Revue d'histoire du XIXe siècle Société d'histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle

39 | 2009 Le monde de l'imprimé: des territoires aux acteurs - Education et politique - Histoires politiques

Bruno Bertherat et Jean-Jacques Yvorel (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rh19/3908 DOI : 10.4000/rh19.3908 ISSN : 1777-5329

Éditeur La Société de 1848

Édition imprimée Date de publication : 10 décembre 2009 ISSN : 1265-1354

Référence électronique Bruno Bertherat et Jean-Jacques Yvorel (dir.), Revue d'histoire du XIXe siècle, 39 | 2009, « Le monde de l'imprimé: des territoires aux acteurs - Education et politique - Histoires politiques » [En ligne], mis en ligne le 27 décembre 2009, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ rh19/3908 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.3908

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SOMMAIRE

Introduction Bruno Bertherat et Jean-Jacques Yvorel

Le monde de l'imprimé: des territoires aux acteurs

Les pratiques d’affichage dans l’espace public à Paris en 1830 Nathalie Jakobowicz

L’espace parisien des libraires sous la monarchie de Juillet : des solidarités de métier ? Viera Rebolledo-Dhuin

Une maison d’édition au service d’une profession : Victor Rozier (1824-1890) et la médecine militaire Claire Fredj

Education et politique

La dimension éducative du mouvement philhellène Denys Barau

Les cours secondaires pour jeunes filles à Troyes sous le Second Empire, entre autorités municipales et administration bonapartiste Yves Verneuil

Histoires politiques

La légitimité incertaine (1814-1853) : retour sur les faux Louis XVII Paul Airiau

Femmes et citoyenneté dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle : reconnaissance de l’égalité ou de la différence des sexes ? Martine Monacelli

Lectures

Marco CICCHINI et Michel PORRET [dir.], Les sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, Lausanne, Antipodes, 2007, 303 p. ISBN : 978-2-940146-86-4. 25 euros.Jean-Claude BOURDIN, Frédéric CHAUVAUD, Vincent ESTELLON, Bertrand GEAY et Jean-Michel PASSERAULT [dir.], Michel Foucault. Savoirs, domination et sujet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 297 p. ISBN : 978-2-7535-0567-4. 18 euros. Laurence Montel

Revue d'histoire du XIXe siècle, 39 | 2009 2

Louis Sébastien MERCIER, Néologie, texte établi, annoté et présenté par Jean-Claude Bonnet Collection Littérature et politique, Paris, Belin, 2009, 592 p. ISBN : 978-2-7011-4271-5. 26 euros Nicole Edelman

Baron PERCY, Physiologie de la culotte, de la piquette et de la perruque. 1812-1822 Edition présentée et annotée par André Bolzinger, Grenoble, Jérôme Millon, 2009, 338 p. ISBN : 978-2-84137-246-1. 25 euros. Nicole Edelman

Stéphanie TRIBOUILLARD, Le tombeau de Madame de Staël. Les discours de la postérité staëlienne en France (1817-1850) Genève, Slatkine, 2007, 1 029 p. ISBN : 978-2-05-102030-5. 190 francs suisses. Hélène Becquet

Emmanuelle de CHAMPS, « La déontologie politique » ou la pensée constitutionnelle de Jeremy Bentham Genève/Paris, Droz, 2008, 392 p. ISBN : 978-2-600-01171-6. 45,54 euros. Arnault Skornicki

Michel VERNUS, Victor Considerant, démocrate fouriériste Besançon, Virgile, 2009 (1re édition 1993), 255 p. ISBN : 978-2-914481-72-4. 16 euros. Jean-Claude Caron

Michel MELOT, Daumier, l’art et la République et Ségolène LE MEN, Daumier et la caricature Paris, Les Belles Lettres/Archambaud, 2008, 277 p. ISBN : 978-2-251-44339-3. 23 euros (Michel Melot) et Paris, Citadelles & Mazenod, 2008, 240 p. ISBN : 978-2-85088-270-8. 69 euros (Ségolène Le Men) Fabrice Erre

Philip NORD, Les impressionnistes et la politique. Art et démocratie au XIXe siècle Traduit de l’anglais par Jacques Bersani, Paris, Tallandier, 2009, 174 p. ISBN : 978-2-84734-417-2. 23 euros. Nicole Edelman

Charles de MONTALEMBERT, Journal intime inédit. Tome VIII : 1865-1870 Texte établi, présenté et annoté par Louis Le Guillou et Nicole Roger-Taillade, Paris, Honoré Champion, 2009, 979 p. ISBN : 978-2-745319470. 140 euros. Jean-Claude Caron

Marie-France SARDAIN, Défenses et sièges de Paris, 1814-1914 Collection Campagnes et stratégies, Paris, Economica, 2009, 304 p. ISBN : 978-2-7178-5644-6. 29 euros. Jean-Claude Caron

Emmanuel de WARESQUIEL, Cent Jours. La tentation de l’impossible, mars-juillet 1815 Paris, Fayard, 2008, 704 p. ISBN : 978-2-213-62158-6. 28 euros. Emmanuel Fureix

Nathalie JAKOBOWICZ, 1830. Le peuple de Paris. Révolution et représentations sociales Collection Histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, 363 p. ISBN : 978-2-753508460. 20 euros. Jean-Claude Caron

Sylvie VIELLEDENT, 1830 aux théâtres Collection Romantisme et modernités, Paris, Honoré Champion, 2009, 669 p. ISBN : 978-2-7453-1933-3. 100 euros. Jean-Claude Caron

Christophe CHARLE, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris, , Londres et Vienne Paris, Albin Michel, 2008, 572 p. ISBN : 978-2-226-18701-7. 29 euros. Stéphanie Loncle

Jean-Claude YON [dir.], Le théâtre français à l’étranger au XIXe siècle. Histoire d’une suprématie culturelle Paris, Nouveau Monde, 2008, 527 p. ISBN : 978-2-84736-364-7. 49 euros. Stéphanie Loncle

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Pierre MERLIN [dir.], Bons cousins charbonniers. Autour d’un catéchisme de la société secrète, 1835. Sociabilité, symbolique, politique Avant-propos de Christian Foyet, Nancray, Le Folklore comtois, 2005, 239 p. ISBN : 2-9524096-1-7. 20 euros. Claude Latta

Vivien BOUHEY, Les anarchistes contre la République. Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République (1880-1914) Préface de Philippe Levillain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 491 p. ISBN : 978-2-7535-0727-2. 24 euros. Constance Bantman

Caroline GRANIER, Les briseurs de formules. Les écrivains anarchistes en France à la fin du XIXe siècle Cœuvres-et-Valsery, Ressouvenances, 2008, 470 p. ISBN : 2-84505-065-8. 35 euros. Karine Salomé

John MERRIMAN, The Dynamite Club. How a Bombing in Fin-de-Siècle Paris Ignited the Age of Modern Terror Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2009, 259 p. ISBN : 9780618555987. 26 dollars. Constance Bantman

Benedict ANDERSON, Les bannières de la révolte. Anarchisme, littérature et imaginaire anticolonial. La naissance d’une autre mondialisation Traduit de l’anglais par Émilie L’Hôte, Paris, La Découverte, 2009, 261 p. ISBN : 978-2-7071-5330-2. 26 euros. Hélène Blais

Samuel GICQUEL, Prêtres de Bretagne au XIXe siècle Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 310 p. ISBN : 978-2-7535-0667-1. 20 euros. Guillaume Cuchet

Jacques FABRY, Visions de l’au-delà et tables tournantes. Allemagne, XVIIIe-XIXe siècles La philosophie hors de soi, Saint Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2009, 297 p. ISBN : 978-2-84292-228-3. 24 euros. Nicole Edelman

Rae Beth GORDON, Dances with Darwin, 1875-1910. Vernacular Modernity in France Farnham, Ashgate, 2009, 311 p. ISBN : 978-0-7546-5243-4. 79 dollars. Nicole Edelman

Étienne THÉVENIN, Ces famines qui ont bouleversé notre monde, du XIXe siècle à nos jours Tours, CLD, 2008, 296 p. ISBN : 978-2-85443-530-6. 19,90 euros. Laurent Colantonio

Alex WINDSCHEFFEL, Popular Conservatism in Imperial London, 1868-1906 Royal Historical Society Studies in History, Woodbridge, Boydell, 2007, 272 p. ISBN : 9780861932887, 50 livres sterling. Iorwerth Prothero

Jamie L. BRONSTEIN, Caught in the Machinery. Workplace Accidents and Injured Workers in Nineteenth-Century Britain Stanford, Stanford University Press, 2008, 222 p. ISBN : 0-8047-0008-7. 55 dollars. François Jarrige

Raúl A. RAMOS, Beyond the Alamo: Forging Mexican Ethnicity in San Antonio, 1821-1861 Chapel Hill (N.C.), University of North Carolina Press, 2008, 297 p. ISBN : 978-0-80780-3207-3. 35 dollars. Tangi Villerbua elit.

Karl JACOBY, Shadows at dawn. A Borderlands Massacre and the Violence of History New York/London, Penguin, 2008, 358 p. ISBN : 978-1-59420-193-6. 32,95 dollars. Tangi Villerbu

Philippe POIRRIER, Introduction à l’historiographie. Cours-Documents-Entraînement Atouts-Histoire, Paris, Belin, 2009, 191 p. ISBN : 978-2-7011-4763-5. 21 euros. Nicole Edelman

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Introduction

Bruno Bertherat et Jean-Jacques Yvorel

1 Le présent volume rend compte des recherches actuelles en histoire du XIXe siècle dans leur diversité. Trois thèmes principaux apparaissent, au sein desquels nous avons adopté une organisation chronologique. Le premier ensemble d’articles porte sur la production, la diffusion et les usages de l’imprimé; le deuxième ensemble sur l’éducation. Deux articles, enfin, relèvent plus largement de l’histoire politique. À la variété des thèmes s’ajoute la diversité des approches, qui oscillent entre l’étude de cas et la synthèse ou l’essai. Enfin, la dimension internationale est présente.

2 Les trois premières contributions, regroupées sous le titre « Le monde de l’imprimé: des territoires aux acteurs », permettent d’enrichir une histoire de l’imprimé déjà largement balisée par les historiens. Deux articles portent plus particulièrement sur la monarchie de Juillet, période emblématique dans l’histoire de la presse et de l’édition, qui marque le début de leur âge d’or. Nathalie Jakobowicz aborde ici un territoire original, tel que le dessinent les pratiques de l’affichage dans l’espace public parisien au tout début de la monarchie de Juillet. Telle une résurgence de la Révolution française, les écrits exposés apparaissent comme l’expression des enjeux politiques qui accompagnent une monarchie issue elle-même d’une révolution, d’où l’intérêt de leur confrontation. Nathalie Jakobowicz étudie quelques exemples significatifs d’affichage public autour d’événements majeurs comme l’acte fondateur que constituent les Trois Glorieuses elles-mêmes et le procès des ministres de Charles X. Les murs sont couverts de proclamations émanant du préfet de la Seine, des polytechniciens et des ouvriers, mais aussi de placards séditieux, plus volatiles, dont les rapports de police gardent la trace et qui disent le mécontentement du peuple. Enfin l’auteure se penche sur l’iconographie, plus précisément sur les caricatures qui mettent en scène ces affichages et les réactions qu’ils provoquent. L’existence même de ces représentations figurées souligne l’importance de l’usage politique des murs dans la ville.

3 Dans l’article de Viera Rebolledo-Dhuin, le territoire devient réseau, celui des libraires parisiens sous la monarchie de Juillet. L’auteure met au jour un espace socio- économique centré autour du quartier, dont elle interroge la réalité vécue par les acteurs. La répartition des libraires se caractérise par sa très forte concentration dans le Quartier latin, mais aussi sur la rive droite de la Seine, autour du Palais-Royal, voire

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sur certains axes dans ces quartiers. Cette concentration n’est pas seulement un héritage. Elle est le résultat des liens de sociabilité renforcés par les contraintes législatives et économiques. Pour devenir libraire, il faut bénéficier d’appuis professionnels et de bonnes relations de voisinage qui font et défont les réputations. Les contraintes économiques jouent un rôle important. L’étude des faillites, fréquentes à l’époque, permet d’approfondir l’analyse des réseaux de solidarités. La librairie s’organise comme une économie locale qui repose sur un système de « micro-crédit ». Toutefois, le quartier des libraires n’est pas un espace fermé. Certains libraires, aux activités diversifiées ou économiquement florissantes, accèdent en effet, pour développer leurs affaires, à d’autres intermédiaires à l’échelle de la ville, voire au-delà. L’espace de la librairie est donc hiérarchisé selon les possibilités de financement. Accompagnée d’un riche dossier documentaire, l’étude de Viera Rebolledo-Dhuin enrichit pour la monarchie de Juillet les travaux de Jean-Yves Mollier1.

4 L’intérêt porté aux acteurs du monde de l’imprimé prend une dimension biographique dans l’article de Claire Fredj. L’auteure retrace en effet la longue carrière de Victor Rozier (1824-1890), imprimeur-correcteur devenu spécialiste de l’édition médico- militaire2. La contribution de Claire Fredj est donc à verser dans l’histoire encore balbutiante de l’édition scientifique, histoire dont le chantier est tout juste ouvert notamment par Valérie Tesnière3. Les débuts de Rozier se situent dans un contexte de crise politique (la révolution de Février) et professionnelle (le problème de la reconnaissance des médecins militaires). C’est un éditeur engagé qui fonde la Revue scientifique et administrative des médecins de l’armée de terre et de mer, qu’il perçoit comme « la tribune du prolétariat de la médecine militaire ». Cet engagement se traduit très rapidement par la diversification des publications à destination du monde de la médecine militaire (revues, ouvrages pratiques), dont certaines connaissent le succès. L’extension des activités de Rozier, y compris dans le domaine des publications officielles, montre une volonté de dominer le secteur de l’édition médico-militaire, ce qui ne l’empêche pas de collaborer à des publications littéraires. Certes, les contraintes sont nombreuses, qu’il s’agisse des restrictions propres aux publications liées aux armées, de celles imposées par les lois sur la presse ou de la nécessaire rentabilisation d’une entreprise insérée dans un marché somme toute très réduit. Malgré ses efforts (par exemple, faciliter l’abonnement à ses revues par des gestes commerciaux), Rozier n’évite pas parfois les échecs. Pourtant, sa vie professionnelle est bien marquée par une ascension sociale, qui se traduit moins par son train de vie que par l’entrée de l’un de ses enfants dans la carrière médicale ou par les signes de reconnaissance qu’il obtient, telle la Légion d’honneur. En retraçant avec pertinence l’ascension de Victor Rozier, l’article de Claire Fredj montre tout l’intérêt du croisement de l’histoire de l’édition et de celle de la médecine.

5 La deuxième partie thématique est consacrée aux liens entre éducation et politique. Les deux articles qui la composent placent au cœur de leur approche deux catégories marginales ou considérées comme telles et les enjeux éducatifs qu’elles représentent. C’est une approche transnationale que choisit Denys Barau en étudiant la tentative du mouvement philhellène européen pour prendre en charge l’éducation d’enfants grecs au moment où la Grèce lutte pour son indépendance à la fin des années 1820. Les comités de nombreux pays européens se proposent d’aider les enfants des grandes familles grecques victimes de la répression ottomane. Mais le mouvement reste limité dans ses visées pédagogiques, tant il a du mal à se dégager de l’élan philan-thropique ou des calculs politiques. Au-delà de la diversité des expériences, l’éducation se veut

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utile pour une Grèce moderne qui est en train de naître. C’est tout à la fois une formation patriotique et une éducation morale imprégnée de religion qui sont proposées sur le modèle spartiate. Cette offre éducative correspond à une demande réelle des élites grecques. Elle rejoint une préoccupation éducative dans l’Europe des Restaurations, d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans deux dimensions majeures de l’idéologie phil- hellène: l’idée d’une dette de l’Europe envers la Grèce et la vision du soulèvement grec comme une régénération de la Grèce. Cet espoir de régénération est néanmoins marqué par des désillusions quant à la capacité des Grecs de s’émanciper par leurs propres forces. L’auteur montre enfin que le souci éducatif des philhellènes s’est exercé jusqu’en Grèce. La volonté d’éducation a trouvé sa manifestation la plus significative dans l’effort soutenu pour former une armée moderne. Finalement, tout se passe comme si le projet philhellène n’avait d’autre but que de conformer la Grèce à un modèle européen. Par le biais de l’éducation des enfants grecs, Denys Barau apporte ainsi une contribution inédite à une histoire du philhellénisme en plein renouvellement4.

6 Changement de cadre géographique et chronologique avec l’article d’Yves Verneuil, qui propose une étude de cas sur un thème qui avait déjà été abordé par Françoise Mayeur5 et par les historiennes américaines Sandra Horvath-Peterson6 ou Rebecca Rogers7: les cours secondaires des jeunes filles, ici à Troyes. Il s’agit de la première initiative publique pour encourager l’enseignement secondaire féminin, alors qu’existe un véritable marché de l’enseignement féminin avec ses institutions religieuses, mais aussi ses établissements laïcs déjà plus nombreux sous le Second Empire. Le principe en est lancé par une circulaire du ministre de l’Instruction publique Victor Duruy en 1867. En se limitant à l’ouverture de cours et non d’établissements, le ministre n’a pas voulu donner l’impression de concurrencer les établissements privés et surtout religieux. Les cours secondaires de jeunes filles doivent reposer sur la collaboration entre les pouvoirs locaux et le pouvoir central. C’est précisément dans l’étude des tensions et des conflits entre la municipalité de Troyes et l’État, et notamment l’université, que réside l’originalité de l’approche d’Yves Verneuil. Ce sont ces tensions et conflits qui expliqueraient l’échec des cours secondaires des jeunes filles à Troyes, bien plus que l’attitude de l’Église, sans compter le rôle des relations entre les acteurs. L’auteur nous déroule avec une grande précision le scénario de cet échec. Dans un premier temps, la création des cours est soutenue par le maire de Troyes qui répercute les orientations gouvernementales. Les cours n’ont pas pour but de modifier le rôle social des élèves, celui de futures mères. L’enseignement, assuré par les professeurs du lycée de garçons, sera donc « sérieux et pratique ». Inaugurés en décembre 1867, les cours suscitent néanmoins des résistances, de la part du clergé, mais aussi du maire. Ce dernier s’oppose au ministère sur le choix d’un nouveau professeur, provoquant la suspension définitive des cours en 1869. En créant des lycées de jeunes filles en 1880, les républicains ont, au contraire, « contribué à renforcer la centralisation universitaire ».

7 Paul Airiau s’intéresse à un phénomène politique aussi marginal que significatif dans la première moitié du XIXe siècle: le survivantisme, c’est-à-dire la croyance en la survie de Louis XVII, fils de Louis XVI, qui se serait échappé du Temple. Le survivantisme remet en cause la légitimité du pouvoir en place, celui des monarchies constitutionnelles, même s’il se poursuit jusque sous la Seconde République. On assiste dès la fin de l’Empire à la multiplication des figures du dauphin. La Restauration favorise un regain en entretenant l’incertitude sur la mort du fils de Louis XVI. Son corps n’est pas retrouvé et ne bénéficie pas des funérailles de ses parents. Cette incertitude favorise la

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contestation qui permet de montrer une hostilité au régime, voire de remettre en cause la légitimité du pouvoir: « la fidélité au principe même de la succession par ordre de primogéniture mâle l’emporte sur la fidélité à la personne du roi régnant ». Les survivantistes s’appuient aussi sur le respect de la volonté divine, par le biais du prophétisme. En se focalisant sur les règles de succession, le survivantisme remet en cause le principe de la monarchie comme système politique, celui des deux corps du roi. Le corps politique est celui de la nation, du peuple. Cette croyance dans la survie d’un héritier considéré comme seul légitime témoigne à sa manière du triomphe des principes de la Révolution sur ceux de la monarchie traditionnelle. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes. Cet article s’inscrit pour partie dans le renouvellement des études sur la Restauration, dont un récent dossier de la revue avait donné un aperçu8.

8 C’est à un autre statut politique que s’intéresse Martine Monacelli dans le dernier article de ce numéro, celui des femmes et de leur participation à la vie politique en Grande-Bretagne. Partant des débats actuels sur la parité, l’auteure revient dans cet essai historiographique sur les origines de la loi accordant le droit de vote aux femmes en 1918. Elle conteste la thèse de Pierre Rosanvallon, selon laquelle le droit de vote des Anglaises aurait été reconnu en raison même de leur spécificité, alors que les Françaises s’en sont trouvées exclues en raison de cette même spécificité. Il est vrai que l’attribution du droit de vote repose fondamentalement sur des principes différents entre les deux pays: l’égalité en France, la capacité en Angleterre. En Angleterre, la citoyenneté dépend du statut social, autrement dit des conditions économiques. Toutefois, cette distinction par la capacité s’applique à la fois aux hommes et aux femmes. Certes, l’essentialisme, « la croyance qu’il existerait une essence féminine dont découleraient des caractères féminins spécifiques et innés », a pu peser sur les mentalités à une époque, les années 1860, marquée par le biologisme et la peur de l’indifférenciation sexuelle, idées défendues par des médecins et des moralistes. Mais c’est bien au nom de l’égalité entre les capacités que les suffragistes réclament le droit de vote des femmes. Au début du siècle, le contexte a changé. L’exclusion politique des femmes devient de plus en plus intolérable, y compris chez les hommes, comme le montre le soutien de nombreuses organisations masculines. La participation des femmes à l’effort de guerre précipite le mouvement. C’est donc au nom de l’égalité entre les sexes que les femmes obtiennent le droit de vote. Nul doute qu’en remettant en cause les idées reçues sur l’accès des femmes à la politique, la thèse de Martine Monacelli ne manquera pas de susciter à son tour le débat.

NOTES

1. . Jean-Yves Mollier, L’argent et les lettres. Histoire du capitalisme d’édition (1880-1920), Paris, Fayard, 1988. 2. . Sur l’édition médicale voir Danielle Gourevitch, Jean-François Vincent [dir.], J.-B. Baillière et fils, éditeurs de médecine. Actes du colloque international de Paris, 29 janvier 2005, Paris, BIUM & De Boccard, 2006.

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3. . Outre sa thèse de l’École des Chartes, on se reportera aux chapitres qu’elle a rédigés dans L’histoire de l’édition française et à Valérie Tesnière, Le quadrige. Un siècle d’édition universitaire, 1860-1968, Paris, PUF, 2001. 4. . Hervé Mazurel, Désirs de guerre, quête d’exotisme. Les volontaires philhellènes européens et l’imaginaire romantique de la guerre d’indépendance grecque (1821-1830), thèse d’histoire sous la direction d’Alain Corbin et de Stéphane Audouin-Rouzeau, université de Paris 1, 2009. 5. . Notamment Françoise Mayeur, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977. Pour un point sur les apports de Françoise Mayeur, voir Yves Verneuil [dir.], L’enseignement secondaire féminin et l’identité féminine enseignante: hommage à Françoise Mayeur. Actes de la journée d’études organisée le 8 juin 2007 au centre IUFM de Troyes/IUFM de Champagne-Ardenne, Reims, Presses du CRDP de Champagne-Ardenne, 2009. 6. . Sandra Horvath-Peterson, Victor Duruy and French Education: Liberal Reform in the Second Empire, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1984. 7. . Rebecca Rogers, Les bourgeoises au pensionnat. L’éducation féminine au XIXe siècle, Paris, Presses universitaires de Rennes, 2007. 8. . « La Restauration visitée », Revue d’histoire du XIXe siècle, sous la direction de Carole Christen- Lécuyer et d’Emmanuel Fureix, n° 35, 2007-2.

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Le monde de l'imprimé: des territoires aux acteurs

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Les pratiques d’affichage dans l’espace public à Paris en 1830 The posting practices in the parisian public space in 1830

Nathalie Jakobowicz

1 L’exposition d’écrits dans l’espace public constitue un enjeu politique au XIXe siècle, où la « police de l’écriture »1 sévit et tente de contrôler les murs des villes. Dans la première moitié du siècle, l’espace de la publicité politique est surtout occupé par les actes de l’autorité officielle. En effet, autant la Révolution française crée un espace public républicain, autant la Restauration le borne et le réglemente à outrance2. Cependant, à une époque où la plus grande partie de la population est encore exclue du débat politique, l’inscription illicite, qui côtoie les affiches officielles, représente un moyen d’expression.

2 Les pratiques d’affichage à Paris au début du XIXe siècle ont été peu étudiées jusqu’à présent. Si quelques ouvrages se sont intéressés à l’histoire de l’affiche en France3, aucun ne s’est penché sur les pratiques d’affichage dans l’espace public, ses usages différenciés, les débats suscités par ces affiches et leurs enjeux aussi bien politiques que symboliques dans la ville. Cette recherche se propose donc d’étudier précisément quelques écrits (affiches et inscriptions) exposés dans Paris avant, pendant et après les Trois Glorieuses, entre les mois de juillet et de décembre 1830. Les différents acteurs de l’époque s’affrontent parfois par le biais des placards et des proclamations, un véritable dialogue s’élabore alors par voie d’écrits affichés.

3 Analyser la révolution de 1830 sous l’angle des pratiques d’affichage apporte un nouvel éclairage sur cette insurrection, aussi bien du point de vue de l’histoire politique que de l’histoire culturelle. Comme en 1789, on assiste à une véritable prolifération de brochures, d’affiches, d’images, liée à la levée de censure provoquée par l’événement4. La Révolution française a modifié en profondeur la forme et le contenu de l’affiche : elle est devenue une arme politique. En 1830, les écrits envahissent la ville et l’espace public. Ils induisent des pratiques de lecture, comme la lecture à haute voix dans la rue, lecture partagée. Les images témoignent de la contiguïté entre écrits officiels et écrits illicites. En effet, les différents types de textes se côtoient et se répondent. De ce fait,

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l’invasion des murs de la capitale devient un véritable enjeu politique et les forces en présence s’affrontent par ce biais. Les « écrits exposés » revêtent alors différentes fonctions : information, communication politique, symbolique, mais aussi contestation5.

4 Mais il ne faut pas oublier qu’en ce premier XIXe siècle, seuls 40 % des femmes et à peine plus de 50 % des hommes savent lire et écrire6. Même si leur situation dans la capitale met en contact régulier les ouvriers des faubourgs parisiens avec l’écrit, comme l’explique Daniel Roche7, leur accès aux journaux paraît plus difficile. Pour les milieux populaires, le moyen le plus courant de recevoir l’information passe donc par la lecture à haute voix de la presse8. Sinon, les images populaires ou le canard (feuille volante de grand format vendue à la criée), diffusés par voie de colportage, leur parviennent directement et répondent mieux à leurs besoins.

5 Ces pratiques d’écritures permettent d’approfondir notre connaissance sur les journées de Juillet. Différentes sources en témoignent : les écritures publiques, les images exposées dans la ville et enfin, les écritures illicites visibles dans l’iconographie.

La législation concernant l’affichage public

6 Les ordonnances de la préfecture de police de Paris sont le seul moyen de connaître les réglementations concernant le métier d’afficheur9. Les autorités publiques, en contrôlant affiches et afficheurs, pensent s’assurer une emprise sur l’expression des oppositions. C’est le contrôle de l’espace public qui est en jeu. Indirectement, c’est cette réglementation qui nous donne accès aux pratiques d’affichage.

7 Le 28 novembre 1829, le préfet de police Mangin avait déjà révoqué toutes les permissions d’afficheurs et imposé une réglementation très stricte de la profession. Les afficheurs doivent savoir lire et écrire, être munis d’une plaque et demander l’autorisation d’exercer à la préfecture. Beaucoup d’autres mesures viennent compléter ces obligations. La nécessité de telles mesures est expliquée selon le préfet par le fait que : « […] les afficheurs, en couvrant indistinctement de leurs placards les édifices publics et particuliers, défigurent et dégradent les monuments […et parce que] des placards et affiches outrageant les bonnes mœurs sont fréquemment exposés au regard du public, et qu’il importe d’empêcher l’exposition publique de toute annonce qui peut porter atteinte à la décence ou à la tranquillité. »10

8 D’autres mesures plus anciennes permettent de distinguer les différents écrits exposés dans la ville. Par la loi des 22 et 28 juillet 1791, l’Assemblée nationale décrète que les affiches des actes de l’autorité publique sont seules imprimées sur papier blanc ordinaire. Et que celles faites par des particuliers ne peuvent être imprimées que sur du papier de couleur. Enfin, toutes les affiches autres que celles de l’autorité publique sont assujetties au timbre fixe ou de dimension. On ne doit pas afficher trop près d’un carrefour pour ne pas créer un attroupement et causer par la même un accident de la circulation. Et enfin, on ne doit pas afficher sur les monuments publics ou propriétés de l’État ou de la Ville. Parallèlement à ces mesures, les métiers liés à l’impression et à l’affichage sont organisés11. Sous l’Empire, le décret du 5 février 1810 réglemente et réorganise les univers de l’imprimerie et de la presse12. Le nombre d’imprimeurs est fixé, ceux-ci seront brevetés et assermentés13. La répression frappe essentiellement les afficheurs et les imprimeurs plutôt que les auteurs, ceux des placards étant pour la plupart anonymes. L’exposition d’idées sous la forme d’ouvrages ou de textes affichés

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est sévèrement poursuivie et condamnée. En continuité avec les règles initiées par l’Empire et malgré quelques moments de liberté, le régime des brevets est maintenu ainsi que la déclaration préalable et les publications sont toujours étroitement surveillées14. Les conditions de serment et de brevet sont de plus imposées aux lithographes. En 1830, l’affichage est devenu un moyen d’information incontournable sévèrement contrôlé15.

9 L’abolition provisoire de la censure, déclarée le 7 août à la suite du changement de régime, permet la multiplication des écrits, libérés du carcan des censeurs. Cette abolition s’accompagne d’une loi qui concerne spécifiquement les affiches, afficheurs et crieurs. Amédée Girod de l’Ain, le nouveau préfet de police, « considérant que la profession d’afficheur et celle de crieur, doivent, comme toutes autres, être libres et seulement astreintes aux précautions indispensables pour le maintien de l’ordre »16, ordonne le 23 août d’abroger la dernière loi et décide que le nombre des afficheurs pour la ville de Paris cessera d’être limité.

10 Cet assouplissement de la réglementation sera de courte durée. À l’automne 1830, seulement quelques mois après les événements révolutionnaires, Paris connaît de nouveau des troubles liés au jugement des ex-ministres de Charles X et aux revendications ouvrières. Nous verrons par la suite comment autour de ces deux événements, affichage officiel et affichage « sauvage » s’affrontent. Le nouveau gouvernement s’inquiète de ces manifestations de mécontentement et prend rapidement des mesures. La crainte de l’opposition républicaine conduit, le 10 décembre 1830, à la prohibition de tout placard politique. Louis-Philippe ordonne : « Aucun écrit, soit à la main, soit imprimé, gravé ou lithographié, contenant des nouvelles politiques, ne pourra être affiché ou placardé dans les rues, places ou autres lieux publics. »17

11 De plus, l’ordonnance rétablit les obligations et les règles concernant l’exercice de la profession d’afficheur : en effet, « quiconque voudra exercer, même temporairement, la profession d’afficheur ou de crieur, de vendeur ou de distributeur, sur la voie publique, d’écrits imprimés, lithographiés, gravés ou à la main, sera tenu d’en faire préalablement la déclaration devant l’autorité municipale et d’indiquer son domicile. Le crieur ou afficheur devra renouveler cette déclaration chaque fois qu’il changera de domicile »18.

12 Les trois proclamations que nous allons étudier et les débats qu’elles ont pu susciter mettent en lumière l’enjeu politique majeur que constitue l’affichage public en ces temps post-révolutionnaires.

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Trois proclamations exposées dans la ville

Figure 1 : Bellangé, imprimeur-lithographe Bichebois, « 26 juillet 1830, lecture des ordonnances dans le moniteur au jardin du palais royal », Bib. nat., cabinet des Estampes, collection de Vinck, cote originale : 11049.

13 Les journées révolutionnaires commencent par la lecture publique et à haute voix d’un texte du gouvernement : les ordonnances de Charles X. Les lithographes insistent sur ce thème, déclinant sur tous les tons ces orateurs qui lisent les textes au milieu du jardin du Palais-Royal. Cette lecture commune est envisagée comme le déclencheur de l’insurrection. En effet, les premières échauffourées se produisent le même jour. C’est donc en partie, un texte du gouvernement, discuté, critiqué, qui joue un rôle prépondérant dans les débuts du mouvement révolutionnaire. Par la suite, d’autres textes exposés dans la ville seront au centre des débats et susciteront de vives réactions chez les contemporains.

14 Trois exemples d’affiches, représentatives des écrits issus des trois principaux groupes acteurs de cet automne-hiver 1830, seront évoqués dans les lignes qui suivent. La première est une proclamation du préfet de la Seine à ses concitoyens19. Publiée le 19 octobre 1830 et signée par Odilon Barrot, elle s’adresse spécifiquement aux classes populaires parisiennes qui manifestent dans les rues de la capitale leur mécontentement face au jugement des ex-ministres de Charles X. Depuis la fin du mois de septembre, ce jugement est dans tous les esprits. Polignac, Peyronnet, Guernon- Ranville et Chantelauze sont inculpés du crime de haute trahison prévu par l’article 56 de la Charte. Les principaux chefs d’accusation sont : l’abus de pouvoir dans la falsification des élections, la modification des institutions de la monarchie et enfin l’incitation à la guerre civile. Le 9 octobre, une adresse, remise au roi pour abolir la peine de mort, en particulier en matière de délits politiques, est interprétée comme une manœuvre pour sauver les ministres de -Charles X. Des manifestations s’ensuivent et

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les désordres sont de plus en plus nombreux dans la capitale, surtout à la mi-octobre. Le 18, une foule se rassemble devant le Palais-Royal, puis au château de Vincennes où les inculpés sont retenus.

15 Homme politique et avocat, Odilon Barrot est à la fin de la Restauration un opposant au régime de Charles X. Après la révolution de Juillet, la commission municipale désigne deux nouveaux préfets : Bavoux, député de Paris, est nommé rue de Jérusalem ; et Alexandre de Laborde, autre député de la capitale, reçoit la responsabilité de la préfecture de la Seine. Il remet sa démission au bout d’un mois et Odilon Barrot le remplace jusqu’en janvier 1831. À travers cette proclamation, le préfet de la Seine tente de rassurer ses concitoyens dans l’idée que « ce n’est pas vengeance que demande le - peuple mais justice ». Mais cette affiche provoque un conflit avec le gouvernement. Le préfet rend les ministres et la Chambre des députés responsables des désordres survenus dans la capitale les jours précédents. En effet, il explique : « Une démarche inopportune a pu faire supposer qu’il y avait concert pour faire interrompre le cours ordinaire de la justice à l’égard des anciens -ministres. »20

16 La « démarche inopportune » fait référence à l’adresse remise au roi par la majorité de la Chambre des députés pour l’abolition de la peine de mort. Celle-ci est en effet perçue comme une manœuvre politique par Odilon Barrot, qui écrit dans ses mémoires : « La question fut aussi mal engagée par les doctrinaires et leurs amis : ils s’avisèrent de demander l’abolition de la peine de mort, ne dissimulant pas que ce n’était pas une vue philanthropique qui les dirigeait mais le désir de sauver les ministres accusés. Sur cette intervention officieuse d’un parti peu populaire, le peuple, qui jusqu’alors était calme et qui paraissait disposer [sic] à respecter les arrêts de justice ; s’émeut, [pousse] des cris »21. Dans ce contexte, la condamnation par un fonctionnaire, dans une proclamation exposée dans la capitale, d’une action de la Chambre et du roi est insupportable. Malgré une interdiction de publication dans le Moniteur, ce texte est exposé dans les rues de la ville. Le roi et son gouvernement cherchent par tous les moyens à éviter l’apparition de nouvelles émeutes liées au procès des ministres, manifestations qui viendraient ternir les débuts d’un régime à peine installé.

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Figure 2 : Bibliothèque historique de la ville de Paris, NA 154, folio 113, 19 octobre 1830, « Le Préfet de la Seine à ses concitoyens »

17 Les débats autour de cette proclamation dévoilent bien l’enjeu politique lié à l’affichage de tels écrits et la manière dont, même au niveau des autorités publiques, les murs peuvent être un moyen d’exprimer une désapprobation. Cet épisode ayant permis au préfet de la Seine de révéler son désaccord et de montrer qu’il percevait l’adresse du 9 octobre comme une manœuvre politique maladroite qui ne pouvait que pousser le peuple à la révolte.

18 Une autre affiche mérite notre attention : celle des polytechniciens22. Les élèves de l’École polytechnique ont joué un rôle fondamental dans la révolution de 1830, rôle qui n’est pas tant lié au nombre de blessés dans leurs rangs qu’à la valeur symbolique de leur participation aux combats23. Même si leur présence est attestée au sein des affrontements dès la journée du 28 juillet, surtout lors de la prise de l’Hôtel de Ville, le recensement des combattants issus de l’École polytechnique indique un nombre encore assez faible, accompagnés par des étudiants, nombreux à avoir participé aux événements. Lors des manifestations pendant le procès des ministres, les élèves des Ecoles parcourent les rues pour ramener la population parisienne au calme. Leur présence héroïque dans les combats de Juillet et l’influence politique qui en découle auprès des classes populaires les conduisent à jouer ce rôle de modérateurs.

19 Le 22 décembre 1830, le verdict du procès des ex-ministres de Charles X est annoncé : pour Polignac, c’est la mort civile (perte de tous ses droits civils, dont celui de posséder une propriété), et pour les trois autres, l’emprisonnement à vie. Le jour même, les étudiants affichent une proclamation dans les rues de la ville, rappelant tout d’abord leur participation aux journées révolutionnaires aux côtés des classes populaires ; appelant ensuite les insurgés à l’indulgence face au jugement des ex-ministres. Alors

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que le gouvernement craint qu’ils ne se joignent aux manifestants, les étudiants se révèlent en fait des agents actifs et utiles au pouvoir. Louis-Philippe a trouvé en eux un allié de taille pour remettre de l’ordre et empêcher des débordements populaires. L’alliance avec le peuple français est encore intacte, mais elle ne tarde pas à s’entacher. Malgré la création, dès les lendemains de la Révolution, de l’Association des élèves de l’École polytechnique ayant pour but de prodiguer un enseignement gratuit aux classes populaires, le rapprochement avec le peuple parisien se ternit lors du procès des ex- ministres. En effet, dès le jour de l’annonce du jugement de ceux-ci et à la suite du mécontentement exprimé par la population parisienne, on assiste dans Paris au défilé des polytechniciens, carte d’étudiant au chapeau, aux cris de « Vive l’ordre ! ». Le maire du douzième arrondissement, dans une lettre adressée au préfet de la Seine, témoigne du regard porté sur les élèves à ce moment précis : « J’ai eu l’honneur de vous instruire des dispositions favorables des élèves de l’École polytechnique et des Écoles de droit et de médecine, et de leur empressement à s’associer au zèle et aux efforts de la garde nationale pour le maintien de la tranquillité publique. Le concours de ces jeunes citoyens a produit un très bon effet ; ils se sont réunis aux gardes nationaux qu’ils accompagnent dans des fréquentes patrouilles qui parcourent les rues et leur apparition semble déconcerter les agitateurs »24. La révolution de 1830 était terminée.

20 Avec cette proclamation, les étudiants réaffirment leur soutien au nouveau gouvernement, eux qui avaient été depuis quinze ans de virulents opposants au régime précédant. Mais l’existence d’une proclamation concurrente émanant aussi des élèves des Écoles complique la situation. Une autre affiche est exposée dans la ville, réclamant « une base républicaine pour nos institutions », et menace, pour la conquérir, de se joindre au peuple de Paris25. Cette proclamation, qui manifeste l’opposition des élèves des Écoles, vient ici nuancer l’idée d’une École entièrement acquise à la cause du nouveau roi. Les affiches exposées dans les rues de la ville continuent donc de se répondre après la révolution.

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Figure 3 : Bibliothèque historique de la ville de Paris, NA 154, folio 209, 22 décembre 1830, proclamation « Les écoles polytechniques, de droit et de médecine ».

21 Enfin, après avoir étudié une affiche de l’autorité, une proclamation des étudiants, examinons une proclamation d’ouvriers26, écrite par les représentants de la commission des ouvriers imprimeurs. En 1830, ces derniers ont activement participé aux combats, participation motivée par leur mécontentement face aux ordonnances rétrogrades de Charles X, mais ils ont également utilisé ces moments de trouble pour mettre en acte une de leurs menaces : le bris des presses mécaniques. Le 29 juillet, celles de l’Imprimerie royale sont détruites. Les typographes continuent de revendiquer tout au long du mois d’août ; et cette agitation des ouvriers imprimeurs, très actifs car possédant un niveau d’instruction plus élevé, inquiète les contemporains27. L’exposition de cette proclamation au début du mois de septembre dans les rues parisiennes ne passe donc pas inaperçue. On peut y lire : « Nous commissaires, nommés par les ouvriers imprimeurs pouvons affirmer que tout s’est passé avec ordre et décence et qu’aucun rassemblement n’aura lieu, étant seuls chargés par les ouvriers imprimeurs de Paris de prendre leurs intérêts et de veiller au maintien du bon ordre parmi eux. »

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Figure 4 : Bibliothèque historique de la ville de Paris, NA 154, folio 25, « Les ouvriers imprimeurs de Paris ».

22 Ce plaidoyer en faveur des imprimeurs témoigne des difficultés pour les contemporains à discerner les auteurs des manifestations et leur besoin de distinguer les bons des mauvais ouvriers. Le libraire et éditeur Camille Ladvocat, dans sa note au ministre de l’Intérieur, début septembre, évoque cette figure singulière au sein des classes populaires, incarnée par les ouvriers imprimeurs. Selon lui, « par leurs connaissances et leurs habitudes [ils] forment une classe à part parmi les nombreux ouvriers dont regorge Paris et ils méritent qu’on leur attribue une très grande part dans les succès des trois journées décisives de Juillet »28. Cette affiche essaie de rassurer les Parisiens en présentant un groupe irréprochable (les imprimeurs) et tente de le démarquer de ceux qui inquiètent alors les autorités, les ouvriers des faubourgs, qui bouleversent l’ordre public en exprimant leur contestation. Ainsi, l’action, clandestine dans l’atelier, prend place dans l’espace public.

23 Face à ces proclamations affichées dans la ville, proclamations exposées avec l’accord des autorités, paraissent d’autres affiches, parfois manuscrites. Les contemporains parlent alors plutôt de « placards ».

Les placards séditieux pendant la révolution

24 À la proclamation aux accents officiels répond le placard manuscrit, qui émane de la rue. En 1831, un placard est défini comme « un écrit ou imprimé qu’on affiche dans les places, dans les carrefours, afin d’informer le public de quelque chose. […] Il se prend aussi pour un écrit injurieux, qu’on rend public en l’appliquant au coin des rues, ou en les semant parmi le peuple »29. Très peu de ces placards ont été conservés : il était dangereux de les garder et la plupart d’entre eux ont brûlé dans les incendies de la préfecture de police. L’accès à cette source est donc indirect : seuls les rapports des

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agents de la préfecture permettent d’accéder à ces écrits, à leurs contenus et de comprendre les usages qui en sont faits par les contemporains. Ces rapports de police témoignent de l’existence des multiples interactions entre les écrits exposés dans la capitale. On retrouve la trace de ces écrits séditieux dans les Bulletins de Paris30qui rendent compte des murmures, rumeurs et gestes des classes populaires. Ils donnent davantage accès aux représentations du peuple au sein de l’administration policière qu’à une description de la réalité des classes populaires. Mais ils permettent d’évaluer aussi le contenu, et parfois la réception, des placards exposés dans Paris pendant et après les Trois Glorieuses31.

25 En octobre 1830, les placards témoignent du grand intérêt que portent les Parisiens à la punition des ex-ministres. Le 12 octobre 1830, un agent relate que « ce matin à 6 heures, un placard manuscrit et intitulé sur l’abolition de la peine de mort à la garde nationale, était affiché au coin de la rue Saint-Antoine et de la rue des Tournelles »32. Il poursuit en indiquant qu’« un grand nombre d’ouvriers rassemblés pour le lire semblaient en approuver le contenu »33. Le lendemain, les « affiches les plus menaçantes, placardées dans divers quartiers de la capitale » inquiètent l’administration préfectorale. Le 16 octobre, « les placards manuscrits continuent à inonder les quartiers les plus populeux de Paris ; ces écrits prennent même un caractère de violence assez marqué. C’est tantôt le peuple qui demande la mort, le peuple qui condamne. »34

26 Les auteurs, généralement inconnus, de ces placards appelant à la vengeance populaire, se servent du peuple pour exprimer leurs opinions. L’utilisation du mot « peuple » sert à critiquer le gouvernement sous couvert d’une opinion populaire35. On retrouve cette utilisation du peuple en rapport avec les placards dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. À ce sujet, le rapport d’un agent de police, écrit le 19 décembre, mérite d’être cité : « […] le peuple ne s’en contentera pas ; pour lui, pas d’autre maxime que : le sang veut du sang : ce sont des victimes dévouées à la vengeance qu’il serait dangereux de lui soustraire ; déjà des placards ont été affichés à Paris, dans le quartier du Luxembourg et on ne peut pas sagement présumer que cette crise se passe sans secousses »36. Ce rapport dévoile les représentations d’un peuple inquiétant en cette période post-révolutionnaire, mais surtout il met au jour la peur engendrée par des écrits séditieux qui témoigneraient, eux, selon les dires des agents de la préfecture, d’un possible réveil insurrectionnel. Du côté des autorités, la peur d’un soulèvement est donc toujours bien présente. Les placards, sous couvert d’une origine populaire, servent aux pouvoirs publics pour justifier la répression et la surveillance d’une population qui s’avère, selon eux, de plus en plus menaçante. Le contrôle de l’écrit dans l’espace public s’en trouve renforcé.

27 D’après les rapports de police, la vengeance populaire serait impossible à contenir. Toutes les issues envisagées engendrent des représentations inquiétantes du peuple : si la sentence de mort est exécutée, le gouvernement doit craindre le déchaînement populaire et le débordement des réactions qui accompagnent normalement l’exécution de la sentence capitale37 ; et si la sentence de mort est rejetée, il doit s’inquiéter des conséquences d’une justice populaire plus impitoyable encore. En refusant la peine de mort, le régime montrerait aussi qu’il ne ferait plus de concession au parti du Mouvement, dont Odilon Barrot et Laffitte sont les principaux représentants, et qu’il utiliserait la force pour maîtriser la rue.

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28 Les événements de l’automne autour du procès des ministres de -Charles X ne sont pas les seuls à susciter des placards. Les différents partis les utilisent aussi pour s’affronter. Un manuscrit intitulé « Les Trois Glorieuses vues par Creuse » rapporte que dès le 31 juillet « plusieurs proclamations ont été affichées, elles ont pour motif de faire accepter le duc d’Orléans pour roi, beaucoup ont été déchirées. D’autres proclamations qui disent plus de rois plus de Bourbons ont été mieux accueillies »38. Ce fait révèle l’enjeu symbolique et politique qui se joue à travers les écrits exposés dans la ville. Il montre aussi les difficultés à faire accepter le duc d’Orléans comme roi. Alors que la plupart des contemporains insistent sur les soutiens apportés au duc, les placards dévoilent des voix divergentes. En effet, des textes à caractère républicain sont apposés sur les murs de la capitale pendant et aussitôt après la révolution, montrant bien la réalité du sentiment républicain et la volonté exprimée par une partie de la population de résister à la monarchie orléaniste39.

29 Les placards révèlent la figure d’un peuple qui exprime par ses cris et ses écrits des réclamations que les contemporains souhaitent évincer. Ils témoignent des sentiments d’opposition et permettent aux classes populaires de manifester leur présence dans la ville. Les rapports de la préfecture de police montrent également la réception de ces écrits et leur impact sur les habitants. Mais il existe aussi d’autres écrits qui circulent même s’ils sont moins visibles : les bulletins écrits à la main. Une seule trace de ces bulletins illicites a été retrouvée. Victor Crochon, un témoin des journées révolutionnaires, les mentionne : « Des bulletins écrits à la main étaient répandus avec profusion ; nous citerons, entre autre, les suivants. […] Un capitaine de la ligne a refusé de tirer. Allons, amis, du courage ! le sang de nos frères crie vengeance ! À demain, au point du jour ! Nous n’avons pas d’armes mais nos ennemis en ont. Plusieurs postes ont été désarmés. Ne nous laissons pas abattre, Vive la charte ! Vive la ligne ! La ligne ne tire pas ! La ligne est à nous ! »40

30 Ce témoignage révèle la présence d’écrits émanant des insurgés, ces bulletins invitent à l’action et à la poursuite des combats.

31 La lutte pour l’appropriation de l’espace public par l’écriture dure plusieurs mois après la révolution. L’écriture exposée est en même temps un moyen d’expression pour ceux qui n’ont pas accès aux autres moyens d’expression et un instrument du pouvoir pour s’imposer dans la ville. Outre des témoignages ou des rapports de police, il reste à l’historien les images qui décrivent la rue.

L’écriture exposée dans l’iconographie

Affiches et écrits dans les images

32 À l’arrière plan des images figurent souvent les nombreuses proclamations qui couvrent les murs de la capitale pendant et après la révolution. Grâce à la lithographie, procédé alors très récent en France, beaucoup d’images sont produites en août 1830. Le dépôt des lithographies permet de voir à quelle rapidité les artistes produisent et œuvrent déjà à une histoire de l’événement41. Dans les mois qui suivent, d’août à décembre 1830, 1 861 images ont été déposées, dont 30 % au mois d’août. La révolution suscite un grand nombre de productions artistiques de tous genres : outre les lithographies qui représentent chaque journée, des caricatures et des macédoines (éventail de plusieurs petites images représentant des épisodes historiques ou des

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personnages) remémorent à chacun les événements dans leur chronologie. Mise au point en Allemagne par Alois Senefelder, la lithographie intéresse les Français dès 1815. Avant l’invention de ce procédé, la seule façon d’imprimer une image était de la graver, méthode qui pouvait se révéler coûteuse et longue. Avec la lithographie, l’artiste dessine directement sur pierre, la pièce imprimée est encrée au rouleau sur machine, et enfin l’encre adhère au papier, transférant celui-ci sur la totalité du dessin. Ce procédé permet surtout de produire des estampes à grand tirage et bon marché. Désormais l’image imprimée n’est plus réservée aux seuls connaisseurs à même de s’offrir une estampe. Vendue dans la rue, imprimée dans les journaux, affichée sur les murs, en vitrine des marchands d’estampes, elle devient un objet de consommation courante42.

33 En terme d’iconographie, c’est donc surtout à travers les lithographies que l’on peut percevoir la place des écrits exposés dans la ville au moment de la révolution. Dans de nombreuses images, on retrouve les affiches évoquées précédemment : le texte des ordonnances, les proclamations des ouvriers… Par exemple, dans la caricature de Grandville présentée ci-dessous se devinent des écrits affichés sur les murs. Un colleur d’affiche est pris à partie par un de ses collègues et la légende ironise sur la pérennité de la nouvelle Charte dans un langage propre aux afficheurs : « C’té Charte là… ça a pas été regratté dessous. C’est un badigeonnage qui tiendra pas, faudra revoir ça, mon vieux. »43 Cette image permet d’observer les affiches collées sur les murs de la capitale. On imagine que le colleur d’affiche vient d’apposer le texte de la Charte de 1830, d’après la légende, mais on aperçoit aussi derrière lui d’autres proclamations. Un texte apposé dans son dos a pour titre : « Punition exemplaire des ministres ». On retrouve les placards cités précédemment sur le procès des ministres de Charles X et on aperçoit au second plan d’autres proclamations ou placards lus par les Parisiens. Il existe de nombreuses lithographies, caricatures ou scènes historiques, dans lesquelles les artistes évoquent les affiches, proclamations ou placards qui se superposent sur les murs parisiens pendant la révolution.

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Figure 5 : Grandville, lithographe Langlumé, « C’té Charte là… ça a pas été regratté dessous. C’est un badigeonnage qui tiendra pas, faudra revoir ça, mon vieux », musée Carnavalet.

Sur deux caricatures en particulier

34 Les deux images qui suivent44 rendent compte de l’utilisation de cette écriture exposée dans la ville. Par la satire, les artistes de l’époque utilisent l’écrit dans l’image pour exprimer leur opposition au régime.

35 « Il a raison l’moutard… » d’Honoré Daumier représente deux portefaix s’indignant devant la récupération de la révolution par les nantis. Les individus se tiennent devant une lithographie placardée au mur et sur laquelle on peut lire : « Celui qui s’bat, c’est pas celui qui mange la galette. » L’image provoque une réaction chez les deux hommes et l’un d’eux s’exclame : « Il a raison l’moutard – eh oui c’est nous qu’a fait la révolution et c’est eux qui la mangent (la galette) ». Derrière eux se devinent des bourgeois regardant les affiches exposées.

36 Cette lithographie prouve, si besoin était, l’engagement de l’artiste dans l’opposition quelques mois après la révolution. Elle met en scène une forme de réception des caricatures : les deux hommes réagissent face à une image affichée sur le mur. Il s’agit d’une caricature de Charlet, le dessinateur quasi officiel de l’épopée napoléonienne, qui date de 1827 : elle représente deux enfants se disputant une galette qui finira par être mangée par un chien. La véritable légende est la suivante : « Ceux là qui se bat… pour la galette, c’est pas celui-là qui la mange ; il attrape les bons coups et pis c’est bon ! » Le chien de Charlet devient le bourgeois de Daumier. Par ce glissement, Daumier insiste sur l’opportunisme des bourgeois après la révolution de 1830.

37 Les lithographies atteignent alors un public plus varié et inquiètent les autorités. Elles se font de plus en plus critiques ; l’opposition se manifeste par ce biais, ce qui oblige le

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préfet de police à prendre des mesures. L’ordonnance du 10 décembre 1830 met donc un terme à cette déferlante incontrôlable d’images en tous genres. On ne perçoit pas ici seulement le public touché par les lithographies mais aussi l’interaction entre les différents supports exposés dans la capitale, interaction qui est aussi visible dans un dessin de Machereau, lithographié par Delaporte, et publié à la même époque. Graveur et dessinateur lithographe sous la Restauration, Machereau a publié à cette époque de violentes caricatures contre le gouvernement et le clergé. L’artiste est un des plus prolixes en caricatures politiques après la révolution. Le dessin lithographié représente une manifestation de bouchers dans Paris. Il cherche à mettre au premier plan les manifestations ouvrières et représente les hommes du peuple réclamant de meilleures conditions de travail. Cette lithographie fait référence à travers son titre à deux événements : d’une part à la manifestation des bouchers parisiens au soir du 15 août pour l’abolition de la réglementation de leur commerce, d’autre part, aux manifestations contre les presses mécaniques. Dans le corpus d’images sur les journées de Juillet45, tous genres confondus, c’est une des rares fois où une banderole apparaît dans la ville. Au centre de l’image se tient un personnage imposant qui porte un tournebroche dans la main. Un drapeau flotte au-dessus de lui et porte l’inscription suivante : « Plus de tournebrauche maikanyk ou la more ». Au bout de sa hampe se trouve un poulet rôti. Les personnages qui l’entourent sont déformés à l’excès, figurés de manière grotesque, ces hommes avancent dans la rue en brandissant des couteaux, des casseroles ou divers ustensiles liés à leur corps de métier46. À travers cette caricature, l’artiste met en scène l’écrit dans la ville, réapproprié par les classes populaires47. L’écriture est ici abondamment représentée dans l’espace public à travers les enseignes – en haut à gauche on peut lire : « Mécanitien, vendeur des tournebroches mécaniques perfectionnés, modèle à l’exposition » ; la banderole ; les murs où on peut voir une proclamation intitulée « Avis aux ouvriers ».

38 La lithographie offre ainsi un accès à l’environnement graphique de la ville et rend compte des usages des écrits exposés, mais elle permet aussi de retrouver la trace d’écrits plus illicites.

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Figure 6 : Honoré Daumier, imprimeur-lithographe Victor Ratier, « Il a raison l’moutard – eh oui c’est nous qu’a fait la révolution et c’est eux qui la mangent (la galette) », 1830, Bib. nat., cabinet des Estampes, cote originale : Dc 180, t. I.

39 *

40 Ces inscriptions murales ne sont visibles qu’à travers les lithographies. Dans certaines images relatant les événements, on découvre les inscriptions des révolutionnaires gravées sur les murs de la ville. Dans un dessin de Victor Ratier, intitulé « Arrêtez, c’est mon frère »48, on peut lire sur le mur : « Le traître Raguse est tué. » Dans une autre, lithographiée par Lemercier, intitulée « Le Blessé »49, ce sont les mots : « Vive la liberté, à bas les Jésuites » qui sont inscrits sur les parois. Il existe beaucoup d’images en 1830 où l’auteur a reproduit les graffitis, comme : « Plus de bourbons ; vive la Charte » ou encore « Respect à la propriété » ou tout simplement « le traître Raguse ».

41 Cette forme d’écriture illicite ne nous est transmise que grâce aux lithographies, seule trace graphique de la ville en un temps où la photographie n’existe pas encore. Les principales revendications des insurgés s’y perçoivent : la défense de la Charte et surtout la célébration de la liberté. Enfin, dernier thème abondamment traité sur les murs de la ville : la haine des jésuites, à un moment où l’anticléricalisme réapparaît violemment sur le devant de la scène. Ces inscriptions constituent un moyen d’expression pour les semi-lettrés, qui peuvent directement se manifester sur les immeubles, édifices, monuments de la capitale. Par celles-ci, la population s’approprie l’espace public et manifeste sa contestation. Cette occupation graphique des murs de la ville se superpose aux écrits officiels et en cela déjà vient les contester. Envahir les murs d’inscriptions revient donc symboliquement, pour les révolutionnaires de 1830, à prendre le pouvoir dans la ville et à ne plus le laisser uniquement aux classes dominantes et aux écrits qu’elles exposaient : économiquement (par les affiches commerciales) et politiquement (par les affiches des autorités)50.

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42 Redoublant le rôle de la presse, l’écrit envahit les murs de la capitale en 1830, aussi bien sous forme de proclamations de l’autorité publique, que de placards manuscrits ou d’inscriptions illicites… Ces textes frappent les contemporains. Certains récits écrits à chaud pendant ou juste après l’événement témoignent de l’impact qu’ils ont sur les habitants. Dans le rapport d’un policier adressé au préfet de police le 16 octobre 1831, se lisent les changements apportés par l’événement révolutionnaire : « Avant la révolution de 1830, les dessins gravés ou lithographiés ne pouvaient être exposés publiquement sans l’autorisation du gouvernement […] Depuis ce moment, un méchant esprit n’a cessé de diriger le crayon de la plupart de nos artistes dans ces sortes de productions, en effet, les rues, les passages et les places publiques sont constamment tapissés d’ignobles images ou caricatures qui livrent la dignité royale, la personne du prince, les membres de sa famille et de son gouvernement à la dérision et à l’outrage, alors on sent le besoin d’invoquer la pudeur publique. »51

43 Cette brochure d’un contemporain des faits rend compte elle aussi de l’existence de ces écrits exposés dans la ville : « Les murs de Paris étaient couverts d’affiches où tout ce que les hommes ont coutume de vénérer s’est vu livré à la haine populaire ; et pourtant ces affiches s’imprimaient, se plaçaient sans espoir apparent de lucre, de dédommagement ; aux coins des rues chacun lisait gratis. Ce nouveau genre de cabinet de lecture ne rapportait donc rien au propriétaire de l’établissement ; mais ces affiches excitaient au désordre, à la spoliation des propriétés. »52

44 Ces deux témoignages soulignent l’importance de la présence des écrits exposés dans la capitale et de la peur qu’ils suscitent. C’est leur pouvoir qui est ici rappelé. Car les textes exposés dans l’espace public sont pendant ce moment révolutionnaire des écrits d’action53. En effet, ils invitent à l’action, les placards séditieux le prouvent, apposés aux coins des rues, ils appellent la population à la vengeance.

45 Ces pratiques d’écriture se retrouvent dans la plupart des mouvements révolutionnaires qui jalonnent le XIXe siècle. Que ce soit en 1848 ou en 1871, lors de la Commune de Paris, Paris se couvre d’écrits exposés en tous genres et, même si leurs enjeux politiques diffèrent, c’est le contrôle de l’espace public à travers l’écrit qui est toujours en jeu. Cependant, les révolutionnaires réutilisent souvent les mêmes pratiques d’affichage que les gouvernements qu’ils viennent de renverser, pensant sans doute légitimer ainsi leur prise de pouvoir. Moyen d’information privilégié et indispensable au XIXe siècle, l’affiche reste un moyen de propagande efficace54, et son étude et surtout ses usages permettent de toucher un panel de lecteurs et de scripteurs parfois absents en temps ordinaires. Inscriptions et affiches illicites auront tout au long du siècle à lutter contre une censure toujours plus présente et une surveillance toujours plus active. Après chaque période de liberté due aux événements révolutionnaires, tous les régimes du XIXe siècle ont finalement repris les raisonnements et la politique de l’Empire en ce qui concerne le régime de l’imprimerie et de l’affichage. Jusqu’à la fin du siècle, la même logique est conservée, celle d’un contrôle des écrits exposés et de la liberté d’expression. Dans une perspective plus large, une comparaison entre les pratiques d’affichage des différents mouvements révolutionnaires du XIXe siècle reste à mener, aussi bien au niveau national qu’au niveau européen. Enfin, cette pratique est à réinscrire dans une réflexion sur les formes de l’action collective : de même que 1830 a « révélé la barricade »55, cette révolution n’a-t-elle pas aussi marqué une étape décisive dans l’histoire des écrits exposés ?

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NOTES

1. . Philippe Artières, « Écritures », dans Philippe Artières, Mathieu Potte-Bonneville, D’après Foucault. Gestes, Luttes, Programmes, Essais, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007, p. 327. 2. . Jürgen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Critique de la politique, Paris, Payot, 1978 et Michelle Perrot, « Introduction », dans Philippe Ariès et Georges Duby [dir.], Histoire de la vie privée, 5 tomes, tome 4, Paris, Le Seuil, 1999, p. 7-12. Voir également Karen Bowie, La modernité avant Haussmann. Formes de l’espace urbain à Paris, 1801-1853, Paris, Éditions Recherches, 2001 3. . Alain Weill, L’affiche dans le monde, Paris, Somogy, 1991 (1 re édition en 1984) ; Laurent Gervereau, Terroriser, manipuler, convaincre. Histoire mondiale de l’affiche politique, Paris, Somogy, 1996. 4. . L’affiche en révolution, Vizille, Musée de la Révolution française, 1998. 5. . Béatrice Fraenkel, « Les écritures exposées », Linx, no 31, 1994, p. 99-110 ; Armando Petrucci, Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription en Italie, XIe-XXe siècles, Paris, EHESS, 1993. 6. . François Furet et Jacques Ozouf, Lire et écrire. L’alphabétisation des français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Éditions de Minuit, 1977, 2 volumes, volume 2, p. 175 ; Martyn Lyons, Le triomphe du livre. Une histoire sociologique de la lecture dans la France du XIXe siècle, Paris, Promodis/Cercle de la librairie, 1987. 7. . Daniel Roche, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Paris, Aubier Montaigne, 1981 (1998), p. 204-241. 8. . En 1830, la presse joue un rôle fondamental dans le processus révolutionnaire et son étude permet de saisir les différents affrontements autour des représentations du peuple. Voir Charles Ledré, La presse à l’assaut de la monarchie, 1815-1848, Paris, Armand Colin, 1960. 9. . Collection officielle des ordonnances de police, tome 2, Paris, Paul Dupont, 1844. 10. . Ordonnance concernant les affiches et les afficheurs. Paris, le 28 novembre 1829, n o 1333, idem, p. 527. 11. . Philippe Minard, Typographes des Lumières, Seyssel, Champ Vallon, 1989. 12. . Jean Baptiste Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, publiée sur les éditions officielles du Louvre, de l’Imprimerie nationale par Baudouin et du Bulletin des lois, de 1788 à 1824 inclusivement, Paris, A. Guyot et Scribe, 1826, tome 17, p. 24-28. 13. . Odile Krakovitch, Les imprimeurs parisiens sous Napoléon 1er. Édition critique de l’enquête de décembre 1810. Censure, répression et réorganisation du livre sous le Premier Empire, Paris, Paris- Musées, 2008. 14. . Paul Chauvet, Les ouvriers du livre en France, Paris, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1956, tome 2, De 1789 à la constitution de la Fédération du livre et Roger Chartier et Henri-Jean Martin [dir.], Histoire de l’édition française, tome 3, Le temps des éditeurs, du romantisme à la Belle Époque, Paris, Fayard, 1985. 15. . Émile Mermet, La publicité en France. Annuaire pour 1878, Paris, A. Chaix, 1878. 16. . No 1363. Ordonnance concernant les affiches, les afficheurs et les crieurs, Paris, le 23 août 1830, Collection officielle des ordonnances…, ouv. cité, p. 578. 17. . Collection officielle des ordonnances…, ouv. cité , tome 4, Paris, Paul Dupont, 1845, n o 333 (Appendice. Lois sur les afficheurs et les crieurs publics). 18. . Ibidem. 19. . Bib. hist. ville Paris (Bibliothèque historique de la ville de Paris), NA 154, f° 113, 19 octobre 1830, « Le Préfet de la Seine à ses concitoyens ». 20. . Ibidem. 21. . Odilon Barrot, Mémoires posthumes, Paris, Charpentier et Cie, 1875, 2 tomes, tome 1, p. 193.

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22. . Bib. hist. ville Paris, NA 154, f° 209, 22 décembre 1830, « Les écoles polytechniques, de droit et de médecine ». 23. . Jean-Claude Caron, Générations romantiques. Les étudiants de Paris et le Quartier latin, 1814-1851, Paris, Armand Colin, 1991. 24. . Bib. hist. ville Paris, NA 154, f° 301, Le maire du 12e arrondissement au préfet de la Seine, 22 décembre, 4 heures après midi. 25. . David H. Pinkney, The of 1830, Princeton, Princeton University Press, 1972, traduction française La Révolution de 1830 en France, Paris, Presses universitaires de France, 1988. 26. . Bib. hist. ville Paris, NA 154, f° 25. 27. . Paul Chauvet, Les ouvriers du livre en France…, ouv. cité ; François Jarrige, « Les ouvriers parisiens et la question des machines au début de la monarchie de Juillet », dansPatrick Harismendy [dir.], La France des années 1830 et l’esprit de réforme. Actes du colloque de Rennes, 6-7 octobre 2005, organisé par le CRHISCO, Rennes 2-CNRS et le Centre d’histoire du XIXe siècle, Paris 1-Paris 4, Carnot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 211-222. 28. . Arch. nat. (Archives nationales), F18 567, « Note pour Monsieur le ministre de l’Intérieur sur les ouvriers imprimeurs », signé C. Ladvocat, le 4 septembre 1830. 29. . Dictionnaire de l’Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l’Académie elle-même, nouvelle édition, tirage de 1831, tome 2, Paris, Guillaume, 1831, p. 298. 30. . Classés dans la série F7 des Archives nationales. 31. . Sur les usages historiens de ce type de sources : Frédéric Chauvaud et Jacques-Guy Petit [dir.], L’histoire contemporaine et les usages des archives judiciaires (1800-1939). Actes du colloque de l’université d’Angers, 11-13 décembre 1997, organisé par le Centre d’histoire des régulations et des politiques sociales, UPRES EA 1710, Histoire et archives, Paris, Honoré Champion, 1990. 32. . Arch. nat., F7 3883, Bulletin de Paris, 12 octobre 1830. 33. . Ibidem. 34. . Arch. nat., F7 3883, Bulletin de Paris, 16 octobre 1830. 35. . Voir les analyses de Maurice Tournier, « Le mot “Peuple” en 1848 : désignant social ou instrument politique ? », Romantisme, no 9, 1975, p. 6-20. Voir aussi Nathalie Jakobowicz, Figures et usages du « Peuple » en 1830, thèse d’histoire sous la direction de Dominique Kalifa, université de Paris 1, 2007 et 1830. Le peuple de Paris. Révolution et représentations sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.. 36. . Bib. hist. ville Paris, Ms. 1041 : Monarchie de juillet. 37. . Au début du XIXe siècle, les exécutions capitales donnent lieu à des débordements. Par la suite, toutes les mesures sont prises pour limiter ces manifestations populaires, mesures qui s’inscrivent dans « le temps long d’un mouvement des sensibilités, réclamant douceur des peines et décences dans leur application », Anne-Emmanuelle Demartini, « L’exécution de Lacenaire, entre scandale et édification », dansRégis Bertrand et Anne Carol [dir.], L’exécution capitale. Une mort donnée en spectacle, XVIe-XXe siècles, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2003, p. 151. 38. . Bib. hist. ville Paris, Ms. 1029 : Révolution de juillet 1830 39. . Voir Philippe Darriulat, Les patriotes. La gauche républicaine et la nation 1830-1870, L’Univers historique, Paris, Le Seuil, 2001. 40. . Bib. hist. ville Paris, Souvenirs de Victor Crochon, Ms. 1025 (1), chapitre 3, p. 144. 41. . Arch. nat., F18* (VI) 11 : dépôts des lithographies. 42. . Jorge De Sousa, La mémoire lithographique. 200 ans d’images, Paris, Arts et Métiers du livre, 1998, p. 21. 43. . Grandville, lithographe Langlumé, « C’té Charte là… ça a pas été regratté dessous. C’est un badigeonnage qui tiendra pas, faudra revoir ça, mon vieux », musée Carnavalet. 44. . Honoré Daumier, lithographe Victor Ratier, « Il a raison l’moutard – eh oui c’est nous qu’a fait la révolution et c’est eux qui la mangent (la galette) », 1830, Bib. nat., cabinet des Estampes,

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cote originale : Dc 180, tome 1 et Machereau, lithographe Delaporte, « Nouvelle interprétation de l’article 14. La charte prohibe les tournebroches mécaniques », 1830, Bib. nat., cabinet des Estampes, coll. Histoire de France, cote originale : QB1, cote microfilm : M 111536. 45. . Dans le cadre d’une thèse sur les figures du peuple en 1830, nous avons constitué une base de données de 1 328 images regroupant les collections Histoire de France et de Vinck, consultables au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale de France, ainsi que celle du musée Carnavalet. 46. . Sur le grotesque, voir le numéro 10 de la revue Sociétés & Représentations – Le Rire au corps. Grotesque et caricature, octobre 2000. 47. . Voir aussi une autre de ses œuvres dans laquelle est affichée une proclamation : Machereau, lithographe Langlumé, « Brisez vos machines ! – c’est déjà fait père Saint Ignace », 1830, musée Carnavalet, cote : PC050D. 48. . J. Rigo, lithographe Victor Ratier, « Arrêtez, c’est mon frère ! », 1830, Bib. nat., cabinet des Estampes, coll. Histoire de France, cote originale : QB1, cote microfilm : M 111159. 49. . Anonyme, lithographe Lemercier, « Le Blessé », 1830, Bib. nat., cabinet des Estampes, coll. Histoire de France, cote originale : QB1, cote microfilm : M 111294. 50. . Voir Armando Petrucci, Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription…, ouv. cité. 51. . Arch. Préf. police (Archives de la Préfecture de police), Gravure, DA 229. 52. . M. H. de Jailly, Une année ou la France depuis le 27 juillet 1830 jusqu’au 27 juillet 1831, Paris, Chez Dentu, 1831, p. 49. 53. . Action qui est définie comme « la grande fonction qui lie toutes les écritures exposées […] faits pour agir sur autrui, pour informer, pour commémorer, pour honorer […] », Béatrice Fraenkel, Les écrits de septembre. New-York 2001, Paris, Textuel, 2002, p. 23. 54. . Laurent Gervereau, La Propagande par l’affiche, Paris, Syros-Alternatives, 1991. 55. . En quelque sorte, la barricade a été révélée en 1830 alors qu’elle avait été « réinventée » en novembre 1827. Voir Alain Corbin et Jean-Marie Mayeur [dir.], La Barricade. Actes du colloque organisé les 17, 18 et 19 mai 1995 par le Centre de recherches en histoire du XIXe siècle et la Société d’histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997.

RÉSUMÉS

La Révolution française avait déjà marqué un tournant dans l’histoire de l’affiche, qui devient une véritable arme politique. Pendant les journées de Juillet, les différents acteurs s’affrontent par le biais de placards et d’affiches. L’exposition d’écrits devient un enjeu politique majeur dans la capitale pendant comme après l’insurrection, entre les mois de juillet et de décembre 1830. Différentes sources en témoignent. Cet article part de la législation concernant l’affichage à Paris pour analyser trois proclamations issues des principaux groupes d’acteurs des Trois Glorieuses. Il se poursuit par l’étude des placards séditieux exposés pendant les journées révolutionnaires, pour finir par l’analyse des écritures exposées visibles dans les lithographies de l’époque. Ces pratiques d’écritures permettent d’approfondir nos connaissances sur les journées de Juillet, apportant un nouvel éclairage sur cette insurrection, aussi bien du point de vue de l’histoire politique que de l’histoire culturelle de ce début du XIXe siècle.

The French Revolution had already marked a turning point in the history of the poster, which

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became a political weapon. During the revolutionary days of July 1830, the various players compete through placards and posters. The exhibition of writings became a major political issue in the capital during and after the uprising, between July and December 1830. Various sources attest it. This article uses the legislation on posting in Paris to analyze three public notices from the main stakeholder groups of the Three Glorious Days. It then goes through the study of seditious placards exposed during the revolutionary days, ending with an analysis of exposed writings visible in the lithographs of the time. These writing practices can deepen our knowledge about the days of July, bringing new light on the insurgency, both in terms of political history as in terms of cultural history of the early nineteenth century.

AUTEUR

NATHALIE JAKOBOWICZ Docteur en histoire et associée à l’équipe « anthropologie de l’écriture » à l’EHESS

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L’espace parisien des libraires sous la monarchie de Juillet : des solidarités de métier 1 ? Booksellers network within Paris during the July Monarchy: an actual solidarity?

Viera Rebolledo-Dhuin

« D’ailleurs, ça ne me regarde pas, moi, les malheurs de mes proches, reprit Bidault- Gigonnet. J’ai pour principe de ne jamais me laisser aller ni avec mes amis, ni avec mes parents, car on ne peut périr que par les endroits faibles. » Balzac, Les Employés, Folio, Paris, Gallimard, 1985, p. 198.

1 Bidault, dit Gigonnet, que les lecteurs de la Comédie Humaine connaissent comme un investisseur averti, fait ici preuve d’une froideur propre aux manieurs d’argent. Cependant, Gigonnet revient rapidement sur ses propos et n’hésite pas à s’engager avec ses confrères Gobseck, Chaboisseau et Métivier – véritable clique – auprès de Des Lupeaulx, afin de soutenir sa nièce, et plus précisément le mari de celle-ci, Baudoyer, contre l’ennemi Rabourdin, grâce à des opérations financières complexes. Ce Gigonnet n’est pourtant pas un banquier expérimenté, mais un simple papetier qui se convertit à l’escompte.

2 Le présent article tente justement de montrer que l’escompte des Gens du livre et, plus précisément, les réseaux de crédit des libraires en faillite constituent une des clefs de compréhension de l’espace parisien des libraires, un des angles d’approche des continuités et discontinuités socio-spatiales de l’inscription économique et sociale d’un métier entre 1830 et 1848.

3 La première difficulté que soulève cette étude provient des sources et plus particulièrement des dénominations professionnelles utilisées dans les différents corpus. En effet, le terme générique de libraire désigne tout à la fois le bookseller et le publisher et ce, au moins jusqu’aux années 1850, date à laquelle l’éditeur et le libraire se séparent. Dans l’Almanach du Commerce de Didot Bottin, la double dénomination d’« éditeur-libraire » n’opère pas de distinction : près de 1 400 individus sont ainsi recensés entre 1825 et 1845.

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4 Cependant la dénomination choisie par les acteurs devient parfois problématique et le terme d’éditeur peut répondre à une stratégie d’évitement des obligations législatives. En effet, tout comme l’imprimerie, la librairie – mais non l’édition, qui n’existe pas en tant que telle dans la première moitié du siècle2 – est soumise, entre 1810 et 1870, au régime du brevet. En dehors d’une copie d’acte de naissance, les dossiers de demande de brevet sont constitués de certificats attestant l’honorabilité du postulant et d’enquêtes réalisées dans le voisinage par le préfet de police. Cette source, inépuisable pour l’historien du livre, rend compte tant du parcours que de l’ensemble des acteurs entourant le futur libraire et permet une analyse diachronique de l’inscription sociale et géographique des candidats à la librairie. Il ne s’agit pourtant pas ici de faire un examen systématique des 700 dossiers de libraires brevetés sous la monarchie de Juillet, mais de ne retenir que quelques dossiers d’individus sur lesquels davantage d’informations peuvent être obtenues en croisant les différents corpus de sources, notamment celui des faillites.

5 La librairie parisienne connaît en effet au cours de la monarchie de Juillet une profonde mutation, qui se manifeste par une série de faillites, culminant entre 1826 et 1831, avec des prolongements jusqu’aux lendemains des révolutions de 1848. Au delà de la conjoncture morose, cette multiplication des faillites révèle des réseaux complexes de crédit. Les dossiers de faillite contiennent un nombre variable de pièces dont les plus intéressantes sont, ici, les listes de créanciers vérifiés par le juge du Tribunal de Commerce et les rapports de syndics. Ces pièces, parce qu’elles évaluent la solvabilité – sinon l’honnêteté – du débiteur, rendent compte de la réputation de ce dernier3.

6 L’analyse des listes de créanciers, véritable instantané à un moment financier critique, croisée à celle, en positif et sur la longue durée, des Bottins du Commerce et des dossiers de brevet, permet d’appréhender le milieu de la librairie dans son ensemble. Cette approche se démarque, par deux aspects, des traditions qui caractérisent l’historiographie du livre. D’une part, l’histoire du livre est largement dominée par les études monographiques4 qui, pour des raisons évidentes de sources disponibles, se concentrent sur ce qu’Élias Regnault nomme les « barons de l’édition » ou les « Dieux du commerce »5, et où dossiers de brevet et de faillite ne constituent qu’un événement ponctuel au sein d’un long parcours réussi, sinon prometteur. Au contraire, le présent article tente de redonner une réalité aux petits libraires – pour la plupart, restés dans l’ombre – à partir notamment des dossiers de faillite, afin de comprendre un secteur dans son ensemble, avec la totalité de ses acteurs6. D’autre part, en dehors de quelques études économiques7, les recherches sur le livre adoptent le plus souvent une approche culturelle, où la question de l’inscription géographique reste secondaire. Or, il s’agit ici de comprendre les enjeux de l’inscription spatiale de la librairie à Paris, tout à la fois pour mieux appréhender l’espace vécu au quotidien par une catégorie professionnelle et analyser le rôle de l’espace dans l’exercice de ce commerce. L’objectif est donc de voir en quoi l’espace physique est simultanément support et révélateur d’un espace social et économique. Cela suppose de s’interroger sur plusieurs objets de natures différentes – le quartier, les réseaux de crédit, la faillite – pour déterminer si l’intensité et la structure sociale – c’est-à-dire la sociabilité au premier sens du terme – de cet espace physique et professionnel entraînent ou non des relations sociales amicales, sinon de solidarité.

7 Trois aspects peuvent être abordés, en distinguant les différents corpus de sources. Les Bottins du commerce permettent tout d’abord de délimiter l’espace parisien du livre.

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Les dossiers de brevet8 donnent ensuite à voir une représentation, officielle sinon théorique, de l’espace social tout à la fois professionnel et géographique des libraires. Les dossiers de faillites9, enfin, rendent visible l’espace social à l’œuvre, l’espace de crédibilité aux deux sens du terme : espace de crédit et de confiance.

Le Quartier latin, « quartier général » de la librairie

8 Les librairies sont extrêmement concentrées dans l’espace parisien. Plus de deux tiers des boutiques recensées par les Bottins au cours du régime de Juillet se situent dans les IIe, Xe et XI e arrondissements anciens, et plus particulièrement dans ceux de la rive gauche. En réalité, malgré les évolutions de la géographie parisienne du livre au cours de la monarchie de Juillet, l’ancrage historique dans les quartiers de la rive gauche reste de règle, voire se renforce, le quartier Latin exerçant un véritable monopole dans ce secteur. Tableau 1 : Répartition des libraires par arrondissement

Années Arrondissements parisiens Communes Ensemble

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII Batignolles Grenelle

1825 29 70 32 16 9 16 10 11 14 71 179 24 1 482

1835 24 76 26 29 9 17 9 11 15 68 166 19 1 470

1845 28 64 24 18 12 21 3 19 12 94 172 14 1 482

Carte 1 : Évolution de la répartition des libraires parisiens par arrondissement et par habitant

9 À l’intérieur de ces arrondissements, quatre quartiers dominent, deux à deux limitrophes : rive gauche, les quartiers de l’École de Médecine et de la Monnaie ; rive droite, ceux du Palais Royal et Feydeau. Cette localisation est en partie héritée des contraintes pesant sur la librairie d’Ancien Régime : représentants d’un commerce potentiellement séditieux, imprimeurs et libraires sont contraints de travailler dans les quartiers de la Cité, de l’Université ou à proximité de Notre-Dame. Dès la fin du XVIIIe siècle, un mouvement s’amorce : les libraires de la rive gauche se déplacent vers

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l’Ouest de cette même rive et traversent parfois la Seine pour investir le quartier à la mode du Palais Royal10. Cette évolution sensible, qui se fait surtout au détriment du Xe arrondissement, semble pourtant connaître un coup d’arrêt une fois passées les premières années de la monarchie de Juillet. Dès lors, les deux quartiers du quartier Latin regroupent près d’un tiers des librairies parisiennes. Carte 2 : Évolution de la dispersion des libraires par quartier

10 Le caractère relativement éphémère de la librairie du Palais Royal souligne paradoxalement son dynamisme et les spécificités des deux pôles de ce commerce. Situées tout à la fois derrière les Tuileries où viennent flâner les Parisiens aisés, à proximité des boulevards où se développent les scènes de théâtre et à côté de la bourse où se font toutes les affaires, ces boutiques bénéficient d’une conjoncture locale favorable dont elles savent profiter. En effet, le Palais Royal compte un grand nombre de libraires prestigieux parmi lesquels Martin Bossange, libraire du roi, ou le très « fashionable » Ladvocat, modèle utilisé par Balzac pour le portrait de Dauriat11. Pour répondre à leur clientèle bourgeoise, les tenants de boutiques à lire se spécialisent dans la vente de livres rares ou religieux, de pièces de théâtre ou de traités d’économie. En outre, pour faire face à la demande croissante et aux besoins de consultation des journaux d’un public affairé, certains tiennent également un cabinet de lecture : près d’un libraire sur cinq détient, à côté de sa boutique, un cabinet littéraire. Cette particularité explique l’importance des femmes libraires, dont certaines célibataires12. Au contraire, dans le quartier de la Monnaie, les femmes sont deux fois moins nombreuses tandis que dans celui de l’École de Médecine, si elles ne sont pas absentes, il s’agit essentiellement de veuves reprenant la boutique de leur mari13. Cette ouverture propre au quartier de la rive droite n’est pas toujours synonyme de succès puisque dès 1845, le recensement des Bottins note un repli certain vers les quartiers traditionnels de la rive gauche. Le quartier Latin exerce donc une hégémonie pérenne.

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Carte 3 : Densité moyenne de libraires au sein des rues des quatre « quartiers du livre »

11 Plus qu’une circonscription administrative, le quartier est un ensemble d’artères, tout à la fois lieux de passage et de jonction14. En effet, l’extrême concentration des boutiques de librairie, visible au niveau des quartiers administratifs, est d’autant plus sensible encore lorsque l’on considère l’espace vécu des commerçants. L’espace parisien du livre, organisé autour de quelques rues seulement et faisant fi des délimitations officielles, est discontinu et fortement polarisé.

12 Sur la rive droite, les galeries du Palais Royal ainsi que les passages à proximité des théâtres fonctionnent comme des centres attractifs pour les rues attenantes qui sont également très prisées. De l’autre côté du fleuve, la concentration est encore plus importante. Les quais et notamment celui des Augustins, où se compte un libraire tous les cinq mètres – voire plusieurs confrères au même numéro –, polarisent les boutiques de librairie. Les rues adjacentes – Gît le Cœur, Pavée, Grands Augustins et plus loin Hautefeuille – bénéficient de cette hégémonie et rayonnent à leur tour sur le « village » Saint-André des Arts et au-delà, rue Dauphine ou rue de la Harpe. Ici les limites administratives ne rendent pas compte de l’espace du livre, délimité au Nord par le quai des Augustins et celui de Malaquais, au Sud par les rues de l’École de Médecine et de l’Abbaye, à l’Est par la rue de la Harpe et à l’Ouest par celle des Petits Augustins, voire par la rue de Seine.

13 Sans nier la diversité des activités au sein de ces « îlots », ni même la mobilité de quelques libraires – pourtant encore minoritaires15 –, l’espace de la librairie apparaît structuré autour du quartier entendu comme un ensemble de rues présentant une unité fonctionnelle et une homogénéité professionnelle certaine. Si le quartier constitue une entité topographique et sociale mal délimitée16, la proximité d’individus partageant des intérêts quotidiens communs suppose l’existence d’un espace relationnel, perçu et vécu par les acteurs.

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L’inscription de la librairie dans le quartier : une nécessité

14 La concentration spatiale des libraires ne relève pas seulement d’un héritage politique des temps anciens, elle répond également, entre autres17, aux contraintes législatives et économiques du premier XIXe siècle qui imposent des liens de sociabilités inscrits dans le quartier.

15 Le régime du brevet établi en 181018 restaure une logique réglementaire mise à mal lors de la suppression des corporations. Un numerus clausus est rétabli dans l’imprimerie et l’entrée dans la librairie est contrôlée jusqu’à l’avènement de la Troisième République. Tout demandeur de brevet doit présenter à l’inspecteur de la Librairie, dépendant du ministère de l’Intérieur, un acte de naissance, un certificat de bonne vie et mœurs, un autre de capacités ; auxquels s’ajoutent des enquêtes sur le candidat, émanant notamment de la préfecture de police. Plusieurs historiens19 ont montré que, de manière générale, les autorités étaient particulièrement sensibles à l’instruction, à la moralité ainsi qu’à la position politique des requérants. Au-delà, l’analyse des pièces constituant les dossiers de brevet met au jour l’importance des relations que doit détenir le libraire pour exister professionnellement, autrement dit l’indispensable construction d’un espace social qui, souvent, recouvre celui lié à la proximité géographique.

16 Les certificats de capacités, qui doivent être signés par trois professionnels, supposent que le futur libraire connaisse des collègues reconnus, susceptibles d’être crédibles et d’apporter une caution morale. L’obtention du brevet est donc en partie fonction de la renommée des témoins et, de fait, le nombre de signataires varie selon leur réputation, leur crédit. Certains postulants, comme Marie Eugène Belin, justifient l’absence d’un des témoins par la célébrité des signataires20. En effet, les imprimeurs dont il s’agit ici, Ernest Panckoucke et Auguste Alexis Pillet aîné, sont largement connus dans le milieu du livre parisien, voire français. Le premier reprend à son compte l’œuvre de son père et de son grand-père : le Moniteur universel. Le second, de moins grand renom – ce qui explique en partie qu’il inscrive sa filiation dans son patronyme – est l’imprimeur de la Bibliographie de la France, de la Revue de Paris ou encore de Flaubert 21. Certains, au contraire, font preuve de zèle, comme la mère de Marie Eugène Belin, Adèle Mandar qui, en 1834, lorsqu’elle demande le transfert du brevet de son mari à son profit – celui- ci ouvrant une imprimerie à Saint-Cloud22 – présente quatre témoins. Elle veut sans doute souligner par là l’ampleur de ses connaissances, mais également pallier l’absence de relations prestigieuses23, relations que la famille Belin-Mandar finit par obtenir à la génération suivante24.

17 Au contraire, les certificats de moralité, dits de bonne vie et mœurs, montrent qu’à côté de cette inscription professionnelle, le candidat doit posséder des relations de voisinage, véritables garanties de sa réputation. En effet, Antoine Marie Denis Méquignon junior, établi rue de la Harpe n° 115, fait signer son certificat de bonne vie et mœurs par des commerçants de sa rue : un marchand de draps, un marchand de vin et un boulanger, tous situés exactement à côté ou en face de chez lui25.

18 Cependant, les logiques spatiales et professionnelles se recoupent et les signataires des certificats de moralité sont parfois des gens du livre à proximité. Les listes de témoins des Belin26 sont éloquentes. Mère et fils font témoigner des confrères : le certificat

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d’Adèle Belin-Mandar est signé par deux libraires : Igonette et Lagny. Son fils propose comme témoins d’une part, en 1847 pour son brevet de libraire, deux confrères : Guillemot et Gennequin aîné et d’autre part, en 1851 pour sa demande de brevet d’imprimeur : Louis Stanislas Prioux, marchand de papier, et l’imprimeur Auguste Alexis Pillet aîné. Tous ces témoins sont extrêmement proches des postulants et situés exactement dans le même pâté de maisons, le village Saint-André-des-Arts. Les deux logiques, spatiale et professionnelle, théoriquement différentes et propres à chaque certificat, se recoupent dans la pratique. Cette confusion est d’autant plus grande que certains témoins sont récurrents et apparaissent comme signataires des deux certificats soulignant ainsi une relation privilégiée, ici, entre Belin-Mandar et Igonette, et entre Belin fils et Pillet aîné. L’abolition de la distinction entre les deux certificats, de moralité et de capacité, révèle tout à la fois l’importance du voisinage dans la reconnaissance professionnelle et la richesse des liens tissés entre confrères.

19 Pourtant, dans ces certificats, au contraire des actes d’état civil, jamais la nature du lien entre les témoins et le candidat n’est mentionnée. Les signataires appuyant le futur libraire ont-ils véritablement le choix ou imposent-ils leurs conditions, et pourquoi pas des conditions financières ? Il est délicat de répondre catégoriquement, il semble néanmoins que ces signatures, qui s’expliquent par l’extrême concentration des libraires, impliquent un autre type de relations – non plus seulement commerciales mais situées à la limite du professionnel – organisées autour du quartier, entendu ici comme un espace d’interconnaissances et recouvrant en partie la notion de voisinage. Si cette interconnaissance contraint les signataires, elle semble être une source de la crédibilité et de la réputation publiques des postulants, considérés pourtant dans leur intimité.

Carte 4 : Témoins d’Adèle Belin-Mandar et de Marie Eugène Belin

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Carte 5 : Quartier fondant la réputation de Boiste père

20 C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’importance des enquêtes réalisées par le commissaire de police et qui sont fondées en partie sur les « on-dit » circulant dans le quartier. Le préfet de police, pour répondre à la demande du ministre secrétaire d’État, trace, en 1822, le portrait de Jean Alexandre Boiste en ces termes : « Le sieur Boiste père est âgé d’environ 45 ans, marié et père de famille. On annonce qu’après avoir été pendant plusieurs années secrétaire du commissaire de police du quartier de la Cité, il fut nommé officier de Paix, mais qu’il occupa cette place pendant très peu de temps […]. On présente le sieur Boiste comme un homme qui s’est enrichi en faisant valoir ses fonds dans le commerce de la librairie et comme y ayant généralement la réputation d’un aigrefin en affaires et d’un usurier. […] Quant aux opinions politiques du sieur Boiste, elles portent, dit-on, une nuance assez marquée de libéralisme. Enfin, on assure encore que lors des dernières élections, il a voté dans le sens de l’opposition. »27

21 Il est étonnant de voir que cet ancien édile relativement aisé soit refoulé et, plus encore, balayé d’un revers de main par un collègue qui, s’appuyant sur des informations indirectes, trace un portrait particulièrement néfaste. Les qualifications d’usurier et d’homme libéral, empêchent Boiste d’obtenir son brevet de libraire – et donc de recouvrer ses créances. Les informations retenues par le préfet de police proviennent d’un espace relationnel assez flou mais ouvert. Le quartier qui forge la réputation du requérant est ici un espace physiquement discontinu et articulé autour de plusieurs pôles relativement éloignés : les rues liées à l’exercice de ses anciennes fonctions (le quartier de la Cité), celles liées à sa position économique (propriétaire rue des Postes n° 7), celles (beaucoup moins lisibles) liées à l’activité financière et à ses investissements dans la maison Méquignon Havard et Cie, rue des Saints Pères n° 10 où il a élu son nouveau domicile.

22 D’après le rapport policier, il est possible de penser le quartier comme un espace social plus large que celui du voisinage fondé sur l’interconnaissance, et correspondant davantage à un espace d’« intercontact » où l’information circule par tiers interposés28, pour fonder l’opinion communément partagée, sinon collectivement admise. L’exemple de Boiste souligne en outre qu’au sein de l’espace parisien des libraires, les solidarités existent mais ne sont pas mécaniques.

23 À côté des obligations législatives, cette logique d’inscription locale du commerce répond également aux besoins économiques imposés par la profession. La librairie est particulièrement gourmande en capitaux. Si les cadastres industriels et les déclarations de faillite montrent que le mobilier des libraires est relativement limité – quelques

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étagères et un comptoir dans la boutique principale, auxquels s’ajoutent tout au plus un bureau et moins d’une demi-douzaine de fauteuils pour les tenants de cabinets de lecture – le coût de l’installation et les fonds en circulation sont d’une toute autre ampleur. Or, le succès n’est en aucun cas fonction des sommes investies et le risque de faillite s’accroît au rythme des méventes de ces coûteuses publications. Les liens de sociabilité de quartier, qui étaient jusque là de simples formalités administratives, sont alors activés faisant du quartier un espace de crédit. Reste à savoir si ces liens sociaux, créés par la géographie professionnelle, donnent naissance à un espace homogène et solidaire.

Espace de crédit et de solidarité

24 Avant même les bouleversements qui mettent fin à la Restauration, la librairie connaît une crise importante qui se manifeste par la multiplication des faillites. Si leur nombre culmine en 1826, puis au cours des années 1830-1831, plus qu’une crise conjoncturelle liée la situation économique londonienne ou aux événements de politique intérieure29, les faillites témoignent bien plutôt d’une crise structurelle caractéristique de ce commerce. En effet, les livres restent coûteux tandis que le public ne cesse de s’élargir30. Les deux générations de faillites qui touchent la librairie correspondraient donc davantage à des recherches de solutions encore en cours d’élaboration et donnant lieu à diverses expérimentations31. Malgré l’apparente morosité, il s’agit en définitive d’une période particulièrement dynamique32. Par ailleurs, si les faillites constituent un point de rupture de la confiance entre les créanciers et leur débiteur – le règlement du contentieux devant le Tribunal de Commerce révéle de fait l’échec d’un arrangement amiable –, elles mettent surtout à l’épreuve l’entente précédemment contractée entre les deux parties, en examinant l’éventualité de son renouvellement. L’analyse des liens de crédit est donc indispensable pour comprendre les faillites.

25 Entre 1826 et 1848, 255 libraires et éditeurs déposent leur bilan, mais seuls quelques dossiers sont disponibles et présentent des listes de créanciers33. Quatre catégories de créanciers, qui interviennent majoritairement dans les faillites de libraires, peuvent être distinguées : les « gens d’argent »34, principalement situés sur la rive droite35, représentant près de 20 %36 des créanciers et un peu plus de 35 % des créances faites aux libraires en faillite ; les « fournisseurs »37, établis le plus souvent sur la rive gauche et constituant la moitié des créanciers mais à peine plus du tiers des sommes prêtées38 ; enfin, la famille – élargie aux amis – et les gens de quartier. L’inconvénient d’une telle classification réside essentiellement dans le fait que bien souvent les trois derniers groupes énoncés se recoupent dans le cas de la librairie, relativement fermée socialement et concentrée géographiquement. Seule une analyse à l’échelle des individus permet de saisir la temporalité et la spatialité des liens économiques que tissent au cours de leur activité ces libraires en faillite.

26 Le premier « cercle de créanciers »39 est sollicité dès l’établissement des libraires. L’achat du fonds de commerce qui s’élève généralement à plus de 150 000 francs est largement financé par la famille. Les dots des femmes mais également le soutien financier des parents proches facilitent l’entrée dans le métier. La présence des épouses, qui figurent très fréquemment au passif de la faillite de leur mari au titre de leurs reprises matrimoniales, laisse entrevoir une stratégie de protection : soit que le couple préserve les biens domestiques nécessaires à sa survie, à l’instar de David et Ève

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Séchard40 ; soit que le failli choisisse d’augmenter le nombre de créanciers à son profit41. En tout état de cause, la faillite révèle la participation financière initiale des épouses dans l’entreprise du mari : ainsi, lorsque Charles Denn achète le fonds de commerce de Louis Depélafol à 195 000 francs en 1822, il ne paie comptant que 33 000 francs, grâce à la dot de sa femme42. Mais, le capital dotal varie d’une femme à l’autre, selon leur statut social : tandis que Marie Cahan apporte près 10 000 francs à Paul Ledoux43, Martin Bossange, qui fait faillite la même année, en 1830, en reçoit 70 000 de Melle Volland44. À la même époque, sinon aux moments de « coups durs », les parents consanguins ou alliés des libraires proposent des aides financières plus conséquentes. Amélie Havard parvient à reprendre en 1824 le fonds de son mari, tombé en faillite, grâce aux 60 000 francs que lui prête sa mère. De même, Auguste Jean Belin, lorsqu’il dépose son bilan en 1830, doit à ses « oncles »45, respectivement plus de 97 000 et 39 000 francs ; près de 60 000 francs à sa mère et son frère ; tandis que son associé Devaux doit à son fils plus de 30 000 francs ; soit ensemble plus de 30 % des dettes déclarées46.

27 Une fois établis, et pour faire face aux dépenses quotidiennes de leur boutique, les libraires font appel à un deuxième cercle de créanciers. Les frais de fonctionnement suscitent en effet des dépenses considérables : à côté, des frais d’impression relativement lourds47, figurent les frais de voyage non moins importants48, auxquels s’ajoute encore l’ensemble des frais de diffusion, notamment de publicité – bien qu’ils soient encore rares en ce premier XIXe siècle49. Pour couvrir ces dépenses, les libraires activent d’autres réseaux de crédit, à savoir les fournisseurs et les gens de quartier, souvent confondus. Tableau 2 : Répartition des créances, faites aux libraires par leurs fournisseurs, selon leur localisation

Lieu de résidence des créanciers Créanciers Somme des créances

Effectifs % en francs %

Arrondissements parisiens

I 19 2,27 % 117 611,43 4,43 %

II 69 8,23 % 108 976,64 4,11 %

III 33 3,94 % 66 704,55 2,51 %

IV 35 4,18 % 68 446,69 2,58 %

V 4 0,48 % 4 813,29 0,18 %

VI 11 1,31 % 92 580,70 3,49 %

VII 5 0,60 % 4 896,60 0,18 %

VIII 1 0,12 % 1 060,00 0,04 %

IX 5 0,60 % 49 235,85 1,86 %

X 180 21,48 % 961 560,56 36,24 %

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XI 376 44,87 % 874 306,44 32,95 %

XII 53 6,32 % 203 385,38 7,67 %

Paris 791 94,39 % 2 553 578,13 96,24 %

Communes limitrophes

Belleville 2 0,24 % 332,75 0,01 %

Montmartre 2 0,24 % 975,50 0,04 %

Ile de France hors Paris et ses communes limitrophes

Seine et Oise 6 0,72 % 23 886,04 0,90 %

Seine et Marne 5 0,60 % 9 865,85 0,37 %

France hors Ile de France

France hors IdF 31 3,70 % 64 476,83 2,43 %

Indéterminé

Indéterminé 1 0,12 % 190,68 0,01 %

Total 838 100,00 % 2 653 305,78 100,00 %

28 Certes, les faillites ne livrent qu’un discours indirect et incomplet sur l’espace des sociabilités, qu’un reflet imparfait des relations – de solidarité ou de civilité – entretenues et pensées par les acteurs transformant ainsi l’espace physique en espace socialement investi50. Néanmoins, et bien qu’ils ne constituent que la partie émergée de l’iceberg – le geste de demande de crédit –, les liens de crédit, rendus visibles par la cessation de paiement, livrent une géographie de l’endettement permettant de comprendre cet espace de crédit fortement localisé. Cette géographie centrée sur l’espace vécu de chacun – réseau de type égocentré – présente-t-elle un espace collectif cohérent ? La proximité permet-elle de choisir ou non de prêter à son voisin et confrère ? Et plus généralement, ces réseaux financiers de quartier relèvent-ils d’une solidarité à toute épreuve ?

29 Parmi les 37 créanciers de Charles Denn51, installé dans le quartier de l’École de Médecine, vingt se situent dans les Xe et XIe arrondissements, dont cinq dans le quartier de la Monnaie et douze dans son propre quartier. Sur les cinq créanciers du quartier de la Monnaie, deux relèvent de la « famille » : on distingue Mme Denn, son épouse, habitant rue des Marais Saint-Germain n° 4, et une voisine du même immeuble, Mme Mir, qui apportent ensemble environ 60 000 francs au libraire en faillite, soit plus de la moitié des sommes prêtées à Charles Denn. Par ailleurs, les créanciers du quartier de l’École de médecine sont tous situés dans les rues adjacentes des établissements

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successifs du libraire. Le quartier n’est plus seulement le support de la réputation politique, mais également comptable, des acteurs et la proximité apparaît comme une véritable caution protectrice pour chacune des parties, débiteurs et créanciers. En effet, le lien de crédit n’est pas simplement une relation de solidarité – Mme Mir ne subit peut- être pas autant sa relation de voisinage qu’elle ne choisit de placer son argent utilement – mais également un lien de dépendance mutuelle – non réciproque – entre débiteur et créancier. Tandis que le premier espère obtenir les conditions financières les plus avantageuses, soit le plus faible taux d’intérêt possible, le créancier mise avant tout sur la solvabilité de son « client » espérant de celui-ci qu’il recouvre promptement, voire fasse fructifier, ses investissements. Or, cette relation se noue sur une sorte de confiance qui repose sur la réputation, ou l’insertion sociale, de chacun. Le quartier est donc ici un espace de crédibilité, dans tous les sens du terme52.

30 Les créanciers vérifiés par le syndic de faillite de Charles Denn qui demeurent en dehors de ces deux quartiers sont majoritairement des fournisseurs (90 %) de proximité (80 %) ou, par