La bande à Bonnot

La presse les surnommait les « bandits en auto » ou la « bande tragique »... Qui étaient les membres de la bande à Bonnot ?

Jules Bonnot et sa famille à Genève (Suisse), Portrait anthropométrique de Jules Bonnot. Préfecture de police de . Tous droits réservés. vers 1905. DR.

Jules Bonnot. Né en 1876 à Pont-de-Roide (Doubs), Bonnot a une jeunesse tourmentée. Ayant perdu précocement sa mère, il abandonne vite l’école, entre en apprentissage et subit déjà plusieurs condamnations. En 1901, il se marie avec une jeune couturière, Sophie. Mécanicien habile, il travaille en Suisse, à Lyon et à Saint-Etienne, mais ses positions syndicalistes et anarchistes lui valent souvent de se retrouver au chômage. Sa femme l’ayant quitté en emmenant son fils, Bonnot s’installe à Lyon. Il y fréquente des anarchistes « illégalistes », considérant le vol comme un acte révolutionnaire. En 1911, Bonnot monte un atelier de réparation lui servant à écouler des voitures volées : recherché par la police, il part pour Paris en compagnie de Platano, un anarchiste italien. En route, Platano est tué d’une balle de revolver. Un accident, affirmera Bonnot qui, à Paris, se lie avec un groupe de militants.

Les membres de la bande. Les jeunes gens avec qui Bonnot entre en contact se retrouvent dans un pavillon de Romainville, siège du journal L’Anarchie . Plusieurs d’entre eux se sont connus en Belgique, dont certains sont natifs. Végétariens, ne buvant pas d’alcool, ils pratiquent la solidarité et apprécient lecture, musique et théâtre. L’arrivée de Bonnot a un effet déclencheur : si l’idée d’un chef est étrangère aux anarchistes, Bonnot, plus expérimenté, joue virtuellement ce rôle dans le passage à l’acte : il repère et conduit les automobiles volées pour les braquages.

Octave Garnier. Raymond Callemin. Octave Garnier et Raymond Callemin , dit « Raymond la Science», sont les principaux complices de Bonnot : ils prennent part à toutes les actions. Le jeune Garnier, 22 ans, est l’auteur de la plupart des meurtres commis par la bande. Un double assassinat, à Thiais, est attribué à Edouard Carouy , 29 ans, et à son complice, l’Ardéchois Marius Metge . Rien n’indique que ce coup ait été concerté avec les autres membres, toutefois,

Edouard Carouy. Marius Metge. Etienne Monier. le crime de Thiais sera confondu avec ceux de la bande. Originaire du Roussillon, Etienne Monier rejoint le groupe sous le nom de « Simentoff » et participe au braquage de Chantilly. Lié à la bande, Eugène Dieudonné est accusé d’avoir participé au premier braquage, à Paris, mais cela ne sera jamais clairement établi. Né en Belgique de parents russes, Victor Kibaltchiche dirige et anime le journal L’Anarchie sous le nom de «Victor Serge», avec sa . e g a Eugène Dieudonné. Victor Kibaltchiche. Rirette Maîtrejean. compagne Rirette Maîtrejean . S’il désapprouve les F

s

n méthodes de ses amis, le couple en héberge certains par o i t i

d solidarité. Victor et Rirette seront arrêtés, officiellement E

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s pour détention d’armes. i r a P

e Ces arrestations ont peut-être motivé les deux plus jeunes d

e c i

l membres du groupe dans leur passage à l’acte : o p

e André Soudy , 20 ans, tuberculeux, et René Valet , 21 ans, d

e r prendront part au braquage meurtrier de Chantilly. u t c e f é r P René Valet. André Soudy.

Panneaux réalisés par le service des Archives municipales et le service Information Remerciements : Archives départementales du Val-de-Marne Préfecture de police de Paris Frédéric Lavignette © Septembre 2011

I T I I T I I T I I T I PLACE JEAN FERRAT GENDARMERIE SENTIER DE LA LIBERTÉ RUE RENÉ VILLARS 103 AVENUE MAURICE THOREZ Une équipée sanglante

De décembre 1911 à mars 1912, Bonnot et ses acolytes multiplient les coups de main violents. Sur leur chemin, six personnes trouveront la mort. Rappel des faits.

Nuit du 13 au 14 décembre 1911 Bonnot, Garnier et Callemin volent une automobile au domicile de M. Normand, rentier, à Boulogne (Seine). 21 décembre 1911 Garnier, Callemin et un troisième homme attaquent Ernest Caby, garçon de recettes à la Société générale, rue Ordener, à Paris. Caby s’effondre, atteint par deux balles. Les bandits lui dérobent sa sacoche, contenant des titres et de l’argent, et s’enfuient à bord de la voiture volée conduite par Bonnot. Le butin est maigre mais ce braquage - un des premiers commis à l’aide d’une automobile - a un retentissement considérable. Le véhicule est retrouvé le lendemain à Dieppe (Seine-Inférieure). Nuit du 24 au 25 décembre 1911 Rue Lafayette, à Paris, une armurerie est cambriolée. Une autre le sera dans la nuit du 10 au 11 janvier, boulevard Haussmann. Nuit du 2 au 3 janvier 1912 A Thiais (Seine), Carouy et Metge cambriolent et assassinent un vieux rentier, M. Moreau, et sa bonne, Louise Le Petit Parisien , supplément illustré, 7 janvier 1912. Prêt Frédéric Lavignette. Arfeux. Il n’est pas établi que cette action ait été concertée avec le reste de la bande.

Nuit du 31 janvier au 1 er février 1911 A Gand (Belgique), Bonnot, Garnier et Carouy tentent de dérober une voiture dans le garage

d’un médecin. Surpris par le chauffeur, ils le tuent. Dans leur fuite, ils tirent également sur André Soudy pose un veilleur de nuit. avec une carabine. Photo réalisée par la police après 27 février 1912 son arrestation. Le matin, Bonnot, Callemin et Garnier volent la voiture de M. Buisson, à Saint-Mandé (Seine). Préfecture de police de Paris. Vers 20h, rue du Havre à Paris, un gardien de la paix, François Garnier, tente de les interpeller Tous droits réservés. en raison de la conduite dangereuse du véhicule. L’agent est abattu par Garnier. Nuit du 29 février 1912 A Pontoise (Seine-et-Oise), Bonnot, Callemin et Garnier tentent de cambrioler l’étude de Maître Tintant, notaire. Ce dernier, réveillé par le bruit, parvient à les mettre en fuite. 19 mars 1912 Garnier adresse une lettre au juge d’instruction Gilbert et à Xavier Guichard, chef de la Sûreté parisienne. Dans cette lettre, publiée le 21, le jeune bandit provoque la police et innocente Dieudonné, qui vient d’être arrêté. Nuit du 19 au 20 mars 1912 A Chatou (Seine-et-Oise), les malfaiteurs tentent de dérober la voiture de M. Palmas. Surpris par le chauffeur de ce dernier, ils prennent la fuite. 25 mars 1912 A Montgeron (Seine-et-Oise), le trio habituel renforcé de Monier, Valet et Soudy, attaque une limousine qui devait être livrée sur la Côte-d’Azur. Le chauffeur, Célestin Mathillé, est abattu. Le jeune employé qui l’accompagne est blessé. Avec la voiture, les bandits vont braquer la succursale de la Société générale à Chantilly (Oise). Deux employés, MM. Trinquet et Legendre, sont tués. Les bandits filent en trombe avec le butin à bord de la voiture pilotée par Bonnot.

Le Petit Journal , supplément illustré, 7 avril 1912. « Les crimes de la bande des voleurs d’automobiles - A Chantilly ». Prêt Frédéric Lavignette. Louis Jouin. Droits réservés / Ed. Fage.

Jouin sur la piste de Bonnot Dirigée par le commissaire Guichard, la Sûreté parisienne est aux trousses des bandits. Le numéro deux de la Sûreté, Louis Jouin, mène les investigations autour de la capitale. Depuis plusieurs jours, il fait suivre Etienne Monier, alias Simentoff, localisé dans Paris. Monier est suspecté d’avoir organisé pour la bande un coup - raté - à Alès (Gard). Le 24 avril, à 6h30 du matin, Jouin procède à l’arrestation de Monier à l’hôtel de la Lozère, boulevard de Ménilmontant. En fouillant Monier, les policiers trouvent des lettres adressées à deux sympathisants anarchistes déjà repérés : Cardi, à Alfortville, et Gauzy, à Ivry. Il est décidé de procéder à la Le Hall populaire . L’immeuble est toujours perquisition de leur domicile. visible au 63, avenue Maurice Thorez. Archives municipales / Perquisition au Petit-Ivry Prêt de Pierre Dupuis. Vers onze heures moins le quart, accompagné de trois inspecteurs et d’un sous-brigadier, Jouin se présente au domicile de Gauzy, au 63 de la rue de Paris - l’actuelle avenue Maurice Thorez. Antoine Gauzy et sa femme habitent l’immeuble depuis trois ans. Au rez-de-chaussée, ils tiennent un magasin de nouveautés et de confection, le Hall populaire . Leur logement est au premier étage, sur rue. Lorsqu’ils arrivent chez Gauzy, Jouin et ses collègues trouvent le commerçant avec Cardi. L’inspecteur montre un portrait de Bonnot à Gauzy. Ce dernier aurait énergiquement affirmé qu’il ne connaissait pas le bandit, et que Cardi et lui étaient seuls dans les locaux.

24 avril 1912 : La tragédie d’Ivry

L’opinion s’impatiente, certains journaux se déchaînent : la police est-elle en mesure de neutraliser les coupables ? Des complices et des receleurs, pourtant, sont arrêtés. Et au mois d’avril, un épisode dramatique mais décisif se joue à Ivry.

Une rencontre inattendue La canne sous le bras, sans arme, Jouin commence ensuite la perquisition. Accompagné des inspecteurs Robert et Colmar, il monte au premier étage et pénètre dans l’appartement des Gauzy. Après avoir franchi la salle Monier, dit Simentoff. à manger, Jouin et Colmar s’engagent dans une des deux chambres. Les volets sont clos et les rideaux tirés. Archives départementales Une silhouette est tapie dans un coin, derrière une table. du Val-de-Marne (2 J 360). « - Mais c’est Bonnot ! » se serait alors écrié Jouin. Une rixe s’engage dans la chambre. En dépit des deux hommes qui tentent de le maîtriser, Bonnot parvient à faire usage de son revolver à quatre reprises... Après les détonations, l’inspecteur Robert, qui était resté en arrière, accourt dans la chambre. Jouin et Bonnot gisent sur le sol, inertes. « Morts tous deux ! », pense Robert, qui ne songe plus alors qu’à venir en aide à Colmar, blessé. Robert porte son collègue au rez-de-chaussée et le confie aux soins des voisins. Lorsqu’il remonte dans la chambre au premier, l’inspecteur Robert a un moment de stupeur : quelques instants plus tôt, il y a laissé deux cadavres. Seul le corps de Jouin s’y trouve encore : Bonnot a bel et bien disparu... Antoine Gauzy. Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360). « La tragédie d’Ivry-sur-Seine », supplément illustré du Petit Journal, 5 mai 1912. Archives municipales.

Cardi. Préfecture de Police de Paris. Ed. Fage. Après la fusillade

Toute la journée, après le drame, une grande agitation règne autour du Hall populaire d’Ivry .

La foule devant le 63, rue de Paris, après le drame. A gauche : Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360). A droite : Photo conservée aux Archives de la Prefecture de Police de Paris. Coll. Jean Vigne / Kharbine-Tapabor.

L’enquête commence Avant midi, les principaux responsables de la Sûreté parisienne ont déjà convergé vers Ivry. Le commissaire divisionnaire Xavier Guichard, chef de la Sûreté, y retrouve M. Hamard, directeur du Service des recherches, et M. Bertillon, du Service de l’identité judiciaire. Le docteur Paul, médecin légiste, et le commissaire d’Ivry, M. Moissan, les rejoignent sur le lieu du crime. Dans la chambre où se cachait Bonnot, les enquêteurs trouvent un pardessus gris. Les poches contiennent un porte-monnaie et de grosses lunettes dont le bandit se servait probablement pour changer d’apparence. Sur une table se trouve également un sac de voyage en cuir contenant brosses, rasoir, savons, tubes de pharmacie et balles blindées. Les objets sont placés sous scellés. Dehors, la foule Devant l’immeuble, un service d’ordre est mis en place pour contenir les badauds qui se rassemblent. Des rumeurs se répandent : Bonnot aurait été aperçu le long des fortifications de Paris, et même au bois de Vincennes. D’après le journal Excelsior , plus de mille personnes stationnent devant le magasin quand une automobile arrive, amenant Madame Jouin, veuve de la victime, qu’on est allé chercher chez elle, rue de Patay (Paris 13 e). En raison de l’enquête en cours, et pour la ménager, l’accès à la scène du crime lui est refusé.

A 15h30, une voiture des ambulances urbaines arrive rue de Paris. Au moment où le cadavre de Jouin est sorti de l’immeuble, un grand silence se fait dans la foule. Le corps est emporté à l’hospice d’Ivry, où se trouve déjà l’inspecteur Colmar, blessé d’une balle. A 18h30, le président du Conseil, Raymond Poincaré, arrive à l’hospice en compagnie du maire d’Ivry, Jules Coutant. Après s’être recueilli sur la dépouille de Jouin, Poincaré se rend au chevet de l’inspecteur Colmar, et lui fait part de la décision de lui remettre la légion d’honneur.

Le corps de Louis Jouin est sorti de l’immeuble sur un brancard. Photo conservée aux Archives de la Prefecture de Police de Paris. Coll. Jean Vigne / Kharbine-Tapabor.

Les victimes de la fusillade à l’hospice d’Ivry. A gauche, le cadavre de Louis Jouin présenté dans la chapelle ardente. L’impact de la balle mortelle est visible sur sa joue. Ci-contre, l’inspecteur Colmar, blessé. Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360). Au cachot

Après le meurtre de l’inspecteur Jouin par Bonnot, Gauzy, le commerçant ivryen chez qui le bandit se cachait, est mis sous les verrous.

« A mort l’assassin ! » Sur le lieu du crime, Xavier Guichard, chef de la Sûreté parisienne, se fait amener Gauzy. Ce dernier affirme ignorer que son hôte était Bonnot. A midi et quart, les mains ficelées, Gauzy est sorti du 63 rue de Paris par des gendarmes. A son apparition, des cris montent de la foule : « A mort l’assassin ! Jetez-le à l’eau ! ». Des badauds se ruent sur le prisonnier et lui assènent des coups de poing et de pied, en dépit des agents qui l’escortent. Et c’est le visage tuméfié que Gauzy arrive, deux cent mètres plus loin, à la gendarmerie du Petit-Ivry, où il est mis au cachot. Conduit ensuite à la Sûreté, à Paris, Gauzy est inculpé d’association et de recel de malfaiteurs, de complicité de coups et blessures à agents de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions, avec l’intention de donner la mort. La peine capitale peut résulter de ce dernier chef d’accusation.

Xavier Guichard (à gauche) s’entretient avec l’inspecteur Robert (au centre), Gauzy (au centre) malmené par la foule pendant son transfert à la gendarmerie du Petit-Ivry. témoin du crime. Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360). Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360).

Gauzy et, appréhendé avec lui, Pierre Cardi, Qui est Gauzy ? après leur transfert Né à Nîmes en 1879, Antoine Gauzy s’installe en 1905 à Paris, d’abord à la Sûreté, quai des Orfèvres, à Paris. dans le dix-huitième puis dans le treizième arrondissement. Il travaille Archives départementales successivement comme tonnelier-livreur sur le quai de la Gare, puis chez du Val-de-Marne e (2 J 360). un marchand de vins (Charenton), à la fonderie Muller et Roger (Paris 20 ) et à la fabrique de levures Springer (Maisons-Alfort). En avril 1910, Gauzy et sa femme s’établissent rue de Paris, à Ivry, comme soldeurs de textiles à l’enseigne du Hall populaire . Les époux sont tous deux militants anarchistes. Plutôt prospère, le magasin est - à en croire l’enquête de police - approvisionné par une société sympathisante. Les Gauzy ont eu

Portrait trois enfants, dont l’un est décédé à l’âge de cinq ans. anthropométrique d’Antoine Gauzy. Préfecture de police de Paris / Ed. Fage.

LA GeNDArmerIe DU PetIt-Ivry

Dessinée par l’architecte Ferrand, la caserne du 103 avenue Maurice Thorez a été construite en 1900, en même temps que l’autre gendarmerie de la ville, près de la gare. La façade sur rue est en briques, celle sur cour est en meulière. En entrant, les bureaux étaient à gauche, le reste du bâtiment étant occupé par cinq appartements. Sans communication avec le reste de l’édifice, deux cellules donnaient sur la cour. Appelées « violons », elles étaient équipées de lits de camp en bois et d’un « siège d’aisance ». Un appentis regroupe la buanderie et l’écurie, destinée aux chevaux des gendarmes en correspondance.

Plan du rez-de-chaussée et coupe de la gendarmerie publiés dans La rue de Paris (actuelle avenue Maurice Thorez). L’Architecture usuelle , 1908. Archives municipales. Carte postale, vers 1900. A droite, la gendarmerie. Archives municipales.

I T I I T I I T I I T I PLACE JEAN FERRAT GENDARMERIE SENTIER DE LA LIBERTÉ RUE RENÉ VILLARS 103 AVENUE MAURICE THOREZ Sentier de la Liberté... de Bonnot ?

La mémoire locale a retenu que ce sentier tirait son nom de la cavale du bandit Bonnot. Mais que sait-on réellement de cette dénomination ?

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Plan du sentier des Bossettes (1897). Archives municipales.

Déviation A l’origine, le sentier de la Liberté et la rue René Villars toute proche ne constituaient qu’une seule et même voie : le « sentier des Bossettes ». Le plan ci-dessus permet de mieux comprendre l’évolution de ce dernier. En 1869, la rue du Grand Gord (actuelle rue Louis Bertrand) est prolongée jusqu’à la rue de Paris (actuelle avenue Maurice Thorez) : le nouveau tronçon, en coude ( 1), divise le sentier des Bossettes en deux sections ( 2 et 3). En 1897, un certain Emile Chaise rachète à la ville une portion du sentier ( 4) : en effet, cet architecte souhaite rassembler les deux propriétés qu’il possède de part et d’autre de la voie ( 5 et 6). La vente est conclue et le passage est dévié : un escalier est construit ( 7), que l’on emprunte aujourd’hui encore au débouché du sentier, sur la rue Louis Bertrand. Au début du XX e siècle, donc, le sentier des Bossettes est divisé en deux tronçons non continus.

La voie est libre Le 24 avril 1912, après avoir abattu l’inspecteur Jouin au 63 rue de Paris (actuelle avenue Maurice Thorez), Jules Bonnot réussit à prendre la fuite. L’enquête montre qu’ayant escaladé un mur, l’assassin a détalé par le sentier des Bossettes. La capacité de Bonnot et de ses complices à semer la police a contribué à forger leur légende. Contrairement à ce qu’affirme l’illustration ci-contre, ce n’est pas « dans la nuit » mais en plein jour que le hors-la-loi se faufile dans les ruelles du quartier.

Extrait d’une bande dessinée consacrée à la bande à Bonnot, parue dans le magazine belge Héroïc-Albums (vers 1955). Archives municipales.

Vue panoramique d’Ivry-sur-Seine, prise du sentier des Bossettes. Panorama de la rue du Grand Gord (actuelle rue Louis Bertrand). Carte postale, vers 1900. Archives municipales. Carte postale, vers 1910. Archives municipales.

UNe récLAmAtIoN

En 1931, un riverain adresse au maire la lettre ci-contre. Cet usager pointe les confusions résultant du maintien du nom de « Bossettes » pour chacune des deux portions de l’ancien sentier. La distribution du courrier, notamment, est affectée. En haut de la lettre, un représentant de la municipalité a noté une proposition de dénomination : « passage de la Liberté ». Le nom de « sentier de la Liberté » est finalement attribué par délibération du conseil municipal, le 29 octobre 1931. Cette dénomination sanctionne-elle un usage alors en vigueur, hérité de la cavale de Bonnot ? Aucune archive ne permet de l’affirmer, d’autant plus que Bonnot n’est vraisemblablement jamais passé par ici : c’est rue René Villars, dans l’autre portion de l’ancien sentier des Bossettes, qu’il faut suivre la trace du bandit...

Réclamation de M. Gaston Renaud, riverain du sentier, 4 septembre 1931. Archives municipales.

I T I I T I I T I I T I PLACE JEAN FERRAT GENDARMERIE SENTIER DE LA LIBERTÉ RUE RENÉ VILLARS 103 AVENUE MAURICE THOREZ Sur les traces du bandit

Le 24 avril 1912, après avoir abattu l’inspecteur Jouin, Jules Bonnot s’enfuit à travers le Petit-Ivry. Comment ? La police mène l’enquête...

Fenêtre sur cour Retour sur la scène du crime, au premier étage du 63, rue de Paris (actuelle avenue Maurice Thorez). Après l’échange de coups de feu, Bonnot fait le mort aux côtés du cadavre de Jouin. L’inspecteur Colmar, blessé, est descendu au rez-de-chaussée par son collègue, M. Robert. La voie est libre ! Bonnot se relève, traverse le palier de l’étage et pénètre dans l’autre appartement, dont il menace l’occupante, Mme Wynem. Selon le témoignage de cette dernière, le malfrat a couru vers la fenêtre et a sauté sur le cabanon, dans la cour. De là, selon les enquêteurs, il a gagné la cour de l’immeuble voisin, au 65, puis un chemin filant à travers les propriétés jusqu’à un mur. Bonnot a escaladé ce dernier et s’est retrouvé dans la partie nord du sentier des Bossettes - l’actuelle rue René Villars - où la police perd sa trace...

Façades sur cour du 63 (à droite) et du 65 (au milieu) rue de Paris. Marquée d’une croix, la fenêtre par laquelle Bonnot a sauté. Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360).

Ci-dessus, le juge d’instruction Gilbert et le commissaire d’Ivry, M. Moisant, examinent la grille et le mur gravis par Bonnot. DR / Editions Fage.

A gauche, dans le sentier des Bossettes, des badauds attroupés au pied du mur escaladé par le bandit. Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360).

Ci-contre : les enquêteurs à l’arrière du 65, rue de Paris. Archives départementales du Val-de-Marne (2 J 360).

Guichard d’assaut La cavale de Bonnot est de courte durée. Blessé au cours de la rixe, le brigand va se faire soigner chez un pharmacien à Sceaux. Prévenu par ce dernier, la police passe la région au peigne fin... Trois jours plus tard, Bonnot est localisé dans un garage où il se cache, à Choisy-le-Roi. Plutôt que de donner immédiatement l’assaut, le chef de la Sûreté, Xavier Guichard, fait affluer les renforts et entame un véritable siège. Finalement, un lieutenant de la garde républicaine se porte volontaire pour déposer de la dynamite au pied du garage. Après l’explosion, l’attaque est lancée. Capturé, Bonnot meurt des suites de ses blessures à l’Hôtel-Dieu, à Paris, le 28 avril 1912. Le lendemain, à quelques mètres de là, les obsèques de sa dernière victime, Louis Jouin, tué à Ivry, sont célébrées à Notre-Dame.

La fin du bandit. Xavier Guichard capturant Bonnot. Le Petit Journal illustré, 12 mai 1912. Prêt Frédéric Lavignette

I T I I T I I T I I T I PLACE JEAN FERRAT GENDARMERIE SENTIER DE LA LIBERTÉ RUE RENÉ VILLARS 103 AVENUE MAURICE THOREZ Les autos des bandits

En recourant à l’automobile, Bonnot et ses compagnons ont été considérés comme les inventeurs du braquage moderne. Face à leurs puissantes voitures volées, faute de moyens, la police était dépassée.

Un vol de phaéton La de 1910 compte 45 000 véhicules en circulation. L’automobile est alors un produit de luxe réservé à une clientèle fortunée que se dispute une cinquantaine de fabricants. Jules Bonnot a travaillé, à Lyon, aux ateliers Pilain et à l’usine Berliet. Ouvrier mécanicien habile, il se lance dans le vol de voitures, s’introduisant dans les garages de riches propriétaires. Pour écouler discrètement ces véhicules, il monte un atelier de réparation avec Henri Petit-Demange, qu’il a rencontré chez Berliet. Ce dernier, semble-t-il, ignorait les activités de son associé. Découvert par la police, Bonnot prend la fuite pour Paris. La voiture de cette première Encart publicitaire pour l’atelier Bonnot et Petit-Demange, à Lyon. Bibliothèque Zoummeroff. cavale est lyonnaise : il s’agit d’un phaéton - une automobile découverte équipée de fauteuils à dossiers hauts - de marque La Buire. Elle avait été dérobée à un filateur de Vienne (Rhône).

Des anarchistes en limousine En région parisienne, Bonnot repère, vole et conduit les puissantes voitures utilisées avec ses complices. Après l’attaque de la rue Ordener, les bandits prennent le large dans une limousine Delaunay-Belleville vert foncé, dérobée chez un rentier de Boulogne (Seine). Le 27 février 1912, rue du Havre, ils s’enfuient à nouveau dans une Delaunay-Belleville, de couleur grise, volée le matin-même à Saint-Mandé (Seine). La société de chaudronnerie Delaunay-Belleville s’était lancée dans la production automobile en 1904. Rapidement, la marque était devenue l’une des plus prestigieuses de France, comptant plusieurs souverains parmi ses clients. Les ateliers se situaient à Saint-Denis (Seine).

La Delaunay-Belleville utilisée pour l’attentat de la rue du Havre. Les bandits l’ont abandonnée à Saint-Ouen. Préfecture de police / Bibliothèque Zoummeroff.

La De Dion du colonel Le 25 mars 1912, à Montgeron (Seine), les bandits s’emparent d’une automobile qui devait être livrée à son commanditaire, un colonel résidant au cap Ferrat, sur la côte d’Azur. Il s’agit d’une limousine de marque De Dion-Bouton à la carrosserie et aux roues bleu foncé, rehaussée de filets jaunes. Les bandits l’utilisent pour braquer la Société générale de Chantilly (Oise). La société De Dion-Bouton a été fondée dès 1883 par le comte Albert de Dion et un ingénieur, Georges Bouton. Elle est brièvement, en 1900, la plus importante compagnie automobile au monde. Les usines sont implantées sur un quai de Puteaux (Seine).

La De Dion-Bouton utilisée pour le braquage de Chantilly. Elle fut retrouvée à Asnières. Préfecture de police / Bibliothèque Zoummeroff.

Le Petit Journal , supplément illustré, 7 avril 1912. « Les crimes de la bande des voleurs d’automobiles - A Montgeron ». Prêt Frédéric Lavignette.