UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3

ED 120 – Littérature Française et Comparée Centre d’Études et de Recherches Comparatistes

Thèse de doctorat Littérature Générale et Comparée

Thoueïbat DJOUMBE

UN AUTRE ASPECT DE LA FRANCOPHONIE, LA LITTÉRATURE COMORIENNE, SOCIÉTÉ, HISTOIRE, CULTURE ET CRÉATION

Thèse dirigée par Monsieur le Professeur Daniel-Henri PAGEAUX

Soutenue le 4 Février 2014

Jury : M. Daniel-Henri PAGEAUX, Professeur, HDR, Directeur de thèse Mme. Zineb ALI-BENALI, Professeur, HDR, Université Paris VIII, Examinateur M. J.C. Carpanin MARIMOUTOU, Professeur, HDR, Université de la Réunion, Rapporteur Mme. Dominique RANAIVOSON, Professeur, HDR, Université de Metz, Rapporteur M. Jean BESSIÈRE, Professeur, HDR, Université Paris III, Examinateur Résumé

Un autre aspect de la francophonie, la littérature comorienne : société, histoire, culture et création.

Cette thèse interroge les origines, les interférences et la production de la littérature comorienne d’expression française. Au confluent entre critique littéraire, historiographie anthropologique des sources et analyse des thématiques dans la création, elle questionne aussi la notion de réception dans un contexte éditorial minimaliste où langue d’écriture et langue vernaculaire s’interfèrent. En près de 30 ans, les quelques 160 ouvrages, publiés de 1985 à nos jours, laissent percer des débuts lents et difficiles. Une réalité qui sera contredite à la fin des années 90 où des maisons d’éditions, même éphémères, naissent avec pour mot d’ordre, promouvoir la littérature comorienne. Va alors s’amorcer une dynamique nouvelle inscrite par le nombre et la variété des genres édités, la multiplicité des thématiques abordées et par l’orientation des revendications littéraires d’ordre esthétique en écho à des revendications identitaires. Parallèlement, transparaît une forme de tâtonnement textuel qui laisse apparaître une dualité narrative sous-tendue dans l’organisation fictionnelle et narratologique des œuvres et mettant en place un type de personnage-pensée à l’origine d’une hybridité textuelle. Par conséquent, cette thèse procède à une forme de bilan de ces trente années d’écriture suivant deux axes d’analyse. Un axe chronologique qui fait coïncider des éléments liés à l’histoire du peuplement avec l’établissement d’une écriture pour les îles afin d’appréhender le contexte originel de production; un axe analytique et herméneutique recoupant faits historiques et sociaux en rapport avec les objets ou motifs de production et révélant la source des interrogations des écrivains comoriens francophones.

Mots clés : Littérature orale et écrite comorienne, Littérature francophone de l’océan indien, société, culture et religion aux Comores, création et réception, édition, hybridité textuelle, esthétique de la violence. Abstract

Another facet of Francophonie: Comorian literature, society, history, culture and creation

This thesis questions the origins, interferences and the production of French-speaking Comorian literature. At the junction of literary criticism, anthropologic historiography of the source documents and thematic analysis within the creation, it also investigates the notion of reception in a minimalist editorial context where the written and the vernacular languages interfere with each other. For the past 30 years, the 160 publications that have been published, since 1985 to date, have shown slow and difficult beginnings. A trend that would be reversed from the late 1990s, where many publishing houses have emerged, even if it was quite briefly for some of them, with a shared goal: to promote Comorian literature. A new trend will then begin as proven by the number and variety of genres being published, the diversity of the themes discussed, and the direction of the literary assertions of an aesthetic angle in response to identity assertions. At the same time, a form of textual hesitation transpired, shedding a light on a narrative duality, from a narratologic and fictional organisation of the publications, highlighting a type of character-thought creating a form of literal hybridity. Therefore, As a consequence, this thesis proceeds a kind of statement from thirty years of writing according to two axis of analysis. A chronological axis matches elements which are linked to the peopling History with the establishment of a writing for the islands in order to grasp the original context of production; an analytic and hermeneutic axis matching historical and social facts related to subjects or sources of production and revealing the sources of French- speaking Comorian writers’ questionings.

Key words : Oral and written Comorian literature, French – speaking literature from the Indian Ocean, Comorian society, culture and religion, creation and reception, edition, textual hybridity, violence aesthetic.

A ces êtres éphémères qui, au détour d’une rencontre fugace, se sont accrochés à mon cœur, Thuwé, Seilhan, Celine, Soumeya, Wafikh, parce qu’il faut du temps pour accomplir certaines choses.

A toi, Nourdine Moussa Ali, avec tout mon amour. Ngaridjowadi !

Remerciements

Exprimer sa gratitude n’est pas chose aisée surtout lorsque celle-ci va en direction de plusieurs personnes, car, c’est bien grâce au soutien, aux encouragements et à l’aide de ces amis que j’ai pu parvenir au terme de ce travail. Mais puisqu’il faut commencer, voudrais- je en premier lieu, présenter mes sincères remerciements à mon Directeur de Thèse, Monsieur le Professeur Daniel-Henri Pageaux pour ses précieux conseils, et le temps qu’il m’a consacré. Encadrer la jeune maman que je fus, l’étudiante que je continuais d’être et l’enseignante que je devenais s’avéra chose ardue, et pourtant, j’ai pu trouver, en Monsieur Pageaux, une oreille conciliante, ferme et bienveillante. Ma reconnaissance va aussi aux professeurs Jean Bessière, J.C Carpanin Marimoutou, Dominique Ranaivoson et Zineb Ali- Benali pour leur participation en tant que membres de mon jury de thèse. Une thèse est un travail de longue haleine or celle-ci n’aurait pu aboutir sans la famille. Je remercie donc ma mère pour m’avoir transmis le sens de la persévérance, mes frères et soeurs dont Hafidhou, Naïlat et tout particulièrement Laïlat pour leur disponibilité et leurs requêtes qui m’ont sans cesse permis de gagner en confiance. Merci à Faridat pour ses critiques pointues et avisées. Une pensée de tendresse à ma petite sœur Malika pour ses longues journées à veiller sur mes enfants tandis que nous arpentions, Nourdine et moi, les rayons des bibliothèques de Paris. Et je pense à mon père, ce drôle de marginal. Mes remerciements s’adressent aussi à ceux de mes cousins qui m’ont donné l’impression de faire quelque chose de particulier et de grand : Karima, Wahab, Ahmed, Fatouma, Kathé et surtout Latufa Mohamed, dont les encouragements m’ont accompagné dans les périodes de lassitude. Enfin, je ne peux oublier mes amis et mes collègues qui m’ont constamment apporté aide et soutien. Je souhaite également exprimer ma gratitude à Mohamed Lihoma et Msa Ali Djamal des éditions De la Lune et Mohamed Ahmed Chamanga de Komédit pour les prêts d’ouvrages que mes maigres moyens d’étudiante ne pouvaient me procurer. À présent, ma tendre reconnaissance va à Amane, Faïda et leur papa, mon co-équipier et mari sans qui, avec toute la volonté du monde, il m’eut été impossible d’achever ces travaux. Merci Nourdine, d’être ce que tu es, un rêveur et un fou. Je ne peux conclure sans rendre Grâce à Dieu pour ce qu’Il nous offre.

SOMMAIRE

INTRODUCTION…………………………………………………………………………..14

PARTIE I………………………………………………………………………...... 38 LA LITTÉRATURE COMORIENNE, ENTRE TRADITIONS ET MODERNITÉ

I. LA LITTÉRATURE ORALE……………………………………………………...... 39 I.1 Une littérature prédominante……………………………………………………...39 I.1.1 Littérature orale et/ou tradition orale……………………………………40 I.1.2 Une littérature de tous les instants………………………………………43 a) Les chants, rythmes des grands moments de la vie………………...43 b) L’éloquence au service des conflits………………………………..45 I. 2 La littérature orale comme garante de l’histoire des îles………………………...47 I.2.1 Traditions, Transmission et connaissances……………………………...47 a) Une histoire qui se transmet………………………………………..47 b) La littérature traditionnelle, socle d’identité culturelle…………….50 I.2.2 Aux origines des croyances mythologiques……………………………..51 a) Origines du mythe………………………………………………….52 b) Mythe de l’arrivée des Djins et Séra (esprits et démons)………….52 c) Mythe de la destination Ultime : Djazaïr al Kamar………………..54 I.3. Différents aspects de la littérature orale………………………………………….55 I.3.1 Une réalisation sous plusieurs formes…………………………………...55 I.3.2 Le niyandu : une poésie épique………………………………………….60 I.3.3 Le hale ou le conte traditionnel………………………………………….64 a) Le cérémonial autour du conte……………………………………..65 b) Les motifs et les personnages récurrents du conte comorien………68 c) Un personnage à part, Ibunaswia…………………………………….. 70 d)Les contes, des récits d’apprentissage……………………………...72

II. DE L’ORALITÉ A L’ÉCRIT, ÉTAPES D’APPARITION DE LA LITTÉRATURE ÉCRITE………………………………………………………………………………………76 II.1. Écriture et littérature, une combinaison aux abords complexes…………………76

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II.1.1 Les trois grandes périodes historiques des Comores comme étapes d’établissement d’une littérature écrite pour les îles……………………… 77 a) L’écriture sous les sultanats……………………………………….. 77 b) L’écriture sous le protectorat et la colonisation : une organisation disciplinaire et instructive à deux vitesses, l’école et le chioni…… 79 c) L’écriture de l’après France : fragilités des structures scolaires…...86 II.1.2 La littérature écrite, une littérature inspirée des œuvres orales………...88 a) Les débuts de la littérature écrite………………………………….. 88 b) De la nécessité de graver l’histoire………………………………... 90 c) De l’oralité à l’écrit, l’exemple du Hale et du Tiyatiri……………..92 II. 2 Des textes et des genres………………………………………………………….98 II.2.1 Les premiers textes écrits……………………………………………….98 a) Ouvrages à portée anthropologique………………………………...98 b) Ouvrages officiels ou juridiques…………………………………100 II.2.2 Les genres de l’écrit…………………………………………………...100 a) Essai de classification……………………………………………..100 b) Le lesso, un livre mobile………………………………………….103 c) La poésie : rythmes anciens et modernes…………………………104 d) Le théâtre, genre transposé et/ou importé………………………...107

II.2.3 Qu’en est-il du polar, de l’autobiographie, de l’épistolaire, du journal intime ?...... 110 a) Des univers pas encore visités : le roman épistolaire, le journal intime, le récit fantastique…………………………………………...110 b) Des genres en balbutiement : l’autobiographie, le polar, le roman policier……………………………………………………………….111

III. CRÉATION/RÉCEPTION, LES DIFFICULTÉS LIÉES A LA LITTÉRATURE ÉCRITE ………………………………………………………………………………. 114 III.1. L’édition ou ses moyens, une industrie longtemps vide de sens…………… 114 III.1.1 Bilan éditorial de la parution du premier roman à nos jours………...115 a) Le retard du développement technique et technologique…………115 b) Première conséquence première : l’absence de maisons d’édition.119 c) Évolution de l’édition de 1985 à 2010…………………………… 120

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III.1.2 Editer, se faire éditer, s’éditer, quel recours pour publier ?...... 122 a) Proposer son manuscrit et être édité……………………………... 122 b) L’Autoédition…………………………………………………….124 c) Une tendance originale: être publié par plusieurs éditeurs………. 129 d) L’avancée via Internet…………………………………………… 130 III.1.3 Les réponses des intellectuels………………………………………...133 a) Le rapport conflictuel entre livre et argent………………………..133 b) Les problèmes de promotion : production, publication, diffusion..134 c) Du désir de promouvoir à la création de maisons d’éditions……..138 III.2. Écrire en shikomori, les difficultés relatives à la langue………………………145 III.2.1 Le comorien, langue ou dialecte à écrire?...... 145 III.2.2 Les codes de l’alphabet latin ou arabe ?...... 147 III.2.3 Transcrire en shikomori et non écrire, un des partis pris des auteurs...149 III.3. L’écrivain face à lui-même : sa langue, son peuple…………………………...151 III.3.1 L’écrivain son art ou sa langue : le choix cornélien………………….151 III.3.2 Du pour qui écrire au pourquoi écrire : la question du lectorat………154 III.3.3 Etre comorien, parler comorien cependant… écrire en français……..157

PARTIE II LITTÉRATURE ET SOCIÉTÉ : LA LITTÉRATURE COMORIENNE FRANCOPHONE OU LE MIROIR DE LA TENSION INDIVIDU ET SOCIÉTÉ ….161

IV/ LA SOCIÉTÉ COMORIENNE, POUR UNE APPROCHE PARA TEXTUELLE DE L’ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE……………………………………………………………162 IV.1. Mœurs et coutumes d’une société de métissage………………………………162 IV.1.1 Islam et animisme : l’islam comorien, la religion des antithèses…….163 a) L’apparition de l’Islam……………………………………………163 b) Pratique modérée de l’islam comorien……………………………163 c) L’islam comorien une combinaison d’antithèses…………………169 d) Islam et matriarcat………………………………………………...171 IV.1.2 Du traitement de la cohabitation du fait religieux et des sciences occultes dans la littérature…………………………………………………...174 a) Islam et soufisme………………………………………………….174

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b) Rites profanes et sciences occultes : les djinns, les wafu, les mazetwani……………………………………………………………………180 c) Sciences occultes et guérisseurs…………………………………..184 d) Personnages vils et sans foie, portraits sombres des religieux IV.1.3 La société comorienne, un individu pluriel…………………………..193 a) Une éducation du collectif comme source d’équilibre social……..193 b) Autopsie des règles sociétales aux Comores : des références bien marquées……………………………………………………………..195 IV.2. Coutumes et traditions………………………………………………………...198 IV.2.1 Le Mila Na’ntsi en Grande Comores ………………………………..198 a) Hiérarchies et strates générationnelles………………………….. 198 b) Hiérarchies et strates générationnelles à Ngazidja………………. 200 c) Les charges relatives à tout grand comorien……………………...202 IV.2.2 Le anda na Mila…………………………………………………………….204 a) Les étapes du Grand Mariage……………………………………..205 b) Pouvoir de l’Honneur et passage initiatique……………………... 212 c) Le gungu, une épée de Damoclès sur les habitants des Lunes……213

V/ LA LITTÉRATURE ÉCRITE OU LE PROLONGEMENT DE LA QUESTION INDIVIDU ET SOCIÉTÉ………………………………………………………………… 214 V.1 L’intellectuel et la société : le conflit identitaire………………………………..214 V.1.1.L’élite et la notabilité………………………………………………….215 a) L’élite politique et la notabilité, le lien causal ou de subordination………………………………………………….215 b) Briller dans les salons, se cacher au bangweni, Idi Wa mazamba 218 c) Lorsqu’un homme est noble, notable et fonctionnaire d’état……..222 V.1.2 L’individu bâillonné : un compromis impossible entre l’auteur et son univers…………………………………………………………225 a) L’impossibilité d’exister indépendamment de la société…………226 b) S’extraire du clan pour exister…………………………………… 228 V.2. Choisir de s’opposer c’est devenir marginal, les topoï………………………...231 V.2.1 De l’opposition à la mort……………………………………………...231 a) La mort en réponse au désespoir, Mkaya, Fatma, Sitty Mahabouba

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b) La mort comme issue fatale à la contestation : La toute petite fille, Idi Wa Mazamba…………………………....235 V.2.2 La folie, entre aliénation et parole de vérité…………………………..236 a) La disparition du bon sens………………………………………...236 b) Djitihadi ou le mythe du fou détenteur de vérité………………… 237 c) La folie comme réponse à son individualité : de la marginalisation à la folie………………………………………….240 V.3. Un individu en marge : la femme, prétexte littéraire et social…………………243 V.3.1 La femme au regard de la société……………………………………. 244 a) La femme, élément constitutif et créatif du mythe cosmogonique 244 b) Le matriarcat en terre musulmane, un privilège paradoxal……… 247 c) Le personnage du mwana zidakani ou la bienséance du silence pour marque de pudeur…………………………………………… 249 V.3.2 Thématiques et rôles de la femme en littérature comorienne…………252 a) Des thèmes d’hommes…………………………………………… 252 b) La femme comme vecteur de l’action…………………………….252 c) Des choix de femmes portés par des voix d’hommes…………….255 V.3.3 Visages de la femme dans la trame romanesque……………………...259 a) Portraits ou clichés………………………………………………..259 b) La femme comme emblème du sentiment amoureux…………… 260 c) La femme : allégorie de l’opposition Orient/Occident……………262 V.3.4 Écriture et féminité……………………………………………………265 a) La scolarisation tardive des femmes………………………………265 b) Une plume de femmes ? Touhfat Mouhatre, une écriture sensorielle entre rythme et métonymie…………………………….266

PARTIE III LA LITTÉRATURE COMORIENNE DE LANGUE FRANÇAISE, REFLET D’UNE DYNAMIQUE NOUVELLE……………………………………………………. 270

VI. UN ART EN MOUVEMENT…………………………………………………………..271 VI.1 Une nouvelle littérature à travers le roman comorien………………………….271 VI.1.1Les origines du roman comorien……………………………………...271 a) Sources et provenances……………………………………………271 b) Les premières apparitions…………………………………………275 10

VI.1.2 Romans de la première génération…………………………………..277 a) Romans Historiques……………………………………………….277 b) Le romancier : un témoin oculaire de son époque………………. 280 VI.1.3 Romans de la nouvelle vague, image d’une littérature moderne naissante……………………………………………………283 a) Visages du roman comorien d’expression française……………...283 b) Dynamisme du genre romanesque et jeunes auteurs…………….. 284 VI.2 La nouvelle poésie VI.2.1 Entre lyrisme classique et envolées nègres :…………………………287 a) Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, Cris d’ici et d’ailleurs…………………………………………287 b) Les Testaments de transhumance………………………………... 290 VI.2.2 Pour un parti pris esthétique et pour une poésie washikomori………293 a) Nouvelles écritures Comoriennes, Paille-en-queue-et-vol……... 293 b) La poésie washikomori, une poésie du rythme et du bruit………. 297 VI.3. Visée cathartique des genres transposés : Le théâtre, le conte……………….. 299 VI.3.1 Le théâtre, ou la mise en voix de la tragi/comédie: Le notable répudié…………………………………………………………..300 VI.3.2 Une mise en scène des maux du réel………………………………...302 a) Les Coulisses d’un mariage incertain ……………………………302 b) Honneur ou bonheur ?...... 305

VII/ ROMANS, ESSAIS ET NOUVELLES : L’HYBRIDITÉ INTRA-TEXTUELLE DANS LE CONTEXTE DU SHIKOMORI OU DE LA COMORIANNITÉ…………………………...307 VII.1. De la stagnation d’une fiction réalité…………………………………………307 VII.1.1 Une fiction romanesque à deux voies, Le bal des mercenaires……...307 VII.1.2 Le roman comorien francophone, une mise à distance factice……...311 a) Une écriture pudique……………………………………………. 311 b) Un « il » excentré pour l’affleurement du « je »…………………313 c) De l’expropriation du « il » historico-social à l’identification du « je » individuel et personnel, Marâtre………………………….316 VII.2. Un narrateur impliqué, un auteur omniprésent……………………………….318 VII.2.1 La place du personnage et son rôle………………………………….318

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a) Un personnage prétexte…………………………………………...318 b) Entre personnage actant et personnage-pensée…………………...319 c) Superposition des voix narrateur/personnages……………………321 VII.2.2 De l’essai au roman, une limite floue……………………………….323 a) Qui parle ? Qui écrit ?...... 323 b) Nouvelles sans histoire et hybridité textuelle……………………. 325

VIII. ENJEUX ET MOTIFS EN LITTÉRATURE COMORIENNE FRANCOPHONE…..329 VIII.1. Deux axes d’écriture : revendication et contestation ………………………..329 VIII.1.1 Constat et révolte…………………………………………………...329 a) Dans l’écriture romanesque……………………………………….329 b) En poésie, pour l’éveil des consciences…………………………..331

VIII.1.2 Écrire, un acte contestataire……………………………………….. 337 a) L’écriture, une arme de contestation……………………………...337 b) Écrire pour dénoncer……………………………………………...339 c) Contre l’art pour l’art : des textes pour la mise en voix de la position intellectuelle et de l’engagement social…………………….340 VIII.1.3 L’onomastique au secours de la contestation………………………343 a) Onomastique et dérision autour des noms propres……………….. 343 b) Onomastique et dérision autour des sigles et titres donnés aux représentants de l’état…………………………………………...347 VIII.1.4 Pour une esthétique littéraire comme assise d’une identité intellectuelle et culturelle……………………………………348 a) Écrire différemment, c’est exister autrement…………………… 348 b) L’écriture ou la trace d’une identité propre……………………….350 VIII.2. Littérature et Terre d’origine, traitement et relation au lieu dans la Littérature comorienne…………………………………...... 352 VIII.2.1 Attraction/ répulsion ou l’ambivalence du rapport au lieu…………352 VIII.2.2 L’attachement aux îles……………………………………………...358 a) Le lieu, point de départ et point de retour………………………... 358 b) Attachement à la Terre mère…………………………………...... 359 c) Terre, mère de la mémoire……………………………………….. 362 VIII.2.3 Littérature et exil…………………………………………………..364

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a) Une littérature de l’exil ?...... 364 b) Poésie du départ…………………………………………………..366 c) Chants de l’errance ………………………………………………..367 VIII.2.4 De la frustration à la haine du lieu, les Comores, une littérature du désamour……………………………………………… 369 a) Les Comores, entre motif littéraire et personnage éponyme au visage antihéroïque ………………………………………………. 369 b) Le rejet de la mère patrie tant chérie……………………………...370 c) Mythe et initiation, le héros face à son destin : agir et non subir 375 d) Le motif de l’échec………………………………………………..376 VIII.3. Esthétique de la violence et de l’obscène…………………………………...378 VIII.3.1 Violence et virulence des mots……………………………………..378 a) Les mots entre violence et obscénité……………………………...378 b) Violence de l’écriture et écriture de la violence…………………..381 VIII.3.2 Un pays que l’on ne chante pas, un peuple qui déchante, un écrivain désillusionné…………………………………………………….385 a) D’une réalité violente au tableau d’une contre-utopie…………… 385 b) Une réalité dystopique…………………………………………….387

CONCLUSION………………………………………………………………………….. 390 BIO-BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………… 396 BIBLIOGRAPHIE……………………………………...... 429 INDEX…………………………………………………………………………………. 438 Index des auteurs cités Index des ouvrages cités ANNEXES…………………………………………………………………………….. 442

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INTRODUCTION

Cette thèse est intitulée Un autre aspect de la francophonie, la littérature comorienne ; Société, histoire, culture et création. Elle traite la question de la littérature comorienne dans son ensemble car nous souhaitons analyser les contextes de son émergence, ses inspirations. Mais pas uniquement, entendu que nous nous proposons aussi d’examiner les aspects de civilisation et d’histoire des Comores dans la mesure où il y a interaction entre la littérature, l’histoire, et la civilisation. Histoire profondément politique, culture foisonnante axée sur une solide tradition coutumière, civilisation multiforme à l’origine de disparités visibles (dialectes, pratiques sociales et religieuses…), autant d’éléments sources du fond thématique de la littérature des Comores. Celle-ci se proposant de donner à voir et à comprendre tout en interrogeant à la fois cette histoire tumultueuse et ces traditions souvent jugées archaïques. Hier, il était nécessaire, au vu de la méconnaissance entourant l’archipel des Comores, de le restituer géographiquement afin d’éclairer le lecteur par ces quelques bases essentielles : Qu’est-ce-que les Comores ? Où se situent-ils? Ainsi, le chercheur se faisait un devoir de toujours présenter, en début d’ouvrage, l’archipel dans son ensemble géographique, culturel et parfois social et d’en relever les particularismes : îles aux multiples apports, îles aux parfums…S’ajoutait à ces attraits de poésie un retour inévitable à la civilisation et à l’histoire du pays, notamment l’histoire politique. Aujourd’hui les choses ont évolué grâce aux différents travaux de recherches effectués sur l’archipel, aussi bien en sociologie, en histoire qu’en ethnologie. Évoluées aussi grâce aux arts urbains (la musique, le graph), au point que de nombreux jeunes collégiens de France énoncent des mots en comoriens entendus dans les textes d’artistes franco-comoriens1 devenus incontournables. En ce sens, les gens connaissent un peu mieux de quoi il s’agit, lorsque nous parlons des Comores. Il pourrait alors sembler malhabile d’en revenir à une présentation de l’archipel dans cette introduction. Pourtant, aujourd’hui plus qu’hier, il s’avère opportun de restituer le cadre géographique et historique de l’archipel, même de façon succincte. Cela devient une nécessité car un devoir de mémoire. Situées dans le canal du Mozambique, à équidistance de Madagascar et de la côte sud Africaine, les Comores sont un archipel de quatre îles: Ngazidja (), la plus

1 Les rappers comme Rhoff, Soprano ou des groupes comme 3ème Œil, la chanteuse Imany… 14

grande île, Ndzuani (), Maore (Mayotte) et Mwali (Mweli), la plus petite. Appartenant à l’aire indianocéane, elles partagent avec la plupart des îles de l’Océan Indien, une langue commune, le français. D’un autre côté, elles développent des aspects linguistiques les reliant à l’aire bantoue, tout en intégrant dans son parler, une forte imprégnation d’arabe. Ce métissage de la langue se retrouve aussi dans la culture car l’archipel a été traversé, comme nous le verrons plus loin, par différentes phases de peuplement et donc différentes époques de migration. Des Africains d’origine bantoue aux Arabes venant de Shiraz, des Indonésiens aux Européens dont les français en particulier, les îles se sont constituées au travers de ces communautés. Même s’il n’est pas encore possible de dater avec précision les périodes d’apparition des premiers habitants de l’archipel ni d’identifier avec exactitude leur provenance, les recherches les plus sûres les font remonter au VIIIème siècle de l’ère chrétienne. Ces trouvailles laissent aussi entendre que les Comores étaient initialement habitées par des africains du continent et entretenaient des relations commerciales avec les pays du Golfe arabo-persique. A ces deux peuples et à leur mode de vie, leur religion, leur mode de pensée, viennent s’ajouter d’autres apports provenant des îles voisines comme Madagascar, Zanzibar ou d’autres pays comme l’Inde, l’Indonésie ou même la Chine. Les Comores sont nées de ce métissage venu d’horizons lointains et qu’elles ont pourtant su adopter pour ensuite adapter. La littérature comorienne décrit le même schéma de pensée. Ses inspirations sont diverses, ses réalisations aussi. Les premiers textes comoriens sont en swahili ou en arabe. En témoignent les chroniques anciennes d’Abdul Latwif dont l’originale est en swahili, et celle du Cadi Omar de Mayotte écrite en arabe. Historiquement, l’archipel des Comores compte quatre îles. Culturellement, les mêmes traditions se transmettent de génération en génération, selon quelques variantes. Socialement et religieusement, les mêmes valeurs se partagent et la soumission aux préceptes musulmans est de rigueur dans chacune des îles. Or politiquement, les Comores sont divisées en deux entités : l’Union des Comores constituées des trois îles indépendantes et Mayotte, devenue 101ème département français le 31 mars 2012. Un statut politique qui fait suite au référendum du 29 mars 2009, invitant les mahorais à se prononcer sur leur volonté de voir évoluer le statut de Collectivité d’Outre Mer en celui de Département d’Outre Mer. Cette départementalisation symbolise l’aboutissement d’un processus impulsé dès la consultation électorale du 22 décembre 1974 où Mayotte choisit de rester sous le giron français, tandis que les trois autres îles optaient pour l’indépendance. Une indépendance proclamée

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unilatéralement par Ahmed Abdallah le 6 juillet 1975. Il sera renversé par Ali Soilihi quelques mois plus tard, le 3 août 1975. Dès lors, l’archipel bascule dans une histoire politique mouvementée ponctuée par des coups d’états et de tentatives de coups d’état à répétition. Une situation politique si instable qu’elle nourrit chez les citoyens des revendications à contre courant. En effet, comme le rappelle Soeuf Elbadawi rappelle, « Contre toutes logiques de communion héritées de l’histoire, les îles Comores se sont engagées il y a 27 ans dans la voie du séparatisme. »2 Chaque île se veut autonome, refusant toute marque d’assimilation aux autres, prônant une identité à part. Une situation devenue critique en 1997, lorsque Ndzuani proclame son indépendance et exprime le souhait de réintégrer le territoire français. Un état d’urgence qui a amené à repenser la constitution Comorienne en 2002, faisant passer la République Fédérale Islamique des Comores à l’Union des Comores, où chaque île est gouvernée de façon autonome mais dont l’ensemble est présidé par le président de l’Union. Parallèlement, l’histoire politique de Mayotte s’écrit en marge, cristallisant les antagonismes et les rancœurs les plus extrêmes entre comoriens de Mayotte et ceux des autres îles, les clandestins3. Mayotte est une île française, les mahorais sont donc français et non comoriens, comme beaucoup aiment à le rappeler. Cette période de l’histoire politique des îles, toujours actuelle, offrira une source inépuisable d’interrogations, de questionnements à l’autre, à l’identité dont la littérature et notamment la poésie se fera l’écho.

Au vu de tous ces éléments, il serait alors justifié de nommer « littérature comorienne » seulement l’ensemble de la production littéraire des îles indépendantes. Et nous aurions tôt fait et peut-être bien fait de ne considérer qu’elles. Cependant, nous avons choisi d’étudier la littérature comorienne dans une globalité culturelle, et de parler d’une littérature pour les îles de la Lune, Mayotte comprise. Car si le statut politique diffère par les soubresauts de l’histoire, la culture, les traditions, les croyances et la société sont les mêmes, à quelques nuances près d’une île à l’autre. Ces trois points, culture, histoire et société formant

2 Elbadawi Soeuf, Archipel des Comores, un nouvel élan ?, Africultures n°51 , Octobre 2002, L’Harmattan, 2002 3 De ces stratégies découlent nombre de problèmes dont la mise en place du visa Balladur en 1995, obligatoire pour tout comorien des îles indépendantes, voulant se rendre à Mayotte. Conséquence des ces lois, les comoriens en partance pour Mayotte embarquent sur des bateaux de fortune, les Kwassa Kwassa, et chassés par les polices maritimes françaises, sont à l’origine de nombreux morts et disparus sur les côtes entre Anjouan et Mayotte. De plus, considérés et appelés « clandestins » lorsqu’ils sont sur l’île, les comoriens de la partie indépendante sont pourchassés, attrapés et expulsés massivement chez eux, lorsqu’ils ne sont pas détenus dans des conditions douteuses et entassés dans la prison de Voidjou. Des évènements que déplorent de nombreuses associations humanitaires, relayées par quelques écrivains. Des évènements que l’on retrouve donc en thématique de fond dans de nombreux textes comme Hamouro de Salim Hatubou. 16

le fond thématique de notre champ d’analyse, les Comores et sa littérature, il nous apparaît comme évident et judicieux de porter notre attention sur l’archipel en tant qu’unité culturelle et géographique. En ce sens, nous pouvons et choisissons de proposer une étude sur la littérature comorienne francophone de l’archipel dans sa totalité. En effet, quel œil extérieur pourrait différencier un mariage traditionnel à Ngazidja d’un mariage traditionnel à Mayotte, si personne ne le lui dit ? Il s’agit donc de proposer une analyse des différents aspects de la littérature comorienne dans son ensemble archipélique ainsi que d’émettre des hypothèses théoriques sur ses réalisations. Partant de cette position, nous avons tenté de poursuivre nos recherches sans nous attarder sur les questions politiques qui séparaient les îles. Or, force a été de constater qu’en procédant ainsi, nous niions certaines des réalités du pays. En effet, les îles conservent bien des particularités les unes par rapport aux autres. Les romans bien qu’écrits en français reflètent des préoccupations différentes d’une île à l’autre. Par crainte de nous inclure dans cette logique de division des îles, nous refusâmes d’admettre ses diversités, des particularismes qui pourtant forment le champ culturel et diversifié de l’Archipel des Comores. Ce champ culturel rend compte de vastes domaines qui témoignent chacun de la pluralité des îles mais surtout de leur richesse culturelle. La musique, la danse, la peinture, la sculpture, autant de domaines qui participent au renouveau de l’art aux Comores. La littérature en fait partie. Mais avant tout, orale et traditionnelle, elle est présente de façon quotidienne, récurrente et continue dans la société comorienne. Cette littérature, dont les origines remontent à des générations et des civilisations tout aussi différentes les unes des autres et qui ont emmené aux îles leur culture propre et leur mode de vie, est une littérature de la mémoire avant toute chose. Une mémoire qui se transmet lors des nombreuses manifestations liées aux étapes de la vie de chaque comorien par un langage oral nécessitant des codifications, des techniques et qui fait de la littérature orale un art toujours en mouvement. Celle-ci emplie la scène littéraire comorienne et ce depuis toujours, tel que nous le verrons au cours de notre travail. Cependant aux côtés de cette oralité, se développe un aspect longtemps marginalisé car réservé à une élite : la littérature écrite qui, malgré son existence lointaine n’a laissé que peu de traces de son évolution. Alors qu’on compte un nombre important de genres oraux (plus d’une dizaine entre les poèmes chantés, les discours, les contes…) qui restent encore

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grandement exploités et toujours réactualisés, on ne compte que quelques genres écrits et parmi, eux, certains sont tout récents dans l’univers littéraire comorien. Ces genres comme le roman ou le théâtre ont été importés dans les îles il y a à peine une trentaine d’année. Nous savons que l’art écrit marque une forme d’évolution de la part des civilisations la possédant ; aux Comores, il apparaît comme une ouverture vers l’extérieur en aidant à la fois à la continuité d’un patrimoine riche et varié comme la culture, et en lui permettant également de sortir de son isolement, isolement naturel du fait de son insularité. En effet, la langue la plus couramment utilisée, si ce n’est la seule, pour écrire est le français (nous parlons ici de textes faisant appel à un univers plus ou moins fictionnel), c’est la langue d’écriture des nouveaux auteurs, qu’il s’agisse des poètes, des romanciers ou des dramaturges. Ainsi, non seulement nous constatons l’arrivée de genres nouveaux dans l’espace littéraire comorien, mais en plus, nous lisons ces textes dans une langue différente de la langue maternelle des auteurs en question. Ce problème de la langue n’est pas relatif aux Comores seules, il prend en compte un grand nombre de pays ayant été soumis à une domination étrangère comme lors des colonisations.

Nos différentes recherches L’idée de travailler sur une littérature aussi neuve nous est apparue comme une gageure, un défi à relever. Or, lorsque nous nous sommes aperçues du travail acharné et immense, de la minutie excessive et importante que cela impliquait, nous fûmes beaucoup plus effrayée. Dans les débuts, nous ne savions pas vraiment où nous allions. Nous savions ce que nous voulions, ce que nous espérions réaliser, l’importance que ce travail revêtait pour nous, mais comment nous orienter ou alors, par où commencer. Nous avons alors été cherché les renseignements à la source même, entreprenant un voyage aux Comores4 afin de pouvoir consulter certaines données sur place puisque la plupart des essais ou des études existant se trouvent au CNDRS (Centre National de Documentation et de Recherches Scientifiques), à Moroni et essayer de rencontrer les quelques romanciers restés au pays. Mais là aussi, les choses ne furent pas si simples, il fallait des relations, et la plupart des écrivains n’étaient pas sur place. De plus, nous ne pouvions rester aux Comores qu’un mois ce qui rendait les recherches encore plus difficiles puisqu’il fallait faire vite. Nous n’avions pas assez de temps, ne connaissions que peu de monde. Cependant, avant de partir,

4 Deux voyages ont été entrepris dans cette direction, un premier séjour de deux mois remontant à Juillet/Août 2002, et le second à Avril 2011. 18

nous avons obtenu grâce à l’aide de certaines personnes, des noms et des adresses de spécialistes susceptibles de nous aiguiller et de nous mettre sur une voix. De retour en France nous avons pris contact avec le linguiste Ahmed Mohamed Chamanga, nous avons eu la chance par la suite d’être conviées à des manifestations littéraires et des colloques autour de la littérature comorienne, et d’être invitée en tant que critique à effectuer des analyses sur certains manuscrits avant publication. Le milieu des lettres comoriennes est un milieu très ouvert et la plupart des auteurs rencontrés ont accepté de nous aider en répondant à nos questions. Malgré ces marques de soutien, nous n’en savions pas vraiment plus. Les recherches furent peu fructueuses et ce malgré la consultation de la plupart des ouvrages des différentes bibliothèques où il nous était possible de trouver des données sur les Comores et sa littérature, mais en vain. Rien ne concernait la littérature comorienne écrite comme objet de recherche. Nous nous trouvâmes si souvent confrontée au problème de documentation précise que si nous n’avions pas été portée par ce fond de nationalisme allié à notre curiosité autour des lettres en général et de la recherche en particulier, nous aurions abandonné pour un sujet moins prenant mais plus documenté. Une autre grande difficulté rencontrée, et pas des moindres, concernant la documentation et la lecture des ouvrages de références, résidait dans une quasi impossibilité de trouver les textes littéraires eux-mêmes, à savoir romans, théâtres, recueils de nouvelles et de poèmes. Le terme dénicher nous vient même à l’esprit lorsque nous regardons les efforts fournis, parfois en vain, pour nous procurer les œuvres formant notre corpus d’étude. Et en effet, maintes fois nous avons dû faire appel à des connaissances de connaissances d’amis en vue de trouver un ou deux ouvrages. Car si une partie des œuvres est éditée chez des éditeurs fiables et viables à l’instar de Komédit, les Editions de la Lune, les Editions du Baobab et l’Harmattan, l’autre partie se dispache auprès de divers éditeurs dont la vie fut soit trop brève soit effective mais inactive. En cela et pour cela, le courage et la ténacité aidant, nous avons dû chercher encore et encore afin de nous constituer un corpus optimal. Or, malgré tous ces efforts, et malheureusement pour nous, des ouvrages sont restés introuvables. Des romans comme La prostitution en héritage, ou L’enfant meuble écrits par Fahoudine Ahamada-M’zé et édités aux éditions Kwanzaa, deux romans qui auraient pu semble-t-il enrichir nos lectures, par la thématique développée, font partie de ces textes maintes fois recherchés mais jamais obtenus. Et les réseaux d’amis et de connaissance constitués au cours de nos travaux et avant, n’ont pas permis de nous mettre en relation avec l’auteur. Ce n’est ici qu’un exemple parmi

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d’autres et nous déplorons fortement cette impasse. Cependant, cette difficulté ne se limitait pas à la possibilité ou non de mettre la main sur l’ensemble des œuvres dont s’ornait la littérature comorienne de langue française, tel que nous en avions réellement l’ambition, pensant cela possible, du fait de l’étroitesse du territoire et de la jeunesse de cette littérature. Loin de là. Elle touchait d’une part le moyen de se procurer l’œuvre en question, et d’autre part, les moyens financiers pour les acheter, dans les cas où nous retrouvions les références et que ces références existassent toujours. Financière car, beaucoup des textes du corpus n’étant nullement en bibliothèque, il fallait donc les acheter pour les avoir, et à cela, ajouter les frais de transports fréquemment induits. De quoi décourager les grandes volontés puisque, les délais de livraison, étaient de surcroit, imprécis et pouvaient parfois se rallonger. Pour cela, nous devons de grands remerciements aux éditions Komédit pour avoir accepté de nous fournir gracieusement une partie de notre matière de recherche dont ils étaient les dépositaires, aux Editions de la Lune d’avoir prolongé cette solidarité. D’autant que nous avons conscience de faire partie des lecteurs donc acheteurs potentiels et nécessaires au développement de cette littérature, mais que ce développement passe aussi et surtout par les transits financiers.

Etat de la recherche Aujourd’hui encore, il est difficile de trouver des données précises sur l’histoire littéraire des Comores. Beaucoup de sources semblent plus simples à puiser dans les « on dit ». Cela renvoie automatiquement au caractère encore très oralisé de la littérature comorienne. La problématique servant de ligne directrice à notre démarche scientifique s’oriente vers l’émergence d’une littérature comorienne francophone. Il s’agit de voir la Littérature comme une nouveauté participant aussi au prolongement de la littérature francophone au-delà des lieux et pays déjà listés : pays d’Afrique Centrale, ou d’Afrique du Nord, îles de l’Océan Indien (Madagascar, La Réunion, Maurice), Québec etc… Ce qui nous emmena dans un premier temps, à penser la littérature comorienne dans une optique francophone indianocéane. Nous consultâmes les ouvrages de Léopold Sedar Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française5, de Jean-Louis Joubert Littératures de l’Océan Indien6 mais le premier ne faisait même pas allusion aux

5 Senghor Léopold Sedar Senghor, Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Presses Universitaires de France –PUF- Collection Quadrige, 5ème Édition, 2002. 6 Joubert Jean-Louis, collaborateur Ramiandrosoa Jean-Irénée, Littératures de l’Océan Indien, Vanves, Agence Universitaire de la francophonie, EDICEF, 1991 20

Comores. Le second en parlait mais il s’agissait bien plus d’un relevé historique des périodes de bouleversements politiques, socioculturels du pays que de sa littérature. Dans son ouvrage, il concluait ses travaux par cette phrase : « Les longs retards de ce système éducatif expliquent la lenteur de la modernisation culturelle des Comores. Pendant longtemps, il n’a existé aucun journal. Rien d’étonnant, donc, s’il ne s’est pas développé de littérature comorienne moderne, ni en comorien, ni en français…. La littérature comorienne moderne reste un projet. 7»

Cependant, à l’époque de ces travaux, un recueil de contes mahorais Mayotte, Légendes et histoires drôles 8, avait déjà été publié en 1986. Peut-être ne le mentionne-t-il pas compte tenu du statut particulier de cette île. Pourtant, il fait référence au roman de Mohamed Toihir, la République des Imberbes, mais rien ne concernait la littérature comorienne comme objet de recherche. Un autre ouvrage plus récent, L’océan Indien dans les littératures francophones9, analyse différents aspects inhérents au particularisme des îles sans jamais renvoyer aux Comores, comme si encore à ce moment là, en 2001, rien n’avait été écrit dans l’archipel. Or, le pays compte à cette date, plus d’une quinzaine de fictions littéraires toutes éditées chez l’Harmattan, sans compter le recueil de poème de Saindoune Ben Ali édité à la réunion, et l’incontournable anthologie de la poésie comorienne compilée par Carole Beckett. Ainsi, si l’on peut, à juste titre s’interroger sur cette absence, au vu de l’infime quantité d’ouvrages publiés par des auteurs comoriens du temps des recherches menées avant les années 2000, considérer comme légitime les oublis concernant la littérature Comorienne, il n’est du moins pas possible en 2009, de faire le même constat sans un certain dépit. En effet, encore une fois, alors que les Comores parviennent à s’imposer en rapportant des distinctions, avec des auteurs de plus en plus reconnus tels que Salim Hatubou, Nassur Attoumani, Nassuf Djailani et d’autres encore, des ouvrages sortent, proposant des travaux sur les littératures francophones sans même évoquer les Comores. Tel est le cas dans La langue française vue de l’Afrique et de l’Océan Indien10 où Martin et Drevet proposent des entretiens avec vingt quatre écrivains d’Afrique noire et de l’Océan Indien mais pas un seul auteur comorien.

7 Joubert, op.cit, p.281 8 SaïdYoussouf, Légendes et histoires drôles, Mayotte, UDIR, 1986. 9 Issur Kumari R., Hookoomsing Vinesh Y., (Sous la direction de.), L’océan Indien dans les littératures francophones, Khartala, 2001 10 Martin Patrice, Drevet Christophe, La langue française vue de l’Afrique et de l’Océan Indien, Zellige éditions, 2009. L’ouvrage a été édité avec le soutien de la francophonie, préfacé par le secrétaire général de la francophonie, Abdou Diouf. 21

Face à ces vides, nous repensâmes cette littérature dans une optique africaine francophone. Là nous trouvâmes un résumé de La République des Imberbes dans le Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française en Afrique au Sud du Sahara11. L’auteur, Guy Ossito Midiohouan présente le roman et en propose un résumé. Il énonce en quelques traits les principales caractéristiques d’écriture en ces termes : « Roman-reportage où la fiction tient une place plutôt mince se présente néanmoins comme une manière de bilan, et le lecteur attentif hésite parfois à entrer dans le jeu.12 » Découlent par là les premiers éléments d’approche de cette littérature, une réalité historique et sociale transposée dans la fiction. Un aspect sur lequel nous nous attarderons dans cette étude, car éléments du réel se superposent à une transfiguration fictionnelle sans pour autant s’inscrire dans le cadre d’une littérature réaliste. Malgré ces pistes de lecture, Midiohouhan introduit sa présentation de l’archipel par : « Les Comores sont un pays aussi méconnu en Afrique que la Guinée Equatoriale, tous deux pourtant membres de l’Organisation de l’Union Africaine. »13

Cette explication rendait compte des lacunes sur les Comores à l’époque où Mohamed Toihir était le seul romancier comorien. En effet, force est de constater qu’encore aujourd’hui, rares sont les ouvrages théoriques traitant de la littérature d’Afrique et/ou des îles, Antilles ou Océan Indien et incluant les Comores. Dans son anthologie des Poètes d’Afrique et des Antilles14, Hamidou Dia ne cite aucun poète originaire des Comores. Or cette anthologie date de 2002. Saindoune Ben Ali a déjà publié Les testaments de Transhumance six années auparavant à la Réunion. Et si en effet, le contexte d’opacité entourant l’œuvre peut justifier cet oubli, il n’en est pas de même pour l’anthologie compilée par Carole Beckett. Celle-ci est publiée en 1995, chez l’Harmattan. En ce sens, les poètes figurant dans cet ouvrage étaient tout à fait à la portée d’Hamidou Dia. Or, aucun ne figure dans son anthologie. Et si l’on regarde de près cette compilation, on ne peut qu’imputer cet oubli à une méconnaissance d’un lieu, d’un pays. Ou être contraint de reconnaître qu’encore une fois, l’archipel des Comores n’a pas été perçu comme appartenant à l’aire culturelle africaine. Une position explicitée par Claire L. Dehon

11 Kom Ambroise, (sous la direction de), Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française en Afrique au Sud du Sahara, volume 2, de 1979 à 1989, L’Harmattan, 2002 12 Guy Ossito Midiohouan signe l’article sur La République des Imberbes. Il propose une analyse succincte et critique de l’œuvre. 13 Idem 14 Hamidou Dia, Poètes d’Afrique et des Antilles, La Table Ronde éditions, 2002 22

dans son étude Le Réalisme africain15. Elle y propose une analyse sur le roman francophone en Afrique Subsaharienne et préfère considérer les réalités de l’océan Indien comme étant différentes de celles du continent, expliquant que : « Il a paru essentiel d’inclure des livres venant du plus grand nombre possible de pays francophones de l’Afrique subsaharienne, laissant de côté toutefois ceux des îles de l’Océan Indien : Madagascar, Maurice, les Seychelles, les Comores et la Réunion parce que même s’il existe des points communs, il y a beaucoup trop de différences culturelles pour tirer des conclusions pertinentes.»

Or si d’un point de vue culturel les différences sont réelles, les rapprochements peuvent l’être aussi. Et d’un point de vue littéraire, on peut considérer aisément que : « Néanmoins, le lecteur familier avec la tradition littéraire française ne peut manquer de questionner l’usage du terme « réalisme » à propos de ces textes. En effet, bien que cela ne soit pas une condition suffisante, il n’y lit de description développées ni de l’environnement, ni du physique, ni de la psychologie des personnages. De plus, il se voit forcé d’accepter comme « réaliste » la magie des sorciers ou le pouvoir des gris-gris dans lesquels il ne croit guère. »16 Ce propos sur le réalisme dans les littératures africaines s’applique aussi bien aux pays du continent que ceux à l’extérieur, dont les Comores.

De toute évidence, soit l’espace comorien n’attirait pas la curiosité des chercheurs francophones qui statuaient de manière approximative à un domaine vide. Sinon comment et pourquoi des auteurs tels que Jean-Louis Joubert, éminent spécialiste des littératures de l’Océan Indien, ne prennent-ils pas le temps d’analyser cette littérature des Comores d’une autre façon qu’en classant en cinq pages, toute une historique des périodes importantes de l’histoire des Comores ? Dans son ouvrage, Les Littératures de l’Océan Indien, malgré une problématique qui s’axe autour des différents aspects et réalisations de l’art littéraire de toutes les îles constituant l’Océan Indien, il n’y a, à proprement parler, que peu de choses concernant les Comores. Ces questions et tant d’autres nous ont alors orienté vers l’ouvrage de Moussa Saïd Ahmed sur la littérature orale des îles, Guerriers, princes et poètes aux Comores dans la littérature orale. Ici, l’analyse des textes oraux apporte une information riche sur le contexte, les faits sociaux desquels découle l’acte de production littéraire, même orale. Parallèlement à

15 Dehon Claire L., Le Réalisme africain : le roman francophone en Afrique Subsaharienne, L’Harmattan, 2002, p.21 16 Idem 23

cet ouvrage, nous avons consulté des manuels historiques ou anthropologiques tels que Traditions d’une lignée royale des Comores où le travail de défrichement entrepris et amorcé par le chercheur Damir Ben Ali avec la collaboration de G.Boulinier et P.Ottino, offre un cadre d’étude de l’histoire littéraire du pays.

Dans la foulée, nous consultâmes l’Anthologie d’Introduction à la poésie comorienne d’expression française17, compilée par Carole Beckett ainsi que l’ouvrage Littérature Orale à Madagascar et aux Comores18, qui proposent un premier contact nécessaire avec l’écriture poétique des îles. Cependant, bien que riches en informations et intéressants du point de vue de l’éventail des productions poétiques et la diversité des auteurs recensés, ceux-ci ne permettent pas une approche théorique des textes compilés. Par contre, le livre de Moussa Saïd Ahmed sur la littérature orale, Guerriers, princes et poètes aux Comores dans la littérature orale nous a été d’un très grand secours car même s’il traite d’un autre aspect de la littérature aux Comores, il nous a permis de cerner certaines des difficultés propres à la littérature écrite comme la diffusion ou le lectorat. S’ajoute à cet ouvrage, le livre de Daniel Ahmed Abdouroihmane qui aurait pu nous être d’une très grande utilité, mais il nous a été impossible d’y avoir accès. A l’époque de nos recherches, La littérature comorienne de l’île d’Anjouan. Essai de classification et de traduction des genres littéraires oraux et écrits 19 n’était pas encore mis à la disposition du public. Au bout du compte, nous dûmes nous rendre à une évidence assez désolante, les ouvrages spécialisés susceptibles de traiter de façon théorique des fondements, des caractéristiques ou autres de la littérature écrite des îles de la Lune ont longtemps été inexistants jusqu’à la parution de deux dossiers lui ayant été consacrés dans les revues Tarehi n°5 en mars et Africulture n°51 en octobre 2002. Chacune propose un rappel chronologique ponctué d’analyses sur ses débuts et ses réalisations, un survol condensé et se voulant exhaustif sur ses différentes postures. Dans les deux revues, ce travail est mené par Soilih Mohamed Soilih, écrivain actuellement président de l’ORTC 20 . Très enrichissants, les constats proposés dans Tarehi donnent les bases, et relayés par les analyses de Daniel Ahmed Abdouroihmane, ils offrent de bonnes pistes de lecture pour les jeunes chercheurs peu

17Beckett Carole, Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, L'Harmattan, 1995 18 Littérature orale à Madagascar et aux Comores, Etudes de l'Océan Indien, Collectif, INALCO / Langues'O 2000, n°32. 19Daniel Ahmed abdouroihmane Café, La littérature comorienne de l’île d’Anjouan. Essai de classification et de traduction des genres littéraires oraux et écrits, Doctorat Etudes Africaines, INALCO, Paris, 4vol, 743p. 20 Office de Radio et Télévision des Comores. 24

connaisseurs ; le deuxième dossier présenté par Africultures dispense une analyse plus poussée de la littérature écrite. Celle-ci semble faire suite à la première ébauche consultable dans le Tarehi. Outre ces deux revues, nous pouvons rappeler les quelques rares travaux glanés de-ci de-là sur internet, notamment sur le site de l’association Mwezinet21. Celui-ci ayant longtemps été la référence en matière de publications sur les Comores, il proposait et propose toujours aussi bien de brefs articles sur divers sujets dont la littérature que des textes d’auteurs comoriens. Encore une fois, ces éléments assez éparses, mêmes instructifs n’apportaient que quelques détails souvent superflus. Bien plus tard, est publiée en 2009, une étude synthétique sur la production littéraire des Comores avec comme point de départ, les différentes étapes de migration dans l’archipel. Un travail présenté par Georges Ngal dans son ouvrage Œuvre critique. Articles, communications, interviews, préfaces et études sur Commande des organismes internationaux 1970-200922 intégralement repris de nos travaux de Maîtrise sur l’émergence du roman comorien francophone23. Il s’agit de notre première ébauche, inspirée des travaux de Moussa Saïd Ahmed, où nous traitons chronologiquement de l’évolution de l’écriture aux Comores et que nous retrouverons plus élaborée au sein de nos présentes analyses. En effet, cette approche n’est pas une analyse critique de la littérature comorienne francophone mais une proposition sur les étapes d’établissements d’une littérature écrite aux Comores, toutes langues d’expressions confondues.

Le constat est bel et bien le même, les Comores n’apparaissent qu’exceptionnellement comme appartenant à l’espace francophone. Et si les travaux publiés avant les années 2000 et se proposant d’analyser les littératures d’Afrique, des Caraïbes et de l’Océan Indien pouvaient occulter les Comores, entendu que le corpus d’étude était alors assez minime, les choses ont beaucoup évolué depuis et l’on serait encore une fois amenée à penser cet oubli comme une forme de mise à l’écart volontaire ou au contraire, le choix de la facilité, car il est vrai que les données sur les Comores sont très dispersées. Pourtant, aujourd’hui, ces données sur la littérature comorienne francophone existent. De façon disparate, certes, mais ciblées, de plus en plus nombreuses et facilement trouvables. Ces données sont le résultat d’études menées par des étudiants et des chercheurs comoriens. C’est donc comme mus d’un besoin pressant d’affirmer et de marquer l’existence de cet

21 www.comores-online.com/mwezinet/ 22 Ngal Georges, Œuvre critique. Articles, communications, interviews, préfaces et études sur Commande des organismes internationaux 1970-2009 23 Djoumbe Thoueïbat, L’émergence de la littérature comorienne francophone à travers le roman, mémoire de Maîtrise présenté sous la direction de Shango-Lokoho Tumba, Septembre 2003 25

archipel, de lui trouver grâce aux yeux de la communauté intellectuelle francophone et au delà, que les jeunes chercheurs, dont nous-mêmes, nous attelons, avec de maigres moyens, à restituer le paysage littéraire des Comores, faisant apparaître le visage complexe de ses écrits. Depuis le début des années 2010, la littérature comorienne d’expression française devient un axe d’étude, un champ d’exploitation propice à l’investigation intellectuelle et un thème de recherche que les étudiants français ou comoriens originaires de l’archipel choisissent d’explorer. Parallèlement, ce gain de sympathie va donner naissance aux premiers travaux de recherches consacrés aux écrits comoriens et mettre le sujet au centre de discussions et même de colloques universitaires24. C’est donc par leur plume qu’il sera peut-être possible d’amener le regard extérieur sur les îles et par la même occasion, de les lier au monde en les inscrivant dans leur contexte de production, insulaire, indianocéane et africain, francophone. Voilà l’une des raisons justifiant du nombre de plus en plus grandissant de mémoires et/ou de thèses consacrées au roman comorien.

Malgré tout, il faudra attendre ces trois dernières années pour voir fleurir les premiers travaux conséquents d’études sur la littérature comorienne avec le mémoire de Saadi Mahamoud25, les thèses de Ali Abdou Mdahoma26 dont un exemplaire nous a été remis à l’issue de la soutenance, celle de Ali Mouhamadi Nassurdine27 disponible sur internet dans son intégralité, ainsi que le travail pionnier d’Abdoulatuf Bacar28. Dans la mesure où nos travaux respectifs ont été entrepris à peu près aux mêmes dates, il nous a été difficile de nous référer aux résultats obtenus et aux déductions formulées par nos collègues et amis. En effet, au moment où nous procédions à nos recherches, eux-mêmes n’avaient pas encore terminé les leurs29. Nous avons donc fréquemment eu recours aux revues énoncées ainsi qu’à certains ouvrages très instructifs malgré leur éloignement de notre sujet.

24 Le colloque « Littérature et violence » ainsi que des séminaires autour de la littérature comorienne ont été organisés dans différents sites de Ngazidja et en partenariat avec l’Université des Comores en Février 2012. Ces colloques réunissaient des auteurs dont Aboubacar Saïd Salim, Saindoune Ben Ali, Mohamed Anssouffoudine et des enseignants et des étudiants. De ces assises est né le collectif Djando la Maandzishi. 25 Saandi Mahamoud, Le roman et la société comoriens, Mémoire de Maîtrise en lettres modernes, dirigé par Monsieur le Professeur Claude Mouchard, Université de Saint-Denis, Paris VIII, 2000 26 Ali Abdou Mdahoma, Introduction à l’histoire du roman comorien de langue française, Thèse de Doctorat Nouveau Régime en Littérature générale et comparée, sous la direction de Monsieur le Professeur Papa Samba Diop, soutenue et présentée publiquement le 29 juin 2011, Université Paris-Est, Créteil 27 Le roman de Mohamed Toihiri entre témoignage et fiction, Thèse de Doctorat en Lettres et arts sous la direction de Michel Schmitt, présentée et soutenue publiquement le 19 novembre 2010, Université Lumière, Lyon 2 28 Bacar Abdoulatuf, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires, Paris, Les Ed. de la Lune, « Littérature et Critiques », 2009 29 Ces thèses ont fait l’objet de publication en novembre 2012. Toutes deux sont trouvables chez L’Harmattan. 26

L’ambition première dans le choix d’un domaine aux abords aussi inexplorés est né d’une démarche assez naïve : nous souhaitions apporter notre petite pierre à l’édifice non pas de la recherche en général, notre prétention n’allait pas si loin, non pas non plus de la recherche dans le monde francophone bien que nous espérons y participer d’une manière ou d’une autre, mais bien plus simplement, et peut-être même tout simplement, à la recherche comorienne. Car d’aucuns demanderont : Quelle recherche comorienne ? Eh bien, dans ce pays où de plus en plus de choses se passent, une université a ouvert ses portes, il y a à peine dix ans. Dix insignifiantes et paradoxalement longues années de tentative d’assise, de rêves d’avenir, de positionnement, de rayonnement. Et pour permettre à cette université qui avance clopin-clopant, d’espérer prospérer, les apports de la recherche seront considérables et en ce sens nécessaires. Voilà pourquoi, nous avons avant tout choisi de travailler sur la littérature de l’archipel des Comores. A cette première raison, s’ajoutent deux autres toutes aussi importantes : l’une d’elle est le désir de parfaire un travail déjà entamé, par de là un chemin auquel nous nous sommes déjà essayée en présentant deux mémoires, l’un sur le Roman comorien d’expression Française30 et l’autre sur la Poésie comorienne francophone. La dernière est de manière plus réaliste la plus pragmatique, nous souhaitions proposer un travail que nous espérons de qualité sur un domaine qui nous touche par nos origines, et parvenir à cette quête personnelle, car nous avons conscience de concevoir ce travail de recherche comme un rite initiatique. Mais n’en est-il pas un pour tout individu ? Car si l’on constate les différentes étapes de la recherche, les modes et les techniques d’investigation mises en œuvre, l’énergie dépensée, les moments de doutes et parfois de découragement, les incessantes remises en question, alors parvenir à terme, au terme d’un tel travail, c’est aussi parvenir au terme d’une initiation. Dans quel but et quelle est la finalité d’un tel passage initiatique ? Chaque individu porte certainement en lui les réponses à cette question car ces réponses sont bien diverses pour chaque doctorant. Ainsi, pour nous même, il s’agissait de procéder à une reconquête d’un patrimoine culturel, à une réappropriation d’une histoire qui nous était totalement inconnue tout en étant notre.

En commençant nos recherches, nous pensions être l’une des rares, si ce n’est l’une des deux seules personnes ayant jeté leur dévolu sur ce domaine, la littérature comorienne. Cela pouvait être vrai en 2001, mais dix années plus tard, ce constat n’est plus de mise. En effet,

30 Mémoire de Maîtrise présenté en 2003 : Emergence de la littérature comorienne d’expression française à travers le roman, Paris III, Université de la Sorbonne Nouvelle 27

autant en 2001, le domaine de la littérature comorienne francophone était encore très peu exploité, autant aujourd’hui, considéré comme un pan fort de la culture comorienne, il connaît un réel engouement. Ce que confirme Daniel Ahmed Abdouroihmane Café en expliquant que : « Pourtant, ressusciter ce patrimoine culturel serait répondre aux attentes de la société comorienne d’aujourd’hui qui cherche son unité.31 » Plusieurs raisons peuvent être décelées à ce gain de sympathie. D’une part, les premiers travaux ne présentaient qu’un aspect de cette littérature : l’oralité, et pour cela il nous faut encore nous référer à l’ouvrage de Moussa Saïd Ahmed32, ainsi qu’à la thèse Daniel Ahmed Abdouroihmane Café33. Au vu des diverses bibliographies citées par les chercheurs, les travaux effectués aux Comores par des étudiants comoriens de l’IFERE, institut de formation, dans le cadre de mémoires sont assez nombreux. Pourtant, il nous a été très difficile si ce n’est impossible de pouvoir les consulter. Il semblerait que de nombreux travaux aient été dérobés au CNDRS (Centre National de Recherches Scientifiques et Musée des Comores). La plupart des archives connues aux Comores, sont regroupées dans le musée. L’autre élément et non des moindres, est la création depuis 2002, de l’Université des Comores. Ce grand bon en avant, pour l’archipel, nécessitait des moyens financiers certes, mais des moyens humains surtout, à savoir des étudiants et des enseignants. Et pour qu’il y ait des étudiants, il fallait aussi que les propositions de formations et donc les cursus soient en adéquation avec les ambitions d’un pays qui souhaite s’affirmer et les aspirations de jeunes étudiants désireux de poursuivre des études tout en travaillant sur les Comores. Une université sans filière littéraire orientée sur le pays d’origine pouvait sembler bancale et en ce sens, il y eut très vite une UFR de Littérature mais malheureusement, une pénurie d’enseignants vraiment diplômés (des docteurs) s’est faite sentir. Cette hypothèse peut se vérifier grâce au parcours de deux jeunes docteurs, Ali Abdou Mdahoma et Ali Mouhamadi Nassurdine, tous deux ayant enseigné aux Comores grâce à leur Maîtrise et leur DEA, mais aucun n’avait le statut ni le diplôme de docteur. Ali Mouhamadi Nassurdine explique lui même à ce propos, que sa thèse34 devenait une :

31 Evolution de la littérature de tradition orale aux Comores. Tarehi - Revue d'histoire et d'archéologie, (Revue éditée par l'association INYA), Mars-Avril-Mai 2002, n°5, p.26 32 Moussa Saïd Ahmed, Guerriers, princes et poètes aux Comores, Dans la littérature orale, Paris, L’Harmattan, 2000 33 Daniel Ahmed abdouroihmane Café, La littérature comorienne de l’île d’Anjouan. Essai de classification et de traduction des genres littéraires oraux et écrits, Thèse de Doctorat nouveau régime en Etudes Africaines, présentée et soutenue publiquement en 2000 à l’INALCO. 34 Le roman de Mohamed Toihiri entre témoignage et fiction, Thèse de Doctorat en Lettres et arts sous la direction de Michel Schmitt, présentée et soutenue publiquement le 19 novembre 2010, Université Lumière, 28

« Proposition aux enseignants comoriens – du secondaire comme du supérieur à qui on demande d’enseigner cette littérature mais sans leur offrir des outils pédagogiques d’accompagnement – d’un certain nombre de connaissances très modestes mais fort utiles pour leurs cours. Expérience difficile que nous avons connue personnellement puisqu’en charge du cours de « Littérature Comparée de l’Océan Indien » à l’Université des Comores durant l’année universitaire 2007-2008, on nous a demandé d’enseigner la littérature comorienne. Heureusement que nous avions alors déjà entrepris cette recherche, faute de quoi – il faut l’avouer – le désarroi aurait été total. »

Ainsi, la littérature comorienne écrite en langue française est devenue, en une décennie, un champ d’exploitation digne d’intérêt. Un intérêt qui va croissant, à l’image du nombre de textes publiés pour la même période. Nous citerons l’ouvrage d’Abdoulatuf Bacar, Comment se lit le roman post-colonial 35, qui offre une approche plus précise des méthodes d’analyse mises en œuvre pour aborder les premiers romans de cette littérature36. Pourtant, il est à regretter que beaucoup de jeunes docteurs ayant travaillé sur la littérature comorienne ces trois dernières années affirment sans cesse être les seuls et les premiers. Nous ne pouvons pourtant pas tous être les premiers même si nous le souhaitions. Pour être honnête, nous sommes actuellement, à notre connaissance, près de six doctorants menant des recherches sur la littérature comorienne de langue française. Sur les six, deux ont déjà présenté leurs travaux.37 De notre côté, nous aurions tôt fait de nous inspirer de leurs recherches si celles-ci n’étaient pas essentiellement tournées vers l’écriture de Mohamed Toihiri ou de Mohamed Toihiri et d’Aboubacar Saïd Salim.38 Il s’agit quant à nous de proposer une analyse synthétique sur un éventail le plus large possible de ce qui constitue la littérature comorienne d’expression française. Prospection

Lyon 2 35 Bacar Abdoulatuf, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires, Paris, Les Ed. de la Lune, « Littérature et Critiques », 2009 36 Ce travail analyse les résonnances entre littérature et histoire dans le contexte post colonial mais aussi les différences existant entre les romans La république des imberbes de Mohamed Toihir et Le Bal des Mercenaires d’Aboubacar Said Salim, les deux textes constituants le corpus d’étude. 37 Ali Abdou Mdahoma, Introduction à l’histoire du roman comorien de langue française, Thèse de Doctorat Nouveau Régime en Littérature générale et comparée, sous la direction de Papa Samba Diop, soutenue et présentée publiquement le 29 juin 2011, Université Paris-Est ; Ali Mhoumadi Nassurdine, op.cit 38 Abdoulatuf Bacar, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires; Abdou Ali Mdahoma, Littérature comorienne : l’esthétique du combat dans La République des Imberbes, Le Kafir du Karthala de Mohamed Toihiri et dans Et la graine… d’Aboubacar Said Salim. Ces deux études proposent une analyse à partir des textes de Mohamed Toihiri et Aboubacar Saïd Salim qui s’illustrent, dans les débuts, comme les porte-drapeaux de la fiction romanesque à vocation historique. Les hypothèses formulées n’englobent que les textes cités. 29

génétique, hypothèses sur les origines, parallélismes entre création fictionnelles et réalités historiques et sociales, étude et essai de classification par genre, intertextualité et microcosme textuel insulaire, autant d’aspects à l’origine de notre travail. Des aspects pluri formes et pourtant bien orientés et alignés sur une seule problématique : qu’est ce que la littérature comorienne francophone ? Une interrogation cruciale à l’origine de sous questions à finalité unique : donner à voir, décrire, analyser et révéler les correspondances inhérentes à cette littérature en gestation. Une interrogation faisant suite logiquement à une question préalable, à savoir, cette littérature existe-t-elle ? Le travail proposé laisse d’emblée entendre la réponse, car peut-on faire l’étude d’une matière sans la matière elle-même ? En cela, les questions de l’aspect, de la forme et des sources vont permettre de tracer la carte d’identité de cette littérature. Ainsi pour finir, comprenant qu’il était impossible, comme pour de nombreux pays, de parler de littérature comorienne francophone sans connaître, au préalable, certaines données relatives à l’Histoire des îles mais aussi à leur culture, nous nous sommes orientée vers des manuels historiques comme Etat Français et Colons aux Comores (1912- 1946) 39 , L’Eloquence comorienne au Secours de la Révolution, Les discours d’Ali Soilihi (1975- 1978)40, Les Comores, quatre îles entre pirates et planteurs, Les Comores ; sociologiques, Les Comores, l’enclos ou l’existence à la dérive, les Comores, Guide culturel ou anthropologiques tels que Traditions d’une lignée royale des Comores de Damir Ben Ali. En effet, tel que nous le verrons plus loin, l’une et l’autre entretiennent des rapports si étroits que l’on ne peut prétendre parvenir à cerner certaines des notions clés de la littérature, à entrevoir ses principales réalisations, ses enjeux ainsi que ses origines thématiques sans puiser dans l’histoire coloniale et surtout post coloniale des îles. Comme on le lit dans écrire en pays colonisé, « Il est incontestable que pour ces écrivains, dès l’origine, l’écriture est d’abord, en soi, un refus symbolique du silence, une contestation symbolique du monopole du pouvoir établi sur la parole, un désir d’exister, la revendication d’un droit de la parole, en quoi c’est un acte politique implicite. »41

39 Ibrahime Mahmoud, Etat Français et Colons aux Comores (1912- 1946), L’Harmattan, 1997,152p 40 Lafon Michel, L’Eloquence comorienne au Secours de la Révolution, Les discours d’Ali Soilihi (1975-1978, L’Harmattan, 1995, 224p 41 Guy Ossito Midiohouan, Ecrire en pays colonisé, Paris, L’Harmattan, 2003 30

Objectifs et orientations méthodologiques : Orientations méthodologiques Il peut sembler étrange d’étudier ou de se poser des questions sur une matière inexistante. La philosophie nous apprend prioritairement toute une méthode de réflexion à partir et inspirée du langage. La première étape consiste à nous faire comprendre que pour qu’une porte soit nommée porte, l’homme a eu conscience de cet objet et s’est trouvé dans la nécessité de le cataloguer. Ainsi pour nommer : « l’ensemble des œuvres littéraires d’une nation, d’un pays, d’une époque 42», on a opté pour le mot littérature en français, parce qu’ayant conscience de la chose, elle a été ainsi étiquetée. Mais alors, s’il n’existe pas de terme pour définir ou plutôt qualifié une chose, cela signifie-t-il que cette chose n’exista pas dans les consciences collectives ? Cette question nous a longtemps préoccupée car, malgré de nombreuses recherches, nous n’avons pu trouver d’équivalent comorien pour désigner le mot littérature et par conséquent, la littérature des Comores, tel que le Larousse Encyclopédique le définit ci-dessus. Pourtant les œuvres littéraires existent en quantité importante dans des formes littéraires appartenant à la fois à l’oralité et à l’écriture. Ces œuvres se regroupent sous des genres précis et nommés sans être désignés par un terme unique à fonction paronymique. Cependant, même s’il n’existe pas d’équivalent comorien pour parler de littérature, nous avons pu, grâce à Daniel Ahmed Abdouroihmane, comprendre et voir quelle était l’acception pouvant au mieux se rapprocher de cette notion. Ainsi le terme « adabu » en comorien, terme qui recoupe plusieurs définitions, et qui d’une première signification qui est « le respect, la politesse, les règles de bienséance » a, au fil des temps, évolué pour signifier « l’art d’écrire et les effets qui se révèlent à travers cet art ».43 Avec une certaine noblesse, la littérature comorienne serait en Shikomori, « Adabu ya ki Komori ». Malgré cette proposition, la question de la désignation n’est pourtant pas résolue. En effet, le terme envisagé par Daniel Ahmed Abdouroihmane peine à percer dans les milieux littéraires et lors des conférences, les intervenants utilisent plus couramment le mot français, littérature. Cependant la réflexion se poursuit. En avril 2012, lors d’un séminaire organisé au Mouzdalifa House de Moroni44, en partenariat avec l’Université des Comores, les membres du Collectif Djando la Wandzishi45

42 in Le Larousse Encyclopédique en Couleurs 43 Daniel Ahmed Abdouroihmane (Café), Evolution de la littérature de tradition orale aux Comores, Dossier : La littérature comorienne, in Tarehi - Revue d'histoire et d'archéologie, Mars-Avril-Mai 2002, Inya Coelacanthe, N°5, p.29 44 Lieu culturel servant à accueillir des discussions, des expositions et des artistes, situé à Moroni, dans la capitale. Crée par Soeuf Elbadawi, il a vocation d’être un lieu d’échanges. 45 Collectif d’auteurs et de chercheurs originaires des Comores. Le collectif s’est constitué durant le mois d’avril 2011, sous l’impulsion de Soeuf Elbadawi, Saindoune Ben Ali et Anssoufouddine Mohamed. 31

parlaient de Uwandzishi ya ki Komori, le terme uwandzishi, parce qu’il est comorien en tant que dérivé de uandziha (écrire) renverrait ainsi à « littérature ». Mais là encore, d’aucuns lisent dans uwandzishi, l’acte d’écriture et traduisent le mot par « écriture », plutôt que « littérature ». Si les suggestions s’ajoutent et s’annulent, elles montrent du moins l’intérêt de plus en plus grandissant, pour les auteurs, de construire un cadre pour les écrits comoriens, peu importe la langue d’expression. Elles soulignent ainsi la volonté d’inscrire un patrimoine identitaire à l’art écrit, de poser des mots sur des réalités mal identifiées.

Cette question du terme éludée, constatant que l’absence d’un terme générique ou d’un hyperonyme ne freinait aucunement la création, nous avons entamé nos recherches. Nous avons alors décidé d’analyser la littérature comorienne selon une méthode descriptive afin de parvenir à en donner les principales caractéristiques ainsi que les principaux genres qui la fondent. Mais cette démarche, nous avons choisi de l’appliquer en tentant de répondre à cette question qui nous paraît fondamentale : quelle est la place de la littérature écrite comorienne d’expression française dans un univers où l’art littéraire s’exprime par la parole et dans une langue bien autochtone ? Autre question importante, sous quelle forme apparaît cette littérature à savoir quels visages emprunte-t-elle pour exister ? Dans la perspective d’une tentative de théorisation, plusieurs champs d’exploitations ou domaines étaient à prendre en compte. Sans quoi, les hypothèses formulées pouvaient s’avérer essentiellement superficielles et donc profondément factices. Parmi ces domaines, deux nécessitaient une attention particulière, le principe génétique et la notion d’intertextualité. Car comment appréhender un espace littéraire donné, dans son fond comme dans sa forme sans la juste mise en rapport-relation, entre les éléments de sa littérarité et ceux de sa littéralité ? Entendu ici qu’il s’agit bien de distinguer d’abord les constituants non pas d’une œuvre littéraire propre à un auteur en particulier, mais d’un ensemble d’œuvres littéraires d’un espace précis. Cette volonté aux abords particulièrement stimulant dans les principes d’élaboration, trouve rapidement ses limites, encore une fois dans notre domaine. Peut-être est-ce finalement l’espace dans lequel nous évoluons (la France) trop éloigné de l’espace sur lequel nous travaillons (les Comores), ou tout bonnement des réalités de moyens restrictives, le fait est que dans le contexte de nos recherches, l’approche génétique n’a pu être prise en compte. Savoir si d’aucuns écrivent par impulsion subite ou au contraire sur la restitution d’un canevas décidé préalablement aux premiers mots, peut s’avérer une question

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importante pour le chercheur que nous sommes. Avoir accès aux différents brouillons sur lesquels les ébauches, les corrections, les annotations, les ratures et autres éléments révélant l’hésitation, la réflexion et la maturation d’une idée, d’une phrase chez l’écrivain est nécessairement enrichissant notamment dans le cadre de nos recherches où l’auteur, résultat de deux idéo langages distincts (sa langue maternelle et sa langue d’écriture, avec la capacité de dédoublement que cela induit) aurait certainement révélé des mécanismes spécifiques. Bien évidemment, tout cela n’étant que supposition, nous sommes du moins dans l’impossibilité d’approcher l’avant œuvre, le texte dans son évolution, sa genèse. Déplorant ce fait, aurons-nous du moins la franchise d’admettre qu’un tel travail d’inspection, de débroussaillement et de reconstitution nous aurait été impossible dans l’état actuel des choses, le temps n’étant pas étirable. Impossible si du moins, il existait réellement des ébauches, des plans, des ajustements et que savons nous encore, preuve d’un intense travail de réflexion sur une œuvre. Quant à l’intertextualité, celle-ci beaucoup plus perceptible car, forcément plus visible du fait de son existence dans une œuvre, amène à une ouverture du champ littéraire au delà des frontières insulaires. Nous permettant d’aboutir à la mise en forme de deux traits distinctifs de cette littérature : si les thèmes abordés restent profondément comoro-comoriens pour une très grande majorité des œuvres, les références littéraires amenant au traitement de ces thèmes sont elles, essentiellement étrangères aux Comores. L’intertextualité justifiant la naissance d’une œuvre dans et après d’autres œuvres est ici étrangement exhibée, soit comme la signature de l’appartenance à une idéologie, une vague littéraire comme dans le cas de Saindoune Ben Ali qui, par sa référence à Sony Labu Tansi, s’inscrit dans une textualité formelle dis-codfiée , ou encore celui de Sadani Tsindami faisant écho à Patrick Chamoiseau ; soit comme l’adaptation du traitement d’une théorie poétique sur un champs personnel, les Comores avec Elbadawi et sa constante référence, devenue quasi obsessionnelle, à Glissant et son approche de l’altérité. Nous citerons ces trois auteurs-poètes, du fait du questionnement à la littérarité du texte poétique induite par leurs différents textes.

Cadre de la recherche : Ces chiffres, bien qu’approximatifs restent, à priori, très proches de la vérité. Le calcul part d’un comptage réel effectué sur tous les titres publiés, toutes maisons d’édition confondues, recueillis dans différents sites internet, glanés auprès d’écrivains eux mêmes ou chercheurs, ayant en leur possession des livres aujourd’hui introuvables, comme pour le

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recueil de nouvelles sans titre publié par l’ASEC. Nous avons ainsi comptabilisé l’ensemble des titres de fiction comorienne ou de recherches sur la littérature, puis les avons classé par genre. Nous nous sommes aidée, pour cela, de quelques ouvrages (infimes), non répertoriés sur le site de mwezinet et avons effectué nos calculs principalement à partir de la liste répertoriée sur ce site. A notre connaissance, ce site semble la référence la plus complète d’un point de vue bibliographique sur les créations littéraires comoriennes. Régulièrement actualisé, il fait l’inventaire de toutes les productions liées aux Comores, indépendamment des recherches et des études universitaires qui n’ont pu faire l’objet d’une publication. Nous émettons donc nos réserves seulement parce qu’il n’existe malheureusement pas de base de données précises sur ce sujet. Le champ d’analyse se veut exhaustif, dans la mesure du possible. Il s’échelonne de 1985 date de parution du premier roman, à aujourd’hui, en 2011, date à laquelle nous achevons nos travaux. Cette étude survole ainsi vingt six ans d’écriture comorienne francophone, entre fictions littéraires, écrits poétiques et réflexions essayistes. Nous envisageons ainsi toute la production littéraire de ces 26 dernières années. Cependant, dans ce cas précis où le corpus compte 151 ouvrages, tous genres confondus, nous délimitons un corpus général et un corpus plus restreint à partir duquel nous développons nos hypothèses. Si toutes, pourront s’appliquer à l’ensemble du corpus, certaines œuvres retiendrons davantage notre attention. Soit pour les possibilités de lecture qu’elles nous ont semblé proposer, soit pour les questions d’ordre sociales et historiques qu’elles soulèvent de façon plus incisive, ou bien encore pour les questions d’ordre esthétiques dont certaines se font ou non l’écho. Les écritures étant variées, certains de nos choix sont nés aussi d’un arbitraire mais parfois et bien plus souvent, de la facilité ou non à nous procurer les ouvrages. Le corpus général englobe, comme nous le signalions, toute la production littéraire en langue française de la parution du premier roman à nos jours, qu’il s’agisse encore une fois de théâtre, de contes, de romans, de nouvelles, d’essais ou de poésies. En effet, notre démarche consiste à proposer des pistes de lecture et d’analyse sur une littérature encore jeune. Le corpus restreint compte cinquante trois titres pour vingt huit auteurs classés ici par ordre alphabétique : ABDELFATAH Nadjloudine, ABDILLAHI Mistoihi, ABDULHALIM Mohamed Elamine Said, AHAMADA-M'ZE Faoudine, AHMED ABDALLAH Patrice, AHMED Ibrahim, ALLAOUI Halidi, ANSSOUFOUDDINE Mohamed, ATTOUMANI Nassur, BACO Abdou Salam, BARWANE Ibrahim, BEN ALI Saindoune, DJAILANI Nassuf, ELBADAWI Soeuf,

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HALIDI Adjmaël, HATUBOU Salim, HOUMADI Andhume, MAB ELHAD, MOUHTARE Touhfat, NOUR DINE, RIDJALI Ambass, SAID MOHAMED Abderemane (Wadjih), SAID SALIM Aboubacar, SAST Said-Ahmed, SOILHABOUD Hamza (Soilih Mohamed Soilih), TOIHIRI Mohamed, YOUSSOUF Ibrahim. A savoir que sur les quarante neuf auteurs du corpus général, vingt et un n’ont pas donné caution à une analyse poussée de leurs écrits. Certains sont vus dans un ensemble et servent d’illustration à certains propos sans amener d’étude approfondie sur les textes. C’est le cas de Kokomoina Bacar Tabibou ou Mahamoud M’Saidie. D’autres sont cités en référence bibliographique mais n’apparaissent qu’allusivement dans notre propos. D’une part parce qu’il nous a été impossible de nous procurer leurs livres ; à l’exemple de Kamaroudine Abdallah Paune, pour lequel nous n’avons pu retrouver la trace de ses deux recueils de poèmes46. D’autre part parce que les textes s’incluaient dans des analyses proposées et amenées par d’autres œuvres jugées plus riches, aussi bien du point de vue de la forme que du fond. Tel est l’exemple de l’Enfant meuble de Ali Massimia. L’objectif restant essentiellement le même durant toute notre étude, proposer des hypothèses d’ensemble tout en relevant les principaux ponts communs et les importantes divergences. Le corpus général compte ainsi tous les ouvrages de création littéraire écrits par des auteurs originaires des Comores et publiés de 1985 à 2011. Il englobe l’ensemble des titres relevés et répertoriés en annexe tandis que le corpus restreint s’appuie sur les ouvrages auxquels nous revenons souvent soit dans l’analyse d’un point, soit par l’importance des possibilités de lecture qu’il nous propose. Dans ce corpus restreint sont aussi regroupés quelques textes à l’écriture quelque peu mal assurée mais dont l’intérêt repose justement sur ces manques et maladresses. Il en est ainsi pour la pièce de théâtre Honneur ou bonheur47, ou bien Aux villages de l’Océan48.

Progression de l’analyse Le postulat du développement avancé de la littérature comorienne francophone s’avérant nul, nous l’avons repensée naissante. En partant de l’idée d’une littérature neuve, nous avons choisi d’orienter notre analyse vers une démarche inspirée d’une approche

46Abdallah Paune Kamaroudine, Et le soleil se lèvera 2 et Partages, Collection SAJAT, 2006 et 2002 47 Mistoihi Abdillahi, Honneur ou bonheur ? ,Levallois Perret, Éditions de la Lune, 2006 48 Ahmed Ibrahim, Aux villages de l’Océan, Tananarive, Print Express, 2004

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sociologique et anthropologique. De là découle l’orientation donnée au découpage de notre étude, à la hiérarchisation de notre réflexion. Nous avons alors décidé d’analyser la littérature comorienne selon une méthode descriptive afin de parvenir à en donner les principales caractéristiques ainsi que les principaux genres qui la fondent. En effet, à la question comment se manifeste la littérature comorienne d’expression française, nous ne pouvions, pour y répondre, que nous questionner, dans un premier temps, sur ses origines, ses influences et son évolution. Nous y analysons donc le rôle encore très vif et important de la littérature orale dans la société comorienne ainsi que les débuts difficiles de la littérature écrite, ses sources, les premières apparitions et enfin les difficultés auxquelles elle est confrontée. Cela nous amène à constater le rapport entre littérature orale et littérature écrite comme étant la cohabitation entre deux phénomènes sociaux, tradition et modernité. Ensuite, dans le cadre d’une littérature émergente aussi marquée par les évènements politico historiques du pays d’origine et le rapport attraction/répulsion des traditions, l’analyse des faits socio-culturels et historico politiques s’avérait plus que nécessaire, justifiant ainsi notre deuxième partie. Nous abordons ici la question de la place de l’intellectuel comorien dans une société aux structures très codifiées, où la place de la communauté et des lois imposées par celle-ci priment sur les aspirations individuelles. Pour cela, révéler les structures de classes d’âge et la hiérarchisation sociale induites par la tradition allait de soi pour mieux appréhender le contexte d’inspiration, de création et de réalisation littéraires dans lequel évoluent les auteurs et où ils puisent leur matière. Par conséquent, afin d’éviter de grandes ruptures dans l’analyse, cette deuxième partie propose un regard sur les sujets directement puisés ou nés du contexte de la société comorienne comme la anda, le système des classes d’âges, l’Islam comme religion et la place de l’intellectuel, notamment les rôles et visages de la femme. En effet, il s’agissait de rendre la consultation de cette étude la plus aisée possible et dans ce cas, rien d’étonnant à ce que la dernière partie n’aborde qu’allusivement le anda, bien que celle-ci questionne les représentations fictionnelles. Notre troisième partie prospecte autour des objets majeurs, des thèmes et motifs dominants, des enjeux et de l’esthétique littéraire comoriens francophones. Cependant, ne pouvant toujours dissocier les thèmes, des orientations et des enjeux, sans créer de limites superficielles, les parties se répondent parfois dans un système de mise en parallèle. Ainsi, comme nous le précisions plus haut, il nous aura été inévitable, dans la deuxième partie, de traiter du rapport de la femme dans la question du rapport entre l’individu et société et d’y insérer les hypothèses concernant les thèmes qui lui sont liés. En somme, notre troisième

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partie se fonde sur des conceptions purement littéraires à savoir, stylistiques, donnant à lire la littérature comorienne d’expression française comme étant à l’origine d’une dynamique de création et de modernité littéraires. Il s’agit de voir comment les différents genres qui la constituent font d’elle un art en mouvement, comment à travers eux, cette littérature se précise et mâture et se poursuit, se liant à des questions d’identité notamment par la poésie et de revendications politiques, dans les récits. Ces questions identitaires passent par le prisme poétique car, la poésie, bien plus que les essais ou les récits, mène ou permet aux auteurs de s’interroger sur la question d’une esthétique littéraire Washikomori. Une question qui, au vu des différents textes, prend des allures d’affirmation identitaire où, comme nous le rappelons, la poésie ou le récit hybride (essai poétique, poème prosodique ou récit poétisé) deviennent les lieux communs d’explorations stylistiques. Ces explorations, nous le verrons, s’imposent comme des cris de guerre ou de ralliement s’attelant à dompter la langue française au point d’en aliéner de façon systématique, la limite des genres, proposant une hybridité textuelle se voulant l’interface d’une libération, peut-être coloniale.

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PARTIE I

LA LITTERATURE COMORIENNE, ENTRE TRADITIONS ET MODERNITE

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I. LA LITTÉRATURE ORALE

I.1 Une littérature prédominante

À travers quelques constats historiques et quelques dates, nous nous sommes aperçu que la littérature orale des Comores, très prolifique était aussi très ancienne. En effet, les textes existant, riches et variés, dénotant d’une grande beauté artistique où se mêlent l’art et la matière mais aussi la manière, renvoient à des époques différentes de l’histoire de l’archipel. Par les chants, les hymnes à la joie, les mahadith (récits et mythes populaires) et autres, cette littérature permet de cerner les mouvements et variations de l’histoire contemporaine comme ancienne. En témoigne le célèbre idumbio (chant funèbre) intitulé Masimu chanté par Zema Bwana en hommage à son fils. Ce chant, qui date du début du 20ème siècle, célèbre le courage de Masimu face au colon. Il actualise un fait historique dont on ne parle guère, la lutte de l’illustre fils pour préserver l’autonomie de sa région. Au delà, il offre une rétrospective sur les luttes menées par les comoriens, contre l’envahisseur français, pour préserver leur autonomie au début du XXème siècle. De cet épisode, ne subsiste que ce chant douloureux d’une mère à son fils. Encore aujourd’hui dans le contexte traditionnel, écrire un poème provient avant toute chose de l’art de le transmettre, c'est-à-dire de le déclamer et parfois même de le chanter ou de le conter. La littérature comorienne ne se lit pas. Dans un premier temps, elle s’écoutait, s’apprenait, se racontait. Par la suite et ce depuis peu, elle s’est gravée sur le papier tout en étant actuelle et actualisée lors des différentes manifestations auxquelles elle est liée. Les Comores disposent ainsi dans un premier temps d’un art purement et simplement oral. Comme le rappelle Daniel Ahmed Abdouroihmane : «La notion de littérature a été étendue par les ethnologues aux productions orales. »49 Nous pouvons poser un regard particulier sur l’idée d’une littérature où le support livre ne serait pas indispensable. Car, nous constatons que la grande majorité de la littérature comorienne n’est pas écrite et qu’au contraire, elle est chantée, récitée, proclamée, clamée etc. Tous ces verbes ont trait à la parole. Ils traduisent le côté spectaculaire de cet art. Ils rendent compte d’un fait important : c’est que cette littérature, du fait de son oralité, exige bien une maîtrise de la langue alliée à des techniques esthétiques rigoureuses et des codes imposés par

49 Daniel Ahmed abdouroihmane Café, Inventaires des genres de la littérature comorienne. Tarehi, Dossier : La littérature comorienne, Mars-Avril-Mai 2002, N°5, revue éditée par Inya, p.27 39

l’art lui-même. En effet, tout le monde ne peut s’improviser orateur et être accepté comme tel par l’assistance. L’art de la parole, l’acte d’orateur est un privilège conféré à ceux que la société traditionnelle accepte d’élever. Et en tant que signe de distinction, ne sont habilités à manier la langue en public, que ceux reconnus par la société, comme étant dignes d’être écoutés. Cette société est elle-même élevée au dessus des autres par le statut que confère la notabilité. Des genres spécifiques tel que le umbio (chant de bénédiction), ou le shinduantsi (rhétorique de la généalogie) lui sont réservés. La parole et l’art qui en découle sont certes profanes et mouvants, mais ils se chargent dans de nombreuses occasions, d’une aura sacrée, car structurés et considérés comme liés intrinsèquement à la société. L’importance et la variété des genres oraux ajoutés à la langue, dans le sens du code verbal d’échange commun à tous les comoriens, font de cette littérature le socle de la littérature comorienne. Ici, nous nous proposons d’exposer dans un premier temps, l’art oratoire des îles de la Lune. Nous verrons ainsi d’une part le genre oral comme mode d’expression littéraire privilégié et commun à tous, puis nous nous intéresserons à ses différentes réalisations

I.1.1 Littérature orale et/ou tradition orale

Il semble encore assez difficile de parler de littérature lorsque ce qui est désigné sous ce terme assez générique n’est pas écrit. Mais comme nous l’avons signalé, bon nombre de chercheurs ont défini, théories à l’appui en quoi il est nécessaire d’inclure les chants, poèmes et autres genres issus de la parole et qui rendent compte d’un patrimoine culturel ainsi que de l’histoire du pays comme les composantes d’une littérature orale. Passée de mode l’idée réductrice que seuls étaient considérés comme appartenant à la littérature, les textes écrits, la tradition orale peut alors offrir différents corpus littéraires et servir de champ d’analyse. En effet, les idées conditionnant l’hégémonie et la supériorité d’un état en avance sur un autre par le fait que l’un disposât et fasse acte de graphie, deviennent désuètes. Nous sommes soulagé de faire l’expérience de la réhabilitation de la richesse des cultures africaines même si celles-ci n’avaient pas recours à l’écriture et justement parce qu’elles n’en avaient pas recours. Là où la difficulté se fait sentir quant à ce regroupement, c’est qu’il n’est pas possible de parler de tout ce qui a trait à la vie communautaire, sociale et culturelle dans l’espace de l’oralité comme étant la réalisation d’une littérature orale. Il ne s’agit donc pas de déclamer les choses ou de les dire pour que l’on soit dans le registre d’une littérature dite orale. On peut 40

donc parler d’oralité dans le principe de faire acte de la parole et de verbaliser des idées au sein d’un discours, sans pour autant parler de littérature orale au sens d’esthétique du langage. Il y a alors une distinction bien particulière à faire entre les deux. Cette distinction, G.Calame- Giraule la propose lorsqu’elle distingue littérature orale et tradition orale. Elle nous explique que la tradition orale est : « L’ensemble des messages qu’un groupe social considère avoir reçu de ses ancêtres et qu’il transmet oralement d’une génération à l’autre. »50

Elle annule ainsi les amalgames entre tradition et littérature rendant à cette dernière toute sa part esthétique et rhétorique. En effet, la littérature serait alors une partie de cette tradition orale puisqu’elle participe pleinement à reconstituer le patrimoine culturel et social des îles sous des formes et des aspects bien propres à chaque genre. La littérature orale correspond à ce qui serait la « mise en forme, réglée par un code propre à chaque langue et à chaque société, d’un fond culturel. »51 Elle se réalise en respectant des règles prédéfinies par cette même société. Un hale sera reconnu et appelé hale lorsqu’on retrouvera, dans un récit donné, toutes les caractéristiques qui lui sont propres. Idem pour d’autres genres. Il y a alors des espaces, des techniques, des styles et des mouvements à respecter pour chaque aspect ou genre littéraire. Cette thèse est défendue par J. Fribourg lorsqu’il met en avant les trois points essentiels caractéristiques de la littérature orale. Le premier provient du fait de sa transmissibilité. Elle se transmet oralement dans une société donnée : « des patterns, des moules propres au groupe qui les emploie. Ce qui ne veut pas dire qu’elle se transmet telle quelle. La littérature orale, comme tout fait culturel, est mobile, dynamique ; mais ces changements ne se font pas n’importe comment, ils se moulent bien souvent dans des formes existantes, et quelquefois les débordent. Le fait que ces formes, ces patterns, soient utilisées n’empêchent pas la créativité : dans l’utilisation des formes fixées, il y a place pour l’improvisation, pour le style de celui qui s’en sert. »52

La beauté du texte dépend de l’artiste, le conteur, poète ou autre, qui, disposant d’une part importante de liberté au niveau de l’improvisation, peut recréer le texte oral tout en respectant les principales caractéristiques du genre qu’il exploite.

50 Calame-Giraule Geneviève, Pour une étude ethnolinguistique des littératures africaines. Langage, 1970, n°18, p.23 51 Id. 52 Fribourg Jeanine, Fêtes à Saragosse, Paris, Institut d’ethnologie, Musée de l’homme Editeur.1980, p.15-51 41

Le deuxième point rend compte du fait que « chaque genre de cette littérature a ses règles, et notamment ses interdits. »53 Comme nous le disions plus haut, une forme appartient à un espace donné, à un moment ou événement précis. Ainsi, « on ne dit pas telle forme de littérature orale n’importe où, n’importe quand, à n’importe qui. »54 Ce point est encore plus vrai dans le contexte d’une société aussi hiérarchisée qu’est la société comorienne. Avant d’énoncer le troisième point, citons l’exemple du shinduantsi afin d’éclairer notre propos. Nous l’évoquions plus haut, le shinduantsi à la fois art et manière de décrire la généalogie d’un individu, est aussi le principe même de cette généalogie (du verbe pvindua, retourner, remuer, et du sème ntsi, la terre, littéralement : remuer la terre. Le préfixe shi traduit le fait de faire quelque chose à la manière de…, shindua, le fait de retourner). L’ensemble se définirait par généalogie, et si l’on inclue l’essence même de ce genre, à savoir, faire l’éloge de la lignée des hôtes d’un mariage, il sera de bon ton de l’identifier comme étant, l’esthétique généalogique. C’est lors des cérémonies du Anda que l’on fait appel à un orateur afin que celui-ci dresse un portrait élogieux des familles des mariés. Ce portrait se veut une glorification des lignées respectives des époux en essayant de les rattacher au mieux, même à l’aide de quelques artifices et ajouts, à des évènements plus ou moins véridiques de l’histoire des îles. Le généalogiste les liera aux anciens chefs guerriers ou aux familles de sultans, mais surtout aux grandes lignées matriarcales des Comores, les hiniya et si possible à la famille du prophète Muhammad (pbsl). Cet orateur, doit au préalable être reconnu comme étant digne par son statut et sa prestance de s’adresser à l’assemblée des convives. Ce statut lui est automatiquement conféré par ses pairs en tant que notables car lui aussi aura des années auparavant cela, accompli le rite du Grand Mariage sur lequel nous revenons plus loin. Son talent fera alors de lui un orateur d’exception et cette qualité sera reconnue le jour même car, assisté seul de sa voix, il n’aura de cesse de haranguer la foule attentive, couvrant d’éloges les noms des ancêtres de ses hôtes. Son mérite se quantifiera aux nombres de billets de monnaie que l’assistance viendra lui remettre. En effet, l’orateur est encouragé par la foule de ses congénères dont nombreux, pour saluer son éloquence, accourent lui faire don de quelques billets de banque. Le troisième point concerne l’auteur qui demeure la plupart du temps complètement

53 Id. 54 Ibid. 42

anonyme. S’il a été connu un jour, il est vite oublié car supplanté par les autres, ceux qui transmettront le texte oral avec leur propre savoir faire. En règle générale, cet auteur est souvent inconnu du public qui se charge de reprendre la parole transmise, l’acte de reconstitution du texte oral et d’en faire sien. Au fil du temps, le poème chanté ou déclamé aura visité tant de lieux, tant d’espaces qu’en reconnaître l’artiste devient impossible. Il appartient alors au groupe, à la communauté, à l’ensemble. Ce fait est décrit par Daniel A. Abdouroihmane qui reprend l’explication de J.Fribourg au sujet d’une littérature non plus dite orale mais plus particulièrement appelée littérature populaire. L’auteur n’est plus un individu donné mais une société, un peuple qui, fort de cette tradition s’efforce de la contenir.

I.1.2 Une littérature de tous les instants

a) Les chants, rythmes des grands moments de la vie

Le système éducatif traditionnel comorien renvoie aux différents modes et modalités de réalisations de l’art oral. Développant le rapport logique de la métonymie, la littérature orale prend vie dans le système d’évolution de l’individu au sein de la société et, par effet d’absorption, identifie elle-même ce système d’évolution. Elle en définit les contours par le principe même de son essence. Les chants rythment tous les moments de la vie des comoriens. A l’image du Mawlid, qui désigne à la fois le livre où sont confinés les chants religieux retraçant la vie et la généalogie du Prophète Muhammad (pbsl), la lecture ou la récitation de ces chants dans un contexte bien défini, et la fête qui réunit généralement un groupe d’hommes, de nombreuses cérémonies sont à elles seules : le poème récité ou mis en musique, la danse exécutée et la situation dans laquelle le chant sera réalisé. L’exemple du Sambe55 est significatif. Ce terme polysémique renvoie au chant, à la danse et à la situation d’exécution des deux mouvements. A ces trois éléments, devenus indissociables pour la réalisation d’un exercice oral, s’ajoutent parfois l’espace et le temps. Pour exemple, le twarab se joue toujours un samedi soir, sur la place publique du village et implique des chansons accompagnées par des instruments de musiques. Cette manifestation prisée est maladroitement apparentée au concert, or il n’en est rien. Afin d’être plus claire, nous

55 Le sambe est l’une des danses les plus populaires de la Grande Comore, ce qui confère au chant d’accompagnement une place de choix dans la mémoire collective. En effet, toute personne ayant assisté au ânda connaît invariablement ce chant, et ce qu’il soit issu des milieux ruraux ou non. Il existe cependant plusieurs versions en ce qui concerne les couplets mais le refrain demeure invariablement le même.

43

pouvons dire qu’on peut assister à différents concerts : de rap, de rock, de jazz etc… mais comme pour l’opéra, le twarab représente un type de concert spécifique. Il n’y a pas de twarab de mgodro, ou de twarab de hip hop, ou encore de twarab de sambe. Le twarab comme le sambe, comme le ukumbi, comme le mgodro est un tout clos. Globalement, ils sont tous avec et dans leurs spécificités, à la fois une danse, un chant, et un mouvement/événement délimité dans un espace et un temps donné.

Ainsi, le chant englobe la vie communautaire au quotidien. Toutes les cérémonies traduisent les grands moments de la vie des Comoriens. Ces moments, la naissance, la circoncision pour les garçons, l’introduction dans un groupe générationnel, s’apparentent à des passages initiatiques et sont ponctués par des chants et des poèmes. Comme l’explique Moussa Saïd Ahmed : « La poésie orale sous toutes ses formes exprime en permanence la vision du monde, telle qu’elle est conçue et véhiculée par les populations villageoises. […] Rien n’est créé que dans le cadre des appartenances sociales traditionnelles, et la poésie n’est envisagée que pour ponctuer les grands moments de cette vie sociale. »56 On compte ainsi des chants de joie et de naissance, des chants de deuil et de rejet, et même des chants de métiers. Parmi les chants de joie, on trouve les chants de mariage, (en grand nombre car, toujours associés à des danses et des musiques bien spécifiques lors du ânda, ils en ponctuent les différents étapes et les définissent. En exemple, nous voyons que lors du djaliko (festivité qui a généralement lieu le vendredi dans les milieux ruraux et les samedis dans la capitale), on danse le sambe sur le chant Sha na mbere (bague et doigt). Partant de l’image induite de complémentarité et d’apparat la bague est au doigt ce que la femme est à l’homme, le chant vient rappeler par des propos d’une apparente légèreté, l’importance de la complicité, de la confiance et du respect mutuel en couple mais aussi en amitié. Les hymnes à la joie comme les chants de deuil exigent tout un cérémonial autour de leur mise en place. Une tradition qui se perd. Lors d’un deuil, on fait appel à des pleureuses pour pleurer la mort du défunt. Une complainte appelé idumbio est chantée par une vieille femme afin de rappeler la douleur que provoque la disparition de l’être cher. Cette cérémonie assez marginale compte tenu de l’atmosphère religieuse qui enveloppe les rites funéraires, permet d’extérioriser sa peine. Mais si les chants de deuil sont de moins en moins visibles car trop souvent qualifiés d’actes areligieux, les prières, mises à l’honneur, tendent à les

56 Saïd Ahmed Moussa, Guerriers, Princes et Poétes aux Comores dans la littérature orale, L'Harmattan, 2000, pp.218-219. 44

supplanter. Il existe d’autres types de chansons plus couramment chantées, comme les berceuses nommées aussi idumbio. Ces complaintes sont destinées à un enfant par la mère pour le consoler d’un chagrin ou le soulager d’un mal, une douleur.

b) L’éloquence au service des conflits L’homme comorien privilégie le langage comme reflet de son intellectualité. Les fêtes traditionnelles, l’enseignement et même les disputes sont des prétextes à la mise en pratique, la démonstration de ses qualités d’orateur. Les querelles publiques, véritables joutes verbales, portent un nom spécifique, les bangano. Ces bangano prennent source dans les vices cachés, les rumeurs liées aux familles des querelleurs, ou encore dans les devoirs non accomplis vis à vis de la société coutumière et du village. Trivialement, il s’agirait de « laver son linge sale en public ». Des exemples de ces bangano se retrouvent dans le Sang de l’obéissance 57 et le Notable répudié58, où des familles se donnent rendez-vous devant la mosquée ou la place du village pour se quereller. Mieux encore, Mohamed Toihir en fait un sujet de premier plan dans sa pièce de théâtre du même nom L'Ecole de Bangano59. La quatrième de couverture précise ceci : « L’école de Bangano est une institution où l'on apprend à terrasser son adversaire par le seul pouvoir de la parole. On y voit, tour à tour, s'inscrire une jumelle désireuse de flétrir sa soeur devenue sa rivale, une amante pour démolir l'épouse, le héraut de l'opposition souhaitant grâce au verbe, devenir le héros du parti au pouvoir. Au fil des scènes, la pièce découvre la vilenie de l'âme humaine. » Il y a, dans ces textes, toute une atmosphère de bataille rangée véhiculée par l’attente prononcée du public face à l’événement qui se prépare : la joute. De plus, ce public-spectateur participe et attise le conflit. Il y participe en servant d’arbitre et ses commentaires donnent les points en faveur de l’une ou l’autre des deux parties. Le bangano y est décrit comme un art où la perfidie a sa place aux premières loges. Plus le rival est coriace, plus les méchancetés, parfois inspirées des faits réels les plus criminels ou les plus condamnables qui soient ou aient été commis par les adversaires sont les bienvenus. On cherche alors dans la famille des concurrents toutes les tares ou mauvais agissements qu’ils cachent pour les dévoiler à la société entière. Donc, pour être sûr de vaincre lors du bangano, mieux vaut s’assurer que sa

57 Hatubou Salim, Le Sang de l’obéissance, L’Harmattan, 1996 58 Abdallah Patrice, Le Notable répudié, Komédit, 2002 59 Toihiri Mohamed, L’école de bangano, Klanba, 2005 45

fille n’a pas d’amants, que sa grand-mère n’avait pas enfanté d’enfant illégitime, que l’oncle de son père n’avait jamais volé quoi que ce fut, qu’il s’est surtout acquitté de tous les rites coutumiers, et qu’en somme sa propre famille a la « conscience tranquille ». La personne recherchée pour cette dispute sera alors la plus éloquente et la moins scrupuleuse de la famille. Il lui faut aussi être capable des plus belles tournures injurieuses. Une scène parfaitement illustrée dès le premier tableau de la pièce de théâtre La Nationalité60. L’auteur, Mohamed Toihir, y présente le personnage principal, Idari, qui, dansant au milieu d’autres hommes est invectivé par Mna Ikofia. Celui-ci, désigné par son statut de Mna Ikofia (premier stade atteint dans la réalisation du Anda) lui reproche ouvertement de s’être mêlé à des notables, des hommes bien au delà de son rang, sur la place publique.

Mna Ikofia : Bien sûr que tu danses. Mais tu ne danses pas à ta place ! Si tu veux danser à cet endroit, avec ces notables, alors tu sais ce qui te reste à faire.

Idari : Quoi, tu oses me parler ainsi, là, en public ? A moi, fils de Msapanga, moi petit-fils de Djoubalassi, neveu de Karibangwé ? Mna Ikofia : Et pourquoi je ne te parlerai pas ainsi ? Je te remettrai toujours à ta place tant que tu n’auras pas fait ton grand mariage ! Idari : C’est quoi ton grand mariage, toi, dont l’oncle maternel n’est même pas allé en pèlerinage à la Mecque sur la tombe du Prophète ? (…) Mna Ikofia : Que peux-tu me dire, toi qui n’as pas fait le grand mariage et dont l’oncle est mort avant de l’avoir fait ? Idari : Tu demandes ce que je peux te dire ? Ecoutez-moi bien, gens du village, ce Mna Ikofia se demande ce que moi je peux lui dire à la Place publique. Il veut peut-être que je lui dise que les femmes de son clan ont essaimé notre village de petits bâtards. Il veut peut-être que je lui apprenne que son père n’est pas le fils de son père. Il veut que je lui dise qu’il a fallu payer pour que quelqu’un accepte d’endosser la paternité du premier enfant de sa sœur aînée. Je vais lui apprendre sa vie : je vais lui dire que l’Indien, qui achetait de la vanille à son père, s’est tellement bien occupé aussi de la mère qu’ils ont chez eux, eux aux cheveux crépus, un enfant aux cheveux lisses comme un Indien. Il n’a pas trouvé bizarre ces cheveux lisses ! Mna Ikofia : Tu auras beau dire et même médire, je te dirai, tant que tu n’auras pas fait ton grand mariage, que tu n’as pas le droit de danser avec des notables. Un point c’est tout !

60 Toihiri Mohamed, La Nationalité, Editions A3, 2001, p.4 46

Dans cet extrait61, le crescendo dans l’accumulation des méfaits commis par la famille du Mna Ikofia et dénoncés par Idari est amené avec aisance. Les répétitions construites autour des anaphores « Il veut peut-être que… », ou encore « Je vais lui dire… » rendent compte des effets de rythme et de construction recherchés du discours.Elles ponctuent la gradation vers la gravité des méfaits révélés. Ainsi, jusque dans les disputes, celui qui prend la parole doit savoir la manier et donc faire preuve d’éloquence. Ce rapport aux mots et au langage éclaire quelque peu les raisons d’une très grande diversité des systèmes et des genres oratoires des Comores. L’intellectuel comorien fut et continue d’être celui qui sait allier à l’esthétique, le sens, la rythmique, le symbolique et la gestuelle lors de ses discours. L’un des anciens présidents des îles, Ali Soilihi a marqué les esprits grâce à cette faculté de maîtrise de la parole et de la langue Comorienne. Un livre intitulé L’Eloquence comorienne au Secours de la Révolution62, témoigne de ce penchant et du respect que vouent les Comores à l’art du discours.

I. 2 La littérature orale comme garante de l’histoire des îles

I.2.1 Traditions, transmission et connaissances

a) Une histoire qui se transmet

La littérature est « l’ombre de l’histoire qu’elle voile et dévoile au travers de chansons, des contes et légendes, de la poésie, des proverbes et autres (modes) expressions de la sagesse populaire, des récits historiques et des mythes fondateurs ». Ces genres littéraires sont « en relation avec l’histoire de ces habitants et des évènements favorisant l’éclosion de la parole esthétique, qu’elle soit sacrée, savante, rythmée, traditionnelle ou moderne. » A ce propos, Carole Beckett fait le même constat : « Avec l’entrée des européens dans l’archipel et le fait que les capitaines de vaisseaux et des hommes politiques signèrent des traités (…) l’histoire des Comores commença à être conservée dans une grande quantité d’archives et de publications contemporaines. Mais l’HISTOIRE plus ancienne n’est archivée que dans les mémoires des hommes. Il en paraît de

61 Idem, p.4 62 Lafon Michel, op.cit., p.224 47

même pour la littérature comorienne. » 63 Elle poursuit plus loin : « bien que les griots d’Afrique noire n’existent pas aux Comores, presque tout le monde semble savoir conter. Ainsi trouve-t-on des grands-mères qui racontent des histoires lorsqu’elles ont la garde des jeunes enfants ; il existe des proverbes, des devinettes, une poésie féminine comme les hymnes à la joie, les berceuses… »64 La littérature comorienne est une littérature dont les richesses sont puisées dans les rites ancestraux. Ceci expliquant cela, la littérature est, dans un premier temps, avant tout orale et se révèle à travers la vie des Comoriens au quotidien. A partir d’elle se crée ou se reconstitue l’histoire du pays, l’histoire des hommes, histoire qui n’a jusqu’à présent pas été écrite. Dans son étude sur le sujet, Moussa Saïd Ahmed écrit en répertoriant les hadisi, le shadjar ou généalogie et le nyandu : « les genres regroupés ici ont pour point commun d’être fondés sur l’histoire de l’île, qu’il s’agisse d’une histoire réelle ou mythique. » Appelés aussi textes sans musique, ils procèdent de cette histoire, participant par leur essence, à sa conservation et par leur actualisation, à sa transmission.

Processus normal, ce que les jeunes connaissent, ils l’ont appris de la bouche de leurs grands parents et plus souvent de leurs grand-mères. C’est par ce cheminement particulier qu’est la transmission, qu’un enfant va entendre parler des exploits des chefs guerriers, des défaites de tel ou tel sultan. Les chercheurs aussi s’inspirent de cette démarche afin de procéder à la mise en écriture de l’histoire ancienne du pays. Ainsi, les découpages sociétaux, les modes de transmission des pouvoirs au travers des différentes époques, les établissements des lignages et les lignages eux-mêmes nous parviennent de la bouche d’hommes de la parole. Le chercheur Damir Ben Ali explique que l’écriture de son ouvrage, Tradition d’une lignée royale des Comores provient de la mémoire de traditionistes. Il dit ceci de très éloquent: « Ainsi, l’histoire que nous avons pu reconstruire a-t-elle été véritablement une histoire anthropologique. Elle s’est faite en dialoguant avec les hommes et en revivant avec eux l’idéologie des hommes du passé.»65

C’est aussi cette méthode, consistant à se mettre à l’écoute des anciens, qu’emploient d’autres

63 Beckett Carole, op. cit., p. 12 64 Idem 65 Ben Ali Damir, Boulinier Georges, Ottino Paul, Tradition d’une Lignée Royale des Comores, Paris, L’Harmattan, 1985, p.6

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chercheurs tels que Moussa Saïd Ahmed dans Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale. Celui-ci dit avoir constitué une partie de son corpus sur la poésie ancienne en sillonnant les villages à la recherches de poèmes dont plus personne ne fait usage : le nyandu. Le recueil de contes de Salim Hatubou Sur le chemin de Milepvani met en scène cette quête du savoir. Comme les chercheurs Damir Ben Ali, Moussa Saïd Ahmed dans la réalité, un jeune homme part à la poursuite de son patrimoine et marche sur les traces d’une mémoire bousculée par les nouvelles technologies et délaissée par une jeunesse captivée par la télévision et internet. Avant chaque conte, le cérémonial est le même : le jeune homme rencontre un vieillard au bord d’une route, celui-ci lui dit une gentillesse et lui donne la moitié du fruit qu’il mange puis lui fait le récit d’un conte. Symboliquement, nous l’aurons tous compris, le fruit représente la mémoire et ce procédé de mise en abîme induit la relation de partage et donc de transmission. Le jeune homme quittera les Comores, enrichi de ces contes qu’il mettra sur papier, laissant derrière lui, les jeunes autochtones, absorbés par la télévision et jugeant inutile le devoir de mémoire pour lequel l’auteur les avait sollicités.

Ainsi les chercheurs ne sont pas les seuls. Les écrivains aussi, et surtout les amateurs de contes, adaptent à l’écrit les contes des grands-mères66, retranscrivent les récits entendus et

66 Cependant, ce travail repose sur la perspective de confiner à l’écrit, l’histoire ancienne du pays ainsi que son patrimoine littéraire. La transmission n’est pas exempte d’approximation, bien au contraire. Elle est le résultat de données subjectivées par le ressenti du conteur ou du traditioniste, mais aussi par l’aspect mouvant du récit initial. La mémoire est ainsi fiable mais non infaillible et l’histoire du passé lointain témoigne de cette usure du temps. Quant à l’histoire moins lointaine du pays, les lacunes sont encore trop importantes même s’il est possible d’écrire et de dater avec précision les évènements qui auront traversé les Comores jusqu’à une époque donnée. L’une des raisons est qu’il n’existe pas, à notre connaissance et malgré de nombreuses recherches, de manuels d’histoire sur les Comores. A l’heure de nos recherches, l’historien Mahmoud Ibrahime est en plein chantier sur le sujet. Mais pour l’instant, il n’y a pas de livres tels que nous avons pu en voir durant notre scolarité en France, des livres où seraient consignés, comme dans tous manuels d’histoire ou de géographie, celle de nos quatre îles. Il n’y a donc aucun moyen d’accès simple à l’histoire de ce pays par les écoliers, collégiens ou même lycéens, si ce n’est comme nous venons de le souligner, par les récits de nos parents ou de nos grands parents. Ceci explique le choc relativement conséquent entre la réalité historique et la réalité mythique et mystique du pays. Les données sont sujettes à l’appréciation subjective du narrateur ou du conteur. Ce luxe qu’est la découverte de l’histoire du pays est réservée à une élite intellectuelle dans le sens où cette documentation est soit guidée par une curiosité très accrue qui est rarement présente chez des collégiens ( surtout des collégiens dont la première préoccupation, à la sortie des cours est d’essayer de trouver un repas, car il ne faut pas l’oublier, les Comores 49

offrent aux lecteurs l’histoire mythologique, mythique et mystique de l’archipel.

b) La littérature traditionnelle, socle d’identité culturelle

Qu’est-ce qu’un homme sans Histoire ? Qu’est-ce qu’un homme sans passé ? Il est nécessaire pour tout individu de se reconnaître à partir d’une société donnée, d’une culture particulière, de se sentir appartenir à une communauté, bref, de se définir au travers d’une identité spécifique. Bien que de plus en plus de philosophes critiquent cette notion fondamentale d’identité, nous ne pouvons qu’appuyer le mouvement inspiré et expliqué par La Poétique de la relation67 d’Edouard Glissant, et l’idée qu’un peuple qui aura été soumis à une domination politique, culturelle et économique, un peuple à qui on aura retiré toute possibilité de se reconnaître au travers de lui-même, se retrouve un jour, lorsque la notion d’indépendance devient une réalité, dans le devoir de construire cette histoire sans vouloir ni la récuser, ni la glorifier afin de parvenir à une quête identitaire. Il décrit la notion importante qu’est l’équilibre de conscience comme la résultante d’un vécu difficile mais accepté et d’une avancée à poursuivre tout en s’inspirant de ce qui, durant des siècles auront été bafouées : les traditions et les cultures que le colon tenait à discréditer. L’homme de Lettres comorien le comprend assez vite dans la mesure où il le vit encore et prend conscience d’un devoir à accomplir. Sans vouloir être hors de propos, nous avons pu faire le constat suivant : beaucoup de comoriens, dont nous sommes aussi un exemple, poussent leurs études jusqu’au DESS et parfois au Doctorat, sans réelle idée de ce que ces diplômes leur rapporteront. Ils font des études par nécessité et orientent leurs recherches de plus en plus souvent vers leur pays. Dans quel but si ce n’est celui d’espérer combler ces lacunes ou remédier à ce tord. Le procédé du connais toi toi-même est certainement participatif du choix ou de l’orientation de bon nombre de jeunes chercheurs. La littérature orale demeure une source indéniable d’identité culturelle et même d’unité. Car, malgré cette prise de conscience, les Comores restent encore démunies de tout, excepté de leurs traditions. Les avancées ne sont pas négligeables, les recherches menées, bien que difficilement accessibles aux jeunes comoriens, sont d’une importance capitale. Elles servent de point de départ à de futures études, comme cela est le cas pour nous en ce moment. font partie des dix pays les plus pauvres du monde et beaucoup d’enfants scolarisés n’ont pas forcément de quoi manger le midi), ou par un besoin haineux ou honteux pour des érudits de s’apercevoir qu’ils en connaissent bien plus sur une histoire autre que la leur. 67 Edouard Glissant, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990. pp.110-122 50

Beaucoup se soulèvent contre les excès d’une tradition trop lourde. Ils dénoncent avec véhémence la violence des coutumes comoriennes trop rigides et sectaires. Mais étant la seule trace réelle d’une tradition garante d’une unité entre les différentes îles dont le pays se compose, retourner aux sources et vouloir les conserver est la seule façon de lutter contre le morcellement de ce pays où les divergences politiques ont tôt fait de tout anéantir. Telle est l’idée défendue par le journaliste et comédien Soeuf Elbadawi lorsqu’il prône la culture comme le moyen le plus sûr de parvenir à une unité du pays car, contrairement à des idées qui circulent, les Comores ne sont pas « une vue de l’esprit » 68. La culture est alors le dénominateur commun à chaque île d’abord puis au microcosme que forme l’archipel. Elle lie les enfants d’une nation entre eux.

Conscients de cet enjeu, devenu semble-t-il majeur, beaucoup ont commencé ce travail de reconstitution-conservation du patrimoine littéraire et culturel et malgré les lacunes qui subsistent, les données sur les traditions des îles de la Lune sont de plus en plus nombreuses et précises. Ainsi bien que son aspect oral prédomine, l’écrire s’avère une urgence. Puisque bon nombre de ceux qui la transmettent n’ont pas eu accès à l’écriture et que les plus fréquentes manifestations littéraires se font lors de fêtes et cérémonies funéraires, mariages ou fiançailles, il faut tout de même continuer de la propager. C’est là l’un des rôles les plus importants de la littérature orale comorienne : elle est garante de traditions qui, inexorablement, sont amenées à muer et peut-être à disparaître. Un rôle capital compte tenu des informations qu’elle a permis de regrouper et de recouper, notamment sur l’origine du peuplement des îles.

I.2.2 Aux origines des croyances mythologiques

L’un des atouts fondamental de cette littérature orale, est sa capacité de conservation de données inhérentes au peuplement des iles, à la fondation de ses cités, de ses villages. Creuset d’un fond culturel encore vif, c’est par elle que l’on put reconstituer les origines de l’archipel. Par elle nous sont parvenus les mythes de fondation, emplissant le champs culturel des Comores d’une aura magique où le merveilleux côtoie le réel, où les djinns rencontrent les hommes. Elle décrit un univers mythique et mystique autour de la création des îles et de leur peuplement comme en témoignent les points suivants.

68 Elbadawi Soeuf, L’archipel des Comores, Un nouvel Elan, in Africlutures n°51, Collectif, L'Harmattan, 2002 51

a) Origines du mythe

Les croyances mythologiques enveloppent le peuplement de l’archipel et la mémoire collective se veut garante de récits parfois extraordinaires autour de son histoire ancienne. Tout part de l’arrivée d’une population venant de Chiraz, en Perse. Cette population, fortement sunnite fuyait les persécutions religieuses qu’avaient, semble-t-il, instauré les chi’ites. Ils arrivèrent aux Comores, près de l’actuelle Hahaya et conclurent des alliances par les mariages avec les autochtones. Ce sont les descendants de ces alliances qui allaient se trouver à la tête des sultanats et dominer les Comores « Le mythe d’origine veut que ces rois aient épousé les filles des chefs locaux, comme la princesse Djombe Adia de Sima ou que le territoire ait été librement concédé à la suite d’un échange de tissus précieux. »69. De ce fait historique qui remonterait approximativement à 922, la tradition orale va produire des mythes originels et cosmogonistes permettant d’expliquer l’histoire. On raconte ainsi qu’un sultan, Ali bin Al-Hasan et ses six filles quittèrent Chiraz à bord de sept bateaux, et voguèrent en direction de la côte africaine. Chaque bateau fit escale en un lieu différent et le sultan arriva lui à Ndzuani (Anjouan). Il est communément admis que l’île d’Anjouan compte les plus jolies filles des Comores. Cette beauté serait due au métissage résultant des différentes unions entre ces chiraziens et les autochtones. A sa suite, d’autres sultans parviennent sur les îles voisines et leurs dynasties établissent leur suprématie.

b) Mythe de l’arrivée des Djinns et Séra (esprits et démons)

Un autre mythe décrit un personnage nommé Azali wa Mamba qui cristallise le mythe du peuplement par les Djinns et autres esprits. Azali wa Mamba viendrait de l’océan. Ce serait une femme djinn liée à la mer (une femme poisson, une sirène ?). Encore aujourd’hui, des hommes et des femmes maintiennent que l’existence ancienne des femmes poissons, les sirènes, est véridique et affirment qu’il s’agit là de l’origine du peuplement mais aussi des traditions des îles Comores.

69 Chagnoux Hervé et Haribou Ali, Les Comores, Collection Que sais-je ?, PUF, Paris 1980-1990 52

Certains comoriens ont raconté que Azali wa Manba était une femme djinn qui fut trouvée par un homme dans l’île de Ngazidja. Cet homme trouva la femme assise sur une falaise près de l’endroit qu’on appelle Mbashile. L’homme l’invita à venir chez lui, ce qu’elle accepta. Quelques temps après, il l’épousa. Ils eurent sept enfants, filles et garçons. Mais la femme restait muette. Cependant un jour, alors que la femme était assise à côté de son mari, elle se mit à parler : « en ce monde ; celui qui est silencieux est tenu pour un idiot. C’est pour cette raison que je n’ai pas parlé du tout durant mon séjour dans ton pays. Maintenant, je vais partir en laissant six enfants et en prenant le septième pour l’emmener avec moi chez les miens. Mais si un de mes enfants, garçons ou filles, se marie, tu devras pendant la cérémonie du mariage accomplir certaines choses. » Cela dit, elle indiqua les nombreux rites coutumiers qui devraient être effectués lors du mariage. Ces coutumes sont en effet les mêmes que continuent à suivre les comoriens depuis de nombreuses générations. Ainsi, la femme djinn s’en fut à la plage avec ses sept enfants, plongea dans l’eau en entraînant l’un d’entre eux, disparut et ne revint jamais.70

L’historien et théologien Burhane Mkele voyait en ce personnage la source des trois grands clans royaux de Ngazidja.

D’autres récits merveilleux mettent en avant une femme de rang princier ayant vraiment existé. Il s’agirait de la Reine de Sabbat appelée aussi Bilqis, venue se réfugier et trouver repos dans cet archipel du bout du monde. Elle y aurait été suivie par le Roi Salomon dont la passion pour la jeune Bilqis était sans bornes. Leur liaison aurait été scellée par une bague qui se trouverait aujourd’hui, enfouie dans les profondeurs du volcan le Khartala. Suite à ces amours, une malédiction se serait abattue sur l’ensemble de l’archipel. Depuis, les îles sont très souvent associées, dans la conscience collective à la passion du Roi Salomon et de la Reine de Sabba. Un récit et un thème chers au peuple comorien et encore plus aux écrivains qui semblent se faire un devoir de mémoire de s’y référer en insistant sur l’idée de malédiction. On la retrouve dans le prologue de La République des imberbes, profilée en résonnance explication des maux dont souffre la société comorienne dans Les berceuses assassines, évoquée dans La Secte de la virginité, énoncée par Yssoufa dans Les Démons de l’aube.

70 Chagnoux Hervé et Haribou Ali, Les Comores, Collection Que sais-je ?, PUF, Paris 1980-1990

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Elle est aussi rappelée en ces vers par Saindoune Ben Ali : Un roi Salomon fit, dit-on, des Lunes une prison pour hideuses créatures Allah y substitua de joyeux ogres. 71

Les mythes prolongent le merveilleux dont on entoure idéalement ou par maléfice les îles. Constitutifs d’univers pluriels et parallèles donnant accès à une prise sur le réel, ils continuent d’exercer une grande fascination chez les habitants des îles qui, contre toute attente, restent convaincus de leur véracité. Cette propension à croire ce genre de récit est toujours actuelle. Aujourd’hui encore, certains racontent que l’île d’Anjouan cache dans l’un de ses coins reculés, un devin mi-homme mi-cyclope et dont les pouvoirs magiques viendraient à bout de nombreux maux dont souffrent les hommes. Ce personnage vivrait reclus depuis d’assez longues années pour connaître avec exactitude l’histoire méconnue des îles de la Lune. Un autre récit tout aussi extraordinaire mais accepté par la population comme étant véridique est celui d’une femme ayant mis au monde un serpent et dont l’amour pour cette bête, malgré la laideur et l’horreur de cet « enfantement » n’a en rien été tari. De cette histoire découle même un adage visant à justifier l’attachement d’une mère à son enfant, bon ou mauvais. « E yazaya ye gnoha, kadjam latsa.» Autrement dit, « celle qui a donné naissance au serpent ne l’a pas abandonné ».

c) Mythe de la destination Ultime : Djazaïr al Kamar

D’autres sources privilégient le contexte de la découverte, contexte que nous reprenons tous en refrain. Ceux sont aussi des sources à l’origine des théories concernant le peuplement des îles. Envoyés chercher de l’or vers la côte Africaine, par leurs souverains, des voyageurs arabes se retrouvèrent quelque peu égarés sur l’océan. Ne parvenant pas à s’orienter, ils finirent très vite par échouer près des îles Comores. Ils purent ainsi, grâce à l’emplacement de ces bouts de terre d’où la lune servait de boussole, se repérer sur la mer. Ceux sont eux qui nommèrent ces îles « Djazaïr al Kamar » ou littéralement Îles de la Lune. Au fil des siècles, ce nom se transforma en Kamar et finit par donner l’appellation d’aujourd’hui « Comores ».

71Saindoune Ben Ali, Testaments de Transhumance, Komedit, Moroni, 2004, p. 19

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Dans chacun de ces mythes, il est intéressant de relever certains points communs tels que l’origine arabe des premiers habitants et le voyage amenant à la destination ultime qui se veut tantôt une fuite, tantôt une ruée vers l’or. Pour tous ces exemples, il est à regretter que la mémoire collective ne prenne pas en compte la branche africaine de nos origines. Pourtant, les premiers habitants des îles sont apparemment les africains du continent.

I.3. Différents aspects de la littérature orale

Les points soulevés précédemment rendent compte d’une chose très importante, l’art n’est appelé ainsi que lorsqu’on en reconnaît certaines codifications. L’amalgame n’est plus possible entre littérature et tradition à partir du moment où on a compris que pour nommer un discours hadith, hale ou ndzinyo c’est que les caractéristiques propres à l’un ou l’autre de ces genres sont énoncées ou plutôt présentes à même le texte dit. Ce qui nous amène à nous poser les questions suivantes : quels sont les différents genres littéraires appartenant au domaine de l’oralité, comment se caractérisent-ils, quelles en sont les structures, les subtilités, bref, qu’est-ce qui fait d’un utendi un utendi et non un hale72 ?

I.3.1 Une réalisation sous plusieurs formes

La littérature orale des Comores est très riche. On compte de nombreuses variantes quant aux rites cérémoniels qui rythment la vie de chaque Comorien tout au long de son existence. Nous pourrions plus aisément affirmer que la vie des Comoriens est jalonnée, de la naissance à la mort, de chants, de danses, de rites et de fêtes. A chaque âge, sa musique, sa danse ; à chaque évènement, une fête, une cérémonie. Le comorien est ainsi bercé dès sa plus tendre enfance par différentes sortes de rites, qui, toujours accompagnés de chants et de textes oraux conditionnent et forment son vécu. Selon l’étude réalisée par Daniel Ahmed Abdouroihmane, la littérature orale puise ses origines auprès de diverses sources et se traduit suivant différents aspects. Les pays d’Afrique ont beaucoup inspiré les Comores; ce qui explique l’importance du swahili comme langue longtemps dominante dans les îles. En observant les populations des côtes africaines, voisines des Comores, nous sommes frappés par la forte ressemblance physique mais aussi vestimentaire entre comoriens et zanzibarites. Peut-être cela est-il justifié par l’ancienneté des

72 Voir tableau des genres oraux, p. 57 55

liens privilégiés qu’entretiennent ces deux peuples, et ainsi par les probables métissages comoro-zanzibarites issus de la présence d’une forte communauté comorienne sur ces terres, ou inversement, est-ce le résultat parlant d’une population comorienne aux origines zanzibarites et environs. Quoi qu’il en soit, les populations africaines de langue bantoue représentent la source d’une partie de l’histoire ancienne des Comores. Plus tard, ce sera la langue arabe qui s’imposera mais plus que pour la précédente, elle est difficilement accessible à tous car très souvent réservée à une élite. Finalement, on compte de nombreuses influences autour de cette oralité (la tradition des peuples de langue bantoue, la tradition de langue arabe et parfois même malgache ou folklore français). On comprend donc à travers les recherches menées au profit d’une unité littéraire du pays que les réponses sont très diverses car elles décrivent des itinéraires bien distincts quant à la provenance de cette tradition orale.

Toujours selon Daniel A. Abdouroihmane, les genres de la tradition orale comorienne se divisent en deux catégories. On a ainsi dans un premier temps les textes courts. Il cite les devinettes (hale za mavutsiano, ndzinyo), les proverbes… Dans un deuxième temps, il évoque les textes longs tels que les récits ou les contes. Ces récits sont appelés hadithi ou hadissi, les contes (hale), les discours (hutuba). Cette tradition complètement enracinée dans les mœurs comoriennes nous explique l’importance des réalisations littéraires dans l’espace de l’oralité. A partir de son travail, nous allons tenter de décrire cette diversité en procédant à un relevé des différents genres littéraires appartenant au registre de l’oralité. Le sambe est l’une des danses les plus populaires de la Grande Comore, ce qui confère au chant d’accompagnement une place de choix dans la mémoire collective. En effet, toute personne ayant assisté au ânda connaît invariablement ce chant, et ce qu’il soit issu des milieux ruraux ou non. Il existe cependant plusieurs versions en ce qui concerne les couplets mais le refrain demeure invariablement le même.

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Tableau des genres

T A M r P v B o a o M P e A S i n C d p o S r c n a l o h i u d a o o v i l a t Les genres de l'espace oral l e c f a n a n i n i a r r a u y n g n t o i n é n t m t u g é n r e e e e e u n e u e e r l

Hale XXXXX Conte Hale ya mavutsiano, Ndzinyo XXXXX Devinette Mrongo, waswia XXXXX Proverbe, maxime Msabaru, kaulu XXXXX Dicton Tiyatiri XXXXXX Théâtre Msimu, Ntsimo XXXXX Slogan Maswifu, Swifa XXXXX Piropo Utendi, Upvandzi XXXXXXXX Poésie en comorien

Ce tableau présente un classement des genres de l’espace oral. Nous trouvons à la verticale leur dénomination en français et en comorien et à l’horizontale sont répertoriées des critères qui, de paires opposées, nous donnent une idée de l’appartenance de chacun des genres cités. Il est inspiré du tableau de Daniel Ahmed Abdouroihmane qu’il présente dans la revue Tarehi n°5 sous le titre « Inventaire des genres de la littérature comorienne. » Dans son étude, l’auteur a classé ensemble écrit et oral et proposé un relevé qui se veut schématique et complet sur tout l’ensemble de la littérature comorienne. Ici, nous avons divisé les deux aspects afin de rendre l’étude plus précise et de pouvoir mieux les dissocier. Ainsi, nous proposons, dans ce premier tableau, tous les genres oraux. Par la suite, nous nous étendrons sur l’étude plus poussée du nyandu, du halé, et du tiyatiri. Le choix de cet approfondissement sur ces genres là est arbitraire d’une part mais il est aussi guidé par l’idée que ces trois aspects de la littérature orale ont, par glissement, marqué la littérature écrite. De plus, il s’agit là des

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genres qui requièrent, selon nos sentiments, une plus grande technique et une plus grande maîtrise de l’art oratoire. En effet, étant bien plus long dans leur consistance que les autres, l’artiste qui en exploite le contenu se doit d’en assumer toute une démarche oratoire bien plus élaborée que lorsqu’il s’agit d’énoncer un kaulu (dicton).

Nous pouvons constater que les genres énoncés ici répondent tous aux mêmes critères, à l’exception de deux d’entre eux (le tiyatiri et le utendi). Ils sont tous populaires et non savants. La société fait sienne l’origine de sa propre histoire mêlant le mythe à la réalité, le fantasque et l’imaginaire. Ainsi, la communauté crée et se recrée au travers de ses chants et ses pleurs. Nous voyons aussi que ces genres sont tous monolingues et donc en shikomori qui est la résultante des différents dialectes comoriens shingazidja, shidzuani, shimwali et shimaore. Puisque la communauté les dit dans sa langue et non dans celle empruntée à une société dominante ou autre, elle en est la détentrice. Elle les fait vivre en se les réappropriant. Ces genres puisent dans la tradition et se propagent toujours selon elle car en même temps, ils rendent compte de cette tradition, la véhiculent et la transmettent avec quelques oublis, quelques ajouts. De plus, un des derniers points communs est qu’ils se disent dans un total anonymat. Nous l’énoncions plus haut, le texte oral se fond dans la conscience collective et se recrée ainsi. Il s’agit en somme d’un fait humain celui de la mémoire collective comme garante d’une histoire tout aussi collective. Il semble que pour cette transmission, le comorien et le swahili soient les deux langues utilisées. Aux genres déjà répertoriés, nous pouvons ajouter les madjimbo (chansons) et hadissi (récits) ainsi que les hadiths (récits de la vie du Prophète Muhammad (pbsl) et les sourates (Versets Coraniques). Ces derniers (hadiths et sourates), issus de la tradition arabo- musulmane font actuellement partie intégrante du patrimoine culturel comorien. Ils sont à la fois écrits et oraux. Bien que leur compréhension soit toujours réservée à une élite d’initié, (les disciples/étudiants et chercheurs) formée la plupart du temps dans les pays arabes, la non compréhension des textes par une bonne partie de la communauté n’est pourtant pas un frein à leur exploitation ni à leur vulgarisation par cette même communauté. Dans ce cas précis, la notion d’oralité est assez duelle. D’une part, les textes sont transmis oralement sans la moindre modification, d’autre part la connaissance du corps textuel qui les habille est souvent très bien maîtrisée et pourtant, le sens du texte est lui tout aussi souvent méconnu. La transmission se fait dans la langue d’origine des textes, à savoir l’arabe. C’est aussi dans ce cas précis que la communauté comorienne peut sembler arabophone. 58

Ainsi, au même titre que le chant d’un umbio (bénédiction) s’inscrit dans la vie d’un comorien comme la célébration d’un instant T lié à son évolution, la récitation d’une sourate marque l’univers spirituel du même individu et l’accompagne, par les messages de bénédiction et de protection qu’induisent cette récitation, dans le cheminement de son être. Comme nous le verrons plus loin, les connaissances liées à l’Islam étant enseignées dès le plus jeune âge, il est donc aisé pour tout comorien de réciter certaines sourates du Coran ainsi que certains chants du Mawlid sans pour autant en saisir le sens. Etant exclusivement considérées dans leur aspect religieux, ces sourates sont surtout ressenties comme des prières. Dans ce contexte, chants profanes et chants sacrés apparaissent intimement liés, partageant parfois le même espace sans pour autant partager la même histoire.

Nous voyons donc à partir du tableau que tous les genres littéraires exclusivement oraux appartiennent au domaine du profane. Ce constat témoigne du fait que la majorité de la littérature orale est aussi exclusivement populaire. Comme tout ce qui est du domaine de la parole, la littérature orale profane est sans cesse en mouvement. Au contraire de celle dite sacrée, qui s’appuie sur des écrits et dont l’aura religieuse impose l’immuabilité. En effet, une sourate même transmise exclusivement à l’oral, ce qui était le cas il y a encore quelques années, se doit absolument de conserver tout son corps de texte sans le moindre ajout, ni le plus infime retrait. Et ce, sous peine d’enfreindre une interdiction divine et d’être considéré dans le pêcher. Certaines écoles insistent même sur la justesse de la récitation afin de ne pas dénaturer le sens d’un mot et donc d’une sourate. Il est vrai que pour une langue aussi riche que l’arabe littéraire, l’appui ou non sur un accent peut réorienter le sens d’un mot, et parfois le rendre inintelligible. Ce point mis à part, l’ensemble de la production littéraire exclusivement orale rend compte d’un art particulier qui vit, bouge et se meut au fil des âges. Il n’y a en elle aucune résonance religieuse, aucune manifestation sacrée. Dans une perspective anthropologique nous pourrions soulever l’hypothèse suivante : l’art issu de la tradition orale aux Comores, est le reflet d’une société africaine, une société sans religion monothéiste ou autre. A ce propos, nous allons analyser les variantes de la littérature à vocation historique en insistant sur le nyandu, ou poésie épique.

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I.3.2 Le niyandu : une poésie épique

Le nyandu est une forme de poème assez particulière et unique en son genre dans le contexte shikomori car il s’agit d’une poésie guerrière qui traduit au fil de ses vers, les exploits guerriers du groupe participant à la cérémonie d’intronisation, c’est la forme épique par excellence. Il est l’un des genres les plus anciens de la littérature orale. Peu de Comoriens en connaissent l’existence et très peu seraient capables d’en donner une définition si on le leur demandait mais ce fait de la marginalisation de ce genre poétique et sa méconnaissance nous poussent à en faire une étude. A partir des recherches effectuées par Moussa Saïd Ahmed, nous avons nous aussi appris qu’il existait un genre de littérature guerrière appartenant à la poésie. En effet, il existe des genres biens plus connus tels que les madjimbo za mahaba (chansons d’amour), les hutuba (discours) et autres, bien plus exploités que le nyandu dont seules certaines personnes que l’auteur de Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale nomme les traditionistes73 ont connaissance.

Le nyandu comme forme de poésie nous intéresse dans le sens où, bien que les Comoriens d’aujourd’hui ne le connaissent pas, il nous permet de justifier nos propos autour de la littérature orale comme garante de la culture et de l’histoire du pays. Les Comoriens d’aujourd’hui n’en ont pas connaissance et ce parce que, le nyandu n’est plus utilisé depuis bien longtemps à présent. Il servait comme chant d’intronisation au temps des fe et des bedja, selon les sources de notre chercheur. Il écrit : « La tradition de la passation du pouvoir entre les groupes générationnels guerriers (bea), aux temps des fe et des bedja, voulait, comme nous l’avons signalé, qu’un chant appelé nyandu exaltant les exploits et la témérité du futur chef, accompagnât et marquât la cérémonie d’intronisation. Ce chant prestigieux était proféré par un guerrier qui devait aussi être bûcheron- ce qui était le cas de la plupart des guerriers, et c’était souvent au moment de la coupe du bois destiné, entre autres, à la fabrication des pirogues que les vers étaient composées.»74

73 Ici, l’auteur nomme « traditionistes » les vieilles gens dont la mémoire encore fraîche a pu aider à en apprendre davantage sur les traditions. Nous utiliserons nous aussi ce terme pour parler de ces hommes ou femmes qui ne sont pas des griots africains mais les détenteurs d’une histoire en mouvement et qu’il faut conserver. 74 Saïd Ahmed Moussa, Guerriers, Princes et Poétes aux Comores dans la littérature orale, L'Harmattan, 2000, pp.218-219. 60

Selon Moussa Saïd Ahmed, le terme lui-même de nyandu a été donné par les conteurs rencontrés. Il existait donc seulement dans le vocabulaire des initiés. Pour étoffer ses recherches, le chercheur a orienté ses pas vers différents villages de Ngazidja. Il y a rencontré un homme qui lui a parlé de ces poèmes épiques. Il a aussi recueilli les poèmes mêmes et les a comparés entre eux ce qui lui a permis d’en donner la forme maîtresse et les caractéristiques relatives au genre. Ainsi, le nyandu « se présente comme un chant déclamé, entrecoupé de chœurs, repris par l’assemblée des guerriers. » Il note deux mouvements distincts dans ce récit particulier des temps forts des élections du mfomabéa, littéralement, chef guerrier. Le premier grand mouvement renvoie à l’évocation « des guerriers redoutables de l’île contre lesquels il (le nouveau chef) sera bientôt appelé à combattre.»75 Les nombreux exploits des adversaires sont évoqués dans et par leurs noms et surnoms. Le deuxième fait état de la force physique et morale du nouveau roi, de ses qualités de chef guerrier. C’est donc ce mouvement-ci qui explique à l’assemblée en quoi et pourquoi le nouveau chef a été sacré tel. Cette sorte de présentation du nouveau est suivie des acclamations de l’assistance. Nous pouvons en déduire les tonalités élogieuses et emphatiques qui en fixent les intonations.

Le nyandu suivant a été retranscrit par Moussa Saïd Ahmed. Nous le réécrivons tel quel en maintenant son découpage afin de respecter la composition qu’il en a donnée. Les quelques propos tenus sur le nyandu comme forme poétique se fondent sur le texte ci-dessous. La justification d’un tel classement n’ayant pas été donnée par l’auteur, nous nous sommes proposé d’en faire ressortir succinctement, sans nous lancer dans une analyse approfondie du poème lui-même, les traits stylistiques définissant le nyandu comme forme de chant épique.

75 Idem 61

Nyandu du XVIème76

Sandraga Mbwani ngiyona Mwalimu La Sandraga-Mbwani appartient à Mwalimu Shanangoiye wa ha Ntsudjini na Shanangoi est de Ntsudjini et de Batsa Sha ngapvo Le-Peyna-Mdroni-lalo-Funga Il y a L’étincelle-feu de Funga Washili wao waha na Djimba Bamba Ceux du Washili ont Djimba Bamba Hadjitra Hadjitra 5 Ceux d’Itsikundi ont Le provocateur Sha Itsinkudi waha nlo Bwanisa Ceux de Kuhani ont Shibo Bora Wa Kuhani waha na Shibo Bora Et ce Shibo ne porte pas seulement le nom de Shibo Bora Pvoko Shibo ye tsi doutsoka Shibo Bora Shibo est un bouc que l’on peut lancer parmi les troupes Sha Shibo emna-mbuzi waura dzizini Shibo est une scie à débiter le bois Shibo ye msimanyo wandani mwamiri Shibo est une herminette qui tranche les noeuds 10 Shibo ye ntezo yo usa fundodjuu A Hambu il y a Djimba Bamba Hadjitra. Sha Hambuu iho na Djimba Bamba Hadjitra C’est lui qui a dit: “Je t’appelle pour que tu m’introduises Uwo nde yamba “tsidja unese Mungu bo auprès de Dieu ô hanale” hanale - Depuis que je t’ai recommandé à Dieu je ne me suis pas - Rangu tsihwesa Mgu ndjamidza lassée. Na nzo ndrongo ndraru naomba Mola Je le prie pour qu’il exauce trois souhaits: Yesa tsamba ka dja ipvanga tsiswa ni urandzi J’ai dit: sois rusé tel le rapace pour déjouer les pièges Uke dja fumba malo yatsihule Sois rusé tel le requin pour ne pas mordre à l’hameçon Uke dja ndudju vambwe la bahari” Sois souverain tel le dauphin roi des mers.

Pvahe shamatsa hahuzamu she ilande Avec un shamatsa il s’est couvert la taille Susi vuzi na na susi fuzidjuu Un susi sur l’épaule et un susi sur l’autre épaule Mbango udja mba siridjuu Une cordelière arrive au dessus de la ceinture Nkori fundo na na fundo fundodjuu Une cotte est enroulée en plusieurs noeuds Na kori yetsatsa dja trindri la mfi Et une autre s’agite telles des nageoires de poisson Harenge ourereao dja patsu Il a brandi ce qui scintilla tel un disque de cuivre Ndo utso wa pindo dzitso la mfi Et qui n’est pas de la bourre d’un oeil de poisson Trwai la mbe lidja mono mshe Le bouclier à peau de boeuf à la main gauche Harenge lefumu lafana naye Il a soulevé la lance digne de lui Halizinisa halirende maili Il l’a brandie et il l’a brisée en deux Harwara djando hadjitra vumadjuu Il a escaladé un amas de cailloux et a fait un sursaut Hare salamu yatrengwe irewao Il a fait les salutations d’usage à l’assemblée Wavulana waishia wali yamu Les guerriers ont entendu et sont restés cois Wamba « Rikubali urilole bo Mtsunga Il ont dit: “Nous acceptons que tu nous épouses, toi Mtsunga Ba we nde ulo sesi nde ulo nyasi Vrai tu es notre père, tu es notre mère We nde mdru wendanasi trengweni ». Tu es celui qui nous conduira aux grandes assemblées.”

76 Moussa Saïd Ahmed, op.cit. p.p122 à124. Ce texte est le plus ancien des trois Nyandu présentés dans l’ouvrage. Il offre un aperçu des effets de parole mis en jeu lors des cérémonies guerrières. Le thème du combat y est développé dans une conception que Moussa Saïd Ahmed associe au divertissement. 62

Le style poétique du nyandu se reconnaît à la forme du texte et à l’importance des effets de rythmes, le liant à sa forme originelle, le chant. Il est composé de vers de taille variable mais repose sur les figures de répétition pour le rythme et d’association pour le sens. Il y a de ce fait une grande musicalité crée par les anaphores. Une musicalié utilisée certainement pour encoourager les guerriers et traduire l’enthousiasme ainsi que l’acharnement de ces derniers au combat. En exemple, dans le nyandu cité, on remarque l’anaphore en début des vers 9 et 10 qui dit : « Shibo ye msimanyo wandani wa miri Shibo ye ntezo yo usa fundodjuu. » Cette répétition commence deux vers plus haut dans : « Pvoko Shibo ye tsi doutsoka Shibo Bora/ Sha Shibo emna-mbuzi waura dzizini. » L’expression Shibo ye revient donc sur ces quatre vers successifs avec une légère variation pour les deux premiers, qui sont introduits par les conjonctions de coordination Pvoko (car) et sha (mais). Ce vers commençant par Sha, Sha Shibo emna, comprend le ye de Shibo ye (Shibo est) dans la partie emna-mbuzi. (Shibo est un bouc.). Les répétions se poursuivent à différents endroits du texte. Au rythme, s’ajoute la forme des vers et leur composition, les figures très imagées autour de la force et la puissance des adversaires comme les métaphores « Shibo ye msimanyo (Shibo est une scie), « Shibo emna-mbusi » ou « Shibo ye ntezo », qui assimilent le guerrier Shibo tantôt à un outil tranchant, msimanyo ( une scie), tantôt à un animal, mbusi (un bouc pour la force), ou encore aux deux ntezo ( une herminette) rappelant à la fois la rapidité, l’agilité et le tranchant de l’animal. Les images se poursuivent ensuite dans les comparaisons « Uke dja fumba malo yatsihule » (sois rusé tel le requin). L’apostrophe est aussi très utilisée ici, ce qui renforce l’atmosphère emphatique et cérémoniale du sacre. Par contre, il n’y pas de rimes ce qui laisse voire que tout repose sur les effets stylistiques et rythmiques déjà cités. La deuxième partie du chant repose sur la description de la tenue du futur chef puis de l’accptation des guerriers. Un travail plus poussé sur le sujet rendrait certainement compte de la grande beauté mais aussi de l’originalité du genre. Cependant, nous tenions à montrer qu’il existait une forme de poésie qui a disparu depuis quelques temps déjà mais dont la richesse au niveau historique, culturel ainsi que stylistique est immense.

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I.3.3 Le hale ou le conte traditionnel

Le hale ou conte, est l’un des genres oraux les plus exploités et les plus connus des îles de la Lune. Récit court dans lequel se trouve souvent une morale, le hale est classé parmi les textes d’apprentissages de la vie sociale. Il a pour finalité, comme les mrongoo (proverbes), les nyaswuia (maximes), les malaba (contes des bouffons), les ntsimo (propos facétieux), les ndzinyo (devinettes) d’inculquer « la morale sociale, l’apprentissage de la vie en société, qui revêt une si grande importance dans la culture comorienne. Ces notions sont véhiculées par un langage aussi bien littéraire que familier ; le style, comme le contenu des messages, varie en effet naturellement en fonction du public et des auteurs.»77 Comme dans toute littérature, le conte fait partie des héritages les plus férocement ancrés dans les traditions. Aux Comores, le hale bénéficie de ce prestige. On lui reconnaît son importance dans l’histoire, la culture et surtout dans l’éducation des jeunes enfants car il participe à leur développement. L’intérêt qu’il suscite se reflète au travers des différentes et nombreuses recherches qui lui ont été consacrées depuis quelques années. Il est aussi l’un des genres les plus retranscrits ce qui explique les nombreuses publications dont il a pu faire l’objet. On trouve ainsi des contes comoriens provenant de trois îles des Comores. La meilleure documentation est recensée à Mayotte avec les travaux de Claude Allibert, Sophie Blanchy etc… Les compilations du linguiste Mohamed Ahmed Chamanga et d’autres offrent un aperçu des variations anjouannaises. Les recueils de Salim Hatubou qui consacre une grande partie de ses écrits aux contes (Les Contes de ma Grand-mère, ou Sur le Chemin de Milepvani) et les recherches sur la littérature orale de Moussa Saïd Ahmed offrent une étude poussée sur les contes de Ngazidja. Il en cite quelques uns. La petite île de Mwali a encore une fois été laissée de côté: on ne compte actuellement aucun texte puisé dans son particularisme. Cependant, le travail quant aux îles qui ont bénéficié de ces recherches et publications n’est pas encore terminé. En Avril 2003 est paru un autre recueil, Djambo Djema publié chez Komédit en version bilingue et compilé par Abdéréman Ahmed Wadjih. A ce recueil, s’ajoutent des travaux sur le conte en général, effectués par le même auteur et consultables sur le site de Mwezinet. On voit ainsi que le genre continue de faire l’objet de nombreuses études. Il serait donc temps de s’interroger sur les contes comoriens de Mwali.

77 Idem 64

a) Le cérémonial autour du conte

Aux Comores comme pour l’Afrique en général, le conte (hale) impose un univers, une atmosphère bien spécifique. Un hale ne se raconte pas n’importe où, n’importe quand. Il requiert à lui seul tout un rituel et tout un cérémonial. On attend la nuit tombée, après la prière du soir, la dernière de la journée, on se réunit à plusieurs dans la cour d’une case ou ce qui sert de salon, et on commence. Les contes ne se font pas en plein jour. La tradition veut même que celui qui est surpris en train de faire le récit d’un conte en journée soit privé de nourriture tout au long de cette journée. Ainsi, le soir venu, on se rassemble autour du conteur, généralement de la conteuse et on se laisse transporter dans le milieu des djiins et des chaitwans. Il existe donc tout un rituel autour du dit d’un conte. Un rituel qui englobe trois éléments : une conteuse (ou un griot), son public, à la tombée de la nuit. Une sorte de rituel encore très perceptible lors des veillées de contes, bien que celles-ci se fassent de plus en plus rares. Comme dans toute situation d’échange, le conte implique le don et la réception entre le narrateur/conteur et l’assistance/destinataire. Il prend forme suivant deux critères précis liés aux modalités de diction du conte : l’espace et la temporalité. Cette temporalité est aussi nécessaire au récit du conte que ne sont le conteur et son auditoire. L’ensemble constitue les préalables à la mise en scène ou en jeu du récit oral. Un conte se dit toujours à la tombée de la nuit, dans un lieu de préférence clos mais ouvert sur le ciel (la cour d’une case). Ainsi le temps devient une fonction primordiale de la narration. Les enfants dociles et passionnés, sont prêts à écouter ébahis de redécouvrir le mystère du baobab d’en face, de la chaumière d’Ibounassuiya, intrigués et fiers de toute cette intelligence dont le jeune bougre savait faire preuve. La fascination prendra place dans les yeux de ces gamins dont l’histoire, contée par la grand-mère est un moment privilégié, le moment où ils réapprennent leur pays, où ils voyagent loin dans les contrées jamais visitées que par leur imagination, cette imagination qu’emportera la vieille conteuse. Bien des années plus tard, tous se remémoreront, tristes et heureux, ces soirées délicieuses auprès des leurs, ces soirées qui prenaient leurs esprits par la main et les menaient en voyage loin, très loin. Cette fête était un moment de se retrouver tous ensembles entraînés dans une même aventure, par la voix magique de la grand-mère. Nous pouvons donc voir que le travail du conteur ou de

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la conteuse prenait forme sous l’aspect de la maîtrise de la langue dont savent faire preuve les conteurs. Ainsi, lorsque les trois éléments cités sont réunis : la conteuse, son public, la nuit tombée, le conte peut commencer.

Mais au préalable, la conteuse délimite le champs fabulateur du conte en l’introduisant par la formule de rigueur : « hala halele, hala hadisi, ganambo hale, no hale ndrabo,ye udjoshindana, mdruwa mdroni, badi ye udjo nekeza ». Le début de la formule apparaît comme une incantation, une formule d’ouverture que l’on traduirait par « Il était une fois, il était un conte ». A partir de « ganambo … » cela donne littéralement : « je dis un conte mais le conte est mensonge celui qui en discuterait irait en enfer, excepté celui qui me reprendra. » Par cette formule, la conteuse réaffirme ce qui fonde le conte, le principe fantasmagorique, la véracité de son essence : un mensonge pur et simple. Par ce procédé d’une annihilation propre, le conte met en place sa dimension merveilleuse d’au-delà du réel, et son intemporalité. Le hale est ainsi le seul mensonge qui se doit d’être un mensonge pour être et trouver sa justification. Le verbe « Ganambo … » traduit par « je dis », permet au conteur de s’approprier entièrement le récit et de tester son auditoire. Il explique ce que tout le monde sait, que l’univers du conte est fictif, d’où la phrase « hale ndrabo ». Le terme hale renvoie à ce qui est du domaine du passé, il signifie « autrefois, il y a longtemps… ». Il décrit ce qui est révolu. A partir de là, le conteur peut laisser place à toute son imagination, le pacte avec l’auditoire étant scellé dès lors que celui-ci entend la formule et témoignant de sa totale adhésion en répondant au conteur « Gombe ». Cet auditoire admet l’espace propre au conte et à sa morale, un espace qui se doit d’annuler les limites du réel, de détendre à l’infini les possibilités d’action des personnages, de bouleverser les règles établies et de transgresser à souhait et si la conteuse le désire, les lois effectives. Cette démultiplication des possibilités offre un cadre idéal à la conteuse pour captiver son public. S’inscrivant dans un espace de dialogue entre les mots et l’imaginaire, il lui faut maintenir la tension tout au long du récit en avivant ou incitant l’adhésion de son auditoire. Cette adhésion se traduit généralement par des interventions telles que les expressions de stupeur « Kodo », « Aybo », de joie ou au contraire de frayeur « inalillahi », les marques d’empathie vis-à-vis des personnages « Massikini, le pauvre, « Kaffudé » etc… L’interaction ainsi palpable traduira le succès du conte et par conséquent, les qualités du conteur. Pour

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parvenir à ce résultat, celui-ci fera appel à de nombreux savoirs faire tels que les mimes, les jeux, les imitations, les onomatopées : jouer les personnages qu’il cite, mimer les bruits, les gestes. Les enfants, sourires aux lèvres, écouteront alors attentivement la moindre intonation de voix, le moindre frôlement de souffle, se laissant transporter par la voix magnétique du comédien ou généralement de la comédienne âgée des milliers de conte dont ses grands- parents lui faisaient le récit des années plus tôt, beaucoup plus tôt. Une autre donnée importante, qui renvoie elle aussi non seulement à la structure du conte mais aussi au jeu du conteur, est celle de la multiplication par trois des étapes du récit. En effet, on trouve généralement, un même événement qui sera répété trois fois consécutives comme nous le montre le conte des trois frères, cité plus loin.

b) Les motifs et les personnages récurrents du conte comorien

Comme nous l’avons déjà esquissé, les personnages les plus récurrents du conte comorien sont les enfants et les djinns (esprits qui, dans la société comorienne sont admis comme réels car leur existence est attestée par le Saint Coran). Les djinns ont été créés par Dieu, tout comme les anges, tout comme les hommes. Tous trois vivent, certains sur terre, d’autres dans les cieux et les djinns dans des mondes qu’on appellerait parallèles. Les djinns et les ogres sont communs aux univers des contes en général, on retrouve dans les contes occidentaux des esprits (fées, lutins…) et des ogres. Le motif de la sorcière apparaît aussi mais sous la forme d’une vieille et méchante grand-mère dont les pouvoirs restent tout de même très limités. Aux personnages des ogres, mangeurs d’enfants qui incarnent les méchants dans les contes, viennent s’ajouter les diables ou dimkuu, qui ont à peu près les mêmes fonctions. Ils peuvent manger des enfants, jeter des sorts, les emprisonner pour en faire des esclaves ou trouver un moyen, à travers les enfants, de faire faire aux parents leur volonté. Mais dans la majorité des contes, les héros triomphent, les enfants déjouent les pièges qui leur ont été tendus et parviennent à se sauver. Le diable, djinn ou ogre est vaincu et souvent, il est tourné en ridicule. Il serait mieux venu d’énoncer des exemples pour justifier nos propos mais il serait aussi assez difficile de tous les reprendre. Par conséquent, nous nous appuierons sur deux contes bien distincts afin d’étayer ces dires.

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Le personnage de la jeune fille face au Dimkuu

La fille et le diable78 Il était une fois un homme et une femme qui s’étaient mariés et qui avaient eu une fille. Elle n’était jamais sortie de chez elle. Elle ne savait même pas à quoi ressemblaient la lune et le soleil. Un jour arrivèrent des filles qui lui dirent : « Qu’en penses-tu, si tu venais avec nous à la mer ? Je ne peux pas vous suivre car mon père et ma mère sont partis aux champs ! » Elles insistèrent longtemps jusqu’à la convaincre de s’habiller et de les suivre à la mer. Lorsqu’elles y arrivèrent, Moina Fatima ôta ses vêtements et les laissa avec ses clés sur un rocher. Elles se baignèrent et sortirent de l’eau. Elles s’habillèrent et prirent le chemin du retour. Quand elles arrivèrent à l’entrée de la ville Moina Fatima s’aperçut qu’elle avait oublié ses clés. Les autres lui dirent : « Va les chercher, nous t’attendons ici. » Moina Fatima reprit le même chemin jusqu’au bord de la mer. Elle chercha vainement ses clés. Elle se retourna et vit un diable près de ses clés. Elle se rapprocha et dit au diable : « Donne moi mes clés ! Vient et baisse toi pour les prendre ! » Au moment où elle se courbait pour les prendre, le diable la mit sur ses épaules et partit. Ses camarades l’attendirent longtemps et décidèrent de rentrer au village. Son père et sa mère revinrent des champs et ne la trouvèrent pas. Ils se mirent à pleurer. Ses camarades qui l’avaient accompagnée vinrent raconter à ses parents l’histoire. Ils allèrent au bord de la mer, la cherchèrent sans la trouver. Le diable l’emmena dans un lieu où il n’y avait que le ciel et la mer. Ils arrivèrent à un endroit et lui demanda : « - Que vois-tu ? - Je vois un grand arbre. - C’est là où nous allons. » Moina Fatima commença à pleurer. Il la laissa et partit chercher quelque chose à manger. Elle resta des jours durant et n’entendit personne bouger dans l’arbre. Un jour elle entendit quelqu’un couper du bois. Elle commença à chanter pour qu’il l’entende. Toi enfant qui va par les chemins d’ici-bas Dis à Maman et à Papa de venir Me libérer de ce géant Un géant qui ressemble à un bœuf ou une chèvre

Le diable dit : « Qu’as-tu dit, qu’as-tu chanté, ma petite Maman ? - Si tu me libères de cet arbre j’irai puiser de l’eau, te chercher de l’eau de mer pour te baigner et des fagots pour te chauffer. » Elle tremble, elle tremble. « Tu ne descendras pas de cet arbre.» Moina Fatima commença à pleurer. Le témoin était parti raconter l’histoire au village. Son père et sa mère cherchèrent un mwalimu et partirent. Ils allèrent dans la forêt et commencèrent à couper des fagots. Moina Fatima les entendit et commença à chanter. Son père et sa mère l’entendirent et s’en réjouirent. Ils s’approchèrent et virent que le diable n’était pas là. Le mwalimu commença à réciter et à souffler des prières [dans la forêt]. L’arbre commença à s’incliner jusqu’au sol. Ils prirent l’enfant et le mwalimu récita d’autres prières et l’arbre se redressa. Ils se cachèrent ensuite. Le diable apportait quelque chose [à manger] et il monta dans l’arbre. Les autres mirent le feu. Ils emmenèrent la fille et rentrèrent très contents au village.

78 Saïd Ahmed Moussa, op. cit., pp.171-173 68

Le conte ci-dessus est très connu. Il est aussi repris sous une autre version dans le recueil Djambo Djema79 sous ce titre ainsi que dans Les contes de ma grand-mère. Les deux versions présentent l’un des personnages récurrents du conte, le dimkuu (diable) et le héros, un enfant, ici une jeune fille. Dans la version A.S. Wadjih, l’accent est mis sur le Dimkuu et ses artifices. Il est le personnage central, le « Djambo djema » ou littéralement, le beau- parleur. Pour la version de Salim Hatubou, la jeune fille est d’emblée la pièce maîtresse du conte, innocente et ignorante des dangers du monde car, n’étant jamais sortie de chez elle, ne connaît rien au monde alentour. Si les deux récits diffèrent dès le commencement par le cadre et la situation : Mhazakungumanga est, chez Wadjih, fille de roi. C’est elle qui, interpelléé par la beauté du Dimkuu transformé en « Ce bel homme vêtu tel un prince. »p.25, lui livre la clé de l’énigme à laquelle son père confrontait tous les sujets désireux d’épouser la princesse. Chez Hatubou, l’insistance sera faite sur la vanité et l’orgueil de la mère de M’haza Kungumanga ainsi que sur l’ignorance de la jeune fille. Cette ignorance que l’on pourrait comparer à l’innocence, est soulignée ici par la phrase : « Elle ne savait même pas à quoi ressemblaient la lune et le soleil ». Ayant désobéi à ses parents, elle se retrouve punie. Prise au piège, la petite fille pleure d’abord avant de trouver un moyen de retourner auprès des siens. Elle profite alors de l’absence du diable pour se mettre à chanter et espérer ainsi se faire entendre par quelques passants. Le chant revient souvent dans les contes, lorsque le héros est en danger, plutôt que de crier et d’appeler à l’aide, il se met à chanter. La chanson fait probablement partie des embellissements du conte et que les femmes qui en connaissent aiment à exercer leur voix, séduisant ainsi l’auditoire. Certes, l’enfant n’est pas orpheline, mais elle est prisonnière d’un diable qui refuse de lui rendre sa liberté. Elle doit alors tenter, malgré son ignorance et sa trop grande naïveté, de s’extirper de ses griffes. Elle y parvient, non pas par sa promesse « si tu me libères, j’irai te chercher de l’eau … » auquel cas, en sous- estimant l’intelligence du diable, elle croyait pouvoir le berner, mais par cette chanson lancée avec l’espoir qu’elle soit entendue. Dans les versions d’Hatubou et Abdéréman Saïd Mohamed Wadjih, la jeune fille épouse Dimkuu sans savoir qui il est, mais sa curiosité l’emmenant à désobéir aux interdictions de son époux lui permet de le démasquer et de prendre et de lui échapper. Celui- ci est une sorte de Barbe-bleue qui cachant sa véritable nature, perpétue la même histoire jusqu’au jour où une jeune femme parvient à déjouer ses projets.

79 Abdéréman Saïd Mohamed Wadjih, Djambo Djema, Komédit, 2003 69

Il n’y a pas à l’écrit, tout le charme du conte oral fait par une conteuse, et même, le conte paraît assez peu étoffé. Il ne semble a priori, y avoir aucune morale. Cependant nous pouvons en déduire qu’il s’agit d’une mise en garde face à la désobéissance. La jeune fille, n’ayant pas le droit de sortir puisque ses parents ne l’y ont jamais autorisée, se retrouve captive d’un diable qui lui a volé ses clés. La morale serait ici qu’il ne faut pas désobéir aux parents.

c) Un personnage à part, Ibunaswia

Au delà de ces jeunes orphelins, un personnage dont l’âge n’est défini (il est tantôt très jeune tantôt adulte), se démarque des autres. Héros populaire, Ibunaswia est aussi celui de plusieurs contes. Petit Robin des Bois, il incarne le type de héros populaire dont on aime à écouter les exploits car défenseur de la masse des pauvres, petits et opprimés qui supplantent les riches et puissants par la ruse. En effet, les contes d’Ibunasswia décrivent toujours les problèmes que peut rencontrer toute personne pauvre et donc peu crédible dans la société puisque sans le sou. Ce qui importe à l’auditoire qui sait à l’avance que le héros va triompher et repartir plus riche et plus heureux qu’au début du conte, c’est de savoir comment il va parvenir à ses fins. En règle générale, le personnage est dépeint par le conteur soit comme étant extrèmement intelligent et rusé, soit comme un être naïf et parfois niais mais à qui la chance sourit toujours. Selon les propos de Moussa Saïd Ahmed, le héros Ibunasswia est inspiré de deux personnages : d’une part du lièvre africain, le sungurwa qui est à la fois très malin et qui « triomphe par la ruse d’une épreuve apparemment impossible », et d’autre part d’Abou Nouas, personnage des « mille et une nuits ». Ce Abou Nouas « est un poète arabe d’origine persane qui vécut au VIIIème siècle à le cour de Harun-Al-Rachid. Il devait sa célébrité à un recueil de poèmes sur le thème du vin. » Il s’agirait en fait d’un personnage à qui on a attribué de glorieux exploits qui poussaient ses adversaires à partager ses richesses avec le peuple. Ce qui explique pourquoi Ibunasswia se trouve toujours confronté et triomphant de riches marchands, des rois puissants, des hommes opulents (cf. Ibunasswia et l’orphelin où il doit défendre un orphelin et sa grand-mère contre un roi injuste et méchant.) C’est donc par la ruse que le héros parvient non seulement à se tirer des pièges et des épreuves les plus difficiles mais aussi à parvenir à ses fins (cf. Ibunasswia et son bœuf où il échappe à la mort en piégeant un passant désireux de prendre sa place dans le sac où il était

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enfermé car le jeune homme venait de lui faire croire qu’il se trouvait là pour avoir refusé d’épouser la princesse.) Voici ci-dessous un exemple de contes dont Ibunasswia est le héros.

Ibunasswia et le riche marchand80 Il était une fois un jeune garçon qui se nommait Ibunassuia. Il menait une vie de misère. La nourriture, il se la procurait difficilement. Les vêtements, il se les procurait difficilement. Un endroit pour dormir, il le trouvait difficilement.

Une nuit, il dormait dans une maison dans laquelle il y avait un riche [marchand]. Il se réveilla pour aller aux toilettes et dit : « Si Dieu me donnait quatre cent quatre-vingt quinze francs, moins un franc, je ne les prendrai pas. » Le riche marchand arabe l’entendit. Il se leva et deposa l’argent sur la table d’Ibunassuia. Lorsqu’il sortit des toilettes, il trouva l’argent là. Il le compta et s’aperçut que la somme était celle qu’il venait de demander. « Si je lui avais demander de me donner le franc qui manque, il aurait compléter la somme. Dieu merci. Je prends tout de même l’argent. » Le propriétaire sortit à ce moment là et dit : « - Cet argent est à moi, donne le moi. Je voulais seulement tester ta réaction. - Tu possédais cet argent et c’est seulement après mes paroles que tu es venu le déposer chez moi. Tu es un menteur. Tu es un voleur. Si tu veux que je te le rende, tu me remettras ton manteau pour que je le porte. Tu me donneras aussi ton âne et puis on ira en justice. Tu me prêteras de même ta canne. »

Ils se rendirent chez le cadi. Ibunassuia, lorsqu’on lui demanda de s’expliquer, dit : « J’ai prié Dieu pour qu’il me donne quatre cent quatre-vingt quinze francs moins un franc, Dieu me les a donnés. Celui-là vint me dire que cet argent est à lui. Moi je n’accepterai jamais de les lui donner. Je sais qu’il oserait dire devant vous que ce manteau que je porte est à lui. - Tu dis qu’il n’est pas à moi. - Il dira aussi que les chaussures que je porte sont à lui que la femme qui est à la maison est la sienne. - Et tu crois que tout ceci n’est pas à moi. » Le cadi prit alors l’arabe et l’enferma. Il dit : « Il est fou. Ce n’est pas une personne capable de faire un procès. Il faut l’emprisonner. Leur prétention est telle qu’ils veulent s’emparer de l’argent d’autrui. Il se veut le plus riche. »

La femme de l’arabe attendit longtemps. Ibunasswia l’épousa et s’empara de tous les biens [du riche marchand].

Ici, Ibunasswia est un jeune garçon qui, n’étant pas décrit, permet à l’auditoire, une meilleure et plus facile identification au héros. Chacun pourrait être Ibunaswia. Son âge ne nous est pas indiqué. Même si cela n’est jamais souligné, on sait qu’il est orphelin car jamais on ne le présente avec une famille. Dès le départ, le conteur nous donne les conditions de vie du héros « il menait une vie de misère » car il se procurait le minimum vital très difficilement. Dans ce conte très bref, on a toutes les caractéristiques propres à notre héros. On le voit rusé

80 Saïd Ahmed Moussa, op. cit., pp.175-178 71

car il réussit à obtenir de l’argent du riche marchand, et trompeur puisqu’il retourne la situation en sa faveur : le marchand qui croyait pouvoir se moquer de lui s’aperçoit qu’il est pris à son propre jeu, et manipulateur car il fait passer le marchand qui dit la vérité pour un menteur. A la fin, il hérite et du manteau du marchand, de son argent, de sa demeure et de la femme de celui-ci qui se retrouve emprisonné. En ce qui concerne l’aspect esthétique du conte, on ne peut pas dire qu’il soit très étoffé. Il s’agit ici d’un récit concis où seule l’histoire est racontée. On ne peut pas vraiment parler de mise en valeur du conte car il n’y a pas de réel enrichissement extérieur. La plupart des contes comoriens retranscrits à l’écrit sont toujours aussi brefs.

d) Les contes, des récits d’apprentissage

Les contes comoriens ne sont pas emplis de princes et princesses « qui se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » comme c’est le cas en France (Occident). Il s’agit bien plus souvent de jeunes orphelins qui doivent tenter de survivre, on leur demande alors de faire preuve de malice et de ruse. Dans de nombreux contes, l’histoire commence à la mort des parents qui laissent derrière eux le ou les enfants. Ils doivent réussir à s’éduquer seuls. Pour cela, seules la malice et la ruse seront les armes pour vaincre le quotidien et les méchants. Ce qui permet de comprendre pourquoi le conte est considéré comme un texte d’apprentissage social. En effet, pour déjouer les pièges ou les mauvais tours tendus aux héros, il faut allier à la malice, le courage ainsi que les valeurs d’honneur, de piété et de respect.

Ici encore, à l’exemple de la majorité des genres oraux, les femmes sont aussi, les maîtresses dans l’art de raconter un conte. On explique qu’aux Comores, les enfants et les femmes sont les détenteurs de ces récits merveilleux. Ces dires sont appuyés par Moussa Saïd Ahmed qui explique : « Les Comores connaissent deux catégories distinctes de conteurs, d’une part les femmes, d’autres part les enfants ». Mais comme il le dit à la suite, «ce sont toutefois les femmes qui demeurent les véritables dépositaires des contes. » Cet apprentissage passerait alors par la figure de la femme, peut-être de la mère. En effet, les femmes excellent dans l’art de dire un conte et au fil de l’âge, leur expérience s’affine et en écouter une, surtout une grand-mère, est un moment unique dans le voyage vers les imaginaires lointains. Cette féminisation de l’art du conte est aussi rappelée

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par le titre du recueil de Salim Hatubou, Les contes de ma grand-mère81. Ici, le nom grand- mère accolé au mot de conte par la préposition « de » et le possessif « ma » rend bien compte de l’idée que dans nos souvenirs, les contes sont faits par des femmes et notamment des grands-mères, symbole de sagesse, de tendresse et d’expérience. Cette idée est aussi traduite dans un autre recueil82 du même auteur où le conteur nous explique qu’il porte les babouches offertes par sa grand-mère : « Comme le matin je devais partir, ma grand-mère me tendit une paire de babouches en peau de chèvre et me dit : -Tiens mon enfant, tiens ces babouches ! »83 et nous fait part des dernières recommandations de celle-ci. Avec insistance, la grand- mère reprend : « Mets ces babouches, mon enfant, mets-les ! Ainsi, elles te feront parcourir mille lieux et te ramèneront toujours ici, parce que tes racines sont dans ce village. »84 La grand-mère explicite ainsi l’idée du voyage nécessaire, une quête vers un éternel retour. Le conte symbolise alors ce voyage initié par un retour aux sources, aux origines tel que ne cessera de le définir l’auteur lui-même. C’est donc avec les babouches qu’il prend la route et entreprend ce qui apparaît comme un parcours initiatique. Même si tout au long du chemin, il va rencontrer des vieilles personnes, des hommes qui vont l’emmener à la découverte des légendes du pays, la grand- mère est le premier personnage du conte et c’est par elle, qu’en recevant les babouches en signe d’héritage, le conteur, par les voix des vieux promeneurs, peut se lancer sur les traces des djiins, des ogres et des maris jaloux.

Comme on le voit dans les contes cités plus tôt, c’est l’intelligence des enfants qui les sauve. Etre capable de ruser et de tromper l’ennemi de façon subtile est nécessaire. Voilà pourquoi les contes sont classés parmi les textes d’apprentissage et pourquoi leur transmission reste un travail de réappropriation identitaire et d’éveil moral. Dans un pays où les dialogues entre les générations demeurent une barrière, expliquer et apprendre les règles de bonne conduite mais surtout des valeurs humaines peut sembler hardu. En cela, le principe double du conte ou de la fable, instruire et plaire, offre une possibilité de communication sans commune mesure avec des cours rigoureux sur la bienséance et autres. Cela nous rappelle certains

81 Salim Hatubou, Les contes de ma grand-mère, (Contes comoriens),L’Harmattan, 1994 82 Salim Hatubou, Sur le chemin de Milevani, je m’en allais… , L'Harmattan, 2001, Paris 83 Idem, p.3 84 id 73

contes des frères Grimm tel que Hansel et Gretel, le Petit Poucet et autres. On retrouve dans ces contes venant de contrées bien éloignées des îles de la Lune, le mythe de l’enfant capable de surpasser tous les obstacles en faisant preuve d’ingéniosité, de malice et d’intelligence. Et de même que dans le Petit Poucet, c’est lui qui sauve tous ses frères et leur permet de rentrer chez leurs parents, et ce malgré le fait qu’il soit le plus jeune de tous, de même le cadet des frères dans Le roi qui ne voulait pas être contrarié, venge ses frères et devient roi à son tour. L’histoire est simple : trois garçons se retrouvent orphelins de père et de mère en peu de temps. Ils doivent donc veiller les uns sur les autres. Le plus âgé, ayant conscience des responsabilités qui lui tombent dessus, décide de se rendre chez le roi du village afin de lui proposer ses services. Le roi lui offre un travail à condition que le jeune promette de ne jamais s’emporter et ce, dans aucune situation. Autrement il le tuerait. Le garçon accepte mais il faillit à sa parole en s'irritant contre le chien du roi. Celui-ci lui avait mangé son repas durant trois jours consécutifs alors qu’il était lui-même affamé. Alors le roi le tue. Le deuxième frère se présente lui aussi au palais et c’est le même canevas. A la fin, n’ayant plus aucune famille, le dernier des garçons se rend auprès du roi lui demander du travail qu’il trouve sous les mêmes conditions que les deux précédents. Mais avant d’accepter, celui-ci demande au roi de jurer à son tour de ne jamais s’emporter sous peine de mourir lui aussi. Ainsi , trois fois de suite, l’enfant déjoue les plans du roi et lui cause des dommages importants : il coupe une patte au chien qui lui mangeait son repas, tue tout l’élevage de chèvre du roi après l’avoir empoisonné et, réussi à épouser la princesse. Au bout de trois affronts, le roi entre dans une colère noire et, ayant failli à sa parole, est voué à la mort. Le jeune garçon s’empare alors du royaume et épouse la princesse. La capacité à déjouer les pièges, à renverser les situations à leur avantage grâce à leur malice, leur intelligence et leur habilité font des enfants les héros privilégiés des contes.

La littérature orale demeure durant des siècles, et ce jusqu’aujourd’hui, la littérature prédominante aux Comores. Elle est le mode d’expression artistique le plus facile à reproduire puisqu’elle est constitutive de la mémoire collective et naît de cette même mémoire. De plus, elle n’implique aucune connaissance scolaire car sa transmission passe par l’apprentissage par cœur qui est facilité par la fréquence des manifestations festives où apparaissent les genres oraux. C’est aussi, comme nous avons pu le voir avec les chants (hymnes à la joie et autres,

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les contes et les berceuses) une littérature où la place et le rôle de la femme sont prépondérants. Alors qu’écrire requiert des études, des connaissances, des sciences apprises auprès d’autorités enseignantes, réciter fait seulement appel au souvenir, à la mémoire. Ce qui peut expliquer pourquoi cet aspect continue de dominer la scène littéraire comorienne. D.A.Abdourhmane dit à ce propos : « Comme dans beaucoup d’autres pays africains, l’oralité demeure la source de l’activité littéraire aux Comores. Elle y connaît encore un développement et un intérêt considérables, en tant que base du système éducatif traditionnel. » 85

85 Daniel Ahmed Abdouroihmane Café, Evolution de la littérature de tradition orale aux Comores. TAREHI, Dossier : La littérature comorienne, Mars-Avril-Mai 2002, N°5, p.23 75

II. DE L’ORALITE A L’ÉCRIT, ÉTAPES D’APPARITION DE LA LITTÉRATURE ÉCRITE

II.1. Écriture et littérature, une combinaison aux abords complexes

Après de nombreuses recherches, nous avons dû admettre que trouver des données claires et précises sur l’évolution de la littérature comorienne et plus particulièrement la littérature écrite reste une gageure. Cependant, malgré une documentation réduite, nous avons pu, à partir d’ouvrages anthropologiques et beaucoup de déductions faites avec l’aide de personnes assez informées sur la question, reconstituer un début d’explication sur l’évolution de la littérature comorienne. Nous partons de bribes d’indices glissés par ci par là dans les études de chercheurs tel que Damir Ben Ali, Mohamed Ahmed Chamanga et d’autres afin d’aboutir à quelques résultats sur sa naissance. Nous resterons tout de même assez nuancée quant aux hypothèses avancées et aux interprétations que nous déduirons de nos recherches. En effet, la littérature écrite comorienne ne date pas d’aujourd’hui. Bien qu’infime d’un point de vue quantitatif, elle a un long passé derrière elle et ne cesse de se propager. Elle conserve dans ses réalisations les points essentiels et fondamentaux à la réalisation de la culture comme élément majeur de l’identité sociale. C’est en son sein que se réunissent les plus importants faits survenus dans l’histoire du pays. Nous nous efforcerons d’étudier dans cette partie ce que nous avons choisi d’appeler les trois grandes périodes de peuplement des îles comme étapes d’établissement ou de support à la littérature écrite.

Selon certaines sources, dont l’excellente étude de Moussa Saïd Ahamed, après avoir abouti à une synthèse des éléments fournis sur les différents peuplements des Comores, on peut envisager : « quatre grandes périodes historiques : le temps des matrilignages Hinya fondateurs des villes et villages (période des chefferies dite des Fe et des Bedja), les sultanats, la colonisation et l’indépendance. »86

86 Said Ahmed Moussa, op. cit., p.23 76

La période des Hinya (lignages matriarcaux) fondateurs constitue le socle du système traditionnel Comorien. L’importance de ce système se traduit aujourd’hui par l’impact encore plus actuel et vivace de l’organisation coutumière tel que nous le verrons plus loin. De nombreux textes auraient été produits. Or de cette période riche en créations littéraires, aucun écrit n’a été référencé. En ce sens, notre prétention à l’étude d’une structuration littéraire écrite de ces peuplements nous poussera à faire le constat d’un découpage en trois temps, recoupant ainsi l’écriture sous les sultanats, la colonisation française et l’indépendance ou après France.

II.1.1 Les trois grandes périodes historiques des Comores comme étapes d’établissement d’une littérature écrite pour les îles

a) L’écriture sous les sultanats Au cours de nombreux siècles, les Comores ont connu de grandes mutations politiques. Avec les différents peuplements des îles, les mœurs communes à chaque peuple d’immigrants décrivaient un nouveau système d’établissement des puissances dominantes. Les lignées de rois et reines reconnus sous l’appellation des Fe et Bedja87 cédèrent la place aux titres de sultans vers le XVIème siècle, donnant lieu à une réorganisation du pouvoir. Durant cette période qui s’étendra jusqu’au XIXème siècle, les grandes lignées matriarcales, hinya, se livrent parfois des combats fratricides en vue de conquérir de nouveaux territoires et d’y établir leur influence et leur suprématie. Cette période de tensions n’a pourtant pas empêché la créativité artistique, les sultans favorisaient l’art et la littérature. Moussa Saïd Ahmed le précise dans ses recherches en les nommant « les sultans batailleurs et poètes », rectifiant ainsi le surnom simple de batailleurs88 donnés aux sultans par certains chercheurs du début XXème siècle. Il apparaît que plusieurs d’entre eux vouaient une grande considération et un profond respect au monde de l’art et à la littérature en particulier. Ils entretenaient dans leurs cours, des poètes, des conteurs, des orateurs et des chanteurs itinérants.

87 Appellation désignant anciennement les rois et reines et personnages importants d’un groupe dominant. Ceux- ci étaient désignés suivant le système traditionnel de l’époque. 88 Titre de l’ouvrage d’un administrateur français Urbain Faurec, L’archipel aux sultans batailleurs, publié en 1941 puis réedité par Promo AL Camar n°8, Décembre 1969. CERSOI, Aix-en-Provence. Ce tritre devenu un qualificatif courant, est sujet à de nombreuses controverses. Repris par de nombreux chercheurs dont Jean Martin, éminent spécialiste de l’histoire des Comores, il souligne l’aspect excessivement belliqueux des premiers chefs comoriens, les sultans. Un aspect de plus en plus nuancé -comme dans l’ouvrage de Damir, Boulignier et Ottino, Histoire d’une lignée royale à la Grande Comore- voire contredit par les nouveaux chercheurs historiens ou anthropologues qui y voient une tentative de caricature de l’ensemble comorien. 77

Le sultan Ntibe Trambwe Mlanao, dit Mbae Trambwe 89, tenait ce double rôle de sultan et d’intellectuel. Personnage très cultivé, il affectionnait particulièrement les lettres. Il descendait d’une famille de lettrés. Son père, le sultan Ntibe Mlanao du Bambao et sa mère Mmadjamou binti Msafoumou de Ntsudjini étaient tous deux de grands poètes. Le sultan Mbae Trambwe a laissé derrière lui plusieurs poèmes et adages dont certains ont été compilés dans le recueil Mbae Trambwe, Poèmes, Pensées et Fragments90. Il est dit qu’un autre sultan, Abidi du Domba, réunissait sa cour tous les soirs et ensemble, ils se laissaient aller au plaisir des belles phrases, des jeux de mots, des devinettes. Durant de longues soirées de récitations, ses hôtes concourraient au perfectionnement de la récitation (tadjwid) du Saint Coran. Cette forme de lecture très prisée, fait encore aujourd’hui l’objet, de toute une formation dans les madrassas du monde entier (Al Azhar). En ce sens, lorsque le sultan Abidi organisait ses soirées de récitation, il contribuait pleinement à promouvoir la littérature, bien que celle-ci ne soit pas encore écrite. Il est à l’origine de nombreux idzoza (énigmes) et il est dit que ses contemporains reconnaissaient en lui de grands talents de conteurs. De plus, les sources de Moussa Said Ahmed ajoutent à ce sujet qu’il « n’admirait un guerrier que si celui-ci savait manier avec délicatesse le shinduantsi (éloquence traditionnelle).», que nous traduisons par rhétorique de la généalogie. C’est donc dans l’oralité que se manifestait l’art de la parole. Le mot prenait alors tout son sens et ceux qui savaient s’en servir pour instruire et plaire restaient dans les mémoires. Le XVIIIème siècle est marqué par l’importance de ces manifestations orales. Bien que jusqu’aujourd’hui, l’art de la parole soit toujours aussi prisé et vivant, certains poètes en faisaient, à cette époque, leur arme et leur gagne pain. Les poètes philosophes au XVIII ème siècle : Mnaidjimba Chari, Mbae Trambwe, Youssouf Djindoni91 ont laissé derrière eux des shaîri (genre poétique très apprécié au XVIIIème siècle). Alliant sagesse et rhétorique, discours et poésie, ils séduisaient par la beauté de leurs textes et leur adresse dans la joute verbale.

De cette période, date de nombreux adages, de hadisi, de proverbes et autres formes de déclinaisons littéraires. Ainsi, « aux genres classiques (poésies, maximes, contes etc.),

89 Le terme de Mbae signifie grand-père. Il traduit ici l’esprit de raisonnement, le pragmatisme et met en avant la sagesse du Sultan. 90 Damir Ben-Ali, Chami- Allaoui Masseande, Mbae Trambwe, Poèmes, Pensées et Fragments, CNDRS, Moroni, 1990 91 Se référer aux travaux de Moussa Saïd Ahmed dans lesquels il propose une présentation succincte des poètes ainsi que quelques textes. pp.189-203 78

s’ajoutèrent des figures de pensées telles que le tafsiri l’Kur’ani, traduction commentée du Coran. » Ceux sont ces mêmes genres que l’on retrouve aujourd’hui, à l’écrit. Or, l’écriture demeurant très marginale, seuls quelques textes de poètes tel que Al Habib Bin Soumeit de son vrai nom Sayyid Omar bin Ahmad bin Sumeit(1886- ?) ont pu jouir d’une publication, non pas aux Comores mêmes, mais au Kenya et au Yemen. Celui-ci, fils du grand Sheikh Ahmad bin Sumeit, a vécu à Madagascar où il y a enseigné les sciences liées à l’Islam, occupé les fonctions de Kadhi à Pemba (Zanzibar) puis de grand kadhi sur cette même grande île arabo-swahilie. C’est au terme de sa vie professionnelle qu’il est rentré aux Comores où il continua, vraisemblablement à dispenser son savoir. Il fut reconnu comme le plus grand poète de son temps, en Afrique Centrale, par le très grand ‘alim Sheikh Abdallah Bin Saleh Al- Farsi,92 qui a fortement marqué l’histoire religieuse des Comores. Ainsi, si Al Habib bin Sumeit a pu jouir de cette forte notoriété au delà des frontières des îles de la Lune, c’est aussi parce qu’il n’ a que très peu vécu dans l’archipel. Son statut de grand religieux attesté par les différentes fonctions occupées donnaient caution à sa parole et ainsi, permettait à ses textes d’être reconnus et donc édités en vue d’être conservés. Nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant pour les différents poètes restés dans les îles ou ceux qui n’occupaient aucune fonction ni étatique, ni religieuse. Cela nous permet aussi de déduire que l’écriture, même dotée de qualités stylistiques, conservait avant tout un aspect fonctionnel et instructif.

b) L’écriture sous le protectorat et la colonisation : une organisation disciplinaire et instructive à deux vitesses, l’école et le chioni

Par contre, il ne semble pas en être de même quant à la période de la prise de pouvoir par la France sur les îles. Les difficultés rencontrées par les sultans durant les différentes étapes de la colonisation des Comores n’ont laissé de traces que dans les chroniques anciennes. Dès le début du XIXème siècle (peu de temps après les invasions malgaches (1793- 1810) qui éprouvèrent profondément les Comores), de grandes colonies comme Madagascar pour la France, ou Zanzibar pour le Royaume uni formaient des puissances coloniales dont l’influence permanente se répercutait sur le paysage politique de l’archipel ainsi que sur son statut. C’est ainsi que les îles basculèrent d’état autonome, en protectorat, puis en colonie sans oublier le lien de dépendance à Madagascar. Ces changements de statuts s’officialisaient

92 Sheikh Abdallah Bin Saleh Al-Farsi est un grand théologien (1912-1982) 79

essentiellement par les nombreux traités signés entre les colons français ou anglais de passage dans les îles et les sultans. A partir de ces traités, l’instabilité régnante ne fit que s’accroître. Les Comores devinrent la proie d’importantes tractations douteuses de la part de certains sultans désireux de prendre le contrôle des îles avec pour la plupart, l’aide des français. À Ngazidja, le sultan Saïd Ali fut nommé sultan de toute l’île par un traité de 1892 dont l’article 2 stipule que « sont également supprimés les sultanats particuliers du Bambao, Itsandra, Mitsamihuli, Mbude et MBadjini. Le sultan Saïd Ali régnera sur toute la Grande Comore »93. Ce traité annule l’organisation propre de l’île. En imposant un seul sultan, il ne tient aucun compte des lois et des codes de transmission du pouvoir tels qu’ils sont établis. Il met aussi à mal le système de répartition des terres. Les sultans ont alors à cœur de protéger leurs biens en faisant valoir leurs droits sur leurs territoires. Les textes datant de cette époque étaient écrits par les sultans dans le but de faire acte de propriété pour les terres que la France voulait leur retirer. L’ouvrage de Moussa Saïd Ahmed fait état de l’impact négatif provoqué par l’épisode de la légation de tous les pouvoirs au sultan Saïd Ali et qui a beaucoup marqué les esprits. Certains poètes-chanteurs de l’époque, les wapvanzi, Kari Ismaël ou Ipvesi Mgomdri, en firent le récit dans leurs textes. Comme le souligne Pechmarty, outre ces rares productions orales, les écrits datant de cette période sont pour la plupart des textes officiels établis pour les besoins du législateur.

Le chioni Et en regardant de près l’évolution de la littérature écrite aux Comores, on ne peut que s’arrêter sur des questions apparemment hors de propos puisqu’elles ne devraient plus avoir lieue et pourtant, elles sont bien là. La littérature comorienne subit un retard considérable par rapport aux littératures africaines ou encore celles de l’Océan Indien. On constate que durant de longues années, les comoriens n’ont pas eu accès à la moindre instruction. Non qu’il n’existât pas de sciences à acquérir car les peuples qui ont dominé et formé le pays disposaient chacun d’une langue et de l’écriture. Pour ce qui est des peuples bantous, nous savons que le swahili était leur principale langue, et le swahili est une langue qui s’écrit. Même si comme aux Comores, les peuples de langue bantoue sont pareils à la majorité des peuples d’Afrique, des peuples de l’oralité. Mais comme nous le savons aussi, le comorien n’est pas une variante du swahili, c’est une langue voisine.

93 Article énoncé et repris par Saïd Ahmed Moussa, op.cit., p.38

80

En ce qui concerne les sultans, on leur prête, et ce n’est pas faut, des origines arabo-persiques, shiraziennes. L’arabe est une langue très ancienne et dont l’écriture existait depuis bien des siècles avant que ces arabo-persans ne parviennent aux îles. Il y a donc eu, de cet héritage, la création de structures permettant l’accès à certaines sciences notamment à l’écriture. Ces structures, appelées chioni (littéralement, au cœur du livre), sont les écoles coraniques qui offraient aux enfants un minimum d’instruction et un premier contact avec l’arabe. On y enseignait et continue d’y instruire, et ce dès le plus jeune âge, le Coran. Les enfants apprennent essentiellement à le lire, mais aussi à l’écrire. Cet apprentissage de l’arabe, instauré comme obligatoire, se construit autour de trois étapes liées à une répartition des sourates du Coran. Les plus petits (trois à six ans) sont initiés à la lecture à partir du Kurasa (livre ou fascicule allant des lettres de l’alphabet arabe et comprenant l’intégralité du juzz Amma94). La première partie du Kurasa permet aux élèves d’apprendre à reconnaître puis à assembler les lettres toujours dans un souci de complexification qui l’amènera à savoir et maîtriser la lecture des versets coraniques. La seconde partie est constituée du juzz Amma et inclue la Fatiha, jusqu’à la sourate an-Nabà’. Au sortir du Kurasa, l’élève est jugé apte à entrer dans le monde des plus grands. Il sera alors initié au Mushaf qui représente l’intégralité du Coran. Et lorsqu’un enfant a pu parcourir, lire et relire intégralement le Mushaf trois fois, alors son apprentissage est sanctionné par une lecture publique appelée Hitima et ses efforts récompensés par une cérémonie du même nom « Pveha Hitima » où, mis à l’honneur, lui et ses camarades, ses pairs, recevront des cadeaux, les félicitations et les honneurs d’usage. En règle générale, cette consécration a lieu vers l’âge de neuf - onze ans, parfois huit, ou encore, mais exceptionnellement, six ou sept ans. Cette fête est vécue et ressentie comme un sacre, et permet l’entrée symbolique de l’enfant dans la vie adulte religieuse. C’est aussi à partir de ce moment que l’enfant intègre une deuxième phase d’apprentissage axée non plus autour de la lecture et de la récitation des versets, mais sur la compréhension des actes et du fait religieux. En plus de la lecture, les foundi( professeurs) leur dispensent aussi des cours de leçons de vie, de conduite et de bienséance. A travers les différents livres servant d’étapes référentielles à la vie de l’homme (le Babou, le Rissala …), on enseigne aux wanazioni (les élèves), les

94 Il s’agit de la trentième partie du Coran. On pourrait apparenter le terme de juzz à chapitre. Ce juzz comprend les 37 plus petites sourates du Coran tels que la dernière, an-Nâss (Les Hommes) qui compte 6 versets, Al-Falaq (l’aube naissante) qui en compte 5 et Al-Ikhlâss (la Fidélité) seulement 4. En plus de la longueur des sourates, la brièveté des versets rend l’apprentissage plus simple pour les enfants. Le juzz s’ouvre sur les sourates les plus longues dont la première An-Nabà’ (la Nouvelle). Mais toujours dans un souci de simplification, il sera lu et appris dans un ordre décroissant et ainsi An-Nâss sera vu en premier et An-Nabà’ en dernier afin de permettre aux enfants d’intégrer petit à petit la lecture complexe et de retenir par cœur les sourates. La sourate Al-Fatiha (la Liminaire) étant incontournable, elle servira de base lors de la première lecture. Elle est donc comprise dans le Kurasa comme première sourate sans pourtant faire partie du juzz. 81

fondements de la religion musulmane, les préceptes et les lois relatives à tout bon musulman ainsi que les règles d’une bonne hygiène de vie. Dans aucun des cas, malheureusement, l’accent ne sera mis sur l’apprentissage de la langue elle-même. Cet apprentissage étant toujours subordonné à une connaissance pointue de la religion, cela peut expliquer comment le comorien lambda parvient aisément à lire et réciter le Coran sans pour autant en comprendre un mot. Il arrive même souvent qu’il sache l’écrire mais ne puisse réutiliser l’alphabet arabe que dans le contexte d’une transcription du shikomori. Ce qui explique que certains des manuscrits dont dispose le pays soient écrits en swahili ou même en comorien selon un mode de transcription qui utilisait la graphie arabe. Aujourd’hui encore, lorsqu’une personne âgée écrit une lettre, elle emploiera les lettres arabes « l’aliphbe » pour s’exprimer en comorien. Pour appuyer notre propos, citons Jean Louis Joubert: « L’école coranique constitue, jusqu’à l’indépendance, l’élément fondamental, sinon exclusif du système éducatif comorien. Elle reçoit la quasi-totalité des enfants d’âge scolaire. Elle leur inculque d’abord les rudiments de l’écriture arabe, puis les initie à la lecture du Coran avant de les familiariser avec la subtilité des dogmes et des rites musulmans. Cette école coranique reste un facteur essentiel de socialisation : elle fournit aux enfants les valeurs et les modèles pour leur intégration dans la vie de la communauté. Une réforme, entreprise en 1978, a tenté d’harmoniser les pratiques et les niveaux très disparates selon les six cents établissements répartis dans l’archipel. Mais l’archaïsme et les routines de la pédagogie restent bien difficiles à extirper. »95

Il est tout à fait impressionnant de constater à quel point le système éducatif proposé par les zioni (écoles coraniques, pluriel de chioni) est structuré sans qu’il n’y ait au préalable de directives ministérielles incitant à une cohérence des enseignements. Et de voir que ce sysème apparaît tout aussi efficace dans le but fixé qu’inefficace dans le principe d’instruction. Car en effet, cet apprentissage donne des bases génératrices de valeurs communes, éduque et forme l’identité spirituelle des jeunes comoriens et permet aussi de déceler les enfants précoces. Pourtant, il est assez regrettable si ce n’est incohérent, que dans cet objectif (faire en sorte que chaque comorien sache lire le Coran) l’apprentissage de la langue paraisse aussi limité. Nous disons « paraître » et pourtant, il suffit d’ouvrir les yeux, de discuter avec des comoriens pour voir à quel point, il est limité. Car lorsqu’on compare le nombre important d’enfants qui entrent et qui sortent des zioni et le nombre d’individus

95 Joubert Jean-Louis, op. cit., p. 280 82

capables de se réapproprier les connaissances acquises au cours de près de 8 années d’enseignement obligatoire et de pouvoir les réinvestir dans un autre contexte, le résultat est désastreux. Pour le vérifier, nous avons demandé à une cinquantaine de personnes autour de nous, ayant régulièrement fréquenté le chioni, de nous traduire et d’écrire en arabe « Le soleil s’est levé et la vie est belle » et seulement deux d’entre elles, un imam et un fundi, en ont été capables. Malheureusement, la première des explications est très simple : la réappropriation et la réutilisation des connaissances hors contexte religieux ne font pas partie des objectifs tacitement subordonnés aux zioni. Ainsi, ceux-ci axent l’instruction essentiellement sur la connaissance du Coran et du fait religieux. Il ne s’agit pas tant de produire des éléments ou des individus capables de lire, de comprendre et de produire un énoncé donné dans une langue donnée, en l’occurrence l’arabe, mais de fabriquer des citoyens capables de réciter et de procéder à la transmission, non du discours-message religieux, mais du fait et du texte global coranique. On ne trouvera jamais dispensé dans un chioni, des cours de grammaire, de conjugaison, des cours d’expression orale ou de vocabulaire. Il est impossible qu’un élève soit amené au sortir du chioni, à effectuer une rédaction, une explication de texte ou autre en guise de devoirs. Seuls quelques initiés, souvent de jeunes étudiants pourront, à l’issue de ces formations initiales et en justifiant d’un très bon niveau, fréquenter les Madrassas où là, au contraire, l’apprentissage très poussé s’axe autour de divers savoirs, toujours subordonnés à la religion musulmane et sa pratique, mais avec en plus, une approche plus concrète de la langue arabe. Ce n’est qu’à ce stade très avancé que des jeunes auront alors accès aux cours de grammaire et d’expression écrite. Ainsi, tandis qu’à l’âge de huit ans, les enfants reçoivent des cours de « Tadjwid » 96, quelques jeunes et moins jeunes adultes apprennent ce qui pourrait sembler, du point de vue de l’enseignement en occident, le b.a.-ba. Nous justifierons cette approche tout du moins particulière par l’importance que revêt la religion aux Comores et sur la méconnaissance de certains dogmes notamment le hadith qui stipule que la science et sa quête n’ont pas de limites, et que tout bon musulman se doit de chercher à connaître, à se réapproprier le savoir et ce, quitte à partir vers des contrées très éloignées. Aux Comores, on privilégie une théorie selon laquelle, le Coran est la nourriture du croyant. Dans le contexte comorien, cette théorie est perçue dans son sens le plus terre à terre. Ainsi le Coran doit être su afin de se prémunir contre les châtiments de la tombe et de s’élever

96 Cours de lecture et de récitation axés sur la bonne manière de réciter le Coran en fonction des accents. Une bonne lecture du Coran fait du récitant, une personne respectée car la communauté comorienne met une pointe d’honneur à performer ses meilleurs éléments en vue des cérémonies publiques. 83

le plus possible le jour du jugement dernier. Il est évident qu’en partant de ce principe, dans une société où l’écriture ne s’est que tardivement imposée comme nécessaire, pouvoir rédiger un texte magnifique dans une langue donnée, même dans celle dans laquelle le Coran a été révélé, n’aura, le jour du jugement dernier, pas la moindre valeur contre la capacité à réciter ne serait-ce que le premier verset de la Fatiha.

Cette orientation accomplit ainsi la tâche et l’objectif qu’elle s’est assignée mais lèse tout de même le citoyen Comorien dont le décalage entre ses acquis et compétences dans la seule langue à laquelle il avait le plus facilement accès, et qui s’écrivait, restent confinées dans la sphère sociale et religieuse. Ainsi, bien qu’habitués aux œuvres écrites en référence à la religion, les comoriens n’ont pourtant pas encore l’habitude de lire et encore moins d’écrire. Rien de plus logique alors qu’il n’y ait eu qu’une minorité de textes écrits en arabe et il est tout aussi logique que dans un tel contexte, on ne puisse assister à l’émergence d’une littérature écrite comorienne arabophone. Car même mis très tôt au chioni, la lecture des versets coraniques, les prières religieuses, parfois la Sunna du Prophète Muhammad (pbsl), et d’autres sourates formant le domaine d’instruction le plus répandu aux Comores, la majorité de la population comorienne entretient un rapport exclusivement sacré à cette langue.

L’école française En ce qui concerne l’occupation française sous forme de colonisation, on s’aperçoit que les priorités étaient toutes autres. Dès le début du 19eme siècle, la France commence à s’établir sur les îles. Par de nombreux traités, lentement mais sûrement, elle finit par rattacher les îles à Madagascar en 1904 et en faire une dépendance de la Grande île. Auparavant, elle avait acheté Mayotte le 25 avril 1841 au dénommé Adriantsouli. Personnage reconnu comme un usurpateur, réfugié à Mayotte après avoir été éloigné de Madagascar, il s’est installé au pouvoir grâce au soutien du sultan Boina Combo (Sultan de Mayotte). Et par les traités de 1886, il a fait des trois autres îles, des protectorats français. Les Comores appartenaient alors complètement à la France et la Grande Comore à un seul homme, le résident Léon Humblot que Jean Martin identifie comme l’« artisan de la colonisation » 97 et dont la préoccupation première était de maintenir l’exploitation agricole sur les îles. Celles-ci demeuraient une terre de culture que les nombreux conflits entre les sultans et la forte vacance politique liée à ces

97 Jean Martin, Comores : quatre îles entre pirates et planteurs, L'Harmattan, Paris, 1983, 2 vol. : tome 1, Razzias malgaches et rivalités internationales, fin XVIIIe-1875, 611 p. ; tome 2, Genèse, vie et mort du protectorat, 1875-1912, 477 p. 84

conflits rendaient perméables à toutes tentatives de détournement des terres et de leurs richesses naturelles. L’un des rares à s’en être rendu compte fut le fameux Léon Humblot qui, de fils de petit maraîcher parisien, se propulsa agilement à la tête d’une fortune colossale grâce aux divers contrats obtenus du Sultan Saïd Ali sur la production d’huiles essentielles de vanille et d’ylang des Comores. À une période où la richesse botanique des îles perçait le jour dans un monde où la recherche du raffinement était gage de distinction, les concessions de terre (Convention du 5 Novembre 1885) de la Grande Comore cédées par le dit Sultan à Humblot accélérèrent la colonisation de l’île et son appauvrissement. Il s’avère que dans ce contexte de pur profit, l’instruction des populations indigènes, esclaves pour beaucoup, n’était pas une priorité, bien au contraire. Il existait cependant à Mayotte, une mission où les religieuses de Saint Joseph devaient certainement assurer l’instruction des quelques enfants la fréquentant. Sur l’île de Ngazidja, il est à noter que, pendant que son époux s’évertuait à régner en maître sur l’île, Mme Humblot, entreprit la création d’une petite école qu’elle dirigea elle-même. Mais selon les propos de Jean Martin, cette école qui accueillait une soixantaine d’élèves, avait pour principale mission d’ « assurer une main d’œuvre juvénile à la Société (de son époux).»98 Dans les temps forts d’une colonisation avérée, reconnue et acceptée comme telle, les préoccupations de la métropole restaient encore guidées par la quête du profit. Il n’y eut ainsi que trop peu d’écoles pour les populations locales, et ces écoles n’étaient pas ouvertes à tous. Jean-Louis Joubert poursuit à ce propos : « La colonisation avait longtemps négligé le développement éducatif des Comores. En 1939, il n’existait, pour tout l’archipel, que dix écoles primaires (appelées écoles indigènes du 1er degré). Au bout de quatre ans d’études, un concours sélectionnait les cinq meilleurs élèves qui partiraient pour trois ans compléter leurs études à Majunga.»99 En conséquence, bien que le français fût la langue nationale, très peu de comoriens savaient le parler. Pour preuve, nous avons rencontré des adultes dont l’âge moyen est de 45 ans et d’autres bien plus jeunes encore (20 ans) qui n’ont jamais été à l’école. Ils ne savent ni lire ni écrire, ils ne le parlent même pas et donc ne le comprennent pas non plus. Ce phénomène qui perdure dans les zones très rurales du pays est tout de même moins répandu dans les villes et villages plus urbanisés.

98 Martin Jean, op.cit., tome 2, p.158 99 Joubert Jean-Louis, op. cit., p. 280 85

Cela prouve qu’il y a à peine moins d’un quart de siècle, dans les années 1950, l’école n’était pas accessible à tous. Jugée comme importante pour former des techniciens de seconde classe, elle ne proposait rien au delà du collège. Importante pour les enfants des élites, certes, mais même dans ce cas là, pas assez pour être obligatoire. De ce fait, la majeure partie de la population comorienne, ne se sentant pas concernée, préférait garder les enfants au domicile afin que ceux-ci soient utiles aux tâches ménagères, aux travaux champêtres, à s’occuper des plus jeunes. Ce faisant, le retard dans l’instruction s’accentuait. Les formations dispensées dans les écoles existantes ne permettaient pas de réelles connaissances, mais surtout, elles n’offraient pas l’accès aux métiers administratifs et encore moins à la formation de cadres ou de chercheurs. Dès lors nous voyons que la France ne s’est jamais préoccupée, alors que le pays lui appartenait, de former les populations locales, de construire des écoles ou autres. De plus, lors de la colonisation, et jusqu’à présent, le français et l’arabe sont les langues nationales du pays. Pourtant on compte encore énormément de personnes qui ne connaissent ni l’une ni l’autre. Alors comment expliquer qu’il n’y ait pas eu de réelles structures qui auraient permis un minimum d’instruction au peuple comorien ?

c) L’écriture de l’après France : fragilités des structures scolaires

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est après le départ de la France que l’écriture en français se généralise. La période post-coloniale voit le français s’extraire de son statut administratif et bureaucratique. Alors que l’arabe continue d’être réservé à une élite d’érudits, le français se vulgarise et devient une langue d’expression notamment artistique. Evidemment, tout cela reste, dans un premier temps, très relatif car ce constat n’est en réalité effectif que depuis quatre décennies. Le phénomène s’est particulièrement accéléré dans les années quatre vingt dix où l’importance des moyens de communication (internet, la télévision et les séries françaises occupent le petit écran des foyers comoriens). Aujourd’hui, le domaine de la chanson, lieu privilégié de l’art en shikomori cède du terrain au Français. Certains chanteurs, désireux d’être dans leur temps, composent leurs textes dans cette langue malgré leur méconnaissance. Cela crée parfois des effets grotesques comme dans le couplet du chanteur lover Paped : « Je suis un garçon très amoureux, qui te plaît à tous les amoureuses/ A bientôt tu seras mon épousée pour que tu soyez ma femme. »100

100 Refrain du titre Angelina, sorti en 2008 86

Soulignons que les fautes sont extraites du couplet lui-même. Jusqu’il y a quelques temps encore, seuls les textes de rap comme de R’n B, (des genres exclusivement importés) révélateurs d’une jeunesse ouverte vers l’extérieur, étaient généralement en Français. À présent, de grands artistes, vitrines des Comores, tels que Chebli, Mikidashi ou encore Maalesh s’expriment aussi parfois dans cette langue.

Comme nous le signalions, ce phénomène de la généralisation de l’écriture en français parait assez récent. Il a démarré petit à petit avec la création des mudirias par le président révolutionnaire Ali Soilih. Ces mudirias étaient initialement des établissements à vocation d’enseignement du shikomori. Ali Soilih croyait en l’élaboration d’une unité linguistique du pays. Prôner et donner les moyens de l’apprentissage d’une langue commune à tous c’était construire la voie vers une unité nationale de l’archipel. Ces mudirias servaient aussi à promouvoir les idées du parti par les réunions qui y étaient fréquemment tenues. A la mort d’Ali Soilihi, ces établissements ont été transformés pour la plupart en écoles. Il a fallu près de dix ans après la décolonisation pour voir émerger lentement, le phénomène du français parlé par les comoriens de toutes les couches sociales. Celui-ci ne s’est pourtant généralisé que récemment, avec comme nous le rappelons, l’entrée de la télévision dans les foyers comoriens et l’importance de la diaspora comorienne en France. Au cours de cette période, mais bien avant la télévision, on écoute beaucoup Radio Comores, dont les émissions sont essentiellement en comorien. Bien que largement contrôlée sous Ali Soilihi et totalement dédiée à la propagande et à la cause du parti unique sous Ahmed Abdallah et ses mercenaires, elle éduque le comorien dans une habitude de curiosité saine, lui offrant les moyens de s’informer, même médiocrement. Ce besoin d’information va aussi donner naissance à la diffusion des nouvelles dans une version papier. On lit alors de plus en plus grâce au journal ou makala qui doucement fait son apparition. Celui-ci est d’abord très engagé, politiquement. Distribué sous forme de tract, clandestinement, semble-t-il, si l’on en croit les quelques références aux mouvements contestataires décrits dans certains romans comme Le Bal des Mercenaires. Au début des années 80, plus exactement vers 1985, il prend la forme de quotidien national sous le nom d’al Watwany. Celui-ci servira de sources à Carole Beckett pour l’élaboration de son ouvrage, Anthologie d’introduction à la poésie Comorienne d’expression Française, car en plus des articles centrés sur l’information, il proposait une rubrique culture qu’incarnait le coin des Poètes, à la base du travail de compilation des poèmes regroupés dans l’anthologie. Durant quelques années, Al Watwany

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sera le seul journal des Comores jusqu’à la naissance d’organes indépendants tels que la Gazette des Comores ou Kashkazi. Grâce à ces périodiques, les Comores apprennent petit à petit à s’ouvrir vers l’extérieur.

II.1.2 La littérature écrite, une littérature inspirée des œuvres orales

a) Les débuts de la littérature écrite Certains chercheurs, soucieux de constater la pénurie d’archives concernant les textes et les genres littéraires de l’archipel, s’alarment en voyant, avec les années qui passent, disparaître les détenteurs de ces vestiges, monuments d’histoire que sont les vielles personnes. "Souviens-toi qu’en Afrique un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle." disait Amadou Hampate Bâ. En référence à ce proverbe africain qui se pose sur la situation comorienne avec malheureusement trop d’actualité, les chercheurs s’inquiètent, effrayés de voir que les mythes, les contes, les proverbes, les récits dits véridiques, l’histoire du pays tendent à se perdre. Chaque personne âgée qui disparaît, c’est un bout de l’histoire d’un peuple qui fuit car la transmission ne se fait plus, que les jeunes regardent et redécouvrent le monde au travers de la télévision. Face à cette réalité, nombreux sont ceux ayant amorcé la production d’un travail dessus. La plupart sont des écrivains ou des chercheurs comoriens des îles indépendantes ou de Mayotte qui, soucieux du devenir de ce patrimoine culturel unique, ont décidé d’y consacrer leurs travaux. Ils reprennent les récits des vieilles grands-mères et les gravent pour une éternité plus statique, une mémoire moins mobile et moins encline à disparaître. A ce propos, l’ouvrage de Damir Ben Ali, G. Boulinier et P.Ottino101, rend bien compte de ce fait d’une histoire à écrire car plus présente dans les mémoires que dans les bibliothèques ou archives. Il dit ceci de très parlant : « Ainsi, l’histoire que nous avons pu reconstruire a-t-elle été véritablement une histoire anthropologue. Elle s’est faite en dialoguant avec les hommes et en revivant avec eux l’idéologie des hommes du passé »102 Il expliquait auparavant : « Le but que nous nous sommes proposé, dans cet ouvragea été, au contraire, de nous mettre à l’écoute des anciens et de n’accepter une parole provenant des profondeurs du passé que si elle

101 Damir B.A, Boulinier G. et Ottino P., Traditions d’une lignée royale des Comores, l'Inya Fwambaya de Ngazidja. Paris, L’Harmattan, 1985, p.12 102 Idem 88

était vraiment jugée « bonne » par les comoriens.»103 On a pu remarquer que l’art de la parole est un élément majeur dans une société où les lois et les rites coutumiers passent davantage par le consensus social que la codification transposée à l’écrit sur un support livre ou cahier. Force est de constater, et nous ne pouvons que le répéter, que la littérature comorienne orale connaît une forte influence et détient le monopole quant à l’expression de celle-ci. La littérature écrite est un genre qui existe depuis de longues années aux Comores. Toute aussi travaillée que la littérature orale elle reste néanmoins quantitativement extrêmement insignifiante. Si on chante facilement lors des cérémonies, on lit beaucoup plus rarement des textes poétiques ou des textes tout court. Le genre écrit était comme nous l’avons démontré plus haut, un art réservé à une élite aristocratique, ceux qu’on appelait les « wasta’arab » c'est-à-dire les intellectuels. Appartenant dès leur plus jeune âge à ce cercle particulier qui faisait d’eux des initiés, voire des privilégiés, ils étaient peu à avoir accès à cette littérature. En comparaison, le genre oral était plus ouvert car plus accessible au nombre. Ces données sont souvent différentes suivant les ouvrages mêmes spécialisés. Dans les Littératures de l’Océan Indien, Jean Louis Joubert soutient que : « Une culture savante comorienne s’est déposée dans des manuscrits, écrits en caractères arabes, mais rédigés aussi bien en arabe qu’en comorien ou en swahili. Les manuscrits anciens, retrouvés sur l’archipel comme à Zanzibar, restent en nombre relativement faible. Ils consignent des légendes historiques ou développent des traités théologiques. »104 lors que dans son Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, Carole Beckett 105 nous explique que la littérature écrite était, dans un premier temps, exclusivement exprimée en comorien. Cela la rendait alors complètement hermétique car seulement accessible aux comoriens et même, aux lettrés comoriens. Le comorien étant une langue bantoue, voisine du swahili avec de nombreux emprunts à l’arabe, son écriture était donc réservée à une élite d’intellectuels, en ce sens, les sultans. Ceci expliquant cela, beaucoup de poèmes appartenant aux premiers écrits d’expression poétiques sont tous de sultans différents, de grands religieux ou de quelques notables de l’époque. Il est important de souligner aussi qu’il existait des distinctions liées au statut ou au rang des auteurs de cette même époque mais non au genre de ces auteurs. Ainsi, parmi les poèmes justifiant d’une

103 Id 104 Joubert Jean-Louis, op.cit, p.283 105 Beckett Carole, op.cit, p.9 89

période de production littéraire reculée, un bon nombre a été écrit par des femmes, et notamment des princesses.

Avec le temps, et le besoin toujours vif des comoriens de revenir aux sources et de les découvrir, beaucoup d’étudiants et de chercheurs se sont intéressés à ces écrits. L’un d’entre eux, Damir Ben Ali que nous citons en référence depuis le début de nos travaux, et Masséande Chami Allaoui ont travaillé sur les textes de Mbaé Trambwé, faisant une traduction de ses poèmes et pensées. Mbaé Trambwe est l’un des poètes les plus connu de l’histoire des Comores. Souverain du Washili, ce sultan poète était lui-même fils d’une princesse très cultivée sur laquelle nous revenons plus loin. Il est resté célèbre pour la sagesse ainsi que la beauté dont s’imprégnait sa poésie. En effet, dans les quelques fragments de son œuvre, reconstitués et rendus accessibles aux lecteurs francophones grâce aux chercheurs cités ci-dessus, on y retrouve une visée commune à un certain art, celle de lier instruire et plaire.

b) De la nécessité de graver l’histoire

Il apparaît que la société, consciente de son fond communautaire véhiculé au travers de la littérature orale est effrayée à l’idée de voire disparaître cette culture propre à elle- même. Il lui faut alors la conserver afin de la protéger, de l’empêcher de fuir avec les vielles conteuses ou les grands-mères. Lorsqu’on s’aperçoit qu’aujourd’hui encore, beaucoup de jeunes comoriens ne connaissent rien des fondements de nos origines parce que l’histoire ou la mythologie n’est pas écrite, on ne peut qu’appuyer le mouvement qui s’est amorcé et qui consiste à graver ce fond culturel. Il en va du devoir de chaque intellectuel de se poser la question de la légitimité de son travail d’artiste, d’écrivain, de chercheur, d’homme politique ou autre s’il ne contribue pas à protéger l’art oral. Chacun sait ou se doit de savoir que tout est à faire dans ces îles longtemps « oubliées per le monde en général- sinon totalement inconnues… »106 Les fouilles archéologiques ont amorcé les réponses aux questions d’origine et de constitution des îles Comores. Les historiens tentent de capturer l’histoire passée et lointaine des îles, celle dont on n’a encore que peu de traces. En décortiquant les quelques textes dont

106 Beckett Carole, Anthologie d'Introduction à la Poésie Comorienne d'Expression Française, L'Harmattan, 1995, p.9

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le pays dispose, en écoutant les récits des hommes de la parole (ceux que Moussa Saïd Ahmed a appelé les traditionistes), en essayant de dissocier, ce qui demeure pour le moment indissociable pour les îles de la lune, mythologie et histoire, faits réels et apports mystiques et féeriques,. Alors, les écrivains eux aussi souhaitent apporter leur aide à la préservation du patrimoine culturel et rendre hommage à cet art si familier dans les îles. Au prime abord, on note qu’il y a de plus en plus de textes écrits. Mais parmi ces écrits, on s’aperçoit de la quantité non négligeable transposée des textes oraux. En effet, certains genres et notamment le conte, sont plus conservés qu’inventés à l’écrit. Tous les contes dont dispose la littérature écrite sont les contes que contaient les grands-mères. Ils sont pêchés dans less souvenirs, compilés et mis sur le support livre et ensuite vendus. Tout le travail des auteurs ou plus justement compilateurs, consiste en la recherche des contes. Les souvenirs ne sont pas suffisants car, avec le temps, les récits sont moins précis, alors, ils retournent auprès des conteurs et conteuses dont l’expérience a permis la conservation de ces récits dans leurs mémoires. En ce sens, il apparaît que la littérature écrite naisse pour certains genres, de cette nécessité de conserver les textes oraux afin de protéger le patrimoine culturel. Carole Beckett précise à ce sujet : « Avec l’œuvre de Trambwe, la littérature orale en langue comorienne commence à être traduite en français et à être mise ainsi à la disposition d’un public plus large que les 500000 habitants des Comores. La transcription de cette littérature la rend accessible aux générations présentes et futures et accomplit la tâche importante de la conserver avant qu’elle ne disparaisse totalement. »107 Autres que les poèmes et pensées de Mbae Trambwe, des chercheurs se sont penchés sur les traditions anciennes qui, tombées dans l’oubli risquaient d’entraîner avec elles des genres littéraires bien spécifiques à ces traditions orales. On a ainsi répertorié dans Guerriers, Princes et Poètes aux Comores, trois nyandu108. La revue Tarehi nous offre trois chants poétiques retranscrits par Damir Ben Ali, Mazuni dont l’auteur est anonyme, et deux élégies composées par deux femmes, Fahamwe Athumane en 1867 (une des épouses du sultan ntibe Msafumu) et Zema Bwana (épouse d’un ancien gouverneur de Dimani sous le sultanat de Saïd Ali ). La première s’adresse à son petit garçon et chante la douleur de voir sa famille se déchirer et la seconde pleure la mort de son fils Masimu.

107 Carole Beckett , op. cit., p.14 108 Poésie guerrière d’intronisation durant la période des Fe et Bedja. Le texte était chanté lors de cérémonies liées aux combats, au moment de la découpe du bois. Les guerriers étaient, semble-il, à la fois combattants et bucherons. Nous en avons vu un exemple plus haut. 91

c) De l’oralité à l’écrit, l’exemple du Hale et du Tiyatiri Soilihi Mohamed Soilih écrit dans la revue Africultures : « Dans l’ensemble, la littérature comorienne porte en elle, naturellement et d’emblée, les empreintes de la tradition orale, qu’elle se propose de magnifier en un corps textuel. Les auteurs puisent aussi bien dans les fables, les légendes et autres fantasmagories constitutives de l’imaginaire collectif que dans les techniques d’expression des temps passés. » Du hale au conte S’il est un genre exclusivement issu de l’oralité, c’est bien le conte. Comme dans la plupart des civilisations, dans chaque continent, les contes ont été à l’origine, les mythes et légendes partagées et transmises de génération en génération. Les contes véhiculent tous un fond populaire sur lequel ils se créent, se construisent et s’imposent, dans le temps. Le conte Comorien n’échappe pas à la règle. Il est le produit, ou plus exactement la version papier du hale. Pour cela, il suffit de regarder le nombre de recueils de contes (les Contes de ma grand-mère, les Contes des îles de la lune, Contes des nuits noires, Mensonges mensonges, Djambo Djema…)109 Ainsi, comparativement aux autres genres de la littérature comorienne d’expression française, partant de la décennie 1985/1995 (période creuse en matière de création littéraire), on observe que plus de cinq recueils de contes ont été publiés alors que des genres comme le théâtre, la poésie ou la nouvelle ne bénéficiaient encore que d’une infime représentativité. Les années qui suivront (1996-2005), ne démentiront pas nos propos. On compte en effet en l’espace de neuf ans, près de 18 recueils de contes comoriens compilés par de nombreux auteurs et parus chez différents éditeurs. Cependant, cet engouement pour la traduction-transcription en français de contes comoriens connaît un frein depuis 2006. Au cours des cinq dernières années, pas un seul recueil de contes n’a été publié. Fait marquant compte tenu du nombre important, toujours dans le contexte comorien, des livres d’auteurs comoriens ayant été édités. En résumé, en l’espace de 20 ans, le conte comorien semble avoir vécu ses débuts, son apogée et sa fin. Aujourd’hui, comme si le tour en avait été fait, la compilation de contes n’est plus d’actualité. Pourtant, l’intérêt pour les contes reste très vif puisqu’il oriente encore le travail de certains auteurs, notamment Abdereman A. Wadjih et Salim Hatubou. Mais on remarque une évolution dans la manière de conserver ce patrimoine étant donné qu’à présent, les contes commencent à être publiés par unité avec un travail d’illustration tout à fait remarquable. Il ne s’agit plus, à priori, de les compiler dans l’unique

109 Se référer à l’annexe n°2, « Liste des ouvrages publiés de 1984 à nos jours », Contes, p. 444 92

perspective de les sauvegarder, mais de banaliser, de vulgariser leur accès et notamment en direction des enfants. En témoigne le dernier né des éditions Komédit, Dimkou et la petite fille110, un conte haut en images et en couleurs. A ce titre, il est intéressant de noter l’émergence des contes pour enfants111 et l’existence d’une littérature de jeunesse dont Salim Hatubou s’impose comme la figure majeure. Plus que pour n’importe quel autre genre, du hale naît le conte. Et le conte s’enveloppe d’une portée identitaire, d’une vision structurante pour une histoire commune de l’archipel, le fond culturel qui fonde et inscrit le lien de parenté entre les habitants de l’archipel. Ainsi que nous l’avons souligné plus tôt, le rite du conte définit l’univers mystique du dit et ses contenus participent de la genèse du pays. Voilà certaines des raisons justifiant ce besoin de transcrire les contes. Pourtant, bien qu’elles puissent être louables, nous ne pouvons nous empêcher d’émettre quelques critiques. Ces critiques ne concernent en rien les raisons énoncées, mais pointent du doigt celles qui suivent justifiées par la qualité des textes rapportés. Les contes sont malheureusement souvent affublés d’une trop grande concision et manquent parfois de recherche stylistique. Evidemment, longueur ne signifie pas qualité mais dans ce contexte, la concision semble synonyme de platitude textuelle. Les contes oraux sont pourtant source de plaisir et d’enseignement. Tel est le couple à l’origine de l’éternelle adhésion et affection par le public (auditeur). Le public (lecteur) s’attend lui aussi, n’ayant pas la possibilité d’entendre le récit par une conteuse, à retrouver une partie de cette atmosphère, de cette magie. Plus l’attente est grande, plus la déception risque d’être au rendez-vous. Nous pouvons supposer que la limite peu visible ou peu claire entre un conte et une fable dans le contexte comorien justifie le travail fait autour. Ici, le conte comorien se définit selon les critères des contes anciens. Le conte est une fable, un récit très bref doté d’une morale, essentiellement orienté vers les fonctions de l’utile et de l’agréable. Malheureusement à l’écrit, le second aspect transparaît peu. Le hale met en scène une mwamba hale (la diseuse de conte) et son art par le biais d’un récit. Ce récit souvent entrecoupé et rythmé de chants n’est porté que par les qualités oratoires et scéniques de la conteuse en général, du conteur en particulier. Or le conte écrit n’offre pas la possibilité du chant, il se trouve altéré de cet élément d’embellissement et donc amputé d’une partie de ses charmes.112

110 Hatubou Salim, Dimkou et la petite fille, Komédit, 2009 111 Salim Hatubou s’impose comme le spécialiste de la littérature pour enfants ou littérature jeunesse avec des titres comme Naïa et le tam-tam sacré, Komédit, 2005, ou encore Sagesses et malices de Madi, l'idiot voyageur. Illustrations de Mokeït Van Linden. Paris: Albin Michel, 2004 112 Les éditeurs se sont penchés sur la question. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’éditeur De la Lune envisage de publier des contes sur support CD comme a tenté de le faire avec un relatif succès Salim Hatubou 93

Entre tiyatiri et théâtre Le tiyatiri est un genre d’emprunt d’où son appellation qui rappelle les résonances françaises, théâtre. Celui-ci a été introduit aux Comores dans les années 50 par les jeunes comoriens ayant étudié à l’étranger, à Madagascar et en France. C’est donc un art moderne puisqu’il fait appel à des connaissances nouvelles. En comparaison avec les autres genres oraux, le tiyatiri n’est pas seulement populaire, il n’est pas inspiré ou emporté par l’histoire, il s’inscrit dans l’évolution littéraire du pays. Art savant, il appartient à un auteur et non à la communauté. Et du fait de sa jeunesse et du lieu d’emprunt (la France plus particulièrement), le tiyatiri est bilingue et participe au renouveau de cette littérature. Son apparition dans les années 50 décrit bien la jeunesse de ce genre particulier qui dès ses débuts, connaît un réel engouement. On joue, on improvise, on crée comme si de tout temps, le théâtre avait fait partie intégrante du vécu littéraire du pays. Pourtant, dans un premier temps, les pièces sont rarement entièrement écrites, elles sont au contraire jouées sur le tas. Au départ donc, c’est un genre exclusivement oral qui s’exprime dans les rares écoles existant, lors des fêtes et manifestations culturelles de quartiers ou autres. Ayant « une bonne avancée sur le reste, (nouvelle, roman, poésie), il pouvait exister sur les planches ou sur les ondes de la radio nationale. Dans un contexte où l’oralité l’emportait aisément sur un quelconque souci d’écrire en vue d’être publié.» 113 explique Soilih Mohamed Soilih. Il semblerait que l’auteur parte d’une idée pour aboutir à sa pièce. Il soumettait cette idée au groupe de camarades ou de collègues et on improvisait et montait les scènes à partir de cette idée. En référence aux quelques pièces que nous avons pu voir, l’hypothèse que le tiyatiri était avant tout un réel moment de divertissement s’impose. Il s’apparenterait alors à la farce. Les grandes tirades romantiques ou tragiques ne sont pas encore d’actualité dans ce contexte. Au contraire, faire rire est l’une des aspirations majeures des comédiens et des metteurs en scène. En effet, on joue une pièce dans le but d’amuser le public en créant et en transposant sur les planches, des éléments du comique. Coups, chutes, méprises, cris, langage familier voire grossier, insultes, servent de ressort à ce divertissement. Certains comédiens tel que Djimba, s’évertuent lors de leurs représentations à entraîner le public dans un délire de rire et dans Genèse d’un Pays bantou, contes comoriens, en deux volumes. Ce travail se ferait en partenariat avec une troupe de théâtre amateur dont le répertoire varié englobe essentiellement les contes pour enfants. Il s’agira alors de proposer à l’association Lang-Ylang, la lecture, la mise en voix des personnages ainsi que les chants afin de rendre la dimension orale du conte comorien. Selon l’éditeur, ce travail permettrait de conserver les contes dans leur authenticité. 113 Soilih Mohamed Soilih, La littérature comorienne, de la fable à la politique, in revue Africultures n°51, L’archipel des Comores, un nouvel élan ?, Collectif, L'Harmattan, 2002 94

de bonne humeur. Les thèmes traités ne sont pourtant pas des plus légers. Se glisse une vraie critique de la société au travers d’un discours de la dérision. Dans l’une de ses pièces les plus célèbres, Djimba imite le franc parler médiocre et plein de fautes de l’immigré comorien en France. Une phrase est restée sur les lèvres de tous ceux qui ont pu assister à ses représentations ou même visionner les vidéos de ses spectacles. « Attaque moi lémboi », ce qui donne en français « attaque moi le chien ». Dans cette scène, Djimba se retrouve nez à nez face à un chien et, pris de panique, il tente d’éloigner l’animal effrayant en lui criant cette formule. L’effet comique résulte du mauvais usage de la langue puisqu’il emploie un verbe pour un autre, à savoir « attaque » au lieu de « va t-en » ; la juxtaposition des deux langues où l’article « le » devient « lé » et que le seul mot comorien « mboi » soit accolé à ce même article, accentue lui aussi cet effet comique. Il y a tout un espace du jeu scénique où la société se retrouve sans grincer les dents. Le tiyatiri tel quel fait plutôt penser à la comédie. La société est prise pour cible, elle est critiquée et assiste, hilare à la mise en avant de ses défauts, de ses tares morales. Le tiyatiri est donc essentiellement satirique dans le sens où les thèmes mis en avant dans une pièce sont traités avec dérision. Les personnages sont souvent excessifs, leurs traits de caractères exagérément surdimensionnés, et derrière chaque scène, l’ironie parfois grinçante devient un mot d’ordre. Les effets comiques (comique de situation, de mots, de gestes, de caractères) régissent le texte et la scène, couvrant parfois les personnages de ridicule. Ces personnages, directement inspirés des réalités sociales de l’archipel, se répartissent selon un schéma classique calqué lui aussi sur le modèle sociétal : le mbaé savant (un vieillard, grand-père ou marabout, emblème de sagesse et de science même s’il l’utilise parfois à mauvais escient), une mère de famille, un notable (oncle maternel, père des protagonistes, ennemi de la famille…), des jeunes gens (souvent amoureux autour desquels l’intrigue se concentre). D’autres personnages moins récurrents viennent ensuite se greffer sur ces rôles. A ce sujet, un personnage initialement secondaire apparaît de plus en plus sur scène. Roublard, débrouillard et idéaliste à sa manière, ce jeune homme du nom de Mc Guyver dans Hari Hari114, ou Mkarakara dans Tsikena Harara115, séduit le public par sa capacité à harmoniser une vie comorienne difficile.

114 Spectacle théâtral co-écrit par l’Association Lang-Ylang et Djoumbe Thoueïbat, mis en scène par Nourdine Moussa Ali et Djoumbé Thoueïbat, présenté pour la première fois le 22 Mars 2009 à Sarcelles. 115 Pièce de théâtre présentée au Théâtre de l’Oeuvre le 24 mai 2011 à Marseille. Ecrite et mise en scène par Ben Amir Saadi, elle présente un éventail des facettes de la vie des comoriens, partant du personnage principal, Rafiki, jeune homme renvoyé au pays par ses parents. 95

Nous avons pu nous même contribuer à la création et à la mise en scène de la pièce intitulée Hari Hari (les « on dit ») présentée pour la première fois en Mars 2009 à Sarcelles. Nous avons adopté les mécanismes de production tels qu’ils apparaissent aux Comores. Ainsi, d’une idée, nous avons défini une trame, une intrigue et les éléments constitutifs de la pièce. Il s’agissait de pouvoir nous adresser à une jeunesse comorienne issue de la diaspora en France, mais aussi à leurs parents sur les conflits intergénérationnels, le choc des cultures et les dialogues de sourds auxquels sont confrontés les deux parties lorsqu’elles souhaitent entretenir une vraie discussion, notamment autour du mariage. Nous avons ainsi soumis tous ces éléments au groupe composant l’association Lang- Ylang et avons travaillé la pièce sur la base d’improvisations autour des personnages, des thèmes et de l’intrigue. Dans ce cas précis, la pièce s’écrivait réellement sur les planches, à partir des éléments (jeux, dialogues, déplacements) improvisés par les comédiens. Afin de lui conserver son authenticité, nous réécrivions le texte tel qu’il s’énonçait. Bien évidemment, le texte est fondamental dans une pièce impliquant plusieurs personnages et donc comédiens, les situations telles que les quiproquos sont préalablement identifiés et répétés à l’avance. Mais là encore, le travail du comédien repose sur sa capacité à construire autour de son personnage, à lui donner vie. De plus nous souhaitions aussi aborder et sensibiliser sur le thème du rêve d’Eldorado et donc du choix de l’immigration coûte que coûte. Un thème, intégralement ancré dans le quotidien de chaque comorien, que nous retrouvons au centre de la pièce de Mohamed Toihir, la Nationalité. A en juger les commentaires et les critiques dans les articles qui ont été consacrés à la pièce, le résultat est très positif. Il s’avère en effet plus judicieux de proposer le rire en surface pour poser en toile de fond, des thèmes souvent très délicats. C’est ce que propose le comédien mais aussi auteur Djimba pour qui la scène semble un moyen de se lâcher et de lâcher à la communauté toutes ses excentricités tolérées mais néfastes. Dans une autre de ses pièces, « Ye mdru ndo ? »116 il critique ouvertement l’homme comorien qui, souvent imbu de sa force et des privilèges que lui accordent la société, infantilise sa compagne et jusqu’à se laisser aller à une forte violence conjugale. Personne n’intervient jamais car il n’est pas permis de s’immiscer dans la vie d’un couple à moins que celui-ci traversant une crise jugée vraiment grave ne fasse appel à des autorités religieuses ou familiales. Dans ce cas, la personne consultée a pour devoir de tout mettre en œuvre pour réunir le couple. Djimba dénonce ces abus, ces femmes battues que la société refuse de

116 Traduction française : Qui est l’homme ? 96

reconnaître. Il voyage ainsi, toujours sur ses priorités, dire ce qui ne va pas et par le rire, faire accepter à sa société ces choses qu’elle refuse de voire. Cette démarche est aussi celle qu’empruntent les quelques rares auteurs de pièces de théâtre écrites.

Certains auteurs, bien qu’encore très peu nombreux en font leur métier. Soeuf Elbadawi en est l’exemple. D’autres comme Ibrahim Barwan ou Patrice Abdallah s’y investissent par intermittence. Célèbre pour ses pièces comiques, l’auteur du Notable répudié a décidé de vouer sa vie au théâtre. Il écrit et met en scène ses créations. Lors de sa sortie, la pièce a connu un véritable succès au sein de la communauté. En quelques semaines, les stocks furent épuisés et le livre ne fut plus trouvable et ce, même chez l’éditeur. Le notable répudié est le reflet des priorités de l’auteur qui s’inscrit lui aussi dans la lignée de ces jeunes écrivains contestataires. Il écrit dans sa préface « Le notable répudié est une comédie dramatique qui brosse quelques traits de la société comorienne : la femme, l’enfance, l’inceste, mais aussi les mœurs malhonnêtes d’une certaine classe, celle des notables, véritables régisseurs de la vie à Kodoni composée de redoutables hommes au pouvoir indéniable (…) ils incarnent l’autorité, le pouvoir de bénir un mariage, briser un ménage et détruire ceux qui s’opposent à leurs lois imprégnées d’archaïsme. » Sa pièce met en scène un notable117 du village de Kodoni dont la femme, harassée par l’inactivité chronique de son époux, décide un jour de le chasser du foyer conjugal.. Chose impensable, Bedja Shaya se voit répudier par Mama Fatima. La honte gagne le notable qui n’ose sortir de chez lui de peur d’être montré du doigt118. Car jamais aucun homme et encore moins un notable ne s’était fait répudier par sa femme. Une attitude à la fois originale et audacieuse de la part de Mama Fatima. Après avoir été renvoyé du foyer conjugal, notre notable s’en va voir un imam afin que celui-ci lui vienne en aide en essayant de raisonner sa femme, qui, connue pour sa droiture et sa piété, devrait se rendre aux sollicitations de l’imam et revenir sur décision. Mais celle-ci refuse. De ce geste, téméraire et avant-gardiste, vont se dessiner, en neuf tableaux, les

117 Le notable comorien est une personnalité importante qui, comme nous le verrons plus loin, ayant accompli le grand mariage, accède au rang de Mdru mdzima. 118 Dans la religion musulmane sur laquelle sont fondées les lois et règles du mariage aux Comores, une femme n’a aucun droit de répudiation sur son mari. Une règle renforcée par la tradition coutumière. Le pouvoir de la répudiation est donné au mari seul. Nous revoyons ces codes dans le second chapitre mais en voici un résumé succinct. L’homme se doit de subvenir honnêtement aux besoins de sa famille, de s’occuper d’elle. Si jamais le couple rencontre de grandes difficultés d’entente, que la femme n’est pas épanouie, celle-ci peut demander à son mari de la répudier, ou s’adresser à des autorités familiales ou religieuses afin qu’elles interviennent et annulent le mariage si aucun arrangement n’est possible. Ce qui explique l’humiliation subie et ressentie par Bedja Shaya devant ses congénères. 97

malentendus, les magouilles, les tromperies dont s’anime le village de Kodoni, « jalonné de scènes de ménage, de disputes collectives et d’obscurs commerces illicites. »119

II.2. Des textes et des genres

2.1 Les premiers textes écrits

Malgré de nombreuses recherches, trouver des données claires et précises sur la littérature écrite des Comores reste une gageure. Il n’existe aucun écrit théorique concernant son évolution. Nous le soulignions plus haut, les ouvrages spécialisés sont non seulement peu précis sur le sujet mais aussi trop peu ou prou documentés (cf. les Littératures de l’Océan Indien de Jean Louis Joubert). Ce sont des bribes d’indices glanés ici et là dans les études de certains chercheurs qui nous permettent d’aboutir à quelques résultats sur sa naissance. Les informations réunies dans les revues et principalement Africulture et Tarehi °5, données elles- mêmes par des écrivains nous ont été d’un grand secours. Nous opterons tout de même pour une position nuancée quant aux hypothèses avancées et aux interprétations que nous avons pu déduire de nos recherches.

a) Ouvrages à portée anthropologique Les textes écrits ont mis beaucoup de temps à se frayer un chemin dans l’univers littéraire des Comores. Le corpus composant les premiers est infiniment réduit. Six chroniques datant du 19ème siècle ont été recensées. Peut-être en rapport à cette nécessité de conserver l’histoire des îles, elles apparaissent comme des ouvrages historiques à vocation anthropologique. Ces textes comme celui du Grand Cadi Omar Aboubakr Housseni de Mayotte ou la Chronique d’Abdul Latwif s’orientent plus vers la vie politique et l’histoire du peuplement des îles. Les manuscrits d’Oumar Aboubakar datent de 1865. Écrits initialement en arabe et en swahili par le cadi lui-même, ils retracent les évènements marquants de la première moitié du 19ème siècle dont la cession de Mayotte à la France en 1841-1843. Vus comme une « épopée très réaliste »120 , ces manuscrits servent de base à des études sur l’Histoire des Comores de 1829 à 1842. Nous avons consulté la version française proposée par Fou’ndi

119 Abdallah Patrice, Le notable répudié, préface 120 Foun’di Kana-Hazi, Histoires des îles Ha’ngazidja, Hi’ndzou’ani, Maïota et Mwali, Djahazi Éditions, 1997, p.2 98

Kana-Hazi121. L’ouvrage résultant de ses analyses devient une « Présentation critique des manuscrits arabes et swahilis émanant du Grand Cadi de Ndzaoudzé. »122 Quant à la Chronique d’Abdul Latwif, celle-ci commence ainsi « Faslu ni bayani habari za zamani nimesikia na watu wazee », traduit par « Notice pour la connaissance de l’histoire d’autrefois, telle que je l’ai apprise des ancêtres. » Transcrite en caractères arabes mais écrite en langue swahili par Abdul Latwif -l’un des fils du sultan Ntibe Msafumu lorsqu’il exerçait en tant que Cadi d’Itsandra sous le sultanat de son père- elle a permis d’offrir une base de recherche pour l’ouvrage Traditions d’une lignée royale des Comores de Damir Ben Ali, G.Boulinier et P.Ottino. Ceux-ci se sont intéressés à l’une des plus grande dynastie royale de l’île de Ngazidja, l’Inya Fwambaya. Un travail colossal par l’apport de connaissances concrètes sur le mode de fonctionnement du principe de matriarcat aux Comores, en plus d’être un ouvrage historique et anthropologique sur l’histoire ancienne des îles. L’avant propos signale à ce sujet: « Le lecteur doit savoir ceci : il n’existait, jusqu’ici, aucune histoire éditée de l’île de Ngazidja (Grande Comore), antérieure à la période récente. » Ici, les chercheurs s’interrogent sur l’implantation de cette dynastie entre le XIIIème et le XIVème siècle de l’ère chrétienne. Nous pouvons aussi citer le panégyrique d’El Maarouf, (Théologien et savant) un autre de ces manuscrits inscrits dans la tradition historique des îles. Il s’agit de l’œuvre la plus connue attribuée à Saïd Ka’abi et traduite en français par Paul Guy. Ces textes appartiennent, semble- t-il, à certains patrimoines familiaux. De là nous passons à une période plus récente avec le manuscrit de l’érudit Bourhane Mkele, Nafhat al-wardat fi manhaji al-bourdat, exclusivement écrit en arabe et n’a pas encore été traduit en français. Ici, l’auteur, imminent grammairien, très grand savant religieux traite de l’histoire de Ngazidja. Ce texte est écrit dans un style très poétisé qui permet de faire un pont avec ces premiers écrits et la littérature car le manuscrit est vu par les chercheurs comoriens arabophones comme une œuvre majeure de la poésie comorienne.

121 Pseudonyme sous lequel est signée la traduction commentée du texte du Cadi Omar. De son vrai nom, Lou Belletan, est un ancien professeur français ayant séjourné et enseigné aux Comores (Mayotte et Ngazidja) près de 25 ans. Il est à l’origine de plusieurs études critiques sur l’histoire des Comores dont L’imposture féodalo bourgeoise, relatant entre autre la vie de l’ancien président révolutionnaire Ali Soilihi. 122 Foun’di Kana-Hazi, op. Cit. Sous titre du manuscrit en français.

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b) Ouvrages officiels ou juridiques Parmi ces premiers textes, nous comptons aussi des ouvrages officiels tels que l’Essai sur les Comores de Gevrey (1870) qui traite allusivement de l’époque mythique du prophète Salomon et, beaucoup plus récents, des rapports permettant la liaison entre la colonie et la métropole. Deux chroniques avaient été commandées par le Résident Français Henri Pobéguin, alors administrateur à Ngazidja de 1897 à 1899123. On trouve aussi quelques ouvrages, toujours historiques, mais de plus en plus nombreux, qui analysent les bouleversements et les mouvements politiques, de sociologie culturelle sur les rites sociaux et communautaires. Ces ouvrages beaucoup plus récents ont vocation, dans une approche descriptive et explicative, de permettre une meilleure connaissance des Comores. Voilà pourquoi aujourd’hui, il est plus aisé de trouver des renseignements sur l’histoire des îles que des textes proprement littéraires. L’écriture était donc fonctionnelle, elle servait à enseigner et renseigner avant tout et non à instruire et divertir. Pour cela, il fallait se tourner vers le quotidien et donc les productions orales.

II.2.2 Les genres de l’écrit

a) Essai de classification

L’écriture commença semble-t-il à s’éloigner de sa fonctionnalité primitive aux Comores, à savoir comme nous le disions plus haut : renseigner et consigner, aux environs des années soixante dix. Une date apparemment clé par sa récurrence mais dont nous ne retrouvons aucun texte significatif. Cependant, nous pouvons juger ce point de départ effectif

123 Charles Henri Pobéguin (1856-1951) . La Grande Comore étant placée sous protectorat français depuis 1886, grâce à l’alliance entre Léon Humblot et le dernier « sultan » de l’île Said Ali. Pobéguin fut nommé par Paris en tant qu’administrateur de la Grande Comore afin de limiter les abus du colon Humblot et ceux de sa Société. Mais très vite, il fut considéré comme un résident « anarchiste » aux yeux des colons de part son esprit d‘ouverture et l’intérêt qu’il porta à la population autochtone. Il tenta de mettre fin aux injustices les plus graves dont souffraient les engagés de la Société d’Humblot qui, mecontent, se chargea de le faire rappeler. Des années après sa mort, en 1968, sa fille a fait don à la bibliothèque de Saint-Maur-des-Fossés de documents (manuscrits, carnets de route, correspondance, cartes, plaques photographiques). Ces notes de grand voyageur éclairent l’histoire de l’Afrique au tournant du 20ème siècle. Elles constituent une source d’informations importante et précieuse pour des recherches sur les Comores. 100

et réel si l’on fait allusion au manuscrit de Saïd Mohamed Saïd Tourqui124, sélectionné pour être édité chez Albin Michel dans ces années là.

Cette anecdote permet de formuler l’hypothèse d’une corrélation entre l’apparition de la littérature comorienne francophone en tant qu’univers de fiction et les mouvements migratoires estudiantins. En effet, l’objet livre et son espace littéraire ayant longtemps été vide de sens, son entrée dans l’univers comorien dut être très marginale. Ne devaient avoir accès à la littérature de tout bord, dans les années soixante dix, que les enfants d’une élite politique autochtone. Une proposition qui se vérifie au regard des personnages ayant occupé de hautes fonctions politiques sous la colonisation et après. Bon nombre d’entre ceux qui ont gouverné après l’indépendance ont fréquenté les mêmes bancs d’écoles à Moroni et plus tard à Madagascar : Saïd Mohamed Saïd Tourqui, Ali Soilih etc.

Nous présentons ci-après un tableau classant les genres de l’écrit.

124 Ce manuscrit étant aujourd’hui introuvable, le fait relaté est tout de même corroboré par un nombre important d’intellectuels et d’hommes politiques l’ayant côtoyé et fréquenté. Ancien personnage influent dans l’archipel, sous la colonisation, de part ses origines princières, il semble que SMST, père de l’écrivain Sast, ait découvert très tôt sa vocation d’écrivain. De passage à Paris en vue de faire éditer son manuscrit, il aurait été retenu par Albin Michel avec qui, rendez-vous était pris pour une signature. Le père du jeune SMST l’ayant destiné à la politique et ne voyant pas d’un bon œil le métier d’écrivain serait venu le chercher et l’aurait emmené aux Comores sans préavis. Le manuscrit aurait été alors perdu.

101

Tableau des genres de l’écrit Genres Avec savant bilingue monol chanté moder tradi sacré profa auteur Hadithi X X X X X Récit de la vie du prophète Hadisi anony X X X X Histoire, chronique Barua, X x x X X Waraka, lettre Shaîri, X X X X X X X poème Kaswida, X et x x X X X Abuyati, anony Chant religieux Hutuba X X X X X X discours Silsila, X X X X shadjar, Nasilla, Généalogie Manaqibu X X X X biographie Riwaya X X X X X roman Makala X X X X X journal

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Ce tableau s’inspire des travaux de Daniel Ahmed Abdouroihmane. Il ne tient compte que des genres recensés et classés par le chercheur. Proposant un inventaire clair, il nous sert de point de départ pour des propositions contradictoires. En effet, le tableau mentionne tous les genres composant l’ensemble de la littérature orale comme écrite. Nous en avons extrait deux tableaux distincts, l’un répertoriant les genres oraux, vus précédemment, l’autre répertoriant les genres écrits. Celui-ci nous intéresse car malgré son exhaustivité apparente, une bonne part des genres exclusivement littéraires, ne sont pas mentionnés. Sont ainsi absents: le théâtre, le conte, la nouvelle et l’essai. Des genres pourtant présents de cette littérature naissante. Le conte et le théâtre ont été considérés par le chercheur dans leur conception strictement oralisée, appuyant ainsi nos propos sur le glissement qui s’est opéré entre l’écrit et l’oral. Mais si le conte trouve son équivalent comorien dans le terme de hale, le théâtre, comme nous le disions plus haut, n’a d’équivalence que dans le glissement du terme français. Il passe de théâtre à tiyatiri. En ce sens, une question demeure, à laquelle nous n’avons pu que partiellement répondre, comment le genre a-t-il été introduit aux Comores ? Et comment a-t-il été introduit de sorte à ne permettre qu’une existence avant tout orale ? Quoi qu’il en soit, le genre a su séduire les habitants de l’archipel et il devient quasiment impensable aujourd’hui d’assister à une manifestation, une journée ou des activités culturelles dans un village, même reculé, sans assister à une représentation théâtrale. Servant à soulever des questions de société, à sensibiliser les opinions sur les maladies ou autre, le tiyatiri fait désormais partie intégrante du système littéraire des Comores. Au contraire de la nouvelle et de l’essai qui quant à eux n’ont pas d’équivalence dans la langue, restant peu exploités et plutôt méconnus.

b) Le lesso, un livre mobile

Fait intéressant et particulier, le premier support d’écrits en shikomori fut le lesso. Des maximes, des bénédictions ainsi que de courts proverbes ont longtemps encadré la partie basse de cette étoffe portée en continu et au quotidien par les femmes et les jeunes filles de l’archipel. Taillés en robe, attachés autour de la taille parfois même par des hommes sous la forme de l’Ikoyii, enroulés autour du cou, déposés sur l’épaule, mis en voile religieux, le lesso est à la femme comorienne ce que le pagne est à l’africaine ou la sari à l’indienne. Et malgré le temps qui passe et les modes qui changent, ce grand rectangle de tissu coloré continue de compléter inévitablement la tenue des comoriennes. En cérémonie ou au champs, aucune ne se sépare du lesso. Et sur ce tissu tant usuel qu’habituel, les écritures persistent. Ces petites

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phrases aussi élégiaques qu’ironiques, disposées dans un encadré sont lues, relues et commentées, et induisent, lors des cérémonies, les choix du lesso qui sera porté en saré par toute femme appartenant au chama. Ainsi, les vœux de bonheur inscrits sur les lesso, paroles poétiques qui résonnent en souhaits ou paroles de bénédiction font tant partie du quotidien qu’on en oublie qu’elles sont souvent, le premier contact qu’entretiennent les femmes avec la lecture, le texte et l’écriture. En effet, ce vêtement venu de l’Afrique Subsaharienne porte généralement des inscriptions en KiSwahili, en Shikomori et parfois en Français. Inscriptions auxquelles les comoriens font toujours attention avant de choisir ledit lesso surtout lorsque celui-ci est destiné à servir de présent.

c) La poésie : rythmes anciens et modernes

A côté du roman, la poésie comorienne d’expression française était, il y a encore quelques années, encore peu prolifique. Bien qu’on note une importante profusion de genres poétiques depuis les débuts du peuplement des îles, ces genres sont pour la plupart oraux, issus de réalisations inscrites dans le quotidien des habitants des « Lunes ». Comme le rapporte Moussa Saïd Ahmed, excepté les poètes philosophes d’autrefois, Mnaidjimba Chari, Youssouf Trindoni, le Sage Mbaé Trambwé, on comptait peu de poètes comoriens. En règle générale, la poésie comorienne d’expression française a mis du temps à s’imposer et à connaître l’engouement que suscitaient les romans ou encore le conte. Pourtant, selon Carole Beckett, un premier contact aurait été établi avec la poésie comorienne d’expression française depuis plus longtemps que ce qui est dit et ce, grâce notamment à la presse locale. A ce propos, elle reprend Jean Louis Joubert qui, dans son ouvrage Littératures de l’Océan Indien explique par le manque de matières, les raisons pour lesquelles les spécialistes des lettres francophones ne pouvaient traiter de la littérature comorienne. Selon lui, le trop grand retard du système éducatif en était la cause: « Pendant longtemps, il n’a existé aucun journal. Rien d’étonnant donc, s’il ne s’est pas développé de littérature comorienne moderne ni en comorien, ni en français… La littérature comorienne moderne reste un projet. » 125 Carole Beckett contredit cette affirmation jugée trop catégorique car elle-même a pu établir un premier contact avec la poésie comorienne écrite en français en mai 1991, lors d’un court séjour dans les îles. En effet, il s’avère que de septembre 1985 à septembre 1990, Al

125 Jean-Louis Joubert, Les littératures de l’Océan Indien, EDICEF, 1991, p.281 104

Watwany, le journal hebdomadaire de Moroni a régulièrement publié des poèmes de lecteurs comoriens dans sa rubrique, le coin des poètes « cet unique moyen de s’exprimer et de se faire connaître - unique car les Comores ne possèdent aucune maison d’édition – permettait aux aspirants poètes de faire publier leur créations poétiques et fournit, en plus une source et des archive irremplaçables pour des chercheurs. »126 C’est de là que partiront les recherches de la jeune femme. Son travail aboutira à la publication de l’Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française où elle réunit les textes de différents poètes dont le dénominateur commun est non seulement d’écrire en français leurs haines et leurs joies, mais aussi de témoigner « d’un attachement à la terre natale, à la culture dont ils sont issus. » Elle ajoute : « Nous avons choisi des poèmes qui, de par leur contenu, portent la marque indélébile des Comores, un pays musulman. En les lisant, on ne peut pas un seul instant penser qu’il s’agit de poèmes produits en Europe, aux Antilles ou en Afrique continentale.»127 Grâce à son travail, nous avons pu, quant à nous, découvrir quelle était la poésie comorienne moderne, différente des textes de la tradition orale. D’un point de vue quantitatif, la poésie comorienne comptait donc un corpus restreint et minime, et ce, toutes langues d’expressions confondues. Le premier ouvrage de référence sur cette poésie des îles s’avère être la rubrique « le Coin des poètes » du journal Al Wattane. Le second sera l’Anthologie d’introduction à la poésie Comorienne d’expression Française de la Sud Africaine, Carole Beckett. Cet ouvrage offre une vision plus ou moins exhaustive des créations poétiques des jeunes auteurs comoriens. On y retrouve les noms de Mohamed Toihir déjà romancier confirmé, de Abou128 ou de Mab Elhad qui publiera son propre recueil Kawulu la Moindo quelques années plus tard. Elle propose aussi les premières plumes féminines. Nous retrouvons quelques noms sous des poèmes aussi variés et engagés que ceux des hommes, mais comme partout ailleurs, il y en a peu. En général, à l’exception de Soibaha Kamar Eddine dont trois de ces poèmes figurent dans l’ouvrage, il n’apparaît qu’un poème pour chaque femme citée. Même si en production de textes oraux elles ne se pas laissent surpasser par les hommes, à l’écrit, elles n’ont pas encore pris place dans les rangs de nos

126 Carole Becket, Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, 1995, p.6 127 Idem, p.7 128 Le recueil Crimailles et nostalgie a été publié à Port Louis, Ile Maurice en 1990. Il s’agit d’un petit recueil composé par Aboubacar Saïd Salim en 1978. Au vu des différentes sources qui ne mentionnent jamais d’éditeur, il est probable que ce texte soit le fruit d’une autoédition. D’autant que le poète-romancier sera aussi à l’origine des premières tentatives éditoriales aux Comores avec les éditions Cercles Repères. 105

poètes. Et encore aujourd’hui, où la poésie devient le pêcher mignon de bon nombre d’écrivains, une seule femme a publié un recueil129. Cette compilation met en avant les thèmes de la patrie, de l’amour, de la liberté, dans une tonalité lyrique très souvent empruntée ou calquée des modèles poétiques français. Ainsi, outre l’anthologie compilée par Carole Beckett et les Fragments de poèmes de Mbae Trambwe traduits en français, les sources consultées ne recensent jusqu’aux années 2000 que trois ouvrages poétiques130 dont deux écrits en français. Le poète Mab Elhad mentionne, dans son blog, deux autres recueils signés par Saindoune Ben Ali Les ruelles d’embats, publié par l’INE (Institut National de l’Éducation) à Anjouan en 1986 et Les ombres de Koni, Publié par la Maison de la Poésie de Paris. Pour celui-ci, la date de parution n’est pas mentionnée. Si l’on regarde de près, les textes de Aziza Mohamed Aboubacar n’appartiennent pas à un genre spécifique, classés à la fois comme récits et comme poèmes, et ne font pas partie de notre corpus d’étude car écrits en swahili. En ce sens, seul Saindoune Ben Ali, a semble-t-il eu la chance de faire publier ses écrits, une fois aux Comores même et deux fois à la Réunion, avant que la poésie de l’archipel ne s’affirme à partir de 2001. Avec les Testaments de transhumance publiés en 1996 par l’ADER (Association des écrivains de la Réunion) chez l’éditeur réunionnais, Grand Océan, il devient le premier auteur comorien publié dans des conditions correctes. Hormis lui, la plupart des aspirants poètes ne s’exprimaient qu’à travers la presse. Au fil du temps, la poésie comorienne d’expression Française s’impose de plus en plus dans le contexte francophone. Un ouvrage publié en 2007 cite des poèmes de Saindoune Ben Ali, Adjmaël Halidi, Nassuf Djailani. Il s’agit d’une anthologie compilée en Afrique du Sud et intitulée Invitation to a voyage, French-language poetry of the Indian Ocean131. Elle met sur un même pied d’égalité les poètes comoriens cités ci-dessus ainsi que d’autres poètes francophones bien plus célèbres (Rabéarivelo pour Madagascar ou Leconte de Lisle comme Baudelaire pour la France). Il s’agit là d’une grande première et la reconnaissance ainsi

129 Kokomoina Bacar Toibibou, La boussole sans aiguille, Editions de la Lune, 2009 130 Crimaille et nostalgie d’Aboubacar Saïd Salim, édité en 1990 sous le nom d’Abou, LesTestaments de Transhumance de Saindoune Ben Ali, publié en 1996 et Des Comores au Zaïre, Récits et poèmes swahili d’Aziza Mohamed Aboubacar, publié en 1988 aux éditions Fleuve et Flamme - EFICEF – CILF. Le poète Mab Elhad explique, dans son blog, comment lui sont parvenus les deux autres titres de Saindoune Ben Ali Les ruelles d’embats et Les ombres de Koni, publié par la Maison de la Poésie de Paris. Pour celui-ci, la date de parution n’est pas mentionnée. Ces œuvres sont devenues introuvables, Mab Elhad les aurait eues entre les mains durant un stage à la Réunion, c’est par ce baiais qu’il rencontre la poésie de Saindoune Ben Ali.

131 Grey Stephen, Invitation to a voyage, French-language poetry of the Indian Ocean, Pretoria, éditions Protea book House, 2008. 106

octroyée à la poésie de ce petit archipel n’en est que plus appréciée. Certains souriront en constatant Baudelaire et un poète comme Saindoune Ben Ali dans un même livre. Mais qu’ils se rassurent, les distances d’usages ne sont pas enfreintes et Stephen Grey, l’auteur de l’anthologie les positionne sous un angle strictement linguistique. Ceux sont tous deux ainsi que les autres, des poètes francophones. Ainsi donc après son long démarrage, le genre poétique parvient à s’imposer, devenant même le lieu privilégié de l’expression littéraire comorienne à la fin des années 2010. En effet, comme nous le verrons en détail plus loin, on compte vingt deux recueils de poèmes publiés entre 2006 et 2010 contre quatorze romans sur la même période (Se référer au tableau en annexe).

d) Le théâtre, genre transposé et/ou importé Le théâtre de la vie quotidienne Le théâtre comorien puise son inspiration dans le folklore. Il s’inspire et se dévoile sous différents aspects de la vie de tous les jours. Il ne semble pas faux de constater ce profond encrage en expliquant que le théâtre est dans le quotidien des hommes comme élément constitutif de cette vie. La vie des comoriens, une société aux rites et traditions multiples, est marquées par les différentes manifestations qui la ponctuent. Chaque moment de cette vie mobilise une énergie et une atmosphère particulières et sera marquée par une célébration spécifique à l’évènement cité. Ainsi, la naissance sera entourée de chants, les berceuses ou chants de bénédictions, de demandes et d’espoir sur la vie future du nouveau né. L’adolescence se verra définie et célébrée par des activités différentes et symboliques. La vie d’un comorien est divisé en trois grandes étapes : la naissance, l’adolescence et le mariage. Chacune de ces étapes est elle aussi, et surtout le mariage, sous divisée en plusieurs sous étapes. L’enfant comorien passe de l’âge d’enfant à celui d’adolescent mais on célèbrera sa naissance comme sa circoncision, et pour la fille, le début de sa puberté. De l’adolescence à l’âge adulte qui se réalisera avec le Grand mariage, le comorien devra s’acquitter de différentes tâches liées à la donation d’argent, l’achat de bœufs, le sacrifice d’un bœuf etc… afin de grandir et de devenir adulte. Chacune de ces étapes est associée à un rite précis et codifié. C’est dans la réalisation de ces rites que le théâtre se manifeste. Toutes ces circonstances qui font appel à la dramatisation requièrent des talents de mimes. Des jeux de scènes, des attitudes d’acteurs, des transformations sur les visages. Lors des mariages, les orateurs prévus pour le Shinduantsi s’emploient à magnifier leurs propos par des gestes, des

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mouvements reflétant non seulement la parole issue de la bouche, mais la parole du corps. Ce corps devient le témoin vivant du discours énoncé, la parole vit.

Une approche mimée de la réalité Mais ce sont semble-t-il, les cérémonies de possession qui requièrent et demandent le plus grand talent d’acteur, c’est là où la dramatisation prend toute sa mesure. Ces rites de possession développent des croyances animistes, fréquentes aux Comores. Il s’agit pour un corps vivant d’accepter de ne faire qu’un avec un esprit autre que le sien. A l’exemple du Trumba, qui est l’une de ces cérémonies, où l’on fait appel à un mwalimu (sorte de devin, maître dans les sciences occultes, doté de dons de voyance et de guérison) afin que celui-ci vienne invoquer des puissances surnaturelles. Ici, il s’agit des djinns, des shaitwan ou des wafus132. Dans tous les cas, l’individu, apparemment inconscient laisse son corps à l’esprit qui l’utilisera à sa guise. En privé comme en public mais toujours au sein d’une communauté restreinte, le possédé entre en transe. A ce moment là, que la possession soit réelle ou pas, qu’elle soit simulée ou non, le jeu de scène s’installe, la magie commence à opérer. Le possédé se met alors à inventer une langue, fictive ou réelle, intelligible ou non. Il joue sur le tableau de la probabilité. Pour une personne qui prendrait du recul sur cette pratique, la scène apparaîtrait tout simplement comme parfaitement jouée voire réelle, car il arrive souvent que même le sceptique le plus endurci doute de la non véracité du spectacle qui s’offre alors à sa vue. Partant du postulat que la possession n’est pas toujours totale et réelle, le possédé devient sciemment acteur. Il profite de ce statut d’envoûté pour dire certains malaises et imposer des désirs. Tamu, personnage principal de la pièce Tombé du ciel133, illustre parfaitement ce fait. Étant accusé de folie, il finit par simuler une possession et profite de cette posture pour défier son père qu’il juge responsable de tous ses malheurs. Ses parents le pensant alors dans un état second, ils écoutent Tamu les invectiver et prennent en considération ces propos même virulents. Une situation qui aurait été impossible dans un cas contraire. A savoir, Tamu face à ses parents leur faisant des reproches. Dans ces cas-là comme dans ceux d’une réelle possession, il y a exagération. Certains vont peindre le désarroi en fondant en crises de larmes ininterrompues et d’autres se mettre dans une colère noire et démesurée, qui entraînera le

132 Littéralement, les morts. Les Wafus sont des sortes de revenants dont l’esprit non apaisé, à l’exemple des revenants, refait surface pour demander paix ou réparation dans le sens où les vivants leur porteraient préjudice. Souvent c’est en oubliant de prier pour leur Salut dans l’Au-delà. 133 Saïd Mohamed Abderemane (Wadjih), Tombé du ciel, Plumes Libres, 2007 108

corps dans la parole et inversement. S’il s’agit de pleurer, alors la personne aura recours à un masque fictif qu’il se fabriquera à l’aide de grimaces exagérées en vue de peindre la douleur. Elle se mettra ensuite à mimer cette douleur en la portant à son paroxysme par les effets de voix et de mouvements. La douleur n’étant pas aussi extraordinairement visible devient quelque chose de palpable. S’il s’agit de témoigner d’une colère, la personne se roulera par terre, se battra, se mettra à hurler et ce, toujours dans une attitude d’exagération très sensible à la vue. Les gestes seront très amples, les mouvements rapides et saccadés, le ton tonitruant. La vraie nuance entre un jeu de scène et une cérémonie de possession sera dans l’adhésion de l’assistance ainsi que dans la pensée de l’acteur. En effet, le postulat de base étant que la possession est on ne peut plus réelle car faisant partie du quotidien, l’assistance se concentre sur le possédé pour écouter et répondre aux attentes de l’esprit, bienveillant ou pas. Dans une pièce de théâtre, l’assistance est alors un public averti, il sait que ce qu’il voit est faux et décide consciemment d’entrer dans le jeu. L’acteur sait aussi qu’il joue et le public en a conscience. Dans le cas de la possession, soit le « comédien » sait que l’assistance ne sait pas qu’il joue sur ce double tableau, soit le possédé « l’est réellement » et dans ce cas, il ne joue plus, n’étant plus lui-même.

Théâtralisation du conte Damir Ben Ali écrit : « Les textes oraux proférés, déclamés, psalmodiés ou chantés dévoilent à la société sa propre identité, son histoire et son présent ; c’est une partie essentielle de son patrimoine culturel »134 L’histoire est avant tout un moment de mémoire, la réalisation vivante de cette mémoire qui, malgré la force et la consistance dont font preuve les détenteurs, s’amoindrit avec les années et filent avec les hommes et leurs vieux jours. Les vieilles personnes abandonnent les longues nuits douces où, entourées de leurs petits enfants, des enfants du voisinage, s’asseyaient sur le pas de la porte et se mettaient en devoir de faire revivre tout l’univers mystique et magique de ces îles de la lune. Lors de ces veillées, les enfants ravis écoutaient attentivement la moindre intonation de voix, le moindre frôlement de souffle et, se laissant transporter par la voix magnétique de la comédienne âgée des milliers de contes dont ses grands-parents lui faisaient le récit des années plus tôt, ils regardent. A travers ces contes, ils réapprennent leur pays. Toute cette atmosphère magique était chaque fois recréée par la conteuse. Il y avait dans la possibilité d’entendre relater un conte, toute la joie de partir vers

134 TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie, op. cit., p. 8

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ces contrées lointaines qu’ils ne verraient certainement jamais. Cette fête était un moment de se retrouver tous ensemble entraînés dans une même aventure, par le jeu de scène magique de la grand-mère. Nous pouvons donc voir que le travail du conteur ou de la conteuse prenait forme sous l’aspect de la maîtrise de la langue dont ils savent faire preuve et de la théâtralisation dans l’acte de parole. Bien des années plus tard, quelques écrivains comme Salim Hatubou se remémorent, l’âme nostalgique ces récits autant que leur auteur. Mais encore plus que l’histoire narrée, ils se rappellent toute la mise en scène autour du conte, l’habilité de la grand-mère à recrée, à l’aide de sa seule voix, sur le pas de sa porte, dans son salon qu’éclairait une faible lampe de pétrole, l’autre monde. Une habilité et un univers que tente de rendre Salim Hatubou dans ses albums audio Contes Comoriens, Genèse d’un pays Bantou135. Cependant, ces formes de théâtralisations primitives ou dramatisations de certains moments de la vie ne sont pas représentatives de ce qui est appelé tiyatiri aux Comores. Elles ne sont qu’une branche vulgarisée du théâtre comorien qui demande pour être nommé tel de véritables codifications, répondant aux lois de la représentation scénique.

II.2.3 Qu’en est-il du polar, de l’autobiographie, de l’épistolaire, du journal intime ?

a) Des univers pas encore visités : le roman épistolaire, le journal intime, le récit fantastique.

Lister les genres inexistants ou peu exploités dans la littérature comorienne pourrait amener la question suivante : pourquoi ces genres devraient-ils exister et les autres devraient- ils les exploiter? Pourtant, relever les genres inexistants permet dans un premier temps, de constater qu'en littérature comorienne, en tant que création de fiction, plusieurs genres sont à la disposition de la création personnelle d'un écrivain. Or en littérature comorienne, seul l'écriture romanesque à vocation historico-politique ou politico-sociale a retenu l'attention des auteurs. En effet, sur les quarante cinq romans publiés, seulement cinq sortent du cadre du

135 Hatubou Salim, Contes Comoriens, Genèse d'un Pays Bantu, VOL 1 et 2, Editions 1, 2003, format: CD

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roman historique ou sociologique. Laissant de côté des sous genres comme le roman épistolaire, le journal intime, le roman policier, le récit de fiction s'appuie essentiellement sur les cadres précités. Même si l'on peut proposer, comme nous le verrons plus loin, deux ouvrages d'inspiration autobiographique, rares sont ceux écrits à la première personne. Du côté du genre fantastique, Ngani ou la cité des djinns est le seul titre à s'apparenter à un récit fantastique. Mais là encore, entendu qu'aux Comores, l'existence des djinns comme habitants d'un monde parallèle à celui des humains, est un fait accepté par la majorité, il pourrait sembler hâtif de classer cette nouvelle comme étant une nouvelles fantastique. Le djinn de Houza (personnage principal de la nouvelle), n'est donc pas identifié dans un espace où les éléments surnaturels seraient soumis au doute. Au contraire, les faits et éléments aux abords extraordinaires sont entendus et perçus comme possibles, probables, voire réels. En ce sens, nul doute, nulle hésitation chez le lecteur, entre réel et surnaturel, le propre du récit fantastique. Ici, l'intrusion du surnaturel, la prise de possession du corps de la jeune femme par un djinn appelé La Nenny, est vécue comme un fait normal et commun par l'entourage. Au contraire, Simka, voyant son amour mis en danger par un être surnaturel reste sceptique et refuse d'y croire. Le lecteur est alors pris entre deux feux et deux postulats contradictoires qui l'amènent à lire le récit de deux manières, nouvelle fantastique ou simple récit de fiction relatant l'idylle contrariée de deux jeunes gens. Mais, pour un regard extérieur à l'idée d'une cohabitation entre djinns et humains, Ngani ou la Cité des djinns présente bien des caractéristiques répondants aux critères de l'univers fantastique : intrusion de faits surnaturels inexpliqués et inexplicables dans un quotidien tout à fait ordinaire et banal. En ce sens, ce récit peut être lu comme un texte à part en littérature comorienne d'expression française.

b) Des genres en balbutiement : l’autobiographie, le polar, le roman policier.

Or, si certains sous genres n'apparaissent pas encore, que d'autres ne permettent pas une classification claire, d'autres sont pourtant en balbutiement notamment le roman autobiographique, et le polar. En effet, l'autobiographie et l'écriture du « je » proposent deux titres francophones : Brûlante est ma terre 136 de Baco Abdou Salam et La perle des Comores137, de Coralie Frei, et un titre en shikomori, Mtsamdu Kashkazi kusi Misuri138 de Mohamed Nabhane.

136 Baco Abdou Salam, Brûlante est ma terre, L'Harmattan, 1991 137 Coralie Frei, La perle des Comores, Editions Le manuscrit, 2010 138 Mohamed Nabhane, Mtsamdu Kashkazi kusi Misuri, Komédit, 2011 111

Quant au polar, seuls Mohamed Toihir et Saïd Ahmed SAST s'y sont essayés. Le premier dans le roman Un parfum de Mangrove139, le second dans Le sang des volcans, des Kalach et des Comores140.

Pourquoi ce confinement ou cette apparente limite ? Un début de réponse se trouve dans la nature même des évènements survenus aux Comores : notamment et principalement, son histoire politique et sociale particulièrement mouvementées. C’est ce que nous avons pu constater en relevant les principaux thèmes de cette littérature ou encore les figures des personnages romanesques pour la plupart tous des personnages révolutionnaires, sur lesquels nous reviendrons plus tard. Quoiqu’il en soit, l’absence de ces sous-genres dans l’écriture romanesque apporte de nombreuses réponses autour de la question de l’écriture et donc du lien unissant un écrivain et son acte d’écriture. Nous formulerons ces réponses sous forme d’hypothèses afin de laisser une marge à d’éventuelles remarques discordantes. Cela révèle surtout que la littérature en est à ses balbutiements. Elle n’est pas encore parvenue à cette maturité qui permettra aux écrivains de proposer d’autres conceptions à l’écriture romanesque. Il s’agit donc dans un premier temps de donner avant tout une littéralité aux évènements extérieurs et donc au texte littéraire ramenant au second plan la notion de littérarité du texte romanesque. Du point de vue de la forme et du genre, tout se passe comme si l’acte d’écrire se devait d’être vecteur d’une mission et révélateur d’un engagement politique, culturel et/ou social de la part de ceux qui en font l’usage. Suivant ce degré d’appréciation, il devient très simple de comprendre pourquoi l’univers fictionnel englobant l’écriture se trouve confiné dans des considérations strictement communicationnelles. Peut-être n’est-ce pas là le désir de l’écrivain qui souhaiterait transcender sa réalité pour l’offrir en miroir à son lecteur, il n’en reste pas moins cependant, que les faits parlent d’eux mêmes. Le roman comorien s’apparente encore trop souvent à une forme de traduction d’une réalité historique donnée, si présente chez l’écrivain qu’elle en demeure indissociable de ses considérations artistiques. Il ne s’agit alors pas tant de créer bien qu’écrire en fiction romanesque recoupe d’emblée en son sein, le principe créatif, mais de proposer au lecteur une image déformée ou non par le miroir subjectivé de l’auteur, d’une réalité à laquelle l’écrivain

139 Toihiri Mohamed, Un parfum de mangrove, Editions du Baobab, 2002 140 Sast Said-Ahmed, Le sang des volcans, L’Harmattan, 2011

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aurait été confronté. La valeur sure dans ce contexte apparaît être le témoignage et en ce sens, de même qu’un reportage se doit de rester fidèle à certaines réalités, le roman procède au dépouillement de la stylistique et bien que la remarque puisse sembler exagérée, de sa littérarité. Comme nous le savons, il est très difficile d’allier élégance et effet de styles dans une traduction de texte. Lorsque nous tentons de faire passer en français les poèmes chantés en comorien tels que les Nyandu, le texte perd de sa beauté et donc de sa teneur stylistique. Peut-être est-ce le trop grand désir ou besoin chez l’auteur comorien de témoigner du vécu de sa société par la peinture d’évènements marquants qui transforme en traduction d’une réalité, le texte romanesque. Peut-être l’absence de recul face à ces mêmes évènements pousse-t-elle l’écrivain à faire de son texte le miroir d’interrogations sociales énoncées comme telles. Quoi qu’il en soit, nous savons qu’une traduction impose des limites au traducteur qui, pour redonner corps et vie au texte qu’il a en charge de porter dans une autre langue, doit se réapproprier cette langue, son espace, son univers et permettre la rencontre des trois. Or ici, il s’avère que les auteurs comoriens sont préoccupés par l’absence de beauté du thème qu’ils exploitent eux mêmes : les Comores, devenus thème de prédilection, enjeu littéraire, souffre douleur et mère de toutes les contradictions. N’ayant pas le désir de proposer une vision embellie ou de peur de proposer une vision embellie de ce qu’ils considèrent tous comme étant à proscrire, ils ne peuvent réinventer l’espace de leur écriture et donc redéfinir leur outil de base : l’écriture, car cette écriture est elle-même tâchée du lieu unique et identitaire : le pays d’origine. Mais si un seul type de récit domine la scène littéraire comorienne, rares sont les auteurs ne se limitant qu’à un seul genre littéraire. Si Mahamoud M’saidié ne se consacre qu’à la poésie, ou Patrice Ahmed Abdallah au théâtre, la plupart s’essayent à tout, à l’exemple de Nassur Attoumani écrivant aussi bien des romans que du théâtre. Certains auteurs pourraient éventuellement devenir les étendards d’un genre en particulier, pousser l’expérience de ce genre dans les limites de son exploitation jusqu’à en proposer, par le biais même de leur écriture, de nouvelles orientations. Cette maîtrise d’un genre spécifique rendrait et prendrait alors une signification plus globale de l’expression individuelle d’un auteur donné.

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III. CRÉATION/RÉCEPTION, LES DIFFICULTÉS LIÉES À LA LITTÉRATURE ÉCRITE

III.1 L’édition ou ses moyens, une industrie longtemps vide de sens

Nous l’avons dit, aux Comores, l’écriture a longtemps été l’apanage d’une élite, de classe ou politique. Le peuple n’en avait qu’un accès limité pour ne pas dire nul. Dans ce contexte de la valorisation d’un art au détriment d’un autre, si l’on part du principe que la réception ne sera effective qu’à partir du moment où les destinataires disposeraient des moyens de l’approcher, nous en arrivons à une conclusion nulle. Le peuple ne sachant ni lire ni écrire car n’ayant jamais appris, il ne peut comprendre un texte écrit. Nous le répétons encore, la littérature écrite s’est trouve alors confrontée au problème de la réception. Mais ce problème prend des dimensions autres lorsqu’il s’agit de la littérature écrite d’expression française. A qui et pour qui écrit-on en français ? Dans un pays qui ne maîtrise que médiocrement le français, pour une population encore souvent analphabète et ce toute tranches d’âge confondues, comment se place le livre et son objet l’écriture ? Pendant très longtemps, il n’y eut aucune maison d’édition aux Comores et pas d’éditeur non plus. Compte tenu de l’état de l’écriture il y a peine 50 ans, nous pouvons nous demander si la notion d’éditer et le métier d’éditeur avaient une quelconque résonnance dans l’esprit des comoriens. Et si l’on constate qu’encore aujourd’hui où être édité a un sens étymologique et renvoie à une signification symbolique, le terme n’existe toujours pas en Shikomori, alors on ne peut que conclure qu’au delà du retard lié au développement technologique, aux moyens techniques, qui permettraient d’amoindrir ce retard, il y a évidemment, un problème bien plus insidieux, un constat bien plus désolant, le domaine du livre et tout ce qui s’y rattache continue de se couvrir d’une marginalité. Lire est un acte si lointain, si dénué de sens ! A en croire de nombreux témoignages de jeunes et de moins jeunes, au livre, ne s’attache aucune valeur autre que scolaire. Et lire autrement, c’est perdre son temps, pour encore une majorité de comoriens. Et pas seulement pour ceux qui sont aux Comores car à la différence de ceux vivant en France, ils considèrent le lecteur assidu avec une sorte de respect. On peut deviner et relever plusieurs raisons à ce phénomène que l’on résumerait en ces termes « comment nourrir l’esprit quand l’estomac sonne creux ? » En effet, les priorités ne sont pas les mêmes selon qu’on soit exposé à la famine, aux épidémies,

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au VIH etc ou au contraire, confortablement assis devant son téléviseur à attendre que celui- ci relate des faits nouveau.

III.1.1 Bilan éditorial de la parution du premier roman à nos jours

a) Le retard du développement technique et technologique

Luc Pinhas écrit: « Plus de quarante ans après ce qu’Ahmadou Kourouma a nommé, non sans une certaine ironie, « Les soleils des indépendances », le moins que l’on puisse dire est que l’édition d’Afrique noire francophone, tout comme l’édition africaine dans son ensemble, n’a guère réussi à prendre son essor. Pour preuve, quelques chiffres. En 1960, selon les données de l’UNESCO rapportées par Robert Estivals, le continent entier, c’est à dire y compris le Maghreb et l’Egypte, produisait 1,4% des 364 000 titres publiés dans le monde, soit à peine un peu plus de 5000 titres. » 141 Il précise ensuite que ces données sont à attribuer en grande partie à trois pays que sont l’Egypte, le Nigéria et l’Afrique du Sud. Ce qui ramène la production de titres en Afrique noire francophone à peu de choses. Et c’est dans ce contexte que tente de s’implanter l’édition aux Comores où la situation est encore plus fragile que celle du continent. Bien que la tâche fut difficile et malgré le phénomène d’ « explosition » littéraire auquel nous faisons face aujourd’hui, le fait qu’il nous ait été possible de nous procurer une bonne partie des œuvres proprement littéraires de l’ensemble de l’archipel, rend compte de d’une réalité : elles sont peu nombreuses. Nous trouvons répertoriés sur des sites web, et notamment Mwezinet, la presque totalité des ouvrages écrits sur les Comores ou par des comoriens, répartis dans différentes rubriques. La rubrique littérature comprend l’ensemble des œuvres de fiction ou de créations poétiques parues depuis Le Tournis d’Hortense Dufour et La République des Imberbes142. Régulièrement actualisé, ce site demeure l’une des sources bibliograhiques les plus fiables concernant notre domaine de recherche. Mais malgré cette actualisation, il est apparu certains vides dans le référencement. En effet, quelques titres et

141 Pinhas Luc, Editer dans l’espace francophone, législation, diffusion, distribution et commercialisation, Alliance des éditeurs indépendants, collection « Etat des lieux de l’édition », Paris, 2005 142 En 1985. Comme nous l’avons vu, cette date sert de point de départ dans la plupart des recherches sur la littérature écrite. Le site Mwezinet répertorie aussi le roman d’Hortense Dufour, Le Tournis publié en 1984 aux éditions Grasset. Il met en scène des personnages comoriens aux Comores même. Le site renvoie aussi au recueil de nouvelles sans titre publié par les jeunes révolutionnaires du mouvement de l’ASEC, en 1983. Mais si ces deux textes sont parus avant La République des imberbes, le premier n’est pas pris en compte car il a été écrit par une non-comorienne, et le second ne porte pas de titre précis. 115

quelques ouvrages trouvés au cours de nos recherches manquent143. Cela prouve la difficulté à centraliser des informations provenant de plusieurs lieux différents, en vue de rendre plus visible la production littéraire des Comores. Les textes non référencés n’ont pas été édités en France. Appartenant au catalogue d’un éditeur peu connu ou à l’existence éphémère, ces livres, comme les romans d’Ibrahim Ahmed, tous édités chez Print Express à Madagascar, sont très difficiles, voire impossible à trouver. Malgré notre volonté d’exhaustivité, il ne serait pas surprenant de découvrir à postériori, et de façon inopinée, un titre publié durant la période qui nous intéresse, sans que celui-ci n’ait figuré dans notre corpus général. Ainsi donc, recueillir toutes les données relatives à la littérature comorienne d’expression française, ou proposer un catalogue entièrement exact des titres publiés, s’est avéré difficile, parfois aléatoire. Malgré cela, les recoupements permettaient de proposer un nombre clair et plutôt précis concernant les ouvrages littéraires édités depuis 1985. Ainsi, en vingt cinq ans, nous recensons près de 161 ouvrages144 pouvant être considérés comme appartenant à la littérature comorienne ou traitant de la littérature comorienne, tous genres et tous éditeurs confondus. Les graphique et tableau suivants nous permettent de mieux visualiser cette évolution.

143 Trois des cinq romans publiés par Ahmed Ibrahim à Tananarive, Soilihi au pays de Rakoto Rabamanala, Sobdolo, le cousin imbécile et Mariage ambigu, tous trois édités chez Print Express en 2007 ; il en est de même pour Coupeurs de tête, de Baco Mambo Abdou publié chez Orphie, Chevagny-sur-Guye en 2007. 144 Voir annexe 2 « liste des ouvrages publiés » et annexe 3 « évolution par genre des ouvrages publiés. » 116

Répartition par genre des ouvrages publiés

1980-1990 1991-2000 2001-2010 2011 Total

Roman 1 10 34 2 47

Nouvelle 0 0 10 2 12

Poésies 2 3 25 1 31

Théâtre 0 3 15 2 20

Contes + littérature 1 12 11 0 24 jeunesse

Essai prose-poétique 0 0 11 0 11

Réf/Recherche 0 2 6 4 12

Total 4 30 112 11 157

Sur les 161 ouvrages répertoriés145, nous en avons considéré 149. Les autres n’étant pas d’auteurs comoriens ou de littérature à proprement parler. En partant du tableau, il apparaît très clairement que la majeure partie de cette littérature éclot en l’espace d’une décennie de 2000 à 2010 exactement. En à peine dix ans, nous dénombrons près de 101 titres sur les 149 relevés ce qui équivaut à 1/3 des publications d’ouvrages littéraires Comoriens. On constate donc que de 1985 à 1999, soit en 14 ans, seulement une trentaine de livres de fictions littéraire ont été publiés. Pour finir, aucune de ces publications ne s’est faite aux Comores, à l’exception des ouvrages édités par Les éditions du Baobab à Mayotte. Celles-ci font figure d’exception malgré une activité très longtemps irrégulière. La maison d’édition se situant sur la partie française de l’archipel, à Mamoudzou, elle bénéficie d’aides et de subventions dans le cadre d’actions comme la promotion de la lecture dans l’île. Cependant, dans les débuts, le travail éditorial était insignifiant. Ceci expliquant cela, il est alors normal de constater elle n’avait publié de sa création aux années 2000, que seulement une dizaine d’ouvrages de littérature comorienne par des auteurs

145 Voir annexe 1, Liste des ouvrages référencés. Le tableau ne prend pas en compte certaines revues et certains ouvrages de recherches notamment les dictionnires. 117

comoriens. Ces textes, majoritairement des contes appartiennent tous à la collection Archives orales. Une collection tenue de 1997 à 2002 et qui, selon nos données, compte près de 11 numéros appelés « cahiers » avec un objectif précis, conserver l’histoire de l’île. Mais au fil du temps, sa politique éditoriale a beaucoup évolué notamment depuis les années 2000, passant d’un centrage sur l’édition de manuels scolaires essentiellement, à la publication et diffusion d’une littérature de jeunesse 146 , avec pour principe et vocation première, la promotion de l’île de Mayotte, sa culture, ses paysages…

Mais si les éditions du Baobab peuvent se prévaloir aujourd’hui d’éditer et de distribuer sur place, même si une grande partie des manuels scolaires sont imprimés en France avec le soutien de Gecko Édtions, ce n’est pas le cas des éditeurs originaires des trois îles indépendantes. En effet, bien que certaines maisons d’édition soient domiciliées dans les îles (Komédit, entre autres), toutes impriment en France. L’édition est donc confrontée au problème de l’imprimerie. Quel est son état, existe-t-elle dans les îles ? Il est clair que l’imprimerie fonctionne même si elle n’est certainement pas aussi développée que celle de pays comme la France, car les journaux parviennent à exister en sortant qui quotidiennement et d’autres en tant qu’hebdomadaires. Si l’imprimerie fonctionne dans ce cadre, c’est évidemment parce qu’elle ne nécessite pas les mêmes techniques que dans l’édition du livre où là, les moyens matériels se doivent d’être plus conséquents. Il est donc plus aisé de tirer un journal de 8 pages en 1000 exemplaires qu’un roman de 150 pages en 400 exemplaires. Ceci soulève plusieurs questions : la première concerne le rapport des Comoriens à la publication et la deuxième à l’écriture. En somme, l’art d’écrire est ici vu comme quelque chose de particulièrement marginal. Nous constaterons qu’en apparence ils écrivent peu et en conséquence, publient peu. Jusqu’à la création de Komédit, les deux possibilités s’équivalaient et avaient chacune de bons fondements. Cependant, après vérification, il s’avère plus juste de s’arrêter à la deuxième réponse car en existant, Komédit, rejoint par les Éditions de la Lune, a permis la parution de plusieurs œuvres d’auteurs comoriens. Ainsi nous pouvons plus aisément en déduire que ce qui a longtemps fait grandement défaut aux Comores, fut l’absence de maisons d’édition.

146 Se référer à l’article de Christophe Cassiau-Haurie, L’édition dans l’archipel des Comores, sur le site www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10477 118

b) Conséquence première : l’absence de maisons d’édition

Constatation du problèmes et premières tentatives de résolutions Face à ce handicap, une association de jeunes étudiants comoriens l’ASEC (Association des Stagiaires et Étudiants Comoriens en France) « s’était montrée pionnière, en diffusant un recueil de nouvelles au début des années 80. »147 Il s’agissait d’une association politiquement engagée dans une idéologie révolutionnaire qui souhaitait, au travers de la promotion des lettres, « incarner avant tout « une culture nouvelle »et de se hisser à la pointe des « jeunes pousses rouges » 148 et des « bourgeons que ne sauraient écraser les bottes » pour le « syndicalisme révolutionnaire ». Autrement dit, l’ASEC défendait, non pas l’écriture mais l’idéologie portée par son combat contre le colon et le bourgeois. » Dans cette perspective, l’association sélectionnait les textes et ne publia que ceux qu’elle avait jugée en adéquation avec ses aspirations. Ainsi cadrées, les vocations ne pouvaient donc entièrement et librement s’exprimer. Il faudra attendre encore quelques années pour que des éditeurs autres que comoriens s’y intéressent.

Ainsi, la seule voie possible de la promotion du livre littéraire Comorien fut dans un premier temps, l’édition étrangère, en l’occurrence les maisons d’éditions françaises implantées en France et spécialisées dans les littératures francophones. En conséquence, les quelques comoriens qui ont vivement souhaité être lus se sont orientés vers ces maisons d’éditions. Celles-ci comme l’Harmattan ou Présence Africaine servent alors de passerelle aux littératures étrangères. C’est par le biais de l’une d’elles, l’Harmattan, que Mohamed Toihiri a pu publier son premier roman. Créée en 1975, la maison d’édition se veut au carrefour des cultures : l’Afrique, l’Asie, les Amériques, le monde arabo-musulman…

« C'est une maison très prolifique, mais au travail d’éditeur assez minimaliste. Les auteurs ne sont pas payés (ou presque pas payés) mais le lecteur trouvera chez l'Harmattan une multitude de livres (études, essais, romans…) qui n'aurait pas été publié ailleurs, à lui de faire le tri et d'y trouver son bonheur. Il faut reconnaître à L'Harmattan le mérite d'être un des derniers défenseurs des sciences humaines universitaires que beaucoup d'autres éditeurs délaissent comme non rentables. »149

147 Soilih Mohamed Soilih, La littérature comorienne, de la fable à la politique, in revue Africultures n°51, L’archipel des Comores, un nouvel élan ?, Collectif, L'Harmattan, 2002. p.17 148 Idem 149 Cazals Rémy, Colloque sur l'édition universitaire, 22 janvier 1999. 119

c) Évolution de l’édition de 1985 à 2010

L’Harmattan connaît les Comores. Tout ce qui concerne les Iles de la Lune, qu’il s’agisse des ouvrages historiques, de traités ou d’études sur la société comorienne, se trouve dans ses rayons. En publiant le roman de Mohamed Toihiri en 1985, l’éditeur permet à la littérature comorienne de se frayer un chemin et de figurer dans les rangs des littératures francophones et ainsi de faire sortir d’autres écrits des tiroirs et d’oser se proposer au public. En effet après ce roman, d’autres furent publiés, toujours chez le même éditeur. Six ans plus tard, en 1991, Brûlante est ma terre de Baco Abdou Salam sera le deuxième, puis suivront le second roman de Mohamed Toihir, le Kafir du Khartala, en 1992 et la pièce de théâtre, La fille du polygame de Nassur Attoumani. Viendra ensuite le roman d’Hamza Soilhaboud, Un coin de voile sur les Comores (1994) et ainsi de suite.

On le constate très vite, l’Harmattan devient la seule maison d’édition à proposer cette nouvelle littérature, lui offrant la chance de sortir de son isolement insulaire. C’est ainsi que, dans un premier temps, l’éditeur, étant la seule référence en France, semble détenir le monopole quant à la publication de livres d’auteurs comoriens et ce jusqu’à ce que Aboubacar Saïd Salim rompe ce monopole en publiant son roman Et la graine chez Cercle Repère, un des premiers éditeur comorien. Malheureusement, celui-ci ne fera pas long feu. Nous n’avons retrouvé que deux titres chez l’éditeur en question : Et la graine et Autopsie des Comores, un ouvrage sur l’histoire mouvementée des Comores indépendantes entre 1975 et 1990. Il n’est pas possible de donner les dates de parutions, celles-ci ne figurent malheureusement pas dans les ouvrages.

En près de deux siècles de domination française sous toutes les formes connues, ce n’est que près de dix ans après l’accession à l’indépendance que les Comores voient émerger leurs premiers écrits littéraires d’expression française. Si l’on regarde ce mouvement de plus près, le constat est simple : comme nous l’avons plusieurs fois souligné au cours de notre raisonnement, l’Harmattan donne sa chance à la littérature comorienne en publiant La République des Imberbes en 1985. Elle poursuit son action sans se limiter à la production romanesque ni même à la fiction littéraire. L’éditeur s’intéresse à tout, proposant des ouvrages anthropologiques, historiques, sociologiques etc. Soulignons toutefois qu’une année

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auparavant, une européenne publiait son roman Le tournis aux éditions Grasset. Sans être comorienne, Hortense Dufour dresse un portrait de la société comorienne d’avant l’indépendance. Son texte s’ancre dans la capitale, Moroni, et ses personnages sont comoriens pour la plupart. Il n’est pas faux de prétendre qu’elle serait alors à l’origine du premier roman comorien pourtant, nous maintiendrons l’idée que La République des imberbes remplit ce rôle.

Le graphique suivant montre cette progression. Assez lente dans ces débuts, l’édition d’œuvres d’auteurs comoriens connaît un essor à partir des années 2000. Nous revenons dessus plus loi, cette évolution s’accorde avec la création des maisons déditions.

Évolution de l’édition de 1985 à nos jours

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Comme le présentent ce graphique et le tableau de l’annexe 2, après la parution de ce roman de Mohamed Toihir, un silence se fait sentir du côté des auteurs des îles indépendantes. En dix années, ce ne sera que près d’une quinzaine d’ouvrages qui verront le jour dont six romans150, une pièce de théâtre151, deux recueils de poésie152 et cinq recueils de

150 La république des Imberbes (1985), Le Kafir du khartala (1992), Brîlante est ma terre (1991), Dans un cri silencieux (1993), Un coin de voile sur les Comores (1994), 121

contes comoriens153. Cet ensemble principalement produit pour et par l’entité française des Comores, Mayotte, s’attache à reconstruire et reconstituer le patrimoine littéraire de l’île. D’où le nombre assez élevé de recueils de contes qui englobent en réalité, les légendes et les récits de l’île. Quant à la fiction romanesque, cette production sera portée essentiellement par trois auteurs, Mohamed Toihir, Baco Abdou Salam et Soilhaboud Hamza de son vrai nom Soilih Mohamed Soilih. La première pièce de théâtre recensée à ce jour, durant cette période, date de 1992. Il s’agit de La fille du polygame écrite par Nassur Attoumani, elle aussi éditée chez l’Harmattan.

III.1.2 Editer, se faire éditer, s’éditer, quel recours pour publier ?

a) Proposer son manuscrit et être édité

Tant qu’il n’y avait pas de maisons d’éditions, il n’était pas possible de publier. Soumettre son manuscrit à un éditeur français pouvait dissuader bon nombre de jeunes auteurs aussi téméraires qu’ils fussent. Il fallait une maison d’édition locale pour que les écrits puissent être jugés et publiés. Et tant qu’il n’y avait pas de maisons d’éditions, la nécessité de trouver un moyen de se faire connaître s’imposait. S’il n’y a pas d’éditeurs, on écrit moins puisque les possibilités de se faire connaître sont quasi inexistantes. Ceci expliquant cela, jusqu’à aujourd’hui, aucun auteur comorien, à l’exception de l’auteur conteur Salim Hatubou, ne s’est lancé dans l’écriture avec l’idée folle de vivre de ce métier. En même temps qu’ils écrivent et s’épanchent sur le papier, ils assurent leur quotidien en ayant une profession plus commune à côté. Ils sont souvent professeurs comme Saindoune Ben Ali ou encore Moussa Saïd Ahmed, parfois journalistes comme Soeuf Elbadawi, ou Nassuf Djailani, quelques fois en poste au sein du gouvernement en place comme Mohamed Toihir, actuellement ambassadeur des Comores à New York, ou occupent des métiers aux antipodes de l’écriture à l’exemple de Mohamed Anssoufouddine (médecin reconnu aux Comores), Halidi Allaoui (juriste en France).

151 La fille du polygame (1992) 152 Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française (1995), Poèmes, pensées, fragements de Mbae Trambwe (1990) 153 Furikombe et autres (1991), La maison de ma mère (1993), Wano, proverbes, siperstitions et devinettes de Mayotte (1993) 122

Le métier d’écrivain apparaît avant tout comme un passe-temps, né d’une passion pour le verbe certes, mais reléguée au second plan de réalités trop prenantes, par la force des choses. N’étant pas alimentaire, la première fonction de l’écriture est de permettre l’affirmation d’une pensée individuelle par le biais d’une mise en avant d’une certaine sensibilité artistique et du désir d’être reconnu comme tel. Si les prix tel le Goncourt, Renaudot cristallisent autant d’emphase et d’admiration, c’est que les lauréats sont admis et considérés par leurs pairs comme étant talentueux. Le sentiment égotiste dans toute sa splendeur est fondateur de cet élément distinctif tout en étant généré par ce même élément. Ecrire c’est aussi regarder en direction de la postérité, consciemment ou non. Cela étant, la meilleure façon de toucher un public le plus large possible est de se faire éditer. Par le biais de l’éditeur dont l’activité principale sera tournée vers la promotion de ses ouvrages, chercher les distributeurs, assurer la communication et la promotion de l’ouvrage publié, gérer les retombées et encadrer médiatiquement mais aussi financièrement l’auteur, celui-ci mise sur la notoriété dont jouit l’éditeur en question. Pour un éditeur comorien, la fiabilité n’étant pas encore testée car nous ne sommes qu’au début de l’aventure, l’écrivain se fie donc à son intuition personnelle. Voilà pourquoi pour seulement une partie des auteurs comoriens, le premier reflexe consiste à soumettre son manuscrit à un éditeur. Certains choisissent les plus connus, d’où l’Harmattan. Plus ancien et plus visible, il séduit par cette notoriété et son catalogue. Cependant, la plupart signent avec celui qui les accepte. A ses débuts, Komédit a bénéficié d’un réel attrait sur les aspirants écrivains, et les manuscrits étaient envoyés par dizaine à l’année. Aujourd’hui, la concurrence se fait sentir et les écrivains prennent le temps du choix entre Komédit et les Éditions de la Lune, plus flexible et dont le travail éditorial semblait plus complet et plus en phase avec les requêtes des écrivains. A ce jour, cette deuxième place tend à être occpuée par les éditions Coelacanthe, qui, longtemps restée en retrait et se canonnant à l’édition de la revue Tarehi, se positionne en alternative fiable pour donner de la visibilité aux auteurs comoriens. Fait d’autant plus vrai que les éditions de La lune n’éditent plus rien depuis 2010.

Mais évidemment, par souci de qualité et surtout en vue de répondre aux attentes des écrivains en offrant une meilleure audience aux livres qu’ils publient, les éditeurs deviennent à leur tour de plus en plus sélectifs. Et compte tenu des difficultés auxquelles ils sont confrontés, les écrivains sont amenés à effectuer une charge de travail qui aurait du incomber à l’éditeur. Le manuscrit doit être entièrement relu et surtout corrigé avant d’être soumis une

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seconde fois, sous peine d’être refusé. Les éditeurs ne disposent pas des équipes nécessaires pour former des comités de lecture. Ils souhaitent donc amoindrir leur charge de travail. Dans ce cas, beaucoup de manuscrits sont refusés.

b) L’Autoédition

Pour répondre à leurs envies pressantes d’être publiés, certains auteurs font le choix de l’autoédition. Avec les possibilités de plus en plus grandissantes offertes par internet et surtout l’impression numérique, publier son propre manuscrit apparaît un jeu d’enfant. Nombreux sont les sites proposant de devenir son propre éditeur, ou prodiguant des conseils à cet effet. Avec quelques centaines d’euros en poche, l’écrivain devient le maître de son manuscrit de la création à la vente en passant par la mise en forme, le choix de la couverture, la promotion et tout ce qui s’ensuit. S’il parvient à vendre son livre, il en retirera seul les bénéfices. Ce procédé semble séduire de plus en plus dans la sphère comorienne. A en croire le nombre important d’éditeurs (un total de « 36 » sur nos fiches), comparativement à la quantité d’ouvrages littéraires répertoriés (165), le recours à l’autoédition devient une option plutôt à la mode chez les auteurs comoriens. Et en effet, sur ces 36 éditeurs, plus de la moitié semblent relever de l’autoédition. Bien que cela ne soit pas précisé sur les livres, il est assez simple de parvenir à cette conclusion. D’une part, il s’avère que les auteurs publiés chez un unique éditeur soient très souvent les seuls édités chez cet éditeur en question. Les liens proposés sur le site mwezinet ne nous permettent pas d’entrer en contact avec les écrivains eux-mêmes. Ces liens ne sont plus actifs et les coordonnées des éditeurs restent introuvables. Cela confirme aussi nos hypothèses concernant cette tendance réelle : le recours à l’autoédition. D’autre part, il arrive que les ouvrages publiés chez un seul éditeur soient les seuls trouvables chez l’éditeur en question. Si l’on regarde de près l’éditeur : Collection SAJAT, celui-ci compte jusqu’à présent, deux références à son fichier et un seul auteur, Kamaroudine Abdallah Paune dont on ne retrouve de textes nulle part ailleurs. Il en est de même pour Ahmed Ibrahim dont tous l’ensemble de ses cinq écrits parmi lesquels Les exploits de Mzimba et Aux villages de l’Océan sont uniquement édités chez Print Express où il est le seul auteur recensé. Cette démarche est la même appliquée par Wadjih qui, contrairement aux précédents, a au préalable publié un premier recueil de contes Djambo djema chez Komédit avant d’autoéditer une pièce de théâtre Tombé du Ciel. Abdereman Saïd Mohamed Wadjih opte

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pour un parti pris de liberté en nommant son édition Plumes libres. Une liberté qui va dans le sens de l’action d’éditer librement et sans contraintes. Pourtant, ce recours à l’autoédition présente déjà certaines limites. En effet, ce procédé laisse entrevoir de nombreuses failles dans le résultat final : fréquence et importance des fautes d’expression, d’orthographe, de syntaxe, de grammaire allant même jusqu’à rendre un texte parfois inintelligible et donc rebutant. Citons l’exemple du roman « Aux villages de l’Océan », pourtant loin d’être le seul en matière de texte non abouti. Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans un univers évasif où l’espace et le temps deviennent des éléments du texte bien plus que des indications servant à cadrer la narration, niant ainsi à l’histoire narrée, un cadre spatio-temporel défini. Pourtant dans un premier temps, le lecteur comprend très vite que l’histoire se déroule à Sanga, où se font face deux entités villageoises : les Manja et Ceux de l’autre rive. Quelques mots imbriqués dans des propositions circonstancielles de lieux permettent seulement d’identifier qu’il s’agit de l’indication d’un lieu spécifique. Cependant, ce lieu demeure tout aussi abstrait qu’inexistant et ce par manque de consistance physique au sein même du texte. Il en est de même pour le temps. Celui-ci s’entoure de multiples interrogations complètement éludées par l’auteur lui-même : quand, à quel moment, à quelle époque ? Nul ne le sait. Ce flottement permanent que crée la narration et dans lequel se trouve plongé le lecteur, est accentué par les imprécisions concernant les personnages dont les descriptions semblent être jetées au lecteur comme de simples annotations.

De plus, les interférences entre les discours identiques de nombreux personnages parlant tous par énigmes, renforcent le sentiment d’incohérence au sein de la narration. A l’instar du narrateur, les personnages présentés comme des sages ou au dessus de la norme par leur droiture morale s’expriment tous de la même manière : par périphrases et méraphores. Pour justifier le recours à un sorcier en vue d’éliminer un opposant, un personnage s’exclame : « Il s’agit cette fois-ci, Maître Djombé, d’écarter la vie d’un ami très jeune que je hais à croissance exponentielle. » tandis que pour nommer un mourant, le narrateur emploie: « La dépouille pathologique de l’honorable Mkoundzi.»154 Celui-ci mène sa narration par des tournures compliquées aux allures divinatoires, et dont les phrases sont énoncées en formules obscures et expressions énigmatiques. A cela s’ajoute des constructions que l’on jugerait maladroites aussi bien dans la syntaxe que dans

154 Ahmed Ibrahim, Aux villages de l’océan, Print express, Antanarivo, 2004, p.28 125

l’expression. La phrase suivante, énoncée par le narrateur, clarifie notre propos : « Comme tous les sorciers, le fait de les vénérer ainsi, ça les rend très heureux et même des fois, ils nouent les nœuds de leurs clients, sans qu’ils leur demandent aucune récompense, parole acquise de génération en génération. »155 La proposition incise, « Ça les rend heureux et mêrme des fois », crée une rupture au niveau du registre de langue et dans la continuité de la phrase. D’autant que le suite semble difficile à décoder. Le lecteur se trouve ensuite complètement perdu dans cet espace temps annulé par une narration assez brouillonne. Ajouté à cela, les fautes d’orthographe et de syntaxe, la ponctuation hasardeuse, les approximations et autres erreurs qui criblent le texte, ont tôt fait de le dissuader de poursuivre sa lecture. Afin d’éclairer notre propos qui pourrait sembler sévère, citons le passage de la page 40 et analysons le. Nous le réécrivons tel quel :

Un samedi vers l’après-midi, Mpoimdro arriva à l’atelier d’Oncle Darmane, pour l’informer d’un problème ; celui-ci lui demanda : - « Pourquoi êtes-vous là aujourd’hui ? » - « Je suis venu vous dire que je ne supporte plus les « on-dit » des gens de Sanga », répliqua Mpoimdro. - « Les « on-dit ?», répliqua Oncle Darmane. Les mots aux villages de l’Océan dépassent furtivement la logique du langage. Mots d’une autre vision du monde, d’un désagrément pointu. Mpoimdro ébruita auprès de Oncle Darmane : - « Je me suis fiancé en coutume avec la fille du notable Milendjé, cela fait presque six ans. Pendant ces années, je n’ai fait que travailler vaillamment dans mon atelier en vendant des meubles en quantité, en vue de la réalisation de mon grand mariage. Mais les mots de mes concurrents pèsent trop sur ma taille de menuisier. Un jour, en allant à la mosquée, un jeune m’injuria ainsi : - « Il est temps que vous fassiez votre tour, mangeur des biens des autres ! La honte a aussi ses limites ; la honte est toujours sale », puis il disparut.

Mpoimdro pendant les six années de ses fiançailles n’a pas eu la moindre occasion de tendre tête à tête avec sa fiancée. Oncle Darmane reprend son argumentation : - « êtes –vous prêts pour cette année ? ». Mpoimdro, étonné de cette question, nota : - « S’il vous plaît, n’avez-vous pas entendu ce que je vous ai dit tout à l’heure ? » Mais Oncle Darmane avait fait exprès de le mettre en déséquilibre psychologique. Après un silence spontané de quelques minutes, celui-ci l’interrogea : - « Avez-vous eu l’occasion de parler ensemble, pour saisir sa pensée ? » Mpoimdro baissa la tête comme un coq qui picore et enfin, il répondit : - « Oncle Darmane, vous êtes pour moi l’or de la franchise et je vous offre réciproquement la rose de la mienne : ouf ! La fille du hadj Milendjé, de prime abord, ce n’est pas moi qui me suis présenté chez elle pour leur demander quoi que ce soit. Mais seulement un jour, j’étais à mon atelier en train d’essuyer les ruisseaux dégoulinants de mon front et de ma poitrine en présence du Hadj Milendjé et celui-ci m’a dit : - « Vous êtes un homme, un brillant travailleur. »

155 Ahmed Ibrahim, Aux villages de l’océan, Print express, Antanarivo, 2004,p.32 126

Deux jours après, j’ai rencontré mon oncle qui m’annonça : - « J’ai rencontré Hadj Milendjé. Vous savez bien qu’il est mon ami d’enfance ! Même quand nous étions à la Mecque, nous avons prié pour le meilleur de nos familles. Alors il m’a parlé de vous. Il vous apprécie tant ! C’est ainsi qu’il m’a proposé votre mariage avec sa fille. Puisque je suis le patriarche de votre famille, le généalogiste de l’autre rive, je n’ai pas hésité à valider sa proposition. »

Ce passage est très représentatif de l’ensemble de l’ouvrage. Dès les premières lignes, une question se pose sur la phrase « Mpoimdro ébruita auprès de l’oncle Darmane.» S’agit-il là d’un verbe inséré dans une expression commune à la langue d’origine des personnages et traduite telle quelle afin de lui conserver sa part d’authenticité ou est-ce tout simplement un mauvais usage du français. Une interrogation légitime sur un texte dont l’auteur affectionne particulièrement les périphrases comme on le voit dans la dénomination de l’ambassade des Comores, appelée « la maison diplomatique des villages de l’océan » p.182 ou « Le pays de Charles » pour désigner la France. Une autre phrase « Mpoimdro (…) n’a pas eu l’occasion de tendre tête à tête avec sa fiancée. », soulève les mêmes interrogations autour du verbe. Au vu de l’ensemble du roman, il est aisé de conclure à un emploi approximatif des mots. Cet usage inapproprié des mots, loin de créer un effet de style, si toutefois il s’agissait d’un fait intentionnel de l’auteur, rend difficile la lecture du texte. Plus loin, la phrase « Oncle Darmane reprend son argumentation.» traduit une erreur dans la concordance des temps. Ici, le glissement du passé simple au présent au sein d’un même discours laisse perplexe. D’autant que cela n’est justifié ni par une généralité, ni une universalité quelconque ni même le statut énonciateur. Des expressions telles « le mettre en déséquilibre psychologique », « nous avons prié pour le meilleur de nos familles », « après un silence spontané », feraient sourire si elles n’étaient si fréquentes et trop souvent injustifiées. Le passage cité témoigne d’autres erreurs qu’il ne sera pas utile d’expliciter tant elles sautent aux yeux. La suite du récit est tout aussi maladroitement menée. Les incohérences se succèdent et le lecteur peine à avancer. Ainsi, sans le moindre préavis, le narrateur inscrit un bond dans le récit d’une quinzaine d’année en avant, redonne une dimension autre à certains personnages, interfère dans les consciences et oublie de mener son histoire. C’est alors qu’après un avortement, le personnage de Mkaribou, s’étant enfuie au « pays de Charles » afin d’éviter l’humiliation que son ventre trop arrondi pouvait entrainer dans sa famille, rentre à Sanga quelques temps plus tard. A son retour, le lecteur constate qu’entre temps, elle est

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devenue mère d’un enfant capable d’écrire des lettres adressées aux administrations françaises, p.73 « C’est mon fils qui lui a écrit sa lettre d’excuses »Au lecteur de comprendre qu’entre deux phrase, près de quinze années se sont écoulés. Nous serions tenter de conclure à un problème lié au manque et certainement à l’absence de relecture par une personne extérieure et qualifiée. Nous avons en effet, parfois été choquée par le manque de clarté de certains ouvrages, notamment celui cité, nous demandant même s’il s’agissait bien d’un texte de fiction littéraire ou simplement du brouillon d’un futur roman en attente d’être travaillé, corrigé et soumis à un œil critique. Malheureusement, le privilège des fautes n’est pas seulement celui des auto-éditeurs. Certains éditeurs révèlent ces mêmes manques. La quatrième de couverture du recueil de nouvelles de Saïd Ahmed Saïd Yassine présente de nombreuses fautes. « Une Enfance oubliée[,x] est un souvenir plein de magnificence. L’auteur nous y montre les règles éducatives d’une génération qui n’existe presque plus. Il dévoile également les éléments les plus importantx caractérisant cette enfance générationnelle. L’éducation admise depuis leur bas âge jusqu’à leur jeunesse diffère de celle qui se voit fournir aujourd’hui... En outre, dans un petit village de la R.S.Houssini, l’amour en germe d’un jeune couple a été détruit par la naïveté, la jalousie…Toutefois, la pitié et la tolérance sont x puissantes que les erreurs commises dans l’adolescence. Des années passent, ces jeunes reprennent cet amour déjoué. Fe-uziwa veut que son rêve de jadis envers Amania ne soit pas utopique. » 156 La croix signale les erreurs. Cela amène à dire que le texte n’a pas fait l’objet de la relecture et donc des corrections nécessaires avant publication.

Des raisons pour s’autoéditer Dans ce cas précis, nous avons pu demander à un éditeur pourquoi cette démarche était-elle de plus en plus plébiscitée par les auteurs comoriens. La première raison est financière et la seconde, d’ordre personnelle. Financière car selon Chamanga Ahmed Mohamed (Komédit) « Les auteurs comoriens comprennent difficilement l’absence de notoriété rapide et le gain financier qui ne suit pas. » 157, pointant le doigt sur la difficulté d’établir un contrat avec des auteurs comoriens dans le contexte comorien actuel (Le retard dans la promotion et la diffusion de la littérature d’auteurs comoriens est considérable, ne

156 Said Ahmed Said Yassine, Une enfance oubliée et autre histoire, éditions Les belles pages, 2007, 157 Entretien du 22 Avril 2009 avec Mohamed Ahmed Chamanga, linguiste et directeur de Komédit, sur les problématiques de l’édition et notamment de la maison d’édition Komédit 128

serait-ce que par rapport à l’Afrique qui est loin de s’aligner sur les pays dits du Nord). En plus d’aspirer à la reconnaissance de leur statut d’écrivain, les auteurs veulent pouvoir bénéficier financièrement des retombées de leur travail. Il y a donc suspicion lorsqu’un éditeur comme Komédit dont les moyens financiers restent limités, au vue de l’objectif qu’il s’est fixé, propose à un auteur de publier son manuscrit sans réelle contrepartie financière tant qu’un certain nombre d’ouvrages n’ait été écoulé. De plus, la proposition faite aux auteurs de racheter eux mêmes et d’emblée une cinquantaine d’exemplaire de leur propre livre apparaît trop souvent dissuasive. Cette demande de l’éditeur, motivée par la nécessité de limiter les pertes en cas de non écoulement des stocks, rend les prétendants à la consécration frileux. L’écrivain Wadjih, interrogé sur les motifs du recours à l’autoédition jugeait que, compte tenu de la faiblesse du marché, ce moyen aussi viable que la publication chez un éditeur. En effet, tout comme Komédit, Wadjih a dû recourir à ses propres connaissances pour vendre sa pièce Tombé du ciel. Selon lui, nulle différence d’approche entre sa stratégie promotionnelle et celle de l’éditeur, mais un avantage jugé considérable, la maîtrise totale de son bien, de la création à la fabrication, à la vente et surtout aux recettes. L’écrivain justifiait son choix par un malheureux constat, le même que l’éditeur, le marché comorien, inexistant rendait malheureusement le travail éditorial inefficace. Ainsi, non seulement le rejet d’un manuscrit motive le recours à l’autoédition mais pour les retenus, ce sont les divergences sur les conditions soumises par l’éditeur qui, devenues inintéressantes et mêmes considérées contraignantes, découragent les écrivains. La finalité est donc l’autoédition.

c) Une tendance originale: être publié par plusieurs éditeurs

Pour répondre à leur besoin de visibilité, la plupart des auteurs comoriens publient leurs textes chez les différents éditeurs existants. Ils bénéficient ainsi d’un plus large lectorat bien qu’en règle générale, ce lectorat soit le meêm d’une maison d’édition à une autre. Fait plus marquant certains auteurs optent pour une solution originale et du moins, efficace : faire publier le même texte chez différents éditeurs. Une tendnace qui tend à se généraliser. Il est en effet aisé de constater qu’à l’exemple de Pauvres Comores d’Ibrahim Barwane, des textes préalablement édités chez un éditeur se retrouvent réédités, par le choix et le désir simple de l’auteur, chez d’autres. C’est ce que l’on observe avec Mwanangaya de Nour Dine, publié pour la première fois chez Encres du Sud en 2000 puis la deuxième fois chez Komédit sous le

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titre Petite Graine, ou encore Marâtre de Salim Hatubou dont le parcours est identique. On peut encore citer Le guide culturel des Comores ou Les testaments de Transhumance, tous deux réédités chez Komédit. De la part de ce dernier, il semblerait que ce choix de réédition en son nom, d’ouvrages antécédemment publiés chez des concurrents soit stratégique. Il n’y a donc pas de notion de monopole et aucun contrat ne préconise l’exclusivité des droits d’auteurs aux auteurs ou aux éditeurs mêmes. Cette façon de faire pourrait générer des incohérences comme en témoigne la pièce de théâtre « Moroni Blues » publiée aux éditions Bilk and Soul et dont une deuxième partie intitulée « Une suite à Moroni Blues » a été éditée chez De la Lune.

d) L’avancée via Internet

Quelques poètes ont préféré se servir des nouvelles technologies d’édition en publiant leurs écrits sur Internet. Les sites comoriens tels que Mwezinet ou Holambe Comores comptent une rubrique réservée aux érivains confirmés ou en herbe désireux de soumettre leurs écrits au public. Les lecteurs, internautes ont plus facilement et gratuitement accès aux textes. Avec ce nouveau moyen de publication, tout le monde paraît satisfait: l’auteur se donne à lire et le lecteur n’a qu’à cliquer pour accéder aux écrits. Pourtant, bien qu’assez simple, le recours à cette possibilité est loin d’être systématique. Et pour cause : tout le monde pouvant déposer ses textes, il n’y a plus aucun challenge, aucun filtrage et par la même aucune garantie de qualité, dans le sens où les textes ne sont soumis à aucune critique professionnelle, et le lecteur peut avoir face à lui, des choses on ne peut plus médiocres et même parfois mauvaises. De plus, jusqu’à présent, ceux qui utilisent ce moyen sont les poètes, les romanciers n’ont encore rien publié sur internet. La page web « Lyriques » du site Holambe Comores proposait un large éventail de créations poétiques d’auteurs et de thèmes divers. On y trouvait aussi bien des amateurs, des poètes amateurs que des écrivains confirmés. La qualité des textes était variable mais une lecture et un tri sont faits en amont. Les textes répondent ainsi à des critères liés à la langue (orthographe, expression) et taille de fichier. Par contre, ces critères de sélection étant limités, rien ne garantit leur bonne qualité mais cela évite le pire. Les poèmes ou textes poétiques d’une jeune femme, Faiza Soule Youssouf, on retenu notre attention. En effet, ses textes ne sont pas des poèmes à proprement parler mais au contraire, des morceaux de textes apparentés à de la prose plus mélancolique que poétique, tant par le rythme des phrases, la langueur et le

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lyrisme, souvent la tristesse d’une intimité dévoilée par petites touches et la force des quelques images qui le composent. Ses textes ressemblent essentiellement à des pages extraites d’un journal intime où la force des mots provient de la force de l’auteur à se donner au lecteur. D’autres comme les poètes Halidi Allaoui158 (publié chez Komédit), Mab Elhad159 ou encore Adjmaël Halidi160 préfèrent se créer leur propre espace d’expression et profitent du système des blogs pour publier. Animant chacun leur blog, ils s’en servent aussi pour se promouvoir la littérature des Comores, partager autour de ce qui les anime ou les passionne et publient les textes d’autres auteurs qui les ont touchés, participant ainsi à la promotion d’autres auteurs. L’utilisation des blogs constitue une alternative cohérente à l’aspiration des poètes et aux problèmes de diffusion de leurs écrits, d’où la généralisation de ce système. A la fois personnels et professionnels, ces espaces représentent une base importante de l’expression individuelle des artistes qui s’en servent aussi, dans le cas d’Halidi Allaoui comme d’un outil d’information.

Par conséquent, les espaces dédiés à la poésie comorienne d’expression française sont divers sur internet et constituent généralement des rubriques de sites. Certains sites ont aujourd’hui fermé à l’instar de Holambe Comores cité plus haut, Kweli Magazine ou autre. Mais il en est quelques uns qui perdurent et se démarquent. Le site Comores online en fait partie. Il présente des textes variés et conséquents empruntant à toutes les tonalités poétiques imaginables. Comme le souligne Mab Elhad, ils sont panégyriques, contes, lyriques, pamphlétaires, engagés, ironiques et parfois cyniques. Le site apparaissait jusqu’en 2005 comme le lieu privilégié et incontournable pour touts les amateurs de poésie, qu’ils soient auteurs ou lecteurs. On y trouve des poètes venus d’horizons diverses et célébrant les Comores, chantant leur amitié pour ces îles. Des textes d’Hortense Cazanove, dit Mara, d’origine réunionnaise et ancienne habitante des îles dont on peut lire cinq textes qui, à eux seuls, dressent un tableau des grands axes des réalités comoriennes : La fête qui scande l’importance liée à l’Ide El Fitr et l’euphorie ressentie tout au long de cette journée, La femme du grand mariage qui sonne comme une mise en garde face aux traditions faisant des jeunes femmes, des épousées vouées

158 halidiallaoui.over-blog.com 159 poètes-de-la-lune.over-blog 160 nomansland.mondoblog ou son site www.adjmaël-halidi.com 131

à une vie sans amour et pleine de regrets, Enfant qui célèbre le courage de l’enfant comorien en partance pour étudier dans un contexte de misère … Les textes, de qualité variable témoignaient d’une réalité : des personnes, anonymes ou non écrivaient, et en grand nombre. La poésie ne demandait qu’un lieu pour se mouvoir, le site a servi de levier. Malgré certaines maladresses dans l’écriture comme dans les textes de Saniati Zénabou, ceux-ci restent des témoignages d’un désir réel de donner du souffle à la voix de poètes en herbe. La jeune femme se présente ainsi : « je suis une passionnée de l’art poétique, j’écris depuis l’âge de treize ans, je souhaiterais partager mes œuvres avec d’autres personnes. Actuellement, je cherche à me faire éditer.»161. Comme le laisse entendre Saniati Zénabou, le besoin de donner corps à la voix, à leurs écrits trouvait une alternative par le biais de Mwezinet qui devient lieu de promotion, offrant une possible visibilité aux différents auteurs confirmés ou non.

Avec le temps et en parallèle, l’avènement des réseaux sociaux notamment Facebook a amoindri les visites effectuées et donc le nombre de visiteurs sur le site Comores online. De même, les auteurs et les poètes en herbes se sont tournés vers Facebook pour publier, être lu et recueillir directement les commentaires sur leurs textes. S’est alors crée un groupe nommé Poètes comoriens et amies des Comores à partir duquel de jeunes auteurs s’échangent leurs écrits, se félicitent et se commentent. Les auteurs cités au cours de nos travaux ont, en grande partie, adhéré à ce groupe. Et si tous n’écrivent pas en continu, certains parviennent à alimenter la page de façon régulière. Ainsi, des poètes aguerris tels que Said Yassine Saïd Ahmed qui compte cinq recueils publiés, dévoile volontiers ses productions sur la page Facebook du groupe. Ici, ses textes, sont essentiellement en comorien. L’engouement que semble provoqué cette interface ou ce nouveau moyen de publication immédiat, malgré l’aspect limité du nombre de lecteurs qu’il propose- en effet, seuls les cent trente membres du groupe y ont accès et ont donc l’opportunité de lire-, les publications se poursuivent sans freiner les utilisateurs. Ces mêmes utilisateurs plébiscitent ce moyen qu’ils jugent simple et rapide.

161 www.comores-online.com/mwezinet/poesie/ 132

III.1.3 Les réponses des intellectuels

a) Le rapport conflictuel entre livre et argent Lors de différentes rencontres littéraires où étaient réunis des écrivains comme Salim Hatubou, Patrice Ahmed Abdallah, Ibrahim Barwan, des chercheurs comme Msa Ali Djamal Mohamed Ahmed Chamanga, Mahmoud Ibrahime, considérant que l’état était à l’origine de l’inflation du prix des livres sur le territoire, nombreux soulevaient la question d’un partenariat avec ce dernier pour la promotion des œuvres littéraires aux Comores. Les taxes douanières étant importantes, les répercutions se font automatiquement sur le montant des ouvrages, les rendant inaccessibles aux autochtones. En effet, à la douane, pareil à n’importe quel objet dédié au commerce, les ouvrages subissent différentes taxes. Comme nous le signalions plus haut, au vu des moyens dont dispose l’archipel, les techniques rudimentaires d’imprimerie ne répondent pas aux besoins éditoriaux. La fabrication d’un livre s’avérant alors trop onéreuse, en plus d’être contraignante, certains éditeurs impriment les textes en France pour ensuite les importer et pouvoir les distribuer dans les îles. Et ce même lorsqu’ils sont domiciliés aux Comores, à l’exemple de Komédit. Pour les autochtones, acheter un livre devient alors un luxe. Les élèves qui seraient l’une des premières cibles, dans une logique de promotion de cette littérature, se trouvent eux, dans l’impossibilité de se les procurer. Il est assez difficile de lire puisque acheter des manuels s’avère hors de prix. Et même lorsque des oeuvres sont affichées dans les programmes scolaires, les élèves doivent également passer par l’étranger en envoyant leurs listes aux différents parents susceptibles de les aider. Ils n’achètent donc pas aux libraires locaux qui, paradoxalement et malgré tout, restent moins chers, même après répercussion des droits de douanes. Tel est l’engrenage matériel dans lequel se retrouve englué le domaine du livre aux Comores. Ces problèmes ont comme conséquence première, l’enfermement du livre dans une sphère élitiste et aisée. Plus dramatique encore, ils entraînent la stagnation de son développement avant que celui-ci n’ait pu prendre son essor et induisent, malheureusement, une diminution du lectorat potentiel. A terme, confronter le domaine du livre aux nombreux obstacles à surmonter ne fera qu’accroître les inégalités entre les différentes couches de la société. Si acheter les manuels scolaires et les livres au programme se trouve être une démarche trop onéreuse, comment une personne de classe moyenne pourrait-elle s’acheter un livre pour le plaisir ? Soilih Mohamed Soilihi souligne à ce propos:

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« Encore faudrait-il que le fiscaliste comorien adhère à une mesure de simple sens qui voudrait que le livre ne soit plus taxé à la vente comme un produit de luxe, là où sa production devrait bénéficier d’une subvention pour le rendre à la portée de chaque lecteur et lectrice potentiel(le). Amen ! » 162 Si peu réussissent à lire pour le plaisir, la majorité elle se contente de ce qui est obligatoire. Dans un tel contexte, l’accès à la lecture reste assez marginalisé et le plaisir de lire ne peut se développer. Nul doute que dans ce contexte d’enlisement, où l’intérêt de la chose littéraire apparaît comme complètement atrophié, le peuple peine à se constituer une réflexion et à mener une réflexion sur son devenir. Si aliéner les principes démocratiques, bannir le droit à la pensée autonome c’est brûler les livres, comme le souligne le roman Fahrenheit 451, ne pas proposer cet accès à l’habitude de la pensée autonome, c’est aussi rendre perméable, un peuple, à des principes totalitaires sans que celui-ci ne s’en aperçoive. Aujourd’hui, toutes les tentatives politiques ou associatives visant à installer une vraie démocratie aux Comores se heurtent sans cesse à l’égo démesuré d’un président refusant par tous les moyens possibles, de quitter le siège suprême. Il en fut ainsi pour Ahmed Abdallah Sambi, comme il en a été pour Ahmed Abdallah, Ali Soilih et la liste est longue. Et malheureusement, le peuple enfermé dans des considérations urgentistes ne parvient pas à s’approprier les questions de son devenir, et subit, en marge des enjeux politiques, un niveau de vie et des incertitudes qui ne cessent d’accroître.

b) Les problèmes de promotion : production, publication, diffusion

Les Comores n’ayant, durant de trop longues années, disposé d’aucune maison d’édition propre, il s’avérait impossible de publier et par conséquent, difficile de procéder à la diffusion de ses textes. Ainsi, les difficultés d’édition engendrant des difficultés de diffusion, la littérature Comorienne s’est trouvée confrontée à un problème majeur de cloisonnement absolu entravant la bonne marche d’une possible promotion. Par conséquent, l’un des plus grand obstacle que rencontre la littérature comorienne provient avant tout de cette difficulté à se promouvoir, à émerger à la surface dans un contexte où la concurrence est rude et où le public, le lectorat, est à la fois novice et disparate.

162 Soilih Mohamed Soilih, La littérature comorienne, historique et thématique, in Tarehi n°5, Mars-Avril-Mai 2002, p.49 134

Alors, même si parfois certains auraient souhaité publier leurs manuscrits, ils n’y parvenaient pas et beaucoup continuent jusqu’aujourd’hui de les conserver dans leurs tiroirs. En témoignent les poètes rencontrés par Carole Beckett lors de ses recherches sur la poésie comorienne. Comme elle l’explique elle-même dans son introduction, la plupart des aspirants poètes rencontrés lui confiaient avoir égaré une partie de leurs manuscrits, rangés sans grande conviction de-ci de-là. Comme beaucoup d’autres, la sud Africaine reste convaincue du dommage que ces pertes créaient dans cette littérature en balbutiements. Nous ajouterons qu’en plus des pertes, l’idée d’écrire en vain est certainement à l’origine d’un effet pervers chez les aspirants écrivains. Cela a pu générer un certain découragement car, pourquoi écrire puisque jamais personne ne pourra lire les écrits ? Ecrire sans penser être lu, c’est écrire pour soi or écrire pour soi, peut sembler limiter pour un futur écrivain. Il y a donc mise à mal des vocations car quasiment mortes dans l’œuf. Par conséquent, le pays subit un immense retard quant à sa production littéraire. On a longtemps pensé que peu écrivaient mais il serait plus juste de se demander pourquoi. Ce retard dans les possibilités éditoriales nous donne quelques réponses assez viables quant à la maigre quantité d’œuvres dont disposaient les Comores. Le roman Et la graine d’Aboubacar Ben Saïd Salim, publié près de 15 ans après avoir été achevé, renforce cette déduction. D’une manière ou d’une autre, le peu de publications poussait automatiquement les auteurs à garder leurs écrits pour eux- mêmes, et peut-être pire, les dissuadait d’écrire. Nous pensons alors que ce retard trouverait ses fondements dans ces nombreux problèmes : publication, diffusion, manque de motivation et par la même d’inspiration. Passée l’étape cruciale de l’édition, le problème de la diffusion vient se greffer à son tour sur la promotion de cette littérature à deux vitesses. Le livre étant enfin publié, l’éditeur se trouve ensuite confronté à la question de la distribution. Où et comment vendre ce livre ? Aux Comores, quatre librairies sont répertoriées : La bouquinerie à Anjouan, la Maison des Livres à Mamoudzou (Mayotte), La Maison du Livre à Moroni et la Librairie du Nord à en Grande Comore. Mais il est parfois impossible de trouver certaines références notamment celles des auto éditeurs. En France, le problème reste tenace et ce n’est que depuis peu que l’on peut se procurer des ouvrages d’auteurs comoriens auprès de certains libraires spécialisés. On compte essentiellement la librairie Anibwe. Située en plein centre de Paris, elle distribue les ouvrages publiés pa r Komédit. Pour les autres éditeurs, De la Lune ou Coelacanthe, les démarches auprès d’autres structures vont bon train. Selon Mahmoud Ibrahim, fondateur des éditions Coelacanthe, des accords sont en discussion avec la FNAC

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pour permettre la distribution de ses ouvrages. A en croire les différents échanges, il leur faudra continuer à démarcher les librairies spécialisées pour espérer une meilleure visibilité. Mais là encore, ces complcations ne concernent que les ouvrages publiés chez des éditeurs comoriens. En effet, encore une fois, L’Harmattan tire son épingle du jeu. Ses publications sont vendues au sein de la librairie du même nom. Il suffit donc de se rendre au 16, rue des Ecoles pour trouver tous les ouvrages concernant la littérature comorienne et édités chez lui.

Quant aux autres livres, les choses ont, durantt très longtemps, été extrêmement compliquées et aujourd’hui encore, le problème continue de se poser de façon permanente car à cette question épineuse de l’édition, s’ajoute celle du lectorat potentiel. En publiant une œuvre, toute maison d’édition aussi engagée soit elle souhaite et s’attend à ce que ce livre soit lu donc acheté. Pour cela, il faut réussir à cerner le lecteur, afin de cibler les œuvres. Or il n’existe pas de lieu en France où l’éditeur peut aisément aller à la rencontre du lecteur potentiel. Celui-ci est généralement éparpillé dans des manifestations culturelles, des journées à thème, des rencontres villageoises. L’éditeur doit finalement se démener seul pour approcher d’éventuels acheteurs. Ainsi, dans les débuts, le moyen le plus fiable était celui de la débrouille axée sur le démarchage par la vente que l’on pourrait appeler be to be. Puisque les lecteurs ne pouvaient aller vers les écrivains, les écrivains devaient se rendre auprès des lecteurs. Pour cela, une méthode apparemment simple, fut testée : tenir des stands lors des journées culturelles. Les livres étaient alors exposés et vendus lors des nombreuses manifestations culturelles organisées par les toutes aussi nombreuses associations de la diaspora comorienne en France. Pourtant, malgré cette approche, le lecteur se montrait hésitant face au livre et les ventes ne se concluaient que difficilement. Il arrivait même souvent que l’éditeur reparte avec tout le stock apporté. De plus, la tenue de ces stands était très contraigante. Ceux-ci nécessitaient une présence en continue tout au long de la manifestation. Une implication à la fois physique, matérielle et morale de la part de l’éditeur et des auteurs publiés, qui, au vu de la fréquence des événements leur demandait de se démultiplier. A terme, selon les propos de plusieurs d’entre eux, le découragement, la fatigue et l’usure prenaient le pas sur leur détermination et leur volonté. Il fallut donc repenser la rencontre avec le lecteur. Une autre approche fut mise en oeuvre par les éditeurs : la vente par correspondance. Il s’agissait et il s’agit toujours d’attendre que le lecteur se manifeste en prenant contact avec

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l’éditeur en vue d’une commande, de lui proposer un rendez-vous afin que celui-ci puisse vous rencontrer et permettre la transaction. Tout comme la première, cette technique offrait peu d’avantages et beaucoup d’inconvénients dont un obstacle majeur : elle induisait l’idée d’un lecteur déjà averti et ayant l’expérience de la lecture. Dans ce cas précis, il était en mesure d’être au fait de la production/édition en littérature comorienne et d’amorcer une démarche pour se procurer l’ouvrage souhaité. Or compte tenu des difficultés d’informations existant, le problème de diffusion restait identique. L’éditeur s’est vite rendu compte que même en allant à la rencontre du lecteur, celui-ci se montrait frileux à l’idée de la lecture, et les ventes, dans ces cas se voilaient de la phrase « c’est toujours mieux que rien ».

Après ces tentatives moyennement fructueuses, l’idée de cibler le lecteur en proposant des rencontres entre éditeur, auteur et lecteur, dans le cadre de salons du livre ou de dîner promotionnel, est apparue plus efficace. Amorcées par Komédit, relayée par De la Lune et Kalamu des îles puis reprise par Coelacanthe, ces rencontres connurent quelques succès.Nous avons pu nous même être conviée à ces différents événements et constater la répercussion immédiate et plutôt positive sur les ventes des titres. Lors de la sortie de la pièce de théâtre, Le notable répudié, un dîner littéraire réunissant certains intellectuels et des amoureux du livre en avait tout bonnement boosté les ventes. Le principe ayant été que tous les convives repartent avec leur livre, dédicacé par l’auteur, en l’occurrence, Patrice Ahmed Abdallah. Cette méthode avait été réappliquée pour la parution du recueil de poèmes de Saindoune Ben Ali. Là aussi, le résultat fut positif et encourageant. Cependant, comme nous l’avons signalé plus haut, tout cela demandait une présence constante de l’éditeur et de ses partenaires, aussi bien en amont qu’en aval ce qui, au final s’est avéré, semble-t-il, beaucoup trop contraignant et donc décourageant. La question que tous se posent : comment être au four et au moulin à la fois et espérer tout en occupant une autre fonction, un au autre métier, pouvoir tout gérer ? Au vu des discussions avec Mohamed Ahamed Chamanga, le résultat aujourd’hui laisse pressentir beaucoup d’amertume et de déception. Enfin, toutes ces expériences promotionnelles aux résultats mitigés, certains éditeurs dont Komédit, paraissent soulagés que les tractations et le démarchage auprès de librairies spécialisées ou non aient pu aboutir à la vente des titres d’auteurs comoriens dans des conditions plus viables et confortables. Et il s’agit là d’un très grand pas en avant. L’un des premiers points clés fut la structure Comores Mag, fonctionnant comme une sorte de dépôt vente. Créée par un jeune entrepreneur, Ben Amir Saadi, à Marseille. À

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l’origine, association loi 1901, ComoresMag fut pendant un temps un lieu incontournable pour tout amateur des Comores. On y trouvait répertoriées toutes les bonnes adresses, tous les ouvrages concernant les Comores existant, notamment les publications de l’éditeur Encres du Sud. Cette association a donné naissance en 1999, à ComoresMag, un magazine comorien d’information qui tenta de fidéliser les lecteurs par la mise en place d’abonnements. Malheureusement, comme le stipule son directeur, dans l’édito du numéro 13 « Le manque d’expérience et de moyens n’ont pas permis de répondre au succès suscité » par le magazine. L’idée de fidéliser le lecteur par le biais d’un abonnement, afin de lui donner envie de lire représentait un défit qui faillit aboutir. En l’espace de deux mois, l’équipe put comptabiliser près de 500 abonnés, ce qui, dans ce contexte, était inespéré. Mais quelques mois plus tard, cette jeune équipe d’étudiants dût interrompre son activité, laissant sans nouvelle les abonnés. A devoir être sur tous les fronts, l’équipe n’a pu honorer ses engagements et ses promesses d’un numéro par mois durant une année. Très vite, ils furent dépassés. Depuis, les choses se sont plutôt améliorées et aujourd’hui, nous comptons cinq adresses de distribution, dont la plus récente, la librairie Anibwe à la fois librairie et éditeur spécialisée dans les littératures francophones. Située en plein cœur de Paris, son accessibilité et son ouverture permettent de redonner une véritable chance aux livres présents sur leurs rayons et aux auteurs comoriens d’être à la portée de tout lecteur curieux. Evidemment, celle- ci ne jouit pas de la renommée de l’Harmattan. Et tous les ouvrages n’ont pas la chance du roman Goma, polygame à la Courneuve, écrit par Ibrahim Yakoub. Celui-ci a réussi le challenge d’être publié en 2008 aux éditions Buchet Chastel qui comptent plus de 950 titres. Nous reviendrons sur le livre Goma, polygame à la Courneuve plus loin.

c) Du désir de promouvoir à la création de maisons d’éditions Comme nous le signalions, L’Harmattan a ouvert les portes des rayons littéraires aux lettres comoriennes. Cependant, encore une fois, seuls quelques chanceux ont la possibilité d’être publiés chez l’éditeur. De plus, les auteurs résidants aux Comores ne peuvent se faire éditer. La question de la sélection et de la publication restent alors cruciales. Les aspirants écrivains d’une part et surtout quelques intellectuels d’autre part, s’interrogent fortement sur les moyens de diffuser leurs propres textes. Aboubacar Saïd Salim tente alors un premier essai en créant les éditions Cercles Repères en 1998. Il publie comme nous le verrons, son roman Et la graine… cette même année. S’ensuivront deux autres ouvrages à portée historique et anthropologique. Il ne publiera aucun autre textes et seul Et la graine… demeure un ouvrage

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de fiction littéraire. Or si ce premier essai ne fut pas concluant, il semble faire échos auprès des autres intellectuels et auteurs, notamment Salim Hatubou qui crée Encres du Sud en 2000. Une année charnière dans le développement de cette littérature car, dès ce moment-là, la vague des éditeurs comoriens, implantés en France, s’amorce. Nous retrouvons ci-dessous une liste des différents éditeurs liés aux Comores et publiant des auteurs comoriens, avec la volonté de participer à la promotion de cette littérature.

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Listes des éditeurs

Editeurs 1984-2011 Editeurs 1984-2011

L'Harmattan Klamba éditions 40 2

Komedit Orphie 37 2

Les éditions du Baobab Via Valeriano 7 1

Les éditions de la lune B'WI 8 1

Kalamu des iles Albin Michel 2 1

Encres du Sud Edition le manuscrit 8 3

Edition du cygne Naive 1 1

Encres vives Edilivre 2 1

Les Belles pages Plumes libres 4 1

Fleuve et Flamme, Edition Hélices 1 INALCO 3

Les éditions Coelacanthe Editions A3 3 1

Udir Le serpent à plumes 2 1

Bilk & Soul Sens et Tonka 2 1

Collection Sajat CNDRS 2 1

Cercles repères Gfcasdvi 1 1

Kwanzaa éditions Les éditions caribéennes 1 1

Buchet Chastel Librairie gallerie racine 1 1

Française Truffaut Grand Océan 1 1

Print express 5 140

Cette liste présente l’ensemble des éditeurs ainsi que le nombre de publications d’auteurs comoriens parues depuis leur création. Tous ces éditeurs ne sont pas comoriens (Kwanzaa éditions, Edilivre, Orphie…), au contraire, ils sont majoritairement étrangers aux Comores. Mais sur les 37 cités ici, 11 sont comoriens, un peu plus d’1/3. - Komedit - Les éditions de la lune - Encres du Sud - Kalamu des iles - Les éditions Coelacanthe - Bilk & Soul - Cercles repères - Plumes libres - Editions A3 - Les Belles pages - Gfcasdvi Ces éditeurs comptent 68 titres sur les 151 références. Si l’on y ajoute ceux publiés grâce à internet et au numérique (Print Express, les Editions du Manuscrit), cela ramène le tout à 76, soit ½. On constate alors que les répercussions liées à la création d’éditeurs comoriens indépendants sont immédiates. En proposant de réelles perspectives de publications, elle a permis une plus grande divulgation des ouvrages et offert une visibilité aux écrits d’auteurs originaires des Comores. Bon nombre de ces maisons d’éditions sont le résultat d’une réflexion entre chercheurs (Komédit, éditions de la Lune), d’écrivains (Kalamu des îles, Cercles Repères, Les Belles Pages, Encres du Sud…). Il a donc fallu une appropriation du problème de l’édition par les auteurs comoriens eux-mêmes et une volonté claire de palier à ces manques.

Les plus grandes maisons d’édition : Komédit et les Editions de la Lune, se diversifier pour survivre Face à ce handicap fortement grandissant, une association comorienne, l’ADLC (Association pour la Diffusion du Livre Comorien), s’est entourée de chercheurs afin de réfléchir aux moyens de faire éclore la littérature comorienne. Quelques intellectuels se sont penchés sur la question et le réveil des mentalités qui s’était amorcé dans les années 80 se répercute encore et en 2001 naît Komédit. Il s’agit d’une maison d’édition comorienne dont la

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priorité concerne essentiellement, par la publication d’œuvres comoriennes, la promotion du livre comorien.

Le graphique suivant permet de visualiser en couleur l’impact réel produit par la création de maisons d’éditions comoriennes. Seuls sont représentés les éditeurs ayant plus de 7 références de différents auteurs comoriens dans leur catalogue. Et en effet, les publications par Komédit (en rouge) permettent d’observer une nette progression du nombre d’ouvrages publiés en 10 années d’existence.

Répartition par éditeurs des ouvrages publiés

Harmattan Komedit Les éditions de la lune Encres du sud Les éditions du Baobab

Une entrevue accordée par Ahmed Mohamed Chamanga en avril 2009 nous a permis de mieux cerner les difficultés réelles rencontrées par les éditeurs comoriens. Celui-ci a pu expliquer certains de ses choix notamment la vente aux auteurs d’un pourcentage de leur propre ouvrage, la diversification des ouvrages publiés, la réduction d’ouvrages par tirage etc. Après des débuts difficiles mais enthousiasmants, la maison d’édition s’est très vite retrouvée empêtrée dans un marasme financier où le manque de publicité, la faible visibilité d’un lectorat potentiel, les problèmes de diffusions liés à l’absence de points de distribution ont tôt fait de semer le doute sur la viabilité d’une telle entreprise. Mais heureusement, la 142

persévérance payant, l’éditeur parvient à se stabiliser, créant ainsi un équilibre salvateur qui reste toutefois précaire. Tout le travail consiste depuis à limiter les pertes afin de pouvoir poursuivre le travail éditorial. Selon Chamanga, l’objectif initial de Komédit était d’encourager de jeunes auteurs et plus particulièrement de jeunes auteurs comoriens à écrire. En leur offrant la possibilité d’être publié et donc d’être lus, c’était rendre visible l’acte d’écriture et extraire de la marginalité les futurs auteurs. Les maisons d’édition existantes semblaient fermées et inaccessibles non seulement par les fortes exigences qu’elles témoignent mais aussi pour d’autres motifs plus ou moins obscurs, difficiles à relever. Dans ce contexte assez fermé, il apparaissait difficile qu’une littérature comorienne d’expression française puisse voir le jour et s’épanouir. La réponse était donc de proposer Komédit qui se voulait une alternative et devenir une interface privilégiée pour la promotion d’une littérature comorienne. Toujours selon Chamanga, partant de cette volonté et d’un calcul assez simple et approximatif (près de 100 000 comoriens en France dont 1 pour cent au minimum, étaient susceptibles de lire de façon régulière), éditer des livres s’avérait une entreprise intéressante et viable. Après s’être lancés, les premières publications commencèrent à ne répondre que très relativement aux exigences et aux réalités du travail d’éditeur. Les ventes ne décollaient pas. La première et la plus flagrante des réalités était l’absence de lectorat potentiel. Au lieu des 10 000 lecteurs envisagés, moins de mille recensés lisaient. L’absence d’une étude de marché avant lancement mettait en péril la viabilité de l’entreprise qui dès le début, dû affronter de nombreuses difficultés. Car outre cette absence criante de lectorat qui pénalisait grandement les perspectives de pérennité, d’autres difficultés plus internes se firent jour. En effet, sans lectorat, les publications de Komédit ne répondaient à aucune demande et donc apparemment à aucun besoin, mais il était du moins possible, avec quelques techniques de ventes, de communication et d’accroche, de créer ce besoin pour à terme, constituer une clientèle et espérer se diversifier. Or tout cela nécessitait et impliquait des connaissances hors du domaine de compétences des membres de l’ADLC. A ce problème de compétences s’ajoutaient les vides que crée l’organisation en structure associative composée de bénévoles. Cela sous- entendait que chaque membre de l’association menait une activité indépendante qui, constituant le vrai revenu, impliquait un temps et un investissement qu’il n’était pas possible d’appliquer aux besoins de la jeune maison d’édition. Très vite, le groupe commença à se distendre ce qui eut pour conséquences premières, des divergences sur le fonctionnement, mais plus problématique, un manque de personnel et donc de main d’œuvre pour constituer le

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comité de lecture, de corrections, la cellule comptabilité, gestion, la cellule communication etc. A l’extérieur, les demandes étaient importantes de la part des aspirants écrivains. Les manuscrits parvenaient chez l’éditeur en grand nombre mais les expéditeurs devaient attendre plusieurs semaines, voir plusieurs mois pour avoir un retour. Très vite, les plus déterminés durent se démultiplier, occupant plusieurs fonctions au sein de la structure. La maison d’édition s’essoufflait déjà.

Selon lui, l’un des gros problèmes est évidemment lié aux mentalités et à l’absence d’habitude de lecture : lire est une habitude qui se prend. Cela nécessite un travail dans la durée afin de parvenir à introduire dans les maisons et même les cases, le livre comme objet de culture et de loisir. Il y a un petit marché, un lectorat situé à Mayotte mais peu probable que ce soit des comoriens, La maison des livres qui commande des ouvrages et permet ainsi à Komédit de produire encore. Faire du chiffre pour pouvoir imprimer, telle est la réalité. Le manque d’implication de l’État Comorien et l’absence de prise de conscience sur les enjeux que représente l’accès à la lecture pour une société est un des handicaps à franchir. L’État se refuse à exonérer les livres des taxes douanières aux Comores où le livre est pourtant vendu 30% moins cher afin qu’il soit abordable sur place. Malgré quelques accords en privés, rien de concret n’a jamais abouti à l’issue des différentes négociations menées par l’éditeur et les différents ministères. Il a donc fallu très vite se détourner des fausses promesses des politiques qui s’engagent ouvertement en petit comité mais dont les promesses n’aboutissent jamais. Concernant les choix de l’action éditoriale, voici quelques raisons qui viennent éclairer les problèmes rencontrés : - Réduire le nombre d’ouvrages lors des tirages en vue de limiter les pertes. Au début les ouvrages étaient tirés à 500 exemplaires (ce qui est le seuil) mais pour Le Bal des mercenaires d’Aboubacar Saïd Salim, il a fallu près de six ans pour écouler le stock. - Politique de vente et de distribution : Komédit propose ainsi à ses auteurs d’acheter 50 exemplaires de leurs ouvrages à prix d’auteur afin de limiter les pertes et d’assurer les arrières. Le résultat actuel donne une production de 40 livres sur 8 ans ce qui équivaut à près de 5 ouvrages par an. L’objectif est de pouvoir maintenir ce rythme qui, malheureusement tend à se ralentir. Le groupe à l’origine de la création de Komédit s’est dissout. Eparpillés de-ci de-là, les différents collaborateurs ont du mettre un frein à leur aventure éditoriale. Actuellement, seul Chamanga tente de

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maintenir la tête de l’embarcation Komédit hors de l’eau. - Politique de communication et de publicité. Les médias ne semblent pas le meilleur relai car malgré le désir de promotion publicitaire, les réponses tardent à se faire entendre. L’alternative est alors la participation physique à des forums spécialisés : salons du livre, rencontres littéraires. De cette façon, Komédit se donne une visibilité et une signature auprès d’un public déjà averti. Par la suite, il sera plus simple de créer un contact permanent avec les Comores. Ces manifestations et forums se déroulent dans de nombreux pays francophones et principalement l’Océan Indien. - Les auteurs comoriens comprennent difficilement l’absence de notoriété rapide et le gain financier qui ne suit pas.

L’une des alternatives pour continuer est de se diversifier en dédoublant la maison d’édition : publier sous un certain aspect des ouvrages. Avec l’impression numérique, le coût d’investissement est moins lourd.

III.2 Écrire en shikomori, les difficultés relatives à la langue

III.2.1 Le comorien, langue ou dialecte à écrire?

Face au développement croissant de la littérature, de nombreux questionnements autour de la langue sont apparus. Confrontés aux contradictions liées à l’usage du français dans un contexte où celui-ci n’est pratiqué que par une partie infime de la population, les intellectuels, et chercheurs, sociologues comme linguistes ainsi que différents acteurs sociaux et politiques se sont interrogés sur la possibilité d’utiliser le comorien comme langue d’écriture. Mais un certains nombres de problèmes ont été relevés. D’une part, son oralité, ensuite le constat des différents dialectes inhérents à chaque île, d’autre part la difficulté de donner un nom à une seule langue nationale compte tenu de ces différents dialectes, et enfin, bien plus insidieux, l’argument des mouvements séparatistes s’appuyant sur ces variations, les mettant en avant pour dissocier les îles et leur histoire commune. En effet, bien qu’on ait, au cours des premières recherches, classé le comorien comme un dialecte swahili, on tend aujourd’hui à noter les nombreuses différences existant entre les deux langues, faisant du comorien non pas une variante du swahili, mais une langue à part, 145

complexe et entière. Cette langue serait donc au même titre que le swahili, une langue bantoue formée par les différents contacts avec d’autres peuples lors des migrations vers les Comores, son isolement lié à l’archipel lui-même ainsi que les apports successifs de nouveaux immigrants163. Ces trois points mis en avant par le linguiste Mohamed Ahmed Chamanga laissent d’emblée voir la complexité de la formation du Shikomori. Celui-ci s’est constitué par ces vagues de contacts produites par l’arrivée des différents migrants dans l’archipel, durant les siècles de son peuplement. Ces migrants vont, en plus de parler la langue des autochtones exercer dessus : « Une influence sur son évolution au point d’en ‘altérer’ sa structure interne. Ainsi le comorien connaît-il, petit à petit, une différenciation dialectale qui a donné les parlers que nous avons aujourd’hui. »164 Le linguiste poursuit et cite les quatre dialectes de l’archipel : le shingazidja (le parler de la grande Comores), le shimwali (le parler mohélien), le shimaore (le mahorais), le shindzuani (l’anjouanais). Malgré ces différents parlers, les comoriens des différentes îles se comprennent parfaitement même s’il faut parfois un temps d’adaption pour se familiariser avec l’accent ou les variations propres à chaque île. C’est dans ce sens qu’il a été possible de penser une uniformisation de la langue en nommant la langue comorienne le shiKomori. Le shiKomori serait, selon les volontés et les orientations mises en place depuis 2003, date d’apparition du terme, la langue nationale, susceptible d’être enseignée dans les écoles de l’archipel. Mais encore aujourd’hui, cette perspective d’enseignement reste un projet. Un projet auquel les linguistes s’attellent, proposant déjà des grammaires du shiKomori ainsi que des lexiques et des dictionnaires. Même si la majorité de ces ouvrages se penchent sur un dialecte précis, de plus en plus, l’accent est mis sur l’analyse de la structure d’une langue uniforme qui pourrait être proposée dans les écoles ou même utilisée dans la confection des manuels scolaires, lorsque le gouvernement se pencherait sur la question. De nombreux sites internet comme Ouzioini165, permettent de se familiariser avec le shikomori par le biais de petits cours virtuel.

163Mohamed Ahmed Chamanga, Origine et évolution de la langue comorienne, Tarehi n°7, janvier 2003, Editée par l’Association INYA, Savigny-le-Temple, 2003, p.9 164 Idem 165http://www.ouzioini.com/mediatheque-shikomor.htm 146

III.2.2 Les codes de l’alphabet latin ou arabe ?

La langue comorienne présente un autre obstacle, et pas des moindres, aux différents auteurs. Bien que la maîtrisant à l’oral, nombreux sont ceux ne parvenant pas à en connaître la graphie exacte. Dans un article proposant les Actualités du CNDRS (Centre National de Documentation de la Recherche Scientifique), intitulé Aménagement linguistique, l’auteure, Moinaécha Cheikh dresse un Bref historique de l’utilisation du shiKomori comme langue écrit. Elle rapporte que : « Le dernier recenseent général de la population de 2003, considérant comme analphabète toute personne se sachant ni lire ni écrire aucune des trois langues officielles a relevé un taux d’analphabétisme de 58,3% dont 51,4% d’hommes et 64,8% de femmes. Parmi les alphabétisés, 35,3% écrivent et lisent le shiKomori en caractères latins, et 30,6% en caractères arabes, 30,6/ lisent et écrivent le français et 7,2% l’arabe. »166

N’étant ni enseignée dans les écoles, ni même au niveau secondaire, elle n’est jamais présentée aux comoriens comme une possibilité autre que celle de l’échange verbal. Si certains ont su se sévir des différentes graphies existant pour essayer de communiquer à l’écrit en shikomori, outre quelques grands érudits, ce sera essentiellement, pour le comorien lambda, dans le cadre de correspondances privées. Une situation induite par les différents groupes se côtoyant : une personne restée au village, n’ayant pas eu accès (comme de nombreux comoriens) à un apprentissage de langue, français comme arabe, mais souhaitant échanger avec un membre de sa famille, un ami, résidant à l’étranger, en France notamment. Trouver une langue de communication devient est un passage obligé, afin de se comprendre. Bien qu’aujourd’hui, les moyens de communications s’étant développés, les personnes ressentent beaucoup moins le besoin d’écrire. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Et pour contourner le problème, il y a à peine vingt, on avait recours à des enregistrements audio. Il s’agissait d’enregistrer son propos sur cassette audio et de l’envoyer aux Comores. Il fallait ensuite que le destinataire se procure un radiocassette pour pouvoir jouir du message. Ainsi, ce n’était qu’en cas de force majeure qu’on optait pour cette solution. Dans les autres cas les échanges ont généralement lieu avec des personnes plutôt âgées mais aussi des populations plus jeunes à l’instruction limitée. Ayant besoin de communiquer avec leurs enfants partis à l’étranger, n’ayant aucune notion de français et seulement un rapport de lecture à l’arabe, ces

166 Moinaécha Cheikh, Aménagement linguistique, in revue Ya Mkobe (Revue du Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique) n°16-17, Année 2008, Komédit,2008, p.165 147

personnes âgées, lorsqu’elles ne font pas rédiger leurs courriers par d’autres, ont nécessairement recours au comorien, qu’elles se proposent alors de transposer dans la graphie qu’elles connaissent le mieux, l’arabe. Mais encore une fois, l’emploi de cette graphie n’est pas toujours si simple, quelques lettres existant en comorien n’ont pas d’équivalence en arabe, comme le son [P],[PV] [DZ].

A ce sujet, Moinaécha Cheikh cite un article de Michel Lafon et renvoie au manuscrit du Cheik Kamar Eddine (1890-1974) qui, poète et écrivain des Comores, avait proposé, en 1940, un alphabet comorien en caractères arabes. Oeuvrant pour la promotion de l’accès à l’instruction des populations les plus rurales, le Cheikh fonda son journal Mwando (début) en 1966 tout en poursuivant une forte campagne d’alphabétisation. Cette graphie sera alors adaptée par de prestigieux personnages dont le Prince Said Housseine en 1945 ainsi que Tabibou Ahamadi en 1959. Mais avant cela, une jeune association, l’AJC (Association de la Jeunesse Comorienne) utilisera cette graphie pour la rédaction de son journal, en 1958167. La question de trancher sur une graphie, latine ou arabe se poursuit jusqu’alors. Les différents gouvernements ont instauré des langues puis d’autres, jonglant entre les trois existant dans l’archipel. Par un décret du 20 juin 1977, le président révolutionnaire Ali Soilih avait déclaré le shikomori seule langue officielle de l’ensemble des îles, reléguant les langues étrangères (français et arabe) au seul statut diplomatique (utilisées seulement lors des échanges internationaux). Sa chute entrainera la réhabilitation du français et de l’arabe en tant que langues officielles, réduisant le shikomori en une langue secondaire. Aujourd’hui, bien que le recours aux caractères arabes soit toujours en vigueur, la fixation de la graphie latine semble plus conforme aux réalités du pays. En effet, les écrits circulant entre les individus (journaux, magazines, textes littéraires, état civil etc.) sont en français, et même s’ils ne sont majoritairement pas francophones, les comoriens le comprennent du moins, mieux que l’arabe.

167Moinaécha Cheikh, Aménagement linguistique, in revue Ya Mkobe (Revue du Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique) n°16-17, Année 2008, Komédit,2008, p.160

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III.2.3 Transcrire en shikomori et non écrire, un des partis pris des auteurs.

Compte tenu des éléments présentés plus haut, la langue reste particulièrement difficile à maîtriser à l’écrit. Si l’habitude orale permet aux habitants de l’archipel d’échanger et de se comprendre, l’écrit en shikomori présente bien des complexités. Indépendamment des efforts fournis et des projets mis en œuvre par les structures associatives, les linguistes, les organismes d’aide au développement du pays, la mise en place ou l’uniformisation d’une langue commune à l’archipel doit venir d’une volonté gouvernementale. Seul l’état serait en mesure d’imposer et d’insuffler ce projet. La langue est considérée comme un élément unificateur, un lieu commun de rencontre et de partage entre les différentes entités de l’archipel. En ce sens, les linguistes prônent un travail urgent dans la fixation de cette langue. Une urgence à la fois politique et sociale car, compte tenu des nombreux soubresauts dont sont encore victimes les îles, de leur équilibre fragile et des dissidences existant encore, proposer une langue commune devient une réponse à la question identitaire. Consolider les liens entre les îles par l’apprentissage de l’histoire de l’archipel et la langue est donc une nécessité.

Face à ce constat, le parti pris des auteurs, pour familiariser, semble-t-il, le lecteur à la langue comorienne, consiste dans un premier temps, à transcrire en shikomori. Les premières tentatives de présentation, d’introduction de cette langue sur le support écrit passe par la transcription des contes. Djambo Djema168 écrit en version bilingue propose une partie en français et l’autre en comorien. Genre aux abords plus simples à manier de part sa structure et sa brièveté, il devient alors plus aisé de transcrire l’intégralité d’un conte en Shikomori plutôt qu’une nouvelle ou un roman, plus volumineux. En ce sens, la poésie pourrait s’y prêter plus facilement. Il n’existe pourtant pas de poèmes publiés, à l’exception des textes du poète Mab Elhad, écrits en shikomori par les écrivains d’aujourd’hui. En effet, son premier recueil, Kawulu la Mwando est un recueil bilingue avec quelques écrits en comorien et une majorité d’autres en français. La langue étant difficile d’approche, même pour des érudits ayant bien plus l’habitude de la pratiquer à l’oral qu’à l’écrit, les écrivains n’y ont donc pas recours. Des travaux sur les différents dialectes ont été amorcés depuis les années quatre vingt, faisant en résulter des

168 Said Mohamed Abdérémane (Wadjih), Djambo Djema (Contes comoriens), Moroni, Komedit, 2003

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grammaires169 de la langue et petits dictionnaires d’usage pourtant de plus en plus nombreux. Quasiment à la même période qu’apparaissait le premier roman comorien francophone. Ces travaux s’attardaient sur l’analyse d’un dialecte sans aborder la question de l’ensemble. Ainsi, chaque langue issue d’une île était perçue dans son entité insulaire et jamais dans une optique nationale. On parle alors de shingazidja (le comorien de la grande Comores), de shimwali (le mohélien), de shimaore (le mahorais), de shindzuani (l’anjouanais). Mais malgré ces grammaires, l’auteur comorien utilisera le français, même dans le cas où, comme nous voyons dans une précédant chapitre, il ne le maîtriserait pas. Encore une fois, il s’agit là d’un problème de taille au vu des différentes répercussions que cela a sur le livre. Ecrit en français, il n’est accessible qu’à une minorité de lecteurs car la majorité des comoriens ne parle pas français et ne le lit pas non plus. Ecrits en arabe, les textes seraient encore moins abordables ; entendu que la tendance s’est inversée dans l’emploi des deux langues (On compte aujourd’hui bien moins de comoriens arabophones que francophones). L’impasse grandit : la majorité des comoriens s’exprime dans leur langue maternelle, mais les textes sont écrits en français. Le serpent se mord donc la queue, et se la mordra encore longtemps si, comme le craint Ahmed M.Chamanga : « Alors que l’on s’acheminait […] vers l’apparition d’un dialecte commun et qu’il était de plus en plus question d’intégration du comorien dans le système éducatif, la nouvelle structure étatique de l’Union des Comores risque au contraire de renforcer les particularismes insulaires et faire en sorte que le choix d’un dialecte unificateur qu’on pourrait envisager pour l’enseignement, apparaîtra plus problématique et, en tout cas, semble aujourd’hui illusoire. Or il n’existe aucun pays développé où l’enseignement élémentaire (lecture, écriture, calcul) se fait dans une langue étrangère. Même quand ces langues ne sont parlées que par des populations peu nombreuses (Hongrie, Suède, Finlande…) »170

Pourtant, pour le linguiste, orienter la langue comorienne en direction de ses populations est un des maîtres mots de son travail d’éditeur. Aussi, il encourage cette production de contes bilingues, notamment dans la catégorie littérature jeunesse. Des écrivains comme Salim Hatubou s’y essaient en écrivant Dimkou et la petite fille. L’éditeur publie l’Abécédaire des Comores, un ouvrage lui aussi bilingue. Cependant, l’écriture en shikomori reste quelque chose de marginal et les textes issus de la langue, peu nombreux. Les romanciers sont quant à

169Charles Sacleux, Mohamed Ahmed Chamanga, Noeëlle Gueunier, Le Dictionnaire Comorien-Français et Français-Comorien, Peeters Publishers,1979 ; et bien d’autres dont plus récemment Mohamed Ahmed Chamanga, Introduction à la grammaire structurale du comorien. Vol 1 et 2, Komédit, Moroni, 2010 170Mohamed Ahmed Chamanga, Origine et évolution de la langue comorienne, Tarehi n°7, janvier 2003, Editée par l’Association INYA, Savigny-le-Temple, 2003 150

eux très frileux à l’idée d’entreprendre un tel travail, et certains affirment ne pas être à l’aise avec l’emploi du comorien à l’écrit. Or, cette perspective en interpelle plus d’un. Mohamed Nabhane franchit le pas son premier roman Mtsamdu Kashkazi, Kusi Misri171 (Mustamudu, saison des pluies et saison sèche en Egypte). Un texte autobiographique intégralement écrit en comorien car selon l’auteur : « Pour raconter l’histoire d’un enfant de cet âge, il faut parler son langage. Si on parle de soi dans une autre langue, on rate quelque chose, ce n’est pas une question de traduction, mais d’authenticité.»172

Une démarche saluée par les médias et la communauté au vu des ventes du livre – près de mille exemplaires depuis sa sortie. Une performance tout à fait remarquable dans ce contexte. De quoi susciter des volontés et de nouvelles vocations, selon le souhait de Komédit qui aspire à promouvoir le Shikomori dans l’archipel.

III.3 L’écrivain face à lui-même : sa langue, son peuple

III.3.1 L’écrivain son art ou sa langue : le choix cornélien

Edouard Glissant écrivait173: « Vivre un enfermement ou s’ouvrir à l’autre » :c’est l’alternative à laquelle on prétendait réduire tout peuple qui réclamait le droit de parler sa langue. On légitimait par là des prémisses héritées d’une domination séculaire. Ou bien vous parlez une langue « universelle » ou qui tend à le devenir, et vous participez de la vie du monde ; ou bien vous vous retirez dans votre idiome particulier, si peu habile à être partagé : alors vous vous coupez du monde et croupissez seul et stérile dans votre prétendue identité. Une opinion s’est pourtant fait jour, depuis que les peuples se sont libérés des tutelles de droit (sinon de fait) : que la langue d’une communauté dirige le vecteur principal de son identité culturelle, qui à son tour détermine les conditions de son développement. On a réputé suspecte cette manière de voir, nocive le plus souvent ; et dans le même temps on a ramené tout processus de développement à une sorte exclusive de perfection, technologique. Ainsi : Qu’avez-vous à revendiquer, quand une langue, une seule, vous donnerait la clé du progrès ? »

171Mohamed Nabhane Mtsamdu Kashkazi, Kusi Misri, Komédit,Moroni, 2011 172 Le journal de l’Ile de la Réunion, Un premier roman en comorien, Mohamed Nabhane, site www.clicanoo.re/332036-un-premier-roman-en-comorien.html, juillet 2012 173 Edouard Glissant, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990. p.117 151

La question de la langue d’écriture découle inévitablement du paradoxe de l’intuition réceptive. Car à qui et pour qui écrire ? Dans un contexte aussi limité que celui des moins d’une million d’habitants comoriens (toutes îles et terre d’accueil confondues), jouissant d’une opacité et d’une méconnaissance encore trop grandes malgré les recherches menées sur ce terrain, confronté à une identité morcelée procédant d’une main mise extérieure sur des intérêts initialement internes, comment redéfinir la littérature comorienne sous l’angle identitaire, ou encore comment la définir sous cet angle identitaire ? Cette question de l’idiome véhiculaire ou vernaculaire sera à traiter dans un ensemble où le sujet propose forcément un arrêt sur les mots. Y répondre c’est tenter une approximation avec à la clé, quelques propositions forcément subjectives. Alors, parce que ne jouissant pas de la reconnaissance nécessaire à une telle démarche, y répondre consistera avant tout à poser les différentes problématiques inhérentes à une interrogation aussi essentielle. Proposer pour poser et élucider toutes les contradictions relatives à l’essence même de l’écriture car écrire, c’est aussi et surtout proposer un échange entre un auteur narrant et un lecteur conscient. De là, faire surgir l’échange interconnecté entre le narré ou le dit et le lu et le reçu. Les Comores tendent à être classées dans les pays de diglossie où le français, langue officielle établi comme langue de communication administrative et extraterritoriale pourrait restreindre ou peut-être freiner l’éclosion du shikomori, langue maternelle et vernaculaire. Cependant, il s’agirait là d’aboutir à une diglossie inversée car le principe de domination n’est effectif qu’en apparence et d’un point de vue, répétons le, administratif. Le shikomori, langue de tradition orale maintient sa prééminence de part le fait simple qu’il est, d’une île à l’autre, la langue de l’échange, la langue parlée entre toutes les générations, la langue des autochtones. Et lorsqu’on isole la génération dite instruite, celle-ci échange majoritairement dans sa langue maternelle. Ce phénomène commun de langue parlée initie la contradiction liée à l’écriture et donc à la création littéraire. Posées ainsi, les problèmes liés à la langue nivellent la question du lectorat. Tout auteur développe la propension à être lu et le désir de la reconnaissance. Face à cet état de fait, à cette réalité, la nécessité de l’expressivité ouverte et accessible au plus grand nombre limite le choix de la langue, niant le shikomori en tant que possible langue de création fictionnelle, au profit du français, élevé alors au dessus de la vulgate comme reflet de l’intelligentzia comorienne.

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Sortir ou se dépêtrer du cocon insulaire verbalement par le biais d’une langue d’emprunt et d’adoption lorsque mener une discussion privée ou publique induit le recours à sa propre langue, requiert toute une gymnastique intellectuelle très particulière dont beaucoup d’auteurs peuvent se prévaloir. Bon nombre d’écrivains comoriens comme tant d’auteurs francophones et autres, ayant été confrontés à cette contradiction majeure ont su se réapproprier cette gymnastique et traduire ce que Glissant appelle « Ma langue de création ». Ce phénomène transcende le poète en tant que créateur d’univers et ce au delà des barrières linguistiques (français, anglais américain, allemand…) et bien au delà encore, celle plus insidieuses et culpabilisantes de la culture. Il n’est donc plus question de choix mais de nécessité et de nécessité par défaut. Or, en acceptant cet état de fait, l’écrivain ou intellectuel, ou même le poète, homme libre par excellence ne joue-t-il pas le jeu de la mondialisation ? Ne se fait-il pas malgré lui le défenseur malheureux d’une idéologie qu’il critique et dénigre souvent ? Ne prolonge-t-il pas, au détriment des ses aspirations et pour ses ambitions, cette loi du plus fort, théorie du dominant occidental sur le dominé africain ou autre ? Car au fond, revêtir l’apparat du privilège de l’écriture en proposant une langue donnée comme moyen d’expressivité, c’est de loin participer à la promotion ou tout simplement promouvoir cette langue. Par souci d’être adopté par le plus grand nombre, de sortir de l‘insularité, l’écrivain se recrée autre, choisissant un public étranger à lui même pour comprendre et prendre en son sein ce qu’il est lui même. Bien que ce choix soit plus une nécessité, ou décrit comme tel, il met l’écrivain face à ses contradictions. Bien évidemment, c’est à lui, au poète de répondre à cette question épineuse mais ô combien essentielle de sa double fonction d’auteur : promouvoir sa langue et son identité ou se promouvoir soi même ? Cette interrogation étalée ainsi induit les problématiques actuelles autour de la conscientisation du devenir d’un peuple jugé par ses enfants comme étant à la dérive174. Elle dévoile l’ambivalence clinique participant à cette forme de jonglage entre l’être et le vouloir être, aboutissant encore une fois à une pseudo schizophrénie intellectuelle de ces individus aux désirs de portes paroles. A l’exemple du poète Saindoune Ben Ali, qui s’identifie par le bais de son verbe à un oracle, nombreux sont les écrivains s’inscrivant dans cette position d’avertisseur allant jusqu’à la dénonciation pour finir en critique souvent virulent de leur propre société.

174 Thème développé par Saindoune Ben Ali dans le recueil Testaments de Transhumance, Moroni, komédit, 2004. Il énonce le malaise du peuple des Comores par une errance et le qualifie de « Peuple à la dérive » 153

En prônant une position engagée et révolutionnaire, contraire à la soumission aux lois qu’impose la société coutumière comorienne, les écrivains se revendiquent d’emblée les portes paroles d’une jeunesse en mal d’espace de parole, et les régulateurs de conscience d’une communauté aux cultures et aux traditions qu’ils jugent arriérées. Mais n’est-il pas contradictoire d’espérer faire évoluer les mentalités d’une société donnée en s’adressant majoritairement à une autre ? Jacques Chevrier souligne en parlant du rapport entre l’écrivain africain et la langue française : « Il n’en demeure pas moins que cette littérature africaine de langue française reste encore largement élitaire, dans la mesure où l’acte de lecture est loin de connaître en Afrique le développement que nous lui connaissons en Europe. Cette difficulté de contacte entre l’écrivain et son public résulte de l’existence de nombreux obstacles d’ordre matériel et psychologique. A la cherté et à la rareté du livre s’ajoutent l’inconfort de l’habitat et les habitudes de vie communautaire qui limitent singulièrement les possibilités de lecture, mais c’est peut-être l’obstacle psychologique qui est le plus difficile à surmonter. Lire constitue en effet un acte solitaire et individuel que le groupe est enclin à juger scandaleux, dans la mesure où il y voit une atteinte à son homogénéité, et cette suspicion jointe à l’emploi d’une langue étrangère -le français permet d’expliquer la relative stagnation de la littérature africaine contemporaine. »175 D’autres répondront que l’ouverture vers le monde, vers l’extérieur de la littérature comorienne implique automatiquement que les écrits soient rédigés dans une langue que le nombre pourra comprendre. Il faut pour beaucoup d’entre eux, casser l’isolement que crée naturellement le système insulaire, et que pourrait prolonger l’obstination à l’écriture dans une langue que seuls les 600 000 comoriens (et encore !) composants l’archipel comprendraient. Il semble alors nécessaire de pouvoir, pour les écrivains, jongler entre leur langue maternelle et cette langue vernaculaire. D’autant que malgré tout, la langue demeure souvent le premier contact entre l’auteur comorien et la France. C’est par elle qu’ils ont leurs premières perceptions, à travers elle que se crée la première rencontre avec ce qui deviendra tôt ou tard, brièvement ou parfois à vie, leur terre d’accueil. La langue sert ainsi d’introducteur et d’aperçu sur cette terre souvent fantasmée, parfois boudée mais toujours rêvée. Jusqu’au jour de l’atterrissage où se fait le choc entre ce que l’imaginaire projetait et ce que la vue offre.

175 Chevrier Jacques, Littérature Nègre, Armand Colin, 1re éd. 1974. p.6 154

Après ce contact ou plutôt cette expérience de la langue, il reste au nouvel arrivant, la surprise, l’émerveillement, la crainte et la déception. Ce regard hagard sur ce qui symbolise souvent dans les imaginaires, l’eldorado, SAST le rend bien lorsqu’il décrit les premières impressions de Momo en arrivant en France. « A travers le boulevard périphérique et les grandes artères de la capitale, il découvrit la ville et en fut à la fois choqué et émerveillé. Un frisson de crainte lui parcourut la peau, et conflua vers un sourire nerveux. »176

III.3.2 Du pour qui écrire au pourquoi écrire : la question du lectorat

A cette question épineuse de l’édition, s’ajoute celle du lectorat potentiel. En publiant une œuvre, toute maison d’édition aussi engagée soit elle souhaite et s’attend à ce que ce livre soit acheté donc lu. Pour cela, il faut réussir à cerner le lecteur, à cibler les œuvres. Contrairement à la littérature orale qui implique dans sa réalisation l’approche directe au public, la littérature écrite pose le problème de la réception. Tous les genres oraux cités décrivent un réel encrage dans les racines, les traditions et les rites du peuple. Et pour cause, ces textes, récités, déclamés, chantés ou autre se font en comorien, la langue des habitants. Cette langue, empreinte aussi du métissage des îles, est celle que les comoriens pratiquent au quotidien, dans les champs, leur vie de tous les jours et même à l’école française ou au chioni où ils sont censés parler le français pour l’un et l’arabe pour l’autre. Ainsi, le comorien permet à la littérature orale l’adhésion totale du public qui l’écoute et la comprend. Elle participe d’emblée à l’identité du peuple comorien. Par conséquent, les textes oraux ne rencontrent aucune difficulté de réception. De plus, l’importante fréquence des manifestations où cette oralité recherchée se profile et se recrée, participe d’autant plus au renouveau de cette littérature, la rendant vivante et mouvante, s’habituant au temps qui passe et s’encrant dans la terre car inscrite dans les esprits. Il n’en est pas de même pour la littérature écrite. Bien au contraire ! Celle-ci, dès ses origines marque une distanciation entre les classes. Elle est celle de l’esprit, celle qu’on appelle littérature noble par opposition à celle vulgaire, la littérature orale. Pratiquée par les érudits « les wasta’rab », car il fallait bien évidemment être instruit et hautement instruit pour savoir écrire à l’aire où même les plus grands poètes étaient ceux de l’oralité. A l’exemple de Mbae Trambwe que nous évoquions plus tôt, sultan lettré mais dont tous les fragments conservés ont été retranscrits. Ces poètes n’avaient pas l’habitude de la pratique écrite. L’écriture semble prédominer dans le contexte de la langue arabe, mais aussi

176 Saïd Ahmed SAST, Le crépuscule des Baobabs, Komedit, 2001. p.9 155

dans celle du swahili. Quant au Shikomori, c’est encore une autre histoire car celui-ci commence à peine à être codifié. Peut-être parce que le Coran s’apprenait d’abord par lecture, l’accès à la lecture a privilégié l’accès à l’écriture. Mais cela reste marginal car il n’existe, comme nous avons pu le voir que très peu de textes écrits, même en arabe. Lors de la rencontre littéraire de mars 2003, en plus de la question d’un partenariat avec l’état pour la promotion du livre aux Comores, les intervenants se sont interrogés sur le rapport entre les écrits et les lecteurs comoriens. Si peu réussissent à lire pour le plaisir, la majorité elle se contente de ce qui est obligatoire. Lire est un plaisir, un moment privilégié entre la réalité et l’imaginaire, l’évasion. Si personne n’apprend à découvrir ce plaisir là, alors les problèmes persisteront et il ne pourra toujours se développer de lectorat potentiel pour les auteurs comoriens. Soulignons pourtant que ce lectorat existe. Il est bien présent, mais il reste minoritaire et majoritairement spécialisé. Ceux qui lisent sont souvent poussés par un instinct de fierté, de solidarité aussi. Certaines personnes vont acheter un roman d’auteur comorien parce qu’il s’agit justement d’un auteur comorien et qu’il faut soutenir la cause. Cette action solidaire, assez répandue dans la communauté comorienne traduit aussi l’idée d’un acte de lecture aussi marginalisé que celui d’écriture.

Les auteurs comoriens, vivant en France ou aux Comores écrivent en français, mais pour qui ? L’écrivain comorien écrit semble-t-il pour un lectorat comorien mais il est très simple de constater qu’au delà de cette apparence, le public visé est généralement étranger aux îles, et français de préférence. Le fréquent recours aux annotations au sein du texte, en vue d’expliciter une idée, un mot est révélateur de ce désir d’être compris par d’autres que des comoriens. En effet, il est très fréquent de constater en lisant un texte d’auteur comorien que celui-ci aura pris soin de définir des expressions, des mots, dire ce qu’il recoupe en symboles etc… Il n’existe pas de réel lectorat comorien. Les îles pourraient offrir ce lectorat mais à l’exception de quelques textes comme Sur le chemin de l’école177, les œuvres publiées ne sont pas distribuées sur le territoire. L’état privilégie les auteurs étrangers pour les œuvres au programme de l’éducation nationale. Il freine la promotion du livre en le taxant trop cher en frais de douanes. Un manuscrit qui ne peut, comme nous l’avons vu, être imprimé aux Comores car, bien que la maison d’édition Komédit soit domiciliée dans les îles, les moyens

177 Ridjali Ambass, Sur le chemin de l’école, Komédit, 2002. 156

techniques et financiers manquent pour pouvoir éditer le livre au sein même de son lieu de diffusion. Les textes sont donc publiés en France mais pour quel public ? Il est en effet très regrettable que la crise traversa la lecture dans le monde où les gens lisent moins, où face à la télévision, le livre est vu par une jeunesse comme un objet ennuyeux, touche aussi une population ne disposant que de trop peu de textes écrits. Le problème se complexifie d’autant plus. Les œuvres sont éditées en France où le lectorat comorien est insignifiant, parce que les jeunes ne lisent pas, et là où le livre aurait des chances de s’épanouir, les Comores, qui offriraient le réel lectorat comorien, il ne peut être diffusé car trop cher à la douane, et pas édité sur place car les moyens techniques font cruellement défaut. Le serpent se mord la queue. Tous ces problèmes se répercutent automatiquement sur la Littérature qui subit comme conséquence première et immédiate, un cloisonnement total qui n’est pas juste du fait inhérent à son insularité. Le lecteur devient alors un lecteur étranger, un lecteur curieux qui, s’intéressant aux îles, aurait envie de découvrir ses textes, l’étudiant en Lettres à la recherche d’une part d’identité, le chercheur spécialisé etc… La situation est strictement identique à celle des sultanats où la littérature écrite était réservée non seulement à une élite mais à une élite d’intellectuels chercheurs. Parmi les auteurs eux-mêmes, beaucoup connaissent mieux les œuvres composant la littérature française que les quelques romans ou poésie constitutifs de la littérature comorienne. Nous nous permettons ici cette digression car nous considérons que ces problèmes freinent concrètement le développement de la littérature des îles Comores.

III.3.3 Etre comorien, parler comorien cependant… écrire en français

L’auteur comorien se trouve confronté à ce problème spécifique à tout homme dont la langue maternelle est complètement différente de la langue d’écriture, (il se retrouve dans la difficulté de penser autrement et par une langue donnée qui implique à ses connaissances, un travail plus poussé). La plupart de ces écrivains parlent comorien, ils connaissent parfaitement la langue puisqu’il s’agit de leur langue maternelle. Mais lorsqu’ils écrivent, ils écrivent en français. A cette question fondamentale du rapport de l’écrivain à la langue posée par le journaliste Soeuf Elbadawi, Salim Hatubou répond :

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« je n’éprouve aucune difficulté quant à mon écriture, le comorien étant une langue qui ne s’écrit pas encore, je ne peux pas écrire en comorien. J’écris en français parce que j’ai appris à penser en français.178 Dans le cas de Salim Hatubou, la réponse est peut paraître facile et biaisée car étant arrivé en France vers l’âge de 10 ans, celui-ci a eu le temps de se familiariser et d’adopter le Français comme langue de communication. Elle est comme qui dirait sa deuxième langue maternelle car sa langue vernaculaire encore plus que le comorien. Mais pour d’autres auteurs (la majorité), le schéma d’appropriation du français est complètement différent. Ils ont appris le français à l’école française et ce français restait cloisonné entre les murs de l’école française et souvent même dans la classe et dans le cours de français. En ce sens, pour ces auteurs là, non seulement la question devient brûlante mais elle est même à l’origine de frustrations. Si l’on regarde le parti pris d’écrivains comme Saindoune Ben Ali ou Elbadawi, partisan d’une expression littéraire, désireux de réinventer l’espace littéraire comorien en Shikomori, il est alors aisé de constater que la nécessité d’écrire en français peut être à l’origine d’un certain malaise de conscience. Dans ce cas précis, peut-on parler de francophonie ou de francographie ?

Voici une interrogation des plus entêtantes lorsqu’il s’agit de la littérature comorienne. Sous ces termes, se cachent deux idéologies de plus en plus contradictoires pour ne pas dire conflictuelles mais aussi salvatrice d’un marasme intellectuel. Ecrire en français est pour beaucoup d’auteurs la seule alternative à la mission d’écriture ou plutôt à l’acte scriptural. Ainsi, l’auteur témoigne-t-il d’un attachement pour une idéologie, un mode de vie, une philosophie, ce qui rend et inscrit son texte dans la francophonie ou se définit-il comme un désœuvré dont la langue maternelle peine à s’identifier grammaticalement et donc à s’écrire. Si tel est le cas, alors le français devient aussi utilitaire que le papier et le stylo sur lequel un écrivain posera son verbe. Beaucoup d’auteurs comoriens dont ceux précédemment cités seront bienheureux de l’emploi de ce sème car les identifier comme étant francographes les dédouane certainement de la question du parti pris et surtout du cas de conscience, de la trahison à un pays, une nation, une idéologie qu’ils se prévalent de préserver. Car comme le souligne Jacques Chevrier : « A l’inverse des « caciques » de la Négritude qui cherchaient en priorité à être reconnus par l’intelligentzia occidentale, mais sans pour autant renoncer à leur audience internationale, nombre de jeûnes recherchent en effet aujourd’hui les moyens de renouer avec leur public

178 Rencontre littéraire « La Littérature Comorienne en devenir », Paris, Mars 2003. 158

réel, un dialogue qu’ils jugent indispensable. Entreprise difficile et qui se heurte encore, pour l’instant, à de nombreux obstacles à la fois techniques, linguistiques et idéologiques. »179

L’écriture en français décrit une sorte de gymnastique intellectuelle allant de l’incessant va et vient entre le « pensé » et le « dit ». Ce phénomène s’apparenterait à une forme de dédoublement psychique de l’écrivain, qui pour verbaliser une réflexion initialement menée en comorien, se réapproprie automatiquement et presque machinalement une langue autre. Ce processus ne participe pas forcément d’une action identifiée par l’écrivain mais résulterait d’une sorte de schizophrénie du langage indépendante et indépendamment de son auteur. Il est intéressant de souligner que ce procédé, lorsqu’il est acquis et intégré par un écrivain, devient alors systématique car nécessaire. Dans ce cas précis, il n’y a rien de plus à ajouter. On parle une langue et en maîtrise une autre dans sa forme la plus aboutie, véhiculer les émotions et les idées nécessaires à l’élaboration d’un texte apparaît un jeu d’enfants. Il s’agit d’un choix, nécessaire mais d’un choix tout de même, assumé et justifié par les écrivains eux-mêmes. Cependant, lorsque cette gymnastique n’est le résultat que d’une obligation, le reflet d’un manque de moyen, nous assistons alors à des tentatives d’écriture, une imitation d’écriture dans une langue donnée. En témoigne le roman déjà abordé: Aux villages de l’Océan. Il est indéniable que l’auteur n’ait eut d’autres choix que d’écrire en français car actuellement, le français reste encore la langue la plus facile à écrire pour un comorien. Mais au regard des approximations, des utilisations inappropriées de certains verbes, de mots, des hésitations dans la syntaxe, des emplois hasardeux de la ponctuation, il est aisé d’en conclure à des difficultés liées à la maîtrise et même à l’utilisation de la langue. Le français s’impose comme la langue de création littéraire écrite et impose aux prétendants au titre d’écrivain, la maîtrise de ses bases. Pour ce qui est des nuances, si importantes et si riches en français, leurs connaissances définit d’emblée la valeur du texte écrit. Peut on alors reprocher à un écrivain comme Ahmed Ibrahim, titulaire d’un Doctorat en économie, auteur de deux romans d’avoir osé l’aventure scripturale dans une langue d’adoption ? Peut-être pas, mais son texte, Aux villages de l’Océan n’en demeure pas moins un ouvrage non abouti. Ainsi, force sera de constater qu’en réalité, l’un ne va pas sans l’autre et qu’être écrivain francographe c’est avant tout demeurer un écrivain francophone et ce, ne serait-ce que du point de vue de la démarche intellectuelle. Tous les auteurs comoriens d’aujourd’hui ont été formés et initiés par la France et l’enseignement du français. Formés scolairement

179 Chevrier Jacques, op. cit., p.9 159

mais initiés intellectuellement à certaines aspirations et revendications : le rêve de liberté, le droit à la parole de l’individu, le droit à son individualité, sont des aspirations insufflées par le choc des cultures induit lui même vraisemblablement par la confrontation entre les deux langues. Ce que la phrase de Tchicaya U Tam’si traduit très bien : « La langue Française me colonise./ Je la colonise à mon tour ». La coloniser c’est aussi se l’approprier et la modeler. Cela sous-entend une inversion de la domination et traduit au delà d’une connaissance, une véritable maîtrise, un asservissement de la langue au profit du désir de création. Et c’est en ce sens que les limites du manque de choix et donc de liberté dans le choix d’une langue d’expression se font sentir. Pour des hommes et des femmes désireux de s’exprimer, de créer et de partager, n’avoir comme unique recours une langue - le français-, maniée mais non maitrisée, ces limites deviennent criantes et injustes car certainement à l’origine de beaucoup de frustrations.

Les problèmes que rencontre la littérature écrite ne sont pas des moindres. Ils ne sont de plus, pas faciles à résoudre. Mais comme nous l’avons signalé plus haut, nous avons assisté à quelques conférences sur le devenir d’un genre aussi nouveau que la littérature écrite dans un pays où les moyens mis à la disposition de son développement sont quasi inexistant, et nous avons pu voir que les personnes présentes, qu’il s’agisse des écrivains, des chercheurs ou bien des hommes politiques, considéraient le problème de la diffusion comme urgent et qu’ils avaient en vue de faire pression sur l’état afin de pouvoir trouver quelques solutions. Ils considèrent tous cela comme une priorité car très handicapant quant au développement de leur littérature, de leur culture.

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PARTIE II LITTÉRATURE ET SOCIÉTÉ : LA LITTÉRATURE COMORIENNE FRANCOPHONE OU LE MIROIR DE LA TENSION INDIVIDU ET SOCIÉTÉ

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IV/ LA SOCIETE COMORIENNE, POUR UNE APPROCHE PARA TEXTUELLE180 DE L’ESTHETIQUE LITTERAIRE

IV.1 Mœurs et coutumes d’une société de métissage

Il nous semble particulièrement important de souligner l’impact réel de la religion musulmane sur les Comores dans le sens où la littérature en est imprégnée. De plus, cette particularité crée une originalité des îles par rapport au reste de l’Océan Indien. A se demander si cette spécificité qui n’est pas des moindres, n’indique pas en elle l’une des raisons qui pousse à voir les Comores comme une entité définitivement à part. En un sens, l’Islam participe pleinement à créer une identité aux îles de la Lune. Le multiculturalisme qui la fonde, offre un champ culturel vaste et varié, riches en traditions et rites mais aussi souvent en contradictions harmonisées par ces métissages. Lorsqu’on regarde du côté des différentes étapes d’établissements des fondements sociétaires, on constate que l’apport converge dans ce pluriculturalisme ambiant.

180 La question des aspects et des formes de la littérature comorienne d’expression française passe nécessairement par une connaissance de la démultiplication des interférences et interactions qui fondent le texte singulier. Concevoir l’architexte global de cette littérature doit donc, selon nous, procéder d’une lecture non pas du texte singulier seulement, en tant que signifié simple, mais du contexte général de l’œuvre et des autres. Ici, la notion de contexte sort du cadre ponctuel, et mène vers un cadre spacio-temporel hors texte. Il nous semble, parce qu’il y a là, ébauche de construction d’une grille de lecture d’une littérature méconnue, qu’envisager l’analyse des éléments constitutifs de la société comorienne, ses règles, ses orientations sociales, culturelles et politiques est un point de départ incontournable. Ainsi, lorsque nous proposons la présentation de ces différents éléments pour une analyse para-textuelle de la littérature comorienne, nous faisons d’une part référence à cet aspect de transtextualité énoncée par Gérard Genette (Palimpsestes-La littérature du second degré, 1982,) et d’autre part, nous envisageons la notion de paratexte comme indicateurs de références non pas scripturales seulement (titre, préface, prologue etc…) mais bien métaphoriques. A savoir, les faits hors champ ou hors texte, a priori indépendants du texte, fonctionnent ici en indicateurs de références. Pour cette raison, nous prenons la liberté de dissocier le terme « para-textuel » de sa graphie originale « paratextuel » entendu qu’ici, il recoupe à la fois cette notion de transtexualité et de hors texte.

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IV.1.1 Islam et animisme : l’islam comorien, la religion des antithèses

a) L’apparition de l’Islam

Selon une tradition orale, l’Islam aurait été importé aux Comores, par des comoriens partis s’initier à cette religion dès la mort du Prophète Muhammad (SAW). Par contre, les informations sur la manière dont ceux-ci en ont eu connaissance sont peu précises. Floues, elles font osciller le chercheur entre mythe et réalité. En effet, la majorité des ouvrages traitant du sujet restituent le même récit originel qui puise ses sources dans la tradition orale. Il semblerait donc que, toujours selon cette même tradition orale, ces comoriens soient les Fe bedja Mambi et Fe bedja Mtswa Muyndza, descendant de Fesmaï, un des Bedja de Batsa (Itsandra). La version recueillie et retranscrite par un ancien administrateur colonial, Pechmarty explique que Mtwsa Muyndza (disciple de Mohamed Ben Othman à la Mecque) arriva en Arabie longtemps après la mort du Prophète Muhammad. Il y resta pour s’instruire et repartit quelques années plus tard répandre l’Islam auprès de ses compatriotes. Cette version renforce l’idée d’une arrivée de l’Islam autour du Xème siècle. Mais ce sont les fouilles archéologiques qui permettent une meilleure datation de son introduction, la faisant remonter un siècle avant. P. Verin souligne dans son ouvrage, les Comores, « A shanga, sur la côte d’Afrique, l’archéologue britannique Horton a découvert les restes d’une mosquée de petite taille construite en torchis vers l’an 800, au milieu d’un ‘coral’ bantou, en un temps où bien peu de Bantous s’étaient soumis à la loi du Prophète. Un siècle plus tard, la situation devait être bien analogue aux Comores ». On attribue « au légendaire Mohamed Ben Othman, enterré à N’tasouéni »181 (ville de la grande Comore), l’introduction de la circoncision et de l’Islam dès le Xème siècle.

b) Pratique modérée de l’islam comorien.

On reconnaît aisément une certaine modération dans la pratique globale de la religion aux Comores et notamment la religion musulmane. Comme dans bon nombre de pays africains musulmans, les îles de la lune sont loin d’afficher une image rigoriste et

181 Cette idée est nuancée par l’imam et chercheur en linguistique Mohamed Soyir Kassim en ces termes : « Par ailleurs, il n’est écrit nulle part qu’un des enfants d’Uthman a quitté la péninsule arabique. La tombe considérée comme la dernière demeure d’un de ces enfants est donc une tombe très ancienne et dont plus personne ne connaît le propriétaire ou cellle d’un arabe que Mtswa Muyindza aurait convaincu de le suivre. », L’Islam comorien entre traditions, sharifs et wahhabites, in Tarehi n°10, juillet 2004, p.9 163

fondamentaliste de l’islam. Dès le premier contact, il est aisé de voir qu’elles répondent à l’explication de Dominique Sourdel qui, après avoir explicité ce qu’est l’Islam, à savoir renouvellement du pacte prééternel accordé par Allah à la postérité d’Adam, décrit la réalité du dogme confronté à la réalité des différents milieux et territoires rencontrés. Il dit ainsi : « Mais l’application de la Loi rencontra divers obstacles, coutumes locales, croyances populaires ou circonstances historiques, qui obligèrent presque toujours l’Islam à consentir en fait à des compromissions, que divers artifices vinrent justifier. Cet écart entre théorie et pratique, surtout sensible dans la vie familiale et sociale, apparaît déjà dans la vie religieuse. » 182 Ainsi, l’application de la loi islamique aux Comores s’est manifestement intercalée entre les coutumes traditionnelles pour ensuite se superposer à elles et enfin s’imposer sans toutefois les dominer. Il est vrai qu’aux Comores, bien que le pèlerinage à la Mecque soit su et accepté comme le 5ème pilier de l’Islam, les habitants le relèguent en arrière plan derrière l’accomplissement du Anda. Pour faire simple, il est commandé à tout musulman disposant des moyens financiers de faire son hadj (pèlerinage), mais aux Comores, les moyens financiers économisés sur une vie seront prioritairement employés pour la réalisation du Grand mariage avant l’accomplissement du pèlerinage. L’imam et doctorant Mohamed Soyir Kassim le rappelle en ces termes : « L’Islam est dans ce pays africain arabisé (les Comores) un syncrétisme des traditions africaines et arabes d’une part et des prescriptions du Coran d’autre part. Partout la religion se plie aux règles d’une société qui lui a sans doute précédée. C’est peut-être cela qui fait de l’Islam comorien une religion de tolérance, loin des excès hyper médiatisés aujourd’hui. »183

Il souligne aussi en décrivant les trois vêtements permettant de préserver la femme selon les prescriptions religieuses : « La femme comorienne connaissait le hidjab sous la forme du bwibwi et du shiromani et le voile sous la forme du leso. Ces tenues font partie de ses habitudes vestimentaires. »184 Elles sont en quelque sorte l’adaptation comorienne du voile et du nikab. Elles sont portées de la même manière, avec la même nonchalance et légèreté d’une île à l’autre. Depuis le début de l’ère musulmane aux Comores seules les dernières années ont vu les jeunes

182 SOURDEL Dominique, L’Islam, collection « Que sais-je ? », Paris, Presses Universitaires de France, 18ème édition corrigée, 1995, p.50 183 Soyir Kassim, L’Islam comorien entre traditions, sharifs et wahabites, in Tarehi n°10, juillet 2004, Savigny- le-Temple, Editée par l’association INYA, 2004, p.8 184 Id. 164

femmes porter le leso noué comme le voile islamique, décrivant ainsi une forme d’austérité et de rigueur jusque là inconnue des comoriennes. Les jeunes filles portant le leso de la sorte ont été surnommées de manière apparemment péjorative, les ninjas, en raison de la ressemblance entre le nouage du tissu ne laissant apparaître que le visage et la tenue noire des soldats japonnais, qui masque le visage et ne laisse généralement voire que les yeux. De même, ce surnom pouvait aussi s’adresser aux jeunes hommes aux comportements austères et aux propos rigoristes. Preuve qu’aux Comores, l’habitude n’est pas de rencontrer des femmes voilées de la tête au pied et des hommes à la grande barbe, image caricaturale et réductrice définissant l’islam fondamentaliste mais préconisée par une nouvelle génération appartenant à différents mouvements dont le wahhabisme.

D’une pratique sunnite dite modérée aux fondamentalismes sectaires Aujourd’hui encore on soutient fermement que la religion musulmane, de rite Shaféite, est pratiquée par près de 99% de la population comorienne. Sophie Blanchy et tant d’autres affirment que «les comoriens sont tous musulmans sunnites de rites shaféites. »185 et cela près de dix ans après que le mouvement wahhabite ait entamé son implantation dans les îles. Bien qu’il s’inspire initialement des principes de l’école Shaféite, celui-ci puise ses origines de l’école Hanbalite, dissociée des préceptes de l’Imam Ach-Shafi’i dès sa création. Il faut donc nuancer ce constat cité comme une généralité en un fait immuable car aujourd’hui, on compte de plus en plus de groupes se revendiquant « vrais musulmans », par opposition à la majorité qui, taxée d’ignorante, ne dispose en tout état de cause, des armes pour justifier ses croyances. Ces groupuscules, même minoritaires attirent de plus en plus de jeunes comoriens. Ainsi, on distingue en premier lieu les wahhabites longtemps représentés par le foundi Kabir et en second lieu, beaucoup moins connus au grand jour, les ahmadyy dont le système d’accroche diffère totalement du premier courant. Les premiers prennent leur source de pays comme l’Arabie Saoudite et les seconds du Pakistan.

Le wahhabisme fut semble-t-il fondé vers 1745 par Mohammed ibn Abd el-Wahhâb (1703 - 1792). Il se veut être le prolongement du salafisme (courant s’identifiant comme authentique et inchangé en tant que continuité de la tradition initié par le Prophète

185 Blanchy Sophie., Autorité et pouvoir chez les Swahili, Le Pouvoir religieux aux Comores, Paris Khartala- Ifra,1998, p.181 165

Muhammad, (pbsl) et se revendique tel. Doctrine issue du hanbalisme186, elle préconise un retour à la stricte application du Coran à l’aide de la Sunna, sans le moindre ajout ni retrait. Ainsi, les wahhabites blâment et récusent fortement toute action qui leur paraît contraire à la stricte application de la sunna. Une pratique très communément répandue aux Comores comme la célébration ou culte des saints (walî) par le mawlid (fête commémorative en date d’anniversaire du saint ou du prophète) est qualifiée de bid’a ( innovation) et donc durement réprouvée dans la communauté wahhabite. Et en effet, à en croire les spécialistes du monde musulman et de l’Islam dont Dominique Sourdel, le culte des saints est : « une innovation qui finit par être admise comme pratique canonique en vertu du consensus, après s’être répandue rapidement parmi les classes populaires. » 187 Et les wahhabites prônent un retour aux vraies sources. Apparentée selon eux à de l’associationnisme, elle fait du musulman qui la pratique un mécréant car innovateur. Outre ce culte des saints qui, s’il venait à être interdit aux Comores, modifierait profondément le mode de vie des comoriens, les wahhabites s’opposent aussi à ce qu’ils constatent comme une légèreté des mœurs. Ils jugent de façon extrêmement sévère la pratique de la religion dans les îles et s’élèvent farouchement contre les pratiques traditionnelles dont le anda qui selon eux, entraîne la déchéance du pays. La méconnaissance de l’arabe d’un grand nombre de savants traditionnels (les foundis) attise de leur part un profond mépris et il n’est pas rare d’entendre de jeunes wahhabites traités d’ignorant, un savant reconnu et plus âgé qu’eux. Ce mouvement, introduit principalement par les étudiants comoriens partis parfaire leur connaissance religieuse dans des pays comme l’Arabie Saoudite, impose une rigueur nouvelle à l’Islam comorien et tend à modifier le visage si modéré de cette religion telle qu’elle est vécue et pratiquée dans l’ensemble des îles.

Quant au mouvement ahmadyy, plus complexe et moins connu de la population, celui- ci a vu le jour au cours des années 90 notamment sur l’île d’Anjouan où, à en croire le secrétaire national waqf-e-naw (enfants dédiés), une mosquée Ahmadyy y aurait été construite. Toujours selon cette même source, le mouvement trouverait un écho très positif sur l’île de Mayotte ce qui signerait une bonne fois pour toute, la différence religieuse tant cherchée par les détracteurs d’une histoire commune entre Mayotte et le reste de l’archipel.

186 L’une des quatre écoles juridiques reconnues et attestées comme telle dans toute l’umma (communauté musulman). Fondée par Ahmad b. Hanbal (m.855) un ancien élève de l’imam ach-Chafi’i, l’école hanbalite se montrait elle-même opposée à tout principe de jugement qui n’était appliqué à partir du Coran et de la sunna, seules références reconnues et autorisées. 187 Sourdel Dominique, op.cit., p.57 166

Ce mouvement ahmaddy, contrairement au wahhabisme et à bon nombre de courants issus de telle ou telle école, revendique une pensée originale et totalement dissociée des écoles juridiques (shaféite, malikite, hanafite, hanbalite) reconnues jusque là. La djama’at Ahmadyya, très présente en Afrique mais aussi à Zanzibar, reconnaît l’imam Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908) comme étant à la fois rasul (messager) et nabi’ i ( prophète), le mahdi (l’imam Mahdi) et le massih (messie promis) tant attendu. Cette position tranche totalement des croyances et du consensus religieux qui, en effet, attend le retour du Messie Promis en la personne du prophète Jésus, fils de Marie. Pour les ahmadyy, le Messie Promis est incarné en la personne de leur imam Mahdi, il est venu et il est mort laissant à sa suite, les califes comme porteurs du message. Pour ces raisons, les adeptes de l’Ahmadyya sont dits mécréants, innovateurs et donc maudits par l’ensemble de la communauté musulmane et ce tout pays, et toute école ou courant de pensée confondus.

La piété consistant à venir en aide à son prochain par le biais de la création d’espace permettant le développement de l’être (écoles, mosquées), le mouvement ahmadyy, initie une progression lente mais réelle par l’application de ce principe humaniste. Il se veut être l’harmonisation et le renouveau d’un Islam pur, sincère et raisonnable, exempte de ce qu’ils identifient comme des mythes (la résurrection de Jésus par exemple). Par l’image de paix qu’il inspire et préconise, il séduit lui aussi, de plus en plus de jeunes comoriens. En France, le mouvement ne compte qu’une vingtaine de disciples acquis à la cause en l’espace de 10 ans. On peut donc y voir une progression moyenne de deux adeptes par an et en conclure à une avancée très lente si l’on compare aux autres groupes de l’islam. Cela se justifie par l’aspect paradoxalement hermétique d’un mouvement qui se veut ouvert. En effet, l’aspect assez restrictif de certaines pratiques peut décourager des volontaires. Pour exemple, il est fortement conseillé aux ahmadyy de ne se marier qu’entre eux et formellement interdit à une femme ahmadyy d’épouser un non-ahmadyy. Plusieurs raisons viennent justifier cette restriction mais le sentiment d’adhérer à une communauté élitiste et profondément sectaire persiste. Dans un monde de plus en plus ouvert, le principe qui impose de n’épouser qu’un musulman est déjà limité, si en plus ce musulman doit faire partie des 1000 ahmadyy de France, le choix paraît on ne peut plus limité. Pourtant, les jeunes comoriens ahmadyy ayant effectué le serment d’allégeance s’y plient sans peine, contrevenant ainsi à l’ordre communautaire qui impose le mariage entre personnes d’un même village. Partant de l’idée que tous les comoriens sont musulmans, la question de la religion ne se pose pas.

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Principalement originaires de la région d’Itsandra en Grande Comore, ils défendent l’équilibre entre raison et foi dans les préceptes de celui qu’ils nomment l’imam Mahdi et s’opposent donc aux lois coutumières. Convaincus de la vérité dans la révélation du même imam, ils ont fait le choix d’agir continuellement en vue de la promotion-propagation de cette vérité. Pour cela, les postes non négligeables comme celui de secrétaire national tablir188 qui leur ont été octroyés les élèvent à des fonctions de haute responsabilité vis-à-vis de la Djama’at (communauté). Car si l’un est chargé de propager la parole de celui qu’ils acceptent comme le messie promis, à l’autre on a confié la mission d’éducation des enfants dédiés (les waqf-e-naw) afin de contrôler-orienter leurs choix professionnels en partant des besoins de la djama’at. A cela s’ajoute l’instruction coranique de ces mêmes enfants en vue de l’apprentissage du Saint Coran. S’il est intéressant de souligner son impact aux Comores, c’est qu’à la différence des autres mouvements religieux, la doctrine ahmadyy est jugée contraire aux prescriptions du Saint Coran. Ce statut d’apostat est attesté par une loi interdisant formellement aux ahmaddy pakistanais de se rendre à la Mecque pour le pèlerinage. Des actions de bannissement sont entreprises par les membres des communautés villageoises dont sont issus, originairement, les jeunes comoriens représentants ahmadyy. Ces actions ne touchent pas seulement les jeunes eux-mêmes, elles visent aussi leurs familles respectives. Ainsi, l’interdiction d’assister au mariage d’une jeune femme ahmadyy a été prononcée par les notables du village de Sambambodoni (Itsandra) à l’encontre de toute la diaspora issue de ce même village. Cette interdiction fut source de conflit et d’elle, résulte une scission dont l’issue semble compromise.

Ces exemples ou ces réalités prouvent qu’aujourd’hui, il n’est guère plus possible de voir dans l’islam comorien une pratique uniforme. Et le temps suivant son cours, les Comores s’ouvrant de plus en plus vers l’extérieur, la tendance à des pratiques voire même des croyances nouvelles ne peut que se confirmer.

188 Ce poste est actuellement occupé par un jeune comorien du nom d’Omar Ahamed. Il est chargé, en tant que missionnaire, de propager la parole de Mirza Ghulam Ahmad, en France. 168

c) L’islam comorien une combinaison d’antithèses Les règles et les lois inhérentes à cette religion fondent et codifient un grand nombre de règles de vie en société. Chaque comorien est imprégné par elle, et c’est autour d’elle que se rythme le cours du temps. L’espace temps partagé entre coutumes traditionnelles et rites religieux permet une pratique harmonisée de l’un ou de l’autre par un système d’interférences justifiant tel acte religieux ou inversement telle manifestation traditionnelle. L’islam devient alors aux Comores la source d’un équilibre qu’il a lui-même codifié et auquel il s’est adapté. Ainsi, par le biais de cette même religion, seul discours légitimé aux Comores, on justifie des pratiques qui parfois apparaissent aux antipodes de la croyance ou des préceptes du Coran. Le recours à des pratiques que l’on qualifierait ou identifierait comme étant de la sorcellerie ainsi que la croyance en la survivance-puissance d’esprits malins capables de nuire et de décider de la vie des individus servent d’exemple à notre propos. Admettre qu’un djinn même musulman, qui n’est autre qu’une créature de Dieu, puisse avoir droit de vie et de mort, décider d’orienter la vie d’un individu à sa guise est contraire à la foie. Celle-ci met Dieu au dessus des hommes et aucun être aussi surnaturel soit-il ne peut s’imposer maître dans le corps, la vie, la réflexion et le devenir d’une autre créature. En exemple, nous pouvons citer l’histoire d’une femme, Mama Sitty, dite enceinte durant près de trois ans car son djinn lui refusait la délivrance, c'est-à-dire l’accouchement. La croyance en la force supérieure de l’esprit était telle que malgré les échographies qui ne révélaient pas de bébé, la femme et ses concitoyens convenaient que, pour des raisons aussi obscures que la situation, le djinn ne souhaitait pas voir son hôtesse accoucher. Selon eux, il y avait une explication à la défaillance des machines, la force du djinn lui permettait de rendre invisible à l’œil nu, le bébé. De plus, à cette absence de preuves scientifiques de la présence d’un bébé s’opposaient une réalité visible et palpable, le ventre de Mama Sitty s’était arrondi au fil des mois et la certitude de sentir des mouvements ainsi que les coups triomphait lorsque les walimu consultés attestaient d’une présence réelle dans le corps. Bien plus surprenant, la majorité des habitants du village justifiaient cela par l’omnipotence divine et donc par la religion car comme le souligne Sultan Chouzour, « le Comorien situe toutes ses pratiques en rapport avec les croyances sous le sceau de l’Islam. C’est ainsi que le recours aux walimus, aux djinns, etc., se fait au nom de l’islam. »189

189 Chouzour Sultan, Le pouvoir de l’honneur, traditions et contestations en Grande Comore, Paris, L’Harmattan, 1994, pp. 242-243 169

La religion, parce qu’elle est dogme et mode de vie, crée l’unité des îles Comores encore plus que la langue, la couleur et même au-delà du système organisationnel coutumier. Celui-ci varie en degré et en importance et se modifie sensiblement d’une île à l’autre. Même si les bases du système coutumier sont les mêmes, le système des classes d’âges ne revêt pas la même fonction à Ngazidja ou à Mwali, ce que nous verrons plus loin, tandis que le dogme religieux traduit une même trajectoire à Anjouan comme à Mayotte, Mwali ou Ngazidja. Les tenues vestimentaires liées au culte musulman et à la pratique religieuse sont les mêmes (koffia et kandu pour les hommes, leso, bwibwi ou shiromani pour les femmes. Ces tenues féminines sont en quelque sorte l’adaptation comorienne du voile et du nikab). Les naissances, les décès, les mariages, les divorces, sont pratiqués et célébrés de la même manière et seul l’impact de la célébration peut varier. La religion est socle identitaire aux Comores. En témoigne l’île de Mayotte sur le point de devenir le 126ème département français de l’histoire, s’excluant définitivement du champ politique la liant au reste des îles Comores. En regardant ce cas particulier, et pour cela nul besoin de regarder de près, nous constatons que l’une des principales difficultés rencontrées par l’état français dans le processus d’appropriation de l’île et donc de différenciation de cette même île par rapport aux îles sœurs concernait la gestion du cas de la religion. A Mayotte comme dans l’ensemble des îles, l’Islam était religion d’état. A une moindre échelle, l’on s’est interrogé comment la Turquie pouvait-elle s’inscrire et intégrer l’Union Européenne compte tenu de son histoire et essentiellement de sa religion. De même, il semblait complexe d’intégrer officiellement une île dite musulmane à plus de 99%, pratiquant notamment la polygamie, dans un ensemble aussi laïc que la France. Evidemment, cette difficulté fut rapidement contournée tant le désir de la majorité des mahorais était d’être officiellement français et de rompre définitivement tout lien affectif et historique avec des îles sangsues comme Anjouan et Mwali ou trop pauvres comme Ngazidja. En effet, les nombreuses propagandes anti-comoriennes menées par des groupes mahorais et notamment des associations de femmes mahoraises ont rapidement porté leurs fruits. Aujourd’hui il est malheureux de constater le grand mépris parfois haineux de mahorais face aux autres comoriens. Rappelons tout de même qu’à l’opposé, les classes dirigeantes avaient longtemps fait preuve de mépris vis-à-vis de l’île comorienne de Mayotte, notamment les anciens présidents Saïd Mohamed Cheikh ou Ahmed Abdallah.

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Pour en revenir à notre propos sur la religion comme socle identitaire nous voyons qu’il a été simple, aux détracteurs d’une histoire commune aux quatre îles, d’expliquer en quoi Mayotte était différente à travers sa langue, son histoire, ses richesses, et même les traditions mais qu’il leur a été plus compliqué de prouver en quoi la religion pratiquée à Mayotte différait de la pratique religieuse des autres îles. Sophie Blanchy, spécialiste de l’histoire anthropologique de Mayotte, le rappelle elle-même : « L’Islam, en tant que pratique religieuse et sociale a un rôle intégrateur qui renforce sa domination idéologique et sa légitimité. »190 A Anjouan comme à Mayotte, à Ngazidja comme à Mwali, le moindre problème rencontré par un individu trouve écoute auprès du fundi et/ou du mwalimu.

Ainsi, bien que majoritairement musulmans, et sachant cette religion opposée à certaines sciences relevant plutôt de l’animisme, les comoriens croient profondément aux esprits malins, aux « wafu » (revenants ou plus souvent, esprits des morts) et aux djinns comme êtres vivants dans un monde parallèle et dont leur bien être a de réelles incidences sur celui des vivants. Il y a donc dans ce petit archipel la coexistence de croyances, de rites et de traditions complètement antithétiques et dans lesquelles le comorien évolue en les harmonisant tant bien que mal.

d) Islam et matriarcat

Le système matrilinéaire comorien trouve ses fondements et sa légitimité à partir d’un mythe justifiant les liens de devoirs, d’affection et de parenté entre un homme et sa sœur plutôt qu’entre un homme et sa femme. Ce mythe que nous retrouvons aussi dans le Guide culturel de Iain Walker raconte l’histoire d’un homme, un pêcheur semble-t-il, qui, ayant construit un boutre et souhaitant le mettre à l’eau a demandé conseil à son mwalimu191. Celui- ci, après avoir consulté les astres se prononce en indiquant à l’homme que son boutre, une fois jeté à la mer, pourrait voguer sans sombrer dans les profondeurs de l’océan à une condition, que ce boutre traverse le dos d’une femme. Face à cette condition extrême, l’homme sollicite sa femme. Cette dernière refuse catégoriquement, tandis qu’au contraire, la sœur, ayant assisté à la conversation se dévoue. Ensemble ils creusent un trou dans le sable. Le frère y enterre la

190 Blanchy S., op.cit., p.181 191 Singulier du mot Walimu défini. p.137 171

sœur à plat ventre, la recouvre de sable et fait ensuite rouler le boutre par dessus. Le boutre vogue ainsi sur l’eau, le frère déterre alors la sœur et à sa grande joie, celle-ci est indemne. Ce mythe de constitution institue la relation à la sœur, car on explique depuis ce jour, qu’un homme doit accorder plus de considération à sa sœur et aux enfants de celle-ci plutôt qu’à sa femme et à ses propres enfants. Et aussi original et paradoxal que cela puisse être dans une société musulmane et donc patrilinéaire, c’est le système matrilinéaire qui l’emporte aisément sur la patrilinéarité. Ce qui se vérifie par le mode de transmission des héritages et des biens, le maniahuly à Ngazidja et par le mode de résidence des couples. Après le mariage, le couple s’installe chez la femme. Idée précisée par Ahmed Abdallah Chanfi dans son ouvrage Islam et Politique aux Comores « L’Islam qui ne reconnaît en général que la filiation paternelle s’est, là encore, adapté au « matriclan » comorien. On l’observe à travers le manyahuli en Grande Comore et la matrilocalité dans l’ensemble de l’archipel.» Et chose encore plus étrange, ce système matrilinéaire se trouve aussi renforcé et légitimé par la religion elle-même. Celle-ci dicte un mode de conduite incitant au sentiment de dévotion à la mère et débouchant sur un rapport privilégié de l’enfant vis à vis de celle-ci. Un hadith rapporte qu’un des compagnons du prophète (pbsl) s’est adressé à lui en ces termes « De ma mère ou de mon père, qui dois-je aimer le plus ? » Le prophète lui répond : « Ta mère ». Trois fois de suite la question sera posée et trois fois de suite la réponse sera identique et ce n’est qu’au bout de la quatrième fois que le prophète (pbsl) répondra « Ton père ». D’autres hadiths plus parlants, cités par Ahmed Abdallah Chanfi, viennent étayer cette thèse : « Mais on le constate aussi dans un principe de l’éthique islamique locale qu’on évoque souvent dans l’enseignement du Fiqh et dans les prêches des ulémas. Ce principe est l’obéissance qu’on doit à la mère et à la famille matrilinéaire (mba mche) disent les grands comoriens. Cela en vertu de ces deux hadiths du prophète (SAW). Al-djannat tahat aqdàmi al ummahàt192 et le second Yadhulu-l- djannat qati‘ar-rahim193. Ainsi l’obligation islamique de ne pas délaisser le mba mche ou silat ar-rahim (littéralement unir et rapprocher les liens utérins) est évoqué par les comoriens pour légitimer et renforcer leur système de filiation matrilinéaire.»194

Le matriarcat a permis de préserver la femme dans un cadre propice à son épanouissement familial, lui évitant ainsi certaines des nombreuses déconvenues dont sont victimes encore trop souvent, les femmes dans une grande majorité de pays et notamment

192 Le paradis se trouve sous les pieds des mères 193 Celui qui rompt les liens utérins n’entrera pas au paradis 194 Ahamed Abdallah Chanfi, Islam et politique aux Comores. Paris, L’Harmattan Editeur, p.74 172

ceux dits musulmans. La cohabitation entre l’Islam et la matrilinéarité conditionne les bases d’éducation de la femme dans l’archipel. Celle-ci a longtemps été considérée comme un objet qu’il fallait conserver précieusement pour sauvegarder l’honneur de la famille. Outre cet honneur, le regard posé sur les filles provient aussi de ce système du manyahuli évoqué plus haut car étant le canal par lequel l’héritage moral lié à la dynastie et mobilier lié aux biens matériels, va transiter, la préserver, c’est aussi préserver la lignée. En ce sens, mettre une fille au monde s’est s’assurer de la perpétuation de l’hinya et donc de la dynastie toute entière. Ainsi, à l’abri dans la maison généralement construite pour elle par ses proches (oncle maternel, frère et de plus en plus ses propres parents) la pression sur ses qualités de femme d’intérieur ou de bonne ménagère, de bonne mère et de bonne épouse n’est certainement pas vécue et ressentie de la même manière que dans d’autres pays, si elle se trouvait obligée d’intégrer le foyer de son époux et vivre sous le regard de ses belles-sœurs, de sa belle mère. Il est évident que dans ce contexte, la femme étant chez elle, le mari aura tendance à afficher une certaine conduite en faisant preuve de réserve, de retenue, de contenance. Même s’il est l’homme du foyer à qui la femme doit respect et ‘’soumission’’ tel qu’on le laisse souvent entendre, son pouvoir reste limité car cette femme a des protecteurs qui sont l’oncle, et les frères. Peut-être est-ce l’une des raisons à ce constat pathétique, anachronique mais heureux de la rareté de la violence conjugale à l’encontre des femmes dans les couples comoriens. La femme n’est pas un bout de bois sur lequel on tape au gré des humeurs, ce n’est pas non plus un objet mis à la disposition des désirs de l’homme, bien qu’évidemment, les violences conjugales existassent tout de même. Aux Comores, il est communément admis que selon les préceptes religieux, un homme n’a aucun droit de faire acte de violence sur sa femme. On dit aussi aisément qu’une gifle donnée, c’est un twalaka195 avoué. Ce parallélisme induit donc un sentiment de non tolérance de la violence. Si une femme se plaint de maltraitance auprès de sa famille, celle-ci prendra les dispositions pour empêcher une récidive si la femme exprime le souhait de rester en ménage et si récidive il y a, alors la femme peut demander à ce que son époux la fungua196. Le divorce est une des plus grande liberté dont jouissent les femmes comoriennes. Bien que profondément réprouvé par la religion, il reste une alternative à laquelle la femme a recours si

195 L’expression « Unika ze twalaka » est utilisée dans les cas de répudiation « u fungua » (le détacher, lui rendre la liberté. Il s’agit d’une action à exprimer en vue de signifier le divorce. Les twalaka sont de l’ordre de trois qu’un homme ne doit prononcer simultanément qu’en étant certain de ne plus vouloir de sa femme. S’il n’en prononce qu’un, alors il peut revenir sur sa décision en accord avec l’épouse. S’il prononce trois fois la phrase, alors, cela doit être fait devant témoin car le divorce est irrévocable. 196 Littéralement, la détache. Il s’agit là de façon symbolique des liens du mariage. En la détachant, l’homme rend à sa femme sa liberté ; c’est le divorce. Elle pourra par la suite se remarier si le désir lui en prend. 173

elle juge être mal traitée, mal soignée ou autre. En témoigne le personnage de Mma Fatima dans Le notable répudié, dont l’intrigue s’organise autour de l’acte de répudiation. Ici, la pièce s’ouvre sur le renvoi du notable par sa femme qui, harassée par la conduite extrêmement passive et d’assisté de son mari, ira jusqu’à le répudier elle-même et ce, sans attendre que les twalaka soient formulés par son époux. Combien de femmes comoriennes divorcées, remariées trois, quatre, voire cinq fois même, ne connaissons-nous pas ! Dans un pays aussi peu développé, dont les principes de vie s’inspirent d’une religion aux abords très strictes, que la demande de divorce émane de la femme principalement reste tout à fait original. Et cela, elle le doit aux pratiques ancestrales, à son histoire africaine, au mythe matrilinéaire. Car grâce à ce mythe et aux systèmes qu’il a engendrés, les Comores peuvent se prévaloir d’être l’un des rares pays musulmans où la femme est considérée comme cela est indiqué dans les textes. Les Comores ne sont pas un petit havre de paix sur cette terre, loin de là notre discours. Comme nous le verrons plus loin, ce système développe un effet pervers d’infantilisation de la femme. Mais nous soutenons pourtant qu’au vu de nos expériences, à travers les scènes de vies contées par les grands-parents, il fait bon d’être comorienne en pays musulman où des hommes ont tôt fait d’interpréter à leur avantage, des textes qu’ils ne comprennent que trop rarement.

IV.1.2 Du traitement de la cohabitation du fait religieux et des sciences occultes dans la littérature

a) Islam et soufisme

Outre l’importance des traditions et pratiques remontant à la période antéislamique ayant subsisté, l’Islam comorien se voit aussi être totalement imprégné de la philosophie soufie. Le soufisme est : « un mouvement authentiquement musulman malgré les influences qu’il put subir au cours de son évolution, le soufisme s’appuie sur une tendance coranique de piété écartée par l’Islam officiel, et tend à développer les valeurs spirituelles impliquées par le dogme, mais non incluses dans sa formulation. »197

197 Sourdel Dominique, cit. op., p.84 174

Cette imprégnation soufie se fait par le prisme du système confrérique. Durant de longues années et aujourd’hui encore, le comorien mêle à sa pratique dogmatique (cinq prières, ramadan, lecture du Coran...), une pratique empreinte de mysticisme exécutée sous la forme de dhikr ou de daïra. Introduite au milieu du XIXème siècle par le Sheikh Abdallah Darweshe 198 , l’institution des confréries sera par la suite relayée par Al-Maaruf (m.1904), de son vrai nom Said Mohamed Ben Sheikh Ahmed. Ce Sheikh, à l’origine du nom du plus grand hôpital des Comores, fut un des plus grands savants des Comores. Connu et respecté pour son immense sagesse, sa grande piété et sa maîtrise du texte et des principes de La Loi (Le Coran), son aura dépassait de loin les frontières de l’archipel. Né aux Comores, il vécut et étudia à Zanzibar « en vue d’enseigner le droit, la grammaire arabe et la théologie, portant un intérêt singulier pour la maîtrise du Coran, son interprétation et les différentes formes de sa lecture, ainsi qu’à l’apprentissage des hadiths de l’exemplarité prophétique. »199 C’est lors de ses études à Zanzibar qu’il s’initia aux rituels confrériques en commençant par la Kadriyya. A son retour aux Comores, on peut en déduire qu’il perpétua ce rituel jusqu’à sa rapide rencontre avec le Sheikh Abdallah Darweshe qui l’initiera aux rituels de la confrérie Shadhuliyya et l’investira « comme calife de la voie » 200, lui délivrant ainsi le droit et le devoir de la propager. Mu de sa nouvelle mission et sa recherche constante de la vérité dans le Réel, Al-Maaruf « s’engagera dans cette seconde voie avec une totale dévotion, créant ses propres cercles en Grande Comore et à Anjouan, allant jusqu’à croiser le fer à la mosquée de où, il faillit perdre la vie au nom de la défense des préceptes religieux et mystiques. »201 Apparues au nombre de cinq202: La Shadhuliyya, La Kadriyya, La Rifâ’iyya, La Dandarawwuiyya et enfin La Sa’adat el ‘allawiyya, seules trois de ces confréries (les trois premières) éclosent et s’implantent durablement. Parmi les trois, l’une connaît un réel rayonnement sur l’ensemble des îles, la Tarîqa Shadhuliyya. On doit donc à Al-Maaruf le rayonnement de cette dernière sur l’ensemble de l’archipel et sa prédominance sur les deux

198 Le nom du sheikh serait devenu un terme désignant les personnes dont la piété et la science sont reconnus au point que la coutume accepte leur refus d’accomplir les rites traditionnels coutumiers, notamment le Anda. Lorsqu’un homme est dit darweshe, l’ensemble de la communauté l’exempte de ce devoir sans qu’il ne perde en rien son mérite et son prestige. Malheureusement, avec le temps, ce qualificatif s’est teinté d’une légère connotation négative car on considère que les darweshe n’existent plus vraiment aux Comores. 199 Soilhaboud Hamza, Omar-la-Baraka, Encres du Sud, 2001, p.22 200 Msaïdie Elarif, les confréries religieuses aux Comores à partir d’un rapport de 1950, Savigny-le-temple, in Tarehi, revue d’histoire et d’archéologie n°10, p.24 201 Soilhaboud Hamza, op. cit, p.22 202 Msaïdie Elarif, op. cit, p.24 175

autres comme le prouve la statistique suivante « Elle regroupait à elle seule plus de 70% des adeptes en 1950. »203

Le soufisme « tend à développer les valeurs spirituelles impliquées par le dogme, mais non incluses dans sa formulation. »204 C’est cette absence de formulation au sein du dogme qui pousse aujourd’hui des mouvements comme le wahhabisme à récuser catégoriquement la valeur d’une telle philosophie, allant jusqu’à soutenir l’interdiction de sa pratique dans les îles. Sophie Blanchy rapporte que : « On croit aux Comores que chaque adepte, lors du jugement dernier, sera présenté à Dieu sous le patronage de son halifa (chef spirituel représentant de la confrérie au sein du village), sorte d’intermédiaire qui témoignera de son engagement dans la « voie ». »205

Cette idée traduit le prolongement dans l’au-delà du principe d’intercession tant combattu par les partisans d’une religion fixée sur la Loi et la Sunna. Dont le wahhabisme qui, bien qu’en progression, est loin de pouvoir éradiquer aussi facilement et radicalement la croyance. Et pour cause, elle fait partie intégrante de l’Islam comorien, illustrée, justifiée et légitimée par une forte activité confrérique. En France même, les comoriens célèbrent leurs saints à la date anniversaire de leur mort, et ce tous les ans. Il semble qu’aux Comores, on reconnaisse la transcendance créant le rapprochement ultime entre l’homme et Dieu seulement aux Sheikhs. Seul leur degré de piété et de connaissance religieuse ainsi que leur rang élevé par la filiation spirituelle les liants au Prophète Muhammad (pbsl), leur permettent l’accès à la clairvoyance. Cette clairvoyance, c’est la faculté de voir dans l’invisible, de cerner cet invisible, de lire parfois dans les âmes des communs, d’accomplir quelques miracles. Par et grâce à cette clairvoyance, le Sheikh est alors profondément respecté et souvent craint. S’agirait-il d’un déplacement de la finalité soufie ? Loin de reprendre l’idée de lien et de communion à Dieu accessible par n’importe quel ascète, l’espace comorien la lie directement au Sheikh. Et pour cause, les comoriens témoignent d’un très grand respect à la science quelle qu’elle soit. Et être en possession d’une science fait de son possesseur un être digne de considération. Lorsqu’en plus cette connaissance est hautement attestée par des liens (filiation spirituelle, généalogie, diplôme), elle place alors son détenteur à un haut rang dans l’estime humaine, lui octroyant par la même

203 Id. 204 Sourdel Dominique, op.cit., p.84 205 Sophie Blanchy, op. cit., p.188 176

occasion de nombreux privilèges et notamment une facilité d’accès à des fonctions reconnues dans le système hiérarchique traditionnel mais aussi étatique. Ceci est plus frappant dans le contexte des sciences religieuses. Pour faire plus clair, expliquons l’impact du mouvement soufi dans la tradition comorienne. Comme nous le signalions plus haut, celui-ci fut introduit aux Comores non pas en tant que philosophie ou pensée, mais comme organe d’un système particulier, celui des confréries (associations initiatiques perpétuelles206 rattachées chacune à son fondateur et qui fixent la « voie » (tarîqa) à suivre pour atteindre à l’état mystique). La voie et la confrérie ne faisant plus qu’un, elles ritualisent le moyen d’accession à l’extase pour aboutir à la symbiose d’avec le Créateur. Ces moyens peuvent donc parfois paraître superficiels ou surfaits car canoniquement établis et ritualisés. Il semble alors qu’aux Comores, le système confrérique ait éloigné la communauté des fondements de la pensée soufie incarnée par Al-Hallâj. Pourtant, les personnalités religieuses l’ayant introduite vivaient dans la continuité de cette inspiration. Qu’il s’agisse d’Al-Maaruf, cité plus haut ou de Muigni Baraka, son neveu, fils d’Abdallah bin Ahmad bin Sheikh, sur qui Hamza Soilhaboud écrit la biographie romanesque, chacun de ces pieux personnages, élevés au rang d’ulémas (Saints), a vécu dans la voie des trois principes réunis et inhérents au soufisme : ascétisme, expression poétique, effort philosophique. Après Muigni Baraka (1918-1988), dont les disciples se souviennent comme d’un grand sage, d’autres personnages beaucoup moins importants vont tenter de poursuivre ce cheminement de la pensée. Or a priori, ne subsiste aujourd’hui, dans l’archipel, que l’ossature ritualiste de la finalité soufie. La poésie étant très peu inclinée vers elle207, l’effort philosophique cédant lentement sa place, tous deux s’effacent face à l’ascétisme triomphant. Quoiqu’il en soit, même dépouillées de l’essence soufie équilibrée par l’Imam Al-Ghazali208, ces tarîqa n’en demeurent pas moins l’émanation et la résultante directe. Et les guides des confréries, avec toutes les qualités qu’on leur reconnaît à tort ou à raison, des chefs charismatiques à la solde

206 Sourdel Dominique, op. cit., p.88 207 Nous n’avons retrouvé dans nos lectures qu’un seul poème d’inspiration soufie. Ce poème d’Abou, Réduction atomique, est étudié plus bas. 208 Célèbre Imam de Tûs, à la fois grand théologien et philosophe soufi, Mohamed bin Mohamed al-Ghazali est à l’origine d’une forme de réconciliation entre le dogme religieux officiel et la mystique musulmane, le soufisme immanentiste, jugé non conforme à la Loi. Cette réconciliation passe par l’idée que la croyance et donc la foi en Dieu traditionnellement admise doive être complétée par « une connaissance plus intime» peut-être plus individuelle de Dieu. Pour cela, le recours à une ascèse modérée permet à l’âme de s’ouvrir et se libérer en vue de recevoir ce que Sourdel nomme « l’illumination divine » et que la tradition islamique comorienne nomme tout bonnement, selon S. Blanchy, kashfu, traduit par « révélation ». Ainsi, l’imam al-Ghazali insista fortement sur la nécessité de faire acte de dépouillement et de désintéressement dans la pratique de la bienfaisance en préconisant le devoir de recherche de la perfection morale a beaucoup inspiré l’étudiant que fut Mouigni Baraka. 177

du bien. C’est ce qui peut expliquer leur développement spectaculaire au début XXème siècle. De plus, comme l’explique S. Blanchy : « Le système confrérique a du succès aux Comores comme processus associatif, semblable aux classes d’âge de l’unité sociale du mdji (village) et aux promotions de l école coranique. Les chants et les danses qui sont associées aux prières des confréries, bien que fort éloignées de l’idéal d’expérience soufie (contact mystique avec le divin), ont attiré de 60 à 80% de la population. Etre adepte est une forme de sociabilité ordinaire, et le guide de la confrérie jouit d’une autorité qui ne peut se comparer qu’à celle du maître coranique (c’est parfois la même personne).»209

Avant de clore ce développement autour de l’Islam comorien, nous nous proposons de voir brièvement comment cette religion trouve-t-elle écho dans la littérature d’expression française, si tant est qu’elle en trouve un. Pourquoi ce scepticisme ? Parce que malheureusement, parmi nos lectures, nous n’avons relevé qu’un poème d’inspiration soufie, ce qui laisse entendre qu’il y a bien imprégnation de cette philosophie dans la littérature mais que celle-ci est infime et qu’il est actuellement difficile d’en proposer une analyse globale. En ce sens, nous nous sommes rapidement penchée sur le poème d’Abou Réduction atomique.210 Je suis celui qui n’en peut mais de pouvoir Aussi loin que remontent mes souvenirs Je n’ai pas de fin dans mon commencement Toujours recommencé en entier, en morceau Je progresse en spirale, aspirant à la réduction Atomique, à l’UN simple et rempli A quoi bon s’adresser ! Personne n’est au bout de la vie Se taire, éther réintégré dans le noyau De l’atome initial Où l’image naît de l’action de sa propre image

Ce poème décrit le rapprochement entre l’homme et Dieu comme se faisant de moins en moins distancié jusqu’à l’identification de l’un dans l’autre. Les vers « Je progresse en spirale, aspirant à la réduction / Atomique, à l’Un simple et rempli » traduisent le mécanisme mis en jeu pour aboutir à cette union. Dans la religion musulmane, il est formellement interdit à tout croyant d’associer Dieu à une créature et donc de s’associer lui-même à Dieu, sous peine d’être déclaré associationiste. Ce au point où les prophètes Jésus fils de Marie et Muhammad

209 Blanchy S., op. cit., p.187 210Beckett C., op. cit., p.227 178

(pbsl) ont eu à insister, auprès des fidèles, sur leurs traits et attributs humains afin d’éviter toute tendance dans cette direction. Pourtant ici, le poète l’affirme « Je n’ai pas de fin dans mon commencement » Or en Islam, Seul Dieu existe de toute éternité. Est-ce là une poésie de projection identificatoire dans un contexte où la peur du blasphème est très vive et la crainte du shirk encore plus ? Bien au contraire, nous y lisons, nous, la transposition de l’idéal extatique soufi, seule philosophie d’origine musulmane ayant insufflé une totale communion symbiotique entre l’homme et Dieu. Dominique Sourdel fait une citation d’al-Hallâj à ce sujet « Je suis Celui que j’aime et Celui que j’aime est devenu moi. Nous sommes deux esprits infondus en un seul corps. 211» Ce à quoi renvoie le dernier vers du poème. Par l’effet miroir suggéré dans l’idée d’une image recréée à partir d’une image existante, le poète renforce l’idée d’union parfaite par la pratique ascétique. Le miroir renvoie une image que l’action permet d’identifier comme simultanée et reproduit cette image afin de la restituer après coup telle quelle. « De l’atome initial/ Où l’image naît de l’action de sa propre image. » L’image produite n’existe alors que dès l’instant où la symétrie entre l’image initiale et celle recréée se rencontrent à travers le miroir identificatoire. Une rencontre rendue possible par le dhikr, perceptible à travers les vers « Je progresse en spirale, aspirant à la réduction/ Atomique, à l’UN simple et rempli ». Ces vers apparaissent comme la description du mouvement effectué lors des dhikr « Exercice soufi de remémoration du nom de Dieu 212», lorsque placés en cercles, les adeptes guidés par le chef mystique, tout en scandant le nom d’Allah, tournent ensemble, lentement d’abord puis de plus en plus vite, étroitement serrés les uns contres les autres dans des mouvements de va et vient du haut du corps, provoquant de légers sautillements. La forme régulière des trois premiers vers, tous constitués de onze syllabes, tranche avec l’ensemble du onzain dont les derniers vers sont complètement hétérométriques et arythmiques, et peut faire échos au démarrage en lenteur du dhikr. Celle beaucoup plus éparse du poème décrit ainsi, elle aussi, l’idée d’un moyen (le texte poétique) dont les mots sont entreposés et superposés de-ci de-là de sorte à atteindre la peinture parfaite de l’ascension ascétique et donc le fond symbiotique ; parallélisme entre l’action du dhikr aux allures parfois brouillonnes et sa finalité, l’ascension vers Dieu l’Unique dans l’absolu. Le corps « progresse (ainsi) en spirale » afin de parvenir à le faire disparaître jusqu’à ne devenir plus qu’un atome au profit de l’illumination spirituelle, la « révélation » de « l’UN simple et rempli ». Au terme du dhikr, « L’esprit brûlant d’amour n’étant plus occupé que de

211 Sourdel Dominique, op. cit., p.88 212 Blanchy S., op. cit., p.188 179

concevoir l’unicité divine, il est prêt à « s’esseuler devant l’Unique »213. En somme, au terme de l’expérience mystique, survient l’extase et disparaît la personnalité du poète devenu mystique, transcendé dans son amour pour Dieu et par Dieu. L’aboutissement à « l’UN » crée l’apothéose identificatoire entre le poète et son Créateur. Ici, « Un » renvoie à l’un des 99 noms divins et attesté dans la sourate Al-Ahad, « La foie pure et exclusive »214 , où il est demandé au prophète de répéter que Dieu est Seul et Unique. Cette lecture est corroborée par une note de Carole beckett. b) Rites profanes et sciences occultes : les djinns, les wafu, les mazetwani

Islam et rites profanes Dès la naissance et même bien avant, durant la grossesse, de nombreux rites entourent la vie du nouveau né. On compte alors des évènements comme le Maulid du cinquième mois de grossesse ou du septième mois. Tous deux permettant de faire des douans (invocations et prières) pour demander la protection divine sur l’enfant et la mère. Aux dires des uns et des autres, il s’agit là de rites religieux visant à attirer la bénédiction sur le couple mère enfant. Mais en s’acquérant un peu auprès de certains imams, ceux-ci contredisent ces pratiques qu’ils qualifient parfois de Bid’an (innovation, ajout) et les récusent catégoriquement car jugées illicites au vue de leurs croyances. Pourtant, bon nombre de comoriens perpétuent ces pratiques que beaucoup pensent religieuses. Parfaitement intégrées dans les coutumes, elles sont admises sans le savoir, mais avec le temps, comme faisant partie du prolongement rituel religieux de la grossesse. Ainsi, ne pas faire le maulid pour une femme enceinte est non seulement très mal perçu, mais aussi fortement critiqué par les familles respectives, de sorte qu’infimes sont les personnes dérogeant à ce qui est devenu un rite. Si on évoque le côté novateur et areligieux de ce rite pour justifier du refus, ce dernier sera pris pour un manque de générosité, une tendance religieuse extrémiste et qui plus est un grand fond d’avarice. Le bonheur se vit en communauté, et pour le célébrer, rien de tel qu’un bon repas ! Précisons simplement que bénir une femme enceinte par le biais de prières n’est nullement condamnable en Islam, bien au contraire. Par conséquent empruntés ou inspirés de la Sunna du prophète Muhammad (pbsl), ces rites sont réorientés et instaurés en passages obligés dont les fondements trouvent légitimité

213 Sourdel Dominique, op. cit., p.88 214 « Al-Quran al-Karim »Traduction du Coran par le Dr Salah Ed-Dine Kechrid, Dar El-Gharb El-Salam, 5ème édition, 1990 180

dans la tradition. Cependant, d’autres rites ne trouvant pas forcément échos dans la religion se mêlent à des devoirs religieux. Dans son ouvrage Ngoma et mission islamique (Da’wa) aux Comores et en Afrique orientale, Ahmed Abdallah Chanfi décrit parfaitement ces étapes en insistant sur leurs particularités. En effet, de la section du cordon ombilical suivie de l’enterrement du placenta, puis du Ubuwa hagnwa215 en passant par l’Adhàn216 au choix du prénom de l’enfant et enfin le Akika217, la séparation entre obligations religieuses, rites coutumiers et sunna218, reste très difficile à faire car l’ensemble est lié de façon de plus en plus inextricable et forme un tout. Ainsi beaucoup pensent que les Maoulid des cinquième et septième mois de grossesse préconisés par la coutume sont des actes religieux tandis qu’ils jugent le fait de cacher le prénom du nouveau né dans un lieu sûr et secret avant de le révéler comme issu de la tradition alors qu’inversement, le premier est bel et bien un rite coutumier et le second un acte inspiré de la sunna du prophète (pbsl). Cette éternelle interaction ou souvent interférence entre les deux origines des rites entrainent des incohérences dans la vie de tous les jours chez des personnes qui se veulent et se proclament profondément musulmanes. A l’exemple du Akika qui est une pratique religieuse fortement recommandée pour tout père musulman mais transposée dans certains villages de la Grande Comore, en prestation coutumière dans le cadre du anda. Nous pourrions citer d’autres exemples de pratiques religieuses aspirées et inscrites dans les prestations coutumières comme la circoncision « Hu rumwa saya ». Aux Comores, comme dans la plupart des sociétés, la naissance et la mort sont des évènements qui surviennent à une famille au sein d’un groupe. Ils concernent donc tout le monde et en ce sens, autant le village vient féliciter et célébrer la venue d’un nouveau-né, autant il prie pour la disparition d’un membre du groupe. La compassion, la solidarité et la communion étaient les sentiments qui animaient à l’origine le recueillement de chaque villageois au devant de la famille d’un défunt et du défunt lui-même. Avec le temps, ces sentiments ou valeurs humaines ont cédé place à un trio de codes alliant les sentiments humains, les rites issus de l’autorité religieuse et ceux hérités de la tradition. L’ensemble

215 Ouvrir la bouche 216 Appel à la prière comportant la Chahada (Profession de fois stipulant qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Muhammad est son messager). Cette prière est à insufflée dès les premières heures de la vie d’un individu afin que celui-ci reçoive la bonne parole et donc la bonne guidée. 217 Akika est un dérivé du mot Akq qui signifie cheveux. Il s’agit d’une cérémonie inspirée de l’épisode de l’immolation d’Ismael par son père Abraham en guise de soumission inconditionnelle à Dieu, qui l’ayant éprouvé, lui rend son fils et place une brebis en lieu et place d’Ismael. De cet épisode, est né le rite du Akqiqa qui consiste en la découpe des cheveux d’un nouveau né, au septième jour de sa naissance et au sacrifice d’une bête (chèvre ou vache) dont la découpe des os doit se dérouler de manière et à des endroits bien précis. C’est normalement à l’issue de cette cérémonie que l’on attribue le nom définitif à l’enfant. 218 Conduite à tenir inspirée de la vie et des agissements du prophète Muhammad (SAW) 181

produit des situations de moins en moins compréhensibles à l’œil inexpérimenté et novice car aujourd’hui, beaucoup de comoriens s’y perdent complètement. En effet, la solidarité perdure encore lorsqu’on voit les membres de tout un village et parfois par extension, ceux d’une région se réunir pour prendre en charge les frais onéreux qu’engendre un décès notamment pour les émigrés (frais de rapatriement du corps afin qu’il soit enterré sur la terre natale, enterrement et autres) Un exemple anecdotique, le seul frère d’une famille de neuf enfants devenus tous adultes fut envoyé en France pour des soins suite à une grave maladie. En venant se faire soigner, il laissait sa mère, sa femme et ses enfants. Malheureusement, après quelques jours d’hospitalisation, le frère décède, laissant derrière lui ses sœurs complètement effondrées, d’une part d’avoir perdu leur unique frère, mais aussi leur unique représentant au devant de la société coutumière. Mues par la douleur, elles se rassemblent et discutent elles- mêmes des modalités de rapatriement du corps, de l’enterrement, des frais de prières, des prestations coutumières et tout ce qui entourait le défunt et les charges qui incombaient alors à la famille. Mais contrairement à leur souhait de tout prendre en charge, l’ensemble des villageois s’est montré hostile à leur démarche et a rejeté cette initiative la jugeant outrageante. Leur frère ayant été un homme respecté et respectueux des valeurs communautaires, seuls ses pairs étaient habilités selon la coutume à décider des actions à mener, certes en concertation avec les hommes de la famille du défunt, donc les beaux-frères de celui-ci. Ainsi les villageois d’abord, puis les membres de la région dont est issu le village en question se concertent chacun de leur côté, décident de la suite à donner aux évènements et en avisent les sœurs qui se plient malgré elles, résignées face aux décisions du groupe : à savoir financer le rapatriement du corps, participer aux frais de tout ordre concernant l’enterrement et les cérémonies funéraires (prière du septième jour, du quarantième jour…) Dans ce contexte, une question subsiste, pourquoi entraver au bon fonctionnement d’un système aussi solidaire et humaniste ? Quelles étaient les motivations des sœurs ? Cet exemple nous a permis de réaliser la force de cohésion sociale constituée à l’aune de la coutume. Car lorsqu’un individu disparaît d’un groupe, c’est le groupe qui perd un de ses membres et en ce sens, il se sent engagé vers le défunt. Cela se manifestera par une implication physique (présence lors des prières, lors du lavage du corps) et financière. Et pourtant, contre toute attente, ce système cache des embrayages et des mécanismes devant lesquels l’aspect solidaire et commémoratif s’efface au profit des énièmes prestations coutumières liées encore, et même dans la tombe, au Anda.

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En effet, en fonction de la place qu’aura occupé le défunt dans la société de son vivant, la famille de ce dernier sera tenue d’organiser différentes cérémonies de deuil toutes plus onéreuses les unes que les autres, impliquant l’abattage d’un certain nombre de bœufs qui souvent, non à la disposition des familles, nécessite de gros emprunts, tout comme pour le mariage. En plus de la douleur, s’ajoute alors le souci de l’organisation de ces cérémonies. Le village apporte sa contribution de sorte à assurer la perpétuation des dons et contre-dons de génération en génération. Voilà pourquoi les sœurs, vivant toutes en France et conscientes des divergences de plus en plus fortes les opposants à leurs enfants, souhaitaient tout prendre en charger elles-mêmes afin de ne pas s’endetter auprès des villageois et de ne pas répercuter ces dettes sur leurs enfants, car évidemment, il leur faudra tôt ou tard rendre ces services.

C’est ce dont traite le roman Aux Villages de l’océan avec maladresse certes, mais beaucoup de bonne volonté. Si l’ouvrage n’était pas si difficile à lire, il éclairerait bon nombre de lecteurs sur ces pratiques très complexes. Pour Ahmed Ibrahim les êtres vivants aux villages de l’océan, sur l’autre rive dans la tribu des zilabwé sont des êtres sans cœurs et sans scrupules qui ne se soucient pas de leurs morts mais des biens leur ayant appartenu. « La tribu des zilabwe ne respecte pas ses morts »219 ce qui est un crime en pays musulman. Il ajoute : « Ils se soucient de la finalité de leurs tactiques stratégiques malhonnêtes. Dans cette tribu des zilabwe, une dépouille peut traîner sur son lit de mort sans qu’on s’en occupe d’emblée. Les zilabwe tournent autour d’elle en se préoccupant des fastueux repas funéraires. »220

Dans ce roman, la condamnation est sans appel comme on le voit dans le passage suivant « Les sans-coeur et les sans-esprit ingurgitent la justice de leurs morts dans des ragoûts de riz crépusculaires et dans des gâteaux de fausses offrandes, qu’ils se partagent dans les mosquées en mauvaise foi, idolâtre dévotion de leur part.» L’auteur fait ici référence aux repas servis lors des cérémonies funéraires. Ces repas tantôt à base de riz et de sauces de toutes sortes accompagnées de viandes, tantôt composés de mikatré (biscouti, goudougoudou, sinia, donas, koko trede)221 nécessitent beaucoup d’énergie de la part des femmes et de nombreux jours de préparation en plus de l’argent dépensé. Pour appuyer ses propos, l’auteur met en scène l’histoire de maître Mkoundzi, ancien chef du village de Sanga, mort huit jour

219 Ahmed Ibrahim, Aux Villages de l’océan, Antananarivo, Print Express, 2004, p.23 220 Idem 221 Mikatre est le pluriel de mkatre, gâteau. Les mots entre parenthèse sont les noms des différents gâteaux que l’on sert généralement dans les cérémonies de deuil ou de mariage. 183

avant que son corps ne soit découvert par les villageois. Il avait été laissé là, sur le lieu du décès par son fils parti en urgence chercher de quoi financer les cérémonies mortuaires. Abattu et confus face aux regards réprobateurs que lui adressent les villageois, le fils tente de s’expliquer en ces termes : « Le premier jour de sa fuite éternelle, je n’ai pas osé informé qui que ce soit, car les coutumes exigent trop d’argent pour les funérailles, surtout d’un grand personnage pareil. J’ai fermé la maison, en partant emprunter de l’argent dans les environs, cela fait huit jours de conquête lucrative. »222 Ce jeune homme parti en laissant la dépouille de son père a commis, d’un point de vue religieux, un lourd pêcher. Moralement, il a trahi la mémoire et l’honneur du défunt et socialement, il a transgressé les codes de conduite à tenir à la mort d’un musulman et de surcroît un proche. Le cadavre étant trop décomposé, il ne peut bénéficier d’une sépulture et sera donc jeté à la mer. Pour toutes ces raisons, le fils est maudit et son feu père viendra longtemps le hanter. Mais le pauvre malheureux a été malgré lui entraîné à commettre l’irréparable par la faute des pressions sociales. Cet exemple se veut un avertissement de l’auteur à un peuple de plus en plus éloigné des valeurs morales et religieuses et dont les préoccupations recoupent essentiellement la perpétuation de la coutume, ses codes, ses règles, ses excès. Car il est vrai malheureusement que ces cérémonies ressemblent de plus en plus à des célébrations de deuil.

c) Sciences occultes et guérisseurs

« Idi n’appréciait pas ce mélange de paganisme et d’islam rigide, ces mœurs où la sorcellerie, condamnée par Msa, Issa et M’hammadi223 était érigée au niveau de statut social. Quelle était la personnalité politique ou religieuse qui n’avait pas son sorcier attitré ? »224

Chaque acte, chaque moment, chaque événement de la vie d’un individu est orchestré par une consultation chez le mwalimu (guérisseur). Qu’il s’agisse du choix du prénom d’un enfant, de la date d’un mariage, de la viabilité d’une union, d’une maladie, de résultats aux examens, d’une réussite à un concours etc., tout doit être discuté avec un mwalimu. Doué de connaissances poussées des textes sacrés, capable de discuter avec les mondes du visible et de l’invisible, ce guérisseur sera à même d’interroger les étoiles pour guider au mieux les

222 Id, p.27 223 Les prophètes Moïse, Jésus et Mahommet 224 Toihiri Mohamed, Le Kafir du Karthala, Paris, l'Harmattan, 1992, p.59 184

hommes au quotidien. On lui reconnaît des pouvoirs divinatoires, des dons de magie et à l’aide d’amulettes et de versets Coraniques, il saura en échange d’un bœuf, de quelques billets ou d’autres produits, vous protéger du mauvais œil, vous exorciser ou vous ouvrir les portes de la réussite. Car en effet, ces personnages jouissent d’une condition privilégiée auprès des membres de leurs communautés villageoises et parfois, leurs réputations sont si grandes qu’elles dépassent les limites de leurs régions respectives. Mais en tout état de cause, ce recours au walimu (pluriel) n’est certainement pas une recommandation divine et à ce titre, elle est souvent contraire à la religion. Pourtant les comoriens, très musulmans ne font guère cas de ces interdits car la sorcellerie ou le maraboutage fait partie intégrante de leur identité, et ce bien avant l’islam. Par conséquent, face à un problème de tout ordre qu’il soit, le comorien ira, l’exemple de Faouzia225, s’enquérir chez le mwalimu. Une refrain célèbre d’une chanson de mariage dit ceci « Ye mwalimu wa hangu, kadja namba ndrabo »226 Alors, de même que la dite Faouzia se rend chez différents fundis pour tenter d’empêcher le mariage de sa fille Djamila avec Kassim, Mshangama227 s’adressera à Mlishiwa8 qu’il considère comme étant « le plus grand guérisseur que notre contrée abrite » afin qu’il l’aide à effacer ses dettes financières, et même un sceptique comme Mlazindru se laissera convaincre par l’idée de consulter. Car au fond, les superstitions, les croyances issues essentiellement des origines bantoues mais aussi malgaches sont constitutives de l’univers spirituel, du quotidien et donc de l’identité comorienne. Ainsi, même en ayant adopté avec respect et ferveur la religion révélée par le Saint Coran, les comoriens ne peuvent se défaire de leurs pratiques préislamiques parfois à la limite de l’animisme. Cela est encore plus frappant quand on se penche sur l’idée de monde invisible avec lequel les comoriens sont convaincus de cohabiter. D’autant que dans ce cas précis, le Coran renforce ces croyances.

La cohabitation d’avec les djinns, les wafus On voue aux djinns un culte qui consiste à les entretenir, les soigner, répondre à leurs besoins immédiats en parfum et produits particuliers (monnaie, étoffes…) Il n’est pas rare de

225 La mère de Djamila dans les Coulisses d’un mariage incertain, Ambass Ridjali 226 « Mon guérisseur ne m’a donc pas menti. » Comprendre que ce qu’il avait vu ou prédit s’est produit. 227 Mshangama est le frère de Marie-Shando, femme de Mlazindru. A ce titre, en tant que beau-frère de Mlazindru, et oncle maternel des enfants de ce dernier, il jouit d’un droit de regard et de décisions aussi important vis à vis des enfants que le père lui-même. Or Mlazindru, père de Zaina souhaite la marier à un homme riche de peur de voir arriver dans sa famille Mlazema dont Zaina est éprise. Mlazindru, désireux de programmer un mariage pour sa fille mais à son avantage personnel s’adresse à Mshangama afin qu’ensemble, ils puissent rapidement trouver une solution enviable. Les frasques d’un notable, Patrice Ahmed Abdallah

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trouver encore aujourd’hui, une assiette posée sur un coin de table ou rangée dans une armoire et dans laquelle sont soigneusement disposés les produits préférés des djinns (parfum, eau de rose, torchon, pièces de monnaie, encens, le tout recouvert d’une étoffe généralement blanche). Ces petites attentions, formelles et plus ou moins de règle pour tout humain abritant un djinn en lui, servent à témoigner une preuve d’hospitalité envers le djinn et lui signifier qu’il est reconnu comme membre à part entière dans la vie de son hôte. Voir un individu s’adresser à un djinn paraît extraordinaire pour l’œil non averti alors que ces manifestations sont choses tout à fait ordinaires pour la population. Ainsi, lors d’une séance de possession, le possédé ou plus exactement l’hôte et son invité, le djinn, ne font plus qu’un d’abord, puis l’esprit ayant totalement pris place chez l’humain, celui-ci sombre, apparemment, dans un état de semi conscience ou d’inconscience totale au profit de l’esprit, malin ou non. Une troisième personne fera alors le pont entre les deux mondes, et tentera d’interpréter les désirs du djinn ainsi que le malaise l’emmenant à vouloir interférer chez les humains. Le rôle de cette troisième et tierce personne devient primordial dans la situation de communication même si, contre toute attente, cette tierce personne, bien que généralement ce soit un Fundi ou un guérisseur, peut être n’importe qui. Aucun statut ni aucun rang social ou religieux n’est exigé pour servir d’arbitre dans le contexte de cette possession. Les attitudes et les éléments mis en œuvre pour communiquer avec l’esprit peuvent sembler comique par le ton condescendant, l’extrême douceur, l’infime politesse dont on l’entoure afin qu’il ne se mette pas en colère et puisse, étant contrarié, se retourner contre son hôte. Ce schéma tripartite est assez bien illustré dans la pièce Tombé du ciel228 où, pour soigner le jeune Tamu, jugé malade ou possédé par ses proches, ces derniers font venir à son chevet, un Maître de djinn capable d’apaiser l’esprit. Le maître de djinn va alors s’adresser à l’esprit supposé en Tamu par des termes le glorifiant : Grand Esprit, Honorable djinn, ô Grand djinn… S’ensuit un échange orienté par l’esprit et visant à faire reconnaître la supériorité du djinn sur les humains. Il interpellera ainsi « Reconnaissez-vous que je suis capable de vous apporter une aide ? » Et les autres de répondre tous en chœur par l’affirmative. Le supposé djinn reprendra : « Mais redîtes-moi, redîtes-moi ! Puis-je avoir tort ? Puis-je être dans l’erreur comme un vulgaire humain ? » et le maître de djinn de lui répondre à nouveau: « Non ! Non Grand djinn ! Tu détiens la sagesse. » Plus loin, le djinn se fera accepté comme « la lumière du savoir », « la sagesse », et décrètera que ses paroles, étant inspirées des êtres invisibles, « sont donc à écouter, à respecter. »

228 Les passages cités dans cette pages sont extraits de la pièce ci référencée : Abdérémane S.M Wadjih, Tombé du ciel, Paris, Plumes Libres, 2006 186

Cet échange illustre l’idée de pouvoir reconnu aux djinns par la communauté des humains. C’est parce qu’on leur reconnaît une supériorité quelconque que l’on a, pour toute chose, fréquemment si ce n’est systématiquement recours à eux Ces pratiques fortement réprouvées par de plus en plus de jeunes religieux, ou d’autres partisans d’une pensée cartésienne ont pourtant et encore de beaux jours devant eux. Afin de rendre notre propos cohérent et de lui donner des traits plus concrets, il nous semblera utile de nous appuyer sur le texte Ngani, la cité des djinns229.

En effet le monde invisible est admis comme une réalité parallèle par la communauté. Les hommes vivent sur terre et les djinns se trouvent quelque part à nos côtés. Ils sont à la fois nos amis et souvent nos ennemis capables de punir et de nous faire du mal si nous les offensons. C’est à ce stade que la religion se détache de ces croyances car selon le Coran, les djinns existent bien mais ils n’ont aucun pouvoir sur l’homme, ni celui de les guérir et encore moins celui de les blesser. Cependant, compte tenu de l’aspect encore très vivace des croyances ancestrales, les comoriens continuent de s’expliquer les fléaux par des colères et des punitions divines, les maladies mentales par des possessions de djinns, les morts et les disparitions subites sont des enlèvements perpétrés par des esprits et ainsi de suite. Les djinns ont alors des noms selon leur force supposée, la puissance de leur prise de possession des corps, leur provenance tout aussi supposée. Il se peut que la communauté se rassure ainsi en justifiant de son mieux et avec ses moyens, l’inexplicable. Les raisonnements paradoxaux, liants mysticisme, surnaturel et rationalisme sont courants et l’on explique aisément un fait réel par une intervention irréelle. L’univers des enfants est l’un des plus riches en conclusions irrationnelles. Leur extrême fragilité et les maladies auxquels ils sont régulièrement exposés offrent, peut-être, un terrain privilégié aux intrusions surnaturelles dans les raisonnements liés à leur développement. Et il est vrai, on raconte tellement de choses à ces sujets dont entre autre qu’un djinn appelé « Djinn yaho wana » (le djinn des enfants) s’emparerait de chaque nourrisson ou enfant en bas âge laissé sans surveillance. Il est donc recommandé de ne jamais laisser un enfant seul dans une pièce car autrement, le djinn pourrait soit l’enlever soit prendre possession de son corps, provoquer chez lui des spasmes et des convulsions si violentes que l’enfant, s’il survivait, en resterait marqué à vie par un handicap, un retard moteur ou psychique. Cela ayant été vérifié plusieurs fois par de nombreuses personnes attestant de la véracité de cette croyance, nous avons nous même demandé de nous présenter des enfants

229 Cette nouvelle, publiée par la Maison d’édition Komédit, intitulée Ngani, la cité des djinns, est le premier texte d’un jeune étudiant Abdulhalim Mohamed Elamine Saïd. 187

anciennement victimes de ce djinn. Et contre toute attente, ce fut fait. Après description des symptômes et des scènes de possession, nous pensions qu’il s’agissait peut-être de crises épileptiques mais les Comores ne disposant pas des moyens médicaux pour le vérifier, beaucoup expliquaient cela par des djinns. Nous souhaitions analyser comment ces croyances pouvaient prendre forme dans un texte. La prédominance de ces croyances amenait une question sur le genre du récit aux Comores. Du roman à la nouvelle, les traditions, l’engagement politique et la décadence sont les principaux thèmes de cette littérature tandis que les faits quotidiens ou l’histoire apparaissent comme les principaux types de récit ou sous genres romanesques constitutifs de la fiction littéraire aux Comores. Dans ce contexte, quelle apparence peut revêtir un genre aussi tentant que le fantastique ? Comment le pacte de lecture qui annule les barrières réel/surnaturel en faisant coexister en chaque lecteur hésitation entre explication rationnelle et justification surnaturelle peut-il s’imposer à l’esprit d’un lecteur qui d’emblée, est convaincu de l’existence d’un monde parallèle ? L’angoisse tant nécessaire à l’atmosphère fantastique ainsi que le doute censé persisté à la fin de la lecture, lorsque, le livre fermé, nous ne pouvons affirmer qu’il y a eu intervention d’éléments surnaturels ou irréels, ou enchaînement de faits rationnels aux conséquences parfois improbables mais vérifiables tout de même. Cette angoisse ne peut prendre forme et la mise en place du cadre fantastique, par les interférences ou intrusions d’éléments étranges et inexplicables dans le cadre normalisé du réel, s’en trouve affectée pour ne pas dire annulée. Cette idée mériterait cependant plus d’attention pour être nuancée dans d’autres études.

Quoiqu’il en soit, un ouvrage comme la nouvelle Ngani, la Cité des djinns230 pouvait présenter une originalité de part sa fonction narratrice et le genre particulier auquel il pouvait appartenir. Il nous a été très difficile de trouver dans un corpus aussi minimal qu’est la littérature comorienne, un texte pouvant être étiqueté comme fantastique tout en nous permettant une étude à la fois narratologique et quelque peu dotée d’un inconscient poétique. Aussi, nous nous sommes machinalement et plus simplement orientés vers des textes dont la brièveté nous permettait un regard plutôt exhaustif sur leur contenu global. Par conséquent, nous avons porté notre choix sur l’une des quelques nouvelles que compte la littérature Comorienne.

230 Abdulhalim Mohamed Elamine Saïd ,Ngani ou la cité des djinns, Komédit, 2004 188

Ngani, la cité des djinns est une nouvelle d’une quarantaine de pages, très simple à lire, au style léger et dont la narration se situe souvent à la limite du conte populaire et même parfois du conte pour enfant. A travers cette narration particulière, l’auteur nous raconte l’histoire de Houza et Simka, fortement épris l’un de l’autre mais dont l’histoire est menacée par un esprit qui vit en Houza. L’univers dans lequel évolue le couple n’est pas propice à leur amour car, pour la protéger, le djinn de la grand-mère de Houza est venu l’habiter. Et dans ce village où les djinns décident de tout sur tout, Houza est contrainte par le sien d’aliéner ses sentiments pour Simka. Nous tenterons de procéder à une analyse narratologique du texte en essayant toutefois de faire quelques hypothèses sur l’inconscient poétique de l’auteur. Celui-ci plonge son lecteur dans un univers mystique, magique où tout est animé. Le texte écrit dans un premier temps au présent, crée une relation de proximité entre le narrateur et nous, lecteur. Il s’ouvre sur la présentation du village de Ngani, lieu où va évoluer l’action. Dès les premières phrases, le narrateur introduit des modalisateurs. La première phrase situe le contexte de la nouvelle « Ngani est un petit village situé au centre de l’île Qamar ». Il s’agit donc d’un petit village éloigné de tout, dans une île au milieu de nulle part. L’insularité recrée l’isolement propice aux mystères et au surnaturel, univers dans lequel nous introduit le texte, dès ce premier paragraphe. Nous entrons dans un monde où les éléments ressentent les choses, où la nature est personnifiée. La seconde phrase donne le ton de la nouvelle, quelque chose de léger et de frais faisant prédominer l’impression d’oralité qui se lit à travers la simplicité du vocabulaire et surtout la légèreté de la syntaxe.« Il abrite à peine une centaine de maisons et il a eu la malchance de recevoir la dernière éruption volcanique de Qamar ». Le narrateur va ensuite employer des termes privilégiés aux histoires faites aux enfants, à l’oral « Il a eu malchance », « une folle crainte », écrit-il pour parler du village de Ngani. La mer effraie car c’est une dévoreuse d’hommes, elle abrite « de gros requins prêts à se régaler » et les roches volcaniques sont capables de « méchanceté » à l’égard de ce « petit village ». Ainsi, après avoir planté son décor, le narrateur commence le récit des amours de Simka et Houza. L’histoire est des plus commune ; deux jeunes gens se rencontrent s’apprécient et s’aiment. Mais très vite, le lecteur est renseigné sur l’obstacle à leur amour par la phrase « Il te faudra choisir entre moi et ton djinn ». Tel est le dilemme auquel se trouve confrontée Houza, énoncé comme la justification du récit. Le lecteur sait dès ce moment que l’histoire va s’axer autour de ce choix : va-t-elle ou non réussir à trancher.

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Simka doute profondément de la véracité et de l’existence des djinns, quant à la jeune fille, elle ne sait pas. Le lecteur est amené à se demander s’il ne s’agit pas d’une invention des parents de la jeune fille qui seraient alors les véritables opposants de l’union. Pourtant, après une forte interdiction de la nény pour empêcher Houza de se rendre chez son amant, le couple se trouve face à un phénomène étrange. Houza a désobéit et les voici au milieu d’une bourrasque levée d’un coup, dans la chambre de Simka avec une voix qui lui ordonne de s’éloigner de la jeune fille « Laisse la tranquille ! » s’écrie la voix, sans que sa provenance ne soit expliquée. Le lecteur comme le jeune homme reste incrédule « Simka debout au milieu de ce salon dévasté par le vent qui n’avait soufflé nulle part ailleurs ». Ainsi, les djinns existeraient ? Le narrateur ne donne pas plus de détails et les personnages ne se posent pas plus de questions. Cependant, Houza restera enfermée chez elle, trop effrayée par la colère de sa nény. Il faudra alors le courage de Simka qui, malgré les menaces et la colère des villageois, la tristesse de sa mère, demeure fidèle à son amour. Abandonné de tous, il ira se réfugier chez un ami. Celui-ci sera l’adjuvant tant attendu car, il portera à Houza, la lettre d’adieu écrite par Simka. Par le biais de cette lettre, la jeune fille apprend le départ de son amant ce qui agit en elle en électrochoc. Elle part le retrouver. Ainsi, tout fini bien. La dernière image est celle du triomphe de l’amour sur les croyances, les coutumes et les traditions, incarnée par le jeune couple qui « se tinrent les mains et sortirent de la case sous les regards impuissants des djinns »231 Cette fin qui sonne comme un cliché du « tout est bien qui finit bien » et encore plus « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » encre le récit dans l’univers du conte.

Mais un conte où l’appréciation du narrateur nuance le récit. Un conte qui plonge le lecteur dans un monde habité par des esprits malins, et lui raconte agréablement le triomphe de l’amour sur les croyances obscures tout en l’emmenant à douter de ces phénomènes. L’histoire se profile rapidement et les interventions du narrateur se font assez fréquentes. Il énonce ou laisse entendre son point de vue sur le thème qu’il aborde, l’amour et le surnaturel. L’auteur semble alors autant s’intéresser à l’idée d’éveiller les consciences qu’à celle de plaire. En effet, en même temps que se profile la trame de la nouvelle, le narrateur profite de son récit pour nous décrire le pays dont il parle. Il nous peint certaines des mœurs, des coutumes et le mode de vie des habitants des îles. Ngani se situe au centre de cette île appelée Qamar, qui est le nom originel des îles Comores. Ce que nous voyons page 37, où il nous

231 Idem, p.47 190

explique le regard que la société pose sur la virginité de la femme, et plus particulièrement celle d’une jeune fille, l’aînée d’une famille : « En effet, la virginité reste encore à Ngani une des conditions du grand mariage (…) La virginité, en fait représente une grande fierté pour l’homme. » Ainsi le récit s’arrête parfois pour offrir au lecteur une sorte d’aparté explicative sur la situation narrée. Comme pour lui permettre une meilleure approche ou une meilleure compréhension de son texte, le narrateur n’hésite pas à décrire les habitudes et les croyances des nganois. Nous avons alors, une sorte de narration argumentative qui entrecoupe le récit comme à la page 12, où partant de la beauté non décrite mais énoncée de la jeune fille, il nous dépeint la mentalité des parents de la jeune fille qu’il introduit par l’adverbe en effet. « En effet, ses parents sont très conservateurs. C’est pour cela d’ailleurs qu’ils s’opposent à la relation de Houza et Simka », ou encore plus loin232 où il suspend son récit pour nous raconter en guise d’exemple, des faits divers survenus dans le village et liés à la présence des djinns « Par ailleurs, une jeune femme mariée depuis trois ans ne pouvait enfanter (…) parce que les djinns de sa mère ne le voulaient pas. », « Une autre jeune femme mit au monde un beau garçon. Le jour suivant l’enfant disparut pendant que sa mère préparait son biberon (…) ses djinns l’avaient prévenu que si elle enfantait, ils s’empareraient de l’enfant ». Ces ruptures dans la narration laissent percevoir son opinion sur les croyances des villageois. Selon lui, ces croyances sont « une croyance du mal » et qui « les égarait de Dieu ». Parfois ironique « Peut-être que les djinns à Ngani ne sont pas aussi puissants qu’on le dit. »233, il émet des réserves, « Le plus étonnant est que cette femme possédait son djinn depuis longtemps » et laisse entrevoir la contradiction dans laquelle évoluent les villageois par des appréciations comme « ils ne se rendaient pas compte ». Il énonce ainsi une forme de paradoxe existentiel imprégnant le quotidien des nganois et par extension des comoriens en général. Outre l’écriture imprégnée d’oralité, le respect du schéma narratif traditionnel et les interventions du narrateur visant à enseigner, nous pouvons essayer d’émettre quelques hypothèses sur l’inconscient littéraire du texte. Nous verrons ainsi que le rapport mis en avant ici est quelque peu charnel. Il y a opposition entre deux hommes, l’un réel Simka, et l’autre omniprésent mais dans un autre monde, le djinn. Cependant, le second s’oppose catégoriquement et de plus en plus violemment au fil du texte, au moindre contact entre les jeunes amants. En effet, dans les premiers temps, le djinn se fâche lorsque Houza sort le soir et il faut pour le calmer, « implorer son pardon » et revenant d’un rendez-vous nocturne avec

232 Id, p.32 à 34 233 Id, p.33 191

Simka, elle sait « qu’elle devrait se livrer à l’exercice du pardon ». Plus tard, p.26, c’est la relation au jeune homme qui provoque sa colère « Tu sais bien que ce garçon ne t’est pas favorable »234 lui expliquera sa mère. L’interdiction du djinn se précise « Tu n’as pas le droit de fréquenter les garçons.» Il y aurait une forme de désir d’exclusivité de la part du djinn. Comme nous le voyons dès les premières pages, le djinn est appelé l’« homme » de Houza, ce qui expliquerait son refus de la laisser « sortir avec un garçon ». Parallèlement, il est aussi qualifié de « nény » qui est traduit comme « grand-mère en malgache. » Un flou est jeté sur l’identité sexuelle du djinn, mi homme, mi femme, un être androgyne qui veut posséder l’âme, l’esprit et le corps de la jeune fille, ce qui se dessine au fil du texte. Transparaît alors l’idée de possession et ce malgré cette absence de réelle identité sexuelle du djinn. En effet, il est à la fois l’homme qui «en elle », « se lève » et la fait presque s’évanouir, et cette nény qui « a préféré demeurer en Houza pour la protéger ». Mais cette protection se veut totale et sans conditions puisque le djinn menace de lui amputer les jambes si elle lui désobéit encore, c'est- à-dire si elle sort retrouver Simka. Menace qu’il semble avoir mis à exécution car sans la moindre explication et de la façon la plus anodine qui soit, le lecteur apprend que Houza se retrouve la jambe enflée, « Houza, malgré sa jambe enflée, se leva et cria ». Ainsi par les menaces, la nény va s’aider de la crédulité des parents, notamment de la mère de la jeune fille pour séparer le couple et s’accaparer le corps de la jeune fille. Cette appropriation du corps par la nény pourrait se lire comme un éternel désir de jeunesse chez l’esprit, mais l’aspect charnel que revêt le rite « d’installation en (la jeune) fille » pourrait aussi s’interpréter comme une forme d’accouplement et en ce sens, traduire un penchant homosexuel du djinn de part son androgynie.

Au-delà du schéma textuel amoureux, où l’histoire ne vaut d’être écrite que si elle est menacée, on peut souligner l’originalité du texte qui tend à s’écrire non seulement comme un récit mais aussi et bien plus comme un conte. Le mélange des deux genres laisse au lecteur l’impression d’avoir lu une légende si connue et si commune qu’elle traverse toute forme d’oralité. Ce qui renvoie à l’origine du peuplement des îles Comores, selon la mémoire commune. Celle-ci raconte qu’avant toutes traces humaines, les premiers habitants des îles de la Lune étaient des djinns qui donnèrent même naissance à des sultanes, mi femme mi djinn.

234 Id, l’ensemble des citations de cette page sont extraites de la nouvelle, p.29, « grand-mère en malgache »p.19, «en elle »p.12, qu’elle devrait se livrer à l’exercice du pardon »p.18 192

Soulignons cependant que cette nouvelle ne parvient pas à atteindre la dimension fantastique suggérée par le titre. Ce qui pourrait alors apparaître, pour un esprit non averti, comme de la pure fiction dans le sens où on évoque naturellement des esprits, est tout simplement une réalité. Le postulat de départ étant l’idée que l’histoire se déroule en un lieu où les esprits et les hommes cohabitent ensemble, la réalité prend le pas sur la fiction.

IV.1.3 La société comorienne, un individu pluriel

a) Une éducation du collectif comme source d’équilibre social

La société comorienne est une société comme beaucoup d’autres qui se refusent à admettre certaines évidences. Comme tout étranger vivant en France, les comoriens ont leur maison au pays. Ils tentent de perpétuer leurs traditions en France, auprès de leurs enfants. Les jeunes générations se trouvent confrontés à ces problèmes d’avoir le cul posé sur deux chaises. C’est cette sensation où plutôt ce malaise qui transparaît dans les romans. On ressent à chaque fois et ce peu importe l’auteur, l’étouffement, le poids des traditions, le poids des coutumes, la famille. Ainsi s’établissent les priorités : la société impose le mode de conduite, décide de ce que tu dois faire pour devenir un homme et décide de reconnaître si tu en es un ou pas. « Comme le comorien est d’abord un être communautaire avant d’être individu, il est exposé au regard de toute la ville ou de tout le village. Chacun a un droit de regard de surveillance ou de critique sur lui. Cet intellectuel repenti, pour se donner bonne conscience parle de défense de la culture et d’authenticité. »235

Plus que d’imposer à ses hommes de se conformer à elle, la société comorienne oriente toute l’attention de chaque individu à ne pas s’éloigner du clan. La notion de nation, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, n’est pas encore entée dans les mœurs. C’est une notion qui n’a pris forme que sous Ali Soilihi, mort d’avoir trop insisté pour faire avancer le pays différemment. Les idées nouvelles qu’il prônait et qui choquaient les mentalités souveraines du pays allaient pourtant dans la création d’un état nation, une communauté entière se retrouvant sous les mêmes couleurs, sous le même drapeau. Les notions encrées

235 Toihiri Mohamed, Le Kafir du Karthala, Paris, l'Harmattan, 1992, p.39 193

dans les mentalités comoriennes sont celles de l’honneur, l’honneur de la famille et l’honneur, du sang. Et pour cet honneur, la société, plus intimement la famille éduque ses enfants de sorte à ce qu’ils n’oublient à quel point l’honneur fait la famille et que la famille fait l’homme. Si la réputation de la famille est ternie, celle de l’homme le sera aussi. L’individu est décrédibilisé, il n’osera pendant quelques temps se tenir devant ses congénères tant il se sentirait humilié. Ce qui explique pourquoi la pression est souvent bien plus grande pour les filles que pour les garçons. Même si pour les garçons la difficulté est grande, un jeune comorien pourra plus aisément vivre sa vie de jeune homme le plus librement du monde jusqu’à l’âge du mariage tandis qu’une jeune fille sera plus souvent surveillée et retenue à la maison. Dans Le bal des mercenaires236, Miloud est le seul à pouvoir empêcher son mariage avec sa sœur adoptive, celle-ci compte sur lui afin que leur père accepte l’homme qu’elle a à lui présenter. S’il s’agissait de refuser elle-même, elle ne le pourrait pas car soin avis ne compte pas. Elle est consciente des lois, des règles que la société a imposées et qu’elle se doit de respecter. Mais ses sentiments sont forts et elle espère pouvoir se défaire de cette charge sur son promis, Miloud que son sexe autorise à défier quelque peu le père. Au-delà de cette famille, il y a encore le poids du village et pour les villes, s’ajoutent celui des quartiers. Le pays étant morcelé entre ces différentes structures, l’individu ne peut se réaliser autrement qu’en étant en accord avec ce que la société c'est-à-dire la famille, le village par extension propose. Ainsi, on verra souvent les mariages entre cousins, de même quartier, de même village. Une jeune fille du village de ne pourra pas se marier avec un homme de Samba M’bodoni, il lui faut accepter celui que les parents et souvent le père a choisi pour elle. Il en est de même pour le garçon. Il faut tout de même noter que les jeunes commencent à moins prêter attention à cette coutume mais ils n’en sont qu’au début et elle est si répandue que s’en défaire est une gageure. Nous en sommes encore aux mariages arrangés et parfois forcés, phénomènes que dénonce le Sang de l’obéissance. Elle est dans la fleur de l’âge (17 ans à peine), elle est jolie et doit épouser cet homme, un ami de son père « il a grandi avec ton père ». Fatma écoute la voix, cette voix qui lui parle et la conseille « c’est ton chemin. Il est tracé par tes parents. »

236 Aboubacar Ben Said Salim, Le bal des mercenaires, Moroni, Komédit, 2002 194

b) Autopsie des règles sociétales aux Comores : des références bien marquées

L’oncle maternel, une pièce maîtresse dans l’échiquier familial Comme dans tout pays africain, la structure familiale d’un individu est très élargie aux Comores. Comme nous le signalions plus haut, ce groupe se limite essentiellement à la famille du côté maternel. Dans ce groupe, plusieurs personnes disposent de l’autorité mais une seule personne est réellement habilitée à l’exercer. L’oncle maternel. Dans le roman Sous l’orage de Seydou Badian Kouyaté, le personnage principal, Kany, est contrainte au mariage par son père. Sans avoir été consultée, la jeune fille bravera la décision paternelle quitte à subir la colère de ce dernier. La jeune fille se braque et refuse catégoriquement d’obéir à cet ordre, laissant la mère Téné dans une angoisse de plus en plus grandissante, prise entre deux feux, l’obéissance à son époux, et la douleur de sa fille. Ce qui nous importe ici c’est le cheminement mis en place par le père qui décide, en avise les frères et les oncles de la jeune fille puis pour finir la mère. C’est à elle que reviendra la charge d’annoncer la décision à Kany. Ici, la décision du père Benfa est irrévocable et personne n’y peut rien. La figure paternelle s’affiche alors dans toute sa splendeur. Il est le seul à pouvoir faire acte d’autorité et, sa décision étant prise, personne ne peut y contrevenir. Il faudra l’intervention de l’oncle de l’héroïne, frère aîné de père Benfa qui, en soutien à sa nièce parvient à raisonner son cadet. Le père se résoudra à suivre les conseils de son aîné car dans ce système traditionnel ; on se doit de respecter les plus vieux. Si l’oncle de Kany a pu s’exprimer contre l’avis du père de la jeune fille, ce n’est pas en tant que parent de Kany mais en tant que frère aîné de son père. Et celui-ci a tenu compte non pas du désaccord de l’oncle de Kany, mais du conseil de son frère aîné. Rien de tel aux Comores. Aux Comores, bien qu’appartenant aux parents directs, l’autorité est exercée en concertation entre le père et l’oncle maternel, parfois même, elle est concédée à l’oncle maternel qui aura en charge les grandes décisions concernant les enfants de ses sœurs. Cette passation de pouvoir est si réelle et si encrée dans la structure familiale comorienne que Mohamed Ali Saleh souligne la prise de distance de certaines coutumes par les comoriens de Zanzibar en ces termes : « L’oncle maternel, qui, à Ngazidja, joue un rôle prépondérant et constitue une référence majeure pour tout enfant, fut graduellement relégué au deuxième plan en faveur du père. 237» Il ajoute en note, « Aux Comores, cette référence apparaît dans le langage courant lorsque pour connaître l’identité d’un enfant on lui demande « qui est ton

237 Mohamed Ali Saleh, L’enjeu des traditions à Zanzibar, in Autorité et pouvoir chez les swahili, Paris, Karthala-Ifra, 1998, p.228 195

oncle ? » alors qu’à Zanzibar, on lui demande « Qui est ton père ? »238 L’autorité représentée par l’oncle maternel est incarnée par les personnages de Mshangama239 et du père Mlimi240. Ce dernier est non seulement l’oncle mais il est aussi le « père adoptif » de Fatoumata. Ayant eu la charge de la jeune fille, il est doublement le seul à pouvoir prendre des décisions la concernant. A ce titre, il décide de la marier à son fils Miloude. Fatoumata consciente du respect dû à son oncle, se sait dans l’obligation d’obéir. Refuser son cousin serait offenser son oncle, agir en ingrate et passer aux yeux de tous pour une insolente. Dans ce contexte, plutôt que de se rebeller en vain et s’attirer les foudres de son oncle et protecteur à la fois comme elle l’explique elle même « si elle se mettait à dos le père Mlimi, son oncle, la vie à Mibani lui serait insupportable. »241, la jeune femme passe par Kolé, son amant, lui demande de parler à Miloude, son promis, et de le convaincre de refuser cette union. Sans le refus de Miloude, Fatoumata sage et réfléchie, se sait résolue à obéir : « Tu comprends Kolé, moi je ne peux pas refuser car depuis la mort de mon père, c’est mon oncle Mlimi qui s’occupe de moi, ce serait très mal vu de lui désobéir. »242 Donnera-t-elle comme explication à son amant. Et malgré l’agacement de celui-ci face à sa résignation, Fatoumata ne se démonte pas et poursuit plus loin « Nos vieux ne sont pas toujours des tyrans, et souvent ils pensent bien faire pour nous.» La relation liant Fatoumata à son oncle s’explique par plusieurs raisons qu’invoque la jeune fille. Pour contrecarrer ses projets, son seul recours est donc dans l’éventuel désaccord entre le père Mlimi et son fils. Dans Les frasques d’un notable, le personnage de Mshangama témoigne encore plus de ce transfert d’autorité. En tant qu’oncle maternel de Zaïna, ses prises de position sont déterminantes au sein de l’intrigue et du dénouement de la pièce. Le père de Zaïna, Mlazindru est vivant, et pourtant, c’est lui qui fait appel à Mshangama afin que celui-ci puisse légitimer et renforcer le refus du père et qu’’ensemble, ils puissent s’unir et faire capoter la demande de Mlazema, le jeune homme dont Zaina est éprise. Face à l’insistance de Marie shando, mère de Zaïna et sœur de Mshangama pour « Laisser Zaina choisir son époux », son frère lui rétorquera « S’il y a, ici bas, une personne qui peut lui choisir son mari, c’est seulement son père, et bien évidemment avec ma bénédiction. » Cette fin de réplique illustre bien le rôle que tient l’oncle maternel au sein de la structure familiale.

238 Id. 239 Les frasques d’un notable, op. cit., p.19 240 Aboubacar Said Salim, Le bal des mercenaires, Moroni, Komédit, 2002 241 Idem, p.44 242 Id,p.45 196

Du désir de limiter ces références Ali Soilih s’était érigé contre ces pratiques en prônant, dans sa politique révolutionnaire, l’égalité entre les hommes et les femmes, la réduction des écarts entre notables et les autres, l’accès à l’instruction pour tous. Selon lui, éduquer le peuple à partir de ces systèmes égalitaires, c’était donner la chance à chacun de se défendre. Ce président n’aura été à la tête du gouvernement comorien que deux ans mais il avait compris cette chose essentielle qu’aujourd’hui nous tentons d’assimiler, et ce, tous les critiques et les opposants à son régime seront d’accord pour le dire, il savait à quel point la langue, la maîtrise de l’expression orale littéraire aux Comores était fondamental. En effet, il reste gravé dans la mémoire de ceux qui l’ont connu et vécu sous son régime que pour ce président, défendre la langue et les lettres, c’était, défendre la culture, le pays. Mais lui aussi est mort, critiqué, insulté. Aujourd’hui encore, certains érudits parlent de lui comme d’un voleur, un escroc. Le livre d’Elaniou, Ali Soilihi ou l’Indépendance dans la citerne est une critique acerbe et virulente, méchante, un procès sans aucune retenue d’un homme mort voilà 25 ans déjà, 25ans avant la parution de ce livre qui fait de lui un oppresseur, un vulgaire malfrat. Quand on lit ce roman, on ne peut s’empêcher d’être choqué quant au parti pris de l’auteur. Il n’y a dans ce livre que des accusations, justifiées ou pas mais dites avec tellement de colère et de hargne que l’on se demande vraiment comment un simple homme peut –il suscité autant d’avis si contraires et si violents. Beaucoup le regrettent, certains l’envient, d’autres l’exècrent, d’autres encore tentent de restaurer son gouvernement et ses idées. Quoi qu’il en soit, il s’avère que cet homme a profondément marqué son époque et bien plus, l’histoire des Comores. Et ce, parce qu’il a touché à la société. Il a tenu à la réorganiser entièrement en délimitant de nouvelles priorités que celle du anda na mila. Il souhaitait rétablir un ordre qui permettrait d’annuler le monopole détenu par les classes bourgeoises des îles autour de l’état. Il désirait placer une jeunesse à la tête du pays, les mapvinduzi et d’enlever le titre de notable tant prisé à tous ceux qui, selon lui, ne le méritaient pas. Mais dans tout cela, l’homme qu’il était ne s’est pas aperçu qu’il s’attaquait à toute une institution en place depuis des siècles déjà. La bourgeoisie comme garante de l’état comorien. La noblesse était menacée, personne ne tolérait une telle ingérence et encore moins les principaux concernés. Il demandait à tous de partir travailler, les jeunes de labourer avec les vieux, de construire le pays. Les femmes devaient aussi travailler, il leur interdisait le port du voile car selon lui, cela signifier qu’elles étaient enfermées et ne pouvaient travailler. Tout le monde devait avait sa chance de réussir. Et après s’en être pris à la religion en interdisant

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toutes les manifestations religieuses qu’il jugeait inutiles et dépensières, exagérées et synonymes de non avancées, il s’attaqua aux traditions. Selon lui, et c’est ce que décrivent si bien Mohamed Toihiri et Elaniou, les consultations auprès des walimus (docteurs savants, qui servent à la fois d’intermédiaires entre le monde des hommes et celui des djinns, ces hommes que l’on allait consulter en cas de maladie ou pour trouver un remède) étaient des actes d’inertie et de superstition qui n’avaient rien à voir avec la religion. Idem pour le voile des femmes, elles n’en avaient pas besoin et on avait besoin de tout le monde pour le travail collectif. Mais tout cela était jugé déplacé et inutile. La société commença à s’inquiéter, d’autres à s’énerver. Il finit assassiné et fut remplacé par un homme décrit comme le père de l’indépendance. Ahmed Abdallah qui s’est empressé de tout restaurer, tout remettre dans l’ordre à commencer par le anda et le voile des femmes.

IV.2 Coutumes et traditions

IV.2.1 Le Mila Nantsi en Grande Comore

a) Hiérarchies et strates générationnelles

Les structures sociales aux Comores reposent sur des groupements statutaires subordonnés à des étapes d’évolution sociale, symbolique ou hiérarchique, d’un individu au sein du système traditionnel. Cette organisation structurelle de la société sur l’ensemble de l’archipel trouve ses sources en Afrique et se traduit par l’implantation du système des classes d’âge. Comme le présente Iain Walker: « Sous sa forme classique, une classe d’âge regroupe tous les jeunes hommes du même âge dans une unité sociale. Ces hommes voyagent ensemble dans à travers le temps : d’abord enfants, ils deviennent adolescents, jeunes hommes (souvent guerriers), hommes mûrs (détenteurs du pouvoir politique) et, enfin, les aînés de la communauté. Chaque étape est franchie par tous les membres du groupe, ensemble, lors de cérémonies coutumières, telles que la circoncision, d’épreuves physiques ou mentales, ou encore de fêtes et de repas. »243

243 Walker Iain, Comores : Guide culturel, Moroni, Komédit, 2009, p.13 198

Mais comme pour la matrilinéarité, sa pratique n’est pas homogène et présente d’importantes variations voire, modifications selon qu’on soit à Anjouan, Mwali, Mayotte ou Ngazidja. En effet, il semble que Mwali soit l’île où le système tel qu’il est énoncé ci-dessus, se soit le mieux conservé. On le retrouve sous le nom de zikao (pluriel de shikao, désigne les différents groupe de classe d’âge). Chacun « regroupe une vingtaine ou une trentaine d’hommes tous nés dans un même village dans une période allant de trois à huit ans, selon la taille du village. De ce fait, on peut trouver entre cinq et douze zikao, comprenant chacun environ 25 hommes ; ce chiffre semble optimal pour un bon fonctionnement du système. » 244 Au contraire, sur l’île d’Anjouan, le système se poursuit sous une forme plus symbolique qu’organisationnelle. L’important est de pouvoir s’acquitter du shungu (repas offert par un membre à son shikao mais aussi, s’il en a les moyens, à l’ensemble des zikoa du village) au moins une fois dans sa vie. Il est alors de coutume de profiter des moments forts de leur vie pour convier leurs congénères à partager la joie, lors d’une naissance ou d’un mariage ou la tristesse lors d’un décès, autour du fameux shungu. En fonction des villages, l’aspect statutaire est plus ou moins important mais dans tous les cas, le shungu ne permet pas de passer d’un shikao à un autre car le groupe évolue ensemble dans le temps et selon Iain Walker, « Ce mouvement dans la hiérarchie s’effectue le plus souvent lorsque le premier shikao se trouve vide, c'est-à-dire, lorsque tous les membres sont décédés. »245 Pourtant, même dépouillée de la reconnaissance statutaire telle qu’elle est représentée à Ngazidja, le shungu conserve son aspect initiatique et bien plus, de dette sociale dans les villes ou villages où il n’a pas perdu de son importance. Ce sentiment de dette induit la notion de devoir envers ses pairs. C’est cette trame que l’on retrouve à une plus grande échelle à Ngazidja, car si ce qui fut longtemps un passage obligé pour tout homme à Anjouan ne l’est plus de la même manière aujourd’hui, à Ngazidja, il connaît un regain d’intérêt jamais démenti. Et pour cause, si le shungu réalisé principalement lors des mariages ne confère pas de prestige hiérarchique social notable aux membres d’un shikao, à Ngazidja, la capacité et les moyens mis en œuvre pour offrir un repas à ses congénères fait l’homme. Il lui permet d’avancer seul et sans conteste sur l’échiquier social traditionnel.

244 Id. 245 Walker Iain, op.cit., p.13-14 199

b) Hiérarchies et strates générationnelles à Ngazidja

En grande Comore, le système des classes d’âge est appelé hirimu. Même s’il tend à se modifier dans certaines villes comme à Moroni où il n’existe, par le fait des différentes lois de Au vu des différentes lectures et discussions menées sur le sujet, et à la lumière de notre vécu, on dénombre généralement, au sein d’un village, trois grands groupements principaux construits eux-mêmes par différents sous groupe hiérarchisés. Ces trois grands groupes ou groupes génériques sont par ordre de classe d’âge : les wanamdji (enfants du village), les guzi (strate générationnelle intermédiaire) et les wandrwadzima (les notables). Le groupe des wanamdji comprend : Les washondje (singulier mshondje). Ceux-ci représentent l’ensemble des jeunes garçons généralement de huit à quinze ans. Ce hirimu est chargé « de toutes les tâches subalternes du village246 » (balayage de la place publique, préparation des lieux cérémoniaux (installation et nettoyage des tables, des chaises etc…) S’ensuit le groupe des mzugua « âgés théoriquement de quinze à vingt cinq ans, ils se chargent entre autre de la fabrication des instruments de musique et de l’animation culturelle, aux grandes heures des réjouissances populaires. » 247 C’est à leur initiative que la possibilité d’évoluer au sein de la hiérarchie des wanamdji prendra effet, si toutefois leur désir d’intégrer la classe d’âge supérieure est accepté par le groupe au dessus d’eux, celui des wafomnamdji. Le hirimu des wafomnamdji occupe la plus haute place au sein du groupe des wanamdji. Ceux sont littéralement les rois des enfants du village. A ce titre, ils sont à l’origine des décisions importantes du hirimu générique. A ce titre toujours, aucune de leur décision ne peut être contestée par les groupes « inférieurs » qui leur doivent « soumission et obéissance. »248 Au dessus des wanamdji se trouve le groupe des maguzi. Celui-ci « comprend ceux qui sont prêts à se marier ou qui ont dépassé l’âge de mariage et sont socialement en retard.249 » La supériorité hiérarchique des maguzi sur le groupe générique les précédant est on ne peut plus relative. Ceux-ci n’ont pas de fonctions précises au sein de la société si ce n’est celle de se préparer pour accomplir les dernières étapes du anda, dont la cérémonie du undjadahoni (l’entrée dans la demeure). Ce statut intermédiaire n’apporte aucune dignité, au contraire, selon Moussa Saïd Ahmed, « il s’agit là d’un statut humiliant pour l’individu qui

246 Moussa Saïd Ahmed, Guerriers, princes et poètes dans la tradition orale, Paris, l’Harmattan, 2000, p.46 247 Id. 248 Moussa Saïd Ahmed, op. cit, p.46 249 WalkerA Iain, op. cit., p.20 200

met en permanence en cause son sheo. » Un guzi n’a donc de cesse d’espérer quitter sa classe d’âge même si parfois, le manque de moyens fait perdurer le malaise. Arrivé dans le groupe des guzi, l’avancée dans la hiérarchie sociale ne se fait plus par groupe mais individuellement. Le troisième grand hirimu est celui très prisé des wandradzima. Celui-ci focalise toute l’attention des individus et de leur famille car c’est vers lui que chaque grand comorien tend.

La classe d’âge des wandrwadzima, les notables ou « les hommes accomplis250 » se subdivise en deux groupes distincts mais complémentaires. Au niveau le plus bas se trouve le mna-koffia (petit chapeau), qui est le premier stade atteint par un guzi lorsque celui-ci s’est acquitté des différentes cérémonies liées au âda, dont celle du hwendadahoni. L’ensemble mna-koffia peut parfois regrouper d’autres strates générationnelles liées elles aussi aux prestations accomplies. Cependant, « Le mariage, en dépit de l’importance des dépenses dont il est l’objet, ne constitue pas une fin en soi. Certes il permet de à un individu d’acquérir son identité sociale de notable, mais si celui-ci désire monter en grade dans la hiérarchie des wandruwadzima et gagner en prestige et en autorité, il doit s’acquitter d’autres prestations coutumières coûteuses telles que le mariage de sa fille, de son fils, de sa nièce matrilatérale. »251

C’est ainsi que de simple mna koffia, il devient un mna koffia la handa (petit chapeau de première classe), puis un baladjumbe (père du palais) et ce jusqu’au groupe des wafomamdji, à proprement dit, les rois du village, qui sont l’ensemble des hommes qui, en plus de s’être mariés selon la coutume, ont non seulement marié leur fille aînée, mais ont en plus offert le mbe-ya mdji (bœuf du village) à leurs congénères. Dans le contexte du mfomamdj, la place de l’hinya (lignée matrilinéaire) au sein du village est loin d’être négligeable. Elle permet, en plus des qualités reconnues chez l’homme, de s’imposer et d’être respecté dans la hiérarchie en donnant de la plus value à l’individu. Iain Walker ajoute à ce sujet : « Si les dépenses et l’ostentation du mariage comptent pour beaucoup, elles ne suffisent pas. La place de sa famille (hinya) dans la hiérarchie du village est importante ainsi que les qualités de l’homme lui-même : est-il un bon orateur, est-il apprécié par le village, s’occupe-t-il des affaires villageoises ? De plus en plus, surtout en milieu urbain, ces critères sont oubliés dans

250 Le Guennec-Coppens Françoise., « Les hommes accomplis », Autorité et pouvoir chez les swahili, Paris, Karthala-ifra, Année, p.131 251 Id. 201

une bourgeoisisation du mariage à travers laquelle des fonctionnaires voient un chemin vers la politique. »252

c) Les charges relatives à tout grand comorien

La société comorienne est une société comme beaucoup en Afrique où l’individu a comme fonction première de se conformer à elle. Il n’y a comme au Japon, aucune identité accordée à l’être par excellence. Ce malaise de la découverte du moi ou plutôt de son expression dans une société où ce même moi n’a pas lieu de s’affirmer si ce n’est dans l’ensemble, c'est-à-dire de se taire, les auteurs comoriens le font ressentir dans leurs textes. Aux Comores, la situation est particulière dans le sens où il s’agit d’îles et en tant que telle, elles sont fermées sur elles, coupées du monde. N’étant rattachées à aucun continent, elles se doivent de palier à cet isolement. Les Comores ne sont même pas rattachées entre elles, elles sont éparpillées et divisées sur de nombreux plans, politiques, économiques, traditionnels. Cependant, le fond culturel reste le même ce qui permet aux comoriens de se reconnaître en tant que tels. Ce qui est particulier, c’est bien cette idée d’une société bien marquée, société qui prend le dessus sur l’existence de l’individu. L’homme comorien est un être qui se doit de répondre à d’immenses charges collectives. Cela permet la lutte contre une certaine forme de misère mais cela pose aussi le problème de la réalisation de soi, de ses idées, ses désirs. La société comorienne puise sa force dans l’attachement marqué des individus à se conformer à elle. C’est ce qui fonde sa puissance. Pour preuve, un comorien devient un homme non pas au moment où il aura atteint la puberté comme cela est écrit dans la religion musulmane, mais lorsque il a accompli l’une des traditions les plus controversées de ces trente dernières années, le anda na mila. En effet, après avoir accompli son anda, cette cérémonie aux dépenses multiples mais garante d’une certaine harmonie sociale, le comorien se voit recouvert des honneurs et du titre tant convoité de « mdru mzima », littéralement, « l’être unique ». Ce qui est paradoxal pour ne pas dire contradictoire, c’est que ce titre est donné à tous ceux qui ont fait leur grand mariage, car tous les comoriens tendent à le devenir. Seulement comment devenir l’être unique au moment où l’on rejoint de par la réalisation de cette fête un rang déjà occupé par tant d’autres avant soi ? Tous ces hommes sont des « wandru wadzima » qui le pluriel. Ces incessantes contradictions au cœur de la société

252 WalkerA Iain, op. cit., p.22

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comorienne sont à la base de son équilibre. En somme, aux Comores, on devient un être unique lorsqu’on a fait comme tout le monde. Comme nous le soulignons plus haut, ce système du anda est aujourd’hui très controversé. Notamment par bon nombre d’intellectuels qui s’insurgent contre sans que leurs idées n’aient le moindre écho parmi la population, exceptée chez les fondamentalistes religieux. Mais les deux entités étant farouchement opposées aux idées trop modernes pour les uns ou au contraire trop archaïques pour les autres, chacun défend ses idées dans son coin. Pour cela, les premiers utilisent la presse et l’univers littéraire dont malheureusement encore aujourd’hui, peu de comoriens ont accès, et les seconds les madrasas que les wanazioni désertent de plus en plus et de plus en plus tôt. Mais en même temps, peut-on, par caprice d’homme soi disant cultivé proposer le retrait d’un système si encré dans les traditions et garant de ces mêmes traditions ? Le Kafir du Khartala, autrement dit, l’homme des Comores, ou l’homme comorien rend compte de cette impossibilité d’exister en tant qu’homme à part entière dans la société comorienne sans avoir accompli le grand mariage. Idi, le personnage principal a réussi dans sa vie professionnelle comme personnelle ; il est médecin, a une femme et une petite fille qu’il aime. Le métier de docteur est l’un des métiers les plus nobles, les plus prestigieux des îles (comme un peu partout d’ailleurs), et malgré sa belle maison, le confort qu’il offre à sa famille, les relations qu’il a dans tous les domaines, il n’est vu que comme l’homme qui n’est pas accompli. Et à la mosquée, lieu saint par excellence car lieu de culte, Idi ne pourra choisir la place qu’il souhaite occupée car celles-ci sont déjà distribuées par le système hiérarchique coutumier. Celui qui n’est pas un mdru mzima ne pourra pas faire sa prière auprès de ses congénères, il ira au fond de la salle rejoindre les jeunes gens qui se moqueront de lui. Avec ce système si marqué du anda, en sachant qu’il s’agit d’une cérémonie de mariage, on se demande comment l’individu comorien pourrait s’exprimer dans son identité propre. Quand on sait qu’être un homme ou le devenir dépend de cette cérémonie, on comprend qu’en imposant des restrictions ou même l’abolissement du anda, Ali Soilihi ait provoqué les démons. Système traditionnel à partir duquel se développe la hiérarchisation de la société, il induit un rapport inclusif mais aussi utérin à l’espace. Tout comorien se reconnaît d’abord au sein de sa famille maternel, son quartier, son village et bien plus loin par sa région, l’ensemble lié d’abord à la mère. Ainsi, un individu dit « métisse » c'est-à-dire dont les deux parents sont issus de villages différents aura une place et une identité avant tout dans le

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village maternel. C’est généralement là où il vit et grandit sauf cas rares. Dans ce contexte, la place pour la notion de patrie est infime et ne s’éclaire que dans les mentalités de quelques intellectuels, conscients de la crise identitaire que traverse leur pays.

IV.2.2 Le anda na Mila

Les textes s’en imprègnent, les mots se soulèvent contre, les thèmes se focalisent sur et les auteurs ont beau tout faire, ils n’en décollent que difficilement. Autant il est conformément admis que la littérature est le reflet d’une vérité subjectivée, une réalité reproduite autre dans des sphères imaginaires, autant il est frappant de se heurter fréquemment, dans divers textes, au même thème. Si l’occident a vu, corrigé et revu le thème de l’amour, si celui-ci a fait pleuvoir de l’encre, aux Comores, l’amour est bien évidemment un thème qui se veut central dans un texte ; mais le mariage, le mariage ! Nous l’avons vu, expliqué et souligné plus haut, le mariage et notamment le anda est une référence bien plus que vivante dans la littérature comorienne, un thème encore plus que central, il est l’objet de toutes les contradictions, de toutes les réflexions, le socle au devant duquel un individu se définit comme libre ou non. Est- ce pensable que la liberté se résume à une démarche aussi contraignante ? Un acte aussi terre à terre. Etre libre, ou faire acte de liberté c’est se présenter en faveur ou contre le anda. En écrivant ces quelques lignes, nous sommes particulièrement stupéfaite de ne parvenir à rendre avec exactitude la relation d’interdépendance, de conflit existentiel liant l’homme, son univers et son être par le prisme du Anda. Comment un acte aussi « banal » que le mariage peut-il concentrer à ce point l’attention, la réflexion et la critique ? Le mariage en Grande Comore est une affaire d’état, une affaire de famille, une affaire de lignée, une affaire. Voilà pourquoi depuis le début de ce troisième chapitre, il nous a semblé incontournable de nous pencher sur cette cérémonie du anda, d’en extirper le sens et les mécanismes mis en jeu autour et au cœur de cette cérémonie. Car celle-ci ne capte pas seulement l’attention des auteurs, elle est au centre de tous les sujets de discussion entre femmes, entre hommes d’une même génération, de conflits intergénérationnels entre membres d’une même famille, des enjeux politiques d’une nation. Envisagez quelques instants toutes les énergies, toutes les synergies développées autour d’une simple cérémonie, cela est commun, mais entrevoir une seconde des instants de vie allongés en périodes (les étés aux Comores) dédiés uniquement à la célébration de cette même cérémonie ! Imaginez l’effervescence planant dans l’air, les

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tensions se décuplant, perceptibles et même visibles dans chaque quartier, dans chaque village, dans chaque région parce qu’on se prépare à célébrer le Anda de telle personne puis de telle autre. Pour mieux illustrer ce phénomène, un exemple tout à fait concret. Chaque été, de juin à Aout, près de 97% de grands comoriens en partance pour Ngazidja s’y rendent pour soit célébrer leur mariage253, soit celui de leur oncle, de leur tante, de leur frère ou sœur. Chaque passager interrogé sur le but de son voyage liait sa réponse à une célébration du anda. Trois jeunes filles venues des Comores rejoindre leur oncle ont déclaré avoir perdu leurs deux parents et leur petit frère dans le crash du 29 juin 2009. Ceux-ci comme tant d’autres se rendaient à Ngazidja pour accomplir leur anda. Pour le comprendre, nous devons d’abord le décrire. Car contrairement aux constitutions d’un état, érigé en code légiférant sur les droits et les devoirs d’un citoyen dans son propre environnement, que seuls des avocats, des juges, des députés, des sénateurs, brefs des lettrés connaissent pour les avoir ou proposées, ou étudiées ou votées, le anda na mila est mieux connu par ceux qui ne savent ni lire, ni écrire que l’inverse. Un chercheur devra étudier et se renseigner afin de comprendre ne serait-ce que l’organisation de la cérémonie du Mwanaenda dahoni, tandis que la communauté illettrée ou analphabète maîtrise parfaitement toutes les étapes, tous les tenants et aboutissants du mila nantsi. Il est commun d’admettre que les règles du anda, jamais contournées bien que réaménagées, soient la seule charia de Grande Comore qui ne soit écrite nulle part mais que tout le monde connaît et respecte. Nous précisons ici, Grande Comore car comme nous le verrons, les écrivains originaires des trois autres îles ne développent pas la même relation au Grand Mariage car celui-ci ne traduit pas la même signification qu’en Grande Comore.

a) Les étapes du Grand Mariage

D’où vient le âda et pourquoi cette cérémonie ? Parce que les comoriens, gens de la terre, vivent de la terre, de ce qu’elle produit. Construire une maison nécessite beaucoup de mains d’œuvre, de temps, d’énergie car le matériel pour la construction se trouvait dans des champs éloignés. Pour permettre de réunir toute ces forces d’énergies dans la construction des maisons, on en vient aux échanges. Le village se mobilise et le mariage sert de point de départ; Dans la

253 Nous avons interrogé 107 personnes le 5 juillet 2010 à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle dont 83 grands comoriens sur l’objet de leur départ aux Comores. Seuls 9 d’entre eux, principalement des jeunes de 22 à 32 ans partaient en vacances, les autres s’y rendaient pour célébrer leur anda ou celui d’un membre de leur famille. 205

première étape du anda: le mawaha (construction). Ceux qui partent chercher les matériaux sont les wanamdji (enfants du village ayant offert un repas aux autres jeunes de même classe d’âge), en somme, l’offrande de la chèvre permet d’intégrer le groupe communautaire qui participe à la construction du village; ensuite les mzugua ou guzi (singulier) (les chefs des wanamdji qui, pour devenir tel a servi (Et les wafomamdji ( les rois du village, les notables) construisent les maisons à l’aide du matériel apporté par les jeunes. En échange et en récompense de ces efforts, la famille de la mariée offre un repas aux jeunes gens. Seuls les wanamdji devenus guzi en s’acquittant de leurs dûs, seront habilités à proposer le mawaha en vue de parvenir au statut de mna koffia, la première étape chez les wafomwamdji. A partir du moment où le guzi veut devenir un mna koffia, il part en quête des moyens financiers lui permettant d’accomplir la suite du anda. On compte deux grandes étapes dans l’accomplissement du anda: le mawaha en premier lieu et le mwana henda dahoni en second. En effet, après avoir construit la maison, il y entre. Sont mises en jeu des valeurs fondamentales qui sont le partage et l’honneur. L’honneur parce que l’homme part en quête de gros moyens financiers pour le village, et pour la femme. Mais tout ce qui sera fait sera en vue de gagner en prestige, au sein de la communauté villageoise, mais au-delà, le statut de mdrumbaba, notable est considéré et reconnu partout: au village comme dans tout le pays. Ce statut sera défini par un code vestimentaire: le mharuma, longue écharpe de couleur verte, généralement, en cachemire, portée sur l’épaule au dessus d’un blaser accompagné du vêtement traditionnel, le kandu et le koffia (coiffe très artisanale représentative de l’habit comorien.) Pour devenir un mdrumbaba ou mdrumdzima, il faut, le jour du mwenda dahoni (entrée dans la demeure), envoyer des bijoux mais aussi de l’argent, une toilette occidentale complète à la mariée et une toilette plus traditionnelle pour la mère qui sera mise à l’honneur, en plus de l’argent aux parents. Tous ces dons seront donnés et reçus en public, au devant de tout le village. Ce qui explique que l’on voit de nombreuses femmes portant des plateaux garnis de présents après la cérémonie du mwenda dahoni. En échange, la famille de la mariée qui a au préalable distribué plusieurs sacs de riz à chaque famille ayant accompli elles-mêmes le anda dans le village, doit à son tour distribuer des revus souvent à la surenchère.

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Pourtant, compte tenu des nombreuses dépenses que cette célébration entraîne contraintes qui en découlent et des dettes que beaucoup contractent pour s’en acquitter, une question se pose : pourquoi le anda? Le Anda est le passage obligé permettant à un homme d’accéder au rang de notable. Sans l’accomplissement du ndola nku, un homme reste toujours un mnamdji (jeune homme) relégué au statut de jeune et ce même jusqu’à sa mort. Ainsi, lorsqu’un homme souhaite « faire partie des grands », qu’il prise une place auprès de ses congénères déjà notables, qu’il rêve à des fonctions de responsabilités en toute légitimité, ou qu’il espère un jour prendre la parole en public afin d’exposer ses idées, que celles-ci puissent être entendues et prises en compte, alors il n’a le choix que d’accomplir le rituel de passage, réaliser son Grand Mariage. Par cette réalisation, il devient un mdrumzima ce que Françoise Le Guennec-Coppens traduit par « l’homme accompli » 254

Anda : les différentes étapes Bien que facilement prononcé et même assez galvaudé, le terme de anda recoupe une multitude d’étapes auxquelles il est parfois très difficile à un esprit non averti d’accéder. Outre ces nombreuses étapes, le anda découle du système du mila na tsi dont il constitue la force principale. Moussa Said Ahmed255 nous dresse un éventail des différentes classes d’âge constitutives du principe coutumier. De son côté, Françoise le Guennec Coppens256 tente de traduire et d’expliciter les enjeux réels sous jacents à des actes cérémoniaux. Dans une autre approche, elle met en place, en collaboration avec Masseande Chami Allaoui, 257 une chronologie type du anda lui-même (du mwafaka au mbe ya huliha harusi) mettant ainsi en avant le cadre dans lequel prennent forme toutes les cérémonies. Il serait peut-être de bon ton de décrire précisément toutes ces étapes, énumérer les découpages inhérents aux différentes classes d’âge sur le model de ces travaux, mais nous préférons renvoyer à ces auteurs accordant notre attention sur un essai de présentation du système mila na tsi et les codes ou prestiges y affairant. Il s’agira en somme de proposer une somme succincte de ces trois ouvrages. D’après le relevé des différentes étapes du Grand Mariage établi par Masseande Chami Allaoui et Françoise Le Guennec-Coppens dans l’article Un Grand Mariage à Moroni

254 Le Guennec-Coppens Françoise., op. cit., p.133 255 Moussa Saïd Ahmed, op. cit., pp.45-51 256 Le Guennec-Coppens F., op. cit, pp.131-152 257 Le Guennec-Coppens Françoise, Chami Allaoui Masseande, Un grand mariage à Moroni, in revue Ya mkobe n°11, Moroni, Comores, Komedit, 2005, pp.55-77 207

en 1994, chronologie des cérémonies et des prestations de la revue Tarehi, on compte quatre moments clés servant d’ossature générale et générique au âda. Elle les énumère ainsi : « le Mwafaka (fiançailles), le madjiliss ya zindru (l’assemblée des objets), le zindru (les objets) et enfin le hwenda dahoni (l’entrée dans la maison) »258

Chacun de ces moments implique différentes prestations et contre-prestations souvent liées à des cérémonies bien spécifiques. Pour tous ces détails, nous renvoyons au relevé de l’article très précis cité ci-dessus. Très précis, cet article nous permet de voir en quoi la cérémonie paraît à la fois fastidieuse, contraignante et très onéreuse. Il nous éclaire aussi sur des faits aux abords anodins mais dont l’importance est pourtant mesurable. Chaque prestation est toujours suivie d’une contre prestation ponctuée par des dons et des contre-dons dans un cérémonial dont la trame resta longtemps inchangée. Aujourd’hui, un certain nombre de ces « sous-étapes » a été supprimé dans certains villages. Cette volonté de limiter les dépenses liées au âda a même entraîné une réforme à Moroni en 2001 tandis que dans d’autres villages, le désir d’en faire plus et de concurrencer a pris le dessus et les « sous cérémonies » requièrent encore plus d’argent qu’auparavant. Sachant qu’une bonne partie des moments de prestation et de contreprestation donne lieu à des repas que l’on accompagne généralement de chants et se closent sur d’importants dons financiers ou en nature, on comprend en quoi le Grand Mariage devient un vivier non seulement pour l’aspect économique mais aussi et c’est ce qui nous intéresse, pour la perpétuation et le renouveau littéraire et culturel de l’île. Le grand Mariage apparaît aussi comme élément de consolidation de la hiérarchie statutaire par l’organisation et le découpage de la société en classe d’âge, noyau d’une tradition symbole d’identité, afflux économique bien que de plus en plus controversé, prétexte à l’amélioration de l’habitat comorien, et fond d’archives littéraires et musicales. Tous ces éléments traduisent donc une nécessité de conserver cette cérémonie dans un espace peut-être moins ostentatoire. Pour notre travail, nous nous attarderons plus sur les grands moments formels de la célébration du ndola nkuu. Nous voyons que l’espace et le temps s’écoulant entre le mwafaka et le hwenda dahoni peut sembler interminable car il s’étale souvent sur près de douze ans moyenne. Le temps

258 Idem, p.55 208

peut-être évidemment plus court (ce qu’on constate aujourd’hui de plus en plus car les prétendants au grand mariage sont des jeunes entre vingt et trente ans dont les parents financent la cérémonie. Dans ce contexte, l’idée de « tuma pvadzima » (construire en commun, qui implique le cheminement d’un couple vivant ensemble et économisent en vue de l’accomplissement du âda et donc de leur réalisation mutuelle) s’estompe au profit d’une pratique vulgarisée et sans âme de la cérémonie. Mais le temps pouvait souvent être plus long, et il arrivait rarement certes, qu’un individu dont les moyens financiers étaient très limités meure sans l’avoir accompli. Dans de nombreuses familles grand comoriennes, l’idée des fiançailles n’existe pas en tant que telle. Il s’agit par contre d’un vrai mariage, le humbiza ha siri (mariage secret), c’est le mariage religieux célébré en petit comité (la famille et les intimes) par l’imam ou le fundi devant témoin, le représentant de la mariée, les témoins du marié. L’amalgame existant entre fiançailles et humbizo donnant même une légitimé plus grande aux fiançailles est contraire à la religion. Les fiançailles sont une promesse de mariage scellée entre deux familles. Elles ne donnent en réalité aucun droit légitimo-religieux à une vie de couple ‘les rapports intimes notamment sexuels sont interdits) tandis que le mariage religieux légalise devant Dieu l’union des deux êtres. Pourtant, de plus en plus, les parents considèrent, contre toute attente que les jeunes mariés ne peuvent entretenir aucune relation intime allant même jusqu’à envisager une grossesse survenue après le umbizo mais sans la célébration devant une assemblée importante comme mal venue et l’enfant né de cette grossesse comme un mnaharam (enfant du pêcher). Il est donc fortement conseillé et souvent imposé à une jeune mariée d’attendre de célébrer en grandes pompes son mariage devant la société avant tout rapport. Pour cela la pression sociale et surtout familiale exercée par la mère est très forte. Après les fiançailles et ou le humbiza ha siri, l’homme et sa famille ainsi que la femme et sa famille doivent chacun recueillir les sommes nécessaires à la suite des évènements. La pression sociale est alors très forte chez l’homme car en plus de la constitution du mtao (littéralement coussin, ensemble des parures en or et ou en argent offert par l’homme à son épouse. Le mtao représente à la fois le tableau sur lequel sont exposés les bijoux et les bijoux eux-mêmes), il doit rassembler différentes sommes qui seront attendues lors des différentes cérémonies se déroulant entre le mwafaka et le hwenda dahoni. De son côté, la famille de la femme, parents, oncle maternel ou frère, s’empresse d’achever la construction de la maison de leur fille en vue du hwenda dahoni. Et en effet, pour faire son entrée dans la demeure, il faut bien une maison.

209

Ce n’est que lorsque ces conditions sont remplies qu’on passe à la grande et ultime étape du mariage : le hwenda dahoni. Quand l’homme a rassemblé l’argent et l’or, quand la femme a terminé sa maison, alors la fête peut avoir lieu. La grande fête durera prêt de trois semaines à compter du premier jour des festivités en plein cœur du village. Ce jour est annoncé par l’étape d’ouverture appelée mbe za karamu (le père de la mariée offre à sa classe d’âge des bœufs dont le nombre varie. Les membres de son hirimu se partagent cette viande ainsi que l’argent qui y serait ajouté. Cela indique alors l’entrée prochaine du marié dans sa nouvelle demeure, c'est-à-dire la maison de sa femme). S’ensuivront alors d’autres étapes comme le djelewo (les familles distribuent à l’ensemble des notables du village les ingrédients qui serviront à la préparation des grands festins où le village et les environs seront conviés), d’autres fêtes comme le madjiliss ou le twarab, le djaliko et autres. Autant de moments d’échanges et de partages, de chants et de danses qui tiendront le village en éveil durant les trois semaines, chaque jour correspondant soit à un temps mort, soit à une cérémonie spécifique. Autant de moments privilégiés de gaieté et de joie que l’angoisse, le stress et la colère ne quitteront pourtant pas. Le mariage en Grande Comore est une affaire de société, on comprend pourquoi.

Transposition de la coutume en France Si en 1998, le anda était vu comme « Une institution fondamentale- mais une institution discriminante puisqu’elle ne concerne que les plus riches et ceux dont le réseau social est suffisamment important. »259 aujourd’hui la donne a bien changé. Car il demeure une institution fondamentale certes, mais le devoir de le réaliser ou plus exactement le sentiment du devoir s’est étendu à toute la communauté aussi bien riche que pauvre et même extrêmement pauvre et ce aussi bien celle des îles que celle des expatriés. Les différentes vagues d’émigration survenues ces 30 dernières années sont sans doute à l’origine de ce phénomène. En s’expatriant, les comoriens partent, comme tout ressortissant de pays pauvre, à la recherche d’une vie moins difficile. Et cela passe par le travail. Dans les différents pays d’accueil, il s’agissait soit de travailler, soit d’étudier afin dans chaque cas, de pouvoir rentrer au pays y vivre paisiblement ou occuper une fonction et vivre décemment. En cela, la démarche des expatriés comoriens ne diffère en rien de celle d’un émigrant sénégalais, cambodgien, marocain ou autre. Et comme la majorité d’entre eux, il fut très rare qu’un

259 Le Guennec-Coppens F., op-cit p.131p.132 210

comorien rentre aux Comores après avoir quitté les îles de longues années. Et toute tentative dans ce sens échoua, dans la plupart des cas. Depuis le début des années 80, les comoriens ont émigré en masse, principalement en France. Autrefois, les départs se limitaient aux zones alentours (Madagascar, la Réunion, la côte africaine, Zanzibar), leur niveau de vie, bien que meilleur à celui qu’ils avaient dans l’archipel, ne leur permettait cependant pas, sauf cas rares, de réunir les sommes faramineuses que requerrait la célébration du ndola nkuu. Ainsi, le système impliquant l’obligation de se conformer à la tradition aux seuls aînés d’une famille, se maintenait aisément. Mais à présent, la diaspora comorienne de France a instauré une forme de généralisation du devoir coutumier. Par les biens matériels et financiers que ses membres purent accumuler, au prix généralement d’importants sacrifices, elle se trouva en mesure de se proposer pour. Disposant de moyens plus conséquents, les comoriens de France construisent leur maison tout seul, peuvent prétendre entretenir la famille restée sur place et donc participer financièrement et façon significative aux éventuelles cérémonies coutumières. Tandis qu’auparavant on économisait durant presqu’une vie et effectuait petit à petit les différentes étapes liées à ces cérémonies, aujourd’hui, en l’espace deux, les sommes peuvent êtres réunies.

Phénomène bien plus nouveau, le principe du mariage à la comorienne s’est déplacé jusqu’en France où la diaspora comorienne est la plus forte. Mais le principe seul, artificiel et académique car le fond n’est quant à lui, nullement transposable. L’on célèbre des mariages de plus en plus onéreux en France, ceux-ci répondent exactement à la trame des mariages tels qu’ils sont orchestrés dans l’archipel, avec les variantes liées à chaque île, sans s’accompagner des différents privilèges liés à la cérémonie et qui justifient encore que celle-ci soit maintenue. En effet, ces dix dernières années ont vu se développer en France, une vague de célébration du mariage inspirée de la tradition issue notamment de Ngazidja. Sur trois jours, du vendredi soir au dimanche midi, les comoriens accomplissent d’abord le dîner (mlazo mwana), puis le ukumbi toute la journée du samedi puis en fin le maulida du dimanche afin d’apporter la bénédiction sur le couple. A ces cérémonies s’ajoutent les rituels de distribution des différentes sommes offertes aussi bien aux cuisinières, sabuni, aux convives (meza), aux dons et contre-dons (vayo la mbaba, vayo la mdzadze pour la femme, dorosso pour l’homme), et bien évidemment, le mtao (tableau sur lequel sont exposées les différentes parures d’or que le marié offre à la mariée). On procède aussi de plus en plus à l’étape du mwanenda dahoni.

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Ainsi, comme aux Comores, les étapes les plus fastueuses du grand mariage sont totalement respectées. Et au regard de l’engouement que ces cérémonies provoquent, il est à penser qu’il ne s’agit là que d’un début. Nous avons même pu relever une formule répétée de façon assez récurrente dans ces cas là «C’est pas fini, ça coummence !» (L’erreur est voulue, elle préserve la prononciation). Face à cette généralisation (au moins une cérémonie d’Ukumbi par semaine en région parisienne où à Marseille, là où la communauté est la plus importante), certains hommes dont le Cadi de la région d’Itsandra, Saïd Mohamed Saïd Athoumane, tente de faire entendre raison sur la futilité pour ne pas dire l’aspect vain de la chose. Selon lui, il est aberrant que les comoriens de France puissent continuer la pratique de ces cérémonies sur leur terre d’accueil sachant qu’elles sont totalement « déshabillées » des codes et des privilèges qu’elles impliquent et induisent. Toujours selon le Cadi : « Le comorien de France transpose un fait culturel, traditionnel et coutumier dans un espace qui lui est nullement approprié, générant ainsi d’importants gaspillages d’autant que, nullement reconnues dans les îles, ces cérémonies reproduites, ne procurent aucun prestige à leurs auteurs qui, pour gagner les galons liés au anda devront re-réaliser ces cérémonies au pays, et dans leurs villages respectifs. Alors à quoi bon ? » 260

b) Pouvoir de l’Honneur et passage initiatique « Celui qui ne réalise pas son grand mariage ne sera jamais quelqu’un dans cette contrée » tranche Mlazindru pour clore une discussion avec son fils. Les trois groupes génériques peuvent être lus comme la métaphore des grandes étapes du cycle de la vie. En somme, cette stratification mise en place par la tradition serait une classification hiérarchisée du cycle évolutif. Autrement dit, toujours dans le symbole métaphorique de la vie d’un individu, l’homme est tout simplement d’abord un enfant, mnamdji, qui avançant dans le temps devient avec l’âge, un adolescent, le guzi, puis un homme lorsqu’il a atteint l’âge adulte. Le statut de guzi comme celui d’adolescent est un état intermédiaire entre l’enfance et le monde adulte. Et l’un comme l’autre mettent les individus dans des situations de malaise social où l’on souhaite s’affirmer autonome et affirmer son individualité, mais où l’on ne nous reconnaît pas apte, la société comme les parents, à prendre et assumer des décisions sérieuses. L’un comme l’autre sont à l’origine d’une fierté réelle et de frustrations encore plus réelles. Sans entrer dans de la sociologie de groupe, il est commun

260 Saïd Mohamed Saïd Athoumane, actuel Cadi de la région d’Itsandra à Ngazidja, lors d’un entretien sur la validité, aux Comores, des cérémonies coutumières accomplies en France, Avril 2010 212

de dire que l’adolescence chez un individu est souvent la période la plus difficile de sa vie. Et souvent l’on a grande hâte de devenir adulte. Voilà pourquoi la classe d’âge des guzi ne confère généralement que peu de satisfaction personnelle à l’être. Par ce déplacement ou cette transposition du fait évolutif dans le système des classes d’âge, il devient alors tout à fait naturel d’en conclure au rôle initiatique que revêtent les différentes étapes liées au passage d’une classe à une autre. Nul ne peut devenir un homme sans avoir été intronisé comme tel par la communauté qui lui reconnaît le mérite du droit à la parole. Le grand comorien avance dans le temps avec l’idée permanente de devenir un homme et d’être reconnu comme tel. Pour cela, son âge mais plus vrai, l’accomplissement des diverses obligations rituelles liées à son statut (généralement les repas offerts à ses pairs)

c) Le gungu, une épée de Damoclès sur les habitants des Lunes

Le système du Mila Na’tsi est garanti par une organisation forte de la notabilité dans les structures villageoises. Les places qu’occupent chaque membre de la communauté sont connues et respectées de tous. Même si l’on peut observer une tendance inverse, notamment chez les jeunes populations, celle-ci reste légère. En effet, quand bien même un individu déciderait de défier les règles en prenant la parole en publique sans y être invité par les notables, ou s’octroyer une place qui ne lui est pas reconnue, celui-ci sera repris et sanctionné. Il ne pourra refuser de se plier et d’exécuter la sanction car une pression sera faite sur sa famille qui, à son tour, la reproduira sur le « Mtsovu’adabu » (l’irrespectueux), qui tâchera, par l’intermédiaire des notables de sa familles, de réparer la faute. La réparation est souvent matérielle (paiement d’une amende, don d’une bête…) Mais si ce système peut fonctionner, c’est grâce à la mise en place de différentes sanctions, hiérarchisées aussi, allant d’une exclusion temporaire du groupe, « Do ulapvwa », à un bannissement qui peut devenir définitif et irrémédiable, « Le gungu ». Le Gungu s’apparente à un châtiment décidé en haut lieu, la notabilité, contre un individu qui se serait rendu coupable d’un crime avéré (vols répétitifs, abus de biens et de confiance, abus sexuels, manquements avérés aux obligations de la religion). Cependant, les autorités villageoises ne peuvent décider d’un Gungu que dans des cas jugés extrêmes. Encore une fois, nous devons préciser que cette sanction est perçue comme une peine grave particulièrement crainte de chaque villageois. Ayant présenté le comorien comme un être communautaire et tributaire de cette communauté, il est aisé d’en conclure que la pire sanction soit celle de l’exclusion.

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V/ LA LITTÉRATURE ÉCRITE OU LE PROLONGEMENT DE LA QUESTION INDIVIDU ET SOCIÉTÉ

V.1 L’intellectuel et la société : le conflit identitaire

Au vu des éclaircissements apportés précédemment, il nous sera plus aisé de comprendre comment ces éléments distinctifs interagissent dans le contexte littéraire, en quoi ces éléments créent-ils par leur impact réel, le champ d’exploitation premier des enjeux fictionnels littéraires et nivellent par leur récurrence, une constante obsessionnelle dans la trame romanesque. Dessinés en filigrane, si ce n’est affirmés en lien causal du dénouement de l’action finale, ils nécessitent des pré requis pour une meilleure compréhension du texte, poétique comme dramatique, de la réflexion essayiste comme de la fiction romanesque. La société, l’histoire et le système traditionnel comoriens constituent le champ d’exploitation et de lecture dans la fiction romanesque. S’éloigner de ces éléments, c’est y revenir tôt ou tard tant la tension est prenante dans le réel, constitutive d’une identité à laquelle se soustraire, équivaut semble-t-il à se nier. Et en effet, la somme de tous ces éléments composés par et composant la structure initiale du patrimoine identitaire renvoie inévitablement aux codes coutumiers préservés, protégés, défendus avec force conviction par l’élément famille. Cet élément famille lui-même étendu au sens le plus large est pourtant délimité par l’ascendance maternelle. C’est dire à quel point cette référence matrilinéaire instituée en relation endogame dans une structure uxorilocale féminise la représentativité de l’individu qui jamais ne s’accouche. Est-ce par là une relation intra-utérine qui subordonne l’homme dans la genèse même de son existence primitive ? Celle-ci en est du moins prolongée et affirmée comme marges, lieux et références.

Ainsi, comme dans toute société, l’individu dans la société comorienne est un élément essentiel de cette communauté. Mais apparemment plus qu’ailleurs, il est le symbole d’une abnégation destructurante de son individualité au profit du consensus collectif et pour le bien de cette cohérence collective. Même conscient du fait, il ne peut s’en extraire et s’affirmer comme tel. Un individu est constituant de sa société, peu importe ses aspirations, il se doit de se conformer à l’idéal fixe de la communauté. La structure sociale Comorienne répond aux critères schématiques des systèmes claniques élevés ici en système traditionnel. Le clan se 214

définit comme garant de l’équilibre individuel et de l’équilibre social. Il définit les règles à suivre et appuie ces règles par le fait coutumier. Proposer une rupture dans cette linéarité institutionnelle, traditionnelle, coutumière, c’est d’emblée, enfreindre la règle d’immuabilité de la tradition et donc de la culture. Alors, que reste-t-il des aspirations personnelles ?

V.1.1 L’élite et la notabilité

a) L’élite politique et la notabilité, le lien causal ou de subordination « Si le pouvoir de la notabilité apparaît fluctuant, quelques fois menacé ou ébranlé, il n’est cependant jamais absent des différentes séquences de l’histoire politique des Comores. Deux pouvoirs coexistent encore à la Grande Comore : un pouvoir de décisions consensuelles dévolu aux notables qui, bien qu’ils n’aient pas été investis démocratiquement, sont encore écoutés et entendus, et un pouvoir étatique, organisé sur des bases institutionnelles, formellement et, en principe, démocratiquement établies. »261 Ici, Françoise le Guennec-Coppens explicite un lien essentiel et parfois difficilement intelligible au non averti : le rapport de subordination/domination existant entre notables et fonctionnaires d’état. Nous avons remarqué, compris et entendu raconter la force d’intervention politique crée et représentée par les notables au sein d’un système où, normalement, ils n’ont aucun droit de cité. Longtemps, en effet, l’institution des notables comoriens fut perçue comme un élément clé et décisif dans le devenir individuel d’un prétendant à de hautes fonctions étatiques. Ce statut traduisait une prédominance du rôle des notables sur le devenir politique du pays et induisait une subordination du fonctionnaire vis-à-vis du notable. La volonté d’éradiquer ce système coutumier, prônée par Ali Soilihi atteste de la force d’appui dont jouissait le dit système. Retirer le pouvoir d’influences des notables par l’interdiction de célébrer le âda et donc mener à son extinction le système coutumier était l’une des prérogatives du régime d’Ali Soilihi. Il s’agissait de constituer une élite intellectuelle légitime non pas par l’idée de lignage et de notabilité mais par celle de mérite par la preuve de capacités et de compétences. Si l’on regarde le rôle joué par les notables durant la colonisation, nous parvenons aux mêmes conclusions et y voyons là un des éléments légitimant cette puissance comme l’explique Françoise Le Guennec-Coppens « En 1946 le droit de vote fut accordé aux Comoriens afin qu’ils puissent élire, par la voie du suffrage

261 Le Guennec-Coppens F., Les hommes accomplis, Autorité et pouvoir chez les swahili, Paris, Karthala-ifra, 1998, pp.136-137 215

universel, leurs représentants dans les différentes assemblées. Comme aucune organisation qui donne un sens au système électoral français ‘partis politiques, syndicats, etc.) n’existait, le nouveau pouvoir échut tout naturellement à la notabilité puisqu’elle était la seule à disposer d’une structure de concertation, d’une législation coutumière et de représentants éminemment connus. Lorsqu’il y avait des élections (législatives ou municipales), « les notables imposaient le nom de leur candidat accompagné d’une prière. Une fois le pacte scellé par cette prière, personne n’osait faire marche arrière ». C’est ainsi que, pour inaugurer la nouvelle tradition politique, la première présidence du conseil général échut à un fils du dernier sultan de la Grande Comore, le prince Said Hussein, grand notable lettré. » 262 Beaucoup plus tôt, dans l’histoire de Mwali, le pouvoir des notables se fait déjà jour sous le règne de Djumbe Fatima. Celle-ci avait une préceptrice française du nom de Mme Droit qui, à la solde de la France, avait en charge de faire de la jeune reine comorienne, une reine française et chrétienne afin de permettre à la France de conserver et d’accroître sa main mise sur l’île. Le peuple ainsi que ses représentants, les notables se montraient de plus en plus hostiles à la francisation flagrante (tenue à l’occidentale, le français comme langue d’expression) de leur souveraine. Les notables demandèrent ou plutôt exigèrent de départ de la préceptrice. Confrontés au refus catégorique de Djumbe Fatima, ils firent éclater une émeute. Par la suite, Mme Droit est congédiée et la reine redevient comorienne, reprend sa tenue traditionnelle ainsi que sa langue. Beaucoup plus tard après la colonisation, le pouvoir des notables s’affirme de plus en plus, « Avec autorité, ils continuèrent de diriger, de guider et d’être les porte-parole de la communauté. Comme dit avec nostalgie un grand notable de Mitsamihuli « on avait un points, on parlait à haute voix et tout le monde prenait en considération ce que nous disions. » 263, et c’est sous leur impulsion que Said Mohamed Cheikh sera le premier député comorien à l’assemblée nationale française. Toujours sous la colonisation, les notables se trouvent confrontés à des conflits d’intérêts et aux ambitions individuelles des prétendants aux fonctions étatiques. L’exemple du conflit qui opposa longtemps (près de dix ans) deux notables cultivés et lettrés, tous deux issus de grandes lignées, le prince Said Ibrahim et Said Mohamed Cheikh, l’illustre encore lorsque ces deux personnages briguaient le même poste de député. Parce qu’ils individus étaient nobles, notables et sharifs, ils méritaient tous deux l’appui des autres notables. Or malheureusement ; il n’y avait qu’un poste pour deux aspirants. De l’impossibilité à

262 Le Guennec- Coppens F., idem p.137 263 Id. 216

départager les deux candidats découla une scission au sein du groupe fort de la notabilité. Cette scission se répercuta sur la population et la grande Comore fut scindée en deux. Les partisans de Said Mohamed Cheikh d’un côté et ceux du prince de l’autre. Le soutien dont jouissaient les notables dans leurs propres villages leur assurait l’adhésion des populations villageoises. Les villageois jetaient ainsi leur dévolu sur l’un ou l’autre des deux hommes que leurs wandrwadzima avaient choisi de soutenir. Le conflit trouva donc écho au sein des villages où « Les mosquées elles-mêmes participèrent à la discorde en abritant chacune les fidèles d’une même tendance. Comme les partis, nés de cette dissension, se symbolisaient par des couleurs (le vert pour cheikh, le blanc pour le prince), il y eut des « mosquées blanches » et « des mosquées vertes » ; il en fut de même sur certaines places publiques (bangwe), lieux traditionnels de réunions et de débats, où les notables se divisèrent. » 264 Au bout de dix ans, les notables ayant initié le conflit le réglèrent semble-t-il encore plus vite qu’il n’était né. Ils imposèrent le devoir de réconciliation aux deux politiciens « sous peine de leur retirer leur soutien. » Tel que le laisse entendre le notable interrogé par Le Guennec-Coppens « C’est ainsi qu’en une nuit, la réconciliation entre les deux leaders politiques, inquiets de perdre l’appui des notables, fut définitivement scellée après dix années de déchirement. » Cependant, le système de la notabilité se trouva fortement ébranlé par ce conflit bien que sa persistance lui permît une régénérescence en continue. Encré dans la tradition, la coutume, il définit l’homme et l’homme s’identifie selon les principes que la tradition a établis. En ce sens, la survivance du âda paraît nécessaire car malgré toutes les atteintes qui lui ont été portées, toutes les critiques dont il fut et reste la cible, il constitue le ciment d’un ordre statutaire et hiérarchique indéniable et même à priori, inébranlable aux Comores. Le remettre en question semble équivaloir à la remise en question de l’ordre. Et toute société fonctionne à partir ou sur un model d’ordre accepté comme garant de l’équilibre communautaire. Si cet ordre n’est plus, alors l’équilibre est bouleversé et si l’équilibre est bouleversé sans solution alternative, alors la société se trouve face à l’anarchie. Ainsi, si le âda devait totalement être interdit, alors le système d’ordre entraînerait un déséquilibre social dont nul ne peut prédire les conséquences, surtout dans une société sans alternative comme palliatif au manque. Le régime d’Ali Soilih dont nous avons énoncé l’ambition plus haut en a fait l’amère expérience tandis que celui d’Ahmed Abdallah en a exploité toutes les cordes. Conscient de

264 Ibid 217

cette puissance accordée à des individus sur la base du respect de la tradition par le biais de l’accomplissement du âda, le premier tenta de le remettre fortement en cause, mais il refit surface avec plus d’impact et d’éclat sous le second. Celui-ci l’ayant compris, toute sa stratégie politique reposa sur le principe de l’identité comorienne telle qu’on la définissait à l’époque : « Abdallah, le clown, l’analphabète politique, le moins instruit des hommes politiques de l’après-indépendance, comme disaient les lettrés, avait naturellement compris que la conservation et la longévité du pouvoir politique [Il gouverna douze ans] reposaient sur les réalités comoriennes caractérisées par l’islam, le « grand mariage » et les traditions. »265

b) Briller dans les salons, se cacher au bangweni, Idi Wa mazamba

Le roman de Mohamed Toihir, le Kafir du Khartala est l’une des illustrations les plus parlantes du conflit identitaire entre l’élite intellectuelle et la notabilité. L’élite est avant tout coutumière. Ne reconnaissant l’aura d’un individu qu’au travers de son accomplissement coutumier, les notables instaurent une relation de subordination entre les différents groupes générationnels, font et défont les hommes d’état. Pour gouverner le pays, plus qu’un diplôme et des compétences, il faut à la fois justifier d’une ascendance familiale prestigieuse et surtout s’être acquitté de son devoir coutumier. Sans ces deux éléments, l’impossibilité d’être légitimé par le peuple domine. L’intellectuel n’est rien d’autre que la branche occidentale de manières et de modes de pensées précieux, quasi ornementaux. La réalité du terrain n’accorde aucune considération réelle à ces termes et aux hommes qui les illustrent. Un épisode de l’histoire des Comores a marqué les esprits tant la situation jugée grotesque par certains et banale pour d’autres a mis en relief ce rapport de subordination. Si ce rapport ne renvoie pas à une forme de subordination claire d’un statut sur un autre, il est du moins le résultat d’une infériorisation du savoir scientifique au profit de l’ascension coutumière. Tout est question d’ascension sociale. Or, là où dans la quasi totalité des pays, la réussite sociale passe par le métier ou la fonction qu’on occupe, la justification d’un certain niveau d’études ou les biens matériels qu’on affiche, aux Comores, cette réussite sociale passe par l’ascension coutumière complètement dominée la notion de shewo. Le personnage d’Idi Wa mazamba en est l’exemple. Médecin reconnu et respecté par ses pairs et dans son village, celui-ci est pourtant relégué aux derniers rangs de la hiérarchie sociale au sein de la structure coutumière. Il n’est,

265 Ibid, p.141 218

du point de vue du système traditionnel, rien, tout simplement. La place qu’il occupe à la mosquée traduit ce statut d’homme inaccompli qu’il incarne. On le voit dans le passage suivant : « Il se rendit à la mosquée (…) alla s’asseoir à sa place habituelle, entre un ingénieur en électronique et un pilote de ligne. Les premiers rangs leur étaient formellement interdits car n’ayant pas encore réalisé le anda, ils étaient toujours considérés comme des garnements. »266

La précision sur les fonctions des voisins de prière de Idi laissent entendre le désaccord de l’auteur vis à vis de cette coutume. Celle-ci est telle que des métiers aussi prestigieux, aussi évocateur de réussite professionnelle que pilote de ligne, médecin ou ingénieur électronique, dans un pays pauvre, de surcroît, ne confèrent pas plus de prestige qu’un pêcheur ou un cultivateur (métiers jugés trop souvent avec dédain) tant que ceux-ci n’auront pas accédé au statut de notable. Et au contraire, un pêcheur qui occupe une profession souvent considérée avec force mépris sera mieux vu et respecté si celui-ci a fait son anda, qu’un chirurgien qui d’ordinaire occupe une fonction prisée, si ce dernier n’a pas accompli son anda. Ce passage permet de constater encore une fois qu’aux Comores et principalement à la grande Comore, ce n’est pas la réussite professionnelle qui fait l’homme mais le respect des règles établies par la tradition et ses garants. Ainsi, la profession ne fait pas l’homme social mais la société intronise l’homme. De plus en plus d’intellectuels s’élèvent contre ces pratiques qu’ils résument avec dédain et cynisme par ces termes « Aux Comores, on ne devient un homme qu’en ayant fait manger du riz à ses congénères ». Fait malheureusement bien réel mais cette posture témoigne aussi d’une grande méconnaissance des enjeux positifs d’une telle pratique dans une société aussi paradoxale que la société comorienne au sens large. En effet, d’un point de vue extérieur, il peut sembler grotesque de reconnaître le mérite d’un homme par les moyens mis dans la réalisation d’une cérémonie. Pourtant, dépassée cette vision méprisante, il sera honnête d’admettre que cette cérémonie est le plus grand et le plus solide facteur de cohésion sociale et d’ordre dans un petit pays aux multiples bouleversements politiques. C’est cette même réalité qui pousse au final, bon nombres de ces mêmes intellectuels, fervents détracteurs du anda à s’y conformer tôt ou tard comme le souligne le narrateur « Souvent l’intellectuel comorien, cet homme, ancien rebelle de la pensée, tombait toujours dans l’imitation coutumière la plus servile. Plus de pensée libre ni de libre pensée.

266 Toihiri Mohamed, Le Kafir du Khartala, p.60 219

On le voyait souvent appuyer le conformisme le plus roide. Son moi social était surdéveloppé. Il ne pensait qu’à son shewo cet honneur social dans lequel il se drapait avec des airs de vierge effarouchée. Il redevenait le doux fils du clan et de la caste. »267

L’élite est avant tout coutumière Ce fait est le résultat d’une réalité à laquelle tout comorien désireux d’obtenir le droit à la parole aux Comores est confronté. Ce que confirme Iain Walker par : « Si les dépenses et l’ostentation du mariage comptent pour beaucoup, elles ne suffisent pas. La place de sa famille (hinya) dans la hiérarchie du village est importante, ainsi que les qualités de l’homme lui-même : est-il un bon orateur, est-il apprécié par le village, s’occupe-t-il bien des affaires villageoises ? De plus en plus, surtout en milieu urbain, ces critères sont oubliés dans une ‘’bourgeoisisation’’ du mariage, à travers laquelle des fonctionnaires voient un chemin vers le pouvoir politique. »268 Si ce désir de parole est l’objet réel d’un désir d’engagement politique, alors, il devra bon gré mal gré s’acquitter de ses devoirs de concitoyens. Prétendre à des tâches et des fonctions de leaders passe inévitablement par le soutien de la structure initiale familiale puis villageoise et ainsi de suite jusqu’à devenir nationale. Ce soutien s’acquiert avec le temps par et dans la réalisation des rites coutumiers, ni plus ni moins. Et en effet, ces rites coutumiers permettent de témoigner d’une adhésion aux règles établies et ce n’est qu’en ayant fait preuve de respect et de bonne volonté vis à vis de ces règles, que la société en échange, d’abord la famille puis le village et enfin de la région, rendra à son tour ce respect et offrira son adhésion aux différents projets personnels de l’individu. Car dans ce contexte d’acceptation de la réciprocité et des échanges, le comorien comprend très vite que la réussite de l’individu appartenant au clan symbolise la réussite du clan lui-même. Tout est question de retour d’ascenseur, dirons-nous.

En regardant les lieux publics, nous en arrivons aux mêmes conclusions. Le bangwéni (place publique) et la mosquée sont les lieux représentatifs de la société coutumière et à ce titre, la logique de distribution des places, dans une société aussi hiérarchisée, découle des lois coutumières. Ainsi, Idi ne sera jamais autorisé à prendre la parole sur la place publique, devant des notables car rien ne légitime cette posture. Dès les premières pages, le lecteur est mis face à un homme de sciences, cultivé et en constante interrogation sur le devenir de son pays. Le lieu de la rencontre entre Idi et Aubéri, une réception très « huppée » regroupant des

267 Toihiri Mohamed, Le Kafir du Khartala, p.80 268 Walker Iain, op. cit., p.23 220

magnats de la finance, des ministres, de hauts cadres, des ingénieurs, des enseignants etc… Présenté ainsi au lecteur, le docteur Wa Mazamba apparaît comme faisant partie de l’élite comorienne. De plus, son intervention au cours de la discussion entre différents enseignants où il cite Baudelaire fait de lui un personnage cultivé. Il est alors très simple pour le lecteur de comprendre la place de choix qu’occupe Idi dans la société. Et pourtant, sur la place publique du village, tout est différent. Le héros n’a pas de place dans la société coutumière et à ce titre, il ne peut s’exprimer face à des notables. Toujours dans le Kafir du Khartala, le narrateur énumère les différents statuts conférant un droit hiérarchique dans la mosquée : « La première rangée est toujours réservée aux Hatubs- prêcheurs du vendredi ; viennent en deuxième rang les walims et les twalibs- les savants en religion et les disciples, puis suivent les cheikhs, les hadjs - pèlerins de la Mecque et les wababas- ceux qui ont accompli le grand mariage -. Si vous avez l’heur de réunir les titres de hatub, de hadj, de cheikh et de mbaba, vous êtes à proprement parler la crème de la société. »269

Fait apparemment ordinaire, l’ancien président des Comores, Azali a dû à de nombreuses reprises, faire les frais de ce système lors de ces déplacements sur le territoire et principalement à Ngazidja. En effet, celui-ci, malgré son statut de président de la République, s’est vu très fréquemment refusé l’accès aux premiers rangs lors des réunions avec des notables et des personnages religieux. On lui reprochait de ne s’être pas encore acquitté du anda et s’il souhaitait un droit à la parole, alors il se devait au préalable de répondre aux normes. Il était relégué malgré lui, au rang de ce que Mohamed Toihir traduit par « Garnement ». Bien que cela paraisse si étrange pour des personnes de plus en plus en désaccord avec ces systèmes, il suffit de revenir à la base de la distribution des rôles sociaux pour comprendre le silence auquel est contraint Idi dans le village. Si l’on conçoit le anda comme étant le passage symbolique de l’âge d’enfant à celui d’adulte, on comprend alors tout aussi simplement que, n’ayant pas accompli son anda, et donc étant toujours un enfant « Mna mdji », sa parole n’aura pas la moindre valeur car nullement autorisée à être exprimée. Disons en simplifiant, depuis quand les enfants sont-ils à même de diriger les affaires sérieuses ou de voter pour ou contre la construction d’une citerne au village, la nomination de tel ou tel chef de village, d’avaliser ou non un bannissement etc…

269 Toihiri Mohamed, Le Kafir du Khartala, p.61 221

c) Lorsqu’un homme est noble, notable et fonctionnaire d’état

Pour illustrer notre propos, nous citerons l’exemple de l’un des anciens présidents des Comores, Saïd Mohamed Cheikh. Quelques jours après la parution de son ouvrage270 très attendu, Said Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d'un conservateur. Une histoire comorienne au XXe siècle, l’historien Mahmoud Ibrahim réunissait quelques uns de ses amis autour d’un verre pour la présentation de son livre. A travers la biographie du personnage politique que fut Saïd Mohamed Cheikh, l’ouvrage de Mahmoud Ibrahim qui traite de l’histoire politique des Comores sous la colonisation, consolide l’idée de l’histoire d’une nation perceptible par et à travers le personnage politique. Lors de cette conférence, l’auteur s’est prêté au jeu du questionnaire. De cette conférence s’est dégagée la question de l’acte d’écriture apparue comme fondamentale dans une société toujours très oralisée. Cet acte n’est donc sans commune mesure lorsqu’il s’agit d’un travail d’historien. Comme l’illustre la démarche de M. Ibrahim, ici, écrire n’est pas seulement la transcription littérale sur papier, d’une part de l’histoire des Comores, c’est aussi et avant tout, le début d’une réflexion amorcée comme nécessaire pour une société à deux visages et à deux vitesses : entre tradition et modernité, entre mythe et réalité. Ainsi, écrire l’Histoire, c’est consigner des faits historiques et les donner à voir dans une réalité non plus du subjectif mais bien celle des faits, prouvés et avérés. Pour cela, le travail du chercheur, travail de longue haleine sur le temps et dans l’espace nécessitait une approche objectiviste issue d’un regard scientifique sur l’objet même du sujet traité. Il a fallu près de six ans consulter les archives officielles à Fontainebleau, à Marseille, aux Comores (le CNDRS) ; et au delà, confronter ces sources à celles des témoins de cette époque, des proches de Saïd Mohamed Cheikh, afin d’en rendre le portrait le plus objectif possible. A ce niveau, l’ouvrage traduit les aspects les plus complexes du personnage même de Saïd Mohamed Cheikh, personnage politique aux multiples facettes, aux discours ambigus et dont les lignes laissent différentes marques suivant l’interlocuteur. Une vie en France, une autre aux Comores, une expérience politique en tant que député français ont fait de lui un homme décomplexé vis-à-vis de l’ancienne métropole.

270 Mahmoud Ibrahime, Said Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d'un conservateur. Une histoire comorienne au XXe siècle, Komédit 222

Selon Mohamed Soyir Kassim, chercheur en linguistique, l’originalité et l’avant- gardisme de la démarche de Mahmoud Ibrahime dépassent celle de l’histoire car elles s’impliquent dans une nouveauté d’approche qui heurte le consensus moral « On ne parle pas des morts en mal, aux Comores ». Ce consensus, issu de l’origine musulmane du pays s’appliquerait en particulier aux hommes d’état. Mais l’on pourrait se demander si l’aura strictement positivée et quasi mythifiée de cet homme publique et son impossible détérioration par la vulgate, ou la rumeur, n’est pas due au statut de notable auquel s’ajoute son ascendance religieuse. Car en réunissant ces trois atouts : noble, notable et Sharif, le feu président devenait un intouchable de son vivant, et revêt une sacralité dans la tombe. De là, les questions autour du regard porté par la famille du président au sujet de l’ouvrage ont retenu l’attention de l’assemblée. Sachant qu’auparavant, faisait acte de biographie du feu président, un panégyrique, écrit d’abord en comorien puis traduit en arabe sur les tons emphatique et élogieux, cristallisait en lui seul la stature la plus avantageuse de Saïd Mohamed Cheikh, comment un ouvrage qui tente de redéfinir sous un angle plus terre à terre des aspects longtemps mis de côté a-t-il été perçu ? D’où l’important sinon nécessaire travail scientifique dans l’étude des personnages publiques souvent élevés au rang de mythe positivé ou parfois diabolisé si l’on s’attarde sur le feu président révolutionnaire Ali Soilih. Une autre question renvoyait au titre de « politicien conservateur » donné par l’historien. Ce conservatisme est vu comme inhérent à l’époque mais aussi à l’origine idéologique de SMC. Appartenant à la confrérie Shadhuliyya, celui-ci n’avait aucun intérêt à prôner une modernité à laquelle sa condition d’homme d’état noble, notable et Sharif ne pouvait que laisser prévaloir une forme de désaveu. Saïd Mohamed Cheikh n’était pas l’homme de l’Indépendance. Contrairement à ce que beaucoup ont pu laisser entendre, il ne la demandait pas. Il était par contre l’un des hommes à l’origine du détachement de l’île de Mayotte. Par le profond mépris qu’il affichait pour cette île, il a participé et a précipité un sentiment de séparatisme latent dont les lois votées aujourd’hui sur cette île n’en sont que la résultante. Ainsi bon nombre de questions auxquelles sont confrontées les Comores de nos jours trouvent écho dans la lecture de cet ouvrage qui, en décrivant le personnage clé que fut Saïd Mohamed Cheikh sur la scène politique de ces années là, dresse aussi un état des lieux de cette époque charnière de notre histoire. Il illustre aussi à quel degré de prestige un homme

223

qui réunissait l’ensemble des galons ou des marques de distinction (shérif, fonctionnaire, noble et notable), était élevé, dans la société de son vivant, et dans les mémoires à sa mort. Entre un fonctionnaire et un notable… Nous voyons à partir de l’ouvrage cité ci-dessus à quel point le statut de notable est une valeur sûre pour tout prétendant au poste suprême car celui-ci lui octroie la crédibilité nécessaire au dialogue avec les chefs villageois, les chefs de cantons, de régions, etc… Les mariages aux Comores, sont toute une affaire ce qui explique la récurrence des thèmes liés dans de nombreux textes et notamment ceux écrits par des auteurs de la Grande Comore. Un roman comme Le bal des Mercenaires offre certains éclaircissements sur le prolongement de ce phénomène dans le quotidien des comoriens eux-mêmes. Le narrateur indique des les premières pages qu’il s’agit là d’un enjeu vital pour le père du héros. « En son temps, le père de Miloude avait fait le âda fort honéreux, cependant il ne pouvait pas être complètement digne de son titre « d’homme accompli » tant qu’il n’aurait pas marié sa nièce selon la coutume du âda et que lui même ne serait pas allé à la Mecque pour acquérir son titre de hadj, tant convoité »p 18. Et toujours aussi particulier que cela puisse paraître, c’est dans ce cadre quotidien où les enjeux politiques semblent inexistants que l’infériorisation de l’intellectuel ou homme de sciences s’impose face au prétendant à la notabilité. Cette réalité si prenante jette le doute dans l’esprit du docteur Mazamba. « Idi ne savait toujours pas s’il allait faire son anda ou non. Quand bien même il le voudrait, en aurait-il le temps ? La mort ne l’arracherait-elle pas à cette terre avant ? Pourtant beaucoup de jeunes voyaient en lui le symbole, l’espoir, celui qui allait aider à secouer le joug de la tradition pesante et castratrice. Là devant son ami, il doutait. Si pourtant quelqu’un devait pouvoir se passer du anda c’était bien lui. Qu’avait-il encore à prouver aux yeux de la société ? N’était-il pas parmi les meilleurs médecins comoriens issus des meilleures universités occidentales ? N’était-il pas l’un des hommes les plus écoutés au pays ? N’avait-il pas une grande maison et une voiture ? Alors ? pourquoi doutait-il ? »271 La réflexion du docteur part de ses compétences et de l’aura qu’il dégage à ce titre auprès des plus jeunes, témoigne de la preuve de ses compétences par le rappel de son parcours en tant qu’étudiant dans « les meilleures universités occidentales » et s’arrête sur les biens matériels qu’il possède « une grande maison et une voiture » et donc le confort apparent et visible à l’œil nu, preuve d’une réussite professionnelle. Pourtant, comme il le souligne lui- même, tout cela ne l’empêche pas de se poser la question. Une question à laquelle il avait

271 Toihiri Mohamed, Le Kafir du Khartala, p.80 224

répondu dans les premières pages par « pensant réaliser son grand mariage l’année prochaine ». Cette soumission des êtres aux lois et codes de la société traditionnelle crée des tensions et un sentiment d’impuissance que ne peuvent exprimer les personnages. Malgré son jeune âge, Fatma272 doit épouser un homme prêt à accomplir le grand mariage avec elle. Cette décision ayant été prise sans la moindre consultation, Fatma se résigne à accepter un homme de l’âge de son père. Fatoumata aime Kolé, l’instituteur du village et ami de Miloude. Kolé l’aime en retour et souhaite l’épouser mais son oncle, père Mlimi a déjà tracé ses plans à ce sujet. « Depuis longtemps, il avait formé le projet de marier Miloude à Fatoumata. Un tel mariage était le comble de l’honneur aux Kavu. Non seulement il prouverait au village de père Mlimi avait encore de l’autorité sur son fils, mais encore les biens de la famille n’iraient pas ailleurs »p.19 En effet, ici même si Miloude ne peut justifier d’un niveau scolaire satisfaisant, il est mieux placé que Kolé dont le statut d’enseignant n’a dans un premier temps, aucune valeur face à la perspective du grand mariage.

V.1.2 L’individu bâillonné : un compromis impossible entre l’auteur et son univers Les romans comoriens se font les échos de jeunesses individualistes volées. Que ce soit SAST ou Hatubou, ou encore Toihiri, chacun de nos auteurs raconte ce malaise social. Selon Soilihi Mohamed Soilihi, « Le roman, nous ne le dirons pas assez, est pour le comorien authentique (entre autres acteurs de l’aventure humaine contemporaine), une forme d’expression venue de loin. L’homme et la société étant régis par des mécanismes psychologiques et sociologiques, l’individu comorien, selon les règles du jeu et leurs variations, a créé et continue de créer des mondes romanesques dont le sens dépendra de l’infinité des interactions des mythes et des réalités concernés ainsi que les interprétations qu’en donnent les auteurs eux-mêmes dont la plupart sont en cave en vie et s’expriment tant au premier qu’au second degré de la communication humaine, de même que des témoins privilégiés (critiques de diverses obédiences) aux sensibilités proches ou éloignés de celles des auteurs. » 273

272 Hatubou Salim, Le sang de l’obéissance, L’Harmattan 273 Tarehi - Revue d'histoire et d'archéologie - Mars-Avril-Mai 2002(Revue éditée par l'association INYA, N°5, 66p)Dossier : La littérature comorienne 225

a) L’impossibilité d’exister indépendamment de la société

« Dans un pays où la communauté est tout et l’individu n’est rien, il est toujours prudent de se noyer dans la masse dans ce genre de grandes messes communautaires. » 274 Les jeunes comoriens se retrouvent pris dans ce système particulier où la famille est le premier contact avec l’extérieur. Dans ces lieux où rien ne peut se faire sans que tout le monde soit au courant, l’individu doit absolument être en accord avec son environnement pour ne pas entacher à la réputation de sa famille. Le sang de l’obéissance dessine une jeune femme soumise à ces codes ; Fatma doit donner sa vie et s’offrir à Toufik pour faire plaisir à sa famille et surtout sauvegarder l’honneur de celle-ci. Le poids de tous ces devoirs la submergent et l’envahissent. La jeune fille est complètement perdue. Pour l’honneur de sa famille, elle se doit entièrement. « ton amour pour les prétendues valeurs ancestrales. C’est le sang de l’obéissance. Ton obéissance aux traditions. » En établissant la famille au dessus de toute valeur humaine, la société définit ainsi les limites de l’individu. L’éducation par le collectif pour garantir une source d’équilibre sociale est à l’origine des différents heurtes entre l’individu et elle. Dans Le Bal des mercenaires, l’auteur nous dresse le portrait de quatre jeunes gens, tous issus du même village : Mibani ; quatre adolescents, promis chacun par la famille à celui qu’ils ne veulent pas. Miloud aime Mkaya, cette autre que son père n’a pas choisi pour elle. Elle, de son côté, est fiancée au « vieux Mwendaraya », et rêve pourtant de s’unir à Miloude. Or pour Miloude, père Mlimi, son père, a prévu Fatoumata, sa nièce au grand désespoir de Kolé, l’ami fidèle de Miloude, qui aime Fatoumata de laquelle il est aimé en retour. Tout ce petit monde assiste en spectateur à son propre devenir et doit, en tant que membre d’une famille, lier ses aspirations à celles dictées par elle. Mkaya n’a, semble-t-il, pas d’autre choix que d’accepter le mariage prévu avec son vieux fiancé. Kole devrait se résigner à voire Fatoumata unie à son meilleur ami, car elle le souligne clairement, elle ne peut décider de s’ériger contre les choix, les décisions de son oncle et tuteur. Dans ce contexte, toutes les aspirations individuelles vont à l’encontre des volontés et des devoirs familiaux. S’impose aux personnages une question de survie : comment imposer son choix lorsque celui- ci n’intéresse personne ? Miloude pense avoir trouvé un début de réponse et plutôt que d’accepter, de se soumettre et subir le schéma familial préétabli, le jeune homme prend les devants et ouvre une

274Toihiri Mohamed, Le Kafir du Khartala, p.57 226

brèche. Avec lui, la chaîne des volontés personnelles peut se faire entendre. Ainsi, pour rendre audible son rêve d’exister autrement, il se sait devoir quitter la famille, quitter le clan, quitter le village. En effet, très vite, Miloude prend conscience d’une forme d’incompatibilité entre ce que le clan a programmé pour lui et ses propres aspirations. Le narrateur explique qu’en regardant des fougères et des lichens, Miloude « leur enviait leur ténacité et donnerait une fortune pour connaître leur secret. C’est que Miloude lui-même n’arrivait pas à s’épanouir dans la grisaille de la vie de petit village de Mibani. » 275 Par là, il exprime très tôt le désir intérieur de ne pas reproduire le schéma familial, à savoir, finir simple cultivateur comme son père. Il rêve déjà d’ailleurs car le village de Mibani n’est pas le lieu de son épanouissement, mais le reflet de son enlisement, ce que traduit l’insistance sur l’aspect gris et étroit de Mibani « grisaille de petit village ». On comprend alors que Miloude se sent confiné d’où l’idée qu’il « en voulait à son père de ne l’avoir pas laissé poursuivre ses études plus loin. Il aurait pu devenir quelqu’un comme Kolé, son ami instituteur, ou peut-être plus. » 276 En contre coups, dans les moments de labeur, le jeune homme pense « à la ville, à la possibilité de trouver un bon métier pour aider sa famille. » Comme un symbole, la ville représente, au contraire, l’ailleurs et surtout la rupture entre une trajectoire prédéfinie par son histoire familiale, être cultivateur comme son père et ses rêves de fortune par l’exercice d’un métier autre. Lequel ? Peu importe à Miloude quel métier occupé, il rêve de revanche sur « Mlariba et tous ceux qui, comme ce dernier, s’enrichissaient sur le dos des paysans.277 » Ainsi, ce départ pour Niorm, la capitale, prévu mais précipité par la menace de mort planant sur lui, devient la trajectoire à suivre pour laisser libre court à sa pensée propre. En faisant le choix du départ, il crée une brèche par laquelle, la réalisation de l’amour entre Kole et Fatoumata prend forme. En effet, Miloude parti, père Mlimi consent facilement à donner sa nièce au jeune Kole envers lequel il n’éprouvait la moindre animosité.

Le rêve ou plutôt le besoin d’exister autrement, de s’extraire du clan ne peut donc être effectif sans rupture, sans déracinement. La famille et le village représentent encore le cocon initial dans lequel l’individu se meut durant toute sa vie. Mais si celui-ci ressent un besoin autre, alors le cocon ne peut lui faire de place sans qu’il mette à mal ses aspirations, qu’il les étouffe. En ce sens, la liberté d’exister de Miloude devient par effet de miroir, la nécessité de quitter l’espace familier et familial. Ce mouvement de départ, c’est celui que reproduisent de

275 Aboubacar Said Salim, Le bal des mercenaires, Moroni, Komédit, 2002, p.19 276 Id. 277 Ibid 227

plus en plus de jeunes comoriens en partance pour l’étranger. Enfermés dans le village, ils pensent ne pas pouvoir exister car la sphère familiale et villageoise ne leur donne pas les moyens d’aspirer à autre chose, à une autre vie. Par contre, le départ, et souvent peu importe la destination même si la France, et à présent le Canada et autre, sont toujours plus convoités, apparaît comme le souffle nouveau, la chance pour une renaissance. Car, comme Miloude, on part certes, mais dans l’idée de se construire en gagnant sa vie et revenir avec des moyens.

b) S’extraire du clan pour exister

L’œuvre de Nour Dine, Petite Graine278 apparaît comme un roman philosophique ou d’initiation inachevée. Roman dialogique à une voix distillée entre deux personnages en présence où se recoupent celles de deux êtres aux vies parallèles. Ce roman créée et recréée, l’espace de la pensée intergénérationnelle qui se retrouve dans la voix de la solitude et de la marginalisation. Makine, vieux sage au nom évocateur, sur le déclin de sa vie et Petite graine, qui a soif de réponses pour mieux éclore, se rencontrent chaque matin sur le rocher des échanges. Lieu neutre où deux espaces temps se réunissent sous un même regard, celui du questionnement à la vie. Ensemble, ils refont un peu de leur monde et se posent pour mieux s’appréhender eux même. Et la question redoutable turlupine Petite Graine, « Et si le jour ne se levait pas demain, … Que se passerait-il ? » Alors, le récit d’un autre personnage, le coq Raya, s’intercale et oriente les réponses du vieillard. Raya est devenu intemporel et éternel par nécessité. Mais Raya est mort rétorquera Petite Graine et Makine de répondre qu’il a choisi une autre forme de vie. Un questionnement autour du mot laisse perplexe, car si Raya a pu s’en aller c’est qu’il « n’est parti qu’après avoir eu l’intime conviction d’être en possession de son mot. »279 Si la clef du voyage c’est le mot dont le synonyme est aussi le terme, alors le mot de la fin est le terme d’une vie. Ainsi, chaque matin avant le lever du soleil, la vie et les pensées cheminent entre ce vieillard et cette petite fille.

Au-delà de ce rocher, qui constitue univers clos et en fait des personnages à part, une parenthèse noue l’intrigue de leur existence déjà ficelée. Le roman est alors morcelé en trois parties où la deuxième forme une pause dans la structure romanesque, et paradoxalement, la

278 Nour Dine, Petite Graine, Moroni, Komédit, 2007 279 Idem, p.35 228

parenthèse n’est pas tant ce rocher synonyme de vie, mais l’espace intermédiaire, le village, apparenté lui au « savoir être ensemble »280 Ici, le devoir est cette pause dans le quotidien où, Makine et Petite Graine, que des décennies séparent, jouent pourtant au même jeu, celui d’être des individus sociaux et sociables. Makine est alors enfermé dans son rôle de notable posté sur son bangwe et Petite Graine emmurée dans sa maison, auprès de sa mère où elle apprend « à être une bonne épouse, respectueuse de son mari et apte à assumer les tâches dans son foyer »p.48. Chacun est cloisonné dans la fonction prédéfinie et délimitée par la société, fonction que leur être rejette et récuse mais dont ils ne peuvent que s’acquitter. Makine, lui « s’accommode de cette dualité qu’il organise à son gré, liberté du côté de la mer et légère contrainte dans la vie publique »281 Quant à Petite Graine, « Sa douleur reste discrète. On ne l’entend jamais protester ou s’insurger contre le destin construit pour elle »282 La petite fille rêve car elle se sait réservée pour le âda mais « sa résistance est ailleurs : elle est sur les bancs de l’école et plus tard sur ceux de la place publique ». Puis de retour sur le rocher, entre eux même et leurs identités propres, en marge physiquement et moralement de la société et ses codes, ils échangent, l’un son expérience et l’autre sa curiosité.

Le rocher délimite l’espace de leur marginalité leur ouvrant les portes de la liberté de mouvements, de pensées et d’actions. Situé aux abords du village, tourné vers la mer, il évoque le grand large, et représente un ailleurs ouvert vers le déhors, l’extérieur. C’est dans cet espace neutre, symbole de liberté et évocateur d’horizons lointains que le vieux notable et la petite fille se retrouvent eux, en paix avec leur individualité. Car ici, Petite Graine n’est plus seulement une petite fille dont « Le destin est écrit avec les caractères de la tradition et selon les valeurs du grand mariage. »p.48 mais un être qui pense tout comme Makine. Ici, ils peuvent échanger à loisir, sans soucis des codes de la société qui impose tel espace à l’un et tel autre au second. Car si la place publique est le bangwe des notables, la cuisine le bangwe des femmes, alors le rocher est le bangwe de tous.

280 Id, p.63 281 Id,p.64 282 Id, p.53 229

Ainsi, à travers son roman Petite Graine, l’auteur pose la question si prenante de l’individualité dans une société plurielle où l’homme en tant qu’individu n’existe pas. Il mêle ces deux voix à la sienne à travers celle d’un narrateur aux accents cyniques « Ici, on fait le âda comme ailleurs on effectue son service militaire »p.57, qui dénoncera la surenchère des mots « Et grâce à l’effort de dire les choses en utilisant les mots qui ne les désignent pas mais qui les embellissent, les conversations dans tous les espaces publiques et privés deviennent des moments de création poétique.»283

283 Id, p.59 230

V.2 Choisir de s’opposer c’est devenir marginal, les topoï

Chez les auteurs, les trois thèmes amour, folie, mort vont souvent de paire. Il s’agit tout autant de thèmes assez communs dans toutes les littératures du monde. Ce qui intrigue c’est l’idée que malgré le peu de romans dont s’orne la littérature comorienne, elle en soit déjà à des connotations aux abords si tragiques. Il y a donc une certaine fatalité qui découle de ces œuvres. Une même trame se retrouve dans plusieurs romans dont les quatre que nous allons pouvoir comparer. Le kafir du Khartala, le Crépuscule des baobabs, Le sang de l’obéissance et Le Bal des mercenaires. Dans ces romans, le narrateur, extérieur à l’action, plonge le lecteur par une focalisation zéro dans un univers où les personnages sont donnés à voir. La place physique du narrateur est minime, elle n’existe que dans la mesure où il nous fait un récit mais ses positions sont elles, très palpables et donc sa voix omniprésente. L’histoire racontée, bien qu’elle soit totalement différente se ressemble sous quelques aspects bien particuliers. On trouve le besoin pour le narrateur donc pour l’auteur de rester éloigné des faits, la trame romanesque qui peint la difficulté d’exister par soi même dans la société décrite, ici, la société comorienne, le cheminement psychologique du personnage principal et parfois des personnages secondaires, et l’issue finale de l’intrigue. Celle-ci trouve expression dans la folie et la mort qui apparaissent souvent comme les deux alternatives au devenir des héros.

V.2.1 De l’opposition à la mort

a) La mort en réponse au désespoir, Mkaya, Fatma, Sitty Mahabouba

De façon assez récurrente, les romans comoriens, dont la trame dépasse la base de l’histoire réelle comme source d’inspiration et d’intrigue majeure, décrivent une tendance commune à certains romans francophones et rejoignent une constante universelle quant à la fiction romanesque, celle de situer l’issue finale entre la folie ou la mort des protagonistes. Ce fait est beaucoup plus récurrent lorsqu’il s’agit d’amour car il est vrai que de tout temps, de toutes contrées, on a toujours associé les grandes histoires d’amour à une fatalité imminente. Dans le roman, le théâtre, les nouvelles et les mythes, le sentiment d’amour s’enveloppe des affres de la passion et pousse les héros soit à la folie, soit à la mort.

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Il semble impossible à nos personnages, complètement pris, englués dans le système d’une société quasi castratrice, de s’échapper ou de s’éloigner du chemin tracé par cette dernière. Toutes tentatives échouent, l’homme revient sans cesse vers ses traditions. Le Bal des mercenaires raconte, sous couvert d’action politique, l’histoire d’amour entre deux jeunes gens du village de Mibani. Mkaya est issue d’une famille de pêcheurs quant à son bien aimé, il est lui, descendant de cultivateurs. Là se situe tout le drame car Mibani compte deux quartiers « qui formaient deux mondes distincts par les traditions et le mode de vie. Il était impensable pour quiconque de transgresser la coutume qui voulait que les pêcheurs vivent entre eux, tout comme les gens de terre. » et cette coutume entretenait une « querelle millénaire qui ne se traduisait que par quelques guerres de salive » entre pêcheurs et cultivateurs. Ainsi, dès le départ, le consensus communautaire a décidé, décrété qu’un couple ne peut être issu du mélange de ces deux quartiers. Pourtant Mkaya et Miloude s’aiment et ne comprennent que peu de choses à ces rivalités villageoises. Leur amour a donc besoin d’espace neutre pour exister.

Dans un premier temps, ils construisent cet espace dans un coin reculé du village, sur un rocher, face à la mer, où la nuit, ils peuvent se retrouver à l’abri des regards. Rapidement, le lieu est découvert et leur histoire révélée à la famille de Mkaya. A présent, pour des jeunes comme Miloude et Mkaya, tout est à faire : se résigner ou se révolter. Mais ils n’auront pas le temps de choisir, les règles s’imposent à eux et la communauté, représentée par les frères de Mkaya, tranche rapidement sur le sort à réserver à Miloude. Ils décident d’éliminer ce dernier. Accusé d’outrage d’oser aimer une fille lui étant interdite, menacé de mort pour avoir transgressé les règles préétablies, Miloude n’a d’autre alternative que de fuir, avec cependant, la conviction de pouvoir revenir épouser sa bien aimée. A la fois libération et survie, cette fuite vers la capitale devient symbole de rupture avec un destin tracé par sa caste. Le départ offre à Miloude, la possibilité d’exister par lui-même, indépendamment de la trajectoire familiale qui le vouait au métier et au statut de cultivateur. Mais si cet exil apparaît comme le passage inespéré aux aspirations personnelles et identitaires chez Miloude, elle sonne au contraire la fin de Mkaya. La jeune femme, sombre alors lentement dans un état second qui la marginalise. Mariée au vieux Mwendaraya et de plus en plus indifférente à ce qui l’entoure, elle s’obstine dans un mutisme qui la mènera à une folie apparente. Plus tard, vêtue d’une robe verte, couleur privilégiée des jeunes mariées, elle quitte la maison familiale. Mkaya, que le désespoir habite, convaincue de rejoindre Miloude, se jette alors dans le vide, tel un

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automate, du haut du rocher qui, auparavant, abritait leur idylle. Une mort suicide dissimulée sous les traits d’une folie qui gagne le personnage, la disparition de Mkaya se révélait aussi comme l’unique et la seule alternative à l’expression de son individualité. Morte, elle s’éveillait à l’amour et vivait pleinement la passion la liant à Miloude. Et le narrateur de clore ainsi leur histoire « Deux corps conservés miraculeusement intacts, furent repêchés sur la plage de Malé, à quelques kilomètres de Mibani. L’homme avait encore l’uniforme noire de la Garde Présidentielle et la femme, une robe verte en soie avec des roses rouges en surimpression.»

Chez Fatma, l’un des personnages principaux du sang de l’obéissance, la révolte s’amorce en sourdine pour finir là aussi, en une fuite ultime. Ici, la jeune femme s’était résolue à accepter de se conformer aux désirs de sa famille, de faire honneur à son père et d’accepter de devenir la femme de cet homme de quarante ans son aîné. Tant qu’elle consentait, rien ne pouvait apparemment lui arriver. Cependant, Fatma a peur. Elle voudrait rejoindre ses amis qu’elle sent de plus en plus près d’elle. « Chaque nuit, ils me tendent la main. Parfois j’ai envie d’accepter leur invitation. » Le conflit prend vie avec plus de force, il lui faut choisir et vite. Comment refuser en restant là ? Mais où partir ? Les monologues se succèdent dans l’esprit de la jeune fille. Que faire, être soi même envers et contre tous ou se résigner à accepter ce que la société impose. L’individu, qui plus est, une femme, ne peut rien contre toute cette pression, et c’est ainsi qu’elle aussi va céder à l’appel de la mort. Fatme s’évanouit dans la nature. Dans le crépuscule des Baobabs, Sitty adolescente à l’aube de sa jeunesse naissante découvre l’amour auprès de Momo qu’elle pense être son cousin. Comme un film qui défile sous les yeux, Momo se remémore un conte qui, sorte de mise en abîme laisse présager une fin funeste aux deux amants. Ce conte fait le récit d’un peuple enseveli sous terre et dont les larmes sont enfermées dans les entrailles des baobabs situés dans la vallée des arbres millénaires. En coupant le tronc, l’eau qui en découle assèche les larmes et met fin aux souffrances du peuple maudit. Et d’où vient la malédiction ? Les souverains de cette cité désirent ardemment un enfant et lorsqu’après de longs mois d’attente et l’intervention du mwalimu, la reine est enceinte, ce sera de jumeau. Mais le mwalimu voit dans la naissance de ces deux êtres, la déchéance du royaume ainsi, le roi se doit de tuer l’un des deux bébés afin de sauvegarder son pays. Il choisit de sacrifier le fils et préserver Mahab, la fille. Mais l’enfant survit élevé par les djinns. Devenu grand et beau, il épouse une princesse. Et comme

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nul ne peut échapper à son destin, cette princesse n’est autre que Mahab, sa sœur. De cette union incestueuse va découler la malédiction du royaume qui s’effondre, enseveli par les sables. Inséré au milieu du texte, ce conte décrit la trajectoire et l’issue finale de l’amour entre Momo et Sitty, Mahabuba de son deuxième prénom. Nul n’échappe à la fatalité. Lorsqu’elle poursuit des êtres, elle s’abat sur eux sans crier gare. Cette fatalité se déchaîne lorsque les lois originelles sont transgressées. Ainsi, Sitty Mahabuba n’est autre que la sœur de Momo, fruit de la liaison entre le père de Sitty et la mère de Momo qui n’était autre que la tante maternelle de Sitty. Ces dessous scabreux, ces secrets de famille construits sur des viols, des incestes à répétitions sont faits courants aux Comores. SAST construit son roman sur ces maux indicibles d’une société aux travers multiples. Et ce que l’on commet par lâcheté, pensant les actes sans conséquences se répercutent sous le sceau de la fatalité sur des innocents. Ici, il s’agit de Momo et Sitty. Se pensant cousins, nul ne les empêchait de s’unir et leur amour, bien que caché, ne transgresse aucune loi sociale, au contraire, il est bien vu, dans la communauté comorienne d’épouser un parent issu du côté paternel, comme le préconise l’Islam. Pour Sitty, le crime ne concerne que l’acte charnel et la grossesse avant mariage. Cette idée est aussi traduite par la réaction d’une tante de Sitty qui « lorsqu’elle apprit que c’était Momo, son étonnement fut sans pareil. Or, elle parut un peu rassurée, en pensant qu’on pourrait toujours arranger les choses en famille ». Mais lorsqu’en apprenant la nouvelle, la mère de Sitty meurt, Sitty se pense coupable et conçoit sa grossesse comme l’origine du décès de sa mère. Elle « ne se pardonnait pas d’être la cause de la mort de sa mère. »284 et pour mettre fin à ses souffrances, sa seule alternative est le suicide. « Sa main droite était remplie de petites pastilles de Valium, et de comprimés de Nivaquine. Elle avala le tout d’un trait avec un verre d’eau. »285 Ainsi, Sitty, aux prises avec la réalité d’une situation sur laquelle elle n’a plus la moindre prise, voyant les évènements se poursuivre à une vitesse effrénée, choisit de mettre un terme à sa vie par peur non seulement du regard de la société sur sa famille mais bien plus par son incapacité à gérer toutes les contradictions et toutes les douleurs qui s’abattent sur elles, sa grossesse hors mariage, la honte, la culpabilité envers ses parents, l’amour pour Momo, le décès de sa mère. Le suicide devient alors la réponse au désespoir, la seule issue possible car libératrice.

284 SAST, Le crépuscule des baoabs, p.106 285 Idem 234

b) La mort comme issue fatale à la contestation : La toute petite fille, Idi Wa Mazamba286 Mohamed Toihir fait de son personnage, un être emblématique tant par ses positions au regard de la société traditionnelle que de ses engagements contre le milieu politico aristocratique et financier de son pays. Personnage aux allures intègres, plein de bonne volonté, il mène sur l’ensemble de son microcosme social une réflexion critique où l’ironie, parfois le cynisme le posent en héros esseulé. Cette solitude devient la force maîtresse de l’intégrité tant prônée par l’attitude du héros qui, loin d’être fataliste face à la mort, recouvre une énergie et une joie de vivre nouvelles. Idi Wa mazamba est un tout à lui seul, le produit fini du mariage entre des idées neuves transposées de l’occident, la France plus exactement, et la revendication d’une identité propre à son état de comorien. Mais dans ce mariage, l’idéologie occidentale prédomine de loin sur l’ensemble traditionnel que le docteur juge avec un œil plus que sévère. Dans ce cheminement vers la rencontre avec soi, vers la liberté d’exister par soi et pout soi, le héros trace une route vers la mort qui l’accompagne tout au long du récit. La mort est ici bien plus qu’une fin en soi, elle est l’excuse, la justification et le détonateur pour une nouvelle affirmation du moi individuel du docteur. Electron libre de tout engagement, il avance d’un pas déterminé vers son idéal d’être avant de disparaître. C’est dans ce contexte où « il avait décidait que sa mort servirait à quelque chose. L’inspiration lui en était subitement venue dans le cabinet où on lui avait signifié sa condamnation à mort. Il s’habituait peu à peu à l’idée de sa mort. Il s’était dit dès cet instant qu’il allait vivre autrement. Une rupture profonde avec son passé. » p.11 que naît son projet « de faire de sa mort un acte de vie.» Ainsi du mari fidèle qui n’ose aborder sentimentalement une autre femme que la sienne, « toujours par fidélité à une femme qui ne l’avait jamais aimé (sa femme », au comorien prêt à investir dans les coutumes traditionnelles « pensant réaliser son grand mariage l’année prochaine »p.8, au musulman pratiquant dont le verre n’est toujours rempli que d’eau minérale, Idi se révolte intérieurement d’abord puis décide d’entretenir une liaison avec Aubéri, se met à boire de l’alcool « Il sourit (…) et commanda une grande bouteille de champagne.» Ici, l’idée de la mort s’apparente à celle de libération et le héros le vit ainsi. Un autre personnage prend peu à peu la place de l’ancien Idi et ce personnage est fait de toutes les anciennes frustrations toujours ressenties, des accords toujours concédés et des désaccords

286 Personnage principal du roman Le Kafir du Karthala. Tous les citations de ce passage sont extraites du roman., p.12, p.122 235

jamais exprimés. Se savoir au seuil de la mort donne des ailes au héros qui s’affirme et affirme un mode de penser qu’il gardait semble-t-il enfoui en lui. S’élever contre les systèmes en place qu’ils soient traditionnels ou modernes, politiques ou culturels en vue d’exister au travers de ses propres idées d’individu et d’intellectuel implique une force d’être dont n’est pas capable le héros à lui seul. Et ce n’est qu’en ayant conscience de n’avoir plus rien à perdre que celui-ci peut marquer ses distances et contester les règles établies. La mort, adjuvant devient alors la seule issue, le seul rempart à l’établissement d’une identité autre que celle constituée par et constitutive du groupe. Quant à Idi, concevoir la mort ne fut plus une fatalité à partir du moment où il se sut condamné. La mort est alors vue et décrite comme libératrice. Elle est la seule à pouvoir extraire l’individu de son système communautaire.

V.2.2 La folie, entre aliénation et parole de vérité

a) La disparition du bon sens

Si la mort, souvent programmée, épargne les personnages, alors, la folie s’empare d’eux. Toujours à partir des mêmes textes, nous voyons souvent aux côtés d’un personnage qui se meurt par volonté, des personnages que gagne la folie. Présentée en échappatoire à l’issue des personnages, elle devient l’autre alternative de fin de récit.

Dans Le sang de l’obéissance, Fatma disparue, son père bascule de l’autre côté, là où la raison n’a plus lieue d’être. Il en sera de même pour Momo, qui, apprenant le suicide de Sitty et le lien de parenté qui l’unissait à cette femme qui n’est autre que sa sœur, perd la raison. Il en est de même pour Mkaya, dans le Bal des mercenaires. Apprenant la mort de Miloude, la jeune fille, habitée par une souffrance indicible et destructrice, perd le contrôle de ses mouvements. Nous l’analysions plus haut, la posture ambiguë de Mkaya pourrait laisser deviner un suicide qui ne dit pas son nom, mais dans ce alors, la mort résulterait d’un décalage en tre une réalité donnée et celle des personnages qui, en marge de leur société, s’enferment aussi en marge d’eux même. Le narrateur nous dit en parlant de Momo « Mais peut-être avait il maintenant retrouvé, dans cette dernière révérence tirée par la raison, cet ultime décrescendo du soleil de l’amour (…) arrosant de ses rayons d’or l’île onirique de l’imagination, où l’espace et le temps sont désormais, tous les jours et à jamais domptés. »

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Momo devenu fou, il sombre dans un état de démence aliénant toutes ses facultés psychiques, perdant toutes formes de repères notamment celles de l’espace et du temps. Un visage du fou que l’on retrouve aussi incarné par Nkorwa, personnage éphémère des Démons de l’aube. Chez lui, la folie n’est pas le résultat de chocs traumatiques psychiques, mais la conséquence d’un handicap physique lié à une prééminence de son front, prééminence à l’origine de son surnom. Idiot du quartier Kaltex, Nkorwa dont la conscience est limitée, tue Ahamada avec une pierre, un camarade d’Yssou, le narrateur. Cette pierre qui, jetée sur l’enfant, lui « a éclaté la tête » et fait « tombé® net. Mort sur le champ. » provoque l’allégresse de Nkorwa qui « sautait de joie comme si c’est oiseau qu’il a tué même. » Inconscient du drame dont il est l’origine, le fou n’a qu’une présence factice et éphémère. Sa présence sert ici à souligner l’absurdité d’un monde où, la mort comme la folie se côtoient ne sachant laquelle précède l’autre dans la vanité de l’existence.

b) Djitihadi287 ou le mythe du fou détenteur de vérité

Et lorsque le personnage du fou n’est pas apparenté au daba-la ure, (litt. l’idiot de bave) comme l’est Nkorwa, il devient alors une sorte de prophète visionnaire transposable, dans ce cas, en la personne de l’auteur dont l’écho réflexif reste facilement perceptible. Ce personnage du fou, personnage récurrent en littérature comorienne, puiserait ses origines dans le découpage de la société traditionnelle qui accorde une grande importance aux idiots. Ceux-ci passent souvent pour des êtres éclairés. Ils sont ainsi projetés avec les mêmes attributs aussi bien dans les textes poétiques, théâtraux, que dans les récits. Un exemple de sa fonction d’éclairé est donné dans le recueil Paille-en-Queue et vol. Jadis un halluciné Epris d’exhibition et de latin S’agitait folâtrant Avec une écharpe Tricolore « Mais qu’à présent Toute une flotte Vint à perdre le nord S’étonne narquois Le marginel

287 Personnage central du recueil de nouvelles, Les berceuses assassines. Étant fou, il erre dans les rues de Moroni. 237

Le fou est ici l’halluciné, encore une fois esseulé et marginalisé dans des aspirations solitaires : son amour pour le « latin » dont il est « épris » et l’ « écharpe tricolore » avec laquelle il folâtre. Deux grands symboles renvoyant à la France et traduisant le penchant de l’halluciné pour ce pays. Un sentiment qu’il partage seul et par lequel, peut-être l’aspect anachronique d’une affection à l’heure où chacun aspire à se séparer d’elle, les indépendances, sa marginalisation et donc sa folie s’accroît. Cette supposition des heures des indépendances est formulée à partir de l’adverbe jadis, car jadis, il étais seul à aimer cette France. Un adverbe mis automatiquement en opposition par la conjonction « mais » à un autre renvoyant au présent « Mais qu’à présent », traduit l’inversion et renforce l’incrédulité de l’halluciné, étonné de constater que tout un peuple l’imite. Il en devient même moqueur. Une attitude et un sentiment presque cynique que dessinent les trois vers au sens apparemment double « Mais qu’à présent/ toute une flotte/ Vint à perdre le nord » Constaté par l’halluciné, ce renversement de situation le fait sourire, laissant entendre que d’une part il n’est plus le seul fou car perdre le nord, c’est aussi perdre la raison. Il se sait rejoint par de nombreuses personnes. Et si « jadis » il fut le seul, « à présent » c’est bien « toute une flotte ». Ce fou détenteur de vérité trouve sa forme la plus aboutie dans Les berceuses assassines sous le nom de Djitihadi.

A lui s’éveille la conscience dans une litanie sourde et douloureuse. En lui semble survivre une lucidité telle qu’il en est illuminé. La lumière, excessive et criarde, à travers laquelle le personnage du fou prend vie l’enferme dans un trop plein de clairvoyance que nul à part lui, et l’auteur, ne peut comprendre. Le fou est un marginal illuminé certes, mais d’une vérité qui dérange. Cette vérité là, il la crache violemment aux visages de ceux qu’ils dénoncent comme « la pourriture hypocrite » à l’origine des vrais maux de la société. Pour Djitihadi, « Le vraiment vrai salité c’est le ministre, le directère, le dépité, mabwuidzi !» crie- t-il sans cesse aux oreilles des passants. Car lui, Djitihadi (la volonté, le courage), n’est pas le fou que l’on croit et de cette réalité, lui-même est conscient. Lui-même connaît et revendique la valeur de son message car son message c’est son « salité » et son « salité est un lumière, un lampe. »288 Djitihadi le fou de la capitale interpelle les badauds près de Volo-volo, et explique dans son phrasé perturbé que ce que nous voyons n’est qu’apparence. S’il est sal et son apparence

288 SAST, les Berceuses assassines, Moroni, Komédit, 2007, p.11 238

hideuse, c’est que son verbe est « la poésie du silence insurgé » 289, une torche dans la nuit. Mais ce marginal aux airs effarés, à l’allure pleine de crasse, au verbe intransigeant, n’est-il pas le canal premier par lequel va transiter le message de l’écrivain ?

Aux fous, nulle attention n’est prêtée, à peine un coup d’œil et le regard s’éloigne ensuite. Aux fous toujours, nulle conscience n’est reconnue. S’ils sont fous, c’est qu’ils ont perdu la raison. Or Djitihadi revendique trop clairement cette perte de conscience et s’exclame « Z’ont volé mon consciencité, z’ont tué mon tranquillité… »290 Mais peut-on appeler un fou une personne qui se revendique comme tel ? Les propos de Djitihadi dérangent, son attitude excède au point où l’on pense comme le nouveau DAF « Il faudrait enfermer ce fou ! »291 Pourtant aux fous, nul mal n’est fait car on les pense en marge et en cela, incapables d’inquiéter qui que ce soit. Les laisser dire et les laisser faire. En cela, Djitihadi (littéralement persévérance, courage) donne une vie à son nom, le courage qu’il évoque est aussi le courage qui l’anime. Sa ténacité est effective et pour cela, le personnage devient l’interface de l’auteur. Le fou n’est alors que le prétexte en lui-même, l’alibi apparemment nécessaire à l’écrivain. Sa pensée, son opinion prennent forme sous l’apparence d’un verbe en délire projeté à travers le prisme de l’inconscience, de l’insouciance, de la déraison, de la folie car comme l’énonce le narrateur « Les malades mentaux ne sont jamais ceux que l’on soupçonne ». Et l’écrivain peut alors, en mélangeant les voix, se laisser submerger par sa propre pensée et invectiver le lecteur. En écho à Baudelaire, il cite alors « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère… », le même lecteur/passant que Djitihadi interpelle sans ménagement dans un tutoiement si insistant qu’il annule l’espace du livre, de la feuille, du texte, et prend vie autour de nous « Un peuple qui vive, c’est un peuple homme, pas un peuple femme, comme toi, oui toi ! Toi qui est en train de regarder moi, là avec ton grand z’yeux ! » Le lecteur/passant fait face à l’écrivain/fou, entend sa sentence, sa colère et constate son jugement sans appel.

289 Saindoune Ben Ali, Testaments de Transhumance, Moroni, Komédit 2004, p.46 290 SAST, les Berceuses assassines, Moroni, Komédit, 2007, p.11 291 Id., p.18 239

c) La folie comme réponse à son individualité : de la marginalisation à la folie

Le fou, en plus d’être ceint de la lumière clairvoyante, se bat pour conserver sa liberté. Liberté d’être, liberté de penser, liberté de mouvement. Dans une société où chacun se plie aux normes établies par la société, où l’expression d’une identité individuelle est proscrite, s’affirmer, c’est se marginaliser et dire le contraire du consensus moral, c’est se révolter. Or la révolte n’est pas intelligible dans un système aussi clos, aussi fomenté, aussi hiérarchisé que la société comorienne. Ici, « Dans un monde où chacun porte la famille sur son dos, d’une façon ou d’une autre, l’idée de penser autrement face à tous ses semblables s’inscrit dans une logique subversive, qui remet en cause toute l’architecture sociale. »292 , chacun se définit encore selon l’ordre établi par ceux qui la dirigent. Et lorsque ceux-ci la dirigent mal, la voix de l’intellectuel se fait discordante mais pour peu de temps, car au final, celui-ci se meut en objet social et tombe, selon Mohamed Toihir, « dans l’imitation coutumière la plus servile. Plus de pensée libre ni de libre pensée. On le voyait souvent appuyer le conformisme le plus roide. Son moi social était surdéveloppé. Il ne pensait plus qu’à son shewo, cet honneur social dans lequel il se drapait avec des airs de vierge effarouchée. Il redevenait le doux fils du clan et de la caste. » 293 Si l’intellectuel se fond dans la masse et prône la coutume comme le laisse entendre les auteurs, d’autres, se ruent vers les magouilles étatiques afin de faire ce que Djitihadi appelle le « mangement d’état ». Tout le monde semble alors corrompu, pris au piège dans les logiques destructrices de la vie comorienne dessinée par des dirigeants véreux. Et à toutes les échelles, à tous les niveaux, la corruption et la prédominance des intérêts personnels sur l’intérêt général mène le peuple dans une déchéance sans nom. Face à cet assemblage de contraintes et de semi révoltes vite temporisées, transparaît la lâcheté. Le marginal, demeurant aux abords ce cette mort collective sombre dans sa folie, s’y terre de plus en plus afin de conserver une once de lucidité et crier haut et fort son désaccord. Le fou se révolte et affirme : « Moi Djitihadi, ne laiss’re pas enculé comme en pédé ! » Il poursuit et exhorte le peuple à se soulever « Fais comme moi, il faut nervé, prends z’en gros cailloux, et jeter sur la tête des ministres-directères-dépités, mabwuidzi. » Oui, selon Djitihadi, il faut refuser de se « faire enculer » par tous ces voleurs, il faut que le peuple se révolte, et montre son mécontentement. Ce que le fou préconise, c’est aussi ce que l’écrivain suggère lorsque dans

292 Elbadawi Soeuf , L’intellectuel, tragique héros ?, Africultures n°51, Paris, L’Harmattan, 2002, p.59 293 Toihiri Mohamed, Le kafir du Karthala, p. 64 240

son avant propos, il écrit « Je dédie ce livre à toutes celles et ceux qui […] ne voudront plus se cloîtrer dans les geôles de notre hypocrisie congénitale. » Ainsi, par le biais de la superposition des voix, Djitihadi est le seul à exister, le seul à ne pas être inclus dans le « C’est tous des en-pédés ! » L’insulte est claire, sans concession et sans pudeur. La suite est dans le même ton, les insultes fusent, le lecteur continue d’être la cible, au même titre que les passants, au même titre que le peuple comorien. Celui-ci, passif assiste sans sourciller à son dépouillement « et il rigole, toutes dents dehors, toujours kwezi à gauche à droite. ». Pour Djitihadi, le peuple comorien salue servilement ceux qui le volent. Le kwezi en tant que salutations respectueuses accordées aux plus vieux traduit ici une forme de soumission qui agace le fou/écrivain car comme dans le poème de Saindoune Ben Ali, « Un âne passe/ le comorien salue/ tête baissée » 294 Il baisse la tête et tend ses deux mains pendant qu’on l’ « encule en gauche, on encule en droite » selon Djitihadi. L’avant propos le souligne, dans cet espace où règne « La bêtise des hommes, la cruelle et immonde défaite de la foi, la suprématie totalitaire des instincts les plus vils et les plus bas. »295 , tout le monde est rassemblé et confondu. Le comorien subit, inerte la situation déplorable à laquelle, les politiques, principales cibles du fou, le mènent. Dans ce microcosme où chacun est voué à « l’animalité » p.9, seul le fou refuse de se soumettre. Contrairement à l’ensemble, il se bat lui pour sa survie. Cette trajectoire esseulante s’empare aussi de Tamu, personnage principal de la pièce Tombé du ciel296 qui s’interroge sur la vanité de son existence. Jeune homme de dix sept ans, Tamu inquiète sa famille car il tient des propos insensés, invective à longueur de journée ses frères et sœurs, et se parle à lui-même. Tamu décrète que sa vie est celle d’un chien, et bien pire, il s’écrie « Je t’avais dit que j’étais un chien ! » Désespéré par le néant de son quotidien, il prend à partie sa famille qu’il interpelle d’une voix colérique. Colère face à sa vie qu’il hurle ne pas avoir choisie ; rage contre l’injustice qui l’a fait naître miséreux, et courroux contre son père qui « a creusé ma (sa) tombe, m’y a précipité en me mettant au monde un beau jour.» La colère du héros est telle qu’il ne parvient pas à trouver repos et demande réparation à son père contre le préjudice subit, le mettre au monde, dans la misère. Ses frères sont alors outrés, persuadés qu’il a perdu la raison. Par ses propos, Tamu transgresse différents codes en crescendo allant jusqu’à anéantir toutes les limites de la décence, de la bienséance, du respect du aux aînés. S’il est capable de pointer son père du doigt, de

294 Saindoune Ben Ali, op.cit., p.32 295 Sast, les Berceuses assassines, Moroni, Komédit, p.09 296 Abdérémane S.M Wadjih, Tombé du ciel, Paris, Plumes Libres, 2006 241

demander à ce qu’il soit jugé, pour l’avoir mis au monde de surcroît, c’est qu’il a perdu toute notion d’éducation ; Un enfant qui ne respecte pas ses aînés et encore moins son père ne peut être que malade, un fou. Telle est la conclusion à laquelle parviennent rapidement les frères. Tamu est, selon eux, possédé ou atteint d’une grave maladie mentale. Quoi qu’il en soit, possédé ou malade, le jeune homme se marginalise par son besoin de comprendre, de parler, de s’exprimer. Face à l’absence de réponses, il poursuit sa descente vers l’indicible : accuser son père et demander à ce qu’il soit châtié. Ainsi, il n’est pas possible, dans une société où les règles sont immuables d’adopter une attitude différente de l’ensemble. Se rebeller apparaît comme un acte de folie, mais s’interroger aussi sur les choses devient un acte de démence. De plus en plus seul, de moins en moins compris, le héros tente d’exprimer son malaise à ceux qui l’entourent, revendique sa lucidité sur les choses, sur les réalités ; Tamu l’affirme, il n’est pas fou. Ce n’est pourtant pas le sentiment partagé par le groupe qui tente de le faire soigner par un guérisseur, un maître de djinn afin d’exorciser les maux qui le hantent. Mais le mal de Tamu n’est rien d’autre que de faire partie des douze enfants conçus par son père « douze enfants sans aucun moyen de leur donner une chance dans la vie.» Si la misère rend fou, alors à qui s’en prendre ? Telle est la question que semble soulever Wadjih. Car en effet, ici, le questionnement ou le malaise incarné par le héros vient de l’excès de misère à laquelle bon nombre de jeunes sont confrontés aux Comores. Ainsi, à travers la voix de son héros, l’écrivain se positionne encore une fois en porte parole des maux non dits ou non avoués dont souffre la société. Oser dire c’est donc être fou, mais si les mots ne peuvent être contenus, alors, le fou devient l’interface privilégiée, l’alibi permettant de soulever les questions jugées taboues : reprocher à ses parents d’être sur terre, est quasiment compris comme un blasphème. Positionnement ressenti avec tant de violence que Tamu, ayant déstabilisé la fratrie, finira enchaîné.

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V.3 Un individu en marge : la femme, prétexte littéraire et social

Indépendamment du contexte littéraire, l’histoire des Comores, est fortement marquée par des visages de femmes dont les noms parfois très célèbres, comme celui de la reine de Sabbat, la reine Wabedja de l’hynia Fwambaya, Djumbe Fatima ou encore Mmadjamu binti Msa Fumu. Amazones en pays musulmans, cette à priori banale contradiction semble faire de la femme comorienne, le socle inébranlable d’une histoire à poursuivre. S’il y a bien une chose que nous aura permis de découvrir nos recherches, c’est bien le sentiment de fierté nous liant à l’histoire de notre genre, sur une terre d’extrême pauvreté. Tous les visages de femmes rencontrées, nous ont vite insufflé le désir ambitieux, le sens du mot volonté. Le miroir par lequel se vit la passation de pouvoir se doit de projeter l’idée de dignité humaine afin d’en faire acte. Nos mères l’ont compris. Par la volonté, et leur foie en Dieu, beaucoup se sont construites. Contre toute attente, parce qu’être une femme aux Comores, c’est avoir le droit de la dignité de notre genre. Mais alors, au regard de cette société matrilinéaire, cette société où la femme est reconnue dans son rôle et sa fonction d’individu moteur dans une société de mérite (il faut tout de même expliquer que cette reconnaissance est réelle mais limitée à certains espaces), comment comprendre cette criante absence de plumes féminines en littérature comorienne ? Le français est la langue d’écriture aux Comores, point sur lequel nous avons pu réfléchir dans le premier chapitre, et en ce sens, compte tenu de la réalité littéraire aujourd’hui, il est assez simple de constater que des femmes, comme des hommes sortent des différents lycées des Comores comme de France. Cela induit l’idée d’une rencontre continue avec le français, langue d’enseignement aux Comores, mais aussi langue de communication. Ce contact avec la langue, vrai aussi bien chez des jeunes femmes que chez de jeunes hommes met sur le même pied d’égalité les hommes et les femmes face à l’écriture. Or aujourd’hui encore, même si nos informations ne peuvent être précises à 100°/, il est assez aisé de constater cette absence. Trop peu de femmes d’origine comorienne n’écrivent de fiction. Certaines s’étaient essayé à la poésie mais jusqu’en 2009, aucune n’avait publié individuellement, et rares sont celles l’ayant fait en collaboration. Par conséquent, nous tenterons de répondre à ces différentes questions en étudiant dans un premier temps le regard de la société comorienne sur la femme, pour ensuite analyser le rôle ainsi que les différents visages qui lui sont attribués dans le roman comorien, et clore sur l’identification femme et univers d’origine. Pour cela, nous nous appuierons sur les

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romans Le Kafir du Khartala, Le Bal des mercenaires, Le Crépuscule des Baobabs, et Le sang de l’obéissance.

V.3.1 La femme au regard de la société

a) La femme, élément constitutif et créatif du mythe cosmogonique

Visages de reines ou sultanes avisées, ministres respectées ou chercheuses reconnues, les femmes comoriennes ont été de tout temps, des personnages politiques, historiques, religieux et sociaux emblématiques, dans les îles. Fortes d’une légitimité ancrée dans la terre, les rites et la tradition, les différentes fonctions occupées, et ce à tous les niveaux de la hiérarchie sociale, n’ont fait que renforcer leur caractère incisif et déterminé. Ainsi que nous le disions plus haut, de nombreuses figures de femmes ont fait l’histoire des Comores. De Wabedja, illustre princesse è l’intelligence, la clairvoyance attestée par le rayonnement de son époque, à Djoumbé Fatima, dernière reine de Mwali et donc des Comores, en retournant vers Mmadjamu binti Msafumu, sans citer celles qui, actuellement participent pleinement au devenir culturel mais aussi politique du pays, la femme comorienne fut et continue d’être un personnage emblématique et actif. Dans ce prolongement, il nous semble de bon ton de nous arrêter quelque peu sur deux des personnages historiques cités ci-dessus, la reine Djumbe Fatima et la princesse Wabedja.

Figure illustre de l’Inya Fwambaya, l’une des plus célèbres lignées de la Grande Comore, la princesse wabedja a profondément marqué son siècle par sa capacité à diriger, à orienter, à gouverner. Nulle femme avant elle ne fut sultane et nulle après elle ne saura redorer sa lignée d’autant de prestige. Mariée à Msafumu bin Mahame, elle arrive au pouvoir à la mort de son oncle maternel, le sultan Fumu Mvundzambanga, car faute d’héritier mâle, le sultanat d’Itsandra restait, semble-t-il, sans roi. Wabedja est mère de cinq enfants, trois garçons et deux filles dont l’honorable réputation va grandissante. Pourtant, à la mort de Fe Bedja, le fils aîné, les querelles vont-elles aussi grandissantes et s’amplifient entre Djumwamba, le second et Mahuu Ntibe, le cadet. Car celui-ci veut s’emparer du trône et succéder directement à Fe Bedja, mort très jeune mais dont la valeur au combat lui avait permis d’acquérir le titre de Ntibe. Ainsi, les fils de Wabeja vont se succéder chacun son tour sur le trône mais un seul, Djumwamba, inspirera la reine mère. En effet, sous le règne de

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Djumwamba, malgré les incessantes attaques de Mahuu Ntibe, l’hinya Fwambaya connaît une grande période de prospérité. On le dit personnage pieux et grand économe, il est à l’origine de la construction de plusieurs mosquées, du traçage de certaines routes et de l’introduction d’arbres et de plantes sur l’île. Une entreprise que la reine mère, ayant repris le pouvoir à la mort de Mahuu, va poursuivre et développer de sorte à consolider le pouvoir de sa lignée. Damir Ben Ali écrit à ce sujet : « Wabedja inaugure, à la faveur de son deuxième règne une grande période de prospérité. […] Wabedja n’arrête pas là ses entreprises. Inaugurant une audacieuse politique d’alliance avec les sultans de la lignée sœur et ennemie Inya Matswa Pirusa, elle marie Nema Feda au prince Trambavu…» Par le mariage de son aînée au sultan Trambavu, elle conserve la suprématie de sa dynastie sur le Hamahame, et fait de Nema Feda à son tour, la première sultane du Hamahame. Quant à la cadette, Mmadjamu, elle la marie en seconde noces au sultan du Bambao et Ntibe de Ngazidja, Mlanau. Poétesse et religieuse, la science de Mmadjamu, qui n’est autre que la mère du sultan poète Mbae Trambwe, est reconnue dans tout le sultanat et au-delà. Ainsi, tout en confortant la place de sa dynastie sur l’île de Ngazidja, Wabedja poursuit ses entreprises de développement. L’agriculture et l’artisanat mais aussi le commerce maritime deviennent les ciments d’une économie florissante. Les résultats sont rapides et probants. En peu de temps, Itsandra Mdjini devient « le premier centre commercial de l’île, où affluent les produits comoriens et étrangers, accroissant d’autant les droits de taxes et de douane. » Non seulement le règne de Wabedja est synonyme de développement économique et de stabilité politique, malgré le début des incursions malgaches, mais il est aussi symbole de rayonnement culturel et religieux. En atteste le rôle tenu par Mmadjamu en tant que théologienne, juriste et auteure de poésie. En effet, ce XVIIIème siècle est, selon Damir Ben Ali, « Sans conteste, […] l’époque littéraire la plus riche des Comores. Tous les genres : poésie (uvhandzi), adages, maximes, utendi, récits, contes (hale), chants épiques,etc. y sont cultivés. » Il conclura plus bas : « À cet égard, la fin du règne de Wabedja va marquer le terme d’une période qui demeurera dans la mémoire collective comme celle d’une sorte d’âge d’or… »297

Djumbe Fatima Un autre visage de femme ayant marqué les Comores est celui de la reine de Mwali, la jeune djumbe Fatima dont le règne marque à la fois le courage et le désespoir amoureux d’une

297 Damir B.A, Boulinier G., Ottino P., op.cit., p.58 245

jeune femme aux prises avec l’occident, incarné par Lambert, le français. L’histoire de cette reine est aussi particulière que romansesque, aussi lumineuse que lugubre, tant par la trajectoire finale qu’emprunte l’île dès les débuts de son règne, que par le cheminement personnel de la régente. De nombreuses années de luttes malheureusement vaines contre les volontés françaises et notamment la Marine française qui devait permettre par ses multiples interventions, l’occupation et l’exploitation totale de l’île, afin de conserver une réelle main mise sur l’ensemble de l’archipel. Djumbé Fatima, de son vrai prénom, Suundi, devint reine à cinq ans à la mort de son père, Ramanetaka, installé au pouvoir sur l’île de Mwali par le prince Abdallah II, sultan d’Ajouan dont Mwali était une dépendance. Jusqu’à sa majorité, le pouvoir sur l’île est contrôlé par Tsivandini et les grands notables de l’île. Pendant ce temps, l’éducation de la jeune reine est confiée à Mme Droit, un agent français chargée par la France de faire de la petite Suundi, une future reine chrétienne, concédant ainsi le plein exercice du pouvoir politique et de l’exploitation économique de l’île à la France. Le calcul semble bien fait car dès les premières années, la jeune reine affiche un regard particulier à la France dont elle adopte les codes vestimentaires, la langue, s’éloignant petit à petit des valeurs comoriennes et notamment de son peuple, qui réclame de plus en plus le départ de Mme Droit. Celle-ci finit par être renvoyée en 1851 par la reine qui, sous la pression des notables et suite à l’émeute ayant éclaté suite à son premier refus, se résout à cette éventualité. Après ce départ, la reine s’affirme, « redevint comorienne, reprit le costume traditionnel, ainsi que sa langue. Elle se fit appeler Djumbe Fatima. » 298

Peut être est-ce cette éducation libertaire et tournée essentiellement vers la France qui rend les français agréables aux yeux de la jeune reine. Peut-être sont-ce toutes les manigances françaises qui, lorsque la reine, intronisée à sa majorité, se marie, éloignent son époux, Mkadara de qui elle attendait un enfant. Peut-être est-ce tout le temps que la reine passe loin de son époux retenu loin de l’île. Ce doit certainement être le tout et bien d’autres choses qui au final, mènent la reine à trouver réconfort auprès de Lambert, un aventurier venu sur l’île en vue d’y créer une plantation et une usine à sucre. Cette courte histoire va pourtant entraîner des réactions très vives chez la jeune reine. En effet, quelques mois après la mort de Mkadara, Lambert revient sur l’île. La relation qu’entretiennent les deux personnages semble forte bien que rien de très clair ne soit dit à ce sujet.

298 Ibrahime Mahamoud., Djoumbe Fatima, une reine comorienne face aux visées coloniales de la Marine française, Tarehi n°2, Savigny le Temple, 2001, p.12 246

On comprend tout de même qu’elle est à l’origine de la perte de l’île car « En février 1865, il lui fit signer une convention commerciale qui lui accordait la quasi- totalité des terres cultivables (sauf celles des paysans de et Ouella). »299 Cette convention va entraîner de nombreux bouleversements dans la relation laiant la reine à Lambert car, voulant faire volte face après s’être rendue compte de son erreur, la reine met Lambert en colère. Toute la suite de l’histoire va se jouer entre les prises de positions de plus en plus radicales et anti françaises de la reine, ses tentatives visant à rendre caduque cette signature. Pour cela, elle effectue différents voyages à l’étranger, entame négociations, tente de rencontrer Bonaparte, mais jamais elle n’obtiendra vraiment gain de cause. Djoumbe Fatima revient apparaissant alors comme une femme décidée, intraitable et maîtresse de son destin. Ses nombreuses prises de positions contre la France, ses refus de coopération avec la Marine Française, et ce malgré, les bombardements que lance celle-ci pour la faire capituler, rien n’y fera. Cette jeune reine aux allures de femme blessée et trahie entreprendra tout ce qui sera en son pouvoir pour conserver l’autonomie de son île alors que celle-ci est détruite, et qu’elle lui échappe.

Ainsi, le contexte comorien connait depuis toujours des personnages féminins emblématiques dont l’histoire a gardé trace. Ces visages de femmes construisent une forme de mythe autour du rôle de la femme dans l’histoire des Comores. Combatives, aux prises avec des systèmes que l’homme tente absolument de gérer, elles font figure de rebelles. Evidemment, une attention particulière est accordée à la reine Wabedja pour sa force de caractère et son intelligence qui se sont mesurées à l’aune de ses réalisations.

b) Le matriarcat en terre muslmane, un privilège paradoxal

Comme nous l’analysions au chapitre précédant, la cohabitation entre l’Islam et le système du Manyahuli induit la cohabitation entre matrilinéarité et patrilinéarité au sein d’une seule et même communauté. La religion impose des règles de respect mutuel entre l’homme et la femme tout en induisant une situation de dépendance et d’obéissance de la femme vis à vis de l’époux. La tradition quant à elle fait de l’époux un personnage secondaire dans la structure familiale et du père, un être dont l’autorité ne peut être assumée qu’en partenariat

299 Id., p.14 247

avec le beau-frère, le frère de sa femme. Ainsi, ce que la religion octroie comme privilèges revendiqués et utilisées avec abus par l’idéologie machiste, la coutume le minimise et le transfère au profit d’un autre homme. Mais dans ce transfère, les notions d’obéissance et de soumission que beaucoup d’hommes prônent dans nos sociétés, ne sont pas reconnues et revendiquées comme valeur, car la seule valeur qui prime dans la relation au mari et au frère, c’est celle du respect. Par ce bais, les comoriennes ont donc de tout temps pu échapper semble-t-il au mépris de leur sexe et surtout aux crimes d’honneur. Et on ne peut que s’en réjouir quand on voit que les mentalités machistes dominent les structures sociales. Et il suffit de se pencher sur la langue elle-même pour le constater. Aux Comores, on appelle la main droite symbole d’action et de force, mhono mmé (La main de l’homme) et la main gauche, jugée peu habile et impropre aux bonnes actions mhono mche (La main de la femme). De plus, ce sont elles qu’on épouse et non elles qui épousent (l’expression : on se marie, n’existe pas. On dit tsi lowola quand on est un homme et tsi lowoloi quand on est une femme. La nuance est grande et très importante car la première phrase est à la voix active, l’homme fait l’action, il est actif (j’ai épousé) et la seconde est à la voix passive, la femme subit l’action, elle est passive (j’ai été épousée). En fait, elles sont juste un peu plus protégées contre les aléas de la vie car la coutume comorienne veut que la famille d’une jeune femme et souvent, l’oncle de celle-ci, lui construise une maison dans laquelle elle s’installera avec son futur époux pour y fonder son foyer. Il en va de l’honneur de la famille de s’assurer du bien être de la jeune fille, ce qui importe c’est qu’en cas de problèmes, le mari n’a plus qu’à quitter le domicile conjugal et à « retourner chez sa mère », selon la formule d’usage. Tout cela est vrai et avantageux mais il n’empêche qu’on a toujours fait en sorte de rendre les femmes dépendantes des autres et plus souvent de l’homme, de son oncle à son père, à son frère, à son mari. Peu de femmes sont conscientes de cette domination mais celles qui le savent, sans vouloir imiter des idées qui n’ont rien à voir avec leurs traditions et de prôner des slogans vides de sens, font le travail de s’instruire par leurs propres moyens. Celles qui connaissent ces handicaps et qui ont conscience d’être, la majeure partie du temps, à l’origine de l’éducation de leurs enfants, apprennent à lire le Coran et lorsqu’elles sont en France, le français. Il nous faut tout de même nuancer nos propos car nous savons qu’il existe un grand nombre d’associations de femmes comoriennes qui participent activement à la modernisation du pays ; ce qui prouve aussi que les femmes ont un réel droit de regard sur le devenir du pays.

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c) Le personnage du mwana zidakani ou la bienséance du silence pour marque de pudeur

La femme est, durant de longues années de l’histoire du pays, et encore aujourd’hui, la détentrice du pouvoir d’hérédité. Elle est respectée, protégée et surtout, préservée de certains aléas de la vie. Mais tout cela ne fait appel qu’à une question de théorie, en théorie donc, la femme comorienne devrait être choyée et protégée. Le procédé du Moina Zidakani est l’illustration la plus radicale de ce principe. Il s’agissait de préserver la pudeur, la chasteté et la décence de certaines jeunes filles, le plus souvent l’aînée, des regards extérieurs, car celles- ci étaient en général destinées au Grand Mariage. Cette surprotection se manifestait par le fait que ces jeunes femmes, dès leurs plus jeunes âges étaient coupées du monde. Elles ne sortaient de chez elles que si la nécessité s’imposait, couvertes de la tête aux pieds, car nul n’avait le droit d’accès à leur beauté, elles n’étaient nullement tenues aux travaux ménagers ou domestiques et les labeurs des champs leurs étaient inconnus. Ces obligations physiques revenaient à l’ensemble de leurs cadettes. On leur apprenait la lecture du Coran en leur ouvrant un accès à Sa science. Cependant, cette pratique fut prohibée à l’arrivée du Président Révolutionnaire Ali Soilihi. Il dénonçait les dérives de ce procédé : dévalorisation de l’image de la femme forte au profit du consensus de son inutilité, le cloisonnement provoquant l’inhibition et l’hébétement, le non exercice de leur intelligence au profit de la bonne marche de la société et surtout l’hypocrisie. En somme, Ali Soilihi voyait en la femme un moteur essentiel au devenir du pays et non seulement un être dévolu au service de son foyer. Dans son roman, le Kafir du Khartala, Mohamed Toihir rend compte de cette image dépréciative et de relégation de la femme comorienne par la société. Lorsqu’ Idi, le protagoniste, reçoit son meilleur ami chez lui, celui-ci est choqué par la présence de Kassabou, la femme d’Idi, à leur table. Il poussera sa réflexion jusqu’à expliquer que l’attitude de son ami médecin est contraire aux us et coutumes de leur société. Deux pages seront consacrées à cette dissociation du lieu. Selon cette société, la place de la femme est à la cuisine, c’est à dire l’arrière cour de la maison, car le salon étant à l’avant, il est un lieu réservé aux hommes. Une femme ne peut donc se positionner qu’en arrière plan car le premier plan est exclusivement masculin. Suivant une suite logique de ce mode de pensée, les femmes, n’étant pas attendues au devant de la scène, elles n’avaient nullement besoin d’instruction.

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L’éducation de la pudeur Ainsi, et Milolo Kembe le souligne dans son ouvrage L’Image de la femme chez les romancières d’Afrique Noire : « Tout pour la mère se déroule dans l’optique de ce proverbe bantou : ‘‘la femme est le cœur de la famille’’ »300. La jeune fille étant destinée à l’équilibre du foyer, il était dans son intérêt et dans celui de sa famille de se consacrer aux tâches ménagères. De sorte qu’au préjudice subit par les autochtones lors de la colonisation des îles par la France en ne créant pas d’écoles et en freinant ainsi leur avancée, s’est ajouté leur mauvaise instruction due au déséquilibre provoqué par les principes ou idéologies de la société. En ce sens, ne sachant ni lire ni écrire, les moyens de communications dont elles disposent sont limités. Elles n’ont alors que la parole pour s’exprimer ce qui pourrait expliquer l’importance et la profusion de textes oraux, notamment féminins, « A part quelques exceptions, la femme a été exclue de la littérature ‘noble’ pour être confinée dans les formes de l’écriture au sens anthropologique, orale et sauvage (…), elle écrit ainsi en reproduisant des motifs d’essence communautaire dans l’acte artisanal, utilitaire et polymorphe. » souligne Abdessamad Dialmy.301 Il est vrai qu’à l’oral, elles ne cessent de se démarquer par une imagination, une créativité et un sens de la maîtrise du verbe particulièrement étonnants. En témoignent la densité de genres littéraires liés à l’oralité et presque exclusivement féminin tel que les Umbyio ou les halé. A l’oral aussi, lors des diverses manifestations qui leurs sont réservées lors du Anda, elles font preuve de finesse et de subtilité, alliant rhétorique et force de persuasion, poésie et morale. Et très fréquemment, si l’on prend en compte le conte et le mythe, dans la conscience de chacun, la Koko (grand-mère) s’érige comme la garante de l’imaginaire collectif. Il semblerait alors assez maladroit de conclure comme certains que « la femme comorienne n’écrit pas parce qu’elle n’en ressent pas le besoin, ou qu’elle n’a tout simplement rien à dire.»302 Bien que nous ne puissions décréter ces propos entièrement faux, il n’est pas à exclure que ce mutisme soit justifié par une forme de pudeur dont elle (la femme) se doit faire acte. Cependant, il nous semble plus censé d’expliquer ce fait par le retard dans l’accès à l’instruction. Notons tout de même qu’en matière d’instruction, nous nous limitons à l’école

300 Milolo Kembe, L’Image de la femme chez les romancières d’Afrique Noire francophone, Suisse, Editions universitaires Fribourg Suisse, 1986, page 19 301 DialmyI Abdessamad, Féminisme, islamisme et soufisme, Paris, Publisud, 1997 302 Idée soutenue par différents intervenants lors d’une conférence-débat sur la femme et la littérature aux Comores, juillet 2006, île Saint Denis 250

occidentale, c'est-à-dire l’école française. Car il est évident que le retard n’est pas le même au regard de l’instruction coranique et peut-être arabe. Pour preuve, certaines femmes célèbres de l’histoire des Comores, généralement issues de la noblesse comme la princesse Mmadjamu binti Msafumu ou encore Mmadjamu wa Mdombozi, mère du sultan Mbaé Trambwe, faisait montre d’une connaissance si avancée dans les lectures et les sciences religieuses qu’elle les enseignait. Elle donnait ses cours dans à la mosquée de Ntibe à Ntsudjni. On dit d’elle qu’elle fut une grande théologienne qui enseigna le Minhaj Al-Talibin303, Il est aussi intéressant d’ajouter à ce propos que le très grand lettré Shaykh Abdallah Saleh al Farsi a appris le Coran ainsi que « les rudiments de la langue arabe. »304 avec une Comorienne du nom de Bibi Zawadi Fatma bint Hamad. Justo lacunza-balda relève dans la biographie consacrée à Abdallah Saleh al Farsi par Shaykh S.Mussa cette phrase intéressante d’Al Farsi lui- même« Qur’an nimesoma kwa mwalimu wa kingazidja Fatma bint Hamad. »305 A l’origine de la troisième traduction du Coran en kiswahili, le Shaykh était vu tel l’«un des plus éminents lettrés, poètes et écrivains musulmans de l’Afrique. »306 Quand on comprend la reconnaissance et le respect dont jouissait le Shaykh Saleh Farsi auprès de sa communauté et au-delà des frontières zanzibaries, on ne peut qu’en déduire et admettre le mérite de Fatma bint Hamad. Celle-ci était sans aucun doute une lettrée ayant eu accès à l’instruction. Un élément de plus justifiant notre propos sur l’enseignement dispensé aux femmes. Il s’avère que les femmes ont eu bien plus tôt l’obligation de se rendre à l’école coranique. Là, elles apprenaient le Coran sans vraiment en apprendre la langue, la grammaire, la conjugaison ou autres notions permettant un réel apprentissage d’une langue étrangère. Nous avons ainsi constaté que les femmes ou même les hommes, n’ayant fréquenté que l’école coranique pouvaient prétendre reconnaître quelques bribes de mots ou expressions arabes, les prononcer mais ne savoir ni le parler et encore moins l’écrire. Et ce strictement

303 Damir Ben Ali, Masseande Chami Allaoui, in Mbaye Trambwe, Poèmes, pensées et fragments. p. 8 Le Minhaj Al-Talibin est un des ouvrages de référence juridique islamique élaboré par l’Imam An Nawawi. Il s’agit d’un précis composé de hadiths permettant d’analyser et comprendre le comportement à tenir en tant que musulman dans les situations les plus courantes que les plus exceptionnelles (comment se comporter en société, gérer un conflit, lors d’une guerre, quel comportement avoir vis à vis de sa femme, de son mari, de ses enfants etc… Cet ouvrage à lui seul permet d’évaluer le respect et la notoriété qui étaient reconnues à Mmadjamu Binti Msafumu. 304 Justo lacunza-balda, Aspect du leadership islamique contemporain en Afrique orientale, in Autorité et pouvoir chez les swahilis, Khartala-Ifra, Paris 1998, p.109 305 « J’ai étudié le Coran avec une dame des Comores, Fatma bint Hamad », S. Musa , Maicha ya Al-Imam Abdullah Saleh Farsy Katika Ulimwengu wa Kiislamu ( La vie de Al-Imam Adullah Saleh Al Farsi dans le monde musulman), Dar es-Salam, 1986 306 Justo lacunza-balda, Aspect du leadership islamique contemporain en Afrique orientale, in Autorité et pouvoir chez les swahilis, Khartala-Ifra, Paris 1998, p.109 251

indissociablement du fait que plusieurs d’entre eux pouvaient réciter, et sans fautes de prononciations, d’importants versets tirés du Coran, donc en arabe.

V.3.2 Thématiques et rôles de la femme en littérature comorienne

a) Des thèmes d’hommes

Excepté les contes où elles apparaissent comme collaboratrices, à l’exemple de ceux recueillis par Sophy Blanchy ou encore Masséande Chami Allaoui, jusqu’en 2009, aucune femme comorienne ne figure dans les rangs de nos écrivains. Tels que sont amenés les récits, au-delà de l’histoire, des enjeux politiques et des revendications latentes qui s’insinuent sous forme de jeux de mots, nous faisons le constat d’une littérature masculine, non seulement dans les thèmes abordés mais aussi dans les points de vue. La première vague de romans prend pour trame narrative, l’histoire du pays. Celle-ci va être vue sous des angles différents mais toujours dans une approche d’action. Les héros, des hommes, s’engagent et parfois malgré eux, dans des luttes contre les idéologies d’assouvissement du peuple, et pour des logiques de liberté et de refus de domination arbitraire. Ces textes, complètement encrés dans la réalité historique des îles mettent en avant des thématiques que l’on pourrait associer à des thématiques masculines. Ainsi, de La république des imberbes en passant par Le Bal des mercenaires, ou encore Et la graine, tous traitent avant tout de l’histoire moderne, post coloniale des îles. On y raconte les abus de pouvoirs des dirigeants, la politique et ses bouleversements, ses travers, ses excès ; la quête de pouvoir, le malaise social vécu par l’individu mâle. N’écrivant pas, les femmes ne parlent pas. Pourtant, elles apparaissent dans les textes où parfois même, l’auteur prend la parole afin de témoigner pour elles. Ce que nous verrons plus loin avec le personnage de Fatma. La question revient à se demander comment l’écrivain comorien, en l’occurrence le romancier, dépeint il la femme. Quels sont, au travers de son écriture, les visages et les rôles qui leur sont attribués ?

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b) La femme comme vecteur de l’action

Il est vrai que dans les romans que nous disposons, aucun ne met en avant le personnage d’une femme comme héroïne de l’histoire. Au contraire, elle est présente mais non pour agir comme il se devrait mais pour permettre à l’homme d’agir. Nous retrouvons ici la corrélation plan arrière plan. Alors, non seulement, il n’y a pas encore d’écrivains du sexe « faible » mais même la place des héros est réservée aux hommes. Nous analyserons les différents rôles de la femme au sein de l’intrigue romanesque en nous appuyant sur les romans le sang de l’obéissance, Le Kafir du Khartala, et le Bal des Mercenaires. Dans un premier temps, lorsque le roman s’inscrit dans une dimension historique, la femme apparaît comme celle qui fait avancer l’action. Sans y participer activement, donc sans la faire, elle permet au héros masculin d’aller au devant de sa quête. Elles symbolisent alors le moyen. Dans un deuxième temps, lorsque la femme apparaît comme le personnage principal, et c’est le cas dans le Sang de l’obéissance, on s’aperçoit que son rôle consiste à subir. Passive, Fatma est un personnage absent. Elle n’est pas maîtresse de l’action, elle est au contraire, celle qui doit se soumettre (il s’agit, ici du mariage arrangé par ses parents). Le roman s’ouvre sur un bangwe (place publique où se retrouvent les villageois pour discuter). Plusieurs hommes sont en présence, ils discutent du prochain mariage prévu, celui du vieux Mwena…. parti en France faire fortune avec Fatma. Les positions des personnages sont diverses et l’instituteur tente de démontrer en quoi ces pratiques sont archaïques et donc à bannir. Ce petit tableau dresse un portrait rapide des comoriens au travers de leurs priorités, ici le Grand mariage. Ainsi, alors que l’auteur nous met en présence des personnages et leurs opinions bien marquées, la voix de Fatma, principale concernée, ne se fait pas entendre. Tout au long du texte, nous assisterons à d’autres scènes, axées sur le mariage de la jeune fille mais le lecteur devra attendre les dernières pages pour être mis en sa présence. Et même alors, les pensées qui nous sont livrées sont diffuses, d’une profonde tristesse et de solitude. Des pensées qui se mêlent à la voix du narrateur, indissociables de la voix de l’homme. On ne parvient donc pas à savoir si ce sont celles de Fatma, une jeune fille qui voit sa vie s’écrouler pour l’honneur de la famille ou celle du narrateur, l’homme auteur penché sur le malheur de celle-ci. Cependant, au bout du compte, la future épousée réagit. Elle fuit le domicile parental et disparaît on ne sait trop où. Ce sera sa seule et unique action. Peut-être cette fugue est-elle synonyme de mort. Quoi qu’il en soit, Fatma s’évanouit dans la nature. Un flou est jeté sur

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son devenir et le lecteur ne peut réellement savoir si par fuir, il ne s’agissait pas de mourir et donc d’un suicide. Action ultime, révélatrice du désespoir qui entourait la vie de la jeune fille, sa détresse qui n’aura d’issue que sa disparition. Celle qui n’avait jamais pu faire entendre sa voix car inintéressante du point de vue de la société fuit. Ce sera là son seul et unique cri, celui de l’anéantissement, laissant ses parents en proie au plus profond chagrin. La disparition de Fatma n’est pas décrite avec toute la certitude de la colère mais plutôt avec la fatalité de la résignation. Il s’agissait de la seule alternative à son drame, l’échappatoire. Dans les romans le Bal des Mercenaires et le Kafir du Khartala, l’histoire racontée est celle de deux individualités aux prises avec le système en place. Miloude, jeune homme de la campagne souhaite épouser Mkaya, sa petite amie. Mais celle-ci est promise par sa famille à un vieil homme qu’elle ne veut pas puisqu’elle aime Miloude. Face à cette union forcée et voyant la leur compromise, le jeune homme décide de quitter le village et de se rendre dans la capitale pour « faire fortune ». Mais bien avant cette décision, il se trouve confronté à la peur car, menacé par les frères de sa bien aimée, il tente de leur échapper avant que ceux-ci ne le tuent. En effet, les frères de Mkaya, ayant appris la relation existant entre leur sœur et Miloude, décident de laver l’honneur de la famille. Ils jugent que : « Un tel outrage ne se lave que dans le sang. Ce type qui a joué au requin dans notre quartier et avec notre famille doit subir le sort réservé aux requins qui se font attraper : un coup de harpon dans la gueule. » La mort ou la fuite sont les deux seules alternatives qui s’offrent au jeune homme. Soit, soucieux de rester fidèle à son amour et de pouvoir réaliser leur rêve d’union, il quitte son village, sa famille en vue de faire fortune, revenir le plus tôt possible la chercher. Soit il reste encore et risque la mort à cause de sa bien aimée. Dans les deux cas, le choix demeure difficile car il pousse soit vers une ultime séparation du couple, soit vers une séparation dont la durée est indéterminée. Le plus frappant est que dans les deux cas, c’est Mkaya, donc la femme qui est à l’origine de l’histoire, elle amorce l’action sans pour autant agir. La femme comme vecteur de l’action se retrouve aussi dans le Kafir du Karthala. Aubéri est une étrangère, « jeune femme brune, quelques taches de rousseur agrémentaient ses joues. De taille moyenne avec des yeux vert océan, profonds et émouvants, elle avait coupé ses cheveux à la garçonne. » Elle a ça de particulier qu’elle n’est pas comorienne. Elle est femme certes, mais son statut d’étrangère développe autour d’elle une forme de fantasme chez le héros. Aubéri n’est pas comorienne et c’est bien pour cette raison particulière qu’Idi va l’aimer. Ici, la jeune femme arrive pile au bon moment pour faire avancer l’histoire. Le docteur Idi Wa Mazamba apprend qu’il est atteint d’un cancer et que ses jours lui sont

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comptés. Comme nous le verrons tout au long du texte, le héros était en total désaccord avec sa société. Il aspire à autre chose et, comme pour lui permettre d’aller au devant de ses peurs et de ses craintes, il découvre sa maladie. A ce moment, l’histoire s’amorce car à l’annonce de sa mort prochaine, il « retrouva son sourire, à la grande stupéfaction de son collègue. »P.9. Dans ce besoin de s’extraire du cocon, Aubéri arrive pour incarner l’ailleurs et permettre au héros d’oser se révolter. L’amour lui offre l’équilibre nécessaire à sa libération. Aubéri devient la femme libératrice du gouffre social dans lequel l’individu a été plongé. Idi rêvait d’un ailleurs et c’est par elle qu’il y accède. Celle-ci n’est pourtant pas l’adjuvant conscient et dont le rôle est parfaitement délimité dans l’esprit du héros. La femme n’a pour rôle ici comme dans d’autres textes que celui d’aider le protagoniste à s’extraire du joug de la communauté. Pourtant, nous devons souligner qu’ Idi n’est pas le personnage courageux avec lequel le lecteur pense évoluer, il est au contraire l’homme lâche d’une société qui le domine au plus haut point. Sa liaison avec Aubéri n’a lieu avec toute simplicité que parce qu’au préalable, il se sait au seuil de la mort. N’ayant plus rien à craindre puisqu’il n’a que quelques mois à vivre avec son cancer, il peut s’ouvrir et se laisser vivre tout ce qu’il désirait ardemment vivre. La femme a dans ce contexte, le rôle d’adjuvant tout en étant le moyen et la finalité permettant une auto identification inversée.

c) Des choix de femmes portés par des voix d’hommes

Du choix de la femme Comme nous le voyons dans le Sang de l’obéissance, le thème abordé ici est celui du mariage arrangé qui, organisé sans le consentement de la jeune fille se transforme en mariage forcé. Ce thème, abordé de la sorte pose l’auteur en porte parole d’un malaise social, contre lequel il s’érige. Cependant, malgré son dessein d’illustrer la douleur des jeunes filles contraintes à une union non désirée, en inscrivant une femme comme protagoniste ou héroïne de l’œuvre, nous ne pouvons que constater cet échec. La jeune Fatma illustre mieux la non présence du héros. Peut être le romancier n’aura-t-il pas assez cerner les pensées d’une jeune femme forcée au mariage ? En effet, nous regrettons que la voix de celle dont on n’entend fréquemment le nom ne se fasse pas entendre elle-même. La femme reste encore une fois en retrait, en marge d’une histoire dont elle est le centre et qu’elle ne fait que subir, à l’image du mariage auquel on la condamnait.

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Les 5 femmes307 de Baco (Mambo) Abdou Salam Le dernier recueil de nouvelles de Baco, intitulé 5 femmes, s’organise autour de cinq nouvelles dont chacune aura une narratrice en porte-parole. L’idée reste en ce sens particulièrement intéressante puisqu’il s’agit ici de leur donner la parole et de les laisser s’exprimer au travers d’une plume résolument masculine. Les nouvelles sont dirigées par des narratrices qui s’impliquent pleinement par la première personne du singulier, décrivant une forme de mini pensée qui se voudrait intime et intimiste de ces cinq personnages. L’écriture plutôt oralisée nous place dans cette modernité diffuse de la littérature du XXème siècle où les règles s’amassent éclatées et sans codes précis si ce n’est celui de l’intuition et du feeling. Les récits paraissent alors de brefs passages clés de la vie décès cinq jeunes femmes, moments intimement partagés et pensées intimement liées, elles s’offrent un instant de pose et regardent à travers leurs yeux de femmes, leur statut d’élément indéfini dans une société en mouvement jugé descendant. Deux traits polémiques majeurs sont ainsi tracés en avant, la société mahoraise sous deux angles : celui de la place de l’intellectuel « indigène »mahorais dans son propre espace mais qui y évolue en marge, contraint et résigné par cette forme d’état de fait. Et dans un deuxième temps, la femme dans ce système clos. Une femme qui se veut libre de penser et de vivre selon ses désirs mais pourtant contrainte elle aussi de réaliser la dureté d’une réalité dans laquelle elle se meut sans jamais oser s’imposer. De là nous ne pouvons que nous interroger sur ce statut bancal et sa position réelle. La femme mahoraise est-elle aussi frustrée dans ses aspirations et dans son être, dans ses désirs et sa parole pour qu’un homme s’exprime en son nom, au risque d’aller sur cette forme de contresens ? Car il est une chose bien évidente dans ce recueil de Baco, c’est qu’il s’agit de beaucoup de choses, sauf du regard de la femme sur sa société. Il est question de politique, de l’homme et de politique, de l’homme et de ses choix politiques, de l’homme comme leader politique, de l’homme et de ses faiblesses, mais à aucun miment, il ne s’agit de femmes. Il y a alors dissonance entre le projet de l’écrivain et la réalité de son œuvre. Cette dissonance ne se mesure pas tant aux explications que pourrait en donner l’auteur lui-même, mais plutôt au non respect du pacte de lecture. Car l’auteur propose et le lecteur dispose. Mais ce que l’auteur laisse présager comme champs d’exploitation thématique par le titre du recueil et ceux des nouvelles, c’est à dire des questionnements de femmes ambivalentes, le lecteur ne le perçoit pas. En ce sens, la

307 Baco abdou Salam, 5 femmes, Marseille, Encres du Sud, 2002

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démarche de l’écrivain apparaît comme une visée poétique laissée en surface. Et pour cause, ces narratrices qui se revendiquent libres, engagées, intellectuelles par leurs propos où point une certaine désinvolture, une légèreté d’être de femmes modernes, de femmes libres de la pression sociale ne le sont que par pure projection. Leurs interrogations peuvent être lues comme futiles, hors de propos ou même simplement inutiles. « Pourquoi est-ce qu’une fille ne pourrait pas faire une pipe dans la rue, à son petit ami si elle en éprouve le désir ? » demande Faî. Mais est-ce là une preuve d’émancipation, de liberté ? Etant donné que Mayotte est une île dont près de 99% de la population est musulmane, la question posée pourrait dénoter une forme de rébellion. Or cette question en elle-même traduit une pensée tout ce qu’il y a de plus grotesque car, de toutes manières, dans n’importe quel pays, aucun homme ne se fait tailler une pipe dans la rue, pour reprendre les termes de la narratrice. En fait, dans ce recueil aux apparences féministes, les interrogations les plus profondes seront en général formulées par des hommes, comme la question du rôle et des postes de subalternes occupés par les cadres mahorais chez eux, tandis que les postes à responsabilité seront l’apanage des wazungu (les blancs). On s’interroge sur la situation géopolitique de cette île d’origine comorienne et de statut française, écartelée entre deux univers et dont l’histoire s’est figée en une époque imprécise entre terre d’asile pour certains et pays soumis et dominé pour bon nombre d’autochtones. L’indignation et la révolte se font sentir par des voix masculines qui refusent de voir toute leur vie se décider au profit du métropolitain, le mzungu. Cette thématique de la dualité revient sous la même forme dialoguée de deux homme ayant opté pour deux positions différentes face au problème de l’identité mahoraise : être plus français en demandant d’être reconnu comme DOM (Département d’Outre Mer), et accepter encore cette domination séculaire du blanc sur le noir, du colon sur le colonisé ou revendiquer des origines communes au reste des Comores, terre de grande pauvreté matérielle ? Au cours de ces deux dialogues, aucune des narratrices n’intervient. Elle assiste au contraire en spectatrice, ne pouvant prendre part à la réflexion. De plus, le lecteur s’aperçoit rapidement que malgré les différents titres des nouvelles, il relit à quelques nuances près, exactement la même histoire vécue par le même personnage : une femme d’entre 20-25 ans occupant un emploi plutôt administratif, ayant un petit ami, une mère et au moins une petite sœur entretient une relation privilégiée avec son meilleur ami victime d’un évènement malheureux. Celle-ci n’étant jamais la première impliquée, se contente de suivre l’événement en restant à l’extérieur. Ainsi Zaï « La femme qui naviguait dans les profondeurs de l’abîme » à Fanta « La femme qui était presque une amazone », de

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Sandy « Une femme qui croyait avoir trouvé le grand amour » à Nary « Une femme qui avait des remords » et sans oublier Touma « Une femme dans un monde de chimères, le lecteur rencontre la même narratrice déclinée sous cinq prénoms différents selon la nouvelle, car ici, l’histoire de l’identité est une donnée plutôt absente. C’est cette narratrice elle-même qui se démultiplie et emploie les mêmes codes de discours, le même cheminement de pensée, le meême langage d’une nouvelle à l’autre. La narratrice Zaï se présente en ces termes : « Mon vrai nom est Zayhatana, ce serait logique qu’on m’appelle Zayha, et même après tout Zayhatana puisque c’est mon vrai prénom. Mais pas du tout. On m’appelle Zaï, et je suppose que c’et logique d’une certaine manière. » Et une nouvelle plus loin, la narratrice Fanta dira : « Mon vrai prénom est Dominique, ce serait donc logique qu’on m’appelle Domi et même après tout, Dominique puisque c’est mon vrai prénom. Mais pas du tout, on m’appelle Fanta. » Les 5 femmes de Baco se voulaient un recueil de nouvelles sur l’expression d’interrogations féminines, une sorte d’étendard de la pensée trop souvent tue de femmes en perpétuelle introspection sur elles-mêmes, mais malheureusement, l’impression qui subsiste à la lecture de ce recueil, c’est que ces femmes ne sont que des pots de fleurs servant de décors à une parole d’homme. Elles servent de décors et de prétexte. Décors à la mise en place d’idées développées par des hommes, prétextes à l’originalité d’un écrivain. Ici, malgré cette volonté affichée de donner la parole aux femmes, l’auteur les confine, peut-être par maladresse, dans un statut, un rôle médiocre et parfois indécent d’individus passifs. La femme mahoraise et donc Comorienne apparaît alors comme un personnage amorphe et frivole évoluant en marge de son destin car, tandis que les hommes, ses amis, s’engagent, elle, elle regarde. L’auteur souhaitait mettre en relief la question du devenir de l’île de Mayotte et bien que nous ne puissions saluer la dextérité artistique de son œuvre, nous pouvons du moins relever l’intérêt de cette problématique de plus en plus conflictuelle, Mayotte et ses cadres « indigènes », qui traduit le malaise souvent oublié ou parfois occulté, des mahorais de plus en plus dépossédés de leur devenir.

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V.3.3 Visages de la femme dans la trame romanesque

a) Portraits ou clichés On retrouve différents types de visages dans les romans cités. Visages fictifs ou inspirés directement de la réalité, ils sont parfois les résonances d’idées communes préconçues et préétablies. De la maquerelle, à la commère, en passant par la marieuse, la rabat-joie, l’intéressée, la frivole, bref, toute une panoplie d’images reflétant une certaine opinion dépréciative de l’homme sur la femme, et dont Mohamed Toihir donne les caractéristiques propres à chaque adjectif. Le personnage de la mère dans Les coulisses d’un mariage incertain de Ambass Ridjali et Marâtre de Salim Hatubou S’il est une figure féminine emblématique, c’est bien la mère et pas n’importe laquelle. Réputée de nature douce, aimante et compréhensive, le personnage de la mère dans les œuvres comoriennes est souvent tout autre. Et dans les textes cités, elle est au contraire tout l’opposé et bien pire. Un personnage déterminé, calculateur et égoïste

Les femmes sont ainsi réputées pour n’être que des commères, à l’affût du moindre ragot et raffolant des potins pouvant détruire la plus belle et la plus forte des idylles. Le phénomène décrit ici est celui qui se traduit aussi dans la société comorienne dans le sens où on admet volontiers qu’il ne faut ni faire confiance à une femme, ni la prendre à témoin, ce que préconisent les sciences de la religion musulmane. Il faut trois femmes pour faire un témoin oculaire fiable alors qu’un seul homme suffit. Cette image dépréciative de la femme par sa société est rendue dans la réflexion d’Issa. Issa, en restant dîner chez le docteur Wamazamba, est choqué de voir la femme de celui-ci à table avec eux. Il juge cette attitude de « pousser le uzungu jusqu’à manger avec la sienne et à donner le mauvais exemple à cette petite Lafüza ». Donner le mauvais exemple équivaut à montrer à l’enfant qu’elle pourra plus tard, s’asseoir à la table de son mari et manger avec lui. Il faisait état auparavant de la place et du lieu que devait occuper une bonne femme comorienne « La place des femmes est à la cuisine. C’est leur monde. Monde qui est bien sûr interdit aux hommes sauf aux garçonnets de moins de douze ans à la sexualité encore en sommeil. La cuisine et la place qui sépare cette dernière du salon constituent leur royaume. […]. Là elles peuvent à loisir cancaner, caqueter, papoter, pépier, piailler et ragoter. Elles donnent libre cours à leur fertile imagination : elles

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surprennent mais seulement par leur sagace imagination, des jeunes filles dans les vallas ; celles-ci sont déflorées, mises enceintes, toujours par la vigoureuse imagination des commères ; elles y décident d’y faire divorcer tels couples, de marier tels autres… » Autres que ces figures peu gratifiantes, nous retrouvons aussi des aspects plus communs et louables de la femme. Celle liée au souvenir, à la terre et celle qui symbolise l’amour. La Koko de Momo et Sitti, deux générations bien distinctes, la grand-mère et la petite fille participent à l’équilibre du héros en lui offrant leur affection inconditionnelle et surtout parce qu’elles recoupent en elles, la force du souvenir. Au fil de l’évolution du héros dans ce nouvel univers, la France et plus particulièrement la banlieue de Sarcelles, le personnage de Sitti crée un pont entre les Comores et Paris « les merveilles des îles dansaient en Sitti »p.35. Elle est dans sa nouvelle vie le visage de ses souvenirs. « Tu sais que tu ressembles beaucoup plus à ma mère qu’à Maman. », lui déclare Momo, quelques temps après son arrivée. Sa mère étant morte à sa naissance, cette ressemblance réconforte le héros, jeune étranger se construisant des repères nouveaux. Ainsi, Sitti est fréquemment décrite comme la fleur d’Ylang chère au souvenir de Mwandzé. Et bien plus, elle est en elle ce que Momo garde de souvenirs poétique de son île, sa nature, sa végétation, son parfum de fleurs : « A l’égal du décor harmonieux qu’offrirait une nature idéalement composée, où des cocotiers par le jeu de leurs feuilles, font scintiller sur les houles d’une plage, les paillettes d’un soleil îlien, le corps de Sitti suggérait ce paysage magique. »p. 41. Et lorsque Momo pense à sa grand- mère, c’est alors aux îles qu’il retourne.

b) La femme comme emblème du sentiment amoureux. En effet, Idi se rend à l’hôpital, comme à l’accoutumée, il apprend par un de ses confrères à qui il avait demandé des analyses sur une douleur de plus en plus fréquente en lui, qu’il est atteint d’un cancer, ne lui laissant que quelques mois à vivre. En sortant de l’hôpital, il rencontre Aubéri, sa patiente depuis quelques temps. Ses désirs longtemps refoulés se font plus pressants, il décide de la voire en dehors du cadre professionnel. Le lecteur voit le personnage basculer dans un radicalisme anti comorien de moins en moins répressible. Et l’individu comorien en lui, de mourir. Se dévêtant de ses croyances, il s’installe avec la jeune femme sans l’avoir épousée, ce qui est contraire aux principes religieux inculqués dès sa prime enfance et qu’il arborait dans les débuts du texte. Il délaisse le lit conjugal, mettant ainsi à mal son devoir de mari, ses devoirs de citoyen. Ne lui restent que sa fonction de médecin et son amour pour la jeune occidentale. Le sentiment d’amour, lié à la certitude de la

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mort prochaine, donc certitude de sa fin imminente, tue la part de comoriennité en lui, donnant naissance à Idi, l’anti communautaire, l’individualiste, l’occidental. Il en est de même pour Momo qui, se découvrant au fil des pages308 une passion violente pour sa jeune cousine Sitti finit par en perdre la tête car à la fin du roman, le jeune Mwandze n’est plus que le fantôme de lui-même. Venu des Comores pour faire ses études, il sera logé chez sa tante, la mère de Sitti. Une complicité naît dès les premiers instants entre les deux personnages : « Leurs regards se rencontrèrent, dans un doux choc, d’où naquirent des sourires rapidement échangés. » Cependant, découvrant progressivement son attachement pour la jeune fille, le héros va dans un premier temps se le dissimuler : « elle lui manquait. Il ne voulait pas se l’avouer. »; « Poussés par leurs désirs, des désirs longtemps camouflés… »; puis dans un deuxième temps, se créer les occasions de vivre cette histoire, « Quand les instincts se réveillent et prennent possession, pour se venger, de la raison, leur éternel bourreau, nul ne peut prévoir jusqu’à quel ciel ils peuvent entraîner… Ils finirent par s’embrasser. » Ici, ce penchant pour sa cousine pousse Momo à mettre à mal tous ses principes de base : « l’école coranique, la soumission aux mœurs sociales… », ainsi que celle concernant sa relation à la famille. D’une part il ment à sa tante en abusant de sa confiance lorsque celle-ci lui permet de partir en voyage avec Sitti. C’est parce que la tante a entièrement confiance en son neveu qu’elle leur donne l’autorisation de partir ensemble en Angleterre. D’autre par il profite de ce voyage pour vivre pleinement sa passion, déflorant la jeune fille, lors d’une nuit d’amour, oubliant la notion de pêcher dans un tel acte strictement proscrit. Au sortir de ce voyage, leur vie bascule du tout au tout, l’équilibre premier se renverse. Leur liaison qui se voulait discrète éclate au grand jour car Sitti découvre qu’elle est enceinte. A l’annonce de cette nouvelle, la tante meurt dans un accident de voiture, Sitti se suicide et le père sombre dans un profond mutisme lié à la culpabilité. Le lecteur apprend alors qu’il est le père du protagoniste. Les deux jeunes gens avaient, inconsciemment construit leur amour sur un interdit majeur, ils étaient frère et soeur : « Et pour comble de la catastrophe, elle ajouta, entre deux hoquets, avant de finir que, d’après les dernières paroles qu’Ali avait prononcées avant de sombrer dans un dangereux mutisme, lui Mwandze, était son fils naturel…Momo espéra qu’il allait se réveiller et constater que ce n’était qu’un mauvais rêve. Or, il ne put espérer longtemps ni se retenir éternellement, il explosa. Plus que son cœur, c’était sa raison qui lâcha. » Cette affection pour Sitti annihilait toutes formes de valeur chez le protagoniste ce qui l’a entraîné au final, dans une totale déchéance.

308 Sast Saïd Ahmed, Le crépuscule des baobabs, Tous les passages cités sont extraits du roman comme suivant l’ordre des citations, p .35, p.43, p.26 , p.112 261

La femme, cristallisation de l’amour a provoqué sa propre mort qui par la suite conduit à la mort de l’être conscient chez le héros, le faisant alors basculer dans la folie

c) La femme : allégorie de l’opposition Orient/Occident

Au-delà du sentiment amoureux qui conduit le héros à sa perte, une autre image de la femme prédomine dans l’œuvre de Mohamed Toihir. On retrouve cela de façon anodine dans le Crépuscule des baobabs, mais pour le Kafir du Kartala, l’intrigue se construit aussi autour de cette dualité. La figure de la femme prend des dimensions allégoriques et philosophiques, poussant le regard du lecteur vers des considérations comparatives sur deux femmes qui, dépassant leurs simples visages, deviennent les emblèmes de deux univers distincts. En somme, la femme ne serait pas juste l’autre sexe, celle des épanchements amoureux, mais plutôt la rencontre dévastatrice entre deux mondes opposés que sont l’Orient et l’Occident, deux pays la France et les Comores, deux identités en un seul homme, le communautaire et l’individualiste, deux femmes Aubéri et Kassabou. La relation entre ce comorien et cette française sera vécue dans la plus grande intimité. La femme devient alors la source de plaisir, celle qui permet l’accès à cet ailleurs tant convoité par cet homme qui réalise au fil du texte à quel point, « il avait assez sacrifié pour lui (sa femme) plaire et plaire à la communauté. ». La liaison entre les deux personnages est vécue avec une passion charnelle et une intensité qui poussent Idi à admettre que : « aucune comorienne ne lui avait jamais dit » les mots d’amours d’Auberi. Le contraste est sans cesse fait entre l’attitude aimante d’Aubéri et celle détachée de Kassabou, la femme du héros. Dans ce rapport à Aubéri, transparaît une certaine frustration chez le comorien, et peut-être chez l’auteur. La liaison décrite n’est pas seulement celle possible entre un homme et une femme, mais bien entre deux cultures et deux univers différents, la France où les femmes témoignent de mœurs plus libres et plus ouverts et les Comores où elles font preuve de « pudibonderie paralysante au lit », la France où les femmes savent être douces et agréables et dire des mots d’amour, elles sont sentimentales et les Comores où elles sont matérialistes et frivoles. Idi pense de Kassabou, peu de temps avant le divorce : « Chez elle, tout était conditionné à l’argent, à l’or, au nombre de vaches, de terrains, de marmites, de casseroles, d’assiettes, de tasses, de robes, de chaussures qu’elle avait ou qu’elle n’avait pas. »P.179. La femme comorienne n’a pas de conversation, elle est décrite comme frivole intéressée mais

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inintéressante. Au contraire, la femme française sait soutenir des conversations et sais reconnaître l’intellectuel chez les sauvages. Leur première rencontre est placée sous le sceau du cliché. Aubéri, femme française, un verre de vin à la main se retourne intriguée et agréablement surprise sur Idi, l’ayant entendu citer Baudelaire. Il y a donc dans ce roman, la confrontation entre deux modes de pensées complètement différent l’un de l’autre. L’un est sublimé et l’autre dénigré. La femme qu’est Kassabou renvoie à des coutumes que rejette le héros devenu plus indépendant. Il prône et aspire à d’autres modes de pensées, un autre mode de vie. Ce qu’il appelle sans ménagement « pudibonderie » n’est peut-être que la conséquence d’une éducation de la pudeur sur l’exhibition.

Cependant, il nous semble important de souligner une chose ici : la relation mise en avant et décrite par l’auteur du Kafir du Karthala comme possible seulement parce que la jeune femme n’était pas comorienne rend compte d’une certaine naïveté chez l’auteur lui même car, si l’on s’éloigne du contexte du couple mixte, on s’aperçoit que la relation entre Idi et Aubéri n’est rien d’autre qu’une relation banale entre un homme et sa maîtresse. De plus, on peut discerner une certaine hypocrisie chez le personnage qui ne s’assume pas totalement, se cachant toujours derrière des prétextes pour tenter de se libérer, sans pour autant y parvenir totalement. En effet, le paroxysme de l’histoire passionnelle et charnelle qui lie les deux personnages leur permet de faire l’amour dans une église, transgressant et bafouant ainsi la sacralité du lieu de culte. Ce que le personnage semble nous faire comprendre manque de crédibilité, il s’est libéré du joug social au point de ne témoigner aucun respect à la religion mais il s’agit d’une église. Cela ne donne aucun indice sur sa force de caractère mais renforce l’idée d’anarchisme le liant à Aubéri. C’est elle qui enfreint une loi, lui ne couche pas avec elle dans une mosquée, ce qui au regard du lecteur aurait pu être la preuve d’un réel détachement chez le héros. En règle générale, l’homme insatisfait découvre toujours chez sa maîtresse, tout ce qu’il n’a pas chez sa propre femme. En réalité, dans un constat plus universel de ce roman, on pourrait tout simplement classer cette idylle dans les notions clé que développent certaines sciences humaines comme la psychologie, où l’on rend compte d’un phénomène de recherche de soi chez les hommes qui atteignent la quarantaine. Idi n’a effectivement pas encore quarante ans, mais il fait dans un sens, sa crise de la quarantaine. Le docteur Wamazamba est mal dans sa peau. Plus rien ne le satisfait. Sa vie conjugale ne l’intéresse plus. Il a besoin d’autre chose. En ce qui nous concerne, il nous semble assez

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exagéré de peindre la femme comorienne comme un être intéressé et incapable « d’exprimer le beau, le bien ou le bon ». La description est sans appel et trop pleine de préjugés surtout lorsqu’il s’agit de comparer deux types de femmes comme reflet de leur société plutôt que de voir en elles, les fondements de deux modes d’éducation. D’autant plus que la société comorienne étant fondée sur les préceptes religieux inculqués par l’islam, ne prône pas l’amour mais le mariage. On s’arme de patience et de pudeur pour le respect de soi et de son prochain. « Le problème de la littérature féminine est un thème cher à tous les continents. Le champ de l’écriture féminine est plus réduit que celui de l’écriture masculine. Certaines considérations historiques et sociales sont les causes de ce phénomène. En Afrique, comme partout l’organisation familiale étouffait le talent féminin. Exclues de la vie extérieure et active, les femmes manquaient d’expérience et de culture. Cette dernière a une influence sur le développement de la littérature féminine. »309

Certes, nous avons pu voir qu’il s’agissait là d’une des explications les plus viables face à ce vide mais cela n’a pu tout justifier. D’autres considérations autres que l’accès à l’instruction se sont révélées importantes. Le rapport entretenu par la société sur la femme, le regard que celle-ci posait sur elle, l’éloignant des problèmes du dehors (la société) et la confinant dans les choses du dedans (la maison, la famille). Cependant, une originalité se fait sentir sur la femme comorienne. La notion de matriarcat étant encrée, celle-ci est privilégiée. Nous savons, pour l’avoir vu et vécu, que si la femme comorienne souhaite prendre la parole en public, lors de conversations ou débats intellectuels et scientifiques, il lui suffit de l’exprimer, au même titre que les hommes, en levant le doigt. La priorité lui sera accordée avec plus d’empressement que s’il s’agissait d’un homme. Le problème reste alors ce doigt, qui tout comme la parole, ne se lève que trop rarement. Peut-on en ce cas, présupposer que les notions de pudeur telles qu’on les inculquait soient encore trop vives dans l’esprit de la femme et de la population comorienne? Ou bien devrions nous voir là un vide dans la prise de conscience de leurs désirs, refoulés ou naturellement muselés ? Un travail de conscientisation est à faire, sur le temps ; un temps nécessaire leur permettant de percevoir qu’elles ont des choses à dire et de les dire, que l’écriture, au même titre que l’oralité est un moyen de communication dont elles peuvent, elles aussi, se servir afin de communiquer. Et, compte tenue de la jeunesse du roman comorien (à peine vingt cinq ans), ce temps est encore trop

309 Milolo Kembe, L’Image de la femme chez les romancières d’Afrique Noire francophone, Suisse, Editions universitaires Fribourg Suisse, 1986, page 22 264

court. Nous formulons cette hypothèse car nous savons qu’à l’époque de la parution de la République des Imberbes, premier roman comorien d’expression Française, c'est-à-dire en 1986, le besoin d’instruction des jeunes filles n’est plus à démontrer et rares sont celles qui ne fréquentent pas l’école au moins jusqu’à la fin de la primaire. De plus, au regard des auteurs comoriens, à l’âge auquel ils publient leurs premiers textes (environs trente ans), de plus en plus de femmes ont déjà elles aussi accès aux études supérieures. Pour ne pas donner raison, à certains intellectuels prétendant que si les femmes n’écrivent pas, c’est peut –être tout simplement parce qu’elle n’ont rien à dire. Pourtant nous sommes convaincues de l’erreur ou de l’appréciation trop hâtive de ces partisans du non désir d’écrire, chez la femme comorienne. Le temps devait nous donner raison. Soulignons tout de même que les portes de l’enseignement se sont ouvertes au fur et à mesure, lentement mais sûrement, pour la femme et que c’est vers la fin des années soixante dix, début quatre vingt que l’évidence s’est affirmée.

V.3.4 Ecriture et féminité

a) La scolarisation tardive des femmes Dans son ouvrage, Littérature de L’Océan Indien, Jean Louis Joubert fait le constat d’un profond retard de la scolarisation concernant la population comorienne en générale. Il écrit que « Les longs retards de ce système éducatif expliquent la lenteur de la modernisation culturelle. » Grâce à de nombreux témoignages d’hommes et de femmes comoriens, nous avons pu recueillir des informations étayant ces propos avec cependant une spécificité notable, le retard était bien plus important chez les femmes que chez les hommes. Abdessamad Dialmy l’explique ainsi : « Au cours de l’Histoire fondée sur l’écriture savante, le monopole de l’écriture savante par l’homme est incontestable. »310 Comme dans de nombreuses sociétés, la priorité concernant l’accès à l’instruction était d’abord et avant tout accordée aux hommes. La génération dont nous parlons est celle des femmes de plus de trente ans. A âge égal, un homme et une femme d’à peine quarante ans ne pourront rivaliser ou se targuer d’une science commune et égale. L’instruction chez l’homme, bien que trop souvent insignifiante sera tout bonnement plus conséquente (la plupart auront été à l’école jusqu’en troisième), et chez la femme nulle (ceux sont leurs enfants qui ont été à l’école). Bien qu’il existe des exceptions dans cette tranche d’âge, où nous verrons ainsi que

310 DialmyI Abdessamad, Féminisme, islamisme et soufisme, Paris, Publisud, 1997 265

des femmes comme Masseande Chami Allaoui ont été à l’université, le nombre réel s’avère dérisoire. Malheureusement, on compte encore aujourd’hui, dans des villages non aussi reculés qu’on pourrait le supposer, des jeunes femmes d’à peine vingt ans quasi analphabètes.

b) Une plume de femmes ? Touhfat Mouhatre, une écriture sensorielle entre rythme et métonymie

Comme pour l’Afrique continentale, l’écriture féminine comorienne émerge bien après celle des hommes, à savoir près de 25 ans après la parution du roman de Mohamed Toihir. Ainsi, si sur le continent elle naît à la suite des indépendances avec le roman très revendicateur et explicite d’Awa Thiam La parole aux négresses en 1978, ou bien encore par la figure de Mariama Bâ Une si longue lettre en 1979, aux Comores, l’écriture féminine comorienne francophone prend forme en 2009 avec le recueil de poèmes de Bacar Tabibou Kokomoina La boussole sans aiguille311. Si l’on exclut le Tournis d’Hortense Dufour, partant encore une fois du prédicat arbitraire voulant se limiter aux auteurs d’origine comorienne, prétextant qu’elle est un regard extérieur aux îles et non une vision générée par elles, Kokomoina serait la première auteure comorienne et poétesse francophone (dans l’idée d’une production complète, et aboutie). Elle sera suivie par Coralie Frei qui publie en 2010 le roman La perle des Comores à son tour talonnée par Touhfat Mouhtare et son recueil de nouvelles Âmes suspendues paru en 2011. C’est sur cette dernière que nous nous arrêterons ici, car plus que les deux premières, la jeune Mouhtare a su faire parler d’elle. Tandis que les poèmes de Bacar Tabibou Kokomoina sortaient dans un silence quasi assourdissant, les différents textes de Coralie Frei se frayaient leurs chemins dans un style plus aguerri évoluant entre l’allemand et le français, le premier recueil de Touhfat Mouhtare tend à s’imposer d’emblée dans la sphère littéraire comorienne et la jeune femme devenir un talent prometteur. Peut-être serait- ce lié à la communication dont la jeune femme a su s’entourer, aux réseaux qu’elle a pu créer, mais il serait dommage de limiter l’intérêt suscité par Âmes suspendues à une simple question de visibilité. Et pour cause, ce recueil propose, dans son essence même, une autre écriture; une écriture comorienne de femme ?

311 Bacar Tabibou Kokomoina, La boussole sans aiguille, Editions de la Lune, 2009 266

En effet, avec pour fond de tableau, les douleurs et les espérances de femmes et de jeunes femmes comoriennes, l’écriture de Touhfat Mouhtare, apparaît à la fois comme une écriture du rythme, du mouvement poétique et à la fois comme une écriture de la métonymie où l’homme, élément du tout, se fonde dans ce tout qui l’englobe et le définit. Ecriture du rythme incessant où jeux de sons entre assonances et allitérations se bousculent aux portes des images miroirs comme on le voit dans le récit poétisé Le supplice de Dulcinée. Il veut que toutes à terre elles glissent Ces robes de soie pleines de malices Il veut le monde et ses délices Avant que commence le supplice Mais au bord du précipice C’est sa dulcinée qui glisse. Car dans ce récit, outre les rimes, les assonances en (s), (m) et (n) laissent planer à l’oreille et dans le sens, une atmosphère où lentement, le vice de l’amant infidèle et folâtre s’insinue vers une chute, celle du « précipice » dans lequel s’évanouit l’amante ayant trop attendu d’être pleinement aimée en retour. Le plaisir apparent, pris par l’auteure à entrainer le lecteur dans sa farandole sonore semble agir. Le rythme forme donc un tout inscrivant ce texte comme Pluie fiévreuse dans une dynamique poétique où le récit prend vie non pas dans la narration prosodique mais bien dans une poésie narrativisée. Celle-ci permet alors largement la mise en place d’un univers littéraire où les sens apparaissent comme les premiers réceptacles des mots de l’auteure. Ecrire et raconter certes, mais permettre de toucher, de voir, d’entendre, de goûter, de sentir avec et à travers les mots, bien plus que de percevoir par le signifié. Cette écriture sensorielle induite dans un premier temps par le rythme est renforcée par la prédominance des lieux, des objets, de la nature sur l’homme.

Ecriture de la métonymie car le Kandu et le leso deviennent par la précision des traits décrits, les personnages centraux dans la nouvelle éponyme, reléguant au second plan, les personnages humains. Celle qui porte le leso, Shifâw n’est qu’un élément du tout, limitée à son vêtement et pourtant paradoxalement, par cette même limite, mise à nue dans ses émotions. Son corps s’efface, son être de chaire disparaît et d’elle ne reste physiquement, que le tissu l’enveloppant. Mais si le corps est ici fuyant, c’est pour semble-t-il, laisser aux sens la primauté, le plaisir de vibrer et d’exulter, de se faire plus intense et donc plus perceptible. En cela, l’écriture de Touhfat Mouhtare décrit une forme de sensualité féminine jusque là rare si ce n’est inexistante dans la littérature comorienne. Celle-ci, tantôt poésie du bruit et de la 267

revendication, parfois roman de la mémoire, du souvenir et de la dénonciation, tanôt nouvelles de la colère et du désenchantement, n’a que rarement flirté avec cette sensualité neuve où les mots servent à évoquer, faire deviner plutôt qu’à photographier, filmer. Les mots de Touhfat Mouhtare oscillent encore entre une certaine volonté de dire et de dénoncer, et en cela elle s’inscrit dans une même idéologie de combat sur la non gratuité de l’acte d’écrire : le texte, s’il existe, doit défendre ou dénoncer, le texte s’engage et l’écrivain aussi. Mais cette revendication, cet engagement n’est pas le mot d’ordre absolu des textes de Mouhatre, elle semble une finalité allant de soi car dire est nécessaire, mais l’envie de faire rêver, d’appeler et d’emmener au meilleur paraît tout autant. En ce sens, les nouvelles des Ames suspendues prolongent une posture d’auteur prophète, conscient de la tâche à accomplir, par une approche différente, repérée chez SAST, et où le texte deviendrait un microscope prenant pour point d’analyse, d’abord un fait, ensuite un personnage dans ce fait, et enfin le pays dans lequel ce personnage subit le fait. Ici, l’écriture de Mouhtare posera le microscope encore plus près des personnages, n’en donnant plus qu’une vision par touches successives afin de permettre, peut- être, une meilleure perception du fait.

En somme, Ames suspendues créerait une sorte d’univers de la matière, où se mêle l’innocence d’une jeunesse au regard inquisiteur sur une société qui la fait naître et exister. Des mots multicolores, odorants, des textures qui se touchent et une sensualité en éveil. L’écriture de Mouhtare est à la fois clairvoyante, lucide et précise sur les maux dont souffre sa société et ainsi son pays, et à la fois pleine de rêve, innocente et chimérique. Si la nature vous susurre des mots au creux de l’oreille, c’est bien que vous êtes entrés dans un texte de Mouhtare. Cette nature, luxuriante et vivante hante chaque recoin de passage, se fond sur la page blanche et crée un univers littéraire du sensoriel. Car l’une des qualités particulières, de cette jeune auteure, c’est bien la penture scripturaire d’une symbiose entre la nature et les êtres l’habitant. Symbiose à l’origine des mouvements des personnages, qui eux, étrangement, disparaissent souvent et se meuvent au milieu de l’espace végétal. La nature est un élément si présent qu’il accapare le personnage, le faisant disparaître en son sein, avec pour bruit de fond, le silence de la nuit intimé en leitmotiv rythmé dans la nouvelle Shhh, cadrant la scène d’amour dérobé « Il fait nuit noire », « Aucun son » au cœur de la nouvelle Ngoma. Ce même silence de la nuit où tout se passe, « Des gloussements résonnent dans la nuit silencieuse » dans Kandu et leso, le meilleur comme le pire, un silence sans bruit qui se répète dans chaque nouvelle, éveillant la nature de plus belle. Les corps ne sont alors que des ombres, des

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gloussements dans la nuit, des « pas légers qui claquent » enfouis dans une nature se jouant des uns et des autres, camouflant les corps et se révélant une mère protectrice, même en colère. Ainsi, ce rapport métonymique ferait penser à cette littérature du vingtième siècle décrivant le récit et plus exactement le roman non plus comme le lieu de mouvance du personnage, mais bien l’espace permanence des objets, le lieu de prééminence des choses en lieu et place des êtres. Nul besoin de revendiquer l’existence de personnages dans les nouvelles de notre jeune auteure, nous le reconnaissons aisément, les personnages existent. Cependant, ces personnages communient avec l’espace-temps, invitant le lecteur dans une poésie des évocations plutôt que du dit ou du décrit. Par petites touches évocatrices, les sens sont mis en éveil et sont appelés, happés par l’écriture de Touhfat Mouhatre qui les ravive tous un à un. Cette écriture traduit ainsi une sorte de lieu, de lien intime et intimiste avec le lecteur, avançant dans ces différents récits poétisés, non plus dans la poursuite d’un personnage moteur, mais dans le tâtonnement, la rencontre avec des lieux vivants semblants s’exprimer.

Nous avons sciemment omis de citer, dans notre brève introduction, Aziza Mohamed Aboubacar dont le recueil de textes publié en 1988 Des Comores au Zaïre est en swahili, ou même d’évoquer ces illustres poétesses que les îles ont vu naître et régner par la grâce, l’intelligence et le verbe à l’instar de Mmadjamu Binti Msafumu sous les sultanats, et avons préféré faire un grand bond en avant et nous arrêter sur la toute dernière de cette lignée d’écrivaine, Touhfat Mouhtare. Et pourquoi un tel bond ? Car il est intéressant de remarquer et souligner que pour ses premiers écrits publiés, les textes de cette jeune femme interpellent. Qu’il n’en soit pas pour elle comme d’une simple chance du débutant mais bien la marque d’une plume spécifique, séduisante par sa sensualité, et plaisante par sa capacité à raconter. Une plume qui, en peignant, à la manière des impressionnistes, ces mondes et ces personnages, ces instants pris sur le tas comme un simple Déjeuner sur l’herbe de Monet, esquisse par évocation les réalités tristes, parfois sombres mais pourtant pleines d’espoir de sociétés en attentes, suspendues aux fenêtres de lendemains meilleurs.

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PARTIE III

LA LITTÉRATURE COMORIENNE DE LANGUE FRANCAISE, REFLET D’UNE DYNAMIQUE NOUVELLE

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VI. UN ART EN MOUVEMENT

VI.1 Une nouvelle littérature à travers le roman comorien

VI.1.1 Les origines du roman comorien

a) Sources et provenances Nous l’avons analysé et précisé dans la première partie de cette étude, le roman comorien apparaît prioritairement comme un genre importé. Bien que dans son étude sur le roman comorien, Saandi Mahamoud réfute cette idée en précisant que : « C’est dans la culture comorienne et plus particulièrement dans l’oralité comorienne qu’il faut chercher les origines du roman comorien. »312 une sorte de consensus de la part des différents chercheurs et des écrivains eux-mêmes reconnaît que, contrairement à beaucoup d’autres genres littéraires présents au Comores, le roman est très jeune et n’est pas issu d’un glissement de l’oralité à l’écrit. L’insertion dans la fiction romanesque de récits traditionnels issus de l’oralité permet en effet de constater l’étroitesse des liens liant littérature écrite et littérature orale en contexte comorien. De nombreux récits vont emprunter aux mythes oraux certains éléments injectés par la suite dans le roman. Comme le défend Saadi Mahamoud : « Le romancier emprunte ces éléments à la tradition orale et les intègre dans son œuvre. […]. Dans les cas extrêmes, le romancier ne se contente plus d’introduire quelques proverbes ou contes dans son roman. Tout le roman n’est rien d’autre qu’un récit traditionnel travaillé et adapté à un contexte nouveau. C’est la transformation du récit traditionnel en roman moderne. »313 Au regard du texte de Saïd Ahmed Sast, Le crépuscule des baobabs, la thèse d’une adaptation du conte traditionnel en un roman moderne se justifie et nous pourrions même proposer l’idée d’une réécriture du récit traditionnel pour la composition d’un roman moderne. En effet, le procédé de mise en abîme à partir duquel est construit la trame romanesque accrédite cette réfutation. Saïd Ahmed Sast présente deux récits parallèles et donc similaires dans la fiction. Le conte traditionnel, que se remémore Mwandze, présente la naissance des jumeaux censés

312 Saadi Mahamoud, Le roman et la société comoriens, mémoire de maîtrise soutenu en 2000 sous la direction de Monsieur le Professeur Claude Mouchard, université de Saint Denis, p.57 313 idem, p.59 271

entraînés la chute funeste de leur royaume. Afin d’enrayer cette fatale destinée, le roi choisit d’éloigner la jumelle, Mahab, qui vivra à son insu, l’amour incestueux l’unissant à son frère et causera ainsi la fin du royaume. Ce conte, reconnu comme traditionnel, définit la trajectoire du récit romanesque, qui par l’union incestueuse entre le protagoniste Mwandze et Sitty Mahabouba, propose une fin similaire. Le récit traditionnel aboutit à la chute du royaume tandis que le récit moderne se clôt sur la déliquescence du royaume psychique de Mwandze. Le héros sombre dans la folie. Ainsi, sous cet aspect, la fiction moderne, reprenant la progression de ce conte, deviendrait en plus de la transformation analysée par Saadi Mahamoud, une réécriture ou la transcription moderne d’un texte oral. Par conséquent, le roman comorien puiserait ses sources dans l’oralité et ne serait pas, comme nous l’affirmons, un genre importé. Or, au vu des éléments énoncés dans le premier chapitre de cette présente étude, le genre du roman comorien francophone, s’il prend ses sources et/ou s’inspire de la littérature orale, sa forme se calque sur les canons étrangers. En effet, bien qu’ayant une occurrence en shikomori, la forme du roman comorien est empruntée à celle du roman européen car, tout comme les articles de journaux (makala314), le roman (riwaya315) est un nouveau genre littéraire qui apparaît dans les années soixante dix. C’est donc à la veille de l’indépendance des trois îles Ndzouani, Ngazidja, Mwali qu’est introduit le roman dans l’archipel. Auparavant, comme nous le signalions tantôt, la place réservée aux textes exclusivement écrits était infime. Beaucoup de comoriens n’ayant pas accès à l’instruction scolaire telle qu’elle était répandue en France, la production de textes écrits, notamment en français semblait être un acte marginal, généralement lié de surcroît à une fonction administrative. Les textes existants étaient majoritairement en arabe ou en kiswahili avec quelques rares productions en comorien par le biais de la graphie arabe, et étaient souvent confinés dans leur structure initiale traditionnelle : les fêtes et l’école coranique. Ainsi, ils véhiculaient eux même et au quotidien, cette littérature orale abordée bien plus haut. Or, comme nous avons pu le voir, malgré le grand retard dans la scolarisation des jeunes comoriens, lorsque le premier lycée a ouvert ses portes dans la capitale en 1963, l’enseignement s’est alors généralisé. Beaucoup de jeunes autochtones issus des familles aisées mais aussi de familles plus modestes ont pu poursuivre des études secondaires, chose qui jusque là n’était possible qu’aux seuls enfants boursiers qui de ce fait, étaient envoyés à Madagascar ou encore à La Réunion afin d’envisager des études supérieures. Avec ce premier

314 Acception donnée par Daniel Ahmed Abdouroihmane Café dans Inventaire des genres de la littérature comorienne, Tarehi n°5, p.31 315 idem 272

lycée, l’instruction, bien que toujours élitiste dans ces débuts, devenait à la portée de tout un chacun. De nombreux jeunes comoriens, sentant là une chance de changer leur vie, se sont entièrement investis afin de réussir. On retrouve ces profils au sein de certaines œuvres avec les personnages comme Hawa316 dont l’énergie mise dans la poursuite des études n’est motivée que par une idée : lui permettre de gagner sa liberté en quittant son pays pour la France. Hawa se posant inlassablement la question de son devenir, oscille entre deux perspectives qu'elle résume ainsi en pensée : « la médiocre situation du moment et les perspectives ouvertes à l'horizon.»317 Pour la jeune femme, le choix est malgré tout rapidement fait, elle adopte alors une position claire vis-à-vis de la tradition « affirmer son aptitude à contourner les montagnes de la féodalité. Ne pas subir l'avenir mais plutôt le conduire. »318 Par le biais des études, elle espère s’extraire du cadre imposé par la société villageoise, à savoir, devenir une bonne épouse et une bonne mère, et rompre avec la pauvreté de sa condition sociale. Comme la jeune femme, la plupart des auteurs comoriens ont d’abord étudié aux Comores et n’eurent la possibilité de quitter l’île qu’après le lycée et le baccalauréat entre les mains. En effet, les Comores n’offrant alors aucune structure susceptible d’accueillir les quelques bacheliers sortants, l’état commença à délivrer des bourses d’études aux meilleurs éléments, leur permettant de partir poursuivre leurs études supérieures à l’étranger. Les premières vagues de migrations avaient Madagascar, la Réunion ou encore Zanzibar pour principales destinations. Mais quelques années avant l’indépendance, la France commença à apparaître comme le point de chute rêvé. Un phénomène qui s’accrut très vite après l’indépendance. Dès lors, la plupart des étudiants qui en avaient la possibilité partirent majoritairement pour la France et ceux qui n’y parvenaient pas, jetaient leur dévolu sur certains pays d’Afrique comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc et l’Algérie, réservant l’Egypte, le Soudan et l’Arabie Saoudite aux étudiants désireux de suivre une formation théologique. En France, ces étudiants, parmi lesquels figurent la majorité des auteurs, purent prendre le recul nécessaire pour parler d’eux-mêmes et de leur culture, apprendre et découvrir leur propre pays et la richesse culturelle dont il dispose.

316 Soilhaboud Hamza, Un Coin de voile sur les Comores, L'Harmattan, 1994, Paris 317 Idem, p.74 318 Id.p.74 273

Une découverte du lieu d’origine par une immersion totale dans une terre d’accueil que véhicule certains personnages comme Guigoz ou Momo. Ne dit on pas que « les voyages forment la jeunesse » ? Il semble en être ainsi pour les jeunes comoriens. La France leur a ouvert un autre regard sur l’étroitesse de leur pays et son immensité culturelle tout en distillant ses contradictions. A ce sujet, dans la République des Imberbes, Guigoz illustre cette rencontre avec Paris, une ville devenue quasi fascination. Mu d’une « soif d’apprendre (…) il décida que ses maîtres seraient les rues, les arbres, le métro, les cafés, la radio, la télé, les placards publicitaires, les conférences, le théâtre, l’opéra, le cinéma, les cafés-théâtres, les boîtes de nuit, les musées, les passants, les journaux, les maisons closes, les meetings, les grèves, les réunions étudiantes et les livres. Oui les livres.319 » Épris de liberté, il fera de son séjour en France, un terrain de découvertes : « Un titi parisien rougirait devant la connaissance que Guigoz avait de la Ville lumière.320 », et de Paris, le lieu de toutes les expériences. « Paris. Il y arriva, regarda, s’étonna apprit, décida. Il décida que l’histoire de son pays ne se ferait pas sans lui. (…) Les dimanches, ce fils de musulmans se rendait à l’église par saine curiosité. Toujours par simple curiosité il partagea son lit avec trois copines et deux copains… Rien que pour voir, il fuma, renifla, se piqua. Il s’habitua au scotch, au vin, à la bière et même à l’armagnac. »321 Une attitude du personnage qui traduit une forme de fascination pour cette ville. Une fascination perceptible chez les auteurs eux mêmes, et qui renvoie à l’idée d’une France terre de culture et d’ouverture, une France de livres « Oui les livres 322». C’est donc cette rencontre qui offre les bases d’une introspection pour les auteurs tout en exacerbant, semble-t-il, leurs désirs d’écriture car parallèlement à ce schéma d’apprentissage se développe l’idée des sujets- sources aux écrits. Point sur lequel nous revenons plus loin. Ainsi, bien que le premier roman d’auteur comorien ne paraisse qu’en 1985, il s’avère que beaucoup avaient commencé à user de la plume depuis pas mal de temps déjà. Ce sont ces jeunes étudiants et intellectuels qui ont introduit le roman aux Comores, faisant de lui un genre tout à fait nouveau et différent quant à la tradition littéraire des îles. En effet, d’emblée, le genre du roman lie les Comores à la France de part la langue d’expression. Les textes de fiction romanesque d’auteurs comoriens seront tous écrits en français et ce jusqu’à récemment. Avant le roman comorien en langue française, il n’y a en effet aucun équivalent à

319 Toihiri Mohamed, La république des imberbes, p.28 320 idem 321 Id., p.29-30 322 1d., p.29 274

l’exception du riwaya, dont l’origine est arabe et désigne une sorte de récit analytique de passages du Fikh musulman. Mais loin d’être un récit de fiction, il n’est cependant pas tout à fait un texte interprétatif, ni tout à fait un essai et en ce sens, demeure un type de texte particulier dont on connaît toujours l’auteur. En cela, nous pourrions y voir, en exagérant, un lointain ancêtre du roman dans l’archipel des Comores. Mais nous disons en exagérant, car, même sous cette forme, peu d’érudits s’essayaient au riwaya, et de nos recherches, nous n’en avons retrouvé aucun signé par un auteur comorien.

b) Les premières apparitions323

Nous l’abordions précédemment, le genre du roman comorien apparaîtrait dans les années 1970 à la veille des indépendances. Malgré cette apparition, son émergence se fait très lentement et aucune œuvre n’est publiée avant 1984, date de parution du Tournis d’Hortense Dufour. Ce roman s’ancre dans l’espace comorien et met autant en scène des personnages comoriens que français. Étant l’œuvre d’une auteure d’origine française, c’est Mohamed Toihiri qui, en 1985, marquera cette naissance avec la République des imberbes. Il s’agit là du premier long récit de fiction écrit en français par un comorien. Mais là encore, malgré ces débuts, il faudra attendre 1991 pour voir immerger, Brûlante est ma terre d’Abdou Salam Baco, deuxième roman visible de cette littérature. Six années séparent ces deux oeuvres! Et que se passait-il entre temps ? Pourtant il semblerait que, et c’est ce qu’on peut remarquer avec Et la graine de Aboubacar Saïd Salim, des manuscrits étaient prêts depuis longtemps, rangés dans les placards. Ce roman là sera édité en 1998, près de quinze années après avoir été achevé, c’est à dire en 1983, lorsque l’auteur était incarcéré. C’est en fait dans les années 90 et notamment à partir de 1991 que les choses vont se préciser et de nouveaux textes vont paraître. En effet, le second roman de Mohamed Toihir, Le Kafir du Karthala, sera publié en 1992, suivi de Un coin de voile sur les Comores d’Hamza Soilhaboud et Dans un cri silencieux de Baco, tous deux parus en 1993.

Voici ci-après un tableau récapitulatif allant des débuts de ces publications à la fin des années 90, à savoir 1999.

323 Une présentation plus détaillée a fait l’objet d’une analyse dans la première partie de cette étude. Pour des des éléments complémentaires, voir le chapitre sur l’édition. 275

DATE TITRE AUTEUR 1985 La république des Imberbes Mohamed Toihir 1991 Brûlante est ma terre Baco Abdou Salam 1992 Le Kafir du Karthala Mohamed Toihir 1993 Dans un cri silencieux Baco Abdou Salam 1993 Un coin de voile sur les Comores Hamza Soilhaboud 1996 Le sang de l’obéissance Salim Hatubou 1999 L’odeur du béton Salim Hatubou

Certaines recherches aboutissent à d’autres ouvrages de Mohamed Toihir que nous n’insérerons pas dans le tableau n’ayant jamais pu les retrouver. Il s’agit d’un texte paru en 1997, intitulé Sur la route du mystère mentionné seulement par quelques sites internet (Bourse des voyage324 dans une biographie de l’auteur et Ile en Ile), et Splendeurs et misères d’un bigame, édité en 1999 selon le site Comores on Line, en 2000 d’après le site Ile en Ile325 et en 2001 selon le site de La Fnac, mais lui aussi introuvable. Ainsi, à l’issue de nos recherches, nous comptabilisons entre sept (si l’on se réfère au tableau) et neuf romans (en ajoutant les deux cités ci-dessus) publiés en près de quinze années. En partant du constat émis sur le genre romanesque, sachant qu’il s’agit dans un premier temps, comme nous l’avons montré dans notre premier chapitre, du genre dominant, on peut donc parler d’une naissance lente et très difficile de cette littérature comorienne d’expression française. Le roman se profile lentement, tendant à s’imposer comme genre majeur jusqu’aux années 2000, où, grâce aux différentes structures éditoriales qui tentent tant bien que mal d’exister, le récit d’auteurs comoriens en langue française vécut ses premières belles années. C’est en effet durant cette période et notamment entre 2005 et 2009 que le genre romanesque, suivant le mouvement de cette littérature en générale, offre plus d’une dizaine d’œuvres en seulement quatre ans, l’équivalent de trois textes par an. Nous voici loin des avancées à reculons des premières années. Le roman conservera ce monopole des vocations littéraires jusqu’à cette même période où la poésie parvient, toujours grâce à la multiplication des structures éditoriales, à se frayer un chemin, le supplantant presque. A présent, beaucoup parlent d’une dynamique nouvelle, les auteurs eux- mêmes s’en félicitent car ils contribuent à cette modernisation de la culture d’un pays en mal d’identité.

324 www.bourse-des-voyages.com 325 www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile 276

Après cette prospection sur son évolution des débuts à nos jours, nous pouvons nous intéresser aux différents profils que le roman emprunte pour exister. Dans le contexte présent, celui-ci décrit deux mouvements importants : le premier concerne son ancrage historique, le second, sa vocation sociale.

VI.1.2 Romans de la première génération

a) Romans Historiques A l’issue des différentes lectures et en accord avec les quelques travaux existants sur le sujet, les recherches d’Ali Abdou Mdahoma, Saadi Mahamoud et Abdoulatuf Bacar entre autres, nous aboutissons sans grande difficulté à l’idée que le roman comorien est d’abord et avant tout un moyen de graver l’histoire différemment qu’en optant pour le point de vue objectif de l’historien. Certainement au regard des importantes déstabilisations politico- historiques dont l’archipel continue d’être la scène, l’écrivain comorien, très souvent témoin des évènements, tend à partir de sa perception d’en donner la valeur en y laissant paraître une opinion bien sienne. L’auteur juge son époque, emmène et entraîne un regard sur son pays. C’est donc sous forme de roman historique que naissent les romans d’auteurs comoriens. Ainsi, Mohamed Toihiri ouvre la voix du genre en décrivant dans La République des imberbes, l’expérience révolutionnaire sous Ali Soilih. Le texte s’ouvre sur le portrait du protagoniste et glisse rapidement sur la mise en place du coup d’état et la prise du pouvoir par Guigoz et les mercenaires menés par le Colonel Menard puis se clôt sur la chute du révolutionnaire. Les deux années du régime forment l’axe temporel à partir duquel le récit se construit avec pour cadre de l’intrigue, l’ascension du héros en la figure mégalomane du personnage principal Guigoz, figure caricaturée du président révolutionnaire Ali Soilihi dit le Mongozi. Par la suite, viendront s’ajouter d’autres titres tels Un coin de voile sur les Comores où Hamza Soilhaboud choisit de brasser de façon plus large, l’espace historico-politique de l’archipel en tableau de fond. Adam, Kari et Hawa évoluent au rythme des bouleversements sociaux induits par les deux régimes politiques successifs et en opposition : la révolution sous Mzimba-Palé suivie de l’établissement des mercenaires sous Grand Manitou. Ces personnages, en échos aux deux présidents successifs de l’accession à l’indépendance des îles, Ali Soilihi et Ahmed Abdallah, sont peints selon les principales caractéristiques reconnues à

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leurs différents mouvements : les citernes pour le premier et les mercenaires pour le second. Mzimba Pale renvoie à Ali Soilihi et sa révolution est dénoncée comme menée avec des « Manières de gangster », « Coups de rangers sous le bas ventre, boucles de ceintures sur le crâne, dans le noir d’une citerne remplie par les odeurs de vomi, d’urines, de crottes, de sueur et de sang… »326 Des faits longtemps reprochés, dans la réalité, aux milices du Mongozi que le narrateur juge et critique dans cette phrase lapidaire « qui ne jurait que par le feu des armes meurtrières et l’air empesté d’opium de son palais.»327 Ici, Hamza Soilhaboud abandonne la place des dirigeants pour se positionner du côté de la jeunesse sous ces différents régimes. Il célèbre ainsi une jeunesse révoltée, engagée pour la cause comorienne et contre une mainmise postcoloniale imposée par les mercenaires.

Cette manière de transposition de l’histoire dans le récit romanesque se poursuit Dans un cri silencieux de Bako Abdou Salam, où celui-ci revient sur sa vie en tant que fils de « serrez- la main » et puis racontera Mayotte aspirée par les colons dans Brûlante est ma terre, une autre œuvre où la trame et le fil conducteur ne sont autres que l’Histoire même de ces îles aux milles bouleversements. Plus tard, avec Et la graine, Aboubacar Saïd Salim choisira de porter son regard et celui du lecteur sur la grève lycéenne ayant vivement secoué les Comores en 1968. Cet événement est aussi relaté rapidement dans Un coin de voile sur les comores « Et il a suffi […] de fouiller les poches des morts. »328 De son côté, Nassur Attoumani proposera dans Nerf de Bœuf, une introspection sur la traite négrière dont l’archipel fut l’une des plaques tournantes. Ici le narrateur-personnage retrace son périple de nègre, « dépouillé de [son] continent et arraché à [sa] patrie pour [le] livrer pieds et poings liés à [ses] bourreaux.»329, capturé par des frères africains et réduit à l’esclavage par l’homme blanc. Par son parcours, il interroge une partie de l’histoire de l’archipel la liant à l’histoire de l’humanité noire, l’esclavagisme. Une réalité à l’origine du peuplement des îles et pourtant une période très peu abordée dans la fiction comorienne dont on ne retrouve que quelques rares évocations, comme c’est le cas dans Un Coin de Voile sur les Comores, où Hawa voyant les dockers travailler au port, pense brièvement aux temps où l’archipel était une plaque incontournable de l’esclavage : « Hawa est plutôt tentée de croire à cette scène datée des temps anciens, de l’époque de la

326 Toihiri Mohamed, La république des imberbes, p.34 327 Soilhaboud Hamza, Un Coin de Voile sur les Comores, L'Harmattan, 1994, Paris, p.126 328 Idem, p.224 329 Attoumani Nassur, Nerf de Bœuf, L’Harmattan, paris, 2002, p. 11 278

traite des nègres et des galères de triste renom qui avait fait de l’archipel un véritable comptoir pour le plus scandaleux des trafics. L’import-export du « bois d’ébène » qui n’a pas encore cessé de stratifier la société comorienne à travers des vestiges humanisés et sournois »330. Nassur Attoumani en fait, quant à lui, le thème central de son roman et permet au lecteur d’accéder à cette frange de l’histoire méconnue.

Ce que René Depestre conclue sur Haïti peut être appliqué aux Comores même dans les premiers temps de sa littérature. Nous pouvons ainsi voir transposer l’idée d’une littérature qui puise sa source et sa force dans l’histoire des îles et affirmer que « la littérature comorienne n’a jamais cessé de pratiquer le bouche à bouche avec l’histoire »331, car en effet, aux Comores « c’est bien l’histoire qui en a commandé les permanences et les variations ». Ainsi, les romans de la première vague de l’expression littéraire comorienne décrivent tous un ancrage profond dans l’histoire du pays. Ce rapport à l’histoire politique d’abord et sociale ensuite est vu par Soilih Mohamed Soilih en ces termes « les trois romans ont ceci de commun qu’ils mettent en exergue une jeunesse en ébullition dans une société en mutation à l’heure de l’indépendance nationale.»332 Les bouleversements historiques donnent lieu à la création de personnages en lutte avec les systèmes contre lesquels ils s’érigent, des personnages jeunes, renvoyant à l’état de ces mêmes écrivains durant les périodes citées. Aboubacar Saïd Salim a, tout comme ses personnages, lui même participé à la grève de 1968, tout comme il intégrait, à l’instar de ses congénères Soilihi Mohamed Soilih (Hamza Soilhaboud), des mouvements d’opposition.

On le voit donc, au travers des œuvres de Mohamed Toihiri, Aboubacar Saïd Salim, Abdou Salam Baco ou Soilih Mohamed Soilih, l’histoire y est l’axe central. C’est là le nœud de l’intrigue mais aussi l’intrigue elle-même. Le roman devient, au-delà de son rôle d’expression artistique et de mode d’expression du divertissement, le livre de l’histoire telle qu’elle a été vécue et ressentie par le divers, le subjectif c'est-à-dire l’auteur. Un auteur adoptant alors la posture du témoin.

330 Soilhaboud Hamza, Un Coin de Voile sur les Comores, L'Harmattan, 1994, Paris, p.105 331 René Depestre cité par Régis Antoine, La littérature franco-antillaise : Haïti, Guadeloupe et Martinique, Karthala, collections Lettres du Sud, Paris 1992, p.123 332 Soilih Mohamed Soilih, La littérature comorienne, historique et thématique, in Tarehi n°5, Mars-Avril-Mai 2002, p.50 279

b) Le romancier : un témoin oculaire de son époque Ces romans mettent tous en avant « une jeunesse en pleine ébullition », pour reprendre les propos de Soilih Mohamed Soilih, une jeunesse consciente d’une réalité nouvelle, celle des importantes mutations que vit le pays. Les événements décrits se déroulent peu de temps avant, pendant et quelques temps après l’accession à l’indépendance du territoire. Ainsi, le romancier est, dans ce premier mouvement artistique, le témoin privilégié se voulant le porte parole. Il est celui qui, ayant vu et vécu les évènements, les donne à visualiser au lecteur, à son tour. La République des Imberbes, écrite par Mohamed Toihiri décrit une période très difficile d’un pays dont le chef est un homme sans scrupules, vil et trompeur. Il s’agit en fait d’un petit pays, les Comores, qui viennent tout juste d’accéder à leur indépendance après beaucoup de revendications en faveur de cette nouvelle liberté tant convoitée. Cependant, ce chef dénommé Guigoz en devient le président par la force. A la suite d’un coup d’état fomenté par lui et des mercenaires envoyés par la France, dont le colonel Menard, il s’empare du gouvernement du pays et tente d’y imposer un régime totalitaire annihilant toutes formes de liberté et bâillonnant le moindre souffle contestataire.

Le roman s’ouvre sur la préparation du coup d’état. Les débuts de son règne sont admirables de malice car Guigoz réussit à galvaniser la jeunesse du pays qui, à sa solde, crée le chaos en dénonçant à outrance tous les soi disant opposants au régime, en élevant au haut rang de la reconstruction, tous leurs méfaits. Ainsi, très vite, tout bascule, les révoltes à voix basses se font de plus en plus nombreuses, le régime est contesté et Guigoz meurt assassiné par les mercenaires qui avaient contribué à son avènement, ses complices. L’histoire est telle que l’on se réjouit de la mort de ce chef imbu de lui-même, complètement et ridiculement mégalomane, assoiffé de pouvoir, aveuglé par ses propres intérêts. Des défauts profilés en défaillances, ce qui précipitera sa mort car, ayant trompé ses principaux amis et n’ayant plus confiance qu’en lui-même, il devient vulnérable. Au-delà de cet homme malsain et souvent contradictoire, séducteur et vicieux, se dessine un personnage cruel et sans le moindre scrupule. Il sait comment obtenir les choses : « Telle une araignée déployant avec une froide patience sa toile meurtrière, le renard manigança, œuvra, manœuvra, complota. Il fit tant et tant avec un acharnement si diabolique que six mois après le coup, le F.N.U sentit la nécessité d’opérer quelques « restructurations »

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au sein du Conseil. C’est ainsi que Guigoz amena encore ce dernier à ressentir une irrésistible envie de l’élire Chef de l’État et avec elles il verrouilla les portes du pays et des libertés. »333 Ses contradictions se retrouvent aussi dans ses décisions. Il apparaît maladroit, malhabile, ne menant aucune action positive pour le pays, paranoïaque en soumettant tous les journaux à la censure et instaurant le culte de la personnalité. Guigoz est le plus grand, le plus beau, le plus fort, le sauveur et le messie. Il s’agit dans l’œuvre de Mohamed Toihiri de la période soilihiste. Celui-ci ne dissimule rien tant les références et renvois sont explicites. Le nom du pays en question, les Comores, est fréquemment cité tel quel. Les noms des personnages sont transformés plus que changés mais on y retrouve toutes les sonorités. Par exemple, le colonel à la tête des mercenaires français s’appelle Menard dans le roman alors que le colonel envoyé par la France s’appelait Denard dans la réalité. Ii en est de même pour le président dont le surnom est Guigoz alors que l’Histoire retient le nom de Mongoz. Le président Ali Soilihi s’était fait appeler ainsi.

Il n’est donc plus tout à fait question d’une fiction simple mais d’une œuvre historique où les faits relatés sont plus qu’inspirés de la réalité, ils en sont extraits et transposés dans cette réalité fictive qu’est le roman. Dans la logique du témoignage, le roman ou plutôt l’auteur du roman s’appuie sur des faits réels pour construire la trame romanesque. La plupart des évènements relatés dans le récit se sont produits tels quels, que ce soit l’irruption du Khartala interprété par tous comme un avertissement divin, l’autodafé mis en place en février pour brûler une partie des archives contenues dans les documents administratifs, autodafé tenu en public, devant tous les fonctionnaires qui venaient, d’un coup, de tous se faire licenciés, les descentes répressives et abusives dans les villages à la recherche de tout opposant au parti, les lynchages publics et les punitions cruelles infligées aux vieilles personnes qui refusaient de rejeter toutes leurs convictions et croyances, autant d’événements historiques ayant marqué et bouleversé les îles, repris par Mohamed Toihir en vue, semble-t-il d’en offrir un témoignage. On retrouve les grandes lignes du gouvernement socialiste imposé par Ali Soilih, évoquées avec bien plus de virulence encore dans l’essai d’Ali Abdou Elaniou, L’indépendance dans la citerne334. Selon l’auteur, il est question, dans cet essai critique aux accents pamphlétaires, de dénoncer les exactions commises par le feu Ali Soilih. Mais surtout, dans les deux textes, de proposer, a priori, un regard plus objectif de ce que les Comores ont

333 Toihiri Mohamed, La république des imberbes, op.cit, p.50 334 Elaniou Ali Abdou, L’indépendance dans la citerne, Komédit,2003 281

appelé la période révolutionnaire. En somme, le roman décrit le chaos absolu perçu par une partie de la population comorienne et notamment, une bonne frange de l’élite politique et intellectuelle, et dans lequel ont été plongées, selon eux, les îles de la Lune durant les deux années de présidence d’Ali Soilihi. Une situation que dénonce aussi Hamza Soilhaboud dans l’évocation de la période révolutionnaire qui, d’après le narrateur de Un coin de voile sur les Comores, se faisait avec des « Manières de gangster »335, à savoir : « Coups de rangers sous le bas ventre, boucles de ceintures sur le crâne, dans le noir d’une citerne remplie par les odeurs de vomi, d’urines, de crottes, de sueur et de sang… »336

De même, si la République des imberbes s’empare d’un personnage historique comme protagoniste du récit, le roman Et la graine… s’attache quant à lui, à un évènement précis : la grève lycéenne de 1968. Il s’agit aussi d’un évènement historique qui a profondément marqué les Comores. Ici, rien ne va plus au Lycée Saïd Mohamed Cheikh, seul lycée de l’archipel à cette époque. Les jeunes refusent de se rendre à l’école. Ils la fuient. Tout commence ainsi sur cette petite île sans histoires : un avion s’est écrasé non loin de l’établissement, les élèves sont bouleversés face à la catastrophe mais tout va bien jusqu’à ce que l’émission de radio animée par le dénommé Gras du Sol laisse entendre que pendant que les français tentaient de sauver des vies, « les comoriens, indifférents au malheur qui venait de s’abattre sur le pays, s’occupaient de dépouiller les victimes de leurs objets de valeur. »337 L’incompréhension, la colère et la rage s’emparent immédiatement des comoriens et notamment des jeunes. L’histoire qui avait débuté prend alors un autre tournant, elle devient le symbole d’une jeunesse en pleine ébullition, une jeunesse, qui, écoutant les émissions retransmises par radio Tanzanie, savait que beaucoup de leurs compatriotes réclamaient l’indépendance. La grève des étudiants est alors inévitable, toute cette forme d’oppression finit par user les plus engagés. Mais les lycéens n’ont pas cette approche révolutionnaire, ils veulent un juste retour des choses. Refuser d’aller au lycée c’est marquer, par ce boycotte, le détachement face à ce qui cristallise l’institution du colon. Les jeunes lycéens retourneront au lycée après trois mois de grève. Une situation parfaitement analysée par l’historien Mahmoud Ibrahime, dans la revue Tarehi, où il met en parallèle littérature et histoire, décortiquant avec précision chaque élément importé de la réalité à la fiction.

335 Soilhaboud Hamza, Un Coin de Voile sur les Comores, L'Harmattan, 1994, Paris, p.34 336 Idem,p.34 337 Aboubacar Saïd Salim, Et la graine, Lieu, Cercles Repères, 1998, p. 12 282

De son côté, Hamza Soilhaboud choisit d’évoquer par rétrospectives de la pensée des personnages, les grands moments de l’histoire des Comores, donnant dans un survol, des points de vue permettant de comprendre l’orientation de la fiction au regard des bouleversements dont l’archipel fut le théâtre. Il questionne l’histoire des îles passant de la question de Mayotte et ses origines françaises avec la vente de l’île par Adriantsuli au capitaine Passot, à une petite rétrospective ultra synthétique de l’histoire de Moheli, pour en arriver à la grève lycéenne de 1968, puis aux différents coups d’états, la prise du pouvoir par Mzimba Pale (Ali Soilihi ou littéralement, Grosse Tête), son assassinat puis le retour de Grand Manitou (Ahmed Abdallah), sa gestion du pays, la main mise des mercenaires etc…

V.1.3 Romans de la nouvelle vague, image d’une littérature moderne naissante

a) Visages du roman comorien d’expression française

Comme nous le constations plus haut, bien que le roman comorien soit tout jeune et n’ait à peine 28 ans, nous identifions deux mouvements importants depuis son apparition : le premier concerne l’écriture romanesque telle qu’elle a été amorcée par Mohamed Toihiri, une littérature ancrée dans l’histoire politique, et le second un roman de type sociologique. Entre les deux, flotte un certain nombre de textes aux échos sociaux historiques. Nous citerons pour cela Le Kafir du Karthala, Le calvaire des Baobabs338, Aux parfums des îles339, Nerf de Boeuf340 qui, au travers d’une situation historique mal assumée, présentent des personnages en conflit avec un système social, imposé soit par le cadre villageois, soit par le cadre colonial, un système institué en état de fait auquel ils se confrontent et font le choix de se détacher. Dans ce cas là, la fonction testimoniale transparaît encore, et l’idée de traduire les conséquences d’une Histoire politique traumatisante prédomine. Une histoire similaire mais qui se raconte avec ses récurrences, ses résurgences selon chaque île. La profondeur des plaies infligées à l’archipel prend alors des variations différentes suivant l’ile d’origine de l’auteur. Les écrivains mahorais développent fréquemment la thématique de la domination coloniale, la peur du blanc, du mzungu, les anjouanais restent majoritairement plus sensibles au conflit

338 Nassur Attoumani, Le calvaire des Baobabs, L’harmattan, 2000 339 Andhume Houmadi, Aux parfums des îles, Komédit, 2006 340 Nassur Attoumani, Nerf de Bœuf, L’Harmattan, 2000 283

séparatiste dont l’apogée fut atteinte en 1995, les grands comoriens dénoncent la force d’ingérence du système de la notabilité. Nous citerons l’exemple de Nassur Attoumani, originaire de Mayotte, et dont les œuvres romanesques, Nerf de Bœuf et Le Calvaire des baobabs, tous deux édités en 2000, reviennent sur la vie à Mayotte l’un sous la période de la traite négrière et l’autre sous la colonisation Française; tandis qu’Aux parfums des îles d’Andhume Houmadi, pour Anjouan, construit l’essentiel de l’intrigue autour de la crise séparatiste ayant secoué violemment l’île en 1995. Cependant, tous inscrivent leurs récits dans un entre deux historico-politique et parfois sociologique, sans parvenir à se distancier de l’emprise de l’histoire. Il faudra alors attendre le jeune Salim Hatubou et son ouvrage Le sang de l’obéissance pour que le roman comorien prenne une autre dimension, celle de l’œuvre fictive détachée et exempte des bouleversements politico- historiques du pays. Nous en sommes à la phase du roman exclusivement sociologique où les auteurs se donnent pour mission de rendre perceptible non plus l’histoire du pays mais bien les moeurs, les coutumes, le mode de vie et les travers de la société comorienne. Les thèmes du mariage et en particulier du Anda à Ngazidja, des amours contrariés, du mariage arrangé, de la domination des wazungu sur les autochtones à Maore, de la polygamie, des violences faites aux femmes et aux enfants, de la misère sociale et des tabous aussi bien sociaux que familiaux, du rapport à l’autre en situation d’immigré, des conflits de valeurs entre l’individu et la société et tant d’autres sujets, orienteront l’intrigue de ce nouveau type de roman. C’est ainsi que les plus jeunes auteurs s’inspirent de leurs vécus et de leurs observations pour écrire, Métro Bougainville, L’odeur du béton, Le crépuscule des baobabs, Sur le chemin de l’école etc…

b) Dynamisme du genre romanesque et jeunes auteurs

Il s’avère que la plupart des nouveaux auteurs comoriens ou tout simplement les auteurs comoriens sont tous assez jeunes pour ne pas dire, très jeune. L’âge moyen est de vingt huit ans à la première publication. Une donnée qui tend à s’infirmer avec la dernière génération d’auteurs comme Adjmaël Halidi, Nassuf Djailani, Ambass Ridjali, ou Touhfat Mouhtare, dont l’âge moyen est de 22 ans à la première publication. Pour les premiers, Hamza Soilhaboud avait à peine trente ans lorsqu’il publia son premier roman, SAST en avait 27, Salim Hatubou 25, Mohamed Toihiri 30 ans. Comme si la trentaine était un âge de prédilection pour la littérature comorienne, tous les écrivains qui en favorisent le renouveau

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ou ceux qui participaient à sa naissance ont aux alentours de trente ans lorsqu’ils publient pour la première fois. Non que cela soit si important de connaître l’âge d’un écrivain mais il n’empêche que l’on pourrait faire un rapprochement entre les thèmes traités dans les romans, la manière dont ils sont traités et la jeunesse de nos auteurs. Ils s’élèvent pour la plupart contre des préceptes qui apparaissent souvent dans leurs textes comme archaïques. Le anda est violemment critiqué et tout simplement rejeté dans le roman de Salim Hatubou, Le sang de l’obéissance ; Le Kafir du khartala lui fait un clin d’œil des plus désobligeants et le Notable répudié tourne à la caricature, et même en ridicules, les notables du village de Kodoni, ces hommes devenus des wandru wadzima. D’autres thèmes, toujours en rapport avec la société comorienne vont être traités et toujours sous le signe de la critique, donnés à voir au lecteur. L’inceste, le viol, les mariages forcés, l’adultère etc… Autant de thèmes plus ou moins présents dans tous les romans. La fougue avec laquelle cette littérature apparaît décrit les principales contradictions existant entre l’homme, c’est à dire l’individu, et la famille ou le village, c'est-à-dire la société. La question existentielle et philosophique du moi par rapport à autrui n’est plus contournable car en somme, la trame, toute l’idéologie véhiculée au travers de ces œuvres revient sans cesse à ce malaise existentiel que rencontre tout individu et plus particulièrement les intellectuels issus de communautés où la place de l’individu n’est définie que par cette communauté. Ce thème, nous l’avons abordé dans toute sa perplexité au cours de notre deuxième chapitre. En ce sens, ce qui nous importe ici c’est d’établir une corrélation à partir du constat de l’âge des auteurs et le parti pris de ceux-ci à se révolter contre le ou les systèmes en place. Toute jeunesse est contestataire, dit-on, c’est semble-t-il, sur cette lancée que les textes ont commencé à se construire. Ainsi, l’âge, la manière, la fougue, la contestation, la critique souvent ouverte donc claire, le style, tout conforte dans cette corrélation existant entre la jeunesse des auteurs et leurs écrits. La littérature comorienne et plus particulièrement le roman et la poésie comme symboles d’un renouveau artistique et en ce sens littéraire, s’inscrivent dan cette continuité qui confère à l’art une place fondamentale et particulière dans la société. Comme nous le soulignons, dire ce qui ne va pas dans des manifestations est un mouvement de civisme on ne peut plus communautaire mais lorsque ces manifestations sont interdites, lorsque la liberté d’expression est quasi nulle si ce n’est totalement contrôlée, l’art devient le refuge où peuvent s’exprimer les plus grandes contestations. Même mal affirmé, le personnage d’Adam341 surnommé « l’artiste » illustre ce propos. A la fois engagé et en retrait des mouvements

341 Soilhaboud Hamza, Un coin de voile sur les Comores, Paris, L’Harmattan, 1993 285

contestataires que mènent ses amis, dont Kari, Adam se servira de sa guitare pour exprimer ses doutes et sa révolte. Ainsi la jeunesse s’indigne et fait face à ses problèmes en tentant de les dire par le biais de personnages devenus miroirs. Dans le roman historique, l’œuvre romanesque se mêle à l’Histoire qu’elle tente d’expliquer par le biais de personnages aux prises avec elle et désireux de la bâtir. Le roman amorcé par Hatubou apparaît comme un tableau de vie des comoriens en France comme aux Comores, avec les codes transplantés d’un pays à l’autre, les tabous et les malaises à exorciser d’un espace à l’autre. Il permet de constater à travers l’interface de la fiction, les Comores et les comoriens en l’occurrence. En cela, il nous semble devenir un type de roman sociologique, inscrit dans la réalité sociale d’une communauté donnée.

L’ancrage autobiographique demeure pour beaucoup, sous jacente à l’histoire narrée. Les thèmes de l’exil, du anda, des amours contrariés orienteront les romans de la nouvelle génération. Or même dans ce cadre, toute la dimension fictionnelle du genre ne sera pas exploitée. Salim Hatubou entame la conclusion de son roman342 par : « Le chameau qui portait l’intrigue est arrivé à destination. » Ainsi, l’histoire se termine sous le signe du témoignage, « L’histoire ne renferme pas le Verbe des poètes ou des griots. Moi, je ne connais pas le secret des livres et de la voix, mais celui du cœur; le cœur innocent, le cœur des innocents. Alors pardonne ma faiblesse. Puisse le souffle de mes mots s’infiltrer par les alvéoles de ton âme et de ta conscience. »343 Ces romans ont tous en commun de traiter des problèmes de sociétés propres non seulement aux comoriens, mais aussi, à tout immigré venant d’un pays pauvre. En ce sens il serait juste de se poser la question de la légitimité d’une telle dénomination « roman comorien », autrement dit, en quoi et pourquoi peut-on parler de roman comorien ? Est-ce parce qu’il s’agit d’écrits d’auteurs d’origine comorienne et en ce sens le titre est moyennement approprié car ce qu’il recouvre n’a aucun rapport à l’art même de l’écriture ; est- ce parce que les auteurs parlent des Comores ou peut-on reconnaître quelques traits stylistiques différents de l’art du colon mais aussi de l’Afrique, des caractéristiques qui recouperaient en eux un bon nombre des effets du métissage culturel des Comores. C’est autour de ces interrogations que nous orienterons la suite de notre étude.

342 Salim Hatubou, Le sang de l’obéissance, Paris, L’Harmattan, 1996 343 Idem. 286

VI.2 La nouvelle poésie

VI.2.1 Entre lyrisme classique et envolées nègres :

a) Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, Cris d’ici et d’ailleurs La poésie, comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, compte de plus en plus d’adeptes. Genre devenu de prédilection, il oscille entre les mouvements de colère inspirés de la négritude, chargés de passion, de questionnements sur l’histoire passée et à venir, de revendications identitaires et un lyrisme classique où les émotions, les sentiments liés au temps qui passe et à l’amour fugitif qu’on célèbre autant pour les îles que pour la femme. Cette poésie est celle qu’incarnent des poètes comme Halidi Allaoui dans ses Cris d’ici et d’ailleurs, ou les auteurs présents dans l’anthologie de Carole Beckett. Pour l’analyse des textes présentés ici, nous avons choisi d’indiquer les références des poèmes entre parenthèse, directement après à la citation. Bien que cette présentation puisse alourdir le texte, elle devient nécessaire compte tenu de la variété et la fréquence des poésies et des auteurs cités. En effet, c’est bien au cœur de ce compilation que l’on retrouve les textes poétiques les plus en paix, les moins torturés de la poésie comorienne en langue française. Ici, il y a élévation et célébration de la terre et du pays. L’amour s’y lit dans un nombre important de textes comme Les quatre soeurs: « Qamar, les îles de la lune, L’amour que j’ai pour toi, mon pays, N’est pas estimable mais infini »344 Ou Comores « Par l’amour ardent nourri à ton égard. » (Comores, de Dini Nassur, p.23), « plus tendre qu’une mère et qu’un père » (p.25), et l’archipel devient alors « Iles paradisiaques » (Comores, Tadjoudine Assoumani, p.35), loué « O pays éblouissant », nommé « archipel merveilleux », « pays unique ». Plus que l’amour, le sentiment patriotique se profile en fond de tableau. Les poètes font de leur patrie, le centre de leurs épanchements et de leur île natale, le point culminant du sentiment filial ou amoureux.

Ces textes, rassemblés sous le thème de « la patrie », décrivent l’archipel comme un

344 Sounatillah Mohamed, Les quatre sœurs, in Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.25 287

coin de paradis, un Eden qu’ils constatent encore dans leurs élans et dont ils en font les peintures versifiées. Une thématique et une esthétique de la beauté, de l’innocence et de la virginité des îles que l’on ne retrouvera quasiment plus après. Ces épanchements lyriques où le poète décrit et traduit sa perception d’un pays aimé et chanté forme le premier rapport à la poésie des îles. Celle-ci, à lire ces textes d’auteurs différents, se fait l’écho d’un attachement sincère et d’une dévotion quasi libidinale et mystique au pays chanté. On loue les senteurs au point de plaindre les pays dits « riches » de n’avoir pas ce privilège olfactif. « L’air aromatisé par la végétation luxuriante Me verse des larmes pour les pays industrialisés Tous les trésors perdus chez les riches Font de toi un paradis exotique. »345 On célèbre le contentement, la satisfaction : « Mon pays, sans hiver ni printemps, ni automne mais toujours l’été parfumé, n’est pas si malheureux. »346 on fredonne l’air de l’unité même si l’on regrette et interpelle Mayotte, la priant de rejoindre ses « îles sœurs » : « Quatre filles font de toi (Afrique) une mère d’honneur Et personne ne peut te les ravir L’aînée est la plus dure des quatre sœurs […], Ndzouani ma vraie mère m’a allaitée Tante Maoré m’a appris à m’asseoir Ngazidja a gouverné mes premiers pas Mwali m’a aidé à grandir. »347 Dans ces pages, le comorien est dépeint comme un être solidaire « Partout c’est l’amitié […] /Partout c’est la fraternité », fier, un citoyen chaleureux au sens prononcé de l’hospitalité. Ainsi, les chants d’espérance se succèdent, les îles sont belles et le rêve de les voir grandir prend forme « L’infiniment grand était petit/ L’infiniment petit sera grand/ Comores ! Comores ! Comores ! » et ce malgré la pauvreté « Tu es pauvre/ Vraiment pauvre » (Tadjoudine Assoumani, Comores, p.34-35), car ici, la chanson semble bien à

345 Abou Ahamada Mlatamou, O pays éblouissant, in Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.36 346 Mohamed Toihir, Mon pays, in Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.26 347 Sounatillah Mohamed, Les quatre sœurs, in Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.25 288

propos « Il me semble que la misère, serait moins pénible au soleil », « Mon pays fait partie du monde pauvre/ Mon pays connaît la famine et ses conséquences/ […] Et pourtant, si j’ose dire, mon pays/ n’est pas aussi malheureux que vous l’imaginez », ( Mohamed Toihir, Mon pays, p.26)

Le lyrisme emplit donc les vers des premiers textes compilés par Carole Beckett. Un lyrisme aux contours baroques, plein de mélancolie ou de joie douce, que l’expressivité du « je » poétique offre en regard attendri sur les îles. Beauté des paysages, odes aux villes natales « , ma ville rouge et or »348 , « Mutsa, mon amour » 349, regrets et nostalgie face à la distance et l’éloignement entre les poètes et le pays « Nostalgie d’un pays inconnu »350, face au temps qui s’écoule. Les poètes de la première heure projetaient ou plutôt promenaient sur les îles « Le regard enchanté »351 identifié par Régis Antoine chez les auteurs antillais. Ils sont le relai d’un regard carte postale et de la même manière, ce regard enchanté rassemble la poésie « selon une perspective idéaliste des éléments de la réalité concrète »352 Avec ce même résultat que l’écriture se ferait l’écho de stéréotypes de perceptions/représentations. Laissons-là le conditionnel car en contexte comorien, contrairement au contexte antillais, le regard porté sur les îles en tant que lieux quasi paradisiaques n’est pas transplanté par un poète occidental, français. Personne, avant les comoriens, excepté les premiers arabes ayant nommé eux-mêmes l’archipel par la poésie de leur perception : îles de la lune, n’avait célébré la beauté, la quiétude, la douceur des paysages, la vie et la nature de l’archipel. Il n’y aurait donc là aucune imitation ni prolongement du regard aux contours exotiques du colonisateur comme ce fut le cas pour Haïti et ses trois cent ans de regard enchanté extérieur à sa propre création, toujours selon Régis Antoine. N’ayant probablement jamais lu de poésie exotique sur les Comores, ce regard émerveillé proviendrait du comorien lui même, un mouvement de l’âme et du cœur, imité des poètes occidentaux et notamment des romantiques. Avec exaltation et emphase, ils célèbrent ou regrettent l’amour, la liberté, les paysages fleuris et idylliques, la nature reposante ou ingrate. Une poésie des épanchements du « je » expressif, qui contemple avec joie ou tristesse, mélancolie ou exaltation, son pays et tout ce qui le fonde.

348 Mihidjay Mohamed, Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.43 349 Abou, Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.41. Ce poème renvoie à la ville de Mutsamudu, capitale de l’île d’Anjouan. 350 Abdoulmadjid Housnat 351 Régis Antoine, La littérature franco-antillaise : Haïti, Guadeloupe et Martinique, Karthala, collections Lettres du Sud, Paris 1992, p.337 352 Id. 289

Outre le lyrisme exalté puisé dans le modèle occidental, certaines formes poétiques comme les sonnets d’Ali Mlinde empruntent elles aussi à l’occident. Les structures très formelles étant étrangères à la tradition poétique des îles, orale ou écrite, cela permet d’ancrer les principales sources poétiques des auteurs comoriens francophones dans la poésie française. Mais il est vrai que dans ce cas, Ali Mlinde fait figure d’exception puisqu’il est le seul à essayer ce formalisme. Il choisit de se contraindre à un exercice aux abords désuets, de nos jours : l’écriture de sonnets. On en compte cinq regroupés dans l’Anthologie. L’un d’entre eux directement inspiré de Baudelaire explicite la paternité de l’inspiration par le titre Spleen353, où le poète évoque un motif tout aussi classique, la mélancolie devenue sentiment spleenétique. Cependant, cette poésie des débuts, triste et langoureuse, quelque peu baroque et romantique cédera très vite place à une écriture plus colérique, plus virulente et engagée, aux rythmes hachurés et aux aspects plus vindicatifs et revendicateurs. Une poésie qui prend son envol avec les Testaments de transhumance de Saindoune Ben Ali.

b) Les Testaments de transhumance354 Comme nous le verrons plus loin, le désir de liberté formelle se rattache au mouvement de la négritude et s’inscrit dans l’axe de la poésie moderne, informelle et bouleversée, dépouillée des décomptes métriques du vers. Mais cette revendication, bien que perceptible n’en était du moins, pas verbalisée et ce jusqu’à la prise de position affirmée dans le recueil Nouvelles écritures comoriennes où Sadani Ntsidami énonce les critères majeurs de cette poésie washikomori. Nul doute qu’en 1996, lorsque Saindoune Ben Ali publie ses Testaments de Transhumance, il ne sait pas qu’il appartient d’emblée à un mouvement de la modernité poétique des îles. Et pour cause, ce mouvement n’existait pas encore. Le poète ne pouvait se sentir concerné et lié par son acte d’écriture à un ensemble de poètes comoriens à la rhétorique voisine. Le recueil de Saindoune Ben Ali est composé de poèmes, pour la plupart très courts. La ponctuation semble aléatoire, la syntaxe emmêlée et les titres inexistants. Pour citer un poème, il nous faut alors indiquer la page où il apparaît. Les textes sont en prose ou en vers libres dont certains sont constitués d’un mot unique comme les tercets suivants355 où le vers le

353 Ali Mlinde est l’auteur de plusieurs poèmes dont cinq regroupés dans l’Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française. Ses sonnets sont Spleen, Sida, L’enfant, Aïcha, Visite des morts. 354 Saindoune Ben Ali Testaments de Transhumance, Moroni, Komedit, 2004 355 Saindoune Ben Ali, Les Testaments de transhumance, p.112, 113 290

plus long, le neuvième vers du poème page 112, est un octosyllabe. Aucun de ces vers n’excède quatre mots.

Caravelles Silence oisillons et repos pour rives imaginées par amour du large

rames comme et esclaves ces mages pour caves d’au-delà offrant leurs âmes

cris quand dans les vents aucune à destination inconnue étoile ne nous parle

phares caravelles éteints et oisillons dans l’infini pour rives à connaître

voyages chœurs toujours et avirons vagues inépuisables pour les voyages

Ainsi, dans ces poèmes écrits sous la forme de cadavres exquis, on retrouve quelques dissyllabes (éteints, voyages, toujours, Silence, ces mages, aucune) et plusieurs vers 356 monosyllabiques tels que rames, cris, phares ou encore comme, quand, chœurs . Il en est de même pour les strophes qui varient entre le distique et le onzain, on trouve parfois des vers d’une strophe comme au poème p.14 « N’ouvrons plus de cérémonies ». Si on exclue le chant « Les pèlerins » qui est construit différemment des autres textes, on notera que le onzain situe la longueur maximale des strophes. A ce propos, seulement deux sont dénombrés dans tout le recueil : l’un s’imbrique dans une forme distique +onzain et le second forme le poème à lui seul. Parallèlement à ces blocs de vers, nous remarquons aussi des textes excessivement courts357 dont le corps ne sera qu’un seul quintile ainsi que le quatrain composant le poème page 191 : « Les Lunes auberges des lutins du sommeil ravinées par les larmes des bêtes gouailleuses où l’on exécute le ballet des dépravés »

356 Idem, p.112-113 357 Id, les quatre poèmes aux pages 106, 117,119, 125 291

Ici, tous les textes seront composés dans une forme anarchique très moderne, rappelant la poésie surréaliste et certains textes de Stéphane Mallarmé. Le rythme y est bouleversé, la rime inexistante, la ponctuation pourtant nécessaire est absente. Vers libres organisés en strophes ou séquences ou encore propos versifiés, les poèmes de Saindoune Ben Ali s’ancrent dans une thématique du bouleversement constant comme ici: « Les Lunes auberges des lutins du sommeil ravinées par les larmes des bêtes gouailleuses où l’on exécute le ballet des dépravés », Celui-ci est totalement hétérométrique et aucun vers ne fait écho à un autre. Mais, aussi bref soit-il, il décrit la forme la plus répandue du recueil, si ce n’est la seule, l’antiforme fixe qui répond au thème de l’éternelle pérégrination, tel que nous le verrons plus loin.. Tout y est éparpillé, organisé suivant une logique du chamboulement. Les notions grammaticales acquises, donnant le sujet d’une phrase comme centre de cette même phrase est ici sans appui : le sujet d’un verbe peut se trouver séparé de celui-ci par d’autres propositions formant ou non un sens entres elles et sans qu’aucun lien logique ne vienne les ordonner. A l’exemple du poème page 86 entre tant d’autres, « La plus haute ruine sourit au temps Le chant/ poème désert de la poussière montrent toujours les portes de l’espace. » On ne parvient pas à savoir, ici, quel sujet justifie le pluriel du verbe ‘montrer’, nous poussant alors à distinguer la barre entre chant et poème comme étant soit une virgule, soit une forme originale de coordination. Même phénomène page 145, où Moroni, capitale sans majuscule de Ngazidja est dénigrée : « Moroni la dormeuse/ moroni la noirâtre cité » l’anaphore donne le sujet de ces phrases nominales mais la deuxième strophe : « le sultan cynique mains sonores si bruyante que l’exploitation d’un troupeau de négresses » vient tout de suite perturber ce flot régulier de l’ode. Ici, l’adjectif « bruyante » étant au féminin, il qualifie par conséquent « Moroni » qui est le seul nom féminin de ces deux premières strophes. Il n’est cependant pas évident de le discerner car le vers « le sultan cynique mains sonores » s’intercale entre l’adjectif et son antécédent. Ce qui aurait pu être un simple enjambement devient une liberté syntaxique et grammaticale de l’auteur. La récitation

292

s’arrête et reprend après cette pause et le poème réinstalle son rythme chantant et psalmodique. Aucun point ne vient souligner la fin d’une phrase ni d’un vers et rares sont les majuscules qui en annoncent le début. Celles-ci ne sont présentes qu’au commencement d’un poème et très souvent en début de strophe, même si on en trouve parfois, clairsemées de-ci de-là le long d’un texte. Cela rend quelques fois, pour ne pas dire souvent, la lecture difficile et cause de gros problèmes de compréhension et donc d’interprétation. Le poète mêle les voix, celle criarde et ravagée du poète maudit, celle plus placide du poète prophète, le peuple éperdu et perdu et la voix cynique de la parole dite. Il juxtapose les messages et contrebalance ses récepteurs par ses diverses et fréquentes apostrophes au lecteur, aux Lunes, au peuple. Les vers se poursuivent suivant une logique de sens dans le non sens apparent. Et la lecture est menée au fil de la respiration. Lire un poème équivaut à restructurer le texte autour de sa propre sensibilité.

On retrouve les prémisses de cette écriture dans l’Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française avec Abou dans Soleil prisonnier et Le déraciné. A ce sujet, soulignons que sa poésie faisait déjà préfigurer l’orientation de la nouvelle poésie comorienne tant par le style et les thèmes que par l’engagement de ses textes, le démarquant ainsi des autres poètes retenus dans l’anthologie.

VI.2.2 Pour un parti pris esthétique et pour une poésie washikomori

a) Nouvelles écritures Comoriennes358, Paille-en-queue-et-vol359 Pour le parti pris d’une expression poétique autre et neuve. Nous y reviendrons encore souvent tant cet aspect imprègne la poésie encore plus que les autres genres. Nous développerons cette trajectoire nouvelle suivant deux aspects majeurs. Dans cette sous partie, il s’agit de comprendre en quoi cette démarche revendiquée sert-elle de cadre à l’émergence d’une nouvelle poésie comorienne et plus exactement d’une autre poésie des Comores ou Maandzishi ya ki komori. Dans un second temps, nous analyserons, dans l’espace des interactions en quoi, en procédant à la création d’une identité littéraire, cette poésie washikomori apparaît-elle comme corolaire à la question de l’identité comorienne.

358 Collectif, Nouvelles écritures comoriennes, Komédit, collection Maandzishi ya ki Komori, 2007 359 Mohamed Anssoufouddine, Paille-en-queue-et-vol, Moroni, Komédit, 2006 293

L’écriture informelle esquissée avec Abou, affirmée par Saindoune Ben Ali va, semble-t-il, donner naissance à la nouvelle expression poétique comorienne. Ainsi, si avant Mohamed Toihir, personne n’avait encore publié de roman comorien, personne avant Saindoune Ben Ali n’avait publié de recueil poétique en français. Il est donc le premier et cette primauté inscrit un rapport à l’écriture qui intéressera bien d’autres poètes. Par lui, la poésie comorienne francophone s’affirme comme différente et elle sera revendiquée comme telle quelques années plus tard sous les plumes de Nassuf Djailani, Sadani Tsindami ou Mohamed Anssoufouddine. Nous disons quelques années plus tard car encore une fois, les poètes de langue française étaient encore peu visibles avant la création des maisons d’éditions. Ces possibilités éditoriales ont permis à la poésie de devenir l’un des genres littéraires les plus exploités, à côté du roman. Et dans cette poésie, prime la notion d’écriture autre, une expression shikomori et pourquoi pas en shikomori, en marge et à contre courant des apports coloniaux. A ce sujet, le poète Mab Elhad s’est essayé à l’écriture en shikomori dans son recueil Kaulu la Mwando. Même si la majorité de ses textes est en français, un bon nombre, comme le titre, est en comorien.

Nous tenterons d’analyser ici comment cette écriture poétique prend forme et quelles en sont les variantes et les caractéristiques. Autrement dit, les nouveaux poètes, une frange des auteurs, prônent un renouvellement de la poésie dans sa forme comme dans son fond, un renouvellement dépouillé des codes « linguisticoloniaux360 ». Cette revendication est amorcée dans différents textes, notamment les recueils Testaments de Transhumance ou Paille-en- queue-et-vol, mais aussi dans le texte phare où un manifeste pour cette poésie prend naissance, Nouvelles écritures comoriennes.

Le premier texte ouvrant le recueil Nouvelles écritures comoriennes, parle de lui- même dans son halo au lecteur « Youhou, les poètes ! On s’roule dans les mots ». Ce halement aux abords enfantins inscrit d’emblée les marques de cette écriture nouvelle revendiquée : apostrophes récurrentes au lecteur, nombreux jeux sur les sonorités, mélange d’oralité familière à un scripturaire plus courant et même soutenu et inversement, parfois. Mais nous y revenons plus loin. Ce halo des premiers mots interpelle le lecteur certes, mais plus exactement la poésie, car cette onomatopée « Youhou», si l’on peut dire, est adressé non

360 Sadani Ntsidami, Youhou, les poètes !, in Nouvelles écritures comoriennes, Komédit, collection Maandzishi ya ki Komori, 2007 294

pas au lecteur lambda, mais bien aux poètes avec l’injonction-invitation à « s’rouler dans les mots », à savoir non pas, écrire à l’aide de mots, mais se mêler aux mots et proposer une alchimie entre l’ingrédient-le-mot, l’ustensile-la-poésie et l’artisan-le-poète, en vue d’obtenir, comme en cuisine, une nouvelle recette. Ainsi, ce « youhou », un bruit en clin d’œil pour signifier sa présence et signaler qu’il est temps, le temps du réveil. Pour l’auteur de ces mots, il ne s’agit plus de faire de la poésie pour faire de la poésie, mais bien de même que l’on « se roule dans la boue », que l’on « se roule dans la farine », dans de la matière à même de salir, de provoquer des éclaboussures et des taches, le poète comorien est invité à jouir pleinement de son potentiel de création poétique, sans peur ni de se salir, ni d’éclabousser les passants, les lecteurs ! Bien au contraire. Le ton est donné, les bases jetées, et les auteurs, partisans de cette volonté novatrice vont, par l’intermédiaire de ce message, prendre position pour une autre écriture revendiquée ou identifiée comme « la déclamation instinctive de nouvelles règles poétiques ». Le crédo et le slogan deviennent alors « Mpvandzi gupango pandzi »361. Les bases de cette écriture sont clairement formulées : elle doit être avant tout, anticolonialiste et anti conforme à ce que l’auteur nomme « l’héritage francaoui »362 , à savoir ce qu’il juge comme étant « de ses pesanteurs, microbes et cacas mêlés au présent d’une démarche révoltée.363 » Il faut, semble-t-il, prendre le contre coup d’une domination devenue avilissante, asservissement assimilationniste et s’extraire du joug colonial. Et à lire les textes de la compilation, si l’extraction, la rupture avec l’assujettissement à l’ancienne colonie n’est pas politique, alors elle sera littéraire, et poétique en particulier. Cette projection fait échos à la fonction « anti poétique » ainsi citée par Jacques Chevrier, octroyée par Aimée Césaire à son Cahier d’un retour au pays natal lorsqu’il explique que l’écriture de cette sommité participait du désir « d’attaquer au niveau de la forme la poésie traditionnelle française, d’en bousculer les structures. »364

Ces poètes apparaissent comme mus, bien à posteriori, des mêmes désirs, des mêmes souffles vitaux à l’origine des mouvements de la négritude. Pour ces poètes donc, la poésie doit transcender l’espace donné de l’expressivité individuelle, la vision subjective du monde pour la parole de l’un, le poète, et devenir, de toute évidence, l’expression de la subjectivité collective, si cette oxymore est possible, la parole de tout un peuple à travers le Kalam (la

361 Litt. Le poète dit un poème. 362 Sadani Ntsidami, op. cit., p.9 363 Id. 364 Chevrier Jacques, Littératures d’Afrique noire, Edisud, collections les écritures du sud, Aix-en-Provence, 2006, p.56 295

plume) de l’individu poète. Redimensionnée ou surdimensionnée ainsi, la poésie se transforme en arme de guerre, affutée pour le combat idéologique d’une identité à reconquérir, notamment des mains de l’ex colonisateur. Ce « vainqueur » 365 à qui les wapvandzi vont disputer l’orientation de l’histoire de l’archipel, ce passé « repassé en boucle par la méthode des vainqueurs ».Un passé que Sadani Ntisdami, pour ne citer que lui, résume en une longue phrase : « Voyage que porte Mpvandzi sur un océan quadrilatéral, dans une odyssée effrénée, à la rencontre des l’Histoire, à la rencontre des populations, des lieux, des gonzesses réduites(…) des bordels aux lumières bleues de Mayotte, au Palais silencieux de la soumission où une reine-enfant ouvre ses jambes à Lambert aux couilles friables »366 Nous le voyons alors, cette poésie Washikomori, après avoir revendiqué et ordonné sa rupture avec la France, témoigne des axes de cette rupture. Lexicalement, elle propose un champs infini de progression sémantique au sein d’une même phrase, jouxtant termes familiers et grossiers, voire vulgaires, parfois obscènes « gonzesses réduites à l’archétype »; faisant osciller le langage entre le politiquement correct et le verbalement vulgaire : « une reine-enfant ouvre ses jambes à Lambert aux couilles friables », « … dans une partouze éternelle 367 ». Grammaticalement, les règles les plus rudimentaires sont détournées ou simplement annulées comme on le voit pour la ponctuation, notamment dans le texte d’Elbadawi « Ce que petite feuille n’est pas », où les points finaux disparaissent et ne sont utilisés que dans l’introduction d’un mot, ou pour marquer des pauses en place des virgules : « des hommes .de loin. sont venus .pour achever la bête. » Ainsi que dans les poèmes de Mallarmée ou d’Apollinaire, pour ne citer qu’eux, la majuscule n’indique jamais ni le début d’un vers, ni le début d’une phrase et l’on pousse à l’extrême cette liberté en faisant démarrer une phrase par un point final. Les liaisons prennent vie visuellement dans les textes, « .z’auront beau dire », les mots s’abrègent « Pov Dieu, pov Momo368 » ou s’entreposent pêle-mêle, les uns à la suite ou sous les autres au nom de la seule logique du dérèglement. Une forme anti formelle conforme à la poésie moderne timidement esquissée dans Cris d’ici et d’ailleurs d’Halidi Halloui, Kaulu la mwando de Mab Elhad, Le mur du calvaire de Mahmoud M’saide, prend vie dans l’Anthologie avec les textes d’Abou,

365 Sadani Ntsidami, op. cit., p.9 366 Idem 367 Nassuf Djailani, Acte d’écriture, in Nouvelles écritures comoriennes, p.49 368 Comprendre : Pauvre Dieu, pauvre le prophète Mohammed 296

qui prévaut chez Saindoune Ben Ali, Mohamed Anssoufouddine, et aboutit à son expérience ultime chez Soeuf Elbadawi et Nassuf Djailani dans son recueil Roucoulements.

b) La poésie washikomori, une poésie du rythme et du bruit

Outre l’éclatement des règles grammaticales et l’entremêlement des différents registres de langue, cette nouvelle poésie propose une inspiration propre aux origines des Comores, puise sa rythmique dans l’oralité non pas seulement des poèmes Shaîri, mais des danses des djinns. Elle aspire semble-t-il, à annihiler les espaces du visible et de l’invisible dans une osmose bruyante de danses invocatoires et de rythmes endiablés. De là, nous obtenons une poésie faite d’échos sonores « in ze fess » « in the face », « .z ‘auront beau dire.et beau faire/.z’auront beau croire .ou beau rire » avec Elbadawi ; « Zanahary/ Razana/ Razana/ Dady lahy/ Dady vavy » avec Anssoufouddine ; poésie du bruit avec ses « Youhou », ses « tralali tralala » moqueurs, ses « Koutchoukoutchku » imitant les armes, Mais le Koutchoukoucthku du M’colo Provoque le Kondro Le Tiraillement, La ankani, Rythmé par le résa reska, Final de compte Ils msabadida,369 poésie des cris de guerre « Raketataka ! Raketataka ! Raketataka ! », Le temps/ et son nom : un mot invisible : « Raketataka ! Raketataka ! Raketataka !... » sous mon tropique d’errance ô ma sœur ! Ô lieu de partage ! lieu d’une furie commune Entrez ma reine/ le feu à la vague avec Son filet naturel installe ses mots sans magie370

« caisse à résonnance/ d’explosions »p.39 ; poésie des incantations « Trumba, Rumbu endiablé » « Trumba qui te prend au collet », des onomatopées « Et vlan »(p.99) Insistons encore sur cette récurrence du bruit, cette intrusion du rythme dansant comme étant un passage, une transposition de l’oral à l’écrit. Il y aurait donc truchement et raccord entre deux espaces toujours différenciés, une communion des deux qui ne serait plus « les clignotements conflictuels entre l’oral et l’écrit » de Patrick Chamoiseau, précité par Sadani Ntsidami, mais bien, dans cette forme d’écriture, la résurgence fréquence d’une

369 Nassuf Djailani, op. cit., pp.49-50. Les citations précédantes sont extraites du même recueil. 370 Saindoune Ben Ali, Plus vastes sont nos royaumes, in les Testaments de Transhumance 297

symbiose entre les deux. Nous reprendrons ici cette comparaison de Soilih Mohamed Soilih : « Un peu comme nos auteurs-compositeurs-interprètes préfèrent le plus souvent plier la rythmique aux exigences de la parole, et rarement l’inverse, puisque le chant (son message et sa formulation) importe plus que la musique qui l’enveloppe ou/et le décore. »371 L’écriture retentit alors soit comme une mélopée de la mémoire, du souvenir de l’être antérieur passant par celui en devenir comme dans le texte de Salim Hatubou, Métro Bougainville, où le principe de transmission est traduit par touches successives et répétitives, comme un tableau ouvert, une logorrhée nostalgique du souvenir, soit comme un chant guerrier où l’on invoque les djinns des mers, les esprits des forêts afin, dans tous les cas, d’exorciser l’oubli en emmenant le lecteur, comorien de surcroît, à une introspection sur son histoire, sa mémoire et celle des siens. Lorsque Salim Hatubou écrit dans un rythme apaisé : « Viens fils de mon fils, viens poser tes paumes nues sur mes yeux blessés. Tiens fils de mon fils, tiens ma main tremblante et marchons. »372, son écriture est alors celle que Nassuf Djailani définit comme « L’écriture thérapeutique qui soigne.»373 En effet, dans son long poème Roucoulements, il énumère les diverses formes d’écriture poétique et la fonction qu’il leur reconnaît. Il y a l’écriture volcanique qui rejaillit et s’écoule sur l’asphalte, il y a l’écriture thérapeutique qui soigne et apaise, il y a l’écriture déchainée qui fusille et mitraille, il y a l’écriture orage qui ravage et écrase, il y a l’écriture burin qui s’abat et concasse, il y a l’écriture mitraillette qui troue vilebrequin, il y a l’écriture oiseau qui plane au près des vents, il y a l’écriture amoureuse qui enlace et lasse

Ainsi, ces poètes de la mémoire se reconnaissent dans cette thématique du questionnement de l’histoire à travers une nouvelle conception de la poésie : engagée et non conforme où la parole écrite n’est en somme que la parole dite et pensée, une parole qui se meut à travers le bruit. En cela, les auteurs la pensent comme dépositaire du vrai « la vérité pour objet ». Elle n’est pas seulement liée à une seule et unique fonction reconnue par Baudelaire comme la seule légitime, à savoir « l’aspiration humaine vers une beauté supérieure » mais bien la mise en voix de considérations historico-sociales et politiques, une arme mue de finalités morales et didactiques.

371 Soilih Mohamed Soilih, La littérature comorienne : historique et thématique, in Tarehi n°5, Mars-Avril-Mai 2002, p.50 372 Salim Hatubou, Métro Bougainville,op.cit, p.13 373 Nassuf Djailani, op. cit., p.48. 298

VI.3 Visée cathartique des genres transposés : Le théâtre, le conte

Nous le constations plus loin, les contes et le théâtre d’aujourd’hui sont des genres transposés et adaptés de l’oral à l’écrit. Bien que les thèmes changent, que l’écriture évolue, la structure rend bien compte de cette provenance primitive. Elle alterne entre les tableaux en guise de scènes, comme pour les pièces de Patrice Abdallah (Le notable répudié, Les frasques d’un notable), de Mohamed Toihir, (La nationalité) ou la partition plus conventionnelle en actes et en scènes, à l’exemple des pièces essentiellement d’auteurs originaires de Mayotte, Les coulisses d’un mariage incertain d’Ambasse Ridjali ou encore La fille du polygame de Nassur attoumani. Comme le roman, et la poésie, le théâtre comorien de langue française est toujours engagé, soit dans un acte politique, soit dans un combat social. Mais à la différence du roman, celui-ci est d’abord et avant tout, une peinture sociale des mœurs et des travers de la communauté. Les débuts du genre l’inscrivent d’emblée dans cette trajectoire lorsque Nassur Attoumani publie la première pièce de théâtre comorienne d’expression française. Nous disons comorienne et non mahoraise partant toujours, des liens historiques et des similitudes constatées dans cet ensemble îlien. Donc en 1992, est éditée La fille du polygame, sorte de satire sociale, qui comme le titre l’indique, pose la question d’un fait commun à Mayotte et dans l’ensemble des îles, la polygamie. Sujet houleux par sa persistance sur un territoire français, il met en exergue les contradictions entre une volonté des Mahorais d’être Français et celle résultant des concessions à faire pour le devenir : car comment adapter un acte interdit par la loi, légitimé par la Religion et perpétué par la tradition? «Avec la nationalité française, tu n’as pas le droit d’être polygame.»374 La pièce va plus loin dans son questionnement, ne se limitant pas à traduire ces contradictions. A travers le personnage de Fatiha, elle propose une introspection sur le devenir des traditions dans le contexte d’une terre musulmane laïque. Plus qu’un paradoxe, cet oxymore doit pourtant prendre forme à Mayotte et devenir réalité. De ce thème de la polygamie, la pièce analyse aussi le rapport qu’entretiennent Mayotte, terre de passage pour Outsihore le grand-comorien, qui n’épouse Fatiha que pour les papiers français, et les îles de l’Union des Comores, « productrices d’envahisseurs » aux dires de nombreux mahorais. Question politique, c’est avant tout son aspect social qui intéresse Nassur Attoumani.

374 Nassur Attoumani, La fille du polygame. Paris, L’Harmattan 1992, p.71 299

VI.3.1 Le théâtre, ou la mise en voix de la tragi/comédie: Le notable répudié375

Le théâtre comorien, comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, est un genre très prisé par le public. Nous avons esquissé quelques débuts de réponse à cet engouement, notamment l’idée du mouvement qu’il implique (interaction et rapport direct entre le public et le texte ) mais encore une fois, et certainement moins que des genres strictement écrits où la réalisation orale ne pourrait être que superficielle ( lecture de textes, de quelques pages d’un roman, d’une nouvelle, et même de poèmes), le théâtre comme le conte ont une vie manifeste dans le quotidien des populations, et de surcroît des populations encore très oralisées. Ainsi, là où les genres importés (roman et nouvelle) ou projetés comme continuité inconditionnelle (poésie), se voient imputés des difficultés de réception, le théâtre, lui, peut se frayer un chemin vers les populations avec beaucoup plus d’aisance, ce qui se constate de plus en plus, car le théâtre dépasse souvent les barrières de la langue, barrières dont il ne s’encombre généralement qu’à l’écrit. En effet, là où le roman est exclusivement en français, le théâtre, sur les scènes de villages, dans les foyers associatifs, se joue souvent en shikomori et donc très accessible à tous, lettrés comme illettrés, vieux comme jeunes et ainsi de suite. Intergénérationnel, au delà de la langue par son aspect et sa légitimé de genre aussi oral qu’écrit, il se meut au travers des manifestations culturelles, des fêtes de villages, des fêtes d’écoles etc… Et pour ces raisons, le genre théâtral, parce qu’il se nourrit du quotidien, devient un canal d’échange ou plus exactement, de transfert d’idées. Celles-ci, lorsqu’elles sont en désaccord avec le système coutumier se voilent du rire, habillant les messages contestataires d’une légèreté ou d’un excès si grotesque et même très souvent caricatural, qui restent de tous temps, les ressorts du comique. Un exemple, la pièce de théâtre Hari, hari… mise en scène et jouée dans quelques villes en France par l’association Lang-Ylang. Cette pièce, que nous avons déjà évoquée, a été jouée après avoir été montée au fil des répétitions. La troupe travaillait à partir d’une trame et de mots-clés. N’existant que partiellement sur forme papier, elle n’a toujours pas été publiée, et est donc introuvable si ce n’est en visuel. Ayant été montée en France par des jeunes francophones, pour un public francophone, les représentations avaient donc lieu en français, dans des villes françaises. Ce qu’il est intéressant de souligner ici, c’est l’engouement provoqué par cette pièce au point où, d’autres commencent à naître sur le même principe :

375 Ahmed Abdallah Patrice, Le notable répudié, Komédit, 2002 300

monter une pièce de théâtre sans l’habillage textuel fixe et définitif, accentuer les traits des personnages et surtout, décloisonner le genre, en donnant les représentations dans de vrais théâtres ou dans des salles faites pour ça. Une démarche initiée par Ibrahim Barwan avec sa pièce : Pauvres Comores, représentée pour la première fois dans la ville de Sarcelles en juillet 2004 et éditée bien plus tard en 2007

Toutes ces pièces jouées et rejouées, misent sur les effets comiques avec pour fond, des thèmes graves ( pédophilie, incestes, mariages arrangés, recours à la sorcellerie, pauvreté des îles, traversées funestes entre l’île d’Anjouan et celle de Mayotte, rêve du départ, coûte que coûte et même au péril de sa vie, éducation des jeunes franco-comoriens considérés trop souvent en perte de repères et donc de valeurs…, autant de thèmes importants, souvent tabous et écartés des grands débats de société. Dans ce contexte, le comique sur le principe de cette devise chère à Molière « Castigat ridendo mores » prend vraiment sens, et le théâtre accomplit alors sa voie libératrice. Ainsi, la visée cathartique du genre se décèle dans le rapport mimé d’une réalité traduite sur scène avec excès. Et en ce sens, dans cette transposition des maux du réel en miroir scénique, les effets comiques deviennent le prisme par lequel vont se côtoyer le ou les auteurs et le public, dans un rapport de création/divulgation/réception permettant de dire sans heurter une société où les tabous sont forts et la pudeur énoncée en référence au savoir vivre, savoir être. Le théâtre s’imprègne donc de ce quotidien et renvoie sa perception du monde environnant à un spectateur, souvent non averti mais adhérant au jeu des miroirs. A l’issue de la première représentation de Hari-hari…, de nombreuses femmes, non habituées- beaucoup n’avaient jamais été au théâtre- sont venues féliciter l’interprète du personnage de Mama Jacqueline pour les avoir bien illustrées, expliquant qu’elles avaient ri jusqu’aux larmes de son mauvais français, de sa naïveté, de son entêtement à vouloir marier sa fille sans entendre le refus de celle-ci. Ces femmes se reconnaissaient toutes en ce personnage extravagant, exubérant, toujours pressé et empressé, perdu entre la modernité à laquelle elle se confrontait et confrontait ses filles et obnubilé par les traditions (le mariage de sa fille avec un garçon du village en vue de la réalisation du anda). L’une des spectatrices avait terminé ses félicitations par « Avec Mama Jacqueline, on voit bien qu’on n’entend plus quand nos enfants nous parlent. »

Le rire panse les blessures et amoindrit la violence du conflit entre la gravité des sujets projetés et le choc avec lequel le spectateur les reçoit. Cela expliquerait peut-être que

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dans cette urgence semblant animer les auteurs comoriens, de dire et de dénoncer, les dramaturges aient pris le parti du rire et donc de la comédie. En effet, le théâtre comorien est avant tout un théâtre comique. La comédie aurait la capacité de corriger les mœurs et de détourner du mal, d’alléger les vices des hommes en les leur peignant sur scène. Cette vertu du théâtre, énoncée pour beaucoup en plaidoyer et notamment Molière dans sa préface du Tartuffe, semble orienter la scène théâtrale comorienne. Nulle grande tragédie dans le sens initial, où l’issue tragique noue le destin de personnages nobles et vertueux, le théâtre comorien puise ses sources dans la réalité, le quotidien des « habitants des lunes ». Vaudeville ou scènes carnavalesques, le théâtre n’est essentiellement incarné que par un genre : la comédie. Scènes de ménage, langages uniformes à ceux de la société, conflits des valeurs humaines ressenties par le comorien lambda, scènes de bagarres, de cris, quiproquos et autres éléments composent l’intrigue. Ainsi, nulle exaltation de sentiments passionnés et de la passion elle-même, nuls personnages nobles ou de grandes hinya, ni de sultans ou de reines et rois maudits, les personnages sont ceux que la société produit et le théâtre les reproduit.

VI.3.2 Une mise en scène des maux du réel

a) Les Coulisses d’un mariage incertain376 Cependant, lorsque nous disons essentiellement comique, il faut alors entendre qu’il reste une part de ce théâtre comorien, qui, sans être tragique, se fonde sur la gravité des sujets traités. Il s’agit alors de thèmes de société, encore une fois, de problèmes politiques et idéologiques dont le traitement n’emprunte nullement le chemin du rire. La pièce de Soeuf Elbadawi, illustre ce théâtre très politisé et dont les revendications très claires visent à éveiller les consciences populaires sur le devenir de la nation comorienne. Pour ce faire, le metteur en scène et acteur, Elbadawi, a choisi, avec sa compagnie O’Mcezo, non pas d’emmener le public vers son spectacle, mais d’emmener le message directement au public. Il a donc mis en place un théâtre de rue, représenté dans de nombreux villages de la Grande Comore. Un théâtre ambulant dont le but premier était ce travail de conscientisation et de sensibilisation sur ce que le comédien nomme « la lutte contre la décomoriannisation ». Car pour Elbadawi,

376 RidjaliI Ambass, Les Coulisses d’un mariage incertain, Moroni, Komédit, 2004

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Barwan et tant d’autres, « Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire. Le théâtre parle fort et parle haut. »377 En passant de villes en villages, en s’offrant au spectateur, il était au plus près des habitants. Le message ne pouvait trouver meilleur canal de transmission. Cette démarche novatrice a tout de même attiré de nombreux ennuis au metteur en scène, qui s’est vu résilié son contrat de résidence à l’Alliance Française de Moroni, où, en tant que résident, il jouait régulièrement d’autres pièces. Les motifs invoqués furent : atteinte à l’ordre public, tentative de subversion et de soulèvement des populations contre la France. On reprochait à Soeuf Elbadawi, ses prises de positions catégoriques pour le retour de l’île comorienne de Mayotte dans son giron naturel. Celles-ci étant manifestes et clairement énoncées, elles étaient considérées comme anti-françaises. Le metteur en scène ne s’est plus produit à l’Alliance Française depuis mais a poursuivi jusqu’au bout, son travail ambulant. Le droit à la liberté d’expression si cher aux français semble ici, confisquée : Elbadawi a donné, dans la rue, une image peu élogieuse d’une France envahissante, peu respectueuse du droit international.378 Si le théâtre politisé, visant à dénoncer les relations opaques qu’entretiennent les Comores et la France, se colore de tonalité grave et sérieuse, il ne va pas jusqu’à reproduire la tonalité tragique du drame en lui même. La tragédie est un genre encore inexistant bien qu’on puisse lire quelques personnages soumis aux lois infernales d’une fatale destinée. Nous en revenons pour cela à la pièce de théâtre Hari-hari…, qui, si elle met en scène des personnages hauts en couleur et caricaturaux sous les traits de Mama Jacqueline, Mac Guyver et Fundi

377 Hugo Victor, Préface à Lucrèce Borgia, 1833. 378 Il s’agit ici du contentieux opposant les Comores et la France : l’occupation de l’île de Mayotte, jugée inégale par un grand nombre de comoriens mais revendiquée et désirée par la population mahoraise. Ce litige, qui remonte au référendum de 1974, ayant proposé à chaque île de s’autodéterminer en faveur ou non de l’autonomie a vu l’île de Mayotte soutenir son rattachement à la France de façon massive. L’ONU reconnaissant les frontières naturelles de l’archipel comme englobant Mayotte dans toutes ses résolutions, légitime le combat des comoriens. Pourtant, la France a poursuivi sa politique et le reste de l’archipel se sent lésé d’une partie stratégique et importante de son territoire et en revendique régulièrement le retour, accusant la France d’une violation du droit international. Le sujet n’étant plus abordé lors des conférences onusiennes, les comoriens, partisans d’une retour de l’île de Mayotte au sein du territoire comorien, s’organisent en associations en vue de faire entendre leurs doléances. Pour cela, chaque année voit s’organiser en France, devant le musée de l’homme et les Trocadéro, une manifestation érigée en marche silencieuse pour rappeler à la France ce qu’ils jugent comme une occupation illégale du territoire. Aujourd’hui que Mayotte est devenu 101ème département français, bon nombre de comoriens et notamment d’intellectuels souhaitent éveiller l’opinion publique aussi bien comorienne que française et amener à une discussion sur le sujet. Ce litige est donc l’un des trois thèmes centraux de l’écriture de Soeuf Elbadawi pour qui, l’identité comorienne est à maintenir et à « reconstruire » par la réappropriation de son espace et la délimitation des frontières naturelles de l’archipel. Frontières considérées par les politiques français comme une vue de l’esprit. C’est donc à la suite des premières représentations de sa pièce, le « gungu » (bannissement), que l’Alliance Française a rompu le contrat de résidence du metteur en scène, après avoir constater une émulation de plus en plus forte induite par le spectacle de la troupe O’mcezo. En effet, la pièce en elle-même mettait en avant une personnage enchaîné par des chaines et déambulant dans les rues avec un message indiquant un parallélisme entre la situation, la posture du personnage et celle des trois îles restantes. 303

Shuma, elle dessine aussi les prémisses de personnages préoccupés de noblesse, d’honneur, de dignité auxquels va s’imposer le choix cornélien : l’amour et l’honneur. Bahati est de ceux là. Eprise d’amour pour Kassim, elle souhaite l’épouser mais sait sa mère sourde à « ce genre de légèreté ». Kassim, issu d’une famille modeste et qui plus est, une famille dont ni le père, ni l’oncle maternel n’a accompli son anda, n’est pas digne d’elle. Vu comme un paria de la société pour son statut de Mna mdji, il ne peut prétendre épouser Bahati, qui en tant que fille de Shérif, est destinée par sa mère à un fils de Shérif (Un descendant de la famille du prophète (PBSL), vivant et travaillant en France. Bahati se trouve alors confrontée à un dilemme, choisir l’amour en avouant ses sentiments et en choisissant d’épouser Kassim contre l’avis de sa mère, reniant ainsi son rang et sa lignée (hinya) ou choisir l’honneur, se plier à la volonté de sa mère, sauvegardant ainsi la dignité de sa famille. Si le personnage n’est qu’une prémisse de la figure tragique, c’est qu’elle ne prendra pas de posture claire ; laissant le destin et sa mère trancher pour elle. Une mère manipulatrice et perfide, dotée d’un sang froid et d’une cruauté qui la mèneront à désirer et précipiter la mort de Kassim, l’obstacle à ses ambitions de gloire et de reconnaissance. Le théâtre met en scène les malaises de la société et laisse prédominer les cris de contestations des auteurs. Les thèmes abordés sont directement inspirés de la vie de tous les jours. En témoignent la Fille du Polygame qui est l’une des premières pièces de théâtre écrite, pointant du doigt les statuts de polygame et coépouse ; Les coulisses d’un mariage incertain ou Pauvre Comores. Des pièces puisant dans la réalité des îles. Les coulisses d’un mariage incertain soulève le problème du mariage forcé et du anda, cette cérémonie tant controversée présentée en détail dans notre deuxième chapitre. La tradition octroie tous les pouvoirs aux parents sur le devenir des enfants. Le héros, Kassim ne sait pas qu’il ne peut décider seul de son futur. Il se doit de se ranger aux décisions de ses parents. Ceux-ci, plus attentifs aux désirs de leur fils, et pour son bien, acceptent l’idée de son mariage. Par contre, malgré que Djamila soit d’accord, les parents et surtout la mère de celle-ci s’y opposent catégoriquement. Va s’ensuivre une lutte acharnée de la mère pour empêcher cette union. De la crise de colère aux menaces, des coups bas aux faux semblants, Faouzia, la mère de la future mariée finira par se rendre chez une mwalimu afin de lui demander la préparation d’amulettes et de talismans visant à faire disparaître les sentiments de sa fille pour Kassim. L’attitude de la mère est ici des plus courante aux Comores. Bien que cela soit condamné en public car interdite par l’Islam, le recours à des marabouts, guérisseurs pour

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résoudre tous types de maux est monnaie courante dans les îles. Alors, face à l’obstination de Djamila, Faouzia n’a d’autres solutions que d’implorer le secours du médium.

Ce que dépeint Ambass Ridjali n’est autre que la réalité de l’archipel. Les parents souhaitent et réussissent très souvent à faire et à défaire les mariages, ils ont recours à la sorcellerie, tout en menaçant de renier et de bannir l’enfant qui refuse de se plier à leurs désirs, en plus des chantages affectifs. La petite histoire raconte que les mères au seuil de la mort n’ont pour remède que la réalisation du Grand mariage par leurs enfants. Il arrive fréquemment qu’une mère mette en scène son déclin afin qu’un mwalimu diagnostique en elle un mal incurable dont la guérison résiderait dans l’accomplissement du mariage de la fille ou du fils opposé à ce système. La mère de Djamila emploie tout de suite les grands moyens en faisant appel à la voyante qui refusera sans le lui dire, de nuire au bien-être de la jeune fille. La démarche de Faouzia est fréquente dans les îles. Par conséquent, toute personne peut se reconnaître dans l’un des personnages, ou du moins comprendre. Les comoriens ne sont pas étrangers à tous ces problèmes d’intérêt, générateurs de malaises sociaux et de crises familiales. Le théâtre renvoie trait pour trait à cette réalité. Comme le souligne Nakidine Mattoir : « A travers cette pièce, la migration brise les tabous des inégalités et classes sociales du pays d’origine, et instaure une certaine égalité de droits et une ascension sociale de celui qui aurait pu voir son identité refoulée dans son pays d’origine. Dans une société où le mariage se contracte par les lignages, la migration est vécue comme une émancipation. »379

b) Honneur ou bonheur ?380 Honneur ou bonheur est une pièce de théâtre qui fait le choix de poser clairement et simplement les problèmes de société liés au grand mariage. Les jeunes, Anasse et Camélia cherchent le moyen de se rendre à Madagascar afin de poursuivre leurs études, trouver un travail et réussir. Une trajectoire que Camélia explicite ainsi : « D’abord les études, ensuite bâtir une vie meilleure, et enfin le grand mariage si cela s’avère nécessaire »381

379 Mattoir Nakidine, propos recueillis lors d’un entretien, « En tant qu’historien, comment percevez-vous l’art de la scène ? », Paris, Mars 2012 380 Mistoihi Abdillahi, Honneur ou bonheur ?, Les éditions de La Lune, Levallois-Perret, 2006 381 Idem, p.40 305

Symboliquement, il s’agit d’aller au delà du système traditionnel qui impose le mariage en finalité absolue à toutes les aspirations individuelles. Malgré leurs idéaux et les décisions prises entre amis, Nasser le théologien et Anouar le sociologue, les réalités restent complexes. Les étudiants apparaissent alors avec la simplicité de leurs réflexions dans la complexité des situations posées. Le grand mariage détruit tout, selon eux, les études les libèrent. Pourtant, au fil des scènes, ils font le constat de leurs échecs successifs : leurs amis, d’abord Cheikh Nasser et ensuite Echati, font le choix de se conformer aux exigences familiales : le grand mariage. Chacun évoque ses raisons, des raisons jugées insuffisantes pour le reste du groupe. Il y a donc scission. S’insinue alors une réflexion sur le bonheur comme un état en totale contradiction avec la recherche de l’honneur en contexte comorien. A l’exemple de l’oncle de Camélia, Moegniyada, docteur vivant en France, l’intellectuel n’ayant pas prise sur le système, il le subit et finit, comme Nasser, par le revendiquer, et même le défendre. De peur d’être exclu de l’ensemble et d’être marginalisé, l’homme instruit, un être doué d’intelligence et de réflexion se résigne car là réside la seule alternative. En contre poids, le personnage d’Anouar trace les lignes d’un schéma de lutte : « Voilà ce qu’on va faire : nous devons mener des actions positives aux yeux des jeunes surtout afin de ne pas être vus comme étant des fauteurs de troubles dans le village. Nous allons dès demain organiser des conférences débats intellectuels mais aussi chercher un organisme pour financer un projet villageois tel que la construction d’une école. Sinon, nous nous sentirons très marginalisés. Nous devons aussi travailler très dur pour avoir une vie meilleure. »382 Cette pièce construite en cinq actes, orientés par cinq interrogations, est une réflexion sur le grand mariage, ses méfaits et les moyens de le contourner. Une pièce optimiste où la détermination, la volonté et le temps permettent aux personnages d’atteindre leurs idéaux : se construire en marge du système sans être exclus de la société. La dernière scène présente Anass, Camélia et leurs époux respectifs, dans un salon très moderne, signe de réussite sociale. Ceux-ci voient défiler chez eux, en même temps que le spectateur/lecteur, des membres influents du village, venant solliciter leur aide et leurs conseils. S’ils ne sont pas notables, ils sont du moins influents et président, grâce à leurs moyens financiers, et à leur engagement pour le village, à la destinée de celui-ci. Une ascension et un respect si grands que l’oncle des deux héros, farouchement opposés à ses neveux dans les scènes premières, se confond en excuses pour ne pas avoir perçu, plus tôt, l’urgence de les suivre, et donc de les

382 Mistoihi Abdillahi, Honneur ou bonheur ?, Les éditions de La Lune, Levallois-Perret, 2006, p.83 306

aider à changer la société. En somme, le schéma auquel sont parvenus les deux jeunes gens correspond au respect du schémas tracé par Anouar.

L’auteur, par le biais de sa pièce, semble proposer un programme de société, une vision sociale permettant à ses personnages de sortir du cercle vicieux du anda. Le texte devient une proposition de fond dont la finalité serait d’offrir aux comoriens, comme pour les personnages, des alternatives contraires aux traditions mais nécessaires au développement. Ici, le anda cristallise tous les maux dont souffre la société comorienne et à en croire Mistoihi Abdillahi, en prenant le contre-coup du système en place, et en reléguant le anda au second plan des réalités comoriennes, les îles connaîtraient alors une croissance certaine.

VII. ROMANS, ESSAIS ET NOUVELLES : L’HYBRIDITE INTRATEXTUELLE DANS LE CONTEXTE DU SHIKOMORI OU DE LA COMORIANNITE

VII.1 De la stagnation d’une fiction réalité

VII.1.1 Une fiction romanesque à deux voies, Le Bal des mercenaires383

Nous le signalions plus haut, la première phase de la littérature comorienne, et pour être plus précis, du roman comorien, inscrit le genre dans une dimension historique, politique et sociale. Plus encore, l’histoire, et plus exactement l’histoire politique, forme le fond de l’intrigue romanesque, et elle en constitue aussi la trame. Ainsi, il est communément admis de lire les premiers romans comoriens comme des romans historiques. C’est sous cet aspect qu’ils sont aussi analysés par Ali Abdou Mdahoma dans son mémoire Littérature comorienne: l’esthétique du combat dans La République des Imberbes, Le Kafir du Karthala de Mohamed Toihiri et dans Et la graine… d’Aboubacar Said Salim, et Abdoulatuf Bacar dans son ouvrage, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires. Les éléments ou événements faisant référence à l’histoire sont clairement exposés à

383 Aboubacar Said Salim, Le Bal des mercenaires, Moroni, Komédit, 2002 307

même l’intrigue puisqu’ils la fondent ou la constituent. Ainsi, le Bal des mercenaires, très explicite par son titre, inscrit l’histoire des personnages romanesques dans la période postrévolutionnaire. A savoir, 1978-1989 (Présidence d’Ahmed Abdallah), période durant laquelle les Comores vont subir le dictat des mercenaires. Constat entendu dans la phrase « En dehors de l’omniprésence des mercenaires. »384 La situation dénoncée concerne la présidence d’Ahmed Abdallah. Les termes « affreux », « mercenaires », GP (garde présidentielle)) et autres sont toutes très actuelles à ce moment là. Le mercenaire Bob Denard est à la tête de l’armée du pays. Personnage extrêmement influent, peut-être même plus influent que le président lui même, dont le mercenaire est le protecteur. Solidement entourés d’hommes de fer, le président instaure alors en toute impunité un système de parti unique qui perdurera et prévaudra tout au long de son mandat, le plus long de l’histoire des Comores. Mandat qu’il a lui-même amené à un renouvellement illimité à l’instar de bons nombre de chefs d’états africains des pays voisins. En effet, en faisant voter la constitution sur la possibilité de renouveler indéfiniment un mandat, il visait la présidence à vie, en vue de n’être succédé que par l’un de ses fils. L’allusion à ce fait se lit dans la phrase aux accents ironiques du narrateur et qui rappelle fortement le début de Candide de Voltaire : « En dehors de l’omniprésence des mercenaires, de la crise financière permanente, des luttes intestines entre les clans des ministres, des brèves grèves à répétition des enseignants pour toucher leur salaire tous les trois mois, la ville de Niorm était la plus tranquille des capitales et le Président Allélouya, le plus heureux des présidents. Il modifiait la constitution au gré de ses intérêts, grâce à la complicité des députés et des conseillers élus sur ses instructions. »385

De république, les Comores tendaient alors à devenir une monarchie héréditaire, par l’impulsion d’Ahmed Abdallah appelé communément le Père de l’indépendance. Ahmed Abdallah jouissait d’une aide extérieure très importante, et d’un soutien intérieur sans faille, de la part des notables comoriens. Ses relations étroites avec la France, lui ayant permis de reconquérir le pouvoir après en avoir été « éjecté » deux années plus tôt, lui assuraient la protection des mercenaires. Le chapitre IX s’ouvre sur une présentation sommaire de la ville de Niorm, capitale des Kavu, et débouche rapidement sur un rappel de la situation géo-politique du pays, puis aboutit à un résumé de sa situation sociale. « Une route unique autour de l’ancienne villa arabe la ceint en une boucle ovoïdale rétrécissant aux extrémités vers la route du Nord et du Sud de l’île. Cette architecture faisait le

384 Aboubacar Said Salim, Le bal des mercenaires, Moroni, Komédit, p.58 385 Id. 308

bonheur de la Garde Présidentielle qui, en un tournemain, pouvait bloquer les issues de la ville. Seule la mer qui s’étalait sur tout le front ouest, pouvait présenter quelques dangers. Mais là encore, un dispositif secret fourni gracieusement par l’Afrique du Sud permettait aux mercenaires de surveiller les côtes 24 heures sur 24. En cas de danger, des unités de combats pouvaient, de Pretoria, atteindre Niorm en moins de deux heures. »386 Une capitale sous contrôle et un pays tenu d’une main de fer, c’est ainsi que fort de l’appui de la notabilité à laquelle il appartenait et de la force armée constituée par les mercenaires, Ahmed Abdallah a su contourner et étouffer les souffles contestataires qui se faisaient alors difficilement entendre. Ce que rapporte le narrateur dans : « Tout aurait été donc pour le mieux dans la meilleure des républiques, s’il n’y avait pas le C.D. Le C.D. abréviation de Congrès Démocratique était la bête noire du régime de sa triple Excellence le Président Allélouya Ben Mouzguigue. Par ses tracts et son journal HESU, cette organisation politique, la seule qui osait braver les mercenaires, faisait des révélations accablantes sur les détournements des deniers publics, la corruption, la dépravation des mœurs des dirigeants. »387

L’on comprend vite qu’il s’agit dans le récit d’une organisation clandestine, et dans la réalité, celle-ci renvoie au FD (Fond Démocratique), l’un des rares, si ce n’est le seul parti d’opposition à avoir pu gagner assez de crédibilité pour effrayer le gouvernement. On retrouve, à travers le personnage de Bakari, surnommé Fundi (Porfesseur) que Miloude rencontrera plus tard dans son périple, l’une des figures du militantisme de l’époque, provenant des classes les plus modestes malgré leur instruction. Bakari l’instituteur, incarne la révolte par la réflexion politique, une révolte sourde contre les mercenaires et leurs abus comme le montre la voix du narrateur : « Mais là où Fundi était le plus véhément, c’était lorsqu’il abordait la question de la présence des mercenaires et leur comportement inadmissibles aux Kavu.» 388

Son discours de sensibilisation sur les écarts de plus en plus grands, les méfaits à l’encontre du petit peuple interpelle Miloude qui : « écoutait attentivement Bakari et des problèmes qui lui semblaient obscurs s’éclaircissaient au détour d’une phrase, d’un exemple qu’il prenait dans la vie quotidienne. Lorsque Fundi se mit à expliquer à travers le circuit de la vanille l’enrichissement des

386 Aboubacar Said Salim, Le bal des mercenaires, Moroni, Komédit, p.58 387 Idem, p.59 388 Aboubacar Said Salim, op.cit, p.60 309

intermédiaires et des exportateurs et l’appauvrissement des producteurs, Miloude revoyait son père, Mlariba et les autres habitants du village. »389

Dans les premières pages, Mlariba est présenté comme l’homme le plus riche et le plus influent du village de Mibani. Riche grâce à sa revente de produits locaux et essentiellement la vanille et influent par les relations qu’il entretient avec les membres du gouvernement. Père Mlimi, le père de Miloude incarne le petit cultivateur dont les récoltes achetées à des prix dérisoires sont revendues à prix d’or par les intermédiaires comme Mlariba. Ce phénomène, générateur d’un réel sentiment d’exploitation et d’injustice est ressenti par une majorité de la population rurale qui, éloignée des considérations politiques, ne sait à qui recourir pour faire entendre sa voix et s’en remet alors à la fatalité. L’exemple du commerce irrégulier de la vanille est un exemple parmi tant d’autres selon Bakari. Et c’est bien ce type de mécanisme imposant la domination et l’enrichissement des plus riches au détriment des plus pauvres qui suscite la sympathie et l’adhésion de Miloude à la cause, témoignant ainsi de l’intérêt et du soutien éprouvés par les populations modestes et très pauvres, dans la réalité, pour les organisations clandestines comme le F.D. Pourtant, dans la fiction comme dans la réalité, ces mouvements ne parviendront que trop rarement à se faire entendre et beaucoup de militants sont arrêtés, emprisonnés et exécutés. En témoigne l’affiche servant d’illustration au roman. Celle-ci signée « Le FD » paraît une photo d’inscriptions sur un mur, réclamant la libération de compagnons et le départ des mercenaires « Libéres Moustoifa et ces compagnons. Mercenaires hors des Comores ». Le réseau clandestin, infiltré par des traîtres lui, est finalement démantelé. En un sens, selon les propos d’Abdallah Msa : « L’agitation politique n’a jamais pu ébranler le régime en raison de l’action menée constamment par Ahmed abdallâh auprès de la notabilité devenue la principale force politique de soutien au régime. »390

Si le président Abdallah n’est que rarement cité, si sa stature apparaît infime dans le roman d’Aboubacar Saïd Salim, c’est qu’elle s’effaçait semble-t-il, dans la réalité, au profit de celle des mercenaires. Mais il nous faut tout de même lire, à travers les pages du roman, tous les éléments qui renvoient à cette situation politique. L’accent est mis ici, sur le rapport de force et de domination instauré par les mercenaires au détriment de la population ; des

389 Idem 390 Abdallah Msa, Les Comores, 1975-2000, Un espoir déçu, les Éditions de l’officine, Brive la gaillarde, 2001, p.217 310

mercenaires se donnant à cœur joie en toute impunité ce que traduit le titre du roman par l’évocation du bal, espace de fête où la danse prime. Le bal est synonyme de rencontre entre gens du même monde, d’insouciance et de joyeuses camaraderies. Ce bal étant exécuté par les mercenaires, ceux-ci sont seuls à la fête et cela leur convient. Une situation parfaitement décrite dans l’ouvrage de bilan économique d’Abdallah Msa. Celui-ci décrit la société telle qu’elle est dépeinte dans Le Bal des Mercenaires.

VII.1.2 Le roman comorien francophone, une mise à distance factice

a) Une écriture pudique Si le roman ne dévoile que difficilement la part de vie d’un auteur, la poésie elle, semble au contraire le coin privilégié du moi. Peut-être justifiée par la nature même d’une poésie ancestrale où lyrisme et épanchement en forment le socle, la place du « je » est non seulement centrale, mais par ce fait, complètement affirmée et assumée. Ainsi, la part autobiographique d’un texte romanesque sera trop souvent enfouie sous une chape réflexive où seuls les idéaux se justifient tandis que cette même part de vécu sera prônée et portée par le texte poétique. Il s’agit là de l’apparente distanciation existant entre les deux genres. Non qu’il soit nécessaire de trouver les marques d’oppositions entre roman et poésie et d’élever ces deux genres sous des formes antagonistes, mais il est frappant que la majeure partie de la poésie comorienne d’expression française réponde aux codes de ce qu’on appellerait la prose poétique lyrique et engagée et qu’au contraire, le roman soit de son côté la traduction d’une réflexion souvent immobile et ou l’illustration d’une opinion donnée. Dire et écrire ce qu’on pense est un mot d’ordre en littérature comorienne, où selon les textes étudiés, on n’écrit pas tant pour recréer des espaces et des univers mais pour donner un espace et un univers à sa propre pensée. D’où la difficile différenciation entre roman et essai tel que nous l’analyserons plus loin. Pour en revenir à la sphère autobiographique d’un texte littéraire, nous ne recensons qu’un seul ouvrage s’inscrivant dans cette lignée et se revendiquant comme tel. Brûlante est ma terre de Baco Abdou Salam. L’auteur y décrit sa vie dans une Mayotte fascinée par la France et dominée par elle.

Le coin « Lyriques » du site Holambe Comores, aujourd’hui introuvable, proposait un large éventail de créations poétiques diverses et variées, autant dans l’aspect formel que dans

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les thèmes abordés. Les textes d’une jeune femme, Faïza Soule Youssouf, ont retenu notre attention. Bien que classés ce ne soient pas des poèmes à proprement parler mais au contraire, des morceaux de textes en prose que l’atmosphère mélancolique produite par le recours à la première personne, le rythme des phrases et l’importance des images permettrait d’identifier comme étant de la prose lyrique. Le texte choisi et présenté ci-après ressemble à des pages extraites d’un journal intime où l’aspect poétique provient de la force de l’auteur à se donner au lecteur. Cette posture intimiste que beaucoup, dans une société d’une grande pudeur, jugeraient impudique, est tout à fait originale. Le lecteur habitué à cette littérature est tout aussi habitué à ce que la poésie soit le lieu d’expression de ces sentiments que l’on affirme mais ces sentiments d’amour ou de haine, de nostalgie et de joie reflètent un état d’âme causé pour la plupart du temps par les Comores. Mais concernant cette jeune femme qui signe Fay, l’approche est radicalement différente. Elle puise dans son histoire personnelle et son ressenti face à ses doutes qu’elle dévoile dans des textes éloignés des considérations politiques, des réflexions sur la société, sur le devenir d’un pays ou d’une nation… Ses textes, à la première personne du singulier, ne décrivent et ne mènent à visualiser qu’un même personnage : celui d’une jeune femme de vingt ans, meurtrie par son vécu et dont l’ « âme erre encore aujourd’hui à la recherche d’un foyer. »

Poème de Fay391

Elle fût mon principal pilier. Cette amie ? Comment pourrais-je l’oublier. Alliée en toute épreuve, soeur parce que lisant mieux que quiconque les méandres de mon âme. Comment expliquer l’inexplicable. Elle était là avec moi et c’est tout ce qui comptait. A deux, on arrivait si facilement à rendre dérisoires les choses les plus graves qui nous arrivaient.

Je ne sais pas ce que je serai devenue sans elle. Elle m’a tellement donné. Je me rappelle que jamais mon coeur n’a saigné sans que le sien ne saigne à son tour. Mes larmes se mélangeaient aux siennes. Combien de fois elle m’a tenue la tête hors de l’eau, quand je pensais alors que plus rien n’avait de sens pour moi. Elle me forçait à rire et mon rire ne sonnait jamais faux avec elle. Elle apportait la joie que l’autre a voulu enterrer, l’amour que l’autre avait détruit et l’innocence que l’autre m’avait volée. En écrivant ces lignes, je me demande si à mon tour, j’étais là pour elle, si obnubilée par mes démons intérieurs, je ne l’avais pas un peu délaissée. Elle me semblait si forte, si elle, que souvent j’oubliais de lui sourire le matin. Elle me tenait la main dans les rues de Rabat, m’insufflant de la vie, m’insufflant sa vie. Elle, mon air. Elle, ma soeur. Pourtant nos deux pays étaient séparés par les déserts et les mers. Nous nous sommes connues dans cette contrée étrangère où se sont

391 Poème sans titre, publié en 2008 dans la rubrique « Lyriques » du site www.holambecomores.com, aujourd’hui introuvable dans sa version première. 312

tissés nos liens d’aujourd’hui. Des liens que rien ne peut dénouer. Des liens reflétant l’âpreté de la vie que nous menons et se durcissant à chaque pas.

Elle va me quitter, elle vole vers une autre voie tracée pour elle par d’autres. Elle s’en va sans moi. Je ne suis pas faite pour aller là où elle va. Elle s’en va à la rencontre de son avenir. Je devais m’attendre à cela mais je reste encore hébétée. La femme de ma vie est en train de me quitter. Nos rires ne seront plus qu’un lointain souvenir. Je l’aimais là et je l’aimerai loin. Je l’aimerai quand bien même je serai vieille et édentée, quand les aléas de la vie me rendront sénile, quand mon corps sera penché vers la terre, quand mes cheveux n’auront plus la couleur de l’ébène. Quand toute ma mémoire me fera défaut, je me rappellerai d’elle. Dans mon lit de mort, quand l’ange se présentera à moi, quand viendra mon tour de quitter cette terre, je penserai à elle. Je penserai à la soeur que m’a donnée le destin. A la soeur que j’ai eue.

b) Un « il » excentré pour l’affleurement du « je »

Nous le signalions plus haut, durant longtemps, la fiction romanesque ne s’est limitée qu’à une sorte d’empreinte de l’histoire. Les personnages, des héros engagés dans le devenir de leur pays ont lentement cédé leur place à des êtres à la recherche de leur équilibre. Celui – ci étant toujours lié à la possibilité de faire cohabiter en eux, les espaces différenciés des aspirations personnelles et individuelles aux règles établies par la société. Contre ou pour les traditions, contre ou pour les choix gouvernementaux, les orientations politiques des dirigeants et du pays, les personnages restaient des êtres inventés, ne prenant vie que dans l’espace du texte. Être fictifs, ils ne pouvaient que limiter leur action à celle définie par l’auteur dans une optique de distanciation entre lui et son héros. Dans ce cas, l’auteur se liait, dans la forme, davantage et de façon quasi systématique au narrateur dont la voix emmenait la pensée de ce dernier. Cette relation de binôme auteur /narrateur regardant, jugeant et faisant évoluer le héros face à eux et le lecteur devenait la seule relation existant entre un auteur et son personnage annulant la possible identification entre les deux. Ainsi, la question du récit à la première personne apparaît hors de propos, à l’exception du roman d’Abou Salam Baco, Brûlante est ma terre. Ici, comme nous le rappelions plus haut, la nature du texte s’énonce à même le titre. Par le possessif « ma », fonctionnant en déictique, l’auteur s’approprie l’espace de la fiction et se met en scène au cœur de son récit. Il y a donc là écrit autobiographique assumé et revendiqué. Or mis à part cette œuvre, aucune autre en français, n’a donné lieu à cette implication explicite d’un auteur 313

dans son texte. L’auteur reste ou se veut celui qui par le biais de son narrateur narre l’histoire d’autres gens, des autres. La fiction romanesque instaure alors une distanciation systématique et une différenciation entre les trois instances dominantes du texte : l’auteur, le narrateur et le personnage. En cela, il n’y aurait nul besoin d’aller plus loin dans nos analyses. Pourtant, force est de constater qu’il y a, sous cet apparent anonymat, des éléments clairs, des détails précis renvoyant à la vie des auteurs eux-mêmes et permettant d’identifier certains de leurs écrits comme des œuvres relatant leur vie, à des instants « T », tout en proposant une grille de lecture à distance. Les romans seraient alors des récits de vie racontée avec pudeur. Comme si, les questions auxquelles se confronte Nathalie Sarraute dans Enfance n’auraient pas trouvé de réponse pour ces écrivains du « il » en lieu et place du « je ». Si l’auteure élucide ses interrogations dès l’incipit de son récit par son soliloque : « - Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Évoquer tes souvenirs d’enfance »… Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »… il n’y a pas à tortiller, c’est bien ça. - Oui, je n’y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi… »392 elle pose clairement la question de la gêne et du malaise dans la gestion du récit à la première personne. Se livrer entièrement dans une attitude de mise à nue induit forcément la question du regard de l’autre, ici le lecteur. Et peut-être que, dans un contexte aussi étroit que celui de l’archipel des Comores, où il y a encore quelques années en arrière, tout le monde pouvait connaître tout le monde, cette mise à nue était d’autant plus difficile. Quoi qu’il en soit, les auteurs de fiction choisissent, lorsqu’ils relatent ou s’inspirent d’une partie de leur vie, la forme impersonnelle d’un « il » fictif mais de projection. Et, pour peu que nous ayons quelques informations sur eux, nous pouvons retracer les similitudes entre le héros dans l’univers fictif et l’auteur dans la réalité.

Une affirmation que nous pouvons soutenir au regard du roman Le Crépuscule des baobabs. Bien que la part de fiction soit dominante dans la construction de l’intrigue, la part de réalité n’est pas à minimiser dans l’évocation des sensations et des sentiments. L’itinéraire du jeune Mwandzé correspond à celui de Saïd Ahmed Sast, aussi bien dans son parcours vers la France que le lieu d’accueil mais surtout dans l’intensité du sentiment amoureux au cœur de l’intrigue. Le roman ayant été présenté par l’auteur comme pure fiction, nous n’irons pas développé davantage cependant, si l’un des vêtements que porte le personnage de Sitty

392 Nathalie Sarraute, Enfance, Gallimard, collection Folio, 1985 314

Mahabouba se présente comme un détail pour le lecteur, un haut rose, il deviendrait un indice pour le chercheur, puisque le vêtement aurait bien été offert en cadeau à l’auteur par une jeune femme à qui il dédie certains de ses poèmes.

En analysant les noms des personnages, Abdoulatuf Bacar parvient à des conclusions similaires pour le cas d’Ali, dans Le Bal des mercenaires : « Il est l’un des compagnons de Miloude dans la prison de Kodoni et celui qui constate le premier, la disparition éternelle du héros. Cette position dans laquelle Ali se situe par rapport au déroulement du récit laisse croire qu’il est la narrateur même de l’histoire. […] Vu le caractère omniprésent du narrateur, nous nous demandons si le récit ne serait pas fait par un des personnages survivant et témoin. »393 Il poursuit ses hypothèses en créant un pont entre les évènements survenus dans la vie de l’auteur et ceux relatés dans le récit par : « Ceci nous conduit à une évidence : la question de l’autobiographie qui est l’une des caractéristiques du roman dit « réaliste ». En racontant la vie des autres, Aboubacar paraît nous parler de la sienne. Garderait-il un lien utile avec le mouvement communiste ? En tout cas, parmi les personnes arrêtées en mars 85 figure Aboubacar Ben Saïd Salim […] Ainsi Aboubacar serait le nom d’un Kalifa comme l’est Ali. Ce statut de Kalif rend les deux hommes identiques. C’est ainsi que ce personnage fictif Ali pourrait être le double du personnage historique Aboubacar qui est tout simplement l’auteur. »394

Bien que cette conclusion ne soit le résultat que d’une hypothèse, celle-ci a tout son intérêt pour nous entendu qu’elle accrédite notre développement sur l’idée d’un personnage « il » excentré, à l’origine d’une implication réelle et d’une possible identification de l’auteur. Cette proposition pourrait être infirmée ou confirmée si nous pouvions avoir accès à des données plus personnelles de la vie des auteurs. Or, même des informations plus générales s’avèrent difficiles à recouper. Pourtant, nous considérons cette piste intéressante car à l’origine d’une certaine tendance d’écriture dans ce contexte. Les auteurs mettent leur protagoniste à distance tout en leur faisant revivre des instants de leur vie qui sera ainsi livrée au lecteur dans un jeu de

393 Bacar Abdoulatuf, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires, Paris, Les Ed. de la Lune, « Littérature et Critiques », 2009, p.14 394 Bacar Abdoulatuf, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires, Paris, Les Ed. de la Lune, « Littérature et Critiques », 2009, p.14 315

voilement et de dévoilement. S’écrire et se livrer tel quel semble une question cruciale mais laissée en suspend ou détournée et semblerait conditionner cette tendance à l’écriture hybride que nous analyserons plus loin.

c) De l’expropriation du « il » historico-social à l’identification du « je » individuel et personnel, Marâtre.395

Une manière de détourner la question, le roman Marâtre jongle entre les trois instances : auteur, narrateur personnage. Le récit, est mené tantôt à la première personne du singulier, et le « je » désigne le narrateur personnage identifié sous le surnom de Dendehors, tantôt à la troisième personne avec un « il » référentiel allant du personnage héros à une forme de « il » impersonnel, désignant une plus grande majorité. Les deux voix narratives se succèdent d’un passage à l’autre, faisant entrer le lecteur, à chaque fois, dans la pensée de Dendehors. Ainsi, même lorsque la posture narrative prend en compte un narrateur externe, la focalisation reste interne ou omnisciente. Le lecteur a donc accès aux ressentis du personnage qui, soit se livre lui-même, soit est livré par le narrateur. En ce sens, le texte dessine une sorte d’intimité que le lecteur est invité à partager pour comprendre les malaises ressentis par le pauvre petit garçon. S’il n’est pas possible de parler directement de récit autobiographique, nous pouvons du moins amorcer l’idée d’autofiction dans ce roman. « J’y pense encore et encore. Les cris de ma marâtre fouettent mon esprit. Le silence de mon père devient le plus assourdissant des bruits, un silence dont les blessures laissent couler un pus nauséabond. Ces histoires, voyez-vous, ne sont qu’une infime partie de ma vie de parias, à moi Dendehors le maudit. Mais pas plus maudit que marâtre. Qu’on se li dise ! Et vlan, Marâtre ! »396 Voix de l’auteur perceptible grâce au changement de tonalité et peut-être même de registre. Ne serait-ce pas Salim Hatubou lui-même qui exprime, par le biais de l’écriture, sa revanche ? Le temps dominant de ce passage est le présent, un présent d’énonciation car renvoyant au moment de l’écriture. Il désignerait donc le narrateur adulte, donc l’auteur. On peut maintenir cette hypothèse grâce à l’adverbe « encore » qui renforce l’idée de continuité dans le présent et à l’emplacement du passage. Celui-ci arrive à la fin du premier chapitre et propose une sorte de bilan des années de souffrances dont fut victime le personnage enfant. De plus, l’onomatopée au début de la dernière phrase, composée seulement de trois mots et

395 Hatubou Salim Marâtre, Komédit, 2003 396Idem, P15 316

ponctuée d’un point d’exclamation « Et vlan, Marâtre ! », sonne comme le coup d’envoi et annonce le début du récit. Une histoire qui se construit autour des mésaventures du personnage mais aussi des mauvais tours joués par le petit garçon à sa belle-mère. D’un autre côté, ce jeu entre les différents narrateurs permet une ouverture vers le monde au delà du personnage. Lorsque le récit n’est pas à la première personne pour amener le lecteur à cerner, ressentir la colère de Dendehors, à compatir avec lui, le personnage sera désigné par des expressions périphrastiques en lien avec son statut « L’enfant », son origine « le petit africain », son état « le petit esclave moderne ».

Sous couvert de légèreté, les épisodes relatés dans Marâtre sont très durs, et reflètent parfois une extrême violence à l’égard de l’enfant. Celui-ci se trouve propulsé, en l’espace d’un trajet en avion, l’amenant de l’Afrique vers la France, dans un monde où la haine, le mépris, les brimades et les sévices aussi bien physiques que moraux deviennent son lot quotidien. Comme si la douleur des mésaventures et surtout des maltraitances dont Dendehors était la cible étaient encore trop vives, l’auteur hésiterait à se livrer pleinement par un recours affirmé et constant au « je ». Les correspondances étant faciles à faire entre le personnage Dendehors et l’auteur, de part la ressemblance physique et certains détails ou moments clés de leur vie, il est aisé de penser qu’il y a mise à distance du personnage par le prisme du narrateur. Physiquement, le visage de Salim Hatubou laisse entrevoir deux dents plus grandes que les autres. Ce même détail physique est dans le texte, à l’origine du sobriquet de « Dendehors » qu’on flanque au personnage. De plus, comme pour son personnage, la mère de Salim Hatubou est morte alors qu’il était petit garçon. Tout comme lui, l’auteur quitte les Comores à l’âge de dix ans pour rejoindre son père et vivre avec lui en France. Et enfin, de même que lui, Dendehors se trouve confronté à une belle-mère méchante, mesquine et acariâtre. Nul besoin de préciser davantage qu’il y bien ressemblance entre l’auteur et son héros. Et correspondances sont portées par l’auteur à la portée du lecteur sans tentative de dissimulation. En ce sens, Marâtre apparaît comme une autofiction où le « je » fictif met en scène le « je » réel que l’auteur semble avoir été longtemps en arrière, et déplace l’aspect personnel et intime du récit en proposant un « il » impersonnel qui engloberait à la fois Dendehors et tous les enfants dans la même situation et victimes des mêmes maltraitances.

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VII.2 Un narrateur impliqué, un auteur omniprésent

VII.2.1 La place du personnage et son rôle

a) Un personnage prétexte En se référant aux trois postures du personnage perçu par le lecteur, définies par Vincent Jouve dans son ouvrage, L’effet du personnage dans le roman, PUF, 1998, p. 171- 173, nous serions amené à classer un certain nombre de romans comoriens de langue française dans les franges de la littérature de masse qui, malheureusement dans ce contexte, ne touche que peu de monde, compte tenu du lectorat existant. Entendu que dans l’appellation « littérature de masse », la connotation péjorative ou du moins, négative est présente, cette classification peut sembler à la fois catégorique et néfaste pour cette jeune littérature. Cependant, certaines réalités nous poussent à les désigner telles quelles. En effet, lorsque Vincent Jouve identifie ce qu’il appelle les trois effets personnages - pion, personne, prétexte - il insiste sur la nécessaire jonction entre elles en vue d’offrir au lecteur « une expérience enrichissante sur les plans intellectuel, affectif et fantasmatique ». Et l’insistance sur une seule de ces finalités dans un texte, notamment la finalité « prétexte », du personnage, entraine une lecture attendue chez le lecteur. Cette attente est donc assouvie mais sans entrainer ni amener à une quelconque élévation intellectuelle car elle annule l’aspect réflexif procédant de l’essence même du roman « Mensonge -Vérité » comme le nomme Aragon. Cet axe réel tant décrié par les surréalistes ayant entrainé le rejet du genre comme un genre de dernière zone, « le comble de la grossièreté » selon Valéry, est bien le côté pile du genre au même titre que la fable en est le côté face. Ces deux aspects renvoyant à l’idée de travestissement de la réalité ne fondent pas seulement le roman à eux seuls, le personnage, s’il n’est pas une condition sine qua none pour rejoindre les partisans du nouveau roman, s’avère être tout de même une pièce maîtresse de la structure romanesque. Ce personnage, bien qu’être de papier, de part sa trajectoire va lier sa vie éphémère à celle du lecteur, qui à son tour, vivra par « procuration », le temps de la fiction, les aventures qui, au fil des pages, et par le système d’annulation des distances et donc la magie des mots et de la lecture, deviendront siennes. Par ce truchement, le lecteur, devenu actant au sens où, comme l’explique Danièle Sallenave : « L’illusion littéraire suppose un consentement à la croyance temporaire dans la réalité imaginaire des choses fictives. « Héros » d’Homère ou personnage de Balzac, ou simple voix,

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sans corps ni sexe, de la fiction moderne, le personnage est « entre deux mondes », issu de l’expérience imaginaire ou réelle de l’auteur et de l’agencement « mimétique » de ses actions, le personnage vient vers le lecteur comme une proposition de sens à achever. »397 Dans cette continuité, le lecteur a besoin du personnage pour vivre pleinement l’expérience de la lecture. Et toujours dans cette continuité, si le lecteur est freiné dans cette pleine expérience, la fiction et donc le travail de l’écrivain reste aux portes de ses ambitions. Il aspirait à entrainer le lecteur dans sa réalité pour lui permettre de mieux appréhender la sienne, au sens où la fiction doit permettre la libération des passions et leur correction selon le principe cathartique, et pourtant, il le laisse au seuil de la porte de son univers recrée. Car à trop vouloir être compris, l’auteur comorien développe une tendance au déchiffrage de son écriture au sein même du texte. Cette tendance va se refléter dans les nombreuses et lassantes traductions de termes et notions comoriennes, dans la décortication de telle ou telle idée, dans la justification extrême de tel ou tel jugement. L’écrivain se saisit du lecteur non pas comme d’un alter ego que le personnage va tenir à distance tout en les rapprochant, mais bien comme d’un disciple à qui il doit tout apprendre. Le lecteur est alors pris en otage dans un univers où sa pensée et sa réflexion, sa lecture et les multitudes d’interprétations qu’elle peut susciter se trouvent orientées pour ne pas dire dictées par un auteur omniprésent et méfiant. Mais de quoi se méfie-t-il ? Serait-ce du manque de culture, d’une incapacité du lecteur à raisonner ou bien d’une non connaissance de ce qu’est l’objet livre ?

b) Entre personnage actant et personnage-pensée L’omniprésence de l’auteur, si elle était assumée, aurait comme conséquence première la disparition des personnages ou du moins une restriction du nombre des protagonistes et pourtant, a priori, celle-ci n’empêche nullement la présence de personnages. Au contraire, dans la plupart des romans, les personnages affluent en grand nombre, ne retenant pas un profil type pour le protagoniste bien qu’il soit indéniable que les héros soient aisément identifiables. On compte ainsi plusieurs protagonistes dans Un coin de voile sur les Comores, Le Bal des mercenaires, Et la graine, La secte de la virginité etc... Mais cet afflux ne serait qu’en surface entendu que ces personnages héros ont souvent une identité formelle : un sexe, un prénom, parfois un nom, un âge et quelques indications sur leur physique. De plus, le lecteur est tout de suite informé des malaises qui les tourmentent. Pourtant, malgré cette

397 Sallenave Danièle, Le Don des morts, sur la littérature, Gallimard, 1991, p. 132 319

identité formelle, les personnages restent uniquement perceptibles à travers leurs idées. Si leurs histoires ou leurs vécus peuvent sembler différents, les voies empruntées pour avancer paraissent similaires. Personnages de corps, ils sont surtout et avant tout des personnages- idées, des personnages de la pensée, des personnages-pensées donnés à comprendre au lecteur par leurs raisonnements. Ces postures de personnages créent une particularité dans cette littérature, celle d’une littérature de la pensée avec narrateur omniscient et omniprésent pour analyser lui-même telle ou telle réflexion des personnages. Deux textes illustrent parfaitement cette logique. Les romans Un coin de voile sur les Comores et la Secte de la virginité. Le premier se construit autour d’une écriture rétrospective synthétisée alternant avec un regard prospectif quasi elliptique assurant la stature omnipotente et omnisciente du narrateur. Un narrateur surplombant le récit, le cours des évènements tout en interférant dans les esprits des personnages. Dans le passage ci-dessous, Hawa effectuant un stage au port de Moroni, regarde les dockers affairés à décharger les conteneurs sous une chaleur accablante. Les trouvant frêles, elle s’interroge : « Hawa est plutôt tentée de croire que cette scène date des temps anciens. De l’époque de la traite des nègres et des galères de triste renom qui avaient fait de l’archipel un véritable comptoir pour le plus scandaleux des trafics. L’import-export du « bois d’ébène » qui n’a pas encore cessé de stratifier la société comorienne, à travers des vestiges humanisés et sournois. »398 Une lecture induite par la récurrence du discours rapporté essentiellement dans le mode indirect libre, type de discours dominant du récit. « Elle s’est mise à aller un peu plus loin dans l’analyse de ses nouvelles relations. Elle se rend alors compte que depuis qu’elle fréquente Kari et ses camarades, le sens des difficultés familiales a pris un tout autre éclairage. Kari n’a cessé de lui répéter que cela est caractéristique de son milieu et des luttes qui se mêlent ouvertement ou de manière sournoise pour gravir les échelons, dans une société aux hiérarchies fortement cloisonnées. A plusieurs reprises cette vision a heurté la répulsion éprouvée jusque-là envers Mzé-Bacar, son père et tout ce qu’il représente. Difficile de croire que leur attitude prenne ses racines dans la misère matérielle et intellectuelle de Chézani. Il est vrai que tout autour d’eux n’est que pauvreté et ignorance. Mais, tout de même, comment peut-on se servir de sa nièce ou de sa fille pour émerger hors du monde des misérables ? »399

398 Soilhaboud Hamza, Un coin de voile sur les Comores, L’Harmattan, Collection Lettres de l’Océan Indien, 1994 p. 105 399 Id., p.108 320

De plus, l’emploi fréquent du futur pour annoncer, toujours en résumant, les émotions à venir et les pensées des personnages, accroît évidemment cette posture focale. Parlant de Kari, le narrateur s’exprime ainsi : « Rêvant de se consacrer à un roman, en puisant dans son journal intime. Il cherchera d’ailleurs à s’y mettre à sa sortie de prison mais il se heurtera à tant de difficultés de style et de syntaxe qu’il renoncera à son projet. »400

c) Superposition des voix narrateur/personnages Le second roman, La secte de la virginité présente plusieurs instances narratives, inter changeant les rôles et les focalisations par les personnages tantôt simples actants, tantôt personnages narrateurs. Une narration complexe et parfois hésitante et instable qui rend la lecture tout aussi hésitante et instable. Ces différentes postures des narrateurs entrainent une superposition des voix qui s’entremêlent dans les chapitres et parfois au sein d’un même paragraphe comme dans le passage suivant où, Loudi installé sur sa table d’examen du Baccalauréat de philosophie, guette le mot capable d’emmener l’inspiration:

« Si le premier mot est fougueux, plein d’énergie et d’esprit, la suite suivra l’exemple avec enthousiasme. Sa capture est vitale pour les évènements futurs. Le regard de l’Araignée se déplaça de droite à gauche. Un premier mot apparaissait. C’était lui, il devait le capturer. Loudi se jeta à terre sans faire de bruit et doucement comme le serpent il avança vers le troupeau. Les proies buvaient en oubliant que le chasseur de mots rodait. Il en sélectionna un, un tout banal, d’une banalité quotidienne. Ce qu’il voulait dire était d’une affligeante banalité. L’Araignée arma son fusil, se positionna dans le sens opposé au vent, et d’un coup de stylo captura l’animal : « Je ». Un mot d’une simplicité maladive mais qu’il voulait accoupler avec un autre. La peur prit possession de moi. Je venais d’attraper l’écrivinite. La maladie de l’écrivain : la peur de la page blanche. Je voulais un mot neutre au pelage blanc. Je souhaitais parler à la mère avec des mots simples sans faire de tri.»401

Le récit est d’abord mené à la troisième personne du singulier et le narrateur y raconte l’attente de Loudi, en posture de personnage. Narrateur et personnage sont donc deux entités distinctes. Le narrateur extra diégétique adopte un point de vue omniscient dans les débuts du paragraphe puis la phrase suivante le présente en narrateur homodiégétique empruntant la

400 Ibid, p. 191 401 Fahoudine Ahamada-M’zé, La secte de la virginité, Paris, Kwanzaa éditions, 2007, p.108 321

voix du personnage, s’appropriant le « je » et laissant percevoir son attente en tant que personnage de l’action. Tous deux se rejoignent ne formant plus qu’une seule personne perceptible à l’apparition du démonstratif de première personne « moi ». Le narrateur devient par ce truchement, le fruit d’une pensée esseulée, soliloquant dans l’espace de sa propre réflexion, mettant en avant son combat dans la quête du mot libérateur, pour rebasculer deux paragraphes plus loin, dans l’anonymat physique en se détachant du personnage, laissant le lecteur encore une fois perplexe face à un jeu d’inversion peu usuel. En effet, qu’un narrateur hors du récit laisse planer son ressenti par des impressions clairsemées de ci de là au sein du texte, reste commun. Mais qu’il intervertisse au gré de la plume son rôle et celui d’un personnage, au milieu du récit, entre deux phrases, l’est beaucoup moins. Effet original voulu certes et certainement, mais une posture instable au regard de l’auteur lui même comme s’étant trouvé dans l’impossibilité de trancher. Une posture et un entremêlement de voix tout à fait particulier et parfois malhabile, au vu de la lecture que nous avons tenté d’en faire. Nous disons malhabile compte tenu du fait que le récit se termine sans que la réponse claire à la question « qui parle ? » ne soit apportée. Car jusqu’à la fin, les voix continuent de se superposer dans un discours peu différencié : M’daza, personnage sans voix durant tout le récit prend la parole aux dernières pages, bousculée par la mort de sa fille et la violence des révélations qui s’imposent à elle (elle réalise que sa fille suicidée a été victime d’inceste par son père). Un choc vécu violemment par la mère au point où il l’emmène à se regarder en face, lui offrant le droit de dire, elle aussi et de s’expliquer aux yeux du lecteur. Or même dans ce cas précis, le personnage de la mère illettrée mène une réflexion personnelle avec des capacités de raisonnement et un discours identique à celui de l’auteur-narrateur, des narrateurs-personnages, sans la moindre distinction. Nous le voyons encore, ce roman s’apparenterait à une sorte de manifeste poétique des douleurs morales induites par la relation incestueuse et les silences dénoncés par l’auteur. Ni essai, ni poème, ni pamphlet contre les traditions comoriennes, ni roman, La secte de la virginité sert d’exemple à cette idée d’hybridité textuelle en littérature comorienne.

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VII.2.2 De l’essai au roman, une limite floue

a) Qui parle ? Qui écrit ? Jean Yves Tadié écrit dans son analyse sur la double voix parfois indifférenciée de l’auteur narrateur qu’est Proust dans Du côté de chez Swann « L’énonciation envahit l’énoncé sans le détruire comme fiction, parce qu’elle est prêtée à un personnage imaginaire, qui pourtant dis je. On échappe ainsi au monde de l’essai et du roman à thèse. »402 Or, dans le cas du roman comorien francophone, le personnage imaginaire ne dit jamais ou exceptionnellement je et pourtant, il apparaît clairement que l’énonciation envahit l’énoncé. Le détruit-il alors comme fiction? Telle est la question à laquelle aboutissent certaines de nos réflexions et l’on serait tenté par l’affirmative au regard de romans tels que Aux villages de l’Océan403. Sous couvert de roman non autobiographique, de roman à la troisième personne, l’auteur comorien interfère dans la lecture, la découverte du lecteur. Non content de créer une autre dimension par le biais de l’espace fictionnel, le romancier dicte les codes de lecture au lecteur. Celui-ci est-il a priori jugé inapte à cet acte d’extrême et bienveillante solitude ? Car qu’y a-t-il de plus esseulant que la traversée d’un livre où le monde réel se dépeuple de son univers fixe au profit de l’univers parallèle qui se repeuple, se vit autre ? Le lecteur, en ouvrant un roman d’auteur comorien, est amené par la main sur les chemins de l’interprétation. Il ne goûte alors qu’artificiellement à cette nécessaire solitude. Nul droit à son propre ressenti, ni à sa propre réception, le lecteur doit lire le message véhiculé par le romancier sans s’en écarter le moins du monde. Et pour s’assurer de cette compréhension littérale du message, le romancier va, décortiquer, expliquer, dire ce qu’il écrit. Pas étonnant alors qu’on aboutisse aux romans essais comme Petite Graine ou L’indépendance dans la Citerne. Ce cheminement procède de l’affirmation du besoin de dire encore plus fort que celui de créer. En témoigne le texte La secte de la virginité qui classé dans la catégorie roman, emprunte une forme éparse entre poésie des premières pages et récit des dernières, laissant perdurer à l’issue de la lecture, l’idée d’un texte hybride. En effet, le texte s’ouvre comme un poème avec une disposition des mots renvoyant plus au vers qu’à la phrase : déconstruction syntaxique, retour sans majuscules ni points, phrases renvoyées à la ligne comme dans

402 Jean Yves Tadié, Le roman au XXème siècle, Pocket, collection Agora, Paris, 1997, p.13 403 Ahmed Ibrahim, Aux villages de l’océan, Print express, Antanarivo, 2004 323

l’enjambement d’une métaphore filée avec effets anaphoriques par le retour du groupe syntaxique « ma manière de … », espaces blancs, points de suspension participants à la rythmique du texte et agencement de phrases sur l’idée d’une description des vices du prédateur. Ce prédateur introduit, dans cette sorte d’incipit, en tant que narrateur et s’exprimant donc à la première personne du singulier décrit sa façon insidieuse et perverse de s’emparer de ses proies, attirant le lecteur dans les tréfonds de ses vices. Le personnage/narrateur que rencontre le lecteur à la lecture des deux premières pages, disparaît pourtant par la suite, cédant sa place aux autres personnages devenant parfois narrateurs à leur tour. Le récit qui suivra oscillera ensuite entre la tentation d’une sorte de manifeste poétisé des douleurs morales induites par le choc de la relation incestueuse dont sont victimes deux des personnages, Ndjazi et La toute petite fille, et une narration de la pensée omniprésente. Si l’éditeur a pu aisément choisir le genre d’appartenance du texte, la chose ne paraît pas si simple aux yeux du lecteur. Pour nous, il y a bien une réalité, celle de l’objet livre composé d’un certain nombre de pages, racontant un fait précis suivant une progression temporelle, le récit s’ouvre sur le mariage de M’daza, la future mère de Ndjazi, et s’achève à la mort d’Anissa, la deuxième fille de M’daza. Les personnages sont tous victimes de la tradition imposée aux Comores et notamment de la loi du silence, qu’aucun ne parvient à transgresser. Telle est l’histoire qui se dessine au fil des pages. Cependant, la manière dont ce récit est mené traduit une hésitation chez l’auteur lui même, une hésitation facilement décelable au vu des nombreuses superpositions de voix. Prédomine amplement la voix de l’auteur disséminée dans les différentes pensées des personnages. Cette duplicité des voix narratives mêlée au ton prophétisé et parfois pathétique du texte renforce l’image d’un auteur-narrateur habité par le désir de briser lui, cette loi du silence. Pour cela, il explique et justifie, tendant à démontrer à l’aide des quelques exemples incarnés par les personnages, que son propos est juste. Il y a donc défense d’un raisonnement : briser le silence et oser dire non, et les personnages sont alors relégués même malgré leurs rôles de narrateur-intérimaires, au rang d ‘exemple illustratif. Ils sont là pour éclairer le point de vue de l’auteur. En cela, ne peut-on lire ce roman comme un essai romancé ? Ce texte comme d’autres prouve dès lors que le roman comorien en reste encore à ses prémisses de création. Il est le jet du désir ultime de confection d’univers autres. Il se trouve actuellement dans une sorte d’impossibilité d’invention d’ailleurs car là où l’affirmation de l’essence romanesque consiste aussi en la multiplication d’univers parallèles, le roman

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comorien se trouve lui enchevêtré dans une linéarité se jouant entre l’auteur et sa volonté, son désir d’expression non plus poétique mais politique. Le roman n’est plus seulement un genre littéraire, le texte d’un verbe particulier, mais le prétexte d’une opinion particulière. Le désir de dire et de dénoncer transcende largement le rêve de création.

Lorsque Mohamed Toihir s’empare du personnage historique que fut Ali Soilih, c’est pour dresser le portrait de celui qu’il qualifie lui-même de « Satan déguisé 404», terme qu’il emploie dès le prologue pour identifier son protagoniste, Guigoz. Le premier chapitre développe en un condensé elliptique toute la vie du personnage, de son enfance à l’âge adulte avant sa décision de rentrer gouverner les Comores. Avec pour mise en relief, un recours fréquent à la juxtaposition de phrases plus que concises, phrases verbales, « Paris. Il y arriva, regarda, s’étonna, apprit, décida405 », le romancier encercle son propos et son personnage dans un tourbillon infernal où l’homme n’est plus que la somme de ses découvertes, de ses rencontres, de ses lectures. Aucune personnalité ne se dégage d’un personnage qui, ayant existé et marqué profondément les esprits, devrait pourtant paraître complexe et interpeller dans cette complexité. Celui-ci, dénué de psychologie, de chaire et de consistance apparaît au lecteur comme une forme qui se voudrait physique d’une projection de l’écrivain. Guigoz est le mal incarné, la bêtise humaine à l’instar du régime qu’il souhaitait mettre en place. Un être vide, à la limite idiot dont le profil apparaît avec les mêmes caractéristiques dans Un coin de voile sur les Comores, où Ali Soilihi est appelé Mzimba Palé (Grosse tête).

b) Nouvelles sans histoire et hybridité textuelle Encore une fois, la structure formelle du genre est malmenée. Le thème ou le propos intéresse plus l’auteur que la forme empruntée pour dispenser le message. Si le fond du texte oscille et révèle des hésitations entre le genre auquel appartient le texte, il en est de même pour la forme qui elle aussi peu parfois donner de grandes difficultés de classification. Dans notre démarche consistant à analyser les exigences réelles auxquelles se confrontent les auteurs comoriens, et donc la littérature de ces îles, à lire et à classer dans telle ou telle catégorie, genre ou registre tel ou tel texte, nous avons parfois été confrontée à cette difficulté. Or celle-ci, à défaut d’être résolue et afin de ne pas la contourner nous a amené à repenser différemment l’approche analytique des couples contexte/œuvre et auteur/création.

404 La République des imberbes, p.30 405 Id., p.28 325

Indépendamment des liens hypertextuels en référence et des notions para textuelles assimilées comme base et cadre de lecture, nous poussant vers la même perplexité et aboutissant à une absence de structuration, il nous a semblé opportun d’inverser les données pour espérer lire une cohérence nécessaire à la structuration d’une tentative de théorisation sur un genre donné et bien plus largement, une littérature donnée. Une littérature peut-elle s’écrire tout azimute d’une œuvre à une autre et cela indifféremment des auteurs, en se référant en un même contexte de vie, le pays d’origine, sans qu’il y ait matière à identifier des liens et des notions convexes ? Autrement dit, l’apparente difficulté de classification d’une bonne partie de la littérature comorienne dans telle ou telle case générique ou genrologique traduit-elle une forme d’immaturité littéraire, une absence d’acceptation des codes universels qui font d’un roman un roman, quand bien même la notion de roman permette jusqu’à aujourd’hui des transgressions, ou s’agit-il d’une trajectoire commune liée à l’histoire d’un peuple, transposée par un scripteur avec les moyens dont il dispose, la fiction, avec une volonté consciente de transposer de telle ou telle manière sans que la fiction ne soit totalement fiction, l’idée, tout à fait idée et le lyrisme entièrement lyrique ? S’il n’est alors question d’immaturité, il est peut- être sujet d’insubordination. Et s’il n’est question d’insubordination, il est peut-être sujet de revendication. En ce sens, si la revendication est réelle, l’affirmation l’est toute autant. Mais alors qu’affirme ou que souhaite affirmer l’auteur comorien ?

Formulée ainsi, cette interrogation a introduit un élément nouveau dans l’analyse en permettant de laisser supposer ou entrevoir une originalité ou plutôt un désir d’originalité lié à cette littérature. Car, comment classer le recueil Maandzish, Petites histoires comoriennes, ou encore Moroni Blues, une rêverie à quatre406 ? A la fois texte pour la scène en tant que spectacle vivant, où se croisent poésie, musique, danse et percussions, texte poétique où les mots s’emmêlent pour écrire l’histoire de Moroni, cité mouvante, capitale endormie et texte argumentatif sur le repli communautaire, cette création de Soeuf Elbadawi pose elle aussi un problème de classification. Et pour ces deux textes encore plus que pour les romans déjà cités : La secte de la virginité, Métro Bougainville ou même Marâtre, il est juste de s’interroger ainsi : est-ce de la poésie ultra moderne par les sonorités, la force des images qui révèlent une sorte de délire de la pensée d’un auteur, le un parmi tant d’autre ? Est-ce un récit et donc une nouvelle par la brièveté du texte, sans personnage, sans histoire racontée si ce n’est ce même délire de la pensée donnée à suivre ? Est-ce un court essai dont l’auteur inquiet

406 Elbadawi Soeuf, Moroni Blues, Une rêverie à quatre, éditions Bilk & Soul, Moroni, 2009 326

se sert pour deviser sur le devenir d’une terre qu’il juge sur le naufrage ? Mais comment appeler un essai ces textes si brefs où les écritures s’entremêlent, où la pensée certes, prend forme mais dans la jonction du délire intimiste, parfois autobiographique, sans continuité du raisonnement. Car pour qu’il y ait essai, il faut bien un thème à développer, une thèse à défendre, des arguments pour étayer ou réfuter la thèse de départ ? Et pourtant, il y a bien la survivance et la mise en place d’une idée, le besoin explicite visible de développer une idée, ce point de vue de l’autre sur la question du devenir des iles. Mais outre cette thèse du nécessaire éveil des consciences identitaire afin de permettre la survie des îles et donc des comoriens eux-mêmes, une idée, une thèse digne d’un débat ouvert, peu d’éléments aident le chercheur à identifier le genre du texte comme étant un essai. Alors, est-ce un ensemble de nouvelles et mêmes hésitations concernant la forme. Courtes, en effet ; construites pour former un tout avec un fil conducteur, certes ; mais poétiques, surtout et nous dirons même avant tout. S’il y a des éléments visibles dès la première lecture, c’est bien la mise en forme, la mise en page particulière de ces textes : des blocs de paragraphes courts entrecoupés de suite de vers et ainsi de suite. Ces vers sont aussi libres que le revendique la poésie moderne, métrique libre, absence de rimes, importance des jeux de sonorités, des retours et des anaphores, des apostrophes etc… Autant de figures de style que la poésie classique conserve mais que ces textes détournent comme marque d’une nouvelle écriture. Il s’agit donc d’une prose poétique dans le sens où, seule cette appellation permet d’englober l’hybridité formelle de ces « nouvelles écritures comoriennes ». Cette écriture moderne trouve en fait écho dans l’écriture césairienne et notamment celle profondément novatrice du « Cahier d’un retour au pays natal » qui en a inspiré plus d’un. Ce long poème vu à la fois comme une forme nouvelle d’épopée, comme l’émergence d’une écriture autre dont la poésie prend vie dès les premiers vers où scandent le fameux « Au bout du petit matin… », construction en boucle renvoyant à l’éternel retour, celui du cheminement vers la lumière, impose une sorte de code textuel dont les quelques auteurs comoriens cités se reconnaissent dans le prolongement. Lorsque Dany Laferrière écrit « L’énigme du retour », il marque d’emblée cette appartenance à une ligne d’écriture dont Césaire, à qui l’on rend hommage dès le titre, en est le maître. De cette sorte de filiation par la résonnance de l’écriture pourtant moins bouleversée que n’était celle du Cahier d’un retour au pays natal, Dany Laferrière devient alors une sorte de disciple. Il n’en est pas de même

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pour les auteurs comoriens qui pour certains, l’écriture semble avoir revêtu les codes de la négritude sans que pourtant, certains n’y aient eu accès. Nous avons rencontré un jeune auteur comorien « écrivain en herbe », lauréat de concours de nouvelles, dont l’écriture puise dans les différents genres existant. L’un de ses textes, « Je suis catin », volontiers provocateur, reflète cette idée d’une écriture non figée dans un espace genrologique donné. Ni essai, ni nouvelle, ni poème, ce texte, et tant d’autres, ne revendiquent aucune démarcation à tel ou tel espace géographique, ni appartenance à tel ou tel milieu littéraire. Selon les propos de Nourdine Moussa Ali, « L’écriture est libre, alors j’écris. » Si l’on en vient à lui demander pourquoi ce choix d’écriture et à quel genre appartiennent ses textes, il répond « Ce n’est pas un choix, j’écris des nouvelles comme les mots résonnent. » En somme, ses textes sont, selon lui, des nouvelles ne serait-ce que par la brièveté du récit. Il est cependant difficile d’être aussi catégorique si l’on se réfère aux définitions habituelles.

Il y a donc dans cet espace d’une littérature comorienne francophone, l’émergence d’une écriture particulière assumée comme fiction dans le cadre du récit mais non revendiquée autre sauf chez les auteurs déjà connus. Cette écriture pourrait définir une trame artistique où le lien tant recherché chez ces auteurs, entre pensée, poésie et récit trouverait sens dans ce genre hybride amorcé par les poètes de la négritude. Mais cette amorce nègre reste assez formelle tandis qu’ici, fond et forme renvoie aux mêmes préoccupations esthétiques d’une part et thématiques d’autre part. En effet, par le biais de cette écriture où le « je » construit une narration de la pensée, fait surgir la nécessité d’une réflexion libre amorcée en regard point de vue, s’identifie non pas comme personnage de corps dans un récit construit autour d’une intrigue ou d’un fil conducteur, d’une trame clairement identifiable comme le cheminement d’un personnage-héros, mais au contraire, ce « je » désincarné, n’est que l’esprit errant, la mémoire intimiste de l’auteur. Cet esprit s’identifie clairement par les idées développées et assumées dans une prosodie poétisée à l’excès, mêlant de fait voix d’auteur/narrateur s’appropriant le récit sans centrer l’action sur un « je » autobiographique mais bien un « je » de la pensée et du raisonnement. Nulle fiction dans ce récit malgré le paradoxe d’une telle affirmation. A contre courant et en marge, cette écriture résolument washikomori en devenir, s’ancre dans un passé récusé par les anti-négritude.

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VIII. ENJEUX ET MOTIFS EN LITTÉRATURE COMORIENNE FRANCOPHONE

VIII.1 Deux axes d’écriture : revendication et contestation

VIII.1.1Constat et révolte

a) Dans l’écriture romanesque Nul doute, à la lecture de La République des imberbes que Mohamed Toihir tenait à mettre en exergue l’aspect excessif de la période soilihiste. Passant par une écriture de la dérision où transparaît une volonté de déconstruction du mythe révolutionnaire, l’auteur indexe ce chef d’état qui, à voir le portrait dénaturé qu’il en propose, était loin de mériter toute l’admiration qu’une frange de la population lui vouait, lui voue toujours. Cette critique, pour le moins virulente, mène le lecteur à percevoir, sans grandes difficultés, le parti pris d’un homme-témoin devenu auteur-reporter. La voix de l’auteur-narrateur s’affirme dès le prologue: « Dieu Grand, perdant son imperturbable patience avait décidé de sévir et de sévir sévèrement. Comment croyez-vous qu’il s’y était pris ? En nous envoyant tout simplement Satan déguisé comme il sait si bien le faire en la personne de Guigoz : L’homme qui a présidé à la destinée du pays depuis ce sinistre petit matin de 197… »407

Un reporter-narrateur qui, apparemment, saurait son peuple admiratif et aveugle face à un chef d’état qui les menait à leur perte. L’évidence est alors faite que l’auteur souhaitait dépasser la simple écriture testimoniale. Il voulait dire et témoigner, certes, mais, au constat de ce parti pris sans concession, il désirait surtout, par la peinture simplifiée du personnage historico-politique que fut Ali Soilihi, démystifier cet homme qui reste, aux yeux de beaucoup de comoriens, l’homme qui aimait son peuple, celui qui n’a pas eu le temps de sauver le pays car assassiné trop tôt. Un homme devenu chef d’état en prônant le désir de bousculer les mentalités et il en est mort. Ainsi, le roman de Mohamed Toihiri sert de témoignage tout en proposant une sorte de décodage avec mise en lumière sur la situation politique complexe de

407 Toihiri Mohamed, La république des Imberbes, p.12

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la période révolutionnaire. Le regard particulièrement cynique apporté par l’auteur sur Le Mongozi est prolongé, à des degrés bien supérieurs, par celui d’Ali Abdou Elaniou dans La révolution dans la citerne. Par conséquent, à la lumière de ces œuvres, parvient aux jeunes lecteurs une version différente de celle que leurs parents, eux-mêmes jeunes à cette époque et partisans du mouvement ont pu raconter. Il est vrai que, comme pour beaucoup, l’histoire post-coloniale des Comores, et précisément la période révolutionnaire, nous a d’abord été contée par nos parents. Nous avons entendu toutes les actions grandioses que le Mongozi avait entreprises, les règles trop ancestrales qu’il avait abolies, les lois traditionnelles qu’il avait modifiées. Ali Soilihi était perçu tel un grand homme, un grand stratège, infiniment amoureux de son pays, doté d’un sens aigu d’un patriotisme mêlé d’un profond nationalisme. La période de bonheur que, selon une partie de la population, connurent les comoriens sous sa gouvernance où les valeurs travail, égalité, intégrité territoriale, fierté nationale contrastent de manière radicale avec l’anarchie, l’annihilation des libertés défendues par le despote, crédule et sanguinaire présenté dans la République des Imberbes. Un guide qui, après avoir formellement interdit la sorcellerie, s’entoure volontiers de différents sorciers dont Lulé, qu’il choisira par la suite de sacrifier en le menant lui-même à la mort. En effet, après avoir rêvé de son père le prévenant des dangers de la tombe qui l’attend car Guigoz aurait sa place en enfer, celui-ci s’en réfère à Lulé, son grigri man, décrit comme un escroc : « Lulé n’était pas seulement un sorcier infaillible mais il était aussi un maître dans l’art consommé de l’escroquerie. Tout une foule de gens s’était faite arnaquer par ce filou professionnel. Doué d’une parole mielleuse, il vous soulageait de toute votre richesse avec votre entier consentement. Il ne faisait que vous l’emprunter bien sûr pour vous la rendre au centuple dans une semaine ou deux… »408 Le sorcier doit aider Guigoz à satisfaire les esprits malins afin d’avoir le temps de vivre pour se racheter de ses exactions, il doit pour cela procéder à un sacrifice humain : « Tu dois apaiser les esprits de tes mânes […] Pour compenser le manque à gagner depuis ce temps, il te faut arroser le sol des ancêtres du sang de deux victimes humaines ».409 Ces conditions, toujours données en rêve par le feu père, sont relatées sans le moindre sourcillement par le guide. Et si même pour Lulé, le charlatan, l’idée d’attenter à la vie

408 Toihiri Mohamed, La république des Imberbes, p.137 409 Idem p.135 330

humaine lui arrache un cri de stupeur, « Han ? n’a pu s’empêcher de s’écrier Lulé. »410pour le Guide, ce n’est qu’une simple formalité à déguiser : « Tu sais que les sacrifices humains n’ont jamais fait partie de nos mœurs. Ces choses horribles, on en entendait parler dans d’autres contrées, mais pas chez nous. Il faut alors agir avec doigté et pour que cela passe pour un accident ou autre chose. Il ne faut surtout pas que l’on pense à des sacrifices. »411

Nous dûmes finalement réaliser le fossé existant entre deux versions contrastées, voir opposées d’un même « mythe ». Il y avait tant de choses que nous ne connaissions pas, dont nous n’avions jamais entendu parler, comprendre comment une même génération d’individus transformait un même homme en démon ou en saint. Cette peinture du diable devenu homme est relayée par d’autres textes et d’autres auteurs comme celui d’Ali Abdou Elaniou cité plus haut. Il a fallu poser des questions, se renseigner et comprendre in fine, que la République des Imberbes ne se limitait pas à la dimension purement testimoniale qu’on lui reconnaît généralement, mais demeurait plus simplement, une fiction construite sur les événements historiques dont le but était de démystifier un homme que beaucoup regrette encore de nos jours. Par le cynisme de l’écriture, accentué au gré d’une parole de la dérision, la colère semble alors la source du verbe. Et l’auteur de témoigner par le truchement de la fiction romanesque, avec non pas toute l’objectivité d’un historien, mais avec le regard de l’intellectuel opposant à un régime, c’est à dire d’homme en colère, dont le jugement ne peut être que subjectif.

b) En poésie, pour l’éveil des consciences

Les mots s’aliènent Dans le silence Les mots au désir voyageur

D’un geste lent La poésie du silence insurgé Est fragilité de la mer Qui renverse paquebots et pirogues Dans la nuit Dans la poésie à vocation Washikomori, le mot ou sème poétique est très souvent vu dans sa conception métalinguistique. Le poète, à l’exemple de Saindoune Ben Ali, mène une

410 Id, p.135 411 Toihiri Mohamed, La république des Imberbes, p.136 331

réflexion sur la valeur de son verbe, la portée de son mot. Les interrogations sur la réception parviennent à dépasser le cadre apparent de la parole détachée de tout désir de réceptivité. En effet, Saindoune Ben Ali laisse parfois et même très souvent transparaître son malaise quant à la gratuité de son verbe. Il le veut sacré et le défend comme tel alors il l’énonce comme on énumère les piliers de l’Islam: « Le pilier du poème principal pilier c’est la mer »412 Le poète se revendique poète et différent malgré certaines critiques soulevées par lui même contre l’inutilité de son acte. Si l’homme des Lunes est sa cible principale, le lecteur averti devient son confident. Il est celui vers qui se tourne le poète pour témoigner de son malaise. L’empreinte lyrique, profondément ancrée dans chaque vers du recueil dénote d’un réel désenchantement à l’origine d’une frustration menant à la colère, d’un défaitisme et d’un pessimisme que le poète ne peut garder pour lui. Son verbe se veut lucide même si pour cela il doit accepter le sobriquet de fou. Alors le poète le revendique. Sa poésie n’est pas déclamée pour mourir sans avoir été entendue, il la veut éveiller les consciences, «la force de frappe en votre intimité »413, dépasser les limites du peuple et de la terre qu’il décrit « je suis l’ailleurs/ de ton avènement »414 et redonner au mot du poème la force de briser l’atavisme ambiant en « Pays de Lunes ». La poésie est alors associée à la mer et comme elle, malgré son apparente tranquillité, son silence « renverse paquebots et pirogues. » Le verbe, en poésie n’épargne donc personne, les petites gens comme ceux détenant le pouvoir. Par lui, le poème devient arme de combat et en tant que tel, doit atteindre ses cibles, le peuple, pour l’emmener au réveil. Transparaissent alors une férocité, une colère voir une rage parfois nuancée par un ton excessivement blasé et révélateur de la déception du poète. Celui- ci dit le mal dont souffre ce pays qu’il nomme les « Lunes » et jamais « Comores » sauf à la page 143 où le calembour le laisse apparaître sous la forme « Comme mort ». Acerbe, grinçant et volontiers choquant, le ton et le verbe s’entrechoquent dans des jets de poésie, courte et précise, visant à atteindre leur but sans trop de tergiversations. En effet, les mots s’alignent sur le papier, dans des textes d’une brièveté parfois saisissante, où la rime ne vient pas plaire et harmoniser l’ensemble. Le poète n’est pas à la recherche du beau mais du vrai et c’est cette vérité sur une terre en dérive qu’il s’efforce de traduire. Saindoune Ben Ali ne cherche pas non plus à entrer dans les rangs ; son lyrisme n’a de lyrique que dans son

412 Saindoune Ben Ali, Les testaments de transhumance, p.187 413 Idem,p.156 414 Id, p.207 332

implication aux thèmes qu’il aborde. Comme une arrête restée en travers de la gorge, il raconte l’histoire de ses îles et ne passe sur rien, le silence n’a plus prise et il le scande lui- même « J’ai trahi/la mémoire et le silence/de mon peuple ». Le poète est « faussaire » et sa « langue vous expurge » Sa parole est alors, une voix qui éructe comme il le répète sous des formes différentes : « Ecoute plutôt la voix de la montagne en érection »415 Le poète déplace la personnification de la montagne qui, dotée d’une voix a aussi la force du volcan. Par l’association en métaphore, il devient ainsi cette montagne, un élément aux abords inoffensifs car une montagne n’est qu’une roche immense, figée dans l’absolu du temps et incapable du moindre mal contre l’homme. Or, si contre sa nature, elle se réveillait, alors la colère jaillirait en torrent de mots, tel un volcan en éruption. Ici, le poète s’associe à la montagne éructe de colère, quittant alors cet apparat de quiétude retraite pour dire. Sa poésie n’est pas une accumulation de jolis mots, « ce n’est pas une jolie luciole » écrit-il page 103. Ceux sont au contraire les « fragments de voyage immobile ». Sa poésie, comme le montre l’oxymore, n’avance pas, elle s’ancre en la terre et dans l’espace qu’elle décrit, se colle aux pas de ces voyageurs errants et raconte leurs pérégrinations sans but et sans autre fin que la mort. Le poète justifie par fragments, la brièveté de ses poèmes. Son verbe est alors « le mot larve », à la naissance du verbe réel et amené à devenir adulte. Le mot de Saindoune n’est pas encore parvenu à maturité. Mais il a besoin de se protéger. Ainsi, bien que le « toit du poème [lui soit] fragile »416, la poésie lui offre le refuge nécessaire à son éclosion. Elle devient alors la surpuissance des ténèbres sur le mauvais jour, lumière fausse. Revêtue d’une force surnaturelle, elle garde le poète éveillé et éloigné de la bassesse de ceux qui subissent. Comme nous le lisons, page 156, le poète n’a rien mais, investi de cette force, il peut se soulever, refuser de se soumettre et dénoncer : « Je dis l’indifférence injurieuse du maître berger ».

415 Id, p.38 416 Id, p.165 333

Poèmes en offrande pour l’éveil des consciences

Il s’agit en effet d’une poésie excessivement vivante et vivace. Cette fougue se retrouve dans toutes les thématiques propres à la poésie comorienne. Les auteurs ne se contentent pas de parler des îles, ils s’élèvent contre les régimes et les gouvernements en place, dénonçant les abus. On a donc en plus d’une poésie fervente et engagée, une poésie contestataire qu’illustre le poème Huns dépendance d’Abou.

Huns Dépendance

Comme or au soleil était cet archipel, vivant de vie tranquille, bercé par les vagues de l’Indien Océan. Lorsqu’un matin, le clairon conquérant sonna le malheur sema le désespoir pour plus d’un siècle de joug blanc et de somnolence. Et puis un beau jour, telle la baleine après hibernation, l’archipel s’ébroua et lança vers le ciel un jet de liberté retombant sous forme d’Huns Dépendance. Quant à l’indépendance elle est encore à la douane, dit le peuple railleur.

Dans ce texte, le poète raconte en 21 vers l’Histoire des Comores. Il critique sous forme de jeux de mots ce qui semble être pour lui, un leurre, l’indépendance. Comme un Éden perdu, il décrit la simplicité et la joie qui animaient les comoriens et qui caractérisaient les îles avant l’arrivée des colons. Les cinq premiers vers traduisent cette quiétude passée. Avec les mots, tranquille, bercé, et le calembour comme or au soleil (entendre Comores au soleil), un sentiment de langueur gagne le lecteur. C’est ce champ lexical qui renforce l’idée de paix et intensifie la rupture qui se crée lors du sixième vers. Le complément circonstanciel de temps « lorsque » marque la fin brutale de cette période. S’ensuit un groupe de mots autour du mal, malheur, désespoir, joug. L’emploi de la métaphore filée laisse entrevoir tous les côtés négatifs issus de l’intrusion du clairon conquérant dans l’île. Nous sommes dans l’ère de la 334

colonisation. Un rapprochement se fait alors entre le poème et l’Apocalypse, nde ntswa Kyiama, autrement dit la fin du Monde. Le paradis est perdu et la corne annonciatrice qui doit sonner le Jour du Jugement dernier apparaît sous la forme du clairon conquérant. Ce n’est plus alors sur cette terre, que « malheur »et « désespoir » qui plongent tout dans une profonde torpeur « pour plus d’un siècle/ de joug blanc/ et de somnolence ». Ici, joug blanc et clairon conquérant renvoient au colon. La rupture dans les temps employés entre les deux parties que nous venons de distinguer contribue aussi à marquer la violence des évènements qui se succèdent. On passe d’une première partie à l’imparfait où les participes présent et passé « vivant » et « bercé » décrivent la continuité passive mais tranquille de la vie, au passé simple des verbes « sonna » et « sema » qui témoignent de cette brutalité. Plus loin, le soulagement se lie dans Et puis un beau jour. Ce vers peint l’espoir qui animait le peuple comorien à la veille de l’indépendance. Mais ce moment sera très bref comme le traduit l’instantanéité du verbe lancer tout de suite rattrapé par le verbe retomber « retombant ». A travers le jeu de mot Huns Dépendance qui renvoie selon les sonorités à indépendance, transparaît le sentiment d’injustice mais aussi de colère face à une forme de barbarie rappelée par le terme « Huns ». Il y a ici la dénonciation d’un leurre. C’est ainsi que le poème se clos avec une pointe d’ironie noire sur les trois derniers vers, une raillerie qui laisse voire colère et déception: « Quant à l’indépendance elle est encore à la douane dit le peuple railleur. » Comme nous pourrions le dire, il y a eu « erreur sur la marchandise », le peuple attendait la liberté, l’a clamée haut et fort et il n’a reçu que la violence du choc en s’apercevant que l’indépendance n’en était pas vraiment une. Le poète Abou a, au travers de ce poème comme au travers de beaucoup d’autres, parlé pour le peuple africain d’abord et comorien ensuite, dénonçant les excès d’espoirs, de misères et de souffrance dont ils sont victimes. Le poète se pose alors en porte parole d’une époque et de certains idéaux.

Par ses notes virulentes, la poésie heurte et bouscule transformant souvent la tonalité poétique lyrique du poète en mal de personnages miroirs en rhétorique de l’engagement. Il semble alors primordial au poète que son texte ne soit pas venu plaire mais au contraire déplaire et ainsi créer le choc du réveil. Les Testaments de transhumance s’adresse aux îles avec des notes empreintes d’une fatalité sournoise. Ayant recours à la métonymie englobant 335

ainsi le peuple, principal destinataire si l’on occulte le lecteur intellectuel, au sein des îles, lieu où il évolue. En personnifiant ces mêmes îles par la récurrence des apostrophes dans les poèmes qui leur sont adressés, le poète mêle ainsi deux entités distinctes, les personnes et leur terre. Dans cette association qui renforce l’idée de terre mère et de peuple enfant de cette terre, les destinataires ne font plus qu’un. Ce rapport métonymique donne par conséquent la réelle identité du destinataire et définit surtout l’une des principales motivations de l’auteur poète : dire avant qu’il ne soit complètement trop tard. Le poète refuse le silence « ma langue vous expurge »p.30 et peint la misère quotidienne dans ces îles pauvres et démunies. Nous verrons alors que tout au long d’un nombre conséquents de poèmes, les hommes qui détiennent le pouvoir aussi bien étatique que religieux seront systématiquement pris pour cible. Dénoncés comme hypocrites, intéressés et vils. Ils sont à l’origine des maux dont souffrent les Lunes. Le verbe du poète se fait alors plus dur, plus méprisant, plus assassin. Les hommes d’états instaurent la corruption, ils sont alors appelés « grosses panses »p.134, « ventres rois », « fioles vides »p.154, témoignant de l’opinion totalement dépréciative du poète sur eux. Par ces métaphores in absentia, ils perdent de leurs consistance pour ne devenir que cette partie du corps qu’ils nourrissent, leurs estomacs. Par là, nous voyons des hommes ne pensant qu’à remplir leurs estomacs, se battant tels des charognards, pour s’engraisser sans le moindre souci pour le peuple qu’ils volent. Ils deviennent alors sous la plume du poète de petits animaux nuisibles, « scolopendres de la démoncratie », p.63, « hiboux ploutocrates »p.68, « Les rats ont rongé », « criquets saccageurs », insectes inutiles « libellule sans ailes », « crabes pousseurs », hideux « chauve souris »mais pas des mammifères p.170 ; Tous ces êtres aussi petits soient-ils sont vus comme négatifs et pourtant, ils ont réussi à assujettir les Lunes » Lunes vestales »p.69. Les méfaits de ces hommes leur ont enlevé, selon le poète, leur part d’humanité, faisant d’eux des animaux en mutation constante. Les premiers poèmes les nommaient « « frustes fauves »p.19, « des chacals/ par des grenouilles »p.30 ; « les charognards de l’angoisse »p.37 Les religieux sont qualifiés de « charifs chiffons poisseux »p.145, dépeints comme plus intelligents, plus vicieux, pernicieux que les politiciens, ils s’attachent les faveurs de leurs proies. Ils se meuvent en douceur et abusent de l’innocence des jeunes filles tel que le présente le poème p.128, ils sont soit « mufti panthère agile », « la débauche méditable/ du mufti… est une nouvelle science » Le mufti est un homme de science religieuse, très instruit et au fait de la vie politique. Son savoir le place au dessus de beaucoup d’autres hommes de

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Dieu, il est appelé à prendre des décisions relatives à l’état et son jugement est très respecté. Ici, le mufti se sert de sa science pour abuser des jeunes filles « il épouse une sous promesse/ de divorce », allant à l’encontre des préceptes du Coran. L’homme de Dieu est tout aussi hypocrite qu’un politicien mais il use de plus de subtilité. En effet, il érige sa débauche au rang de science méditative, ce qui laisse entendre qu’il se sert de son statut d’homme de droiture et de savant religieux pour abuser ses victimes car il ne peut résister à la femme même pour sa foi « les flambeaux de la femme/brûlent quelques sourates ». On retrouve cette perfidie au poème p.137. « Le jeu des yeux d’un imam/ Par la fenêtre de la mosquée/ clins d’œil loquaces/ contre clins d’œil de ravissement » Le poète dresse alors le tableau d’un fléau répandu et qui continue d’être passé sous silence. Il arrive que des jeunes filles et parfois de jeunes garçons soient victimes d’abus sexuels de la part des hommes de religion, les fundis, les imams. Ces actes de violences sont trop souvent tus. Saindoune est l’un des premiers poètes à oser le dire, le clamer et le dénoncer.

VIII.1.2 Écrire, un acte contestataire

a) L’écriture, une arme de contestation D’autres thèmes, en rapport avec la société comorienne vont être visités et donnés à voir au lecteur. L’inceste, le viol, les mariages forcés, l’adultère... La fougue avec laquelle cette littérature apparaît décrit les principales contradictions existant entre l’homme, c’est à dire l’individu, et la famille ou le village, c'est-à-dire la société. La question existentielle et philosophique du moi par rapport à autrui devient incontournable. L’idéologie véhiculée au travers de ces œuvres revient sans cesse à ce malaise existentiel que rencontre tout individu et plus particulièrement les intellectuels issus de communautés où la place de l’individu n’est définie que par cette communauté. Ce thème, nous l’avons abordé au cours de notre deuxième chapitre. Bien qu’il ait longtemps été le seul et le premier à écrire avec autant de colère et de hargne, Saïndoune Ben Ali n’est pas le seul poète contestataire des Comores. Au contraire, la plupart d’entre eux le sont. Les différents textes réunis dans l’anthologie de Carole Beckett décrivent non seulement un profond attachement à la terre, aux îles mais aussi à des idéaux communs à une certaine génération en proie à la désillusion. Des poètes oscillant entre espoir et désillusion, totalement désabusés pourtant maîtres de leurs propos et de leurs actes. Dénoncer, contester, une constante dépassant le cadre de la poésie comorienne, pour se 337

mouvoir dans cette littérature en général. Comme si les douleurs étaient trop fortes, le quotidien étant effectivement assez dur dans ce pays où, comme l’écrit si bien le romancier Mohamed Toihir dans son poème Mon pays, « Mon pays fait parti du monde pauvre Mon pays connaît la famine et ses conséquences »417 les jeunes aspirants poètes commencent par faire le constat de cette dureté de la vie. Comme si la poésie devait avant tout servir elle aussi d’exutoire, la jeunesse l’emporte dans ces tourments et nous fait état des choses et des faits graves qui minent le pays : le séparatisme, les difficultés du quotidien, la pauvreté, la corruption, l’injustice. Cependant, ils n’oublient pas l’amour, la famille et le bonheur de ressentir qu’ils sont en vie. Thèmes et atmosphères que nous retrouvons dans de nombreux poèmes témoignant d’une adoration ou d’une profonde dévotion à Dieu. La religion n’est pas laissée pour compte, elle fait partie intégrante des préoccupations des poètes.

Nous avons donc choisi d’étudier les poèmes où se mêlent plusieurs de ces thèmes. Comment la poésie comorienne s’engage-t-elle dans le devenir des îles ? Comment les poètes expriment ils leurs positions et leurs angoisses ?

Nous l’avons observé avec l’exemple d’Abou, la plupart des auteurs comoriens lancent tout au long de leurs textes, des cris du cœur leur permettant non pas de calmer leurs angoisses face à un peuple à la dérive et qualifié de « foule carnavalesque » par Saïndoune Ben Ali, mais pour faire état de ces angoisses. Poètes engagés et fervents défenseurs d’idées nouvelles, ils aspirent tous à une paix dans le monde, à l’éradication des maladies, au retour vers des concepts de liberté et de démocratie. Les poètes sont quelques peu idéalistes et ils le défendent bien. En effet, toute une suite de textes se construit autour des mêmes mots « liberté » et « démocratie ». Nous avons ainsi Liberté de Saïd Ahmed Housseine (P.91) et de Chantal (p. 99), Démocratie de Issa Moeva ou encore de Mahamoud Moahamed Chanfi. Ces quatre poèmes aux titres évocateurs chantent des concepts encore difficiles à identifier dans les îles. A l’exception de Chantal qui s’interroge sur l’existence de cette notion de liberté en l’apostrophant, les autres l’appellent à eux comme le souffle nouveau et Chanfi de s’extasier. Que tu persistes aux Comores Avec toi on a

417 Mohamed Toihir, Mon pays, in Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, p.26 338

La Liberté de choquer La Liberté de s’indigner La Liberté de s’informer La Liberté de critiquer

Dans les autres poèmes, ces concepts sont formulés sous forme de songes et l’on défend l’égalité, la fraternité, l’unité et la justice avec emphase. Les images employées sont alors des images à la fois simples d’amour, de paix mais aussi très violentes, la mort, le sang. Le verbe permet de noyer le réel en le redessinant.

b) Écrire pour dénoncer

Les romanciers comoriens sont des auteurs pour la plupart engagés. Il faut admettre que dans une société où les bouleversements politiques sont aussi nombreux malgré l’étroitesse du territoire, il serait difficile de rester insensible à ces changements surtout s’il s’agit d’intellectuels. Donc, nos auteurs sont de fervents défenseurs des droits de leur nation et de leur patrie, des droits de leur peuple. Comme nous le signalons plus haut, l’auteur comorien écrit dans les premiers temps et ce jusqu’à aujourd’hui pour dénoncer et faire état des malaises traversés par le pays et la communauté. Ainsi, que nous parlions des romans L’Odeur du béton, Le Sang de l’obéissance de Salim Hatubou qui s’éloignent des préoccupations politico historiques des îles, ou encore des œuvres de Mohamed Toihiri ou de Aboubacar Saïd Salim, d’Hamza Soilhaboud et même jusqu’à Saïd Ahmed SAST qui entre beaucoup moins dans cette optique de la dénonciation politique, on ne peut qu’observer l’aspect témoignage qui enveloppent ces œuvres. Cependant, pour quelques uns d’entre eux, le témoignage n’a pas comme seul but de dire, il veut aussi faire réagir et bousculer le lecteur. Pour cela, ces auteurs passent par un style d’écriture assez particulier, un style qui utilise les jeux de mots et où l’ironie reste la tonalité de prédilection. Les jeux de mots sont assez frappants et ce, peu importe l’écrivain, la trace de la moquerie persiste sous des formes similaires suivant les différents romans.

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c) Contre l’art pour l’art : des textes pour la mise en voix de la position intellectuelle et de l’engagement social

Ce que tentent de faire Soeuf Elbadawi, Mohamed Anssouffouddine, Nassuf Djailani et d’autres, c’est, à contre-courant, dans un contexte du constat à postériori, amener la littérature au seuil symbolique de redéfinition identitaire et nationale. Autrement dit, par la littérature, le comorien pourrait vivre le sentiment national et la fierté d’être comorien. La littérature doit, pour reprendre les propos de Régis Antoine, « Se faire prioritairement expression non problématique d’une idéologie de la cohésion, de dessiner les contours d’un topos patriotique. »418 A lire Elbadawi, nul ne peut douter de la valeur mobilisatrice attribuée à la littérature. Car ici, en contexte shikomori, écrire n’est pas un acte gratuit. Ecrire est d’emblée le signe fort d’un engagement nationaliste et patriotique. De fait, user de la plume revient à témoigner de son attachement aux îles par la revendication d’une fierté îlienne washikomori. En ce sens, les textes se font la mise en voix scripturaire de la position intellectuelle.

Comme nous le soulignons, dire ce qui ne va pas dans des manifestations est un mouvement de civisme on ne peut plus communautaire mais lorsque ces manifestations sont interdites, lorsque la liberté d’expression est quasi nulle si ce n’est totalement contrôlée, l’art devient le refuge où peuvent s’exprimer les plus grandes contestations. La jeunesse se révolte, fait face à ses problèmes et tente de les dénoncer. L’écriture va servir d’exutoire. Ce qui peut expliquer le nombre assez conséquent des textes à vocation réaliste et sociale.

Le notable répudié 419 inscrit l’auteur dans la lignée de ces jeunes écrivains contestataires. Celui-ci écrit dans sa préface : « Le notable répudié est une comédie dramatique qui brosse en neuf tableaux, les magouilles, les tromperies dont s’anime le village de Kodoni. […] Jalonné de scènes de ménage, de disputes collectives et d’obscurs commerces illicites. » Elle aborde les silences et les non-dits de la société comorienne : la femme, l’enfance délaissée, l’inceste, mais aussi les moeurs malhonnêtes d’une certaine classe, celle des notables, véritables régisseurs de la vie à Kodoni. Sa pièce met en scène un notable du village,

418 Régis Antoine, La littérature franco-antillaise : Haïti, Guadeloupe et Martinique, Karthala, collections Lettres du Sud, Paris 1992, p.127 419 Ahmed Abdallah Patrice, Le notable répudié, Komédit, 2002 340

Bedja Shaya qui se fait répudier par sa femme Mma Fatima. La honte le gagne et il n’ose plus sortir de chez lui car tout le village est au courant. Dans la religion musulmane sur laquelle sont fondées les lois et règles du mariage, aux Comores, il n’est pas autorisé à une femme de répudier son mari. Ce pouvoir de la répudiation est attribué au mari. Celui-ci se doit de subvenir honnêtement aux besoins de sa famille, de s’occuper d’elle. Si jamais l’homme manque à son devoir, la femme peut demander à être divorcée. Jamais aucun homme et encore moins un notable ne s’était fait répudier. Cela explique le sentiment d’humiliation éprouvé par Bedja Shaya devant ses congénères. Après d’être fait renvoyer du foyer conjugal, notre notable s’en va consulter un imam afin que celui-ci raisonne Mama Fatima, qui, connue pour sa droiture et sa piété, devrait se rendre aux sollicitations de ce dernier et revenir sur sa décision. Mais elle refuse, excédée par l’attitude désinvolte et égoïste de son époux, lui reprochant de n’honorer aucun de ses devoirs. Ce refus apparaît alors comme très courageux et avant-gardiste pour d’autres femmes, mais accroît la honte de Bedja Shaya et la peur des notables. Parallèlement à l’histoire de Mama Fatima, se profilent d’autres intrigues secondaires, mises en place par petites touches servant à affiner le tableau du village de Kodoni. C’est ainsi qu’apparaît à la mosquée, une jeune fille en larmes, victime de viol incestueux.

En poésie, celle de Saindoune Ben Ali, témoigne de son engagement social par la mise en place du décor animalier. L’espace de l’homme s’est dissout dans un univers de la matière, où le lexique sur l’animalisation, les transformations prédomine. Les hommes sont des « crabes pousseurs », « des criquets saccageurs », « des dindons bleus ». Le mot est critique et nous peint non plus des êtres figés mais des hommes aux mouvements ridicules tels « clowns sans pudeur »p.15 qui n’ont plus de notion de dignité, d’orgueil, ni même de décence. Les habitants des Lunes ne sont alors que d’« anciens vivants » p.62. Le mot les transforme en êtres décharnés, reflet d’un figement de leur tout. Ils ne pensent ni n’agissent. Ils sont ce « troupeau d’ânons »p.58, qui avancent en « témoins impavides »p.66 de leur devenir tronqué. Et lorsque le mot s’en prend aux dirigeants, il se fait plus insultant et plus virulent. Les hommes d’états deviennent des « chacals », « des grenouilles »p.30, ceux sont des animaux têtus et idiots « un âne passe », incapables de tenir un discours intelligible « aux braiements répondent/ nos applaudissements » p.32. Le mot les confine dans leurs travers ; ils sont des bêtes monstrueuses, se nourrissant de la peur du peuple « les charognards de l’angoisse »p.37, violant les lois« les scolopendres de la démoncratie »p.63 et capables de faire de la

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démocratie, une idéologie noble, une idéologie de damnés « démoncratie ». Par leurs agissements, l’homme retourne à l’état primitif, il est un loup pour l’homme « nous sommes des coyotes ». Ils sont devenus des êtres hybrides « hiboux ploutocrates » Et les savants, décriés sous des visages aussi effrayants que ridicules, se transforment en gnomes « les devins gigotent/ surimpressions de gnomes enturbannés.» p.76 L’homme de Saindoune est dépassé par son silence, sa soumission, sa misère. Et chacun de ses états prend le pas sur son être et l’englobe dans la définition même de cet état. Le mot seul ne suffit pas pour le nommer, il doit s’accoler aux autres caractéristiques pour définir précisément l’espèce d’être que désigne le poète. Les mots valises se rallongent. Le paysan est alors salué sous les noms de « paysans-cages-blanches-hiboux-de-campagne ! », les dirigeants et les princes de « vipères-royales-double-cravate ! » et les fundis seraient alors les « boucs-savants-quatre-sabots-dorés », ce que rappellerait la petite barbichette du bouc et qu’arborent généralement les hommes de Dieu, selon la Sunna du prophète Mohamed mais aussi certains savants. Au-delà de cette technique du mot valise liant hommes et objets ou attitude, le poète utilise les figures communes pour créer des images singulières et redéfinir son univers. Le peuple, qu’il juge sans grand ménagement se verra enseveli dans ses tares. Très souvent associé aux pierres « pierres des Lunes »p.45, « rochers même pas lucides »p.48 « et les pierres tournées vers/ l’utérus éternel de la terre »p.104. Cela renvoie à une expression injurieuse Hama bwé, (littéralement comme une pierre), qu’on utilise généralement pour qualifier une personne jugée incapable ni de réfléchir, ni d’agir. Ici, l’emploi métaphorique de cette expression traduit l’opinion du poète sur son peuple qu’il méprise d’avoir les yeux trop « volontairement fermés » durant « quatre siècles » p.57. Le même procédé de l’expression commune « hama m’ri », comme une branche se lit à travers les figures « bâtonnets de bambous avides »p.74, « cages en bambou ambulantes »p.38. Le poète énonce la « passivité du peuple/ sous tutelle de maquereaux ». Au bout de cet état de masse composite solide sans but, la folie puis la mort qui s’est déjà emparée de leurs visages faisant d’eux un « peuple au sourire spasmodique »p.52, des « zombis »p.72. Inconscient et lâche, « ce peuple »p.15 festoie sur sa tombe en exécutant une « danse de dindons bleus » avec mouvements incohérents « danses de makowas », reflet de leur attitude. Le poème dénonce la démence de son peuple qui célèbre la mort du président révolutionnaire plutôt que d’être endeuillé. Cet évènement crée une distanciation entre le poète et son peuple car l’un « salue/ tête baissée », un âne qui passe et l’autre a conscience de la fin à venir. Le poème sait, comme une vision,

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que l’assassinat dont il est question p.35 marque un tournant dans l’histoire des Comores. Le poète semble ironique, quelque peu incrédule. Il place la contradiction en fond de tableau « on assassine sous les hourras/patriotiques »

VIII.1.3 L’onomastique au secours de la contestation

a) Onomastique et dérision autour des noms propres

Les différents effets de comiques réunis souvent au théâtre ne sont cependant pas étrangers aux romans et parfois même à la poésie. Dans ces cadres-ci, ces effets ne viennent pas tant renforcer une atmosphère, une situation ou un geste comique, mais insister sur la tonalité ironique, souvent largement dominante dans certaines œuvres comme Aux villages de l’Océan, la Secte de la virginité, le Kafir du Khartala. La critique, qu’elle soit chez Mohamed Toihiri, Fahoudine Ahamada-M’zé, Ahmed Ibrahim, Salim Hatubou ou Aboubacar Saïd Salim, passe donc aussi par une mise en avant de leurs opinions d’auteurs sur la société, les régimes et gouvernements en place au travers des noms qu’ils donnent à leurs personnages. Si l’on prend l’exemple de la Secte de la Virginité, l’auteur prénomme la mère silencieuse « M’daza », (celle qui se tait, la silencieuse). Déplacement générique, l’auteur associe l’attitude de la mère à la passivité qui lui est reprochée. Consciente des malheurs de sa fille, mais n’en réalisant pas l’ampleur, M’daza, comme son nom l’indique, choisit le silence de la soumission face à un mari méprisant et incestueux. Cette absence de voix trouvera ses limites dans la mort de son enfant. Si les noms en disent long sur les personnages, ils en dévoilent tout autant, si ce n’est plus sur les auteurs. Car ces prénoms, en plus d’évoquer une réalité liée aux personnages, traduisent une forme de contestation perceptible à travers une ironie parfois grinçante. Une tonalité qui, couplée à des éléments comiques crée, au sein des œuvres, le rire qui, au fil des pages traduit le cynisme de l’auteur. Un cynisme provoqué par une narration en surplomb d’une situation jugée ridicule, excessive ou aberrante par l’auteur. L’antithèse devient dans ce cas, l’une des figures maîtresses de ces écritures. Lorsque le narrateur raconte, dans la Secte de la Virginité, « Après l’obtention de son diplôme à l’institut d’Etude Islamique de Damas, Mwezaadabu… débarque à Marseille. Là-bas, ses qualités sont tout de suite reconnues (chose qui n’étonne pas l’assemblée) : il est nommé TDS pour une grande entreprise

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nommée Carrefour. Un poste tellement important, qu’afin d’éviter l’espionnage industriel, il ne travaille que le soir, après la fermeture officielle. Le nom savant de ce métier est Technicien De Surface… » il ironise sur l’aspect fallacieux des propos de Mwezaadabu. La parenthèse dans laquelle il insère ce qui pourrait être une antithèse « chose qui n’étonne personne », le rapproche d’autant plus du lecteur qui devient le destinataire de cette aparté. Son intention première est donc de ridiculiser Mwezaadabu, personnage contre lequel, ledit narrateur éprouve de façon très évidente, rancœur et mépris. Le choix du nom « Mwezaadabu » traduit une dichotomie caricaturale entre la portée qualitative du prénom, signifiant littéralement ici, « Le respectueux, celui qui a de bonnes manières, de l’éducation » et la réalité du personnage apparaissant sans vergogne, hypocrite et menteur. Nulle éducation chez cet homme, bien au contraire, il est celui qui détourne les valeurs morales au profit du paraître, faisant dès les premières pages du texte, prédominer les apparences sur l’être. La critique soufflée par l’auteur se précise par la voix du narrateur dans le portrait du personnage. Ainsi, l’insistance méliorative construite autour de l’adjectif « grande » dans « une grande entreprise », de l’adverbe superlatif « tellement » valorisant l’adjectif « important », lui même augmentatif, construisent une accumulation pleine de lourdeur et entrent en contradiction avec les noms désignés et auxquels ils sont accolés « Un poste tellement important ». Cela crée un effet de chute finale lorsque le narrateur explicite le sigle désignant la fonction occupée par Mwezaadabu dans le supermarché, à savoir technicien de surface. Celui-ci fait donc valoir des diplômes, provoque le mystère autour de sa fonction, afin d’en « mettre plein la vue » à ses compatriotes restés au pays, alors qu’il ne s’occupe que du ménage à Carrefour. Cette posture caricaturale vis à vis du personnage renforce l’idée d’un auteur impliqué dans son texte au delà de la voix du narrateur et laisse glisser la tonalité ironique dans une sorte de moquerie de plus en plus apparente. Ironiser, certes, mais se moquer avant tout et par la dérision, tourner en ridicule un homme et certainement au delà, le système auquel appartient Mwezaadabu. Il poursuivra plus loin, « Lui qui était enveloppé par l’éclat du charbon à son départ revient aussi blanc qu’un cachet d’aspirine. Résultat de toutes les crèmes éclaircissantes que les membres de la diaspora s’appliquent sur le visage 3 à 4 mois avant le retour au pays natal. » Outre l’explication du narrateur, deux figures d’opposition traduisent le cynisme de l’auteur, l’oxymore de « l’éclat du charbon », insistant sur la couleur de peau, à l’origine, très foncée de Mwezaadabu, celui-ci était donc initialement si noir qu’il brillait, et le résultat actuel, l’ayant transformé en cachet d’aspirine. La seconde image est la référence

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au cheminement de tout individu désireux de retourner aux sources, par l’évocation du titre « retour au pays natal », et la dissonance que crée l’atmosphère dans laquelle le personnage semble vivre ce retour. Si pour Aimé Césaire, il s’agissait d’un manifeste pour l’homme noir libre mentalement, libéré des chaines mentales de l’esclavage, contre l’homme noir asservi et passif, la référence à cette idéologie, dans ce contexte traduit le jugement très négatif de l’auteur vis à vis de son personnage. Celui-ci accomplit son retour au pays natal non pas comme une nécessité de survie par un ressourcement, mais en ayant tronqué ses valeurs, jusqu’à blanchir sa peau pour mieux ressembler à l’homme blanc. Il est donc le profil type de l’aliéné culturel. Cette critique claire ne vise pas le personnage seul, elle est en somme formulée contre les membres de la diaspora dont Mwezaadabu n’est qu’un exemple parmi tant d’autres comme l’indique le texte « les membres de la diaspora s’appliquent sur le visage 3 à 4 mois avant le retour au pays natal. » Un jugement apparemment sans appel, témoignant d’un regard profondément méprisant d’un auteur sur sa communauté. La cible ne serait donc pas le personnage seul mais bien la société, cette « Secte » comme l’identifie l’auteur. Une secte obnubilée par l’idée du paraître, prônant fièrement « la virginité » comme objet de convoitise, chasse gardée et interdit majeur. Encore une fois, ainsi que nous le signalions plus haut, le groupe prend le pas sur l’individu, au point où, dans ce roman, certains personnages tel que « la petite fille » se révèlent flottant, sans consistance, comme avalé par l’ensemble. Flottement induit et renforcé par l’onomastique et aboutissant à la disparition à la fois nominative, abstraite de ce personnage dénommé « la petite fille » et physique lorsque ce même personnage se suicide. Si Mwezaadabu porte un nom évocateur, « la petite fille», simple nom commun sans visage ni corps, est quant à elle enfermée dans la multitude, sans vie ni identité autre, aspirée par la Secte jusqu’à la mort.

L’un des traits communs aux auteurs, qu’ils soient dramaturges, romanciers ou même poète, réside dans le rapport crée entre les noms donnés à leurs personnages, lorsque ceux-ci existent, et l’effet recherché, la dérision en l’occurrence.

Dans la République des Imberbes où ce rapport onomastique est courant, tous les personnages représentatifs du régime auquel semble s’en prendre le narrateur portent des noms dont le sens est souvent révélateur de leurs mœurs. Les portraits physiques des personnages sont rares, seul le caractère moral est décrit au lecteur par le biais de leur

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dénomination. En effet, le personnage principal qui est le président de cette république a pour nom Guigoz. Nous l’avons signalé plus haut, il s’agit ici d’une critique du régime soilihiste dans ce que, selon l’auteur, il avait d’extrémiste et d’autoritaire. Ali Soilihi se faisant appeler Mongoz (le guide), l’auteur a transformé ce nom en Guigoz. Les résonances dans les sonorités sont assez claires pour y lire l’association entre le président de la république des Comores et celui de la république des Imberbes. Le mot même de Guigoz renvoie à l’enfance en désignant principalement une marque de lait pour nourrissons, en vente aux Comores. Nommant son protagoniste ainsi, l’auteur crée alors une association entre celui-ci et un nourrisson, un nouveau né, soulignant par là le caractère inconscient et capricieux du chef d’état de la République des Imberbes. Par conséquent, le peuple a à sa tête, non pas un adulte averti et aguerri mais un simple être, un enfant dont l’âge mental ne dépasserait pas celui du berceau. La critique est très sévère vis à vis du régime soilihiste et plus particulièrement d’Ali Soilih lui même. Il sera surnommé Mzimba Palé (littéralement, Grosse Tête) dans Un coin de voile sur les Comores, soulignant par là, une forme de mégalomanie dont beaucoup ont fait état à son propos. Cette appellation insiste quant à elle sur le côté mégalomane du Guide. A cela s’ajoute, dans la République des Imberbes, le nom de la constitution mise en place pour la désignation du régime politique du pays en question, République des Imberbes renforçant l’idée d’ineptie de la chose. Le régime du Mongoz mettait en avant la jeunesse. En établissant le droit de vote à quinze ans, il souhaitait sensibiliser la jeunesse à la politique et aux choses concernant l’état. Il semble que pour l’auteur, cela fut une erreur de donner le droit d’expression à des enfants, car s’ils sont imberbes, c’est qu’ils n’auront pas encore atteint la puberté, ce sont donc plus des enfants que des adolescents. Nous n’insisterons pas plus sur ce roman car les deux exemples cités suffisent à témoigner de l’opinion de l’auteur.

Dans son deuxième roman, Le Kafir du Karthala, Mohamed Toihiri ne déroge pas à ce rapport entre contestation et onomastique par le jeu de mots entre le sens et la forme. A la p.33, il appelle un professeur « foundi Kairi Bahi », expliquant ainsi au lecteur que celui qui sait normalement tout, le Foundi (le savant), ne sait rien du tout et qu’il ne sert même à rien « kairi bahi ». Si nous n’étions pas dans la fiction, personne de sensé n’irait s’adresser à ce mwalimu wa ndrabo (charlatan). Plus loin dans le texte, nous aurons une allusion tout aussi comique avec un personnage MzéKaribaya (le père qui ne craint pas les disputes) et qui se trouve effectivement en pleine dispute publique avec un congénère. Ici, l’auteur nous révèle

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aussi une donnée sur la société comorienne, il s’agit d’une société où l’on donne très facilement des surnoms. Dans Le bal des mercenaires, Aboubacar Saïd Salim nomme le pays République des Kavu. Encore une fois, le nom du pays révèle sa consistance. Kavu signifie « rien du tout, néant » en comorien ; le président Allélouya Ben Mouzguigue gouverne la république du néant. Ici, nous pouvons émettre l’idée qu’en prenant le pouvoir avec l’aide d’hommes aussi cruels et peu scrupuleux que les mercenaires, le pays serait devenu une république Kavu, une république du non droit, ce qu’illustre le roman.

b) Onomastique et dérision autour des sigles et titres donnés aux représentants de l’état Ces jeux de mots et de sonorités ne se font pas seulement dans les noms propres, ils sont aussi dans les titres donnés aux représentants de l’état. Pour nous signaler la fonction du représentant du FMI auprès de la banque centrale des Comores, l’auteur le nomme Monsieur de Taxe. Nous comprenons bien vite alors que l’une des priorités de ce représentant concerne bien plus ses poches que le devenir du pays. Mohamed Toihiri appelle ses personnages le Ministre du Renoncement, ce « petit homme ridicule » qui se fait voler sa femme en pleine réception mondaine par « le Blanc qui caressait sa femme » qui « s’avéra être un partenaire général », donc un intouchable se permettant de faire essuyer un tel affront à un ministre. Celui-ci plutôt que d’essayer de sauvegarder un minimum de dignité se laisse ravir sa femme en public et par là même, justifie son nom « Renoncement », attestant de son impuissance et de celle de tous les hommes politiques face aux partenaires généraux. Par ce biais, Mohamed Toihiri pointe du doigt le rapport de soumission induit par les expatriés français sur les autochtones. Le traitement des noms propres dans les différents récits induit une même lecture, les noms, sans être donnés au hasard, orientent la lecture et la perception du lecteur sur le personnage. Si Allelouya Ben Mouzguig, président de la République des Kavu dans le Bal des mercenaires, recoupe les résonnances du cri religieux, louant Dieu, « Allélouya ou Allah Akbar », cela éclaire davantage le lecteur sur la façon de gouverner du chef. Et plus encore, cela explicite une forme de mégalomanie totalitaire d’emblée contredite par la suite du nom, Ben Mouzguig. Sachant que le Ben renvoie à la filiation en arabe, le nom qui prime devient Mouzguig, un nom aux abords fortuits, sans finalité quelconque, sans caractère particulier, un nom qui ne signifie pas grand chose en somme. Cette insignifiance liée à la grandeur du

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prénom dénote de la naïveté du président mais surtout de sa principale contradiction : il est le maître des Comores et pourtant le Mouzguig, le zbir ?, le zgueg ?, des mercenaires ?

A travers ces jeux de mots onomastiques, les différents auteurs plongent directement le lecteur dans une sorte de confidence sur l’état des lieux du pays où ils centrent leur intrigue. De ce procédé nait l’ironie accentuant le cynisme présent dans les textes et nous permet à la fois de cerner le regard des écrivains sur leur pays, leur société, leur communauté et de comprendre que le sentiment prédominant est celui d’une injustice à révéler et d’une frustration à exorciser.

VIII.1.4 Pour une esthétique littéraire comme assise d’une identité intellectuelle et culturelle

a) Écrire différemment, c’est exister autrement Certains ont défendu leur droit d’exister en tant qu’être pensant, marquant leur différence et la force criante de cette différence par le levé de drapeau sur ce qui les fondait, à savoir leur couleur de peau dépréciée, et ont scandé haut et fort ce que cette couleur noire renvoyant à l’état de nègre avait de particularismes et de beauté virulente. Senghor, Césaire, Damas, les maîtres incontestés des mouvements de valorisation et d’intronisation d’une pensée noire différente de la pensée blanche sans en être plus réduite. Ils ont emmené la négritude, l’ont façonnée, l’ont nommée, l’ont théorisée, au point où les générations suivantes leur ont reproché d’être éternellement en comparaison à l’homme blanc. Il n’empêche que ces statures et ces positionnement clairs, d’intellectuels reconnus et attestés comme tels ont impulsé un mouvement d’identification transposable dans des communautés à la recherche de leur histoire. Pour le coup, les Comores en sont une illustration parlante. En effet, et la négritude fut. Elle a éclaté, coups et cris de plumes parmi les cris du cœur, rage de vaincre et de s’affirmer, avide de considération avec pour mot d’ordre, la réhabilitation d’une pensée autre.

En effet, suivant l’élan initiateur de la négritude décrite par Césaire comme « La conscience d’être noir, la simple reconnaissance d’un fait qui implique une acceptation, une prise en charge de son destin de noir, de son histoire et de sa culture », un grand nombre

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d’auteurs comoriens tendent à transposer ce fait dans les mentalités locales. A les lire, nul devenir n’est possible aux Comores, sans cette prise en charge de son destin de comorien, autrement dit de son histoire passée et donc à venir. Césaire est mort, mais le Cahier d’un retour au pays natal subsiste encore, fait des petits et impulse un souffle nouveau chez les auteurs comoriens, essentiellement les poètes, portes parole d’une écriture nouvelle mue par une esthétique récurrente du combat. La même esthétique dispensée dans ce Cahier d’un retour au pays natal dont on retrouve les traces d’écriture dans Roucoulements de Nassuf Djailani, dans l’écriture de pérégrinations de Saindoune Ben Ali, dans le souffle révolté de Sadani Ntsidami, dans les éternels questionnements de Mohamed Anssouffoudinne, dans l’appel à la contestation de Soeuf Elbadawi. Autant d’auteurs qui prônent l’écriture d’une histoire commune aux Comores, pour le bien de la conservation d’une identité spécifique à l’ensemble de l’archipel. Des idées déjà bien inscrites dans l’Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, avec des poètes comme Abou, Anon, Mab Elhad. Celui-ci écrira plus tard son recueil Kaulu la mwando, dont le titre résonne comme la mise en vers épars d’une parole primitive, pour l’élaboration d’une histoire non contrefaite. Le choix du titre en Shikomori traduit ce désir d’affirmation identitaire. Si tous les auteurs n’affirment pas cette esthétique du combat, du moins ne la développent-ils tous dans leurs écrits. Le cahier d’un retour au pays natal, La poétique de la Relation théorisée par Edouard Glissant, l’irrévérence de Sony Labu Tansi, autant d’auteurs et de mouvements à la source des nouvelles écritures comoriennes. En effet, cette proclamation du droit à la reconnaissance d’une pensée noire a aussi ouvert la voix à de nouvelles volontés, leur permettant, à l’instar des modèles cités, de s’exprimer : exister non plus par rapport à l’homme blanc, entendre l’intellectuel blanc dont on attend le regard, l’approbation et l’absolution mais par rapport au monde et particulièrement l’Afrique, l’islam, l’insularité, triple matrice desquelles nous tirons nos singularités. Comme par effet de miroir, les poètes comoriens martèlent ce désir d’ancrer les Comores et donc la comorianité dans un espace pouvant leur donner un réel souffle, celui de la francophonie car a priori, ancrer les Comores dans l’espace francophone, dans son aspect original et originel, c’est inscrire la comorianité dans un contexte où elle développerait un sens. Telle est la revendication première des ces écrivains, ceux qui se reconnaissent sous l’appellation initialement péjorative de « Washko » (Abréviation du terme washikomori, désignant la provenance, littéralement, ce qui vient des Comores). Revendication telle que

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Soeuf Elbadawi a repris cette abréviation pour nommer la collection qu’il dirige chez Komédit- collection regroupant l’ensemble des textes s’apparentant à cette écriture nouvelle et comorienne- washko.ink.

b) L’écriture ou la trace d’une identité propre

Cette revendication d’une poésie propre aux Comores fait aussi émerger les modalités d’écriture et les thèmes qu’elle peut et doit aborder. Pour résonner comorienne, elle doit forcer l’ancrage à la réalité comorienne autrement dit, comme l’affirme Sadani Ntsindami, illustrer les deux pans essentiels de la culture des îles : négritude et islam. « L’intention ne suffit plus, plongeons dans la rénovation, ou comme vous voulez, dans la novation, pour une poésie intégrant notre conscience de nègre musulman au décalque de toutes les autres. » L’auteur poursuit et précise sa pensée « Pourquoi « nègre », pourquoi « musulman » ? Pour une prise en compte totale d’un univers particulier : les îles Comores. 420 » L’écriture comorienne doit porter en elle, des traces originales et originelles sans cela, elle ne peut se défaire des carcans d’une écriture colonisée. Lisons ici la transposition faite entre littérature et identité. Il y a de toute évidence, corrélation entre les deux concepts. L’un induit l’autre et réciproquement, l’un ne peut exister sans l’autre. Ainsi, l’identité comorienne doit permettre l’émergence d’une littérature propre aux Comores et cette littérature doit à son tour porter les marques et les références identitaires. L’écriture ne se veut pas seulement parole de poètes ou d’intellectuels, elle cristalliserait en elle, selon les partisans de cette expression nouvelle, les fragrances et les réalités identitaires, les menant à découvert et les portant à bout de bras. L’écriture washikomori serait alors originelle, source d’une assise autre, un principe d’altérité affiché en contrepoids à une domination historique et verbale héritée de la colonisation. Les partisans de ces écritures novatrices militent, à travers leurs plumes, pour l’établissement d’une unité insulaire, une unité qui se profile en psychose, devenue leitmotiv du psychodrame comorien. Cette unité insulaire, reflet d’une sorte d’identité patriotique et nationale tant cherchée, tant martelée, tant scandée, aux allures de quête poétique répond au nom de « comorianité », un concept hérité d’une philosophie non plus de la négritude seulement où affirmer sa pensée nègre devient salvateur, mais bien des enfants de cette sur affirmation d’une identité autre, celle que les écrivains antillais et Glissant en porte parole ont revendiqué fermement : l’antillanité. Cette antillanité, échos aux désirs d’exister de part

420 Sadani Ntsindami, De l’intention à l’invention poétique, in Nouvelles écritures comoriennes, Komédit, Moroni, 2007, p.91-92 350

l’insularité en recoupant dans son espace primitif, l’aspect nègre de l’histoire et de la culture, la pensée à la fois confinée et exaltée de l’insularité, les blessures et variations de l’état d’ancienne colonie esclave, que Glissant nomme « pays conquis ». Les auteurs comoriens, sur ce même schéma de pensée, dessinent à leur tour cette comorianité en socle commun d’existence. Soilih Mohamed Soilih l’utilise une première fois en la liant à la femme en tant que « matrice socio-culturelle de la comoriennité ». Le concept, référencé de la sorte recoupe alors des éléments créatifs et nourriciers. Ibrahim Barwan, dans son allégorie des Comores, interprétant le personnage éponyme de sa pièce et personnage central de sa réflexion explique en parlant de sa tenue : « Ce pagne s’appelle ikoyi. Je le porte pour montrer ma comorianité »421, et avant cela, le personnage se lamente sur son sort de « Pauvres Comores » et s’écrie désespéré, dans une gradation ascendante, un crescendo révélant le brouillage des valeurs et des repères « Ils m’ont déshonoré, désabusé, « décomorianisé » et traîné dans la boue. »422 et reprend plus loin, « Je me sens déchiré, décomposé et « décomorianisé » »423. Le poète Halidi Allaoui, le revendique en tant que réalité identitaire : « Aujourd’hui haut et fort Avec mon âme et ma conscience J’opte pour la comorianité424 ».

Il y a donc derrière cette notion dont l’orthographe, pas encore fixe- tantôt comoriennité, tantôt comorianité- témoigne de sa nouveauté et de son balbutiement (L’on ne sait encore ce qu’elle recoupe vraiment), le désir avoué d’être des intellectuels différents. Mais différents de qui ? Pour formuler un début de réponse, nous citerons ces vers d’Elbadawi « l’histoire. en son absence. nous laissa aussi penser que les écrits .manipulent. .et se jouent des hommes mais qu’écrire est essentiel .pour nuire à la fable du maître425 ».

Nous entendrons ici le maître, comme étant la figure minimaliste de l’ancienne colonie, la France, entendu qu’il s’agit ici des premières recherches effectuées sur les Comores, qui ont amené des idées comme « l’archipel aux sultans batailleurs ». Une idée que

421 Ibrahim Barwane,, Pauvres Comores, Komédit, 2005, p. 23 422Idem, p.16 423Id, p. 23 424 Halidi Allaoui, Cris d’ici et d’ailleurs, Komédit, 2008, p.18 425 Soeuf Elbadawi, Ce que petite feuille n’est pas, in Nouvelles écritures comoriennes, Komédit, 2007, p.60 351

récuse le personnage de Comores en ces termes « Non, mes ancêtres ne se battaient pas, mais c’est l’ex puissance la France qui les faisait se battre ; mes ancêtres étaient tranquilles comme s’ils prenaient des tranquillisants.426 » L’idée ou l’élan à l’origine de cette affirmation identitaire puiserait ses fondements dans l’espoir d’un nationalisme revendiqué par ces poètes, culturellement engagés. Ainsi, après avoir longtemps dénoncé l’absence d’affirmation d’une culture identitaire unissant tous les comoriens des quatre îles confondues, introduire culturellement le concept de comorianité, c’est introduire politiquement la notion de nationalise. Cela renvoie à l’une de nos hypothèses consistant à comprendre la démarche d’une grande partie des auteurs comme celle de la mise en place et la création, à travers les mots et la littérature, du sentiment patriotique. Une idée que nous avons développée plus haut et sur laquelle il ne sera pas nécessaire de revenir. Nous résumerons donc cette idée d’une expression poétique comme établissement d’une écriture identitaire et autonome en ces termes. Le travail des artistes engagés dans cette voie, est donc à double finalité : extraire l’art et la littérature comorienne en en délimitant les contours et les donner à voir au delà des frontières insulaires, et inscrire cette identité intra-insulaire commune sous le concept de comorianité.

VIII.2 Littérature et Terre d’origine, traitement et relation au lieu dans la littérature comorienne.

VIII.2.1 Attraction/ répulsion ou l’ambivalence du rapport au lieu.

Le lieu dans la littérature comorienne francophone est omniprésent, de façon quasi obsessionnelle. Constitue-t-il les limites d’une réflexion ethnocentriste ? Propose-il de possibles alternatives à l’extraction d’une écriture du centre ? Le lieu, la terre, le pays marque la marge, la limite et l’encrage de cette littérature. Ce lieu, les Comores, focalise toutes les interrogations, toutes les douleurs et les inquiétudes que semblent vouloir exorciser les auteurs. En effet, le lieu, espace temporel, espace figé devient, à travers les textes, un espace mouvant, poursuivant l’écrivain dans chacune de ses œuvres. Ainsi, il apparaît, dans ce premier temps d’une esthétique en construction, impossible d’écrire, pour un auteur sans se rattacher à la terre. Cet espace mouvant intègre, envahit l’espace de l’écriture et mène chaque

426 Ibrahim Barwane,, op. cit., p.9 352

écrivain, poète, dramaturge ou romancier à s’en saisir. Il n’est d’écriture en littérature comorienne, toutes îles confondues, qui ne puise dans l’architecture sociétale des codes et des normes établis, dans la physionomie de l’espace, dans la géographie du lieu, pour exister. Tout acte d’écriture traduit, semble-t-il, ce rapport au pays. Un rapport tout autant de passion que de rejet, comme une femme trop aimée et ingrate, le lieu devient mère indigne incapable de nourrir ses enfants, pour finir en orpheline délaissée et oubliée de tous. Trois états constitutifs et indissociables de l’image du lieu, les Comores. Ainsi, le pays va exacerber les sentiments les plus contradictoires chez chaque écrivain, à la fois d’amour et de haine.

Les premiers poèmes célébraient majoritairement les îles. Parfumées, adorées, sublimées, elles apparaissaient alors tel un paradis terrestre où les réalités, même prenantes, de misère et de tracas, n’avaient prise. Ce mouvement d’affection inconditionnelle, d’amour pour la terre, s’est ensuite déplacé, offrant alors une vision effarée et effrayante du lieu devenant ainsi, sous la plume des auteurs, le socle de tous les ressentiments, la source d’une rage qu’aucun ne parvient à camoufler. On parle alors, comme Soeuf Elbadawi, d’ « archipel en décomposition », pour affiner l’image de « lambeaux d’anarchipel » de Mohamed Anssoufouddine ou encore comme Saindoune Ben Ali, de « mère avare ». Ces sentiments, s’ils fondent les nouveaux écrits en inscrivant la littérature comorienne dans une esthétique de la violence, tel que nous le verrons plus loin, pérennisent et prolongent le mythe ancien de la damnation. Un récit de cosmogénèse relaté depuis l’aube des temps liant l’origine de l’archipel aux amours du prophète Salomon et de la Reine de Saba et la création du Karthala à la bague échangée entre les deux protagonistes. Or si une histoire d’amour si originale et une origine si merveilleuse continuent d’être contées., cela ne va pas sans l’apparition des djinns ayant ensuite entraîné la damnation des îles et plus précisément de Ngazidja. Ce mythe relaté dans notre premier chapitre fait de l’archipel le lieu d’amours passionnés au goût d’interdits, créant les points d’ancrage et les ponts de créations poétiques et fictionnelles des auteurs. Nous le précisions tantôt, si le renvoi à ce mythe se fait parfois de façon allusive, la référence apparaît généralement de façon explicite dans différents textes avec pour volonté apparente de souligner cette fatalité comme nous lisons dans le poème ci- dessous. « L’histoire t’indiffère la légende davantage : un roi Salomon fit, dit-on, des Lunes une prison 353

pour hideuses créatures Allah y substitua de joyeux ogres .»427 Les îles sont damnées, vouées à leur perte et nul ne peut parvenir à en inverser la cadence. En elles-mêmes, elles recoupent un aspect tragique que les auteurs s’évertuent à illustrer à travers leurs écrits. Le lecteur est ainsi amené à découvrir, par le biais des différents récits, des nombreux poèmes, des pièces de théâtre, les sentiments flous et ambigus des auteurs, par le prisme des personnages, sur leur île. « Et que veux-tu ? Ces minables qui s’obstinent à végéter dans ce maudit pays, qu’on croirait un champ en vaine pâture, abandonné à ces moutons d’ « État » ! Un champ où plus rien ne pousse, aucune lueur n’y pénètre ! »428 s’écrie Féda à l’encontre de sa fille Djinam car celle-ci refuse l’homme qu’ont choisi ses parents pour elle, parce que justement installé et vivant à Mayotte. Ce cri, poussé en un moment de désespoir renferme toutes les images liées aux îles et notamment Anjouan, par les anjouanais eux-mêmes. L’île est perçue comme un lieu maudit, inhospitalier, hostile et stérile. Au point où les personnages jugent, à l’instar de Féda, que seuls des « minables » acceptent de rester, et qu’en restant, ils ne sont rien d’autres que des minables. Un regard sans concession sur le lieu, la terre natale, devenue lieu de répulsion. Le pays s’écrit, et signe son appartenance, envahit l’espace littéraire et s’insurge en thème, personnage et motif littéraire.

Ainsi, la relation au lieu se perçoit et se vit par binômes opposés. A la fois pays adulé, pays abhorré, pays renié, pays revendiqué, pays fantasmé, pays dénigré, il devient topos, le lieu commun, cimentant les sentiments les plus extrêmes et les plus contradictoires. En effet, si l’on célèbre les Comores pour ce qu’elles produisent, on hait les îles pour les mêmes raisons. Et plus on les aime, plus on les déteste. Un balancement devenu récurrent dans l’écriture. Au regard des auteurs, mais aussi des personnages. Celui d’Idi Wa Mazamba, personnage sain d’esprit, intellectuel réfléchi, qui, parce qu’il aime le pays, souhaite le défendre au delà de sa vie, quitte à mourir pour lui, tout en le rejetant avec ce qui le fonde. Se sachant condamné par la maladie, le docteur décide de dédier les dernières heures de sa vie à la réhabilitation de la dignité et des valeurs comoriennes. S’élever contre et en finir avec les Partenaires Généraux, symbole d’une colonisation moderne, en devenant lui-même un kamikaze. Il choisit pour cela de se transformer en bombe humaine au cour d’une assemblée

427 Saindoune Ben Ali, Kaaro/Le pas, Les testaments de transhumance, p.19 428 Halidi Adjmaël, Les Alizées de Djinam, in Au rythme des Alizées, p.16 354

importante réunissant la classe dirigeante du pays dont un fort pourcentage de français blancs. Dans le même temps, il rejette et brise petit à petit les symboles inhérents à sa culture et à sa religion qu’est l’Islam. Il se met à boire du champagne, lui, qui comme il se le remémore, « n’a jamais touché une goutte d’alcool » ; entretient une liaison extra conjugale avec une blanche, lui qui n’avait jamais posé son regard sur une autre femme que la sienne allant jusqu’à dénigrer cette dernière pour son côté trop comorien; remet en cause et critique ouvertement la tradition et notamment le Grand Mariage, se brouillant ainsi avec Issa, son meilleur ami, etc. Alors qu’il englobe tout dans le lieu : la société, le système, sa femme et les traditions, Idi fait le choix de tout rejeter en bloc tout en travaillant à vouer ses dernières heures à la défense de ce même lieu. De son côté, l’adolescent qu’est Loudi ne cessera, tout au long de La Secte de la virginité, de disséquer sans concession les tares de sa société d’origine et notamment des hommes que sa terre fait naître. Pour le jeune homme, s’extraire du système comorien est une nécessité à laquelle il tente d’entraîner son amie. Si celle-ci décide de mourir pour marquer sa révolte, pour Loudi, la libération doit passer par la réussite scolaire. Il devra ainsi, pour signer sa rupture d’avec ses origines et le système comorien, réussir son baccalauréat. Or contre toutes attentes, le jeune homme choisit de faire un hors sujet à l’une des épreuves, éliminant automatiquement toute chance de réussite. Finalement, cette rupture qui devenait le but ultime de l’adolescent ne sera jamais consommée, la libération symbolique par le passage d’un examen venu d’une autre société volera en éclat. Cette dualité des sentiments envers le lieu d’origine conditionne aussi l’action de Djitihadi le fou. Lui aussi aime son pays mais l’apostrophe avec virulence, mépris et rage. Une attitude illustrée par le héros de la pièce Tombé du ciel chez qui, le rapport au pays se confond à l’image du père. Aux deux, il pose la question du pourquoi de sa naissance, de sa venue sur une terre et auprès d’un père qui ne peuvent lui donner de quoi survivre. Cette interrogation devient si lancinante chez le personnage qu’elle le pousse à braver le père et ainsi, les lois coutumières, à bafouer les lois de la terre. Tamu rejette lui aussi la société comorienne et ses coutumes qui imposent soumission et fatalisme aux enfants, aux individus. Le père devient l’emblème de cette tradition et donc le prolongement de structures contre lesquelles le jeune homme se révolte, désespéré. Ses angoisses devenues viscérales, elles donnent naissance à une colère jugée indécente et extravagante par le reste de la famille. Tamu se dresse alors contre son père et l’invective, s’adressant dans le même temps à la terre comorienne. Malgré cela, aux deux reste perceptible et donc duel.

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Ainsi, chaque personnage témoigne à la fois d’une tendresse, d’une affection, inouïe pour le pays. Cette affection se révèle comme une sorte de plaie suintante et aboutit à une haine quasi viscérale du lieu. Les Comores deviennent alors lieu commun aimé et lieu commun haï. L’écriture se mêle de ces sentiments opposés, et les personnages comme les auteurs oscillent entre deux postures, ne sachant laquelle choisir définitivement.

Cette posture trouve une réponse radicale dans le contexte anjouanais. La misère grandissante dont se sent victime une bonne frange de la population de l’île est à l’origine de nombreux malaises notamment politiques. Les Comores sont perçues pour beaucoup comme un ensemble inégal et à l’origine de nombreux clivages en défaveur de la population anjouanaise. Un sentiment d’abandon tel qu’il a engendré ce qu’on appelle communément, la crise séparatiste. Le lieu, parce qu’il est source de souffrance, de faim et de désespérance doit être quitté, pour en rejoindre un autre. Telles furent les revendications scandées par les mouvements séparatistes en 1995. Ceux-ci, comme nous le signalions plus haut, demandaient à être dissociés de l’archipel et à se rattacher à la France. Cette réalité est traduite dans la plupart des écrits anjouanais où le lieu, parce qu’il est maudit, doit être fui. Par conséquent, le choix est inexistant. S’impose la nécessité de quitter Anjouan. Fuir l’île coûte que coûte, quitte à y laisser la vie. Et si Anjouan, synonyme de désespoir, impose le départ, l’île voisine, Mayotte représente l’espoir. Il faut donc rejoindre Mayotte, au risque de se noyer durant les courtes mais dangereuses traversées marines car rester équivaut à se résigner et donc à sombrer, à l’exemple du père de Djinam qui, enseignant, « est à son énième mois sans salaire. Parfois, sous la pression de sa femme, l’idée de la traversée l’assaille. »429

Et lorsqu’on ne quitte pas le lieu d’origine pour un autre, lorsque le choix de rester se fait plus impérieux, le départ s’impose malgré tout. Inévitablement, il reste l’ultime recours, la seule alternative. Une finalité à laquelle sera confronté Ziara430. Si pour l’ensemble, Mayotte constitue l’envers rêvé du décor maudit anjouanais, où seuls les « minables s’obstinent à végéter », selon la mère de Djinam, pour Ziara, cet ailleurs apparaît au contraire avec toute sa dure réalité de survie, de fuite, de violences. L’adolescent de seize ans n’éprouve pas le

429 Halidi Adjmaël, Les Alizées de Djinam, in Au rythme des Alizées, p.17 430 Ziara est le personnage principal de la nouvelle, les Alizées de Djinam. L’adolescent de seize ans ne souhaite pas quitter Anjouan, pensant qu’une vie heureuse est possible sur son île. 356

besoin de partir. Assis au bord d’une rivière, il ressasse et repense aux incohérences du système. Selon lui, quitter son île s’apparente à une forme de désertion, étroitement liée à la mort. « N’y a-t-il vraiment pas de remède à ce fléau ? Ne peut-on pas mettre fin à ces exodes ? Ces traversées vers les abysses, ces hommes à n’en plus finir, des proies pour des requins ? » s’interroge-t-il, repensant à tous les naufragés, toutes ses connaissances ayant emprunté un Kwasa-kwasa pour n’en jamais revenir, sans même avoir jamais atteint Mayotte. En effet, partir revient à embarquer dans un Kwasa-kwasa, au risque de mourir noyé, ou d’être rattrapé par les polices maritimes qui rôdent autour de Mayotte, à l’affut de ces bateaux de fortune et de leurs cargaisons humaines ou de marchandises. Enfermé dans cette réflexion, le jeune homme ne comprend pas cette nécessité de fuir le lieu, Anjouan, pour Mayotte. D’autant que l’île hippocampe devient aussi synonyme de dangers certains pour les comoriens des autres îles que le statut de clandestins place dans une illégalité fortuite. Ainsi, Ziara se remémore les nombreuses exactions dont les anjouanais de son village avaient été victimes par des Mahorais, l’état d’esclaves auquel certains sont réduits, les viols et les crimes perpétrés contre de jeunes anjouanaises, en toute impunité pour les criminels, français blancs ou mahorais. Ziara énumère quelques uns des crimes entendus dont l’assassinat d’une jeune femme du village « décapitée et abandonnée au bord du mangrove de Mgombani, quartier de Mamoudzou ». L’assassin présumé, un blanc dont elle était la maîtresse, n’aurait jamais été inquiété. Sa réflexion se poursuit sur l’épisode d’Hamouro431, lorsqu’il entend les villageois se rappeler que : « Les gens de Hamouro, comme cela s’est passé il y a presqu’un an et demi déjà à Sada, conduits par leur maire, se sont « cavalièrement pris aux « Comoriens » vivant dans leur village : malgré le mois sacré du ramadan, ils ont incendié leurs paillotes, et tout ce qu’ils avaient dedans. Motif : paraît-il qu’ils sont les sources de leurs maux. » 432 Ce fait, puisé dans la réalité, ponctue les doutes et l’incompréhension du jeune homme. Toutes ces considérations confortent Ziara dans son attachement à sa terre. Il ne rêve pas de l’eldorado mahorais, conscient qu’une vie est possible sur sa terre natale. Pourtant, lui aussi sera voué au départ, voué à quitter l’île, la terre, le lieu. Ce départ amorcé comme l’accomplissement d’une promesse, celle de protéger Djinam, s’impose au jeune homme.

431 Hamouro était un village de la côte mahoraise, constitué et habité par des comoriens des autres îles et essentiellement des anjouanais. Il a été incendié par des mahorais à titre d’exemple et d’intimidation sans que les autorités ne réagissent. Cet épisode a donné lieu au roman du même nom, Hamouro de Salim Hatubou. 432 Adjmaël Halidi, op.cit, p.36 357

Partir pour Mayotte, risquer la traversée en Kwasa-kwasa pour retrouver et sauver son amour, celle qui a tout sacrifié pour lui. Djinam lui a offert ce qu’elle avait de plus précieux en tant que jeune fille en se donnant à lui alors qu’elle était promise par sa mère. Et, en échange de la libération de Ziara, emprisonné pour l’avoir déflorée, elle a accepté de suivre un époux qu’elle n’aimait pas à Mayotte. Mais à Mayotte, Djinam est tombée malade. Ziara apprend qu’elle est atteinte d’une MST transmise par un amant de passage. Il découvre avec horreur la situation dans laquelle se trouve Djinam, seulement quelques mois après son arrivée à Mayotte. L’adolescente de quatorze ans sombre, lorsque répudiée, seule et abandonnée par son mari, elle doit : « Pour tenter de survivre, faire les rues de Mamoudzou. Mais c’était surtout dans les boîtes de nuits du Golden Lagon et de la Jolie où elle vendait ses charmes. »433 Ainsi, l’adolescent ne conçoit nullement l’autre terre comme l’Eldorado dont tout le monde rêve, mais bien comme un leurre, ayant entrainé son autre dans la prostitution, la maladie, l’hôpital.

VIII.2.2 L’attachement aux îles

a) Le lieu, point de départ et point de retour Force est de constater que la plupart des romans dont dispose la littérature renvoie sans cesse à cette balance entre la France et les Comores. Si l’intrigue ne se déroule pas dans les deux pays à la fois comme c’est le cas pour Le crépuscule des baobabs, elle est toujours à cheval sur les deux. On part de la France pour arriver aux îles et c’est ce qui se passe dans La république des imberbes (le coup d’état était largement préparé en France et les mercenaires dont le putschiste s’est entourés sont français. Quant à Guigoz, le comorien à la tête du renversement politique vient lui aussi de Paris) ou dans Le sang de l’obéissance (l’héroïne, Fatma doit épouser Toufik, un sexagénaire qui vient de France). C’est de là que tout le grandiose du personnage prend vie : « Il n’est pas un mari ordinaire. Il vient de France. » 434 Même mouvement dans l’Odeur du béton : Karim vit à Marseille, il a terminé ses études et est à la recherche d’un emploi. Tout au long du texte, les Comores planent sur la tête du jeune homme comme un épée de Damoclès, s’il ne trouve pas d’emploi, il devra se résigner à rentrer au pays qu’il ne connaît pas. Dans les autres romans, lorsque l’action se déroule aux

433 Adjmaël Halidi, op.cit, p.39 434 Le sang de l’obéissance, op.cit, p.99 358

Comores, le retour à la France se fait au travers des personnages tous marqués et influencés par ce pays qui, lorsqu’il n’est pas un pays d’accueil, se trouve être le lieu d’où proviennent à la fois les maux et les jouissances. Dans le Kafir du Karthala, Auberi de Kadiftchene, jeune professeur, est française. A elle seule, elle incarne et réunit tous les fantasmes de Idi, ce médecin comorien en quête d’une existence autre. Elle est belle, blanche et porte même un nom à particule, signe d’une forme de bourgeoisie. Avec elle, il vivra la passion telle qu’il l’a toujours conçue. Ce sera par elle, comme nous l’avons analysé plus tôt, que le personnage parviendra à exister momentanément, autrement. Le parallélisme latent entre Aubéri et la France fait de ce pays le lieu de l’accomplissement personnel et individuel. La relation entre les deux personnages sera des plus torrides et des plus pécheresses, il goûtera à tout en sa présence et l’aimera au-delà de ses espérances. Ainsi, contrairement aux Comores, « Le pays de Charles »435 symbolise la liberté.

b) Attachement à la Terre mère Les écrits comoriens actuellement disponibles entrent pour beaucoup dans une logique francophone, celle d’une littérature ancrée dans les troubles que provoque l’éloignement des îles. En effet, on ne peut pas seulement parler d’écrits comoriens dont l’histoire et le style restent typiquement révélateurs des îles, mais plutôt, trouve-t-on, à partir de certaines œuvres des thématiques bien propres à la question de l’exil et par là-même francophone. Ces thématiques et traits stylistiques s’analyseraient ou se dévoileraient sur plusieurs niveaux. Dans un premier temps, la persistance des souvenirs. Au moment où ils peignent la France au fil des lignes, les analepses et les références aux îles prennent place. Dans un deuxième temps, la prégnance des souvenirs et la nostalgie face à la distance se dessinent. Les auteurs demeurent complètement attachés à leur terre natale. À travers leurs personnages, ils nous dévoilent cette faiblesse apparente qui est l’impossibilité de couper le cordon, le lien quasi sanguin qui les lie à leur île. Ils peignent des personnages qui, pour se découvrir, partent à la recherche de leurs souvenirs mais non en procédant à un retour aux îles mais plutôt en découvrant le paysage de la terre d’accueil. Ainsi, paradoxalement, les protagonistes se doivent de connaître leur nouvel univers afin de mieux apprécier leur terre natale. Ils errent alors, dans les rues de Paris, Marseille, Sarcelles et apprennent par là même à mieux cerner le lieu d’origine.

435 Dénomination de la France dans Aux Villages de l’Océan d’Ahmed Ibrahim 359

Dans La république des imberbes, les rues de Paris et la vie qu’y mène Guigoz ne le retiendront pas en France. Dans l’hexagone, le personnage y découvre de nouveaux modes de pensées, il ouvre son esprit afin de le rendre perméable à toutes les richesses que détient ce pays et ce, dans le but de retourner dans les îles. Cette démarche véhiculée au travers de Guigoz, se retrouve aussi chez Momo qui, dans Le crépuscule des Baobabs, se laisse glisser dans les rues de cette banlieue parisienne, Sarcelles, en nous offrant un portait nouveau et attachant de ses quartiers, ses ruelles, ses avenues, son marché sans pourtant parvenir à effacer celles de Moroni. Sarcelles devient alors sa terre d’accueil. Mais malgré l’aisance apparente du jeune homme à se mouvoir dans ce nouvel univers, il ne cesse de se remémorer son île, sa ville natale, son enfance. Les premières lignes du roman s’inscrivent dans cet éternel balancement, ce va et vient entre les souvenirs et la vie qui attend le jeune homme, créant ainsi des réminiscences exacerbées par un fort sentiment d’exil. « Le flot semblait régulier. La rumeur océanique faisait penduler son esprit d’une vague d’étonnement à un ressac de nostalgie. Comme ces pirogues îliennes qui, glissant vers l’écume des vagues ondulantes, oscillent bord sur bord au mouvement de leurs balanciers, tanguaient tout en s’entrechoquant, les images du pays et la découverte de Paris, dans la mer intérieure de Moindzé. »436 Le roman se poursuit ainsi, avec les retours au pays laissé derrière soi et l’avancée vers ce nouveau paysage. Un exemple parmi tant d’autres, Moindzé reçoit, quelques mois après son arrivée en France, une lettre de sa Koko (grand-mère). Au moment où il commence à la lire, son esprit fuit inexorablement vers les îles. « Dans l’amphi, il n’écouta même pas le prof. Sortant la lettre, il la relut entièrement ; puis il la referma tandis que s’ouvrait en lui le monde des souvenirs qui défilaient. »437 Et sans cesse, l’esprit de Moindzé se verra partagé entre l’ici et l’ailleurs : « Avec une grande nostalgie, les réminiscences s’imposaient à lui. Ce n’est pas lui qui les convoquaient, elles le maîtrisaient, l’entrainaient carrément à travers les joies innocentes, et les humeurs triomphantes vers le village natal.»438 Moindzé demeure un enfant du pays, et son penchant pour son île et tout ce qui l’entoure s’accentue en même temps que s’éloigne son île. La nostalgie est si intense qu’il finit par s’exclamer, comme dans un dernier souffle : « Qu’il était magnifique ce temps là !»439

436 Saïd Ahmed Sast, Le crépuscule des baobabs, p. 23 437 Idem, p.25 438 Ibid, p.26 439 Ibid p.27 360

Par conséquent, des romans comme Le crépuscule des baobabs de SAST, et Metro Bougainville de Salim Hatubou témoignent de ce phénomène de balancier inspiré par l’expatriation. L’éloignement, choisi ou subi, induit un fort sentiment de nostalgie à l’égard du lieu d’origine. Momo fait de Sarcelles sa terre d’accueil sans pouvoir se détacher de son île. Forcé de la quitter afin de poursuivre ses études supérieures, le personnage développe une profonde nostalgie de son pays. A travers lui, nous lisons cette réalité telle qu’elle est vécue et ressentie par l’auteur qui semble se dissimuler derrière son héros pour témoigner de son attachement aux îles car, avant que le personnage n’ait à vivre cette rupture causée par le départ obligé, l’écrivain lui-même la subissait. De cette rupture va prendre forme un nouveau rapport à l’île, plus intimiste, plus filial. Décrire le lieu, en amener une perception par touches de souvenirs, le redéfinir à travers une nouvelle perception du manque qu’il provoque et du contraste crée par la terre d’accueil. L’île apparaît alors comme la source d’inspiration, ce qu’explique Jean- Louis Joubert par : « La réaction des exilés, qui refusent l’enfermement insulaire, suscite comme un grand appel d’air. Ils montrent que quand on quitte les îles c’est pour le plus souvent y revenir…Au moins par l’écriture. Littérature de la nostalgie, ou, plus profondément, de la redécouverte de l’île du dedans […]. Le détour par l’exil avive les sensations, affine les perceptions, approfondi les rêves.»440 L’exil est le thème majeur du roman Métro Bougainville. L’auteur le souligne dès les premières lignes avec la question : « Qu’est ce que l’exil sinon l’ombre de la terre-mère qui s’éloigne ? Qu’est ce que l’exil sinon l’hymne des ancêtres qui jamais ne s’éteint ? Qu’est ce que l’exil sinon toutes ces questions qui nous étouffent ? »441 L’éloignement provoque la souffrance, c’est alors que les questions s’enchaînent, répétitives et anaphoriques pour parler de cette douleur traduisant le ressac incessant des souvenirs à la source du sentiment d’exil. L’auteur peint un tableau où se heurtent des esquisses, ces brefs dessins courts et discrets, inachevés mais tout aussi parlants que de longs passages descriptifs. Le lecteur a face à lui des esquisses de sentiments, d’une atmosphère, d’une réalité. Il s’agit d’une peinture sociale par petites touches de mots, (syntaxe brève, rythmes hachés, rapides mais à la fois langoureux par les images, de nombreuses juxtapositions).

440 Jean-Louis Joubert, Les littératures de l’Océan Indien, p.172 441 Salim Hatubou, Métro Bougainville, p.7 361

« Viens fils de mon fils, viens poser tes paumes nues sur mes yeux blessés. Tiens, fils de mon fils, tiens ma main tremblante et marchons. » 442 Cette phrase signe la paix retrouvée par l’exilé. Une passation s’est produite, passation des souvenirs et de l’histoire identitaire et passation du droit de poursuivre dans l’ailleurs. En donnant la main à l’ancêtre qu’incarne le père du père, le grand père, l’exilé retourne sur les traces de son passé pour avancer vers son devenir. « Ton regard et ton sourire, fils de mon fils, ont enfin, fait de moi un homme de cette terre ». Le roman apparaît alors comme un témoignage, une sorte de synopsis du sentiment de l’expatrié. Par petites touches qui renforcent l’atmosphère poétique de l’œuvre, l’auteur nous délivre le passage initiatique auquel doit faire face l’exilé, car en partant, il laisse une partie de lui de l’autre côté de la mer et en arrivant, il se trouve confronté à cette question épineuse du comment faire sienne une terre étrangère et qui vous rejette, la France en l’occurrence. Le narrateur le dit : « Je marchais, vêtu de ma djellaba noire et jaune (…) Hé, va marcher dans ta brousse négro ! » A la fois sorte de poème en vers, documentaire photo, il est dédié à la mémoire de tout un peuple face à la question brûlante de l’intégration et du déracinement. L’exilé ressent qu’il n’est pas le bienvenu, ce qui accroît son malaise et sa nostalgie du lieu quitté.

c) Terre, mère de la mémoire Le sentiment entraîné par l’éloignement de l’île et l’île elle-même apparaît alors comme la source d’inspiration ou l’objet-prétexte à partir duquel le verbe va naître. Elle est celle par qui le roman ou la poésie va prendre forme. Forcé de la quitter afin de poursuivre ses études supérieures, le personnage développe une profonde nostalgie à l’égard de son pays. A partir de ce même personnage, transparaît une réalité telle qu’elle est vécue et ressentie par l’auteur qui semble se dissimuler derrière son héros pour témoigner de son attachement aux îles car, avant que le personnage n’aie à vivre cette rupture causée par le départ obligé, l’écrivain lui-même la subit. En cela, la thématique de la mémoire devient source première d’inspiration. Cette importance de la mémoire se retrouve aussi dans la thématique de l’histoire comme trame narrative bien qu’il faille dissocier les deux car même si le roman historique prend appui sur le vécu mémoriel, il ne développe pas les mêmes aspects, la même sensibilité. Ainsi, l’œuvre écrite à partir de l’histoire décrit l’univers de la mémoire commune, elle part de ce que la société a vécu pour en arriver à la sensibilité propre du narrateur, et par

442 Idem, p.33 362

extension, de l’auteur. Ici, dans l’écriture de l’exil, nous analysons le travail ou l’impact de la mémoire comme reflet de la parole unique, individuelle.

Écriture de la mémoire Ici, la mémoire est symbole d’identité. Elle permet la retranscription du vécu et par là même de la sensibilité de l’homme face au monde, face à son monde. Cette démarche qui consiste à élever son jugement propre vers la société aussi communautaire soit elle, décrit le penchant de l’homme à regarder sa vie , ce qu’elle a été, ce qu’elle est, ce qu’elle deviendra. C’est par cette introspection sur eux-mêmes que nos romanciers nous permettent d’accéder à une dimension individuelle et fictionnelle du roman comorien dans une optique moins historique. Le roman de Salim Hatubou, Métro Bougainville propose un retour aux sources originelles par le biais du lien entre la mémoire des anciens et le contact avec la terre d’accueil des plus jeunes. A dire vrai, toute la littérature d’Hatubou s’inscrit dans cette optique d’une quête vers son devenir en procédant à une introspection de soi et de son histoire. Il y alors dans ses romans comme dans biens d’autres d’auteurs comoriens, cet affection ou même cet amour quasi acharné, une passion violente pour la terre d’origine. L’exil renforce cet attachement. L’un des romans qui illustre le mieux ce penchant pour la terre mère est de loin Métro Bougainville, cité plus tôt. Sur une tonalité lyrique où se lit une forte nostalgie, il soulève les thèmes de l’acculturation, du racisme, des souvenirs. En somme, Métro Bougainville parle de l’exil et traite du choc des cultures : la nostalgie de la terre mère et la difficulté d’être accepté dans la terre d’accueil. Mais il témoigne surtout de la difficulté de se souvenir, de se rappeler les racines, là d’où vient « le père du père » Les différents mondes qui s’opposent dans la tête de tout immigré décrivent un choc violent en leur intérieur. Il faut réussir à s’intégrer sans oublier ses racines. Il développe ainsi toute une thématique autour de la mémoire.

La fréquence des souvenirs La mémoire, c’est en grande partie les souvenirs. Pourtant, les souvenirs forgent une inquiétude latente chez les romanciers. Ces sensations, ces bribes d’instants intimement gravés en nous et dont on ne peut parfois s’extraire. Le romancier comorien est toujours celui qui a voyagé, visité d’autres pays d’autres régions. Mais il est surtout ce jeune étudiant que nous avons vu plus haut, qui fier de sa réussite part parfaire son éducation au pays de Molière.

363

Il y a donc là, ce premier choc brutal dont seul Saïd Ahmed SAST parle. Comme le souligne Jean Louis Joubert : « L’île née de l’exil : une île déserte entre dans l’histoire quand quelques uns abandonnent leur pays d’origine pour s’installer sur une terre nouvelle, étroite et lointaine. L’isolement insulaire avive alors le souvenir des pays d’avant […], mais quand, symétriquement, certains cèdent à l’appel de la mer et quittent l’île pour d’autres séjours, le sentiment d’exil s’inverse. C’est l’île alors qui devient le pays perdu. Et le nouvel exilé, dans son errance, rêve de retour à l’insularité éternelle.»443 Il y a donc nécessité d’un éloignement pour mieux cerner son paysage familier qui lui n’existe plus que dans les souvenirs. Les romanciers font face à ce phénomène qui se traduit au préalable par une sorte d’acculturation. Tous se sont imprégnés de la terre d’accueil que cela soit dans les concepts de liberté, d’égalité et de fraternité. En somme aux notions définissant la démocratie, ou alors au mode de vie. Cette réappropriation des données communes à la France, Mohamed Toihiri la décrit au travers de son personnage, Idi Wamazamba. Celui-ci garde au fond de lui un réel attachement au pays d’adoption, même s’il n’a jamais été en conflit avec lui.

VIII.2.3 Littérature et exil

a) Une littérature de l’exil ? Je conte l’obsédante épopée D’une cité vouée à l’errance Au rythme des saisons Dévoreuses Mohamed Anssoufouddine chante ainsi sa complainte. Sa poésie est celle aussi du départ errant. Un départ pour l’exil. Mais de quel exil s’agit-il en littérature comorienne francophone ? Peut-on objectivement parler d’exil ? Un thème plus que récurrent, quasi obsessionnel chez un grand nombre d’auteurs, définit une trajectoire décriée et pourtant espérée par la grande majorité des habitants des Lunes. Personne ne souhaite demeurer aux Comores, tout le monde espère quitter ce pays. Cela nous ramène au même questionnement : de quel exil s’agit-il ? Car si l’on regarde de près les auteurs tels que Salman Rushdie ou Taslima Nasreen, Gao Xiang, Soljenitsyne, Nabokov et encore tant d’autres, il peut sembler inapproprié de considérer un

443 Jean-Louis Joubert, Les littératures de l’Océan Indien, p.284 364

pan de la littérature comorienne francophone comme une littérature de l’exil. Comment associer un acte lié à l’impossibilité d’être, de demeurer chez soi, sur sa terre natale, avec interdiction d’y retourner au choix de quitter son pays pour y revenir quand bon nous semble? A savoir, est-il question d’un même exil ? Car l’exil c’est la contrainte de quitter son territoire, laissant derrière soi une partie de sa vie, c’est la contrainte de vivre à l’extérieur en attendant que… Souvent et même généralement, nous reconnaissons la littérature de l’exil comme étant celle de la contrainte du départ, contrainte sous la pression politique, idéologique ou religieuse. Dans ce contexte, la fuite devient la seule alternative de survie car il s’agit là d’un acte ultime qui met l’homme en situation de bannissement, d’expatriation. Un déchirement dont l’écriture peut s’avérer la psychothérapie. En ce sens, la littérature comorienne ne pourrait, dans l’absolu, s’apparenter à une littérature de l’exil. Car il est vrai, aucun des auteurs que compte cette jeune littérature n’a dû fuir au péril de sa vie, n’a été forcé de quitter sa terre, n’a été sommé pour une raison ou une autre de partir. Pourtant, force est de constater à quel point cette thématique trouve écho chez les romanciers, comme chez les poètes comoriens de langue française. Les réminiscences, la nostalgie, la mélancolie, la solitude sont des sentiments, des états d’être récurrents dans cette littérature, presqu’une redondance qui installe l’écrivain dans un éternel va et vient entre la terre d’accueil, généralement la France, et les Comores, qui se voient alors entourés de toutes les pensées. La mémoire s’exacerbe dans cet ailleurs à habiter et à faire sien et la terre d’origine recouvre alors toutes les affres de la nostalgie, de l’innocence perdue tel qu’on le voit avec le personnage de Mwandze. Dans la trame romanesque, l’exil n’en est pas tout à fait un, il s’agit bien d’une écriture de la mémoire où le lecteur est amené à suivre la découverte d’un personnage lorsque celui-ci quitte les Comores pour la France, comme c’est le cas de Mwandze ou inversement, dans le cas de Guigoz. En poésie, l’exil est plus vivace car il est synonyme de déracinement. En effet, les écrivains comoriens peuvent se mouvoir au gré de leur volonté, et c’est peut-être ce qui démultiplie le sentiment de rupture. Son départ loin d’être provoqué par une situation politique dangereuse à sa survie, est au contraire amorcé par la nécessaire fuite pour sa survie morale, sa survie future. Longtemps, il n’a existé aucune structure permettant à l’individu de parfaire sa quête de savoir, pas d’universités, de rares écoles supérieures, pas de perspectives réelles d’avenir sans départ, sans détour par l’étranger. En ce sens, ces auteurs aussi subissent un départ forcé bien que souhaité et choisi. Tout fonctionne comme si ce détour par

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l’étranger, un détour qui peut parfois durer de très longues années et même ne jamais aboutir à un retour quelconque, était la condition sine qua none à la perspective de s’accomplir.

b) Poésie du départ

Dans l’œuvre de Saindoune Ben Ali444, la thématique du mouvement constant procède de l’impression de bouleversement du texte. Le déplacement s’écrit dans son sens premier, le fait de se mouvoir, c'est-à-dire bouger dans un espace donné. Ici, cette action de bouger se dessine sous l’aspect brouillon car la direction est indéfinie. Cependant, le mouvement tend vers une trajectoire qui vise l’éloignement bien que l’issue soit inconnue. Le départ s’inscrit dans la course de la vie des habitants des Lunes. Les occurrences du morphème « part » sont nombreuses dans la première partie du recueil, Kaharo/Le pas. Nous le retrouvons décliné sous différentes variantes : « une silhouette s’y promène en partance », « partiront » et « départ », « partirent », « partir ». Ce départ annoncé comme imminent est celui du non retour. Le poète le souligne à la page 59, « les enfants qui ne reviendront pas ». L’éloignement, étant préalablement amorcé par le départ, fait de la poésie de Saindoune, une poésie de l’exil.

Un exil qui pèse comme une menace dès les premiers vers des Testaments de Transhumance : « Esprit des Lunes tu verras les enfants partiront » et se trace de façon aussi inévitable que la vie précède la mort. Inéluctablement, l’exode s’enclenche et « le village s’amenuise. »75. Et de ces îles, il ne restera plus rien, plus personne. Irrévocablement, la terre est amenée à se vider de ses habitants, pressés de « fuir », verbe que l’on retrouve aux pages 22, 24, 25. Ce départ tant annoncé, dès les premières pages du recueil, est agité tel l’épée de Damoclès sur « les Lunes » et provoque l’exode. Le poète dresse un tableau désolé et désolant de ses îles dont il prédit la déchéance à venir. Le mouvement vers l’ailleurs se fonde d’emblée comme l’unique alternative se présentant à ce peuple devenu nomade.

444 Tous les mots cités sont extraits du recueil de l’auteur, Les Testaments de transhumance, comme suit « départ », « une silhouette s’y promène en partance » p.12, p.13 et p.59, « partirent » p.15, « partir »p.p. 22-26 366

D’autres sèmes445 rendent compte de cette marche sans progression : « J’ai parcouru toute une ville », « parcourir », « j’avance », « Le passage », « désir voyageur . Les vers se suivent en peignant un départ sans qu’aucune allusion à un retour possible ne soit soulevée. Il ne débouchera de ces fuites, que l’exil. Et la première partie du recueil se termine sur cette question « quel départ entreprendre ? », qui semble répondre en écho au premier poème « Esprit des Lunes/ tu verras/ les enfants partiront ». Le passage se referme sur lui, après avoir annoncé l’exode, il s’interroge sur la destination à suivre, créant l’effet du « serpent se mordant la queue », et instaurant ainsi la thématique de l’errance. Le poète lance son verbe pour prévenir, mais n’est-ce pas trop tard car au fond, lui- même ne sait pas « quel départ entreprendre » puisque « L’exil est nulle part ».

c) Chants de l’errance « Le jour se plie à notre errance. » Comme nous le signalions plus haut, l’exil s’affirme comme une nécessité, l’unique alternative offerte aux « habitants des lunes » et dont les poètes se font les prédicateurs. Mohamed Anssoufouddine écrira à ce sujet : « Je conte l’obsédante épopée D’une cité vouée à l’errance Au rythme des saisons Dévoreuses De tant de progénitures »446 Mais ce départ précipité, cet exil forcé, peu importe le but non supposé ou inconscient qu’il se fixe, entendu qu’ici, le départ ne s’en fixe aucun, aboutit à une impasse. Nul chemin défini au préalable permettant de parvenir à un ailleurs moins tourmenté car nulle destination visée ou à atteindre n’est esquissée avant l’envol. Au contraire, le chemin n’est ni tracé ni visible : il est déambulation, avancées vers l’imprécis et en ce sens, porteur d’aucun message positif. Il est le corollaire de la fuite en avant vers l’incertain. On ne pourrait, même en insistant, attribuer à cet inévitable déracinement, la fonction de nomadisme circulaire au sens entendu par Glissant, qui l’identifie comme « une forme non intolérante de la sédentarité

445 Idem, « J’ai parcouru toute une ville » p.24, « parcourir » p.27, « j’avance » p.30, « Le passage » p.40, « désir voyageur » p.46, « quel départ entreprendre ? » p.78, « serpent se mordant la queue »p.195, « L’exil est nulle part » p.81, « Le jour se plie à notre errance »p.23

446 Mohamed Anssoufouddine, Paille-en-queue-et-vol, Moroni, Komédit, 2006, p.65 367

impossible. 447» Bien que ce peuple des Lunes, devenu « cages en bambous ambulantes », subisse par la force des choses « cette sédentarité impossible » à présent, due à la terre, sa terre devenue hostile et inhospitalière, on ne peut lire le mouvement du départ dans cette circularité nécessaire comme une action convenue et peut être saine. Le nomadisme est de fait, circulaire mais il n’entraîne pas les vertus équilibrantes de choix, même par défaut. Et pour cause, le départ imposé qui transforme les habitants des Lunes en peuple nomade, n’est pas un choix, même par défaut. Il est dans ce contexte, contre nature car subi. « Tes enfants partiront448 » prédit de fait Saindoune Ben Ali, mais pour quelle destination ? Nous l’avons vu et rappelé, celle du nulle part. En ce sens, le départ étant effectif, il se transforme en avancée vague pour une destination inconnue. Le poète plonge son écriture dans les méandres de l’insondable cheminement vers le nulle part, chantant de façon morbide la litanie du voyage sans fin car sans début, l’errance en mouvement inéluctable : « Je ne parlerai que des caravanes éphémères que la mer déroute »449 Le lexique de ce voyage sans fin, comme ici « les caravanes » qui renvoient au nomadisme, enveloppe l’écriture poétique. Il développe l’errance à travers les mots vagabonds, sans itinéraire, ambulantes, silence des pas, à travers etc. et recrée un univers informe et informel « Lunes, minuscules labyrinthes »p.56 dans lequel évoluent des êtres à la limite de l’homme, végétal humain et animal rampant. Ces êtres forment un peuple qu’il nomme p.48 « cages en bambou ambulantes »450. De l’exil annoncé, le peuple se retrouve entraîné malgré lui dans une progression machinale de la fuite en avant, causant sa perte et celle de son pays. Le poème tourne en rond, décrit le mouvement cyclique de la vie sans que rien ne soit venu égayer celle des habitants des Lunes. Le départ est inévitable, mais puisqu’il est sans but, il devient vite déplacement vers le nulle part, donc l’errance dont l’exil, synonyme de mort, fixe la limite. Avec force colère et lamentation, comme on peut le lire à la fin du vers « maudits errants Ô… », le poète se désole face à ce désastre. Ne sachant à qui reprocher cette mort : aux Esprits des Lunes qui ne peuvent revivifier la terre, à la terre qui ne nourrit plus et pousse ses enfants à la fuir, aux habitants qui ne voient que le départ comme solution de survie ?

447 Glissant Edouard, Poétique de la relation, Gallimard, collection Blanche, 2005 448 Saindoune Ben Ali, Testaments de Transhumance, Komédit, 2002 449 Idem, p.17 450 Idem, « Lunes, minuscules labyrinthes »p.56, « cages en bambou ambulantes » p.48 368

VIII.2.4 De la frustration à la haine du lieu, les Comores, une littérature du désamour

a) Les Comores, entre motif littéraire et personnage éponyme au visage antihéroïque Nous le rappelions, les auteurs puisent dans les tréfonds des ruelles moroniennes, dans les fin fonds des villages reculés, au gré de la nuit militante, au devant des disparités flagrantes, et décrivent les Comores. Nous commencions cette dernière sous partie en essayant de relever les principales récurrences de cette littérature. Nous souhaitions dégager les principaux thèmes et motifs littéraires se recoupant en elle, dans le roman comme la nouvelle ou le théâtre et même la poésie. Nous avons relevé certaines modalités d’écriture et analyser les aspirations mais aussi les projets d’écriture des auteurs. Et dans tout cela, une permanence réside dans le thème majeur de cette littérature, Les Comores. En effet, ici, en contexte comorien francophone, le sujet de chaque texte n’est autre que le pays d’origine. Les Comores, objet littéraire. Les Comores, tableau de fond dans de très rares textes : Un parfum de Mangrove451, L’odeur du béton452. L’ambivalence de la relation au lieu se scinde, comme nous l’avons observé, en deux postures contraires et quasiment antagonistes. Les deux se manifestant à même les écrits, prenant possession des personnages, des narrateurs et par prolongement, des auteurs. Ou inversement. Qu’il faille partir du producteur d’écrits premiers, l’auteur, à celui apparaissant comme le corolaire réflexif, le narrateur, ou pour finir à l’objet mouvant du miroir fictionnel, le personnage, le constat reste le même : la relation au lieu, parce qu’elle est extrême, tant dans le positif que dans le négatif, devient le point focal d’où vont naître, se dérouler, et exister, les trames aussi bien poétiques que narratives. Cette relation se manifeste d’abord dans la manière de titrer les œuvres. Dans un premier temps, la titrologie renvoie de façon explicite aux Comores. Le lieu de l’intrigue ou source d’inspiration est ainsi toujours cité. Une saison aux Comores, Pauvres Comores, Nouvelles écritures comoriennes, Sur le chemin de Milepvani, Un coin de voile sur les Comores, Ngani, la cité des Djinns, Comores, l’enclos ou l’existence à la dérive, Le sang

451 Toihiri Mohamed, Un parfum de mangrove, Editions du Baobab, 2002 452 Salim Hatubou, L’odeur du béton, L’Harmattan, 1998 369

des volcans, des Kalachs et des Comores453, et quelques autres encore affichent l’identité d’origine du texte proposé. Dans d’autres cas, la référence se manifeste de façon plus allusive mais reste toutefois très explicite, Le Kafir du Karthala (autrement dit l’homme des Comores), La république des imberbes (la révolution des mapvinduzi aux Comores), Aux parfums des îles (Les îles aux parfums, nom donné à l’archipel par certains poètes), Le bal des mercenaires, Aux villages de l’Océan. Même un titre aux abords plutôt obscurs comme Aux villages de l’Océan, prolonge cette réflexivité. Toutefois, nous préciserons que ces allusions restent parfaitement identifiables pour toute personne connaissant l’histoire et la société comorienne. Enfin, si explicitement, les oeuvres454 se démarquent du lieu, elles en reviennent implicitement par métaphores référentielles. Ainsi, des titres comme Le notable répudié, Les frasques d’un notable, Renard a volé mon destin, Renard a volé monsieur le président, Honneur ou Bonheur englobent eux aussi l’idée du lieu, en précisant un des aspects soit de la société (système de la notabilité aux Comores) soit de l’Histoire politique (implication du mercenaire Bob Denard dans l’instabilité politique des îles).

b) Le rejet de la mère patrie tant chérie

Cette obsession d’un départ précipité, une fuite en avant, crée des ambiguïtés dans le ressenti des poètes, des narrateurs, et des personnages. Ces ambigüités face à la terre d’origine donnent naissance à une forme de rejet, clair et exprimé, du lieu. Comme provenant d’une frustration, fatigué de trop aimer une femme ingrate, les personnages se détournent de l’île, la laissant à ses propres maux tandis que les auteurs, par les instances narratives, tentent de justifier leur désintérêt. Ainsi, malgré cette forte attraction pour la terre d’origine, il n’est pas rare de lire le rejet de la mère patrie tant chérie. Les sentiments contraires se succèdent, et les poèmes de célébration des îles précèdent et cèdent place à une littérature du désamour. Le lieu, les Comores, présent soit explicitement dans les titres, soit de façon plus voilée, concentre tous les ressentis des différents protagonistes de l’écriture, les auteurs, les narrateurs, les personnages, les poètes.

453 Respectivement : Djailani Nassuf, Barwane Ibrahim, Collectif, Hatubou Salim, Soilhaboud Hamza, d’Abdulhalim Mohamed Elamine Saïd, Mahamoud Chamoussidine, Saïd Ahmed Sast. 454 Pour les référence des titres cités, voir l’annexe n°3, Liste des ouvrages édités. 370

La Nationalité455, retrace le périple aboutissant à l’ennui et l’absence de vie auxquels se soumettent les prétendants à l’exil. Le personnage principal vend champs et emprunte argent, entraînant la ruine de sa famille, afin d’acheter de faux papiers lui offrant un départ pour la France. Réduit à l’état de clandestin à son arrivée, il sera renvoyé une première fois, puis une seconde fois, sans que sa volonté de rejoindre Marseille ne s’amenuise. Obstiné et convaincu que son salut se trouve en France, il cumule emprunts et dettes pour parvenir à son but mais une fois sur place, il ne peut rien faire si ce n’est s’enfermer dans un appartement chez des amis, ne pouvant en sortir tant l’idée d’être repris et expulsé le hante. Il séjournera de longs mois sur le canapé de ses hébergeurs, en attente d’une quelconque ouverture, espérant des jours meilleurs, et libres. Or sa liberté ne prend fin que dans une dernière fuite. Cette pièce de Mohamed Toihir pointe du doigt de vrais problèmes de société auxquels sont confrontés les comoriens, celui du désir de départ. Ceux de Ngazidja tentent de fuir en direction de la France, vendant tout ce qu’ils possèdent en vue d’acheter un visa, ceux d’Anjouan entreprennent continuellement la traversée entre l’île et Mayotte pour espérer s’y installer et y vivre des jours meilleurs. Le rêve d’obtention d’un visa de départ obnubile bon nombre de comoriens, certains qu’une vie meilleure les attend au delà des frontières insulaires. Mohamed Toihiri en dresse le constat, par le biais du rire, il met en scène cette réalité tant décriée qui a donnée lieu à une chanson de Salim Ali Amir, « E narengue visa ». Mais le problème persiste et Nadjloudine Abdel Fatah tente d’en apporter quelques éclairages dans sa pièce L’Afrique dans la main du diable456. Cette pièce de théâtre inspirée des codes traditionnels et antiques occidentaux se présente comme un théâtre d’idée. Dans la forme, un chœur, des scènes, un temps réduit. La scène se déroule essentiellement dans une prison où le commandant Zouma et le caporal Sasso tentent tant bien que mal de justifier la détention des prisonniers. Ceux-ci ne se considérant pas comme tels car ils jugent immorale leur détention. « Nous nous sentirions en prison s’il y avait un motif valable »457, revendique Soukeyna, l’un des personnages central de la pièce. Le dialogue houleux entre cette jeune femme instruite, volontaire et sûre d’elle et les représentants de l’ordre exaspère ces derniers qui souhaitent la faire taire. Mais Soukeyna refuse, scandant sa harangue. Elle reprend plus loin : « Je ne suis pas prisonnière. Tu peux me

455 Mohamed Toihir, La Nationalité, Editions A3, 2001 456 Nadjloudine Abdel Fatah, L'Afrique dans la main du diable, Levallois-Perret, Editions de la Lune, 2007 457 Nadjloudine Abdel Fatah, L’Afrique dans la main du diable, p.39 371

qualifier de ce que bon te semble, mais pas de prisonnière, car je n’ai enfreint aucune loi. »458 La réflexion repose entièrement sur cette divergence d’opinion et met en relief le problème de l’exode. Les détenus, emprisonnés pour avoir tenté de quitter clandestinement le continent, invoquent l’inhumanité du système pour justifier leur fuite. S’ils sont amenés à partir, c’est par obligation, par absence de choix car, selon eux, le système mis en place par les dirigeants qu’ils nomment les « ventripotents » n’a pour seule finalité que le creuset des inégalités entre le petit peuple et la classe dirigeante. Ils reprochent aux représentants de l’ordre, Zouma et Sasso d’être les relais de ces injustices « Vous êtes tenus responsables de tout ce qui se passe dans ce pays. » renchérit Soukeyna, sans se démonter face aux menaces des militaires. « Tu ne veux pas comprendre que si l’on veut quitter notre Afrique, c’est parce qu’elle a été salie, salie par vous qui avez les pouvoirs de faire d’elle ce que les Européens ont fait de leur Europe. » Par des réalités de misère, de famine, les arguments développés par les détenus traduisent surtout une misère de l’âme, une famine du cœur ressentis par eux et induits par la paupérisation, l’absence d’espoir du lieu dans lequel ils évoluent. Selon eux, l’Afrique ne recoupe rien de bon, elle est une terre maudite enfantant un peuple à la même destinée « On dirait un peuple maudit, un peuple dans la main du diable. »459 Vidée par ses dirigeants de toutes ses ressources matérielles, elle entraîne la désertion des valeurs morales, elle ne conserve plus rien de bon pour son peuple. Cette absence de valeurs morales aboutit au « désordre et à l’irrespect » et creuse le gouffre d’une Afrique malade et miséreuse « On ne peut rien y ajouter. La misère est partout. Partout on vit avec la misère. Les européens ont au moins la chance d’avoir à leur tête, des gens honnêtes, doués du sens de civisme. »460 Soutient la jeune femme, en colère. En choisissant l’Afrique comme lieu de l’intrigue, Nadjloudine Abdel Fatah décloisonne ce sujet. Il n’est pas seulement un problème inhérent aux Comores, mais bien une réalité traversée par toutes les populations africaines.

Considérant l’aspect vain d’une vie en terre d’origine, le départ, même clandestin, s’impose. Cette solution comme unique alternative de survie, le personnage de Soukeyna en souligne les limites. Sa décision prise, elle tentera l’expérience, contre l’avis de son mari. Une fois relâchée, quitte à perdre la vie, elle rejoint les candidats au départ pour une traversée dangereuse.

458 Idem p.43 459 ibidem, p.54 460 Ididem, p.32 372

Les Comores, lieu aride et sans espoir, ne permettent qu’une réaction venant du peuple représenté par des personnages qui, frustrés d’avoir essayé en vain d’y construire leur avenir finissent par s’en détourner et les rejeter.

Dans de nombreux textes poétiques, et nous citerons encore une fois celui de Saindoune Ben Ali, ce rejet de la mère patrie passe par une forme de désaveu. Les Testaments de Transhumance461, présentent la plupart des occurrences du mot « terre » au au pluriel. La terre n’est donc pas seulement le monde terrestre, mais plutôt les domaines, possédés puis laissés à l’abandon. Elle est vue comme une femme initialement capable de donner vie mais devenue stérile « Anxiété terre telle/ une mère portant sa stérilité à califourchon »p. 48 ; mais aussi femme seule, veuve « terres oblitérées saintes veuves »p.52. La terre est foulée par les hommes qui la détruisent puis l’abandonnent. « terres nues »p.26. Elle a été mise à mal, bafouée comme une femme « terres balafrées », qui garde alors les cicatrices sur son visage meurtri. La terre ne peut plus rien donner de bon. Même si l’expression « terres enceintes »p.21 laisse entendre la possibilité de naissance, le double sens qui l’enveloppe va dans le sens de « terres rompues ». En effet, bien qu’on puisse penser qu’elle renvoie à la grossesse cette idée est contredite par les quelques poèmes cités. Le mot « enceintes » s’accorderait mieux avec forteresses, murs. Cette interprétation trouve appui dans plusieurs poèmes notamment le poème, page 47 : Ici s’immobilisent et se mobilisent les résurrections les saisons les morts les révolutions

On voit, on ne pense pas on tait, on n’assourdit rien les transparences bruyantes… Ici voir équivaut à penser Le poème est introduit par l’adverbe de lieu, « Ici », mis en relief par la majuscule et créant un espace de proximité entre le poète et le lecteur par sa fonction de déictique. De plus, répéter en anaphore en début et fin de poème, il encercle le pronom impersonnel « On » mis lui aussi en évidence par la majuscule et sa place en début de strophe puis par les répétitions de groupe morphosyntaxiques en phrases minimales, sujet + verbe. Ces phrases se répondent en écho les unes aux autres par leur construction identique, pronom on + verbe en assertion

461 Saindoune Ben Ali Testaments de Transhumance, Moroni, Komedit, 2004. Les citations sont extraites des différents poèmes comme suit : « Anxiété terre telle/ une mère portant sa stérilité à califourchon »p. 48, « terres oblitérées saintes veuves »p.52, « terres nues »p.26, « terres enceintes »p.21

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suivi de la même construction en négation, répétée sur deux vers heptasyllabiques successifs au rythme binaire semblable, dissyllabe + pause appuyée par la virgule: « On voit » pause, puis « on ne pense pas », « on tait » pause puis « on n’assourdit rien ». Ce parallélisme marque l’insistance sur le « on », auquel le poète attribue des sens concrets, la vue et l’ouïe mais lui retire l’aspect sensoriel immatérialisé, de l’ordre de l’abstrait, la réflexion « on ne pense pas ». «On » n’a pas de référent mais englobe l’individu pluriel. En contrepartie, «Ici » renvoie aux Lunes puisque pays de référence, il renvoie donc au lieu, terre d’origine. Comme nous le soulignions plus haut, « Ici » encercle le « On » par conséquent, « On » remplace le peuple d’« Ici ». Ainsi, le peuple de ce pays-ci, où rien ne bouge mais tout se meurt qu’il s’agisse des grandes aspirations « les révolutions » ; les faits naturels « les saisons » comme les surnaturels « les résurrections », ce peuple est totalement léthargique. Même les plus grandes contradictions rendues par ce qui pourrait être un oxymore « les transparences bruyantes » ne le réveillent pas. Ce peuple est à la fois aveugle bien qu’il voie et sourd, bien qu’il entende. Tout ce qui est dans le « Ici » est inerte et sans mouvement. Un poème parmi tant d’autres, faisant part du constat d’une terre-mère sans vie, abêtissant ses habitants par excès léthargique et délaissées en conséquence par ceux qu’elle aurait dû et pas su nourrir. Certains vont mettre la pauvreté des îles en avant et en faire découler leur tristesse face à cette évidence que soulève Patrick Ambdi Keldi dans son texte, Vous, Comoriens « C’est un sol sec, que mon sang même N’a pas pu attendrir Et qui geint sous le soc comme éventré. »462 Cette terre aride devient insensible, comme aigrie par sa propre sécheresse, face à ses enfants, ceux là mêmes qui, aptes à verser leur sang, la célèbrent. Le poète encore une fois, associe la terre à ses habitants, liant la déchéance des uns à l’aridité de l’autre.

Nous l’avons observé, le lieu, les Comores occupent chaque parcelle de l’espace littéraire. Du lieu aimé au motif littéraire que l’on peint sous tous les aspects en passant par le tableau de fond des intrigues théâtrales ou romanesques, pour parvenir à une personnification du lieu sous forme d’hyperbole, l’archipel, devient un personnage éponyme au visage antihéroïque où toute tentative de survie ou d’action se solde par un échec.

462 Patrick Ambdi Keldi, Vous, Comoriens, in Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française, L’Harmattan, Paris, 1995 374

c) Mythe et initiation, le héros face à son destin : agir et non subir Dans l’espace comorien, autant le mythe est la source permettant la compréhension des évènements, des faits et des mystères dans l’oralité, en cela il assume le rôle auquel il est dévolu, autant en littérature écrite, le mythe se heurte à une fatalité bien trop puissante pour que le personnage ne se perde pas. En littérature écrite, les personnages sont des êtres dont l’évolution physique, psychique ou morale prendra forme tout au long du textes qui, truffé d’obstacles induits par le cours des évènements et la trame romanesque, offrira les bases pour une initiation. L’homme devient grand, il devient adulte après avoir franchi différentes étapes réglées comme nécessaires tout au long de sa vie. Par ces étapes, il chemine vers la quête de sa propre identité qu’il n’affirmera qu’après s’en être entièrement affranchi en les dépassant. Aussi limpide que peut sembler l’interprétation générale des rites de passages dans la société, le mythe de la quête est difficile à cerner en littérature écrite. Le personnage romanesque, théâtral ou poétique est lui éternellement voué à échouer dans son initiation. Sa quête est alors et toujours inachevée. Egbuna Modum écrit : « Les rites d’initiation comportent des scénarios qui, sous des formes diverses, sont des mythes de la « Quête ». En littérature, le mythe initiatique se délie de tout rite, mais il doit garder, dans son essentiel, le sens de la quête. Quête de l’absolu ou de la Toison d’or, quête du Graal ou de la perfection, quête du royaume perdu ou de l’immortalité, le héros ne parvient à l’initiation qu’après avoir subi des épreuves sous forme de combats, de pérégrinations, d’exploits de tous genres qui confèrent à son expérience le caractère d’une aventure mystique, d’un voyage spirituel, d’un « soul’s progress »463

Cette notion de « Soul’s progress » deviendrait alors « soul’s degress » en fiction comorienne car il est à relever cette situation si répandue de l’échec dans la littérature. Ce qui devrait amener le personnage à grandir, devenant autre dans la traversée initiée par son statut d’être parallèle en univers de formation, n’aboutit cependant qu’au néant. Miloude464, parti faire fortune pour ensuite espérer prétendre épouser Mkaya est en quête d’un futur à construire, différemment de celui vécu par son père. Il rêve de ville et non de campagne, d’un travail et non de labeurs aux champs. Mais Miloude, comme le docteur Idi wa Mazamba465

463 Modum Egbuna, L’épopée initiatique africaine de l’époque pré-coloniale : l’exemple de Soundjata,in Ethiopiques n°23, Revue socialiste de culture negro-africaine, juillet 1980, article paru sur le site http://éthiopiques.refer.sn, consulté le 12.11.2012 464 Personnage principal du Bal des Mercenaires, Aboubacar Saïd Salim 465 Personnage principal du Kafir du Karthala, Mohaed Toihiri 375

meurt. Miloude comme Momo466, comme Fatma, Karim, et les autres ne parviennent à survivre dans leur quête de création d’un nouvel équilibre social. Et si Djitihadi ne meurt pas dans Les berceuses assassines, c’est qu’il est mort bien avant la quête. En ouvrant le recueil de nouvelles, ce jeune fou invective le lecteur, lui crachant à la figure, toutes les injures qui lui traversent l’esprit. La recherche de l’absolue justice, d’un idéal d’humanité ou la vérité, la loyauté, la dignité feraient l’homme, ont précipité le jeune idéaliste et rêveur dans la folie. Son histoire, le lecteur ne la découvrira que plus tard, l’ayant déjà entendu crier à tous les jeunes arrivistes « Va pa mwen ». Et si la folie ou la mort apparaissent comme l’issue fatidique, la seule issue offerte à des personnages aussi différents que Djitihad, que Momo ou Miloude, il serait bon de se demander pourquoi. Pourquoi des trajectoires si différentes sous la plume des écrivains marionnettistes, deviennent elles si identiques. Pourquoi cette quête mène-t-elle l’initiation à une impasse et aboutit-elle à l’échec ?

d) Le motif de l’échec

« Qu’est-ce qu’ils ont ces deux là qui leur fait si mal ? » demandera le jeune Curley à l’encontre de Georges et Lennie dans des Souris et des Hommes. Cette même question turlupine le lecteur chercheur que nous sommes à la lecture d’œuvres comoriennes. Qu’ont-ils qui leur fait si mal à ces écrivains ? Pourquoi une issue tragique est-elle la finalité de jeunes héros dont les rêves reflètent une soif de justice et de liberté ? Car si la notion de tragique implique l’idée de destin, d’un fatum contre lequel nul ne peut rien, celle de personnage romanesque devrait pouvoir aboutir à la survie des héros, leur triomphe même dans cette quête vers la vérité. Et pourtant, nul échappatoire. Tous les obstacles rencontrés par les personnages, au cours de leur initiation, ne leur permettent nullement de se réaliser mais au contraire, ils meurent, laissant derrière eux un monde inchangé, indifférent à leur passage et donc à leur disparition. En littérature comorienne, le mythe n’offre donc pas la possibilité de transcender l’espace de sa propre histoire. Au contraire, il s’agite en fait immuable et justifie le devenir, ou le non devenir des personnages. L’impasse pour seule issue à leur quête, les héros aussi bien masculins que féminins, criants comme Djitihad le fou crachant sur les passants467, Idi le

466 Personnage principal du Crépuscule des Baobabs, Saïd Ahmed Sast 467 Sast, Les berceuses assassines, Komédit 376

médecin condamné468, Issoufa469 l’enfant des ruelles de Kaltex, Karim martelant les rues de Marseille à la recherche d’un emploi470, ou muets comme Fatma471 la promise, Mkaya l’amante fidèle472, Sitti Mahabouba473 sous le sceau de l’interdit, et tant d’autres, tous voient leurs idéaux se briser avec eux. Jamais ils ne parviennent à s’accomplir en tant qu’individu autrement que dans une fin précipitée. Ce qu’Egbuna Modum nomme le « soul’s progress » n’est jamais pleinement atteint, comme si les personnages étaient voués au fatalisme ambiant, sentiment fortement perceptible dans les îles. En témoigne certaines expressions de la langue comorienne l’une des phrases clés du sentiment religieux et de soumission à la volonté divine comme « ndizo mungu yandza ». En shingazidja, « ndizo mungu yandza », autrement dit, c’est la volonté de Dieu, ou encore « z’an dzihwa », c’est écrit sont martelées en leitmotiv, énoncée en lot de consolation dans toutes les circonstances bouleversantes de la vie d’un homme où celui-ci ne peut rien faire pour y remédier : la mort, un accident… Sous couvert de traduire une soumission à la volonté divine et une acceptation totale des choses de la vie, elles renforcent aussi le sentiment d’une destinée déjà fixée et immuable, un destin tracé contre lequel nulle action humaine ne peut avoir de prise. Elles permettent de mieux accepter mais aussi de se résigner et cette résignation acceptée comme valeur d’être devant le Créateur mène à des situations parfois aberrantes comme dans le cas de viol où là aussi, ces phrases seront dites en guise de témoignage de compassion. Nul besoin de refaire une étude comparée des faits de la langue et ses répercussions sur l’individu. Mais il nous intéresse de constater que ce rapport au destin en tant que trajectoire préétablie provoque un sentiment de fatalité et annule d’emblée toute tentative d’action et encore plus, d’opposition. En cela, la littérature reprend et endosse un sentiment extérieur dont elle se fait l’idéale traduction. L’individu social, comme le personnage littéraire n’accède jamais à l’achèvement de sa quête. Il se résigne à ne pas la poursuivre ou meurt au cours de ses pérégrinations. La quête se solde ainsi irrémédiablement par un échec devenu, au fil des récits, la finalité absolue réservée aux protagonistes, une esthétique de mise aux sources originelles.

468 Mohamed Toihir, Le kafir du Khartala, L’Harmattan 469 Salim Hatubou, Les Démons de l’aube, L’harmattan 470 Salim Hatubou, L’odeur du béton, L’Harmattan 471 Salim Hatubou, Le sang de l’obéissance, L’harmattan 472 Aboubacar Said Salim, Le bal des mercenaires, Komédit 473 Sast, Le crépuscule des baobabs, Komédit 377

VIII.3 Esthétique de la violence et de l’obscène

VIII.3.1 Violence et virulence des mots

a) Les mots entre violence et obscénité En lisant Les berceuses assassines de SAST ou encore Les démons de l’aube de Salim Hatubou, la perception du réel comorien, chez le lecteur novice, tel que nous le fûmes, trouve résonnance, comme par effet de miroir, dans le regard d’Ali474, « Le jeune économiste révolté » qui se découvre « étranger dans le pays qu’il avait quitté quelques années auparavant. » De retour à Ngazidja après de longues années d’études à l’étranger, celui-ci « ne reconnaissait pas grand chose. Tout avait changé de fond en comble, à ses yeux, tellement qu’il crut retrouver un autre pays. Le cyclone sociétal qui ravagea les mœurs traîna nécessairement un écroulement identitaire du pays. 475 » Dubitatif, le personnage reste bouleversé. Il en est de même pour ce lecteur novice qui ne peut s’empêcher de se demander de quoi parlent ces auteurs. De quel univers est-il question et quel pays est décrit à travers leur verbe ? Est-ce bien de l’archipel des Comores dont il est question, une terre d’islam réputée solidaire et chaleureuse? S’agit-il plus précisément de Ngazidja ? Si c’est bien ça, une question nous turlupine alors « Mais où sont passées les dunes de sable blanc au bord des plages à l’eau d’un bleu azuré, clair et limpide ? Où donc s’est caché le soleil lumineux dorant les toitures en taule, les pagottes et autres demeures modestes mais accueillantes ? Que sont devenus les sourires si réputés et la tranquillité, la piété des habitants de ces îles que d’aucuns ont surnommé l’archipel aux mille parfums ? » Rien de tout cela n’existerait-t-il donc plus ? Mais alors, avait-ce été pur et simple mensonge ? Les Comores ne seraient-elles que cette réalité noire décrite par SAST476, Hatubou477, Faoudine Abdallah Mzé478, Ali Massimia479, Abdou Salam Baco480 et tant d’autres ? En effet, l’atmosphère suffocante, engluée dans un décor oppressant où les êtres avancent dans un espace clos sur lui-même et la misère morale du quotidien s’avère être une constante littéraire de la peinture du réel Comorien. Un tableau de fond, dont le pinceau de

474 Ali l’économiste est le personnage principal de la nouvelle La cassette 475 Sast, La cassette, in Les berceuses assassines, Komédit, 2007, p. 51 476 Les berceuses assassines, p.51 477 Salim Hatubou, Les démons de l’aube, L’harmattan, collection Lettres de l’Océan Indien, 2006 478 Fahoudine Abdallah Mzé, La secte de la virginité, Kwanzaa éditions 479 Ali Massimia, L’enfer du silence 480 Abdou Salam Baco, 5 femmes, Encres du Sud 378

l’artiste, surtout lorsque celui-ci est un écrivain, se pare d’une seule couleur, celle de la violence. Une violence des mots qui se voudrait la traduction exacte d’une violence à la fois politique, financière, morale, traditionnelle et religieuse. Une violence esthétique faisant écho à l’horreur du quotidien de l’archipel tel qu’il semble perçu aujourd’hui : des îles où le paupérisme ambiant annihile chaque parcelle de moralité dans ce système fermé où la prostitution, les viols, l’inceste, la pédophilie s’associent aux meurtres, à la mendicité, aux vols, à la corruption que l’on feint de ne pas voir, préférant festoyer lors des nombreuses cérémonies de mariages, ou encore oublier en exécutant sa prière du Djum’an. Voilà de quoi se nourrit la littérature comorienne d’aujourd’hui. Telle est sa croix, tel est son fardeau, telle est la source de son champ d’investigation et son lieu commun créateur. Ainsi, Les Démons de l’aube peignent une société du pire, où des préadolescents devenus les maîtres du pays pointent du doigt sans sourciller le sexe qu’une fillette exhibe à leur demande « Tu vois, tu vois ce coquillage, les hommes sont sortis par là et ils seront toujours perdus à cause de ça ! », des préadolescents qui, s’ennuyant, décident de jouer en utilisant des hommes en guise de pièces de monnaie. « Comme on était fatigué à cause du conseil du Ministre, Mao a proposé de jouer un peu. On a dit d’accord, mais à quel jeu parce que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas joué parce qu’on était toujours occupé à survivre même.(…) Bongo a eu une idée, on va prendre Grands- Quelqu’un, on les met debout, mais toujours attachés, et chacun les pousse. Le dos des Grands-Quelqu’un, c’est pile, le ventre c’est face.(…) On a pris quatre Grands-Quelqu’un et chacun a poussé. (…) On a poussé, poussé et Ben Laden a eu quatre piles et il est devenu roi. Moi, j’ai eu quatre ventres et je suis devenu ministre.481 » Plus loin, ces enfants vont torturer ces hommes avec allégresse et finir par en tuer de sang froid après s’être vus qualifiés par l’un des Grands-Quelqu’un de « diables ». Issou, dix ans, assistera à cette exécution gratuite sans état d’âme. Au contraire, une telle colère l’habite qu’il éructe de rage et s’affirme capable de déchiqueter la chaire humaine comme un animal : « Mes yeux pissaient la haine et si Bush m’avait demandé, j’aurais tué ce grand quelqu’un même avec mes dents.482 Oh oui, je vous jure…». Le petit garçon apprendra à tuer en regardant faire un camarade « Issou, puisque tu es Ministre de la Défense, de la Confiance et de la Justice, il faut apprendre à te servir d’une arme. Viens voir. » dira Bush au narrateur. A ces mots, ce dernier « a pris pistolet, il a pointé sur la tête du Grand-Quelqu’un et il m’a expliqué comment on fait pour tirer et bang ! Il a tiré. » Naturelle et vicieuse dans ce

481 Les Démons de l’aube, p.93 482 Idem, p.97 379

microcosme, la violence va ainsi grandissante, s’appuyant sur des actes d’une intense cruauté comme dans la décision de faire laver la chemise pleine du sang du Grand quelqu’un exécuté, par la propre fille de celui-ci. Si Hatubou transpose dans son texte un univers qui mène des enfants comme Issou à commettre froidement des meurtres, à jubiler face à la torture éprouvée par leurs victimes, au cœur des Berceuses assassines, ce sont des jeunes gens, filles ou garçons que le sexe, la drogue et l’absence de perspective laissent à la disposition du plus offrant. Au cœur de ces nouvelles, Djitihadi le fou en appelle aux politiques qu’il accuse de faire les « mangements d’état ». Le discours agressif et grossier, le fou interpelle les passants « les enculés ». Mais tels sont, semble-t-il, au regard des thèmes développés dans cette jeune littérature, les nouveaux repères constitutifs de la société comorienne. Ces repères, ces références maintes fois exprimées dans les œuvres théâtrales et romanesques à vocation sociales, et même en poésie, apparaissent comme de douloureux constats de la part des écrivains. Chacun, à l’exemple d’Ibrahim Barwan avec son Pauvres Comores, ou à l’essai romancé Comores : L’enclos ou une existence à la dérive de Mohamed Chamoussidine, fait état d’un pays moribond. Une situation qui place les auteurs dans une perspective que l’on penserait alarmiste tant leur description du paysage des Comores est effrayante. Et pourtant, selon leurs dires et leurs écrits, ce paysage s’inspire de la réalité et pire, il n’est qu’une transposition de la réalité des îles. Une réalité dont la violence, notamment la violence du corps et tout ce qui a trait, atteint un tel paroxysme -« Je lui laisse foutre ses doigts dans mon con » sont les premiers mots de la narratrice d’Une bouteille à la mer483- que le lecteur soupçonne l’auteur d’exagérer. Ce même soupçon qui pèse sur l’écriture de Jean-luc Raharimanana dans son livre Lucarne. Empreint d’une extrême violence, l’univers quasi apocalyptique de cette œuvre entre roman, essai et poésie pousse Alain Mabankou à associer l’écriture de l’auteur à une sagaie, tant le tranchant du verbe bouleverse, la qualifiant ainsi « Face à l’anémie d’une société, l’écriture de mue en sagaie projetée avec les forces ultimes de l’espérance484 » Et le romancier de répondre en expliquant dans cette même entrevue que « Lucarne était le constat d’une certaine réalité. »485 Un même constat et une réponse quasi similaire faite par SAST à une question que nous lui posions lors de la parution des Berceuses assassines « Pourquoi l’univers de votre recueil est-il si effroyable? Et pourquoi votre écriture

483 Sast, Une bouteille à la mer, in Les berceuses assassines, Komédit, 2007 484 Alain Manbankou, Qui êtes-vous Jean-Luc Raharimanana, in revue Sépia n°23, 1996, p.13 485 Alain Manbankou, Qui êtes-vous Jean-Luc Raharimanana, in revue Sépia n°23, 1996, p.13 380

est-elle devenue, elle aussi, si violente? » Celui-ci avait alors répondu « Ce ne sont pas mes mots qui sont violents, c’est cette réalité qui transpire la violence. »

b) Violence de l’écriture et écriture de la violence

Ainsi, dans le contexte de l’insularité et au delà de cette insularité, les auteurs optent pour un positionnement non choisi, semble-t-il, mais imposé par le besoin de dire, car poussé dans les plus extrêmes retranchements de la pensée lorsque celle-ci voudrait décrire le beau et pourtant ne peut que traduire le laid, alors seule la laideur s’empare des mots. Au contraire de l’écrivain Javier Sicilia, qui, suite à l’assassinat de son fils, dans les rues de Temixco, déclarait cesser définitivement d’écrire tant il se refusait de laisser sa poésie se faire l’écho de la noirceur du monde486, les auteurs comme Patrice Ahmed Abdallah, Saïd Ahmed SAST, Fahoudine Ahamada- Mzé ou Saindoune Ben Ali, pour ne citer que ceux là, à l’instar de leurs cousins malgaches, Rakotoson ou Jean Luc Raharimanana, traduisent un mécanisme inversé et assument cette laideur. Ils ne se font pas les inventeurs de messages violents que leur écriture revêt mais bien au contraire, la violence gagne leur écriture car la violence hante leur quotidien. Il y aurait alors non plus une violence de l’écriture pour la création d’univers autres, mais une écriture de la violence partant d’un espace qui leur est propre, leur pays. Une écriture de la violence telle qu’elle semble les heurter, s’emparer de leurs plumes et se déverser à la face du lecteur et du monde alentour. Ainsi, si les termes crus, si le vocabulaire de l’abject, de l’ignoble, si le langage emprunte à l’obscène « Je suis réduite à vendre mon corps, mes fesses, mes seins, ma langue, et ma chatte au plus fort.487 », déclare la narratrice d’Une bouteille à la mer, puis poursuit : « Je suis morte depuis longtemps ; c’est vrai que je suis là, en chaire et en os, et surtout en sexe ! Je respire, mange bois, baise et dors, mais on m’a tuée depuis fort longtemps.»488 , c’est que les écrivains partagent ce jugement « Eh oui ! Bienvenue chez nous, au pays de la bonne bourre, aux îles de la ruine morale et de la déchéance humaine.»489

486 « Le monde n’est plus digne de parole/ Ils l’ont étouffée à l’intérieur de nous/ Comme ils t’ont asphyxié/ Comme ils t’ont déchiré les poumons/ Et cette douleur ne me lâche pas/(…) Voici mon dernier poème, je ne peux plus écrire de la poésie/ La poésie n’existe plus. » Javier Sicilia, Lettre ouverte, in le magazine Proceso, Avril 2011 487 Les berceuses assissines, p.35 488 idem 489 Une bouteille à la mer, les berceuses assassines, p.38 381

Lorsque Raharimanana écrit « La femme cessa de pleurer et ouvrit le ventre de l’enfant mort. Le couteau déchira dans la peau, s’enfonça dans la chair déjà bleue. Le sang ne coula pas…490 », les mouvements traduisent une froideur que l’absence de larmes accentue faisant du personnage de la mère une femme vide de tout, accomplissant un geste terrible de façon mécanique, tel un automate : les larmes ont cessé, comme le sang qui ne coule pas, la mère et l’enfant sont morts bien que l’une respire toujours. A des kilomètres de là, ces mêmes personnages morts dans leur être, des fantômes de l’existence se dessinent aussi. Mais à des kilomètres de là, ce sont essentiellement des personnages jeunes, presque des enfants dont la vie prend fin prématurément au moment où leurs rêves sont volés et leurs corps violés. Il en va ainsi de Jellounah, Issoufa et les autres garnements de Kaltex dans Les démons de l’aube, de Zizou, Djitihadi, Marie et Echat dans les Berceuses assassines. Si pour Marie491, la violence s’installe au détour d’une case de paille « C’était un voisin de quartier qui l’avait dépucelée. Elle n’avait pas encore treize ans. » ou bien sur la pseudo véranda où, sa mère la coiffe tout en évoquant naturellement les nombreux amants rencontrés en échange de quelques billets, pour le lecteur, la violence réside dans le constat de cette connivence entre une mère et sa fille abordant avec désinvolture, l’énumération des amants rencontrés par l’enfant. Le lecteur est surpris face à l’acceptation tacite d’une mère, approuvant comme un état de fait, la prostitution de sa fille, la préférant « Parce qu’elle était l’aînée, parce qu’elle était la plus belle, et surtout parce qu’elle était une banque pour sa mère.492 ». De sorte que cette misère morale qui se propage si rapidement, à travers les lignes du texte et en échos à la réalité intrigue et questionne. A quoi est due cette violence et où trouve-t-elle source ? Malgré l’importance des heurts dans l’histoire des Comores, l’archipel ne peut se plaindre d’une histoire similaire à celle du continent, à peine semblable à celle de la Grande Île sous le régime dictatorial de Ratsiraka. Les guerres fratricides engendrant terreur, déshumanisation et famine dont l’Afrique fut le théâtre, avec les génocides Rwandais, les guerres du Libéria et de la Sierra Léone, l’embrigadement et l’enrôlement de jeunes enfants dans les milices, les transformant en Small soldiers (Enfants soldats), entrainés à tuer comme des loups d’une meute, les exodes massifs des populations en vue d’espérer survivre, les viols et toutes autres exactions criminelles dont énormément de civils, femmes et enfants compris,

490 Jean Luc Raharimanana, Lucarne, Rocher Eds Du, Collection Histoire vécue, numéro 96, 1999 491 Tu seras une femme, ma fille, in les Berceuse assassines 492 Tu seras une femme, ma fille, in les Berceuse assassines, p. 62 382

furent les grandes victimes, restent de loin, sans commune mesure avec les chocs traversés par les Comores. Et pourtant, la violence et son expression sont là, présentes et sans concession aucune. Il ne s’agit pas pour nous de minorer les réalités comoriennes, loin de là car si elles transparaissent avec cette brutalité dans les textes, c’est qu’elles sont comme nous l’avons souligné, elles-mêmes brutales. Cependant, au vu des réalités autres comme à Madagascar avec la tragédie de 1947 liée à l’insurrection déclenchée le 29 mars de la même année, lorsqu’au terme de la rébellion pour l’indépendance de l’île, on dénombrait plus de 100 000 morts, à la famine qui a gagné la Somalie et qui s’empare d’elle encore aujourd’hui, en 2011, il nous semble important de comprendre comment la littérature comorienne francophone peut- elle traduire toute cette obscénité et cette violence, sur quelles bases prennent-elles assises ? Par ce questionnement, il nous est apparu clairement, au vu des thématiques développées autour, que cette violence dont se nourrit la littérature comorienne est une violence du corps et donc du sexe, d’une part et d’une crise des idéologies et des valeurs d’autres part. Ces chocs ne sont donc pas la résultante de conflits ensanglantés, de guerres à répétition et de heurts se dénouant dans le sang et les viols, aboutissant à des morts par milliers, mais bien une violence de la chute des valeurs morales auquel tout individu aspire ou devrait aspirer. Le choc ne se focalise pas sur une arme à feu tirée dans la foule mais dans le démembrement des codes sociaux, des règles de vie en communauté, dans l’effritement trop rapide, la dégringolade des valeurs humaines et morales. En ce sens, le corps, grand tabou dans cette société, emblème de la chasteté, de la pudeur devient l’emblème de cette déchéance morale, et le corps de la femme en particulier, objet de convoitise et lieu interdit, le firmament de toutes les transgressions. Or quelle transgression plus violente en terre religieuse musulmane et traditionnelle si ce n’est celle du verbe lié au corps? Une terre où, à croire le narrateur de La secte de la virginité, les jeunes filles comme M’daza, n’entendent parler du corps et de la sexualité seulement par une grand-mère le premier jour de leurs menstrues et le jour de leurs noces « C’était durant cette journée que la maman de la mère avait parlé de sexualité pour la seconde fois. La première, ce fut lors de ses premières menstruations pour lui raconter des mythes, diabolisant les hommes. Et la seconde fois pour lui prodiguer les derniers sacrements, c’est à dire de ne pas, surtout pas bouger pendant qu’il…serait sur elle. Si on, il…croirait qu’elle avait déjà été visitée493. » Ainsi, dans cette société de l’extrême pudeur, le scripturaire

493 Fahoudine Ahamada-M’zé, La secte de la virginité, Kwanzaa éditions, 2007, p.29 383

crée une rupture. Non pas en se proposant d’ouvrir subtilement vers les réalités liées au corps, mais en dévoilant brutalement les non dits, et parfois même surexposant le caché. Ne pas se méprendre sur l’idée de pudeur aux Comores, car comme nous le voyons fréquemment dans les textes, la pudeur langagière n’est pas de mise dans ce pays. Au contraire, les expressions grossières « Rombegnuho », les imprécations « Md’wahufa han’kaya », les insultes « Mnaharam’a madzi », les sobriquets et autres sont monnaies courantes et il n’est pas rare que les termes pour en parler n’empruntent plus aucun espace de la pudeur mais se disent tel quel ainsi que l’exprime cette narratrice « Je ne prends jamais de gants, vous l’avez sans doute remarqué, j’appelle une chatte une chatte ; et les vôtres de chattes respirent la baise autant que la mienne. »

Ainsi, le vulgaire, parfois le scatologique, l’obscène sont les recours à la description des maux qui rongeraient l’archipel des Comores. Un pays où les êtres ne seraient plus qu’instincts primitifs, réduits à l’animalité la plus vile, où le démembrement des valeurs morales et des codes sociaux produiraient des individus sans âme, où la monnaie d’échange est le sexe, présenté dans toute son horreur au lecteur. Ainsi, la violence des univers crées devient un lieu commun des écritures comoriennes, aboutissant à une violence de mots qui se liraient en réponse précipitée à une violence du réel.

384

VIII.3.2 Un pays que l’on ne chante pas, un peuple qui déchante, un écrivain désillusionné

a) D’une réalité violente au tableau d’une contre-utopie La fiction littéraire comorienne, dans son ensemble est profondément hermétique à l’idée futuriste. Il n’existe aucun texte de science fiction, c’est un fait. Or, la principale raison de ce fait, de ce constat, c’est bien l’idée d’encrage réel auquel sont soumis les textes. Aucun écrivain comorien ne prétend inventer l’univers dans lequel il décide de faire transiter ses personnages. Bien au contraire, ils affirment tous s’inspirer de la réalité. Mohamed Toihir soutient décrire les mœurs de la société comorienne aux Comores, dans un tableau édifiant du marasme dans lequel s’embourbe son protagoniste, le docteur Idi Wa Mazamba. SAST revendique l’idée d’une peinture exacte de la réalité quotidienne dans les îles de la lune en écrivant ses berceuses assassines. Salim Hatubou écrit son roman le plus sombre, le plus vulgaire, tranchant définitivement avec son style habituel dans les Démons de l’aube, car là, la douceur et l’aspect apaisé de son style, perceptible dans tous ses textes où les Comores paraissent alors un pays d’histoires et de civilisations à découvrir, un retour aux sources nécessaire pour la quête identitaire, s’effiloche. Le voyage poétique imprimé dans les fréquentes répétitions qui rythment ses contes d’introspection cesse. « Floc floc floc faisaient mes babouches qui m’allaient un peu grandes, sur le chemin de Milepvani, je m’en allais » la formule magique répétée en leitmotiv à chaque début de conte, comme la condition sine qua none à l’entrée dans l’univers du merveilleux, ou encore cet appel intime vers le souvenir scandant le texte Métro Bougainville : « Viens fils de mon fils, vient pauser tes paumes nues sur mes yeux blessés. Tiens fils de mon fils, tiens ma main tremblante et marchons. »

Ces vers cèdent la place aux imprécations, aux propos vifs d’Issou « Je précise même que mon français est pourri parce que l’école dans mon pays on l’a pourrie… ». Loin de toute cette poésie du départ, de la mélancolie et de la nostalgie des précédents textes, les Démons de l’aube témoignent d’une plume nouvelle et bouleversée de l’auteur, une plume ancrée elle aussi dans une réalité qu’il a découverte en quelques mois et qui l’emmène à conter « Une histoire sortie des entrailles d’un désespoir, une histoire bercée par la haine…494 »

494 Salim Hatubou, Les Démons de l’aube, l’Harmattan 2006, p.7

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Sa quête frénétique de la mémoire, l’avait enfin amené pour un long moment dans les îles. Dans le cadre d’une mission Stendhal, Salim Hatubou quittait la France et formulait ainsi son projet d’écriture « J’avais pour but d’écrire une trilogie sur l’épopée comorienne. » La réalité du terrain l’a donc mené à poursuivre « En plus des histoires des princes et des princesses, de sultans et de guerriers d’antan, j’ai retranscrit la vie de ces princes et princesses modernes devenus « guerriers » malgré eux, ces garçons et filles luttant contre la misère quotidienne, dans l’indifférence totale des hommes politiques qui ont précipité le pays dans les abîmes.495» Lui aussi le souligne, il n’a pas inventé mais « retranscrit la vie de ces princes et princesses modernes. » Ici, nulle fiction de départ, mais une réalité de « misère quotidienne » d’un pays « précipité dans les abîmes.» Cette réalité semble alors si féroce aux yeux de l’auteur que sa poésie originelle et apaisante n’a plus droit de citer, et elle disparaît totalement dans ce roman. Un roman dont la posture du personnage narrateur, un jeune garçon, l’écriture dans l’incipit et la fin du récit, sont grandement inspirée de l’œuvre d’Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé… Peut être l’auteur a-t-il perçu une situation similaire à celle décrite par le jeune Birahima tout au long du récit. Il est possible d’y lire les résonnances ne serait-ce que dans les premières lignes où le narrateur emprunte la voix de Birahima pour faire parler Issoufa. Avec moins d’élan, certes, celui-ci se présente ainsi au lecteur : « Je m’appelle Issoufa Mmadi, J’ai douze ans et je jure sur le Coran ou la Bible ou tout ce que vous voulez même, de dire la vérité-vraie… » Tandis que Birahima accroche tout de suite par son « Et d’abord… et un… M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’est comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain ; si on parle mal le français, on dit p’tit nègre quand même, ça c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça. » Au regard de cette comparaison, nous voyons se dessiner un personnage singulier, celui de l’enfant affirmant son statut testimonial, assumant une stature de l’indifférence et blasée, redéfinissant les codes de son franc parler ou mauvais parler, et illustrant en lui-même et par lui même, les méfaits d’une évolution sans limites, sans repères et sans racines. Ainsi en va-t-il de Issoufa, comme il en allait de Birahima, que la misère quotidienne et l’absence de futur, d’espoir, pour l’un et la guerre et le statut de Small soldiers pour l’autre, vont transfigurer et transformer en objet-résultat d’un système dont ils sont les victimes devenues bourreaux.

495 Salim Hatubou, Les Démons de l’aube, l’Harmattan 2006, p.7 386

b) Une réalité dystopique S’il peut sembler tout à fait paradoxal de proposer une telle association de mot, il reste du moins absolument nécessaire d’en forcer le constat. Il est vrai, lorsqu’un univers se définit dans un système futuriste où, l’espace et le temps sont limités par des axes d’extrême insignifiance, les personnages se meuvent à contre courant d’une société aux libertés surtaxées ou inexistantes, les protagonistes ne peuvent s’extraire d’un champs d’action où les repères inhérents à l’humanité effleurent la vacuité, alors le monde tel qu’il est décrit n’est plus qu’un espace parallèle et le sous genre littéraire auquel appartient ce monde, cet univers est celui de la science fiction. En ce sens, nous pourrions identifier une partie de la littérature comorienne écrite, roman et nouvelles confondues, comme appartenant à la science fiction. Étant donné que pour une bonne part des nouveaux textes publiés depuis les années 2000, la primauté est donnée à la peinture d’un paysage où la lumière peine à percer, où les personnages peinent à se mouvoir dans un espace noir, sombre, où chaque protagoniste semble l’ombre d’un humain tant la fragilité de ses convictions s’exacerbe au fil des pages face à une perte de repères de plus en plus suffocante. Cette fragilité du corps qui s’amenuise se profile en filigrane parallèlement à une fragilité devenant absence des valeurs morales. Dans les Démons de l’aube, Jellouna, petite fille de quatorze ans n’est plus une enfant mais une reine-mère despotique, une enfant gouvernant un état anarchique où le non droit ou le tout droit entraînent une descente aux enfers bien plus immonde que celle de la société initiale, lorsque ces enfants, ces jeunes désœuvrés n’étaient pas encore les maîtres des Comores. Dans ce cadre précis, le lecteur est propulsé au fin fond des abîmes au milieu de ruelles où « des corps jonchent les sols.»496 sans éveiller la moindre stupeur, ni le moindre dégoût. Dans ce cadre là alors, la réalité serait largement, amplement dépassée et défigurée au profit de la fiction. Alors, nous pourrions supposer lire une œuvre de science fiction ou d’anticipation. Et pourtant, notre erreur serait grande et l’on nous taxerait d’inculte si nous osions un tel rapprochement. Car comment nommer science fiction une œuvre qui prétend ne ne référer aucunement à la science et très peu à la fiction ? Hatubou le souligne lui même, il parle bien de son « île à la forme de Pas », et si même dans ce prologue qui résonne en avertissement au lecteur, la majuscule est mise au « Pas », c’est peut-être pour rappeler cette idée de néant. Une idée déjà évoquée dans le nom donné par Aboubacar Saïd Salim lorsqu’il nomme les Comores, la République des Kavu497 ; un terme dont la traduction est « néant ». S’accorderaient-ils alors sur cette absence d’espoir ? Conviendraient-ils donc tous de la

496 Salim Hatubou, Les Démons de l’aube, l’Harmattan, 2006 497 Aboubacar Saïd Salim, Le Bal des mercenaires, Komédit, 2002 387

vacuité de leur pays d’origine ? Les textes le sous entendent car le « Pas » comprend bien l’ambigüité du mouvement, déjà traduit par Saindoune Ben Ali498 comme l’amorce du départ, l’annonce d’un exode massive et en ce sens, de la désertification des îles. Repris sous l’aspect négatif, le mot s’il conserve la double lecture et renforce alors l’idée d’absence, de vacuité absolue. Ainsi, persiste, semble-t-il, chez les auteurs, ce regard aux abords alarmiste se prévalant pourtant lucide sur des réalités leurs. Il n’y a alors pas de science fiction au fond mais bien un topos du vide absolu, présent comme un leitmotiv dans la conception raisonnée sur un territoire jugé en pente descendante. Les Comores deviennent ainsi, sous la plume de ces écrivains, une réalité si bouleversée qu’elle annule l’idée de rêve, et encore plus d’espoir. Dans un univers où il n’y a nulle projection futuriste, ni carte ou parchemin permettant à un héros donné de parvenir à la découverte de lui même par le biais d’éléments inexistants, inventés et admis comme communs dans un monde- où il pourrait être tout aussi simple de se télé transporter que de survoler l’espace à l’aide de son corps seulement, et d’autres choses, que savons nous encore- l’alternative ne serait plus donnée au rêve pour la création littéraire, mais à la réalité pour une transposition livresque. Car dans ce monde noir, les héros n’ont d’issue que la quête inachevée d’un idéal qui, se transformant en utopie, les enferme dans une sphère de l’échec. Ainsi, du petit Issou âgé de dix ans à peine, au docteur Idi wa Mazamba, en passant par Momo, La petite fille, Sitty Mahabouba, Djitihadi, et tant d’autres encore, la fin est la même, elle prend vie dans l’échec. Si les uns meurent, les autres deviennent fous. Et les idéaux tant rêvés ne permettent pas la réalisation de l’être, comme si finalement, l’univers dans lequel cette quête est entreprise- les Comores- se trouvait sous le sceau d’une certaine fatalité. Et en effet, nul héros ne parvient à s’accomplir dans ce microcosme. Le rêve se heurte à l’utopie dans un espace décrit non plus comme une contre-utopie mais bien une dystopie par essence.

En ce sens, il semble qu’en littérature comorienne -une littérature d’inspiration sociale- la réalité se vêt des élans compulsifs des écrivains, du désir violent de décrire le monde dans lequel des enfants sont propulsés sans parachutes. Issou, dans son parler maladroit d’enfant déscolarisé, résume sa détresse et explique ses malaises d’enfant ainsi : « Pour jugement là ; j’ai pas voulu avocat, j’ai dit comme ça que mon avocat (…) c’est avocate et elle s’appelle école. Si vous avez un peu de temps même, après là, allez voir Ecole de mon pays, c’est même pas école, on dit que c’est école, mais c’est n’importe quoi même. Je dis

498 Saindoune Ben Ali, Kaharo, in Les Testaments de transhumance, Komédit 2002 388

comme ça, si Ecole est venue là, elle ouvrirait sa bouche et vous verrez ses bancs cassés quand il y a des bancs, ses livres déchirés quand il y a des livres, ses chaises bancales quand il y a des chaises, son sol fracassé, ses murs cadavres, ses enseignants pas payés.499»

Pour Issou comme pour ses camarades, leur quotidien de débrouille, de micmacs, de « démons » pour espérer survivre vient de l’absence d’instruction à cause d’un système où l’école est absente. Livrés à eux mêmes, ils transmutent et deviennent des tyrans sanguinaires que plus rien ni personne n’effraie. Cependant, bien évidemment, nous arrêterons la comparaison entre les textes cités et le roman dystopique car comme bien souvent, et ainsi que nous le signalions tout de même, le romancier comorien partant du regard et du constat, il n’y a pas d’anticipation sur des faits à venir (même s’il est possible de lire Les Démons de l’aube ou bien les Testaments de Transhumance comme des œuvres d’anticipation), le propre des œuvres de sciences fiction. Pourtant , en confrontant des textes de sciences fictions à certains ouvrages comoriens, nous ne pouvons qu’admettre une chose : Aldous Huxley500 fait appel à son imagination, un imaginaire puisé dans la réalité de ses idées, pour créer cet univers totalitaire où l’arbitraire est force de loi commune, tandis que pour Sast ou Hatubou, pour Saindoune Ben Ali ou Anssouffoudine, Ali Massimia ou Ibrahim Barwane, Fahoudine Ahamada-Mzé et bien d’autres encore, les Comores paraissent en elles-mêmes la société et l’expérience du pire.

499 Salim Hatubou, Les démons de l’aube, p.175 500 Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, Brave New World, Plon, Paris, 1932 389

CONCLUSION

« Raviver les mémoires, exhumer les connaissances »501, comme le chantent les Nubians, tel semble être la motivation première qui s’empare des auteurs comoriens, tous genres confondus. Ils sont poètes, romanciers, dramaturges, peu importe, ils abondent tous dans un seul et unique sens, exhalter l’art et sa littérature afin que ce qui existe déjà ne se perde pas. Dire et promouvoir, poursuivre un combat amorcé depuis près de vingt-cinq ans aujourd’hui, redonner aux Iles de la Lune un renouveau littéraire, ouvrir au monde cette littérature si riche et si vivante, telles sont les premières préoccupations des écrivains. Nous l’avons vu, la littérature comorienne est un vaste champ de genres et de techniques diverses qui prennent en compte des mouvements, des événements et des situations historiques et sociales particulières. Qu’il s’agisse de l’art oratoire qui, comme nous l’avons constaté, continue de se mouvoir dans la société, recréant indéfiniment l’histoire, participant à son évolution et par là même à celle de toute une société longtemps méconnue ou même quasiment oubliée, ou tout simplement confinée dans un système d’appartenance à une autre île ; ou alors la littérature écrite, jeune, en balbutiement et encore en attente de se faire plus parlante ; cette littérature écrite qui, de part les genres nouveaux qui la constituent, participe de plein fouet à la modernisation d’une littérature traditionnelle qui, en même temps qu’elle se développe lors des cérémonies de mariages et autres, perd de sa substance surtout lorsque certaines des festivités relatives à ces cérémonies sont de plus en plus défendues. Le travail de déchiffrage et bien plus, cette démarche qui consiste à récolter, à recueillir le plus grand nombre de textes oraux afin de les graver sur le papier car comme nous le savons, « les paroles partent, les écrits restent » serait l’une des principale motivation et justification d’une partie des écrits comoriens, mêmes francophones.

La littérature comorienne est, tel que nous avons pu le remarquer, un art en plein mouvement qui ne cesse de s’enrichir au jour le jour puisqu’elle prend vie au quotidien et se meut avec la société et par la société. Cependant, nous le soulignions, la littérature des Comores est avant tout un art oratoire, se déclinant sous forme de chants, de complaintes, de berceuses, de déclamations publiques, de discours, de généalogie, de contes… Un art jouissant d’un espace privilégié -l’espace publique- se réalisant lors des nombreux rites

501 Les Nubians, Makeda, in Princesses nubiennes, Virgin France, 1998 390

d’initiation et de passage jalonnant la vie des comoriens, des cérémonies de naissance et décès, de mariage. Assurément, le mariage coutumier et ses nombreuses étapes, restent le lieu de prédilection pour le renouvellement-transmission de la littérature orale de l’archipel. Or, avec les nouvelles tendances qui s’élèvent contre cette fête onéreuse 502 et considérée comme du gaspillage, que va devenir le patrimoine culturel, ce témoin de l’âge et des traditions qu’est la littérature orale ? Effectivement, certaines des fêtes rituelles et composantes du Anda, Kombe ont été supprimées dans quelques villes et villages comme le souhaitaient les mouvements contestataires. Par là, le bora503, mélange de danse et chant féminins a été interdit. D’autres festivités comme le twarab504 sont elles aussi bannies. De plus, à l’ère où les nouvelles générations se targuent de refuser ces traditions, l’art oratoire des Comores ne risque-t-il pas de devenir le patrimoine commun à une certaine catégorie d’individus comme cela a été le cas pour le genre du Nyandu ? Celui-ci a disparu, et peu de comoriens savent, à présent, ce dont il s’agit. Il a marqué son temps et son époque puis s’en est allé avec ceux qui le pratiquaient, ceux qui le chantaient. Le devenir de la littérature orale est-il vraiment menacé ? Certains diront que oui, d’autres répondront le contraire mais quoi qu’il en soit, il est important de faire une place plus large à la littérature écrite car celle-ci est encore en gestation.

En effet, la littérature comorienne écrite est encore très récente, comme nous l’avons vu. Pour cette raison, nombre de données nous ont manqué pour aller plus loin dans nos analyses. Des lacunes subsistent et aujourd’hui encore, malgré l’élan rencontré autour des années 2000, les nombreux obstacles auxquels elle est confrontée freinent son développement. En l’absence de maisons d’éditions, il n’était évidemment pas possible de publier. Soumettre son manuscrit à un éditeur français pouvait dissuader bon nombre de jeunes auteurs, même les plus téméraires. Il fallait une maison d’édition locale pour que les écrits

502 Malgré les différents aspects que le mariage coutumier induit suivant chaque île de l’archipel, sa réalisation nécessite de réels efforts financiers. Des moyens financiers de plus en plus colossaux, emmenant à des situations parfois tragiques, comme nous le présentons dans cette étude. Se référer, pour cela, au deuxième point du chapitre IV, La société comorienne, pour une approche paratextuelle de l’esthétique littéraire. 503 Le bora requiert des femmes l’exécutant, des mouvements qualifiés d’obscènes par une morale pro-religieuse. Elles font une ronde autour d’un mortier pardessus lequel elles lancent un pilon afin que la danseuse suivante puisse le rattraper en l’air et exécuter le même geste jusqu’à ce que la chanson soit terminée. Ce qui est indécent serait donc la manière dont ces femmes bougeraient les fesses qu’elles remuent au rythme de la chanson. Cette danse leur servait à se donner du courage durant les travaux de pilage de riz ou de feuilles de manioc. 504 Concert où des groupes d’associations villageoises (mazama) de villages distincts sont payés pour animer la soirée du mariage le samedi soir. Parce qu’il invite les gens, hommes et femmes, à festoyer en dansant et en chantant ensemble, dans une proximité, ce type de rassemblement est réprouvée par la morale religieuse. 391

puissent être jugés et publiés. « Cercles Repères » aux Comores même, « Encres du Sud » à Marseille d’abord ; « Komédit » ensuite, puis « De la Lune », enfin d’autres structures à la survivance éphémère, ont vu le jour. Par leurs créations, les éditeurs semblent répondre à ces demandes. Pourtant, à l’exception du jeune auteur conteur Salim Hatubou, aucun écrivain comorien ne s’est lancé dans l’écriture avec l’idée folle d’en vivre. La littérature comorienne d’expression française, et plus particulièrement les nouveaux genres cités participent au renouveau de la littérature comorienne traditionnelle. Ces genres s’inscrivent dans cette continuité qui confère à l’art une place fondamentale et particulière dans la société. Conscients des difficultés matérielles de l’archipel et des problèmes que cela engendre, quelques auteurs comme Hatubou ou des chercheurs comme Moussa Saïd Ahmed, revendiquent le besoin de graver l’art et la culture afin de consolider l’histoire de l’archipel, et de retrouver ou même de créer une identité commune à cet ensemble. La littérature Comorienne moderne est un univers multiple, reflet de thématiques et de préoccupations d’individus dans une société aux mœurs controversées. La première vague d’écrivains comoriens francophones témoigne de ces contradictions et leurs textes véhiculent le malaise vécu face à une histoire politique fortement mouvementée ; coups d’états successifs, domination des mercenaires, gouvernements despotiques, et assassinats répétés ; puis une deuxième vague plus attentive aux maux de la société, celle du réalisme social émerge en parallèle. La littérature se voit alors osciller entre ses deux aspects, politico- historique d’une part et politico-social d’autre part. Elle devient de fait, tous genres confondus, le porte parole de malaises de plus en plus harassants. Une situation qu’elle se propose de décrire à travers la poésie, le roman, le théâtre, les nouvelles, les essais. Les malaises sociaux et l’angoisse d’un pays à la dérive sont les principaux axes de lecture qu’elle induit. Le romancier se fait mise en voix de ces jeunesses individualistes en quête du pouvoir de dire non aux politiques, aux traditions, à la communauté. Effectivement, les hypothèses formulées au cours de nos recherches ont abouti à cette idée facilement perceptible, l’individu dans la société comorienne est indissociable de sa communauté. Il ne peut s’en extraire et s’affirmer comme tel et ce, peu importent ses aspirations. Celles-ci apparaissent comme contraires à la bonne marche du système car apparemment nuisibles à l’équilibre du groupe. Idée fortement dominante dans le corpus étudié, ces aspirations forment le sceau d’une quête aux finalités identiques, inachevée ou impossible. Pour cela, écrire prend un sens thérapeutique auquel vont s’adonner des auteurs à priori trop à l’étroit dans leur univers propre, les Comores. Analysé au misroscope de la

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plume, décortiqué à l’aune des mots, l’archipel revêt différents masques tous plus effrayants les uns des autres, à l’exception d’une rare figure qu’habille la nostalgie, figure d’un pays jadis adoré pour ses beautés et richesses naturelles, longtemps évoqué en mère pauvre mais digne, et enfin peint en monstre dégénrescant. Dans cet espace clos, la personne, élément seul et faisant partie du groupe a du mal à s’autodéterminer selon un mode de pensée différent de celui que la société impose. Toute tentative se solde par un échec, et la quête avortée. Surtout lorsque cet élément seul est une femme. Ici, l’éducation que l’on reçoit dépend d’autant plus du sexe : « Un garçon et une fille, c’est pas pareil ! ». Oppressés, bloqués par cette réalité d’une quête identitaire vouée au néant, les auteurs tentent, semble-t-il, de proposer les alternatives viables, décrivant des personnages héroïques aux rêves possibles par leur ténacité et leur foie en un Comores meilleur. L’écriture devient alors le refuge, l’échappatoire, et l’exutoire. Pourtant, même au sein de la fiction, le rêve vire au cauchemar et nul ne parvient à l’affirmation de soi, sans y laisser qui la vie, tel autre l’esprit, ou encore la conscience. Cadavres, suicidés, fous, autant de figures anti-héroïques, au même titre que le pays d’origine, induites en lien de cause à effet par le rêve d’individualisation. Ainsi, la société dicte les lois auxquelles il faut absolument se conformer pour le salut de soi et la réalisation de son individualité. Pourtant, l’individu tel qu’il est décrit dans nos romans aspire à autre chose, à une forme d’idéal que la société dans son ensemble ne peut véhiculer. L’être est ainsi plongé dans cet éternel conflit que décrivent parfaitement bien, les romanciers. Dans nos sociétés où l’évolution reste encore du domaine de l’utopie, il faudrait se battre contre les forces vives d’un système traditionnel qui conditionne et organise la vie de chaque individu. Alors, lorsque l’homme prend conscience de l’étouffement dans lequel le plongent ces contradictions, pourtant si complémentaires, il s’avère qu’il ne peut aller jusqu’au bout de sa propre réalisation. Alors, la mort apparaît comme la seule issue, l’ultime recours à la prise de possession de l’être entier. Or, malgré ces apparents constats, l’écrivain refuserait de se résigner. Par conséquent, comme nous avons pu le souligner à de nombreuses reprises, écrire ne serait plus synonyme de choix alternatif, mais bien de nécessité d’être. En ce sens, si la littérature française de l’ancienne métropole a vu se confronter des idéologies distinctes sur la fonction testimoniale et même activiste de la littérature, un archipel comme les Comores a, d’emblée, choisi la voie donnée à l’écriture. En effet, Sartre argumente sur le nécessaire engagement de l’écrivain, il rappelle les différents rôles joués par ses prédécesseurs comme Zola dans l’affaire Dreyfus ou Voltaire pour l’affaire Calas en vue d’illustrer l’impact d’un tel engagement au service de la vérité.

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Albert Camus le précise aussi dans son discours de Stockholm « Le service de la vérité et celui de la liberté sont les deux charges qui font la grandeur de son métier505 » d’écrivain. Camus prolonge donc la position de Sartre définissant ainsi le rôle de l’écrivain en ces termes « Le rôle de l’écrivain du même coup ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire, il est au service de ceux qui la subissent.» Un parti pris d’une position intellectuelle qu’incarnent tous les auteurs comoriens, sans exception. Qu‘ils soient dramaturges, romanciers, poètes, tous les écrivains de l’archipel, démarche revendiquée ou non, s’engagent au profit d’une quête idéale des Comores. Patriotes avoués, confirmés ou parfois tus, ils n’ont de cesse d’espérer à travers leurs plumes, un réveil des consciences qu’ils constatent tous comme endormies. Mais encore une fois, dans cet engagement littéraire comme acte politique, tous les auteurs comoriens ne s’alignent pas. Les discours s’individualisent : certains vont, acharnés et vindicatifs, s’en prendre à la société coutumière, dénonçant le Anda et ses travers, notamment les écrivains de la Grande Comore. D’autres se penchent sur la nécessaire réflexion autour de la crise identitaire qui semble sévir dans les îles, espérant ainsi lutter contre ce qu’Ibrahim Barwane nomme une maladie : « Le deuxième [fils] s’appelle Anjouan, il joue et il souffre aussi d’une maladie : le séparatisme506 » D’autres encore choisissent la critique des pouvoirs en place, liant la mauvaise gestion des choses de l’état à l’effondrement des valeurs sociales dont la prostitution grandissante, la paupérisation, la misère sociale sont les résultantes directes.

Au vu des textes du corpus, voulu le plus exhaustif possible bien que cela ne fût pas possible, il est juste d’affirmer que la littérature comorienne de langue française n’en est, à quelques exceptions près, pas encore à des débats idéologiques sur l’aspect formel de l’écriture, sur son esthétique ou sa rhétorique propre. La grande majorité des œuvres se fait l’échos de faits sociaux sans pour cela emmener les auteurs dans des discussions sur la légitimité de leurs écrits. S’engager dans l’écriture pour un monde meilleur semble aller de soi. L’écriture n’est donc pas gratuite et l’art devient fonction d’un bien être social auquel les écrivains aspirent pour leurs compatriotes. Ainsi, dans ce contexte, l’écriture semble

505 Camus Albert, Discours de Stokholm, 10 décembre 1957, in Discours de Suède, collection biliothèque de la Pleïade, Gallimard, 1958 506 Ibrahim Barwane, Pauvres Comores, p.11 394

prisonnière de l’urgence. Nul débat sur la création littéraire, à l’exception de celui sur l’identité -mais lui aussi reste largement tributaire d’une volonté couplant littérature et quête identitaire- n’a encore vu le jour. En parlant de l’Afrique continentale, Tierno Monenembo tranche ainsi « Pour nous, il y a urgence à dire. On utilise la langue qui est là. »507 justifiant ainsi l’emploi du français comme langue d’écriture. Cette réponse lapidaire à la question du pourquoi écrire en français, renvoie à l’idée de temps. Ici, chaque chose en son temps, il faut dire vite et non pas tergiverser sur l’outil à utiliser pour cette nécessité. Ainsi, cette réponse s’applique aussi pour les Comores, il y a urgence à dire, et pour cette raison, peu de place n’existe pour la manière de les dire. Par conséquent, poser des questions de stylistiques, de démarche esthétique réfléchie, calculée, de vocation de « bon » écrivain entrainerait la même réponse. Et en effet, ayant demandé à Massimia, auteur de L’enfer du silence, pourquoi son roman paraît-il si peu construit, celui-ci répondait « Je ne suis pas écrivain, j’avais des choses à dire que les gens taisent, je les ai dites.»508 Or malgré tout, s’il a fallu de longues années pour qu’immerge un corpus de textes d’auteurs comoriens, ceux-ci, contrairement à l’apparent balbutiement dont la littérature écrite francophone fait l’objet, parviennent à se frayer un chemin vers plus de visibilité. Une extraction du milieu insulaire et de l’isolement communautaire prenant effet lentement, mais sûrement et avec talent. En effet, la littérature comorienne s’impose sur les devants de la scène littéraire francophone indianocéane avec des auteurs tels que Nassur Attoumani, Saïd Ahmed Sast, Saindoune Ben Ali et surtout Nassuf Djailani, Salim Hatubou, dont les prix et distinctions éclairent la maturité des écrits, manifestent d’une considération et d’une reconnaissance au sein de pairs.

507 Sépia, revue culturelle et didactique francophone, Qui êtes-vous Tierno Monenembo ?, n°25, 1997 508 Propos recueillis au cours d’une discussion autour de « L’urgence en la littérature », juin 2011 395

BIOBIBLIOGRAPHIE

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ABDALLAH Patrice Ahmed

Naissance à , Ngazidja. Patrice Ahmed Abdallah participe à différents groupes de création et œuvre durant de longues années à Kalamu des îles, une maison d ‘éditions basée en France mais aussi association à vocation littéraire, créée en vue de promouvoir la littérature des Comores, lui donner de la visibilité. Il se spécialise longtemps dans la création de pièces théâtrales.

2002 Le notable répudié, Komédit

2006 Les frasques d’un notable, Les éditions de La Lune

2012 Sur la route de la corniche, Kalamu des îles

ABDEREMANE Said Mohamed, dit Wadjih 1968, le 01/02 Naissance à Tsidé dans la région d’Itsandra (Ngazidja), d’ABDEREMANE Said Mohamed. Ses parents sont tous deux originaires de Ngazidja. Le jeune Wadjih grandit dans une famille de grands lettrés dont le père, deviendra Mufti des Comores. Entouré de ses frères et sœurs, Wadjih montre dès son jeune âge, une grande curiosité pour les arts, notamment la musique.

Il effectue toute une partie de sa scolarité à Ngazidja jusqu’en classe de 5ème. Un parcours scolaire satisfaisant qui lui offre son premier contact avec la langue française. Parallèlement, il développe ses qualités artistiques et chante dans des orchestres. Une activité allant à l’encontre des aspirations du cadre familial. Pour cette raison, il est vite considéré, comme le marginal et le rebelle de la famille.

Plus tard, Wadjih est envoyé en France pour poursuivre ses études qu’il mènera jusqu’en première. Nouveau départ pour la Réunion où il passe et obtient son Baccalauréat.

De retour en France où il poursuit des études philosophiques à la Sorbonne,qu’il complètera par des études de lettres à l’Université de la Réunion pour ponctuer par un cursus anthropologique à l’EHESS

Grand voyageur, il visite le Canada, séjourne aux USA, vit à La réunion, Dubaï, Maurice, Madagascar. Wadjih poursuit une thèse en anthropologie tout en exerçant le métier d’enseignant en français et en anglais dans divers collèges et lycées de France.

2002 Djambo djema et autres Contes des Comores, komedit

2007 Tombé du ciel, Les Plumes Libres

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2012 Marcel Kombo et autres nouvelles, Kalamu des îles Il s’agit d’un recueil de nouvelles fantastiques qui sera repris et réédité par les éditions Coelacanthe en 2013. Il est actuellement professeur d’anglais en région parisienne et travaille sur la réalisation d’une pièce de théâtre en direction des enfants.

AHAMADA-M'ZÉ Fahoudine

1980 Naissance de AHAMADA-M'ZÉ Fahoudine à sur l’île de la Grande Comore. Très vite il quitte les Comores pour la France, notamment Marseille où il effectue son secondaire jusqu’au bac.

Ancien rédacteur en chef de www.comorama.info

2006 Parution de son premier texte long. L’honneur des lâches aux éditions De la Lune. Un essai sur la question du devenir de l’unité de l’archipel, le délitement des valeurs fraternelles entre mahorais et les comoriens des autres îles.

2007 La secte de la virginité aux éditions Kwanzaa. Ce roman devait précéder deux autres textes L’échos Mort et La prostitution en héritage. Les récits sont actuellement introuvables ou toujours à paraître.

Il poursuit des études de Philosophie à l’Université d’Aix-en- Provence.

2010 Petites Fictions comoriennes Compilation : Recueil de nouvelles écrites par différents auteurs dont Adjmael Halidi, Said Ahmed Sast et Fahoudine Ahmada-M’ze

Sur Fahoudine Ahamada-M’zé www.peuple-culture-marseille.org

ANDHUME Houmadi

1952 Naissance d’Andhume Houmadi à Tsembehou (Anjouan-Comores). Il fait ses études à Anjouan, d’abord dans son village natal, puis à Ouani. Le baccalauréat en poche, il quitte les Comores pour la France, afin d’y poursuivre des études de droit à l'Université de Rouen.

Rentré au pays, il occupe successivement les fonctions de procureur de la République à Anjouan puis de Président du Tribunal de 1ère instance et enfin de Premier conseiller juridique à la Cour d'appel de Moroni. Il enseignera le droit à l'Ecole Nationale

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d'Administration des Comores. Il sera emprisonné en 1985 après la tentative de coup d'Etat contre les mercenaires, en tant qu’ancien membre actif du Front Démocratique.

2000 Il meurt le 23 novembre laissant son roman, Aux parfums des îles, inachevé. Un texte qui interroge aussi la crise séparatiste que traverse l’archipel et dont Anjouan est le théâtre. Il sera publié à titre posthume chez Komédit, selon la volonté d’Ahmed Mohamed Chamanga, un très grand ami. Anssoufouddine Mohamed lui dédiera son premier recueil de poèmes Lyre Lacrimale.

ANSSOUFOUDDINE Mohamed

5 mars 1968 Naissance de ANSSOUFOUDDINE Mohamed à Mirontsy (Anjouan). Il fréquentera l’Ecole Primaire de Mirontsy, « Moroni Application » qui lui offrira un premier contact avec la langue française.

1983 Il obtient son CEP.

1987 Il poursuit ses études au Collège Moroni M’bouéni, un collège rural de Mirontsy et décroche cette année-là son BEPC. C’est durant ses premières années de collège que le jeune Anssoufouddine découvre la littérature. Une rencontre qu’il décrit en ces termes « Dans une île où le livre fut une denrée rare, je tombe à tout hasard sur un vieux bouquin, ce fut Robinson Crusoe, à sa lecture quelque chose jaillit en moi : un émerveillement ayant à son tour suscité des tas de questionnements certes, enfantins, mais ayant fait naitre une envie effrénée de découvrir le monde, c’est par la fenêtre de ce livre que j’ai appris à voir le monde. »

1990 Il fréquente le Lycée de Mutsamudu, capitale d’Anjouan, et y décroche son Baccalauréat série scientifiques. Il quitte ensuite les Comores pour Madagascar et intègre la Faculté de médecine de Majunga. Son goût pour la littérature et notamment la poésie se précise alors.

1997 Prix de l’Alliance Française de Majunga pour son poème: Cette fois-ci la demon-cratie.

2000 Obtention du Doctorat en Médecine à la Faculté de Médecine de Majunga.

2000 De retour aux Comores, il exerce en tant que Médecin au CHR de Hombo, fonction qu’il occupe jusqu’à aujourd’hui. Il prépare en parallèle une spécialisation en Cardiologie à la Faculté de Médecine de l’Université Cheikh Anta Diop Dakar et obtient son CES en cardiologie en 2007.

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2004 L’homme qui pense « L’écriture est d’abord une tentative de réponse à une souffrance intérieure » est primé par la bouquinerie d’Anjouan pour son texte : Adieu bédé, adieu yéyé.

2005 L’homme de sciences dures publie son premier recueil de poèmes Paille-en-queue et vol aux éditions Komédit, un recueil de textes qui triture le langage et se joue de la langue française. A ce titre, Paille-en-queue et vol traduit bien le rapport entretenu par l’auteur à sa langue d’écriture, il est francographe.

Lambeaux d’Anarchipel, nouvelle in Petites fictions comoriennes, Komedit Rebelle, nouvelle, in Project-île N°1 L’écrevisse vengeresse, nouvelle, in Interculturel francophonie N°19 Renaitre, in Project-île N° 2, extraits de En-jouant au concert des cryptarchies, poésie à paraitre

ATTOUMANI Nassur

1954, le 5 mars De parents natifs de Mayotte, Nassur Attoumani né à Moroni (Grande-Comore) où il fréquentera l’école primaire jusqu’à son départ pour Mayotte. Il y effectue son second cycle jusqu'en classe de 3ème au Collège de Dzaoudzi.

1975 Nassur Attoumani arrive à La Réunion. Au moment où les Comores prennent leur indépendance, les autorités politiques de Mayotte décident d'envoyer les lycéens mahorais à la Réunion. Nassur Attoumani se retrouve au Tampon. Il termine ses études par l’obtention d’un baccalauréat littéraire au lycée Roland Garros.

1977 Départ pour la France où il poursuivra des études d'anglais à Orléans. Pendant qu'il termine sa thèse, il vit un an en Écosse où il est assistant de français à la Perth High School.

1979 Nassur Attoumani se consacre aussi à la musique. Il est guitariste et chanteur dans le groupe Mondo Cobossa à Orléans-La Source jusqu’en 1981.

1983 Retour à Mayotte avec sa thèse de maîtrise qu’il a soutenue et obtenue la même année. Il enseignera un temps en collège en tant que professeur d'anglais et de français.

1983 Il devient le leader du groupe SPZ de Boueni à Mayotte.

1985 En revenant d’un concert, ses amis musiciens et lui sont victimes d’un accident de voiture. Gravement blessés, ils tarderont cependant à recevoir les premiers soins et l’un d’entre eux en 400

mourra : les médecins, recevant semble-il des invités ce soir-là, ont retardé la prise en charge. Cet événement inspire chez Nassur Attoumani un sketch qu'il écrit pour dénoncer les travers de sa société.

1985 Cette même année, Nassur Attoumani fait ses débuts au théâtre en tant qu’humoriste. Il se produit ainsi sur la scène locale depuis, dans des sketches engagés qu’il compose lui-même, accompagnés d'une musique de son inspiration.

1989 Il fonde la troupe de théâtre M'kakamba (Arc en ciel). Il monte La fille du polygame dont la première représentation se déroule la même année. Cette pièce s’attaque d’emblée à un fait de société fortement polémique, la polygamie.

1992 La fille du polygame. Préface de Claude Allibert. Paris, L’Harmattan. Première pièce de théâtre écrite aux Comores.

1993 Mayotte, l'île hippocampe. Le Tampon (Réunion), Éditions Jacaranda (Livre d’images)

1997 Le turban et la capote. Saint-Denis (La Réunion), Grand Océan (Théâtre)

1999 Il obtient la Mention spéciale du Grand Prix Littéraire de l'Océan Indien, pour Interview d'un macchabée.

2000 Le calvaire des baobabs. Paris, L'Harmattan (Roman) Nerf de bœuf. Préface de Henri Brouard. Paris, L'Harmattan (Roman) Interview d'un macchabée. Préface de Ali Saïd Attoumani. Paris, L'Harmattan. (Théâtre) Le turban et la capote. Avec des dessins de Luc Razakarivony. Mamoudzou (Mayotte), Imprimah. (Bande dessinée)

2002 Il devient Directeur de la Maison des jeunes et des cultures de Sada où il organise des échanges entre les services culturels de Moroni et sa région. Depuis 2005, il enseigne de nouveau l'anglais à Mayotte.

2003 Mayotte: identité bafouée. Paris, L'Harmattan (Essai) Contes traditionnels de Mayotte: Nos ancêtres... les menteurs. Paris, L'Harmattan

2004 Son roman Mon mari est plus qu'un fou: c'est un homme (alors inédit) reçoit le Grand Prix Littéraire de l'Océan Indien (ex æquo).

401

2005 Ika Yilala, par Nassur Attoumani. Choungui Éditions. (Album musical)

2006 Mon mari est plus qu'un fou: c'est un homme. Paris, Naïve (Roman) Entre les mailles du diable. Paris, L'Harmattan (Théâtre) Les aventures d'un adolescent maorais. Paris, L'Harmattan (Nouvelles)

2009. Le turban et la capote, Paris, L'Harmattan. (Nouvelle édition) Autopsie d'un macchabée. Paris: L'Harmattan. (Théâtre)

2011 Le turban et la capote, avec la troupe M'kakamba, mise en scène de Frédéric Mary. DVD

Sur Nassur Attoumani: Soeuf Elbadawi. « Nassur Attoumani : l'esprit du lagon laisse pantois », compte-rendu de Mon mari est plus qu'un fou: c'est un homme. Kashkazi 49 (20 juillet 2006): 11. Toihiri, Mohamed. « Nassur Attoumani, le violeur de tabous ». Notre Librairie 158 (avril- juin 2005).

BARWANE Ibrahim

1971 Naissance d’Ibrahim Barwane à Moroni, sur l’île de Ngazidja.

1985 Ibrahim a 14 ans lorsqu’il monte pour la première fois sur une scène de théâtre. Il incarne un roi sans royaume dans "La fin de Msafumu". Une pièce centrée sur l’histoire des îles.

1986 Il réitère l’expérience avec un rôle important dans une pièce de Moussa Said Ahmed "Madjadji Boto". A tendance comique, cette pièce sur les comportements vestimentaires des jeunes du début des années 70, initie chez le jeune Barwane, le théâtre par le rire.

1991 Il prend part à la "Découverte de la chanson" organisée par RFI, où il obtient le premier prix de la composition comorienne.

1997 A la veille de son départ en France, Barwane écrit et joue sa première pièce Enfant pourquoi pleures-tu ? Celle-ci retrace le parcours chaotique d'un jeune qui se retrouve en France après toutes sortes de démarches, de revirements et d'humiliations avant de se voir finalement expulsé vers son pays. Cette oeuvre satirique lui vaut un succès foudroyant.

1997 Ibrahim Barwane quitte les Comores pour la France. Il y poursuit des études d'Histoire et obtient une Licence puis d'anthropologie qu’il conclura par l’obtention d’un DEA à l'Université de Paris 8. Il prépare actuellement une thèse sur "Les rapports qui existent entre 402

notables, religieux et politiques à la Grande Comore". Il est aussi membre de la Société des Africanistes.

2000 Il écrit et interprète L'Esprit du Bangwe sur différentes scènes.

2002 Année d’intense production, Ibrahim Barwane compose de nombreuses pièces qu’il joue lui même. Dans une tonalité de plus en plus comique, il donne à voir les Comores et ses réalités sociales de vicissitudes, de fatalisme, d’autocomplaisance… Dialogue de sourds ou malentendu Parcours, one man-show dans lequel il dénonce, par le biais du rire, les travers et pesanteurs sociales. « Toujours avec le même humour grinçant. A Travers la trajectoire chaotique d'un comorien, les difficultés rencontrées devant les murs de l'ambassade pour l'obtention du visa, et son voyage vers Madagascar et la France, c'est le "politiquement correct" et l'hypocrisie de la société bien-pensante de Moroni qui sont mis à nus. On pense ici à Léautaud : "Il y a le vrai théâtre, l'étude des moeurs, la peinture des caractères, la satire des tares et travers humains, ce grand théâtre comique !" Toujours en 2002, c'est cette fois autour d'une démonstration de danses traditionnelles au Musée de l'Homme que Barwane illustre la comoriannité. La même année est publié son recueil "Contes des îles de la lune" (Mensonges, Mensonges, mais qui osera me contredire ?), par Wanantsi (les enfants du pays), un groupe de jeunes étudiants comoriens. Ecrits avec Zabraty Abdillah et Ziara Said, ces contes sont publiés à l'occasion de la journée mondiale de l'enfant à Villejuif.

2005 Paraît aux éditions Komédit « Pauvres Comores », une tragi-comédie dans laquelle le dramaturge pose et questionne la situation des Comores aujourd’hui : un état malade. Cette pièce connaît un réel succès auprès d’un large public d’étudiants. L'auteur poursuit en parallèle son travail d'animation théâtrale avec des associations comme "Tout est dans l'Art" ou "Fraternité Comores". Devenu président de l’association Arc en Ciel, association des étudiants comoriens de l’Université Paris 8, il organise et coordonne Les Vendredis d’Arc en Ciel, conférences dédiées à la recherche sur les Comores. Pensées sous la forme de forums de discussions et d’échanges, ces conférences servent de tremplin à la vulgarisation de travaux de recherches, d’œuvres de fictions, d’essais.

Recherches reprises du texte de Carole Rufo sur le site www.africultures.com, site consulté le 10.07.2011

BACAR TABIBOU Kokomoina

1975, le 29 Mai Naissance de Kokomoina Bacar Tabibou à Mbambani- (Ngazidja).

1995 Elle obtient son Baccalauréat série littéraire au Lycée de Moroni.

1997 Elle quitte les Comores pour le Burkina Faso afin d’y poursuivre des études d'Histoire. 403

2001 Après des études de gestion à l'Université Gamal Abdel Nasser de Conakry-Guinée, elle décroche une Maîtrise en Gestion. La même année, elle effectue un stage à la Banque Islamique de Guinée, et devient Contractuelle à la Société Générale des Banques. Toujours inspirée, cette passionnée de poésie, continuera durant cette période de stage, à écrire des poèmes et à les dédier à ses amies, aux proches et à ses parents.

2005 De retour aux Comores, elle se consacre à la poésie, en publiant quelques poèmes dans le Journal Al-Watwan et la Gazette des Comores.

2007 Elle occupe progressivement différentes fonctions allant de journaliste à Radio-Comores , au poste d’administratrice chargée de la Scolarité à l'Ecole Privée Muigni Baraka, en 2008, avant de devenir Secrétaire Comptable à l'Agence de transit Comores Market en 2009.

2009 Paraît son premier recueil de poèmes La boussole sans aiguilles aux éditions De La Lune. Poésie à tonalité lyrique, l’écriture de Kokomoina B.Tabibou interroge et médite sur les réalités comoriennes auxquelles elle est confrontée en tant que personne mais surtout en tant que femme. Une voix assez tranchante et des propos s’inscrivant dans une écriture de questionnement, d’angoisse mais aussi de colère. L’ensemble offre un premier contact entre littérature et féminité aux Comores.

Sources consultées le 22.10.13, ilikidanslalune.canalblog.com, Nabherdine.skyrock.com

BACO Abdou Salam Vers 1965 Naissance d’Abdou Salam Baco à Mzoizia sur l’île de Mayotte.

1983 Après des études secondaires à Mayotte et à la Réunion il part poursuivre ses études supérieures en France à Saint-Etienne. Il obtient un DEUG d'AES (Administration économique et sociale) puis s'oriente vers les sciences économiques. Après avoir préparé un diplôme supérieur de conseil en développement, il entreprend des études doctorales sur l'histoire de Mayotte.

1991 Il publie Brûlante et ma terre aux éditions L’Harmattan. Le roman lui vaut un certain nombres de critiques féroces, certains le taxant de « raciste. »

1993. Dans un cri silencieux. Paris, L'Harmattan

1993 En avril, soutenance de sa thèse et obtention du titre de Docteur Ès Histoire. Il rentre à

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Mayotte en mai, emmenant avec lui sa femme et ses enfants.

1996 La Belle du jour. Saint-Denis, Editions Grand Océan. Un premier recueil de nouvelles coécrit avec Hanyat S. Baco.

2006 Cinq femmes, Encres du Sud,

Romans: Coupeurs de tête, roman historique. (à paraître)

Articles sélectionnés: « Un martyr à Mayotte ». Le Makisard (Mayotte, 26 mai 1993). « Clac sur le museau ! ». Le Makisard (9 juin 1993).

Sur Abdou Salam Baco: « Baco S. écrivain, "Une voix à Mayotte" ». VISU (Réunion) 510 (28 décembre 1993). « Deux pavés dans le lagon de Mayotte ». Le Quotidien de la Réunion (29 octobre 1994). sur « île en île » : « Une colère douce amère Dans un cri silencieux », entretien d'Abdou Salam Baco; propos recueillis par Nassuf Djailani (1994)

BEN ALI Saindoune 1960 Saindoune Ben Ali naît dans les années soixante (la date exacte reste inconnue, lui-même dit l’avoir oubliée) à Mirontsy, Anjouan aux Comores. Il est issu d’une famille de lettrés appartenant à différentes confréries musulmanes. Son père Ali Houmadi fut un calife soufi de la confrérie rifaïte et sa mère, Combo Toumani, petite fille d’un cheikh chadhwilyya al- chouroutiyya. Il fréquente l’école primaire Soirhane à Anjouan.

1983 Il passe son examen d’entrée en sixième, décrochant le CEP avec une Mention Bien. Saindoune Ben Ali apparaît très tôt comme un élève brillant.

1986 Les ruelles d’Embats, publié par l’INE (Institut National de l’Education) d’Anjouan. Il s’agit là d’un des tout premiers textes du jeune Saindoune. Un texte qui résonnerait comme un hommage à son grand-père maternel, mort deux années auparavant et dans lequel on retrouverait une inspiration soufie.

1987 Dans la même lancée, il décroche son BEPC au Collège rural de Mirontsy avec une seconde Mention Bien. Anssoufouddine Mohamed et lui sont d’une même promotion. Ils se

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rencontrent souvent sur les bancs de l’école et leur amitié, confirmée avec le temps, tire peut- être ses origines de cette époque là.

1990 Après le collège, il quitte son île natale pour Ngazidja où il fréquente le Lycée Saïd Mohamed Cheikh, à Moroni. Après son Baccalauréat littéraire obtenu avec Mention cette année-là, il part pour la Réunion où il poursuivra des études de Lettres à l’Université.

199… Palangana, deuxième recueil de l’auteur, publié par l’ADER (Association Des Etudiants de la Réunion). Un texte que le poète Mab Elhad mentionne comme « une compilation constituant les rives d’une enfance ».

1994 Obtention d’une Licence en Lettres.

1996 Première parution du recueil de poèmes Testaments de Transhumance, toujours par l’ADER à la Réunion. Cette œuvre devenue incontournable dans la littérature comorienne francophone passe pourtant inaperçue du public à sa sortie. Les lecteurs comoriens n’entendent que très peu parler de ce poète se donnant comme mort dans sa préface. Il décroche cette année-là un DEA en Anthropologie.

2000 Entrée en fonction en tant que Directeur de recherches à l’Ecole Normale de Ngazidja (IFERE). Il occupe ce poste jusqu’en 2004.

2004 Testaments de Transhumance est réédité aux éditions Komédit, aux Comores. Cette seconde parution consacre la plume du poète. Dès lors, le recueil est perçu comme le tournant en matière de création poétique comorienne. On lui décerne le prix Kalam d’argent, une récompense nationale, qu’il juge comme « Honorifique car elle traduit une reconnaissance certaine de cette œuvre par mes concitoyens. Preuve, que j’ai parlé à mon peuple et que ce dernier a bien reçu le message. » En effet, en plus de l’originalité des thèmes abordés dans le recueil, l’écriture et le langage deviennent le centre du questionnement poétique. L’écriture alliée au langage est origine et finalité, le « Mensonge-héritage au-delà de toutes les formes de fantasmagorie. Sublime essence ! Le réel appartient au tracé évanescent, qui tombe, s’éclipse dans les brumes de la quête, de la compréhension… », selon les termes du poète lui-même. Saindoune Ben Ali fait alors figure de génie, marginal et anarchique. Les testaments de Transhumance inspirent une adaptation scénique au journaliste et auteur- comédien Soeuf Elbadawi.

2004 Saindoune Ben Ali devient professeur de Lettres à l’Université des Comores tout en occupant parallèlement la fonction de Coordinateur-Formateur des enseignements de FLE à l’Alliance Française de Ngazidja.

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2009 Il quitte à la fois l’Université et l’Alliance Française et poursuit l’enseignement du Français dans différents lycées de l’archipel jusqu’en 2012.

2012 Année charnière et de rupture, le poète démissionne de toutes ses fonctions pour se consacrer entièrement à l’écriture, publiant près de seize années après, son premier roman Feuilles de feux brousse, aux éditions Bilk and Soul, label Washko Ink, et un autre recueil MalMémoires, chez komédit. Avec Anssoufouddine Mohamed et d’autres auteurs, il crée le collectif Djando la Maandzishi, et participe, grâce à l’impulsion de Soeuf Elbadawi aux Francophonies en Limousin.

Sur Saindoune Ben Ali Poètes vos papiers : Saindoune Ben Ali, entre l’Albatros et le Corbeau, par Mab Elhad, poètes-de-la-lune.over-blog.com, article du 10 avril 2012

BEN SAÏD SALIM Aboubacar 1949, le 9 mai Naissance d’Aboubacar Ben Saïd Salim à Moroni. Originaire de le Grande Comore, où il fit ses études primaires (à Mbéni) et secondaires au Lycée Saïd Mohamed Cheikh de Moroni, il a longtemps vécu à Mutsamudu, capitale de l’île d’Anjouan.

1969 Aboubacar remporte son premier concours littéraire avec un texte liant prose, poésie et chant dans lequel il invite à la découverte-rencontre des mystères de l’archipel. Le titre Impressions sur vingt quatre heures sur une île de Mozambique, évocateur s’inscrit bien dans la thématique du concours. Son texte sera publié en juin de la même année dans la revue Promo Alcamar.

1970 Il obtient son Baccalauréat et quitte les îles pour la France où il poursuivra des études littéraires à Pau puis à Bordeaux et enfin à Paris. Il y décroche le DUEL (Diplôme Universitaire des Etudes Littéraires).

1979 Il rentre aux Comores et y termine, par correspondance avec l’Université de la Réunion, une Licence de littérature. Dès son retour, l’homme occupe différentes fonctions notamment celle de Directeur de Publication au CNRC (Centre National de Recherches Culturelles) à Moroni, d’enseignant à Mitsamihouli durant deux ans. Il retournera à Anjouan jusqu’en 1985.

1985 De retour à Ngazidja, il sera emprisonné à Voidjou durant près de dix huit mois pour activisme politique. Il écrira alors certains poèmes qui figurent dans l’Anthologie d’introduction à la poésie Comorienne d’expression Française, dont Soleil prisonnier où le poète traduit le mal être de l’enfermement, et Ce jour là, un poème dédié à sa première fille et dans lequel il projette par les mots, la volupté de futures retrouvailles.

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A sa sortie, après quelques temps dans la gestion de l’organisation des villages et la formation des villageois à la mort du Président Ahmed Abdallah en 1989, il occupe tour à tour des fonctions dans l’administration en tant que Chef de Service auprès du ministère de l’Éducation Nationale, puis politiques comme Secrétaire Général d’un parti.

1990 N’ayant pas abandonné sa vocation d’écrivain, le poète fait imprimer à Port Louis, île Maurice, son premier recueil intitulé Crimailles et Nostalgie. Recueil qu’il publiera une seconde fois.

1995 Aboubacar Saïd Salim devient Conseiller Technique à la SOCOPOTRAM (Société Comorienne des Ports et Transports Maritimes).

1996 Publication d’une partie de ses poèmes dans l’ouvrage de Carole Beckett, Anthologie d’Introduction à la poésie Comorienne d’expression Française, Paris, L’Harmattan. Sous le pseudonyme d’Abou, l’auteur chante à la fois son amour pour la patrie, sa ville d’adoption Mutsamudu (Mutsa mon amour), et sa fille Milza. Toujours à cette même période, l’auteur comptait à son actif, un certain nombre de nouvelles non publiées dont Mort pour un I, que l’on retrouvera inséré dans le roman le Bal des mercenaires.

1998 L’auteur publie son premier roman Et la graine aux éditions Cercles repères; un éditeur qu’il crée lui-même mais qui ne publiera qu’un seul ouvrage en plus du roman Et la graine. Ce récit qui s’inscrit dans l’histoire tumultueuse de l’archipel en rappelant les circonstances de la grève lycéenne de 1968, et les énergies mobilisatrices entrainées par cet événement auprès des différentes instances villageoises, rappelant la cohésion qui lia les enfants (jeunes lycéens et leurs parents qui comprenaient leur colère).

2002 Le Bal des mercenaires, Moroni, Komédit Dans ce roman, encore une fois, l’histoire et notamment la période de la main mise des mercenaires sous le régime d’Abdallah forment le fond de l’intrigue.

DJAILANI Nassuf

1981 Naissance de Nassuf Djailani à Mayotte. Après des études secondaires jusqu'au bac, et une classe préparatoire spéciale IEP au lycée Thiers à Marseille, il entreprend des études d'histoire à Bordeaux tout en préparant un DUT de journalisme à l'IUT de Journalisme de Bordeaux. Diplômé de l'Institut de Journalisme de Bordeaux-Aquitaine, il travaille régulièrement pour France 3 et RFO Paris. Il a collaboré à la réalisation de différentes émissions dont « Là-bas si j'y suis » de Daniel Mermet, émission pour laquelle il a travaillé sur une série de reportages sur l'immigration clandestine entre les Comores indépendantes et Mayotte (« Mayotte, un confetti explosif ») pour France Inter. Il a réalisé des magazines radio pour Radio France Internationale (RFI), et il est également 408

journaliste reporter d'images. Il est journaliste pigiste pour la radio, la télé et la presse écrite.

2004. Nassuf Djailani publie son premier recueil de poésie, Spirale aux éditions les Belles pages, à Marseille.

2005 Parution d’Une saison aux Comores, un recueil de nouvelles qui sera réédité en 2006 et 2008 aux éditions Komédit. Début de sa collaboration à des revues littéraires en France, notamment Riveneuve Continents et la revue théâtrale, Ubu, scènes d'Europe. Le Prix Bayard de Jeune Journaliste lui est décerné pour un Portrait de fille de / fils de, paru dans le quotidien La Croix. La même année, Jean-Louis Joubert lui consacre un article dans la revue Notre Librairie. « Des écritures foisonnantes ». Notre Librairie 158 (avril-juin 2005).

Dès l’automne, il prête ses textes et sa plumes à diverses publications dans des ouvrages collectifs dont Riveneuve Continents 3 avec son texte poétique« Dans le vertige du trumba » p.p. 229-234 ; qui sera republié dans un autre ouvrage collectif intitulé Nouvelles écritures comoriennes, et publié par Komedit en 2007. Collaborateur de Daniel Mermet et Giv Anquetil, pour l'émission « Là-bas si j'y suis », sur France Inter, il propose en décembre, une série de reportages sur l'immigration clandestine à Mayotte.

2006 Il remporte le Grand Prix littéraire de l'Océan Indien pour son deuxième recueil, Roucoulement, publié chez Komédit. Un recueil de poèmes engagé qui appelle au réveil des consciences et à la réappropriation de l’histoire commune de l’archipel des Comores, par les comoriens eux-mêmes. Il monte le documentaire Cocorico, et si Mayotte s'autosuffisait, proposant un regard sur les énergies renouvelables à Mayotte. Ce documentaire de 26 minutes sera diffusé sur RFO Mayotte.

2008 Certains de ses poèmes paraissent dans l’anthologie compilée par le professeur Stephen Gray, en Afrique du Sud. L’ouvrage intitulé Invitation to a Voyage: French-language Poetry of the Indian Ocean African Islands, publié à Pretoria chez Protea Book House, propose une rencontre autour de la langue française, allant de Baudelaire à Nassuf Djailani (p.p.180-181). Septembre de cette année, il collabore au Magazine sur les Domtomfolies (version Outremer des Francofolies de La Rochelle), une production de RFO pour le magazine Terre d'Outre-mer sur RFI.

2010 Il publie chez Komédit, Le songe... d'une probable renaissance... suivi de Roucoulement, texte remanié, proposant une traduction en anglais de Carole Beckett.

Autres textes dans des ouvrages collectifs: « Acte d'écriture ». Les îles rebelles (collectif). Saint-Denis: UDIR, 2005: 12-16. « Le théâtre mahorais part à la rencontre du monde », Riveneuve Continents 4 (printemps 409

2006): 331-332. « Moisson de lettres indianocéanes ». Riveneuve Continents 4 (printemps 2006): 340-342. « Alain-Kamal Martial : Échanger en changeant, sans se perdre » (portrait d'A-K Martial). Ubu, Scènes d'Europe 39 (juillet 2006). « Dans le chaudron moronien » (récit, extrait de Comorian Vertigo, roman à paraître). Rimeurs, slameurs et autres rencontres. Saint-Denis: Editions de l'UDIR, 2008: 109- 114. « Lorsque j'étais une espérance ». Mayotte Magazine 10 (mars-avril 2009): 62-66.

Théâtre et ouvrages scéniques: Roucoulement, mise en voix des poèmes du recueil de Nassuf Djailani par la comédienne Karina Ketz au festival « Allons au texte » à Bordeaux, juillet 2005. La vertu des ombres, 2006 (inédit). Joué par le théâtre Djumbé à Moroni (2006, 2008), et à Mayotte, aux Rencontres du théâtre populaire. Sur le pic du hurlement, 2007 (inédit). Mots porte-valise, 2007 (inédit). Les balbutiements d'une louve, 2008 (inédit).

Deux textes sont à paraître : La vertu des ombres (inédit) qui propose un regard en arrêt sur les difficultés de communication ou l’impossible intercompréhension entre une mère et sa fille, entre une génération, celle des anciens et une autre, celle des enfants. La vertu des ombres a été jouée en 2006 et en 2008 par le théâtre Djumbé à Moroni ainsi qu'à Mayotte, lors des Rencontres du théâtre populaire qui ont lieu tous les ans. Rouge Bordeaux, un récit, ainsi que Lorsque j'étais une espérance, son premier roman, sont à paraître.

Romans: Lorsque j'étais une espérance, à paraître. Sous le parvis de la pleine lune, à paraître.

Sur Nassuf Djailani: Carayol, Rémi. « Au nom de son archipel » (à propos de Roucoulement). Kashkazi 20 (décembre 2005). Giachino, Lisa. « Le poète qui dit non » (à propos de Spirale). Mayotte Hebdo (27 octobre 2004). Giachino, Lisa. « Les jeunes sortent leurs griffes » (à propos de Une saison aux Comores). Mayotte Hebdo (avril 2005). Rousset, Julien. « La plume du village 5 » (à propos de Une saison aux Comores). Sud Ouest Bordeaux (27 avril 2005). Soidiki, Djamilat. Portrait de l'auteur, émission « Regards » de RFO Mayotte (à propos de Une saison aux Comores), juin 2005.

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ELBADAWI Soeuf 1970, le 29 mai Soeuf Elbadawi, né à Moroni, est un auteur et artiste comorien. Ancien journaliste passé au théâtre, il dirige aujourd’hui la compagnie O Mcezo* à Moroni, après avoir longtemps collaboré avec Radio France internationale à Paris. Artiste touche à tout, son écriture parle de la difficulté de la relation entre les êtres, lorsque viennent s'y mêler fantasmes et fictions collectives. Elle questionne la mémoire et le vécu politique de ses concitoyens. Soeuf Elbadawi conçoit des installations à caractère pluridisciplinaire, faisant se rencontrer l’image, le son et le spectacle vivant, également.

1990 Il dirige la troupe, "Les Enfants du théâtre", sur le plateau de l'Alliance franco-comorienne de Moroni. 1992 Il quitte son pays et s'installe à Paris. Il travaille dans les médias, avant d'être rattrapé, comme il le dit lui-même, par "les démons de l'archipel des lunes". Il considère alors qu'il est "partie prenante" d'une réalité longtemps occultée méritant d'être questionnée sur un plan artistique. Il rentre à Moroni et pose ses valises à l'université des Comores où le "premier" des écrivains comoriens de langue française, Mohamed Toihiri, l'invite à expérimenter ses projets de théâtre auprès du public étudiant. Il y crée un laboratoire de recherche, le "laboresvik". 2003 Il adapte sur scène, au Théâtre de l’Opprimé à Paris jusqu’en 2005, le texte de Saïndoune Ben Ali Testaments de Transhumance. C’est par ce spectacle Esprit de transhumance qu’il joue et met en scène qu’Elbadawi renoue avec le théâtre des son enfance.

2005 Après avoir consacré plusieurs années au métier de journaliste, Soeuf Elbadawi, toujours collaborateur de la revue Africultures, décide de changer de vie sur un coup de tête et rentre aux Comores. 2006 Abdel K., Un jeu scénique sur l'assassinat du citoyen Abdelkader Hamissi, leader de gauche révolutionnaire, à Moroni. Une pièce mise en scène à l'université des Comores. Représentation de Moroni Blues/ Chap. II à la Réunion, Le Port, Fifai. 2007 Une suite pour Moroni Blues, éditions de la lune, essai, ouvrage collectif, Levallois-Perret, Moroni Blues/ Chap. II, poème-essai, mêlant images et textes, Bilk & Soul, Moroni.

Cet ouvrage lui vaudra d’être pris à partie par des gens de sa ville natale, Moroni, pour avoir écrit contre le repli communautaire et pour le mieux-vivre ensemble. 2008 En novembre il fonde à sa propre compagnie, O Mcezo dans laquelle il intègre le Laboresvik. 411

Un poème pour ma mère, une rose entre les dents, recueil de poésie, Komedit, Moroni. Le texte sera réédité en 2012. Il fait une tournée dans l’océan indien avec le spectacle Moroni Blues/ une rêverie à quatre. Un spectacle mis en scène par Robin Frédéric et dans lequel Elbadawi est à la fois auteur et acteur. 2009 Moroni Blues/ une rêverie à quatre, pièce de théâtre, Bilk & Soul, Moroni. La fanfare des fous, spectacle sur la dépossession citoyenne, joué dans les villages. Elbadawi et sa compagnie obtiennent le soutien de la Fondation du Prince Claus aux Pays-Bas pour l'organisation de cette tournée comorienne durant laquelle les fonds récoltés ont tous été versés au bénéfice de projets à caractère citoyen. Le 13 mars, il réalise le premier Gungu la mcezo, détournement d'une tradition de justice populaire appelée "gungu" sous la forme de spectacle de rue qui lui vaudra une censure de la part des autorités culturelles françaises aux Comores. Organisé avec des militants du mouvement Mawatwaniya, ce Gungu la mcezo sera orchestré contre la présence française à Mayotte, quatrième île de l'archipel des Comores. Cette même année, il fonde et anime le Muzdalifa House, à Moroni, considéré par lui-même comme un « lieu d'agitation citoyenne et d'expérimentation artistique ». 2010 L’ouvrage Moroni Blues/ Chap. II est primé aux Comores par l'Inesco dans le cadre de l'opération "Moroni capitale islamique de la culture 2010 pour l'Afrique" Pitsha la manga kalina udowo/ L'image de l'ailleurs ne se vit pas dans le miroir, mtshindo wa mcezo, texte et mise en espace, Rencontres à l'Echelle/ Bancs Publics, Marseille, France 2011 Moroni Blues, texte, mise en scène et jeu, Festival des Francophonies en Limousin, Bellac- Limoges 2012 Sous label Washko Ink., sa structure de production, il co-crée deux collectifs, avec ses "camarades d'existence": Mwezi WaQ., qui ré-interroge le patrimoine musical des Comores, et Djando la Maandzishi, qui re-questionne le fait littéraire dans l'archipel. A ceux qui le lui demandent, il répond désormais qu'il est "prêcheur de lune et expert en intégrisme de la survie". Un dhikri pour nos morts, texte et mise en scène, La Réunion-Comores jusqu’en 2012

Il bénéficie d’une installation au théâtre Confluences à Paris pour Des visages et des mots autour d'un cimetière de kwasa,

Filmographie

Souvenirs de tournée, film de Ahmed Jaffar, consacré au projet de la compagnie de théâtre O Mcezo* en 2009, film sorti en 2010.

Production musicale :

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Mwezi WaQ. : chants de lune et d'espérance, Buda Musique, 2012. ali.amani : chants soufis des Comores, Buda Musique, 2009. Zainaba : chants de femmes des Comores, Buda Musique, 2004, coup de cœur Musique du Monde de l'Académie Charles Cros en 2005, annoncé comme l'un des plus beaux projets discographiques de l'année par le journal Le Monde en France. Musiques traditionnelles des Comores, Buda Musique/ RFI, 1999. Article repris du site Wikipedia, consulté le 20.10.2012 fr.wikipedia.org/wiki/Soeuf_Elbadawi

HALIDI Adjmaël

1986, le 12 juin Naissance de HALIDI Adjmaël de parents lettrés. Il effectue toute sa scolarité de la Maternelle à la Terminale aux Comores où il décroche son baccalauréat.

1999 Profondément marqué par le début des mouvements séparatistes à Anjouan et à Mohéli en 1997, le jeune Adjmaël vivra son retour précipité sur l’île d’Anjouan comme une blessure. En effet, les mouvements séparatistes désireux de faire d’Anjouan une île autonome entraîne une réaction de rejet de la part des grands comoriens. Ceux-ci mettent en place des expulsions massives en 1999, renvoyant les anjouanais. Adjmaël âgé alors de 13 ans regagnera Anjouan par bateau au bord duquel se trouvent sa grand-mère et ses frères. Etant fils d’un ancien ministre de la république fédérale interdit de séjour à Anjouan par les séparatistes, ses frères et lui vivent mal ce retour. C’est au cours de ces bouleversements, de cette crise d’un pays en morcellement que l’adolescent se sentant devenu, paria, nouera avec les grands classiques de la littérature du monde. Barricadé entre les murs de leur maison, la lecture devient son refuge, et il découvre alors dans la bibliothèque familiale, les essais philosophiques de Kant, de Platon, les œuvres de Frantz Fanon, Sartre, Camus, Albert Memmi , Khalil Gibran, Césaire, Georges Balandier, Max Webber, Léon Gontran Damas, Imam Ghazali, et tant d’autres. Des univers et des pensées qui orienteront la fougue de son écriture.

1999 Mais si les grands auteurs lui ouvriront les portes de pensées multiples, ce sera par le biais de la poésie que le jeune écrivain s’initie à l’écriture. Tombé amoureux à treize et se sentant dans l’incapacité de dire ses sentiments, c’est dans l’écriture qu’il s’épanche et trouve réconfort.

Il poursuit ses études à Madagascar où il obtient une Licence professionnelle en Travail social et Développement à l’Université de Tananarive.

2006 Au rythme des alizés, Editions de la Lune. Adjmaël est alors âgé de vingt ans. Il développe dans ces textes, des thèmes qui lui sont chers : l’amour impossible (la femme aimée, désirée mais inaccessible), le sectarisme aux Comores (M’matsaha et m’gwana), les tabous et les non-dits.

2008

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Il est journaliste pigiste durant trois ans à la Gazette des Comores et à l’agence de presse HZK-Presse

2009 Il collabore au magazine économique mahorais Horizon Austral et anime des ateliers d’écriture en milieu scolaire et extrascolaire à Mayotte avec le concours de la Direction des affaires culturelles de la Préfecture de Mayotte et la Direction de l’Ingénierie Culturelle et Evénementielle du Conseil Général de Mayotte.

2009 Oraisons vespérales, Editions L’Harmattan, Collections Poètes des cinq continents

2011 Nahariat, Komédit (recueil de nouvelles)

Il poursuit l’animation d’ateliers d’écriture en milieu scolaire et extrascolaire à Mayotte avec le concours de la Direction des Langues Régionales du Conseil Général de Mayotte.

Il étudie actuellement la sociologie à l’Université d’Aix-en-Provence en France.

HALIDI Allaoui

1971, le 1er juin Naissance d’Halidi Allaoui à Ouani, sur l’île d’Anjouan. Issu d’une famille de hautes fonctionnaires, ll est le fils aîné de Sittou Raghdat Mohamed, première femme ministre des Comores.

Il effectue sa scolarité entre Ouani (Ecole primaire jusqu’en CE2 et Moroni Application le CM1 et CM2) et Moroni (collèges de M’boueni et de la Coulée de laves). Il intègre le Lycée Said Mohamed Cheik de Moroni où il aura l’écrivain Aboubacar Ben Said Salim parmi ses enseignants. Celui-ci l’incitera à écrire en l’initiant à la littérature française et négro africaine. Une pensée que l’on retrouve dans son poème «A 20 ans ».

1990 Il obtient le Baccalauréat A1 dès le 1er tour en 1990 en dépit des grèves répétitives ayant perturbé l’année scolaire suite à l’assassinat du Président Ahmed Abdallah Abdérémane. Le Baccalauréat en poche, il suit ensuite avec succès les cours de la «Classe de mise à niveau » avec Abdérémane Said Mohamed (Wadjih) et d’autres au lycée Said Mohamed Cheik de Moroni. Ces cours étaient imposés à tous ceux qui souhaitaient s’inscrire dans une université française cette année là. Ils se clôturaient par un examen final qui était très sélectif. Le jeune Halidi réussira l’examen et sera alors déclaré apte à poursuivre des études supérieures dans une université française.

Arrivé en France, il entame des études de Droit à l’université de la Réunion puis à l’université de Rouen où il obtient un Deug et une Licence de droit.

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1996 Maîtrise de Droit privé puis un DEA de Droit international et Européen en 1998. Il prépare et réussit l’ICH de Paris en 2007 2000 Depuis décembre, il exerce dans un service contentieux et juridique d’une société d’HLM en île de France. Rédacteur contentieux Sénior (Juriste)

2008 Cris d’Ici et d’Ailleurs, Moroni, Komédit Première publication du poète, il s’agit d’un recueil à forte tonalité lyrique où la nostalgie liée à la terre d’origine et aux villes traversées à l’étranger domine.

Pour Halidi Allaoui, « La poésie, c’est l’expression profonde et le mélange de mon cœur et de mon esprit. »

Sur Halidi Allaoui http://halidiallaoui.over-blog.com/categorie-10359233.html http://halidiallaoui.over-blog.com/categorie-869490.html

HATUBOU Salim

1972, le 20 juin Naissance à Hahaya, en Grande-Comore de Salim Hatubou. Sous l’influence de sa mère, les livres sont omniprésents à une époque où il est pourtant si rare d’en posséder et où la lecture est loin de figurer parmi les préoccupations de chacun. A des kilomètres de brousse, c’est sa grand-mère maternelle qui est à la tête des veillées de contes du village de Milépvani. Par sa verve et son verbe, elle ensorcelle ceux qui l’écoutent, à commencer par Salim, qui demeure à jamais profondément influencé par cette vieille femme, porteuse d’un incommensurable héritage culturel.

1975 Sa mère décède, Salim a trois ans. Il sera élevé par sa grand-mère jusqu’à son départ pour la France.

1982 A dix ans, Salim Hatubou quitte les Comores pour la France où il vient rejoindre son père. Ce départ est vécu par l’auteur comme un déracinement, un thème récurrent dans son écriture. Adolescent, il se lance dans l’écriture, commençant par des nouvelles, puis des articles, bientôt publiés dans diverses revues et magazines.

1994 Contes de ma grand-mère, Paris, L’Harmattan. Il s’agit là de son premier ouvrage, un recueil de contes qu’il place sous le verbe de sa grand- mère et dans lequel il retranscrit les histoires entendues dès son plus jeune âge.

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1996 Le sang de l’obéissance, L’Harmattan (Roman)

1998 L’odeur du béton. Paris, L’Harmattan (Roman)

1998 Retour aux Comores dans le cadre d’une première Mission Stendhal du Ministère des Affaires Étrangères Français

2000 Un conteur dans ma cité. Marseille, Encres du Sud

Métro Bougainville…des Comoriens. Marseille, Editions Via Valleriano, (en collaboration avec le photographe Jean-Pierre Vallorani)

2001 Sur le chemin de Milépvani, je m’en allais… Paris, L’Harmattan Pichou et Michou, promenons-nous dans les bois. Marseille, Encres du Sud (Album pour enfants) Wis, où est passé mon anh-anhan ?, Marseille, Encres du Sud (Album pour enfants) Nuits d’automne. Marseille, Editions Encres du Sud (Poésie)

2003 Marâtre. Nanterre, KomEdit (Roman jeunesse)

2004 Contes et légendes des Comores, genèse d’un pays bantu (CD 2 volumes). Paris, Editions Flies France (Album pour enfants) Sagesses et malices de Madi, l’idiot voyageur. Paris, Albin Michel De cette terre… Quête d’une identité comorienne. Marseille, Editions Encres du Sud, (en collaboration avec le photographe Saïd Abasse Ahmed) ; (Poésie) Chifchif et la reine des diables. Paris, L’Harmattan A feu doux. Paris, Editions Françoise Truffaut, Essai romancé

2005 Hamouro. Paris, L’Harmattan (Roman) Le roman obtient le Prix des lecteurs à Mayotte. Les matins de P’tite Lô aux Comores. Paris, L’Harmattan (Roman jeunesse) Hassanati, de Mayotte à Marseille. Paris, L’Harmattan (Roman jeunesse) Naïa et le tam-tam sacré. Nanterre, KomEdit (Roman jeunesse) Trois contes vagabonds. Paris, Editions Flies France (Album pour enfants)

2005 Il se rend aux Comores dans le cadre d’une Mission Stendhal du Ministère des Affaires Étrangères Français en vue de travailler sur les mythes et légendes des Comores. Il y écrira Les Démons de l’aube.

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2006 Les démons de l’aube. Paris, L’Harmattan

Zolo N’djiz,. Paris, Editions Flies France (Album pour enfants)

2007 Comores Zanzibar. Préfaces de Ken Loach et d'Alain Mabanckou; photographies de Jean- Pierre Vallorani. Paris, Françoise Truffaut. (Poésie) Il reçoit le Prix Gros Sel Diamant à Bruxelles, pour ce recueil.

2008 Ali de Zanzibar, La Réunion, Orphie (album pour enfants)

2009 Le Prix Insulaire d’Ouessant lui est décerné pour l’album Ali de Zanzibar. Dimkou et la petite fille. Moroni, Komédit (album pour enfants)

2010 Les gardiens d’ânes de Gardanne. Marseille, Encres du Sud (Roman jeunesse)

2011 L'avion de maman a craché (hommage littéraire aux victimes du crash du 30 juin 2009 aux Comores), Paris, Cœlacanthe Que sont nos cités devenues ? Marseille, Images plurielles (en collaboration avec le photographe Jean-Pierre Vallorani)

A paraître Treize merveilles pour une princesse d’Afrique, à paraître aux éditions Grand Océan avec les illustrations de Christian Epanya. Demain, je m’en irai (roman à paraître) Singa, une trilogie fantastique : 1er volet L’armée des Invisible, 2ème volet La bataille de Mojombi, 3ème volet Le sabre de Ngazi (trilogie à paraître). Aniya des Comores ou la bague de balkis Les baobabs de mon village

En plus de sauvegarder les contes grâce à l’écriture, Salim Hatubou leur redonne vie en revêtant son habit de conteur dans les festivals, les bibliothèques, les écoles de France et du monde. Salim Hatubou anime enfin des ateliers d’écriture, parfois sollicité pour des résidences d’écriture (Gardanne, Bordeaux, Mayotte, Grande-Comores, Kiev…) il continue de voyager à travers le monde pour faire entendre la voix des Comores et de la ville de son enfance : Marseille. Considéré comme l’un des pionniers de la littérature comorienne, il est sans nul doute celui qui, de tous les écrivains comoriens, publie le plus régulièrement. Le style de ses livres peut être aussi varié que leurs thèmes. Parfois drôles (Marâtre, Un conteur dans ma cité…), parfois graves (son récent livre sur le crash du 30 juin 2009 aux Comores L'avion de maman a craché aux éditions Cœlacanthe, la trilogie sur la Mémoire et l’Identité : Métro Bougainville, De cette terre… Comores-Zanzibar), leurs dénominateurs communs restent l’Identité et la

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Mémoire. Il travaille enfin comme collaborateur pour différents journaux (Respect, Kashkazi…). L’écriture est le mode d’expression qu’il a choisi pour revendiquer ses origines, avec toujours comme devise « Sache d’où tu viens, tu sauras toujours où tu vas ».

Il vient de créer aux Comores la Fondation Bibi Riama pour l'enfance et la jeunesse, au nom de sa mère qui, à son retour de Zanzibar dans les années soixante, œuvrait pour l'éducation, la culture et la formation. Le projet phare sera la création de Maisons des Enfants aux Comores.

Prix et distinctions :

- Prix Kalam de bronze décerné par le Ministère de la Culture aux Comores

IBRAHIM Ahmed 1969, le 8 septembre Naissance d’Ibrahim Ahmed à Nioumadzaha-Rambao, sur l’île de Ngazidja. Décroche un DEA de philosophie et poursuit une thèse dans la filière. Parallèlement, il obtient deux autres diplomes de même niveau en Anthropologie et sociologie politique et du développement ainsqi qu’en Sciences Politiques. Devenu Docteur en Sciences de l’éducation, il a enseigné un temps la philosophie puis la sociologie.

2004 Aux villages de l’Océan, Antananarivo, Print Express,

2005 Les exploits de Mzimba, Antananarivo, Print Express,

2007 Mariage ambigu, Antananarivo, Print Express, Soilihi au pays de Rakoto Rabamanala, Antananarivo, Print Express. Sobdolo, le cousin imbécile, Antananarivo, Print Express.

Il a occupé le poste de Coordinateur de l’Action Sociale au sein de l’Association « Les Amis de la Maison Verte » à Paris.

M’SAIDIE Mahamoud

Naissance à M’dé, dans le Bambao à Ngazidja. Il quitte les Comores pour poursuivre ses études en France en 1987. Il obtiendra le titre de Docteur ès Lettres, Littérature générale et comparée. Il enseigne les lettres modernes en région parisienne. Mahmoud M’saidie s’affirme dans la poésie, devenant le plus prolifique des poètes comoriens de langue française.

2001 Le mur du calvaire, L’harmattan 418

2005 L’odeur du coma, Editions Librairie Galerie Racine

2006 Nuits sèches, Editions Klamba

2009 Une gerbe de songes, Editions Hélices Chants d’opale, Encres Vives

2010 Autodafés, Editions du Cygne

MOUHATRE Touhfat

1986, le 20 juillet Naissance de Mouhtare Touhfat à Moroni, Comores, de parents issus du milieu médical. Son père, Mouhtare Ahmed Charif, actuellement médecin retraité était un haut fonctionnaire, ancien représentant des Comores à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Sa mère, Saoudata Said Hassan est une ancienne sage-femme.

1995 La jeune Touhfat entre à l'école et fait toute sa scolarité, de la primaire jusqu’au Baccalauréat, dans l’un des meilleurs établissements de la capitale, le GSF Abdulhamid. C’est dans le cadre de son parcours scolaire qu’elle apprend le français. Mais le premier contact avec la France et sa langue se fera par les livres et les dessins animés.

Très tôt, la petite fille découvre d’autres mondes. Elle voyage beaucoup avec ses parents, notamment en Afrique : Mauritanie (1986), Zanzibar (1987), Mali (1990-1991), Burundi (1991-1994), Congo-Brazzaville (1994-1996), La Réunion (1997 et 1999).

2004 Elle obtient le Baccalauréat et quitte les Comores pour poursuivre des études de Lettres modernes à Paris, à la Sorbonne Nouvelle.

2008 Elle décroche une Licence de Lettres Modernes à la Sorbonne Nouvelle puis s’oriente en communication.

2010 Obtention d’un Master II, Weller I.B.S.

2011 Paraît son premier texte, Ames suspendues aux Editions Coelacanthe. Ce recueil de nouvelles propose, dans la lignée de certains comoriens comme Adjmael Halidi, un condensé par petites touches, d’images/photos des Comores, ses habitants et leurs préoccupations. Pour la jeune

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Mouhtare, profondément marquée par l’écriture de Toni Morrison dont elle relève « la pudeur avec laquelle elle raconte l’horreur » selon ses propres mots, sonder les faits et les âmes est une des raisons d’être de l’écriture. Pour cela, elle affectionne les textes de Salim Hatubou et Adjmael Halidi. « Parce qu’ils sortent de l’habituel dénonciation de certains aspects de la culture pour raconter des histoires et explorer des sujets tabous. »

2012 Elle occupe un poste de Chargée de communication chez Orange France Telecom

Elle est actuellement Consultante indépendante en communication et Rédactrice et travaille sur un roman.

NABHANE Mohamed

1953, le 30 juin Naissance de Mohamed Nabhane à Mutsamudu, Anjouan, Comores.

1964 Agé alors de onze ans, le jeune Mohamed quitte les Comores avec son père et son frère, pour l’Egypte. Il y fera une bonne partie de sa scolarité et y poursuivra des études secondaires à l’Université d’Al Azhar, au Caire.

1976 Ses études terminées en 1972, il quitte l’Egypte et intègre le système universitaire français dans lequel il obtient une licence d’arabe à l’Université d’Aix en Provence), suivie d’une maîtrise en 1981 (Université Lyon 2) et un DEA en 1995 (Université de Paris-Sorbonne).

1985 Il est admis au CAPES d’arabe qu’il enseigne toujours.

1990 Il obtient l’agrégation d’arabe. Il exerce actuellement à Mayotte

2011 Mtsamɗu kashkazi, kusi Misri, aux éditions Komédit. Il s’agit là du premier roman de Mohamed Nabhane, arabophone, écrit exclusivement en shikomori mais aussi d’un des premiers textes autobiographiques.

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NADJLOUDINE Abdel Fatah

1985, le 20 Mai Naissance d’Abdel Fatah Nadjloudine à M’béni aux Comores.

1999 Il est animateur au Centre de Lecture et d’Animation Culturelle de M’béni jsuqu’en 2003

2000 Obtention du Brevet d’Etudes du Premier Cycle à Mbéni

2001 Il suit une formation de théâtre au Centre de Lecture et d’Animation Culturelle de M’béni

2003 Bac littéraire obtenu à Moroni

2004 Il quitte les Comores pour le Sénégal. Il prépare et obtient un Diplôme Universitaire d’Études Littéraires I à l’Université Cheikh Anta Diop. Il est nommé superviseur de la rédaction d’Aldjoum’ã, un bimensuel de la communauté comorienne de Dakar jusqu’en 2006. 2005 Diplôme Universitaire d’Études Littéraires II à l’Université Cheikh Anta Diop

2006 Obtention du Certificat de licence de linguistique générale et du certificat de spécialisation de phonétique expérimentale à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est aussi Secrétaire Général du Club des Etudiants Comoriens En novembre il tient un rôle de second plan dans le film documentaire "Forse Dio é malato" du réalisateur italien Franco Brogi Taviani. Le documentaire sera produit par AGER 3, à Dakar.

2007 Obtention du Certificat de Maîtrise de linguistique africaine à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Mention Bien)

2007 L’Afrique dans la main du diable, Éditions De La Lune

2007 Quand le colonel ne sera plus président, Editions Kalamu des îles

2008 Enseignant à l'École Muigni Baraka de Moroni, du Lycée de la Solidarité Islamique de M'béni jusqu’en 2010 tout en occupant le poste de rédacteur en chef du mensuel Le Citoyen

2009 Pour apprendre le shingazidja, Librairie Nouveautés Il est actuellement là a fois Metteur en scène, écrivain, enseignant de lettres françaises et journaliste. 421

NASSUR Dini

1962 Naissance de Dini Nassur en Grande Comore. Il fait ses études dans la capitale jusqu’en 1984 où il quitte les Comores pour la France. Il apprend alors le français sur les bancs de l’école en faisant toute sa scolarité et sa formation en français.

1980 Il est arrêté et emprisonné pour raisons politiques. Son séjour en prison pendant le régime des mercenaires l’a profondément marqué. C’est cette expérience qui le mène à l’écriture. C’est là qu’il choisit de s’exprimer en écrivant des vers sur les murs avec un morceau de charbon. « Des prisonniers qui m’ont succédé dans la cellule que j’occupais ont eu l’idée de recopier tout ce que j’avais écrit et me l’ont apporté plus tard. Je me suis rendu compte en lisant ces vers que cela me plait de continuer d’écrire. C’est peut- être la raison pour laquelle beaucoup de mes poèmes parlent de lutte contre les injustices et pour des sentiments cachés. »

1984 Arrivé à Rouen, il poursuit des études d’agriculture jusqu’en 1989. Il rentre aux Comores et occupe un poste de bénévole puis de responsable du Département pour l’animation rurale. Plus tard, il aura la fonction de coordinateur national pour la promotion de la femme auprès de l’Unicef. A partir de ce jour, l’auteur militant voyage beaucoup. Il parcourt la Tanzanie, le Kenya, l’Afrique du Sud, le Soudan, l’Égypte, la Libye, l’Éthiopie, se rend en Chine, au Yémen, dans les Émirats Arabes Unies, puis en Europe, en Suisse, en Belgique, en Espagne. Il fait aussi le tour des îles de l’Océan Indien, l’île Maurice, Madagascar.

A ce jour, Dini Nassur n’a pas encore publié d’ouvrage à son nom mais fait partie des auteurs de l’Anthologie d’introduction à la poésie comorienne d’expression française. Il projette cependant de publier un recueil de poèmes « autant le dire autrement » et un roman politique « KOSA » (la faute)

Il développe des thèmes de prédilection comme le combat pour un monde plus juste, la liberté, l’amour et la nature.

Dini Nassur est un auteur pour qui l’écriture est une vocation. Il lit des auteurs comoriens, tels que Salim Hatubou ou Soeuf Elbadawi dont il apprécie le style, Aboubacar Saïd Salim, Soilih Mohamed Soilih.

Selon lui, l’écriture correspond à une forme « d ‘appel à croire ce que chacun de nous possède en termes de potentialités, de sentiment et de volonté. Ce qu’on appelle le génie est peut-être la prise de conscience sur les atouts qu’on peut avoir mais aussi sur les possibilités de s’enrichir des expériences des autres dans une dynamique de partage. »

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RIDJALI Ambass 1973 Né à Tsingoni (Mayotte) Ambass quitte son île natale pour poursuivre ses études supérieures à la Réunion. Il travaille ensuite dans la région parisienne comme aide éducateur à l’école Vert-Galant de Villepinte.

1983 A peine âgé de dix ans, il intègre l’ASCOMA, une association culturelle de Mayotte et joue sur scène, de petites pièces de quinze à vingt minutes. Par la suite, il écrira de courts textes et des poèmes pour ses camarades de classe de 1ère L, dessine, sans pour autant parler de vocation d’écrivain ou de dessinateur.

2002 Sur le chemin de l'école, Moroni, Komédit. (Roman jeunesse)

2004 Il rentre définitivement à Mayotte où il est nommé responsable de la bibliothèque municipale de Tsingoni. Les coulisses d’un mariage incertain, Moroni, Komedit (Théâtre) Cette pièce de théâtre, comme une partie de sa production littéraire traite de faits sociaux à Mayotte, de la réalité mahoraise et de la difficulté du dialogue entre les générations.

2005 Il crée en février, la troupe théâtrale : Comidrame. La troupe interprète et joue plusieurs pièces écrites par le jeune auteur. Inédites sous format papier, ces pièces comme Une société en perdition, représentée en 2005, rencontrent un franc succès auprès du public.

2006 Représentations et tournée avec la pièce Scandales dans la famille X

2007 Concours littéraire pour Ouessant, éditeur Orphie (Roman jeunesse) Il monte et présente A part ça, tout va bien avec la troupe Comidrame et effectue une tournée dans l’île avec la pièce Au secours, mon île se meurt. Une pièce commandée par le Comité du Tourisme de Mayotte dans le cadre de mouvements de sensibilisation sur l’environnement.

2008 Scandales dans la famille X, Kalamu des îles (théâtre) Il dénonce le viol et donne la parole aux victimes.

Ecrivain passionné par le théâtre. Dans une île où la tradition orale est prépondérante, la création littéraire récente et où la lecture est souvent considérée comme une obligation scolaire, Ambass Ridjali se sert du théâtre comme vecteur pour faire aimer la lecture. Avec La Comidrame, sa troupe théâtrale, Ambass Ridjali parcourt les îles de l’Océan indien (Madagascar). Ses objectifs sont la promotion de la lecture et l’expression, parfois par l’humour, des vérités qui dérangent une société ancrée dans ses traditions. Il dirige actuellement la bibliothèque municipale de Tsingoni et prend une part active dans la politique de lecture publique de Mayotte.

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SADANI TSINDAMI

Sadani Tsidami de son vrai nom Soilihi

Il fait ses premières classes (primaire, collège) à Mitsamihuli. C’est au contact d’un jeune professeur de français, poète et dramaturge devenu (Jacques Norigeon) qu’il s’initie à la lecture d’œuvres fondamentales (L’assommoir, Cahier d’un retour au pays natal…et Mémorial de l’île noire) au collège rural de Mitsamihuli. Après ses années collèges, il quitte les Comores pour le lycée d’Angers, en France.

Le Baccalauréat en poche, il poursuit des études de littérature comparée et bibliothéconomie à Toulouse.

De documentaliste scolaire, il devient enseignant en Lettres Modernes, puis consultant en ingénierie des sciences de l’information et de la communication, option conception et réalisation de bibliothèques scolaires. Il est à l’origine de la politique documentaire des établissements de formation et d’éducation aux Comores, et de la création de bibliothèques en primaire, collège, lycée et Université avec des fonds européens.

Il est actuellement enseignant en Lettres Modernes à Mayotte.

2011 Sania, éditions Coelacanthe… Ce recueil de poèmes, inspiré de sa relation à sa compagne constitue la première publication individuelle de l’auteur.

SAID Abdoulhalim Mohamed Elamine

1979, le 28 avril Naissance d’Abdulhalim Mohamed Elamine SAID à Singani, dans le Hambou (Comores). Il a longtemps étudié les Lettres modernes à l'université d'Antananarivo (Madagascar).

2004 Ngani ou la cité des djinns, Komédit

SAÏD AHMED Said Yassine

Naissance à Ikoni- Djabal, Ngazidja. Il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes et de plusieurs publications, il occupe différentes fonctions, allant de correspondant pour la région Rhônes Alpes du journal Al- Watwan, quotidien national des Comores, il est aussi rédacteur du web média Comoresplus et animateur sur une station de radio lyonnaise, Radio Canut.

Il publie essentiellement en français mais beaucoup de textes en shikomori sont partagés sur la page facebook des Poètes et amis des Comores.

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2006 Mon âme est percée, les belles pages

2007 Une enfance oubliée et une autre histoire, les belles pages

2009 Le crépuscule des mœurs, Gfcasdvi

SAÏD TOURQUI Said Ahmed, dit Sast

1973, le 1/03 Naissance de Saïd Ahmed Saïd Tourqui, à Moroni. Issue de la grande et ancienne bourgeoisie de l’île de Ngazidja, le jeune Sast est aussi l’aîné et le seul fils d’une famille de cinq enfants. Son père Saïd Mohamed Saïd Tourqui est alors un haut fonctionnaire de l’état, intellectuel et homme politique de renom, il s’essaie aussi à la chanson et à l’écriture. De ses deux passions naîtront deux textes célèbres dont « Zinissa nkumpvi bo nziwa » et un roman qui ne paraîtra jamais. Le jeune Sast grandit ainsi dans un milieu aisé et cultivé ce qui lui façonnera le goût des livres, de la poésie et plus particulièrement de Baudelaire. Il effectue ses études dans la capitale.

En 1993 Il quitte les Comores pour la France où, le baccalauréat en poche, il vient poursuivre des études de Lettres Modernes. Il décroche une Licence de Lettres Modernes à la Sorbonne Nouvelle et s’oriente vers des études de Sciences Politiques qu’il achèvera avec un DEA. Il rentre aux Comores où il occupe, parallèlement au métier d’enseignant, un poste de journaliste à la Gazette des Comores ainsi que différentes fonctions politiques dans différents ministères dont celui de l’intérieur.

2001 Le Crépuscule des baobabs, premier roman. Il fera l’objet d’une sélection au Prix Radio France du Livre de l’Océan Indien.

2005 Habichara (nouvelle, sélectionnée aux 5e Jeux de la Francophonie).

L'Océan sera mon linceul, théâtre représenté sur les planches de L’Alliance Française de Moroni. Il lui vaudra le Prix Mbaye Trambwe 2005

2007 Les berceuses assassines, recueil de nuvelles, publié chez Komédit

2010 Petites Fictions comoriennes Compilation : Recueil de nouvelles écrites par différents auteurs dont Adjmael Halidi, Said Ahmed Sast et Fahoudine Ahmada-Mze

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2011 Le sang des volcans, des Kalach et des Comores, publié chez L’Harmattan

TOIHIRI A. Mohamed

1955, le 20 août Mohamed A. Toihiri est né à Mitsoudjé, en Grande Comore et passe son enfance à l'Est de Madagascar (dans la province de Tamatave). Il fait sa scolarité élémentaire dans son village à Mitsoudjé, et son secondaire au lycée de Moroni.

1981 Il effectue ses études supérieures à Bordeaux, en France, où il obtient cette année là une maîtrise en littérature. Il complètera son parcours par une maîtrise en communication et un doctorat en lettres avec une thèse intitulée «Les luttes de classes dans l'oeuvre de Sembène Ousmane».

1980 Il rentre aux Comores où il enseigne dans différents établissements du secondaire.

1985 Il revient en France et fait paraître son roman La République des Imberbes, à Paris, aux éditions L'Harmattan. Un accueil mitigé lui sera accordé par les lecteurs d’origine comorienne : certains saluent son courage et sa présentation « objective » d’une période importante de l’Histoire de l’archipel, d’autres l’accuseront de proposer une vision partisane et noire du personnage d’Ali Soilihi, personnage principal de son œuvre, beaucoup n’y verront qu’une transposition littéraire de la période soilihiste. Mais tous salueront cette avancée de l’expression comorienne et le chemin frayé par Toihir car avec la publication de La République des Imberbes, il devient le premier romancier comorien d'expression française et reçoit le Prix des Mascareignes et des Comores. Il restera en France et y continuera une carrière d'enseignant jusqu’en 1994.

1992 Parution de son second roman Le Kafir du Karthala, chez le même éditeur. Roman à valeur sociologique, permettant de soulever la question du rôle de l’intellectuel comorien dans une société aux traditions fortement ancrées.

1994 De nouveau aux Comores, il occupe différentes fonctions importantes et débute une collaboration au journal national, Al-Watwan.

1997 La Route du Mystère, avec Denaud Patrick, Ibrahim Ahmed et Pétan Mouigni-Hazi). Collection Comorien.

1998 Après une formation d'Inspecteur Pédagogique, il est nommé Directeur Général de 426

l'Enseignement Supérieur des Comores, poste qu’il occupe jusqu'en mai 2001. Parallèlement, il continue à enseigner comme professeur de littérature de l'Océan Indien à l'Institut Supérieur de Formation et de Recherche aux Comores.

2000 Mohamed Toihir se lance dans l’écriture théâtrale, il publie Splendeurs et misères d'un bigame à Paris aux éditions Sens et Tonka.

2001 Parution de La Nationalité, à Paris chez A3. Une pièce de théâtre aux contours comiques, développant le thème du départ, interrogeant le rêve d’exil et d’Eldorado incarné par la France, soulignant l’absurdité du choix de quitter le pays, à n’importe quel prix. Cette pièce prend racine encore une fois dans les réalités quotidiennes de nombreux comoriens de partir en France pour une vie plus simple qu’aux Comores avec pour volonté. Il s’agit de donner à voir à ses congénères et à réfléchir sur les enjeux de cet exode, cette course pour un hypothétique nationalité française. Il est premier lauréat du Kalam d'or aux Comores ; un prix décerné par l'association Kalam d'écrivains comoriens. Il reçoit cette année-là, le titre de Chevalier de la Légion d'Honneur. 2002 Il quitte les Comores pour les Etats Unis où il occupe un poste d’enseignant à l'Université du Michigan à partir du mois d’août.

2003 Représentation de la pièce La Nationalité, à Moroni, mise en scène par Salim Maoulida avec accompagnement musical de la troupe de l'Af-c, et une interprétation par les Enfants du Théâtre.

2005 L'école de Bangano. Paris: Klanba.

Articles sélectionnés: « Un train pour le tunnel de l'angoisse ou sur le chemin de Tamatave ». Al-Watwan 433 (11-17 octobre 1996): 10. « 2001 Odyssée d'Eusobio ou le récit véridique des rescapés de Tanzanie ». Al-Watwan 694, 695, 697, 698 et 699 (du 12 octobre 2001 au 14 novembre 2001). « Xala ou l`impuissance du postcolonisé ». Fictions Africaines et Postcolonialisme, sous la direction de Samba Diop. Paris: L'Harmattan, 2002: 129-177. « Nassur Attoumani, le briseur de tabous ». Notre Librairie 258 (juillet-septembre 2005).

Enregistrement sonore : Littératures caribéennes et océano-indiennes à travers le roman réaliste, terres d'Afrique et terre des îles. Enregistrements sonores des tables rondes du Salon de la Plume Noire (13 octobre 1996, Paris). Mohamed Toihiri, Michèle Rakotoson et Marie-Thérèse Humbert. Christophe Wondji et Odile Cazenave, interviewers. Paris: Bibliothèque nationale de France, 1999. 5 disques compacts, Enregistrement 19961013.

Sur Mohamed Toihiri:

Beckett, Carole. "Religion et superstitions aux Comores dans les romans de Mohamed 427

Toihiri". La Revue française (South African journal for research in French) 11 (Decembre 2001). Elbadawi, Soeuf. « L'intellectuel, tragique héros ». Africultures 51 (octobre 2002): 58-61. « Lire aux Comores: entretien avec Mohamed Toihiri ». Medianes (Grenoble) 9 (juillet 1998). Magnier, Bernard. « Mohamed Toihiri: premier romancier comorien ». Notre Librairie 104 (janvier-mars 1991): 113-17. Nabahane, Abdou. « Le 3eme salon de l'atelier Com'Art: "La Nationalité" et "Le Bal des mercenaires" à l'honneur ». Le Matin des Comores (14 juin 2002). Soilih, Soilih Mohamed. « Littérature comorienne: de la fable à la politique ». Africultures 51 (octobre 2002): 49-54. Vève, Christine. « Le premier roman comorien en français ». Elite-Afrique n° zéro (1985): 64- 66. sur « île en île »: « Le volcan guérisseur », extrait de La République des Imberbes, roman de Mohamed Toihiri. « La femme et le repas familial », extrait du Kafir du Karthala, roman de Mohamed Tohiri.

Ailleurs sur le web:

Bounou, S. « Reformer l'enseignement c'est toute une machinerie », entretien avec l'écrivain et universitaire, Dr Mohamed Toihiri, Al-Watwan 843 (2004).

LG (propros recueillis par). « Quel rôle pour les écrivains comoriens ? », avec Mohamed Toihiri, Salim Hatubou et Nassuf Djaïlani. Kashkazi 14 (2005). Vève, Christine. « Mohamed Toihiri, premier romancier comorien » (article de 1985 reproduit sur Mwezinet).

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BIBLIOGRAPHIE

∗CORPUS∗

ROMANS

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THEATRES

ABDEL FATAH Nadjloudine L'Afrique dans la main du diable, Levallois-Perret, Editions de la Lune, 2007 ABDILLAHI Mistoihi Honneur ou bonheur ?, Levallois-Perret, Éditions de la Lune, 2006 AHMED ABDALLAH Patrice, Les frasques d’un notable, Levallois-Perret, Editions De La Lune, 2006 Le Notable Répudié, Moroni, Komédit, 2002 ATTOUMANI Nassur La Fille du Polygame, Paris, L'Harmattan, 1992 BARWANE Ibrahim Pauvres Comores, Moroni, Komédit, 2005 TOIHIRI Mohamed L'école de bangano, Klanba Editions, 2005 La Nationalité, Editions A3, 2001 RIDJALI Ambass Les Coulisses d’un mariage incertain, Moroni, Komédit, 2004 SAID MOHAMED Abderemane (Wadjih) Tombé du ciel, Paris, Plumes Libres, 2007

CONTES

AHMED-CHAMANGA Mohamed et ALI MROIMANA Ahmed Contes Comoriens de Ngazidja au delà des mers, Paris, L'Harmattan, 1999 COLLECTIF Mensonges Mensonges! Mais qui osera me contredire, Moroni, Komédit, 2002, HATUBOU Salim Sur Le Chemin de Milepvani, je m’en allais...Paris, L'Harmattan, 2001 Contes de ma grand-mère, Paris, L'Harmattan, 1994 Contes Comoriens, Genèse d'un Pays Bantu, VOL 1 SAID AHMED Moussa Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale, Paris, L'Harmattan, 2000, SAID MOHAMED Abdérémane (Wadjih) Djambo Djema : Contes comoriens, Moroni, Komédit, 2003

NOUVELLES ET RECUEILS DE NOUVELLES BACO Abdou Salam Cinq femmes, Marseille, Encres du Sud, 2006 COLLECTIF Dernières nouvelles de Françafrique, Vents D'Ailleurs, 2003

COLLECTIF ASEC Recueil de nouvelles, France,1983 HALIDI Adjmael Nahariat, Recueil de nouvelles. Moroni, Komédit, 2011 Au rythme des alizés, Levallois-Perret, Editions De La Lune, 2006 430

MOUHTARE Touhfat Ames suspendues, Savigny le Temple, Coelacanthe, collection Yahanda, 2011 OMAR Djamal, Le sacre de l’enfant révolté, Edilivre, 2007 NASSUF Djailani Une saison aux Comores…, Moroni, Komédit, 2005 SAÏD Abdoulhalim Mohamed Elamine, Ngani, La cité des Djinns, Moroni, Komédit, 2004 SAST Saïd Ahmed Les berceuses assassines, Moroni, Komédit, 2007

RECUEILS DE POÈMES

ALLAOUI Halidi Cris d’ici et d’ailleurs, Moroni, Komédit, 2008 ANSSOUFOUDDINE Mohamed, Paille-en-queue-et-vol, Moroni, Komédit, 2006 BECKETT Carole Anthologie d'Introduction à la Poésie Comorienne d'Expression Française, Paris, L'Harmattan, 1995 BEN ALI Saindoune Testaments de Transhumance, Moroni, Komedit, 2004 DAMIR Ben-Ali, CHAMI-ALLAOUI Masseande Mbae Trambwe, Poèmes, Pensées et Fragments, CNDRS, Moroni, 1990 GREY Stephen Invitation to a voyage, Afrique du Sud , Protea Book, 2007 HALIDI Adjmael Oraisons vespérales, Collection Poètes des cinq continents, Paris, L'Harmattan, 2009 HATUBOU Salim HATUBOU Salim, VALLORANI Jean-Pierre, Métro Bougainville, Via Valeriano, 2000 MAB ELHAD, Kaulu la mwando, Komédit, 2004 M'SAIDIE Mahamoud, Autodafés, Edition du Cygne, 2010 Le mur du calvaire, Poètes des 5 Continents, Paris, L'Harmattan, 2001 NASSUF Djailani Le songe d’une probable renaissance, Moroni, Komédit, 2010 Roucoulement, Moroni, Komédit, 2006. SAID YASSINE Said Ahmed Mon âme est percée, Paris, Les Belles Pages, 2006 SAMBAOUMA A. Nassar Poèmes des illusions perdues, Moroni, Komédit, 2008 SOUNY William Comores en flammes, dernier appel, Paris, L'Harmattan, collection Poètes des cinq continents, 2010 Notes comoriennes pour un comité de rivages, Paris, L'Harmattan, 2002 TABIBOU Kokomoina La boussole sans aiguille, Le vallois, Editions de la Lune, 2009

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ESSAIS / ESSAIS POÉTIQUES

ATTOUMANI Nassur Mayotte: identité bafouée, Paris, L'Harmattan, 2003 Essai BACO Abdou Salam Esprit d’anthologie, Komédit, 2006 CHAMOUSSIDINE Mohamed, Comores : l'enclos ou une existence en dérive, Moroni, Komédit, 2012 COLLECTIF Petites fictions comoriennes, Moroni, Komedit, 2010, COLLECTIF Revue project-îles, Revue littéraire, Moroni, Komédit, 2010 ELBADAWI Soeuf, ATTOUMANI Nassur, TOIHIRI Mohamed, SAID SALIM Aboubacar, ELBADAWI Soeuf Moroni Blues Chap. II, Editions Bilk & Soul, 2007 Moroni Blues/ Une rêverie à quatre, Editions Bilk & Soul, 2009 HATUBOU Salim A Feu Doux, Françoise Truffaut, 2004 HATUBOU Salim, DJAILANI Nassuf, ELBADAWI Soeuf, SAINDOUNE Ben Ali Nouvelles - Ecritures Comoriennes, Moroni, Komédit, 2007 HATUBOU Salim, VALLORANI Jean-Pierre, Métro Bougainville, Via Valeriano, 2000 MOHAMED I, ELBADAWI S, M'CHANGAMA A, AHMED-CHAMANGA M, Maandzish n°3 - Petites histoires Comoriennes, Moroni, Komédit, 2003

∗OUVRAGES SPÉCIALISÉS∗

Sur la littérature Comorienne:

ABDOU EL AZIZ M-A 1987, La poésie traditionnelle comorienne : le cas de Mbae Trambwe Mlanao, mémoire de fin d’études E.N.E.S (Moroni) ABDOURAHMANE MOUIGNI 1988, Mshinda Mtimbo, vie et œuvre, mémoire de fin d’études, ENES ABDOUROIHMANE Daniel Ahmed, Doctorat Etudes Africaines La Littérature Comorienne de l’Ile d’Anjouan. Essai de Classification et de Traductions des Genres Littéraires Oraux et Ecrits, Paris, INALCO, 4vol, 743p BACAR Abdoulatuf, Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires, Paris, Les Ed. de la Lune, « Littérature et Critiques », 2009 BACARI A. 1989, La poésie traditionnelle comorienne, traduction et commentaire d’un recueil de poèmes, mémoire de fin d’études E.N.E.S (Moroni) BECKETT Carole Anthologie d'Introduction à la Poésie Comorienne d'Expression Française, Paris L'Harmattan, 1995

432

COLLECTIF Littérature Orale à Madagascar et aux Comores, Etudes de l'Océan Indien n°32, INALCO / Langues'O, Paris, 2000 DAMIR Ben Ali 1982, Commentaires sur quelques termes de la version arabe du Habara na Angazidja, Etudes Océan Indien, 1, pp.11-14 1984, Place et prestige du Kiswahili dans les îles Comores, Ya Mkobe Moroni), 1, pp.12-16 JOUBERT Jean-Louis Littératures de l’Océan Indien, Paris, EDICEF ,1991 MDAHOMA Ali Abdou Introduction à l’histoire du roman comorien de langue française, Thèse de Doctorat Nouveau Régime en Littérature générale et comparée, sous la direction de Papa Samba Diop, soutenue et présentée publiquement le 29 juin 2011, Université Paris-Est NGAL Georges Œuvre critique : Articles, communications, interviews, préfaces et études sur Commandes des organismes internationaux, 1970-2009, Tome 1 Paris, L’Harmattan, 2009 SAADI Mahamoud Le roman et la société comoriens, mémoire de maîtrise soutenu en 2000 sous la direction de Monsieur le Professeur Claude Mouchard, université de Saint Denis SAID AHMED Moussa Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale, Paris, L'Harmattan, 2000 WALKER Iain Comores : Guide culturel, Moroni, Komédit, 2009

Sur la langue Comorienne:

AHMED CHAMANGA Mohamed et GUEUNIER Noël J. Le dictionnaire comorien français et français-comorien du R.P. Sacleux, Paris S.E.L.A.F (Collections « Langues et Civilisations de l’Asie du Sud-Est et du Monde insulindien »), 2 volumes, 1977 LAFON Michel Lexique Français Comorien (Shingazidja), Paris, L’Harmattan, 1991 SACLEUX R-P Dictionnaire comorien-français et français-comorien, Collection langue et civilisation de l’Asie du Sud-Est et du monde insulindien, Langues, cultures et sociétés de l’Océan Indien, n°9, Louvain, Paris, éd Peeters, 1979 SALEH Ali Cours d’initiation à la langue comorienne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1979

Sur les Comores

AHMED WADAANE Mahmoud Autopsie des Comores : Coups d’État, mercenaires, assassinats, Cercle Repères BEN ALI Damir Musique et Société aux Comores, Moroni, Komedit, 2004 BEN ALI Damir, BOULINIER Georges, OTTINO Paul Tradition d’une Lignée Royale des Comores, Paris, L’Harmattan, 1985 433

CHAGNOUX Hervé, HARIBOU Ali Les Comores, Que-sais-je, Paris, PUF, 1980 CHANFI Ahmed Abdallah Islam et Politique aux Comores, Paris, L’Harmattan, 2000 CHANFI Ahmed Abdallah Ngoma et Mission Islamique (Da’wa) aux Comores et en Afrique Orientale : Une approche anthropologique, Paris, L’Harmattan, 2002 CHOUZOUR Sultan 1982, Histoire et sociologie de Ngazidja. Le manuscrit de Said Hussien, Etudes Océan Indien, 1, pp. 16-53 CHOUZOUR Sultan Le Pouvoir de l’Honneur : Traditions et Contestations en Grande-Comore, Paris, L’Harmattan, 1994 DIA Hamidou Anthropologie, poètes d’Afrique et des Antilles d’expression Française, De la naissance à nos jours, Paris, La Table ronde, 2002 DJABIR Abdou Les Comores, Un Etat en construction, Paris, L’Harmattan, 1993, 188p IBRAHIME Mahmoud Etat Français et Colons aux Comores (1912- 1946), Paris, L’Harmattan, 1997, 152p GUEBOURG Jean-Louis Espace et Pouvoirs en Grande Comore, Paris, L’Harmattan, 1996, 592p GUEBOURG Jean-Louis La Grande Comore : Des Sultans aux Mercenaires, Paris, L’Harmattan, 1994 Le GUENNEC-COPPENS Françoise, PARKIN David (éds) Autorité et pouvoir chez les Swahili, Paris, Karthala, collection Hommes et sociétés, 1999 MARTIN Jean Comores : Quatre Iles Entre Pirates et Planteurs ; Tome 1 Razzias malgaches et rivalités internationales (fin XVIIIe-1875), Paris, L'Harmattan, 1983 MARTIN Jean Comores : Quatre Iles Entre Pirates et Planteurs, Tome 2 Genèse, vie et mort du protectorat (1875-1912), Paris, L'Harmattan, 1983 MATTOIR Nakidine Les Comores de 1975 à 1990-Une histoire politique mouvementée, Paris, L’Harmattan, 2004 SOILIHI Ali L’Eloquence Comorienne au Secours de la Révolution : Les Discours d’ALI SOILIHI Centre d’études et de Recherches sur l’Océan Indien, Paris, L’Harmattan, 1995 VERIN Pierre, VERIN Emmanuel, SOILIHI Ali Archives de la Révolution Comorienne (1995-1978) : Le Verbe contre la Coutume Paris, L’Harmattan, 1999 VERIN Pierre Les COMORES, Paris, Karthala, 1994 WALKER Iain, Comores : Guide culturel, Moroni, Komédit, 2009

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∗OUVRAGES GÉNÉRAUX∗

AIT SABBAH Fatna La femme dans l’inconscient musulman : désir et pouvoir, Paris, Albin Michel, 1993 ALESSANDRI Brigitte L’école dans le roman africain, Paris, L’Harmattan, 2006 BACHOFEN Johan Jacob Le droit maternel : recherche sur la gynécocratie de l’antiquité dans sa nature religieuse et juridique, Lausanne, Age de l’Homme, 1996 BAKHTINE Mikhail Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimar, 1978 Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984 COLLEU Gilles Éditeurs indépendants : de l’âge de raison vers l’offensive ? L’éditeur indépendant de création, un acteur majeur de la biblio-diversité Paris, Alliance des éditeurs indépendants, 2006 DEHON Claire L., Le Réalisme africain : le roman francophone en Afrique Subsaharienne, Paris, L’Harmattan, 2002 DIA Hamidou Anthropologie, poètes d’Afrique et des Antilles d’expression Française De la naissance à nos jours, Paris, La Table ronde, 2002 DIA Hamidou Poésie Africaine et Engagement, Acoria, 2003 DIALMY Abdessamad Féminisme, islamisme et soufisme, Collection : Espaces méditerranéens, Paris, Publisud, 1997 DIOP Cheikh Anta L’Unité culturelle de l’Afrique Noire : domaine du patriarcat et du matriarcat dans l’antiquité classique, Paris, Présence Africaine, 1982 DUBOIS DE GAUDUSSON, CONAC Jean, DESOUCHES Gérard, CHRISTINE Constitutions Africaines publiées en Langue Française Documentation Française, 1997 GLISSANT Édouard, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 2005 HEINICH Nathalie États de femme : L’identité féminine dans la fiction occidentale, Paris, Gallimard, 1996 JOUBERT Jean-Louis Littératures de l’Océan Indien, EDICEF ,1991 KEMBE Milolo L’Image de la femme chez les romancières de l’Afrique noire francophone Editions universitaires, Suisse, Fribourg, 1986 KOM Ambroise, (sous la direction de), Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française en Afrique au Sud du Sahara, volume 2, de 1979 à 1989, L’Harmattan, 2002 MAGNIER Bertrand Poésie du sud du Sahara 1945-1995, Paris, Actes Sud, Unesco, 1995

435

MIDIOHOUAN Guy Ossito Écrire en pays colonisé, Paris, L’Harmattan, 2002 NGAL Georges Création et Rupture en Littérature Africaine, Paris, L’Harmattan, 1994 Œuvre critique : Articles, communications, interviews, préfaces et études sur Commandes des organismes internationaux, 1970-2009, Tome 1, Paris, L’Harmattan, 2009 PINHAS Luc Éditer dans l’espace francophone : législation, diffusion, distribution et commercialisation du livre, Collection :États des lieux de l’édition Paris, Alliance des éditeurs indépendants, 2005 RÉGIS Antoine La littérature franco-antillaise : Haïti, Guadeloupe et Martinique, Paris, Karthala, collection Lettres du sud, 1992 R. ISSUR Kumari et Y.HOOKOOMSING Vinesh, (Sous la direction de) L’Océan Indien dans les Littératures Francophones, Paris, Karthala, Presses de l’Université de Maurice, 2001 SENGHOR Léopold Sedar Anthologie de La Nouvelle Poésie Nègre et Malgache de Langue Française PUF 1977, Paris SOURDEL Dominique, L’Islam, collection « Que sais-je ? », Paris, Presses Universitaires de France, 18ème édition corrigée, 1995 TRUCHET Jean-Marc Je m’édite… du verbe éditer : l’autoédition ou comment devenir son propre éditeur Lagneau (Ain), La plume du temps, 2006

∗REVUES, ARTICLES, PÉRIODIQUES∗

AFRICULTURES L'Harmattan, N°51- Octobre 2002, Paris, AFRICULTURE L’Harmattan, N°15 Février 1999, Paris COMORES Mag, Marseille, Comores Mag, n°2, Janvier-Février, 2004 PROJECT-ÎLES, Revue littéraire de l’Océan Indien Association Uwahandziya, 2011, n°2, Lien web project-îles.net TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie - N°1 Savigny Le Temple, Association INYA, Fevrier-Mars-Avril 2001 TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie - N°2 Savigny Le Temple Association INYA, Mai-Juin-Juillet, 2001 TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie - N°3 Savigny Le Temple Association INYA, Septembre-Octobre-Novembre, 2001 TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie - N°5 DOSSIER : La littérature comorienne Savigny Le Temple Association INYA, Mars-Avril-Mai 2002 TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie – N°7 Savigny Le Temple, Association INYA, Janvier 2003,34p Dossier : Origine et évolution de la langue Comorienne TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie – N° 8 436

Savigny Le Temple , Association INYA, Août 2003 TAREHI - Revue d'histoire et d'archéologie – N°11 Savigny Le Temple, Association INYA, Janvier 2005, Savigny Le Temple, 38p Dossier : Les découvertes Archéologiques sur les rives de l’Océan Indien occidental YA MKOBE- Revue du Centre National et de Recherche Scientifique- Moroni, Komédit, N°11- Janvier 2005 YA MKOBE- Revue du Centre National de Documentation et de Recherche scientifique Moroni, Komédit, N°8-9 Février 2002

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INDEX DES AUTEURS

‐A‐ ABDALLAH PAUNE Kamaroudine : 35, 124 ABDILLAHI Mistoihi : 35, 305, 306 ABDOUROIHMANE Daniel Ahmed : 24, 28, 31, 35, 39, 51, 75, 103, 272, 430 ABOUBACAR Aziza Mohamed: 106, 269, 440 AHAMADA‐M'ZE Fahoudine: 19, 34, 321, 343, 378, 379, 381, 384, 389, 398, 425, 435 AHMED ABDALLAH Patrice: 34, 45, 96, 97, 98, 113, 133, 137, 184, 298, 300, 340, 381, 397, 437 AHMED Ibrahim: 34, 35, 116, 124, 125, 158, 183, 343, 359, 418, 426 AÏT SABBAH Fatna : 430 ALESSANDRI Brigitt : 430 ALI MROIMANA Ahmed: 430 ALLAOUI Halidi: 35, 122, 131, 256, 296, 351, 414, 438 ANSSOUFOUDDINE Mohamed: 26, 32, 35, 293, 296, 340, 349, 353, 364, 367, 389, 399, 405, 438 ATTOUMANI Nassur: 21, 35, 113, 120, 122, 277, 278, 282, 283, 298, 299, 395, 400, 427, 436, 438

‐B‐ BACAR Abdoulatuf: 26, 29, 277, 307, 315, 433, 446 BACAR TABIBOU Kokomoina: 35, 106, 266, 403, 438 BACO Abdou (Salam/ Mambo): 31, 35, 111, 116, 120, 122, 135, 256, 258, 275, 276, 277, 279, 311, 313, 322, 378, 404, 429 BARWANE Ibrahim: 34, 96, 129, 132, 300, 302, 351, 352, 380, 389, 394, 402 BECKETT Carole: 21, 22, 24, 47, 87, 89, 90, 91, 104, 105, 106, 134, 178, 180, 287, 289, 337, 408, 409, 427, 430 BEN ALI Damir: 24, 30, 48, 76, 88, 90, 91, 99, 109, 245, 430 BEN ALI Saindoune: 21, 22, 26, 32, 33, 35, 53, 54, 106, 107, 122, 137, 153, 157, 237, 240, 289, 291, 290, 294, 296, 297, 331, 332, 333, 337, 341, 342, 349, 353, 366, 368, 373, 381, 388, 389, 395, 405, 438 BEN SAID SALIM Aboubacar: 26, 29, 35, 105, 106, 121, 135, 138, 143, 194, 226, 230, 274, 277, 279, 281, 307, 310, 315, 339, 343, 347, 387, 407, 414, 422, 435, 438 BLANCHY Sophie : 64, 165, 171, 175, 176, 177, 179, 252 BOULINIER Georges: 24, 88, 99, 224, 245

‐C‐ CAMUS Albert : 394, 413 CHAGNOUX Hervé : 53, 434 CHAMANGA Mohamed Ahmed : 19, 64, 76, 128, 132, 137, 142, 143, 146, 150, 430, 432 CHAMI‐ALLAOUI Masseande : 90, 207, 251, 252, 266, 430 CHANFI Ahmed abdallah : 172, 181, 338, 434 438

CHOUZOUR Sultan : 169, 432, 438

‐D‐ DIA Hamidou : 22 DIALMY Abdessamad : 250, 256, 265, DJAILANI Nassuf : 21, 35, 49, 106, 122, 207, 284, 293, 296, 298, 340, 349, 395, 405, 408 DUFOUR Hortense: 115, 121, 266, 275

‐E‐ ELANIOU Abdou Ali : 197, 198, 281, 330, 331, 429 ELBADAWI Soeuf : 14, 16, 31, 32, 33, 35, 51, 97, 122, 156, 158, 239, 297, 302, 303, 326, 340, 349, 350, 351, 353, 402, 406, 407, 410

‐F‐ FREI Coralie : 111, 266,

‐G‐ GLISSANT Édouard: 33, 50, 151, 153, 349, 350, 351, 360, 367, 436 GREY Stephen: 106, 107

‐H‐ HALIDI Adjmael : 35, 106, 133, 284, 354, 356, 357, 358, 398, 413, 419, 420, 438 HARIBOU Ali : 53, 434 HATUBOU Salim : 16, 45, 49, 64, 65, 69, 70, 73, 92, 93, 110, 122, 130, 132, 139, 141, 157, 157, 225, 230, 259, 276, 283, 284, 286, 298, 316, 317, 339, 343, 357, 361, 363, 377, 380, 385, 389, 392, 395, 415, 417, 435, 436, 437, HEINICH Nathalie : 436 HOUMADI Andhume : 35, 283, 284, 398, 429

‐ I‐ IBRAHIME Mahmoud : 30, 49, 133, 135, 222, 223, 245, 282, 434 IBRAHIMI Yakoub : 138, 446

‐J‐ JOUBERT Jean‐Louis : 20, 21, 23, 82, 85, 89, 98, 104, 265, 361, 364

‐K‐ KEMBE Milolo : 246, 250, 264, 436

‐L‐ LAFON Michel : 30, 47, 148, 433

439

‐M‐ M'SAIDIE Mahamoud: 35, 113, 296, 418, 431 MAB ELHAD : 35, 105, 106, 131, 149, 294, 296, 349, 407, 431 MAGNIER Bertrand : 427, 436 MARTIN Jean : 77, 84, 85, 434 MASSIMIA Ali (Massali Kafuhambi): 35, 378, 389, 395 MATTOIR Nakidine: 304, 435 MDAHOMA Ali Abdou : 26, 28, 29, 277, 307 MIDIOHOUAN Guy Ossito: 22, 436 MOHAMED Nabhane: 111, 151, 420 MOUHTARE Touhfat: 35, 266, 267, 268, 269, 284, 419

‐N‐ NADJLOUDINE Abdel‐Fatah: 34, 371, 372, 420, 430 NGAL Georges: 25, 433, 436 NOUR DINE: 35, 129, 228, 429

‐O‐ OTTINO Paul: 24, 77, 88, 99, 245

‐P‐ PINHAS Luc: 115, 431

‐R‐ RIDJALI Ambass: 35, 156, 185, 259, 284, 299, 302, 305, 422, 423, 424, 435, 436

‐S‐ SAADI Mahamoud, 26, 272, 277, 133 SACLEUX R‐P : 149, 433 SAID Abdoulhalim Mohamed Elamine: 34, 186, 187, 370, 424, 449 SAID AHMED Moussa: 44, 48, 49, 60, 62, 64, 65, 69, 76, 72, 77, 78, 80, 90, 402, 431 SAID MOHAMED Abderemane (Wadjih): 35, 64, 70, 92, 108, 124, 129, 240, 241, 397 SAID YASSINE Said Ahmed: 128, 132, 424 SALEH Ali : 195 SARTRE Jean‐ Paul: 393, 394, 413 SAST Said Ahmed: 35, 78, 112, 155, 225, 234, 268, 271, 282, 284, 314, 339, 360, 364, 375, 376, 378, 380, 381, 385, 389, 395, 398, 425, 435, 438 SENGHOR Léopold Sedar: 20, 348, 432 SOILHABOUD Hamza: 35, 10, 120, 122, 177, 272, 274, 275, 276, 278, 279, 281, 284, 320, 339, 370, 429 SOUNY William: 432

440

‐T‐ TADIÉ Jean‐ Yves ; 323 TOIHIRI Mohamed : 21, 22, 26, 45, 46, 96, 105, 112, 120, 183, 192, 198, 218, 219, 217, 220, 223, 225, 230, 234, 239, 348, 258, 261, 265, 273, 274, 275, 277, 279, 280, 283, 284, 287, 288, 293, 298, 307, 325, 331, 329, 338, 339, 343, 346, 347, 364, 364, 371, 402, 411, 425, 426

‐V‐ VERIN Pierre : 163, 435

‐Y‐ YOUSSOUF Ibrahim : 35

441

INDEX DES OUVRAGES CITÉS

5 femmes ; 256, 258, 378

‐A‐ AFRICULTURES, L’archipel des Comores, un nouvel élan ?; 16, 25, 92, 94, 118, 119, 240, 404, 411, 428 Ames suspendues, Cœlacanthe ; 266, 268, 419, 431, 445 Anthologie d'Introduction à la Poésie Comorienne d'Expression Française ; 11, 20, 21, 22, 24, 87, 89, 90, 105, 106, 121, 287, 288, 289, 289, 290, 293, 296, 337, 338, 349, 374, 407, 408, 422 Au rythme des alizés ; 354, 356, 413, 430, 445 Aux parfums des îles ; 14, 283, 284, 370, 399, 429, 442 Aux villages de l’Océan ; 35, 124, 125, 126, 127, 159, 183, 322, 343, 359, 418, 429, 442

‐B‐ Brûlante est ma Terre ; 111, 120, 276, 276, 278, 311, 313

‐C‐ Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires ; 26, 29, 307, 314, 315 Comores : Guide culturel ; 30, 129, 171, 198 Contes Comoriens Genèse d'un Pays Bantu ; 94, 110, 444 Contes de ma grand‐mère ; 64, 65, 70, 92, 415, 430 Contes des îles de la Lune (Contes Comoriens) ; 92, 403, 444 Contes des nuits noires ; 92, 444 Crimailles et nostalgie ; 105, 408, 445 Cris d’ici et d’ailleurs ; 11, 287, 296, 351, 415, 431

‐D‐ Dans un cri silencieux ; 121, 275, 276, 278, 404 Des Comores au Zaïre, Récits et poèmes swahili ; 106, 269, 445 Dimkou et la petite fille ; 92, 149, 417, 444 Djambo Djema (Contes comoriens) ; 64, 69, 92, 124, 149, 397, 430, 444

‐E‐ Et la graine…; 29, 120, 135, 138, 230, 252, 274, 275, 278, 282, 307, 319, 408 Et le soleil se lèvera 2 ; 35, 445

‐G‐ Goma, polygame à la Courneuve ; 138, 429 Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale ; 23, 24, 28, 44, 48, 60, 91, 200

‐H‐ Hamouro ; 16, 357, 416, 429 Honneur ou bonheur ? ; 11, 35, 304, 305, 330, 370, 430, 443

442

‐I‐ Invitation to a voyage; 106, 409, 431

‐K‐ Kaulu la mwando ; 294, 296, 349, 431, 445

‐L‐ L’Honneur des Lâches ; 398, 442 La Fille du Polygame ; 120, 122, 299, 304, 401, 430 La Littérature Comorienne de l’Ile d’Anjouan. Essai de Classification et de Traductions des Genres Littéraires Oraux et Ecrits; 24, 28, 432, 447 La Nationalité ; 46, 96, 299, 371, 427, 428, 430 La République des Imberbes; 16, 21, 22, 26, 29, 53, 115, 121, 251, 265, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 307, 314, 315, 324, 329, 330, 331, 345, 346, 358, 360, 370 La secte de la virginité ; 53, 319, 320, 321, 322, 323, 326, 343, 355, 378, 383, 398 L'Afrique dans la main du diable ; 371, 421 Le Bal des Mercenaires ; 26, 29, 87, 144, 195, 224, 226, 227, 231, 232, 236, 244, 251, 252, 254, 306, 307, 308, 311, 314, 315, 319, 347, 370, 377, 387, 408 Le crépuscule des baobabs, 155, 231, 232, 234, 244, 261, 262, 271, 284, 314, 358, 360, 361, 376, 377, 425

Le Kafir du Karthala ; 29, 120, 121, 176, 184, 193, 203, 217, 218, 220, 221, 224, 226, 231, 235, 240, 244, 249, 252, 254, 263, 274, 275, 283, 285, 307, 343, 346, 359, 370, 376 Le mur du calvaire ; 296, 418, 431 Le Notable Répudié ; 11, 45, 97, 137, 174, 285, 300, 340, 370, 397, 430 Le Sang de l'Obéissance ; 45, 193, 225, 226, 230, 233, 235, 244, 253, 254, 276, 283, 284, 285, 339, 358, 377, 429 Le tournis ; 115, 121, 266, 275 L'école de bangano ; 43, 45, 427, 430 L'enfer du silence ; 378, 395, 442 Les berceuses assassines ; 53, 237, 238, 239, 241, 376, 378, 380, 381, 382, 425, 431 Les démons de l’aube ; 53, 377, 378, 379, 382, 385, 386, 387, 389, 416, 429 Les exploits de Mzimba ; 124, 418, 442 Les frasques d’un notable ; 185, 196, 298, 370, 397 Les Testaments de Transhumance ; 11, 22, 54, 106, 130, 153, 237, 239, 290, 294, 297, 332, 335, 354, 366, 368, 373, 389, 406, 411 L'Odeur du béton ; 276, 284, 358, 369, 416 L'odeur du coma ; 419, 445

‐M‐ Marâtre ; 11, 129, 259, 315, 316, 317, 326, 417, 429 Mbae Trambwe, Poèmes, Pensées et Fragments ; 78, 90, 251, 431, 445 Métro Bougainville ; 284, 298, 326, 361, 363, 385, 416, 417, 431, 432, 445 Mon âme est percée ; 425, 431, 445 Mon mari est plus qu’un fou, c’est un homme, Naïve ; 401, 402, 429, 442

‐N‐ Nahariat, Recueil de nouvelles ; 414, 430, 445 443

Naïa et le tam‐tam sacré ; 92, 416, 442, 444 Ngani, La cité des Djinns ; 111, 186, 187, 189, 190, 369, 424, 445 Nouvelles ‐ Ecritures Comoriennes ; 290, 293, 294, 296, 327, 349, 351, 369 Nuits d’automne ; 416, 445 ‐O‐ Œuvre critique : Articles, communications, interviews, préfaces et études sur Commandes des organismes internationaux, 1970‐2009 ; 25

‐P‐ Paille‐en‐queue‐et‐vol ; 11, 237, 293, 367, 400 Partages ; 35, 445 Pauvres Comores ; 129, 301, 351, 369, 380, 394, 403 Petite Graine ; 129, 228, 229, 230, 323, 429

‐R‐ Recueil de nouvelles (ASEC) ; 33, 115, 119, 290, 430, 445 Roucoulement ; 296, 298, 349, 409, 431, 449

‐S‐ Sur le chemin de l’école ; 156, 284, 369, 423 Sur Le Chemin de Milepvani, je m’en allais... ; 49, 64, 65, 369, 385, 416, 430, 444

‐T‐ TAREHI ‐ Revue d'histoire et d'archéologie ‐ Dossier : La littérature comorienne, n°5 ; 24, 28, 31, 39, 75, 98, 109, 134, 146, 208, 225, 279, 298 Tombé du ciel ; 108, 124, 129, 186, 241, 355, 397, 447

‐U‐ Un coin de voile sur les Comores ; 121, 273, 275, 276, 277, 279 282, 285, 319, 320, 346, 369 Un parfum de mangrove ; 112, 369, 442 Une enfance oubliée et autres histoires… ; 128, 425, 430, 445 Une saison aux Comores…; 369, 409, 410, 431, 445

‐Y‐ YA MKOBE‐ Revue du Centre National de Documentation et de Recherche scientifique ; 147, 148, 207

444

Tableau du nombre d’ouvrages publiés de 1984 à 2011

Annexe 1 2001-2010 1991-2000 1980-1990 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Roman 0 1 0 0 0 0 0 1 1 1 0 0 1 0 1 1 4 4 4 1 2 5 3 10 1 2 2 2 Poésies 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 1 1 0 0 0 1 2 2 1 2 2 5 0 4 4 3 1 Théatre 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0 0 0 1 1 1 1 0 2 2 2 5 0 2 0 2 Nouvelle 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0445 0 0 0 0 0 0 0 0 1 1 1 1 3 3 0 0 0 2 Ref/Recherche 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 2 0 0 3 0 1 0 0 0 0 0 0

Essai prose-poétique 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 3 1 0 1 2 0 2 2 0

jeunesseContes + litterature 0 0 1 0 0 0 0 1 0 2 1 1 0 1 2 4 0 4 1 4 1 0 0 0 0 1 0 Annexe 2 Liste des ouvrages publiés de 1984 à nos jours

ROMANS (49)

Le tournis, (Dufour Hortense), Paris, Grasset, 1984 La République des Imberbes, (Toihiri Mohamed), Paris, L'Harmattan, 1985 Brûlante est ma Terre, (Baco (Mambo) Abdou Salam), Paris, L'Harmattan, 1991 Le Kafir du Karthala, (Toihiri Mohamed), Paris, L'Harmattan, 1992 Dans un cri silencieux, (Baco (Mambo) Abdou Salam ), Paris, L'Harmattan, 1993 Un coin de voile sur les Comores, (Soilhaboud Hamza), Paris, L'Harmattan, 1994 Le Sang de l'Obéissance, (Hatubou Salim), Paris, L'Harmattan, 1996 Et la graine… (Said Salim Aboubacar), Champigny, Cercles Repères, 1998 L'Odeur du béton, (Hatubou Salim), Paris, L'Harmattan, 1999 Un conteur dans ma cité, (Hatubou Salim), Marseille, Encres du Sud, 2000 Mwanangaya ‐ La vie est belle mais pas autant que mes rêves, (Nour Dine) Encres du Sud, Marseille, 2000 Omar la Baraka, (Soilhaboud Hamza), Marseille, Encres du Sud, 2001 Un coin de voile sur les Comores, (Soilhaboud Hamza), Réédité, Marseille, Encres du Sud, 2001 Le crépuscule des baobabs, (Sast Said‐Ahmed), Moroni, Komédit, 2001 Maoré, (Turgis Patrick), Paris, L'Harmattan, 2001 Un parfum de mangrove, (Toihiri Mohamed), Editions du Baobab, 2002 Sur le chemin de l’école, (Ridjali Ambass), Moroni, Komedit, 2002 Le Bal des Mercenaires, (Said Salim Aboubacar), Moroni, Komedit, 2002 Le destin d’un jeune orphelin, (Massali Kafuhambi), publibook 2002 (Réédité aux éditions Le Manuscrit), Massimia Ali, 2004 L'enfer du silence, (Massali Kafuhambi), Le manuscrit, Massimia Ali, 2004 Soilihi au pays de Rakoto Rabamanala, (Ahmed Ibrahim), Tananarive, Print Express, Un député va mourir, (Sayouba Traore), (Ahmed Ibrahim), Moroni, Komedit, 2004 Aux villages de l’Océan, (Ahmed Ibrahim), Tananarive, Print Express, 2004 Les exploits de Mzimba, (Ahmed Ibrahim), Tananarive, Print Express, 2005 Hamouro, (Hatubou Salim), Paris, L’Harmattan, 2005 Hassanati, de Mayotte à Marseille, (Hatubou Salim), Paris, L'Harmattan, 2005 Les matins de p’tite Lô aux Comores, (Hatubou Salim), Paris, L’Harmattan, 2005 Naïa et le tam‐tam sacré, (Hatubou Salim), Moroni, Komedit, 2005 Les démons de l’aube (Hatubou Salim), Paris, L’Harmattan, 2006 Mon mari est plus qu’un fou, c’est un homme, Naïve, (Attoumani Nassur), 2006 Aux parfums des îles,(Houmadi Andhume), Moroni, Komedit, 2006 L’Honneur des Lâches, (Ahamada‐M'ze Faoudine), Paris, Ed. de la Lune, 2007 La prostitution en héritage, (Ahamada‐M'ze Faoudine), Kwanzaa, 2007 La secte de la virginité, (Ahamada‐M'ze Faoudine) Kwanzaa, 2007 Le seigneur héroïque, ( Fayalle Mohamed), Paris, L'Harmattan, 2007 Masihou Mtsana, ( Zeine Papakaïs Mohamed), Kalamu Des Iles, 2007 Petite Graine, (Nour Dine), (Réédition du texte Mwanangaya, sous un autre titre), Komedit, 2007 Goma, polygame à la Courneuve, (Ibrahimi Yakoub), Buchet‐Chastel, 2008 446

Le crépuscule des mœurs, Said Yassine Said Ahmed, éditions Gfcasdvi, 2009 Le Petit‐poucet, (Mmadi Djaffar) , Edions de La Lune, 2009

Marâtre, (Hatubou Salim), Moroni, Komédit, 2003, 2e édition 2007 Coupeurs de tête, (Baco (Mambo) Abdou Salam), Chevagny‐sur‐Guye, Orphie, 2007 Mariage ambigu, (Ahmed Ibrahim), Tananarive, Print Express, 2007 Sobdolo, le cousin imbécile, (Ahmed Ibrahim), Tananarive, Print Express, 2007 La perle des Comores, Frei Coralie, Editions Le manuscrit, 2010 Tu peux traduire ? Voyage d’un mzungu aux Comores, (Libralesso Anaïs), Paris, L’Harmattan, 2010 Mtsamdu Kashkazi, kusi Misiri, (Mohamed Nabhane), Moroni, Komédit, 2011 Le sang des volcans, (SAST Said‐Ahmed), Paris, L’Harmattan, 2011 L’avion de maman a craché, (Hatubou Salim), Editions Cœlacanthe, 2011

THEATRES (20)

La Fille du Polygame, (Attoumani Nassur), Paris, L'Harmattan, 1992 Splendeurs et misères d’un bigame, ( Toihiri Mohamed), Sens et Tonka 10/vingt, 1999 Interview d’un macchabée, (Attoumani Nassur), Paris, L'Harmattan, 2000 La Nationalité, ( Toihiri Mohamed) Editions A3, 2001 Le Notable Répudié, (Ahmed Abdallah Patrice), Moroni, Komedit, 2002 Renard a volé Monsieur le Président, (Zeine Papakaïs Mohamed), Moroni, Komédit, 2004 Pauvres Comores, (Barwane Ibrahim), Moroni, Komedit, 2005 L'école de bangano, ( Toihiri Mohamed) , Klanba Editions, 2005 Honneur ou bonheur ? (Abdillahi Mistoihi), Éditions de la Lune, 2006 Entre les mailles du diable, (Attoumani Nassur), Paris, L'Harmattan, 2006 Les frasques d’un notable, (Ahmed Abadallah Patrice), Editions De La Lune, 2006 Et la lumière s’éteint sur Kodoni, (Ahmed Abdallah Patrice), Kalamu des Iles, 2007 réédité aux éditions de La Lune 2007 Au pays des palabres, (Ahmed Abdallah Patrice), Editions Les Belles Pages, 2007 Le tam‐tam des bannis, (Youssouf Ibrahim), Éditions de la Lune, 2007 L'Afrique dans la main du diable, (Abdelfatah Nadjloudine), Editions de la Lune, 2007 Tombé du ciel, (Said Mohamed Abderemane (Wadjih), Plumes Libres, 2007 Autopsie d’un macchabée, (Attoumani Nassur), Paris, L'Harmattan, 2009 Le turban et la capote, (Attoumani Nassur), Paris, L’harmattan 2009 En finir avec Bob, (Djailani Nassuf ), Paris, L’Harmattan, 2011 Uhuru Afrika!, (Halidi Adjmaël), Paris, L'Harmattan, collection Théâtre des cinq continents, 2011

CONTES (28)

Mayotte, Légendes et histoires drôles, (Said Youssous), UDIR, 1986 Furukombe et autres contes de Mayotte, (Soilihi Zaharia et Blanchy Sophie),Editions Caribéennes, 1991 La maison de ma mère, Contes de l'île de Mayotte, (Collectif), Paris, L'Harmattan, 1993 447

Wano Proverbes, superstitions et devinettes de Mayotte, (Ousseni Maandhui), B'WI ! 1993 Contes de ma grand‐mère, (Hatubou Salim), Paris, L'Harmattan, 1994 Contes des îles de la Lune (Contes Comoriens), (Said Abdallah), Paris, L'Harmattan, 1995 Collectifs (Différents collectifs sont à l’origine de ces ressources) Mwalimu Boro, Archives Orales, cahiers, n°1, Editions du Baobab, 1997 De Sakuli à Sada, Archives Orales, cahiers, n°2, Editions du Baobab, 1998 Histoires et légendes mahoraises, Archives Orales, cahiers n°3, Editions du Baobab, 1998 Deux légendes mahoraises, Archives Orales, cahiers, n°7/8, Editions du Baobab, 1999 Festival du conte mahorais, Archives Orales, cahiers, n°9/10, Editions du Baobab, 1999 L'Esclavage à travers la tradition orale mahoraise, Archives Orales, cahiers n°6, Editions du Baobab, 1999 Contes Comoriens de Ngazidja au delà des mers, (Chamanga Mohamed Ahmed et Ali Mroimana Ahmed), Paris, L'Harmattan, 1999 Contes des nuits noires, (Turgis Patrick), Paris, L'Harmattan, 2001 Pichou et Michou, promenons‐nous dans les bois / A Walk in the Woods. Illustrations d'Aboubacar Mouridi; traduction de Laurence Mennecart. (Hatubou Salim), Marseille, Encres du Sud, 2001 Sur Le Chemin de Milepvani, je m’en allais... (Hatubou Salim), Paris, L'Harmattan, 2001 Wis, où est passé mon anh‐anhan (Hatubou Salim), Illustrations d'Aboubacar Mouridi. Marseille, Encres du Sud, 2001 Mensonges Mensonges! Mais qui osera me contredire,(Collectif), Moroni, KomEdit, 2002 Contes traditionnels de Mayotte: Nos ancêtres... les menteurs, (Attoumani Nassur), Paris, L'Harmattan, 2003 Djambo Djema (Contes comoriens), (Said Mohamed Abdérémane (Wadjih)), Moroni, Komedit, 2003 Contes Comoriens, Genèse d'un Pays Bantu, (Hatubou Salim), CD, VOL 1, Editions 1, 2003 Contes Comoriens, Genèse d'un Pays Bantu, (Hatubou Salim), CD, VOL 2, Editions 1, 2003 Sagesses et malices de Madi, l'idiot voyageur (Hatubou Salim) , Illustrations de Mokeït Van Linden, Paris, Albin Michel, 2004 Naïa et le tam‐tam sacré, (Hatubou Salim), Moroni, Komédit, 2005 Dimkou et la petite fille, (Hatubou Salim), Moroni, Komédit, 2009

La belle ne se marie point, Contes comoriens en dialecte malgache de l'île de Mayotte, (Gueunier Noël J.), Peeters Selaf 306 L'oiseau chagrin, Contes comoriens en dialecte malgache de l'île de Mayotte, (Gueunier Noël J.), Peeters Selaf 346 Rois, femmes et djinns, Contes de l'île d'Anjouan – Comores, Fleuve et Flamme ‐ INALCO – CILF (Chamanga Mohamed Ahmed)

448

NOUVELLES ET RECUEILS DE NOUVELLES (13)

Recueil de nouvelles, Collectif ASEC, France, 1983 Dernières nouvelles de Françafrique, Collectif, Vents D'Ailleurs, 2003 Ngani, La cité des Djinns, (Abdulhalim Mohamed Elamine Said), Moroni, Komedit, 2004 Une saison aux Comores… (Nassuf Djailani), Moroni, Komédit, 2005 Au rythme des alizés, (Halidi Adjmael), Editions De La Lune, 2006 Cinq femmes (Baco Abdou Salam),Marseille, Encres du Sud, 2006 Les aventures d’un adolescent mahorais, Paris, (Attoumani Nassur), Partis, L’Harmattan, 2006 Reflexe de survie, (Ibrahim Ali), Moroni, Komédit, 2006 Le sacre de l’enfant révolté, (Omar Djamal), Edilivre, 2007 Les berceuses assassines, (SAST Said Ahmed), Moroni, Komedit, 2007 Une enfance oubliée et autres histoires… (Said Yassine Said Ahmed), Les Belles pages, 2007 Nahariat, Recueil de nouvelles. (Halidi Adjmael) Komédit, 2011 Ames suspendues, Cœlacanthe, (Mouhtare Touhfat), collection Yahanda, 2011

RECUEILS DE POEMES (31)

Des Comores au Zaïre, Récits et poèmes swahili, (Aboubacar Aziza Mohamed), Fleuve et Flamme ‐ EFICEF ‐ CILF, 1988 Crimailles et nostalgie, Abou (Said Salim Aboubacar), île Maurice (éditeur inconnu ou autoédition), 1990 Mbae Trambwe, Poèmes, Pensées et Fragments, (Damir Ben‐Ali, Chami‐Allaoui Masseande), Moroni, CNDRS, 1990 Anthologie d'Introduction à la Poésie Comorienne d'Expression Française, (Beckett Carole), Paris, L'Harmattan, 1995 Métro Bougainville, Hatubou Salim, Vallorani Jean‐Pierre, Via Valeriano, 2000 Nuits d’automne, (Hatubou Salim), Marseille, Encres du Sud, 2001 Le mur du calvaire, (M'saidie Mahamoud), Paris, L'Harmattan, collection Poètes des cinq continents 2001 Partages, (Abdallah Paune Kamaroudine), Collection SAJAT, 2002 Notes comoriennes pour un comité de rivages, (Souny William), Paris, L'Harmattan, 2002 Cliquets et cliquetis, (Ibrahim Ali), Orphie, 2003 Kaulu la mwando, (Mab Elhad), Moroni, Komédit, 2004 Spirale, (Nassuf Djailani), Marseille, éditions Les Belles pages, 2004 L'odeur du coma, (M'saidie Mahamoud), Editions Librairie Galerie Racine, 2005 Poèmes parlés en marge du jour, (Sambaouma A. Nassar), Moroni, Komédit, 2005 Roucoulement, (Nassuf Djailani), Moroni, Komédit, 2006 Mon âme est percée, (Said Yassine Said Ahmed), Les Belles Pages, 2006 Paille‐en‐queue‐et‐vol, (Anssoufouddine Mohamed), Moroni, Komédit, 2006 Nuits sèches, (M'saidie Mahamoud), Editions Klamba, 2006 Et le soleil se lèvera 2, (Abdallah Paune Kamaroudine), Collection SAJAT, 2006 449

Invitation to a voyage, (Gray Stephen), Protea Book, 2007 Cris d’ici et d’ailleurs, (Allaoui Halidi), Moroni, Komédit, 2008 Un poème pour ma mère ‐ Une rose entre les dents, (Elbadawi Soeuf), Moroni, Komédit, 2008 Rimeurs slameurs et autres rencontres, (Nassuf Djailani), éditions Udir, 2008 Poèmes des illusions perdues, (Sambaouma A. Nassar), Moroni, Komédit, 2008 La boussole sans aiguille, (Tabibou Kokomoina), Editions de la Lune, 2009 Oraisons vespérales, (Halidi Adjmael), Paris, L'Harmattan Collection Poètes des cinq continents, 2009 Chants d’opale, (M'saidie Mahamoud), Encres Vives, 2009 Une gerbe de songes, Recueil de Poésies, (M'saidie Mahamoud), Editions Hélices, 2009 Autodafés, Edition du Cygne, 2010 Comores en flammes, dernier appel, (Souny William), Paris, L'Harmattan, collection Poètes des cinq continents, 2010 Le songe d’une probable renaissance, (Nassuf Djailani), Moroni, Komedit, 2010 Nouveaux poèmes jusqu’en terre palestinienne, (Sambaouma A. Nassar), Moroni, Komédit, 2011

AUTRES, ESSAIS POÉTIQUES (18)

Le dictionnaire comorien français et français‐comorien du R.P. Sacleux, Paris S.E.L.A.F (Collections « Langues et Civilisations de l’Asie du Sud‐Est et du Monde insulindien »), 2 volumes, (Ahmed Chamanga Mohamed et Gueunier Noël J.), 1977 Dictionnaire comorien‐français et français‐comorien, Collection langue et civilisation de l’Asie du Sud‐Est et du monde insulindien, Langues, cultures et sociétés de l’Océan Indien, n°9, (SACLEUX R‐P ),Louvain Paris, éd Peeters, 1979 Cours d’initiation à la langue comorienne, Maisonneuve et Larose, (Saleh Ali), Paris, 1979 Lexique Français Comorien (Shingazidja), (Lafon Michel), L’Harmattan, Paris, 1991 Guerriers, Princes et Poètes aux Comores dans la littérature orale, (Said Ahmed Moussa), Paris, L'Harmattan, 2000 Ali Soilihi ou L'indépendance dans la citerne, (Elaniou), Moroni, Komédit, 2003 Petites histoires Comoriennes, (Mohamed I, Elbadawi S, M'changama A, Ahmed‐ Chamanga M, Maandzish), Moroni, Komédit, 2003 Mayotte: identité bafouée, ( Attoumani Nassur), Paris, Essai, L'Harmattan, 2003 A Feu Doux, (Hatubou Salim) Françoise Truffaut, 2004 Esprit d’anthologie, (Elbadawi Soeuf, Attoumani Nassur, Toihiri Mohamed, Said Salim Aboubacar, Baco Abdou Salam), Moroni, Komédit, 2006 Nouvelles ‐ Ecritures Comoriennes, (Hatubou Salim, Djailani Nassuf, Elbadawi Soeuf, Saindoune Ben Ali), Moroni, Komédit, 2007 Moroni Blues Chap. II, Editions Bilk & Soul, 2007 Moroni Blues/ Une rêverie à quatre, ( Elbadawi Soeuf), Editions Bilk & Soul, 2009 Comment se lit le roman postcolonial ? Cas des îles Comores : La République des Imberbes et Le Bal des Mercenaires, (Bacar Abdoulatuf), Paris, Les Ed. de la Lune, « Littérature et Critiques » 2009

450

Œuvre critique : Articles, communications, interviews, préfaces et études sur Commandes des organismes internationaux, 1970‐2009, Tome 1, Paris, L’Harmattan, ( Ngal Georges) 2009 Comores : Guide culturel, Moroni, Komédit, (Walker Iain), 2009 Petites fictions comoriennes, Moroni, Komedit, (Collectif) 2009 La Littérature Comorienne de l’Ile d’Anjouan. Essai de Classification et de Traductions des Genres Littéraires Oraux et Ecrits, (Abdouroihmane Daniel Ahmed, Doctorat Etudes Africaines), 4vol, Paris, INALCO

REVUES, ARTICLES (5)

AFRICULTURES, L’archipel des Comores, un nouvel élan ?, Collectif, numéro coordonné par Soeuf Elbadawi, Paris, L'Harmattan, n°51‐ Octobre 2002

TAREHI ‐ Revue d'histoire et d'archéologie ‐ Dossier : La littérature comorienne, n°5 Association INYA, Savigny Le Temple, Mars‐Avril‐Mai 2002

YA MKOBE‐ Revue du Centre National de Documentation et de Recherche scientifique Moroni, Komédit, n°8‐9, Février 2002 Moroni, Komédit, n°11, Janvier 2005

RIVENEUVE CONTINENTS ‐ Escales en mer indienne, n°10, Riveneuve Editions, 2009 PROJECT‐ÎLES Revue littéraire n°1, Moroni, Komédit, 2010

451

Evolution du nombre d’ouvrages publiés par genre de 1984 à 2011

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Un autre aspect de la francophonie, la littérature comorienne : société, histoire, culture et création.

Cette thèse interroge les origines, les interférences et la production de la littérature comorienne d’expression française. Au confluent entre critique littéraire, historiographie anthropologique des sources et analyse des thématiques dans la création, elle questionne aussi la notion de réception dans un contexte éditorial minimaliste et où langue d’écriture et langue vernaculaire s’interfèrent. En près de 30 ans, les quelques 160 ouvrages publiés de 1985 à nos jours, laissent percer des débuts lents et difficiles. Une réalité qui sera contredite à la fin des années 90 où des maisons d’éditions, même éphémères, naissent avec pour mot d’ordre, promouvoir la littérature comorienne. Va alors s’amorcer une dynamique nouvelle inscrite par le nombre et la variété des genres édités, la multiplicité des thématiques abordées et par l’orientation des revendications littéraires d’ordre esthétique en écho à des revendications identitaires. Parallèlement, transparaît une forme de tâtonnement textuel qui laisse apparaître une dualité narrative sous-tendue dans l’organisation fictionnelle et narratologique des œuvres et mettant en place un type de personnage-pensée à l’origine d’une hybridité textuelle. Par conséquent, cette thèse procède à une forme de bilan de ces trente années d’écriture suivant deux axes d’analyse. Un axe chronologique qui fait coïncider des éléments liés à l’histoire du peuplement avec l’établissement d’une écriture pour les îles afin d’appréhender le contexte originel de production ; un axe analytique et herméneutique recoupant faits historiques et sociaux en rapport avec les objets ou motifs de production et révélant la source des interrogations des écrivains comoriens francophones.

Mots clés : Littérature orale et écrite comorienne, Littérature francophone de l’océan indien, société, culture et religion aux Comores, création et réception, édition, hybridité textuelle, esthétique de la violence.

Another facet of Francophonie: Comorian literature, society, history, culture and creation

This thesis questions the origins, interferences and the production of French-speaking Comorian literature. At the junction of literary criticism, anthropologic historiography of the source documents and thematic analysis within the creation, it also investigates the notion of reception in a minimalist editorial context where the written and the vernacular languages interfere with each other. For the past 30 years, the 160 publications that have been published, since 1985 to date, have shown slow and difficult beginnings. A trend that would be reversed from the late 1990s, where many publishing houses have emerged, even if it was quite briefly for some of them, with a shared goal: to promote Comorian literature. A new trend will then begin as proven by the number and variety of genres being published, the diversity of the themes discussed, and the direction of the literary assertions of an aesthetic angle in response to identity assertions. At the same time, a form of textual hesitation transpired, shedding a light on a narrative duality, from a narratologic and fictional organisation of the publications, highlighting a type of character-thought creating a form of literal hybridity. Therefore, As a consequence, this thesis proceeds a kind of statement from thirty years of writing according to two axis of analysis. A chronological axis matches elements which are linked to the peopling History with the establishment of a writing for the islands in order to grasp the original context of production; an analytic and hermeneutic axis matching historical and social facts related to subjects or sources of production and revealing the sources of French-speaking Comorian writers’ questionings.

Key words : Oral and written Comorian literature, French – speaking literature from the Indian Ocean, Comorian society, culture and religion, creation and reception, edition, textual hybridity, violence aesthetic.

UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 ED 120- Littérature Française et Comparée Centre d’Étude et Recherches Comparatistes 453 Adresse postale de l’école doctorale