Revue trimestrielle, BELGIQUE - BELGIE 85e année 5000 1 N° 4/2009 P. P. 4 1450 octobre, novembre, N° d’agrément : P 801 243 décembre

Société royale SAMBRE ET (A.S.B.L.) CAHIERS DE

Siège social : avenue Gouverneur SAMBRE ET MEUSE Bovesse, 24 bte 12 5100 Namur (Jambes) www.sambreetmeuse.org Le Guetteur Wallon

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Warnant et Huy pendant la Grande Guerre. Souvenirs Société royale SAMBRE ET MEUSE A.S.B.L. Siège social : av. Gouv. Bovesse, 24 bte 12, 5100 Jambes (Namur) Arrondissement judiciaire de Namur http://www.sambreetmeuse.org

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Cahiers de Sambre et Meuse

SOMMAIRE n° 2009-4

Fausse clef, passepartout, crochet et rossignol. Le crochetage de serrures dans l’ordonnance du Magistrat de Namur du 24 février 1775 Carole LEDENT p. 142

« Notre brave coquin d’empereur ». Deux placards séditieux affichés à Namur en août 1809 Cédric ISTASSE p. 149

La Grande Guerre en provinces de Namur et de Liège. Souvenirs d’un « gavroche » de Warnant Maurice JEANJOT (éd. par Cédric ISTASSE) p. 153

Une curiosité : un cataclysme à Namur en 1833 ? Marc RONVAUX p. 178

Bibliographie namuroise (comté et province de Namur, département de Sambre-et-Meuse) : Mémoires de licence/maîtrise Cédric ISTASSE p. 179

COUVERTURE Page 1 : Mémoires de Maurice Jeanjot, détail du manuscrit. Page 4 : Détail d’une carte militaire anglaise, , Namur 8, War Office, déc. 1910 (collection privée).

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Fausse clef, passepartout, crochet et rossignol.

Le crochetage de serrures dans l’ordonnance du Magistrat de Namur du 24 février 1775

Le document édité ci-après interdit la possession de crochets, rossignols et autres instruments propres à entrer par effraction dans les demeures. Une seule exception est faite pour les fèvres, orfèvres et serruriers, sous certaines conditions, notamment de ne jamais fabriquer de clé sur base de dessins de clients, tracés sur des cartons 1 ou modelés en cire, terre et plomb. Le crochetage de serrures, visé en fin de compte par ce document, peut sembler d’une importance toute relative mais au-delà des mots, c’est une réalité bien plus large qui s’offre à nous : la répression de la criminalité dans les Pays-Bas autrichiens à la fin du XVIIIe siècle 2. La clé, petit objet du quotidien, devient symbole de « l’aspiration grandissante à la propriété individuelle et à la sécurité 3 ». La violation du domicile s’intègre en effet dans la criminalité contre les biens mais aussi dans la criminalité contre les personnes 4. Le caractère rudimentaire des fermetures d’alors est un incitant à l’effraction, méthode criminelle répandue dans la société d’Ancien Régime 5. L’importance des peines citées dans notre ordonnance (amendes de 10 à 50 florins, prison pendant six semaines et même bannissement d’une durée de cinq ans) ne peut que confirmer la manifeste attention à accorder et accordée au sujet.

Quelques années à peine après la date de rédaction de cette ordonnance du Magistrat, la Révolution française éclate. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen place la propriété et la sûreté au rang des droits naturels et imprescriptibles de l’homme 6. Le Code pénal de 1791 stipule en outre que le vol commis à force ouverte 7 et par violence envers les personnes sera puni de

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1. Cfr, par exemple, le document iconographique reproduit en annexe (modèle de clé en papier cartonné). 2. Comme en témoigne l’introduction de C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Inventaire analytique des informations judi- ciaires du Conseil de Namur, 1504-1794, Bruxelles, 1984, p. 14 (Archives de l’État à Namur, Inventaires, 45). 3. B. WODON, S. BRESSERS et J. LAMBERT, Serrureries et ferronnerie du Moyen Âge à nos jours, Namur, 1994, p. 33 (Musée des arts anciens du Namurois, 7). 4. À Nivelles, au XVIIIe siècle, les violations de domicile s’accompagnent toujours de coups et blessures. Souvent, après avoir brisé les fenêtres d’une habitation, « les assaillants réclament à boire ou veulent donner la séré- nade » (M.-S. DUPONT-BOUCHAT, Criminalité et mentalité à Nivelles au XVIIIe siècle, dans L. D’ARRAS D’AU- DRECY, M. DORBAN et M.-S. DUPONT-BOUCHAT, La criminalité en Wallonie sous l’Ancien Régime : trois essais, Louvain, 1976, p. 125 et 140 (Travaux de la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de Louvain, XVII, section Histoire, II)). 5. N. CASTAN, Les criminels de Languedoc. Les exigences d’ordre et les voies du ressentiment dans une société pré- révolutionnaire (1750-1790), Toulouse, 1980, p. 221 (Publications de l’université de Toulouse-le-Mirail, sér. A, 47). 6. Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée le 26 août 1789. 7. En employant la force, la violence, par une violence manifeste (Dictionnaire de l’Académie française, t. 1, Paris, 1835, p. 781).

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18 années de fers 8, si le coupable s’est introduit dans l’intérieur de la maison ou du logement où il a commis le crime, à l’aide d’effraction faite par lui- même, ou par ses complices, aux portes et aux clôtures, soit de ladite maison, soit audit logement, ou à l’aide de fausses clefs 9. Mais si notre ordonnance émane de ce contexte particulier, n’oublions pas qu’elle s’inscrit aussi dans l’éternelle lutte contre le vol et ses méthodes.

Approchons-nous de l’archive administrative elle-même. Il s’agit vraisemblablement de l’état préparatoire d’un placard, affiché dans la cité namuroise 10. L’auteur, officiel et intellectuel, est le Magistrat de Namur qui, dans l’exercice de ses fonctions, établit un règlement de police. Quant à l’auteur matériel, dont le paraphe reste un mystère, une hypothèse peut être formulée. Les lettres « Mar » – celles en exposant étant une abréviation de « vidit » pour signifier que le signataire a vu et contrôlé le document – pourraient être le début du nom « Marotte », échevin faisant fonction en 1775 11. Notons que le filigrane « SB » présent sur notre document fait sans doute allusion à l’imprimerie de Simon Bivort, ouverte en 1750 à Saint-Servais 12.

Clé de tabernacle de l’église Saint-Joseph à Namur, en argent poinçonné. XVIIe siècle, postérieur à 1627. Musée des Arts anciens du Namurois, Namur

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8. Les condamnés à la peine des fers, seront employés à des travaux forcés au profit de l’État, soit dans l’intérieur des maisons de force, soit dans les ports et arsenaux, soit pour l’extraction des mines, soit pour le dessèchement des marais, soit enfin pour tous autres ouvrages pénibles, qui, sur la demande des départements, pourront être déterminés par le corps législatif (Code pénal du 25 septembre 1791, 1re partie, titre 1er, art. 6). 9. Code pénal du 25 septembre 1791, 2e partie, titre 2, section 2, art. 3 10. Dont le résumé a été publié : « 1775, 24 février. Le Magistrat de Namur interdit l’usage et la fabrication de fausses clefs, passe-partout, crochets et rossignols, sauf par ceux qui font partie du métier des fèvres. Placard imprimé, liasse n° 51, Archives communales, aux Archives de l’État, à Namur » (D.D. BROUWERS, Cartulaire de Namur, t. 4 : 1692-1792, Namur, 1924, p. 293). 11. Jean-Claude-Adrien de Marotte est échevin en 1772, mayeur le 24 décembre 1789 jusqu’en 1791, membre de l’État noble et décède en 1809 (H. DE RADIGUÈS DE CHENNEVIÈRE, Les échevins de Namur, dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. 25, 1905, p. 421). 12. F. DEL MARMOL, Dictionnaire des filigranes classés en groupe alphabétique et chronologique, Namur, 1900, p. XI.

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ÉDITION DU TEXTE

Interdiction par le Magistrat de Namur de posséder et de fabriquer des fausses clés ou autres outils servant à entrer dans des maisons par effraction sauf pour les membres du métier des fèvres, sous certaines conditions. du 24 février 1775

ORIGINAL (en minute ou brouillon) : ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR, Ville de Namur, liasse n° 51 (ancienne cote n°68) : Édits et décrets émanant du Magistrat, 1597-1787.

Nous les maieur 1 et échevins 2 de la ville de Namur, etant informés que des malintentionés auroient nuitamment 3 fait des efforts pour ouvrir portes avec crochets et considerant que rien ne peut faciliter d’avantage ces sortes d’excès coupables, que la liberté indefinie et trop dangereuse à un chacun d’avoir crochets, fausses clefs et autres instruments egalement propres à violer et troubler en meme tems la confiance que l’on a droit de se promettre dans ses maisons fermées, nous avons trouvé qu’il importoit grandement à la sureté publique d’y pourvoir à quel effet du seu 4, aveu 5 et consentement de messeigneurs les gouverneur 6, president 7 et gens du Conseil provincial 8 de Sa Majesté l’impératrice 9, douairière 10 et reine apostolique 11 etablit en cette ville, nous avons reglé, ordonné et statué, reglons, ordonnons et statuons les points et articles suivans.

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1. Chef de l’Échevinage (ou Magistrat). De 1768 à 1791, Pierre-Benoît vicomte Desandrouin était le maïeur de Namur (S. BORMANS, Le Magistrat de Namur, dans A.S.A.N., T. XIV, p. 329-398 et C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Un individu dans le pouvoir : Pierre-Benoît Desandrouin, grand mayeur de Namur, trésorier général des Pays-Bas autrichiens (1743-1811), dans A.S.A.N., T. LXI, p. 73-90). 2. Membres du Magistrat. Dans les anciens Pays-Bas, leurs fonctions administratives étaient très étendues. Il semble qu’en 1775, les échevins de Namur étaient Juppin, Godenne, le Bidart, Douxchamps, Richald, Mazure et Lime- lette selon S. Bormans. Mais d’autres noms sont parfois ajoutés par d’autres auteurs, notamment Marotte, par H. De Radiguès De Chennevière (Ibid., p. 371 ; H. DE RADIGUÈS DE CHENNEVIÈRE, Les échevins de Namur, dans A.S.A.N., t. XXV, 1905, p. 412-422). 3. Pendant la nuit (Nuitament ou nuitamment, dans Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux (…), t. 6, Paris, 1771, p. 258). 4. Le substantif seu désigne la connaissance (Seu, dans F. GODEFROY, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, t. 1, Paris, 1937, p. 525). 5. Reconnaissance verbale, ou par écrit, d’avoir dit ou fait quelque chose (Aveu, dans Dictionnaire universel françois…, t. 1, Paris, 1771, p. 634). 6. Représentant du souverain et premier, personnage de la province, chargé de veiller à l’exécution des lois, au maintien de la tranquillité et du bon ordre sur son territoire. Les mayeurs, échevins, jurés et élus de la ville de Namur avaient besoin de l’avis et du consentement du Gouverneur pour porter des édits et ordonnances de police et établir des peines pécuniaires contre les contrevenants. En 1775, le Gouverneur de Namur était Fran- çois-Joseph-Rasse, prince de Gavre, nommé en 1770 (X. LELIÈVRE, Institutions namuroises : le gouverneur, les États et le souverain baillage, dans A.S.A.N., t. VIII, 1863-1864, p. 1-3 ; E. DEL MARMOL, Les anciens gouver- neurs de Namur, dans A.S.A.N., t. X, 1868, p. 317-352 ; G. BAURIN, Les gouverneurs du comté de Namur 1430- 1794, Na mur, 1984, p. 256-263). 7. Chef du Conseil provincial institué en 1551 par Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas. Il s’agit ici de Jacques-Joseph de Stassart, nommé en 1764 et retraité en 1789 (S. BORMANS, Les présidents de l’ancien Conseil provincial de Namur, dans A.S.A.N., t. XVIII, 1889, p. 529-550 et C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE dans Dictionnaire Biographique Namurois). 8. Ce Conseil a une fonction administrative et judiciaire (X. LELIÈVRE, Conseil provincial de Namur, dans A.S.A.N., t. VII, 1861-1862, p. 233-235 ; P.-F. DE NENY, Mémoires historiques et politiques sur les Pays-Bas autrichiens, t. 2, Bruxelles, 1785, p. 131-132 [réimpr. anast. 1993 : Archives générales du royaume et archives de l’état dans les provinces, Studia, 47]). 9. Marie-Thérèse, impératrice d’Allemagne, reine de Hongrie et de Bohême et souveraine des Pays-Bas autrichiens de 1740 à 1780 (Marie-Thérèse, dans H. HASQUIN, dir., Dictionnaire d’histoire de Belgique : les hommes, les institutions, les faits, le Congo belge et le Ruanda-Urundi, Namur, 2000, p. 433-434). 10. Une douairière est une veuve de la noblesse jouissant des biens de son défunt mari ; si celui-ci régnait, on parle de reine ou d’impératrice douairière (Douairière, dans A. FURETIÈRE, Dictionnaire universel, contenant générale- ment tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, t. 1, Paris, 1690, n.p. [réimpr. anast. 1978] ; Reine, dans Dictionnaire universel françois…, t. 7, Paris, 1771, p. 248). 11. Qui vient des apôtres (Apostolique, dans A. FURETIÈRE, Dictionnaire universel…, t. 1, n.p.).

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1 Personne ne pourra dorenavant avoir, ni retenir en son pouvoir, sous quel pretexte que ce puisse etre, aucune fausse clef, passepartout, crochet, rossignol 12 et autres instruments egale- ment propres à crocheter serrures, à peine de cinquante florins 13 d’amende, ordonnant bien expressement sous la meme peine à tous et un chacun qui en seroient actuellement munis de les porter au greffe 14 à l’hotel de cette ville 15 dans les quinze jours de la publication de la presente.

2 Nous exceptons neanmoins de l’article precedent tous les membres du metier 16 des fevres 17 et leurs veuves continuant le metier, lesquels devront au contraire conserver, pour le service du public, en lieu sûr et sous clef, toutes les fausses clefs, passepartout, crochets, rossignols et autres instruments mentionés audit article sans aucunement les exposer ni les laisser au pou- voir de leurs ouvriers et apprentifs sauf que lesdittes veuves et ceux des membres dudit metier seulement, qui seront retenus à la maison pour cause de maladie, infirmité, ou qui s’absente- ront de la ville, pourront les confier pour le moment et pendant leur absence respectivement à un de leurs ouvriers pour en faire aussitôt usage de leur part dans les seuls cas permis et les leur reproduire d’abord apres, le tout à peine de dix florins d’amende à charge de ceux dudit metier, leurs veuves et ouvriers chaque fois qu’ils contraviendront 18 à ce qui leur est enjoint au present article.

3 Lorsqu’un membre du metier des fevres ou la veuve de l’un d’eux tenant le metier viendra à mourir sans etre remplacés dans leur boutique 19 et metier, la, ou les personne qui auront la

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12. Instrument pour crocheter des serrures (Rossignol, dans Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960), t. 14, Paris, 1990, p. 1260). 13. Le florin est une monnaie de compte des anciens Pays-Bas. Un florin correspond à 20 sols (ou sous) de 24 deniers. Un salaire de maître au XVIIIe siècle était de 16 à 18 sols alors que celui d’un manœuvre ou d’un compagnon était compris entre 8 et 12 sols. Le prix d’une livre de beurre par exemple était de 5 sols. Une amende de 50 florins montre donc combien le Magistrat de Namur désire dissuader la population d’éventuelles mauvaises intentions (Florin, dans Trésor de la langue française…, t. 8, Paris, 1980, p. 992-993 ; A. BRUNEEL, G. DELACROIX, G. TURPIN, R. VAN SANTBERGEN, J. BOVESSE et R. LAURENT), dir., Documents d’archives relatifs au Namurois. Dossier pédagogique destiné à l’enseignement de l’histoire, Bruxelles, 1980, n.p. ; J.- B. GOETSTOUWERS, Les métiers de Namur sous l’Ancien Régime. Contribution à l’histoire sociale, Louvain- Paris, 1908, p. 118 (Université de Louvain, Recueil de travaux publiés par les membres des conférences d’histoire et de philologie, 20) ; F. LADRIER, Crises économiques..., dans Namurcum, 1959, p. 33-42, spéc. P. 34-35)). 14. Dépôt public où se gardent les registres et les actes de justice (Greffe, dans A. FURETIÈRE, Dictionnaire univer- sel…, t. 2, Paris, 1690, n.p.). 15. Lieu public où siège le Magistrat de Namur qui, de 1574 à 1826, était situé sur le marché Saint-Rémy, sur l’ac- tuelle Place d’Armes et était appelé « Hôtel de Brogne » (F. JACQUES, Namur en 1784. Paroisses, rues, im- meubles. Propriétaires et essai de constitution d’un plan parcellaire, Namur, 1980, p. 178-179 ; L’hôtel de ville, le beffroi et le perron de Namur, dans Bulletin trimestriel du Crédit communal de Belgique, t. 42, 1957, p. 24 ; S. BORMANS, Le Magistrat de Namur…, p. 330) ; E. BODART, Les implantations successives des institutions de la ville de Namur entre le XIIIe et la fin du XVIe siècle, dans Histoire de Namur, nouveaux regards, Namur, 2005., p. 97-121) 16. Les membres des corps de métier se divisent en deux grandes classes : les maîtres et les apprentis. Les maîtres enseignent et jouissent de droits et d’avantages corporatifs. Certains, à la tête du métier, sont appelés mayeurs. Les apprentis sont formés en attendant de devenir pleinement membres du métier (J.-B. GOETSTOUWERS, Les métiers de Namur…, p. 20 ; S. BRESSERS, Le système corporatif à Namur durant le Siècle des Lumières, dans J. TOUSSAINT, dir., Corporations de métiers à Namur au XVIIIe siècle, Namur, 1998, p. 25 (Musée des arts an- ciens du Namurois, 14)). 17. Nom qui désigne un ouvrier en quelque métal, celui qui travaille le fer : forgeron, maréchal, armurier (Fèvre, dans F. GODEFROY, Dictionnaire de l’ancienne langue française…, t. 3, Paris, 1884, p. 777 ; J.-B. GOETSTOUWERS, Les métiers de Namur…, p. 334). 18. Iront contre les prescriptions d’un règlement, d’une loi (Contravention, dans A. HATZFELD et A. DARMESTETER, Dictionnaire général de la langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu’à nos jours (…), t. 1, Paris, 1920, p. 522). 19. Lieu où les marchands exposent leurs marchandises en vente, qui est ouvert sur la rue et au rez-de-chaussée et où les artisans travaillent (Boutique, dans Dictionnaire universel françois…, t. 2, Paris, 1771, p. 29). 145

principale direction de la maison mortuaire seront obligés de remettre incessanment aux maieur et maitres en office 20 dudit métier et au plus tard dans les vingt quatre heures apres le decès de laditte veuve ou membre d’icelui, toutes les fausses clefs, passe-partout, crochets, rossignols et autres instruments rapellés en l’article premier tels qu’ils se retrouveront en la- ditte maison mortuaire, lesquels maieur et maitres en office apres en avoir fait alors l’estima- tion dont ils devront tenir note au registre du metier, les renfermeront dans le coffre 21 du meme metier, pour ensuite et dès que l’on recevra un nouveau maitre dans le metier, les lui delivrer au prix de laditte estimation, qu’il paiera au profit des heritiers de ceux à qui ils avoient appartenus auparavant, faute de quoi tel nouveau maitre ne pourra s’en procurer d’autres à la peine portée en l’article premier et l’un et l’autre des contravenants à ce qui est prescrit au present encoureront celle d’une amende de dix florins

4 Il est interdit à tous ceux du metier de fevres et à leurs ouvriers emploiés de leur part de faire pour quelque cause et sous quel pretexte que ce soit, ouverture d’aucune serrure et fermeture fermant à clefs, ressorts, ou loquets si ce n’est à la requisition par l’ordre expres en la présence et sous les yeux du maitre ou chef de la maison en laquelle ils auront ete appellé, à peine d’etre poursuivis par les voies extraordinaires et punis suivant l’exigence du cas.

5 Seront egalement sujets à la meme peine, tous autres qui s’émanciperont de faire pareille ou- verture quand meme ils en seraient requis par quiconque ce puisse etre.

6 Nous defendons à tous ouvriers et apprentifs du stil 22 du metier des fevres de travailler, forger et limer des clefs et serrures, hors les boutiques de leurs maitres et en quelques autres lieux que ce soit, ni meme dans les boutiques des maitres sans leur expres consentement, à peine que lesdits ouvriers et apprentifs et ceux qui auront preté les outils, forges et boutiques seront emprisonés pour le terme de six semaines et nourris au pain et à l’eau pendant tout le tems de leur detention.

7 Quoique le service du public exige que les membres du metier des fevres puissent forger ou faire forger, ebaucher et limer clefs avant de travailler à la serrure, nous leur defendons nean- moins ainsi qu’à leurs ouvriers et apprentifs, de faire à ces pareil clefs forgeé ebaucheé et limeé aucune entailles ni garnitures sans etre à meme de produire au plutot la serrure pour laquelle laditte clef pourra etre entaillée et garnie ; et dans le cas où il leur seroit commandé de faire une clefs sur une autre clef, soit entiere ou cassée, nous leur ordonnons avant tout d’essayer ou verifier sur la serrure la clef servant de modele en presence du chef et maitre de la maison ou ou sera laditte serrure leur ej enjoignant de ne remettre laditte clef qu’au maitre de la maison, le tout à peine de vingt florins d’amende pour chaque contravention.

8 Nous defendons semblablement à tous ceux du metier des fevres, leur ouvriers et apprentifs de faire aucune clef sur des dessins qu’on leur apporteroit modelés en cire, terres, plomb, sur des cartons tracés ou sur tel autre patron que ce soit, comme aussi de delivrer à quelque per- sonne que ce puisse etre aucunes clefs brutes ou ebauchées, quand meme on feroit apparoitre d’une destination, à peine de cinquante florins d’amende à chaque contravention.

9 Nous leur defendons aussi, et à tous autres, sous la meme peine, de vendre, remettre et debi- ter sous quel pretexte et à quelque personne que ce soit, aucun rossignol, crochet ni autre

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20. Voir supra, n. 16. 21. Qui renferme le trésor corporatif (J.-B. GOETSTOUWERS, Les métiers de Namur…, p. 82). 22. Manière d’être, de faire, d’employer, d’agir ; procédé, méthode, métier (Style, dans E. HUGUET, Dictionnaire de la langue française du seizième siècle, t. 7, Paris, 1967, p. 91 ; Estile, dans F. GODEFROY, Dictionnaire de l’ancienne langue française…, t. 3, Paris, 1884, p. 613).

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instrument propre à ouvrir les fermetures, non plus qu’aucune clef vielle 23 ou nouvelle, sepa- rement de la serrure pour laquelle ladite clef aura eté faite.

10 Nous declarons que les peines et amandes pecuniaires 24 portées par le present édit seront executables apres une sommation de tiers jours et que ceux qui les auront encourus et ne se trouveront pas en etat d’y satisfaire, alors seront sur le champ, conduit en prison pour y etre detenu au pain et à l’eau pendant six semaines.

11 Et pour assurer d’autant plus l’execution de tous les points et articles precedens, nous ordon- nons qu’ils soient tous transcrit en tete du registre 25 courant, aux resolutions du metier des fevres de cette ville et lûs par le greffier à la generalité assemblée 26, à chaque renouvellement du maieur ou des maitres en office du meme metier.

12 Comme la bonne police 27 demande qu’un chacun soit non seulement à l’abri de toute sur- prise malicieuse et imprevue mais encore que l’on jouisse chez soi et dans ses maisons d’une surté pleine et entiere et exempte de toute espece de trouble, nous declarons, dans la vue de la garantir de la maniere la plus efficace, que tous ceux qui sans cause legitime ni avouée par l’occupeur d’une maison quelconque, en cette ville, faubourg et villages de la banlieu dont les seigneuries ne sont point alienées, seront trouvés tant de nuit que de jour en quelque endroit d’icelle ou dans la cour, jardin et autres lieux en dependants pourront etre sur le champ appre- hendé et conduit en prison et ils encoureront pour ce seul fait la peine de banissement de cette ville et banlieu pour le terme de cinq ans.

Fait au Magistrat 28 à Namur le 24 fevrier 1775. Paraphé Marvt 29

Carole LEDENT 3, rue du Vieux Tribunal 5370 Havelange

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23. Vieille (E. HUGUET, Dictionnaire de la langue française…, t. 7, Paris, 1967, p. 468). 24. Adjectif emprunté au latin utilisé tout spécialement à propos des amendes dont on s’acquitte par un payement en argent (A. REY, dir., Dictionnaire historique de la langue française (…), t. 2, Paris, 1992, p. 1461). 25. Livre public qui sert à garder des mémoires, des actes ou des minutes pour la justification de plusieurs faits dont on a besoin par la suite. Il s’agit ici du registre propre à la corporation où le greffier (de la corporation) écrivait les résolutions de la généralité (J.-B. GOETSTOUWERS, Les métiers de Namur…, p. 83 ; Registre, dans Dictionnaire universel françois…, t. 7, Paris, 1771, p. 235). 26. Les métiers pouvaient se réunir à l’époque dans des assemblées ordinaires (appelées aussi « généralités ») lors desquelles les membres d’une même corporation traitaient des problèmes liés au fonctionnement du métier : élection des dignitaires, procès en cours, contrôle des comptes, amendes, confiscations, … D’autres assemblées dites extraordinaires rassemblaient alors toutes les corporations pour débattre de sujets dépassant le cadre d’un métier (J.-B. GOETSTOUWERS, Les métiers de Namur…, p. 82 ; S. BRESSERS, Le système corporatif à Namur…, p. 25). 27. Ce dont était chargé le Magistrat : mœurs, santé publique, rues, propreté, édifices, précautions contre les incen- dies, embellissement et décoration de la ville, tranquillité publique, voitures, messageries, commerce, corps de métiers, arts, manufactures, pauvres, religion (L. MALVOZ, Les institutions locales en Belgique de la fin de l’An- cien Régime à la loi communale de 1836, dans Bulletin du Crédit communal de Belgique, t. 40, 1986, p. 6-7, F. JACQUET-LADRIER, Les services publics à Namur au XVIIIe siècle, dans L'Initiative publique des communes en Belgique : fondements historiques (Ancien Régime) : 11e colloque international, Spa, 1-4 sept. 1982, Actes, Bruxelles, 1984, p. 199-222). 28. Le Magistrat d’une ville comptait de sept à treize membres et administrait celle-ci. Le Magistrat de Namur était composé d’un mayeur, de sept échevins et d’un greffier. D’autres fonctionnaires s’y joignent pour les assister (S. BORMANS, Le Magistrat de Namur…, p. 330 ; P. LENDERS, Vienne et Bruxelles : une tutelle qui n’exclut pas une large autonomie, dans H. HASQUIN, dir., La Belgique autrichienne, 1713-1794. Les Pays-Bas méridionaux sous les Habsbourg d’Autriche, Bruxelles, 1987, p. 66 ; Échevinages, dans A. GIRON, Dictionnaire de droit admi- nistratif et de droit public, t. 2, Bruxelles, 1895, p. 335-339). Cfr également références citées supra, n° 2 & 27. 29. En ce qui concerne cette mention, voir l’introduction de cette édition. 147

Annexe : Modèle de clé destiné à une évasion de la prison de Namur en l’an VII

Le 5 nivôse an VII / 25 décembre 1798, le concierge de la maison d’arrêt de Namur 1 dé- couvre un individu à la porte de derrière la prison, prenant comme une espèce de modele de clef avec de la terre. Il s’agit de Jean-François Lefranc, serrurier de profession et domicilié à Rouen 2, qui avoue préparer ainsi une tentative d’évasion pour plusieurs détenus 3. Après perquisition, il est trouvé le modele d’une clef, que voici (A.É.N., V.N., 2452 : Rapport du concierge T. Wéry, 6 nivôse an VII).

(Cédric ISTASSE)

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1. Toussaint Wéry, concierge des deux maisons d’arrêt, de justice et de détention de la ville de Namur : la prison dite Léonard et celle, nouvellement aménagée, située dans le ci-devant couvent des Capucins (A.É.N., V.N., 2452 : Rapports des 6, 14 et 17 frimaire, 6 nivôse, 1er ventôse, et 1er et 4 germinal an VII). Sur le système carcéral à Namur sous la République et l’Empire, cfr St. DE BRABANT, Les prisons de Namur sous le régime français (1794 -1814), Mémoire de licence en Histoire (U.C.L.), Louvain-la-Neuve, 1987 ; M.-S. DUPONT-BOUCHAT, Prisons et prisonniers à Namur sous le régime français, dans A.S.A.N., t. 72, 1998, p. 343-388. 2. A.É.N., V.N., 2452 : Mandat d’arrêt du juge de paix du premier arrondissement de Namur à charge de J.-Fr. Lefranc, 3e jour complémentaire an VI. 3. Il avait été incarcéré à Namur le 3e jour complémentaire an VI / 19 septembre 1798 pour avoir été trouvé hors de son département contre la loi sur les passeports (A.É.N., V.N., 2452 : État des individus entrés et sortis [des maisons d’arrêt de Namur] pendant les cinq jours complémentaires de l’an VI et la première décade de l’an VII, s.d.). Il sera finalement libéré le 7 pluviôse an VII / 26 janvier 1799 (A.É.N., V.N., 2452 : État des individus entrés et sortis pendant la première décade de pluviôse an VII, s.d.).

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« Notre brave coquin d’empereur ».

Deux placards séditieux affichés à Namur en août 1809

Adresse au peuple de Namur

Peuple, nous nous trovonts a la veille d’être arraché du sein de nos familles. C’est pour cette cause que je rappelle votre valeurs passée et la fermetté avec laquel nos peres se comportoient à l’égard de toutes innovation de la part d’un souverain crüel et tiran. Depuis si longtems que nous somme persécuté ruiné et désolé pour soutenir la couronne d’un usurpateur embitieux, pour rélever sa familles régisite et mépri- sable, nous devons dès aujourd’hui nous opposer à ce décrêt infâme qui desole nos peres, nos femmes et nos anfans ; et d’allieur nous ne ferons que suivre la marche des autres villes de la Belgique, Bruxelles, Gand, Mons, Liege, et Paris même. Nous somme deja dans cette ville plus de trois mille d’êterminé à nous faire sacrifier dans notre ville, plutôt que de nous nous voir perir au dehors pour haugmenter l’embition d’un céleral.

J’avertit ausi que si qu’elqu’un ose encore monter la garde, de se soumettre de cette manière, nous irons dans la garde leurs couper le cou. Faite ÿ attention.

Tel est le placard infame, incendiaire, et provocateur à la revolte 1 que dé- couvre la police de la ville de Namur, au matin du 21 août de l’an 1809 2. Le document, manuscrit, n’est ni daté ni signé. Immédiatement, il est enlevé par les gardiens de l’ordre de dessus un mur d’une maison de la rüe ou il était affi- ché et attirait l’attention de nombre de particuliers 3. Le jour-même, il est transmis tour à tour aux divers hauts fonctionnaires namurois. Le premier d’entre eux est le commissaire de police de Namur 4. Après avoir pris copie de l’écrit incriminé, il l’envoie sur le champ à E. Pérès, préfet du département 5, qui le fait à son tour parvenir au maire de la ville de Namur 6. ______

1. ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR [A.É.N.], Ville de Namur [V.N.], 2774 : Copie du placard réalisée par le com- missaire de police de la ville de Namur, 21.08.1809. 2. Ce document est conservé en A.É.N., Département de Sambre-et-Meuse [D. S.&M.], 119. 3. A.É.N., V.N., 2774 : Copie du placard réalisée par le commissaire de police de la ville de Namur, 21.08.1809. 4. Thomas Jean Baptiste Marie Mathieu de Nantes, commissaire de police de la ville de Namur, officier de police judiciaire, faisant les fonctions de procureur impérial près le tribunal de simple police de Namur (Ibid.). 5. Emmanuel Pérès de la Gesse (1752-1833) fut nommé préfet du département de Sambre-et-Meuse le 11 ventôse an VIII / 02 mars 1800 et resta en poste à Namur jusqu’au 03 janvier 1814 (N. BALANT, Emmanuel Pérès, préfet du département de Sambre-et-Meuse (1800-1814), Mémoire de licence en Histoire (U.L.B.), Bruxelles, 2006 ; Fr. LEMPEREUR, Emmanuel Pérès de la Gesse, préfet du département de Sambre-et-Meuse (1800-1814) à travers ses lettres inédites, dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. LXXV, 2001, p. 75-215 ; ID., Emma- nuel Pérès de la Gesse. Un Commingeois dans la Révolution française, dans Revue de Comminges, t. 119, 2003, p. 555-590 ; t. 120, 2004, p. 391-436 et 607-629 ; et t. 121, 2005, p. 109-148 et 377-402). 6. A.É.N., D. S.&M., 119 et A.É.N., V.N., 2673 : Courrier du préfet au maire de la ville de Namur (Minute et expé- dition), 21.08.1809. Pierre Joseph Baudouin de Gaiffier (1757-1823) fut maire de Namur de l’an VIII à 1814 ; il y fut ensuite bourgmestre (L. BERGERON et G. CHAUSSINAND-NOGARET, dir., Grands notables du Premier Em- pire, t. 22 : C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Sambre-et-Meuse, Paris, 1995, p. 40-42 ; C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, de

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Un peu plus tard, dans la même journée, un second placard est découvert 7. Également manuscrit et ne comportant lui non plus ni date ni signature, il a manifestement été rédigé par la même main que le premier.

A mes compatriotte

Namurois,

Voici l’instant ou nous devons avec fermeté faire voir notre valeur. Notre brave co- quin d’empereur nous propose une gard respective pour la surveillance des proprie- tés. Nous voions leurs pervidie, la collonne mobile est une injustise la plus marquée. C’est, mes cher compatriotte, nous conduire à la boucherie comme des veau, c’est nous arracher du sein de nos famille. Malheureux Namuroi, vas-tu te lasser perir, tu à des défenseurs dans cette ville. Atend les signal qui se donnera. Nous avons des commissaire nommé habitans de cette villes pour faire le dénombrement des hommes, il en serons puni récemment, comme ceux qui monteront la garde apres mercredi 23 du mois d’eaou.

Les autorités de l’Empire, à Paris, sont promptement averties de la décou- verte de ces écrits séditieux 8. D’une part par le préfet, qui en adresse copies à P. Fr. Réal, conseiller d’État chargé du premier arrondissement de la Police générale 9. D’autre part par le quartier-maître de la Gendarmerie impériale, qui a saisi les deux documents pamphlétaires. Commandant ad interim la compa- gnie de gendarmerie du département de Sambre-et-Meuse, il est alors le seul officier de gendarmerie qui soit actuellement dans le département 10. Il en en- voie copies à l’Inspection générale de la Gendarmerie impériale 11. Sans tarder, des mesures sont également prises par les deux hommes. Le gendarme assure à ses supérieurs qu’il s’occupe déjà de la recherche des au- teurs de ces placards et (…) que rien ne sera négligé pour en procurer la dé- couverte 12. Quant au préfet, il ordonne à la police de redoubler de surveil- lance et d’augmenter les postes militaires, en formant des patrouilles de garde extraordinaires qui parcourront les rues nuitamment 13. Quoique l’esprit de ______

Gaiffier, Pierre, Joseph, Baudouin, dans ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE, Nouvelle biographie nationale, t. 3, Bruxelles, 1994, p. 104-107). 7. Ce second document est également conservé en A.É.N., D. S.&M., 119. Peut-être y eut-il d’autres placards en- core ; c’est du moins ce que laisse à penser CENTRE HISTORIQUE DES ARCHIVES NATIONALES [C.H.A.N.], Police générale, 1789-1985 [P.G.], F7 3617 : Courrier du préfet au conseiller d’État chargé du premier arrondissement de la Police générale, 22.08.1809. 8. Ibid. 9. Ibid. (les deux copies sont conservées dans ce même fonds). Sur cette fonction, cfr Th. LENTZ, Arrondissements de police, dans Th. LENTZ, dir., Quand Napoléon inventait la France. Dictionnaire des institutions politiques, administratives et de cour du Consulat et de l’Empire, Paris, 2008 (Bibliothèque napoléonienne), p. 31-33 ; ID., Conseillers d’État, dans Ibid., p. 171-172 ; ID., Police générale (ministère), dans Ibid., p. 507-509. 10. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Courrier de l’Inspection générale de la Gendarmerie impériale au ministre de la Police générale, 26.08.1809. Cfr note 23. 11. Ibid. (les deux copies sont conservées dans ce même fonds). Sur cette institution, cfr Th. LENTZ, Gendarmerie impériale, dans Th. LENTZ, dir., Quand Napoléon inventait la France…, p. 305-307. 12. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Courrier de l’Inspection générale de la Gendarmerie impériale au ministre de la Police générale, 26.08.1809. 13. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Courrier du préfet au conseiller d’État chargé du premier arrondissement de la Police générale, 22.08.1809.

150 douceur qui règle la conduite de vos administrés me réponde d’avance de la tranquillité publique, je crois néanmoins devoir vous inviter à faire comman- der huit hommes de garde en sus du nombre journalier, pour conjointement avec la troupe de Ligne occupper le poste de police sur la grande place, afin que le commandant de ce poste puisse faire faire des patrouilles pendant la nuit, pour en imposer aux séditieux qui voudraient enfreindre le bon ordre, écrit-il au maire de Namur 14. Exécution est aussitôt donnée à cet ordre, par mise sur pied d’une garde placée sous la direction du commissaire de police et chargée de veiller au maintien de l’ordre entre huit heures du soir et six heures du matin 15. Cette réaction musclée est approuvée et même encouragée par le conseiller d’État Réal, qui souhaite étouffer [l’] étincelle au plus tôt 16. Les instructions qu’il envoie au préfet Pérès sont les suivantes : Des malveillans tentent d’agiter le peuple – opposez-leur de la fermeté (…). Un moment perd tout ou fonde tout. L’administrateur vigilant et habile prévient le mal en le saisissant à la naissance. Que la police s’attache à prendre les afficheurs sur le fait, et qu’ils soient punis de suite et avec éclat. [Il faut contrer] les malintentionnés par une crainte salutaire ; traduisez, sans hésiter, les auteurs d’affiches et leurs com- plices à une commission militaire, et qu’il en soit fait justice. Un ou deux exemples de ce genre feront plus que le développement de la force publique 17.

Nous ignorons si le ou les auteurs de ces écrits coupables 18 – dont les menaces ne furent jamais mises en œuvre – ont été identifiés par les autorités namuroises. En tout cas, ils n’avaient toujours pas été arrêtés à la fin du mois d’août 19. Et lorsque, dans son « Compte analytique des arrêtés, décisions et travaux de la préfecture du département de Sambre-et-Meuse, pendant le tri- mestre de juillet 1809 » adressé au ministre de l’Intérieur début octobre 1809, le préfet fera brièvement référence à cet évènement, il parlera de placards et affiches tendant à troubler l’ordre (dont on n’a pu découvrir les auteurs) 20. Il s’agit là de la dernière trace qui nous soit parvenue de cet incident, provoqué par l’annonce de la levée de la garde nationale dans le département de Sambre- et-Meuse 21. ______

14. A.É.N., D. S.&M., 119 et A.É.N., V.N., 2673 : Courrier du préfet au maire de la ville de Namur (Minute et expé- dition), 21.08.1809. 15. A.É.N., V.N., 2673 : Courrier de l’adjoint au maire de la ville de Namur au préfet (Minute), 21.08.1809. L’adjoint y exprime toutefois sa conviction selon laquelle les placards ne sont que le résultat d’une tête folle ou prise de boisson. 16. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Courrier du conseiller d’État chargé du premier arrondissement de la Police générale au préfet (Minute), 26.08.1809. 17. Ibid. 18. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Courrier de l’Inspection générale de la Gendarmerie impériale au ministre de la Police générale, 26.08.1809. 19. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Courrier du préfet au conseiller d’État chargé du premier arrondissement de la Police générale, 30.08.1809. 20. C.H.A.N., Administration générale de la France, F1CIII S&M 4 : Compte analytique des arrêtés, décisions et travaux de la préfecture du département de Sambre-et-Meuse, pendant le trimestre de juillet 1809, 09.10.1809. 21. Pour tout renseignement complémentaire, nous nous permettons de renvoyer à notre article relatif à la levée de la garde nationale dans le département de Sambre-et-Meuse en 1809 (actuellement en préparation). En attendant, on pourra consulter L. BARBIER, La garde nationale sous le régime français, dans Les amis de la Citadelle de

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Plus précisément, ces placards réagissaient à trois récentes me- sures d’enrôlement armé (qu’ils amalgamaient en une seule, semble-t-il) : un arrêté préfectoral créant des patrouilles dans toutes les communes du département afin de veiller sur les récoltes durant la nuit 22, un arrêté munici- pal réquisitionnant tous les hommes valides pour assurer la surveillance de la ville en l’ab- sence des forces de l’ordre 23, et un second arrêté préfectoral ap- pelant les volontaires à s’inscrire dans la garde nationale propre- ment dite 24. Contrairement à ce que les deux affiches irrévéren- cieuses laissent entendre, Napo- léon Ier n’était pas l’instigateur de ces différentes décisions. Bien entendu, l’empereur des Français n’était toutefois pas totalement étranger, loin de là, à l’apparition d’une telle protestation, puisque celle-ci s’inscrit également au nombre des actes d’insoumission à la conscrip- tion militaire. Or en cette année 1809, les levées d’hommes avaient été déjà fort nombreuses. La légende noire de l’« Ogre de Corse » allait bientôt naître… 25

Cédric ISTASSE 77, rue de l’Aurore

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Namur, n° 64, 1993, p. 64-67 et n° 65, 1993, p. 105-108 ; C. MARIQUE, Entre tribunaux ordinaires et tribunaux spéciaux : la perception de la conscription dans le département de Sambre-et-Meuse (1798-1814), Mémoire de licence en Histoire (U.C.L.), Louvain-la-Neuve, 2001 ; J. OLCINA, La Belgique face à la guerre franco- autrichienne et à la crise religieuse de 1809, dans Revue de l’Institut Napoléon, n° 170, 1996, p. 29-51. 22. C.H.A.N., P.G., F7 3617 : Arrêté du préfet n° 292, 09.08.1809. La commune de Namur n’était toutefois pas concernée par cette décision. 23. A.É.N., V.N., 2673 : Placard de la mairie de Namur, 11.08.1809. C’est en raison du débarquement anglais sur l’île de Walcheren, à la fin du mois de juillet 1809, que les troupes de la garnison, la gendarmerie et la garde départe- mentale avaient dû quitter la ville de Namur pour aller combattre l’ennemi (cfr J. GARNIER, Walcheren (expédition de l’île), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon, t. II, nvelle éd., Paris, 1999, p. 958-959 ; P. MEGANCK, L’expédition anglaise sur le continent en 1809. Conquête de l’île de Walcheren et menace sur Anvers, dans Revue de l’Association belge napoléonienne, n° 74, 1998, p. 23-31). 24. C.H.A.N., P.G., F7 3617, A.É.N., D. S.&M., 89 et A.É.N., V.N., 2673 : Arrêté du préfet n° 294, 20.08.1809. C’est également en raison des évènements de Walcheren que la garde nationale avait été mobilisée. 25. J. TULARD, Les Français sous Napoléon, Paris, 1978, p. 133.

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La Grande Guerre en provinces de Namur et de Liège. Souvenirs d’un « gavroche » de Warnant : Maurice Jeanjot

Arrivé à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, Maurice Jeanjot (1899-1991) entre- prit de rédiger ses mémoires 1. S’y trouvèrent notamment consignées son enfance, ses études à l’École Normale de Huy, sa vie durant les deux guerres mondiales, sa carrière de quarante ans dans l’enseignement, ses deux grandes passions que furent le sport et les voitures, ses vacances, etc. La chance et le hasard m’ont offert de retrouver le récit de cet homme, qui est mon arrière-grand-père, ainsi que quelques documents annexes 2. Les diffé- rents chapitres, rédigés dans le style caractéristique des compositions de français du temps passé – lorsqu’il entreprit de relater son existence, c’est l’instituteur qu’il avait été qui reprit la plume… –, sont certes d’un intérêt iné- gal. Mais de nombreux passages n’en constituent pas moins d’intéressants et vivants témoignages sur la vie quotidienne des habitants de nos provinces dans la première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, ce sont les extraits relatifs aux années de la Première Guerre Mondiale, élagués au besoin de l’une ou l’autre incise (anecdotes et jugements de valeur), que nous avons décidé de retranscrire et de présenter. On y lit notamment les rigueurs, les craintes et les horreurs qui, dès les premiers jours du conflit, firent irruption avec violence dans le cours jusque là paisible d’un petit village ordinaire du Namurois. Même après l’invasion d’août 1914, l’éloi- gnement du front n’empêcha ni les épreuves et les drames, ni les actes d’héroïsme. Maurice Jeanjot souligne régulièrement combien ces évènements bouleversèrent non seulement sa vie, mais également sa vison de la vie. Il n’en oublie pas pour autant les divertissements et les joies.

Le cadre de vie : le village de Warnant et la famille Jeanjot

Maurice Jacques Joseph Ghislain Jeanjot est né le 07 août 1899 à Warnant 3. Ce petit village de la province de Namur, situé à onze kilomètres de

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1. Intitulées « Bref survol d’une vie de plus de 80 ans », ces mémoires couvrent quelque cent dix pages manuscrites de format A4. Leur rédaction fut clôturée le 22 mars 1985 (avec complément de deux pages, écrites les 22 mai 1985 et 29 juillet 1987). 2. Je tiens notamment à adresser mes plus vifs remerciements à mes grands-oncle et tante de Forest-lez-Bruxelles, Yvon et Charlotte Jeanjot, pour m’avoir prêté l’antique album-photo familial. Ce lourd ouvrage (seize pages en carton épais aux bordures dorées, reliées sous une couverture de cuir ouvragé que ferme un loquet de métal), avait été annoté par Maurice Jeanjot, vraisemblablement dans les années 1980. Il fut donc source de quelques renseignements complémentaires. Les deux clichés photographiques anciens en sont également extraits. 3. ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR [= A.É.N.], Registre d’état-civil de la commune de Warnant : naissances, 1899.

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Dinant et à cinq d’Yvoir, constitue une commune à part entière depuis la Révolution française 4. En 1910, sa population est de 740 âmes 5. Toujours, Maurice Jeanjot réservera une place privilégiée de son cœur aux lieux de son enfance, même s’il les quittera définitivement une fois ses études terminées. Nous habitions un village charmant, pittoresque à souhait, dans la splendide vallée de la Molignée 6 : Warnant. J’ai vécu là une jeunesse extraor- dinaire. Pas d’autos, pas de motos et même peu de vélos sur les routes – quatre en tout pour la commune en 1910… Et encore, le forgeron en avait fabriqué un pour son fils, pesant dans les vingt kilos, avec pignon fixe (…). Le village, à cette époque où les gens en sortaient rarement, avait une importance que les gens qui n’ont pas connu l’avant-guerre 14-18 ne pourront pas com- prendre. La vie se passait vraiment dans le cercle restreint de sa famille et de ses connaissances. Namur, c’était loin, et j’avais quinze ans quand j’y suis venu la première fois. On vivait dans son village comme dans une grande famille, qui connaissait parfois les petitesses et les rivalités comme on en connaît dans les familles, mais on se sentait solidaires et Warnantais avant tout. C’est là qu’il grandit, au sein d’un foyer de cinq enfants : trois garçons et deux filles. La famille Jeanjot est originaire de Javingue, où elle s’était établie au milieu du XVIIIe siècle 7. Le père de Maurice est Achille Joseph Désiré Jeanjot, enseignant ; il est né à Sevry le 11 janvier 1863 8. La mère, Louise Marie Béatrix Tagnon, ménagère, est née à Bouvignes le 14 juillet 1871 9. Le parrain de Maurice est Jacques Tagnon, frère de sa mère et ecclésiastique mort d’une appendicite à vingt-six ans 10. Quant au grand-père maternel, il se serait engagé dans les brigades pontificales pour défendre le pape contre Garibaldi en 1870, à l’âge de dix-huit ans, alors qu’il était élève aux Facultés 11. ______

4. Il fusionnera avec la commune d’Anhée le 18 juin 1964 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Warnant, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique. Dictionnaire d’histoire et géographie administrative, t. II, Bruxelles, 1980, p. 1594-1595 ; Warnant, dans Patrimoine monumental de la Belgique. Wallonie, vol. 221 : Province de Namur. Arrondissement de , Sprimont, 1996, p. 109-113). 5. Warnant (lez-Dinant), dans E. DE SEYN, Dictionnaire historique et géographique des communes belges. His- toire, géographie, archéologie, topographie, hypsométrie, administration, industrie, commerce, etc., t. II, 2e éd., Bruxelles, 1934, p. 1374-1375. 6. La Molignée est une petite rivière coulant en province de Namur ; c’est un affluent de la Meuse en rive gauche. Formée à Falaën près du château de Montaigle, par jonction du Stave et du Flavion, elle se jette dans le fleuve à Warnant après un parcours de sept kilomètres (Molignée, dans A. JOURDAIN, L. VAN STALLE et E. DE HEUSCH, Dictionnaire encyclopédique de géographie historique du Royaume de Belgique. Description de ses neuf pro- vinces et de ses 2607 communes, t. II, Bruxelles, s.d. [1896], p. 79). 7. A.É.N., Table alphabétique des anciens registres paroissiaux de la commune de Javingue de 1600 à 1797. Ja- vingue est actuellement une section de la commune de Beauraing, dans l’arrondissement de Dinant. C’était une commune à part entière avant la fusion de 1977 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Javingue, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. I, Bruxelles, 1980, p. 755-756). 8. A.É.N., Registre de population. Warnant, 1890-1900, fol. 178. Sevry est un hameau de Javingue (Sevry, dans A. HOUET, Dictionnaire moderne, géographique, administratif, statistique, des communes belges, Bruxelles, s.d., p. 517). 9. A.É.N., Registre de population. Warnant, 1890-1900, fol. 178. Bouvignes est actuellement une section de la com- mune de Dinant. C’était une commune à part entière avant la fusion de 1964 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Bou- vignes, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. I, p. 233). 10. Parmi les autres hommes et femmes d’Église de la famille, on mentionnera notamment un cousin de Louise Tagnon : le père Rossion, de l’abbaye de Maredsous. 11. Nous n’avons pas trouvé trace du grand-père Tagnon dans les listes de Belges ayant été au service des États pontificaux entre 1860 et 1870 (tirailleurs franco-belges et zouaves pontificaux). De même, il ne figure pas dans les répertoires d’étudiants inscrits aux Facultés Notre-Dame de la Paix de Namur entre 1831 et 1914. Peut-être était-il élève au collège du même nom. 154

La famille Jeanjot, en sep- tembre 1915. Arrière-plan : Gaston. Centre : Yvonne, Achille, Louise et Germaine. Avant-plan : Maurice et Odon (coll. privée)

Ses frères et sœurs sont Gaston Achille Jacques Henri Ghislain (né à Ja- vingue le 19 septembre 1891), Yvonne Marie Célestine Ghislaine (née à War- nant le 26 mars 1894), Germaine Céline Séraphine Ghislaine (née à Warnant le 17 juin 1896) et Odon Gustave Gérard Ghislain (né à Warnant le 16 décembre 1897) 12. Nous nous suivions de près en âge et tous nous sommes passés soit par l’Athénée soit par l’École moyenne. Un autre enfant, Odon Marie Célestin Joseph Ghislain, était né à Warnant le 12 mars 1893, mais il était décédé le 30 mars de la même année 13. La famille Jeanjot vit dans la maison d’école, qui jouxte la salle communale de Warnant. Le père, Achille, est en effet l’institu- teur communal (Le maître était une personnalité à cette époque, dans un petit village avant 1914) 14. Enfin, l’univers du jeune Maurice se compose bien entendu des gamins et autres habitants du village : les fils d’une veuve cultivatrice, ceux d’un impor- tant entrepreneur, etc., et surtout Arthur Collin, fils d’un dirigeant de la car- rière Mutsaert (Beau garçon, vif comme un écureuil, hâbleur, il nous fit passer de bons moments) 15.

Dans les premières pages de ses mémoires, Maurice Jeanjot narre le récit de ses aventures d’enfant. Se qualifiant lui-même de gavroche, de drôle de numé- ro ou de « margailleur » invétéré 16, il dresse le panorama (non reproduit ici) des plus belles bêtises commises, frayeurs éprouvées et corrections reçues par ______

12. A.É.N., Registre d’état-civil de la commune de Javingue : naissances, 1891 et Registre d’état-civil de la commune de Warnant : naissances, 1894, 1896 et 1897. 13. A.É.N., Registre d’état-civil de la commune de Warnant : naissances, 1893 et Registre d’état-civil de la commune de Warnant : décès, 1893. 14. Il y avait alors trois écoles à Warnant : l’école primaire communale pour garçons, l’école primaire adoptée pour filles tenues par les religieuses de la Doctrine Chrétienne, et l’école gardienne tenue par les mêmes (É. GÉRARD, La province de Namur (petite encyclopédie), t. 4 : Canton de Dinant, Namur, 1940, p. 203). L’école d’Achille Jeanjot existait depuis la fin du XIXe siècle. Elle ferma ses portes dans les années 1970 (Historique du village de Salet, dans Commune d’Anhée : http://www.anhee.be (site Internet consulté le 07 août 2009)). 15. La carrière Mutsaerts (ou Mutsaarts) et Cie était une carrière de marbre bleu belge et de granit établie à Bioul. Elle fut fermée à cause de la guerre de mars 1915 à 1919 (R. DELOOZ, Les beautés du Namurois. La région de Ma- redsous, Namur, 1992, p. 54 et 58). 16. Margailleur : Terme wallon dérivé de « margaille » (dispute, rixe, désordre).

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le gamin turbulent et frondeur qu’il était. Une vie d’insouciance qui prend fin en 1913, année de son entrée à l’Athénée de Dinant. Dès 6h20, nous prenons, mon frère [Odon] et moi, le train glacial, en hiver, étouffant l’été, car les wa- gons étaient vraiment rustiques, sans confort, sans commodités. Durant les vacances d’été, le premier conflit mondial éclate, embrasant l’Europe.

Les débuts de la Grande Guerre à Warnant

En juillet 1914, à la suite de l’attentat contre le prince héritier autrichien à Sarajevo, la tension monte sensiblement en Europe. À ce moment encore, confiante dans son statut d’État neutre, la Belgique espère ne pas se trouver mêlée au conflit imminent. Le 2 août 1914, l’ambassadeur d’Allemagne remet au ministre des Affaires étrangères un ultimatum par lequel son pays exige le libre passage sur le territoire belge afin de contrer une prétendue invasion française. Le gouvernement a douze heures pour donner sa réponse. Elle est négative. Le 4 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Vers huit heures du matin, les premières unités franchissent la frontière belge à Gemmenich et à hauteur de Verviers. La guerre a commencé. L’invasion de la Belgique va s’accompagner d’une « brutalité illimité » et laisser derrière elle une « marque profonde de destruction » 17. De toutes les provinces belges, c’est peut-être celle de Namur qui souffrira le plus de l’offensive allemande 18.

Le village de Warnant, vers 1910 (Carte postale : BUMP R CP II Warn 1) ______

17. La Belgique occupée, 1914-1918. Dessins, estampes et photos des archives de guerre conservés aux Archives Générales du Royaume, Bruxelles, 1998 (Archives Générales du Royaume et Archives de l’État dans les Pro- vinces. Service éducatif, Dossiers, 1re sér., 20), p. 25. 18. J. CUVELIER, La Belgique et la Guerre, t. II : L’invasion allemande, Bruxelles, 1921, p. 193.

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À Warnant, les combats se déroulent le 24 août 1914. Les forces en pré- sence sont les suivantes. Côté allemand, la 23e division de Réserve. Compre- nant les 100e, 101e, 102e et 103e régiments, elle fait partie du XIIe corps de Ré- serve du général von Kirchbach 19. De bon matin 20, venant de Spontin par Yvoir 21, cette division s’engage dans la sinueuse vallée de la Molignée, tout en occupant et en fouillant les villages qui la dominent : sur la droite, Warnant et Annevoie ; sur la gauche, Haut-le-Wastia 22. Côté belge, arrivant de Bioul 23, les soldats du 13e régiment de Ligne caserné à Namur depuis 1892, ainsi que le 33e de Ligne et le 13e de Forteresse 24. Ces unités battent en retraite devant l’avancée ennemie. C’est vers six heures du matin que le village de Warnant – presque déserté par ses habitants suite au bombardement de la veille – est envahi par l’armée allemande 25. Peu après arrive le 13e de Ligne belge. Une vive fusillade s’en- gage aussitôt.

La guerre va marquer une étape inoubliable dans ma vie, qui va en être toute bouleversée. D’abord, le terrible massacre de Dinant 26, où nombre de mes professeurs et condisciples vont trouver une mort horrible 27. Les assas- sins, des Bavarois 28, arrivent en vue de notre village à l’aube du 24 août, alors que les flammes de Dinant, en feu le 23, rougeoient encore le ciel 29. Nous ______

19. J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg, t. V : L’Entre-Sambre-et-Meuse, Bruxelles-Paris, 1923, p. 8 et 82. 20. Depuis le 24 août à une heure du matin, l’armée allemande occupe le château de Moulins à Warnant, où s’ouvre la vallée (Ibid., p. 84 ; Anhée, dans E. DE SEYN, Dictionnaire historique et géographique…., t. I, 2e éd., Bruxelles, 1933, p. 29). 21. Spontin est actuellement une section de la commune d’Yvoir, dans l’arrondissement de Dinant. C’était une com- mune à part entière avant la fusion de 1977 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Spontin et Yvoir, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. II, p. 1403 et p. 1649-1650). 22. J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents…, t. V, p. 83. Annevoie et Haut-le-Wastia sont actuellement des sections de la commune d’Anhée, dans l’arrondissement de Dinant. C’étaient des communes à part entière avant les fusions respectives de 1977 et 1964 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Annevoie-Rouillon et Haut-le-Wastia, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. I, p. 48-50 et p. 654-655). 23. Bioul est actuellement une section de la commune d’Anhée, dans l’arrondissement de Dinant. C’était une com- mune à part entière avant la fusion de 1977 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Bioul, dans H. HASQUIN, dir., Com- munes de Belgique…, t. I, p. 182). 24. Petite histoire du 13e régiment de Ligne, Namur, 1935, p. 20 ; J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents…, t. V, p. 75. 25. Ibid., p. 75 ; É. GÉRARD, La province de Namur…, t. 4, p. 207. 26. Sur les exécutions de masse qui eurent lieu en août 1914 à Dinant, et qui virent le massacre de 665 personnes, on consultera tout particulièrement A. FRANÇOIS, Les événements du mois d’août 1914 à Dinant. Essai sur la genèse d’un massacre et réflexions autour de la culture de guerre, Bruxelles, 2001, qui comprend notamment une recons- titution des faits. Voir aussi M. COLEAU, Dinant, cité martyre, dans De la Meuse à l’Ardenne, 2001, n° 32, p. 29- 48 ; A. FRANÇOIS et Fr. VESENTINI, Essai sur l’origine des massacres du mois d’août 1914 à Tamines et à Dinant, dans Cahiers d’Histoire du Temps Présent, n° 7, 2000, p. 51-82 ; ID., La thèse allemande des francs-tireurs. Un exemple de construction légendaire caractéristique d’une situation conflictuelle, dans L. VAN YPERSELE, dir., Imaginaires de guerre. L’Histoire entre mythe et réalité (Actes du colloque, Louvain-la-Neuve, 3-5 mai 2001), Louvain-la-Neuve, 2003, p. 243-253 ; A. TIXHON, Le souvenir des massacres du 23 août 1914 à Dinant. Étude des commémorations organisées durant l’entre-deux-guerres, Mémoire de licence en Histoire, U.C.L., 1995. 27. Au nombre des fusillés dinantais du 23 août 1914, figurent effectivement plusieurs enseignants et de nombreux écoliers (J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg, t. IV : Le combat de Dinant, vol. II : Le sac de la ville, Bruxelles-Paris, 1922, p. 283-319). 28. En réalité, la 23e division de Réserve de l’armée allemande était une division de réservistes saxons (J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents…, t. V, p. 82). 29. Près de la moitié de la ville de Dinant fut détruite par l’incendie déclenché par l’armée allemande le 23 août 1914 (Dinant, dans Patrimoine monumental de la Belgique. Wallonie…, vol. 221, p. 405).

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avons la certitude que notre avenir prend fin avec l’arrivée de ces bandits dé- guisés en soldats. Une bataille en règle se déroulera après quatre heures et de- mi du matin. Jamais je n’oublierai ce jour où je découvris toute l’horreur de la guerre. J’étais sorti vers quatre heures du matin de la cave où nous nous étions cachés avec ma famille chez des amis, car la maison d’école, à l’entrée du village, était sous le feu des canons allemands, postés à l’entrée d’Evrehailles 30. J’allais changer de place les moutons qui paissaient le long du talus du tram 31. Ma stupéfaction fut grande de voir la prairie voisine de très grandes dimensions transformée en champ de blé… Les dizeaux 32 s’étendaient à perte de vue. Les Allemands s’étaient avancés la nuit, devançant l’arrivée du 13e de Ligne, coincé entre le passage de la Sambre par une de leurs armées et celle qui venait de Dinant, et que je découvrais camouflées par ces bottes de paille. Je ne de- mande pas mon reste et je m’enfuis à toute allure pour retrouver ma famille et leur raconter la situation. J’arrivais au tournant de la route, près de la ferme Ancion 33, quand je rencontrai le 13e de Ligne, en tête duquel chevauchait un officier aux cheveux blancs et un lieutenant d’une trentaine d’années. « Halte », m’écriai-je. « Les Boches sont à cent mètres derrière le talus et le champ de blé que vous voyez là ». Le major me dit : « Nos estafettes n’ont rien signalé ». « Monsieur, derrière chaque dizeau il y a un casque à pointe ». Peu convaincu par les dires d’un gamin de quinze ans, le major reprit la route avec le lieutenant. Ils n’avaient pas fait cinquante mètres qu’une décharge de mitrailleuse lui fracassait la tête et le lieutenant reçut une balle qui lui fit une blessure au ventre. Le major se nommait Trentels, le lieutenant Van Schoor, originaires de Belgrade 34. La bataille s’engagea, mais surclassé, le 13e de Ligne dut se rendre.

Le combat dura jusqu’à 7h45 35. « Dans le village et aux abords, les habi- tants furent témoins d’une déroute, d’une confusion difficiles à décrire. De deux à trois cents soldats belges furent faits prisonniers. On releva cinq

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30. Evrehailles est actuellement une section de la commune de Yvoir, dans l’arrondissement de Dinant. C’était une commune à part entière avant la fusion de 1964 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Evrehailles, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…., t. I, p. 451-452). 31. La gare de tram de Warnant était le terminus de la ligne Namur-Lesve-Bioul-Warnant. La section reliant Bioul à Warnant fut ouverte le 1er avril 1909 et cessa de fonctionner le 10 octobre 1960 (R. DELOOZ, Les beautés du Namurois.…, p. 56-57 et 112). 32. Dizeau : Terme d’agriculture signifiant « bouquet de dix gerbes ou dix bottes ». 33. Le fermier Ancion, dont j’étais le gâté, un vieux jeune homme bourru, au cœur d’or, un homme plein de vie et d’humour. [Il] avouait à mon père que c’était le « rossart » de la famille qu’il aimait le mieux, parce qu’il aimait les farces et les gamineries. Le « rossart », c’était moi… Il me confiait ses juments pour aller les faire ferrer dans le fond du village, chez Camille Borsut. Il est effectivement question d’un fermier Ancion et d’un maréchal-ferrant Borsut dans le registre professionnel de 1912 reproduit dans R. DELOOZ, Les beautés du Namurois…, p. 108. 34. Lors des combats du 24 août 1914 à Warnant, le capitaine-commandant belge Trentels, né à Bruxelles et domici- lié à Salzinnes-lez-Namur, fut effectivement tué, la tête traversée d’une balle, et le lieutenant belge Van Schoor blessé (Petite histoire du 13e régiment de Ligne…, p. 20 ; J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents…, t. V, p. 76). Belgrade est actuellement une section de la commune de Namur. C’était une commune à part entière avant la fusion de 1977 (M.-S. BOUCHAT et P.-P. DUPONT, Belgrade, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. I, Bruxelles, 1980, p. 145-146). 35. J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents…, t. V, p. 76.

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cadavres de soldats belges et également six français » 36. Des compagnies des 13e et 33e régiments de Ligne et du 13e de Forteresse étaient néanmoins parve- nues à passer et purent continuer leur route 37. Par ailleurs, trois immeubles furent détruits ce jour-là dans la commune de Warnant 38. Les écoles communales et celles des sœurs étaient pleines de blessés graves et de mourants 39. Cette atmosphère de sang, de médicaments, en plein mois d’août, ces hommes couchés sur la paille qui avait servi de literie aux 48e et au 152e de Ligne français 40, je ne l’oublierai jamais. J’avais quinze ans et je n’avais, jusque là, vu que les choses agréables de la vie : une famille unie, des camarades sûrs, une vie faite d’insouciance et d’optimisme. Tel était mon lot dans la vie, jusqu’à ce jour maudit. Pendant des jours et des nuits, les hordes casquées défilent en marche « nach Parijs » 41, martelant le chemin rocailleux de leurs lourdes bottes cloutées. Enfin, la vermine grise 42 s’est évanouie et l’espoir renaît d’être un peu tranquilles.

Jeux et activités d’enfants en temps de guerre

C’est ici que notre conduite, de mon frère [Odon] et de moi-même, est marquée au coin d’une témérité et d’une inconscience totales, quand on la juge à l’âge d’homme fait. Nous avions ramassé des obus abandonnés par les Belges en retraite et nous eûmes alors une idée stupide, qui avait beaucoup de chance de nous coûter la vie ou de nous mutiler grièvement. Mais cette perspective ne nous a même pas effleurés. Qu’est-ce qui est fou et dangereux, à cet âge ? « C’est jeune et ça ne sait pas », dit la chanson 43. Combien c’est vrai ! Nous allons dans la salle de classe, pour effectuer le travail convenu. Je tiens l’obus solidement sur la tablette d’un banc et mon frère, avec un petit burin et un marteau, dévisse la tête de l’obus et nous récoltons la poudre dans un petit sac en papier. Nous recommençons plusieurs fois l’opération. L’histoire ne dit pas quel usage les enfants firent de cette poudre. ______

36. Ibid., p. 76. 37. Petite histoire du 13e régiment de Ligne…, p. 20. 38. J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Documents…, t. V, p. 88. 39. Plusieurs militaires belges blessés lors du combat du 24 août 1914 à Warnant furent recueillis et soignés chez les sœurs de la Doctrine Chrétienne (Ibid., p. 76). Deux d’entre eux y moururent le jour-même, dont le capitaine- commandant Trentels (Ibid., p. 76). Les pertes du 13e de Ligne s’élevèrent donc au total à sept tués et de nom- breux blessés (Petite histoire du 13e régiment de Ligne…, p. 20). 40. Peut-être y a-t-il là confusion quant aux numéros des régiments français. Ce sont en effet principalement les 45e et 148e de Ligne qui combattirent dans la vallée de la Molignée (J. SCHMITZ et N. NIEUWLAND, Docu- ments…, t. V, p. 84). 41. En allemand, le nom de la capitale française s’écrit « Paris ». Sans doute y a-t-il là confusion avec le néerlandais, langue dans laquelle qu’il s’orthographie « Parijs ». 42. Allusion à l’uniforme des militaires allemands, d’un vert grisâtre. 43. Allusion à la chanson « C’est jeune et ça ne sait pas », écrite par Borel et Clerc et popularisée par le chanteur comique français Fortugé. De son vrai nom Gabriel Fortuné (1887-1923), cet artiste est également l’interprète de « Je suis le p’tit jeune homme que vous cherchez », « La victoire de la Madelon », « Mes parents sont venus me chercher », « La chanson du trombone » ou « Le p’tit rouquin du faubourg Saint-Martin » (Ch. BRUNSCHWIG, J.- L. CALVET et J.-Ch. KLEIN, 100 ans de chanson française, s.l. [Paris], 1972, p. 155 ; P. SAKA et Y. PLOUGASTEL, dir., La chanson française et francophone, s.l. [Paris], 1999, p. 236).

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C’est aussi fin septembre [1914], une quinzaine de jour avant notre départ pour l’École Normale de Huy, que se placent les expéditions dirigées par notre camarade Arthur [Collin]. Les Belges, avant de se retirer, avaient coupé les fils du téléphone, et les poteaux en bois longeant la voie du tram apparaissaient comme coiffé de longs cheveux brillant au soleil. Un certain temps après le passage des troupes allemandes, notre ami Arthur, qui habitait assez loin de chez nous et qui comme tout le monde était resté camouflé de crainte de rencontrer une bande d’assassins en gris, vint nous dire bonjour. Son regard se porta sur ces fils qui pendaient à perte de vue et il s’écria : « Nom de Dieu, voilà pour en faire, des bricoles 44 ! Tu n’as pas des triglesses (tenailles) ? » (…) C’est moi qui suis chargé de couper les fils en question. Je monte aisément en haut du poteau, m’agrippant solidement des jambes et d’une main, je coupe nerveusement les fils, ramassés par mon frère et Arthur. Il y en a vite une belle provision. Au moment où nous décidâmes que c’était suffisant et que je me préparais à descendre, un galop effréné, martelant le ballast, attire notre atten- tion. Débouchant de la tranchée creusée pour le passage du tram, un énorme Boche montant un grand cheval fond sur nous et, m’apercevant, commence à me cravacher en hurlant : « Andenne, Kapout ! Dinant, Kapout ! Tamines, Kapout ! Et ici tout Kapout, si tirer sur nous » 45.

La vallée de la Molignée, vers 1910 (Carte postale : BUMP R CP II Warn 3)

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44. Bricole : Terme de chasse signifiant « filet de petites cordes ou de fil en forme de bourse, servant à prendre des animaux ». 45. Andenne est une commune de l’arrondissement de Namur. Quant à Tamines, qui était une commune à part entière avant la fusion de 1977, c’est actuellement une section de la commune de Sambreville, dans l’arrondisse- ment de Namur (M.-S. BOUCHAT et P.-P. DUPONT, Andenne et Tamines, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. I, p. 38-40 et t. II, p. 1424-1425). Ces deux localités furent le théâtre de massacres collectifs de civils commis par l’armée allemande en août 1914 (J. CUVELIER, La Belgique et la Guerre…, t. II, p. 193-218). L’orthographe allemande correcte du terme signifiant « fichu, foutu » est « kaputt » (qui a donné « kapout » ou « capout » en français).

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Se tournant vers l’école, il aperçoit en haut de la porte « École commu- nale ». Ça le radoucit, et même sa face bouffie et rubiconde s’éclaire et il s’écrie en se frappant la poitrine : « Meister Schule » 46. Si tous les instituteurs en Alle- magne sont aussi féroces, ce n’est pas du nougat pour leurs disciples… Le lendemain, on allume un feu de bois en dessous du préau et on recuit les fils qui deviennent malléables comme de la ficelle. Le camarade Arthur a eu un professeur émérite en son père, et les bricoles sont vite fabriquées. Pour mon frère et moi, nous ignorons tout de ce genre de chasse… Mais comme seuls les Allemands vont pouvoir chasser, nous n’éprouvons aucun remords à braconner dans les grands bois entre Warnant et Bioul. Nous partons de grand matin avec une cinquantaine de bricoles et dans une drève de chasse 47, Arthur découvre les « rotes » : les traces laissées par le passage du gibier. Arthur pose à chaque piste un collet à une certaine hauteur, d’après le gibier qu’il pense l’avoir empruntée. Nous nous éloignons à certaine distance, à travers bois (sept cents ou huit cents mètres peut-être), puis nous revenons en poussant des « Brou… Brou-brou » et en frappant le taillis avec un gros bâton. Nous entendons avec joie la galopade de gibier de tout poil et avons hâte d’arriver à la drève. Ciel ! c’est plus qu’espéré : un lièvre, trois lapins et un faisan se débattent comme des diables, étranglés par le fil mortel, surtout le lièvre. Quels bonds… Je n’avais jamais vu un spectacle pareil. Arthur, lui, déjà blasé, trouve cela tout naturel. Mais pour nous, notre excitation était certes toute naturelle mais notre manque de pratique de la chasse au gibier, que ce soit par des collets, au furet ou au fusil, ne nous avait jamais tentés. À la joie de rapporter à la maison un tel festin, se mêlait la compassion pour ces bêtes innocentes. Moi qui, lorsqu’on tuait un cochon chez nous, grimpais quatre à quatre dans ma chambre et m’enfouissais la tête sous les oreillers, pour ne pas entendre les cris stridents de la bête agonisant ! Sans doute, les soldats morts et les blessés que j’avais vus agoniser quelques semaines auparavant, m’avaient rendu plus dur ou plus réaliste des choses de la vie. Il fallait maintenant que notre butin parvienne à la maison. C’est encore une fois le fameux Arthur qui trouva la solution. Nous allons chercher une brouette. Nous coupons des genêts et au milieu du fagot nous mettons les gibiers. Il fallait y penser, et nous rentrâmes sans incident dans nos demeures respectives. Nous étions donc bien lancés dans cette aventure et, fouettés par notre suc- cès initial, nous remettons cela quelques jours après. Mais une surprise désa- gréable nous attendait qui aurait pu tourner en catastrophe… À peine avions- nous entrepris le rabattage du gibier, en poussant des « Brou-brou » comme il est d’usage, que des coups de feu éclatent derrière nous, déchiquetant les branches du taillis… J’aperçois entre deux buissons à une cinquantaine de

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46. La traduction correcte de « maître d’école » en allemand est « Schulmeister ». 47. Drève : Terme wallon désignant un passage ou un chemin bordé d’arbres.

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mètres, la trogne d’un officier allemand. Filons ! Les Boches ! Et nous nous élançons vers le ravin qui sépare ce bois du hameau de Salet 48. Notre connaissance des lieux, dans leurs moindres recoins (mon frère et moi, nous sommes nés à Salet), nous permet de nous perdre rapidement dans la nature. Mais l’alerte a été chaude et nous convenons de ne plus mettre les pieds dans le voisinage de ces gens si belliqueux ! L’État-major se trouvait au château Vaxelaire de Bioul 49 et nous pensions avec raison que ces cochons allaient désormais surveiller les bois pour l’« exploiter » à leur propre compte.

Les actes de résistance de Gaston, Yvonne et Germaine Jeanjot

Gaston Jeanjot, torturé par les Allemands

Nous ne nous attendions pas, à ce moment où le village était débarrassé de ces bandits, à la catastrophe qui va frapper mon frère aîné : Gaston. Celui-ci, employé aux contributions à Yvoir, est également le secrétaire de la commune de Warnant. Un matin d’octobre brumeux et froid, au moment où [Gaston] sort de la maison chaussé de gros sabots, comme c’était l’habitude à cette époque pendant la mauvaise saison, des gendarmes allemands qui cernaient la maison s’emparent de lui et, sans explication, l’entraînent au château de Bioul, distant environ de quatre kilomètres, par une route défoncée et cahoteuse. Le calvaire commence. Nous apprenons par la suite qu’il est accusé d’avoir fait cacher des fusils et des obus abandonnés par le 13e de Ligne au moment de sa reddition, à Warnant, le 24 août, dans les carrières Mutsaert, pour qu’elles échappent à l’ennemi. C’est malheureusement vrai… Mais quel salaud a bien pu le dénon- cer ? Pendant des heures, à genoux dans un coin de la salle à manger du château, alors que ces cochons d’officiers boches festoient, il reçoit sur la tête des coups de sabot, pour le faire avouer. Mon malheureux frère ne devait plus se remettre de ces coups violents qui provoquèrent des troubles cérébraux et une amnésie qui dura longtemps. Ce fut un choc terrible pour nous tous, et ma mère ne s’en remettra jamais ; ce malheur va abréger sa vie… Le chagrin l’a minée beaucoup plus que le travail incroyable qu’elle avait fourni pour élever, sans aide, [ses enfants] – à cette époque, on ne connaissait guère les femmes à journée et les domestiques, sauf dans les grandes familles et les châteaux. La date exacte de ces évènements n’est pas précisée dans les mémoires. Il semblerait en tout cas qu’ils aient eu lieu après septembre 1915. À noter égale- ment que, lorsqu’il racontait cet épisode, Maurice Jeanjot en livrait une version

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48. Salet est un hameau de Warnant (Salet, dans A. HOUET, Dictionnaire moderne…, p. 506). 49. C’est en 1906 que François Vaxelaire-Claes, locataire de la propriété depuis dix ans, avait acheté le domaine à la famille Moretus (Bioul, dans Patrimoine monumental de la Belgique. Wallonie…, vol. 221, p. 63-64).

162 quelque peu différente : ce serait pour avoir été mis au mur et menacé à plusieurs reprises d’être fusillé, que Gaston perdit la raison 50. Reconnu invalide de guerre (90 ou 95 fr. de pension, selon les annotations de son frère) 51, Gaston Jeanjot sera placé par ses parents à l’hôpital psychia- trique de Dave dans l’entre-deux-guerres. Il décèdera en mai 1940, lors de l’invasion allemande. Évacué avec l’ensemble des patients valides de l’institut, sa colonne fut mitraillée par les militaires belges du fort de Dave – qui, voyant arriver ce groupe de personnes, craignirent qu’il ne s’agisse de parachutistes allemands déguisés. Gaston, qui se trouvait en tête de rang, fut tué sur le coup 52.

Yvonne et Germaine Jeanjot, décorées de la médaille de la Reconnaissance française

Nous avions aussi bien des soucis et des craintes pour la vie de mes sœurs, habitant Vonêche 53, où elles étaient institutrices et qui s’occupaient avec nombre d’habitants du village d’aider, de ravitailler, de fournir des vêtements de paysan, aux malheureux soldats français (…) laissés dans les bois à leur propre sort par leurs régiments littéralement écrasés par l’avancée allemande – comme en 1940 – arrêtée seulement plus tard par la victoire de la Marne.

Visite du Breton Colcanap 54, aidé par les sœurs Jeanjot pour passer en Hollande en 1915. Sa famille et lui sont accompa- gnés d’Yvonne (derrière le jeune enfant) et entourés par Achille et Louise (coll. privée)

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50. Renseignements de M. Yvon Jeanjot. 51. En Belgique, c’est par la loi du 23 novembre 1919 – qui est, en plusieurs de ses articles, la copie textuelle de la loi française du 31 mars de la même année – que fut officiellement instauré le droit à réparation des victimes de guerre. Par arrêté-loi du 5 avril 1917 toutefois, le gouvernement belge avait déjà adopté un système d’indemnisa- tion calculé en fonction de la gravité de l’infirmité, en appliquant le barème des invalides en vigueur en France. En 1919, la somme de 3600 fr. était attribuée à un invalide 100 %, soit le salaire moyen de l’ouvrier à cette époque (L. SOMERHAUSEN, Essai sur les origines et l’évolution du droit à réparation des victimes militaires des guerres, Bruxelles, 1974 (Centre d’Histoire militaire, Travaux, 11), p. 63-64). 52. Renseignements de M. Yvon Jeanjot. 53. Vonêche est actuellement une section de la commune de Beauraing, dans l’arrondissement de Dinant. C’était une commune à part entière avant la fusion de 1977 (C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Vonêche, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. II, p. 1568-1569). 54. Même remarque que pour le colonel Henri de Bordeaux (note 55).

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Un colonel français, le comte Henri de Bordeaux 55 – qui n’avait pas de parenté avec le littérateur 56 – atteint d’une pneumonie, a été soigné chez elles pendant deux mois, avant de franchir comme des centaines de soldats la frontière hollandaise, guidés par un héros de dix-huit ans, Léon Parent, qui sera fusillé à son dernier passage clandestin, alors qu’il avait l’intention cette fois d’accompagner ses compagnons de lutte au front 57. J’ai une admiration profonde pour ce héros sans peur d’une activité et d’un courage incroyables, que j’ai connu personnellement ; je le rencontrais chez mes sœurs. Des habitants de Vonêche payèrent durement leur aide aux soldats français, fusillés ou déportés en Allemagne 58. Mes sœurs échappèrent par miracle au coup de filet et aux dénonciations. Le colonel, guéri, put aussi retourner en France et fit un rapport sur la conduite des villageois, du baron d’Huart 59 en particulier, et de mes sœurs, qui de ses propres dires lui avaient sauvé la vie. Malheureusement, il fut tué en Argonne peu de temps après son arrivée au front. Ses sœurs écrivirent après la guerre, nous racontant ces évènements et remerciant encore pour l’aide apportée à leur frère. Comme l’atteste la photographie ci-dessus, les deux Warnantaises gardèrent contact après la guerre avec certains des militaires français qu’elles avaient aidés. Par ailleurs, en récompense de leur bravoure, elles reçurent en 1919 toutes deux la Croix de la Reconnaissance française. Nos recherches dans les dossiers conservés au « Centre Historique des Archives Nationales » à Paris (C.H.A.N.) nous ont permis de corroborer partiellement ces informations, en y apportant une légère correction : ce n’est pas en 1919, mais deux ans plus tard, que les récompenses furent décernées à Yvonne et Germaine Jeanjot 60. Les archives ne livrent toutefois guère plus de renseignements quant aux activités qui valurent aux deux sœurs la décoration française. L’ampliation du décret – daté Paris, le 28 juin 1921 et signé par le président A. Millerand et contresigné par A. Briand 61 – ne comprend que cette laconique explication :

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55. Nous n’avons pu identifier cette personne. La consultation des archives de l’armée française aurait sans doute permis de combler cette lacune, mais nous n’avons malheureusement pas eu l’occasion de nous rendre au « Service historique de la Défense » (Château de Vincennes), lieu de leur conservation. 56. Référence à Henry Bordeaux (1870-1963), romancier et essayiste français élu à l’Académie française en 1919 (Bordeaux Henry, dans P. DE ROUX, dir., Le nouveau dictionnaire des auteurs de tous les temps et de tous les pays, t. I, s.l., 1994, p. 405). 57. Léon Parent (1895-1915), jeune étudiant de Vonêche, aida avec sa famille les militaires français cachés dans les bois après les combats d’août 1914. Il leur fournit vivres et minutions, puis leur fit passer la frontière belgo- hollandaise. Lui-même entreprit de la franchir, mais son projet échoua. Le 08 octobre 1915, il fut condamné à mort par l’occupant allemand pour « avoir fait passer sans cesse des soldats et volontaires à l’ennemi » et fusillé à Anvers deux mois plus tard. Il fut cité à l’ordre du jour par la maréchal Pétain, commandant en chef des armées françaises de l’Est, le 1er octobre 1919 (É. GÉRARD, La province de Namur (petite encyclopédie), t. 5 : Cantons de Beauraing et de Gedinne, Namur, 1932, p. 73-74). 58. Le 05 décembre 1916, trente-six habitants de Vonêche furent déportés (Ibid., p. 74). 59. Le baron Huart avait acquis la verrerie et cristallerie de Vonêche à la fin du XIXe siècle (Ibid., p. 72-73). 60. Elles les reçurent au début de l’année 1922 (COLL. PRIVÉE : Courrier du Consulat de France à Charleroi à Yvonne Jeanjot, 09 février 1922). 61. Alexandre Millerand (1859-1943) : homme d’État français, douzième président de la République de 1920 à 1924 (Millerand (Étienne, Alexandre), dans Dictionnaire des parlementaires français. Notices biographiques sur les ministres, députés et sénateurs français de 1889 à 1940, t. VII, Paris, 1972, p. 2464-2468). Aristide Briand (1862- 1932) : homme politique et diplomate français, il fut onze fois président du Conseil et vingt fois ministre. En 1921, il était président du Conseil et ministre des Affaires étrangères (É. FRANCESCHINI, Briand (Aristide), dans M. PREVOST et ROMAN D’AMAT, dir., Dictionnaire de biographie française, t. VII, Paris, 1956, col. 269-273).

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Le Président de la République Française, vu l’avis conforme de la Commission su- périeure de la Médaille de la Reconnais- sance Française en date du 3 juin 1921, sur la proposition du Président du Con- seil, Ministre des Affaires étrangères, dé- crète : (…) La Médaille de la Reconnais- sance Française de troisième classe (bronze) est conférée à : (…) Melle Jeanjot Yvonne, de nationalité belge, institutrice à Dinant : a prêté aide et assistance à nos soldats fugitifs. Melle Jeanjot Germaine, de nationalité belge, institutrice à Dinant : a prêté aide et assistance à nos soldats fugi- tifs 62. Si les deux insignes ont selon toute ap- parence été égarés depuis lors (sans doute lors des déménagements et héritages, les deux sœurs étant chacune décédées sans descendance dans les années 1980), le brevet d’Yvonne Jeanjot a par contre été Médaille de la Reconnaissance française : brevet d’Yvonne Jeanjot (coll. privée) conservé dans la famille grâce à sa nièce : Jacqueline 63. Il est reproduit ci-contre. Il n’est pas inutile, nous semble-t-il, de fournir une brève explication rela- tive à la Médaille de la Reconnaissance française 64. Créée par décret du 13 juillet 1917, elle était destinée à témoigner de la gratitude du gouvernement de la République « portée à toutes les initiatives individuelles ou collectives, qui se sont manifestées en France, chez les Alliés et dans le monde entier, pour venir en aide aux blessés, aux malades, aux familles de militaires tués au combat, aux mutilés, aux invalides, aux aveugles, aux orphelins et aux popula- tions chassées et ruinées par l’invasion ». Aux termes du décret, elle ne pouvait être attribuée que pour récompenser les initiatives et actes « qui comportent un effort personnel, soutenu et volontaire, de ceux qui ne consistent pas simplement en l’accomplissement d’obligations militaires légales ou en une simple libéralité ou même en une participation occasionnelle à quelque œuvre de bienfaisance ou d’assistance ». Seuls les civils pouvaient donc se la voir dé-

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62. CENTRE HISTORIQUE DES ARCHIVES NATIONALES, Ministère de la Justice, BB32 : Médaille de la Reconnaissance française (1917-1923), carton 289 : Ampliations des décrets conférant la Médaille de la reconnaissance française (29 décembre 1917 – 27 novembre 1921), document n° 256. À noter que, sur le même décret, figure également et pour le même motif une autre institutrice de la région (plus précisément, de Vonèche) Melle Zéphirine Bay. 63. Maurice Jeanjot épousa Marguerite Dewijn (1899-1990), institutrice maternelle, dont il eut une fille unique, Jacqueline (1933-2000). Professeur de Géographie à Namur, celle-ci se maria à André Nisen (1929-) et eut deux enfants (Geneviève et Jean-Mathieu) et quatre petits-enfants (Cédric, Isaline, David-Nicolas et Joachim). 64. D’après Médaille de la Reconnaissance française, dans M. CHAMPENOIS, France phaléristique : http:// www.france-phaleristique.com (site Internet consulté le 07 août 2009).

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cerner. La Médaille de la Reconnaissance française gratifiait des personnes qui, en présence de l’ennemi, avaient accompli des actes de dévouement exceptionnels sans que la durée de ces services ait atteint un an ; des collectivités ; des personnes qui, en Alsace et en Lorraine avaient été déportées, exilées ou em- prisonnées, avant le 1er août 1914, par les autorités allemandes en raison de leur attachement à la France ou qui, dans les départements occupés, s’étaient exposées à des représailles par leur attitude courageuse ; des prisonniers de guerre, prisonniers civils, otages ayant aidé les armées alliées ou accompli des actes exceptionnels de courage et de dévouement, et des habitants des régions envahies ou les Alsaciens et les Lorrains ayant aidé ces personnes. C’est donc au premier de ces quatre titres que furent décorées les sœurs Jeanjot. La médaille comportait trois classes (3e classe en bronze, 2e classe en argent et 1re classe en vermeil) et était remise par décret du président de la Répu- blique, contresigné par le ministre de la Justice (pour les personnes résidant en France) ou par le ministre des Affaires étrangères (pour les personnes résidant à l’étranger). Les dossiers de candidature étaient examinés par une commission spéciale, siégeant au ministère de la Justice, et présidée par un membre du Conseil de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Cette commission comprenait, par ailleurs, un ambassadeur ou un ministre plénipotentiaire, un conseiller d’État, un membre de l’Institut et un conseiller à la Cour de Cassation. La décision définitive d’attribution ou de rejet revenait au ministre. Pendant l’entre-deux- guerres, l’autorisation pour la décerner fut accordée au président du Conseil et aux ministères de l’Intérieur et de la Guerre. Elle put alors être remise à titre posthume. Après qu’elle fut octroyée à près de 15.000 personnes ou collectivi- tés, dont la ville de Mons 65, son attribution fut supprimée par décret du 6 novembre 1958 (forclusion). Le ruban, d’une largeur de 37 mm, est blanc et bordé d’un liseré tricolore de 6 mm sur chaque bord : rouge, blanc, bleu à gauche et bleu, blanc, rouge à droite (chaque raie faisant 2 mm). Quant à l’insigne, il se décline en deux modèles. Le premier consiste en une médaille ronde d’un module de 30 mm. La gravure est de Jules Desbois ; sur l’avers est représentée la charité personni- fiée par la France soutenant un combattant blessé, et sur le revers figurent l’inscription « Reconnaissance française » au centre et une palme sur la droite. Le second modèle consiste en une médaille ronde d’un module de 32 mm. La gravure est de Maurice Delannoy ; sur l’avers est représentée une femme coiffée d’un bonnet phrygien représentant la France offrant une palme, et sur le revers figure l’inscription « Reconnaissance française » autour d’une cou- ronne de roses entourant un écusson portant les initiales « R.F. ».

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65. Sur un total, pour la seule Première Guerre Mondiale, de trois villes françaises et six villes étrangères.

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La ville de Dinant, en 1914 (Carte postale : BUMP R CP II Din 66)

Entre liberté et rigueurs de la guerre, la vie d’un étudiant de l’École Normale de Huy

À l’automne 1914, sonne pour Maurice Jeanjot l’heure de joindre l’École Normale de Huy, où il suivra une formation d’instituteur primaire 66. L’établis- sement a rouvert ses portes au début du mois d’octobre. Il s’y rend donc avec son frère Odon, qui est en 3e année et tient chaque année la tête de la classe. C’est l’occasion pour lui d’évoquer longuement dans ses mémoires ces quatre années d’études, qualifiées de période vraiment exceptionnelle de ma vie. À quinze ans, se trouver en pleine liberté. Nous retournions à la maison tous les trois mois, les premières années de la guerre ! Surtout qu’en temps normal, à cette époque, on vivait plus âgé dans le milieu familial. Les parents avaient de l’autorité, en étroite collaboration avec les maîtres ; on tenait les jeunes d’une main ferme, même à la trique. Nous extrayons du manuscrit les passages qui nous permettent de saisir ce que pouvait être, en ces temps de guerre, l’existence d’un jeune homme d’entre quinze et dix-huit ans. Aux dé- tours des phrases, entre détails et anecdotes, c’est un peu de la vie d’autrefois qui nous parvient, ainsi que quelques portraits de la ville de Huy et de ses habi- tants. ______

66. Huy est une commune de la province de Liège (N. HAESENNE-PEREMANS, Huy, dans H. HASQUIN, dir., Com- munes de Belgique…, t. I, p. 730-732). L’École Normale de l’État à Huy a été fondée en 1861 (A. BOSMANS- HERMANS, L’internat dans les Écoles Normales belges du dix-neuvième siècle, dans Revue belge d’histoire con- temporaine, t. IX, 1978, p. 311.) Quant à elles, Yvonne et Germaine Jeanjot firent leurs études à l’École Normale d’Andenne.

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En octobre 1914, il faut se rendre [à Huy] par ses propres moyens, les com- munications ne sont pas rétablies et les Allemands, qui commencent la bataille de l’Yser, ont bien autre chose à faire à l’arrière-front – dont nous faisons partie. Seuls les bateaux recommencent à circuler sur la Meuse et mon père demande à un batelier complaisant (et une bonne « dringuelle » 67 à la clé…) de nous déposer à Huy. Nous devons chercher une pension à Huy, car l’internat n’est pas possible vu la pénurie de farine, de pommes de terre, de viande – le tout réquisitionné par l’armée occupante. Nous échouons chez une vieille demoiselle, vivant avec ses parents fort âgés et fort « XIXe siècle » dans l’habillement et la conversa- tion. Sans doute, étions-nous trop « XXe siècle » pour eux, car après un mois, nous étions indésirables et nous dûmes chercher pension [ailleurs] 68. Nous voici donc (…) chez [Gilbert] Bouchet (rue du Marché), un tailleur bedonnant de 45 ans, ancien colonial, marié à une femme de vingt-huit ans. Suite à une incartade avec leur couple de logeurs, ils sont à nouveau con- traints de déménager, leurs bagages chargés dans une charrette à bras : Nous rejoignons des camarades chez Laloux 69, rue Montmorency. La troisième [pension] en deux mois ! Ça promet… (…) De cette pension, j’ai conservé un souvenir charmant : c’était une vieille demeure seigneuriale du XVe siècle, ha- bitée jadis par le duc de Montmorency, située dans une rue étroite, portant le nom de l’ancien propriétaire 70 (…). Nous l’aimons, malgré son grand escalier sans éclairage, ses petites chambres sévères et peu éclairées et sa salle à manger rustique et assez sombre. Mais ce qui compte le plus pour nous, c’est l’accueil, la chaleur humaine qui se dégage de cette modeste famille Laloux et qui me rappelle un peu le foyer familial. Et puis nous retrouvons une série de copains et, comme le dit l’adage : « Plus on est de fous, plus on rit » ! Broos, le meilleur ami de mon frère – ils vont sortir ex aequo premiers de la promotion 1916. Il y a aussi (…) Poulet (pas le ministre 71), impulsif, fougueux et toujours tiré à quatre épingles. Les frères Dumont, dont Alain, sérieux comme un pape, est l’as des maths dans notre classe (…). En face de notre pension, se trouvait une belle pâtisserie, maison assez basse si on la compare aux trois étages de la résidence Montmo- rency. Je ne sais pourquoi, le patron ne nous portait vraiment pas dans son cœur. Notre exubérance le gênait sans doute. Et surtout, nous n’étions pas des

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67. Dringuelle : Terme wallon signifiant « pourboire », « argent de poche ». 68. Le « nous » désigne ici non seulement Odon et Maurice Jeanjot, mais aussi leur camarade René Hanquet, brillant sujet à l’école et au football (…). Il faisait déjà partie d’une équipe du Standard ; il y tenait le poste d’extérieur gauche (…). En 1920, il fut d’ailleurs sélectionné pour jouer contre les Anglais aux Olympiades à Anvers. René Hanquet, né en 1897, occupa le poste de milieu de terrain dans l’équipe du Standard de Liège de 1919 à 1925 (René Hanquet, dans Royal Standard de Liège : http://www.standard.be (site Internet consulté le 07 août 2009)). 69. Parfois également orthographié « Laloup » dans le manuscrit. 70. Le duc de Montmorency fut seigneur de Modave au XVIIIe siècle (Huy, dans Patrimoine monumental de la Belgique. Wallonie, vol. 15 : Province de Liège. Arrondissement de Huy. Entité de Huy, Liège, 1990, p. 160 ; N. HAESENNE-PEREMANS, Modave, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. II, p. 999-1001). 71. Allusion à Prosper Poullet (1868-1937), homme politique belge, plusieurs fois ministre et premier ministre en 1925-1926 (Poullet, Prosper, Antoine, Joseph, Marie, dans P. VAN MOLLE, Le parlement belge, 1894-1969, Lede- berg-Gand, 1969, p. 276-277).

168 clients pour acheter, hors de prix, sa pâtisserie en fraude (…). Vivement les vacances de Noël 1914 ! Quinze jours exceptionnellement, car elles étaient en temps de paix de huit jours seulement. Les transports n’étant pas encore rétablis, nous n’avons comme moyen que nos jambes et notre courage pour porter dans un sac au dos le linge de trois mois. Dès six heures du matin, par un gel intense, éclairés par la lune dans un ciel sans nuage, nous nous mettons en route par Saint-Léonard 72, Ohet 73, Spontin et Yvoir. Vers trois heures de l’après-midi, nous arrivons en vue de notre cher village, et bientôt nous apercevons la maison d’école. Et la fumée qui se dé- gage d’une des cheminées que nous connaissons bien, est celle que dégage le four à pains et à tartes savoureuses. La fatigue consécutive à une si longue marche – plus de quarante kilomètres – est moins forte, rien qu’en revoyant ces lieux qui nous sont chers… Joie des retrouvailles, embrassades sans fin, et nous voilà à table (…). Mon père, assis dans son antique fauteuil près du poêle à plate buse, un bol de café à sa portée, nous regarde de ses petits yeux malicieux et souriants, tandis que maman s’affaire pour que rien ne manque à ses chers « exilés ». Grand Dieu ! quel festin ! Chez Laloux, nous recevions le ravitaillement et un petit supplé- ment que ces braves gens s’évertuaient à trouver à prix fort dans les villages avoisinants. Mais pour des jeunes de quinze et de dix-sept ans, à l’appétit « féroce », c’était vraiment le minimum… Aussi, quand on a sur son assiette une énorme côte de porc (de son vivant, nourri au lait écrémé, aux patates, au son – aucune comparaison avec la viande insipide de nos jours) et des haricots mélangés avec des pommes de terre de notre jardin, jaunes comme de l’or, parsemés de petits « crètons » 74… (…) Bon sang quel repas ! Et ce n’est pas tout. Ma mère avait, comme d’habitude quand elle cuisait, fabriqué de grandes tartes parsemées de sucre, noyé dans des flaques de beurre et de jaunes d’œuf – les fameuses « flamiches » de Wallonie. Nous en avalons d’énormes quartiers, et cette splendeur arrosée d’une tasse de vrai café, je ne suis pas près de l’oublier. Pour Maurice et Odon, les vacances de Noël, qui ont lieu par un froid toujours intense, sont tout entières consacrées à divers ouvrages. Le père Jean- jot a en effet acheté une importante portion de bois, entre Salet et Bioul, qu’il faut désormais couper ; travail combien utile, car le combustible se faisait comme tout le reste, rare et hors de prix. Le résultat escompté est de deux cents cinquante à trois cents fagots et perches. Dès le lendemain, à l’aide d’un sapin déraciné par le vent et tombé le long du chemin qui mène à Salet, les deux frères fabriquent donc un « cheval » – instrument indispensable à la con- ______

72. Saint-Léonard est une section de l’ancienne commune de Ben-Ahin (aujourd’hui fusionnée avec Huy), dans la province de Liège (Saint-Léonard, dans A. HOUET, Dictionnaire moderne…, p. 503 ; N. HAESENNE-PEREMANS, Ben-Ahin, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. I, p. 153-154). 73. Il faut en réalité lire « Ohey », commune de la province de Namur (M.-S. BOUCHAT et P.-P. DUPONT, Ohey, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique…, t. II, p. 1126-1127). Sans doute Maurice Jeanjot a-t-il commis une confusion orthographique avec la ferme d’Ohet, à Warnant (Ohet, dans A. HOUET, Dictionnaire moderne…, p. 435). 74. Crèton : Terme wallon désignant un petit morceau de lard.

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fection des fagots. Dans le bois silencieux, féerique, sous une peluche de neige immaculée, nous allons passer là des jours où nous nous sentons vivre pleine- ment, malgré le froid vif qui donne l’onglée 75 et les gerçures. La poudre gla- cée, à chaque coup de cognée ou de courbet, nous saupoudre le cou. Pour le repas de midi, des pommes de terre cuites sous la cendre d’un feu de bois que nous entretenons toute la journée pour nous réchauffer, accompagnent des saurets 76 « passés à la broche » et répandent une odeur qui fouette l’appétit. Que de bonnes heures passées dans ce décor de rêve, dans un silence total, troublé seulement par nos coups de cognée, le vol lourd d’un faisan apeuré ou le cri d’un geai. Là-bas, dans le lointain, nous percevons dans la brume, notre village assoupli. Des volutes de fumée s’élèvent des cheminées des maisons trapues, indiquant que la vie continue au ralenti (…).

À la rentrée de l’année 1915/1916, pas moyen d’y échapper : c’est le pen- sionnat. Nous avons, après cette première année de liberté, l’impression désa- gréable d’être piégés. Heureusement, les clans se reforment et l’esprit frondeur et la rigolade reprennent le dessus, du moins chez quelques pensionnaires peu enclins au sérieux et à la mélancolie (…). Rentrée en septembre 1916 : fini l’internat, le ravitaillement posant des pro- blèmes insurmontables à l’économe. Chez l’habitant ou à l’hôtel, ils se débrouillent pour trouver au marché un supplément qu’ils font bien payer… Mon frère Odon a terminé et est déjà en place à Forest-lez-Bruxelles 77. Nous trouvons un brave accueil à l’hôtel Bisqueret, rue Saint-Pierre (…). De braves gens avec beaucoup de patience et de compréhension pour les six gaillards qu’ils ont recueillis. Une cuisine tout à fait acceptable, compte tenu des circonstances et bien que nous ayons goûté aux rutabagas quand les patates faisaient défaut (…). Nous occupions une grande chambre à trois lits spacieux (…). Un an d’internat à prix modique et trois ans à l’hôtel, ce n’est pas du gâteau pour papa Jeanjot ; on fait des études coûteuses comme les universi- taires. Heureusement, mes deux sœurs ont terminé aussi (…). Le dimanche, je suis seul et je dîne avec mes hôtes dans une atmosphère familiale. Je retourne chez moi tous les trois mois. Les autres, habitant Liège et la Hesbaye, retournent le samedi soir (…). Le propriétaire de l’hôtel avait à côté [un locateur qui tenait] un grand magasin de lingerie très prospère avant guerre, très riche mais un sérieux et un « rouspéteur » 78 invétéré. Il ne nous aimait guère à cause, paraît-il, d’une certaine effervescence qui régnait dans l’hôtel et l’empêchait de dormir à satiété (…).

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75. Onglée : Engourdissement douloureux de l’extrémité des doigts ou des orteils, causé par le froid. 76. Sauret : Synonyme de « hareng saur ». 77. Odon Jeanjot (1897-1953) se maria avec Georgine Serré (1895-1967). Outre ses fonction d’instituteur, il fut échevin de Forest (en réalité : conseiller communal), et attaché au cabinet du premier ministre pour les premiers ministres Paul-Henri Spaak et Camille Huysmans. Il eut un fils unique, Yvon (1922-), président des établisse- ments « Gordinne et Cie » ; il épousa Charlotte De Bue (1924-), dont il eut un fils (Michel) et trois petites-filles (Caroline, Isabelle et Sophie). 78. Rouspéteur : Terme populaire signifiant « personne qui rouspète » (c’est-à-dire, qui réclame ou proteste).

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L’hiver 1917 fut terrible… Pendant janvier et février, il gela à pierre fendre. La Meuse était prise sur une profondeur supérieure à un mètre. L’hôtel Bisqueret (…) était une vraie glacière : pas de chauffage à cette époque. Pendant la semaine, nous couchions à deux pour lutter contre le froid. Mais le dimanche, j’étais seul, et par ce froid sibérien, pas moyen de fermer l’œil. Je ne savais à quel saint me vouer, quand un soir il me vint une idée : je pris à pleins bras l’énorme matelas en flocons, d’un poids respectable, et le plaçai sur mon lit, au-dessous des couvertures. Le lendemain matin, je ne savais vraiment plus bouger ; j’étais absolument ankylosé, avec l’impression d’être couvert de coups sur tout le corps. J’appelai Mimie, une vieille demoiselle, fille de la maison qui ouvrait les lits dans la chambre à côté, pour m’aider à sortir de ce piège.

Tranches de vie : l’École Normale de Huy pendant la Grande Guerre

La ville de Huy vue du quai de la Batte, s.d. (Carte postale : BUMP R CP V Huy 83)

La rédaction de ses mémoires sont aussi pour Maurice Jeanjot l’occasion d’évoquer quelques-unes des figures qui l’ont le plus marqué durant ses études. Il y a tout d’abord le directeur, surnommé le « vieux blanc » par ses élèves parce que, bien que relativement peu âgé, il était gratifié – si l’on peut dire – d’une crinière blanche. Près de trois quarts de siècle plus tard, et alors que Maurice a lui-même exercé la fonction de chef d’école, le jugement n’est pas

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79. Allusion sans doute au parti catholique, qui gouverna le pays sans partage entre 1884 et 1914. Depuis le début de la guerre, la Belgique a à sa tête un gouvernement d’union nationale, réfugié en France à Sainte-Adresse (X. MABILLE, Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, 4e éd., Bruxelles, 2000, p. 213- 222). 171

tendre : Directeur parce qu’il était connu comme fanatique du parti au pouvoir à cette époque 79, et non pour ses qualités pédagogiques (…) ; religieux comme pendant l’Inquisition et [aux yeux de qui] un simple juron vous fait passer pour un disciple de Satan (…). Tous les normaliens m’approuvent, quand je vous dirai qu’on le prenait pour un cinglé. Surtout, il a les surveillants. Certains portraits sont également sans complai- sance. Les surveillants, qui, il faut le reconnaître, semblaient faire exprès d’être la cible des « rigoleurs », étaient trois : Popo, Pellac, Puf. Ce n’est pas notre génération qui les a baptisés, mais il faut reconnaître que ceux qui ont trouvé ces noms étaient vraiment des as. Ça peignait bien les personnages. Popo : un colosse à la tête de phoque, écarlate, les moustaches rousses pendantes, le ventre énorme et les colères redoutables. Pellac : une calvitie totale, des yeux luisant d’intelligence comme ceux d’un petit ouistiti, homme aux mimiques incroyables. Puf : crâne brillant, yeux fuyants, énigmatique, il semblait de son long nez flairer à longueur de journée quelque chose de louche de la part des étudiants. La manie de Popo, à l’étude, était de signer une cinquantaine de fois ses nom et prénom : « Louis Joachim » – c’était je dois dire, bien fignolé. Il trônait dans une espèce de chaire à prêcher et, de cette façon, il pouvait apercevoir le moindre de nos gestes. Si on voulait le mettre en rage, il suffisait de le fixer sans rien faire car, alors, il n’osait pas parapher à son gré (croyant, le pauvre homme, que l’on ignorait son tic favori), et aussi il arrêtait son deuxième tic : chercher une boulette dans son énorme appendice nasal et bombarder d’un coup sec un ennemi imaginaire… Rien que le dévisager à plusieurs reprises pendant l’étude vous en faisait un ennemi redoutable – vous étiez rangé dans le lot des « crapules », son injure favorite. J’ai passé de bons moments à l’étude et je faisais partie des quatre qu’il ne pouvait pas « blairer » 80 (…). Une autre manie de notre « ami » était le « blinquage » 81 de ses souliers (…). Quand il y avait une sortie, nous étions, [quelques camarades de classe] et votre serviteur, régulièrement consignés, par suite de gamineries et de « margailles » 82 qui, vu notre réputation de joyeux drilles, nous étaient justement ou injustement imputées. Le surveillant de service était donc, lui aussi, consigné tout le di- manche. Quand c’était [Popo] le cerbère du jour, nous connaissions d’avance la rengaine : « Crapules, vous le faites exprès pour m’embêter » (…). Je me demande où le « vieux blanc » avait déniché ce phénomène. Ajoutant le commerce de vins à son maigre salaire, je suppose qu’il était souvent sous pression. Sa figure rubiconde, ses yeux exorbités, m’inclinent à penser que c’est l’abus de la dive bouteille qui le rendait si excité. Passons au deuxième de nos cerbères. Tout au contraire de notre Popo, Pellac était un petit homme nerveux (…), d’une intelligence rare, égaré dans ce

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80. Ne pas pouvoir blairer : Expression populaire signifiant « ne pas pouvoir sentir », « avoir en aversion ». 81. Blinquage : Terme wallon dérivé de « faire blinquer » (faire reluire, faire briller). 82. Cfr note 16.

172 pensionnat car il avait un diplôme de professeur. Un type vraiment sympa- thique, le crâne luisant et toujours souriant (…). On ne pouvait fumer à cette époque, même dans la cour. Mais les enragés fumeurs se cachaient dans les W.C., et quand le directeur était en vue, le brave Pellac criait tout en marchant d’un pas naturel : « Toubac ! Toubac ! » (…). Il cherchait [avec nous] un con- tact humain, cordial, pour sortir de sa solitude ; car il était vraiment seul, sans famille, sans relations cordiales avec les autres surveillants, qui étaient vraiment aux antipodes de son caractère entier et franc, de sa culture réelle et de son humeur. Mais le dernier, Puf – au crâne luisant malgré ses quarante ans, ancien petit frère, reniflant, espionnant les « mal pensants » de notre genre, toujours aux aguets et en silence – était le plus redoutable de tous et l’âme damnée du direc- teur, [qui l’avait] chargé de mâter les soi-disant fortes têtes. Hélas, notre saint homme (en apparence) était possédé par son amour « clandestin » pour la fille du concierge [Émile]. Un de nos amis l’avait surpris, à son insu, dans la linge- rie, en train d’« ausculter » la belle enfant. Pour un autre, nous aurions pu trouver cela sympathique et naturel. Mais pour notre homme, parangon de vertu, pilier d’église, nous trouvions que l’incartade méritait une leçon. À l’école d’application, où nous étions appelés à donner des leçons, nous remarquâmes un élève à la mine éveillée et déjà dans les treize ans. Le choix ne suscita aucune opposition. Nous lui promîmes un mark de récompense pour venir vers les six heures, alors que l’étude battait son plein, [crier dans la rue Deloye-Mathieu, qui longeait le bâtiment de l’étude] la phrase suivante : « On t’a veyu, Puf, avou li p’tite do caïeux (surnom du concierge) dins li gurni ! » 83 Le gaillard en donnait pour son argent et il répéta cette phrase accusatrice plusieurs fois d’une voix tonitruante. La foudre serait tombée sur la tête du pauvre Puf, que l’effet n’aurait pas été plus réussi (…). Sa figure, son crâne lisse comme une boule de billard rougirent violemment et nous nous deman- dâmes s’il n’allait pas avoir une attaque, tellement il paraissait éperdu et gêné. Nous, nous luttions pour le pas pouffer, faisant semblant de nous absorber dans nos bouquins. Quelle « pasquée » 84 !

Mais loin de Maurice Jeanjot l’idée de vouloir nuire à la réputation de l’éta- blissement hutois. Au contraire, il tient à lui rendre hommage : Ceux qui liront ces portraits des surveillants et aussi du directeur, qui nous l’avons dit précé- demment était un vrai fantoche, se diront : « Quelle école ! On ne doit rien foutre là-dedans » 85. Détrompez-vous ! Les Écoles Normales de Huy, de Louvain et de Nivelles avaient une belle réputation, même flatteuse (…). Ce n’est pas le directeur tout seul qui dirige une école, mais le comité des profes- seurs (…). Je pense à Monsieur Mathieu, professeur de sciences et de géogra-

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83. Nous avons respecté la graphie wallonne du manuscrit. 84. Pasquée (la graphie sensiblement varie d’une région à l’autre) : Terme wallon signifiant « chanson en dialecte wallon à tendance plus ou moins burlesque, satirique ou facétieuse ». 85. Foutre : Synonyme populaire de « faire ».

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et les faibles en dissertation. Quand il entrait dans notre classe, nous étions tous debout et, après un coup de sa chevalière sur le bord de son pupitre, assis avec un bel ensemble (…). Des élèves sortis de Huy et qui restèrent dans l’enseignement devinrent des inspecteurs cantonaux, principaux et même généraux. Ceux qui ont quitté l’enseignement : Cauwaerts devint major de gendarmerie, Mouillard censeur à la Cour des Comptes, Dereine colonel de la place de Namur, un Liégeois dont j’ai oublié le nom juge puis président du Tribunal de Commerce à Liège.

La séparation administrative

On ne peut que regretter que les mémoires ne contiennent pas davantage d’informations sur la vie quotidienne des étudiants normaliens : les cours, les examens, la pédagogie, etc. Tout cela aurait été riche d’enseignements. Mais Maurice Jeanjot le confesse lui-même : l’adolescent qu’il fut était enclin à la rigolade plutôt qu’aux études. Son récit s’en ressent inévitablement, presque entièrement consacré à ses bravades et blagues de potache (qui n’ont pas été retranscrites ici). Il est toutefois un épisode qui mérite de retenir notre attention. Cette fois, le ton se fait plus grave, car il s’agit d’évoquer la « séparation administrative » décrétée le 21 mars 1917 par le général von Bissing, gouverneur militaire de la Belgique, et mise en place par son successeur le général von Falkenhausen 86. Aux termes de l’arrêté qui l’instituait, étaient formées en Belgique « deux régions administratives dont l’une comprend les provinces d’Anvers, de Limbourg, de Flandre Orientale et de Flandre occidentale ainsi que les arron- dissements de Bruxelles et de Louvain ; l’autre les provinces de Hainaut, de Liège, de Luxembourg et de Namur, ainsi que l’arrondissement de Nivelles. L’administration de la première de ces deux régions sera dirigée de Bruxelles ; celle de la deuxième, de Namur » 87. Ce démantèlement du pays fut rendu ef- fectif le 4 juillet 1917, lorsque les chefs d’administration de chaque région furent nommés par le Kaiser. « Diviser pour régner », tel était l’esprit de cette décision. En flattant et en encourageant les aspirations autonomistes des activistes flamingants, il s’agis- sait en effet de séparer et d’éloigner les opinions publiques wallonne et fla- mande 88. En Wallonie, cette tentative de l’occupant allemand se solda par un

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86. Moritz von Bissing (1844-1917) et Ludwig von Falkenhausen (1844-1936) : généraux allemands, ils furent gou- verneurs militaires de la Belgique, respectivement de 1915 à 1917 et de 1917 à 1918 (Fr. WILLICK, Bissing, Moritz Ferdinand Frhr. v., dans Neue deutsche Biographie, t. 2, Berlin, 1955, p. 278-279 ; H. GACKENHOLZ, Falkenhau- sen, v., dans Ibid., t. 5, Berlin, 1961, p. 11). 87. Arrêté concernant la formation de deux régions administratives en Belgique, dans Gesetz- und Verordnungsblatt für die okkupierten Gebiete Belgiens. Bulletin officiel des lois et arrêtés pour le territoire belge occupé, n° 324, 21 mars 1917 (reproduit dans Pasinomie, 5e sér., t. VIII : Année 1917, 2e partie : Lois et arrêtés du Gouverne- ment général allemand en Belgique pour le territoire belge occupé, Bruxelles, 1917, p. 25). 88. À ce sujet cfr P. DELFORGE, La Wallonie et la Première Guerre Mondiale. Pour une histoire de la séparation administrative, Namur (Institut Destrée), 2008. Notre revue a également publié : E. FELLER, La séparation de la Belgique en deux entités administratives, le 21 mars 1917, et ses répercussions dans la presse namuroise, dans Le Guetteur Wallon, 73e année, 1997, p. 129-140 (la suite de cet article, bien qu’annoncée, n’a jamais été publiée. On

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échec ; tandis que l’indépendance politique de la Flandre fut proclamée le 22 décembre 1917 (sans être toutefois reconnue par l’Allemagne) 89.

L’année 1918 vint et les examens de sortie étaient proches. Nous étions déjà au début de mai, quand un évènement imprévu nous força à penser à tout autre chose : la liberté à recouvrir… Von Bissing, gouverneur de la Belgique occupée, sous la poussée des activistes flamingants, installe la séparation admi- nistrative des deux régions, pour l’administration et l’enseignement 90. Cette décision séparant notre pays provoque la colère de tous les patriotes et la jubi- lation des activistes. Un inspecteur renégat vient nous rendre visite et demande au directeur de lui désigner la classe terminale de cette année. Et voilà notre homme, accom- pagné de son protecteur casqué, qui fait irruption dans notre classe. Il com- mence cauteleusement un discours où il essaie de nous démontrer que cette mesure est désirable pour la Wallonie, comme pour la Flandre. Des huées s’élèvent de toute la classe et nous entourons les deux indésirables, le poing levé. L’officier comprend qu’il n’est plus maître de la situation et que s’il essaie de dégainer son revolver, il sera « maqué » 91 par derrière. Il capitule, accompa- gné par l’inspecteur renégat. Ils reçoivent le même accueil dans la classe de rhétorique à l’Athénée. Nous sentons bien que ce n’est pas fini et que les re- présailles ne vont pas tarder. En effet, le lendemain à l’aube, dix-sept élèves de la quatrième année de l’École Normale, et le même nombre de l’Athénée, désignés comme les plus coupables – moi, je dirais les moins « couillons » 92 , car beaucoup ont mis les voiles après cette burlesque odyssée pour rentrer chez eux (pour moi, de toute façon, ce n’était pas une mince affaire de regagner Warnant et j’attendis la suite sur place) – et nous voilà incarcérés dans les greniers de la gendarmerie 93. Le mois de mai de 1918 était chaud et avec les tabatières barricadées, les greniers étaient une vraie étuve. Nous étions perpétuellement en nage, bien que nous étions en costume d’Adam – (…) nous étions bien forcés de l’imiter pour ne pas « claquer » 94…

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pourra toutefois se reporter au mémoire de licence de l’auteur : réalisé à l’U.C.L. en 1995, il a pour titre Namur en 1917-1918. Vie quotidienne, séparation administrative et mouvement wallon). Cfr également A.-Fr. DEGEYE, Répression des collaborations et « activisme wallon » : conséquences de la Première Guerre Mondiale dans la province de Namur. Contribution à l’histoire judiciaire et politique, Mémoire de licence en Histoire, U.C.L., 1999. 89. La Belgique occupée, 1914-1918…, p. 70-71. 90. Il y a là une légère erreur de chronologie, puisque lorsque eurent lieu les évènements narrés ici, la séparation administrative avait été décrétée depuis plus d’un an déjà par von Bissing (décédé entre-temps). Par ailleurs, l’enseignement avait quant à lui été de facto scindé dès le 25 octobre 1916, date à laquelle le ministère belge des Sciences et des Arts avait été divisé par les Allemands entre une section wallonne et une section flamande (Arrêté modifiant le règlement organique du ministère des Sciences et des Arts, dans Gesetz- und Verordnungsblatt…, n° 273, 05 novembre 1916 (reproduit dans Pasinomie, 5e sér., t. VII : Année 1916, 2e partie, Bruxelles, 1916, p. 172)). 91. Maquer : Terme wallon signifiant « battre », « frapper ». 92. Couillon : Synonyme populaire de « poltron », « lâche ». 93. Égaré par ses digressions, Maurice Jeanjot a manifestement oublié d’écrire un morceau de sa phrase. Son propos étant toutefois parfaitement compréhensible, nous n’avons pas voulu corriger son texte. 94. Claquer : Synonyme populaire de « mourir ».

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Là, j’ai appris une chose importante pour mon jugement : ne pas mettre tous les habitants d’un pays dans le même sac. Moi qui haïssais les Boches pour le calvaire de mon frère Gaston, pour les fusillés de Dinant et d’ailleurs, je n’imaginais pas qu’on puisse trouver dans ces crapules une exception ; et pourtant j’en ai connu une. Père de dix enfants, Willy, un soldat allemand, était resté toute la guerre dans les services à l’arrière (les familles nombreuses en Allemagne ont, de tout temps, la protection et l’aide du pouvoir). Willy était parfois notre gardien et alors, c’était un grand jour pour les fumeurs qui pou- vaient tirer chacun à leur tour quelques bouffées de sa pipe. Il approuvait notre attitude au sujet de la séparation de notre pays et déclarait : « Mes fils auraient fait la même chose ». Mais là n’est pas le beau côté de Willy, car il ravitaillait les étudiants habitant Huy, allant chercher chez les parents des paquets de sucre, de chocolat, des saucissons, qu’il disposait derrière les vases dans les W.C. – car nous avions une « occasion » le matin et la même chose après-midi… Mais ce qui montre la bonté et la témérité de cet homme pour nous rendre service, c’est que sur la porte intérieure de la prison, il y avait un avis en alle- mand : « Tout soldat qui communiquera avec les prisonniers sera envoyé au front ». Il faisait cela bénévolement, encore ! Aussi quand nous sommes sortis de prison, nous nous cotisâmes pour lui acheter une boîte de cigares « Néron », très rares et très chers à cette époque de pénurie dans tout. Bien que je n’aie pas bénéficié personnellement de ses services, je m’associai de grand cœur à ce geste de reconnaissance. Mais cela, c’est déjà du passé. Nous devons penser à l’avenir proche : les examens de sortie. Nous ne sommes guère en état de « bloquer » 95 : amaigris, épuisés par cet air surchauffé et vicié, n’ayant eu pendant un mois qu’une nourriture à peine suffisante pour subsister, car les Allemands eux-mêmes pié- gés par le blocus n’avaient guère plus que nous. À notre sortie, voyant notre état, le comité des professeurs, après nous avoir félicité chaleureusement, nous annonce la suppression de tout classement à ces examens, comme il est de coutume en période normale. Enfin, fin juin, les examens terminés, notre diplôme marque un tournant dans notre vie.

Épilogue

Une page est vraiment tournée : l’insouciance va faire place au sens des res- ponsabilités. Nous allons avoir à nous occuper de ce que le monde a de meil- leur et de plus cher, à instruire et éduquer et surtout à aimer : les enfants (…). Je vais avoir dix-neuf ans le 7 août 1918, je suis le plus jeune de ma promotion (…). Les places ne manquent pas. La guerre a éloigné de nombreux institu- teurs : brancardiers obligatoirement, beaucoup sont passés à l’active et restent

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95. Bloquer : Terme d’argot estudiantin de Belgique francophone, signifiant « étudier en prévision d’examens ».

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à l’armée. À sa sortie en 1916, mon frère avait trois places à sa disposition. J’entre donc à Namur en octobre 1918. Pour trois jours à La Plante 96, car ça se gâte pour les Boches : le reflux commence et les autorités décident de fer- mer les écoles. J’entre à Namur en janvier 1919 et, cette fois, c’est pour de bon ! 97 Une carrière de quarante ans a commencé…

Maurice Jeanjot et son épouse Marguerite Dewijn, en août 1982 (coll. privée)

Maurice Jeanjot sera notamment président du cercle d’études pédagogiques pour Namur-Jambes-Saint-Servais et directeur de l’école primaire communale de Salzinnes 98 de 1948 à sa retraite, en 1958. Nombre des élèves qui passeront dans sa classe deviendront de grandes figures de la vie namuroise, comme par exemple Jean-Louis Close (bourgmestre de Namur de 1983 à 2000). Il décédera à La Plante, le 5 mars 1991 99.

Cédric ISTASSE 77, rue de l’Aurore 5100 Jambes

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96. La Plante est un faubourg de Namur (La Plante, dans A. HOUET, Dictionnaire moderne…, p. 353). Maurice Jeanjot y habita plusieurs années. 97. Dans l’entre-deux-guerres, le reste de la famille Jeanjot quitta également Warnant pour venir habiter à Namur. Les parents s’installèrent avenue de Salzinnes (actuelle avenue reine Astrid). 98. Salzinnes est un faubourg de Namur (Salzinnes, dans A. HOUET, Dictionnaire moderne…, p. 506). Maurice Jeanjot y habita plusieurs années. 99. Vers l’Avenir, 74e année, n° 55, mercredi 06 mars 1991, p. 6. Il a été inhumé au cimetière de La Plante, auprès de son épouse décédée quelques mois auparavant.

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Une curiosité...

Un terrible tremblement de terre à Namur le 16 mai 1833 ? À en croire le feuillet imprimé dont nous reproduisons ci-dessus un extrait, 66 maisons s’y seraient écrou- lées et 300 habitants y auraient été engloutis ! Cette prière imprimée à Caen vendue deux sous dans le royaume de France est typique d’une pieuse littérature de colportage qui inonda nos campagnes pendant plus d’un siècle, et l’on tremble à la lecture d’un récit où seul échappe le jeune veuf pieux réfugié dans une chapelle, au contraire des impies et de libertins qui boivent et blasphèment en une auberge à l’heure de la messe, et sur qui s’abat le tonnerre ! Cela nous fait voir, Chrétiens, qu’il y a un Dieu que nous devons prier et adorer. Les Chrétiens qui se muniront de cette copie, peuvent espérer qu’à l’aide de leurs prières, ils seront préservés du feu, du tonnerre, des tremblements de terre, de maladies con- tagieuses sur les personnes et les bestiaux. Toutes les personnes qui ne sauront pas lire, diront cinq Pater et cinq Ave pendant cinq vendredis, à l’intention des plaies de N.S.J.C. Le problème est qu’il n’y eut aucun tremblement de terre dans nos régions le 16 mai 1833, ni même cette année-là, ni donc a fortiori de tels meurtriers dégâts ! Nulle trace de séisme dans les relevés de la section de séismologie de l’Observatoire royal : le seul noté à cette époque est celui du 12 mars 1828, qui eut son épicentre à Aix-la- Chapelle et causa des dégâts mineurs à Liège. Par contre, il y eut bien en 1833 l’un des plus gigantesques séismes de l’histoire (magnitude de 8,7 sur l’échelle ouverte de Richter), mais… à Sumatra ! Peut-être est-ce là l’explication ? Sumatra appartenait alors aux Pays-Bas, contrai- rement à notre bonne ville, belge depuis peu. Cela expliquerait le Namur (Pays-Bas) : peut-être s’y trouvait-il un village de Namur, comme il s’en fonda au Québec et au Wisconsin, souvenir du pays natal. Les Hollandais ne manquaient pas de souvenirs namurois, sans compter ceux des nôtres qui ont tenté leur chance outremer de 1815 à 1830. Cet hypothétique Namur oriental a en tout cas disparu des cartes…

Marc RONVAUX

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Bibliographie namuroise (comté et province de Namur, dépar- tement de Sambre-et-Meuse) : Mémoires de licence/maîtrise

Les travaux de fin d’études universitaires constituent une part non-négligeable de la production historiographique scientifique. Dans la plupart des cas cependant, et on ne peut que le regretter, les découvertes qu’ils ont permis de mettre au jour demeu- rent inédites. Il est en effet rare que les nouveaux diplômés aient l’opportunité ou la volonté de publier leurs recherches sous une forme bénéficiant d’une large diffusion (monographie, article de revue, actes de colloque, etc.). Ces contributions semblent d’autant plus condamnées à rester inconnues des his- toriens, qu’elles ne figurent que rarement dans les répertoires bibliographiques. C’est pourquoi les Cahiers de Sambre-et-Meuse ont résolu de réaliser une recension systé- matique de tous les mémoires de licence/maîtrise consacrés à l’histoire namuroise. Nous espérons faire par là œuvre utile pour les chercheurs, et notamment pour les futurs mémorants. Y seront répertoriés tous les mémoires relatifs à la ville de Namur, ainsi qu’aux localités de l’actuelle province de Namur. Pour l’Ancien Régime et la période fran- çaise, ce cadre géographique sera toutefois quelque peu élargi, afin d’englober les ré- gions qui faisaient alors partie du comté de Namur ou du département de Sambre-et- Meuse. Par conséquent, on ne s’étonnera pas de voir figurer une étude relative à Charleroi au XVIIIe siècle ou à Marche-en-Famenne sous la République et l’Empire. Par contre, ne seront retenus que les travaux présentant un rapport étroit avec l’his- toire namuroise ; qu’il s’agisse de l’étude d’une institution, d’un village, d’une person- nalité, d’un phénomène, d’une problématique, etc. En seront donc exclus tous ceux qui concernent l’ensemble de la Belgique (ou éventuellement de sa seule moitié fran- cophone), de la Wallonie, de la Basse-Lotharingie, des Pays-Bas espagnols/ autrichiens/méridionaux, de la Hesbaye, de la Basse-Sambre, de la Meuse moyenne, du pays mosan, etc. Cette recension fera bien entendu l’objet de mises à jour régulières. Par ailleurs, il va de soi que nous ne pourrons consulter par nous-mêmes chacun des mémoires existant ; notre bibliographie sera constituée à partir de répertoires antérieurs et des catalogues informatiques des bibliothèques universitaires. Erreurs et omissions ne sont donc pas à exclure. Nous remercions d’avance toutes les personnes qui voudront bien nous faire part de celles qu’elles auront relevées. Il nous faut encore préciser que, pour le chercheur, il s’avère fréquemment malaisé de consulter ces travaux. Le plus souvent en effet, ils ne sont conservés qu’en un seul spécimen (qui se trouve dans les bibliothèques des universités dans lesquelles ils ont été présentés). Mais la difficulté ne tient pas uniquement à ce nombre d’exemplaires extrêmement restreint ; s’y ajoutent en outre et surtout les éventuelles restrictions de consultation imposées par les universités ou par les auteurs eux-mêmes. Nous attirons donc l’attention sur le fait que les modalités de consultation sont fort variables d’une institution à l’autre, et en particulier sur le fait que les mémoires ne sont pas tous en libre accès. Préalablement à tout déplacement, il s’avère donc nécessaire de se rensei- gner auprès du personnel des différentes bibliothèques.

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I. Mémoires en Histoire de l’U.L.B. (1934-2008)

La première livraison de notre répertoire bibliographique est consacrée aux mémoires présentés au département d’Histoire de l’Université Libre de Bruxelles (U.L.B.), entre 1934 et 2008. Ils sont au nombre de quarante-huit. Le hasard a voulu qu’un des plus anciens d’entre eux, datant de 1938, soit dû à un ancien administrateur de notre société : Jean Bovesse.

1. TRAVAUX GÉNÉRAUX ET VILLE DE NAMUR

1.1 Histoire institutionnelle, politique et militaire BAES, Christian, La campagne de Henri II de France dans l’Entre-Sambre-et-Meuse (23 juin-23 juillet 1554), 1988. DEL MARMOL, Julien, Les Pays-Bas indépendants sous le règne de Maximilien II Emmanuel de Bavière. Namur et Luxembourg, 1711-1714, 2005. DOUETTE, Denis, Le démantèlement des fortifications de Namur entre 1781 et 1815. Évolution stratégique et urbanistique de la place de Namur, 2003. FRANÇOIS, Sébastien, Le groupe « G » dans le Namurois : la Région VIII, 1999. GOUGE, Anselme, La question des anciennes limites dans l’Entre-Sambre-et-Dyle, 1947.

1.2 Vie économique et sociale BALESSE, Sabine, Les fêtes et les prodigalités de la ville de Namur sous le duc de Bourgogne, Philippe Le Bon : pots-de-vin, joutes, mystères, processions... (1430- 1460), 1995. CARPENTIER, Régine, Louis Englebert d’Arenberg (1750-1820). La politique indus- trielle d’un grand noble de nos provinces, aux confins des XVIIIe et XIXe siècles, vue au travers de l’étude de l’exploitation de la mine de plomb de Vedrin et des charbon- nages de Charleroi, 1993. DUCHESNE, Marie-Louise, Les revenus du domaine princier du Pays et Comté de Namur sous l’administration d’un receveur général, Pontian d’Harscamp (1659-1668), 1969. GHILAIN, Coralie, La tutelle sur l’enfant dans le comté de Namur au XVIIIe siècle : aspects juridiques et sociaux d’une structure de contrôle, 2000. GODFROID, Anne, La corporation des boulangers à Namur au XVIIIe siècle, 1993. LEFEBVRE, Sylvie, Un aspect de la politique forestière du gouvernement autrichien : les pépinières en Brabant, Hainaut et Namurois, 1993. LETURCQ, Didier, Namur de 1804 à 1813 : essor ou stagnation ? Étude démogra- phique et socio-économique, 1979. LOUIS, Romain, L’industrie dans la province de Namur durant la période hollandaise, 1957. MARX, Remi, Les finances du Prince dans le comté de Namur sous Philippe le Bon, 1981. SOTTIAUX, Bertrand, La corporation des tonneliers à Namur au XVIIIe siècle, 1996. THOMAS, Françoise, Hygiène, approvisionnement en eau et gestion hydrographique à Namur au XVe siècle, 1993.

1.3 Droit, justice et criminalité GENDEBIEN, Amaury, Analyse des crimes et délits commis en août et septembre 1944 dans l’arrondissement judiciaire de Namur, 1999.

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LALIÈRE, Frédéric, Les lettres de rémission princières pour le Hainaut et le Namurois au XVe siècle : instrument juridique de la centralisation du pouvoir et fondement d’une sociologie des états rémissibles, 1999. POSTAL, Pol, Le maintien de l’ordre aux Pays-Bas pendant les Temps Modernes, principalement dans les campagnes de l’Entre-Sambre-et-Meuse, 1968. VANHOVE, Nicolas, La perception de la répression de la collaboration à Charleroi et Namur (septembre 1944-décembre 1949), 1995.

1.4 Église et vie religieuse MACQ, Paul, Les revenus de la collégiale Notre-Dame à Namur (1490-1650), 1998. REGNARD, Maude, Les aspects de la sainteté et du culte du confesseur Hilaire du IVe au VIe siècle. Reprise du dossier hagiographique de saint Hilaire afin d’expliquer les sépultures d’enfants trouvées dans la chapelle Saint-Hilaire à Namur, 1998. ROGGE, Andy, L’Église catholique pendant la Première Guerre Mondiale dans le dio- cèse de Namur, 2006. STEYAERT, Julien, La Contre-Réforme dans le comté de Namur de 1559 à 1667, 2006.

1.5 Géographie historique REGNARD, Maude, Le quartier d’Entre-Sambre-et-Meuse à Namur au XVe siècle : étude historique et topographique, 1997.

2. HISTOIRE LOCALE

2.1 Biesmerée LONDON, Isabelle, La seigneurie de Biesmerée sous la famille de Ville (1681-1772), dépendance du château de Modave de 1706 à 1792, 2000.

2.2 Charleroi HASQUIN, Hervé, Les finances de Charleroi sous l’Ancien Régime (1709-1791), 1964.

2.3 Ciney DHEUR, Olivier, L’histoire de l’économie populaire de Ciney entre 1919 et 1991, 1994.

2.4 Dinant DE VRIES, Colette, Le chapitre de Dinant au Moyen Âge, 1969. LEMPEREUR, Jacques, Les hôpitaux de Dinant au Moyen Âge, 1968.

2.5 Floreffe CUCCU, Serafina, L’abbaye de Floreffe. Ses activités économiques aux XIIe et XIIIe siècles, 1974.

2.6 Gembloux POTTY, Laurent, Saint Guibert de Gembloux : sa vie, ses miracles, son élévation. Construction d’un culte, 1997. ROSEN, Pierre, Le domaine de l’abbaye de Gembloux au Moyen Âge et spécialement au XVe siècle, 1965.

2.7 Géronsart SEPVENTS, Marie-Jeanne, Histoire du prieuré de Géronsart de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, depuis sa fondation vers 1125 jusqu’en 1415, 1960.

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2.8 Montaigle CHANTINNE, Frédéric, Le château de Montaigle : entre histoire et archéologie, des origines au XVIe siècle, 2003.

2.9 Moustier-sur-Sambre DESPY, Georges, Histoire du chapitre noble de Moustier-sur-Sambre au Moyen Âge, 1948.

2.10 Orchimont VANVELTHEM, Lionel, Un exemple de gestion domaniale et forestière au bas Moyen Âge : la seigneurie d’Orchimont (XIVe-XVIe siècles), 2003.

2.11 Philippeville PONSART, Christiane, Philippeville sous le régime espagnol (1555-1659), 1958.

2.12 Thisnes GOTHIER, Étienne, Un village du Namurois aux confins du Brabant et de Liège : Thisnes en Hesbaye au Moyen Âge, 2000.

2.13 Thy-le-Château FAVERLY, Laurent, Histoire de Thy-le-Château, des origines à la fin du Moyen Âge : seigneurie, paroisse et cartographie, 2008.

2.14 Walcourt JACQUET, Lucien, Les finances communales de Walcourt sous le régime autrichien, 1713-1793, 1965.

2.15 Warnant STEVELINCK, Christiane, L’abbaye de Moulins des origines au XVe siècle, 1968. MALOTTEAU, Caroline, Le patrimoine foncier de l’abbaye de Moulins à Warnant (1233-1500), 2005.

3. BIOGRAPHIES

DE WALQUE, Renaud, Les comtes et marquis de Namur, seigneurs de Courtenay (1212-1257). Documents relatifs à l’histoire des princes de Courtenay, comtes et mar- quis de Namur (1193-1269), 1993. HOSPEL, Paul, Vie et règne de Guillaume II, comte de Namur, 1938. BOVESSE, Jean, Jean Ier, comte de Namur, 1938. BALANT, Nicolas, Emmanuel Pérès, préfet du département de Sambre-et-Meuse (1800-1814), 2006. WALRAET, Marcel, Philippe de Namur, régent de Flandre et de Hainaut, 1938.

(À suivre.)

Cédric ISTASSE 77, rue de l’Aurore 5100 Jambes

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« Monuments et Sites Saint-Gérard et Graux » a.s.b.l. Archives de l’État à Namur « Abbaye Saint-Gérard de Brogne, Tradition et découverte » a.s.b.l. « Comité des Fêtes et de la Culture de Saint-Gérard » a.s.b.l. Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur) Commune de Mettet

Colloque scientifique

Autour de saint Gérard et de sa fondation

En 959, mourait saint Gérard de Brogne. L’abbaye qu’il a fondée lui survivra jusqu’à la Révolution française. Ses bâtiments occupent encore aujour- d’hui une place centrale au cœur de Saint-Gérard. Cinquante ans après les festivités du millénaire, le colloque a pour ambition de faire le point sur l’évolution des connaissances concernant l’histoire de saint Gérard et de sa fondation. Deux axes principaux structureront les deux jour- nées prévues. Le premier s’attachera aux témoins historiques et archéologiques de saint Gérard et de son action à Brogne et dans plusieurs autres mo- nastères de nos régions. Le second s’intéressera à l’étude des documents écrits, archéologiques et architecturaux permettant de connaître l’histoire de l’abbaye de Brogne du Moyen Âge à nos jours. Orateurs : E. Bodart, Y. Bouillet, Fr. Chantinne, A. Delfosse, A. Dierkens, C. d’Ursel, J.-Cl. Genard, X. Hermand, J. Jeanmart, Br. Meijns, Ph. Mignot, D. Misonne, Chr. Sapin, D. Stiernon et M. Verbeek.

Contact : Archives de l’État à Namur - 081/22 34 98 - [email protected] Informations : http://histar.fltr.ucl.ac.be/PDF/colloque_saint-gerard_folder.pdf

In memoriam : Emile Lempereur

Emile Lempereur allait avoir 100 ans le 16 octobre prochain. Il est décédé à Gerpinnes ce 10 août. Il s'était impliqué, avec tant d’autres de sa généra- tion, dans le renouveau de la langue wallonne. Le théâtre lui avait paru un moyen rêvé d'entretenir le dialecte de Charleroi. Il avait été notamment membre fondateur, en 1938, de la Société historique pour la défense et l’illustration de la Wallonie, devenue l'Institut Jules Destrée. D’après sa fille Françoise, il avait « donné sa vie à la langue, à la littérature, au folklore, à la culture wallonne ». Son œuvre avait été couronnée du Prix Bouvier-Parvillers de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises en 1997 et il était encore administrateur actif de l'Association Charles Plisnier.

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Un Jésuite namurois du XVIIe siècle mis à l’honneur par les F.U.N.D.P.

Dans le cadre d’« Europalia-Chine 2009 », le département d’Histoire des F.U.N.D.P. a l’honneur de vous convier au

Colloque international

De la Belgique à la Chine. Regards croisés à partir d’Antoine Thomas, s.j., scientifique et missionnaire namurois, 1644-1709

qui se tiendra aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur) les 12, 13 et 14 novembre 2009

Ce colloque se propose d’étudier l’œuvre du Père Antoine Thomas (°1644 - †1709), dont on fête en cette année 2009 le tricentenaire de la mort, et son contexte. Ce jé- suite belge, d’origine namuroise, fut missionnaire en Chine. Il devint un des quatre « Pères de la Cour » de l’empereur K’ang Hi et fut vice-président de l’Observatoire im- périal de Pékin. Successeur de Ferdinand Verbiest, il s’illustra dans des domaines tels que l’astronomie, les mathématiques, la cartographie et laissa une œuvre abondante tant scientifique qu’épistolaire. Il joua un rôle de premier plan dans les relations belgo -chinoises – et plus largement européano-chinoises – au XVIIe et début du XVIIIe siècle.

Comité organisateur : Isabelle Parmentier (FUNDP) et Michel Hermans (FUNDP). Comité scientifique : Ralph Dekoninck (UCL), Annick Delfosse (ULg/FUNDP), Michel Hermans (FUNDP), Isabelle Parmentier (FUNDP), Olivier Servais (UCL), Nicolas Standaert (KUL). Orateurs : S. Afonso (ULB), M. Cartier (EHESS, Paris), J.-M. Cauchies (FUSL/ UCL), R. Dekoninck (UCL), A. Delfosse (ULg/FUNDP), B. D’Hainaut-Zveny (ULB), M. Hermans (FUNDP), C. Istasse (FUNDP), I. Parmentier (FUNDP), P. Sauvage (FUNDP), O. Servais (UCL).

Contact : Isabelle Parmentier - 081/72 41 96 - [email protected] Informations : http://www.fundp.ac.be/belgique-chine

L’entrée est gratuite.

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