Kiel Et Tanger 1895–1905
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KIEL ET TANGER 1895–1905 La République française devant l’Europe 1905–1913–1921 Charles Maurras 1921 Édition électronique réalisée par Maurras.net et l’Association des Amis de la Maison du Chemin de Paradis. – 2008 – Certains droits réservés merci de consulter www.maurras.net pour plus de précisions. Ne sois donc pas de mauvaise foi : tu sais bien que nous n’en avons pas, de politique extérieure, et que nous ne pouvons pas en avoir. Anatole France, 1897. À Frédéric Amouretti Patriote français Fédéraliste de Provence Royaliste de raison et de tradition 1863–1903 À l’ami disparu qui m’initiait à la politique étrangère À son esprit à sa mémoire Au livre qu’il aurait écrit à l’action qu’il aurait conduite Si le destin de l’homme et la course des choses ne s’étaient pas contrariés Examen de l’édition définitive Pour affronter une édition définitive de ce vieux livre, il a bien fallu le relire. J’ai revécu les inquiétudes qui le firent germer. Je l’avais conçu et écrit, publié en articles et préparé pour le libraire, puis replongé dans le tiroir, puis décidément imprimé, avec ce sentiment d’hésitation violente que doivent connaître tous ceux qui se sont sentis déchirés entre l’amour et l’horreur d’une vérité claire et sombre, entre les espérances que suscite le seul nom de notre patrie et l’alarme que donne son gouvernement détestable. Bien que le lecteur et l’auteur, alors ne faisant qu’un, pût retrouver à chaque page sa très haute idée de la France, il s’en voulait de la voir et de la montrer exposée à ce risque constant né d’une faiblesse politique essentielle. Assurément cette faiblesse n’avait rien de spécifiquement français, mais elle était liée aux organes capitaux de la vie de la France. Ces organes n’étaient-ils pas d’un type indigne d’elle ? Inaptes à la diriger, incapables de pourvoir à sa sûreté, n’auraient-ils pas perdu une nation moins bien douée ? Ne lui infligent-ils pas, quand ils ne lui font point d’autre tort, une diminution certaine ? Le patriotisme sincère ne peut fermer les yeux. Mais de semblables inquiétudes sont bien dures à exprimer ! En réimprimant aujourd’hui question et réponse, je voudrais pouvoir n’en rien dire de plus et me contenter d’une adjuration sommaire au Français, à l’allié, au civilisé, à cet homme pensant qui est intéressé à la vie de la France : — Prenez ! lisez ! voyez ! N’est-ce pas l’évidence même ? Petit traité en 1905, livre de moyenne grandeur en 1910, gros tome en 1913, il n’est plus nécessaire de le bourrer de preuves nouvelles. Après l’immense démonstration de la guerre, c’est au public de dire si, oui ou non, le thème central est acquis. Oui ou non, la République peut-elle avoir une politique extérieure ? Oui ou non, sa nature de gouvernement d’opinion, de gouvernement de partis, de gouvernement divisé, fatalement diviseur de lui-même, l’a-t-elle mise en état d’infériorité dans les négociations qui ont précédé, accompagné, suivi cette guerre ? v Le 23 juillet 1913, presque un an, jour pour jour, avant le carnage, avons- nous eu tort d’appeler la République « un gouvernement inhumain » et de dire que ses erreurs ou ses lacunes offraient à notre esprit cette effroyable image : « cinq cent mille jeunes Français couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue » ? Il y en a le triple, hélas ! dans les cimetières du front. Devant la vérification de cris de terreur trop justifiés, on voudrait pouvoir douter. Comment faire ? Nous ne disons pas : « Crois et meurs », bien qu’on nous en accuse par un paradoxe artificieux et violent. Nous passons notre vie à conjurer le lecteur d’examiner et de réfléchir avec nous. Puis, des années ayant coulé, nous revenons à lui pour le prier de comparer ce qu’il a vu à ce que nous disions, nous revenons pour insister et pour demander s’il ne convient pas de conclure ainsi que nous avions conclu. Conclure, la voilà notre tyrannie. Mais il y aurait contrainte supérieure à interdire ou à négliger de conclure. Ceux qui affectent cette abstention du jugement final sont-ils toujours de simples rhéteurs soigneux de discrète élégance ? Il est difficile de ne pas rechercher jusqu’à quel point ils sont désintéressés de l’inertie et du silence qu’ils prescrivent à la raison. Pareille insouciance des conditions de notre vie et de notre mort est-elle naturelle ? Et ne se peut-il pas qu’elle serve un profit caché ? Dans tous les cas, de tels Français sont bien cruels ! C’est contre eux, c’est aussi pour eux, c’est tout au moins pour leurs enfants, que je n’hésite pas à redire mon « Prenez ! lisez ! » L’effort naturel de la vie emporte, meut et renouvelle, mais il a beau tout remettre en perpétuelle question et encourager de la sorte les moins raisonnables des espérances : quand les résultats apparaissent, quand les comptes se font, quand l’épreuve du réel vient confirmer la somme des opérations théoriques et coïncider avec elle, les idées éternelles, les lois qui durent dans l’écoulement des êtres sont plus fortes que l’illusion et l’on n’a plus le droit d’aventurer le commun avenir sur ce qui vient d’échouer à fond. Avant notre crise de 1905 qui fut le point de départ des réflexions de ce livre, la mémoire des Français de ma génération peut se représenter plus d’une heure critique. Nous sommes né un peu en avant de 1870, nous nous rappelons l’abandon de la Revanche, la défaite du Boulangisme, l’Alliance russe. Dans ma petite ville, aux vacances de 1893, j’entends encore le pharmacien républicain, fier de la venue d’Avellane 1 et des marins du tzar, me demander narquoisement 1 L’amiral Avellane commandait une escadre russe venue en visite officielle à Toulon en 1893 dans le cadre de la signature des accords franco-russes. Une grande solennité entoura cette visite, l’amiral étant reçu par le président de la République Sadi Carnot. (n.d.é.) vi ce que je pense du savoir-faire des diplomates de son parti ! Un peu plus tard, dans le cabinet de M. Édouard Hervé , directeur du Soleil, je me revois avec Urbain Gohier et Frédéric Amouretti , protestant tous les trois que nous ne ferions pas d’articles sur le tzar ni sur la tzarine à Paris, étant fermement résolus à ne pas mystifier nos concitoyens 2. Je revois les dures années de la tragique Affaire 3 qui acheva de nous livrer et de nous désarmer. Mais, là, nous pouvons nous souvenir d’avoir témoigné pour la France et pris date pour l’avenir. Dès ce moment, nous avons été quelques-uns à sentir et à voir venir cette guerre, à la souffrir dans notre esprit. La guerre inévitable ! La guerre impréparable ! Car les meneurs de l’opinion publique haïssaient et faisaient haïr toute prévoyance. Rien n’était plus naturel alors que d’entendre un ministre de la guerre nier que la conflagration fût possible. Essaiera-t-on d’en rejeter la faute sur le peuple français ? Non, non : nous avons vu, de nos yeux, qui trompait ce peuple pour avoir ses suffrages, et qui vivait, et qui prospérait de l’erreur. Comme dit le personnage d’Anatole France, même en histoire contemporaine « ne soyons donc pas de mauvaise foi ». Un écrivain du parti qui gouverne a dit 4 : La cause de la guerre, c’est, il ne faut pas s’y méprendre, le renvoi de M. Delcassé 5. Ce jour-là, l’Allemagne a cru qu’elle pouvait tout se permettre à notre égard ; et cette conviction a dominé les dix années de politique pangermaniste, a déterminé la transformation de la mentalité de Guillaume II, l’explosion chauvine des élections au Reichstag, etc., etc. La guerre et tous ses ravages sont issus des premiers jours d’avril 1905. Mais la capitulation d’avril 1905 résultait de l’état où les auteurs de l’affaire Dreyfus avaient jeté les forces militaires, maritimes, politiques et morales du pays légal. Cela ne s’est pas fait tout seul. 2 J’ai raconté l’historiette dans la Revue d’Action française, du 1er septembre 1905, au premier jet du présent ouvrage. 3 L’Affaire, avec une capitale à l’initiale, désigne l’affaire Dreyfus. (n.d.é.) 4 Eugène Lautier, dans L’Homme libre du 28 mai 1921. 5 Théophile Delcassé, 1852–1923, fut l’un des principaux artisans du rapprochement de la France et de la Grande-Bretagne qui aboutit à la signature de l’Entente cordiale. Député de l’Ariège en 1889, il devint ministre des Colonies dans le cabinet Dupuy puis ministre des Affaires étrangères dans les cabinets Dupuy, Waldeck-Rousseau, Combes, Rouvier entre 1898 et 1905. Influent président de la commission de la Marine de la Chambre des députés entre 1906 et 1909, il devint ministre de la Marine des gouvernements Caillaux et Poincaré en 1911 et 1913. Ministre de la Guerre dans l’éphémère gouvernement Ribot de l’été 1914, il fut à nouveau aux Affaires étrangères dans le gouvernement Viviani d’août 1914 à octobre 1915. (n.d.é.) vii Ce livre de pitié n’est pas un écrit de guerre civile. Il a la dureté du vrai. Il n’en ôte rien. Des fautes et des crimes ont été réparés. Absolvons les acteurs, n’oublions pas les actes. Mes jugements sont soumis, comme il est naturel, à ceux de la raison et de l’intelligence, de la réflexion et de l’avenir, mais se rient des vaines paroles, qu’elles soient taillées en facéties ou qu’elles tournent à la pièce d’éloquence.