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Séquences La revue de cinéma

Visage — Sir Le triomphe de la technique Patrick Schupp

Le cinéma au Québec Number 120, April 1985

URI: https://id.erudit.org/iderudit/50862ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article Schupp, P. (1985). Visage — Sir Laurence Olivier : le triomphe de la technique. Séquences, (120), 102–103.

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Henry V, , le Iago d'Othello, jouant en virtuose de sa voix, de sa VISAGE prestance, et apportant à ces immen­ ses tragédies une dimension rarement atteinte avant lui. Il ne craint pas, bien souvent, d'interpréter plusieurs rôles dans une même pièce, éclairant ainsi SIR LAURENCE OLIVIER celle-ci d'une lumière toujours nou­ velle: Roméo, puis Mercutio, Iago puis Othello (20 ans plus tard) et Le triomphe de la technique même en alternance, à New York, avec Anthony Quinn, d'un soir à l'autre, les rôles du Roi et de Becket dans la célèbre pièce de Jean Anouilh. Laurence Olivier est né par un 22 sorte de sous-Feydeau allemand. Trois Faut le faire! mai 1907 pluvieux et "venteux. Son ou quatre films encore, puis Holly­ enfance se passe sans problèmes, sauf wood l'appelle pour lui faire jouer le Puis, Laurence est rappelé à que, très vite, son incertitude enfan­ rôle de l'ambassadeur espagnol dans Hollywood pour tenir aux côtés de tine va faire place à une obstination le nouveau film de Greta Garbo, Merle Oberon le rôle de Heathcliff silencieuse que, peu à peu, rien ne Queen Christina: le projet tourne dans Wuthering Heights sous la direc­ pourra plus entamer et qui lui vaudra court parce que Garbo ne fit rien pour tion de William Wyler. Ses débuts plus tard une belle réputation d'égo- l'aider. Elle voulait et eut John Gil­ américains sont couronnés d'un centrique, de monstre d'égoïsme, de bert. Olivier retourne sur les scènes immense succès, et il enchaîne avec mule, de caractère impossible, etc.. londoniennes où il cueille de nouveaux Rebecca, d'après le célèbre roman de alors que, tout simplement, il sait ce lauriers avec les rôles de Roméo, puis Daphné du Maurier, sous la direction qu'il veut, et s'arrange, bien ou mal, Mercutio dans Roméo et Juliette, d'un autre anglais célèbre et qui lui pour l'obtenir. Et il veut faire... du Bothwell dans Queen of Scots. Arthur aussi fait ses permières armes améri­ théâtre, dont il a découvert les affres Rank lui demande alors de jouer le caines: Alfred Hitchcock. Cette et les perverses séductions en jouant premier rôle dans Fire Over England, année-là, aux Academy Awards, (à 13 ans..) Katharina dans La Mégère une petite fresque historique se pas­ Wuthering Heights reçoit les nomina­ apprivoisée de Shakespeare. Malgré sant sous le règne d'Elisabeth et tions comme meilleur film, meilleur l'opposition (silencieuse, elle aussi) de racontant le désastre de l'Invincible metteur en scène, meilleur scénario son pasteur de père, et secrètement Armada. Sa partenaire est une jeune (Ben Hecht) et... on sait la suite: Gone encouragé par les rêves de gloire de et ambitieuse protégée d'Alexandre With the Wind rafle presque tout, y sa mère, il part pour Londres où pen­ Korda, qui finance le film. Elle est compris meilleure actrice (Vivien dant trois ans, il va étudier comme un ravissante, volontaire et... mariée. Leigh). forcené. Un engagement dans les Cette rencontre bouleversera leur vie, Lena Ashwell Players (1925) est rapi­ mais ils devront attendre quatre ans À partir de ce moment, non seu­ dement suivi par un autre, plus con­ avant de pouvoir légaliser une union lement Laurence Olivier, mais le cou­ séquent, au Birmingham Repertory commencée sous le signe de la passion ple est lancé et Olivier partage son Company (1927) où il joue de tout, la plus folle, exceptionnelle dans l'his­ temps dans le cinéma. Il dirigera quel­ de Shakespeare, sa grande passion à toire du théâtre et qui durera jusqu'en ques films qui feront date et y jouera: de petits drames policiers. En 1929, 1960 pour s'achever dans les cendres , tourné en pleine guerre et il tourne son premier film, The Tem­ et l'amertume. avec des moyens de fortune (1944), porary Widow, pour le compte de la mais qui est d'une audace, d'une ori­ compagnie allemande UFA: c'est la Et il continue. Il ajoute à son ginalité et d'une intelligence bien au- version britannique d'une médiocre répertoire les grands rôles, ceux qui dessus de la moyenne; puis comédie de moeurs due à un auteur font (et défont) les réputations: (1947) pour lequel il veut un noir et célèbre à l'époque, Willi Fritsch, une Hamlet (et à Elsinore, s'il vous plaît.),

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blanc (Henry était en couleurs rutilan­ tradition, Olivier possède plus tes parfaitement appropriées au con­ qu'aucun acteur au monde la faculté, texte), si subtilement dosé que le film non seulement de se rendre mécon­ créera un précédent pour l'étonnante naissable, mais aussi de vivre son atmosphère qu'il réussit à recréer. personnage avec une justesse et une Richard III, en 1954, enfin, où il perfection devant laquelle on reste ajoute à la prestigieuse galerie des rois sans voix. Comparez, si c'est possible, et des personnages de Shakespeare le les rôles suivants: Le Mahdi, arabe sublime portrait du duc de Glouces­ visionnaire dans Khartoum (1966); ter avec une véhémence, une rouerie Archie Rice, lamentable vaudevilliste et un machiavélisme rarement atteint déchu dans The Entertainer (1957), depuis. Il fait aussi venir Marilyn Richard III, servile, agressif et bossu, Monroe, alors Mrs. Miller, pour tenir le Noir mitigé d'arabe dont il a fait le rôle (créé à la scène par Vivien Othello, le lord anglais à l'implacable Leigh) d'Elsie Marina dans la ravis­ vengeance dans Sleuth (1972), le vieux sante pièce de Terence Rattigan The rabbin, père de Neil Diamond dans Prince and the Showgirl, et prouve The Jazz Singer (1980), le savant fou une fois pour toutes la délicatesse, la . nazi dans Marathon Man ( 1976).... Y finesse et le merveilleux talent de a-t-il personnages physiquement, Marilyn, dont ce sera là certainement moralement, socialement et émotive- l'un des meilleurs films. Il dirigera ment plus dissemblables? Et pourtant, enfin, en 1969, pour le compte de on croit à chacun d'eux, je dirais PAmerican Film Theater une remar­ même qu'on ne les imagine même pas quable version des The Three Sisters, autrement une fois qu'on les a vus. de Tchékhov. De 1962 à 1973, il dirige Cabotine-t-il? Étale-t-il sa vie privée les destinées du National Theater of au grand jour et joue-t-il Laurence Great Britain, et c'est pendant ce Olivier à la ville comme à la scène? mandat qu'il visitera Montréal pour Qu'importe. Ce qui compte, c'est son Expo 67. apport exceptionnel à l'Art, et le legs inestimable qu'il nous laissera d'une Quintessence de l'acteur, Olivier personnalité créatrice utilisant au est le dépositaire de génie d'une tra­ maximum les talents éblouissants et la dition théâtrale et dramatique qui remarquable facilité d'interprétation, remonte, au-delà de Shakespeare et issue de la technique et de la tradition. qui a donné au monde, de siècle en C'est certainement l'un des premiers, siècle, les plus grands acteurs et actri­ sinon le plus grand des acteurs de ces de l'histoire humaine, débutant notre temps. Et, Dieu merci, nous ne officiellement avec Burbage, et se con­ manquerons pas de preuve pour con­ tinuant avec Garrick, Kean, Beer- vaincre les incrédules et les généra­ bohm Tree, Patricia Campbell, Lewis tions à venir. Films, vidéos et cinémas et Sybil Thorndyke, Marius Goring, de répertoire sont là pour vous per­ Pamela Brown, (qui mettre de « juger sur pièces », comme est en train de faire un malheur dans on dit. Au moins pourra-t-on recon­ la série télévisée The Jewels of the naître le bien-fondé de ces commen­ Crown), et Maggie taires puisque ces preuves seront Smith, et tant d'autres qui ont porté disponibles sans problèmes. La pos­ la renommée du théâtre britannique térité sera bien servie car les témoigna­ au-delà du temps et de l'espace. ges abondent. Patrick Schupp

Héritier donc de cette prestigieuse Marathon Man

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