Kristel AMELLAL Karine MICHEL Ethnologue Ethnologue Responsable du projet Responsable Scientifique

RAPPORT FINAL

« IMPLANTATION DES POPULATIONS

TSIGANES DANS LES BOUCHES-DU-RHONE ET

PATRIMOINE INTERCULTUREL »

ASSOCIATION TRAJECTOIRES D’ICI ET D’AILLEURS

Août 2013

1

REMERCIEMENTS

Cette recherche n’eut pas été possible sans le soutien et l’aide de plusieurs partenaires ; il convient ici de les en remercier.

Tout d’abord et non des moindres, nos remerciements vont au Ministère de la Culture, de la Communication et de la Recherche qui nous a permis de réaliser ce travail, ainsi qu’au Museon Arlaten et plus particulièrement, Françoise David et Gaëlle Thouzery avec qui nous avons construit conjointement cette recherche.

Merci également à l’Association Rencontres Tsiganes pour les contacts avec la population tsigane d’une part, pour leur disponibilité et confiance accordée par le biais de documents bibliographiques d’autre part.

Merci aussi à la Maison de l’Espagne d’Aix-en-, pour les contacts avec la population gitane ainsi que la mise à disponibilité de son patio pour des entretiens.

Merci également à Marc Bordigoni pour ses précieux contacts et ses généreux prêts bibliographiques.

Enfin et surtout, un grand merci à tous les Tsiganes, Gitans et Roms rencontrés qui ont accepté de partager leur vie avec nous, afin de nous permettre de mieux les connaître et les comprendre.

2 Dans ses ambitions initiales, la recherche présentée ici prévoyait de traiter de l’implantation de l’ensemble de la population tsigane dans le département des Bouches-du- Rhône, au travers essentiellement d’une démarche anthropologique. Elle proposait ainsi d’accorder une part d’attention et d’étude à la population tsigane nomade, représentée majoritairement aujourd’hui par les Roms récemment arrivés des pays de l’Est, et notamment de s’attacher au traitement politique de cette question, fortement médiatisée à l’heure actuelle. Pour de multiples raisons, les résultats présentés découlent d’une recherche anthropologique majoritairement, voire quasi exclusivement, réalisée auprès de Tsiganes sédentarisés. Ce « resserrement » de l’objet autour des sédentaires découle de l’évolution malheureusement classique de toute recherche, celle d’une évaluation trop large au départ des thématiques abordables pour une recherche cadrée. Le phénomène d’implantation est en effet radicalement différent selon que les personnes concernées sont installées durablement, dans une quasi-immobilité, sur le territoire ou que les personnes sont récemment arrivées, soumises à une conjoncture d’installation précaire et à des politiques complexes de légitimité et de résidence. Le choix d’un travail par réseau, mais également la prise en compte du contexte majoritaire sur le département a engendré le fait de privilégier l’axe de recherche des sédentaires, plus adaptée aux thématiques de l’implantation et du rapport interculturel, sujet de la recherche. De plus, la recherche bibliographique a rapidement mis en exergue la place de la politique et du droit dans la prise en compte des populations nomades Roms récemment arrivés dans le département. Ce sujet est extrêmement médiatisé, sujets à de très nombreuses interventions d’acteurs sociaux, notamment l’Association Rencontres Tsiganes ou l’AREAT, et ne pouvait être pleinement abordé et traité en parallèle ou complémentarité du sujet des Tsiganes sédentarisés, faute de temps, de moyens et de connaissances disciplinaires suffisantes. Par ailleurs, le travail dans ce contexte sociopolitique, côte-à-côte avec d’autres associations adoptant une démarche et une posture différente, est un cadre d’enquête très difficile pour l’ethnologue, lui demandant des prises de position ou des adaptations, menant souvent à une perte de l’objectif initial 1. Reste que la démarche anthropologique revendiquée ici permet, de par les analyses qu’elle apporte, de mieux appréhender la complexité de situations de la population étudiée, mais également de mieux saisir les différents enjeux culturels et historiques liés au

1 A titre d’exemple, nous renvoyons ici à l’article de Marc Bordigoni, 2001, déjà abordé dans le pré-rapport de cette recherche, qui développe largement ces problèmes sur le terrain tsigane.

3 phénomène d’implantation des Tsiganes, qu’ils soient nomades ou sédentaires, installés depuis longtemps ou nouvellement arrivés dans le département.

Une population à dénominations multiples Plus que toute autre de par le monde, la population étudiée ici souffre d’une confusion et d’une multiplicité des termes la désignant. Pourtant, chacun de ces usages terminologiques trouve une sorte de légitimité dans l’histoire, aussi bien celle des origines que l’histoire contemporaine de cette population. Par l’application de termes vernaculaires et des récits d’origine diverse, les groupes tsiganes se sont vus attribuer des noms divers par les sociétés dans lesquelles ils vivaient, noms qu’eux-mêmes n’utilisaient pas. Face à ces amalgames, Nicolae Gheorghe, Ian Hancock et Marcel Cortiade ont tenté de clarifier les terminologies en usage. Ils indiquent dès le départ un amalgame entre nomades et sédentaires autour du terme Rrom, un peuple rromani sédentaire éparpillé de par le monde, qui se distingue par le fait d’être une minorité non territoriale. D’après eux, seuls 5% de cette population est nomade et peut être désignée des termes Gitans ou Tsiganes. Au sein de cette population Rromani, plusieurs désignations apparaissent : des dénominations internes et des dénominations externes. Ces dernières relèvent de l’exo-assignation et prennent souvent un sens péjoratif ; « Tout autre mot utilisé pour désigner le peuple rromani provient de l’extérieur, et dans chaque cas cela est lié à une conception erronée de notre propre identité et de notre origine. Ainsi, Gypsy, Gitano, Gitan, Yiftos, Gupti, Magjupn Dzupci, etc., sont des dérivés du mot “Egyptien” […] L’autre série très répandue de mots, Tsiganes, Zigeuner, Zingari, Ciganyok, Cikan, Cygan, Cegon, Ciganin, Cingene… provient du mot grec “Atsinganoi”… ». Parallèlement, il existe un usage de termes liés à des dénominations internes, des noms de sous-groupes, « tels les Sinte, Manus, Romanichels, Kale, etc. » (1995, pp. 135 et 137). En , l’usage est d’utiliser le terme Tsigane de façon générique. Dans ce cadre, le terme Rom, à ne pas confondre avec le Rrom décrit précédemment, est un groupe de la population dite tsigane ; « Les Tsiganes se divisent en plusieurs groupes […] au nombre de trois : les Rom, les Manouches (Manus) et les Gitans (Calé) » (Jean-Pierre Liégeois, 1971, p. 50). Les Roms désignant les populations tsiganes d’origine roumaine ou du moins des pays de l’Est, tous feraient partie de ce peuple Rromani décrit précédemment. Toutes les autres dénominations, de l’ordre des auto-assignations, reflètent une identification à une origine géographique et une intégration d’éléments linguistiques, conséquence de la disparité au fil des siècles de la population tsigane (qu’elle soit ou pas nomade). Les Rom comprendraient ainsi des groupes se désignant comme Kalderasa (des Balkans), Curara, Lovara (de 4 Transylvanie), Boyasa (de Roumanie). Les Manouches ou Sinté auraient, pour leur part, intégré des éléments linguistiques de l’allemand ; ils comprendraient les sous-groupes « Sinté allemands ou Gatskené Manus, les Sinté français ou Valstiké Manus et les Sinté piémontais ou Piémontesi » (Jean-Pierre Liégeois, 1971, p. 51). Enfin, les Gitans seraient originaires d’Espagne, mais nombre d’entre eux seraient également passés par l’Afrique du Nord, d’où leur nom de Kalé ou Calé selon les auteurs, terme signifiant « homme noir » (Cf Annexe 1, p. 99). Ces derniers ne représentent pas non plus un groupe homogène : « Nous en indiquons trois catégories : les Catalans , nombreux dans le Midi de la France et les villes côtières de Méditerranée, les Andalous venus d’Espagne et très marqués par les siècles passés dans le sud de ce pays, les Gitans basques , petit groupe installé dans les Pyrénées-Atlantiques et peu voyageurs » (Barthélémy, 1991, pp. 23-24). Malgré des nuances à accorder à cette catégorisation, la distinction est opérante et se retrouve encore aujourd’hui au travers des discours des acteurs. A l’heure actuelle, l’utilisation du terme Tsigane sur un mode général est légitime, malgré ces connotations premières, dans la mesure où les intéressés eux-mêmes en usent sur un plan politique. Quant au terme Rom, « il présente l’avantage de se démarquer (jusqu’à une période récente) des stéréotypes attachés aux dénominations attribuées de l’“extérieur”, celui d’être la dénomination interne d’un nombre important de groupes, et celui de mieux correspondre à la réalité socioculturelle et aux vœux politiques de la plupart des groupes présents en Europe centrale et de l’Est, qui représentent la très grande majorité des communautés tsiganes d’Europe » (Jean-Pierre Liégeois, 2009, p. 27) . Ainsi, l’usage du terme Rom correspond au nom choisi dans les années 70 pour un mouvement politique international (Emilie Grangeray & Mattéa Battaglia, 2010, p. 20). Tsiganes et Roms sont donc deux termes désignant une même réalité groupale, le premier étant un exonyme, le second un endonyme.

Un cheminement historique, culturel et identitaire Tous les ouvrages de généralités sur les Tsiganes, ainsi que bon nombre d’autres livres traitant de ce thème, débutent par une historiographie de cette population. Ici, il n’est donc nullement question de retracer une nouvelle fois ce fil historique dans tous ces méandres ; il est cependant nécessaire d’en réécrire les grandes lignes afin de donner sa place aux quelques éléments historiques se référant au département des Bouches-du-Rhône, ainsi qu’aux interlocuteurs qui y résident aujourd’hui. En effet, certains faits historiques trouvent actuellement des illustrations dans les récits de vie de Tsiganes aujourd’hui ; de ce fait, leur histoire personnelle prend tout son sens et sa véritable dimension avec la connaissance de l’histoire dont ils sont aujourd’hui les descendants ou héritiers. 5 Cette historiographie des Tsiganes dans le département donne une idée du contexte d’implantation des populations tsiganes et explique en grande partie leur présence actuelle. Au-delà, le contexte historique permet d’appréhender plus aisément les types d’habitat de ces populations, une grande majorité résidant en HLM dans la cité phocéenne. Mais, au fil des entretiens et discours des intéressés, ce sont surtout les valeurs de la culture tsigane qui explicitent l’implantation, avec en son cœur une conception de la famille comme élément reproducteur incontournable de l’identité tsigane. Par élargissement analytique, il paraissait important d’appréhender cette population dans son environnement, environnement socioculturel d’une part, c’est-à-dire dans ses rapports entretenus avec la population gadjé, environnement géographique d’autre part, dans ses rapports à la Provence et à son patrimoine. Ces réflexions ouvrent enfin le champ à des investigations muséographiques, permettant de valoriser la culture tsigane étudiée.

6 I - De quelques grandes lignes historiques

Les Tsiganes sont un groupe que l’on pourrait qualifier de population à tradition orale 2. Retracer leur histoire ne peut donc se faire qu’à partir de sources externes, c’est-à-dire issues des populations autochtones non-tsiganes. Ainsi, tous les ouvrages traitant de cette histoire des Tsiganes ne peuvent qu’émettre de nombreuses hypothèses, en raison des lacunes écrites existantes jusqu’au XIV e siècle en ce domaine. Pour la plupart, elles se basent sur des travaux de linguistes, seuls éléments quelque peu probants à l’heure actuelle pour retracer le fil historique de ce groupe de ses origines jusqu’à environ 1300 après J-C. Par la suite, les écrits disponibles nous permettent de nous concentrer plus précisément sur l’histoire des Tsiganes dans le Sud de la France, et d’accorder une place spécifique à l’histoire des Gitans, fort présents dans le département des Bouches-du-Rhône.

A - Des origines à aujourd’hui : l’arrivée en France

Tous les auteurs s’accordent aujourd’hui sur l’Inde, et même sur le Nord-Ouest de l’Inde, comme pays d’origine des Tsiganes 3. Ce consensus résulte de travaux linguistiques entre différents groupes tsiganes dans le monde ; par recoupements et comparatismes, la source indienne commune aux dialectes tsiganes a pu être attestée dès le XVIII e siècle. « L’appartenance indienne des parlers tsiganes a été aperçue avant 1780 par deux Allemands, Grellmann et Rüdiger, et par un Anglais, Jacob Bryant. Elle a été solidement démontrée par le grand linguiste Pott en 1844 » précise Jules Bloch, avant d’affirmer : « C’est donc dans l’Inde qu’il faut chercher l’origine du tsigane et de ses usagers » (1953, pp. 19-20 et 25). François Vaux de Foletier précise par ailleurs la similitude des dialectes tsiganes avec certains dialectes indiens : « Leur langue est une langue de l’Inde : par son vocabulaire et sa grammaire, elle est proche parente du sanscrit, ainsi que des langues vivantes du même groupe, comme le hindi, le gouzrati, le marathe, le cachemiri » (1961, p. 14), dialectes auxquels peuvent être ajoutés le rajasthani, le bengali, le panjabi (Liégeois, 1971, p. 39). La même méthode fut utilisée pour tenter de retracer les routes migratoires de cette population au cours des siècles, mais les certitudes sur ce point restent toutes relatives.

2 Cette expression désigne les populations au sein desquelles la transmission ne passe pas par l’écrit, mais essentiellement par l’oralité et la pratique. 3 Notons cependant que ce fait est remis en question à l’heure actuelle par plusieurs chercheurs, notamment Henriette Asséo, suite à de nombreux travaux de recherche en archives. Ce point est également souligné dans le récent mémoire de Master2 de Claudia Coppola. 7 Ainsi, les Tsiganes seraient passés par l’Iran avant d’arriver en Europe au cours du XV e siècle. Alain Reyniers abonde dans ce sens en évoquant une première vague migratoire partant d’Inde vers l’Empire byzantin, avant de s’étendre dans les Balkans au XIV e siècle (2004, p. 65). La migration semble avoir eu lieu en plusieurs vagues, sous des formes nomades, et en des périodicités fort difficiles à déterminer. L’une des rares sources de ce départ d’Inde réside dans une légende : le Shah de Perse Ardachir au III e siècle conquiert le Nord de l’Inde, ce qui engendre une migration massive d’Indiens vers l’Iran. Au début du V e siècle, le Shah Bahram Gour fait venir d’Inde 10 000 Louri, des musiciens joueurs de Luth, pour égayer les fêtes des pauvres 4. Cette histoire relaterait en fait l’histoire des Tsiganes et donc leur première migration. Par la suite, « certains groupes sont descendus vers le Sud, en direction de l’Egypte […]. Les autres ont continué leur voyage vers l’ouest, sans doute à cause des invasions turques et mongoles, qui commencent à ruiner le pays entre le XI e et le XIII e siècles. Ils longent le Caucase, passent par l’Arménie, traversent la Turquie et arrivent dans les Balkans dès le XIV e siècle. Certains campent en Crète, d’autres s’installent près de Modon (ou Méthone), dans le Péloponnèse, dans une région qu’on appelait la Petite Egypte » (Escudero, Leblon & Salles, 2003, p. 16). Là aussi, les comparaisons linguistiques apportent quelques éléments sur la circulation de cette population ; « A partir de cette méthode, Miklosich indique le passage de certains groupes en Iran, en Asie Mineure et en Grèce, en Arménie et dans bien d’autres régions, comme les Balkans, la Hongrie, la Roumanie, l’Allemagne » (Liégeois, 2009, pp. 19-20). La multiplicité des termes utilisés pour les désigner est une conséquence directe de cette dispersion migratoire, dispersion qui reprend face à l’extension des conquêtes turques. Cette histoire est celle reprise par les acteurs eux- mêmes, dans les récits qu’ils font de leurs origines. Lola Dolz évoque ainsi ses interlocutrices : « De jeunes gitanes modernes, devenues invisibles dans la masse, se disent “Egyptiennes” comme dans le passé ces Tsiganes qui se targuaient d’une royauté égyptienne. Il est vrai que les Kalé ou Catalanes de Barcelona, de Valencia ou de Cordoba, prétendaient, selon mes sources, être originaires de la “Petite Egypte”. Bien sûr, lors de la traversée de l’Asie mineure, les Tsiganes sont passés par la Petite Egypte qui pouvait être l’Epire de Grèce, ou la région de Nicodème (Izmir) en Turquie. Selon les témoins de la lignée en question, la Petite Egypte où les Tziganes vécurent au XIV e et XV e siècles, se situe sur la côte de la Grèce. Proche du port de Modon, actuellement Méthone sur la mer Ionienne, sur la côte de Messénie, se trouve une colline appelée Mont Gypte. Cette région est dénommée “Terre de Gypte” et par déformation linguistique Petite Egypte. Elle fut très peuplée de Tziganes et se

4 Pour plus de détails et précisions sur ces textes légendaires, Cf François Vaux de Foletier, 1970. 8 trouvait à mi-chemin entre Jaffa (Israël) et Venise (Italie), route des pèlerinages en Terre Sainte. Puis, les Tziganes quittèrent aussi la Petite Egypte chassés par les conquérants de l’islam Turc Ottomans qui s’adonnaient à des massacres » (2009, pp. 11-12). Quelle que soit la réalité des faits, cette histoire est aujourd’hui revendiquée par les Tsiganes comme étant la leur ; en début d’entretien, Sasha, Rom Kalderash, me fait ainsi le récit de ses origines :

Notre exode a commencé en 1832, suite à la défaite en Perse de notre roi Faron. Quand nous sommes arrivés en Grèce, nous avons été appelés Atsinganos, d’où le terme Tsiganes. Depuis des siècles, ce terme a été banalisé, on l’accepte, même dans les associations. Nous, nous sommes des Roms, les « hommes ». Nous sommes des Kalderash ; il y a aussi les Lovara et les Tchurara (Entretien Sasha, 29 Juin 2011, ).

Face à toutes ces hypothèses, les premiers documents écrits au XIVe siècle et leur multiplication à partir du XV e siècle apportent des éléments bien plus fiables sur l’histoire des Tsiganes. Ils sont ainsi signalés en 1322 en Crète, en 1348 en Serbie, puis en Grèce, en 1370 en Valachie (aujourd’hui la Roumanie), en 1378 en Croatie. Finalement, avec ces écrits, deux pays d’Europe, Moldavie et Hongrie, apparaissent comme étant des centres majeurs de diffusion de cette population tsigane dans le reste de l’Europe, notamment vers le nord et le nord-ouest. Quelques années après leur apparition en Allemagne, des écrits attestent de leur présence en France ; « L’une des plus anciennes mentions du passage en France de Bohémiens se trouve dans un cahier de compte de syndics en date du 22 août 1419 à Châtillon-en-Dombes (Châtillon-sur-Chalaronne dans l’) » (Asséo, 1994, p. 15). La carte suivante (Cf. Carte 1, p. 10) illustre la diffusion et les mouvements de population tsigane aux XIVe, XVe et XIVe siècles. D’après les données plus détaillées présentées par Lola Dolz (Cf. Annexe 2, p. 100), il y aurait deux migrations émanant d’Inde aux origines, une du Pakistan et une autre du Rajasthan ; les migrations de Grèce vers l’Espagne auraient également suivi deux voies, l’une terrestre par l’Italie, puis la France, et une autre maritime : directement de la Grèce à l’Espagne par traversée de la Mer Méditerranée.

9 Carte 1 : Les déplacements de populations tsiganes de l’an 1000 au XVI e siècle.

Source : Atlas des minorités . La Vie. Le Monde, 01/07/2011. Tiré de Jean-Pierre Liégeois, 2007.

Durant toute la première moitié du XV e siècle, la population tsigane circulera dans toute l’Europe et s’y établira, de sorte qu’en 1971, Jean-Pierre Liégeois pouvait écrire : « De nos jours, la diaspora tsigane a touché tous les continents, et la plupart des pays. On en trouve de l’Australie au Soudan, de la Nouvelle-Guinée au Pérou. Leur nombre total, pour le monde, est d’environ cinq millions. La concentration, par rapport à l’ensemble de la population, est très variable ; toutefois c’est dans les pays de l’Europe de l’Est qu’elle est la plus forte » (p. 47). En 2006, ils sont estimés à environ 1,5 million au sein de l’Union européenne, et à quelques 6 à 8 millions dans les pays de l’Est (Reyniers, p. 95), au total entre 8 et 12 millions pour le continent européen (Jean-Pierre Liégeois, 2009. Cf Annexe 3, p. 101 et Annexe 4, p. 102). En réalité, le peuplement de l’Europe par les Tsiganes se fait au gré de multiples vagues de migrations, fort différentes de ces premières arrivées de ceux dits Bohémiens, Sarrasins ou encore Egyptiens, du XV e siècle. Une première vague serait celle-ci, celle du

10 XV e siècle, une migration d’essaimage des Tsiganes dans toute l’Europe ; présentée par ces derniers comme découlant de motifs politico-religieux, elle serait d’ordre purement économique (Marushiakova & Popov, 2006, p. 11). Dès le début du XVI e siècle, les Tsiganes vont subir des formes de discrimination dans toute l’Europe, formes qui vont engendrer une situation de cantonnement de leur résidence dans les régions frontalières : Vallée du Rhin, Pyrénées, Piémont et . En provenance d’Italie, de nombreux Sinti s’installent en France au cours des siècles ; à la fin du XIX e siècle notamment, des Sinti du Val d’Aoste arrivent et s’établissent, pour une grande partie, en Provence et dans le Massif Central. Au début de ce même XIX e siècle, ce sont des groupes Manouches et Yéniches qui s’installent dans le Nord de la France. Vers 1850, ces mêmes groupes se déploient progressivement dans le Massif Central et le Bassin aquitain. Ce siècle est aussi celui de l’arrivée d’un quatrième groupe tsigane, celui des Kalé ou Gitans, dans le Sud de la France cette fois-ci, essentiellement dans le Roussillon et le Pays Basque, puis sur toute la côte méditerranéenne, avant de s’étendre en direction du nord et de l’est du pays. D’après Elena Marushiakova et Veselin Popov, cette deuxième moitié de XIX e siècle est surtout le théâtre de la migration massive de Tsiganes nomades de Valachie et de Moldavie, libérés de l’esclavage (2006, p. 13). Au XX e siècle, de nouvelles vagues de migration tsigane modifieront un peu plus le paysage culturel français. Des Tsiganes originaires de Roumanie immigrent en 1911 et constituent en grande partie les communautés roms Kalderash actuelles de et . En 1962, avec l’indépendance de l’Algérie, ce sont de nombreux Gitans installés au Maghreb qui arrivent en France, et plus précisément à , avec les rapatriés Pieds-Noirs. Des Tsiganes yougoslaves, à hauteur d’environ 10 000 personnes, arrivent en France dans les années 1960-1970, et quelques années après, ce sont des Roms bosniaques qui émigrent d’Italie et se dispersent en France, Allemagne, Pays-Bas et Belgique. Mais ils restent bien peu visibles en comparaison de la dernière vague migratoire de Tsiganes, à savoir celle des Roms de Roumanie arrivés depuis la fin du bloc de l’Est, c’est-à-dire les années 1990 5. Ils sont encore à ce jour difficilement quantifiables, notamment car peu distincts des autres migrants de cette partie de l’Europe ; « Il n’est pas facile d’évaluer le nombre de Tsiganes concernés par ce vaste mouvement migratoire de l’Est à l’Ouest. Sans doute cela concerne-t-il entre 150 000 et 200 000 personnes surtout implantées dans les premiers pays de contact (Allemagne, Autriche et Italie qui, à eux seuls, regrouperaient au moins 120 000 personnes) » (Reyniers, 1993, p. 44). En France, d’après ces estimations, ce nombre serait donc relativement restreint

5 Ces différentes vagues migratoires sont celles relevées par Alain Reyniers dans son article de 2006. 11 mais les problèmes liés à leur situation résidentielle en font un objet extrêmement médiatisé, qui n’est pas sans engendrer des amalgames avec les autres Tsiganes non-Roms.

B - Les Tsiganes dans le Sud de la France, du XV e au XIX e siècles

Dans toutes les régions et villes de France, des registres, décrets et arrêtés attestent de la présence tsigane à partir du début du XVe siècle. Ainsi, dès 1419, année de leur première mention sur le territoire français, ils arrivent en Provence et apparaissent sur des registres de Sisteron ; François Vaux de Foletier précise que « la Provence resta depuis 1419 un des pays de prédilection des Egyptiens. Ils passèrent et repassèrent par Brignoles, Le Luc, Sisteron, Barjols, Saillans, Draguignan. En 1438, un duc de la Petite Egypte se fit donner par la ville d’Arles, une de dix florins » (1961, p. 32). Un rapport sur le département des Bouches- du-Rhône évoque même une situation d’installation des Gitans, et non plus un simple passage, bien que la datation diffère ici d’un siècle : « Selon des renseignements puisés aux Archives Départementales des BDR, l’installation des “gitans” en Provence remonterait à plusieurs siècles puisque les premiers documents découverts les concernant dateraient du 14 e siècle » (1967, p. 1). Toujours est-il que, quelle que soit réellement leur date d’arrivée, les Tsiganes connaîtront une époque prospère sur le territoire français ; pendant environ deux siècles, du XV e au XVII e siècle, les Tsiganes vivront un « âge d’or », bénéficiant d’une part des nombreuses largesses des populations environnantes en raison de leur statut de pèlerins et des nombreuses lettres de protection en leur possession, d’autre part de leurs activités au service des armées seigneuriales. Dans le contexte d’élaboration d’une structure étatique, les Tsiganes subissent un revers d’attitude général ; ils s’appauvrissent, ne profitant plus guère des donations populaires, et sont de plus en plus marginalisés. Ils subissent une justice de plus en plus répressive, et en 1682, une déclaration « condamne les Bohémiens en rupture de ban à la chaîne des galères, leurs femmes à être enfermées à l’hôpital et les enfants, “petits Bohémillons”, à être élevés selon la religion chrétienne » (Asséo, 1994, p. 37). Bien que valable dans la France entière, cette déclaration eut un écho particulier dans les Bouches-du- Rhône car Marseille était le port de départ de tous ces Tsiganes, nouvelle main-d’œuvre pour les flottes royales de la Méditerranée ; « Ainsi, par décisions des intendants ou par sentences des tribunaux, nombre de Tsiganes étaient-ils acheminés vers Marseille pour rejoindre sur les bancs des galères des représentants de toutes les classes sociales, des criminels de toute espèce, ou des huguenots condamnés pour fait de religion » (Vaux de Foletier, 1961, p. 150). Les femmes et enfants suivant les hommes, de nombreuses Tsiganes se sont retrouvées dans

12 le Sud de la France à cette époque. Les poursuites à leur encontre et l’application de la déclaration de 1682 ne furent pas menées partout avec la même rigueur et avec les mêmes moyens. Vivant éparpillés et s’adonnant de plus en plus à la pratique de métiers pour assurer leur subsistance, les Tsiganes ont ainsi réussi à plus ou moins se fondre dans la masse et à rester sur le sol français. De ce fait, « Marseille était la ville de France qui comptait la plus forte population tsigane. Déjà, au milieu du XVI e siècle, quelques Egyptiens s’étaient installés de leur propre autorité dans une maison appartenant au couvent de la Trinité. Aux XVII e et XVIII e siècles, les Bohémiens logeaient dans la paroisse des Accoules, au quartier de la Roche des Moulins, et surtout, en ce quartier, dans la rue de la Panoucherie qu’on appellera plus tard rue de la Fontaine des Bohémiennes. Les femmes filaient, blanchissaient le linge des soldats, se répandaient en ville pour dire la bonne aventure ; elles chassaient le chat pour en faire un plat à leur façon. Les hommes étaient professeurs d’escrime ou maîtres de danse. Ou bien, ils s’engageaient comme soldats ou tambours dans les troupes des galères. Parfois, après un certain nombre d’années de vie fixée, les Tsiganes reprenaient la route ; on en rencontrait dans la vallée du Rhône, comme en Bretagne, qui disent avoir habité à Marseille, « sur les Moulins » ou aux Accoules » (Vaux de Foletier, 1961, pp. 195-196). L’histoire des Tsiganes en France au XIX e siècle est beaucoup moins documentée. Il semble qu’elle puisse se résumer à une continuité de la répression judiciaire à l’encontre des Tsiganes mais sans l’existence de grands évènements marquants. Il semble ainsi que le XIX e siècle soit celui d’un changement d’attitude et de perception des Tsiganes, à l’exemple de leur place dans la conception religieuse chrétienne : « Les Tsiganes, accueillis d’abord avec trop de naïve confiance, lorsqu’ils commencèrent à se répandre dans la Chrétienté, traité avec trop de méfiance par la suite, ne furent que bien rarement adoptés par les chrétiens au milieu desquels ils vivaient. Parfois la sensibilité religieuse les adoptait. Une place était faite, dans le cycle populaire de Noël et de l’Epiphanie, à ces Orientaux mystérieux qui rappelaient les Rois mages. Cela surtout en Provence où, depuis 1850 au moins, les “Boumians” figurent parmi les personnages pittoresques, poupées habillées, santons d‘argile, destinés à animer les crèches. Déjà, à la fin du XVII e siècle, un noël provençal, chanté sur l’“air des Bohémiens”, faisait intervenir, après les bergers et les rois mages, trois Bohémiens aux pieds de l’Enfant Jésus […]. Mais dans des pastorales provençales du milieu du XIX e siècle, ce ne sont plus de gentils petits Boumians qui apparaissent : le Bohémien devient un personnage sinistre, allié de Satan » (Vaux de Foletier, 1970, pp. 114-115) nous développerons un peu plus loin cette représentation. Pour autant, ce contexte socio-historique n’engendre aucun départ massif de Tsiganes hors de France. Dans ses travaux sur les Manouches, Alain Reyniers évoque un siècle de déploiement et développement de réseaux de circulation pour ce groupe, une 13 première moitié de XIX e siècle comme période de renforcement de la présence des Manouches dans certaines localités et une intégration croissante à la société agraire (2006). Ce descriptif semble assez généralisable à la situation de l’ensemble des Tsiganes en France au XIX e siècle ; les différents groupes auraient perduré sur tout le territoire, s’installant de façon plus ou moins sédentarisée selon les régions, et exerçant des métiers adaptés à la vie rurale.

C - Les Gitans, une histoire particulière

Les Gitans d’Espagne appelés aussi les Calé, forment une majorité de la population tsigane présente dans les Bouches-du-Rhône. Mais leur histoire est quelque peu différente de celle des autres Tsiganes d’Europe, du moins à partir du XV e siècle. Parmi ceux arrivés dans le Sud de la France en 1419, certains Tsiganes ont poursuivi leur chemin jusqu’à l’Espagne. Ainsi, certains sont apparus en Aragon et Catalogne dès 1425. 22 ans plus tard, des Tsiganes sont signalés à Barcelone et en novembre 1462, en Andalousie (Vaux de Foletier, 1970, pp. 50-51). A la fin du siècle, les Tsiganes étaient présents dans toute l’Espagne. A l’instar des autres pays d’Europe, les Gitans se présentent comme des pèlerins et vivent des aumônes et autres largesses dues à ce statut et aux lettres de protection qu’ils possèdent. Ils entretiendront de bons rapports avec la noblesse espagnole pendant deux siècles. Pourtant, dès la fin du XV e siècle, les Gitans et d’autres minorités vont souffrir de nouvelles législations répressives. « Le 4 mars 1499, sept ans après l’expulsion des juifs et trois ans avant la conversion forcée des musulmans, les Rois Catholiques mettent les Gitans au pied du mur : ou bien ils deviennent sédentaires et se mettent à travailler comme tout le monde, ou bien ils disparaissent » (Leblon, 1985, p. 26). Les réfractaires à ce Pragmatica, texte royal espagnol, ont dès lors 60 jours pour quitter l’Espagne. Passé ce délai, ils seront considérés comme des vagabonds et soumis au même traitement que ces derniers : peine de fouet, expulsion, prison, oreilles coupées, esclavage, puis à partir de 1539, galères (Leblon, 1985, p. 28 et p. 31 ; Escudero, Leblon & Salles, 2003, p. 19). Contrairement aux autres pays européens, et c’est probablement en cela que réside la spécificité des Gitans par rapport aux autres Tsiganes aujourd’hui, l’Espagne a opté pour une assimilation rapide et totale des Gitans ; ils doivent disparaître du paysage espagnol, c’est-à-dire ne plus être visibles et se fondre à la population majoritaire. Plusieurs lois successives iront dans ce sens ; « en 1633, une loi signée par Philippe IV oblige les Gitans à se disperser parmi les autres habitants. Leur nom est interdit ainsi que le costume, la langue gitane et même les danses et la musique. Ils n’ont plus le droit de vendre des chevaux, ni de participer aux foires » (Escudero, Leblon

14 & Salles, 2003, p. 20) ; les écrits de Nathalie Manrique évoquent également : « l’interdiction pour les Gitans de parler leur propre langue, de porter un type de vêtement “reconnaissable”, de manifester ouvertement leur appartenance s’accompagne de l’obligation de se recenser et de se sédentariser au milieu de la population andalouse. […] le terme même de “Gitanos” est substitué au XVII e siècle par la formule “Castillanos Nuevos (Nouveaux Castillans)”, de même que les peines pour ceux qui s’opposent au contrôle de plus en plus capillaire de l’administration – permissions spéciales pour les marchés, établissement d’une liste restreinte de localités surveillées où les Gitans peuvent se domicilier, obligation du travail agricole – deviennent radicales » (Coppola, 2011, p. 45). L’insistance observable de toutes les lois promulguées sur l’effacement de tout signe différenciateur découle immédiatement de la Pragmatica de 1499. « La pragmatique royale dite de Medina del Campo (signée à Madrid en 1499) qui incite les Gitans à trouver un métier et un maître et leur interdit le voyage en groupes, leur reproche surtout d’aller “de lieu en lieu”, sans métier » (Liégeois, 2009, p. 51) ; l’ensemble de ses lois d’application a engendré un mouvement de sédentarisation des Gitans extrêmement rapide, qui a eu pour corollaire une affirmation identitaire forte, comme l’explique Henriette Asséo : « La sédentarisation très précoce provoqua la constitution d’une population gitane disposant tout à la fois de traits distinctifs (le costume, les noms, des coutumes) et bien intégrée dans la société par l’exercice de métiers licites et honnêtes, indispensables à l’économie locale » (1994, p. 51). Dans ce contexte sociopolitique particulier, les instances espagnoles vont donc s’acharner à promulguer des lois restrictives envers la population gitane pendant environ deux siècles et demi, allant même jusqu’à l’étude de lois de séparation des sexes pour empêcher à cette population de se reproduire. Cependant, face à la lenteur du mécanisme d’assimilation et à la persistance de traits distinctifs malgré une législation toujours plus restrictive et punitive, une solution finale est envisagée en 1749 : l’expulsion ou l’internement. Permettant d’acquérir une main-d’œuvre gratuite et efficace, c’est la seconde solution qui fut choisie et appliquée par une rafle générale en été 1749. Mais l’ensemble du processus eut à souffrir d’un travers : la sédentarisation forcée et rapide des Gitans a engendré une forme d’intégration avérée, c’est-à-dire reconnue et jugée utile par la population majoritaire. Ainsi, malgré leurs signes distinctifs, les Gitans sont intégrés à la population espagnole, faisant tourner une certaine économie. La rafle de 1749 est ainsi fort décriée par la population espagnole, à tel point qu’un ordre de libération sera promulgué dès 1763. La pragmatica de 1783 officialise une sorte de terme à la volonté d’assimilation des Gitans à la société espagnole, sans pour autant reconnaître ce dernier comme peuple à part entière.

15 Les différents éléments historiques présentés ici ne sont pas valables pour la région de la Catalogne. Cette dernière est autonome sur le plan administratif jusqu’en 1716 ; elle n’est alors pas concernée par les politiques d’assimilation et pratique plutôt l’expulsion des Gitans, notamment avec la signature du texte de 1706. 10 ans plus tard, un décret impose la loi castillane et avec elle la sédentarisation obligatoire des Gitans (Escudero, Leblon & Salles, 2003, p. 26). Cependant, la population gitane en Catalogne ne représente que 10% de la population gitane sur le territoire, la majorité, 67%, se situant en Andalousie (Escudero, Leblon & Salles, 2003, p. 28). Cette distinction fait pourtant sens aujourd’hui, d’une part dans les dénominations des Gitans eux-mêmes et d’autre part, dans les parcours migratoires familiaux. Ainsi, pour les Gitans de Catalogne, la loi de 1783 est synonyme de liberté de circulation. Dès 1790, plusieurs familles franchissent ainsi la frontière et s’installent à 6. Au début du XIX e siècle, cette migration s’accentue lors de l’occupation de toute une partie de l’Espagne par les troupes napoléoniennes. Elle les débuts de l’implantation en France de populations dites gitanes catalanes, qui se déplaceront au fil du temps de Perpignan vers l’Hérault, dans des villes comme Béziers, Sète, ou Narbonne, voire par la suite dans les autres villes de la côte méditerranéenne ou vers Arles, Cavaillon et Salon. L’histoire des Gitans d’Andalousie se complexifie en cette fin de XVIII e siècle. Les historiographies sont rares qui évoquent la grande migration qui va mener nombre d’entre eux de l’Espagne au Maghreb. « Fuyant la misère, nombre d’entre eux la quittèrent en plusieurs vagues migratoires ; les uns partirent vers le Nord et la Catalogne (ainsi les Gitans “marseillais” qui disent venir de Barcelone sont de culture andalouse et non pas catalane) ; d’autres traversèrent la mer pour gagner les territoires français d’Afrique du Nord. Ils essaimèrent surtout le long du littoral ouest-algérien (Oranais, etc.) et marocain, dans des régions qu’avaient adoptées de nombreux Espagnols payos (les Gadjé), eux aussi à la recherche de conditions économiques plus favorables que dans leur pays d’origine » (Arsac, 1992, p. 10). Outre le distinguo de parcours opéré dans cet article, il y est également fait mention du regroupement culturel et linguistique constaté entre Gitans et espagnols. En effet, le suivi du parcours des Gitans au travers de documents d’archives ou autres se révèle

6 « Il s’agit des Patrach, établis précédemment à Figueres et à La Bisbal ; des Baptista ou Baptiste, dont quelques familles résidaient également dans la province de Gérone, mais qui étaient beaucoup plus nombreux autour de Tarragone et de Barcelone, où ils étaient tondeurs et marchands de chevaux ; des Cargols, venus de Sant Feliu de Guixols, de Figueres ou de Ribes ; des Cortés, présents en 1785, dans la proche banlieue de Barcelone, des Ferrer, venus de Sabadell, de Matar ό ou de Pineda (province de Barcelone) ; des Gil, de Balaguer ou de Vilafranca del Penedès ; des Soler ou Solés, tous originaires de Torroella de Montgr ί ; enfin des Vidal, qui résidaient autrefois à Puigcerdà et à Guissona » ( Escudero, Leblon & Salles, 2003, p. 29). 16 particulièrement ardu dans la mesure où ils ne sont que peu signalés comme tels ; au Maghreb, ils apparaissent comme noyés parmi les autres espagnols non-gitans ayant émigré vers le Maghreb à la même période. La périodicité de cette émigration est elle-même difficile à attester. Les Gitans d’aujourd’hui situent généralement ce départ vers l’Algérie à la période franquiste, c’est-à-dire à partir ou peu avant 1939. Or, comme l’expose Claudia Coppola au travers de son travail à la fois d’ethnographie et de recherche en archives, cette temporalité souffre d’un anachronisme historique important. Elle situe donc plutôt ce départ après 1850 : « En effet, la crise des milieux agricoles, la sécheresse et les inondations qui se produisirent et qui persistèrent dans le sud-espagnol autour de la deuxième moitié du XIX e siècle, rendirent les andalous relativement disponibles à abandonner leur pays et à alimenter une émigration vers une terre proche et très facile à atteindre. Le gouvernement français concourut également à cet exode par une politique de peuplement du territoire algérien. […] le mouvement des espagnols, dirigé principalement vers la région d’Oran et s’étalant vers le département algérois, se développa à partir des années 1860 et, entre 1870 et 1890, devint un vrai phénomène de masse » (2011, p. 54). Après presque un siècle d’existence au Maghreb, ces Gitans « d’Algérie » vont émigrer de nouveau, vers la France cette fois-ci, lors des guerres d’indépendance. La plupart d’entre eux arriveront donc dans le Sud et plus précisément à Marseille avec la vague des rapatriés Pieds-Noirs d’Algérie, dans les années 1950-1960.

Le détour effectué ici sur l’histoire des Gitans d’Espagne trouve sa légitimation dans la présence quasi majoritaire actuellement de Gitans à Marseille et dans tout le département des Bouches-du-Rhône. Les deux trajets migratoires et la différenciation entre deux groupes de Gitans d’Espagne, les Catalans et les Andalous, est encore effective aujourd’hui dans les discours des informateurs.

D - Les Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône

Les données chiffrées sur la population tsigane en France au XX e siècle sont bien peu nombreuses 7. L’ensemble des écrits fait usage et référence du grand recensement de 1961 organisé par la Ministère de l’Intérieur. Maurice Colinon, se basant sur ce document, fait ainsi état de 79 196 Tsiganes (qu’il désigne d’ailleurs incorrectement sous le terme Gitans) en

7 La population tsigane a énormément souffert de la seconde Guerre mondiale, subissant un holocauste au même titre que les juifs. Les estimations de ces pertes sont assez variables, entre 800 000 victimes pour la Licra (Cf Revue Problèmes Politiques et sociaux, 1985), une estimation de un tiers de sa population européenne entre 1942 et 1945 pour Maurice Colinon (1968), 500 000 victimes pour Jacqueline Charlemagne (2004) ou Henriette Asséo (1994). En France, il s’agit notamment d’un internement, facilité par l’usage et obligation des carnets anthropométriques institués en 1912 (Asséo, 1994). Plusieurs autres travaux se consacrent à cette question qui, pour des raisons d’ordre thématiques, ne sera pas traitée ici. 17 France, signalant cependant qu’un bon nombre a certainement échappé au recensement ; il estime également à environ 2000 le nombre de Roms présents sur le territoire, sans indiquer si ce chiffre est compris dans les presque 80 000 Tsiganes recensés (1968). En ce qui concerne plus précisément le département des Bouches-du-Rhône, les sources ne sont guère plus nombreuses ni plus précises. Bernard Ely, toujours à partir de ce recensement, évoque le chiffre de 2065 personnes, mais sous le terme « population d’origine nomade », pour le département (1964, p. 343). Sous cette dénomination, il est difficile de savoir si les populations tsiganes sédentaires sont comptabilisées, de même que celles de passage ou celles en habitat semi-sédentarisé. Le même flou ressort des éléments issus d’un rapport non daté sur les Tsiganes des Bouches-du-Rhône, qui donne des estimations en nombre de familles et non pas en nombre de personnes ; « près de 1500 familles par exemple se sont ainsi ajoutées en 1962 à celles déjà marseillaises venues auparavant d’Espagne » (p. 22). Par contre, en 1967, un autre rapport, évoquant un essai de dénombrement des Gitans, apporte des informations plus précises sur la ville de Marseille : il fait état de 1753 personnes, constituant 416 familles (Préfecture des BDR). Toujours en nombre de familles, ce rapport évoque la répartition suivante : 800 familles à Marseille, 240 à Port-de-Bouc, 120 à Aix-en-Provence, 40 à Arles, 35 à et quelques petits groupements aux Saintes-Maries, à , à Berre, à Saint- Rémy, à , à , à Port-Saint-Louis, à Gignac, à et à . Or, à cette même période, de nombreux Gitans arrivent dans le département avec les vagues de rapatriés Pieds-Noirs d’Algérie et du reste du Maghreb. D’une part, leur nombre est indéterminé car noyé dans la masse des rapatriés non-tsiganes et d’autre part, ces retours se font entre 1954 et 1962, posant ainsi la question de leur insertion dans ce décompte de 1961 présenté ci-dessus. Entre les deux dénombrements de 1954 et 1975, la population marseillaise a grossi de 250 000 habitants, parmi lesquels des rapatriés gitans. Déjà, « fin 1964, les départements du Midi méditerranéen compteraient 404 000 rapatriés, pratiquement le tiers des nouveaux arrivants. Le seul département des Bouches-du-Rhône en abriterait 155 000, près de 12% du total » (Sayad, Jordi & Temime, 1991, p. 102). Assez conforme à ces estimations, Jean-Baptiste Humeau avance le chiffre de 50 000 personnes gitanes rapatriées présentes dans diverses villes du Midi méditerranéen, notamment Marseille et (1995, p. 105). Le rapport de la préfecture des Bouches-du-Rhône fait également la place à cette accroissement de la population gitane : « L’effectif des groupes de gitans vivant dans notre département a ainsi sensiblement grossi depuis 1961. On peut évaluer à 1200 environ le nombre de familles, représentant approximativement 5000 personnes » (1967, p. 3). D’après Claudia Coppola, l’estimation de ces Gitans rapatriés d’Afrique du Nord tourne autour des 3000 personnes pour la seule ville de Marseille dans les années 1970 (2011, p. 62). L’AREAT 18 avance également le chiffre de 3000, mais cette fois-ci 3000 familles à titre d’estimation des Gitans habitant à Marseille au début du XXI e siècle, l’évaluant même comme la population la plus importante sur le pourtour méditerranéen : « 100 à , Montpellier ou Béziers, 500 à Toulon, Sète ou Perpignan » (sans date, p. 19). En 1974, le département des Bouches-du- Rhône comptabiliserait 10 000 Tsiganes, dont 6000 sur Marseille (Lesme, 1974, p. 1). Enfin, l’AREAT évalue l’ensemble de la population tsigane française à 300 000 personnes, ce qui correspond à l’estimation minimale (400 000 étant une estimation maximale. Jean-Pierre Liégeois, 2009, p. 29). Ce rapide contour des sources chiffrées illustre les incertitudes liées à cette population gitane dans le département. Les informations disponibles ne donnent cependant guère plus de précisions pour les autres départements français, surtout pour cette population gitane d’Afrique du Nord. Que ce soit sur les raisons de sa migration de l’Espagne au Maghreb puis du Maghreb à la France, ou sur les dates de ces départs et arrivées, rien n’est établi ni quantifié de façon exacte. Les rapports consultés font d’ailleurs bien plus de place à l’habitat, et notamment au nomadisme, qu’à des descriptions historiques des mouvements de cette population dans les Bouches-du-Rhône. Le même constat peut être fait sur l’ouvrage pourtant fort complet et détaillé Migrance , plus précisément sur le Tome 4 consacré à l’Histoire des migrations à Marseille au XIX e siècle ; cet ouvrage, qui accorde largement sa place à la décolonisation du Maghreb compte-tenu de son rôle et impact sur la cité phocéenne, ne fait que très peu état des Gitans, rarement même au détour d’une ligne. Reste que cette historicité sur les Tsiganes des Bouches-du-Rhône ne peut que paraître ici lacunaire, malgré la multiplicité des sources mobilisées.

19 L’histoire des Tsiganes se révèle, à la lumière des quelques fils historiographiques présentés ci-dessus, d’une complexité non négligeable. D’un point d’origine qui pourrait paraître simple, l’Inde, s’il n’était aujourd’hui remis en cause, les multiples voies migratoires empruntés, les multiples éléments culturels dont s’est imprégnée la culture tsigane au fil de ses pérégrinations, tout en préservant toujours sa propre identité, mettent au jour un tissu socioculturel extrêmement entremêlé, dont les seules dénominations des groupes tsiganes sont un exemple très révélateur. Ainsi, suivant le parcours migratoire de ces différents groupes, Manouches, Roms et Gitans, nous avons pu dresser ici un panorama, bien que lacunaire faute de sources et d’études systématiques, de la situation des Tsiganes en France, et notamment dans le département des Bouches-du-Rhône, sur le plan historique. Les divers éléments mis en exergue nous permettent surtout de percevoir une première explication à l’implantation des Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône. La destination des Tsiganes au fil du temps et des migrations n’est pas liée à une optique spécifique ; elle répond à des évènements de l’histoire (persécutions, guerres, dominations) qui, à un moment donné, pousse cette population à migrer. Et compte- tenu d’un contexte sociopolitique et surtout économique, la voie migratoire s’alimente de tous temps d’un axe Est-Ouest, dont la dernière grande vague migratoire de Roms des pays de l’Est est une parfaite illustration. De plus, ces migrations successives sont fortement espacées dans le temps. Et la culture tsigane n’étant pas une culture élaborée sur un socle territorial revendiqué, ces Roms, Gitans et Manouches sont toujours partie intégrante de la population au sein de laquelle ils vivent. Les notions d’exil, de diaspora, de retour à une terre originelle sont ainsi des données absentes du schéma culturel de cette population. Leur présence en un espace géographique semble donc, en premier lieu, lié à un « aléa » de l’histoire sans que cette inscription territoriale ne fasse l’objet d’aucun questionnement spécifique de la part des Tsiganes, nous le verrons par la suite. Pour autant, de nombreux éléments culturels sont à prendre en compte pour ne pas réduire cette implantation à un simple jeu de dés de l’histoire. Malgré la voie migratoire empruntée et son point d’arrivée comme point de chute effectif, certains groupes ont pourtant bougé, à l’instar des Gitans de Perpignan s’étant déplacés le long du pourtour méditerranéen, de Béziers à Narbonne, Montpellier, voire plus loin. Il convient donc maintenant de s’attacher plus avant à d’autres facteurs explicatifs de cette implantation, à commencer par le type et le lieu de l’habitat.

20 II - L’implantation des Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône : où et comment ?

L’objectif premier de cette recherche était de comprendre les modalités selon lesquelles des Tsiganes habitaient dans le département, c’est-à-dire où et comment ils y vivaient. Par le terme d’implantation, il s’agissait donc d’appréhender les modalités d’installation de cette population dans les Bouches-du-Rhône ; par définition, ce terme connote une certaine fixation, c’est-à-dire un positionnement durable, ce qui dès le départ plaçait les populations arrivées récemment en marge de l’étude 8. Par contre, cette installation durable peut-être effective aussi bien en habitat fixe qu’en habitat mobile, dans la mesure où les Tsiganes nomades résident dans un territoire délimité, très rarement plus étendu que la région, voire généralement limité à un département.

A - L’habitat : une thématique centrale des études tsiganes

A en croire la plupart des écrits sur les Tsiganes, cette population se caractérise par un trait culturel spécifique : son nomadisme. Or, à l’heure actuelle, une très grande partie de cette population tsigane en France, et notamment dans le département des Bouches-du-Rhône, est sédentaire, et ce depuis plusieurs générations. Cette image du nomade s’est transmise au fil du temps dans les représentations, malgré des changements historiques importants dans le mode d’habitat des Tsiganes.

1 - Le Tsigane est-il nomade ? Par usage et définition du sens commun, la population tsigane est perçue comme nomade, c’est-à-dire vivant en caravanes et se déplaçant sans cesse. Contrairement à la sédentarité, le nomadisme est visible et a forgé très tôt un critère de reconnaissance des Tsiganes pour les Gadjé ; « Lorsqu’ils apparurent en Europe orientale (alors Empire byzantin), sans doute dans le courant du XII e ou XIII e siècle, ils n’affichaient probablement pas tous un mode de vie itinérant ; néanmoins, ceux qui déambulaient étaient apparemment nombreux et c’est en tant que nomades que leurs descendants seront un peu partout, plus tard, distingués des autres populations » (Reyniers, 2004, p. 63). Cette image est extrêmement courante de nos jours en raison de la surmédiatisation dont font objet les Roms des pays de l’Est, avec les soucis d’aires d’accueil auxquels ils sont confrontés et la gestion

8 Nous renvoyons ici aux précisions apportées en introduction quant aux choix d’étude opérés par rapport au projet initial. 21 politique complexe qui les entourent 9 (Cf. Annexe 5, p. 103). De plus, le nomadisme est une valeur absente des sociétés occidentales ; son attribution aux Tsiganes permet de s’en différencier plus aisément, d’en faire des étrangers, des Autres ; « Le concept ethnique “tsiganes” est plus récent encore. Il tend à réunir dans une même construction des individus organisés en groupes familiaux structurés qu’une histoire spécifique, des liens culturels étroits et un mode de vie caractérisé par le nomadisme, permettent d’identifier. Le dénominateur commun de ces appellations utilisées par les sédentaires – les gadjé – repose avant tout sur des stéréotypes. Ceux-ci trouvent leur source dans une perception de populations tsiganes méconnaissant les normes de la vie locale, transgressant “la règle de l’enracinement”. L’acceptation de ces exonymes, l’exclusion dont ils sont porteurs, les rendent impropres à une désignation des populations considérées. En tout cas, ils ne permettent pas de dépasser la définition réductrice d’une identité collective façonnée dans l’opposition aux valeurs de sociétés rurales attachées à leurs terroirs, à leur “ bien” » (Humeau, 1995, pp. 15-16). C’est bien une construction externe qui associe Tsiganes et nomadisme, dans cette double visée : d’une part faire de cette population des Autres, et d’autre part les désigner et les identifier par une marque discriminante, un attribut non caractéristique de la population majoritaire, à savoir le nomadisme ; « L’idée selon laquelle les Gitans ou Tsiganes sont des nomades est une idée aussi fortement répandue que partiellement fausse. […] leur nomadisme est associé à deux autres idées aussi importantes, ils seraient toujours des “étrangers” et des “vagabonds”. Les désigner par ces trois qualités revient en fait, à la fin du XX e siècle, à les disqualifier socialement et politiquement » (Bordigoni, 2010, p. 25) Selon l’acception occidentale, le Tsigane serait par essence nomade, là où aujourd’hui, de nombreux informateurs se disent sédentaires depuis des générations :

Toute ma famille ne vit pas en caravane ; on est tous sédentarisés, Tous ! Tous, tous, tous. Aussi bien du côté de mon père que du côté de ma mère. Y’a personne qui vit… qui est voyageur (Entretien Mercèdes, 21 Juillet 2011, Marseille).

Dans la famille de ma mère, c’était en caravane, mais avant, c’était les chevaux et la roulotte. Mais du côté de mon père, ils étaient déjà sédentaires en Espagne, sûrement dans les ghettos (Entretien Dolorès, 6 Juillet 2011, Marseille).

9 A titre d’exemple, quelques articles de presse, parmi de nombreux autres, abordent cette préoccupation médiatique et politique que constituent les Roms aujourd’hui ; Martin Olivera Martin, 2010 ; Agathe Westendorp, 2011 ; Emilie Grangeray & Mattea Battaglia, 2010. 22 Ces propos émanent de personnes gitanes, le groupe tsigane le plus sédentarisé et surtout depuis longtemps ; « Ce sont, de très loin, les plus nombreux à Marseille. Ils sont tous sédentaires et depuis longtemps, semble-t-il ; avant même leur arrivée à Marseille, qui se situe dans les années 56-62 » (Lesme, 1974, p. 2). Ainsi, malgré la réalité de nombreux Tsiganes sédentarisés à l’heure actuelle, voire depuis des générations dans de nombreuses familles, le stéréotype associe les Tsiganes au nomadisme et au voyage, à tel point que des catégories spécifiques ont été créées pour décrire leur type d’habitat. L’une d’entre elles n’est autre que la sédentarité et ce paradoxe découle et participe totalement à l’incompréhension de la culture tsigane ; « De façon récurrente, le mode de vie des Tsiganes et gens du Voyage, est défini selon la variable “sédentarité- itinérance”. Or, c’est un recensement national des “nomades”, effectué par la Gendarmerie en 1961, répartissant les familles en “nomades”, “semi-sédentaires” et “sédentaires”, qui a instauré cette approche. Autant ce décompte apporta à l’époque une estimation quantitative utile pour mieux cerner l’importance des problèmes de vie des Tsiganes et Gens du Voyage, autant cette catégorisation a contribué à construire une image figée, qui perdure et opacifie la compréhension de leurs modalités de vie » (Monnier, 2004, p. 10). Cette classification renvoie à une conception bien plus problématique, l’idée que le nomadisme est un mode de vie voué à disparaître dans la société moderne. Ainsi, ces trois catégories ne seraient que des étapes progressives vers une « normalisation »10 du Tsigane ; « Nous entendons par “semi- sédentaires” les populations en voie de sédentarisation vivant en caravane. Si celles-ci sont sédentaires de fait, elles conservent souvent leur sentiment d’appartenir au monde du voyage qu’elles sont susceptibles de reprendre selon la conjoncture. Plus que d’un état, il s’agit donc d’un processus, voire d’une dynamique » (Rapport, p. 17). Une telle conception engendre de nombreuses fausses lectures de la situation tsigane, situant le nomadisme dans une étape synonyme de pauvreté, d’inadaptation, dont on ne peut que sortir pour devenir sédentaire, ce qu’Alexandra Castro désigne comme une équivoque ; « le nomadisme comme une transition nécessaire vers la sédentarisation. La disparition du nomadisme est signe de progrès, de chemin vers la civilisation, de sécurité » (2009, p. 117). Autre équivoque relevée par cet auteur : cette marginalisation engendrée par le mode d’habitat est devenue, par stigmatisation, un trait distinctif d’exo-désignation des Tsiganes ; « Le nomadisme en tant que trait identitaire inhérent à la “culture tsigane” finit par renforcer l’idée selon laquelle les Tsiganes ont des modes de vie, des spécificités culturelles et des traditions qui favorisent la

10 Ce terme mérite d’être mis entre parenthèses. Il s’agit d’exprimer l’idée que le Tsigane ne vit pas selon la norme sociale majoritaire puisqu’il réside en caravane, et donc que son adaptation à une vie sédentaire représente un « retour à la normale », à la norme sociale. 23 pauvreté et la marginalité » (2009, p. 117). Ainsi, malgré l’inexactitude dont il relève, le nomadisme est présenté, voire considéré, comme un trait caractéristique de la population tsigane. La description de leur mode d’habitat passe donc par l’usage des trois catégories de résidence. Rapidement, les nomades désignent les Tsiganes qui voyagent continuellement, tout au long de l’année et font des haltes, plus ou moins longues, en fonction des possibilités de stationnement. Les semi-sédentaires sont des Tsiganes qui ne voyagent plus « que quelques mois par an tout en continuant à vivre en caravane », résidant sur des terrains squattés ou achetés (AREAT, p. 18) ; ils seraient « ceux qui, s’étant installés de façon sommaire pendant la guerre de 1939 à 1945 n’ont pu reprendre ensuite leur vie nomade antérieure » (Préfecture des BDR, 1967, p. 5). Et enfin, malgré les raccourcis de cette définition, « sont qualifiés de sédentaires les éléments complètement stabilisés qui habitent dans des logements normaux et disposent d’emplois permanents » (Préfecture des BDR, 1967, p. 5). Aujourd’hui, les Tsiganes sont donc soit des nomades, soit des semi-sédentaires, soit des sédentaires, la distinction s’opérant à partir de deux éléments : la durée de résidence et le type d’habitat.

2 - Quel habitat pour les Tsiganes ? S’attachant à la caravane, symbole de la mobilité tsigane, anciennement roulotte ou verdine des récits sur la vie tsigane 11 , Jean-Baptiste Humeau relève trois types de temporalités décisifs : la courte durée de quelques semaines, sur des lieux publics autorisés ; la plus longue durée, généralement en période hivernale sur des lieux publics autorisés ; la longue durée (se compte en dizaine d’années) sur des parcelles achetées, s’apparentant à de la sédentarité (1995, pp. 75-76). Mais de nombreux Tsiganes n’ont jamais vécu en caravane ; le type d’habitat est alors lié à une époque, à une situation migratoire ou un espace géographique. Le logement peut ainsi être la roulotte, sous son aspect romantique et traditionnel, en bois gravé, lourde, tirée par les chevaux, ou la tente, de plusieurs formes et plusieurs matériaux, ou l’habitat dans des grottes ou des abris semi-enterrés, caractéristiques de certains pays, ou encore une tente sur un terrain ou une cour, voire une maison, et enfin tout ce qui ressort de l’habitat précaire (baraquements, bidonvilles, etc.) (Jean-Pierre Liégeois, 1971, pp. 74-78). Sasha vit aujourd’hui au rez-de-chaussée d’une maison qu’il partage avec une de ses filles, son père y réside également, au premier étage. Un de ses fils vit dans une caravane installée dans la cour devant la maison. Pourtant, dans sa famille, personne ne vivait en caravane jusque là :

11 Dans les bibliographies, deux auteurs sont régulièrement cités pour avoir évoqué la vie des Tsiganes de l’intérieur, c’est-à-dire comme étant un des leurs, Jan Yoors et Joseph Doerr. Dans son ouvrage de 2004, Jan Yoors relate son expérience de vie auprès des Roms Lovara depuis son enfance. 24 Mon grand-père est arrivé en France en 1912. Il voyageait à pied, avec son samovar sous le bras. Il vivait alors sous les tentes. Quelqu’un du groupe partait à l’avant pour installer toute la famille. […] Après la guerre, il s’est installé à , en plein centre-ville, toujours sous la tente. Puis la famille s’est retrouvée à Villeurbanne, dans le bidonville de Lyon (Notes Entretien Sasha, 29 Juin 2011, Toulon).

Un de ses oncles paternel, Pashah, vit en caravane sur un terrain privé ; sur les 9 que compte aujourd’hui le terrain, 2 sont à lui, les autres sont celles de ses enfants. Il confirme le changement de type d’habitat au fil du temps dans sa propre lignée :

On vit tous en caravane, plus ou moins par obligation […] Des années 1930 jusqu’aux années 1960, nous vivions sous la tente. Puis après tous les 6 mois, on changeait de caravane. La première, on l’a achetée en 1951 à Nîmes lors de la naissance de notre premier enfant. Puis, au fur et à mesure que la famille s’agrandissait, on changeait les caravanes (Entretien Pashah Zanko, 29 juin 2011, Toulon).

L’habitat a ainsi beaucoup évolué, se constituant depuis toujours de plusieurs types et non pas de la seule roulotte ou caravane tel que le stéréotype du Tsigane nomade le construit. Qui plus est, l’histoire de l’habitat tsigane est totalement lié à des périodes historiques socialement et géographiquement situées. Dans le cas de l’Espagne, la politique d’assimilation intensive débutée en 1499 a fortement sédentarisé sa population tsigane, les Gitans ; la majorité des Gitans aujourd’hui, qu’ils soient passés par le Maghreb ou pas, revendiquent pour la plupart un caractère de sédentarité remontant à des générations. En France, les différents mouvements d’exode rural amorcés au début du XX e siècle ont eu une influence directe sur le mode de vie des Tsiganes, surtout des Tsiganes nomades. Plus particulièrement, c’est le dernier mouvement d’exode, celui des années 1950, qui engendre une paupérisation de la population tsigane : la diminution des activités économiques dans le monde rural pousse les Tsiganes vers les villes et vers une certaine stabilisation de l’habitat, ce qu’explique plus précisément Jean-Baptiste Humeau : « La symbiose économique sur laquelle se fondait avant guerre la vie des familles tsiganes est remise en cause par l’amorce d’une mutation des campagnes. Tout l’ensemble des services fournis par les Tsiganes, mêmes les plus menus […] ne répond plus à l’attente de paysans et de villageois gagnés progressivement par la modernité. Les nomades devront s’adapter à ces données pour reconstruire des formes renouvelées d’intégration économique. Peu de familles y réussiront. Le plus souvent, ce sera au prix de la perte de ce qui fondait leur existence. Beaucoup ne sortiront pas d’une spirale de marginalisation croissante dans une société de plus en plus

25 urbanisée » (1995, p. 57). Ainsi, en France, le mouvement d’exode rural a engendré une certaine sédentarisation des populations tsiganes, pour des raisons d’ordre économique ; cette sédentarisation, plus ou moins forcée, se traduit par une multiplicité de formes d’habitat dans laquelle le type précaire n’est pas négligeable. Ces mêmes catégorisations d’habitat se retrouvent ailleurs en Europe. Au Portugal, Alexandra Castro évoque les « logements non classiques » : « Sont inclus dans cette catégorie les types de logements suivants : baraque, maison rudimentaire en bois, logement improvisé et logements mobiles (caravanes et tentes) » (2009, p. 112). Mais toujours est-il que la part de la population tsigane résidant dans ce type d’habitat reste faible : entre 16 et 18% de la population tsigane du Portugal, voire un peu plus aujourd’hui. En France, la médiatisation des Tsiganes nomades donne une image assez faussée de la réalité sociale, puisque les estimations générales font état de seulement 1/3 de la population tsigane en état de nomadisme, 1/3 en semi-sédentarité et un 3 ème 1/3 en situation de sédentarité. En 1968, Maurice Colinon évoquait les chiffres suivants : « nomades : 5756 familles, soit 26 650 personnes ; semi-nomades : 5148 familles, soit 21 396 personnes ; sédentaires : 6831 familles, soit 31 150 personnes » (1968, pp. 53-54), chiffres établis à partir du recensement de 1961 déjà évoqué. Selon ce dernier, la part sédentarisée de population tsigane est même plus importante que les deux autres catégories. Pour la ville de Marseille, « le degré de sédentarisation de ces familles s’exprimerait par les chiffres suivants : familles itinérantes : 65 ; familles mi-sédentaires : 19 ; familles sédentaires : 332, Total 416 » (Préfecture des BDR, 1967, p. 2). Dans ces dernières estimations, les Tsiganes sédentaires représenteraient près de 80% de la population tsigane de Marseille. A l’échelle du département , « les nomades ne représentent plus, dans les Bouches-du-Rhône, que les 15% du chiffre total de la population gitane, soit environ 200 familles groupant 800 personnes » (Préfecture des BDR, 1967, p. 5). Dans le département, comme d’ailleurs dans la France entière, les Tsiganes sont une population très fortement urbanisée, quel que soit son mode d’habitat.

3 - Habitat et répartition dans les Bouches-du-Rhône La diversité de l’habitat, ainsi que les équivoques ou paradoxes liés à la notion de nomadisme dans le cas de la population tsigane, rendent difficile une exposition précise sur un plan statistique ou descriptif, de l’implantation des Tsiganes dans le département. De plus, au fil du temps, la population tsigane s’y est dispersée. Il est même possible à l’heure actuelle de parler tout à la fois de regroupement et de dispersion des Tsiganes dans les Bouches-du- Rhône. Le regroupement tient à l’existence de cités et zones d’habitat fortement peuplées par

26 des Gitans, notamment les quartiers nord de Marseille, et la dispersion au fait que de nombreux Tsiganes se sont également installés un peu partout, en accédant à un meilleur niveau de vie par exemple, ou par envie de « se fondre » dans la population majoritaire non- tsigane. « Certes il existe des cités HLM où elle est encore majoritaire et facilement repérable ; certes aussi une minorité d’entre elles n’a jamais pu quitter les bidonvilles où elle avait échoué il y a trente ans. Mais que ce soit dans les HLM ou en vieil habitat, parfois à la limite de la salubrité, les familles sont de plus en plus dispersées dans la moitié nord de la ville ; et surtout elles subissent les lois d’une migration centrifuge qui attire les gens au-delà des collines bordant Marseille vers les alentours du bassin de Berre (Port-de-Bouc, Martigues, Marignane…), la région aixoise ou même plus au nord, les rives de la » (Arsac, 1992, p. 12). Qu’il s’agisse de dispersion ou de regroupement, de nombreux éléments donnent à voir une forte sédentarisation des Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône. Les parcours de sédentarisation de nos interlocuteurs illustrent les données historiques et font transparaître ce cheminement vers un accès progressif à un logement plus décent, généralement en HLM, voire à la propriété, souvent synonyme également de distance géographique à la ville de Marseille. Pour la plupart, ils ont connu à leur arrivée en France l’habitat en bidonville car le rapatriement des Gitans d’Afrique du Nord a été réalisé dans l’urgence et donc de façon peu préparée ; « Dans l’urgence, les familles ont été installées ou se sont installées dans d’anciens camps de détention construits dans l’entre-deux guerres pour interner les républicains espagnols. D’autres ont bâti, dans des zones vides, des logements de fortune qui étaient des bidonvilles au nom parfois champêtre comme la Campagne Fenouil. Des cités de transit construites pour trois années furent occupées durant trente ans » (Bordigoni, 2010, p. 41). Bien évidemment, ce manque de préparation est valable pour tous les rapatriés et pas seulement pour les Gitans ; au début des années 1950, nous pouvons parler d’un véritable foisonnement de l’habitat précaire à Marseille (Cf Annexe 6, p. 104). Dans les vingt ans qui ont suivi, la ville a travaillé à la résorption des bidonvilles mais la situation a cependant perduré ; en 1964, il est fait mention d’un fait divers : « Incendie du bidonville de Saint Barthélémy, Marseille » (Chevallier) ; en 1967, le rapport de la Préfecture fait état de l’existence de 6 bidonvilles sur les 8 espaces d’habitat des Tsiganes à Marseille, et d’autres à Port-de-Bouc, et Aix-en-Provence. Les bidonvilles de Marseille sont situés à la Campagne Fenouil, aux Goudes et à La Timone ; La Grande Bastide est dit bidonville amélioré, et le Grand Arenas-La Cayolle et le Petit Séminaire-La Rose sont des ensembles – cité provisoire et bidonville pour le premier, HLM et bidonville pour le second. En 1973, celui de la Grande Bastide est résorbé et les familles gitanes qui y habitaient ont été installées dans le nord de la ville (Lesme, 1974, p. 5). 27 Tous logements confondus, les Gitans se répartissent plutôt dans les quartiers nord de Marseille, c’est-à-dire les XIII e, XIV e, XV e et XVI e arrondissements, ce qui s’explique en grande partie par le fait que ces quartiers ont connu une explosion démographique entre 1962 et 1975 ; afin de loger les rapatriés, de nombreuses cités HLM y ont été édifiées. « Durant ces années, l’accroissement de la population y a été supérieur à la moitié de la croissance démographique de toute la ville, la grande majorité de ces nouveaux habitants gagnant les cités HLM qui ne cessent alors d’être construites (plus de 70% du parc HLM existant aujourd’hui datent d’après 1962) » (AREAT, 1990, p. 35). En ce qui concerne les autres types de logements, les résorptions de bidonvilles ont surtout été réalisées dans les quartiers sud de la ville, ceux caractérisés comme étant les plus riches. De ce fait, dans les années 1970, les Tsiganes, en HLM, en bidonville, en cité provisoire ou autre, sont majoritairement dans les quartiers nord (Cf. Carte ci-dessous).

28 Carte 2 : Répartition des Tsiganes à Marseille en 1974

Source : Lesme, 1974, p. 4.

Quelques années plus tard, en 1978, le bidonville de Ruisseau Mirabeau a fait l’objet d’un chantier de résorption assez particulier, dans la mesure où sur l’emplacement de ce dernier a été bâti le village Ruisseau Mirabeau, en deux étapes : le village 1 en fonctionnement en décembre 1979, le village 2 en fonctionnement en 1983. Il s’agit en fait d’un habitat dit « mixte » : « La formule retenue intègre la caravane, habitat traditionnel et garantie de moyens de mobilité, dans une cellule complétant et individualisant les services indispensables pour un stationnement prolongé (cuisine, sanitaires) et délimite un espace extérieur à usage professionnel ou utile bien individualisé » (Busnel, 1984, p. 20). A cette

29 date, le village Ruisseau Mirabeau abritait 120 familles. En 2008, ce même lieu est décrit comme une cité d’habitat adapté, qui regroupe 92 logements sur 3 ensembles distincts, chaque maison ayant un terrain pour caravane ; c’est une cité à laquelle sont généralement associés le « terrain Lesieur » sur lequel se situent plusieurs caravanes et le « terrain Casino » qui accueille aussi des caravanes, souvent de familles expulsées (Adéus groupe Reflex, 2008). La cité n’est qu’un des trois types d’habitat adapté ; il s’agit en fait de Cités de Promotion Familiale, les deux autres types étant des Diffusions (majoritairement existantes dans les 2 e, 3e, 13 e, 14 e et 15 e arrondissements de Marseille) et des Terrains Familiaux (adaptations non construite des Cités de promotion Familiale). Cette forme d’habitat est : « une réponse “logement” pour des familles généralement paupérisées qui occupent un habitat précaire et ne peuvent intégrer l’habitat social collectif sans difficultés pour le logeur ou elles-mêmes » (Rapport, p. 43). Malgré les différentes initiatives de résorption des bidonvilles engagées à Marseille depuis les années 1970, à la fin des années 1990 tous n’avaient pas disparu et abritaient encore quelques 600 familles ; « Ainsi sur Marseille et au regard de l’habitat, sur environ 2800 familles françaises d’origine tsigane à majorité andalouse qui y sont sédentaires depuis plusieurs générations, on peut considérer que : 2000 vivent leurs réalités culturelles en étant bien insérés dans le tissu urbain en habitat collectif ou individuel ; 600, logés en HLM, peuvent avoir des difficultés conjoncturelles ou ponctuelles ; 200 sont encore en bidonvilles ou en habitat insalubre » (Rapport, p. 35). Outre l’habitat adapté défini ci-dessus, l’habitat collectif individuel ou collectif se distingue en deux types : habitat social collectif traditionnel et habitat social collectif d’urgence, ce dernier désignant l’ensemble des structures établies de façon provisoire et ayant perduré. Pour la ville de Marseille, le tableau suivant détaille cette répartition de l’habitat (Cf. Tableau 1, p. 31). Etablie à partir de ce tableau, la Carte 3, p. 31 illustre bien la répartition scindée de cet habitat, majoritairement situé dans les quartiers nord malgré les réhabilitations effectuées.

30 Tableau 1 : Types d’habitat abritant des Tsiganes à Marseille Arrondissements 13/14 ème 15/16 ème 3ème Autres ZUP La Bricarde Bonneveine St Paul La Castellane Ajoncs Habitat social St Barthélémy Mourepiane collectif Le Merlin traditionnel Habitat social collectif St Joseph Fil de Lin Fonscolombe La Cayolle d’urgence La Renaude Madrague Ville La Millière Larousse Bassens Le Petit Séminaire Vert Bois Leduc Habitat adapté Hérodote Ruisseau Mirabeau 1 Diffus parc Baou de Sormiou Diffus Ruisseau Mirabeau 2 privé Camping Eynaud Ruisseau Mirabeau 3 Terrain Pradel Vallon des Tuves Diffus Bidonville urbain et St Joseph Bât 9 et Campagne Fenouil Diffus privé Chalets Coder caravanes ferme Bricarde Provisoire insalubre Traverse immobilisées Fortuné Chaillan Commandeur Source : Rapport, sans date, p. 25. Carte 3 : Répartition de l'habitat tsigane à Marseille

Source : Réalisation des auteurs, 2011. 31 Ces différents types d’habitat ne sont pas réservés aux populations tsiganes ; elles y sont souvent présentes et en nombre significatif, mais conjointement à d’autres populations. Par exemple, en 2009, la Cité d’urgence de Saint Joseph comptait 55% de Gitans Pieds-Noirs espagnols. Entre les années 1995 et 2009, certains éléments de cette cité ont été détruits : elle avait été construite en 1954 dans le parc de l’ancienne propriété du Vieux Moulin à Saint Joseph et regroupait 8 bâtiments de 98 logements, ainsi qu’un bâtiment, dit « le château », comprenant 2 logements, le Bâtiment 9 et La Ferme, ensemble de 6 logements. Ces deux derniers éléments ont été détruits (la Ferme en 1994). Le reste, abritant encore 79 ménages, doit être démoli et les familles relogées (Adéus groupe Reflex, 2008, p. 23). Il en est de même dans la Cité HLM de La Renaude/ Hérodote, La Renaude désignant les bâtiments de la partie dite « basse » et Hérodote ceux de la partie dite « Haute » de cet ensemble d’habitations ; « La population de la cité est constituée majoritairement de familles gitanes sur la partie basse, alors que l’on observe une relative mixité dans les bâtiments de logements collectifs : les “Gitans” représentent moins de 40% des ménages, les ménages d’origine maghrébine également environ 40%, et les 20% restant se partagent entre des familles d’origine africaine et française. En ce qui concerne la population gitane, il s’agit comme nous l’avons déjà évoqué de familles d’origine andalouse dont le parcours migratoire passe par l’Algérie où comme souvent a eu lieu une première sédentarisation, avant d’aboutir à Marseille. Un autre groupe se qualifie d’“Espagnol” en s’opposant ainsi aux “Gitans” ; il semblerait qu’il s’agisse d’un groupe dont la présence à Marseille est plus ancienne, et dont les familles n’auraient pas vécu en Algérie. L’ensemble des familles sont totalement sédentaires, même si l’on peut observer de manière ponctuelle la présence de caravanes » (Adéus groupe Reflex, 2008, p. 28). La forte présence de la population tsigane, pour des raisons historiques, nous l’avons vu, sur Marseille explique en partie que la majeure production d’informations sur ces espaces d’habitat tsiganes traitent de cette ville. Les données dont nous disposons pour le reste du département sont très diffuses et bien moins précises. Ainsi, le rapport de la région Paca évoque la présence de familles tsiganes sédentarisées à Salon, Arles, Aix, Vitrolles, Marignane, Berre et Istres, essentiellement dans des habitats sociaux collectifs ; de nombreux autres Tsiganes résident dans des types d’habitats encore plus paupérisés, à Arles, , Maussane, Orgon, Porc-de-Bouc, Sénas, Saint-Chamas, , Tarascon et . Plus en détail, ce même rapport fait état de la construction en 1985 des Hameaux Martelly à Aix- en-Provence, de Tsiganes installés à Chateaurenard sur des terrains achetés ou loués, de Tsiganes manouches à Eyrargues et au Puy Saint Réparade, ainsi que d’installation de Tsiganes à Lançon de Provence, Marignane, Gignac et Martigues. De fait, ces différents 32 rapports disponibles offrent des données qui correspondent à un certain type d’habitat, le seul autorisant en quelque sorte un dénombrement ou recensement car découlant de certains droits sociaux d’accès. En réalité, de nombreux Tsiganes sont installés dans tout le département selon le même mode d’habitat que le reste de la population, c’est-à-dire en location ou en propriété. La disparition de ces Tsiganes-ci dans le décor résidentiel des Tsiganes du département est directement lié à ce mode d’inscription dans l’habitat, identique à celui des Gadjé. Pour autant, comme pour tous les autres Tsiganes, il relève de deux valeurs fondamentales de la culture tsigane, la première étant liée à la survie économique, l’autre étant la famille.

B - L’économie, une valeur spécifique

1 - Une conception différente De tous temps, les rapports des Tsiganes au travail ont fait l’objet de nombreuses critiques. Le stéréotype fait du Tsigane un fainéant, insouciant et peu inquiet du lendemain et l’ensemble de sa conception économique de la vie est dévalorisée, même si cela repose sur un paradoxe énorme : celui de répertorier les différentes activités des Tsiganes ; Marc Bordigoni explique en effet qu’à la fin du XIX e siècle, avec l’arrivée parmi les Bohémiens de France de Tsiganes de l’Est fort différents, « il faut leur assigner un point commun ou du moins trouver une manière de produire qu’il s’agit d’un ensemble de “bons à rien”, de prouver leur marginalité irréductible et cela se fait en mettant en cause leur rapport au travail. Dans les articles décrivant un groupe tsigane de passage, chaque fois, est précisée la profession de la personne ou du groupe dont il est question. La liste est longue : marchands de draps, fabricants et vendeurs de paniers, diseuses de bonne aventure, somnambules, réparateurs de parapluies, dégraisseurs de chapeaux, tondeurs de chiens, collecteurs de peaux de lapin, journaliers agricoles, chanteurs, montreurs d’animaux, chaudronniers, etc. Ils ont bien chacun leur métier ou profession. Pourtant ces mêmes journalistes n’hésitent pas, et parfois dans le même article qui évoque une profession déterminée, à généraliser leurs propos. Ils concluent que finalement ces “gens-là” font partie d’un vaste ensemble de personnes qui sont, et l’expression est toujours la même, “sans profession ni métier déterminés” » (2010, pp. 55-56). La construction de ce stéréotype lié au travail du Tsigane découle une fois de plus d’une totale incompréhension de la conception et du mode de vie tsiganes, conception qui côtoyant de fort près la société environnante, n’en paraît que plus en marge et inadapté à la société contemporaine. D’une certaine façon, le travail pour un Tsigane n’est qu’un moyen de faire vivre sa famille et dépend d’opportunités, de possibilités diverses ; ainsi, le parcours

33 professionnel n’a rien d’un but en soi, il dépend des circonstances et du contexte de la société environnante.

Moi, j’ai été à l’école… à 13-14 ans, c’était pas très bien vu, du coup j’ai quitté l’école. C’était plutôt une honte. Donc j’ai quitté l’école, et puis y’a eu les TUC, les premiers contrats aidés. Et pour me faire 2 sous, j’ai dit je vais me faire un petit contrat TUC, je pensais faire du ménage et je suis tombée sur un directeur formidable, que je vois toujours 25 ans après, et il m’a dit non, tu vas pas faire le ménage, tu vas faire de l’animation. J’ai commencé par faire des petits diplômes, BAFA, … et j’ai progressé comme ça. Je ne me suis pas posée la question. On a fait une association pour aider les jeunes pour les devoirs, … […] Voilà, comme ça vacataire 12 ans, j’avais 50 contrats. Et puis j’ai été intégrée, j’ai pris des cours de français, j’ai passé des diplômes. […] Voilà, on arrive à aujourd’hui, je suis à la ville, cadre B, je vais passer d’autres diplômes pour progresser encore. J’ai 44 ans. (Entretien Dolorès, 6 Juillet 2011, Marseille).

Dans son parcours, Dolorès exprime très clairement cette conception du travail comme conséquence à des opportunités de la vie, alors même qu’elle est une Gitane sédentaire et non pas une nomade vivant du porte-à-porte comme ont pu l’être ses grands-parents. Le rapport au travail pour un Tsigane répond donc à une logique totalement différente, il s’agit véritablement d’une autre « philosophie de l’économie » : « Ce qui compte, dans un métier, c’est avant tout la façon dont il est possible de l’exercer. Cette philosophie de l’économie fait que le choix des activités, quand ce choix est possible, est le résultat d’un compromis entre l’obligation d’avoir des sources de revenu et le souhait de garder un style de vie, dans un contexte socio-économique et culturel changeant » (Liégeois, 2009, p. 84). De cette conception de l’économie découle la spécialisation plus ou moins grande de chaque groupe tsigane dans des corps de métiers différents. L’illustration la plus évidente est celle des populations Roms qui se désignent du nom de leur activité professionnelle principale : ils sont ainsi Roms kalderash (chaudronniers et étameurs), Roms lovara (marchands de chevaux 12 ) ou Roms tchurara ; les Gitans sont généralement des marchands, pratiquant beaucoup le porte-à- porte 13 , tandis que les Manouches sont souvent ferrailleurs ou vanniers. Pour beaucoup, ils travaillent aussi comme saisonniers agricoles, circulant ainsi au gré des saisons par rapport à ces opportunités et temporalités de cueillette. Ces catégorisations ne sont ni déterminées, ni

12 Sur cette profession, voir le très bel article de Michael Stewart, 1994. 13 D’après Lola Dolz, « Les Gitans se spécialisaient dans la ferronnerie, la vannerie, la vente commerciale ambulante. Les hommes étaient des rémouleurs ou encore bouchers ou maquignons. Les femmes étaient habiles au crochet, tricoteuses et dentellières. Beaucoup de sédentarisés ont réussi dans des domaines divers, certains se sont enrichis. Les autres, plus modestes, préféraient jusqu’à récemment le travail à domicile de toute sorte ; les femmes s’affairaient à coudre des écussons sur les casquettes et autres articles d’uniforme des écoles privées, ou elles tricotaient pour des maisons de couture, etc. » (2009, p. 39). 34 exclusives ; elles correspondent seulement à des métiers pratiqués par adaptation à des milieux sociaux environnants. La distinction professionnelle opérée entre groupes gitans est ainsi totalement corrélée au mode d’habitat choisi ; « Par rapport aux Gitans andalous, qui sont en majorité, selon le recensement de 1784 et 1785, forgerons et artisans, ou encore bouchers, boulangers, etc. l'originalité du groupe catalan est constituée par le pourcentage élevé des marchands de chevaux et des tondeurs d'animaux. A première vue, cette division semble correspondre à l'ancienne distinction entre le groupe des Grecs, caractérisés par le métier de la forge et celui des Egyptiens, qui s'occupaient essentiellement des chevaux. Il faut observer également que les métiers caractéristiques du groupe andalou sont étroitement liés à une sédentarisation précoce tandis que ceux du groupe catalan favorisent, au contraire, une vie nomade » (Escudero, Leblon et Salles, 2003, p. 28). L’ensemble de ces métiers traditionnels des groupes tsiganes est signifiant d’une adaptation du travail au mode de vie, à un point tel qu’économie et mode de vie deviennent totalement interdépendants : le travail implique de pouvoir être mobile, c’est le nomadisme qui guide le choix du travail ; « Les résultats obtenus par les activités économiques des populations tsiganes développées au cours des siècles témoignent d’une économie de moyens combinant une mobilité quasi-saisonnière et l’immersion dans les territoires des sociétés sédentaires. C’est précisément autour des ressources limitées disponibles à un moment donné, dans un territoire mis en valeur par des sédentaires, que se façonnent les formes d’existence et les comportements spatiaux des populations tsiganes. De l’équilibre relationnel ainsi construit dépendent la possibilité et la durée du séjour des « gens du voyage » dans une succession de lieux au sein de la société sédentaire » (Humeau, 1995, p. 18). Dans la conception économique de la culture tsigane, la mobilité devient ainsi un facteur incontournable, à la fois choix et conséquence d’une façon de voir le travail ; le nomadisme est ainsi structurel et conjoncturel, pour reprendre les termes de Jean-Pierre Liégeois : « La mobilité apparaît ainsi comme une réponse à une situation donnée, comme le meilleur compromis possible pour une adaptation à une situation changeante » (Liégeois, 2009, p. 73). Ainsi, la place de la conception du travail et de l’économie de subsistance apparaissent assez centrale dans la culture tsigane, en ce qu’elle engendre un mode de vie particulier, celui qui a également fait des Tsiganes ce qu’ils sont aujourd’hui, de par le regard extérieur et les discriminations qu’ils ont subies. Beaucoup de ces métiers « tsiganes » ont aujourd’hui disparu et les Tsiganes ont dû s’adapter au changement majeur de l’exode des années 1960.

35 2 - Une sédentarisation conjoncturelle Dans une France engagée dans une révolution industrielle toujours plus intense, les années 1950 à 1960 marquent le dernier exode de masse des zones rurales pour les villes, ainsi qu’une mécanisation et automatisation qui ne laissent guère de place à l’homme. De ce fait, la plupart des activités tsiganes dépérissent, de moins en moins de personnes dans les campagnes et de moins en moins de services nécessitant leur intervention. Pour les Tsiganes, cela signifie une totale modification de leur mode de travail et donc de leur mode de vie ; « La mutation des activités économiques des familles intervient dans les années cinquante selon des modalités que nous avons évoquées ci-dessus. Les conséquences les plus directes concernent trois domaines : le développement de nouvelles activités, le rôle des personnes dans la production économique et une diversification des familles en fonction de l’intégration économique. La modification a été radicale pour certaines familles qui ont dû totalement abandonner leurs activités devenues obsolètes dans des campagnes en plein changement économique, pénétrées par les modes de consommation urbains » (Humeau, 1995, pp. 61-62). Suivant le mouvement de nombreuses populations à la recherche de travail, les Tsiganes se sont donc dirigés de façon plus massive vers les villes et ont dû, d’une certaine façon, s’y stabiliser. Le mouvement de sédentarisation des populations tsiganes est ainsi totalement lié au contexte socio-historique et politique. Dans ce cadre, la région PACA a toujours présenté un intérêt commercial non négligeable pour les populations tsiganes. Outre le fait qu’elle propose des conditions climatiques clémentes pour des populations en caravane, elle est surtout proche tout à la fois de l’Espagne et de l’Italie, deux pays avec lesquels nombre de Tsiganes entretiennent des relations. Mais elle a surtout de nombreux avantages sur le plan économique : elle compte de grandes villes, notamment Marseille ; « En raison de leurs activités professionnelles, qui ont pour base le commerce, la récupération ou les métiers du travail des métaux (rétamage, etc.), les Tsiganes ont besoin de vivre près des villes qui leur apportent la possibilité de “faire des affaires” » (Roussille, 1989, p. 214) ; en raison de sa proximité avec de nombreuses zones agricoles, une certaine économie rurale y persiste, permettant un travail en tant que saisonnier, de juin à octobre ; enfin, la région PACA profite d’importantes activités touristiques, dans lesquelles les Tsiganes trouvent de quoi assurer une certaine subsistance économique : « ils trouvent là une source sensible de revenus par la valorisation de leurs produits artisanaux, la possibilité de commerces divers sur les marchés florissant en la saison (brocante, étains, cuivres), et occupent le “créneau” des loisirs par la présentation de petits cirques et stands attractifs. D’autre part, en début et fin de saison, ils remettent en état le matériel de cuisine des hôtels (coutellerie, étamage…) » (Roussille, 1989, p. 215). Pour autant, les analyses de 36 Jean-Baptiste Humeau comme celles de Sonia Roussille permettent de rendre compte de la présence importante des Tsiganes dans la région PACA ; en plus du contexte historique décrit précédemment qui a engendré une forte migration de population dans la région, ses différents avantages en regard du facteur économique en font une région intéressante, proposant des activités variées. Proposant un panel géographique à la fois rural et urbain, la région PACA offre ainsi des opportunités qui, notamment dans les années 1960, permet le développement d’une économie de subsistance, même si cette dernière s’est souvent, ici aussi, accompagnée d’une certaine sédentarisation. « Mais plus radicalement, les conditions de développement des activités économiques mettant en cause les formes de subsistances traditionnelles des familles, celles-ci se sont converties à de nouvelles tâches impliquant de nouvelles installations. Ainsi, les lieux de semi-sédentarisation puis, progressivement, de sédentarisation, se sont multipliés à proximité des régions d’agriculture intensive. Les besoins importants de main-d’œuvre de cueillette, conjugués à l’absence d’activités complémentaires (et la difficulté du “voyage”) ont provoqué la fixation durable des lieux de séjour de nombreuses familles manus. Le phénomène, déjà perceptible en 1961, n’a fait que s’amplifier selon un processus qui tend à se généraliser dans toutes les régions agricoles intensives (vallées de la , de la Garonne, du Rhône, Provence…) » (Humeau, 1995, p. 106). Au début des années 1960, certains constats de cet auteur mettent en exergue la place importante de la région PACA dans la répartition des Tsiganes en France. Il relève en effet que le département des Bouches-du-Rhône fait partie en 1961 des cinq départements français connaissant la plus forte proportion de Tsiganes sédentarisés 14 , que, à cette même date, le département est également parmi ceux les plus peuplés en groupes nomades et itinérants, deux autres départements faisant exception 15 , et enfin, toujours la même année, que les familles sédentarisées du département habitent majoritairement dans des cabanes, la catégorisation établie considérant les maisons d’habitation, les roulottes et les cabanes. Il détaille ces données par la suite, indiquant que cet habitat dans le département correspond à une sédentarisation dans des îlots très dégradés, proches des bidonvilles 16 . Précédemment, nous avons vu que cet habitat dégradé avait fait place, depuis, à des cités HLM plus décentes. Reste que l’importance de la population tsigane et sa répartition dans les centres urbains est non négligeable dans la région, et dans le département des Bouches-du-Rhône, ce qu’illustre un peu plus la carte suivante (Cf. Carte 4, p. 38). Retraçant les flux de mobilité des Tsiganes

14 J-B. Humeau, 1995, op. cit. , p. 96. 15 J-B. Humeau, 1995, op. cit. , p. 86 et p; 87. 16 J-B. Humeau, 1995, op. cit. , p. 313 et p. 317. 37 nomades dans le Sud-Est de la France à partir des données recueillies de 1961, cette carte laisse apparaître la place numérique des villes du département : Marseille, Aix-en-Provence, Arles et Salon, dans leurs relations et place dans un même circuit économique.

Carte 4 : Flux de circulation des Tsiganes dans le Sud-Est de la France

Source : Humeau, 1995, p. 224.

38 Le basculement à la sédentarisation et le changement d’activités économiques est aujourd’hui présent dans de nombreux récits de vie. Pashah Zanko est étameur chaudronnier et, malgré divers déplacements dans sa vie, il se positionne comme étant de la région PACA. Sa femme et lui sont aujourd’hui sédentarisés, en caravane, à Toulon ; mais jusqu’à 1995, ils étaient des semi-sédentaires basés sur Marseille.

Depuis 1947, nous étions à Marseille, avec comme point d’attache Bonneveine. On vivait sur des bords de route, près des ruisseaux. On rayonnait ainsi sur Port-de-Bouc, Martigues, Avignon. On partait 3 jours, 15 jours pour le travail. […] Dans les années 1970, nous sommes partis à Paris, une dizaine d’années. Puis nous sommes revenus à Saint Menet, lors de la création des aires d’accueil. Ensuite, sur le terrain à . Et aujourd’hui, nous sommes ici, à Toulon depuis 15 ans. On a toujours été sur Marseille ou Nice, dans la région. […] J’ai travaillé sur les cuisines des bateaux, je travaillais pour les collectivités de la région de Marseille : restauration, cantines scolaires. […] A Marseille, on était dans un coin, un petit terrain de la ville, on y est restés jusqu’à 3/4 ans. Finalement surtout 3 à 4 mois d’hivernage en quelque sorte. Les clients nous apportaient le travail là-bas directement. Mais maintenant, y’a plus tout ça. Les enfants font un peu de rempaillage. J’ai travaillé aussi à et à Aix, du côté du Roi René. J’étais l’étameur officiel, j’avais des contrats avec plein de restaurants. […] Dans les années 1960, la famille s’est dispatchée, la ville n’était plus assez productive pour nous tous » (Entretien Pashah Zanko, 29 juin 2011, Toulon).

Le parcours de cette famille de Rom Kalderash est ainsi faite de déplacements multiples, toujours pour des raisons professionnelles. Selon la demande ou la recherche, la famille se déplace d’un lieu à l’autre. Comme ils l’indiquent, leur dernier voyage à l’étranger date de 1986, « toujours pour le travail ! ». Le facteur économique est un moteur de déplacement, et loin de tous les préjugés, mode de vie et travail se révèlent fortement indépendants dans la culture tsigane. Bien que son rôle apparaisse nettement au niveau de familles de voyageurs, le facteur économique joue et occupe la même place dans les schémas de familles sédentaires, témoignant de la même façon de la transition des années 1960. Les Patrach sont une famille de Gitans catalans, ayant certainement suivi le parcours exposé précédemment de ces Gitans partis du Nord de l’Espagne et s’étant installés au fil du temps sur tout le pourtour méditerranéen. Aujourd’hui, Tony habite Véleron, dans le , depuis quelques années seulement. Auparavant, il habitait à Marseille, dans le quartier de Mazargues. Il est marchand

39 de vêtements et monte son stand trois matins par semaine sur le marché de la Plaine. Le commerce est une affaire familiale, ses deux frères et lui sont marchands, comme leur père et leur grand-père avant eux.

On est tous marchands, de père en fils sur 4 générations. Mon grand-père, mon père, moi et mon fils aujourd’hui (Notes Discussion, 16 Juin 2011, Marseille).

La famille est originaire de Béziers et a déménagé sur Marseille pour faire fructifier son commerce. Cette migration était donc économique.

Dès le début de son ouvrage, Jean-Baptiste Humeau écrit : « Les valeurs attribuées à l’habitat, à la maison, à tout ce qui fonde l’enracinement traditionnel du Gadjo dans le territoire, ne se vivent pas selon le même mode chez les populations tsiganes » (1995, pp. 19- 20). Ce constat est valable aussi bien pour des Tsiganes nomades que des sédentaires, c’est ce que nous révèle le rôle du facteur économique et la conception de la valeur travail dans la culture tsigane. L’organisation de l’habitat est en effet liée à cette conception spécifique de l’économie, le caractère de nomadisme ou de sédentarité découlant également du choix effectué de certains corps de métiers. La profonde transformation de la société sur le plan socio-économique dans les années 1960 a également poussé de nombreux Tsiganes à la sédentarisation pour des nécessaires adaptations économiques. Ainsi, l’habitat tsigane semble correspondre à cette définition, une « maison […] résume à la fois les lieux et les formes de la société, ainsi que les modes intimes de sa perpétuation » (Chiva, 1987, p. 5), car s’il est un aspect spécifique de la culture tsigane, c’est bien cet enchevêtrement constant de l’économie et de la famille. Particulièrement visible dans le cas de Tsiganes nomades, cette conception culturelle en deux pôles majeurs existe également chez les sédentaires et explique en grande partie les lieux d’implantation des familles dans le paysage français.

C - La famille, omniprésence et valeur culturelle

Dans toute culture, la famille, quelle qu’en soit sa définition, est à la base de la reproduction sociale (Héritier-Augé, 1991, p. 275). Chez les Tsiganes, outre le fait que ses contours sont extrêmement mobiles, la famille est une valeur incontournable de l’identité de l’individu. « Etre ensemble, un parmi les siens est une manière d’être tsigane. Si les Tsiganes vivent toujours parmi d’autres (le monde des ), il n’existe pas de Tsigane seul » écrit Marc Bordigoni (2010, p. 91) ; la famille, « unité élémentaire de la société tsigane » (Gayral- Taminh & Duchier, 2009, p. 171), est même garante de l’identité tsigane car lieu d’initiation 40 et transmission de tout ce qui relève de la culture tsigane. Il semble qu’il n’y ait pas d’homogénéité quant au caractère matrilinéaire ou patrilinéaire des Tsiganes, chaque groupe se structurant de façon autonome ; la prédominance de la valeur famille est cependant commune, quelle que soit la définition adoptée. « La structure familiale est solide, même si elle est très étendue ; il est préférable de parler de constellation familiale ou famille élargie qui entoure les jeunes et joue un rôle primordial. […] Il est vrai de dire que pour les Gitans l’identité se cristallise autour du système familial » (Dolz, 2009, p. 21 et p. 23) ; la structuration des individualités autour d’un noyau familial est effectivement une des clés de compréhension de l’implantation des Tsiganes dans le département des Bouches-du-Rhône, et certainement ailleurs.

1 - La proximité familiale Entre le regroupement et la dispersion dans le paysage urbain évoqués précédemment, la distance familiale est faible car, de manière générale, un Tsigane ne va jamais habiter là où il n’y a personne de sa famille. C’est l’une des premières remarques de Claudia Coppola sur son terrain : son ami gitan ne réside pas dans les quartiers nord de Marseille, dans des quartiers comptant une forte population gitane ; cependant, lorsqu’il s’installe dans le 4è arrondissement de Marseille, c‘est dans le même immeuble que des cousins. Il n’y a pas de caractère de regroupement obligatoire, mais une préférence pour la présence des siens, au sens large, dans un même espace locatif (2011, p. 66). Dans une optique de déménagement futur, il semble ainsi inenvisageable à Mercedès d’aller habiter dans un lieu où il n’y a personne de sa famille. Elle habite et travaille aujourd’hui à Marseille et un de ses frères habite Eguilles.

J’aime mon travail, je suis bien, je me sens pas d’habiter sur Eguilles là-bas, le trajet j’ai pas envie. - Enfin, y’a plus près quand même qu’Eguilles… Mais bien sûr. Bon moi si je pars, il faut quand même qu’il y ait un de mes frères, voyez (Entretien Mercedès, 21 Juillet 2011, Marseille).

De même, c’est souvent le lieu d’habitation des autres membres de la famille qui guide celui des enfants. Pour beaucoup, il est important de demeurer près de ses parents, dans une proximité assez restreinte. Les parents de Julia habitent aujourd’hui Vitrolles, après des années de résidence à Marseille ; ce choix a été motivé par la présence d’un frère maternel.

41 De Saint-Antoine, on est venus à Vitrolles au quartier des Pins 17 et depuis 2002, nous sommes ici, au Domaine des Pins. Pendant 17 ans, nous étions en HLM au 5 e étage, c’est pourquoi nous avons demandé un rez-de-chaussée. J’avais déjà un frère ici, donc nous avons demandé Vitrolles. Aujourd’hui, mon frère est à Gignac mais il a habité le quartier des Pins (Entretien Julia, 14 Septembre 2011, Vitrolles).

Julia habite également Vitrolles, non loin de chez ses parents car il est important pour elle d’être près de sa mère.

J’habite en copropriété. Avant, j’étais sur Marseille puis maintenant Vitrolles, car je voulais être près de ma mère. On se laisse pas seuls. Chez nous, on est toujours avec la famille (Citation Julia, 14 Septembre 2011).

Cette même logique de proximité a guidé Mercedès dans son lieu d’habitation, toujours pour la figure maternelle (Cf. Carte 5, p. 44).

- Quand vous vous êtes installés avec votre mari, vous vous êtes installés où ? Sur l’Estaque. Sur l’Estaque parce que j’ai un ami qui m’avait trouvé, par le biais d’une agence, un appartement. J’y suis restée que 9 mois et je me suis rapprochée de ma mère, donc je suis revenue dans le 14 ème . Donc pareil, voilà, dans le 14 ème , mais dans une cité voisine et après je suis revenue là ou j’habitais avec ma mère. Donc ma mère habitait exactement dans le même bâtiment, elle habitait au 4 ème , moi j’habitais au rez-de- chaussée. Voilà. Et ensuite, ça fait 6 ans que j’ai acheté sur Saint-Jérôme (Entretien Mercedès, 21 Juillet 2011, Marseille).

Dans les valeurs tsiganes, et notamment gitanes dans les exemples présents, la proximité relève d’une définition différente de la distance et des repères géographiques. L’habitat est une logique totalement liée à la conception de la famille et de la distance à cette famille. Il peut répondre à des nécessités économiques, ce qui est souvent le cas à l’instar des familles gadjé : le frère de Mercedès, par exemple, habite à Eguilles car c’est la ville où il travaille ; mais la valeur « famille » reste souvent prédominante dans le schéma, comme en attestent les propos d’Antoine, un Gitan de Port-de-Bouc : « Chez les Gitans, on n’aime pas s’isoler, partir seul. Moi, par exemple, en 2000, je suis allé travailler sur Paris pendant une année. Je gagnais trois fois plus qu’ici mais je ne supportais pas d’être éloigné de ma famille. Ma femme, les enfants, mais aussi les cousins, les oncles, etc. L’argent ne nous domine pas ; être ensemble est plus important » (Hombres, 2009, pp. 159-160).

17 Sur ce quartier crée au début des années 1970, Cf Marie d’Hombres, 2009. 42 Ainsi le lieu d’habitation des enfants chez les Tsiganes est en grande partie dépendant du lieu d’habitation des parents, la proximité étant presque une valeur culturelle. A Toulon, les quatre enfants de Sasha habitent presque tous au maximum à un kilomètre de leur père ; de ce fait, ils résident tous dans le même quartier, à quelques rues les uns des autres.

J’ai des enfants qui habitent dans la caravane devant la maison. Un autre habite au Pradet. Sinon, j’ai un de mes garçons à deux cents mètres d’ici, un autre à quelques cent mètres de l’autre côté, et un troisième à environ un kilomètre d’ici. La plus jeune vit dans la maison avec moi (Entretien Sasha, 29 Juin 2009, Toulon).

Un peu plus tard, de façon informelle, Sasha précise :

Habiter plus loin que cela de ses parents, ça ne se fait pas. C’est pas bien vu (Notes Discussion Sasha, 29 Juin 2009, Toulon).

La même conviction semble animer l’oncle de Sasha lorsqu’il évoque la résidence lointaine de ses enfants.

Dans les années 1960, la famille s’est dispatchée. Elle a pris des repères différents, elle s’est séparée, le noyau s’est scindé. […] Aujourd’hui, j’ai un fils qui habite à Paris, un à Lyon, à Bordeaux, en Savoie, tous circulent. Ils viennent nous voir et ils repartent (Entretien Pasha, 29 Juin 2009, Toulon)

La proximité de l’habitat de chaque membre de la famille est telle que dans nombre de cas, plusieurs générations vivent sous un même toit. Par exemple, un des frères de Julia a toujours suivi sa mère, il s’est marié tard, a divorcé puis est revenu vivre chez sa mère. Sasha habite avec sa fille au rez-de-chaussée d’une maison, son père habite au premier étage et sur le terrain, une caravane abrite un de ses fils, sa femme et leur fils. Habiter au plus près peut être qualifié de valeur familiale, en ce que l’unité du groupe en dépend ; c’est la vie en groupe, construite dès la petite enfance, qui permet d’assurer, de par sa cohésion et sa solidarité interne, la permanence et la reproduction de la famille (Bordigoni, 2010, pp. 91-92). La vie communautaire élaborée s’organise autour d’un personnage familial central, généralement l’homme le plus âgé.

43 Carte 5 : Parcours résidentiel de Mercédès.

Source : Réalisation des auteurs, 2011.

2 - Le patriarche Le giron familial s’organise autour des figures des plus âgés, généralement des hommes et en lignée paternelle. L’autorité, sur toute chose, leur est dévolue : « Partout elle appartient au père ; le cas échéant, au grand-père ; et s’il s’agit d’une famille élargie, en principe, au plus ancien. C’est lui qui chez les nomades décide des mouvements ; et partout, de la répartition des tâches, des projets de mariage ; c’est lui qui détient la fortune » (Bloch, 1953, pp. 102-103). Presque soixante ans après cet écrit, la figure paternelle âgée est toujours un repère familial. Ce personnage, référence incontournable pour tous, celui à qui chacun doit le respect, est au sens propre du terme un patriarche, le représentant d’un modèle patriarcal. Selon la définition, le patriarcat est « un type familial et social d’un groupe caractérisé par la prépondérance du père sur tous les autres membres de la tribu » (Petit Larousse , 1985). Ainsi, quel que soit son âge, à partir du moment où il est sain d’esprit, le patriarche est celui qui conseille et guide la famille. Avec les décès, les fils les plus âgés prennent la place de leur père et deviennent patriarches à leur tour.

Jusqu’à 1960, tout le monde est resté ensemble. Le patriarche était le grand-père. Puis, à partir des années 1960, il y a eu scission. Du coup, chaque composite familial s’est retrouvé avec son patriarche, dans mon cas, mon père.[…] Mon père a quatre- 44 vingt-huit ans, cela fait trois à quatre générations avec les petits-enfants. Mon père est le référent, il a son droit, même sur moi. Même mon frère qui a soixante ans vient prendre conseil auprès de lui, c’est un sage (Entretien Sasha, 29 Juin 2011, Toulon).

La famille étant une entité aux limites floues, la proximité d’habitat entre membres d’une même famille se joue souvent sur plusieurs générations, engendrant un ensemble tsigane sur un même quartier composé d’une seule famille ayant à sa tête un même patriarche pour tous. A Aix-en-Provence, le grand-père d’Eric et le plus vieux de tous ses cousins et frères ; Gitans venus de Tunisie, cet homme est aujourd’hui désigné comme le patriarche de la famille élargie, c’est-à-dire rassemblant ses frères et sœurs et leur descendance, ses douze enfants (six filles et six garçons) et leur descendance. De même, la famille de Mercèdes s’est majoritairement établie autour du lieu d’habitation du père et grand-père.

Ma mère, quand elle habitait dans le 14 ème , y’avait personne de notre famille, on était plus éloignés. Alors que la majorité de la famille de ma mère habitait La Castellane. La Castellane, voyez, c’est quand même… bon, ils ont habité quand même au début au Castellas et après ils sont tous partis à La Castellane. Mais y’avait quand même ma grand-mère, deux ou trois oncles, deux ou trois tantes, voyez, donc ils étaient quand même ensemble. […] En fait, on a commencé à se, un peu à se perdre de vue et à avoir de moins en moins de nouvelles quand mon grand-père est mort. Mon grand-père est mort y’a onze ans. Voyez, mon grand-père c’était le pilier. Et mon grand-père, personne lui répondait. Et quand je vous dis personne, c’est même pas son plus grand fils (Entretien Mercedes, 21 Juillet 2011, Marseille).

Le patriarche est le ciment d’une famille, la figure de proue, celui qui est écouté, qui conseille, qui « mène » la famille. La cohésion familiale et sa reproduction tiennent ainsi à cette place reconnue au patriarche dans les familles, reconnaissance qui s’exprime autour d’une notion culturelle principale : le respect. Les deux éléments clés que représentent la proximité familiale et la position reconnue du patriarche ont une incidence directe sur le lieu de résidence des Tsiganes. Dans de très nombreuses familles, la mobilité résidentielle répond à un désir ou une décision première du patriarche, décision qui implique tous ses enfants et descendants par phénomène de proximité. La famille Patrach, marchands depuis quatre générations, a déménagé sur Marseille dans les années 1980 pour des raisons professionnelles. Depuis quelques temps, ils habitent tous à Véleron, dans le Vaucluse, même s’ils continuent à faire les marchés à Marseille.

45 Nous sommes tous partis de Marseille sur décision de mon père, pour aller vivre vers Avignon. Toute la fratrie y est, c’est-à-dire mes deux frères et moi. Pourquoi être partis de Marseille ? Le père a dit : c’est plus pour nous. Pourquoi ? Qu’est-ce qui n’était plus pour vous ? Ben tout ça, la violence (Notes Entretien Tony, 16 Juin 2011, Marseille).

Dans cette famille gitane, les trois frères et leurs familles respectives habitaient tous dans le quartier de Mazargues près du père ; ils ont tous déménagé pour Véleron, près du père. Tony, dans la même démarche, a acquis des terrains autour de chez lui pour ses enfants, même s’il ne sait ce qu’ils décideront par la suite. Le rassemblement familial n’est nullement une question de sexe ; la proximité est valable tout aussi bien pour des filles que pour des garçons, même si les interlocuteurs eux-mêmes valorisent l’un ou l’autre. Dans le cas de Dolorès, la fratrie n’est composée que de filles ; ses parents en ont eu quatre. Ayant fui l’Espagne à la période franquiste, ils sont arrivés à Marseille dans les années 1960, la famille de sa mère directement d’Espagne, la famille de son père après un passage par l’Algérie. Dolorès est née dans le bidonville de Mazargues en 1966. Puis, la famille a été replacée dans la cité provisoire de la Bricarde. Aujourd’hui, une partie d’entre eux sont aux Pennes- Mirabeau, d’autres encore à Marseille dans des cités HLM. Mais le rassemblement de toute la fratrie reste un projet à court terme. Dans cet extrait, Dolorès évoque cette même logique pour une partie de sa famille maternelle qui habite dans le Vaucluse.

Mes trois sœurs sont à Marseille, entre Marseille et les Pennes-Mirabeau, puisqu’une partie de la famille est sortie de la cité. […] Mes parents sont en maison individuelle, et deux de mes sœurs sont en HLM. Les deux autres sont aux Pennes- Mirabeau. Mais les deux sœurs en HLM envisagent de venir aux Pennes-Mirabeau. Mon père, quand il part, c’est soit avec toutes ses filles et ses petits-enfants, soit il y va pas. C’est pour ça aussi que ceux de Cavaillon achètent des terrains, pour garder les filles auprès d’eux (Notes Entretien Dolorès, 6 Juillet 2011, Marseille).

Dans le monde des Gadjé, la question du lieu d’habitation n’élude pas le lien à la famille. Pour autant, il semble évident qu’elle ne relève jamais de la même prédominance dans les schémas résidentiels que chez les Tsiganes. « La notion de famille recouvre ici des dimensions plus vastes que dans le monde des non-gitans. Les familles reliées entre elles, forment une espèce de réseau naturel dans lequel la référence aux ancêtres communs a un rôle central. Chacun évolue dans l’immense cocon protecteur de la communauté où nul n’est abandonné à son sort. » (Escudero, Leblon,Salles, et des membres de la communauté gitane de Perpignan. Le livre des Gitans de Perpignan 2003, p 51-52.)

46 Outre le fait que ce rassemblement familial multi-générationnel aille de soi, il relève véritablement d’une logique d’affirmation identitaire : minoritaire dans une société majoritaire, la vie en communauté, s’exprimant par le biais d’une proximité accrue et d’une figure dominante, le patriarche est un moyen d’assurer une pérennité du groupe.

3 - Le respect La cohésion sociale tsigane passe par la transmission d’une valeur spécifique : le respect. D’après Yoanna Rubio, « le respect participe à la cohésion entre les membres d’une même famille d’une part, et entre les membres de plusieurs groupes d’autre part. Le respect est alors à la base de toute relation. Il est un élément, un fait social » (Gayral-Taminh & Duchier, 2009, p. 183). La culture tsigane dans son entier est marquée de la valeur prédominante de la notion de respect ; à l’instar d’autres peuples méditerranéens, d’après l’un de nos interlocuteurs, il est un des éléments communs à ce peuple pourtant fort diversifié.

Ce qui nous rassemble, c’est notre langue, notre culture. Dans la manière d’être, dans le respect, dans la pratique (pur et impur, peuple des intouchables) (Entretien Sasha, 29 Juin 2011, Toulon).

La valeur respect touche tous les domaines de la vie sociale 18 . Balisant de multiples aspects de la vie socioculturelle, Claudia Coppola en conclut que « le “respect” non seulement devient une qualité essentielle de toute action “gitane”, mais elle en représenterait la marque distinctive. “Faire les choses bien”, c’est-à-dire “à la manera gitana (comme le font les Gitans)”, équivaut à les faire avec du respect, à les imprégner de “respect”. […] Imprégner les choses du monde et les actions dans le monde du respect semble, après tout, un savoir-faire gitan » (2009, pp. 135-136). Bien évidemment, il s’exerce avant tout dans le cadre de la sphère familiale, nucléaire ou élargie, en fonction des générations et des âges des personnes. Et l’importance de ce respect est, d’une certaine façon, revendiquée ; Anna et Eric, tous deux élevés dans la tradition gitane, déclarent avec assurance :

Chez nous, le respect, c’est beaucoup. Chez nous, c’est l’homme, le père, le grand- père (Entretien Anna et Eric, 10 Septembre 2001, Aix-en-Provence).

18 Dans la cadre de la mort, voir le magnifique ouvrage de Patrick Williams, 1993. Le respect s’exerce aussi dans le domaine de l’hygiène, de la pureté, Cf Claudia Coppola, 2011. 47 Dans l’éducation que Mercédès donne à ses enfants, famille et respect sont deux données essentielles, qui lui ont été transmises et qu’elle transmet aujourd’hui à son tour.

Qu’est-ce que j’essaye de leur transmettre ? Les valeurs que ma mère m’a transmises, donc l’esprit « famille », le partage, […] Se soutenir les uns les autres. Quand je dis esprit « famille », c’est vraiment tout ce qui va autour aussi, c’est l’entraide, pour moi ça c’est très important. […] Mon petit frère de vingt-et-un ans, il n’y a pas très longtemps, il m’a demandé s’il pouvait fumer devant moi. Parce que jusqu’à la mort de son père, il avait la cigarette, là, il fumait pas devant son père. C’est un manque de respect. Oui, c’est un manque de respect (Entretien Mercédès, 21 Juillet 2011, Marseille).

Le respect s’exerce à tous les niveaux générationnels ascendants, c’est-à-dire des enfants à leurs parents. Pour chacun, les père et mère sont des personnages centraux de l’existence, engendrant souvent, nous l’avons vu, un regroupement familial qui « va de soi ». Quels que soient les rapports entretenus, un grand respect est témoigné aux parents ; « Les liens du sang survivent à tous les déboires. […]. Ils n’excusent pas les exactions, ils n’empêchent pas les querelles et n’évitent pas les désaccords, mais ils garantissent la cohésion de la famille et obligent au pardon et à la loyauté. Ils sont à la base du Code de l’Honneur Gitan. Les premiers devoirs du Gitan sont envers les siens. La famille se définit comme une sorte de mafia dans laquelle les membres sont interdépendants : l’un veille sur l’honneur de l’autre. Dans cette logique, toucher à l’un c’est s’attaquer à toute la famille. […] On respecte ses aînés. […] Les liens familiaux étaient très étroits car ils sont gardiens de l’identité gitane » (Dolz, 2009, p. 22). Le récit de Mercédès est une belle illustration de ces valeurs de cohésion et de respect inconditionnel. Souvent en désaccord avec son père sur de nombreux points, elle lui a toujours exposé ses idées avec l’aplomb qui la caractérise. Pour autant, elle dit aussi :

Moi, dès lors où on touche mon père ou ma mère, après c’est fini. Moi après, c’est pas de la famille, je bannis. Moi, faut pas toucher mon père ni ma mère. Tort ou raison, voilà ! (Entretien Mercédès, 21 Juillet 2011, Marseille).

Garant de la cohésion familiale, le respect est « une pragmatique qui fonde le rapport à l’autre parmi les groupes » (Lerossignol, 2006, p. 67) ; ainsi, il participe en grande partie au maintien de certaines traditions familiales, à l’exemple de celle du « mouchoir ». Par ce terme, nos interlocuteurs désignent la pratique qui consiste à attester de la virginité d’une

48 jeune fille avant son mariage 19 . « L’ancienne de la belle-famille vérifiait à l’aide d’un doigt que l’hymen de la jeune fille était intact. Le rite avait lieu en présence des témoins féminins de la tribu alors que la jeune fille s’allongeait sur une table. On procédait ensuite à l’exhibition du panuelo (Mouchoir, diklo en Romano Chavé) ensanglanté qui prouvait l’intégrité de la fiancée. Aujourd’hui, dans les familles sédentarisées de longue date, les jeunes mariées sont symboliquement couchées par la belle-mère, gardienne du code génétique » (Dolz, 2009, p. 78) ; cette description laisse sous-entendre une certaine modification, voire disparition, de cette pratique à l’heure actuelle. Pourtant, elle est encore bien présente au sein des repères traditionnels.

Y’a toujours, dans la famille, le mouchoir qui se fait. […] Le mouchoir, c’est la tchao, c’est ce qui dépucelle la fille (Entretien Mercédès, 21 Juillet 2011, Marseille).

Anna et Eric ont tous deux 17 ans ; fiancés depuis quelques mois, ils prévoient de se marier dans 3 ans. Pour Anna, il est inenvisageable de ne pas se plier à cette pratique.

C’est un honneur. Le mouchoir, c’est important ! (Entretien Anna et Eric, 10 Septembre 2009, Aix-en-Provence)

Dans le discours de Julia, sa mère et sa belle-sœur, la conservation de la pratique du mouchoir est explicitement liée à ce respect envers le père.

L’important, c‘est le mariage. […] on se marie en blanc, la virginité aussi. Si la fille est pas vierge, elle ne met pas le voile, le diadème. C’est notre culture, c’est une question de respect pour le père, c’est comme ça depuis des siècles. El panuelo, le foulard ou le mouchoir, c’est un morceau de tissu blanc avec de la dentelle, vu par une femme, toujours la plus âgée (Entretien Julia, 14 Septembre 2011, Vitrolles).

En situation minoritaire, chaque population ou groupe culturel s’appuie sur une valeur spécifique pour assurer la pérennité et la perpétuation de son identité. Dans la culture tsigane, la famille a pris une place centrale au fil des siècles, pour devenir cette valeur-refuge indispensable à leur survie. Le pôle familial guide de nombreux comportements et codes culturels tsiganes. La question du lieu d’habitation traité ici s’est ainsi révélée totalement dépendante de la conception de la famille, engendrant une réflexion en termes de proximité, de solidarité et de respect familiaux. Ces aspects ne sont pas exclusifs de la culture tsigane, ils

19 D’après Jean-Pierre Liégeois, cette pratique traditionnelle n’a pas cours chez les Manouches. Cf Liégeois, 1971, p. 100. 49 se retrouvent mobilisés dans de nombreuses autres cultures : chacun envisage la proximité familiale dans une perspective de déménagement. Mais la famille prend une dimension toute spécifique dans la culture tsigane, en ce qu’elle « balaye » l’ensemble des autres points considérés par tout un chacun dans le choix d’un lieu de résidence (environnement scolaire, lieu professionnel, type d’espace, région). L’importance de la valeur famille est même plus étendue : le respect est tel que le facteur choix, la volonté individuelle, n’est que secondaire dans la vie d’un membre de la famille ; à l’heure actuelle, il semble encore difficile de parler de « choix résidentiel »20 dans la cadre de la culture tsigane. Les phénomènes de sédentarisation dans la société majoritaire engendrent certains mécanismes de diversification de ce schéma culturel, les familles éclatant pour des raisons professionnelles, par exemple ; mais cela semble encore peu fréquent dans le monde tsigane français actuel, du moins dans le département.

D - Polygone de vie et valeurs culturelles

La mobilité ou l’implantation résidentielle résulte de la combinaison de multiples facteurs socioculturels et économiques. Dans chaque cas d’étude, le contexte national peut présenter des particularités qu’il convient de ne pas négliger 21 . Pour la population tsigane dans le département des Bouches-du-Rhône (et probablement ailleurs également), ces logiques s’articulent autour de deux valeurs centrales : la conception économique et la famille. Cela ne signifie pas pour autant que d’autres facteurs n’interviennent pas à un niveau individuel dans le mode et le lieu d’habitat des Tsiganes, mais que ces autres facteurs sont généralement subordonnés au poids des deux valeurs précitées, notamment la famille. Il en résulte que l’implantation est à analyser en termes d’opportunités et non pas de choix résidentiel, invitant par là-même à repenser la notion de polygone de vie tsigane.

1 - Les opportunités Le terme opportunité peut-être défini comme une « occasion favorable » ( Petit Larousse , 1985). Les logements habités par les Tsiganes aujourd’hui dans le département sont généralement le fait d’opportunités, des occasions « qui ont fait que ». Dans une grande majorité des cas, les Tsiganes sont bénéficiaires d’avantages sociaux. Leur parcours résidentiel se concrétise donc souvent par une arrivée en bidonvilles, suivi d’une résidence en HLM. Leur logement est obtenu après des démarches administratives. Il

20 Nous empruntons ce terme à Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet et Jean-Pierre Lévy, 2010. 21 Nombre de ces cas sont développés dans Authier, Bonvalet & Lévy, 2010. 50 n’y a donc pas à proprement parler de choix, si ce n’est sur la ville de résidence ; mais en ce qui concerne le secteur, l’arrondissement, ils sont tributaires de ce que leur allouent les services sociaux urbains. La pauvreté assez importante de cette population à son arrivée, notamment celle de tous les Gitans d’Algérie, les a ainsi conduits à des logements HLM dans les quartiers Nord de Marseille, engendrant par phénomène de regroupement de véritables centres de vie pour ces populations ; « Mais, pour les Gitans, les quartiers Nord sont le vrai centre de leurs activités et de leur vie : non seulement ils y habitent, la plupart depuis au moins 25 ans, mais ils y travaillent, ils y ont créé leurs réseaux, bref, ils y ont produit du social. D’ailleurs si l’on examine même empiriquement les flux de circulation des Gitans dans la ville, on voit très vite que le Centre Ville ne fait pas partie de leurs trajectoires quotidiennes » (AREAT, 1990, p. 37). Pour autant, tous n’y passeront pas toute leur vie, mais la cité HLM représente pour nombre d’entre eux, une période de vie assez importante, quand elle ne perdure pas ailleurs. C’est le cas par exemple des parents de Julia.

Nous sommes arrivés au bidonville de l’Estaque. On a fait des demandes de HLM et on est arrivé à Saint Antoine en 1972 environ. De Saint Antoine, Nous sommes venus à Vitrolles, […] toujours par des demandes de logement (Entretien Julia, 14 Septembre 2011, Vitrolles).

La famille de Dolorès a connu ce parcours et son père a aussi travaillé dans ce cadre. Ils sont arrivés d’Espagne et ont habité le bidonville de Mazargues dans les années 1960, avant d’être replacés, lors de sa destruction, dans la cité provisoire de la Bricarde. Son père, qui était marchand par ailleurs, a travaillé pendant des années pour la LOGIREM, la société de gestion de la cité de la Bricarde. L’opportunité de logement peut ainsi être liée à une condition sociale peu favorable, qui mène à la cité HLM dans de très nombreux cas, et qui sous-entend un non-choix par définition : les gens habitent dans le logement qui leur est attribué, sur décision administrative. Pour certains de nos interlocuteurs, leurs logements répondent à des logiques plus communes à toute la population, c’est-à-dire ne résultant pas de droits sociaux. Mais l’opportunité reste première, il n’y a pas de choix, juste une occasion.

Toulon était un carrefour pour le monde du voyage car c’est une grande ville régionale, avec l’arsenal militaire. Il y avait donc une forte demande des corps de métiers. Durant quelques années, jusqu’à 1974, nous sommes restés là. Nous avons eu des propositions d’HLM mais les avons refusées. Les parents ont acheté un terrain à la , près de Toulon. Puis on a intégré un domaine, qu’on a squatté pendant 8 mois,

51 jusqu’à la période de mon mariage fin 1974, début 1975. Compte-tenu du besoin de confort, nous sommes partis aux HLM à Hyères. Mon frère est toujours là-bas. Nous y sommes entrés en juillet 1975. Puis nous sommes venus ici. C’était la demeure de la directrice de Tsigane. J’ai pris la suite de sa location. Depuis fin 1989, j’étais locataire et jusqu’à 1995. Depuis j’ai accédé à la propriété (Entretien Sasha, 29 Juin 2011, Toulon).

Le réseau est très souvent créateur de l’opportunité d’habitat. Il s’agit d’un réseau socioculturel, comme dans le cas de Sasha ou encore de Mercédès qui a vécu quelques mois à l’Estaque dans une location trouvée par un ami ; mais le plus souvent ce réseau est familial, comme c’est le cas dans la famille maternelle de Mercédès.

J’ai un oncle qui est sur , un autre sur Mallemort. Ils ont tous des maisons par contre, ils sont tous propriétaires. Celui de Mallemort, c’était un chef d’entreprise donc lui, il a un domaine. L’autre, il a une belle villa. […] Le plus vieux des garçons, il a toujours été assez aisé, il s’est donné les moyens pour réussir… et après, il a acheté ce domaine, voyez, et après ça a incité tout le monde un peu à avoir des maisons, … parce que la maison de Rognac, c’était la sienne en premier. D’accord. Donc après, il l’a passée à son frère. Il l’a passée, alors après sûrement y’a eu un accord (Entretien Mercédès, 21Juillet 2011, Marseille).

L’opportunité créatrice du lieu d’habitation relève éminemment de la culture tsigane, en ce qu’elle émane du réseau social et familial d’un Tsigane. En ce sens, les dispersions et regroupements évoqués en début de chapitre correspondent entièrement à une géographie tsigane spécifique, élaborée sur le réseau, son étendue et sa nature. « Finalement, les logiques de regroupement et de dispersion semblent se fondre l’une dans l’autre : la convergence de plusieurs ménages gitans ne se fait jamais sur un seul lieu, de même que l’éparpillement peut aussi se construire sur des dynamiques de proximité » (2011, p. 68) écrit Claudia Coppola à propos de la répartition des Gitans sur le sol marseillais ; sur une échelle plus étendue, cette convergence existe également et s’appuie sur ces mêmes dynamiques de proximité, familiale, sociale et culturelle. Qui plus est, ce mode d’implantation dans le département fait totalement écho aux analyses menées par Jean-Paul Escudero, Bernard Leblon et Jean-Pierre Salles dans le département des Pyrénées Orientales : « L’identité gitane est définie par l’appartenance à une famille, à un lieu particulier et à un mode de vie gitan » (2003, p. 51) ou encore « La société gitane ne peut être comparée aux regroupements de populations immigrées classiques. Il n’existe pas ici de nation de référence, pas de pays dont on se serait éloigné : 52 tout Gitan est partout chez lui dans un quartier où se trouvent des membres de sa famille » (2003, p. 51). Le réseau, surtout familial et créateur de l’opportunité, semble ainsi généralisable comme clé de compréhension d’un mode d’implantation, mode basé, nous l’avons vu, sur les valeurs « économie » et « famille ». Dans le cas du département des Bouches-du-Rhône, l’approche du phénomène d’implantation sur le territoire semble donc en grande partie liée à une histoire de la population tsigane, histoire qui explique la présence massive de Gitans par rapport aux Roms et Manouches. Ceci ne signifie par pour autant qu’il n’y ait actuellement aucun lien au département ou à la région. Avec le temps, la population du département a bien évidemment tissé des liens d’attachement au département. La famille de Pasha Zanko a beaucoup circulé mais surtout dans la région.

Nous sommes ici depuis 15 ans. Toujours sur Marseille, Nice, la région Paca. On peut pas quitter le Midi, on est trop bien là (Entretien Pasha, 29 Juin 2011, Toulon Le Pradet).

D’un ancrage encore plus restreint, la famille de Dolorès est arrivée d’Espagne directement à Marseille, et ne quitte la cité phocéenne qu’aujourd’hui pour s’installer aux Pennes-Mirabeau. Evoquant ses parents puis elle-même, elle nous dit :

Marseille, ils y sont dedans…, ils se sentent très Marseillais. S’il y a une chose dont ils se sentent, c’est bien Marseillais. Autant pour certains, c’est compliqué. Dans les traditions gitanes, l’espagnol c’est pas les mêmes traditions, mais Marseillais, ils le sont, et moi je n’ai aucune difficulté à dire « je suis Marseillaise » (Notes Entretien Dolorès, 6 Juillet 2011, Marseille).

Ainsi, par imprégnation de valeurs culturelles mettant la famille au centre de tout, le lieu d’habitation des Tsiganes découle de logiques de proximité faites d’opportunités. L’histoire a mené une partie d’entre eux dans les Bouches-du-Rhône et ils y sont restés, dans la majeure partie des cas, au détriment quelques fois de possibilités économiques mais en faveur d’un rapprochement familial. Par reproduction de ce schéma, l’implantation dans le département ne peut qu’être durable.

2 - Le polygone de vie : une perception du lieu d’habitation Au fil de ses travaux et analyses sur les gens du voyage, Jean-Baptiste Humeau a élaboré une notion spécifique permettant d’appréhender leur mode de circulation sur le

53 territoire français, celle de « polygone de vie ». « Par l’expression “ polygone de vie”, nous désignons l’ensemble des lieux de stationnement ou de séjour prolongé (hivernage par exemple), voire de semi-sédentarisation qui tout au long de l’année constituent les bases géographiques de l’espace parcouru. Les pôles de l’espace ainsi dénommé sont déterminés par de nombreux paramètres exclusifs ou combinés de nature économique, administrative, familiale, religieuse, réglementaire… La visibilité des comportements des familles nomades se résume à ce qu’elles en laissent transparaître sur chacun des pôles. Chaque groupe familial ne donne qu’une image éclatée de son polygone de vie. Les polygones de vie familiaux résultent autant des dynamiques propres aux groupes concernés que de la mobilité autorisée par la société majoritaire. Ainsi, selon les situations locales et les groupes familiaux, les polygones de vie peuvent être fondés sur des pôles d’intégration dans l’espace social et sur des pôles de confrontation avec l’environnement sédentaire » (1989, p. 8). L’usage de cette notion permet ainsi de comprendre les circulations de groupes tsiganes sur des territoires assez vastes, français mais aussi étrangers en fonction des groupes, de leurs activités économiques, de l’étendue de leur réseau familial et social, de leurs « activités religieuses », etc. Mais, considérant la sédentarisation croissante de la population tsigane, le polygone de vie permet aussi d’appréhender des groupes dits aujourd’hui semi-sédentaires, voire sédentaires. Dans ces cas-ci, le polygone se restreint, quelques fois jusqu’à un véritable enracinement. « Pour beaucoup de groupes, les polygones de vie se contractent au point de ne plus constituer qu’un pôle, lieu de séjour prolongé, et quelques déplacements durant la belle saison (travaux saisonniers, pèlerinages, retrouvailles familiales) » (Humeau, 1989, p. 9). Dans le cas des plus enracinés, Jean-Baptiste Humeau n’envisage toujours que les gens du voyage, car les assignant à un habitat-caravane. Pourtant, par bien des aspects, la question se pose de cette seule considération des gens du voyage. Il ne s’agit nullement ici d’invalider de quelque façon que ce soit la théorie très enrichissante de Jean-Baptiste Humeau. Au regard de parcours de Tsiganes sédentaires des Bouches-du-Rhône, sa théorie nous incite plutôt ici à élargir son propos en faisant la part de ce qui relève de la culture tsigane ou de la situation de voyageur. Au travers du polygone de vie, Jean-Baptiste Humeau dresse une cartographie des parcours des Tsiganes ; il les situe ainsi dans une circulation bien définie, répétée et peu changeante, répondant essentiellement à des opportunités économiques et des rassemblements familiaux et religieux. Dans une optique de géographe, il les étudie ainsi essentiellement sous l’angle du lieu de stationnement, de ses conditions et des changements historiques liés aux possibles de ces espaces de stationnement. Dans le cadre présent, sa théorie nous semble pourtant avancer des caractéristiques fortement culturelles qu’une considération de 54 populations tsiganes sédentaires permet de mettre en exergue. Loin d’adopter les schémas d’implantation classiques, c’est-à-dire de la société majoritaire, en ce qui concerne le lieu d’habitation, les Tsiganes s’établissent sur la base de deux critères principaux : le facteur économique et la famille. L’analyse a permis d’établir la place de ces deux valeurs dans la culture tsigane et ainsi d’appréhender la logique qui prévaut à leur place dans le schéma de résidence. La confrontation ou l’usage de la théorie du polygone de vie de Jean-Baptiste Humeau nous invite à repenser cette dernière à la lueur de ces deux valeurs. Dans les cas de polygone restreints à un seul pôle, les cas des sédentaires, les « paramètres exclusifs » sont l’économie et la famille, avec une prédominance même de la famille. Les paramètres sont donc les mêmes dans les cas de sédentaires et de voyageurs, l’enracinement engendrant une focalisation sur un paramètre et non plus une multiplicité. De ce fait, il nous semble ici que ce que Jean-Baptiste Humeau désigne du terme de paramètres ne sont autres que ces valeurs que nous avons qualifiées de culturelles, notamment la conception économique et la famille. Au-delà des groupes constitutifs de la population tsigane, au-delà également de leur mode de vie et d’habitat (nomadisme ou sédentarité), la culture tsigane apparaît dans son homogénéité transcendante, avec en son cœur la valeur famille. Les propos de nos interlocuteurs prennent ainsi tout leur sens, dans la revendication d’une culture tsigane, sans oppositions ni ambiguïtés.

Moi, j’aime vraiment voyager, quand je dis voyager ça peut être voyager comme cet été, on s’en va dans les , voilà, mais je veux voir du pays. Rester dans une maison, c’est pas moi. D’où les origines gitanes, je pense qu’elles sont bien ancrées là (Entretien Mercédès, 21 Juillet 2011, Marseille).

Tout le monde peut être gitan. C’est un mode de vie, c’est tout (Notes discussion informelle Jean-Marie, 28 Mai 2011, Saintes-Maries-de-la-Mer).

55 Au travers de ce chapitre, la question en apparence assez simple de l’implantation des Tsiganes dans le département des Bouches-du-Rhône s’est révélée, somme toute, assez complexe, nécessitant la prise en compte de facteurs historiques et socioculturels multiples. Mais avant tout, la seule variable de l’habitat renvoyait, nous l’avons vu, à une construction de l’objet nomadisme, entre identification et discrimination, ayant engendré des créations de catégorisations spécifiques des Tsiganes : celles de nomades, semi-sédentaires et sédentaires. Outre son aspect schématisant, ces catégorisations relèvent surtout de conceptualisations discutables sur le mode de vie tsigane. A Marseille et dans tout le département des Bouches-du-Rhône, l’impact du contexte historique des années 1960 sur la population tsigane apparaît assez nettement, d’autant plus qu’il correspond à l’arrivée de nombreux Gitans des pays du Maghreb. Les Tsiganes habitent ainsi majoritairement dans des cités HLM à partir des années 1960, dans les quartiers Nord de Marseille pour des raisons conjoncturelles, et représentent une population ici majoritairement sédentaire. Ce point historique a permis de traiter des évolutions de ce mode d’habitat, cherchant au travers des déménagements notamment, les circulations des populations tsiganes dans et autour du département. Dans cette mobilité, la variable économique joue un rôle important, ce qui reste sans surprise par rapport à la population gadjé. Cependant, ce rôle est sensiblement différent en ce qu’il correspond à une conception de l’économie particulière à la culture tsigane, conception qui ressort d’une économie de subsistance et d’adaptation au contexte socio-économique environnant. De plus, cette conception renvoie totalement à une valeur centrale de la culture tsigane, la famille, valeur elle-même explicative de phénomène de mobilité dans le département. L’implantation des Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône découle d’un contexte historique d’une part, et d’une conception culturelle d’autre part. Pour les Tsiganes, la famille est un noyau extrêmement important garantissant la pérennité identitaire. Le lieu d’habitation des Tsiganes est ainsi totalement lié à la famille, s’articulant autour d’une proximité des parents et aînés presque indispensable, qui, de fait, engendre peu de mobilité hors département ou hors région. Une réflexion complémentaire autour de la notion de polygone de vie nous amène ainsi à repenser les distinctions opérées entre modes d’habitat tsiganes (sédentaires, semi-sédentaires, nomades) sous le prisme explicatif des valeurs fondamentales de cette culture tsigane, et surtout de la famille.

56 III - Patrimoine Interculturel

Dans son second versant, la recherche initiale s’attachait à approcher la place des Tsiganes dans le département sous un angle quelque peu différent, celui de leurs rapports et relations aux populations et cultures environnantes, notamment la culture provençale. De fait, ce questionnement impliquait une certaine approche de ce qui peut constituer aujourd’hui le patrimoine des populations tsiganes du département des Bouches-du-Rhône, à savoir notamment si des phénomènes d’emprunts ou de rejets pouvaient avoir affecté la culture des Tsiganes et des non-tsiganes partageant ce même environnement. De plus, la présence des Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône est ancienne, comme nous avons pu le voir précédemment ; ils ne sont pas à considérer comme des populations migrantes mais comme des autochtones, une composante de la culture provençale, ce qui ne peut qu’engendrer des phénomènes d’appropriation, de mélanges culturels de part et d’autre. En effet, « pour se distinguer entre eux, les Tsiganes font souvent référence à la région où leur famille a le plus longtemps séjourné – ce que traduit la plupart des noms qu’ils se donnent : Gazkene Manus, Sinti Piemontesi, Rumungre, Solvensko Roma, Rom Serbiake, etc. Ils se sont nourris du savoir et de l’invention des hommes et des terroirs qu’ils traversaient. S’il existe des Tsiganes différents les uns des autres, c’est parce qu’ils ont suivi des itinéraires multiples. La diversité tsigane enseigne que les hommes sont faits de leurs rencontres avec d’autres hommes. Il est arrivé que les Tsiganes enrichissent le patrimoine des populations sédentaires, souvent ils l’ont conservé (tel quel ou en le transformant […]), parfois ils s’en sont emparés. Il est arrivé aussi que les Tsiganes apportent leur talent, leur savoir-faire, leur force (de bon gré ou contraints – aux galères, dans les armées…) aux hommes des terroirs et à leurs gouvernants. Mais l’attachement qu’ils peuvent éprouver pour une terre ne leur est pas compté » (Williams, 1993, p. 9). Ainsi, bien que l’ancrage, l’enracinement ou l’implantation dans un territoire ne répondent pas aux mêmes logiques de réflexion et choix pour les Tsiganes et les Gadjé, le lien actuel des Tsiganes à un espace, ici le département, voire une ville en particulier, est aujourd’hui indéniable. Il s’exprime tout d’abord au sein de la population non-tsigane, la société provençale, dans l’imagerie populaire et les représentations réelles ou imaginées générées par la présence tsigane en Provence, mais ce lien se mesure également au sein des groupe tsiganes, dans une intériorisation d’éléments du patrimoine provençal, quasiment inconscients aujourd’hui, ainsi que dans la revendication et la construction d’une identité gitane spécifique.

57 A - Les Tsiganes et la Provence

1 - L’image populaire du Gitan en Provence

Du Boumian au Gitan…

Qu’ils soient de passage ou bien qu’ils s’y soient installés, les Tsiganes sont en Provence depuis plusieurs siècles et ont été l’objet de multiples préjugés et fantasmes dans les mentalités locales. La population non-tsigane locale a eu pour habitude de les désigner successivement par les termes « Bohémiens », « Boumians », « Gitans » ou bien encore plus péjorativement par les termes « Caraques » ou « Piches ». Les trois premières désignations renvoient aux lieux traversés au cours de leur périple depuis l’Inde jusqu’en Europe, et dans lesquels ils se sont arrêtés : la Petite-Egypte entre le XIIIème siècle et le XIVème siècle, nom d’une région de Grèce située dans le Péloponnèse qui leur donna le nom d’« Egyptiens », soit en espagnol « Ejiptanos » – qui donnera par la suite « Gitanos », « Gypsies » en anglais et « Gitans » en français. Et puis, la Bohême, l’actuelle région de Tchéquie, traversée par cette population au XIVème siècle 22 , leur donna le nom de Bohémiens, soit « Boumian » en langue provençale. Le roi de Bohême les accueillit comme réfugiés et leur donna des lettres de protection, leur servant ensuite dans tous les pays chrétiens.

Le mot « Caraque » fut très utilisé sur le territoire arlésien, et l’est encore dans certaines familles pour désigner le Gitan, le va-nu-pieds, une personne mal vêtue ou peu recommandable. En interrogeant de manière informelle des natifs du Pays d’Arles, on apprend qu’il était alors courant d’entendre dire dans la deuxième moitié du XXème siècle «elle / il est habillé(e) comme une Caraque » pour signifier une personne mal vêtue, débraillée, décoiffée ou bien avec des vêtements mal assortis. Nous avons trouvé plusieurs origines étymologiques possibles de « Caraque ». Dans le Trésor du Félibrige , on retrouve les termes : « caraco » s.m Sobriquet que l’on donne aux Espagnols, à cause d’un juron (caracoles) qui leur est familier ; gitano, bohémien de Catalogne, v. boumian, chincho. « caracaio, caracahlo » s.f Les Bohémiens en général, v. boumianaio.

22 Alain Reyniers , Identité, rapport au voyage, économie, éducation et rapport à l’école dans le contexte de la société contemporaine, 12 février 2003 http://www.ac-nancy-metz.fr/casnav/crd/docs_crd/reyniers.pdf 58 Cependant, dans une analyse de 1982 23 de Marcel Carrières, membre de l’Académie d’Arles, l’origine espagnole du mot est à écarter et il conviendrait d’envisager désormais la définition suivante : « Caraco , s.m de Kara : Noir et de Ghoez : Yeux, mots d’origine ouralo-altaïque, par le bas- Caragius, cité pour la première fois par Saint Césaire, évêque d’Arles (VIè s.) – Tsigane. Ce terme est usité uniquement en pays d’Arles. »

Enfin, dans son écrit sur le pèlerinage des Bohémiens aux Saintes Maries en Provence, Jean de Kergorlay 24 évoque l’existence de Bohémiens, qui ont selon l’auteur différentes dénominations suivant les pays auxquels ils appartiennent : « […] Gitanes en Espagne, Ciganos en Portugal, Zingaris en Italie etc… 25 » mais qu’il considère comme étant un seul peuple, auquel se joignent de temps en temps les Caraques, pour vénérer Sara. « A ces hôtes temporaires du village des Saintes [Bohémiens], se joignent de temps en temps les Caraques qui ne seraient autres que les descendants des anciens Ibères. Ce sont des hommes robustes, d’une allure pittoresque, au visage cuivré, généralement riches. Ils sont païens et auraient encore le culte du feu, de l’eau, de Mitra, dieu persan adoré autrefois jusqu’en Gaule et dont un temple s’élevait jadis à cette pointe de . Quelques colonnes de cet édifice sont éparses sur le sol. En 1906, les Caraques furent particulièrement nombreux au pèlerinage du printemps […] et pendant la nuit du 24 au 25 mai, […] ils procédèrent dans la crypte à l’élection de leur roi et de leur reine. La reine prit un cierge allumé, le passa au roi, qui le remit à un Caraque, celui-ci le donna à une femme de sa tribu et ainsi de suite, tous l’eurent en main. 26 » Le terme « Caraque » est encore bien connu des générations adultes et âgées, il peut même être encore utilisé dans certaines familles locales, mais il reste péjoratif.

Enfin, le mot « piche », connoté très péjorativement, serait équivalent dans sa définition au terme « caraque » et serait utilisé de la même façon, cependant nous n’avons aucune précision étymologique pour ce terme.

23 Marcel Carrières, Des Caraques à Saint-Césaire , in Bulletin des Amis du Vieil Arles , Deuxième série, N°45, Arles, juin 1982. 24 Jean de Kergorlay (1860-1924) Comte, membre fondateur de la Société des Américanistes, explorateur, archéologue, historien. 25 Jean de Kergorlay, Sara, patronne des Bohémiens aus Saintes-Maries en Provence , in Revue du traditionnisme français et étranger , avril-mai 1912.pp65-66. 26 Cf note 25. 59 Diseurs de bonne aventure et saltimbanques dans les Noëls de Les archives attestent la présence de Bohémiens en Provence au XVème siècle mais c’est au XVIIème siècle que la figure du Boumian apparaît dans les Noëls 27 du poète-compositeur provençal Nicolas Saboly. Ils se présentent en petits groupes et vont donner la bonne aventure à l’enfant Jésus, en regardant les lignes de sa main. Au XVIIIème siècle, naissent les crèches publiques parmi lesquelles nous trouvons des crèches mécaniques, et des crèches parlantes. A Marseille, le créateur de ces dernières est Joseph-Dominique Laurent (cf. Charles Galtier), en 1775, mettant en scène des personnages tels qu’un Meunier, un Ramoneur, un Aveugle et un Bohémien, que l’on retrouvera ensuite dans la Pastorale emblématique d’Antoine Maurel 28 , puis dans les crèches familiales populaires du XIXème siècle. Le Bohémien était alors représenté comme un saltimbanque avec le reste de sa famille : montreur d’ours, musicien, montreuse de singe, ou bien représentée avec un bébé dans les bras pour son épouse, ou bien encore munie d’un tambourin pour sa fille. Selon Françoise Delesty, le propos de leur mise en scène est le suivant : « Ils viennent d’Europe centrale et ils cheminent vers la crèche, c’est qu’ils savent que c’est là que tout le monde s’est réuni et qu’ils auront peut-être l’occasion de faire voir leur spectacle et de gagner quelques sous. 29 »

Personnage diabolique, voleur d’enfant dans la Pastorale de Maurel Avec la Pastorale provençale de Maurel, créée en 1842-1843, le propos change et le Boumian apparaît alors comme un être malfaisant, manipulateur, dépourvu d’humanité, terrorisant le village. Tout de noir et de rouge vêtu, il n’appartient pas au monde des humains mais est assimilé au diable, portant une cape, un chapeau et/ou un foulard de tête. Souhaitant disposer de l’ombre de Pistachié (personnage peureux) qu’il achète, il vole ensuite le fils de l’Aveugle qui s’en trouve très malheureux. La naissance du « divin enfant » va entraîner un certain nombre de miracles dans le village « réparant » les défauts de chacun des personnages symboliques ; le Boumian devient alors bienfaisant, l’aveugle recouvre sa vue et retrouve son fils.

Dans cette pastorale, le Boumian est un être maléfique, voleur d’enfant, des représentations que l’on retrouve dans certaines injonctions populaires.

27 Les Noëls : poèmes populaires chantés lors des fêtes calendales 28 Antoine Maurel, né en 1815 fut membre, à Marseille, du Cercle Catholique d’ouvriers ; il est l’auteur d’une Pastorale, une pièce de théâtre qui met en scène la Nativité en la contextualisant dans un village de Provence. La Pastorale Maurel est la plus représentée. 29 Françoise Delesty, La Provence des Pastorales , Paul Tacussel éditeur, Marseille 2005. P84 60 En effet, nous avons interrogé de manière informelle des Arlésiens sur le souvenir d’avoir connu, enfants, des familles gitanes ; certains, ayant habité le quartier de la Roquette 30 , s’en souviennent, mais la référence au Boumian voleur d’enfants, dans des menaces assénées par une mère ou une grand-mère à ses enfants, reste à l’unanimité le souvenir le plus marquant. L’image du Boumian, voleur d’enfant était utilisée dans les familles du pays d’Arles pour faire peur aux enfants et obtenir d’eux plus d’obéissance : « Si t’es pas sage, les Caraques t’emporteront », se souvient avoir entendu, enfant, Isabelle, 45 ans.

Le brigand et voleur de poules Les crèches familiales populaires apparaissent au XIXème siècle, et les santons alors mis en scène incarnent majoritairement des personnages de la Pastorale . De personnage diabolique dans la Pastorale , le Boumian devient dans la crèche, le brigand, inspiré par l’image du bandit italien : « Désormais, il se présente dans le costume de bandit calabrais dont on l’affuble dans les pastorales influencées par les spectacles lyriques. » Il porte ainsi les accessoires du brigand italien, une cape noire, un chapeau conique noir, une barbe et un poignard au ceinturon.

Enfin, bien plus tard, en 1960, Yvan Audouard écrit sa pastorale, plus burlesque, et on retrouve parmi les personnages le Boumian voleur de poules, poursuivi par le gendarme : (…) « Boumian, son métier, c'était de voler des poules. Le gendarme, son métier c'était d'arrêter les boumians . Ca faisait vingt ans qu'ils se couraient après. Or, précisément cette nuit- là, on entendit dans le poulailler de Roustido un gros rire triomphant: c'était le gendarme qui venait de prendre enfin le Boumian en flagrant délit. Le Boumian: « Je suis sûr que vous avez envie de me remettre en liberté. Le gendarme: Comment tu le sais? Le Boumian: Parce que moi c'est un peu la même chose : la dinde, j'ai envie de la rendre à son propriétaire . » (…)

L’image du Gitan voleur de poules est parfois reprise par les Gitans eux-mêmes, à des fins de plaisanterie ou bien pour tester la personne qu’ils ont face à eux. En effet, au cours de l’enquête, lorsque je faisais la connaissance d’un nouveau membre de la communauté, présentant alors mon travail, je me confrontais régulièrement à cette désignation : « vous êtes venue étudier les voleurs de poules… » ou bien encore « oh, les Gitans ce sont des voleurs de poules… » Certains même l’expliquent ainsi: « jusqu’à 1900 il n’y avait pas ou très peu de

30 Quartier populaire du centre-ville d’Arles où vivent et vécurent de nombreuses familles gitanes – mais également d’origines maghrébine et des familles natives d’Arles – quartier actuellement en cours de gentrification. 61 mariages mixtes avec des français, mais comme on a toujours été rejeté, on ne nous donnait pas de travail, alors on était obligé de voler pour vivre. Du coup le Gitan c’est le voleur de poules… » Propos de NR, notes prises le 18/03/2011.

L’image du Bohémien, voleur, brigand se retrouve aussi dans l’œuvre de , Mes origines, mémoires et récits 31 , le quatrième chapitre, L’école buissonnière , Mistral y décrit une rencontre fortuite avec trois Bohémiens : « (…) Il faut croire qu’à la longue la fumée finit par me suffoquer ; je sursaute soudain et je jette un cri d’effroi… oh ! Quand je ne suis pas mort, mort d’épouvante, là, je ne mourrai jamais plus ! Figurez-vous trois faces de bohèmes qui tous les trois à la fois, se retournèrent vers moi, avec des yeux, des yeux terribles… Ne me tuez pas ! ne me tuez pas ! leur criai-je, ne me tuez pas ! Lors, les trois bohémiens, qui avaient eu, bien sûr, autant de peur que moi, se prirent à rire et l’un d’eux me dit : C’est égal ! tu peux te vanter, mauvais petit moutard, de nous avoir fichu une belle venette 32 ! Mais, quand je les vis rire et parler comme moi, je repris un peu courage, et je sentis, en même temps extrêmement agréable, une odeur de rôti me monter dans les narines. Ils me firent descendre de mon perchoir, me demandèrent d’où j’étais, de qui j’étais, comment je me trouvais là, que sais-je encore ? et rassuré, enfin complètement, un des voleurs (c’étaient, en effet, trois voleurs) : Puisque tu as fait un plantié 33 , me dit-il, tu dois avoir faim… tiens, mords-là. (…) »

Nous retrouvons tour à tour ces multiples images dans les collections du Museon Arlaten, à travers une collection de santons rassemblés minutieusement par un donateur passionné par l’histoire des Tsiganes, pour témoigner des diverses représentations du Boumian dans la région. Il apparaît ainsi sous les différentes formes déjà citées – saltimbanque, musicien ambulant, brigand, etc. Si, pour le donateur, l’ensemble de ces apparences caractérise, dans l’imagerie populaire, les Gitans, il n’en est pas de même pour le personnel chargé de l’inventaire au Musée. En effet, le brigand barbu vêtu d’une cape, d’un poignard et d’un chapeau apparaît davantage en description analytique comme « bandit avec cape et poignard » que comme un Gitan. La caractéristique gitane n’est donc pas une évidence aux yeux de tous. Cette « non-évidence » est aussi présente chez le santonnier marseillais Carbonnel, qui distingue le Gitan/Bohémien du brigand. Le premier est le saltimbanque, musicien, montreur d’ours, le second est « le voleur des grands chemins ». De même, nous distinguons plusieurs

31 Frédéric Mistral, Mes origines, mémoires et récits, Babel, Actes Sud 2008. 32 Peur. 33 « (…) Un plantié désigne, en Provence, l’escapade que fait l’enfant loin de la maison paternelle, sans avertir ses parents et sans savoir où il va. (…)» P66 op. cit. 62 manières de représenter le personnage féminin chez les santonniers : la femme bohémienne et la femme gitane.

La Gitane et la Bohémienne : entre idéal féminin et mère de famille Le santonnier marseillais Carbonnel distingue deux personnages féminins : - la Bohémienne, représentée avec un foulard lui couvrant l’ensemble de la tête, un enfant dans les bras et un tambourin, - et la Gitane, représentée seule munie d’un tabourin, paraissant plus jeune, avec un foulard lui couvrant partiellement le dessus de la tête.

Cette distinction peut relater une image double de la femme gitane – à la fois inquiétante, inspirant de la méfiance par son activité de « diseuse de bonne aventure » ou de saltimbanque et nomade, car il s’agit d’activités itinérantes ; et la fière, mystérieuse, et généreuse « danseuse gitane », séduisante, charmeuse ; représentation que les santonniers de Saint Rémy de Provence et Jouve d’Aix en Provence (photo de droite) ont repris pour leurs sujets, et que l’on redécouvre dans les collections du Museon.

« Gitane portant un enfant dans le dos et un tambourin.» « Gitane avec un sac noir et un tambourin. » Numéro d’inventaire 2003.0.7334 Numéro d’inventaire 2003.0.7350

Qu’ils soient brigands, montreurs d’ours ou musiciens, les Bohémiens-Gitans alimentent parmi leurs contemporains des classes populaires un imaginaire péjoratif et éloigné de la réalité. Néanmoins au début du XXème siècle, un autre point de vue – pas toujours réaliste mais plus humaniste, impulsé par Folco de Baroncelli – va émerger depuis le milieu intellectuel et aristocratique provençal.

63 2 - Les Gitans du Marquis Folco de Baroncelli 34

A la fin du XIXème siècle, la Camargue était considérée comme une terre aride et inhospitalière, lieu d’élevage de taureaux et de chevaux, inspirant certains écrits de Mistral. En effet, c’est en traversant la Crau puis la Camargue, en quête de son bien-aimé , que Mireille trouve la mort, terrassée par une chaleur ardente. Cette représentation négative va en être progressivement modifiée par l’écrivain et manadier provençal Folco de Baroncelli, qui va l’investir comme « une terre regorgeant de mystères ». « Territoire isolé dans lequel il lui semblait que la nature et la culture provençale étaient restées alors quasiment inviolées, l’Avignonnais y vit désormais une sorte de sanctuaire. 35 »

La Camargue comme berceau originel des Gitans Folco de Baroncelli distingue les Bohémiens des Gitans, les Bohémiens étant un terme générique pour désigner l’ensemble des groupes « Les Gitans, les Romanichels, les Gypsies, les Tziganes sont des nations différentes de Bohémiens, divisées aussi en tribus, en familles, en campements. 36 » Dans la mythologie baroncellienne, les Gitans seraient les autochtones de la Camargue, et l’Occident qu’il nomme « le pays du couchant » leur berceau originel, réfutant ainsi la thèse d’une origine indienne qui avait pourtant déjà cours à cette période. Cette représentation trouve son fondement dans l’histoire légendaire de Sara. Il existe plusieurs versions de cette légende, nous retiendrons ici celle considérée par le Marquis, issue d’après-lui, de la tradition gitane, puis celle de la tradition catholique. Sara ne viendrait pas de Palestine comme le conçoit la tradition chrétienne, mais serait la reine – « fleur de la race » disait-il – de populations nomades autochtones vivant déjà en Camargue, et qui campaient dans une forêt de pins parasols à l’emplacement de la ville d’Aigues-Mortes. Lorsque les « saintes Maries » accostèrent, Sara, avertie « miraculeusement », courut vers le rivage et étendit sur l’eau sa robe qui la conduisit vers les Saintes. Elle reçut alors le baptême et les guida jusqu’au temple païen où avaient l’habitude de se retrouver les pèlerins de son groupe. Les saintes convertirent alors les populations nomades autochtones et l’autel païen devint le premier autel chrétien du littoral. Ce mythe fondateur, perpétué par Folco de Baroncelli, enracine ainsi les populations gitanes en Camargue ; il est commémoré par le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer tous les 24 et 25 mai.

34 Les Bohémiens et les Saintes-Maries-de la Mer , in la Revue d’Arles, n°3, mai 1941. 35 Folco de Baroncelli Car mon cœur est rouge. Des Indiens en Camargue. Présentation par RémiVenture.p10. Editions Gaussen 2010, Marseille. 36 Op cit. Les Bohémiens et les Saintes-Maries-de la Mer , in la Revue d’Arles, n°3, mai 1941.

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Assimilation des Gitans aux Indiens d’Amérique C’est lors d’une tournée en France du spectacle de William Cody, le « Buffalo Bill’s Wild West Show » au printemps 1905, que Folco de Baroncelli se prit d’amitié pour les Indiens de la troupe, avec lesquels il entretint une correspondance. Dans la plupart de ses écrits, il donne une description romantique des Gitans, insistant sur leur peau mate – « ces hommes bruns ou cuivrés »–, faisant référence à leur allure fière– « de fiers nomades » –, puis à leur côté mystérieux, les assimilant sans cesse aux Indiens Sioux ou aux « Peaux rouges » qu’il avait rencontrés. Il évoque également un lignage « pur » et sans métissage des Gitans, qui passeraient à travers les civilisations « sans jamais mésallier leur sang ». « Le Gitan fuit devant l’envahisseur ; il se réfugie […] parmi les lagunes et les marais malsains, impraticables, inhabitables pour tout autre que lui l’autochtone. Il y élève ses temples dans lesquels il adore le Feu et le Soleil (comme le Peau-Rouge, comme l’Egyptien.)» Comparant les Gitans aux « Peaux rouges », aux Egyptiens et aux populations anciennes du Mexique, il fait revivre le mythe de l’Atlantide – en y adhérant.

Le mythe de l’Atlantide Baroncelli reprend ce mythe initié par Platon, selon lequel un territoire immense composé de grandes îles reliant l’Afrique du Nord, l’Espagne, l’Amérique aurait existé, dénommé Atlantide, et sur lequel auraient vécu un peuple les Atlantes, de « race cuivrée », jusqu’à ce qu’un cataclysme effroyable engloutisse un jour une partie de ces terres. Selon Baroncelli, ne resterait alors que des « débris » de cette « race », de part et d’autre de ce territoire éclaté en plusieurs rives, dont les Celtes, les Basques, « les Peaux rouges », les Egyptiens et les Gitans seraient les « résidus », les descendants. Dans sa thèse, les Celtes et les Basques seraient des peuples métissés alors que les Egyptiens et les Gitans seraient les plus purs. Ainsi, il y aurait un substrat commun à ces populations, une sorte de parenté originelle.

Cette hypothèse, reprise par Baroncelli, a questionné et intéressé d’autres érudits locaux de l’époque tels que Jeanne de Flandreysy ou bien encore Joseph Aurouze 37 , que nous ne pouvons analyser ici dans le détail.

37 Joseph Aurouze, Les Boumians Le Provençal de Paris, n°46. Novembre 1907. 65 3 - Le pèlerinage aux Saintes-Maries-de –la-mer : la tradition catholique

Dans la tradition catholique, la légende raconte qu’expulsés de Palestine (Judée) par les Romains, les disciples de Jésus – parmi lesquels figuraient Maximin, Lazare, Trophime, Marthe, Marie Jacobée, Marie Salomé – ont embarqué sur un radeau sans gouvernail qui, dérivant jusqu’aux côtes provençales, a accosté sur le rivage des actuelles Saintes-Maries. La légende catholique compte Sara parmi les membres de l’embarcation. « (…) au moment où l’esquif emporté par le courant va s’éloigner définitivement du rivage, une femme éplorée accourt sur la grève, demandant à grands cris à partir avec eus ; cette femme est Sara la servante. Salomé, touchée d’un si grand attachement, jette son manteau sur les flots et Sara, à l’aide de cette passerelle miraculeuse, rejoint le groupe des proscrits. La barque, alors guidée par un ange, commence son voyage, voguant vers l’occident. (…) 38 » Ces premiers chrétiens se sont alors dispersés pour évangéliser la Provence ; « et seules, Sainte Jacobée, Sainte Salomé, brisées par les infirmités, restent avec Sara sur le lieu du débarquement. 39 »

Procession de sainte Sara , Saintes-Maries de la Mer, 24 mai 2011. © Museon Arlaten. Kristell Amellal.

Ce sont les fouilles archéologiques organisées par le roi René en 1448, dans l’église fortifiée des Saintes-Maries, qui mettent au jour les sépultures de deux corps, attestés par les autorités religieuses de la région comme étant les reliques des saintes. « Très solennellement, le 2

38 Jean de Kergorlay, Sara, patronne des Bohémiens aux Saintes-Maries en Provence , in Revue du traditionnisme français et étranger, avril-mai 1912, Paris. 39 Jean de Kergorlay. op cit. 66 décembre 1448, le Roi René présente devant sa cour le rapport des fouilles (…) il déclare alors de l’avis unanime que les corps devront reposer dans cette église et qu’on en ferait l’élévation le jour suivant. Le lendemain 3 décembre a lieu effectivement une grande cérémonie devant le Roi, la Reine et une foule importante. Après la messe les prélats lavent les ossements et les déposent « dans une châsse double, ornée dedans et dehors de rubans de soie brodée d’or. 40 » Face au flux de pèlerins que suscite l’invention des Reliques, des dispositions sont prises par l’évêque de Marseille, les Prieurs respectifs de Notre-Dame-de-la-Mer et de la Confrérie des Gardians, afin de règlementer leur ostension dans une ordonnance du 7 janvier 1449 : « (…) la châsse qui contenait les corps des saintes ne descendrait de la chapelle haute que le jour de leur fête (24 mai et 22 octobre), à l’anniversaire de leur élévation, le 3 décembre, ou à la demande du roi René, ou pour la visite d’un roi de France ou d’un cardinal 41 ». Selon le Chanoine Chapelle 42 , le culte des saintes fut pratiqué depuis les origines, à l’exception de la période des invasions sarrasines aux VIIIème et Xème siècles, jusqu’à l’invention des Reliques. Pour les périodes suivantes, le pèlerinage s’est toujours maintenu, excepté au moment de la Révolution.

Des sources peu loquaces, Sara pas toujours attestée La première mention de Sara figure dans un texte écrit vers 1521 par Vincent Philippon 43 , où elle est citée parmi les voyageurs. Pour Francis Gayte 44 comme pour Marc Bordigoni 45 , « quelques documents attesteraient d’une dévotion ancienne à une sainte Sarre ou Sara 46 mais de manière plus certaine, un historien ayant dépouillé deux siècles d’archives communales des Saintes-Maries-de-la-Mer écrit : « toute notre documentation dans ces deux siècles (XVII- XVIII) ne fait jamais mention de Sarah l’Egyptienne, ni a fortiori d’une quelconque procession gitane 47 » ». Malgré quelques éléments, les sources sont rares sur le sujet jusqu’au XIXème siècle, où elles deviennent plus prolixes quant à l’évolution du culte à Sara et à sa

40 Louis Borel, Histoire des Saintes-Maries de la mer , Rouquette J.M (préface de), Paris : Edit. Errance, 2012. p61 41 Louis Borel, op.cit. p69 42 Chanoine LAMOUREUX , 1909, Les Saintes-Maries de Provence, leur vie et leur culte , Marseille, Moulot et fils aîné imprimeurs. 43 Cf La légende des Saintes Maries, le fichier numérique de l’ouvrage : http://www.e- corpus.org/eng/ref/102159/Arles Ms 133/ 44 Linguiste et musicologue, auteur de La légende oubliée des Saintes de la Mer , C. Lacour Editeur, Nïmes 2009. 45 Marc Bordigoni, Sara aux Saintes Maries de la Mer, métaphore de la présence gitane dans le « monde des Gadjé » http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/03/19/79/PDF/Sara_revue_avec_notes.pdf , 2005. 46 André Delage, Les Saintes Maries de la Mer. Des origines de la tradition des Saintes à nos jours. Etudes tsiganes : 2-36, 1956 47 Gérard Gangneux, Les Saintes Maries de la Mer de 1675 à 1792 (Etude socio-démographique). C. Lacour Editeur, Nïmes, 1988. 67 procession, qui va de pair avec la présence des Gitans au pèlerinage. Cependant, des zones d’ombre persistent, comme la date à laquelle est créée la statue de Sara, ou bien des détails sur sa fabrication. Nous savons que, si la présence des Bohémiens est attestée en Provence en 1419, leur présence au pèlerinage ne l’est qu’à partir du milieu du XIXème siècle, confirmée par une illustration de 1852 de JB Laurens, dans le journal l’Illustration , où l’on voit une Bohémienne placer son enfant sur les châsses des saintes Maries 48 . Comment expliquer une telle discontinuité des sources sur le sujet ? Pour M. Bordigoni, il s’agit de savoir à quels moments les Bohémiens sont devenus visibles. A notre niveau, nous pourrions nous interroger sur leur pratique religieuse : ont-ils toujours été catholiques ? A partir de quand le sont-ils devenus ? Avaient-ils une autre croyance avant de l’être ? Autant de questions auxquelles nous n’avons à ce jour pas de réponses certifiées.

De Sara la servante à sainte Sara Le pèlerinage dit « des Gitans », tel que nous le connaissons aujourd’hui, est relativement récent. En effet, c’est au XXème siècle, entre la Grande Guerre et les années 1960, que le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer connaît de nombreuses modifications et se « gitanise » de manière plus officielle. En effet, c’est après la Première Guerre mondiale que les Gitans portent les châsses des saintes Maries lors de la procession à la mer, puis en 1934, ils en sont interdits sur décision de l’archevêque d’Aix, Emmanuel Coste. Ensuite, c’est en 1935 qu’à la demande du Marquis de Baroncelli, la procession de Sara est organisée et aura lieu désormais la veille du pèlerinage des Saintes, c'est-à-dire le 24 mai. Nous n’avons pas d’information sur la création de la statue de Sara ; jusqu’alors les pèlerins venaient la prier et la vénérer dans sa crypte. La tradition catholique ne reconnaissant pas la sainteté de Sara, les pratiques religieuses gitanes restent toujours en marge des cérémonies officielles, les prêtres étant jusque-là absents de la procession. « Dans l’entre-deux-guerres, afin de préserver la dignité des cérémonies dans le chœur, l’accès des Gitans à la crypte où sont installées la châsse et la statue de sainte Sara se fait par une porte latérale. (…) cet accès limité valait le temps des messes et cérémonies se tenant dans l’église ; nombre de témoignages de toutes les périodes attestent de la présence, en plus ou moins grand nombre, des Gitans dans l’église. Mais quelques-uns d’entre eux ne font que traverser l’église afin d’aller honorer Sara, ne se préoccupant pas trop de ce qui se passe autour d’eux, d’où l’idée de l’accès à la crypte par la porte latérale 49 . »

48 François Vaux de Foletier, Les Bohémiens en France au 19 ème siècle . J.C Lattès, Paris, 1981. 49 M. Bordigoni, op. cit. p7. 68 A partir de 1953, le clergé va commencer à apparaître, suite à l’introduction dans la procession de « Notre Dame des Gitans », dont la sainteté est officiellement reconnue par les plus hautes autorités religieuses 50 - à défaut de Sara. Bien que cette introduction nouvelle éclipse le rôle de Sara, elle va permettre progressivement une plus grande participation de l’ensemble du clergé, qui aboutira à sa consécration publique en mai 1966. M. Bordigoni a réalisé en 2001 un entretien avec le père Causse 51 , qui se souvient de cette procession rassemblant plus d’une vingtaine de prêtres : « (…) alors on était 20-25 prêtres en plus les deux évêques, alors le cortège s’est mis en branle, jamais il y avait eu tant d’honneur à la procession de Sara, la première année où vraiment c’était spectaculaire ! 52 »

Des diseuses de bonne aventure aux veillées musicales et festives « La présence tsigane est très représentée en cette période de fête. Les terrasses de bars sont peuplées par des groupes d’hommes, quand des femmes de plusieurs générations (mères, filles, grand-mère semble-t-il), positionnées à l’entrée des rues piétonnes principales ou bien autour de l’église, épinglent en signe de fête le passant non-gitan d’une médaille de Sainte Sara. Cet épinglage est suivi de la pratique de la bonne aventure ou lignes de la main, pour laquelle le passant se fait soutirer un billet dans le meilleur des cas, ou bien quelques euros. 53 »

Diseuses de bonne aventure , Saintes-Maries de la Mer, 24 mai 2011. © Museon Arlaten. Kristell Amellal. La partie piétonne de la ville est investie par des diseuses de bonne aventure, sous le contrôle visuel masculin. D’un certain âge, vêtues de jupes longues, leurs longs cheveux blancs nattés, accompagnées d'autres plus jeunes, elles ne paraissent pas être des Gitanes d’origine catalanes

50 « Notre dame des Gitans » est bénie par l’évêque de Lourdes et reconnue par le pape Paul VI 51 Le prêtre Pierre Causse a écrit dans la revue de l’aumônerie nationale, « La roulotte » n°149, d’avril 1999 dont le contenu est en ligne à l’adresse suivante : http://www.cultures- tsiganes.org/st_maries/deux_maries/deux_maries_p1.htm 52 M. Bordigoni, op. Cit p14. 53 Notes de terrain de K. Amellal du 24 mai 2011. 69 ou espagnoles, mais peut-être des Roms. Malgré quelques interrogations, elles ne parlent pas d’elles.

Par ailleurs, le pèlerinage des Gitans implique une dimension plus festive, avec les veillées religieuses bien sûr, mais aussi plus « païennes », sur les terrasses des cafés et restaurants, où la musique et la danse s’invitent. « (…) nombre de musiciens, guitaristes flamenco, musiciens roms, quelquefois violonistes manouches se donnent en spectacle. Des Gitanes, jeunes et moins jeunes, dansent, ainsi que quelques « types épatants » des dames originales, qui souvent d’une année sur l’autre reviennent et se voient attribuer un sobriquet, comme la Sardinha, par exemple. 54 » Ce rassemblement occasionne chez les familles gitanes des retrouvailles musicales entres guitaristes flamenco et de rumba. Les familles Reyes (José Reyes, puis ses fils, les "Gipsy Kings") et Ballardo (), gitanes catalanes, ont animé dans les années 1970 bon nombre de ces soirées qui, avec l’appui du photographe arlésien , sont devenues emblématiques d’une ambiance musicale « rumba- flamenca », ouvrant la voie aux autres groupes héritiers de ce style musical – le tout contribuant à donner une image plus populaire et « à la mode »55 de « la gitanité ».

Le pèlerinage des « Tsiganes ? » Gitans, Gens du voyage, Manouches, Nation Gardiane, clergé, touristes donnent un caractère très pittoresque à la procession, attirant bien des foules chaque année et suscitant l’intérêt de la presse internationale. Mais malgré la bonne entente apparente de l’ensemble des participants, le pèlerinage demeure un moment où se rejouent entre les différents groupes leur identité, leur rôle et leur légitimité à participer à cette commémoration. Le père Pierre Causse, interrogé par M. Bordigoni, se souvient de ces mésententes : « (…) je dirais la moitié des Gitans étaient des Gitans qui étaient déjà sur le bassin méditerranéen, notamment de la région d’Avignon, Montpellier, Nîmes, Perpignan, , et puis, sont venus – et c’est là on a quand même eu du mal à faire accepter par les Gitans-Gitans - les Manouches et les Roms venus avec les aumôniers du Nord, dont le père Barthélémy, qui est arrivé lui avec les Gitans de Paris, les Tsiganes de Paris, les Roms, alors les Gitans disaient « on a rien à faire avec eux, ils n’ont qu’à aller…, c’est pas leur pèlerinage, c’est le nôtre, c’est celui des Gitans

54 M. Bordigoni, Le « pèlerinage des Gitans », entre foi, tradition et tourisme, Ethnologie française 3/ 2002 (Vol. 32), p489-501. 55 M. Bordigoni, op. Cit. p 493 70 et pas des Tsiganes (…) 56 » Ces tensions entre pèlerins sont avérées entre groupes tsiganes mais aussi non-tsiganes, d’ailleurs la scission en trois pèlerinages 57 en est révélatrice.

Une manière « évangélique » d’être au pèlerinage : le marché gitan Le pèlerinage des Gitans a vu déserter des processions un nombre important de Gitans catholiques désormais convertis à l’Eglise évangélique58 et plus particulièrement, au pentecôtisme. Ce mouvement connaît une existence spécifique chez les groupes tsiganes à travers la Mission évangélique tsigane créée en 1958. Le mouvement à la fois messianique et charismatique, existe aux Etats-Unis depuis le début du XXème siècle et s’est implanté en France dans les années 1930 ; les premières conversions ont été réalisées auprès de Manouches de l’Ouest de la France, dans des années 1950. Cette période, concomitante avec le dernier exode rural auquel les Tsiganes n’échappèrent pas 59 , a contribué à favoriser une telle l’implantation, le pentecôtisme se développant en milieu fortement urbanisé. Dérivée du protestantisme, l’entrée dans cette croyance se fait par l’expérience individuelle et personnelle de la « rencontre avec Dieu » induisant chez le nouveau fidèle un changement de vie. Cette rencontre se poursuit par une conversion avec un baptême par immersion.

LS, gitan arlésien récemment converti témoigne ainsi : « Chez nous, la tradition était basée sur le catholicisme, la fête de la sainte Marie,(…) maintenant que je me suis converti, c’est plutôt un commerce qu’une religion. Pour tous les croyants qui se sont convertis, on est éclairé par la lumière de Jésus-Christ et il n’y a qu’un seul Dieu. (…) j’ai fait le choix de rencontrer Jésus, (…) certains vous diront que le pèlerinage de la sainte Marie, « c’est vrai », moi je n’y crois plus. Je me suis converti en lisant la parole de Dieu, au travers de la bible. (…) Maintenant que le sens de ma vie a pris une autre tournure, vivre une autre vie en dehors de Jésus-Christ, je ne pourrai pas, c’est une nouvelle naissance, je suis une autre personne. » Entretien réalisé à Arles, chez LS, le 30 novembre 2011.

Il est très difficile d’évaluer le nombre de croyants parmi les populations tsiganes. Plus de 200 églises sont référencées en France sur le site internet de la Mission évangélique des Tsiganes

56 M. Bordigoni, Op. Cit. p10-11 57 On distingue aujourd’hui trois pèlerinages aux Saintes Maries de la mer : le pèlerinage dit « des Gitans », les 24 et 25 mai ; le pèlerinage dit « des Provençaux », le 22 octobre ; et celui dit « des Saintois », le 3 décembre. 58 Consulter les articles de Patrick Williams, Le développement du Pentecôtisme chez les Tsiganes en France : mouvement messianique, stéréotypes et affirmation d'identité. http://halshs.archives- ouvertes.fr/docs/00/03/54/74/PDF/Williams_1986_AFA.pdf Le miracle et la nécessité : à propos du développement du pentecôtisme chez les Tsiganes. In Archives des sciences sociales des religions. N°73, 1991. Pp.81 – 98. 59 Cf. quelques paragraphes plus haut de ce rapport, p25. 71 de France, Vie et lumière 60 et le département des Bouches du Rhône en dénombre 11 61 . La ville d’Arles, compte trois pasteurs référencés et déclarés sur ce même site. Favorisant l’identité collective d’être chrétien -« nous, les chrétiens »- qui s’exprime au cours de grands rassemblements, «les conventions », le pentecôtisme encourage aussi l’autonomie du groupe. Pour P. Williams cette croyance permet aux fidèles un lien direct avec Dieu, à l’inverse du catholicisme qui nécessite la présence d’un intermédiaire, un prêtre -un gadjé-. La prégnance de cette croyance à Arles, a contribué à modifier la perception des familles gitanes arlésiennes et ainsi leurs pratiques, à l’égard du pèlerinage. Effectivement, au-delà d’une baisse importante de la fréquentation religieuse que suscite cette récente adhésion, de nombreux Gitans désormais non-catholiques se rendent encore aux Saintes-Maries à cette même période. Le temps du pèlerinage, tout proche de l’hôtel de ville, Place des Gitans , un marché s’installe dont les stands sont tenus par des familles gitanes. On peut s’y équiper pour la maison, l’habillement, la chaussure, la coutellerie, etc.

Une cinquantaine de forains compose ce marché pour la circonstance et il s’agit d’un marché « gitan » : c'est-à-dire composé de « forains gitans » et destiné aux Gitans. Je reconnais parmi les exposants deux Gitans du Quai des platanes 62 qui tiennent le même stand, ils vendent des vêtements pour hommes. (…) Je suis surprise lorsque j’en reconnais un d’entre eux, connaissant son culte évangélique et ainsi son rejet du pèlerinage. Quelques mètres plus loin, à un stand de coiffure, je vois un peu en retrait C…, également du Quai des Platanes. Elle fait partie d’un stand de 4 personnes. Je m’avance vers elle et la salue. Elle me dit, « je vous connais mais je ne sais plus d’où. » Je lui rappelle (…) et l’interroge sur sa présence. Elle me dit simplement qu’elle est venue donner un coup de main, aider. D’autant plus qu’elle vient aux Saintes-Maries pour le pèlerinage depuis qu’elle est toute petite. Elle venait avec son grand-père. Elle semble attachée au lieu, qui est lié à son enfance et à sa famille. «Je viens pour travailler mais pas pour la croyance, car nous [les évangéliques] nous faisons d’autres rassemblements. » Notes de terrain de K. Amellal du 24 mai 2011.

60 http://www.vieetlumiere.fr/Vie_et_Lumiere/Eglises.html 61 http://www.vieetlumiere.fr/Vie_et_Lumiere/Bouches-du-Rhone.html 62 Quai des Platanes : espace au bord du Rhône, quartier sud de la ville d’Arles, où vivaient en caravanes des familles gitanes arlésiennes. Entre 1998 et 2004, un projet d’amélioration de l’habitat des Gens du voyage voit le jour à la demande des Gitans et de la Ville qui permet la construction d’une quarantaine de maisons. Construites en forme de roulottes, ces maisons abritent une quarantaine de foyers et l’espace est équipé également d’une salle de prière, la plupart des familles étant chrétiennes-évangéliques.

72 Beaucoup de nouveaux convertis ont été catholiques avant d’être évangéliques, ils ont alors de nombreux souvenirs familiaux de ce « voyage » aux Saintes, (être en famille, bivouaquer etc.) favorisant chez certains un attachement au lieu à cette période-là. Tenir un stand au marché des Saintes-Maries en période de pèlerinage, permet d’y être sans en être , c’est-à-dire de pérenniser un déplacement familial pour être dans un entre-soi, néanmoins sans compromettre sa nouvelle croyance tout en participant à la vie économique familiale. Cette pratique parait être une « nouvelle » manière d’être au pèlerinage sans y prendre part, et constitue une piste intéressante à étudier dans un autre cadre de travail.

Marché gitan , Place des Gitans, Saintes-Maries de la Mer, 24 mai 2011. © Museon Arlaten. Kristell Amellal.

Nous avons tenté rapidement dans cette partie de mettre en évidence les rôles, les représentations et pratiques dont furent « investis » -à tort le plus souvent- les Gitans provençaux par les non-gitans à différentes périodes. Néanmoins, ce point de vue n’aura de valeur et de sens qu’à la lumière des représentations et pratiques des Gitans eux-mêmes.

B - Gitan-Provençal, Provençal-Gitan : l’exemple arlésien

1- Etre provençal

Stéréotypes provençaux… Le travail ethnographique s’articule essentiellement autour d’une libre parole accordée sur un thème à des personnes concernées. Lors de cette recherche, le rapport à la Provence ou au lieu

73 de résidence ne faisait l’objet d’aucune réflexion préalable des personnes interrogées ; et le questionnement précis sur ce point leur demandait souvent un temps de réflexion. Dans le cas présent, cette non-évocation ou idée préalable sur le thème n’est pas à interpréter comme une indifférence par rapport au patrimoine provençal, mais comme une totale intériorisation de ces éléments culturels. Après réflexion, les personnes interrogées font en effet appel à des clichés pour apporter une réponse cohérente. Ainsi, Dolorès, habitante de Marseille, use-t-elle des symboles marseillais pour attester d’une imprégnation de cette culture provençale. Elle nous parle ici de ses parents, Marseillais comme elle : Ce qu’ils ont pris de la Provence, c’est tous les clichés, le Pastis, ils sont fêtards, tout ce qui est lié à la fête (Entretien Dolorès, 6 Juillet 2011, Marseille).

De même, la discussion avec Sasha met en avant le symbole provençal par excellence, la crèche, avec le santon du Boumian : Dans la crèche provençale, y’a le Boumian par exemple, c’est l’aspect professionnel, le vannier avec un grand couteau. Il y a même une connotation professionnelle dans l’habillement . (Entretien Sasha, 29 Juin 2011, Toulon).

La manière dont les personnes interrogées se définissent, nous renvoie vers une imbrication complexe des liens au territoire où l’attachement obéit à des logiques humaines que l’on retrouve dans d’autres sociétés méditerranéennes.

« Je suis né à Arles, je suis Arlésien » Parmi les personnes rencontrées à Arles, le rapport à la Provence est caractérisé par un attachement au territoire arlésien, induit implicitement par le lieu de naissance, le lieu d’enfance et / ou le lieu de souvenirs familiaux communs au groupe, ou bien encore le lieu de sépulture des aïeux (qu’il représente). L’appartenance arlésienne va alors de pair avec l’appartenance gitane, et s’exprime de manière spontanée dans la présentation de soi. La première rencontre avec Johnny est l’occasion de faire part à l’enquêteur dès le début de l’entretien de son lieu de naissance pour justifier son identité d’Arlésien, en plus de son identité gitane : « Bon, en fait bon, déjà je suis né à Arles alors je suis Arlésien, je suis né en 61, au mois de février 61, j’ai toujours vécu, jusqu’à ce que je parte évidement, dans la maison de mes parents (…) - Votre père est né à Arles ? 74 « Oui, comme son père et son grand-père. Côté paternel, ce sont des Français si on peut dire. » (Entretien Joseph, 8 décembre 2010, Arles)

Par cette réponse, l’informateur souhaite légitimer auprès de l’enquêteur un enracinement familial depuis plusieurs générations, contrairement à certaines idées préconçues que pourrait avoir l’enquêteur. Il cherche à attester son appartenance arlésienne par sa naissance d’une part, et par l’hérédité, son sang, d’autre part ; car au-delà d’être né à Arles, de parents nés à Arles, il est aussi le descendant d’une union mixte provençale-gitane, contractée deux générations avant lui.

Provençal de sang Plusieurs informateurs nous ont fait part de mariages mixtes qui eurent lieu vers le début du XXème siècle entre des familles gitanes et provençales. Ces unions auraient été stratégiques pour s’« assimiler » plus rapidement et ainsi être moins « visibles » vis-à-vis des autorités administratives, par exemple. Notre recherche ne nous permet pas encore de confirmer cette hypothèse, néanmoins on retrouve dans cette manière de se définir, au-delà des clichés provençaux, cette référence au sang provençal qui se traduit chez certains dans la passion qu’ils ont pour les activités taurines, assez emblématiques à Arles.

« (…) j'ai toujours aimé ça les taureaux voilà c'est ça, j'ai toujours aimé les taureaux, les courses camarguaises, les corridas, je suis resté 20 ans, 20 ans, avec Georges Rado 63 le raseteur. J'ai une photo de lui et moi. Je pense que je dois tirer du côté de mon grand-père, la famille Pouly. Parce que les Gitans, [ils] me disent : "tu aimes beaucoup les taureaux !" Et je dis : « oui, mon grand-père c'était la famille Pouly 64 ! Et j'adore les taureaux, les courses camarguaises, les corridas, voilà. (…) (Entretien avec Benoît, le 19 décembre 2011, Arles)

Cette référence familiale et plus précisément au « sang », nous renvoie au concept de communauté que Tönnies 65 définit comme étant « plusieurs consciences qui sentent, pensent

63 Georges Radosavljevic, dit Georges « Rado » raseteur arlésien dans les années 1980 a remporté la Corne d’Or en 1985. 64 La famille Boudin dit « Pouly », était une célèbre famille du Pays d’Arles impliquée dans le milieu tauromachique et de la bouvine. : ils étaient manadiers et toreros. 65 Une édition électronique réalisée à partir d'un texte d’Émile Durkheim(1889), « Communauté et société selon Tönnies. » Extrait de la Revue philosophique, 27, 1889, pp. 416 à 422. Reproduit in Émile Durkheim, Textes. 1.Éléments d’une théorie sociale, pp. 383 à 390. Paris: Éditions de Minuit, 1975,512 pp. Collection: Le sens 75 de même et éprouvent en commun toutes leurs impressions. » Le lien communautaire suppose ainsi une communauté de sang, de vivre ensemble les uns près des autres sur un même espace et enfin, une communauté de souvenirs. Cette définition est caractéristique du lien communautaire entretenu par les familles gitanes-catalanes arlésiennes. En effet, « être Gitan » c’est être de la même famille, du même sang, c’est vivre les uns près des autres, sur un même espace quand cela est possible (un même quartier) et puis « grandir ensemble » c'est-à-dire partager des souvenirs communs depuis l’enfance. Dans l’exemple précédent, ce lien héréditaire provençal recherché et affirmé ici à travers la passion des taureaux permet d’expliquer une manière de se vivre Provençal et Gitan à la fois. Cependant, cette double appartenance n’est pas toujours reconnue par tous les membres familiaux, et peut faire l’objet de rejet.

Unions mixtes, mise à l’écart, rejet et accueil dans certaines familles Comme cité dans le paragraphe précédent, plusieurs cas existent d’unions entre membres de familles gitanes et membres de familles provençales. Contractées alors vers la moitié du XXème siècle, ces unions n’ont pas toujours été bien perçues à l’époque par les familles respectives occasionnant pour certains des attitudes de rejet et de répudiation de la sphère familiale. Benoît se souvient de son grand-père français, provençal, marié à une Gitane qui l’emmenait aux arènes pour voir des corridas : « Oui, mon grand-père il m'emmenait, il disait en patois: "ven lou pitcho !" ça veut dire : "viens avec moi, mon fils" et alors il m'emmenait aux arènes, et y avait "Pouly 66 " Et des fois Pouly, [il] passait et il [le grand-père] disait : "hein mon pitcho ! Il me parle pas lui parce que je me suis marié une Gitane ! Il me parle pas lui et c'est mon cousin germain !" (Entretien avec Benoît, le 19 décembre 2011, Arles)

De même un autre informateur cité plus haut, évoqua son grand-père provençal renié par sa famille pour avoir pris une femme gitane pour épouse et avec laquelle il eut plusieurs enfants et petits-enfants. « (…) au départ du côté de mon père, côté paternel, ceux sont, si on peut dire, ceux sont des Français. Voilà. Jusqu’à ce que mon grand- père se marie avec ma grand- mère. Ma grand-mère, elle, était Gitane Catalane, là où ça a… il y a eu un conflit sinon c’était quand même des Arlésiens purs. » (Entretien Joseph, 8 décembre 2010, Arles)

commun. http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/textes_1/textes_1_13/communaute_societe_tonnies.pdf 66 « Pouly » était alors Pierre Pouly, torero jusqu’en 1931, puis rejoneador et éleveur de taureaux. Résistant, il fut nommé maire d’Arles en 1940 et devient ensuite directeur des arènes d’Arles jusqu’en 1984. Pierre Pouly était par ailleurs, le cousin germain du grand-père de notre informateur. 76

Plus récemment, d’autres unions mixtes ont été observées au cours de notre enquête à Arles, des couples hommes-gitans et femmes d’origine maghrébine (harki) ou bien homme-gitan et femme d’origine arménienne ou bien femme-gitane et homme-français. Bien qu’elles restent encore marginales dans l’ensemble, ces situations existent et induisent des adaptations de part et d’autres des familles, des compositions culturelles qui tendent à ménager peut-être plus que pour leurs aïeux les deux types de familles.

2 - Une apparente altérité ?

Sous une apparente altérité, un a priori nous conduirait à placer aux antipodes le Gitan et le Provençal. De plus, notre recherche centrée sur le département des Bouches-du-Rhône avec une entrée plus favorable et engagée à Arles nous révèle des communautés gitanes construites en opposition à la société dominante. La structure des valeurs des communautés gitanes catalanes arlésiennes se serait construite en miroir avec la société provençale contemporaine, à la manière d’un négatif photographique, avec des rejets et des emprunts. Néanmoins, en observant d’un peu plus près, l’altérité se révèle moins nette et certaines de ces oppositions restent relatives 67 . On observe ainsi de nombreux emprunts culturels à la société dominante, même s’ils apparaissent dans une temporalité décalée.

Moralité gitane et moralité provençale : Lorsque l’on évoque les traditions gitanes, de nombreux Gitans sont fiers d’évoquer le mariage, qui demeure une étape importante de la vie des hommes comme des femmes, car il met en scène l’honneur familial de la mariée, puis du marié, à travers un rituel caractéristique appelé « le mouchoir ». Ce « diklo » ou bien encore « moquedo » témoigne de la virginité de la jeune femme avant le mariage. Pratiqué par une femme âgée qui a hérité de cette fonction honorifique, il témoigne de l’honorabilité de la famille de la mariée, et du pouvoir des hommes – du père en particulier – qui ont su contrôler la virginité de leurs filles et ainsi protéger de « toute souillure » leur honneur ; enfin, comme cité plus en amont, le mouchoir honore aussi le marié.

67 Voir à ce sujet le travail mené par Paloma Gay y Blasco, La féminité gitane dans le contexte de la fragmentation politique dans l’Espagne du XXème siècle, Etudes tsiganes n°33-34, 2008pp 140-161. 77 Cette pratique est vécue par le groupe comme valorisante et en opposition avec ce qui se pratique dans les familles occidentales non-gitanes, et plus précisément dans la société contemporaine provençale. La moralité occidentale est perçue comme « légère » en raison de la liberté sexuelle des femmes, liberté avérée ou fantasmée. Chez les Gitans, ce sont les hommes qui garantissent la bonne moralité du groupe, en contrôlant le corps de leurs femmes. Aussi, de manière générale, les hommes non-gitans sont perçus par les Gitans comme dépourvus de virilité, ne sachant pas contrôler le corps et donc la sexualité de leurs femmes. La moralité occidentale fait ainsi l’objet d’un rejet par les communautés gitanes. Cependant, en observant à la loupe les valeurs de la société dite « traditionnelle » à travers une de ses expressions contemporaines – le milieu des Reines d’Arles et des Arlésiennes portant le costume – on s’aperçoit que la « bonne » moralité est aussi une conduite fondamentale pour les membres des mouvements de la maintenance des traditions provençales.

Qu’entend-t-on par « bonne moralité » dans le milieu du costume et de la maintenance? Plusieurs étapes rythment l’accès à la féminité des Provençales ; et la prise du ruban en est une importante car elle marque le passage de la jeune fille au statut de femme « épousable », « objet de désir 68 ». La prise du ruban constitue ainsi une transition entre le costume de Mireille (porté de huit à quinze ans) et le costume de l’Arlésienne (pour les plus de seize ans environ) avec leurs coiffes respectives ; elle « s’accompagne d’un contrôle social de l’adolescente qui va devoir conserver sa bonne moralité face aux grandes tentations de son âge mais aussi de son époque. (…) » (p. 26) Cette bonne moralité se retrouve dans la coiffe, destinée à cacher, en la disciplinant, la chevelure, symbole de séduction et de sexualité, ainsi que dans le costume, à travers notamment la longueur de la jupe.

68 Anaïs Vaillant, « Le costume d’Arles : idéal de féminité ou sentiment de perte d’une culture ? » Rapport analytique de la campagne complémentaire d’enquêtes orales sur les pratiques contemporaines du costume en pays d’Arles, Association Clair de Terre 2011 78

Fête du costume juillet 2008. © Museon Arlaten. Florie Martel.

Enfin, dans ce milieu, l’apprentissage de la couture est un moyen de contrôler la bonne moralité des jeunes-filles, pour qui « tout ce temps consacré à l’ouvrage n’est pas investi ailleurs, dehors, vers les garçons, ou d’autres tentations qui l’écarteraient d’une bonne moralité. » (p. 27) La société provençale traditionnelle, évoquée ici à travers le milieu de la maintenance et du costume, ne représente pas la société occidentale moderne et contemporaine, mais s’y oppose tout autant que le modèle gitan.

La place des femmes Nous avons vu dans le paragraphe précédent que plusieurs unions avaient été possibles entre familles provençales et familles gitanes, même si elles avaient entraîné la plupart du temps un rejet du côté provençal. Si de telles unions permettaient d’adopter un patronyme plus local et de se rendre moins visible vis-à-vis des autorités administratives – ce dont nous ne sommes pas tout à fait sûrs – elles supposaient sans doute des valeurs communes. L’ethnologue Lucienne Roubin 69 a étudié dans les années 1960, la répartition des espaces masculin et féminin en communauté provençale alpine. Elle fait divers constats sur les rapports hommes/femmes dans la société traditionnelle provençale qui trouve un écho dans les sociétés gitanes : « Le statut officiel fait passer chaque femme au cours de son existence par une série de tutelles successives, toutes masculines. Tutelle paternelle, pendant l’enfance et l’adolescence, relayée pendant la prime jeunesse par la tutelle du frère aîné. (…) au début du XXème siècle, dans les communautés montagnardes, c’est sous son chaperonnage que les

69 Lucienne. A Roubin, Espace masculin, espace féminin en communauté provençale . In : Annales. Economies, Sociétés, Civilisations. 25 ème année, N. 2, 1970. Pp. 537-560. 79 adolescentes sont autorisées à assister aux réjouissances collectives, en particulier aux bals de la fête des villages limitrophes(…) C’est lui encore qui au moment qui lui semble opportun (…) intime à ses sœurs l’ordre du retour. Celui-ci se fait par petits groupes d’amies à travers champs ; (…) » Dans les communautés gitanes, les espaces sont également sexuellement hiérarchisés, la femme règne sur l’espace domestique et l’homme sur les espaces publics, l’extérieur, ce qui justifie qu’une femme gitane ne se promène pas en ville seule, mais toujours en compagnie de ses sœurs ou cousines. De même que la femme provençale décrite par Lucienne Roubin, la femme gitane reste sous tutelle masculine ; d’ailleurs l’écrivain rom Mattéo Maximoff écrivait à ce sujet : « Petite, elle obéit à son père, Jeune-fille, elle obéit à son père et à ses frères, Epouse, elle obéit à son mari et Vieille, elle obéit à ses enfants. 70 »

Le prénom et le sobriquet du parrain Au XVIIIème siècle, les familles provençales étaient très nombreuses et avaient parfois des prénoms identiques ; aussi, pour mieux se distinguer, elles avaient recourt aux sobriquets. Par exemple, « la Frigoune » désignait la frileuse, Barbante le bavard. Ces usages très répandus jusqu’à une période récente supposait « une vie communautaire très étroite centrée sur le village 71 » et étaient ainsi une manière de signifier l’appartenance au groupe. Dans les familles gitanes catalanes rencontrées à Arles, on a également recourt aux surnoms, les familles étant nombreuses, trois enfants minimum. Ces sobriquets peuvent être de « vrais » prénoms gitans tels que « Patchaï » ou « José », ou bien des qualificatifs en langue catalane ou française, liés à un critère physique, comme par exemple « Wapou » désignant « le beau ». Dans la Provence traditionnelle 72 , le grand-père paternel était le parrain du premier enfant qui prenait alors son prénom. On retrouve dans plusieurs familles gitanes ce cas de figure où l’enfant porte dès son plus jeune âge le prénom de son parrain, c’est-à-dire de son grand-père, ainsi que son surnom ; par exemple, François Gazia porte les mêmes noms et surnom que son grand-père, qui était aussi son parrain. On a également parmi les familles rencontrées un exemple où les aînés de chaque lignée paternelle, sur trois générations, ont le même prénom, il semble dans ce cas que le père ait donné à son premier fils son nom, lui-même ayant donné à son fils aîné son nom. Ceci n’est pas exclusif à la Provence traditionnelle mais se retrouve dans de nombreuses sociétés rurales en France.

70 Etre femme et être gitane , Etudes tsiganes n°3, 1991. 71 Bernadette Genès, Les natifs de ce lieu. Le village provençal au XVIIème et XXVIIIème siècle, Edisud, Aix en Provence 1996. 72 Fernand Benoît, La Provence et le comtat Venaissin, Arts et tradition populaire, p134 80 Les familles étant nombreuses, et le modèle provençal n’étant pas applicable à toutes les familles, on observe que les parrains peuvent être d’autres membres de famille, des oncles ou des cousins par exemple. Malgré certaines divergences d’un clan à un autre, on observe de manière commune que le filleul aura le même prénom et surnom que son parrain, qu’il soit le grand-père, l’oncle ou le cousin.

La place des Gitans dans l’espace provençal ne doit pas occulter les interactions avec les autres groupes, tsiganes ou non qu’il serait intéressant d’étudier dans une recherche ultérieure. Néanmoins, nous pouvons affirmer sans difficulté que le rapport avec les groupes tsiganes est souvent l’objet de démarcation identitaire et de rejet, un groupe tsigane quelconque ne souhaitant pas être assimilé ou confondu à un autre. De plus, même si elles existent, les unions entre membres de communautés tsiganes différentes restent rares à Arles. Ceci est moins vrai pour les familles d’origine maghrébine, au sein desquelles plusieurs unions entre hommes gitans et femmes d’origine maghrébine ont été observées, même si elles restent minoritaires.

IV - Valoriser le patrimoine immatériel tsigane

Avec l’actualité politique que connaissent les groupes tsiganes ces dernières années, les Roms principalement, nous avons vu apparaître à l‘inverse un intérêt grandissant pour les thématiques des Tsiganes à travers diverses formes de valorisation (expositions, cycles cinéma, débats, festivals, etc.). Ces multiples manifestations relèvent davantage d’organisations militantes associatives que d’institutions et les domaines traités, bien que variés, restent centrés sur l’histoire, la musique, le pèlerinage aux Saintes-Maries ou bien l’art. Essentielle et incontournable, l’histoire des Tsiganes durant la Seconde Guerre mondiale a suscité plusieurs expositions, telles que Le camp d'internement des " " organisée par le Centre social des Alliers à Angoulême, "Samudaripen. Les Tsiganes, des persécutions au génocide" organisée par les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation des Pyrénées-Orientales (AFMD66), ou bien encore Un camp pour les Tsiganes, Saliers, Bouches-du-Rhône, 1942-1944 , organisée par les Archives départementales des Bouches du Rhône. Malgré leur grande qualité, la dimension politique du sujet ne fait pas de ces expositions l’apanage des musées nationaux « parisiens » préférant traiter le sujet à partir

81 de l’art ou de la musique, bien moins polémiques. Les expositions Bohèmes 73 au Grand-Palais et Django Reinhardt, Swing de Paris 74 , au musée de la musique à Paris, en sont deux exemples.

Les programmations « politiquement non engagées» permettent de valoriser certains aspects du patrimoine tsigane et de faire connaître un pan de leur histoire, cependant qu’en-est-il vraiment au niveau des institutions patrimoniales et des musées en particulier ?

A - La place du patrimoine tsigane dans les musées : tour d’horizon

La patrimonialisation pose la question du choix des éléments que l’on souhaite sauvegarder pour transmettre aux générations futures. A ce jour, peu d’institutions muséales ont pris le parti – le risque – de traiter des thématiques tsiganes, et les collections patrimoniales, inexistantes ou très peu représentées, en témoignent. Parmi celles qui s’intéressent au sujet, se trouve le Musée Yvonne Jean-Haffen, Maison d’artiste de la Grande Vigne de la ville de Dinan, qui renferme des dessins de l’artiste sur les Gitans lors du pèlerinage aux Saintes- Maries. A l’échelle internationale, la création artistique tsigane connut en 2007 une certaine notoriété à la Biennale d’Art contemporain de Venise, avec le pavillon dédié à la culture rom, où Gabi Jimenez, un artiste-peintre français d’origine gitane exposa ses toiles. Enfin, plus récemment, l’exposition Bohèmes au Grand-Palais, mettait à l’honneur des artistes, peintres et écrivains de renom, s’étant inspirés dans leurs œuvres de la vie de bohème, imaginée et fantasmée. Malgré le succès de cette exposition en termes de fréquentation, de muséographie, d’esthétique et de choix des œuvres, les aspects d’ordre politique, historique et culturel des groupes nomades, liés à la vie de bohème, pourtant au cœur d’une actualité de rejet, ne furent pas traités. Tout comme au XIXe siècle, la vision romantique du Tsigane demeure encore bien prégnante dans les mentalités actuelles, au détriment d’une réalité sociale et politique plus complexe (précarité sociale, rejet etc.)

Un patrimoine quasi-absent dans les musées de société Nous avons tenté de faire un rapide état des lieux des collections sur le sujet à partir d’institutions emblématiques telles que le Musée des Civilisations de l’Europe et de la

73 Bohèmes : 26 Septembre 2012 - 14 Janvier 2013 Grand Palais, Galeries nationales, Paris. 74 Django Reinhardt, Swing de Paris : du 6 octobre 2012 au 23 janvier 2013 ; Musée de la musique, Paris. 82 Méditerranée (Mucem), le Musée Dauphinois et le Musée de Neuchâtel. Dans l’ensemble, les collections comptent peu d’objets, mais de l’iconographie. Le Mucem (environ un million d’objets) compte treize notices : des photographies (cartes postales) de diverses scènes du pèlerinage aux Saintes-Maries de la Mer prises durant les trois premiers quarts du XXe siècle, signées « George », un photographe arlésien. Le fonds du Musée dauphinois (plus de 100 000 objets) contient des clichés d’Hyppolite Müller (premier conservateur du musée) de campements tsiganes au début du XXe siècle, ainsi que des photographies en noir et blanc de Roberto Miller, prises lors d’un reportage en 1978 sur les nomades. Enfin, la base de données en ligne des collections du musée de Neuchâtel (35 000 objets) nous indique un ensemble de deux santons issus de la crèche napolitaine 75 : une femme tsigane portant son bébé et un ébéniste assis à son établi.

Bien que l’objet ne soit plus aujourd’hui le support exclusif à un propos muséographique, ce rapide tour d’horizon confirme une position complexe des institutions patrimoniales à l’égard des cultures tsiganes, malgré leur présence ancienne dans notre société. Cette position peut être assez variable suivant les structures et les localités. Parfois des musées de plus petite échelle peuvent traiter davantage la thématique tsigane, c’est le cas de certains musées territoriaux.

Un patrimoine restreint dans les musées d’ethnographie Les musées d’ethnographie dans le département des Bouches du Rhône semblent être plus fournis proportionnellement à leur territoire et à leurs collections. Les Tsiganes installés depuis plusieurs générations à Marseille et à Arles (les Gitans catalans, la famille Gorgan originaire de l’Est de l’Europe puis les Roms), très représentés sur le territoire, en favorise certainement la patrimonialisation.

Le musée de Camargue (3000 objets environ) compte, parmi son fonds photographique, une vingtaine de notices sur le pèlerinage gitan, ainsi qu’un don populaire sur la thématique de Sara, réalisé par seize artistes d’art contemporain.

75 La tsigane avec un enfant dans les bras auprès d’un ébéniste représente aussi la transgression d’un interdit répandu dans le sud de l’Italie portant sur les femmes enceintes qui ne doivent pas marcher dans la sciure sous peine d’accoucher d’un mort-né. http://www.men.ch/collections-recherche-mots-cles 83 Le Museon Arlaten (35 000 objets), compte environ 70 notices sur le sujet : de l’iconographie (photos, dessins, estampes, tableaux, affiches), mais aussi une vingtaine de santons représentant le « boumian », et des objets de facture tsigane (vannerie et bijoux), acquis plus récemment.

Affiche Saintes-Maries de la Mer. Grand pèlerinage Léo Lelée, Gitane allaitant son enfant N° inventaire 2012.9.3 N° inventaire 2012.13.2.

Les objets de facture tsigane restent très rares dans les collections de musées, au profit de productions extérieures au groupe, révélant davantage la manière dont ils sont perçus que leur manière de percevoir. Lieux d’autorité partagée, les musées de société se donnent pour mission d’exposer un point de vue. Pourrions-nous imaginer d’évoquer dans un musée de société les modes de vie tsiganes et leurs représentations des non-Tsiganes à partir d’eux- mêmes ?

L’exposition Insaisissables voyageurs-tsiganes à L’écomusée du Val de Bièvre L’écomusée du Val de Bièvre 76 dépend de la communauté d’agglomération du même nom, il est une des seules institutions muséales à avoir réalisé en 1999/2000 une exposition sur, et avec les Tsiganes. Le projet est né dans le contexte de la modification de la loi Besson, suite au passage régulier de groupes manouches sur la commune de Fresnes et ses alentours, et des réactions des riverains. Donnant à voir leur point de vue, le propos évoquait le vécu, l’identité,

76 L’Ecomusée du Val de Bièvre (ancien écomusée de Fresnes) : crée en 1979 « l’écomusée s’intéresse aux thèmes qui concernent les populations locales et la façon dont elles vivent sur le territoire (l’urbanisation, le travail, la télévision, le don, l’immigration, la condition féminine, les objets et leur mémoire,...) Les problèmes majeurs de la société contemporaine sont au cœur de la notion de patrimoine. » Voir le site http://www.ecomusee-valdebievre.fr/accueil.php

84 l’histoire de ces peuples depuis le XVème siècle, mais aussi leur internement, leur rejet par la population dominante, leur mobilité et les métiers qui les caractérisent, la musique, l’évolution de leur habitat, les liens de cette population avec l’école puis avec la mort, et enfin le nouveau texte de loi ajouté dans le cadre de la loi Besson. Dans cette installation, très peu d’objets de collections mais du texte, des extraits de témoignages de Gens du voyage spécialement rencontrés pour ce travail, et une scénographie subtile et suggestive, mettant le visiteur face aux réalités vécues par les Tsiganes : un panneau intitulé « Interdit aux Nomades » fut présenté. L’organisation de cette exposition ne s’est pas faite sans difficultés, puisqu’elle n’a pas trouvé en première instance l’adhésion de la municipalité, qui s’y est opposée. L’exposition fut reconsidérée et validée en deuxième instance suite à une volonté du conseil municipal de réaliser un projet en direction des Gens du voyage. Malgré les vives réactions qu’elle a suscitées auprès des autorités françaises, cette exposition reste exemplaire en raison de son approche objective et assez complète – semble-t-il – de ces populations. Réaliser une telle exposition sur les Tsiganes n’est pas sans conséquences politiques et implique un positionnement clair de l’institution.

B - La valorisation au Museon Arlaten dans le cadre de sa rénovation : réflexions

Le Museon Arlaten, musée départemental d’ethnographie des Bouches-du-Rhône, a initié depuis 2010 deux projets complémentaires liés aux communautés gitanes arlésiennes : un projet de médiation de trois années, « Partage de mémoires gitanes », et une enquête ethnographique, toujours en cours.

En partenariat avec une association spécialisée dans l’accompagnement social des populations gitanes, le projet de médiation était dit « participatif », car il invitait les enfants gitans et les femmes à être ethnographes de leur propre culture.

L’enquête, débutée en parallèle au travail de médiation, a consisté à entrer en contact avec des membres de familles gitanes installées depuis plusieurs générations à Arles, pour réaliser des entretiens et connaître leur histoire, leur parcours, leurs valeurs. Cette enquête a pour objectif de valoriser, dans la séquence contemporaine du musée rénové, les Gitans d’Espagne installés depuis plusieurs générations dans le pays d’Arles.

85 La thématique tsigane n’est pas nouvelle au Museon, puisqu’elle est abordée dans plusieurs œuvres de Mistral et notamment, Mes origines, mémoires et récits , comme nous l’avons évoqué un peu plus haut ; et les collections du Museon renferment plusieurs portraits de Gitans du peintre et dessinateur provençal, Léo Lelée, offrant une vision plutôt romantique, mais renseignant certains aspects de leur vie.

Léo Lelée, Bohémienne et sa fille Léo Lelée Gitane tressant un panier d’osier N° inventaire 2005.0.2691a. N° inventaire 2003.0.3404

A la fin des années 2000, le photographe Mathieu Pernot entreprend un travail sur le camp de Saliers, camp d’internement en Camargue durant la Seconde Guerre Mondiale, dans lequel entre 1942 et 1944, sept cents Tsiganes ont été emprisonnés. A partir de documents historiques et des carnets anthropométriques consultés aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, il mène une recherche sur l’ensemble du territoire français pour retrouver d’anciens internés, et collecter leurs témoignages et leurs itinéraires familiaux. Son travail, associant portraits photographiques, documentation d’archives et entretiens oraux, est conservé aujourd’hui dans les collections du Museon.

L’intérêt du Museon pour les Gitans correspond ainsi à une double légitimité, en lien avec l’affirmation d’un rôle comme musée de société. D’une part, combler un manque de données sur une présence gitane ancienne, à Arles et dans sa région, d’autre part restituer une histoire douloureuse et oubliée sur ce même territoire.

Le nouveau parcours de visite dans le musée rénové prévoit d’aborder en parallèle des thématiques provençales l’histoire de la muséographie. Décomposé en cinq séquences, l’espace muséographique retracera, au fil du parcours, l’évolution de la muséographie d’un musée de société. L’espace de la dernière séquence sera dédié au contemporain. 86

Il reflètera l’actualisation du rôle politique et social des musées, qui suscitent de nouvelles attentes de la part de la population, exprimées sous la forme de désirs de mémoire et de représentativité sociale. Les musées de société n’ont plus aujourd’hui pour mission de présenter La Vérité, mais de proposer différents points de vue, devenant des lieux d’autorité partagée. « Ainsi donc, nous sommes passés graduellement du musée singulier au musée pluriel, du musée qui mise sur la mémoire des objets en eux-mêmes et par eux-mêmes (fondamentalistes) aux musées qui privilégient la construction de cette mémoire par la population (rebelles) à ces autres musées qui s’inscrivent dans l’actualité mouvante quant aux sujets traités, le fond, et quant à la manière de les traiter, la forme (synthétiseurs). 77 »

La séquence 5 sera ainsi l’occasion d’ouvrir les thématiques de l’exposition permanente sur le monde contemporain, en s’appuyant sur les résultats des enquêtes-collectes menées par le Museon : l’évocation de la mosaïque des différentes composantes de la société vivant aujourd’hui en Provence, par des entrées sociales, culturelles, professionnelles, géographiques, servira de base à l’élaboration du discours de la séquence. Pourront être abordés le monde ouvrier d’Arles à travers l’histoire des ateliers SNCF de la ville, l’univers des maintenances des traditions par le biais de l’élection d’une Reine d’Arles, les problématiques propres aux agriculteurs et éleveurs des Alpilles et de la Crau, et des aspects plus « communautaires » relatifs à des groupes culturels spécifiques. L’étude consacrée à la communauté gitane du Quai des Platanes y trouvera naturellement place.

Mais quelle forme muséographique donner à la valorisation du patrimoine gitan au Museon, Arlaten, en tenant compte de sa dimension historique, de l’importance du pèlerinage, des éléments contemporains, des questions de genre et des autres thématiques du musée ? Aborder la thématique gitane, c’est traiter la question des « minorités », des communautés ; quelle est alors la pensée institutionnelle, le positionnement du Museon, à l’égard de celles- ci ? Pour l’heure, aucun choix n’a encore été formalisé mais des questionnements se posent. Est-il pertinent de traiter la thématique gitane d’un point de vue monographique ? Les Gitans d’Arles se construisent et évoluent au sein de la société contemporaine provençale, et cette donnée sera à prendre en compte dans leur valorisation muséographique. Partir de la dimension territoriale et des premiers résultats de l’enquête, traiter ce sujet en tenant compte

77 Roland Arpin, ancien directeur du musée de la Civilisation de Québec jusqu’en 2001, cité dans Ecomusées et musées de société : Dire l’histoire et gérer la mémoire au présent, in Revue POUR, n°153, mars 1997. Grep, L’Harmattan. 87 de son contexte, dans une démarche comparative et non « essentialiste », en donnant à voir la population à travers ses pratiques, en traitant la question du stéréotype, etc., s’avèrerait être une présentation dynamique permettant de sortir des clichés.

Le musée dispose d’objets caractéristiques de la vie des Tsiganes en Europe (vannerie, bijoux, etc.), mais aussi témoignant de la manière dont ils sont représentés en Provence (santons), de photographies, de dessins. De plus, le patrimoine immatériel constitué à partir du projet de médiation et de l’enquête ethnographique (entretiens oraux, films) pourra être au centre du propos. D’autre part, il ne pourrait être fait l’économie de la question du public auquel s’adresse cette patrimonialisation, cette mise en exposition. La valorisation du patrimoine gitan arlésien ne saurait se faire sans la participation des informateurs sur un temps donné. Ainsi, les contenus de l’exposition doivent leur être accessibles. Cette question en soulève d’autres, qui relèvent du « langage » de l’exposition. Entre autres, dans la mesure où une majorité de Gitans à Arles ne sait pas lire, il paraît nécessaire d’adapter la place de l’écrit dans l’exposition, en la limitant.

Ce sont ici quelques pistes rapides, que nous avons eu l’occasion d’aborder au cours de premières réflexions avec le personnel du service Recherche et Muséographie du Museon.

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Cette recherche dans le contexte de notre partenariat avec le Ministère de la Culture, de la Communication et de la Recherche, touche ici à sa fin. Cette étude volontairement menée à partir de sources transversales, à la fois historiques, ethnographiques et patrimoniales, ouvrant modestement pour ces deux derniers aspects quelques pistes de réflexion, a eu pour objectif de rendre compte de l’implantation des Tsiganes dans le département à différents niveaux de la « chaîne opératoire patrimoniale. »

La démarche historique nous a permis de retracer une partie des trajectoires des Tsiganes du département. Le parcours des Gitans d’Espagne, majoritaires dans le sud de la France, s’est avéré multiple et lié à un contexte historique et politique européen et méditerranéen. Plusieurs périodes migratoires vers la France ont été évoquées : la fin du XVIII ème siècle, les années 1930 et puis le début des années 1960, périodes qui correspondent dans l’ordre à la loi de 1783 78 , la fuite du régime franquiste et enfin, l’indépendance de l’Algérie. Ces divers points d’origine et périodes d’arrivée sur le sol français ont induit des manières d’habiter, des pratiques économiques, professionnelles et culturelles différentes, créant des disparités parmi ces trois groupes gitans. Des différences peuvent apparaître dans leurs liens au territoire, aux autres populations locales et dans leur mode de vie ; par exemple, certaines familles, reconnues comme français d’Algérie, ont pu bénéficier dès leur arrivée de logements HLM, quand d’autres familles ont dû se « contenter » de bidonvilles.

Tout en étant un signe distinctif assigné aux Tsiganes par les Gadjé et récupéré ensuite par le groupe lui-même, le nomadisme, faiblement représenté dans les faits, reste bien à relativiser parmi des pratiques sédentaires ou semi-sédentaires. De nombreuses familles sont locataires de logements HLM ou sont propriétaires d’une maison et/ou d’un terrain avec caravane. Ainsi, le nomadisme apparaît davantage comme une réponse conjoncturelle à un système communautaire dans lequel la famille et la vie économique (le travail) sont intimement imbriqués. Assurer la subsistance de la famille à partir des opportunités et du réseau qu’elle induit conditionne l’installation ou la mobilité du groupe. La famille gitane apparaît comme la base fondamentale de tous les rapports sociaux, elle est structurante pour les individus, et constitue le milieu dans lequel un Tsigane fait ses apprentissages, et dont il ne s’éloigne pas, plusieurs générations vivant, dans de nombreux cas, sous un même toit. La proximité

78 Loi espagnole sur l’arrêt des pratiques d’assimilation forcée favorisant la liberté de circulation des Gitans. 89 familiale représente ainsi une valeur prédominante, conditionnant l’habitat, le lieu de résidence et l’implantation territoriale. Ceci s’explique par le respect de la place accordée aux anciens, les hommes généralement, et au patriarche, en particulier, qui guide et conseille la famille. Aussi les polygones de vie définis par JY. Authier, C. Bonvalet et JP. Lévy illustrent bien la mobilité géographique que peut connaître un clan familial.

A l’échelle ethnographique, nous avons souhaité mettre en évidence les représentations à l’égard des Tsiganes en Provence. Force a été de constater que leur présence fait partie du patrimoine traditionnel local à travers notamment les crèches et pastorales. Le Boumian est un personnage familier de ces productions populaires malgré un rôle dépréciatif : de la diseuse de bonne aventure au voleur de poules , « les Boumians » ont toujours incarné dans l’imagerie populaire des êtres à part entière, mi-humains mi-inhumains, diaboliques, devins ou méchants. Il faut attendre le début du XXème siècle pour que l’image de la Camargue et des Gitans commence à être « réhabilitée » – mais toujours fantasmée – par le Marquis Folco de Baroncelli, qui attribue aux Gitans une place d’autochtones, mais surtout crée et enracine la procession de Sara à la mer, permettant à partir des années 1930 – malgré les controverses de l’époque – une reconnaissance religieuse et sociale des populations gitanes dans le département et au-delà. Même en Provence, l’engagement de Baroncelli à l’égard des Gitans n’empêchera pas les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et notamment, leur internement. En effet, créé en 1942, le camp de Saliers, situé sur la route des Saintes-Maries-de-la-Mer fut le « seul camp d’internement réservé aux nomades », « construit comme un décor de cinéma 79 » ; sept cents Tsiganes y ont été internés entre 1942 et 1944 dans des conditions de malnutrition, d’insalubrité et de mauvais traitements. Malgré la création en 2006 d’un mémorial et les commémorations officielles chaque 21 mai, sans oublier l’important travail de Mathieu Pernot, les témoins de cette histoire restent des victimes non-reconnues à ce jour. Ceci reste déconcertant quand nous connaissons l’intérêt grandissant depuis les années 1970, pour une certaine « gitanité » ; phénomène auquel les familles arlésiennes et montpelliéraines, Reyes et Ballardo, ont largement contribué.

Cependant, cette « gitanité » exprimée ne doit pas éclipser le contexte provençal dans lequel elle s’affirme, et qui contribue à la façonner. Bien qu’il soit peu mis en évidence, l’ancrage territorial reste une valeur forte pour les Gitans du département, qui se vivent comme des Gitans-Marseillais ou Gitans-Arlésiens, pour ceux que nous avons rencontrés. Ces liens

79 Pernot Mathieu, Hubert Marie-Christine, Un camp pour les Bohémiens , Actes sud, 2001 (réédité) p19. 90 complexes de la « gitanité » à l’identité locale et provençale, en particulier, constituent dans ce travail une première ébauche d’analyse que nous allons poursuivre par la suite.

Enfin, l’approche patrimoniale que nous avons modestement amorcée en dernière partie, nous a permis d’avoir un panorama général du patrimoine tsigane à l’échelle de l’institution muséale. Patrimonialiser les cultures tsiganes s’avère être une démarche complexe, sensible et délicate à réaliser : d’une part, en raison du positionnement politique qu’elle induit de fait pour l’institution et d’autre part, en raison de la difficulté qu’il y a à collecter et conserver le patrimoine d’une population considérée – à tort – comme sans territoire, sans écriture et dont l’expression matérielle n’est que très peu représentée et transmise dans les familles.

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98 ANNEXES

Annexe 1 : Catégorisation des groupes et sous-groupes tsiganes

Source : Jean-Pierre Liégeois, 1971, p. 55.

99

Annexe 2 : Cartes de migrations des Tsiganes depuis l’Inde

Source: Dolz, 2009, p. 14.

Source : Dolz, 2009, p. 15.

100 Annexe 3 : Tableau d’évaluation de la population tsigane

Source : Liégeois, 2009, p. 29.

101 Annexe 4 : Répartition de la population tsigane ou Rom en Europe

Source: Journal voir réf, issu de Jean-Pierre Liégeois, 2007.

102 Annexe 5 : La discrimination des Roms

La perception empreinte de stéréotypes négatifs et de discriminations, dont font l’objet les Roms issus des pays de l’Est aujourd’hui, a été très bien résumée par Jean-Pierre Liégeois :

« Actuellement, en matière de préjugés et stéréotypes, des modifications se produisent pour le terme Rom. Peu connu jusqu’à une période récente, depuis les années 1990, il est devenu présent tout autant sur la scène politique que dans le discours journalistique, donc finalement dans l’esprit du grand public. Les Roms de l’Europe centrale et orientale ont accompagné l’émergence des minorités après les bouleversements géopolitiques de 1989, ils ont consolidé leur visibilité en tant que Roms, et les politiques nationales et européennes en ont fait une priorité. Par ailleurs la mise en avant dans les médias, de plus en plus importante dans les années 2000, de questions concernant les Roms, faisant état de « problèmes » que le public analyse de façon négative (conflits interethniques, violences, migrations) charge le terme Rom de connotations négatives. Cela d’autant plus que des responsables politiques n’hésitent pas à se faire les propagateurs des stéréotypes »

Source : Jean-Pierre Liégeois, 2009, p. 32.

103

Annexe 6 : L’habitat précaire à Marseille en 1950

Source : Sayad, Jordi et Temime, 1991, p. 129.

104 TABLE DES ANNEXES Annexe 1 : Catégorisation des groupes et sous-groupes tsiganes ...... 99 Annexe 2 : Cartes de migrations des Tsiganes depuis l’Inde ...... 100 Annexe 3 : Tableau d’évaluation de la population tsigane ...... 101 Annexe 4 : Répartition de la population tsigane ou Rom en Europe ...... 102 Annexe 5 : La discrimination des Roms ...... 103 Annexe 6 : L’habitat précaire à Marseille en 1950 ...... 104

TABLE DES CARTES Carte 1 : Les déplacements de populations tsiganes de l’an 1000 au XVI e siècle...... 10 Carte 2 : Répartition des Tsiganes à Marseille en 1974 ...... 29 Carte 3 : Répartition de l'habitat tsigane à Marseille ...... 31 Carte 4 : Flux de circulation des Tsiganes dans le Sud-Est de la France ...... 38 Carte 5 : Parcours résidentiel de Mercédès...... 44

105 SOMMAIRE

I. De quelques grandes lignes historiques ...... 7

A. Des origines à aujourd’hui : l’arrivée en France...... 7

B. Les Tsiganes dans le Sud de la France, du XV e au XIX e siècles...... 12

C. Les gitans, une histoire particulière ...... 14

D. Les Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône ...... 17

II. L’implantation des Tsiganes dans les Bouches-du-Rhône : où et comment ? ...... 21

A. L’habitat : une thématique centrale des études tsiganes ...... 21 1 - Le Tsigane est-il nomade ? ...... 21 2 - Quel habitat pour les Tsiganes ? ...... 24 3 - Habitat et répartition dans les Bouches-du-Rhône ...... 26

B. L’économie, une valeur spécifique ...... 33 1 - Une conception différente ...... 33 2 - Une sédentarisation conjoncturelle ...... 36

C - La famille, omniprésence et valeur culturelle ...... 40 1 - La proximité familiale ...... 41 2 - Le patriarche ...... 44 3 - Le respect ...... 47

D. Polygone de vie et valeurs culturelles ...... 50 1 - Les opportunités ...... 50 2 - Le polygone de vie : une perception du lieu d’habitation ...... 53

III - Patrimoine Interculturel ...... 57

A - Les Tsiganes et la Provence ...... 58 1 - L’image populaire du Gitan en Provence ...... 58 2 - Les Gitans du Marquis Folco de Baroncelli...... 64 3 - Le pèlerinage aux Saintes-Maries de la mer : la tradition catholique ...... 66

B - Gitan-Provençal, Provençal-Gitan : l’exemple arlésien ...... 73 1- Etre provençal ...... 73 2 - Une apparente altérité ?...... 77

IV. Valoriser le patrimoine immatériel tsigane ...... 81

A - La place du patrimoine tsigane dans les musées : tour d’horizon ...... 82

B - La valorisation au Museon Arlaten dans le cadre de sa rénovation : réflexions ...... 85

106