LA GRANDE ETAPE des Chevaliers de la Route

Bernard LOIZEAU

LA GRANDE ETAPE des Chevaliers de la Route

Chez l'auteur à MOREILLES 85450 Chaillé-les-Marais

Bats-toi Pour la vérité Pour faire respecter tes idées Bats-toi Contre ceux Qui t'ont rendu malheureux Voulu détourner de toi Les gens que tu aimés le mieux En te dépréciant à leurs yeux Bats-toi Contre ceux Qui n'ont pour défense Que la force de leurs membres Qu'hypocrisie et mensonges Donne un peu de toi A ceux Dont le coeur a froid A ceux Qui n'ont plus rien ou que chagrins Donne un peu de chaleur A ceux Qui n'ont pu trouver le bonheur Donne un peu d'amitié A ceux Qui sont injustement décriés Fais preuve d'élégance et de générosité Ne plie surtout jamais devant la méchanceté Un jour tu finiras par l'emporter. BERNARD LOIZEAU Avec une pensée particulière Pour ceux que j'aime Qui ne m'ont jamais blessé Qui n'ont jamais déserté En dépit des mensonges et méchancetés Qui ont été dits Qui ont répondu aux calomnies En faisant œuvre de justice... A Luis OC AN A, être comme je les aime, homme de vérité, de caractère, au cœur débordant de générosité, loyal, sincère, chaleureux, assoiffé de justice, très sensible et profondément humain...

Photo Lionel Laidet

EN GUISE DE PROLOGUE...

La simple évocation de leur nom éveille chez tous les passionnés de la petite reine, quantité de souvenirs, suscite à la fois admiration, estime, sympathie, tendresse mais aussi parfois regret de ne plus les voir dans les pelotons. En témoignage de la valeur qu'on leur reconnaît, on les sur- nomme les « Géants du cyclisme » ou encore « Les Chevaliers de la route », tant leur lutte pour arriver au sommet de la gloire et s'y maintenir, est semée d'embûches, de risques et nécessite de volonté, d'opiniâtreté, de force de caractère et de persévérance. Très bons escaladeurs, descendeurs et rouleurs remarquables, finisseurs redoutables, « Les Chevaliers de la route » sont avant tout des champions complets dont le palmarès des plus riches et les exploits répétés, laissent rêveurs et admiratifs tous les passionnés de ce très beau et dur sport qu'est le cyclisme. Les performances fabu- leuses, les raids fantastiques réussis par nos « Géants » de l'après- guerre, sont notamment de ceux qui subsistent, ineffaçables, en mémoire. Pour chacun de nos chevaliers de la route, il est toutefois un chef d'œuvre, une bataille qui a particulièrement frappé les imagi- nations des fervents de la petite reine, marqué l'apogée de leur gloire sportive. La grande étape de leur carrière prestigieuse en quelque sorte. La plus importante, celle qui les plaça plus que ja- mais sous les feux de l'actualité après des années d'efforts, de sacri- fices et de travail patient, et ce avant d'accomplir d'autres combats désespérés, de connaître encore d'autres revers, d'autres déceptions et les vicissitudes du déclin. En ce jour, où le champion, atteignant le sommet de son art, démontre avec éclat toute sa classe, l'étendue de ses possibilités, derrière le sportif apparaît aussi bien souvent l'homme, ses qualités profondes, sa valeur, les traits dominants de sa personnalité. Celle de Luis Ocana, faite de générosité, de sensibilité, d'orgueil bien placé, est des plus attachantes et mérite d'être mise en valeur la première. Mettre les « Grands » du cyclisme de l'après-guerre dans la pleine lumière de leur exploit de légende, parcourir en leur compa- gnie l'étape la plus mémorable de leur carrière, c'est aussi, avant de se présenter sur la ligne de départ, faire un double choix : celui du champion à faire figurer dans la catégorie « Chevaliers de la route ». Une telle sélection laissant sans doute trop intervenir les senti- ments personnels est bien évidemment sujette à caution. Avoir placé Jean Robic et dans la galerie des « Seigneurs » de l'après-guerre mais en avoir écarté Fédérico Bahamontès apparaîtra certainement injuste à quelques-uns, tant l' « Aigle de Tolède » par ses envolées irrésistibles dans la haute montagne a donné du fil à retordre à Jacques Anquetil dans certains Tours de France. Hélas pour lui, s'il fut un grimpeur d'exception, Fédérico, en raison de ses piètres qualités de descendeur et finisseur mais aussi trop moyens talents de rouleur, ne put guère inscrire à son palmarès que la Grande Boucle 1959 et quelques courses de côtes... La remarque vaut aussi pour trop limité sur terrain plat. La présence dans cet ouvrage de Rik Van Looy qui n'a pourtant jamais pu remporter un grand tour national, semblera probable- ment relever aussi du subjectif à d'autres, qui ne manqueront pas alors de déplorer l'absence de Van Steenbergen ou Maertens. S'il est le plus modeste escaladeur des « Chevaliers de la route », la richesse de son palmarès — complet et unique pour ce qui est des classiques —, la domination qui fut la sienne dans les épreuves d'un jour durant près d'une décennie, autorisent cependant Van Looy à figurer aux côtés des Ocana, Anquetil, Bartali, Bobet, Coppi, Gaul, Gimondi, Hinault, Koblet, Kubler, Merckx, Poulidor, Robic et Thé- venet. Ce bien utile prologue étant parcouru, revivons désormais dans leur sillage immédiat la grande étape de nos « Chevaliers de la route », apprécions aussi la valeur humaine de ces champions qui, s'ils ont donné parfois l'impression d'être irréels et inébranlables, ne sont pas moins des hommes faits de la même matière que le commun des mortels, avec eux aussi leurs faiblesses, leurs problè- mes, leurs angoisses et leurs hantises. Ce qui les rend encore plus attachants et mérite encore davantage notre admiration.

Photo B. Loizeau

LUIS OCANA - LE PLUS HUMAIN ET GENEREUX DE TOUS

LE JOUR OU IL PORTA L'ESTOCADE A

Au risque de me voir accuser par certains de manquer d'impar- tialité, qu'il me soit permis néanmoins de le présenter en premier. Dans un ouvrage destiné à faire revivre le plus bel exploit des plus grands champions de l'ère du cyclisme moderne, Luis Ocana n'a qu'une place : la première. Qui dit exploit sous-entend en effet surpassement de soi-même. Or, s'il est un coureur cycliste réputé pour s'être souvent battu au- delà de ses possibilités, c'est bien Luis Ocana. Dynamité par un tempérament de feu, Luis Ocana n'avait qu'une devise : l'attaque. Dominateur, Luis a toujours su grandir ses victoires. Dominé, animé par son orgueil de bon aloi, il s'est toujours évertué à accomplir un baroud d'honneur afin de se mon- trer aussi grand dans la défaite que dans le triomphe. Homme des défis et des paris à priori impossibles, Luis Ocana multiplia les coups d'éclats. De l'ensemble, il en est un cependant qui resurgit aussitôt en mémoire dès que l'on se met à évoquer la brillante carrière de ce magnifique coureur de feu. Un exploit dont Eddy Merckx, qui n'avait jamais jusqu'à ce jour subi pareille dé- faite, n'a sûrement pas oublié la date : du jeudi 8 juillet 1971. Comment d'ailleurs Eddy, dont on affirmait alors avec insistan- ce qu'il était intouchable, pourrait-il ne plus se souvenir des 8' 42" que Luis Ocana lui prit cette journée-là au terme d'une chevauchée des plus fantastiques et époustouflantes, longue de 120 kilomètres, entre et Orcières-Merlette, terme de la onzième étape de ce célèbre 1971 ? A Grenoble, avant même que ne soit donné le départ de cette étape reine du Tour, Eddy Merckx entendait bien pourtant faire régner une fois encore la loi du plus fort. A ce moment précis de l'épreuve, le champion belge, à la grande surprise des observateurs, ne semblait plus pourtant planer au-dessus de ses rivaux comme il le faisait les années précédentes. Battu trois jours plus tôt de quinze secondes sur les pentes du Puy-de-Dôme par un Luis Ocana aussi souverain que décidé, « l'ogre de Tervueren » avait dû ainsi la veille céder son maillot jaune au profit du Hollandais Zoetemelk et concéder 1' 36" au quatuor de tête Thévenet (vainqueur au sprint sur la piste grenobloise), Costa Petterson, Zoetemelk et Luis Ocana. Lequel avait fait forte impression en assurant seul la réussite de l'échappée même si, victime de sa générosité, il n'avait pu s'adjuger la victoire d'étape à Grenoble et endosser ainsi la tunique dorée en raison de la petite seconde de retard qui le séparait du Hollandais Zoetemelk au départ de Saint-Etienne. Aux yeux de tous, l'Espagnol de Mont-de-Marsan n'en devenait pas moins le challenger numéro un d'Eddy Merckx. La manière dont il avait conduit l'échappée des quatre hommes de tête dans l'ascension du col de Porte, n'ayant jamais laissé à Thévenet, Zoe- temelk et Gosta Petterson le soin de le relayer, avait en particulier beaucoup impressionné les témoins les plus attentifs de cette cin- quante-huitième Grande Boucle. Encouragé par ce nouveau fléchissement du Bruxellois et bien décidé à jouer son va-tout, il ne faisait alors aucun doute que Luis renouvellerait ses attaques dès le lendemain entre Grenoble et Or- cières-Merlette par la montée de Laffrey et le col du Noyer précédant l'escalade finale vers Orcières située à 1.817 mètres d'altitude. La question était alors de savoir si Merckx, dominé sur les pentes du Puy-de-Dôme et du col de Porte, ne serait pas cette fois-ci en mesure de répondre aux assauts de son grand rival Castillan, ou mieux en- core, ne trouverait pas la force de le distancer à son tour. L'interrogation entretenait à elle seule tout l'intérêt de cette onzième étape Grenoble-Orcières Merlette, pressentie avant même l'envol du Tour, comme devant être un des parcours clés de la course. Les résultats enregistrés à Orcières devaient dépasser cepen- dant tous ceux issus du fruit de l'imagination de spécialistes de la chose cycliste. Qui aurait pu prévoir en effet que dès la côte de Laffrey, située à vingt kilomètres du départ de Grenoble, Eddy Quand la réalité dépasse la fiction. - Renforcé dans sa confiance par les défaites répétées d'Eddy Merckx sur les pentes du Puy-de-Dôme et du col de Porte, dès le départ de Grenoble pour Orcières-Merlette, Luis OC AN A a sorti la matraque. Seul, il a osé tailler en pièces cette idée selon laquelle Eddy Merckx était invulnérable. Dominateur, splendide sous les feux de l'été, Luis, dos plus que jamais arrondi, va, au delà de toutes espérances, réussir dans son entreprise audacieuse, signant un des exploits les plus mémorables de l'histoire du cyclisme. A l'arrivée à Orcières-Merlette, son festival d'une haute résonan- ce, se traduira par une avance de l'ordre de 8' 43" sur Eddy Merckx. Hélas ! pour Luis, trois jours plus tard, dans la descente du col de Mente, sous un orage d'une rare violence, victime d'une chute sérieuse, il devra renoncer à poursuivre ce Tour qu'il avait littéralement écrasé de sa classe extraordinaire. Merckx lâcherait prise sur une offensive du Portugais Agosthino prolongée par Luis Ocana, suivi comme son ombre du maillot jaune Joop Zoetemelk et du petit Belge Lucien Van Impe ? Et pourtant, les témoins du décrochage du champion Bruxellois ne rêvaient point. Incapable de limiter les dégâts, Eddy Merckx ne pouvait, impuis- sant, que subir la loi de ses rivaux directs. Et tandis qu'Eddy Merckx semblait coller à la route, Luis Oca- na dégageait lui une extraordinaire impression de puissance. Les écarts communiqués au pied du col du Noyer traduisaient cette supériorité manifeste de l'Espagnol de Mont-de-Marsan. Accompa- gné de Zoetemelk, Agosthino et Van Impe, Luis Ocana possédait déjà, en ce lieu précis de l'étape, trois minutes d'avance sur son prestigieux adversaire belge. Rien toutefois n'était définitif. Soixante-dix kilomètres nous sé- paraient en effet alors du sommet d'Orcières-Merlette. Soixante-dix kilomètres, que lâchant Zoetemelk, Van Impe et Agosthino, qui ne lui étaient d'aucun soutien, Luis Ocana entreprit d'accomplir en solitaire, en dépit d'une mise en garde de son directeur sportif Maurice De Muer craignant de le voir s'effondrer en fin d'étape. En état de grâce, Luis n'allait en fait qu'affirmer sa supériorité au fil des kilomètres, stupéfiant son entourage, suiveurs et specta- teurs. Donnant libre cours à son généreux tempérament, dos plus que jamais arrondi, tous muscles tendus, sous les feux de l'été, Luis creusa des écarts considérables. Au sommet du col du Noyer où l'année précédente, souffrant d'une bronchite, de coliques hépatiques et hémorroïdes, il s'était trouvé en perdition, son avantage appro- chait les quatre minutes sur le trio Van Impe, Agosthino et maillot jaune Zoetemelk. Quant à Eddy Merckx, remorquant un groupe de coureurs défaitistes où l'on dénombrait pas moins de cinq équipiers de Luis Ocana, son passif atteignait les 5' 30". A bord de leurs voitures, persistant à croire qu'Eddy Merckx, blessé dans son amour-propre de champion de haute lignée ne tar- derait probablement pas à réagir, les suiveurs se regardaient incré- dules et interrogateurs. Une question revenait alors sur les lèvres de tous : après avoir jeté à cent pour cent ses forces sur les pentes de Laffrey et du Noyer, Luis Ocana n'allait-il pas voir celles-ci lui manquer brusquement au moment d'aborder la très dure escalade d'Orcières-Merlette ? Pour beaucoup, l'Espagnol de Mont-de-Marsan ne pouvait guère espérer échapper à la défaillance