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FILLE DE MURAT-LE-QUAIRE

LA BOURBOULE

E. G.'ROUX '

FILLE DE MURAT-LE-QUAIRE

LA BOURBOULE

Naissance d'une commune Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. © Editions Volcans 1975 AVANT-PROPOS

CJ 'EST la naissance d'une communauté que nous allons essayer de relater avec ses espoirs et ses ambitions, ses réussites et ses échecs. Apparue au sein d'une autre communauté l'enfantement en fut nécessairement difficile, semé de confrontations géné- ratrices d'amertume et de jalousie, semé aussi d'écueils et d'embûches par la faute des hommes ou des circonstances et quelquefois de la nature elle-même. Au début il a fallu tout faire avec rien, ou pas grand-chose, pour l'excellente raison que la mère de cette Bourboule que nous allons voir apparaître était elle-même bien déshéritée, pauvre commune de la montagne d'Auvergne, sans ressources bien définies en dehors de ses bois et de quelques prairies. Il y avait cependant l'eau... cette eau minérale, richesse encore mal connue, peu exploitée en ce XIXe siècle mal remis des nombreuses secousses politiques qui avaient bouleversé le pays entier. Si elle a été au début une pomme de discorde entre la mère et la fille cette richesse nouvelle, potentielle, va être le ciment de la nouvelle communauté, le catalyseur. Tout va se faire pour elle et par elle, ses sources et ses puits devenant le deus ex machina de cette réalisation portée à bout de bras par la foi de quelques hommes.

A LA BOURBOULE

1 Pauvres baigneurs j'vais essayer En peu de mots d'vous expliquer Comment le temps s'écoule A La Bourboule

2 Nous avons trois établissements Mabru, Choussy et puis le grand Où les baigneurs viennent en foule A La Bourboule

3 J'ai vu des gens très distingués Qui s'fourraient des p'tits tubes dans le nez Pour se récurer A La Bourboule

4 Il y a la pulvérisation Qui est une bien sale opération Du nez, de partout l'eau vous coule A La Bourboule

5 Vous attendez pour prendre votre bain Vous êtes à moitié crevés de faim Tout tourne autour de vous, tout croule A La Bourboule

6 Vous d'mandez une douche tempérée Vous en sortez plus que brûlé Vous ressemblez à une vraie moule A La Bourboule 7 Et puis il y a deux Casinos Où tous les soirs on se fait très beau Pour voir passer les petites poules A La Bourboule

8 Vous allez entendre Adeilhac Et vous voyez le beau Lestrac Qui se pavane, fume 'et roucoule A La Bourboule

9 Quand vous allez jouer aux p'tits chevaux Voilà le numéro qu'il vous faut Vous dit le patron, allez ça roule A La Bourboule

10 Ce qui manque le moins c'est les médecins y en a partout, dans tous les coins y a de quoi empoisonner la foule A La Bourboule

11 Les prix des hôtels sont très doux Quand on en sort on n'a plus le sou C'est épatant c'qu'il vous en coule A La Bourboule

12 Le plus drôle c'est les ascenseurs Il n'y a plus d'eau nous dit le chasseur Et pourtant y' en a trop qui coule A La Bourboule

13 Coquille l' pédicure est très fort Sans douleur il extirpe, les cors C'est à vous en faire perdr' la boule A La Bourboule

14 Le plus amusant de la journée C'est d'aller voir le guignol lyonnais Où Balandras attire la foule A La Bourboule

15 Il y a une belle photographie Aussi bien installée qu'à Paris Chez Malivert on va en foule A La Bourboule 16 Nous avons aussi le peintre Simon Qui fait les portraits à l'huile, au crayon Des baigneurs il réussit la boule A La Bourboule

17 Je dirais bien le nom de l'auteur Un homme d'esprit, mais quel malheur Il est devenu maboule A La Bourboule

18 Messieurs, Mesdames, je regrette beaucoup Mais ça me fait vraiment mal dans le cou Excusez-moi car j'ai affaire A Choussy-Perrière

Extrait de la « Revue de La Bourboule » des années 30, œuvre de Jean Boucheix.

PRÉSENTATION HISTORIQUE

« L'Auvergne est plus un secret qu'une province », a dit Alexandre Vialatte, et c'est peut-être ce qui explique un passé assez mal connu. Si elle est un secret, l'histoire de la Haute vallée de la Dordogne est aussi une énigme jusqu'au début du XIIe siècle. Historiquement, La Bourboule est fille de Murat-le-Quaire et, si l'enfant a grandi plus vite que la mère, elle doit cependant à la « vieille dame » qui la regarde d'en haut une reconnaissance bien méritée, pour lui avoir permis de voler de ses propres ailes il y a cent ans déjà. Il est impossible de séparer l'histoire du vieux village arverne de celle de la station thermale moderne, aussi c'est par celle de Murat-le-Quaire que, remontant le cours des temps jusqu'aux jours sombres du Moyen Age, nous commencerons ce récit. A ce moment-là, Mura tus Al tus Supra Cayres, avait déjà son château, perché sur l'éperon escarpé que nous connaissons, avec, lovées à ses pieds, les demeures des premiers habitants du hameau. Si à cette époque existait déjà Cayres, de Quaire actuel à La Bourboule, et quelques feux dans le fond de la vallée, rien ne laissait prévoir la naissance de la future Bourboule, et encore moins sa rapide ascension. Certainement les Romains avaient connu ces lieux et peut-être même avaient-ils découvert les sources au pied de la Roche des Fées, si voisine de ce Mont-Dore dont ils avaient assuré l'avenir, semble-t-il, en faisant une grande station thermale. La découverte, en 1820, d'une fosse d'origine gallo-romaine, en sapins mal équarris, semble le confirmer et comme on retrouve une fosse analogue à celle-ci au Mont-Dore au moment de la fondation des thermes romains, on peut presque affirmer que les Gaulois, juste avant l'invasion romaine, connaissaient déjà nos sources. LES TEMPS OBSCURS

D E tout cela, il ne faut cependant pas déduire que la région était inhabitée avant l'an 1000.

LA PREHISTOIRE

Dans son excellente histoire de l'Auvergne, Georges Manry, à qui je vais me référer bien souvent pendant ce récit, remonte aussi loin que faire se peut dans la nuit des temps et nous apprend que l'époque paléolithique la plus proche, l'âge du renne, a vu une population humaine en Auvergne, mal connue quant à ses origines et à ses caractères, civi- lisation bien fruste, lentement balayée d'ailleurs par celle, mésolithique, venant du sud et coïncidant avec un changement brusque des conditions climatiques du pays, passant de l'ère post-glaciaire au climat actuel de l'Europe. C'est là sans doute que se placent les dernières éruptions volcaniques de la chaine des Puys, entre le huitième et le septième millénaire et Georges Manry pense que les hommes ont assisté à ce « terrifiant spectacle du puy de Dôme brusquement surgi du sol, comme le séjour d'une divinité ». Selon certains auteurs cependant une éruption plus récente aurait eu lieu au mont Cineyre vers le deuxième millénaire avant J.-C. Les haches, pointes de flèches, les poteries grossières, découvertes tout près de chez nous à ou dans la vallée de Chaudefour, tendent à prouver la présence humaine, même clairsemée, dans notre région à l'époque néolithique. Comment étaient ces hommes ? De stature élevée, dolichocéphales, ils apportaient cette nouvelle technique de la pierre polie venue sans doute du Proche-Orient. Ils étaient agriculteurs, à l'encontre des hommes du paléolithique exclusivement chasseurs, et ils affectionnaient les lieux naturellement protégés, peu accessibles, ce qui laisse à penser que peut- être ils ont hanté nos plateaux qui ne sont pas toujours faciles à aborder. Les mégalithes trouvés en Auvergne (à Saint-Nectaire ou dans le Cantal), sont les témoins de cette époque. Peu à peu, nous dit Manry, cette civilisation cède le pas à celle de populations venues du Bassin méditerranéen, les Ligures, puis, venant d'Europe centrale, les Celtes, ces Celtes qui sont nos pères, et commence alors une nouvelle période ».

ARVERNES ET GAULOIS... Ces hommes rudes, certains même venant du lointain Caucase, comme la tribu d'Amrha (les Vaillants), appellent leur nouvelle patrie Ar-Ver (le haut Pays). De l'union de ces deux vocables celtes va surgir celui d'Arverne. Ces Arvernes occupaient beaucoup plus que l'Auvergne et sans doute étaient-ils clairsemés dans le pays montagneux, mais il n'est pas exclu que notre vallée de la haute Dordogne, protégée des vents du nord, peu accessible, les ait attirés. Nos ancêtres étaient alors chasseurs et éleveurs, si l'on s'en rapporte au géographe et grand voyageur grec Posidonios d'Apanée qui villégiatura longtemps en pays arverne et à qui les festins auvergnats devaient laisser un souvenir impérissable : orgies de viandes diverses, sangliers, élans, bouquetins, et même l'ours (car il y en avait à ce moment-là), toutes rôties à la broche ou bouillies, grillées sur du charbon de bois et le tout fortement arrosé d'une sorte de bière faite de froment ou de miel, sans doute déjà l'hydromel. Tout cela était servi, paraît-il fort proprement, sur des plats de bronze ou de terre, mais dégusté avec de bien mauvaises manières, un peu barbares, les convives mordant à belles dents dans leurs proies à la manière des lions, ainsi que le rapporte Posidonios. Ces hommes connaissaient cependant l'avoine, le millet, le seigle et l'orge et ils avaient une prédilection pour l'oignon. La vie sociale, bien que fruste, avait déjà pour base la cellule familiale et un regroupement certain par l'association de plusieurs familles. On peut penser que dans l'ensemble l'occupation romaine se passa sans trop de heurts, mais il semble que beaucoup ne purent se résoudre à cette occupation et se retirèrent alors sur les points les plus hauts du pays formant des sortes de cités à demi-souterraines telles que les tumuli de Charlannes, de Bozat ou de Servières. PETITE ENIGME... Il est peu probable que les Romains soient à l'origine de ces cités à demi souterraines car ils ne s'aventuraient que très rarement dans le haut Pays, préférant suivre le cours normal des vallées comme le font toujours les armées bien structurées. On a longtemps discuté à propos de ces cités souterraines, et certains, comme le rapporte Robert Brousse dans son remarquable ouvrage sur le « massif des monts Dore », les attribuent même aux Ibères, peuple pastoral migrant, venu d'Afrique par l'Espagne, vers 1800 avant J.-C. Peut-être aussi datent-elles des invasions barbares tout simplement. Ce qui est en faveur de cette dernière thèse, à mon sens, c'est la parfaite ordonnance de ces habitations souterraines. On peut penser retrouver là l'ordre romain, or ce ne sont pas les Romains qui les ont construites, ils n'en ont jamais fait état nulle part et surtout pas Jules César qui n'était pas homme à oublier quelque chose concernant son armée. De là à penser qu'elles sont dues à des hommes ayant vu à l'œuvre les Romains il n'y a qu'un pas franchissons-le allégrement. Un de mes confrères, parmi les plus distingués, aujourd'hui disparu, le docteur Georges Cany s'était penché en son temps sur des vestiges d'anciennes habitations en Auvergne, et il décrit dans son étude trois types d'habitat : Les huttes et cavernes d'une part, les cases en pierre sèche et enfin les cités souterraines. Près de chez nous, en aval du pont de Saint-Sauves, sur la rive gauche de la rivière, on trouve une cité bâtie de cette manière au lieu-dit « Les Renardières ». Il y a là une vingtaine de cases en pierres de trente à cinquante kilos, en moyenne, et il est intéressant de noter que le siège de cette cité se trouve au pied d'une ancienne moraine glaciaire qui se « casse » juste au-dessus, en porte à faux sur la terre meuble. Le gel a dû morceler encore plus les roches que la gravité avait fait se briser, et il est vraisemblable que les hommes de ce temps ont utilisé ces pierres fragmentées par la nature en morceaux, à peine maniables certes, pour construire leur demeure. Ils se sont donc installés au pied de la moraine sans doute pour éviter un transport trop fatigant et profiter de l'eau voisine (la rivière passe actuellement à 100 mètres mais en ces temps son cours devait être plus voisin des pieds de la falaise). Ces cases sont en alignements très ordonnancés, reliées entre elles par une sorte de double murette. Très effondrées et envahies par la végétation elles sont néanmoins parfaitement identifiables, de même qu'une levée de terre faisant mur d'enceinte. Les cités souterraines pullulent dans la région : lac Servières, plateau de Bozat, plateau de la Plate près de Chaudefour, au Tenon, à l'Angle mais je crois que les plus importantes sont celles de Charlannes. Ces alignements de creux parallèles, ou quelquefois placés sur une section de cercle à grand rayon, chacun de l'ordre de 5 mètres de long sur 4 mètres de large et 1 mètre de profondeur, ne contiennent aucune trace de muraille. Le sol en est pavé quelquefois, ou simplement tassé et on a retrouvé dans les fouilles pratiquées quelques objets, poteries grossières, aigui- soirs, débris de bronze même, etc. La couverture, selon Magitot, était faite de branches de viorne, un arbuste actuellement disparu de nos régions, d'argile assurant l'étan- chéité, et de mottes gazonnées réalisant un camouflage parfait dans la verdure environnante. Le même Magitot a décrit des cases de chefs de 9 à 10 mètres de long et il en fait aussi des fosses sépulcrales. De toute évidence une chose est commune à ces cités, elles sont toutes en altitude (au-dessus de 1100 mètres). Mon opinion se confirme qu'elles ont servi de refuge, au temps des invasions barbares, aux populations des plaines ou des régions plus peuplées soumises aux exactions des envahisseurs. Il n'est pas exclu non plus que les habitants de cette vallée aient connu le roi Luern, l'homme qui semait l'or et l'argent, l'homme aux chars fastueux, au cours du IIe siècle avant notre ère. Qui sait, peut-être même certains de nos ancêtres ont-ils vécu la triste mésaventure de Bituit, lui aussi roi des Arvernes, à la bataille de l'Isara, au confluent du Rhône et de l'Isère, où 40 000 légionnaires de Fabius mirent en pièces les hommes du pauvre Bituit, roi courageux et avisé, mais bien piètre stratège, qui devait mourir par la suite dans les prisons d'Albe. Il avait trop présumé de ses forces, nous disent les anciens auteurs, trop méprisé ces Romains, si peu nombreux à son sens qu'il n'y « avait là pas assez de charognes pour repaistre ses chiens ». Si les Romains étaient 40 000 contre les 200 000 hommes de Bituit, ils avaient des éléphants et ces éléphants, lorsqu'ils chargeaient, épouvantaient les Celtes qui devenaient alors des proies faciles pour les 40 000 légionnaires de Fabius. TEMPO DI ROMA... Le voile de la « Pax Romana » s'étendait tout doucement sur la Gaule. C'était la fin de la royauté héréditaire arverne en dépit de sursauts comme celui de Celtil, père de Vercingétorix dont l'échec fut cuisant, si l'on peut dire, puisqu'il finit jeté au feu par la justice de son propre peuple. Les Arvernes menacés par Rome, même sans roi, s'organisent alors, entraînés par une classe dirigeante et par les druides. Ces chefs reli- gieux avaient instauré le culte des forces de la nature, le ciel d'où venait le feu, les eaux où vivent les divinités et, entre autres, un petit dieu qui nous taquine l'esprit et dont nous parlerons beaucoup, le dieu « Borvo », dieu des sources chaudes à qui La Bourboule doit certai- nement son nom. Ces sentiments religieux ont été le ciment de l'unité gauloise sous la pression romaine de plus en plus forte. En 52 avant J.-C. Vercingétorix prend les armes contre Rome et organise l'insurrection. Gergovie est un demi-succès, puisque César doit lever le siège, mais c'est un chef de guerre avisé, il manœuvre adroite- ment et c'est enfin Alésia où s'enferme Vercingétorix, brave parmi les braves, qui se livre personnellement à César pour sauver ses hommes. On connaît la fin, le triomphe pour Jules César, à Rome, le garrot pour le vaillant Arverne dans les prisons de la ville éternelle en 46 avant J.-C. Cette fois la paix romaine triomphe et c'est l'Auvergne romaine qui commence. Les Arvernes seront toujours traités en peuple libre, autorisés à ne pas payer tribut à Rome et à conserver leurs coutumes. Ils « battent » même monnaie, comme l'avait fait Vercingétorix, mais cette fois à la manière non plus des Grecs mais des Romains, nous dit Georges Manry. Nemossos, ville gauloise, est devenue Augusto-némétum (Clermont- Ferrand) en même temps que le chef-lieu de l'Arvernie. Elle est « Arverna Civitas Nobilissima » avec un préfet, maître de la milice, une école où Domitius enseigne les belles lettres et le poète Héron avec lui, cependant que Nicotius fait étudier le droit. Cette Auvergne romaine ignore La Bourboule si elle connaît déjà le village de Murat-le-Quaire car, en vérité, c'est Le Mont-Dore, notre voisine, qui est l'objet de toutes les attentions des autorités romaines. De cette époque datent sans doute ces thermes riches de tous leurs ors, de marbre, de mosaïques précieuses, d'émaux aux couleurs tendres, de leurs orgueilleuses colonnades aux chapiteaux finement sculptés, sans commune mesure avec la piscine gauloise de rondins mal équarris. Les Romains, comme tous les peuples opulents, aiment les voyages et pour voyager il faut des routes. Les pistes misérables, à peine tracées, de nos pauvres régions ne pouvaient garantir à ces augustes visiteurs le passage de chariots ou de litières. Aussi les Romains, grands bâtis- seurs devant l'Eternel, construisirent alors des routes dont on retrouve les vestiges partout en Auvergne et que le temps n'a pas tellement affectés. Je ne suis pas sûr que nos autoroutes seront dans le même état dans deux mille ans. Dix voies romaines sont construites en Gaule, répertoriées plus tard par la fameuse carte de Peutinger, dont celle qui nous intéresse tout particulièrement d'Augusto-némétum à Gelles tout près de chez nous, mais aussi, et surtout, celle des eaux du Mont-Dore, venant d'Augusto- némétum par Vallières, Thède, Fontfreyde, la Cheire de Randanne, le plateau de la Védrine, le puy de la Tache jusqu'au Mont-Dore. Une voie secondaire, partant de Gelles, passait approximativement à 2 km au nord de la gare de empruntant sensiblement le parcours de la nationale 89 actuelle, nous dit Georges Cany dans son « Guide de La Bourboule et de l'Auvergne ». Une autre voie secondaire, « Trames Simita », partait du Mont-Dore vers Aurillac, longeant la Dordogne jusqu'à La Bourboule où sa trace est signalée sur des cartes du xixe siècle ; elle montait par Fohet et Lurnat, traversant la Burande au-dessous de Saint-Pardoux, allant vers Aurillac. A la lumière de cela il paraît peu probable que les Romains aient totalement ignoré les sources de La Bourboule, si voisines de celles du Mont-Dore et jaillissant à deux pas de la voie romaine, mais ils ne l'avaient pas mise en exploitation. Peut-être la boisson inconsidérée et intempestive de ces eaux arse- nicales a-t-elle perturbé quelques entrailles patriciennes, laissant peser un doute sur le danger de leur utilisation. C'est le temps de l'opulence pour Rome et aussi, à un degré moindre certes, pour cette Auvergne qui a si bien su se romaniser, oubliant même sa religion druidique, les dieux gaulois s'assimillant aux dieux du vainqueur, Borvo à Apollon et Lug, le dieu de la montagne du puy de Dôme, au Mercure romain. Une nouvelle religion cependant, apparemment contestataire, péné- trait alors l'Auvergne, prêchée par Stremonius (saint Austremoine), au temps de l'empereur Decius (249-251). Elle fait tache d'huile malgré les persécutions romaines, elle a ses évêques, Illidus (saint Alyre), saint Vénérand qui va devenir une des plus importantes personnalités religieuses de la région, elle a même des prédicateurs de choc tel saint Martin qui n'hésite pas à conseiller une certaine vigueur dans son prosélytisme.

LA FIN D'UN EMPIRE...

Il en est des peuples comme de leurs maîtres, et pour eux la Roche Tarpéienne est toujours bien près du Capitole... Il en va ainsi pour Rome où l'assassinat d'Alexandre Sévère met fin à la paix romaine. C'est la décadence et l'anarchie qui succèdent à l'opulence et à l'ordre. Les frontières n'étant plus gardées, déferlent, venant de l'Est, les hordes barbares. Néanmoins la « galette » auvergnate, ou tout au moins ses plateaux les plus élevés, au cœur des Gaules, est moins touchée par ces enva- hisseurs que le reste de la Gaule et puis les Arvernes s'organisent en auto-défense constatant que le pouvoir romain du bas Empire est de plus en plus défaillant et, de ce fait, comme le signale Georges Manry, l'Auvergne devient le « dernier bastion de la civilisation romaine en Gaule ». Cela ne va pas sans mal avec Rome, jalouse de cette résistance alors qu'elle-même s'effondre d'empereur en empereur. L'Auvergne ayant reconnu Constantin, qui avait pris le pouvoir de manière peu orthodoxe, se voit alors infliger un lourd tribut par l'empereur légitime qui, après avoir fait assassiner Constantin, se venge des Arvernes infidèles. Mais fort heureusement, le beau-père de Sidoine Apollinaire, Avitus, sénateur de Némétum, parvient à négocier et même à succéder à l'empereur Maxime... Cela mérite l'admiration ! Le gendre revient alors en Auvergne. Elu Evêque de Clermont, il la défend avec succès contre Euric, nouveau roi des Visigoths, mais doit tout de même finir par s'incliner ce qui lui vaut de connaître les geôles de Livia près de Carcassonne. Cependant Euric, prudent, sait dominer sa victoire et ramène Sidoine Apollinaire à Clermont où il meurt, laissant le souvenir d'un homme honnête et courageux entre tous. Mais cette fois c'en est fini de Rome alors que, paradoxalement, le latin élimine en Auvergne le langage celte ainsi que nous l'apprend Grégoire de Tours à qui l'on doit à peu près tout ce qui a été transcrit à propos de ces périodes troublées. Le successeur d'Euric, Alarik II est battu par Clovis à Vouillé et c'est le début de la domination franque.

LES FRANCS...

Clovis donne, en 511, l'Auvergne à son fils Thierry. Mais le fils d'Arcadius, petit-fils de Sidoine Apollinaire, ne veut pas reconnaître Thierry et s'allie avec Childebert, roi de Paris, le doux Childebert qui occupe la basse Auvergne. Mais celui-ci, prouvant qu'il ne la mérite pas, ne sait pas résister au brutal Thierry qui, revenu presque des enfers (une expédition en Germanie), pille sans scrupules l'Auvergne en res- pectant toutefois Arvernum (le nouveau Némétum), défendu par saint Quintien. Les descendants de Thierry et surtout Chrame, dernier fils de Clovis, sont une calamité pour l'Auvergne. Heureusement Chrame se révolte contre son père et finit brûlé par ses propres soldats. Ayant vaincu par le fer, il est puni par le feu. Il faut attendre l'épiscopat de saint Avit pour retrouver un certain calme, de 571 à 594. C'est alors une cascade de chefs francs qui se succèdent : Sigebert, fils de Clotaire qui meurt assassiné, Clotaire II, fils de Chilpéric II qui réunit l'Empire franc en une seule monarchie dans laquelle notre département est inclus, Dagobert, l'homme à la culotte à l'envers, Sigebert III, son fils, en qualité de roi d'Austrasie, en un mot une période d'anarchie effroyable. En 637 le Puy-de-Dôme passe, on ne sait trop comment, sous la domination de Boggis et Bertrand fils de Karibert roi de Toulouse, et l'Auvergne est alors traversée par l'armée d'un certain Mummole reve- nant de guerroyer contre le comte de Toulouse, Didier. Pas sans dom- mages pour la pauvre Auvergne, et pour faire bonne mesure Didier la traverse à son tour avec les mêmes ménagements à l'égard des habitants, vous vous en doutez. Comme si cela ne suffisait pas à son bonheur, les Sarrasins, en 732, ravagent le pays et massacrent Odon, duc d'Aquitaine, dont le descendant Waifre (ou Gaifre) se révolte contre Pépin le Bref qui, venant en Auvergne, ravage la région et s'empare de Clermont. Mais Charlemagne arrive faisant de l'Aquitaine un royaume qu'il donne à son fils Louis le Débonnaire, heureux présage qui ne tient pas ses promesses puisque sous Pépin II autre fils de Charlemagne, les Normands ravagent le Puy-de-Dôme que défend le Comte d'Auvergne au prix de sa vie. Clermont est détruite en 922. Que deviennent les pauvres Arvernes dans tout cela ! Eh bien, ils survivent malgré tout, au moins pour la plupart d'entre eux, et notre région de la haute vallée de la Dordogne, peu connue, peu accessible est sans doute assez épargnée. Le Mont-Dore, dont l'opulence des temps romains a attiré la foudre, a souffert par le fer et par le feu. Dès 259, un certain Alaman nommé Chrocus, un bien joli nom pour un bien triste sire, a ravagé la station. Il nous faut avouer que les prédications de saint Martin pourtant bien charitable, n'arrangent rien et poussent les zélés néo-chrétiens à détruire les temples païens, mais aussi toutes les réalisations païennes. Les stations thermales, « lieux de perdition » (déjà) si l'on en croit Sénèque et Martial, n'échappent pas à son ire. Un peu plus tard, la nature s'est crue en devoir de finir le joli travail des hommes par des pluies diluviennes et des éboulements tragiques qui ont tout emporté et, pour notre voisine, ce sont les siècles obscurs. Malgré tout, cette région d'Auvergne reste toujours une oasis gallo- romaine, son agriculture végète certes, mais survit ; un vague commerce se poursuit dont témoignent des monnaies mérovingiennes retrouvées et provenant d'ateliers éloignés, preuves d'échanges. La peste de 571 ne réussit même pas à éteindre cette vie, certes un peu végétative, mais néanmoins indéracinable. Au premier chef, il faut noter l'importance que l'Eglise a su prendre.

FÉODALITÉ ET MOYEN AGE

SOUS LE SIGNE DE LA CROIX...

DEVANT la carence du pouvoir temporel le pouvoir spirituel a pris, autant que faire se peut, les choses en main, quelquefois une main de fer et pas toujours recouverte du gant de velours ! La foi est très grande, peut-être justement parce que la misère est immense. Toutes les vierges noires de l'Auvergne montrent à quel point les hommes, effrayés par d'autres hommes cherchent à se rapprocher de Dieu. Ces vierges noires, nous dit Pourrat, à qui l'on a voulu donner des origines vraiment trop originales et qui ne sont noires que parce qu'on les laissa dormir sous l'eau d'un étang pendant plusieurs années avant de les façonner, uniquement dans le but de rendre le bois plus facile à travailler d'abord, ensuite parce qu'en séchant il devient aussi dur que du fer. C'est cette foi qui animait les reclus ou les recluses, emmurés, retirés du monde et vivant de la charité publique cependant bien aléatoire. La foi, elle a aussi bâti des églises et c'est la naissance du roman auvergnat avec Notre-Dame-du-Port, , Conques, mais aussi des hôpitaux (saint Avit en construisit à Clermont), des écoles, toujours à Clermont et à Aurillac. Ses paroisses sont les seules structures sociales existant encore. Elle a créé des monastères (il y eut même un prieuré à Tauves à 15 km de chez nous), des couvents, et ceci dès les Mérovingiens. Ces monastères ont souvent acquis du roi « l'immunité », c'est-à-dire tous les droits du roi sur leurs propres terres. Autour de ces monastères les paysans se regroupaient alors, cultivaient le sol, entretenaient les étangs, créaient des vignobles, fabriquaient des fromages, assistés par les conseils de moines souvent très avisés et très compétents. Sur ces entrefaites, aux environs de l'an 900, les Normands arrivent jusqu'en Auvergne, elle qui, n'ayant pratiquement pas de voies navigables, se croyait cependant protégée de ces hommes de l'eau. Ils sèment la terreur, nous dit Georges Manry. « De la fureur normande, préservez- nous Seigneur ! ! ! » Des bandes, dépendant de Rollon, renversant toutes les prévisions, remontent les rivières et détruisent une fois de plus Clermont. C'est la fin des Carolingiens, l'avènement des Capétiens et l'ère féodale. On y entre avec Hugues Capet, roi de dès 987, mal reconnu des Auvergnats. Les collines escarpées se couvrent de donjons et peu à peu l'Auvergne se détache de l'Aquitaine. Les seigneurs de ces castels fortifiés ont repris à leur compte les droits du roi, péages, droit divin, et le servage, s'il a remplacé l'esclavage des temps romains, n'en sévit pas moins durement, même si la majorité des paysans est encore de condition libre, bien qu'assujettie aux obligations féodales (argent, bana- lités, corvées, etc.). Les monastères prennent de plus en plus d'importance, tel celui d'Aurillac qui donne à la chrétienté le pape Sylvestre II. Ces siècles, IXe, xe, xie, nous dit Georges Manry, furent une époque sombre où famines et épidémies se succèdent et où l'on vit même en 1029 apparaître le cannibalisme sur notre terre d'Auvergne. Le banditisme et le pillage sont, bien entendu, monnaies courantes. Le concile de 990 au Puy marque son inquiétude devant ces misères. Celui de l'an 1002, celui de 1005 à Clermont, présidé par Urbain II, enfin celui de 1130 tenu aussi à Clermont par Innocent III, prennent des mesures, et sont alors précisées les dispositions de la trève de Dieu. Il fallait un dérivatif... et ce fut la croisade. Les pèlerinages, manifestations de la foi collective, jouissaient de la faveur populaire et celui de Saint-Jacques-de-Compostelle avait même ses pistes traditionnelles, dont une passait par Aurillac. Mais aller à Jérusalem, c'était une autre affaire. Aussi quel coup de tonnerre lorsque Urbain II, qui avait déjà fait une tentative à Plaisance, en Italie, en 1094 sans succès d'ailleurs (les seigneurs transalpins se plaisaient trop chez eux pour aller guerroyer en Terre sainte) prêcha la première croisade à Clermont-Ferrand en 1095, après avoir excommunié Philippe Ier, roi de France et condamné les abus de l'Eglise. Le cri de « Dieu le veut » et la prise de croix mobilise ces seigneurs turbulents qui se rachètent ainsi de leurs exactions, ou tout au moins le pensent-ils. En 1096, un anachorète, Pierre l'Ermite, prêche et entraîne lui-même à la croisade une foule innombrable, cohorte chaotique, et tout cela se solde par un échec retentissant, encore que Pierre l'Ermite lui- même réussisse à rejoindre Godefroy de Bouillon en Terre sainte. AUVER(;NE.1

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