Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ANSO&ID_NUMPUBLIE=ANSO_081&ID_ARTICLE=ANSO_081_0047

Utopies locales et laboratoire social : l’exemple du 13e arrondissement de par Anne RAULIN

| Presses Universitaires de France | L'Année sociologique

2008/1 - Vol. 58 ISSN 0066-2399 | ISBN 9782130568025 | pages 47 à 70

Pour citer cet article : — Raulin A., Utopies locales et laboratoire social : l’exemple du 13e arrondissement de Paris, L'Année sociologique 2008/1, Vol. 58, p. 47-70.

Distribution électronique Cairn pour Presses Universitaires de France . © Presses Universitaires de France . Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. UTOPIES LOCALES ET LABORATOIRE SOCIAL : L’EXEMPLE DU 13e ARRONDISSEMENT DE PARIS

Anne RAULIN

RÉSUMÉ. — Cet article s’intéresse à la façon dont certains quartiers relevant de ce que l’École de Chicago avait qualifié de zone de transition peuvent perpétuer des « tradi- tions utopiques » malgré les transformations radicales de l’environnement urbain. On dis- tingue ici trois périodes dans l’histoire urbaine du 13e arrondissement de Paris, successi- vement caractérisées par trois formes d’utopie : ouvrière, communautaire, puis pluriculturelle ; on y repère les échanges et convergences entre l’action confessionnelle engagée et la recherche en sciences sociales. La dernière période voit la conduite de pro- jets pluriculturels pionniers en France, incluant des rituels urbains à visibilité ethnique rendus possibles par cette « tradition utopique » portée par une paroisse locale et sa vie associative.

MOTS CLÉS. — Aire urbaine, diaspora asiatique, recherche, association confession- nelle, paroisse, rituel urbain, visibilité ethnique, utopie.

ABSTRACT. — This paper deals with the way urban areas qualified as transitional by the Chicago School of Sociology can generate certain « utopian traditions » which are carried on despite the radical transformations undergone by the environment. Three suc- cessive periods of the urban history of the 13th district in Paris, are characterized by three forms of utopia respectively : the first one associated with working class life, the second inspired by communitarian ideologies, and the third emerging from the multicultural environment. Convergences between the parish community social activism and research in social sciences are pointed out all along. In the last period, pioneering multicultural initiatives were supported by these local utopic traditions, introducing in France urban rituals with ethnic visibility.

KEY WORDS. — Urban area, Asian diaspora, research, parish community, social activism, urban ritual, ethnic visibility, utopia.

Les termes de « laboratoire social » sont devenus classiques pour qualifier la ville dans ses aspects d’expérimentation les plus imprévi- sibles et/ou les plus inédits : ils portent toujours la trace de leur « école » d’origine, puisque c’est en effet à Chicago qu’ils apparais- sent en relation avec l’ampleur des recompositions sociales à

L’Année sociologique, 2008, 58, n° 1, p. 47 à 70 48 Anne Raulin l’œuvre dans cette ville dont la morphologie apparaît particulière- ment lisible compte tenu de sa faible profondeur historique et de son extension géographique. Si cette terminologie s’applique à l’en- semble de la ville, « source et centre du changement social » selon Park, elle désigne particulièrement son aire de transition – aussi qualifiée de Zone 2 par son auteur Ernest Burgess –, aire de pre- mière installation de populations en provenance d’Europe ou d’Asie, ou bien en migration intérieure. Cette aire cosmopolite est qualifiée d’ « aire de détérioration » au regard de son cadre bâti dégradé mais aussi d’ « aire de régénération » : « L’aire de détériora- tion, bien qu’étant essentiellement une aire de délabrement, à population stationnaire ou en déclin, est aussi une aire de régénéra- tion comme en témoignent les missions, les œuvres sociales, les colonies d’artistes, les centres radicaux – tous préoccupés par la vision d’un monde nouveau et meilleur » (Burgess, in Grafmeyer et Joseph, 2004 [1979], 139-140). C’est sur cette aire particulière que s’est concentrée l’attention des chercheurs à Chicago. Dans cet article, on s’interroge sur la validité de cette caractéris- tique dans un tout autre contexte puisqu’il s’agit de Paris et plus spécifiquement de son 13e arrondissement, un de ses quartiers qui semble avoir incarné et continue d’incarner cette fonction. Cette application d’une formalisation concernant la ville américaine à la capitale française n’est certes pas nouvelle puisqu’elle fut déve- loppée par Paul-Henry Chombart de Lauwe (1965). Si la compa- raison est restée prudente, elle s’est révélée intéressante autant par ses convergences que par ses divergences ; elle valide globalement l’existence d’une zone de transition à Paris comprenant notamment les quartiers des gares, le quartier latin et les quartiers d’artistes ( et ) et tout l’anneau urbain matérialisé par le tracé du métro aérien coupant à travers les arrondissements périphériques, sans donner à ce repérage une quelconque rigidité. L’observation dont il va ici être question concerne en effet une partie du 13e arrondissement de Paris à la limite de cette zone 2 : au cours des années 1950, elle était le lieu d’une forte implantation industrielle, de production automobile, aéronautique et alimentaire, comprenant nombre de sites d’usines et d’entreprises de sous-trai- tance et bénéficiant pour sa main-d’œuvre tout à la fois d’un exode rural et d’une immigration en provenance principale d’Afrique du Nord. C’est à partir de ce contexte – aujourd’hui historique compte tenu des mutations radicales qu’a connues cet arrondissement – que Utopies locales et laboratoire social 49 notre réflexion se développera. Mais elle concernera surtout la période des années 1980 à aujourd’hui : signant la disparition de sa vocation industrielle, ce quartier sud de l’arrondissement a alors fait l’objet de vastes projets de rénovation mettant en œuvre un urba- nisme de tours, barres et dalles, et connu une transformation de sa population résidente. Celle-ci s’apparente alors plutôt à la classe moyenne et comprend une forte composante migratoire diversifiée mais dont la dominante asiatique imposera vite la dénomination de quartier asiatique ou chinois. Malgré cette reconversion écono- mique, urbanistique et sociale, la qualité de « laboratoire social » de cet arrondissement semble maintenue : elle se caractérise en parti- culier par une intrication de la recherche en sciences sociales et de l’action confessionnelle engagée qui s’est poursuivie dans ces contextes historiques divers. Quelles que soient les époques, une certaine convergence idéologique transparaît, un partage de repré- sentations et d’expectations allant au-delà de la prise en considéra- tion des réalités sociales du moment. Le propos n’est pas ici de criti- quer cette convergence, peut-être nécessaire comme l’exprimait Karl Mannheim : « À qui ne prend aucun parti ne s’ouvre aucun questionnement, et même pas d’hypothèse heuristique pour inter- roger et sonder l’histoire » (2006 [1929], 74), mais plus simplement de la repérer dans ses développements contextuels. Après une mise en perspective historique, les vingt dernières années constitueront donc l’essentiel de l’observation.

L’ancienneté de la recherche et de l’engagement dans le 13e arrondissement On commencera ici par redessiner à grands traits cette histoire locale où se mêlent de façon originale les formes de la recherche en sociologie et l’action sociale de tradition chrétienne. Vu des années 2000, il est possible de distinguer trois grandes périodes : de la fin de la seconde Guerre mondiale au milieu des années 1960, les années 1960 et 1970, enfin depuis le début des années 1980 jusqu’à présent. Dans la période d’après guerre, le 13e arrondissement est le lieu de redéploiement de diverses composantes catholiques. La mission ouvrière dominicaine, qui veut refaire « l’union entre l’Action catholique de mouvements et l’action missionnaire » (Tranvouez, 2000, 270) poursuit son œuvre d’évangélisation du prolétariat ; elle est installée au 48, avenue d’Italie, abrite une antenne d’Économie et 50 Anne Raulin humanisme et héberge Henri Desroche, un des initiateurs de la Recherche-Action en sociologie. Elle s’intéresse aux problèmes du logement et du racisme dans le quartier, en liaison avec le Mouve- ment populaire des familles logé au 25, rue du Moulinet. La mis- sion jésuite est plus dispersée sur l’arrondissement, avec deux points forts : l’église Notre-Dame de la Gare et le 151, quai de la Gare, où un ancien bal-musette transformé en café-restaurant tient lieu de salle de réunion missionnaire. La paroisse Saint-Hippolyte est confiée à la Mission de France, et développe l’idée d’aller au-devant des habitants du quartier. Toutes ces composantes participent du courant des prêtres-ouvriers, et la professionnalisation des prêtres est une constante dans l’histoire de ce quartier où elle se maintiendra bien au-delà de sa condamnation par Rome en 1954. Toutes tra- verseront une grave crise pendant les années 1950, mais cette sensi- bilité interrogeant les rapports « entre mission chrétienne, mouve- ment ouvrier et mouvement du monde » (Tranvouez, 2000, 278) constitue la toile de fond des grandes enquêtes menées par l’équipe de Paul-Henry Chombart de Lauwe qui revendique son attache au Centre d’Études sociologiques comme au Musée de l’Homme et se donne pour tâche de « contribuer au progrès de l’ethnographie sociale » (1952, 65). Citons pour mémoire le travail de Jacqueline Gauthier, intitulé « L’espace social et la vie quotidienne dans un secteur prolétarien. Habitat, transports et loisirs dans un secteur du 13e arrondissement » (1952) et l’ouvrage devenu classique d’Henri Coing (1966) : il témoigne de la vitalité comme de la fin de ce monde ouvrier, et sait conjuguer démarche sociologique et approche ethnographique tout étant relié à ces courants progres- sistes chrétiens. Mais les ruptures sont attestées, tant dans la réalité urbaine que dans celle de l’engagement social. Le tournant des années 1960 s’effectue dans un climat de « soli- darité avec les nombreux Nord-Africains de l’arrondissement, à tra- vers l’association Coopération, puis dans le Comité de Résistance spirituelle à la guerre d’Algérie » (Tranvouez, 2000, 284). Malgré cet élan de solidarité1, la guerre d’Algérie – avant même l’achève- ment de la rénovation – avait mis un point d’arrêt au concert de la cohabitation pluriculturelle ouvrière, même si celle-ci présentait

1. La sensibilité de certains intellectuels chrétiens pouvant momentanément s’établir en usine se retrouve dans le très beau roman de Claire Etcherelli, Élise ou la vraie vie, paru en 1967 : l’établissement en usine (ici à la porte de Choisy, vraisemblablement chez Pan- hard) est indissociable dans les années 1950 de la guerre d’Algérie et de ses actions en France. Utopies locales et laboratoire social 51 des caractères ségrégatifs. Et les hostilités meurtrières entre harkis et militants du FLN étaient encore remémorées des décennies plus tard avec leurs localisations précises, y compris sur les marches de l’église Saint-Hippolyte (Raulin, 1986) – cette paroisse occupant un rôle central pour toutes les périodes concernées. La lutte contre la guerre en Algérie avait soudé cette génération éprouvée par les attentats au plastic perpétrés par l’OAS contre les personnes engagées, ayant en commun le souvenir des tortures pra- tiquées dans l’arrondissement. L’ADA 13 est fondée en 1964 et, parmi ses membres fondateurs, se trouvent des couples qui se parta- gent l’engagement, les hommes dans la presse et en particulier au journal Le Monde, les femmes, issues de mouvements féminins chré- tiens, dans l’action locale. De l’historique de cette association étudiée en profondeur par Odile Join-Lambert et al. (2004), on retiendra les points suivants : l’émergence de l’association dans le contexte des grandes opérations de rénovation du 13e, en particulier l’ « opération Italie »2, suivie de l’arrêt de celle-ci par le gouverne- ment de Giscard d’Estaing à partir de 1974 ; la participation de sociologues comme Henri Coing et Renaud Sainsaulieu (alors pré- sident de l’Université populaire du 13e) dans la dynamique de l’ac- tion locale qui articule tout un ensemble de relations et d’interac- tions entre hauts fonctionnaires, universitaires et classes moyennes. Elle donne place à l’expertise urbanistique comme aux premières formes de « démocratie participative »3, avec la conviction que connaissance scientifique et action locale doivent s’alimenter réci- proquement. Le rapprochement de l’engagement politique – associant des tendances PCF et PSU – et confessionnel qui caractérise l’époque s’enracine concrètement dans une appartenance paroissiale centrée sur l’église Saint-Hippolyte. Là s’est développé, dans la foulée de Mai 68, tout au long des années 1970, un projet paroissial particu- lier composant avec une forme de laïcité. Il s’agit autant de faire rentrer « la Cité dans l’Église » que de porter « l’Église dans la Cité », et d’ « amener la paroisse de Saint-Hippolyte à former une

2. Les grandes opérations immobilières se développent conjointement, à partir de 1962-1965, dans plusieurs quartiers populaires de Paris (12e, 13e et 20e arrondisse- ments), marquant ainsi un tournant dans l’histoire immobilière de la capitale (Topalov, 1974). 3. Cf. ABC 13, publication de l’ADA 13, hors série, septembre 1997, « Les mémoi- res de l’ADA 13 », dans lequel l’arrondissement au cours des années 1960 et 1970 est quali- fié de « sorte de laboratoire de démocratie locale ». 52 Anne Raulin

Communauté de Foi capable de s’autogérer » (documents parois- siaux). Les termes s’inspirent du mouvement des « communautés ecclésiales de base » qui se développent alors en Amérique latine : donnant une large place à la formation des laïcs, elles s’engagent dans les mouvements sociaux et politiques et ont pour vocation de transformer la société civile. Localement, cela se traduit par une réorganisation de la gestion paroissiale à laquelle les laïcs prennent dorénavant une part active tandis que les prêtres sont invités à « trouver un travail pour ne pas peser sur les finances de la paroisse » (ibid.). Devant la crise des vocations qui touche alors l’Église, il semble urgent de recomposer les rôles sur une base égalitaire, de redéfinir les équipes de responsabilité, et aussi de s’ouvrir aux nou- velles populations de résidents issus des classes moyennes, souvent intellectuelles et partie prenante du mouvement de Mai 68. La « Communauté », comme se désignent les paroissiens de l’époque, déborde le quartier et s’inscrit dans la Cité, en hébergeant par exemple de nombreuses grèves de la faim au cours des années 1970. Cette articulation entre la « Cité », avec ses luttes sociales et politiques, et le « quartier comme lieu de vie », concerne toute la période et traverse toutes les mouvances progressistes, mais ici, elle est soutenue par un projet de « communauté de vie dans le monde » qui ne s’arrête pas à la paroisse et nourrit une même espérance, une même foi, une même utopie, pour reprendre les termes utilisés par les personnes concernées. Pour certaines familles militantes, la vie de couple s’est renforcée dans cette intensité de l’engagement (et les risques encourus pendant la guerre d’Algérie), la vie de famille s’est fondue avec celle du quartier, ses paroisses, ses catéchismes, ses marchés, ses écoles, ses lycées.

Nouvelle donne

C’est au tournant des années 1980 que se produisit l’installation massive de populations familiales originaires du Sud-Est asiatique, dans toute la partie de l’arrondissement connue sous le nom de Triangle de Choisy (formé par les avenues d’Ivry, de Choisy et le boulevard Masséna) incluant le périmètre immédiat de l’église Saint- Hippolyte. Cette arrivée entraîna une transformation rapide et radi- cale de l’espace urbain, définissant en quelques années un nouveau quartier avec une vocation commerciale affichée. Cette réalité locale inédite ne manqua pas de susciter un certain nombre de travaux de Utopies locales et laboratoire social 53 recherche (Guillon et Taboada-Leonetti, 1986 ; Hassoun et Tan, 1986 ; Costa-Lascoux et Live, 1995) dès le début des années 1980. L’auteure de ces lignes poursuivit l’observation de ce quartier en for- mation, en réponse à un appel d’offres de la Mission du patrimoine ethnologique (créée par Isac Chiva au ministère de la Culture) : cet appel intitulé « France, société pluriculturelle » correspondait alors à une sensibilité politique qui s’avéra fluctuante, suivant les mouve- ments d’oscillation de l’ « intégration à la française ». S’il semble approprié de revenir sur les termes de ce contrat de la Mission du patrimoine ethnologique, c’est qu’il fut alors géré par l’ADA 13. En partie grâce à cette association, à sa mémoire et à son réseau encore présent dans le quartier, il fut possible de se familiari- ser avec son histoire à la fois militante et scientifique, de rencontrer les personnalités associatives impliquées dans son histoire antérieure. Les productions sociologiques élaborées in loco – de première importance dans la constitution du champ urbain français – révé- laient une préhistoire de l’arrondissement alors totalement effacée de l’espace du quartier par la rénovation. Dans le cadre de ce contrat, il fut possible de rendre compte de l’émergence au cours des années 1980 d’une nouvelle territorialité en observant sa struc- turation évolutive – la recomposition topographique s’effectuant au fur et à mesure de la multiplication, de la densification et de la diffé- renciation des établissements commerciaux. Dans la foulée de ces descriptions, plusieurs interrogations étaient soulevées : y avait-il constitution d’une ? Fallait-il reprendre les analyses de l’École de Chicago en termes d’aire naturelle, de ghetto pour carac- tériser cette unité urbaine ? Ces interrogations incitèrent à qualifier ce site urbain de centralité minoritaire (à vocation commerciale plus que résidentielle) et à le désigner par le terme de Petite Asie au vu de la multiplicité des populations d’origine asiatique qui le composaient (Raulin, 1986, 2000). Dans ce premier temps de la recherche, un des propos était de traiter du rôle des diasporas commerçantes dans l’élaboration des villes-mondes, de mettre en évidence leurs fonctions de produc- teurs d’espace urbain, leur capacité d’agence citadine, tant dans les domaines économique que culturel – les « scénographies commer- ciales » de ces commerces ethniques contribuant à la constitution d’un théâtre urbain diversifié. Les commerces maghrébins dispersés dans l’arrondissement comme les commerces asiatiques – relevant majoritairement de cette diaspora chinoise implantée dans le Sud- Est asiatique (Vietnam, Laos, Cambodge) qu’elle quitta après la 54 Anne Raulin chute de Saigon –, imitaient ou au contraire renouvelaient les cou- tumes commerciales autochtones. Tous participaient de l’invention de tradition urbaine, aussi à interpréter en termes de « style eth- nique » boutiquier ou marchand, conjuguant décors (profanes et sacrés), marchandises et achalandages spécifiques. Les commerces asiatiques étaient en train de définir non seule- ment un territoire mais encore une temporalité propre, accentuée par des événements festifs plus ou moins publics : festivités fami- liales (anniversaires, mariages) dans les grandes surfaces de res- tauration ; festivités saisonnières (fête du nouvel an, et de la mi- automne) composant des rituels urbains d’une certaine flam- boyance. L’enquête pour la Mission du patrimoine ethnologique correspondit avec l’introduction de la Danse du Lion dans la Petite Asie de Paris, en 1985 : cet événement inédit, lié aux fêtes du Nou- vel An chinois, surprit alors par son exotisme. Il s’agit d’un rite pro- pitiatoire et d’une quête d’étrennes auprès des commerçants : contre des vœux de bonheur, de santé et de prospérité, et une démonstration d’art martial, sont offertes des étrennes que les Lions doivent avoir l’adresse de décrocher du haut de la façade des établis- sements. La Danse du Lion, d’allure très colorée, est animée par de jeunes sportifs réalisant des chorégraphies acrobatiques accompa- gnées de percussions dont le rythme hypnotise la rue, et saluées de salves de pétards qui ravivent l’atmosphère des places et trottoirs, laissant après leur passage un tapis rouge de cosses d’explosifs. Le scénario, répété de commerce en commerce pendant deux longs week-ends, transfigure la voie publique et provoque un effet de régénération citadine en liaison avec ces rites saisonniers.

Le sens de la mission locale

Dans ce qui suit, on se propose de montrer le contexte d’émer- gence, de décrire les conditions de possibilité de cette visibilité eth- nique festive. Elle fut en effet l’objet d’une élaboration concertée en rapport avec une volonté d’accueil et de mise en valeur de la diversité des composantes culturelles locales, au sein d’une institu- tion religieuse au profil particulier mais représentative de cet arron- dissement, si l’on suit le propos de Jacqueline Costa-Lascoux et Live Yu-Sion : « La présence de mouvements caritatifs ainsi que la culture ouvrière du 13e ont facilité l’accueil des réfugiés et des immigrés, ceux du Sud-Est asiatique comme des autres exilés » Utopies locales et laboratoire social 55

(1995, 38). Dans ce contexte parisien spécifique, c’est le rôle de la paroisse Saint-Hippolyte dans la naissance de cette expression exo- tique publique qui est désigné : par quels moyens l’action confes- sionnelle a-t-elle pu prendre en compte le bouleversement du cadre physique du quartier par la rénovation urbaine, et le renouvelle- ment social et culturel de la population qui s’en est suivi ? Quelles furent ses réponses et initiatives pour se situer dans ce nouvel envi- ronnement et lui donner vie ? C’est avec la participation des acteurs concernés4 que ce rôle de la paroisse et de l’engagement de ses membres dans l’évolution du quartier a pu être cerné. Dans le cadre de la paroisse Saint-Hippolyte, avait été fondée une association au nom très programmatique : Rencontre et Culture Franco-Asiatique (RCFA). Cette association formée au tournant des années 1980, c’est-à-dire au moment de l’arrivée des nouvelles vagues de migration originaires du Sud-Est asiatique, s’était donnée pour mission de créer un espace de rencontre interculturelle, favori- sant les échanges entre les anciennes populations du 13e et les nou- veaux arrivants – une cinquantaine de nationalités fréquentant la paroisse. Il s’agit ici de reprendre l’histoire de cette action qui a ouvert la voie à une forme d’expression exogène dans l’espace public parisien, et de restituer son caractère pionnier dans le contexte fran- çais contemporain : si son rôle a pu être sous-estimé, c’est que le souci de laïcité dans le cadre de cette association n’en favorisait pas l’affichage, pas plus qu’une inflexion de modestie chrétienne. Cependant, pour les Asiatiques qui la fréquentaient, il semblait ne pas y avoir d’ambiguïté : l’association est logée sur le territoire de l’église, et elle est à l’initiative de l’introduction de la Danse du Lion à Paris. Saint-Hippolyte présente l’allure classique d’un édifice des années 1910-1920, bâti sur des terrains ayant appartenu aux usines Panhard. Après la Mission de France, la gestion paroissiale équilibra donc les personnalités religieuses et laïques, toutes partageant les mêmes convictions d’ « ouverture sur l’autre », impliquant de « don- ner un statut aux réfugiés, de créer un lien avec la population anté- rieure. C’était un engagement de chrétien » (coprésident RCFA). Si le

4. Ce travail est le résultat d’entretiens au cours de l’année 2006 auprès des person- nes suivantes : les prêtres de l’église Saint-Hippolyte : Gilles Renaudin (de 1971 à 1981), Jean Lavergnat (de 1981 à 1989), Gérard Bouvier (aumônier des lycées du 13e arrond.), Francis Barjot (depuis 1999) ; les personnalités associatives : Véronique Bonhomme, Huguette Charrier, Joël Janin, Maïté Mathieu, San Man Hung, et bien d’autres rencon- trées mais non nommées, en particulier les membres de l’École d’arts martiaux de RCFA Yeng Mow Tang. Qu’elles trouvent ici l’expression de ma reconnaissance pour ces parti- cipations. 56 Anne Raulin but était de créer la rencontre entre les anciennes populations du quartier, autrefois draînées par les migrations industrielles, et les nou- velles, sans distinction d’origines, le qualificatif de « franco-asia- tique » désignait clairement la nouvelle minorité devenue majori- taire dans le quartier, celle qui cristallisait toutes les appréhensions. Selon les responsables de l’époque, organiser cette rencontre devait permettre aux uns et aux autres d’exprimer les craintes, les peurs, les préjugés réciproques. Des réunions d’information étaient organisées avec l’aide de journalistes du Monde, de prêtres des Missions étrangè- res de Paris5, comme François Ponchaud, spécialiste des Khmers, ou de moines bouddhistes des pagodes de la banlieue parisienne. La connaissance réciproque passait aussi par l’organisation même de l’association : pour rassurer la population nouvelle, il fallut trouver des notables, médecins, notaires, dont certains avaient vécu au Viet- nam au temps de la colonisation. Il importait aussi de créer un lieu, d’organiser des activités. Parmi les principales, l’apprentissage du français s’est tout d’abord imposé ; mais très vite, cette tâche fut doublée par les cours de langue chinoise, venant pallier la déperdi- tion de la langue d’origine en France, malgré la transmission fami- liale, en particulier pour ce qui est de l’écriture et de la lecture. Le souci était de garantir aux nouvelles générations la possibilité d’être bilingue et de bénéficier de cet avantage dans les relations internatio- nales, dans le domaine familial, culturel ou professionnel : ces cours attirent aujourd’hui 1 200 enfants et 120 adultes de toute la région parisienne. La constitution d’un fonds de bibliothèque de livres en quatre langues (chinois, vietnamien, khmer et laotien) servit de modèle pour le catalogue des bibliothèques municipales du 13e. Parmi les initiatives, citons enfin la création d’un petit journal écrit en différentes langues et l’expérience d’une radio, en partageant l’an- tenne avec Présence protestante.

Favoriser la visibilité publique de cet autre ici présent : la Danse du Lion

Jusque-là, les moyens mis en œuvre pour « donner une place à l’autre » semblent correspondre à ce que l’on entend classiquement par activités culturelles associatives. Mais dans l’association RCFA,

5. Les Missions étrangères de Paris existent depuis le XVIIe siècle. Elles sont implan- tées dans l’ensemble des pays d’Asie (Centrale, du Sud et du Nord) et possèdent leur propre agence de presse et publication « Églises d’Asie ». Utopies locales et laboratoire social 57 l’idée était présente de célébrer les fêtes saisonnières chinoises, sans savoir véritablement de quelle façon s’y prendre. Les premiers essais se firent dans des lieux fermés et privés comme des théâtres, avec une représentation en miniature de la Danse du Lion ; mais l’idée était de faire vivre, de rendre attrayant ce quartier assez morne de la capitale. Il fallait transmettre la Danse du Lion « comme on trans- met une langue maternelle. Ce que j’ai créé ici, c’est un point de passage. C’est un quartier vivant, des parents, des enfants, c’est vivant, ça tourne... » selon les propos de l’un des fondateurs d’ori- gine chinoise de l’association. Si l’association RCFA eut l’idée de cette reconstitution du Nouvel An chinois dans les rues de Paris, elle en organisa également la logistique, assurant le transit des têtes de lion peintes, des percussions et des armes blanches, de l’Asie du Sud-Est (Hong-Kong et la Malaisie) vers Paris, ainsi que leur finan- cement, sans percevoir de subvention spécifique. Elle s’acquitta également des prises de contact avec les autorités locales, formulant une demande d’autorisation originale auprès du commissariat de police : en effet, le cortège ne suit pas un parcours de défilé, délimi- tant un territoire, mais une marche protocolaire respectant la hié- rarchie des établissements commerciaux, en grande partie fixée par ces derniers. L’école de kung fu, formée dans le cadre de RCFA, et ses maîtres successifs assurèrent l’entraînement approprié pour por- ter la Danse du Lion dans la rue. Ce projet pluriculturel a engendré des dynamiques qui sont toujours à l’œuvre dans l’espace parisien. L’école d’arts martiaux a connu un recrutement diversifié : des jeunes d’origines maghré- bine, africaine ou franco-française ayant rejoint ses rangs dans les années 1980, font maintenant partie de l’encadrement des plus jeu- nes, nés dans l’école pourrait-on dire. Celle-ci est d’ailleurs qua- lifiée par ses élèves de « deuxième famille » : « C’est pas un club ici. Ici, même en dehors de l’école, les liens ça dure, après, pendant. Comme l’école traditionnelle, c’est plus une famille qu’un club. » Outre le caractère particulier des conditions de l’apprentissage – tous les entraîneurs sont bénévoles, le sentiment de double appar- tenance fait lien entre ces membres : « Je suis comme un œuf dur : blanc dehors, et jaune dedans » (membres de l’école Yeng Mow Tang). Cette école – qui comprend maintenant trois générations de pratiquants d’arts martiaux – a bel et bien poursuivi la destinée qui avait présidé à sa naissance et le succès de ses activités visibles (championnats sportifs et exhibitions de rue de la Danse du Lion) en constitue des témoignages spectaculaires. 58 Anne Raulin

Cette expérience associative est riche d’enseignements pour comprendre comment s’est négociée dans la réalité ce projet pluri- culturel. Le constat de succès comprend les conditions remarqua- blement favorables à l’époque pour envisager une telle entreprise, notamment le fait que la diaspora asiatique disposait d’une recon- naissance particulière dans le contexte français d’alors. Il s’agissait de réfugiés, ayant pour beaucoup traversé des épreuves traumatisantes ; de nombreux enfants, qui connurent l’exil en l’absence de leurs parents restés au Vietnam, s’adressèrent à l’église pour des secours matériels et une protection élémentaire. L’ensemble de ce contexte suscitait un mouvement de solidarité envers cette population, laquelle bénéficiait d’une « bonne image de marque, assez noble, assez valorisante » (coprésidente RCFA), ce qui n’empêchait pas d’autres sentiments plus complexes à son égard. Cette complexité se manifesta y compris au sein de l’associa- tion RCFA, dont la ligne d’action était fondée sur la reconnaissance de la diversité des migrations ayant élu domicile dans le 13e, portant l’espoir que l’ensemble des populations d’Asie du Sud-Est trouvent place dans RCFA, y coexistent équitablement. La réalité fut plus tranchée, car l’association fut en quelque sorte emportée par l’acti- visme de la composante chinoise originaire de ce Sud-Est asiatique, créant en son sein des tensions qui se manifestèrent dans d’autres situations.

Culte des ancêtres à l’église

Dans le cadre de l’association RCFA, d’autres actions virent le jour, comme l’importation de la célébration de la fête du Prin- temps, Têt ou Nouvel An chinois, dans les murs de l’église. Il semble que cette idée ait pris tournure à la fin des années 1980, et dans un premier temps, elle comprenait l’introduction d’une céré- monie de culte des ancêtres ainsi qu’une Danse du Lion. Certains paroissiens se plaignirent alors du « mélange du sacré et du pro- fane » et cette intrusion chorégraphique fut rapidement supprimée. Des tensions apparurent aussi entre paroissiens chinois et vietna- miens, en désaccord sur l’orthodoxie de ce syncrétisme : « Mar- quer le Nouvel An lunaire qui était déjà dans la rue, par une céré- monie à l’église, c’était quelque chose qu’on a décidé de faire et qui a posé à ce moment-là, sans bien que je m’en rende compte, des problèmes aux Chrétiens chinois et peut-être même vietna- Utopies locales et laboratoire social 59 miens, parce que c’était quelque chose d’idolâtre – que le Vatican avait condamné au XVIIIe siècle. Et cette révision de la querelle des rites avait eu lieu à Taiwan dans les années 1960, mais pas en Chine populaire. On avait vu cela avec le père Chang, et on avait repris les textes officiels de Taïwan – je me souviens en avoir tra- duit avec ma femme. C’était assez amusant parce que c’était en langue classique rythmée, donc je les ai traduits en alexandrins, mais c’était d’un chauvinisme cru, que j’ai gommé », se rappelle le coprésident de RCFA. Cependant, malgré les difficultés de coexistence « du païen et du chrétien » et des diverses composantes asiatiques, la cérémonie dédiée aux ancêtres s’est imposée dans l’église Saint-Hippolyte où elle connaît un succès de fréquentation remarquable. En février 2007, l’église est pavoisée de lampions et bannières rouge et or : vaste calicot célébrant « la vie nouvelle » en français, chinois et vietnamien, banderoles affichant des paroles d’évangile dans ces mêmes langues ainsi que références aux ancêtres, que les descen- dants « sanctifient » en leur vouant respect et piété. La messe ordonnée par de nombreux prêtres associant les trois origines, alterne les chants (chorales franco-chinoise et franco-vietnamienne), les sermons et les lectures bibliques et évangéliques dans les trois langues. Elle se termine par la communion où se presse environ la moitié des fidèles présents. Mais c’est la cérémonie qui suit qui entraîne l’adhésion de toute l’assemblée. Sans procéder ici à sa des- cription détaillée, notons que la quasi-totalité des quelque 600 per- sonnes présentes dans l’église, d’origines les plus variées, se pressent pour ficher un bâtonnet d’encens allumé devant l’autel des ancêtres et recevoir de la main d’un prêtre une mandarine, porteuse de chance, et une enveloppe rouge, non remplie d’argent selon la tradition, mais d’un verset biblique. On ne peut parler ici de créativité rituelle puisque cette rituali- sation syncrétique remonte à la présence des Jésuites en Chine, mais de réactivation rituelle dans un contexte étranger – après plu- sieurs siècles d’interdiction, levée par Vatican II. Ce syncrétisme religieux se retrouve ainsi dans la diaspora chinoise catholique de par le monde, en particulier aux États-Unis, mais aussi à Hong- Kong et à Taiwan depuis les années 1970 et même en Chine continentale depuis les années 1980. En France, Saint-Hippolyte est une des rares paroisses à avoir adopté « cette liturgie pour honorer les ancêtres » à la suite de la liturgie ordinaire. Or cette innovation traduit une oscillation déjà évoquée pour la période 60 Anne Raulin précédente : « porter l’église dans la cité » ou/et « faire venir la cité dans l’église ». Le dernier point qui sera traité ici reflète cette même complexité, pour ne pas dire ambiguïté.

Entre le lion et la licorne : le mur qui réunit

Le projet pluriculturel de la paroisse ne voulait pas se limiter aux seuls arrivants du Sud-Est asiatique. Elle chercha à fédérer l’en- semble des cultures présentes sur son territoire en lançant une idée de mur peint sur la façade extérieure des bâtiments de la paroisse, et en faisant appel à toutes les contributions disponibles dans le quar- tier. Des ateliers de créativité furent mis en place, les écoles furent appelées à participer à un concours de dessin. Il s’agissait de repré- senter l’imaginaire collectif du quartier, « animaux mythiques issus du fond des mémoires, tronc commun de nos multiples cultures » (documents paroissiaux). Le thème du mur, en réalité mur pignon de la paroisse, fut décliné en fonction de ce projet de rassemble- ment des cultures : « Les cultures font le mur », « Tu seras le mur de la mémoire des hommes, de la mémoire du monde, le mur de la rencontre [...] Je veux fixer la mémoire de demain », « Finis les murs de la séparation, le mur peint va vous réunir », telles étaient les formules qui accompagnèrent la réalisation, d’inspiration quelque peu chagallienne, de ce mur en 1988. La mobilisation et l’organisa- tion de la « fête du premier coup de pinceau » inaugurée par Harlem Désir6, ancien élève du lycée Claude-Monet et ancien du quartier, furent, semble-t-il, exemplaires. Elles impliquèrent la par- ticipation de groupes fort divers : conteurs et musiciens togolais, orchestre portugais, femmes clowns, cracheurs de feu, lions asia- tiques, buffets multiculinaires... Une licorne de 7 m de long fut transportée de la région de Montargis, apportant avec elle une cau- tion mythique à l’événement. L’association AVRIL 13 ne manqua pas de lancer une campagne de sensibilisation, d’inviter la presse et les officiels...

6. Harlem Désir fut un des fondateurs du mouvement « SOS Racisme ». Cette asso- ciation née en 1985 apparaît comme l’héritière au plan national de la mobilisation contre les discriminations envers les « jeunes issus de l’immigration », partie de la région lyon- naise au début des années 1980. Là aussi, « le poids des militants chrétiens, comme ceux de la CIMADE, dans l’organisation et l’esprit de la marche (pour l’égalité, en 1983) est incontestable » (cf. Beaud et Masclet, 2006), les banlieues pouvant ainsi présenter certai- nes caractéristiques de la zone de transition. Tranvouez, 2000,

Le mur des cultures et l’église Saint-Hippolyte au pied des tours d’habitation

Passage des Lions devant l’église Saint-Hippolyte (photo A. R.) 62 Anne Raulin

Si la pérennité du mur est assurée, son enfant à trois yeux regardant par-delà la citation biblique d’après Isaïe « De tous pays viendront tes enfants », la licorne qui anime l’ensemble prouvant en outre la capacité à créer de l’emblématique ou du symbole commun, cette initiative collective n’a pas suscité de tradition locale. Le débat fait percevoir une certaine ambiguïté de la Communauté de Saint-Hippolyte qui avait soutenu ce projet « hors les murs » mais s’interrogeait après coup sur ses limites réel- les et sur son rôle dans la promotion de « l’esprit de quartier » ou dans le brassage de populations de cultures diverses. La réédition d’une « Hippofête » en 1995 a permis la réalisation d’un nouveau mural « Ensemble, pour la vie » décliné en de multiples langues, associée à celle d’un banquet « de toutes les couleurs », cette fois-ci dans les murs de l’église et rassemblant plusieurs centaines « de paroissiens habituels ou occasionnels ».

Des utopies et de leurs mutations

Ces descriptions sont essentielles pour prendre la mesure de l’in- telligence déployée dans ces contextes urbains renouvelés tant par l’urbanisme que par les résidents, afin de relever le défi du « synoe- cisme » ou vivre ensemble. Si l’on considère l’histoire du 13e arron- dissement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on peut observer que se sont succédées trois formes d’utopies spécifiques : l’utopie ouvrière (ou marxiste), l’utopie communautaire (ou auto- gestionnaire), l’utopie pluriculturelle (ou métisse). Chacune de ces utopies a développé ses propres servitudes – dans le sens littéral de se mettre au service de cet autre désigné comme force de salut7 – et engendré ses propres désillusions : cet autre a-t-il vraiment comblé les espoirs que l’on plaçait en lui ? Pour ce qui concerne l’utopie pluriculturelle, les premières pri- ses de conscience relèvent des formes de fonctionnement associati- ves : dans ce contexte, il faut se résigner à « désigner un chef », à distribuer les rôles et les activités, à comprendre qu’il n’est pas indi-

7. L’expression de ce double mouvement d’évangélisation et de messianisme ouvrier fut topographiquement rendue par Pierre Lhande (1931, 206) : « Paris avait donné le Christ à la banlieue ; la banlieue va donner le Christ à Paris. » On appelle encore parfois « banlieue » à l’époque la « petite banlieue » d’avant l’annexion de 1860, notamment les arrondissements périphériques populaires, parmi lesquels le 13e. Utopies locales et laboratoire social 63 qué de « se mettre autour d’une table » pour discuter un projet. Puis la désillusion est venue aussi de ce que ces populations n’ont pas poursuivi l’élan de solidarité qu’elles avaient suscité ni développé de formes d’entraide entre les diverses composantes migratoires. Dans un premier temps, l’arrière-plan traumatique, ainsi que les besoins de l’adaptation en France, non seulement culturelle mais aussi éco- nomique, favorisa l’échange et le rapprochement entre les groupes et avec les institutions françaises. Mais après avoir traversé le sas du 13e, ces diverses populations se sont installées en grande banlieue, ont accédé à la propriété, et se sont autonomisées avec leurs propres formes d’organisation sociale et culturelle. On a pu par ailleurs constater que le rôle de médiateur revenait souvent à des personnalités elles-mêmes entre deux cultures : les mariages mixtes, les expériences professionnelles à l’étranger, en particulier aux États-Unis, les ascendances étrangères, se retrouvent chez de nombreux acteurs de ces utopies, tant du côté de la recherche que de l’action. Mais il arrive aussi que le rôle de passeur se réduise de façon moins exaltante à celui de portier, rappelant que toutes les utopies comportent leurs revers, leurs servitudes certes librement acceptées, mais qui peuvent devenir difficilement supportables. De façon plus générale, l’expérience de cette paroisse traduit le fait que toutes les compatibilités ne sont pas possibles : d’un côté comme de l’autre, des fermetures et des rejets apparaissent, par le jeu des institutions, des dogmatismes, des groupes ou des person- nes. Doit-on en conclure avec François Laplantine et Alexis Nouss que « la grande et seule règle du métissage consiste en l’ab- sence de règles. Aucune anticipation, aucune prévisibilité ne sont possibles. Chaque métissage est unique, particulier et trace son propre devenir. Ce qui sortira de la rencontre demeure inconnu » (1997, 10). Dans le cas de figure présent, se manifeste la présence d’une dominante minoritaire : les Chinois de la diaspora indochinoise semblent s’être imposés malgré le désir de la paroisse de respecter et de donner une égale chance à toutes les composantes asiatiques – les ententes entre les parties apparaissant comme des exceptions remar- quables. Peut-on généraliser et affirmer que toute situation de bras- sage engendre une dominante, ou tout du moins que le brassage ne suit pas naturellement une pente équitable ? Les recompositions apparaissent inégales, variant dans le temps, mais elles doivent dessi- ner des ensembles relativement stables, assez pour assurer qu’une 64 Anne Raulin tradition, ou plusieurs, se développent dans un nouveau contexte. Pour cela, il est nécessaire que les conditions économiques soient réunies – ici les commerces ethniques sont mis à contribution –, et que cette tradition corresponde à des stratégies locales, voire nationales.

Fabrication de folklores métropolitains

« Créer du symbolique en commun » et l’offrir en spectacle est un projet d’envergure, et ces réalisations constituent des repères essentiels dans l’appréhension de cette vitalité culturelle propre aux grandes métropoles contemporaines. Il ne fait aucun doute que cette créativité participe de la réactivation des cultures métropolitai- nes dans un contexte de construction de l’Europe (Boissevain, 1992). Les frontières nationales tendent à s’effacer au profit d’un réseau de métropoles qui pratiquent une surenchère d’attractivité, le rôle des minorités urbaines et celui de la dynamique pluricultu- relle étant décisifs dans ces mises en scène festives : Londres se fait valoir par son carnaval de Notting Hill, Berlin par celui « der Kul- turen », et Paris n’échappe pas à cette compétition. En effet, l’exhibition festive de la Danse du Lion – qui attira rapidement l’attention du public et des médias – fut renforcée quel- ques années plus tard, en 1993, par l’initiative prise par les grands commerçants, dont les notoires magasins Tang Frères et Paris-Store, afin de réaliser un événement marquant de façon emblématique la Petite Asie, l’affichant dans l’espace parisien, avec une visée publici- taire certaine. À l’occasion des fêtes du Nouvel An chinois, fut organisé un défilé composé de chars véhiculant les divinités sorties des temples du quartier, et de démonstrations des associations asiati- ques exhibant des motifs vestimentaires, musicaux ou emblémati- ques de leur région d’origine : ce « Défilé traditionnel du Nouvel An chinois » – fort d’une décennie d’existence dans les rues de la Petite Asie du 13e – a participé au grand défilé sous l’égide de la Mairie de Paris, à l’occasion de l’Année de la Chine en 2004 : celui-ci s’est déroulé sur les Champs-Élysées, pour une célébration des rapprochements des villes de Pékin et de Paris, dans le cadre d’une visite étatique visant à sceller plusieurs accords économiques entre la Chine et la France. Il s’agissait là d’un événement binatio- nal, avec la participation de plusieurs centaines d’artistes chinois mais aussi de plusieurs dizaines d’associations d’originaires ou d’as- Utopies locales et laboratoire social 65 sociations en relation avec la Chine. L’événement, sous haute sur- veillance policière, fut clôturé par l’illumination de la Tour Eiffel en rouge, couleur de vie et de richesse. Le succès de cette manifesta- tion culturelle, qui prit ici la dimension d’une immense parade diplomatique entre les deux États et leurs capitales respectives, est certainement un fait sans précédent en France. Cet aspect des cho- ses mérite d’être souligné, car il montre comment une expression minoritaire peut s’inscrire dans des stratégies municipales, et plus largement politiques, en particulier à une heure d’ouverture des marchés de la Chine continentale. De nos jours, ces expressions de folklore urbain apparaissent ainsi comme des dynamiques porteuses économiquement et politiquement au plan local et international – ce qui rejoint le propos de Dejan Dimitrijevic : « The Invention of Tradition (1983) de Éric Hobsbawm et Terence Ranger lie l’appari- tion massive des néo-traditions aux très rapides transformations sociales qui se sont déroulées aux XIXe et XXe siècles, relatives à la construction des États-nations modernes, et à la nécessaire produc- tion par les élites des symboles qui les accompagnent, dans le contexte européen d’industrialisation puis dans celui de la décoloni- sation. L’intérêt d’un retour au paradigme de l’ “invention des tra- ditions” est de le confronter aux processus contemporains de construction identitaire, qui interviennent à différentes échelles d’appartenance et dans de nouvelles configurations de changement social, dominées par la globalisation » (2004, 10). Dans ce processus, la création symbolique n’est pas à l’abri de la concurrence : ainsi se sont manifestées des rivalités entre la Danse du Lion et le Défilé, avec des critères définissant la primauté des uns par rapport aux autres, parmi lesquels interviennent l’ancienneté, le caractère philanthropique, la qualité artistique, l’ouverture cultu- relle... La réaction de défiance du groupe fondateur de la Danse du Lion envers d’autres manifestations publiques prend un sens parti- culier : elle porte témoignage de la vitalité d’une tradition d’impor- tation exotique certes, mais qui, ayant pris racine dans l’espace pari- sien, y a déjà établi sa propre échelle d’authenticité. La surenchère des prestations traduit également des sources d’inspiration interna- tionale variées : si la Danse du Lion s’est propagée en suivant la diaspora chinoise dans le Sud-Est asiatique – elle ne se pratique ni à Taiwan ni en Chine continentale –, la parade du Nouvel An chi- nois est depuis longtemps un événement touristique réputé à San Francisco comme à Singapour ou à Sidney. Dans tous les cas, ces mises en scène participent d’une volonté de valorisation culturelle 66 Anne Raulin en situation d’exil, et inscrit ce phénomène dans un processus de reconnaissance dans l’espace public urbain, dont la « logique morale » (Honneth) resterait à décrire.

Reconquête de la rue ?

La question du passage de la paroisse à la rue et de la rue à la paroisse a été posée à plusieurs reprises et sous divers angles. La rue peut signifier la voie publique ou bien le quartier ou encore la cité, prise dans ses différentes acceptions, y compris celle d’espace citoyen. Quant à la paroisse, elle est aussi à géométrie variable, selon les époques, les rapports avec la hiérarchie cléricale, la com- posante laïque. Dans ces projets d’ouverture de la paroisse sur le quartier, de manifestation de l’ « esprit de quartier », n’y a-t-il pas aussi la tentation de définir la paroisse comme l’ « esprit du quartier » ? Finalement, comment interpréter cette connivence de la paroisse avec la promotion d’une visibilité minoritaire ? « Donner sa place à l’autre dans la ville », lui accorder son « droit de cité », physiquement comme moralement, fut certainement une des préoccupations : c’était agir ici en conformité avec ses convictions chrétiennes, en signe de tolérance de la différence, et même plus généreusement en signe d’accueil de cette altérité. Cette attitude doit néanmoins être resituée dans le contexte historique français et prendre en considération l’effacement contemporain de la mani- festation religieuse dans son espace public. Ainsi, s’agissant de l’ap- propriation religieuse de l’espace urbain, Patrick Cabanel distingue trois temps forts : « Un premier XIXe siècle, de la Restauration à la fin des années 1870, est marqué par la puissance de la reconquête catholique ; la IIIe République, à l’inverse, et jusqu’en 1914, sonne l’heure du retrait pour l’Église et d’une offensive généralisée pour les tenants d’une pleine laïcisation de la rue. Le XXe siècle, en revanche, est traversé d’aspirations contradictoires, puisque nous pourrons distinguer trois périodes, retour catholique jus- qu’à la fin des années 1940, effacement volontaire au temps de l’aggiornamento de Vatican II, nouveau retour à partir des années 1980 » (2005, 70). Au début des années 1980, c’est aussi à ce mouvement de réap- propriation de la rue qu’a participé la Danse du Lion, même si et précisément parce qu’elle n’avait pas de prétention religieuse Utopies locales et laboratoire social 67 affichée8. Dans ce contexte de laïcité pleinement assumée par les Chrétiens, la Danse du Lion a pu apparaître comme un exercice à la neutralité garantie, autorisant une expression de la multiplicité dans la cité, comblant une absence dans les lieux de la ville, interpellant à sa façon « la société civile ». Ces phénomènes s’inscrivent également dans la dynamique de formation de « sphères publiques diasporiques » (Arjun Appaduraï, 2001) : constituées autour d’ethnoscape et de médiascape, celles-ci innovent dans le contexte de mondialisation par leur capacité de création de circuits culturels transnationaux, en grande partie déter- ritorialisés, alimentés par diverses formes de circulation, celles des migrations et des personnes, des médias et des images. La dissocia- tion entre mondes imaginaires et ancrages territoriaux est en effet un des signes du déracinement généralisé de cette étape de la globa- lisation, mais elle se conjugue avec des formes de relocalisation : la Petite Asie en constitue un exemple, qualifié au moment de son émergence d’ « ancrage consumériste ». Cette aire d’approvisionne- ment en biens culturels spécifiques permet une forme de reconsti- tution identitaire des populations concernées, en reproduisant des modes de consommation très similaires à ceux de leur pays d’origine ainsi qu’on avait pu le constater initialement (Raulin, 2000). À l’issue de cette nouvelle enquête, la connaissance de ces pro- cessus de reterritorialisation s’élargit, passant de leur aspect de culture matérielle à leurs manifestations symboliques et à leurs capa- cités d’expression publique. Si le local ne cesse de s’inventer, c’est que le terrain où il se cultive est fertile : ici, le processus a bénéficié d’un site antérieur riche et fort d’une longue tradition originale, dans laquelle les nouveaux venus sont intervenus comme cataly- seurs, réactivant certaines propriétés d’accueil ou disposition à concevoir « le lieu de l’autre » : « Peut-être, entre l’exotisme et l’ “essentiel”, les rapports ne seront-ils jamais socialement clari- fiés », écrivait Michel de Certeau (2005, 340), mais ils sont ici à l’œuvre.

8. Si la Danse du Lion ne présente pas en soi un caractère religieux, les vœux (offerts contre des dons en argent) sont proférés devant des autels, et prennent ainsi un vague caractère de bénédiction. Ces autels installés dans les boutiques, sont le plus souvent dédiés au Dieu du sol (ou « Maître des lieux ») mais aussi à d’autres divinités dont les effigies sont promenées dans les défilés mis en place dans la Petite Asie au cours des années 1990. Pour une description détaillée de la Danse du Lion, cf. Raulin, 2000, 101-102. 68 Anne Raulin

Idéologies ou utopies ?

Pour conclure, il reste à justifier l’usage des termes d’idéologie et d’utopie dans le présent contexte et article. Dans un premier temps, on a parlé de convergence idéologique entre l’action engagée et la recherche en sciences sociales pour les trois périodes qui caractéri- sent le 13e arrondissement. Il semble important de ne pas oblitérer cette constante et de reconnaître « le coefficient d’idéologie » qui traverse la recherche : « La pensée humaine ne se constitue pas dans un espace socialement démarqué où elle n’aurait pas d’attaches, au contraire elle est constamment enracinée en un lieu déterminé. Enracinement que l’on ne pourra toutefois en aucun cas considérer comme une source d’erreur », écrit Mannheim (2006 [1929], 67) pas plus que comme une preuve de vérité. L’analyse se construit dans et par-delà l’idéologie qui la suscite, dans un rapport complexe d’inspi- ration et de confrontation, reprenant la distance pour construire un sens du réel, quelle que soit la définition de l’idéologie – « fausse conscience », conscience occultée « avec des catégories obsolètes », représentation « transcendante à l’être social » ou « action symbo- lique » (Clifford Geertz) – que l’on adopte. Si l’on opte enfin pour le terme d’utopie, ce n’est pas seulement que l’on cherche à qualifier des projections tournées vers l’avenir, en phase avec une certaine prospective de l’histoire. C’est que l’utopie engage des « forces de transformation de la réalité » (Mann- heim, 2006 [1929], 169) qui se manifestent ici concrètement et topographiquement, travaillant à la mise en forme d’un espace spé- cifique, à la construction d’un territoire de vie – d’habitation, de travail, de culte et encore, dans le cas présent, d’expression collec- tive et publique –, en fonction d’une « imagination culturelle » (Ricœur), ou d’une imagination collective porteuse d’un projet inédit, donnant place à ce qui n’en a pas. Au terme de cette réflexion sur une institution urbaine particulière, contribuant à définir « la fonction de l’Église en tant qu’institution sociale » (Park, in Grafmeyer et Joseph, 2004, p. 181), il apparaît que cette capacité à faire de nulle part quelque part, s’inscrit dans une mémoire particulière du lieu, ici identifiée comme tradition utopique.

Anne RAULIN Université de Paris X-Nanterre / Lau-CNRS [email protected] Utopies locales et laboratoire social 69

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Appaduraï A., 1996, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globa- lisation, préface de Marc Abélès, Paris, Payot, 2001, 322 p. Augé M., 1992, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Le Seuil, 150 p. Beaud S. et Masclet O., 2006, « Des “marcheurs” de 1983 aux “émeutiers” de 2005. Deux générations sociales d’enfants d’immigrés », Annales HSS, no 4, 809-844. Boissevain J. (ed.), 1992, Revitalizing European Rituals, London, Routledge. Boudon R., 1986, L’idéologie. L’origine des idées reçues, Paris, Fayard, 330 p. Cabanel P., 2005, « Les Catholiques dans la rue. L’Église et le contrôle de la voie publique en France (XIXe-XXe siècles) », in J. Brody, La rue, Tou- louse, Presses universitaires du Mirail, 63-80. Certeau M. de, 2005, Le lieu de l’autre. Histoire religieuse et mystique, Paris, Gallimard, Le Seuil, 360 p. Chombart de Lauwe P.-H., 1965, Paris. Essais de sociologie, 1952-1964, Paris, Les Éditions Ouvrières, 199 p. Chombart de Lauwe P.-H. et al., 1952, Paris et l’agglomération parisienne. L’es- pace social dans une grande cité, Paris, PUF, 261 p. Chombart de Lauwe P.-H., 1996, Un anthropologue dans le siècle (entretiens avec Thierry Paquot), Paris, Descartes & Cie, 324 p. Coing H., 1966, Rénovation urbaine et changement social. L’îlot no 4 (Paris 13e), Paris, Les Éditions Ouvrières, coll. « L’évolution de la vie sociale », 295 p. Costa-Lascoux J. et Live Yu-Sion, 1995, Paris XIIIe, lumières d’Asie, Paris, Autrement, « Français d’ailleurs, peuples d’ici », 167 p. Desroche H., Utopie, Encyclopaedia Universalis, version 8. Dimitrijevic D. (dir.), 2004, Fabrication des traditions, Invention de modernité, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, préface d’Éric Hobs- bawm, 2004, 332 p. Duvignaud J., 1977, Lieux et non-lieux, Paris, Galilée, 153 p. Etcherelli C., 1967, Élise ou la vraie vie, Paris, Denoël, et Paris, Livre de poche, 1971, 221 p. Gauthier J., 1952, « L’espace social et la vie quotidienne dans un secteur pro- létarien », in Chombart de Lauwe et al. (1952), 172-208. Geertz C., 1964, « Ideology as a cultural system », in D. Apter (dir.), Ideology and Discontent, Glencoe, The Free Press, 342 p. Guillon M. et Taboada-Leonetti I., 1986, Le triangle de Choisy. Un quartier chinois à Paris, Paris, L’Harmattan, 210 p. Grafmeyer Y. et Joseph I., 2004 [1979], L’École de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 377 p. Hannerz U., 1996, Transnational Connections : Culture, People, Places, Lon- don, New York, Routledge, 201 p. 70 Anne Raulin

Harvey D., 2000, Spaces of Hope, Berkeley, University of California Press, 293 p. Hassoun J.-P. et Tan Y. P., 1986, « Les Chinois de Paris : minorité cultu- relle ou constellation ethnique ? », Terrain, 7, 34-44. Honneth A., 2000 [1992], La lutte pour la reconnaissance, Paris, Le Cerf, 232 p. Join-Lambert O., Lochard Y., Raveyre M., Ughetto P., 2004, Servir l’État et l’usager, rapport pour le ministère de la Recherche et le Centre national de la Fonction publique territoriale, IRES, mai, 271 p. Laplantine F. et Nouss A., 1997, Le métissage, Paris, Flammarion, « Domi- nos », 125 p. Lapouge G., 2006, « Des îles pour utopie », Ethnologie française, 3, 497-500. Lhande P., 1931, La croix sur les fortifs, Paris, Plon. Ma Mung E., 2006, « Négociations identitaires marchandes », Revue euro- péenne des migrations internationales, 22/2, 83-94. Mannheim K., 2006 [1929], Idéologie et utopie. Une introduction à la sociologie de la connaissance, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, pré- face de Wolf Lepenies. Pinçon M. et Pinçon-Charlot M., 2001, Paris Mosaïque, Paris, Calmann- Lévy, 345 p. Raulin A., 2000, L’ethnique est quotidien. Diasporas, marchés et cultures métro- politaines, Paris, L’Harmattan, « Connaissance des Hommes », 229 p. Raulin A., 1986, Espaces marchands et expressions communautaires. Le 13e arrondissement de Paris, rapport pour la Mission du patrimoine ethnologique, ADA 13 / Ministère de la Culture, 252 p. (Bibliothèque de la Maison des sciences de l’homme). Ricœur P., 1997, L’idéologie et l’utopie, Paris, Le Seuil, 410 p. Topalov C., 1974, Les promoteurs immobiliers. Contribution à l’analyse de la production capitaliste du logement en France, La Haye - Paris, Mouton & EPHE, 413 p. Tranvouez Y., 2000, Catholiques et communistes. La crise du progressisme chré- tien, 1950-1955, Paris, Le Cerf, 363 p.