Le Refuge Des Vaincus

Le Refuge Des Vaincus

Le refuge des vaincus par Luc van Dongen I Pour éviter d’éventuelles controverses liées à la protection des données DEUX MILICIENS personnelles, la rédaction des Annales Valaisannes a décidé d’anonymiser certains noms. Le 16 mars 1946 arrivait en Valais un ex-mili- 1957, le Valais lui accorda un permis d’établis- cien français du nom de D*, condamné à mort sement et il obtint la nationalité suisse à la fin à Lons-le-Saulnier dans le Jura huit mois aupa- des années 1960. Qui était-il donc? Né en 1912 ravant. Il se présenta au chef du Département et originaire de Neuville, dans l’Aube, il avait de justice et police valaisan, le conseiller d’Etat d’abord fait des études de droit. A partir de Cyrille Pitteloud, qui l’enjoignit de s’annoncer 1938, il s’était occupé d’un portefeuille d’assu- à la police – ce qu’il fit. Dès lors, D* n’allait plus rances à Dôle dans le Jura. Après sa démobili- quitter le sol valaisan. Il refit entièrement sa vie sation, en 1940, il s’était intéressé aux affaires dans ce canton, en compagnie de sa femme et de son beau-père, qui possédait la Manufacture de ses enfants – dont trois naquirent à Sion. En lyonnaise de jouets et une exploitation forestière 141 à Cousance, toujours dans le Jura. En août 1940, l’enceinte de l’usine familiale, il n’aurait plus selon ses propres dires1, il avait rejoint les rangs quitté sa retraite forcée jusqu’à l’appel de mobi- de la Légion française des combattants (LFC), lisation lancé par la Milice suite au débarque- I qui venait d’être créée, et qui allait devenir le ment de juin 1944. Chef de trentaine à Lons- 1 AF, E 4320(B) 1991/166/126, Service d’ordre légionnaire (SOL), puis la Milice le-Saulnier, il avait ensuite combattu aux côtés dossier C 13.2221, Procès-verbal de l’audition de D* par le de Joseph Darnand. Promu vice-président de la des Allemands et suivi la transhumance des Ministère public, Police de sûreté, section locale de la LFC à Cousance, puis vice- miliciens vers l’Est (Bourg, Dijon, les Vosges, Sion, 28 mars 1946. président du district de Saint-Amour, D*, comme l’Alsace, Ulm, Sigmaringen). En avril 1945, il 2 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 3, il ne fera aucune difficulté à le reconnaître devant avait pris le chemin de l’Italie en traversant le 706145, Rapport du commissaire de Police judiciaire René Anthérieu les autorités suisses, avait alors milité de façon col du Brenner, comme des centaines d’autres du 26 mars 1945 et note de active pour la révolution nationale et travaillé vaincus aux abois. Puis, en se faisant passer pour l’inspecteur principal Marnat pour le soutien de la politique du Maréchal [Pétain], un travailleur rapatrié d’Allemagne, il avait rega- de la Police nationale du 23 avril 1945. ceci sans condition et en pleine confiance. En 1941, gné la France, où il avait vécu quelque temps 3 Il est permis de douter de la il avait pris le commandement d’une section clandestinement, aidé par des amis. Le 26 juillet véracité de cette rencontre, qui du SOL et ensuite intégré de son plein gré la 1945 était tombé, en son absence, le verdict de nous paraît peu vraisemblable Milice. A l’en croire, sa mission avait consisté à sa condamnation à mort pour intelligence avec telle qu’elle est relatée par D*. 4 AF, E 4320(B) 1991/166/126, aider les prisonniers par la confection et l’envoi de l’ennemi. D* avait alors essayé de se réfugier en dossier C.13.2221, Procès-verbal colis, à veiller à l’application des lois économiques Suisse une première fois. Sa femme avait eu une de l’audition de D* et sociales élaborées par le gouvernement du conversation avec la mère supérieure de l’Hospice du 28 mars 1946. Maréchal, à faire de la propagande et à organi- de Cousance, une Suissesse, qui lui avait donné 5 AF, E 4264(-) 1985/196/3142, Procès-verbal de l’interrogatoire ser des services d’ordre à l’occasion de certaines l’adresse d’une sœur de l’Externat Sainte-Marie de D* du 5 juillet 1946. manifestations, telles que voyages du Maréchal, à Genève, où D* serait accueilli à bras ouverts 4. anniversaires de la Légion, etc. En tant que chef A une date inconnue de l’année 1946, il avait local de la Milice, il avait également participé à passé la frontière illégalement dans la région de la répression des mouvements de résistance, une Vallorbe. Depuis l’externat en question, il était tâche présentée par ce dernier comme de la légi- entré en contact avec l’abbé Haas, aumônier à time défense, car dès juillet 1943, notre activité Caritas Genève, qui l’avait envoyé chez le doyen consistait presque exclusivement à assister aux Membret à Porrentruy, lequel ne put apparem- obsèques de nos camarades tués. Grâce à des cir- ment rien pour lui. Après avoir cherché de l’aide constances providentielles, il ne se serait heureu- auprès d’un ancien camarade d’études devenu sement jamais trouvé en situation de devoir avocat à Porrentruy, D* était retourné en France. commettre des exactions. Pourtant, à la fin de Mais, ayant épuisé toutes possibilités de vie clan- la guerre, une enquête de la police française n’en destine en France 5, il s’était résolu à tenter une considérera pas moins que D*, en tant qu’em- nouvelle fois sa chance en Suisse. La deuxième ployé de bureau au PC de la Milice à Thorens, tentative sera la bonne. En juin 1946, D* pou- [pouvait] être rendu solidairement coupable des hor- vait travailler comme ouvrier agricole chez Pierre reurs qu’[avait] commises la Milice en cette ville Deslarzes près de Sion. Alors qu’il s’agissait de et qu’il avait été un militant acharné et partisan l’interner dans un camp de Suisse alémanique, de la victoire allemande 2. Apeuré par des menaces des interventions en sa faveur du commandant de mort, le milicien se serait alors rendu à Vichy de la police valaisanne, M. Gollut, et du chef fin 1943 ou début 1944, afin de prendre conseil du Département de justice, M. Pitteloud, lui épar- auprès de ses supérieurs sur le comportement à gnèrent ce fâcheux transfert. Tandis qu’il était adopter. Le docteur Ménétrel et Jean Jardin, promu en 1950 chef de bureau de la firme deux des plus proches serviteurs de Pétain, lui Deslarzes & Vernay à Sion, sa femme gérait un auraient alors vivement recommandé de quit- magasin de jouets dans la même ville. Quelques ter le pays, ce qu’il aurait refusé de faire par sens années plus tard, il devait quitter sa place chez du devoir3. Vivant comme une bête traquée dans Deslarzes pour assumer la représentation des 142 maisons E. Schloss à Lucerne et Agimport à Vonnas (Ain), où le commandant d’une colonne Sion. Une note du procureur général de la Cour allemande voulait mettre le feu au village entier. d’appel de Besançon nous indique qu’en avril Ma présence au seul titre d’observateur [!] et mon I 6 1961, D* était encore recherché en France . opposition énergique […] me permirent de réduire 6 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 3, Cinq ans plus tard, le 1er juin 1966, sa condam- les dégâts au minimum. J’évitai l’incendie du vil- 706145. nation à mort était prescrite et ne demeurait à lage et les représailles des habitants. Il s’agissait 7 AF, E 4264(-), 1985/196/2143, dossier N 25605, Procès-verbal de son encontre qu’une interdiction de séjour. cependant de troupes composées de Russes géorgiens, l’interrogatoire de C* du Celle-ci sera levée en 1971. véritables sauvages. Si j’ai accepté de suivre ainsi 28 octobre 1944. D’une troublante ressemblance avec le cas qui une colonne allemande faisant des opérations contre 8 ADR, dossier n° 1381, Dossier d’instruction de la Cour de justice vient d’être esquissé, celui de C* offre un éclai- le maquis, c’est par pure abnégation, car il n’est de Lyon. rage complémentaire. Ce Français né en 1904 pas réjouissant de paraître marcher avec l’ennemi 9 CAC, 2001/04 MI 2-6, Article 2, vint également se réfugier en Suisse en 1949, contre ses propres compatriotes quand on est animé 701795, Rapport de l’inspecteur après deux premières tentatives infructueuses. depuis toujours d’un patriotisme ardent 7. La Cour Jean Ricard, chef de la section de Dès 1950, il se fixa en Valais, où il se bâtit une de justice de Lyon n’épousera pas son point de la Police judiciaire de Lyon. 10 ADR, dossier n° 1381, Rapport existence dans le commerce, en relation notam- vue et le condamnera à mort par contumace le du procureur général de Lyon du ment avec D*. Au début de la guerre, il avait 9 juillet 19468. On retiendra contre lui sa par- 19 mai 1959. exercé le métier d’agent d’assurance à Lyon pour ticipation à la Milice et à la Direction des opé- 11 Ordonnance du 31 janvier 1959, les sociétés helvétiques Winterthour, Helvetia rations du maintien de l’ordre. Diverses actions article 6. 12 ADR, dossier n° 1381, Rapport Incendie et Suisse Incendie. Une fois démobi- lui seront imputées, tels que le pillage et l’in- du procureur général de Lyon du lisé après la débâcle de l’armée française, il avait cendie d’une maison à Lyon dans la nuit du 19 19 mai 1959.

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