0123 10 | les attentats en MERCREDI 14 JANVIER 2015

« C’est “Charlie”, venez vite, ils sont tous morts »

soren seelow Ce mercredi 7 janvier, Sigolène Vinson, chroniqueuse judiciaire à « », ur la table, devant elle, Sigolène Vinson avait posé sa lecture du se sent « heureuse d’appartenir à cette rédaction ». moment : La Faute de l’abbé Mou- ret, d’Emile Zola, l’histoire d’un Et puis, vers 11 h 30, deux hommes armés surgissent. prêtre déchiré entre sa vocation religieuse et l’amour d’une Pour « », elle a accepté de témoigner Sfemme. Ce mercredi 7 janvier, peu après 10 heures, chacun s’est embrassé en se sou- haitant la bonne année. C’était jour de ren- trée pour l’équipe de Charlie Hebdo, la pre- mière conférence de rédaction de 2015. C’était aussi l’anniversaire de , le dessina- « montée du fascisme » dans la société. Il y a la jeune femme aperçoit Jean-Luc, le maquet- teur. Sigolène Vinson, la préposée habituelle ceux qui parlent et ceux qui observent. Sigo- tiste, qui s’est lui aussi réfugié sous son bu- aux chouquettes, avait donc apporté un « gâ- lène Vinson, assise à droite de la porte à côté reau. Elle entend la scène qu’elle ne voit pas : teau marbré » de la boulangerie du coin. de Laurent Léger, fait partie des plus réservés. « Ce n’était pas des rafales. Ils tiraient balle La jeune femme, chroniqueuse judiciaire de L’économiste , qui lui fait après balle. Lentement. Personne n’a crié. Tout l’hebdomadaire satirique, se souvient de cha- face, l’invite à s’exprimer. Elle décline l’invita- le monde a dû être pris de stupeur. » que détail de cette matinée où les rires se sont tion en lui souriant timidement et se lève tus. Elle nous reçoit dans les locaux de Libéra- pour chercher du café. « A ce moment, dans la SOUDAIN, TOUT S’EST TU tion, qui offre l’asile depuis vendredi aux res- kitchenette, j’étais emplie d’un sentiment de Puis tout s’est tu. « Je connaissais l’expression capés de Charlie Hebdo pour réaliser le nu- bonheur. Malgré le boucan derrière moi, les “un silence de mort”… », dit-elle. Le silence, et méro d’après qui doit sortir mercredi 14 jan- débats parfois très sportifs entre nous, je réali- cette « odeur de poudre ». Sigolène Vinson ne vier. Elle chasse d’un bref sourire les ombres sais quelle chance j’avais d’appartenir à cette voit rien. Réfugiée derrière le muret, elle en- qui hantent son visage. Dix de ses amis ont rédaction, de fréquenter ces gens, si drôles, si tend la mort, elle la sent. Puis elle perçoit des été assassinés sous ses yeux mercredi. Elle a intelligents, si gentils… » pas qui s’approchent. Elle les mime. Des été épargnée. Elle tient à témoigner, dans un En retournant dans la salle de rédaction, coups de feu, à nouveau. « Je comprends que flot de mots entrecoupé de silences, de souri- elle aperçoit Philippe Lançon enfilant son c’est Mustapha. » Puis elle voit. « J’ai vu les res et de larmes pour ressusciter ce qu’était manteau, son bonnet et son sac à dos. Un jeu pieds de Mustapha au sol. » Les pas se rappro- Charlie Hebdo, la joie de vivre et les morts. de mots traverse la pièce. Le dernier de la chent. Un des tireurs, « habillé comme un En entrant dans la rédaction, ce jour-là, son journée. « Il y avait le mot “susmentionné”, ou type du GIGN », contourne lentement le mu- Sigolène Vinson, gâteau dans les bras, elle salue Angélique, la quelque chose dans le genre, il y avait “suce” ret et la met en joue. Il porte une cagoule le 12 janvier, femme chargée de l’accueil, dont le bureau dedans. » lance à Philippe : « On fait noire. dans les locaux fait face à l’entrée. Immédiatement à gauche cette blague pour que tu ne nous quittes pas. » « Je l’ai regardé. Il avait de grands yeux noirs, de « Libération ». se trouve celui de Simon Fieschi, le webmas- A cet instant précis, Luce Lapin, la secrétaire un regard très doux. J’ai senti un moment de GUIA BESANA ter, qui tourne le dos à la porte blindée. Dans de rédaction, s’apprête à quitter la salle pour trouble chez lui, comme s’il cherchait mon POUR « LE MONDE » la kitchenette, prépare le café. corriger un numéro spécial sur la gestation nom. Mon cerveau fonctionnait très bien, je Comme souvent, des « invités » de la rédac- pour autrui. Elle a déjà un pied dans son bu- pensais vite. J’ai compris qu’il n’avait pas vu tion sont présents. Michel Renaud est venu reau, accolé à celui de Mustapha Ourrad, le Jean-Luc, sous son bureau. » L’homme qu’elle rendre à des dessins empruntés pour correcteur d’origine kabyle qui, après des dé- regarde dans les yeux s’appelle Saïd Kouachi. un festival qu’il a fondé, le Rendez-vous du cennies de présence sur le territoire, vient Il lui dit : « N’aie pas peur. Calme-toi. Je ne te carnet de voyage. Il a apporté un cadeau em- d’obtenir la nationalité française. Leurs bu- tuerai pas. Tu es une femme. On ne tue pas les son souvenir, la mémoire de ses sens exacer- ballé dans un gros paquet : un jambon. reaux sont séparés de la salle de rédaction par femmes. Mais réfléchis à ce que tu fais. Ce que bés, le chien courait de bureau en bureau Lila, le petit cocker roux du journal, trottine CHAQUE SECONDE une simple porte vitrée. tu fais est mal. Je t’épargne, et puisque je t’épar- pendant la tuerie. de jambes en jambes. Avec une inclination SEMBLE UNE A cet instant précis, « on a entendu deux gne, tu liras le Coran. » Elle se souvient de cha- Sigolène retourne dans la salle de rédaction. particulière pour Cabu, surtout quand il y a du “pop”. Ça a fait “pop pop” ». Dans une assem- que mot. Sa « vision d’horreur ». « Je vois les corps par jambon, « parce qu’il donne toujours sa part au ÉTERNITÉ. L’ATTENTE blée de dessinateurs affairés à inventer des Les yeux plantés dans le regard du tueur, Si- terre. Tout de suite, j’aperçois Philippe, le bas du chien ». Sigolène Vinson parle au présent, des bulles, des coups de feu font forcément « pop golène Vinson engage un dialogue mental visage arraché, qui me fait signe de la main. Il y morts comme des vivants. Arrivé en retard, DE L’ARRIVÉE pop ». Les deux balles ont perforé les pou- avec lui. Ses pensées courent toutes seules. a deux corps sur lui. C’était trop. » Elle s’inter- Philippe Lançon bougonne parce qu’il n’y a mons de Simon Fieschi, 31 ans, le webmaster « Je me suis demandé pourquoi il me disait ça. rompt. Puis reprend, la voix étranglée : « Il a pas assez d’exemplaires de Charlie pour tout le DES SECOURS, chargé de gérer le tombereau d’insultes qui Je pensais que mes chroniques judiciaires essayé de me parler avec la joue droite arra- monde. Un concours de blagues grivoises QUI TARDENT, EST affluent à la rédaction depuis des années. Son étaient jolies. Je trouvais assez cruel de sa part chée… Je lui ai dit de ne pas parler. Je n’ai pas pu chasse rapidement son air chagrin : la confé- bureau est le premier qu’on rencontre quand de me demander de ne pas avoir peur. Il venait m’approcher de lui. Je n’ai pas pu lui tenir la rence de rédaction vient de commencer. INSUPPORTABLE on pénètre dans les locaux. Il sera la première de tuer tout le monde et me braquait avec son main. Je n’ai pas réussi à l’aider. C’était trop. » Autour de la grande table rectangulaire victime de l’équipée vengeresse des frères arme. Je l’ai trouvé injuste. Injuste de dire que Philippe Lançon, dont les jours ne sont pas en sont assis, de gauche à droite à partir du seuil Kouachi. Grièvement blessé, il a été hospita- ce qu’on faisait était mal, alors que le bien était danger, a reçu une balle dans la joue droite. de la porte : Charb, , , Ber- lisé dans un état critique. de notre côté. C’est lui qui se trompait. Il n’avait Tous les morts ont été retrouvés face contre nard Maris, Philippe Lançon, Honoré, Coco, Dans la salle de rédaction, un moment de pas le droit de dire ça. » terre. Sigolène enjambe les corps de Cabu, Tignous, Cabu, , Wolinski, Sigolène flottement. « Luce a demandé si c’était des pé- Durant cet échange silencieux, elle ne d’Elsa, de Wolinski et de Franck, le policier, Vinson et Laurent Léger. L’invité, Michel Re- tards. On s’est tous demandé ce que c’était. » quitte pas son agresseur du regard. « Je lui fais pour récupérer son portable dans son man- naud, est assis sur une chaise dans un coin de Elle voit Franck Brinsolaro, un des policiers un signe de la tête. Pour garder un lien, un con- teau. Elle appelle les pompiers. La conversa- la pièce. Luz et Catherine Meurisse, une autre chargés de la protection de Charb, se lever de tact. Peut-être qu’inconsciemment je cherche à tion dure 1 min 42 s. « C’est Charlie, venez vite, dessinatrice, sont en retard. , son bureau, logé dans un renfoncement de la l’attendrir. Je ne veux pas perdre son regard car ils sont tous morts. » Le pompier lui demande la jeune reporter, est en vacances au Maroc, pièce. « Sa main semblait chercher quelque Jean-Luc est sous la table, il ne l’a pas vu, et j’ai « combien de corps ? ». Elle s’agace, le trouve Gérard Biard, le rédacteur en chef, à Londres. chose sur sa hanche, peut-être son arme. Il a bien compris que s’il ne tue pas les femmes, « con ». Le pompier lui demande l’adresse de Antonio Fischetti, le journaliste scientifique, dit : “Ne bougez pas de façon anarchique.” Il a c’est qu’il tue les hommes. » Charlie Hebdo. Elle ne s’en souvient plus. Elle assiste à l’enterrement de sa tante en pro- semblé hésiter près de la porte. Je me suis jetée Dans la salle de rédaction, où se trouve Ché- répète trois fois : « Ils sont tous morts ! » vince. Quant à Willem, il goûte peu les confé- au sol. “Pop pop” dans Charlie, je comprends rif Kouachi, le frère cadet de Saïd, une femme Au fond de la pièce, une main se lève. « Non, rences de rédaction. que ce ne sont pas des pétards. » a été assassinée : Elsa Cayat, psychanalyste et moi je ne suis pas mort. » C’est Riss. Allongé sur Charb, comme toujours, enchaîne les jeux La jeune femme rampe sur le parquet en di- chroniqueuse à Charlie. Saïd Kouachi se le dos, il est touché à l’épaule. A côté de lui, Fa- de mots et griffonne sur les feuilles du che- rection du bureau de Luce et Mustapha, à tourne vers la grande pièce et crie : « On ne brice Nicolino fait signe à Sigolène Vinson de min de fer. « Il dessinait tout le temps, raconte l’autre bout de la pièce. Elle entend la porte tue pas les femmes. » Trois fois. « A ce mo- venir l’aider. Atteint aux jambes et à l’abdo- Sigolène Vinson en esquissant un sourire. Ses d’entrée de la salle de rédaction « sauter » et ment, je ne sais pas qu’Elsa est morte, dit Sigo- men, il est assis dans une mare de sang. « C’est feuilles de chemin de fer étaient géniales. J’ad- un homme crier « Allahou akbar ». Puis cette lène Vinson. Ni que Cécile, Luce et Coco se sont horrible à dire, mais comme ses blessures mirais son sens du détournement. Tous ses question : « Où est Charb ?. « Pendant que je réfugiées dans un autre bureau. » étaient moins apparentes que celles de Phi- dessins traduisaient instantanément nos rampe au sol, j’entends des coups de feu. Je ne « On ne tue pas les femmes ! », crie Saïd. Puis lippe, c’était plus facile pour moi de m’occuper échanges autour de la table. » veux pas me retourner pour ne pas voir la il disparaît. Sigolène Vinson perd le contact de lui. Il m’a demandé quelque chose de frais mort en face. Je suis sûre que je vais mourir. Je avec « ces grands yeux doux » qui sortaient de pour son visage, je lui ai rapporté un torchon « ON A ENTENDU “POP POP” » rampe et j’ai mal au dos. Comme si on me tirait la cagoule. A un moment, elle ne sait plus mouillé. Puis il m’a demandé de l’eau. Je ne sa- Ce jour-là, les « échanges » tournent autour dans le dos. » Aucun tir ne l’a touchée. trop quand, elle s’approche de la fenêtre pour vais pas qu’il ne fallait pas donner d’eau dans du dernier roman de Michel Houellebecq, Tandis que les balles sifflent dans la pièce, sauter, avant de se rendre compte que c’est ces circonstances, je suis allée remplir une flûte Soumission, auquel est consacrée la « une » elle parvient à atteindre le bureau de Musta- « trop haut ». « Je me suis retrouvée avec Jean- à champagne en plastique dans la cuisine. Il du jour. Il est question de littérature, de ra- pha et Luce, puis se cache un peu plus loin Luc, on est resté interdits. On ne savait pas s’ils perdait beaucoup de sang. Puis il s’est senti par- cisme, d’Eric Zemmour, des manifestations derrière le muret qui marque la séparation étaient vraiment partis. » Des coups de feu re- tir, il m’a demandé de lui parler. » anti- en Allemagne. Certains défendent avec celui des maquettistes. Laurent Léger, tentissent au loin, dans la rue. « J’ai entendu Ses proches, informés du drame, commen- Houellebecq, d’autres s’inquiètent de la son voisin de table, est parvenu à se glisser Lila, les petits pas de Lila, passer à côté de Mus- cent à l’appeler. « Dès que je décrochais, je hur- sous le bureau du policier. Adossée au muret, tapha. » Elle mime les petits pas de Lila. Dans lais, je tenais des propos incohérents. Riss m’a 0123 MERCREDI 14 JANVIER 2015 enquête | 11

demandé de me calmer. Dès que je raccrochais, je me calmais, je retrouvais mes esprits. » Coco Ils ont recommencé à rigoler, à se foutre du monde fait irruption dans la pièce. Elle se précipite sur Philippe Lançon pour lui venir en aide. « Ça m’a soulagée, dit Sigolène Vinson, moi je n’y ar- rivais pas. » Chaque seconde semble une éternité. L’at- e cri de la victoire a surgi dans la pendant huit semaines à compter de Qaida, un portrait de Staline, une mi- « Bon, on fait le journal ? », com- tente de l’arrivée des secours, qui tardent, est nuit : « Allahou Akbar ! Allahou ce mercredi 14 janvier. traillette en plastique, une burqa, un mence Gérard Biard, rédacteur en insupportable. « Tout à coup a surgi dans la L Akbar ! » En langue Charlie Leur marathon de survie a com- panda géant. « Allahou Akbar », chef. Des anciens de Charlie, comme salle une femme habillée de noir, assez jolie. J’ai Hebdo, cela signifiait approximative- mencé par l’escalade du long couloir c’était le cri de guerre de Charb, un tic le dessinateur Jul ou l’ancienne rédac- appris plus tard qu’elle travaillait en face, sur le ment « eureka ». A 21 h 08, lundi en colimaçon qui relie les étages de acquis à force de recevoir des mena- trice en chef Sylvie Coma, sont venus même palier. Elle avait les yeux exorbités. Elle 12 janvier, le « Allahou Akbar » de la l’immeuble de Libération, rue Béran- ces de mort depuis la publication des prêter main­forte aux habituels, Luz, disait : “C’est horrible, c’est horrible.” Elle avait bande à Charlie était profond, grave, ger, à deux pas de la place de la Répu- caricatures de Mahomet en 2006. Catherine, Coco, Willem, Babouse, la main sur la bouche. Elle voulait aider, mais sincère, énorme. Les survivants de blique. Vendredi 9 janvier, à 11 heures, Charb l’écrivait dans ses mails : « Alla- Foolz, Louison, Laurent Léger, Jean- elle ne pouvait pas. » l’attentat djihadiste meurtrier dont le toute l’équipe renforcée de conjoints, hou Akbar, t’as fini ton papier ? » Il le Baptiste Thoret, , Zineb La silhouette de Patrick Pelloux apparaît monde entier s’est ému avaient enfin d’amis et d’anciens collaborateurs a criait tout seul dans son bureau, El Rhazoui, Antonio Fischetti, Sigo- alors dans l’embrasure de la porte. « Je l’ai vu se trouvé le dessin de « une » de ce Char- grimpé à pied jusqu’à la salle du hu- comme un aliéné : « Allahou Ak- lène Vinson. L’atmosphère est lourde. pencher sur le corps de Charb. Il lui a pris le lie Hebdo historique. blot, au 8e étage, où ont lieu d’ordi- bar ! » Plus personne ne l’écoutait, Richard Malka, avocat et pilier de la pouls au niveau du cou. Puis il lui a caressé la L’accouchement a été pénible et naire les conférences de rédaction de sauf pour lui dire : « Arrête, le jour où maison, veille comme un grand frère. tête et lui a dit : “Mon frère.” » Le récit s’inter- douloureux. Il a fallu accumuler une Libé. Le dessinateur Willem est entré ils viendront, on croira que c’est une L’urgentiste Pelloux pose la question rompt. Elle reprend : « Il lui a dit “Mon frère”. » bonne cinquantaine de dessins avant le premier dans la salle avec ses longs blague. » qui tue : « Y a quoi comme actu ? » La conversation se noie à nouveau : « Mon que le dessinateur Luz n’emporte l’ad- cheveux blancs, son air lunaire et sa Faire un journal avec ça. Avec les Premier fou rire. C’est parti. Les des- frère… » hésion avec son Mahomet sur fond peau rose de vieil anar intact. Mainte- douze morts, les quatre blessés à l’hô- sinateurs griffonnent en silence. Le La jeune femme se souvient qu’on lui fait vert, couleur de l’islam, tenant une nant que ses copains Cabu, Wolinski pital, cette nouvelle tribu provisoire mur se tapisse de dessins scotchés. On alors quitter la pièce. On l’emmène dans pancarte « ». Le titre : et Honoré ont été assassinés, que Rei- et chancelante de gens qui s’effon- applaudit. On pleure. On rit. Chaque « l’aquarium », le grand bureau vitré où tra- « Tout est pardonné ». Amen. Ils sont ser et Cavanna sont morts, il est le drent, qui sortent pleurer, qui se ser- jour, on apporte la production à Riss, vaillent d’ordinaire Zineb, Laurent Léger et Gé- vidés, à bout de nerfs, à bout d’éner- dernier survivant de l’équipe préhis- rent dans les bras. Avec la visite de le grand chef, sur son lit d’hôpital. rard Biard. « Je vois Luz, je ne comprends pas ce gie, mais ils y sont arrivés : afin que torique des années 1970, quand Char- Manuel Valls qui vient saluer l’équipe, « Comme actu », il y a eux. La bande à qu’il fait là car il n’était pas à la conférence de ré- leurs douze collègues n’aient pas été lie Hebdo n’était pas encore né et que les parents des victimes qui débar- Charlie. Ce minuscule hebdomadaire daction. Je suis ahurie. Puis je vois Laurent Lé- assassinés pour rien, les survivants son ancêtre Hara Kiri excitait l’atten­ quent, les drames personnels à résou- satirique jugé si puissant qu’il a fallu le ger, je ne comprends pas non plus car lui y était. ont empêché la fatwa de les faire taire. tion des censeurs. dre, les obsèques à préparer. Avec l’or- faucher à l’arme de guerre. Ils n’ont Je suis tellement contente. Des pompiers arri- Ils ont installé leur roulotte de Gitans ganisation de la marche républicaine plus qu’à rire d’eux-mêmes puisque, vent, puis Riss. Je m’aperçois qu’il y a Cécile, dans les locaux de Libération, comme BONNES RIGOLADES du 11 janvier où Charlie Hebdo, com- dit Luz, « on ne sait pas faire autre Coco et Luce. C’est là que je me rends compte ils l’avaient fait après l’incendie qui Son horreur des réunions a sauvé ble de l’ironie, doit défiler devant les chose que se marrer ». Coco a accroché qu’il y a des vivants. Que toutes les femmes, en avait ravagé leurs locaux en 2011, le Willem du massacre du 7 janvier. « Je dirigeants de tous les pays. Avec la ru- un dessin les montrant tous criblés de dehors d’Elsa, sont vivantes. » jour de parution d’un spécial Charia déteste encore plus les réunions main- meur fugitive sur la mort de Fidel Cas- balles autour de la table, Charb de- Arrivé en retard à la conférence de rédaction, Hebdo. tenant », note-il, laconique et déta- tro qui passe comme un gag et déclen- mandant : « Bon, on en était où ? » Luz avait apporté une galette des rois. Le gâ- Ils ont récupéré les dessins inédits ché, avant de repartir dare-dare sur che de bonnes rigolades. Avec la Dans ce numéro spécial, l’éloge funè- teau marbré de Sigolène Vinson, lui, a « volé en des morts, rameuté les anciens de son île bretonne. Les regards perdus chienne cocker Lila, miraculée de la bre et pleurnichard a été proscrit. La éclats ». Lila, le cocker roux, a continué de cou- l’équipe Charlie. Ils ont recommencé à avaient l’air de chercher quelque fusillade et mascotte de l’équipe qui seule consigne a été de faire un journal rir de table en table. La jeune femme cherche rigoler, à blasphémer, à se foutre du chose dans cette grande salle ouverte attend d’une truffe inquiète les bon- « normal ». Traduction : déconneur, ses mots. Le sens se dérobe. « Cette rédaction, monde, à faire des blagues salaces et sur les toits de : le rire de Cabu, bons que lui donnait Cabu. Avec ce laïcard, franchouillard, écolo, gaucho, ce n’était que des rires et de la gentillesse. Une ils ont sorti du chaos ce numéro de ou les imitations de Houellebecq par fardeau oppressant d’être devenus antimilitariste, paillard, cochon. Et vraie douceur, une vraie tendresse. Quand j’ai huit pages (au lieu des seize habituel- Bernard Maris, ou le fatras du bureau par ironie du sort ce que « l’esprit fier de la vocation qu’il affiche en cou- vu Cabu et Wolinski, des vrais, vrais gentils, je les) tiré à 3 millions d’exemplaires (au de Charb, irrésistible musée comique Charlie » s’emploie précisément à verture : « Journal irresponsable ». p n’ai pas compris… » p lieu de 60 000) qui restera en kiosque où s’entassaient un drapeau d’Al- pourfendre : un symbole planétaire. marion van renterghem