PAUL DESCHANEL

THIERRY BILLARD

PAUL DESCHANEL

(1855-1922)

PIERRE BELFOND 216, boulevard Saint-Germain 75007 Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications, envoyez vos nom et adresse, en citant ce livre, aux Éditions Pierre Belfond, 216, bd Saint-Germain, 75007 Paris. Et, pour le Canada, à Edipresse Inc., 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, H3N 1W3.

ISBN 2.7144.2638.7

Copyright © Belfond 1991 REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier pour leur amabilité, leur aide et leurs encouragements, Mme Marie-Pierre Dupin, petite-fille de Paul Deschanel, Mlle Joëlle Lapointe, descendante de Zélie Deschanel, M. Paul-Marie Duval, membre de l'Institut et ami de la famille Deschanel, M. Jean-Marie Mayeur, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne, sous l'autorité duquel le travail universitaire qui a conduit à cette biographie a été mené, ainsi que M. Jean-Pierre Azéma, professeur d'histoire contemporaine qui a encouragé cette publication. Merci aussi à Aline Gérard, Laurence Vitot, Patrick Durand et Pascal Lelièvre.

À mes parents

PROLOGUE

Démission. Un de ces mots qui blessent et signent un échec personnel. Démission. « Certain de remplir le plus cruel, comme le plus impérieux des devoirs, je dépose sur le bureau du Sénat et sur celui de la Chambre des députés ma démission de président de la République », écrit Paul Deschanel, le 21 septembre 1920. Le 21 septembre 1920, trente-cinq ans de carrière politique, entièrement tendus vers le désir de devenir chef de l'État, s'achèvent par un message solennel et pathétique lu devant les Chambres. Le 21 septembre 1920, Paul Eugène Louis Deschanel, ancien député d'Eure-et-Loir, brillant orateur du Parlement, tête pen- sante (avec Raymond Poincaré et Louis Barthou) d'une démocra- tie modérée et progressiste, adversaire du radicalisme et du socialisme, mais adepte d'une politique sociale et humaine, dandy de l'hémicycle et des salons littéraires, jamais ministre parce que ayant toujours refusé de compromettre ses chances à l'Elysée, deux fois président de la Chambre à des périodes charnières pour la démocratie — de 1898 à 1902, dans la tempête de l'Affaire Dreyfus, et entre 1912 et 1920, durant le séisme de la Première Guerre mondiale —, élu dixième président de la III République en 1920, face à , doit, après un septennat qui n'a pas dépassé sept mois, abandonner sa fonction. Le 21 septembre 1920, les parlementaires découvrent une lettre de démission qu'ils attendaient. Depuis l'accident de train de et l'incident de Rambouillet, ils savent que Paul Deschanel est malade et qu'il a décidé de partir. Dans tous les esprits, une seule préoccupation : le Congrès de Versailles qui désignera son successeur. Ils écoutent le message de Paul Deschanel, lu au Palais- Bourbon par le président de l'Assemblée, Raoul Péret, et, au Palais du Luxembourg, par le président du Sénat, Léon Bour- geois. Ils l'entendent expliquer que « la charge de président de la République implique, en tout temps, des devoirs graves ; [qu'] elle réclame une activité et une énergie au-dessus de toute défaillance pendant les années où la victorieuse est appelée à reconstituer ses forces à l'intérieur, en même temps qu'à assurer, à l'extérieur, l'application du Traité de paix, si glorieusement mais si chèrement acquis ». Ils retiennent que Paul Deschanel a « persévéré jusqu'à la dernière extrémité », rendent hommage à ce « serviteur passionné du pays qui avait été par-dessus tout l'homme du devoir national dans ce qu'il avait de plus pur et de plus passionné » et lui souhaitent des « vœux ardents » de rétablissement. Le 21 septembre 1920, celui qui avait ravi le fauteuil présidentiel à Georges Clemenceau quitte la scène. La page est tournée. Le nom de son successeur, , est sur toutes les lèvres et dans presque tous les votes. Grâce à. sa démission, une crise politique, que les institutions de la III République n'avaient pas prévue — la maladie d'un Prési- dent — se termine en douceur. Paul Deschanel a tout juste quitté son poste que déjà la place est convoitée. Et le journal L'Action française de déplorer, le 19 septembre, cette rapidité à enterrer les vivants : « Si les morts vont vite, on oublie encore plus vite les vivants sous un régime démocratique, et leur personne n'est plus rien mais leur place seule compte, dès lors que la place est à prendre. » Mais qui se soucie de ce que ressent Paul Deschanel ? Qui devine le drame intérieur de cet homme blessé par ceux qui l'habillent plus volontiers d'une camisole de force que d'un vêtement de cérémonie ? Pourtant, rien ne l'obligeait à démissionner. Combien d'hom- mes d'État malades ont continué à gouverner ? Sans ses problèmes gastriques, Napoléon I n'aurait peut-être pas perdu la bataille de Russie et Waterloo. Les calculs rénaux de Napoléon III sont en grande partie responsables de la défaite de 1870. Paul Deschanel, lui, a réagi différemment. Il a une autre conception de sa fonction. Celui qu'on a dit « fou » signe un message empli de désespoir. « Mon état de santé ne me permet plus d'assurer les hautes fonctions dont votre confiance m'avait investi lors de la réunion de l'Assemblée nationale, le 17 janvier dernier, écrit- il. L'obligation absolue qui m'est imposée de prendre un repos complet me fait un devoir de ne pas tarder plus longtemps à vous annoncer la décision à laquelle j'ai dû me résoudre. Elle m'est infiniment douloureuse, et c'est avec un déchirement profond que je renonce à la noble tâche dont vous m'aviez jugé digne. » Aujourd'hui, à part l'image du « fou à l'Elysée », qui se souvient de Paul Deschanel ? Pour la plupart des gens, ce nom ne signifie rien. En tâtonnant dans leur mémoire, quelques gastronomes hasardent qu'il a inventé une sauce de cuisine ! Quelques-uns disent : « Deschanel ? Un président du Conseil de la IV République peut-être ? » Et puis, il y a tous ceux qui se souviennent de l'épisode du train, assurent que Paul Deschanel avait perdu son pyjama dans un rapide, donc ne pouvait qu'être « zinzin ». Dans la mémoire collective, qui d'autre occupe le rôle du « cinglé » officiel, de l'idéal déséquilibré du Panthéon des dirigeants français ? Depuis sa démission, son souvenir n'est évoqué que dans cette optique, sous le prisme réducteur de son séjour à l'Elysée. Ne serait-il pas enfin temps de découvrir le vrai Paul Deschanel, déprimé mais pas fou, homme aux idées originales et orateur hors pair, séduisant et agaçant, acceptant certains combats mais en déclinant d'autres, visionnaire et progressiste, homme à femmes avant de trouver la sienne, trop ambitieux pour ne pas avoir à en subir les revers ?

CHAPITRE PREMIER

LE TEMPS DU PÈRE

Paris, un soir de l'hiver 1847. Une pluie froide tombe sur la place Royale. Les arcades se calfeutrent dans le silence. Seuls quelques hennissements rompent cette tranquillité. Une longue file de voitures noires, alignées comme des corbillards en civil, attend que les fenêtres du numéro 6 s'éteignent. Une soirée littéraire y réunit, pour une vente de charité, des plumes connues, des peintres couronnés et des femmes du monde. C'est la demeure d'un grand écrivain : Victor Hugo. Son épouse, Adèle, virevolte entre ses invités. Ce soir-là, elle n'est pas égérie de poète mais commissaire-priseur. Elle a demandé à ses amis et à ses relations un manuscrit ou une lettre qu'elle compte vendre dans une loterie d'autographes. La duchesse d'Orléans a fait parvenir un Bossuet. Delacroix, Boulanger, Johannot ont envoyé des croquis. Tout ce que la France littéraire compte de romanciers, de poètes, d'essayistes a répondu présent. Comme tant d'autres, Alexandre Dumas est venu apporter son écot. Il connaît bien la maison, fréquente la plupart des invités, goûte l'atmosphère à la fois mondaine et familière du lieu. Il rivalise d'esprit avec Victor Hugo, dit quelques vers, déclame une ou deux tirades, mais il semble ailleurs. L'auteur des Trois Mousquetaires ne peut s'éterniser car il doit, le lendemain, répéter au théâtre Historique. A minuit, il salue « ce monde fraternel à [son] cœur et à [son] esprit », et rejoint son fiacre. Il se dirige vers sa voiture quand un autre client le prend de vitesse. Le ton monte lorsque, à la lueur de la lune, Dumas découvre quel est cet impertinent. « Aux premiers mots d'une voix douce et sympathique encore plus qu'à son visage dont les traits étaient perdus dans l'obscurité, je reconnus un jeune professeur de littérature à l'École normale de France et au lycée Louis-le-Grand », raconte-t-il, cinq ans plus tard, dans le journal L'Indépendance belge. Son partageur de fiacre s'appelle Émile Deschanel, il a vingt-neuf ans et deviendra père d'un président de la République.

Brillant homme de lettres, Émile Deschanel est de ces républicains qui n'hésitent pas à afficher leur dégoût du régime de Louis-Philippe. Issu d'un milieu modeste, fils d'une mère célibataire, ses origines familiales remontent au début du XVIII siè- cle. Son aïeul, Jean-Étienne Deschanel, est courrier royal et limonadier. Le fils cadet de celui-ci, Armand-Charles, ne reprend pas le métier paternel. Il préfère devenir professeur de musique. Quant au frère aîné, Jean-Étienne le Jeune, il multiplie les emplois tels qu'écrivain public et gazier. En pleine Révolution, le 26 novembre 1789, il épouse Marie-Alexandrine Jubline qui lui donnera quatre enfants : Jean-Marie, Marie-Pierrette, Françoise et Marie-Palmyre. Marie-Palmyre créera les plus grandes difficultés à Jean- Étienne le Jeune : elle mettra au monde à Paris, le 14 novembre 1819, un garçon baptisé Émile puis, neuf ans plus tard, une petite fille, prénommée Zélie. Marie-Palmyre n'étant pas mariée, qui est donc le père des enfants ? Certains biographes évoquent une liaison avec un Marseillais ou un Grec de passage. Marie- Palmyre, séduite par le charme de ce Méditerranéen, aurait succombé à ses avances. Cette histoire est une légende, la vérité est plus terre à terre. Les certificats de naissance et de baptême d'Émile le déclarent fils d'Étienne-Martin Deschanel et de Marie-Palmyre Jubline. Ces actes sont des faux, car Deschanel est le nom de famille de Marie-Palmyre et Jubline celui de jeune fille de sa mère ! Un autre document apporte quelques éclaircissements : l'acte de mariage de Zélie, dans lequel on découvre que son témoin est un Strasbourgeois âgé de cinquante ans, appelé Édouard Martin. Selon toute vraisemblance, il s'agit du père des deux enfants. Pourquoi ne les a-t-il pas reconnus ? Sans doute parce que, avocat à la Cour de cassation, il ne pouvait compromettre sa carrière en épousant une femme de condition modeste. Cet amant inavoué est loin cependant d'être un père indigne. Il habite à deux pas de ses enfants, les voit régulièrement et verse des pensions suffisamment importantes pour qu'Émile suive ses études à Paris, au collège Sainte-Barbe, puis au lycée Louis-le-Grand où il échange des vers avec un certain Charles Baudelaire. Passionné, exigeant, la parole ferme et puissante, il affiche déjà de solides convictions républicaines. Ne crée-t-il pas, à la fin de ses études et devant ses camarades, une pièce de théâtre où il leur assure : « Allez, la liberté debout vous ouvrira le monde » ? Avant la liberté, ce sont d'abord les portes de l'École normale supérieure qui s'ouvrent devant lui. Il en sort en 1843 pour devenir professeur de rhétorique au collège Charlemagne, puis retrouve les bancs de l'ENS en 1845. Cette fois, il est de l'autre côté de la barrière et enseigne la littérature grecque. Ses élèves se nomment Taine, Prévost- Paradol, Mézières, Challemel-Lacour.

Émile Deschanel est avant tout un brasseur d'idées, un républicain défenseur de la liberté qu'il ne trouve pas dans la France de Louis-Philippe. Homme de lettres, la parole lui tient lieu d'action. Dès 1843, il signe, dans La Revue indépendante, des vers engagés où il réclame l'avènement de la démocratie. En 1844, Emile Deschanel collabore à La Revue des Deux Mondes, puis au National et à La Liberté de penser, journal fondé par des universitaires indépendants. Quand, le 24 février 1848, la monarchie orléaniste s'effondre, il s'en réjouit. Partisan des droits de l'Homme, il s'engage pour la II République, mais, très vite, son enthousiasme cède le pas à la peur. La fièvre bonapartiste qui gagne la France l'inquiète. A l'instar de Victor Hugo, il distingue, dans le retour d'un prince de la lignée Bonaparte, le retour « d'une idée, dont la candidature date d'Austerlitz ». Lorsque, en décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte annonce sa candidature à l'élection présidentielle, Emile Deschanel choisit l'opposition. Une attitude qui ne variera pas après la victoire du neveu de Napoléon I Si ses armes sont des idées, ses balles sont des mots. Ce pacifique tire ses premières salves contre le nouveau pouvoir dans deux études intitulées « Catholicisme et socialisme », parues en février 1850 dans La Liberté de penser. Il y condamne un discours prononcé à l'Assemblée législative par Charles Forbes de Montalembert, défenseur du catholicisme libéral proche du pouvoir. Ses attaques contre les propos rétrogrades de Montalembert, sa défense du crédit populaire et de l'impôt progressif sur les successions le font destituer de ses chaires de Louis-le-Grand et de l'École normale par décision du Conseil supérieur de l'Instruction publique. Motif invoqué : par cet article, Émile Deschanel a « porté scandale dans le lycée auquel il appartient ». Que disaient les textes incriminés ? Que les prétentions universelles de la religion catholique sont scandaleuses ; que, dans le monde, cette religion a autant d'importance que la principauté de Monaco ; que, du nombre de catholiques, il faut soustraire les croyants par tradition familiale, goût de l'architecture religieuse ou calculs carriéristes ; qu'il existe un abîme entre les textes et la pratique ; que le socialisme est la solution d'avenir. En fait, comme le dit Victor Hugo, Émile Deschanel n'est pas destitué pour ses écrits mais parce qu'il a de « la fierté et du talent ». Le coup d'État du 2 décembre 1851, qui ouvre la marche vers l'Empire, condamne les républicains à la prison ou à l'exil, parfois aux deux. Pour asseoir son autorité, le nouveau régime décide de purger le pays des opposants et déclenche une répression policière. Tactique traditionnelle des pouvoirs sou- cieux d'impressionner les masses et d'anéantir le crédit de leurs adversaires : le gouvernement amplifie la menace d'un péril révolutionnaire. En décembre 1851, 26 000 personnes sont emprisonnées et la plupart des figures républicaines tels Edgar Quinet, Victor Schœlcher, Victor Hugo, Challemel-Lacour, Émile Deschanel... bannies et exilées en Belgique ou en Grande- Bretagne.

Le 15 janvier 1852 — l'anecdote sera racontée le 19 mars suivant par Alexandre Dumas dans L'Indépendance belge —, la police arrête Émile Deschanel dans son lit. En pleine nuit, gardes et prisonnier se présentent à la porte de la prison d'Orléans et réveillent le gardien. — Mon cher ami, voici un prisonnier qui n'est pas tout à fait du commun et pour lequel je vous recommande d'avoir des égards, explique l'agent au geôlier. — Des égards, s'énerve celui-ci, des égards à 1 heure du matin, vous êtes bon, vous ! Il entraîne Émile Deschanel au cachot des condamnés à mort, fosse profonde de huit pieds. Dalles, murs, atmosphère sont humides, l'unique paillasse pourrie, la pièce sombre comme un tombeau. Plus habitué aux draps fins des appartements cossus, le jeune universitaire s'écrie : — Mais on ne va pas me laisser ici ! — Et qu'est-ce qui s'y oppose ? rétorque le geôlier. La réponse est imparable. Émile Deschanel essaie de lui expliquer qu'il ne peut dormir dans ce cachot insalubre, quémande une lanterne pour lire, c'est peine perdue. Émile Deschanel entend le verrou de sa cellule se refermer, le gardien s'éloigner. Il reste seul. Au petit matin, le geôlier, qui a compris qu'il n'a pas affaire à n'importe quel brigand, conduit Émile Deschanel dans une pièce plus agréable où il peut travailler, lire, écrire et recevoir la visite de Zélie, sa jeune sœur. Trois jours plus tard sonne l'heure de l'exil. Pour conduire les proscrits jusqu'au train qui les emmènera à Paris, puis en Belgique, on passe les menottes aux prisonniers. Un gendarme s'avance vers Émile Deschanel quand Zélie se précipite sur son frère, le prend par le bras et l'entraîne vers l'embarcadère en disant : — Viens, nous allons être en retard. Les gendarmes rangent leurs menottes. Émile Deschanel est exilé les mains libres.

A cet interdit de séjour en France, la Belgique offre un semblant de liberté. Pour vivre, le professeur Émile Deschanel devient écrivain et rédige des feuilletons publiés par L'Indépen- dance belge. Chaque mercredi, à 8 heures du soir, au numéro 10 de la Galerie de la Reine à Bruxelles, il donne des conférences de littérature qui attirent toutes les jolies femmes de la ville. Les proscrits aussi viennent écouter celui qu'ils ont baptisé « l'abeille antique ». Victor Hugo donne le signal des applaudisse- ments, suivi par l'historien-philosophe Edgar Quinet, Dumas père et le sculpteur Pierre-Jean David d'Angers. Le succès aidant, le jeune professeur est invité à Gand, Liège, Bruges ou Mons. Lausanne lui propose même une chaire de littérature, mais Emile Deschanel la refuse, s'étant juré de ne quitter la Belgique que pour la France. Parmi ses auditeurs, il remarque une jeune élégante dont la beauté le séduit. Adèle Feignaux, née le 12 août 1827 d'une Anglaise et d'un médecin belge, est de ces femmes douces mais décidées, prêtes à épouser l'homme de leur choix, même s'il n'a pas un sou. Le mariage a lieu le 23 mai 1854. Victor Hugo écrit au jeune couple : « Vite ! Vite ! Vite ! Le petit Deschanel promis. »

« Ce jour d'hui mardi, à 11 heures, vient de naître le jeune Paul Eugène Louis Deschanel. La mère et l'enfant se portent bien. Nous n'attendions pas ce bonheur si tôt. Le petit gaillard est en avance de dix jours sur les neuf mois du mariage. Il n'y a que les garçons pour faire de ces affronts-là à leurs mères. Il y a eu onze heures de douleurs en tout, l'accouchement proprement dit a duré deux heures. Rien n'était préparé, nous ne savions où donner de la tête, toute la maison est au pillage. » Le mardi 13 février 1855, dans une lettre à sa sœur Zélie, Émile Deschanel annonce la naissance de son premier enfant. Le bébé est venu au monde au premier étage d'une petite maison du 176, rue de Brabant à Schaerbeek, un faubourg de Bruxelles. Pour les proscrits, ce petit Paul devient un symbole, la preuve que les idéaux républicains vivent et se transmettent. Premier enfant de l'exil, il a Victor Hugo pour parrain spirituel et Edgar Quinet le baptise de termes très politiques : « Voilà le premier- né de la proscription. Qu'il soit le bienvenu et reçoive mes vœux. Puisse-t-il voir bientôt la terre promise ! Nous le saluons comme l'espérance. » Les Deschanel, qui entourent Paul de beaucoup d'affection, considèrent leur fils comme un rayon d'espoir dans l'exil belge. Émile regarde avec amour ce petit bout de chair et lui dédie des mots tendres. Dans son livre Le bien et le mal qu'on a dit des enfants, il s'émerveille du visage poupin de Paul, « spectacle d'un intérêt inépuisable », exalte ses yeux, dont il ne peut se détacher, loue l'enfant qui « ôte les années qu'il prend, régénère le père et la mère, les crée à son tour ». Paul est, à ses yeux, le sujet qui « donne à votre esprit la patience nécessaire pour attendre que le triomphe de l'iniquité ait son terme et que le droit soit rétabli ». Pendant quatre ans, Paul coule des jours heureux, entouré de républicains exilés, élevé dans l'amour de la France et de sa terre d'accueil. Dans sa petite chambre de la rue de Brabant, il attend avec impatience les lettres de voyages que son père lui envoie, lettres où il regrette d'être éloigné de sa famille. « La première fois qu'un voyage vous sépare de votre enfant, la tristesse qui vous envahit, à la nuit tombante, vous fait sentir profondément jusqu'à quel point ce petit être s'est emparé de vous, écrit Émile dans Le bien et le mal qu'on a dit des enfants. On va et l'on vient, seul et sombre, sur la promenade d'une ville étrangère ; on se sent mal à l'aise ; on a froid ; on se dit : je ne l'embrasserai pas ce soir ! » Pour se consoler, il relit le carnet dans lequel il consigne les faits, les gestes et les mots de son fils, carnet précieux pour comprendre la force du lien qui les unit.

1859 est l'année du retour en France. Paul Deschanel quitte sa terre natale pour retrouver celle de son père. Afin de fêter la victoire de ses armées en Italie, Napoléon III vient d'amnistier tous les exilés. Revenu à Paris, Émile Deschanel reprend ses conférences, rédige des récits de voyages et des critiques pour Le Journal des Débats, mais refuse toujours de se rallier au régime et de lui prêter serment. L'historien Victor Duruy, ministre de l'Instruc- tion publique de 1863 à 1869, a beau lui proposer de dédoubler la chaire de littérature française du Collège de France pour lui offrir un poste, rien n'y fait. « Le serment m'étranglerait, me brûlerait les lèvres », affirme Émile Deschanel. D'autres n'ont pas ses scrupules. Ainsi, le philosophe ne comprend pas cette obstination. Un jour, dans le salon de Juliette Adam, républicaine hostile à Napoléon III, il affirme : — Il n'y a plus personne pour qui le serment soit une question et puisse devenir un engagement. — Par ces mots, vous prononcez l'absolution complète de l'homme de décembre, lui répond, outrée, Juliette Adam. Exil, politique, littérature, Paul Deschanel est élevé avec la conscience d'être né expatrié par la faute de Napoléon III. Paul est un gamin gai, vif, bagarreur et peu attentif en classe. Dès son plus jeune âge, il a un regard rieur, un regard bleu un rien canaille et loustic. Des photos le montrent maître de manège d'un cheval de bois, habillé d'une tunique à col de dentelle, ses longs cheveux soigneusement peignés. Sage, il pose pour l'objectif. Très tôt, il manifeste une force de caractère et un goût de l'indépendance prononcés. En juin 1859, il se sauve de chez lui. On le retrouve à l'autre bout de la ville. — Pourquoi as-tu fait cela ? lui demande son père. — Pour m'amuser, pour faire un monsieur, répond-il. Il a quatre ans. Une autre fois, il explique à une petite fille avec laquelle il joue : « Quand on me donne une tape, je donne une tape. C'est mon caractère. » A cinq ans et demi, il déclare à son père qu'il « ne veut plus de joujoux » et donne les siens à d'autres enfants. « Il dit qu'il va devenir un petit homme et se met tout seul à apprendre à lire et à écrire », écrit Émile dans son carnet. Sur certains clichés, pris après la classe, vers neuf ans, Paul semble pressé de retourner jouer. Sa capote à boutons dorés et son nœud papillon tranchent avec ses yeux sévères qui fixent l'objectif comme un défi. Il a grandi. Ses traits se sont affinés. Enfant espiègle, indiscipliné et bavard, on le voit plus souvent les cheveux en bataille et la blouse tachée d'encre, que tiré à quatre épingles. « Le 14 avril 1863, Paul, âgé de huit ans et demi, entre à Sainte-Barbe-des-Champs, raconte Emile Deschanel dans son carnet. Il est triste pendant quelques jours et nous dit : — Je suis malheureux ici. — Mais que te manque-t-il ? — Tout me manque, venez demeurer ici à Fontenay-aux-Roses, alors je m'habituerai. » Paul est pensionnaire. Un interne facilement distrait. Ses bulletins scolaires jugent sa conduite « légère, médiocre », estiment qu'il n'est « ni assez sérieux ni assez appliqué », mais « bavard, turbulent, agité et dissipé ». Un de ses professeurs de huitième déplore ainsi son étourderie : « C'est un écureuil toujours en mouvement et qui ne se pose pas. » L'année suivante, le reproche n'a pas varié : « Que cet enfant tâche de mettre un frein à sa langue et tout ira bien », conseille un enseignant. Conséquence de cette indiscipline, Paul est régulièrement collé, puni pour un travail bâclé ou un bavardage. Lui qui apprécie plus que tout de quitter l'ambiance de sa pension pour retrouver sa famille est contraint, par son intempérance, de passer des heures supplémentaires entre les murs de son école. Il a beau inonder ses parents de lettres larmoyantes décrivant sa condition et témoigner de son repentir, il n'échappe pas aux retenues. Alors, pour que ses journées de consigne soient moins monotones, il s'amuse à écrire tout ce qu'il voit : « Consigne du samedi. « Premièrement : On se met en rang. Deuxièmement : On va à l'amphithéâtre, tous, ceux qui ne sont pas collés aussi. Troisièmement : On reste pendant trois quarts d'heure les bras croisés. Quatrièmement : On nous demande les dortoirs où on couche et les numéros de trousseau. Cinquièmement : Ceux qui ne sont pas collés vont en récréation. Sixièmement : Les collés vont chercher leurs affaires. Septièmement : On revient à l'amphithéâtre (il faut alors choisir une bonne place contre le mur pour être bien, car il faut rester six heures assis). Huitièmement : On nous donne des copies, on écrit pendant deux heures. Neuvièmement : On va dîner tristement, on a froid. Dixièmement : Récréation de dix minutes. Onzièmement : On rentre à l'amphithéâtre. Douzièmement : On écrit de suite, la soirée est triste ; on pense à ses parents ! Treizièmement : Si l'on s'est bien conduit pendant la colle, on peut causer sans bruit, si on s'est mal conduit, cela sera pour l'an prochain ! Quatorzièmement : On va se recoucher tristement en tremblant et en ayant froid aux pieds ; on se couche vite ; et quand on sort le dimanche matin, la nuit vous paraît longue et on s'éveille à chaque instant. » On peut s'étonner de cette tristesse constante, mais Paul voue un véritable culte à ses parents, à ses chers « ioums » comme il les appelle selon une tradition belge. « Mioum », c'est sa mère ; « pioupse » et « ioum » son père ou lui-même. Ses missives chagrines n'ébranlent pas leur fermeté. Émile Deschanel ne cède rien à son rejeton. Si Paul lui écrit avec des fautes d'orthographe, il renvoie la lettre déchirée. Parce qu'un enfant doit dès son plus jeune âge prendre soin de son apparence et faire preuve de volonté, il lui interdit de se ronger les ongles sous peine de punition. Mais Émile Deschanel n'est pas un « père fouettard ». Il fait preuve de tendresse et prend soin de l'instruction de son fils en orientant ses lectures. Qu'y a-t-il dans la bibliothèque du jeune Paul ? Des Historiettes enfantines drolatiques, les ouvrages de La Fontaine, de Molière et de Voltaire, une Histoire des Juifs, une Explication des chemins de fer, Les Aventures du baron de Münchhausen, Paul et Virginie, un Jérôme Patureau à la recherche d'une position sociale. Il y a aussi Rousseau, Fénelon — qui porte la mention « Le livre est à papa et à moi en même temps ». Et bien sûr, comme livre de chevet, Le bien et le mal qu'on a dit des enfants. Paul manifeste très tôt un sens de l'humour développé. Il crayonne les travers de ses contemporains au dos des cartes de visite usagées de son père. Un de ses dessins croque un garnement en habit de classe, faisant un pied de nez à un gentilhomme en gibus, assis dans une calèche d'osier. Sur la légende on peut lire : « Aïe ! m'sieur, vous êtes donc de la salade que vous vous mettez dans un panier ? » Ses talents picturaux ne se font pas seulement aux dépens des inconnus qu'il rencontre dans la rue. Il reproduit aussi les grands monuments parisiens. Ses Panthéons ont des colonnes tordues, ses Arcs de Triomphe paraissent en équilibre instable. Il griffonne des éléphants, des marins, des trains à vapeur, échafaude des estrades de papier qu'il habille de drapeaux tricolores et peuple d'orateurs barbus galvanisant les foules. Paul invente les réunions dont lui parle son père et s'enivre, déjà, des bravos de la foule. Ses dons artistiques ne se limitent pas au dessin. Paul rédige aussi des nouvelles — terme pompeux pour les Aventures de deux petits Savoyards qu'il dédie à ses parents le 1 janvier 1863 — et s'essaie à la poésie.

En grandissant, Paul écrit, dessine, lit toujours autant, mais s'assagit. Une photographie le montre vers l'âge de douze ans, pensif, le regard perdu dans les coulisses de l'atelier du photographe. La séance semble l'ennuyer, mais ce qu'il y a autour, les appareils, les flacons, les clichés, le décor, le distrait. S'amuser, oui, mais après les devoirs de classe. Paul a compris — et on lui a fait comprendre — l'importance des compositions. Il se concentre, abreuve ses parents de lettres dans lesquelles il annonce fièrement ses troisièmes places de latin ou de grec. « Les classes m'amusent beaucoup, les études ne m'amusent guère et les récréations m'ennuient », affirme-t-il le 3 octobre 1868. Paul a désormais treize ans. Élève à Louis-le-Grand, il regarde « tous ces écoliers de différentes sectes accourir comme des fous dans la cour avec leurs livres sous le bras. Les avocats viennent avec leur grande robe et commandent aux élèves qui sont en rang d'entrer en classe. A l'instant même, on les voit tous se précipiter bravement dans leurs classes ; et combien de poussades, d'encriers renversés, de livres culbutés n'y a-t-il pas dans cette bagarre amusante », raconte-t-il dans une lettre. Ses préoccupations sont déjà vestimentaires. Le 17 mai 1867, il implore sa mère de lui trouver un autre costume que sa veste ordinaire : « Tu sais que dimanche, nous commençons la retraite et que nous irons tous les jours au Luxembourg. Comme il y a, surtout le dimanche, beaucoup de monde dans les rues, je pourrais bien rencontrer quelqu'un de connaissance et, en admettant que je ne rencontre personne, je ne peux pas y aller avec la veste que je porte maintenant, elle est déchirée. » Et Paul, précoce Brummel, précise : « Je ne pourrais aller avec ma blouse car j'aurais l'air d'un gamin des rues. L'autre jour, j'ai essayé de mettre ma blouse, tout le monde s'est moqué de moi. Je désirerais donc avoir mon petit costume des vacances. » Il envisage toutes les possibilités : « Tu me diras peut-être qu'il fait trop froid ; je te répondrai qu'il fait assez chaud pour mettre ce costume et que d'abord, comme c'est demain la nouvelle lune, il va faire plus chaud. » Et, argument propre à fléchir l'âme de toute mère, il ajoute : « Si tu ne me l'apportes pas, tu m'exposes à faire rire mes camarades de moi et à être comme un voyou dans la rue. » Ce soin de l'apparence, cette élégance qui, tout au long de la carrière politique de Paul Deschanel, ont attiré sur lui éloges et sarcasmes, naissent donc dans l'adolescence. Après Louis-le-Grand, le lycée Bonaparte — aujourd'hui Condorcet — lui ouvre ses portes. Les arcades un peu tristes, les escaliers de bois glissants, la cour intérieure réduite à la portion congrue, la façade austère de ce grand établissement parisien sont plus propices au travail qu'aux vagabondages poétiques. Ses efforts sont récompensés. Elève de la classe de Rhétorique division B en 1870-1871, il est premier en discours et vers latins, second en discours français et version grecque. Treize fois lauréat du Concours général, sa conduite est enfin excellente. Sa seule faiblesse reste les mathématiques. Paul Deschanel est d'abord un littéraire. Mais un littéraire qui suit avec attention la politique. On n'est pas le fils d'un républicain proscrit du 2 Décembre pour rien. Si les convictions de son père sont moins virulentes qu'auparavant, elles ne se sont pas émoussées pour autant. Emile Deschanel poursuit la rédaction d'articles, continue ses conférences dans tout le pays, publie de nombreux livres dont une Histoire de la conversation en 1859, La Vie des comédiens en 1860, Études sur Aristophane, Essai de la critique naturelle... La défaite de Napoléon III contre les armées prussiennes et la chute de l'Empire en 1870 l'entraînent à nouveau dans l'arène.

Depuis quelques années, la politique extérieure de l'Empire subit humiliation sur humiliation. En décidant de fonder au Mexique un empire latin et catholique pour contrebalancer l'importance de la grande république anglo-saxonne et protestante des États-Unis, en offrant la couronne de cet empire à l'archiduc Maximilien, frère de l'empereur d'Autriche François-Joseph, Napoléon III s'est mis dans une situation inextricable, enlisant aussi bien sa diplomatie et son prestige que les trente mille soldats français chargés d'assurer la survie de cette « colonie » du bout du monde. L'expérience mexicaine se solde par un échec. En 1866, Napoléon III, inquiet de l'attitude de la Prusse sur le Rhin, poussé par les clameurs de l'opinion, rappelle ses troupes et abandonne Maximilien aux mains des insurgés mexicains. Le 19 juin 1867, l'éphémère empereur est pris à Querétaro et fusillé. L'aventure qu'Eugène Rouher, ministre de Napoléon III, avait qualifiée avec emphase de « grande pensée du règne » s'achève dans le sang et la honte. Ce revirement politique est suscité par les bruits de bottes que les Français entendent de l'autre côté du Rhin. Sous l'égide du chancelier Bismarck, la Prusse constitue autour d'elle l'unité de l'Allemagne. Le seul ciment efficace étant une guerre victorieuse contre la France. A Paris, l'opinion s'enflamme. Devenu parlementaire, l'Empire entend monter la grogne. A la tribune du Corps législatif, Thiers émeut le pays en décrivant la reconstruction, sur le Rhin, de l'Empire de Charles Quint. Napoléon III, malade et démoralisé, hésite entre laisser cette unité s'achever ou l'empêcher par des alliances. Des ententes avec l'Italie et l'Autriche n'aboutissent pas. Si Bismarck a répandu la poudre pour faire éclater l'Europe, c'est le ministre des Affaires étrangères français, le duc de Gramont, qui y met le feu. Prenant prétexte de la candidature de Léopold de Hohenzollern, un prince prussien catholique, à la succession du trône espagnol, Gramont déclare que le gouvernement ne permettrait pas qu'on « dérange à notre détriment l'équilibre des forces en Europe ». Les journaux attisent le brasier. Malgré des tentatives d'apaisement, les ultra-bonapartistes et l'entourage de l'impératrice Eugénie sont persuadés qu'ils peuvent infliger une humiliation à la Prusse. Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre. Tandis qu'en Allemagne le sentiment national est à son apogée, à Paris, la foule hurle « A Berlin ». Mais la France est seule, sans alliés, avec une armée moins efficace que celle de son adversaire. Le désastre de Sedan, le 1 septembre, précède la chute de l'Empire, le 4. Pourtant, la fin du régime ne signifie pas la fin de la guerre ou de l'occupation allemande. Loin de là, et ce n'est que le 28 janvier 1871 que l'armistice est signé.

Cette défaite est un drame pour les Deschanel. Un drame qu'ils imputent aux maladresses et à l'incompétence de Napo- léon III. En 1870, Paul a quinze ans, mais est profondément marqué par cette humiliation. Sa famille a fui Paris pour la province. Dans une lettre du 6 janvier 1871, écrite de Beuzeval dans le Calvados, il fustige les erreurs de Napoléon III, mais garde foi en l'avenir. « Voilà, en effet, un singulier jour de l'an, qui ne ressemble guère à tous ceux qui l'ont précédé ! note-t-il. Qui eût dit, l'année dernière à pareille époque, que nous serions maintenant jetés aux quatre points cardinaux avec les Prussiens à nos trousses. C'est Badinguet qui nous a amené tout cela ! Mais j'espère que la République va les reconduire chez eux. » Il s'emporte contre les militaires, « ces traînards, ces soldats ivres qui errent dans les campagnes au lieu de combattre », mais se veut optimiste « en regardant l'ensemble » de la situation : « On voit, affirme-t-il, que la Défense [le gouvernement de Défense nationale] marche de plus en plus et que l'heure de la délivrance approche. Pour moi, je vois tout en rose. Paris [occupé et assiégé par les Allemands] peut encore tenir jusqu'au mois d'avril : c'est prouvé. » Expert politique en dépit de son jeune âge, il affirme que, « si l'Empire a pourri la France, la République la régénère », et assure qu'il « ne fallait pas moins que ce cataclysme pour réveiller la France de sa torpeur ». Il affiche même des intentions belliqueuses et propose de continuer le combat dès la libération de Paris pour bouter les envahisseurs hors des frontières. « La guerre, après le débloquement de Paris, peut durer encore six mois ou un an pour reprendre l'Alsace et la Lorraine », dit-il. Paul développe même un programme politique : « Quand cette invasion sera repoussée au-delà du Rhin, nous n'aurons plus des paysans idiots ni de petits curés pour voter le plébiscite : nous aurons la suppression des armées permanentes, l'instruction gratuite et obligatoire, toutes les libertés ensemble et nous retrouverons enfin une France plus grande et plus glorieuse que jamais. » Ses idoles sont les artisans de la Défense nationale, ses adversaires les généraux de Napoléon III. « Il n'y a que la République qui peut nous donner des hommes comme Gambetta et Trochu ; il n'y a que l'Empire qui a pu nous en donner comme Bazaine et Lebœuf », écrit-il. Ses espoirs sont vite déçus. Le 28 janvier 1871, Jules Favre, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Défense nationale, formé par onze députés républicains de la capitale dont Gambetta, Jules Simon, Jules Ferry et Rochefort, signe la reddition de Paris et la conclusion d'un armistice. En province, ce ne sont pas les troupes françaises qui balaient les ennemis mais un million d'Allemands en armes qui occupent 22 places fortes, exploitent 25 départements et font prisonniers plus de 500 000 hommes. Les conditions de l'armistice imposent le s'impatientait des lenteurs de la reprise de nos relations avec le Vatican. »

La parution de son texte étant différée, Paul Deschanel doit trouver une autre tribune pour se faire entendre du pays. La tournure que prennent les relations internationales l'in- quiète. La dislocation du front des alliés, la mésentente cordiale qui s'installe entre la France et la Grande-Bretagne, depuis que les Anglais, effrayés à l'idée de voir la République de Weimar se tourner vers l'Est, ménagent l'Allemagne, la fixation du montant et le paiement des réparations allemandes toujours repoussés sont autant de sujets qui l'alarment. Que fait le gouvernement français pour affronter ce flot de déconvenues ? Afin de le savoir, Paul Deschanel décide d'interpeller le ministère Poincaré sur sa politique étrangère. « Je n'avais pas d'autre moyen pour solliciter des explications du gouvernement, tout en donnant à mon intervention toute l'ampleur désirable, que d'interpeller, avoue-t-il au Journal, le 1 février 1922. Je le ferai sans aucune intention agressive. » En réalité, le texte sur lequel il travaille depuis quelques mois est très violent. Ses brouillons l'attestent. « Il est inutile de récriminer sur ce qui aurait dû être fait à l'heure où nous avons subi le fatal armistice, alors que la France était réellement maîtresse de la situation et l'arbitre des décisions à prendre — achever la victoire qui n'était qu'ébauchée en allant en Allemagne jusqu'à Berlin, en lui infligeant pendant plusieurs mois ce "traitement de châtiment" qui seul lui eût imposé cette impres- sion de force devant laquelle seule elle s'incline, en exiger sans délai les réparations immédiates, les mêmes qu'elle était alors prête à livrer, mettre fin à l'unité allemande à base de Prusse et lui substituer un groupement "Allemand du Sud" à base autrichienne, client et allié du lendemain — et, après cela, qui pouvait être l'œuvre de quelques mois, l'entente, le rétablissement de relations normales, au lieu de cette plainte indéfinie sans sanctions, sans dignité, dans laquelle nous pataugeons depuis trois ans, en ne gardant même pas nos alliés qui, eux, se sont payés de suite. Nous sommes donc, que nous le voulions ou non, déjà dans le servage de l'Angleterre. Il ne faut pas lui céder mais avoir une politique à nous. Pour cela, il faut qu'à sa force, nous ayons des forces égales à opposer. Nous n'avons plus de flotte à lui opposer, mais nous pouvons avoir demain tout l'Islam. » Son allocution promet d'être virulente et peu en accord avec son style d'ordinaire mesuré. Qu'un ancien président de la République, expert en relations internationales, ose dire tout haut ce qu'il pense des alliés et de la politique étrangère risque de faire l'effet d'une bombe. L'heure est grave. Paul Deschanel n'a plus rien à perdre. Avec ardeur, il travaille et retravaille son texte, le peaufine, bride sa violence, change la forme mais préserve le fond. Il biffe un paragraphe, en réécrit un autre. Excité par ce discours explosif, il commet l'erreur d'en confier la teneur à Gheusi. « Je prendrai la parole, au Sénat, jeudi prochain, lui dit-il, début avril 1922. Soyez là. Aidez-moi de vos démarches auprès de vos amis de la presse puisque vous voilà redevenu journaliste. Je veux, je dois libérer ma conscience, apporter, au salut du régime dont mon père fut le martyr, ma déposition de témoin. Certes, je parlerai de l'Autriche et vous m'approuvez, je le vois. Mais, j'irai plus loin. » Il lui explique, avec une « éloquence incisive et sûre », le plan de son discours, véritable réquisitoire contre Lloyd George et certains hommes politiques français. « Je mettrai peut-être, comme vous dites, le feu à la Maison, mais j'ai bien réfléchi. Ma résolution est irrévocable et personne au monde ne m'en fera changer. Jeudi, le pays me rendra justice et je pourrai me retirer enfin à la campagne, loin de la ville où j'ai tant souffert, car j'aurai fait tout mon devoir. » « Je suis désemparé de cet entretien », affirme Gheusi dans Cinquante ans de Paris. Désemparé devant ce qu'il qualifie de « déclaration de guerre » à l'Angleterre. Il craint de voir fondre sur Paul Deschanel une avalanche de critiques. Que faire ? « Je n'imaginai qu'un moyen efficace, assure-t-il. Paul Imbert m'encouragea à l'employer et se tint prêt à me seconder. Je me rendis à l'Élysée et priai le successeur de Paul Deschanel de m'entendre d'urgence, pour une question grave. Quelques minu- tes après, Millerand me recevait. Je ne lui confiai pas tout ce que je savais à propos d'un projet dont la réalisation ne pouvait qu'avoir des conséquences incalculables. Il s'agissait donc d'empêcher l'intervention de son prédécesseur, quelques jours après, à la tribune du Sénat. — Délicat, difficile, résuma Millerand. Moi, je n'ai aucune action sur ce terrain, ni, hélas ! sur tant d'autres. Mais je vais en parler à qui de droit. De votre côté, puisque vous êtes chargé d'éditer et de faire distribuer à profusion le tirage à part de ce discours, évitez-en l'impression. » Comment empêcher Paul Deschanel, sans l'offenser ni lui révéler la manœuvre, de prononcer ce discours ? En retardant la date de son intervention. Le 30 mars 1922, Raymond Poincaré lui avait écrit : « Si le Sénat siège jusqu'à jeudi prochain, j'accepterai volontiers votre interpellation pour ce jour-là. Sinon, je l'accepterais pour le jour que vous choisiriez à la rentrée. Vous pouvez donc dire au Sénat que nous sommes d'accord. Si, du reste, je ne suis pas retenu à la Chambre, j'irai au Luxembourg le jour de la séance. » La manœuvre est aisée. Début avril, peu de temps avant l'intervention prévue, le Sénat brusque son ordre du jour, vote, sur proposition de son président, la clôture de la session et renvoie les questions en cours au retour des vacances. Paul Deschanel doit se résigner à attendre la rentrée parlementaire pour effectuer sa rentrée politique. Il n'en aura pas l'occasion. Le 28 avril 1922, il meurt d'une pleurésie, après l'opération à domicile d'un abcès pulmonaire.

Que disait donc de si terrible ce discours « fameux sans avoir été prononcé et qui maintenant sort de terre avec la voix, avec l'accent de l'inévitable tombeau », comme le salue, le 14 juin 1922, Charles Maurras dans L'Action française, après sa publica- tion par La Revue des Deux Mondes ? D'abord que le traité de Versailles a remis en selle des pratiques diplomatiques scandaleuses, reposant sur le secret et le partage du monde en petit comité. Paul Deschanel demande pourquoi ont été exclus du Conseil suprême comme « États à intérêts limités » des pays tels que la Belgique, la Serbie, la Roumanie, la Pologne, la Tchécoslovaquie qui ont combattu aux côtés des alliés. « Ils [les quatre signataires du traité] prirent sur eux de disposer souverainement du sort de la France, de l'Europe et du monde. Je dis qu'un tel fait est en contradiction formelle avec les principes de la République, de la démocratie et du régime parlementaire. » Paul Deschanel attaque l'Angleterre, réfutant les accusations d'impérialisme français qu'elle propage. « Le 7 février dernier, à la rentrée du Parlement britannique, le Premier ministre a déclaré qu'il avait dû soustraire la rive gauche du Rhin aux tentatives annexionnistes de la France. Ceci, messieurs, pose tout le problème des relations de la France avec l'Angleterre, ou plutôt avec le cabinet qui gouverne actuellement l'Angleterre. Si le gouvernement anglais, qui ne s'attendait pas à cette agression — j'ai pu m'en convaincre pendant une visite que j'ai faite à Londres en 1912 —, avait parlé un peu plus vite, Guillaume II eût-il osé envahir les Flandres ? Et ce mot prononcé à temps n'eût-il pas épargné au monde et à l'Angleterre d'incalculables désastres ? Et c'est après de tels faits que certains Anglais nous soupçonnent de je ne sais quels desseins ambitieux, voire même d'arrière-pensée perfide ! » Au centre de son intervention, la question allemande. Selon lui, il n'y a pas à tergiverser, la République de Weimar doit payer. « Voici que les Américains nous réclament ce que nous leur devons : comment les payer si l'Allemagne ne nous paie pas ? Il n'est qu'un moyen d'obtenir ce qu'on nous doit, c'est d'organiser le contrôle des finances allemandes. » Il s'inquiète aussi des efforts de propagande menés en Europe centrale par le gouvernement allemand. « Je suis informé que l'Allemagne en ce moment même s'efforce de mettre la main sur les agences télégraphiques de l'Europe centrale et de l'Europe orientale, écrit-il. Si nous restons inactifs, si nous laissons les vaincus d'hier reprendre pied dans ces pays et dresser en quelque sorte une barrière au centre de l'Europe, ce n'est pas seulement nous qui aurons perdu la guerre comme le prédisait M. de Flotow, ce sont tous les peuples qui ont vaillamment lutté avec nous pour conquérir leur indépendance ou pour acheter leur unité. » Paul Deschanel réaffirme encore la nécessité d'aider l'Autriche afin de contrebalancer la puissance allemande. « Ce que je peux dire c'est que, après avoir eu la stupeur d'entendre les alliés consacrer et ratifier juridiquement, dans la galerie des Glaces de Versailles, l'unité germanique, nous ne saurions laisser rompre encore davantage à notre détriment, comme au détriment des peuples qui viennent de conquérir leur liberté, le fragile équilibre établi par les traités récents ; c'est que, dans leur intérêt comme dans le nôtre, nous devons assurer la vie et l'indépendance de la République autrichienne. » Par ailleurs, il adjure Poincaré de reprendre en Orient la mission humanitaire de la France qui assure « la protection généreuse des droits des minorités ». « Comment admettre, s'écrie-t-il, que notre situation là-bas soit moins forte après nos éclatantes victoires qu'elle ne l'était en 1871 après nos défaites ? Partout où brillent nos couleurs, partout où résonne notre langue, nous devons défendre nos gloires héréditaires et ceux dont la France, depuis des siècles, a été la patrie morale. » Comme dans le texte qu'il a écrit pour La Revue de France, Paul Deschanel aborde les questions institutionnelles et dénonce ce « pouvoir qui n'est pas inscrit dans la loi, la présidence du Conseil, qui a dévoré peu à peu tous les autres pouvoirs, tout annihilé, tout paralysé ». A propos de l'Élysée, il ne manque pas de faire l'éloge de Poincaré. « Pendant la guerre et pendant les négociations qui l'ont suivie, la France avait à sa tête un homme à l'esprit pénétrant, à la vie droite et laborieuse, venu de ces marches de l'Est qui pendant des siècles ont été foulées par les invasions. Et aussi de sa Lorraine, il avait la prudence, il avait le patriotique souci de ne pas troubler l'esprit public en révélant à la France, en présence de l'ennemi, ce dont il était le témoin. Il voyait tout, il savait tout, et il ne pouvait rien ; il assistait, spectateur impuissant, à un drame qu'il ne pouvait empêcher. Depuis lors, il a écrit de remarquables articles pour expliquer après coup sa pensée. Or la Constitution dit : "Le président de la République négocie et ratifie les traités." Avouez, messieurs, que la fiction est un peu forte ! » De sa propre expérience présidentielle, Paul Deschanel affirme : « Je suis resté moi-même peu de temps à la Présidence, assez lontemps toutefois pour m'apercevoir que si, sur une question essentielle, l'opinion du Président n'est pas celle des ministres, même s'il a pour lui le ministre de la Guerre et les chefs de l'armée, il ne peut ni le faire prévaloir, ni même le faire connaître. Ce qui est contraire à la raison. Ce qui est à mes yeux un paradoxe insoutenable, c'est que le président de la République n'ait le droit de communiquer directement avec les chambres que pour donner sa démission : c'est qu'il ne puisse parler que pour mourir. Et pourquoi l'opinion du président de la République doit-elle être d'avance sacrifiée à celle du président du Conseil ? » La question est posée. La V République trouvera la réponse.

Quel accueil reçut ce discours ? A vrai dire, les réactions sont peu nombreuses parce que les difficultés internationales l'ont éclipsé. Paul Deschanel voulait faire une rentrée fracassante, mais il est parti sur la pointe des pieds. Pas de son fait, mais par la malchance, par des événements qui se sont ligués contre lui. Même sa disparition a suscité peu de commentaires. A part quelques articles sévères comme celui de L'Internationale — « Voilà donc ce pauvre Deschanel disparu après une vieillesse orageuse. Cet homme heureux, trop heureux, a connu à l'heure des cheveux blancs toutes les vicissitudes. Déraillement et ballast, plongeons dans la flotte, somnambulisme, chute de l'Élysée... Ce pauvre Deschanel a surtout été un de ces grands inutiles qui tiennent beaucoup de place et dont il ne reste rien. » —, les journaux sont révérencieux. Léon Bailby note dans L'Intransigeant : « Le jour où il avait signé sa démission de président de la République, il avait terminé sa carrière. On apercevait encore il est vrai de temps à autre cette charmante figure mélancolique d'un homme qui avait été le Premier et qui tâchait de se survivre. Mais le monde parlementaire ne cote les valeurs de son marché que lorsqu'elles sont susceptibles de monter. » Stéphane Lauzanne affirme : « C'est à Shakespeare qu'eût appartenu Paul Deschanel et jamais peut-être la fatalité n'aura marqué de sa griffe une figure plus charmante. Il se sera éteint à une heure d'orage alors qu'il était fait pour le calme. Il aura passé par le bonheur sans être heureux. Il aura montré qu'il n'y a pas que les chemins de ronces qui font des victimes, on en trouve aussi qui jalonnent les champs de fleurs. » « D'aucuns ont dit que la fin de cette vie appartenait à la tragédie antique ou à la dramaturgie shakespearienne où le dernier mot, le dernier geste, est dit ou fait par le personnage dominant : la fatalité, confirme L'Illustration. Paul Deschanel obtint ce qu'il avait souhaité obtenir : le rang suprême. Mais, dès lors, s'évanouirent la lumière, la santé, le bonheur. En deux ans vinrent l'angoisse, la maladie, la mort. »

Le 3 mai — un mercredi — les obsèques de Paul Deschanel se déroulent en l'église Saint-Honoré-d'Eylau. Le long du cortège, une foule recueillie vient lui rendre un dernier hommage. Un immense catafalque surélevé est dressé dans la nef centrale, tendue de draperies noires. A 11 h 30, les troupes d'honneur, composées des 6e et 10 divisions d'infanterie, d'une batterie d'artillerie et d'un escadron de cavalerie, se placent face à l'église. A midi, le corps de l'ancien chef d'État est hissé sur un corbillard rehaussé d'argent, précédé du drapeau et de la musique du 46 régiment d'infanterie. Le cortège s'ébranle, emprunte l'avenue Malakoff, glisse place du Trocadéro et rejoint le cimetière Montparnasse. Derrière le corbillard marche, raide et digne, un maître de cérémonie. Il porte sur un coussin le grand cordon et la plaque de la Légion d'honneur. La famille, les proches tels Imbert, Aulneau, Lémonon, Malliavin, Henry, les membres du gou- vernement, le président du Conseil, Raymond Poincaré, les maréchaux Foch, Franchey d'Esperey, les généraux Sarrail, Weygand, Trouchaud, Mangin, les représentants du roi des Belges, Mme Millerand et son fils Jean, des élus d'Eure-et-Loir, le suivent lentement. Arrivé à la nécropole, le corbillard s'arrête. Les troupes défilent devant le corps. Puis, le président du Conseil, les membres du gouvernement, le corps diplomatique saluent une dernière fois Mme Deschanel. Seuls la famille et les intimes se rendent au tombeau familial où reposent les parents du Président défunt. Conformément à ses dernières volontés, aucun discours n'est prononcé. Un tribun est enterré dans le silence.

« Le Président Deschanel eut de belles funérailles, écrit André Vervoort dans L'Actualité politique et sociale. Une femme tenaillée par la douleur et stoïque, des enfants pâles et graves, des amis fidèles qui marchaient comme dans un rêve de souvenirs attendris, des fleurs, encore des fleurs, une foule sincère et émue, et surtout cette armée, ces soldats qu'il admirait et qui défilèrent superbement pour lui, suprême consolation, aux clairs accents d'une marche française. « Le Président Paul Deschanel eut de belles funérailles. Toute la politique était là, toutes les Académies, toutes les ambassades, tous les arts, toutes les lettres, toutes les sincérités, toutes les hypocrisies, et ceux qui l'avaient aimé, à qui il rendait tant d'affection et ceux qui l'avaient torturé. Mais que faisaient donc là tous ces bavards de couloirs qui, depuis deux ans, répandaient sur lui des échos extravagants, de propos incongrus, lesquels n'étaient que mensonges, mensonges, mensonges ? « Et comme la décision fut heureusement prise qu'il n'y eût pas de discours ! Certes, le gouvernement d'aujourd'hui est composé de braves gens qui appréciaient les vertus civiques du Président Deschanel, qui savent les éminents services qu'il a rendus à la patrie, et qui auraient exprimé de façon parfaite la vérité sur cet homme d'État. Mais comment faire admettre à l'opinion que tout ce qui aurait été dit était la vérité, alors que cette opinion fut pervertie jusqu'aux moelles par d'abominables photographies quasiment truquées, par des échos scandaleux, par des racontars ineptes qui, à la Chambre, au Sénat, dans les salons, couraient de groupe en groupe ? « Le Président Paul Deschanel meurt victime de la calomnie. Aucune parole, si auguste fût-elle, n'aurait réparé le mal. Le silence, le pur et clément silence qui apaise les âmes endolories, le lourd et terrible silence qui s'abat sur les Caïn, le silence valait mieux. L'Histoire, au moment venu, prendra la parole. » ÉPILOGUE

UN HOMME DE PAROLES

« Le Président de la République ? Qu'est-ce, sinon un sublime sous-préfet ? demande au lendemain de sa mort Louis Latzarus dans Chroniques et Documents. M. Paul Deschanel a été sous- préfet. Dans son cœur, il aimait le prestige extérieur, la pompe, l'estrade, le grade. Si paradoxal que puisse paraître ce jugement, il manqua à cet ambitieux une haute ambition. Un tel homme, pourquoi n'a-t-il, en définitive, joué aucun rôle dans ce pays ? Pourquoi aucune réforme, pourquoi aucune idée féconde ne reste-t-elle attachée à son nom ? » Latzarus est sévère, mais sa question mérite d'être formulée. Que laisse derrière lui l'ancien chef de l'État ? Une loi sur les tribunaux spéciaux pour enfants, onze ans de présidence de la Chambre, une victoire contre Clemenceau, une empreinte sur le ballast, une démission pour raison de santé, et surtout dix-huit volumes de discours, d'idées nouvelles, de réformes à apporter au pays, de patriotisme exacerbé. Homme d'éloquence, théoricien de la vie politique, sa carrière rapide et brillante, ternie par les affres d'une maladie guérie, repose essentiellement sur les mots. Paul Deschanel est un des grands orateurs de la III République. On aurait tort de croire que les mots ne servent à rien, que seuls les actes comptent. Pour Paul Deschanel, parler, c'est agir. Qu'est-ce qu'un homme politique ? Pour certains, il s'agit d'un gestionnaire qui doit combattre, entrer dans l'arène, affronter les combinaisons ministérielles ou s'y complaire, faire tomber les gouvernements selon son bon plaisir, ne pas craindre de se salir les mains et de se durcir le caractère. Paul Deschanel refuse cette définition. Il fait partie de ces parlementaires qui considèrent que le verbe prime, fidèle à cette tradition politique typiquement française qui veut, comme le regrette Louis Barthou, que « la parole est souvent prise, et par ceux qui parlent et par ceux qui écoutent, pour la forme suprême de l'action ». Aussi, à force de refuser les postes ministériels parce qu'il songe à l'Elysée et parce qu'il ne se sent pas l'étoffe d'un administrateur, il passe aux yeux de certains pour un incompétent. A de nombreuses reprises, Caillaux loue son humanisme, sa courtoisie, sa gentillesse, son intégrité intellectuelle, morale et politique, mais considère que ses idées, son intelligence sont « une valeur de moindre qualité que son coeur ». En un mot, il lui nie les qualités d'un homme politique. Mais présider la Chambre des députés, maintenir son unité pendant la guerre, est-ce trahir une absence de compétence ? Que des présidents de la République lui aient offert, à plusieurs reprises, un portefeuille, n'est-ce pas une reconnaissance de ses aptitudes ? En 1914 et 1917, à des heures tragiques, Poincaré lui aurait-il proposé la présidence du Conseil s'il n'avait eu confiance en ses capacités et en ses idées ? En fait, Paul Deschanel est avant tout un homme d'idées, un homme qui a choisi une autre voie. En fils de conférencier, il est imprégné d'une image lyrique de la politique. Pour lui, l'éloquence la résume. Ses armes ne sont pas des décrets ou des lois mais des harangues, des mots, des lettres. Et de quoi a besoin un homme politique dans un régime d'Assemblée comme la III République, sinon de savoir parler ? A l'exception de Maurice Barrès qui lui reproche, dans ses Carnets, « un manque de sonorité profonde, de sincérité, d'âme, d'excès », qui a l'impression que « tout est prévu, apprêté, mesuré, émondé », que « tout est joué avec des gestes de photographe » et trouve que son style oratoire « sent la gomme arabique » et « colle sans saveur », beaucoup de parlementaires admirent son éloquence. En dissertant sur l'art du discours, Louis Barthou, cité par Octave Aubert, évoque la tribune, « autel de la parole », qui « veut, comme les autels de la prière, du recueillement et du respect. Je plains, écrit-il, ceux qui n'y apportent pas chaque fois, même quand les timidités premières sont vaincues, la même émotion profonde. On n'est un orateur qu'au prix de cette émotion. Il faut avoir peur de la tribune pour être égal à la tribune ». Et de citer avec admiration « Gambetta et de Mun, Waldeck-Rousseau et Deschanel, Ribot et Jaurès, pour ne parler que des grandes voix éteintes », qui « ont connu le frisson intime, l'angoisse physique et morale dont tout être est secoué avant l'action ». De sa voix grave, prenante, claire et distincte, qui se déroule comme un fil infini, avec ses accents d'acteur, ses intonations qui ne sont pas sans ressembler — des enregistrements de discours, conservés à la Phonothèque nationale, en témoignent — à ceux du général de Gaulle, avec ses gestes discrets ponctuant les étapes d'interventions méthodiquement élaborées, Paul Deschanel conquiert les salles. Joseph Caillaux admire ce « talent oratoire incontestable, peigné comme sa conversation, comme son style, avec de la chaleur, du mouvement, de la vie dans sa parole châtiée ». Jonnart évoque une parole « tour à tour insinuante, pleine de mesure et d'harmonie, exaltée, incisive et véhémente. C'est d'abord une eau tranquille qui coule sur le gravier fin, saute en se jouant sur de légers obstacles, puis force les écluses, s'irrite et bouillonne pour reprendre ensuite entre les rives élargies un cours limpide et accéléré qui est comme le miroir de la sérénité des pensées de l'orateur et de la force entraînante de sa raison ».

Sous un régime où le Parlement, agora de l'éloquence, est tout-puissant, où la presse publie les bons discours, où l'affichage des meilleures interventions constitue une récompense, la parole apparaît comme le moyen de l'action. Si on lui refusait cette force, ne devrait-on pas rayer des livres d'histoire nombre de parlementaires éminents au premier rang desquels Jean Jaurès qui, lui non plus, n'a jamais appartenu à un gouvernement ? Paul Deschanel est bien une grande figure politique de la III République avec ses idées novatrices — la mutualité, le syndicalisme, les réformes institutionnelles, la décentralisation, la peine de mort — et son sens de l'avenir — la durée de la guerre, le traité de Versailles propice à un nouveau conflit. Homme solitaire, indépendant, sans fidèles dans son sillage pour assurer sa postérité et contester les calomnies répandues sur son compte, sa faiblesse est finalement d'avoir été ailleurs, d'être inclassable, sans étiquette définitive. « Être au-dessus des partis, c'est encore être hors des partis », disait de lui Jaurès. « Des clairons, de l'orgue, des tambours, oui. Mais pas un discours, pas une phrase, pas un mot, note L'Indépendance belge, au lendemain de son enterrement. Vous dites qu'il n'est pas le premier qui ait interdit les discours autour de son cercueil ? Oui, mais celui-ci était essentiellement un parleur, son moyen d'action unique était la parole. Sa vie se résume en des discours ; ce qu'il a fait n'est rien, ce qu'il a dit est tout. Deschanel voulut le grand, le sublime silence. Est-ce de l'amertume ? Une leçon ? De l'ironie ? »

Aujourd'hui, où la politique se résume à des débats télévisés, à des concours de petites phrases, où le fond des problèmes est fréquemment évacué au profit de l'impact des mots, on comprend le rôle joué par Paul Deschanel. On le comprend d'autant mieux quand on constate que ses discours n'utilisent pas la langue de bois, sont riches d'idées avancées et de propositions modernes. On comprend mieux que Paul Deschanel a été, aux deux sens du terme, un homme de paroles. ANNEXES SOURCES

ARCHIVES PRIVÉES

Les écrits, notes secrètes, textes inédits, lettres familiales ou politiques de Paul Deschanel proviennent pour la plupart de la quinzaine de cartons, jusqu'ici très peu exploités, qui constituent le fonds Deschanel des Archives nationales (cote 151 AP 35 à 151 AP 51).

ARCHIVES PUBLIQUES

Pour connaître les résultats électoraux de Paul Deschanel aux élections législatives en Eure-et-Loir, nous avons puisé dans la série C des Archives nationales. Pour étudier son activité locale, nous avons dépouillé les rapports du conseil général, la série de La Dépêche d'Eure-et-Loir, les annuaires du département, conservés à Chartres aux archives départementales d'Eure-et-Loir. De nombreux articles, pamphlets et caricatures proviennent du dossier d'actualités Deschanel de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Les rapports des agents de renseignements sont conservés dans le très abondant dossier Deschanel des archives de la Préfecture de police de Paris. BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES DE PAUL DESCHANEL

Paul Deschanel a publié de nombreux ouvrages, dont la majorité sont des recueils de discours : — La Question du Tonkin, Paris, Berger-Levrault, 1883. — La Politique française en Océanie à propos du canal de Panama, Paris, Berger-Levrault, 1884. — Les Intérêts français dans l'océan Pacifique, Paris, Berger-Levrault, 1885. — Orateurs et hommes d'État, Paris, Calmann-Lévy, 1888. — Figures de femmes, Paris, Calmann-Lévy, 1889. — Figures littéraires, Paris, Calmann-Lévy, 1890. — Questions actuelles, Paris, Hetzel, 1891. — La Décentralisation, Paris, Berger-Levrault, 1895. — La République nouvelle, Paris, Calmann-Lévy, 1898. — La Question sociale, Paris, Calmann-Lévy, 1898. — Quatre ans de présidence, Paris, Calmann-Lévy, 1902. — Politique intérieure et étrangère, Paris, Calmann-Lévy, 1906. — A l'Institut, Paris, Calmann-Lévy, 1907. — Hors des Frontières, Paris, Fasquelle, 1910. — L'Organisation de la démocratie, Paris, Fasquelle, 1910. — Paroles françaises, Paris, Fasquelle, 1911. — Gambetta, Paris, Hachette, 1919. — La France victorieuse, Paris, Fasquelle, 1919.

ARTICLES POLITIQUES DE PAUL DESCHANEL

Tout au long de sa carrière, Paul Deschanel a rédigé de nombreux articles, accordé de multiples interviews sur tous les sujets. Il est donc impossible de les citer tous. Toutefois, indiquons les plus importants et les moins connus :

— Interview, L'Heraldo, 4 avril 1922. — « La Politique extérieure de la France », Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1922, pages 721 à 737. — « Le Président de la République et la Constitution », Revue de France, novembre-décembre 1923, pages 673 à 675.

PRÉFACES DE PAUL DESCHANEL

A la fin du XIX siècle et au début du XX il est courant qu'un homme politique rédige des préfaces. Paul Deschanel n'échappe pas à la règle. De quelques lignes à plusieurs pages, sur des sujets politiques ou littéraires, il aime ce moyen d'expression. Voici les plus significatives :

Ruy Barbosa, Pages choisies, Rio de Janeiro, Briguiet et Cie, 1917. Henry Barby, Au pays de l'épouvante, l'Arménie martyre, Paris, Albin Michel, 1917. Raphaël Barre, Le Crédit au travail associé et le Crédit populaire, Paris, L'Union typographique, 1910. Auguste Bouge, Les Conditions du travail et le Collectivisme, Paris, Armand Colin, 1896. Ferdinand Buisson, La France et l'École pendant la guerre et après la guerre, Paris, Delagrave, 1915. Henri Chantavoine, En province, Paris, Grasset, 1910. André Colliez, Les Associations agricoles de production et de vente, Paris, Guillaumin, 1905. Georges Delahache, Petite histoire de l'Alsace-Lorraine, Paris, Grasset, 1918. Édouard Duguet, Les Députés et les Cahiers électoraux de 1889, Paris, Bourloton, 1890. Julien Goujon, Hermann et Dorothée de Goethe, Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1912. René Henry, Témoignage pour les Alsaciens-Lorrains, Plon, Paris, 1925. Jules Huret, Enquête sur la question sociale en Europe, Paris, Perrin, 1897. Paul Imbert, Les Retraites des travailleurs, Paris, Perrin, 1905. Camille Lacroix, Les Chefs-d'œuvre de l'éloquence parlementaire, Paris, Dupont, 1893. Leçons du Collège libre des sciences sociales pendant 1911, L'Œuvre sociale de la IIIe République, Paris, Giard et Brière, 1912. Ernest Lemonon, L'Europe et la Politique britannique, Paris, Félix Alcan, 1910. Le Perche, Éditions Marcel Thiolier, 1909. Madame ***, Dans la geôle bruxelloise, Bruxelles, G. Van Oest Éditeurs, 1917. René Moulin et Serge de Chessin, Une année de politique extérieure, Paris, Plon, 1909. Pierre Perreau-Pradier et Maurice Besson, La Guerre économique dans nos colonies, Paris, Félix Alcan, 1916. Gabriel Petit et M. Leudet, Les Allemands et la Science, Paris, Félix Alcan, 1916. M. C. Poinsot, Le Parlement et la Guerre, Paris, Maison française d'Art et d'édition, 1917. Théodore Reinach, Au Parlement, Paris, Hachette, 1914. Robert de la Sizeranne, Le Référendum communal, Paris, Colin, 1893. Maurice Wolff, Un siècle d'amitié, Paris, La Renaissance du livre.

SUR PAUL DESCHANEL

La dernière biographie publiée sur Paul Deschanel remonte à 1926. Depuis, il n'a été le sujet que de travaux universitaires, par définition confidentiels :

Thierry Billard, Paul Deschanel, un homme de paroles, Paris, maîtrise d'histoire contemporaine, Sorbonne-Paris IV, 1986. René Malliavin, La politique nationale de Deschanel, Paris, Honoré Champion, 1925. Jean Mélia, Paul Deschanel, Paris, Plon, 1924. Gérard Milleret, Une chute peut en cacher une autre, Dijon, thèse de médecine, 1981. René Pages, Monsieur Paul Deschanel, Paris, Imprimerie de la cour d'appel, 1900. Louis Sonolet, La Vie et l'Œuvre de Paul Deschanel, Paris, Hachette, 1926.

Articles

Thierry Billard, « Paul Deschanel : un fou à l'Élysée ? », L'Histoire, avril 1988. Sous la direction de Serge Bernstein, « Paul Deschanel ou le rêve impossible », Dossiers de l'histoire, mars-avril 1981. Jean Clair-Guyot, « Le Voyage extraordinaire du président Deschanel », Miroir de l'Histoire, mars 1953. André Dupouy, « Monsieur Paul Deschanel et la politique extérieure de la France », La Vie des peuples, 20 mai 1920. Paul-Marie Duval, « Cinq responsables d'un futur érudit », La Bibliothèque imaginaire du Collège de France, Le Monde Éditions, 1990. Auguste Gauvain, « Paul Deschanel », La Vie des peuples, mars-avril 1924. Louis Lesueur, « Le Président tombé du train », Historia, mai 1976. Docteur Logre, « Le Syndrome d'Elpénor », Le Monde, 1 mai 1948. Victor Margueritte, « Paul Deschanel », Le Monde nouveau, février 1920. Monique Moncel, « Le Vrai Visage de Paul Deschanel », Histoire pour tous, novembre 1976.

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE SUR LA III RÉPUBLIQUE

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SUR LE PERSONNEL, LES PARTIS ET LES INSTITUTIONS POLITIQUES

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TÉMOIGNAGES

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BIOGRAPHIES

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1. Résultats en pourcentage des exprimés. 2. Résultats en pourcentage des votants. 3. Résultats en pourcentage des inscrits. LA PREMIÈRE PRÉSIDENCE DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS : 1898-1902 RÉSULTATS DES ÉLECTIONS

1. Résultats en pourcentage des exprimés. 2. Résultats en pourcentage des votants. 3. Résultats en pourcentage du nombre des députés. ÉLECTIONS CANTONALES EN EURE-ET-LOIR

1. Résultats en pourcentage des bulletins exprimés. 2. Résultats en pourcentage des électeurs inscrits. LA SECONDE PRÉSIDENCE DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS : 1911-1920 RÉSULTATS DES ÉLECTIONS

1. Résultats en pourcentage des exprimés. 2. Résultats en pourcentage des votants. 3. Résultats en pourcentage du nombre des députés.