Implantation Des Populations Tsiganes Dans Les Bouches-Du-Rhone Et
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Kristel AMELLAL Karine MICHEL Ethnologue Ethnologue Responsable du projet Responsable Scientifique RAPPORT FINAL « IMPLANTATION DES POPULATIONS TSIGANES DANS LES BOUCHES-DU-RHONE ET PATRIMOINE INTERCULTUREL » ASSOCIATION TRAJECTOIRES D’ICI ET D’AILLEURS Août 2013 1 REMERCIEMENTS Cette recherche n’eut pas été possible sans le soutien et l’aide de plusieurs partenaires ; il convient ici de les en remercier. Tout d’abord et non des moindres, nos remerciements vont au Ministère de la Culture, de la Communication et de la Recherche qui nous a permis de réaliser ce travail, ainsi qu’au Museon Arlaten et plus particulièrement, Françoise David et Gaëlle Thouzery avec qui nous avons construit conjointement cette recherche. Merci également à l’Association Rencontres Tsiganes pour les contacts avec la population tsigane d’une part, pour leur disponibilité et confiance accordée par le biais de documents bibliographiques d’autre part. Merci aussi à la Maison de l’Espagne d’Aix-en-Provence, pour les contacts avec la population gitane ainsi que la mise à disponibilité de son patio pour des entretiens. Merci également à Marc Bordigoni pour ses précieux contacts et ses généreux prêts bibliographiques. Enfin et surtout, un grand merci à tous les Tsiganes, Gitans et Roms rencontrés qui ont accepté de partager leur vie avec nous, afin de nous permettre de mieux les connaître et les comprendre. 2 Dans ses ambitions initiales, la recherche présentée ici prévoyait de traiter de l’implantation de l’ensemble de la population tsigane dans le département des Bouches-du- Rhône, au travers essentiellement d’une démarche anthropologique. Elle proposait ainsi d’accorder une part d’attention et d’étude à la population tsigane nomade, représentée majoritairement aujourd’hui par les Roms récemment arrivés des pays de l’Est, et notamment de s’attacher au traitement politique de cette question, fortement médiatisée à l’heure actuelle. Pour de multiples raisons, les résultats présentés découlent d’une recherche anthropologique majoritairement, voire quasi exclusivement, réalisée auprès de Tsiganes sédentarisés. Ce « resserrement » de l’objet autour des sédentaires découle de l’évolution malheureusement classique de toute recherche, celle d’une évaluation trop large au départ des thématiques abordables pour une recherche cadrée. Le phénomène d’implantation est en effet radicalement différent selon que les personnes concernées sont installées durablement, dans une quasi-immobilité, sur le territoire ou que les personnes sont récemment arrivées, soumises à une conjoncture d’installation précaire et à des politiques complexes de légitimité et de résidence. Le choix d’un travail par réseau, mais également la prise en compte du contexte majoritaire sur le département a engendré le fait de privilégier l’axe de recherche des sédentaires, plus adaptée aux thématiques de l’implantation et du rapport interculturel, sujet de la recherche. De plus, la recherche bibliographique a rapidement mis en exergue la place de la politique et du droit dans la prise en compte des populations nomades Roms récemment arrivés dans le département. Ce sujet est extrêmement médiatisé, sujets à de très nombreuses interventions d’acteurs sociaux, notamment l’Association Rencontres Tsiganes ou l’AREAT, et ne pouvait être pleinement abordé et traité en parallèle ou complémentarité du sujet des Tsiganes sédentarisés, faute de temps, de moyens et de connaissances disciplinaires suffisantes. Par ailleurs, le travail dans ce contexte sociopolitique, côte-à-côte avec d’autres associations adoptant une démarche et une posture différente, est un cadre d’enquête très difficile pour l’ethnologue, lui demandant des prises de position ou des adaptations, menant souvent à une perte de l’objectif initial 1. Reste que la démarche anthropologique revendiquée ici permet, de par les analyses qu’elle apporte, de mieux appréhender la complexité de situations de la population étudiée, mais également de mieux saisir les différents enjeux culturels et historiques liés au 1 A titre d’exemple, nous renvoyons ici à l’article de Marc Bordigoni, 2001, déjà abordé dans le pré-rapport de cette recherche, qui développe largement ces problèmes sur le terrain tsigane. 3 phénomène d’implantation des Tsiganes, qu’ils soient nomades ou sédentaires, installés depuis longtemps ou nouvellement arrivés dans le département. Une population à dénominations multiples Plus que toute autre de par le monde, la population étudiée ici souffre d’une confusion et d’une multiplicité des termes la désignant. Pourtant, chacun de ces usages terminologiques trouve une sorte de légitimité dans l’histoire, aussi bien celle des origines que l’histoire contemporaine de cette population. Par l’application de termes vernaculaires et des récits d’origine diverse, les groupes tsiganes se sont vus attribuer des noms divers par les sociétés dans lesquelles ils vivaient, noms qu’eux-mêmes n’utilisaient pas. Face à ces amalgames, Nicolae Gheorghe, Ian Hancock et Marcel Cortiade ont tenté de clarifier les terminologies en usage. Ils indiquent dès le départ un amalgame entre nomades et sédentaires autour du terme Rrom, un peuple rromani sédentaire éparpillé de par le monde, qui se distingue par le fait d’être une minorité non territoriale. D’après eux, seuls 5% de cette population est nomade et peut être désignée des termes Gitans ou Tsiganes. Au sein de cette population Rromani, plusieurs désignations apparaissent : des dénominations internes et des dénominations externes. Ces dernières relèvent de l’exo-assignation et prennent souvent un sens péjoratif ; « Tout autre mot utilisé pour désigner le peuple rromani provient de l’extérieur, et dans chaque cas cela est lié à une conception erronée de notre propre identité et de notre origine. Ainsi, Gypsy, Gitano, Gitan, Yiftos, Gupti, Magjupn Dzupci, etc., sont des dérivés du mot “Egyptien” […] L’autre série très répandue de mots, Tsiganes, Zigeuner, Zingari, Ciganyok, Cikan, Cygan, Cegon, Ciganin, Cingene… provient du mot grec “Atsinganoi”… ». Parallèlement, il existe un usage de termes liés à des dénominations internes, des noms de sous-groupes, « tels les Sinte, Manus, Romanichels, Kale, etc. » (1995, pp. 135 et 137). En France, l’usage est d’utiliser le terme Tsigane de façon générique. Dans ce cadre, le terme Rom, à ne pas confondre avec le Rrom décrit précédemment, est un groupe de la population dite tsigane ; « Les Tsiganes se divisent en plusieurs groupes […] au nombre de trois : les Rom, les Manouches (Manus) et les Gitans (Calé) » (Jean-Pierre Liégeois, 1971, p. 50). Les Roms désignant les populations tsiganes d’origine roumaine ou du moins des pays de l’Est, tous feraient partie de ce peuple Rromani décrit précédemment. Toutes les autres dénominations, de l’ordre des auto-assignations, reflètent une identification à une origine géographique et une intégration d’éléments linguistiques, conséquence de la disparité au fil des siècles de la population tsigane (qu’elle soit ou pas nomade). Les Rom comprendraient ainsi des groupes se désignant comme Kalderasa (des Balkans), Curara, Lovara (de 4 Transylvanie), Boyasa (de Roumanie). Les Manouches ou Sinté auraient, pour leur part, intégré des éléments linguistiques de l’allemand ; ils comprendraient les sous-groupes « Sinté allemands ou Gatskené Manus, les Sinté français ou Valstiké Manus et les Sinté piémontais ou Piémontesi » (Jean-Pierre Liégeois, 1971, p. 51). Enfin, les Gitans seraient originaires d’Espagne, mais nombre d’entre eux seraient également passés par l’Afrique du Nord, d’où leur nom de Kalé ou Calé selon les auteurs, terme signifiant « homme noir » (Cf Annexe 1, p. 99). Ces derniers ne représentent pas non plus un groupe homogène : « Nous en indiquons trois catégories : les Catalans , nombreux dans le Midi de la France et les villes côtières de Méditerranée, les Andalous venus d’Espagne et très marqués par les siècles passés dans le sud de ce pays, les Gitans basques , petit groupe installé dans les Pyrénées-Atlantiques et peu voyageurs » (Barthélémy, 1991, pp. 23-24). Malgré des nuances à accorder à cette catégorisation, la distinction est opérante et se retrouve encore aujourd’hui au travers des discours des acteurs. A l’heure actuelle, l’utilisation du terme Tsigane sur un mode général est légitime, malgré ces connotations premières, dans la mesure où les intéressés eux-mêmes en usent sur un plan politique. Quant au terme Rom, « il présente l’avantage de se démarquer (jusqu’à une période récente) des stéréotypes attachés aux dénominations attribuées de l’“extérieur”, celui d’être la dénomination interne d’un nombre important de groupes, et celui de mieux correspondre à la réalité socioculturelle et aux vœux politiques de la plupart des groupes présents en Europe centrale et de l’Est, qui représentent la très grande majorité des communautés tsiganes d’Europe » (Jean-Pierre Liégeois, 2009, p. 27) . Ainsi, l’usage du terme Rom correspond au nom choisi dans les années 70 pour un mouvement politique international (Emilie Grangeray & Mattéa Battaglia, 2010, p. 20). Tsiganes et Roms sont donc deux termes désignant une même réalité groupale, le premier étant un exonyme, le second un endonyme. Un cheminement historique, culturel et identitaire Tous les ouvrages de généralités sur les Tsiganes, ainsi que bon nombre d’autres livres traitant de ce thème, débutent par une historiographie de cette population. Ici, il n’est donc nullement question de retracer une nouvelle fois ce fil historique dans tous ces méandres ; il est cependant nécessaire d’en réécrire les grandes lignes afin de donner sa place aux quelques éléments historiques se référant au département des Bouches-du-Rhône, ainsi qu’aux interlocuteurs qui y résident aujourd’hui. En effet, certains faits historiques trouvent actuellement des illustrations dans les récits de vie de Tsiganes aujourd’hui ; de ce fait, leur histoire personnelle prend tout son sens et sa véritable dimension avec la connaissance de l’histoire dont ils sont aujourd’hui les descendants ou héritiers. 5 Cette historiographie des Tsiganes dans le département donne une idée du contexte d’implantation des populations tsiganes et explique en grande partie leur présence actuelle.