Un film de

LYCÉENS AU CINÉMA EN RÉGION CENTRE SOMMAIRE

AVANT-PROPOS 3 Takeshi qui rit et Takeshi qui pleure

LE CINÉASTE 4 Docteur Kitano et Mister “Beat” Takeshi

L’ÉQUIPE DU FILM 5 Le musicien et l’homme-orchestre

HISTOIRE DU FILM 6 De l’accident à la reconnaissance

LES PERSONNAGES 7 Artistes et modèles

ANALYSE DU RÉCIT 8 Un escalator narratif

MISE EN SCÈNE 10 Le musical et le pictural

CHEMINS DE TRAVERSE 12 Le générique de début : tout un programme Atelier montage « Beaucoup de critiques et de journalistes parlent de mes films comme d’œuvres avant tout violentes. Or, pour moi, le rapport entre la douceur et la violence ressemble au mouvement d’un pendule. Plus un homme PISTES DE RÉFLEXION 16 est tendre, plus il peut devenir extrêmement cruel et brutal. C’est en lui que l’écart entre les deux états Un film qui se voit en peinture d’âme peut être le plus extrême, car il a une capacité de ressentir les émotions les plus profondes. Cela peut paraître une exagération, mais il me semble que l’acte amoureux ultime peut être le meurtre de celui que AUTOUR DU FILM 19 vous aimez ». Les femmes et les enfants d’abord Takeshi Kitano, Entretien avec Michel Ciment, Positif n°441, 1997 Extraits critiques

DOCUMENTS 20

L’éternité retrouvée Lycéens au cinéma en région Centre est coordonné par l’Atelier de Production Centre Val de Loire, réalisé avec le soutien du Centre National de la Bibliographie Cinématographie, de la Région Centre, de la DRAC Centre et du Rectorat de l’Académie Orléans-Tours et le concours des salles de cinéma partici- pant à l’opération. Livret pédagogique enseignants - Edition AcrirA (Association des cinémas de recherche indépendants de la région alpine) et Université Lumière-Lyon 2 pour Lycéens au cinéma en région Rhône-Alpes avec le soutien de la Région Rhône-Alpes. Rédacteur en chef : Jacques PISTES PÉDAGOGIQUES 21 Gerstenkorn, professeur à l’Université Lumière-Lyon 2. Auteur : Jean-François Buiré. Iconographie : Photogrammes réalisés par Jacques Petat, Films de l’Estran, avec l’aimable autorisation de Océan Films. Fonds documentaires : Bibliothèque du Film, Institut Lumière, Cinéma Le France de Saint- Étienne. Coordination des dossiers : Christine Desrumeaux-Thirion. Textes additifs : Elysabeth Boyer, Emmanuel Dreux (Ateliers d’exploitation péda- LEXIQUE 23 gogique) © APCVL 2000. Edition APCVL. Maquette : Dominique Bastien.

2 Lors d’une planque en compagnie de son vieil ami Horibe, l’inspecteur Nishi s’absente pour aller voir son épouse, leucémique incu- rable et hospitalisée à proximité. Horibe est blessé durant son absence. Devenu paraplé- gique, abandonné par sa famille, il confie à Nishi son projet de se mettre à peindre pour occuper ses journées. Démissionnaire à la suite de l’arrestation sanglante de l’agresseur d’Horibe qui a coûté la vie d’un jeune policier, Nishi partage ses préoccupations entre la veuve de ce dernier, Horibe auquel il adresse un matériel complet de peinture, et sa propre épouse, traitant en revanche par la violence et le mépris les yakuzas qui lui réclament une somme qu’il leur a empruntée. Déguisé en policier, il braque une banque avec succès, et envoie de TakeshiUne balle de base-ball qui roule jusqu’auxrit et pieds deTakeshi l’inspecteur Nishi. quiUn jeune pleurejoueur lui demande à distance l’argent à la jeune veuve. Horibe se met à de la lui renvoyer, Nishi lui fait signe de s’accroupir, effectue un geste de lancer impeccable… mais projette la balle sur sa droite. L’adolescent accroupi reste interdit, Nishi rigole puis redevient impassible. Nous sommes peindre avec assiduité des toiles mélanco- vers le début d’Hana-Bi. À la fin du film, la même expression d’incrédulité se retrouvera sur le visage d’un liques, à tendance suicidaire. autre jeune personnage, la fille qui joue au cerf-volant sur la plage, lorsque Nishi y « suicide » son couple. Le Nishi et son épouse partent en voiture à tra- raccord imaginaire entre le regard déconcerté du joueur et la mort finale fait sentir à quel point le jeu, vu par vers le Japon. Il s’emploie à la faire rire. Un l’enfant que n’est plus Kitano, ne saurait être le lieu de l’innocence mais celui de l’absurde, du gag, de l’ir- jeune policier rescapé de l’arrestation part à recevable, comme l’est cette balle lancée de côté. Entre le ludisme de l’enfance et le deuil de l’âge adulte se la recherche du couple, de même que les tient le lieu de la violence. yakuzas qui, remboursés par Nishi, lui La violence dans Hana-Bi n’est pas seulement l’objet d’un constat fataliste. Quitte à en prendre acte, autant demandent les intérêts. Celui-ci les met en tirer le meilleur parti en la faisant instrument de création. Ce n’est que lorsque Horibe a connu la violen- définitivement hors d’état de nuire. Le jeune ce dans sa chair qu’il se met à peindre ; c’est en « maltraitant » les jeux et en les exposant au spectre de la policier découvre leurs cadavres. En bord de mort que Nishi invente un nouveau ludisme, déroutant mais cocasse ; c’est en adoptant cette philosophie du « faire avec le réel » (et sa violence) que Kitano assume son rôle de cinéaste, et évite le figement de la « belle mer, il retrouve son ancien supérieur qui image ». C’est enfin la prise en compte de cette violence qui permet qu’il y ait « du » jeu dans son cinéma, obtient de lui un moment de répit pour alors que son seul film entièrement axé sur « le » jeu et dénué de violence (L’Été de ) s’avère le plus rejoindre son épouse sur la plage. Un dernier sage et le moins fondamentalement joueur — au contraire d’Hana-Bi qui compose au mieux avec les deux jeu, elle remercie Nishi pour tout, pose sa aspects du visage de Kitano que celui-ci y a révélés : le paralysé tragique et le mobile hilare. tête sur son épaule. Un coup de feu retentit, puis un second. Au loin s’en va la mer. Jean-François Buiré

3 LE CINÉASTE Docteur et Mister Kitano

“Beat” TakeshiTakeshi Kitano naît le 18 janvier 1947, cadet d’une famille vivant dans les bas-fonds de Tokyo. Son père Kikujiro, dont il donnera le prénom au Filmographie malfrat puéril qu’il interprète dans son dernier film (sorti en 1999), est COMÉDIEN un yakuza de second ordre. Takeshi abandonne ses études scientifiques 1983 Merry Christmas Mr. Lawrence (Furyo) de Nagisa Oshima pour se consacrer au music-hall, créant avec Kiyoshi Kaneko un duo 1993 Many Happy Returns de Toshihiro Tenma comique à succès intitulé The Two Beats, dans la tradition du manzaï 1994 Johnny Mnemonic de Robert Longo où l’un des partenaires est agressif et l’autre pas. C’est le début d’une 1995 Five of Them de Takeshi Ishii douce schizophrénie : au générique de ses futurs films, le réalisateur 1998 Tokyo Eyes de Jean-Pierre Limosin sera nommé Takeshi Kitano, et l’acteur « Beat » Takeshi. Kitano, qui 1999 (Tabou) de Nagisa Oshima entame une carrière télévisée très populaire au Japon, évolue vers un comique collectif plus agressif, celui des owalaï, à base de satire socia- RÉALISATEUR le tous azimuts, de déguisements outranciers et de cruauté surréaliste 1989 Violent Cop à l’égard des participants. Outre la télévision, son activité frénétique Scénariste, acteur, metteur en scène touche à de multiples domaines : radio, journalisme, économie, poli- 1990 Boiling Point/Jugatsu tique, science, sociologie, littérature, poésie… Scénariste, acteur, metteur en scène Sa première interprétation remarquée au cinéma a lieu en 1983 dans 1991 Furyo, de Nagisa Oshima. En 1989, il remplace au pied levé son réali- Scénariste, monteur, metteur en scène sateur dans Violent Cop, dont il fait un thriller très sombre, où un bur- 1993 Sonatine lesque incongru point au sein de la violence la plus échevelée. Scénariste, monteur, acteur, metteur en scène L’expérience lui plaît, il continue donc de mener de front ses emplois de Sélection Un Certain Regard, festival de Cannes 1993 star médiatique et de cinéaste confidentiel. Suivent Jugatsu, une Prix de la critique au festival de Cognac matrice esthétique, A Scene at the Sea, premier de ses films qu’il n’in- 1995 Getting Any ? terprète pas, Sonatine, qui commence à le faire connaître hors de ses Scénariste, monteur, acteur, metteur en scène frontières. 1994 n’est pas seulement l’année de l’échec public sans 1996 appel de Getting Any ? — une comédie poussant à son point de non- Scénariste, monteur, metteur en scène retour le côté « Beat » de Kitano, féroce, bouffon et inconvenant —, Sélection Quinzaine des Réalisateurs, festival de Cannes 1996 mais aussi d’un grave accident de moto qui manque coûter la vie de 1997 Hana-Bi celui qui avait déjà failli mourir à six ans d’une crise d’asthme, au lycée, Scénariste, monteur, acteur, metteur en scène dans un premier crash sur deux roues, et qui dit ne devoir son existen- Lion d’Or, Mostra de Venise 1997 ce qu’au manque d’argent de ses parents pour payer son avortement. 1998 L’Eté de Kikujiro Le visage à moitié paralysé, il en réchappe une nouvelle fois et réalise Scénariste, acteur, monteur, metteur en scène trois autres « volumes » (désignation utilisée au début d’Hana-Bi pour Compétition Officielle, festival de Cannes 1999 situer celui-ci chronologiquement dans la filmographie de Kitano) : 1999 Brothers Kids Return, son premier succès cinématographique au Japon, Hana- Acteur, metteur en scène Bi qui lui vaut la reconnaissance internationale et L’Été de Kikujiro. I

4 LISTE TECHNIQUE L’ÉQUIPE DU FILM

Titre original Hana-Bi Origine Japon Le musicien et Production Masayuki Mori Yasushi Tsuge Takio Yoshida Distribution Océan Films

Réalisation Takeshi Kitano Outre son « staff » de producteurs — Masayuki Mori, Yasushi Tsuge, entre un cinéaste et un compositeur après, toutes proportions gardées, Scénario Takeshi Kitano l’homme-orchestre Takio Yoshida — réunis au sein de l’Office Kitano, société qui permet les mariages Eisenstein-Prokofiev, Hitchcock-Herrmann, Fellini-Rota, Musique au cinéaste de ne plus dépendre outre mesure des grandes sociétés de Kurosawa-Sato, Truffaut-Delerue, Demy-Legrand, Chabrol-Jansen, Peintures, dessinsTakeshi Kitano production japonaises pour financer ses films (lesquelles ne le soutien- Leone-Morricone, De Palma-Donaggio, Wenders-Knieper, Cronenberg- Image Hideo Yamamoto draient sans réserve que s’il se contentait de resservir au cinéma son Shore et Lynch-Badalamenti. Les compositions d’Hisaishi, parfois enva- Lumière Hitoshi Takaya personnage de comique télévisuel), Hana-Bi fait figurer deux types hissantes, apportent aux films de Kitano une note de lyrisme mélanco- Dir. artistique Norihiro Isoda d’intervenants réguliers chez lui : son compositeur Joe Hisaishi et cer- lique dont celle d’Hana-Bi présente peut-être l’exemple le plus harmo- Montage Takeshi Kitano tains de ses acteurs. Une fois n’est pas coutume, le directeur de la pho- nieux, tout en faisant ressortir, par leur structure cyclique en nappes Yoshinori Ota tographie n’est pas Katsumi Tanagishima, lequel a travaillé sur tous les récurrentes, la part d’immuabilité et de simplicité enfantine de ces der- Son Senji Horiuchi autres films de Kitano excepté son premier (Violent Cop), mais Hideo niers (L’Été de Kikujiro, réalisé après Hana-Bi, fait espérer que ce Scripte Hideko Nakata Yamamoto, ce qui n’empêche pas Hana-Bi d’être tout à fait représen- « cyclisme » ne deviendra pas, pour le tandem Kitano-Hisaishi, pure 1er assistant Hiroshi Shimizu tatif du style visuel kitanesque : cadres relativement fixes et très com- promenade de routine…). Effets spéciaux Tomoo Haraguchi posés, espace horizontalisé, souci de la respiration des plans, présence Enfin, n’oublions pas le principal collaborateur de Takeshi Kitano : lui- Ingénieur du son Akira Nakano sensible de la lumière solaire et stylisation de la « palette » dans le sens même, puisqu’il porte les multiples casquettes de scénariste, produc- Effets sonores Yukio Hokari de l’autonomisation de certaines couleurs, peut-être sous l’influence de Masahiko Okase teur, réalisateur, interprète, monteur et créateur de la matière même de l’estampe. certaines images : les toiles qui apparaissent dans Hana-Bi ont été Interprétation Au cinéma, Joe Hisaishi devient tout d’abord le compositeur attitré du peintes par lui, et préexistaient d’ailleurs au tournage, Kitano s’étant Takeshi Kitano Yoshikata Nishi grand réalisateur de films d’animation (Mon voisin consacré assidûment à la peinture à la suite de son grave accident de Miyuki Nishi Totoro, Porco Rosso, Princesse Mononoké). Quant à Kitano, ayant moto en 1994 (ce qui rend évident le lien biographique avec le per- Horibe principalement utilisé pour Violent Cop une variation sur la sonnage d’Horibe). I Nakamura Gnossienne n°1d’Erik Satie, et laissé son second film (Jugatsu) vierge Tetsu Watanabe Tesuka de toute musique, c’est avec Hisaishi qu’il entame une véritable colla- Hakuryu Yakusa boration avec un compositeur de musique de film originale, et cela à Yasuei Yakushiji le criminel partir de son troisième « volume », A Scene at the Sea. Entre Kitano, Taro Itsumi Kudo qui déclare n’envisager musique et dialogue que comme un complé- Kenichi Yajima le docteur ment aux images, et Hisaishi qui a une haute idée de la composition Makoto Ashikawa Tanaka musicale et de son implication dans le film, cette collaboration est tout Yuko Daike la veuve Tanaka d’abord agitée, jusqu’à ce que le succès en Europe de la bande origi- nale de Sonatine scelle leur travail en commun : depuis Kids Return, Film 35 mm, couleur Hisaishi assiste aux tournages de Kitano et compose la musique non (1/1,85) plus après coup, mais au fur et à mesure de leur déroulement (sauf Son Dolby SR Durée 1h43mn pour Getting Any ? film exceptionnel à plus d’un titre dans la filmo- Année 1997 graphie de Kitano, et sur lequel Hisaishi n’intervient pas) ; Hana-Bi a donc bénéficié de cette méthode qui, sans être inédite, n’est pas la plus Version originale sous-titrée français pratiquée. Ce duo artistique constitue un nouvel exemple d’osmose

5 HISTOIRE DU FILM De l’accident à

Hana-Bi est en effet marquéla par l’accidentreconnaissancemoitié paralysé de Kitano, dont ce cligne- la détonation d’une balle jetée dans un feu de moto de Takeshi Kitano. Il en porte les ment de l’œil qu’il dissimule dans la vie en de bois. L’efflorescence est plus littérale lors stigmates à divers titres : plastiquement, par portant des lunettes noires. Lunettes que des mouvements d’expansion visuelle à par- l’insertion dans le film des toiles qu’il s’est Nishi ne se met significativement à porter tir des personnages à tête florale peints par mis à peindre durant sa convalescence ; bio- qu’après le traumatisme des deux explosions Horibe. Tout le film tient dans ces mouve- graphiquement, par la façon dont Horibe de violence inaugurales, et qui viennent ments alternés de concentration et d’expan- commence à peindre à la suite d’un trau- redoubler l’aspect marmoréen de son visage, sion. Cet accomplissement esthétique porte- matisme physique ; thématiquement, par comme un masque plaqué sur un autre ra ses fruits puisque, après la reconnaissance l’importance du motif du suicide, Kitano masque. commerciale locale de Kids Return, Hana- ayant souvent décrit son accident comme un Le vrai film de convalescence pour Kitano Bi marque pour Kitano le temps de la recon- acte manqué suicidaire — lequel s’inscrirait n’est pas Hana-Bi mais Kids Return, le seul naissance artistique internationale avec l’at- lui-même dans le contexte d’une occurrence depuis A Scene at the Sea où il ne joue pas. tribution du Lion d’Or au Festival de Venise considérable de ce motif dans ses films pré- N’ayant pas encore retrouvé la mobilité de en 1997. cédents (mais celui-ci devient à ce point son visage, il préfère en effet s’abstenir d’ap- Retour en arrière. Lorsque, à la suite de Kids omniprésent dans Hana-Bi qu’il y figure paraître à l’écran. Kids Return est égale- Return, on lui fait remarquer l’absence des sous la forme d’un idéogramme rouge sur ment le premier succès commercial japonais femmes dans ses films, Kitano répond que le une des toiles d’Horibe) ; corporellement, du cinéaste Kitano (habitué au succès à la suivant en comportera de nombreuses. enfin, par les séquelles visibles sur le visage à télévision), lui qui s’étonnait jusque-là de Ailleurs, il apporte un bémol : reconnaissant n’être pas prophète en cinéma dans son qu’il ne sait pas peindre les personnages propre pays. Vient alors le temps de l’épa- féminins, il promet d’au moins mettre en nouissement artistique. Comme l’indique le scène un couple marié et heureux. Résultat, sous-titre français, Hana-Bi signifie « Feu dans Hana-Bi figure effectivement un d’artifice », mais allie les idéogrammes couple marié (un seul : ceux d’Horibe et « Fleur » (Hana) et « Feu » (Bi), et l’on y Tanaka se délitent dès le début du film), mais assiste bien à une efflorescence (plus qu’à la « heureux » d’une manière peu orthodoxe, pyrotechnie spectaculaire suggérée en fran- car plongé dans le mutisme, marqué par le çais), à un accomplissement stylistique qui souvenir d’une mort passée (la petite fille de tend vers la soustraction formelle et dont on Nishi) et par le spectre de celle à venir. Il trouve un bon exemple dans le film à travers semble qu’en cours de projet la conception le devenir abstrait du feu d’artifice, juste- qu’a Kitano du plaisir de vivre, inséparable de ment : tout d’abord effectivement visualisé la conscience de la mort, ait repris le dessus. quand Nishi en tire afin de distraire sa Peut-être cette évolution est-elle également femme, il est ensuite repris sous forme due au fait que le cinéaste, durant le tourna- d’image fixe dans un des tableaux d’Horibe ge, aurait pour une fois laissé ses acteurs pour n’être plus finalement rappelé que par exprimer leur avis sur le scénario original. I

6 LES PERSONNAGES Artistes

etMême s’il modèlesest sans doute encore trop tôt des « véhicules » destinés à mettre en valeur l’humanité tragi-comique des icônes hitch- pour parler de « troupe » repérable dans le la personnalité particulière d’un comédien, cockiennes. Toutes choses allant dans le sens cinéma de Takeshi Kitano, il est notable que Kitano refusant les acteurs trop célèbres et du refus, non de la psychologie, mais de la Hana-Bi, film de synthèse dans sa carrière, spécialisés (de peur que leur image ou leurs psychologisation, laquelle est court-circuitée met en scène la quasi-totalité des acteurs aux- tics de jeu nuisent au film) : excepté Kayoko par un aller et retour constant entre l’éviden- quels il a régulièrement recours, sans pour Kishimoto, vedette de télévision très populai- ce offerte (des visages, des corps, des statuts autant d’habitude les rassembler ainsi. Parmi re au Japon et à laquelle il donne un de ces sociaux) et l’opacité imprévisible (des expres- ses huit longs métrages, Susumu Terajima (le contre-emplois qu’il affectionne, celui de sions, des postures, des comportements). jeune policier désabusé) joue dans six et Ren l’épouse aphasique de Nishi, aucun des inter- L’inspecteur Nishi cristallise l’ensemble des Osugi (Horibe) dans quatre, pour ne citer que prètes n’est à proprement parler une vedette traits qui viennent d’être énoncés, et ses per- et, si l’on ne tient pas compte de sa notorié- ces deux acteurs. sonnages-satellites tombent dans l’univocité té, Kitano lui-même ne se signale que par sa schématique selon qu’ils se définissent de Évoquer en premier lieu les acteurs à propos présence singulière, faite de laconisme sec, façon plus ou moins exclusive par rapport à des personnages de Hana-Bi, c’est souligner de corporéité immédiate et de réactions non l’un de ceux-ci : ainsi, le patron de la casse à quel point ces derniers ne sont pas des préparées. Le personnage kitanesque, sou- est un « réactif », le tueur des yakuzas un créations fictionnellement fortes, précisé- vent dénué de nom, n’est que très peu, exis- « pétrifié », le médecin un « modèle » et ment caractérisées sur le modèle du récit te à peine, n’évolue pratiquement pas, ne Horibe un « trop humain », dont le tragi- occidental classique ; pas plus, pour autant, s’explique jamais (les dialogues sont réduits au minimum), pose des actes sans garantie comique est sensible dans la scène de la de leur validité : de passage dans ce monde, marée montante. il a rarement peur de la mort — cette peur À noter que Kitano, quant à lui, se défend de est réservée à certains « seconds couteaux » toute influence cinématographique directe — et s’avère à la fois présent et absent, d’où (à l’exception, peut-être, de celle de la légèreté ludique comme la gravité mélan- Kurosawa), revendiquant seulement un lien colique, les jeux de plage comme la contem- avec la subtilité pointilliste du personnage plation désenchantée de l’immensité marine. masqué dans le théâtre Nô. I Dans une histoire du personnage à l’écran, celui de Kitano serait à la croisée de la pure réactivité du héros burlesque, de la pétrification fonctionnelle du protagoniste de film de genre à son stade terminal (le Dirty Harry de Clint Eastwood, les person- nages de Jean-Pierre Melville, voire ceux de Sergio Leone), de la sobriété habitée des « modèles » de Robert Bresson, enfin de

7 ANALYSE DU RÉCIT Structure

dumeurtrier, film et a répondu par la violence à la violence de ce dernier, en le tuant puis vidant Générique son chargeur sur son cadavre. PréparatifsEncore un fragment parallèle,du voyage qui commen- LaSuccède plage au fragment précédent mais pour- ce peu après le début de « Violence III », et rait s’intituler « Voyage en Japonie, suite et dont le signal de départ est donné par le fin », car il continue et achève le fragment en Violence et souvenirs I : médecin de l’épouse de Nishi, quand il question : observé à distance par les policiers, l’agressionCe fragment établit d’Horibe l’antériorité de plu- Solitude et conseille à ce dernier de l’emmener en Nishi rejoint son épouse sur la plage. Il joue sieurs données : l’amitié de Nishi et voyage. Après s’être vu refuser un nouveau avec une adolescente et son cerf-volant, puis d’Horibe qui remonte au lycée, la mort de la “reconversion”Ce fragment commence àd’Horibe peu près en prêt par les yakusas, Nishi se rend dans une son épouse parle pour la première fois : elle fille de Nishi, la leucémie incurable de sa même temps que le précédent avec la scène casse, maquille un taxi volé en voiture de le remercie, et pose sa tête sur son épaule. femme, qu’il voit peu à cause de son travail qui montre Horibe surpris par la marée police et braque une banque avec succès, Deux détonations éclatent, l’adolescente et qui ne parle pratiquement plus. Dans le montante, et suit le parcours artistique de déguisé en policier. reste interdite. « présent » du fragment, le médecin de son l’ex-inspecteur handicapé, en parallèle avec épouse conseille à Nishi de la faire sortir de celui de l’ex-inspecteur démissionnaire : de l’hôpital, et Horibe est blessé au ventre ; son suicide raté jusqu’au tableau qui évoque paraplégique, abandonné par sa femme et explicitement le suicide, en passant par l’éla- VoyageSuite au fragment en précédent,Japonie Nishi et son Générique sa fille, il confie à Nishi son désir de se boration de ses différentes œuvres et l’ou- épouse partent en voyage en voiture à tra- mettre à peindre, ce qui conclut le frag- verture des colis de matériel de peinture vers le Japon. Visites, jeux, rires, feux d’ar- ment. envoyés par Nishi. tifice, pique-nique.

Violence et souvenirs II : ViolenceAutre fragment III parallèle, : les quiyakuzas commence ÀUltime la fragmentrecherche parallèle, dequi commenceNishi peu après le début de « Solitude… » (avec peu après le début de « Voyage… » avec le Ici, tout tourne autour du souvenir éclaté de la mort de Tanaka la scène au bar où des sbires viennent récla- rapport qu’établit le jeune policier (rescapé l’arrestation de l’agresseur d’Horibe. La rela- mer à Nishi l’argent qu’il a emprunté), se du bain de sang qui avait coûté la vie à tion intégrale de cet événement vient mar- termine sensiblement en même temps que Tanaka) entre l’envoi de Nishi à la veuve de quer la fin du fragment, et élucide a poste- lui (lorsque Nishi décime les gangsters dans ce dernier et le braquage de la banque. On riori certaines de ses données : pourquoi, leur voiture), et constate avec ironie la vic- suit le parcours du policier et de son assis- outre celles d’Horibe et de son épouse (qu’il toire constante de Nishi sur les yakuzas, tant sur les pas du couple, jusqu’à ce que, a ramenée à la maison), Nishi se préoccupe- qu’il gagne toujours de vitesse dans l’em- après avoir découvert les cadavres des yaku- t-il de la situation de la veuve du jeune poli- ploi de la violence. zas, ils le retrouvent en bord de mer, l’an- cier Tanaka : celui-ci est mort dans l’arresta- cien subordonné de Nishi lui concédant tion ; pourquoi Nishi a-t-il démissionné de la alors un dernier moment d’intimité avec sa police : il n’a pas réussi à appréhender le femme.

8 ANALYSE DU RÉCIT Un escalator

narratifSi l’on établissait le diagramme narratif leur retour irrégulier, que dans la difficulté conférer plus d’importance à ce qui touche à d’Hana-Bi avec les fragments relevés ci- qu’il y a par moments à différencier les har- l’artistique, au sentimental, à l’élégiaque et contre, on obtiendrait visuellement une sorte moniques des fondamentales, le mineur du au bucolique. Sous les oripeaux du film poli- d’escalier — ou plutôt, par la façon dont les majeur, le secondaire de l’essentiel, à définir cier, Hana-Bi se révèle un vrai mélodrame. différentes « marches » apparaîtraient les l’importance relative des divers éléments dra- Autre source de complexité, de prime abord : unes après les autres tout en coexistant et en matiques (la « rythmique dramatique »), la confusion chronologique. Le fait que dans « glissant » les unes sous les autres : un esca- entre la solitude d’un ex-policier handicapé, « Violence et souvenirs I » plusieurs informa- lator. Autant dire que, pour le spectateur la mort prochaine d’une épouse, les efforts tions soient données par le dialogue comme habitué aux volées d’escalier narratives de son mari pour la rendre heureuse, la antérieures au récit suggère que le fragment immuables, ce récit n’est pas des plus aisé- menace qui pèse sur lui, les créations de l’ap- lui-même est au présent. Mais l’encadrement prenti-peintre, la traque policière… ment praticables. Là où l’art de la fugue de celui-ci par l’aller et le retour de Nishi ren- devient complexe, c’est moins dans l’entre- À première vue, ce n’est pas l’ajout d’épi- dant visite à son ami handicapé, et l’insertion mêlement des différents fragments fugués sodes hétérogènes à la ligne du récit qui sim- en son sein de quelques plans de Nishi « pen- d’Hana-Bi (jusqu’à quatre différents en plifie les choses. Ainsi de la relation conflic- sif » à l’extérieur de ce qui se présente après « simultané » c’est-à-dire cinématographi- tuelle que Nishi entretient avec les ouvriers coup comme la maison d’Horibe, font que ce n’est qu’a posteriori que le spectateur attentif quement non pas super mais juxtaposés) et qui ont eu le culot de déjeuner sur sa voitu- re, du rapport pour le moins difficile du fer- considère l’épisode de l’agression de ce der- railleur avec un petit conducteur de camion- nier comme un flash-back affecté à la mémoi- nette, de la discussion houleuse qui oppose re de Nishi. De même le fragment suivant tra- les yakuzas à un débiteur rétif, de la mésa- vaille à la déstructuration du souvenir de l’ar- venture de l’automobiliste accidenté qui fait restation de l’agresseur d’Horibe, et ne nous appel à Nishi tout en le traitant de « voleur permet qu’à sa toute fin d’entrevoir que la d’impôts », etc. Autant d’intermèdes qui ne violence exercée à son endroit avait été immé- font pas progresser l’histoire, mais portent diatement suivie d’une violence plus grande tous la même morale : inutile de vouloir encore, laquelle seule explique les bouleverse- paraître fort, c’est la marque du plus faible, ments dans la vie de Nishi. Ce brouillage que lequel reste toujours sur le carreau. l’on pourrait taxer de complication inutile n’a Dédaignant les démonstrations de force, seul de prix qu’en contrastant avec le retour pro- Nishi peut vaincre les « durs » sur leur propre gressif au strict présent du récit, lorsque Nishi terrain. L’air de rien, cette morale minimalis- simplifie son existence pour ne plus la consa- te relativise tout ce qui a trait aux rapports de crer qu’au bonheur de son épouse, oubliant la force (y compris Horibe qui, au début, fait confusion dans laquelle sa vie de policier preuve de dureté hâbleuse à l’égard de ses l’avait plongé : à partir de « Voyage en inférieurs hiérarchiques, avant d’être sévère- Japonie », tout n’est (pratiquement plus) que ment diminué par le cours du récit), pour linéarité, luxe, calme et douce hilarité. I

9 MISE EN SCÈNE Le musical

etLa forme fuguéele d’ Hana-Bipictural et le titre d’un suicide final. Ce tempérament horizontal se cadre et ce qui est cadré) donne lui aussi des films de Kitano (Sonatine) suggèrent la retrouve dans le traitement de l’espace l’impression d’une antériorité du cadre ciné- nature musicale de son cinéma. La composi- (Thierry Jousse parle à ce propos d’« un matographique par rapport au réel filmé, tion « horizontale » du récit y est prépondé- monde latéral, peuplé d’espaces quel- quand bien même, ce qui arrive souvent au rante : Kitano s’avère moins harmoniste que conques et disjoints ») 1, la musicalité en tant cours du film, l’objet de l’intérêt du plan y est mélodiste et contrapuntiste, il joue moins de qu’expression sonore effective étant pour sa inscrit dès son début, de manière particuliè- la combinaison d’éléments superposés que part laissée à la charge de Joe Hisaishi, dont rement frappante lorsque non seulement il de la dissociation d’une ligne mélodique la musique elle-même très linéaire semble est déjà là, mais qu’il est en plus immobile principale en lignes parallèles fuguées, d’où parfois redondante par rapport à la musicali- (effet comique de surprise visuelle garanti, son rôle crucial de compositeur/chef d’or- té implicite des films de Kitano, qui n’est pas comme dans les plans qui succèdent aux chestre/interprète, exécutant principal et sans évoquer une forme de cinéma muet. tableaux introductifs et montrent la confron- garant de la mélodie de base de son film. Kitano accorde de toute façon plus d’intérêt tation entre les deux ouvriers et Nishi). Cette Bien qu’affecté de brouillages chronolo- à l’image qu’au son (lequel est traité dans pré-inscription fréquente de l’objet du plan giques, Hana-Bi est mélodique en ce qu’il certains cas non comme l’émanation du dans le cadre ne procure pas le sentiment apparaît comme une succession linéaire tra- monde réel mais comme un pur bruitage, d’un filmage sur le vif, où la caméra, en sou- gique, et cela dans la mesure même où ainsi de la sirène de police qui engendre chez mettant ses choix de cadrage à ceux-ci, saisi- « l’après » du film vient à manquer, à cause Nishi le souvenir de l’arrestation) : durant le rait à la volée des morceaux de réel qui exis- de l’absence ou de la mort des enfants et du tournage de ses films, le travail pictural sur le teraient en dehors d’elle ou seraient organi- cadre est prioritaire. sés pour créer cette impression ; loin de ce vérisme documentaire, elle est ressentie AU DÉBUT ÉTAIT LE CADRE comme le résultat d’une ellipse inaugurale, Kitano aime à dire que sa priorité sur un court-circuitant de façon quasi systématique tournage consiste à décider de l’emplace- tout ce qui est de l’ordre de l’exposition et de ment de la caméra et de l’angle de prise de la préparation. Kitano n’est pas non plus un vues. Passés les cartons liminaires d’Hana-Bi cinéaste du suspense, il nous met devant le dévolus aux instances de distribution et de fait établi, voire accompli. Peut-être faut-il y coproduction, les plans suivants du géné- voir l’influence de son activité télévisée, où il rique donnent le ton : ce sont des tableaux, est interdit de perdre du temps en exposi- à l’image de ceux que l’on verra peints plus tions « inutiles » ? Toujours est-il que, même tard par Horibe. Or ce qui préexiste en pein- dans ce cas, la détermination du cadre paraît ture, c’est le cadre de la toile, le représenté antérieure au choix du découpage elliptique, ne venant qu’après s’y inscrire, alors qu’a ou plutôt semble l’annexer. Sa primauté est priori c’est le réel à filmer qui prime au ciné- soulignée par son rapport harmonieux, un ma, et vient en investir le cadre. Mais, dans rien figé, à la composition visuelle du plan, Hana-Bi, le cadrage (le rapport entre le ainsi que par sa relative fixité de principe,

10 comme si le cadre kitanesque était empêché d’évoluer spatialement en fonction de ce qu’il enregistre. Si l’on devait décrire Kitano avec les mots du critique de cinéma André Bazin 2, on dirait qu’il n’est pas vraiment un cinéaste réaliste, au sens où il « cadre » le réel (c’est-à-dire le délimite strictement par les bords de son cadre, en l’organisant com- plètement à l’intérieur de ce dernier) plus qu’il ne le « cache » (qu’il n’en laisse deviner la continuité universelle au-delà de la fron- tière du cadre). Toutefois, son cadre n’est pas Horibe les colis de matériel de peinture purement pictural mais fait aussi office de (sauf in extremis par Horibe lui-même, au cache, non pas en montrant seulement une moment où cela n’entraîne plus de partie du grand tout, mais une chose à la bénéfice émotionnel) ; la nature exacte des place d’une autre, souvent par le jeu du plan envois de Nishi à la veuve de Tanaka n’est en insert et de l’ellipse conjointe : la main de pas non plus précisée. Cette rétention est à Nishi qu’on voit à peine sortir de sa poche prendre au sens de retenue, de pudeur, face aux ouvriers, le plan du vase saisi par le celle qui permet aussi, formellement, de tueur des yakusas afin de châtier l’insolence cadrer la violence (émotionnelle ou phy- d’un des sbires, le point de vue de la caméra sique) d’une manière qui ne soit pas obscè- de surveillance qui couvre l’essentiel du bra- ne : les inserts cités ci-dessus remplacent en quage de la banque, le résultat du jeu général des plans exhibant l’affectif ou l’ac- d’adresse auquel s’adonne l’épouse de Nishi, tion brutale. Toutefois, Kitano connaît le la visualisation des toiles terminées d’Horibe risque d’atrophie autistique engendrée par remplacent efficacement un plus grand une trop grande retenue, à l’image de celle nombre de plans. Au choix, on dira que la qui enferme l’épouse malade de Nishi dans rhétorique kitanesque relève de la synec- une dignité muette et dépressive (c’est doque ou de la litote, elle tend en tout cas à pourquoi son remerciement final revêt prouver que « qui fait le moins peut le autant d’importance). Il sait qu’à partir du plus ». moment où il intègre la violence dans son vers son effet sur des corps-écrans, et non seule susceptible de pondérer l’intensité de La notion de « cadre » dans Hana-Bi dépas- film, son devoir de cinéaste sera aussi, par- dans l’étalement d’un conflit qui jouirait de la mort. André Bazin aurait été heureux : se en fait son statut de découpe purement fois, de la montrer, et pas seulement sous la son propre spectacle. fût-ce douloureusement, le monde est alors visuelle. Son importance s’étend ici à celle de forme elliptique et fragmentée de gros retrouvé. I la découpe en général, qui s’effectue moins plans évocateurs. Ainsi, au moment du sou- En revanche, au contraire de la violence, à l’intérieur « du » monde réel que de celui venir de l’arrestation de l’agresseur « la mort n’est pas chez Kitano un instant que Kitano institue dans l’espace de son d’Horibe où la violence culmine, il trouve le qu’on pourrait identifier, cerner, cadrer, et film, et englobe à ce titre les ellipses, les- moyen de la présenter « grandeur nature » filmer en tant que tel — et plus particuliè- quelles n’affectent pas seulement la prépara- à l’intérieur du cadre, sans ellipse (au ralen- rement le suicide qui est toujours hors tion de certains plans, événements et situa- ti au contraire, ce qui confère au plan sa champ » (Thierry Jousse) 3. L’avant-dernier tions, mais sont omniprésentes, sous des charge de stupeur), tout en la masquant. Il plan de Hana-Bi donne donc lieu à l’un de formes diverses : dans la résolution occultée s’agit du plan en plongée où Tanaka et son ses très rares amples mouvements de camé- 1. Voir bibliographie. de certains de ces mêmes plans, événements collègue tombent sur le criminel, et où ra (en général, ce sont plutôt des mouve- 2. La pensée d’André Bazin, qui a influencé la Nouvelle Vague française est développée dans l’ouvrage Qu’est- et situations, ou encore dans la rétention de ments assez peu visibles de recadrage ou celui-ci, du dessous, tire sur leurs deux ce que le cinéma, éditions du Cerf, collection 7ème Art, certaines informations. Ainsi, il n’est pas dit corps superposés : toute la rage meurtrière d’accompagnement), qui se détourne du 1985. explicitement que c’est Nishi qui envoie à est ici concentrée, mais ne se saisit qu’à tra- suicide pour cadrer l’immensité marine, 3. Voir bibliographie.

11 CHEMINS DE TRAVERSE Le générique de début

tout un unprogramme plan qui lui est spécialement consacré : • L’ANGE GARDIEN : le premier tableau son nom est mentionné sur un tableau repré- donné comme tel représente un ange sur sentant des partitions en forme de volutes, fond de voie lactée que l’on retrouve ensui- sur fond floral ; te, par le jeu d’un fondu enchaîné, devant • LE PICTURAL : la transition entre les pre- une cascade coulant au milieu d’un décor miers cartons sur fond noir et les plans peints verdoyant, avec en parallèle l’inscription se fait par l’insertion d’un plan indiquant le « Dans le rôle de Nishi : Beat Takeshi », et « numéro de série » d’Hana-Bi au sein de la annonce le statut d’ange gardien du prota- filmographie de Kitano. On y voit en effet ce goniste principal à l’égard de son épouse, qui ressemble à un exemplaire de scénario d’Horibe et de la veuve de Tanaka. La façon entrouvert, lequel porte sur sa couverture dont l’ange est montré dès le tout début du des idéogrammes (qui doivent correspondre film, sans nécessité évidente, résonne avec le à « Takeshi Kitano ») suivis, en caractères caractère quelque peu volontariste de l’aide occidentaux, de l’indication « VOL. 7 ». Bien que Nishi se sentira obligé d’apporter à ceux- que lui-même peint, ce carton ne fait office ci. Dans le même temps, ce rapprochement a que d’intermédiaire car, par sa fonctionnalité valeur ironique : prosaïque et peu amène, et son inscription virtuelle dans une série, il Nishi ne peut être identifié que métaphori- est a priori gratifié de moins de noblesse pic- quement à cet ange venu du ciel. Au contrai- turale que les plans qui lui succèdent. Ceux- re, d’après sa démarche pesante et sa sobre L’ouverture du générique de début met ci, peints dans le style naïf et coloré qui sera efficacité, on ne saurait avoir davantage les en place quelques ingrédients constitu- celui d’Horibe, préfigurent bien sûr son acti- pieds sur terre… Plusieurs moments du film tifs d’Hana-Bi, de natures très diffé- vité artistique future. L’activité en question se chargent toutefois de nous rappeler que rentes mais ayant globalement trait à étant consécutive à la violence physique et l’habit ne fait pas le moine, le béret l’artiste, l’artistique, au sentimental et au buco- associée à l’idée de suicide, la présence inau- l’uniforme le véritable policier, le costume lique, tout en laissant percer certains gurale de ces tableaux place d’emblée le clinquant le vrai dur, donc que les ailes ne aspects plus funestes : film, fût-ce implicitement, sous le signe de la font pas l’ange. Seuls les actes comptent • LE MUSICAL : il précède le pictural, gravité et du fatalisme. Plus généralement, (jusque dans le domaine affectif), c’est pour- puisque la musique élégiaque d’Hisaishi c’est l’importance du cadre qui est ici posée, quoi Nishi ne commente pas les siens, même commence avec les premiers cartons sur ainsi que la recherche d’une simplicité for- quand il s’agit de « B.A. » : la morale de fond noir purement informatifs, qui indi- melle procédant par soustraction (mais ne Kitano relève d’un béhaviorisme pragma- quent les instances de distribution et de tombant pas dans l’abstraction) et passant tique. Avant le tout dernier carton du géné- coproduction du film, avant l’apparition des par l’absence de discours, la recherche d’une rique de fin, un ultime tableau montrera l’an- premiers cartons peints. Parmi ces derniers, luminosité franche (celle, par excellence, de ge posé dans un pré fleuri, amputé d’une hommage est rendu au compositeur et à la la plage finale), la raréfaction des motifs aile tombée par terre. Nishi est peut-être suavité mélancolique de sa musique grâce à figurés ; bien un ange, mais c’est un ange blessé,

12 abîmé par le deuil, arrimé au sol par la vio- lence du monde ; • LA NATURE : elle est présente à travers le second décor devant lequel l’ange volette. Hana-Bi tend vers cet horizon bucolique délimité par la mer, et sa seconde partie s’y déroule, loin du morne cadre urbain de la première moitié du film. Notons que ce décor peint fonctionne en tant qu’évocation générale de la nature et non comme annon- ce d’éléments précis du film (la cascade par exemple ne s’y retrouvera pas) ; • LE JEU : le tableau du feu d’artifice, que l’on reverra peint par Horibe au cours du film, installe le monde du jeu et conjointe- ment celui de l’enfance et du bonheur fami- lial. Les trois personnages hilares représentés en bas à gauche de la peinture — un homme en débardeur, une femme en robe et une fillette en jupe —, ce sont aussi bien imparfaitement, ou à contretemps (épi- des deux ouvriers que l’on découvre d’un Nishi qu’Horibe avec leur épouse et fille, sodes du retardateur, du « sauvetage » du coup dans le plan rapproché suivant, sans avant que le malheur ne les sépare, figés cache de l’appareil photo, du feu d’artifice, préparation. Nishi apparaît de la même dans l’expression naïve d’un état de grâce lié du cerf-volant), et tombent dans l’absurde, manière immédiatement après, impéné- à la présence d’un enfant, laquelle manque n’enlève rien au sérieux du travail sur le jeu, trable derrière ses lunettes noires, et s’ensuit cruellement dans le film. Naïve, comme l’est et ne le met que plus en rapport avec celui un conflit dont la cause est tellement ellip- l’image de l’ange gardien par rapport à la effectué sur le gag par les grands auteurs sée qu’on a du mal à la définir, sinon par son réalité de Nishi, car si les deux hommes par- burlesques, qui souvent lui aussi reposait anecdotisme (d’après les restes qui le jon- viennent dans une certaine mesure à retrou- sur la faillite d’une action, et pourtant résul- chent, les ouvriers se seraient permis de ver cet état de grâce, l’un par le jeu, l’autre tait d’un énorme labeur. déjeuner sur le capot de sa voiture). La vio- par l’art, ce ne sera qu’en pratiquant chacun lence est obscure parce que, comme ces cette activité avec gravité, celle qui unit le premiers personnages que l’on découvre À la suite de ces plans-tableaux, les pre- ludisme de l’enfance et le travail de l’adulte abruptement, elle semble avoir toujours été mières prises de vues « réelles » jusqu’à quand il est fait avec conscience (autre là, sans origine ni résolution définitive ; ce que le générique se termine (avec aspect du pragmatisme de Takeshi Kitano, • VITESSE ET IMPRÉVISIBILITÉ DE L’AC- l’apparition retardée du titre) mettent cette attention accordée au sérieux du tra- TION DE NISHI : n’ayant laissé échapper en place quant à elles ce qui tient de vail, qui remet en perspective la bouffonne- pour toute réprobation qu’un infime dodeli- l’urbain et de la violence, de l’envers rie ravageuse du comique « Beat » Takeshi ; nement de la tête à la vue de la nourriture négatif du film qui, au moins pendant c’est d’ailleurs sur le plan du feu d’artifice sur le capot, Nishi est celui qui, comme qu’apparaît la mention « Scénario, mise en toute sa première partie, sera en fait durant tout le reste du film, va ouvrir les scène, montage : Kitano Takeshi »). Horibe son endroit : hostilités avant que la partie antagoniste ne se met à peindre parce qu’il n’a fait que tra- • OBSCURITÉ DES TENANTS ET DES le fasse, dépouillant la violence de ses poses vailler toute sa vie, et même s’il cherche à ABOUTISSANTS : un « plan tampon » de préparatoires afin de gagner en efficacité. dérider sa femme, Nishi ne se départ qu’in nuages permet d’assurer la transition avec Sur ce point, son attitude est aux antipodes extremis de son masque imperturbable lors- les plans peints précédents, par son vide de celle du héros chez Sergio Leone : il n’est qu’il met ses jeux en pratique. Le fait que figuratif et l’intensité picturale du bleu du plus nécessaire de jauger l’adversaire, l’inti- ceux-ci en général ne marchent pas, ou ciel, lequel va migrer vers les bleus de travail midation ne réside plus dans une attente

13 soigneusement ménagée dont on pressent sage à l’action de Nishi s’inscrivant alors dans l’éclatement, mais dans le silence neutre de un continuum qui va de l’impassibilité appa- Nishi, aux retombées imprévisibles. Le plan rente à la distribution des coups, qu’il accom- d’ensemble suivant situe la scène sur un par- pagne d’un déplacement monocorde et inin- king en terrasse et surtout produit un terrompu, témoignant là encore d’un art de contraste brutal, par resserrement soudain, la progression mécanique que n’auraient pas avec l’insert sur la poche de Nishi qui lui suc- renié les grands acteurs du burlesque améri- cède, d’autant que cette brutalité est accen- cain ; tuée par l’atteinte faite alors à la fameuse • LA VILLE : survient ensuite l’un des deux « loi des 180° » (qui veut que lorsqu’on filme seuls plans généraux de la ville, visibles dans deux personnages en champ-contrechamp, Hana-Bi, un panoramique le long d’un pont on ne franchisse pas la ligne imaginaire qui immense qui relie deux de ses berges, et sur les réunit, sous peine d’une sensation de lequel apparaît le titre du film. Celui-ci est dérèglement spatial) puisque ce gros plan est ainsi associé à une présence de la ville telle- cadré selon une orientation inverse de celle ment implacable qu’elle n’a pas besoin d’être qui régissait jusqu’ici les positions respectives plus amplement illustrée, le second plan des personnages par rapport à la caméra. général étant sensiblement similaire au pre- Ellipse de la fin du plan de la poche qui ne mier, si ce n’est qu’il se déroule de nuit et dure qu’une demi-seconde (que sort Nishi de que le panoramique s’y déploie en sens celle-ci ?), retour très court sur les deux inverse. Le décor est planté, mais pour le ouvriers dans l’attente, raccord soudain sur reste Kitano se cantonne plutôt à des une surface obscure occupant presque toute espaces urbains « quelconques », sans cher- l’image, qui se révèle être le chiffon qu’un cher à singulariser la ville (bien qu’il s’agisse des ouvriers utilise pour laver le pare-brise de très probablement de Tokyo) ni à lui conférer la voiture de Nishi. Le bruit mat de son une grandeur architecturale ou spatiale. Peu impact sur la vitre coupe sans préavis la après ce plan, on assiste d’ailleurs au départ musique d’Hisaishi pour mieux nous laisser de la ville de Nishi en voiture, le long de cette assister au résultat du rapport de force qui, mer que l’on retrouvera, hors de tout contex- en lui-même, a été occulté : la mise au pas te urbain, à la fin du film. des ouvriers, obligés de nettoyer le véhicule sous l’œil impitoyable de son propriétaire. Ce Enfin, après ce dernier plan du générique passage extrêmement concentré, qui dure proprement dit, il en est encore un qui porte une vingtaine de secondes, présente un une mention écrite, mais cette fois directe- double intérêt : suggérer la violence physique ment enregistrée au tournage, et non plus qu’ils formulent littéralement à l’écran, l’un avant le générique de fin, due aux coups de rajoutée en surimpression : il s’agit de l’idéo- par une violence formelle, faite de ruptures, une volonté de donner la mort, l’autre un feu par lesquels Nishi entraîne son couple gramme rouge tagué sur le sol du parking où contrastes, ellipses et syncopes — ce en quoi désir de la recevoir, un simple idéogramme dans la mort. I la musicalité kitanesque peut flirter avec celle les ouvriers et Nishi se sont affrontés, et que étant en l’occurrence plus fort qu’une du jazz —, et établir une fois pour toutes la le sous-titre traduit par l’injonction longue série d’images. Dans le même ordre supériorité rythmique de Nishi dans l’emploi « Crève ! ». Qu’importe son explication (on d’idée, on peut jeter un autre pont entre le de cette violence. Sa supériorité rythmique, peut toujours penser que les ouvriers l’ont, c’est ici le montage qui l’impose, mais dans le par vengeance, tracé à l’endroit où station- début et la fin d’Hana-Bi, là aussi entre reste du film elle s’accomplit parfois à l’inté- nait la voiture de Nishi), cela donne lieu à un une manifestation de violence inaugurale rieur du plan, sans coupe, que ce soit lors de ultime plan avant-coureur qui préfigure pour et une acceptation de mort finale : il relie- la seconde rencontre de Nishi avec les sa part un autre idéogramme rouge, celui rait la coupure brusque de la première ouvriers ou quand les yakuzas viennent lui peint par Horibe sur la dernière toile qu’on occurrence de la musique dans le film réclamer l’argent au bord du lac. De la sorte, verra de lui et signifiant « Suicide ». (lorsque l’ouvrier nettoie le pare-brise de elle s’avère d’autant plus imprévisible, le pas- L’intensité de ces deux plans provient de ce Nishi) et celle de sa dernière occurrence

14 CHEMINS DE TRAVERSE Atelier

Le jeu dans Hana-Bi n’est pas l’apanage montage3 – Nishi est assis dans sa fausse voiture de Qu’il s’agisse de créer l’illusion d’une conti- de la scène. N’est-il vraiment que dans le des protagonistes. Au moment du monta- police, sur le point de braquer la banque. nuité signifiante entre deux événements en simulacre ludique, celui qui fonde en partie ge, étape de la « post-production » dont Changement de plan, de l’autre côté de la réalité séparés (1, 2 et 4), ou bien d’établir le contrat entre le cinéma et son spectateur, Kitano s’acquitte lui-même, il a ainsi joué à rue se tient un jeune homme qui l’observe. un simple champ-contrechamp (3), ces pro- et, en l’occurrence, où le jeu s’arrête-t-il ? établir des rapports surprenants entre Nishi Contrechamp sur Nishi qui baisse sa vitre, cédures de montage n’ont rien de compli- Cette question n’est pas neuve au cinéma et d’autres éléments du film : pointe son revolver sur lui. Frayeur du jeune qué. Elles sont complexes en revanche dans (qu’il suffise de citer un auteur tel que Fritz leurs implications d’ensemble, faisant de Lang, et l’ouverture fulgurante de son film 1 – à l’hôpital, Nishi allume une cigarette, homme, Nishi dit « Bang ! ». Retour au Nishi à la fois le responsable de la violence Chasse à l’homme), mais Kitano la pose mais à la flamme du briquet se substitue le jeune homme : il joue le jeu, porte la main (1 : c’est en partie à cause de son absence d’une façon très directe, littéralement fron- canon de l’arme de l’agresseur d’Horibe, à son ventre avec un air de douleur, puis se qu’Horibe est grièvement blessé), son com- tale, à la fois moqueuse et grave. qui fait feu sur ce dernier ; redresse et rigole ; plice (2 : même à blanc, les balles de Nishi Il faut citer pour finir le petit enchaînement 4 – après avoir décimé les yakuzas, Nishi 2 – le tueur des yakuzas tire sur le débiteur relèvent du champ de la violence), son sati- de plans suivant : Nishi, ayant envoyé au rétif : plan du visage de celui-ci qui s’ef- tire sur leur dernier sbire en fuite. Coupe sur riste (3 : la violence n’est plus qu’un jeu tapis l’un des deux ouvriers qui l’attendait fondre, raccord sur Nishi lui-même en train la percussion du chien, raccord avec le jet dérisoire) et sa victime (4 : s’ajoutant au avec un couteau, lui laisse tomber la lame de tirer des balles à blanc qu’il vient de pré- de peinture rouge sur la toile d’Horibe por- bain de sang précédent, cette pression de dessus ; plan de l’ouvrier qui intercepte parer en vue du braquage ; tant l’idéogramme « Suicide ». trop sur la gâchette — dont il n’est même celle-ci entre ses deux mains, en une attitu- pas sûr qu’elle soit effectivement meurtriè- de évoquant irrésistiblement la prière ; ellip- re, étant donné l’amorce du bruit de la per- se, plan des mains de Nishi dans sa voiture, cussion qui pourrait indiquer que le barillet abîmées par la bagarre. L’ouvrier « sup- est vide — semble signer le suicide prochain pliant » aux pieds de Nishi, les « stigmates » de Nishi, par l’entremise de la toile de ce dernier au dos des mains, tout invite d’Horibe). Dans ces quatre exemples, le rap- à voir alors en lui un Christ pour le moins port de Nishi à la violence est d’autant plus atypique. L’ouverture du film l’avait déjà équivoque qu’il y est déréalisé, et rendu associé à un ange, autre figure religieuse indécidable par le jeu du montage. En 3, si occidentale, mais s’il est ange gardien pour la grossièreté délibérée du procédé nous certains, il est aussi pour d’autres ange amenant à nous identifier au jeune homme exterminateur. I bon public (Nishi pointe son revolver dans l’axe de notre regard) rend encore plus iro- niquement soulageante la révélation du « Ce n’était qu’un jeu », elle n’en jette pas moins un voile d’inquiétude sur la position de Nishi vis-à-vis de cette violence, et le faux statut de policier de cet ex-véritable inspec- teur n’est pas fait pour atténuer l’ambiguïté

15 PISTES DE RÉFLEXION Un film qui se voit

enAprès les tableauxpeintures avant-coureurs du géné- hors de tout point de vue assignable à un sait déjà l’image métaphorique de l’ange rique de début [voir CHEMINS DE TRAVERSE, personnage, un plan vient s’y insérer qui gardien (Kitano semble penser que, artisti- pages 12 à 14], la peinture dans Hana-Bi est montre exclusivement la toile en question. Le quement, la vérité sort de la bouche des tout d’abord temporairement « remisée ». passage « en force » de ce plan de focalisa- enfants), il s’agit d’une bande de yakuzas ali- De façon littérale, dans certains plans : tion est souligné par son arbitraire narratif, gnés dans le plus simple appareil, le corps quand Nishi monte l’escalier de l’hôpital son imprécision temporelle (il est l’occasion recouvert de tatouages comme il est de mise pour aller voir sa femme, on aperçoit un d’une ellipse dans la scène) et le sentiment dans ce milieu, et le sexe en érection. tableau au fond du champ, dans un couloir. qu’a le spectateur d’une opération Derrière le clinquant des costumes qu’ils Lors de la première scène où il prend des spécifique nécessaire à son filmage (immé- arborent, il n’y aurait donc que de la convoi- nouvelles de la veuve de Tanaka, un autre est diatement après, on retrouve le tableau en tise, particulièrement obscène dans un film visible sur le mur derrière lui, en partie occul- arrière-plan derrière Nishi, filmé dans le d’où l’appât (du gain, du sexe) est par té. Et dans celle au bar où le jeune policier même axe, comme si dans le précédent plan ailleurs absent. D’ailleurs, le plan sur ce rescapé de l’arrestation de l’agresseur il avait fallu escamoter le personnage ou bien tableau inaugure une scène dans laquelle d’Horibe discute avec Nishi, une toile appa- que la caméra s’intercale entre lui et le l’un des sbires raille le statut social respec- raît encore au fond des plans (grâce au reflet tableau). table que cherche à se donner leur chef. La d’un miroir, dans l’un d’eux). Mais c’est au À partir de là, l’idée (fixe) de peinture que le petite bande mafieuse se dévoile également cours de cette scène que la place accordée à film a derrière la tête devient manifeste, quit- à travers la parodie d’estampe ancienne (du la peinture commence à évoluer. En effet, te à passer parfois devant. Ainsi, le tableau plus mauvais goût) qui trône chez elle ; un aperçu à l’hôpital réapparaît lorsque le personnage y tient entre ses mains son visa- médecin de l’épouse de Nishi passe devant ge, peint de façon traditionnelle, et révèle à lui, et reste seul à l’écran après la sortie du la place le vrai visage de ces faux amateurs champ de ce dernier, le temps de se rendre d’art que sont les yakuzas, une tête de mort compte qu’il représente quatre anges qui horrible à voir. filent la métaphore du générique. La premiè- Évidemment, la peinture figure aussi dans re incursion dans l’antre des yakuzas débute Hana-Bi à titre d’activité, celle que pratique par la peinture d’un effrayant dragon plein Horibe à la suite de l’agression qui le cloue écran, manière de planter immédiatement dans un fauteuil roulant. Avant cette agres- un décor voulu intimidant par les maîtres des sion, la perception artistique n’a pas du tout lieux. En revanche, cette scène ne montre l’air de faire partie de ses préoccupations, qu’en arrière-plan un tableau proposant une son autoritarisme l’empêchant alors de image peu valorisante de ces gangsters regarder autour de lui (lorsque sa fille lui dit hâbleurs, mais que l’on découvrira plus tard au téléphone avoir fait un dessin à son inten- de près, lorsque, malmenés par Nishi, ils tion dans son agenda, sa première réaction auront commencé à perdre de leur superbe : n’est nullement d’enthousiasme, alors qu’il dans un style naïf et enfantin qui caractéri- n’aura de cesse de pratiquer plus tard,

16 lorsque sa fille l’aura quitté, un dessin d’en- modèle de celui des lauriers-roses, alternent fant, fût-ce par manque de technique). Un avec la visualisation des toiles futures qui gros plan en apparence inutile, au cours de la s’en inspireront, représentant des êtres scène du début où il vient relever ses subor- hybrides, humains ou animaux à motifs flo- donnés de leur surveillance, vient renforcer raux. Ces plans de toiles sont des projections cette impression : c’est l’image furtive, là mentales, ils précèdent narrativement leur encore non assignable au regard d’un per- réalisation, mais puisqu’en réalité les sonnage, des fleurs roses d’un massif d’ar- tableaux en question préexistaient au tour- bustes, sans doute des lauriers-roses, que nage d’Hana-Bi, on peut noter que des l’on remarque à peine au fond des plans sui- œuvres déjà peintes dans la réalité devien- vants, mais qui, au moment de la chute nent dans la fiction cinématographique de d’Horibe sous les balles, se retrouvent dans la Kitano des œuvres à peindre, comme si, au partie gauche du cadre. Or, par la suite nous sein de son film, une œuvre d’art en elle- verrons Horibe faire feu pictural de tout bois même achevée n’avait plus d’existence (après avoir observé les taches lumineuses à propre, devait être réinventée, reprojetée par la surface de l’eau, il dessine derechef dans le cinéma (c’est-à-dire retravaillée comme le style pointilliste) et plus particulièrement projet cinématographique) afin qu’il se l’ap- de toute fleur, jusqu’à se plaindre de man- proprie. Ainsi, le cadre cinématographique lial, alors que le bouquet cueilli par l’épouse quer de sujets de peinture. Son état de ne va pas coïncider avec celui de ces toiles de Nishi est condamné à se faner, comme le « manque figuratif » ne sera que la punition projetées, elles seront recadrées par le jeu de bonheur de son couple (d’où la cruauté de la de son incapacité première à observer autour mouvements de caméra et de prises de vues de lui, celle dont Kitano cherche à se préser- obliques. Et pour mieux se dessaisir de scène dans laquelle un importun lui serine ver en ouvrant ses films à tout ce qui se pré- tableaux qu’il a lui-même peints, Kitano les qu’il est inutile de donner de l’eau à des sente dans leur entourage, que ce soient les attribue à un autre personnage que celui fleurs fanées). Cet embaumement de la fleurs roses citées ou encore ces mulets sau- qu’il interprète, tandis qu’au sien il confie un beauté et du bonheur par l’art est traduit au tant hors de l’eau dont le cinéaste a inséré ouvrage de peinture beaucoup plus pro- mieux lors du fondu enchaîné passant du feu l’image après la séquence du suicide raté de saïque : la transformation d’un taxi en voitu- de Bengale allumé par Nishi, fatalement Nishi — deux plans filmés en longue focale, re de police, montrée en parallèle avec le tra- appelé à une extinction rapide, à la toile comme volés à la réalité. vail pictural d’Horibe. d’Horibe représentant un feu d’artifice Commençant à peindre, Horibe se rend chez Un jeu subtil de parallélismes se met en (Hana-Bi, « Fleur-feu ») figé dans son instant le fleuriste afin de trouver de quoi alimenter place, dès lors qu’Horibe s’engage en pein- de plus grande expansion. Mais à la vision de ses tableaux. Les plans de fleurs auxquelles il ture. Il détient le pouvoir de conserver la cette toile mettant en scène une famille heu- prête désormais attention, tournés sur le beauté, celle des fleurs ou du bonheur fami- reuse succède celle d’Horibe seul à sa table

17 de travail, l’air vide, cependant qu’il pleut au-dehors. L’art ne Juste après l’épisode de la crevasse, l’épouse de Nishi se fait remplace pas la vie et les relations humaines, ne suffit pas à photographier au chalet où ils se sont arrêtés. La gaieté de la combler les vides de l’existence. « C’est dur tout ce temps scène antérieure au cours de laquelle le couple se prenait en libre », confie Horibe à son ancien subordonné, malgré son photo au retardateur a disparu. Nishi ne veut pas figurer sur intense activité picturale. Toutefois, le choix de Nishi de se ce nouveau cliché, et en laisse la responsabilité à l’hôtesse. Il cantonner aux plaisirs fugaces, aux jeux, aux formes évanes- attend dans son coin que cette ultime photo soit réalisée, afin centes du bonheur, n’empêche pas non plus en fin de comp- qu’elle annule l’image de sa femme impuissante dans le te la courbe descendante de la vie d’avoir le dessus. Pour l’un grand blanc de la crevasse, presque déjà morte. Celle-ci se comme pour l’autre, le suicide semble constituer la seule prête avec une gêne contenue à cet exercice d’adoucissement porte de sortie. du deuil, voulu par son mari. Elle pose devant un tableau Avant même le dernier tableau où figure l’idéogramme occupant une large portion du plan, composé d’arbres à l’ins- « Suicide », celui-ci est évoqué dans une composition inspirée tar de celui d’Horibe, mais qui regorge de couleurs, rose, à Horibe par des arbres en pleine efflorescence. Le blanc des jaune, bleu, orange, vert, atténuant l’omniprésence du blanc. fleurs envahit sa toile montrant un homme accroupi, de dos, À cette occasion, peinture et cinéma se rejoignent enfin sur le son sabre planté en terre à côté de lui, peut-être sur le point même plan, pour susciter ensemble un moment d’émotion. I de se faire « seppuku ». Dans le bouddhisme, le blanc est associé à la mort et au deuil ; c’est l’une des deux principales religions pratiquées au Japon, où les morts sont traditionnel- lement enterrés en blanc. Ce blanc va migrer du tableau d’Horibe pour se retrouver sous forme de neige dans son œuvre « suicidaire », et contaminer l’avant-dernière partie du voyage de Nishi et de son épouse. Elle se déroule dans des paysages enneigés et correspond à l’accélération du senti- ment de la fin prochaine du bonheur du couple, avec la mélancolie qui va de pair. Partie faire ses besoins dans la neige, la femme de Nishi tombe à moitié dans une petite cre- vasse. Lorsqu’il la voit presque entièrement prise dans le blanc glacé, Nishi semble affolé pour la première fois et se met à courir vers elle. C’est aussi dans cette blancheur généralisée qu’a lieu l’exécution des yakuzas par Nishi. Pour ne pas pla- cer sa mort sur le même plan, Nishi mettra fin à la vie de sa femme sous le soleil, face au bleu de la mer.

18 LE CINÉMA AUTOUR DU FILM JAPONAIS CONTEMPORAIN Les femmes et Les bases du cinéma japonais se sont effondrées [...]. C’est l’angoissante image qui vous vient à l’esprit au vu de ses films plats, faibles, quasi inexis- tants de ses derniers mois. Propos du critique de cinéma japonais Trois des meilleurs filmsles sortis au enfantsJapon en d’abord Sadao Yamané datant de 1989, rapportés 1997 sont L’Anguille (Unagi) de Shohei par Yoichi Umémoto dans « Paysage du Imamura, Cure (Kyua) de Kiyoshi Kurosawa vide », Cahiers du cinéma n° 512, et Hana-Bi, dont les auteurs sont issus de avril 1997. générations et de parcours différents. Au début de L’Anguille, le personnage principal Qu’à présent la maladie, inextricable- tue son épouse qu’il a surprise en plein adul- ment physique et mentale (car, dans tère, à la suite semble-t-il d’une lettre de ce cinéma, dès qu’on est malade on dénonciation anonyme. Au seuil de sa réin- est aussi un peu fou), soit l’unique fai- tégration à une communauté humaine, il en seuse de fiction, que la dissidence ne viendra à se persuader que la lettre en ques- s’inscrive plus qu’en creux, en négatif, tion n’avait été qu’une vue de son esprit, et est preuve que le Japon va mal. Neuf qu’il était bien le seul responsable de la mort personnages sur dix ont l’air de sortir de sa femme. Dans Cure, un inspecteur de l’asile, et les enfants sont tous traque un jeune hypnotiseur, qui incite ses tarés : pas un qui ne soit symbolique- victimes à se débarrasser des personnes de leur entourage constituant un poids, un han- ment (réellement dans Hana-Bi) déjà dicap ou un objet de rancœur. Le policier mort. finit par se laisser suggestionner et assassine Emmanuel Burdeau, « La tache dans le sa propre femme, dont il devait se préoccu- tableau », Cahiers du cinéma n° 521. per quotidiennement car elle était atteinte tifs, et se décharge du poids que représente pour le pire. Par ce caprice sentimental jus- de troubles mnésiques. À la fin de Hana-Bi, son épouse, assumant quant à lui son amo- qu’au-boutiste (« Ni avec toi car tu vas mou- À partir du moment où il n’y a plus de les deux détonations entendues hors champ ralité nouvelle. Sous couvert d’un romantis- rir, ni sans toi car je ne veux pas te laisser pères, de repères, s’ouvre un vide ver- ne peuvent valoir que pour Nishi et son me désespéré qui fait l’émotion de la fin seule »), Nishi, celui-là même qui peut être tigineux. Le paysage de la plage dans épouse, elle dont la leucémie compte les d’Hana-Bi, Nishi est peut-être finalement le vu par ailleurs comme le mari et l’adulte les films de Takeshi Kitano nous inter- jours, lui qui sinon aurait dû la laisser seule personnage qui prend le moins en charge ce idéaux, remplace l’enfant absent, et, en tant pelle alors. Dans Boiling Point, A pour aller en prison. qui reste pourtant un meurtre. En effet, que tel, doit lui aussi mourir, à la fin de cette Scene at the Sea et Sonatine, on Trois couples sans enfant, deux femmes même s’il refuse de s’en expliquer, tout porte œuvre malade qu’est Hana-Bi — malade, retrouve ce paysage vide où rien n’ac- malades, trois maris qui tuent leur femme. à croire qu’il l’accomplit au nom de motifs comme nombre de films japonais contempo- croche le regard. Ce paysage est à la Trois films qui posent la question de la res- altruistes et sentimentaux autant qu’en son rains, du modèle sociétal de la famille tradi- fois celui du cinéma japonais et de la ponsabilité de cette mort : le héros de nom propre. Comme dans le cas des autres tionnelle, avec les femmes et les enfants société japonaise actuelle. Voilà où L’Anguille arrive à l’assumer pleinement, ne personnages dont il s’improvise l’ange gar- pour victimes expiatoires. I nous en sommes et d’où nous pou- la rejetant plus sur le corps social ; certes dien, il force dans une certaine mesure la vons repartir. sous le coup de l’hypnose, celui de Cure main de sa femme (dont on ne peut que sup- Yoichi Umémoto, ibid. abdique ses engagements moraux et affec- poser le consentement), pour le meilleur et

19 DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIE

À LIRE On se reportera avec profit à l’ensemble L’éternité paru en novembre 1997 dans le n° 518 des Cahiers du cinéma lors de la sortie de Hana-Bi, et au texte de Thierry Jousse « Kitano le maître fou » paru dans le n° 25 de la revue Trafic (prin- temps 1998), qui envisage l’œuvre kita- nesque jusqu’à Hana-Bi, non sans retrouvée« La structure du gag [...] est dans le schéma l’intérieur. Il les ramène à la situation nucléai- témoigner d’une inquiétude bien tem- pérée : « Quant à cette sanctification de du mouvement instantané et aussitôt replié. re : un désordre imprévu, une intervention Kitano, auteur qui entre à partir de fulgurante et le calme revient. Mais ce n’est Le poing de Kitano s’abat sur la figure de ses maintenant dans la catégorie recher- adversaires et les anéantit à peu près dans le plus le simple retour burlesque de l’ordre. chée et redoutable des signatures, [...] temps qu’il fallait à Charlot pour dérober, L’ancien policier n’a pas seulement pris le elle est peut-être déjà contenue dans une à une, toutes les saucisses d’un mar- parti fictionnel de la transgression des lois. Hana-Bi, où l’idée de sacrifice comme chand ambulant, en reprenant, dans chaque L’excès de vitesse du gag, en cassant le accès à la beauté et la vision de l’artiste intervalle, la pose du spectateur distrait. mécanisme du film d’action, en interdisant à comme saint laïque sont esquissées. En L’action de Kitano exécutant de la loi — de la la fois les facilités de sa parodie et les lour- ce sens, Hana-Bi est aussi le premier police ou des yakuzas — a la vitesse méca- deurs de sa psychologisation, a confisqué les film de Kitano où il semble entièrement conscient et maître de ses effets, et l’in- nique du gag, et elle ne traduit ni ne produit pouvoirs de l’action. Il en a fait une pure tensité du film vient précisément d’une le moindre changement sur son visage. Mais puissance de contemplation. Et c’est celle-ci qui va s’émanciper. Elle deviendra alors l’at- tension entre cette pleine conscience du cette mécanique impassible n’a rien à voir tention éblouie d’un visage qui sait qu’il ne cinéma et la capacité de s’en avec les parodies décontractées du genre verra bientôt plus rien. Elle s’élargira aux déprendre. » qu’affectionnent les habiles. Kitano ne paro- dimensions mythiques de cette plage infinie die pas les films de bagarre, il les évide de que le recul de la caméra offre au regard des À VOIR deux policiers en service obligé et dérobe en Exceptions faites du récent Été de même temps à leur pouvoir d’action. Ils Kikujiro et de ce film maudit qu’est n’ont pas même besoin d’indulgence envers Getting Any ? tous les longs métrages leur ancien chef, passé de l’autre côté de de Kitano ont été édités en VHS ou l’ordre. Celui-ci est désormais hors de leur DVD. Outre Hana-Bi, recommandons particulièrement deux de leurs meilleurs portée. La puissance étirée du gag est deve- représentants : un Kitano avec Kitano, nue monde. Elle est le monde de celui qu’ils Jugatsu, et un Kitano sans Kitano, A chercheraient vainement dès lors à appré- Scene at the Sea. Enfin, autre docu- hender. L’éternité rimbaldienne de la mer ment vidéo précieux, le documentaire allée avec le soleil, celle que cherchait — trop de Jean-Pierre Limosin pour la série abstraitement, trop ironiquement peut-être Cinéma de notre temps (Arte) : Takeshi — le héros godardien d’antan, est retrouvée. Kitano l’Imprévisible. La puissance d’immobilité intérieure au mou- vement des images s’est autonomisée. Ce EN LIGNE mouvement suspendu infinitisé pourrait être Côté Internet, on peut aller surfer sur un la tragédie cinématographique » site en français complet et passionné Jacques Rancière, « Le mouvement suspendu », consacré à Kitano : http://www.multi- Cahiers du cinéma n° 523, avril 1998, p. 36. mania.com/martinlang/

20 PISTES PÉDAGOGIQUES zas témoins est l’élément le plus violent, le telle : chez John Woo, la violence est saisie, plus insupportable de la séquence car il maîtrisée dans une calligraphie ralentie de l’ex- témoigne d’un vide subjectif de tous les prota- plosion générale. John Woo est le cinéaste de gonistes sans exception. la crise asiatique. Dans The Killer (1989), il UN EXEMPLE mêle deux genres, le film de yakuza et le mélo- Les représentations de drame. La chorégraphie saisit tous les élé- La violence, désynchronisée de l’action, per- ments filmiques (harmonie des mouvements met de considérer des faits, des actes, de d’explosions en tout genre, de la musique, des mettre l’accent davantage sur l’indifférence regards échangés) pour restituer au monde des rapports entre les gens, point d’où, en réa- une dimension dans laquelle subsiste une idée lité, se génère la violence. du bien, arrachée, mais pas complètement, au Hana-Bi est un film beau et dur, éprouvant, le sexe, les guerres… Ce qui confère au Prenons comme exemple les rapports entre le manichéisme chrétien. Le film dissout par sa lanon par lesviolence quelques scènes de violence phy- monde présent ce degré de violence réelle, ferrailleur (seul personnage comique du film) forme son propre code, sans souci de réalisme, sique qui l’articulent, l’ossaturent, mais par c’est son indiscernabilité elle-même. et la fille qui travaille avec lui. Le ferrailleur, ponctué çà et là d’éléments comiques. Le jeu l’idée de la mort qui habite toutes les autres On pourra réfléchir au mode sur lequel le film grande brute en combinaison de travail de symétrie entre les bons et les méchants (ici séquences. Le cinéma de Kitano est toujours aborde la violence en gardant à l’esprit l’écart blanche, bouscule (physiquement et verbale- policiers et yakuzas) maintient à l’arrière-plan d’abord une méditation sur le nihilisme entre la définition de “violence” du Littré ment) son employée qui fume affalée sur une une distribution des bons et des méchants contemporain. Elle incline ici vers un romantis- (XIXème siècle) « qualité de ce qui agit avec chaise en restant indifférente à ses injonctions. (hors camps). C’est pour John Woo un point me que ce siècle n’a fait que semblant de force », et celle, actuelle, du Larousse : « force Plus tard dans le film, alors que lui est assis, de résistance au règne du Capital pour qui congédier : d’un côté, la séparation, l’amour brutale des êtres animés ou des choses ». On lisant sur le journal le braquage de la banque, bons, méchants, bien et mal sont indifférents. impossible à tenir entre Horibe et sa femme, peut noter une nette substantialisation du c’est la fille qui, au passage, lui tape sur la tête Dans Killer (Tueur à gages, 1998) de du fait d’un réel trop difficile à assumer, de mot, ainsi que sa spécification du côté du mal. avec un bidon vide pour l’envoyer au travail. Darezhan Omirbaev, la violence est montrée l’autre, entre Nishi et sa femme, un amour Geste surprenant. Cette symétrie (ce rapport comme le résultat de l’indifférence des rap- possible, même s’il se donne dans la guise de Le cinéma est le lieu idéal d’où cet écart peut d’indifférence brisé, même violemment) fait ports entre les gens. La violence n’est pas la fuite, avec pour horizon la mort. Le monde être pensé. Il y a chez Kitano un travail de passer au second plan la violence, défait l’idée visible, quasiment hors-champ ; la vie suit son n’est pas complètement noir : il est possible réflexion, de présentation de la violence, en d’un rapport de force, pour ne retenir (dans cours. Rien ne distingue un type de la pègre artistiquement de résister. Il est possible de soustraction des représentations classiques : une version comique) que l’idée du principe puisqu’il est en apparence un bon père de faire un film pour mettre en scène, pour mise en scène du vide, absence de lien entre d’égalité nécessaire à tout amour (ici l’amour- famille. La mise en scène de Killer est celle rendre compte et interroger les apparences du les personnages, impassibilité des acteurs, vache). La brutalité première des gestes de d’une dramaturgie de l’indifférence dans monde. Quelle forme permet d’évoquer, de défaut d’action… — autant de soustractions l’homme s’en trouve atténuée. Le montage laquelle les objets, les décors jouent un rôle à toucher le réel du monde ? Horibe est le au réalisme qui vont préparer, mais sans le sus- achève de constituer ce couple fruste comme égalité avec les personnages. La violence s’ins- double de Nishi, eux-mêmes sont les doubles pense classique, au surgissement d’une violen- un couple, par le contraste (effet carte posta- crit dans un passage de l’immobilité, dans l’in- de Kitano. Horibe fait de la peinture pour se ce qu’on peut dire mise à distance, mais pré- le, ou cliché) de celui de Nishi et sa femme unis sistance des silences et non pas dans le feu garder du suicide, de la mort subjective. Son sente. Or, cette présentation de la violence, dans la contemplation du mont Fuji. d’une action. Les scènes de violence manifeste art (naïf) naît de l’observation de la nature, des dégagée de sa gangue dramatique, permet la sont préparées, puis éludées. Non pas pure- gestes humains. Hana-Bi, contrairement à réflexion. La violence chez Kitano n’est pas de D’autres séquences, plus violentes, seront ment soustraites, mais remplacées par une Sonatine, est ancré dans un monde réel dans l’ordre du constat. Il s’agit de la détacher considérées, pensées à partir du repérage de autre scène allusive. Seuls les effets sont mon- lequel il prélève une imagerie courante — d’une action qui emporterait le spectateur leur mise à distance, de l’évidement de la ten- trés : le désordre d’une pièce après une bagar- peintures naïves, écrans vidéo de surveillance, dans un sentiment soit de fascination, soit de sion dramatique. Par exemple dans Hana-Bi, re, le sang, les ecchymoses sur un visage. tags… —, pour l’épurer, pour lui conférer un dégoût. Il s’agit de montrer le contexte de la la scène découpée en plusieurs séquences traitement distancié. La violence est considé- violence, sa gestation, bien plus que de mon- brèves entre Nishi et les deux ouvriers qui ont La violence au cinéma ne peut se donner, ni se rée par Kitano comme part de cette imagerie trer des images violentes. Les scènes violentes pique-niqué sur sa voiture. penser frontalement. Les journaux télévisés rendent les images violentes absolument indif- courante, qu’il s’agit de traiter par des opéra- chez Kitano sont froides et dures, et, point très LA VIOLENCE AILLEURS AU CINÉMA tions artistiques. important et récurrent, sont regardées par des férenciables, laissent la pensée pétrifiée, en témoins présents dans le plan. C’est le cas des Nous vivons aujourd’hui dans un monde où il prise aux sentiments sauvages. La violence se QUELLE VIOLENCE ? viols, qu’il s’agisse de celui de Violent Cop ou ne s’agit plus de trouver et d’exhiber l’image niche moins dans le contenu de l’image, dans “Violence” est un nom donné à des situations de Sonatine. C’est le cas aussi du meurtre horrible rare, jamais vue. Il n’est guère possible ses indices visuels choquants, que dans cette pour en masquer le réel, pour l’indifférencier. nocturne d’un yakuza par immersion répétée de surenchérir du côté du “gore”. incapacité d’intelligence dans laquelle nous “Violence” aujourd’hui, désigne aussi bien, dans l’eau du port, l’homme suspendu par On assiste à un renchérissement dans la forme sommes tous laissés pour compte. pêle-mêle, le terrorisme, les enfants à l’école, une grue. La complète indifférence des yaku- même des films, non dans l’image en tant que Elysabeth Boyer

21 PISTES PÉDAGOGIQUES le burlesque dans le film » 1, c’est-à-dire de film. Le geste de Nishi dans Hana-Bi se résu- faire passer le comique par la conscience des me souvent à son seul surgissement : il est personnages en même temps que par celle du coupé dans l'élan qui précède sa durée et isolé spectateur. Nombreux sont les moments de sa cause. Il en résulte une "présence" comiques d’Hana Bi où les personnages rient immédiate, fulgurante, celle d'un corps qui Kitano et en même temps que nous, ici d’une voiture s'obstine à "être là" (Keaton), à s'inscrire en qui entre dans le champ d’une photographie travers (Hulot), à lutter contre sa propre dispa- prise au retardateur, là d’un feu d’artifice qui rition (Moretti). explose au moment où l’on ne s’y attend plus. UNE CONSTRUCTION BURLESQUE Ce n’est pas tant le dérèglement de la situa- tion qui fait rire que la réaction qu’il provoque. La construction d'Hana-Bi, par juxtaposition Ailleurs, on ne voit pas Nishi faire sonner la ou succession d'éléments disjoints rappelle elle leUN burlesqueTRAITEMENT BURLESQUE par Nishi — parfois plus ironique, qui atténue cloche du temple, mais on se réjouit de l’en- aussi une des caractéristiques du burlesque, la gravité du film et met à distance les situa- tendre transgresser la règle et de contredire dont le récit dramatique, en tant que faits Hana-Bi, dans sa tonalité générale comme tions. Cette distance, c’est celle du regard que ainsi la leçon stupide qu’un père vient de don- significatifs, est sacrifié au profit de la succes- dans les situations qu’il décrit, est très proche Kitano porte sur les choses, cet humour, par- ner à son fils. Tout Kitano est dans cette scène, sion de gags. L'argumentation signifiante lais- du mélodrame. Le personnage principal, y fois froid mais aussi souvent attachant, avec dans cette façon de résister un peu, de s’op- se ici la place au collage dont chaque élément compris dans ses accès de violence, a quelque lequel il propose sans jamais l’imposer un poser malgré tout, de dérégler le prévisible, de est souligné pour lui-même avant de s'intri- chose de profondément mélancolique. Mais aspect risible des choses et du monde, que ce faire vivre un moment ce qui est mort ou ce quer dans l'ensemble du film. La construction Hana-Bi adopte aussi dans sa deuxième et sa soit l’absurdité d’une situation ou l’étrangeté qui va mourir. d'Hana-Bi procède par ellipses, évacue sans cesse la cause, abolit l'aspect factuel des évé- troisième partie (la préparation du hold-up, le d’un comportement. En ce sens Kitano, quand LE CORPS BURLESQUE voyage du couple) un ton plus léger, parfois il a recours à l’humour, est assez proche de nements — de la violence par exemple — pour franchement comique — le personnage du celui de Jacques Tati, qui comme l’écrit Nishi-Kitano est une figure plus qu’un véri- en souligner les conséquences, s'arrêter un ferrailleur, la série de gags provoqués ou subis Barthélémy Amengual « invente d’introduire table personnage. On le regarde agir (ou ne temps sur un nouvel état des choses, lui-même pas agir), on observe son masque et ses gestes suspendu, en passe d'être interrompu. sans savoir quels sont ses sentiments ni L'imprévisible préside au déroulement du film connaître vraiment ses motivations. Notre rap- et arrache chaque plan au temps et la drama- port avec cette “présence” relève moins de turgie classique, pour laisser la place à un art l’identification classique que de la connivence du cadre où se révèle l'immédiateté concrète avec un être hybride qui est à la fois la figure des choses, d'un corps, d'un tableau, de de l’écran et l’auteur qui le fait agir. Le statut l'océan. Le comique, chez Kitano, découle de d’“amuseur public” de Kitano au Japon nous cette nécessaire expérience du monde. Si Nishi permet d’assimiler sa présence à celle d’un sort vainqueur et indemne de tous les com- burlesque, à propos duquel Petr Kràl souligne bats, le gag est souvent pour lui le lieu d'une que « si une complicité se crée entre lui et épreuve corporelle, qui occasionne coups, nous, elle nous lie moins à son personnage chutes et blessures légères. Un lieu où l'image qu’à son créateur, à cette part de lui qui, “assi- révèle peu à peu l'humain, comme dans ce se dans la salle”, nous fait en quelque sorte plan où, penché en équilibre pour récupérer le des clins d’œil dans son propre dos » 2. Cette cache de son objectif photographique, il s'éta- présence qui déborde l’écran est tangible chez le de tout son long et de tout son poids dans Kitano d’abord dans le fait que sa figure, au- la délicieuse harmonie d'un jardin zen. delà des différents rôles qu’il interprète dans Emmanuel Dreux ses propres films, ne varie guère (à l’instar des burlesques qui ne changent pas de défroque et restent eux-mêmes de film en film). Ensuite dans sa maîtrise du plan et de la coupe, « pri- 1. Barthélémy Amengual, L’Etrange comique de vilège des auteurs-acteurs » selon Emmanuel Monsieur Tati, Cahiers du cinéma n°32 et 34. Burdeau, par laquelle il fait ostensiblement 2. Petr Kràl, Les Burlesques ou la parade des som- part de ses prérogatives sur le déroulement du nambules, Stock, 1986, p. 16.

22 (les mots en italique renvoient à des définitions) CUT (Montage) Juxtaposition de deux plans, sans artifice INSERT Plan bref destiné à apporter une information montage. de liaison (du type fondu ou volet). nécessaire à la compréhension de l’action. RÉALISATEUR Responsable technique et artistique de la AMBIANCE (son) Bruits produits par les éléments naturels DÉCOUPAGE (technique) Description des plans à tourner INTERTITRE Texte de dialogues ou d’explication inséré fabrication d’un film. (le vent...), les comédiens (les vêtements...), etc. (avec leurs indications techniques : position de caméra, entre les images. RÉEL C’est, au cinéma, ce que l’on ne “reconnaît” qu’à ANAMORPHOSE Principe de compression horizontale cadre, etc.). MÉTRAGE Longueur d’un film. (Inf. à 60’, soit 1 600 m en travers le référent, lui-même produit par les signes du texte d’une image, utilisé dans le CinémaScope. DIAPHRAGME Orifice réglable, situé dans l’objectif, et 35 mm = Court métrage. Sup. à 60’ = Long métrage). filmique. ANGLE (de prise de vue) Détermine le champ enregistré laissant passer plus ou moins de lumière. Chaque cran (ou MIXAGE Mélange et équilibrage, en auditorium, des diffé- RÉFÉRENT Produit par le signe, il ne doit pas se confondre par la caméra (Il varie selon la focale de l’objectif utilisé). “diaph”) augmente ou diminue du double la quantité de rentes bandes son (paroles, musiques, bruits). avec le “réel filmé”. AUDITORIUM Studio d’enregistrement des voix, des bruits lumière (f 8 à 100 asa = f 11 à 200 asa). MONTAGE Opération consistant à assembler les plans REFLEX (Visée) Sur une caméra, système de visée à travers ou du mixage. DOUBLAGE Opération consistant à substituer à la bande bout à bout, et à en affiner les raccords. Elle est dirigée par l’objectif permettant de voir exactement ce qui sera AUTEUR Personne ayant acquis des droits de propriété “paroles” originale une bande dans une autre langue réali- un chef-monteur. impressionné sur la pellicule. incorporelle par sa participation à la création d’une œuvre sée en postsynchronisation. MONTAGE PARALLÈLE Type de montage faisant alterner RUSHES Premiers tirages positifs des plans tels qu’ils ont (Scénariste, Dialoguiste, Réalisateur et Musicien). EFFETS SPÉCIAUX Terme générique recouvrant les mani- des actions différentes mais simultanées. été tournés. BOUT À BOUT Premier montage lâche (Syn. “Ours”) pulations techniques apportées à l’image ou au son NÉGATIF Film impressionné dans la caméra. Les lumières SCÈNE Sous-ensemble de plans ayant trait à un même lieu (Fondus, Surimpressions, Trucages, etc.). et les couleurs y apparaissent inversées (les blancs sont ou une même unité d’action. ÉMULSION Face mate d’une pellicule sensible à la lumière. noirs, etc.). SCRIPTE Personne assurant les "rapports", et vérifiant la ÉTALONNAGE Opération consistant en laboratoire à recti- OBJECTIF Ensemble des lentilles optiques qui permet de cohérence des plans les uns par rapport aux autres, sur le fier et harmoniser la luminosité et l’équilibre des couleurs former une image sur la pellicule, ou sur l’écran en projec- tournage. sur les copies positives. tion. Il comporte en outre un diaphragme. SIGNE (Sémiologie) Unité constituée du signifiant et du FILTRE Lame de verre placée devant l’objectif pour modi- OBTURATEUR Disque ajouré qui, en tournant dans une signifié. fier l’image (gris, dégradé, couleur, polarisant...). caméra ou un projecteur, permet d’occulter la lumière pen- SIGNIFIANT Manifestation matérielle du signe. BRUITAGE Opération consistant, en auditorium, à créer et FINAL CUT Finalisation du montage qui, à l’époque des dant l’avancée du film, entre deux images. SIGNIFIÉ Contenu, sens du signe. à enregistrer des bruits, en synchronisme avec les images grands studios américains, était refusée aux réalisateurs. OFF Ce qui est situé hors du champ. Son “off” : son pro- SON DIRECT Un son lié à la prise de vue et synchrone avec préalablementLe tournées.xique FLASH-BACK Principe de récit consistant à faire un “retour duit par un personnage ou un objet non visible dans le l’image CADRE Limite du champ visuel enregistré sur le film. en arrière” sur une action s’étant déroulée antérieurement. champ. SOUS-EXPOSITION Aspect d’une pellicule ayant reçu une CADREUR Responsable du cadre et des mouvements d’ap- FLASH-FORWARD Principe de récit consistant à faire un PANORAMIQUE Mouvement de rotation de la caméra sur quantité insuffisante de lumière (= trop sombre, en positif). pareil. bond dans le futur elle-même. SOUS-TITRAGE Texte transparent figurant dans le bas de CHAMP Partie de l’espace visuel enregistré sur le film. FOCALE (Distance) Distance entre la lentille et son foyer PANOTER Effectuer un panoramique. l’image (par destruction chimique ou laser de l’émulsion, CHAMP-CONTRECHAMP Opération de montage consis- optique. Elle détermine la largeur de l’angle de prise de PHOTOGRAMME Image isolée d’un film. ou par tirage surimpressionnée d’une “bande noire” com- tant à juxtaposer un plan montrant le champ et un autre vue (Courte focale, inf. à 50 mm = angle large. Longue PISTE SONORE Placée sur le bord de la pellicule, elle sup- portant le texte) montrant le contrechamp (Cf. Deux personnages se regar- focale, sup. à 50 mm = angle étroit). porte une bande photographique (“optique”) ou magné- STORYBOARD Technique consistant à dessiner chaque dant mutuellement). FOCALE VARIABLE Objectif possédant la faculté de faire tique servant à la lecture du son. plan avant le tournage. CHEF-OPÉRATEUR Responsable du rendu de l’image varier sa distance focale (= Zoom) et de passer, en cours de PLAN Morceau de film enregistré au cours d’une même (éclairage, cadrage, mts d’appareil ; suivi laboratoire, éta- prise de vue, d’un grand-angulaire à un téléobjectif. prise. Unité élémentaire d’un film monté. SUPER 16 Procédé consistant à impressionner une pellicule lonnage). Syn. : Directeur de la photographie. FONDU Action d’obscurcir progressivement l’image (“fer- PLAN (Échelle de ...) Façon de cadrer un personnage (Plan 16 mm dans sa pleine largeur. Utilisé en double-bande CINÉMASCOPE Procédé consistant à comprimer horizon- meture”) ou de la faire progressivement apparaître moyen, Plan américain - à mi-cuisse -, Plan rapproché, Gros pour la TV, il est gonflé en 35 mm pour le cinéma. talement l’image à la prise de vue (anamorphose à l’aide (“ouverture”). plan ; ou bien : Plan-pied, Plan-cuisse, Plan-taille, Plan-poi- SUPPORT Face brillante d’une pellicule sur laquelle est d’un objectif hypergonar) et à la décomprimer à la projec- FONDU-ENCHAÎNÉ Surimpression d’une fermeture et trine, etc.) ou un décor (Plan général, Plan grand ensemble, couchée l’émulsion. tion pour obtenir une image très large (1 x 2,35). d’une ouverture en fondu, ayant pour effet de faire dispa- Plan d’ensemble, Plan de demi-ensemble). SUREXPOSITION Aspect d’une pellicule ayant reçu une CLAP (ou Claquette) Deux plaquettes de bois reliées par raître une image pendant que la suivante apparaît. PLAN DE TRAVAIL Planning donnant l’ordre dans lequel trop grande quantité de lumière (= trop clair, en positif). une charnière et portant l’identification du plan. En la fai- FORMAT (Pellicule) Largeur du film (Standard : 35 mm ; sont tournés les plans. SYNOPSIS Résumé d’un scénario. sant claquer devant la caméra, on crée un repère visuel et Substandard : 16 mm ; Amateur : 8 mm) PLAN-SÉQUENCE Prise en continu d’une scène qui aurait TABLE (de montage) Appareil permettant de visionner une sonore pour synchroniser le son et l’image. FORMAT D’IMAGE Rapport entre la hauteur et la largeur pu être tournée en plusieurs plans. bande image et plusieurs bandes son, et destiné à réaliser CODE En sémiologie, signe ou ensemble de signes consti- de l’image (Muet : 1/1,33. Sonore : 1/1,37. Pano. : 1/1,66. PLONGÉE Prise de vue effectuée du haut vers le bas. le montage d’un film. tué en système et susceptible de caractériser le langage Large : 1/1,85. CinémaScope : 1/2,35). POINT (Faire le ...) Régler l’objectif de telle sorte que l’ima- TÉLÉOBJECTIF Objectif de longue focale donnant un cinématographique : on parlera de codes cinématogra- GONFLAGE Opération de laboratoire consistant à agrandir ge soit nette. angle étroit, une faible profondeur de champ, rapprochant phiques généraux ou particuliers (à un genre, par ex.), de l’image (la faire passer d’une pellicule 16 mm à une pellicu- POSITIF Film tiré à partir d’un négatif. Les lumières et les les objets, aplatissant les perspectives et réduisant l’impres- sous-codes spécifiques (au cinéma) ou non-spécifiques... le 35 mm) couleurs y apparaissent telles qu’on les verra sur l’écran. sion de vitesse des personnages se déplaçant dans l’axe de (Cf. Christian Metz). GRAND-ANGULAIRE Objectif de courte focale donnant POST-PRODUCTION Ensemble des opérations postérieures la prise de vue. CONTRECHAMP Espace visuel opposé au champ. Il un angle large, une grande profondeur de champ, un éloi- au tournage (montage, bruitage, mixage, etc.) TRAVELLING Déplacement de la caméra (avant, arrière, découvre le point de vue d’où était vu le champ. gnement des objets, une exagération des perspectives et POSTSYNCHRONISATION Opération consistant à enregis- latéral, etc.) CONTRE-PLONGÉE Prise de vue effectuée du bas vers le de la vitesse apparente des déplacements. trer en auditorium les dialogues, en synchronisme avec des TRAVELLING OPTIQUE Procédé consistant à simuler un haut. HORS-CHAMP Partie exclue par le champ de la caméra (= images préalablement tournées. travelling avant ou arrière en utilisant un objectif à focale COPIE DE TRAVAIL Copie positive servant au travail de Off). PRODUCTEUR Société assurant la fabrication d’un film variable (ou zoom). Il présente l’inconvénient de modifier montage. HORS-CHAMP INTERNE Partie cachée par un décor dans (Producteur délégué, représentant des coproducteurs ; pro- les caractéristiques du système de représentation (Voir COPIE STANDARD (ou Copie d’exploitation) Film positif le champ de la caméra. ducteur éxécutif, mandataire du producteur délégué). Téléobjectif ou Grand-angulaire). servant à la projection dans les salles commerciales. IN Ce qui est visible dans le champ. Son “in” : son produit PROFONDEUR DE CHAMP Zone de netteté dans l’axe de VISEUR DE CHAMP Dispositif optique utilisé par le réalisa- CROIX DE MALTE Pièce mécanique servant à créer le par un objet ou un personnage visible dans le champ. la prise de vue (1/3 devant, 2/3 derrière par rapport au teur pour trouver son cadre, avant de placer la caméra. mouvement de rotation intermittent de l’avancée du film INGÉNIEUR DU SON Responsable de l’enregistrement du point). ZOOM Objectif à focale variable. dans le projecteur ou la caméra. son. Syn. : Chef-opérateur du son. RACCORD Façon avec laquelle on juxtapose deux plans au (J. P.)

23 Lycéensest initié dans le cadre de la conventionau cinémade développement cinématographique en région signée entre le Ministère Centre de la Culture et de la Communication (CNC, DRAC Centre) et la Région Centre. L’opération est coordonnée par l’Atelier de Production Centre Val de Loire (Pôle Régional d’Education et de Formation au cinéma et à l’audiovisuel) et le Rectorat de l’Académie d’Orléans-Tours (DARIC-Action Culturelle) et repose sur l’engagement des enseignants volontaires et des salles de cinéma partenaires.