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FRANÇOIS TRUFFAUT Correspondance 1945-1984 Né à Paris, Gilles Jacob a été rédacteur en chef de la revue de cinéma Raccords, après une Khâgne au lycée Louis-le-Grand. Parallèlement à la direction d'une entreprise, il mène une activité de critique de cinéma. Depuis 1964, il tient successive- ment des chroniques cinématographiques à Cinéma 64, aux Nouvelles littéraires puis à L'Express de 1971 à 1975. Avec François-Régis Bastide, il a coproduit et animé l'émission Le Masque et la Plume à la télévision (FR 3). Nommé délégué général adjoint du Festival de Cannes en 1976, il est élu délégué général en 1977. Gilles Jacob est l'auteur d'un essai : Le Cinéma moderne et d'un roman : Un jour, une mouette. Il est co-réalisateur du film : Le Cinéma dans les yeux, film de montage sur le 40 anniversaire du Festival de Cannes. Gilles Jacob est direc- teur de la collection « Cinéma » des Éditions Hatier. Adminis- trateur de Films A2, la filiale de cinéma de la 2 chaîne française de télévision de 1980 à 1992, il est actuellement administrateur de La Sept Cinéma. Claude de Givray est né en 1933 à Nice. Lycée Louis-le-Grand puis début de licence d'histoire et de géographie à la Sor- bonne. Critique de cinéma aux Cahiers du Cinéma et à Arts-Spectacles de 1955 à 1958. Il est scénariste de cinéma et réalisateur de documentaires de création et de fiction pour la télévision. Claude de Givray est responsable de la Fiction Française Prime-Time à TF 1 depuis le 1 avril 1990. Les cinq cents lettres de François Truffaut réunies ici, écrites au jour le jour, témoignent de sa passion de l'écriture. Il a toujours vécu avec les livres. Il les collectionne d'abord à l'âge des quatre cents coups et de l'argent de poche. Il en aime la présence, le grain du papier, le dessin des caractères. Il est amoureux de la lettre. C'est dans les lettres d'ailleurs, les correspondances Alfredsuivies, Hitchcok...), parfois sa vie les durantpetits messages(Robert Lachenay,délivrés au Helenbonheur Scott, du jour, que s'exprime cette nécessité d'écrire qui nous fait dire que, s'il n'avait été cinéaste, il eût été écrivain. Au temps de La Chambre verte, il écrit : « Tout au long de notre vie, nous devenons des personnes différentes et successives et c'est ce qui rend tellement étranges les livres de souvenirs. Une rieurs...personne » ultime s'efforce d'unifier tous ces personnages anté- (Suite au verso.) C'est cette re-lecture que nous proposent ici Gilles Jacob et Claude de Givray : éclairage singulier de l'homme et de l'œuvre en travail, métamorphoses et aboutissements des projets, des amitiés. Chroniques émouvantes et cocasses des temps succes- sifs de François Truffaut : années d'adolescence, de jeunesse ardente et troublée, années des grandes réalisations. À la mémoire de Helen Scott. FRANÇOIS TRUFFAUT Correspondance Lettres recueillies par GILLES JACOB ET CLAUDE DE GIVRAY NOTES DE GILLES JACOB Avant-propos de Jean-Luc Godard HATIER © FOMA, 5 continents - CH - 1020 Renens - Avril 1988. Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tous procédés, en tous pays, faite sans autorisation préalable, est illicite et exposerait le contrevenant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957. L'article de Arts, n° 719, du 22 avril 1959, disait : «Nous avons gagné» et puis, un peu plus loin, se terminait par : «...car si nous avons gagné une bataille, la guerre n'est pas finie. » J'avais signé, aussi heureux qu'Athos d'un succès de D'Artagnan. C'était la présentation à Cannes des 400 Coups, représentant officiel de la France. En ce temps-là, la magie existait encore. L'œuvre n'était pas un signe de quelque chose, elle n'était que cette chose (qui n'avait pas besoin d'un nom et de Heidegger pour exister). Et le public lui faisait un signe, ou pas, selon son humeur du moment. Le long de la Croisette, un étrange trio s'avançait sous les vivats : un vieil oiseau aux grandes ailes déjà grises, un jeune voyou sorti du noir d'un livre de Jean Genet ou Maurice Sachs, pâle et raide, tenant par la main un encore plus jeune garçon, échappé celui-là des premiers romans de René Fallet, et qui allait devenir l'équivalent français du Ninetto de Pasolini. Cocteau, Truffaut, Léaud. L'ange Heurtebise disait les mots de passe : re-gardez à gauche, re-gardez à droite. Souriez à France-Soir et France Roche ! Saluez le ministre ! Ralentissez ! Accélérez ! Ce temps-là était le bon. Et la gloire future n'avait pas encore tramé le deuil du bonheur. Car la guerre était perdue d'avance, à cause, n'est-ce pas, de l'avance, justement, que nous avions sur elle. (Cette guerre moderne entre le digital et la souffrance, le dit et le non-dit, parce que vu et enregistré.) Ces quelques lettres banales, sans aucune nécessité apparente, disent une autre histoire que les histoires qu'elles font à propos de ceci ou cela, ou de celui-ci ou celui-là. Un peu comme si Sénécal avait pris la décision de publier la correspondance de Frédéric, et que toute l'éducation sentimentale n'avait jamais vu le jour. Tout est à recommencer. Pourquoi me suis-je querellé avec François ? Rien à voir avec Genet ou Fassbinder. Autre chose. Heu- reusement demeurée sans nom. Idiote. Demeurée. Heureusement, alors que tout le reste devenait signe, décoration mortelle, Algérie, Viêt-nam, Hollywood, et notre amitié, et notre affection du réel. Signe, et chant du signe. Ce qui nous liait comme dents et lèvres – lorsqu'on achetait nos pauvres voltigeurs en sortant place Pigalle du Bikini ou de l'Artistic, et d'un film d'Edgar Ulmer ou de Jacques Daniel-Norman (ô Claudine Dupuis, ô Tilda Thamar) avant d'aller cambrioler ma marraine pour payer les séances du lendemain - ce qui nous enchaînait plus fort que le faux baiser de Notorious, c'était l'écran, et l'écran seul. C'était le mur qu'il fallait faire pour s'échapper de nos vies, et seul ce mur, qui allait s'évanouir derrière la gloire, et les décorations, et les déclarations, rageuses, dont avec trop d'innocence nous le saturions. Saturne nous dévora. Et l'on se déchira, peu à peu, pour ne pas être mangé le premier. Le cinéma nous avait appris la vie. Elle prit sa revanche comme Glenn Ford dans le film de Fritz Lang. Ces lettres d'un garçon qui souffrait violemment de ne pas savoir écrire montrent comment ce qui se dit allait triompher de ce qui ne se dit pas, mais se voit. Notre douleur parlait, parlait, et parlait, mais notre souffrance resta du cinéma, c'est-à-dire muette. François est peut-être mort. Je suis peut-être vivant. Il n'y a pas de différence, n'est-ce pas. Jean-Luc Godard PRÉFACE Il fait encore nuit sur Paris dans ce petit matin du 6 février 1944. Un gamin sort de l'immeuble d'angle au 33, rue de Navarin, dans le IX arrondissement. Il a douze ans aujourd'hui, mais ne paraît pas son âge. Petit pruneau chétif dans son blouson à car- reaux rouges et noirs, les genoux bleuis par la bise qui dégringole de la butte Montmartre, il balance son cartable au bout de son bras. Mais on remarque surtout ses yeux, des yeux sombres avec une lueur intense dans le regard. Le garçon ne prend pas à droite comme il devrait pour se hâter vers l'école communale au n° 5 de la rue Milton. Il tourne à gauche et se glisse, à trois pas de là, dans la cour du 10, rue de Douai. Il siffle un bon coup, puis, sans attendre, grimpe l'escalier de service aux vitres barbouillées par la Défense pas- sive. Au deuxième étage, la porte d'une cuisine est entrouverte. Un autre garçon, plus grand et plus fort, l'attend, un doigt sur la bouche, et le conduit dans sa chambre. Il est huit heures et quart. Le fils de la maison prend alors son cartable et, sur un «au revoir, m'man» appuyé, fait claquer ses galoches dans l'escalier de service. Deux minutes plus tard, remontant par le grand escalier, il se coule dans le couloir qui distribue neuf pièces vides (le père a vendu les meubles au fur et à mesure de ses pertes aux courses) et rejoint son ami. Sur le lit, à la lueur d'une bougie qui tient lieu d'éclairage et de chauf- fage, son copain lit Le Père Goriot. Loin de se désha- biller, Robert s'emmitoufle au contraire davantage, enfile ses gants et pénètre à son tour dans la zone de lecture. - Regarde, François. Il lui tend leur nouveau trésor : un classique (Her- nani, marqué V.H. 18) des «meilleurs livres» de la collection Arthème Fayard à la couverture crème et noir, acheté 3 F 20 à la librairie de la rue des Mar- tyrs, et un paquet de bananes séchées. Commencent alors, ponctuées seulement par les bruits de la cour et par les ronronnements du chat Pompon, ces heures de lecture attentive qui font naître l'amour des livres. La récré, ce sera pour plus tard, au début de l'après-midi - «Grouille, on va manquer les actua- lités ! » - quand nos deux resquilleurs se faufilent dans les cinémas du quartier, toutes ces salles des boulevards aux noms magiques : le Gaumont Palace, l'Artistic (rue de Douai, justement), le Clichy, l'Agora, le Pigalle, le Moulin de la Chanson, l'Ame- rican Cinéma, la Cigale, le Trianon, le Gaieté-Roche- chouart, le Delta, dont certains deviendraient plus tard, bien plus tard, une boîte de nuit, un sex-shop ou un magasin de chaussures.