L'exemple Du 13E Arrondissement De Paris
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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=ANSO&ID_NUMPUBLIE=ANSO_081&ID_ARTICLE=ANSO_081_0047 Utopies locales et laboratoire social : l’exemple du 13e arrondissement de Paris par Anne RAULIN | Presses Universitaires de France | L'Année sociologique 2008/1 - Vol. 58 ISSN 0066-2399 | ISBN 9782130568025 | pages 47 à 70 Pour citer cet article : — Raulin A., Utopies locales et laboratoire social : l’exemple du 13e arrondissement de Paris, L'Année sociologique 2008/1, Vol. 58, p. 47-70. Distribution électronique Cairn pour Presses Universitaires de France . © Presses Universitaires de France . Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. UTOPIES LOCALES ET LABORATOIRE SOCIAL : L’EXEMPLE DU 13e ARRONDISSEMENT DE PARIS Anne RAULIN RÉSUMÉ. — Cet article s’intéresse à la façon dont certains quartiers relevant de ce que l’École de Chicago avait qualifié de zone de transition peuvent perpétuer des « tradi- tions utopiques » malgré les transformations radicales de l’environnement urbain. On dis- tingue ici trois périodes dans l’histoire urbaine du 13e arrondissement de Paris, successi- vement caractérisées par trois formes d’utopie : ouvrière, communautaire, puis pluriculturelle ; on y repère les échanges et convergences entre l’action confessionnelle engagée et la recherche en sciences sociales. La dernière période voit la conduite de pro- jets pluriculturels pionniers en France, incluant des rituels urbains à visibilité ethnique rendus possibles par cette « tradition utopique » portée par une paroisse locale et sa vie associative. MOTS CLÉS. — Aire urbaine, diaspora asiatique, recherche, association confession- nelle, paroisse, rituel urbain, visibilité ethnique, utopie. ABSTRACT. — This paper deals with the way urban areas qualified as transitional by the Chicago School of Sociology can generate certain « utopian traditions » which are carried on despite the radical transformations undergone by the environment. Three suc- cessive periods of the urban history of the 13th district in Paris, are characterized by three forms of utopia respectively : the first one associated with working class life, the second inspired by communitarian ideologies, and the third emerging from the multicultural environment. Convergences between the parish community social activism and research in social sciences are pointed out all along. In the last period, pioneering multicultural initiatives were supported by these local utopic traditions, introducing in France urban rituals with ethnic visibility. KEY WORDS. — Urban area, Asian diaspora, research, parish community, social activism, urban ritual, ethnic visibility, utopia. Les termes de « laboratoire social » sont devenus classiques pour qualifier la ville dans ses aspects d’expérimentation les plus imprévi- sibles et/ou les plus inédits : ils portent toujours la trace de leur « école » d’origine, puisque c’est en effet à Chicago qu’ils apparais- sent en relation avec l’ampleur des recompositions sociales à L’Année sociologique, 2008, 58, n° 1, p. 47 à 70 48 Anne Raulin l’œuvre dans cette ville dont la morphologie apparaît particulière- ment lisible compte tenu de sa faible profondeur historique et de son extension géographique. Si cette terminologie s’applique à l’en- semble de la ville, « source et centre du changement social » selon Park, elle désigne particulièrement son aire de transition – aussi qualifiée de Zone 2 par son auteur Ernest Burgess –, aire de pre- mière installation de populations en provenance d’Europe ou d’Asie, ou bien en migration intérieure. Cette aire cosmopolite est qualifiée d’ « aire de détérioration » au regard de son cadre bâti dégradé mais aussi d’ « aire de régénération » : « L’aire de détériora- tion, bien qu’étant essentiellement une aire de délabrement, à population stationnaire ou en déclin, est aussi une aire de régénéra- tion comme en témoignent les missions, les œuvres sociales, les colonies d’artistes, les centres radicaux – tous préoccupés par la vision d’un monde nouveau et meilleur » (Burgess, in Grafmeyer et Joseph, 2004 [1979], 139-140). C’est sur cette aire particulière que s’est concentrée l’attention des chercheurs à Chicago. Dans cet article, on s’interroge sur la validité de cette caractéris- tique dans un tout autre contexte puisqu’il s’agit de Paris et plus spécifiquement de son 13e arrondissement, un de ses quartiers qui semble avoir incarné et continue d’incarner cette fonction. Cette application d’une formalisation concernant la ville américaine à la capitale française n’est certes pas nouvelle puisqu’elle fut déve- loppée par Paul-Henry Chombart de Lauwe (1965). Si la compa- raison est restée prudente, elle s’est révélée intéressante autant par ses convergences que par ses divergences ; elle valide globalement l’existence d’une zone de transition à Paris comprenant notamment les quartiers des gares, le quartier latin et les quartiers d’artistes (Montmartre et Montparnasse) et tout l’anneau urbain matérialisé par le tracé du métro aérien coupant à travers les arrondissements périphériques, sans donner à ce repérage une quelconque rigidité. L’observation dont il va ici être question concerne en effet une partie du 13e arrondissement de Paris à la limite de cette zone 2 : au cours des années 1950, elle était le lieu d’une forte implantation industrielle, de production automobile, aéronautique et alimentaire, comprenant nombre de sites d’usines et d’entreprises de sous-trai- tance et bénéficiant pour sa main-d’œuvre tout à la fois d’un exode rural et d’une immigration en provenance principale d’Afrique du Nord. C’est à partir de ce contexte – aujourd’hui historique compte tenu des mutations radicales qu’a connues cet arrondissement – que Utopies locales et laboratoire social 49 notre réflexion se développera. Mais elle concernera surtout la période des années 1980 à aujourd’hui : signant la disparition de sa vocation industrielle, ce quartier sud de l’arrondissement a alors fait l’objet de vastes projets de rénovation mettant en œuvre un urba- nisme de tours, barres et dalles, et connu une transformation de sa population résidente. Celle-ci s’apparente alors plutôt à la classe moyenne et comprend une forte composante migratoire diversifiée mais dont la dominante asiatique imposera vite la dénomination de quartier asiatique ou chinois. Malgré cette reconversion écono- mique, urbanistique et sociale, la qualité de « laboratoire social » de cet arrondissement semble maintenue : elle se caractérise en parti- culier par une intrication de la recherche en sciences sociales et de l’action confessionnelle engagée qui s’est poursuivie dans ces contextes historiques divers. Quelles que soient les époques, une certaine convergence idéologique transparaît, un partage de repré- sentations et d’expectations allant au-delà de la prise en considéra- tion des réalités sociales du moment. Le propos n’est pas ici de criti- quer cette convergence, peut-être nécessaire comme l’exprimait Karl Mannheim : « À qui ne prend aucun parti ne s’ouvre aucun questionnement, et même pas d’hypothèse heuristique pour inter- roger et sonder l’histoire » (2006 [1929], 74), mais plus simplement de la repérer dans ses développements contextuels. Après une mise en perspective historique, les vingt dernières années constitueront donc l’essentiel de l’observation. L’ancienneté de la recherche et de l’engagement dans le 13e arrondissement On commencera ici par redessiner à grands traits cette histoire locale où se mêlent de façon originale les formes de la recherche en sociologie et l’action sociale de tradition chrétienne. Vu des années 2000, il est possible de distinguer trois grandes périodes : de la fin de la seconde Guerre mondiale au milieu des années 1960, les années 1960 et 1970, enfin depuis le début des années 1980 jusqu’à présent. Dans la période d’après guerre, le 13e arrondissement est le lieu de redéploiement de diverses composantes catholiques. La mission ouvrière dominicaine, qui veut refaire « l’union entre l’Action catholique de mouvements et l’action missionnaire » (Tranvouez, 2000, 270) poursuit son œuvre d’évangélisation du prolétariat ; elle est installée au 48, avenue d’Italie, abrite une antenne d’Économie et 50 Anne Raulin humanisme et héberge Henri Desroche, un des initiateurs de la Recherche-Action en sociologie. Elle s’intéresse aux problèmes du logement et du racisme dans le quartier, en liaison avec le Mouve- ment populaire des familles logé au 25, rue du Moulinet. La mis- sion jésuite est plus dispersée sur l’arrondissement, avec deux points forts : l’église Notre-Dame de la Gare et le 151, quai de la Gare, où un ancien bal-musette transformé en café-restaurant tient lieu de salle de réunion missionnaire. La paroisse Saint-Hippolyte est confiée à la Mission de France, et développe l’idée d’aller au-devant des habitants du quartier. Toutes ces composantes participent du courant des prêtres-ouvriers, et la professionnalisation des prêtres est une constante dans l’histoire de ce quartier où elle se maintiendra bien au-delà de sa condamnation par Rome en 1954. Toutes tra- verseront une grave crise pendant les années 1950, mais cette sensi- bilité interrogeant les rapports « entre mission chrétienne, mouve- ment ouvrier et mouvement du monde » (Tranvouez, 2000, 278) constitue la toile de fond des grandes enquêtes menées par l’équipe de Paul-Henry Chombart de Lauwe qui revendique son attache au Centre d’Études sociologiques comme au Musée de l’Homme et se donne pour tâche de « contribuer au progrès de l’ethnographie sociale » (1952, 65).