Le refuge des vaincus

par Luc van Dongen

I Pour éviter d’éventuelles controverses liées à la protection des données DEUX MILICIENS personnelles, la rédaction des Annales Valaisannes a décidé d’anonymiser certains noms. Le 16 mars 1946 arrivait en Valais un ex-mili- 1957, le Valais lui accorda un permis d’établis- cien français du nom de D*, condamné à mort sement et il obtint la nationalité suisse à la fin à Lons-le-Saulnier dans le Jura huit mois aupa- des années 1960. Qui était-il donc? Né en 1912 ravant. Il se présenta au chef du Département et originaire de Neuville, dans l’Aube, il avait de justice et police valaisan, le conseiller d’Etat d’abord fait des études de droit. A partir de Cyrille Pitteloud, qui l’enjoignit de s’annoncer 1938, il s’était occupé d’un portefeuille d’assu- à la police – ce qu’il fit. Dès lors, D* n’allait plus rances à Dôle dans le Jura. Après sa démobili- quitter le sol valaisan. Il refit entièrement sa vie sation, en 1940, il s’était intéressé aux affaires dans ce canton, en compagnie de sa femme et de son beau-père, qui possédait la Manufacture de ses enfants – dont trois naquirent à Sion. En lyonnaise de jouets et une exploitation forestière 141 à Cousance, toujours dans le Jura. En août 1940, l’enceinte de l’usine familiale, il n’aurait plus selon ses propres dires1, il avait rejoint les rangs quitté sa retraite forcée jusqu’à l’appel de mobi- de la Légion française des combattants (LFC), lisation lancé par la suite au débarque- I qui venait d’être créée, et qui allait devenir le ment de juin 1944. Chef de trentaine à Lons- 1 AF, E 4320(B) 1991/166/126, Service d’ordre légionnaire (SOL), puis la Milice le-Saulnier, il avait ensuite combattu aux côtés dossier C 13.2221, Procès-verbal de l’audition de D* par le de . Promu vice-président de la des Allemands et suivi la transhumance des Ministère public, Police de sûreté, section locale de la LFC à Cousance, puis vice- miliciens vers l’Est (Bourg, Dijon, les Vosges, Sion, 28 mars 1946. président du district de Saint-Amour, D*, comme l’Alsace, Ulm, Sigmaringen). En avril 1945, il 2 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 3, il ne fera aucune difficulté à le reconnaître devant avait pris le chemin de l’Italie en traversant le 706145, Rapport du commissaire de Police judiciaire René Anthérieu les autorités suisses, avait alors milité de façon col du Brenner, comme des centaines d’autres du 26 mars 1945 et note de active pour la révolution nationale et travaillé vaincus aux abois. Puis, en se faisant passer pour l’inspecteur principal Marnat pour le soutien de la politique du Maréchal [Pétain], un travailleur rapatrié d’Allemagne, il avait rega- de la Police nationale du 23 avril 1945. ceci sans condition et en pleine confiance. En 1941, gné la , où il avait vécu quelque temps 3 Il est permis de douter de la il avait pris le commandement d’une section clandestinement, aidé par des amis. Le 26 juillet véracité de cette rencontre, qui du SOL et ensuite intégré de son plein gré la 1945 était tombé, en son absence, le verdict de nous paraît peu vraisemblable Milice. A l’en croire, sa mission avait consisté à sa condamnation à mort pour intelligence avec telle qu’elle est relatée par D*. 4 AF, E 4320(B) 1991/166/126, aider les prisonniers par la confection et l’envoi de l’ennemi. D* avait alors essayé de se réfugier en dossier C.13.2221, Procès-verbal colis, à veiller à l’application des lois économiques Suisse une première fois. Sa femme avait eu une de l’audition de D* et sociales élaborées par le gouvernement du conversation avec la mère supérieure de l’Hospice du 28 mars 1946. Maréchal, à faire de la propagande et à organi- de Cousance, une Suissesse, qui lui avait donné 5 AF, E 4264(-) 1985/196/3142, Procès-verbal de l’interrogatoire ser des services d’ordre à l’occasion de certaines l’adresse d’une sœur de l’Externat Sainte-Marie de D* du 5 juillet 1946. manifestations, telles que voyages du Maréchal, à Genève, où D* serait accueilli à bras ouverts 4. anniversaires de la Légion, etc. En tant que chef A une date inconnue de l’année 1946, il avait local de la Milice, il avait également participé à passé la frontière illégalement dans la région de la répression des mouvements de résistance, une Vallorbe. Depuis l’externat en question, il était tâche présentée par ce dernier comme de la légi- entré en contact avec l’abbé Haas, aumônier à time défense, car dès juillet 1943, notre activité Caritas Genève, qui l’avait envoyé chez le doyen consistait presque exclusivement à assister aux Membret à Porrentruy, lequel ne put apparem- obsèques de nos camarades tués. Grâce à des cir- ment rien pour lui. Après avoir cherché de l’aide constances providentielles, il ne se serait heureu- auprès d’un ancien camarade d’études devenu sement jamais trouvé en situation de devoir avocat à Porrentruy, D* était retourné en France. commettre des exactions. Pourtant, à la fin de Mais, ayant épuisé toutes possibilités de vie clan- la guerre, une enquête de la police française n’en destine en France 5, il s’était résolu à tenter une considérera pas moins que D*, en tant qu’em- nouvelle fois sa chance en Suisse. La deuxième ployé de bureau au PC de la Milice à Thorens, tentative sera la bonne. En juin 1946, D* pou- [pouvait] être rendu solidairement coupable des hor- vait travailler comme ouvrier agricole chez Pierre reurs qu’[avait] commises la Milice en cette ville Deslarzes près de Sion. Alors qu’il s’agissait de et qu’il avait été un militant acharné et partisan l’interner dans un camp de Suisse alémanique, de la victoire allemande 2. Apeuré par des menaces des interventions en sa faveur du commandant de mort, le milicien se serait alors rendu à Vichy de la police valaisanne, M. Gollut, et du chef fin 1943 ou début 1944, afin de prendre conseil du Département de justice, M. Pitteloud, lui épar- auprès de ses supérieurs sur le comportement à gnèrent ce fâcheux transfert. Tandis qu’il était adopter. Le docteur Ménétrel et Jean Jardin, promu en 1950 chef de bureau de la firme deux des plus proches serviteurs de Pétain, lui Deslarzes & Vernay à Sion, sa femme gérait un auraient alors vivement recommandé de quit- magasin de jouets dans la même ville. Quelques ter le pays, ce qu’il aurait refusé de faire par sens années plus tard, il devait quitter sa place chez du devoir3. Vivant comme une bête traquée dans Deslarzes pour assumer la représentation des 142 maisons E. Schloss à Lucerne et Agimport à Vonnas (), où le commandant d’une colonne Sion. Une note du procureur général de la Cour allemande voulait mettre le feu au village entier. d’appel de Besançon nous indique qu’en avril Ma présence au seul titre d’observateur [!] et mon I 6 1961, D* était encore recherché en France . opposition énergique […] me permirent de réduire 6 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 3, Cinq ans plus tard, le 1er juin 1966, sa condam- les dégâts au minimum. J’évitai l’incendie du vil- 706145. nation à mort était prescrite et ne demeurait à lage et les représailles des habitants. Il s’agissait 7 AF, E 4264(-), 1985/196/2143, dossier N 25605, Procès-verbal de son encontre qu’une interdiction de séjour. cependant de troupes composées de Russes géorgiens, l’interrogatoire de C* du Celle-ci sera levée en 1971. véritables sauvages. Si j’ai accepté de suivre ainsi 28 octobre 1944. D’une troublante ressemblance avec le cas qui une colonne allemande faisant des opérations contre 8 ADR, dossier n° 1381, Dossier d’instruction de la Cour de justice vient d’être esquissé, celui de C* offre un éclai- le , c’est par pure abnégation, car il n’est de . rage complémentaire. Ce Français né en 1904 pas réjouissant de paraître marcher avec l’ennemi 9 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, vint également se réfugier en Suisse en 1949, contre ses propres compatriotes quand on est animé 701795, Rapport de l’inspecteur après deux premières tentatives infructueuses. depuis toujours d’un patriotisme ardent 7. La Cour Jean Ricard, chef de la section de Dès 1950, il se fixa en Valais, où il se bâtit une de justice de Lyon n’épousera pas son point de la Police judiciaire de Lyon. 10 ADR, dossier n° 1381, Rapport existence dans le commerce, en relation notam- vue et le condamnera à mort par contumace le du procureur général de Lyon du ment avec D*. Au début de la guerre, il avait 9 juillet 19468. On retiendra contre lui sa par- 19 mai 1959. exercé le métier d’agent d’assurance à Lyon pour ticipation à la Milice et à la Direction des opé- 11 Ordonnance du 31 janvier 1959, les sociétés helvétiques Winterthour, Helvetia rations du maintien de l’ordre. Diverses actions article 6. 12 ADR, dossier n° 1381, Rapport Incendie et Suisse Incendie. Une fois démobi- lui seront imputées, tels que le pillage et l’in- du procureur général de Lyon du lisé après la débâcle de l’armée française, il avait cendie d’une maison à Lyon dans la nuit du 19 19 mai 1959. tout de suite adhéré à la LFC, assumant la fonc- au 20 avril 1944, ainsi que des opérations contre 13 Adrien Lachenal (1885-1962), tion de délégué financier du Deuxième Bureau les maquis du Vercors et de l’Ain au printemps fut avocat à Genève dès 1907, bâtonnier en 1931, membre de Lyon. En avril 1943, il avait rejoint la Milice 1944. Surtout, on soulignera son rôle d’agent radical du Grand Conseil en 1913, et avait été placé sous les ordres de De Bernonville. du contre-espionnage allemand à Lyon, sur la conseiller national (1922-1951), Un an après, il avait été détaché aux Forces du foi de son chef Franz Oehler, de l’Abwehr III, conseiller aux Etats (1951- 9 1955). De 1936 à 1945, il maintien de l’ordre, avec grade de comman- qui cita C* parmi ses collaborateurs . Même exerça la fonction de chef du dant de QG. Face aux Suisses, l’intéressé ten- en 1959, alors que la plupart des collabos auront Département de l’instruction tera par la suite de se faire passer pour un simple pu obtenir la révision de leur jugement ou l’am- publique genevoise. responsable administratif ayant tout entrepris pour nistie, cette dernière sera refusée à C* au motif atténuer les malheurs des Français, et dont l’en- que, d’après les renseignements figurant dans le gagement ne différait pas fondamentalement dossier de la procédure et ceux communiqués de celui d’un résistant. Depuis la signature de l’ar- par la Surveillance du territoire, son activité mistice de 1940, déclarera-t-il, toute mon acti- antinationale [avait] été importante 10. La requête vité de fervent patriote français a consisté à tâcher déposée par son avocat dans le cadre de la nou- de rendre aussi peu coûteux que possible les charges velle loi d’amnistie11 sera jugée irrecevable, car et les dommages entraînés par l’occupation étran- le milicien avait exposé des Français à la torture, gère. D’autres Français, patriotes comme moi, ont à la déportation ou à la mort, selon les termes choisi de quitter leurs activités pour prendre le du procureur général12. C’était cet homme qui, maquis. Personnellement, n’étant pas soumis, en après avoir reçu des menaces de mort, avait raison de mon âge et de ma situation de famille, choisi de quitter Lyon fin août 1944 pour se mettre au service du travail obligatoire, j’ai préféré, étant à l’abri à Nancy, puis à . Ne parvenant pas entré à la Légion française des combattants dès l’ap- à se procurer de faux papiers et ayant appris par pel du maréchal Pétain, continuer à servir la l’intermédiaire de son associé Adrien Parvot, le France en passant dès sa création à la Milice. J’ai neveu d’Adrien Lachenal13, qu’un mandat d’ar- pu rendre ainsi des services à mon pays : éviter des rêt avait été prononcé contre lui, il avait déposé représailles, des incendies de villages, des fusillades. une demande d’entrée en Suisse. Mais les auto- Je peux notamment citer l’exemple du village de rités helvétiques – encouragées sans doute par 143 l’attitude du directeur de l’Helvetia à Saint- d’Agimport. Comme le constatait un inspecteur Gall, Schelling, qui se désolidarisa complètement du Ministère public de la Confédération (MP) de son collaborateur – n’avaient pas voulu de en avril 1953, C* avait réussi à se refaire une I l’ancien chef de trentaine de la Milice. Malgré situation en Valais. Sa femme lui avait donné 14 L’Oubangui-Chari faisait partie ce refus, C* était entré illégalement en Suisse un quatrième enfant en 1950 et un cinquième de l’Afrique équatoriale française. En 1960, l’Oubangui obtiendra avec femme et enfants. Bien que soutenu par avait suivi en 1952. En 1956, la Division de son indépendance et prendra le Adrien Lachenal, il avait été refoulé sur France, police lui remit un certificat d’identité. En 1963, nom de République centrafricaine. où il n’avait pas tardé à être arrêté par un groupe il déposa une demande de naturalisation. Trois 15 CAC, 2001/64 MI 2, A 1553889. 16 appartenant aux Forces françaises de l’intérieur ans plus tard, la prescription annulait sa condam- TRUFFER 1993. (FFI). De Pontarlier, toute la famille avait été nation à mort et il se fit aussitôt immatriculer transférée à Besançon. Là, le curé de Pontarlier au consulat de France à Lausanne15. Quoiqu’encore était parvenu à les faire libérer et regagner la fron- interdit de séjour dans le Département du Rhône tière suisse. Deuxième passage clandestin. Détour et les départements limitrophes, il fut natura- par Neuchâtel pour récupérer des effets per- lisé valaisan lors de la session du Grand Conseil sonnels puis cap sur Genève. Mais vers Chambésy, de novembre 196716. non loin de Genève, les C* avaient été inter- ceptés, puis internés au camp de Claparède, avant d’être à nouveau refoulés le 6 novembre LES CONTOURS 1944. Il s’en était suivi un curieux intermède reli- D’UN REFUGE gieux, puisque C* se fit accepter au couvent des Ces deux exemples font entrevoir l’existence capucins à Chambéry, tandis que sa femme – d’un autre refuge en Valais, le refuge brun, bien également compromise sur le plan politique – moins connu et discuté que celui des Juifs et résidait chez une amie dans la même ville et sous des autres victimes des régimes nazi-fascistes, une fausse identité. De 1944 à 1949, C* allait passé sous silence par le pouvoir politique et œuvrer comme secrétaire du périodique, le muré dans le non-dit de la mémoire collective. Rosier de Saint-François, édité par les pères capu- Et pourtant. On voit à travers ces deux récits cins de Savoie tout en étant secrétaire de la pro- que le Valais put servir de havre, de patrie cure de la Mission des Capucins en Oubangui14. d’adoption même, à des individus poursuivis Portant l’habit, il s’était trouvé sous les ordres à la Libération pour leur activité pendant les du révérend père Jean-Baptiste Corbet. Depuis années noires. Ils donnent l’impression d’une son couvent, il avait eu tout loisir de préparer Suisse complaisante, sinon complice, et font sa troisième entrée en Suisse, qui allait lui ouvrir apparaître le rôle de certains soutiens, en les portes de la réintégration sociale. Le 11 avril l’occurrence dans les milieux politiques conser- 1949, les époux C* franchirent la frontière dans vateurs, auprès de certaines notabilités locales un semblant de légalité, munis de laissez-pas- – ou autres – et dans les cercles religieux. Ils ser et de fausses pièces d’identité. Ils demeurè- paraissent indiquer que des liens préexistants rent un certain temps à Clarens, mais on les somma ont favorisé le choix du Valais comme terre de trouver un autre canton disposé à les accueillir. d’asile. Pour qui connaît un peu l’histoire de Ce sera donc le Valais. En août 1950, la Police ce canton au XXe siècle, de tels faits ne sem- fédérale des étrangers (PFE) autorisa C* à repré- bleront guère surprenants. Conservatisme, senter des maisons françaises en Suisse. C’est là catholicisme, attirance pour les régimes fas- que joua le contact avec D*, noué dans des cir- cistes et fascisants (Mussolini, Franco, Salazar, constances inconnues. D* permit à C* de repré- Pétain), tendances antisémites assez fortes sem- senter des sociétés produisant des matières plas- blaient prédisposer le canton à accueillir les vic- tiques, des pierres à briquet, des jeux, des jouets, times de l’épuration sauvage et de la terreur etc. L’affaire de C* (alias M*) fut inscrite au rouge, comme on aimait à dire dans certains registre du commerce sous la raison sociale milieux de l’immédiat après-guerre. Mais ces 144 impressions et ces présupposés sont-ils fondés ? rière fulgurante 22, qui l’avait mené du poste Dès lors, deux questions peuvent être posées : de délégué général du gouvernement dans les premièrement, quelles furent l’ampleur et la nature territoires occupés et de sous-préfet de Dinan I du refuge brun en Valais; et deuxièmement, ce en Bretagne, à celui de sous-directeur de l’ad- 17 Les éléments présentés ici refuge traduisit-il un rapport particulier avec ministration pénitentiaire à Paris. Il avait proviennent d’une recherche de plusieurs années, menée dans le Valais? En d’autres termes, y eut-il tropisme notamment officié comme président d’une des archives suisses et étrangères réciproque entre le Valais et ce type de réfu- des Cours martiales de Vichy, laquelle avait fait (Italie, France, Allemagne, Etats- giés ou est-ce que la présence de ces derniers, fusiller une vingtaine de jeunes gens du maquis Unis, Grande-Bretagne), pour les besoins de notre thèse. Celle-ci en ce lieu, ne fut que le fruit du hasard et des entre Rennes, Loos, Châlons-sur-Marne, Laon, porte sur l’émigration en Suisse, 23 contingences – voire de la contrainte ? En cas Paris et Besançon . De surcroît, il était impli- entre 1943-1965, des vaincus de de convergence, celle-ci dut-elle quelque chose qué dans l’assassinat du ministre Jean Zay24. la Seconde Guerre mondiale (seulement les Allemands, les au conservatisme du Valais ou bien le rappro- S’étant vu refuser l’entrée en Suisse en janvier Italiens et les Français). Elle est chement aurait-il tout aussi bien pu se produire 1945, il y était entré illégalement trois mois dirigée par les professeurs Jean- ailleurs ? Nous allons essayer d’apporter les plus tard en se fondant dans un convoi de Claude Favez et Mauro Cerutti premiers éléments de réponse à ces interroga- malades en provenance d’Allemagne. Entendu (Université de Genève). 18 Faut-il plutôt lire l’abbé Chételat, tions par la présente contribution, qui se veut à Schaffhouse le 18 avril 1945, il s’afficha en marianiste d’origine jurassienne, essentiellement informative17. tant que victime des communistes. Inutile de fort connu dans la région, qui Bien sûr, on n’appréhende pas aussi facilement préciser que ces derniers avaient assurément de avait notamment aidé les victimes du nazisme ? le refuge brun qu’un refuge ou un mouvement bonnes raisons de lui en vouloir. Lors de sa dépo- 19 AF, E 4320(B) 1991/243/120, migratoire ouvertement toléré. Etant donné que sition, Maret occulta son rôle dirigeant à la LVF, dossier C.13.2036. 20 la Suisse, comme nous allons le voir, s’était récusa tout crime et nia toute sympathie pour DELPERRIÉ DE BAYAC 1969, p. 302. opposée à l’entrée de plusieurs catégories de per- l’Allemagne. Il prétendait même avoir sou- 21 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, sonnes compromises avec les régimes déchus tenu la Résistance, celle dont la France [pou- 689053, Note de l’inspecteur Mourou de la Police judiciaire. de 1945, notre objet comporte forcément une vait] être fière et dont l’activité [avait été] diri- 22 DELPERRIÉ DE BAYAC 1969. 23 part voilée, biaisée et clandestine. Les certitudes gée contre l’occupant, autrement dit la résistance DELPERRIÉ DE BAYAC 1969, p. 302. 25 24 sont parfois minces, comme en témoigne l’his- gaulliste . Son séjour helvétique et sa carrière DELPERRIÉ DE BAYAC 1969, toire de Jocelyn Maret. D’après diverses sources d’après-guerre comportent de nombreuses p. 496-500. , né en qui ont pu être croisées, la présence de ce der- zones d’ombre. Le 24 mai 1945, il se serait évadé 1904, fut une grande figure de la IIIe République. Situé à l’aile nier en Suisse est attestée à plusieurs reprises de l’hôpital de Munsterlingen en Thurgovie, gauche du parti radical, proche de entre avril 1945 et juillet 1946. En juillet où il était en traitement, quand bien même la Pierre Cot et de Pierre Mendès- 1946, en tout cas, il était à l’hôpital de Martigny, Confédération le jugeait indésirable et atten- France, il fut ministre de l’Education nationale et des sous le faux nom de Moret. Il comptait parmi dait la première occasion pour se débarrasser Beaux-Arts de 1936 à 1939. ses relations, outre quelques religieuses de l’hô- de lui. L’évasion eut lieu le jour même de sa Après avoir démissionné de son pital, le père Châtelard18 de Martigny et l’ar- condamnation à mort par la Cour de justice poste, il s’embarqua le 20 juin 19 26 1940 avec une vingtaine de chiprêtre Louis Vuachet de Carouge . Né en de Clermont-Ferrand . Apparemment, Maret parlementaires pour servir la 1910, représentant en produits pharmaceu- résida ensuite clandestinement à Genève. Le France depuis le Maroc. Le régime tiques de son état, Maret avait été durant la 26 avril 1946, il fut à nouveau condamné à de Vichy le considéra comme 20 un fuyard et l’arrêta à Rabat le guerre un collaborationniste de choc . Secrétaire mort, cette fois-ci par la Cour de justice de 16 août 1940. Un simulacre de général du parti populaire français (PPF) de Moulins27. La police genevoise l’arrêta le 19 procès le condamna en octobre de dans l’Allier dès 1936, membre juin 1946, sur la base d’un mandat d’arrêt la même année à la déportation à perpétuité. Alors qu’il était important de la Milice, délégué de la Légion pour évasion. Le sachant recherché en France, transféré vers une autre prison, le des volontaires français contre le bolchévisme les autorités suisses décidèrent de le livrer aux 20 juin 1944, il fut assassiné par (LVF) à Vichy, proche de Geissler, chef de la Français, ce qui fut accompli le 27 juin. Mais des miliciens. La vérité sur son assassinat mettra plusieurs à Vichy, de Joseph Darnand et de Maret refit surface en Valais quelques jours décennies à être reconnue. , avec qui il s’était rendu en après son refoulement, pour à nouveau disparaître 25 AF, E 4320(B) 1991/243/120, tournée d’inspection sur le front russe – du côté sans laisser de traces. Persuadées qu’il se ter- dossier C.13.2036, Procès-verbal allemand s’entend21 –, il avait connu une car- rait en Suisse, les autorités judiciaires fran- d’audition de Jocelyn Maret du 18 avril 1945. 145 çaises prièrent la police de faire savoir à la La quasi totalité de ces cas nous est apparue33 Confédération que Maret venait d’être inculpé dans les fonds du Ministère public de la pour assassinat et complicité d’assassinat dans Confédération, à qui devaient être soumis les I l’affaire Jean Zay28. La France, par l’entremise dossiers de tous les individus politiquement 26 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, de son ambassadeur, alla jusqu’à demander connotés. Avec le Conseil fédéral, le MP était 689053. 27 l’extradition de Maret en décembre 1947, alors seul compétent, à la fin de la guerre, pour Ibidem. 28 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, que ni la police helvétique, ni la police fran- octroyer le statut de réfugié politique. De plus, 689053, Note du juge çaise ne savaient où il se trouvait au juste. en raison du système en vigueur jusqu’à la fin d’instruction Ferdinand Gollety du Dans une lettre du Ministère français des des années 1940, toutes les demandes d’en- 10 septembre 1947. affaires étrangères aux Renseignements géné- trée/séjour et les questions relatives à la pré- 29 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, 689053. Il se rendit en Argentine raux du 12 juin 1957, on apprend que Maret sence en Suisse d’un étranger devaient passer et en Colombie. se serait rendu autour de 1947 en Amérique par Berne. Grâce à cette limitation du pouvoir 30 CAC, 2001/64 MI 2, A1709742, du Sud29. Lui-même, s’adressant début 1969 des cantons, héritée de la guerre, l’historien dis- Lettre de Christian de Nicolay, ambassadeur de France au aux services consulaires de l’ambassade de pose d’un observatoire privilégié qui lui donne Paraguay, au Ministère des France au Paraguay, affirmera avoir gagné une vue d’ensemble du refuge officiel – mais affaires étrangères, du 20 janvier l’Argentine depuis Rome en 1948, grâce à un caché au public – dans chaque canton34. Ainsi, 1969. titre de voyage délivré par le Vatican30. A par- au 31 décembre 1947, le Ministère public 31 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, 689053. Il est question dans les tir de 1952, il aurait résidé pour ses besoins avait sous son contrôle une quinzaine de réfu- archives d’un trafic d’héroïne et professionnels tantôt en Argentine, tantôt au giés politiques de diverses nationalités résidant d’autre part d’une organisation Paraguay. Travaillant pour les laboratoires en Valais, dont une douzaine d’Italiens, de dirigée par un certain Miguel Russo. Précisons qu’aucun début Millet, une société argentine de produits cos- Français et d’Allemands, pouvant tous être de preuve permettant d’étayer ces métiques et pharmaceutiques, dont Maret qualifiés de bruns : Carlotta et Dino Alfieri, soupçons ne figure dans le aurait été le représentant à Asunción, selon Horace de Carbuccia, D*, Pierre Fauque, dossier. un message du 31 mai 1978, il sera encore Robert Jamin, Gabriel Mogenet, Xavier Pasquier, 32 AF, E 4320(B) 1991/243/12, C.13.1, E 4264(-) 1988/2/880, une fois condamné à mort par contumace en René Poggi, Jacques Poupaert, Jean Le Guillou, dossier P 63141 et E 4320(B) 1953 (Tribunal militaire de Lyon). Ensuite, Alfred Schwinner35. Outre les personnes figu- 1991/243/129, dossier son itinéraire se perd dans les maigres indices rant sur cette liste, le MP s’occupa également, C.13.2277. Il s’agit de Gérard Byttebier (1905) et Achilles collectés par les polices française, allemande, conjointement avec la Division de police, Verstraete (1898). Le premier se portugaise, argentine et autres, qui font état d’autres réfugiés placés à un moment ou à un présenta comme entrepreneur de de déplacements aussi divers qu’invérifiables, autre en Valais: Edda Ciano, Emilio Pucci, travaux publics. Condamné à mort en Belgique, il entra illégalement et qui évoquent une hypothétique participa- Pier Filippo Gomez, Pierre Contensouzac, en Suisse en octobre 1947, pour tion de Maret à des affaires criminelles31. Léon Floravan, Pierre Hachette, Jocelyn Maret, émigrer ensuite en Argentine en En général, comment déterminer si l’on avait C*, Georges Daudet, Michel Jourdan, René janvier 1948, grâce à un certificat d’identité délivré par la affaire à un refuge et si ce dernier était brun ? Millerin, Wilhelm Schlösser. Il ne s’agit certes Division de police. Considéré Que voulait dire brun ? Autant d’aspects qui pas d’une déferlante humaine, mais l’afflux comme collaborationniste forcé se révèlent extrêmement complexes quand on n’était pas négligeable à l’échelle d’un seul can- par la Suisse, il demeura durant son séjour helvétique à Montana. examine les cas particuliers. Encore faut-il les ton, ni surtout indifférent au niveau du sens. Le second déclara avoir fait partie trouver. De fait, d’après nos recherches, le Au sein de ce groupe, la dimension refuge ne de la Fédération nationaliste Valais accepta formellement d’accueillir tem- faisait généralement aucun doute. La majo- flamande dès 1933, avoir été sénateur en 1939-1941, puis chef porairement ou durablement au moins une rité des personnes concernées parlèrent spon- de cabinet au Ministère de quarantaine de personnes peu ou prou com- tanément – nous comprendrons après pour- l’intérieur et enfin gouverneur ad promises avec les régimes nazi, fasciste ou quoi – d’une persécution et d’une menace interim de la Flandre orientale en 1943. Il entra en Suisse vichyste – et qui étaient majoritairement consi- dans leur intégrité physique. Elles deman- clandestinement en octobre 1946, dérées comme telles par les autorités helvé- daient de pouvoir attendre en Suisse le retour dans la région genevoise, et se tiques. Plus de la moitié de ces arrivants étaient des jours meilleurs ou d’être autorisées à pré- rendit aussitôt à Saint-Maurice, où il bénéficia de la protection du des Français (26), un quart des Italiens (10) parer la suite de leur voyage, dans le calme de préfet du district. Catholique et le reste des Allemands (4) et des Belges (2)32. la paix helvétique. Les récits autobiographiques pratiquant et anticommuniste 146 étaient plus ou moins fidèles à la réalité, mêlant David fut pris en charge par la Division de à des degrés divers et pas toujours faciles à police37. A ce stade, la Confédération ignorait déterminer invention, déformation et occul- encore tout de ses liens avec les mouvements farouche, il fut interné par la tation. Quant aux stratégies de refuge, elles collaborationnistes. Faute de personnel, on le Division de police au titre de collaborationniste. A l’instar de étaient variables : il y avait d’abord ceux qui laissa tranquillement exercer une activité de pro- son compatriote, il émigra en entraient illégalement en Suisse et qui s’an- fesseur de philosophie à l’Externat de Villars, Argentine en janvier 1948. nonçaient aux autorités en convoitant le sta- jusqu’à ce que l’attention fût attirée sur lui 33 En procédant à un dépouillement systématique des dossiers tut de réfugié politique, invoquant une menace par une dénonciation d’une réfugiée du camp individuels de la série réfugiés et élaborant une version du passé plus ou de Finhaut. Cette femme prétendait avoir politiques (C.13) pour la période moins authentique; il y avait ensuite ceux qui envisagée (env. 1943-1950). tentaient de se faire accepter en tant que réfu- 34 Cette vue n’est pas exhaustive, car les cantons ne respectaient giés militaires et qui taisaient généralement pas toujours les consignes et leur compromission, laquelle resurgissait par- n’envoyaient pas toujours les fois à la faveur d’un événement fortuit; enfin, dossiers à Berne. Des recherches devraient donc être menées dans il y avait une série de cas de figure inclassables. les archives policières cantonales, Certains tentaient de se faire passer pour des mais celles-ci sont généralement victimes, ce qui pouvait être vrai, mais qui d’un accès difficile. n’excluait pas ipso facto toute compromission : 35 AF, E 4320(B) 1991/243/12. Liste der Flüchtlinge, die per 31. on pouvait avoir été à la fois victime et bour- Dezember 1947 im Kanton Wallis reau, soit successivement, soit simultanément. unserer Kontrolle unterstehen, Une frontière nette entre les deux n’existait considérée comme streng pas de toute manière. Non seulement la réa- vertraulich. lité des années noires comportait souvent intrin- sèquement une part d’ambiguïté et de contra- diction, mais en plus elle nous parvient à travers le prisme parfois problématique des sources. Prenons le cas de ce journaliste fran- çais né en 1915, Lionel David, qui avait fait des études de droit avant la guerre et qui, appa- remment, avait adhéré au parti communiste en 1935, puis fait partie, dès 1941, du collabo- rationniste Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, mais soi-disant pour le saboter de l’intérieur, et qui se serait ensuite attiré la haine des chefs du Mouvement social révolutionnaire (MSR), lesquels auraient lancé à ses trousses la police allemande. Arrêté par les Allemands, puis libéré, il aurait effectué plusieurs tentatives d’entrée en Suisse en août 1943, et aurait été refoulé au quatrième pas- sage36. En juin 1944, il était revenu en Suisse, y avait vécu quelque temps clandestinement, puis s’était annoncé aux autorités qui l’avaient interné dans différents camps, dont celui de Granges près de Sion. Or c’est au titre de vic- time poursuivie pour ses idées politiques et Le Confédéré, 15 juin 1945 son activité illégale antigouvernementale que I 147 connu David personnellement à Paris et l’ac- entré illégalement en janvier 1947; un confi- cusait d’avoir été l’agent Paul de la Gestapo, seur, Wilhelm Schlösser, ayant été membre du la terreur de Belleville. Sous l’Occupation, il aurait NSDAP et de la Deutsche Arbeitsfront (DAF), I ordonné l’arrestation de nombreux Juifs et se ayant servi en Pologne et se disant menacé par 36 AF, E 4320(B) 1991/243/119, serait livré à toutes sortes de pressions pour extor- la Gestapo pour avoir refusé d’exécuter des dossier C.13.2003, Procès-verbal d’audition de Lionel David par quer des fonds. L’affaire avait éclaté parce que travailleurs forcés, entré illégalement en sep- l’inspecteur Knecht du 26 janvier David s’était rendu à Finhaut afin de visiter sa tembre 1944. Autant de personnages flous 1945. femme, qui y était internée, et pour plaider la au passé quasi insaisissable, qui posèrent le pied 37 AF, E 4264(-) 1985/196/1994, cause de celle-ci auprès du conseiller d’Etat sur le sol valaisan. Certains invoquaient des dossier N 23427. Maurice Troillet. A cette occasion, il s’était persécutions sauvages ou des risques de vio- retrouvé nez-à-nez avec la réfugiée juive qui l’avait lence potentiels, d’autres brandissaient des reconnu. Si le témoignage de cette dernière n’a condamnations à mort ou à vingt ans de tra- pu être confirmé par d’autres sources, il n’en vaux forcés. Parmi les anonymes, il en était incita pas moins la Suisse à remettre David toutefois qui avaient joué un rôle non négli- aux autorités françaises, le 13 février 1945, au geable. Dans un camp à Brigue se trouva par terme de diverses péripéties. Son histoire illustre exemple Antonioli, le fils d’un des plus grands bien la complexité des situations qui pouvaient imprimeurs de Domodossola, ayant été membre se présenter et la difficulté à situer certains du parti national fasciste (PNF) et militant individus. actif, entré en Suisse en 1943. Un certain Les réfugiés étaient-ils tous des seconds et Pier Filippo Gomez, né en 1903, réussit à se troisièmes couteaux ? Certes, beaucoup de faire interner à Saint-Maurice avant d’obte- noms ne nous sont pas connus et ne l’étaient nir une autorisation de séjour régulière en pas davantage des fonctionnaires suisses de Valais. Membre du PNF, il s’était spécialisé l’époque, car il s’agissait le plus souvent d’obs- dans l’industrie du verre et dans le cinéma, curs travailleurs, employés ou soldats qui ce qui l’avait amené à travailler pour le secré- s’étaient laissés prendre dans les rêts de l’his- taire général du parti Pavolini. Le professeur toire : un coiffeur de Thonon, Giovanni d’architecture et de sculpture Attilio Pillon, Andreini, au passé indéterminé, qui entra membre du Centro di raccolta fascista degli alpini illégalement en Suisse en septembre 1943, se di Conegliano, partisan actif de la République disant menacé en tant que civil italien par les sociale italienne (RSI) et collaborateur avéré Allemands; une femme de ménage italienne, des Allemands, accusé d’avoir tué plusieurs Lucia Podico, déclarant avoir été l’objet de vio- partisans, entré illégalement en Suisse en juin lences dans son village pour avoir travaillé 1946 après s’être caché dans différents cou- au service des Allemands, entrée illégalement vents capucins en Italie, fit, selon toute vrai- en septembre 1944; une autre femme de semblance, un séjour dans le camp de Finhaut. ménage, mais française cette fois-ci, Clémence Notons qu’en août 1946, ce camp s’était Castelot, employée à la douane de Perly, maî- trouvé au cœur d’une vaste polémique déclen- tresse du chef de poste allemand, entrée illé- chée par la presse communiste. La Voix ouvrière galement en août 1944; un agriculteur fran- et ses homologues suisses allemands dénon- çais de Haute-Savoie, François Bastard, cèrent la présence dans ce village de la vallée soupçonné par ses compatriotes d’avoir dénoncé du Trient de plusieurs dizaines d’officiers des Français aux Allemands, entré au moyen nazis et accusaient le CICR d’utiliser ces mili- d’un laissez-passer en mai 1944; une infirmière, taires au profit de son agence centrale des Suzanne Jacquemin, ayant été envoyée en prisonniers de guerre. Suite à une question mission en Allemagne, entrée illégalement du conseiller national socialiste Karl Dellberg, en mai 1947; un mécanicien, Gabriel Mogenet, le Conseil fédéral avait solennellement répondu ayant fait partie du SOL puis de la Milice, que 125 militaires allemands, entrés en Suisse 148 Le Confédéré, 15 juin 1945 I 149 en avril 1945 en tant que blessés, déserteurs Payot, Adrien Lachenal, Angelo Jelmini, Paul ou combattants en déroute, avaient déjà en de Rivaz, Antoine Favre, André Marcel, Louis partie regagné l’Allemagne et que, parmi ceux de Chollet, Maxime de Stoutz, Mgr Viktor I qui restaient, il n’y avait plus de membres de Bieler, etc. – et obtenant d’elles un précieux 38 AF, E 2001(E) -/1/133. Voir la SS ni de criminels de guerre. Les archives soutien, Alfieri avait sans doute écouté l’évêque notamment le rapport du chef du Département fédéral de justice et montrent cependant que dans ce lot d’inter- de Sion, quand celui-ci lui avait adressé ces mots police, Edouard von Steiger, au nés militaires, deux officiers SS au moins et de réconfort, juste après avoir intercédé en sa chef du Département politique plusieurs membres de la SA et du NSDAP faveur auprès du conseiller fédéral Etter : fédéral, Max Petitpierre, du 27 décembre 1946. Il ne nous reste qu’à prier et à nous recom- demeurèrent en Suisse plus longtemps qu’in- 39 AF, E 2001(D) -/3/269. Voir 38 diqué . Il faut dire que le dossier était déli- mander au bon Dieu qui n’abandonne jamais Charles Foley dans le Daily Express cat, car le fait de rapatrier les Allemands ris- ceux qui mettent leur confiance en Lui. du 27 janvier 1944. 40 quait d’obliger la Suisse à rapatrier également N’oubliez pas que tout concourt au bien de Voir BROGGINI 1996, p. 333-361 et 43 DDS, vol. 15, Berne, 1992, les internés russes réclamés par Staline, ce ceux qui aiment le bon Dieu . document n° 41. que le Département politique fédéral (aujour- Six mois plus tard, le prélat continuait à prier 41 NARA, RG 226, Entry 216, Box 6, d’hui le Département des affaires étrangères) pour l’ancien hiérarque fasciste, animé qu’il était Rapport de la SCI Unit Z de Milan à ne voulait pas faire. Finalement, les Allemands par une sombre vision du monde : la CO SCI Unit Z du 13 juin 1946. A propos de La Moubra, signalons seront presque tous rapatriés début 1947, Les temps sont très troublés, la révolution est que les Services de renseignement comme les Russes, avec pour ces derniers les à craindre en France et en Italie, la pauvre américains virent en son directeur, conséquences terribles que l’on sait ou que l’on Europe se trouve dans une triste situation44. le Dr Ducrey, un important intermédiaire dans certaines peut imaginer. tractations entre Alfieri et le Cela étant, le Valais eut aussi quelques hôtes On peut relever le fait assez singulier que colonel Georges-André Groussard, célèbres : à commencer par la fille du Duce et notre corpus, très disparate, ne comporte des Services de renseignement français. Cette information est la veuve du ministre des affaires étrangères qu’un seul noyau relativement homogène : évidemment à prendre avec Galeazzo Ciano, la comtesse Edda Ciano, qui les miliciens. En effet, outre D*, C* et Maret beaucoup de précaution. passa plus d’un an et demi en Suisse, entre déjà mentionnés, on peut encore ranger dans 42 Voir DDS, vol. 15, Berne, 1992, document n° 41, et DDS, vol. 16, janvier 1944 et août 1945, et qui incarnait cette catégorie Roger Finet, Léon Floravan, Zurich, Locarno, Genève, 1997, parfaitement la figure ambivalente de la vic- Xavier Pasquier et Pierre Hachette. Par rap- document n° 18. Dino Alfieri fut time-bourreau, puisque après avoir symbolisé port au nombre total des réfugiés bruns en d’abord ministre de la Culture populaire et membre du Grand aux yeux d’une grande partie du peuple ita- Valais, les miliciens constituèrent donc un Conseil fasciste, puis ambassadeur lien le régime fasciste, elle était devenue une groupe fortement représenté, ce qui oblige à d’Italie à Berlin. ennemie à la fois de la RSI et des Allemands. nuancer quelque peu l’image, laissée par dif- 43 ACS, Archivio Dino Alfieri, busta 5, On sait que l’ex-first lady de l’Axe, comme l’ap- férents chefs de la Milice, d’une Suisse com- Lettre de Mgr Bieler à Dino Alfieri 39 du 11 juillet 1945. pela un journaliste anglais , fit un séjour de plètement imperméable après 1945 aux 44 45 ACS, Archivio Dino Alfieri, busta 5, plusieurs mois à Monthey, dans la clinique du membres de cette sanglante phalange . Le Lettre de Mgr Bieler à Dino Alfieri fameux Dr Repond40. dénommé Roger Finet (1906), avait été actif du 9 janvier 1946. 45 Un autre grand malade à double face fut l’an- dans la région de Reims en tant que délégué Voir à ce propos CHARBONNEAU 1969 et les déclarations du fils de cien ministre de la culture et ambassadeur à départemental et régional de la LVF, cadre de Joseph Darnand, Philippe Darnand, 46 Berlin Dino Alfieri, patient de la clinique La la Milice et agent stipendié de la Gestapo . domicilié à Tarragone (Espagne). Moubra à Montana41, qui put demeurer cinq Condamné aux travaux forcés à perpétuité Dans une lettre d’octobre 2001 de ce dernier à l’historienne Isabelle ans en Suisse grâce à sa condamnation à mort par la Cour de justice de la Seine le 4 novembre Jeger, qui a bien voulu entrer en 42 par Mussolini en juillet 1943 . Alfieri, qui 1947, il fut en Suisse de novembre 1948 à février contact avec le fils de Darnand au avait été l’un des plus hauts dignitaires du régime 1955 au moins. En Valais depuis 1949, où il nom de l’auteur, il est écrit que la Suisse a fermé ses frontières d’une aux yeux du Conseil fédéral, fut incontestablement travailla d’abord à l’Abbaye de Saint-Maurice, façon odieuse aux vaincus de la le plus important réfugié brun accueilli en puis pour la firme d’import/export Montangero, guerre et que Joseph Darnand s’est Valais. Entretenant des contacts avec un nombre il se rendit vraisemblablement à Paris en 1955 fait arrêter à quelques pas de la frontière avec le dernier carré de la impressionnant de personnalités suisses – pour obtenir son amnistie. Il est fort pro- Milice, ce qui est exact. Philipp Etter, Gonzague de Reynold, René bable qu’il revint après en Valais, comme il 150 l’avait laissé entendre. Léon Floravan (1910) vaillait pour la firme EOS-Bureau à Chandoline, dont le pedigree politique allait de l’Action fran- qu’il allait par la suite continuer à servir à çaise à la Milice, en passant par les Camelots Lausanne. Marié à Sion le 20 avril 1950, il 46 AF, E 4320(B) 1991/243/149, du Roi, le PPF et la LFC, avait déployé sa (rela- sera signalé comme habitant régulièrement dossier C.13.2859. tivement modeste) activité dans la région de Lausanne à la fin du mois de décembre 1955. 47 AF, E 4264(-) 1985/196/3273, dossier N 45446, et E 4320(B) Carpentras et d’Avignon. Il avait été condamné La suite de son parcours ne nous est pas 1991/243/132, dossier à mort à la Libération par la Cour de justice connue. Le dernier milicien d’une certaine C.13.2347. d’Avignon. Il entra en Suisse illégalement le importance qui, à notre connaissance, résida 48 AF, E 4320(B) 1973/17/85, 12 juillet 1947. Après un séjour à Genève, il en Valais, avait été un activiste des plus féroces. dossier C.2.15987, Procès-verbal d’audition de Xavier Pasquier du se retrouva dans un foyer de repos à Salvan En effet, le militaire de carrière Pierre Hachette 2 juillet 1946. en Valais. Lorsqu’il mourut en décembre (1904) avait un lourd passé de commandant 49 Louis de Riedmatten (1907-1988) 1951, une cérémonie fut donnée en son hon- régional des Groupes mobiles de réserve fut docteur en droit de l’Université de Berne, avocat- neur à l’Abbaye de Saint-Maurice, qui l’avait (GMR) et d’adjoint au directeur général de notaire en Valais (1930), juriste 47 assisté après son arrivée . Quant à Xavier la Garde à Vichy. Il avait activement parti- pour l’économie de guerre de la Pasquier (1918), son rôle dans la Milice prête cipé à la répression des maquis en Haute- Confédération (1943), greffier au tribunal de Sion dès 1944 et à discussion. Cet étudiant en lettres avait, Savoie, dans la Dordogne, etc. Pour la Suisse, enfin juge instructeur dès 1964. selon ses propres déclarations, fait partie du c’était un collaborationniste et un important Il fut en outre le fondateur des PPF avant guerre et fondé en août 1941 une cadre à la fois de la Milice et de la GMR51. Amis du Vieux-Sion (actuel section jeunesse dans la Ligue française d’épu- Pour l’inspecteur français chargé d’enquêter Sedunum nostrum). 50 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 6, ration, d’entraide sociale et de collaboration à son propos, Hachette s’était distingué par 703078. européenne créée par Pierre Costantini. Ayant un comportement particulièrement odieux : 51 AF, E 4320(B) 1991/243/128, mis sur pied un groupe dénommé Jeunes de En résumé, Pierre Hachette, collaborateur dossier C.13.2270. France et de l’Empire d’obédience clairement acharné, a entrepris, en toute connaissance 52 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 3, de cause, de nombreuses opérations contre 709320, Rapport de l’inspecteur pétainiste, il s’était vu confier certaines mis- de Police judiciaire Louis Combe sions par Vichy dans le domaine de la jeu- la résistance, au cours desquelles des patriotes du 10 juillet 1945. nesse. En tant que chef général adjoint des furent tués ou déportés en Allemagne. Ami Equipes nationales, dont le chef était le com- intime d’individus sans foi ni loi […], mandant de Bernonville, il avait organisé des Hachette peut être catalogué dans une cer- conférences et travaillé pour La Gerbe, jour- taine catégorie de gens sans scrupules, pour nal collaborationniste dirigé par Alphonse de qui tout ce qui donne de l’autorité, serait- Chateaubriant. C’est à la demande de Vichy ce au détriment du pays, est bon à exploi- qu’il se serait introduit dans la Milice et qu’il ter, sans tenir compte des conséquences qui aurait donné des émissions à Radio-Paris et peuvent en résulter52. Radio-Patrie, où il côtoya d’ardents propa- Condamné à mort par la Cour de justice de gandistes de la Collaboration, tels que Jean Périgueux le 4 août 1945, il entra illégalement Azéma, Jean Hérold-Paquis, Pierre-Antoine en Suisse en octobre 1946 et y demeura jus- Cousteau, Jean Loustau, etc.48. Il effectua qu’en août 1947, moment de son départ pour un premier séjour clandestin en Suisse en le Chili. Le Valais l’avait accueilli dès décembre 1945, puis un second à partir de juin 1946. 1946 et il avait été hébergé par une famille de Peu après, il se rendit à Nendaz, avant de Crans-Montana. pouvoir loger chez la veuve du colonel Lecomte à Viège. En juillet 1947, il fut autorisé à élire domicile chez Louis de Riedmatten, avocat LA POLITIQUE FÉDÉRALE et greffier au Tribunal de district de Sion49. Face à ces individus qui purent rester des mois Tandis que la Cour de justice de la Seine le en Suisse, voire des années, il se pose évidem- condamnait, le 22 juin 1948, par contumace ment la question de la politique des autorités, à vingt ans de travaux forcés50, Pasquier tra- un aspect qui nécessiterait de longs développements. 151 Pour faire court, disons que la responsabilité, forme devaient être traités en tant que mili- jusqu’en 1948 environ, incombait exclusive- taires et internés, hormis les néofascistes, consi- ment à la Confédération53, sans l’aval de laquelle dérés comme indésirables. Par ailleurs, les I aucune présence ne pouvait avoir lieu légalement. membres de la Milice et de la Gestapo, qu’ils 53 Selon les directives du 26 Depuis la fin des années 1940, les cantons fussent en civil ou en uniforme, devaient tous novembre 1948. avaient recouvré la liberté de refuser ou d’ac- être refoulés54. On n’expliquait pas ce qu’il fal- 54 AF, E 4800.1(-) 1967/111/36, Rapport (rétrospectif) de Reynold cepter un réfugié sur leur territoire. Si la lait entendre par national-socialiste, fasciste, etc. Tschäppät, de la division de Confédération voulait à tout prix placer quel- Parallèlement, une liste d’environ 6500 individus, police, à Oskar Schürch, de la qu’un dans un canton donné, il lui restait la solu- qui ne devaient pas pouvoir entrer en Suisse, PFE, du 11 septembre 1950. 55 AF, E 2001(D) -/3/264, Réponse tion de l’internement forcé à ses frais, soit dans fut dressée. Parmi eux figuraient de nombreux du Conseil fédéral à une un camp, soit en résidence privée. Au cas où il individus désignés comme criminels de guerre interpellation du conseiller le jugeait nécessaire, le MP pouvait prendre par les Alliés. Le 14 novembre 1944, le Conseil national Kägi. l’étranger sous son contrôle, avec ou sans recon- fédéral déclara publiquement : 56 AF, E 4320(B) 1991/243/11, Rapport d’Oskar Schürch du 15 naissance formelle comme réfugié politique, Se conformant à une longue suite de précé- février 1946. sinon c’était la division de police ou la PFE dents qui sont à l’honneur de la Suisse, le 57 Organisation crée en 1933 par qui s’en chargeait. Depuis octobre 1942 déjà, Conseil fédéral entend exercer le droit indis- Fritz Todt ayant pour but la la Suisse s’était trouvée sous des pressions internes cutable de tout Etat souverain de donner réalisation des grands travaux décidés par le Reich. C’est elle et externes croissantes, qui lui demandaient de asile à des fugitifs qui lui en paraissent qui fut chargée de la construction ne pas accorder l’asile aux représentants des dignes. Il n’est toutefois pas disposé à auto- du Mur de l’Atlantique. Elle est régimes de l’Axe ou à ses collaborateurs. Bien riser sans examen – même lorsqu’il y a dan- dirigée à partir de 1942 par le ministre de l’Armement Albert qu’elle se montrât décidée à faire valoir sa sou- ger mortel – tous ceux qui pourraient en Speer, après la mort de Todt. veraineté à l’égard des Alliés, la Suisse tint quand faire la demande, à trouver refuge sur le 58 AF, E 2001(D) -/3/275, Lettre même discrètement compte des souhaits et des territoire de la Confédération, où le nombre de Karl Kobelt à Marcel Pilet- des fugitifs atteint déjà des proportions pré- Golaz, chef du Département critères exprimés par ces derniers. A part la politique fédéral, du 20 octobre politique étrangère, une série d’autres facteurs, occupantes. Il est clair, en particulier, que 1944. souvent contradictoires, pesèrent dans la balance: l’asile ne saurait être accordé ni aux per- la tradition humanitaire, la neutralité, la morale sonnes qui ont eu à l’égard de la Suisse une et les éventuels intérêts en jeu. Ainsi, tout en attitude peu amicale ni à celles qui ont com- prévoyant la possibilité d’ouvrir ses portes aux mis des actes contraires aux lois de la guerre personnes réellement menacées dans leur inté- ou dont le passé témoigne de conceptions grité physique en raison de leurs actes poli- inconciliables avec les traditions fondamen- tiques – d’où les aveux spontanés constatés plus tales du droit et de l’humanité55. haut – et qui n’auraient pas nui à la Suisse par Sous une formulation quelque peu alambi- le passé, ou qui ne mettraient pas en péril la sécu- quée, la Suisse adoptait en fait une position res- rité du pays à l’avenir, la Confédération défi- trictive, qui visait avant tout à calmer l’opinion nit, très approximativement et à l’insu de l’opi- et les chancelleries. Par la suite, on affina davan- nion publique, des catégories de réfugiés tage les catégories susmentionnées, en intro- indésirables. La première élaboration globale duisant principalement deux changements : de ce genre furent les consignes orales trans- d’une part une distinction sera apportée entre mises avec les instructions en matière de refuge collaborationnistes forcés et collaborationnistes du 12 juillet 1944, lesquelles, sous leur forme volontaires (à exclure du statut de réfugié poli- écrite, se contentaient de faire état d’étrangers tique56), d’autre part sera développée la défi- indignes de l’asile sans préciser lesquels. Grosso nition des indésirables allemands. En octobre modo, ceux que l’administration qualifiait de col- 1944, le chef du Département militaire fédé- laborationnistes, de nationaux-socialistes, de fas- ral estimait que les douaniers, les membres de cistes et de néofascistes étaient à refouler s’ils se l’Organisation Todt57 et certains membres de présentaient en civil. Ceux qui portaient l’uni- la SS étaient à considérer comme des mili- 152 taires58. Quelques semaines plus tard, des ins- tement général – pour autant que nous pou- tructions communiquées aux troupes fron- vons le juger et l’examiner – en soit digne62. tières indiquaient que les membres de la Gestapo En l’occurrence, les peines prononcées lors des I et de la SS étaient à refouler, tandis que les procès d’épuration furent rarement jugées pro- 59 AF, E 27(-) /14445, Instructions membres de la Waffen SS, les douaniers et les portionnées avec l’accusation par la Suisse. du chef du Service territorial aux commandants territoriaux et à hommes de l’Organisation Todt étaient à inter- Néanmoins, cela ne signifiait pas qu’un colla- leurs officiers de police du 13 59 ner . Pour ce qui était des fascistes, on n’était borationniste pouvait recevoir le statut de réfu- novembre 1944. jamais parvenu à fixer de véritables critères. Les gié politique. Au contraire, car partant de l’idée 60 AF, E 4001(C) -/1/281, termes demeuraient vagues, comme en témoigne que la collaboration ne [pouvait] être comparée Circulaire de Paul Baechtold du 18 63 août 1943. cette circulaire d’un haut fonctionnaire de la à une persécution comme nous la connaissons , 61 Arrêté du Conseil fédéral PFE diffusée en août 1943, soit peu avant l’ar- le collaborationniste en était même exclu. Or, concernant l’asile politique de mistice en Italie : comme il était souvent réellement menacé de 1933. Aujourd’hui ce sont les fascistes que nous mort dans son pays, on estima qu’il devait 62 AF, E 4320(B) 1991/243/16, Lettre de Fritz Dick, du MP, au devons tenir éloignés de notre pays. Dans pouvoir rester quelque temps en Suisse sous la ministre de Suisse à Paris du 26 64 quelques jours peut-être, des personnes, qui surveillance du MP . Précisons encore que juillet 1950. aujourd’hui sont très bien notées, seront dans le jargon helvétique, le terme collabora- 63 AF, E 4320(B) 1991/243/11, poursuivies et chercheront à se réfugier chez tionniste n’avait pas le même sens qu’il a aujour- Note de Hans Seiler, du MP, à Fritz Dick, du 7 janvier 1947. nous. Il faut donc, lors de l’examen de toutes d’hui. Sous la plume des fonctionnaires suisses, 64 AF, E 4320(B) 1991/243/11, les demandes d’entrées d’Italiens, tâcher de il regroupait indistinctement les partisans d’une Note de Hans Seiler, du MP, à se rendre compte si le requérant a, ou a eu, collaboration d’Etat (les collaborateurs) et les Fritz Dick, du 7 janvier 1947. 65 une activité politique marquée et laquelle. collaborationnistes, qui militaient en faveur AZÉMA, BÉDARIDA 1995, p. 615- 625. Il ne doit pas être accordé d’autorisations d’une collaboration avec l’Allemagne par convic- 66 AF, E 4320(B) 1991/243/133, d’entrée sans l’assentiment du soussigné à tion idéologique et par attirance pour l’Europe dossier C.13.2383, Procès-verbal tous ceux qui jouent ou qui ont joué un rôle nouvelle65. d’audition de Georges Daudet du politique ou qui sont connus pour avoir une Les grands principes, au demeurant fort élas- 30 septembre 1947. 60 67 George Daudet était à ce moment attitude politique marquée . tiques, sont cependant loin de rendre compte condamné à cinq ans de prison en Les néofascistes semblaient en revanche plus du véritable processus qui a rendu possible le France. faciles à cerner. Aussi décréta-t-on que les sup- refuge brun. Pour saisir la réalité, il est néces- pôts de la RSI étaient, d’une façon générale, saire de se plonger dans les situations concrètes. tous indésirables en Suisse. Ainsi, le collaborationniste pur sucre Georges Tel était le cadre, décrit sommairement et en Daudet (1902), qui avait été chargé par Laval faisant fi du débat (interne !) qui accompagna d’administrer le journal La France au travail sa mise en œuvre. Le temps passant, il se modi- en novembre 1940 et qui avait ensuite dirigé fia, s’assouplit, entra en résonance avec les pro- La France socialiste jusqu’en août 194466, était blèmes de son époque. Ce qui doit être sou- par exemple parvenu à s’installer en Suisse ligné, c’est le caractère extrêmement flou et grâce à un pluriel et particulier de fac- flexible de la doctrine officielle, qui fut d’ailleurs teurs. Au début, non seulement le MP refusa délibérément conçue ainsi. Concernant l’asile de le considérer comme réfugié politique, ce politique à proprement parler61, il convient qui était conforme aux principes67, mais il ne d’ajouter un paramètre important, qui se prê- voulut pas non plus le prendre sous son contrôle, tait également à toutes sortes d’interprétations, sous prétexte qu’il avait été un partisan incon- et qu’exposa clairement un des chefs du MP: ditionnel de Laval. Singulier argument ! Celui- Le droit d’asile est accordé à la condition que ci reposait certes sur l’image très en vogue à nous ayons la conviction que la condamna- l’époque d’un bon et d’un mauvais Vichy, mais tion prononcée n’est pas en proportion avec aucun texte ne mentionnait une telle nuance. l’accusation d’après le sentiment de droit Puis, on décida quand même de le tolérer. La suisse et que le réfugié, d’après son compor- nouvelle de sa condamnation à mort, l’attitude 153 favorable du Valais, l’intérêt du MP pour sa fut de ceux qui s’annoncèrent. Le 3 avril 1946, personne68, sa promesse de quitter la Suisse dès le MP jugea qu’il fallait traiter D* comme les que possible et l’intervention d’un influent autres cas du même type70. Une sorte de tra- I notable valaisan furent sans doute à l’origine dition s’était en effet créée. Curieusement, on 68 Durant la guerre, Daudet avait de la décision. Toujours est-il qu’il se fixa en ne prêta pas vraiment attention au fait qu’il avait fréquenté le fasciste suisse Georges Oltramare, contre lequel un procès Valais, où il entra rapidement au service de la été milicien, quand bien même ses antécé- était pendant à Lausanne. Le MP 71 maison Charles Duc, importateur en gros de dents étaient connus . Hans Seiler s’exprima s’efforçait d’obtenir des denrées coloniales. En septembre 1954, un en faveur d’un internement sans statut de réfu- informations sur le compte de ce dernier auprès de Daudet, qui fut inspecteur suisse notait que Daudet, ainsi gié politique, avec obligation de partir aussi vite aussi pressé de témoigner à charge d’ailleurs que tous les réfugiés français qui se que possible. Le Valais accepta de le tolérer dans le procès. Certains documents trouvent encore en Valais, n’[a] jusqu’à mainte- sur son territoire et de lui accorder une auto- font même croire à un chantage exercé par la Suisse à l’encontre de nant jamais fait d’efforts trop considérables pour risation de travail provisoire. Le 26 juillet 1946, Daudet, qui peut être résumé ainsi : chercher à quitter la Suisse. En outre, [il] a quatre mois après son arrivée, la division de un témoignage, sinon l’expulsion ! maintenant quatre enfants. Les deux cadets sont police ordonna son internement conformé- 69 AF, E 4320(B) 1991/243/133, nés à Sion, où la famille est, à présent, très bien ment aux vœux de la PFE. Quelques jours dossier C.13.2383, Note de l’inspecteur Müller (MP) du 23 installée. Depuis sept ans, l’intéressé voyage pour après, le MP abonda dans le même sens, en septembre 1954. la même maison, où il est excellemment noté. Il expliquant que D* pourrait attirer des ennuis 70 AF, E 4320(B) 1991/243/126, gagne sa vie largement, après avoir dû travailler à la Suisse si sa liberté venait à être décou- dossier C.13.2221. d’arrache-pied pour se faire une clientèle. Pourquoi verte. On désigna alors le camp de Churwalden 71 AF, E 4320(B) 1991/243/126, dossier C.13.2221. Dans un rapport donc chercherait-il à retourner en France ? Ce n’est dans les Grisons. Mais la décision d’interne- du 1er avril 1946, l’inspecteur peut-être pas conforme aux prescriptions qui lui ment fut annulée le 10 décembre 1946, suite Müller portait l’appréciation furent imposées à l’époque [...], mais c’est par contre aux interventions de l’employeur de D* et du suivante, qui ne laissait aucun 69 doute à ce propos : D* est donc un humain . L’ancien propagandiste décédera conseiller d’Etat Pitteloud. Au lieu d’un camp, milicien, entré clandestinement en quatre ans plus tard, alors qu’il était établi le milicien fut alors soumis au régime dit de Suisse, pour échapper à la peine de régulièrement, et sera enterré à Sion le 17 l’internement privé et put demeurer à Sion. De mort à laquelle il a été condamné en raison de son activité dans la novembre 1958. Dans le cas des miliciens, la fil en aiguille, d’une prolongation d’autorisa- milice. Je tiens à relever une chose question est évidemment de savoir comment tion de séjour à l’autre, il fut libéré de l’inter- en faveur de D* : sa très grande ces indésirables purent être tolérés. Le furent- nement et gratifié d’une autorisation de séjour franchise. Il ne fit en effet aucune difficulté […] pour admettre qu’il ils toujours en connaissance de cause de la ordinaire. En août 1957, le MP se déchargeait avait joué la mauvaise carte en part des autorités ? D’abord il convient de dire complètement du contrôle du milicien, ouvrant espérant arriver une fois à une que l’entrée des miliciens, de même que celle la voie à son établissement définitif. entente avec les Allemands en soutenant la politique de Vichy. de tous les étrangers appartenant à la catégo- Le traitement du dossier C* trahit lui aussi ce Plus loin, le policier suisse mettait rie des indésirables, était systématiquement curieux pis aller fréquemment observé chez les en évidence l’anticommunisme de refusée lorsqu’elle était formellement deman- vaincus de notre corpus. Certes, C* avait d’abord D*. dée depuis l’extérieur – via un consulat par été refoulé à deux reprises. Après le deuxième 72 AEG, Ef/2-076 1984va017. 73 AF, E 4320(B) 1991/243/154, exemple. Pour avoir une chance de rester, il fal- renvoi, le 6 novembre 1944, un policier gene- dossier C.13.3031. lait donc traverser la frontière illégalement. vois avait même noté en marge de sa fiche : Ceux qui, une fois sur sol helvétique, poursuivirent Si revient, sera remis officiellement72. Et quand dans la voie de la clandestinité sans se faire remar- il s’était annoncé aux autorités vaudoises, en quer, échappent à notre regard. On ne connaît avril 1949, C* s’était vu infliger un délai de donc que les personnes qui s’annoncèrent de départ de deux mois. Sa présence en Suisse était leur plein gré ou qui furent arrêtées. Le cas de jugée indésirable et inopportune. Motif invo- D* est représentatif du processus d’intégra- qué : surpopulation étrangère73. Pourtant, après tion graduelle, opérant par menus glissements la démarche d’un avocat auprès du conseiller fédé- successifs jusqu’au fait accompli, qui caracté- ral Eduard von Steiger, le canton de Vaud se déclara rise le traitement des miliciens repérés dans prêt à le tolérer temporairement. Fort de cet accord, nos recherches. Entré illégalement, le milicien le MP donna également son aval en mai 1949. 154 Entre temps, la famille C* avait effectué un ver- ment tout recommencer ailleurs, et pourquoi sement de 50 000 francs suisses sur un compte fallait-il que la Suisse fût à ce point derrière bancaire suisse, un montant considérable pour eux? De guerre lasse, est-on tenté de dire, le MP I l’époque, ce qui ne pouvait que plaider en sa finit par le rayer de son contrôle en août 1957. 74 AF, E 4320(B) 1991/243/154, faveur. Tout en rappelant à l’avocat de C* que Désormais, aux yeux des autorités, plus rien ne dossier C.13.3031. le peuple suisse était opposé à l’accueil de mili- s’opposait à son établissement ni, une fois que 75 AF, E 4320(B) 1991/243/154, dossier C.13.3031, Note de ciens, de SS, de néofascistes et de membres ses condamnations furent prescrites, à sa natu- Fracheboud du 6 juillet 1951. d’autres formations de type SS, le MP se mon- ralisation. Si, en 1963, le MP avait encore émis 76 AF, E 4320(B) 1991/243/154, tra de plus en plus réceptif aux justifications de quelques doutes quant à son intégration en dossier C.13.3031, Note du 76 commissaire E. Müller à A. l’intéressé, qui niait une partie des faits qu’on Suisse, bien qu’il fût un bon catholique , le Wütherich du 21 juin 1963 : A lui reprochait. Le 29 janvier 1950, coup de même MP accepta en 1967 de passer outre le l’argument de la pratique théâtre : le MP reconnut C* comme réfugié peu de sympathie que lui inspiraient les anciens religieuse assidue de C*, le commissaire E. Müller politique ! Puis suivit l’autorisation de travail, collaborationnistes pour donner un préavis favo- [l’ex-inspecteur du MP ?] avait 77 délivrée par le PFE à l’insu du MP. Ce dernier rable . Un rapport de l’inspecteur Müller, déci- rétorqué : C’est évidemment une ne cacha pas son mécontentement à l’idée qu’un dément très compréhensif envers les épurés référence, mais la pratique d’une 78 religion est une chose qui ne ancien milicien pût justement représenter des français , montre bien comment se créait une connaît ni frontières, ni pays et maisons françaises. Mais le mal était fait. L’auteur tradition et se banalisait le passé. Confronté à l’assimilation aux us et coutumes de la bévue réalisa son erreur – mais en était- une demande d’emploi de Roger Finet, Müller de la Suisse en est une autre. ce vraiment une? – et fit part au MP de ses craintes nota : 77 AF, E 4320(B) 1991/243/154, dossier C.13.3031, Note d’André de devoir sauter la pétarde au cas où des polé- Finet compare son cas à celui d’autres réfu- Amstein du 5 avril 1967. 74 miques éclateraient . Devenu plus prudent, le giés français qui se trouvent encore en Valais 78 AF, E 4320(B) 1991/243/133, dit fonctionnaire Fracheboud se déclara ensuite et qui ont la possibilité de se créer une exis- dossier C.13.2363. Müller fit peu favorable à ce que C* fût autorisé à dispo- tence. Il ne voit pas pour quelles raisons on preuve d’une égale mansuétude envers le collaborationniste Pierre ser d’une voiture pour ses déplacements pro- l’obligerait à vivre pratiquement enfermé Contensouzac (1912), en qui il fessionnels : Sur la route, il risque des accidents dans un cloître, alors que certains de ses reconnaissait pourtant l’un des et comme la presse s’empare de toutes les nouvelles compatriotes roulent en automobile et occu- plus hauts cadres du PPF dans sa circonscription (Isère). En possibles, son nom sera peut-être un jour publié dans pent des situations que leur envieraient bien septembre 1947, il soutint qu’il différents journaux75. C* aura quand même droit des Suisses. Finet se serait, peut-être long- serait inhumain de le refouler sur à sa voiture. Il obtint aussi qu’on lui délivrât son temps encore, contenté de son sort, mais il France. 79 s’est fait quelques amis à Saint-Maurice et AF, E 4320(B) 1991/243/149, permis de conduire sous le nom de M* et que dossier C.13.2859, Rapport de son courrier lui fût envoyé sous ce nom, par mesure d’aucuns, parmi ceux-ci, le soutiennent et sont l’inspecteur Müller du 22 octobre de discrétion, et parce que le facteur lui avait intervenus dernièrement en sa faveur auprès 1952. déjà fait des remarques à ce sujet. De temps en du bureau cantonal des étrangers, afin qu’il temps, un responsable du MP s’enquérait auprès puisse entrer, à titre de représentant, dans la d’un inspecteur sur la situation de l’hôte fran- maison Montangero André, importations et çais, qui se signalait par un comportement désa- exportations en gros à Saint-Maurice. Je ne gréable et vindicatif. Il lui était répondu que C* sais où en est exactement cette affaire, mais n’entreprenait pas grand chose en France et que au cas où Finet aurait quelque chance d’ob- sa situation juridique demeurait inchangée. Un tenir cet emploi, nous aurions, me semble- jour d’avril 1954, Seiler s’en étonna car, après t-il, mauvaise grâce de nous opposer for- tout, de nombreux collaborationnistes étaient mellement à son engagement par la firme parvenus à faire réviser leur procès. Voilà que précitée, étant donné que nous avons, dans le milicien était devenu un collaborationniste ! une certaine mesure, favorisé les D*, Daudet, Lorsque que C* fut à nouveau pressé de ques- C* et consorts79. tions, il laissa carrément percer de l’agacement : Il est probable que si Pierre Hachette avait la situation n’était pas encore mûre en France, mené une guerre d’usure aussi tenace que son deux de ses enfants étaient nés en Suisse, com- compatriote C*, il aurait pu rester en Suisse 155 plus longtemps que les dix mois qu’il y passa. à séjourner sur territoire valaisan. Les auto- Après son entrée illégale, l’ancien lieutenant- rités valaisannes ont la très nette impres- colonel de la GMR s’était dirigé sur Fribourg, sion, elles n’ont pas tout à fait tort, que lors- I où il avait mis les autorités dans l’embarras à qu’un étranger, interné ou réfugié, souvent 80 AF, E 2802(-) 1967/78/7, Note l’approche des élections cantonales. Au mois indésirable, ne peut pas être placé ailleurs, d’Alfred Zehnder, chef de la division des affaires politiques du de novembre 1946, en effet, le chef de la police on ne trouve rien de mieux ici à Berne que DPF, à Rudolf Bindschedler, juriste fribourgeoise Louis Gauthier fit savoir à Berne de lui assigner une résidence dans le canton au DPF, du 22 novembre 1946. que la véritable identité de Hachette avait été du Valais et ceci à la barbe des instances 81 AF, E 4320(B) 1991/243/128, découverte par un certain nombre de per- cantonales82. dossier C.13.2270 : Hac[hette]. parti ! Vous remercie de sonnes – il bénéficiait alors d’un pseudonyme– Il est vrai, nos recherches le prouvent, que tant l’amabilité avec laquelle vous et que des polémiques de presse risquaient de la Confédération que certains cantons inclinèrent m’avez reçu, écouté, aidé. Vous faire du tort au Conseil d’Etat fribourgeois80. volontiers à envoyer les collaborationnistes et autres prie de croire à ma gratitude et à ma sympathie. J’avise également C’est pourquoi Hachette fut transféré à Montana proscrits dans un canton majoritairement le colonel Bä[chtold ?], artisan jusqu’à son départ pour l’Amérique du Sud, catholique, de préférence le Valais ou Fribourg. actif lui aussi de mon départ. entrepris sans rancune contre la Suisse à en croire Cela transparaissait explicitement chez le mili- Cordialement, P.H. 81 83 82 AF, E 4320(B) 1973/17/47, le mot de remerciement qu’il laissa à Seiler . cien Gabriel Mogenet , de même que chez le dossier C.2.12699, Note de Il faudrait dénouer les fils de chaque cas indi- commissaire de police Maurice François, qui l’inspecteur Müller du 23 octobre viduel, tant les détails sont passionnants et à n’ira finalement pas en Valais. Pour ce der- 1945. chaque fois révélateurs de nouveaux aspects. nier, les autorités vaudoises préconisèrent de 83 AF, E 4320(B) 1973/17/89, De plus, vu de près, on s’aperçoit que le main- lui assigner une résidence dans un canton où dossier C.2.16492. 84 AF, E 4320(B) 1991/243/128, tien en Suisse s’explique toujours par une com- il resterait soumis à l’influence du clergé, qui le dossier C.13.2269. 84 binaison originale. Tout bien pesé, il convient protège . Apparemment, Georges Daudet aussi 85 AF, E 4320(B) 1991/243/133, cependant de relever l’importance d’un fac- fut incité à se rendre en Valais par Berne et sur dossier C.13.2383. teur récurrent, apparu dans plusieurs cas évo- conseil du chef de la PFE en personne, Paul 86 AF, E 4320(B) 1991/243/128, qués : les soutiens. Ce qui nous amène à la Baechtold85. De fait, le canton semble bien dossier C.13.2248. dimension proprement valaisanne du refuge. avoir dû accepter à contre cœur d’accueillir les réfugiés Schwinner, Finet et Daudet. Mais l’accueil ne fut pas un crève-cœur tout AFFINITÉS ÉLECTIVES ? le temps ni pour tout le monde. Dans quelques Dans quelle mesure le Valais fut-il choisi comme rares cas, le Valais fut sensible à l’utilité de terre d’asile et quelles sortes de logiques déter- telle ou telle personne. Une fois, c’est le MP minèrent ou se greffèrent sur ce choix ? Une qui fut mis devant le fait accompli. Ainsi, le première série d’indices donne à penser que le canton ne tint par exemple pas compte de Valais fut un choix imposé par Berne. Pour preuve l’avis défavorable du MP concernant l’em- ces propos d’un employé du bureau cantonal bauche du Dr Robert Jamin (1902), ex-membre valaisan des étrangers, rapportés par l’inspec- du PPF et du groupe Collaboration, condamné teur Müller, qui avaient pour objet un diplo- à mort dans le Var le 28 mai 1945, qui s’était mate autrichien du nom d’Alfred Schwinner réfugié clandestinement en Suisse en juillet ayant réussi à se fixer en Valais: 194686. Le 31 octobre 1946, le MP avait refusé Ce fonctionnaire [du bureau valaisan des de donner suite à une requête du Département étrangers] me fit remarquer que, comme le de l’intérieur, que soutenaient également les polices cas s’était d’ailleurs produit à plusieurs valaisanne et sédunoise. A l’encontre de cette reprises déjà, Schwinner était venu en Valais décision, le Valais autorisa Jamin à pratiquer sans en demander l’autorisation aux autorités la médecine dans deux sanatoria pour enfants compétentes et qu’un beau jour le canton de Montana. On estima que cette autorisa- avait purement et simplement été invité par tion profiterait aux malades qui en avaient les instances fédérales à autoriser Schwinner grand besoin et qu’en même temps elle ren- 156 drait un grand service à ce réfugié victime, comme national-socialisme. Ce dernier, né à Vienne tant d’autres, de ses convictions anticommu- en 1891, était entré dans la carrière diploma- nistes87. Pourtant, la clé de l’attitude du Valais tique en Autriche. Déjà en 1921, il avait mani- I à l’égard de Jamin ne résidait certainement festé des velléités de rattachement à l’Allemagne 87 AF, E 4320(B) 1991/243/128, pas dans les justifications officielles, mais plu- et éprouvé de la sympathie pour les idées natio- dossier C.13.2248, Lettre du chef du Département de l’intérieur tôt dans le fait que l’ancien collaborationniste nales-socialistes. D’après un document alle- valaisan au conseiller fédéral était soutenu par l’homme politique, officier mand de 1939, le chancelier Dollfuss l’aurait Eduard von Steiger du 31 octobre et ingénieur Roger Bonvin88, et par le Dr Paul nommé en URSS, en 1932, en guise de sanc- 1946. 89 88 Roger Bonvin (1907-1982) sera de Courten, responsable des sanatoria . A tion pour sa participation au parti nazi autri- par la suite conseiller fédéral et 93 noter que le milicien Finet aussi se réclama du chien clandestin . Considéré comme politisch président de la Confédération. Il Dr de Courten90 et que Roger Bonvin soutint zuverlässig par le régime nazi, il avait été inté- obtint son diplôme d’ingénieur civil à l’Ecole polytechnique encore d’autres Français compromis, tels que gré au Ministère allemand des affaires étran- fédérale de Zurich en 1932. En Georges Daudet et René Poggi (1907), accusé gères après l’Anschluss et nommé conseiller 1943, il fut chef du Service d’intelligence avec l’ennemi en 1946 pour de légation à Moscou jusqu’au 27 juillet 1941. valaisan de la protection ouvrière. Conseiller communal chrétien- avoir produit des avions destinés à l’Allemagne, Peu après l’invasion de l’URSS, il avait été social à Sion, il fut nommé en tant qu’ingénieur spécialisé à la Société natio- quelque temps consul à Lausanne puis repré- président de l’exécutif sédunois et nale de constructions aéronautiques. Poggi était sentant du IIIe Reich à San Remo. Alors que en même temps conseiller national en 1955. Elu au Conseil demeuré en Valais de septembre 1947 à mai 1948, Berlin l’avait rappelé, Schwinner s’était arrêté fédéral en 1962, il dirigea 91 après quoi il émigra en Argentine . Un autre en Suisse sur le chemin du retour, en juin successivement le Département officier – déjà cité – se dépensa sans compter 1944, à un moment où, selon ses dires, il s’était fédéral des finances et des douanes (DFF) et le Département pour un épuré, au grand dam du MP : détaché du régime et où il était en contact des transports, des Intern ist zu bemerken, dass der Walliser avec le groupe d’officiers conservateurs qui communications et de l’énergie Geschäftsmann und Offizier [Pierre] Deslarzes perpétrera l’attentat du 20 juillet 1944 contre (DFTCE) jusqu’à sa retraite en hinter der ganzen Sache steht und durch Hitler94. Hébergé par la famille Mermod-Reiss 1973. 89 AF, E 4320(B) 1991/243/128, seine einflussreichen Beziehungen zu mass- de Chexbres, aidé par le célèbre diplomate et dossier C.13.2248. Paul de gebenden Walliser Behörden die von uns professeur Carl-Jakob Burckhardt, il avait Courten (1899-1976) fit des verfügte Lagereinweisung «sabotieren» konnte. d’abord pu rester sans difficulté en Suisse en études de droit et exerça le métier d’avocat et de notaire. Il Dieser von der Polizeiabteilung von Anfang tant que personne menacée en Allemagne. En exerça le barreau notamment à an verfuhrwerkte Handel D*, wird immer novembre 1944, il était à Montana. Puis les Monthey, où il fut d’abord unangenehmer92. pères Paul-Marie et Apolline, du couvent des conseiller bourgeoisial, puis municipal, avant la guerre. Après Comme nous l’avons vu, plusieurs personna- capucins à Sion, lui étaient venus en aide. Il avoir été juge-instructeur lités du monde économique intercédèrent pour aurait vécu avec ce dernier à la montagne, suppléant et sous-préfet, il devint des personnes compromises. De ce panel, il res- avant d’être logé à l’Asile Saint-François – préfet du district de Monthey 95 (1945-1970). En outre, il fut sort que le domaine de l’import/export et de appelé aussi la Maison-Blanche – près de Sion . député conservateur (1938-1965) la représentation fut un réceptacle et un moyen L’inspecteur Müller avouait sa difficulté à cer- et conseiller national à peu près de réinsertion privilégiés. En outre, ont émergé ner sa personnalité, mais jugea qu’il ne [devait] sans interruption de 1947 à 1967. Il fut aussi président du des hommes politiques, le Genevois Adrien pas être un individu bien dangereux au plan comité de direction de l’hôpital de 96 Lachenal et Cyrille Pitteloud pour ne citer politique . En avril 1945, le MP faisait savoir Monthey durant trente ans. qu’eux, et différents représentants de la bonne qu’il reconnaissait Schwinner comme réfugié 90 AF, E 4320(B) 1991/243/149, société valaisanne, tels que Louis de Riedmatten, politique mais uniquement à usage interne. dossier C.13.2859. 91 AF, E 4320(B) 1991/243/133, Hélène Lecomte. Evoquée en passant dans un Deux mois plus tard, une pression commença dossier C.13.2385. contexte peu significatif, la figure de Maurice toutefois à être exercée contre lui, afin qu’il quit- 92 AF, E 4320(B) 1991/243/126, Troillet apparut également dans des condi- tât le pays. Il ne partira pourtant pas avant dossier C.13.2221. tions nettement moins banales. 1950, après avoir pu se soigner, écrire ses 93 PAAA, Personalakten, dossier En effet, le conseiller d’Etat conservateur s’en- Mémoires, œuvrer pour le Comité d’aide à 14242, Lettre du chef du (SD) de la tremit de tout son poids en faveur du diplo- l’Autriche libérée, prononcer des conférences section viennoise au mate Alfred Schwinner, compromis avec le au Collegium Canisianum de Sion97 et à la mai- SS-Oberführer Otto Wächter du 157 son Notre-Dame de Montana, donner des le Tessin103. Mais le sort du dignitaire fasciste leçons de russe et d’anglais, mener à bien une remua plus d’une conscience chrétienne, comme formation en agriculture à l’Ecole cantonale de l’atteste – pour nous limiter à l’espace valai- 3 octobre 1939. Selon les documents du Châteauneuf, fréquenter le beau monde du Berlin Document Center, Schwinner était san – cette prise de position de l’écrivain et jour- entré au NSDAP le 1er avril 1932, dans château de Pradegg de Sierre et rencontrer sa naliste André Marcel, à qui Alfieri s’était adressé: l’Ortsgruppe Währing et le Gau Vienne, future épouse, la comtesse d’Alincourt. A l’en Par les jeux du hasard, vous avez trouvé sous le numéro 902886. croire, l’artisan de sa réussite, son ange sauveur, dans mon pays un refuge après avoir joué 94 AF, E 4320(B) 1973/17/47, dossier C.2.12699, Procès-verbal d’audition celui qui lui avait permis de rester en Valais alors un rôle éminent dans le vôtre, et c’est ainsi d’Alfred Schwinner du 26 janvier 1945. 95 que la Confédération le poussait à partir, c’était que j’ai eu l’honneur de vous connaître. Sans SCHWINNER 1964. Maurice Troillet. D’après l’inspecteur Müller, rien savoir de moi, dans un moment où vous 96 AF, E 4320(B) 1973/17/47, dossier Troillet, précisément, soutenait le Comité vous sentiez désemparé, vous m’avez fait C.2.12699, Rapport de l’inspecteur d’aide à l’Autriche, fondé par le prince Auersperg spontanément confiance. Ce sentiment que vous Müller du 8 février 1945. A noter que 98 d’un côté, des lettres anonymes le et l’ancien diplomate von Wimmer . Comment m’avez témoigné, dans un élan généreux, je dénonçaient comme agent communiste, les deux hommes s’étaient-ils rencontrés ? Selon ne le trahirai pas. et que de l’autre côté, on lui Schwinner, c’était le père Apolline qui les avait connaissait diverses fréquentations dans Plus loin, Marcel ne cachait pourtant pas que les milieux nazis de Suisse. présentés. L’étincelle jaillit, le contact eut lieu, les opinions d’Alfieri n’étaient pas les siennes, 97 L’Université d’Innsbruck en exil est écrira plus tard le diplomate autrichien dans précisant : accueillie par Mgr Viktor Bieler (1881- un témoignage paru à l’occasion du décès de Je ne vous l’aurais pas dit à une époque où 1952). l’homme politique valaisan99. Schwinner se vous étiez tout puissant, car ces mots vous eus- 98 AF, E 4320(B) 1973/17/47, dossier C.2.12699, Note de l’inspecteur Müller félicitera d’avoir pu bénéficier de la noble dis- sent semblé peut-être irrévérencieux, mais du 1er mai 1945. 99 position à aider autrui au fond de l’âme extrê- maintenant, ils ne vous paraîtront ni dénués SCHWINNER 1964, p. 130. 100 mement cordiale de [son] nouvel ami . Troillet de sens, ni de sincérité. Puissiez-vous, aux 100 Ibidem. lui donnera des livres à traduire, s’intéressera heures de doute et de découragement, vous sou- 101 Ibidem. à son expérience russe. Ensemble ils parleront venir qu’au milieu du déchaînement des pas- 102 Outre Schwinner, Maurice Troillet philosophie et littérature, inspecteront le sions, vous avez découvert en Suisse un peu (1880-1961) vint encore en aide à d’autres victimes de l’épuration, vignoble et le verger valaisans. Face aux pres- de compréhension. Des hommes, animés d’un comme le montrent les documents sions de Berne, Troillet aurait eu ce mot : esprit d’équité n’ont pas hésité, dans ce petit conservés dans son fonds aux Archives Les lois et les ordonnances de Berne viennent pays, à vous défendre, alors qu’ils réprouvaient cantonales de Sion. Des recherches effectuées par Simon Roth dans ce à nous en passant la crête des Alpes, mais dans pourtant le régime auquel vous étiez atta- fonds, il ressort que Troillet fit par leur chemin par-dessus les montagnes elles chés. C’est que pour eux chaque homme abattu exemple preuve de bienveillance à perdent beaucoup de leur efficacité. Et là- ou malheureux leur devient plus proche, en l’égard de Dino Alfieri. Une lettre d’un 101 intercesseur sédunois non identifié dessus je veille ! vertu de la notion qu’ils ont de la charité chré- laisse supposer que Troillet soutint Hôte d’honneur à son mariage, célébré dans tienne. aussi un dénommé Georges-Henri Léger une chapelle de la vallée de Bagnes par le père (1905). Membre de l’Action française Suivaient une justification et une promesse : puis du PPF, ce dernier était entré au Apolline, Troillet rendra visite à son ami en Simplement vous m’avez soumis votre cause service du gouvernement de Vichy Autriche dans les années 1950102. et je la trouve juste. Alors, du meilleur de (Marine, Ministère de l’Information, Comme on le voit à nouveau à travers ce cas, mon coeur, me voilà prêt à la défendre104. cabinet du maréchal). Après un repli sur l’Allemagne, il avait passé en un des milieux les mieux disposés envers les Eloquent témoignage, qui serait à méditer plus Italie. Arrêté, transféré en France, proscrits de 1945 fut incontestablement le à fond. Sinon, on vit intervenir diverses per- condamné aux travaux forcés à milieu catholique, qui joua aussi un rôle déci- perpétuité à (1946), il sonnes et institutions catholiques valaisannes. s’était évadé et avait vécu dans la sif en amont et en aval de l’exil helvétique. L’Italien Gomez fut aidé par l’abbé Séraphin clandestinité, jusqu’à son entrée L’évêque de Sion, Mgr Viktor Bieler, fut la Pannatier, curé de Port Valais105, et par le cha- illégale en Suisse le 26 décembre plus haute personnalité de l’Eglise à interve- noine Louis Poncet à Saint-Maurice106. C*, 1948. 103 PAAA, Gesandschaft Bern, dossier nir dans le cadre valaisan. Hanté par le spectre après son passage chez les capucins de Chambéry, 2918, Note du consulat allemand de du communisme, il plaida résolument la cause sut gagner la sympathie de certaines personna- Lugano à la Légation d’Allemagne à d’Alfieri, qui avait déjà été aidé par le prêtre lités importantes du clergé sédunois, selon une Berne du 19 novembre 1943. Don Franco Saldarini lors de son entrée par remarque de l’inspecteur Müller de 1956107. 158 Finet trouva le moyen de travailler à l’Abbaye Saint-Gingolph le 10 septembre 1946, déguisé de Saint-Maurice, après avoir fréquenté diffé- en père capucin. Recommandé par le père gar- rents établissements religieux en France, le dien du couvent de Marseille au couvent de 104 ACS, Archivio Dino Alfieri, busta couvent de Carrières sous Poissy et le Petit Saint-Maurice, il fut ensuite aiguillé par celui- 5. Séminaire de Paris, en Belgique et l’Ecole ci sur le couvent de Sion, où le père Paul- 105 AF, E 4320(B) 1991/243/125, catholique de garçons à Lausanne en Suisse. Marie le prit sous sa protection et le plaça à la dossier C.13.2200. 106 AF, E 4264(-) A Lausanne, le curé J. Ramuz, directeur de Maison-Blanche. Dans une lettre au MP, le 1985/196/3072, dossier N Caritas, s’était aussi engagé pour lui en 1948, père Paul-Marie disait se porter garant de l’ho- 42561. car le père de Finet était un ami personnel de norabilité de Fauque et répondre entièrement 107 AF, E 4320(B) 1991/243/154, 112 dossier C.13.3031. la direction de la Maison Mère des Frères qui de son entretien . Sous prétexte que Fauque 108 108 AF, E 4320(B) 1991/243/149, dirigent les écoles catholiques de Lausanne . n’était pas un collaborationniste mais un anti- dossier C.13.2859. A noter que Finet prétendait d’ailleurs connaître person- communiste persécuté (Dick), le MP lui accor- le curé Ramuz, à l’instar nellement l’archevêque de Paris. Floravan, qui dera le statut de réfugié politique en janvier 1947. d’autres religieux cités ici, était déjà venu en aide aux fut également aidé par l’Abbaye de Saint- En 1951, Fauque s’installera à Delémont puis persécutés de l’Axe pendant la Maurice, avait vu sa fuite en Suisse facilitée par à Bassecourt. Là, il représentera une firme qui guerre. Voir également EINAUDI, le révérend père Chalumeau de la congréga- nous est familière, puisqu’il s’agit de l’Agimport. 1997. tion des chanoines réguliers de l’Immaculée La petite ville jurassienne le comptera tou- 109 AF, E 4320(B) 1991/243/132, dossier C.13.2347. Conception. A Genève, c’était le père Longery, jours parmi ses habitants en 1969. 110 AF, E 4320(B) 1973/17/89, directeur de l’Institut Florimont, qui l’avait Chacun interprétera à sa guise ces collusions, dossier C.2.16492. 109 assisté . Mogenet, qui fut autorisé à effectuer qui devraient être creusées davantage, avec le 111 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 3, des petits travaux au Preventorium du val milieu catholique : affinités électives ou pas ? 780429. d’Illiez, avait d’abord été recueilli par le curé Les travaux de la commission présidée par 112 AF, E 4320(B) 1991/243/129, dossier C.13.2276, Lettre du François Simond, de la cure de Meinier à l’historien français René Rémond ont révélé, père supérieur Paul-Marie du 3 Genève. Neveu d’une directrice d’un pen- à propos du milicien , que les sou- novembre 1946. 113 sionnat catholique d’Annecy, c’est tout natu- tiens religieux obéissaient à une multitude de RÉMOND 1992. rellement qu’il s’était orienté vers le Pensionnat- logiques, qui ne peuvent être réduites à la seule école ménagère Saint-Joseph de Monthey, dimension idéologique113. Mais celle-ci, notam- tenue par des religieuses françaises, où il ne se ment dans sa composante anticommuniste, rendit pourtant pas finalement110. Le cas d’un s’est toutefois manifestée à plusieurs reprises certain Pierre Fauque (1914) n’est pas moins dans le refuge valaisan – l’exemple de Viktor intéressant. Secrétaire du groupe Collaboration Bieler n’étant pas des moindres. Les sentiments puis chef départemental des Jeunesses de l’Europe de pitié et de commisération eurent aussi, assu- nouvelle à Marseille en 1943, il avait travaillé rément, leur part. De plus, comme avec Touvier, pour l’Organisation Todt et créé en été 1943 on constate ici aussi l’efficacité des réseaux un service de détection des réfractaires au religieux, fonctionnant comme une chaîne de Service du travail obligatoire (STO) et des solidarité. Une recommandation d’un ecclé- résistants. A ce titre, notera la Direction géné- siastique en France ouvrait une première porte, rale de la Sûreté nationale (DGSN), il avait laquelle en ouvrait une seconde, et ainsi de été en rapport avec la police allemande et avait suite. Hors de la question religieuse, si affini- procédé aux interrogatoires. Par ailleurs, en sep- tés électives il y eut, elles prirent généralement tembre-octobre 1943, il avait demandé à des forme après la venue en Suisse: peu de connexions membres supérieurs de son groupement de s’en- directes et préalables avec le Valais nous sont gager dans un corps de parachutistes qui devaient apparues. Nous n’avons par exemple guère été opérer du sabotage en Afrique du Nord pour les confrontés à la question des liens de parenté, Allemands111. Ce collaborationniste condamné sauf avec le neveu d’Adrien Lachenal, mais le à mort par la Cour de justice de Marseille le lien était genevois et qui plus est indirect. Peut- 29 mai 1946 entra illégalement en Suisse par être ceux-ci ont-ils évolué dans un angle mort 159 au niveau des sources ou sous une forme camou- quelques fois en complicité. Si le terme n’était flée. Après tout, pourquoi un compromis se aussi fortement connoté moralement, on n’hé- serait-il annoncé aux autorités s’il avait le siterait pas à l’employer pour qualifier l’attitude I moyen d’être aidé incognito par un parent – voire de l’inspecteur Müller par exemple, farouche- 114 La publication de nouvelles un ami – généreux ? Il arriva que le Valais fût ment anticommuniste dans le contexte de la guerre ayant trait au refuge était délibérément choisi par le réfugié, soit déjà froide naissante. Que ce fût pour une raison poli- soumise à des restrictions. depuis l’étranger, soit seulement depuis la tique, au nom des principes humanitaires ou Suisse. Jouèrent alors les conditions géogra- sous l’impulsion de solidarités sociales, quelques phiques, les relations personnelles interposées, dizaines au moins de compromis furent tolé- la réputation du canton, mais surtout la volonté rés en Valais, tandis que le sol était brûlant des autorités fédérales, qui escomptaient moins pour eux dans leur pays. Lorsque la situation de problèmes dans un canton catholique et s’apaisa, c’est-à-dire dès 1946 au plus tard en conservateur. Cela étant, nous sommes en Italie, dès 1948 en Allemagne et dès 1951- mesure de dire qu’exceptés les miliciens, ins- 1953 en France, ils retournèrent presque tous tallés majoritairement en Valais, les réfugiés chez eux. Quelques-uns migrèrent plus loin, en de la Libération venus en Suisse furent aussi l’occurrence vers l’Amérique latine. Pour cer- sinon plus nombreux dans d’autres cantons, où tains d’entre eux, le séjour helvétique s’était il y eut effectivement plus de difficultés. avéré extrêmement rentable. Ils avaient sauvé Ici comme ailleurs le refuge brun fut soigneu- leur peau ou échappé à la prison et parfois sement caché au public de diverses façons : cen- même accumulé un bagage pour l’avenir : nous sure de l’information114, octroi de pseudo- l’avons montré à propos d’Alfred Schwinner et nymes, contrainte de la discrétion, etc. La peur nous aurions aussi pu le faire pour Dino Alfieri de la presse et du scandale était omniprésente par exemple. Enfin d’autres – une poignée et nous en avons vu des exemples. Elle était fon- parmi ceux que nous avons découverts – eurent dée, car certains principes – accueil de miliciens, une seconde chance en Suisse, adoptant par- octroi du statut de réfugié politique à des col- fois ce pays comme nouvelle patrie, cherchant laborationnistes, etc. – furent bafoués. A ce à faire oublier leur passé sans forcément renier titre, on peut dire que la complaisance se mua leurs engagements antérieurs.

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