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Eugène Boudin, Venise, le soir, 1895, huile sur toile, 46 x 65 cm, Don de la succession Maurice Duplessis, Restauration effectuée par le Centre de conservation du Québec, 1959.630 Impressionnisme? Oeuvres choisies de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec

Du 3 juin au 26 août 2012 Impressionnisme

Du 15 avril au 15 mai 1874, quelques artistes indépendants présentaient à , dans les ateliers du photographe , une exposition qui allait modifier profon- dément le monde de la peinture. Quelques jours après l’ouverture de l’événement au public, le critique écrivait un article sarcastique intitulé « L’exposition et les impressionnistes » dans le journal Le Charivari. L’impres- sionnisme était né. Malgré cet accueil plutôt froid de la part tant de la critique que du public de l’époque, l’impressionnisme jouira quelques années plus tard d’une popularité grandissante.

L’impressionnisme ne s’est pourtant pas imposé spontanément. Déjà au début du e XIX siècle, les artistes britanniques John Constable, Richard Parkes Bonington et Joseph Mallord William Turner s’étaient intéressés à la représentation de la nature en s’opposant aux conventions académiques. Plus tard, des peintres et aquarel- listes comme Barthold Jongkind ou Eugène Boudin avaient exploré plus précisé- ment la manière de rendre les atmosphères. Ils sont considérés comme des artistes proches, voire des précurseurs, de l’impressionnisme.

Eugène Boudin Honfleur, 1824 - Deauville, France 1898 Venise, le soir, 1895 Huile sur toile 1959.630

Quelques touches juxtaposées illustrent les vaguelettes. De plus, on remarque l’importance que l’artiste attribue au ciel nébuleux ainsi qu’à la fumée du vapeur à gauche de la toile. La représentation d’éléments propres à la vie moderne sera l’un des traits distinctifs de l’impressionnisme.

Henri Beau Montréal, 1863 - Paris, 1949 Le Pique-nique, 1904-1905 Huile sur toile 1986.43

Beau utilise la technique de la touche divisée, mais, en cadrant ainsi son sujet, il semble vouloir créer l’illusion de la profondeur. Le thème du « déjeuner sur l’herbe » a plus d’une fois retenu l’attention des peintres modernes, que l’on pense à Manet, en 1862-1863, ou encore à Monet, en 1865.

James Wilson Morrice Montréal, 1865 - , Tunisie, 1924 La Communiante, 1899 Huile sur toile 1978.98

En abordant une scène de la vie quotidienne et en utilisant une technique proche de l’impressionnisme, Morrice se présente comme un peintre moderne. Ici, la touche est divisée et la lumière retient plus l’attention que la volonté de créer l’illusion d’une troisième dimension. Présence de l’impressionnisme dans la peinture québécoise

e À la fin du XIX siècle, Paris jouit d’une réputation enviable dans le monde de la peinture. Les meilleurs étudiants d’Amérique du Nord se rendent dans la capitale française pour y poursuivre leur formation dans les académies. De nombreux peintres québécois empruntent ce parcours. Découvrant les nouvelles tendances, ils délaissent les pratiques issues de l’académisme. Mais ces peintres étaient-ils vraiment impressionnistes?

Les peintres impressionnistes partageaient l’idée que la représentation des objets devait suivre les impressions personnelles et non les conventions. En général, leurs œuvres se caractérisent par le fait qu’elles sont peintes en plein air. Ces ar- tistes privilégient la fragmentation de la touche et l’emploi des couleurs pures du prisme. Ils abandonnent de façon radicale les couleurs terreuses ou les noirs bitu- mineux typiques de la peinture académique.

Les tableaux de Boudin présentés ici témoignent dans leur sujet et dans leur traite- ment des particularités que l’on retrouve dans la peinture impressionniste. Ils ser- vent de point de départ à ce regard porté sur l’impressionnisme et son interpréta- tion dans la peinture au Québec.

Dernier mouvement pictural figuratif du 19e siècle, l’Impressionnisme est aussi le pre- mier événement dans l’histoire de l’art occidental récent à se poser comme une rupture importante en regard de la tradition picturale dont il est issu. À partir de lui, les diffé- rents mouvements artistiques se suivent de la même manière dont il s’est lui-même im- posé, soit par une série de brisures par rapport à ce qui les précèdent.

Historiquement, il s’étend de 1874 à 1886, années de la première et de la dernière des 8 expositions de groupe, auxquelles une cinquantaine d’artistes différents prennent part au-moins une fois. Dans les faits, il commence avant et se poursuit après ces dates, par différentes propositions individuelles convergentes de certains précurseurs et par un grand nombre de suiveurs, dont certaines pratiques se rendent même jusqu’à nous.

Il survient initialement en réaction au rejet systématique des demandes de ses protago- nistes en regard de leur participation au de peinture et de sculpture. Celui-ci, or- ganisé par l’Académie des beaux-arts qui en compose aussi le jury est, depuis 1673, la grande exposition annuelle où peuvent s’amorcer des carrières, où sont données des commandes. Les genres de peinture qui y sont valorisés sont ceux dits des « grands genres », soit la peinture d’histoire, la peinture religieuse et la peinture mythologique. La manière est très réaliste et les contenus fortement codifiés. Il s’agit souvent de « grandes machines » (très grands tableaux) dont l’aspect est plutôt sombre et pom- peux, fait pour édifier le public.

L’Impressionnisme s’y trouve confronté par des valeurs tout à fait différentes. Il s’en distingue par ses sujets, tirés de la vie quotidienne, majoritairement des paysages, genre peu important dans la hiérarchie des genres de la peinture académique, mais très acces- sible à un large public. Il s’en différencie également par l’attitude, soit celle de peindre ses œuvres entièrement « sur le motif » (à l’extérieur) plutôt qu’en atelier. Une volonté de faire une peinture « claire », en opposition à l’aspect souvent « bitumeux » de la peinture officielle est aussi à retenir. La quête d’une « impression » (vision fugitive) des sujets détermine leur technique, dite de la « touche divisée », à la fois rapide et impré- cise (contraire à la technique linéaire et léchée valorisée par le Salon officiel). Cette peinture est aussi déterminée par certaines inventions qui lui sont contemporaines, prin- cipalement celle de la photographie (1839) et celle des tubes d’étain (1841). L’usage de plus en plus répandu de la première oblige les peintres à renouveler le contenu de leurs œuvres et leur manière de le montrer. La large diffusion des seconds (en France à partir de 1859) permet aux peintres de jouir d’une très grande mobilité (confinés qu’ils étaient jusque là à leur atelier pour préparer leurs pigments colorés).

La réalité de la pratique picturale au Québec à la même époque est fort différente. Men- tionnons tout d’abord que les assises de cette pratique sont beaucoup moins profondes que celles de la peinture française (l’Impressionnisme étant un mouvement pictural es- sentiellement français). Elles sont aussi moins diversifiées.

Son éclosion tardive et ses premiers développements sont tout d’abord déterminés par des motifs utilitaires : art religieux (décoration) et portrait (ostentation). Il en demeure ainsi jusque loin après la fin du Régime français (1759). Au lendemain de celle-ci, une seconde tradition vient s’y superposer avec la conquête britannique, celle de l’aqua- relle, largement pratiquée par les militaires topographes alors en poste au Québec. De nature principalement paysagiste, elle demeure bien vivante jusqu’après 1875. Cette co- habitation est effective durant toutes ces années, jusqu’à la fin du 19e siècle, caractéri- sant de façon très particulière notre milieu de l’art. À la charnière des 19e et 20e siècles, la production picturale québécoise (anglophone et francophone confondues) est dominée par des œuvres illustrant les valeurs et traditions populaires, illustrant la vie rurale sous différents aspects. Ce sont des œuvres « honnêtes », réalisées par des artistes de métier.

Si une plus grande diversité des pratiques picturales a maintenant cours, deux tendances se disputent l’attention du public : celle dite des « régionalistes » et celle dite des « exotistes ». À la fois littéraires et picturales, il s’agit de deux visions opposées, l’une dominante et plus populaire, valorisant le terroir et l’autre, aussi appelée les « retours d’Europe », minoritaire, anticléricale et moderniste, dont les tenants ont subi à des de- grés divers les influences esthétiques européennes.

Les œuvres réunies dans cette exposition réfèrent à cette période.

Normand Blanchette juin 2012

Crédits

Impressionnisme? Oeuvres choisies de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec

Cette exposition est organisée et mise en circulation par le Musée national des beaux-arts du Québec, société d’État subventionnée par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec.

Direction du projet : Line Ouellet, directrice des expositions et des publications scientifiques Commissariat : Jean-Pierre Labiau, conservateur aux expositions Conception graphique : Marie-France Grondin, designer et graphiste Encaissage et transport : Claude Bilodeau, coordonnateur aux transports Responsable de la tournée : Anne Gagnon, coordonnatrice aux expositions itinérantes