Saint Augustin SCHOEFFLER Missionnaire Et Martyr Lorrain (1822-1851)
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Saint Augustin SCHOEFFLER Missionnaire et martyr lorrain (1822-1851) par M. Maurice BECKER, membre correspondant A l'aube du 4 avril 1619 un grand voilier portugais, le Sainte Thérèse s'avance lentement dans l'estuaire du Tage et s'éloigne de Lisbonne. A son bord, parmi les quelque mille passagers et membres de l'équi page, un jeune père jésuite, Alexandre de Rhodes. Il a 28 ans et se déclare sujet du roi de France bien que né en Avignon dans les Etats du Pape. Il se rend en Asie dans ces territoires de mission attribués au Portugal depuis le partage du prosélytisme missionnaire dans le monde entre les rois d'Espagne et du Portugal - les « rois catholiques » - tel que le Saint Siège l'avait avalisé. Le navire, puissamment armé, les cales débordant de marchandises, met le cap au sud, sur la route des Indes découverte 100 ans plus tôt par Vasco de Gama. Commerçant au passage avec les comptoirs et places com merciales de l'Afrique, le Sainte Thérèse double le cap de Bonne Espérance, relâche sans doute à Zanzibar, haut lieu du commerce des esclaves vers l'Afrique et l'Asie, avant de se diriger vers Goa, capitale déclarée de l'empire portugais des Indes. Tout en assumant sur le navire et aux longues escales ses tâches d'apostolat, qui lui valent souvent brimades voire séjours en prison, le Père de Rhodes poursuit son voyage, atteint la mer de Chine et, à l'embouchure de la Rivière des perles, fait halte à Macao, face à Hong Kong. Son voyage aura duré quatre ans. De là, ayant appris la langue, il parcourt pendant 22 ans, la Cochinchine, le Tonkin et la Chine, prêche, convertit, forme des adeptes et des catéchistes, transcrivant au surplus en caractères latins les idéogrammes de l'écriture usuelle. Lorsque le Père de Rhodes quitte la région en 1645, le pays qui s'ap pellera plus tard l'Indochine, compte quelque 120000 chrétiens. Son retour le conduit à Rome où il développe l'idée que les initiatives et l'autorité missionnaires doivent être du ressort du Siège Apostolique et non plus du pouvoir temporel des rois d'Espagne et du Portugal. C'est d'ailleurs ce qu'avait défini le Pape Grégoire XV en 1622 lorsqu'il institua un Collège de la Propagande pour diriger l'action missionnaire et lui assurer son indé pendance par rapport aux Etats. Toujours sur la brèche, le Père de Rhodes, se rend en France à la demande du Pape Innocent X pour rechercher des missionnaires plus sou mis que les bouillants espagnols et portugais. Il rencontre à Paris une petite communauté de jeunes, leur communique son idéal missionnaire, plaide devant le roi Louis XIV l'intérêt des missions. Ceci d'ailleurs convient à Colbert qui, prenant ombrage du monopole des rois catholiques avait mis en œuvre la construction d'une flotte puissante et préparait la création de la Compagnie française des Indes Orientales. Convaincu, le roi met à la disposition de la communauté de jeunes un immeuble rue du Bac pour accueillir la Société des Missions Etrangères de Paris qui y tient tou jours son séminaire. C'est ainsi que commença dans la péninsule du Sud-Est asiatique une grande aventure religieuse, puis économique et culturelle française qui ne prit fin que 330 ans plus tard avec le désastre de Dien Bien Phu. Sur l'estuaire de l'Escaut, 230 ans après les faits que nous venons de rapporter, un autre grand voilier, VEmmanuel, quitte le port d'Anvers à destination des Indes. C'est sans doute l'un de ses tout derniers voyages, le moteur à vapeur commençant désormais à supplanter la voile. Quelques jeunes missionnaires venus précisément du séminaire des Missions Etrangères de Paris sont du voyage et parmi eux un jeune prêtre, enfant de Lorraine. Il a 26 ans, né à Mittelbronn, le 22 novembre 1822, se prénomme Augustin, fils aîné d'un jeune instituteur, Antoine Schoeffler. La famille est modeste comme le sont toutes celles des enseignants de l'époque. La famille est croyante et pratiquante comme il se doit en ces temps où, les idées révolutionnaires s'étant estompées, l'Eglise a reconquis petit à petit son autorité bien qu'elle ait pratiquement perdu le monopole de la nomina tion des maîtres. Ainsi, Augustin sera-t-il élevé, comme en témoignera plus tard sa tante « au milieu de la plus tendre affection, ayant sous les yeux les exemples de vertu d'une famille chrétienne et les préceptes de sa pieuse et bonne aïeule ». En fait, c'est surtout par son oncle, Charles Schoeffler, prêtre, qui l'accueillera dès l'âge de six ans et l'éveillera à la foi chrétienne qu'Augustin sera élevé. Nommé curé de Bettborn en 1833, le prêtre trou vera en l'instituteur du village un allié pour la formation de l'enfant. Celui-ci fréquentera sa classe avant d'entrer au Petit séminaire de Pont-à- Mousson, devenu de nos jours le Centre Culturel des Prémontrés. L'instituteur, au-delà des tâches habituelles d'enseignement, est en charge de divers services d'Eglise et notamment de l'enseignement du catéchisme et de l'Ecriture sainte. C'est à l'occasion d'une lecture en classe des Annales de la Propagation de la Foi, revue qui relate les actions missionnaires de l'Eglise, qu'après avoir entendu le maître rapporter la condamnation et l'exécution d'un missionnaire en Chine, le jeune Augustin, qui voit peut-être là poindre un idéal, se lève et montre à ses condisciples comment à son tour missionnaire il sera décapité. Il est âgé, à l'époque, de onze ou douze ans. L'instituteur, sachant les passions de l'adolescence, n'attache pas plus d'importance qu'il n'en faut à l'incident. Celui-ci démontre cependant, comme Augustin l'écrira plus tard «... dès mon enfance, certaines idées travaillaient ma jeune âme, idées que mon cher oncle a cru devoir cultiver avec le plus grand soin » (1). Trois ans avant cette lettre, il avait déjà écrit « j'avais toujours l'intention de me vouer aux missions étrangères » (2). Mais cette scène lui reviendra peut- être souvent à l'esprit, car il ne cessera durant sa courte vie, de dire son souhait « d'offrir un petit verre de son sang à Jésus ». Pourtant, Augustin s'était interrogé longtemps et avait hésité, sous l'influence d'un autre oncle, officier de carrière, entre l'appel des armes et celui de Dieu. Mais finalement, après sa scolarisation au Petit séminaire de Pont-à-Mousson, c'est au Grand séminaire de Nancy qu'on le retrouve à vingt ans. « J'en suis très content [écrit-il] et je suis sûr que vous partagerez ma joie, priez pour moi qui dois entrer dans un si grand ministère » (3). A Nancy, son oncle prêtre ayant quitté la France pour une aumônerie à Munich où il décédera d'ailleurs quelques mois plus tard, c'est un pro fesseur du Grand Séminaire, l'abbé Chevallier qui aura sur Augustin un ascendant certain, devenant tout autant son confident que son directeur de conscience. Augustin établira avec lui des liens quasi filiaux, dont témoi gnent ses lettres « lues et relues,... heureux de s'entretenir avec une per sonne qui vous est véritablement attachée » (4). Au Grand Séminaire, Augustin est un élève sérieux, travaillant beau coup et de mois en mois, sa formation avance. Il reçoit la tonsure, se pré pare au diaconat, prononce sa première homélie alors que l'idée de se consacrer aux missions reste présente au point que se chicanant avec sa tante, il lui écrira « Savez-vous ce que vos boutades ont failli faire ? Eh ! Bien d'un peu, je partais au séminaire des Missions Etrangères » (5). Tout en maniant dans ses lettres humour et malice, il s'emploie à préparer sa famille à une décision qui, petit à petit, mûrit et s'affermit. Cette vocation, il se décidera finalement de l'assumer coûte que coûte, quitte dit-il « à passer sur le corps de mon père et de ma mère » précisant « je pars pour la Chine ou le Japon [...] je n'attends plus qu'une lettre du Supérieur des Missions Etrangères [...] et je m'embarque au bout d'un an de noviciat passé à Paris » (6). Il a en effet sollicité, en cachette de tous, son admis sion au séminaire des Missions Etrangères de Paris. C'est en effet ainsi que les choses vont se dérouler. Pendant les vacances de l'été 1846, sa troisième année de séminaire achevée, la lettre qu'il attendait est arrivée: les Missions Etrangères sont prêtes à l'accueillir. Venue la rentrée d'octobre, au moment de se rendre à Nancy pour une quatrième année, Augustin quitte Mittelbronn sans dire ni sa décision ni adieu à qui que ce soit. Plus tard, il dira qu'il en a été peiné, que ce fut pour lui « un crève cœur » (7) mais l'appel de Dieu l'a emporté sur toute autre considération: « // ne faut pas qu'aucune considération humaine vous retienne. Dieu saura bien avoir soin de vos chers parents » écrira-t-il à un ami (8) citant l'exemple de trois jeunes venus au séminaire des Missions « sans que personne n'en sache rien [...] partis tous les trois une belle nuit... » Pour ses parents ce départ sera ressenti comme une offense qu'ils ne lui pardonneront pas. Les lettres qu'Augustin leur adressera resteront sans réponse et ses appels aux aides financières dont il avait grand besoin sui vront le même sort, mais il n'exprimera aucun ressentiment, écrivant, « un missionnaire ne peut pas avoir de rancune, surtout quand il quitte sa patrie » (9).