VISAGES DE FAUST AU Xxe SIÈCLE
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VISAGES DE FAUST AU XXe SIÈCLE PUBLICATIONS DE LA FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DE PARIS — SORBONNE Série « Recherches », tome XXXIII ANDRÉ DABEZIES VISAGES DE FAUST AU XXe SIÈCLE LITTÉRATURE, IDÉOLOGIE ET MYTHE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS 1967 DÉPOT LÉGAL ire édition 2e trimestre 1967 TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays C 1967, Presses Universitaires de France Il pouvait sembler tout à fait superflu d'ajouter encore un lourd volume à la littérature déjà imposante qui concerne Faust. L'histoire du thème littéraire, en particulier, a été étudiée avec compétence et il y aurait quelque outrecuidance à prétendre apporter du neuf si les soixante dernières années de l'histoire de Faust ne nous imposaient un point de vue assez différent : le personnage, l'idéal qu'il incarne, le drame qu'il vit se sont trouvés mêlés de si près et si constamment à l'histoire et aux idées de ce siècle qu'il nous était impossible de séparer ici la littérature des idéologies et des mythes d'au- jourd'hui. Voilà qui ne simplifiait pas noire tâche : à jouer tantôt l'historien et tantôt le philosophe, tantôt le sociologue et tantôt le théologien, on court le risque de promener partout un amateurisme que, chacun en son domaine, réprouveront tous les spécialistes. Disons simplement que nous avons voulu écrire l'histoire de Faust au XXe siècle et que toute autre réflexion reste ici marginale et hypothétique. En fait, une enquête sur le dernier demi-siècle ne pouvait être exhaustive. Quand nous l'avons commencée, il y a une bonne douzaine d'années, trop de bibliothèques se ressentaient encore des ravages de la guerre, en Allemagne surtout. En outre, l'abondance de la matière était telle, les monographies et les répertoires si insuffisants encore, en ce-qui concerne le XXe siècle, que notre échantillonnage reste très incomplet, sauf peut-être pour les domaines allemand, anglais, espagnol, italien et français. Ailleurs, pour les littératures de l'Europe de l'Est, notamment, la documentation est plus limitée — encore que les bibliothèques d'Allemagne orientale nous aient permis une étude du Faust marxiste qui n'avait guère été faite encore. Quoi qu'il en soit, les lecteurs ne trouveront ici que quelques visages de Faust au XXe siècle et nous serions reconnaissants à ceux qui, en nous signalant les omissions, nous per- mettraient de compléter le tableau. Ces visages, si étrangers les uns aux autres, au premier abord, manifestent à la longue, cependant, la continuité profonde de certaines structures en même temps que la diversité des réactions collectives et individuelles au fil des générations. A travers le disparate inévitable de ce répertoire, nous croyons vérifier ici la dialectique interne d'une représentation mythique vivante dans la littérature et dans l'histoire. Nous avons eu la chance de pouvoir faire état de maint texte inédit et remercions ici MM. Bernard Wilets, Dino Terra et H ans Ulrich Engelmann qui ont aimablement mis à notre disposition le manuscrit de leur Faust, ainsi que Mme Paul Valéry, M. Jean Rostand et le Thomas-Mann-Archiv de Zurich qui nous ont permis d'utiliser et de citer des notes, brouillons et ébauches de Paul Valéry, d'Edmond Rostand et de Thomas Mann, dont le lecteur pourra apprécier l'importance. Nous devons aussi une foule de documents et de textes introuvables à M. Karl Theens et à M. H ans Henning qui nous ont ouvert les précieuses collections qu'ils ont constituées ou qu'ils administrent. C'est avec joie enfin que nous nommons ici nos maîtres, nos amis et nos collègues qui nous ont aidé de leurs conseils et de leurs encouragements : M. Charles Dédéyan, sans l'approbation de qui cette étude n'aurait pu être menée à son terme, Mme Geneviève Bianquis, MM. Roger Asselineau, Hans Barth, Romano Guardini, Mihail Isbiisescu, Hans-Erhard Lauer, Pierre Laurette, Fritz Paepcke, Hans Schwerte, Raymond Trousson, ainsi que les PP. Joseph Gœtz, François Marly et Roger Tandonnet. Ce n'est pas le moindre intérêt d'un tel travail que de multiplier au passage les occasions de rencontre et d'amitié. INTRODUCTION Vaut-il donc la peine de se pencher sur Faust au xxe siècle ? Que rencontrerons-nous, sinon de nouvelles moutures des thèmes anciens, la répétition appliquée des recettes qui ont servi une fois pour l'élaboration d'un chef-d'œuvre ? Encore, si Valéry avait terminé Mon Faust ! Si le Docteur Faustus de Thomas Mann était un peu moins compassé et indigeste ! Et le reste vaut-il même l'honneur d'être nommé ? D'ailleurs Valéry, ou Thomas Mann, avec tout leur génie, pouvaient-ils, mieux que la poussière des comparses, ranimer un débat périmé depuis longtemps ? Pour notre siècle positif et technicien, le romantisme désuet de bien des scènes gœthéennes a perdu son auréole1 et les histoires de magie ou de pacte diabolique reculent de plus en plus dans le passé légendaire : nous avons décidément dépassé cette vision infantile de l'homme et de ses démons... I. — FAUST AU XXe SIÈCLE : UNE ENQUÊTE L'étude qui s'imposait, à première vue, c'était une simple comparaison entre quelques Faust modernes, ceux de Valéry, de Thomas Mann ou de René Clair, par exemple, et le drame de Gœthe. En fait, une rapide exploration nous en a vite appris beaucoup plus sur la présence de Faust dans notre siècle : Faust — et pas seulement celui de Gœthe — sur toutes les scènes de théâtre ; Faust — et pas seulement celui de Gounod — à l'opéra ; Faust sur les écrans et Faust en bandes dessinées, Faust chez les montreurs de marionnettes et chez les ballerines, sans compter, bien entendu les romanciers et les poètes... Que dire si nous envisageons, sur les rayons d'une bibliothèque, l'énorme littérature suscitée par le Faust gœthéen, l'œuvre sans doute la plus patiemment scrutée, explorée, disséquée, commentée et discutée depuis un demi- siècle ! Contentons-nous d'ouvrir notre journal, de suivre une discussion savante, d'écouter les conversations : un homme de science sera « un docteur Faust », un homme politique « un troisième Faust », l'État moderne « un État faustien », on prônera « l'art faustien » ou « la foi faustienne »2 — en attendant « l'univers faustien » que nous révéleront demain les physiciens !3. Des nationalistes allemands, des intellectuels marxistes, des cercles ésotériques, des revues pornographiques, des pres- tidigitateurs invoqueront également le patronage de Faust... 1. Cf. l'opinion de VALÉRY, chap. XVI, p. 327, n. 4. 2. Cf. plus loin, chap. VI et XIII, passim, et tout le début du chap. XX. 3. Hypothèse du Pr Stannard, de Londres, rapportée par la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 15-8-1966. Qu'on aille contester ensuite que Faust soit présent, vivant, dans la littérature, dans la mentalité, dans la vie intellectuelle, dans le langage même ! Tous ces enthousiasmes sans doute ne présentent pas une égale profondeur, ni une égale authenticité, une partie doit en être mise au compte des modes qui vont et viennent. Mais ces modes elles-mêmes sont significatives, elles confirment que Faust n'est pas un thème purement littéraire, qu'il a pris une dimension sociologique plus large, celle d'une image type ou d'un « cliché », d'ailleurs polymorphe, susceptible de signi- fications diverses. Cette dimension sociologique apparaît en pleine lumière dans le cas de l'Allemagne, où Faust est devenu comme un thème national1, mais ailleurs aussi Faust a été plus d'une fois adopté comme un arché- type symbolique, bien plus qu'au siècle passé. Que représente-t-il donc pour la vie littéraire et pour l'histoire des idées et des mentalités de notre temps ? Quel idéal — ou plutôt quels idéals souvent contradictoires ?... LE PASSÉ DE FAUST. On sait que l'histoire de Faust, déjà maintes fois analysée2, s'articule sur deux temps forts, le xvie siècle et le romantisme. Entre 1490 et 1540, approximativement, a réellement vécu un certain Georg (ou Johann) Faust, demi-savant sans doute et tantôt médecin, tantôt charlatan, voire histrion suspect. Un demi-siècle après sa disparition, la légende avait brodé sur sa vie errante, avait habillé Faust en savant magicien et lui avait attribué, après tant d'autres, pour expliquer ses exploits, ses voyages et ses plaisirs, un pacte avec le diable. En 1587 paraît à Francfort, chez l'éditeur Spiess, un anonyme Volksbuch, premier d'une longue série de récits populaires et édifiants. Il raconte les études de Faust, son pacte avec le diable, ses aventures et ses tours de magie, ses amours et ses plaisirs, ses vains remords et sa mort horrible. D'inspiration luthérienne, il présente cette vie comme un avertissement aux impies qui voudraient jouer avec le diable et condamne le magicien sans rémission3. Autour de 1590, Christopher Marlowe s'inspirera d'une adaptation anglaise du récit pour écrire La tragique histoire du Dr Fauslus ; il est le premier qui commence à grandir Faust en héros de la Renaissance, voire de la révolte. Le XVIIe et le début du XVIIIe siècle voient fleurir surtout des versions théâtrales populaires : scénarios pour marionnettes (Puppenspiele) ou farces de foire (Volksspiele), qui empruntent l'essentiel aux récits des V olksbiicher. Un valet burlesque (Hanswurst ou Kasperle) y prend sou- vent plus de place que Faust lui-même : mais la moralité est sauve grâce à la punition immanquable du docteur. Lessing, au contraire, songe à 1. Cf. notre exposé : Thème littéraire, thème national : Faust dans l'Allemagne du XXe siècle, dans Actes du IVe congrès international de littérature comparée (Fribourg, 1964) La Haye, 1966, p. 281-286. 2. Cf. notre bibliographie, p. 517. 3. Quelques expressions du Volksbuch (chap.