une activité prolifique : 106 1 - Le musicien (enfin?) aguerri : 106 2 - Évolution du personnage dans une dispersion protéiforme : 107 3 - Et le cinéma dans tout ça ? : 110

192 B°) Les conséquences de la dispersion artistique : 112 1 - Les enjeux d'un transfert du capital de visibilité : 112 2 - À la dispersion répond une cohérence visuelle et lexicale : l'installation des logotypes comme premier point de repere : 115 3 - Un univers comme solution a la dispersion : un choix assumé aussi bien par l'artiste que par les médias. : 118 a°) Sur scene comme sur un plateau : une musique a l'image de son cinéma. : 118 b°) Une vie aussi baroque que son cinéma : le ''cirque Kusturica'' : 119 c°) Le début d'une lassitude ? : 121 d°) La folie slave : L'Emir des passions d'un peuple fantasmé : 123 Chapitre VI - Des identités et des identifications. : 125 A°) Évolution d'une identité nationale et culturelle : 125 1 – Français... de production. : 125 2 – Citoyen du monde ? : Les racines d'un déraciné. : 127 a°) Vagabondage : 127 b°) Entre idéalisme et nostalgie : un lieu a son image 128 c°) L'enracinement : conservatisme et nationalisme ? Un patrimoine identitaire revendiqué : 129 B°) Identité(s) politiques : 131 1 – Les Balkans : '' Non, je n'ai pas changé '' : 131 2 – De l'alter-culture, de l'alter-mondialisme et du conservatisme ? Küstendorf comme un condensé d'identités paradoxales : 136 a°) Un marxisme artistique affiché et célébré : 136 b°) Conservatisme culturel : une vitrine culturelle de bon aloi pour les journaux de droite ? : 137 c°) Alter-culture et alter-mondialisme : 138 3 – Les nouvelles modalités de la rébellion. : 141

Conclusion : 145 – Emir Kusturica et les medias français : une histoire longue et tumultueuse. 145 – Comment anticiper la place de notre sujet dans l'histoire ? 148

Bibliographie : 151

Annexes : 161 I°) SOURCES : 161 A°) Sources écrites : 161 1) Sources journalistiques (revues de presse) : -Presse généraliste : 161 2) Sources journalistiques ''Presse spécialisée'' : 166 3) Sources Littéraires et autres : 169 B°) Sources télévisuelles : 170 C°) Sources Radiophoniques : 173

II°) INFORMATIONS SUR LES FILMS D'EMIR KUSTURICA : 174

193 Une stature imposante, une chevelure abondante et grasse, un cigare fin au bout des levres : tout cinéphile reconnaitra Emir Kusturica sur un cliché. Il en va de meme pour ses films : la présence des gitans, du folklore balkanique (stéréotypé ?),du kitsch, une symbolique des animaux et des hommages aux grands noms du cinéma (tels que Jean Vigo ou Federico Fellini). La « patte » Kusturica est reconnaissable et s'est installée durablement sur les écrans. Il est, des lors, naturel d'admettre une certaine particularité a ce personnage, a son cinéma. Ce mémoire entend mener, au-dela de l'étude monographique d'un personnage, une réflexion sur la place d'un artiste atypique au centre de dispositifs et de contextes médiatiques particuliers faisant de ce cinéaste des Balkans le sujet culturel d'une réception spécifique et d'une construction médiatique.

Mots cles : Emir Kusturica, Balkans, cineaste, construction mediatique, reception, Yougoslavie,

An imposing stature, thick, greasy hair, a thin cigar hanging off the edge of his lips : every cinemagoer will recognize the classic image of Emir Kusturica. The same applies for his movies : the presence of gypsies, (stereotyped ?) Balkan folklore, kitsch, animal symbolism and the many tributes paid to some of the great names of cinema (such as Jean Vigo or Fellini). Kusturica’s stamp is recognizable and is indelibly set on the screen. It is, therefore, natural to infuse some of the distinctive characteristics of this figure’s personality into his cinema. The following dissertation intends to present, beyond a monographic study of an artistic figure, an exploration how the position of an atypical artist amidst media devices and their various contexts, makes this Yugoslavian film-maker a subject of media construction and perception.

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