Marguerite Long. Une Vie Fascinante
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MARGUERITE LONG UNE VIE FASCINANTE JANINE-WEILL MARGUERITE LONG UNE VIE FASCINANTE JULLIARD © Julliard, 1969. A Maria Branèze, ces images d'une femme qui fut un exemple. CHAPITRE PREMIER Rien n'est mystérieux comme les sour- des préparations qui attendent l'homme au seuil de sa vie. Charles PÉGUY. ... Une flamme s'éteint... où va sa lumière ? Une vie s'immobilise... Où va son âme ? La parque funèbre aurait trop beau jeu si la douleur nourricière n'éveil- lait pas l'espérance. « Cette petite fille Espérance, qui n'a l'air de rien du tout. Cette petite fille Espérance, immortelle »... chante Péguy. L'espérance et le souvenir, ces piliers de la Vie. Exalter la douleur ou l'apaiser, c'est le pouvoir de la Musique. Parmi nos contemporains, il est des êtres dont la vie fut un exemple ou une leçon, parfois les deux. Leur réussite n'est pas le seul fait de la chance. Pour eux, ce mot n'a d'autre sens que celui d'une force secrète allant à l'assaut des épreuves. Quand plus tard, nous lirons dans le dictionnaire des grandes figures de notre temps, au nom de Marguerite Long de Marliave : célèbre pianiste née à Nîmes, Premier Prix de piano du Conservatoire de cette ville, puis du Conservatoire de Paris, Professeur au Conserva- toire, Commandeur de la Légion d'honneur. Elle fut l'interprète et l'amie des plus illustres musiciens de son époque : Gabriel Fauré, Isaac Albeniz, Claude Debussy, Maurice Ravel, créa une école de piano de réputation universelle, fonda avec Jacques Thi- baud le Concours international qui porte leur nom et... tant de choses encore... Ce palmarès fameux relatera les faits jalonnant une carrière exception- nelle, mais elle, restera tout entière à découvrir. Un seul idéal : la Musique. Un seul amour : Joseph de Marliave. Un seul devoir : Faire face. Quel prophète avisé eût prédit le destin réservé à Marguerite-Marie- Charlotte qui s'éveillait à la vie le 13-11-1874 en cette demeure du 14 de la Grande-Rue à Nîmes-la-Romai- ne ? Elle aima tant sa ville qu'elle voulut y dormir de son dernier sommeil. « Le soleil de Nîmes, couvert ou radieux, selon le déroulement des saisons a toujours, malgré tout, rayonné sur ma vie. Au terme d'une existence aussi remplie que la mienne, les souvenirs d'enfance reviennent impérieux et c'est avec émotion que j'évo- que ceux qui se rattachaient à ma chère et noble cité, au parfum des grands pins de sa Tour Magne, au bruit obsédant des cigales, ainsi qu'à mes études musicales et autres dont la récompense était pour moi le drame des corridas 1 » Sa famille modeste était de bonne souche. Origi- naire de la Drôme, son père travaillait dans l'admi- nistration des Chemins de Fer Paris-Lyon-Méditerra- née. Quand il fut nommé à Nîmes, il s'y fixa définiti- vement. Sa mère était de l'Ardèche, plus musicienne d'instinct que de connaissance, elle n'avait reçu que les élémentaires notions dispensées à la pension com- me on le faisait alors. Mais « elle était si intuitive 1. Notes manuscrites de Marguerite Long. que je n'avais pas le droit de faire une fausse note », dira Marguerite Long. Cette double ascendance méridionale lui laissera cet accent ensoleillé qui chantait dans son langage. De sa sœur Claire, de huit ans son aînée, elle trace ce dessin charmant : « Divinement jolie, mince, sou- ple, élégante, elle résume un portrait merveilleux, jolie au point que, bien des années après, des hom- mes m'ont avoué que, collégiens encore, ils se préoc- cupaient de l'heure à laquelle ils pouvaient se trou- ver sur son chemin pour la rencontrer et la contem- pler. Plus tard, quelle émotion de la voir mariée, jamais tableau plus idéal, personnage irréel de beauté, elle était au-dessus des humains. » De ses premières années, elle gardait surtout le souvenir du jardin embaumé de la rue Pavé où, peu après sa naissance, ses parents s'étaient installés. Aux splendeurs des Arènes, à l'harmonie de la Maison Carrée, à l'ardeur des pierres brûlées de soleil de la Porte d'Auguste, elle préféra le merveil- leux jardin de la Fontaine où elle fit ses premiers pas. Son père avait la passion des fleurs, elle en hérita. « Mes premiers souvenirs d'enfance se reportent à ce petit jardin, un domaine à la mesure de mes deux ans, en réalité une sorte de jardin de curé, bien modeste, mais tout encombré de fleurs. Je me sens encore imprégnée du parfum des violiers, de l'odeur des chèvrefeuilles, des clématites et des jasmins à l'heure de l'arrosage où la terre rassasiée de soleil aspire à la fraîcheur et exhale sa pénétrante odeur. » Le crépuscule était l'instant préféré, attendu. « Mal- gré la défense qui m'en était faite, je me vois encore glisser le long des trois marches du perron accé- dant au jardin. Je revois même ce cadre où s'éveillait mes curiosités : voir les belles de jour se fermer fut pour moi mon premier mystère comme le sera l'ardent désir de dénombrer les étoiles au cours de la promenade nocturne où après la chaleur du jour, on fait « le tour de ville ». Je regardais en l'air, fascinée par la curiosité autant que par l'angoisse. » Ce sentiment d'angoisse lui sera familier, elle l'éprouvera devant chaque tâche nouvelle. La santé précaire de sa mère en fut à l'origine. « La prémo- nition d'une fin prématurée l'empêchait souvent de se coucher la nuit, de crainte de ne pas s'éveiller. » Comment la musique entra dans sa vie ? C'est ce qu'elle ne sut jamais dire ! Si selon certains rites l'on pouvait librement consacrer un enfant à la Musique, il est à croire que ceux-ci furent observés. Marguerite Long reçut le baptême le 22 novembre au jour de la Sainte-Cécile, patronne des musiciens, le prêtre qui l'ondoya à la cathédrale de Nîmes, devant la persistance de ses cris, prédit que « cette enfant serait musicienne ». « Si loin que je remonte dans ma mémoire, le piano est inséparable de mes premiers souvenirs », dira-t-elle. Elle ne sait pas encore discerner ses sen- timents de ses sensations que déjà certaine phrase expressive d'une page intitulée Dernière pensée de Weber, jouée par sa sœur, la bouleverse. Elle se jette en pleurs dans les bras de sa mère : « Maman, je ne veux pas que tu meures !... » Dès son plus jeune âge, Marguerite Long subit l'emprise de la Musique. Lorsque Claire travaille, déjà elle écoute, juchée sur un tabouret, elle aime à tourner les pages, pose ses mains sur le clavier d'un petit piano droit pour le seul plaisir de le faire sonner : son oreille d'une justesse étonnante reconnaît notes et accords, elle apprend à lire la musique aussi facilement qu'à ali- gner les syllabes : « Il me semble que j'ai toujours joué comme j'ai su lire et écrire. Je ne me suis aperçu de rien. » C'est en voulant apprendre aux autres qu'elle a appris elle-même. Toute petite, elle avait fabriqué, en les découpant dans des catalogues, tout un petit monde de figurines ; tandis que son imagination les animait, elle leur faisait la leçon. Les premières leçons comptent beaucoup pour une enfant douée. Celles données à Marguerite Long par sa sœur Claire le furent dans la douceur et la joie, l'élève en valait la peine. Elle avait tout juste quatre ans. Pour stimuler son ardeur au travail on lui a promis un de ces « bébé jumeau » incassable, orgueil des petites filles d'alors. Pour cela elle devait jouer par cœur Le petit Suisse de la méthode Carpentier. « J'ai joué le morceau à quatre ans et tout le reste de la méthode avec. Et je n'ai jamais eu la poupée ! Pour la première fois, j'ai eu l'impression d'être frustrée et peut-être est-ce de ce jour que date le sentiment si vif que j'ai toujours conservé de la justice. » Très jeune, ses parents l'emmènent dans ce fameux théâtre de Nîmes dont l'harmonieux fron- ton fait face à la Maison Carrée. Les grands rôles d'Opéra, des Huguenots, d'Aïda ou de Guillaume Tell sont ses premières passions. « Je savais les parti- tions par cœur, les chantais à tue-tête et en jouais des scènes entières. C'est curieux, mais j'étais, je le crois, surtout douée pour le théâtre », dira-t-elle en boutade. La Société de Musique de Chambre enga- geait les grands virtuoses du moment, c'est là que Francis Planté lui révéla l'art du piano. Plus tard, devenue son amie, elle évoquera ce souvenir avec lui. Planté retrouvait à Nîmes un de ses condisciples du Conservatoire de Paris : Amédée Mager, Allemand d'origine, premier prix de piano dans la classe d'An- toine Marmontel, et installé professeur à Nîmes. Il sera le maître de Claire Long qui bénéficiera ainsi d'une méthode où les techniques allemandes et fran- çaises fusionnent et, dont elle transmettra les excel- lents principes à sa jeune sœur Marguerite. La voici donc au piano... Est-elle habitée par une vocation irrésistible ? Elle ne le croit pas. « Je n'ai jamais aimé la place de seconde », disait-elle simplement. Et cela suffit à expliquer un caractère qui déjà se for- mait. « Je n'aimais pas le travail, mais comme je n'aimais pas non plus l'oisiveté, j'avais opté pour la réussite... aussi loin que mes souvenirs remontent, je retrouve le désir irrésistible de surmonter les épreuves, c'est une sorte de courage instinctif sans lequel je me sentirais comme déracinée.