Document généré le 26 sept. 2021 05:56

Séquences La revue de cinéma

George Cukor et la critique Réal La Rochelle

Le cinéma imaginaire II Numéro 55, décembre 1968

URI : https://id.erudit.org/iderudit/51632ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article La Rochelle, R. (1968). et la critique. Séquences, (55), 57–60.

Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1968 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ \-jeorae K^ukor et la critit ue

Los Angeles, 28 juin 1968. voir au travail aux studios de la Monsieur Gilbert Maggi, Fox, où il prépare actuellement un Revue Séquences, film avec Rex Harrison, sur un Montréal. scénario de John Osborne. J'ai vu notre cher Cukor cet En attendant Cukor dans ses après-midi, à sa demeure de Bever­ jardins rococo-américains, je me ley Hills. C'est une chance particu­ suis rappelé notre rétrospective- lière d'avoir pu le rencontrer chez "hommage" de l'an dernier, quel lui, mais je vais regretter seulement soin nous avions mis à la prépara­ qu'il m'ait été impossible de lé tion d'un programme entièrement

DECEMBRE 1968 57 consacré à ce grand réalisateur a- au Québec face au cinéma améri­ méricain, dont nous aimons les cain, ainsi que le paradoxe dans le­ films, mais que trop peu de mem­ quel nous nageons : ou bien nos bres de nos ciné-clubs prennent la cinéphiles boudent le cinéma amé­ peine de voir et de comprendre; ricain, en lui préférant exclusive­ je revoyais rapidement notre géné­ ment l'européen ou ... le japo­ rique Cukor : Camille, Two Faced- nais ; ou bien ils s'extasient sur son Woman, Adam's Rib, Born Yester­ compte en imitant la manière sur­ day, Bhowani Junction, Wild Is tout dithyrambique et "mystérieu­ the Wind, Heller in Pink Tights, se" des Cahiers du Cinéma. L'opi­ My Fair Lady ; et toute cette gale­ nion de Cukor là-dessus me paraît rie erotique de portraits de fem­ claire et franche : mes : Greta Garbo, Katharine Hep­ 1. Ça lui semble snobisme et burn, Judy Holliday, Ava Gardner, naïveté que de bouder le cinéma Anna Magnani, , Au­ américain au nom d'un soi-disant drey Hepburn . . . cinéma esthétique et intellectuel. Elle est d'ailleurs en permanence "D'abord, dit-il, parce que les réa­ chez lui, cette galerie exception­ lisateurs dudit cinéma ont à af­ nelle du women's director, musée fronter des problèmes matériels individuel, miroir du musée de no­ aussi grands et complexes qu'à tre imaginaire de cinéphile, photos Hollywood et qu'ils doivent com­ à pleins murs de toutes celles que poser eux aussi avec le "business". Cukor a si magnifiquement diri­ D'autre part, rien ne peut garantir gées. Et ce n'est là qu'une partie que ces films, tant louanges au­ du beau désordre baroque qui ca­ jourd'hui, ne seront pas bientôt ou­ ractérise toute la maison du réa­ bliés. .." lisateur de A Star Is Born, baro- 2. Cukor est contre la "politi­ quisme à l'image de celui qui est que des auteurs" préconisée par présent dans tous ses films, lourd plusieurs esthètes français. En par­ et aérien à la fois, désordonné et ticulier, il avoue qu'il ne comprend contrôlé en même temps, passion­ très souvent rien de ce que veulent nément lyrique et froidement sar- dire les Cahiers et les critiques du castique. même genre. "Ils parlent souvent C'est dans cette atmosphère vi­ de moi, dit-il, mais souvent je ne vace, au milieu de l'été californien, sais pas ce qu'ils veulent racon­ que nous avons parlé, surtout de ter . . ." Il aime cependant les critique cinématographique. J'ai dé­ Cahiers, comme nous aussi, parce crit à Cukor notre situation de que ses critiques aiment le cinéma professeur et de critique de cinéma et le font aimer.

53 SÉQUENCES 55 Pour Cukor, un réalisateur au distribution d'acteurs -f" mauvais cinéma n'est auteur que s'il est aus­ décors et photographie, MAIS mise si écrivain. Lui n'est pas écrivain, en scène de maître! Pour Cukor, il s'entoure toujours de bons scéna­ cela ne se peut pas, car la réalisa­ ristes; il considère Mankiewicz plus tion est justement la maîtrise et écrivain que réalisateur, et Huston l'harmonie de tous ces éléments. lui apparaît le meilleur composé Voilà un filon qui nous permet­ des deux fonctions. Car, en fait, trait sans doute de pouvoir établir Cukor définit le réalisateur comme certains critères de base pour une un "exécutant" (interpretor), l'exé­ authentique critique cinématogra­ cutant d'un scénario (interpretor of phique. Il s'agit, au fond, de sa­ a script) un peu, en somme, com­ voir où placer l'activité créatrice me un musicien chevronné qui de la réalisation cinématographi­ "exécute" du Bach ou, plus préci­ que, dans la zone, je crois, qui fait sément, comme un chef d'orches­ graviter aussi les chefs d'orchestre, tre. La "créativité" du vrai réalisa­ les grands chanteurs et musiciens teur apparaît dans la sincérité et la et . . . pourquoi pas, les bons cri­ vérité de l'exécution. Ses qualités tiques qui exécutent à leur tour sont celles d'un artiste et d'un chef. ou "interprètent" les oeuvres gra­ C'est pourquoi il ne peut concevoir phiques, musicales ou cinématogra­ une approche critique comme celle- phiques. (Je pense ici à l'idée de ci : mauvais scénario + mauvaise Gide dans son film : imaginons qu'un tel, tel soir, interprète tel 3. Étude des problèmes profes­ tableau de Cézanne, ou telle sculp­ sionnels des acteurs ; ture de Rodin ... Et j'ajoute ; un 4. Étude des problèmes de pro­ tel qui, tel soir, interprète une in­ duction ; terprétation de Cukor, ou Seven 5. Étude des travaux des mon­ Women de Ford ou 7 Puritani de teurs professionnels ; la Callas...) 6. Finalement, étude des pro­ Tout ceci nous a amené à la cri­ blèmes professionnels et artistiques tique du cinéma américain en par­ des réalisateurs. ticulier. Voici les idées de Cukor Tout ceci fait bien du boulot. en vrac : Arriverons-nous jamais à pouvoir 1. D'abord, voir le cinéma amé­ faire une critique au fond si exi­ ricain ; geante ? Je ne sais. Quoi qu'il en 2. Le connaître ensuite pour soit, je suis convaincu que la mo­ mieux le voir et le faire voir. destie de Cukor cache une terrible Et, pour le connaître : lucidité des problèmes de création a. s'arranger pour voir travailler et de critique de son propre ciné­ les réalisateurs ; ma, ainsi que de celui de ses con­ frères hollywoodiens. Il faudra plus b. entretenir des relations étroi­ tard essayer de débroussailler toute tes avec les différentes "guild" amé­ cette matière... ricaines — des acteurs, des réalisa­ teurs, des producteurs, etc. En faisant un dernier tour dans 3. Enfin, tout comme n'importe la galerie des portraits de Cukor, quel exécutant lui-même, musicien je m'arrête plus longtemps avec lui ou réalisateur, que le critique ci­ sur les visages de Katharine Hep­ nématographique soit créateur en burn, la plus grande de toutes ! étant sincère et vrai par rapport Comment oublier sa transcendance au sujet qu'il a à interpréter. de Philadelphia Story? Katharine Cette conception nouvelle de la est revenue maintenant au cinéma critique du cinéma américain — et et, quelque part à Nice, elle pré­ peut-être de tout le cinéma — en­ pare l'inoubliable masque de La gage le critique à une série de tra­ Folle de Chaillot. Cela n'est pas vaux presque inconnus jusqu'ici : surprenant : Giraudoux est chez lui 1. Étude de scénarios. Cette étu­ avec les femmes et le baroque pré­ de est rarement faite ; cieux, comme Cukor, et Katharine 2. Étude des esquisses des déco­ Hepburn peut bien avoit pensé rateurs et des costumiers et, inci­ rassembler leur génie... demment, des partitions musicales ; Réal La Rochelle

60 SÉQUENCES 55