Acquisition de par : quels impacts en matière de R&D ? (suite)

Suite de l’article paru dans la précédente étidion du BE Etats-Unis (10/03/2009) : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58135.htm

Des stratégies de recherche différenciées et une acquisition aux conséquences lourdes

Il faut s’attendre à ce que la consolidation des équipes de recherches ait lieu dans le domaine des petites molécules, en particulier en ce qui concerne l’oncologie et les maladies inflammatoires où Pfizer va s’imposer aux dépends de Wyeth. Il est en revanche probable que le reste des équipes de recherche de Wyeth soit conservé, ce qui conduirait également à la liquidation de certaines unités de recherche de Pfizer. Le couperet tombera après la réunion du prochain conseil d’administration, au début de l’été 2009. A cette date, et si la fusion devient pleinement opérationnelle, le français Poussot pourra alors actionner son parachute doré de… 18,3 millions de dollars[1]. Personne ne doute de sa motivation d’aboutir surtout que les pourparlers entre Wyeth et Pfizer ont débuté il y a plus de deux ans !

Cette acquisition a un gros impact en matière de recherche pharmaceutique. Elle a aussi des répercussions importantes dans le domaine de la santé publique et dans l’économie du système de recherche aux Etats-Unis et dans le monde. La nouvelle société Pfizer va en effet consacrer moins d’argent à sa recherche alors que l’effort cumulé des deux sociétés en matière de R&D se monte actuellement à environ 10,36 milliards (respectivement 7,5 et 2,86 milliards). Les experts estiment que cette baisse est comprise entre deux et quatre milliards. Autant de moyens et de contrats en moins pour les très nombreuses universités et centres de recherche qui collaborent avec l’industrie.

En dépensant moins, ce sont bien entendu moins de médicaments mis sur le marché, surtout dans les domaines où la recherche est la plus dispendieuse et qui touchent à des pathologies relevant de la santé publique. En absorbant Wyeth, "Deep Blue" Pfizer s’érige aussi en quasi-monopole pour un certain nombre de produits et s’affirme comme la plus grande multinationale pharmaceutique.

L’acquisition met fin aux espoirs de sociétés, comme et Idec, d’être rachetées par Pfizer à qui fait défaut une expertise dans les biotechnologies. Plus généralement, Pfizer, qui avait la réputation d’acheter à bon prix des sociétés possédant un savoir-faire absent de son portefeuille, va désormais mettre ses priorités sur la rationalisation de ses activités de recherche et de mise sur le marché tout en essayant de digérer Wyeth. Et sans doute devra-t-elle abandonner certaines acquisitions récentes comme celle de Medivation qui avait coûté à Pfizer plusieurs centaines de millions dans le but de mettre la main sur les droits d’un médicament traitant la maladie d’Alzheimer.

Actuellement aux Etats-Unis, il y a plus de 5.000 sociétés de biotechnologie qui luttent pour leur survie économique et qui attendent des opportunités d’affaires avec de grands groupes. En rachetant Wyeth, qui avait précisément développé une intelligente stratégie de collaboration avec les "biotechs" comme celle avec Trubion Pharmaceutical (pour un anti-arthritique, le TRU-015[2]), Pfizer va tendre à réduire ce mouvement de rapprochement qui s’est révélé très porteur, les entreprises "biotechs" de taille moyenne ayant la capacité d’aller plus vite que les très grandes pour mettre au point des médicaments innovants. Les sociétés et en sont deux bons exemples.

Un autre dommage collatéral de l’acquisition est le probable arrêt des discussions avec la société de vaccins néerlandaise Crucell. En projetant d’acheter Crucell pour 1,35 milliard, Wyeth voyait la chance de se renforcer dans les vaccins, un domaine d’activités essentiel pour le groupe qui commercialise déjà Prevnar (2,7 milliards de CA par an, 5 à 6 milliards en 2015) et qui vient d’investir en Irlande 1 milliard dans une unité de production ultramoderne de préparations vaccinales.

Plus proche de nous, l’inquiétude est aussi grande. Dans l’Etat du Massachusetts, Pfizer et Wyeth disposent de plusieurs sites de recherche et de production. Les deux sociétés étaient impliquées dans le plan à 10 ans du Gouverneur Patrick visant à faire du Massachusetts un pôle majeur de R&D en sciences de la vie. Les deux sociétés sont en effet très impliquées dans l’écosystème local sous forme de projets, d’association avec les universités et de collaborations avec de plus petites sociétés. Ceci est suspendu ou remis en cause. Déjà, le centre de recherche de Wyeth à Cambridge (Alewife), spécialisé dans les petites molécules, est mis sous pression. On anticipe des départs en grand nombre de chimistes et de biologistes. Du côté de la production, Wyeth dispose d’un site industriel à Andover. Dans le cadre du développement de la société et du plan Patrick, l’Etat s’était engagé à construire un raccordement autoroutier de 12,6 millions en contrepartie du maintien des emplois et du recrutement de 500 employés additionnels. Ce bel accord vole en éclat et vient écorner l’ambition du plan du Gouverneur… qui devra encore attendre plusieurs mois avant de voir s’installer de nouvelles sociétés à la faveur d’une meilleure situation économique. On le voit, l’industrie pharmaceutique pèse lourd, très lourd…

Finalement, et pour conclure, il est clair que l’enjeu de cette acquisition réside dans la capacité de Pfizer à la rendre opérationnelle en termes d’activités industrielles, commerciales et scientifiques. Egalement cruciaux pour l’avenir de Pfizer sont les orientations stratégiques de sa recherche et le développement d’un portefeuille d’activités diversifiées capables de réduire les risques associés à une recherche toujours plus coûteuse, plus exposée à la concurrence et avec des cycles longs.

[1] Le nouveau conseil de Wyeth, installé en début d’année 2009, venait fort opportunément de réduire les indemnités de départ du PDG ("cash severance"), les faisant passer de 38 à 18,3 millions. Sans doute moins en raison de la conjoncture et des pressions fédérales sur la rémunération des dirigeants qu’en raison des discussions en cours avec Pfizer.

[2] Trubion connaît cependant des difficultés économiques et financières. L’action vaut un dixième (1,54 $) de ce qu’elle valait lors de sa mise sur le marché. L’une des raisons de la situation est liée au développement d’un médicament concurrent par Biogen et , le Rituxan.

Source :

Cet article s’appuie sur la contribution des Dr. Patricia Soulard et Cyrille Kuhn qui travaillent dans l’industrie pharmaceutique depuis de nombreuses années. Je les remercie pour leur aide.

– "Wyeth Deal May Slow Pfizer Biotech Acquisitions", Andrew Pollack, Herald Tribune, 26/01/2009 – https://www.iht.com/articles/2009/01/27/business/27biotech.php – "For Pfizer, a Big Deal and a Test", Duff Wilson, Herald Tribune, 26/01/2009 – https://www.iht.com/articles/2009/01/27/business/27chief.php – "In Wyeth, Pfizer Sees a Drug Pipeline", Natasha Singer, New York Time, 26/01/2009 – https://www.nytimes.com/2009/01/27/business/27wyeth.html?ref=business – "Banks Put Up for Pfizer-Wyeth Deal", Lauren Tara LaCapra, The street.com, 28/01/09 – https://www.thestreet.com/newsanalysis/banking/10460431.html – "Pfizer’s Bid For Wyeth Sends Ripples Through Trubion Pharmaceuticals, Seattle Biotechs.", Luke Timmerman, XConomy, 27/01/09 – https://www.xconomy.com/seattle/2009/01/27/pfizers-bid-for-wyeth-sends-ripples-thr ough-trubion-pharmaceuticals-seattle-biotechs/ – "Pfizer-Wyeth Combo’s Impact on San Diego Biotech: Bad for Dealmaking, Good for Shareholders", Luke Timmerman, XConomy, 27/01/09 – https://www.xconomy.com/san-diego/2009/01/27/pfizer-wyeth-combos-impact-on-san -diego-biotech-bad-for-dealmaking-good-for-shareholders/ – "Pfizer Bid for Wyeth Will Stall Mass. Biotech Deals, CEO Says, State Official Still Sees Growth.", Ryan McBride, XConomy, 27/01/09 – https://www.xconomy.com/boston/2009/01/27/pfizer-bid-for-wyeth-will-stall-mass-bio tech-deals-ceo-says-state-official-still-sees-growth/ – "En rachetant Wyeth, Pfizer conforte son rang de leader mondial de la pharmacie", Yves Mamou et Jérôme Porier, Le Monde, 28/01/2009 – https://www.lemonde.fr/economie/article/2009/01/27/en-rachetant-wyeth-pfizer-conf orte-son-rang-de-leader-mondial-de-la-pharmacie_1147087_3234.html

Pour en savoir plus, contacts :

– Site de Pfizer, https://www.pfizer.com – Site de Wyeth, https://www.wyeth.com/ Code brève ADIT : 58160

Rédacteur :

Antoine Mynard, [email protected]